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Auteur du best-seller Les langages de l’amour

5 caractéristiques
d’une famille en bonne santé
Une famille qui s’aime
BLF Europe • Rue de Maubeuge
59164 Marpent • France
Édition originale publiée en langue anglaise sous le titre :
The Family You’ve Always Wanted • Gary Chapman
© 1997, 2008 Gary Chapman
Publié par Northfield Publishing • 820 N. LaSalle Blvd. • Chicago, IL 60610
Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés.

Édition en langue française :


Une famille qui s’aime • Gary Chapman
© 2010 BLF Europe • Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France
Ancienne édition parue sous le titre : Une famille d’amour (The Five Signs of
a Loving Family).
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

Traduction : Antoine Doriath et Virginie Thémans


Couverture et mise en page : BLF Europe • www.blfeurope.com
Impression nº 91657 • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc

Les citations bibliques sont tirées de La Nouvelle Version Segond Révisée


(Bible à la Colombe) © 1978 Société Biblique Française. Avec permission.

ISBN version brochée 978-2-910246-87-7


ISBN version PDF 978-2-36249-039-2
ISBN version Mobipocket 978-2-36249-040-8
ISBN version ePub 978-2-36249-041-5
Dépôt légal 4e trimestre 2010

Index Dewey (CDD) : 306.85


Mots-clés : 1. Famille. Aspects psychologiques.
2. Relations interfamiliales. Communication.
Table des matières

Remerciements.................................................................................. 5
Introduction....................................................................................... 7
.
prologue.
Un étranger dans la famille....................................................... 11
.
première partie
Une famille qui sert..................................................................... 17
Chapitre 1 : de la peine au plaisir,.
un cheminement personnel................................................ 19
Chapitre 2 : qu’est-ce qu’une famille qui sert ?................. 25
.
Deuxième partie.
Des couples en pleine intimité............................................... 37
Chapitre 3 : notre soif de proximité.................................... 39
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité.....................................51

troisième partie.
Des parents qui guident........................................................... 69
Chapitre 5 : parler, faire, aimer.............................................71
Chapitre 6 : le défi : enseigner.
de manière créative. .............................................................. 83
Chapitre 7 : le défi : enseigner.
de manière cohérente. ........................................................ 103
quatrième partie.
Des enfants qui obéissent à leurs parents
et les honorent. ........................................................................... 121
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important. ................. 123
Chapitre 9 : le don de l’honneur........................................143

cinquième partie.
Des maris qui aiment et dirigent.......................................... 151
Chapitre 10 : que signifie « diriger » ?................................. 153
Chapitre 11 : les pères, ce qu’ils font.
pour leur famille. .................................................................. 171
Chapitre 12 : pour les épouses seulement,.
l’art de l’encouragement..................................................... 187

épilogue........................................................................................205
un mot de la part de Shelley et Derek. ......................... 209

Autoévaluation
À votre tour. .................................................................................. 213
À votre tour.....................................................................................215
Développez une attitude de service................................. 216
Développez l’intimité. ........................................................ 225
Les langages d’amour de vos enfants.............................. 249
L’éducation créative..............................................................251
Apprenez aux enfants à respecter autrui........................ 261
Évaluez vos capacités de leader. ....................................... 272
Projet de croissance pour le père aimant....................... 280

Notes................................................................................................. 311
Remerciements  I5

Remerciements

L’individu seul ne constitue pas une famille. Le mot


famille implique plusieurs personnes qui agissent de
concert pour former une unité. Chez nous, la famille com-
prend Gary, Karolyn, Shelley et son mari John, et Derek.
Dans la mesure où ce livre met en lumière notre famille
dans ses années de formation, je tiens à exprimer ma sin-
cère gratitude à ses membres qui m’ont permis de raconter
un peu de leur cheminement commun.
Un merci spécial à Derek qui a relu le manuscrit et m’a
fait d’utiles suggestions ; je le remercie aussi pour l’évoca-
tion de ses souvenirs.
Ma reconnaissance va également à John Nesbitt
[« Jean » dans ce livre], notre hôte anthropologue, avec qui
vous ferez connaissance au fil des pages. Il m’a laissé suf-
fisamment de temps pour réfléchir à l’année qu’il a passée
dans notre foyer il y a plus de vingt ans et m’a fait part de
ses propres réflexions.
Je suis aussi redevable à Tricia Kube, mon assistante
administrative depuis une quinzaine d’années. Elle a pro-
cédé à la saisie du manuscrit et formulé des remarques
pertinentes. Merci également à Betsey Newenhuyse de
Moody Publishers pour sa précieuse collaboration au ni-
veau de l’édition.
I
6   Une famille qui s’aime

Enfin, ma reconnaissance va aussi et surtout aux in-


nombrables individus dont les récits apparaissent ici ou là
dans le livre. Les noms de personnes et de lieux ont bien
sûr été modifiés pour préserver l’anonymat. En acceptant
de me faire connaître leurs peines et leurs joies, elles ont
contribué à enraciner ce livre dans la vie réelle.
Introduction  I7

Introduction

Cela fait maintenant plus de trente ans que je m’in-


téresse aux problèmes de famille. En plus de ma propre
famille, des milliers d’autres ont poussé la porte de mon
bureau pour me faire part de leurs joies et de leurs sou-
cis. Peu de chose de la vie peut nous procurer autant de
bonheur que les relations familiales. Mais peu de chose
peut autant nous faire souffrir que des relations familiales
brisées. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes, pas
moins, m’ont fait part de leurs aspirations vers la famille
dont ils ont toujours rêvé : « une famille qui s’aime ».
Mais comment, en particulier dans le monde d’au-
jourd’hui, peuvent-ils concrétiser ces désirs de leur cœur ?
Ces dernières années, je me suis aperçu que, parmi
nos contemporains, de plus en plus de personnes n’ont
pas une vision claire de ce en quoi consiste une famille en
bonne santé. Ils connaissent la souffrance et les problèmes
qu’engendre une famille en dysfonction, mais ne savent
pas à quoi une famille en bonne santé est censée ressem-
bler. Cette constatation m’a alors poussé à écrire ce livre.
C’est peu dire que, dans la culture occidentale, la fa-
mille traverse une passe difficile. Soyons réalistes et disons
qu’elle a perdu ses repères et son chemin. Les trente der-
nières années ont entraîné des bouleversements considé-
rables. Des voix discordantes, voire contraires, agressent
la famille. Certaines insistent sur le matérialisme et la
possession de biens matériels, comme des maisons plus
vastes et des voitures plus puissantes et plus luxueuses ;
I
8   Une famille qui s’aime

d’autres prônent l’épanouissement personnel avant tout ;


certaines en appellent à la quête d’un sens à la vie, d’autres
déclarent qu’il n’y en a pas. Des voix venues d’Orient pré-
conisent de vivre en symbiose avec la nature. Des voix hu-
manistes déclarent que l’homme est son propre maître et
peut se passer de religion, tandis que des voix religieuses
de tous horizons proposent leurs visions de la vie fami-
liale, des visions souvent opposées. La famille moderne est
à la croisée des chemins, perplexe, et se demande quelle
voie suivre.
La famille est une cellule universelle. Il n’existe au-
cune culture au monde où les relations entre hommes et
femmes ayant des relations sexuelles ne soient pas codi-
fiées par des règles. Aucune culture ne laisse les enfants
livrés à eux-mêmes. Là où la philosophie a imposé ce mo-
dèle à une culture existante, l’expérience a fait long feu
pour une raison très simple : ça ne marche pas ! Ce mo-
dèle ne procure pas un bonheur plus grand ni une plus
grande liberté à ceux qui l’expérimentent. Il ne produit pas
non plus une génération plus épanouie, avec plus d’esprit
créatif et moins de troubles émotionnels. C’est plutôt le
contraire. Les pères de l’expérience s’évanouissent dans la
nature, et la nouvelle génération se retrouve sans boussole
dans un vaste monde rempli d’inconnues.
Au cours des dix dernières années, les livres et les mé-
dias n’ont cessé de décrire les familles dysfonctionnelles. Il
existe toutes sortes de livres sur la codépendance, la libé-
ration de son passé, la quête d’une raison d’être et d’autres
sujets encore.
Nous avons tellement insisté sur les familles dysfonc-
tionnelles que la plupart des gens croient maintenant qu’ils
ont grandi dans l’une d’elles si c’est au pluriel, la famille
dysfonctionnelle devrait l’être aussi ? Beaucoup de gens
viennent me trouver dans mon cabinet de consultation
Introduction  I9
et me disent lors de notre premier contact : « Monsieur
Chapman, je suis issu d’une famille dysfonctionnelle ».
Ils essaient alors de démêler l’écheveau de leur passé et
de trouver un sens à leur présent. J’éprouve beaucoup de
sympathie pour eux, et je consacre une grande partie de
ma vie à les aider à trouver leur voie.
Lorsque la direction d’un établissement bancaire
forme ses employés pour détecter les faux billets, elle ne se
contente pas de leur montrer uniquement des exemples de
billets contrefaits. Elle s’efforce surtout de leur apprendre
à regarder attentivement les vrais billets, à en observer les
détails, à en visualiser l’image jusqu’à ce qu’elle s’imprime
dans leur esprit. En ayant une idée précise et sûre du vrai
billet, ils seront plus à même de reconnaître les faux. Je
pense que ce principe s’applique aussi pour aider les gens à
bâtir des familles saines. Ces dernières années, nous avons
mis l’accent sur l’étude des familles contrefaites, en exa-
minant les éléments de la contrefaçon. Cette démarche
s’est certes révélée utile, notamment pour aider ceux qui
ont grandi dans cet environnement perturbé et leur faire
découvrir les éléments des relations familiales qui ont fa-
çonné leur comportement social et émotionnel. Des gué-
risons ont été opérées, et les personnes ainsi restaurées
ont vraiment besoin de connaître un nouveau modèle fa-
milial. À quoi ressemble une famille saine ? Tant que nous
ne l’aurons pas décrite, nous serons incapables d’en créer
une.
J’ai commencé à me passionner pour la famille en
1955, lorsque je suis entré à l’université. J’ai obtenu ma li-
cence et ma maîtrise en anthropologie, avec une option
en structure familiale. Depuis plus de trente ans, je m’ef-
force d’aider les gens qui se débattent avec des problèmes
conjugaux et familiaux. J’ai moi-même connu les joies et
les difficultés dans la formation de ma propre famille : en
I
10   Une famille qui s’aime

1961, j’ai épousé Karolyn qui m’a donné une fille, Shelley et
un fils, Derek.
Shelley a construit sa cellule familiale avec son mari
John ; quant à Derek, il est encore célibataire et poursuit
ses études universitaires. Je suis particulièrement heureux
de ce que Derek a participé à la rédaction de ce livre. Il m’a
donné de sages conseils à chaque chapitre. Le fait d’écrire
ce livre à deux a été une nouvelle expérience dans notre
relation qui a commencé il y a trente-quatre ans.
J’ai trouvé qu’une famille saine se caractérisait par
cinq éléments fondamentaux. S’ils s’y trouvent, ils créent
une dynamique familiale saine. Je me sens poussé à don-
ner des conseils pratiques sur la manière d’inclure ces cinq
éléments dans votre famille. C’est pourquoi le livre se di-
vise en cinq grandes sections, chacune décrivant l’une des
cinq caractéristiques d’une famille empreinte d’amour, et
donnant ensuite des idées pratiques sur la manière de l’ap-
pliquer directement à votre situation familiale. Ce qui se
passe dans votre famille a des répercussions sur la nation,
et même sur le monde, en bien ou en mal. Nous nous re-
dressons ou nous tombons tous ensemble. Je suis ouvert
à toutes vos remarques et espère que mes réflexions vous
seront utiles.
Prologue : un étranger dans la famille  I 11

P R O L O G U E
Un étranger dans la famille

Il y a plusieurs années, un jeune homme fraîchement


diplômé de l’université et enseignant dans un lycée vint
me poser une question qui me laissa pantois : « Vous et
votre femme accepteriez-vous que je vienne habiter chez
vous pendant une année afin de voir comment fonctionne
votre famille ? » Il expliqua qu’il avait grandi dans une fa-
mille à problèmes et qu’il avait été partiellement guéri
grâce à un groupe chrétien sur le campus universitaire. Il
n’avait cependant aucune idée de ce que pouvait être une
vie conjugale et familiale saine. Il avait lu certains livres
sur la vie de famille, mais il voulait voir vivre et agir une
famille qui fonctionne normalement. Serions-nous prêts
I
12   Une famille qui s’aime

à l’intégrer dans notre cercle familial pendant un an pour


lui permettre de réaliser son expérience ?
La question me prit au dépourvu. Jamais on ne
m’avait présenté pareille requête. Je répondis comme tout
conseiller sage et mature l’aurait fait : « Permettez-moi d’y
réfléchir ». Cette réponse permet de se ménager du temps
pour la réflexion. Ma première réaction instinctive fut de
me dire : C’est impossible, ça ne marchera jamais. J’avais
mes raisons : d’abord notre maison ne compte que trois
chambres à coucher et deux salles de bain. Nos enfants
étaient encore petits, et toutes les chambres à coucher
étaient occupées. De plus, nous étions déjà obligés de
faire la queue pour disposer des salles de bain ! Dans ces
conditions, comment introduire une personne de plus, et
une personne étrangère adulte de surcroît ? Ma deuxième
raison était la suivante : Cette présence risque d’avoir des
répercussions sur notre famille. Une personne allait nous
observer en permanence, analyser nos faits et gestes et
notre façon de nous lier les uns aux autres. Ne risquerions-
nous pas d’adopter des attitudes feintes et de ne plus être
nous-mêmes ?
J’ai fait suffisamment de voyages d’études anthro-
pologiques pour savoir que la présence d’un anthropo-
logue qui s’installe dans un village tribal pour en étudier
la culture modifie celle-ci (même si les comptes-rendus
des anthropologues ne le disent pas). Dès le début, sa
présence constitue la nouvelle du siècle ! Cette personne
est venue dans le village ; elle fait des bruits et des mouve-
ments étranges. Elle n’est visiblement pas des nôtres. Pour-
quoi est-elle là ? Devons-nous la dévorer et remercier les
dieux de nous avoir donné un bon repas ? Ou devons-nous
la choyer et voir si elle connaît des endroits où le gibier est
abondant ?
Prologue : un étranger dans la famille  I 13
Et voilà qu’un jeune homme me demandait de venir
dans mon village comme observateur ! Au moins, il parlait
ma langue et il me faisait connaître son but. J’avais certai-
nement un grand avantage sur les villageois qui mettent
parfois des mois avant de savoir pourquoi un étrange visi-
teur qui pose des questions insensées et inscrit des signes
bizarres sur ses feuilles blanches est venu vivre dans leur
village.

« Avons-nous vraiment quelque chose à


partager ? »
Comme je fais partie d’une famille dans laquelle règne
l’amour, je fis part de cette étrange requête à mon épouse
et à mes enfants et nous en avons discuté ensemble. Le
croiriez-vous ? L’idée les séduisit ! Shelley et Derek se di-
rent que ce serait formidable d’avoir un grand frère, et Ka-
rolyn, qui cultive un certain goût pour les expériences hors
du commun, admit que c’en était une qui valait la peine
d’être tentée ! « Peut-être aidera-t-elle ce jeune homme
pour le restant de sa vie ; et cela ne nous fera pas de mal de
partager un peu de notre vie familiale. N’avons-nous pas
toujours enseigné aux enfants qu’« il y a plus de bonheur à
donner qu’à recevoir » ? » (Je n’ai jamais beaucoup aimé la
façon dont elle applique à ma vie les grands principes que
nous enseignons à nos enfants.)
— Qu’en est-il de la chambre à coucher ? demandai-je.
— Nous construirons un mur au sous-sol et ferons
une chambre avec cabinet de toilette. L’espace suffit am-
plement. Ce n’est pas un problème.
Les enfants suggérèrent de partager leur salle de bain.
C’était une proposition qui ne leur coûtait pas beaucoup,
étant donné que la moitié du temps, ils utilisaient la
nôtre ! Je voyais déjà le spectacle : une salle de bain pour
I
14   Une famille qui s’aime

nous quatre, et l’autre pour l’hôte. (Pourquoi suis-je si en-


clin à voir le négatif ?)
Je me demandai : « Avons-nous vraiment quelque
chose à partager ? » Je me souvins alors des paroles d’Édith
Schaeffer : « S’il faut ouvrir sa famille aux autres, il faut
qu’elle ait quelque chose à donner 1 ». Autrement dit,
avant d’accueillir quelqu’un dans votre famille, vous devez
d’abord veiller à ce qu’elle fonctionne correctement et har-
monieusement. À mon avis, les relations au sein de notre
famille étaient saines et bonnes. Certes, nous n’étions pas
parfaits ; nous avions connu bien des luttes, surtout au dé-
but de notre mariage, avant la naissance des enfants. Mais
ces tensions nous avaient beaucoup appris, et nous jouis-
sions maintenant du fruit du dur labeur que nous avions
accompli. Oui, nous avions quelque chose à transmettre.

« Complètement intégré à la famille »


Nous avons donc agi en conséquence. Nous avons
monté un mur à l’une des extrémités du sous-sol et amé-
nagé une chambre à coucher ; au fond, nous avons installé
des portes coulissantes pour créer un petit cabinet de tra-
vail. Ensuite, nous avons mis un moyen de chauffage et
une grille d’aération. Nous avons meublé cette chambre de
fortune au moyen d’un lit et d’une table de nuit, récupérés
dans le grenier de ma mère. Puis Jean emménagea.
Nous étions tous d’accord sur le fait que Jean ferait
partie intégrante de la famille pendant toute une année, et
que nous mènerions notre vie aussi « normalement » que
possible. Jean vit tout, entendit tout, participa à tout. Des
années plus tard, il écrivit :
En me remémorant cette expérience, j’en conserve
de nombreux souvenirs agréables. Je me souviens
que le matin, je passais tôt près de la pièce où Shelley
faisait ses exercices de piano. Je me rappelle avoir
Prologue : un étranger dans la famille  I 15
lavé la vaisselle et me rends compte, pour la première
fois maintenant, combien j’étais lent et gauche.
Parfois Karolyn, voulant que la vaisselle soit faite plus
rapidement, prenait ma place et terminait en cinq
minutes ce qui me prenait vingt minutes, tellement
j’étais perfectionniste. J’ai encore en mémoire les
moments chaleureux passés autour de la table, le
soir, et ce sentiment d’être complètement intégré à
la famille. Je me rappelle aussi la joie que nous avions
à nous retrouver le vendredi soir, après le souper,
avec les étudiants de l’université pour des discussions
intéressantes. Ce furent des moments inoubliables. La
vie dans votre foyer, dans un environnement agréable,
sain et positif, restera le souvenir le plus durable. Je
peux sincèrement dire qu’avant ces moments passés
chez vous, tout dans ma vie me posait problème. Avec
cette expérience, j’ai acquis de la maturité et un sens
des responsabilités, ce qui m’a permis de vivre une vie
qui me semble être plus saine et équilibrée.

Ce que nous avons transmis à Jean par cette expérience


d’intégration dans notre vie familiale, je vais m’efforcer de
vous le transmettre sous forme écrite par le moyen de ce
livre. J’essaierai de le faire de la façon la plus vivante pos-
sible pour que vous puissiez presque sentir certaines des
odeurs que nous avons humées ensemble, et goûter à cer-
taines des émotions que nous avons partagées. J’illustre-
rai quelques-uns des principes énoncés en mentionnant,
sous des noms d’emprunt, d’autres familles qui, au fil des
ans, ont bien voulu me dévoiler quelque chose de leur vie
lors de nos discussions.
Première partie : une famille qui sert  I 17

P R E M I È R E P A R T I E

Une famille qui sert


Chapitre 1 : de la peine au plaisir, un cheminement personnel  I 19

C H A P I T R E  1
De la peine au plaisir,
un cheminement personnel

Qu’est-ce que Jean allait découvrir dans notre famille ?


J’espérais sincèrement qu’il remarquerait un esprit de
service. Des années plus tôt, lorsque notre mariage était
passé du stade de dysfonctionnement à celui de bon fonc-
tionnement, ma femme et moi avions pris comme pre-
mière résolution celle de cultiver une attitude de service.
Je m’étais marié avec l’idée que mon épouse me rendrait
suprêmement heureux, qu’elle répondrait pleinement à
mes aspirations de compagnie et d’amour. Bien sûr, je dé-
sirais également faire son bonheur, mais la plupart de mes
I
20   Une famille qui s’aime

rêves se cristallisaient sur le bonheur que me procurerait


le mariage.
Six mois après notre mariage, j’étais plus malheureux
que je ne l’avais jamais été au cours des vingt-trois années
précédentes ! Avant le mariage, je rêvais au bonheur qui
serait le mien, mais mon rêve avait tourné au cauchemar.
Je découvris toutes sortes de choses que j’ignorais avant
le mariage. Dans les mois qui précédèrent notre union,
je m’étais imaginé la manière dont se dérouleraient les
soirées dans notre petit appartement. Je nous voyais tous
les deux, moi, assis au bureau à étudier, car je préparais
ma licence, elle, assise sur le canapé. Lorsque j’aurais été
las d’étudier, j’aurais levé les yeux ; nos regards se seraient
croisés et auraient fait vibrer quelque chose de très pro-
fond en nous. Une fois marié, je découvris que ma femme
ne tenait pas du tout à rester assise sur le canapé à me re-
garder plongé dans mes livres. Dès que je me mettais à
l’étude, elle descendait les escaliers et allait rendre visite
aux gens du lotissement, désireuse de se faire de nouveaux
amis, passant son temps à tisser des liens sociaux. Et moi,
j’étais seul dans l’appartement. Je me disais : C’est exac-
tement la même situation qu’avant notre mariage ; seule-
ment, à ce moment-là, j’occupais une chambre d’étudiant
beaucoup moins chère que ce logement. Au lieu d’éprouver
des émotions douces et chaleureuses, je souffrais terrible-
ment de la solitude.
Avant le mariage, je me disais que nous irions nous
coucher tous les soirs à dix heures et demie ! Ah ! Pouvoir
se mettre au lit tous les soirs à vingt-deux heures trente
avec une femme ! Quel bonheur ! Une fois marié, je décou-
vris que l’idée de se coucher tous les soirs à dix heures et
demie ne l’avait jamais effleurée. Son idéal était de rentrer
de ses visites à cette heure-là, et de lire ensuite jusqu’à mi-
nuit. Je me disais : Pourquoi ne lit-elle pas ce livre, pendant
Chapitre 1 : de la peine au plaisir, un cheminement personnel  I 21
que moi j’étudie les miens ? Ainsi, nous pourrions nous
coucher en même temps.
Avant que nous soyons mariés, je pensais que nous
nous lèverions avec le soleil. Une fois marié, je découvris
que mon épouse aimait faire la grasse matinée. Il ne fallut
pas longtemps pour que je n’apprécie pas sa façon de vivre,
ni elle la mienne. Nous avons fini par être profondément
malheureux tous les deux. Au bout d’un certain temps,
nous nous sommes même demandé pourquoi nous nous
étions mariés ensemble ! Nous semblions en désaccord
sur presque tout. Nous étions différents sur toute la ligne.
Le fossé entre nous se creusa, et nos différences devinrent
source de division. Le rêve s’était envolé, faisant place à
une souffrance atroce.

Transformer la guerre en paix


Notre approche initiale consistait à nous anéantir ré-
ciproquement. Je soulignais ses défauts, et elle les miens.
Nous réussissions à nous blesser mutuellement de façon
régulière. Je savais que mes idées étaient logiques et que
si elle acceptait de m’écouter, nous pourrions mener une
vie conjugale heureuse. Quant à elle, elle estimait que mes
conceptions n’avaient aucun lien avec la réalité, et que si je
voulais bien lui prêter une oreille attentive, nous finirions
par trouver un terrain d’entente. Nous prêchions tous
les deux dans le désert ; nos paroles tombaient dans des
oreilles de sourds. Notre souffrance augmenta.
Nos relations conjugales ne s’améliorèrent pas par
un coup de baguette magique, en un clin d’œil. Le virage
s’effectua sur une période d’un an, plusieurs années après
notre mariage. Je commençais à me rendre compte que
j’avais abordé le mariage avec une attitude très égocen-
trique. J’avais cru que, si elle m’écoutait et faisait ce que
je préconisais, nous serions heureux tous les deux ; que si
I
22   Une famille qui s’aime

elle me rendait heureux, je m’efforcerais de la rendre heu-


reuse à mon tour. Je nourrissais l’idée que ce qui me ren-
dait heureux la rendrait automatiquement heureuse elle
aussi. J’ai de la peine à l’admettre, mais je consacrais peu
de temps à penser à son bien-être. Tout gravitait autour de
ma souffrance, et de mes besoins et désirs insatisfaits.
Ma recherche d’une solution à cette situation doulou-
reuse me conduisit à réexaminer la vie et l’enseignement
de Jésus. Les récits que j’avais entendus dans mon enfance
à propos de la guérison des malades, de la multiplication
des pains, de sa bonté envers les malheureux auxquels il
redonnait de l’espoir me revinrent à la mémoire. Je me de-
mandai si, en tant qu’adulte, je n’avais pas négligé les véri-
tés profondes qui se dégageaient de ces histoires simples.
Avec derrière moi des années d’étude du grec biblique, je
décidai d’aller à la redécouverte de la vie et des enseigne-
ments de Jésus dans les textes originaux. La simple lecture
du texte dans ma langue m’aurait permis de découvrir la
même chose. En fin de compte, sa vie et son enseigne-
ment se résument à un service d’autrui, un service qui
va jusqu’au sacrifice de soi. Il dit un jour : « Je ne suis pas
venu pour être servi, mais pour servir ». Tous les grands
personnages du passé, hommes et femmes, ont vécu selon
ce même principe. Ce qui donne du sens à la vie humaine
ne consiste pas à recevoir, mais à donner. Ce principe pou-
vait-il avoir une incidence profonde sur mon mariage ?
J’étais en tout cas fermement décidé à le savoir.

Prêcher moins et servir davantage


Comment une épouse réagira-t-elle face à un mari qui
cherche sincèrement à se mettre à son service, qui s’en-
quiert de ses besoins et de ses désirs et s’efforce de les com-
bler ? Je commençai tranquillement et lentement à faire
certaines choses qu’elle demandait de moi dans le passé.
Chapitre 1 : de la peine au plaisir, un cheminement personnel  I 23
Au point où nous étions arrivés, nous étions trop distants
l’un de l’autre pour pouvoir parler de notre relation, mais
je décidai de tenir compte de certaines de ses anciennes ré-
criminations contre moi. Je fis la vaisselle sans qu’elle me
le demande. J’acceptai de plier mes vêtements. Je me dis
que s’il avait été marié, Jésus aurait fait de même. Quand
elle me présentait des requêtes particulières, je m’efforçais
de répondre avec bonne humeur à ses désirs. En moins de
trois mois, l’attitude de Karolyn à mon égard changea. Elle
sortit de sa coquille et consentit à discuter. J’eus le senti-
ment que pour elle, j’avais cessé d’être un beau prêcheur et
que ma vision de la vie avait évolué.
Avec le temps, je me rendis compte qu’elle faisait des
choses que je lui avais maintes fois demandées, en vain,
dans le passé. Elle me tenait la main quand nous sortions,
me souriait quand je disais un bon mot, elle me touchait
en passant près du bureau où je travaillais. Peu de temps
après, toute notre hostilité disparut, et nous avons de
nouveau commencé à éprouver des sentiments positifs
l’un envers l’autre. Je me souviens du premier jour où je
me suis dit : Après tout, peut-être pourrais-je un jour l’ai-
mer de nouveau. Pendant des mois, je n’avais plus éprouvé
d’amour, mais seulement de la peine, de la tristesse, de
la colère et de l’hostilité, car j’avais mal. Maintenant, tout
cela semblait s’être envolé, et avait été remplacé par de so-
lides sentiments d’affection. Je me mis à envisager de la
toucher affectueusement si j’avais l’assurance qu’elle ac-
cepterait. Je ne voulais pas le lui demander, mais je me di-
sais : Je n’y verrais aucun inconvénient si elle n’en voyait pas
de son côté. Avant le printemps, ce désir se réalisa. Nous
étions redevenus très amoureux l’un de l’autre, et le plaisir
sexuel, qui s’était estompé, fut de nouveau au rendez-vous.
La boucle était bouclée. Nous n’étions plus des ennemis
qui se lançaient des sermons acerbes ; chacun était devenu
attentif aux désirs de l’autre. Nous étions animés du désir
I
24   Une famille qui s’aime

de servir et non de celui d’exiger. Nous récoltions les doux


fruits de l’intimité retrouvée. Dans ce processus, nous avi-
ons découvert la voie royale de l’attitude de service. Il ne
s’agissait plus d’une noble ambition, mais d’un style de vie.
Tout cela s’est produit dans un passé qui me paraît
bien lointain désormais. À présent, nous nous retrouvions
avec deux enfants et un observateur étranger. Nous avi-
ons essayé d’enseigner à nos enfants ce qui nous semblait
être des éléments importants d’une famille aimante, dont
l’adoption d’une attitude de service. Jean s’en rendrait-il
compte ? La simple observation permettrait-elle de mettre
ce principe en évidence ? Je l’espérais sincèrement.
Chapitre 2 : qu’est-ce qu’une famille qui sert ?  I 25

C H A P I T R E   2
Qu’est-ce qu’une famille
qui sert ?

Comme j’anime de nombreux séminaires sur le ma-


riage à travers tout le pays, je demande aux couples de pré-
voir un repas tiré du sac pour le samedi. Comme je suis
généralement loin de chez moi et dans l’incapacité de me
faire des sandwiches, il m’arrive fréquemment de deman-
der à la fin de la réunion du vendredi soir : « Quelqu’un
voudrait-il m’apporter un casse-croûte pour demain ? »
Trois ou quatre mains se lèvent immédiatement.
Pourquoi ces personnes se portent-elles si spontané-
ment et si librement volontaires pour préparer un repas à
I
26   Une famille qui s’aime

un étranger ? Il y a de fortes chances qu’elles aient appris


dès leur plus jeune âge à rendre service avec plaisir. Elles
sont impatientes de servir ; elles trouvent leur raison d’être
et leur bonheur à venir au secours des autres. Dans une
famille où l’amour règne, cette mentalité de service im-
prègne toute la famille. Les membres se mettent au ser-
vice les uns des autres, et même au-delà du strict cadre
familial.
Auteur de best-sellers et critique culturel, Bill Ben-
nett classe le travail parmi les dix plus grandes vertus 1. La
plupart des historiens s’accordent à dire que la civilisation
occidentale s’est édifiée sur l’éthique du travail. Comment
définir le travail ? C’est un exercice mental et physique vi-
sant à atteindre un objectif de valeur. L’apprentissage du
travail commence dans les foyers.

Qui peut sortir la poubelle ?


Dans une famille, de nombreuses tâches doivent être
effectuées. Il faut laver, plier et peut-être repasser le linge,
faire les lits, préparer les repas, faire les courses, vider les
poubelles, balayer, passer l’aspirateur et laver le sol. La voi-
ture a besoin d’une vidange, il y a des factures à régler, une
pile de bazar à ranger, des animaux domestiques à nourrir,
à soigner et à sortir, le gazon à tondre, les feuilles mortes à
ramasser, la haie à tailler…
Je sens que je commence à déprimer, j’arrête donc ici
mon énumération ! Nous n’avons peut-être pas autant de
corvées à accomplir aujourd’hui qu’autrefois, mais il y a
toujours de quoi nous occuper largement. Comme la plu-
part des maris et plus de la moitié des femmes exercent un
métier en dehors du foyer, les parents ont un temps limité
pour s’occuper de toutes ces tâches.
Qui va donc s’en charger ? La famille, toute la famille.
Dans n’importe quelle famille, il y a de quoi s’occuper. La
Chapitre 2 : qu’est-ce qu’une famille qui sert ?  I 27
venue de Jean dans notre cercle familial s’accompagna
d’un surplus de linge à laver, plus de repas à préparer, etc.
Mais nous avions aussi un ouvrier de plus.
Si le travail est une vertu si fondamentale, alors chaque
membre de la famille devrait apprendre à travailler. Dans
certaines familles très occupées, cette responsabilité est
négligée sous prétexte qu’il est plus important que les en-
fants fassent du sport ou d’autres activités, plutôt que de
participer aux tâches ménagères. Ou, comme le pensent
certains parents : « C’est plus simple que je le fasse moi-
même ». Cette attitude ne rend pourtant pas service aux
enfants. Il faut leur confier des tâches adaptées à leur âge
et leur montrer comment les exécuter.
Quand notre fils Derek a été en âge d’apprendre à
tondre le gazon (soit dit en passant, c’est mon âge préféré
dans le processus d’éducation des enfants !), il tenait abso-
lument à tondre en faisant des allers et retours. Pendant
des années, j’avais tondu la pelouse en commençant par
le périmètre extérieur et en me rapprochant du centre
du terrain, en repoussant toujours l’herbe tondue vers le
centre, si bien qu’à la fin, il m’était facile de la ramasser.
J’ai expliqué ma stratégie si efficace à Derek, mais ça n’a
jamais accroché. Il avait développé une autre méthode
consistant à répandre l’herbe tondue sur toute la surface
de la pelouse afin de ne pas avoir à la ramasser dans des
sacs. Ses allées et venues avec la tondeuse laissaient une
fine couche d’herbe coupée à chaque passage mais, au
bout de vingt-quatre heures, elle avait fortement fané ou
séché, si bien qu’on ne la remarquait même plus. Je luttais
avec moi-même, cherchant à me raisonner… Qu’est-ce qui
importait le plus : ma méthode perfectionniste et efficace,
ou la créativité et l’individualité de mon fils ? Je choisis la
seconde option. Je refusai de faire de Derek un robot ou un
clone. J’avoue que c’est difficile pour un parent naturelle-
ment perfectionniste.
I
28   Une famille qui s’aime

Peut-être vous demandez-vous : « Bon, il y a des tra-


vaux à effectuer, et chaque membre doit prendre sa part
du fardeau. Où est la nouveauté ? » C’est l’attitude de ser-
vice. Celle-ci ne s’intéresse pas seulement à ce que le tra-
vail soit fait. Dans une famille saine, ses membres ont le
sentiment qu’en accomplissant quelque chose pour le bien
des autres membres, ils font une œuvre vraiment bonne,
presque noble. L’individu éprouve le désir profond de ser-
vir, et la tâche accomplie pour le bien d’autrui lui com-
munique un sentiment de satisfaction. Dans une famille
qui fonctionne harmonieusement, les membres cultivent
l’idée qu’un service rendu aux autres constitue l’un des ob-
jectifs les plus nobles de la vie.
Une famille digne de ce nom adopte une attitude de
service vis-à-vis de ses membres et vis-à-vis du monde ex-
térieur. Lisez la biographie des hommes et des femmes qui
ont vécu une vie consacrée au bien d’autrui, et vous verrez
que la plupart d’entre eux ont grandi dans des familles qui
cultivaient l’idée du service comme une vertu à dévelop-
per.
L’écrivain Philip Yancey fait remarquer qu’à la fin
de sa vie, Albert Einstein avait décroché d’un mur de sa
maison les portraits de deux grands savants, Newton
et Maxwell, pour les remplacer par ceux de deux autres
grands hommes, Gandhi et Schweitzer. Le savant avait ex-
pliqué qu’il était temps de remplacer l’image de la réussite
par celle du service 2.

Des enfants qui veulent aider, des adolescents 


qui désirent servir
Il est relativement facile de développer chez l’enfant
un esprit de service. Lorsque le bambin commence à mar-
cher, il devient explorateur. Peu après, il se change en bâ-
tisseur. Vers l’âge de quatre ans, il a le souci d’aider. L’idée
Chapitre 2 : qu’est-ce qu’une famille qui sert ?  I 29
du service semble presque innée chez lui. Si on lui permet
d’aider et si on reconnaît la valeur de son travail, il se por-
tera volontaire pour de nombreuses tâches dès l’âge de six
ou sept ans. Les années suivantes, son attitude de service
sera grandement influencée par le modèle familial. Si ses
parents ont présenté le service comme une vertu et ont
aidé l’enfant à trouver des moyens de rendre service à sa
famille, et s’ils ont su l’encourager et le féliciter pour les
services rendus, il continuera à trouver une réelle satisfac-
tion dans le service des autres quand il entrera dans l’ado-
lescence.
Entre treize et dix-huit ans, l’ado subit de profondes
transformations. Si l’attitude de service s’est bien ancrée
en lui, il se mettra facilement au service des gens en de-
hors du cercle familial. À l’école et peut-être même dans
l’église, il sera le premier à prendre des initiatives pour
servir. Il passera beaucoup de son temps à aider les autres
à progresser. Il se peut qu’il se montre moins empressé à
donner un coup de main à la maison. Il sera probablement
de plus en plus souvent hors de la maison et moins en-
clin à prendre part aux activités familiales. Il faut dire qu’il
est alors en train d’éprouver une autre grande pulsion de
la vie : la soif de liberté. L’adolescent cherche à accroître
la distance entre lui et ses parents, et à s’aménager ainsi
un espace qui lui permettra de grandir vers son indépen-
dance. Il fermera la porte de sa chambre, alors qu’il la lais-
sait ouverte quelques années plus tôt. Il s’impliquera dans
des activités extérieures à la famille, et ce, loin de la mai-
son. L’avis des copains primera sur celui des parents.
La distance qu’il met et sa réticence à assumer ses
fonctions au sein de la famille deviennent source de ten-
sions. Mais les conflits ne sont pas les symptômes d’une
maladie : notre façon de les gérer révélera la santé et la
solidité de la famille. Dans une famille où l’amour règne,
on sait que des conflits surgiront inévitablement. Nous
I
30   Une famille qui s’aime

savons bien que les gens ne pensent pas tous de la même


façon et n’ont pas le même ressenti des choses. Parents et
enfants ne jettent pas le même regard sur le monde. Ne
soyons donc pas surpris par les conflits qui surviennent.
Les familles saines apprennent à gérer les conflits. Au
lieu d’éviter les sujets de discussions, elles les abordent
franchement. Les ados sont encouragés à faire connaître
leur point de vue, et les parents écoutent. Ces derniers
cherchent à comprendre aussi bien ce que le jeune dit que
ce qu’il ressent. En retour, les adolescents écoutent ce que
les parents disent avec des oreilles bien disposées et bien-
veillantes. (Les choses se passent-elles vraiment ainsi ?
Oui, partout où les membres se sentent bien en sécurité
dans la famille.)
Contrairement à une idée très répandue, les adoles-
cents souhaitent réellement qu’on leur fixe des limites. Un
jeune de quinze ans demandait récemment : « Y a-t-il en-
core quelqu’un qui prenne fermement position pour un
idéal ? Tout le monde semble accepter n’importe quoi. Je
souhaiterais que les adultes soient plus directifs. N’ont-ils
pas appris dans leur vie ce qui nous permettrait d’éviter
certains écueils ? » Les limites imposées se transforment
en garde-fous, et ces garde-fous développent un senti-
ment de sécurité. Dans ce climat sécurisant, les ados peu-
vent apprendre et se développer. Et quand le jeune arrive à
l’âge où il est épris de liberté et risque d’oublier ses devoirs
de service au sein même de sa famille, les parents doivent
respecter son désir d’indépendance tout en lui rappelant
que les gens sont toujours interdépendants, et que le ser-
vice d’autrui fait nécessairement partie non seulement de
la vie familiale, mais de toute la vie.
Les adultes et la jeunesse sont naturellement attirés
par le jeune homme ou la jeune fille qui se démarque des
autres par son esprit de service. Il y a quelques années,
Chapitre 2 : qu’est-ce qu’une famille qui sert ?  I 31
lorsque j’étais responsable du groupe de jeunes de notre
église, j’ai fait la connaissance de quatre jeunes hommes
qui venaient de Caroline du Nord. Ils avaient trouvé un
job d’été dans notre ville et avaient décidé de se joindre à
notre groupe pendant cette période. Je découvris plus tard
qu’ils vivaient tous les quatre dans un petit appartement
pour économiser le plus d’argent possible durant l’été. Ils
venaient régulièrement à nos activités depuis quelques se-
maines quand ils vinrent me trouver pour me faire part de
leur intention de s’intégrer pleinement à la vie de l’église
et offrir leurs services. Ils me déclarèrent qu’ils seraient
heureux de servir dans n’importe quel domaine que je
pourrais leur suggérer. Je me disais que comme beaucoup
d’étudiants en ce temps-là, ils désiraient prendre la direc-
tion de nos différents programmes estivaux. J’allais même
plus loin en pensant que le fait de pouvoir dire à un futur
employeur qu’ils avaient exercé pendant un certain temps
les fonctions de directeurs bénévoles dans un programme
destiné à la jeunesse ne pourrait qu’influencer favorable-
ment le directeur des Ressources Humaines.
Je leur exprimai ma reconnaissance pour leur proposi-
tion et leur volontariat, mais j’ajoutai que nous avions pris
dès l’hiver toutes les dispositions utiles en vue de l’enca-
drement et de l’animation des activités estivales. Le porte-
parole du groupe me coupa presque la parole et précisa :
— Vous nous avez mal compris. Nous ne voulons pas
diriger, nous souhaitons simplement nous mettre au ser-
vice de l’Église.
— Pouvez-vous me donner un exemple de ce que vous
avez en tête ? demandai-je.
Sans hésiter un seul instant, l’un d’eux répondit :
— Nous nous sommes dit que vous pourriez avoir
besoin de quelqu’un pour faire la vaisselle après le repas
communautaire du vendredi soir, ou pour nettoyer les
I
32   Une famille qui s’aime

fourneaux, ou pour remettre la salle en ordre. N’importe


quoi. Nous voulons simplement servir.
— Dans ce cas, je pense que nous avons de nom-
breuses possibilités de service à vous proposer.
Durant tout l’été, ils ne se contentèrent pas seule-
ment de faire la vaisselle, récurer les fourneaux, balayer
et laver le sol, mais ils lavèrent également les bus de
transport de l’église, fauchèrent l’herbe et nettoyèrent le
mobilier de l’église. Les membres de l’église présents cet
été-là n’oublieront jamais ces « garçons de la Caroline ».
On peut même dire que leur esprit de service influença
durablement toute l’orientation de notre ministère parmi
les jeunes.
Les services rendus ne visent pas seulement des êtres
humains. Élisabeth, une lycéenne, me fit part de sa pas-
sion pour les animaux en difficulté. Je la rencontrai près
d’un lac ; elle mettait une attelle à un canard qui avait la
patte brisée. Le volatile avait été heurté par une voiture ;
Élisabeth courut à son secours. Nous sommes tous émus
et encouragés de voir des jeunes gens prendre en charge
la tonte du gazon chez une veuve, ou désherber son al-
lée centrale, ou faire les courses de personnes âgées. Ces
jeunes ont généralement appris à développer ce goût du
service dans leur famille.

Qu’est-ce qu’un adulte qui sert ?


L’indépendance gagnée à l’âge adulte est souvent le
terrain favorable dans lequel se développe le service à au-
trui. Les adultes choisissent d’avoir des enfants, tout en sa-
chant qu’une telle décision entraînera vingt-quatre mois
de couches à changer, cinq ans de bains à donner, deux
ans d’allaitement ou de nourriture au biberon, puis des
centaines de repas à la petite cuillère, des quantités im-
pressionnantes de pansements à poser, la présence à des
Chapitre 2 : qu’est-ce qu’une famille qui sert ?  I 33
centaines d’événements sportifs en tous genres, la prépa-
ration d’un nombre incalculable de repas, et mille autres
tâches. Pourtant, nous avons choisi – librement – d’avoir
des enfants. Ceux qui ne peuvent avoir d’enfants biolo-
giques adoptent souvent des enfants dont d’autres parents
n’ont pu réussir à s’occuper.
L’homme place l’abnégation et le service d’autrui au
sommet de l’échelle des valeurs. La plupart des gens qui
ont étudié la vie de Jésus-Christ s’accordent pour recon-
naître qu’il a démontré sa vraie grandeur lorsqu’il a pris
un bassin, s’est ceint d’un linge et a lavé les pieds de ses
disciples, tâche généralement réservée aux esclaves. Il
ne cachait pas ses intentions en accomplissant ce geste :
« Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le
Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns
aux autres ; car je vous ai donné un exemple, afin que, vous
aussi, vous fassiez comme moi je vous ai fait… Si vous sa-
vez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en
pratique 3 ». À une autre occasion, il déclara à ses disciples :
« Quiconque veut être grand parmi vous sera votre servi-
4
teur   ».
Quel paradoxe ! Pour monter, il faut descendre. La vé-
ritable grandeur se mesure au service, et non au pouvoir
de dominer. Aucun parent n’encourage ses enfants à res-
sembler à Hitler, alors qu’ils sont des milliers à les encou-
rager à imiter Jésus. Oui, le service est la caractéristique de
la vraie grandeur.
Qu’avait découvert Jean, notre « anthropologue » de
service, immergé dans notre famille ? Il avait vu Karolyn,
qui n’est certainement pas par nature une lève-tôt, se lever
de bonne heure cinq jours par semaine pour préparer un
petit-déjeuner chaud pour toute la famille, un service de
la même nature que celui de Mère Teresa. (Si vous êtes
une personne matinale, vous ne pouvez comprendre le sa-
I
34   Une famille qui s’aime

crifice consenti.) Karolyn n’accomplissait pas ce sacrifice


matinal sous l’effet de la contrainte ou par obligation. Je
ne l’exigeais pas, et ne l’espérais même pas, même si, je
dois l’avouer, je l’appréciais énormément ! Simplement,
lorsque Shelley, l’aînée de nos enfants, avait atteint l’âge
d’aller à l’école, Karolyn avait estimé que les enfants ne de-
vaient se rendre à l’école qu’après avoir eu un repas chaud.
Ce fut une de ses manières de se mettre au service de la
famille. C’était pour elle une façon d’exprimer sa recon-
naissance à Dieu pour le don des enfants. C’était, à mon
avis, une noble expression de son esprit de service.
Shelley nous quitta pour aller à l’université l’année où
Derek entrait au lycée. Karolyn continua à servir un pe-
tit-déjeuner chaud et consistant jusqu’au jour où Derek
quitta à son tour la maison pour aller remplir son esprit de
philosophie, de langue anglaise et d’études théologiques.
C’est alors qu’une ère s’acheva aussi discrètement qu’elle
avait commencé seize ans plus tôt. Je dus alors retourner
à mon lait froid dans mes céréales, mon pamplemousse
et mes bananes, ce qui d’ailleurs était désormais bien
meilleur pour ma santé. Encore maintenant, quand nos
enfants adultes reviennent à la maison, ils évoquent avec
plaisir ces petits-déjeuners chauds et copieux et en gar-
dent un excellent souvenir. Ce souvenir est ravivé une fois
l’an, le matin de Noël, lorsque Karolyn descend à la cuisine
et répète cet ancien rite de service.
Quel effet tout cela eut-il sur Jean ? Voici ce qu’il dé-
clara des années plus tard :
Je ne pense pas avoir pu apprécier alors ces choses à
leur juste valeur comme je les apprécie aujourd’hui,
maintenant que j’ai pris de l’âge et commencé à
développer ce sens du sacrifice à offrir à la famille.
Mais j’ai personnellement ressenti que vous m’aviez
entièrement intégré à votre famille. Je n’avais pas
l’impression d’être un étranger, un locataire dont
Chapitre 2 : qu’est-ce qu’une famille qui sert ?  I 35
on a pitié et qu’on tolère simplement au sein de la
famille. Je me sentais faire partie de la famille. Je
vous considérais, vous et Karolyn, presque comme
mon père et ma mère. Pour Shelley et Derek, j’étais
un grand frère. Je mesure le sacrifice que vous
avez dû consentir pour me permettre de venir vivre
parmi vous. Mon intrusion soudaine avait modifié la
dynamique de votre cellule familiale. Je n’avais alors
aucune idée du prix que vous avez dû payer. J’ai
toujours eu le sentiment que vous et votre femme
étiez prêts à me consacrer du temps chaque fois que
j’avais besoin de vous parler. Vous étiez pourtant
tous les deux extrêmement occupés et actifs, mais
je sentais que j’avais toujours un libre accès à vous.
Vous ne me donniez jamais l’impression d’être en train
de m’écouter par contrainte. Je me souviens de ce
Noël où Shelley et Derek m’ont offert un cadeau. J’ai
vraiment vu une famille au sein de laquelle chaque
membre était au service des autres.

Dans une famille qui fonctionne normalement, cet


esprit de service lubrifie tous les rouages de la vie fami-
liale. Là où il s’y trouve en quantité suffisante, la famille
tourne rond. Là où il fait défaut, les rouages grincent, se
bloquent, et la famille connaît de graves difficultés.
Deuxième partie : des couples en pleine intimité  I 37

D E U X I È M E P A R T I E

Des couples
en pleine intimité
Chapitre 3 : notre soif de proximité  I 39

C H A P I T R E  3
Notre soif de proximité

En proclamant « Oui, je le veux », nous avons uni nos


existences avec le désir de poursuivre notre rêve de bon-
heur partagé. Nous avions la ferme intention de cultiver
cette relation franche et attentionnée qui était née quand
nous sortions ensemble. Bref, nous espérions connaître
l’intimité. Malheureusement, pour de nombreux couples,
l’intimité s’étiole une fois l’exaltation du coup de foudre
retombée. De nombreux conjoints finissent par dire qu’ils
s’étaient fait une autre idée de l’intimité.
Alors que la fin de la deuxième séance de thérapie de
couple approchait, le mari me regarda et me dit : « Si nous
pouvions reconstruire notre vie sexuelle, tout irait pour le
I
40   Une famille qui s’aime

mieux ; quand nous n’avons pas de rapports sexuels, j’ai


le sentiment qu’elle ne se soucie pas du tout de moi. Il
m’est impossible de continuer ainsi ». Il avait dit ce qu’il
avait sur le cœur. Je sus qu’il se sentait soulagé. En tant que
conseiller, j’étais heureux qu’il ait ouvertement reconnu
son besoin d’intimité sexuelle.
Lors des deux séances, sa femme tint à peu près ce
langage : « Nous ne faisons plus rien en commun ; il est
toujours parti. Autrefois, nous avions l’habitude de faire
des choses ensemble. À présent, il n’y a pratiquement plus
aucune communication entre nous. Nous ne nous parlons
même plus. Il ne comprend pas ce que je ressens. Quand
j’essaie de lui faire part de mes luttes, il me répond sè-
chement et sort de la pièce ». Cette femme criait ainsi son
besoin d’intimité émotionnelle.
Leur présence à tous les deux dans mon bureau té-
moignait de leur vive inquiétude quant à l’issue de leur
mariage. Ils savaient que les choses ne tournaient pas rond
entre eux. En fait, chacun d’eux désirait l’intimité, mais
chacun insistait sur un aspect différent ; lui sur l’intimité
physique, elle sur l’intimité affective. Ces divergences ne
sont pas rares. Le malheur est que des conjoints passent
des années à se reprocher mutuellement leur incapacité à
procurer l’intimité désirée, et qu’ils n’ont pas appris com-
ment créer cette intimité. Ce chapitre a pour but de vous
aider à saisir l’extrême importance de l’intimité conjugale
et de vous donner les moyens d’y parvenir.

« Os de mes os »


Le mot intimité vient du latin intimus, qui signifie
« intérieur ». Il y a intimité entre deux êtres lorsque chacun
ouvre son intérieur à l’autre. C’est entrer en contact avec
la vie de l’autre sur les plans émotionnel, intellectuel, so-
cial, physique et spirituel. C’est se connecter l’un à l’autre
Chapitre 3 : notre soif de proximité  I 41
au niveau le plus profond dans tous les compartiments de
la vie. L’intimité s’accompagne d’amour et de confiance.
Nous croyons que l’autre a le souci de notre bien suprême ;
nous pouvons donc nous dévoiler à lui sans craindre qu’il
se serve contre nous de ce que nous lui avons dit ou permis
de voir.
Le désir d’intimité entre un homme et une femme est
aussi vieux que la race humaine. Dans la Bible, le livre de
la Genèse décrit Dieu en train de créer la femme à par-
tir de la côte de l’homme. Lorsque l’homme se réveilla de
son profond sommeil et vit la créature que Dieu avait faite,
il s’écria : « Cette fois, c’est l’os de mes os, la chair de ma
chair. C’est elle qu’on appellera femme, car elle a été prise
de l’homme 1 ». Elle se tenait là, un vis-à-vis, une créa-
ture semblable à l’homme avec cependant des différences
uniques ; elle ressemblait davantage à lui que tout ce qu’il
avait vu jusqu’alors, et pourtant elle était si visiblement
différente ! Elle était distincte de lui et pourtant liée à lui.
Quelque chose de profond en lui correspondait à quelque
chose de profond en elle. Il ne s’agissait pas d’une ren-
contre superficielle. Le cœur d’un être humain répondait
au cœur de l’autre. La femme était plus proche de l’homme
que toute autre créature dans l’univers.
Ces deux réalités, similitude et différence, sont à la
base de l’intimité humaine. Sans elles, il ne pourrait y
avoir d’intimité. Les hommes et les femmes sont des indi-
vidus différents, mais ils sont cependant connectés l’un à
l’autre dans les domaines physique, affectif, intellectuel et
spirituel. Quelque chose en l’homme réclame la femme,
et quelque chose dans la femme soupire après la compa-
gnie de l’homme. Nier nos ressemblances, c’est nier notre
nature humaine fondamentale. Nier nos différences, c’est
vouloir vainement rejeter la réalité. Dans un mariage sain,
on ne recherche pas la compétition mais la coopération.
Chacun trouve en l’autre un lieu de repos, un foyer, un
I
42   Une famille qui s’aime

proche avec lequel il entretient une relation profonde et


unique.
L’intimité sexuelle n’est qu’un aspect de l’unité. Mais
on ne peut séparer le domaine physique des domaines
émotionnel, intellectuel et spirituel. C’était justement
l’erreur commise par le jeune couple assis dans mon bu-
reau. Lui souhaitait l’intimité sexuelle, elle une étroite
communion affective, mais aucun des deux ne reconnais-
sait qu’ils recherchaient en fait la même chose. Chacun
voulait se sentir proche de l’autre, accepté et aimé par lui.
Ils insistaient cependant sur deux aspects différents de la
même réalité.
Des conjoints qui s’aiment doivent comprendre que
leur désir d’intimité fait partie de ce qu’ils sont. C’est la
raison qui les a poussés à s’unir par le mariage. La plu-
part des couples se souviennent avec émotion de cette
période de leur vie où ils étaient tendrement amoureux
l’un de l’autre. Ils étaient bien l’un contre l’autre. Tout a
commencé par une attirance physique et affective de l’un
pour l’autre. Quelque chose s’est mis en émoi en nous, et
nous a poussés à nous fréquenter. Le but des fréquenta-
tions c’est de nous permettre de mieux nous connaître,
ce qui est un autre aspect de l’intimité. Dans cette phase
amoureuse, nous avons le sentiment de nous appartenir
tout entier l’un à l’autre, d’avoir été faits l’un pour l’autre.
Nous sommes prêts à être transparents l’un avec l’autre, à
nous dire tous nos secrets. Notre cœur nous dit que nous
nous aimerons toujours, que nous désirons travailler au
bonheur de l’autre avant toute chose et que notre propre
bonheur dépend principalement de la présence de l’autre
à nos côtés. C’est ce profond sentiment d’intimité qui nous
donne le courage de nous engager pour la vie dans le ma-
riage (j’aborde plus en détail cette phase amoureuse dans
mon livre Les cinq langages de l’amour, au chapitre un 2).
Chapitre 3 : notre soif de proximité  I 43
Un mur de désillusions
Jennifer était en larmes. Je lui tendis la boîte de mou-
choirs : « Je ne comprends pas, me dit-elle entre ses san-
glots. Avant le mariage, je me sentais tellement proche de
Robert ! Nous partagions tout. Il était si gentil, si tendre
et si compréhensif. Il m’écrivait des poèmes et m’offrait
des fleurs. Maintenant, plus rien de tout cela ! Je ne le re-
connais plus. Ce n’est plus l’homme que j’ai épousé. Nous
ne pouvons même plus nous adresser la parole que déjà
le ton monte entre nous. Nous semblons si distants l’un
de l’autre ! Je suppose qu’il doit se sentir aussi malheureux
que moi. Je sais qu’il n’est pas heureux ».
Qu’est-il arrivé à l’intimité entre Jennifer et Robert ?
La réponse est aussi ancienne que la création du monde.
Le livre de la Genèse décrit les origines de la relation entre
nos premiers parents : « L’homme et la femme étaient tous
les deux nus et n’en avaient pas honte 3 ». L’homme et la
femme étaient nus sans en éprouver de la honte. C’est le
portrait de l’intimité conjugale. Deux êtres distincts de
même valeur, proches l’un de l’autre sur le plan affectif,
spirituel et physique ; totalement transparents l’un pour
l’autre sans crainte d’être connus. Tout couple aspire à ce
genre d’ouverture, cette acceptation, confiance et ardeur
dans la relation.
Mais quelques pages plus loin dans ce document an-
cien, nous lisons qu’après avoir désobéi à Dieu, le même
homme et la même femme se fabriquèrent des pagnes
en feuilles de figuier. Ils se cachèrent devant Dieu et l’un
devant l’autre. Ils avaient maintenant des raisons d’avoir
honte. Ils faisaient l’expérience de la peur ; l’homme et la
femme ne supportaient plus d’être nus. La culpabilité et
la honte étaient insupportables. L’intimité en avait pris
un coup. Adam commença par accuser Ève, laquelle s’en
prit au serpent. Avant la fin de la journée, Dieu leur fit
I
44   Une famille qui s’aime

connaître les conséquences de leur péché, les revêtit de


peaux de bêtes sacrifiées, et les chassa hors du merveilleux
jardin. Le paradis n’est plus qu’un lointain souvenir, et la
souffrance une réalité constante.
La plupart des couples rêvent de vivre l’intimité
parfaite du paradis. Nous démarrons souvent notre vie
conjugale avec une grande mesure d’intimité ; puis, avec
le temps, il nous arrive de remplacer l’intimité par l’isole-
ment.
Comment se passe cette disparition plus ou moins
lente de l’intimité conjugale ? De nombreux conjoints ont
parlé d’un mur qui se dressait peu à peu entre eux. Sachez
qu’un mur se construit brique après brique. Peut-être
vous rappelez-vous un incident survenu dans votre vie de
couple, un incident semblable à celui que je vais raconter.
Marc et Isabelle étaient mariés depuis trois semaines. Tout
se passait très bien pour eux jusqu’à ce jeudi soir où Marc,
tout excité, raccrocha le téléphone et annonça brusque-
ment à Isabelle :
— Tu sais quoi, ma chérie ? C’était David. Je pars ce
weekend pêcher avec les copains. C’est pas formidable ? Ce
sont des mordus de pêche !
— Aller pêcher ? Avec des copains ? Mais je pensais
qu’on s’était mis d’accord pour travailler dans la maison ce
weekend.
— Mais…
— Mais, tu es marié ! Tu t’en souviens ? David, lui, ne
l’est pas. Ça lui est égal. Marc, tu ne peux pas juste décider
comme ça que tu vas sortir avec tes potes.
Cette expérience posa la première brique du mur qui
allait bientôt se dresser entre tous les deux. Mais comme
en ce temps-là, ils étaient encore très amoureux l’un de
l’autre, ils passèrent sur l’incident et oublièrent la blessure
Chapitre 3 : notre soif de proximité  I 45
et la déception. Au bout de quelques jours, la situation
était presque redevenue normale. Ils avaient surmonté
l’obstacle, mais la brique était bel et bien là. Deux mois
plus tard, nouvel incident, et nouvelle brique sur le mur.
Avec le temps, un mur épais s’était érigé entre les deux
époux. Ils n’avaient certainement pas voulu le construire.
Leur intimité s’était envolée ; entre eux ne subsistait qu’un
mur de désillusion.
Comment retrouver l’intimité ? Si la réponse est
simple, elle n’est pas facile : il faut renverser le mur. Il faut
aller vers l’autre et lui dire : « J’ai bien réfléchi à ce qui nous
arrive, et je me rends compte que tu ne portes pas toute la
responsabilité de nos difficultés. J’ai pensé à notre mariage
et je reconnais que j’ai eu des torts envers toi. J’aimerais
t’en parler et te demander de me pardonner ».
Dès l’instant où vous êtes prêt à admettre vos fautes
et à demander pardon, le mur de votre côté commence à
se disloquer. Si votre conjoint accepte de vous pardonner
et reconnaît à son tour ses erreurs, le mur est ébranlé des
deux côtés, et l’intimité est presque aussitôt restaurée.
Pour que le mur reste démoli, vous devez reconnaître vos
échecs le plus rapidement possible. Personne n’est parfait.
Il nous arrivera de décevoir notre conjoint, mais si nous
acceptons de reconnaître nos fautes et de demander par-
don, nous pouvons maintenir le mur démoli.

Parler, écouter, comprendre


Une fois les murs détruits, nous devons travailler à
la construction de l’intimité. En effet, l’intimité n’est pas
comme un trésor qu’on trouve un jour et qu’on garde en-
suite le restant de notre vie. Elle est fluide et non statique,
la résultante d’une communication ouverte, honnête et
constante. Cette communication comporte deux éléments
simples : la révélation de soi par laquelle l’un fait connaître
I
46   Une famille qui s’aime

à l’autre quelque chose de ses pensées, de ses sentiments


et de ses expériences pendant que l’autre reçoit l’informa-
tion et cherche à comprendre ce que le premier dit et res-
sent. Ensuite, la deuxième personne exprime à son tour
ses pensées, ses émotions et ses expériences, pendant que
la première l’écoute et cherche à comprendre. Le simple
mécanisme de la parole et de l’écoute préserve l’intimité.
Nous sommes incapables de lire les pensées. Nous
pouvons observer le comportement du conjoint, mais
nous ignorons quels sont les pensées, les sentiments et
les motivations qui se cachent derrière le comportement.
En voyant l’autre pleurer, nous ne savons pas forcément
quelle est la cause de ses larmes. Nous pouvons voir l’autre
entrer dans une violente colère sans pour autant savoir ce
qui l’a provoquée. C’est en nous dévoilant l’un à l’autre que
nous pourrons continuer à entretenir des sentiments d’in-
timité l’un avec l’autre. Comment se fait-il que ce simple
exercice de l’écoute et du dialogue soit si difficile à mettre
en œuvre dans le contexte d’un couple ? Avant le mariage,
quand nous sortions ensemble, nous donnions l’impres-
sion d’être des champions de la communication. Nous
consacrions des heures à nous parler et à nous écouter, à
faire connaître nos secrets profonds, à donner libre cours
à nos sentiments, parfois de manière poétique. Pourquoi
la communication si facile avant le mariage devient-elle
si difficile après ? En plus des briques qui s’amoncellent
entre nous, d’autres raisons expliquent pourquoi nous
communiquons mal sur le plan émotionnel intime.

Enfouir ses émotions


La plupart des conjoints continuent de se parler même
après la disparition de l’intimité affective. À quelle heure
dois-je passer prendre les enfants à l’école ? Quand com-
mence la réunion ? Où mangerons-nous ce soir : au restau-
Chapitre 3 : notre soif de proximité  I 47
rant ou chez nous ? À quelle heure devrais-je être de retour
pour conduire les enfants à leurs activités ? Je vais prome-
ner le chien. Ce genre de dialogue qui consiste à échan-
ger des informations se poursuit généralement longtemps
après la disparition de l’intimité affective, intellectuelle,
spirituelle et sexuelle. Mais ce genre de conversation su-
perficielle ne nourrit pas l’intimité car celle-ci s’enracine
dans le partage des sentiments, des passions, des pensées,
des expériences, des désirs et des frustrations. Qu’est-ce
qui empêche la libre communication à ce niveau-là ? Voici
quelques obstacles courants.
Certains parmi nous sont incapables de parler de
leurs sentiments simplement parce qu’ils refusent de les
admettre. Pour toutes sortes de raisons, nous avons été
habitués à nier nos émotions. Il se peut que dans notre
enfance quelqu’un nous ait fait croire que nos émotions
n’étaient pas acceptables. Nous n’avons jamais aperçu
notre père démontrer de la tristesse ou de la faiblesse. Son
silence était stoïque. Notre mère nous disait : « Regarde
toujours la vie du bon côté ! » Une grand-mère nous répé-
tait : « Les grands garçons, ça ne pleure pas ! » Durant toute
notre enfance, les autres nous ont dissuadés de partager
nos craintes, notre pessimisme, ce que nous avions réelle-
ment au fond du cœur.
Pour d’autres, la souffrance psychique profonde res-
sentie dans l’enfance a marqué leur réalité d’adulte : la
souffrance consécutive à la séparation des parents, le sou-
venir d’abus physiques ou sexuels, la peine provoquée par
la disparition prématurée d’un être cher, etc. Voici cer-
taines expériences de souffrances émotionnelles, parmi
tant d’autres, que l’enfant n’a pas appris à gérer. Les sen-
timents restent profondément enfouis à l’intérieur de son
être. À un certain moment, l’enfant a cessé de ressentir la
souffrance, car celle-ci était tellement vive qu’il a appris à
déconnecter sa vie émotionnelle de sa vie intellectuelle, si
I
48   Une famille qui s’aime

bien qu’aujourd’hui, il n’est plus en contact avec ses émo-


tions. Si vous demandez à cette personne : « Quel effet a
sur vous le cancer de votre sœur ? », il répondra : « Cela
ne me fait rien. J’espère simplement qu’elle ira mieux ». Il
n’esquive pas la question. Il s’est tout simplement coupé
du côté émotionnel de sa nature humaine. Pour guérir et
recouvrer la santé, une telle personne devra faire appel à
un conseiller professionnel. Son conjoint n’aura certaine-
ment pas intérêt à lui reprocher de ne pas vouloir parler de
ses émotions.
La crainte de la réaction du conjoint est un deuxième
obstacle à notre libre communication. Nous craignons
qu’il condamne ce que nous ressentons, qu’il prétende que
nous ne devrions pas nourrir de telles pensées ou de tels
sentiments, qu’il se mette en colère ou nous rejette. Cette
crainte peut s’ancrer dans des expériences précédentes
avec notre conjoint, ou dans des expériences de notre en-
fance. Elle constitue un obstacle énorme à l’intimité affec-
tive. Pour surmonter ces peurs, nous devons d’abord les
reconnaître et saisir l’occasion de les admettre. C’est en les
abordant de face que nous serons en mesure d’en démon-
ter le mécanisme et de les transcender.
Voici un troisième obstacle : certaines personnes re-
fusent de discuter de leurs émotions parce qu’elles ne l’ont
jamais fait dans le passé. « Nous vivons heureux en couple,
sans avoir besoin de parler de nos émotions. Pourquoi de-
vrions-nous commencer maintenant ? » En général celui
qui tient de tels propos a grandi dans une famille où on
ne faisait pas état de ses sentiments. Il a retenu la leçon :
« Ne dévoile pas tes sentiments, surtout si tu penses que
les autres les critiqueront ». La personne en question a
donc appris à vivre sans laisser percer ses émotions. Toute
sa vie conjugale est structurée de manière à ne laisser que
très peu de place au domaine des sentiments. Alors l’idée
d’agir autrement l’effraie quelque peu. Or, pour tisser des
Chapitre 3 : notre soif de proximité  I 49
liens intimes profonds dans le couple, il est indispensable
de parler de ce que l’on ressent. Il faut aussi se rappeler
que l’intimité affective a des répercussions sur l’intimité
sexuelle : nous ne pourrons jamais réussir à séparer les
deux.
J’ajoute encore une dernière excuse derrière laquelle
s’abritent ceux et celles qui ne veulent pas discuter de leurs
émotions avec leur conjoint : « Je ne veux pas l’accabler
avec mes problèmes de sentiments ». À première vue, cette
affirmation pourrait faire croire que son auteur se soucie
beaucoup de l’autre. Il peut effectivement se préoccuper de
lui. Il y a des moments dans la vie où l’un des conjoints est
tellement stressé qu’il ne serait pas sage de lui soumettre
nos problèmes émotionnels, surtout s’ils sont négatifs et
lourds à porter. Dans ces moments-là, il importe que nous
prêtions une oreille attentive à l’exposé et au partage de
ses propres difficultés psychiques et sentimentales et que
nous le soutenions dans cette passe difficile, au lieu de
l’accabler avec nos propres problèmes. Mais dans une re-
lation saine, la discussion à propos des émotions doit être
à double sens. Si nous ne faisons pas connaître à l’autre ce
qui nous fait mal et ce qui nous déçoit, comment pourra-t-
il nous apporter son soutien ? Nous privons le conjoint de
la possibilité d’être intime avec nous et ainsi de partager
nos luttes.
Ce dévoilement du Moi profond est la trame sur la-
quelle nous tissons notre intimité conjugale. C’est bien ce
que nous pensions obtenir lorsque nous nous sommes ma-
riés. C’est bien ce que nous espérions conserver pour toute
la vie. Sans cette révélation réciproque, la relation dépérit.
Elle est de première importance pour la formation d’une
famille aimante. Elle répond aux besoins les plus profonds
du couple, et, si la famille s’est enrichie d’enfants, elle sert
pour eux de meilleur modèle de ce que doit être une vraie
famille.
I
50   Une famille qui s’aime

Étant donné que le désir d’intimité conjugale est


profondément ancré dans notre psychisme, il a des ré-
percussions sur tous les autres aspects de la vie familiale.
D’abord, il influence la manière dont les conjoints se com-
portent l’un envers l’autre. Il influence ensuite la manière
avec laquelle les deux parents vont agir envers les enfants.
Quand l’intimité existe entre un mari et sa femme, elle se
traduit par un environnement sain, propice à l’éducation
et au développement des enfants. Lorsque l’intimité est
absente, les enfants grandissent sur un champ de bataille
et risquent de porter des cicatrices à vie.
Le temps et les efforts consacrés à cultiver et déve-
lopper l’intimité au sein du couple sont des moments sa-
gement investis dans l’intérêt du bien-être psychique et
physique des enfants. En fait, peu de chose est capable
d’exercer une influence positive aussi déterminante sur
eux. L’intimité entre le mari et sa femme crée un environ-
nement de sécurité autour de l’enfant. Au plus profond de
lui-même, quelque chose lui dit : « C’est bien comme cela
que ça devrait marcher ! »
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 51

C H A P I T R E  4
Cinq pas vers l’intimité

Nous ne nous sommes pas mariés afin de trouver une


façon agréable de faire la cuisine, de laver la vaisselle, de
faire la lessive, de laver la voiture et d’élever des enfants.
Ce qui nous a poussés avant tout à nous marier, c’est le
désir de connaître l’autre et d’être connu de lui, d’aimer et
d’être aimé, de vivre la vie ensemble. Nous étions persua-
dés qu’ensemble, nous vivrions notre vie de manière plus
intense que si nous étions séparés l’un de l’autre.
Comment ce but noble et quelque peu abstrait peut-il
se traduire dans la réalité ? Il vaut la peine de considérer
les cinq composantes essentielles d’une relation intime.
I
52   Une famille qui s’aime

1. Nous nous communiquons nos pensées (intimité


intellectuelle).
2. Nous partageons nos sentiments (intimité émo-
tionnelle).
3. Nous passons du temps ensemble et nous parlons
du temps passé sans l’autre (intimité sociale).
4. Nous épanchons notre âme l’un devant l’autre
(intimité spirituelle).
5. Nous offrons notre corps l’un à l’autre (intimité
physique).

Dans la vie pratique, il est évidemment impossible


de scinder ces cinq aspects, car ils sont interdépendants.
Mais pour plus de clarté, nous les examinerons chacun sé-
parément.

« Que penses-tu ? » – Comprendre l’intimité


intellectuelle
Lorsque nous sommes éveillés, nous évoluons dans le
monde de la pensée. Nous sommes constamment en train
de penser et de prendre des décisions qui découlent de
notre réflexion. Dès notre lever, le cerveau se met à fonc-
tionner. Il saisit la vue, les bruits et les odeurs que nous
captons par nos sens, et leur confère une signification. Dès
les premiers « bips » du réveille-matin ou de la montre,
le cerveau nous encourage à nous lever (ou à somnoler
encore cinq minutes supplémentaires !). Nous ouvrons
la porte du réfrigérateur et constatons qu’il n’y a plus de
lait. Nous nous demandons alors si nous prendrons les
céréales avec de l’eau, ou si nous nous arrêterons sur le
chemin du travail pour boire un café et manger un crois-
sant. Bref, nous pensons, nous analysons, nous décidons.
Tout se passe au niveau de la pensée. Personne d’autre ne
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 53
sait ce qui se passe dans notre tête. Et ce mécanisme se ré-
pète à longueur de journée ! Il n’est pas étonnant que nous
ayons parfois des maux de tête ! En plus de l’analyse et de la
gestion des informations transmises par nos cinq sens, le
cerveau a la faculté de vagabonder. Tout en accomplissant
certaines tâches (surtout si elles sont routinières), par la
pensée nous visitons la tour Eiffel, le Mont-Blanc, la Croi-
sette. En quelques millièmes de secondes, nous franchis-
sons les océans. Nous sommes capables de voir des visages
et d’entendre des voix, alors que tout se situe dans notre
mémoire.
L’esprit est aussi rempli de désirs. Le désir nous
pousse à mettre en marche la machine à café, ou à télé-
phoner à une agence de voyage pour effectuer un voyage
au loin. Le désir se fonde sur l’idée qu’en obtenant ou en
accomplissant quelque chose, je me procurerai du plaisir
ou je ferai une œuvre valable. Ces envies ou désirs ins-
pirent en grande partie le comportement humain. Ain-
si donc, l’esprit agit toute la journée et tous les jours. Il
brasse une quantité phénoménale de pensées. Ce qui est
vrai pour vous l’est évidemment pour votre conjoint. Vous
vivez chacun dans votre univers. Que vous soyez tous les
deux dans la même pièce, ou séparés par des milliers de
kilomètres, votre esprit génère des pensées, les analyse, les
range. Bref, il ne cesse d’être actif.
Si nous voulons parvenir à l’intimité, nous devons
accepter de nous faire connaître mutuellement certaines
de nos pensées. Il va de soi que nous devons opérer un
tri. Il est absurde d’imaginer que nous pourrions discuter
de toutes nos pensées ! La vie ne serait pas assez longue.
Mais le refus de révéler la moindre pensée à l’autre signi-
fie la mort de l’intimité. Une si grande partie de notre vie
se déroule au niveau des pensées que si nous prenons le
temps d’en faire connaître quelques-unes, ainsi que notre
interprétation des événements de la journée et les désirs
I
54   Une famille qui s’aime

que nous avons éprouvés, nous goûtons à l’intimité intel-


lectuelle.
Quand je parle d’intimité intellectuelle, je ne veux
pas dire que les conjoints doivent se lancer dans des dis-
cussions de très haute teneur technique ou théorique. Ce
qui importe est de discuter de vos pensées. Il peut s’agir
de pensées qui s’articulent autour de questions d’argent,
d’énergie nucléaire, de nourriture, de santé, de catas-
trophes. Mais ce sont bien là des choses auxquelles vous
avez pensé. Elles révèlent une partie du travail qui s’est
opéré dans votre esprit au cours de la journée. Quand deux
esprits se rencontrent, ils aménagent un espace d’intimité
intellectuelle. La façon de voir les choses de l’un ne cor-
respond pas à celle de l’autre, et les deux conjoints ne por-
tent pas le même regard sur les expériences vécues ; c’est
d’ailleurs là toute la richesse du partage et le bienfait de
l’intimité intellectuelle. Nous avons le plaisir d’apprendre
en partie ce qui s’est tramé dans l’esprit du conjoint. Telle
est l’essence de l’intimité intellectuelle.

Permettre à l’autre d’entrer dans votre univers 


– Comprendre l’intimité émotionnelle
Les sentiments sont notre réaction émotionnelle
spontanée aux informations captées par nos cinq sens. En
apprenant que l’enfant d’un ami est malade, je suis triste.
En voyant passer le camion des pompiers dans la rue et en
entendant la sirène, je suis préoccupé. Posez tendrement
votre main sur mon bras, et je me sentirai aimé. En vous
voyant sourire, je me sens encouragé.
Tous les jours et à longueur de journée, la vie est rem-
plie d’émotions. Vous glissez une pièce de monnaie dans
le distributeur automatique de boissons, mais rien ne sort.
Vous éprouvez des émotions ! Vous apprenez qu’il y aura
une réduction de personnel dans l’entreprise qui vous em-
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 55
ploie ; aussitôt, des sentiments vous envahissent ! Votre
femme vous téléphone pour vous annoncer qu’elle a enfin
obtenu le poste qu’elle espérait avoir. Votre jeune enfant
se met à argumenter avec vous. Dans tous ces cas, vous
ressentez quelque chose, mais personne ne voit vos émo-
tions. Un observateur extérieur peut constater que votre
comportement est motivé par vos émotions, mais à pro-
prement parler, il ne peut voir celles-ci. Il voit votre rire,
mais ne connaît pas sa cause. Il peut vous voir froncer les
sourcils, mais n’aura au mieux qu’une idée partielle de ce
qui vous chagrine ou vous irrite.
La communication réciproque des émotions crée une
intimité émotionnelle. C’est permettre à l’autre d’entrer
dans l’univers intérieur de vos sentiments, accepter de
dire : « Je me sens très angoissée en ce moment » ou : « Je
me sens très heureux ce soir », ou : « J’ai été très encouragé
d’apprendre… », ou : « Hier soir, j’étais très ennuyé à cause
de… », ou : « Ma meilleure façon de décrire mes sentiments
en ce moment, c’est de te dire que je me sens meurtri par
le mal que tu m’as fait ». Ce sont là des exemples de révé-
lation de soi. En prononçant ces paroles, nous affirmons
notre volonté d’intimité émotionnelle avec notre conjoint,
de lui faire connaître les sentiments qui s’agitent dans
notre cœur.
Apprendre à parler de nos émotions est l’une des ex-
périences les plus gratifiantes qui soit. Mais la discussion
présuppose un climat d’acceptation réciproque. Si j’ai l’as-
surance que mon conjoint ne condamnera pas mes sen-
timents, n’essaiera pas de les contrer ni de les changer, je
serai beaucoup plus disposé à les étaler. Supposons le dia-
logue suivant entre la femme et son mari :
L’épouse : « Je me sens très déprimée ces derniers
jours ».
I
56   Une famille qui s’aime

Le mari : « Pourquoi devrais-tu te sentir déprimée ?


Avec la vie facile que tu mènes, comment peux-tu parler
de dépression ? »
La prochaine fois, la femme aura bien du mal à enga-
ger le dialogue avec son mari sur le terrain des émotions
et lui faire part de ce qu’elle ressent. Imaginons une autre
réaction de la part du mari : « Cela me fait de la peine.
Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? » Si, de plus, il écoute avec
attention et bienveillance ce qu’elle révèle de ses senti-
ments présents, il crée une atmosphère qui encouragera
l’épouse à épancher son cœur devant lui. Dans un climat
de sécurité, je sais que mon conjoint acceptera ce que je
dirai, et ne cherchera ni à me réprimander ni à m’humilier
pour ce que je ressens. Il me sera alors facile de vider mon
cœur.
La communication des émotions positives nous per-
met de partager nos joies réciproques. Une épouse s’em-
presse de dire à son mari : « Tu ne peux pas t’imaginer à
quel point je suis heureuse ! Je viens de recevoir une lettre
de ma meilleure amie du lycée ! J’étais sans nouvelles d’elle
depuis des années ! » Si le mari réagit à l’excitation de sa
femme en disant : « Effectivement, c’est une excellente
nouvelle ! Que te raconte-t-elle ? », et qu’il prête une oreille
attentive à sa femme qui lui parle avec enthousiasme de
son passé et des souvenirs qui la rattachent à cette amie,
les deux époux vivront un moment d’intense intimité
émotionnelle.
L’intimité se développe aussi dans le partage des émo-
tions négatives. Une femme déclare : « Je crains que nous
n’ayons pas de quoi payer le deuxième semestre d’études
universitaires de Julie. Cela m’attriste énormément, et je
ne sais vraiment pas quoi faire ». Le mari répond : « Je vois
effectivement que cette situation te pèse énormément.
Voudrais-tu que nous discutions des mesures à prendre ? »
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 57
Les époux aborderont leur situation financière et trou-
veront peut-être ensemble une idée qui permettra à leur
fille de poursuivre ses études. Ce partage des difficultés et
des soucis rapproche les conjoints et favorise leur intimité
émotionnelle.
Le partage des émotions, aussi bien heureuses que
malheureuses, est l’un des aspects les plus bénéfiques
du mariage. En faisant part de nos sentiments à notre
conjoint, nous l’invitons à partager une partie impor-
tante de notre vie. Le plaisir partagé est multiplié, la peine
partagée est divisée. Des époux qui s’entendent bien ne
considèrent pas leurs émotions comme des ennemis, mais
comme des amis ; pour eux, la mise en commun des senti-
ments fait partie du cours normal de la vie.

Partager un vécu – Comprendre l’intimité


sociale
Avoir une intimité sociale, c’est vivre ensemble cer-
tains événements de la vie. Ces événements impliquent
souvent la présence d’autres personnes. Il y a des événe-
ments que nous partageons à plusieurs, et d’autres que
nous partageons à deux. Le développement de l’intimité
sociale nécessite les deux types d’expériences. Une grande
partie s’articule autour de rencontres qui se produisent
tout au long de la journée, de choses que les gens nous di-
sent ou font pour nous, avec nous ou contre nous, de situa-
tions qui se présentent de façon inattendue et auxquelles
nous sommes bien forcés de faire face. Notre supérieur
nous adresse un mot d’encouragement ou nous fait part
d’une nouvelle bouleversante. Notre fils revient de l’école
avec une note déplorable en mathématiques, et notre fille
rentre malade. La vie est faite d’événements routiniers et
d’événements inattendus. Beaucoup de ces expériences
se vivent alors que les conjoints ne sont pas ensemble. Il
I
58   Une famille qui s’aime

leur appartient alors de s’informer de ce qui a rempli leur


journée. Quand je parle avec mon épouse, c’est notre hori-
zon qui s’élargit. Nous avons le sentiment d’avoir été partie
prenante de ce que l’autre a fait ou de ce qui lui est arrivé.
Nous sentons que nous formons une unité sociale, et cha-
cun comprend que ce qui est arrivé dans la vie de l’autre
est important.
Le récit du déroulement de la journée fait évidem-
ment intervenir des pensées et des émotions. Nous nous
disons comment nous avons interprété les événements de
la vie, et expliquons les sentiments éprouvés à ce moment-
là. Cela fait maintenant des années que lors de mes sémi-
naires sur le mariage, j’encourage les conjoints à mettre
journellement quelques instants à part pour que chacun
puisse indiquer à l’autre trois choses qui lui sont arrivées
dans le courant de la journée, et les sentiments qui en
ont résulté. Grâce à cette pratique quotidienne, de nom-
breux couples m’ont fait savoir que ces moments réguliers
d’échange marquaient l’apogée de leurs journées, et qu’ils
y trouvaient l’occasion d’une réelle intimité sociale.
Un autre aspect de l’intimité sociale implique la parti-
cipation des deux à des entreprises communes. Ils peuvent
parfois s’engager avec d’autres gens, par exemple aller au
cinéma avec des amis ou assister à une manifestation spor-
tive. Mais dans les activités sociales, les époux ne restent
pas forcément spectateurs. Ils peuvent jouer aux boules
ou au Scrabble, ou planter un arbre devant la maison. Ils
peuvent faire des courses ensemble (ce que certains maris
considéreront comme un service rendu). Un pique-nique
à la campagne peut ajouter une note de gaieté et d’aven-
ture à une journée maussade. Une bonne partie de la vie
se passe à faire quelque chose. En faisant quelque chose
à deux, nous ne développons pas seulement notre esprit
d’équipe, nous cultivons aussi notre sentiment d’intimité.
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 59
Ce que nous faisons ensemble reste généralement
parmi les souvenirs les plus vivants et les plus durables.
Un mari et sa femme peuvent-ils oublier le jour où ils sont
allés ensemble visiter la baie du Mont Saint-Michel ? Ou le
jour où ils ont essayé de couper les poils du chien ? « Tu le
tiens, et je coupe ? » Expérience agrémentée de fous rires.
Avant la naissance des enfants, ma femme et moi faisions
souvent de la luge. Nous avons continué à en faire avec
les enfants. Une fois, au beau milieu de la nuit, pendant
que les enfants dormaient, nous sommes allés sur la butte
toute proche pour faire une partie de luge à deux.
Dans une famille où l’amour règne, l’intimité sociale
est un art de vivre. C’est un moyen d’évacuer le stress,
d’oublier la course contre la montre. Mais il faut évidem-
ment que les deux conjoints consentent des efforts pour
se rendre disponibles et faire certaines activités ensemble.

Un couple, sous le regard de Dieu – Comprendre


l’intimité spirituelle
L’intimité spirituelle est souvent l’aspect le moins
cultivé de l’intimité conjugale. Et pourtant, elle a une in-
fluence énorme sur les quatre autres domaines d’intimité.
Quand j’ai commencé mes études d’anthropologie il y a de
nombreuses années, j’ai été fasciné par le fait que partout
où nous découvrons la présence de l’homme, celle-ci s’ac-
compagne de la croyance dans un monde spirituel. Peu
d’aspects de la culture humaine sont communs à toutes
les cultures. La croyance dans un monde d’esprits en est
un. Après des années d’études, je suis arrivé à la conclu-
sion que les efforts déployés par l’homme pour ne pas te-
nir compte de la réalité de sa nature spirituelle, ou pour la
nier, sont vains. L’engouement actuel pour toutes sortes
de spiritualités prouve que l’homme occidental postmo-
derne est encore en quête de son âme.
I
60   Une famille qui s’aime

Ma conviction personnelle est la suivante : quand


l’homme s’est détourné de la foi chrétienne dans sa quête
d’illumination, il a renoncé à s’abreuver à la source de la
vérité spirituelle. Depuis de nombreuses années, je me
désaltère à cette source et puis témoigner qu’elle n’a rien
perdu de sa fraîcheur. J’y puise ma sérénité.
Puisque le mariage réunit deux individus cherchant à
créer une intimité entre eux, leurs perceptions et leurs ex-
périences dans le domaine spirituel méritent d’être discu-
tées ensemble. L’idée qui veut que la religion soit quelque
chose de tout à fait personnel qui ne se discute pas res-
semble à celle qui prétend que les sentiments sont person-
nels et échappent à toute discussion. Si pour quelque rai-
son que ce soit, nous refusons catégoriquement de parler
de nos perceptions spirituelles, nous supprimons tout un
pan de notre nature humaine et limitons l’intimité conju-
gale.
L’intimité spirituelle n’exige pas l’unité de croyance
dans tous les détails. Comme dans les autres domaines de
l’intimité, nous cherchons à dire à l’autre ce qui se passe
au plus profond de nous-mêmes. Lorsque nous parlons
de nos pensées, de nos émotions et de nos expériences à
notre conjoint, nous lui faisons part de choses dont il n’au-
rait jamais eu connaissance autrement. Il en va de même
à propos de l’intimité spirituelle. Nous disons à l’autre nos
pensées, nos expériences, nos impressions, nos interpré-
tations personnelles concernant des sujets spirituels. Le
but n’est pas de tomber d’accord, mais de comprendre. Il
est évident que si nous partageons les mêmes croyances
fondamentales, le niveau de notre intimité spirituelle sera
très élevé, mais même dans ces conditions, nous ne par-
tagerons pas forcément les mêmes pensées, les mêmes
émotions et les mêmes interprétations à propos de choses
spirituelles. L’un pourra avoir longuement médité cette
semaine sur l’amour de Dieu, alors que l’autre s’est davan-
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 61
tage senti poussé à réfléchir à la colère divine. L’un essaie
de comprendre l’un des aspects de la nature de Dieu, tan-
dis que le conjoint cherche à en comprendre un autre. Si
nous sommes disposés à nous ouvrir l’un à l’autre dans le
domaine des réalités spirituelles, nous nous enrichirons
mutuellement et goûterons une intimité spirituelle plus
profonde.
L’autre soir, ma femme est entrée en trombe dans
mon bureau et m’a dit : « Il faut absolument que je te lise
quelque chose ». Elle me lut alors un passage assez long
des Misérables, de Victor Hugo. Il y était question de
l’évêque de Digne qui discutait avec un homme qui venait
d’être relâché après dix-neuf années passées derrière les
barreaux. L’homme était bouleversé par l’idée que l’évêque
le recevait à sa table, alors que plusieurs hôtels de la ville
avaient refusé de lui accorder le gîte et le couvert. « Si vous
connaissiez mon nom ! » déclara l’ancien forçat. L’évêque
lui répondit : « Je le connais. Votre nom est : « Mon frère ».
Mon épouse poursuivit sa lecture sur la manière dont
l’évêque avait réagi en face de cet homme qui avait mené
une vie si difficile. Puis elle me fit part des pensées et des
sentiments que cette lecture lui avait inspirés ; elle me
rappela également ce qu’elle avait retiré du spectacle Les
Misérables, qu’elle avait vu à New York. Tandis qu’elle par-
lait et que j’écoutais, nous vivions une intense expérience
d’intimité spirituelle.
L’intimité spirituelle consiste aussi à discuter en-
semble des pensées sur des réalités spirituelles. Patricia a
lu le psaume 23 hier matin ; elle a été frappée par la fré-
quence des pronoms personnels et adjectifs possessifs :
« L’Éternel est mon berger : je ne manquerai de rien. Il me
fait reposer dans de verts pâturages… » Le soir, elle a fait
part à son mari de sa découverte. Il lui a alors raconté son
expérience avec un berger en Australie avant leur mariage.
I
62   Une famille qui s’aime

Ce fut pour tous les deux un heureux moment de commu-


nion spirituelle.
L’intimité spirituelle ne se développe pas seulement
par la communication verbale, mais également par le par-
tage d’expériences. Pierre et Françoise vont régulièrement
à l’église ensemble le dimanche matin : « Le fait de partici-
per avec mon mari au culte me communique un sentiment
de plus grande intimité avec lui. Nous chantons dans le
même recueil ; je l’entends prononcer les mêmes paroles
que moi. Nous nous tenons par la main pendant la prière,
nous écoutons et prenons des notes pendant le sermon du
pasteur. Et sur le chemin du retour, nous nous disons ce
qui nous a le plus marqués lors du culte ».
Le fait de prier ensemble favorise l’intimité spiri-
tuelle. Peu de chose est aussi personnel que la prière
sincère. Deux personnes qui s’unissent dans une prière
honnête expérimenteront un profond sentiment d’unité
spirituelle. Nous sommes rarement plus vulnérables que
lorsque nous prions sincèrement l’un avec l’autre. Pour
ceux qui se sentent mal à l’aise de formuler des prières en
présence de leur conjoint, je suggère de prier en silence.
Joignez les mains, fermez les yeux et priez en silence. Mais
lorsque vous avez fini, dites : « Amen » à haute voix. L’autre
saura ainsi que vous avez terminé votre prière. Même si
aucune parole audible n’est sortie des lèvres des conjoints,
il se sera établi entre eux une réelle intimité spirituelle.

« Une seule chair » – Comprendre l’intimité


physique
D’après l’écrivain et humoriste Garrison Keillor, l’une
des grandes joies de la vie est de manger du maïs tendre
encore frais. Il a déclaré : « En fait, il y a quatre grandes
sources de joie dans la vie. La première est la connaissance
de Dieu ; la deuxième est la joie d’apprendre ; la troisième
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 63
est celle que vous pensiez être la première ; et la quatrième
celle de manger du maïs tendre encore frais ». Que l’inti-
mité sexuelle figure au premier rang ou au troisième, elle
est certainement parmi les intimités les plus générale-
ment désirées dans le mariage.
Parce que les hommes et les femmes sont sexuelle-
ment différents (vive la différence !), nous parvenons à
l’intimité sexuelle de façon différente. Pour le mari, ce
qui compte surtout, ce sont les aspects physiques de l’in-
timité sexuelle. Il porte son attention sur la vue, le tou-
cher, le préambule et l’acte sexuel proprement dit. L’expé-
rience est excitante, exaltante, épanouissante ; beaucoup
d’hommes estiment que c’est le plus grand plaisir phy-
sique au monde. De son côté, la femme parvient à l’in-
timité sexuelle par son aspect émotionnel. Elle trouve sa
plus grande joie dans le fait qu’elle se sent aimée, entourée
d’attentions, admirée, appréciée et traitée avec tendresse.
Si l’acte sexuel est précédé de paroles valorisantes et de
marques d’amour, bref si la femme se sent vraiment ai-
mée, alors l’expérience sexuelle n’est que le prolongement
du plaisir émotionnel. Elle jouira de l’orgasme, mais elle
ne vit pas pour ce moment. Son plaisir découle plutôt de
l’intimité émotionnelle qu’elle ressent avec son mari dans
le rapport sexuel.
L’intimité sexuelle suppose que les deux époux com-
prennent leurs différences et en tiennent compte. Le
mari doit apprendre à combler le besoin de tendresse de
sa femme, et celle-ci doit accepter l’aspect physique de la
sexualité de son mari. Si les époux s’efforcent de faire de
l’expérience sexuelle un acte d’amour réciproque et pren-
nent le temps d’apprendre à se procurer du plaisir l’un à
l’autre, ils parviendront à l’intimité sexuelle. Mais s’ils
obéissent seulement à l’instinct naturel, ils éprouveront
de la frustration dans leur vie sexuelle.
I
64   Une famille qui s’aime

Les différences existent aussi sur le plan de l’excita-


tion. L’homme est excité par la vue. Le simple fait de voir
sa femme déshabillée dans la pénombre de la chambre à
coucher provoque une érection. (Mes amis les hommes,
je suis navré, mais notre femme peut nous voir nus sans
que cela ne l’émeuve et ne suscite une envie sexuelle !) La
femme est davantage excitée sexuellement par le toucher,
les paroles valorisantes et les gestes attentionnés. C’est
pourquoi de nombreuses épouses déclarent : « La relation
sexuelle ne commence pas dans la chambre à coucher,
mais dans la cuisine ; elle ne débute pas le soir, mais le ma-
tin ». La manière dont elle est traitée en actes et en paroles
pendant la journée a de profonds effets sur son excitation
sexuelle.
Il va donc de soi qu’on ne peut dissocier l’intimité
sexuelle des intimités émotionnelle, intellectuelle, sociale
et spirituelle. Nous les avons dissociées pour les besoins
de l’étude, mais dans le contexte des relations humaines,
on ne peut pas les compartimenter. Nous n’atteindrons
pas l’intimité sexuelle si nous ne recherchons pas l’intimi-
té dans les autres domaines de la vie. Certes, nous pouvons
avoir un rapport sexuel, mais pas d’intimité sexuelle, c’est-
à-dire le sentiment d’être proches l’un de l’autre, d’être un,
et de goûter la jouissance mutuelle.
La Bible dit que lorsque l’homme et la femme ont un
rapport sexuel, ils deviennent « une seule chair ». Cela ne
veut pas dire qu’ils perdent leur identité, mais que dans le
rapport sexuel, leurs deux êtres se fondent d’une manière
satisfaisante pour les deux. Il ne s’agit pas simplement de
la fusion de deux corps faits l’un pour l’autre, mais d’une
fusion intellectuelle, émotionnelle, sociale et spirituelle.
L’acte sexuel est l’expression physique de l’union inté-
rieure de deux vies. Dans les écrits sacrés hébreux anciens
et dans les écrits grecs de l’Église primitive du premier
siècle, le rapport sexuel était réservé au mariage. Les au-
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 65
teurs inspirés ne condamnaient pas les relations sexuelles
hors mariage de façon arbitraire ; ils les dénonçaient parce
qu’elles sont contraires à la vraie nature du rapport intime
entre le mari et sa femme. Une expérience aussi profonde
qui engage si fortement deux êtres ne convient pas en de-
hors d’un engagement d’amour à vie entre eux.
Dans une famille en bonne santé, la relation entre le
mari et sa femme est incontestablement la plus impor-
tante. Et dans cette relation, rien n’est plus important que
l’intimité conjugale. L’union sexuelle est l’expression la
plus physique de cette intimité. La réussite de l’intimité
sexuelle dépend fortement de l’intimité sur le plan intel-
lectuel, émotionnel, social et spirituel.

Intimité conjugale et sécurité familiale


Le stress, les temps de séparation, la maladie, le tra-
vail, les enfants et les autres préoccupations normales de
la vie ont une grande incidence sur le temps et l’énergie
consacrés à l’intimité conjugale. Pourtant, dans une fa-
mille qui s’aime, mari et femme font tout pour préserver
cette intimité et la nourrir. Une telle intimité ne procure
pas seulement une profonde satisfaction au couple, mais
sert également de modèle pour les enfants du couple. Et
ce modèle fait cruellement défaut dans de nombreuses fa-
milles contemporaines.
Quel jugement notre jeune anthropologue a-t-il por-
té sur notre intimité ? Qu’en a-t-il aperçu ? Nous n’avons
évidemment pas invité Jean à partager notre chambre à
coucher, mais il nous a parfois surpris en train de nous
embrasser sur le canapé.
Karolyn était plus démonstrative, plus expansive. Je
vous trouvais plus réservé, mais il était évident que
vous vous aimiez tendrement. Chacun se sentait en
sécurité. Je vous vois encore placer votre bras autour
I
66   Une famille qui s’aime

d’elle, la toucher affectueusement. C’était pour moi un


plaisir de voir à quel point vous étiez bien assortis l’un
à l’autre. Parfois, Karolyn faisait mine de vous résister,
mais elle cédait, car elle vous aimait passionnément
et de tout son cœur, comme vous, de votre côté,
vous l’aimiez ardemment. J’ai toujours senti un grand
respect l’un pour l’autre. Il était manifeste que vous
la respectiez beaucoup, car vous l’écoutiez, vous
la laissiez parler sans l’interrompre ; vous agissiez
de même avec moi. Je pense aussi que vous étiez
transparents. Vous étiez honnêtes, pour avoir tiré les
leçons des moments difficiles que vous aviez connus
autrefois. C’était très encourageant pour moi.

Jean s’est parfois porté volontaire pour faire du baby-


sitting afin que Karolyn et moi puissions sortir ensemble.
Nous nous efforcions toutefois de ne pas profiter de sa
disponibilité, car nous savions que ce n’était pas pour cela
qu’il avait demandé à vivre avec nous ! À d’autres moments,
nous emmenions les enfants avec nous pour une prome-
nade dans un parc proche. Tout en déambulant dans les
allées, Karolyn et moi échangions nos pensées, nos senti-
ments et nos expériences de la journée. Nous avions pris
l’habitude de coucher les enfants à huit heures et demie
du soir, ce qui nous laissait du temps pour nous deux.
Nous faisions notre possible pour prendre ensemble
le repas du soir. C’était l’occasion pour chacun de dire ce
qu’il avait fait durant la journée. Jean participait pleine-
ment à cet échange. Après le départ de Jean et l’entrée de
nos enfants dans l’adolescence, nous avons maintenu cette
tradition, même s’il fallait jongler pour conduire les en-
fants à leurs différentes activités extrascolaires. Cela nous
obligeait parfois à avancer l’heure du souper à 16 heures, et
parfois à la repousser jusqu’à 22 heures. Pour nous, c’était
une question de principe ; c’était la vie de famille sous l’un
de ses plus beaux aspects. Nous pouvions ainsi répondre
aux besoins intellectuels, émotionnels et sociaux de cha-
Chapitre 4 : cinq pas vers l’intimité  I 67
cun. Maintenant que les enfants sont adultes, lorsqu’ils
viennent occasionnellement nous rendre visite, le souper
reste le moment privilégié pour nos échanges. Nous pou-
vons rester assis des heures à parler de choses et d’autres.
L’intimité entre le mari et sa femme imprègne le reste
des relations familiales. Si l’intimité fait défaut entre les
époux, les relations entre parents et enfants seront faus-
sées ainsi que celles entre frères et sœurs. Dans une famille
en bonne santé, les époux accordent la priorité à la rela-
tion conjugale, sachant que celle-ci ne répond pas seule-
ment à leurs propres besoins, mais qu’elle garantit la plus
grande sécurité émotionnelle aux enfants. C’est parce que
je suis pleinement convaincu du bien-fondé de ce principe
que je consacre mon temps et mes forces à servir les en-
fants de ma génération en aidant leurs pères et leurs mères
à consolider l’intimité de leurs mariages.
Troisième partie : des parents qui guident  I 69

T R O I S I È M E P A R T I E

Des parents qui guident


Chapitre 5 : parler, faire, aimer  I 71

C H A P I T R E  5
Parler, faire, aimer

Dans une famille en bonne santé, les parents pren-


nent à cœur leur responsabilité de guider leurs enfants,
les enseigner, les former, et, oui aussi, de les discipliner.
Dans le monde grec antique, deux mots servaient à dé-
crire le rôle des parents : l’enseignement et la formation.
En grec, le terme enseignement était nouthesia et signifiait
littéralement « ancrer dans la pensée » ; c’était la fonction
de l’instruction verbale. Le mot formation, en grec paideia,
est rendu parfois par « élever, nourrir » ou par « corriger ».
Chez les Grecs, la formation impliquait toujours l’action,
dans ses aspects positifs et négatifs. « Élever » un enfant
pouvait impliquer étreintes et baisers, tandis que « corri-
I
72   Une famille qui s’aime

ger » un enfant pouvait signifier l’arracher physiquement


du danger. L’emphase de l’un et de l’autre était toujours sur
la nécessité d’agir.
Tous les parents vous le diront : savoir quand recourir
à ces différentes méthodes éducatives n’est pas toujours
facile. Certains parents se sont promis de toujours tout
expliquer à leurs enfants, et de ne jamais leur répondre :
« Parce que c’est comme ça ! » Leur devise semble être :
« Parlons-en ». D’autres engagent avec l’enfant un mono-
logue, en lui délivrant un sermon ; quelques-uns insistent
sur les vertus du dialogue, ce qui leur permet de connaître
les pensées de l’enfant et de ne pas simplement lui com-
muniquer les leurs. Mais dans tous ces cas, l’accent porte
toujours uniquement sur la parole. Ils sont forts pour rai-
sonner et argumenter, et veulent pouvoir répondre à tous
les « Pourquoi ? » de l’enfant. Ils croient à la philosophie
qui prétend que si l’enfant comprend la raison des règles
imposées par les parents ou la raison de leurs requêtes, il
s’y plie plus facilement. Certains des parents qui ont adop-
té cette pédagogie le font par réaction aux abus physiques
disciplinaires de leurs propres parents à leur égard. Ils se
sont promis de ne jamais traiter leurs enfants comme eux-
mêmes l’ont été.
Cette pédagogie qui porte toujours uniquement l’ac-
cent sur la parole a un côté négatif. Si l’enfant n’obéit pas
à des paroles calmes et logiques, les parents finissent par
crier, hurler, et menacer verbalement l’enfant pour le ra-
mener dans le droit chemin. Les enfants ont alors eux-
mêmes tendance à élever la voix, et le foyer devient un
champ de bataille ; le vainqueur est généralement celui
qui crie le plus fort et le plus longtemps.
Une autre catégorie de parents privilégie l’action
au détriment de la parole. Leur slogan est : « Agissons
d’abord, parlons plus tard ». Mais pour beaucoup, il n’y a
Chapitre 5 : parler, faire, aimer  I 73
jamais de « plus tard ». Quand l’enfant se conduit mal, ils
l’attrapent par les épaules et le secouent violemment, lui
flanquent une paire de claques, le remettent dans la chaise
et lui interdisent de pleurer. Leur devise est toujours : « Les
actions ont plus d’impact que les paroles ». L’enfant doit
être remis en place. Ils pensent que s’ils ne le corrigent
pas sévèrement, il leur échappera. Ce sont ces parents qui
se rendent parfois coupables de violence physique envers
leurs enfants. Puisque l’enfant ne réagit pas positivement
à leurs actions, ils utilisent des moyens de plus en plus
violents et finissent par commettre des actions qu’ils n’au-
raient jamais imaginées.
Dans une famille en bonne santé, les parents équili-
brent les paroles et les actions. Ils prennent le temps de
bien expliquer les règles et les peines qui suivent les dé-
sobéissances aux règles. Ils prennent le soin d’appliquer
les corrections avec amour. Une fois cet équilibre atteint,
celui-ci protège les parents contre les risques de déraper
vers les abus verbaux – crier, hurler, menacer – ou vers
les violences physiques. Ils ont beaucoup plus de chances
d’atteindre leur objectif qui est d’aider l’enfant à devenir
un adulte équilibré sur le plan émotionnel.

L’amour d’abord
Certains d’entre vous se demandent peut-être : « Est-
il possible que deux parents qui ont une approche très
différente en matière d’éducation trouvent un terrain
d’entente ? » Nous répondons « oui » sans la moindre hé-
sitation. Dans notre propre famille, nous avons constaté
que j’étais personnellement enclin à être un parent calme,
ouvert au dialogue, tandis que Karolyn était plus impul-
sive, et donc plus portée sur l’action. Il nous fallut quelque
temps pour nous rendre compte de cette situation, pour
analyser nos schémas, et accepter nos tendances person-
I
74   Une famille qui s’aime

nelles. Une fois ce travail effectué, et après avoir examiné


ce qui était le mieux pour nos enfants, nous avons décou-
vert que nous pouvions travailler en équipe, et qu’il était
même indispensable que nous le fassions. Nos tendances
de base ne changèrent pas, mais nous avons appris à les
contrôler. J’appris à agir de façon responsable, et à asso-
cier paroles et actes. Karolyn apprit à réfléchir avant d’agir.
Dans les chapitres qui suivent, je vous indiquerai certaines
idées qui nous ont aidés dans ce processus. Mais d’abord
examinons le premier élément essentiel à tous parents qui
veulent bien guider leurs enfants.
Aucune méthode pédagogique et disciplinaire ne sera
efficace si l’enfant ne se sent pas aimé par ses parents. En
revanche, s’il se sent aimé, même des méthodes éduca-
tives médiocres feront de lui un adulte équilibré.
J’ai lu un jour l’histoire d’un homme ordinaire : il avait
une femme, deux fils, une maison confortable, un travail
valorisant. Tout allait bien jusqu’à une certaine nuit où
l’un des garçons tomba malade. Pensant qu’il ne s’agissait
pas de quelque chose de grave, les parents lui donnèrent
un cachet d’aspirine et retournèrent se coucher. Durant la
nuit, l’enfant mourut d’une crise aiguë d’appendicite. Le
chagrin et le sentiment de culpabilité incitèrent l’homme
à boire. Au bout de quelque temps, sa femme le quitta. Il
se retrouvait seul avec un fils, Matthieu, et sa dépendance
à l’alcool.
Au fil des années, l’homme perdit son emploi à cause
de la boisson ; il perdit aussi sa maison, ses biens et son es-
time de soi. Il finit par mourir dans une chambre d’hôtel,
dans la plus triste des solitudes. Le fils devint cependant
un ouvrier hautement qualifié, équilibré, travailleur et gé-
néreux. Connaissant les circonstances dans lesquelles il
avait grandi, quelqu’un lui demanda un jour :
Chapitre 5 : parler, faire, aimer  I 75
— Je sais que vous avez vécu plusieurs années seul
avec votre père. Je sais aussi que votre père avait un sérieux
problème d’alcool. Comment expliquer que vous soyez de-
venu un homme si bienveillant, si bon et si généreux ?
Le fils réfléchit un instant puis répondit :
— Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant,
je me souviens que, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, tous les
soirs mon père entrait dans ma chambre, déposait un bai-
ser sur ma joue et disait : « Je t’aime, fiston 1 ».
L’amour couvre une multitude de péchés. Visible-
ment, l’amour que Matthieu reçut de son père sur le plan
du toucher physique par le baiser et sur le plan des pa-
roles valorisantes remplit son réservoir émotionnel et lui
permit de cultiver une vision positive de la vie, malgré les
manquements de son père dans d’autres domaines. Mal-
heureusement, des paroles valorisantes et un baiser ne
suffisent pas pour que tous les enfants se sentent aimés.
Mon livre Langages d’amour des enfants 2 montre l’impor-
tance de bien connaître le principal langage d’amour de
l’enfant, et de s’en servir régulièrement. Je suis convaincu
qu’il existe cinq façons fondamentales d’exprimer l’amour,
et que l’une des cinq parle mieux au cœur de l’enfant que
les autres. Permettez-moi de les rappeler brièvement.

Premier langage d’amour 


– Les paroles valorisantes
Le père de Matthieu parlait deux des cinq langages
d’amour : ceux des paroles valorisantes et du toucher. Di-
sons un mot du premier. Prononcer des paroles qui met-
tent l’enfant en valeur et qui soulignent combien il est ap-
précié, cela fait partie du premier langage d’amour. Voici
quelques exemples de paroles valorisantes : « Très bon
travail ! », « Merci pour ton aide », « J’apprécie beaucoup ta
façon de faire ; je reconnais que tu as travaillé dur », « Tu
I
76   Une famille qui s’aime

as fait une partie superbe ! », « Tu as l’air costaud ! », « Tu


es ravissante », « Je t’aime ». Ces expressions valorisantes
sont importantes pour communiquer à tous les enfants
le sentiment qu’ils sont aimés, mais pour ceux qui sont
particulièrement sensibles à ce langage d’amour, c’est une
question de vie ou de mort sur le plan émotionnel.

Deuxième langage d’amour 


– Les moments de qualité
C’est accorder à l’enfant des moments d’attention non
partagée. Pour l’enfant qui est sensible à l’amour témoigné
par ce langage, rien ne compte davantage que ces moments
d’attention non partagée. Ce temps peut être consacré à la
lecture d’un livre, à jouer au ballon, à faire une promenade
à vélo, à marcher ou tout simplement à bavarder en se
rendant au restaurant. Ces moments lui font sentir com-
bien il est aimé. Dire à un enfant sensible à ce langage : « Je
t’aime » sans lui consacrer du temps de qualité lui paraîtra
un creux verbiage. Le parent peut être très sincère en pro-
nonçant ces paroles, mais elles ne suffisent pas à commu-
niquer à l’enfant l’assurance qu’il est aimé.

Troisième langage d’amour 


– Le toucher physique
Nous connaissons depuis longtemps la puissance du
toucher physique comme moyen d’expression de l’amour.
Des études ont montré que des bébés qui sont souvent
pris dans les bras ont un meilleur équilibre psychique que
ceux auxquels on ne prête aucune attention. Le toucher
revêt une grande importance pour tous les enfants, mais
encore davantage pour ceux qui y sont particulièrement
sensibles. Il faut évidemment modifier la nature du tou-
cher affectif en fonction de l’âge de l’enfant. Embrasser
un adolescent devant ses copains peut davantage le gêner
Chapitre 5 : parler, faire, aimer  I 77
que lui donner le sentiment d’être aimé. Si le toucher est
pourtant le langage dans lequel l’adolescent comprend le
mieux l’affection, il le réclamera en l’absence de ses amis.

Quatrième langage d’amour 


– Les cadeaux
L’échange de cadeaux est une façon universelle d’ex-
primer l’amour. L’enfant qui a reçu un présent se dit : « Papa
(ou Maman) a pensé à moi ». Si, au retour d’un voyage,
vous apportez un souvenir à l’enfant, il se dira que pendant
votre absence, vous avez pensé à lui. Cela ne signifie évi-
demment pas que vous devez donner à l’enfant sensible à
cette forme d’expression de l’amour tout ce qu’il demande
pour qu’il ait vraiment le sentiment d’être aimé. Mais pour
qu’il se sente aimé, vous devrez lui faire un certain nombre
de cadeaux dans l’année. Inutile de dépenser de grosses
sommes d’argent, car c’est l’intention qui compte.

Cinquième langage d’amour 


– Les services rendus
Les services que vous rendez à l’enfant qui les appré-
cie à leur juste valeur sont un autre moyen de lui com-
muniquer votre amour. Vous occuper de ses repas, faire
sa lessive, le véhiculer, l’aider à faire ses devoirs scolaires,
assister à un match de son équipe, tout cela représente
pour lui des marques d’amour. Pour l’enfant attentif à
cette forme d’expression d’amour de ses parents, ces ser-
vices rendus sont indispensables à son bien-être affectif.
En réparant son vélo, vous faites plus que simplement lui
permettre de remonter en selle, vous graissez les rouages
avec de l’amour.
J’aime beaucoup le concept de « réservoir d’amour »
du psychiatre et auteur Ross Campbell 3. Il estime qu’en
I
78   Une famille qui s’aime

chaque enfant, il y a un réservoir d’amour. Lorsque l’en-


fant se sent vraiment aimé par ses parents, il se développe
normalement et sera ouvert à l’enseignement et la forma-
tion de ses parents. Mais si ce réservoir est vide, et que
l’enfant ne se sent pas aimé de ses parents, il aura tendance
à se rebeller contre toute tentative de ses parents pour le
guider et le discipliner.
Ce sont là des expressions d’amour qui sont aussi va-
lables les unes que les autres, mais elles ne remplissent
pas de la même manière le réservoir d’amour de chaque
enfant. Parmi ces cinq langages d’amour, chaque enfant
aura un langage « primaire », auquel il est le plus sensible,
et un langage « secondaire ». Ces deux langages sont plus
importants pour lui que les trois suivants. Si de façon ré-
gulière le parent communique à l’enfant son amour dans
les deux langages les mieux compris, il est assuré de rem-
plir le réservoir d’amour du petit. S’il ne le fait pas, il a
beau exprimer son amour dans les trois autres langages,
l’enfant ne se sentira pas aimé. Cela ne suffit pas pour un
parent d’aimer son enfant. Il doit aussi se poser la ques-
tion : « Mon enfant se sent-il aimé ? » Tout conseiller a ren-
contré des enfants en bas âge ou des adolescents qui se
plaignent : « Mes parents ne m’aiment pas. Ils aiment mon
frère, mais n’ont pas d’amour pour moi ». Dans presque
tous les cas, leurs parents l’aiment sincèrement, mais ils
n’ont pas réussi à le faire comprendre à l’enfant parce qu’ils
ne le lui ont pas exprimé dans son langage d’amour pri-
maire. L’enfant a donc grandi en ayant son réservoir émo-
tionnel vide.

Découvrez les langages d’amour de vos enfants


Comment faire pour savoir quelles sont les expres-
sions de l’amour que l’enfant comprend bien ? Voici trois
recommandations. Premièrement, observez comment il
Chapitre 5 : parler, faire, aimer  I 79
vous témoigne son amour. Si votre fils répète souvent que
vous êtes un bon parent et vous dit qu’il apprécie haute-
ment ce que vous faites pour lui, il est très sensible aux
paroles valorisantes. Si votre fille vous couvre de cadeaux
qu’elle confectionne elle-même et enveloppe soigneu-
sement, c’est qu’elle-même est sensible aux cadeaux. Si
l’enfant vous prodigue ses câlins et se blottit facilement
contre vous, dites-vous qu’il aime lui-même être touché
affectueusement. S’il est toujours disposé à vous donner
un coup de main dans la maison, sachez qu’il est sensible
au langage des services rendus. S’il tourne constamment
autour de vous, cherchant à jouer avec vous, à lire en même
temps que vous, il y a de fortes chances qu’il apprécie avant
tout l’amour exprimé par les moments de qualité. Vos en-
fants vous donnent ce qu’eux-mêmes aimeraient recevoir.
Le langage d’amour de mon fils, c’est le toucher phy-
sique. Je m’en rendis compte quand il avait quatre ans.
Quand je rentrais à la maison en fin d’après-midi, il cou-
rait vers moi, sautait sur mes genoux et me décoiffait. Il
me touchait parce qu’il voulait être touché. C’est mainte-
nant un adulte, mais quand il vient passer un week-end à
la maison et regarde la télévision, couché à même le sol,
il suffit que je passe dans la pièce, pour qu’il m’attrape par
les jambes. Le toucher physique lui parle fort.
Notre fille, en revanche, est sensible aux moments de
qualité que nous pouvons lui accorder. Cela m’a incité à
marcher plusieurs soirs par semaine avec elle lorsqu’elle
allait au lycée, ou à discuter de livres, des garçons et
d’autres sujets moins importants. Elle est maintenant mé-
decin, mais quand elle vient nous rendre visite, elle me
dit : « Papa, on va faire un petit tour ? » Les moments de
qualité correspondent toujours à l’expression de l’amour
qu’elle saisit le mieux.
I
80   Une famille qui s’aime

Mon fils ne venait jamais se promener avec moi. Il di-


sait : « C’est stupide de faire une promenade à pied ! Ça ne
mène nulle part ! Si tu veux aller quelque part, prends la
voiture ». Ce qui donne à penser à un enfant qu’il est aimé,
ne donne pas du tout la même impression à un autre. Il
importe donc d’apprendre le premier langage d’amour de
chaque enfant, et de s’en servir systématiquement. Vous
pourrez alors exprimer de temps à autre votre amour dans
les autres langages. Ce sera un plus pour l’enfant, mais
il ne faut surtout pas négliger les modes d’expression de
l’amour auxquels il est le plus sensible 4.
Deuxièmement, observez ce que l’enfant attend le
plus de votre part. Cela permet souvent de deviner quel
est le langage qui lui communique le plus clairement votre
amour. Si au moment de votre départ en tournée, l’enfant
vous dit : « Bon voyage, et n’oublie pas de me rapporter un
petit souvenir », il vous donne un indice important quant
à la forme d’amour à laquelle il prête une grande atten-
tion. S’il demande fréquemment : « C’est bien comme ça
maman ? », il vous fait comprendre qu’il est à l’affût de pa-
roles valorisantes. Si l’enfant vous supplie de jouer avec lui
ou de faire une activité avec lui, vous pouvez en conclure
que vous lui communiquerez le mieux votre amour en lui
consacrant des moments de qualité. Observez et écoutez
attentivement jusqu’à ce que vous voyiez se dessiner les
contours de son principal langage d’amour. Une fois que
vous avez vu un mode d’expression de l’amour émerger
dans la liste de ses requêtes, dites-vous que c’est son pre-
mier langage d’amour, et utilisez-le pour faire comprendre
à l’enfant que vous l’aimez.
Troisièmement, notez les plaintes les plus fréquentes
de l’enfant. S’il vous en veut de ne pas jouer plus souvent
avec lui, ou s’il vous reproche de ne pas lui avoir rapporté
un cadeau, ou de n’avoir même pas remarqué son bon bul-
letin de notes, il vous fait savoir à quoi il est surtout sen-
Chapitre 5 : parler, faire, aimer  I 81
sible en matière d’amour parental. Il manifestera le plus
grand mécontentement dans le domaine de son premier
langage d’amour.
Aussi longtemps que vous n’êtes pas sûr d’avoir dé-
couvert les langages primaires et secondaires de vos en-
fants, témoignez-leur votre affection successivement dans
chacun des cinq langages, à raison d’un par mois et obser-
vez leurs réactions. Lorsque vous parlerez le premier lan-
gage d’amour de votre enfant, il sera plus réceptif à votre
enseignement et à votre formation. Il adoptera des dispo-
sitions plus positives devant la vie en général et participera
davantage à l’harmonie au sein de la famille. En revanche,
si son réservoir d’amour est vide, vous le verrez sous son
plus mauvais jour !
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 83

C H A P I T R E  6
Le défi : enseigner
de manière créative

Quel est le parent qui n’a pas été lassé par le flot inin-
terrompu de comment et de pourquoi jaillis de la bouche
de l’enfant curieux de savoir ? Tout enfant est curieux par
nature. Malheureusement, beaucoup de parents ont tué
cet esprit curieux en répondant : « Pas maintenant » et :
« Parce que c’est comme ça » !
Le parent qui enseigne est confronté à une rude tâche :
tenir compte du désir naturel de l’enfant d’apprendre, et le
faire de manière à maintenir son esprit ouvert pour ap-
prendre tout au long de sa vie. C’est pourquoi j’ai parlé d’un
I
84   Une famille qui s’aime

enseignement favorisant la créativité. Il faut créer pour cela


un climat dans lequel le désir d’apprendre de l’enfant et le
désir d’enseigner des parents suivent un rythme normal.
L’expérience sera ainsi agréable et profitable autant pour
l’enfant que pour les adultes. La joie d’apprendre est une
source inépuisable de plaisir pour l’enfant qui bénéficie
d’un enseignement qui stimule l’imagination. Le parent
chargé de l’enseigner s’efforce de canaliser cette source.
Comme parents, nous devons accepter le fait que
l’enseignement prodigué à nos enfants dévorera une par-
tie non négligeable de notre vie. L’idéal serait que cet
enseignement se pratique de façon constante, sur une
base journalière. L’un des grands obstacles auxquels sont
confrontés les parents dans leur rôle d’éducateur est ce-
lui du temps. Avec une majorité de mères travaillant hors
de la maison, des temps de trajets travail-domicile sou-
vent très longs, et les nombreuses exigences du calendrier
auxquelles chaque famille doit faire face, le peu de temps
qui reste pour l’éducation des enfants rend difficile la re-
cherche de la créativité.
Les limites de cet ouvrage ne permettent pas de pro-
poser des solutions précises et spécifiques au problème
du temps. Mais j’ai la ferme conviction que nous devons
prendre le temps d’instruire nos enfants. Dans notre so-
ciété, nous ne disposons que de dix-huit années pour
conduire nos enfants d’une dépendance totale à une indé-
pendance relative, dix-huit années pour leur transmettre
les compétences qui, selon nous, doivent leur servir toute
la vie, pour leur communiquer notre savoir et nos valeurs
de telle manière qu’ils puissent les évaluer par eux-mêmes
et choisir celles qui correspondent à leur propre intérêt.
C’est une tâche gigantesque qui nous incombe ; elle mérite
que nous lui consacrions le temps nécessaire. Passons en
revue quatre domaines particuliers d’enseignement créa-
tif.
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 85
« C’est important »
Quand vous pensez enseignement, la première idée
qui vous vient à l’esprit est peut-être celle de l’instruction.
Instruire, c’est utiliser des mots pour communiquer à l’en-
fant quelque chose que le parent estime important. Il peut
s’agir de la transmission de l’histoire et des traditions fa-
miliales, de dire ce qui se fait et ce qui ne se fait pas dans
la société, de théories et de faits intellectuels, de valeurs
morales et spirituelles, de notions touchant à tous les do-
maines de la vie, qui rendront la vie de l’enfant plus pro-
ductive et plus intéressante. Le père apprendra à sa fille
que dans notre culture, nous roulons à droite, attachons
nos ceintures de sécurité et respectons les limitations de
vitesse. Il l’assure qu’en se conformant à ces règles, elle aug-
mente ses chances de parvenir à l’âge adulte. Les parents
parlent à leurs enfants de sexualité et de santé, des bonnes
camaraderies, des limites à se fixer et à respecter, d’ani-
maux et de plantes, d’attitudes et de comportements. C’est
ce que les anthropologues appellent le processus d’inté-
gration, qui montre à l’enfant comment vivre en harmonie
avec son milieu culturel. Pour cela, il faut lui apprendre
certains comportements sociaux, lui transmettre un en-
semble d’informations sur lesquelles il pourra construire
une vie réussie.
Dans notre société, cette tâche n’incombe pas seule-
ment aux parents. L’école, l’église, et d’autres organismes
sociaux assument une part de responsabilité dans le déve-
loppement de l’enfant et l’aident à trouver sa place dans la
société. Mais dans notre société extrêmement organisée et
de haute technologie, ce sont principalement les parents
qui sont responsables de former les enfants en vue d’une
croissance harmonieuse pour survivre dans le monde mo-
derne.
I
86   Une famille qui s’aime

Quand ils pensent à l’instruction, beaucoup voient


un maître d’école debout devant ses élèves, en train de leur
expliquer comment additionner, multiplier, ou diviser.
En réalité, une bonne pédagogie ne se limite jamais à un
monologue. Elle inclut évidemment nécessairement une
instruction formelle, mais s’enrichit également de conver-
sations avec les élèves, par le biais du dialogue. Nous ne
faisons pas que remplir la tête de nos enfants d’un certain
nombre de données ; nous entrons en contact avec des
personnes qui éprouvent des sentiments, nourrissent des
pensées et font des choix. La meilleure façon d’enseigner
fait donc intervenir le dialogue entre parents et enfants.
Parfois, c’est le parent qui prend l’initiative : « Je voudrais
te dire ce que ma mère m’a appris ». À d’autres moments,
c’est l’enfant qui interroge : « Pourquoi l’ours hiberne-t-
il ? » Ce sont là deux éléments valables de tout enseigne-
ment. Notre défi consiste à rendre l’un et l’autre créatif et
original. Si le parent peut noter sur une fiche la maxime ou
le principe de vie que sa mère lui a appris et donner la fiche
à l’enfant en prenant un moment pour la commenter, l’en-
fant saisira mieux la valeur des propos de sa grand-mère.
Éventuellement, la fillette pourrait même accrocher cette
carte à côté de son miroir et apprendre cette maxime par
cœur. De cette façon, elle appliquera à sa propre vie les
conseils de sagesse de son aïeule.

Un enseignement qui fait partie de la vie


Dans le déroulement normal de nos journées, quand
trouverons-nous le temps de dispenser un enseignement
stimulant ? Difficile de faire mieux que les Hébreux :
ils instruisaient leurs enfants quand ils étaient assis à la
maison, quand ils voyageaient, préparaient les repas, au
moment d’aller au lit ou au réveil 1. L’enseignement ne se
limitait donc pas à des moments précis mis spécialement
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 87
à part dans la journée. Il faisait partie de la vie. On peut
enseigner chaque fois qu’on est ensemble dans la journée.
Karolyn et moi avons beaucoup étudié la vie des an-
ciennes familles juives et avons été fortement impression-
nés par la solidarité qui existait entre leurs membres. Nous
avons donc pris au sérieux ce modèle parental d’éduca-
tion. Dans notre culture contemporaine, pouvions-nous
enseigner nos enfants lorsque nous étions assis tous en-
semble à la maison, quand nous nous promenions, le soir
avant de nous coucher ou le matin dès notre lever ? Nous
avons découvert que ces quatre occasions d’enseignement
cadraient bien avec notre monde moderne, même s’ils exi-
geaient un effort soutenu de notre part.

Le matin
En préparant le petit-déjeuner pour toute la famille,
Karolyn rendait un service très apprécié ; elle ne pouvait
donc pas consacrer ce temps à enseigner les enfants (sauf
par son exemple de service dans l’amour). Je me chargeais
donc de ce rôle. Nous ne consacrions que peu de temps
à l’enseignement. À la fin du petit-déjeuner, je lisais un
bref passage de la Bible, nous échangions quelques idées
sur la leçon qui se dégageait du texte, je donnais l’occasion
aux enfants de poser quelques questions ou de faire des
remarques. Puis nous avions un petit moment de prière.
L’enseignement prenait rarement plus de cinq mi-
nutes. Je ne dirais pas que c’était le meilleur moment de la
journée pour enseigner, mais il nous donnait l’occasion de
nous retrouver tous ensemble autour d’une idée centrale.
Nous pouvions ensuite vaquer à nos différentes occupa-
tions avec le sentiment d’avoir commencé la journée en
tant que famille unie. Si l’esprit de famille est cultivé dès le
matin, il nourrit toute la journée la pensée qu’il existe une
famille où les membres se retrouvent. Et même si on ou-
I
88   Une famille qui s’aime

bliait le contenu de la leçon matinale, le simple fait d’avoir


été ensemble suffisait à rendre ces moments précieux.

Dans la maison
La famille moderne se retrouve-t-elle dans la mai-
son ? Certainement, lorsqu’elle regarde la télévision ou
pianote sur le clavier de l’ordinateur. Mais il est bien rare
que parents et enfants s’asseyent, les uns pour enseigner,
les autres pour apprendre. Nous sommes tous dans la
maison, souvent assis, mais nous ne nous parlons pas. Je
ne veux pas dire par là que la télévision ou l’ordinateur
ne sont pas des outils pédagogiques. Ils peuvent être très
utiles, à condition que les programmes soient bien choisis.
Autrement, ils risquent de communiquer des leçons que
les parents ne jugeraient pas sages. Si ces outils modernes
d’instruction ne sont pas utilisés par les parents pour en-
seigner de bonnes choses, ils risquent d’être des ennemis
de la pédagogie familiale et non ses alliés.
Dans notre famille, nous prenions le temps de nous
asseoir et de bavarder ; parents et enfants échangeaient
leurs idées, leurs sentiments et leurs expériences. Cela
se passait principalement au moment du repas du soir.
Il n’était pas rare que nous restions assis une heure après
le souper pour dialoguer. Au fur et à mesure que les en-
fants grandirent, ces moments s’allongèrent. Lorsqu’ils
rentraient de l’université, le week-end, nous arrivions à
bavarder pendant trois heures. Leurs amis que nous ac-
cueillions souvent avec eux étaient très surpris de voir
qu’une famille pouvait rester assise et discuter aussi long-
temps. Beaucoup de ces jeunes avaient grandi dans des fa-
milles dont les membres n’avaient jamais pris le temps de
s’asseoir ensemble pour dialoguer.
J’étais encore un jeune père, mais j’avais déjà été frap-
pé par la déclaration du Dr Graham Blaine, un professeur
de psychiatrie à l’université de Harvard. Il disait que le
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 89
grand problème avec la télévision n’était pas la pauvreté
de ses programmes, mais le fait qu’elle avait supprimé les
échanges entre les membres de la famille lors du souper.
Quand les gens sont pressés de regarder une émission té-
lévisée, ils mangent à toute vitesse. Ils ne prennent plus le
temps de se raconter leur journée, les petits détails comme
les grands sujets. Karolyn et moi avons perpétué la tradi-
tion des soupers familiaux et nous avons choisi ce moment
pour dispenser notre enseignement aux enfants.
Ceux-ci ne le percevaient pas comme un temps d’ins-
truction. C’était plutôt un temps de partage, de discus-
sion, d’écoute. Chacun faisait part des événements de la
journée, des sentiments qui les accompagnaient, des frus-
trations ressenties. C’était l’occasion de resserrer les liens
familiaux, de prouver que la famille s’intéressait à ce que
chacun de ses membres avait vécu durant la journée, aux
pensées qui avaient agité l’esprit, aux décisions qu’il fallait
prendre. Je dois reconnaître que lorsque nos enfants en-
trèrent dans l’adolescence, nous avons dû user d’habileté
et de fermeté pour maintenir cette bonne tradition. Il fal-
lut prendre le repas tantôt à quatre heures de l’après-midi,
tantôt à dix heures du soir ! Il fallait en effet tenir compte
des séances d’entraînement de basket, des répétitions de
théâtre, des leçons de piano. Mais le jeu en valait la chan-
delle, et nos enfants conservent un bon souvenir de ces
moments de partage.

En voyage
Quand Moïse donna ce conseil aux parents hébreux
de son temps, les gens se déplaçaient à pied : ils étaient
nomades. Aujourd’hui encore, ils sont constamment en
mouvement. Autrefois, ils allaient chasser, pêcher ou
cueillir des fruits sauvages ; aujourd’hui ils se rendent à
des réunions d’affaires aux quatre coins du monde. Seul
le moyen de transport a changé. À notre époque, c’est en
I
90   Une famille qui s’aime

voiture qu’on se rend à l’école, à l’église, au supermarché


ou au terrain de sport. Ces déplacements constituent d’ex-
cellentes occasions de dialogues entre parents et enfants.
Tout en n’étant pas formel et systématique, l’enseignement
n’en est pas moins important. C’est souvent en voyage que
les enfants posent les questions qui les préoccupent.
Parfois, ils cherchent une information. Mais souvent,
ils donnent libre cours à leur curiosité et harcèlent les pa-
rents de « pourquoi ? ». Les adultes peuvent donc saisir
cette opportunité pour souligner les choses auxquelles ils
accordent de la valeur, et en discuter avec leurs enfants.
Les parents qui n’ont pas établi un système de valeurs qui
leur est propre sont souvent embarrassés par les questions
de leurs petits, et finissent généralement par ne pas y ré-
pondre. En revanche, ceux qui ont des principes auxquels
ils tiennent sont parfois enclins à les imposer à leurs en-
fants et à se montrer dogmatiques et intransigeants. Or,
on transmet les valeurs à la génération montante plus fa-
cilement par l’exemple et le dialogue que par la contrainte.
Laissez vos enfants observer votre façon de vivre ; ils ver-
ront tout seuls ce qui a de l’importance pour vous. Laissez-
les vous interroger et donnez-leur des réponses honnêtes.
Ils auront ainsi l’occasion de s’approprier personnellement
vos valeurs. En fin de compte, en grandissant, l’enfant
pourra rejeter ou accepter vos principes de vie. L’essentiel
aura été le dialogue entretenu avec lui. Ces questions se
discutent le plus souvent dans le cadre informel de nos
déplacements habituels.

Au coucher
Dans toutes les cultures, les hommes, les femmes et
les enfants dorment. Et dans de nombreuses cultures, les
moments qui précèdent le coucher sont perçus comme
des instants privilégiés pour enseigner les enfants. Dans
le cadre de mes voyages anthropologiques, j’ai pu obser-
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 91
ver les Indiens Tzeltal au sud du Mexique et les Indiens
caraïbes sur l’île de la Dominique. J’ai vu des mères cajo-
ler leurs petits enfants devant un feu en plein air et leur
chanter des berceuses, une façon de leur transmettre des
leçons. J’ai vu des pères rassembler des jeunes enfants au-
tour du feu et leur raconter des histoires de leurs ancêtres.
Cela permettait aux petits de s’endormir en sécurité et de
rêver aux lointaines années passées. La vie dans le monde
contemporain, bien que très différente de celle des tribus
autour du feu, offre, elle aussi, d’excellentes occasions
d’instruire les petits.
Comme les enfants font tout pour retarder l’heure du
coucher, ils sont souvent prêts à écouter n’importe quelle
forme d’instruction. Les chants, les prières et les histoires
sont de merveilleux outils pédagogiques avant l’heure d’al-
ler au lit. Dans notre foyer, Jean fut témoin du rite suivant.
Karolyn ou moi, nous nous asseyions avec les deux enfants
sur le divan, la télé éteinte (la cheminée allumée en hiver),
et nous leur lisions une histoire d’un des nombreux livres
que nous avions fini par accumuler au fil du temps. L’his-
toire était toujours suivie de questions. Celles-ci avaient
parfois un rapport avec le récit lu, mais parfois, c’était une
question qui avait subitement traversé l’esprit de l’enfant,
et qui ne pouvait attendre. Nous avions fixé l’heure du
coucher, mais nous acceptions parfois de la repousser un
peu si nous estimions le moment favorable pour une leçon
importante.
Puis, c’était le dernier petit tour dans la salle de bain,
le dernier verre d’eau avant de se glisser sous les couver-
tures. Lorsque les enfants étaient au lit, nous faisions une
prière. Les enfants ne se couchaient pas à la même heure.
Derek, le plus jeune, se couchait en premier ; Shelley, plus
âgée, allait au lit un quart d’heure plus tard. Cela nous
permettait de prier séparément avec chaque enfant. Les
petits priaient pour Zachée, le chien, pour l’instituteur et
I
92   Une famille qui s’aime

l’institutrice, et pour bien d’autres sujets qui leur venaient


à l’esprit. Shelley ne manquait jamais de prier pour le Dr
Al Hood, un médecin missionnaire en Thaïlande. Au-
jourd’hui médecin elle-même, elle reconnaît que son in-
térêt et ses prières pour le docteur Hood ont façonné son
propre désir de devenir médecin. Assurément, l’heure du
coucher est un merveilleux moment où les parents peu-
vent communiquer de précieuses leçons à leurs enfants.
Chaque fois que les parents et les enfants se retrou-
vent, c’est une occasion à saisir pour enseigner. Une pé-
dagogie innovante met à profit les moments informels,
lorsque les parents et les enfants sont réunis, pour parta-
ger des idées, faire connaître des sentiments, évoquer des
souvenirs, bref pour exprimer tout ce que le parent consi-
dère comme important ou ce qui suscite l’intérêt de l’en-
fant. C’est au parent qu’il appartient de conduire l’enfant
dans la magie du dialogue.

Encourager avec créativité


C’est le deuxième volet d’une pédagogie créative. Le
verbe « encourager » signifie : insuffler du courage. C’est
un état d’esprit qui permet à l’enfant d’explorer ses possi-
bilités, de prendre des risques, d’accomplir ce que d’autres
estiment impossible. La façon dont les parents éduquent
leurs enfants a une grande influence sur eux, car la pé-
dagogie parentale peut les encourager ou les décourager.
Dans les familles saines, les parents trouvent le moyen
d’encourager fréquemment les enfants par leurs paroles.
En tant que parents, nous ne devons pas attendre que
l’enfant agisse à la perfection avant de lui adresser des pa-
roles d’encouragement. Des parents craignent qu’en l’en-
courageant pour un travail qu’ils jugent médiocre, il ne
fasse jamais l’effort d’élever le niveau de son travail. C’est
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 93
plutôt l’inverse ! Si vous n’encouragez pas ses efforts im-
parfaits, l’enfant n’atteindra jamais son plein potentiel.
Apprenons à dire des mots d’encouragement pour les
efforts de l’enfant, et non pour ses résultats. C’est d’ailleurs
ce que nous faisons de façon naturelle quand les enfants
sont petits. Rappelez-vous la première fois que votre petit a
commencé à marcher ! Il prenait appui sur le divan, et vous
étiez à deux pas de lui. Vous lui disiez : « C’est bien ! Vas-y !
Viens vers moi. Essaie. Avance. Tu y arriveras ». Le bambin
a fait un pas vers vous, et il est tombé. Que lui avez-vous
alors dit ? Certainement pas : « Espèce de nigaud ! Tu ne
sais même pas mettre un pied devant l’autre ! » Vous avez
plutôt applaudi son exploit en disant : « C’est très bien,
mon lapin. La prochaine fois, ça ira encore mieux ». Au
bout de quelques jours, l’enfant s’est mis à gambader dans
toute la maison.
C’est votre encouragement pour les efforts déployés
qui lui a donné le courage de recommencer. Combien il
est regrettable que nous ne pratiquions plus cette péda-
gogie positive lorsque l’enfant grandit ! Nous entrons dans
la chambre de Marie et constatons que douze jouets sont
étalés par terre. Nous demandons calmement à la fillette
de les ramasser et de les ranger dans leurs boîtes. Nous
revenons cinq minutes plus tard et remarquons que sept
jouets ont été remis dans leurs boîtes. Cinq sont donc
encore éparpillés sur le sol de la chambre. Nous avons
alors le choix entre deux attitudes. Nous pouvons faire
des reproches à l’enfant : « Marie, je t’avais dit de ranger
tes jouets. Faut-il que j’en vienne à la fessée ? » Nous avons
aussi la possibilité d’adopter un autre comportement :
« C’est formidable ! Tu as déjà rangé sept jouets ! Je suis
certain qu’en un rien de temps, les cinq autres se retrouve-
ront eux aussi dans leurs boîtes respectives ». Des paroles
d’encouragement inciteront l’enfant à faire des efforts ; les
reproches auront un effet contraire.
I
94   Une famille qui s’aime

Il y a quelques années, je rendis visite à un garçon de


treize ans qui était hospitalisé pour un ulcère à l’estomac.
Pour savoir quelle était la dynamique émotionnelle de sa
vie, je lui demandai :
— Comment ça se passe avec ton père ?
— Pas très bien.
— Peux-tu me donner des exemples ?
— Si je rentre à la maison avec un Bien sur mon bulle-
tin scolaire, mon père me dit : « Tu aurais dû avoir un Très
bien. Tu es tout de même plus intelligent que cela ». Si je
reviens d’un match de football en ayant marqué un but, il
me dit : « Tu aurais dû en marquer deux ». Quand j’ai ton-
du le gazon, mon père inspecte mon travail et trouve tou-
jours à redire : « Tu as oublié de passer la tondeuse sous les
buissons. N’as-tu pas vu les touffes d’herbe en dessous ? »
Monsieur Chapman, chaque fois que je fais quelque chose,
ce n’est jamais assez bien.
Je connais le père de ce garçon. On peut dire que
c’est un bon père. Je comprends pourquoi il agissait ainsi
vis-à-vis de son fils. En somme, il voulait lui faire com-
prendre ceci : « Lorsque tu joues au foot, donne-toi à fond.
À l’école, fais le maximum. Quand tu fais un travail, fais-
le aussi bien que possible ». Il se rappelait sans doute les
paroles de son propre père : « Une tâche qui mérite d’être
faite, doit l’être à la perfection ». Ce père incitait son fils à
l’excellence dans tous les domaines de la vie. Or, que per-
cevait le garçon ? « Ce n’est jamais assez bien. » Les paroles
bien intentionnées du père étaient une source de décou-
ragement pour l’enfant et causaient un profond désarroi
émotionnel en lui.
Ce n’est pas le jour où l’enfant rentre de l’école avec un
Bien qu’il faut lui faire comprendre qu’il vaudrait mieux
revenir avec un Très bien. Ce jour-là, il faut le féliciter pour
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 95
son Bien. Quelques jours plus tard, une fois le bulletin
ramené à l’école, le parent pourra dire : « Matthieu, tu as
obtenu de bons résultats scolaires. Et si tu essayais de re-
venir avec un Très bien au prochain trimestre ? » Vos féli-
citations pour ses efforts passés l’encourageront à tenter
de faire mieux à l’avenir. Ce n’est pas le jour où l’enfant
revient du match qu’il a disputé en ayant marqué un but,
après avoir raté d’autres occasions, qu’il faut lui reprocher
ses maladresses. Il faut d’abord l’encourager pour le po-
sitif accompli. Quelques jours plus tard, le papa pourra
prendre le garçon à part et lui montrer avec tact et dou-
ceur les erreurs commises au cours du match. Ce n’est pas
lorsque l’enfant a fini de tondre le gazon qu’il faut lui faire
remarquer sous les buissons les quelques touffes d’herbe
qui n’ont pas été tondues. Ce jour-là, il convient plutôt de
lui dire : « Sébastien, tu as fait du bon boulot ! La pelouse a
tout de même meilleure mine maintenant que tu as passé
la tondeuse ! » La semaine suivante, au moment où l’en-
fant s’apprête à tondre de nouveau le gazon, le père pourra
lui dire : « Sébastien, vois-tu l’herbe sous les buissons ?
C’est difficile d’y accéder. Tu devras te baisser et passer
plusieurs fois la tondeuse, mais je suis sûr que tu y arrive-
ras ». Je vous garantis que l’enfant veillera à ce qu’il ne reste
plus d’endroit où la tondeuse ne sera pas passée. Les en-
fants sont sensibles aux paroles d’encouragement. Elles les
poussent à faire mieux. Dans une famille saine, les paroles
d’encouragement font partie de la vie.
Lors d’un récent déménagement, en fouillant dans
de vieilles boîtes, je découvris la lettre suivante que j’avais
écrite à mon fils Derek, revenu dépité d’une piètre presta-
tion lors d’un match de basket.
Cher Derek,
Je sais que tu es rentré très déçu de ton match hier
soir. Je te comprends. Car chaque fois que nous
restons en deçà de notre niveau habituel, nous
I
96   Une famille qui s’aime

sommes découragés. Il est toujours dur d’assumer un


échec. Je le sais parce que je l’ai vécu moi-même.
Ce matin, j’ai réfléchi à quelques personnages bibliques
qui, eux aussi, ont connu des déceptions.
1. Ce fut le cas de Joseph lorsque ses frères le
vendirent pour être esclave.
2. Ce fut encore son cas, lorsque la femme de Potiphar
l’accusa faussement.
3. Je pense encore à Abraham qui mentit en déclarant
que sa femme était sa sœur.
4. Et que dire de ce que ressentit Pierre après qu’il
eut nié connaître Christ ? Ils ont tous dû éprouver une
amère déception à la suite de leurs manquements ou
de leur sort injuste. Mais tous sont devenus de grands
serviteurs de Dieu.
Je sais que tu n’es pas de ceux qui renoncent
facilement. Je sais que tu rebondiras et que tu
donneras le meilleur de toi-même. Sache cependant
que je comprends ton découragement.
Je t’aime très fort et suis fier de toi, quelle que soit ta
façon de jouer. Tu as du tempérament, et c’est ce qui
compte, aussi bien au basket que dans la vie !
Ton père qui t’aime…

Qu’elles soient orales ou écrites, les paroles d’encou-


ragement continuent de vivre dans l’esprit des enfants
longtemps après que les parents les ont oubliées.

Corriger avec créativité


Dans une famille qui s’aime, les parents n’hésitent pas
à corriger si nécessaire. Mais il importe que la correction
soit donnée dans un but positif et de manière créative.
Rappelons-nous que notre objectif est d’enseigner dans
le but de stimuler l’appétit de l’enfant. Nous voulons lui
communiquer le goût d’un comportement positif. La cor-
rection comporte deux volets : un volet négatif et un vo-
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 97
let positif. Examinons d’abord la correction donnée sous
l’angle positif.
Assurons-nous d’abord de ne pas corriger un compor-
tement qui n’a pas besoin de l’être. Dans notre pédagogie,
il nous arrive parfois de freiner la créativité au profit de la
conformité. Est créatif celui qui a le merveilleux don de
sortir des sentiers battus. La créativité nous permet de dé-
velopper en nous ce qu’il y a d’unique. Elle fait que nous
sommes comme des flocons de neige, tous différents, plu-
tôt que comme des gouttes d’eau, toutes semblables.
Jordan dessinait des fleurs avec un visage.
— Les fleurs n’ont pas de visage, lui dit l’instituteur.
— Les miennes si, répondit l’enfant.
Cet enfant était créatif. S’il suit les conseils de son ins-
tituteur, ses fleurs finiront par ressembler aux fleurs de
n’importe qui. Dans une famille saine, nous ne cherchons
à corriger que les comportements qui sont destructeurs et
nuisibles pour le développement de l’enfant. En aucun cas,
nous ne devons corriger ses élans uniques de créativité.
Les parents feraient bien de se poser la question : « Le
comportement que je suis sur le point de corriger chez
mon enfant est-il nuisible ? Compromet-il son avenir si je
n’agis pas ? » Si la réponse est affirmative, la correction est
justifiée et de mise. Si vous n’êtes pas sûr de la réponse,
ou si elle est négative, vous devez étudier plus à fond le
comportement de l’enfant. Trouvez une occasion pour
encourager le développement de la créativité et de l’ima-
gination. Ainsi, l’instituteur aurait pu demander à Jordan
qui dessinait des fleurs avec un visage d’expliquer ce que
la fleur signifiait. L’imagination de l’élève lui aurait alors
probablement permis d’exprimer un message qui en disait
long sur ses pensées et ses sentiments, et aurait donné à
l’enseignant des renseignements précieux sur ce qui se
I
98   Une famille qui s’aime

passait dans l’esprit de l’enfant. Les parents sages ont ap-


pris que le fait de poser des questions avant de corriger
était une bonne précaution.
Une fois assurés que la correction est indispensable,
nous devons corriger par amour, et non sous l’effet d’une
colère incontrôlée. L’amour vise le bien-être de l’enfant et
démontre que la correction dispensée est pour son bien
durable. Les manifestations de colère incontrôlée ne sont
que l’expression de notre propre frustration, et peuvent
être très préjudiciables à l’enfant. Je ne dis pas que les
parents ne doivent jamais éprouver de colère vis-à-vis de
leurs enfants ; ce serait manquer de réalisme. L’irritation
est un sentiment qui naît en nous lorsque nous consta-
tons que l’enfant a mal agi, par exemple lorsqu’il refuse
de suivre nos recommandations ou qu’il interprète notre
« non » ferme comme un « peut-être » qui pourrait même
se transformer en « oui » s’il supplie suffisamment long-
temps.
La colère est une émotion tout à fait normale et sou-
vent saine. Son but est de nous pousser à prendre des me-
sures constructives. Malheureusement, les parents ne sa-
vent pas toujours la gérer, et ils finissent par prononcer
des paroles et adopter des attitudes qui sont destructrices.
Si vous êtes irrité contre votre enfant et croyez qu’il mé-
rite une correction, vous feriez mieux de repousser votre
réaction initiale, de prendre le temps de vous calmer et de
réprimander correctement l’enfant par des paroles appro-
priées et par des sanctions si nécessaire.
Par amour, il convient de se poser la question primor-
diale : « La correction que je m’apprête à infliger concourt-
elle au bien de mon enfant (ou de la famille, ou de la
communauté) ? » C’est cette réalité que l’enfant doit sai-
sir lorsque nous le corrigeons. « Je t’aime énormément. Et
j’ai le souci de te voir devenir un adulte responsable. C’est
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 99
pourquoi je ne veux plus te voir faire du vélo sans porter
un casque de protection. Tu m’as compris ? » Si, après cette
mise en garde sérieuse et affectueuse, vous tendez à l’en-
fant une coupure de journal montrant un adolescent qui
s’est tué en tombant de sa bicyclette, vous l’aurez certaine-
ment convaincu à jamais de porter un casque.
La correction doit aussi chercher à expliquer. Les pa-
roles cinglantes ne corrigent généralement pas le com-
portement. Elles incitent plutôt l’enfant à se replier sur
lui-même. C’est pourquoi, dès que l’enfant est en âge de
comprendre, nous devons nous efforcer de lui expliquer
en quoi son comportement est mauvais, et lui donner
des instructions claires pour l’avenir. Notre but n’est pas
de l’humilier en le traitant de tous les noms, mais de le
corriger et le redresser pour qu’il devienne un adulte qui
se conduit bien et de façon responsable. Le fait de traiter
un enfant d’« idiot » en dit plus sur l’intelligence du parent
que sur celle de l’enfant ! Aucun parent sensé ne veut com-
muniquer une telle idée à son petit. Cela ne signifie pas
que si nous nous sommes abaissés jusqu’à traiter notre en-
fant de toutes sortes de noms injurieux, nous soyons à tout
jamais catalogués comme des parents indignes. Mais nous
devons impérativement confesser notre faute à l’intéressé :
« Je suis désolé, je me suis laissé emporter, je n’aurais ja-
mais dû te traiter d’idiot, car ce n’est pas vrai. Tu es très in-
telligent. C’est moi qui ai manqué de sagesse en utilisant ce
mot. J’étais en colère et je ne me suis pas maîtrisé avant de
te parler. Je te demande de me pardonner. J’aimerais pou-
voir t’aider à prendre des décisions de plus en plus sages et
de mon côté, je veux essayer de devenir un meilleur père
pour toi ». Ce sont là effectivement les propos d’un père
sage. Les enfants sont prêts à pardonner les manquements
des parents qui reconnaissent leurs faux pas.
Voici le troisième principe inhérent à une correction
créative : elle ne doit concerner que le litige présent, et ne
I
100   Une famille qui s’aime

pas ramener à la surface les erreurs passées. En étalant


devant l’enfant toutes ses fautes passées avant d’abor-
der ce qu’il vient de mal faire, vous lui communiquez le
sentiment qu’il est vraiment un raté. Combien de fois le
savant Edison a-t-il échoué avant d’inventer l’ampoule
électrique ? Pourtant, il ne vient à l’idée de personne de
considérer Edison comme un raté, même si ses échecs
furent plus nombreux que ses réussites ! Votre enfant est
peut-être un savant en herbe. Ne le découragez pas en lui
rappelant constamment ses erreurs passées.
À l’intention des parents qui ont tendance à être per-
fectionnistes, j’ajoute cette mise en garde : s’il vous plaît,
n’attendez pas la perfection de vos enfants ! Une machine
peut fonctionner parfaitement, à condition que l’on res-
pecte tous ses paramètres de fonctionnement, mais votre
enfant n’est pas une machine. C’est un être humain, et à
ce titre, il est capable du meilleur comme du pire. Les pa-
rents ont pour mission d’aider l’enfant à éviter les pièges
et les chutes pour atteindre son plein potentiel et tirer
le meilleur de lui-même. Nous y parvenons le mieux en
n’exigeant pas de lui la perfection, mais en l’encourageant
systématiquement à progresser et en le corrigeant chaque
fois que c’est nécessaire.
Encourager l’enfant à recommencer est beaucoup
plus efficace que de lui dire : « Tu as échoué une fois de
plus ! Pourquoi ne renonces-tu pas ? » ou : « Laisse-moi le
faire à ta place ». En accomplissant les choses difficiles à la
place de leur enfant, les parents font de lui un être passif,
craintif et résigné. Ils tuent l’esprit d’initiative de l’enfant
et sapent son désir d’apprendre. Rappelons-nous que, en
tant que parents, nous ne cherchons pas avant tout à ce
que la tâche soit accomplie ; notre objectif est de stimuler
l’appétit de l’enfant afin qu’il découvre la joie d’apprendre
et qu’il puisse ainsi devenir un adulte efficace et productif.
Chapitre 6 : le défi, enseigner de manière créative  I 101
Si l’enfant est enclin au découragement à la suite
d’échecs répétés, ou s’il prend trop à cœur les critiques
qui lui sont adressées, les parents ont tout intérêt à lui
offrir la biographie de personnages qui ont surmonté de
nombreux obstacles avant de connaître le succès. C’est le
cas d’Edison, d’Helen Keller, de Bernard Palissy, de Louis
Braille, entre autres. L’échec peut être notre allié. Chaque
échec nous pousse à tenter une autre voie. Et avec des
idées nouvelles, nous nous rapprochons de la vérité. Grâce
à ces biographies, le sentiment d’échec de l’enfant peut se
transformer de façon positive.
Il vaut la peine de prendre régulièrement le temps
d’évaluer notre pédagogie disciplinaire à l’égard de nos en-
fants. Je vous invite à marquer une pose dans votre lecture
pour y consacrer quelques instants.

Valoriser avec créativité


Le quatrième aspect d’une pédagogie créative consiste
à valoriser l’enfant d’une façon qui encourage sa créativité.
Il faut distinguer les paroles d’encouragement des paroles
valorisantes ; les premières concernent ce que l’enfant fait,
les secondes s’appliquent à ce qu’il est. « Je t’aime. Tu es re-
marquable. Tu as une chevelure splendide. Tu as le regard
vif. Tu es grand et charmant. Tu es fort ». Ce sont là des
paroles qui valorisent l’enfant. Dans les familles saines, les
parents cherchent à donner à l’enfant une bonne estime de
lui-même en soulignant les aspects positifs de sa person-
nalité, de son corps et de son esprit. Valoriser, c’est insister
sur le positif. Il ne s’agit pas de passer sous silence les cô-
tés négatifs de sa personne, mais nous les faisons passer
au second plan, pour mettre en avant les côtés positifs, de
manière à compenser les messages négatifs qu’il entendra
de la part de ses pairs ou de son introspection.
I
102   Une famille qui s’aime

Les enfants d’aujourd’hui se comparent volontiers


aux athlètes et aux personnages photogéniques présents
partout dans les médias. En les prenant pour modèles, la
plupart des enfants se sentent inférieurs. Il est donc du
devoir des parents d’aider l’enfant à cultiver une opinion
saine et positive de lui-même dans un monde qui exalte
les prouesses sportives, artistiques, intellectuelles et laisse
les gens ordinaires s’embourber dans un sentiment per-
manent d’infériorité. En tant que parents, nous devons
compenser ce déséquilibre.
Une maman demanda à son fils de huit ans : « De
toutes les paroles que je te dis, laquelle aimes-tu entendre
le plus ? »
— C’est quand tu me dis que je suis fort, répondit-il
avec un large sourire éclairant son visage.
Au cours de cette brève conversation, une mère dé-
couvrit la puissance des paroles valorisantes. Les parents
qui tiennent à développer chez leurs enfants un esprit
imaginatif s’efforceront de souligner leur valeur par des
propos valorisants.
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 103

C H A P I T R E  7
Le défi : enseigner
de manière cohérente

Dans mes études d’anthropologie, je n’ai jamais vu


une seule culture dans laquelle les parents ne sont pas
censés fournir des directives pratiques à leurs enfants. La
réalité biologique est telle que le petit de l’homme naît
pratiquement sans ressources. Livré à lui-même, le bébé
mourrait très vite. Il reçoit ses premiers soins de sa ma-
man qui le prend tendrement dans ses bras pour l’allaiter.
De nombreuses études et recherches ont montré que les
nourrissons qui sont pris dans les bras et bercés acquiè-
rent un sentiment de sécurité plus vite que ceux qui ne
I
104   Une famille qui s’aime

bénéficient pas de contacts physiques aussi fréquents avec


leurs mères. Les parents guident donc l’enfant dès ses pre-
mières heures de vie, et dans notre société, ils continue-
ront de le faire au moins pendant dix-huit ans.
Nous disposons donc de dix-huit années pour
conduire l’enfant d’une dépendance totale vers une in-
dépendance relative. Dans les familles qui fonctionnent
bien, les parents reconnaissent et acceptent cette respon-
sabilité. Cet apprentissage de la vie nécessite générale-
ment plus de temps que l’enseignement théorique. Il faut
moins de temps pour dire à un enfant comment réaliser
une chose que pour lui montrer comment faire, observer
ses gestes et lui donner des conseils utiles pour améliorer
son travail.
Cet apprentissage ne se limite pas à montrer à l’enfant
comment lire, écrire, nager, ou monter à bicyclette ; c’est
aussi lui apprendre comment réagir à des émotions comme
la peur, la colère et la déception. C’est forger son caractère
en lui inculquant les valeurs d’honnêteté, de travail et de
courage. Si ce rôle est très astreignant pour les parents,
il est aussi très gratifiant. La récompense se trouve dans
la qualité de la vie que l’enfant mène ; en outre, les bien-
faits de cet apprentissage rejailliront positivement sur la
société. Comme le Dr Karl Menninger le dit un jour : « Ce
que l’on donne aux enfants, ils le redonneront à la socié-
té ». L’instruction au sens large dispensée à nos enfants est
une tâche noble. Comment nous acquitter efficacement
de cette responsabilité ?

Apprendre en regardant les parents vivre


Commençons par le commencement. Nos enfants
s’inspirent avant tout du modèle que nous leur offrons. Ils
observent notre façon d’agir et de vivre. Si ce que nous di-
sons n’est pas en accord avec ce que nous faisons, ils sont
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 105
les premiers à s’en rendre compte et ils ne se privent gé-
néralement pas de nous le reprocher. Quelqu’un a dit que
jusqu’à l’âge de quinze ans, le garçon fait ce que son père
dit ; ensuite, il fait ce que son père fait. Pour la plupart des
parents, c’est là une pensée effrayante et merveilleuse à
la fois. C’est effrayant de penser à quel point nous avons
de l’influence sur nos enfants ; c’est encourageant de se
rendre compte qu’en dépit de tout ce que nous savons et
ignorons quant à notre rôle de parent, il nous suffit de me-
ner une vie qui mérite d’être imitée pour entraîner effica-
cement nos enfants dans une direction positive. Abraham
Lincoln dit un jour : « Aucun homme n’est pauvre, s’il a eu
une mère pieuse ». Ce que nous sommes parle très fort à
nos enfants et constitue peut-être la méthode la plus effi-
cace pour les instruire.
Permettez-moi d’évoquer un exemple personnel.
Pendant toute ma petite enfance, mon père faisait partie
de l’équipe de nuit dans une usine textile. Il commençait
son travail à onze heures du soir et le terminait à sept
heures du matin. Quand je me préparais à aller à l’école,
lui se préparait à aller au lit. Mais avant de se coucher, il
consacrait régulièrement un moment à la prière. Il s’age-
nouillait au pied de son lit ou dans la salle de bain. Il avait
pris l’habitude de prier à haute voix. Il ne criait pas, mais
parlait d’une voix normale et audible. En sortant de ma
chambre pour me rendre à la cuisine, je l’entendais sou-
vent prier. Parfois je l’entendais prier pour moi. Je savais
que la prière était un exercice qui comptait beaucoup pour
lui ; elle devint importante aussi pour moi. Elle prit même
tellement d’importance que mes études d’anthropologie,
de philosophie et d’histoire, qui ne me laissaient que très
peu de temps libre ne réussirent pas à me faire perdre l’ha-
bitude de prier, héritée de mon père.
Je ne veux cependant pas laisser croire que nos en-
fants suivront systématiquement notre modèle toute leur
I
106   Une famille qui s’aime

vie. Le déterminisme ne s’accorde pas avec la liberté hu-


maine. Je dis simplement que notre modèle exercera une
grande influence sur le comportement de nos enfants au
point qu’ils ne l’oublieront jamais. La question la plus sé-
rieuse qui a jamais traversé mon esprit est celle-ci : « Et si
mes enfants me ressemblaient ? » Cette préoccupation m’a
souvent facilité la prise de décisions morales difficiles. Je
ne prétends pas encore y être arrivé, mais mon but est de
vivre de telle manière que je ne serais pas gêné si mes en-
fants prenaient les mêmes décisions que moi.
Il ne faudrait cependant pas croire que les enfants ne
peuvent rien apprendre d’un mauvais exemple. Permet-
tez-moi d’évoquer une fois encore un cas personnel. Mon
grand-père était alcoolique. Lui aussi travaillait dans une
usine textile, mais après plusieurs années d’ancienneté,
il fut intégré dans la première équipe, qui travaillait de
sept heures du matin à trois heures de l’après-midi. Dans
mes souvenirs d’enfant de dix ans, mon grand-père ne tra-
vaillait que pour le week-end et que pour la boisson. Tous
les vendredis après-midi, il parcourait le petit kilomètre
jusqu’à Goat Turners, le lieu de rendez-vous des hommes
de son âge. Là il buvait jusque tard dans la nuit, puis il
essayait de retrouver le chemin de la maison.
Il arrivait souvent qu’une personne du voisinage
vienne frapper à notre porte et appelle mon père, pour lui
dire que son père était tombé dans le fossé et avait besoin
d’aide. À plusieurs reprises, j’accompagnai mon père pour
l’aider à tirer grand-père hors du fossé, à le porter sur nos
épaules jusqu’à la maison, lui faire prendre un bain et le
mettre au lit. Devenu adolescent, je perdis toute envie de
consommer de l’alcool. Jamais je n’ai été tenté de boire.
Maintenant que je suis un adulte plus âgé, je reconnais
que ma décision m’a permis d’économiser une somme co-
lossale au fil des ans et qu’elle a sauvegardé ma vie. Je le
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 107
dois à mon grand-père. Son exemple fut convainquant, et
j’en saisis rapidement le message.
Vous qui avez grandi dans un foyer où vos parents ne
vous ont pas laissé un bon exemple, vous qui avez appris
par un article ou l’autre que les enfants d’alcooliques ont
plus de chance de devenir alcooliques à leur tour, que les
enfants de parents abusifs sont davantage menacés de
devenir à leur tour des parents abusifs, prenez courage.
La liberté individuelle personnelle est quelque chose de
bien réel. Même si vous êtes psychologiquement et phy-
siquement plus enclins à copier le comportement de vos
parents, ce n’est pas une fatalité et vous n’êtes pas obligés
d’adopter le même style de vie destructeur qu’eux. Votre
décision de suivre une autre voie, l’encouragement de vos
amis et l’aide de Dieu peuvent vous influencer dans une
direction opposée. Bien qu’issu d’une famille à problèmes,
vous pouvez devenir un parent tout à fait normal et exem-
plaire. L’une des caractéristiques essentielles de l’être hu-
main est sa capacité de changer sa façon de vivre.
Notre décision de changer d’orientation de vie devient
un exemple pour nos enfants. Je me souviens du jour où
mon père décida d’arrêter de fumer. Nous étions en train
de repeindre une pièce ensemble. Sa toux sèche était de-
venue un vrai supplice. Il était sur l’échelle et mit sa main
dans la poche pour en extraire une cigarette. Mais au lieu
de la porter à ses lèvres et de l’allumer, il la brisa et la jeta
par terre. Il sortit le paquet encore à moitié plein, l’écrasa
entre ses doigts, et le jeta en disant : « J’en ai assez de ces ci-
garettes. J’arrête de fumer ». Effectivement, il ne fuma plus
jamais. Je l’ai toujours admiré d’avoir pris cette décision. Il
me montra ainsi que l’être humain détient un réel pouvoir
de liberté pour choisir une voie meilleure ; son exemple
m’a fortement marqué.
I
108   Une famille qui s’aime

Apprendre en regardant les parents faire


Il n’avait que six ans (je le sais parce qu’il me l’a dit),
avec des cheveux blonds et des yeux bleus, et il avait l’air
assez excité. Selon toute vraisemblance, son père appro-
chait de la trentaine ou l’avait atteinte depuis peu. Ils
étaient seuls au bord du lac avant mon arrivée. Ils ne me
connaissaient pas et moi je ne les connaissais pas non plus.
Mais Antoine, le petit garçon de six ans, était pressé de me
montrer le poisson qu’il avait attrapé et de me dire que son
père était en train de lui apprendre à pêcher. L’adulte sou-
rit légèrement ; après m’être extasié devant la prise d’An-
toine, je fis le tour du lac. J’avais eu le privilège d’assister à
une leçon de choses donnée par un père.
On peut apprendre à pêcher à un fils en restant as-
sis dans le salon, mais il est infiniment plus profitable et
plus efficace d’aller avec lui au bord d’un étang et lui mon-
trer concrètement comment faire. Les équipes de football
passent des vidéos pour connaître la stratégie de l’équipe
adverse, mais le vrai jeu s’apprend sur le terrain. C’est en
regardant les parents faire le lit ou la vaisselle, laver le sol
ou la voiture que l’enfant apprend le mieux.
L’éducation que les parents dispensent à l’enfant d’âge
préscolaire se fait essentiellement en lui montrant com-
ment faire. Nous lui apprenons à compter les billes ou les
pommes en touchant ces objets et en disant à voix haute :
« Une, deux, trois… » Il ne faut pas longtemps avant que
le petit touche lui-même ces objets en comptant : « Une,
deux, trois… » À l’époque de la naissance de notre fille,
la tendance voulait que l’enfant sache lire avant d’aller à
l’école. Karolyn prépara donc des fiches sur lesquelles elle
écrivit les mots orteil, genou, nez, main, porte, pomme,
orange, etc. Plusieurs fois par jour, Shelley allait chercher
ces cartes et voulait « lire ». En peu de temps, elle finit
par reconnaître ces mots qu’elle retrouvait dans les livres
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 109
d’histoire que nous lui lisions le soir, si bien que lorsqu’elle
entra à l’école primaire, elle savait déjà lire. Karolyn le lui
avait appris en lui montrant concrètement comment.
Dans presque toutes les cultures, ce sont les parents
qui enseignent aux enfants les aptitudes vitales fonda-
mentales. Ils leur apprennent comment chasser le gibier,
planter et cueillir les baies.

Enseigner en associant action et parole


E. V. Hill, un pasteur noir d’une importante église
dans les environs de Los Angeles, raconta un jour ce qui
lui était arrivé lorsqu’il était encore un jeune adolescent.
Un soir, il rentra ivre à la maison. En pénétrant dans sa
chambre, il vomit par terre, se jeta sur son lit et s’endor-
mit profondément. Sa mère, qui avait vu toute la scène,
le laissa dormir. Mais le matin, à l’heure habituelle, elle le
réveilla et lui dit :
— Lève-toi. Nettoie le sol de ta chambre, lave-toi et
habille-toi. Toi et moi, nous partons en voyage.
— Mais je ne veux pas partir !
— Je ne te demande pas si tu veux ou non. J’ai dit
que nous partons. Mais auparavant, tu dois remettre ta
chambre en état et te faire propre.
L’adolescent obéit et il fut à l’heure pour partir en
voyage avec sa mère. Vers la fin de la matinée, sa mère et lui
prirent le métro pour une destination qui lui était incon-
nue. En sortant du métro, il se retrouva dans un des quar-
tiers mal famés de la ville. Sa mère y venait deux soirs par
semaine faire la cuisine pour une organisation en faveur
des sans-abri. Beaucoup de gens du quartier la connais-
saient donc bien. Tandis qu’elle et son fils marchaient sur
le trottoir, les gens la saluaient :
— Bonne après-midi, Mama Hill.
I
110   Une famille qui s’aime

Un homme lui demanda :


— Pourquoi êtes-vous si tôt aujourd’hui ?
— Aujourd’hui je suis venue avec mon fils. Il s’est mis
récemment à boire et a décidé qu’un jour il vivrait ici. Je
tenais donc à ce qu’il voie ce coin de la ville pendant qu’il
fait encore jour.
Le pasteur Hill ajouta :
— Ce fut la dernière fois que je bus une goutte d’al-
cool.
Sa mère avait adopté une pédagogie efficace en joi-
gnant l’action à la parole. Un grand discours sur les méfaits
de l’alcool n’aurait certainement pas eu les mêmes effets.
Que nous corrigions le comportement que nous
croyons néfaste pour l’enfant, que nous lui enseignions
l’histoire ou la morale, les actions associées aux paroles
sont toujours plus efficaces que les paroles seules. Imagi-
nons par exemple que vous appreniez à l’enfant l’histoire
de son pays et que vous voudriez qu’il connaisse ses racines
spirituelles. Vous pouvez lui donner un cours d’histoire ou
lui faire lire des livres d’histoire. Mais les leçons ne se grave-
raient-elles pas mieux dans son esprit si vous vous rendiez
à Aigues-Mortes pour visiter la Tour de Constance où Marie
Durand passa trente-huit années de sa vie à cause de sa foi
et où elle grava les mots « résister » ; ou bien les catacombes
où se réunissaient les premiers chrétiens, ou le monument
dressé à Genève, à la mémoire des réformateurs ?
Et pour lui enseigner les horreurs de la guerre, ne
vaudrait-il pas mieux le conduire dans les rues désertes
d’Oradour-sur-Glane, ou au Struthof voir les restes d’un
camp de concentration ? L’enfant oubliera peut-être les
paroles que vous aurez prononcées ou les textes qu’il aura
lus, mais ce qu’il aura vu ne s’effacera pas de sitôt de sa
mémoire.
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 111
La combinaison des actions et des paroles est extrê-
mement efficace dans ce processus de formation de l’en-
fant. C’est vrai pour acquérir des aptitudes, mais aussi
pour forger son caractère. Même en l’absence de tout ob-
jectif éducatif précis, le fait d’entreprendre quelque chose
avec l’enfant lui apprend la valeur des relations humaines.
Dans toute famille qui fonctionne normalement, parents
et enfants ont des activités communes. Celles-ci visent
parfois un but éducatif, mais à d’autres moments elles ne
visent que le plaisir, ce qui ne les empêche pas d’enseigner
quelque chose aux enfants. Nous leur présentons dans ces
moments-là un modèle d’éducation parentale qui sou-
ligne le fait que parents et enfants constituent ensemble
une famille. Une famille qui entreprend des actions com-
munes.
Ce sera un réel défi pour vous que de faire preuve de
créativité pour transformer les moments passés ensemble
en occasions d’apprentissage, mais la récompense en vaut
la peine. Si vous faites preuve d’imagination, les choses
les plus banales et insignifiantes peuvent devenir des ex-
périences agréables d’apprentissage. Une famille me ra-
conta que lorsque venait le moment de faire le nettoyage
de printemps, chacun des membres s’imaginait être un
employé d’une société de nettoyage professionnel appelé
à nettoyer la maison de quelqu’un d’autre. Ils s’organi-
saient en conséquence et se répartissaient les tâches. Un
chef (généralement un parent, mais cela pouvait aussi être
un adolescent plus âgé) veillait à ce que le travail soit cor-
rectement accompli. À un moment donné, les « ouvriers »
marquaient une pause pour que chacun puisse savourer
un biscuit ou un morceau de chocolat. Lorsque le ménage
était entièrement terminé, tous allaient faire une petite
promenade et en profitaient pour se dire ce que la journée
de travail leur avait appris sur la vie.
I
112   Une famille qui s’aime

« Les enfants apprennent souvent ainsi des choses


que nous n’avions même pas l’intention de leur enseigner,
dit la maman. Par exemple, notre fils de neuf ans nous dit :
“J’ai constaté que si personne ne laisse des cheveux dans le
lavabo, le travail de celui qui est chargé de le nettoyer en
est facilité”. Nous n’avions nulle intention de lui enseigner
cette leçon, mais nous sommes heureux qu’il l’ait apprise.
Depuis ce jour, il veille à enlever ses cheveux tombés dans
le lavabo chaque fois qu’il sort de la salle de bain ».
Dans une famille qui s’aime, les parents donnent à
leurs enfants des directives depuis l’enfance jusqu’à l’ado-
lescence. L’exemple que nous donnons, intentionnelle-
ment ou non, est la méthode pédagogique la plus efficace.

Apprendre à enseigner et former


J’entends déjà certains parents reprocher : « Ça suffit.
J’arrête. J’en ai assez. Mes parents n’ont pas fait de longues
études. Ils se sont contentés de nous aimer, et nous nous
en sommes bien sortis. Pourquoi faire tout un plat sur la
nécessité de bien enseigner nos enfants ? Ne compliquons-
nous pas trop la tâche des parents ? »
J’avoue éprouver de la sympathie pour de telles pen-
sées. Mais il existe de très bonnes raisons qui incitent les
parents d’aujourd’hui à être plus performants dans leur pé-
dagogie. Autrefois, dans nos pays, la culture était plus ho-
mogène ; elle l’est encore dans les civilisations primitives,
moins érudites. L’ensemble de la population adoptait pra-
tiquement le même style de vie. Tout le monde avait la
même définition du bien et du mal. Les parents, l’école,
l’église et le voisinage partageaient la même notion de ce
qu’était un bon comportement de l’enfant. Chacune de ces
structures épaulait les autres. Si les parents aimaient leurs
enfants, pourvoyaient à leurs besoins matériels et phy-
siques, et s’acquittaient de leurs responsabilités naturelles
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 113
à leur égard, les enfants évoluaient généralement bien et
s’en sortaient plutôt bien. L’autorité parentale jouait alors
un grand rôle ; les enfants apprenaient à respecter leurs
parents et les autres adultes. Comme l’enfant recevait à
peu près le même enseignement de tous côtés, il ne lui
était pas difficile de le comprendre et de s’en accommoder.
Le monde d’aujourd’hui est radicalement différent. Il
n’existe plus un système de pensée ou un style de vie sur
lesquel toutes les sociétés soient d’accord. Les messages
qui sollicitent l’attention de l’enfant sont souvent contra-
dictoires. Le style de vie du voisin de palier, ou même des
familles de l’église, peut être très différent de celui de sa
propre famille. L’enfant peut donc être plongé dans une
grande confusion ; c’est pourquoi les directives parentales
sont plus indispensables qu’autrefois.
Ce qui est vrai dans toutes les sociétés, c’est que la res-
ponsabilité de l’enseignement et de l’apprentissage des en-
fants incombe principalement aux parents. Même si dans
la culture occidentale contemporaine, l’école joue un rôle
majeur, je suis d’avis que les parents ne doivent pas abdi-
quer de leur responsabilité d’enseignants. Qui interpréte-
ra les messages que l’enfant capte à l’école, à la télévision,
sur Internet, à l’église, dans le voisinage ? Je crois que c’est
la responsabilité des parents. Pour ceux qui ont été éle-
vés dans la tradition judéo-chrétienne et qui croient que
le décalogue reste le fondement de la morale pour la so-
ciété, le rôle de parent revêt une importance accrue dans
la société pluraliste moderne. Il est donc inévitable que
dans le domaine pédagogique, on exige davantage des pa-
rents aujourd’hui qu’autrefois. Nous ne pouvons plus nous
contenter de faire ce qui vient tout naturellement. L’enfant
moderne est trop exposé à des styles de vie dangereux et
destructeurs. Si nous aimons véritablement nos enfants,
nous sommes contraints de les enseigner et de les former
conformément aux principes que nous croyons être vrais.
I
114   Une famille qui s’aime

Ce chapitre s’adresse donc tout particulièrement à ceux


qui veulent améliorer et parfaire leurs compétences dans
les domaines de l’enseignement et de la formation de leurs
enfants.

Transposer chez soi


Je sais que je m’adresse en partie à des gens qui sont
hautement qualifiés pour enseigner et former. Certains
d’entre vous sont des enseignants chevronnés qui n’ont pas
seulement une solide formation universitaire derrière eux,
mais aussi plusieurs années de pratique pédagogique dans
des établissements publics ou privés. D’autres exercent
une profession qui exige de longues études. Si vous avez
terminé vos études, vous savez certainement que certains
individus sont d’excellents pédagogues et que d’autres, qui
pourtant enseignent, ne sont absolument pas doués pour
le faire. Un mauvais exemple vous a peut-être appris ce
qu’il ne faut pas faire. Quelques-uns d’entre vous exercent
une profession médicale ; ils ont derrière eux une longue
histoire d’apprentissage par la théorie et la pratique.
La plupart de mes lecteurs ont acquis des compé-
tences dans la vie, dont certaines par la voie classique de
l’enseignement et de l’apprentissage. Vous avez appliqué
un certain nombre de vos capacités dans l’exercice de votre
métier, ou dans d’autres relations professionnelles. Ce qui
me surprend toujours est le faible nombre de personnes
qui se servent chez eux des aptitudes qu’ils ont acquises
au-dehors. C’est comme s’ils établissaient une cloison
étanche entre le travail au dehors et la vie au sein de la
famille. Ils privent celle-ci des richesses de l’autre. À titre
d’exemple, j’ai souvent eu l’occasion de m’entretenir avec
des cadres supérieurs et des chefs d’entreprises qui ont ap-
pris l’art de l’écoute et le pratiquent fort bien dans le cadre
de leurs relations professionnelles. Ils savent écouter leurs
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 115
collègues et les clients, et leur dire : « Si j’ai bien compris,
vous dites que… » ou : « Êtes-vous vraiment en train de dire
que… ? » Ils savent que cette technique est très utile au tra-
vail, mais il ne leur est jamais venu à l’esprit de l’utiliser
avec leurs enfants.
La première chose à faire est donc d’inventorier toutes
les compétences d’enseignement et d’apprentissage ac-
quises dans la vie, et les mettre en pratique à la maison,
c’est-à-dire en faire bénéficier vos enfants. Qu’est-ce que
votre profession ou votre engagement social vous a appris,
que vous pourriez transposer pour instruire vos enfants
sur le plan théorique et sur le plan pratique ? Je prends un
exemple. Beaucoup d’entre vous se servent régulièrement
d’un vidéoprojecteur pour expliquer tel schéma ou explici-
ter tel programme. Avez-vous déjà utilisé ce matériel pour
faire comprendre quelque chose à vos enfants ? Vous avez
appris que le fait d’estimer les opinions des autres comme
valables et dignes d’être prises en considération était un
signe de sagesse sur votre lieu de travail. Ce principe ne
serait-il plus vrai dans le cadre des relations familiales ?
Dans de nombreuses professions, il est courant d’écouter
quelqu’un avant de lui répondre, et vous avez appris à le
faire. Mais vos enfants ont-ils le sentiment d’être écoutés
et entendus ou vivent-ils avec l’idée que pour vous, les en-
fants sont là pour être vus, mais pas pour être entendus ?
Pourquoi ne pas vous asseoir avec votre conjoint et
dresser la liste de toutes les aptitudes que chacun de vous
a acquises au fil des années, sur la manière de nouer des
relations, de communiquer des informations, d’inciter les
gens à prendre une décision, d’inculquer des principes, de
donner une formation, etc. Faites une liste aussi détaillée
que possible de chacune de vos compétences respec-
tives. Puis décidez d’en appliquer une ou plusieurs dans
vos contacts avec vos enfants au cours de la semaine qui
I
116   Une famille qui s’aime

s’ouvre, afin de devenir un meilleur pédagogue ou forma-


teur.

Lancez-vous !
Certains d’entre vous sont de jeunes parents. Vous
n’avez pas encore une grande expérience en matière de pé-
dagogie théorique et pratique. Votre métier ne fait pas ap-
pel à des compétences facilement transposables à la mai-
son. Vous reconnaissez honnêtement avoir peu d’idées sur
la manière dont les enfants apprennent. Vous vous sentez
incapables et même effrayés par la tâche qui vous attend.
J’ai une bonne nouvelle pour vous : vous pouvez vous faire
aider ! Cela demande évidemment du temps et un certain
investissement financier, mais des milliers de parents
peuvent attester aujourd’hui de l’efficacité des moyens mis
à leur disposition pour mieux s’acquitter de leur rôle d’en-
seignants et d’éducateurs de leurs enfants.
Il y a moyen de suivre des cours dispensés par diffé-
rents organismes laïques ou religieux. Ils permettent aux
jeunes parents ou aux parents inexpérimentés de mieux
comprendre le développement de l’enfant, de savoir com-
ment l’enfant apprend le mieux, comment se comporter
avec des adolescents, etc. La qualité de l’enseignement
dépend évidemment de la compétence de l’enseignant et
de la philosophie qui sous-tend le cours. Ces cours sont
cependant généralement bénéfiques pour les parents.
De nombreux mouvements religieux et organisa-
tions para-ecclésiastiques proposent aussi des cours sem-
blables, en insistant sur certains aspects particuliers de
l’enseignement et de la formation de l’enfant. Ce qui se fait
par exemple dans le cadre des classes d’école du dimanche
dans les églises peut facilement se transposer à la maison.
On tient généralement compte des classes d’âge : enfants
d’âge préscolaire, enfants d’âge scolaire, adolescents.
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 117
Certains cours visent à donner aux parents les moyens
de base pour enseigner et former, tandis que d’autres don-
nent des idées pratiques sur l’art et la manière d’enseigner
telle aptitude et de gérer certains problèmes particuliers
du développement de l’enfant. Une femme me dit un jour :
« Jamais je ne m’étais imaginé que des parents pouvaient
rencontrer des difficultés dans l’enseignement de leurs
bambins jusqu’au jour où j’ai assisté à une classe d’école du
dimanche pour enfants de maternelle. J’ai glané des idées
auprès des autres parents et du moniteur, je suis rentrée
chez moi, j’ai changé ma méthode et j’ai été émerveillée
par les résultats ».
C’est dans une classe de ce genre, qui insistait sur le
rôle de la musique pour les enfants, que ma femme fut
pour la première fois convaincue de la valeur que revê-
tait la musique comme outil pédagogique. Elle acheta de
nombreux disques et notre premier tourne-disque devint
le lieu de rassemblement où nos enfants reçurent maints
enseignements. Aujourd’hui, les parents possèdent des
cassettes et des CDs ; vous pouvez enseigner au moyen
d’une saine musique en roulant en voiture au lieu d’écou-
ter des nouvelles déprimantes ou de laisser certaines mu-
siques contemporaines remplir le cerveau des petits.
Je puis vous assurer que si, dans un domaine quel-
conque, vous souffrez d’un manque de formation ou de
compétence, il existe quelque part quelqu’un qui peut
vous apporter une aide concrète. D’autres parents parta-
gent vos luttes dans le domaine de l’enseignement de vos
enfants. Elles ne vous semblent uniques que si vous vous
débattez dans votre coin à vouloir instruire vos enfants.
Sachez que les universités, écoles bibliques, églises ou
groupements d’églises et autres associations comme Fa-
mille Je t’Aime (FJA) donnent des cours ou organisent des
séminaires à l’intention des parents. Demandez de l’aide !
Et lancez-vous !
I
118   Une famille qui s’aime

Observer les autres


On peut apprendre beaucoup sur la manière d’ensei-
gner et de former les enfants en regardant faire des ensei-
gnants et des formateurs. Observez la manière de faire des
autres parents. Dans quelque endroit que vous vous trou-
viez, au supermarché, à la bibliothèque, à l’église, dans
un centre commercial ou au restaurant, vous pouvez voir
comment des parents réagissent avec leurs enfants. Prê-
tez attention aux aspects positifs et aux aspects négatifs
de ces interactions. Notez vos observations sur un carnet
que vous aurez toujours sur vous. Rappelez-vous que vous
pouvez aussi tirer des leçons utiles des exemples négatifs.
Les lieux évoqués plus haut vous permettent d’obser-
ver le comportement des parents vis-à-vis de leurs enfants
dans les situations les plus variées. Même si les parents
sont toujours en train d’éduquer et d’instruire leurs en-
fants, ils n’en ont pas toujours conscience. Vous pouvez
également apprendre en vous rendant dans des lieux où
se pratique un enseignement systématique. Demandez à
assister à un cours dispensé dans la classe de votre enfant.
Si votre enfant n’est pas encore en âge d’aller à l’école, de-
mandez à accompagner l’enfant d’un(e) ami(e). Observez
l’instituteur en action. Prêtez attention aux échanges ver-
baux entre lui et les élèves. Notez les actions entreprises
par l’enseignant. Vous pouvez demander à assister une fois
par mois à la classe maternelle que suit votre petit, ou à la
classe d’école du dimanche de votre enfant.
Si vous êtes encore à l’université ou si vous suivez des
cours dispensés par des organismes sociaux dans votre
ville, soyez attentif à la façon de faire de vos enseignants.
Vous ne pourrez probablement pas transposer intégra-
lement leurs méthodes à votre situation de parent, mais
vous pourrez vous en inspirer moyennant quelques modi-
fications et adaptations. Et vous découvrirez certainement
Chapitre 7 : le défi, enseigner de manière cohérente  I 119
ce qu’il ne faut pas faire ! L’un de mes souvenirs les plus
nets de mes études universitaires concerne un professeur
qui s’asseyait à l’extrémité d’une longue table, devant la-
quelle avaient pris place sept étudiants qui l’écoutaient
lire ses notes griffonnées sur un papier jauni par l’âge.
Pendant toute la durée du cours, il parlait d’un ton mono-
tone ; au début du cours, il lui fallait souvent cinq bonnes
minutes avant de retrouver l’endroit où il s’était arrêté de
lire la fois précédente. Il ne me fallut pas longtemps pour
comprendre que ce n’était pas la bonne méthode pour en-
seigner quoi que ce soit à quelqu’un.
Il est intéressant également d’observer les animateurs
d’émissions télévisées pour les enfants. Ils disposent cer-
tainement d’une gamme plus étendue et plus variée d’ou-
tils que vous à la maison, mais vous pourrez certainement
apprendre en prêtant attention à leur style d’éducation et
à la manière dont ils jonglent avec les mots et les gestes
pour inculquer des leçons aux enfants. Certaines émis-
sions de télévision destinées aux enfants permettent de
glaner beaucoup d’idées nouvelles et pertinentes. Vous
pouvez d’ailleurs inclure certaines de ces émissions ins-
tructives et culturelles dans votre propre programme d’en-
seignement pour vos enfants, mais dans ce cas, faites-le de
façon délibérée et n’utilisez pas la télévision comme « ba-
by-sitter ». Assurez-vous de plus que l’enfant tire un réel
profit de l’émission.
Efforcez-vous de vous renseigner auprès d’autres pa-
rents sur leur manière d’enseigner leurs enfants. Si vous
avez parmi vos amis personnels des enseignants ou des
moniteurs d’école du dimanche, sachez que ceux-ci sont
généralement très intéressés à comparer leurs idées à
celles des parents pour pratiquer une pédagogie favorisant
l’éveil et la créativité de l’enfant. Vous donnerez encore
plus de poids à vos observations si vous notez ce que vous
voyez et les idées qui vous viennent à l’esprit. Il se peut que
I
120   Une famille qui s’aime

vous ayez glané une idée intéressante applicable à l’ensei-


gnement et à la formation d’un enfant de douze ans, mais
le vôtre n’en a que trois. Si vous ne la consignez pas par
écrit, elle vous sortira de la tête d’ici à ce que votre petit ait
douze ans.

Lire un livre
La lecture d’un livre ou la consultation de sites Inter-
net constituent d’autres façons efficaces d’améliorer vos
aptitudes en matière d’enseignement et de formation. Il
existe une grande quantité de bons ouvrages et sites dans
ce domaine. Certains s’appliquent à l’éducation d’enfants
d’une certaine tranche d’âge, par exemple les petits de trois
à cinq ans. D’autres énoncent des principes plus généraux.
Les deux sont utiles. Faites un tour à la bibliothèque muni-
cipale ou à celle de votre église ; vous y découvrirez certai-
nement de nombreux ouvrages qui traitent l’un ou l’autre
sujet vous intéressant directement. Ils ne sont certes pas
tous de même valeur ; c’est pourquoi il serait sage de de-
mander conseil à un enseignant. Il est bien rare que les en-
seignants ne soient pas disposés à discuter avec les parents
d’un sujet qui leur tient à cœur comme celui de l’éducation
de leurs enfants.
Je mets cependant en garde : ne soyez pas obsédé par
la lecture d’ouvrages sur la manière d’éduquer les enfants
au point de n’avoir plus le temps de vous consacrer à votre
tâche de pédagogue ! J’ai constaté que certains parents sont
si soucieux d’apprendre à être de meilleurs parents qu’ils
négligent leurs enfants. Au moment où l’enfant quitte le
foyer, les parents sont devenus d’excellents pédagogues,
malheureusement ils ont laissé passer l’occasion d’ensei-
gner leurs enfants. Il faut donc former les enfants tout en
se formant soi-même.
Quatrième partie : des enfants qui obéissent à leurs parents et les honorent  I 121

Q U A T R I È M E P A R T I E

Des enfants qui


obéissent à leurs parents
et les honorent
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 123

C H A P I T R E  8
Pourquoi obéir est si important

Il était quatre heures et demie de l’après-midi. Mon


fils de dix ans et moi étions dans la remise.
— Fiston, je suis navré, mais tu ne pourras pas faire
du vélo cet après-midi. Tu connais la règle. Chaque soir, il
faut que la bicyclette soit mise à l’abri dans la remise. Si un
soir tu la laisses dehors, tu es privé de vélo le lendemain.
Or hier soir, tu as laissé ton vélo dehors toute la nuit. C’est
pourquoi je t’interdis d’en faire cet après-midi.
Derek répliqua :
— Mais papa, tous mes copains font du vélo cet après-
midi. Laisse-moi les rejoindre, et je n’en ferai pas demain.
I
124   Une famille qui s’aime

— Je comprends fort bien ton envie. Mais rappelle-toi


que nous étions d’accord tous les deux d’appliquer le règle-
ment que nous avions établi ensemble, et notamment les
conséquences en cas de transgression. Je sais que cela te
pèse beaucoup. Tu souffres de ne pas pouvoir faire du vélo
avec tes amis, mais il faut absolument que tu apprennes à
ranger ton vélo dans la remise chaque soir.
J’imaginais Jean, le jeune homme que nous avions ac-
cueilli pour un an dans notre foyer en train d’écouter cette
conversation. Plusieurs pensées m’assaillirent : Me trou-
vera-t-il sévère, cruel et inflexible ? Comprendra-t-il que
j’aime mon fils, et que je souffre autant que lui de savoir
qu’il ne pourra pas faire de la bicyclette avec ses copains ?
J’ignorais comment Jean interpréterait ma décision, mais
je savais que j’étais en train d’inculquer à mon fils la dure
leçon de l’obéissance.
Aujourd’hui, cela devient de plus en plus dur pour
les parents. La société dans laquelle nous vivons se veut
de plus en plus égalitaire, et chacun est censé avoir les
mêmes « droits ». Le respect envers l’autorité, que ce soit
sur le lieu de travail, à l’école ou à l’église, a laissé la place à
une attitude de plus en plus cynique envers les dirigeants.
Et par-delà les influences de la société, les parents débor-
dés et fatigués d’aujourd’hui trouvent souvent plus simple
de laisser leur petit Jacob ou leur petite Caitlin se coucher
tard ou se goinfrer de sucreries.
Certains parents, il est vrai, abusent de leur autorité.
Toutefois, un plus grand danger réside dans une éduca-
tion dépourvue de ces limites dont l’enfant a cruellement
besoin.
Dans une famille qui fonctionne bien, les parents
exercent leur autorité pour le bien de l’enfant. Ils s’enga-
gent à mener une vie hautement morale. Ils défendent les
vertus de bonté, d’amour, d’honnêteté, de pardon, d’in-
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 125
tégrité, de travail et de respect d’autrui. Les enfants qui
obéissent à de tels parents récolteront les avantages d’une
vie vécue sous cette saine autorité.

Amour et obéissance
À l’instar d’une société ou d’une nation qui a besoin
de règles et de lois pour fonctionner, toute famille doit
mettre en place et respecter certaines règles. Notre amour
envers les autres, notre souci du bien-être de chacun et
notre crainte des conséquences fâcheuses nous motivent
à leur obéir. Toutefois, l’obéissance doit s’apprendre. Nous
ne naissons pas avec ; au lieu de cela, il semblerait plutôt
que nous naissions avec une propension naturelle à mettre
les règles à l’épreuve et à franchir les limites établies. Qui
n’a jamais vu un bambin de deux ans tendre sa main vers
un objet défendu et regarder si ses parents vont réagir ?
L’obéissance s’apprend, et elle s’apprend mieux si l’enfant
se sait authentiquement aimé de ses parents, quand il est
profondément convaincu qu’ils se soucient de son bien-
être. Si l’enfant est persuadé que ses parents ne l’aiment
pas, qu’ils pensent avant tout à leur propre intérêt et ont
décidé de le rendre le plus malheureux possible, il se sou-
mettra certainement à leur autorité, mais par pure forme,
car la révolte grondera en lui. Avec le temps, il entrera en
rébellion ouverte contre eux.
Pour apprendre l’obéissance, il faut aussi bien se
rendre compte que tout comportement entraîne des
conséquences. L’obéissance a des effets positifs, la déso-
béissance des effets négatifs. C’est cette réalité pratiquée
de façon cohérente et persévérante qui enseigne à l’enfant
la valeur de l’obéissance. Par conséquent, dans une famille
où l’amour n’est pas un vain mot, les parents insisteront
sur ces deux aspects : d’un côté, ils aimeront l’enfant et fe-
ront tout pour qu’il en soit persuadé, de l’autre, ils veille-
I
126   Une famille qui s’aime

ront à ce qu’il subisse les conséquences de son comporte-


ment. Tout cela exige trois choses : d’abord fixer les règles,
ensuite prévoir les conséquences (bonnes et mauvaises),
enfin appliquer la sanction. Passons en revue ces trois as-
pects.

Bonnes et mauvaises règles


Fixer des règles consiste à dire ce qu’il faut faire et ce
qu’il ne faut pas faire. Les règles donnent des directives
pour la vie de famille. Il y a certaines choses que nous ne
faisons pas chez nous, par exemple : mâcher du chewing-
gum à table, jouer au ballon dans la cuisine, quitter la
maison en laissant des bougies allumées, jouer au foot-
ball dans la cour. En revanche, voici certaines choses que
nous devons accomplir : ranger les outils une fois que nous
les avons utilisés, ramasser les jouets quand on a fini de
s’amuser, éteindre les lumières quand nous sortons de la
chambre, mettre le linge sale dans la buanderie, deman-
der « puis-je sortir de table ? » avant de se lever, appeler ses
parents afin qu’ils sachent où je suis.
Les consignes sont parfois peu compréhensibles,
comme celle-ci par exemple :
Toujours éteindre la lumière lorsqu’on quitte la maison,
sauf si grand-mère est encore éveillée, si le chien est
malade ou si tu sais que ton frère joue dans l’arrière-
cour.

Avec une telle règle, le mieux est encore de ne ja-


mais sortir de la maison ! Certaines règles sont implicites,
comme celle découverte par cet adolescent de quinze ans
qui me dit :
— Chez nous, une règle est : Ne pas parler à papa
quand il a bu.
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 127
— Est-ce ta mère qui te l’a enseignée ? lui demandai-
je.
— Non, je l’ai apprise par expérience, me répondit-il.
Toutes les familles ont des règles, mais elles ne sont
pas toutes saines. Voici les quatre caractéristiques des
bonnes règles : elles sont délibérées, voulues par les deux
parents, raisonnables et connues de tous.
Elles sont d’abord délibérées et ont fait l’objet d’une
réflexion paisible. Elles ne sont pas le résultat d’un coup
de tête. Il faut réfléchir à leur nécessité, à leur but et s’as-
surer qu’elles visent le bien de tous. Il ne s’agit pas simple-
ment d’avoir une règle parce que c’était le cas dans notre
famille d’origine. Ainsi, beaucoup de familles ont décidé :
« Chez nous, on ne chante pas à table ». Quand on s’en-
quiert pourquoi elles ont admis ce principe, on découvre
que beaucoup l’ont adopté parce que c’était ainsi chez eux,
quand ils étaient petits. Mais demandez : « Qu’y a-t-il de
mal à chanter à table ? » Je ne veux pas dire pour autant
que c’est une mauvaise règle ou une bonne. Je cherche
seulement à savoir pourquoi ces familles ont adopté cette
règle, et ce qu’elles cherchent à atteindre par son moyen.
Le caractère délibéré de nos règlements nous incite à ré-
fléchir à la pertinence de chacun de ses articles, et ainsi à
ne pas devenir victimes d’une vaine tradition.
En deuxième lieu, de bonnes règles nécessitent l’ac-
cord mutuel du père et de la mère. Chacun des parents a
grandi dans une famille différente et était donc soumis à
des règles différentes. Je suis enclin à introduire dans ma
famille actuelle mes règles d’autrefois, et mon épouse a
tendance à faire de même avec les principes auxquels elle
était soumise dans sa famille. Si ces règles ne concordent
pas, il s’ensuit des conflits. Il faut les gérer comme tous
les autres conflits conjugaux. Chacun des conjoints doit
écouter attentivement l’autre, examiner ses idées avec di-
I
128   Une famille qui s’aime

gnité et respect, exprimer honnêtement ses pensées et ses


sentiments, et s’ils ne peuvent tomber d’accord, ils doivent
se demander : « Sur quoi pourrions-nous nous mettre d’ac-
cord ? » Ils rechercheront alors une voie moyenne entre
leurs deux propositions inconciliables. Voici un exemple :
si j’estime qu’un adolescent de seize ans doit être rentré
au plus tard à onze heures du soir, et que mon épouse es-
time qu’il devrait l’être à dix heures, nous pouvons nous
mettre d’accord pour fixer l’heure limite de rentrée à dix
heures et demie. Si vous estimez que roter témoigne d’un
manque évident de politesse de la part de votre enfant, et
que votre conjoint prenne sa défense en disant que c’est
mignon après tout, peut-être pouvez-vous convenir de le
lui interdire dans la maison et dans la voiture, tout en lui
laissant la liberté de roter dans le jardin.

Un examen des règles en usage dans la maison


Dans un mariage en bonne santé, il importe que
les parents respectent leurs idées mutuelles et qu’aucun
n’impose son point de vue à l’autre. Les idées et les sen-
timents des deux doivent être pris en considération dans
l’élaboration du règlement familial. Au fur et à mesure que
les enfants grandissent, il est bon de les faire participer
à cette élaboration. Il n’est évidemment pas question de
leur laisser le dernier mot, mais les parents feront bien de
tenir compte de leurs idées et de leurs sentiments. Dans
ce processus, les parents n’apprennent pas seulement aux
enfants la valeur de l’obéissance, mais ils leur montrent
également comment fixer des règles.
Troisièmement, les règles imposées doivent être
raisonnables et avoir une fonction positive. La question
fondamentale qu’il faut se poser est : « Cette règle est-elle
bonne pour l’enfant ? Exercera-t-elle un effet bénéfique
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 129
sur sa façon de vivre ? » Voici quelques questions pratiques
bonnes à se poser au moment de fixer certaines règles.
• Cette règle préserve-t-elle l’enfant du danger ou de
la destruction ?
• Cette règle lui enseigne-t-elle une vertu, comme
l’honnêteté, le travail, la bonté, le partage, etc. ?
• Cette règle protège-t-elle les biens d’autrui ?
• Cette règle aide-t-elle à mieux gérer les posses-
sions ?
• Cette règle apprend-elle à l’enfant à prendre ses
responsabilités ?
• Cette règle lui enseigne-t-elle les bonnes ma-
nières ?

En répondant à de telles questions, nous serons plus à


même d’établir des règles saines pour la famille. Ces ques-
tions expriment justement nos préoccupations de parents.
Nous tenons effectivement à préserver nos enfants du
danger et de la destruction ; nous ne voulons pas que notre
enfant soit renversé par une voiture dans la rue, ni que nos
adolescents se droguent. Nous souhaitons enseigner à nos
jeunes les vertus auxquelles nous sommes attachés. Nous
cherchons à leur inculquer le respect de la propriété d’au-
trui. C’est pourquoi, en leur interdisant de jouer au ballon
dans la cour, nous les empêchons de casser accidentelle-
ment une vitre du voisin. Nous leur apprenons à prendre
soin de ce qu’ils possèdent. C’est la raison pour laquelle
nous avons fixé comme règle l’obligation de rentrer le vélo
dans la remise à la fin de la journée.
Notre désir est de voir nos enfants devenir des adultes
responsables, et cela s’apprend dans l’enfance. Voilà pour-
quoi la règle qui impose à l’enfant de faire son lit ou de
passer l’aspirateur dans sa chambre est raisonnable. Et que
I
130   Une famille qui s’aime

dire des bonnes manières ? Il est remarquable de consta-


ter que les responsables de sociétés et les personnages en
vue dans le monde paient les services de gens compétents
pour leur apprendre comment se tenir dans les grandes
réceptions ! Il faut reconnaître que les bonnes manières
se perdent et que le comportement des gens se caracté-
rise plutôt par l’impolitesse et la rudesse. Cela est dû à
l’absence d’une bonne éducation à la maison. Aussi long-
temps que les parents estimeront que dire « S’il te plaît » et
« Merci » sera préférable à « Allez, donne ! » et « Bof ! », il y
aura des bonnes manières enseignées à la maison.
Quatrièmement, les règles poursuivent toujours un
but sain. C’est aussi pour cela qu’elles doivent être énon-
cées de façon claire. Des parents estiment que leurs en-
fants savent ce qu’ils doivent faire et ne pas faire, alors
que cela ne leur a jamais été clairement expliqué. Lorsque
les parents se sont mis d’accord sur une règle imposée, il
faut qu’ils en informent toute la famille. Les règles im-
plicites sont souvent injustes. On ne peut attendre d’un
enfant qu’il respecte une règle dont il n’a jamais entendu
parler. Les parents doivent donc s’assurer que leurs en-
fants ont bien compris les règles auxquelles ils doivent se
soumettre. En grandissant, l’enfant a besoin de savoir le
pourquoi de telle ou telle règle. S’il se sent vraiment aimé
de ses parents, il reconnaîtra généralement la valeur et le
bien-fondé de la règle qui lui est imposée. Lorsqu’ils éta-
blissent les règles applicables dans leur famille, les parents
ont intérêt à consulter d’autres parents, des enseignants,
des membres de leur famille élargie, et à lire des ouvrages
ou des revues qui traitent de ces questions. Afin de mettre
en place le meilleur règlement possible, les parents ont
besoin de beaucoup de sagesse.
Les bonnes règles familiales ne deviennent pas la loi
des Mèdes et des Perses ! Elles ne sont pas immuables. Si
vous constatez que telle règle est nuisible à l’enfant, vous
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 131
devez accepter de la supprimer ou de la modifier. Chez
nous, nous avions commencé par interdire le chant à table.
Nous nous sommes alors rendu compte que ce principe
nous venait tout droit de nos familles d’origine, et qu’il ne
cadrait pas avec l’idée que nous nous étions faite du mo-
ment des repas. Comme ma femme est musicienne et que
moi-même j’apprécie la musique, nous avons rapidement
conclu que nous devions abandonner cette règle et per-
mettre à quiconque voulait entonner un chant de le faire
(à condition de ne pas avoir la bouche pleine !).
Pour évaluer la pertinence de vos règles familiales,
commencez par indiquer le nom et l’âge de vos enfants au
sommet d’une feuille de papier. Puis, sous chaque nom,
énumérez les règles déjà établies et applicables à l’en-
fant en question. Faites deux colonnes : dans l’une vous
indiquerez les règles qui s’appliquent à tous les enfants
indistinctement, dans l’autre celles qui concernent plus
particulièrement l’enfant désigné, compte tenu de son dé-
veloppement ou de ses centres d’intérêt. Chaque parent
fera ce travail et ils fondront ensuite leurs deux listes en
une seule. Dites-vous bien que vous n’êtes pas en train
d’évaluer les règles établies ; vous en faites simplement
l’inventaire. Si les enfants sont assez grands, vous pouvez
les consulter et les faire participer à ce travail.
Passez en revue chaque règle et demandez-vous :

Répond-elle à une volonté délibérée ?


Y avons-nous bien réfléchi ou l’avons-nous adoptée
parce que nos parents l’avaient déjà inclue dans leur rè-
glement, ou parce que nous l’avons trouvée dans un livre ?
Avons-nous pris le temps de la discuter à fond ? Sommes-
nous tous les deux d’accord pour lui reconnaître une uti-
lité ? Qu’est-elle en mesure d’enseigner à nos enfants ?
I
132   Une famille qui s’aime

Bénéficie-t-elle de notre accord mutuel ?


L’avons-nous voulue tous les deux, ou a-t-elle été
imposée arbitrairement par l’un de nous seulement il y a
longtemps ? Si nos enfants sont assez grands, les avons-
nous consultés à son sujet ? Croient-ils que c’est un article
juste ?

La règle est-elle raisonnable ?


A-t-elle une fonction positive ? N’oubliez jamais la
question fondamentale : la règle est-elle pour le bien de
l’enfant ?

Parents et enfants ont-ils bien compris le sens de cette


règle ?
Une règle que les parents ont à l’esprit mais qui n’a
jamais été abordée ouvertement avec les enfants n’est pas
une règle que ces derniers peuvent observer. Si les parents
punissent un enfant pour le non-respect d’une telle règle,
il aura le sentiment d’avoir été traité de façon injuste.

Quelles sont les conséquences ?


Le long de la route, des panneaux indiquent par-
fois : « Interdiction de déposer des ordures, sous peine
d’amende ». Il n’empêche que les lisières de nombreuses
forêts sont devenues de vrais dépotoirs. On y voit des car-
casses d’appareils ménagers, des papiers, des sacs plas-
tiques, des bouteilles, des chiffons, etc. C’est bien la preuve
que les menaces de sanction ne suffisent pas à faire obéir.
La transgression des lois civiles entraîne généralement
des conséquences négatives. Mais l’un des maux de notre
société est que les sanctions pour les méfaits commis sont
souvent appliquées trop longtemps après. Les procédures
juridiques traînent en longueur, et les sanctions finissent
par être dérisoires. À mon avis, ce laxisme des pouvoirs
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 133
publics a favorisé la recrudescence des actes d’incivilité.
Pour que les gens soient incités à obéir, il faudrait que les
sanctions soient systématiquement appliquées beaucoup
plus rapidement.
Il en est de même dans la famille. Les enfants appren-
nent l’obéissance en subissant les conséquences de leur
désobéissance. Il faut donc enseigner que la transgression
des règles s’accompagne inévitablement de désagréments
pour le coupable. Si, en jouant au ballon dans la cour (ce
que le règlement familial interdit), l’enfant casse une vitre
de la maison de Monsieur et Madame Dupont, il devra leur
présenter ses excuses et prendre de son argent de poche
pour payer le remplacement de la vitre brisée. Cette expé-
rience incitera désormais l’enfant à jouer au ballon sur le
terrain vague plutôt que dans la cour.
Chez nous, il était stipulé que les enfants ne devaient
pas fumer. Si l’un d’eux était pris avec une cigarette aux
lèvres, il devait verser une certaine partie de ses économies
à la Ligue contre le Cancer, ramasser cent mégots dans la
rue et les jeter à la poubelle, et lire un article présentant les
méfaits de la nicotine sur les poumons.
Si un jeune conducteur fait un excès de vitesse, ses
parents le priveront de l’usage de la voiture de la famille
pendant une semaine. S’il recommence, la sanction sera
aggravée et il devra se déplacer par un autre moyen pen-
dant deux semaines. Il n’y a pas beaucoup de jeunes qui
acceptent d’être privés de voiture si longtemps.
Ces exemples vous montrent que les conséquences
doivent avoir un lien aussi étroit que possible avec la na-
ture de la transgression du règlement. Il est particulière-
ment utile de prévoir les sanctions au moment où la fa-
mille discute et élabore le règlement familial. Cela permet
à l’enfant de savoir d’avance à quoi il s’expose en cas de
désobéissance, et évite aux parents de devoir se creuser la
I
134   Une famille qui s’aime

tête pour infliger une punition à leur enfant. Une punition


fixée à la hâte est rarement éducative. Fixer la sanction
avant que l’enfant ne viole les règles permet de mieux la
proportionner à la faute et de lui donner un caractère pé-
dagogique.
Lorsque les enfants grandissent, vous pouvez les
consulter sur la nature des sanctions que vous devez leur
infliger en cas de désobéissance. Notre fils suggéra que
s’il ne ramenait pas le ballon de basket à la maison à la
fin de la journée, il lui serait interdit de jouer au basket
pendant deux jours. Personnellement, je le lui aurais in-
terdit pendant une seule journée. Mais comme il estimait
que deux jours de privation de basket étaient une bonne
sanction, j’acquiesçai. Lorsque les enfants participent à
l’élaboration des sanctions, ils seront plus disposés à les
reconnaître comme raisonnables. Cela ne signifie pas que
les parents renoncent à avoir le dernier mot. Si l’enfant
suggère une sanction qui n’est pas pénible, il sera tenté de
désobéir plus souvent, parce que sa désobéissance ne le
fera pas souffrir. Or, l’obéissance s’apprend surtout par les
conséquences douloureuses de l’inconduite.
Les conséquences de la désobéissance de l’enfant
compliquent parfois la vie des parents. Lorsque le jeune
homme de dix-huit ans se voit privé d’utiliser la voiture
des parents, l’un des parents devra le conduire au lycée ou
à l’université, ou à ses activités extrascolaires, une corvée
dont le parent était si heureux d’être débarrassé ! Mais c’est
dans la nature de la désobéissance d’empoisonner aussi les
autres, et non seulement le coupable. Un chauffeur ivre ne
se fait pas seulement du tort à lui-même ; il porte souvent
atteinte aux biens et à la vie d’autrui. L’une des réalités de
la vie est que l’inconduite d’une personne a des répercus-
sions sur la vie des autres. L’enfant qui voit sa mère souffrir
des conséquences de sa propre désobéissance sera certai-
nement plus motivé à obéir la prochaine fois, surtout s’il
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 135
se sait et se sent aimé de ses parents. Autrement, il risque
d’estimer que sa mère mérite elle aussi de souffrir ; c’est
même pour l’enfant un moyen de se venger d’elle.

Et la fessée ?
On me demande souvent : « Que penser des fessées
pour punir la désobéissance ? » Le châtiment corporel est
souvent infligé par des parents qui n’ont pas pris le temps
de réfléchir à des sanctions en rapport avec la faute com-
mise. À mon avis, il vaut mieux infliger une sanction qui
a un rapport avec la désobéissance. La fessée n’est pas le
meilleur moyen de dissuader l’enfant de mal se conduire.
Elle reflète souvent plutôt le refus des parents de prendre
le temps d’enseigner l’obéissance à leur garnement.
Je ne veux pas dire qu’il n’y a jamais lieu de donner une
fessée pour sanctionner un mauvais comportement. Il me
semble qu’un enfant qui bat physiquement un autre enfant
mérite une correction physique à son tour. Il ressent ainsi
les souffrances physiques qu’il inflige à l’autre. Une telle
fessée ne doit cependant pas être administrée sous le coup
de la colère, mais dans le calme et avec amour. L’enfant qui
s’est mis à frapper l’autre l’a sans doute fait en ayant perdu
le contrôle de lui-même ; il ne faut pas que l’adulte répète
la même erreur. L’adulte qui le corrige doit être maître de
ses émotions et de ses réactions ; il doit le faire avec amour
en faisant bien comprendre à l’enfant coupable que son
attitude vis-à-vis de l’autre était inacceptable et entraîne
pour lui des conséquences douloureuses.
Il est également préférable d’infliger un châtiment
corporel s’il a été indiqué comme sanction avant que l’en-
fant ne se conduise mal. L’enfant doit savoir ce qui l’attend
s’il transgresse le règlement. Il doit aussi ne pas douter de
l’amour de ses parents, et se rendre compte que la fessée
I
136   Une famille qui s’aime

n’a pas pour but premier de le faire souffrir, mais de lui


apprendre à obéir.
La fessée peut aussi être de mise si l’enfant va seul
dans la rue, ou s’approche trop près d’un feu ou d’un autre
danger physique. S’il n’obéit pas à l’interdiction verbale,
alors la fessée lui fera comprendre que chaque fois qu’il va
seul dans la rue ou s’approche du feu, il devra souffrir phy-
siquement. À mon avis, le châtiment corporel doit être ré-
servé à des actes de rébellion ou de défiance, et être infligé
à l’enfant quand il est encore petit. Donner une fessée à un
enfant plus âgé peut le rendre encore plus rebelle, surtout
s’il estime qu’il ne méritait pas la fessée. L’essentiel est que
la fessée soit administrée avec amour et dans l’intérêt de
l’enfant.
Malheureusement, la fessée traduit plus souvent la
colère mal contenue du parent que la réaction juste et ré-
fléchie à l’inconduite de l’enfant. C’est le moment de nous
interroger : « Avons-nous abusé de la fessée comme moyen
disciplinaire dans notre famille ? » Si c’est le cas, convenez
d’appliquer dorénavant la fessée si vous êtes tous les deux
d’accord pour reconnaître qu’elle est, dans la situation pré-
sente, le meilleur moyen d’inculquer l’obéissance à l’en-
fant. Elle sera d’autant plus efficace que vous aurez précisé
d’avance dans quel cas il conviendra de l’administrer.
Si vous n’avez jamais défini les cas dans lesquels le
châtiment corporel s’applique, vous agissez de manière
impulsive et constatez que parfois votre conjoint vous dé-
sapprouve. Il vaut mieux prévoir ensemble les cas où ce
châtiment s’impose et ne pas attendre de se trouver dans
le feu de l’action. Une fois que vous avez bien précisé la
nature des conséquences que l’enfant devra subir, assu-
rez-vous que tous les membres de la famille les ont bien
comprises. Cela rend la sanction disciplinaire plus accep-
table pour l’enfant et entraînera moins de conflits entre les
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 137
parents. Vous avez défini le genre de sanction pour telle
infraction au règlement ; quel que soit le parent présent
à la maison, l’enfant coupable sait qu’il aura la sanction
prévue.
Lorsqu’une règle familiale a été transgressée et que
l’enfant mérite d’être châtié, le parent chargé de le punir
devra communiquer une bonne dose de tendresse avant
et après le châtiment. Cela se fera d’autant mieux qu’il
parlera le premier langage d’amour de l’enfant. Prenons
un exemple. Disons que l’enfant a joué au ballon dans le
salon, ce qu’il savait être interdit. La sanction prévue dans
ce cas est la confiscation du ballon pendant deux jours. De
plus, si en jouant au ballon, l’enfant a brisé un objet, il est
chargé de payer la réparation ou son remplacement avec
son argent de poche.
Tristan a enfreint la règle. En jouant au ballon dans le
salon, il a brisé un vase. Supposons que le langage d’affec-
tion que Tristan comprend le mieux est celui des paroles
valorisantes. La maman le prendra à part et lui dira :
— Tristan, tu sais que je t’aime beaucoup. En général,
tu respectes les règles établies. Je suis fière de toi, de tes ré-
sultats scolaires et de ton travail à la maison. Tu fais de moi
une mère heureuse. Mais tu sais que si tu ne respectes pas
une règle, tu dois en subir les conséquences. Tu connais le
règlement et la punition. Je vais donc te confisquer le bal-
lon pendant deux jours. Nous avions décidé que tu devrais
payer la réparation ou le remplacement de tout objet brisé
par ta faute. Le vase que tu as fait tomber en jouant au
ballon dans le salon ne peut se réparer. L’achat d’un nou-
veau coûte trente euros. Cette somme viendra donc en dé-
duction de l’argent de poche que nous te donnons tous les
mois. Je sais que cela t’empêchera de faire ce que tu avais
prévu avec ton argent de poche, mais nous devons tous
apprendre à assumer les conséquences de nos erreurs.
I
138   Une famille qui s’aime

— Mais maman, Noël approche ! J’ai besoin de mes


trente euros pour acheter des cadeaux, proteste l’enfant.
— Mon fils, je te comprends fort bien, et je sais que tu
auras plus de mal à acheter tes cadeaux avec ces trente eu-
ros en moins. Mais nous nous étions mis d’accord sur les
conséquences en cas de désobéissance aux règles fixées.
Je dois être conséquente avec ce que nous avions décidé.
Sache cependant que je t’aime ; c’est pourquoi il est de ma
responsabilité de t’aider à observer le règlement.
La maman peut alors s’avancer et donner un baiser à
son fils. Si avant de lui appliquer la sanction décidée d’un
commun accord et après, le parent exprime son amour
pour l’enfant dans le langage que celui-ci capte le mieux, il
adopte la façon la plus efficace pour lui enseigner l’obéis-
sance. Même dans les circonstances pénibles pour lui,
l’enfant est assuré de l’amour de ses parents.
Comparez cette approche avec la suivante : le père en-
tend le vase tomber de son support et se briser en mille
morceaux. Il se précipite dans le salon et hurle : « Je t’ai
déjà dit mille fois de ne pas jouer au ballon dans le salon.
Regarde ce que tu viens de faire ! Ce vase nous a été offert
par grand-mère ; il a plus de trente ans, il est donc d’une
valeur inestimable. Contemple ton œuvre ! Quand ap-
prendras-tu donc à obéir ? Tu te conduis comme un enfant
de deux ans. Je me demande ce que je vais faire de toi ! Al-
lez, disparais de ma vue ». Et au moment où l’enfant passe
devant lui pour sortir, le père lui administre une tape re-
tentissante sur les fesses. Laquelle des deux méthodes est
plus à même d’enseigner l’obéissance à l’enfant ?
Soyez honnête. Quelle méthode se rapproche de votre
réaction quand l’enfant a enfreint les règles ? Laquelle es-
timez-vous la plus productive ? Je pense que la plupart des
parents seront d’accord avec moi : la méthode qui consiste
à bien expliciter les règles, à indiquer clairement les sanc-
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 139
tions avant que l’enfant ne les transgresse, puis, en cas de
désobéissance, à appliquer fermement la sanction prévue
en l’ayant fait précéder d’un geste d’affection, est de loin
la plus efficace pour enseigner l’obéissance à l’enfant et
conserver la santé mentale aux parents.

L’exercice de la discipline
Une fois que les règles ont été clairement définies et
les sanctions en cas de désobéissance communiquées à
l’enfant, il est de la responsabilité des parents de s’assu-
rer que le coupable subira bien la sanction prévue pour
son inconduite. Si le parent se montre magnanime et per-
missif un jour en ne sanctionnant pas une faute, et que
le lendemain il fasse preuve d’une sévérité extrême pour
la même faute, il se prépare à coup sûr à élever un enfant
désobéissant et irrespectueux. Les mesures disciplinaires
inconstantes constituent le piège le plus courant dans le-
quel tombent les parents qui s’efforcent de faire de leurs
enfants des êtres responsables. Il faudrait appliquer la
sanction aussi près que possible de la faute, mais l’appli-
quer avec fermeté et amour.
« Il y a des jours où je suis fatigué, me dira un parent.
Je n’ai alors pas envie de réagir à la désobéissance de mon
enfant ». Mais nous sommes tous sujets à la fatigue. Quel
parent n’a pas été au bout du rouleau à cause du stress de
la vie courante ? Or, rien n’importe plus que nos enfants.
Dans les cas de grande lassitude, nous devons puiser dans
nos réserves et tout de même réagir avec amour et fermeté
à la transgression de nos enfants.
Le fait d’avoir clairement fixé d’avance la nature des
sanctions en cas de désobéissance empêche que vous soyez
sous l’emprise des émotions du moment. Si vous avez déjà
décidé quelle serait la punition infligée à l’enfant pour sa
désobéissance, votre responsabilité consiste uniquement
I
140   Une famille qui s’aime

à vous assurer que le châtiment lui est bien appliqué. Vous


n’avez pas à décider la punition qu’il mérite : vous mettez
simplement en pratique ce qui a été décidé d’un commun
accord. Vous n’avez pas besoin de hurler ou de crier après
l’enfant, ni de le rosser sous le coup de la colère si vous
avez décidé à l’avance des conséquences à prendre.
Marie rentre de l’école en fin d’après-midi. Sa mère
l’embrasse, lui donne son goûter et l’interroge sur le dé-
roulement de sa journée. Puis elle ajoute :
— Marie, tu sais que tu dois faire ton lit et ranger ton
pyjama tous les matins avant d’aller à l’école. Or ce matin,
ton lit n’était pas fait et ton pyjama traînait par terre. Tu te
souviens que nous avions fixé une punition pour cet oubli :
la privation de télé le soir. Fais tes devoirs, ensuite joue si
tu en as envie, mais sache que tu ne pourras pas regarder
la télévision ce soir. Je t’aime, et je sais que tu apprendras
très vite à faire régulièrement ton lit et à ranger tes affaires.
— Mais maman, ce soir, c’est mon programme pré-
féré. Toutes mes amies en parleront demain à la récréa-
tion, et je ne pourrai pas participer à la conversation. S’il
te plaît, maman, laisse-moi regarder l’émission ce soir, et
je te promets que je ne la regarderai pas demain soir. Allez,
maman s’il te plaît !
— Je comprends très bien que tu veuilles voir ton
émission favorite, mais je me souviens que nous nous
étions mises d’accord sur les sanctions à appliquer en cas
de désobéissance. Je regrette, mais tu ne regarderas pas la
télé ce soir.
La maman reste douce mais ferme, en dépit des sup-
plications de sa fille. Celle-ci se souviendra que ses actions
ont des conséquences.
Si la maman reste logique avec elle-même et avec le
règlement défini, fait preuve d’amour et de fermeté, elle
Chapitre 8 : pourquoi obéir est si important  I 141
constatera rapidement que sa fille fera systématiquement
son lit avant de quitter la maison le matin. En revanche, si
elle cède ou renonce à faire subir à Marie les conséquences
de sa désobéissance, il se pourrait fort bien que lorsque
Marie aura quinze ans, ce soit sa mère qui fasse réguliè-
rement son lit et range son pyjama. Cet exemple indique
quelles sont les différentes étapes d’une saine discipline
appliquée de façon conséquente. (1) Nous exprimons à
l’enfant que nous l’aimons et que nous prenons soin de
lui. C’est ce que la maman de Marie a fait en l’embrassant à
son retour de l’école, en lui donnant un gâteau et en lui de-
mandant des nouvelles de sa journée. (2) Nous indiquons
à l’enfant qu’une règle claire a été violée et lui rappelons la
sanction qui avait été prévue dans ce cas. (3) Nous veillons
à ce que l’enfant subisse les conséquences de sa transgres-
sion. Nous écoutons les supplications de l’enfant, mais
nous lui répétons qu’il doit assumer les conséquences de
sa désobéissance ou de sa négligence.
Le fait de punir l’enfant est souvent pénible et doulou-
reux pour le parent. Voici un exemple. Maman et Thomas
avaient convenu que si le garçon ne faisait pas ses devoirs
scolaires, il n’aurait pas le droit de participer à la séance
d’entraînement de basket le lendemain après-midi. Un
soir, Thomas néglige de faire ses devoirs d’école. Le père
l’informe qu’il sera privé de la séance d’entraînement du
lendemain.
— Papa, c’est un match important ce samedi. Si je ne
participe pas à l’entraînement, je ne serai pas sélectionné
dans l’équipe. S’il te plaît, papa, laisse-moi aller à l’entraî-
nement !
— Fiston, je n’y suis pour rien. C’est toi qui t’es
mis dans cette fâcheuse posture. Tu connaissais la règle
concernant le travail scolaire. Tu avais largement le temps
de le faire. Tu as préféré regarder la télévision et jouer avec
I
142   Une famille qui s’aime

Michel. Je regrette, mais nous étions bien d’accord sur le


règlement et sur les sanctions à appliquer.
— Papa, tu sais tout ce que cela représente pour moi.
Interdis-moi les séances d’entraînement de la semaine
prochaine, mais pas celle de demain ! S’il te plaît !
Que devrait faire tout père ? La réponse est simple
mais pas facile. Soyez gentil, aimable, mais ferme. Le fait
de rater le match ne supprime pas les chances de votre fils
de faire partie de l’équipe universitaire quelques années
plus tard, mais il lui fera certainement mieux prendre
conscience des conséquences douloureuses entraînées par
la désobéissance. Voilà ce qui pousse l’enfant à choisir la
voie de l’obéissance.
De telles sanctions doivent toujours être appliquées
dans un esprit d’amour. Le parent directement concerné
doit rester maître de lui-même, et ne pas se laisser entraî-
ner à hurler et à crier. Il doit plutôt faire comprendre qu’il
éprouve beaucoup de sympathie pour son enfant puni.
Celui-ci doit voir que le parent aussi souffre de ce qu’il ne
peut pas figurer dans l’équipe qui jouera le match. Mais
c’est la réalité de la vie. Quand une personne désobéit,
d’autres aussi en subissent les conséquences. Ce sont ces
souffrances, ainsi que l’honneur dû à ses parents, qui ap-
prennent à l’enfant à obéir.
Interrogez votre entourage : la famille
reste, envers et contre tout, une valeur
fondamentale. Alors, pourquoi tous ces foyers
piégés par leurs dysfonctionnements, entraînés
parfois jusqu’au point de rupture ? Au fond,
à quoi ressemble une famille saine ?

Conseiller expérimenté, Gary Chapman décrit


cinq caractéristiques d’une famille qui vit
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Gary Chapman • Conseiller conjugal,


Gary Chapman anime de nombreux
séminaires dans le monde entier. Il est
célèbre notamment pour son best-seller
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quant aux relations personnelles,
notamment dans la vie de couple ou de
famille, en fait un auteur doué et très
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9 782910 246877 ISBN 978-2-910246-87-7

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