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Lettres persanes, lettre 99, les caprices de la mode : lecture linéaire

Dans Lettres persanes, Montesquieu est un observateur avisé de la société française.


Par ce roman épistolaire, il donne à voir les mœurs de la société française par le regard extérieur de
deux persans, qui vont, sans le filtre des préjugés, donner un portrait objectif de la société française.
Dans la lettre 99, Rica adresse à Rhédi une lettre où il témoigne des caprices de la mode. Nous
verrons comment Montesquieu fait-il un éloge de la stabilité tant pour la mode que pour les
institutions ?

Dans la lettre 99, Montesquieu fait une satire de la mode (I) dans un registre comique et
délibérément caricatural (II). Mais cette satire a un objectif politique : fait l’éloge de la stabilité (III).
I – Une satire de la mode :Du début de la lettre 99 à « a voulu exprimer quelqu’une de ses
fantaisies ».
 A – Un récit de voyage
Montesquieu pose d’emblée les plaisirs et le déguisement comme le sujets de la lettre 99.
En effet, la lettre est censée être envoyée à  Venise, la ville symbole du masque, du divertissement, et
des plaisirs.
Le verbe « Je trouve » exprime la confrontation d’un regard à un monde nouveau et rappelle les
récits de voyage.
La première phrase suscite l’intérêt car Montesquieu perturbe l’ordre syntaxique attendu
en postposant l’adjectif « étonnants » et en intercalant de manière inhabituelle le complément
circonstanciels de lieu « chez les Français » : « Je trouve les caprices de la mode, chez les Français,
étonnants. »
Ces perturbations syntaxiques miment le trouble et l’étonnement de Rica devant le spectacle des
mœurs françaises.
B – Le registre satirique
Le ton de la lettre 99 est satirique : Montesquieu se plaît à tourner en ridicule les caprices de la mode.
Le parallélisme de construction mime les changements de mode : une mode se substitue à une autre
très rapidement (« Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore
plus comment ils le seront cet hiver » ).
L’antithèse « été » / « hiver » montre la soumission des Français au temps et aux aléas de la mode
tandis que le pronom personnel « Ils » confond tous les Français dans une généralisation satirique
qui suggère le comportement moutonnier du peuple français.
Le pronom impersonnel « il en coûte à un mari… » suggère que la mode est une tyrannie : ce ne sont
plus les personnes mais la mode qui décide.
La question rhétorique. « Que me servirait de … » évoque la rapidité des changements de la mode.
L’irréel du présent (« viendrait », « tout serait changé ») souligne l’instabilité de la mode qui est
imprévisible.
La mode change avec une étonnant rapidité comme le montre l’hyperbole « tout serait changé ».
C – Une galerie de portraits
Montesquieu fait ensuite une galerie de portraits pour se moquer des méfaits de la mode.
Il dresse un portrait sous forme d’esquisse (« Une femme ») à la manière d’un auteur satirique
L’opposition entre « six mois » et « trente ans » accentue la désynchronisation progressive entre
ceux qui suivent la mode et ceux qui ne la suivent pas, entre Paris et la Province.
Cette description est évidement comique car l’adjectif « antique » est hyperbolique. Il trahit le regard
méprisant de la société parisienne à l’encontre de ceux qui ne se soumettent pas à la tyrannie de la
mode.
Montesquieu poursuit la satire en évoquant un fils qui ne reconnaît pas le portrait de sa mère.
Le champ lexical de l’art (« portrait », « peinte », « s’imagine », « représentée », peintre »,
« fantaisies ») montre que l’artifice prend le pas sur la nature . Sous l’effet de la mode, les personnes
deviennent des représentations, des masques et perdent leur naturel et leur authenticité.
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II – Le registre comique
(De « Quelquefois les coiffures montent » à « les filles se trouvent autrement faites que leurs
mères »)
 Montesquieu évoque avec humour l’inconstance de la mode.
La mode est synonyme de changement et d’inconstance comme le montre les antithèses entre
« montent »/« descendre » et « insensiblement »/ « tout à coup ».
Le temps de la mode est un temps élastique, imprévisible qui défie toute rationalité. Il est l’opposé de
la mesure et du bon sens.
Montesquieu utilise le registre comique pour dresser une portrait presque animal
voire monstrueux de la femme à la mode : « Il a été un temps que la hauteur immense mettait le visage
d’une femme au milieu d’elle-même ».
Le champ lexical du corps (« coiffures », « visages », « pieds », talons », « parures ») donne
l’impression que la mode démembre la femme.
Le champ lexical du gigantisme est caricatural : « montent insensiblement« , « hauteur immense« ,
« qui les tenait en l’air« . Encore plus surprenant, l’architecture, premier art majeur, est soumis aux
caprices de la mode, comme le souligne le champ lexical de l’architecture : « architectes », « hausser »
« baisser », « portes », « leur art »).
L’art mineur prend donc le pas sur l’art majeur : c’est un renversement comique des valeurs : « les
règles de leur art ont été asservies à ces caprices. »
 Montesquieu poursuit sa satire des femmes et de la mode en jouant sur la polysémie du terme
« mouche » à la fois animal repoussant et accessoire d’apparat très en vogue au XVIIIème siècle : « On
voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes les
lendemain. »
Le sens actif du verbe « elles disparaissent » assimile d’ailleurs la « mouche » à l’animal, ce qui crée un
décalage comique.L’expression « avaient de la taille et des dents » crée également un effet
comique car si l’on disait bien « avoir de la taille » pour dire qu’une taille était marquée,
l’expression « avoir des dents«  reste cocasse comme si la mode suivante était de ne plus en avoir, ce
qui est absurde.
III – Une mise en garde politique :(De « Il en est des manières et de la façon de vivre » à la fin de
la lettre 99.)  A – La méfiance à l’égard du changement :
A la fin de la lettre 99, Montesquieu élargit son propos sur l’inconstance de la mode aux mœurs du
royaume. Il s’inquiète des changements perpétuels de la mode qui reflètent l’instabilité du
royaume après la mort de Louis XIV : « les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. »En
1717, date supposée de la lettre de Rica, Louis XIV est mort depuis 2 ans et le futur Louis XV n’a que 7
ans (« selon l’â ge de leur Roi ») La France est donc sous la Régence. Une relecture de la lettre 99 nous
amène d’ailleurs à voir que le champ lexical du changement qui traverse toute la lettre (« caprices »,
« détruire, « changé », « révolution », « changeante nation », « changent de mœurs ») a une
forte connotation politique. C’est en réalité le royaume qui est inconstant.

B – Un éloge de la stabilité des mœurs et des institutions


Montesquieu termine sa lettre en évoquant la correspondance entre l’esprit du roi et l’esprit de la
Nation comme le suggère la métaphore du moule « un moule donne la forme. »
C’est donc le comportement du roi qui permet la stabilité du pays car sa volonté se diffuse dans le pays
comme  le montre les répétitions «  Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à
la ville, la ville aux provinces ».

Montesquieu fait dans cette lettre 99 une ode à la stabilité et à la continuité :♦ Pour les femmes
qui doivent se mettre à l’abri des caprices de la mode♦ Mais aussi pour le royaume lui-même qui doit
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se mettre à l’abri des caprices et des passions politiques. Cette stabilité sera l’objet de la recherche
politique de Montesquieu dans De l’Esprit des Lois en 1748.

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