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Actes des colloques de la Société

française d'onomastique

La place du nom propre en arabe et les enjeux sur les 99 noms de


Dieu
Soufian Al Karjousli

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Al Karjousli Soufian. La place du nom propre en arabe et les enjeux sur les 99 noms de Dieu. In: Le nom propre a-t-il un
sens ? Actes du Colloque d’onomastique d’Aix-en-Provence (juin 2010) Paris : Société française d'onomastique, 2013. pp.
355-370. (Actes des colloques de la Société française d'onomastique, 15);

https://www.persee.fr/doc/acsfo_0000-0000_2013_act_15_1_1182

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La place du nom propre en arabe
et les enjeux sur les 99 noms de Dieu

SoufianNantes
Al Karjousli
(France)

Remarques préliminaires
Les transcriptions utilisées pour les citations en arabe sont celles du système de trans¬
cription en usage dans la revue Arabica.

d
b L t
t i z
4
t
e é i g
C h f
C h q
J d k
4 J i
J r m
j z U n
o> s A h
u- s J w
O s V y

La hamza initiale n’est pas indiquée.


Voyelles courtes : a, i, u.
Voyelles longues : â, ï, ü.
Diphtongues : aw, ay.

L’attribution et l’utilisation des noms propres sont sans conteste un aspect fonda¬
mental des relations humaines. Le nom propre exprime souvent le support de l’iden¬
tité, qu’elle soit nationale, régionale ou plus locale. Dans les langues sémitiques, ce
sont les noms et prénoms qui définissent l’identité et la généalogie. Ils ont, dans leur

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Soufian Al Karjousli
grande majorité, une signification qui semble être un des critères de choix à l’heure de
la nomination d’un enfant. Il existe bien sûr aussi un grand nombre d’autres critères
qui président à ce choix, comme celui de la volonté d’honorer ou de prolonger la
mémoire familiale, de protéger l’enfant ou encore de créer du plaisir à l’évocation
du nom donné. Le nom est aussi un indicateur religieux de premier plan et il est
utilisé par les religions dites « du Livre » comme un support qui affiche l’apparte¬
nance de celui qui le porte. L’analyse du vocable arabe ism, qui désigne le « nom »
lui-même, est riche d’enseignements, notamment par ses portées sémantiques. Ainsi,
en arabe, l’utilisation de ce vocable ism, littéralement traduit par le terme « nom », est
très fréquent et fortement polysémique. Son sens dépasse le sens décrit par la linguis¬
tique arabe, comme étant le « nom », pour aller puiser aux sources sémantiques des
langues sémitiques et des religions. Ainsi, chez les anciens sémites, il était pris pour
la personne nommée : « Dieu choisissait un lieu [. . .] pour y faire habiter son Nom1. »
Le philosophe Râzi a abondamment écrit sur le sujet et montre que de la polysémie
du vocable ism découle le problème de la classification des noms de Dieu: s’agit-il
des 99 « noms » de Dieu ou des 99 « caractéristiques » de Dieu? Vient se greffer
également à cette formule une autre symbolique, celle des chiffres. Signalons ici
simplement le fait qu’en général, dans les langues sémitiques, les chiffres ne donnent
pas toujours un nombre exact mathématique. En ce qui concerne les 99 noms de Dieu,
ce nombre de « 99 » ne correspond donc pas forcément au nombre exact des « noms »
ou des « caractéristiques », mais il peut prendre le sens de « beaucoup ». Ainsi, Râzi
affirme que « Dieu possède mille et un noms ». Etudier les noms propres en arabe ne
peut finalement se faire sans poser la question des appellations de Dieu. Le Coran fait
référence à différents noms, de manière isolée ou dans une suite de huit appellations.
Isolés ou assemblés, attribués à l’être humain ou à Dieu, les noms propres se
voient souvent dotés d’une force spéciale, d’un pouvoir symbolique que nous nous
efforcerons de décrypter. Les interprétations qui en découlent, notamment en ce qui
concerne les appellations de Dieu, ont enclenché de nombreux débats qui, parfois, ont
fait école.

Le pouvoir des noms


Il est utile de remarquer pour commencer qu’historiquement, nommer quelqu’un ou
quelque chose, posait le problème de l’existence et du repérage. Il fallait d’abord
savoir si l’être existait dans le monde du vivant, s’il relevait de l’imaginaire, de
l’au-delà, et enfin juger s’il convenait de lui attribuer un seul ou plusieurs noms.
De manière assez générale, la traduction du nom propre est souvent assez délicate
(Alexakis, 1986). Aujourd’hui, beaucoup pensent que les noms ne sont que des termes
utilisés simplement pour étiqueter les choses et les êtres, pour les distinguer les uns
des autres, or les noms sont plus que des étiquettes. Nombreux sont ceux qui estiment
que le nom cache une fonction autre que celle de nommer. Pour eux, le nom est alors
porteur de message. Pour une personne, il est plus qu’un simple nom, il est chargé de

i Denise Masson, Le Coran, dans les notes, vol. 1, 1967, Paris, Gallimard, p. 3.
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La place du nom propre en arabe. . .
plusieurs fonctions. Il sert comme indicateur du lieu de naissance; il indique l’ori¬
gine et/ou l’appartenance religieuse, ou encore le milieu socioculturel de celui qui
le porte. Certains pensent aussi que le nom d’une personne décrit son caractère, son
essence profonde ou ce qui est espéré pour lui. En arabe on utilise l’expression ism
‘ala musammâ, pour signifier que le nom de quelqu’un correspond exactement à son
caractère. Les Arabes avaient intériorisé par exemple le fait que le nom de Kadhafi,
l’ancien président de la Libye, faisait référence à « celui qui lance ». Aussi pour
nombre d’entre eux, il n’était pas étonnant que Kadhafi lançât constamment des défis
contre les autres. Beaucoup d’Arabes voyaient aussi dans la signification du nom
Saddam, dont le sens est le « choc », une explication des affrontements de l’ancien
président de l’Irak avec ses opposants. Plusieurs philosophies guident ainsi les arabes
dans le choix ou l’interprétation qu’ils font des noms propres. Historiquement, l’envi¬
ronnement a toujours été un élément essentiel pouvant déterminer le nom de l’enfant.
Ainsi, on pouvait donner à l’enfant, au moment de sa naissance (Qurami, 2007 : 78),
le nom de la chose la plus proche de lui. Ce pouvait être un caillou, hagar, ou encore
un chien, kalb. La dation du nom pouvait se faire également par rapport à l’envi¬
ronnement sensoriel : sonore, visuel, olfactif, sensitif. Il pouvait ainsi être attribué à
l’enfant le nom du « tonnerre », Ra ‘d, de la « douceur du vent », Nasym, du parfum
printanier, Raby ‘ pour les garçons, Raby ‘a pour les filles, de la « senteur du jasmin »,
Yasmin, de celle du « jasmin d’Arabie », Fulla, ou encore de la « rose », Ward pour un
garçon, Warda pour une fille. Le souci de préserver l’enfant du mauvais œil pouvait
aussi orienter le choix sur un nom repoussoir. Ainsi, Abi Mansûr At-Ta ‘alibi2 dont
le nom signifie « Le Renard», (961/1038, soit 350/429 de l’hégire) nous rapporte
à ce sujet une anecdote significative. On posa un jour à Abi Ar-Raqis Al KilâbP la
question de savoir pourquoi les arabes choisissaient de mauvais noms pour leurs
propres enfants et les plus beaux noms pour leurs esclaves. Al Kilâbi répondit que si
les arabes donnaient des noms tels que « Chien », Kalb ; « Loup », Di ’ b ; « Hyène »,
dab‘\ « Lézard », garbû « Cailloux », hagar; « Guerre » harb ; « Combat », Jihad
ou encore « Combattant » muqâtel, c’était pour mieux les préserver. Pouvoir, par
exemple, les associer par leur nom à une stratégie guerrière permettait de leur donner
une arme psychologique : le seul fait de prononcer leur nom avait alors pour but de
faire frémir l’ennemi. Kilâbi poursuivit en expliquant qu’au contraire la nomina¬
tion des esclaves devait servir à apporter du plaisir au maître quand ce dernier les
appelait. Al Kilâbi précise qu’on leur donnait donc plutôt de jolis noms, tels que
« Dieu lui a beaucoup donné », Marzûq ; « Étendue », Rabâh ; « Bien vivre », Yuser;
« Joie », Sa ‘d; « Don », Yumn ; « Adorateur de Dieu », Abdu Allah (Muslim, 2002 :
1143). Avec l’arrivée de l’islam, de grands bouleversements ont été introduits et les
noms propres se sont révélés être un enjeu majeur pour montrer l’affiliation à ce
nouveau mouvement de la société qui s’est rapidement imposé. Une grande entreprise
d’islamisation des noms a été réalisée. Le Prophète a commencé par exprimer son

2 At-TA‘ALIBI Abi Mansûr, Fiqh al-luga wa sirr al ‘arabyia, « L’éloquence de la langue et le secret de
l’arabe », http://www.archive.org/details/ThaalibiFiqhAlLugha.
3 Le nom Al Kilâbi signifie d’ailleurs « qui se rapporte aux chiens ».
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désaccord avec l’utilisation de certains de ces noms comme ceux de « Yia’li, Barka,
Nâfe ’ » {ibid.), « Yasâr, Aflah, Nagîh, Rabâh » {ibid.). Il avait aussi changé le nom
de Asiya pour celui de Djamila (ibid. : 1 143), celui de Barra pour Juwaiyri (ibid.).
Ainsi Barra bintu Gahs, « fille de la mule » a porté le nom de Zaynab (ibid.) qui
signifie « petite grosse ». Il a interdit le nom de Ahna ‘, car il signifie Malek al amlâk,
« Le propriétaire des toutes les choses », or il n’y a de propriétaire que Dieu {ibid. :
1 144). Il est aussi rapporté que Muhammad avait changé le nom du fils de ‘Ali, qui se
nommait Harb, « Guerre ». Il lui donna le prénom de Husayn « Beauté » (Ar-Rasâfi,
2002 : 170), Al Mudtg ‘ « celui qui est en position couché » est devenu Al Munba ‘it
« celui qui est ressuscité » ; Bugayr « Ventru » est devenu ‘Umar ben al ‘âs4 « Umar
fils de Rebelle » et la nouvelle appellation de ‘Abdul ‘Uza ben Hatl « L’esclave
du Dieu de Uza » a été transformée en ‘Abdul Rahmân ben ‘Aû (Ar-Rasâfi, 2002
427) « L’esclave du Miséricordieux ». Des hadiths livrent les noms les plus aimés
de Muhammad. Le commentateur Muslim (Muslim, 2000: 1140) nous rapporte
ainsi que, pour le Prophète, « les plus aimés des noms sont ‘Abdullah, « Esclave de
Dieu », et ‘Abdull Rahmân « Esclave du Miséricordieux », que les plus francs sont
A\-Hâret, « Le paysan en araméen », et Ai-Hammâm, « Le Courageux », et les plus
laids Harb, « Guerre », et Murra « Amertume ». Dans un autre hadith, Muslim dit :
« N’appelez vos fils, ni Yasâra « Douceur », ni Rabâhan « Gagnant », ni Nagâhan
« Champion », ni Aflah « Vainqueur » car cela ne peut jamais refléter la réalité de leur
être. Muhammad aurait insisté sur le fait que parfois le nom porté pouvait devenir un
fardeau s’il ne correspondait pas à la capacité ou à la situation de l’enfant.
Muhammad avait également modifié des noms de tribus et de lieux. Il a ainsi
remplacé le nom de la tribu de Zayna, « Belle » en celui de Ar-Rusda, « La Raison¬
nable ». Celui de la tribu de Mugwiya « Tribu de l’Excitation » a été modifié en Banu
Risda « Tribu de la Raison ». Des noms de lieux ont aussi subi des changements : la
terre ‘Afra « Poussiéreuse » est devenue adra « Verte », et Sïb adalâla « Oasis de
égarés » est devenu Sïb al Hudâ (Ar-Ras âfi, 2002 : 426) « Oasis du Bien guidé ».
La ville de Yatreb « Infecte », ville de la mère du Prophète a pris le nom de Médine
(Ar-Ras âfi, 2002 : 58) « là où il y les lois de la religion », c’est à dire la « Ville ».
Muhammad était même allé plus loin dans sa stratégie de changement des appel¬
lations, en islamisant les références d’appellation du temps (Al Kaijousli Soufian,
2006 : 351) en remplaçant le nom des jours de la semaine (Suyûti, 1998 : 174), ce qui
provoqua des oppositions de la part des Arabes. Ce grand chantier d’islamisation des
noms ne s’est donc pas fait sans résistances. Certains ont refusé de se plier au désir de
Muhammad. Cela a été le cas de Hizn ben Abï Wahab, « Triste, fils de Don ». Le jour
où ce dernier a embrassé l’islam, le Prophète lui aurait proposé de prendre le nom de
Sahl « facile », ce qu’il refusa en argumentant par le fait qu’on ne change pas un nom
donné par ses propres parents et que le nom qu’il portait lui allait fort bien (Ar-Ras
âfi, 2002:426).
Certains non croyants ont vu aussi leur nom substitué par Muhammad, cette fois-ci
dans le sens d’une dégradation. Le Prophète leur attribua des noms moins beaux.

4 Ali ben Burhân ed-Dyn al Halabi, As-Syra al Halabyia, op. cit., p. 342.
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La place du nom propre en arabe. . .
Ainsi Abu-l Hakam ben Hism, « Père de la sagesse », est devenu Abû Gahl, « Père
de l’ignorance », et Abû ‘Amer qui avait le surnom de Ar-Râheb, « Le Prêtre », est
devenu Al-Fâseq, « Le Déviant ». Cette démarche de dégradation par changement
de l’appellation a été aussi utilisée par les opposants à l’islam qui, par exemple, ont
décidé de remplacer de nom de Muhammad par celui de Mudamam (Ar-Ras âfi, 2002 :
429) « Maudit ». Ils utilisaient aussi l’appellation de al abtar, « celui qui n’a pas de
descendance masculine ».
Assemblés, les noms peuvent concentrer un pouvoir particulier. Dans le texte
coranique, les noms de Dieu ne sont pas tous rassemblés, mais ils ont fait l’objet
d’une mise en liste par la suite. Il peut y avoir plusieurs raisons à la création d’une
telle liste. Elle peut, par exemple, être réalisée à une fin thérapeutique, telle qu’utilisée
jusqu’à nos jours par les marabouts en Afrique ou par les cheiks dans le monde arabe.
La répétition des appellations de Dieu est censée guérir des maladies. Elle peut égale¬
ment avoir une dimension théologique et idéologique, notamment à travers la multi¬
plication des appellations. La différence entre les appellations inscrites dans le Coran
(tableau 1) et celles inscrites dans les hadiths (tableau 2) montre que les appellations
ou les nominations de Dieu n’ont pas été fixées une fois pour toutes. Des hadiths du
Prophète signalent l’existence de 99 noms de Dieu et la tradition en a établi plusieurs
listes. « Dieu a quatre-vingt-dix-neuf noms, celui qui les compte rentre au paradis »
(Muslim, 2000:1395).
La pensée musulmane, qu’elle réduise ou multiplie les appellations de Dieu, a
chargé les appellations de Dieu d’une autre dimension en lui offrant une potentialité
polysémique, qui complique les traductions (Mattalucci, 2009, 227).

De la sémantique du vocable ism


à la légitimité des appellations de Dieu
Donner et porter un nom ou un prénom est donc une affaire complexe. Cela donne
des arguments à certains traducteurs pour refuser de traduire, car « traduire, c’est
trahir ». Ceux-là estiment que le nom propre, qu’il soit attribué à l’être humain ou à
Dieu, doit rester tel qu’il est, autrement dit intact. Par exemple, pour une partie des
juifs, il n’est pas question de traduire le nom de Dieu, Elohim yavé ou sadaid, par
« Dieu », ce serait, pour une grande partie des croyants, contraire à la plus élémentaire
déontologie. Certains chrétiens aussi protestent quand on traduit Théos par « Dieu »,
ou « Seigneur ». Des discussions ont également eu lieu autour de l’équivalent du
vocable « Dieu » pour le « Père », le « Fils » et le « Saint-Esprit ». De même, une
partie des musulmans refusent la traduction d’ Allah par « Dieu ». Dans l’islam, les
99 nominations pour un seul Dieu posent le problème de la nature de ces 99 nomina¬
tions. Sont-elles des noms, des caractéristiques, ou bien des attributs ? Une partie du
problème de la nomination en général, et celle de Dieu en particulier, dans les langues
sémitiques, et dans les « religions du Livre », pourrait venir du fait que l’écriture
sémitique est, à l’origine, purement consonantique, et que, dans leur structure, ces

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Soufian Al Karjousli
langues accordent aux noms une place plus importante qu’aux verbes. Il faut aussi
renvoyer aux domaines de la polysémie et de la synonymie portée par ces langues
(Al Kaijousli, 2009).
Signalons également que l’adresse de la nomination porte la légitimité. S’adresser
« au nom du/de. . . » est toujours un commencement dans les langues sémitiques.
Ainsi, les chrétiens arabes commencent leurs prières par une prière tirée de la fin
de l’évangile selon Mathieu:

(jÆ\ £#y\j t_iV! flub

« Au nom
Bismi-l
du Père,
Âb wal-
du Iben
Fils etwa-r
du Saint-Esprit
Raûh al qudus
» (Levi)

Le vocable qui sert à désigner le « nom », ici ism, devient central dans les discussions
et il est nécessaire de revenir sur la philosophie de la sémantique de ce vocable pour
en arriver aux discussions théologiques et finalement de la différenciation des écoles
de pensée arabo-musulmane.
Zamahari, dans son résumé de la langue arabe, définit et explique que « le nom
est ce dont on peut prédiquer, qui accepte la préposition. Le complément de nom,
l’article défini ou le tanwin, ses espèces sont les noms communs et les noms propres,
le nom flexible et ses satellites et le nom inflexible, le duel et le pluriel, le défini et
l’indéfini, le masculin et le féminin, le diminutif, le relationnel, les numéraux et les
noms reliés aux verbes » (Kouloughli, 2007 : 22). D’après le philosophe Râzi, dans
son livre Traité sur les noms divins (Golton, 2000: 21), le problème des noms de
Dieu dépasse le seul débat de l’étemelle question du détachement du monde par Dieu.
Dans son « grand commentaire », Al-tafsir al-kabir, Râzi explique que le vocable à
travers lequel on désigne le « nom » est, en arabe, le vocable ism. Ce vocable fait
référence à la fois au « nom propre », ism al-'alam ; au « nom d’origine verbale »,
al ism al mustaq, et au « nom commun », ism ag-gyns. Il signale aussi le sens de
« caractéristique » pour ism. De là, arrive le problème de la classification des noms
de Dieu: s’agit-il des 99 « noms » de Dieu ou des 99 « caractéristiques » de Dieu.
Râzi (Râzi, 1990 : 21) signale aussi que le vocable ism en tant que « nom » contient
par sa polysémie les trois concepts de fi 7 « verbe », harf « lettre » et kalima « mot ».
La polysémie de ce vocable ism amène donc à différentes compréhensions lorsqu’il
s’agit des versets coraniques et donne lieu à des débats importants. Dans la tradition
arabo-musulmane, on cite le verset suivant, pour montrer l’origine des noms :

aJ

5 AI-Ahfas Sa‘id, idem, p. 219.


6 Le Coran, 2/13.
360
La place du nom propre en arabe. . .
Wa ‘allama Adama l-asmâ ’a kullahâ
tumma ‘aradahum ‘alâ l-malâ’ikati
faqâla anbi ’uni bi-asmâ 7 hâ ulâ 7 in kuntum sâdiqin
« Et II a enseigné à Adam tous les noms
Puis II les a exposés aux anges
Il a dit: dites-moi leurs noms si vous êtes sincères. » (Al Karjousli, 2006)

Différentes traductions sont proposées ci-dessous. Elles tiennent compte des


remarques de Râzi, d’Ibn Manzûr Al-Andalusi (Ibn Manzûr, 1979: 2110) et d’Ibn
Fâris, les deux derniers suggérant en plus le sens de « langue » à ism.
Dans le cas où le vocable ism (pluriel, asmâ ’) signifie « nom(s) », le sens de verset
serait :

J. P (Al-Ahfas, 1985 : 857)


8 (jjibU-a £j] ç. VjA f U»luL Jlîa

9sm« EtWa
II o
a‘allama
enseigné
Adama
àn
Adam
l-asmâ
tous’ales
kullahâ »

Dans le cas où le vocable asmâ ’ signifie « mots » le sens de verset serait :

-CjUKIU 'J.

« EtAdam
II a enseigné
‘allama à-lAdam
kalimâta
touskullaha
les mots »

Dans le cas où le vocable asmâ ’ signifie « langues », le sens de verset serait :

-CAÜSL Joî 'J. j

«Wa
Et ‘allama
II a enseigné
Allahuà Adama
Adam toutes
l-al-lugâta
les langues
kullahâ
»

Dans le cas où le vocable asmâ ’ signifie « caractéristiques » le sens de verset serait :

J. J
Wa ‘allama Adama l-al malâ ’ikata al ’asmâ ’a kullahâ
« Et II a enseigné à Adam toutes les caractéristiques »

D’après Ibn Fâris, si les langues ont une origine divine, tawqifiyya, cela suppose,
d’après lui, l’existence des prophètes, qui sont les messagers de Dieu et des langues
qu’il a créées. Selon lui, les prophètes ne seraient donc pas des messagers de la seule
Parole divine mais seraient aussi porteurs des langues. Jacques Langhade qui reprend

7 Al-Ahfas Sa‘ïd b. Mas‘ada Al-Balhï Al-Magâs‘ï, (A1-), Ma ‘mi al-Qur ’an («


Les sens dans le Coran »),
édition Beyrouth, 1985, p. 857.
Al-Ahfas Sa‘ïd, idem, p. 219.
8 Le Coran, 2/13.
9 ou « Adam a enseigné tous les noms », voir Al Kaijousli, 2006.
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Soufian Al Karjousli
le sens de « caractéristiques » donné par Râzi écrit que, finalement dans cette logique,
« c’est Dieu qui a donné le nom pour tout ce qui est essence, gawhar » (Langhade,
2000:152).
Par ailleurs, le vocable ism, « nom/caractéristique », participe à la construction
d’une formule qui est à la fois religieuse et identitaire. Il s’agit de la prononciation,
avant tout acte, de l’expression Bi-smi l-lâhi, qui signifie littéralement « avec le nom
de Dieu ». Selon les commentateurs, il faut comprendre ou sous-entendre par Bi-smi
l-lâhi, « Je commence par la bénédiction de Dieu ». Cette formule de Bi-smi l-lâhi, est
utilisée quand il est prononcé fort, pour afficher, dans un lieu mixte, l’appartenance
à l’islam. Notons ici une curiosité, Bi-smi l-lâhi, en arabe est écrit sans la lettre A
(alif) et sans la hamza. D’après Al-Farâ’ (Farbi (Al), 1980: 2), si on l’écrivait selon
les règles linguistiques, cela donnerait Bi-ismi-Allâhi, mais il rapporte que les arabes
trouvaient cette formule trop lourde. Al-Farâ’ précise que ces mots non homographes,
donc qui s’écrivent différemment, ont les mêmes significations. Leur différence
d’écriture serait donc ici une question de pure esthétique. C’est devenu maintenant
une question de règle habituelle en arabe10. Cette formule fait référence à l’appellation
de Dieu et, à ce titre, elle nous ramène de nouveau à un des débats clé de la pensée
arabo-musulmane : l’interprétation des significations de l’appellation de Dieu. Cette
interprétation a été un point central qui a motivé la création des différentes écoles de
pensée arabo-musulmane.
Des appellations, il y en a encore bien d’autres, dispersées dans tout le corps du
texte coranique. Les linguistes musulmans n’ont jamais été d’accord sur la portée de
ces appellations, tant sur leur nombre que sur leur nature. Ils en ont fourni plusieurs
listes selon les périodes historiques et l’appartenance aux différents courants de
pensée. Les définitions de sens du nom propre divin dépendent donc de ces différents
éléments et renvoient la plupart du temps, pour les noms de Dieu, aux principales
écoles de l’islam et aux enjeux entre islam sunnite et islam chiite.

Enjeux de la liste des « 99 noms de Dieu »


et les différentes écoles de pensée
L’établissement de listes pour les noms de Dieu est ancien. La première liste assem¬
blant les noms/caractéristiques de Dieu remonterait à Al Walyd ben Muslim Al Qurasi
(195 de l’hégire11). Il y aurait ensuite la liste de ‘Abdul Malek As-San‘âni12. Ces
deux premiers collecteurs, rapporteurs de hadiths, sont considérés comme peu
fiables13. Une troisième liste est parfois considérée comme la plus récente par un
certain nombre d’institutions, telles la mosquée d’Al ’Azhar qui est une autorité
reconnue (bien que parfois contestée) dans le monde musulman. Il s’agit de la liste
d‘ Abdul Aziz ben Al Husayn.

10 Al-Ahfas partage cet avis. Al-Ahfas Sa‘id, 1 985 : 1 47.


11 http://www.uaearab.com/asma_alhusna/
12 http://www.sonnaonline.com/SubMosanfeen.aspx?FileID=mosanefo&ID=15,
13 http://74.6. 146. 1 27/search/cache?ei=UTF-
362
La place du nom propre en arabe...
La mosquée d’Al ’Azhar14 vient tout juste de refuser la mise à jour de la liste
de 99 noms de Dieu. Cependant, un des cheikhs de cette institution, Yûsef Sidiq Al
Badrî, a porté plainte avec cinquante autres cheikhs, contre Al ’Azhar, au nom qu’elle
validait toujours une ancienne liste de 99 noms de Dieu, sans se mettre à jour. Effec¬
tivement, Al ’Azhar refuse de reconnaître une étude plus récente, celle de Mahmûd
Abdul Razâq Ar-Rudwâni selon laquelle la liste des 99 noms de Dieu contiendrait
21 « faux » noms15, parmi lesquels huit seraient particulièrement à exclure, car ils
seraient d’origine verbale (donc non nominale). Il s’agit des appellations suivantes :

Al Hâfed, -kâLaJI Al Mu‘iz, Al Mudil, Al ‘Adl, Ag-Galil,


Al Bâ‘it, Al Muhsi, Al Mubtadi’, Al Mu‘id, Al Mumit,
Al Wâged, -1jl' Al Mâged, Al Wâli, jll Al Muqst, Al Mugni, <,*-*11
Al Mâne‘,
As-Sabûr Ad-Dârr, jLiall An-Nâfe‘, <L1I Al Bâqi, Ar-Rasid, jW

Cette querelle est une des parties visibles des enjeux sous-jacents, dont certains sont
purement économiques et d’autres plutôt idéologiques. En effet, la liste officielle
des 99 noms est diffusée par les instituts islamiques dans le monde entier, à travers
les manuels scolaires dans le monde arabo-musulman, sur la plupart des murs des
mosquées du monde entier, à travers les chansons de mariage ou encore les chants
religieux diffusés pour le mois de Ramadan. Ces 99 noms sont aussi diffusés massive¬
ment sous forme de tableaux, souvent fabriqués en Chine, où les noms apparaissent en
métal doré, en argent, parfois en fils d’or. Ils donnent une sorte de label à de nombreux
sites internet qui se présentent comme « musulmans ». Bref, c’est un marché écono¬
mique et idéologique de taille et qui est convoité.
Les raisons théologiques et idéologiques de cette institution des 99 noms de
Dieu méritent qu’on s’y attarde.
Dans le Coran, quelques versets font référence aux noms de Dieu. Le premier
verset qui attire ici notre attention parle des plus beaux noms, al-asmâ ’ al-husnâ , mais
sans les citer.

Igj t jcolâ Il ÿL&MüVl j 16

« C’est àWa
Dieu
li-l-Lâhi
les noms
al-asmâ
les plus
’u al-husnâ
beaux, appelez-Le
fâd'ûhû bihâ
par eux. »

Ibn ‘Atâ al Iskandari (Iskandari, Al, 1930:21) explique que al-asmâ’u al-husnâ ,
« les noms les plus beaux », sont au nombre de mille : trois cents se trouvent dans la
Thora, trois cents dans l’Evangile, trois cents dans le Zabûr, un dans les parchemins
d’ Abraham et 99 dans le Furqân, « le Coran ».
Aucune liste des appellations de Dieu n’est définie par le texte coranique, mais un
verset coranique cite huit nominations l’une à la suite de l’autre :

14 http://www.alarabiya.net/articles/2010/02/02/99098.html
15 http://74.6. 146. 127/search/cache?ei=UTF-
16 Le Coran, 7/1 80.
363
Soufian Al Karjousli

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Uc. aIII (jLluj 17
Huwa l-Lâhu l-ladi lâ ilâha illâ huwa
al-maliku l-quddûsu s-salâmu l-mü 'minu l-muhayminu l-‘azizu l-gabbâru
l-mutakabbiru
subhâna l-Lâhi ‘ammâ yusrikûn
« Il est Allah - nulle divinité excepté Lui -, le Roi, le Très Saint, le Salut (?),
le Pacificateur (?), le Préservateur, le Puissant, le Violent, le Superbe. Combien Allah
est plus glorieux que ce qu’ils (Lui) associent ! » (Blachère, 1949 : 589)

Si théologiens et musulmans de façon générale se sont passionnés pour cette question


de la nomination de Dieu, c’est qu’elle peut référer à des débats d’ordres théologiques
et politiques.
Dans le cas où une langue est vouée au sacré, elle n’a pas besoin de créer des mots,
elle est figée, elle est une sorte de réserve, de dictionnaire. Par contre, une langue
vivante évolue en créant du vocabulaire nouveau. La langue arabe souffre de sa double
situation, comme langue pour le sacré, elle refuse la reconnaissance officielle de la
création de nouveaux mots. Chaque création de mot demande un recours à la racine.
C’est la racine qui continue à influencer le sens. Comme le note Jacques Langhade, la
création du vocable mawgûd, « il est là », premier vocable créé en arabe à partir d’une
racine, crée lui-même une autre racine, risquant de faire oublier la racine première
(Langhade, 2000 : 436). C’est aussi le cas du vocable huwa (ibid), dont la signification
est « Il ». Au départ, il a été utilisé pour parler de Dieu indirectement et finalement
est devenu une des appellations de Dieu. De manière générale, si les linguistes arabes
se sont toujours intéressés à l’étymologie, y compris quand il s’agit des appellations
de Dieu, ce n’est pas le cas de tous les théologiens. La pensée musulmane se partage
traditionnellement en différentes tendances autour de la compréhension des appella¬
tions de Dieu et de leur nature, nominale ou verbale.
La définition des noms de Dieu proposée par les lettrés dépend de l’école de pensée
à laquelle ils adhèrent. D. Gimaret distingue trois types d’approches : « l’une purement
lexicographique intéressée à la seule signification des noms, à leur étymologie ; une
seconde, théologique, visant à l’explication des noms divins et à leur justification
dans le cadre d’une théorie générale des attributs, sifât, de Dieu ; une troisième, enfin,
qu’on peut appeler « spirituelle », celle seulement des adeptes de la pensée mystique,
tasawwûf, consistant en une médiation des noms divins dans un esprit d’adoration et
de cheminement vers Dieu» (Gimaret, 1988 : 15). Tout en rappelant que les appella¬
tions de Dieu, ne sont pas une affaire de l’islam seulement, puisque les juifs et les
chrétiens s’y étaient aventurés auparavant, soulignons que les musulmans, à travers la
diversité de leurs écoles de pensée, ont posé la question du statut théologique des attri¬
buts divins et les ont même reliés aux enjeux du pouvoir. Un des buts des questionne¬
ments était de savoir si le signifiant correspondait au signifié et si par le signifiant, il

17 Le Coran, 59/23.
364
La place du nom propre en arabe...
était possible de décrire le signifié. Les 99 noms de Dieu, qui ont été repris par Râzi
(Gloton, 2000), correspondent-ils donc à Dieu lui-même ?
Une approche de la pensée arabo-musulmane au sujet des attributs de Dieu
considère qu’il n’y a aucune différence entre le nom et son sujet. Reprenant Platon,
Abû Al-‘Abbâs pense que le nom des choses correspond aux choses elles-mêmes :
al-ism huwa l-musammâ (lben Manzûr, 1979: 2110). Parmi ceux qui suivent cette
tendance, on trouve aussi des penseurs comme Abû ‘Ubayda, Sibawayh, Al-Baqlâni,
Ibn Fûrak et de véritables écoles de pensée telles que al-hasyawiyya, al-karâmiyya
et al-as ‘ariyya. Tous s’appuient sur le verset coranique, déjà précédemment cité qui
évoque les plus beaux noms sans les citer18. Une autre approche regroupe certains
linguistes qui utilisent un type de logique, le syllogisme, appelé en arabe al-qiyyâs.
Il y a deux types de qiyyâs : qiyyâs ‘aqli (logique aristotélicienne) et qiyyâs naqli
(raisonnement divin). Dans le cas de la pensée logique, qiyyâs ‘aqli, l’homme en est le
maître, puisqu’il a créé les langues. La recherche de l’origine du nom est alors admise.
Si Dieu s’appelle karim, c’est qu’il est généreux, car karim vient de al-mukarama
ou de al-takrim. La générosité de ses actes Ta rendu karim. Allant dans ce sens, la
connaissance des noms de Dieu conduirait-elle à connaître ses qualités? Le débat sur
les noms de Dieu permettrait-il d’imaginer Dieu, de se faire une représentation de lui,
de son image ? Le problème sur les noms ne servirait-il qu’à masquer un vrai question¬
nement sur l’essence de Dieu? Ces noms sont-ils des noms propres ou des noms qui
indiquent l’essence? Dans le cas du raisonnement divin, les noms sont création de
Dieu et aucun recours au sens à partir de la racine n’est accepté. Différentes écoles
reprennent ces principaux questionnements.
L’école mutazilite est très complexe et rassemble plusieurs courants, qui de crainte
de créer une image de Dieu, a développé plusieurs tendances. Parmi elles, le mouve¬
ment de Mu ‘attila a désactivé tous les sens des appellations de Dieu. Regroupés selon
quatre branches (Al-‘Itimin : 26), les penseurs ont nié tous les attributs de Dieu, même
ceux qui se trouvent dans les textes coraniques, puisque l’acceptation de tels attri¬
buts favoriserait la création d’une image de Dieu. Cette école est proche de la pensée
sabéenne (Tardieu, 1999: 84) et des savants comme Safwân b. Al-ahm et Al-Ga‘du
b. Dirham du courant des Gahmiyyûn qui sont même allés plus loin en niant en bloc
les noms de Dieu et ses attributs. Sur ce point, la pensée Gahmiyya rejoint celle des
Qarâmita et des Bâtiniyya qui tous nient les noms ou attributs pour ne pas qualifier
Dieu, sauf négativement. Ils appartiennent à une «théologie apophatique [...] qui
approche de la connaissance de Dieu en partant de ce qu’il n’est pas plutôt que de ce
qu’il est » (Larousse, 1992). Parmi eux, les plus extrémistes sont les gulât qui ont nié
les noms ou attributs, qu’ils soient positifs ou négatifs. Ils ont annoncé que Dieu n’est
ni « être », mawgûd, ni « néant », ‘adam, ni « savant », ‘âlim, ni « ignorant », gâhil
(Al-Itimin : 26).
Parmi les Mu'tazilites, une autre position défend surtout l’idée que l’ori¬
gine des noms n’est qu’une sorte d’accord entre les hommes, une convention
(Mmwa, 1991 : 664). Ceci explique les diverses appellations des choses dans les

18 Coran, 7/180.
365
Soufian Al Karjousli
différentes langues. En ce qui concerne les noms de Dieu, le nom d’ Allah n’est pas
composé, d’après eux, de la juxtaposition de plusieurs qualificatifs, mais exprime
l’essence de Dieu. Les Mu ‘tazilites font la différence entre la substance de Dieu, les
qualificatifs de Dieu et les noms de Dieu.
Les Mu ‘tazilites, à travers le courant des As‘arite-s, Asâ’ira, acceptent que Dieu
ait des noms sans signification (Al-‘Itimin : 30), assimilés dans ce cas à des noms
propres. Ils ne reconnaissent que sept attributs de Dieu : al-hayât, al-‘ilm, al-qudra,
al-irâda, al-kalâm, al-sama‘, al-basar. Dieu a une essence propre, dût, qui ne
ressemble à aucune autre. Il a des attributs, sifât, qui ne ressemblent à aucun autre
attribut (Abû Hanifa, 1422 de l’hégire : 28). L’essence de Dieu n’a pas été créée. Elle
est étemelle, ainsi que ses noms et ses attributs. Séparer Dieu de son essence annihile¬
rait l’existence de Dieu. D’après le livre de Suyûti, Al-Muzhirfi l-luga (Suyûti, 1998 :
49), on ne peut pas chercher l’étymologie des noms de Dieu, parce que ces noms n’ont
pas comme but de le décrire, ni de décrire ses attributs. Les noms de Dieu ne sont que
des noms propres ne désignant aucun attribut de Dieu. Qu’on appelle Dieu rahmân
ou ‘atûfan, cela revient au même. Suyûti s’appuie sur la compréhension suivante du
verset coranique :

Ijc-ûI jî a51I (Jâ


I jC-Jj La LÎ
19 JLA1\ ;LaL,Vl AÜ

Dis: «Quel
invoquez
que
Quisoit
IlDieu,
id‘û-l
falahu-l
a le
lesayan
nom
lâha
ou
plus
invoquez
asmâ
par

aw
beaux
tad'û
lequel
id‘û-r
’ul noms
husnâ
le Rahmân
Tout
vous
» l’appelez
Miséricordieux

Ce ne sont finalement que des mots interchangeables, donc des synonymes du mot Dieu.
Une autre école, celle de Qarâmita, issue de la doctrine de Abû ‘Abd Allâh
Muhammad b. Karmut (m7ive siècles) pense que Dieu est une substance (gaûhar).
Elle interprète les versets du Coran dans lesquels Dieu est décrit et le restitue avec des
caractères issus des êtres créés par Dieu lui-même. Elle interprète aussi la localisation
de Dieu et de son Trône. Les partisans de cette école sont dénommés les « corpora¬
tistes » ou « anthropomorphistes » (Al Mugassyma ) (Al Bagdâdi, 1956 : 202).
Toute cette réflexion foisonnante doit être replacée dans le contexte historique qui
a amené à deux lectures principales de la dénomination de l’être divin. Les chiites
réfutent que Dieu ait 99 noms, préférant parler des attributs. Ils insistent sur les sens
apportés par chaque attribut. Les sunnites ont opté pour les 99 noms, chacun d’entre
eux étant une simple appellation ou simple synonyme. Un certain nombre d’enjeux
théologiques en découle.

19 Le Coran, 17 1 10
366
La place du nom propre en arabe...
Si les appellations de Dieu ne sont pas interchangeables, ce ne sont donc pas des
synonymes, mais chacune a un sens propre qui n’a rien à voir avec un autre. Dans ce
cas, Dieu est qualifié de termes différents qui sont des aspects de l’essence et qui sont
porteurs de polysémie.
La synonymie, c’est l’apparence et non l’essence. Or l’apparence est superficielle.
Le vrai est invisible. Ce que l’on voit comme différence, à l’image de la « caverne »
de Platon, ce sont des différences d’apparence, de nomination, sans aller au plus
profond du sens qui n’est pas accessible à l’homme. Ce sont des représentations qui ne
touchent pas aux qualités de l’existence divine. Le processus de synonymie réduit la
portée de la signification profonde qui introduit les questionnements sur les différences
de sens et permet peut-être davantage le développement d’un divin inaccessible. Cette
attirance vers la synonymie se retrouve à plusieurs reprises dans la pensée arabo-
musulmane. Elle a animé tout un courant linguistique qui trouvait dans la synonymie
le cœur de la richesse de la langue arabe, mais la synonymie est utilisée au-delà du
champ linguistique pour servir le champ idéologique. Si le mot Allâh est polysémique,
il y aurait une possibilité de définition, ce qui paraît sacrilège. La pluralité de sens ne
peut être portée que par la polysémie. On peut aussi faire le lien avec l’origine divine
ou humaine de la langue et des noms de Dieu. La synonymie semble plaider pour une
origine divine de la langue et des noms de Dieu. La deuxième solution invite davan¬
tage au rôle de création de l’homme pour la langue et à sa responsabilisation, sa liberté
de création, sa liberté d’attribuer à Dieu des sens.

Au-delà du nom propre attribué à l’humain, c’est toute une lecture philosophique,
théologique et parfois idéologique que l’on peut faire de l’attribution des noms. En
effet cela amène à questionner l’origine même de la première conception, puis création
du nom, dans son signifiant et son signifié. Les multiples sens du vocable arabe ism
qui dépassent les sens décrits par les linguistes arabes pour toucher des champs philo¬
sophiques et théologiques amènent certes à une quête de sens nouveaux qui multi¬
plient les différentes écoles de pensée. Cependant, parallèlement, les pratiques de la
vie quotidienne des musulmans approprient les noms dans des préoccupations plus
pragmatiques. Les noms propres des humains apparaissent alors souvent comme des
sésames permettant de se protéger. Les noms de Dieu sont, eux, invoqués et psalmo¬
diés par beaucoup de musulmans pour s’ouvrir les portes du paradis, suivant en cela
une version du hadith qui dit :

A WU \ a\ . V) 4jLs LftJüül {jjJt-uUJ A » uü (jj


Inna lil-lâhi tys ‘an wa tys ‘ûna isman mâ ’a illâ wâhidan man ahsâha dahalal ganna
(Muslim, 2000:1395)
« Dieu a quatre-vingt-dix-neuf noms, celui qui les compte rentre au paradis. »

367
Soufian Al Karjousli

jjjSSI jUp JO* ù'O-M ■»" t»dl put CJ3' Cy jll M


Al- Al- Ag- Al- Al- Al- Ar- Ar-
Kabir Mutakabber ôabbâr ‘Aziz Muhaymen Mu’min
As-âm Rahym Rahmân Allâh
i_Aa jll
jM' 11 jâlill jlftiil jjiill LsjW3' tpUJl (jkp
Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al-
Wahhâb Al-Qahhâr Qâher Gâfer Al-Gafïâr GafurMuçawir Al-Bâri’ Hallâq Hâleq
pui PUI uélLJI puii jJUJI pxll jjljl (JUj11
As- Al- Al- Al- Al- Ar- Ar-
Sami‘ Al-Malik Mâlek Malek Al-‘allâm ‘âlem ‘Alym Al-Fattâh Razzâq Râzeq
jSLiîl pâaJl jjjiJI . i.UW put pP
As- As- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al
Sâker Sakûr ‘Azim Halim Habir Latif Hakim Hâkem Hakam Basir
fjSVl t.inap ■ 'i Cuiall MP .fcuiaJI (JIjlIaII
Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al-
Akram Karim Hasib Hâseb Muqit Hâfez Hafiz Muta‘âli A‘lâ ‘Ali
JjiSll JjSjÎI <jP t_jjll i—uâSI
Al- Al- Al- As- Al- Al- Ar- Al- Ar-
Kafil Wakil Mubin Al-Hqq Sahid Magid Wadûd Rabb Wâse‘ Raqib
J-»-1' Qildt jilt
As- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al-
Çamad Ahad Wâljed Qayûm Hai Hamid Mawlâ Wali Matin Qawi
JJ» >Vl JjVl jJjLall jjp jjiill
Al- At- Al- Al- Az- Al- Al- Al- Al- Al-
‘Afu Tawâb Ber Bâten Zâher Âher Awal Muqtader Qadir Qâder
LUll l_UJâîl i jljîl jjill 1
Al- Al- Al- Al- Al- Al- An- Al- Al- Ar-
Fâter Qarib Muhit Wâret Badi‘ Hâdi Nûr Gani Kâfi Ra’ûf
(jjijjïll <_JUll jl
Al- Dul- Al- Dul- Dul- Al- An- An-
Qudûs Galâli wal-ikrâm Gâleb Fadl Dut- Ma‘âreg Musta‘ân Nasir
Tûl Nâçer

Tableau 1 : Les noms divins d'origine coranique


Ajjïjâll Ài\ ç.Lttjüii
Asmâ ’u-l Lâh al qur ’ânyia

<_uP 1 jj i ntt
Al- Al- As- Al- aè- At- As- As- Ar-
Mu’ahherr Muqaddem Sayied Muhsen Gamil Tayieb §âfï Sabûh Rafiq

Qâbed jr nail jjjll jlidt jjUaJI JLpl


Al Al As- Al Al Al Ad-
,

MPI Mus‘er Witr Mannân Hannân Dayân


Satyr Hay
Al Bâset

Tableau 2 : Les noms divins venant des hadiths


■yuyt «.L&uii
Asmau-l Lâh fil ahâdït

368
La place du nom propre en arabe...

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