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Nouvelle revue d'onomastique

TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique du Nord et des


îles Canaries
Abdelaziz Allati

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Allati Abdelaziz. TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique du Nord et des îles Canaries. In: Nouvelle revue
d'onomastique, n°31-32, 1998. pp. 143-156 ;

doi : https://doi.org/10.3406/onoma.1998.1313

https://www.persee.fr/doc/onoma_0755-7752_1998_num_31_1_1313

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TAL : UNE BASE TOPONYMIQUE ANCIENNE
DE L'AFRIQUE DU NORD ET DES ÎLES CANARIES

Diachronie du berbère et toponymie de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries


La toponymie ancienne de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries constitue un domaine dont
l'exploration est à peine entamée (cf. Galand, 1986, 1989 ; Diaz Alayon, 1987 ; Aliati, 1996, 1997 et
1998a). Il est étonnant que ce champ reste inexploité, et ce malgré le grand intérêt - souligné par
plusieurs chercheurs - qu'il présente, entre autres, pour les études diachroniques berbères qui
accusent un grand retard en raison de l'absence de renseignements sur les stades antérieurs de cette
langue. Serait-il aussi impénétrable que les inscriptions libyques ?
Celles-ci n'étant pas encore déchiffrées, tout ce dont on dispose se limite aux formes modernes
de la langue berbère - la langue la plus ancienne attestée en Afrique du Nord - qui survit sous la
forme de dialectes et de parlers disséminés tout au long de son ancien territoire1, et dont la plus
grande partie se trouve au Maroc.
Les études diachroniques berbères se cantonnent, vu l'absence de documents anciens, dans les
comparaisons interdialectales dont la profondeur historique est très limitée. Elles ne servent tout au
plus qu'à expliquer certains phénomènes du berbère moderne (cf. plus bas et Allati, 1998a). Certes,
certains résidus des formes anciennes sont conservés dans les parlers berbères modernes, mais ils sont
si intégrés dans les différents stades de l'évolution de cette langue qu'il est très difficile de les
identifier correctement, et si rares et dispersés qu'il est impossible de reconstituer les structures
anciennes dont ils faisaient partie (cf. plus bas). Le rideau qui sépare le berbère ancien et moderne est,
dans l'état actuel de la recherche, plus opaque que jamais.
L'absence de la profondeur historique de ces études a eu en outre un effet négatif sur les études
diachroniques berbères, et ce parce qu'on fait passer les éléments qu'elles ont dégagés pour des
formes du proto-berbère ou d'une étape qui en est proche (cf. Prasse, 1969, 1972, 1984 ; Chaker,
1984, 1995). Et comme ces éléments ne diffèrent pas beaucoup de ceux qui caractérisent les parlers
berbères modernes, on fait croire que cette langue millénaire n'a pas subi de changements notables
tout au long de son histoire (cf. Aliati, 1996, 1998a).
Si les comparaisons interdialectales constituent, en l'absence de renseignements directs sur les
formes anciennes du berbère, une des méthodes de reconstruction de cette langue, cela ne veut pas
dire que ce qui est reconstruit par cette méthode en présente ses formes anciennes. Ce qui est
reconstruit est ce qui est atteint par les comparaisons interdialectales et non ce qui pourrait être
atteint. Le temps qui sépare le proto-berbère ou le berbère ancien du berbère moderne (9 à 10 millé¬
naires selon l'estimation de Chaker (cf. Chaker, 1995)) a englouti toutes les traces des formes
anciennes dont il ne reste tout au plus que quelques résidus difficilement identifiables et presque ou
totalement inexploitables. Si l'on ne peut y accéder par les comparaisons interdialectales, cela ne
justifie pas de leur substituer les formes communes aux dialectes et aux parlers berbères modernes qui
sont passés dans le moule évolutif des langues sémitiques (cf. plus bas). Bien des éléments montrent
en effet que les comparaisons interdialectales n'ont accédé qu'à une étape très avancée du berbère,
probablement celle qui est très proche des formes modernes de cette langue millénaire (cf. plus bas et
Aliati, 1996).

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Il suffit à cet égard d'examiner plusieurs éléments relevés dans les parlers berbères modernes
(l'usure phonétique, les résidus des formes anciennes) pour lesquels on ne trouve pas, dans l'état
actuel de la recherche, d'explication historique (cf. Prasse, 1969, 1972, 1984 ; Galand. 1989, 1993 ;
Chaker, 1995), et de regarder de près quelques toponymes et microtoponymes anciens de l'Afrique du
Nord et des Iles Canaries pour se rendre compte des différences qui existent entre le berbère ancien et
moderne ; ex.
Selmounech (Maroc),
Frenda (Algérie),
Bertinech (Maroc),
Gafour (Tunisie),
Kansara (Maroc),
Karensara (Maroc),
Teltnarsine (Maroc),
Bardaja (Iles Canaries),
Moraba (Tunisie),
Imarasfeld (Maroc),
Azantaras (Iles Canaries),
Markinid (Maroc),
Sfarssid (Maroc),
Artabache (Algérie),
Dartinamara (Iles Canaries),
Madragnarou (Maroc).
Ni les formes des parlers berbères modernes, ni les résultats des comparaisons interdialectales ne
peuvent nous aider a déchiffrer ces items dont l'opacité équivaut ou dépasse celle des inscriptions
libyques dont le déchiffrement n'est pas, à notre avis, entravé uniquement par l'absence de la notation
des voyelles. Ces toponymes et ces microtoponymes - comme peut-être les inscriptions libyques -
renferment des structures différentes de celles du berbère moderne qui empêchent en réalité l'accès à
leurs structures et leurs significations, et qui sont, du même coup, responsables de l'état des
recherches dans ce domaine. Le fait de négliger ces différences et de vouloir y déceler obstinément les
formes du berbère moderne (cf. Chaker, 1995) n'avance à rien, si ce n'est compliquer davantage les
faits en enrichissant les phénomènes d'attraction, d'intégration et de réinterprétation par l'étymologie
dite "populaire", qui sont très fréquents dans le domaine de la toponymie. Et l'on se rend vite compte,
ce faisant, que le nombre des termes qui pourraient être analysés de cette façon est insignifiant par
rapport à un corpus considérable dont on ne sait que faire. Sur plus de 500 toponymes que j'ai relevés
dans le livre d'El Bekri2, Chaker n'en analyse que 61 dont 2 sont d'origine arabe ; la plupart des
autres sont expliqués par des formes proches attestées dans le berbère moderne (cf. Chaker, 1995).
Méthode de description
Que faire justement pour appréhender ces données récalcitrantes en l'absence des
renseignements sur les formes anciennes du berbère ?
Il existe, en Afrique du Nord, plusieurs couches toponymiques ai relation avec les langues des
populations qui se sont succédé dans cette région (berbère ancien et moderne, phénicien, punique,
latin, arabe, français, espagnol)3. Après l'inventaire et la classification de ces couches toponymiques,
nous nous sommes limité à l'étude de celle qui est plus ancienne : celle qui est opaque et qui ne peut
être expliquée par aucune langue connue dans cette région.
Vu que les toponymes et les microtoponymes constituent des unités linguistiques dont on connaît
les référents4 et qu'ils sont généralement des descriptions du paysage, ils peuvent être décrits à l'aide
des données géographiques. Les spécificités topographiques et géomorphologiques des endroits qu'ils
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dénomment présentent, en l'absence des documents anciens qui font défaut pour les périodes
préhistoriques pendant lesquelles ils ont été formés, l'unique moyen pour pouvoir déceler leurs
structures et leurs significations. Celles-ci sont identifiées au moyen des correspondances
systématiques entre les caractéristiques du paysage et les toponymes et les microtoponymes étudiés.
Ces correspondances sont établies lors des enquêtes de terrain pendant lesquelles sont scrutés les
rapports entre les noms de lieux et le paysage ou, plus précisément, ses caractéristiques
topographiques et géomorphologiques. C'est sur ces correspondances que nous nous sommes fondé
pour reconstruire le système phonético-phonologique du berbère ancien et l'évolution qu'il a subie (cf.
Aliati, 1996, 1998a), et pour identifier et comprendre les variations phonétiques qui caractérisent la
base toponymique TAL.
TAL et ses variantes
Les correspondances systématiques entre TAL et les caractéristiques topographiques et géomor¬
phologiques des lieux qu'elle dénomme, nous ont permis de déterminer sa signification et ses
variantes. Elle correspond à des montagnes et, d'une façon générale, à des hauteurs. Elle est rarement
attestée isolée : elle apparaît surtout combinée avec d'autres bases toponymiques ; ex.
Talat Mibourghaz, Maroc,
Talangeras, Iles Canaries,
Talasemtane (Jbel), Maroc,
Tlemsane (mont), Algérie,
Tallal (Kef), Maroc,
Talelt (Djbel), Tunisie,
Telle, Iles Canaries,
Telda, Iles Canaries,
Talami, Maroc,
Talmet (col), Algérie,
Atlas (chaîne montagneuse de l'Afrique du Nord, qui s'étend de l'embouchure de l'oued Sous,
au sud-ouest du Maroc, jusqu'au cap Bon et au golfe de Gabes en Tunisie ; cf. notamment l'Anti-, le
Moyen et le Grand Atlas du Maroc et l'Atlas Tellien en Algérie).
Beaucoup de berbérophones vont reconnaître, dans ces toponymes, une forme du berbère
moderne tala ou tara qui est également très fréquente en toponymie et qui signifie "fontaine, source".
Celle-ci provient d'une autre base toponymique IL et ses variantes AL, EL, L qui signifient "eau,
cours d'eau" (cf. Aliati, 1997), auxquelles est préfixée la marque du féminin ou du diminutif du
berbère moderne t. La confusion des unités différentes est fréquente dans l'évolution des langues (cf.
Martinet, 1955 ) et en toponymie où elle est renforcée par les processus d'attraction et d'intégration5.
TAL a subi plusieurs altérations qui ont affecté partiellement ou complètement sa forme. Les
processus de contraction sont tels qu'il n'en reste parfois qu'une seule consonne ou voyelle. Nous
n'en présentons que les formes principales suivant un ordre qui nous semble le plus clair possible ; il
ne prétend pas reconstruire l'ordre chronologique des changements que cette base toponymique a
subis6.
1. TAL, TEL, TIL, TL, AL, EL, IL ; ex.7
Talat (Jbel) 1930m, (273-51), Toubkal8,
Taleb 1843m, (533-312), Azrou,
Tell (Sfiha) 2038m, (516-508), Chafchaouen,
Til 2169m, (347-108), Demnat,
Amtil 420m, (503-534), Chefchaouen,
DarMetioua 546m, (534-401), Fes-Ouest,
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Talal 570m, (579-471), Qsar Sghir,
Talil 305m, (494-451), Teroual,
Alebra (Jbel ) 657m, (495-485), Zoumi.
2. DAL, DEL, DIL, DL, DAD, DA ; ex.
Tisdal (Jbel) 1722m, (337-108), Demnat,
Délai (Jbel) 1028m, (777-395), Ain Beni Mathar,
Yadel (Jbel) 2107m, (344-107), Demnat,
Igoudlan (Jbel) 1737m, (337-103), Demnat,
Tizi Ougdal 1262m, (501-337), El Hajeb,
Agdal 378m, (384-336), Fes-Ouest (cf. plus bas),
Mdal (Jbel) 339m, (397-344), Arroumani,
Dhar Delsa 700m, (495-539), Chefchaouen,
Dhar Tadla 558m, (292-127), Ait Ourir,
Dlem (Jbel) 507m, (512-476), Zoumi,
Jerada (Jbel) 1287m, (810-423), Ain Beni Mathar,
Adad (Jbel) 1900m, (275-51), Toubkal,
Kerdad (Jbel) 1268m, (563-352), Sefrou,
Dhar Gada 483m, (545-380), Fes-Est.
3, TAR, TER, TIR, R(A/E/I)R, TR, AR, ER, IR, R ; ex.
Dhar Atar 534m, (281-121), Ait Ourir,
Antar (Jbel) 1 180m, (442-221), El Ksiba,
Tarit (Jbel) 1017m, (770-424), Ain Beni Mathar,
Tarich 1399m, (511-331), El Hajeb,
Tarigt (Jbel) 2900m, (265-69), Toubkal,
Matarifi 984m, (507-347), El Hajeb,
Takatert 2500m, (266-50), Toubkal,
Tergha (Ras) 1312m, (769-413), Ain Beni Mathar,
Trik (Dar) 1114 m, (782-416), Ain Beni Mathar,
Imatrout (Jbel) 1 884m, (575-466), Ghafsay,
Tiraz (Jbel) 1804m, (325-104), Demnat,
Tawrart 1344m, (525-51 1), Chefchaouene,
Tawrirt n Irg 3210m, (253-57), Toubkal (cf. Tawrirt , plus bas),
Arnoud (Jbel) 1900m, (260-63), Toubkal,
Erechkou 560m, (522-437), Tafrant Ouergha,
Randik (Jbel) 1558m, (656-490), Boudinar.
4. DAR, DER, DIR, DR ; ex.
Dart (Jbel) 952m, (294-104), Ait Ourir,
Idar (Jbel) 843m, (295-106), Ait Ourir,
Madari 248m, (533-404), Fes-Ouest,
Tamadir 377m, (550-51 1), Tétouan,
Midar 384m, (670-484), Midar,
Kandar (Jbel) 1620m, (540-352), Sefrou,
Tadrart (Jbel) 1257m, (488-370), Zagora,
Adrar Dem 3359m, (271-52), Toubkal,
Boujader (Jbel) 1700m, (559-323), Sefrou,
Oudirou (Jbel) 1106m, (517-528), Talambot,
Agadir (Jbel) 1500m, (267-49), Toubkal (cf. plus bas),
Akoudir (Jbel) 1430m, (554-350), Sefrou,
Dar Dreg 300m, (240-1 15), Marrakech,

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Agandrou (Jbel) 2283m, (579-468), Ketama.
5. TAHAL, TAHL, TIHEL, AHL, DHEL, HAI., E AL ; ex.
Boutahal (Jbel) 550m, (543-452), Gahfsay,
Tahlatine (Jbel) 1900m, (337-116), Demnat,
Hlala (Koudia) 283m, (481-551), Mellousa,
Bouhlal (Jbel) 722m, (596-498), Beni Boufrah,
Ahlaout (Jbel) 86 lm, (543-514), BabBerret,
Dhel (Jbel) 177m, (484-433), Chiazzane,
Halaoua (Jbel) 544m, (499-472), Zoumi,
Dharsali (Jbel) 227m, (480-457), Ouazzane.
6. TAHAR, TEHAR, HAR, HER, HR, 8R ; ex.
Tahar (Koudiat) 972m, (500-544), Chefchaouen,
Taharast 595m, (174-106), Tamanar,
Tehar (Ras) 234m, (555-464), El Menzla,
Harsella (Jbel) 1075m, (797-437), Ain Beni Mathar,
Harzili (Jbel) 1484m, (582-352), Sefrou,
Dhar Ahrar 5 14m, (553-385), Fes-Est,
Herz 614m, (433-223), El Ksiba,
Ahriz 471m, (476-480), Zoumi,
Laerinouari 341m, (690-506), Kebdani.
7. DHER, DHAR, DEHIR, DHIR, DAHR : ex.
Dahar (Jbel) 1758m, (543-326), Sefrou,
Dahara 1373m, (357-701), Debdou,
Boudehar 611m, (279-106), Ait Ourir,
Boudehir (Jbel) 851m, (464-384), Zagora,
Dar Boudhir 458m, (245-1 13), Marrakech,
Dahri 344m, (460-478), Ouazzane.
8. SAL, SEL, SIL, SL ; ex.
Salah (Jbel) 1504m, (534-490), Chefchaouene,
Sensal (Jbel) 1255m, (503-445), Teroual,
Selfane (Jbel) 1034m, (299-103), Ait Ourir,
Anasil (Jbel) 600m, (518-540), Chefchaouen,
Tissila (Jbel) 1360m, (800-438), Ain Beni Mathar,
Asloun (Jbel) 1730m, (253-72), Toubkal,
Sia 589m, (350-295), El Gara.
9. ZAL, ZEL, ZIL, ZL, ZA; ex.
Zalagh (Jbel) 876m, (540-389), Fes-Est,
Tazalat 667m, (100-79), Tamanar,
Izelmane 2463m, (344-110), Demnat,
Zelghi (Jbel) 1448m, (557-333), Sefrou,
Zelalk 303m, (493-449), Teroual,
DarAmzil 919m, (327-126), Demnat,
Nazla 480m, (547-456), Ghafsay,
Azlag (Jbel) 1953m, (334-1 13), Demnat.
10. SAR, SER, SIR, SR ; ex.
Sarg 670m, (539-391), Fes-Est,
Saraq (Jbel) 1568m, (369-719), Debdou,
Tsart (Jbel) 1032m, (773-426), Ain Beni Mathar,

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Kansara 417m, (538-396), Fes-Est,
Tisseras (Jbel) 1466m, (564-486), Ketama,
Moussira 569m, (244-106), Marrakech,
Israne (Jbel) 815m, (347-129), Demnat.
11. ZAR, ZER, ZIR, ZR : ex.
Tanzart (Jbel) 1241m, (798-436), Ain Beni Mathar,
Zarqet (Jbel) 1500m, (595-478), Targuist,
Mazarí (Ras) 147m, (515-500), Ras Mazari,
Takazart (Jbel) 981m, (327-117), Demnat,
Tamzert (Jbel) 1233m, (334-120), Demnat,
Tizerag (Jbel) 450m, (267-73), Toubkal,
Tamzirt 651m, (571-355), Sefrou,
Tizirane (Jbel) 2101m, (544-491), Bab Berret,
Guezira 259m, (501-458), Teroual,
Amazrou (Jbel) 974m, (459-368), Zagora,
Mezrayour (Jbel) 1480m, (328-104), Demnat,
Mazari (Ras) 147m, (515-500), Ras Mazari,
Azra (Jbel) 1333m, (522-513), Bab Taza.
12. SAHEL, SHIL, SEHR, ZHAR, ZEHR, ZHAZ ; ex.
Sahel (Jbel) 1 139m, (578-462), Ketama,
Shila 320m, (618-501), Rouadi,
Sehra (Jbel) 899m, (537-512), Jebha,
Dhar Bouzahra 337m, (496-459), Teroual,
Zhara 163m, (581-484), Ksar Sghir,
Dar Zharou 229m, (563-456), Manzla,
Zehriyine 201m, (504-435), Teroual,
DharKerkour Zhaza 530m, (646-407), Ketama.

Deux sortes principales d'altérations affectent les différentes attestations actuelles de cette base
toponymique :
1. Elle subit des contractions qui sont un phénomène très fréquent dans la toponymie et la
microtoponymie de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries, et dans les parlers berbères modernes où
l'on parle plutôt de l'usure phonétique (cf. Prasse, 1969, 1972, 1984 ; Chaker, 1984, 1995). Il en
résulte des confusions avec la base IL et ses variantes AL et EL (cf. plus haut), la base OR et ses
variantes AR, ER, I R, R(3) (cf. Aliati, 1997) et quelques termes du berbère moderne dont, par
exemple, azar , tazarte "figue, figuier", tagzirt "île", dans la plupart des parlers berbères, confusions
qui ne peuvent être dissipées qu'avec le retour aux données topographiques et géomorphologiques
dont le rôle est décisif.
2. Elle est affectée par les changements que subissent ses unités phoniques et/ou phonématiques
dont nous allons rendre compte en nous fondant sur le système phonético-phonologique du berbère
ancien (cf. Aliati, 1996, 1998a).
La voyelle a
On peut expliquer la fermeture de a en e et i et ses élisions en partant du système vocalique du
berbère ancien a, i, u, e, o, que nous avons dégagé à partir des toponymes et des microtoponymes
anciens de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries (cf. Aliati, 1996). Ce système est conservé dans les
parlers berbères du Touareg, de Ghadames, de la Tunisie et de la Libye (cf. Prasse, 1972, 1975,
1984).

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Pour les études qui se fondent sur les comparaisons interdialectales et/ou sur le modèle évolutif
des langues sémitiques, les voyelles berbères d'aperture moyenne e et о ne sont pas anciennes ; elles
résultent de changements dus aux phénomènes d'assimilation (Prasse, 1975) ou à la phonologisation
de certaines variantes contextuelles (Chaker, 1995), changements dont le processus n'est pas
démontré et qui constituent ainsi de pures et simples hypothèses.
Les variations relevées dans le système vocalique du berbère moderne doivent être ramenées à
celui du sémitique que l'on étend au chamito-sémitique, et dont la structure est ternaire : a, i, u. Tout
ce qui s'en écarte devient automatiquement une évolution spécifique du berbère. On fait appel à
l'usure phonétique pour ajouter les éléments qui manquent et aux innovations pour se débarrasser de
ce qu'il y a de trop. L'absence des consonnes de l'arrière de la gorge dans la majorité des parlers - h
apparaît uniquement en touareg - et l'abondance des racines bilitères et mono-litères dans les parlers
modernes (cf. plus bas) seraient ainsi le résultat de la chute des consonnes radicales engendrée par
l'usure phonétique (cf. Prasse, 1969, 1972, 1984 ; Chaker, 1984, 1995 et autres). Cette usure
phonétique aurait-elle épargné les voyelles, les structures syllabiques et serait-elle sans incidents sur
les autres niveaux linguistiques dont la morphologie ? On s'en sert pour rendre le système du berbère
conforme à celui des langues sémitiques et, partant, chamito-sémitiques, et l'on ne veut rien en savoir
de plus.
Les voyelles e et о occupent des positions instables, voire très instables, dans les parlers où elles
sont conservées (cf. Prasse, 1972, 1975, 1984), et correspondent en grande partie respectivement a i et
u, mais également à a des parlers où elles ne sont pas conservées. Il n'y a donc pas de raison de
privilégier l'hypothèse de l'innovation, à moins que l'on y voit d'avance une évolution d'un système
ternaire.
Des données relevées en toponymie et microtoponymie anciennes de l'Afrique du Nord et des
Iles Canaries montrent en revanche que les systèmes où sont conservées ces deux voyelles présentent
la phase finale de l'évolution qui les a éliminées dans les autres parlers. En se fondant sur la
comparaison des systèmes vocaliques des parlers berbères modernes, L. Galand a dégagé cette
évolution, sans pour autant pouvoir en démontrer le processus.
«Du point de vue historique, il est vraisemblable que le kabyle et plus encore les parlers
marocains, avec leur système vocalique pauvre et leurs nombreuses syllabes dépourvues de
voyelle proprement dite, présentent le terme d'une évolution» (Galand, 1988 : 214).
Pour des raisons non encore bien élucidées dont l'usure phonétique et morphologique et les
restructurations qu'elle a engendrées et qui sont en rapport avec les contacts du berbère avec les
langues sémitiques (cf. Aliati, 1996, 1998a), les voyelles d'aperture moyenne du système
phonologique du berbère ancien ont été déstabilisées et leurs réalisations se sont déplacées, dans la
majorité des parlers modernes, respectivement vers / et u, mais également vers a. Une telle
élimination ne s'est évidemment pas produite facilement et brusquement. Elle a certainement affecté
au début une des voyelles de ce degré d'aperture et a duré une longue période avant que les deux
voyelles ne soient éliminées dans la majorité des parlers. Ce qui a produit un déséquilibre dans le
système où est apparue, les restructurations syllabiques et morphologiques et les contacts avec les
langues sémitiques aidant, inévitablement une zone de fluctuation9 qui favorise les déplacements
entre les degrés d'aperture maximale10.
Les consonnes t et r
Etant très fréquents dans les toponymes et microtoponymes anciens de l'Afrique du Nord et des
Iles Canaries et dans les parlers berbères modernes (cf. Aliati, 1997), les déplacements de / à r11 (3, 4,
6, 7, 10, 1 1, 12) ne posent pas les mêmes problèmes que l'évolution qu'a subie t, et dont nous avons

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traité ailleurs (cf. Aliati, 1996). Vu les correspondances entre les formes attestées de / et d et leurs
variantes, il est fort probable que la sonorisation de t en d sous l'influence de / ou de sa forme
vibrante r, est antérieure aux autres changements. Ceux-ci présentent une partie de ceux qui ont
affecté les occlusives dentales du berbère ancien (cf. Aliati, 1996, 1998a) :
t> f> s
t>f>th/h
d> d > z
d> et1 > dh/h
Nous avons montré que la spirantisation de ces consonnes a joué un rôle capital dans l'évolution
du système consonantique berbère ancien. Sans être au début totalement exclusives, les spirantisation s
des occlusives dentales en sifflantes (s / z) et en h ont dominé chacune dans un ensemble de parlers et
ont engendré deux groupes de parlers modernes où z et h sont exclusives (cf. Aliati, 1996).
N'ayant pas pu discerner les relations entre les occlusives t et d et les spirantes dentales s, z, les
comparaisons interdialectales en sont restées au stade de la constatation des correspondances relevées
dans les parlers modernes :
«/ et d peuvent subir des altérations encore insuffisamment étudiées dans les zones considérées
jusqu'ici comme occlusives. On signale par exemple la tendance aux sifflantes s et z dans un
secteur de la Tachekhait» (cf. Basset 1952 : 6).
Il en est encore plus des liens entre les occlusives, t et d, et les spirantes, s, z et h. Les parlers
berbères modernes ne nous livrent que des correspondances entre z et s, z et h sur lesquelles se sont
fondés Prasse (cf. Prasse, 1969, 1972) et, plus tard, Galand pour dégager une évolution z > s/z/h.
«Au cours de l'histoire de la langue, l'ancien z (non géminé) est passé à z dans le sud-est de
l'aire touarègue, à s dans le sud-ouest et à A au nord» (Galand, 1988 : 21 6).
Nous voyons ici le danger que présentent les comparaisons interdialectales qui, n'accédant qu'au
sommet de l'iceberg, projettent les variations dialectales actuelles sur le plan diachronique. L'élément
principal de cette projection est constitué par le modèle évolutif des langues sémitiques, qui est
étendu, en raison de l'état avancé des études diachroniques de ces langues, à toute la famille chamito-
sémitique ou afro-asiatique dont la plupart des langues ne sont représentées que par leurs formes
modernes. Le fait que les langues sémitiques possèdent des consonnes primitives de l'arrière de la
gorge suffit ainsi pour en faire une caractéristique du chamito-sémitique. h deviendrait ainsi un
vestige de ces consonnes du chamito-sémitique que le berbère n'avait pas conservées. Elle serait donc
une consonne primitive berbère qui est attestée dans les parlers touaregs et qui aurait disparu ailleurs
(cf. Prasse, 1969, 1972 ; Chaker, 1984, 1995).
Des éléments toponymiques de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries montrent en revanche que
cette consonne est une forme évoluée des occlusives b, t et d (Aliati, 1996, 1998a). C'est bien ce que
l'on voit dans les fossilisations que renferment TAL et ses variantes (5, 6, 7, 12). L'aspiration de t et
d en et dt respectivement, a conduit, dans certains cas, à leur spirantisation en h et, dans d'autres,
au dédoublement de ces consonnes en th et dh12. Sous la pression probablement des structures
syllabiques du berbère ancien qui n'admettent pas la succession de deux consonnes dans la même
syllabe (cf. idem), et du système morphologique du berbère moderne où la majorité des lexèmes
féminins ou diminutifs au masculin singulier commence par ta < t "morphème du féminin ou du
diminutif' + a "morphème du masculin singulier", th et dh ont été scindées par une voyelle (5, 6, 7,
12). Cette fragmentation apparaît également dans le groupe des parlers modernes où les dentales se
sont aspirées en h, ex.

150
TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique du Nord et des lies Canaries
parlers touaregs autres parlers berbères
tahala tala "source"
tehmi tini "les dattes"

Ce genre d'oppositions serait également, aux yeux de ceux qui considèrent que l'évolution du
berbère est similaire à celle des langues sémitiques, une preuve de l'élimination de h de la majorité
des parlers berbères modernes et, du même coup, de la réduction des racines trilitères du chamito-
sémitique en racines bilitères et monolitères qui caractérisent le berbère moderne (cf. Prasse, 1969,
1972 ; Chaker, 1984, 1995).
Comme il en est pour t, h se sonorise en £ sous l'influence de / ou r (5, 6), qui, à son tour,
s'assourdit dans quelques cas en h13. Le déplacement de A à £ apparaît dans les parlers berbères du
centre du Maroc, connus sous le nom de tamazight, où ¿ari latri correspond à adra ou adrar
"montagne" des autres parlers.
Ces deux mouvements de spirantisation des dentales t et d, de par les correspondances qu'ils
présentent, ont certainement dominé chacun dans des endroits différents, sans être toutefois
totalement exclusifs. La spirantisation en h est probablement antérieure à celle qui s'est opérée en s et
z en passant par f et d (8. 9, 10, 11), car cette dernière a affecté également quelques occlusives
dentales desquelles s'est détachée h (12).
Par ailleurs, cette base toponymique et ses variantes se combinent, comme nous l'avons signalé,
avec d'autres bases toponymiques, mais également avec elles-mêmes : ex.
Talzert (Maroc),
Tarselt (Maroc),
Talezzert (Maroc),
Tarezalt (Maroc),
Tiratoi (Iles Canaries),
Tasartilo (Iles Canaries),
Taressela (Maroc).
A un des stades de l'évolution du berbère, les locuteurs qui ne connaissaient plus la signification
de TAL ou d'une ou plusieurs de ses variantes dont ils ne faisaient plus usage dans leur langue
avaient préfixé ou suffixé, aux noms de lieux devenus opaques, les formes de cette base toponymique
qui étaient encore vivantes dans les variétés du berbère qu'ils utilisaient. Les locuteurs du berbère
moderne ont procédé de la même façon et ont créé des doublets en ajoutant les formes vivantes de
cette base toponymique à celles dont ils ne comprennent plus le sens ; ex.
Dhar atar (Maroc),
Dhar tlaha (Maroc),
Adrar dern (Maroc),
Adrar Zallouq (Maroc),
Dhar Salk (Maroc),
Agadir n Irir14 (Maroc).
Il en est de même des arabophones qui rebaptisent les lieux dont les noms sont encore usités dans
le berbère moderne en leur ajoutant des mots équivalents de leur langue, ex.
Jbel Adrar < Jbel "montagne" + adrar "montagne"
Koudiat Tawrirt < koudiat "colline" + Tawrirt "colline"
Ain Tala < Ain "la source" + tala "la source"
De cette base toponymique et de ses variantes, les parlers berbères modernes ne conservent que
quelques formes - dal, dr, dhar, dit, dr, tar, tir, sar, zir (cf. 1, 2, 3, 4, 7, 10, 1 1) - dont la plupart sont

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Nouvelle Revue d'Onomastique n° 31-32 - 1998
très éparpillées et très bien incorporées et soudées avec d'autres unités qu'il est impossible de pouvoir
les déterminer en se basant uniquement sur l'état actuel de cette langue ; ex.
adra ou adrar "la montagne", la plupart des parlers berbères. Dans les parlers touaregs
méridionaux, on emploie un mot équivalent adgeg15 qui proviendrait, selon Chaker, d'une confusion
sémantico-formelle entre adrar "montagne" et adgag / adag "rocaille, pierre" employé en kabyle (cf.
Chaker, 1985a : 142).
Les données relevées dans la toponymie de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries montrent
qu'ils en est tout autrement. Ces deux termes sont des formes évoluées d'une même construction Talik
< tal "montagne" + ik "locatif' ; ex. Trik, Tarich (cf. 3) ; Talak, Talek "monts", Tadrek, Tadrek
"colline conique", Asalak "mont" (Ahaggar) (cf. De Foucault, 1940) ; Derque (Iles Canaries). Elle a
subi deux évolutions différentes qui ont donné deux formes distinctes attestées en toponymie et dans
le berbère moderne.
a. L'occlusive k s'est assimilée à / ou sa forme vibrante r pour former Talil, Talal, Délai ou leurs
variantes (cf. 1, 2, 4, 9) qui ont évolué pour donner adrar : talik > talil > talal > dalai > darar >
adrar/adra
b. к s'est sonorisée, sous l'influence de / ou sa forme vibrante r, en g ; ex. Тагigt (3), Dreg (cf.
4), Azlag (cf. 8), Sarg (cf. 10), Tizerag (cf. 11), Talag, Slag, Zireg (Maroc) ; Teleg (Ahaggar) ;
Talaga, Targa, Tazirga (Iles Canaries), g s'est spirantisée en g ; ex. Tergha (cf. 3), Zalagh, Zelghi
(cf. 9), Talagh, Adragh, Derregh "monts" (Ahaggar)16 (cf. De Foucault, 1940). La forme réalisée
dans les parlers touaregs méridionaux adgeg provient de l'assimilation de / ou sa forme vibrante r à
g17 : talik > dalik > dalig > dalig > darig > dagig > adgeg.
dhar 18 "le sommet", les parlers berbères du nord,
addar : "falaise", les parlers berbères du nord,
taddart19 : "maison", les parlers berbères du Nord. Il est utilisé dans d'autres parlers avec des
sens similaires ou très proches : "centre du douar", Zemmour ; "rez-de-chaussée d'une maison
servant d'étable et de bergerie", Imerghan ; "rucher installé dans la partie basse de l'habitation", A.
Issafen, A. Baâmran (cf. Laoust, 1920 : 2) ; "village", Kabylie (cf. Dallet, 1982). addar désigne le
gourbi chez les A. Sou Oulli et à Demnat (cf. Laoust, idem).
Une consonne qui appartient au terme préfixé à TAL s'est assimilée à t, devenue sonore, pour
former toutes les deux la géminée dd. En outre, la signification de addar/taddart couvre en grande
partie celle de amazir/ tamazirt / tamzirt (cf. plus bas). S'agit-il de synonymes ? Les correspondances
formelles montrent qu'il s'agit plutôt d'un même terme où TAL a subi des évolutions différentes (cf.
le processus évolutif, plus haut).
Tiraf (cf. 3) : "chaîne de collines peu élevées" Ahaggar ; tiref, pl. tiraf "vanne, motte de terre,
broussailles, ou chiffons dont on se sert pour boucher ou régler le passage de l'eau dans les rigoles ou
dans les carrés" A. Wauzgit ; asder pl. isdar sont employés dans le même sens à Tlit (cf. Laoust,
1920 : 412).
tkatert (cf. 3), pl. tikutar "colline", B. Menacer ; tekatert "petit bourrelet de terre retenant les
eaux", asekatter "pente", askater pl. iskutar "berge", Ahaggar (cf. idem : 41 1).
allai20 : 'Versant d'une élévation quelle qu'elle soit" Ntifa (cf. Laoust, 1920 : 41 1).
agdal : ce terme et ses variantes (agudal, andai, augdal, aidai) sont encore vivants dans
plusieurs parlers berbères modernes où ils signifient "pré, prairie" (cf. idem : 260). Agdal désigne en
Kabylie le "champ à céréales (de bas-fond ou de plaine ?)" (cf. Dallet, 1982) ; agudal est le "pré
réservé sur les rives d'un oued et entouré d'une enceinte en pierres", Tlit (cf. Laoust, 1920 : 260).
Cette imprécision est due probablement à l'évolution qu'a subie le sens de ce mot, mais les données
auxquelles il renvoie n'excluent pas l'idée de hauteur21 à laquelle il correspond en toponymie de
l'Afrique du Nord et des Iles Canaries (cf. 2).
152
TAL : une base toponymique ancienne de l 'Afrique du Nord et des Iles Canaries
agadir : il est encore usité dans quelques parlers berbères modernes avec le sens de "mur22, borj,
enceinte ou pilier des puits" (cf. idem : 3 et 413), qui contiennent tous l'idée de hauteur. Il désigne
dans les parlers chleuhs, le "grenier collectif fortifié"23, mais c'est en kabyle que le sens de TAL qui
le compose apparaît plus qu'ailleurs, il y signifie : "terrain en forte déclivité, escarpement" (cf. Dallet,
1982). Ce lexème et ses variantes sont fréquents en toponymie de l'Afrique du Nord (cf. 1, 3, 4, 11 et
Agadir n Irir, plus haut) où ils sont attestés dans des régions reculées qui n'ont pas subi l'influence
punique, limitée aux régions côtières. On les rencontre en Touareg où ils renvoient à des hauteurs, ex.
Tagadirt, Agedal, Kidal, Tekatert, Tegassal (cf. De Foucault, 1940). Il en est de même dans les Iles
Canaries, ex. Gadar, Agueda, Ayadirma (montagne de Tenerife), Aguatar, Gatermo, Agate, Agazai,
Echser, Echesere. Contrairement aux points de vue de plusieurs chercheurs (cf. Laoust, 1920 ;
Chaker, 1985b, 1995, entre autres), ce mot n'est donc pas d'origine punique. Etant, pendant une
longue période, en contacts massifs avec le berbère sur une aire dont la toponymie en fait un grand
usage, le punique l'a adopté selon le même processus qui a fait intégrer plusieurs termes fréquents
dans la toponymie ancienne de l'Europe dans les langues indo-européennes (cf. Bertoldi, 1931,
Trombetti, 1941, entre autres). C'est certainement par un processus analogue ou par le biais du
punique qu'il est passé en hébreu.
tawrirt : "la colline", la plupart des parlers berbères. Les références topographiques (cf. 3), mais
également les correspondances et le type d'assimilations et de contractions qu'on relève dans
plusieurs toponymes dont :
Atar Aktar Aoudal Tayzart
Adar Chtar Tagoudar/Tagoudart Mountagzirt
Ader Tawtar Tigidal Tagzirt
Adir Tawessart Tagdirt Tagouzirt
Adad Tawrar Ta.jd.irt Tawzirt
Adrar Tawrart Tachdirt Tawrirt
Tarart Agrir
Amdal Awrir
Amdar Awrirt
Amdrar Tawrirt
Amrar
Tamrart
montrent que ce terme provient de : ag + tal.
asarag : 'Versant de montagne", Touareg (cf. Laoust, 1920 : 4).
amadafl 4 : "le terrain". Touareg ; amadel pl. imudal "descente, versant, pente d'un coteau, d'un
ravin", Ntifa, Tlit ; amadel "versant opposé au soleil", Izayan ; aruru umadel "crête", Zemmour (cf.
idem : 1 12, 260).
timdirt "fossé, rigole, ravin" A. Warain (cf. idem : 263).
amazir. Ce terme et ses variantes sont fréquents en toponymie de l'Afrique du Nord et des Iles
Canaries (cf. 2, 3, 4, 9, 11). Ils sont encore usités dans plusieurs parlers berbères modernes avec des
significations variées : "maison, gourbi", A. Messad, A. Attab, Ntifa (cf. taddart, plus haut) ; "lieu de
campement", A. Ndir ; "le centre du douar où sont parqués les animaux", A. Ouira; tamzirt renvoie
chez A. Warain au "lieu de l'emplacement d'une tente" (cf. Laoust, 1920 : 2), et chez B. Snous à un
"terrain inculte où les troupeaux sont parqués pendant quelque temps" (cf. idem : 258) ; tamhart
désigne à Ahaggar "la place abandonnée d'un ancien campement" (cf. idem), tamazirt est "le champ
de culture établi à proximité des habitations", Zouaoua (cf. idem : 2) ; il signifie "champ ou jardin
situé en bordure d'un village", Kabylie (cf. Dallet, 1982). Par extension, ce terme signifie "le
territoire, le pays, la contrée", les parlers chleuhs (cf. Laoust, 1920 : 2).
153
Nouvelle Revue d'Onomastique n° 31-32 - 1998
Plusieurs stades de l'évolution phonético-phonologique du berbère sont superposés au fil des
siècles dans cette base toponymique qui constitue un exemple du mode de superposition et de
fossilisation, dans les toponymes et les microtoponymes de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries, des
différents stades de l'évolution du berbère. Son aire d'extension qui couvre et, vraisemblablement,
dépasse le bassin méditerranéen25 nous incite à ne pas nous limiter au cadre local dans lequel on l'a
présentée. Les altérations qu'elle a subies dans les différentes zones géographiques où se sont succédé
des langues et des cultures différentes nous permettent de voir sous un autre jour les processus très
complexes de conservation et d'évolution, et, d'accéder à des strates linguistiques plus profondes,
méditerranéennes sans doute.

Abdelaziz ALLATI

Université Abdelmalek Essaâdi


B.P. 210 Martil
TÉTOUAN (Maroc)

Noies

1. D s'étend de l'Egypte à l'est aux Des Canaries à l'ouest et de la Méditerranée au nord du Niger et au
Mali au Sud.
2. Je vais publier prochainement un travail qui traite des toponymes attestés dans ce livre.
3. On ne relève pas la même superposition des couches toponymiques dans les Iles Canaries.
4. Les noms de lieux peuvent être, pour des raisons diverses, déplacés et transportés ailleurs, loin de
l'endroit qu'ils dénommaient au début. Mais on peut presque toujours déterminer leurs référents originaux lors
des enquêtes de terrain.
5. Tell est utilisé en arabe classique où il signifie "colline". C'est probablement sa fréquence en toponymie
des aires où est utilisée cette langue qui y a facilité son intégration. Le français l'a également emprunté pour
désigner les tertres artificiels formés par les ruines accumulées des anciennes civilisations.
6. Voir (Aliati, 1996, 1998a) sur l'évolution du système consonantique du berbère ancien.
7. Pour des raisons pratiques, nous illustrons notre analyse par des toponymes et des microtoponymes
attestés au Maroc. On relève les mêmes changements ailleurs ; ex. Talaga, Telle, Tejidal, Tilela, Tara Taraf,
Tarenche, Tarifa, Terrife, Therrife, Darguayo, Adadar Tihisar, Derque, Almada, Bentahara, Herque, Haretas,
Sale, Salmore, Tasarte, Sardan, Sirse, Tazarte, Tazarcorte, Tarziga, Alen etc. (Iles Canaries).
8. On notera le nom de lieu, son altitude, ses coordonnées sur la carte et le titre de celle-ci.
9. La situation du système vocalique du touareg en est un exemple révélateur (cf. Prasse, 1972, 1975,
1984 ; Galand, 1988).
10. On relève ces déplacements dans les attestations anciennes des toponymes de l'Afrique du Nord
relatées par Pline (cf. Müller, 1901) et Ptolémée (cf. Desanges, 1980).
11. Les relations entre 1 et r sont également très confuses dans la toponymie pré-indo-européenne (cf.
Nègre, 1991, entre autres).
12. Th et dh apparaissent dans les attestations anciennes des toponymes de l'Afrique du Nord relatées par
Pline (cf. Müller, 1901) et Ptolémée (cf. Desanges, 1980).
13. A et e correspondent respectivement à h et S! de l'API.
14. Irir une forme évoluée de TAL (cf. ci-dessous tawrirt). C'est le nom de la ville d'Agadir, port principal
du sud du Maroc, dont la description topographique montre qu'il s'agit bien de TAL : «Il est protégé au nord-
ouest par l'avancée du cap Rhir, pointe extrême du Haut-Atlas, qui délimite une vaste baie. Logé dans le point le

154
TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries

plus creux de cette baie, Agadir possède une rade excellente dominée par une colline rocheuse sur laquelle se
dresse la Kasbah (236m)» (Desanges, 1985 : 239).
15. g correspond à y de l'API.
16. Sur l'évolution g > g en berbère, voir Basset 1952, Aliati, 1996 et 1998a.
17. Cf. Tawrirt (plus bas) où on relève une assimilation du même genre.
18. Ce terme est différent du lexème arabe: dahr, dhar "le dos" avec lequel il risque, aidé par le processus
d'attraction, d'être confondu.
19. Ce mot n'est pas un emprunt à l'arabe : «Malgré une ressemblance de forme avec l'arabe dar
"maison", le mot (taddart ) ne doit pas être considéré comme un emprunt fait à cette langue» (Laoust, 1920, 2).
20. La géminée II provient de l'assimilation de deux consonnes au contact. Sur la formation des tendues ou
des géminées du berbère, voir Aliati, 1996, 1998a.
21. Notons que les prés et les prairies correspondent généralement, dans la berbérie, à des terrains qui
sont, vu leur relief, difficiles à cultiver.
22. «Les jardins sont établis (... ) et aussi sur les pentes déclives des collines ; dans ce cas, les terres sont
soutenues par des murs épais bâtis en pierres sèches : agadir (Ntifa)» (Laoust 1920 : 409).
23. Pour des raisons de sécurité, on construit ces greniers sur des terrains élevés : «Il fallait donc protéger
aussi efficacement que possible des ressources vitales contre le voisin-ennemi» (Adam, 1985 : 237).
24. La barre et le point souscrits indiquent respectivement le caractère spirant et l'emphase.
25. Talèfre (Glacier de) 3200m dans les Alpes ; Tel-Aviv, etc. Ce ne sont pour l'instant que des hypothèses
que seules les enquêtes de terrain pourront confirmer ou infirmer. Voir également, Tovar, 1977 ; Deroy et
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