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Cahiers de civilisation médiévale

L'invasion hilālienne et ses conséquences


Hady Roger Idris

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Idris Hady Roger. L'invasion hilālienne et ses conséquences. In: Cahiers de civilisation médiévale, 11e année (n°43), Juillet-
septembre 1968. pp. 353-369;

doi : https://doi.org/10.3406/ccmed.1968.1452

https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1968_num_11_43_1452

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Hady Roger IDRIS

L'invasion hilâJienne et ses conséquences

Introduction

Quelques remarques sur l'histoire de l'Occident musulman médiéval

Un Européen, même non helléniste ni latiniste, tout naturellement imprégné de culture chrétienne
issue de la gréco-romaine, comprend facilement celle-ci à travers les travaux de recherche ou de
vulgarisation. Par contre, l'approche de la civilisation arabo-musulmane est parsemée de tant
d'embûches qu'un minimum d'initiation est nécessaire au profane non arabisant ou ignorant des
choses de l'Islam.
C'est pourquoi, sur les trois leçons prévues pour exposer aux auditeurs du XVe stage du « Centre
d'Études Supérieures de Civilisation Médiévale » un des problèmes de l'histoire de l'Occident
musulman au haut moyen-âge : l'invasion hilâlienne, il a paru utile, voire nécessaire, de consacrer
la première à un préambule méthodologique susceptible, non seulement d'éclairer la voie, mais de
leur faciliter par la suite l'abord d'autres questions relevant du même domaine.
On appelle tantôt musulmane ou islamique, tantôt arabe, cette civilisation, née d'une prédication
religieuse et d'une conquête barbare, qu'il convient de qualifier d'arabo-musulmane. Elle a fleuri
de l'Indus aux Pyrénées, mais elle ne sera considérée ici qu'en bordure de la Méditerranée. Là
comme ailleurs, uniformité et diversité la caractérisent et, très tôt, les Musulmans ont distingué
l'Orient ou Masriq de l'Occident ou Magrib, correspondant aux deux bassins, oriental et occidental,
de la Méditerranée. L'islamisation, presque aussi rapide que la conquête, a été suivie d'une profonde
symbiose multi-raciale. L'apport ethnique des vainqueurs a été si inférieur à leur influence culturelle
que c'est cette dernière qu'il convient d'appeler arabisation. Bien qu'étroitement liées l'une à
l'autre, islamisation et arabisation ne vont pas toujours de pair, mais l'unité du Magrib médiéval
est essentiellement religieuse et linguistique. Malgré la vitalité des langues indigènes : berbère
en Afrique du Nord et roman en Espagne, qui explique la vigueur du bilinguisme, l'Occident
musulman n'a connu qu'une seule langue de civilisation, celle du Coran. D'où la nécessité de la
transcription ou plus exactement de la translittération de l'arabe.
Les arabisants utilisent actuellement un système de translittération assez conforme à celui de la
transcription phonétique internationale, mais la consultation des travaux anciens ou même de
l'« Encyclopédie de l'Islam » oblige à revenir sur quelques autres manières de transcrire les
phonèmes propres à l'arabe, d'où le tableau page suivante.

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Translittération Autres « Al- «


des phonèmes propres à l'arabe transcriptions Andalus » pédie de
l'Islam »

u une des 3 voyelles brèves de l'arabe classique (a, i, u). ou u u


ù une des 3 voyelles longues de l'arabe classique (à, ï, û). ou où ù ù
(apostrophe) occlusive glottale, dite aussi attaque souv. omise
vocalique, pouvant se prononcer avec ou sans voyelle.
• (apostrophe inversée) spirante pharyngale sonore. souv. omise z • •
h spirante pharyngale sourde (fortement expirée). h h' h h
h spirante laryngale sourde (simple souffle). h h
q occlusive vélaire emphatique sourde. k k c q k
h spirante vélaire sourde (allemand suchen, jota castillane) kh j kh

.
g spirante vélaire sonore (r grasseyé). g gk r' g gh
r r roulé. r r
g occlusive affriquée (appendice chuintant). dj j y dj
s chuintante. ch s §h
s s emphatique. Ç S s s
■p- t emphatique. t' t t t
d d interdental et emphatique (d). d dh' d' z d d
z se prononce comme d. z' z z z
t t interdental (anglais thing). th t -pi th
d d interdental (anglais thé). dh d d dh

Dans l'article al-, le a peut s'élider et le / s'assimiler à certaines consonnes : al-dâr (translittération)
— ad-dâr (transcription). Une finale a peut devenir at en composition. Sauf à l'initiale, Ibn (fils de)
s'abrège en b. (prononcer ben). Abu (père de) devient Abî (génitif) dans un nom composé :
'Ali b. Abi Tâlib ('Ali fils d'Abû Tâlib).
Un grand juriste de l'époque zïride dont le nom complet est Abu Muhammad 'Abd Allah b. Abï
Zayd 'Abd al-Rahmân al-Nafzi al-Qayrawânï (m. 386/996) sera appelé soit simplement Abu
Muhammad (par sa kunya), soit 'Abd Allah b. Abï Zayd (par son nom suivi de la kunya de son père
'Abd al-Rahmân) ou encore Ibn Abï Zayd al-Qayrawânï (fils d'Abû Zayd le Kairouanais). Cet
exemple suffit à faire pressentir les pièges de l'onomastique arabe. Heureusement qu'un personnage
est souvent désigné par un surnom, d'un maniement plus commode pour ses contemporains — et
aussi pour l'historien !
Une partie des difficultés de la toponymie provient de l'inexactitude des transcriptions en caractères
latins, mais on peut sacrifier à l'usage et continuer d'appeler al-Qayrawân, Kairouan —
al-Mahdiyya, Mahdia — ou encore Makka, La Mecque — et Muhammad, Mahomet.
Par contre, de nombreuses notions spécifiquement arabo-islamiques, partant intraduisibles,
doivent être translittérées. S'il n'y a pas grand dommage à appeler le fiqh, droit musulman, il
est déjà plus difficile d'éviter ta'rïh. (chronologie, annales, recueils biographiques classés par
générations). Bt que dire de sunna (coutume ancestrale, imitation du Prophète et de ses
Compagnons, orthodoxie) et de son antonyme bid'a (innovation, nouveauté non conforme à la sunna,
hétérodoxie), de hadit (tradition rapportée remontant au Prophète et document de la sunna), etc.
Les majuscules peuvent être utiles et l'on rend parfois sunna (ou hadit — on voit le danger de
confusion) par Tradition, salât (prière canonique) par Prière et celui de La Mecque ou hagg par
Pèlerinage, etc.

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INVASION

Mais, de toute façon, les traductions à prétention scientifique s'émaillent de mots arabes transcrits,
insérés dans le vif du texte ou placés entre parenthèses à la suite des mots les traduisant.
D'où la nécessité d'un minimum d'initiation à l'Islam. A cette fin on recommande Les institutions
musulmanes, de M. Gaudefroy-Demombynes, L'Islam médiéval, par G. Von Grunebaum et, d'une
manière générale, L'Introduction à l'histoire de l'Orient musulman. Éléments de bibliographie, de
J. Sauvaget, 2e éd., refondue par Cl. Cahen. Le bref chapitre que ce dernier manuel consacre à
l'Occident musulman dresse le bilan des résultats, acquis en 1961, de la recherche, en un domaine
où il reste tant à faire, surtout pour le haut moyen âge qui nous occupe.
On glissera sur la numismatique, certes non négligeable, mais dont il n'y a peut-être pas à attendre
beaucoup, sur l'archéologie, encore peu avancée, et l'histoire de l'art, illustrée par des travaux de
premier ordre.
La pénurie d'archives rend l'historien tributaire, pour ne pas dire esclave, d'une documentation
livresque, manuscrite ou imprimée, partiellement et plus ou moins bien traduite. La possibilité de
découvertes n'est pas à exclure, mais il est douteux qu'elles soient sensationnelles.
L/essentiel de la matière première consiste en des chroniques que l'on complète par des œuvres
géographiques, littéraires, biographiques, juridiques, etc.
Parmi ces chroniques ou annales, il faut distinguer, avec soin, et beaucoup plus qu'on a coutume
de le faire — ce qui est grand dommage, — celles qui sont originales et contemporaines des faits,
rédigées par des scribes plus ou moins au service des princes et malheureusement presque toutes
perdues, des compilations tardives mais citant les premières. En effet, l'historiographie arabo-
musulmane est profondément marquée par la discipline des « traditionnistes » qui rapportent
chaque « tradition » (hadït) en donnant la chaîne des garants, des rapporteurs qui se la sont
transmise de bouche à oreille. Cette méthode, scrupuleuse et rarement négligée, garantit
l'authenticité de chaque citation. La grande affaire est donc la quête et l'identification des documents
historiographiques de première main.
Dans cette perspective on donne le pas au Bayân d'Ibn 'Idâri, qui cite ses sources sur l'Histoire
d'Ibn Haldùn, car le célèbre auteur des Prolégomènes si précieux pour l'historien du Magrib médiéval
est très chiche d'indications de ce genre. Mais cette information se révèle d'emblée partiale et
presque constamment unilatérale et restreinte à l'histoire événementielle. Sa maigreur et ses
lacunes la rendent peu propice aux monographies et contraignent l'historien à embrasser de vastes
ensembles et de longues périodes, par exemple un siècle ou une dynastie donnés.
Les hommes ayant joui d'une certaine notoriété sont assez bien connus grâce à une riche floraison
de recueils biographiques classés par ordre alphabétique ou par générations (classes, tabaqât).
A l'origine de ce genre, on retrouve les impératifs de la discipline du hadït : les traditionnistes
se devaient de connaître la vie de chacun des garants s'étant transmis une tradition donnée pour
s'assurer de son authenticité — sans pour autant en faire la critique interne. A cette catégorie
d'ouvrages on ajoute des traités de littérature, des recueils poétiques et des ouvrages
hagiographiques (manàqib) .
Quant à la littérature géographique, très riche et d'une remarquable valeur documentaire, on
verra l'importance du témoignage d'al-Bakri, qui vaut pour la période pré-hilâlienne, et de celui
d'al-Idrisi, postérieur à l'invasion.
Les recueils de consultations juridiques (fatwâs, nawàzil) sont la principale, pour ne pas dire l'unique
mine de matériaux concernant les realia et la vie sociale. Chaque fatwâ, une fois identifié le
jurisconsulte (mufti) l'ayant délivrée, est datable et situable dans l'espace, sans parler d'autres
précisions qu'elle peut renfermer ; ainsi certaines reproduisent des jugements ou des contrats datés.

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Mais outre que le parti à tirer d'une fatwâ apparaît rarement de prime abord, et qu'il est souvent
difficile d'y déceler ce qui relève de la pratique ou de la théorie, les consultations tantôt abondent
et tantôt font défaut1.
Dans le même ordre d'idée, il y a beaucoup à attendre de l'énorme masse de textes en caractères
hébraïques, pour la plupart arabes et des xie, xne et xme siècles que les Juifs du Vieux Caire
ont enfouis principalement dans une cave de leur synagogue (Geniza) . Leur exploration et leur mise
en œuvre sont particulièrement difficiles2.
Ce bref aperçu sur les sources de l'histoire de l'Occident musulman médiéval suffit déjà à faire
ressortir combien l'élaboration en est délicate. Toutefois un certain nombre d'idées directrices
peuvent y présider.
Toute l'histoire, tant événementielle que sociale, est dominée par les faits politico-religieux tels
que les luttes verbales ou armées entre orthodoxes et hétérodoxes hârigites ou si'ites, entre sunnites
mâlikites et hanafites.
Accueillant aux hommes et aux doctrines, ayant échoué en Orient et en mal de revanche, le Magrib
leur sert de refuge (hârigisme, mâlikisme, Idrïsides, Fâtimides, Umayyades d'Espagne).
Pour s'opposer aux Arabes qui les avaient vaincus, les Berbères se vouèrent, comme jadis au
donatisme, à l'hétérodoxie hârigite. Au ixe s., sous les Aglabides de Kairouan, la querelle est vive
entre le mâlikisme populaire et le hanafisme de l'aristocratie qui passe ensuite au si'isme quand les
Fâtimides s'emparent du pouvoir. Pour un peu, la révolte du fameux chef hârigite Abu Yazîd
(l'homme à l'âne) aurait réussi à exterminer ces derniers. Et la rupture zïrïdo-fâtimide, responsable
de l'invasion hilâlienne, est la consécration de la victoire de l'orthodoxie mâlikite sur le si'isme
abhorré.
Tant à Cordoue qu'à Kairouan, c'est la classe moyenne qui constitue le facteur primordial.
Bourgeoisie largement ouverte allant de l'humble artisan au riche propriétaire, et foncièrement mâlikite3,
elle est l'opinion publique. Les princes la redoutent au point que beaucoup préfèrent résider dans
une cité princière au milieu de leurs fonctionnaires et soldats, à quelque distance de la capitale où
ils ne se sentent pas en parfaite sécurité.
Le pouvoir repose sur la force militaire. Celle-ci, d'abord fondée sur les hommes ayant assuré
l'avènement de la dynastie, s'épuise généralement assez vite, rendant inévitable le recours à des
mercenaires. En effet tout effondrement politique est l'œuvre d'une force neuve, presque toujours
une tribu nomade ou sédentaire, fortement unie par l'esprit de corps ('asabiyya), et dont le bien-être
émousse ensuite le courage.
D'autre part, si l'égalitarisme fondamental de l'Islam contribue à estomper l'opposition entre
vainqueurs et vaincus, il parvient difficilement à réduire l'hostilité des clans. C'est que l'Islam a
beau avoir, et dès l'origine, vocation urbaine, la société, même citadine, garde une certaine structure
tribale. La fusion entre les conquérants arabes et les indigènes n'a guère altéré cet état de chose,
car les Berbères étaient gens de tribus et le demeurèrent.

1. Cf. H.R. Idris, Commerce maritime et Kirâd en Berbérie orientale d'après un recueil de fatwàs médiévales, dans « Journ. of Econ.
a. Soc. Hist. of the Orient. », t. IV, 1961, p. 225-239. Au 4e Congrès d'Études Arabes et Islamiques (Coimbra/I,isbonne, 1-8 sept. 1968)
je compte faire une communication sur I,e mariage en Occident Musulman d'après un choix de fatwâs médiévales extraites du
Mi'yâr d'al-Wansarisi ; le résumé figurera dans les Actes du dit Congrès et le texte complet (introduction et analyse des 245
consultations choisies) constituera probablement le second chapitre d'une publication patronnée par la « Revue des études islamiques ».
2. Voir les travaux de S.D. Goitein ; Shaul Shaked, A Tentative Bibliography of Geniza Documents , École pratique des Hautes
Études, 6e sect. [« Études Juives », V], Paris/The Hague, 1964 ; S.D. Goitein, A mediterranean Society, t. I Economie Foundations,
Univ. California Press, Iyos Angeles, 1967.
:

3. Voir H.R. Idris, Réflexions sur le mâlikisme sous les Umayyades d'Espagne, Atti d. III0 Cougr. di Studi arabi et islamiei
[Ravello, 1966], Naples, 1967, p. 397-414. L,a société musulmane contemporaine, dont la connaissance est, ou plutôt était, si précieuse
pour les médiévistes, se modernise très rapidement.

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l'invasion

I/une des constantes de l'histoire magrébine médiévale est l'opposition entre tribus sédentaires
et tribus nomades, car leurs genres de vie sont incompatibles par essence.
Parmi les sédentaires, on distingue soigneusement les montagnards des paysans de la plaine — sans


parler bien sûr des citadins. La montagne est à la fois un refuge pour les vaincus ou les apeurés et
un réservoir de forces nouvelles. La plaine est l'exutoire naturel de celles-ci et le domaine d'élection
des nomades. La géographie humaine explique bien des choses.
Enfin le climat rend les conditions de vie précaires et, dès que l'effort humain se relâche, les terres
fertilisées par l'irrigation ont tôt fait de retourner au désert.
A part al-Andalus, en contact direct avec la Chrétienté, le Magrib proprement dit est relativement
isolé de l'Occident européen pendant tout le haut moyen âge et les principaux courants économiques
et culturels vont d'est en ouest et vice versa, sauf pour les routes de l'or soudanais.
Les frontières sont floues et l'existence des États, assez peu centralisés, est fonction de leurs
métropoles, dont les plus importantes furent Kairouan et Cordoue. On est fondé à parler de civilisation
cordouane et de civilisation kairouanaise, toutes deux anéanties par des nomades. Les troubles
qui ont provoqué la chute du califat de Cordoue et ouvert l'époque des reyes de Taijas sont fort
significativement taxés d'« anarchie berbère » (fitna barbariyya)4 par les chroniqueurs arabes,
unanimes par ailleurs à porter la destruction de l'émirat ziride de Kairouan et l'anarchie qui s'en
suivit au compte des Hilâliens.

II
La rupture; zïrïdo-fâtimide

J'ai choisi comme sujet l'invasion hilàlienne pour deux raisons. La première n'est certes pas d'avoir
déjà traité cette question dans une de ces thèses doctorales qui, à la longue, finissent par donner
la nausée à leur auteur, mais parce qu'elle est cruciale pour l'histoire du Magrib médiéval, et
particulièrement propre à illustrer la méthodologie de celle-ci. La seconde découle d'une polémique
récente, parue dans les « Annales »5.

4. Voir mes trois articles : Les Zïrïdes d'Espagne, Les Birzâlides de Carmona, Les Aflasides de Badajos, clans « Al-Andalus »
t. XXIX, 1964, p. 39-145 ; t. XXX, 1965, p. 49-62, 277-290.
5. J. Poncet, Le Mythe de la « catastrophe » hilàlienne, dans « Annales, K.S.C. », t. XXII5, 1967, p. 1099-1120 ; R. Idris, De la
réalité de la catastrophe hilàlienne, « Ibid. », t. XXIII2, 1968, p. 390-396. Avant la parution de cette réponse et dans une notule
(Quelques mots sur les hilâliens et le nomadisme, dans « Journ. of Econ. a. Soc. Hist. of the Orient », t. XI, 1968, p. 130-133), mon
collègue et ami, Cl. Cahen, jusque là « prisonnier de l'optique traditionnelle » s'en libère pour approuver l'argumentation « convaincante
et juste » de J. Poncet, non sans en accentuer quelque peu l'invraisemblance. Que l'arabisant, historien de l'Orient musulman,
permette ces quelques remarques :
i° I/Ifrïqiya était déjà une « réelle grande puissance » avant les Fâtimides.
20 Klle était déjà essentiellement réduite à ses « ressources régionales », encore qu'il convienne de ne pas omettre celles provenant
des échanges avec l'extérieur.
3° « 1,'indiscipline des dépendances périphériques » est une constante de l'histoire de tout l'Occident musulman médiéval.
4° C'est un anachronisme que d'affirmer « I,e sentiment de ces difficultés rend de plus en plus insupportable à la population le
maintien de l'allégeance envers Iye Caire... » 1,'existence de ce sentiment, bien moderne, est à démontrer ; qui aurait pu le ressentir?
:

1,'obédieiice fâtimide n'a rien à voir avec les troubles intérieurs.


5° Sous les Zïrïdes, il n'y a jamais eu « suprématie des docteurs » de la « doctrine ismâ'ilienne... », si ce n'est à la cour, et encore.
I,e sî'isme des Sanhàga-Talkâta était sans doute bien superficiel et la population, surtout celle de Kairouan et des villes — la seule
comptant politiquement, — anti-si'ite jusqu'à la moelle, était littéralement envoûtée par les éminents juristes màlikites qui fleurissaient
alors.
6° Je concède volontiers que les Hilâliens ne sont pas totalement responsables de l'anarchie qui s'instaure. Mettons qu'elle existait
à l'état endémique. l,a lutte, jusque-là constante entre nomades et sédentaires, le prouve amplement. Mais qui niera qu'en franchissant
un certain seuil un mal ne puisse détruire l'organisme qui s'en était jusque-là tant bien que mal accommodé. I,a précarité de
l'équilibre entre les deux genres de vie explique sa rupture lors de l'invasion hilàlienne, promotion du nomadisme, redoutable malgré
sa modicité dans une balance il faut peu de chose pour faire pencher l'un des plateaux également chargés.
7° Rien ne permet d'affirmer que seules « les aristocraties locales » ont préféré s'entendre avec les envahisseurs plutôt que de rester
;

soumises au Ziride. L,es faits attestés concernent au contraire les petites gens.

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Mon propos est de cerner et éclaircir les données du problème, de le repenser après une décennie
d'oubli, décanté et confronté comme à une pierre de touche à la contradiction.
La conquête du Magrib par les Arabes, longue et laborieuse, plusieurs fois anéantie par la résistance
berbère, régénéra le pays. Peu nombreux, ils se fixèrent principalement dans les villes et en fondèrent
de nouvelles. Et toutes de prendre leur essor, tandis que d'innombrables bourgades parsemaient
les plaines de la Berbérie orientale (Tunisie et Constantinois), appelée Ifrîqiya jusqu'à la fin du
moyen âge, et que de nombreuses forteresses (ribâts) jalonnaient le littoral protégeant d'actifs
ports de pêche et de commerce. A la ville surtout, mais aussi à la campagne, la fusion des vainqueurs
dans la masse autochtone accéléra l'islamisation et l'arabisation. Ht après la période, mal connue,
des gouverneurs umayyades et 'abbâsides, la dynastie aglabide, d'origine orientale, fonde un
puissant émirat héréditaire qui, vassal du calife de Bagdad, mais quasi indépendant, se maintient
pendant tout le ixe s.
La capitale, Kairouan, devenue une énorme métropole économique et culturelle, doit sa prospérité
à la mise en valeur de l' arrière-pays, grâce à une habile politique de l'eau et du Sahel
de Sousse et de Sfax, ainsi qu'au trafic caravanier qui la relie au Soudan, au Magrib central et au
Proche-Orient.
La conquête de la Sicile, qui sert d'exutoire à la turbulence des milices arabes, assure à l'Ifrïqiya
soulagée l'hégémonie en Méditerranée occidentale.
Grâce à l'Imâm Sahnùn et à ses disciples, la fameuse cité fondée par Sïdï 'Uqba, Compagnon du
Prophète, se voue au màlikisme, dont elle devient le phare. Cependant, l'unité spirituelle est loin
d'être réalisée. En effet, la plupart des princes, qui résident d'ailleurs dans des cités princières
(al-'Abbâsiyya/al-Qasr al-qadim, Rusâfa, Raqqâda), aux abords de la capitale dont ils se défient,
sont, ainsi que leurs courtisans, acquis à un autre rite orthodoxe : le hanafisme qui, plus subtil,
plus souple et complaisant au pouvoir, avait éclipsé le màlikisme en Orient. En raison de la patrie
des fondateurs de ces deux rites, Mâlik et Abu Hanîfa, les mâlikites étaient appelés « médinois » et
les hanafites « 'iraqiens ». Leur opposition était moins doctrinale que sociale. Les premiers étaient
peuple, les seconds aristocrates. Le principal objet de leur hostilité était la consommation du vin
de dattes (nabïd) toléré par les « 'iraqiens », strictement prohibé par les « médinois ». Ceux-ci étaient
horrifiés par les mœurs dissolues de la cour. La plupart des Aglabides furent ivrognes, cruels et
débauchés, et l'un d'eux véritable fou sanguinaire. Qu'ils aient fondé et patronné un centre de
traductions et d'études philosophiques et scientifiques appelé Bayt al-Hikma (Maison de la Sagesse)
n'était pas pour les racheter aux yeux d'orthodoxes pour qui ces recherches sentaient le soufre.

8° IYes documents de la Geniza (v. notamment S.D. Goiteix, A mediterranean Society, t. I, p. 32) suggèrent que le commerce extérieur
de la Berbérie Orientale pré-hilûlieune a connu une certaine décadence, mais on ne connaît pas l'importance, ni absolue ni relative,
de ces échanges, pas plus que les répercussions de ce déclin sur l'économie générale du pays et le niveau de vie.
90 II est bien évident que, lorsque les Nomades ruinent une agriculture, c'est « sans volonté délibérée de le faire ».
io° J'acquiesce pleinement aux remarques générales sur « la bédouinisation au moins politique » de l'ensemble du monde musulman
aux Xe et XIe s. et j'applaudis à la dénonciation « d'un certain subjectivisme selon qu'on mettra l'accent sur tel ou tel facteur sans
documentation suffisante pour être probante ». D'où, pour renoncer au « mythe » de la catastrophe hilàlienne, je réclame des documents
l'infirmant, et je reproche à J. Poucet de n'en pas fournir, et surtout de ne retenir arbitrairement que les faits favorables à une thèse
a priori, contraire à toute la documentation utilisable et à ce que plus de trente années de recherches m'ont appris sur la mentalité
de la société magribine du haut moyen âge.
J. Poucet a cru bon de répondre à ma réponse {lincorc à propos des Hilâliens : La 'mise au point' de R. Idris, dans « Annales,
É.S.C. », 1968, p. 660-662), n'apportant de neuf, dans une discussion qui lui « paraît aussi dépassée qu'inutile », que cet argument
captieux et anachronique — je veux dire non médiéval — si l'État zïrîde n'avait pas été aux abois et condamné d'avance, « les
populations » l'auraient défendu avec ardeur, fournissant au souverain « subsides et renforts », autrement dit un soulèvement national ;
:

pourquoi pas une mobilisation générale et, après la défaite de Haydarân — qualifiée de simple débandade, comme s'il était alors
question de Verduns — une résistance et des maquis? Réfutation par l'absurde, trop outrée, dira-t-on. Soit. Mais, le sens premier
du mot arabe « dania », signifiant dynastie, pouvoir, etc., est période, révolution du temps, vicissitude... A part les soldats, les
mercenaires et les gens inféodés au pouvoir, les Ifrïqiyens ont toujours considéré qu'une dynastie, en tant qu'institution temporelle, était
éminemment éphémère et ne méritait guère qu'on se sacrifiât pour elle. Attitude médiévale et mentalité musulmane, voilà ce qui
importe ; avant d'expliquer, comprendre, et auparavant sentir.

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I, INVASION

Enfin un luxe effréné avait engendré une lourde fiscalité. Tout concourait donc à rendre impopulaire
une dynastie qui se maintenait presque exclusivement grâce à des mercenaires.
Le dernier Aglabide n'avait aucune des qualités nécessaires au chef d'un pays menacé par un
danger aussi grave que l'attaque des Fâtimides.
Pour les sï'ites, le calife, chef de la communauté musulmane, doit descendre du Prophète et
obéissance absolue lui est due. 'Ubayd Allah, descendant de Muhammad par sa fille Fâtima et
grand maître de l'Ordre ismâ'ilien, avait donné une vigoureuse impulsion à la propagande secrète
de cette secte si'ite. Au début du règne d'Ibrâhïm II (875-902), deux missionnaires ismâ'iliens
s'installèrent en Petite Kabylie, pratiquement indépendante des Aglabides, parmi les Kutâma,
Berbères n'ayant, semble-t-il, jamais donné dans l'hérésie hârigite. Leur influence fut considérable
et ils moururent dans le pays. Puis, aux alentours de 893, arriva le célèbre missionnaire Abu 'Abd
Allah qui organisa ces montagnards fanatisés en une armée régulière qui remporta une première
victoire dès 902 en enlevant la ville de Mila. Et, sept ans plus tard, le dernier Aglabide s'enfuyait
en Orient.
Les Fâtimides d'Ifrïqiya ont eu une haute conscience de leur sacerdoce et de leurs devoirs de
souverains. L'aristocratie hanafite se rallia à eux, mais le peuple, fidèle à l'orthodoxie màlikite
malgré la propagande ismâ'ilienne et les persécutions, ne cessa de leur être farouchement hostile.
Une pléiade d'éminents docteurs mâlikites lutta sans trêve contre les si'ites taxés d'« orientaux ».
Et quand le hârigite Abu Yazid se souleva à la tête des Zanâta, Berbères nomades, les Kairouanais
avec enthousiasme, mais non sans répugnance, se joignirent à lui. Il se serait arrangé pour laisser
massacrer ces piètres soldats. Mais le Fàtimide, après avoir été réduit aux abois dans Mahdia,
parvint à se dégager et à rétablir la situation, grâce aux contingents kutâmiens et à l'aide de Zirï,
chef des Talkâta, Berbères sédentaires de la confédération des Sanhâga. Victoire de sédentaires
sur des nomades ; une des phases de la lutte séculaire entre Zanâta nomades et Sanhâga sédentaires,
qui eut le Magrib pour théâtre.
C'est en effet cet antagonisme qui anime toute la période s'ouvrant par la conquête de l'Ifrïqiya,
arrachée à la suzeraineté 'abbâside par la subversion ismâ'ïlienne. Le califat fàtimide ne pouvait y
végéter sans se renier. De vocation panislamique, il a toujours eu pour but de renverser celui de
Bagdad. La fondation de Mahdia par le premier Fàtimide 'Ubayd Allah trahit déjà ce dessein.
D'autre part, l'Ifriqiya ne dut pas se révéler une base de départ suffisante, d'où un vigoureux
effort à l'ouest pour essayer de subjuguer le Magrib tout entier. On devine l'inquiétude des
Umayyades d'al-Andalus. Champions de l'orthodoxie màlikite, il y allait de leur salut de soustraire
le Magrib extrême à l'emprise sï'ite. Ils eurent recours à une arme morale : la proclamation dès 929
du califat de Cordoue par 'Abd al-Rahmân III, dirigée moins contre le 'Abbâside de Bagdad que
contre le Fàtimide de Kairouan, et ils stipendièrent les Magrâwa, Berbères de la confédération
des Zanâta, ennemis irréductibles des Talkàta, sanhâgiens pro-fâtimides. Ziri, fondateur d'Asir
en 935-6, s'illustra dans ces guerres où il trouva la mort, brillamment secondé par son fils Buluggïn
qui lui succéda à la tête des Sanhâga en 971 et poursuivit la lutte contre les Zanâta.
Mais les Fâtimides venaient de remporter une victoire insigne à l'est : Gawhar, général d'al-Mu'izz
li-Dïn Allah, s'était emparé de l'Egypte en 969. Le Magrib avait rempli son office. Et avant de
partir pour le Caire, avec ses Kutâma et sans esprit de retour, le dernier Fàtimide d'Ifriqiya y
laissa, en 972, Buluggin b. Ziri comme lieutenant avec droit de transmission héréditaire. L'émirat
zïrïde ainsi fondé ne comprenait ni la Sicile ni Tripoli, mais tout le Magrib était livré à sa merci.
Les trois premiers Zirides, avant tout souverains d'Asïr, guerroient sans cesse à l'ouest et confient
l'Ifrïqiya à un vice-roi arabe, mais la vocation ifrïqiyenne de la dynastie se dessine de bonne heure.
Elle a pour conséquence une recrudescence de la pression des Zanâta qui, sous Bâdis (996-1016),

359
HADY ROGER IDRIS

déferlent victorieusement de Tiaret à Tripoli. Il les mate, non sans peine et grâce surtout à son
oncle Hammâd, qui pacifie le Magrib Central et y fonde la Qal'a (1007-8). L,a fin du règne est
marquée par la rébellion de Hammâd (1015), qui reconnaît les 'Abbàsides, et par les premiers
massacres de si'ites, notamment à Béja et à Tunis.
A l'avènement d'al-Mu'izz b. Bâdïs (1016), les mâlikites d'Ifriqiya massacrent les si'ites et, peu
après, l'émir conclut avec Hammâd une paix lui abandonnant ainsi qu'à ses descendants tout le
Magrib Central, dont les Hammâdides assurent désormais la défense contre les Zanâta de l'Ouest,
tandis que le Zïride se charge de ceux qui infestent l'Ifrïqiya méridionale.
On comprend que Hammâd ait reconnu les 'Abbàsides pour mieux asseoir son indépendance, mais
le massacre des si'ites d'Ifrïqiya en 1016 surprend davantage. L,a montée sur le trône d'un très
jeune prince (il a moins de neuf ans), que par surcroît l'on dit avoir été élevé dans l'orthodoxie
par son précepteur, le célèbre Abu 1-Hasan b. Abï 1-Rigâl (le fameux astronome que l'Occident
chrétien appellera Albohazen ou Abenragel), a pu faciliter cette explosion de fanatisme, mais ne
semble pas l'avoir vraiment provoquée.
La preuve en est que l'autorité zïrïde sévit contre les fauteurs de troubles et qu'al-Mu'izz b. Bâdîs
prend pour vizir le principal artisan de la répression. Par faiblesse et opportunisme, le calife fâtimide
ferme les yeux et les relations diplomatiques entre l'Ifrïqiya et l'Egypte demeurent excellentes
jusqu'à la rupture, qui n'est consommée que plus de trente ans après, en 1047-8.
Le désir d'indépendance y a été pour beaucoup ; à telle enseigne que, selon un récit, peut-être
controuvé mais suggestif, al-Mu'izz li-Dîn Allah l'aurait prédite, déclarant que Buluggîn, qu'il
venait à peine de prendre pour lieutenant au Magrib, finirait par y accéder. D'autre part il y avait
aussi l'exemple donné par le Hammâdide.
Mais la reconnaissance du califat de Bagdad est avant tout une concession au vox populi mâlikite
et la conséquence de l'ifrïqiyanisation d'une dynastie berbère invinciblement poussée à renouer
avec la tradition des Aglabides, le moyen de résoudre le problème que posait la coexistence hostile
du mâlikisme de la masse et du si'isme des importants ; en un mot, c'était sceller définitivement
l'alliance de la dynastie sanhâgienne et de l'Ifrïqiya. Tout confirme cette interprétation.
C'est un dévot mâlikite, Muhriz b. Halaf, devenu par la suite le saint patron de Tunis, Sïdï Mahrez,
qui préside aux massacres de Tunis la dernière année du règne de Bâdis, lequel lui avait accordé
ainsi qu'à sa gent maints privilèges par décret qu'al-Mu'izz b. Bâdïs confirme une dizaine d'années
plus tard.
Dans la biographie édifiante (manâqib) de Muhriz, on voit, à la faveur du massacre des « Orientaux »,
la populace piller les silos d'un riche notable si'te. Seul indice de l'aspect social de la crise. D'autre
part, si une certaine propagande 'abbâside n'est que présumable, l'action de forces occultes est
attestée.
Mais, pour bien comprendre le mécanisme de la rupture zïrïdo-fàtimide, il faut remonter aux
prédécesseurs d'al-Mu'izz b. Bâdïs qui, tout au Magrib Central, et sï'ites moins par conviction que
par fidélité vassalique, ont laissé l'orthodoxie mâlikite préparer sa victoire en toute quiétude.
Sans parler des dévots eux aussi fort influents, d'éminents juristes y travaillèrent d'arrache-pied
par leurs ouvrages et surtout leurs innombrables fatwàs : Ibn Abï Zayd, qui dédia à Muhriz b. Halaf
son fameux manuel de droit musulman, La Risala, œuvre de propagande mâlikite, al-Qâbisï,
Abu Bakr b. 'Abd al-Rahmân, Abu 'Imrân al-Fâsï et bien d'autres.
Et ce fut dans une liesse populaire indescriptible que les Fâtimides furent maudits en chaire et leurs
étendards blancs incinérés, tandis qu'on priait pour le calife de Bagdad sous le déploiement de ses
drapeaux noirs. Quelle euphorie ! Sous l'égide d'une dynastie berbère ifrïqiyanisée et indépendante,

360
L, INVASION

l'Ifriqiya malikite avait-elle raison de croire fondées sa grandeur et sa prospérité ? Quelles nuées
pouvaient menacer le ciel de l'espérance à l'aube de l'invasion hilàlienne ?
I^a rupture qui devait la déclencher avait été préparée diplomatiquement avec habileté : al-Mu'izz b.
Bâdis était entré en relation avec Byzance et l'Espagne, ces ennemis traditionnels des Fâtimides.
L,a décadence de ces derniers était patente : perte de la Syrie, disettes, luttes sanglantes entre
mercenaires turcs, magribins et nègres, active propagande 'abbâside, avènement du calife
al-Mustansir en 1036, à l'âge de sept ans et bientôt énervé par les plaisirs. Cette faiblesse explique
qu' al-Mustansir se soit d'abord contenté de morigéner son ex-vassal et que, deux ans après sa
rébellion, al-Mu'izz b. Bâdis correspondait encore avec la chancellerie du Caire, où il continuait
d'avoir une sorte de chargé d'affaires. Mais, à partir de 1050, date de l'élévation au vizirat du grand
cadi d'Egypte al-Yàzùrï, les missives se font de plus en plus fielleuses. L'éventualité d'une action
militaire, bien peu probable, n'était pas pour effrayer al-Mu'izz b. Bâdis. L.a nef ziride ne faisait
pas eau et n'allait pas à la dérive. Durant la minorité de l'émir, sa tante, la fameuse princesse
Umm Mallâl, en a tenu fermement la barre jusqu'à sa mort survenue en octobre 1023. L/année
précédente (juillet 1022), le richissime et omnipotent vice-roi arabe, inféodé aux Fâtimides et de
connivence avec les Zanâta, avait été exécuté et, dès août 1023, remplacé par Abu 1-Bahâr b. Halûf,
le principal auteur de la répression des troubles anti-si'ites. Et, à peu près jusqu'à la rupture,
semble-t-il, cet énergique Berbère assuma la perception des impôts, la nomination des gouverneurs,
l'inspection des troupes et l'administration de toutes les finances. On dit que tout marcha
parfaitement ; les provinces éloignées furent contenues et les frontières gardées ; l'émir trouva en lui
toutes les qualités requises : fermeté, capacité, décision, tandis que lui-même, hautement conscient
de ses responsabilités, gouvernait personnellement. Rejeton d'une forte lignée et nullement fin de race.
A l'Ouest, le royaume de ses cousins les Hammâdides, avec lesquels la paix, conclue en 1017, ne
fut violée qu'un temps très court (de 1040 à 1042), contenait avec vigueur les Zanâta. Moins rival
qu'allié, cet État faisait alors figure de marche avancée, de solide rempart contre la dangereuse
mouvance zanâtienne. Cette dernière, active en Ifriqiya méridionale, y était réprimée efficacement
grâce à de puissantes expéditions, lancées tant au sud-est qu'en direction de Tripoli. Significative,
la soumission à al-Mu'izz de l'émir de Barqa en 1051-52. De même, la présence de cavaliers
zanâtiens aux côtés des Sanhâga à Haydarân. D'ailleurs, qu'il s'agisse d'al-Andalus ou de l'Ifriqiya,
c'est un anachronisme que de concevoir des États fortement centralisés et délimités par des
frontières précises. Bien au contraire, l'autonomie des provinces excentriques est la règle et les
expéditions punitives sont de routine.
Toutefois, il est indéniable que les contingents sanhâgiens avaient probablement perdu de leur
combativité, s'étaient aveulis et éclaircis. L.a création du royaume de la Qal'a dut rendre précaire,
voire tarir, le recrutement d'éléments propres à les revigorer, renforcer et rajeunir. D'où, pour
pallier ce danger, un enrôlement massif de mercenaires « étrangers », pour la plupart des esclaves
soudanais ('abïd), par dizaines de mille. Mais la cuirasse avait son défaut : l'hostilité de l'armée
régulière et de la garde noire, principale cause du désastre de Haydarân.
Iva puissance des armes zïrïdes est illustrée par des tentatives d'intervention en Sicile, toujours
possession fâtimide, en proie à de graves convulsions. Rêvait-on de renouveler l'exploit des
Aglabides ? En 1025-6, al-Mu'izz aurait équipé une flotte considérable, mais elle fut détruite par
la tempête au large de Pantellaria. Dix ans plus tard, des troupes commandées par un fils d'al-Mu'izz
remportèrent des succès, mais, après des revers, se rembarquèrent, laissant la Sicile plongée dans
l'anarchie grandissante.
Enfin, tout porte à croire le royaume kairouanais aussi riche et prospère qu'il était politiquement
et militairement fort. Il faut certes en rabattre sur l'exagération des chroniqueurs, mais on demeure

-3.61
HADY ROGER IDRIS

frappé par la prodigalité d'al-Mu'izz et le luxe de sa cour. L,es amendes et confiscations de biens
dont sont assorties quelques disgrâces consécutives à la rupture ne prouvent pas la viduité des
caisses de l'État. Certes le changement de frappe de 1049, autrement dit l'abandon des dinars
frappés en Ifriqiya au nom des Fâtimides et l'adoption de dinars de type sunnite, s'assortit bien
d'une manipulation monétaire ayant entraîné une augmentation du prix de la vie. Elle peut être
la conséquence d'une abondance d'or et d'une pénurie d'argent ou encore d'une sorte d'alignement
sur la monnaie fâtimide qui, en 1008, avait subi une réforme analogue. Mais l'interprétation des
données, d'ailleurs fort laconiques, concernant les faits de ce genre est délicate, et il est téméraire,
voire anachronique, d'y trouver ce que nous appelons aujourd'hui une dévaluation et d'en
déduire qu'à la veille de l'invasion les finances et l'économie étaient celles d'un pays aux abois.
Quant aux routes approvisionnant l'Ifrïqiya en or soudanais, c'est l'invasion hilâlienne et elle
seule qui les a interrompues.
C'est donc dans une euphorie certaine et pleinement justifiée qu'en 1050-51, Kairouanais et
Soussiens, mettant fin à une vieille inimitié, fraternisent en festoyant et que, la même année,
al-Mu'izz b. Bâdïs proclame, avec faste, son fils Tamïm héritier présomptif.
Rien ne laissait prévoir les redoutables conséquences d'un acte aussi réfléchi, et somme toute
judicieux, que la reconnaissance du calife de Bagdad.

III

1/ INVASION ET SES CONSEQUENCES

Pour l'Ifrïqiya zïride, jubilant au lendemain du rejet de l'obédience hétérodoxe, l'invasion hilâlienne
a été un bouleversement total, une catastrophe politique et économique sans précédent.
Sur le conseil machiavélique de son vizir al-Yâzùrï, le Fâtimide al-Mustansir livra le pays du vassal
qui venait de le bafouer à une horde de nomades faméliques et turbulents qui l'embarrassaient :
les Banù Hilâl et les Banû vSulaym, Arabes stationnés en Haute Egypte, dans la province du Sa'ïd.
Les Hilâliens comprenaient trois branches principales : les Atbag, les Riyàh et les Zugba. Après
avoir chargé un dignitaire d'aller réconcilier les Riyâh et les Zugba qui s 'entretuaient, le calife
accorda des libéralités à tous ceux qui franchiraient le Nil. Ive général qui avait rétabli la paix entre
Zugba et Riyâh fut chargé de conduire les Hilâliens en Ifrïqiya et de maintenir l'harmonie entre
eux. De cette indication fortuite et unique, fournie par une pièce de la chancellerie fâtimide, il est
fort hasardeux de déduire que la horde fut même sommairement organisée. Quant à l'attribution
par al-Mustansir de villes à des chefs hilâliens, il s'agit probablement d'une légitimation a posteriori
d'appropriations ultérieures.
Après avoir dévasté la province de Barqa en 1050-51, les Hilâliens l'abandonnèrent aux Banû
Sulaym qui les avaient suivis — ils n'envahiront à leur tour le Magrib qu'au début du xine s. —
et firent irruption en Ifrïqiya (1051-52). A Kairouan, on ne réalisa d'abord pas le danger et on ne
comprit pas qu'il s'agissait d'une véritable migration, au déferlement de laquelle la contexture du
pays n'opposait guère d'obstacles naturels. Au demeurant, n'avait-on pas réussi, jusque-là, à
juguler les Zanâta, autres nomades qu'il n'y avait aucune raison de croire moins redoutables que
les nouveaux venus ? Bien mieux, al-Mu'izz, plus ou moins à court d'effectifs, rêva d'enrôler les
Riyâh, fit venir leur émir Mu'nis à sa cour et lui donna peut-être même sa fille en mariage. Mu'nis
eut beau déclarer le projet irréalisable, il dut partir recruter des contribules et revint à la tête d'un
escadron. Hélas ! à la première bourgade, nos pandoures s'écrièrent : « Voilà Kairouan ! », et de la

362
l'invasion hilâuenne

piller aussitôt. S'imaginant avoir été joué par Mu'nis, al-Mu'izz usa de représailles, fit arrêter sa
famille demeurée à Kairouan et mettre les scellés sur sa maison. L'émir des Riyâh, ulcéré, donna
l'ordre de piller en proclamant partout le calife al-Mustansir. Il n'attaqua pas Kairouan, mais
ravagea le pays plat.
Certaines tractations entre indigènes et brigands avortèrent, ces derniers violant leurs engagements
à peine pris. La razzia était autrement fructueuse. Et la désolation de se répandre : routes coupées,
arbres abattus, récoltes saccagées, villes investies. Si bien qu'al-Mu'izz résolut d'en finir et de
frapper un grand coup dans la région de Gabès que le gros de la horde n'avait pas encore dépassée.
Il rassembla ses troupes. Le Hammâdide, ainsi que le chef des Zanâta d'Ifrïqiya, qu'il gratifia
de ioo.ooo dinars, lui envoyèrent de la cavalerie.
A la suite d'une première défaite, les forces zïrïdes livrèrent la bataille décisive le lendemain
14 avril 1052 à Haydarân. Leur supériorité numérique était écrasante. Nos sources parlent de
30.000 cavaliers et autant de fantassins contre 3.000 cavaliers arabes seulement. Mais cette immense
armée était hétérogène. Les contingents sanhâgiens battirent d'abord en retraite pour laisser
massacrer la garde noire, mais ne purent ensuite reprendre l'avantage, et ce fut la débandade et
un sauve-qui-peut jusqu'à Kairouan. Beaucoup de tués et de prisonniers et certainement une
multitude de déserteurs, qui s'égaillèrent dans la nature. L'anéantissement de la force militaire
ziride était consommé et la route de Kairouan ouverte aux Arabes, qui purent battre impunément
la campagne. Le premier à se présenter devant une agglomération se nommait, accordait aux
habitants sa sauvegarde, leur donnant son bonnet ou un billet marqué d'un signe afin d'informer
ses contribules qu'il avait été le premier à arriver dans la localité dorénavant sienne. Ces
sauvegardes ne tardaient guère à être dénoncées et le pays fut mis en coupe réglée. Kairouan,
investie et mise en état de défense, reçut la population de la cité princière d'al-Mansûriyya où
l'on regroupa les Sanhâga et les soldats. Al-Mu'izz aurait sévi contre certains villageois qui, bon
gré mal gré, avaient plus ou moins pactisé avec l'envahisseur pour échapper à la ruine, au massacre
et à l'incendie. Kn effet les Ifrïqiyens tentèrent parfois de composer avec les nouveaux venus,
qui n'auraient encore compté que 7.500 cavaliers. En 1052-3 al-Mu'izz les autorisa même à pénétrer
dans Kairouan pour s'y livrer à des transactions commerciales. Mal lui en prit, car une altercation
entre un citadin et un nomade dégénéra en une rixe sanglante dans laquelle de nombreux
kairouanais furent occis. En 1053, il nomma son fils Tamïm gouverneur de Mahdia, où il transporta
peu à peu sa famille et ses trésors.
Les campagnards se réfugient dans les villes qui se constituent en républiques indépendantes ou
tombent sous la coupe des Hilâliens, lesquels se partagent le pays. L'exode des Kairouanais se
poursuit vers Mahdia et Tunis. Beaucoup d'Ifriqiyens gagnent l'Ouest hammâdide. Le pillage
n'est pas le seul fait des Hilâliens. Des bandes de gaillards sans aveu s'en donnent à cœur joie,
sans parler des destructions opérées sur ordre par les troupes régulières à des fins stratégiques
au cours des engagements et des sièges.
En 1053-4, al-Ubba et Laribus, au sud du Kef, succombent, tandis que Kairouan est encerclée
par les Zugba et les Riyâh. Mu'nis escorte certains Zïrïdes qui partent pour Gabès et autres lieux.
Les Arabes contrôlent bientôt tout le Qastïliya (Djérid, Nefzaoua, Gafsa). Tozeur, Gafsa et Sousse
se révoltent contre l'autorité centrale incapable de les protéger. Un conseil de notables administre
Sousse. Tandis que l'investissement de Kairouan se poursuit, l'émir des Riyâh, Mu'nis, s'empare
de Béja (1054-5).
C'est alors que, pour conjurer le péril, al-Mu'izz marie trois de ses filles à des émirs arabes et fait
même retour à l'obédience fâtimide ! Mais ce curieux reniement, dicté par le désespoir, demeure
un acte gratuit. Et, en 1057, probablement à la suite de l'arrivée d'un nouveau flot de barbares,

363
HADY ROGER IDRIS

al-Mu'izz abandonne sa capitale et, sous la protection de deux de ses nouveaux gendres, rejoint
son fils Tamïm à Mahdia, dont le ravitaillement est interrompu. Kairouan, au moins en grande
partie évacuée par ses habitants, est aussitôt livrée au pillage.
I^e royaume hammâdide tire d'abord profit de la ruine de l'Ifrïqiya et réussit même à se servir
des Atbag et des 'Adï, qui avaient atteint le Magrib Central, contre les Zanâta. Al-Qâ'id b. Hammâd,
après avoir rompu avec les Fâtimides et soutenu al-Mu'izz à Haydarân, reconnaît lui aussi de
nouveau leur suzeraineté. L,es Zanâta, que les Banû Hilâl ont expulsés d'Ifrïqiya méridionale,
sont refoulés au Magrib Central. I,es Hammâdides s'allient aux Atbag auxquels ils abandonnent
les campagnes, tandis que les Zïrïdes s'appuient sur les Riyâh et les Zugba. Ces derniers, finalement
évincés par les Riyâh, entrent à leur tour au service des Hammâdides.
Tamïm, le premier Zirîde de Mahdia, qui succède à al-Mu'izz en 1062, s'efforce pendant un demi
siècle, mais en vain, de récupérer son royaume, avec l'aide des Riyâh, tandis que le Hammâdide
al-Nâsir se sert des Atbag pour harceler l'Ifrïqiya. Tunis, gouvernée depuis 1062 environ par un
conseil de notables présidé par 'Abd al-Haqq b. Hurâsân, plus ou moins vassal du Hammâdide
qui l'a désigné, est l'enjeu de cette rivalité. Ce personnage met fin aux brigandages des Arabes
en leur versant un tribut annuel. A sa mort, survenue en 1095, son fils lui succède. Iya dynastie
tunisoise des Hurâsânides ainsi fondée durera jusqu'en 1128.
Iva défaite de Sabîba (1065), qui fait au Magrib Central pendant à celle de Haydarân, contraint
bientôt al-Nâsir d'abandonner la Qal'a pour Bougie, qu'il vient de fonder (1068-9). Vannée suivante,
il conclut avec Tamïm une paix que lui et ses successeurs respecteront jusqu'à la mort de
Tamïm (1108).
Ce dernier opère en Sicile, mais Pisans et Génois lui imposent une paix draconienne en 1087.
Sous ses successeurs, Yahyâ, 'Ali et al-Hasan, la course ifriqiyenne s'amplifie, mais les Normands,
maîtres de la Sicile, arrachent le littoral ifrïqiyen au dernier Ziride, al-Hasan, qu'ils chassent de
Mahdia (1148).
Enfin le calife almohade 'Abd al-Mu'min enlève son royaume au dernier Hammâdide, en 1152,
et inflige un cuisant échec aux Hilâliens à Sétif (1153).
I,a conquête de l'Ifriqiya (1159-1160), précédée d'un soulèvement des villes occupées par les
Normands, se termine, elle aussi, par une grande défaite hilâlienne au Gabal al-Qarn (1160).
I^a paix almohade met un terme à la puissance des Zanâta, refoulés vers l'ouest par les Arabes
nomades, et à celle de l'envahisseur hilâlien, qui se soumet au Mahdi et participe à la Guerre
vSainte en Espagne.
I/histoire offre peu d'exemples d'une vengeance aussi terrible et efficace que celle tirée par les
Fâtimides de leur vassal félon. Plus d'un siècle sépare l'invasion hilâlienne (105 1) de la conquête
almohade (1160). Non seulement les nomades arabes ne tentèrent pas de réduire l'anarchie qu'ils
avaient instaurée, mais le bouleversement fut si profond que tous les efforts pour y mettre fin
avortèrent. Iya seule partie du pays qui tenta de renaître fut subjuguée par les Normands. 1/ ordre
politique n'a pas été rétabli par les autochtones, mais par des étrangers, les Masmûda, montagnards
berbères de l'Atlas galvanisés par une nouvelle doctrine religieuse. Iyes Banû Hilâl, nomades
faméliques, avides de rapines et fractionnés en clans rivaux, n'ont pas eu une vocation de
conquérants.
L,a rapidité de l'effondrement de l'État zïrïde au lendemain de la bataille de Haydarân ne prouve
pas sa faiblesse, car les succès des Berbères Zanâta d'Abû Yazïd sur la puissance fâtimide avaient
déjà démontré la vulnérabilité de l'Ifriqiya à l'assaut des nomades. Certes, les Fâtimides avaient
emmené en Egypte la presque totalité de leurs contingents kutâmiens, leur flotte, leurs trésors,

364
I, INVASION

leurs fonctionnaires et une grande partie de l'élite, mais cette énorme ponction avait été assez
vite compensée par la substitution des Sanhâga aux Kutâma, l'utilisation et le renforcement des
cadres demeurés dans le pays, la reconstitution d'une force navale ; de bonnes finances et une
économie prospère firent le reste. Quant à l'activité intellectuelle, nul fléchissement, mais au
contraire vigueur et éclat. Gardons-nous de minimiser les faiblesses d'un État qui s'est pour ainsi
dire dissout, comme de nous évertuer à les grossir pour expliquer cette chute en invoquant quelque
déterminisme inexorable. Justifier après coup le soit-disant inévitable est quelque peu vain et
futile. Prévoir est plus difficile. Jouer les oracles est toujours téméraire, qu'on suive la marche
du temps ou qu'on la remonte.
Iya vie des civilisations n'obéit-elle pas à cette loi universelle : vulnérabilité est fonction de
perfectionnement ? Appliquée à la chute de l'État zîride et de la civilisation kairouanaise, ne
peut-on en déduire que, plus frustes, ils auraient mieux résisté à l'assaut des barbares et se seraient
en tout cas relevés plus facilement ? Dans cette perspective, est-il paradoxal de ne pas considérer
la rapidité de la chute et l'inaptitude à un prompt rétablissement comme des signes de faiblesse ?
En tout cas, il est au moins aussi important de mesurer la force de l'adversaire. I^a horde hilâlienne,
redoutable promotion du nomadisme, a été suffisamment massive et dynamiquement dissolvante
pour bouleverser d'un coup tout l'équilibre vital d'une société à vocation sédentaire, fortement
urbanisée, qui avait déjà tant à faire pour contenir la mouvance zanâtienne.
D'emblée elle submerge les plaines et asphyxie ou anéantit bourgades et cités. I^es sédentaires
berbéro-arabes se terrent dans celles qui peuvent résister, tandis que les nomades berbères sont
refoulés vers l'ouest et que les transhumants se réfugient dans les montagnes. Et partout
l'agriculture de reculer devant les pacages et les terrains de parcours.
Rien d'extraordinaire à ce que les maîtres du pays, rompus à lutter efficacement contre le
nomadisme zanâtien, n'aient pas de prime abord jaugé l'ampleur du fléau.
Oui, on a trop fait de bruit sur le « vol de sauterelles » évoqué par le grand Ibn Haldûn — qui
avait, soit dit en passant, un certain faible pour la vie bédouine — et il est juste de souligner que
son jugement reflète les préoccupations des hommes de son temps, le xive s., citadins en conflit
permanent avec les tribus nomades et guerrières. Mais il est faux d'affirmer que les premiers
accusateurs des Hilâliens sont très postérieurs à leur irruption, s'agissant, au contraire, de sources
contemporaines, quoique citées dans ces compilations tardives qu'il convient d'analyser à la loupe,
dans le texte original, et d'utiliser avec circonspection. Et toutes évoquent bien une catastrophe
dans toute la force du terme.
D'autre part, dans l'évolution ultérieure du Magrib il faut, avec J. Despois, ne pas omettre le
danger représenté par les montagnards avides de pâturages, d'eau et de terres fertiles, pour les
paysans des plaines et des collines. N'empêche que c'est surtout l'invasion hilâlienne qui a
détruit l'habitat sédentaire, faisant retourner des zones entières à un état plus misérable qu'avant
l'intervention humaine. En climat pré-désertique, tout relâchement de l'effort entraîne la
désertification.
Il serait trop long de réfuter tous les arguments produits pour minimiser l'importance du genre
de vie à propos des conséquences de cette invasion nomade. Ils reposent trop souvent sur des
affirmations gratuites et des anachronismes, voire sur une confusion entre causes et effets.
Il n'y a pas lieu non plus de revenir sur les conclusions inattaquables de G. Marçais ou les pages
que R. Brunschvig a consacrées au modus vivendi qui finit par s'instaurer entre bédouins et
sédentaires, inéluctable et fondé sur la contrainte ou l'intérêt mutuel, souvent les deux à la fois.
D'autant plus que cette évolution nous éloigne trop du xne s.

365
HADY ROGER IDRIS

Quant à l'essor de Mahdia, Tunis, Bougie, il découle bien d'une nouvelle orientation des échanges
qui se font désormais du côté de l'Europe, mais rien ne prouve que, sans l'invasion, les Zïrïdes
n'auraient pas pu, sinon empêcher, du moins retarder la conquête normande de la Sicile. De toutes
façons ce sont bien les Hilâliens qui ont provoqué le repli sur le littoral. Et sans eux, Roger II
aurait-il pris Mahdia ?
Enfin, ce sont eux et eux seuls qui ont interrompu, au moins provisoirement, le trafic des caravanes,
tant vers l'Occident que vers l'Orient et le Soudan. La fondation de la Qal'a n'y est pour rien.
La menace des Almoravides n'est pas négligeable, mais ils n'ont pas dépassé Alger. La conquête
de Sigilmâssa (1061-62), qui les rend maîtres d'une des grandes routes de l'or africain, est bien
postérieure à l'invasion hilâlienne qui, coupant celles du Djérid et de Tripoli, en avait
considérablement accru l'importance.
Concluons donc en affirmant que l'invasion hilâlienne, brutale, massive et imprévisible, redoutable
promotion du nomadisme arabe, a voué à une anarchie séculaire la Berbérie Orientale dont elle
a détruit la civilisation florissante et le potentiel. Catastrophe dont les séquelles pèseront longtemps,
voire jusqu'à nos jours, sur le destin du Magrib. Faits et témoignages concordent parfaitement
et il est sage de s'y plier avec une certaine humilité.

APPENDICE

L'invasion hilâlienne
(compilé par
d'après
Ibn le'Idârï
Bayân
en 706/1306-7)
[2e éd., t. I, p. 288-295]

... Ce fut cette année-là (443/15 mai 1051-2 mai 1052) que commencèrent les troubles (fitna) en Ifriqiya.
Mention d'une partie de ces grands troubles et de la ruine de Kairouan.
Ibn Saraf (chroniqueur zïrïde mort en 460/1068) a dit : « Lorsqu'on en vint à maudire publiquement les Banù
'Ubayd du haut des chaires et qu'al-Mu'izz b. Bâdis eut donné l'ordre de massacrer leurs partisans, les Banû
'Ubayd permirent aux Arabes de franchir le Nil ; jusque là cela leur avait été interdit et aucun d'eux ne l'avait
franchi. Puis [le calife] ordonna de gratifier d'un dinar chacun de ceux qui le passeraient, si bien qu'une multitude
le fit sans qu'il leur donnât la moindre consigne, sachant qu'ils n'avaient pas besoin de recommandations. Ils
passèrent par masses et _s'installèrent dans la région de Barqa. Puis, au bout d'un certain temps, l'un de leurs
[chefs], Mu'nis b. Yahya al-Riyâhî, vint trouver al-Mu'izz. Ce dernier, dégoûté de ses « frères » les Sanhâga
voulait leur substituer d'autres [guerriers], sans leur rien laisser paraître de la rancœur qu'il avait pour eux
d'où la position avantageuse à sa cour de ce Mu'nis, seigneur de ses contribules, plein de bravoure et de raison
;
Al-Mu'izz le consulta sur le projet de prendre comme soldats (gund) ses cousins les Riyâh, mais Mu'nis le lui
déconseilla, lui représentant combien ils étaient désunis et indisciplinés. Néanmoins l'émir insista et finit par
lui déclarer : « Tu veux rester seul [bénéficiaire de mes faveurs] par jalousie contre ta tribu » Mu'nis se décida
donc à aller trouver ses contribules, non sans avoir renouvelé ses objections et pris à témoin certains dignitaires
!

du sultan. Quand il les eut rejoints, il lança une proclamation pour les réunir, leur fit des promesses et excita
leur appétit, leur dépeignant la générosité du sultan et les bienfaits dont il les comblerait. Après quoi il partit
à la tête d'une troupe de cavaliers qui n'avaient jamais connu l'aisance ni vu de centres urbains. Et, à la première
bourgade rencontrée, de s'écrier : « Voilà Kairouan » Puis de la piller au même instant.
!

Quand la nouvelle parvint à Kairouan, al-Mu'izz en fut très affecté et déclara : « C'est un coup monté par
Mu'nis pour prouver la véracité de ses dires et le bien fondé de ses conseils. » II fit arrêter ses femmes et ses
enfants et apposer les scellés sur sa demeure pour voir comment l'autre allait réagir. Quand Mu'nis apprit le
traitement infligé à ses femmes et enfants, il en fut très affecté et fort marri. « J'ai donné bon conseil, s'écria-t-il,
et l'affaire se retourne contre moi, la faute m'est imputée » II se montra alors pire déprédateur que toute sa
gent et il connaissait les points faibles de Kairouan. Le sultan leur envoya alors des juristes chargés de leur
!

transmettre des messages, des conditions et des recommandations. Ils leur firent savoir que le sultan leur avait
restitué leurs femmes et enfants et leur firent conclure des promesses et des conventions par lesquelles ils
s'engageaient à se soumettre. [Les Arabes] chargèrent certains de leurs sayhs d'aller porter ces actes [à Kairouan].
Mais par la suite ils se révoltèrent contre le sultan et semèrent partout la dévastation.

366
I, INVASION

Défaite infligée par les Arabes à al-Mu'izz b. Bâdïs.


Ce fut lors du deuxième jour de la Fête des Sacrifices fïd al-adhâ) (n dû 1-higga 443/14 avril 1052) qu'eut lieu
la grande catastrophe, le terrible malheur. Le sultan célébra le second jour de fête (al-yawm al-tànï ; dans le
texte yawm al-itnayn, le lundi) et au matin de ce jour-là il partit en direction d'une localité connue [depuis]
sous le nom de Banù Hilâl. Comme au milieu du jour il reçut l'information de l'approche de la horde au grand
:

complet, il donna ordre de camper dans des rocailles et des lits d'oueds. Mais ce dispositif n'était pas encore
complètement mis en place que les Arabes fondirent sur eux comme un seul homme. L'armée se débanda.
Al-Mu'izz tint bon avec grande énergie jusqu'au moment où il se trouva à la portée des lances des Arabes et
qu'un très grand nombre des esclaves de sa garde noire ('abïd) se furent sacrifiés à ses côtés pour lui sauver la
vie. Quant aux Banù Manâd, à tous les Sanhâga et autres tribus [berbères] ils s'enfuirent et les Arabes pillèrent
leurs tentes. Ils firent irruption dans le camp du sultan al-Mu'izz et s'en emparèrent ; Allah Seul sait ce qu'il
renfermait comme or, argent, ustensiles, objets, meubles, chameaux et chevaux ; il y avait là plus de dix mille
tentes ou autres abris, près de quinze mille chameaux et d'innombrables mulets. Il ne resta rien à aucun soldat,
même pas une entrave et la plupart gagnèrent la montagne connue sous le nom de Haydaran où ils s'égaillèrent
avant de se regrouper. Les Kairouanais ignoraient tout de ce qui s'était passé mais ils étaient sur le qui vive et
scrutaient l'horizon. Et quand on fut au troisième jour de fête, Ibn al-Bawwâb arriva avec deux cavaliers ;
accablés par la détresse et l'éperduement, leur état rendait toute question oiseuse. Les gens leur demandèrent
aussi avec insistance des nouvelles du sultan et ils répondirent qu'il était sain et sauf. Peu après, le prince rentrait
à son palais [d'al-Mansùriyya] avec son fils [al-Mansûr ?], bientôt suivi des soldats, isolés et en groupes ; beaucoup
n'étaient pas revenus ; on savait ce qu'étaient devenus les uns et on ignorait tout des autres. Le bruit courut
ensuite que les Arabes avaient fait prisonniers une masse de Sanhâgiens et autres.
Ibn Saraf a dit : « L'armée mise en déroute était forte de trente mille (le texte fautif dit : quatre-vingt mille)
cavaliers et d'un nombre proportionnel de fantassins. La cavalerie arabe comptait trois mille cavaliers et un
nombre proportionnel de fantassins. Et, dans un poème commençant par ce vers (mètre tawïl) :
« Le fantôme d'Umaym est venu [me] visiter à la minuit, alors que les pieds des montures allaient
grand train. »
'Ali b. Rizq a dit à ce propos :
« Trente mille des vôtres, trois mille les ont défaits ; voilà certes un châtiment exemplaire ! »
Les Arabes arrivèrent dans les parages de Kairouan. Le premier d'entre eux qui se présentait devant une
bourgade, donnait son nom aux habitants, leur accordait une sauvegarde et leur remettait son bonnet ou un
morceau d'étoffe sur lequel il traçait un signe, pour attester aux autres qu'il les avait devancés. Pendant deux
nuits les Kairouanais éprouvèrent une peur dont Allah le Très Haut sait Seul l'intensité, ignorant quel sort allait
connaître leur cité. Pendant deux jours aucun d'eux n'entra [dans la ville] ni n'en sortit tandis que les cavaliers
arabes évoluaient librement partout dans les environs de Kairouan sous leurs yeux dessillés.
Le septième jour de la Fête des Sacrifices (16 dû 1-higga 443/19 avril 1052) le sultan sortit [de la ville] avec ses
soldats et le peuple de Kairouan mais ne put dépasser le musallà (oratoire de plein air). Les Arabes dénoncèrent
les sauvegardes qu'ils avaient accordées aux habitants des campagnes qu'ils mirent en coupe réglée. Les
malheureux se réfugièrent dans Kairouan. Le sultan donna l'ordre à tous de dévaster les cultures entourant
Kairouan et Sabra — c'est-à-dire al-Mansûriyya, chose dont les Musulmans se réjouirent fo_rt et où ils virent une
aubaine. Ces plantations ravagées et livrées à la dent des bêtes connurent le sort qu'Allah leur avait réservé.
Le dix sept de dû [1-] higga/20 avril 1052, les cavaliers arabes apparurent à trois milles de Kairouan. Alors
le sultan parcourut la ville à pied exhortant les habitants à faire bonne garde et à manier la truelle et ils se
mirent à fortifier leurs maisons. Le sultan al-Mu'izz ordonna à la population et la populace de Sabra de se
transporter à Kairouan et d'évacuer toutes les boutiques de Sabra, et à tous les soldats se trouvant à Kairouan,
sanhâgiens et autres de s'installer à Sabra et d'en occuper les boutiques et les souks. Cette mesure provoqua
beaucoup d'émoi, un grand trouble et un profond désarroi. Les esclaves de la garde noire ('abïd) et les
Sanhâga s'attaquèrent aux boiseries des boutiques et de leurs galeries et les arrachèrent. En une heure cet
immense habitat fut démoli. La population passa la nuit dans la pire des angoisses et au matin elle aperçut
les cavaliers arabes. Le sultan défendit aux troupes de monter sur la muraille de Sabra. Ibn Saraf a dit :
« Quelqu'un en qui j'ai confiance m'a fait ce récit « Je sortis de Kairouan, marchant la nuit et me terrant le
jour. Tous les villages par lesquels je passai étaient détruits et consumés ; leurs habitants, hommes, femmes et
:

enfants, nus devant les murailles pleuraient tous de faim et de froid. Le ravitaillement cessa de parvenir à
Kairouan et les souks furent désertés ; les Arabes retinrent tous ceux qu'ils avaient faits prisonniers, n'en
relâchant aucun si ce n'est contre rançon comme s'il se fût agi de captifs chrétiens ; quand aux pauvres et aux
misérables, ils les gardaient pour leur service ».
Quelques détails sur l'affaire de Bâb Tunis
l'une des portes de Kairouan
Voilà que les Arabes ayant attaqué du côté de cette porte, la foule sortit pour les combattre, qui avec une arme,
qui avec un bâton impropre à chasser le moindre chien. Et les cavaliers arabes de les charger et jouant du sabre
et de la lance de les défaire ; ils s'affaissèrent l'un après l'autre, face contre terre ou couchés sur le flanc ; les

367
HADY ROGER IDRIS

Arabes en jonchèrent tout l'espace compris entre la limite des fours à briques et cette porte. N'en réchappèrent
que ceux dont l'heure n'était pas venue. Ils ne laissèrent à aucun d'eux, vivant ou mort, la moindre loque pour
couvrir sa nudité. Après le départ des Arabes, les parents des morts allèrent ramasser les cadavres et
lamentations des louangeuses et des pleureuses de s'élever de toute part des rues de Kairouan. Vision et tapage à
fendre les montagnes. De nombreux cadavres d'étrangers demeurèrent sur le théâtre du carnage. Le nombre
des blessés fut considérable et leurs plaies d'une hideur à faire perdre la raison à ceux qui les voyaient. Les
foies s'effritaient, les cœurs et les corps fondaient à la vue des fillettes qui pour pleurer leurs pères et leurs
frères, s'étaient noirci le visage et rasé la tête. Ce fut un jour de malheurs, d'afflictions et d'épreuves, tel qu'on
n'en vit jamais de pareil dans aucune ville ni à aucune époque. Les gens passèrent la nuit dans la peine et la
désolation. Ici s'arrête le récit, abrégé, d'Ibn Saraf.

Défaite des Sanhâga au Gabal Haydarân et défaite d'al-Mu'izz


b. Bâdîs selon une autre version
Abu 1-Salt (chroniqueur zïride mort en 529/1135) a dit : « Ensuite al-Mu'izz se mit en campagne pour affronter
les Arabes arrivant d'Orient, lança ses troupes qu'il avait placées sous le commandement d'Ibn Salbûn, Zaknûn
b. Wâ'lân et Zîrï al-Sanhâgi puis rentra seul à Kairouan. Quand on fut à la Fête des Sacrifices ('ïd al-nahr) les
Sanhâga furent mis en déroute et eurent de nombreux tués. L'émir en personne partit attaquer les Arabes et
les hostilités éclatèrent. Les Arabes le mirent en déroute. Al-Mu'izz tint bon au milieu d'un groupe de ses esclaves
noirs ('abîd) puis rentra à al-Mansùriyya. On dénombra les Sanhâga ayant péri dans cette bataille soit trois mille
trois cents. Ensuite les Arabes s'avancèrent jusqu'aux abords de Kairouan où la guerre se déroula. Entre Raqqâda
et al-Mansùriyya beaucoup de gens furent tués.
En l'an 444 (3 mai 1052-22 avril 1053) al-Mu'izz b. Bâdïs s'avisa de mettre fin à la guerre entre lui et les Arabes.
Il les autorisa à pénétrer dans Kairouan pour s'y livrer à des transactions commerciales tandis que lui-même
demeurait cantonné dans al-Mansùriyya avec ce qui lui restait de soldats. Lorsqu'ils y entrèrent, le peuple
les vitupéra, les abreuvant d'humiliations et d'insultes si bien qu'ils massacrèrent un grand nombre d'habitants.
Les Arabes arrivés d'Orient étaient au nombre de sept mille cinq cents cavaliers. Al-Mu'izz estima qu'ils allaient
repartir là d'où ils étaient venus mais les événements furent contraires à ses prévisions.
Cette année-là al-Mu'izz éleva les remparts de Kairouan et de Zawïla. Du côté de Sabra, il leur donna une
forme analogue à un avant mur (fasîl) deux murs continus [de Kairouan] à Sabra et séparés par un espace de
près d'un demi mille. Quant à Kairouan, elle est située dans une région plate s'étendant au nord vers Tunis, à
:

l'orient vers Sousse et Mahdia, au sud-est vers Sfax. Elle est proche de la mer orientale dont elle est distante
d'une journée de marche. Tous ses environs ont une bonne terre. Quiconque arrive ne peut entrer dans Kairouan
sans passer d'abord par Sabra. Quant à Sabra, elle a été construite par Ismâ'ïl b. Abï 1-Qâsim b. 'Ubayd Allah
al-Sï'i, surnommé al-Mansùr, qui l'appeia al-Mansùriyya et s'y établit en 337/948-9. Depuis lors et jusqu'à
sa destruction elle fut la résidence des gouverneurs de Kairouan.
En l'an 445/1053-4, al-Mu'izz b. Bâdis nomma son fils Tamîm gouverneur de la ville de Mahdia. Au cours de
cette année-là les habitants de Sousse se rebellèrent contre al-Mu'izz b. Bâdis. C'est une ville bien défendue.
Abu Yazïd l'investit pendant des mois puis se retira sans être parvenu à ses fins bien qu'il l'eût attaquée avec
quatre-vingt mille hommes. A ce sujet Sahl b. Ibrahim a dit ce vers (mètre kâmil)
:

« Certes les Hârigites ont été repoussés de Sousse toujours par les coups de lances et l'audace. »
En l'an 446/1054-5, les Arabes investirent Kairouan et l'enfermèrent dans un étau très serré et trop long à
décrire. Cette année-là le sultan des Arabes, Mu'nis b. Yahyâ, s'empara de Béja dont la population lui fit
soumission.
En l'an 447/1055-6, Buluggin al-Sanhàgï devint émir de la Qal'a de Hammâd. La même année Ibn Abï Zamân
se révolta contre al-Mu'izz b. Bâdîs. Cette année-là il se produisit en Ifrîqiya une grande disette et la vie fut
extrêmement dure.
En l'an 448/1056-7 eut lieu entre les Noirs ('abîd) d'al-Mu'izz habitant Mahdia et ceux de son fils Tamïm un
différend qui dégénéra en combat sanglant. Le peuple de Zawïla, tous les marins qui s'y trouvaient et d'autres
prêtèrent main forte aux Noirs de Tamïm. Ils défirent ceux d'al-Mu'izz, les expulsèrent de Mahdia et en
massacrèrent un grand nombre. Les survivants partirent dans l'intention de gagner Kairouan. Mais Tamïm en
informa les Arabes qui en massacrèrent un grand nombre. C'est cet engagement qui déterminera Tamîm [une
fois au pouvoir] à faire exécuter tous les Noirs de son père à Mahdia. On dit que sept cents d'entre eux furent
tués. On a mentionné que c'est un poème de Muhammad b. Habib qui déclencha leur massacre et leur
extermination ; il débutait ainsi (mètre basït) :
« Le sabre précède, avant l'événement, le blâme ; ne remets pas le sabre au fourreau avant d'avoir
tué les ignobles.
« Fais passer tes ennemis d'ici-bas à l'autre monde car tous s'imaginent que cette royauté va
passer. »

368
I, INVASION

En l'an 449/1057-8, le vingt sept sa'bân (449/29 oct. 1057), al-Mu'izz b. Bâdîs quitta al-Mansûriyya pour se
rendre à Mahdia. Et le premier ramadan 449 /ier nov. 1057, les Arabes pillèrent et ruinèrent Kairouan qui
était une des plus grande villes du monde. Abu 'Ubayd [al-Bakrï] (le célèbre géographe qui écrit en 461 /1068)
rapporte qu'en un seul jour on y égorgea jusqu'à sept cent cinquante bêtes rien qu'en bovins. Il a dit : « Kairouan
qui avait été construite en 52/672-73 a été évacuée. »
En l'an 450/1058-9, Buluggin [b. Muhammad] partit avec les Atbag et les 'Adï faire la guerre aux Zanâta qu'il
brisa et dont il massacra un grand nombre.
En l'an 451/1059-60, le maître de Sfax Mansûr al-Bargawâtï fut tué, assassiné traîtreusement par Harnmû
b. Umallïl al-Bargawâtï qui lui succéda le samedi 2 sawwàl (451 /n nov. 1059).
Bn l'an 452/1060-61, il se déroula à Kairouan un combat entre Arabes et Hawwâra ; les Arabes eurent l'avantage
et les Hawwâra furent massacrés à Bâb Asram, l'une des portes de la ville.
En l'an 453/1061, les habitants de Taqyûs massacrèrent deux cent cinquante Arabes. La raison en est que les
Arabes étant entrés dans Taqyûs pour y faire des emplettes, l'un d'eux entendit un citadin dire du bien d'al-
Mu'izz et faire son éloge et l'Arabe de le trucider. C'était un chef (muqaddam) de la ville dont les habitants
s'ameutèrent contre les intrus, les attaquèrent et leur tuèrent le nombre d'hommes mentionné.
En 454/1062, al-Nàsir b. 'Alannâs se débarrassa de Buluggïn b. Muhammad al-Sanhâgi maître de la Qal'a,
le ier ragab (454/11 juillet 1062) et prit sa place. Cette annee-là mourut al-Mu'izz b. Bâdïs.

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