7 LE MONDE diplomatique – SEPTEMBRE 2022
MUSIQUE
DANS LES REVUES
o CARTO. Les enjeux géopolitiques et clima-
tiques de l’énergie. La géographie de l’accès
aux soins en France. La mer Baltique, zone
instable. Cartographie mondiale des huiles ali-
mentaires. (N° 72, juillet-août, bimestriel,
10,95 euros. – Paris.)
o POLITIX. Les petites mains du syndicalisme :
enquête au siège de la Confédération générale
du travail. La valorisation touristique des petits
pêcheurs en Bretagne au moment où la concen-
tration du secteur décime leurs flottilles.
(Vol. 34, n° 136, juin, trimestriel, abonnement
un an : 75 euros. – De Boeck Supérieur, Liège.
– Belgique.)
o URBANISME. Le tourisme dans la société
post-Covid, « étrange objet dévoreur d’authenti-
cité » : l’asphyxie des sites naturels liée à la
surfréquentation, les stratégies mises en place
pour promouvoir la « décarbonation » des pra-
tiques touristiques, etc. (N° 426, juillet-août,
huit numéros par an, 20 euros. – Paris.)
o MIT TECHNOLOGY REVIEW. Mort à la
ville intelligente ! La rénovation énergétique
des habitations existantes est plus efficace que
les gadgets technologiques. Marseille et la
vidéosurveillance. (Vol. 125, n° 4, juillet-août,
bimestriel, 12 dollars. – Cambridge, États-
Unis)
o MIGRATIONS SOCIÉTÉ. Un comparatif
des politiques migratoires et des expériences
d’exil en France et en Allemagne. (Vol. 34,
N° 188, juillet, trimestriel, 18 euros. – Paris.)
o ÉCARTS D’IDENTITÉ. Un numéro consacré
aux diverses mémoires de la guerre d’Algérie.
(N° 138, 1er semestre 2022, 15 euros. – Lyon.)
o CONTRETEMPS. Un dossier consacré au
soixantième anniversaire de l’indépendance
algérienne. Une commémoration à l’aune des
enjeux contemporains. (N° 54, juillet, mensuel,
15 euros. – Paris.)
o PLEIN DROIT. Pour les jeunes migrants,
l’obtention du statut de « mineur isolé étranger »
relève du parcours du combattant. Mais que
se passe-t-il après « les entretiens, les expertises
documentaires, les tests osseux » ? (N° 133, juin,
mensuel, 10 euros. – Paris.)
o SILENCE. L’exemple de plusieurs coopéra-
tives révèle la richesse de l’innovation sociale
en France : une boulangerie solidaire bio à
Montreuil, une usine autogérée qui conditionne
des sacs de thé à Marseille, le réseau Grenade
qui mutualise les savoir-faire et les expériences
coopératives dans le sud-est du pays, etc.
(N° 512, été, bimestriel, 5,20 euros. – Lyon.)
o TRANSRURAL INITIATIVES. Contrairement
à une idée répandue, la crise du Covid-19 n’a
pas suscité d’exode urbain massif en France. À
lire également, un reportage sur la renaissance
des cabines téléphoniques en milieu rural
comme résistance à la numérisation forcée.
(N° 491, mai-juin, bimestriel, 10 euros. – Paris.)
o REGARDS. Des articles très inégaux et
plus ou moins originaux dans un dossier sur
« la gauche d’après ». Député de La France
insoumise, M. Manuel Bompard parie que le
réservoir principal de son parti réside dans la
masse des abstentionnistes, souvent jeunes et
issus des catégories populaires. (N° 57, semes-
triel, 22 euros. – Paris.)
o L’OURS. Cette revue proche du Parti
socialiste analyse l’état de la gauche en Europe
(Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne) mais
aussi en Israël. Alain Bergounioux s’emploie à
défendre le quinquennat de M. François Hol-
lande. Également : socialistes français et tra-
vaillistes britanniques face aux questions colo-
niales (1919-1939). (N° 98-99, janvier-juin,
semestriel, 16 euros. – Paris.)
o LA PENSÉE. Francis Combes note à propos
de la réticence suscitée par les « gilets jaunes » :
« Les partis de gauche, même quand ils sont nés
d’un projet révolutionnaire, sont devenus aujourd’hui
très légalistes et sont dans une large mesure
intégrés aux institutions de l’appareil d’État.»
(N° 410, avril-juin, trimestriel, 20 euros. –
Paris.)
o CONVERGENCES RÉVOLUTIONNAIRES.
La revue du Nouveau parti anticapitaliste (NPA)
s’interroge sur le positionnement vis-à-vis de
la guerre en Ukraine : « Qui peut ignorer qu’en
raison de la faiblesse de l’extrême gauche ukrai-
nienne, les grandes lignes d’une politique [de soli-
darité avec le peuple ukrainien] restent des
phrases de papier ? » (N° 146, juillet-août, bimes-
triel, 2 euros. – Montreuil.)
o PANARD. Ce nouveau « mook », qui « met
le sport en récit et les deux pieds dedans »,
retrace notamment le parcours social et sportif
du footballeur français N’Golo Kanté, donne à
voir les « invisibles » du secteur amateur et se
penche sur l’impact des Jeux olympiques pour
les pays hôtes. (N° 1, mars, semestriel, 19 euros.
– Éditions de l’Attribut, Toulouse.)
o SPORT ET PLEIN AIR. Quelle place pour
les personnes transgenres dans le monde du
sport ? La revue questionne la dichotomie opé-
rée entre hommes et femmes dans les compé-
titions. (N° 662, août-septembre, mensuel,
3 euros. – Pantin.)
Retrouvez, sur notre site Internet,
une sélection plus étoffée de revues :
www.monde-diplomatique.fr/revues
Gangs, accordéon et politique
Au Lesotho – pays le plus meurtrier
du continent africain –, musique
et criminalité vont de pair. Aux
affrontements entre gangs s’ajoutent
les connivences entre musiciens
et élites dirigeantes. Mais une
nouvelle génération entend prendre
ses distances avec les vendettas.
PAR JEAN-CHRISTOPHE
SERVANT *
L E musicien Rethabile Mokete, plus connu
sous le surnom de Mosotho Chakela, est mort à
58 ans, le 12 janvier 2021, dans un hôpital d’Afrique
du Sud. Il était originaire du Lesotho, autrefois
protectorat britannique et indépendant depuis 1966,
une monarchie constitutionnelle de 2,1 millions
d’habitants enclavée dans la « nation arc-en-ciel ».
Le chanteur sotho (le groupe ethnique majoritaire
au Lesotho) avait grandi dans les townships. Après
avoir connu la loi de la rue, puis travaillé comme
briquetier sur des chantiers, en 1999, il enregistre
l’album Motsamai Le Chakela n° 1 (Shear Record
Company) et commence son ascension vers les
sommets de la scène famo – la musique traditionnelle
du Lesotho, appréciée également par sa diaspora
de plus de 190 000 travailleurs migrants installés
en Afrique du Sud.
Le décès de Chakela est passé inaperçu de l’industrie
musicale internationale, alors que sa musique continue
à alimenter les «playlists Lesotho» disponibles sur les
plates-formes de streaming. Sa disparition a, en revanche,
été largement commentée par la diaspora sotho, mais
aussi parmi la population du «triangle de l’accordéon»,
trois villages du district de Mafeteng, réputés pour
avoir donné naissance à plusieurs générations d’artistes
famo. Car Chakela était un très célèbre «gangster
musicien», selon Rataibane Ramainoane, fondateur et
rédacteur en chef de la MoAfrika FM (1), première
radio privée en langue sotho à avoir vu le jour en 1999
au Lesotho. Ramainoane rappelle qu’il s’est lui-même
retrouvé, entre 2006 et 2011, sur sa liste des personnes
à abattre. «Sans l’aide de Dieu, confie celui qui est
aussi pasteur à la Nation of God Apostolic Church,
j’aurais pu être plusieurs fois tué» par les bons soins
du «cow-boy de l’accordéon» (2).
Chakela devait comparaître en mars 2022 devant
la Haute Cour du Lesotho, où se tient le procès de
l’ancien premier ministre Thomas Thabane (forcé à
la démission en 2020), accusé d’avoir commandité,
avec sa nouvelle épouse, le meurtre de sa première
conjointe, qui refusait de divorcer. Chakela avait été
contacté pour exécuter ce contrat.
Avant de se retrouver associé à de tels faits divers,
le famo fut la bande-son, il y a de cela près d’un
siècle, des bergers sothos partis trimer dans les mines
d’Egoli (Johannesburg), la cité de l’or. S’appuyant
d’abord sur la leziba (guimbarde), les interprètes de
famo ambiançant les bouges clandestins (shebeens)
des townships adoptèrent le concertina au contact
des Boers, puis, à la fin des années 1960, l’accordéon.
Au répertoire originel des tsa batsamai, les chansons
qui racontent le périple de ceux qui ont voyagé jusqu’à
l’Afrique du Sud, s’ajoutèrent un nombre grandissant
de mekorotlo, airs traditionnels, faciles à reprendre,
ainsi qu’un répertoire plus acerbe nourri de commen-
taires sociaux souvent déclamés. Comme la musique
maskandi – sa cousine zouloue –, le famo intégra la
basse – tellurique – et les percussions. Mais l’accordéon
reste l’instrument qui l’identifie.
Au début des années 2010, Chakela avait suffi-
samment réussi pour posséder treize boutiques d’alcool
des deux côtés de la frontière. Il était aussi devenu le
principal instigateur d’une sanglante bataille de territoire
entre gangs liés à des artistes rivaux, miroir grossissant
d’une criminalité nationale fiévreuse : avec un taux
d’homicides presque six fois plus élevé que la moyenne
mondiale, 41,25 pour 100000 habitants en 2021, le
Lesotho est devenu le pays le plus meurtrier du
continent africain (3). Sur les hauts plateaux, le
«triangle de l’accordéon» compte ses morts : près
d’une centaine de musiciens et de chanteurs tués ces
quinze dernières années…
Ceci a poussé l’écrivain sud-africain Zakes Mda,
âgé de 73 ans, à sortir de sa retraite littéraire pour
écrire son trente et unième roman : Wayfarers’
Hymns (4). «Je ne pouvais pas laisser sous silence
cette tragédie, nous explique-t-il depuis les États-
Unis, où il vit. Cela me rappelait l’époque des rappeurs
américains de la Côte ouest, incarnés par 2pac
Shakur, s’opposant à ceux de la Côte est, représentés
par Biggie Small. Mais en version plus sanglante.»
* Journaliste.
NICOLAS MONJO. – « Sans titre », 2019
Picaresque roman d’initiation, Wayfarers’Hymns
retrace l’itinéraire d’un jeune Sotho qui aspire à
réussir dans ce monde où les hommes «manient tout
autant l’accordéon que le flingue». Pour l’occasion,
Zakes Mda a ressorti l’un de ses personnages récurrents,
le Zoulou Toloki (5), professionnel sud-africain des
obsèques, «venu prospecter le juteux marché des
funérailles du Lesotho». L’écrivain a croisé Chakela,
«un homme tout en rondeur, affable, avec un ventre à
bière qui défiait la gravité».
Sous l’apartheid, les artistes d’Afrique australe
animant la vie nocturne des townships devaient
composer avec une double violence; celle des policiers
du régime intervenant depuis l’extérieur des ghettos
et celle des gangs locaux sévissant depuis l’intérieur.
Les musiciens famo des années 1950 étaient autant
appréciés par leurs compatriotes mineurs d’or que
par les redoutés membres du gang sotho des MaRussia
de Soweto. Mais, malgré cette proximité avec les
parrains de l’économie souterraine des zones de relé-
gation noire, rien n’aurait pu annoncer la spirale
meurtrière qui allait s’emparer, à partir du début des
années 2000, du gang Lekothla La Terene, le «culte
du train», dont Chakela était devenu le parrain.
Ses membres portent une couverture en laine
traditionnelle aux couleurs or et noir, inspirée par le
blason du Bantu Football Club de Mafeteng. La
référence au chemin de fer rappelle l’époque des
grandes migrations des années 1970 vers les mines
sud-africaines. Lekothla La Terene n’était alors qu’une
tontine, une société d’entraide fondée par des musiciens
sothos afin d’assister leurs pairs en difficulté. Jusqu’à
la fin de l’apartheid, un artiste sotho illettré ne parlant
que sa langue natale était assuré de se faire exploiter,
sinon escroquer, par des producteurs sud-africains
blancs spécialisés dans l’enregistrement de morceaux
destinés aux marchés communautaires. Mais dans
les années 1990, avec l’avènement de la démocratie
à Pretoria, des artistes famo tels qu’Earnest «Sanko»
Setenane commencent à s’affranchir de ce servage.
Autonomisation, autoproduction, clips vidéo… Un
fragile petit écosystème culturel se constitue alors
que se tarissent, avec les fermetures des mines, les
emplois de la diaspora.
«C’est à ce moment que la compétition va s’in-
tensifier entre les artistes famo, en Afrique du Sud
comme au Lesotho», souligne Zakes Mda. Sanko,
lui-même membre de Lekothla La Terene, est assassiné
en 2004. Entre la bande de Chakela et le gang rival
de la Seakhi, «tout devient source de conflit meurtrier
et de représailles», poursuit-il : un concert, un passage
sur les ondes, un enregistrement en studio, les paroles
d’un morceau… Chakela, maître dans l’art du ho
kobisa (parler obliquement d’une personne de manière
insultante), multiplie les piques. La battle se met à
tuer, littéralement. Et les morts commencent à s’entasser
des deux côtés de la frontière, jusqu’aux abords des
mines d’or abandonnées, exploitées par des creuseurs
illégaux, souvent sothos (6).
La scène famo est un monde de testostérone…
Originellement, le mot faisait référence à la manière
dont les femmes soulevaient leur robe pour montrer
leurs dessous aux musiciens. Zakes Mda, qui connut
plusieurs anciens du famo, met sur le compte de cette
«masculinité toxique» la dérive sanglante de la géné-
ration incarnée par Chakela. Mais on ne saurait obérer
les causes socio-économiques de la violence (le pays
est classé au 168e rang sur 188 de l’indice de déve-
loppement humain établi par les Nations unies), ni
minorer la manière dont l’élite politique du Lesotho
l’a nourrie «en formant des alliances avec certains
groupes de musique traditionnelle famo de premier
plan, en particulier Terene et Seakhi (7)».
Fondé en 2006 par M. Thabane, le parti All
Basotho Convention (ABC) a ainsi servi de marchepied
© NICOLAS MONJO - GALERIE BOUILLON D’ART, BORDEAUX
à plusieurs membres de La Terene. À partir de 2012,
et de l’investiture de M. Thabane au poste de premier
ministre, «les relations entre le pouvoir et La Terene
vont se renforcer considérablement », souligne
Ramainoane. Dans le «triangle de l’accordéon», des
membres de La Terene, pourtant soupçonnés de
meurtre, bénéficient de la complaisance des autorités
policières locales – «en revanche, mieux valait ne
pas appartenir aux gangs rivaux sous peine d’être
torturé, voire exécuté par la police».
Cette collusion entre l’appareil sécuritaire et La
Terene atteint son paroxysme durant le second mandat
de M. Thabane, entamé en 2017, quelques jours après
l’assassinat de sa première femme. La ministre de la
police et de la sécurité publique engage comme chauffeur
Sarele Sello, alias Lehlanya – «le dingue» –, considéré
comme le bras droit de Chakela au sein de La Terene.
Il est aujourd’hui l’un des témoins de l’accusation au
procès de M. Thabane.
P ENDANT ce temps, selon nos sources, les héritiers
de Chakela se divisent quant au futur de La Terene,
les uns continuant à prôner la violence, d’autres préco-
nisant la fin des hostilités. Les élections législatives
de l’automne 2022 s’annoncent agitées. Chakela
avait en effet rompu avec le parti ABC pour rallier
l’opposition du Democratic Congress. Mais l’ancien
mentor de Chakela, qui devrait sortir blanchi de
son procès, faute de preuve, entend prendre sa
revanche électorale. Le pays, dépendant d’une
Afrique du Sud en récession, peine à se remettre de
la crise socio-économique provoquée par l’irruption
du Covid-19 en Afrique australe.
Dans ce contexte, quel avenir pour la nouvelle
génération famo? Une vague d’artistes a repris la
route de l’Afrique du Sud pour piocher, non plus
dans ses filons d’or, mais dans ses musiques urbaines.
À Johannesburg, Morena Leraba hybride son famo
de musique électronique et mêle le sotho à l’anglais,
au zoulou et au xhosa (8). Morena Leraba, que l’on
aperçut en 2018 aux Trans Musicales de Rennes, a
réuni autour de lui plusieurs francs-tireurs, dont l’im-
pressionnant Kommanda Obbs, qui mêle le trap – un
courant musical originaire du sud des États-Unis –
au répertoire traditionnel et prêche «la victoire du
positif sur le négatif». Cette nouvelle scène, qui se
veut au-dessus des vendettas et des luttes politiques
de son pays natal, ambitionne d’arriver au sommet
– des montagnes du royaume, et peut-être des palmarès
de musique africaine…
À la fin des années 1980, le famo eut droit à son
petit quart d’heure de célébrité : sur l’album Graceland,
de Paul Simon (1986), c’est l’accordéon du musicien
Forere Motloheloa, à l’origine du groupe de famo
Tau Ea Matsekha, qui ouvre The Boy in the Bubble.
Il s’est éteint l’année dernière : l’industrie de la
musique n’a pas manifesté d’émotion…
(1) www.moafrikafm.co.ls
(2) Les propos de Ramainoane rapportés dans le texte sont tirés
de l’article «Accordion Cowboys », The Chimurenga Chronic,
2 septembre 2014, https://chimurengachronic.co.za
(3) « Lesotho murder rate ranked sixth worst in world as judicial
system breaks down », The Guardian, Londres, 1er septembre 2021.
(4) Zakes Mda, Wayfarers’ Hymns, Penguin Random South
Africa, Le Cap, 2021.
(5) Cf. Zakes Mda, Le Pleureur, Dapper, Paris, 1999.
(6) Cf. le podcast documentaire «The accordion wars of Lesotho »,
British Broadcasting Corporation (BBC), 13 juin 2022.
(7) Cf. « Understanding conflict, peace and gender context in
Lesotho », The Guardian, 25 juin 2021.
(8) « Morena Leraba is shepherd from Lesotho highlands »,
Deutsche Welle, 23 octobre 2021, www.dw.com