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Mon père est entré dans la catégorie des gens simples ou modestes ou
braves gens. Il n'osait plus me raconter des histoires de son enfance. Je ne lui
parlais plus de mes études. Sauf le latin, parce qu'il avait servi la messe (1), elles
lui étaient incompréhensibles et il refusait de faire mine (2) de s'y intéresser, à la
différence de ma mère. Il se fâchait quand je me plaignais du travail ou critiquais
les cours. Le mot "prof" lui déplaisait, ou "dirlo" (3), même "bouquin" (4). Et
toujours la peur ou PEUT-ETRE LE DESIR que je n'y arrive pas.
Il s'énervait de me voir à longueur de journée dans les livres, mettant sur
leur compte mon visage fermé et ma mauvaise humeur. La lumière sous la porte
de ma chambre le soir lui faisait dire que je m'usais la santé. Les études, une
souffrance obligée pour obtenir une bonne situation et ne pas prendre un ouvrier
(5). Mais que j'aime me casser la tête lui paraissait suspect. Une absence de vie à
la fleur de l'âge (6)). Il avait parfois l'air de penser que j'étais malheureuse.
Devant la famille, les clients, de la gêne, presque de la honte que je ne gagne pas
encore ma vie à dix-sept ans, autour de nous toutes les flles de cet âge allaient au
bureau, à l'usine ou servaient derrière le comptoir (7) de leurs parents. Il craignait
qu'on ne me prenne pour une paresseuse et lui pour un crâneur (8). Comme une
excuse : "On ne l'a jamais poussée, elle avait ça dans elle." Il disait que j'apprenais
bien, jamais que je travaillais bien. Travailler, c'était seulement travailler de ses
mains.
Les études n'avaient pas pour lui de rapport avec la vie ordinaire. Il lavait la
salade dans une seule eau, aussi restait-il souvent des limaces. Il a été scandalisé
quand, forte des principes de désinfection reçus en troisième, j'ai proposé qu'on
la lave dans plusieurs eaux. Une autre fois, sa stupéfaction (9) a été sans bornes,
de me voir parler anglais avec un auto-stoppeur qu'un client avait pris dans son
camion. Que j'aie appris une langue étrangère en classe, sans aller dans le pays,
le laissait incrédule (10).
La place, Annie Ernaux, Gallimard, 1983
Il n’osait plus me raconter des histoires de son enfance. Je ne lui parlais plus de
mes études. Sauf le latin, parce qu’il avait servi la messe, elles lui étaient
incompréhensibles et il refusait de faire mine de s’y intéresser, à la différence de
ma mère. Il se fâchait quand je me plaignais du travail ou critiquais les cours.
Sujets à partir du texte d'A. ERNAUX, La Place. (1h30, 40 points)
Sujet 1 : Sujet d’invention :
Comme Annie Ernaux, vous vous heurtez au désaccord de vos parents à propos du
choix de votre orientation ou de vos études. Rédigez un dialogue entre vos parents
et vous-même. Chacun y exposera son point de vue de façon organisée et
argumentée.