Dans le contexte actuel, les dépassements des

coûts et des délais en chantier sont devenus la

norme. En cause, une pénurie mondiale de
matières premières : bois, plastique, aluminium
ferraille, carrelages, etc., conséquence de la crise
du Covid-19 et surtout de la forte demande de la
Chine et des États-Unis qui raflent tous ces
produits sur les marchés internationaux.1 Autant
d’incertitudes sur les approvisionnements créent
forcément sur les chantiers des retards en
cascade.
Cependant, les dérives en chantier ne sont pas un
phénomène nouveau. Au travers des différentes
expériences en marché public vécues au cours et à
la suite de ma mise en situation professionnelle, en
tant qu’OPC ou MOEX, j’ai pu constater les origines
diverses d’un problème récurrent. C’est pourquoi
j’ai voulu m’intéresser aux coûts et aux délais d’un
projet mis à l’épreuve du chantier : les
responsabilités, les causes, les origines de ces
causes, et les pistes d’améliorations possibles.
D’une première partie analytique de mes
expériences, je recherche dans une seconde partie
l’origine des problèmes soulevés en chantier et
entrainant des dérives de coûts et de délais, pour
proposer dans une dernière partie des pistes
d’améliorations de la maitrise du chantier.

1
https://www.radioclassique.fr/magazine/articles/chantiers-face-aux-retards-aucun-signe-damelioration/

L’Ecole d’architecture nous enseigne
essentiellement une conception tournée vers la
qualité, sans imposer de contrainte technique
particulière. On est confronté ni aux choix de la
maitrise d’ouvrage, ni aux contraintes
structurelles, ni aux interfaces techniques. On
apprend à concevoir des espaces de qualité à partir
d’un site et de ses contraintes environnementales,
et parfois d’un programme. Quelques expériences
professionnelles durant le cursus nous font
apercevoir les entraves à la conception libre que
peut subir l’architecte, sans qu’on en comprenne
vraiment les enjeux ni les imbrications. Il est vrai
que s’abstraire de la réalité d’un projet, permet de
développer la créativité. Comment réagir alors
permettre le partage des compétences et des
savoirs faire dans l’intérêt du projet. Le rôle de la
maitrise d’œuvre est d’apporter la meilleure
réponse architecturale, technique et économique
aux besoins exprimés par la maitrise d’ouvrage.
Ce groupement est généralement composé,
suivant les échelles de projet, de l’architecte, de
bureaux d’études, d’un économiste et de toutes
les compétences nécessaires au bon déroulement
du projet, selon la demande de la maitrise
d’ouvrage. Si le rôle de l’architecte est
prépondérant jusqu’au permis de construire, à
partir de la phase PRO, l’implication de chacun des
membres est requise, pour rendre le projet
techniquement viable.
Répartition honoraires par phase
(moyenne)
6% 5%
26% 27%

lorsque cette créativité doit être sans cesse brider

par la réalité d’un contexte économique et par les
multiples interlocuteurs d’un projet? 9%
La formation HMONP nous guide peu à peu vers la 8% 20%
réalité d’un métier beaucoup plus complexe que
ce que l’on entrevoit à l’Ecole. Contrairement à ce Esquisse Avant-Projet Projet
que l’on imagine en étant maitres de nos projets
ACT VISA DET
scolaires, l’architecte n’est pas seul. Il peut
AOR
s’appuyer sur des compétences variées dans le
champ plus vaste et néanmoins intrinsèque qu’est
la maitrise d’œuvre. En marché public, la maitrise Répartition honoraires entre
d’œuvre se présente comme une équipe et permet études et chantier (moyenne)
de répondre aux contraintes spatiales,
administratives, programmatiques, techniques et
économiques d’une maitrise d’ouvrage et des
particularités d’un site. L’architecte s’inscrit, dans
l’élaboration d’un projet, dans cette équipe de
maitrise d’œuvre. 41%

Les éléments de la mission de base dévolus à la 59%

maitrise d’œuvre pour les ouvrages de bâtiment
en construction neuve et en réhabilitation (hors
DIAG) ne peuvent être scindés en plusieurs
contrats. C’est pourquoi il est nécessaire pour
répondre à un marché public d’avoir au préalable
mis en place un groupement de maitrise d’œuvre, ETUDES CHANTIER
dont l’architecte est souvent mandataire pour

Selon Eric Wirth, il y a deux métiers de l’architecte
sur chantier. Le premier est celui du concepteur
qui veille au respect architectural, technique et
environnemental de son projet. Le second est celui
de directeur de travaux ce qui rassemble le
management de chantier et des intervenants, ainsi
que le suivi administratif et économique du
chantier. 2
Ces deux métiers rassemblent les phases DET, EXE
ou VISA, AOR composantes de la mission de base,
et OPC, mission complémentaire.
La mission OPC est fréquente en marché public en
Corps d’Etat Séparés, pour gérer les interfaces
entre les différentes entreprises. Cependant, il n’y
a aucune obligation règlementaire à confier une
mission OPC. Alors, la maîtrise d’œuvre doit se
préoccuper du respect du planning.
Pendant l’année qui s’est écoulée depuis mon
diplôme, j’ai eu l’opportunité d’être OPC et MOEX
sur différents chantiers.
Investissement suivant
les phases
Architectes BET BCT CSPS OPC

La maitrise d’œuvre d’exécution : garante des

coûts et de la qualité
Les missions EXE (ou VISA), DET,et AOR sont
assurées par la maîtrise d’oeuvre en mission de
base.
En marché privé, il est commun de créer une
rupture après le PC voire après le PRO en
dissociant la maitrise d’œuvre de conception de la
maitrise d’oeuvre d’exécution. En marché public,
les missions VISA (ou EXE), DET et AOR font parties
de la mission de base et sont assurées par la même
maitrise d’œuvre de conception. Cependant, il
peut parfois arriver que la mission « chantier » soit
également sous-traitée à un maitre d’œuvre
d’exécution externe. C’est en général à l’architecte ESQ - AP PRO - DCE - ACT DET - VISA - AOR -
que sont dévolus ces rôles de suivi économique et
de la qualité sur chantier.
Il peut tout à fait également garantir les délais et
l’organisation du chantier, mais il est souvent
secondé par un OPC pour réaliser cette mission.
Durant ma mise en situation professionnelle, et au
L’OPC : garant des délais contact des différents acteurs de différents
La mission OPC (Ordonnancement Pilotage projets, je me suis rendue compte qu’il était
Coordination) est une tâche complémentaire à la presque devenu une fatalité qu’un chantier ne
mission de base. Elle peut être soit confiée à tienne ni les coûts ni les délais. Les chantiers sur
l'architecte soit au groupement de maîtrise lesquels j’ai évolué depuis novembre 2020, soit le
d’œuvre, soit directement confiée par le maître début de ma mise en situation professionnelle, ont
d’ouvrage à un intervenant extérieur. L’OPC tous sans exception pris du retard. S’il est d’usage
contrôle le respect du planning et des délais ainsi de dire que le contexte Covid y est pour beaucoup,
que la bonne organisation du chantier. avec des approvisionnements plus difficiles

2WIRTH Eric, « La valeur ajoutée de l’architecte sur chantier », 23/09/2020, www.architectes.org/la-valeur-ajoutée-

de-l-architecte-sur-chantier
favorisant un dépassement des délais, la dérive des
chantiers ne semble pourtant pas être un sujet
nouveau.
Pour montrer les différentes échelles de
responsabilité et de temporalité des retards, et
leurs influences sur la dérive des coûts, et parfois
même de la qualité, j’ai analysé 3 projets sur
lesquels j’ai travaillé cette année. J’ai mis en
évidence dans des tableaux que vous trouverez en
annexe les catégories, les objets, et les
responsables des retards, les incidences
financières pour le projet mais aussi pour
l’entreprise (pénalités de retard) et enfin les
incidences sur la qualité.
Je vais vous présenter les projets en question, leurs
dérives en coûts et délais, et les conclusions de ces
analyses.
1.3.1. Mairie du Vème arrondissement
Le projet de réhabilitation de la mairie du Vème
arrondissement est un chantier en milieu occupé
pour lequel je suis OPC, partie du groupement de
maitrise d’œuvre. Quatre lots se partagent le
chantier: le lot 1 Gros Œuvre / façades / plâtrerie /
peinture, le lot 2 Menuiseries, le lot 3 Electricité, et
enfin le lot 4 CVC/ Plomberie.
Le bâtiment est
décomposé en une
quinzaine de zones de
travaux. Afin de
restreindre l’étude, je
% me suis concentrée
sur trois d’entre elles,
les principales en
termes de volume de
travaux afin d’analyser les dérives de ce chantier.
Les trois zones sont :
• La passerelle : il s’agit d’une surélévation
d’un niveau existant, dont la toiture
devient une passerelle entre deux
bâtiments. On cumule à ce jour 9 mois de
retard.
• L’escalier E2 : Les travaux consistent en la
création d’un escalier hélicoïdal sur trois
niveaux avec création de trémies, et
cloisonnement. On cumule également à ce
jour 9 mois de retard.
• L’accueil : Il s’agit d’une réhabilitation
totale de l’accueil de la mairie, et d’une
création d’un espace famille attenant. On
cumule à ce jour 2 mois de retard.
La première catégorie de retard observée et la plus
redondante, est la défaillance lors des études
d’exécution, particulièrement celles du Lot 1.
L’entreprise était au début dans l’incapacité de
mener à bien les études d’exécutions demandées,
et les visas ne pouvaient être délivrés pour les
dates prévues au planning. Ces retards ont eu des
conséquences financières pour l’entreprise avec
l’application de pénalités, et ont engendré des
retards conséquents, impactant au passage les
autres corps d’Etat.
Lorsque l’entreprise a repris les choses en main,
c’est le circuit de validation qui a failli. Le chantier
étant une réhabilitation, de nombreux aléas
structurels, en plus des aléas classiques
d’intempéries ont été mis à jour. Chaque nouvelle
étude nécessaire devait transiter par le
dessinateur projeteur de l’entreprise puis par son
BET, pour repartir vers l’architecte qui redistribuait
vers les BET du groupement et le bureau de
contrôle. Les BET de la maitrise d’œuvre n’étant
jamais présents en réunion de chantier pour
constater les découvertes, les validations et les
échanges avec l’entreprise s’enlisaient.
Les études d’exécution ont été un facteur majeur
des retards du chantier, tant par leurs retards de
transmission au niveau de l’entreprise, que par le
peu d’implication des BET (et du bureau de
contrôle parfois) dans leurs validations.
La défaillance de la sous-traitance a également été
une cause récurrente des retards sur les
différentes zones. L’entreprise est directement
responsable de son sous-traitant, néanmoins elle
ne parvient pas toujours à le contrôler. Plusieurs
sortes de défaillances ont été mises à jour : non
disponibilité aux dates convenus, non réalisation
des études d’exécution, retards dans les
fabrications, absences non annoncée, problème
de qualité des ouvrages bloquant la suite des
travaux… C’est encore une fois matière à pénalité
de retard pour l’entreprise responsable.
Les aléas quant à eux, qu’ils soient dus aux
intempéries, aux découvertes structurelles, aux
approvisionnements retardés par le contexte, ne
sont bien évidement pas imputables à l’entreprise
et ne peuvent être à l’origine de pénalités.
Cependant, ils ont un impact bien réel sur la dérive
des coûts, en plus de celle des délais, pour la
maitrise d’ouvrage, car ils sont sources de TS
(Travaux Supplémentaires).
La dernière catégorie de retard et non des
moindres est l’ingérence de l’exploitant de la
mairie, lié à la maitrise d’ouvrage dans le chantier.
De nombreuses modifications de projet ont été
demandées en cours de chantier, relançant les
études et bloquant les zones. Des ajouts au
programme de travaux en Corps d’Etat
Architecturaux ont été demandés et ont fait l’objet
d’un devis global, toutes zones confondues pour
les différents lots, devis qui ne peut être validé
pour l’instant par la maitrise d’ouvrage car
l’intégralité du marché a été consommé. La
validation de ce devis bloque en attendant de
nombreuses zones de travaux déjà commencées.
Enfin, milieu occupé oblige, l’exploitant bloque
régulièrement les travaux à cause d’évènements
se déroulant dans la mairie ce qui créé des retards.
Les dates de ces évènements n’arrivent pas à être
transmises en amont et le chantier est toujours
arrêté en plein travaux.
Pour résumer, on identifie pour la Mairie du Vème
arrondissement des retards liés à :
• Une incapacité de l’entreprise à réaliser les
missions pour lesquelles elle a été
sélectionnée (études d’exécution, sous-
traitance, etc.) ;
• Un circuit de validation des documents Exe
trop important côté maitrise d’œuvre et
bureau de contrôle, dus entre autres à une
absence récurrente du chantier ;
• Des aléas indépendants de tous qui
impactent le coût du projet (intempéries,
découvertes structurelles en
réhabilitation…);
• Une ingérence systématique, justifiée ou
non, de l’exploitant qui retarde le chantier
et impacte la maitrise de la qualité du
projet et de son coût ;
1.3.2. AMOSP
AMOSP est un projet de création de sanitaires
publics au sein de gares RATP. Le projet regroupe
une dizaine de stations. Je suis OPC à ce jour pour
deux d’entre elles : Grands Boulevards et Saint
Denis Porte de Paris.
Les deux chantiers sont réalisés par la même
entreprise en simultané, et consistent en la
création d’une niche en gros oeuvre pour chaque
station avec édification des réseaux plomberie et
CVC pour à terme la pose d’une cabine
automatisée. Les chantiers auront dépassé
largement les délais mais aussi les coûts : supposés
durer deux mois, ils en auront duré plus de quatre,
avec un dépassement des coûts de 20% du marché
en propre de l’entreprise hors sous-traitant ‘soit
environ 17% du marché).
Pour la première fois au
cours de mes
différentes expériences
professionnelles depuis
% l’Ecole, l’entreprise
n’est en aucun cas
responsable des
retards en chantier. Il
s’agit d’une entreprise
en marché Tout Corps d’Etat, sous-traitant les
travaux d’électricité et de CVC. Un OPC n’est en
général pas utile dans ce cas précis, car l’entreprise
gère elle-même les interfaces entre les différents
corps d’Etat. Et pourtant le projet n’est pas exempt
d’un dépassement des coûts et des délais.
Le première catégorie de retard est directement
imputable à la maitrise d’œuvre. En effet, la
conception du projet n’est pas aboutie, et doit être
finalisée en chantier, notamment pour la partie
Corps d’Etat Techniques, ce qui participe
également au dépassement des coûts. Les
sondages n’ont été fait que partiellement, et les
implantations des réseaux ne sont pas
complètement décidées. Il faut préciser que la
maitrise d’oeuvre est interne à la RATP, et
qu’aucun architecte n’en fait partie.
Chaque découverte en chantier ou oubli dans la
conception soulève différents choix à faire pour la
conduite de projet et/ou la maitrise d’oeuvre, en
accord avec la maintenance du site. Or, il n’y a pas
de communication entre la MOE et la MOA, et les
prises de décisions sont interminables.
De même, les différents devis pour TS ne sont pas
transmis au fur et à mesure par le MOE au MOA,
ce qui bloque l’entreprise dans ses travaux.
Enfin, des retards dans l’approvisionnement ont
entrainé un retard global des chantiers.
Cependant, cette fois ils ne sont pas liés à au
contexte Covid mais encore une fois aux défauts de
conception et aux prises de décision trop lentes
dont nous venons de parler.
Pour résumer, on identifie pour le projet de
déploiement des sanitaires publics pour les
stations Grands Boulevards et Saint Denis Porte de
Paris :
• Une conception pas assez aboutie et un
CCTP mal construit qui impacte
considérablement le coût du projet ;
• Un manque de communication entre la
MOE et la MOA ;
• Des prises de décisions trop
longues surtout au niveau de la MOA;
• Des approvisionnements trop tardifs liés au
trois points précédents.
1.3.3. Groupe Scolaire du Centre
La réhabilitation du Groupe Scolaire du Centre à
Gif-Sur-Yvette est un projet sur lequel je suis
maitre d’œuvre d’exécution, en sous-traitance du
BET généraliste du groupement. Le chantier est
décomposé en 9 lots. La préparation de chantier a
commencé début Juillet 2021, après une
notification tardive des entreprises. A ce jour,
seule le lot 1 curage désamiantage est intervenu et
intervient encore sur site. 3 mois après que les
premières entreprises soient notifiées, le chantier
a déjà pris 2 mois de retard et 30 k€ de travaux
supplémentaires (pour un coût de travaux à
2,56M€).
Le retard est dans sa
totalité imputable
au lot 1, résultat
d’une offre un peu
% trop avantageuse
économiquement.
Non pas que la
qualité de leurs
prestations laisse à
désirer, mais l’offre a été remportée en
s’engageant sur des délais, lesquels pour le prix
présenté ne peuvent être tenus : un mois d’août
non travaillé, des effectifs insuffisants… Ces deux
mois de décalage pour les autres lots vont sans
aucun doute impacter les plans de charges des
entreprises et créer des retards en cascade.
Le CCAP impose des pénalités de retard à
1/2500ème du marché par jour calendaire de retard
soit 58€ pour le lot 1. Avec deux mois de retard, on
est à 3 480€ soit 2,4% de leur marché, ce qui face
à d’autres marchés parallèles obtenus par le lot 1
aux pénalités plus importantes, ne peut rendre
notre chantier prioritaire.
Pour le dépassement des coûts, nul aléas cette fois
bien qu’en réhabilitation (pour le moment).
L’entière responsabilité semble devoir être
imputée aux DCE. Les CCTP sont soit trop flous, soit
incomplets, soit des prestations ont été oubliés.
Les pièces graphiques ne correspondent pas
toujours à ces mêmes CCTP. Des prestations
oubliées ont été acceptées à hauteur de 10 k€ (7%
de leur marché) pour le lot 1. Mais le flou sur ces
CCTP impacte l’entreprise sur un montant trois fois
plus important, et c’est loin d’être fini.
En effet, beaucoup d’oublis de prestations et de
flous sur leurs limites entre les lots, dans les CCTP
et/ou dans les pièces graphiques, font que de
nombreux autres TS sont à venir, sans compter
ceux qui seront liés aux aléas de chantier en
réhabilitation.
Pour résumer, on identifie, pour l’instant, pour le
Groupe Scolaire du Centre des dépassements des
coûts et des délais imputables :
• Au choix de l’entreprise et à la construction
du CCAP pour les retards ;
• A la construction des CCTP et des pièces
DCE pour les dépassements de coûts (qui
créeront à un moment ou à un autre des
retards sur chantier).
Si l’architecte peut s’appuyer sur un panel de
compétences pour faire face à un chantier, il ne
semble pouvoir complétement garantir sa qualité,
son coût et ses délais, tant les dérives semblent
trouver leurs origines à tous les stades du projet,
et tant les responsabilités semblent être multiples.
On distingue de ces analyses trois groupes de
responsables directs dans les dérives des coûts et
des délais, souvent interconnectés les uns aux
autres : l’équipe de maitrise d’œuvre, la maitrise
d’ouvrage et l’entreprise, ce qui peut se résumer à
inculper pratiquement tous les intervenants d’un
chantier. Cependant, nous allons nous attacher à
analyser ces responsabilités pour comprendre la
genèse de ces dérives.
Il est commun d’entendre que la dérive d’un
chantier est due à l’incompétence de la maitrise
d’œuvre ou de l’entreprise. Si ces entités trouvent
bien leurs parts de responsabilité, accompagnées
de la maitrise d’ouvrage, les causes réelles sont
souvent indirectes et parties d’un système plus
complexe.
C’est pourquoi l’objectif de ce chapitre n’est pas
d’énumérer une liste exhaustive des causes de
dérive du tryptique coût qualité délais en chantier,
mais de chercher à expliquer certaines de ces
causes identifiées.
Afin de chercher à terme des pistes
d’améliorations potentielles du chantier, nous
allons analyser séparément les responsabilités au
niveau de l’équipe de MOE, au niveau de la
maitrise d’ouvrage et au niveau de l’entreprise.
De l’analyse effectuée dans la première partie, on
retiendra les causes directes suivantes:
• pour la maitrise d’œuvre : les défauts de
conception, les défauts de rédaction des
CCTP, les défauts d’organisation avec une
maitrise d’œuvre éclatée en chantier.
• Pour la maitrise d’ouvrage : le choix des
entreprises, la construction des CCAP, une
ingérence menant à des modifications de
projet en chantier, et des prises de
décisions trop longues
• Pour l’entreprise : une incapacité à réaliser
Délais les missions pour lesquelles elle a été
choisie pour le prix proposé (effectifs trop
bas, problèmes dans les études
d’exécution, le choix des sous-traitants…)

De mon année passée à exercer en tant qu’OPC et

MOEX, je constate que la responsabilité de la
maitrise d’œuvre ne semble pouvoir être écartée
quand on parle de dérives de chantier, portée par
des dysfonctionnements organisationnels et un
manque de communication dans le couple
ingénieur architecte.
Ces dysfonctionnements peuvent trouver leur
origine dès la formation du groupement. Jean Paul
Viguier, lors d’un entretien sur la maitrise d’oeuvre
d’exécution résume: « L’organisation de la maîtrise
d’œuvre tourne toujours autour du couple
architecte-ingénieur. Un couple qui se forme lors
des concours, et dont on sait l’usure et la dépense
d’énergie générées, en pure perte neuf fois sur dix.
On ne peut donc s’étonner de constater chez les
lauréats un ensemble de défauts d’organisation
dans les équipes, qui n’ont pas été constituées au
bon moment (projet inconnu) et dont les
propositions n’ont pu, bien évidemment, être
discutées avec les maîtres d’ouvrage. Ces
difficultés se répercutent jusqu’à l’achèvement du
chantier.»3 Gilbert RAMU dans la même discussion
conteste lui aussi la logique de constituer une
équipe au moment de l’appel à candidature, alors
que l’on n’exige pas d’une entreprise qu’elle
dispose de toutes les qualifications nécessaires
pour la réalisation des ouvrages dont les
spécifications sont pourtant connues au moment
des consultations.4
Que ce soit pour un appel d’offre, ou un concours,
la nécessité de candidater en équipe, pour des
agences d’architecture bien plus nombreuses que
les bureaux d’études techniques recherchés, avant
même les balbutiements du projet, peut créer des
incompatibilités dans la mutualisation des
compétences et se répercuter tout le long du
projet, avec à son point culminant, la gestion du
chantier. D’autant plus, que les BET ne sont pas
régulièrement tenus à une cause d’exclusivité, et
peuvent se retrouver sur différents projets
concurrents. Les équipes ne se réunissent
malheureusement pas toujours parce qu’elles ont
l’habitude de travailler ensemble et parce qu’une
vraie synergie existe entre les différents membres.
Une équipe peut aussi se constituer par défaut,
avec les entreprises disponibles pour candidater,
et une fois le projet remporté, il faut créer une
organisation en son sein, pour des membres qui
sont liés les uns aux autres jusqu’à la réception du
projet, sauf défaillance de l’un d’entre eux. Cette
organisation peut aussi être entravée par une
3Entretien de VIGUIER Jean -Paul, ERRARD Dominique, « La maîtrise d’œuvre d’exécution sur la sellette », dans Le
Moniteur, Février 2001
4Entretien de RAMU Gilbert, ERRARD Dominique, « La maîtrise d’œuvre d’exécution sur la sellette », dans Le
Moniteur, Février 2001
5 « Architectes et bureaux d'études : comment
https://www.maf.fr/actualite/architectes -et-bureaux-detudes-comment-eviter-les-couacs
répartition géographique hasardeuse de ses
différents membres, certes aujourd’hui atténuée
par le Covid et la généralisation du télétravail, mais
qui ne manquera pas d’impacter le bon déroulé du
projet. Sans échange direct, une perte
d’information semble inévitable.
Des dysfonctionnements dès le début du projet,
qui s’illustrent par un manque de synergie entre les
membres pour des raisons diverses (éloignement
géographique, incompatibilité …) et qui impactent
chaque étape de la conception, avec une
répercussion inévitable sur le chantier.
Les rôles sont souvent mal définis et les tâches mal
identifiées par les architectes et les bureaux
d’études eux-mêmes. Plus généralement, « les
problèmes que les architectes et les bureaux
d’études rencontrent entre eux ont généralement
pour origine des commandes respectives
imprécises et mal rémunérées du maître
d’ouvrage ; alors que leur capacité à travailler
ensemble, séparément, en sous-traitance ou en
groupement, repose sur la bonne répartition des
tâches qui délimite les responsabilités en cas de
problèmes ultérieurs. »5
Les dysfonctionnements organisationnels
semblent être le résultat d’une opportunité de
candidature, mais également d’un manque de
communication entre les différents membres du
groupement, et entre ses deux entités majeures,
architecte et ingénieur. Etant moi-même
ingénieure et architecte, il me semble pouvoir
affirmer que l’identité même des deux professions
entrave la communication. Passer des classes
préparatoires, où l’on est formé à devenir
ingénieur, et où à un problème posé on identifie
une solution, à l’Ecole d’Architecture, où à un
problème donné, on peut répondre par une
infinité de propositions, perçues à travers le
prisme de la subjectivité de la discipline, a été la
chose la plus dure à laquelle j’ai dû faire face lors
de mes études. Il est donc compréhensible qu’avec
deux manières de réfléchir aussi distinctes, les
deux professions aient du mal à communiquer
éviter les couacs ? », MAF Informations,
entre elles. Au lieu de voir la coopération
transdisciplinaire comme un atout pour le projet,
certains la perçoivent comme une gêne et une
rivalité entre deux disciplines fondamentales à la
réponse architecturale. Pour V. PICON LEFEBVRE
et C. SIMONNET, « l’architecte trouve toujours,
entre lui et son entrepreneur, l’écran géant des
BET qui lui masque un chantier qu’il a pourtant le
sentiment d’anticiper pièce par pièce. »6 On peut
potentiellement expliquer en partie ce paradigme
par l’investissement inégal de certains BET dans le
projet, qui bien qu’autant valorisés que
l’architecte, ne manquera pas d’impacter le
chantier. Pour expliquer un désintéressement des
BET pour le projet, on peut rappeler qu’ils ne sont
pas vraiment invités à prendre part à la
conception. La présence des BET est réellement
requise une fois le PC déposé, en phase PRO, pour
donner la viabilité technique au projet, puis en DCE
pour préparer le chantier. Un déséquilibre dans les
investissements qui peut s’expliquer par le nombre
de projets traités, qui sont nombreux pour les BET,
(et encore plus pour les bureaux de contrôles ou
les CSPS)7, là où la mission de l’architecte d’une
constance plus chronophage, nécessite de
restreindre de beaucoup le nombre de projets
suivis par les mêmes personnes.
Salaire en sortie d'école en IDF
45000
40000
35000
30000
25000
20000
15000
10000
5000
0 du groupe scolaire du centre, le DCE présente de
Ingénieur junior Architecte junior
Minimum Maximum
Un déséquilibre qui se retrouve également au
niveau des salaires. Comment expliquer que côté
maitrise d’œuvre on propose à un jeune diplômé
ingénieur un CDI à 10 k€ brut de plus qu’à un jeune
diplômé architecte à qui l’on ne propose rien
d’autre que des CDD ? Peut-être par une
répartition des honoraires qui n’est pas à l’image
de l’investissement dans le projet.
Une rupture entre le processus créatif de
l’architecte et la viabilité technique de l’ouvrage,
évoluant quasi indépendamment l’un de l’autre,
conduit à des CCTP mal construits et à des pièces
graphiques jointes souvent incohérentes. Le BET,
absent du processus créatif depuis le début, fait
seulement sa part, superposée à la part de
l’architecte quand ce n’est pas l’économiste qui
rédige les CCTP alors qu’il a eu une participation
limitée à la conception technique et architecturale.
On n’investit pas le champ de compétence d’un
autre. Ce manque de synergie dans l’équipe de
MOE ne peut mener qu’à un chantier moins
maîtrisé. Ce sont sur ces failles, syndrome d’un
manque de capacité de collaboration et de
synthèse de la maitrise d’œuvre entre les
différentes disciplines, que les entreprises vont
s’appuyer en chantier pour faire valoir un
dépassement des coûts ou de délais. Dans le cas
nombreuses incohérences qui ont mené dès le
début du chantier à un dépassement des coûts.
Dans le cas de déploiement de Sanitaires Publics à

6 PICON LEFEBVRE Virginie, SIMONNET Cyrille, Les architectes et la construction , Editions Parenthèses, 2014 , p 174
7Le CSPS du projet que je suis à Gif m’a dit suivre 80 projets. On retrouve en général une moyenne de 40 pour les
bureaux de contrôle et les CSPS.
la RATP, les incohérences et les manquements du
CCTP ont à la fois créé un dépassement des coûts
et des délais, car certaines prestations n’avaient
pas été anticipées.8 Le sort du chantier est déjà
réglé en amont, dès la remise des DCE.
Une fois les consultations des entreprises passées,
les BET sont absents du chantier. Ils assurent
certes leurs parts de la mission VISA, mais sont
absents physiquement des réunions de chantier.
Le circuit de validation des document d’exécution
n‘est pas optimisé ce qui peut rapidement créer
des dépassements de délais. La non réactivité des
bureaux d’études, que ce soient ceux de l’équipe
de MOE ou de l’entreprise, est une des raisons
majeures des retards pris à la Mairie du Vème
arrondissement de Paris9. Une validation ou des
remarques directes en réunion plutôt que de
sempiternelles allers retours par mail seraient bien
plus efficaces, surtout dans le cas d’aléas, pour
maitriser les délais. La maitrise d’œuvre est
malheureusement souvent éclatée en chantier et
ne forme pas un bloc uni face aux entreprises.
La mission complète en marché public permet et
contraint la continuité du groupement de maitrise
d’œuvre sur toutes les phases, de la conception au
à la livraison du chantier. Cependant il serait
illusoire de prétendre que ce sont les mêmes
personnes qui suivent le projet du début à la fin
même en agence d’architecture. Une rupture
entre la conception et le chantier peut s’observer,
même en marché public, et la perte d’information
engendrée n’est pas la plus à même pour anticiper
les dérives de chantier.
En résumé, dans l’équipe de MOE, les dérives de
chantier semblent trouver leurs origines
principalement dans la désunion du groupement,
dont le choix de ses membres est peut être imposé
trop tôt dans le projet.
L’équipe ne parvient pas à se rassembler autour de
la conception du projet, entravée par des
dysfonctionnements organisationnels et par une
relation ingénieurs architectes parfois difficile.
Pour le bien du projet et sa bonne réalisation en
chantier, il ne faut pas oublier que «l’architecture
est une affaire collective »10.
8 Projets présentés en première partie 1.3
9 Projet présenté en première partie 1.3
10 TRÉTIACK Philippe, Faut-il pendre les architectes ?, Éditions du Seuil , Postface 2011, page 195
11 TRÉTIACK Philippe, Faut-il pendre les architectes ?, Éditions du Seuil , 2001, page 185
Si le maitre d’ouvrage, bien connu pour avoir à
cœur les sujets de coûts et de délais, ne semble pas
tout désigné comme fautif des dérives de son
chantier, il semble que sa responsabilité ne puisse
cependant pas être écartée. «Il n’est de grand
architecte qu’associé à un grand maître d’ouvrage.
Sans bon client, pas de talent. »11
Pour commencer, le maitre d’ouvrage a entre ses
mains l’outil principal d’un bon chantier : le choix
de la bonne entreprise. Il est certes accompagné
dans ce choix, entre autres par l’équipe de maitrise
d’oeuvre, mais il reste néanmoins le décisionnaire
final en procédure adaptée. Bien que la tradition
de sélectionner l’entreprise la moins disante en
marché public ne soit plus à l’ordre du jour, l’idée
reste de sélectionner l’offre économiquement la
plus avantageuse pondérée au regard de critères
techniques. La tentation de choisir la moins chère
reste forte, d’autant plus avec l’idée persistante, et
souvent provisionnée, qu’un chantier sera
forcément sujet aux Travaux Supplémentaires.
Mais en choisissant, l’entreprise la moins chère,
même compétente, on met également les durées
prévues en péril, sans parler des surcoûts en
chantier. L’entreprise pour le prix proposé, ne
saura pas toujours être en capacité d’assurer les
missions pour lesquelles elle a été sélectionnée.
C’est ce qu’il s’est passé avec le lot curage
désamiantage du Groupe Scolaire du Centre, passé
en procédure adaptée et présenté en première
partie. L’entreprise a proposé une offre plus basse
que ses concurrents, et que l’estimation du
groupement de MOE, et a néanmoins été choisie
par la maitrise d’ouvrage. La note technique était
bonne car l’entreprise est compétente. Mais au
prix proposé, le plan de charge de ses ouvriers ne
pouvait être compatible avec les délais de notre
chantier, surtout en exigeant un mois d’août
travaillé. Le résultat est un dépassement des
délais.
Les marchés au-dessus des seuils européens
(5 350 000 € HT) appellent des procédures
formalisées et exempte la responsabilité du maitre
d’ouvrage dans la sélection de l’entreprise en
convoquant une commission d’appel d’offre
(CAO)12. Ces commissions sont supposées garantir
le choix de l’entreprise en écartant les offres
anormalement basses. Mais la logique reste
toujours malheureusement celle de l’offre
économiquement la plus avantageuse, fonction de
la pondération choisie et appliquée.
C’est une logique qui n’exempt pas les marchés de
maitrise d’œuvre et plus précisément, ceux pour la
mission complémentaire OPC. Beaucoup d’OPC
peu scrupuleux cassent le marché en proposant
des prix beaucoup trop bas pour le nombre de
jours de travail proposé. Certains marchés publics
pondèrent les critères prix avec un coefficient trop
élevé, et dans ce cas, le marché se gagne souvent
au tarif journalier. Le chantier s’enlèvera alors un
de ces atouts, car la mission de coordination des
entreprises ne pourra pas être correctement
réalisée au prix proposé.13
Une fois l’entreprise choisie, le CCAP permet de
prévenir les retards. Sa rédaction incombe à la
12
sauf pour les services de l’Etat et ses établissements public.
14 MARTINEZ Jean-Claude, « L’architecte, droit
www.maf.fr/actualite/larchitecte-droit-dans-ses-bottes-de-chantier
maitrise d’ouvrage et si, les pénalités de retard ne
sont pas bien évaluées, elles peuvent n’avoir
aucune incidence dissuasive sur l’entreprise. Les
pénalités de retard sont fréquentes et
fréquemment imputées aux entreprises, qui pour
certaines finissent par le calculer dans le montant
de leurs offres. Cependant, on parle souvent de
pénalités, mais peu de maitres d’ouvrages
intègrent encore les primes d’avance sur chantier,
qui, en plus d’aborder le chantier sous une
ambiance moins punitive, peut devenir une source
de motivation au respect des délais. Sur le chantier
de la Mairie du Vème arrondissement, une des
entreprises avait cumulé tellement de retard et de
pénalités de travaux, que la maitrise d’ouvrage lui
en a enlevé la majeure partie pour la remotiver.
La maitrise d’ouvrage peut alors sans aucun doute
être une cause indirecte de dépassements des
coûts mais aussi des délais.
Une fois en chantier, la maitrise des coûts et des
délais devient prioritaire sur la qualité pour la
maitrise d’ouvrage, ce qui peut sembler paradoxal
étant donné leur participation à sa dérive. « Pour
eux, le souci du détail recherché par l’architecte
n’est pas prioritaire. La garantie d’un ouvrage livré
à temps, à coût et délais garantis, les obsèdent. »14
Cela peut expliquer la tentation d’avoir recours à
un intervenant externe, ou au BET en chantier,
moins regardant sur la conservation de l’intégrité
du projet tel qu’il a été imaginé par l’architecte. En
invoquant des économies ou gain de temps, la
maitrise d’ouvrage peut être tentée d’accepter des
changements dans le projet proposés par
l’entreprise (n’impactant souvent pas les façades
pour éviter un Permis de Construire Modificatif).
Pourtant, ces changements, pas assez anticipés ni
cadrés en amont du chantier, ont souvent l’effet
inverse, en plus d’être une dégradation de la
qualité du projet.
Mais parfois, ces changements sont subis par la
maitrise d’ouvrage car à l’initiative du futur
exploitant. En marché public, la maitrise d’ouvrage
est rarement celle qui exploite le bâtiment.
L’exploitant, peut être car il n’est pas assez associé
à la conception en amont, induit souvent des
dans ses bottes de chantier », Juillet 2017,
changements en chantier, souvent justifiés qui
engendrent des coûts supplémentaires et parfois
des délais supplémentaires pour le projet. Face à
ces changements proposés ou subis, le maitre
d’ouvrage peut avoir du mal à se positionner, et
une prise de décision trop longue peut vite créer
des blocages en chantier, d’autant plus si la chaîne
de décision est mal définie.
Une des dernières causes de dérives liée à la MOA,
peut se retrouver en amont, pendant les phases de
conception, avec une mauvaise évaluation des
contraintes, et une mauvaise gestion de la maitrise
d’oeuvre. Contraintes de site, contraintes de
projets avec des diagnostics incomplets, mauvaise
évaluation des démarches administratives en
chantier, notifications des entreprises trop
tardives…
Il faut ajouter à cela la volonté de la MOA de faire
tenir des contraintes règlementaires de plus en
plus lourdes dans des budgets de plus en plus
serrés. Il est alors demandé à la MOE de
retravailler constamment son projet pour entrer
dans le budget, minimisé dans l’espoir d’obtenir le
meilleur prix de construction. « Résultat : une
maîtrise d’oeuvre qui parfois relâche ses efforts, et
des bureaux d’études qui renoncent assez
rapidement à répondre à ces demandes d’études
mal justifiées. S’ensuivent de multiples erreurs,
oublis, manques de synthèse dans les études, qui
sont autant de petites bombes à retardement sur
le chantier »15
En résumé, si le maitre d’ouvrage est
indirectement responsable de dérives en chantier
par le choix des entreprises, c’est par le système
des marchés publics établi en France, qui incite les
entreprises à se brader. Il est en revanche
directement responsable de l’établissement des
CCAP qui encadre le chantier, du contrôle du
processus de validation, de la chaine de décision,
de l’établissement des contraintes en conception y
compris la restitution des besoins de l’exploitant,
de l’établissement d’un programme adéquat au
budget disponible et de la gestion de la maitrise
d’œuvre.
15
VEZZONI Corinne, « Architectes et bureaux d'études : comment éviter les couacs ? », MAF Informations,
https://www.maf.fr/actualite/architectes -et-bureaux-detudes-comment-eviter-les-couacs
16
Entretien de VIGUIER Jean -Paul, ERRARD Dominique, « La maîtrise d’œuvre d’exécution sur la sellette », dans Le
Moniteur, Février 2001
17 voir 2.2
Il semble évident que l’entreprise est la première
responsable des dépassements de coûts et de
délais. Mais il ne faut pas oublier qu’il pèse sur
l’entreprise une responsabilité énorme pendant
toute la durée du chantier : celle de réaliser la
totalité des études d’exécution dans un temps
minime, celle de réaliser dans les temps évalués à
un coût donné des travaux de qualité, celle de
gérer les ressources humaines et celle de générer
un profit pour sa propre survie. Le respect des
coûts et des délais devient un dommage collatéral.
« Pour la France, nous déplorons que l’entreprise
demeure responsable de tout puisqu’elle doit tout
vérifier avant, pendant et après les travaux… »16
remarque Jean-Paul VIGUIER, lors d’un entretien
sur la maitrise d’œuvre d’exécution.
Une des premières sources de dérives à la fois en
délais et en coûts est la mise en œuvre des
documents d’exécution. L’entreprise, à peine
notifiée, doit réaliser en quelques semaines
l’ensemble des études d’exécution d’un projet sur
lequel une équipe entière de maitrise d’oeuvre a
travaillé plusieurs années. La capacité pour réaliser
de telles études nécessite soit une organisation
interne exceptionnelle, soit un recours à des
intervenants extérieurs (BET sous traités)
multipliant les interlocuteurs, et rallongeant les
délais de production. Le marché public promeut
les PME en plébiscitant l’allotissement, mais en
réclamant en même temps les capacités internes
d’une grosse entreprise, et en s’étonnant des
délais d’études si l’entreprise doit recourir à la
sous-traitance. Deux mois de préparation
permettent ils raisonnablement qu’un chantier
soit assez anticipé au point que des dérives soient
évitées ?
D’autre part, pour dégager son profit dans un
contexte où l’offre la plus économiquement
avantageuse reste plébiscitée17, l’entreprise n’a
que quelques possibilités :
- Invoquer des Travaux Supplémentaires en En résumé, l’entreprise bien que directement
s’appuyant sur les failles des DCE ou en responsable des dépassements de coûts et de
contestant les choix architecturaux ou délais, est tout de même en partie victime d’un
techniques ; système qui la contraint à cela.
- Proposer des variantes moins onéreuses ou
moins coûteuses en main d’œuvre en restant Les dérives de chantier, si elles sont parfois
sur les prix convenus au marché ; inévitables, due à des aléas indépendants de tous
- Justifier que la durée de chantier est en chantier (Covid, météo, approvisionnements,
supérieure aux prévisions. etc.), semblent trouver leurs origines à différents
Pour servir ses propres intérêts financiers, moments de la vie du projet. La majeure partie des
l’entreprise s’attaque à la qualité du projet. Selon retards et des surcoûts s’expliquent par des
Philippe TRETIACK, «Si tout se règle ainsi sur le dysfonctionnements bien en amont du chantier,
chantier , c’est qu’à la différence de l’industrie tout au niveau du groupement de MOE et de la MOA,
édifice reste un prototype. Celui qu’on réalise est puis en chantier, au contact d’entreprises peu
toujours celui qu’on livre. Pas d’essai, pas de droit fiables, résultats d’un système de marché public
à l’erreur. Conséquence encore : les entreprises trop contraint en termes de coûts et de délais.
font tout pour n’avoir à construire que des
bâtiments simples dont elles connaissent déjà
tout. »18
Simplifier les bâtiments pour simplifier les
chantiers est une technique probante en termes
de maitrise des coûts et des délais, mais l’est moins
en termes d’innovation et d’architecture.
Quant à la durée de chantier, elle semble difficile à
respecter quand on intègre la variable de la sous-
traitance et les interfaces avec les autres lots.
Chaque retard d’un lot impactant les autres, les
sous-traitants de chacun deviennent rapidement
indisponibles. D’autant plus qu’en ayant déjà
répondu à des prix bas pour remporter l’offre,
l’entreprise est contrainte de négocier durement
avec eux pour rester concurrentielle. Ce qui
explique une défaillance récurrente sur chantier.
Enfin, le peu de marge dégagée par l’entreprise ne
lui permet pas d’avoir l’encadrement nécessaire au
bon fonctionnement du chantier. L’encadrement
est un petit peu suppléé par l’OPC, un petit peu
suppléé par l’architecte, mais cela ne peut en
aucun cas éviter les dérives. Pour Claude VASCONI,
« (…) les entreprises travaillant à perte ont pour
beaucoup d’entre elles démantelé leur
encadrement. S’il faut à la maîtrise d’œuvre
suppléer à ce déficit, il faut un architecte derrière
chaque ouvrier. Autant dire que nos honoraires
devraient correspondre aux montants des
marchés d’entreprise. 19

18 TRÉTIACK Philippe, Faut-il pendre les architectes ?, Éditions du Seuil, 2001, page 87
19
Entretien de VASCONI Claude, ERRARD Dominique, « La maîtrise d’œuvre d’exécution sur la sellette », dans Le
Moniteur, Février 2001

Cependant, il semble que certains éléments
puissent être améliorés dans l’organisation du
projet, pour réduire au mieux les dérives de coûts
et de délais en chantier, et pour à terme, parvenir
à concevoir et réaliser des projets plus innovants.
La majeure partie des retards et des dépassements
de coûts en chantier semblent se retrouver dès la
conception par des dysfonctionnements de
l’équipe de maitrise d’œuvre, portée par deux
figures antagonistes : l’ingénieur et l’architecte. S’il
fut un temps où les architectes étaient dotés de
l’ensemble des compétences économiques et
techniques au sein de leurs agences, elles sont
aujourd’hui majoritairement externalisées, à des
ingénieurs, les BET, mais aussi des économistes de
la construction. La dichotomie de l’identité
ingénieure et architecte ne semble pas créer un
terrain fertile pour le projet : les compétences sont
superposées au lieu d’être partagées et
échangées.
L’investissement des BET est inégal, et encore
moindre en chantier. Le projet n’arrive pas à
fédérer. En cela, la meilleure façon de rassembler
autour du projet pourrait être de redonner du sens
au travail du bureau d’études, en expliquant les
choix architecturaux, voire en intégrant les
ingénieurs à la conception. En somme, en les
intéressant au projet.
Pour y parvenir, il faudra réussir à dépasser des
formations clivantes. Philippe TRÉTIACK va plus
loin en qualifiant « cette concurrence historique
du corps des ingénieurs, expression de l’effet
« réseau » des grandes écoles dans l’Hexagone »
de « feu qui dévore la masse des architectes. »
D’un côté, la formation ingénieure apprend à
formaliser une réponse à un problème donné.
Pourtant en architecture, il y a de multiples
20 TRÉTIACK Philippe, Faut-il pendre les architectes ?, Éditions du Seuil, 2001, page 89
21Entretien de CHEMETOV Paul, PICON LEFEBVRE Virginie, SIMONNET Cyrille, Les architectes et la construction ,
Editions Parenthèses, 2014, p 27
chemins pour arriver à une réponse, de multiples
autres pour contourner le problème. S’ouvrir à ce
paradigme, en étudiant les choix architecturaux
fait pour les projets, permettrait aux étudiants
ingénieurs de mieux comprendre le langage
architecte. Ouvrir le champ des perspectives de
l’étudiant et l’intéresser à l’architecture innovante
qu’il participera à construire un jour, en BET, en
MOA ou en entreprise. Pourtant aujourd’hui, une
école comme l’ESTP, plus grande fabrique
d’ingénieurs en travaux publics et bâtiment de
France, est une école peu tournée vers
l’innovation. L’école est essentiellement tournée
vers et financée par les majors du BTP qui y
enseignent, et vers leurs deux matériaux de
prédilection : le béton et l’acier. Pour fédérer
autour du projet, il faut des formations plus
orientées vers l’innovation et les différentes
manières de construire. D’un autre côté, la
formation architecte n’apprend pas à travailler
avec d’autres profession. Le cursus est
essentiellement centré sur le projet, sans
indication sur ce qu’est la réalité d’un projet.
L’architecte doit traditionnellement endosser le
rôle de chef d’orchestre, de leader en faisant le lien
avec les divers métiers du groupement, avec les
entreprises, sans y avoir été vraiment préparé, là
où les écoles d’ingénieur forment au management.
Pour Philippe TRÉTIACK, «dans de nombreux cas,
les architectes en sont réduits à s’effacer devant
des bureaux d’études qui maîtrisent mieux qu’eux
les calculs pointus. C’est dans ce rapport de force
multidirectionnel que tout se joue. Et le jeu est
viril. Difficile alors, quand on est architecte un peu
rêveur et utopiste d’arriver à se sortir des rapports
de force qu’induisent les recours des entreprises,
bardées qu’elles sont, par ailleurs de juristes et de
services contentieux.»20Pour fédérer autour du
projet, il faut institutionnaliser et faire en sorte que
les deux formations regardent dans le même
direction. «Si les ingénieurs ne sont pas
architectes, ce sont de mauvais ingénieurs,
l‘inverse est vrai aussi. »21Une formation plus
ouverte pour les ingénieurs comme pour les
architectes permettrait un dialogue plus facile
entre les deux figures indispensables à la
réalisation d’un projet.
L’objectif ? Optimiser le groupement pour
optimiser la conception. L’association et non la
superposition des contraintes techniques et
architecturales permettraient sans équivoque de
limiter les erreurs de conception et à terme limiter
les failles des DCE dans lesquelles s’engouffrent les
entreprises pour dégrader les prévisions de coûts
et de délais en chantier.
Mais pour y parvenir, plus encore que repenser les
formations, il va falloir repenser la répartition des
rôles entre les acteurs de la maîtrise d’œuvre,
sources de multiples dysfonctionnements. Charge
à la MOA de mieux définir et encadrer les missions
de chacun, pour que les responsabilités soient
définies et que la défiance entre les membres
s’annihile. « L’animation de la maîtrise d’oeuvre
est désormais une mission en soi et une voie
d’avenir pour améliorer la relation entre
architectes et bureaux d’études. Si ce rôle est
encore aujourd’hui implicitement attribué à
l’architecte au titre de son rôle de « chef
d’orchestre », la complexité croissante de l’acte de
construire semble aujourd’hui imposer sa
formalisation ».22 Dans un contexte de plus en plus
règlementé, avec des projets de plus en plus
complexes techniquement, le rôle dévolu à
l’architecte en tant que coordinateur de l’équipe
pour la conception est potentiellement à revoir.
C’est un rôle à part entière en conception, qui doit
être formalisé et contractualisé par la Maitrise
d’ouvrage, et qui doit permettre une synthèse
entre les équipes d’architecture et les équipes
22 « Architectes et bureaux d'études : comment
https://www.maf.fr/actualite/archi tectes-et-bureaux-detudes-comment-eviter-les-couacs
23 Archigraphie 2018
techniques, afin de les mettre en ordre pour
travailler ensemble et non les uns à la suite des
autres.
Une fois ce chef désigné, pourquoi ne pas imaginer
un groupement évolutif où les BET seraient invités
à co-concevoir le projet avec l’architecte ? Un BET
généraliste au début pour orienter les choix, puis
de plus en plus spécialisé à mesure que le projet se
dessine. Il est répandu dans certains pays
d’intégrer les ingénieurs à la conception,
notamment pour des projets très formalistes, pour
rendre réaliste la structure d’un projet imaginé par
l’architecte (Exemple du duo Jun Sato, Junya
Ishigami). L’intégration des contraintes
thermiques, règlementaires et techniques ne
doivent pas être superposées à la fin ou pendant
l’APD, mais co-conçus également dès les prémices
du projet. Pour éviter des écueils en chantier,
l’ensemble des contraintes doit être intégré au
projet le plus tôt possible. Une co-conception
assumée permettrait une meilleure maitrise du
chantier, une meilleure maitrise des coûts en
amont, des bâtiments plus écologiques et plus
innovants.
Avec 71% d’architectes souhaitant intégrer
d’autres professions dans les agences23 pour
répondre aux enjeux de l’avenir, et une
démocratisation des formations bi-cursus
ingénieur et architecte, il semble que la pratique
du projet soit prête à prendre un tournant plus
innovant.
éviter les couacs ? », MAF Informations,

Avec un groupement plus structuré dès le début du
projet, il serait dommage que la dissociation MOE
de conception et MOE d’exécution, pratique
durement ancrée dans les marchés privés et
surtout ceux de promotion immobilière, se
propage aux marchés publics. Comme la mission
de base en marché public autorise le recours à la
sous-traitance pour la maitrise d’œuvre, c’est une
possibilité. Lors d’un entretien avec Dominique
ERRARD, Claude VASCONI stipule qu’il lui semble
impensable de dissocier MOE d’exécution et MOE
de conception car cela conduirait à terme à un
déficit de savoir, « à une rupture totale entre le
dessin, le savoir-faire et le faire – à ramener l’acte
de conception à une belle image sans contenu. »24
Cela conduit inévitablement à une perte
d’information, et à une nouvelle multiplication des
interlocuteurs pour aller chercher les réponses.
C’est une fausse bonne solution à une meilleure
maitrise des coûts et des délais en chantier.
La MIQCP compare la mission de direction de
l’exécution « à la direction d’un orchestre,
l’objectif d’harmonie globale l’incitant à mettre à
profit pour le résultat escompté les ressources
qualitatives des corps de métier réunis pour
l’occasion. »25 Si l’architecte seul n’est peut-être
pas le mieux placé pour coordonner le
groupement de maitrise d’œuvre en conception26,
il semble en revanche être le plus désigné pour
diriger le chantier, avec l’appui et non l’effacement
des autres membres de l’équipe de MOE. En étant
présent dès les prémices de la conception, et parce
qu’il a dû parfois subir les changements imposés
par des contraintes techniques, il est la mémoire
du projet : il est le mieux placé pour l’expliquer à
ceux qui vont le réaliser et pour « les embarquer
dans son histoire, au-delà de la simple lecture des
plans et des pièces écrites. »27 Réserver ce rôle au
BET dans leurs formations actuelles, c’est prendre
24
Entretien de VASCONI Claude, ERRARD Dominique, « La maîtrise d’œuvre d’exécution sur la sellette », dans Le
Moniteur, Février 2001
25 MENRATH Marie -Jeanne, VETTER Pierre, « La qualité des constructions publiques », MIQCP, Version 2020
26 Voir 3.2.
27 WIRTH Eric, « La valeur ajoutée de l’architecte sur chantier », 23/09/2020, www.architectes.org/la -valeur-
ajoutée-de-l-architecte-sur-chantier
28 TRÉTIACK Philippe, Faut-il pendre les architectes ?, Éditions du Seuil, 2001, page 89
29 MARTINEZ Jean-Claude, « L’architecte, droit
www.maf.fr/actualite/larchitecte-droit-dans-ses-bottes-de-chantier
le risque de détériorer la qualité du projet, au
profit des coûts et des délais. Alors que
l’architecte, pour préserver l’intégrité du bâtiment
et ses performances, ne peut s’amuser à accepter
des changements sur les aspects techniques.
L’architecte est le lien qui unit la conception et la
réalisation. S’il doit orchestrer le chantier, il doit
cependant être secondé de spécialistes, en
réunion et sur chantier, dans les domaines
techniques qu’il ne maitrise pas forcément, pour
éviter une chaine interminable de décision et une
perte d’information intrinsèque.
Cependant, il n’est pas rare que les architectes
ayant participé à la conception ne soient pas
conviés sur chantier: projets trop longs,
concepteurs trop inexpérimentés en chantier… En
effet, les agences d’architecture semblent n’y
envoyer que les personnes d’expériences, qui ont
eu la chance de pouvoir faire leurs armes à un
moment ou à un autre de leurs carrières, et qui
n’ont souvent aucun lien avec le projet dans ses
phases de conception. Ce qui peut se comprendre,
car l’on n’est pas préparé à l’école à l’aspect
administratif lié à la mission de base en chantier :
situations, validation des devis, OS, avenants,
agréments, concessionnaires… « L’architecture
est un monde où l’on passe beaucoup de temps à
répondre aux lettres expédiées par
28
recommandé.» Pourtant il est primordial que les
diplômés en architecture, ou les architectes soient
formés au chantier. Selon Jean-Claude MARTINEZ
de la MAF, « l’architecte ne peut consolider ses
connaissances techniques sans les confronter au
terrain, sans mettre ses projets à l’épreuve des
savoir-faire des entreprises, sans observer et
conduire la main du compagnon lorsque c’est
nécessaire.»29Au contact du chantier, les
architectes deviennent de meilleurs concepteurs,
dans ses bottes de chantier », Juillet 2017,
et quelle gratification de voir se réaliser ce qu’on a
imaginé.
Pour anticiper au mieux les dérives et pour
optimiser la conception en chantier, pour
préserver la qualité du projet et pour apprendre du
chantier, il semble primordial de renforcer et de
crédibiliser la posture de l’architecte en chantier.
Pour cela, il faut qu’il soit accompagner de
spécialistes des sujets techniques du groupement,
et il est intéressant de lui adjoindre un OPC pour
gérer la coordination des entreprises, pour que les
missions DET, VISA et AOR, déjà chronophages
soient plus faciles à appréhender.
Si l’organisation de la MOE est un enjeu majeur
pour la fiabilisation des chantiers, les pratiques
bien ancrées des marchés publics sont à compter
au rang de sources majeures de retard et de
dépassement de coût en chantier.
En amont, il semble essentiel de mieux rémunérer
la Maitrise d’œuvre, en particulier les architectes,
car cela peut ouvrir des perspectives plus
qu’intéressantes. « Parallèlement à ce mauvais
casting d’entreprises, la rémunération insuffisante
de la maîtrise d’oeuvre, est à l’origine de sinistres
lorsqu’elle conduit à tirer les prix au point de
minimiser les études nécessaires à
l’aboutissement du projet », selon Patrick
Cormenier, juriste à la MAF.30
L’implication de la maîtrise d’œuvre s’en trouve
limitée, surtout dans le BET, et moins dans les
agences d’architecture qui ont plus de mal à se
détacher des projets, ce qui explique l’écart de
salaire et de statut entre les deux entités. « Et cela,
dans un contexte où la complexité croissante de
l’acte de construire produit un surcroît d’aléas en
phase de conception, comme en phase de
chantier, qui se répercutent plus tard pendant
l’exploitation de l’ouvrage. Autant dire que, par
l’absence d’une juste rémunération de sa maîtrise
d’oeuvre, le maître d’ouvrage réduit sa capacité à
relever le défi de l’innovation.»31
La synergie retrouvée au sein du groupement de
maitrise d’oeuvre, additionnée d’une meilleure
rémunération, permettrait de réaliser les études
d’exécutions, traditionnellement dévolues aux
entreprises, du moins en partie. Remplacer la
mission VISA par une mission EXE, permettrait de
redistribuer les coûts de l’entreprise vers la MOE,
pour fiabiliser un chantier, souvent sujet aux
dérapages dès sa préparation, souvent trop courte
pour que l’entreprise assimile toute la complexité
d’un projet. L’architecture est le seul domaine32où
on demande aux entreprises de recommencer
toutes les études d’un projet déjà conçu. C’est un

30 « Architectes et bureaux d'études : comment éviter les couacs ? », MAF Informations,

https://www.maf.fr/actualite/architectes -et-bureaux-detudes-comment-eviter-les-couacs
31 « Architectes et bureaux d'études : comment éviter les couacs ? », MAF Informations,
https://www.maf.fr/actualite/architectes -et-bureaux-detudes-comment-eviter-les-couacs
32 Sur les gros projets de marché public ou privé, il est commun que sur les projets de petite taille, l’entreprise
réalise les études d’exécution.
phénomène relativement nouveau, peu populaire recréée entre la maitrise d’œuvre et les artisans,
dans le reste du monde, qui a contraint certaines pour à la fois rendre des chantiers de qualité en
entreprises à se doter de dessinateur projeteur, minimisant les dérives. «Les architectes cultivent
voire de BET, et qui a exclu toute un pan de PME et les entrepreneurs sur le chantier et se cultivent
d’artisans, incapable d’assurer la demande en grâce à eux. » Mais cela n’est permis que si toutes
interne. Quand les études ne sont pas bien gérées, les conditions évoquées précédemment sont
elles sont une source de dérives en chantier. La réunies.
réalisation des études Exe, au moins sur les Corps
d’Etat Architecturaux, permettrait de mieux guider Une réorganisation du groupement de MOE avec
les entreprises, et de fiabiliser les interfaces entre un lien ingénieur architecte plus fort dès les
corps d’état, les coûts et les délais en chantier. prémices de la conception, une réaffirmation de la
Peut être qu’intégrer les entreprises plus tôt dans place de l’architecte dans le chantier, un marché
le projet pourrait se révéler pertinent. Sans public qui rémunère mieux, une redistribution des
généraliser la conception réalisation, utiliser la études d’exécutions, une coopération plus
possibilité de lancer les consultations dès la fin de pérenne avec les entreprises semblent autant de
l’APD au lieu du PRO, pourrait permettre à pistes que de possibilités de réduire les dérives en
l’entreprise de se familiariser avec le projet, tout chantier, pour construire des bâtiments plus
en profitant de son savoir-faire. C’est une initiative techniques, plus contraints, plus innovants et plus
d’autant plus intéressante en réhabilitation, pour écologiques dans leurs formes, leurs matériaux et
permettre aux entreprises de prendre la mesure leurs mises en œuvre.
du bâtiment. Associer les entreprises plus tôt dans
le projet et les exempter des études d’exécution,
en plus d’anticiper les dérives en chantier,
pourraient permettre de concevoir et réaliser des
bâtiments plus innovants. «Il existe [en France], un
immense capital, un potentiel formidable de
techniques, de matériaux, de savoir-faire et de
mise en œuvre, mais qui trouve rarement le lieu de
son expression. On ne devrait pas remporter un
appel d’offres pour le prix mais pour la qualité
qu’on propose. »33
Mais pour assurer la réalisation de bâtiments plus
innovants et plus complexes, notamment avec
l’arrivée prochaine de la RT 2020, il faut en finir
avec la sélection de l’offre la plus avantageuse
économiquement pour les entreprises. Il faut en
finir avec un système qui contraint les entreprises
à répondre plus bas que le prix que cela coûte sur
un délai défini. On éviterait ainsi un dépassement
de délais constant, et des coûts. Mais en faisant
cela, qu’est ce qui nous assure que les entreprises
joueront le jeu ? Un projet mieux conçu, et un
chantier mieux anticipé par la maitrise d’œuvre y
contribueraient.
La recherche d’une synergie entre les membres du
groupement de MOE, doit aussi être valable pour
les entreprises en chantier. Une relation doit être

33Entretien de CIRIANI Henri, PICON LEFEBVRE Virginie, SIMONNET Cyrille, Les architectes et la construction ,
Editions Parenthèses, 2014, p 50

Pour mieux maitriser un projet au moment où il se
construit, il faut mieux l’anticiper et cela passe par
la résolution de dysfonctionnements
profondément ancrés dans la pratique du projet,
d’autant plus dans le marché public français.
Certaines techniques permettent néanmoins de
mieux contrôler le chantier : c’est le cas du BIM ou
de la préfabrication. Faut-il encore que l’on soit en
capacité de les mettre en œuvre….
Le BIM contribue à structurer les méthodes de
travail dont la maitrise d’œuvre a besoin, mais
pour cela la maitrise d’œuvre doit d’abord
résoudre ses propres problèmes d’organisation,
pour lesquels la maitrise d’ouvrage n’est pas
exemptée de responsabilité. Le BIM est un
procédé très apprécié des maitres d’ouvrage car il
permet d’avoir un rendu réel de ce qu’est le
bâtiment en exploitation, pour autant que la
maquette puisse être correctement utilisée. Mais
c’est aussi un très bon outil de simplification du
chantier dans la mesure où il permet de
synthétiser les différents Corps d’Etat et de
détecter les « clash » afin d’éviter les problèmes
d’interface en chantier. Cette synthèse à travers la
maquette 3D favorise grandement les majors qui
ont la capacité de mettre en œuvre des équipes
formées et dédiées au BIM. Les PME peuvent pâtir
de cette utilisation car elles ne maitriseront pas
mieux le BIM que les études d’exécutions. De plus,
le BIM peut être un frein à l’innovation car, mal
utilisé, il peut conduire à une simplification et une
homogénéité des projets. En conséquence, il me
semble que le BIM ne doit pas être utilisé comme
un outil de conception, car il peut limiter et brider
la réflexion en coupe, mais uniquement comme un
outil de synthèse pour la maitrise d’œuvre, pour
détailler le bâtiment en amont du chantier et pour
observer les interfaces entre ses différentes
compétences. Cela doit être un appui en chantier,
mais pas une contrainte pour les entreprises qui
travaillent encore sur plans et coupes.34
3458% des agences d’architectures n’utilisent pas du tout le BIM,30% utilisent un BIM de niveau 1 (modélisation
3D) et seulement 12% utilisent un BIM de niveau 2 (partage de la maquette avec les différents partenaires. (enq uête
BIM web- Laboratoire MAP-CRAI (UMR MAP n° 3495 ;CNRS/MC))
De même la préfabrication est un moyen de
maitriser les coûts et les délais en chantier mais
seulement si les études sont réalisées en amont et
si une synergie existe dans la maitrise d’œuvre.
Mais aujourd’hui, la frontière est mince entre
préfabrication et industrialisation, industrialisation
qui participe elle-aussi à l’homogénéité des
projets.
Le moyen le plus simple d’affirmer la collectivité
d’une maitrise d’œuvre, c’est d’avoir au sein
l’agence d’architecture, toutes les compétences
en interne, quitte à aller chercher des savoir-faire
particuliers pour enrichir un projet. On minimise
ainsi la perte d’information dans la conception puis
dans le chantier. C’est l’objectif que je me fixe pour
monter un jour mon agence. Une agence où je
pourrais être à la fois ingénieure et architecte.
Pour y parvenir, et parce que nous sommes
dans un métier où l’on n’a jamais fini d’apprendre,
le chemin peut être long.
En sortant d’école, j’ai dû faire un choix entre la
conception et la technique. J’ai essayé de trouver
des structures qui associaient les deux, et
permettraient d’être rapidement autonome, mais
je n’y suis pas parvenu. J’ai donc choisi la technique
pour commencer ma vie professionnelle en
tentant de remplir plusieurs objectifs : travailler
sur des programmes variés, publics, faire du
chantier, participer aux études dans des
groupements de maitrise d’œuvre, etc. Je
souhaiterais poursuivre à ce poste pour deux ans
afin de voir les projets sur lesquels j’ai travaillé se
réaliser en chantier (en particulier le Projet One
Tour Eiffel abordé dans mon journal de bord) et
pour acquérir une expérience réellement
significative sur le fonctionnement des phases
travaux. Ce travail me permet d’observer de
nombreux procédés que je n’avais pas encore eu
la chance de côtoyer : projets en structure bois,
des parois lutétiennes, reprises en sous-œuvre en
plus de toutes les contraintes règlementaires
inerrantes à un projet (SSI, accessibilité…). Je
continue d’apprendre techniquement sur chantier
pour être, du mieux possible, capable de
communiquer avec les différents intervenants
d’un projet, et ainsi comprendre les enjeux
derrière chaque décision, aujourd’hui et dans le nous pourrions aboutir des projets jusqu’à la
futur. En parallèle, je n’ai pas cessé de travailler sur conception du mobilier par exemple.
la démarche de projet et sa conception au travers Je ne souhaite pas me spécialiser dans un
de participations à des concours ou à des projets programme particulier, même si j’ai un intérêt
de petites envergures sous un statut certain pour le développement hôtelier et les
autoentrepreneur. nouveaux modes de logements partagés, qui
L’objectif au terme de cette première période ne permettent une vraie mixité programmatique.
serait pas de mettre de suite à profit ma HMONP, Chaque projet, de la conception à la réception, doit
mais de partir exercer à l’étranger. J’aimerais rester une remise en question permanente pour la
comprendre comment on construit ailleurs, plus maitrise d’oeuvre, projet pour lequel l’architecte
particulièrement en Asie. Depuis mon échange à est la mémoire du premier coup de crayon au
Waseda University à Tokyo en Master 1, je reste dernier coup de pinceau.
marquée par la diversité des façades par la
richesse des détails et par l’investigation
développée par certains architectes asiatiques afin
de rester toujours aussi surprenants qu’innovants,
notamment dans les choix de matériaux. J’ai bien
conscience que ces démarches ne sont pas
absentes de l’architecture française et
européenne mais l’enthousiasme généré par
l’image d’un Jun Sato ingénieur au service des
créations sans limite d’un Sou Fujimoto ou Junya
Ishigami me pousse à envisager un retour à la
conception dans un contexte expatrié, peut être
en Chine, en Corée, au Vietnam ou en Thaïlande,
où de nombreuses agences prometteuses
évoluent . Je souhaiterais pendant 5, 6 ou 7 ans
travailler dans plusieurs agences dans des pays
différents pour confronter des points de vue, pour
apprendre différentes méthodes de travail et pour
enrichir ma démarche de projet. L’idée serait de
passer un ou deux ans par pays afin de naviguer
entre les cultures et ainsi de ne rien prendre pour
acquis afin de toujours se remettre en question.
Après une dizaine d’années d’exercice enrichi à la
fois d’une culture technique, de travaux, de
terrains et de nombreuses cultures architecturales
aux origines variées, je souhaiterais monter ma
propre agence et exercer en société.
Une agence qui intégrerait dans l’idéal les
différentes compétences de la maitrise d’œuvre
pour co-concevoir des projets dans le détail.
L’intégration d’une branche ingénierie me semble
nécessaire pour des études d’exécution interne, et
pour ainsi maitriser au mieux les coûts et les délais.
Une agence où le chantier est une étape
incontournable autant que la conception, et où les
deux entités ne sont pas drastiquement séparées.
Mais aussi une agence de design plus global où
Livres
TRÉTIACK Philippe, Faut-il pendre les architectes ?, Éditions du Seuil, 2001
PICON LEFEBVRE Virginie, SIMONNET Cyrille, Les architectes et la construction, Editions Parenthèses,
2014
RINGON Gérard, Histoire du métier d’architecte en France, Presses universitaires de France, 1998

Articles
DESSUS Denis, « Investir dans la conception, le bon choix économique », Dossier : Démarche qualité de
la commande publique de maîtrise d’œuvre, Le Moniteur, n°176, Mai 2017
ERRARD Dominique, « La maîtrise d’œuvre d’exécution sur la sellette », dans Le Moniteur, Février 2001
MENRATH Marie-Jeanne, VETTER Pierre, « La qualité des constructions publiques », MIQCP, Version
2020
Les architectes et l’évolution du métier à l’horizon 2030

Sites internet
WIRTH Eric, « La valeur ajoutée de l’architecte sur chantier », 23/09/2020, www.architectes.org/la-
valeur-ajoutée-de-l-architecte-sur-chantier
MARTINEZ Jean-Claude, « L’architecte, droit dans ses bottes de chantier », Juillet 2017,
www.maf.fr/actualite/larchitecte-droit-dans-ses-bottes-de-chantier

MARTINEZ Jean-Claude, « L’architecte, droit dans ses bottes de chantier », Juillet 2017,
www.maf.fr/actualite/larchitecte-droit-dans-ses-bottes-de-chantier
« Architectes et bureaux d'études : comment éviter les couacs ? », MAF Informations,
https://www.maf.fr/actualite/architectes-et-bureaux-detudes-comment-eviter-les-couacs
Sommaire. .................................................................................................................................................. 3
Introduction. .............................................................................................................................................. 3
1. Le constat de la maitrise d’œuvre et des chantiers en marché public. ........................................... 4
1.1. L’architecte : d’une formation autocentrée à une place au sein d’un groupement de MOE ...... 4
1.2. La maitrise d’œuvre en chantier, responsable des coûts, de la qualité et des délais. ................. 5
1.3. La dérive des délais et des coûts en chantier : Trois exemples de ma mise en situation
professionnelle ....................................................................................................................................... 5
1.3.1. Mairie du Vème arrondissement ......................................................................................... 6
1.3.2. AMOSP ................................................................................................................................. 7
1.3.3. Groupe Scolaire du Centre ................................................................................................... 8
2. Pourquoi les chantiers dérivent en coût et délais? ......................................................................... 9
2.1. La responsabilité au niveau de l’équipe de MOE ......................................................................... 9
2.2. La responsabilité au niveau de la MOA ..................................................................................... 12
2.3. La responsabilité au niveau de l’entreprise ............................................................................... 14
3. Les pistes d’amélioration du chantier pour mieux innover. .......................................................... 16
3.1. Réinstaurer le dialogue entre ingénieurs et architectes dès la conception............................... 16
3.2. L’architecte, chef d’orchestre du chantier et mémoire du projet ............................................. 17
3.3. Redéfinir les contours du marché.............................................................................................. 19
4. Conclusion et projet professionnel ............................................................................................... 21
Bibliographie ............................................................................................................................................ 23
Table des matières ................................................................................................................................... 24
Annexes .................................................................................................................................................... 25