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D3P2 :
Politiques, Discriminations et Genre.
Les privilèges : renverser son regard sur la domination
Introduction
L'exercice que nous vous proposons est très nouveau et assez intense, son but
étant d'opérer un renversement du regard dans le cadre de la lutte contre les
discriminations : aller des dominants aux dominées, des victimes vers les privilégiées. Et
la notion de privilèges est fondamentale, c'est sa compréhension qui permettra de rendre
l'exercice efficace, en essayant, grâce à cette notion, d'appréhender le système des
discriminations par le haut et non plus par le bas, comme le font toutes les approches
françaises de lutte contre les discriminations actuelles. C'est aux Etats-Unis que cette
approche par le haut a vu le jour, à travers les écrits de Peggy Mac Intosh, White Privilege
: Unpacking The Invisible Knapsack en 1989. Prenant pour principe que le racisme en tant
que système crée des avantagées au côté des désavantagées, cette chercheuse
féministe blanche y fait une liste d'une quarantaine d'énoncés décrivant les privilèges des
Blancs. Nous avons repris ce type de liste au sein de notre Atelier, en ajoutant à la
dimension raciale les dimensions classiste et sexuelle/genrée. Nous allons ainsi vous lire
cette série de privilèges que nous avons mise au point, vous avancerez ou reculerez selon
l'énoncé. Surtout, il ne faut pas perdre de vue que l'objectif de l'exercice n'est pas de
provoquer un sentiment de culpabilité ou une quelconque compétition, mais bien
d'essayer de comprendre une toute nouvelle approche de la lutte contre les
discriminations, afin de rendre celle-ci plus juste et plus efficace. De la même façon, si
vous vous sentez mal à l’aise à la lecture de certaines propositions ou que vous
considérez que certains énoncés vont trop loin, sont trop intimes, trop intrusifs,
inintéressants, vous avez parfaitement le droit de ne pas bouger et d’attendre la question
suivante.
Avant de commencer l’exercice à proprement parler, nous allons définir quelques termes
essentiels, afin d’en avoir une définition unique et identique.
Définitions des termes / concepts utilisés
Classe :
Le concept de classe appartient à la théorie marxiste. Au XIXe siècle, Karl Marx a
noté l’existence de deux catégories sociales, appelées classes, dans la société
occidentale : la bourgeoisie et le prolétariat. Ces deux groupes se distinguent par la
propriété des moyens de production. La bourgeoisie détient le capital nécessaire à la
production tandis que le prolétariat ne possède que sa force de travail. Pour K. Marx,
l’économique était le facteur déterminant (l’infrastructure), de laquelle découle d’autres
objets sociaux (la superstructure : la morale, les lois, la religion…).
Le concept a été repris dans les termes de classes populaires, classes supérieures,
classes moyennes, etc. On s’éloigne de la pensée marxiste en ne voyant plus une division
simple et stricte entre deux classes. La « moyennisation » de la société, la généralisation
d’un salariat hautement qualifié avec les cadres,… sont venues nuancer la vision binaire
de K. Marx. Ce qu’il faut retenir en utilisant le concept de classe, c’est la prépondérance
du critère économique. Nous entendons par là que du niveau de vie, du salaire,
découleront ensuite la quasi-totalité des autres critères de domination : la culture, les
études, le quartier…
Communautarisme :
C'est un terme socio-politique désignant les attitudes ou les aspirations de minorités
(culturelles, religieuses, ethniques, sexuelles...) visant à se différencier volontairement et à
se dissocier du reste de la société. En France, il est souvent perçu comme menaçant la
cohésion de la société au niveau national, rejoignant la vision dit de l'universalisme
républicain que défend la France, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de reconnaissance des
particularités individuelles ou collectives, toute personne est avant Citoyen ou Citoyenne.
Alors qu'au Québec il est perçu comme un terme plutôt socio-ethnique, une diversité
participative dans la nation, issue de l'immigration.
Diversité :
C'est l'état de quelque chose qui est multiple, divers, varié. On utilise aujourd'hui ce
terme pour parler de deux paradigmes principaux : la biodiversité (qui va de pair avec le
développement durable) et la diversité culturelle. C'est de ce dernier terme dont il s'agit ici.
Ce terme s'emploie alors dans le sens d'une valorisation des personnes issues de
l'immigration non européenne, dite minorités visibles, c'est-à-dire non blanches.
Mais au-delà de cela, la diversité devient le corollaire de la non discrimination et
surtout un dispositif de lutte contre les discriminations, quelles qu'elles soient, telles que
définies dans la loi française par une liste de 18 critères1. Puisque la société est multiple,
que toutes les ethnies, races, sexes, opinions politiques, syndicales, religieuses,
orientations sexuelles, etc. y sont représentés, il doit en être ainsi dans toutes les sphères
de la vie publique. On recherche alors la diversité des présentateurs de télévision, des
représentants politiques, des acteurs de cinéma, etc.
C'est surtout dans le monde de l'entreprise que cette notion s'est le plus
développée et qu'on l'utilise aujourd'hui. Lancée en 2004, il existe ainsi une Charte de la
Diversité qui « incite les entreprises à garantir la promotion et le respect de la diversité dans
leurs effectifs. En la signant, ces entreprises s'engagent à lutter contre toute forme de discrimination
et à mettre en place une démarche en faveur de la diversité ».
Cette charte de la diversité s'inscrit dans une approche « gagnant-gagnant » pour la société et
les entreprises. Tout en promouvant la cohésion sociale, le respect de cette charte se traduit aussi par
une plus grande efficacité économique des entreprises, qui optimisent leur gestion des Ressources
Humaines, intègrent de « nouveaux profils » et résistent aux « pénuries de main d'oeuvre », ainsi
que par l'assurance d'une « bonne image de marque vis-à-vis des clients, des fournisseurs ou des
collectivités territoriales, dans le cas notamment de l'attribution de marchés publics ».
Si cette nécessaire prise en compte de la diversité, et notamment au sein de l'entreprise, est
primordiale et fait aujourd'hui l'objet d'un traitement de premier plan, bien des améliorations restent
encore à accomplir. D'abord, une fois que l'entreprise décide d'acquérir ce label « AFNOR
diversité », qui avalise le fait qu'il s'agit bien d'une entreprise qui respecte et encourage la diversité
en son sein, se pose la question des moyens et des stratégies. Plus largement, on peut se poser la
question des solutions politiques réellement proposées derrière un tel dispositif. Ainsi, afin de
parvenir à une plus grande diversité, faut-il instaurer de la discrimination positive, des quotas, bref,
des contraintes pratiques, faut-il se contenter de dresser un bilan et de faire un état de lieu de la
situation en France? Si l'on considère que l'appartenance raciale joue un rôle majeur dans ces
questions de diversité, se pose alors le problème de sa définition. Comment définir des races dans
un pays où les mesures statistiques à ce sujet sont interdites? Dans le cas des « minorités non
visibles », par exemple des personnes homosexuelles, comment les intégrer à l'entreprise dans le
1 Cette liste est non exhaustive, elle comprend principalement l'origine ethnique, l'orientation sexuelle, le sexe, le
handicap, la langue, la religion, le quartier d'origine, l'âge...
cadre de la diversité, sans risquer d'heurter leur droit à la vie privée? La diversité peut alors être
considérée comme une prise en compte à minima de la question des discriminations et des
privilèges.
Domination :
Ce mot décrit une situation où, un être et bien souvent un groupe est en position
d'imposer, par tout moyen à sa convenance (y compris la force) : ses idées, sa loi, vérité
ou croyance voire simplement son bon plaisir. La notion de domination a été développée
et analysée par de nombreux sociologues tels que Max Weber ou Pierre Bourdieu, la
domination, selon Weber, est « toute chance qu'a un individu de trouver des personnes
déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé. », cette citation ne prend
pas en compte l'ordre comportemental initié par les normes sociétales. Les concepts de
genre, classe et race étant définis en opposition (homme/femme, classe populaire/classe
supérieure, blanc/noir), la domination y est intrinsèquement liée.
Egalité des chances
L'égalité des chances, dans son approche générale, est une exigence qui veut que le
statut social des individus d’une génération ne dépende plus des caractéristiques morales,
ethniques, religieuses, et surtout financières et sociales des individuEs, mais que chacunE
ait les mêmes chances de réussir sur la base de son talents, de ses efforts, de son mérite
- d'où le terme employé de méritocratie. L'égalité des chances suppose que des moyens
importants (santé, logement, éducation, formation, ...) soient socialement mobilisés pour
que chaque nouvelle génération et chaque individuE au sein de cette génération ait une
chance égale.
Elle participe donc à la création de l'idéal de 'touTEs égaux/égales, touTEs citoyenNEs', et
devient une des composantes fondamentales de l'universalisme républicain - notamment à
travers l'école où elle est censée être la plus développée. Or, c'est cette idéologie qui
bloque les avancées en matière de lutte contre les discriminations: l'égalité des chances
se dit être une valeur sociale, mais elle ne prend pas en compte les inégalités sociales -
de classe, de race et de sexe. En effet, en maintenant le cadre social tout en tentant de
donner des chances de mobilité aux plus méritants des classes défavorisés, elle consiste
à panser ici ou là les plaies de l'inégalité, plutôt que de penser une société plus égalitaire.
Ethnicité :
On entend par ethnicité un ensemble de caractéristiques (tels qu’une langue, une
religion, des traditions, mœurs...) partagées par un groupe d’individus, ayant une
conscience commune d’appartenance.
En France le terme d’ethnicité n’a pas bonne réputation, il est associé au
communautarisme. Il faut pourtant réussir à dépasser cela pour en accepter son utilité tout
comme ses limites.
Aux Etats-Unis, le mot est employé depuis le milieu du XXème siècle et connait un franc
succès depuis les années 70. Deux définitions de l’ethnicité s’y opposent. Pour certains il
s’agit d’une catégorie pertinente, d’un élément de différenciation sociale 2. Les catégories
ethniques sont alors des données objectives que l’on peut mobiliser dans l’action publique
par exemple. D’autres considèrent l’ethnicité comme un processus d’identification à un
2 POLICAR Alain, in Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles sous la direction de Gilles Ferréol et
Guy Jucquois, Armand Colin, 2003
groupe, une conscience d’appartenance3. On est dans une conception plus subjective de
l’ethnicité.
Cette deuxième interprétation présente l’intérêt de mettre en avant le sentiment
d’appartenance. On s’éloigne alors d’une conception homogène des groupes ethniques
qui seraient définies par les valeurs et coutumes qu’ils partagent, ainsi que par un
fonctionnement propre que l’on pourrait isoler pour l’observer. Cette conception
traditionnelle de l’ethnie vient de l’ethnologie qui s’appliquait à étudier les sociétés
traditionnelles. Avec cette définition plus subjective de l’ethnicité, le but n’est plus de
rendre compte des spécificités culturelles d’un groupe. Il s’agit d’analyser l’ensemble des
pratiques de différenciation qui instaure une frontière ethnique (ce qui ne revient pas à nier
l’existence de traits culturels partagés).
Ceci dit, il me semble que le point faible de cette définition c’est qu’elle pose
l’ethnicité comme un sentiment d’appartenance, autrement dit comme une volonté
d’identification d’appartenir à une communauté ethnique. C’est négliger grandement
l’assignation sociale que peut subir un individu. Le rapport de domination est intégrant de
la production de l’ethnicité. Il n’y a ethnie que si les éléments qui la définissent (langue,
religion, traditions, mœurs...) diffèrent de la norme dominante. La conscience
d’appartenance ethnique ne naît pas dans l’isolement, mais bel et bien dans l’interaction et
la confrontation avec d’autres groupes4.
Je retiendrai les quatre éléments que dégage Alain Policar dans sa définition d’ethnicité 5 :
- L’attribution catégorielle : l’appartenance ethnique n’est jamais purement
endogène, elle se construit entre la catégorisation par les autres et l’identification à
un groupe particulier.
- Notion de frontière (ou limite) : il n’y pas d’appartenance ethnique sans une
altérité, une séparation avec les non-membres du groupe.
- L’origine commune (ou supposée telle).
- La saillance : l’ethnicité ne renvois pas ici à une essence à un répertoire que
l’on peut choisir ou non de mobiliser. C’est la façon dont l’ethnicité se met en scène
dans l’interaction. Il existe différents modes d’identification à une ethnie (ex : le port
de la kippa) que l’individu peut mobiliser ou pas selon les situations (par exemple
pour profiter d’une positive action).
C’est sur le dernier point de sa définition que j’émettrai quelques réserves. Si cela est
peut-être vrai au Etats-Unis, je ne crois pas qu’en France les individus appartenant à une
minorité ethnique soit en mesure de « maitriser » leur appartenance ethnique comme cela
est décrit ici. Premièrement parce que bien rares sont les situations où ils pourraient en
tirer profit (l’affirmative action est bien plus développé aux Etats-Unis qu‘en France. Même
si je reconnais que l’ethnicité est aussi une mise en scène (par le vêtement, le corps, le
langage...), cette vision de l’ethnicité comme d’une ressource mobilisable dans des
logiques d’acteurs me parait un peu éloigné de la réalité. C’est aussi oublier que
l’appartenance ethnique peut être tout aussi bien un choix d’identification qu’une
assignation sociale, souvent même les deux à la fois.
Genre :
Le concept de genre ne se comprend que par rapport à celui de sexe. Le sexe est
une donnée physique. Le genre est le sexe social, c'est-à-dire l’ensemble des données
sociales et psychologiques que l’on accorde à cette donnée physique. Le sexe est une
donnée objective, mais l’opposition homme / femme, des qualités accordées à l’un, des
attentes envers l’autre, les caractères psychologiques attribués sont l’objet d’une
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Ibid.
construction sociale. Une femme doit être polie tandis qu’un garçon ne doit pas pleurer.
Une femme est orientée vers le « pouponnage » tandis que les garçons sont orientées
vers les voitures…
Le concept a été développé par les féministes à partir de la fin du XIXe siècle. Il permet de
ne plus revendiquer des droits pour les femmes comme des nouveaux privilèges mais de
montrer en quoi elles sont l’égale des hommes et comment leur soi-disant infériorité est
construite.
Intersectionnalité :
Ce terme est employé pour la première fois par Kimberlé Crenshaw en 1991 dans son article
Cartographies des marges. En prenant l'exemple des femmes noires américaines, elle explique que
ces femmes, doublement dominée et en tant que femme et en tant que noires, vivent une domination
spécifique, au croisement de leur deux « identités », qui les empêchent de se retrouver
complètement dans le combat des noirs et dans le combat des femmes. Elles ont des intérêts
différents, qui entrent, à un moment donné, en concurrence avec les revendications d'un des deux
groupes.
Par exemple, elle explique que les femmes noires victimes de violences conjugales au Etats-
Unis préfèrent ne pas porter plainte contre un membre de leur communauté de peur d'entretenir les
clichés racistes à l'égard des hommes noirs et que de plus, elles ne veulent pas aller porter plainte
auprès de la police par peur de celle-ci particulièrement violente envers la communauté noire ainsi
que par loyauté envers la communauté.
Ce terme est repris aujourd'hui par les sociologues et chercheurs en sciences sociales qui étudient la
question des discriminations, car il est le seul qui permette de véritablement rendre compte de
dominations multiples, spécifiques et parfois contradictoires. Ainsi, ce concept permet de penser
l'articulation entre les divers rapports sociaux de sexe, de race et de classe (notamment, mais pas
seulement) ce qui est une préoccupation majeure pour nombre de chercheurs et chercheuses
aujourd'hui. Cet outil a notamment été mobilisé par les théoriciennes du Black Feminism, par les
féministes non-blanches de façon générale et par les lesbiennes, qui ne pouvaient se retrouver dans
le féminisme traditionnel pensé par et pour des femmes occidentales, blanches et hétérosexuelles.
Tout au long de l’exercice, on verra que cette notion joue un rôle central. Ainsi, les
privilèges, et à l'inverse les dominations, sont rarement exclusifs et beaucoup ne peuvent se
comprendre et s'analyser qu'au travers d'une approche intersectionnelle.
Oppression :
L'oppression est le mauvais traitement systématique d'un groupe social avec le
soutien des structures de la société oppressive. Racisme, sexisme, homophobie,
antisémitisme sont des exemples d'oppression. La domination et l'oppression se
complètent, elle est plus ou moins le résultat de la domination. Il existe de nombreuses
approches de l'oppression, l'approche marxiste la définit comme une oppression des
travailleurs par une classe supérieure accaparant les moyens de productions, l'approche
identitaire voit des intérêts contradictoires entre le groupe opprimé et le restant de la
société. Selon cette vision, les hommes, par exemple, profiteraient de l'oppression des
femmes, les hétérosexuel(le)s profiteraient de l'oppression des homosexuel(le)s...etc.
Race :
Les races sont un ensemble de catégories plus ou moins clairement déterminées servant
à différencier les êtres humains et se référant généralement à des traits physiques.
Même s’il est à présent avéré que les races n’ont pas de fondements biologiques,
les tentatives pour prouver l’existence de différences génétiques qui justifierait une
catégorisation des races ont été nombreuses. Contrairement à l’ethnicité, la race n’est pas
un concept réservé aux sciences sociales. La biologie, particulièrement au XIXème et au
début du XXème, s’est donné pour mission d’ordonner l’espèce humaine à travers une
classification génétique : les races. Cette recherche a toujours été marquée par
l’imperfection des outils et par l’indétermination des catégories de cette classification. Les
biologistes cherchaient à établir un lien de causalité entre des différences génétiques et
des inégalités fondamentales, afin de justifier un ordre hiérarchique entre des groupes
d’individus. Les sciences sociales ont joué leur rôle aussi dans ces tentatives d’inscriptions
des races humaines dans un ordre naturel puisque des anthropologues ont aussi essayé
de les définir en s’appuyant sur des critères morphologiques. Mais c’est bien la biologie de
la seconde moitié du XXème siècle a invalidé l’existence des races ainsi que d’une
hiérarchie entre elles. Chaque individu étant unique génétiquement, il y aurait alors autant
de races que d’individus.6
S’il est prouvé aujourd’hui que les races n’existent pas, faut-il encore alors parler de race ?
Est-ce que cela ne risque pas d’entretenir la légitimité du concept? D’un autre côté il est aussi
illusoire de vouloir éradiquer le terme (comme pour en finir avec les théories naturalisantes et
racistes) alors qu’il fait toujours référence à une réalité fondamentalement sociale. 7 L’usage du
terme de race est d’ailleurs antérieur à l’apparition de ces théories racistes, c’est pourquoi on peut
imaginer que la race demeure une catégorie opératoire du sens commun qui nous permet
d’ordonner, de classifier la diversité humaine8. Sans oublier le racisme que soutenaient les théories
biologistes est loin d’avoir disparu. Le racisme est bien la preuve que les rapports de pouvoirs entre
races sont loin d’avoir disparu. D’autre part, si la négation de l’existence réelle des races ne suffit
pas à combattre le racisme, c’est bien parce qu’elles sont avant tout sociales. Il s’agit donc de
considérer la race comme ce qu’elle est, c’est-à-dire une production sociale qui catégorise et
hiérarchise des groupe d’individus en s’appuyant sur des critères d’ordre physique. Le fait que la
race soit passée du terrain biologique à celui du symbolique ne la rend pas pour autant moins
effective.
Violence symbolique :
Pour bien comprendre les enjeux particuliers liés à cette domination, il est
nécessaire d'appréhender la violence symbolique définie par Pierre Bourdieu. La notion de
violence symbolique renvoie à l’intériorisation par les agents de la domination sociale
inhérente à la position qu’ils occupent dans un champ donné et plus généralement à leur
position sociale. Cette violence n'est pas nécessairement consciente et ne s’appuie pas
sur une domination d’un individu sur un autre mais sur une domination structurale, d’une
position en fonction d’une autre. Cette structure, qui est fonction des capitaux possédés
par les agents, fait violence car elle est non perçue par les agents. Elle est donc source
d’un sentiment d’infériorité ou d’insignifiance qui est uniquement subi puisque non déclaré
en tant que tel.
6 POLICAR Alain, in Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles sous la direction de Gilles Ferréol et
Guy Jucquois, Armand Colin, 2003
7 Ibidem
8 Ibid
Exercice (duré 1h30-2h)
Nous sommes ici réunis pour faire un exercice de groupe destiné à mettre en lumière les
« privilèges » dont nous sommes pourvus et qui déterminent notre place dans la société.
Ces « privilèges » sont dits invisibles car ils sont constitutifs de la société et de sa manière
de fonctionner. Être blanc par exemple ne semble pas d’emblée constituer un élément de
privilège particulier. Pourtant, ensemble, nous allons pouvoir constater en quoi les
éléments de la vie quotidienne permettent de mettre à jour les différences qui existent
entre les personnes selon leur sexe, origines ou orientations sexuelles.
Consigne : Pour mieux comprendre cet exercice et son but, il s’agira pour nous de nous
réunir en ligne et de nous tenir par la main. Ensuite, nous lirons un certain nombre de
questions qui nous ferons faire soit un pas en avant, soit un pas en arrière. A la fin de cet
exercice, chacun sera situé à un endroit différent ou non de la pièce.
- Les participantEs se tiennent sur une même ligne de départ au milieu de la pièce, main
dans la main (prévoir assez d’espace devant et derrière la ligne puisque les personnes vont
avancer et/ou reculer à la lecture des énoncés),
- faire l’exercice en silence, (on pourra poser des questions et réagir après),
- écouter attentivement les énoncés, (les lire lentement et les répéter si besoin)
- se tenir la main aussi longtemps que possible (lâcher dès que cela n’est plus possible)
Nous vous proposons ensuite de discuter des résultats de cet exercice, de vos ressentis
mais aussi de vos désaccords. Le but n’est en aucun cas de pointer du doigt celui qui
recule ou celui qui avance, nous nous retrouverons sûrement tous dans les deux cas. De
plus, si l’un de nous ne souhaite pas bouger lors de l’énoncé de certaines questions, il en
a parfaitement le droit. Les questions que nous allons poser, ne prétendent pas nous
définir individuellement en tant que personne mais davantage nous situer dans l’échelle
sociale en fonction des divers « privilèges » dont nous sommes pourvus ou non. La réelle
finalité de ce travail de groupe est davantage de pouvoir discuter ensemble des résultats
et de comprendre comme chacun se situe et situe l’autre dans cette société.
Liste des privilèges
1. Si vos deux parents sont né-e-s en France un pas en avant, si vos deux grands-parents
aussi, un de plus.
2. Si des personnes ont travaillé chez vous pour effectuer des tâches domestiques, un pas en
avant. Si ces personnes étaient d’origine étrangère un pas de plus.
3. Si vos parents étaient instruit-e-s, exerçaient une profession comme professeur-e, avocat-
e... un pas en avant.
4. Si vous avez été élevé-e dans un quartier défavorisé et/ou pauvre, un pas en arrière.
5. Si vous avez déjà essayé de changer vos manières, votre apparence, vos comportements
pour éviter d'être jugé-e ou de vous sentir ridicule, un pas en arrière.
6. Si vous avez étudié la culture de vos ancêtres à l'école primaire, un pas en avant.
7. Si vos parents pouvaient vous aider à faire vos devoirs à l'école primaire, un pas en avant.
8. S'il y avait plus de 50 livres dans votre maison quand vous étiez enfant, un pas en avant.
9. Si vos parents vous ont emmené dans des musées, des galeries d'art, etc., un pas en
avant.
10. Si vous avez déjà sauté un repas ou aviez faim parce qu'il n'y avait pas assez d'argent
pour acheter de la nourriture quand vous étiez enfant, un pas en arrière.
11. Si un-e de vos parents était sans emploi pas par choix, ou au chômage de longue durée,
un pas en arrière.
12. Si vous avez passé toute votre scolarité dans une école privée et/ou catholique, un pas en
avant.
13. Si votre famille a dû déménager parce qu'ils ne pouvaient pas payer le loyer, un pas en
arrière.
14. Si vos parents vous ont déjà dit que vous étiez beau/belle, intelligent-e- et capable, faites
un pas en avant.
15. Si vous avez déjà été découragé-e-s par des professeurs ou des employeurs en raison de
votre race, de votre origine, de votre classe, de votre sexe, de votre orientation sexuelle,
faites un pas en arrière.
16. Si vos parents vous ont encouragé-e à faire des études supérieures, faites un pas en
avant.
17. Si durant votre enfance/adolescence, vous partiez régulièrement en vacances avec vos
parents, faites un pas en avant.
18. Si votre famille était propriétaire de son logement, faites un pas en avant.
19. Si vous voyez des personnes de votre race, de votre origine, sexe ou orientation sexuelle,
représenté-e-s à la télévision dans des rôles dégradants, faites un pas en arrière.
20. Si vous avez déjà été pistonné-e (ou si on vous a déjà offert un travail en raison d’une
connexion avec un ami-e ou un membre de votre famille), faites un pas en avant.
21. Si vous êtes sûr-e qu’on ne vous a jamais refusé un travail ou une promotion en raison de
votre sexe, race, origine ou orientation sexuelle, faites un pas en avant.
22. Si vous avez déjà hérité ou êtes susceptible d’hériter des biens ou de l’argent, faites un pas
en avant.
23. Si vous n’avez pas de voiture et devez compter principalement sur les transports en
commun, reculez d’un pas.
24. Si vous êtes arrêté-e par la police et que vous pouvez être sûr-e que ce n’est pas en raison
de votre race ou origine, faites un pas en avant.
25. Si vous n’avez jamais eu peur de la violence en raison de votre race, origine, sexe, ou
orientation sexuelle, un pas en avant.
26. Si vous avez déjà été gêné-e par une plaisanterie liée à votre race, origine, sexe,
orientation sexuelle, faites un pas en arrière. Et si vous ne vous sentiez pas en sécurité
pour faire face à la situation, reculez encore d’un pas.
27. Si vous avez déjà été victime de violences (physiques, verbales...) liée à votre race,
origine, sexe ou orientation sexuelle, reculez d’un pas.
28. Si, dans les commerces, vous pouvez être sûr-e que vous ne serez pas surveillé-e ou
contrôlé-e en raison de votre race, avancez d’un pas.
29. Si vous pouvez marcher seul-e dans la rue à n’importe quelle heure sans avoir peur d’être
agressé-e sexuellement, avancez d’un pas.
30. Si vous pouvez condamner le racisme sans qu’on vous suspecte de le faire dans votre
intérêt personnel, avancez d’un pas.
31. Si vous pouvez être premier-ère de la classe, ou réussir socialement sans être présenté-é
comme un exemple d’intégration, avancez d’un pas.
32. Si vous pouvez trouver des pansements couleur chair ou du maquillage qui s’accorde avec
votre couleur de peau, faites un pas en avant.
33. Si vous pouvez choisir de vous habiller comme vous le voulez sans vous demander si l’on
va prendre votre tenue pour une provocation sexuelle, faites un pas en avant.
34. Si vous n’avez pas à craindre des conséquences économiques, physiques ou
psychologiques si votre famille ou vos ami-e-s découvrent votre orientation sexuelle, faites
un pas en avant.
35. Si votre orientation sexuelle n’a jamais été expliquée en raison de problèmes
psychologiques (crise d’adolescence, maltraitance, etc...), faites un pas en avant.
36. Si vous pouvez être sûr-e que les jouets, les livres de votre enfance et/ou les manuels
scolaires témoignent de l’existence de personnes ayant votre orientation sexuelle, faites un
pas en avant.
37. Si les gens vous demandent pourquoi vous avez fait ce choix d’orientation sexuelle, faites
un pas en arrière.
38. Si vous pouvez trouver facilement un-e thérapeute ou un-e médecin disposé-e et capable
pour parler de votre sexualité, faites un pas en avant.
39. Si votre virilité/féminité a déjà été remise en cause en raison de votre orientation sexuelle,
faites un pas en arrière.
40. Si vous pouvez marcher en public avec votre partenaire en vous tenant par la main et/ou
en vous embrassant sans avoir peur des regards, remarques ou violences des
« badauds », faites un pas en avant.
41. Si dans votre travail, vous pouvez parler de votre orientation sexuelle sans être inquiété-e
par les conséquences, faites un pas en avant.
42. Si quand vous remplissez un formulaire administratif, vous ne pouvez pas toujours cocher
une case qui représente votre identité de genre, faites un pas en arrière.
Cet exercice est maintenant terminé. Nous espérons qu’il a pu vous permettre de prendre
conscience de privilèges et/ou d’oppressions bien souvent devenus invisibles et liés à la
structure même de la société plus qu’à un comportement individuel. Cet exercice permet
avant tout d’apporter un nouveau regard sur la question des discriminations. Il nous
semble nécessaire de conserver cette approche toujours présente à l’esprit ainsi que ce
qu’elle met en exergue, aussi bien dans nos vies personnelles que professionnelles. Ces
privilèges font l’objet d’une invisibilisation permanente, c’est pourquoi il est très important
de diffuser ces exercices qui permettent de prendre conscience de leur existence. C’est un
travail d’autant plus difficile de tous les mécanismes sociaux qui tendent à les invisibiliser.
C’est donc un effort de déconstruction qu’il faut appliquer sans relâche aux
discriminations et à la domination afin de les comprendre par le prisme des privilèges
sociaux.
Nous sommes conscient-e-s que l’exercice proposé est perfectible. Les énoncés peuvent
sembler trop flous, au contraire trop précis, peu pertinents. Il est parfois difficile de savoir
où se situe la cause de l’oppression en raison notamment des critères intersectionnels.
Enfin, certaines discriminations peuvent vous paraître un peu laissées de côté, tel le
handicap ou l’apparence physique. Ceci est un choix délibéré, fruit de nombreux
questionnements et réflexions. Sans vouloir opérer une quelconque hiérarchisation entre
les causes d’oppression, nous avons décidé de privilégier les causes plus sociologiques
(l’appartenance raciale, l’orientation sexuelle, le genre, la classe sociale…), au cœur de
notre objet d’étude.
C’est pourquoi, nous allons terminer l’exercice par un tour de table, au cours duquel
chacun pourra donner son avis, son ressenti, son impression par rapport à ce qui vient de
se passer. Lors de ce moment d’échange et de réflexivité, vous pourrez alors exprimer ce
que cet exercice vous a inspiré, ce qui vous a plu, déplu, déçu, surpris, ce qui a été dur,
aisé et si vous pensez que votre regard, personnel et professionnel, a pu changer ou est
susceptible de changer, après cette expérience.
Cette discussion, partie intégrante de l’exercice, est aussi un moyen pour nous d’améliorer
nos énoncés et de les rendre toujours plus pertinents.