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Revue d’études augustiniennes et patristiques, 60 (2014), 213-252.

Mentions et interprétations du tétragramme


chez Eusèbe de Césarée*
Eusèbe de Césarée (v. 260/265 – 339/340) est l’écrivain chrétien de l’Antiquité
qui évoque le plus souvent le tétragramme. Dans la Préparation évangélique
(= PE), l’existence du nom divin, dont la prononciation est interdite, lui permet
de nourrir une comparaison de Platon et de l’Écriture : le tétragramme, qui expri-
merait la nature indicible de Dieu, montrerait que les Hébreux, comme Platon,
affirme-t-il, estimaient qu’il y avait un rapport naturel entre les noms et les
choses1, et que, comme le philosophe, ils auraient tenu le divin pour ineffable2.
Mais la plupart du temps, Eusèbe mentionne le tétragramme dans le cadre de
commentaires exégétiques.
Le dossier compte 26 textes au total, tous donnés en appendice. Il s’agit d’un
ensemble extrêmement riche, qui intéresse l’histoire des traditions juives, celle du
texte biblique, celle de l’exégèse chrétienne, et enfin la question des sources et des
méthodes de travail d’Eusèbe.

* Cet article est issu de deux conférences données d’une part au séminaire « La Bible grecque
des Septante », à Paris, le 6 décembre 2013, d’autre part au séminaire patristique de Christ Church,
Oxford, le 4 mars 2014, à l’invitation de Mark Edwards. Cette recherche a avantageusement
profité des échanges auxquels elle a donné lieu à ces deux occasions.
1. PE, XI, 12.
2. PE, XI, 6. Nous avons étudié plus particulièrement ces deux passages (« La Préparation
évangélique d’Eusèbe et les Stromates perdus d’Origène : nouvelles considérations », Revue de
philologie, 87, 2013, p. 103-119). Cet article fait suite à une autre publication dans laquelle nous
avons essayé de montrer que la comparaison de l’Écriture et de Platon où interviennent ces deux
mentions du tétragramme (PE, XI-XII) peut être inspirée d’une œuvre d’Origène, sans doute les
Stromates (« Eusèbe de Césarée a-t-il utilisé les Stromates d’Origène dans la Préparation évan-
gélique ? », Revue de philologie, 78, 2004, p. 127-140). Cette hypothèse avait été avancée pour la
première fois par H. D. Saffrey (« Les extraits du Περὶ τἀγαθοῦ de Numénius dans le livre XI
de la Préparation évangélique », dans Studia patristica, 13, Berlin, 1975, p. 46-51).
214 SÉBASTIEN MORLET

I. – Un témoIgnage SUr deS tradItIonS relatIveS aU tétragramme


Pour désigner le tétragramme, Eusèbe utilise un petit nombre d’expressions
récurrentes, présentant plusieurs variantes de détail. Pour l’essentiel, il recourt à
quatre types de formules :
– le plus souvent, le substantif τετραγράμμον3, ou moins souvent l’adjectif
τετράγραμμος (τετράγραμμος προσηγορία4, τετράγραμμον ὄνομα5) ;
– très souvent, la tournure τὰ τέσσαρα στοιχεῖα6, parfois dans des formules
plus longues (ἡ διὰ τῶν παρ’ Ἑβραίοις στοιχείων ἐπισημείωσις7) ;
– des expressions formées autour de l’adjectif ἀνεκφώνητος (ἀνεκφώνητος
σημείωσις8, ἀνεκφώνητος πρόσρησις9, ἀνεκφώνητος προσηγορία10) ;
– plus rarement, des expressions formées autour de l’adjectif ἄρρητος (ἄρρητον
ὄνομα11, ἄρρητος σημείωσις12, ἄρρητος προσηγορία13, ἄρρητος
ἐκφώνησις14.
Souvent, ces formules se trouvent associées (τὰ τέσσαρα στοιχεῖα τὰ
παρ’ Ἑβραίοις ἀνεκφώνητα15, τὰ ἀνεκφώνητα παρ’ Ἑβραίοις [τέτταρα]
στοῖχεια16). Fréquemment, Eusèbe note que les expressions qu’il utilise ou les
traditions qu’il applique au tétragramme sont celles qui ont cours chez les Hébreux
(παρ’ Ἑβραίοις). Le mot « hébreu » ne s’oppose pas ici à « juif » (Ἰουδαῖος)
comme c’est souvent le cas chez Eusèbe. Il est courant lorsque ce dernier évoque
la langue et les traditions des juifs. Dans le cas du tétragramme, ces traditions sont
les suivantes :

3. Voir, dans l’appendice, les textes 5, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 19, 21, 23, 24, 26.
4. Texte 7.
5. Textes 8, 17, 26.
6. Textes 2, 4, 5, 6, 16, 18, 21.
7. Texte 16.
8. Texte 3.
9. Texte 18 (ἀνεκφωνήτῳ προσρήσει τῇ διὰ τῶν τεσσάρων στοιχείων).
10. Texte 5.
11. Texte 5.
12. Texte 9.
13. Texte 3.
14. Texte 6.
15. Texte 5.
16. Textes 19, 21.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 215

– Le tétragramme est tenu pour indicible (ἄρρητος) et imprononçable


(ἀνεκφώνητος) chez les Hébreux17.
– La composition des sept voyelles, en hébreu, forme le nom indicible18.
– Le grand prêtre portait sur son front la prononciation du tétragramme, qui serait,
selon Eusèbe, désignée par l’expression biblique incision de sceau, chose sainte
du Seigneur (Ex 28, 36), selon l’exégèse ancienne du passage19.
– Le tétragramme correspond au mot κύριος dans la traduction grecque. Dans
un texte de la PE (XI, 6, 20), Eusèbe explique que le mot θεός, quant à lui,
correspond à Elohim20.
– Les Hébreux n’emploient le tétragramme qu’à propos « de la puissance suprême
de Dieu » (PE, XI, 6, 36)21.
– Ce nom, en effet, exprimerait le caractère indicible de la divinité (PE, XI, 6,
20)22, tandis que le terme « Elohim », déduit du mot « El », qui, selon Eusèbe,
signifierait « force » et « puissance »23, désignerait Dieu sous son aspect de Tout-
puissant, « maître de toutes choses » (ibid.).
– Il existe en hébreu une autre façon de désigner le Seigneur : par des « lettres
communes », c’est-à-dire ‫ «( אדוי‬Adonai »), lettres qui désignent un maître tel
qu’il en existe chez les hommes, c’est-à-dire dans son rapport à quelque chose
(πρός τι), comme l’est un seigneur par rapport à des serviteurs24.

17. Cette tradition est rappelée chaque fois qu’Eusèbe évoque le nom divin.
18. Texte 2.
19. Cf. texte 6. La Bible d’Alexandrie, Exode (éd. A. Le Boulluec – P. Sandevoir, Paris, 1989),
p. 292 rappelle que, si l’on peut comprendre « chose sainte du Seigneur » comme une traduction de
la formule inscrite sur l’incision, les commentateurs grecs comprennent plutôt qu’il s’agit d’une
apposition qualifiant l’inscription, toujours identifiée au tétragramme (Lettre d’Aristée ; Philon,
Josèphe, Clément, Théodoret).
20. Texte 1.
21. Texte 2.
22. Texte 1. Voir encore textes 3, 16, 17.
23. Cette étymologie est discutée. Cf. « Names of God », Jewish Encyclopedia, 9, 1905, p. 160-
165 : « The commonly accepted derivation of this name from the Hebrew root ‫אול‬, ‘to be strong’,
is extremely doubtful » (p. 161). L’article plaide pour une racine signifiant « conduire », « diriger »,
mais conclut que le sens exact du nom n’est pas clair. W. Herrmann, récemment, maintient
cependant l’étymologie traditionnelle comme probable (« El », Dictionary of Deities and Demons
in the Bible, Leiden – Boston, 19992, p. 274).
24. Textes 6, 18 et 26.
216 SÉBASTIEN MORLET

Ces traditions viennent grossir le dossier déjà important des traditions juives
transmises dans l’œuvre de l’évêque de Césarée25. Certaines sont bien attestées
dans les textes rabbiniques26. La récurrence des tournures utilisées par Eusèbe
invite par ailleurs à se demander si l’évêque de Césarée ne transmet pas des termes
techniques peut-être utilisés par les juifs de Césarée. L’expression παρ’ Ἑβραίοις,
très fréquente au voisinage de ces tournures, nous l’avons vu, suggère, de même,
qu’Eusèbe attribue aux Hébreux non seulement les traditions qu’il associe au
tétragramme, mais l’usage des termes qu’il reprend. Par exemple, l’expression τὰ
τέσσαρα στοιχεῖα τὰ παρ’ Ἑβραίοις ἀνεκφώνητα ne signifie peut-être pas
seulement « les quatre lettres qui sont imprononçables chez les Hébreux », mais
aussi « les quatre lettres qui sont [dites] ‘imprononçables’ chez les Hébreux ».
De même, la tournure τὸ τετράγραμμον παρ’ Ἑβραίοις ὄνομα ne signifie
peut-être pas seulement « le nom formé de quatre lettres chez les Hébreux », mais
plus précisément « le nom [dit] ‘tétragramme’ chez les Hébreux ». En d’autres
termes, le témoignage d’Eusèbe nous informe sans doute sur un certain nombre
d’expressions juives relatives au tétragramme. On en trouverait une confirmation
dans le fait que certaines de ces expressions ont un équivalent dans la littérature
rabbinique27. Eusèbe ne transmet d’ailleurs peut-être pas seulement des traduc-
tions d’expressions sémitiques, mais des désignations grecques du tétragramme
utilisées par les juifs hellénophones.

25. Sur les traditions juives chez Eusèbe, voir, pour un court bilan, S. morlet, La Démonstration
évangélique d’Eusèbe de Césarée. Étude sur l’apologétique chrétienne à l’époque de Constantin,
Paris, 2009, p. 15-17. On regardera notamment le relevé effectué par M. J. HollerIcH à partir du
Commentaire sur Isaïe (Eusebius of Caesarea’s Commentary on Isaiah: Christian Exegesis in the
Age of Constantine, Oxford, 1999, p. 147-148). L’étude de S. KraUSS est dépassée et a besoin
d’être révisée et augmentée (« The Jews in the Works of the Church Fathers », Jewish Quarterly
Review, 5-7, 1892-1894, repris en un seul volume chez Gorgias Press en 2007). On n’a jamais,
sauf erreur, signalé l’importance d’Eusèbe concernant le tétragramme et ses usages.
26. Sur l’imprononçabilité du nom divin : Mishnah Yoma 6, 2 ; TB Sotah 38a ; TB Avodah Zarah
18a. L’exploitation exégétique du tétragramme de la part d’Eusèbe rappelle l’interprétation rabbi-
nique des noms divins, qui consiste à associer ces derniers à des attributs de Dieu. Le tétragramme
indiquerait l’attribut de pitié, tandis que le nom Elohim désignerait le caractère justicier de Dieu.
Voir sur ce point l’article « God, names of », Encyclopaedia Judaica2, VII, 1971, p. 674-685.
D’autres textes rabbiniques associent le tétragramme à l’éternité de Dieu, à cause de sa proxi-
mité avec la racine « être » (ibid., p. 163). On voit cependant que, si le propos d’Eusèbe rappelle
ces spéculations rabbiniques sur le nom divin, il ne leur correspond pas tout à fait. L’évêque de
Césarée met plutôt le nom divin en rapport avec le caractère indicible de Dieu ; il le distingue une
fois d’Elohim, mais dans un sens différent de celui des rabbins (PE, XI, 6, 20) ; et, la plupart du
temps, il ne l’oppose pas à Elohim, mais à Adonai. Eusèbe documente-t-il un état de la réflexion
juive qui n’est pas transmis dans les textes rabbiniques ?
27. L’expression τετράγραμμον ὄνομα rappelle directement l’expression rabbinique shem
ben arba otiyot. Le témoignage d’Origène, que nous évoquerons par la suite (texte 27), est encore
plus clair sur le fait que le mot « tétragramme » (τετραγράμματον, pour Origène) était le terme
technique, ou l’un des termes techniques, utilisé(s) par les juifs. Nous verrons aussi que le témoi-
gnage d’Origène est sans doute, de ce point de vue, plus fiable que celui d’Eusèbe.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 217

Cependant, il est délicat de conclure que l’évêque de Césarée avait une


connaissance directe de ces traditions juives. Si celui-ci évoque plusieurs fois les
« deutérotes », c’est-à-dire les rabbins28, et s’il mentionne parfois un informateur
juif29, la réalité de ses contacts avec les juifs reste problématique. Ce fait, qui a
déjà été remarqué30, trouvera une illustration supplémentaire dans la suite de cette
étude.

II. – Un témoIgnage SUr l’HIStoIre dU texte bIblIqUe


Eusèbe est un lecteur qui témoigne, à plusieurs reprises, de la présence ou de
l’absence du tétragramme dans le texte biblique. Il nous informe, par là-même, sur
un état du texte scripturaire. C’est d’autant plus important que, dans le texte de la
Septante lu par les chrétiens, le tétragramme est le plus souvent absent, et traduit
par κύριος. La plupart du temps, à part quelques cas, le témoignage d’Eusèbe
correspond au texte massorétique31. Mais d’où tient-il son information ? Et de quel
texte biblique parle-t-il ?

28. PE, XI, 5, 3 ; XII, 1, 4 ; Commentaire sur Isaïe (= ComIs), I, 81.


29. Extraits prophétiques (= EP), IV, 4, p. 178, 16 sqq. Gaisford ; ComIs, I, 82 ; II, 15.
30. Le premier à avoir eu un doute est, semble-t-il, Jérôme (Apologia aduersus libros Rufini,
I, 13 : « Ipse Origenes et Eusebius et Clemens aliique conplures, quando de scripturis aliqua
disputant et uolunt approbare quod dicunt, sic solent scribere : ‘referebat mihi Hebraeus’ ; et :
‘audiui ab Hebraeo’ ; et : ‘Hebraeorum ista sententia est’ »). Nous avons défendu l’idée, dans une
publication antérieure, selon laquelle Eusèbe n’avait probablement, pour l’essentiel, connaissance
des traditions juives qu’à travers des intermédiaires chrétiens (La Démonstration évangélique…,
passim), à commencer par Origène. Ce sera encore la conclusion de cette étude. Le fait, cepen-
dant, qu’Eusèbe ait, en matière de traditions juives, des sources chrétiennes ne contredit pas par
principe la possibilité qu’il puisse avoir eu aussi des contacts avec les juifs de Césarée.
31. Nous ne signalons en appendice que quatre cas d’écarts entre Eusèbe et le TM :
– Dans les EP, I, 7 (texte 10), il évoque, à propos d’un commentaire sur Gn 31, 11, « le Seigneur
désigné par le tétragramme ». Or les témoins manuscrits transmettent, pour ce passage, la leçon
« l’ange de Dieu » (ὁ ἄγγελος τοῦ θεοῦ), à l’exception de la version éthiopienne, qui a domi-
nus (> codc) deus (cf. J. WeverS, Genesis, Göttingen, 1974, p. 296).
– À propos d’un commentaire sur Gn 32, 29 ; 32, 31-32 (texte 16), Eusèbe évoque la présence
d’un tétragramme alors que ni le texte grec ni le TM n’évoquent « le Seigneur », mais plutôt
« Dieu ».
– On rencontre le même problème à propos d’un commentaire sur le Ps 67, 18 (texte 19).
– Dans un commentaire sur le Ps 67, 21, Eusèbe affirme qu’il n’y a pas de tétragramme alors que
le TM en présente un (texte 20).
Si, dans le premier cas, on peut estimer raisonnablement qu’Eusèbe se méprend, ou que
l’expression « le Seigneur désigné par le tétragramme » ne renvoie pas directement au texte qu’il
commente, les deux passages suivants sont plus problématiques. Eusèbe peut, dans les deux cas,
documenter un état du texte qui contenait le tétragramme, peut-être à côté du mot θεός, ou dans
la marge du manuscrit (voir infra). Comme nous le rappelons en appendice, ce peut être le cas
aussi du premier passage. Le quatrième écart est difficile à expliquer. Comme nous le montrons en
appendice, il est possible qu’Eusèbe ait fait une déduction indue à partir du texte de Symmaque.
218 SÉBASTIEN MORLET

En général, Eusèbe évoque la mention d’un tétragramme dans l’hébreu : ἐν τῷ


Ἑβραικῷ32, κατὰ τὸ Ἑβραικόν33, ἐν τῇ Ἑβραικῇ βίβλῳ34, παρ’ Ἑβραίοις35,
ἡ Ἑβραικὴ λέξις36.
À quoi ce renvoi au texte hébreu correspond-il ? On doit exclure par principe
qu’Eusèbe tienne son information directement du texte hébreu, qu’il était inca-
pable de consulter, en tout cas indépendamment des Hexaples d’Origène. La
première colonne de la synopse, rappelons-le, contenait le texte hébreu de la Bible,
en écriture hébraïque carrée, et la deuxième fournissait le même texte, translittéré
en grec. Dans le palimpseste de Milan, qui représente un témoin important de la
synopse37, le tétragramme, dans la deuxième colonne (texte hébreu en principe
translittéré en grec), est conservé en hébreu, en écriture carrée.
Le renvoi d’Eusèbe à l’hébreu pourrait aussi s’expliquer par une utilisation des
révisions de la Septante, qu’il considère souvent comme des reflets de l’hébreu,
plus fidèles au texte des juifs que la Septante38. Dans les rares témoins directs
d’Aquila et de Symmaque, le tétragramme est toujours conservé tel quel, en
hébreu, et noté en écriture paléo-hébraïque39. Mais, une fois encore, Eusèbe n’a
probablement pas connu un état du texte d’Aquila et de Symmaque indépendant

32. Textes 6, 17.


33. Texte 9.
34. Texte 20.
35. Texte 21.
36. Texte 19.
37. G. mercatI, Psalterii Hexapli Reliquiae I. Codex rescriptus Bybliothecae Ambrosianae O
39 Supp. Phototypice expressus et transcriptus, Roma, 1958.
38. Voir, sur ce point, S. morlet, La Démonstration évangélique…, p. 518-552.
39. C’est ce que montrent, pour le cas d’Aquila, les fragments sur les Ps 90, 17 à 103, 17
édités par C. taylor (Hebrew-Greek Cairo-Genizah Palimpsests, Cambridge, 1900) et les frag-
ments sur 1 Règnes édités par F. C. bUrKItt (Fragments of the Books of the Kings According to
the Translation of Aquila, Cambridge, 1897). En 1910, C. WeSSely édita des fragments sur les
Psaumes (Ps 68, 13-14 ; 30-33 ; 80, 11-15) dans lesquels le tétragramme apparaît aussi en écriture
paléo-hébraïque (« Un nouveau fragment de la version grecque du vieux Testament par Aquila »,
dans Mélanges Châtelain, Paris, 1910, p. 224-229). Il en concluait que ces fragments devaient
appartenir à la version d’Aquila. La critique, aujourd’hui, considère qu’ils témoignent plutôt de
la version de Symmaque (N. fernández marcoS, Introducción a las versiones griegas de la
Biblia, 2e éd., Madrid, 1998, p. 137)
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 219

des Hexaples. Dans les fragments de la synopse, les versions d’Aquila (troisième
colonne) et de Symmaque (quatrième colonne) donnent le tétragramme en hébreu,
mais ou bien en écriture carrée (palimpseste de Milan) ou bien sous la forme ΠΙΠΙ
(palimpseste du Caire). Dans le codex de Milan, il est parfois précédé de l’article
grec. Dans la sixième colonne (Théodotion), dans le même manuscrit, on trouve
tantôt le tétragramme en écriture carrée (avec ou sans article40), tantôt la suite
tétragramme (en carrée) + κς (au cas voulu)41. On notera que, dans son commen-
taire du Ps 90, 9, par exemple, Eusèbe cite les versions d’Aquila et de Symmaque
sans tétragramme, mais avec le mot κύριος42.
L’hypothèse la plus vraisemblable est que l’information d’Eusèbe sur l’état
du texte hébraïque remonte aux Hexaples. Nous verrons cependant qu’entre la
synopse et l’évêque de Césarée, il y a sans doute un intermédiaire de taille.
Souvent, pourtant, Eusèbe n’évoque pas précisément l’hébreu. Il écrit ainsi qu’il
a trouvé le tétragramme utilisé (κειμένην εὕρομεν), mais sans préciser dans
quel état du texte43. Ailleurs, il parle simplement de l’« Écriture » : τῆς γραφῆς
ἐπὶ τοῦ κυρίου τὸ τετράγραμμον παρ’ Ἑβραίοις ὄνομα περιεχούσης44,
ἡ θεία γραφή45. Dans ces cas, il n’y a pas de moyen de savoir a priori s’il parle
de l’hébreu ou d’une autre forme du texte.
Nous savons, de fait, que le tétragramme était parfois conservé tel quel dans
certains manuscrits de la Septante : ou bien en écriture hébraïque carrée46, en

40. Avec article : Ps 28, 1 ; 29, 5.


41. Ps 17, 42.
42. DE, IX, 7, 20-21 ; Commentaire sur les Psaumes (= CPs), Patrologie grecque (PG) 23,
1152, 1-9.
43. Texte 7.
44. Texte 8.
45. Texte 16.
46. Par exemple, dans le P. Fouad 266, antérieur à l’ère chrétienne. On comprend que le
scribe a laissé un espace spécial pour noter le tétragramme, car l’espace laissé est souvent trop
grand (F. vattIonI, « Il tetragramma divino nel PFuad inv. 266 », Studia papyrologica, 18, 1979,
p. 17-29). De même, dans le P. Oxyrh. 656, qui transmet le texte de la Genèse, à un endroit, le
mot κύριος est omis et l’espace est laissé libre. On trouve encore le tétragramme noté en écriture
carrée dans le Vat. 747, f. 110v et les marges du Marchalianus (voir R. devreeSSe, Introduction à
l’étude des manuscrits grecs, Paris, 1954, p. 110).
220 SÉBASTIEN MORLET

écriture paléo-hébraïque47, ou bien sous la forme ΠΙΠΙ48. Il existe même d’autres


transcriptions plus rares49.
Dans la cinquième colonne des Hexaples (Septante), d’après le Codex de Milan,
on trouve tantôt le tétragramme en carrée (avec ou sans article50), tantôt tétra-
gramme suivi de (ὁ) κς51 ou précédé de (ὁ) κς52, et une seule fois tétragramme +
κς + ΠΙΠΙ53. Rappelons que nous ne savons pas si cette cinquième colonne des
Hexaples était censée donner un texte courant de la Septante ou correspondait à
l’édition d’Origène (la « recension hexaplaire »), c’est-à-dire à un texte critique
de la Septante.
Dans la Syrohexaplaire, qui témoigne en principe de la recension hexaplaire, la
situation est confuse. Dans le codex Ambrosianus reproduit par Ceriani, le nom
divin est rendu par ‫( ܡܪܝܐ‬par exemple dans le Ps 90, 9a54). C’est encore le cas

47. C’est le cas du texte du Dodécapropheton trouvé dans le Désert de Juda (8ḤevXIIgr) : voir
The Greek Minor Prophets Scroll from Naḥal Ḥever (8ḤevXIIgr), éd. E. Tov, Oxford, 1990 ; et le
P. Oxyrh. 3522 de Job (P. J. ParSonS, The Oxyrhyncus Papyri, 50, London, 1983, p. 1-3 ; pl. I).
Origène connaît cette façon de noter le tétragramme (voir son commentaire sur le Ps 2 : texte 28
de notre appendice). Jérôme évoque lui aussi la présence des « lettres anciennes » dans certains
manuscrits grecs (« et nomen domini tetragrammaton in quibusdam Graecis uoluminibus usque
hodie antiquis expressum litteris inuenimus ») (Prologus in libro Regum, dans Biblia sacra iuxta
Vulgatam versionem, éd. B. Fischer, J. Gribomont, H. F. D. Sparks, W. Thiele et R. Weber, 1975,
p. 364, 9-10).
48. On pense en général que la Lettre 25 de Jérôme (appendice, texte 37) documente cette
transcription (S. JellIcoe, The Septuagint and Modern Study, Oxford, 1968, p. 272 n. 1). Dans
certains témoins du texte attribué à évagre (voir notre appendice, texte 29), le tétragramme est
rendu à deux reprises sous la forme ΠΙΠΙ, dans le titre et dans la citation du texte d’Ex 28, 36
(ἐκτύπωμα σφραγιδος ἁγίασμα κυρίῳ ΠΙΠΙ). Il en existe plusieurs éditions, dont celle de
P. de Lagarde, Onomastica sacra, 2e éd., Göttingen, 1887, rep. Hildesheim, 1966, p. 229-230 (voir
aussi Patrologie latine [PL] 23, 1271-1274, et la reproduction du texte transmis dans le Vat. 749,
f. 8, dans R. devreeSSe, Introduction…, planche xviii. On trouve également cette transcription
du tétragramme dans des papyrus magiques (A. HenrIcHS – K. PreISendanz, Papyri Graecae
magicae. Die griechischen Zauberpapyri, 2 vol., 2e éd., Stuttgart, 1973-1974, n° 3, l. 574).
49. Voir P. M. bogaert, « Septante », Supplément au Dictionnaire de la Bible, 12, 1996,
p. 538-692 (p. 662-663) (double yod archaïque dans le P. Oxyrh. 1107 et dans un manuscrit de
Qumrân – 4QLXXLevb, ainsi que dans les marges du Marchalianus).
50. Avec article : cf. Ps 28, 1.
51. Cf. Ps 17, 42 ; 27, 6-7 ; 28, 3. Avec article : cf. Ps 34, 27.
52. Cf. Ps 29, 3. Avec article : cf. Ps 29, 5.
53. Cf. Ps 27, 8.
54. Voir par exemple Ps 67, 18c, ou Ps 67, 23a, où il ne traduit pas le tétragramme, comme le
fait remarquer Eusèbe. Dans le Ps 109, 1, le terme ‫ ܡܪܝܐ‬est répété deux fois.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 221

dans les manuscrits édités par P. de Lagarde55 et W. Baars56. Dans le manuscrit


Jerusalem Saint Marc 1 photographié par A. A. Vööbus57, en revanche, le tétra-
gramme est rendu par la forme ‫( ܦܝܦܝ‬transcription syriaque de ΠΙΠΙ). On trouve
la même leçon dans les marges des manuscrits de la Genèse et de l’Exode édités
par W. Baars, tantôt seule, tantôt avec l’abréviation ‫( ܥ‬indiquant le texte hébreu).
Apparemment, on trouve également, dans d’autres manuscrits58, la leçon ‫ܝܗܝܗ‬.
Bien entendu, on pourrait penser que ces témoins, parce qu’ils transmettent en
quelque sorte une leçon difficilior du tétragramme, sont de meilleurs témoins de
l’édition d’Origène que le codex Ambrosianus. Ils s’accordent aux passages des
Hexaples, dans le palimpseste de Milan, dans lesquels le tétragramme, dans la
cinquième colonne, est rendu tel quel, et seul. Cependant, le même palimpseste
de Milan contient, dans certains cas, un tétragramme suivi ou précédé de (ὁ) κς.
Il n’est donc pas impossible qu’Origène ait aussi conservé κύριος, peut-être au
voisinage du tétragramme. Cette hypothèse va à l’encontre de l’opinion qui vou-
drait que l’Alexandrin ait aligné sur ce point son édition sur l’usage juif, en ne
choisissant pas d’éditer κύριος mais le tétragramme seul – en écriture carrée ou
sous la forme ΠΙΠΙ59. Or le témoignage du Codex de Milan s’ajoute à d’autres,
qui suggèrent qu’Origène avait peut-être conservé κύριος, suivi ou précédé du
tétragramme :
– Dans le texte sur le tétragramme attribué à Évagre, mais sûrement d’Origène
(voir notre texte 29)60, le texte d’Ex 28, 36 est cité sous la forme ἁγίασμα
κυρίου ‫( יהוה‬ou ΠΙΠΙ).
– Dans le même texte, le tétragramme est décrit comme étant τὴν Ἑβραικὴν ἐπὶ
τοῦ κυρίου παρασημείωσιν, ce qui signifie peut-être « l’indication hébraïque
donnée à côté du mot κύριος » (cf. infra).

55. Veteris Testamenti ab Origene recensiti fragmenta apud Syros servata quinque praemittitur
Epiphanii de mensuris et ponderibus nunc primum integer et ipse Syriacus, Göttingen, 1880 ;
Bibliothecae Syriacae a Paulo de Lagarde collectae, quae ad philologiam sacram pertinent,
Göttigen, 1892.
56. New Syro-Hexaplaric Texts, Leiden, 1968.
57. A. A. vööbUS, The Book of Isaiah in the Version of the Syro-Hexapla. A Fac-Simile
Edition of MS. St. Mark 1 in Jerusalem with an Introduction, Corpus Scriptorum Christianorum
Orientalium (CSCO) 449, Louvain, 1983, p. 30 (p. 27-30).
58. Cette information est donnée par A. A. vööbUS, ibid. On trouverait notamment cette leçon
dans le manuscrit Curzon, c’est-à-dire, vraisemblablement le manuscrit British Museum Orient.
8732 (cf. W. baarS, New Syro-Hexaplaric Texts, p. 11).
59. Ibid., p. 29, qui cite G. bardy, « Les traditions juives dans l’œuvre d’Origène », Revue
biblique, 34, 1925, p. 217-252 (p. 219f.), mais sans réelle pertinence.
60. L’attribution à Origène a été défendue à juste titre par R. devreeSSe, Introduction…,
p. 109, qui souligne le parallèle frappant avec un commentaire sur le Ps 2 attribué à Origène
(notre texte 28), et qui explique que l’abréviation du nom d’Origène (Ωργ) a pu être confondue
avec celle du nom d’Évagre et entraîner une méprise.
222 SÉBASTIEN MORLET

– Dans un texte important sur Ézéchiel (appendice, texte 30), Origène explique
que, lorsqu’il y a deux fois κύριος dans l’Écriture, il faut comprendre que l’un
traduit un tétragramme, et que l’autre traduit Adonai, qui, dans ce cas précis,
explique-t-il, sert de substitut au nom indicible pendant la lecture. La conclusion
du développement est très importante : « Donc Adonai kurios, pour celui qui a
compris ce que nous avons dit du nom indicible, ne diffère en rien de kurios,
comme nous l’avons édité. » Qu’Origène évoque ici son édition du texte scriptu-
raire, ou qu’il fasse simplement allusion à une façon ponctuelle de le citer, le
passage éclaire sa pratique éditoriale. Il paraît donc hasardeux d’affirmer sans
précaution qu’il avait conservé le tétragramme au détriment de κύριος alors
que ce texte suggère très explicitement qu’il avait édité κύριος. Mais peut-être
avait-il aussi conservé le tétragramme à côté de κύριος, comme une simple
indication (παρασημείωσις ?).
On ajoutera que, chez le Ps.-Évagre, on trouve, sous forme d’un intertitre, la
suite ΠΙΠΙ ὁ θεός. Ce genre d’association est attesté également dans les frag-
ments sur les Psaumes édités par C. Wessely. Dans ces fragments, le texte du
Ps 68, 31 présente la leçon τὸ ὄνομα τοῦ ‫ י הוה‬θεοῦ, là où la Septante a sim-
plement τὸ ὄνομα τοῦ θεοῦ61. C. Wessely avait déjà remarqué le parallèle avec
le Ps.-Évagre et semble avoir reconnu dans cette association du tétragramme et
de θεός (et non plus de κύριος), une façon spécifique de rendre le tétragramme.
Mais plutôt qu’une « leçon », c’est-à-dire d’un état du texte proprement dit, sans
doute s’agit-il d’une séquence associant le texte biblique à une glose. Dans le cas
du Ps.-Évagre, ὁ θεός apparaît ainsi comme une glose expliquant le tétragramme.
Inversement, dans le fragment de C. Wessely, c’est le tétragramme qui semble
gloser le mot θεοῦ. Ces deux témoins refléteraient donc moins un état du texte
qu’une exégèse particulière associant le tétragramme non plus à κύριος, qui en
est en principe la traduction dans la Septante, mais à θεός, considéré sans doute,
dans ce cas, comme le référent du tétragramme. On ne peut manquer à ce titre de
rapprocher ces deux textes d’un passage des Homélies sur Ézéchiel dans lequel
Origène écrit à propos d’Ez 14, 14 : « Le premier nom de Dieu est de quatre lettres,
ce qui se comprend sur le plan naturel (naturaliter = φυσικῶς ?) comme signi-
fiant ‘Dieu’62. » Autrement dit, pour Origène, le tétragramme exprime la nature de
Dieu en tant que tel (θεός). Nous verrons que, comme Eusèbe, c’est le caractère
indicible du nom divin qui, dans son esprit, fait de ce nom, parmi tous les noms
divins, celui qui exprime la divinité en tant que telle63.

61. Ce témoignage est d’autant plus intéressant qu’il concerne un Psaume commenté par
Eusèbe (voir appendice, textes 24-25).
62. Appendice, texte 31.
63. La référence qui est faite dans ce texte à la « nature » exprimée par le mot rappelle aussi le
développement qu’Eusèbe consacre au tétragramme dans le chapitre de la PE consacré au rapport
entre les noms et les choses (XI, 12). Nous avons montré que ce développement a sans doute
Origène pour source (voir note 1). Le passage des Homélies sur Ézéchiel en constitue une preuve
de plus.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 223

Eusèbe connaît-il un état du texte analogue, associant étroitement tétragramme


et κύριος ou θεός ? C’est tout à fait possible :
– D’abord, il désigne une fois le tétragramme au moyen du mot ἐπισημείωσις64.
La signification de ce terme est difficile à préciser. Il peut n’avoir aucun
sens technique particulier et être quasiment synonyme de σημείωσις65. S’il
faut cependant donner un sens fort au préverbe ἐπι-, on pourrait comprendre
qu’il désigne une indication fournie à côté et y voir un synonyme du terme
παρασημείωσις utilisé par le Ps.-Évagre66. Dans un prologue sur les Psaumes
attribué à Origène, mais peut-être d’Eusèbe, le même terme (παρασημείωσις)
sert à désigner l’indication récurrente διάψαλμα dans le Psautier67. Or cette
indication, dans le Codex Sinaiticus, par exemple, est toujours donnée en encre
rouge et à la ligne : elle apparaît pratiquement comme un intertitre, c’est-à-dire
un élément paratextuel. Nous disposons donc d’au moins un texte où le terme
παρασημείωσις désigne bien un élément donné à côté (dans le Sinaiticus, en
l’occurrence, donné non à gauche ou à droite, mais à la ligne, entre deux portions
de texte). Un autre emploi, chez Socrate le Scolastique, a traditionnellement été
interprété d’une façon analogue68. On en trouve encore un chez Eusèbe, proba-
blement avec le même sens69. Le mot ἐπισημείωσις peut, en principe, avoir la
même signification, ou une signification proche. Il sert peut-être à désigner un
élément paratextuel.

64. Texte 16. Voir encore l’usage du verbe ἐπισημαίνεσθαι (texte 24). Le texte 16 contient
la seule occurrence du substantif au singulier dans toute l’œuvre d’Eusèbe. Il existe une autre
occurrence, au pluriel, en HE, VI, 24, 3, à propos des notes laissés par Origène sur le manuscrit de
ses Stromates (une souscription ? un colophon ?).
65. Le  tétragramme  est,  de  fait,  désigné  deux  fois  comme  une  σημείωσις  (textes  3,  9).  On 
peut rapprocher de ce terme le verbe σημαίνειν utilisé dans l’expression τοῦ … διὰ τοῦ
τετραγράμμου σημανθέντος Θεοῦ (texte 19). Inversement, il reste théoriquement possible,
si ἐπισημείωσις a un sens technique, que σημείωσις ait la même signification…
66. Appendice, texte 29.
67. Le texte est très clair : ἡ τοῦ διαψάλματος παρακεῖσθαι παρασημείωσις
(Hypomnema sur les Psaumes, éd. C. bandt, « Das Hypomnema des Origenes zu den Psalmen
– eine unerkannte Schrift de Eusebius », Adamantius, 19, 2014, p. 395-436). On notera tout de
même que, d’après l’apparat critique, certains manuscrits donnent σημείωσις.
68. HE, I, 13 (12). L’historien affirme avoir trouvé la date du concile de Nicée dans des
παρασημειώσεις. Pour P. maraval, il s’agirait de notes marginales (Sources chrétiennes
[SC] 477, Paris, p. 165). Mais peut-être le mot, au pluriel ici, désigne-t-il dans ce contexte une
souscription ou un colophon.
69. En HE, I, 9, 3, eUSèbe  évoque  une  παρασημείωσις  dans  le  texte  des Actes  de  Pilate, 
indiquant l’époque du récit. Sans doute ce mot désigne-t-il un titre ou un intertitre, ou encore
une note marginale. eUSèbe emploie encore le terme dans le Contre Marcel pour désigner les
« annotations » qu’il s’apprête à proposer contre son adversaire (I, 1, 6). Le mot, ici, désigne des
commentaires brefs, mais renvoie probablement indirectement à l’annotation dont Eusèbe avait
garni son exemplaire du traité de Marcel.
224 SÉBASTIEN MORLET

– À deux reprises70, Eusèbe évoque la présence d’un tétragramme là où la


Septante a en principe θεός (et non κύριος), et le TM ‫אלהים‬. On pourrait n’y
voir qu’une méprise d’Eusèbe si ce dernier, dans le second cas, n’évoquait très
précisément « le Dieu indiqué plus haut – ou : le Dieu supérieur indiqué – par
le tétragramme ». Peut-être donc Eusèbe disposait-il d’un texte qui, à côté de
θεός, donnait l’indication  ‫ יהוה‬ou ΠΙΠΙ, comme dans les deux exemples que
nous avons déjà évoqués.
Une autre possibilité serait que le mot ἐπισημείωσις, chez Eusèbe, fasse allu-
sion à une note marginale. Dans le Codex Marchalianus (= Vaticanus 2125), qui
date du vIe s., on trouve, de fait, un très grand nombre de scholies marginales (400,
selon A. A. Vööbus71) indiquant la présence du tétragramme dans l’hébreu72. Ces
notes sont d’autant plus intéressantes que, si elles semblent avoir été portées sur
le manuscrit après Eusèbe – peut-être peu de temps après la copie du texte, au
vIe s. –, leur fond peut être plus ancien. Le Marchalianus comporte, de fait, des
souscriptions de Pamphile et d’Eusèbe qui témoignent de leur travail de copie
des Hexaples ou de la recension hexaplaire ainsi que des scholies qu’ils avaient
ajoutées au texte. La livre d’Isaïe comporte ainsi la souscription suivante :
Μετελήφθη ὁ Ἠσαίας ἐκ τῶν κατὰ τὰς ἐκδόσεις Ἑξαπλῶν, ἀντεβλήθη δὲ
καὶ πρὸς ἕτερον Ἑξαπλοῦν73.
« Isaïe a été copié à partir des éditions ‘Hexaples’ – ou, mais moins probablement :
des manuscrits conformes à l’édition des Hexaples – et a été collationné à partir d’un
autre Hexaple. »
Plus intéressante encore est la souscription du livre d’Ézéchiel :
Μετελήφθη ἀπὸ τῶν κατὰ τὰς ἐκδόσεις Ἑξαπλῶν καὶ διορθώθη ἀπὸ
τῶν Ὠριγένους αὐτοῦ Τετραπλῶν, ἅτινα καὶ αὐτοῦ χειρὶ διώρθωτο καὶ
ἐσχολιογράφητο, ὅθεν Εὐσέβιος ἐγὼ τὰ σχόλια παρέθηκα. Παμφίλος καὶ
Εὐσέβειος διορθώσαντο.
« [Le texte] a été copié à partir des éditions ‘Hexaples’ – ou, moins probablement : des
manuscrits conformes à l’édition des Hexaples. Il a été corrigé à partir des Tétraples
d’Origène lui-même, qui avaient été corrigés et accompagnés de scholies par sa
propre main. C’est à partir de cette source que moi, Eusèbe, j’ai ajouté les scholies.
Pamphile et Eusèbe ont fait la correction. »
La traduction de ces textes est très difficile et soulève de gros problèmes quant
à la nature des « Hexaples » ou des « Tétraples » qui y sont évoqués. Peu importe
pour nous. Ce qui paraît clair, en revanche, c’est qu’Eusèbe avait introduit des

70. Textes 16 et 19.


71. The Book of Isaiah…, p. 27-30.
72. Sur ce manuscrit, voir H. B. SWete, An Introduction to the Old Testament in Greek,
Cambridge, 1900, p. 144-145 ; R. devreeSSe, Introduction…, p. 127 ; 138 ; G. dorIval –
m. Harl – o. mUnnIcH, La Bible grecque des Septante, Paris, 1988, p. 135. Un bref sondage
permet de constater que le tétragramme apparaît en hébreu, en écriture carrée.
73. Pour ces textes, voir R. devreeSSe, Introduction…, p. 123-124.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 225

scholies dans le texte biblique et que ces scholies, manifestement, avaient pour
auteur Origène74. Il est donc difficile de ne pas associer ces scholies aux notes mar-
ginales que l’on trouve dans le Marchalianus, d’autant que celles-ci correspondent
aux intérêts exégétiques de l’évêque de Césarée. Il paraît donc tout à fait possible
qu’Eusèbe ait disposé d’un texte biblique dans lequel la présence du tétragramme
était indiquée dans les marges : des exemplaires d’Origène lui-même ou des copies
de ces derniers, celles qu’il avait effectuées avec Pamphile ou d’autres.
On voit que les possibilités sont multiples et qu’il est impossible de savoir
précisément de quels états du texte témoignent les observations d’Eusèbe. La
seule consultation des Hexaples pourrait suffire à expliquer l’intégralité de sa
documentation. Mais peut-être avait-il plusieurs sources : à côté de la synopse, la
recension hexaplaire, et peut-être d’autres manuscrits de la Septante. Nous verrons
cependant qu’Eusèbe a probablement une autre source et qu’il convient, pour cette
raison, de rester prudent. S’il s’inspire de cette source, son témoignage pourrait
finalement nous renseigner davantage sur la documentation de cette dernière que
sur la sienne propre.

III. – l’exégèSe dU tétragramme cHez eUSèbe


Eusèbe mentionne 22 fois la présence ou l’absence du tétragramme dans un
contexte exégétique. À l’exception d’un bref commentaire dans la Préparation
évangélique (cf. Appendice, texte 4), ces commentaires interviennent dans :
– les Extraits prophétiques, qui constituaient les livres VI à IX de l’Introduction
générale élémentaire, composée sans doute dans les dernières années de la
Grande Persécution (303-313) ;
– la Démonstration évangélique, composée entre 313 et 333 ;
– le Commentaire sur les Psaumes, écrit probablement après 326.
Ces trois ouvrages, rappelons-le, correspondraient, selon C. Curti, auteur du
premier essai de synthèse sur l’exégèse d’Eusèbe, aux trois étapes d’une évolu-
tion intellectuelle au cours de laquelle l’évêque de Césarée aurait développé une
exégèse de plus en plus littérale de l’Écriture. Cette évolution aurait constitué
par ailleurs un processus au cours duquel Eusèbe se serait peu à peu dépris de
l’influence d’Origène75.
Il convient de garder à l’esprit ces hypothèses pour bien saisir les enjeux de ce
dossier. L’analyse de Curti est intéressante, mais elle est grevée par une concep-
tion trop simpliste de l’exégèse d’Origène (identifiée sans plus de précision à une

74. On peut mettre en lien cette remarque avec les deux gloses signalées par A. A. vööbUS
(The Book of Isaiah…, p. 30 n. 151) : ΠΙΠΙ ωρ’ (Is 21, 8) et ΠΙΠΙ ουτως ωρ’ (Is 28, 6).
75. « L’esegesi di Eusebio di Cesarea : caratteri e sviluppo », dans Le trasformazioni della
cultura nella Tarda Antichità, Atti del Convegno tenuto a Catania, Università degli Studi, 27 Sett.
– 2 Ott. 1982, I, Roma, 1985, p. 459-478.
226 SÉBASTIEN MORLET

exégèse spirituelle) ; elle est contredite à première vue par un grand nombre de
traits récurrents dans l’exégèse d’Eusèbe, tout au long de sa vie ; elle ne prend
pas en compte, enfin, la différence des genres littéraires pratiqués par Eusèbe, qui
pourrait a priori expliquer un certain nombre d’écarts entre les trois œuvres76.
La plupart des remarques d’Eusèbe sur le tétragramme interviennent dans des
commentaires sur la Genèse et l’Exode, d’une part, et sur les Psaumes, d’autre
part. Or, à une exception près, il existe une différence notable dans la façon dont
Eusèbe appréhende ces deux types de textes. Dans la Genèse, l’Exode et les
Nombres, ainsi que dans un seul Psaume, le Ps 90, il commente le tétragramme
comme une désignation du Christ. Dans les Psaumes, au contraire, à l’exception
du Ps 90, il interprète le nom divin comme une désignation du Père.
a) Première interprétation : le tétragramme désigne le Christ
La première interprétation intervient le plus souvent dans les commentaires
qu’Eusèbe consacre aux théophanies bibliques77. Comme ses prédécesseurs,
Eusèbe cite les théophanies comme des preuves de l’existence d’une seconde
personne divine. Son argument repose sur un syllogisme, la plupart du temps
implicite :
– l’Écriture dit que « Dieu » (θεός) apparaît, ce qui prouve que le personnage
n’est pas un ange, mais bien Dieu lui-même ;
– or le Dieu suprême est immuable et invisible ;
– il faut donc supposer l’existence d’un autre Dieu, inférieur au premier, qui, à la
différence du Dieu suprême, peut se rendre visible.
Il est des cas cependant où l’Écriture est moins claire et nomme le personnage
apparu non pas « Dieu » (θεός), mais « Seigneur » (κύριος). Dans ce cas, il paraît
a priori plus difficile de savoir s’il s’agit de Dieu ou de l’un de ses anges. C’est
pour résoudre l’obscurité du texte grec qu’Eusèbe renvoie au texte hébreu78.
Eusèbe sait que le mot κύριος peut traduire selon les cas un tétragramme ou
ce qu’il appelle « les lettres plus communes », c’est-à-dire ‫( אדני‬Adonai). Si c’est

76. Nous avons, en ce sens, émis quelques réserves à l’égard de sa thèse (La Démonstration
évangélique…, p. 621-622).
77. Voir, dans l’appendice, les textes 5 à 17.
78. Voir textes 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 16. Recours analogue à l’hébreu en EP, II, 1, à propos
du Ps 1, 1 (ἀνήρ) : l’hébreu contenant un article non traduit en grec, on doit penser que l’Écri-
ture renvoie non pas à tout type de juste, mais au Juste par excellence, c’est-à-dire au Christ.
L’argument semble remonter à Origène (voir É. goffInet, « Recherches sur quelques fragments
du commentaire d’Origène sur le premier Psaume », Le Muséon, 76, 1963, p. 145-163 [fr. 3]). Voir
également notre étude « Origen as an Exegetical Source in Eusebius’ Prophetical Extracts », dans
Eusebius of Caesarea: Tradition and Innovations, éd. A. Johnson – J. Schott, Washington, 2013,
p. 207-237 (p. 215-216).
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 227

un tétragramme, l’hébreu démontrerait, selon Eusèbe, qu’il s’agit bien de Dieu,


et non d’un ange. La conséquence de cet emploi polémique du tétragramme, c’est
que le nom divin se trouve de fait interprété comme l’une des désignations possi-
bles du Christ.
Plus rarement, Eusèbe propose une interprétation christologique du tétragramme
lorsque, dans le texte biblique, le « Seigneur » désigné par le nom ineffable se
trouve distingué d’un autre Seigneur, nommé de la même façon ou d’une manière
qui ne laisse aucun doute, selon lui, sur sa qualité de Dieu suprême. Il note ainsi
qu’en Gn 19, 23 – le Seigneur fit pleuvoir d’auprès du Seigneur –, le mot κύριος
traduit à deux reprises le tétragramme79. En Ex 33, 19, le Seigneur désigné par
le tétragramme dit : j’invoquerai dans le nom du Seigneur80. Dans le Ps 90, 9
– parce que toi, Seigneur, tu as fait du Très-Haut ton refuge –, Eusèbe note que
le « Seigneur » en question est désigné en hébreu par le tétragramme81. Ces cas
montrent, selon l’exégète, qu’il y a deux personnes divines. Les deux derniers cas
montreraient même qu’il existe une hiérarchie entre les deux, l’un étant désigné
par le nom propre de la divinité, et l’autre par une appellation plus commune82.
b) Seconde interprétation : le tétragramme désigne le Père
À l’exception du seul Ps 90, chaque fois qu’il commente un Psaume, Eusèbe
propose une interprétation totalement différente du tétragramme83. Mais cette
interprétation n’est pas propre au Commentaire sur les Psaumes. On la trouve
aussi dans la Préparation et la Démonstration évangélique. Cette interprétation
différente du tétragramme n’est donc pas liée, a priori, à une évolution d’Eusèbe.
On devait par conséquent la retrouver également dans les Extraits prophétiques,
dont le livre II, consacré aux Psaumes, est presque entièrement perdu84.
Hors du Commentaire sur les Psaumes, cette interprétation n’est conservée qu’à
propos du Ps 109, 1 – Le Seigneur dit à mon Seigneur : siège à ma droite. Dans
ce passage, note Eusèbe, le premier Seigneur est désigné par un tétragramme,

79. Texte 9.
80. Texte 13.
81. Texte 17.
82. Dans un commentaire sur Ex 34, 6 (textes 14-15), Eusèbe interprète dans le même sens
le fait que le Seigneur désigné par le tétragramme évoque un autre Seigneur nommé par deux
tétragrammes.
83. Voir, dans l’appendice, les textes 18 à 26.
84. Voir la tentative de reconstitution de G. dorIval, « Remarques sur les ‘Eklogai prophé-
tiques’ d’Eusèbe de Césarée », dans “Philomathestatos”: Studies in Greek and Byzantine Texts
Presented to Jacques Noret for his Sixty-Fifth Birthday = Études de patristique grecque et
textes byzantins offerts à Jacques Noret à l’occasion de ses soixante-cinq ans, éd. B. Janssens –
B. Roosen – P. Van Deun, Leuven, 2004, p. 203-224.
228 SÉBASTIEN MORLET

et le second, « d’une autre façon », « d’une façon particulière » (le TM a ‫אדני‬,


Adonai)85. D’après la Préparation évangélique, le premier Seigneur désignerait
donc le « premier Dieu », c’est-à-dire le Père, et le second, le « second », c’est-à-
dire le Christ86. La même interprétation est reprise dans le Commentaire sur les
Psaumes87.
Ce dernier est le premier commentaire conservé sur le Psautier que nous
puissions lire d’une façon substantielle. Il est cependant gravement amputé et ne
concerne, en tradition directe, que les Psaumes 51 à 9588. On peut, dans certains
cas, le compléter au moyen de citations caténaires dont l’attribution à Eusèbe n’est
pas toujours sûre. Dans ce commentaire, Eusèbe évoque le tétragramme à propos
des Ps 67, 68, 89 et 109 (ce dernier Psaume étant mentionné rapidement dans
une exégèse du Ps 67). Chaque fois, Eusèbe interprète le tétragramme comme un
nom du Père. Et c’est cette fois l’absence de tétragramme, c’est-à-dire l’usage des
« lettres communes » (Adonai) qui lui paraît désigner le Christ, par opposition à
son Père.
Ce qui est frappant, c’est que, dans le Commentaire sur les Psaumes,
Eusèbe conserve l’exégèse christologique du Ps 90 qu’il propose aussi dans la
Démonstration évangélique. Mais cette fois, il s’abstient de signaler l’existence
du tétragramme derrière le mot κύριε utilisé au v. 9, qu’il continue pourtant
d’identifier comme une désignation du Christ89. Ce silence sur le tétragramme
s’explique peut-être par le fait que, dans tous les autres passages conservés du
Commentaire sur les Psaumes, le nom divin n’est interprété que comme un nom
du Père. Si ce silence est significatif, ce que nous croyons, il permet de penser que
l’interprétation non christologique du tétragramme – lorsqu’il était mentionné par
Eusèbe – était systématique dans le Commentaire.
Si l’on excepte le Ps 90, il y a donc une différence notable dans la façon dont
Eusèbe interprète le tétragramme dans la Genèse et l’Exode d’une part, et dans le
Psautier d’autre part. Cette différence s’explique avant tout par les contingences
du texte biblique plutôt que par une évolution intellectuelle d’Eusèbe – absolu-
ment hors de cause ici.

85. Textes 4 et 18.


86. Texte 4 (PE, XI, 14, 2-3).
87. Texte 21 (PG 23, 705, 53 – 708, 10).
88. Voir M.-J. rondeaU, Les commentaires patristiques du Psautier (iiie-ve siècles), I, Roma,
1982, p. 64-75.
89. Texte 26 (PG 23, 1128, 23-26).
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 229

Iv. – orIgène, SoUrce d’eUSèbe


Il existe de sérieuses raisons de penser qu’une grande partie de ce qu’Eusèbe
croit savoir sur le tétragramme provient de son maître spirituel Origène. Cette
hypothèse n’a rien d’étonnant : Origène apparaît, en général, comme sa source
exégétique majeure90.
L’œuvre d’Origène, transmise, comme on le sait, d’une façon très lacunaire,
contient cependant quatre, voire cinq textes relatifs au tétragramme. Ces textes
sont tous fournis en appendice91. Il convient d’y ajouter 8 textes de Jérôme qui,
de toute évidence, reflètent l’interprétation d’Origène92. Dans tous ces textes,
le problème qui se pose à Origène est identique à celui d’Eusèbe : il s’agit de
savoir quel mot hébreu traduit le mot grec κύριος. Comme Eusèbe, Origène dis-
tingue deux cas de figure : tantôt κύριος traduit le tétragramme, tantôt il traduit 
l’appellation commune Adonai. Enfin, Origène utilise, pour désigner le tétra-
gramme, les mêmes expressions qu’Eusèbe : ἀνεκφώνητον παρ’ Ἑβραίοις, τὸ
ἀνεκφώνητον ὄνομα, διὰ τεσσάρων στοιχείων93, ἄρρητον, τὸ ἄρρητον
ὄνομα94. Pour désigner le nom « Adonai », il parle des « lettres communes »

90. L’essentiel de la recherche sur les rapports d’Origène et d’Eusèbe a concerné leur exégèse
du Psautier : C. cUrtI, « L’interpretazione di Ps 67, 14 in Eusebio di Cesarea. La sua fortuna
presso gli esegeti greci e latini del Salterio », dans Paradoxos Politeia. Studi patristici in onore di
Giuseppe Lazzati, éd. R. Cantalamessa – L. F. Pizzolato, Milano, 1980, p. 195-207 ; F. carPIno,
« Origene, Eusebio e Ilario sul Salmo 118 », Annali di storia dell’esegesi, 3, 1986, p. 57-64 ;
L. tUccarI, « Eusebio e Basilio sul Salmo 59 », Annali di storia dell’esegesi, 4, 1987, p. 143-
149 ; S. morlet, La Démonstration évangélique…, p. 592-622 ; Id., « Origen as an Exegetical
Source… » ; C. bandt, « Reverberations of Origen’s Exegesis of the Psalms in the Work of
Eusebius and Didymus », dans Origeniana decima, Leuven, 2011, p. 891-905 ; Id., « Some
Remarks on the Tone of Eusebius’ Commentary on Psalms », dans Studia patristica, 66, Leuven,
2013, p. 143-149. Pour d’autres livres bibliques, voir C. Sant, The Old Testament Interpretation
of Eusebius of Caesarea, Dissertatio ad Lauream in Re Biblica apud Pontificium Institutum
Biblicum obtinendam moderatore P. A. Vaccari S. J. Scripta, Roma, 1964 (first part published
under the title The Old Testament Interpretation of Eusebius of Caesarea. The Manifold Sense of
Holy Scripture, Valletta, 1967) ; J.-N. gUInot, « L’héritage origénien des commentateurs grecs du
prophète Isaïe », dans Origeniana quarta, Innsbruck – Wien, 1987, p. 379-389 ; M. J. HollerIcH,
« Origen’s Exegetical Heritage in the Early Fourth Century: the Evidence of Eusebius », dans
Origeniana quinta, Leuven, 1992, p. 542-547 ; G. dorIval, « Un astre se lèvera de Jacob.
L’interprétation ancienne de Nombres 24, 17 », Annali di storia dell’esegesi, 13, 1996, p. 295-
353 ; S. morlet, « Le commentaire d’Eusèbe de Césarée sur Is 8, 4 dans la Démonstration
évangélique (VII, 1, 95-113) : ses sources et son originalité », Adamantius, 13, 2007, p. 52-63 ;
Id., La Démonstration évangélique…, p. 585-622.
91. Textes 27 à 31.
92. Textes 32 à 39.
93. Pour ces trois tournures, voir le texte 29.
94. Pour ces deux tournures, voir le texte 30.
230 SÉBASTIEN MORLET

(communibus litteris, dans le latin de Rufin)95, qui rappelle de très près l’expres-
sion κοινά στοιχεῖα chez Eusèbe96. La seule différence lexicale notable entre les
deux auteurs est qu’Origène, dans les textes conservés, emploie toujours le mot
τετραγράμματον, là où Eusèbe utilise τετράγραμμον97.
Les traditions qu’Origène associe au tétragramme sont les mêmes que celles
que transmet également Eusèbe : le tétragramme désignerait en propre la divi-
nité98 ; il était inscrit sur le bandeau du grand prêtre99 ; lorsque κύριος ne traduit
pas un tétragramme, il renvoie au maître par opposition à ses esclaves100. Origène
connaît cependant des traditions qui ne figurent pas chez Eusèbe. Il croit savoir
que les juifs le prononcent « Adonai »101 et que, dans les manuscrits exacts, le
tétragramme est écrit au moyen des anciens caractères hébraïques, caractères qui
seraient antérieurs à l’époque d’Esdras102.
L’ensemble de ces remarques tend à montrer que le savoir d’Eusèbe est au
moins en partie dépendant d’Origène. Sa démarche exégétique s’inscrit visible-
ment dans le sillage de celle du maître. On pourrait être tenté, pour cette raison,
de penser que, lorsqu’il mentionne le tétragramme dans l’hébreu, ou son absence,
Eusèbe n’a pas d’autre source d’information qu’un commentaire d’Origène qu’il
est peut-être en train de recopier. Il reste techniquement possible qu’Eusèbe ait
aussi profité de la documentation manuscrite dont nous avons rappelé les modali-
tés. En l’absence de parallèles précis entre son œuvre et celle d’Origène, il est en
effet impossible de dire si Origène avait mentionné le tétragramme ou son absence
là où Eusèbe le fait.

95. Texte 27.


96. Texte 20.
97. Le mot τετραγράμματον paraît plus rare que τετράγραμμον (10 οccurrences contre 
42, d’après le Thesaurus Linguae Graecae). Il faut cependant se défier des données purement
quantitatives, d’autant qu’elles sont ici faussées par le poids du témoignage d’Eusèbe dans le
dossier. Ce qu’on peut relever, en revanche, c’est que, avant Origène, le mot τετραγράμματον
se trouve dans les textes juifs : PHIlon, Vie de Moïse, II, 115 et Oracles sibyllins, sec. 3, l. 24. À
la suite d’une suggestion qui nous a été faite au séminaire de Christ Church, nous faisons l’hypo-
thèse a) que τετραγράμματον était le mot utilisé par les juifs de langue grecque ; b) que la
forme τετράγραμμον, utilisée par Eusèbe, mais déjà par clément d’alexandrIe (Stromates,
V, 6, 34, 5), est une réfection de ce terme, dont les enjeux nous échappent (sont-ils purement
stylistiques?).
98. Textes 27-31.
99. Texte 29.
100. Texte 30.
101. Texte 30. Sur cet usage juif, voir TB Sota 38a.
102. Texte 28.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 231

v. – l’orIgInalIté d’eUSèbe
S’il paraît possible que les mentions du tétragramme, chez Eusèbe, dérivent au
moins en partie des commentaires d’Origène, il semble cependant que sur le plan
de l’interprétation, l’évêque de Césarée ait le plus souvent rompu avec le maître.
L’interprétation christologique du tétragramme, pour commencer, ne se trouve
dans aucun des textes conservés de l’Alexandrin. Ceux-ci tendent à montrer
d’ailleurs que, dans l’esprit d’Origène, le nom divin était un nom du Père. Dans
deux textes conservés, il apparaît comme l’un des dix noms de Dieu103. Dans un
passage des Homélies sur les Nombres, Origène est tout à fait clair sur ce point :
« En écriture hébraïque, le nom de Dieu, c’est-à-dire Dieu ou Seigneur, se trouve
écrit de plusieurs manières. Il y a une manière d’écrire ‘dieu’ pour dire n’importe
quel dieu et une autre manière quand il s’agit de Dieu en personne, de celui dont il
est dit : Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un dieu unique (Dt 6, 4). Le nom de
ce dieu d’Israël, Dieu unique et créateur de toute chose, s’écrit par un signe formé de
lettres : les Hébreux l’appellent le tétragramme. Si donc le nom de Dieu est écrit sous
cette forme dans les Écritures, il n’y a aucun doute qu’il ne s’agisse du vrai Dieu et
du créateur du monde. Mais s’il est écrit avec d’autres lettres, c’est-à-dire en lettres
ordinaires, on ne sait pas s’il s’agit du vrai dieu ou de l’un de ceux dont l’Apôtre dit :
Bien qu’il y ait, soit au ciel, soit sur la terre, de prétendus dieux – et cela fait beaucoup
de dieux et beaucoup de seigneurs ! – malgré cela, pour nous, il n’y a qu’un seul
dieu, le Père, de qui tout vient et par qui nous sommes (1 Co 8, 5-6). Ceux qui savent
l’hébreu disent que, dans ce passage, le nom de Dieu n’est pas écrit sous la forme du
tétragramme. Question à traiter par qui le peut104. »
Même si nous possédons peu de témoignages sur l’exégèse qu’Origène consa-
crait au tétragramme, ces témoignages sont suffisamment explicites pour que
l’on soit conduit à penser que l’interprétation christologique est une innovation
d’Eusèbe. On en aurait une confirmation dans un certain nombre de passages de
l’évêque de Césarée, où celui-ci semble soucieux de repousser l’application du
tétragramme au Père :
« Penser que le nom se rapporte au Père et Dieu de l’univers est inapproprié105. »
« Si bien que l’on ne doit plus douter, si cette appellation se trouve quelque part à propos
de Dieu, qu’elle n’est pas employée uniquement à propos de la nature sans génération,
mais également à propos du Verbe qui était auprès de Dieu au commencement106. »
« Mais nous, nous avons démontré qu’il se trouve aussi à propos de la divinité du
Verbe dans un très grand nombre d’Écritures107… »

103. Textes 28-29.


104. Texte 27 = Homélies sur les Nombres, XIV, 1, 3, tr. L. Doutreleau (SC 442, Paris, 1999)
légèrement modifiée.
105. Voir texte 5.
106. Texte 9.
107. Texte 17.
232 SÉBASTIEN MORLET

Quand on les compare aux textes d’Origène, on peine à ne pas interpréter ces
passages comme des prises de distance par rapport à l’exégèse du maître. La
deuxième citation est même tellement proche du passage déjà cité des Homélies
sur les Nombres qu’elle pourrait bien être une réécriture polémique d’un texte
d’Origène, celui-là ou un autre. L’usage du pronom de la première personne, dans
la troisième citation, tendrait à confirmer qu’Eusèbe avait le sentiment d’offrir là
une interprétation originale du tétragramme. Ces propos polémiques ne consti-
tuent donc pas seulement des attaques contre l’exégèse juive traditionnelle. Ils
témoignent probablement d’un dialogue d’Eusèbe avec son maître spirituel.
L’interprétation christologique du tétragramme, nous l’avons rappelé, est
absente des commentaires d’Eusèbe sur le Psautier, à l’exception de son commen-
taire sur le Ps 90, dans la Démonstration évangélique. Faut-il, pour cette raison,
estimer que, dans son exégèse des Psaumes, Eusèbe était en général plus fidèle à
l’interprétation origénienne du nom divin ?
La façon dont, à cette occasion, il applique le tétragramme au Père est, de fait,
plus conforme à ce qui semble avoir été l’usage du maître. En revanche, l’inter-
prétation christologique d’« Adonai », qui est, chez Eusèbe, le corollaire de son
application du tétragramme au Père, se trouvait-elle chez Origène ? Là encore, il y
a de sérieuses raisons de douter.
Le seul commentaire conservé qui puisse transmettre une telle exégèse d’Ori-
gène concerne le Ps 109, 1. Il est reproduit par Jérôme à deux reprises, dans ses
Commentarioli in Psalmos ainsi que dans ses Tractatus in Psalmos108. L’origine
de ce commentaire ne fait guère de doute. Dans les Commentarioli, Jérôme utilise,
de son aveu même, les homélies et les Tomoi d’Origène109. Le fait que, dans
ce texte, il emploie le mot grec τετραγράμματον est encore une indication de
sa source. Ce commentaire est identique à celui d’Eusèbe. Il consiste à opposer
le premier « Seigneur », indiqué par un tétragramme dans l’hébreu, au second
« Seigneur », désigné par une appellation commune (en l’occurrence, Adonai).
Hormis ce Psaume, rappelons-le, Eusèbe identifie encore « Adonai » au Christ
dans ses commentaires des Ps 67, 68 et 89. Était-ce aussi le cas d’Origène ? L’état
de conservation des commentaires de l’Alexandrin sur ces Psaumes n’est pas
très bon. Dans les quelques témoins disponibles, Origène ne commente jamais
l’emploi des noms divins dans les passages qui intéressent Eusèbe. Et il ne donne
pas toujours une interprétation christologique de ces Psaumes110. Les textes

108. Voir textes 33 et 39.


109. Praef., 178, 19-21 Morin.
110. Sur le Ps 67, 18 et 23, il n’existe aucun commentaire conservé d’Origène dont l’attribution
soit sûre. Dans les Commentarioli in Psalmos, à propos du Ps 67, 23, Jérôme note que c’est
Dieu – il ne dit pas : le Christ – qui nous convertit de la confusion (« Basan »). Dans les Tractatus,
en revanche, il évoque l’action du Christ ressuscité. Sur le Ps 67, 33, voir orIgène, Homélies
sur Jérémie, V, 4 et Commentaire sur le Cantique des cantiques, II, p. 116, 12 sqq. Baehrens. Il
n’y a aucun commentaire conservé d’Origène sur le Ps 68, 14 et 17. Dans les Commentarioli in
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 233

du dossier que nous rassemblons en appendice suggèrent d’ailleurs que le nom


« Adonai » était avant tout, pour Origène, l’un des dix noms de Dieu, au même
titre que le tétragramme. Dans un fragment sur Ézéchiel, Origène explique ainsi
qu’« Adonai » a deux emplois : il permet de lire le tétragramme, ou bien, dans
l’Écriture, il désigne Dieu comme un maître, par opposition à ses esclaves111.
Dans son commentaire sur le Ps 89, 1, Eusèbe fait très précisément allusion à
cette interprétation d’« Adonai » :
« Il faut observer que dans Seigneur, tu es devenu notre refuge, le mot Seigneur
n’est pas indiqué par le tétragramme dans l’hébreu, mais par les lettres qu’on écrit
communément et habituellement, celles qui sont utilisées pour désigner un homme,
quand nous appelons ‘Seigneur’ celui qui est le maître chez les hommes. En effet,
c’est selon le même principe ici aussi qu’Adonai est traduit par Seigneur. Le nom
tétragramme, qui indique la théologie indicible de Dieu, ne se trouve pas dans le
présent texte ; c’est le maître qui est nommé de façon tout à fait bien venue, pour
établir le fait qu’il a cure et qu’il a souci de ses propres serviteurs, dont il se trouve
être le refuge112. »
Mais il ajoute ensuite :
« Mais vois si, peut-être, le présent enseignement ne s’applique pas au Dieu Verbe.
En effet, le texte qui, ici, dit : Avant que les montagnes ne soient advenues et que la
terre et le monde n’aient été fabriqués, tu es, Dieu (Ps 89, 2), ne diffère guère de celui
qui, chez Salomon, au nom de la Sagesse, dit : Avant que les montagnes n’aient été
établies, avant toutes les collines tu m’engendres (Pr 8, 25)113. »

Psalmos, cependant, Jérôme note que l’ensemble du Psaume se comprend ex persona Christi. Sur
le Ps 89, 1, le Commentaire sur Matthieu, fr. 470 ; 483 (voir encore Commentaire sur Matthieu,
series, 40) n’apporte pas d’élément. Dans le De Oratione, 2, 5 ; 4, 5, en revanche, le Psaume
est envisagé, conformément à son titre en grec, comme une prière de Moïse. À propos de ce
Psaume, le témoignage de Jérôme, dans les Commentarioli comme dans les Tractatus, n’apporte
pas d’éclairage supplémentaire pour notre enquête.
111. Texte 30.
112. PG 23, 1128, 23-36 : Τηρητέον δὲ, ὅτι ἐν τῷ, Κύριε, καταφυγὴ ἐγενήθης ἡμῖν,
τὸ Κύριε οὐ διὰ τοῦ τετραγράμμου φέρεται παρ’ Ἑβραίοις, ἀλλὰ διὰ τῶν κοινῶν
καὶ συνήθων γραφομένων στοιχείων, τῶν καὶ ἐπὶ τῆς ἀνθρωπίνης προσηγορίας
ταττομένων, εἴποτε τὸν ἐν ἀνθρώποις δεσπότην, κύριον καλοῖμεν. Κατὰ τὰ αὐτὰ
γὰρ καὶ ἐπὶ τοῦ παρόντος τὸ Ἀδωναῒ ἡρμήνευται εἰς τὸν Κύριον, τοῦ τετραγράμμου
ὀνόματος, ὃ τὴν ἀπόῤῥητον τοῦ Θεοῦ θεολογίαν σημαίνει, μὴ κειμένου κατὰ
τὴν παροῦσαν λέξιν, ἀλλὰ τοῦ δεσπότου μάλιστα εὐκαίρως ὠνομασμένου, εἰς
παράστασιν τοῦ κήδεσθαι αὐτὸν καὶ φροντίζειν τῶν αὑτοῦ οἰκετῶν, ὧν καὶ
καταφυγὴ τυγχάνει.
113. Ibid. : Καὶ ὅρα μήποτε ἐπὶ τὸν Θεὸν Λόγον ἀναφέρεται ἡ παροῦσα διδασκαλία·
οὐδὲ γὰρ μακρὰν ἀπᾴδει ἡ ἐνταῦθα φήσασα λέξις· Πρὸ τοῦ ὄρη γενηθῆναι καὶ
πλασθῆναι τὴν γῆν καὶ τὴν οἰκουμένην σὺ εἶ, ὁ Θεός· τῆς παρὰ Σολομῶνι ἐκ προσώπου
τῆς σοφίας φασκούσης, Πρὸ τοῦ ὄρη ἑδρασθῆναι, πρὸ δὲ πάντων βουνῶν γεννᾷ με·
234 SÉBASTIEN MORLET

Même si nous ne possédons plus de commentaire d’Origène consacré au nom


de Dieu dans ce passage du Ps 89, il y a des raisons de penser que la première
interprétation donnée par Eusèbe correspond à celle du maître. Elle correspond,
en tout cas, à sa conception du terme « Adonai » dans les autres textes que nous
avons. La seconde interprétation, introduite par μήποτε, est peut-être l’inter-
prétation personnelle d’Eusèbe. Cet usage de μήποτε est attesté aussi dans la
tradition du commentaire philosophique114. On aurait là, dans cette hypothèse, un
nouveau témoignage d’une prise de position d’Eusèbe vis-à-vis de l’exégèse du
maître115. Pour vérifier cette possibilité, il conviendrait d’analyser, à l’échelle du
Commentaire sur les Psaumes dans son entier, la façon dont Eusèbe se situe par
rapport au maître, et la manière, par ailleurs, dont il introduit l’exégèse christolo-
gique des Psaumes.
L’interprétation christologique d’« Adonai », chez Eusèbe, est partie intégrante,
en effet, de son projet de fournir, en général, une interprétation christologique du
Psautier. Or cette grille de lecture n’était pas celle d’Origène, pour qui l’exégèse
morale des Psaumes semble avoir été primordiale, même s’il lui est arrivé de
développer plutôt, ou à côté de l’exégèse morale, une interprétation christolo-
gique. La difficulté qu’il y a à comparer Origène et Eusèbe comme exégètes du
Psautier vient avant tout de la difficulté que nous avons à évaluer précisément la
place de l’exégèse christologique dans la pratique d’Origène. Il semble acquis,
cependant, qu’Origène favorise beaucoup plus qu’Eusèbe l’interprétation morale.
Cette observation générale constitue a priori une confirmation du fait que, la plu-
part du temps, l’interprétation christologique du terme « Adonai » que l’on trouve
chez Eusèbe est vraisemblablement originale. C’est une hypothèse qu’il faudrait
tenter de vérifier.

114. Voir P. golItSIS, Les commentaires de Simplicius et de Jean Philopon à la Physique


d’Aristote, Berlin, 2008, p. 64 : « Les passages introduits avec la formule ‘μήποτε δὲ…’ (‘mais
peut-être que…’) peuvent contenir, par exemple, l’opinion propre de l’exégète, qui s’ajoute préci-
sément à celle de ses prédécesseurs relativement à un difficile problème exégétique. » L’exemple
de Simplicius et de Philopon est plus tardif que celui d’Eusèbe, mais il atteste l’existence d’une
tradition philosophique plus ancienne qui influence probablement la pratique de l’évêque de
Césarée. Le commentaire qu’Eusèbe consacre au Psaume suivant (90), dans le Commentaire
sur les Psaumes, témoigne peut-être, dès le prologue, d’un emploi analogue du μήποτε :
« Mais peut-être le texte n’est-il pas un Psaume, mais une prophétie contenant des doctrines plus
profondes sur le Christ et ce qui s’accomplit en lui » (Μήποτε δὲ οὔτε ψαλμὸς τυγχάνει,
ἀλλά τις προφητεία βαθυτέρους περιέχουσα λόγους περὶ Χριστοῦ καὶ τῶν ἐν αὐτῷ
τελειουμένων, PG 23, 1140, 52-54). Nous verrons de fait qu’Eusèbe introduit ici une interpré-
tation christologique du texte qui prend le contre-pied de celle d’Origène.
115. Pour d’autres exemples de prises de position similaires, qui concernent l’exégèse
christologique, voir S. morlet, La Démonstration évangélique…, p. 617-621 ; « Origen as a an
Exegetical Source… ».
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 235

En d’autres termes, l’interprétation christologique, tant du tétragramme que de


l’absence du tétragramme (« Adonai »), peut avoir constitué un trait spécifique de
l’exégèse d’Eusèbe.
Nous avons la chance, malgré le naufrage des commentaires, tant d’Eusèbe que
d’Origène, de pouvoir confirmer l’importance que revêtait l’exégèse christolo-
gique aux yeux de l’évêque de Césarée et combien, sur ce point, ses commentaires
doivent avoir pris leurs distances par rapport à ceux d’Origène. Nous connaissons
bien, en effet, leur exégèse du Ps 90.
Grâce aux Commentarioli et aux Tractatus de Jérôme (ancienne et nouvelle
collection)116, mais surtout, grâce à un nombre important de passages conservés
dans l’œuvre même d’Origène, ce qui est assez rare, nous savons non seulement
que ce dernier appliquait le Psaume 90 au cas du juste, mais encore, qu’il refusait
explicitement son application au Christ, sous prétexte qu’il s’agit de l’exégèse
du Diable (cf. Mt 4, 6), et que ce qui est dit du personnage, dans le Psaume, ne
conviendrait pas au Christ117. Il écrivait par exemple :
« Le diable fut d’avis que ce passage devait être appliqué au Sauveur, mais aveuglé
par sa malice, il ne comprit pas les paroles mystiques ; car mon Sauveur ne manquait
pas d’anges pour ne pas endommager son pied sur la pierre. Le diable calomnie
l’Écriture divine en affirmant que ces paroles concernent le Sauveur ; ce n’est pas
lui qu’elles concernent, mais tous les justes […]. Mais tout ce qui est écrit dans ce
Psaume convient davantage à chaque juste qu’au Sauveur118. »
Eusèbe, au contraire, applique l’intégralité du Psaume au Christ, dans la
Démonstration évangélique comme dans le Commentaire sur les Psaumes.
L’exégète insiste très souvent sur le fait que le Psaume ne peut s’appliquer qu’au
Christ, à l’exception de tout autre. Dans la Démonstration, il écrit ainsi :

116. Commentarioli in ps. XC, p. 127-133 Morin ; Tractatus in psalmum XC, p. 224-225
Morin. Tractatus in psalmum XC (series altera), p. 420-424 Morin. L’exégèse christologique est
proposée à la fin du commentaire des Commentarioli, avec la précision « ut plerique uolunt ».
Mais sans doute s’agit-il d’une intervention de Jérôme.
117. Voir par exemple Contre Celse, VII, 70 ; Homélies sur le Lévitique, 16, 6 ; Homélies sur
Josué, 11, 6 ; Homélies sur les Juges, 4, 2 ; Fr. sur Luc, 99 ; Homélies sur Luc, 31, p. 178 Rauer ;
Commentaire sur Matthieu, fr. 65. Le refus de l’exégèse christologique est, dans le cas de ce
Psaume, tellement récurrent et explicite qu’on peut considérer que c’était là l’exégèse constante
d’Origène. La même observation permet de douter de l’attribution à l’Alexandrin du fragment sur
Jérémie (p. 211, 19 Klostermann), qui applique le Psaume au Christ.
118. « Quod quidem dictum putauit diabolus de Saluatore accipiendum, sed excaecatus malitia
non intellexit eloquia mystica ; neque enim Saluator meus angelis indigebat, <ut non offenderet
ad lapidem pedem suum>. Calumniatur diabolus Scripturam diuinam, qui haec de Saluatore dicta
protulerit ; non de illo, sed de omnibus sanctis hoc dicitur […]. Sed et omnia, quae in hoc psalmo
scripta sunt, iustis quibusque magis quam Salvatori conueniunt » (Homélies sur les Nombres,
V, 3).
236 SÉBASTIEN MORLET

« Celui-ci était le seul assurément à avoir son Père et aucun autre comme refuge
au moment de la tentation du diable et à avoir été sauvé des rets des puissances
adverses119… »
« En effet, il lui appartenait, à lui seul, de détruire, par sa puissance divine, les
puissances passablement mauvaises du mal ainsi que leur chef à toutes, le tyran de
ce siècle120. »
Ce genre d’insistance est classique dans l’argumentation antijuive que déve-
loppe la Démonstration. Eusèbe cherche constamment à montrer que le texte
qu’il commente ne peut s’appliquer qu’à Jésus, et à aucun autre. Mais quand on
compare son commentaire avec celui d’Origène, on peut soupçonner que ces
passages sont aussi dirigés contre l’exégèse du maître. La polémique se poursuit
d’ailleurs dans le Commentaire sur les Psaumes, qui est moins directement lié à la
controverse avec l’exégèse juive :
« Mais peut-être le texte n’est-il pas un Psaume, mais une prophétie contenant des
doctrines plus profondes sur le Christ et ce qui s’accomplit en lui121. »
« Et si l’on comprend cela du Christ de Dieu, qui est ici nommé Seigneur, comme dans
d’autres passages, on ne s’écartera pas de la vérité122. »
L’exégèse d’Origène sur le v. 9, qui comporte un tétragramme en hébreu, n’est
pas conservée en grec. Mais elle est sûrement reproduite par Jérôme dans les
Tractatus. Pour résoudre la difficulté posée par ce verset difficile – parce que toi,
Seigneur, tu es mon espoir et tu as fait du Très-Haut ton refuge –, Jérôme suppose
un changement de personne, selon un procédé, dit-il, courant dans le Psautier :
« Mais à présent la personne change, et en considération du juste, il est fait cette
réponse au Seigneur : parce que toi, Seigneur, tu es mon espoir. Celui en effet qui
dit cela, c’est le juste. Tu as fait du Très-Haut ton refuge. De nouveau, la personne
change : et les Psaumes sont obscurs, pour cette raison que très souvent les personnes
changent. Alors, en effet, que le juste s’adresse au Seigneur, et dit : parce que toi,
Seigneur, tu es mon espoir, il entend du Seigneur : tu as fait du Très-Haut ton
refuge123. »
L’hypothèse d’un changement de personne permet de conserver l’exégèse
morale du Psaume : la première partie du verset (parce que toi, Seigneur, tu es

119. DE, IX, 7, 4.


120. DE, IX, 7, 26.
121. Μήποτε δὲ οὔτε ψαλμὸς τυγχάνει, ἀλλά τις προφητεία βαθυτέρους
περιέχουσα λόγους περὶ Χριστοῦ καὶ τῶν ἐν αὐτῷ τελειουμένων (PG 23, 1140, 52-54).
122. Εἰ δέ τις ταῦτα ἐκλάβοι ἐπὶ τὸν Χριστὸν τοῦ Θεοῦ, καὶ ἐνταῦθα Κύριον, ὥσπερ
οὖν καὶ ἐν ἄλλοις ὠνο-μασμένον, οὐκ ἂν διαμάρτοι τῆς ἀληθείας· (PG 23, 1152, 27-29).
123. « Nunc autem persona mutatur, et ex contemplatione iusti domino respondetur : quoniam
tu domine spes mea. Qui enim haec dicit, iustus est. Altissimum posuisti refugium tuum. Iterum
persona mutatur : et ideo psalmi obscuri sunt, quia saepissime personae mutantur. Dum enim
iustus dominum inprecatur, et dicit, quoniam tu domine spes mea ; audit a domino, altissimum
posuisti refugium tuum » (Tractatus in psalmum XC [series altera], 8-9, p. 423 Morin).
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 237

mon espoir) serait prononcée par le juste, à l’attention de Dieu ; la seconde (tu as
fait du très-Haut ton refuge), serait dite par Dieu, à l’attention du juste. Autrement
dit, le « Seigneur » et le « Très-Haut » seraient le même personnage – Dieu le Père.
Jérôme ne dit rien du fait que le tétragramme est utilisé dans la première partie du
verset. Qu’il l’ait ou non signalé, Origène devait le savoir. On le voit, l’exégèse
des Tractatus permet aussi de préserver ce qui semble avoir été l’interprétation
origénienne du nom divin, considéré comme une désignation du Père.
Eusèbe, au contraire, repousse l’hypothèse d’un changement de personne dans
le verset et préfère lire le passage d’une façon unitaire (ἑνικῶς) :
« Il dit tout dans un seul énoncé, comme à l’attention d’un être unique, et y relie
ces mots : Parce que toi, Seigneur, mon espoir, tu as fait du Très-Haut ton refuge. Il
établit très clairement que c’est le Seigneur à qui il disait tout cela. En effet, aucun
changement de personne n’intervient entre temps. Le texte a tout relié sous un seul
sens, comme à l’attention d’un être unique, et il a établi qui pouvait être ce personnage,
en l’éclairant ensuite par ces mots : Parce que toi, Seigneur, mon espoir, tu as fait du
très-Haut ton refuge. En effet, puisque toi, dit le texte, Seigneur, en qui j’ai placé mon
espoir, tu as fait du Très-Haut, c’est-à-dire le Dieu suprême, ton Père, ton refuge124. »
Le fait qu’Eusèbe précise explicitement qu’il n’y a pas de changement de per-
sonne montre, une fois encore, qu’il cherche ici à prendre ses distances vis-à-vis
d’Origène. Il préfère lire le verset comme une phrase unique, parce qu’il y voit
l’occasion d’utiliser le passage comme l’un de ces textes dans lesquels l’Écriture
paraît distinguer deux Seigneurs. Son exégèse du tétragramme est indissociable de
cette façon de lire le verset ἑνικῶς.
Le cas de ce Psaume suggère que la façon dont Eusèbe commente le tétragramme
ou son absence, dans le Psautier, est liée avant tout à sa volonté de proposer une
interprétation christologique des Psaumes. Selon les cas, et de façon tout à fait
pragmatique, Eusèbe reconnaissait le Christ ou bien dans le tétragramme ou bien
dans l’appellation « Adonai ».

conclUSIon
On connaît l’« hypothèse documentaire » défendue au xIxe s. par Julius
Wellhausen, qui supposait qu’on pouvait discerner dans le Pentateuque une source
« yahviste », où Dieu était nommé par le tétragramme, et une source « élohiste », où
il était désigné par le nom Elohim. L’exégèse ancienne des noms divins, tant rab-
binique que chrétienne, est bien sûr on ne peut plus éloignée de ces spéculations

124. Πάντα δὲ τὰ ἑνικῶς εἰπὼν ὡς πρὸς ἕνα τινὰ, ἐπισυνάπτει λέγων, Ὅτι σὺ,
Κύριε, ἐλπίς μου, τὸν Ὕψιστον ἔθου καταφυγήν σου σαφέστατα παρίσταται, ὅτι
Κύριος ἦν πρὸς ὃν ταῦτα πάντα ἐλέγετο. Μηδεμιᾶς γὰρ διαμέσου ἐναλλαγῆς
προσώπου γενομένης, συνῆψεν ὁ λόγος ὑπὸ μίαν διάνοιαν ὡς πρὸς ἕνα τὰ πάντα
παρέστησέ τε τίς ποτε ἦν οὗτος, διασαφῶν ἑξῆς καὶ λέγων Ὅτι σὺ, Κύριε, ἐλπίς μου,
τὸν Ὕψιστον ἔθου καταφυγήν σου. Ἐπειδὴ γὰρ σὺ,φησὶν, ὦ Κύριε, ἐφ’ ὃν ἐγὼ ἤλπισα,
τὸν Ὕψιστον, δηλαδὴ τὸν ἀνωτάτω Θεὸν, καὶ σαυτοῦ Πατέρα, καταφυγὴν ἔθου
σεαυτοῦ (PG 23, 1149, 1-12).
238 SÉBASTIEN MORLET

philologiques. Rabbins et chrétiens, à partir d’Origène puis d’Eusèbe, interprètent


les noms divins comme des désignations exprimant des aspects différents de Dieu.
La façon dont Eusèbe mentionne et commente le tétragramme constitue un
exemple significatif d’appropriation chrétienne des réalités juives, dont il existe
d’autres exemples dans son œuvre125. Le dossier que nous rassemblons en appen-
dice présente cependant une genèse complexe. La documentation d’Eusèbe était
peut-être multiforme : les commentaires d’Origène, les Hexaples, la recension
hexaplaire, d’autres manuscrits de la Septante, peut-être glosés. L’interprétation
qu’il donne du nom divin résulte certes d’une volonté de faire pièce à son inter-
prétation juive, mais plus généralement d’un projet d’exégèse christologique
quasi intégral de l’Écriture qui devait nécessairement amener Eusèbe à prendre
ses distances par rapport à sa source principale, Origène, et à proposer finalement,
du nom divin, une interprétation qui, la plupart du temps, semble-t-il, n’était pas
celle du maître.
Le cas du tétragramme montre bien, par conséquent, de quelle façon l’évolution
de l’exégèse chrétienne qui est à l’œuvre dans les commentaires d’Eusèbe est
une évolution purement interne à la tradition chrétienne. On aurait pu penser que
les mentions fréquentes du nom divin dans l’œuvre d’Eusèbe témoignent d’une
ouverture sur l’adversaire juif, voire de contacts avec les juifs de Césarée. Il n’y
a là, en réalité, qu’une illusion d’optique. L’intention antijuive d’Eusèbe n’est pas
contestable, et Eusèbe avait même peut-être le sentiment d’améliorer l’arsenal
polémique chrétien en le situant sur le terrain de l’adversaire, celui de la philolo-
gie hébraïque, conformément au programme esquissé dans la Lettre à Africanus
d’Origène. Mais rien ne permet de penser, à l’analyse du dossier, que ce qu’Eusèbe
croyait savoir du nom divin ait pu dériver de contacts directs avec les juifs. Les tra-
ditions qu’il y attache se trouvent toutes chez Origène. Et l’interprétation qu’il en
propose résulte d’un dialogue avec son maître, beaucoup plus qu’avec le judaïsme
de son temps. Son exégèse du nom divin ne traduit donc pas un rapprochement
avec le monde juif. Eusèbe n’est pas Origène : son œuvre, sur ce point comme sur
d’autres, témoigne d’un écart qui se creuse entre les deux traditions exégétiques.
Que pouvait penser un juif de l’interprétation christologique du tétragramme ? Et
comment ne pas rester perplexe devant l’audace exégétique d’Eusèbe ?
Sébastien morlet
Université de Paris-Sorbonne
Institut universitaire de France
UMR 8167 « Orient et Méditerranée »
Antiquité classique et tardive
Laboratoire d’excellence RESMED

125. On pense en priorité à son usage des révisions juives de la Septante, qu’il emploie pour
servir la démonstration chrétienne, des étymologies hébraïques, ou encore d’autorités juives
comme Philon ou Flavius Josèphe.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 239

réSUmé : Eusèbe de Césarée apparaît comme l’auteur chrétien de l’Antiquité qui évoque le
plus souvent le tétragramme. L’article fournit en grec et en traduction l’ensemble du dossier. Le
témoignage d’Eusèbe transmet un certain nombre de traditions juives relatives au nom divin. Il
documente également des états du texte biblique, qui ne sont pas toujours faciles à identiier, et 
où le tétragramme était rendu tel quel, en hébreu. Eusèbe interprète le tétragramme d’une façon
particulière : tantôt indication du Père par rapport au Fils, tantôt indication de la divinité du
Fils par rapport aux anges. Eusèbe est ici en rupture avec l’interprétation juive, mais aussi avec
celle d’Origène, qui semble pourtant être sa source majeure. L’Alexandrin paraît en effet avoir
considéré le tétragramme avant tout, sinon exclusivement, comme un nom de Dieu en tant que
tel, c’est-à-dire du Père.

abStract: Eusebius of Caesarea appears to be the ancient Christian writer who most often
alludes to the tetragrammaton. This paper offers all the texts in Greek with translation. Eusebius
attests to a few Jewish traditions about the divine name. It also informs us about witnesses of the
biblical text – which cannot always be identiied easily – where the tetragrammaton was written in 
Hebrew. Eusebius has a speciic way of interpreting the tetragrammaton: either as an indication of 
the Father as opposed to the Son, or of the Son’s divinity as opposed to the angels. Eusebius here
breaks with the Jewish interpretation but also with Origen, though the latter seems to be his main
source. The Alexandrian indeed appears to hold the tetragrammaton above all, if not exclusively,
as a name of God as such, that is to say, of the Father.
240 SÉBASTIEN MORLET

Appendice

édItIonS UtIlISéeS
eUSèbe de céSarée, Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 72-1221 ; PG 24, 9-76
– Démonstration évangélique, éd. I. A. Heikel, Griechischen Christlichen Schriftsteller (GCS)
23, Leipzig, 1913
– Extraits prophétiques, éd. T. Gaisford, Oxford, 1842
– Préparation évangélique, éd. K. Mras, GCS 43 (1-2), Berlin, 1954-1956 ; éd.-tr. É. Des Places
– G. Favrelle – J. Sirinelli – O. Zink, SC 206-215-228-262-266-292-307-338-369, Paris,
1974-1991
évagre (PS.-), Εἰς τὸ ΠΙΠΙ, éd. P. de Lagarde, Onomastica sacra, 2e éd., Göttingen, 1887,
rep. Hildesheim, 1966, p. 229-230
Jérôme, Commentarioli in Psalmos, éd. G. Morin, Corpus Christianorum Series Latina (CCL)
72, Turnhout, 1954
– Lettres, éd. I. Hilberg, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum (CSEL) 54-55-56,
Vindobonae – Lipsiae, 1910-1912-1918
– Tractatus in Psalmos, éd. G. Morin, CCL 78, Turnhout, 1958
orIgène, Fragments sur Ézéchiel, PG 13, 768-825
– Fragments sur les Psaumes, PG 12, 1053-1686
– Homélies sur Ézéchiel, éd. W. A. Baehrens, GCS 33, Leipzig, 1925, p. 319-454
– Homélies sur les Nombres, éd. W. A. Baehrens, GCS 30, Leipzig, 1921, p. 3-285

I. – le tétragramme danS la PréParation évangélique


1. Préparation évangélique, XI, 6, 20
Πάλιν Ἑβραῖοι τὸ μὲν ἀνωτάτω τοῦ θεοῦ κύριον ὄνομα ἄρρητον εἶναι καὶ
ἄφθεγκτον οὐδὲ φαντασίᾳ διανοίας ληπτὸν εἶναί φασιν· αὐτὸ δὲ τοῦτο καθ’ ὃ
θεὸν ὀνομάζομεν, Ἐλωεὶμ καλοῦσι, παρὰ τὸ ἤλ, ὡς ἔοικε· τοῦτο δ’ ἑρμηνεύουσιν
ἰσχὺν καὶ δύναμιν· ὥστ’ εἶναι τοῦ θεοῦ τοὔνομα παρ’ αὐτοῖς ἀπὸ τῆς ἀμφ’ αὐτὸν
δυνάμεώς τε καὶ ἰσχύος ἐπιλελογισμένον, δι’ ἧς νοεῖται παντοδύναμος καὶ πάντα
ἰσχύων, ὡς ἂν τὰ πάντα συστησάμενος.
« Les Hébreux affirment encore que le nom suprême propre à Dieu est ineffable, indicible, et
ne peut être appréhendé par une représentation de l’esprit ; quant à ce par quoi nous nommons
Dieu, ils disent ‘Elohim’, d’après ‘El’, à ce qu’il semble – ils entendent par ce mot force et
puissance –, en sorte que chez eux le nom de Dieu est déduit de la puissance et de la force qui
lui sont attachées et grâce auxquelles on le conçoit tout-puissant, maître de toutes choses, comme
ayant constitué l’univers. »

2. Préparation évangélique, XI, 6, 36


Ἐπιὼν δέ τις καὶ τὰ λοιπὰ τῆς γραμματικῆς στοιχεῖα, μετά τινος αἰτίας καὶ λογισμοῦ
εὕροι ἂν ἕκαστα παρ’ αὐτοῖς ὠνομασμένα, ἐπεὶ καὶ τῶν ἑπτὰ φωνηέντων τὴν ἐπὶ
ταὐτὸ σύνθεσιν μιᾶς τινος ἀπορρήτου προσηγορίας περιέχειν φασὶν ἐκφώνησιν, ἣν
διὰ τεσσάρων στοιχείων παῖδες Ἑβραίων σημειούμενοι ἐπὶ τῆς ἀνωτάτω τοῦ θεοῦ
δυνάμεως κατατάττουσιν, ἄλεκτόν τι τοῖς πολλοῖς καὶ ἀπόρρητον τοῦτ’ εἶναι παῖς
παρὰ πατρὸς εἰληφότες.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 241

« Si l’on parcourait le reste des lettres de l’alphabet, on trouverait que chez eux chacune a reçu
son nom pour un certain motif et en vertu d’un raisonnement ; c’est ainsi encore que la compo-
sition des sept voyelles renferme, disent-ils, la prononciation d’un nom qu’il n’est pas permis
de dire, nom que les Hébreux indiquent au moyen de quatre lettres et assignent à la puissance
suprême de Dieu, car ils se sont transmis de père en fils que c’est là chose indicible devant la foule
et qu’il n’est pas permis de prononcer. »

3. Préparation évangélique, XI, 12, 1-2


ιγ’. ὍΤΙ ἌΡΡΗΤΟΝ ΤΟ ΘΕΙΟΝ
Μωσέως καὶ τῶν παρ’ Ἑβραίοις προφητῶν ἁπάντων ἄρρητον εἶναι τὸ θεῖον
διδασκόντων καὶ τῆς ἀρρήτου προσηγορίας τὸ σύμβολον διὰ τῆς παρ’ αὐτοῖς
ἀνεκφωνήτου σημειώσεως ὑποφαινόντων, τούτοις καὶ ὁ Πλάτων συμφώνως
αὐτοῖς ῥήμασιν ἐν τῇ μεγάλῃ Ἐπιστολῇ οἷά φησιν ἄκουε· “Ῥητὸν γὰρ οὐδαμῶς ἐστιν
ὡς ἄλλα μαθήματα, ἀλλ’ ἐκ πολλῆς συνουσίας γιγνομένης περὶ τὸ πρᾶγμα αὐτὸ καὶ
τοῦ συζῆν ἐξαίφνης οἷον ἀπὸ πυρὸς πηδήσαντος ἐξαφθὲν φῶς τῇ ψυχῇ γενόμενον
αὐτὸ ἑαυτὸ ἤδη τρέφει.” Καὶ τόδε δὲ τοῦ φωτὸς τὸ παράδειγμα προλαβὼν ἄλλος
Ἑβραίων προφήτης παρέστησεν εἰπών· Ἐσημειώθη ἐφ’ ἡμᾶς τὸ φῶς τοῦ προσώπου
σου, κύριε. καὶ ἄλλος πάλιν· Ἐν τῷ φωτί σου ὀψόμεθα φῶς.
« Alors que Moïse et tous les prophètes chez les Hébreux enseignent que le divin est ineffable et
montrent par des signes qu’ils ne doivent pas prononcer le symbole de son nom ineffable, écoute
ce que, accordant sa voix aux leurs, Platon dit en propres termes dans sa grande lettre : ‘Il n’y a
pas moyen en effet de mettre la chose en formules, comme on fait pour les autres sciences ; mais
c’est quand on l’a longuement fréquentée, quand on a vécu avec elle, que la vérité jaillit soudain
dans l’âme, comme la lumière jaillit de l’étincelle et ensuite se nourrit d’elle-même’ (Lettre 7,
341c6-d2). Cette image précisément de la lumière, un autre prophète hébreu l’a prise avant lui et
l’a présentée en disant : La lumière de ta face nous a été signifiée, Seigneur (Ps 4, 7 ; 8) ; et un autre
encore : Dans ta lumière, nous verrons la lumière (Ps 35, 10). »

4. Préparation évangélique, XI, 14, 2-3


Ὁ μὲν οὖν Μωσῆς διαρρήδην δύο θεολογεῖ κυρίους, ἐν οἷς φησι· Καὶ ἔβρεξε κύριος
παρὰ κυρίου πῦρ καὶ θεῖον ἐπὶ τὴν τῶν ἀσεβῶν πόλιν, ἔνθα συνήθως ἐπὶ τῶν δύο τὴν
ὁμοίαν τῶν παρ’ Ἑβραίοις χαρακτήρων ἐποιήσατο παράθεσιν· αὕτη δέ ἐστιν ἡ διὰ
τῶν τεσσάρων στοιχείων ἀνεκφώνητος παρ’ αὐτοῖς θεολογία. τούτῳ δὲ καὶ Δαβίδ,
ἄλλος προφήτης ὁμοῦ καὶ βασιλεὺς Ἑβραίων, συνᾴδων φησίν· Εἶπεν ὁ κύριος τῷ
κυρίῳ μου· κάθου ἐκ δεξιῶν μου, τὸν μὲν ἀνωτάτω θεὸν διὰ τοῦ πρώτου κυρίου, τὸν
δὲ τούτου δεύτερον διὰ τῆς δευτέρας ὑποφήνας προσηγορίας.
« C’est d’abord Moïse, dont la théologie parle expressément de deux Seigneurs, quand il dit : Le
Seigneur de la part du Seigneur fit pleuvoir du feu et du soufre sur la ville des impies (Gn 19, 24).
Dans ce cas, il use, pour les deux, selon la coutume, de la même suite de caractères hébraïques :
c’est la formulation imprononçable de Dieu composée des quatre lettres chez eux. Puis c’est
David, un autre prophète en même temps qu’un roi des Hébreux, qui accorde sa voix à la sienne
pour dire : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite (Ps 109, 1), désignant par le
premier Seigneur le Dieu suprême, et par la seconde occurrence celui qui lui est second. »

À propos de Gn 19, 24 (évocation secondaire du Ps 109, 1, sans commentaire sur la présence


du tétragramme).
Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.
242 SÉBASTIEN MORLET

II. – le tétragramme danS leS commentaIreS exégétIqUeS (a) : Un nom dU cHrISt


5. Extraits prophétiques, I, 2, p. 5, l. l. – p. 6, l. 10
…χωρὶς τῶν τεσσάρων στοιχείων τῶν παρ’ Ἑβραίοις ἀνεκφωνήτων, ὧν διὰ
τῆς συνθέσεως τὸ σημαινόμενον ὄνομα ἄρρητον ὑπάρχον, καταχρηστικώτερον
δὲ Κύριος ἐπικαλούμενον, οὐδέπω ποτὲ ἐπὶ ἀγγελικῆς παρείληπται δυνάμεως,
ὡς ἐπιστήσεις καθ’ ὅλης τῆς θεοπνεύστου γραφῆς, ἔνθα ὁ Θεὸς ἢ ὁ διὰ τοῦ
τετραγράμμου δηλούμενος Κύριος ἀναγέγραπται κεχρηκέναι τίσι· πότερον ἐπὶ τὴν
ἀγένητον τοῦ τῶν ὅλων Θεοῦ φύσιν ἀνενεκτέον τὰ δηλούμενα, ἢ ἐπὶ τὸν τούτου
Λόγον, ὃν δεύτερον τυγχάνοντα τῶν ὅλων αἴτιον καὶ Θεὸν καὶ Κύριον κατὰ τὸ
σημαινόμενον ἐκ τοῦ παρ’ Ἑβραίοις ἀρρήτου ὀνόματος προσαγορεύειν εἴωθεν ἡ
θεία γραφή. Καὶ δῆτα ἐπὶ τοῦ παρόντος φήσαντος τοῦ λόγου, ὅτι δὴ κατέβη κύριος,
καὶ εἶπεν κύριος τὰ ἀναγεγραμμένα, ζητήσαι ἄν τις εὐλόγως εἴτε ἐπί τινα τῶν
ἀγγέλων, εἴτε ἐπὶ τὸ πρῶτον αἴτιον τὴν ἀναφορὰν ἔχει τὸ δηλούμενον. Ἀλλ’ ἐπὶ μὲν
ἀγγέλων οὐχ’ οἷόν τε· τοῦτο μὲν, ὅτι κἀνταῦθα τὸ Κύριος διὰ τῆς ἀνεκφωνήτου
παρείληπται προσηγορίας, τοῦτο δὲ, ὅτι ἑτέροις παρ’ αὐτὸν ὑποβεβηκόσιν ἐμφαίνει
πεποιῆσθαι τοὺς λόγους. Πάλιν δ’ αὖ ἐπὶ τοῦ Πατρὸς καὶ Θεοῦ τῶν ὅλων ἀνοικεῖος
ἡ διάνοια· οὐ γὰρ δὴ αὐτῷ πρέποι ἂν λέγειν τὸ, δεῦτε καὶ καταβάντες συγχέωμεν
τὴν γλῶσσαν αὐτῶν, καὶ τὸ, κατέβη κύριος ἰδεῖν τὴν πόλιν, οὐδαμῶς ἂν ἁρμόττοι
περὶ τῆς αὐθεντείας λέγεσθαι. Λείπεται δὴ νοεῖν τὸν θεῖον Λόγον καὶ διὰ τῶν
προκειμένων δηλοῦσθαι.
« …sans les quatre lettres qui, chez les Hébreux, sont imprononçables, le nom qui est indiqué
par la composition de ces lettres étant indicible, mais c’est de façon abusive qu’il est appelé
Seigneur. Il n’est jamais employé à propos d’une puissance angélique, comme tu le remarqueras
à travers toute l’Écriture divinement inspirée, dans laquelle il est écrit que Dieu ou le Seigneur
désigné par le tétragramme s’est révélé à quelqu’un. Faut-il renvoyer ce qui est désigné à la
nature sans génération du Dieu de l’univers ou à son Verbe, qui se trouve être la cause seconde
de l’univers et que l’Écriture divine a l’habitude d’appeler Dieu et Seigneur conformément à ce
qui est indiqué par le nom qui, chez les Hébreux, est indicible ? Et assurément, le texte disant à
présent le Seigneur est descendu (Gn 11, 5) et le Seigneur a dit (Gn 11, 6), on aurait raison de
rechercher si ce qui est désigné renvoie à l’un des anges ou à la cause première. Mais à des anges,
c’est impossible : d’abord, parce que le mot Seigneur est ici employé par le moyen de l’appella-
tion imprononçable ; ensuite, parce que le texte met en évidence le fait qu’il a tenu ses propos à
l’adresse d’autres que lui, mais inférieurs. En revanche, penser que le nom se rapporte au Père et
Dieu de l’univers est inapproprié. En effet, il ne lui conviendrait pas de dire : Allons, descendons
introduisons la confusion dans leurs langues (Gn 11, 7), et le passage le Seigneur descendit voir
la cité (Gn 11, 5), il ne conviendrait en aucun cas qu’il soit dit du pouvoir absolu. Il ne reste donc
plus qu’à penser que le Verbe divin est désigné aussi dans les passages en question. »

À propos de Gn 11, 5 (κατέβη Κύριος) et 11, 6 (εἶπεν Κύριος) ; au début du texte, mutilé,
Eusèbe paraît commenter l’absence de tétragramme derrière un emploi de Κύριος.
Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

6. Extraits prophétiques, I, 3, p. 8, l. 24-9, 21


Περὶ οὗ καὶ ἡ θεία γραφὴ οὐ μόνον πρῶτον ἀλλὰ καὶ δεύτερον καὶ τρίτον
ἱστορηκώς φησιν, ὤφθη δὲ αὐτῷ Κύριος, ἐπὶ τῇ Κύριος προσηγορίᾳ τοῦ ἀνεκφωνήτου
ἐν τῷ Ἑβραικῷ τεταγμένου ὀνόματος, ὅπερ οὐδεπώποτε ἐπὶ ἀγγελικῆς δυνάμεως
παρείληπται. Ὅτε γοῦν ὁ Λὼτ τοῖς εἰς Σόδομα ἐλθοῦσιν ἀγγέλοις ἀναγέγραπται
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 243

λέγων, Δέομαι, κύριε, ἐπειδὴ εὗρεν ὁ παῖς σου ἔλεος ἐνώπιόν σου, κεῖται μὲν ἐν τῷ
Ἑβραϊκῷ τὸ κύριε, ἀλλ’ οὐ διὰ τῶν τεσσάρων στοιχείων τῶν παρ’ Ἑβραίοις ἐπὶ τοῦ
ἀρρήτου ὀνόματος τοῦ Θεοῦ παραλαμβανομένων, δι’ ἑτέρων δὲ συλλαβῶν δι’ ὧν
καὶ ὁ παρ’ ἀνθρώποις ὀνομαζόμενος κύριος τῶν πρός τι τυγχάνων, οἷον οἰκέτου
κύριος, παρ’ Ἑβραίοις ἐγγέγραπται· ἀλλ’ οὐδέν γε τούτοις ἔχον παραπλήσιον τὸ
ἐπὶ τῆς τοῦ Θεοῦ αὐθεντείας διὰ τῶν τεσσάρων στοιχείων παραλαμβανόμενον
ἔν τε ταῖς ἀναγεγραμμέναις τοῦ Θεοῦ πρὸς τὸν Ἁβραὰμ ὀπτασίαις ἐμφερόμενον
σαφῶς παρίστησιν, μὴ δὲ ἄγγελον, μὴ δὲ ὀλίγῳ τοῦτον ἐπαναβεβηκυῖαν τινὰ θείαν
δύναμιν αὐτῷ κεχρηματικέναι, ἀλλ’ αὐτὸν τὸν Θεὸν, οὗ τὴν ἄρρητον ἐκφώνησιν,
αὐτὴν δὴ ταύτην κατὰ τοὺς τόπους διὰ τῶν τεσσάρων στοιχείων ἐμφερομένην,
μόνος ὁ ἀρχιερεὺς ἐπὶ τοῦ μετώπου περιέκειτο φέρων ἐπὶ τοῦ χρυσοῦ πετάλου τὸ
λεγόμενον ἐκτύπωμα σφραγίδος ἁγιάσμα[τος] κυρίου. Καὶ ὅτι γε οὐκ ἀδιάφορόν
ἐστι τῇ θείᾳ γραφῇ ἐπ’ ἀγγέλων χρῆσθαι τῇ τοιαύτῃ προσηγορίᾳ, πρόδηλον ἐκ τοῦ
σφόδρα παρατετηρημένως ποτὲ μὲν αὐτὸν τὸν Θεὸν ἢ τὸν διὰ τοῦ τετραγράμμου
δηλούμενον κύριον ὦφθαί τε καὶ κεχρηκέναι τοῖς δικαίοις ἱστορεῖν, ποτὲ δὲ ἀγγέλους
ἀναγράφειν τοὺς ἑωραμένους.
« À son sujet, l’Écriture divine dit, non seulement une première fois (Gn 12, 7), mais encore une
deuxième (Gn 17, 1) et une troisième (Gn 18, 1), le Seigneur se fit voir de lui, et pour l’appellation
Seigneur, c’est le nom imprononçable qui se trouve dans l’hébreu, lui qui, précisément, n’est
jamais employé au sujet d’une puissance angélique. En tout cas, lorsqu’il est écrit que Lot dit aux
anges qui sont venus de Sodome : je t’en prie, Seigneur, puisque ton serviteur a trouvé pitié devant
toi (Gn 19, 19), il y a bien le mot Seigneur dans l’hébreu, mais chez les Hébreux, il n’est pas écrit
au moyen des quatre lettres qui sont employées chez les Hébreux pour le nom indicible de Dieu,
mais d’autres syllabes, celles par lesquelles est désigné aussi celui qui est appelé Seigneur chez
les hommes, qui se trouve faire partie des êtres qui ont un rapport à quelque chose, comme un
Seigneur de serviteur. Mais le nom qui est employé pour désigner le pouvoir absolu de Dieu, au
moyen des quatre lettres, n’ayant rien d’avoisinant cela et se trouvant dans les apparitions de Dieu
à Abraham qui sont rapportées, le texte établit clairement que ce n’est ni un ange ni une puissance
divine un peu supérieure à un ange qui s’est révélé à lui, mais Dieu lui-même. Seul le grand
prêtre était ceint, sur son front, de sa prononciation indicible, celle même qui, dans le passage,
est indiquée par les quatre lettres, lui qui portrait sur la lamelle d’or ce qui est appelée incision de
sceau, chose sainte du Seigneur (Ex 28, 36) dans le passage. Et qu’il n’est certes pas indifférent
que l’Écriture use d’une telle appellation à propos des anges est évident du fait que, avec une
grande minutie, tantôt elle rapporte que Dieu lui-même ou le Seigneur désigné par le tétragramme
se fit voir des justes et se révéla à eux, tantôt elle relate que c’étaient des anges qui était vus. »

À propos de Gn 12, 7 ; 17, 1 et 18, 1.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

7. Extraits prophétiques, I, 3, p. 13, l. 2-15


Εἰ δὴ οὖν μήτ’ ἀγγελικῇ φύσει μήτε τῇ ἀνωτάτω καὶ ἀγενήτῳ τοῦ τῶν ὅλων
Θεοῦ ταῦτα ἔοικεν ἁρμόττειν, λείποιτ’ ἂν τούτων μία μόνη λύσις, εἰ τὸ μὲν
ἀναλλοίωτον καὶ ἄτρεπτον καὶ ἀόρατον ἐπὶ τὴν ἀγένητον διαφυλάττοιμεν
οὐσίαν, τοὺς δ’ ἀναγεγραμμένους ὡς ἐκ Θεοῦ χρηματισμοὺς ἐπὶ τὸν τοῦ Θεοῦ
Λόγον μεταλαμβάνοιμεν, ὃν διαφόρως καὶ πρὸ τῆς ἐνανθρωπήσεως ὑπὲρ τῆς
τῶν ἀνθρώπων σωτηρίας ὀφθῆναί τε καὶ τὰς ἐν ταῖς θείαις γραφαῖς ἐμφερομένας
οἰκονομίας ἐκτελέσαι πεπιστεύκαμεν· ἐπὶ μόνου δὲ τούτου μετὰ τὸν τῶν ὅλων
Θεὸν καὶ τὴν τετράγραμμον προσηγορίαν κειμένην εὕρομεν, ἅτε μονογενεῖ καὶ
κληρονόμῳ τοῦ Πατρὸς ἁρμοττούσης καὶ ταύτης τῆς θεϊκῆς ἐπινοίας.
244 SÉBASTIEN MORLET

« Si donc cela ne semble convenir ni à une nature angélique ni à la nature très haute et sans
génération du Dieu de l’univers, la seule solution à ces questions resterait celle par laquelle, tout
en conservant, pour la substance sans génération, l’inaltérabilité, l’immutabilité et l’invisibilité,
nous appliquerions ces révélations rapportées comme étant de Dieu au Dieu Verbe, qui, nous le
croyons, de façons diverses, même avant l’Incarnation, s’est fait voir pour le salut des hommes
et a accompli les économies dont il est question dans les divines Écritures. Et il n’y a qu’à son
sujet, après le Dieu de l’univers, que nous trouvons aussi utilisée l’appellation tétragramme, car
ce concept divin, lui aussi, convient au fils unique et à l’héritier du Père. »

À propos de Gn 18, 19.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

8. Extraits prophétiques, I, 4, p. 15, I, 4, l. 17-26


Τίνος οὖν κυρίου ἐκάλεσεν ἡ Ἅγαρ τοὔνομα, Σὺ ὁ Θεὸς ὁ ἐπιδών με, κἀνταῦθα
τῆς γραφῆς ἐπὶ τοῦ κυρίου τὸ τετράγραμμον παρ’ Ἑβραίοις ὄνομα περιεχούσης;
ἢ δῆλον ἐκ τῶν προαποδεδομένων, ὅτι δὴ τοῦ ἐν ἀρχῇ πρὸς τὸν Θεὸν Λόγου, ὃς
ἐπιπαρὼν, καὶ τὰ κατ’ ἀνθρώπους ἐξ ἀρχῆς ἐφορῶν τε καὶ οἰκονομῶν, τοῖς μὲν
ἐπαναβεβηκόσι καὶ τελείοις ἀνδράσιν, οἷος ἦν ὅ τε Ἁβραὰμ καὶ Ἰσαὰκ καὶ Ἰακὼβ,
αὐτὸς δι’ ἑαυτοῦ παρείχετο τὰς ὀπτασίας·
« De quel Seigneur Agar a-t-elle invoqué le nom – Toi, le Dieu qui me regarde (Gn 16,
13) –, l’Écriture, là aussi, contenant, à propos du Seigneur, le nom qui, chez les Hébreux, est
tétragramme ? N’est-il pas évident, des commentaires précédents, que c’était le nom du Verbe
qui était au commencement auprès de Dieu, qui, se présentant, surveillant et administrant dès le
commencement les affaires humaines, à des hommes avancés et parfaits tels qu’étaient Abraham,
Isaac et Jacob, offrait lui-même, en personne, ses apparitions ? »

À propos de Gn 16, 13.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

9. Extraits prophétiques, I, 5, p. 17, l. 4-14


Δὶς δὲ ἐνταῦθα ὀνομαζομένου τοῦ κυρίου, κατὰ τὸ, ἔβρεξεν Κυρίος παρὰ Κυρίου, δὶς
κατὰ τὸ Ἑβραϊκὸν καὶ τὸ τετράγραμμον ἐμφέρεται, ὡς σαφέστατα ἀνομολογεῖσθαι
τὸ ἐπὶ δύο προσώπων, δῆλον δ’ ὅτι τοῦ Θεοῦ καὶ Πατρὸς τῶν ὅλων καὶ τοῦ Λόγου
αὐτοῦ, τὴν ἄρρητον ταύτην παραλαμβάνεσθαι σημείωσιν· ὡς μηκέτ’ ἀμφιβόλως
ἔχειν, εἴ που ἂν φέροιτο ἡ τοιαύτη ἐπὶ τοῦ Θεοῦ προσηγορία, μὴ μόνον ἐπὶ τῆς
ἀγενήτου φύσεως αὐτὴν παραλαμβάνεσθαι, ἀλλὰ καὶ ἐπὶ τοῦ ἐν ἀρχῇ πρὸς τὸν
Θεὸν ὄντος Λόγου.
« Le Seigneur est ici nommé deux fois dans Le Seigneur fit pleuvoir d’auprès du Seigneur
(Gn 19, 23) ; dans l’hébreu, le tétragramme se trouve aussi deux fois, pour que l’on convienne que
cette indication indicible est employée à propos de deux personnes, évidemment celle de Dieu, le
père de l’univers, et celle de son Verbe. Si bien qu’on ne doit plus douter, si cette appellation se
trouve quelque part à propos de Dieu, qu’elle n’est pas employée uniquement à propos de la nature
sans génération, mais également à propos du Verbe qui était auprès de Dieu au commencement. »

À propos de Gn 19, 23.


Commentaire : Le tétragramme désigne le Père et le Fils.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 245

10. Extraits prophétiques, I, 7, p. 19, l. 10-13


Καὶ δεύτερον δὲ ἐν τῇ Μεσοποταμίᾳ, ὅτε ἐπιστὰς αὖθις ὁ διὰ τοῦ τετραγράμμου
δηλούμενος κύριος εἶπεν αὐτῷ, Ἀποστρέφου εἰς τὴν γῆν τῶν πατέρων σου καὶ εἰς
τὴν γενεάν σου καὶ ἔσομαι μετὰ σοῦ.
« Et une deuxième fois en Mésopotamie, lorsque, survenant une nouvelle fois, le Seigneur
désigné par le tétragramme lui dit retourne t’en dans la terre de tes pères, dans ta famille, et je
serai avec toi (Gn 31, 13). »

À propos de Gn 31, 11.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Cette fois, le témoignage d’Eusèbe est étonnant, car dans la Septante, conforme en cela au
TM, le texte évoque l’ange de Dieu (ὁ ἄγγελος τοῦ θεοῦ) qui s’exprime pendant un songe de
Jacob. L’apparat critique de Wevers ne signale aucune variante en grec, mais tout de même la
variante intéressante dominus (> codC) deus AethCGPR. Les vieilles latines ont angelus domini ou
angelus dei (p. 329-330 Fischer). L’hypothèse la plus simple, ici, est qu’Eusèbe, en parlant du
« Seigneur désigné par le tétragramme », ne décrit pas précisément le passage qu’il commente, ou
qu’il commet une erreur. Le témoignage de la version éthiopienne, ainsi que d’autres éléments
que nous avons rassemblés dans l’article, montrent cependant qu’il peut aussi dépendre d’un texte
qui, d’une manière ou d’une autre, contenait l’indication d’un tétragramme, dans le texte ou dans
la marge.

11. Extraits prophétiques, I, 10, p. 32, l. 16-18


Ταῦτα γὰρ ἀγγέλῳ μὲν οὐδαμῶς λέγειν ἁρμόττει, Θεῷ δὲ μόνῳ, καὶ τῷ καθ’ ὅλην
τὴν ἱστορίαν διὰ τοῦ τετραγράμμου δηλουμένῳ Κυρίῳ.
« En effet, il ne convient pas à un ange de dire cela, mais à Dieu seul, et au Seigneur indiqué
dans toute l’histoire par le tétragramme. »

À propos d’Ex 32, 34 et 33, 1.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM (Ex 32-33) est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

12. Extraits prophétiques, I, 11, p. 34, l. 9-13


Καὶ δι’ ὅλης τῆς γραφῆς ἄγγελος μὲν οὐδαμῶς ἐπιπαρὼν ἢ χρηματίζων τῷ Ἰησοῦ
φαίνεται, ἀλλ’ αὐτὸς ὁ Κύριος ὁ καὶ παρὰ Μωσεῖ διὰ τοῦ τετραγράμμου δηλούμενος,
ὃς καὶ δοκεῖ μοι ὁ αὐτὸς εἶναι τῷ ἐν ἀνδρὸς σχήματι εἰς ἅπαξ μόνον παραφανέντι
τῷ Ἰησοῦ.
« Et dans toute l’Écriture, il est manifeste que ce n’est en aucun cas un ange qui se présente et
qui se révèle à Josué, mais le Seigneur lui-même, celui qui, chez Moïse aussi, est désigné par le
tétragramme. Celui-ci me semble être le même que celui qui s’est manifesté à Josué une seule fois
pour toutes sous l’aspect d’un homme. »

À propos des théophanies dans le livre de Josué, notamment 1, 1.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

13. Extraits prophétiques, I, 12, p. 42, l. 18-22


Περὶ δὲ τῆς τοῦ Πατρὸς μυσταγωγίας τὸ, καὶ καλέσω ἐν ὀνόματι Κυρίου· ποίου
γὰρ κυρίου, αὐτὸς ὢν ὁ διὰ τοῦ τετραγράμμου δηλούμενος Κύριος, εἰ μὴ ἄρα τοῦ
Πατρὸς καλέσειν ἐπαγγέλλεται;
246 SÉBASTIEN MORLET

« Le passage et j’invoquerai dans le nom du Seigneur (Ex 33, 19) concerne l’enseignement
mystique sur le Père ; en effet, de quel Seigneur promet-il d’invoquer le nom, étant lui-même le
Seigneur désigné par le tétragramme (cf. Ex 33, 17), sinon évidemment du Père ? »

À propos d’Ex 33, 17.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe. Eusèbe ne commente la présence du tétra-
gramme qu’en Ex 33, 17, mais non en 33, 19, objet de la citation, alors qu’il y est aussi présent.

14. Extraits prophétiques, I, 12, 43, l. 18-20


Ταῦτα γὰρ αὐτὸς φησὶ καταβὰς ἐν νεφέλῃ καὶ παραστὰς τῷ Μωσεῖ ὁ διὰ τοῦ
τετραγράμμου δηλούμενος Κύριος· ὃς καθ’ ἣν πεποίηται ὑπόσχεσιν παρελθὼν
πρὸ προσώπου αὐτοῦ, τὸν καὶ ἑαυτοῦ Κύριον καὶ Πατέρα, τὸν ἀληθῶς ὄντα Κύριον
Κύριον, δὶς διὰ τοῦ τετραγράμμου ἐμφερόμενον ἀνακαλεῖται λέγων, τὸ Κύριος
Κύριος ὁ Θεὸς οἰκτίρμων καὶ ἐλεήμων, καὶ τὰ ἑξῆς.
« Cela en effet, c’est le Seigneur désigné par le tétragramme lui-même qui le dit, descendu dans
la nuée et se tenant auprès de Moïse. Celui-ci, conformément à la promesse qu’il lui avait faite,
se présente devant lui, et invoque celui qui est son propre Seigneur et Père, le Seigneur qui est
véritablement Seigneur, désigné deux fois par le tétragramme, dans ces mots : Seigneur Seigneur,
Dieu miséricordieux et plein de pitié, et la suite. »

À propos d’Ex 33, 11 et Ex 34, 6.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Dans les deux cas, le TM est conforme au témoignage d’Eusèbe.

15. Extraits prophétiques, I, 12, 44, 5-17


Ἐναργέστατα δὴ οὖν καὶ σαφέστατα διὰ τούτων αὐτὸς ὁ Κύριος τὰς προεκτεθείσας
εἰρηκὼς παριστᾶτε (παρίσταται) φωνὰς, μείζονα κύριον τὸν ἀληθῶς Κύριον, δῆλον
δ’ ὅτι τὸν Πατέρα ἑαυτοῦ, ἀνακαλούμενος· ἢ εἰ δυσπειθῶς ἔχοι πρὸς ταῦτα, λεγέτω
εἰ τινὰ ἄλλην οἷός τε ἐστὶν κατὰ τοὺς τόπους ἐπιβαλεῖν διήγησιν· φυλάττων τὸ
μὴ ἄγγελον εἶναι τὸν χρηματίζοντα, ἀλλ’ αὐτὸν τὸν διὰ τοῦ τετραγράμμου
δηλούμενον Κύριον, ὃς καὶ ἐνώπιος ἐνωπίῳ τῷ Μωσεῖ ἀναγέγραπται λελαληκέναι,
ὃν καὶ ἀξιοῖ τὴν δι’ ἀγγέλων προστασίαν παραιτούμενος ὁ Μωσῆς λέγων, Εἰ μὴ
αὐτὸς σὺ συμπορεύῃ, μή με ἀναγάγῃς ἐντεῦθεν.
« Ce passage rend tout à fait évident et tout à fait clair que c’est le Seigneur lui-même qui est
présenté comme tenant les propos rapportés – il invoque un Seigneur plus grand, le Seigneur
véritable, c’est-à-dire évidemment son propre Père. Ou bien, si l’on se montre perplexe à cette
explication, que l’on dise si l’on peut proposer une autre interprétation de ce passage, en conser-
vant le fait que celui qui se révèle n’est pas un ange, mais le Seigneur désigné par le tétragramme
lui-même, dont l’Écriture dit qu’il a parlé à Moïse face à face, et que Moïse réclame lorsqu’il
refuse d’être conduit par des anges, en disant : Si tu ne viens pas toi-même, ne me fais pas monter
d’ici (Ex 33, 15). »

Toujours à propos d’Ex 34, 6.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

16. Démonstration évangélique, V, 11, 3


Καὶ γὰρ καὶ θεὸν αὐτὸν ἡ θεία γραφὴ διαρρήδην ἀναγορεύει καὶ κύριον ἀποκαλεῖ,
τῇ διὰ τῶν τεσσάρων παρ’ Ἑβραίοις στοιχείων ἐπισημειώσει τιμῶσα, ἣν ἐπὶ
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 247

μόνης τῆς ἀνεκφωνήτου καὶ ἀρρήτου προσηγορίας τῆς τοῦ θεοῦ συντιθέναι παῖδες
Ἑβραίων εἰώθασιν.
« Et de fait, l’Écriture divine l’appelle sans détour Dieu et le nomme Seigneur, en l’honorant de
l’indication composée des quatre lettres chez les Hébreux, que les Hébreux ont l’habitude de ne
former qu’à propos de l’appellation imprononçable et indicible de Dieu. »

À propos de Gn 32, 29 ; 32, 31-32.


Commentaire : le tétragramme désigne le Verbe.
Ni le texte grec reçu ni le TM ne correspondent au témoignage d’Eusèbe. Les passages en ques-
tion ne comportent que le mot θεός (ΤΜ : ‫ אל‬,‫)אלהים‬, mais non κύριος. Aucun témoin repéré par
les éditions critiques ne corrobore le texte supposé par le commentaire d’Eusèbe. Même Aquila,
Symmaque et Théodotion ont, pour Gn 32, 29, la leçon μετὰ θεοῦ (Aquila, Théodotion) ou πρὸς
θεόν (Symmaque) (Field).

17. Démonstration évangélique, IX, 7, 14


Καὶ ἐπιμελῶς γε τήρει, τίνα τρόπον ἐν τῷ “ὅτι σύ, κύριε, ἐλπίς μου, τὸν ὕψιστον
ἔθου καταφυγήν σου” τὸ κύριε διὰ τοῦ τετραγράμμου ὀνόματος ἐν τῷ Ἑβραϊκῷ
φέρεται, ὅπερ ἀνεκφώνητον εἶναι λέγοντες Ἑβραίων παῖδες ἐπὶ μόνου τοῦ θεοῦ
παραλαμβάνειν εἰώθασιν, ἡμεῖς δὲ καὶ ἐπὶ τῆς τοῦ λόγου θεότητος ἐν πλείσταις
κείμενον γραφαῖς προαπεδείξαμεν, ὥσπερ καὶ ἐν τῷ μετὰ χεῖρας ψαλμῷ, ὅς φησιν εἰς
πρόσωπον αὐτοῦ τοῦ κυρίου “ὅτι σύ, κύριε, ἐλπίς μου, τὸν ὕψιστον ἔθου καταφυγήν
σου”, μονονουχὶ λέγων ὅτι σὺ αὐτός, ὦ κύριε, ὃς ἐμοῦ τοῦ ταῦτα προφητεύοντος
ἐλπὶς ὢν τυγχάνεις, μείζονα σαυτοῦ τὸν θεὸν τὸν ὕψιστον εἰδώς, ἐκεῖνον αὐτὸν
“ἔθου καταφυγήν σου”.
« Et observe attentivement de quelle façon, dans le passage : parce que toi, Seigneur, tu es mon
espérance, tu as fait du Très-Haut ton refuge (Ps 90, 9), le mot ‘Seigneur’ est noté dans l’hébreu
au moyen du tétragramme, mot, précisément, que les Hébreux disent imprononçable et qu’ils ont
l’habitude de n’employer qu’à propos de Dieu seul. Mais nous, nous avons démontré qu’il se
trouve aussi à propos de la divinité du Verbe dans un très grand nombre d’écritures, de même que
dans le Psaume en question, qui dit, à l’intention de la personne du Seigneur lui-même : parce que
toi, Seigneur, tu es mon espérance, tu as fait du Très-Haut ton refuge. C’est presque dire : parce
que toi-même, ô Seigneur, qui te trouves être mon espérance, à moi qui prononce cette prophétie,
sachant que le Dieu Très-Haut est plus grand que toi, tu as fait de celui-là ton refuge. »

À propos du Ps 90, 9.
Commentaire : le tétragramme indique le Verbe.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

III. – danS leS commentaIreS exégétIqUeS (b) : le tétragramme déSIgne le Père


18. Démonstration évangélique, V, 3, 3
Τὸν πρῶτον κύριον, ὡς ἂν καθόλου τῶν ἁπάντων δεσπότην, Ἑβραῖοι
ἀνεκφωνήτῳ προσρήσει τῇ διὰ τῶν τεσσάρων στοιχείων ἀνηγόρευον· τὸν δὲ
δεύτερον οὐκέθ’ ὁμοίως, ἰδίως δ’ αὐτὸν κύριον ὠνόμαζον.
« Le premier Seigneur, en tant que maître en général de toutes choses, les Hébreux le désignaient
au moyen de l’appellation imprononçable composée des quatre lettres ; le second, en revanche, ils
ne l’appelaient pas Seigneur de la même façon, mais d’une façon particulière. »

À propos du Ps 109, 1.
Commentaire : le tétragramme désigne le Père.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.
248 SÉBASTIEN MORLET

19. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 701, l. 44-51


Διὸ οὐ τῷ τετραγράμμῳ κέχρηται ἡ Ἑβραϊκὴ λέξις, στοιχείοις δὲ κοινοῖς τὸν
Κύριον περιέχει ἐν τῷ, Κύριος ἐν αὐτοῖς. Ἵνα γὰρ ἕτερον παραστήσῃ τοῦτον τοῦ
ἀνωτέρω διὰ τοῦ τετραγράμμου σημανθέντος Θεοῦ, ὅτε μὲν τὸ ἅρμα τοῦ Θεοῦ
ἐλέγετο, διὰ τῶν ἀνεκφωνήτων παρ’ Ἑβραίοις ἐδηλοῦτο στοιχείων· νυνὶ δὲ τοῖς
κοινοτέροις χαρακτῆρσιν, οἷς καὶ ὁ παρ’ ἀνθρώποις γράφεται κύριος.
« C’est pourquoi le texte hébreu n’utilise pas le tétragramme, mais contient le mot Seigneur au
moyen de lettres communes, dans le passage : le Seigneur est en eux. En effet, pour que l’Écriture
établisse qu’il est autre que le Dieu supérieur, indiqué par le tétragramme (ou : le Dieu indiqué
plus haut par le tétragramme), lorsqu’elle disait le char de Dieu, il était indiqué par les lettres
qui sont chez les Hébreux imprononçables, mais à présent, il est écrit Seigneur au moyen de
caractères plus communs, ceux par lesquels on désigne un seigneur chez les hommes. »

À propos du Ps 67, 18 (68, 18 TM).


Commentaire : le tétragramme permet de distinguer le Père et le Fils.
Le témoignage d’Eusèbe est partiellement infirmé par le TM. Le TM est conforme à son texte
pour la section correspondant à Ps 67, 18c (κύριος = ‫)אדני‬. En revanche, Eusèbe suppose un
tétragramme derrière le nom de Dieu (θεός) en 67, 18a, alors que le TM a ‫אלהים‬. Aquila et
Symmaque rendent ici le nom de Dieu de la même façon que la Septante (Field).

20. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 704, 54-57


Ὁ δὲ διὰ τῶν παρόντων δηλούμενος Κύριος, καὶ νῦν διὰ τῶν κοινῶν στοιχείων ἐν
τῇ Ἑβραϊκῇ βίβλῳ γραφόμενος, διεξόδους ποιησάμενος τοῦ θανάτου, γέγονε Θεὸς
ἐπώνυμος σωτηρίας.
« Le Seigneur désigné dans ce texte et inscrit à présent dans le livre hébreu avec les lettres
communes, après s’être fait siennes les issues de la mort, est devenu un Dieu éponyme de salut. »

À propos du Ps 67, 21.


Commentaire : le tétragramme distingue le Père du Fils.
Témoignage problématique. Eusèbe cite bien le Psaume sous la forme : καὶ τοῦ κυρίου
κυρίου αἱ διέξοδοι τοῦ θανάτου. Il affirme que le nom du Seigneur n’est pas noté en hébreu
par le tétragramme. Or, dans le TM, on a la suite : ‫יהוה אדני‬. Son témoignage est donc partielle-
ment faux. Il est d’autant plus étonnant qu’Eusèbe cite la leçon de Symmaque (τοῦ κυρίου τοῦ
δεσπότου), le terme κυρίου étant ici l’équivalent du tétragramme présent dans le TM. Ou bien
Eusèbe a déduit du texte de Symmaque que le Seigneur évoqué ici était envisagé sous son aspect
de maître et donc qu’il ne pouvait pas y avoir de tétragramme dans l’hébreu (cf. son raisonnement
dans le texte 21 : « C’est pourquoi Symmaque l’a traduit par maître ») ? D’après Field, le second
κυρίου était obélisé dans le texte hexaplaire (témoignage du Psautier Gallican).

21. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 705, 53 – 708, 10


Πάλιν κἀνταῦθα “ὁ Κύριος” οὐ διὰ τετραγράμμου παρ’ Ἑβραίοις ἐκπεφώνηται,
διὰ δὲ τῶν κοινοτέρων στοιχείων. Ἤδη δὲ τρίτον τοῦτον ἐδήλωσεν ἡ παροῦσα
Γραφὴ ἐφιστῶσα τὸν ὡς ἂν εἴποι τις, δεύτερον Κύριον. Ἐπεὶ καὶ ἐν τῷ φάσκοντι
ψαλμῷ· Εἶπε Κύριος τῷ Κυρίῳ μου. Κάθου ἐκ δεξιῶν μου, διὰ τῶν ἀνεκφωνήτων
παρ’ Ἑβραίοις τεττάρων στοιχείων ἐγέγραπτο. Ὁ δὲ δεύτερος, ὃν ἑαυτοῦ Κύριον
ὁ προφήτης ἐδήλου φάσκων, Τῷ Κυρίῳ μου, ἑτέροις στοιχείοις ἐδηλοῦτο, οἷς καὶ
πᾶς ὁ ἐν ἀνθρώποις δούλου κύριος σημαίνεται. Οὕτως οὖν καὶ ἐνταῦθα ἤδη
τρίτον ὁ μέχρις ᾅδου καταβὰς καὶ διεξόδους θανάτου πεποιημένος Κύριος διὰ τῶν
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 249

παρ’ Ἑβραίοις κοινῶς γραφομένων στοιχείων ὠνόμασται. Διόπερ ὁ Σύμμαχος


“δεσπότην” ἡρμήνευσεν αὐτόν.
« De nouveau, le mot Seigneur n’est pas prononcé chez les Hébreux au moyen du tétragramme,
mais des lettres plus communes. C’est la troisième fois que la présente Écriture a indiqué avec
beaucoup d’attention celui que l’on pourrait appeler le second Seigneur, puisque, dans le Psaume
qui dit : le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite (Ps 109, 1), le premier Seigneur était
écrit au moyen des quatre lettres qui sont, chez les Hébreux, imprononçables ; mais le second,
que le prophète désignait comme son seigneur, disant à mon Seigneur, était désigné par d’autres
lettres, celles par lesquelles on indique tout seigneur d’esclave chez les hommes. Ainsi donc, c’est
la troisième fois, ici, que le Seigneur qui est descendu jusque dans l’Hadès et qui a traversé la
mort est nommé au moyen des lettres qu’il est commun d’écrire chez les Hébreux. C’est pourquoi
Symmaque l’a traduit par maître. »

À propos du Ps 67, 23.


Commentaire : le tétragramme distingue le Père du Fils.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

22. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 708, 24-27


Βασὰν δὲ ἡρμήνευται αἰσχύνη, ἔνθα δι’ ἡμᾶς κατῆλθεν ὁ διὰ τῶν εἰρημένων
στοιχείων δηλωθεὶς Κύριος, αἰσχύνης καταφρονήσας ὑπὲρ σωτηρίας τῶν αὐτόθι
καταδεδουλωμένων.
« Basan se traduit ‘honte’, celle où, à cause de nous est descendu le Seigneur indiqué par
les lettres mentionnées, lui qui méprisa la honte pour le salut de ceux qui y étaient réduits en
esclavage. »

À propos du Ps 67, 23.


Commentaire : le tétragramme distingue le Père du Fils.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

23. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 717, 47-50


Πάλιν δὲ κἀνταῦθα ᾄδειν μὲν προστάττει τῷ Θεῷ, ψάλλειν δὲ τῷ Κυρίῳ οὐχ ἵνα
(οὐ διὰ corr. Migne) τοῦ τετραγράμμου, τῷ δὲ κοινοτέροις στοιχείοις δηλουμένῳ
ὀνόματι.
« De nouveau, ici encore, il prescrit de chanter pour Dieu, et de chanter un psaume au Seigneur,
indiqué, non par le tétragramme, mais par le nom formé des lettres communes. »

À propos du 67, 33.


Commentaire : le tétragramme distingue le Père du Fils.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

24. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 744, 28-30


Τήρει δὲ, ὡς καὶ ἐνταῦθα τὸν Κύριον διὰ τοῦ τετραγράμμου ἡ Ἑβραϊκὴ
ἐπισημαίνεται γραφή.
« Observe de quelle manière, là aussi, l’Écriture hébraïque indique le Seigneur au moyen du
tétragramme. »

À propos du Ps 68, 14.


Commentaire : le tétragramme distingue le Père du Fils.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.
250 SÉBASTIEN MORLET

25. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 745, 35-36


Καὶ ἐνταῦθα διὰ τοῦ παρ’ Ἑβραίοις ἀνεκφωνήτου τὸν ἑαυτοῦ Πατέρα ὁ Σωτὴρ
ἐπικαλεῖται.
« Là aussi le Sauveur invoque son propre Père par le nom qui est imprononçable chez les
Hébreux. »

À propos du Ps 68, 17.


Commentaire : le tétragramme distingue le Père du Fils.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

26. Commentaire sur les Psaumes, PG 23, 1128, 23-36


Τηρητέον δὲ, ὅτι ἐν τῷ, Κύριε, καταφυγὴ ἐγενήθης ἡμῖν, τὸ Κύριε οὐ διὰ τοῦ
τετραγράμμου φέρεται παρ’ Ἑβραίοις, ἀλλὰ διὰ τῶν κοινῶν καὶ συνήθων
γραφομένων στοιχείων, τῶν καὶ ἐπὶ τῆς ἀνθρωπίνης προσηγορίας ταττομένων,
εἴποτε τὸν ἐν ἀνθρώποις δεσπότην, κύριον καλοῖμεν. Κατὰ τὰ αὐτὰ γὰρ καὶ ἐπὶ
τοῦ παρόντος τὸ Ἀδωναῒ ἡρμήνευται εἰς τὸν Κύριον, τοῦ τετραγράμμου ὀνόματος,
ὃ τὴν ἀπόῤῥητον τοῦ Θεοῦ θεολογίαν σημαίνει, μὴ κειμένου κατὰ τὴν παροῦσαν
λέξιν, ἀλλὰ τοῦ δεσπότου μάλιστα εὐκαίρως ὠνομασμένου, εἰς παράστασιν τοῦ
κήδεσθαι αὐτὸν καὶ φροντίζειν τῶν αὑτοῦ οἰκετῶν, ὧν καὶ καταφυγὴ τυγχάνει.
« Il faut observer le fait que, dans le passage Seigneur, tu es devenu notre refuge (Ps 89, 1), le
mot ‘Seigneur’ n’apparaît pas chez les Hébreux avec le tétragramme, mais avec les lettres com-
munes que l’on a l’habitude d’écrire, celles que l’on emploie aussi pour l’appellation humaine,
si par hasard nous appelons ‘Seigneur’ celui qui est le maître chez des hommes. En effet, selon
le même principe, dans le texte en question le mot Adonai se traduit Seigneur, et le nom tétra-
gramme, qui indique la théologie indicible de Dieu, ne se trouve pas dans le présent passage ; c’est
le maître qui est nommé de façon tout à fait opportune, pour établir qu’il prend soin et qu’il se
soucie de ses propres serviteurs, dont il se trouve être le refuge. »

À propos du Ps 89, 1 (90, 1 TM).


Commentaire : le tétragramme permet de distinguer le Père et le Fils.
Le TM est conforme au texte évoqué par Eusèbe.

Iv. – le tétragramme cHez orIgène


27. Origène, Homélies sur les nombres, XIV, 1, 3
In Hebraeorum litteris nomen Dei, hoc est Deus uel Dominus, diuerse dicitur scribi ; aliter
enim scribitur quicumque deus et aliter Deus ipse, de quo dicitur : audi Istrahel Dominus Deus
tuus, Deus unus est. Iste ergo Deus ‘Istrahel’, ‘Deus unus’ et ‘creator omnium’, certo quodam
litterarum signo scribitur, quod apud illos tetragrammaton dicitur. Si quando ergo sub hoc signo in
scripturis scribitur Deus, nulla est dubitatio quin de Deo uero et mundi creatore dicatur. Si quando
uero aliis, id est communibus, litteris scribitur, incertum habetur, utrum de Deo uero an de aliquo
ex illis dicatur, de quibus Apostolus dicit : tametsi sunt, qui dicantur dii, siue in coelo, siue in
terra, sicut sunt dii multi, et domini multi ; nobis tamen unus Deus pater, ex quo omnia et nos per
ipsum. Aiunt ergo, qui Hebraeas litteras legunt, in hoc loco ‘Deus’ non sub signo tetragrammati
esse positum ; de quo, qui potest, requirat.

28. Fragment sur les Psaumes, PG 12, 1104, 7-33 (Ps 2, 2)


Οὐκ ἀγνοητέον δὲ περὶ τοῦ ἐκφωνουμένου παρὰ μὲν Ἕλλησι τῇ “Κύριος”
προσηγορίᾳ, παρὰ δὲ Ἑβραίοις τῇ “Ἀδωναΐ”. Δέκα γὰρ ὀνόμασι παρ’ Ἑβραίοις
LE TÉTRAGRAMME CHEZ EUSÈBE DE CÉSARÉE 251

ὀνομάζεται ὁ Θεὸς, ὧν ἐστιν ἓν τὸ “Ἀδωναῒ” καὶ ἑρμηνεύεται “Κύριος”. Καὶ ἔστιν


ὅπου λέγεται τὸ “Ἀδωναῒ” παρ’ Ἑβραίοις, καὶ παρ’ Ἕλλησι “Κύριος”, τῆς λέξεως
τῆς γεγραμμένης ἐν τῇ Γραφῇ τοῦτο ἀπαγγελλούσης. Ἔστι δὲ ὅτε τὸ Ἰαὴ κεῖται,
ἐκφωνεῖται δὲ τῇ “Κύριος” προσηγορίᾳ παρ’ Ἕλλησι, ἀλλ’ οὐ παρ’ Ἑβραίοις,
ὡς ἐν τῷ· “Αἰνεῖτε τὸν Κύριον, ὅτι ἀγαθὸς ψαλμός.” Κύριον γὰρ ἐνθάδε ἀντὶ τοῦ
Ἰαὴ εἴρηκεν. Καὶ ἔστιν ἡ ἀρχὴ τοῦ ψαλμοῦ παρ’ Ἑβραίοις “Ἀλληλούϊα·” ἔστι δέ τι
τετραγράμματον ἀνεκφώνητον παρ’ αὐτοῖς, ὅπερ καὶ ἐπὶ τοῦ πετάλου τοῦ χρυσοῦ
τοῦ ἀρχιερέως ἀναγέγραπται, καὶ λέγεται μὲν τῇ “Ἀδωναῒ” προσηγορίᾳ, οὐχὶ τούτου
γεγραμμένου ἐν τῷ τετραγραμμάτῳ· παρὰ δὲ Ἕλλησι τῇ “Κύριος” ἐκφωνεῖται. Καὶ
ἐν τοῖς ἀκριβεστέροις δὲ τῶν ἀντιγράφων Ἑβραίοις χαρακτῆρσι κεῖται τὸ ὄνομα,
Ἑβραϊκοῖς δὲ οὐ τοῖς νῦν, ἀλλὰ τοῖς ἀρχαιοτάτοις. Φασὶ γὰρ τὸν Ἔσδραν ἐν τῇ
αἰχμαλωσίᾳ ἑτέρους αὐτοῖς χαρακτῆρας παρὰ τοὺς προτέρους παραδεδωκέναι.
Τούτων δὲ ὑπεμνήσθημεν, ἐπεὶ τὸ τετραγράμματον ὡς “Κύριος” κεῖται ἐν τῷ· Ἀλλ’ ἢ
ἐν νόμῳ Κυρίου· καὶ ἐν τῷ· Ὅτι γινώσκει Κύριος ὁδὸν δικαίων καὶ νῦν· Κατὰ τοῦ Κυρίου
καὶ κατὰ τοῦ Χριστοῦ αὐτοῦ.

29. Ps.-Évagre, Εἰς τὸ ΠΙΠΙ


Διὰ τὴν ἑβραϊκὴν ἐπὶ τοῦ κυρίου παρασημείωσιν ταῦτα λεκτέον. δέκα ὀνόμασι
παρ’ Ἑβραίοις ὀνομάζεται ὁ θεός. ὧν ἓν μὲν Ἀδωναῒ λέγεται, ὅ ἐστιν κύριος, ἕτερον
δὲ Ἰά, ὃ αὐτὸ ἐν τῷ ἑλληνικῷ εἰς τὸ κύριος μετελήφθη. ἕτερον δέ τι παρὰ ταῦτά ἐστι,
τὸ τετραγράμματον, ἀνεκφώνητον ὂν παρ’ Ἑβραίοις, ὃ καταχρηστικῶς παρὰ μὲν
αὐτοῖς Ἀδωναῒ καλεῖται, παρὰ δὲ ἡμῖν κύριος. τοῦτο δὲ φασὶν ἐπὶ τῷ πετάλῳ τῷ
χρυσῷ τῷ ἐπὶ τοῦ μετώπου τοῦ ἀρχιερέως γεγράφθαι κατὰ τὸ ἐν τῷ νόμῳ εἰρημένον
ἐκτύπωμα σφραγῖδος ἁγίασμα κυρίῳ πιπι.
τὰ δὲ λοιπὰ ὀνόματά ἐστιν ταῦτα· Ἤλ, Ἐλωείμ, Ἀδών, Σαβαώθ, Σαδδαΐ, Αἰϊὲ ἐσεριὲ
καὶ τὰ προγεγραμμένα τρία, ὧν ἐστὶν τὸ τετραγράμματον, τούτοις γραφόμενον τοῖς
στοιχείοις ἰὼθ ἣ ‫ ה‬οὐαὺ ἣ ‫ה‬.
πιπι ὁ θεός.
Τὸ ἐπὶ τοῦ κυρίου ταττόμενον ἀνεκφώνητον ὄνομα διὰ τεσσάρων γράφεται
στοιχείων, διὰ τοῦ ἰώθ, διὰ τοῦ ἣ ‫ה‬, διὰ τοῦ οὐὰβ καὶ διὰ τοῦ ἤθ ‫ה‬. τούτων μέσον
παρεντεθὲν μετὰ τὰ πρῶτα δύο παρ’ Ἑβραίοις στοιχεῖον καλούμενον σέν, ὅ ἐστιν
ὀδόντες, ὡς εἶναι τὸν εἱρμὸν τῶν πέντε γραμμάτων οὕτως· ἀρχὴ αὕτη, ὀδόντες ἐν
αὐτῇ ὁ ζῶν. ἑρμηνεύεται τὰ τέσσαρα στοιχεῖα, τὸ ἰὼθ ἀρχή, καὶ διὰ τοῦ ἣ ‫ ה‬αὕτη, καὶ
διὰ τοῦ οὐαὺ ἐν αὐτῇ καὶ διὰ τοῦ ἢθ ὁ ζῶν.

30. Origène, Fragments sur Ézéchiel, PG 13, 796, 21-35 (Ez 8, 1)


Καὶ ἐγένετο ἐπ’ ἐμὲ χεὶρ Κυρίου. Ἔν τισι δὲ γέγραπται, Χεὶρ Κυρίου Κυρίου. Καί
γε ἐν ἄλλοις εἰρήκαμεν, ὅτι πολλαχοῦ τὸ ἐκφωνούμενον ἐν τῇ Κύριος φωνῇ τὸ
σεβάσμιον παρ’ Ἑβραίοις ἐστὶν ὄνομα τοῦ Θεοῦ, ὅ τι περ οὐ ταχέως προφέρονται.
Πλὴν ἔσθ’ ὅτε τὸ κύριος τάσσεται καὶ ἐπὶ τῶν δούλων κυρίου. Ἔνθα οὖν κεῖται τὸ,
Κύριος Κύριος, χρὴ εἰδέναι, ὅτι τὸ μὲν ἕτερον οἱονεὶ τὸ κύριον ὄνομα καὶ ἄῤῥητόν ἐστι
τοῦ Θεοῦ· τὸ δὲ λοιπὸν τὸ, Κύριος, Ἑβραίοις Ἀδωναῒ, ἐπὶ τοῦ Κυρίου τάσσουσιν, ὁτὲ μὲν
προφερόμενοι τὴν φωνὴν ἐπὶ τοῦ ἀῤῥήτου ὀνόματος, ὁτὲ δὲ οἱονεὶ ἐπὶ τοῦ Κυρίου
τῶν δούλων. Τὸ οὖν Ἀδωναῒ Κύριος τῷ νοήσαντι τὰ εἰρημένα περὶ τοῦ ἀῤῥήτου
ὀνόματος οὐδὲν διαφέρει τοῦ Κύριος, ὡς ἐκδεδώκαμεν.

31. Origène, Homélies sur Ézéchiel, IV, 7 (Ez 14, 14)


Ipsi in iustitia sua saluabuntur, dicit Adonai Dominus. Prius nomen Dei quattuor litterarum est,
quod interpretatur naturaliter Deus.
252 SÉBASTIEN MORLET

32. Jérôme, Commentarioli in Psalmos, 8, 2


Prius nomen domini apud Hebraeos quattuor litterarum est, iod, he, uau, he : quod proprie dei
uocabulum sonat, et legi potest iaho, et Hebraei ἄρρητον, id est ineffabile opinantur.

33. Jérôme, Commentarioli in Psalmos, 109, 1


Prius nomen domini τετραγράμματον est, quod proprie in deo ponitur : secundum, quod
commune est cum ceteris, quo et reges et ceteri homines appellantur.

34. Jérôme, Commentaire sur Ézéchiel, II, 6


Quod saepe in hoc propheta dicitur ‘adonai’ dominus, propter Graecos et Latinos qui Hebraeae
linguae non habent scientiam, breuiter exponendum uidetur : ‘adonai’ unum nomen est de decem
uocabulis dei, et significat ‘dominum’ quo saepe et in hominibus utimur – denique et sara uocans
abraham ‘dominum’ suum, hoc uocabat nomine ; et ubi dicitur : domine mi rex, ‘adonai’ scriptum
est – ; quando igitur duo ‘domini’ et ‘domini’ iuncta sunt nomina, prius nomen commune est,
secundum proprie dei, quod appellatur ἄρρητον, id est ‘ineffabile’, et quod scriptum fuit in
lamina aurea quae erat in fronte pontificis.

35. Jérôme, Commentaire sur Ézéchiel, IX, 28


Vbicumque iuxta septuaginta, secundo ponitur ‘dominus, dominus’, primum nomen tetragram-
maton est quod proprie ad deum pertinet et ‘ineffabile’ dicitur, secundum commune quod saepe
et in hominibus inuenitur.

36. Jérôme, Lettre 18A (Ps 23, 10)


Dominus quoque ipse hic quattuor litterarum est, quod proprie in deo ponitur : iod he iod he, id
est duobus ia, quae duplicata ineffabile illud et gloriosum dei nomen efficiunt.

37. Jérôme, Lettre 25


Nonum tetragrammatum, quod ἀνεκφώνητον, id est ineffabile, putauerunt et his litteris
scribitur : iod, he, uau, he. Quod quidam non intellegentes propter similitudinem, cum in Graecis
libris reppererint, ΠΙΠΙ legere consueuerunt.

38. Jérôme, Tractatus in Psalmos, 10, Pr. (series altera)


Et ut aliquid curiosius inferam, ab hoc iesu, id est, saluatoris incipit nomen, et illud ineffabile
quattuor litterarum apud hebraeos exinde habet exordium, quod scribitur per ioth he uau he ; in
quem per decadas suas centesimus numerus euoluitur, et rursus millesimus per decem crescit
hecatontadas, et usquequo humana ratio procedere potest, semper hic numerus et finis est et
initium, iuxta illum sensum ‘ego sum Α Ω, initium et finis’.

39. Jérôme, Tractatus in Psalmos, 109, 1


In Hebraico primum nomen domini his litteris scribitur, quibus de deo tantum scribitur.
Secundum uero nomen domini his litteris scribitur, quibus solent homines dominum uocare :
quomodo et a quorundam uocatur dominus a seruo, et reges uocantur domini.

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