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LE DIALOGUE DE KHÂKHEPERRÊSENEB AVEC SON BA

TABLETTE BRITISH MUSEUM EA 5645/OSTRACON CAIRE JE 50249


+ PAPYRI AMHERST III & BERLIN 3024

PAR

CHRISTOPHE BARBOTIN
Musée du Louvre, département des Antiquités égyptiennes – PARIS

Deux œuvres occupent une place à part au sein de la littérature égyptienne du Moyen
Empire∞∞: la «∞∞collection de mots∞∞» de Khâkheperrêseneb, relativement peu abordée dans la
recherche égyptologique1, et le fameux Dialogue d’un homme avec son ba, qui a suscité un
nombre d’articles et de livres infiniment supérieur à la première2. Elles se signalent par leur
forme, un monologue de fait dans le cadre d’un dialogue implicite pour l’une, un dialogue
actif impliquant un interlocuteur d’un nouveau genre, le ba, pour l’autre. Elles sont en
outre dépourvues du moindre élément de contexte, ce qui porte leur contenu à un niveau
d’abstraction inhabituel en littérature égyptienne. Car elles se signalent encore et surtout
par leur fond∞∞: expression d’un mal-être irréductible à aucun mot connu d’un côté, interro-
gations sur les idées traditionnelles de la vie et de la mort de l’autre.

La date des deux textes

Ils ont été composés au Moyen Empire. Bien que la tablette du British Museum, pour
Khâkheperrêseneb, soit une copie du début de la XVIIIe dynastie3, le nom même de l’au-
teur de la «∞∞collection de mots∞∞» situe à Sésostris II la date la plus ancienne possible. Elle
le place en tout état de cause à une époque qui ne peut être postérieure à l’existence d’un

1
Sur ce texte, voir en dernier lieu St. Quirke, Egyptian Literature 1800 BC, questions and readings, 2004, p. 173-
175∞∞; W.K. Simpson, dans W.K. Simpson (éd.), The Literature of Ancient Egypt. An Anthology of Stories, Instructions,
Stelae, Autobiographies and Poetry, 2003, p. 211-213∞∞; R.B. Parkinson, «∞∞The Text of Khakheperreseneb∞∞: New readings
of EA 5645, and an Unpublished Ostracon*∞∞», JEA 83 (1997), p. 55-68 et pl. X-XII∞∞; id., «∞∞Khakheperreseneb and
Traditional Belles Lettres∞∞», dans P. Der Manuelian (éd.), Studies in Honor of William Kelly Simpson, II, 1996, p. 647-
654 et P. Vernus, «∞∞L’intuition de Khâkheperrêseneb∞∞», dans id., Essai sur la conscience de l’Histoire dans l’Égypte
pharaonique, 1995, p. 1-33.
2
Objet d’une toute récente monographie par J.P. Allen, The Debate between a Man and His Soul. A Masterpiece of
Ancient Egyptian Literature, 2011, avec l’historiographie complète de l’œuvre et la variété des titres qui lui ont été donnés
(p. 1-3) ainsi qu’une bibliographie exhaustive (p. 245-249).
3
EA 5645. Elle aurait fait partie, selon Parkinson, de la troisième collection Salt et proviendrait de Thèbes (JEA 83
[1997], p. 60, n. 5). L’ostracon Caire JE 50249, qui proviendrait de Dahchour (R.B. Parkinson – R.J. Demarée, «∞∞The Text
of Khakheperresenb: an addendum∞∞» JEA 93 [2007], p. 270), date également du début de la XVIIIe dynastie.

Revue d’égyptologie 63, 1-20. doi∞∞: 10.2143/RE.63.0.2957944


Tous droits réservés © Revue d’égyptologie, 2012.

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culte de ce roi, donc entre Sésostris II et la XIIIe dynastie. Vernus4, suivi par Parkinson,
penche pour la fin de la XIIe ou la XIIIe dynastie d’après l’emploi non-extensif de la
construction sujet + Ìr + infinitif de verbe intransitif, qui pointe statistiquement cette
période. Mais l’argument ne porte que sur le seul verbe Ìpr, en deux occurrences seule-
ment. Ceci en relativise beaucoup la valeur comme critère de datation, d’autant plus que
ces deux cas sont chacun suivis d’une proposition pseudo-verbale qui en complète l’as-
pect5. Au contraire, l’emploi extensif de ladite construction apparaît à deux reprises dans
le texte avec des verbes intransitifs6, et une fois avec le verbe transitif írí7. Elle est en
outre bien distincte de la tournure sujet + s∂m.f à valeur aoriste que l’on rencontre à trois
reprises en contexte négatif8. On ne peut donc exclure que le traitement particulier de Ìpr
observé chez Khâkheperrêseneb ne tienne au sujet même du texte qui soupèse ce verbe
sous tous ses aspects9. À l’inverse, l’expression de la filiation par antéposition honori-
fique plaide pour une date plus ancienne, en tout cas antérieure à la XIIIe dynastie10. Le
désarroi du copiste de la XVIIIe dynastie devant cet archaïsme paraît à cet égard fort
significatif11.
Le papyrus de Berlin 3024 et les quatre fragments du papyrus Amherst III12 qui lui cor-
respondent, pour le Dialogue, datent quant à eux du règne d’Aménemhat III13. Mais le
texte a été recopié sur un original préexistant d’après les erreurs et omissions du copiste
qu’on y relève14, et surtout d’après l’énoncé du colophon qui est sans ambiguïté là-des-
sus15. Il semble remonter à la première moitié de la XIIe dynastie d’après ce même critère

4
P. Vernus, Le surnom au Moyen Empire, 1986, no 183, p. 42∞∞; id., Future at Issue. Tense, Mood and Aspect in Middle
Egyptian∞∞: Studies in Syntax and Semantics, 1990, p. 188∞∞; id., Essai, p. 3.
5
Îprw Ìr Ìpr / nn mí snf (ro10) «∞∞des événements surviennent, qui n’avaient pas d’équivalent l’année précédente∞∞» et
nhpw Ìr Ìpr r¨ nb / Ìr tnbÌ r Ìprt (ro 12) «∞∞ceux qui se lamentent surviennent chaque jour, en train de trembler à propos de
ce qui survient∞∞». Dans ce dernier cas, la proposition enchâssée tire sa valeur extensive de son rapport à la première propo-
sition qui en est à la fois le sujet et le substrat aspectuel.
6
Änk pw Ìr nky m Ìprt (ro 10) et … Ìr tnbÌ Ìr Ìprt (cf. n. 5).
7
Bw nb twt(w) / Ìr írt st (vo 2).
8
Nn mdt ntt k.s ∂d.s (ro 5), nn ¨rÈ ss.f (vo 3) et nn ∂nwd dí.f r (vo 4). Cf. infra, n. 76.
9
On note ainsi l’emploi de sÌpr en inaccompli non-extensif∞∞: Ìsf Ìn Ìr sÌpr rÈw (vo 5) «∞∞repousser les expressions fait
survenir l’opposition∞∞», et bien entendu les jeux sur les participes substantivés de Ìpr (ro 10, ro 12 et vo 1).
10
G. Lefebvre, Grammaire de l’égyptien classique (BdE 12), 1955, §59, p. 41∞∞: «∞∞jusqu’à la XIIe dyn. (mais pas plus
tard)∞∞». Cf. aussi M. Malaise – J. Winand, Grammaire raisonnée de l’égyptien classique (AegLeod 6), 1999, § 49, p. 47
(«∞∞jusqu’à la 12e dynastie »). Ceci est parfaitement compatible avec l’usage de la locution ∂dw n.f, introductive du surnom
dès le milieu de la XIIe dynastie (P. Vernus, Le surnom, p. 83-84).
11
Puisqu’il a ajouté un déterminatif au nom du père, contrairement à l’usage correct.
12
Aujourd’hui conservés à la Pierpont Morgan Library de New York et identifiés par R.B. Parkinson, «∞∞The Missing
Beginning of the “Dialogue of a Man and His Ba”∞∞: P. Amherst III and the History of the “Berlin Library”∞∞», ZÄS 130
(2003), p. 120-133. L’ensemble provient de la région thébaine, peut-être d’une tombe de l’Assassif.
13
R.B. Parkinson, Reading Ancient Egyptian Poetry. Among other Histories, 2009, p. 76.
14
J.P. Allen, loc. cit., p. 9.
15
Äw.f pw Ìt.f r pÌwy.fy mí gmyt m ss (col. 154-155) «∞∞c’est ainsi qu’il vient, depuis le début jusqu’à la fin, conformé-
ment à ce qui a été trouvé dans les écrits∞∞» (cf. J.P. Allen, Debate, p. 112).

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syntaxique évoqué plus haut auquel le grand nombre d’occurrences donne cette fois un
poids statistique indéniable16. Les deux œuvres sont donc grammaticalement compatibles,
rien ne s’oppose à ce qu’elles soient contemporaines.

La forme de Khâkheperrêseneb

La tablette du British Museum sépare le texte en quatre alinéas copiés en deux sessions
d’écriture, comme le suggère la présence d’une date inscrite en rouge entre les deuxième et
troisième alinéas17 («∞∞le deuxième mois de chémou, le vingt-huitième jour »), chacun
d’entre eux correspondant à un paragraphe d’après le sens. Ce découpage a d’ailleurs été
adopté par certains traducteurs18, tandis que d’autres ont préféré n’en pas tenir compte19. Le
texte est parsemé de points rouges correspondant à des unités de sens avec quelques
notables erreurs et omissions du copiste du Nouvel Empire20. L’ostracon, en revanche, ne
porte aucune trace de ponctuation21.
Comme le rappelle Parkinson22, la plupart des égyptologues s’accordent à reconnaître
que les «∞∞mots∞∞» de Khâkheperrêseneb ne se suffisent pas à eux-mêmes mais représentent
au contraire le début d’un développement aujourd’hui perdu23. C’est d’ailleurs ce qu’il
suggérait lui-même en 1996 lorsqu’il évoquait la possibilité que les «∞∞mots∞∞» constituent le
prologue d’un discours24. Mais en dernier lieu, il semble revenir sur cette opinion au motif
que l’ostracon du Caire ne donne pas de section nouvelle du texte, et d’autre part que la
longueur de la composition selon la tablette de Londres correspond à celle de l’enseigne-
ment d’Aménemhat Ier, soit un gabarit plausible pour l’époque25.

16
J.P. Allen, loc. cit., p. 9 et p. 118-121.
17
R.B. Parkinson, JEA 83 (1997), p. 63, n. 19.
18
M. Lichtheim, Ancient Egyptian Literature. A Book of Readings, I, 1973, p. 145-149∞∞; St. Quirke, Egyptian
Literature, p. 173-175. De même, P. Vernus suit le découpage des deux premiers paragraphes qu’il réunit en un «∞∞exorde∞∞»
(Essai, p. 4).
19
E. Bresciani ne crée qu’un seul alinéa, à la fin de ro 13 (Letteratura e poesia dell’antico Egitto, 1969, p. 139-142),
G.E. Kadish ne respecte que le troisième alinéa et le verso (JEA 59 [1973], p. 77-79), Parkinson se conforme au premier
paragraphe mais s’arrête au milieu du second (Studies Simpson, p. 651), Simpson aligne tous les paragraphes à la suite et
ne marque d’alinéa qu’au début du verso (Literature, p. 212-213).
20
R.B. Parkinson, Studies Simpson, p. 647.
21
Sur le délicat problème de la versification égyptienne, voir en dernier lieu R.B. Parkinson, Poetry and Culture in
Middle Kingdom Egypt. A Dark Side to Perfection, 2002, p. 112-117.
22
JEA 83 (1997), p. 55, n. 2.
23
St. Quirke, quant à lui, envisage la possibilité que la tablette soit un assemblage d’extraits de l’œuvre originale, ce à
quoi renverrait le terme sÌwy qu’il traduit par «∞∞compilation∞∞» (Egyptian Literature, p. 173).
24
«∞∞This is likely rather to be a rare surviving example of preludium of a discourse∞∞», et «∞∞it creates a very effective
sense of expectation for what follows∞∞», R.B. Parkinson, Studies Simpson, p. 653.
25
Plausible mais tout de même «∞∞distinctively short∞∞» (R.B. Parkinson, JEA 83 [1997], p. 66, n. 38).

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Le document du British Museum est pourtant une pièce scolaire comme il ressort de sa
nature même de tablette26, des erreurs de ponctuation, de l’emploi d’une date qui marque
une session de travail du copiste27, et enfin de la présence à la fin du verso de deux phrases
extraites de textes sans aucun rapport avec le sujet. Il est bien rare qu’une source de ce type
livre un texte intégral. Ainsi l’ostracon du Caire représente-t-il un extrait encore plus réduit
puisqu’il commence au deuxième alinéa de la tablette, ce qui paraît en confirmer la valeur
de véritable paragraphe, mais s’arrête au beau milieu de la deuxième ligne de celui-ci. Enfin,
la longueur des textes littéraires étant fort variable28, ce critère ne revêt aucun caractère
déterminant, ce qui compte au contraire, ce sont leur teneur et leur logique interne. Puisque
la tablette de Londres s’arrête en cul-de-sac, chaque lecteur peut le constater par soi-même,
c’est bien qu’elle nous livre un morceau choisi et non une œuvre complète, même s’il s’agit
d’un travail d’étudiant avancé, car les fautes ne sont pas trop nombreuses et les deux faces
n’ont été copiées qu’en deux fois, d’après la date unique qu’elle comporte29.
L’ouvrage de Khâkheperrêseneb commence par un discours dont l’auteur est soigneuse-
ment identifié par son nom et son titre30, avec les célèbres lamentations sur les mots usés.
Le discours continue par une déploration sur l’état du pays et court jusque la fin de la
tablette. Mais on observe, dès le début du verso, les prémices d’une posture de dialogue
avec l’apparition d’une incise narrative (vo 1)∞∞: «∞∞je∞∞» s’adresse à son cœur. Ce dialogue
demeure sous-jacent au reste du discours qui se termine par une nouvelle adresse au cœur
(vo 6). Il est notable que ce glissement vers le dialogue n’intervienne qu’en deuxième partie
du texte et soit rappelé tout à la fin de la tablette.
En tout cas, il s’agit bien d’une situation de dialogue puisqu’il y a deux interlocuteurs
(«∞∞je∞∞» et le cœur), mais ce cadre-dialogue se présente comme un monologue de fait car le
cœur demeure muet. Nous rencontrons là un schéma classique suivi par la plupart des
enseignements qui mettent en scène deux protagonistes (un père ou un chef face à son fils
ou à son subordonné) dont un seul parle et l’autre ne dit rien. L’Enseignement d’Any, au
Nouvel Empire, se termine d’ailleurs par un authentique dialogue entre le sage et son fils
Khnoumhotep31. Les «∞∞mots∞∞» de Khâkheperrêseneb s’inscrivent donc dans le champ des
textes didactiques.

26
Les tablettes livrent majoritairement des textes scolaires∞∞: P. Vernus, «∞∞Schreibtafel∞∞», LÄ V, col. 704, B1.
27
Sur les dates de session de copistes, voir A. Erman, Die ägyptischen Schülerhandschriften (APAW 1925/2), 1925,
p. 8-9 et G. Posener, Catalogue des ostraca hiératiques littéraires de Deir el-Medineh, I (DFIFAO 1), 1938, p. IV.
28
Voir par exemple le conte d’Astarté qui, par la grâce d’une découverte presque fortuite, est devenu le texte le plus
long de toute la littérature égyptienne∞∞: Ph. Collombert – L. Coulon, BIFAO 100 (2000), p. 199.
29
Dans certains cas, comme le soulignait A. Erman, ces dates peuvent être étonnamment rapprochées∞∞: par exemple la
tablette Louvre N 693 (A. Piankoff, RdE 1 [1933], p. 52), ou Turin 58005, A et B (J. Lopez, Ostraca ieratici N. 57450-
57568. Tabelle lignee N. 58001-58007, 1984, pl. 185-186).
30
Sa qualité de prêtre-ouâb d’Héliopolis devait lui conférer une autorité particulière, liée au renouveau de ce sanctuaire
voulu par Sésostris Ier.
31
P. Vernus, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2001, p. 254-257.

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La forme du Dialogue

Le Dialogue nous est connu par une copie unique sur un papyrus remployé (pAmherst III
et pBerlin 3024). Ce n’est donc pas un essai scolaire mais une édition soignée pour lecteur
averti, accompagnée des vestiges d’un second texte littéraire, le conte du bouvier. Tout
se passe comme si l’on avait affaire à un ouvrage de bibliothèque personnelle à laquelle
appartenaient peut-être aussi les papyrus Berlin 3022, 3023 et 302532, soit un cadre
comparable à celui des papyrus du Ramesseum. Mais ceux-ci sont plus tardifs et consti-
tuaient une bibliothèque complète comprenant au moins vingt-quatre rouleaux d’origines
diverses33.
Le Dialogue ne présente pas de ponctuation, conformément aux habitudes du Moyen
Empire, mais est parfois interprété comme un poème en vers, surtout dans les parties lita-
niques34.
Le début du texte n’est pas connu, malgré les fragments du papyrus Amherst que
Parkinson est parvenu à lui attribuer35, et apparaît d’entrée de jeu comme un dialogue
effectif entre deux protagonistes actifs. Ce dialogue incorpore en outre deux paraboles et
quatre poèmes. Il met en œuvre toutes les subtilités de la conception aspectuelle de l’indi-
vidu propre à la pensée pharaonique. On sait en effet les Égyptiens fort réticents à l’expres-
sion directe de l’abstraction, non pour de quelconques raisons de structure de leur langue
qui offrait au contraire toutes les possibilités requises (nombreuses formes verbales aptes à
être substantivées, usage des articles en égyptien de la deuxième phase…), mais parce que
leur univers mental était totalement soumis aux choses visibles de la nature. C’est donc par
des images, notamment par le recours à la personnification, que les Égyptiens exprimaient
des idées qui sont aujourd’hui tenues pour abstraites. Le Dialogue confronte l’aspect vivant
de l’individu, mis en scène sous la forme du pronom personnel de la première personne
que, par commodité, nous appellerons désormais «∞∞le moi∞∞», à son aspect mobile incarné
par le ba.
Qu’est-ce donc que le ba36∞ ? C’est un oiseau, ainsi conçu au moins dès le Moyen Empire
même s’il n’est figuré comme tel qu’à partir du Nouvel Empire37, personnifiant le principe
universel de mobilité. Le choix de cette image procède d’une logique évidente∞∞: aux yeux
d’un homme de la campagne, rien n’est plus mobile qu’un oiseau qu’il voit se déplacer

32
Très probablement découverts ensemble dans une tombe de l’Assassif par Giovanni d’Athanasi dans les années
1820-1830∞∞: R.B. Parkinson, Reading Ancient Egyptian Poetry, p. 77-112 et p. 279-322.
33
R.B. Parkinson, op. cit., p. 146-147.
34
J.P. Allen, «∞∞Stylistic Analysis∞∞», loc. cit., p. 123-135.
35
Le premier des quatre fragments Amherst (I) ne serait situé qu’à la neuvième colonne (R.B. Parkinson, ZÄS 130
[2003], p. 126-129 et J.P. Allen, Debate, p. 10-11).
36
Résumé des études antérieures dans J.P. Allen, loc. cit., p. 6.
37
J.P. Allen, loc. cit., p. 4.

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sans entrave en haut et en bas, à droite et à gauche, devant et derrière c’est-à-dire, en lan-
gage abstrait, dans les trois dimensions.
Ce principe universel de mobilité se manifeste lorsque le support dont il a besoin est, ou
devient, immobile∞∞: les dieux ont un ba puisque leur corps-support (∂t) est une image maté-
rielle immobile38, tout comme les morts dont le cadavre ne bouge plus. Rappelons d’ail-
leurs que la capacité de mouvement d’un sujet était intimement liée à la capacité d’action
et au rayon d’action de ce sujet39.
Or dans le Dialogue, le ba est systématiquement déterminé par le signe de la mort ( ),
40
un phénomène resté inaperçu jusqu’à l’étude de James Allen . Une telle graphie est rare,
mais pas unique puisqu’on la retrouve dans l’Enseignement pour Mérikarê41, mais surtout
dans un passage de Sinouhé sur lequel nous reviendrons plus loin. Ce déterminatif souligne
l’aptitude du ba à franchir les dangereuses contrées de l’au-delà inaccessibles au vivant sur
terre42. Sa présence établit une vigoureuse opposition hiéroglyphique entre les interlocuteurs.
Les deux protagonistes ainsi définis se donnent mutuellement la réponse en un vrai dia-
logue, forme d’expression très utilisée dans l’Égypte ancienne puisqu’elle permettait de
développer un argument de la manière la plus concrète possible. On trouve des dialogues en
accompagnement de scènes de tombes, dans les textes funéraires et magiques dès les Textes
des pyramides, dans les Königsnovelle, les contes, la poésie, les textes sapientiaux43…

Le fond de Khâkheperrêseneb

L’enjeu des «∞∞mots∞∞» de Khâkheperrêseneb est la solitude, un thème courant dans la


littérature pessimiste44. On en jugera d’après le plan qu’on peut dresser de la succession des
thèmes dans l’opuscule∞∞: les mots sont usés par la répétition qui en est faite depuis les
ancêtres (ro 1-4), cette éternelle répétition constitue une sorte de fatalité à laquelle nul ne

38
Pierre de théologie memphite, col. 60 (A. El-Hawary, Wortschöpfung. Die memphitische Theologie und die
Siegesstele des Pije. Zwei Zeugen kultureller Repräsentation in der 25. Dynastie [OBO 243], 2010, p. 136).
39
Ainsi faut-il comprendre la nature fondamentale de la notion de bw comme «∞∞champ de mouvement/d’action∞∞», et
par conséquent puissance redoutable pour une divinité ou son équivalent. Une telle extension ne saurait appartenir qu’aux
êtres surnaturels puisque le champ de mouvement/d’action des simples mortels est lié à leur corps.
40
J.P. Allen, loc. cit., p. 6, n. 6.
41
J.Fr. Quack, Studien zur Lehre für Merikare (GOF IV/23), 1992, p. 177 (E 64) et p. 194 (E 127). Le ba est également
déterminé par le signe du prisonnier ligoté dans un texte magico-religieux de la XIIe dynastie écrit sur un vase (R. Engelbach
– B. Gunn, Harageh, 1923, pl. LXXIX, l. 4), et par le signe de la mort dans le papyrus magique Turin 54055 [cat. 1942],
l. 1 (A. Roccati, «∞∞Nuovi paralleli torinesi di testi magici ramessidi∞∞», Aegyptus XLIX [1969], pl. I,I) et dans son équivalent
le papyrus Chester Beatty VIII, vo 4/8.
42
Ce qui est dit sans ambiguïté dans les col. *26-*27 des fragments Amherst (R.B. Parkinson, ZÄS 130 [2003], p. 131-
132 et J.P. Allen, loc. cit., p. 23).
43
S. Donadoni, «∞∞Dialog∞∞», LÄ I, col. 1075-1079 et M. Worthington, «∞∞Question and Answer in Middle Kingdom
Dialogues∞∞», JEA 90 (2004), p. 113-121.
44
R.B. Parkinson, Studies Simpson, p. 647, n. 4.

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peut se soustraire (ro 5-7). De cette fatalité écrasante, le moi voudrait bien se décharger sur
son cœur (ro 8-9). La souffrance du moi provient du désordre social (ro 10-13) et le moi,
encore une fois, désire partager sa détresse avec son cœur (ro 13-14). Le moi s’adresse une
première fois à son cœur comme à un conseiller susceptible de lui expliquer le désordre
social (vo 1). La souffrance est partagée par tous les hommes qui s’en trouvent pervertis
(vo 2-3), à tel point qu’il n’y a plus de communication possible entre eux (vo 4-5). Enfin,
pour la seconde et dernière fois et parce qu’il n’est plus possible de discuter avec
quiconque, le moi adjure son cœur de lui répondre (vo 6).
On voit donc que la solitude de Khâkheperrêseneb découle directement et indirectement
d’une catastrophe sociale inouïe, sujet certes banal dans la littérature pessimiste du Moyen
Empire puisque la disparition de l’ordre social (maât, l’ordre-juste) garanti par les dieux
abolit les repères de l’individu. Ce qui est beaucoup plus surprenant en revanche, c’est
d’abord le fait que la conséquence (la douleur et l’impossibilité de l’exprimer) soit mise en
exergue et présentée avant la cause, et ensuite que cette mise en exergue soit rendue par un
très haut niveau d’abstraction selon le standard égyptien (les mots).
Puisqu’il n’a personne à qui parler, le moi est contraint de se tourner vers cet aspect de lui-
même qu’est le cœur-íb. On sait que le cœur était conçu à la fois comme une sorte de moteur
susceptible d’acquérir l’expérience morale et intellectuelle qui construit l’être humain tout au
long de sa vie, et à la fois comme un réceptacle de cette expérience, ce qui faisait de lui le
hiéroglyphe de l’identité individuelle par excellence. Mais ce hiéroglyphe demeure dépourvu
de capacité d’action et par conséquent de parole45, celle-ci étant inséparable de l’action. Si
Néferti s’adresse à son cœur, en introduction à ses prophéties, c’est en qualité de réceptacle de
ses sentiments, il le prend à témoin mais n’en attend pas de réponse46. De ce point de vue, le
cœur-íb est donc passif, le moi seul («∞∞je ») étant capable de transmettre la parole d’un indi-
vidu vivant. On mesure ici le gouffre qui sépare le cœur selon la conception égyptienne de la
notion moderne de conscience… Puisqu’il ne saurait répondre, car effectivement le cœur de
Khâkheperrêseneb demeure muet, c’est que cette prière véhicule un effet de pathétique propre
à éveiller l’intérêt du lecteur égyptien qui savait bien, lui, qu’elle était parfaitement impossible.

Le fond du Dialogue

Quel est l’enjeu du Dialogue∞∞? La recherche d’une alternative à ce bas monde. Désespéré
par la solitude où l’accule la catastrophe sociale, le moi explore les perspectives funéraires

45
Sur le cœur, voir la synthèse de H. Brunner, LÄ II, col. 1158-1168. Il rappelle que, lorsque la nécessité se faisait
sentir, on distinguait le cœur de «∞∞la langue∞∞». Il cite néanmoins une allusion de Séthi II aux «∞∞paroles∞∞» du cœur d’Amon,
mais celles-ci passent par la bouche du roi (W. Helck, CdE XXXVIII/75 [1963], p. 37-38).
46
W. Helck, Die Prophezeiung des Nfr.tj (KÄT), 1970, IIIf, p. 17.

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traditionnelles par le canal de son propre ba, messager permanent entre cette terre et au-
delà, entre la chapelle de la tombe et le caveau où gît le corps. L’interrogation douloureuse
de l’au-delà ne représente pas une exception dans la pensée égyptienne. Elle constitue
même le fondement des chants de harpiste qui se développent au Nouvel Empire, mais dont
les premiers exemples semblent remonter au Moyen Empire47. La très grande originalité du
Dialogue dans ce contexte réside dans le fait que cette interrogation est active. On ne se
contente pas de chanter le carpe diem pour se divertir de l’effroi de la mort (col. 68),
comme dans les chants de harpiste, on interroge l’au-delà grâce au ba, habitué à sa fréquen-
tation et donc susceptible d’en rapporter des nouvelles.
L’un des fragments identifiés par Parkinson (J-K) contient à cet égard un mot extrême-
ment important, sb, «∞∞enseigner∞∞». Selon Parkinson, le sujet de ce verbe pourrait être aussi
bien le moi que le ba, mais il incline plutôt pour la seconde solution d’après la place rela-
tive qu’il attribue au fragment J-K48. Allen ajoute à cet argument le fait que «∞∞the Man’s
role in the text is defensive rather than didactic∞∞»49. De fait, il ne peut en être autrement car
c’est le ba qui endosse le rôle de maître à penser dans le dialogue, c’est lui qui donne des
directives et énonce des vérités générales50, c’est lui encore qui formule les deux paraboles
moralisatrices. Le fait que le ba «∞∞enseigne∞∞» place donc celui-ci en situation de supériorité
par rapport au moi∞∞: c’est lui qui détient le savoir, et le moi devient son élève. Nous voici
replongés dans la sphère sapientiale.
Le Dialogue recèle également une autre facette tout à fait extraordinaire∞∞: le ba trans-
cende le statut d’aspect mobile et actif de l’individu qu’il incarne habituellement pour
devenir une personne à part entière dotée d’une bouche (col. 55), d’un cœur (col. 40 et 52)
et même d’un cadavre (col. 44)∞∞! L’auteur égyptien érige donc le ba en doublon complet
du moi, ce qu’il définit noir sur blanc par le qualificatif b.í sn.í «∞∞mon ba, mon frère∞∞»
(col. 52). Ce dédoublement, que la pensée moderne appellerait «∞∞effet de miroir∞∞», traduit
un audacieux procédé littéraire qui permet au rédacteur de s’affranchir des données habi-
tuelles et de mener sa réflexion comme il l’entend, peut-être bien sur le mode satirique
d’ailleurs puisque le moi fait miroiter à son ba la jalousie que son action ne manquera pas
d’éveiller auprès des voisins («∞∞un autre ba∞∞», col. 44, 46 et 49)…
Le détail des arguments échangés entre les deux aspects frères de l’individu demeure
souvent obscur, à la fois pour des raisons de lexique et par l’originalité même du sujet qui
nous écarte des sentiers battus. On remarque cependant l’insistance très lourde apportée à

47
Les chants de harpiste de la tombe de Senet, mère du vizir Antefoqer, n’abordent pas ce thème (R.B. Parkinson,
Voices from Ancient Egypt. An Anthology of Middle Kingdom Writings, 1991, no 47, p. 126-128). En revanche, le chant du
papyrus Harris 500, où on le trouve, date probablement du Moyen Empire (W.K. Simpson, Literature, p. 308 et 332-333).
48
ZÄS 130 (2003), p. 132.
49
J.P. Allen, loc. cit., p. 23.
50
S∂m r.k n.í / mk nfr s∂m n rm† (col. 67) «∞∞écoute-moi donc∞∞! Vois, bonne est l’écoute pour les hommes∞∞».

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l’expression de la solitude du moi puisqu’elle fait l’objet des trois premiers poèmes énoncé
par celui-ci en forme de litanies («∞∞mon nom dégorge…∞∞», «∞∞à qui parlerai-je aujourd’hui…∞∞»
et «∞∞la mort se présente à moi aujourd’hui… »).

Une logique commune

L’analyse des deux textes fait donc apparaître de singulières convergences entre chacun
d’eux. Le premier appelle une suite que l’on ne connaît pas, le second est orphelin d’une
introduction. Le premier commence par un monologue et se termine en position de dia-
logue, le second s’ouvre sur un dialogue et se termine par un très long monologue en forme
de quatre litanies poétiques successives, excepté la répartie de conclusion. Le premier
pose le thème de la solitude, le second développe ce thème jusque dans ses dernières
extrémités. Cette convergence de structure s’accompagne d’étonnantes similitudes de
conception∞∞: plusieurs caractéristiques du papyrus de Berlin semblent annoncées par les
«∞∞mots∞∞» de Khâkheperrêseneb.
La situation de dialogue tout d’abord, établie à deux reprises par wsb (tablette EA 5645,
o
v 1 et 6), verbe qui scande les articulations du papyrus de Berlin∞∞; ensuite la convocation
de l’interlocuteur par l’impératif mí (ibid.., vo 1), reprise dans un fragment Amherst (col.
*x + 26)51∞∞; plus précis encore∞∞: le moi de Khâkheperrêseneb désire «∞∞se poser∞∞» (íry.í sÌn,
EA 5645, ro 14) sur le cœur courageux qu’il appelle de ses vœux, celui qui devrait être son
«∞∞semblable∞∞» (sn-nw, EA 5645, ro 13), tandis qu’à l’inverse dans le papyrus de Berlin,
c’est le ba, pour la deuxième fois appelé «∞∞mon frère∞∞» (sn.í, col. 149), qui se «∞∞posera∞∞»
après le décès du moi (col. 153∞∞: Ìny.í r-s wrd.k).
Un rapport hiérarchique entre les interlocuteurs est esquissé dans le texte de
Khâkheperrêseneb, puisque le moi se place en demandeur par rapport au cœur. Dans le
papyrus de Berlin, ce rapport hiérarchique apparaît définitivement installé entre le maître
(le ba qui sait) et l’élève (le moi qui cherche).
Enfin, les deux textes s’affranchissent délibérément des concepts égyptiens de base pour
entrer de plain-pied dans la fiction littéraire, le premier en prêtant au cœur une capacité de
parole qu’il ne saurait avoir, le second en faisant du ba une personne à part entière qu’il ne
saurait être.
La même cohérence est observable sur le plan des thèmes développés par les deux
textes. L’un et l’autre attestent d’une vision négative des ancêtres, ce qui est rare dans la
littérature pessimiste tandis que, conséquence logique, les deux locuteurs aspirent à
connaître ce qu’ils ne savent pas encore (Berlin 3024, col. 139-140). Enfin, on observe

51
La restitution est certaine∞∞: R.B. Parkinson, ZÄS 130 (2003), p. 128 et 131.

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que l’incommunicabilité entre les hommes déplorée par Khâkheperrêseneb dès la fin de la
tablette de Londres (vo 4 et 5) constitue le sujet même de la célèbre déploration «∞∞à qui
parlerai-je aujourd’hui∞∞» du papyrus de Berlin, avec des causes identiques (la perversion
de la morale).

Un texte unique

Tout semble indiquer que les «∞∞mots∞∞» de Khâkheperrêseneb représentent le prologue du


Dialogue d’un homme avec son ba, lequel serait donc ce fameux discours pressenti par
Parkinson en 1996. Ceci implique que le début manquant du papyrus de Berlin était beau-
coup plus important qu’on ne pouvait le supposer52. Le prologue pose l’enjeu∞∞: la solitude
indescriptible résultant du cataclysme social. Le cœur est évoqué dès le titre (m ÌÌy n íb,
ro 1), puis invoqué comme interlocuteur (vo 1 et 6) mais ne répond pas, introduisant ainsi le
lecteur dans le vif du sujet que représente le texte des papyrus Amherst et Berlin.
L’articulation est aujourd’hui inconnue, mais on peut suggérer la reconstitution sui-
vante∞∞:
Cerné dans sa détresse par le silence que lui oppose le cœur, le moi devient paralysé
comme un mort. Comme un mort, il subit le principe de dissociation des éléments consti-
tutifs de l’individu∞∞: le ba se détache du moi et, par là même, devient apte à remplir cette
fonction d’interlocuteur tant désirée par le moi. Or un scénario de ce type existe dans
Sinouhé, même si le contexte en est très différent, une similitude qui n’a pas échappé à la
vigilance de Bernard Mathieu puis de James Allen53∞ :
«∞∞… J’étais étendu sur le ventre, je m’ignorais moi(-même) devant lui. Ce dieu s’adressa à moi
amicalement alors que j’étais comme un homme emporté dans le crépuscule, que mon ba avait
disparu, que mes membres étaient épuisés. (Quant à) mon cœur, il n’était plus dans mon corps,
je ne distinguai plus la vie de la mort∞∞!∞∞». (Sin. B 252-256)

Voici donc Sinouhé réduit à l’immobilité et l’impuissance face au roi, ses constituants se
dissocient, son corps ne bouge plus car son ba s’en est allé ainsi qu’il le ferait s’il était
réellement mort, d’où le recours au signe de la mort ( ) pour le déterminer, comme dans
le Dialogue. Mais contrairement à Sinouhé, et parce que le Dialogue repose sur un principe
dynamique de questionnement des croyances funéraires, le ba de Khâkheperrêseneb devient
un double complet du moi, un double qui tire sa supériorité hiérarchique du fait que sa
mobilité lui donne accès à l’autre monde où peut-être se trouveront les réponses que le moi

52
Transcrit en hiératique vertical, on peut estimer que le texte de Khâkheperrêseneb courrait sur 50 à 55 colonnes
environ.
53
B. Mathieu, «∞∞Le dialogue d’un homme avec son âme. Un débat d’idées dans l’Égypte ancienne∞∞», Égypte Afrique &
Orient 19 (2000), p. 21 et J.P. Allen, loc. cit., p. 6-7.

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cherche en vain sur terre. Dans un cheminement intellectuel difficile à comprendre


aujourd’hui, les deux entités se livrent à une joute poétique et oratoire dont le principe n’est
pas sans rappeler le conte de l’Oasien, texte issu de la même bibliothèque. Comme pour le
conte de l’Oasien, la forme exceptionnelle revêtue par l’expression de chaque protagoniste
devait être savourée par les intellectuels égyptiens comme autant de morceaux de bravoure,
notamment les deux paraboles du ba et les quatre poèmes en forme de litanie énoncés par
le moi, dans lesquels nous proposons de reconnaître la «∞∞collection de mots∞∞» si joliment
annoncée par le titre de Khâkheperrêseneb. La tonalité savante et complexe de l’ensemble
de la composition est introduite dès le début par l’accumulation de ces jeux grammaticaux
de «∞∞l’exorde∞∞» qui font aujourd’hui encore les délices de nos étudiants.

La postérité d’un grand texte

Auteur de cette œuvre hors du commun, Khâkheperrêseneb fut admis au panthéon égyp-
tien des classiques de l’ancien temps, ne serait-ce que parce qu’il ressort du genre sapien-
tial, le seul qui donnait droit à la postérité individuelle. Il apparaît à ce titre dans le relief
Daressy et le papyrus Chester Beatty IV aux côtés d’auteurs de sagesse réputés54, du moins
pour ceux d’entre eux dont nous savons quelque chose. Le thème des pyramides oubliées
et des tables d’offrandes vides, évoqué dans le papyrus Chester Beatty peu avant l’énumé-
ration de ces grands classiques55, pourrait constituer un libre emprunt au Dialogue qui en
fournit l’unique exemple avéré du Moyen Empire (col. 60-67)56.
Le Dialogue de Khâkheperrêseneb avec son ba, légué par son auteur à l’admiration des
générations érudites du Nouvel Empire, dut être cependant fort difficile à comprendre,
comme une sorte de monstre sacré que l’on vénère mais que l’on évite de recopier, surtout
lorsqu’on est un jeune scribe peu instruit encore des ruses de ce monde. Il est significatif
que l’ostracon du Caire ne reproduise de la tablette de Londres qu’un passage somme toute
ordinaire, apparenté aux œuvres pessimistes habituelles, en tout cas bien à l’abri des acro-
baties grammaticales de l’alinéa précédent. Ceci expliquerait qu’un chef-d’œuvre de ce
genre n’ait pas suscité de copies plus nombreuses.
La trame reconstituée de l’ensemble de la composition apparaît désormais cohérente,
originale sous bien des rapports mais fondamentalement conforme aux structures mentales

54
Papyrus Chester-Beatty IV, vo 3, 6-7 (A.H. Gardiner, Hieratic Papyri in the British Museum. Third Series. Chester
Beatty Gift, II, 1935, pl. 19. Voir aussi D. Wildung, Imhotep und Amenhotep [MÄS 36], 1977, p. 25-27). Sur le relief
Daressy, voir J. Yoyotte, «∞∞À propos d’un monument copié par G. Daressy (contribution à l’histoire littéraire)∞∞», BSFE 11
(1952), p. 67-72 et W.K. Simpson, Literature, fig. 6 (photographie du fragment).
55
Papyrus Chester Beatty IV, vo 2, 5-7.
56
R.B. Parkinson, Reading Egyptian Poetry, p. 207. Il faut ajouter le chant de harpiste du papyrus Harris 500, si l’on
admet son ancienneté (cf. supra, n. 47).

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égyptiennes telles que nous les connaissons par ailleurs. Rien n’illustre mieux cette
«∞∞égyptiannité∞∞» essentielle que le quatrième et dernier poème énoncé par le moi qui, en
manière de conclusion à tout l’argumentaire qu’il avait développé jusqu’alors, définit
le très enviable statut de défunt intercesseur auprès de Rê… avec les succulents repas
qu’on peut en attendre (col. 144-147. Cf. n. 115), surtout lorsqu’on est un prêtre-ouâb
d’Héliopolis.
De fait, son interprétation a beaucoup souffert de grilles de lecture imprégnées de reli-
gion et de philosophie européennes57. Car si l’on se place «∞∞through egyptian eyes∞∞», on
obtient non pas une introspection intime ni un débat philosophique, dont les anciens
Égyptiens ignoraient jusqu’au premier mot, mais une construction hiéroglyphique opposant
trois des principaux aspects qui définissent l’individu, à savoir le moi («∞∞je »), le cœur, et
le ba. Parce qu’elle est hiéroglyphique, elle écarte toute notion de temps et de lieu, confor-
mément à l’esprit de la langue dans laquelle elle a été pensée et écrite, qui est bien davan-
tage fondée sur la notion d’aspect que sur celle de temps.

Traduction

Voici donc une traduction de l’ensemble reconstitué qui permettra d’en apprécier la
cohérence. Elle tient compte des récentes avancées en la matière, notamment des travaux
de Vernus, Simpson et Parkinson pour la tablette de Londres, et d’Allen pour le papyrus de
Berlin. Mais elle ne prétend pas aller au fond des (nombreux) problèmes qui l’émaillent, le
sujet débordant trop le cadre de cet article. Tout au plus quelques passages délicats et inter-
prétations nouvelles sont-ils signalés et justifiés par des notes que l’on a essayé de rendre
le moins nombreuses possible.

Tablette EA 5645
(Recto)
(ro 1) Collection de mots, cueillette de discours et recherches d’expressions par quête du cœur qu’a
faites le prêtre-ouâb d’Héliopolis Khâkheperrêseneb fils de Seni, surnommé Ânkhou.
(ro 2) «∞∞Ah, que n’ai-je des expressions qui n’auraient pas été connues, des discours étranges qui
soient des mots neufs jamais encore advenus, vierges de ce qui a été répété, sans discours de la tra-
dition58 (ro 3) qu’auraient dits les ancêtres∞∞! Je veux filtrer mon corps de ce qui s’y trouve en me

57
Les anachronismes européens prêtés au Dialogue par ses différents commentateurs sont parfaitement résumés par
J.P. Allen, loc. cit., p. 1-2 et R.B. Parkinson, Reading Ancient Egyptian Poetry, p. 242-243.
58
Sbt-r, «∞∞passage de mot∞∞», ce que nous interprétons comme «∞∞tradition∞∞» à la suite de P. Vernus («∞∞formule
transmise oralement∞∞», Essai, p. 4 et p. 8, n. d). Résumé des hypothèses dans R.B. Parkinson, Studies Simpson, p. 649,
n. a.

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détachant de tout auteur (ancien59). Car enfin, tout ce qui a été dit est répétable, ce qui a été dit est
(bel et bien) dit. Je ne prendrai pas en compte les mots des ancêtres (ro 4) pour que les descendants
trouvent (à leur tour) cela.

(ro 5) N’a (rien) dit celui qui a dit, dira celui qui va dire, (mais) un autre trouvera ce qu’il va dire,
un mot ne peut énoncer après cela60, car ils (les ancêtres) ont agi depuis le début sans mot qui
pense et qui dit. (ro 6) C’est une recherche qui conduit à la disparition, c’est un mensonge, il n’est
personne qui répétera son nom à autrui61∞∞! Si j’ai dit cela, c’est parce que j’ai vu (que) depuis la
première génération jusqu’à (ro 7) ceux qui sont venus après, ils (les hommes) se sont conformés à
ce qui était passé. Puissé-je prendre connaissance de ce que les autres ignorent, qui soit quelque
chose qui n’ait jamais été répété∞∞! Je dirai cela afin que mon cœur me réponde, (ro 8) je veux
l’éclairer quant à ma souffrance, afin de rejeter vers lui la charge qui est sur mon dos (avec) les
expressions qui sont celles qui me tourmentent, afin de lui dire ma souffrance qui vient de lui∞∞!
(ro 9) Je veux dire “ hélas ” sur ma brûlure∞∞!
Le 2e mois de chémou, le 28e jour.

(ro 10) C’est bien moi la tête-pensante62 au sujet de ce qui est survenu∞∞: de (noirs) desseins sont
survenus à travers le pays, des événements surviennent qui n’avaient pas d’équivalent l’année
d’avant car le poids de chaque année surpasse la précédente, le trouble du pays est survenu
comme un dommage pour moi, (ce pays) dont on a fait un (lieu) de repos (funèbre)63. (ro 11)
L’ordre-juste est jeté dehors, le chaos est installé dans la chapelle, la volonté des dieux est bou-
leversée, leurs moyens de subsistances négligés. Dans le bouleversement se trouve le pays, en
tout lieu se trouve la plainte, dans le malheur se trouvent villes (ro 12) et provinces64∞∞! Chacun
est réuni dans le malheur, tandis que la renommée, on s’en détourne. Les seigneurs du silence
ont été atteints, ceux qui se lamentent65 surviennent chaque jour en train de trembler à propos
de ce qui survient, je veux donner un propos à leur sujet. (ro 13) Mes membres veulent charger
mon cœur de ma souffrance66∞∞: il est celui qui souffre, l’homme que son (cœur) contraint à la

59
Pour ∂d nb «∞∞tout (homme) qui a dit∞∞», cf. P. Vernus, Essai, p. 9, n. f. La tablette de Londres comme le papyrus de
Berlin font un grand usage du déterminatif pour caractériser un type humain, soit derrière un substantif ou participe
seul, soit derrière un groupe nominal complet (tablette de Londres ro 5, 10, 13, vo 2, 3 et papyrus de Berlin col. 16, 33,
42, 62, 65, 116, 126 et 139).
60
Corriger le premier mdt en mdw∞∞: n mdw.n mdt Ìr s íry.
61
Celui qui entreprend une telle recherche est condamné à l’oubli, parce qu’elle est vaine.
62
Le signe de l’homme assis , présent sur l’ostracon comme sur la tablette ce qui rend peu vraisemblable une erreur
du scribe, détermine le groupe substantivé Ìr-nky, littéralement «∞∞la face-qui-médite∞∞». Il s’oppose, dans la revendication
de sa singularité, au collectif Ìr-nb qui apparaît au ro 12 d’une part, et d’autre part à la forme progressive ínk pw Ìr nky
de la première ligne du verso.
63
Nous suivons l’interprétation de Ìtp proposée par Parkinson (JEA 83 [1997], p. 67).
64
Wnn, forme s∂m.f-mrr.f emphatique, porte sur les trois syntagmes adverbiaux qui le suivent∞∞: [m] sní-mnt, m st nbt et
m í¨nw.
65
Le sens de la phrase impose de reconnaître le participe substantivé du verbe nhp «∞∞se lamenter∞∞» (Wb II, 284, 17), ici
graphiquement confondu avec son homonyme nhpw «∞∞le petit matin∞∞» (Wb II, 284, 9-12), comme en vo 2∞∞; Ìr tnbÌ est une
proposition pseudo-verbale enchâssée dans la précédente.
66
†p ¨wt.í snn.í Ìr íb.í, «∞∞mes membres veulent charger (s∂m.f prospectif) ma souffrance sur mon cœur∞∞».

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dissimulation67, le cœur est (alors) un autre qui s’incline68∞∞! Un cœur vaillant dans la difficulté,
c’est (au contraire) un semblable pour son possesseur. Ah que n’ai-je un cœur (ro 14) qui prenne
connaissance de la douleur∞∞! Alors je me reposerais sur lui, je le chargerais des paroles de déso-
lation, je repousserais vers lui ma souffrance∞∞!∞∞»

(Verso)
(vo 1) Il dit à son cœur∞∞: «∞∞viens donc, mon cœur, afin que j’énonce (des mots) pour toi et que tu
répondes à mes discours, afin que tu m’expliques cela qui s’est répandu à travers le pays, ceux
qui étaient lumineux étant (maintenant) jetés à terre69. C’est bien moi qui suis en train de méditer
sur ce qui est survenu70∞∞: la souffrance s’est écoulée (vo 2) aujourd’hui, et ceux qui se lamentent,
il n’en est pas passé (de tels) depuis les ancêtres71. Chacun est silencieux à son (propre) sujet, le
pays tout entier est en grand émoi, il n’est personne qui soit exempt de méchanceté et chacun
s’entend à la perpétrer72, les cœurs-Ìty sont accablés. Celui qui regardait de haut (vo 3) est
(maintenant) celui que l’on regarde de haut, le cœur pour eux deux étant résigné73. Tôt le matin
on se tient prêt pour cela avec la charge du jour74, et les cœurs-íb ne sauraient la rejeter, (car) la
charge d’hier est là comme aujourd’hui, en conformité avec elle par [sa] variété75, à cause du
malheur (?). Il n’est aucun savant qui soit sage76 (vo 4), il n’est pas d’enragé qui délivre un mot77.
Tôt le matin on s’apprête à la souffrance, chaque jour∞∞! La charge de l’homme souffrant a été
augmentée78, l’indigent n’a pas la force qui le préserverait de plus puissant que lui79. C’est une
maladie que de se taire sur ce qui a été entendu, c’est une souffrance que de répondre à (vo 5)

67
Proposition à prédicat adjectival (participe substantivé wÌdw), sw étant le sujet grammatical explicité par le groupe
substantivé Ìp-Ìt. Traduction littérale∞∞: «∞∞il est celui qui souffre le caché de for intérieur à cause de lui (le cœur)∞∞».
68
Ky est le sujet du verbe ksí, le groupe constituant le prédicat d’une proposition nominale dont le sujet est pw, auquel
est apposé en explicitation le substantif íb tout seul∞∞: *ks ky pw íb.
69
Allusion probable au sac des nécropoles royales, à comparer avec Admonitions 7,2 et plus loin le papyrus de Berlin,
col. 63-67 (cf. infra, n. 98).
70
Cf. n. 62.
71
Nhpw n sw ∂r ∂ryw.
72
Bw-nb twt(w) / Ìr írt st∞∞: «∞∞chacun est réuni, en train de la faire (la méchanceté)∞∞».
73
Le cœur de celui à qui «∞∞on montre le visage∞∞», donc de celui qui reçoit un ordre, se satisfait de sa déchéance, de la
même manière qu’autrefois il était satisfait de «∞∞montrer le visage∞∞».
74
Par opposition à Ìrt sf qui suit. Ce n’est donc pas la locution adverbiale exprimant la répétition quotidienne.
75
Ce passage est particulièrement obscur (cf. G.E. Kadish, JEA 59 [1973], p. 83, n. kkk et M. Lichtheim, Literature,
p. 149, n. 9). Nous proposons à la suite de Sethe et Gardiner de reconnaître une préposition composée Ìr-sn-r «∞∞en confor-
mité avec∞∞», qui serait une variante de m-snt-r (A.H. Gardiner, EG, §180, p. 136). Hannig donne une préposition Ìr-snw-r
«∞∞übertreffend∞∞» (GHWb2, p. 771, no 28299), mais sans référence dans les volumes de Belegstellen publiés à ce jour. La
translittération du passage serait donc la suivante∞∞: Ìr-sn-r.s n ¨s[.s], le suffixe restitué renvoyant à Ìrt.
76
Nn ¨rÈ (participe substantivé) est sujet de ss.f dans une construction aoriste, en symétrie avec la proposition suivante
(cf. supra, n. 8).
77
On peut se demander si nous ne sommes pas en présence d’un couple d’antiphrases, chacune empruntant le prédicat
de l’autre, car on obtient un sens beaucoup plus normal, et donc plus plat et plus banal, si on inverse ces prédicats∞∞: «∞∞*il
n’est aucun savant qui délivre un mot, il n’est pas d’enragé qui soit sage∞∞».
78
ww (s∂m.f passif) wdn (n) mn. Il faut comprendre le sujet mn comme étant substantivé par le déterminatif
(«∞∞celui qui souffre ») plutôt que le suffixe de la première personne («∞∞ma souffrance ») car le registre est général.
79
Il faut corriger cette proposition comme l’ont proposé Gardiner et Kadish, par exemple∞∞: nn pÌty mr m[kí sw] rf
m-¨ wsr r.f.

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l’ignorant. Repousser les expressions fait survenir l’opposition80, le cœur-íb ne peut plus accepter
l’ordre-juste, on ne supporte plus le rapport oral (d’autrui), chacun n’aime que son (propre) dis-
cours, les hommes sont bâtis sur la fausseté81, le témoignage des mots a été délaissé.
C’est à toi que je veux parler, (vo 6) mon cœur, afin que tu me répondes, un cœur accessible
ne saurait se taire. Vois donc, la charge du serviteur comme du détenteur de richesses pèse sur
toi.∞∞»

[Mais mon cœur ne répond pas, il n’est plus dans ma poitrine, je ne peux plus distinguer la vie de
la mort, mes membres sont épuisés et mon ba s’apprête à m’abandonner.
Alors je dis à mon ba:]

Papyrus Amherst III (*x + 1-29)82 et Berlin 3024 (1-155)


*(x + 9) […] le mal, faire cela […] (*x + 12) […traces…] (*x + 13) […] ce n’est qu’une heure […]
(*x + 14) […] lui, en train d’entraîner […] (*x + 15) [… traces…] (*x + 21-23) [… traces…] (*x
+25) […] à cause de cela, le gardien […] (*x + 26) […] viens que je t’enseigne […] (*x + 27) […]
toi, les dangers (?) de l’Occident […] (* x + 28) […] un homme […] (*x + 29) […] (1) nous dirons
[…] (2) [leur] langue ne peut être partiale, ce sera fausseté […] (3) contrepartie, leur langue ne
peut être partiale∞∞».

(4) Je m’adressai à mon ba pour répondre à ce qu’il avait dit∞∞:

(5) «∞∞Ceci me dépasse aujourd’hui, mon ba n’a pas parlé (6) avec moi, c’est plus enflé que de
l’emphase, c’est comme me délaisser (7) là (…?)83. Que vienne mon ba pour m’assister à ce sujet∞∞!
(8) [… mon semblable…] sans le laisser s’opposer à moi (9) étant donné qu’il est en mon corps
dans un filet de cordes, (10) rien n’arrivera grâce à lui s’il s’en va le jour du malheur84. (11) Voyez
donc mon ba qui me blesse∞∞! Je ne saurais prêter attention (12) à lui qui m’entraîne vers la mort
avant même que je ne sois venu à elle, (13) lui qui me jette sur la flamme jusqu’à ce que je me sois
consumé. (14) Qu’est-ce que sa souffrance […] se détourner […]∞∞? (15) Il doit (au contraire) se
rapprocher de moi le jour du malheur, (16) il doit se tenir de ce côté-ci comme le fait un être heu-
reux, (17) tel est certes un fils qui sort pour l’amener vers lui85∞∞! Mon ba (18) est devenu fou, plus

80
Îsf Ìnw Ìr sÌpr rÈw.
81
Il y a ici un jeu de mots entre grg, «∞∞mensonge∞∞» (ro 6), et grg, «∞∞fondation∞∞» sur du mensonge-Ìbb. Pour le sens de
Ìbb, voir R. Faulkner, A Concise Dictionnary of Middle Egyptian, 1962, p. 200 et D. Meeks, AnLex 78.3187.
82
Nous reprenons, par commodité, la numérotation adoptée par Parkinson et Allen pour les bribes Amherst III en y
ajoutant l’inconnue x. Pour le papyrus de Berlin, nous suivons le texte établi par Allen.
83
Nous comprenons í comme le complément de l’infinitif wsf. La proposition de faire de ímt.f un nisbé ne tient pas, il
y faudrait le signe (J.P. Allen, loc. cit., p. 26), nous n’avons cependant pas d’alternative à proposer.
84
Nn Ìpr m-¨.f / rwí.f hrw Èsnt, la deuxième proposition en circonstancielle par rapport à la première. Cette prière
représente le symétrique de l’injonction au cœur de la tablette de Londres (st Èsnt, ro 13). Voir infra col. 15, la contrepartie
positive qu’est le devoir du ba par rapport au moi.
85
Comprendre p() s  ís pw, avec la particule enclitique , ce qui évite de corriger le texte comme paraît le suggérer
Allen (loc. cit., p. 35). Pour retenir le ba, le moi semble ici invoquer le devoir de piété filiale.

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16 CHR. BARBOTIN

que celui qui abaisserait la souffrance en disant86 “il vivra celui qui me pousse (19) vers la mort
avant même que je ne sois venu à elle car l’Occident a été rendu agréable (20) pour moi87. Est-ce
donc un malheur (de mourir)∞∞? La vie ne dure qu’un temps (21) et les arbres tombent”. Passe donc
(22) par-dessus le chaos, abandonne ma misère (23)∞∞: Thot me jugera, les dieux seront en paix (24),
Khonsou me protègera (25) car c’est selon l’ordre-juste que je veux écrire88. Rê entendra mon pro-
pos (26) tandis qu’à la barque solaire aura été imposé le silence, (27) Isdès me protégera dans la
chambre inaccessible (28) étant donné que le déshérité est devenu lourd dans89 [le plateau de la
balance (?)] (29) qu’il [Isdès] a soulevé pour moi. Il est doux que les dieux chassent (30) les (dou-
loureux) secrets de mon corps∞∞».

Mon ba (31) me dit∞∞:

«∞∞Tu n’es vraiment pas un homme∞∞! N’es-tu pas (32) vivant∞∞? Que vas-tu gagner à te faire du souci
sur la vie (33) comme un propriétaire de richesses qui dirait au vagabond90∞∞: (34) «“tout cela
retournera à la terre lorsque on aura été délivré de ce qui peut être arraché91”∞∞? Il n’y aura plus
rien (35) dont tu te soucieras, chaque malfaiteur disant∞∞: (36) “ je te volerai ” alors que tu seras
(déjà) mort mais ton nom vivant. (37) Tout cela est lieu de repos pour le désespéré92, (38) c’est un
port que l’Occident vers lequel on navigue93.∞∞»

(39) [J’ouvris ma bouche] en (disant94)∞∞:

«∞∞Si mon ba m’écoute, je ne commettrai (40) pas de faute (contre lui) et son cœur se joindra à moi,
(41) il sera en condition parfaite, je lui ferai atteindre l’Occident comme (42) celui qui est dans sa
pyramide à l’enterrement de qui s’est tenu le survivant sur terre. (43) Je ferai un abri sur (44) ton
cadavre pour que tu rendes jaloux un autre ba (45) (qui serait) dans l’inertie, je ferai un abri si
bien (46) qu’il n’aura pas froid, pour que tu rendes jaloux un autre ba (47) (qui serait) brûlant, je
boirai l’eau sur (48) la berge et j’élèverai l’ombre, (49) pour que tu rendes jaloux un autre ba qui

86
Il faut abandonner le découpage de James Allen, car le moi commence ici un aphorisme qui court jusqu’à la colonne
21∞∞: b.í wÌ(w) r sdÌ (participe substantivé) h Ìr [dd].
87
Sn∂m(w) n.í ímnt.
88
Noter ici l’extraordinaire intrusion de l’écrivain en tant que tel au sein du dialogue.
89
L’interprétation de la trace comme la préposition m nous paraît meilleure pour l’intégration de ce passage dans le
contexte (contre Allen, loc. cit., p. 42-43).
90
Le signe est une simple graphie du datif, lequel régit le participe substantivé sm(w). Dans l’esprit égyptien, le
voyage équivaut à l’errance, donc à la misère.
91
Nf r t / nÌm.n.tw Ìr tfyt. Le pronom démonstratif nf («∞∞tout cela ») renvoie à ¨Ì¨w. Aphorisme avec l’image de
l’avare que la mort va délivrer de ses perpétuelles alarmes.
92
Nous retenons la lecture fdÈ-íb proposée par B. Letellier, «∞∞De la vanité des biens de ce monde. L’évocation d’un
personnage de fable dans le “Désespéré” (P. Berlin 3024, col. 30-39)∞∞», CRIPEL 13 (1991), p. 99-105, qui est très supé-
rieure par le sens à l’interprétation d’Allen (cf. note suivante).
93
Nous comprenons Ìnt comme un participe passif féminin apposé à ímnt sans sujet logique exprimé∞∞: dmí pw ímnt
Ìn(y)t r.s (pour la restitution de la préposition r, cf. B. Letellier, op. cit., p. 100-101, n.g).
94
Puisque le moi va reprendre la parole, ce passage lacunaire livrait nécessairement une formule correspondante dont
subsiste la locution Ìr (∂d). Nous ne suivons pas donc pas la proposition d’Allen (loc. cit., p. 50-52), les traces étant trop
faibles pour être transcrites.

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LE DIALOGUE DE KHÂKHEPERRÊSENEB AVEC SON BA 17

(serait) affamé95. Si (au contraire) tu me pousses (50) dans la mort en cet état, (51) tu ne trouveras
pas où te poser dans l’Occident. (52) Que ton cœur soit longanime, mon ba mon frère, jusqu’à ce
que soit advenu l’héritier (53) qui fera l’offrande et se tiendra à l’entrée du puits au jour (54) de
l’enterrement, lorsqu’il transportera le lit (55) pour le cimetière∞∞!∞∞»

Mon ba s’adressa à moi (56) pour répondre à ce que j’avais dit∞∞:

«∞∞Évoquer l’enterrement (57) n’est que souffrance, c’est faire venir les larmes en suscitant (58) la
tristesse, c’est s’arracher de son foyer et se retrouver abandonné96 sur (59) le tumulus, c’est ne
pouvoir t’élever dans le ciel97 pour contempler (60) Rê. Ceux qui avaient édifié en pierre de (61)
granite sont construits et achevés, (avec) des pyramides parfaites en (62) ouvrage parfait, les bâtis-
seurs sont devenus (63) des dieux (mais) leurs tables d’offrandes sont vides, comme des inertes (64)
qui meurent sur la rive faute de survivant sur terre. (65) Le flot ainsi que l’éclat du soleil en ont
emporté la dernière trace, (66) et ne leur parlent plus (aujourd’hui) que les poissons (67) du bord
de l’eau98. Écoute-moi donc∞∞! Vois, bonne est l’écoute pour les hommes, (68) file un jour heureux
et oublie les soucis∞∞:
– Le pauvre (69) laboure son lopin, il charge sa récolte (70) à bord d’un bateau et appareille,
(71) (bien que) sa fête soit proche. Il a vu la montée de l’obscurité (72) du vent du nord alors
même qu’il veille dans le bateau (73) quand Rê entre (dans l’horizon), (le dieu) s’étant élevé
en cette compagnie99. (Pendant ce temps), sa femme (74) et ses enfants ont dépéri sur le
terroir, car le Prédateur pendant (75) la nuit est tapi sous les berges100. Il finit par s’asseoir
(76) pour se répandre en invectives∞∞: (77) “ce n’est pas sur celle-là qui a enfanté que je
veux pleurer, car il n’y a plus pour elle de sortie (du soleil) de l’occident (78) vers un autre
(occident) sur terre101, ce sont de ses enfants que je me soucierai, (79) brisés dans l’œuf, qui
ont vu la face du Monstre (80) avant même d’avoir vécu”.
– Le pauvre demande le repas du soir (81) et sa femme lui dit∞∞: “ce sera (seulement) pour le
souper”. (82) Il sort à l’extérieur à cette fin, alors qu’il va être temps, (83) (puis) s’en
retourne vers sa maison étant comme un autre homme102. Sa femme (84) plaide auprès de lui
mais il ne peut l’entendre, ayant souffert, (85) car vide est le cœur de la maisonnée.∞∞»

Je m’adressai (86) à mon ba pour répondre à ce qu’il m’avait dit∞∞:

«∞∞- Vois, (87) mon nom dégorge, vois, plus que la puanteur de la fiente (88) un jour d’été quand le
ciel est brûlant.

95
Trois métaphores sur les bienfaits de la tombe dont le moi entend faire profiter son doublon le ba.
96
Î¨(w) est un pseudo-participe exprimant la conséquence du fait d’être emporté de sa maison.
97
La négation d’existence nn permet de substantiver l’aoriste n s∂m.n.f et d’en faire la contrepartie négative des propo-
sitions en pw qui la précèdent.
98
Nouvelle allusion à la destruction des tombes royales, déjà évoquée dans la tablette de Londres (vo 1). Cf. supra n. 69.
99
În¨ est un adverbe «∞∞en compagnie de cela∞∞» (M. Malaise – J. Winand, Grammaire raisonnée, § 296)∞∞: la situation
du pauvre, le soir dans son bateau, n’a pas évolué depuis le lever du soleil.
100
Le déterminatif du crocodile affecté au verbe sní (littéralement∞∞: «∞∞l’encercleur ») comme au substantif mryt suggère
sa dangereuse omniprésence, d’où la traduction «∞∞Prédateur∞∞».
101
Étant perdue, elle ne verra plus le soleil se lever et se coucher.
102
La faim et la détresse le rendent hagard.

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18 CHR. BARBOTIN

«∞∞- Vois, (89) mon nom dégorge, vois, plus que la puanteur de la nasse à anguille (90) un jour de
pêche quand le ciel est brûlant.
«∞∞- (91) Vois, mon nom dégorge, vois, plus que la puanteur (92) du fourré de roseaux (93) chargé
d’oisillons.
«∞∞- Vois, mon nom dégorge, (94) vois, plus que la puanteur de pêche dans les méandres (95) des
marécages après qu’on (y) a pêché.
«∞∞- Vois, (96) mon nom dégorge, vois, plus que la puanteur des crocodiles, (97) plus que de s’as-
seoir parmi les dunes, parmi les prédateurs des rivages.
«∞∞- Vois, (98) mon nom dégorge, vois, plus qu’une épouse (99) lorsqu’un mensonge a été dit contre
elle à un homme.
«∞∞- Vois, mon nom dégorge, (100) vois, plus qu’un enfant vigoureux contre qui est dit (101) qu’il
appartient à celui qu’il hait103.
«∞∞- Vois, mon nom dégorge, (102) vois, plus qu’une ville du Souverain qui aspire à la révolte (103)
lorsqu’(elle) le voit parti104.∞∞»

«∞∞- À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Les frères sont devenus mauvais (104) et les compagnons d’au-
jourd’hui ne peuvent aimer.
«∞∞- (105) À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Les cœurs sont rapaces, chacun s’empare (106)
des biens de son semblable, (107) la douceur a dépéri tandis que la violence s’abat sur tout un
chacun.
«∞∞- (108) À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? On se délecte du mal105 (109) car le bien, assurément, a
partout été jeté à terre.
«∞∞- À qui parlerai-je (110) aujourd’hui∞∞? L’homme qui suscitait (autrefois) la colère (par) sa mau-
vaise action fait (maintenant) rire (111) tout un chacun par son abominable faute106.
«∞∞- À qui parlerai-je (112) aujourd’hui∞∞? Chacun est détroussé mais vole (en même temps) ses
frères.
«∞∞- (113) À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Le serpent (114) est un confident tandis que le frère en
compagnie de qui on agissait s’est mué (115) en ennemi.
«∞∞- À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? On ne se rappelle pas hier (116) (puisqu’il) ne subsiste rien de
ce qu’a fait celui qui agit dans ce moment présent107.
«∞∞- À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? (117) Les frères sont devenus mauvais, c’est parmi des étran-
gers que l’on produit (118) le témoignage du cœur.
«∞∞- À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Le franc regard est anéanti, (119) chacun regarde son frère en
dessous108.
«∞∞- (120) À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Les cœurs sont devenus rapaces, (121) il n’y a plus de
cœur d’homme sur lequel s’appuyer.

103
C’est-à-dire que l’enfant hait cet homme en qui la rumeur publique susmentionnée reconnaît l’amant de sa mère…
104
M[.f] s.f∞∞: le premier [.f] renverrait à dmí, le second à íty.
105
Îtp Ìr bín.
106
Les deux propositions, s̨r s… et ssbt.f.., sont en situation d’équivalence.
107
N(n) írt.n ír(w) m t t∞∞: «∞∞n’existe pas ce qu’a fait celui qui agit dans ce moment∞∞». L’action immédiate elle-
même ne laissant aucune trace, il ne peut y avoir de souvenir∞∞: belle et concise évocation de la fragilité des choses
humaines.
108
Littéralement∞∞: «∞∞les faces sont anéanties, chaque homme est une face en dessous contre ses frères∞∞».

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LE DIALOGUE DE KHÂKHEPERRÊSENEB AVEC SON BA 19

«∞∞- (122) À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Il n’y a plus de justes, le pays est abandonné aux (123)
fauteurs de troubles.
«∞∞- À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Il y a (124) défaut de confident, c’est comme un inconnu que
l’on amène (125) pour être mis dans la confidence109.
«∞∞- À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Il n’existe plus (126) cet honnête homme110 avec qui l’on chemi-
nait, il n’est plus.
«∞∞- (127) À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Je suis écrasé (128) de désolation par manque de
confident.
«∞∞- (129) À qui parlerai-je aujourd’hui∞∞? Le fléau qui ravage le pays, (130) il est sans fin∞∞!∞∞»

«∞∞- La mort se présente à moi aujourd’hui, (comme) la guérison (131) du malade, comme de sortir
dehors après le deuil.
«∞∞- (132) La mort se présente à moi aujourd’hui, comme le parfum de la myrrhe, (133) comme de
s’asseoir sous la voilure (134) un jour de vent.
«∞∞- La mort se présente à moi aujourd’hui, (135) comme le parfum des nénuphars, comme de
s’asseoir sur la rive (136) du pays de l’ivresse111.
«∞∞- La mort se présente à moi aujourd’hui, comme (137) un arc-en-ciel112, comme le retour au foyer
après une (longue) navigation.
«∞∞- (138) La mort se présente à moi aujourd’hui, comme (139) la découverte du ciel, comme l’oise-
leur (140) dans la glèbe qui accède à ce qu’il ignorait113.
«∞∞- La mort se présente à moi aujourd’hui, (141) comme on désire revoir son foyer après de nom-
breuses années passées (142) en captivité.∞∞»

«∞∞- C’est pourtant un dieu vivant que le trépassé114 (143) qui repousse le mal de Celui qui l’a
créé.
«∞∞- C’est pourtant (144) sur la barque solaire qu’il se tient, le trépassé, qui y donne les pièces de
choix (145) (issues) des sanctuaires115.
«∞∞- C’est pourtant un savant que le trépassé, (146) qui ne peut être exclu de la prière à (147) Rê
lorsqu’il parle.∞∞»

Mon ba me dit∞∞:

109
Littéralement∞∞: «∞∞on amène (un homme) en tant qu’inconnu pour lui faire savoir∞∞».
110
L’individu serein et pondéré (hrw-íb) représente l’idéal social égyptien, «∞∞l’honnête homme∞∞» français en quelque sorte.
111
C’est donc le parfum des nénuphars qui suscite l’ivresse.
112
Wt Ìwyt «∞∞chemin de pluie∞∞». La pluie étant un phénomène rare et dangereux en Égypte, l’arc-en-ciel qui en
annonce le terme véhicule un fort sentiment d’apaisement.
113
Les colonnes 87 et 93 associent clairement la chasse aux oiseaux à la puanteur. L’adverbe ím renvoie à cette réalité,
ce que nous rendons par le terme péjoratif français «∞∞glèbe∞∞». La préposition r qui le suit marque au contraire le change-
ment d’état vers la situation meilleure suggérée par la métaphore de la «∞∞découverte∞∞» (kft) du ciel.
114
Wnn ne saurait être le prospectif, car il n’y a pas de changement d’état prévisible pour un mort (nty ím). Il s’agit
donc une nouvelle fois de la forme mrr.f du verbe wn (cf. supra, n. 64). La particule enclitique ms anticipe la réponse cri-
tique du ba qui va suivre (M. Malaise – J. Winand, Grammaire raisonnée, § 318).
115
Il transmet donc au dieu les offrandes des temples, comme un intercesseur. Le vers suivant (col. 145-147) poursuit dans
la même veine avec une remarquable définition du statut de défunt intercesseur, expert en rites (rÌ íÌt), à la position incon-
tournable auprès de Rê (n Ìsf.n.tw.f Ìr spr n R¨) et non d’un autre dieu, puisque Khâkheperrêseneb en est un prêtre-ouâb.

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20 CHR. BARBOTIN

«∞∞- (148) Dépose-donc la déploration sur le cercueil (?), (149) car il appartient à Cela116, mon
frère. Tu dois faire l’offrande sur l’autel à feu (150), aussi vrai que tu dois te battre pour la vie,
aussi vrai que tu dois dire∞∞: “c’est ici-bas (151) que (je) dois m’aimer moi-même117”. Rejette pour
toi l’Occident, désire donc (152) de n’atteindre l’Occident que lorsque tes membres rejoindront la
terre∞∞! (153) Ce n’est qu’après que tu seras devenu inerte que je me poserai, (154) si bien que nous
atteindrons le port en même temps.∞∞»

C’est ainsi qu’il vient, depuis le début jusqu’à la fin, conformément à ce qui a été trouvé dans les
écrits.

Résumé / Abstract

L’analyse des différents critères internes des «∞∞mots∞∞» de Khâkheperrêseneb (tablette British
Museum EA 5645/ostracon Caire JE 50249) et du Dialogue d’un homme avec son ba (papyri
Amherst III et Berlin 3024) montre que le premier texte constitue le prologue du second. La traduc-
tion complète de l’ensemble ainsi reconstitué permettra d’en apprécier la cohérence.

Studying and analysing the different internal characteristics of the “words” of Khakheperreseneb
(writing board British Museum EA 5645/Cairo ostracon JE 50249) and those of the Dialogue of a
Man with his ba (Amherst III and Berlin 3024 Papyri) show that the first text represents the pro-
logue of the second one. The complete translation of both sections newly reconstructed as a whole
will let the reader appreciate its coherence.

116
Nous proposons de lire n(y) sw pn, le groupe n(y) sw étant abusivement substantivé par le signe , pn ayant ici
valeur de pronom (M. Malaise – J. Winand, Grammaire raisonnée, §180). Le référent de pn pourrait être mwt, la mort que
le ba ne saurait mentionner autrement que par périphrase. On constate en effet qu’il ne la nomme jamais en tant que telle,
en opposition flagrante avec l’argumentaire du moi.
117
Mrí(.í) wí∞∞: la restitution du suffixe de la première personne rend à ce passage une cohérence parfaite.

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