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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST

(UNITÉ UNIVERSITAIRE D’ABIDJAN)

Institut Supérieur
INSTITUT DE DROIT CANONIQUE
de Droit Canonique
Agrégé à la Faculté de
Droit Canonique de
l’Université Pontificale
Urbanienne à Rome

LES JUGEMENTS EN GÉNRAL


ET LE
PROCÈS CONTENTIEUX

Professeur : Timothée KPENU

ANNÉE ACADÉMIQUE : 2022-2023


Bibliographie : Procès I & II
- NAZ R., Traité de droit canonique, 4 volumes, Paris, 1946-1948.
- Dictionnaire de droit canonique (sous la direction de R. NAZ), Paris, 1926.
- Conseil Pontifical pour les Texte Législatifs Dignitas Connubii, Instruction sur ce que les
Tribunaux diocésains et interdiocésains doivent observer pour traiter les causes de nullité
du mariage, Libreria Editrice Vaticana, 2005.
- WERCKMEISTER Jean, Petit dictionnaire de droit canonique, Cerf, Paris, 1993.
- Collectif, Il diritto nel mistero della Chiesa. III La funzione di santificare della Chiesa I
beni temporali della Chiesa, le sanzioni nella Chiesa, I processi- Chiesa e Comunità
politica ; ( Libri IV, V, VI, VII Del codice), Pontificia Universita Lateranense, Roma,
1992.
- Officialité du diocèse D’Arras JU – XIX, Recueil Canonique d’Arras, Traductions de
jurisprudence rotale, Fascicule XIX, JU/1051-1142.
- VALDRINI Patrick, Jean-Paul Durand, Olivier Échappé et Jacques Vernay, Droit
canonique, Dalloz, coll. « Précis », Paris, 2e éd. 1999.
- LE TOURNEAU, Le droit canonique, Coll. Que Sais-je? Presse Universitaire Française,
Paris, 1988.
- SERIAUX A., Droit canonique, P.U.F., 1996.
- PARALIEU R., Guide pratique du droit canonique, notes pastorales, Tardy, 1985.
- PINTO P.V. I processi nel codice di diritto canonico, Commento sistematico al Libro VII,
Libreria Editrice Vaticana, 1993.
- BAMBERG Anne, Procédures matrimoniales en droit canonique, Ellipses, Paris, 2011.
- PAPALE Claudio, Il processo penale canonico, commento al Codice di Diritto canonico
Libro VII, Parte IV, Urbaniana university Press, Roma, 2012.
- DUGAN Patricia M. La procédure pénale et la protection des droits dans la législation
canonique, Actes d’un colloque tenu à l’Université pontificale de la Sainte –Croix, Rome,
les 25 et 26 mars 2004. Collection Gratianus, Wilson & Lafleur, 2008.
- BAMBERG Anne, Introduction au droit canonique, Principes généraux et méthodes de
travail, Ellipses, Paris, 2013.
- BASDEVANT-GAUDEMET Brigitte, Histoire du droit canonique et des Institutions de
l’Eglise Latine XVe –XXe siècle, Economica, Paris 2014.
- LIBINE Gilbert, Petit recueil Juridique pour la pastorale du mariage, Editions Saint
Augustin Afrique, Lomé 2016.
- BARRIGAH Nicodème, Guide de préparation au mariage, Editions Saint Augustin
Afrique, Lomé 2016.
- VERNAY Jacques, DRAILLARD Bénédicte, L’abc des nullités de mariages catholiques,
éd. Nouvelle Cité, 2011.
- Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2003.
- RECUEIL CANONIQUE D’ARRAS, Traductions de Jurisprudence Rotale, Fascicule
XXXVIII, JU/4645-4822.
- DROIT CANONIQUE DU MARIAGE II, Jurisprudence matrimoniale,
Documents,2008-200.

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PLAN DU COURS PROCES I & II

PREMIERE PARTIE :
LES PROCES I. LES JUGEMENTS EN GENERAL

NOTIONS PRELIMINAIRES EN DROIT


Introduction

L’ORGANISATION JUDICIAIRE DE L’EGLISE

 HISTOIRE DE LA JURIDICTION ECCLESIASTIQUE

I. Les tribunaux de première instance


1.1. Le personnel des tribunaux
1.1. 1. Les juges
1.2. 2. Le promoteur de justice, le défenseur du lien et le notaire

1.2. La possibilité d’ériger un tribunal régional


1.3. Les parties
1.4. Les procureurs judiciaires et les avocats
1.5. Les règles de compétences
II. Les tribunaux de deuxième instance
III. Les tribunaux du Siège apostolique
3.1. La Rote romaine
3.2. La Signature apostolique
IV. Les règles de fonctionnement des tribunaux (cc.1446-1475)
V. Les parties dans la cause (cc.1476-1490)
VI. Les actions et les exceptions (cc.1491-1500).

DEUXIEME PARTIE

LES PROCES II : DES CONTENTIEUX ORDINAIRES


LE DEROULEMENT DE PROCES
Introduction

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I. L’introduction de la cause
1.1. Le libelle introductif d’instance
1.2. La citation du défendeur
1.3. La litiscontestation
II. L’instruction
2.1. Les déclarations
2.2. La preuve documentaire
2.3. Les témoins
2.4. Les experts
2.5. Les autres modes de preuve
III. De la publication des actes du jugement
3.1. La publication des actes
3.2. La conclusion de la cause
3.3. Les plaidoiries et les observations
3.4. La sentence
3.5. Comment se présente une sentence ? ou schéma classique d’une
sentence
IV. Les voies de recours et protection des droits
4.1. Les moyens d’attaquer une sentence
4.1.1. L’appel ordinaire
4.1.2. La plainte en nullité
4.2. La chose jugée et les voies de recours extraordinaires
4.2.1. La chose jugée
4.2.2. La remise en l’état
4.2.3. La réintroduction de l’affaire
4.3. Le recours contre le rejet du libelle
4.3.1. Le rejet du libelle
4.3.2. L’inertie du juge
V. Procédures rapides et incidentes
5.1. Le contentieux oral
5.1.1. Le déroulement du procès
- L’introduction
- L’audience – la discussion – la décision
5.1.2. L’emploi de la procédure orale
5.2. Le procès documentaire
5.2.1. Les conditions
5.1.2. Les particularités
5.3. Les causes incidentes
5.3.1. Les aspects communs aux causes incidentes
5.3.2. Les causes incidentes au sens strict
5.3.2.1. La non comparution
5.3.2.2. L’intervention d’un tiers
5.3.3. Cas réglés à la manière des causes incidentes
5.3.3.1. La récusation du juge
5.3.3.2. L’incompétence du juge
5.3.3.3. La péremption de l’instance
5.3.3.4. La renonciation à l’instance
5.3.3.5. L’exclusion de témoins, d’experts et d’avocat
5.3.3.6. Le droit d’appel

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TROISIEME PARTIE : QUELQUES PROCES SPECIAUX,
LES SACREMENTS FACE
AU TRIBUNAL DE L’EGLISE

Introduction
I. La déclaration de la nullité du mariage
I.1. Le for compétent
I.2. L’appel dans les procès
II. La séparation des conjoints
II.1. Le tribunal compétent
II.2. Les procédures ecclésiastiques
II.3. Les particularités de ses causes
III. La non-consommation du mariage
III.1. Remarques préliminaires
III.2. Le déroulement du procès
III.2.1.L’introduction de la demande
III.2.2.L’instruction du procès
III.2.3.La décision
III.3. Le recours
IV. La mort présumée d’un époux
V. La dissolution du lien matrimonial non sacramentel : le privilège de la
foi
VI. La nullité de l’ordination

QUATRIEME PARTIE : LE PROCES PENAL

1. L’enquête préalable (cc.1717-1719)

2. Le déroulement du procès (cc.1720-1728)

3. L’action en réparation des dommages (cc.1729-1731)

CINQUIEME PARTIE : LA PROCEDURE DES


RECOURS ADMISTRATIFS ET DE REVOCATION
OU DE TRANSFERT DES CURES
SECTION I - LE RECOURS CONTRE LES DÉCRETS ADMINISTRATIFS
(1732-1739)

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SECTION II - LA PROCÉDURE DE RÉVOCATION OU DE TRANSFERT
DES CURES (1740-1752)

1. La procédure de la révocation des curés (1740-1747)


2. La procédure du transfert des curés (1748-1752)

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SCHEMA DE PROCES DE NULLITES DES MARIAGES DANS
L’EGLISE

AVANT LE PROCES (Au Tribunal compétent du demandeur)

- Enquête préliminaire (extrajudiciaire)


- Préparation du libelle (demande justifiée d’un procès en nullité de mariage,
présenté à un juge)

LE PROCES PROPREMENT DIT (au Tribunal compétent selon les diocèses)

I. L’INTRODUCTION DE LA CAUSE

Préalable : a. Réception du libelle au secrétariat du Tribunal ou


chancellerie des diocèses.
b. Décret de constitution du Tribunal

1.1 Le libelle introductif d’instance (acceptation ou refus : c.1504-1506)


1.2 La citation et la notification des actes judiciaires (c.1508)

II. LA LITISCONTESTATION (la discussion de la demande (c.1513)

III. L’INSTRUCTION DE LA CAUSE (la constitution des preuves)

3.1. Les déclarations des parties (c.1530 -1532)


Appendice : Le huis clos (can 1677)
3.2. Les témoins (c. 1558-1565)
Appendice : La valeur des témoignages
3.3. Les experts (c.1574-1577)

IV. LA DISCUSSION DE LA CAUSE

4.1. La publication des actes (décret : c. 1598)


4.2. La conclusion de la cause (décret : c.1599)
4.3. Phase de la discussion de la cause (Les plaidoiries : c.1601)

V. LA SENTENCE DEFINITIVE (c.1607)


Appendice : La certitude morale (c.1608)

VI. L’APPEL (cf. Motu proprio du 15 août 2015 du pape François)


Appendice : 1. Le « vetitum » et le « monitum »
2. L’annotation aux registres des mariages et des baptêmes.
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PREMIERE PARTIE :
LES JUGEMENTS EN GENERAL

QUELQUES NOTIONS PRELIMINAIRES EN DROIT

Procès
Le mot « procès », désigne l’ensemble des formalités nécessaires à l’aboutissement d’une
demande faite par une personne qui entend faire valoir en Justice, un droit dont la
reconnaissance fera l’objet d’une décision exécutoire. C’est la discussion judiciaire d’un
litige, aboutissant à un jugement.
Le procès se compose de l’ensemble des instances qui seront engagées pour obtenir gain de
cause, y compris les incidents, les mesures d’instruction, (enquête, expertise) l’utilisation
des voies de recours, et les voies d’exécution de la décision définitive.
Ce mot n’est proprement employé que si ce droit est contesté. Si au contraire l’autorité
judiciaire n’est saisie que pour l’obtention d’une habilitation, (changement de régime
matrimonial, adoption) on se trouve en matière gracieuse et dans ce cas, on ne peut
véritablement parler d’un procès. Dans l’Eglise, on parle de dispense, de grâce.
Il est vrai que dans le langage courant, « procès » est souvent utilisé comme étant le
synonyme d’instance ou de procédure.

Tribunal
Le mot « tribunal », est un vocable générique employé pour désigner toute formation
juridictionnelle ayant pour fonction d’apporter une solution à un litige soit entre personnes
privées, soit entre une personne privée et une personne publique. En droit canonique, c’est
la juridiction chargée d’exercer le pouvoir judiciaire au nom de l’évêque diocésain ou du
pape.

Défendeur (pars conventa)


Le « défendeur », appelé aussi « la partie défenderesse », est la personne physique ou
morale qui a été assignée à comparaître en justice par celui qui a pris l’initiative du procès
et que l’on dénomme le « demandeur » ou la « partie demanderesse ». Ne pas confondre le

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mot « défendeur » avec le mot « défenseur », qui, dans un procès pénal, désigne l’avocat
du prévenu, ou le « défenseur du lien » en droit canonique.

Demandeur (actor)
Le « demandeur » ou « le requérant », ou « la demanderesse » est la personne physique ou
morale qui a pris l’initiative d’engager une procédure judiciaire en vue de faire reconnaître
un droit. Son adversaire est le « défendeur ». Ce dernier peut faire valoir à son tour une
prétention, dans ce cas il devient un « demandeur reconventionnel ». Des tiers peuvent
intervenir volontairement ou se trouver appelés à intervenir dans la procédure, ils
deviennent alors des « parties » et, ils peuvent être amenés à se porter demandeurs pour
défendre leurs intérêts.

Partie
Les parties à une convention, sont les personnes qui l’ont signé, par opposition à celles qui
y sont demeurées étrangères et que l’on dénomme des « tiers ».
En procédure, « partie » est le nom donné à l’une et à l’autre des personnes engagées dans
un procès civil. Pour les distinguer ont dit le « demandeur » pour nommer la personne qui a
pris l’initiative de la procédure et le « défendeur » pour désigner celle d’entre elles contre
laquelle le procès a été engagé.
En cause d’appel les parties sont désignées sous les vocables d’« appelant » et
« d’intimé ». Celui qui fait opposition à un jugement pris par défaut est « l’opposant ». Il
n’existe pas d’expression particulière pour désigner les parties devant la Cour de
Cassation. On dit « le demandeur au pourvoi ou l’auteur du pourvoi » et le « défendeur au
pourvoi ».
Le ou les demandeurs et le ou les défendeurs ne sont pas les seules parties au procès. Les
personnes qui sont mises en cause par ces derniers ou qui, pour protéger leurs intérêts
interviennent volontairement à la procédure sont aussi des parties.
• Devant un tribunal ou une cour de justice, l’expression « parties au procès » désigne les
personnes physiques ou morales engagées dans un procès civil. On distingue le
« demandeur », la personne qui a pris l’initiative de la procédure, et le « défendeur », la
personne contre laquelle le procès est engagé. Les parties peuvent être représentées par
leurs responsables légaux (tuteur, curateur, parents) lorsqu’il s’agit de mineurs ou de
majeurs incapables. Elles sont également représentées par des avocats.

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Action (procédure)
Dans la terminologie juridique du droit procédural, il convient de distinguer « action » et
« instance ». L’action c’est le droit qui appartient à une personne de faire valoir une
prétention en saisissant la juridiction à laquelle la loi attribue compétence pour en
connaître. L’instance c’est seulement le développement procédural découlant de la saisine
du juge. Se désister de l’action c’est renoncer définitivement à sa prétention. Se désister de
l’instance que l’on a introduite, c’est seulement renoncer à poursuivre la procédure. Le
désistement d’instance permet au renonçant de préserver ses droits pour l’avenir et
éventuellement d’introduire ultérieurement amener à un nouveau procès. Une telle
éventualité se produit notamment lorsqu’en cours de procédure le créancier concède à son
débiteur de longs délais et fixe avec lui un calendrier de versements échelonnés. Afin
d’éviter de maintenir l’affaire en suspens, il se désiste de son instance, en se réservant de
réintroduire une nouvelle instance pour le cas où son débiteur ne verserait pas à leur date
les acomptes promis.

Audience

« L’ audience » est le moment de la procédure au cours duquel le juge, lorsque la


procédure est « à juge unique » ou le tribunal, lorsque la cause est entendue par une
formation collégiale, entend les parties et/ou leurs conseils (avoués, avocats, représentant
légal ou mandataires ad hoc) en leurs observations orales. Autrement dit l’audience est la
séance au cours de laquelle une juridiction prend connaissance des prétentions des parties,
instruit le procès, entend les plaidoiries et rend son jugement. L’audience peut être
publique ou privée.
« Ester » est un archaïsme signifiant prendre l’initiative d’un procès.

Personnalité juridique
• Les personnes physiques et les personnes morales sont dotées de la personnalité
juridique, qui leur permet d’exister juridiquement, c’est-à-dire d’être titulaires de droits
et débitrices d’obligations.
• Les personnes physiques l’acquièrent par la naissance et la perdent lors du décès.
• Une personne morale naît de la volonté de ses membres, sa personnalité juridique résulte
d’un certain nombre de formalités (dépôt des statuts à la préfecture et publicité pour les
associations, par exemple). La personne morale est distincte de la personnalité juridique de
chacun des membres qui la compose.
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Personne morale
• La personne morale se compose de personnes physiques (êtres humains) ou morales qui,
en raison de leur intérêt commun, se regroupent pour exercer une activité. Elle peut être
de droit privé (association, société) ou de droit public (État, collectivité territoriale,
établissement public à caractère industriel ou commercial).
• Les personnes morales sont titulaires de droits et d’obligations. Par conséquent, elles
peuvent posséder des biens, conclure des contrats, ester en justice, payer des impôts,
engager leur responsabilité civile et pénale. On les identifie par un nom (raison sociale), un
domicile (siège social), une nationalité et un patrimoine. Leur capacité est limitée à leur
objet social (activité).

Présomption
• Les présomptions permettent au demandeur d’être exempté de preuve. Dans certains
cas, la justice considère en effet que c’est au défendeur de prouver qu’il n’a pas tort
(présomption simple). Par exemple, en matière de recherche de paternité, tout homme est
présumé être le père de l’enfant s’il était marié à la mère lors de la naissance.
• Le défendeur n’a parfois pas le droit d’apporter la preuve contraire (présomption
irréfragable), il perd automatiquement le procès. Par exemple, un employeur est toujours
responsable des fautes commises par ses salariés à l’occasion de leur travail.

Contentieux
Le mot « contentieux », est l’adjectif tiré du langage administratif, caractérisant une
procédure destinée à faire juger un litige entre un usager d’un service public et l’Etat. Le
contentieux c’est ce qui fait l’objet d’un désaccord spécialement juridique. En procédure
civile le mot désigne toute procédure destinée à faire juger par un tribunal de la
recevabilité et du bien fondé des prétentions opposant une ou plusieurs personnes à une ou
plusieurs autres. Le contraire de « matière contentieuse » est « matière gracieuse ».

Connexité
Le mot « connexité » s’utilise en procédure pour désigner le lien nécessaire qui peut
exister entre deux ou plusieurs affaires concernant les mêmes parties lorsque ces
procédures sont pendantes (ballantes, en attentes) devant la même juridiction dès lors que,
les demandes sont liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à

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les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les
causes étaient jugées séparément.

Dilatoire
L’adjectif « dilatoire » vient de « délai » pris dans le sens de « retard ». Est dilatoire tout
acte ayant pour effet de retarder l’issue d’un procès et que les juges accolent au mot
« manœuvres » ou au mot « intentions ».

Exception
L’exception est donc un moyen de défense par lequel une des parties paralyse la prétention
de son adversaire « Exciper », « soulever une exception » ou « opposer une exception »
sont des expressions équivalentes.

Opposition
Le mot « opposition » désigne toute manifestation de volonté par laquelle une personne
entend arrêter l’exécution d’un processus juridique ou judiciaire.
Hors toute procédure judiciaire on trouve par exemple l’opposition au mariage,
l’opposition au paiement du prix d’un fonds de commerce. Dans son sens procédural, l’
« opposition » est le nom donné à une voie de droit qui est ouverte à la personne qui,
n’ayant pas reçu personnellement la notification ou la signification d’un avis d’avoir à
comparaître à l’audience, de sorte que le tribunal a rendu un jugement « par défaut »,
demande au juge qu’il l’entende et qu’il modifie sa décision. Par l’opposition, la juridiction
qui a statué est ressaisie de l’affaire en son entier et un nouveau débat s’instaure
contradictoirement entre les parties.
Lorsque l’avis à comparaître a été remis à la personne même qui est citée, et que cette
personne ne s’est pas présentée ou ne s’est pas fait représenter, le jugement qui est rendu
en son absence est dit « réputé contradictoire ». Dans ce cas aucune opposition n’est
possible, en revanche si la cause est appelable en raison du montant des sommes qui font
l’objet du différend, l’appel est recevable. Si la cause n’est pas appelable, et, à condition
que les autres conditions de recevabilité soient réunies, il reste à la personne défaillante
d’engager un pourvoi.
La procédure de l’opposition n’est recevable que de la part du défendeur. Si le demandeur
ne se présente pas à l’audience ou s’il ne s’y fait pas représenter, le l’official peut, soit
renvoyer l’affaire à une autre audience, soit juger l’affaire en l’état si le défendeur le
12
demande, soit déclarer que la citation du défendeur est caduque. Le demandeur dispose
alors d’un délai de 15 jours pour faire valoir les motifs pour lesquels il n’a pas été en
mesure de se présenter ou de se faire représenter. En cas d’inaction du demandeur
(requérant) dans ce délai, à condition que l’action soit encore recevable, la procédure doit
être recommencée par le demandeur.
Le juge du fond saisi de l’opposition à un jugement rendu par défaut est tenu de statuer au
vu des dernières conclusions des parties. Il ne saurait rejeter l’opposition au motif qu’il
n’aurait pas à répondre aux moyens soulevés dans celles de leurs conclusions qui ne
figurent pas dans la déclaration d’opposition.

Reconventionnelle
« Reconventionnelle » est le qualificatif donné à la demande incidente par laquelle, en
procédure civile, le défendeur à une instance se porte lui-même demandeur contre le
requérant. Les demandes reconventionnelles sont recevables en cause d’appel. L’appel
incident fait par un intimé est aussi un « appel reconventionnel ».

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Introduction générale
En tant que société juridique, l’Eglise possède un droit propre et exclusif à
l’administration de la justice de manière autonome et indépendante par rapport au pouvoir
étatique.
Le CIC consacre aux procès tout son Livre VII et dernier (c. 1400-1752), divisé
en cinq parties : les jugements en général, le procès contentieux, quelques procès spéciaux,
le procès pénal, la procédure des recours administratifs et de révocation ou de transfert des
curés. Le CCEO suit un ordre différent : les recours contre les décrets administratifs (titre
XXII), les jugements en général (titre XXIV), le procès contentieux (titre XXV), quelques
procès spéciaux (titre XXVI), la procédure d’infliction des peines (titre XXVIII). Il
méconnaît, bien sûr, le procès pour dispense de mariage conclu et consommé du CIC.
Le pouvoir juridique ecclésial revient au Pontife romain sur l’ensemble de l’Eglise
et à l’évêque diocésain dans le cadre de l’Eglise particulière qui lui a été confiée. En
pratique, l’exercice du pouvoir judiciaire est l’œuvre des tribunaux ecclésiastiques.
Le rôle de ces tribunaux a fortement évolué au cours des siècles. Au XI ème siècle,
note un éminent canoniste, l’Eglise est pratiquement la seule à exercer la fonction juridique
en matière matrimoniale1. Par ailleurs, il faut également relever que les juridictions
ecclésiastiques connaissaient une gamme très complète de litiges allant des questions
pénales et patrimoniales jusqu’aux aspects les plus variés des causes matrimoniales
(fiançailles, unions incestueuses, séparations, mort présumée du conjoint, etc.).
La situation actuelle présente un tout autre visage. D’une part, les tribunaux
ecclésiastiques ne sont pratiquement plus saisis que de causes matrimoniales (et le
développement relatif de la justice administrative dans l’ordonnancement canonique ne
devrait qu’accentuer ce phénomène). Le can. 1671 §1 en fait une obligation : « les causes
matrimoniales des baptisés relèvent de droit propre du juge ecclésiastique », à la différence
des causes relatives aux effets purement civils qui, selon le can. 1671 §2, relèvent de la
juridiction civile, à moins que le droit particulier n’établisse que ces causes, lorsqu’elles
sont traitées de façon incidente et accessoire, puissent être confiées au juge ecclésiastique.
Ce qui n’empêche pas que les tribunaux ecclésiastiques continuent à être compétents pour
trancher judiciairement tous les litiges canoniques. Un autre secteur de l’activité judiciaire
est celui des causes en déclaration de nullité de l’ordination sacrée (cf. c. 1708-1712).
D’autre part, les tribunaux étatiques assurent la fonction judiciaire à l’égard des
mariages civils et, le plus souvent, des séparations ; quant aux fiançailles, elles n’ont plus

1
J. GAUDEMET, Le mariage en occident, Paris, Cerf, 1987.
14
les mêmes effets juridiques que par le passé. D’où l’activité judiciaire ecclésiastique se
trouve réduite - à quelques exceptions près - aux causes de déclaration de nullité de
mariage.
Si l’évolution est nette, il n’est pas aussi clair qu’elle soit totalement bénéfique. En
effet, mis à part la question - purement historique - du monopole juridictionnel en matière
matrimoniale, il y a lieu de se demander s’il n’est pas dommage que le mariage et l’ordre
sacré soient les seuls biens qui jouissent habituellement de toutes les garanties de
l’organisation et du procès judiciaire dans l’Eglise. C’est en tout cas un état de fait. Nous
traiterons surtout du procès de déclaration de nullité de mariage et la procédure à suivre.
Une société ne reconnaît vraiment des droits à ses membres que si ceux-ci peuvent
être sanctionnés par un procès judiciaire en bonne et due forme. Dans ce sens, il y a lieu
d’évaluer à sa juste valeur l’importance du respect de la procédure dans le cadre du respect
des droits des fidèles (cf. c. 221). La correcte application du droit processuel est nécessaire
pour que la justice soit rendue dans l’Eglise ; par surcroît, administrer la justice
conformément à la législation canonique est faire œuvre pastorale.
Comme le pape Jean-Paul II le faisait remarquer aux auditeurs de la Rote romaine,
il faut lever une équivoque : il y a une déformation qui « consiste à attribuer une portée et
des intentions pastorales uniquement aux aspects de modération et d’humanité qui sont
immédiatement en rapport avec l’’aequitas canonica’ ; c’est-à-dire à ne retenir que, seuls,
les exceptions aux lois, le non-recours éventuel aux procès et aux sanctions canoniques,
l’allègement des formalités juridiques, ont une importance pastorale véritable. On oublie
ainsi qu’eux aussi, la justice et le droit au sens strict et par conséquent, les normes
générales, les procès, les sanctions et les autres manifestations typiques de la chose
juridique, chaque fois qu’elles s’avèrent nécessaires sont requises dans l’Eglise pour le
bien des âmes et constituent donc des réalités intrinsèquement pastorales ».2
« La fonction de ce tribunal - a affirmé le pape Benoît XVI dans son discours du 4 février
2011 - ne se limite pas à l’exercice suprême de la fonction judiciaire, mais il est aussi de
son devoir, dans le domaine exécutif, de veiller à une juste administration de la justice »
dans l’Eglise.
« Il s’agit d’un travail patient et coordonné, destiné particulièrement à fournir aux fidèles
une administration de la justice droite, précise et efficace, comme je l’ai demandé, en lien
avec les causes de nullité de mariage, dans l’exhortation apostolique post-synodale
Sacramentum caritatis (n. 29) », a-t-il souligné.

2
JEAN-PAUL II, Le droit canonique a une authentique dimension pastorale, op. cit. p.336.
15
A cette occasion, le pape a fait référence à l’instruction Dignitas Connubii3, qui donne au
personnel judiciaire, sous la forme d’un vademecum, des normes nécessaires pour que les
causes de nullité de mariage soient traitées et définies de manière rapides et sûres.
« Une juste administration de la justice serait déficiente si elle ne comprenait pas aussi la
tutelle de la jurisprudence », a également affirmé le pape.
Il a par ailleurs rappelé que Paul VI avait confié à ce tribunal un autre « domaine délicat de
l’administration de la justice » : la Signature connaît en effet « des controverses relatives
aux actes administratifs ecclésiastiques » qui lui sont confiés par les dicastères de la Curie
Romaine. « C’est un service de première importance : la prédisposition des instruments de
justice constitue un espace de dialogue et de rétablissement de la communion dans
l’Eglise », a-t-il affirmé.
« S’il est vrai, en effet, que l’injustice se combat avant tout avec les armes spirituelles de la
prière, de la charité, du pardon et de la pénitence, on ne peut toutefois exclure, dans
certains cas, la possibilité et la nécessité d’avoir recours aux voies judiciaires », a poursuivi
Benoît XVI. « Elles constituent avant tout des lieux de dialogue qui mènent parfois à la
réconciliation et à la paix ».
Dans d’autres cas, « quand il n’est pas possible de régler la controverse pacifiquement », le
tribunal suprême « doit chercher à rétablir la communion ecclésiale », c’est-à-dire veiller
au « rétablissement d’un ordre objectif conforme au bien de l’Eglise ».
« Le rétablissement de la justice est destiné à reconstruire des relations justes et ordonnées
entre les fidèles, et entre eux et l’autorité ecclésiastique », a enfin expliqué Benoît XVI.
« En effet, la paix intérieure et la collaboration des fidèles dans la mission de l’Eglise
proviennent de la conscience d’accomplir pleinement sa propre vocation. Le Peuple de
Dieu ne pourra atteindre sa pleine identité de communauté d’amour s’il ne prend pas
complètement en compte les exigences de la justice », a-t-il affirmé.

Le Pape François dans son discours à la Rote romaine disait « Ma reconnaissance va en
particulier à vous, juges de la Rote, qui êtes appelés à accomplir votre travail délicat au
nom du Successeur de Pierre et sur son mandat.

3
Conseil Pontifical pour les Texte Législatifs Dignitas Connubii, (DC) Instruction sur ce que les Tribunaux
diocésains et interdiocésains doivent observer pour traiter les causes de nullité du mariage, Libreria Editrice
Vaticana, 2005.

16
La dimension juridique et la dimension pastorale du ministère ecclésial ne sont pas en
opposition, car toutes deux concourent à la réalisation des finalités et de l’unité d’action
propres à l’Église. L’activité judiciaire ecclésiale, qui se traduit comme service à la vérité
dans la justice, a en effet une connotation profondément pastorale, car elle recherche la
poursuite du bien des fidèles et l’édification de la communauté chrétienne. Cette activité
constitue un développement particulier de la puissance de gouvernement, tourné vers le
soin spirituel du peuple de Dieu, et elle est par conséquent pleinement intégrée dans le
chemin de la mission de l’Église. Il s’ensuit que la charge judiciaire est une vraie diaconie,
c’est-à-dire un service au peuple de Dieu en vue de la consolidation de la pleine
communion entre les fidèles pris individuellement, et entre eux et la communauté
ecclésiale. En outre, chers juges, par votre ministère spécifique, vous offrez une
contribution compétente pour affronter les thématiques pastorales émergentes 4». Le pape
poursuivant son intervention a fait un bref profil du juge ecclésiastique en trois point :
« Tout d’abord le profil humain : il est demandé au juge une maturité humaine qui
s’exprime dans la sérénité de jugement et dans la prise de distance des vues personnelles.
La capacité de se plonger dans la mentalité et dans les aspirations légitimes de la
communauté où s’accomplit le service fait aussi partie de la maturité humaine. Ainsi, il se
fera l’interprète de cette « animus communitatis » qui caractérise la portion du Peuple de
Dieu destinataire de son travail et il pourra pratiquer une justice non légaliste et abstraite,
mais adaptée aux exigences de la réalité concrète. Par conséquent, il ne se contentera pas
d’une connaissance superficielle de la réalité des personnes qui attendent son jugement,
mais il ressentira la nécessité d’entrer en profondeur dans la situation des parties en cause,
en étudiant à fond les actes et tous les éléments utiles pour le jugement. A l’occasion de
l’inauguration de l’année judiciaire en 2015 le pape François a réfléchi sur le contexte humain et
culturel dans lequel se forme l’intention matrimoniale. Il a souligné que l ’expérience pastorale
nous enseigne qu’il y a aujourd’hui un grand nombre de fidèles en situation irrégulière,
dont l’histoire a été fortement influencée par la mentalité mondaine diffuse. Il existe en
effet une sorte de mondanité spirituelle, « qui se cache derrière des apparences de
religiosité et même d’amour de l’Église »5

4
Discours du pape François aux membres du tribunal de la Rote romaine pour l’inauguration de l’année
judiciaire, vendredi 24 janvier 2014.
5
Salle Clémentine Vendredi 23 janvier 2015 

17
Le second aspect est l’aspect judiciaire. Outre les compétences de doctrine juridique et
théologique, dans l’exercice de son ministère le juge se caractérise par l’expertise en droit,
l’objectivité de jugement et l’équité, en jugeant avec un équilibre imperturbable et
impartial. En outre, dans son activité il est guidé par l’intention de défendre la vérité, dans
le respect de la loi, sans omettre la délicatesse et l’humanité propres au pasteur d’âmes.

Le troisième aspect est l’aspect pastoral. En tant qu’expression de la sollicitude pastorale


du Pape et des évêques, il est demandé au juge non seulement une compétence éprouvée,
mais aussi un authentique esprit de service. Il est le serviteur de la justice, appelé à
considérer et juger la condition des fidèles qui avec confiance s’adressent à lui, imitant le
Bon Pasteur qui prend soin de la brebis blessée. C’est pourquoi il est animé par la charité
pastorale ; cette charité que Dieu a répandue dans nos cœurs au moyen de « l’Esprit qui a
été donné » (Rm 5,5). La charité — écrit saint Paul — « est le lien le plus parfait » (Col 3,
14), et constitue l’âme de la fonction du juge ecclésiastique 6. Le pape conclut son discours
aux juges et aux agents du tribunal de la Rote en insistant sur le travail en ces termes : «
votre ministère, vécu dans la joie et dans la sérénité qui découlent du fait de travailler là où
le Seigneur nous a placés, est un service particulier au Dieu Amour, qui est proche de
chaque personne. Vous êtes essentiellement pasteurs. Tandis que vous accomplissez le
travail judiciaire, n’oubliez pas que vous êtes des pasteurs ! Derrière chaque pratique,
chaque position, chaque cause, il y a des personnes qui attendent justice7 ».

En 2017, le pape François recevant les membres de la Rote romaine, leur disait je tiens à
réaffirmer la nécessité d’un « nouveau catéchuménat » en préparation au mariage. En
accueillant les vœux des pères du dernier synode ordinaire, il est urgent d’appliquer
concrètement ce qui est déjà proposé dans Familiaris consortio (n. 66), c’est-à-dire que, de
même que pour le baptême des adultes le catéchuménat fait partie du processus
sacramentel, la préparation au mariage devienne elle aussi partie intégrante de toute la
procédure sacramentelle du mariage, comme antidote empêchant la multiplication des
célébrations matrimoniales nulles ou inconsistantes. Un second remède est d’aider les
nouveaux époux à poursuivre leur chemin dans la foi et dans l’Eglise également après la
célébration du mariage. Il est nécessaire d’identifier, avec courage et créativité, un projet
de formation pour les nouveaux époux, avec des initiatives visant à une conscience
grandissante du sacrement reçu. Il s’agit de les encourager à considérer les différents

6
Idem.
7
Ibidem.
18
aspects de leur vie quotidienne de couple, qui est le signe et l’instrument de l’amour de
Dieu, incarné dans l’histoire des hommes8.

Nous nous consacrerons successivement à l’organisation des tribunaux, aux différents


stades du procès de nullité, au procès documentaire et aux voies de recours. En traçant ce
plan, nous nous écartons délibérément de la systématisation du code. En effet, le code suit
le plan traditionnel : après une première partie sur les jugements en général (c. 1400-1500),
il aborde les procès contentieux (c. 1501-1670). Cette deuxième partie est consacrée pour
l’essentiel au procès contentieux (litigieux) ordinaire ; la seconde section concerne le
procès contentieux oral. Ce n’est que dans la troisième partie que le code parle des procès
matrimoniaux (cf. Le Motu proprio du pape François MITIS IUDEX DOMINUS IESUS
du 15 Août 2015) qui décrète que la partie III, titre I, chapitre I – qui porte sur les causes
de déclaration de nullité du mariage (can. 1671-1691) – du Livre VII du Code de Droit
Canonique, est totalement remplacée à compter du 8 Décembre 2015.
En vue de simplifier, nous avons préféré fusionner en un seul exposé les règles
relatives au procès contentieux écrit (ou ordinaire) - en matière de nullité le procès oral
n’est pas applicable - et celles du procès matrimonial qui, bien que qualifié de « spécial »,
est en fait le procès ordinaire des officialités. Par ailleurs, pour éviter des répétitions, nous
renvoyons l’étudiant à une série de procès matrimoniaux, à savoir les causes de séparation
des époux (c. 1692-1696), la dispense d’un mariage conclu mais non - consommé (c. 1697-
1706), et la déclaration de présomption de mort du conjoint (c. 1707). Les causes en
déclaration de nullités de l’ordre sacré (c. 1708-1712), les moyens d’éviter les procès (c.
1713-1716), le procès pénal (c. 1717-1731), et la dernière partie consacrée à la procédure
des recours administratifs et révocation ou transfert des curés (c. 1732-1752).
Rappelons également que lorsque le tribunal accepte de se prononcer dans une
cause de nullité, c’est uniquement pour émettre un jugement déclaratif -non constitutif - de
la nullité du mariage.

8
Discours du pape François aux membres du tribunal de la Rote romaine, Salle Clémentine
samedi 21 janvier 2017.

19
ORGANISATION JUDICIAIRE DE L’EGLISE

HISTOIRE DE LA JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE9

I. Les fondements et l’évolution historique

1. LES FONDEMENTS

Plusieurs justifications viennent s’ajouter les unes aux autres, expliquant la


nécessité de l’existence d’une justice propre à l’Eglise et commandant sa nature. L’Eglise a
son droit, dont elle doit assurer le respect. Dès les origines, les chrétiens ont cherché à
régler leurs litiges entre eux, selon le mécanisme de la correction fraternelle tel qu’exposé
dans l’Évangile de Matthieu et repris par Paul10 ; le fondement scripturaire de la juridiction
ecclésiastique sera constamment invoqué au cours des siècles. D’autre part, l’Église
cherche la sanctification des fidèles ; en conséquence, sa justice – et les sanctions qu’elle
prononce – n’ont pas pour objectif premier la répression du coupable, mais son
amendement ; dans cet esprit une large place est faite aux peines médicinales, qui doivent
permettre au coupable de progresser et de guérir. Pourtant, à côté des peines médicinales,
le droit canonique a toujours connu des peines dites expiatoires (privation d’un pouvoir,
d’un office, interdiction de demeurer en un lieu...). La pénitence proprement dite est
davantage liée au sacrement qu’à la sentence du tribunal. De fait, il importe de ne pas
confondre les deux fors : le for interne concerne le domaine de la conscience, du péché ou
de la relation à Dieu ; il est associé au sacrement de pénitence. Le for externe concerne les
fautes commises dans la société et réprimées par les juridictions ecclésiastiques que nous
étudions ici.

2. APERÇU DE L’EVOLUTION CHRONOLOGIQUE

2.1. L’Antiquité et le Moyen Âge

Tant que l’Église devait vivre dans la clandestinité, l’épiscope pratiquait la


correction fraternelle, entouré soit de son presbyterium soit, et de plus en plus souvent au
cours des décennies, des évêques du voisinage. Tel fut d’ailleurs l’une des raisons
essentielles des premières réunions conciliaires locales. La sentence était un arbitrage plus
qu’un jugement. Au Bas-Empire, les conciles continuent à trancher les litiges, mais l’une
des premières mesures de Constantin fut la reconnaissance, par l’autorité séculière, du
pouvoir juridictionnel de l’évêque, agissant dans le cadre de l’audientia episcopalis et
9
A. DUMAS, V° « Juridiction ecclésiastique, histoire », DDC, t. 6, col. 236-283 ; L. POMMERAY,
L’officialité archidiaconale de Paris, Paris, 1933 ; R. AUBENAS, Recueil des lettres des officialités de
Marseille et d’Aix, Paris, 1937-1938 ; A. LEFEBVRE-TEILLARD, Les officialités à la veille du concile de
Trente, Paris, 1973, 291 p. ; M. VLEESCHOUWERS
M.VAN MELKEBEEK (éd.), Le Liber Sententiarum van des Officialiteit van Brussel, 1448- 1459,2 vol.
Bruxelles, 1982-1983 ; MSHDB, 1977, La juridiction ecclésiastique, fasc. 34, 1.1, Le Moyen Age, fasc. 35, t.
2, Après la Réforme ; B. D’ALTEROCHE, L’officialité de Paris à la fin de l’Ancien Régime, Paris, PUF,
1994 ; Eglises et Justices, textes réunis par V. DESMARS-SION et R. MARTINAGE, Lille, 2005, 385 p.
10
Mt 18, 15, et même chose chez Paul, 2 Co 13, 2 ou Tite, 3, 10. Paul envisage le rôle du chef de la
communauté et des témoins ; il souhaite ne pas user de sévérité car veut « édifier et non détruire » ; il
convient d’adresser tout d’abord « un premier et un second avertissement », ce dont la juridiction
ecclésiastique tiendra compte en organisant les monitoires. Mt 18, 15, et même chose chez Paul, 2 Co 13, 2
ou Tite, 3, 10. Paul envisage le rôle du chef de la communauté et des témoins  ; il souhaite ne pas user de
sévérité car veut « édifier et non détruire » ; il convient d’adresser tout d’abord « un premier et un second
avertissement », ce dont la juridiction ecclésiastique tiendra compte en organisant les monitoires.
20
bénéficiant d’une très large compétence11. Le privilège du for apparaît un peu plus tard,
également au Bas-Empire, lui aussi consacré par les constitutions impériales.
Au cours du haut Moyen Age, la juridiction ecclésiastique connaît un large essor.
Elle dépend de l’évêque, mais aussi du concile provincial, compétent pour juger les
évêques eux-mêmes ou pour statuer sur une sentence auparavant prononcée par l’évêque.
Plusieurs facteurs concourent à son développement : les monarchies barbares l’admettent ;
l’Église profite de la faiblesse des pouvoirs séculiers pour étendre sa propre autorité, bien
structurée ; les populations souhaitent recourir aux tribunaux d’Église, mieux organisés et
plus impartiaux.
A partir du XIIe et surtout au XIIIe siècle, ces tribunaux et en premier lieu celui de
l’évêque, désormais qualifiés d’officialités, connaissent leur période d’apogée. Splendeur
des officialités qui correspond à celle de l’Église dans la société chrétienne médiévale ainsi
qu’au plein développement de la procédure romano-canonique et plus largement du droit
canonique classique. La constitution Romana Ecclesia de 124612 constitue le texte
fondamental fixant organisation, procédure et compétence des officialités.
Pourtant, dès la fin du XIIIe siècle et surtout au XIVe siècle, les officialités
connaissent un déclin dû essentiellement à la lutte menée par légistes et officiers royaux
pour accroître les compétences des tribunaux du prince, au détriment de ceux de l’Église.
L’amélioration du fonctionnement des justices séculières représente un puissant atout en
faveur de ces dernières. Il est en outre nécessaire de s’adresser aux instances séculières
pour obtenir exécution des sentences du juge d’Église. La lutte des justices royales contre
les justices ecclésiastiques est tout à la fois politique, doctrinale, et pratique.
-Comme dans bien d’autres domaines, le conflit opposant Boniface VIII et Philippe Le
Bel13 marque une rupture dans l’histoire de la justice ecclésiastique. C’est à propos de la
compétence – des justices d’Église ou des justices séculières – que ce conflit s’était
engagé ; il se poursuivra au cours des siècles et ne cessera qu’avec la solution radicale de
la Révolution.
-Un mouvement doctrinal se développe. Dès 1329, l’Assemblée de Vincennes 14 fut
l’occasion pour les conseillers du roi d’exposer leurs prétentions face aux prélats. À cette
réunion convoquée par le roi Philippe VI, Pierre de Cuignières parla au nom des princes
temporels, alors que Pierre Roger, archevêque de Sens qui deviendra pape sous le nom de
Clément VI, et Pierre Bertrand, évêque d’Autun, défendaient les compétences de la justice
ecclésiastique. Pour le premier, la distinction des deux ordres de juridiction aboutit à
remettre au roi tout ce qui concerne le temporel et une pratique contraire ne peut être
introduite par prescription. Pour le second, de droit divin l’Église connaît tout litige,
ratione peccati, en raison de la supériorité du spirituel sur le temporel ; en conséquence, les
justices d’Église peuvent être saisies d’affaires temporelles. La discussion sera
constamment reprise.

11
Parmi les nombreux travaux, citons seulement, J. GAUDEMET, L’Eglise dans l’empire romain, ..., p. 229-
240. La première constitution date de 318 ; la législation est abondante jusqu’aux Novelles de Justinien. La
compétence reconnue au tribunal de l’évêque est dans un premier temps extrêmement large ; elle est
progressivement restreinte à la demande des évêques eux-mêmes qui se sentent surchargés et qui, en outre, se
méfient moins de tribunaux séculiers où siègent de plus en plus déjugés chrétiens. Cette audientia episcopalis
possède, comme caractère fondamental, d’être intégrée dans l’ensemble de l’appareil juridictionnel de
l’empire. C’est au cours du Vème siècle, lorsque la compétence de l’audientia episcopalis se restreint, qu’il
devient nécessaire de préciser le privilège du for, protégeant la personne du clerc.
12
Constitution d’innocent IV, reprise au Sexte, 2, 15, 3. Le terme d’officialité était inconnu de Gratien ; il
apparut dans la seconde moitié du XIIe siècle, avec la renaissance du droit romain.
13
Conflit au tournant des XIVe et XVe siècles, souvent présenté comme correspondant à la naissance du
gallicanisme.
14
F. OLIVIER-MARTIN, L’Assemblée de Vincennes de 1329 et ses conséquences. Études sur les conflits entre
la juridiction laïque et la juridiction ecclésiastique au XTV siècle, Paris, Picard, 1909,432 p.
21
-La lutte est aussi pratique et les juges royaux mettent en œuvre de nouvelles
procédures, permettant d’accroître leurs domaines d’intervention, au détriment des
juridictions ecclésiastiques. Plusieurs motivations les guident : maintenir l’ordre public ;
accroître l’autorité royale ; assurer leurs profits matériels personnels. En accord avec
l’autorité monarchique, ils font reconnaître leur compétence pour procéder à la saisie d’un
bénéfice ecclésiastique. Ils développent, dès le XIVe siècle, divers mécanismes, très
courants par la suite, et qui leur permettent de se saisir d’un procès. La large place des
justices ecclésiastiques est atteinte.

2.2. Le nouveau contexte dans lequel fonctionnent les officialités aux Temps
modernes

Les juridictions ecclésiastiques demeurent néanmoins. L’Eglise réaffirme avec


vigueur leur existence, légitimité, fonctionnement et compétence. Mais les luttes
continuent et se complexifient. Etudier la justice ecclésiastique au XIV e siècle revenait à
étudier le conflit entre les deux ordres de juridiction, conflit tournant à l’avantage de
l’autorité monarchique. À partir du conciliarisme, coexistent au moins trois catégories de
combats qui s’entrecroisent les uns les autres. Aux rivalités entre juridictions royales et
juridictions ecclésiastiques s’ajoutent désormais, en conséquence du gallicanisme, les
conflits dans lesquels l’Église de France fait cause commune avec le roi dans la résistance
à l’autorité pontificale ; épiscopat et royauté cherchent à limiter les cas d’intervention de
l’autorité romaine, qui s’immisce par le jeu des causes réservées et surtout des appels. En
outre, troisième terrain d’hostilités, dans le camp de la couronne, mais encore davantage
dans celui de l’Église, on ne s’accorde pas pour savoir à quelle autorité confier un pouvoir
juridictionnel suprême : le souverain pontife et les tribunaux romains, ou bien, comme le
demande le conciliarisme, les cardinaux, voire la congregatio fidelium assemblée en
concile .
Après le conciliarisme, du côté de l’Église, le concile de Trente affirme de
nouveau l’autorité de la juridiction ecclésiastique qu’il déclare fondée sur le droit divin et
non sur la concession du prince. Conformément à l’ecclésiologie tridentine, ce sont les
prérogatives de l’évêque d’une part et du pape d’autre part qui doivent marquer toute
l’organisation judiciaire. Un long canon de la session 25 (chap. 3 ) reconnaît le pouvoir que
détient l’évêque de prononcer des excommunications. Les fonctions du juge ecclésiastique
sont précisées : il doit s’abstenir dans les causes judiciaires (séculières). Il est compétent
pour les causes civiles relevant du for ecclésiastique, même à l’égard des laïcs et peut
prononcer des peines d’amende, d’emprisonnement, de prise de gages ou de saisie des
bénéfices. Compétence également en matière criminelle et la sanction peut, dans certaines
hypothèses être l’excommunication, après deux monitions. Interdiction est faite à un juge
séculier de prétendre lever une excommunication15. Les principes ici posés ou pour la
plupart répétés demeureront constants jusqu’au Code de 1917 qui déclare l’ordinaire du
lieu juge de première instance pour les causes non exceptées par le droit et qui le contraint
à choisir un official, ayant pouvoir ordinaire de juger (can. 1572-1573). La doctrine
catholique se heurte aux affirmations des réformés ; de fait, les protestants sont hostiles
aux structures juridiques de l’Eglise et, en conséquence, à sa justice.
Pour nous limiter aux Etats catholiques, les princes combattent vigoureusement les
affirmations canoniques et les tribunaux royaux étendent constamment leur domaine
d’intervention, au détriment des justices ecclésiastiques. Le roi légifère abondamment. Les
15
Pourtant, à la fin de l’Ancien Régime les juridictions séculières (les parlements) tentent de contrôler
l’usage fait de l’excommunication par les tribunaux ecclésiastiques, mouvement qui s’inscrit plus dans la
lutte des deux ordres de juridiction que dans une politique relative à l’excommunication ; voir H. EL
MOUJAHID, « Des procédures d’excommunication sous contrôle séculier », RHE, vol. 97, 3-4,2002, p. 825-
845.
22
thèses présentant la justice ecclésiastique comme une concession du prince et non pas une
prérogative de droit divin se font plus convaincantes. En France, le roi intervient au nom
du gallicanisme ; en Autriche au nom du joséphisme et les mêmes phénomènes se
retrouvent aux Pays-Bas ou en Italie. Sans prétendre supprimer les cours d’Eglise, le prince
réduit leur compétence, les soumet à ses propres lois et les rend les plus indépendantes
possible de Rome.
L’Église tente de réagir ; elle prévoit des sanctions contre le clerc qui cherche à
échapper au privilège du for, ou contre l’official négligent, mesures témoignant de ce que
le clergé lui-même ne souhaite plus toujours recourir à ses propres tribunaux.
En France, la Révolution sonnera le glas des tribunaux d’exception dont les
tribunaux d’Église16. Quelques officialités réapparaîtront dès avant la signature du
Concordat napoléonien17, mais seulement comme juridiction disciplinaire exercée par
l’Église sur ses membres et pour les manquements aux dispositions canoniques. Leur lien à
l’évêque sera parfois ambigu : de fait, l’évêque s’octroiera le droit de modifier leur
sentence, prérogative que le droit canonique lui refuse expressément.
Dans les pays qui connaîtront un régime concordataire des officialités fonctionnent
et le privilège du for est respecté ; l’organisation juridictionnelle constitue généralement
l’un des sujets majeurs d’un concordat.

3. L’ORGANISATION DES TRIBUNAUX ECCLESIASTIQUES

I. Les diverses instances

L’officialité diocésaine est le tribunal de droit commun18. L’évêque est tenu


d’établir un official qu’il nomme et révoque librement.
De nombreuses autres instances existent, qui interviennent moins souvent.
-L’instance suprême est celle du pape, généralement saisi en appel 19. Il existe plusieurs
tribunaux romains, parmi lesquels la Rote est celui qui déploie la plus grande activité, dans
les matières matrimoniale et bénéficiale essentiellement. Localement, les légats et nonces
n’ont pas compétence pour intervenir à la place de l’évêque et ne doivent pas faire obstacle
au rôle de l’officialité diocésaine, sauf en cas de négligence de l’évêque. Le concile de
Trente confirme la centralisation romaine, en réaffirmant le principe déjà ancien selon
lequel les causes criminelles importantes, celles concernant un évêque et qui peuvent
entraîner sa déposition, relèvent de la compétence exclusive du pape ou d’une commission
nommée par le souverain pontife20.
-L’officialité archiépiscopale a toujours été reconnue. Dans une continuité parfaite entre le
IVe siècle et le Code de 1917 (can. 1594 § 1), elle est l’instance d’appel des officialités
diocésaines. Le concile de Trente rappelle le texte essentiel, la constitution Romana
Ecclesia d’innocent IV (cf. sess. 22, can. 7). Le métropolitain, saisi d’un appel, fait juger
par un official distinct de l’official qui opère comme juge de son propre diocèse. Le
métropolitain connaît également - et en première instance – des affaires relatives à ses
évêques suffragants pour les causes mineures. A l’échelon supérieur, les primaties, qui

16
Loi des 16-24 août 1790 faisant table rase de toutes les juridictions d’exception, supprimant tous les
privilèges de juridictions, dont le privilège du for (art. 16) ; la suppression des officialités est expressément
mentionnée au décret des 6 et 7 septembre. 1790.
17
J.-D. LANJUINAIS, Les officialités supprimées par la loi rétablies par les évêques, Paris, 1820 ; J. VERNAY,
L’exercice de la juridiction contentieuse chez les évêques de France sous le Concordat de 1801, th., Faculté
de droit canonique de Lyon, 1961 ; Mgr. ANDRIBU- GUITRANCOURT, « Notes et remarques sur la
reconstitution des officialités françaises », dans Études dédiées à Gabriel Le Bras,... t. 2, p. 399-435.
18
Voir chap. IV, n° 296 s.
19
Voir chap. III, n" 204 s.
20
Conc. Trente, sess. 24, can. 5.
23
n’ont jamais été des instances essentielles en Occident, jouent de moins en moins aux
Temps modernes.
-Au Moyen Age, une pratique s’était établie, peu conforme au droit, selon laquelle nombre
d’ecclésiastiques s’octroyaient un pouvoir juridictionnel et constituaient parfois leur propre
officialité. Ces situations déclinent aux Temps modernes. Le concile de Trente tente de les
restreindre en leur interdisant de connaître des causes matrimoniales d’une part, criminelles
d’autre part (sess. 24, can. 20). Pourtant, des officialités archidiaconales subsistent et
fonctionnent ; elles ne sont pas exceptionnelles, même si les évêques les estiment abusives.
L’archidiacre n’est qu’un délégué de l’évêque ; il ne peut, selon le droit, qu’exercer un
pouvoir disciplinaire, ou juger dans des hypothèses limitativement énumérées et définies
par l’évêque mais sans posséder, par lui-même, son propre tribunal.
-L’official forain est un juge délégué, mais non ordinaire. Il ne connaît que de certaines
causes et on peut porter appel de sa sentence devant l’official du diocèse. Les officiaux
forains n’existent pas partout et en principe ils n’ont pas place dans le royaume de
l’ancienne France. Cependant en France sous l’Ancien Régime, on appelle official forain
l’official établi par l’évêque, compétent dans une petite partie du diocèse, région relevant
d’un autre parlement que le parlement de la ville épiscopale, ou d’un autre souverain. Leur
nomination s’impose car, par divers mécanismes, les parlements contrôlent les officialités,
contrôle qui rend nécessaire une concordance des ressorts territoriaux des deux ordres
juridictionnels. Dans cette situation, les officiaux forains et l’official de la ville épiscopale
forment un seul et unique degré de juridiction ; l’appel n’est donc pas possible de l’un à
l’autre et c’est le métropolitain qui est éventuellement saisi d’un recours contre une
sentence rendue, dans le royaume de France, par un official forain21.
-Certains instituts religieux exempts peuvent prétendre avoir le privilège d’échapper à
l’officialité diocésaine et bénéficier de leur propre organisation judiciaire, parfois en lien
étroit avec l’autorité romaine devant laquelle les appels sont portés omisso medio22, c’est-à-
dire directement. Les évêques, généralement appuyés par les princes, tentent de lutter
contre l’appel omissio medio et, parallèlement, de soumettre les réguliers à leur contrôle.
Le concile de Trente (sess. 24, can. 11) interdit d’invoquer une exemption pour limiter le
pouvoir juridictionnel de l’évêque23.

II. Les principes généraux de fonctionnement

Aux Temps modernes, quelques orientations importantes se dessinent, sous


l’influence des juristes étatiques, soucieux des prérogatives des princes. Plus nombreux et
plus influents sont désormais ceux qui voient dans la justice d’Eglise non un droit inhérent
à la société ecclésiale, mais une concession du prince, toujours modifiable selon la volonté
du monarque. Quelques gallicans présentant des thèses extrêmes soutiennent que les
ecclésiastiques possèdent une simple audience ou connaissance de certaines matières, sans
qu’il y ait un « tribunal »24.
Les principes généraux de la procédure canonique demeurent, dans leurs grandes
lignes, ceux mis au point par les canonistes médiévaux lors de l’établissement de la
procédure romano-canonique du droit savant. Les mécanismes sont largement empruntés
21
F. MEYER, « Grands vicaires et officiaux des diocèses de frontière (XVII e- XVIIIe siècles) », dans Les
clercs et les princes..., p. 137-152 ; l’auteur montre que si ces officiaux forains sont requis par le droit
(notamment édit de 1695, art. 31), ils n’existent en fait pas toujours.
22
J.-L. GAZZANIGA, « L’appel omisso medio au pape et l’autorité pontificale au Moyen Âge », RHD, 1982,
vol. 60, p. 395-414. L’auteur étudie le mécanisme du Ve au XVe siècle.
23
Déjà au cours du Moyen Âge, le droit canonique tentait de préserver les compétences juridictionnelles des
évêques contre les velléités des religieux. Le concile de Latran IV (1215, can. 60) condamnait les « abbés qui
portent atteinte à la dignité épiscopale en instruisant les causes matrimoniales, en enjoignant des pénitences
publiques... ».
DURAND DE MAILLANE, Dictionnaire..., t. 3, p. 482-486.
24

24
aux compilations de Justinien, notamment la litiscontestatio, mais l’équité canonique joue
et tempère certaines règles romaines. Les ordines judiciarii demeurent. Le concile de
Trente rappelle les règles traditionnelles et tente de mettre fin à des abus que le droit
canonique antérieur réprouvait déjà, avec succès limité.
Procédures civile et criminelle sont en principe distinctes, mais les limites sont
floues et dépendent souvent du greffier qui choisit le registre sur lequel il transcrit l’affaire.
En principe, dans les causes criminelles, la poursuite d’office est possible et le promoteur
intervient dans l’intérêt même de la justice. La procédure est rarement écrite, sauf dans les
affaires les plus graves. À l’aube des Temps modernes, on dénonce les lenteurs des procès
et nombre de dispositions interviennent afin d’obtenir que les procès se terminent plus
rapidement25.

3. LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX ECCLESIASTIQUES

I. LE COMBAT DES JUGES ET DU LEGISLATEUR MONARCHIQUES

A. Les mécanismes procéduraux utilisés par les juges royaux

Jusqu’au début du XVIe siècle, si les conflits de compétence entre les deux ordres
de juridiction sont fréquents, les attributions des officialités ne sont pourtant que
ponctuellement atteintes et la législation royale demeure timide. Dans un premier temps, ce
sont les juges royaux plus que les lois du roi, qui tentent de soustraire nombre d’affaires
aux cours d’Église. Les mécanismes procéduraux apparus au XIVe siècle prennent de
l’ampleur. Les plus fréquemment utilisés sont :
-La possibilité d’interjeter appel devant un juge royal, en particulier le mécanisme de
l’appel comme d’abus selon lequel il revient aux tribunaux séculiers de se prononcer, en
appel, suite à une décision d’une autorité religieuse que le requérant estime abusive26.
-La prévention qui est la procédure permettant à un juge de se saisir d’une affaire lorsque
le juge normalement compétent se montre négligent.
-La théorie des cas privilégiés ou des cas royaux aux termes desquelles un certain nombre
de matières sont réservées au juge séculier, du fait de leur nature même. Il s’agit tout
d’abord des questions mettant enjeu la personne du roi, mais aussi par extension celles
touchant aux intérêts du royaume et, par ce biais, celles portant atteinte à l’ordre public ou
à l’intérêt commun dont le prince est le garant. Est également cas privilégié toute affaire
grave pour laquelle les peines ecclésiastiques semblent insuffisantes et qui nécessite donc
recours à la juridiction séculière ; tout crime ou délit entrainant une peine afflictive ou
infamante est donc cas privilégié.
-La théorie des délits mixtes, dont la connaissance peut appartenir aussi bien à l’autorité
séculière qu’à l’autorité ecclésiastique. Qu’il s’agisse des cas privilégiés, des cas royaux ou
des délits mixtes, aucune liste des délits entrant dans l’une ou l’autre catégorie n’a jamais
pu être établie. De telles énumérations sont non seulement impossibles, mais elles ne sont
pas non plus souhaitées, chacun préférant garder une certaine latitude du choix de la
qualification de telle infraction. Févret se borne à qualifier de délit commun la cause
relevant du juge d’Eglise, de cas privilégié celle appartenant aux tribunaux séculiers et de
délits mixtes les faits dont les deux cours peuvent prendre connaissance27.
25
Conc. Bâle, sess. 20, 22 janv. 1435 : interdiction d’interjeter appel une seconde fois. La disposition
s’inscrit dans la continuité de la législation antérieure (cf. conc. Latran IV, can. 35 : ne pas interjeter appel
sans motif raisonnable ; conc. Lyon 1245, can. 1,2, 3 et 16).
26
R. GÉNÉSTAL, Les origines de l’appel comme d’abus, Paris, 1951 ; P.-G. Caron, L’appello per abuso,
Milano, Giufirè, 1954. Cf. chap. VII, ri 764.
27
C. FÉVRET, Traité de l’abus et du vrai sujet des appellations qualifiées du nom d’abus, éd. Lausanne,
1778, liv. VIII, chap. 1, p. 205.
25
B. La législation royale

Comme en bien des domaines, le roi se montre moins vindicatif que ses officiers
mais sa législation joue cependant dans le même sens. L’ordonnance de Villers-Cotterêts,
d’août 153928, constitue la première mesure législative notable. Les articles 1 et 2
interdisent aux tribunaux ecclésiastiques de connaître des causes des laïques en matière
personnelle. L’article 4 maintient la compétence des juridictions ecclésiastiques sur les
questions « de sacrements et autres pures spirituelles et ecclésiastiques » ce qui sous-
entend une limitation à ces sujets. D’autres édits et ordonnances suivent, jusqu’à celui
d’avril 1695, intitulé édit sur la juridiction ecclésiastique 29. Par ce texte, Louis XIV (art.
34) confirme la compétence des juges d’Église, ratione materiae sur « les sacrements, les
vœux de religion, l’office divin, la discipline ecclésiastique et autres purement
spirituelles », énumération encore plus précise, et donc plus restrictive, que celle de
François Ier.
Faisant valoir qu’une juridiction spirituelle ne peut avoir de caractère foncier, la
doctrine ne reconnaît pas l’existence d’une compétence territoriale des justices
ecclésiastiques. En conséquence, certains actes comme l’apposition de scellés, les saisies,
le bannissement sont refusés aux tribunaux d’Eglise. Préciser les affaires soumises au juge
d’Eglise implique donc d’envisager les deux chefs de compétence, ratione personne et
ratione materiae, en faisant apparaître, dans l’un et l’autre cas, la réduction des
prérogatives de la justice ecclésiastique.

II. La compétence ‘ratione personae’

‘Ratione personae’, les tribunaux ecclésiastiques sont compétents à l’égard de


ceux qui jouissent du privilège du for. Le terme de ‘Privilegium fori’ est une expression
des canonistes ; les auteurs des trois derniers siècles de l’Ancien Régime parlent plus
souvent du privilège de clergie, dont l’élément principal est le privilège juridictionnel.
Le privilège du for avait été introduit dès le Bas-Empire romain, deux
considérations majeures le justifiant : la protection de l’autonomie de la société cléricale
d’une part ; la dignité du clerc d’autre part. Celui qui juge au nom de Dieu ne doit pas, lui-
même, être jugé par des laïcs. Le domaine d’application du privilège du for a beaucoup
varié dans le temps. Très étendu au haut Moyen Age30, il est considérablement plus réduit
par la suite. Au Moyen Age, il concernait tous les clercs, y compris les simples tonsurés. Il
s’étendait également aux ‘miserabiles personae’, auxquelles on ajoutait les croisés, les
étudiants et d’autres catégories encore. Les bénéficiaires du privilège de clergie voyaient
leurs causes soumises aux tribunaux ecclésiastiques, tant au civil qu’au criminel. Au civil,
relevait ainsi de la compétence des officialités les actions personnelles et mobilières contre
les clercs, dont les poursuites pour dettes. Au criminel, un clerc ne pouvait en aucun cas
être poursuivi directement devant un tribunal séculier.
La compétence ‘ratione personae’ décline considérablement dans les trois derniers
siècles de l’Ancien Régime et au XIXe siècle. Le privilège de clergie n’est pas supprimé et

28
Is. 1.12, p. 600.
29
Is. t. 20, p. 243 suivant; dans cet édit, le terme de juridiction désigne l’ensemble des mécanismes de
gouvernement de l’Eglise et Louis XIV ne se limite pas à l’organisation de la justice qui, néanmoins,
constitue l’une des préoccupations notables.
30
Au haut Moyen Âge, il joue pour l’ensemble des clercs, dès lors que le justiciable est simplement tonsuré.
Le clerc demandeur ne peut saisir le juge séculier que s’il y a été autorisé par l’évêque. Le clerc défendeur ne
peut être assigné devant un juge séculier qu’avec l’autorisation de l’évêque. Le juge laïque ne peut
poursuivre un clerc sans autorisation de l’évêque, sauf pour crime.
26
fait toujours l’objet de réaffirmations de principe, notamment au concile de Trente 31 puis le
Code de 1917 et plusieurs concordats le reconnaissent expressément32. Il continue à
marquer la spécificité du clerc par rapport au laïc et la dignité supérieure de l’état clérical
dans l’ensemble de la société, mais il est restreint. D’autre part, le ‘privilegium for’i prend
le caractère de privilège personnel, attaché à une personne qui peut donc y renoncer et de
fait les renonciations sont fréquentes même si l’autorité romaine tente de les interdire33.
Surtout, on débat de la question de savoir s’il s’applique à tout clerc, simplement
tonsuré. Si l’Eglise défend cette vue, le juge séculier répond en affirmant sa compétence
pour contrôler que la tonsure n’a pas été accordée à des personnes ne remplissant pas les
conditions minimales pour la recevoir ; les parlements demandent de produire une lettre
prouvant la tonsure. De plus en plus, l’opinion gallicane dominante considère qu’il ne
bénéficie qu’au clerc majeur constitué dans les ordres sacrés, non marié, tenant un bénéfice
ou attaché à l’évêque de par sa fonction. Telles sont les dispositions des ordonnances
royales34 qui, de fait, s’appliquent malgré les résistances de nombreux canonistes
considérant que les règles de compétences doivent rester celles contenues au Corpus ‘Juris
canonici’. Les procès sur la possession d’état, clérical ou laïque, se multiplient et on ne
s’accorde pas pour savoir quel est le juge compétent pour en connaître. ‘Miserabiles
personae, pèlerins, croisés et autres catégories se voient refuser l’assimilation aux clercs
dont ils avaient bénéficié au Moyen Âge. Les conflits entre les deux ordres de juridiction
ont là moult occasions d’affrontement sur un sujet qui ne peut être clairement résolu.
À l’égard des clercs dont la régularité de l’état clérical est constatée, la
compétence des officialités décroit dans une évolution continue qui ne peut être datée mais
qui reflète la lutte entre les deux puissances :
- Au civil, le privilège est restreint. Restriction dans un premier temps aux procès dans
lesquels le clerc est défenseur ; restriction par la suite pour remettre la connaissance des
affaires réelles aux juges séculiers, tout d’abord en ce qui concerne les bénéfices conférés
par le roi, mais ensuite également pour toutes les actions, au possessoire puis au pétitoire.
-Au criminel, le privilège du for est progressivement vidé de son contenu. Le
principe traditionnel veut que le clerc ne puisse être livré au bras séculier, qu’après
dégradation par l’autorité ecclésiastique, mécanisme expressément reconnu par les
décrétales pontificales du début du XIIIe siècle et sur lequel les deux pouvoirs s’entendent
jusqu’à la fin du Moyen Age ; en l’absence de dégradation, le juge séculier ne peut
prononcer que des peines pécuniaires. Pourtant, l’extension de la théorie des cas privilégiés
conduit à reconnaître la compétence des tribunaux séculiers, pouvant prononcer des peines
afflictives, pour tout délit, même commis pas un clerc dans l’exercice de ses fonctions,
portant atteinte aux intérêts de la monarchie, comme par exemple la falsification de
monnaie. On maintient le principe voulant que la peine ne puisse être prononcée qu’après
dégradation du clerc, tout en admettant en pratique la compétence des juges royaux. Allant
plus loin, en France, les ordonnances royales imposent au cours du XVI e et surtout du
XVIIe siècle, le recours à des procédures où le juge séculier agit conjointement au juge
ecclésiastique ce qui permet de neutraliser les résistances à la dégradation qu’opposerait un
prélat35. En outre, une doctrine s’instaure selon laquelle la dégradation résulte ipso facto du
crime même, sans qu’il soit nécessaire que l’autorité religieuse la prononce. Le juge royal
peut donc se saisir de l’affaire et prononcer des peines corporelles, éventuellement la peine

31
Conc. Trente, sess 25, can. 20 qui interdit de mettre obstacle à la liberté, à l’immunité et à la juridiction de
l’Eglise.
32
Ex. : Accords du Latran de 1929, Concordat espagnol de 1953.
33
Martin V en 1428 ou Clément XI en 1714.
34
Ordonnance de Roussillon, janv. 1563, art. 21 ; de Moulins 1566, art. 40 ; éd. de janv. 1571, art. 14, etc.
35
Art. 38 de l’édit de 1695 : les procès criminels contre des clercs seront instruits conjointement par les
juges d’Eglise et par les juges royaux.
27
capitale36 ; on admet aussi qu’en cas d’urgence l’autorité séculière procède à l’arrestation.
Vers la fin de l’Ancien Régime, les canonistes, même les ultramontains désireux de lutter
contre les entreprises royales comme Aute-serre par exemple, admettent que les crimes
graves commis par un clerc relèvent du juge séculier, comme l’homicide, duel, port
d’arme, crime de lèse-majesté, de fausse monnaie... 37. Finalement, au criminel le privilège
du for ne joue plus qu’en faveur de l’évêque qui reste justiciable du seul concile provincial,
le roi pouvant seulement prononcer la saisie de son temporel.

III. La compétence ‘ratione materiae’

‘Ratione materiae’, une extension comparable avait été possible à l’époque


médiévale car on considérait que toute cause ayant un aspect religieux pouvait, dans son
entier, être soumise aux tribunaux ecclésiastiques. L’Église avait naturellement
compétence pour toute question relative aux sacrements et plus largement aux affaires
religieuses et spirituelles. Par ce biais, elle avait considérablement étendu son champ
d’action, par exemple sur les questions de filiation, de séparation des époux, sur les
testaments contenant une clause de legs pieux, les contrats dès lors qu’ils étaient passés
sous serment. Aux Temps modernes, le principe demeure selon lequel les officialités
connaissent des questions spirituelles. Mais on parle désormais des « causes purement
spirituelles », précision qui permet de réduire considérablement le domaine de compétence.
-En matière criminelle, la possibilité d’intervenir à l’égard des laïcs avait été réduite dès le
Moyen Age pour devenir une compétence concurrente des deux ordres de juridiction.
Promesse du roi lors de son sacre, théorie des cas royaux, mission royale de sauvegarde de
l’ordre public sont autant de justifications invoquées pour accroître l’emprise des tribunaux
royaux. Blasphème et sacrilège, peuvent, un temps, faire l’objet de poursuites concurrentes
devant les justices d’Église et celles du roi pour relever ensuite exclusivement des juges
séculiers. Ils ne sont plus considérés comme une atteinte à la divinité, mais plutôt comme
une attaque contre l’ordre public général du royaume38. Il en va de même du crime d’usure,
de la sorcellerie, du crime de lèse-majesté ou encore de l’adultère, crimes qui sont tous des
atteintes à l’ordre public. Sur d’autres points, comme l’hérésie, l’Église tente de mieux
défendre sa compétence ; elle n’y parvient guère car, dès lors que l’hérésie s’accompagne
de scandale public, elle est qualifiée « d’énorme » et constitue, là encore, un cas privilégié
réservé aux officiers royaux. Les protestants seront toujours coupables d’hérésie
« énorme »39.
Plus largement, l’ordonnance de 1670 sur la procédure criminelle fait entrer le
monitoire40 dans les moyens d’action aux mains des juges royaux. De fait, le roi autorise
les juges royaux à l’utiliser dans les affaires criminelles, bien qu’il s’agisse, par sa nature
même, d’une procédure canonique.
-Au civil, déclin également des compétences reconnues aux tribunaux ecclésiastiques. Les
deux grands domaines de compétence ‘ratione materiae’ sont les affaires bénéficiales et
les questions matrimoniales. L’intitulé même d’un nombre infini d’ouvrages de droit
36
En ce sens, Louis de Hérieourt, Cardin Le Bret, Muyart de Vouglans...
37
C. DOUNOT, L’œuvre canonique d’Antoine Dadine d’Auteserre (1602-1682). L’érudition au service de la
juridiction ecclésiastique, Toulouse, Presses universitaires de Toulouse, 2013.
38
B. BASDEVANT-GAUDEMET, « Le blasphème, législation canonique et séculière des Temps moderne au
Code de 1917 » dans Le blasphème, du péché au crime, A. DIEKKENS et J.-P. SCHREIBER (dir.), éd. ULB,
2012, p. 95-106.
39
Dès 1524, le parlement crée une commission spéciale, composée de deux parlementaires et de deux
docteurs en théologie. Obligation est faite aux évêques de laisser la commission statuer, sous peine de saisie
du temporel.
40
E. WENZEL, Le monitoire à fin de révélations sous l’Ancien Régime ; normes juridiques, débats
doctrinaux et pratiques judiciaires dans le diocèse d’Autun (1670-1790), Villeneuve d’Ascq, Presses du
Septentrion, 2001.
28
canonique l’atteste : les auteurs inscrivent dans le titre de leurs œuvres les termes de
« bénéfice » et de « mariage ».
Pour le mariage, l’Église avait au Moyen Âge acquis une compétence exclusive sur
toutes les affaires matrimoniales41. Statuant sur le lien du mariage résultant du sacrement,
elle s’était attribuée une très large connaissance de toutes les questions relatives à la
famille, y compris des affaires purement patrimoniales, situation que les justices royales
vont tenter de renverser. Dès le XIVe siècle, le juge séculier connait des régimes
matrimoniaux42. À la veille du concile de Trente, la compétence de l’Église est encore
exclusive pour fiançailles, mariage, séparation des époux. Pourtant, le développement de la
doctrine considérant le mariage comme un « contrat-sacrement »43 facilite la mainmise des
juridictions séculières : pour beaucoup d’auteurs, le mariage est avant tout un contrat entre
les deux époux. Ce contrat, de droit naturel selon les uns, de droit séculier pour d’autres,
n’interdit pas l’intervention de l’Église. Il constitue la matière du sacrement que l’Église
confère. Il appartient au prince de légiférer sur le contrat, sur les empêchements au mariage
et sur la nullité de ce contrat. Le juge séculier est donc saisi de toute affaire relative à ce
« contrat », nécessaire au sacrement et parvient, par des procédures détournées à se
prononcer sur la validité même du lien matrimonial. Le champ d’intervention des
officialités se trouve réduit44.
Les juges royaux interviennent sur d’autres sacrements, comme la pénitence, pour
trancher par la voie du recours pour abus les oppositions entre prêtres et évêques. Ils en
viennent à contrôler les excommuniés par le biais du recours pour abus45.
D’autres domaines importants échappent en partie, ou totalement, à la justice
d’Église. En matière testamentaire, l’Église tente de garder une juridiction concurrente aux
cours laïques en raison des legs pieux, mais l’autorité séculière entend contrôler l’ensemble
du testament et son exécution. Quant aux contrats passés sous serment, dès le XV e siècle,
on considère que le serment n’est que l’accessoire du contrat et ne justifie donc pas la
compétence du juge d’Église. On pourrait donner bien d’autres exemples de matières
relevant, à l’époque moderne, des tribunaux séculiers et non plus ecclésiastiques. L’Etat
impose sa compétence sur de nombreux autres domaines, comme les causes bénéficiales
par exemple ou à propos des dîmes.
Le déclin des juridictions ecclésiastiques, envisagé ici essentiellement dans le cadre
du royaume de France, se retrouve dans chacun des Etats européens. Il est signe évident de
la sécularisation des sociétés et de l’essor des souverainetés étatiques.
La justice romaine46

1. Généralités

41
P. DAUDET, Etudes sur l’histoire de la juridiction matrimoniale. L’établissement de la compétence de
l’Eglise en matière de divorce et de consanguinité (France, Xe- XIIe siècles), Paris, Sirey, 1941.159 p.
42
V. DESMARS-SION, « Les droits de l’Eglise en question à l’occasion d’un procès à sensation : l’affaire
Martigny (1662-1675) », dans Églises et Justices, textes réunis par V. DESMAES-SION et R. MARTINAGE,
Lille, 2005, p. 47-80 ; l’auteur constate que dans les anciens Pays-Bas, la conquête française permet aussi
d’accroître la compétence des justices séculières au détriment des juges d’Eglise.
43
Voir chap. VI, n° 426 s. Cf. aussi B. BASDEVANT-GAUDEMET, « Les doctrines canoniques sur le
sacrement du mariage aux XVIIe et XVIIIe siècles », RDC, t. 42, 1992, p. 287- 307, repris dans Église et
Autorités. Études d’histoire de droit canonique médiéval, Limoges, PULIM, 2006, p. 429-446.
44
M. CUILLERON, « Les causes matrimoniales des officialités de Paris au siècle des Lumières, 1726-1789 »,
RHD, 1988, p. 527-559 et RDC, 1990, p. 17-63. A. LEBEL-CLIQUETEUX, Le consentement des époux à la
séparation ; l’officialité de Cambrai à la croisée des influences, XIV è-XVIIIè siècle, th. dactyl. Lille, 2003,
620 p.
45
H. EL MOUJAHID, « Des procédures d’excommunication sous contrôle séculier », RHE, vol. 97, 3-4,
juill.-déc. 2002, p. 825-845.
46
HDIEO, t.XV, vol. 1, p. 168-181 ; HDIEO, t.XVI, p. 201 et p. 265-273 ; J.-B. D’ONOEIO, V° « Tribunaux
apostoliques », Die. hist. papauté, p. 1645-1647.
29
L’organisation des tribunaux romains est complexe. Les évolutions sont multiples :
transformation d’une instance qui prend un autre nom, ou qui se divise en deux organes...
Les compétences sont, depuis le Moyen Age, mal définies. Une affaire bénéficiale, fiscale,
matrimoniale ou autre peut être portée devant un tribunal ou un autre sans que les raisons
du choix soient toujours convaincantes. Il est également difficile, voire impossible, de
qualifier les instances juridictionnelles ou administratives. Les congrégations interviennent
fréquemment comme juges, du moins jusqu’en 1908. Saint-Office, congrégation du
Concile, Consistoriale, congrégation des Évêques et des Réguliers et d’autres encore ont
longtemps exercé des compétences juridictionnelles, ce qui complique toute tentative de
description des tribunaux romains. Les efforts successifs de réorganisation portent
quelques fruits, mais limités.

2. Les principaux tribunaux romains

Retenons trois grandes instances fondamentales : la Pénitencerie, la Rote et la


Signature apostolique.

I- La Pénitencerie47

La Sacrée Pénitencerie a compétence pour décider de l’absolution des péchés et


des censures. Il s’agit d’affaires de conscience pour lesquelles le secret est de mise ce qui a
comme conséquence qu’aucun écrit, et donc aucune archive, ne peuvent être conservés. La
Pénitencerie est un tribunal du for interne qui accorde des grâces, mais ne rend pas de
sentences judiciaires au for externe. Elle examine les cas que le pape s’est réservé pour
accorder des absolutions de péchés, lever des excommunications ou se prononce sur les
dispenses d’empêchements occultes de mariage. Le cardinal Grand Pénitencier et ceux qui
l’assistent entendent les confessions, à la place du pape (pro papa). Ce tribunal n’a pas son
équivalent dans des sociétés civiles.
Son existence remonte à la fin du XIIe ou au XIIIe siècle lorsque se multiplièrent les
demandes soit de dispense, soit d’absolution adressées à Rome. Elle entreprit d’étendre sa
compétence en se prononçant également sur des questions au for externe, bien qu’au cours
du XIIIe siècle, cette autre catégorie d’affaires soit désormais confiée à un autre tribunal, la
Rote. Elle est présidée par le cardinal Grand Pénitencier, entouré d’officiers de deux
catégories : les pénitenciers majeurs s’occupant des causes les plus graves et les
pénitenciers mineurs, chargés des autres affaires. Le Grand Pénitencier dispose d’un
pouvoir ordinaire et général auquel peuvent être joints des pouvoirs spéciaux. Au cours du
XVe siècle, le cardinal Grand Pénitencier accroît son influence et en vient, malgré les
protestations des canonistes, à conférer à la place du pape et en son nom, des dispenses et
des grâces. En outre, les interventions de la Pénitencerie accordant dispenses et
réconciliations entament également l’autorité des évêques et semblent parfois intervenir au
for externe. Le concile de Bâle et le pape Eugène IV tentent de réagir (bulle In apostolicae,
1435). Par la suite, la Pénitencerie fait l’objet d’autres réformes qui toutes visent à limiter
son champ d’intervention. Pie V, en 1569, tente encore une fois de borner sa compétence

P. T.F.VTT.T.ATN, V° « Pénitencier apostolique », Die. hist. papauté, p. 1304-1305 ; M. MAILLARD LUYPAERT,


47

Les suppliques de la Pénitencerie apostolique pour les diocèses de Cambrai, Liège, Thérouanne et Tournai
(1410-1411), Institut historique belge de Rome, 2003, 203 p. ; K. SALONEN, The Penitentiary as a Well of
Grâce in the Late Middle Ages ; The Example of the Province of Uppsala, 1448-1527, Academia
Scientiarumfennica, 313, Printed by Gummerus Oy, Saaijàrvi, 2001, 458 p. ; P. CLARKE et P. ZUTSHI(ed.),
The Canterbury & York Society - Supplications from England and Wales in the Registers of the
ApostolicPenitentiary, 1410-1503, vol. 1410-1464, The Canterbury and York Society, The BoydellPress,
2012. La penitenzieria apostolica e il Sacramento délia penitenza, Percorsistorici, giuridici, teologici e
prostettive pastorali,M. SODI, J. ICKX (éd.), Cité du Vatican, lib. éd. Vaticana, 2009.
30
au for interne et Innocent XII la réorganise en 1692. En 1744, Benoît XIV délimite de
nouveau ses compétences48, mais les conflits persistent.
Comme les autres instances de la curie, elle est réorganisée en 1908 ; Sapienti
consilio réaffirme qu’elle ne doit intervenir qu’au for interne. Dans ses grandes lignes, sa
nature et ses prérogatives demeurent les mêmes dans le Code de 1917 (can. 258-259). Elle
est dirigée par le cardinal Grand Pénitencier et se prononce sur les questions de for interne,
même non sacramentelles. Au for interne, elle publie grâces, absolutions, dispenses,
commutations, sanctions ou condamnations. En outre, elle discute les problèmes de
conscience et les résout.

II- La Rote49
Pour rendre la justice, dès le Moyen Âge des Capellani traitaient des affaires
judiciaires parvenues à Rome, et leur activité était d’une grande ampleur dès le pontificat
d’innocent III, le pape leur demandant non plus seulement d’instruire la cause, mais de
juger. En 1252, apparaît un ‘auditor generalis causarum’. La Rote se met en place
progressivement aux XIIIe et XIVe siècles, comme conséquence du développement du
pouvoir pontifical et de la centralisation romaine et constitue le principal tribunal de la
curie romaine. Le terme de Rote apparaît vers 1330, et les premières constitutions sont
données par Jean XXII (1331 et 1340). Dans la première moitié du XIV e siècle, les
documents pontificaux font état du terme de « tribunal de Rote ». Les auditeurs de Rote,
‘auditores Sacri Palatii’, apparaissent et leur statut se précise. Docteurs en droit canonique
ou en droit civil, ils sont assistés de notaires. Sixte IV réorganisant la Rote en 1472 fixe
leur nombre à douze. Des registres des ‘conclusiones’ ou ‘decisiones’ sont tenus, preuve de
l’importance que l’on attache à ces sentences. L’institution se développe considérablement
pendant près de deux siècles. La procédure suivie au XVI e siècle est décrite par Ferraris 50.
Les auditeurs n’hésitent pas à invoquer ‘l’aequitas canonica’51. Dans un premier temps, les
auditeurs n’ont pas de pouvoir ordinaire mais ne jugent que sur commission du pape, et ne
détiennent donc qu’une juridiction déléguée. Les canonistes discutent de l’évolution de
leurs prérogatives : lorsque les auditeurs forment une instance permanente et stable, c’est-
à-dire dès le XVe siècle, nombre de canonistes estiment qu’ils disposent alors d’un pouvoir
ordinaire, du fait même de sa stabilité52.
En lien avec le concile de Trente, la Rote est réformée en 1561. Sa compétence
s’étend au monde entier pour les affaires religieuses et aux territoires des Etats pontificaux
pour toutes les affaires civiles, en première instance ou en appel. Larges, les prérogatives
demeurent peu définies. Elles connaissent un certain déclin dû à l’essor des juridictions
séculières dans les Etats et à la réduction parallèle des compétences des juridictions
ecclésiastiques à travers le monde. À l’intérieur même de l’Église, la Rote est aussi
quelque peu affectée par l’essor des congrégations romaines qui règlent, selon des
procédures en principe administratives plus que contentieuses, une infinité de questions et
litiges. Au XVIème siècle et au début du XVIIème, les conflits de compétences opposant la
Rote aux congrégations tournent au profit de ces dernières. En 1612, Paul V précise les
affaires dont elle peut être saisie, essentiellement les questions bénéficiales et
matrimoniales et les procès en béatification ou canonisation. Benoît XIV, en 1742, tente de
48
En 1744, ses compétences sont limitativement énumérées : absolution des péchés et censures au for
interne et externe ; absolution des cas réservés ; dispenses matrimoniales ; dispenses pour irrégularité ;
solution des doutes pour cas de conscience.
49
C. LEFEBVRE, V° « Rote », DDC, t. 7, col. 742-771 ; B. DE LANVERSIN, V° « Rote », Die. hist. papauté, p.
1490-1493 ; A. SANT ANGELO CORDANI, La giurisprudenza délia Rota romananelsecolo XTV, Milan,
Giuffrè, 2001, 874 p.
50
Petrus de FERRARIS, Nova judicialis pratica, nombreuses éditions au cours du XVIe siècle.
51
Selon la définition qu’Hostiensis avait donnée : justiciadul core misericordiae temperata.
52
Telle était l’opinion de Guillaume Durand dès la fin du XIII e siècle, opinion combattue par Gilles de
Bellemère.
31
clarifier ses compétences. La Rote doit être une juridiction d’appel pour les ‘causae
graviores’ ; pourtant, elle continue à juger parfois en première instance.
Dans l’Ancien Régime, les canonistes se partagent pour savoir si les décisions de la
Rote sont sources de droit ou n’ont qu’une valeur doctrinale. Les positions sont nuancées,
certains reconnaissant plus d’autorité aux sentences de la Rote qu’à la commune opinion
des docteurs. Pourtant, comme tout juge, la Rote ne peut décider que pour l’affaire qui lui
est soumise et ce n’est qu’indirectement, par leur répétition, que ses sentences peuvent
former une jurisprudence valant comme style. Néanmoins, sa jurisprudence, prestigieuse,
est connue et influente.
À la fin du XVIIIe siècle lors de la Révolution française, puis à l’époque
napoléonienne, l’activité de la Rote connaît un net déclin, lié aux atteintes portées tant aux
Etats pontificaux qu’à l’autorité spirituelle de l’Église. Elle est réorganisée par Pie VII,
puis Grégoire XVI qui en fait un tribunal d’appel pour les juridictions des États
pontificaux, pour les affaires tant civiles, qu’ecclésiastiques. Les causes lui sont transmises
par la Signature de justice ou par les congrégations. En 1870, cette compétence disparaît
avec la perte des États pontificaux. La Rote est en quasi sommeil. Léon XIII lui confie
néanmoins de juger de la légalité des procès de canonisation.
Elle est restaurée et réorganisée par Pie X dans la constitution ‘Sapienti consilio’ de
1908 qui rétablit l’autorité des deux tribunaux suprêmes que sont la Rote et la Signature
apostolique, selon des modalités largement reprises dans le Code de 1917 (can. 259 et can.
1598 et suiv.). Retirant en principe toute compétence juridictionnelle aux congrégations
(sauf exceptions), ‘Sapienti consilio’ fait de la Rote le tribunal de droit commun pour
toutes les causes relevant de la curie, sauf celles qui sont expressément exclues. Dans le
Code, le canon 1598 dit que « le tribunal ordinaire constitué par le Saint-Siège pour
recevoir les appels est la Sainte Rote romaine qui est un tribunal collégial... ». Les
auditeurs sont nommés par le pape. La Rote juge en appel de causes venant de toute la
chrétienté ; en pratique, il s’agit presque toujours d’affaires matrimoniales. A partir de
1929, elle est également le tribunal d’appel, au civil et au pénal, pour la Cité du Vatican.

III- Le Tribunal suprême de la Signature apostolique53

Son origine remonte, comme celle des tribunaux précédemment cités, au XIII e
siècle. L’habitude se prend d’adresser une supplique au pape, qui y répond et signe la
réponse ; les suppliques se multipliant, le pape délègue le droit de signer. Certaines
réponses sont signées, à la place du pape, par des mandataires disposant d’un pouvoir
général pour signer des séries d’actes, d’autres émanent de délégués n’ayant qu’un pouvoir
spécial, limité. Des référendaires interviennent alors pour instruire des affaires soumises à
la signature du pape. À partir d’Eugène IV l’habitude se prend d’opérer une distinction
entre les affaires que le pape entend contrôler étroitement et celles pour lesquelles il
n’éprouve pas la nécessité d’une intervention personnelle. Il confie à un référendaire la
signature de toutes les suppliques qu’il ne se réserve pas expressément. Rapidement, le
service s’amplifie et à la fin du XV e siècle deux instances coexistent : la Signature papale
pour les affaires réservées au pontife romain et la signature des suppliques, confiée à un
référendaire. Telle est l’origine de l’organisation ultérieure.
Au XVIe siècle, Sixte IV, Alexandre VI, puis Sixte Quint réorganisent la Signature
et distinguent :
-La Signature de grâce. Elle prend ce nom au XVI e siècle. Présidée par le pape, la
Signature de grâce est compétente pour les demandes de faveurs exceptionnelles,
sollicitations en dehors du droit, qui sont adressées au souverain pontife (demande
d’annulation d’acte judiciaire, de jugement en appel d’une affaire jugée en principe sans
53
Voir les écrits du cardinal de Luca.
32
appel, de recours contre les actes des légats pontificaux, ou conflits entre congrégations).
En raison de l’importance des affaires examinées, elle relève davantage de la nature d’une
congrégation que d’un tribunal et Sixte Quint crée la congrégation de la Signature de
grâce. Au XVIIe siècle, elle perd de son importance au profit de la Daterie apostolique et
cesse pratiquement toute activité au XVIIIe siècle, lorsque les congrégations concentrent
tous les pouvoirs.
-La Signature de justice. Elle fonctionne comme tribunal suprême, en première instance ou
comme tribunal de cassation du Saint-Siège. On la qualifie généralement simplement de
Signature. Elle peut traiter de diverses questions préliminaires aux procès et examiner les
affaires sur lesquelles un juge spécifique statuera. Elle est également compétente pour
prononcer la nullité de diverses catégories d’actes, pour des affaires civiles ou religieuses.
Son rôle, important aux XVIIe et XVIIIe siècles, décline au siècle suivant. Pie VII
réorganise compétence et procédure.
En 1908, Pie X maintient une Signature unique comme tribunal suprême de
l’Église54. Le Code pio-bénédictin (can. 1602 et suiv.) confirme la situation. Le tribunal
suprême de la Signature apostolique est composé de plusieurs cardinaux et juge notamment
des recours formés contre les sentences de la Rote.
En conclusion, nous avons constaté que nombre de ces instances du gouvernement
central de l’Église des Temps modernes ont leur origine aux siècles antérieurs. Pourtant,
celles qui existaient auparavant voient leurs structures et leurs compétences renforcer.
D’autres sont nouvelles, notamment au sein de la curie romaine. Les unes et les autres
permettent un exercice efficace d’un pouvoir pontifical fort, dans une volonté ferme de
centralisation romaine toujours plus poussée, du concile de Trente à la formulation de la
doctrine de la société parfaite et la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale. Ce
gouvernement central a comme premier objectif le rayonnement de l’Église au niveau
local, à travers chacun des diocèses.

Bien que certaines compétences soient réservées au Pontife romain et aux tribunaux
du Siège apostolique, la plupart des procès judiciaires se déroulent, en première et en
deuxième instance, au plan diocésain ou au plan interdiocésain ou régional.

I. Les tribunaux de première instance55


Aux termes du c. 1419, « dans chaque diocèse et pour toutes les causes non
expressément exceptées par le droit, le juge de première instance est l’évêque diocésain ».
(Cf. c. 368 et c. 381 § 2). Ce dernier peut exercer le pouvoir judiciaire soit par lui-même,
soit par autrui, car d’autres tâches l’absorbent habituellement. C’est pourquoi il confie
l’essentiel de la fonction judiciaire aux juges de son tribunal.

. En 1967, Paul VI crée deux sections ; l’une comme tribunal suprême de l’Église et de la Cité du Vatican,
54

l’autre exerçant la fonction de vigilance sur les actes administratifs ; cf. A. KY ZERBO, La fonction de
vigilance du Suprême Tribunal de la Signature Apostolique, th. dt. Paris Sud, 2002.
55
Conseil Pontifical pour les Texte Législatifs Dignitas Connubii, (DC) Instruction sur ce que les Tribunaux
diocésains et interdiocésains doivent observer pour traiter les causes de nullité du mariage, Libreria Editrice
Vaticana, 2005.
33
1.1. Le personnel des tribunaux

1.1.1. Les juges56


L’évêque s’appuie avant tout autre sur son vicaire judiciaire ou official qu’il est
tenu de constituer. L’official dispose d’un pouvoir ordinaire (non délégué) de juger. Il ne
peut ni déléguer ce pouvoir – si ce n’est pour des actes préparatoires d’un décret ou d’une
sentence (cf. c. 135 § 2) - ni en principe (sauf en raison de l’exiguïté du diocèse ou du
nombre réduit de causes) cumuler cette charge avec la fonction de vicaire général. Le code
précise bien la compétence du pouvoir ordinaire qui revient à l’official : il constitue avec
l’évêque un seul et même tribunal, de telle sorte que l’on ne peut interjeter appel contre
une sentence de ce tribunal devant l’évêque de ce diocèse et ce dernier ne peut modifier les
sentences prononcées par son official. Néanmoins celui-ci ne peut juger des causes que
l’évêque a voulu réserver.
La figure de l’official ou vicaire judiciaire est très importante. Il est un prêtre,
président d’un tribunal collégial, qui a reçu de l’Eglise la mission de juger ‘in nomine
Domini’ (au nom du Seigneur) de la validité ou de la nullité des mariages qui lui sont
déférés (signalés, mentionnés). Théoriquement, il peut être saisi de causes contentieuses ou
pénales, mais cela est si rare qu’il est préférable de ne parler que des causes
matrimoniales.
‘In nomine Domini’ « au nom du Seigneur » : cette formule qui ouvre toutes les
sentences des tribunaux ecclésiastiques n’est pas une clause (formalité) de style, mais un
rappel impérieux de la responsabilité des juges (trois à cinq) en général et de l’official en
particulier. Par sa décision, collégiale certes, l’official engage la vie spirituelle des époux
qui se sont adressés à son tribunal, soit qu’il constate que devant Dieu et devant l’Eglise ils
sont libres, soit qu’il estime que la preuve de la nullité de leur mariage n’est pas rapportée
et que les liens matrimoniaux subsistent entre eux. Que ce soit en 1 ère instance ou en appel,
l’official (ainsi que les juges) est conscient de sa lourde responsabilité. C’est pourquoi,
avant d’adopter une position définitive, il réfléchit, examine et réexamine les données du
cas concret qui lui est soumis, voit et revoit la jurisprudence (droit) rotale, prie le Seigneur
de lui donner sa lumière et enfin, ayant motivé solidement sa décision, soumet celle-ci à
l’appréciation des deux juges qui l’assistent dans son tribunal et qui ont, chacun de son
côté, mené à bien le même type d’examen du dossier.

56
DC art. 38 -44 ; 42 § 2 et 43 § 4.
34
La discussion indispensable entre ces trois (ou cinq) membres du même tribunal
n’est pas une controverse en vue de faire triompher un point de vue particulier, mais une
mise en commun des arguments pour ou contre tel aspect du problème, une recherche
attentive et sans arrière-pensées personnelles de la vérité des faits et une synthèse
aboutissant à une décision collégiale, même si parfois l’accord n’est que celui de deux
juges, le troisième n’étant pas convaincu par les arguments de ses confrères. L’official,
souvent, dans cette réunion de jugement, a un rôle essentiel, non pas qu’il ait une voix
prépondérante par rapport aux deux autres juges, mais parce que, en fait, il se trouve être
un peu plus expérimenté qu’eux. Il sait aussi parfois que, l’un étant partisan de la nullité du
mariage et l’autre de la validité, c’est lui qui fera que la décision du tribunal sera
« affirmative » (« constat de nullitate ») ou « négative » (non-constat de nullitate »). Il
n’en mesure que mieux le poids de sa responsabilité, mais le secret de sa conscience n’a
pas été révélé.
L’official reçoit sa mission de l’Eglise, par la décision de son Evêque, dont il est le
« vicaire judiciaire », c’est-à-dire le délégué aux affaires judiciaires. Heureux l’official
dont l’Evêque est un canoniste ! Heureux l’official dont l’Evêque s’intéresse à sa mission
et se tient au courant des affaires du tribunal ecclésiastique qu’il lui a confié ! Heureux
aussi l’official dont le ministère est, non seulement connu de ses confrères prêtres du
diocèse, mais encore reconnu par eux comme un ministère pastoral, au service du salut des
âmes ! Peut-être d’ailleurs, les officiaux ne font-ils pas assez d’efforts pour qu’il en soit
ainsi ?
En effet, un official, en bien des cas, ne se contente pas de juger, ce qui est tout de
même son rôle essentiel. Comme il étudie la jurisprudence rotale, creuse certains sujets
relatifs à la psychologie des époux, à leur engagement matrimonial, aux conditions
requises pour la validité de leurs promesses réciproques, il est parfois amené à publier dans
les revues canoniques le résultat de ses recherches. L’official doit aider à percevoir tel ou
tel aspect du droit canonique et de la jurisprudence concernant le mariage. Il permet
d’appréhender plus justement les réalités et les enjeux personnels de la vie conjugale.
Des laïcs, hommes et femmes, ont rejoint depuis longtemps sous d’autres cieux les
officialités où ils apportent leur concours comme notaire, défenseurs du lien, avocats et
juge, pour le plus grand bien de la justice de l’Eglise. Ils et elles sont en grand nombre déjà
dans les sociétés de vieilles chrétientés, mais ce n’est pas encore suffisant, et surtout les
prêtres canonistes, en dépit des efforts louables des facultés et instituts de droit canonique,
manquent cruellement dans les officialités. C’est pourquoi l’official d’aujourd’hui doit être

35
un éveilleur de vocations canoniques, tant chez les laïcs que chez les prêtres. En ce qui
concerne plus spécialement ces derniers, puisque l’Eglise leur confie une mission pastorale
éminente, celle-ci doit être remplie de façon également éminente, non seulement avec une
connaissance sérieuse de la théologie, du droit en général et du droit canonique en
particulier, mais aussi et surtout avec le sens de l’Eglise, qui est au cœur de toute mission
sacerdotale, et donc au cœur de la mission de l’official d’aujourd’hui.
Lorsque le nombre de causes dont le tribunal est saisi le justifie, des vice-officiaux
ou vicaires judiciaires adjoints peuvent être donnés au vicaire judiciaire (cf. c. 1420).
Ceux-ci bénéficient du même pouvoir ordinaire que l’official. En outre, l’évêque diocésain
doit nommer des juges diocésains qui devront (eux aussi) être clercs (prêtres ou diacres).
La conférence des évêques concernée peut toutefois permettre que des laïcs soient
constitués juges diocésains et qu’en cas de nécessité, l’un d’entre eux fasse partie d’un
tribunal collégial (dont les autres membres seront des clercs). Les juges diocésains doivent
jouir d’une réputation intacte et être docteurs ou au moins licenciés en droit canonique ; les
vicaires judiciaires et leurs adjoints doivent, en outre être âgés d’au moins trente ans (cf. c.
1420 § 4 et 1421 § 2-3). Les juges sont nommés pour un temps déterminé, le mandat
pouvant toujours être reconduit. Par ailleurs, ils ne peuvent être révoqués sans une cause
légitime et grave (cf. c. 1422).
Selon le c. 1425, les causes matrimoniales seront habituellement jugées par un
tribunal collégial de trois juges (sauf en cas de procès documentaire). Le président sera
normalement le vicaire judiciaire ou l’un de ses adjoints. Si l’évêque le juge opportun, le
collégial pourra comporter jusqu’à cinq membres. L’official veillera à ce que les collèges
respectent l’ordre des « tours » qui sont constitués par rotation, afin d’éviter tout soupçon
d’acception de personnes.
En cas d’impossibilité, l’évêque peut en première instance et à condition d’avoir
obtenu l’autorisation de la conférence des évêques compétents confier une cause
matrimoniale à un juge unique. Ce dernier devra être clerc et tâchera (pour la licéité) de
s’adjoindre un assesseur et un auditeur, lesquels pourront être laïcs ; ils exerceront une
fonction purement consultative. Le tribunal collégial doit procéder collégialement et rendre
ses sentences à la majorité des suffrages.
Le juge unique ou le président du collège peut se faire assister d’un juge
instructeur, que le code appelle auditeur. Il peut désigner celui-ci parmi les juges du
tribunal ou parmi les personnes approuvées par l’évêque pour cette tâche. Sa fonction est
de « recueillir les preuves » et de les « transmettre » au juge et, le cas échéant si le mandat

36
ne s’y oppose pas, de « décider en cours d’instruction quelles preuves il faut recueillir et de
quelle manière » (c. 1428). Pour ce faire, il devra donc entendre les parties, les témoins et
les experts et recevoir les documents utiles à l’instruction de la cause. Bien que le code
autorise le contraire, il semble préférable que l’instructeur soit l’un des juges du tribunal,
en vertu de l’économie processuelle et compte tenu des avantages que représente le contact
direct d’un juge avec les conjoints et les témoins. Bien souvent le recours aux auditeurs
permet de décentraliser les structures judiciaires et de rapprocher encore plus la justice des
parties.
Il reste à présenter le rapporteur ou ponent, que le président du tribunal collégial
doit désigner parmi les membres du collège. Son rôle est décrit comme suit : il « fera
rapport de la cause à la réunion des juges et rédigera les sentences » (c. 1429). Cela
suppose l’étude des faits, l’examen critique des allégations et des preuves, la rédaction des
conditions qu’il propose puis de la sentence définitive. D’autres prérogatives sont
mentionnées au c. 1676 §1. Retenons que le document ‘Dignitas connubii’ recommande de
ne pas nommer de personne sans expérience du for (DC art.42 §2 et 43 §4). Le document
fait obligation au vicaire judiciaire de rendre compte à l’évêque de l’état et de l’activité du
tribunal diocésain et il incombe à l’évêque diocésain de veiller à la correcte administration
de la justice par le tribunal (DC art.38 §3, art. 75 et art.111 § 2). Le directoire pour le
ministère pastoral des évêques, ‘Apostolorum successores’, du 22 février 2004 disait au n°
69 que l’évêque « prendra toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que cessent
d’éventuels abus, spécialement ceux qui impliquent la tentative d’introduire dans l’Eglise
une mentalité favorable au divorce ».
Le code rappelle certaines règles inspirées par la déontologie. Les c. 1447-1448 le
prévoient des hypothèses dans lesquelles le juge (de même que les autres membres du
tribunal) a l’obligation de s’abstenir de l’exercice de sa fonction : intervention dans la
même cause à un degré de juridiction inférieure, rapports personnels (intérêt, parenté,
tutelle ou curatelle, profonde intimité ou grave inimitié…). Si le membre du tribunal
concerné ne s’abstient pas, il pourra éventuellement être récusé par les parties ‘cf. c. 1449-
1451). Les juges doivent veiller à éviter les lenteurs judiciaires ; le c. 1453 les exhorte à ce
que les affaires ne dépassent pas un an en première instance et six mois en deuxième
instance. Ils ne peuvent pas refuser de rendre la justice sans raison. Ils doivent prêter
serment de bien remplir leur charge et sont astreints au secret. La violation de certains de
ces devoirs pourra être sanctionnée pénalement (cf. c. 1454-1457).

37
1.1.2. Le promoteur de justice57, le défenseur du

lien58 et le notaire59
Dans les causes contentieuses pouvant affecter le bien public - c’est le cas des
causes matrimoniales - et pour les causes pénales, chaque diocèse doit constituer le
promoteur de justice, qui est tenu par sa fonction de « pourvoir au bien public » (c. 1430).
Celui-ci exerce un office ecclésiastique sans pouvoir de juridiction. Son rôle se limitant à
pourvoir au bien public, il ne doit pas intervenir dans chaque procès, mais uniquement si
l’évêque et lorsque, soit la loi l’ordonne, soit la nature des choses rend son intervention
évidemment nécessaire (cf. c. 1431).
Pour les causes concernant la nullité ou la dissolution du mariage (ou la nullité de
l’ordination sacrée), un défenseur du lien (DC 56 § 2 doit être nommé dans chaque
diocèse.60 Il a pour fonction de « présenter et d’exposer tout ce qui peut être
raisonnablement avancé contre la nullité ou la dissolution » (c. 1432). Dans l’esprit du
législateur, il ne s’agit pas seulement d’une intervention au moyen de la rédaction de
remarques juste avant que les juges prennent la décision : tout comme le promoteur de
justice dans les causes où il doit intervenir, le défenseur du lien doit pouvoir exercer son
office tout au long du procès. Les termes du c. 1433 « s’ils n’ont pas été cités, les actes
sont nuls, à moins que même sans avoir été cité, ils n’aient été réellement présents, ou du
moins qu’ils n’aient pu s’acquitter de leur fonction avant la sentence par l’examen des
actes » expriment la volonté du législateur de délimiter un seuil minimal d’activité de ces
deux agents du ministère public en dessous duquel il ne saurait y avoir de décision
judiciaire valide. Mais ce minimal doit être dépassé. La charge de défenseur du lien a été
synthétisée comme suit :
« 1) L’opposition processuelle, qui doit être objective, systématique et rationnelle ;
2) La fonction-conseil du juge, en l’aidant à tirer les faits au clair, notamment durant la
phase de l’instruction, en lui donnant des avis et en l’informant ;
3) La vigilance au cours du procès, pour que la vérité objective soit mise en lumière, pour
que les normes processuelles soient observées, pour que le droit soit adéquatement
appliqué au fait ».
Le pape François disait aux membres du tribunal suprême de la Signature
apostolique « le défenseur du lien qui veut rendre un bon service ne peut pas se limiter à

57
DC art. 56 § 2, 3, 4, 5 ; 57 ; 223 ; 218 ; 217 à 228.
58
DC art 53 et suivant.
59
DC art. 37 ; 61 ; 54.
60
M. BONNET, Le défenseur du lien, dans Les Cahiers du Droit ecclésial, 4 (1987), p. 65-80.
38
une lecture hâtive des actes, ni à des réponses bureaucratiques et générales. Dans sa tâche
délicate, il est appelé à chercher à harmoniser les prescriptions du Code de droit canonique
avec les situations concrètes de l’Église et de la société. L’accomplissement fidèle et
complet du devoir du défenseur du lien ne constitue pas une prétention, qui porterait
atteinte aux prérogatives du juge ecclésiastique, le seul à qui revient la définition de la
cause. Quand le défenseur du lien exerce le devoir de faire appel, également à la Rote
romaine, contre une décision qu’il considère comme portant atteinte à la vérité du lien, sa
tâche n’empiète pas sur celle du juge. Au contraire, les juges peuvent trouver dans le
travail soigné de celui qui défend le lien matrimonial une aide à leur propre activité61. »
Dans ce sens, le c. 1434 met au service du défenseur du lien et du promoteur de
justice les moyens instrumentaux des parties en litige : « sauf disposition expresse : 1°)
chaque fois que la loi prescrit au juge d’entendre les parties ou l’une d’elles, le promoteur
de justice et le défenseur du lien doivent être entendus s’ils interviennent au procès ; 2°)
chaque fois que la demande d’une partie est requise pour que le juge puisse prendre une
décision, la demande du promoteur de justice ou celle du défenseur du lien, qui
interviennent dans le procès, a même valeur que la demande de la partie ». Si cette
assimilation aux parties concernant une série de règles de procédure a le mérite de
favoriser le rôle actif du promoteur de justice et du défenseur du lien, elle laisse planer un
doute sur la nature précise de leur fonction : d’un côté, ils sont membres du tribunal et
exercent un office au service du bien public ; d’un autre côté, plus que par le passé, ils sont
mis sur le même pied que les parties. Cette assimilation est cohérente par rapport au
principe de l’égalité des moyens de défense, ce qui est souhaitable compte tenu de ce qui
est recherché dans le procès : la vérité (pro rei veritate).62 Mais s’ils sont habilités à agir
sur le plan de la procédure comme les parties, c’est toujours en raison de leur office - non
en vue d’un intérêt privé - que l’un promeut la justice et que l’autre défend le lien.
En ce qui concerne ces deux charges, le code précise que la nomination revient à
l’évêque diocésain. Les conditions de nomination sont semblables à celle des juges
diocésains, sauf qu’ils peuvent indifféremment être des prêtres ou des laïcs (cf. c. 1435).
Dans les deux cas, il s’agit d’un office, ce qui requiert que la charge soit constituée de
façon stable (cf. c. 145 § 1). Il est d’ailleurs prévu que l’évêque ne puisse pas les écarter

61
François, Discours aux membres du tribunal de la Signature apostolique, 8 novembre 2013.
62
La recherche de la vérité est requise dans l’accomplissement de toutes les fonctions. D’où, il est demandé à
l’avocat de défendre son client, au défenseur du lien de défendre le mariage, non pas dans un esprit obtus
mais raisonnablement, en tenant compte de la vérité objective. Cf. les allocutions à la Rote romaine de Pie
XII, 2 octobre 1944, dans A.A.S., 36 (1944), p.284 et de Jean-Paul II, 4 février 1980, dans Documentation
Catholique, 77 (1980), p. 206-208.
39
sans juste motif. Néanmoins, le volume des causes à traiter peut rendre nécessaire de
nommer plusieurs défenseurs du lien (et dans une moindre mesure plusieurs promoteurs de
justice). Cette faculté permet d’accélérer le cours des procès sans nuire à la qualité de leur
intervention. C’est pourquoi le code prévoit que l’on puisse être constitué dans ces deux
charges soit pour l’ensemble des causes, soit pour telle cause en particulier (cf. c. 1436 §
2). Faut-il préciser que les fonctions de promoteur de justice et de défenseur du lien sont
incompatibles avec celles de juge et de notaire ? Par contre, lorsque le tribunal est de
dimension modeste, rien n’empêche que la même personne ne puisse tenir les deux rôles,
mais alors pas dans la même cause (cf. c. 1436 § 1).
Le tribunal doit comporter aussi un notaire qui doit rédiger les actes du procès avec
la plus grande perfection technique et les conserver. Les actes qu’il dresse font
officiellement foi. Sa signature est requise sous peine de nullité (cf. c. 1437). Il semble,
toutefois, que la validité de l’acte soit sauvegardée si le juge l’a signé, lorsqu’il s’agit d’un
acte relevant de sa compétence. Le notaire peut être laïc, sauf lorsque la cause pourrait
mettre en question la réputation d’un prêtre (cf. c. 483 § 2). Le rôle du notaire est expliqué
dans l’instruction (DC art.61).
De manière générale, un tribunal de l’Eglise jugeant les causes matrimoniales se
compose d’un vicaire judiciaire, de juges, d’un auditeur, d’un défenseur du lien, d’un
promoteur de justice, et d’un notaire. Ce sont des ministres du tribunal qui exerce leur
charge soigneusement et selon le droit63. Les autres personnes intervenant dans un procès
ne sont pas des membres du tribunal. Ce sont surtout les parties, leurs représentants les
témoins et les experts64.

1.2. La possibilité d’ériger un tribunal régional


Si le tribunal diocésain demeure la structure judiciaire de référence, la pénurie de
canoniste et la multiplication des causes a incité le législateur à autoriser la constitution de
tribunaux interdiocésains ou régionaux pouvant, dans certaines circonstances, s’avérer plus
aptes à une administration de la justice selon les exigences qualitatives du code. Cette
formule inaugurée en Italie, se retrouve désormais dans de nombreux pays, dont le Canada,
la France, le Togo, le Bénin…. Le c. 1423 § 1 précise que si l’initiative revient aux
évêques diocésains intéressés, l’érection est toutefois soumise à l’approbation du Siège

63
DC art. 33 et 35.
64
BAMBERG Anne, Procédures matrimoniales en droit canonique, Ellipses, Paris 2011, p. 21.

40
apostolique. Par ailleurs, souligne la constitution apostolique ‘Pastor bonus’, il revient à la
Signature apostolique non seulement d’approuver la constitution de tribunaux de première
instance proposés par des évêques, mais aussi d’en promouvoir l’érection le cas échéant
(cf. art. 124).
Dans ce cas, les pouvoirs que l’évêque diocésain possède à l’égard de son tribunal
passent à l’assemblée de ces mêmes évêques ou à l’évêque qu’ils délèguent (cf. c. 1423 §
2). L’organisation de ces tribunaux régionaux ne diffère pas fondamentalement de celle des
tribunaux diocésains. « Il n’y a cependant qu’un official par région, assisté, si besoin est,
d’un vice-official ou de plusieurs vice-officiaux, siégeant dans la ville épiscopale où réside
l’évêque modérateur (ou président) de l’officialité régionale établie. C’est généralement le
siège métropolitain pour le tribunal de première instance. Des « relais » locaux existent fort
heureusement en chaque diocèse, par la présence (pas toujours réalisée pleinement) d’un
juge, qui instruit sur place les causes de son diocèse ; d’un défenseur du lien et d’un
notaire ».
1.3. Les parties
La nature même du procès suppose un demandeur (actor) et (au moins) un
défendeur65 (pars conventa). Dans les causes de nullité, le premier (actor) saisit le tribunal
et demande la déclaration de la nullité de son mariage. Quant à l’autre partie au procès,
contrairement à ce que le terme « défendeur » pourrait laisser entendre, elle n’adopte pas
nécessairement une position défensive. En réalité, la partie citée ou interpellée peut, soit
opter pour la défense du lien, soit se joindre à la requête, soit s’en remettre au jugement du
tribunal. Quelle que soit son attitude, elle doit répondre à la citation (cf. c. 1476 1477),
sans quoi elle sera déclarée « absente du procès », lequel pourra être poursuivi (cf. c. 1592
§ 1).
Qui peut intenter un procès de nullité ? Le c. 1476 affirme le droit de toute
personne, baptisée ou non, d’agir en justice. On y retrouve, appliquée à l’organisation
judiciaire de l’Eglise, l’idée conciliaire du refus de toute discrimination pour des raisons
religieuses, elle-même fondée sur une plus grande prise de conscience tant de la dignité des
personnes que des aspects œcuméniques.66 Dans les causes matrimoniales, la conséquence
pratique de ce principe est la reconnaissance généralisée, y compris aux non-baptisés, non
seulement du droit de se défendre en justice mais aussi du ‘ius accusandi’ ou
‘impugnandi’, c’est-à-dire d’être demandeur dans une cause matrimoniale. Par ailleurs, le

65
DC art. 95 § 1.
66
Gaudium et Spes, 29.
41
souci de la protection du mariage justifie que la légitimation pour l’exercice de l’action en
nullité soit particulièrement restreinte. Elle n’est accordée qu’aux conjoints eux-mêmes et
au promoteur de justice ; dans le second cas, deux conditions doivent être remplies : la
nullité du mariage doit être de notoriété publique - il s’agit surtout d’éviter le scandale - et
la convalidation du mariage ne doit pas être possible ou expédiente (cf. can. 1674). En
outre, le mariage ne peut être attaqué que du vivant des conjoints, à moins que la question
de la validité du mariage ne constitue une question préjudicielle d’une autre cause
judiciaire (canonique ou civile).67 Certaines catégories de personnes physiques (mineurs,
faibles d’esprit, interdits de biens) doivent nécessairement être assistés de leurs parents,
tuteurs ou curateurs, selon le cas.68

1.4. Les procureurs judiciaires et les avocats69


En vertu du c. 1481 § 1-3, les parties ont le droit de se faire assister d’un avocat et
d’un procureur ; dans les causes matrimoniales, elles peuvent aussi s’en passer, sauf
décision contraire du tribunal (lequel n’a pas, dans cette matière, l’obligation de constituer
d’office un avocat).
Le procureur exerce une fonction de représentation. Il agit au procès au nom et à la
place de la partie (présentation de documents écrits avec la demande, réception de
notifications…).
L’avocat, quant à lui, remplit un rôle d’assistance technique et de défense (conseils,
rédaction d’écrits, préparation de la preuve, plaidoirie…). Une seule personne peut
cumuler les deux fonctions. Notons, enfin, que le nouveau code a étendu les possibilités
d’assistance des avocats et procureurs en leur permettant, en principe, d’être présents à
l’interrogation tant de leur « client » que des témoins (cf. c. 1534, 1559), comme c’était
déjà le cas pour le défenseur du lien.70
Le procureur et l’avocat doivent être majeurs et de bonne réputation. En outre,
l’avocat doit être docteur en droit canonique ou « vraiment expert », catholique (sauf
exception autorisée par l’évêque) et approuvé par l’évêque (cf. c. 1483). Cela conduit
souvent à la constitution d’un tableau d’avocats reconnus par le tribunal. 71 Le procureur et

67
Cf. can 1674 § 2.
68
Cf. c. 1478-1479. DC art. 97 ; 99 ; 100.
69
DC art 101 ; 102 ; 105 ; 112.
70
Cf. A. JULIEN, Juges et avocats des tribunaux, Rome, 1970 ; M. BONNET, L’avocat et le procureur
judiciaire selon le code, dans Les cahiers de Droit ecclésial, 2 (1985), p. 107-124.
71
Cf. c. 1490. DC art. 112-113.
42
l’avocat72 doivent déposer un mandat authentique auprès du tribunal en principe avant
d’entrer en fonction. Les c. 1485-1489 organisent leur discipline.
Les avocats
Il existe une liste des avocats auprès de la Curie romaine Cf. Art.238-240.
1.5. Les règles de compétence
Le procès de déclaration de nullité est judiciaire (non administratif) et contentieux
(non pénal). Il rentre dans le cadre du c. 1400 § 1 déclarant objet de jugement « les droits
des personnes physiques ou juridiques dans leur poursuite ou leur revendication, ou les
faits juridiques dans leur déclaration ». Il s’agit de faire déclarer le fait de la nullité du
mariage de deux personnes. La première question qui se pose est celle de l’autorité
compétente pour juger73.
Mises à part quelques causes réservées, qui concernent rarement le mariage 74 et le
droit qui est reconnu à tout fidèle de recourir au jugement du Saint-Siège à n’importe quel
degré de juridiction et n’importe quel moment du procès (cf. c. 1417 § 1), le tribunal
compétent en première instance est normalement le tribunal diocésain ou, en son absence,
le tribunal inter diocésain ou régional. Quel tribunal diocésain ou régional faut-il saisir ?
Suivant la tendance déjà amorcée dans le « motu proprio » Causas matrimoniales de Paul
VI, le nouveau code avait élargi le for compétent. Aujourd’hui avec le Motu proprio
MITIS IUDEX DOMINUS IESUS du 15 Août 2015 du pape François la partie III, titre I,
chapitre I – qui porte sur les causes de déclaration de nullité du mariage (can. 1671-1691)
– du Livre VII du Code de Droit Canonique, est totalement remplacé depuis du 8
Décembre 2015.
Le Motu proprio détermine le for compétent en son can. 1672 comme suit : Dans les
causes de nullité de mariage qui ne sont pas réservées au Siège Apostolique, sont
compétents :
1° le tribunal du lieu où le mariage a été célébré ;
2° le tribunal du lieu où une partie ou les deux ont domicile ou quasi-domicile,
3° le tribunal du lieu où en fait, doivent être recueillies la plupart des preuves.
Notons que pour cette hypothèse, le code ne fait pas une condition sine qua non du
manque de collaboration de la partie citée. D’autre part, la proximité du lieu où doivent
être recueillies la plupart des preuves permet d’accélérer le cours de la justice.75
72
DC art. 102 et 101§1.
73
DC art. 10.
74
c. 1405.
75
Voir les déclarations sur le for compétent du tribunal suprême de la Signature apostolique dans A.A.S., 81
(1989), p. 892-894 et 988-990.
43
Lorsque deux ou plusieurs causes concernant les mêmes personnes portent, en
outre, sur le même objet (petitum) ou ont le même titre (causa petendi), elles sont dites
connexes. Elles doivent dès lors, être jugées non seulement par le même tribunal mais dans
un même procès, à moins qu’une disposition de la loi ne s’y oppose. Au cas où deux ou
plusieurs tribunaux seraient compétents, le droit de connaître la cause revient à celui qui le
premier a cité à comparaître le défendeur de manière régulière. En cas de conflit de
compétence, c’est le tribunal d’appel qui tranche ou, si les tribunaux en conflit ne
dépendent pas du même tribunal d’appel, la Signature apostolique (cf. c. 1414-1416).76

I. Les tribunaux de deuxième instance

Si le tribunal diocésain est la juridiction de référence en première instance, le


tribunal de l’évêque métropolitain est le prototype du tribunal de deuxième instance.
Comme il ne peut évidemment pas juger en appel les causes dont il a été saisi au premier
degré, l’appel de ces causes sera confié de manière stable à un autre tribunal, qui doit être
approuvé par le Siège apostolique77. Par ailleurs, précise le c. 1439 § 1-2, au cas où un
tribunal régional de première instance aurait été constitué, la conférence des évêques est
tenue de constituer un tribunal régional de deuxième instance - avec l’approbation du Siège
apostolique - à moins que tous les diocèses ne soient suffragants d’un même archidiocèse ;
dans ce cas, le tribunal métropolitain reste le tribunal d’appel. L’on peut aussi constituer un
tel tribunal d’appel, même s’il n’existe pas de tribunal régional du premier degré. En cas de
violation de ces règles, l’incompétence du juge est absolue, c’est-à-dire que la sentence
rendue dans ces conditions serait entachée d’un vice irrémédiable de nullité (cf. c. 1440 et
1620, 1°). Enfin, lorsque la sentence a été rendue en première instance par un juge unique
conformément au c. 1425 § 4, le c. 1441 requiert une décision collégiale en deuxième
instance.

III. Les tribunaux du Siège apostolique

L’une des caractéristiques de la procédure canonique est sans nul doute le souci
d’assurer la protection du bien public, d’un sacrement, à telle enseigne qu’au lieu de s’en
tenir aux deux degrés de juridiction que connaissent habituellement les systèmes
76
DC art.8-21.
77
Cf. c. 1438.
44
judiciaires étatiques, elle exige une double sentence conforme entre les mêmes parties, sur
le même objet et pour le même motif de demande ; d’où la nécessité d’une juridiction de
troisième instance et au-delà. En outre, les causes concernant l’état des personnes
(séparation, nullité…) ne passent jamais à l’état de chose jugée (cf. c. 1643 et c. 1644), ce
qui permet toujours de faire valoir de nouveaux arguments graves indépendamment de
l’expiration des délais de recours.
Des trois tribunaux ordinaires du Siège apostolique (Signature apostolique, Rote romaine 78
et Pénitencerie) qui sont indépendants des uns des autres. C’est celui de la Rote qui nous
intéresse le plus ici. Nous ne parlerons pas de la Pénitencerie, qui au for interne est
compétente pour résoudre les questions de conscience, des indulgences qui sont les
expressions de la miséricorde divine.

3.1. La Rote romaine


Le tribunal romain de la Rote est celui qui est « constitué par le Pontife romain pour
recevoir les appels » (c. 1443). Par suite il n’est pas un simple tribunal de deuxième
instance, mais il « joue ordinairement le rôle d’instance supérieure d’appel auprès du Siège
apostolique pour protéger les droits dans l’Eglise, veille à l’unité de la jurisprudence et, par
ses propres sentences, aide les tribunaux inférieurs ».79 Il est aussi appelé à juger en
troisième instance ou au-delà. Il lui arrive d’intervenir en première instance. Le c. 1444
synthétise sa compétence comme suit :
1°- « en deuxième instance, les causes qui ont été jugées par les tribunaux ordinaires de
première instance et qui sont déférées au Saint-Siège par appel légitime » ;
2°- « en troisième instance et au-delà, les affaires déjà traitées par la Rote romaine elle-
même et n’importe quel autre tribunal à moins que la cause ne soit passée en force de
chose jugée »
3°- en première instance les causes réservées au Pontife romain dont il s’agit au c. 1405 § 3
et les causes qu’il a appelées à son tribunal - de son propre chef ou à la requête des parties -
et confiées à la Rote romaine. Dans ce cas, sauf disposition contraire, celle-ci les juge aussi
en deuxième instance et au-delà.

3.2. La Signature apostolique

78
Cf. constitution apostolique sur la Curie Romaine « Preadicate Evangelium », Art. 189-204.
79
“Preadicate Evangelium »  Art. 200.
45
La Signature apostolique, de nature assez hétérogène,80 « exerce la fonction de
tribunal suprême, et veille en outre à l’administration correcte de la justice dans
l’Eglise ».81 Elle compte douze juges, tous cardinaux, nommés directement par le Pontife
romain. Elle comporte actuellement trois sections. Les deux premières exercent une
fonction juridictionnelle : la première en matière judiciaire, la deuxième en matière
contentieuse-administrative82, la troisième section apparaît plutôt comme un dicastère
chargé de matières administratives en rapport avec la justice. 83 Conformément au c. 1445 §
1, l’art 194 de précise que Preadicate Evangelium  la première section (en tant que
tribunal judiciaire suprême de l’Eglise) connaît :
1° « des plaintes en nullité et des demandes de restitutio in integrum contre les
sentences de la Rote romaine » ;
2° « des recours dans les causes concernant le statut des personnes, contre le refus
d’un nouvel examen de la cause de la part de la Rote romaine » ;
3° « des exceptions de suspicion et autres causes contre les juges de la Rote
romaine pour des actes accomplis dans l’exercice de leur fonction » ;
4° « des conflits de compétence entre tribunaux, qui ne dépendent pas du même
tribunal d’appel ».
La Congrégation du culte divin et de la discipline des sacrements examinait les causes en
non-consommation du mariage et l’opportunité d’une dispense (art.67 et 68). Ces articles
sont abolis par la lettre apostolique en forme de Motu proprio « Quaerit semper » du
souverain pontife Benoît XVI84 et transmet désormais la compétence au nouveau bureau
pour les procédures de dispense du mariage conclu et non consommé et les causes de
nullité de l’Ordination sacrée, constitué auprès du Tribunal de la Rote romaine. La
Congrégation pour la doctrine de la foi est compétente pour connaître de ce qui regarde la
dissolution du mariage en faveur de la foi ().

IV. LES RÈGLES DE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX (cc.1446-1475).


Nous avons cinq dispositions à savoir :
1. La fonction des juges et des ministres du tribunal (cc.1446-1457).
2. L’ordre de l’examen des causes (cc.1458-1464).
3. Délais et ajournements (cc.1465-1467).
4. Le lieu du jugement (cc.1468-1469).
5. L’admission des personnes à l’audience - la rédaction et la conservation des actes
(cc.1470-1475).
Lors d’un procès certains acteurs entrent en jeu c’est ceux que nous appelons
V. LES PARTIES DANS LA CAUSE (cc. 1476- 1490) composées essentiellement de :
80
VALDRINI, Injustices et droits dans l’Eglise Strasbourg, Cerdic, 1985, p.15 et 321.
81
Preadicate Evangelium  Art.194-199.
82
Cf. Preadicate Evangelium 
83
. Preadicate Evangelium 
84
Benoît XVI Lettre apostolique en forme de motu proprio « Quaerit semper », du 30 août 2011, Libreria
Editrice Vaticana, 2011.

46
1. Le demandeur et le défendeur (cc.1476-1480).
2. Les procureurs judiciaires et les avocats (cc.1481-1490).
Enfin, certains éléments entrent en lignes de compte.
VI.LES ACTIONS ET LES EXCEPTIONS (cc.1491-1500).
1. Les actions et les exceptions en général
2. Les actions et les exceptions en particulier (cc.1496-1500).

47
DEUXIEME PARTIE : 

LES CONTENTIEUX ORDINAIRES

Le déroulement des procès

Introduction
L’économie générale des procès contentieux, et donc des procès matrimoniaux,
peut être qualifiée de « mixte »85 : elle suit à la fois le principe inquisitoire dans la mesure
où le juge se voit confier un rôle considérable dans la phase de l’instruction de la cause, et
le principe dispositif en vertu duquel le juge ne peut se saisir d’office et est lié par ce que le
demandeur (personne qui intente et soutient une action en justice 86) réclame dans son
libelle et par la réponse du défendeur. Ceci dit, nous pouvons aborder les différentes étapes
de la procédure : l’introduction de la cause, son instruction, sa discussion, son jugement et
le procès documentaire.

Le procès contentieux

I. L’introduction de la cause

1.1. Le Libelle introductif d’instance87


Conformément aux c. 1501-1504, le demandeur ou demanderesse (partie
demanderesse) doit adresser une requête au tribunal, qui sera normalement écrite. La
première étape consiste donc à écrire une lettre de demande d’introduction du procès. C’est
la demande de voir son affaire examinée par un tribunal ecclésiastique. Cette demande
(petitio) ou requête écrite s’appelle en latin libellus traduit par le mot libelle88. C’est le
85
ECHAPPE O. Le droit processuel, dans Collectif, Droit canonique, Paris, Dalloz, 1999.
86
BAMBERG Anne, Procédures matrimoniales en droit canonique, Ellipses, Paris, 2011, p. 25.
87
DC art. 65.
88
BAMBERG Anne, Procédures matrimoniales en droit canonique, Ellipses, Paris, 2011, p. 63.
48
libelle introductif d’instance89. La requête ne peut être orale que lorsque le demandeur est
empêché de présenter un libelle ou lorsqu’il s’agit d’une cause à examiner et de peu
d’importance (ce qui exclut l’hypothèse des causes matrimoniales) ; en cas de requête
orale, le tribunal devra faire rédiger par le notaire un acte puis, une fois lu au demandeur et
approuvé par lui, aura la valeur d’un libelle écrit par ce dernier. Il contiendra l’objet du
litige, un exposé sommaire des prétentions et des arguments, et demandera l’intervention
du juge. Il devra porter diverses mentions.90
Après en avoir accusé réception, le tribunal doit au plus tôt émettre un décret par
lequel il admet ou refuse le libelle. Son refus ne peut être motivé que par sa propre
incompétence, par le défaut de qualité du demandeur pour ester en justice, par un vice de
forme du libelle ou encore par le caractère manifestement non fondé de la demande. En cas
de rejet du libelle, précise le c. 1505, le demandeur dispose d’un délai utile de dix jours
pour introduire un recours motivé auprès du tribunal d’appel (ou auprès du collège si le
refus vient du président). Devant un silence éventuel d’un mois de la part du tribunal, le
demandeur pourra mettre celui-ci en demeure c’est-à-dire de sommer le tribunal de se
conformer sans délai à son obligation.

Un nouveau silence de dix jours est alors considéré comme une admission (cf. c. 1506).
IL n’est pas inutile de rappeler ici l’obligation qui incombe au tribunal saisi d’une
cause en déclaration de nullité de tenter d’éviter le procès, en envisageant la possibilité
d’une convalidation du mariage, en encourageant dans la mesure du possible la reprise de
la vie conjugale, en mettant en œuvre les moyens pastoraux opportuns91et les canons 1156-
1165). Il s’agit là d’un aspect non négligeable du soin pastoral auquel les conjoints ont
droit et qui se saurait être considéré comme une « disposition de valeur purement
formelle ».92Le pape Jean-Paul II insistait beaucoup sur la réalité sacrée du mariage :
« prendre très au sérieux l’obligation formellement imposée au juge par le canon 1676 de
favoriser et de rechercher activement la possible convalidation du mariage et de la
réconciliation. Naturellement, la même attitude de soutien apporté au mariage et à la
famille doit régner avant le recours aux tribunaux ; dans l’assistance pastorale, les
consciences doivent être patiemment éclairées par la vérité sur le devoir transcendant de la
89
DC art. 116 ; 119 ; 120 ; 121 ; 122 ; 124.
90
Cf. c. 1504 : l’indication du tribunal, du demandeur, de la demande, des moyens, (de droit et de fait), du
domicile du défendeur ; il doit en outre être signé et daté par le demandeur ou par son procureur.
91
Cf. Le législateur recommande d’éviter les litiges au sein du peuple de Dieu et de les résoudre
pacifiquement (c. 1446 § 1). Lire aussi can. 1675. Dans les affaires qui ne concernent pas le bien public et
dont les parties peuvent librement disposer, d’autres moyens sont à envisager : la transaction (judiciaire ou
extrajudiciaire), le compromis et l’arbitrage (c.1713-1716).
92
JEAN-PAUL II, Le droit canonique a une authentique dimension pastorale, op. cit.p. 337.
49
fidélité, présentée de manière favorable et attractive. Dans l’effort pour surmonter de
manière positive les conflits conjugaux et dans l’aide apportée aux fidèles en situation
matrimoniale irrégulière, il faut créer une synergie qui impliques toutes les personnes dans
l’Eglise : les pasteurs d’âmes, les juristes, les experts en science psychologiques et
psychologiques, les autres fidèles, et tout particulièrement ceux qui sont mariés et qui ont
une expérience de la vie conjugale. Tous doivent êtres bien conscients qu’ils se trouvent
devant une réalité sacrée et une question qui touche au salut des âmes 93! »

1.2. La citation du défendeur94


Selon le c. 1507, le décret d’acceptation de la cause doit comprendre la citation des
parties (sauf si elles comparaissent spontanément toutes les deux ; dans ce cas le notaire
prendra acte de la comparution des parties). Le juge invite les parties à comparaître pour
discuter de l’objet du litige ou à faire connaître leur position par écrit. En cas de libelle
considéré comme admis d’office suite à un silence, le décret de citation devra être émis
dans les vingt jours après la requête dont il est question au c. 1506. Dans tous les cas, le
décret de citation et le libelle doivent être régulièrement notifiés au défendeur, selon les
règles fixées aux c. 1508-151195, sous peine de nullité des actes du procès. La recherche de
la vérité est parfois très ardue c’est pourquoi « pour découvrir plus facilement la vérité et
mieux protéger le droit de la défense, il convient grandement que chacun des conjoints
intervienne dans le procès de nullité matrimoniale. »96
La partie défenderesse peut donner la réponse qu’elle juge la plus opportune. Elle
pourra éventuellement opposer des exceptions.97 Il est également possible d’introduire une
demande reconventionnelle98. Le silence de l’autre conjoint ne peut avoir pour effet de
paralyser l’instance : la partie interpellée pourra alors être déclarée absente du procès 99,
lequel se poursuivra sans elle. Ce qui n’empêche pas que diverses circonstances puissent
suspendre le cours du procès : décès d’une partie, changement d’état, cessation de la

93
« Redécouvrir la pleine vérité sur le mariage et la femme », in Documentation catholique, 100, 2003,
p.227-228.
94
DC art. 127.138 ; 134.
95
Le fait et le mode de la notification – souvent par la poste – doivent apparaître dans les actes. Celui qui
empêche que la citation lui parvienne est tenu pour régulièrement cité.
96
DC art. 95 §1.
97
Cf. c. 1492, 1459, 1462 : Il existe des exceptions dilatoires et péremptoires (par exemple l’incompétence) ;
elles sont perpétuelles, même si elles doivent être soulevées à des moments précis.
98
Dans un délai de 30 jours à partir de la réponse à la demande ; elle peut être jointe à la réponse à la citation
(cf. c. 1462-1463). La demande reconventionnelle peut être engagée, soit en connexion avec la demande
principale, soit comme un moyen de repousser ou de réduire celle-ci. (cf. c. 1494).
99
Cf. c. 1592-1595.
50
fonction du tuteur, du curateur ou du procureur quand elle est nécessaire… L’absence de
tout acte de procédure pendant six mois éteint l’instance par péremption.100
La citation est un point de repère significatif du procès : à condition qu’elle ait été
notifiée de manière régulière101, elle marque l’ouverture de l’instance. Le code précédent
en revanche, situait l’ouverture de l’instance à l’étape suivante (la litiscontestation). Les
principaux effets de l’instance sont les suivants :
1. l’affaire devient litigieuse ou engagée ;
2. elle ressort de la compétence du tribunal (ou du juge) d’où émane la citation ;
3. la compétence du juge délégué est consolidée, même si prend fin celle du juge qui a
délégué ;
4. la prescription est interrompue ;
5. le début de la litispendance permet d’opposer une exception à l’égard d’une nouvelle
action éventuelle ; en outre, elle entraîne l’application immédiate du principe lite
pendente nihil innovetur en vertu duquel aucune des parties ne peut plus disposer de
ce qui fait l’objet du litige ni en modifier la situation (cf. c. 1512).

1.3. La litiscontestation102
La litiscontestation est « la situation qui résulte de la détermination de l’objet du
litige, c’est-à-dire ce sur quoi portera le procès ».103 Elle a lieu « quand, par un décret du
juge, sont définis les termes du litige tirés des demandes et des réponses des parties » (c.
1513 § 1).
La partie interpellée doit répondre à la citation, par écrit ou oralement. Dans les cas
difficiles (par exemple, une demande reconventionnelle du défendeur ou un cumul
d’action), une audience des parties devra être envisagée en vue de se concerter sur le doute
(dubium). La fixation de l’objet du procès est essentielle dans tous les types de procès. Si
l’une des parties ne comparait pas au jour fixé pour la mise au point du doute et ne fournit
pas d’excuses, tout dépendra de la partie qui a fait défaut : s’il s’agit du demandeur, le
procès pourra être arrêté (après une seconde citation) à moins que la partie défenderesse ne
veuille la poursuite du procès ; si c’est le défendeur qui est absent, le procès continue. Dans
les deux cas, le juge fixera le doute en accord avec les prétentions de la partie présente.

100
Cf. c. 1520-1522.
101
Cf. c. 1512 : ou si les parties se sont présentées d’elles-mêmes devant le juge.
102
DC art. 136.
103
Cf. MANDERO L., Commentaire aux canons 1513-1525 dans Code de droit canonique, Montréal, 1999,
c. 1513.
51
Dans l’hypothèse où ni le juge ni les parties n’ont demandé de session à cette fin, le
président ou le ponent a un délai de quinze jours à partir de la notification pour établir
d’office la formule du doute. C’est l’un des moments du procès où le rôle du juge a été
renforcé. La formule du doute doit inclure le chef ou les chefs de nullité pour lesquels
la validité du mariage est attaquée. Ainsi, il ne suffit pas de demander la déclaration de
la nullité du mariage. Il faut préciser que l’on invoque par exemple, la simulation ou le dol,
de la partie du mari ou de la femme.
Dans tous les cas, le président ou le ponent émettra un décret de
« concordance » du doute (ou des doutes) qu’il notifiera aux parties. Si celles-ci ne s’y
opposent pas, il prendra un décret d’introduction de la cause dix jours après la
notification du décret précédent.104 Notons que, suite au décret de formulation du doute,
les termes du litige ne peuvent plus être modifiés que par un autre décret, à la demande
d’une des parties et après avoir entendu les autres parties (conjoint et défenseur du lien).105

II. L’instruction106

Si la litiscontestation clôture la phase introductive du procès, la phase probatoire


(convaincante) s’ouvre par le décret de mise à l’instruction (qui est différent du décret
fixant le doute, même s’il peut se trouver dans le même document que lui). Les parties
doivent disposer d’un délai suffisant pour produire les preuves de leurs allégations,
conformément au principe que « la charge de la preuve incombe à qui affirme » (c.1526).
Les seules exceptions à ce principe fondamental sont les présomptions légales et les faits
allégués par une partie et reconnus par l’autre, pourvu que la preuve n’en soit pas exigée
par le juge ou par le droit, ce qui est précisément le cas des causes qui, comme celles qui
concernent le mariage, ont trait au bien public. Bien souvent la partie interpellée souhaite
également la déclaration de nullité ; d’où l’importance capitale du soin de l’instruction et
de l’exigence de preuves. Le juge se retrouve investi d’un rôle important quant à
l’admission et l’appréciation des preuves, voire même de suppléance des parties en cas de
carence de leur part107.

104
Cf. c. 1677.
105
Cf. c.1514.
106
DC art. 162-182.
107
GUISSANI T. , Discrezionalità del giudice nella valutazione delle prove, Cité du Vatican, 1977.
52
a. Les déclarations des parties
Les dépositions des parties ont lieu selon les règles exposées aux c. 1530-1538.
L’audition des parties est obligatoire dans les causes matrimoniales. Le juge pourra les
interroger, soit d’office, soit à la demande d’une partie. Les parties sont tenues de
collaborer avec le tribunal ; néanmoins, en cas de refus, qui ne fait plus encourir de
sanction pénale, le juge pourra tirer les conséquences de ce refus. L’instruction des procès
de nullité présente plusieurs caractéristiques : les dépositions se font en l’absence de l’autre
partie et normalement sous serment ; par ailleurs, le défenseur du lien, les avocats, le
promoteur de justice (s’il intervient) jouissent de facilités non négligeables : ils ont non
seulement le droit d’assister à l’interrogation des parties, des témoins et des experts mais
encore celui de prendre connaissance des actes judiciaires (y compris avant leur
publication) et des documents produits par les parties (cf. c. 1678). Quant aux parties elles-
mêmes, elles pourront examiner les preuves du dossier, une fois qu’elles auront été toutes
constituées, à la chancellerie du tribunal.108
Tout en ne constituant pas à lui toute seule une preuve suffisante contre la validité
du mariage, l’aveu peut être pris en considération ; le juge appréciera sa valeur probatoire à
la lumière de la déposition de témoins de crédibilité et veillera à le confronter avec d’autres
indices et éléments de preuve.109

b. La preuve documentaire110
La preuve par documents est admise dans tous les procès. Le droit canonique peut
se servir de documents publics tant canoniques 111 que civils. Les documents publics font
foi, dans les limites suivantes :
1° « pour tout ce qui y est directement et principalement exprimé » ;
2° « à moins que des arguments contraires et évidents ne prouvent autre chose » (c.
1541).
Par contre, les documents privés reconnus par la partie qui est l’auteur ou par le
juge ont la même force probante (convaincante) que l’aveu extrajudiciaire. Si les
documents sont suspects, il appartient au juge d’apprécier dans quelle mesure on doit en

108
Cf. can. 1677 § 2 et 1598 § 1. Cette dernière disposition prévoit que dans les causes matrimoniales et
concernant le bien public, « pour éviter de très graves dangers, le juge peut décider qu’un acte ne doit être
montré à personne, en veillant toutefois à ce que les droits de la défense restent toujours saufs ».
109
Cf. c. 1536, 1537 et can.1678.
110
DC art.185 § 2 et 3 ; 186 et 188.
111
« Ceux qui ont été rédigés par une personne publique dans l’exercice de sa charge dans l’Eglise, en
observant les formalités prescrites par le droit » (c. 1540 § 1).
53
tenir compte.112 Nous parlerons plus loin du procès documentaire, à ne pas confondre avec
l’utilisation de preuves documentaires dans la procédure matrimoniale ordinaire.

c. Les témoins113
Les témoignages sont les déclarations faites devant le juge sur des faits dont les
personnes ont connaissance. Ces personnes ne sont pas parties du procès. Dans les causes
matrimoniales, les témoignages ont lieu en principe sous serment. La valeur probatoire des
dépositions est laissée à l’appréciation du juge compte tenu de différents facteurs : qualité
de la personne et de la connaissance des faits (témoin oculaire direct, option, rumeur…),
cohérence des déclarations de chaque témoin, concordance ou contradiction entre les
témoins, etc. De toute façon, la déposition d’un seul témoin ne peut avoir pleine valeur
probante, sauf s’il s’agit d’un témoin qualifié dans l’exercice de ses fonctions ou si les
circonstances incitent à en juger autrement. Il est recommandé au juge de demander des
lettres testimoniales accréditant les témoins (cf. c. 1572 et 1573).
Même si en principe n’importe qui peut être invité à témoigner (y compris les
proches parents), le code écarte certaines catégories de personnes. Ainsi, les clercs, les
médecins, les avocats… quiconque est tenu au secret professionnel est exempté de
l’obligation générale de témoigner pour tout ce qui relève de ce secret.114 Il en va de même
pour les personnes qui craignent que leur témoignage puisse être gravement préjudiciable
pour elles-mêmes ou pour leurs proches. Sont écartés par le droit les mineurs de moins de
quatorze ans et les faibles d’esprit (à moins qu’un décret judiciaire ne les y autorise). Par
ailleurs, sont tenus pour incapables toutes les personnes qui sont parties au procès ou ceux
qui représentent ou assistent les parties ainsi que le juge et ceux qui l’assistent ;
l’incapacité vaut aussi pour les prêtres pour tout ce dont ils ont eu connaissance par la
confession sacramentelle (même si le pénitent demande qu’ils parlent).
La citation des témoins se fait par décret. L’interrogation a lieu normalement au
siège même du tribunal, à moins que le juge n’estime devoir faire autrement. Les parties ne
peuvent assister aux dépositions des témoins, les témoins doivent être interrogés
séparément, ce qui n’empêche pas le juge de réunir éventuellement plusieurs témoins pour
les confronter lorsqu’ils sont en désaccord. Les questions sont posées par le juge en
présence du notaire. Si les avocats, le défenseur du lien ou le promoteur de justice présent à

112
Cf. c. 1542 et 1543.
113
DC art. 193-202.
114
ECHAPPE O. Le secret en droit canonique et en droit français, dans L’année canonique, 29 (1985-1986),
p. 229-256.
54
l’interrogation estiment qu’il conviendrait de poser d’autres questions au témoin, ils
proposeront au juge de les poser lui-même, à moins que la loi particulière n’en dispose
autrement. Dans les causes matrimoniales, les témoins déposeront sous serment. S’ils
refusent de le prêter, ils seront entendus quand même, mais le fait sera consigné dans les
actes et sera pris en compte par le juge dans l’appréciation de la force probante de ces
déclarations. Les témoins feront leur déposition oralement sans lire de texte (sauf cas
évidents : comptes, calculs…). Le notaire doit aussitôt les mettre par écrit, dans les temps
même des témoins (au moins pour ce qui touche directement à l’objet du procès). Le
magnétophone peut être utilisé pourvu que les déclarations soient ensuite consignées par
écrit signées, dans la mesure du possible, par leurs auteurs. A la fin de l’interrogatoire,
lecture doit être faite de l’ensemble de la déposition, tout en laissant au témoin la
possibilité d’ajouter, de supprimer, de corriger ou de modifier ses déclarations. Ensuite le
témoin, le juge et le notaire doivent signer l’acte. Si le juge l’estime utile et s’il n’y a pas
de danger de collusion ou de corruption, il est possible d’entendre à nouveau les témoins, à
la demande d’une partie ou d’office.115

d. Les experts116
Le recours à l’expertise s’impose chaque fois que le droit ou le juge le requiert. Il
s’agit de cas où un avis technique fondé sur une science ou un art étranger au droit
canonique s’avère nécessaire pour prouver un fait ou faire connaître la véritable nature
d’une chose (cf. c. 1574). Concrètement, en vertu du can. 1678 § 3, l’expertise est
obligatoire dans les causes d’impuissance ou de défaut de consentement pour maladie
mentale, sauf si cela s’avère inutile en raison des circonstances. C’est le juge qui nomme
les experts, soit sur proposition des parties, soit d’office après avoir entendu ces dernières.
Il peut aussi prendre en compte des rapports déjà établis. Il fixera par décret les points sur
lesquels doit porter l’expertise ainsi que le délai dans lequel le rapport devra être remis. 117
Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer, les expertises (même concordantes)
ne lient pas le juge, qui seul est habileté à se prononcer sur la validité du mariage. Il devra
tenir compte également des autres données de la cause et, dans son jugement, donner les

115
Les canons 1551-1571 régissent l’interrogatoire des témoins. Notons que les dépenses et le manque à
gagner occasionnés par leur contribution au procès doivent être remboursés sur la base d’une estimation
équitable faite par le juge.
116
DC 203-213.
117
Cf. c. 1574-1581.
55
motifs de sa décision, c’est-à-dire « préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté
les conclusions des experts ».118

e. Les autres modes de preuve119


Les c. 1582-1586 terminent l’énumération des modes de preuve en parlant de la
descente sur les lieux et des présomptions. Aucun des deux n’est applicable aux causes
matrimoniales. Dans le premier cas, il s’agit d’un examen d’un objet ou d’un lieu auquel
procède le juge lorsqu’il l’estime opportun. Non sans avoir entendu les parties, il prend
cette décision par décret, dans lequel il indique sommairement ce qui doit être constaté sur
place. Après quoi un procès-verbal de la reconnaissance effectuée sera ensuite dressé.
La présomption est la « conjecture probable d’une chose incertaine ». Elle est dite
« légale » lorsqu’elle est fixée par la loi elle-même et « de l’homme » lorsqu’elle est
conjecturée par le juge (c. 1584). Autrement dit, la présomption la présomption légale est
fixée par le législateur tandis que celle humaine est résulte d’un raisonnement du juge.
Rappelons que le droit matrimonial établit plusieurs présomptions qui s’imposent au
juge.120 Le code actuel ne connaît plus que des présomptions légales iuris simpliciter, c’est-
à-dire qui peuvent renverser par la preuve contraire. Par ailleurs, dans les cas de
présomption de l’homme, le juge ne peut conjecturer qu’à partir « de faits certains et
déterminés ayant un rapport direct avec l’objet du litige ».121

II. De la publication des actes au jugement122

3.1. La publication des actes123


Une fois l’instruction achevée, les parties doivent pouvoir prendre connaissance des
actes auxquels elles n’ont pas encore eu accès. La publication des actes a lieu par le biais
d’un décret du juge. Elle concerne les parties et leurs avocats ; elle ne s’étend pas aux tiers.
118
De LANVERSIN B., De momento peritiae instituendae in processibus matrimonialibus recentioribus
dans Periodica, 73 (1984), p. 571-586.
119
DC art. 216.
120
Les présomptions de validité du mariage (c. 1060), de consommation (c. 1061 § 2), de la cohérence entre
le consentement externe et ce qui est manifesté dans la célébration du mariage (c.1101 § 1), de la
persévérance du consentement matrimonial (c. 1107), de paternité et de légitimité (c.1138) et en faveur du
privilège de la foi (c.1150). Par ailleurs, après la puberté, l’on ne présume pas l’ignorance des choses
essentiels pour contracter le mariage (c. 1096 § 2).
121
Cf. c. 1586. En réalité, les présomptions ne constituent pas une véritable preuve. La présomption légale est
plutôt une dispense de preuve, tandis que la présomption de l’homme est à mettre en rapport avec l’intime
conviction du juge.
122
DC art. 229-236.
123
DC art. 229.
56
Nous avons déjà indiqué que le juge peut écarter de la publication l’un ou l’autre acte afin
d’éviter de graves dangers. A ce moment-là, il est encore possible aux parties ou à leurs
avocats d’ajouter de nouvelles preuves pourvu qu’elles soient elles aussi publiées (cf. c.
1598).

3.2. La conclusion de la cause124


Lorsque toutes les preuves ont été établies et que le juge estime la cause
suffisamment instruite (compte tenu notamment des délais), celui-ci doit mettre un terme à
l’instruction par un décret de conclusion. La conclusion de la cause interdit en principe la
production d’autres preuves (contrairement au code précédent quelques exceptions sont
prévues au c. 1600). Le juge doit fixer le délai dans lequel les plaidoiries doivent être
déposées.

3.3. Les plaidoiries et les observations


Le procès entre alors dans la phase de discussion 125. Les plaidoiries des avocats (s’il
y en a) se font normalement par écrit. Ce qui n’empêche qu’elles pourraient
éventuellement être orale ou au moins être complétées d’un bref débat pour éclaircir
certains points. Chaque partie a le droit de répondre, en principe une seule fois, aux
arguments des « adversaires ». Le promoteur de justice et le défenseur du lien doivent
toujours pouvoir répliquer aux réponses des parties ; ils interviennent en dernier lieu. Il
peut arriver que les parties n’aient pas d’avocat et qu’elles ne veuillent pas non plus
répondre personnellement dans le délai établi ; en ce cas le juge pourra prononcer la
sentence une fois que l’affaire lui paraîtra parfaitement claire et, en tout cas, après avoir
requis les observations ou remarques du promoteur de justice (s’il intervient) et du
défenseur du lien.126

127
3.4. La sentence
En droit procédural canonique, la décision du juge doit se fonder sur la certitude
morale qu’il acquiert en conscience après un examen attentif des actes de la cause et une
appréciation critique des preuves. Dans les causes matrimoniales - vu la faveur du droit
dont jouit le mariage -cela signifie que, si le juge n’a pu acquérir cette certitude, il devra
124
DC art. 237-239.
125
DC art. 240-245.
126
Cf. c. 1598-1606.
127
DC art. 246-262.
57
déclarer qu’il « ne conste pas » de la nullité du mariage. 128 Le non constare n’implique pas
nécessairement un constat de validité ; il établit juridiquement qu’aux yeux de l’Eglise, le
mariage ne peut être déclaré nul. Rappelons que les sentences de déclaration de nullité de
mariage sont en principe l’œuvre d’un collège, ce qui augmente les garanties d’objectivité,
une sentence déclarant la nullité implique que sur trois juges qui ont étudié la cause, deux
au moins ont la certitude morale que le mariage n’a pas été conclu validement. La
sentence doit être publiée, c’est-à-dire communiquée aux parties intéressées, dans un
délai ne dépassant pas normalement un mois à compter de la décision. Les canons
1609-1618 établissent une série de règles sur l’élaboration de la sentence et sa
publication.129
Le c. 1607 précise que le juge peut rendre des sentences dites définitives. Cela ne
signifie nullement qu’une sentence définitive ne puisse plus être mise en question. Au
contraire, les voies de recours sont destinées aux sentences définitives. En réalité, il est
question de sentences définitives lorsqu’il s’agit d’une cause judiciaire principale, par
opposition aux sentences interlocutoires qui tranchent des causes incidentes.130

+ Schéma classique d’une sentence définitive131 ?


Une sentence ecclésiastique correctement rédigée suit un schéma classique dont se sert
l’avocat dans ses plaidoiries, de même que le défenseur du lien dans ses remarques. Voici
les différentes étapes.
* Le préambule énonce les coordonnées du tribunal compétent, et l’identité des personnes
intervenant dans l’affaire. On nomme les juges, le défenseur du lien, l’avocat et
éventuellement, le curateur ou le promoteur de justice et bien sûr le nom du diocèse.
* En première partie, se trouve toujours un species facti ou un bref résumé des faits (le
cas). Il ne contient que des éléments formels et objectifs tels l’état civil des parties
demanderesse et défenderesse, le lieu et la date du mariage. On mentionne également la

128
Cf. c. 1608. Voir aussi à ce sujet Pie XII, discours à la rote du 1er octobre 1942, dans A.A.S., 34 (1942), p.
338-343. JULLIEN A., Juges et avocats des tribunaux de l’Eglise, Rome, Officium Libri Catholici, 1970, p.
467-474.
129
Cf. c. 1611.  « La sentence doit : 1° dirimer le litige porté devant le tribunal, en donnant une réponse
satisfaisante à chacun des points litigieux ; 2° déterminer les obligations découlant du jugement pour chacune
des parties et la manière dont elles s’en acquitteront ; 3° exposer les raisons ou motifs tant de droit que de fait
sur lesquels repose le dispositif de la sentence ; 4° statuer sur les frais du procès.
130
Cf. c. 1589. « Il y a cause incidente chaque fois qu’après la citation qui ouvre le procès est soulevée une
question qui, tout en étant pas contenue expressément dans le libelle introductif d’instance, est cependant en
lien si étroit avec la cause qu’elle doive être résolue la plupart du temps avant la question principale » (c.
1587).
131
BAMBERG A. Op. cit. p.38-39.
58
date de séparation ou divorce, la date de présentation de la requête et la formulation du
motif de la nullité (le doute).
* En seconde étape se trouve l’in iure ou partie en droit. C’est un exposé succinct, clair et
logique du droit portant sur le cas traité. Il relève les normes du droit s’appliquant au motif
de nullité examiné, rappelle des éléments de doctrine et renvoie à la jurisprudence rotale en
la matière. Selon le chef de nullité, il appartient au rédacteur de signaler des données
scientifiques (médicales, psychiatriques…) pertinentes.
* La troisième partie ou in facto concerne les faits. C’est une synthèse claire et
dialectique de l’application des principes énoncés dans la partie en droit aux faits résultant
des actes de la cause. Il s’agit normalement d’une évaluation raisonnée de l’ensemble des
actes et preuves. Cette synthèse doit motiver la conclusion du cas à savoir le jugement.
* Enfin, la partie dispositive contient le jugement proprement dit ou la réponse à la
formulation du doute proposée en début d’instance, à savoir la question, « est-ce que le
mariage entre X et Y est nul pour cause de…?» ou « peut-on constater ? » ou encore « est-
il établit que ? » Selon la réponse affirmative ou négative, on parle aussi de sentence ou de
décision affirmative ou négative.

III. Voies de recours et protections des personnes132

Toute personne impliquée dans un procès canonique a intérêt à connaître les voies
de recours : le plaideur car ce sera peut-être son seul moyen de faire face au sentiment
d’injustice, l’avocat parce qu’il devra défendre les droits de son mandant, le juge parce
qu’il est tenu de gérer les recours de manière adéquate. Si nous ne retraçons ici que
brièvement quelques voies de recours possibles en droit canonique, il est nécessaire que
l’étudiant complète cette partie tant par la lecture de sentences que par une observation de
la pratique dans les tribunaux de l’Eglise. Il s’agit de bien situer les moyens pertinents par
lesquels le requérant demande au juge de réviser ou d’annuler un acte prétendu illégal
quant aux motifs ou à l’objet même de l’acte. Nous verrons successivement les attaques
contre les sentences, telle la plainte en nullité ou l’appel ordinaire, puis la problématique
des voies de recours extraordinaires contre des jugements définitifs. Finalement, nous
poserons la délicate question du recours contre le rejet du libelle introductif d’une instance
ainsi que du déni de justice.

132
DC art. 263-268.
59
a. Les moyens d’attaquer une sentence133
L’appel et la plainte en nullité sont deux moyens ordinaires d’attaquer une décision
d’un juge ecclésiastique. Le code de droit canonique en parle au titre VIII, à savoir aux
canons 1619 à 1640. Le précédant code de droit canonique suivait un ordre de classement
différent, partant de l’appel en passant par la querela nullitatis pour arriver à l’opposition
d’un tiers, ne figurant dans le texte de 1983 qu’aux c. 1596 et 1597. Quels sont ces iuris
remedia ou remèdes du droit comme disait le code de droit canonique de 1917, expression
remplacée par impugnatio ou attaque. Voyons tout d’abord l’appel qui constitue une voie
de recours concernant surtout le fond de l’affaire. Nous traiterons ensuite de la plainte
contre une sentence entachée de nullité.

i. L’appel ordinaire134
Voie de recours ordinaire, l’appel s’adresse à un tribunal supérieur par le degré
qu’il occupe dans la hiérarchie des juridictions. Il a pour objet la réformation de jugements
injustes ou causant des torts aux parties par une application défectueuse de la loi due à des
raisons très diverses dont, par exemple, l’incapacité, l’ignorance ou la négligence de l’un
ou l’autre des intervenants. Mais qui peut faire appel, où, quand et comment ? Ce sont là
quelques questions auxquelles nous essayerons de répondre.
L’appel est un recours ordinaire qui est toujours admis. Le c. 1629 énumère
cependant cinq cas de jugements non susceptibles d’appel. Il s’agit des sentences du Pape
ou de la Signature apostolique ; des sentences affectées d’un vice de nullité, sauf si l’appel
est cumulé avec une plainte en nullité (c. 1625) ; des sentences passées en chose jugée (c.
1641) ; des décrets ou sentences interlocutoires, qui n’ont pas force de sentence définitive,
et, enfin, des sentences ou décrets dans les cas où le droit prévoit que la chose doit être
définie le plus promptement possible (expeditissime rem esse definiendam), soit par
exemple la question du rejet du libelle (c. 1505).
Si les parties qui se sentent lésées par un jugement peuvent faire appel, le ministère
public jouit de ce même droit dans toutes les affaires pour lesquelles sa présence est
requise par le droit (c. 1628). L’appel s’adresse au juge « a quo » (c. 1630), c’est-à-dire au
juge qui a émis la sentence contre laquelle on fait appel. Il doit être interposé dans un délai
péremptoire de 15 jours utiles à partir de la connaissance de la publication de la sentence
(c. 1630), si non l’appel est censé abandonné (c. 1635).

133
DC art. 269-278.
134
DC art. 279-290.
60
Il n’est cependant pas suffisant de déposer l’appel auprès du juge qui a émis la
sentence. Il faut le poursuivre devant le juge « ad quem », à savoir le juge de l’instance
supérieure compétente. Pour cette étape, le délai est d’un mois, sauf si le juge qui a émis la
sentence a accordé aux parties un temps plus long (c. 1633). Pour accomplir cette seconde
étape de l’appel, il est requis et suffisant que la partie appelante demande l’intervention du
juge supérieur afin d’obtenir la réforme du jugement en joignant un exemplaire de la
sentence attaquée et en indiquant les motifs de l’appel (c. 1634). Si le juge « ad quem » est
en général le tribunal de seconde instance constitué de la même manière que celui du
premier degré (c. 1438, 1441 et 1632), l’appel peut aussi être porté à la Rote romaine (c.
1444). Dans tous les cas le tribunal auteur de la sentence est tenu de transmettre les actes
du dossier au tribunal supérieur (c. 1634 et 1474).
Les incidents de parcours ne sont pas rares au moment de l’interposition de l’appel.
En effet, la plupart des plaideurs et même leurs conseillers ignorent où déposer l’appel. Le
législateur signale en outre un incident très grave qu’il peut provoquer un nouveau recours.
Il arrive, en effet, que le plaideur ne puisse obtenir l’exemplaire de la sentence qui le
concerne. Que se passe-t-il alors ? Comment pourra-t-il interjeter l’appel en bonne et due
forme ? Comment se défendre si l’on ignore le jugement ? Pour ces cas, le code de droit
canonique prévoit d’abord que les délais ne s’écoulent pas pendant le temps du refus de la
sentence par le juge qui l’a émise. Ensuite, il y a lieu d’engager un nouveau recours
comportant deux phases : d’une part l’appelant signale l’empêchement au juge d’appel et,
d’autre part, ce juge obligera le juge de l’instance inférieure à satisfaire – quam primum
c’est-à-dire aussitôt que possible - à ses obligations. Cette « contrainte » se fait par
précepte (c. 49).
L’appel entraîne deux conséquences juridiques. D’abord l’exécution de la sentence
appelée est arrêtée (can. 1680). C’est ce qu’on appelle l’effet suspensif de l’appel. Ensuite,
il faut noter qu’en instance d’appel une nouvelle raison de demande d’intervention du juge
ne peut être acceptée. Ceci veut dire que les juges ne peuvent traiter que des demandes déjà
considérées par l’instance précédente. Ils ne peuvent donc que confirmer ou infirmer la
décision antérieure (c. 1639).
Dans les causes matrimoniales, un nouveau motif de nullité peut être acceptée à la
seconde instance (can. 1680 § 4). Il en sera jugé en tant que première instance, les
demandes précédentes pouvant être confirmées ou infirmées en entier ou en partie. Les
possibilités et les combinaisons ne manquent pas ! Il en va de même pour les preuves. Le c.

61
1639 précise que de nouvelles preuves ne peuvent être admises que sous certaines
conditions. Voyez aussi le canon 1600.
L’appel est présumé valoir contre tous les doutes traités à l’instance inférieure, mais il
peut être précisé et ne porter, par exemple, que sur un seul chef de nullité. Aussi la
partie adverse peut elle interjeter l’appel sur un motif non encore évoqué par la partie
appelante. Il s’agira alors d’un appel incident interposé dans un délai péremptoire de 15
jours dès réception de la notification de l’appel principal.

En instance d’appel, la concordance du doute se résume en général au terme


suivant : « la sentence en question est-elle à confirmer ou à réformer soit en partie soit en
entier ? ». La procédure suivie en appel est en général la même qu’au degré inférieur.
Lorsqu’il n’y a pas de nouvelles preuves, l’instruction n’est pas à compléter et on passe
aussitôt à la phase de discussion et de jugement.

ii. La plainte en nullité


Contrairement à l’appel, la querela nullitatis ou action en nullité concerne en soi un
jugement correct quant à son fond mais vicié quant à sa forme. Le fond peut cependant être
concerné dans la mesure où le droit de défense est lésé.
La plainte en nullité ne doit pas être confondue avec l’action en nullité du mariage.
Il s’agit d’un recours qui tend à obtenir la déclaration de nullité de la sentence. Celle-ci
peut en effet être entachée d’un vice de nullité réparable ou irréparable. Le code de droit
canonique énumère les différents cas aux canons 1620 et 1622. Lisez ces deux canons en
les décomposant. Puis remontez à leurs sources. Enfin reportez-vous à la jurisprudence en
la matière. Si vous avez bien travaillé les chapitres précédents vous devez être en mesure
d’expliquer les expressions suivantes : juge incompétent de manière absolue, force et
crainte grave, jugement prononcé sans demande judiciaire, absence de défendeur, partie
n’ayant pas la qualité pour ester en justice, mandat légitime, déni du droit de défense,
controverse non définie, nombre irrégulier de juges, acte judiciaire nul et dont la nullité
n’est pas réparée, partie légitimement absente.
Comme l’appel, la plainte en nullité peut être engagée par les parties, le défenseur
du lien ou le promoteur de justice (c. 1626). Elle est généralement traitée par le juge qui a
émis la sentence, mais lorsque la partie craint que le juge soit suspect elle peut le récuser
(c. 1624). La plainte en nullité peut être considérée par un seul juge (c. 1627 et 1657). Elle
peut en effet suivre la procédure contentieuse orale.

62
Lorsqu’il n’y a eu ni prescription ni cumul avec l’appel (c.1623) le juge lui-même
peut, dans les trois mois, rétracter ou corriger sa sentence nulle (c. 1626). Si la plainte en
nullité est cumulée avec l’appel elle suit les délais fixés pour l’appel. Ainsi l’attaque de la
sentence doit être déposée dans un délai péremptoire de quinze jours utiles (c. 1625).
Quant au dépôt de la plainte, on distingue deux cas selon que le vice de nullité est
réparable ou non. Lorsque la nullité est irrémédiable l’action est prescrite au bout de dix
ans. La plainte peut donc être engagée par voie d’action devant le juge qui a rendu la
sentence pendant dix ans à compter du jour de la publication de la sentence. Elle peut,
cependant, être proposée à perpétuité par voie d’exception (c. 1621). Lorsque le vice de
nullité est réparable, l’action est prescrite après trois mois, c’est-à-dire qu’elle peut être
proposée au principal et séparément dans les trois mois à compter du moment de
connaissance de la publication de la sentence (c. 1623).

b. La chose jugée et les voies de recours extraordinaires135

La restitutio in integrum, ou remise en l’état, est une voie de recours extraordinaire,


ayant pour but de remettre une chose dans l’état de chose jugée. Comme les contentieux
relatifs aux personnes ne peuvent jamais être considérés chose jugée, la voie de recours qui
s’offre dans ces cas s’appelle nova causae propositio ou réintroduction de la cause ou
demande de nouvel examen de l’affaire. Nous retiendrons ici quelques notions sur la chose
jugée, la remise en l’état et la réintroduction de l’affaire, deux recours contre des
jugements définitifs dont parlent les canons 1641 à 1648.

i. La chose jugée136
La res iudicata, ou chose jugée, résulte normalement de deux sentences conformes.
On entend par sentences conformes des jugements concordants ayant une partie dispositive
équivalente. Et le dispositif se fonde sur une motivation-présupposée nécessaire et logique-
semblable. Deux sentences conformes ne peuvent concerner qu’une même contestation
juridique à savoir les mêmes parties, le même objet et la même cause sur laquelle se fonde
la demande (c. 1641). Ainsi deux sentences ne peuvent être conformes si elles ne partent
pas du même objet litigieux. Par exemple, un même mariage ne peut être déclaré nul et la

135
DC art. 290-294.
136
DC art. 291.
63
sentence rendue exécutoire après deux instances différentes déclarant chacune la nullité de
ce mariage à partir d’un chef de nullité différent.
L’effet juridique de la conformité de deux sentences est de rendre le jugement
irréformable. La sentence est définitive et inattaquable. Jouissant de la firmitate iuris ou
force du droit (c. 1642) la rendant sûre et inébranlable, elle ne peut être directement remise
en question.
Deux remarques s’imposent au sujet de la chose jugée. Tout d’abord, il faut savoir
que la double sentence conforme n’est pas la seule situation dans laquelle une affaire passe
à l’état de chose jugée. Trois autres situations permettent de considérer une affaire comme
jugée : lorsque les délais pour l’appel n’ont pas été respectés, lorsqu’en appel il y a eu
péremption ou renonciation, lorsqu’il s’agit d’une sentence définitive en soi non
susceptible d’appel (1629 et c.1641). Ensuite, le législateur a prévu des cas auxquels cette
notion ne s’applique pas. On n’a jamais de res iudicata dans les causes relatives à l’état de
personnes (c.1643). Pour ces affaires on parle cependant volontiers de chose quasi-jugée
afin de montrer que les litiges doivent prendre une fin et ne pas être perpétuellement remis
en question.
Mais tant pour la res iudicata que pour la res quasi-iudicata des voies
exceptionnelles de recours existent. Il s’agit de la remise en l’état et de la réintroduction de
l’affaire.

ii. La remise en l’état


La remise en l’état est un recours contre une sentence ayant obtenu force de chose
jugée, pourvu que son injustice soit manifestement établie (c. 1645). Dans ce cas elle
rétablit la chose litigieuse dans la situation juridique antérieure à la sentence injuste ou
créant un préjudice. Une fois la remise en l’état concédée, le juge devra se prononcer sur le
fond de l’affaire (c. 1648). Mais quelles sont les conditions pour demander une remise en
l’état ? Où et quand faut-il faire recours ?
Le c. 1645 cite de manière péremptoire les cas dans lesquels l’injustice est censée
manifestement établie. Lorsque ce sont précisément les preuves reconnues ultérieurement
comme fausses qui ont déterminé la partie dispositive, l’injustice est tenue pour établie. Il
en va de même lorsqu’on découvre ultérieurement des documents prouvant des faits
nouveaux et déterminant la nécessité d’une décision contraire. L’injustice manifeste existe
aussi dans le cas où il y a dol d’une partie au détriment de l’autre et lorsque la sentence est
contraire à une décision déjà passée à l’état de chose jugée. Enfin, une sentence est

64
manifestement injuste lorsqu’il y a violation de la loi. Il ne s’agit pas ici de la violation des
seules règles de procédure contre laquelle on peut recourir à la plainte en nullité.
Quant à la manière d’interposer son recours, le code de droit canonique distingue
selon qu’il s’agit des trois premières ou des deux dernières conditions mentionnées au
second paragraphe du c. 1645. Pour les trois premières le délai est de trois mois à partir de
la connaissance de l’injustice manifeste. Le recours s’adressera au juge auteur de la
décision injuste. Pour les deux derniers cas mentionnés, à savoir la violation d’une loi et
l’existence d’une décision passée en chose jugée, l’injustice doit être signalée dans les trois
mois suivant la connaissance de la publication de la sentence. La demande de remise en
l’état s’adressera alors au tribunal d’appel. Notez que si la personne lésée est un mineur ces
délais ne courent pas (c. 1646).
Normalement la demande de remise en l’état suspend l’exécution de la sentence.
Mais, s’il existe une suspicion que la demande ait été interposée afin de retarder
l’exécution de la sentence, le juge peut, sous certaines conditions et garanties pour la partie
requérante, décréter l’exécution de la sentence (c. 1647).

iii. La réintroduction de l’affaire137


La réintroduction de l’affaire est une demande de nouvel examen dans les causes
concernant l’état de personnes et ayant été jugées par deux sentences conformes. Ces
causes ne passent certes pas en chose jugée mais, étant quasi-jugées, elles ne sont plus
susceptibles d’appel ordinaire. Le recours de l’affaire est un moyen exceptionnel pouvant
toujours être utilisé mais suivant des règles strictes.
En effet, les conditions imposées au plaideur sont sévères. Il faut disposer de
preuves ou d’arguments nouveaux et graves (de poids) concernant les faits déjà jugés par
deux instances. Ensuite, ces preuves ou arguments doivent être présentés au tribunal
d’appel dans un délai péremptoire de trente jours suivant la demande de réintroduction de
l’affaire. Mais le tribunal, doit aussi respecter des délais : l’admission ou le rejet du recours
doit être statué par décret du tribunal d’appel dans le mois qui suit la présentation des
nouveaux éléments de preuves (c. 1644). Comme il n’existe guère de tribunaux régionaux
de troisième instance, la nova causae propositio s’adresse en général à la Rote romaine. En
cas de rejet de la demande de réintroduction de l’affaire par ce tribunal d’appel, la
Signature apostolique est compétente pour gérer les recours résultant du rejet de la
demande par la Rote (c.1445).

137
DC art. 290 § 1 ; 292.
65
Contrairement à la remise en l’état, la demande de réintroduction de l’affaire ne
suspend pas l’exécution de la sentence. Le c. 1644 déroge ainsi au principe général qu’un
appel entraîne la suspension de l’exécution tout en prévoyant des exceptions.
Nous avons rapidement parcouru les procédures d’attaques contre les sentences, à
savoir l’appel et la plainte en nullité, ainsi que les recours extraordinaires contre des
jugements définitifs ni nuls quant à leur forme ni susceptibles d’appel. Vous arriverez à
mieux saisir ces problématiques en étudiant en parallèle quelques sentences concernant les
voies de recours et la protection des droits des plaideurs engagés dans des affaires
délicates. Mais les recours peuvent aussi s’avérer nécessaires lorsque l’instance n’a même
pas encore commencé. Voyons ce qui peut se passer lors de l’introduction d’un procès
canonique et quels peuvent être les voies de recours.

c. Le recours contre le rejet du libelle138

En examinant le déroulement d’un procès contentieux ordinaire, nous avons vu que


le juge recevant un libelle introductif d’instance doit l’admettre ou le rejeter dès que
possible (quam primum) mais au plus tard après un mois. Trois cas pourront se présenter
au moment de l’introduction d’un procès canonique. Dans le premier cas de figure, le juge
admet le libelle et le procès suit le déroulement prévu par la loi. C’est le cas que nous
avons vu et qui est probablement le cas le plus courant. Le second cas de figure concerne le
refus du libelle et la question du droit d’agir en justice (c.1476). La question de la
protection des droits des justiciables se complique. Enfin, il peut arriver que le juge
n’accepte ni ne refuse le libelle. Ce dernier cas d’inertie du juge sera également présenté
ici. S’il n’est pas absolument assimilable à un rejet, il revient par contre souvent à un déni
de justice.

i. Le rejet du libelle
Que se passe-t-il lorsque le juge refuse le libelle ? Quelles sont les conditions d’un
rejet d’une demande de justice ? Qu’entreprendre pour faire accepter sa demande ?

Le code de droit canonique tranche la délicate question du rejet du libelle. Suivant


le c. 1505, le juge ne peut refuser l’introduction d’une cause que dans quatre cas : lorsque
le juge ou le tribunal est incompétent, lorsque, sans aucun doute, le demandeur n’a pas la
capacité d’ester en justice, lorsque le libelle ne respecte pas la forme prescrite au c. 1504
138
DC art. 119-121 ; 122 ; 124.
66
et, enfin, lorsqu’il apparaît avec certitude que la demande manque de tout fondement
juridique et qu’il n’y a aucune possibilité qu’un fondement apparaisse au cours du procès.
Si le législateur fixe les seuls cas possibles de rejet du libelle le fameux fondement
juridique de la demande auquel se réfère le c. 1505, appelé aussi quelquefois fumus boni
iuris, est souvent invoqué pour rejeter les demandes qui tout simplement ne sont pas
formulées en termes juridiques. Vous comprendrez aisément l’importance de la question
du langage canonique, évoquée au premier chapitre, lorsque vous aurez vu quelques cas de
rejet du libelle pour incompréhension de la langue du fidèle moyen.
Mais que se passe-t-il après le rejet du libelle ? Deux cas se présentent selon qu’il
s’agit d’un rejet dû à la forme viciée du libelle ou d’un rejet découlant d’une question de
fond. Si les défauts ayant entraîné le rejet peuvent être corrigés le demandeur pourra
présenter un nouveau libelle contenant les éléments nécessaires (c. 1504). Dans tous les
autres cas le demandeur peut faire un recours dans un délai de dix jours utiles. Il importe
de revoir le c. 1504. Le recours doit être motivé et s’adresser soit au tribunal d’appel soit
au collège des juges, lorsque le libelle a été rejeté par le seul président du tribunal. Face à
cette manière de procéder une autre question devrait vous faire réfléchir. Le demandeur qui
vient humblement s’adresser une première fois à une officialité, qu’il a peut-être eu du mal
de trouver, saura-t-il quelles voies de recours s’offrent à lui ?
Il est indispensable que vous réfléchissiez à la question du recours contre le rejet du
libelle. En effet, ce recours est à régler de manière très prompte (quaestio expeditissime
definienda est). Notez la particularité de cette expression du code de droit canonique. Elle
est lourde de conséquences puisqu’elle ferme toutes les autres voies de recours possibles
car le c. 1629, 5° nous dit qu’il n’y a pas lieu de faire appel contre une sentence ou un
décret dans les causes que le droit demande de régler de manière expeditissime. Ainsi, une
affaire pourrait être dite res iudicata sans jamais avoir eu la chance d’être vraiment jugée.
Il n’est pas inutile de dire que cette sorte de « préjugé » peut aussi toucher les requêtes
concernant l’état des personnes. Qu’en est-il, alors, du droit d’agir en justice (c. 1476) ?

ii. L’inertie du juge


Que se passe-t-il lorsque le juge ne prend aucune décision à propos d’une demande
d’introduction d’un procès ? Lorsque pendant un mois le juge n’a pas pris de décision
affirmative ou négative, la partie demanderesse peut insister pour qu’il remplisse ses
fonctions. S’il ne répond toujours pas à la pétition le droit décide pour lui. Dix jours après
cette instance le libelle est censé admis et la procédure doit s’engager d’après les normes

67
précisées par le législateur. Le décret de citation doit, en effet, être émis dans les vingt
jours qui suivent la requête de la partie demanderesse (c. 1507).
Le c. 1506 a pour but de contrecarrer l’inertie du juge par le fait que son silence
signifie l’acceptation implicite de traiter la cause. L’admission du libelle se fait « ipso
iure » car, nous dit la Relatio (p. 317), après quarante jours de silence du juge malgré
l’insistance du demandeur, cette mesure est fort opportune, car d’une part elle protège le
droit du fidèle et, d’autre part, elle tend à accélérer le procès. Ce remède au silence du juge
devrait être plus efficace que le recours à l’ordinaire du lieu ou au tribunal supérieur tel
qu’on le trouvait dans l’ancien code de droit canonique au c. 1710. A l’encontre de
l’inertie, force puissante, le code de droit canonique de 1983 tente un nouveau mécanisme.
Sera-t-il plus efficace que le précédent ? La protection des droits des justiciables sera-t-elle
ainsi assurée grâce à ce changement dans la législation ?
Une fois saisi d’une demande en justice un juge ecclésiastique ne semble que
difficilement échapper à une réponse. Il peut, il doit même, tenter de réconcilier les parties.
Cependant, si un arrangement ne peut être atteint, il devra prendre une décision. Et le choix
n’est pas grand : soit il accueille la demande, soit il la rejette. Lors d’un rejet, il devra
toujours exposer ses motifs. Finalement, lorsque sa négligence l’empêche de prendre une
décision son inertie est assimilée à l’acceptation du libelle. Mais, quel recours y a-t-il
contre une inertie opiniâtre d’un juge, qu’elle soit due à sa négligence ou à son
incompétence, à la dispersion ou au cumul de ses activités ? C’est la solution de cette
question qui décidera en fin de compte s’il y a ou non possibilité de défense des droits
devant les juridictions ecclésiastiques.
Si l’on peut trouver des études statistiques sur les choses jugées, il n’en existe pas
sur les affaires qui n’arrivent jamais ou seulement trop tard à un examen par les
juridictions ecclésiastiques. Et, si les juges inertes n’étaient pas aussi ceux qui hésitent à
répondre à des questions d’enquête, il s’agirait là d’un très intéressant terrain de recherche.
Avec l’appel et les voies de recours nous avons vu l’essentiel de la procédure
contentieuse ordinaire. Avant de passer aux causes matrimoniales, il nous reste à avoir
deux procédures rapides, le contentieux oral et le procès par documents, ainsi que les
causes incidentes.

V. Procédures rapides et incidentes

68
Ce titre général nous permet de regrouper sous un chef commun trois procédures
hétérogènes. Elles ne se ressemblent que sur un point fondamental : leur caractère
expéditif. Nous verrons successivement le contentieux oral, le procès par documents et les
causes incidentes.

5.1. Le contentieux oral


Il s’agit d’une seconde forme du contentieux général dont la caractéristique
essentielle est d’avoir une forme orale. Ce contentieux est une procédure sommaire qui
s’effectue en première instance devant un seul juge (c. 1657). Sa forme orale, n’ayant pas
d’équivalent dans l’ancien code de droit canonique, facilite et accélère le travail des
tribunaux d’Eglise.

5.1.1. Le déroulement du procès


Les étapes de cette procédure peuvent se résumer brièvement. Il s’agit de
l’introduction de l’affaire, de l’audience, de la décision et de l’appel.

- L’introduction de la cause, première étape de tout procès, comporte la demande


d’introduction ainsi que la définition de la controverse. Si l’acte d’introduction d’un
contentieux oral doit être plus ample qu’un libelle ordinaire, il n’est pas pour autant interdit
de présenter dans d’autres cas le libelle sous cette forme détaillée. Beaucoup d’avocats
ecclésiastiques travaillent de cette façon et rendent ainsi le travail du juge plus aisé et plus
rapide. Mais quelles sont les spécificités de ce libelle ?
Outre les éléments que comporte tout libelle la demande d’introduction de la
procédure orale doit préciser deux points. D’abord, le demandeur ou son représentant doit
présenter de manière complète, concise et pertinente les faits sur lesquels repose sa
demande. Ensuite, les preuves qui concernent ces faits et qui ne peuvent être apportées dès
le moment de l’introduction doivent être indiquées de façon à pouvoir être rassemblées
immédiatement par le juge. Il faut en outre joindre les documents fondant la demande.
Rappelez-vous que le c. 1544 précise de manière générale que les documents n’obtiennent
force de preuve que lorsqu’ils sont originaux ou au moins authentifiés (c.1658).
-La controverse sera définie par le dialogue des parties et du tribunal. Après un
essai de conciliation des parties, le juge estimant que le libelle repose sur un fondement
juridique doit ordonner, par un décret apposé en note du libelle, qu’une copie de ce dernier
soit transmise à la partie défenderesse. Cette notification équivaut à la citation et en a les
effets juridiques (c. 1512 et c. 1659).

69
La notification du libelle au défendeur lui donne la possibilité de répondre au
tribunal. Il devra le faire par écrit et dans les quinze jours (c. 1659). Lorsque les
oppositions de la partie adverse l’exigent, le juge peut accorder au demandeur un délai de
réponse (c. 1660). Ce va-et-vient entre le juge et les parties permet au juge de cerner les
éléments de la controverse et de formuler le doute. L’instance est alors ouverte et la
formule du doute est transmise aux parties. Tous les intéressés seront cités en justice pour
une audience. Celle-ci ne doit pas avoir lieu au-delà des trente jours suivant la
formulation du doute (c. 1661).
- L’audience équivaut à la phase d’instruction et de discussion du procès
contentieux ordinaire. Après avoir réglé quelques questions préalables, l’audience est
consacrée à la recherche des preuves et à la discussion de la cause. Elle aboutit à la
décision.
L’audience commence par l’examen d’un certain nombre de préalables dont parlent
les canons 1459 à 1464 (c. 1662). Il s’agit des vices de nullité éventuels, des exceptions
d’incompétence, de chose jugée et autres, ainsi que des actions reconventionnelles et des
frais judiciaires.
Quant aux preuves, les parties sont invitées à présenter au moins trois jours avant
l’audience un bref texte prouvant leurs assertions (c. 1661). Normalement les preuves sont
rassemblées au cours de l’audience. Les parties peuvent assister aux dépositions des autres
personnes (c. 1663). Le notaire rédigera un sommaire pertinent des dépositions et
discussions qui devront être signé par les parties (c. 1664).
Comme dans le procès contentieux ordinaire le juge peut accepter un supplément de
preuves ou en rechercher d’autres par des questions ex officio. Lorsqu’un seul témoin a été
entendu on se trouve dans la même situation qu’après la conclusion de l’instruction (c.
1600, 1664 et 1452). Si les preuves ne sont pas suffisantes une autre audience sera fixée (c.
1667).
- La phase de discussion est intégrée à l’audience. Contrairement au procès
contentieux ordinaire, elle est orale (c. 1667). Si aucun empêchement ne se présente la
cause sera également décidée au moment de l’audience (c. 1668). La décision ne peut
cependant être différée au delà du cinquième jour utile (c. 1668). Elle doit aboutir dès que
possible à une sentence rédigée contenant les motifs de la décision. Le texte intégral devra
être notifié aux parties dans les quinze jours (c. 1668).
Quant à la seconde instance deux remarques s’imposent. La première concerne la
constitution du tribunal, la deuxième constitue un avertissement. Il résulte du c. 1657

70
précisant que le contentieux oral se déroule devant un « juge unique en première instance »
qu’il en va différemment en seconde instance. L’appel se fera devant un tribunal collégial.
Il s’agit ici d’un principe général énoncé également au c. 1441.
Comme le contentieux oral se fait devant un juge unique on comprendra aisément
que cette procédure requiert du juge une compétence sérieuse et une bonne connaissance
des normes de procédure. En principe le procès oral suit la procédure du contentieux
ordinaire excepté pour les lignes générales tracées ci-dessus.
Le tribunal a le droit de déroger à certaines normes générales n’ayant aucune
incidence sur la validité du procès. Ces dérogations sont possibles afin que le procès soit
rapide, mais elles ne doivent en aucun cas mettre en cause la justice (c. 1670). Voyons
maintenant quand il est permis de suivre cette procédure.

5.1.2. L’emploi de la procédure orale


La procédure orale peut être utilisée dans tous les cas qui ne sont pas exclus par le
droit (c. 1656). Le contentieux oral peut être suivi dans les cas de plainte en nullité (c.
1627) et dans les causes incidentes à résoudre avec une sentence (c. 1590). Le code de
droit canonique recommande en outre de suivre cette procédure lorsque surgit une question
concernant le droit de faire appel (c. 1631) et dans les causes de séparation des conjoints
(c. 1693). Le c. 1669 insiste sur les limites d’emploi du contentieux oral. Si le tribunal
d’appel s’aperçoit que la procédure orale a été appliquée à un cas exclu par le droit, comme
les causes concernant un lien sacramentel, ce tribunal doit déclarer la nullité de la sentence
et remettre la cause au tribunal de première instance pour un examen ordinaire (c. 1669,
1656 et 1425).
Le contentieux oral est de fait interdit dans les causes matrimoniales en nullité ! Le
c. 1690 précise que les causes matrimoniales en déclaration de nullité ne peuvent être
traitées par procès contentieux oral. L’importance de ces causes ne permettrait en effet pas
de les résoudre par voie expéditive. La Relatio s’avère intéressante sur ce point. Le card.
Carter demande à ce que les causes matrimoniales puissent également être traitées par
procédure orale afin qu’elles ne soient plus liées aux formalités du procès ordinaire. Sa
proposition est refusée par la commission, car le contentieux oral ne donne pas les
garanties nécessaires au procès matrimonial à cause du lien sacramentel. De plus, les
consulteurs proposent d’ajouter le § 2 au c. 1656 à savoir, si la procédure orale est
appliquée en dehors des cas permis les actes judiciaires sont nuls. Une cause matrimoniale

71
ayant suivi la procédure orale est considérée comme nulle et non traitée ; elle sera remise à
un nouvel examen devant un tribunal collégial.
Cependant quelques cas précis de causes en nullité de mariage peuvent suivre une
procédure rapide. Il s’agit des causes fondées sur un document évident que nous allons voir
maintenant.

5.2. Le procès documentaire139

Le procès par documents est un cas particulier de procédure expéditive en usage


dans certaines causes de déclaration de nullité de mariage. Il était anciennement appelé
procès dans les cas spéciaux ou exceptionnels. Le code de droit canonique en parle aux
canons 1686 à 1688 après avoir dégagé plusieurs spécificités du procès en nullité. L’article
6 de ce chapitre du code de droit canonique reprend Causas matrimoniales aux numéros X
à XIII et le code de droit canonique de 1917 aux canons 1990 à 1992. Tous ces textes sont
désormais remplacés par le MP Mitis Iudes Dominus Iesus par l’article 6- le procès
documentaire can. 1688-1690.
Il s’agit d’une procédure sommaire en vue de la déclaration de nullité. Ce procès
omet en effet un certain nombre d’éléments formels de procédure au cours de l’instance.
Sa caractéristique fondamentale est de reposer sur un document. Passons maintenant aux
conditions et aux particularités de ce procès.

5.2.1. Les conditions


Sous quelles conditions peut-on engager cette voie particulière ? Le c. 1688 stipule
deux conditions quant à la forme et au fond. Tout d’abord, il faut qu’il s’agisse d’un
document « quod nulli contradictioni vel exceptioni sit obnoxium » (c. 1686) c’est-à-dire
un document à l’abri de toute contradiction ou exception. Et, d’autre part, il faut qu’il
ressorte de manière certaine que le tribunal se trouve en présence d’un des cas suivants : un
empêchement dirimant (il s’agit des empêchements au mariage dont traitent les canons
1083 – 1094 : âge, impuissance, consanguinité et autres) ; un défaut de forme canonique (c.
1108 – 1123) ; un défaut de mandat valide du procureur (c. 1105). Dans les deux premiers
cas il faut en outre qu’il apparaisse avec la même certitude que la dispense n’a pas été
donnée. Nous reprenons en intégralité le Motu proprio du 15 aout 2015 en son article 6
intitulé le procès documentaire qui stipule au Can. 1688 que « Après réception d’une

139
DC art.117 ; 295-297 ; 301§ 2
72
demande formulée selon le can. 1677, l’évêque diocésain ou le Vicaire judiciaire ou le juge
désigné peut, passant outre aux formalités juridiques du procès ordinaire, mais après avoir
cité les parties, et avec l’intervention du défenseur du lien, déclarer par une sentence la
nullité du mariage si, d’un document qui n’est sujet à aucune contradiction ou exception,
(anomalie) résulte de façon certaine l’existence d’un empêchement dirimant ou le défaut de
forme légitime, pourvu qu’il soit évident, avec la même certitude, que la dispense n’a pas
été donnée ou qu’il y a eu défaut de mandat valide de procuration.
Can. 1689 § 1. Contre cette déclaration, le défenseur du lien, s’il estime prudemment que
les vices dont il s’agit au can. 1686 ou que l’absence de dispense ne sont pas certains, doit
faire appel au juge de deuxième instance auquel les actes doivent être transmis et qui doit
être averti par écrit qu’il s’agit d’un procès documentaire.
§ 2. La partie qui s’estime lésée garde toute liberté de faire appel.
Can. 1690. Le juge de deuxième instance, avec l’intervention du défenseur du lien et après
avoir entendu les parties, décrète de la même façon que dans le can. 1686 si la sentence
doit être confirmée ou si la cause doit être de préférence traitée selon la procédure
ordinaire ; dans ce cas, il renvoie la cause au tribunal de première instance.
Art. 7 - Normes générales
Can. 1691 § 1. Dans la sentence, les parties seront avisées des obligations morales et
même civiles auxquelles elles peuvent être tenues l’une envers l’autre et envers leurs
enfants en ce qui concerne le devoir de subsistance et d’éducation.
§ 2. Les causes en déclaration de nullité de mariage ne peuvent être traitées par le procès
contentieux oral dont il est question aux canons. 1656-1670
§ 3. Dans les autres actes de la procédure, il faut appliquer, à moins que la nature de la
chose ne s’y oppose, les canons concernant les procès en général et le procès contentieux
ordinaire, en respectant les normes spéciales relatives aux causes concernant le statut des
personnes et aux causes regardant le bien public.
La disposition du can. 1679 sera applicable aux sentences déclaratives de nullité du
mariage publiée à partir du jour où ce Motu Proprio est entré en vigueur.
A ce document sont jointes des règles de procédure, que Nous avons estimées nécessaires à
l’application correcte et précise de la loi renouvelée, à observer avec diligence pour
protéger le bien des fidèles.
Nous ordonnons que tout ce qui est établi par ce motu proprio ait une valeur pleine et
stable, nonobstant toute disposition contraire, même digne de mention très spéciale.

73
5.2.2. Les particularités
Voyons maintenant quelles sont les spécificités de cette procédure. Si le vicaire
judiciaire se trouve en présence d’un document évident quant à son contenu sur la nullité
du mariage, l’instruction du procès s’avère inutile. Le vicaire judiciaire lui-même ou un
juge, clerc ou laïc, désigné par lui émet sans autres formalités une sentence déclarant la
nullité du mariage en question (can. 1686 et 1425). Il ne s’agit pas d’une sentence d’un
tribunal collégial. Il faut simplement appliquer le can.1679 du Motu proprio, can.1683 et
les canons 1685 - 1687 du même document.

Le rôle du défenseur du lien est précisé. S’il estime que les vices dont parle le c.
1680 ne sont pas certains ou s’il doute que la dispense ait été accordée, il doit interposer
appel en seconde instance (can. 1680).

Lors de la transmission des actes au tribunal d’appel, celui-ci doit être averti par
écrit qu’il s’agit d’un cas spécial de procès basé sur un document. Si une partie s’estime
lésée elle conserve son droit de faire appel (can. 1680 §1).

En seconde instance le juge entendra le défenseur du lien ainsi que les parties et
décidera sans autres formalités si la décision du premier degré de juridiction est à ratifier
ou non. Dans la seconde hypothèse la cause devra être traitée d’après les voies ordinaires
prévues par le droit. Elle sera alors retournée au tribunal de première instance pour un
examen approfondi (can. 1687 §3). Son traitement sera à l’évidence bien plus long.

La particularité la plus frappante de ce procès réside dans le fait qu’une seule


sentence affirmative quant à la nullité d’un mariage peut sous certaines conditions fixées
aux can. 1679, 1688 et 1691 devenir exécutoire. En effet, comme le juge peut omettre les
procédures formelles énoncées par le droit, mises à part la citation des parties et
l’intervention du défenseur du lien, sa sentence n’a en soi plus besoin d’être confirmée par
un tribunal de degré supérieur. Si aucun appel n’a été interposé dans les quinze jours, les
parties sont libres de se remarier après cette sentence unique en faveur de la nullité de leur
mariage.

Après avoir vu le contentieux oral et le procès par documents, deux procédures


complètes ou actions principales, nous pouvons passer à un troisième type de procédure
rapide : les causes incidentes.

74
5.3. Les causes incidentes

Comme l’indique leur place dans le livre VII du code droit canonique les causes
incidentes apparaissent au cours d’un procès ordinaire (c. 1587 à 1597). Nous allons
d’abord définir la notion de cause incidente, puis en esquisser la procédure générale et
enfin en donner quelques exemples.

5.3.1. Les aspects communs aux causes incidentes

Une cause incidente est une action en justice surgissant au moment où un procès est
déjà amorcé. Au sens strict, il s’agit d’une demande intervenant lorsque l’instance est déjà
ouverte, c’est-à-dire après la citation. Elle se greffe sur l’action principale sans être pour
autant incluse dans la demande principale. Elle est cependant bien en rapport avec la cause
principale. Le code de droit canonique mentionne deux cas : la non comparution des
parties et l’intervention de tiers dans la cause. Dans ces deux cas, la structure du procès se
trouvera modifiée.

Il existe d’autres différends qui sont réglés à la manière des causes incidentes. Ce sont
d’une part, des contestations ayant lieu avant la citation, telle les exceptions
d’incompétence ou de suspicion du juge, ou après le jugement définitif, concernant par
exemple les dépenses judiciaires ou contestant la sentence ou son mode de transmission. Il
y a, d’une part, des incidents ayant pour but d’arrêter le cours du procès. Ce sont les
exceptions de péremption d’instance ou de renonciation à la poursuite du procès.
Finalement, un troisième groupe apparaît intéressant : la récusation de témoins ou
d’experts. Elle peut avoir lieu avant ou après la citation.

Les causes incidentes au sens strict et les exceptions réglées à la manière des causes
incidentes ont toute une influence sur un procès principal. Elles sont à distinguer du cumul
d’action qui est rare dans les tribunaux d’Eglise. Il revient en effet à engager deux ou
plusieurs actions devant un même tribunal.

Il existe des aspects communs aux causes incidentes. Un premier principe général est
énoncé au c. 1587 : il faut que la cause incidente soit en lien avec la cause principale de
telle manière qu’elle doit normalement être résolue avant la question principale. Un second
ensemble d’aspects communs aux causes incidentes concerne la demande elle-même et la
suite qu’y donnera le juge.
75
Selon le c. 1588, le lien avec la cause principale doit apparaître dès la demande.
L’introduction peut se faire par libelle ou oralement et doit s’adresser au juge qui statue sur
le principal. Après réception de la demande le juge entend les parties, puis il statue sur
l’acceptation ou le rejet de la demande. Plusieurs cas peuvent se présenter selon que le juge
décide d’accepter ou de rejeter la demande. Tout d’abord, le juge examine de manière
prompte (expedissime) le fondement de la demande et son lien avec la question principale,
puis il décide d’accepter la demande ou de la rejeter dès le départ (c. 1589). S’il rejette la
demande, il doit évidemment motiver ce rejet. Remarquer cependant qu’il s’agit d’une
question à régler de manière expedissime et qu’elle n’accepte pas d’appel (c. 1629). Si le
juge décide d’accepter la cause, il devra également décider si la question sera résolue par
sentence interlocutoire ou par décret, c’est-à-dire en dehors de la demande principale (c.
1589). Si elle est à résoudre par sentence interlocutoire, il suivra en principe la procédure
contentieuse orale (c. 1590). Si par contre elle est à résoudre par décret, le tribunal pourra
remettre la cause au juge d’instruction ou au président du tribunal (c. 1590). Enfin, le juge
peut aussi décider de la traiter conjointement à la cause principale (c. 1589). Notez la
sentence interlocutoire ou le décret peuvent être modifié ou révoqué avant la fin de
l’instance principale. Le juge ou le tribunal ne pourront, cependant, le faire que pour une
juste raison et après avoir entendu les parties (c. 1591).

Nous allons voir maintenant quelques cas particuliers de causes incidentes. Tout
d’abord les causes incidentes au sens strict, ensuite quelques cas qui sont à régler selon les
mêmes principes.

5.3.2. Les causes incidentes au sens strict

Le code de droit canonique ne retient que deux causes incidentes au sens strict de
l’expression. Il s’agit de la non comparution des parties et de l’intervention de tierces
personnes dans la cause.

5.3.2.1. La non comparution des parties


En parlant de la citation nous avons vu que lorsqu’une partie défenderesse refuse
d’accepter la citation en justice, elle est censée avoir été légitimement citée et le procès suit
le déroulement normal (c. 1510, c. 1592). Le juge déclare la partie absente ou défaillante
après avoir vérifié si la citation est parvenue en temps utile à la partie défenderesse.

Cependant, même déclarée absente du procès, la partie défenderesse conserve certains


droits. D’abord, si elle se manifeste avant la définition de la cause, elle peut encore
apporter des éléments de preuve à condition que les dispositions du c. 1600 soient
76
respectées et qu’elle ne fasse pas trop prolonger la durée du procès. Ensuite, même si elle
ne s’est pas manifestée avant la définition de la cause, elle peut toujours user des attaques
contre la sentence tel l’appel, la remise en l’état ou la réintroduction de l’affaire. Elle peut
également user de la plainte en nullité si elle peut prouver avoir été empêchée de
comparaître sans avoir pu le signaler avant la définition de la cause (c. 1593 et 1621).

La question est légèrement différente pour la partie demanderesse. Si elle ne comparait


pas pour la concordance du doute, le juge la cite à nouveau en justice. Mais, si elle ne
répond pas non plus à la deuxième citation, elle est présumée renoncer à l’action judiciaire
(c. 1524 – 1525). Cette présomption admet la preuve du contraire et lorsque la partie
demanderesse désire intervenir ultérieurement au cours du procès, qui peut être continué
par l’autre partie, les dispositions sont les mêmes que pour une partie défenderesse (c. 1594
et 1593).

Tant la partie défenderesse que la partie demanderesse, défaillante sans empêchement


juste, est tenue de régler les frais judiciaires résultant de son absence et d’indemniser la
partie adverse. Si les deux parties étaient absentes elles doivent se partager les frais (c.
1595). Il apparaît que la non comparution des parties peut, le cas échéant, nécessiter une
série de décisions judiciaires. Ne citons que la déclaration d’absence de la partie, le décret
de publication des nouvelles preuves apportées ou des dispositions concernant les frais.

5.3.2.2. L’intervention d’un tiers


Pour l’intervention de tierces personnes dans une cause deux cas peuvent se présenter.
L’intervention peut être spontanée ou forcée.

En effet, parfois un tiers veut intervenir dans un procès afin de défendre ses propres
droits. D’autre fois il veut aider un plaideur et intervient accessoirement. Dans ces cas de
figure la personne désirant intervenir doit présenter un libelle avant la conclusion de la
cause. Ce libelle doit démontrer de manière succincte de quel droit elle désire interférer.
L’intervention est admise à tous les stades de la procédure. Seulement, lorsque le tiers est
admis au cours de la phase probatoire, le juge lui assignera un délai bref et péremptoire
pour apporter ses preuves (c. 1596). Il arrive quelquefois que l’intervention d’un tiers
s’avère nécessaire. Le juge devra alors citer la personne en justice après avoir entendu les
parties (c. 1597).

Dans tous les cas l’intervention d’un tiers entraîne l’élaboration d’un ensemble de
textes. Ils concernent tout d’abord son admission au procès, l’acceptation de sa demande
d’intervention ou sa citation. Ensuite ils portent sur la période probatoire : assignation de
77
délais et publication des preuves. Tant la non comparution des parties que l’intervention de
tiers sont à régler par le juge d’après les principes énoncés aux canons 1588 à 1591 et être
résolus avant la cause principale. Passons maintenant à quelques cas particuliers réglés à
la manière des causes incidentes.

5.3.3. Cas réglés à la manière des causes incidentes


La récusation du juge, l’exception de suspicion (c. 1449 à 1451), d’incompétence du
juge (c. 1416 et 1460), la péremption de l’instance (c. 1520 à 1523), la renonciation à
l’instance (c. 1524 à 1525), l’exclusion de témoins ou d’experts (c. 1550, 1555 et 1576),
les questions surgissant au sujet du droit d’en appeler à une instance supérieure (c. 1631)
sont autant d’affaires réglées à la manière des causes incidentes. Vous trouverez ci-dessous
quelques éléments qui les concernent.

5.3.3.1. La récusation du juge


D’après le c. 1449 un juge peut être récusé s’il ne s’est pas abstenu de traiter une
cause concernant des personnes avec lesquelles il a un lien de consanguinité ou d’affinité
ou dont il est le tuteur ou le curateur. Il en va de même pour les personnes dont il partage la
vie et de celles avec lesquelles il est en rivalité. Il peut également être récusé s’il accepte
une cause en vue de s’enrichir ou afin d’éviter des dommages (c. 1448).

Qui traite de la récusation d’un juge ? Normalement c’est le vicaire judiciaire qui
traite de la récusation. Cependant, si lui-même est récusé l’évêque doit s’abstenir d’en
juger. S’il s’agit d’autres membres du tribunal l’exception est traitée par le tribunal
collégial ou le juge unique (c. 1449). En tout cas, la décision doit être prise très
rapidement. Il s’agit d’une affaire qui est expeditissime definienda (c. 1451) et ne tolère
donc pas d’appel (c. 1629).

5.3.3.2. L’incompétence du juge


L’incompétence, terme ambigu, signifie dans ce contexte le défaut de pouvoir
judiciaire. Elle ne concerne pas la capacité de bien juger ou la compétence professionnelle
qui – vu les conditions pour être juge ecclésiastique – se situe vraisemblablement hors de
tout doute pour le législateur. Il s’agit donc du for compétent.

Le c. 1460 traite de l’exception d’incompétence. Quelques remarques s’imposent.


L’exception est réglée par le juge contre lequel elle est dirigée. S’il s’agit d’incompétence
relative et que le juge se prononce pour sa compétence sa décision n’admet pas d’appel.

78
Les parties peuvent cependant user de la plainte en nullité ou de la remise en l’état. Si le
juge se déclare incompétent et que la partie s’estime lésée elle peut en appeler au tribunal
de degré supérieur dans les quinze jours utiles (c. 1460). Quant au conflit de compétence
entre divers tribunaux la question est réglée au c. 1416.

La péremption de l’instance
La péremption est l’extinction de l’instance par écoulement d’un délai pendant
lequel les parties n’ont posé aucun acte de procédure. Ce délai est normalement de six
mois, mais la loi particulière peut en disposer différemment. Notons ici encore quelques
remarques. Une condition doit être remplie pour que la prescription puisse avoir lieu : il ne
doit pas exister d’empêchement de poser un acte de procédure (c. 1520). La péremption se
fait de plein droit, mais elle doit être déclarée (c. 1521). Elle efface l’instance et annule les
actes de procédure, mais non pas les actes de la cause (c. 1522). Si la péremption a lieu en
appel la chose est considérée comme jugée ou quasi-jugée (c. 1641).

5.3.3.4 .La renonciation à l’instance

Le demandeur peut à tout stade du déroulement du procès renoncer à la poursuite


de son action. Dans le même sens, il faut noter que les deux parties, demandeur et
défendeur, peuvent aussi renoncer à l’un ou l’autre ou à tous les actes du procès. Pour les
administrateurs de personnes juridiques, la renonciation est liée à l’avis ou au
consentement des personnes dont le concours est nécessaire pour poser un acte juridique
(c. 1524 et c. 127).

Dans tous les cas, la renonciation ne vaut qu’aux conditions suivantes. Elle doit être
écrite et signée, puis communiquée à la partie adverse. Celle-ci doit l’accepter ou pour le
moins ne pas l’attaquer. Enfin, la renonciation doit être admise par le juge (c. 1524). Après
son admission par le juge, ses effets juridiques sont comparables à ceux résultant de la
péremption (c. 1525).

Notons encore que le fait de ne pas poser d’acte au cours d’un procès n’équivaut
pas à une renonciation à l’instance. Souvent les parties n’utilisent pas leur temps utile à la
défense ou se remettent à la science et conscience du juge. Dans ces cas, le juge procède
normalement à la suite du procès. Les conditions demandées par le c. 1524 ne sont en effet
pas remplies.

5.3.3.5. L’exclusion de témoins, d’experts…

79
Nous avons vu que certaines personnes ne sont pas admises en tant que témoins
dans les procès ecclésiastiques. Les prescriptions du c. 1550 étant sauves, une partie peut
demander d’exclusion d’un témoin. Il faut cependant qu’il existe une juste cause
d’exclusion (c. 1555). Le même principe vaut pour l’exclusion d’experts (c. 1576). Voyez
aussi le renvoi des avocats et procureurs, dont parlent les canons 1486 à 1489, en portant
votre attention sur les conditions prévues par la loi.

5.3.3.6. Le droit d’appel

La question du droit d’en appeler à une instance supérieure semble suivre les
mêmes principes que les incidentes. Elle doit être résolue de manière « expeditissime » et
le juge suivra la procédure contentieuse orale (c. 1631 et c. 1629).

80
TROISIEME PARTIE :
QUELQUES PROCES SPECIAUX :
LES SACREMENTS FACE
AU TRIBUNAL DE L’EGLISE

Introduction

Le législateur appelle procédures spéciales, celles qui concernent un lien sacramentel :


soit le mariage, soit l’ordre.

Jésus accomplit le premier miracle de sa vie publique aux noces de Cana. Par la suite à
la stupéfaction de ses plus fidèles disciples, il rompit avec les usages reçus et se mit à
enseigner la doctrine de l’indissolubilité du mariage. Grâce à Jésus, le mariage des
chrétiens devint un sacrement « qui leur donne de signifier en y participant le mystère de
l’unité et de l’amour fécond entre le Christ et l’Eglise, les époux chrétiens s’aident
mutuellement à se sanctifier dans la vie conjugale, dans l’accueil et l’éducation des
enfants »140. Suivant les traces du Seigneur, son Eglise témoigne elle aussi de la plus haute
considération pour le mariage et préserve l’intégrité de son enseignement, qui n’est plus
facile à assumer aujourd’hui qu’il y a plus de deux mille ans.

L’un des ministères les plus méconnus de l’Eglise est celui de ses tribunaux qui
assistent en justice et en vérité les personnes vivant en unions irrégulières. Grâce au bon
fonctionnement des tribunaux ecclésiastiques, plusieurs chrétiens ont connu la guérison et
ont fait l’expérience de la miséricorde du Christ qui est toute justice. L’Eglise, dans sa
sollicitude vient en aide à toutes les personnes en détresse afin de régulariser leur statut
matrimonial pour qu’elles retrouvent la paix de l’âme.

Qu’il s’agisse de la déclaration en nullité d’un contrat matrimonial, de la séparation


momentanée des conjoints ou de la dissolution du lien, le mariage et les procès qui le
touchent bénéficient d’une sollicitude particulière du législateur afin de ‘‘panser les plaies
de ceux et celles qui portent un lourd fardeau’’.

140
Lumen gentium n° 11.
81
I. La déclaration de la nullité du mariage

Le procès en nullité de mariage n’est pas un contentieux ordinaire, même s’il en suit les
règles générales. La structure du code de droit canonique le montre bien en le plaçant du
côté des procédures spéciales. En effet, il ne s’agit pas ici de revendication d’un droit, mais
bien d’une déclaration d’un fait juridique (c. 1400). Fait juridique spécial de par son
caractère sacramentel, sa spécificité entraîne un certain nombre de dérogations aux
principes généraux. Nous les avons vus en tant qu’illustration au fur et à mesure de
l’exposé sur le déroulement du procès contentieux ordinaire que suivent en principe aussi
les causes de déclaration de nullité du mariage (can.1671- 1691).

Nous partirons ici de quelques réactions que l’on peut lire dans la relatio à propos du
for compétent dans les causes matrimoniales en nullité mais surtout en ce qui concerne la
spécificité de la procédure d’appel. Vous aurez ainsi quelques pistes de réflexion sur la
procédure et les procès qui sont les plus courants dans les tribunaux d’Eglise.

1.%2%. Le for compétent


Le for compétent pour les causes en nullité de mariage est fixé par les dispositions
du can. 1672 du Motu proprio du pape François.

Can. 1672. Dans les causes de nullité de mariage qui ne sont pas réservées au Siège
Apostolique, sont compétents : 1° le tribunal du lieu où le mariage a été célébré; 2° le
tribunal du lieu où une partie ou les deux ont domicile ou quasi-domicile, 3° le tribunal du
lieu où en fait doivent être recueillies la plupart des preuves.

La séparation des conjoints141

Les causes de séparation des conjoints sont distinctes des causes en déclaration de
nullité. Elles constituent un cas particulier de procédure et de jurisprudence. En effet, le
lien matrimonial n’est ni rompu ni déclaré nul et inexistant, mais – pour des raisons graves
dont l’adultère (c. 1152) ou la menace d’un danger grave pour l’une des parties ou les
enfants (c. 1153) – les conjoints ne sont plus tenus de vivre ensemble. Ils peuvent être
séparés, comme le dit une formule courante, « de lit, de table et de toit ». Le Code de droit

141
Vous êtes tous invités à lire NAZ R., Séparation des époux, in Dictionnaire de droit canonique, t.VII
(1965), col.962-970.
82
canonique traite de ces cas dans la partie concernant les sacrements aux canons 1151-1155
que dans les canons 1692-1696 consacrés aux procès spéciaux142

2.1. Les tribunaux compétents


Par les c. 1401 et can. 1671 §1 le législateur affirme que les causes matrimoniales
reviennent de droit propre au juge ecclésiastique. Cependant, lorsque les décisions
ecclésiastiques n’ont pas d’effets civils ou lorsque les sentences civiles ne sont pas
contraires au droit divin, l’évêque peut permettre que la séparation des conjoints soit traitée
par une juridiction civile (c. 1692). Il s’agit donc ici d’une possibilité de « canonisation »
de la loi civile. Pour les affaires en séparation des conjoints, la compétence des tribunaux
ecclésiastiques est la même que pour les causes en nullité de mariage (can. 1673 et c.
1694).

2.1.1. Les procédures ecclésiastiques


Si le juge ecclésiastique doit bien proposer la réconciliation (c. 1695), le législateur
prévoit deux voies de règlement pour les cas dans lesquels la réconciliation des époux
s’avère impossible : la voie administrative et la voie judiciaire.

Lorsqu’on suit la voie administrative qui est aussi la plus rapide, la séparation des
conjoints est déclarée par décret de l’évêque (c. 1692). Il est évident que ce décret doit être
motivé comme le prévoit le c. 51.

La procédure judiciaire offre deux possibilités de traitement de ces affaires. En


principe, les causes en séparation suivent la procédure rapide du procès contentieux oral.
Cependant lorsque la partie ou le promoteur de justice le demandent, la procédure
contentieuse ordinaire sera suivie (c. 1693). Il faut, par ailleurs, se rappeler une spécificité
de ces causes : dans ce dernier cas, l’appel en deuxième instance est automatique comme
pour les causes en nullité de mariage (c. 1693 et 1682).

2.2.2. les particularités de ces causes


Dans les causes de séparation des conjoints le promoteur de justice doit toujours
intervenir. Elles concernent en effet le bien public (c. 1696 et 1433) sous peine de nullité.
De plus, la séparation n’est toujours que conditionnelle. En effet, lorsque la cause sur
laquelle se fonde la séparation cesse d’exister, par exemple, s’il n’y a plus de danger pour
la partie ou les enfants, la vie conjugale doit être rétablie (c. 1153). La prudence est

142
BAMBERG Anne, Procédures matrimoniales en droit canonique, Ellipses, Paris 2011, p. 52.
83
recommandée pour l’acceptation de ces causes qu’il est parfois plus judicieux de laisser le
for civile (c. 1692). Voyons maintenant une procédure relativement fréquente : la
demande de dispense en non-consommation du mariage.

II. La non-consommation du mariage

Procédures d’un type particulier les causes en non-consommation du mariage sont à


distinguer des procédures judiciaires et des procédures administratives. Leur instruction se
fait au niveau régional, alors que la décision est toujours prise à Rome, notamment au
nouveau bureau Tribunal de la Rote romaine 143. Avant d’étudier le déroulement du procès,
voyons quelques questions préliminaires.

3.1. Remarques préliminaires


Selon le c. 1061, le mariage est dit consommé lorsque les deux époux ont posé
humano modo, c’est-à-dire de manière humaine, l’acte conjugal apte de soi à la
génération des enfants. Lorsque le mariage n’a pas été consommé, il est dit ratum tantum
et peut, pour une juste cause, être dissous par le Pontife romain (c. 1142). Il s’agit d’une
grâce et non d’un droit car le mariage ratum et consummatum ne peut être dissous par
aucun pouvoir humain (c. 1141). La dissolution du lien d’un mariage ratum tantum ou
non-consommé est considérée comme grâce (c. 1697) accordée par le Souverain Pontife
pour une juste cause.

Outre le fait que la non-consommation doit être établie par de solides preuves, deux
conditions doivent être remplies pour qu’une dispense soit accordée. Il faut tout d’abord,
qu’il y ait une juste cause de dispenser (c. 1698 et c. 90). Parmi les causes justes on
compte, par exemple, la séparation des conjoints sans espoir de réconciliation (divorce
éventuel), le désir d’un nouveau mariage, le bien spirituel des parties ou le danger de
perversion. Ensuite, une attention particulière est à porter à l’absence de scandale pour les
fidèles. Imaginez le cas de dispense pour non-consommation accordée à un couple vivant
dans un petit village et ayant eu un ou plusieurs enfants.

C’est parce que le Saint - Siège considère ces affaires comme délicates, qu’il se
réserve d’examiner s’il y a lieu d’accorder une dispense en non-consommation et de

143
Benoît XVI, idem
84
décider s’il y a une juste cause de dispense. Si l’instruction peut se faire au niveau
diocésain, seul le Pontife romain peut accorder la dispense (c. 1698).

Par ailleurs, seuls les conjoints peuvent demander la dispense en non-


consommation du mariage et cela même si l’autre conjoint n’est pas d’accord (c. 1697).
Notez que le « demandeur » n’est pas actor comme dans les causes judiciaires, mais
orator ou suppliant. Il n’agit pas en justice pour revendiquer un droit, mais il supplie le
Saint Père de lui accorder une grâce : la dispense d’un lien existant.

3.2. Le déroulement du procès

Le déroulement du procès présente quelques particularités que nous verrons en


suivant ses différentes étapes : l’introduction, l’instruction et la phase de décision.

3.2.1. L’introduction de la demande

L’introduction se fait par un libelle demandant la dispense. Il est adressé à l’évêque


diocésain du domicile ou quasi-domicile du conjoint suppliant. Quels sont les devoirs de
l’évêque à la réception d’une demande de dispense pour non-consommation ? Deux cas
peuvent se présenter. Si l’évêque constate que la demande a un fondement, il doit ordonner
l’instruction. Si la cause présente des difficultés particulières soit d’ordre juridique soit
d’ordre moral, l’évêque doit consulter le Saint Siège (c. 1699).

Qu’en est-il d’un éventuel rejet du libelle ? Le recours au Siège apostolique est
possible contre le décret de rejet du libelle par l’évêque diocésain (c. 1699). Notez qu’il
s’agit bien d’un décret de rejet.

3.2.2. L’instruction du procès

En général l’instruction des procès pour non-consommation du mariage se fait au


tribunal diocésain de l’évêque du domicile ou quasi-domicile du suppliant ou partie
demanderesse. Mais l’évêque peut aussi en charger le tribunal d’un autre diocèse voire un
prêtre idoine (c. 1700).

Lorsqu’une demande en nullité de mariage a déjà été introduite l’instruction de la cause


en non-consommation sera remise au tribunal qui traite de la nullité (c. 1700). Lorsqu’au
cours de l’instruction d’une cause de nullité la probabilité de la non-consommation paraît
grande, le tribunal peut – après suspension de la cause en nullité – compléter l’instruction
en vue de la demande de dispense au Siège apostolique (can. 1678 § 4). En effet, les
raisons pour lesquelles un mariage peut rester non consommé sont nombreuses et peuvent

85
être liés à des motifs de nullité du mariage. Nous n’en citerons que quelques-unes pour
vous donner une idée de la problématique : manque de consentement au mariage, crainte et
violence en vue de la célébration, impuissance absolue ou relative de l’un ou de l’autre,
voire des deux conjoints.

Quelles personnes interviennent au cours de ce procès ? Si le défenseur du lien doit


toujours être présent (c. 1701), l’avocat n’est pas admis. Cependant pour des cas difficiles
l’évêque peut permettre que les parties soient aidées par un expert en droit, un conseiller
juridique (c. 1701). Celui-ci n’interviendra pas au cours du procès, pour rassembler les
preuves, voire pour introduire un recours.

Mais comment peut-on rassembler les preuves d’une non-consommation ? D’abord, les
deux conjoints seront entendus. On suit en principe les canons concernant la recherche des
preuves dans le procès ordinaire ou dans le procès en nullité de mariage (c. 1702). Il faut
cependant noter quelques particularités. Deux types de preuves de la non-consommation
sont très importants. Il s’agit de la preuve physique et de l’argument moral.

On établit la preuve physique de la non-consommation par expertise médicale. Notons


à titre d’indication le fait de la virginité de l’épouse ou des éléments physiques de la part
de l’un ou de l’autre conjoint qui rendent l’acte sexuel impossible (impuissance). L’état
physique constaté par un expert désigné par l’Eglise est alors a posteriori une preuve
directe de la non-consommation.

Mais comme la preuve physique n’est pas toujours possible, il faut avoir recours à une
preuve indirecte que l’on appelle l’argument moral. Cet argument est en soi une preuve
suffisante et permet quelquefois d’éviter des examens médicaux gênants pour les conjoints.
Il comporte trois éléments de nature très différente : la confession assermentée des
conjoints, les témoignages de crédibilité et, enfin, les indices, présomptions, documents,
l’ouï-dire par les témoins.

La preuve par « coarctata tempora » n’est plus mentionnée car c’est un type de
preuve rarement utilisé. Il signifie que le temps n’a pas permis aux conjoints de se
rejoindre en vue d’un acte conjugal. Ceci peut être le cas lors d’un mariage par procuration
où il n’y a jamais eu cohabitation possible.

Notons que chacune de ces voies de preuves peut être suffisante à elle seule. Mais elles
peuvent aussi être liées, lorsque l’une ou l’autre n’est pas concluante, afin que la certitude
morale de la non-consommation puisse être atteinte.

86
Comparant au procès en nullité on peut se demander ce qu’il en est de la publicité des
actes. Au cours du procès en vue de la dispense pour mariage non consommé il n’y a pas
de publication des actes. Cependant, si, à cause de preuves apportées, un obstacle grave
surgissait de la part du demandeur ou par une exception du défendeur le juge peut dévoiler
prudemment les faits aux intéressés. Le juge peut, à la demande de la partie, montrer le
document ou le témoignage en question et fixer le temps nécessaire pour présenter les
remarques (c. 1703).

3.2.3. La décision
Dans la phase qui suit l’instruction, il faut distinguer deux niveaux de traitement de la
cause : au diocèse et à Rome. Au niveau régional, il faut noter qu’une fois l’instruction
complétée, l’instructeur remet les actes à l’évêque diocésain du domicile ou quasi-domicile
du suppliant. Si l’instruction n’a pas été faite dans le diocèse d’origine l’instructeur y joint
un rapport. Ensuite, l’évêque émet un avis sur la vérité de l’affaire tant en ce qui concerne
le fait de la non-consommation qu’en ce qui concerne la juste cause de la dispense et
l’opportunité de la grâce (c. 1704). Notez qu’il peut déléguer la charge de la rédaction au
vicaire général ou au vicaire épiscopal ; il devra cependant « faire sien » le rapport de son
délégué avant d’envoyer le dossier à la curie romaine. La transmission des actes intègre
également les remarques du défenseur du lien (c. 1705)144.

Si le Saint-Siège juge qu’un supplément d’instruction s’avère nécessaire cela est


signifié à l’évêque afin de faire compléter l’instruction (c. 1705). Et, lorsque l’instruction
est complète, le Siège Apostolique émet un rescrit concernant la cause en non-
consommation. Ce rescrit peut être affirmatif ou négatif. S’il est affirmatif, c’est-à-dire
qu’il concède la dispense pour non-consommation, il est transmis à l’évêque qui le
notifiera dès que possible (quam primum) aux parties et au curé du lieu où le mariage a
été célébré ainsi qu’au curé du lieu du baptême en vue de l’inscription dans les registres
respectifs (c. 1706).

Notons que pour les procès en non-consommation il n’y a pas à proprement parler de
phase de discussion. Cela tout au moins au niveau régional. A Rome la demande de la
dispense est discutée au dicastère compétent qui prépare les actes pour le Saint Père. Le
procès passe alors à la phase de décision.

144
DC art. 153-154.
87
3.3. Le recours
Contre une décision négative revenant de Rome il n’y a en principe pas de recours
puisqu’il s’agit d’une grâce et non d’un droit. Les parties peuvent cependant, le cas
échéant, réitérer leur demande. Le c. 1705 § 3 statue en effet que l’expert en droit dont
parle le c. 1701 § 2 peut, après décision négative, prendre connaissance des actes du procès
au siège même du tribunal diocésain. Il n’a certes pas accès à l’avis de l’évêque. Lorsqu’il
découvre un élément important en vue de la réitération de la demande de dispense il pourra
le présenter et tenter une nouvelle oratio. La dispense n’est donc pas un droit mais une
grâce. Mais cette grâce peut être demandée – ceci est un droit fixé au c. 1697 – au Pontife
romain même après un premier refus, pourvu que des éléments nouveaux et de poids soient
avancés. Il s’agit en quelque sorte d’une réintroduction de l’affaire.

Ayant vu cette importante procédure nous pourrons aborder un dernier cas, plus rare, la
procédure en cas de décès présumé d’un conjoint.

III. La mort présumée d’un époux

Le code ne parle de ce quatrième type de procès matrimonial que dans un seul


canon. Il s’agit d’une procédure administrative en vue de la déclaration de la présomption
du décès d’un conjoint disparu. Ce cas peut, par exemple, se présenter lors de guerres ou
une catastrophe naturelle.

Les causes de mort présumée du conjoint sont normalement réglées par l’évêque
diocésain qui ne consultera le Siège apostolique que dans les cas incertains et complexes
(c.1707). Le défenseur du lien n’intervient pas car, ne s’agissant pas d’une procédure
concernant le lien matrimonial proprement dit, sa présence n’est pas indispensable.

Quand suit-on la procédure administrative en déclaration de la mort présumée d’un


époux ? Lorsque le décès d’un conjoint ne peut être prouvé par un document authentique –
soit ecclésiastique soit civil – l’autre conjoint peut être délié du lien du mariage après
déclaration par l’évêque de la mort présumée du conjoint (c. 1707 § 1). Notez que la seule
absence, même très longue, du conjoint n’est pas suffisante (c. 1707 § 2) pour établir une
présomption de décès. Le cas était traité par le une instruction du Saint office datant de
1868 : Matrimonii vinculo145 .

« Instructio Suprema Sacrae Congregationis ad probandum obitum alicuius coniugis, an 1868 », in Acta
145

Apostolicae Sedis, 2, 1910, p. 199-203.


88
Sur quoi se fonde la déclaration de l’évêque ? Il faut que l’évêque ait la certitude
morale146du décès de la partie disparue. Il pourra l’atteindre par des recherches opportunes
résultant de dépositions de témoins, de l’opinion générale, l’ouï-dire, ainsi que d’indices de
tous genres (c. 1707). Il n’est peut-être pas inutile de remarquer que ce type de procédure
spéciale peut conduire, malgré la prudence dont doit s’entourer l’auteur du décret de mort
présumée, à des situations délicates. « Le code ne fait pas mention dit Bamberg ne fait pas
mention de l’invalidité de ce mariage au cas ou le présumé défunt réapparaissait. On
pourrait en déduire que le législateur part de l’idée que le procès en présomption de la mort
d’un conjoint ne se fera pas à la légère et que l’Evêque diocésain l’entourera de
l’indispensable vigilance147.

IV. La dissolution du lien matrimonial non sacramentel : le privilège de la foi

Il existe des problèmes complexes compte tenue de la dissolution du lien


matrimonial dite « privilège paulin » en référence à saint Paul (1 Co 7, 12-15). Il s’agit
d’un mariage entre deux non baptisés, dont l’un se convertit. Selon la Constitution
apostolique Pastor bonus, art. 19 et 53, la Congrégation pour la doctrine de la foi connaît
du privilège de la foi tant en droit qu’en fait. La procédure est régie par des normes du 30
avril 2001148

Le code parle de la séparation des conjoints par dissolution du lien matrimonial en


faveur de la foi – privilège paulin – aux canons 1143 à 1150. Le mariage est dissous ipso
facto, sans recours au Siège apostolique lorsque sont vérifiées les conditions prévues par le
c. 1143. Il suffit en effet de prouver que les deux parties n’étaient pas baptisés au moment
du mariage, qu’une seule partie a reçu le baptême (c. 1143) et qu’il y a eu interpellation de
la partie non baptisée selon les normes prescrites aux c. 1144 – 1146.

Dans ces conditions la partie baptisée a le droit de se marier une nouvelle fois. Ce
n’est qu’après le nouveau mariage que le lien du premier mariage est dissous en vertu du
privilège paulin (c. 1143). En vertu du c. 1147 la partie baptisée peut même contracter un
mariage avec un non catholique en respectant les canons concernant les mariages mixtes.

146
DC art. 247 § 2.
147
BAMBERG A., Procédures matrimoniales en droit canonique, Ellipses, Paris, 2011, p.54-55.
148
Nouvelles normes sur le "favor fidei" (Normae de conficiendo processu pro solutione vinculi
matrimonialis in favorem fidei), Typis Vaticanis, 2001.

89
Quant au privilège dit « pétrinien » - expression contestée – le code n’en décrit pas
la procédure. Il s’agit d’un pouvoir du Pontife romain de dissoudre le mariage en faveur de
la foi lorsque l’une au moins des parties est baptisée pourvu que le mariage n’ait pas été
consommé après le baptême des deux conjoints (c. 1142). Le mariage est dissous après
rescrit pontifical. La procédure suivie semble bien rester celle fixée par les textes de la
Congrégation pour la doctrine de la foi du 6 décembre 1973 : d’une part, l’instructio pro
solutione matrimonii in favorem fidei et, d’autre part, les Normae procedurales pro
conficiendo processu dissolutionis vinculi matrimonialis in favorem fidei. Notez, par
ailleurs, que suivant le c. 1150, la dissolution du lien en faveur de la foi jouit d’une
présomption du droit.

Après cet aperçu sur la favor fidei vous disposez maintenant des éléments
essentiels pour l’étude des causes matrimoniales.

POURQUOI ET COMMENT INTRODUIRE UNE CAUSE EN


DECLARATION DE NULLITE DE MARIAGE

1. DEFINITION

Le droit du mariage des chrétiens prévoit l’éventualité de la nullité de ce sacrement. En


effet, dans le sacrement de mariage, l’homme et la femme posent, en alliance avec Dieu,
un acte humain, c’est-à-dire un acte qui doit être lucide et libre. La connaissance qu’ils ont
de l’engagement matrimonial conforme à l’esprit évangélique, ainsi que la volonté de le
contracter, doivent donc être exemptes de toute défectuosité grave.
Si le fidèle a quelque doute quant à la validité de son sacrement de mariage, il est en droit
de demander à l’Eglise d’examiner son engagement. Cela se fait dans une procédure
spéciale appelée “cause en déclaration de nullité de mariage”. La déclaration de nullité de
mariage prend en considération une carence grave qui marque le consentement au jour du
mariage, et non un échec seulement post matrimonial.
C’est la raison pour laquelle la longueur de la vie commune, ainsi que le nombre des
enfants, ne sont point des obstacles à une telle démarche. De plus, dans une sentence de
nullité, personne ne laisse entendre qu’il n’y a jamais eu entre les époux de lien
émotionnel, physique, moral ou personnel, ou bien que le passé est effacé comme s’il
n’avait jamais existé.

90
Il est bien entendu que l’officialité ne “juge” pas les conjoints pour déterminer qui a tort ou
qui a raison, mais seulement la qualité de leur consentement, en répondant à la question :
“le mariage célébré tel jour en tel lieu entre telles personnes, est-il valide ou non, et cela,
pour quel motif ?”

2. POURQUOI UN MARIAGE PEUT-IL ETRE DECLARE NUL ?

Les motifs de la nullité sont appelés “chefs de nullité”. Ils peuvent ainsi fonder une
demande de déclaration de nullité de mariage, et sont définis par le Code de droit
canonique.
Voici les principaux chefs pour lesquels un mariage peut être déclaré nul :

* L’inhabilité matrimoniale
En raison :
- soit d’un grave défaut de discernement ("discretio iudicii") :
Canon 1095 - Sont incapables de contracter mariage les personnes :
1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;
2° qui souffrent d’un grave défaut de discernement concernant les droits et les
devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement...
Le discernement suppose l’usage suffisant de l’intelligence et la libre volonté, c’est-à-dire
une connaissance pratique de la chose à juger, la capacité de percevoir en qui on est
personnellement concerné par cette chose, et la libre volonté d’en accepter pour soi les
conséquences.
Le grave défaut de discernement concernant les droits et les devoirs essentiels du
mariage rend incapable de contracter mariage. Il peut avoir plusieurs origines :
l’immaturité grave, le manque de liberté interne, des pathologies diverses, etc.

- soit d’une incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage :


Canon 1095 - Sont incapables de contracter mariage les personnes :...
3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations
essentielles du mariage.
Dans ce cas, c’est la capacité du sujet à donner l’objet du mariage qui est mise en
cause. Certaines personnes peuvent consentir au mariage mais, pour des raisons de nature
psychique, elles se révèlent incapables de remplir l’engagement qu’elles prennent.

91
Autrement dit, il y a chez elle une inhabilité à assumer les obligations essentielles du
mariage, à savoir par exemple la communauté de toute la vie, le bien du conjoint, la
fidélité, etc...

* L’exclusion du mariage lui-même ou d’un de ses éléments essentiels :


Canon 1101 - § 1. Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et
aux signes employés dans la célébration du mariage.
§ 2. Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la
volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses
propriétés essentielles, elles contractent invalidement.
Dans ce cas, il y a contradiction entre le consentement intérieur et les paroles ou
signes censés exprimer ce consentement. Les paroles prononcées ("oui") paraissent
signifier l’acceptation du mariage chrétien, mais en réalité, il y a exclusion soit du mariage
lui-même ou de sa sacramentalité, soit d’un de ses éléments essentiels ou d’une de ses
propriétés essentielles, à savoir l’unité du mariage (la fidélité à un seul conjoint),
l’indissolubilité (la fidélité toujours) et la procréation. Ainsi, une personne peut exclure
l’unité du mariage lorsqu’elle se marie avec la volonté manifeste de ne pas respecter la
fidélité conjugale. Elle peut exclure la procréation lorsqu’elle refuse totalement et
définitivement la procréation. Enfin, cette personne peut exclure l’indissolubilité
lorsqu’elle rejette totalement la perpétuité du lien matrimonial.

* L’erreur
Canon 1097 - § 1. L’erreur sur la personne rend le mariage invalide.
§ 2. L’erreur sur une qualité de la personne, même si elle est cause du contrat, ne
rend pas le mariage invalide, à moins que cette qualité ne soit directement et
principalement visée.
D’une manière générale, l’erreur est un vice du consentement susceptible
d’entraîner la nullité d’un acte juridique (canon 126).
L’erreur sur la personne est une erreur portant sur l’identité même de cette personne
qu’on épouse (Jacob épouse Léa qui en fait s’est substituée à sa sœur Rachel); il s’agit
alors d’un vice du consentement qui invalide le mariage (canon 1097 §1).
On parle également d’erreur sur une qualité de la personne. S’il n’y a erreur que sur
une qualité accidentelle (par exemple le fait d’être riche ou pauvre), le mariage est valide.

92
En revanche, si la qualité est "directement et principalement visée" par l’autre contractant,
elle devient substantielle et le consentement matrimonial est vicié (canon 1097 §2).

* Le dol
Can. 1098 - La personne qui contracte mariage, trompée par un dol commis en vue
d’obtenir le consentement, et portant sur une qualité de l’autre partie, qui de sa nature
même peut perturber gravement la communauté de vie conjugale, contracte invalidement.
Le dol est une tromperie qui entraîne un vice du consentement. Il doit être commis
en vue d’obtenir le mariage et doit porter sur une qualité essentielle de l’autre partie (par
exemple, lorsqu’un élément de la vie d’un contractant - une maladie, une stérilité - est
délibérément cachée).
* La violence ou la crainte grave externe
Can. 1103 - Est invalide le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la
crainte grave externe même si elle n’est pas infligée à dessein, dont une personne ne peut
se libérer sans être forcée de choisir le mariage.
Un des contractants se trouve aux prises avec une pression telle qu’il est "forcé" au
mariage. La crainte est l’effet psychologique d’une menace ou d’une contrainte physique
ou morale. On parlera par exemple d’une grave crainte "révérencielle" d’un fils ou d’une
fille vis-à-vis de ses parents.
Ces chefs de nullité doivent, après instruction, être prouvés.
3. LA PROCEDURE A SUIVRE
Comment s’y prendre ? Documents à fournir au moment où la procédure commence
a) Photocopie du livret de baptême des deux parties (si possible)

b) Copie du décret de divorce (si obtenu)

c) Copie du dossier de mariage (interrogatoire canonique, les dispenses) si possible

d) Certificat du deuxième mariage civil (s’il y a lieu)

e) Tout autre document qui pourrait aider le Tribunal : lettres, email etc.

* Le conjoint qui souhaite un jugement de l’Eglise quant à la validité de son


mariage, commence par s’adresser à un avocat ecclésiastique, qu’il peut choisir sur une
liste disponible au siège de son Evêché (s’adresser à la chancellerie du diocèse) ou dans les
annuaires diocésains.
Les avocats ecclésiastiques sont spécialement formés à ce genre de procédure et ont
reçu un agrément des Evêques.

93
Ils remplissent ainsi un service d’Eglise et ne demandent pas d’honoraires.
* La partie demanderesse expose sa situation à l’avocat qu’elle a choisi.
Le rôle de ce dernier est
a) de discerner l’opportunité d’une telle démarche ainsi que son fondement
canonique;
b) d’aider la personne à constituer son dossier (une requête officielle, un résumé des
faits, une liste de témoins et autres preuves); ce dossier peut alors être envoyé à
l’Officialité;
c) d’assister et de représenter l’intéressée tout au long de la procédure.
* En ce qui concerne la détermination du Tribunal ecclésiastique compétent, trois
hypothèses sont possibles. La réforme fixe désormais le tribunal compétent :
Can. 1672. Dans les causes de nullité de mariage qui ne sont pas réservées au Siège
Apostolique, sont compétents désormais :
1° le tribunal du lieu où le mariage a été célébré;
2° le tribunal du lieu où une partie ou les deux ont domicile ou quasi-domicile,
3° le tribunal du lieu où en fait doivent être recueillies la plupart des preuves.

* L’Official qui reçoit un dossier de demande de déclaration de nullité de mariage


constitue un tribunal dont il fait généralement partie.
Après admission de la requête et détermination du ou des chefs de nullité retenus
("le doute"), la cause peut être instruite.
L’instruction commence par la déposition des époux, chaque conjoint étant entendu
séparément. Si l’autre conjoint ne veut pas participer au procès (personne ne peut l’y
contraindre), la procédure continuera sans lui.
Ensuite, le juge instructeur procède à l’audition des témoins désignés par chacune
des parties ou convoqués sur sa propre décision. Il recueille également les documents
éventuellement utiles à l’examen de la cause.
Il peut aussi faire appel aux services d’un expert : médecin psychiatre, psychologue,
graphologue, etc.
Au terme de cette instruction et après avoir pris connaissance des actes de la cause,
l’avocat de la partie demanderesse (ou les deux avocats si chaque époux en a un) présente
par écrit sa plaidoirie.
Dans les procès matrimoniaux intervient le "défenseur du lien" dont le rôle est de
défendre - avec réalisme - le lien du mariage (un peu comme le procureur d’un tribunal

94
civil). Après avoir pris lui aussi connaissance du dossier et reçu la plaidoirie de l’avocat, le
défenseur du lien rédige à son tour ses remarques.
A la fin, le collège des trois juges ecclésiastiques nommés se réunit et tranche. Une
sentence est rédigée par l’un d’entre eux appelé "ponent".
Si la nullité du mariage est reconnue, cette décision doit être confirmée par une
Officialité de deuxième instance (en l’occurrence, l’Officialité interdiocésaine de ….). Il
faut en quelque sorte deux (2) "oui" pour que la déclaration soit définitive.
Si la décision du premier tribunal ecclésiastique est négative, la partie
demanderesse peut faire appel dans les quinze jours.
Si la décision de l’Officialité de deuxième instance infirme la première décision, la
partie demanderesse peut en appeler à une troisième instance (le Tribunal de la Rote
romaine).
Cette procédure est caractérisée par la confidentialité, dans le souci du respect de la
vie privée des personnes, de la paix des familles et de la liberté de parole des différents
témoins. Seuls les juges, le défenseur du lien, les avocats et procureurs des parties ont
accès aux pièces du dossier.
Combien de temps cela dure-t-il?
Aux termes du canon 1453 du Code de droit canonique et dans la mesure du
possible, “Les juges et les tribunaux veilleront à ce que, la justice étant sauve, toutes les
affaires soient terminées le plus tôt possible; en première instance, elles ne seront pas
prolongées au-delà d’une année (à partir de l’envoi de la requête à l’officialité), et en
deuxième instance, au-delà de six mois”.
Combien cela coûte-t-il ?
Le fonctionnement de ce service d’Eglise entraîne des frais qui sont assumés par la
communauté chrétienne (personnel, locaux, bureautique, téléphone, déplacement, etc.). Il
est normal que la partie demanderesse y participe, dans la mesure de ses moyens.
Un forfait lui est donc demandé, à savoir - environ vingt mille francs CFA.
Si celle-ci a nécessité la nomination d’un expert ou d’un avocat - procureur ou
encore des indemnités de déplacement, ces frais sont à la charge du demandeur.
Cependant, une aide judiciaire, totale ou partielle, ou encore des aménagements
dans le règlement, est toujours possible en cas de besoin. Le pape François demande que
les procédures matrimoniales soient gratuites ou à moindre frais.
Au terme de cette présentation, il ressort qu’une Officialité traite de situations
juridiquement complexes. Ainsi, dans le domaine matrimonial, l’Eglise au fil des siècles, a

95
développé des procédures pour répondre à certaines demandes qui lui étaient adressées par
des fidèles en situation d’échec conjugal, dans la mesure où la loi du Christ le lui
permettait et pour le bien des âmes. Conçues pour protéger le bien des personnes sans qu’il
soit porté atteinte à l’institution matrimoniale, ces procédures, même si elles paraissent un
peu lourdes à ceux qui les entreprennent, ont un rôle pastoral important : elles permettent à
certains, dans certaines conditions, de retrouver la paix intérieure et un statut parfois
renouvelé au sein de la communion ecclésiale. Le pape François dans le Motu proprio
« Mitis Iudex Dominus Iesus » a indiqué les critères fondamentaux qui ont guidé le
travail de la réforme mis en pratique à partir du 8 décembre 2015.

Nous verrons maintenant quelques pistes de travail sur les procès en nullité de l’ordination.

IV. La nullité de l’ordination

Procédure en vue de la déclaration de nullité d’un lien sacramentel, la procédure de


nullité de l’ordination (c. 1708 à 1712) rejoint les procédures matrimoniales par
l’intervention nécessaire du défenseur du lien. Suivant le c. 1711 le défenseur du lien y
jouit des mêmes droits et est tenu aux mêmes obligations. Comme les causes
matrimoniales ce contentieux est réservé à un tribunal de trois juges (c. 1425) et suit la
procédure contentieuse ordinaire (c. 1710) sauf pour les différences statuées dans le titre II
de la partie III du de processibus. Nous ne ferons ici que quelques remarques sur les
particularités de cette procédure.

Il faut se demander qui a le droit d’accuser la validité de l’ordination. Selon le c.


1708, le clerc lui-même, l’ordinaire auquel le clerc est soumis et l’ordinaire du lieu de
l’ordination peuvent introduire une action en nullité de l’ordination. Reportez-vous à la
constitution apostolique Pastor bonus pour déterminer quelle est la Congrégation romaine
compétente pour recevoir le libelle. Selon le c. 1709 cette Congrégation romaine décidera
si la cause sera traitée en voie administrative à Rome ou si elle sera traitée, en voie
judiciaire, par un tribunal désigné par la Congrégation.

Trois remarques s’imposent. Les effets juridiques du libelle sont clairs : dès qu’il a
été envoyé, le clerc n’a plus le droit d’exercer ses fonctions liées à l’ordre (c. 1709). Par
ailleurs, le notaire doit être prêtre car pour les affaires dans lesquelles le clerc est sacerdos
le notaire doit lui aussi être sacerdos (c. 483). D’aucuns voudraient que l’avocat du

96
demandeur de la nullité de l’ordination soit également nécessairement un prêtre et en
aucun cas une femme, ceci est cependant en contradiction avec le c. 1481 permettant aux
parties de se constituer librement un défenseur. Enfin, notez que le procès en nullité de
l’ordination n’est pas à confondre avec la procédure de dispense du célibat sacerdotal. Ces
deux procédures sont plutôt rares, tout comme le sont les procédures d’application des
peines.

97
QUATRIEME PARTIE : LE PROCES PENAL

Introduction

Le droit pénal de l’Eglise a été et est encore un sujet largement inexploré du droit
canonique. Depuis les tristement célèbres tribunaux de l’Inquisition, les autorités
ecclésiastiques ont manifesté une répugnance marquée à se servir des moyens mis à leur
disposition pour exercer le pouvoir judiciaire envers des personnes dont le comportement
blesse le Peuple de Dieu dans son ensemble. Force est de reconnaitre que dans le monde
séculier comme dans l’univers ecclésiastique, il y a des gens dont le comportement est
grandement préjudiciable à l’harmonie, à l’harmonie et à la paix sociale, à l’unité et à la
liberté religieuse des membres de l’Eglise. L’un des devoirs des personnes constituée en
autorité est de protéger la majorité des gens de bien et d’empêcher la multiplicité des
méfaits qui pourraient nuire à leurs bonnes relations. Les gouvernements civils ont depuis
longtemps mis en place des mécanismes pour s’occuper de ces aspects les plus sombres de
la nature humaine et ont constitué un système de jugement et de punition qui, cas par cas,
traite les individus fautifs dans le respect de principes juridiques bien établis et impose des
peines nécessaires à la protection de l’ordre social.

L’Eglise, en tant que société composée de plus d’un milliard de membres, a aussi des lois,
beaucoup moins nombreuses que celle que l’on retrouve dans les sociétés séculières
(laïques ou temporelles). L’Eglise, « en pleine fidélité, à son divin Fondateur, Jésus Christ
s’adaptant à la mission de salut qui lui a été confiée » Constitution apostolique Sacrae
disciplinae leges. Les 441 canons qui traitent des sanctions et des procès qui constituent le
droit pénal de l’Eglise se fondent sur l’esprit du concile Vatican II qui a favorisé avant tout
la miséricorde et le respect des droits et de la dignité de la personne humaine.

Au cours de son pèlerinage sur la terre, l’Eglise du Christ doit prendre en considération la
faiblesse humaine ; cela a toujours été le cas, et nous ne pouvons pas nous bercer
d’illusions en pensant qu’il est impossible ò l’Eglise d’aujourd’hui de se retrouver dans des
situations scandaleuses et incompatibles avec le message chrétien, qui se sont manifestées
dans le temps et l’espace. Malheureusement, depuis quelques années, certains
comportements gravement contraires à la moralité chrétienne et fort préjudiciables
(dommageables) à l’Eglise se sont révélés au grand jour, en partie parce que les médias ont
la capacité de porter ces choses à la connaissance d’un vaste public. Les autorités
ecclésiastiques ont le devoir de prendre des mesures pour enrayer de tels écarts de

98
conduite. Tant pour faire cesser le scandale que pour défendre la communauté chrétienne et
les droits individuels des fidèles.

Il faut retenir que chaque fois que quelqu’un considère que la loi entre en conflit avec les
besoins pastoraux, cela signifie que la personne a une conception erronée de la loi (c’est-à-
dire que l’on confond la loi et la justice avec une série de règles arbitraires qui ne
respectent pas la liberté), soit une fausse idée des exigences pastorales (en oubliant que les
exigences pastorales doivent toutes avoir pour but le salut éternel des âmes), soit
possiblement les deux.

Dans la vie d’une personne normale, le libre arbitre est important. C’est le libre arbitre
d’un individu qui va lui faire poser une action précise que lui-même juge approprié comme
le libre arbitre qui va lui indiquer plutôt de s’en abstenir. Le rôle que joue la fonction
pénale est soit de restaurer l’ordre légal qui avait été troublé par le délit, soit de corriger
ou de rééduquer le délinquant soit les deux. Ce procès commence par l’enquête
préliminaire, son déroulement et enfin l’action en réparation des dommages.

1. L’enquête préalable (cc.1717-1719)

2. Le déroulement du procès (cc.1720-1728)

3. L’action en réparation des dommages (cc.1729-1731)

Le procès pénal est une instruction judiciaire pour infliger ou déclarer les peines
proportionnelles aux délits. Dans l’ancien Code on l’appelait « procès criminel ». Un délit
canonique est toute violation externe, volontaire et imputable d’une loi ou d’un précepte
pénal de l’Eglise (cf. c.1321). Mais l’ordinaire se doit d’abord de pratiquer la correction
fraternelle, la réprimande et d’autres moyens de nature pastorale (c.1341).
1. L’enquête préliminaire
Le procès pénal est un genre particulier de procès, qui, outre les canons
spécifiques, suit les normes des procès en général et du procès contentieux ordinaire (CIC,
c. 1717-1731 ; CCEO, c. 1468-1487). L’ordinaire (c.134) doit l’engager chaque fois qu’il a
connaissance d’un délit : il ordonnera une enquête selon les règles de la procédure
judiciaire. Il décide s’il y a lieu d’engager un procès judiciaire ou de procéder par voie de
décret extrajudiciaire. De façon générale, il s’agit de l’ordinaire du lieu où le délit a été
commis. Il peut s’agir aussi de l’ordinaire du domicile ou quasi domicile de l’accusé. Il
arrive que le l’ordinaire du domicile coïncide aussi avec celui où le délit a été commis.
Comment l’ordinaire peut être au courant d’un délit ? De différentes manières :
La victime du délit qui présente une plainte orale ou par écrit, l’internet qui est une bonne
source d’information, la télévision comme c’est arrivé une fois au Nord de l’Italie, la radio,

99
les journaux ou la presse écrite, le WhatsApp, les archives, l’ordinaire lui-même qui l’a vu
avec ses propres yeux, etc…
L’enquête sert seulement à vérifier s’il existe le fumus delicti c’est-à-dire l’odeur du
délit. On enquête sur les faits, les circonstances et sur l’imputabilité. L’ordinaire ne peut
vraiment prendre des mesures punitives sans avoir vérifié la crédibilité de toute
information criminelle dont il eu connaissance d’une façon ou d’une autre. L’enquête
préliminaire est très importante pour éviter des procédures dommageables ou inutiles, ou
bien d’autres qui seraient sans fondement in iure et in facto. La tâche de l’enquêteur est de
vérifier :
1. si le délit a véritablement été commis et dans quelles circonstances ;
2. si l’accusé est réellement l’auteur du délit en question ;
3. si le délit lui est vraiment imputable et dans quelle mesure ;
4. s’il est opportun d’entamer des poursuites contre lui.
Il doit aussi vérifier la crédibilité des accusations mais aussi toute information favorable à
l’accusé, tout en maintenant toujours comme il se doit, une stricte confidentialité. Il faut
éviter que l’enquête préliminaire ne tourne au procès lui-même. La certitude que le crime a
été commis par quelqu’un n’entraine pas nécessairement que l’accusé en soit responsable,
que ce crime lui soit imputable et qu’il doive en être puni. Le canon établit que l’enquêteur
a la même autorité et les mêmes obligations que l’auditeur dans un procès, et que si le
procès judiciaire a lieu, que l’enquêteur ne doit pas y participer en tant que juge 149. Il faut
éviter que celui qui a été l’enquêteur soit encore parmi les assesseurs de l’Evêque. C’est
dire que qui doit décider, ne doit le faire en toute liberté et être impartial.
Le c.1718 parle des éléments de l’enquête ; ces éléments ne sont pas encore des
preuves. La preuve se forme durant le procès non avant celui-ci. Il existe une seule
exception au c.1529 qui stipule que « le juge ne commencera pas, sauf pour un motif
grave, à réunir les preuves, avant la litiscontestation ». L’enquête doit se faire avec une
grande prudence en respectant la bonne renommée de la personne. Si l’ordinaire trouve
qu’il n’y a pas suffisamment des éléments de preuve ou par contre, s’il pense que les faits,
les circonstances et l’imputabilité de l’accusé sont établis il doit toujours appliquer le

149
URU G. Angelo, observations sur l’imposition des peines dans des cas particuliers, - in
DUGAN Patricia M. La procédure pénale et la protection des droits dans la législation
canonique, Actes d’un colloque tenu à l’Université pontificale de la Sainte –Croix, Rome,
les 25 et 26 mars 2004. Collection Gratianus, Wilson & Lafleur, 2008, p.359-379.

100
c.1341. Le c. 1718 § 4 nous rappelle seulement l’application du c.1446 qui nous renvoie à
Lc. 12, 58-59. C’est encore ici, le principe général de l’application du c.1446§1. Les droits
du délinquant sont particulièrement protégés : l’accusé, son avocat ou son procureur a
toujours le droit de s’exprimer en dernier ; s’il appert (est évident) que le délit n’a pas été
commis par l’accusé, le juge doit le déclarer dans la sentence et relaxer l’accusé; l’accusé
n’est pas tenu d’avouer son délit et ne peut être obligé de prêter serment. La partie lésée
peut exercer une action contentieuse en réparation des dommages subis. Les dommages
peuvent être économiques, morale ou psychologique.
Le c.1719 nous dit que tout ce qui a été recueilli durant l’enquête (que le procès ait lieu ou
pas) doit être conservé dans les archives secrètes de la curie. Combien de temps peut durer
l’enquête préliminaire ? Deux choses à dire :
1°) de façon générale six (6) mois et peut être prorogé encore de six (6) mois. En
droit canonique rien n’est dit. Nous savons qu’une action criminelle s’éteint après trois (3)
ans selon le c. 1362. Et de (5) ans selon les canons 1394, 1395, 1397, 1398. Tandis que les
délits réservés à Congrégation pour la Doctrine de la Foi est de vingt (20) ans (CDF)150 .
2°) le secret lors de l’enquête préliminaire et très important. Une enquête connue de
tous ne peut être une enquête sérieuse. L’enquête ne doit jamais être divulguée autrement
elle compromet les preuves.
Nous savons en ce qui concerne les abus sexuels référons nous à une autre lettre de la
CDF151. Il faut retenir que le procès pénal est la voie normale ordinaire pour imposer des
peines, car cette voie garantit plus les exigences de la justice. Le c.1342 interdit d’infliger
ou de déclarer des peines perpétuelles par décret.

2. Le déroulement du procès
Le c. 1720 réglemente le procès administratif. Tout le procès administratif pénal
se trouve dans ce canon. La règle est d’ouvrir un procès judiciaire et cela garantît plus la
justice. Dans un procès administratif, c’est l’évêque qui fait ou ordonne l’enquête et c’est
encore lui qui émet le décret. L’évêque est déjà conditionné dans son esprit. Il pourrait
aussi condamner ou absout l’accusé. Quand il s’agit du procès judiciaire, les éléments de

150
CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI : « NORMAE DE GRAVIORIBUS
DELICTIS », LES « NORMES SUR LES DELITS LES PLUS GRAVES », [Texte original : Latin -
Traduction française distribuée par la salle de presse du Saint-Siège] cf. Documentation Catholique n°2452
du 19 sept. 2010 p.760-764].
151
CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, une « Lettre circulaire pour aider les
Conférences épiscopales à établir des Directives pour le traitement des cas d’abus sexuel commis par des
clercs à l’égard de mineurs » du 3 mai 2011.

101
l’enquête sont transmis au promoteur de justice et c’est celui-ci qui envoie le libelle au
juge pour que s’ouvre la procédure judiciaire pénale. Nous ne devons pas oublier toutes les
indications adressées au juge et éventuellement à l’auteur d’un décret lors de l’application
des peines dans les canons 1342-1350. Le juge ou l’auteur du décret doit toujours le
motiver, c’est-à-dire pourquoi l’inculpé est absout ou condamné.
Dans la procédure par voie judiciaire, les trois étapes classiques de tout procès doivent
être respectées : l’introduction de la cause, son instruction et la solution de la cause.
L’introduction de la cause. Le promoteur de justice présentera au juge le libelle
d’accusation. Il joue le rôle de demandeur. Le juge doit ensuite citer l’accusé en l’invitant à
se constitué un avocat dans un délai qu’il détermine lui-même. Si l’accusé ne choisit pas un
avocat, le juge avant la litiscontestation, en désignera un qui restera en fonction tant que
l’accusé n’aura pas constitué le sien (c.1723). La présence de l’avocat est obligatoire afin
de mieux assurer la protection des droits de la défense.
L’instruction de la cause. Le juge procède à un examen contradictoire de nouvelles
preuves apportées par l’accusé et ou son avocat. Toutefois, le code apporte trois
importantes précisions :
 L’ordinaire peut à tout moment du procès écarté l’accusé du ministère sacré ou
d’un office ou d’une charge ecclésiastique… (c.1722).
 L’accusé n’est pas tenu d’avoué son délit et on ne peut lui déférer le serment
(c.1728).
 Après les défenses et remarques écrites, il faut passer à la discussion avec ou
sans appel d’experts, selon que le juge l’estime nécessaire. Mais dans la discussion de la
cause, qu’elle soit écrite ou orale, l’accusé, son avocat ou son procureur ont toujours le
droit de s’exprimer les derniers » (c.1725).
La solution de la cause. Le procès pénal peut s’achever de diverses manières. Le
promoteur de justice peut d’abord renoncer à l’instance. Cette renonciation doit se faire sur
l’ordre ou avec l’accord de l’ordinaire à l’initiative du quel le procès a été engagé. Elle
peut intervenir à tout degré de la procédure, mais pour « être valide elle doit être accepté
par l’accusé, à moins qu’il n’ait été déclaré absent du procès» (c.1724). L’accusé a le droit
de demander la poursuite du procès jusqu’à la proclamation officielle de son innocence.
Ensuite « à tout degré ou état du procès, il appert (apparait, manifeste) que le délit
n’a pas été commis par l’accusé, le juge doit le déclarer par une sentence et relaxer
l’accusé, même si en même temps s’il s’avère que l’action criminelle s’est éteinte »
(c.1726).
102
Enfin, le plus courant est que le procès s’achève sur une condamnation du
délinquant. L’appel lui est alors ouvert (c.1727).

3. L’action en réparation des dommages

Il est permis à la victime d’un comportement pénalement répréhensible d’agir, si


elle souhaite, en réparation devant le juge pénal. Elle y trouve principalement l’avantage de
l’appui indirect du promoteur de justice et du juge dans l’administration de la preuve du
comportement dommageable (c.1729). La victime doit agir au premier degré du jugement
pénal ; l’intervention directe en appel n’est pas possible.
Le juge pénal valablement saisi ne peut refuser de statuer sur la demande de
réparation. Mais il peut « ajourner le procès relatif aux dommages jusqu’au prononcé de la
sentence définitive du procès pénal (c.1730). Lorsque la victime a obtenu réparation par le
juge pénal, la sentence de ce dernier peut acquérir, si les conditions en sont remplies, force
de chose jugée à son égard. Le c.1731 énonce le principe qu’une sentence crée uniquement
un droit entre les parties en cause.

103
CINQUIEME PARTIE :
LA PROCEDURE DES RECOURS ADMISTRATIFS
ET DE REVOCATION OU
DE TRANSFERT DES CURES

.
Le but de cette partie, qui pourrait à elle seule nous occuper pendant des semaines et
des mois, est de vous faire comprendre le déroulement des recours contre les actes
administratifs de l’autorité ecclésiastique. La cinquième et dernière partie du Livre VII du
code de droit canonique traite de la procédure des recours administratifs ainsi que de la
révocation ou du transfert des curés. Elle se divise en deux sections :

Un premier point concerne l’étude d’un ensemble de textes vous permettant de saisir
les enjeux et de faire le lien avec les autres enseignements. Le second point vous indiquera
des pistes de travail pour approfondir la matière. Nous consacrerons une troisième partie à
la procédure concernant la destitution ou le transfert des curés.

I. Les recours contre les décrets administratifs.

La première, couvrant les canons 1732 à 1739, traite des recours administratifs en
général, Le droit canonique sur les procès contient des dispositions qui relèvent en fait de
la justice administrative. Même si elles témoignent d’un progrès dans la protection des
droits des fidèles, elles nous apparaissent encore insuffisantes, car en retrait par rapport à
ce qui avait été envisagé lors des travaux de révision du Code. Une protection accrue des
droits et des devoirs fondamentaux pourrait être obtenue par la promulgation d’une loi
fondamentale de l’Église ou la création de tribunaux administratifs inférieurs (à noter que
le CIC mentionne les tribunaux administratifs à deux reprises : c. 149, § 2, 1400, § 2), car
la voie judiciaire est sans conteste celle qui offre le plus de garanties.
Cette première procédure administrative porte sur les recours contre les décrets
administratifs, que le CCEO traite dans un titre à part (c. 996-1006). Le recours suppose
une relation hiérarchique entre son auteur, qui s’estime lésé par un acte administratif, et le
supérieur auquel il l’adresse et qui a émis le décret et refuse de le modifier. En effet, avant
104
d’engager le recours, il faut demander, dans les dix jours utiles et par écrit, à l’auteur du
décret de le révoquer ou de le modifier, et de surseoir en attendant à son exécution.
Sont susceptibles d’un recours hiérarchique « tous les actes administratifs
particuliers qui sont pris au for externe en dehors de tout jugement, à l’exception des
décrets portés par le Pontife Romain lui-même ou par le concile œcuménique lui-même »
(c.1732).
Seuls les actes administratifs particuliers sont concernés, à savoir les décrets,
préceptes ou rescrits selon les canons 35 et suivants. Eux seuls relèvent au sens strict du
pouvoir exécutifs dans l’Eglise et non du pouvoir législatif, comme c’est le cas pour les
actes administratifs généraux. Les actes administratifs particuliers sont susceptibles de
porter atteinte aux droits des membres de l’Eglise. Les recours administratifs hiérarchiques
ont pour but de protéger les droits des fidèles et non d’assurer un contrôle de la légalité des
actes administratifs. Il est nécessaire que ces actes soient portés au for externe en dehors de
tout jugement.
Les canons 1733 et suivants traitent de la mise en œuvre du recours. Deux étapes
successives sont prévues : l’étape gracieuse ou le recours préalable (c.1734-1736) qui, si
elle échoue débouche sur l’étape contentieuse (c.1737-1739). Mais de façon générale, tout
est fait par le droit canonique pour apaiser les conflits au canon 1733.
Le recours peut être introduit « pour n’importe quel motif juste » (CIC, c. 1737, §
1), dans les quinze jours utiles. La décision du supérieur peut aller au-delà de la demande.
En effet, « le supérieur qui traite le recours peut, le cas échéant, non seulement confirmer
le décret ou le déclarer nul, mais aussi le rescinder, le révoquer ou encore, si cela lui paraît
mieux convenir, l’amender, le remplacer ou l’abroger » (CIC, c. 1739 ; CCEO, c. 1004). Il
devrait aussi statuer sur la réparation des dommages causés (cf. CIC, c. 128 ; CCEO, c.
935, 1005).
La constitution apostolique Pastor Bonus contient les normes relatives au recours
contentieux-administratif, pour lequel le tribunal de la Signature Apostolique est
compétent (cf. CIC, c. 1400, § 2, 1445, § 2). Il est nécessaire d’épuiser la voie
administrative pour recourir à la Signature apostolique. Mais aucun recours n’est possible
contre les actes des dicastères qui ont été confirmés en forme spécifique par le Pontife
Romain. A cette exception près, la Signature apostolique connaît des recours « contre tous
les actes administratifs particuliers portés par les dicastères de la curie romaine ou
approuvés par elle, chaque fois que l’on prétend que l’acte attaqué a violé une loi
quelconque dans la manière de décider ou de procéder » ; en plus du jugement

105
d’illégitimité, il peut également connaître, à la demande du requérant, de la réparation des
dommages (const. ap. Pastor Bonus, art. 123, § 1-2). Le recours doit être interposé dans le
délai péremptoire de trente jours utiles. La sentence sera publiée selon une des formes
établies par le droit, la pratique de la deuxième section de la Signature apostolique étant de
la signifier aux parties et à leurs procureurs. Elle produit les effets de la chose jugée et ne
peut donc faire l’objet d’un nouveau recours, sauf recours extraordinaire au Pontife
Romain.
II. La procédure de révocation ou de transfert des curés

1. La procédure de révocation
Cette procédure nous enseigne qu’en dépit du fait que les curés aient le droit de
demeurer dans la charge qui leur a été initialement confiées, des raisons supérieures
peuvent conduire l’évêque diocésain à les révoquer. Cette révocation ne peut intervenir
qu’à certaines conditions (c.1740). Ces raisons ne sont pas limitatives, en dehors de ces
cas, la révocation d’un curé peut être décidée en s’appuyant directement et exclusivement
sur le critère général posé par le canon 1741. La mise en œuvre de la révocation obéit à
une procédure précise. Il convient de procéder avec prudence et délicatesse de la part de
l’évêque.
Cette vingtaine de canons, finalement insérés dans le code de droit canonique, a fait
couler beaucoup d’encre depuis les débuts des travaux de la commission de révision et
continue à être un des centres d’intérêt des canonistes. Cette deuxième procédure
administrative vise la révocation et le transfert des curés. L’évêque peut révoquer un curé,
même en l’absence de faute grave de la part de l’intéressé, quand son ministère « devient
nuisible ou au moins inefficace » c. 1740. Le transfert à une autre paroisse ou à un autre
office est décidé par l’évêque si « le bien des âmes, les nécessités ou l’utilité pour l’Eglise
le réclament ». De surcroît, la révocation est automatique dans les cas du canon 194 et la
révocation ou le transfert peut être décidé à titre de censure ou de peine expiatoire (CIC, c.
1331-1338). Le canon 1741 énumère cinq motifs pour que le curé soit révoqué légitiment :
1. Un grave désagrément ou un trouble portant préjudice à la communion ecclésiale,
2. L’incompétence ou infirmité permanente du corps et l’esprit,
3. La perte de la bonne estime ou l’aversion envers le curé,
4. Une grave négligence ou la violation de ses devoirs de curé persistant après
monition,
5. Une mauvaise administration des biens de paroissiaux.

106
Ces raisons sont seulement indicatives car il ne s’agit pas de droit pénal. Ici il s’agit de
formules ouvertes où le législateur invite l’Evêque en disant qu’il peut.
Pour l’une de ces raisons l’évêque doit suivre une procédure précise sous peine
d’invalidité. D’abord, par une enquête, il établit les faits et rassemble les éléments de
preuves. Puis il discute avec deux des curés d’un groupe constitué d’une manière stable par
le conseil presbytéral sur proposition de l’Evêque. Enfin s’il s’avère que la révocation soit
nécessaire, il informe le curé intéressé en lui indiquant le(s) motif(s) et les arguments afin
qu’il renonce à sa charge dans un délai de quinze (15) jours c.1742 §1.
Face à l’invitation de l’Evêque, le curé peut adopter plusieurs attitudes : soit il
renonce à sa charge « purement et simplement mais il peut la donner aussi sous condition,
pourvu, que cette condition puisse être acceptée légitimement par l’Evêque et soit admise
par lui » (c.1743 soit le curé garde le silence et ne donne pas de réponse dans le délai
prévu. Dans ce dernier cas et après avoir réitéré son invitation et prolongé le délai de
réponse c.1744 §1. « Si l’Evêque est certain que le curé a bien reçu sa seconde invitation
mais qu’il n’a pas répondu alors qu’il n’en était nullement empêché, ou si le curé refuse de
présenter sa renonciation sans donner aucun motif, l’Evêque porte le décret de révocation »
(ibidem § 2). Il se peut qu’à l’un ou l’autre stade de cette procédure, le curé conteste le(s)
motif(s) et les arguments avancés mais en faisant état d’éléments qui paraissent insuffisant
à l’Evêque ; alors commence la seconde phase de la procédure et pour que la révocation
soit valide. D’abord l’Evêque invite le curé à présenter ses arguments par écrits. Il
complète ensuite l’instruction et en débat avec les mêmes deux curés du groupe stable dont
il s’agit au c.1742 §1 à moins qu’il ne faille en désigner d’autres en raison d’un
empêchement des premiers. Enfin il porte le décret définitif sur l’affaire s’il y a ou non
révocation (c.1745). Dans ce cas de révocation, le curé peut engager un recours
administratif.
Quelles sont alors les effets de la révocation des curés ? Deux problèmes se posent :
 L’avenir du curé révoqué
 La charge qu’il ne peut plus occupée.
L’Evêque est tenu dans la mesure du possible d’y veiller. A cette fin « il s’occupera
de lui assigner un autre office, s’il en est capable, ou de lui assurer une pension, selon le
cas et si les moyens le permettent » (c.1746).
Quant à la charge occupée jusque-là par le curé, il est bien clair tout d’abord, qu’il
ne pourra plus continuer de l’exercer. Si un remplaçant est déjà nommé par l’Evêque, le
curé doit « laisser le plus rapidement possible le presbytère et remettre tout ce qui concerne
107
la paroisse à celui à qui l’Evêque l’aura confiée » (c.1747 §1). D’autre part, en cas de
maladie du curé révoqué, on applique le § 2 du même canon c’est-à-dire qu’il « ne peut
être transféré sans inconvénient du presbytère dans un autre endroit, l’Evêque lui en
laissera l’usage même exclusif, tant que cela sera nécessaire (Ibidem §2). Il se peut que
aussi que le curé ait exercé un recours contre le décret le révoquant, et s’il gagne son
recours, il conserve sa charge, car le recours a un certain effet suspensif. « Tant que le
recours contre le décret de révocation est pendant, l’Evêque ne peut nommer un nouveau
curé », mais il pourvoira entre temps à la charge par la nomination d’un administrateur
paroissial » c.1747 §3.
2. La procédure de transfert
La procédure de transfert est constituée de quatre canons et le cinquième s’applique
à cette section qu’à l’ensemble du Code. Deux motifs sont invoqués : le bien des âmes et
les nécessités ou l’utilité pour l’Eglise. Ainsi, l’Evêque peut décider le transfert du curé de
la paroisse à une autre ou à un autre office si le bien des âmes de cette paroisse ou la
paroisse ou il va être transféré ou le bien commun de l’Eglise l’impose. Les motifs ici sont
des raisons pastorales (c.1748). Pour ce faire, suivra cette procédure. Cette procédure n’a
d’autres buts que de garantir le principe de stabilité de l’office du curé si celui-ci n’est pas
nommé pour un temps déterminé selon le c.522. D’abord il fait connaître par écrit son
intention au curé concerné et l’exhorte à l’accepter. Dans un premier temps le
consentement du curé est exigé. Le curé qui refuse doit présenter ses raisons par écrit
(c.1749). Si les raisons avancées par le curé pour sa défense ne modifient en rien la
décision de l’Evêque, celui-ci en débattra avec deux des curés du groupe stable. Il ne
pourra porter de décret définitif que suite au refus du curé qu’il a exhorté une seconde fois
en lui faisant connaître sa décision (c.1750). En cas du nouveau refus du curé, l’Evêque
peut alors porter le décret de transfert « en disposant que la paroisse sera vacante à
l’expiration du délai fixé » (c.1751) dans le décret. Comme pour la révocation, un recours
peut être engagé contre le décret de l’Evêque en suivant la procédure selon le droit.
Le c. 51 précise que le décret sera donné par écrit, avec l’exposé au moins
sommairement des motifs, s’il s’agit d’une décision car le législateur connaît bien l’adage
« verba volant scripta manent » et n’ignore pas la valeur de l’écrit en matière de protection
des droits fondamentaux du fidèle152.

En fait, ils sont nombreux à voir leurs espoirs déçus. Si les schémas du récent code
prévoyaient l’érection de tribunaux administratifs régionaux, la version finale ne maintient
152
Bamberg A. op.cit. p.83-84.
108
que la seconde section de la Signature apostolique comme seul et unique tribunal
administratif de l’Eglise catholique. Peur de voir le pouvoir dilué ou crainte que les
diocèses, déjà souvent incapables de maintenir des instances judiciaires, ne puissent fournir
le personnel compétent nécessaire aux tribunaux administratifs ? Toujours est-il que les
conflits résultant du pouvoir administratif de l’Eglise peuvent surgir de tous les coins de
l’horizon et que les voies de recours, si elles ne sont pas totalement ignorées, restent
souvent obscures pour plusieurs personnes.
Enfin, il s’agit des personnes dans ces conflits. Tout d’abord, il faut vous poser
quelques questions au sujet de ces procédures particulières qui constituent la dernière
partie du code de droit canonique. S’agit-il de recours administratifs ou simplement d’une
procédure administrative qui n’a pas su trouver sa place dans un autre chapitre ? A-t-elle
une importance plus grande que d’autres procédures administratives ? Quelle est la part
attribuée aux recours proprement dits ? Essayez de bien distinguer les deux procédures qui
constituent cette seconde section de la cinquième partie du Livre VII. Quand y a-t-il
révocation et quand parle-t-on de transfert du curé ? Il vous appartient d’approfondir les
canons 1740, 1741 et 1748 afin de répondre à cette question. La liste des motifs cités est-
elle exhaustive ou peut-on envisager d’autres cas ?
Ensuite, esquissez le déroulement de la procédure de révocation en partant des
canons 1740 à 1747, d’une part, et de la procédure du transfert des curés en vous reportant
aux canons 1748 à 1752, d’autre part. Il faut retenir que personne ne peut faire recours
contre un décret ou une sentence du pontife Romain c. 333 § 3. Puis essayez de répondre
aux questions suivantes :
Quelles sont les différences majeures entre ces deux procédures ?
Quelles sont les conséquences ou effets de ces procédures tant pour le curé que pour
l’évêque ? Le curé a-t-il un droit de défense et lequel ?
Quelles sont les voies de recours possibles et quels sont les effets juridiques des recours à
l’autorité supérieure ?
Comment le législateur voit-il les droits des fidèles dont le curé révoqué ou transféré avait
charge d’âme ?
La troisième étape de votre travail consiste à situer ces procédures dans leur
contexte historique. Quelles étaient les normes qui régissaient ces procédures pendant
l’entre-deux codes ? Qu’en disait le code de 1917 et à quelles sources se référait-il ? Enfin,
il vous appartient de faire une étude approfondie de la notion de salut des âmes qui revient

109
très souvent dans le contexte de cette partie du code, en particulier au dernier canon de ce
code.
Expliquez la notion dans son contexte et notez les occurrences. Que pensez-vous du
pouvoir discrétionnaire de l’évêque dans ces procès ?
Le titre de cette partie parle de résolution des conflits par voie administrative.
L’expression est courante dans le milieu des canonistes et signifie probablement qu’ils
voient dans les recours administratifs une possibilité de résoudre un problème né de
l’exercice du pouvoir administratif dans l’Eglise. Mais ne faut-il pas examiner de près ces
procédures et recours afin de voir si nous sommes vraiment en présence d’une possibilité
de résoudre les conflits ?

En résumé, le conflit naît d’un acte administratif de l’autorité. Si cet acte est établi
en bonne et due forme, la personne physique ou juridique peut, le cas échéant, contester le
fond de la décision et inciter l’auteur de l’acte à revenir sur ses pas ou à modifier les termes
de sa décision. Dans le cas d’un maintien de l’acte dûment établi les voies de recours
s’épuiseront en réalité après le recours hiérarchique à l’autorité supérieure. Si par contre, la
personne s’estime lésée par un acte illégitime, le recours au tribunal administratif reste
possible. Celui-ci pourra-t-il résoudre le conflit ?

L’étude de la procédure et des cas concrets vous montrera que la Signature


apostolique ne connaissait que des recours contre des actes censés avoir violé une loi dans
la manière de décider et/ou dans la manière de procéder, ce qui est parfaitement
compréhensible puisqu’il s’agit d’un tribunal administratif. Cependant la simple
déclaration d’illégitimité d’un acte administratif est loin de résoudre le conflit initial et
peut-être toujours présent après la « cassation » de l’acte illégal.

Depuis la naissance de la seconde section de la Signature apostolique jusqu’au code


de 1983, en passant par les projets de création de tribunaux administratifs locaux, il n’était
question que d’une conciliation en début du conflit, d’une part, et d’une possibilité de
recours auprès du tribunal administratif, d’autre part. Si la conciliation a toujours donné
quelque espoir de résolution pacifique du conflit, le recours administratif jusqu’à l’autorité
suprême, avec tous les entêtements qu’il a pu subir de part et d’autre, a jusqu’à l’heure
actuelle laissé un arrière-goût amer à maintes parties requérantes.
En effet, la « cassation » de l’acte irrégulier n’a pas toujours été apte à éliminer les
injustices résultant de ces longues procédures. Des dommages de tous genres ont pu
subsister tant auprès des requérant(e)s que dans la communauté chrétienne. Depuis la

110
promulgation de la constitution apostolique Pastor bonus des espoirs de résolution de ces
injustices peuvent naître car l’art. 123, 2° prévoit que la Signature apostolique puisse
connaître de la réparation des dommages occasionnés par l’acte irrégulier. Le contrôle de
la légalité peut donc désormais être assorti d’une action en réparation des dommages.
Qu’en sera-t-il dans les faits ? En effet, quels seront ces fidèles qui connaîtront cette
possibilité et quels seront les moyens de cet unique tribunal administratif de l’Eglise pour
tendre vers une réparation optimale ? L’avenir le dira, mais les canonistes « locaux »
devraient en premier lieu avoir pris conscience de cette lacune tant bien que mal comblée.
Peut-être renaîtra peu à peu leur espoir de résolution des conflits, de réparation des
dommages étudiée au niveau local, voire de tribunaux administratifs décentralisés ? Au
terme de cette étude des différentes procédures tant judiciaires qu’administratives la
dernière partie de ce cours vous propose d’amorcer une réflexion sur ces procès. Sont-ils
nécessaires et toujours opportuns ou bien existe-t-il des procès téméraires ?

111

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