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Cours d’administration de la preuve1

Prof Eugène Bakama Bope


G3 Droit privé et judiciaire

Plan du Cours

Introduction

1. Notion de la preuve
1.1 Définition
1.2 Objet et importance
2. Evolution de la preuve
2.1 Les preuves irrationnelles
2.2 Les preuves rationnelles

3. Les modes de preuve


3.1 Preuve littérale
3.2 Preuve testimoniale
3.3 Preuve par présomption
3.4 Preuve par aveu
3.5 Preuve par serment
Chapitre I. Du régime de l’administration de la preuve en matière civile et commerciale

Section 1. Les parties au procès


§1. Partie demanderesse
§2 partie défenderesse
§3 Partie intervenante
§4 L’action du Ministère public en matière civile et commerciale

Section 2. de la répartition du fardeau de la preuve


§1. Bref aperçu historique : conception classique et moderne du procès
§2. Principe actuel

Chapitre II : Certaines obligations et spécialement du rôle des parties au procès

Section 1 : De la communication des pièces


§1. Notion et nature de la communication des pièces

1. Notion
2. Nature
3. Exception
§2. Communication des pièces et droits de la défense
§3. Communication et production des pièces

Section 2. Organisation de la communication des pièces

§1. Comment s’opère la communication des pièces

1 Synthèse élaborée sur base des enseignements du Prof Bompaka.


§2. Moment de la communication des pièces
§3. Communication des pièces et mentalités congolaises
§4 sanctions et effets de la communication des pièces
1. Sanction
2. Effets
Section 3. De l’action ad exhibendum et du compulsoire
§1. De l’action ad exhibendum
1. Notion
2. Rapport entre la communication des pièces et action ad exhibendum
§2. Du compulsoire
1. Notion
2. Sanction
3. Les restrictions à l’obligation de collaboration

Chapitre III. Du régime de l’administration de la preuve en matière pénale

Section 1. La charge de la preuve


§1. La charge de la preuve incombe au Ministère public
§2 Le doute profite au prévenu

Section 2. Les moyens et l’appréciation des preuves

§1. Les moyens de preuves


§2. L’appréciation directe

1. Constatation directes
2. L’aveu
3. Les témoignages
4. Les indices
5. L’expertise
Section 3. L’administration de la preuve en droit pénal comparé

§1. Principes relatifs à la recevabilité de la preuve


A. Liberté de moyens de preuve
B. Légalité dans l’administration de la preuve

Section 4. La preuve numérique en droit congolais

§1. Classification des preuves numériques


§2. Force probante de la preuve numérique
Introduction

1. Notion de la preuve
1.1 Définition
Il existe plusieurs définitions sur la notion de la preuve, mais nous en
retiendrons que quelques-unes :
Selon le dictionnaire juridique , la preuve c’est la démonstration de l’existence
d’un fait ( matérialité d’un dommage) ou d’un acte (contrat, testament) dans les
formes admises ou requises par la loi2.
Selon certains comme AUBRY et RAU, prouver, c’est le fait pour l’une des
parties de soumettre au juge saisi d’une contestation des éléments de conviction
propre à justifier la vérité qu’elle allègue et que l’autre partie dénie ou conteste 3.
De cette définition, on retient que le juge ne peut consacrer un droit qui a fait
l’objet d’un conflit que s’il est convaincu des éléments de preuve apportés par
son titulaire.
Pour ASSER, ANEMA et VERDAM, prouver c’est procurer au juge les
éléments nécessaires à le convaincre de la réalité des faits eu égard à la nature et
aux circonstances particulières du litige4.
Les preuves sont des procédés par lesquels on peut établir l’existence ou la
teneur d’un acte ou d’un fait juridique.
Le plus souvent, la nécessité de prouver intervient à l’occasion d’un contentieux
et en matière civile, il appartient en principe à celui qui réclame l’exécution de
son droit prétendu à une autre personne d’en prouver l’existence. Cependant,

2 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, puf, Paris, 2007, p. 716.


3 Aubry et Rau , Cours de droit civil, 6ème édition, cité par Etana Y, Cours de l’administration de la preuve, 3ème
graduat droit, Unikin, 1984-1985.
4 Asser, Aneda et Verdam, cité par Stevigny G, la charge de la preuve, in JT, 1957, p. 746.
c’est parfois nécessaire de prouver en dehors de tout litige ( par exemple,
prouver son identité dans la vie courante).
ETANA quant à lui estime que la preuve est considérée comme l’âme du procès.
Kalongo Mbikayi considère la preuve comme « l’ensemble des éléments que les
parties sont autorisées à soumettre au juge pour entrainer la conviction de celui-
ci et pour établir les fondements juridique d’une prétention »5.
Toutes ces définitions sont pertinentes, mais la préoccupation majeure est la
persuasion du juge du bien-fondé de la prétention du plaideur. C’est donc la
preuve qui est au centre d’une affaire en cause et l’issue du procès dépend
fortement des preuves fournies. Celui qui réclame l’exécution d’une obligation
doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le
paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ( art 1315 du
Code civil français voir aussi l’art. 197 du CCL3).

1.2 Objet et importance de la preuve


1.2.1 Objet de la preuve
Eu égard aux définitions qui précèdent, il résulte que ce sont des faits et des
actes juridiques qu’il faille démontrer et prouver en justice et non le droit.
L’objet de la preuve se limite uniquement aux faits générateurs, qui ont donné
naissance au droit qui est invoqué.
Deux éléments importants :
- Seuls les faits générateurs doivent être prouvés, car le juge n’en a pas
connaissance ;
- Les règles de droit n’ont pas à être prouvées, car le juge est censé
connaître la loi. Ceci se traduit par l’adage « jura novit curia », cela
signifie que les parties et leurs avocats doivent passer immédiatement aux
faits sans se donner la peine de chercher quelle loi sera appliquée. Le juge
connaît la loi, il est donc inutile de la lui exposer.

5 Kalongo Mbikayi , Droit civil, Tome I , les Obligations, édition CRJD, Kinshasa, 2009, p. 375.
Dans certains cas, il existe des règles qui peuvent être supposées connues du
juge, les parties doivent apporter la preuve de ces règles. Deux hypothèses :

- Les usages et la coutume ;


- La loi étrangère

a) Les usages et la coutume

Les règles de droit font l’objet d’une publication, ce n’est pas le cas des
usages et de la coutume. Par conséquent, il difficile d’avoir accès à ces
usages. La partie qui invoque une coutume non connue du juge peut aider
celui-ci à la connaître. Quant à la preuve de la loi étrangère, la solution varie
d’un pays à l’autre .

b) La loi étrangère
En principe, on ne peut pas exiger d’un juge national qu’il connaisse toutes
les lois étrangères. Les parties doivent prouver le contenu de la loi étrangère
applicable aux droits disponibles. C’est la position adoptée par le droit
français, belge et congolais. La partie qui se prévaut de l’application d’une
loi étrangère doit en apporter la preuve du contenu et produire les documents
nécessaires afin d’éclairer la religion du juge. En droit néerlandais, le juge est
présumé connaître non seulement la loi de son pays, mais également le droit
étranger.
Afin d’entrainer la conviction du juge, les faits dont il est question sont ceux
qui ont une incidence sur le rapport de droit des parties et ils doivent être soit
pertinents, soit concluants, soit enfin contestés.
- Les faits dits pertinents sont des faits qui sont en rapport direct avec le
litige ou avec l’hypothèse de fait visée par la règle ;
- Les faits dits concluants sont des faits qui engendreraient l’application de
la règle de droit invoquée ;
- Les faits dits contestés sont ceux qui visent la règle invoquée et que
l’adversaire met en cause.
Ne doivent pas être nécessairement prouvés :
- Les faits non pertinents : les faits qui n’ont rien à voir ni directement ni
indirectement avec les faits visés par la règle invoquée ;
- Les faits non contestés, mais allégués : Il faut nuancer ici, car, par
exemple le ministère public n’obtient pas nécessairement gain de cause
par le seul fait du silence du prévenu. Il doit toujours faire la preuve de ce
qu’il avance.
- Les faits notoires, c’est-à-dire les faits connus de tous ou accessibles à
tous.
Henri de PAGE soutient que la preuve vise un double objet : démontrer
l’existence des faits qui ont servi de base à la prétention d’une part et
démontré leur conformité au droit d’autre part.
Il existe cependant des faits dont la preuve ne peut avoir lieu. Cela peut
résulter soit de la volonté de la loi, soit encore de la nature même du fait
exposé. En effet, dans certaines hypothèses, le législateur dispose que tel fait
est réputé vrai par le fait de l’invoquer, dispensant celui qui allègue ces faits
de rapporter la preuve. La présomption légale dispense de toute preuve, celui
au profit duquel elle existe ( voir article 228 du CCL III).
Le but de la présomption légale est d’empêcher la preuve contraire et de
garantir contre la remise en question certaines situations que le législateur ne
désire pas voir troubler. Ex : en fait de meuble possession vaut titre( art 656
CCLIII), celui qui détient l’objet en est présumé propriétaire (bonne foi). De
même, le législateur dispense de toute preuve de recherche en paternité un
enfant qui nait pendant le mariage ou dans les 300 jours après la dissolution
du mariage en disposant que cet enfant a pour père le mari de sa mère ( art.
602 du CF).
Le mari devra prouver que pendant la période légale de conception, il était
soit pour cause d’éloignement soit par effet de quelque accident dans
l’impossibilité de cohabiter avec sa femme ( art 606 CF).
Cependant, la présomption légale est loin d’être de moyen de preuve au sens
rigoureux du terme. La présomption légale ne prouve point. Elle impose. Elle
ne s’efforce pas de démontrer par persuasion, mais en revanche d’ordonnée
par autorité.
1.2.2 Importance de la preuve
La preuve est une partie essentielle du débat judiciaire. Elle fait partie de
l’instruction du procès qui tend à établir le bien-fondé de la prétention du
demandeur ou de la défense du défendeur. Le juge acquitte ou condamne une
partie selon que la preuve étaye la vérité de ses prétentions ou ne peut le faire.
En droit, l’administration de la preuve influence largement la position du juge et
surtout l’issue du procès. La preuve vise essentiellement à convaincre.
Toutefois, à l’heure actuelle, l’évolution de la technologie nous pousse à dire
que certains modes de preuve ne visent plus seulement à convaincre, mais à
établir la vérité telle est le cas de l’ADN qui établit sans nul doute la paternité
d’un enfant. Certains auteurs comme le Prof Bompaka suggèrent la suppression
de la présomption de la paternité consacrée par le Code de la famille.

Dans l’exploit introductif d’instance, le demandeur expose sommairement les


moyens à l’appui de sa demande. La preuve se complète jusqu’à la fin des
débats par des conclusions nouvelles que les parties y prennent et par les
plaidoiries de leurs avocats. Chacun des plaideurs doit administrer la preuve des
faits et des actes sur lesquels il appuie sa prétention. La preuve ne s’applique
d’ailleurs qu’à des éléments de faits. La règle de droit étant connue du juge. Elle
peut être regardée comme l’âme du procès en ce sens que l’issue du procès en
dépend, car celui qui ne prouve pas ou prouve insuffisamment échoue en tout ou
en partie dans ses prétentions.
En matière civile, un droit n’est rien sans la preuve qui le vivifie. Aussi, celui
qui en demande ou en défend soulève un fait contraire à la situation existante
doit-il en apporter la preuve. Ainsi, aura raison en principe celle des parties au
procès qui aura établi la preuve de ses prétentions.

2. Évolution de la preuve
L’étude de l’historique de la preuve est étroitement liée au système de croyances
des sociétés. Cela revient à dire que le régime de preuve va de pair avec le mode
des pensées de la population. C’est ainsi qu’il existe autant des systèmes de
preuve qu’il y a des types de sociétés. Dans l’évolution de la preuve judiciaire,
deux périodes se distinguent.
2.1 Les preuves irrationnelles
À l’époque des populations primitives où les sociétés se rattachaient aux
divinités. Leurs activités revêtaient la forme rituelle. À titre d’illustration, les
ordalies, le duel judiciaire, le serment, etc. aujourd’hui, ces modes de preuves
sont archaïques en raison de la procédure de leur administration.
2.2 Les preuves rationnelles
Ce sont tous les moyens de preuve admis par nos sociétés modernes et basées
sur la raison d’une manière générale. Deux systèmes s’affrontent et font naitre
deux conceptions :
- Le système de la liberté de preuve ;
- Le système de la preuve légale

2.2.1 Le système de la liberté de preuve


Appelé aussi la preuve morale ou l’intime conviction, ce procédé consiste pour
le juge à n’obéir dans l’analyse des faits et documents soumis à son appréciation
qu’à sa conscience, sa raison donc à son intime conviction. Les moyens utilisés
par les parties sont susceptibles de former la conviction du juge lesquels moyens
sont admis évidemment par la loi et la pratique. Dans ce système le juge y joue
un rôle actif dans la recherche de la vérité et dispose également d’un pouvoir
souverain d’appréciation de la force probante des moyens de preuve produits
devant lui. Afin d’éviter l’arbitraire du juge et de son esprit fantaisiste, le
système de la liberté de preuve exige du juge la motivation de ses décisions.
Celles-ci doivent être l’aboutissement logique d’un examen analytique des faits
et d’une appréciation critique des éléments qui lui sont soumis. En cette matière,
la liberté du juge est quelquefois limitée. C’est pourquoi le législateur a écarté
cette liberté devant certains procès-verbaux établis par l’autorité publique qui
dans une certaine mesure s’imposent au juge.
2.2.2 Le système de la preuve légale
Ici, dans la démonstration de leur prétention respective, les procédés de preuves
que les plaideurs doivent respecter sont réglementés et hiérarchisés par la loi.

3. Les modes de preuve


La loi prévoit 5 modes de preuve que voici :
3.1. Preuve littérale
La preuve littérale est celle qui résulte de toute espèce d’écrits. Qu’ils aient été
ou non destinés lors de leur rédaction à constater un fait juridique c’est-à-dire un
fait de nature à provoquer les obligations. Deux espèces de preuve littérale
existent.
3.1.1. Acte authentique.
L’écrit qui est rédigé spécialement pour servir de preuve par un officier public
notamment un notaire , un greffier , un huissier.
3.1.2 Acte sous seing privé
Celui qui est rédigé sans l’intervention d’un officier public, il porte la signature
des parties intéressées audit acte. Il convient également de citer, en matière
civile certains écrits non signés pouvant servir de preuve. Il s’agit de :
- Livre de commerçants ;
- Registre et papiers domestiques
- L’écriture mise par le créancier sur titre
- Les tailles conformes à leurs échantillons.
3.2 Preuve par témoin ou testimoniale
Est celle qui résulte des déclarations orales de l’homme, reçu en justice. La
personne qui dépose le témoignage s’appelle témoin oculaire, lorsqu’elle a
perçu directement ce qui en fait l’objet, et témoin auriculaire, lorsqu’elle doit
son information à un témoin oculaire.
La preuve testimoniale a une plus grande importance en droit pénal quand il
s’agit de la constitution ou reconstitution matérielle des éléments constitutifs
de l’infraction. Il en a été longtemps ainsi en droit civil. D’où « témoins
passent lettres » dit un adage très ancien ( donc le témoin avait une
importance supérieure à l’écrit).
Le déclin de la preuve testimoniale est lié à une double évolution :
D’abord le progrès de l’alphabétisation, ensuite la disparition du journalisme
au profit du consensualisme dans la création des actes juridiques.
Ces raisons, jointes aux motifs selon lesquels l’exigence d’un écrit
supprimerait de nombreux procès, sont à la base de l’ordonnance de Moulins
de 1556. À partir de cette époque, l’adage se renverse et devient « lettres
passent témoins ».
Le témoignage peut aussi être écrit. Il s’agit notamment de :
- Récit d’un événement dans une lettre missive ;
- Certificat donné par les hommes de l’art ;
- Constat d’huissier dressé à la requête des particuliers
3.3 Preuve par présomption
Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un
fait connu à un fait inconnu. Il y a présomption légale qui n’existent qu’en
raison d’une disposition spéciale de la loi et les présomptions qui ne sont pas
établies par la loi qui sont des conséquences que le juge tire des faits connus
pour établir des faits inconnus ( présomption judiciaire).
3.4 Preuve par aveu
L’aveu est une déclaration par laquelle une personne reconnaît comme avéré
à son égard un fait de nature à produire contre elle des conséquences
juridiques. L’aveu est à première vue la meilleure des preuves et dans
beaucoup de cas, il en est réellement ainsi. Elle était considérait comme la
reine des preuves. Les anciens auteurs l’appelaient « probation
probatissima » c’est-à-dire « la preuve probante ». Il pourrait pourtant se
faire qu’un aveu soit volontairement faux, soit pour égarer la justice, soit par
plaisanterie, soit par pression.
Il y a deux espèces d’aveux à savoir :
- L’aveu extraordinaire : qui est celui prononcé en dehors de la présence du
juge ;
- L’aveu judiciaire : qui est prononcé en présence du juge
3.5 Preuve par serment
Tout comme l’aveu, le serment peut intervenir au cours ou en dehors d’une
instance , de sorte qu’il peut être judiciaire ou extraordinaire. Le serment est
soit décisoire soit déféré d’office.
Le serment décisoire est une convention, une sorte de transaction sous le
contrôle de juge par laquelle l’une des parties s’en remet à la conscience de
son adversaire pour faire dépendre du serment la solution du litige. Le juge
dans ce cas cesse d’avoir un rôle actif. Il n’est plus qu’un simple spectateur
qui enregistre le résultat de la procédure à laquelle il est lié.
Le serment déféré d’office quant à lui soit supplétoire soit estimatoire. Le
serment supplétoire est celui que le juge peut déférer d’office, quand il n’est
pas convaincu par les preuves produites devant lui et qu’il veut en corroborer
les conclusions ou en compenser l’insuffisance.
Selon Henri de PAGE, en réglementant la preuve en matière civile, le
législateur avait pour préoccupation principale de donner aux affaires une
base sûre et d’assurer aux plaideurs une égalité complète dans les débats
judiciaires. Les moyens de preuve à produire devant le juge étant connus de
toutes les parties, ces dernières peuvent plus ou moins, sans interventions du
juge, se représenter l’issue du procès.
Voici quelques caractéristiques principales de ce système :
-le juge ne peut former sa conviction que par les procédés de preuves
légaux ;
Le juge civil reste neutre et se contente d’apprécier les preuves apportées par
les parties. Le principe dispositif doit être de rigueur , c’est à dire le juge civil
doit se prononcer dans les limites des dires des parties et d’après les résultats
des preuves légales produites au cours de l’instance ;
- La vérité recherchée par ce mode légal de preuve n’est pas nécessairement
la vérité réelle , objective, mais il s’agit d’une vérité judiciaire.
ETANA estime que la vérité judiciaire est celle qui est dégagée par le juge
des éléments d’appréciation qui lui ont été soumis par les plaideurs. C’est
une approximation prudente formulée dans le jugement du juge6.
Actuellement, ces trois caractéristiques ne sont pas rigides comme elles
l’étaient à l’époque classique. Certains mécanismes ont assoupli cette
rigidité. Il s’agit notamment de certaines dispositions légales qui autorisent le
juge à ordonner des mesures propres à compléter certaines preuves.
S’agissant de la comparution personnelle ordonnée par le juge et du serment
supplétoire, SICARD7 écrit : « le juge civil n’est plus passif. Il ne se contente
plus de constater où sont les meilleures preuves entre celles qui lui sont
soumises. Il s’efforce de déterminer où se trouve la vérité. En dehors des
moyens de preuves réglementés par le droit civil, en matière commerciale, en

6 ETANA, Y op.cit
7 SICARD J Manuel théorique de pratique de la preuve en justice, Paris, 1960, p.13.
raison de la rapidité que requièrent les transactions commerciales, la preuve
testimoniale et la preuve par présomption y sont admises très largement.
À l’heure actuelle, le juge est devenu un homme de science. Qu’il soit civil
ou pénal, sa tâche essentielle consiste à découvrir et à détecter les divers
éléments de fait et de droit s’il en faut ; à rassembler les éléments pertinents
en un ensemble synthétique.

Chapitre I. Du régime de l’administration de la preuve en matière civile et


commerciale

Section 1. Les parties au procès


En tant qu’activité contentieuse, le procès oppose les intérêts des parties ou
groupes des personnes qui soutiennent devant la juridiction leurs prétentions.
Régulièrement, ces parties se regroupent en deux camps, à savoir :
§1 Partie demanderesse
C’est la personne qui saisit le tribunal de la prétention d’un droit pour obtenir
reconnaissance de celui-ci ou sa restauration. On l’appelle aussi sujet actif. C’est
elle qui met en mouvement les hostilités judiciaires et qui demande la première à
la juridiction saisie de mettre fin au conflit qui l’oppose à l’autre partie qui
chercher à se défendre.
§2. Partie défenderesse
C’est elle qui n’ayant pas pris l’initiative de saisir une juridiction se voit tenue
de répondre ou de se défendre contre les prétentions de la partie demanderesse.
La partie défenderesse est un sujet passif contrairement à la partie demanderesse
qui en est le sujet actif. Elle est entrainée dans un lien juridique qu’elle n’a
probablement pas souhaité. En même temps elle tient à protéger ses droits. Mais
il arrive des cas dans lesquels en cours d’instance , la partie défenderesse se
convertisse en demanderesse. Il s’agit précisément dans la situation d’une
demande reconventionnelle. Il est à signaler que seul le défendeur peut
introduire une demande reconventionnelle. C’est ce qui se traduit par l’adage
« reconvention sur reconvention ne vaut ». Le demandeur ne pourrait donc pas
répondre à son tour par une autre demande reconventionnelle, ce qui n’empêche
pas toutefois le demandeur de se défendre par tous les moyens à l’action qui lui
est intentée comme il le ferait dans le cas où le défendeur aurait préféré
introduire l’action reconventionnelle par voie principale.
§3. Partie intervenante
À l’instar du procès, une personne qui n’a pas été partie peut intervenir. C’est
l’intervention. Autrement dit, l’entrée en procès d’une personne jusque-là
étrangère à l’instance liant les parties principales. L’intervention est une tierce
personne qui est amenée à formuler une prétention de droit à l’instance dont elle
n’était pas partie. Donc, l’intervention est une procédure par laquelle un tiers
devient partie à la cause. Son but est soit de sauvegarder les intérêts de
l’intervenant ou de l’une des parties en cause, soit de faire prononcer une
condamnation ou ordonner une garantie. Cette intervention du tiers à l’instance
peut être volontaire ou forcée.
Elle est volontaire lorsque le tiers se présente volontairement au procès pour
défendre ses intérêts ; tandis qu’elle est forcée lorsque le tiers est cité par l’une
des parties au procès.
L’intervention forcée du tiers peut répondre à une double préoccupation :
-prendre fait et cause à l’égard de la partie qui l’assigne en justice ; ce qui
s’assimile à l’appel à garantie ;
-S’incliner devant le jugement qui interviendra. C’est ce que l’on appelle « la
déclaration de jugement commun ».

§4. L’action du ministère public en matière civile et commerciale

Conformément à l’article 66 al. 5 de la loi n°13/011-b du 11 avril 2013 portant


organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre
judiciaire, le ministère public veille au respect de la loi et de l’ordre public,
assiste à toutes les audiences de la Cour de cassation, des cours d’appels, des
tribunaux grande instance, des tribunaux de commerce, des tribunaux de travail
et des tribunaux de paix. Il ne prend pas part au délibéré.
De prime abord, en matière civile, on voit mal comment le ministère public peut
être intéressé dans la mesure où le litige qui doit être tranché est d’ordre privé.
RASSAT Laure fait remarquer qu’il s’agit d’une vision superficielle des choses.
Un litige même privé peut souvent soulever une question dont la solution
intéresse spécialement l’ordre public. À titre d’illustration, nous citerons la
question de nationalité et du délit d’audience.
Si en matière pénale, ministère public reste partie principale et nécessaire, par
contre, en matière civile, le ministère public est toujours partie jointe, il peut
éventuellement être partie principale. RUBBENS pense que cette expression
« partie jointe » n’est pas appropriée8.
Comme partie principale ou intervenante dans les cas spécifiés par la loi et
chaque fois que l’intérêt public exige son concours, le ministère public
intervient et à ce titre, il est considéré comme un véritable plaideur.
À ce titre, il peut former contre les décisions rendues par le tribunal toutes les
voies de recours s’il estime que le jugement lui fait grief ; il peut aussi exprimer
toutes les prétentions qui lui paraissent légitimes. Dans tous ces cas, il agit par
voie d’action en demande soit en défense. Par contre, en tant que partie jointe,
ce qui veut dire simplement qu’il donne un « avis ». le ministère public procède
par voie de réquisition. Son action est justifiée par le souci du respect de la loi ?
Dans cette hypothèse de partie jointe, le ministère public dispose d’un pourvoi
en cassation. Comme jointe, il ne peut non plus rien ajouter aux conclusions des
parties. Toutefois, il peut défendre les prétentions de ces parties par des
arguments nouveaux qu’elles n’ont pas invoqués9.

8 RUBBENS A. Op. Cit, p. 39, n°36


9 BOSAMBA M, Le Ministère public, partie principale en matière civile, Mémoire, UNIKIN, 1982-1983, p 16.
Section 2. De la répartition du fardeau de la preuve

La partie qui supporte le risque de la preuve est celle qui prend l’initiative de la
charge de la preuve.
La répartition du fardeau de la preuve est un problème qui consiste à déterminer
entre les deux parties au procès, celle qui doit supporter le risque de la preuve.
Généralement, lorsque les faits sont contestés et que ni l’une ni l’autre partie ne
rapporte la preuve de ses dires, ce problème se pose. Afin de persuader le juge
du bien-fondé de sa prétention, chacune des parties cherche toujours à faire
peser le poids de la preuve sur l’autre. Celui qui ne prouve pas ou prouve
insuffisamment doit échouer en tout ou en partie dans ses prétentions.
C’est pour cette raison qu’il est d’un intérêt capital de rechercher qui doit
supporter le poids de risque de la preuve.
Par le souci de l’égalité devant le juge, la doctrine estime que le principe de la
répartition de la preuve doit être dominé10. Grâce à ce mécanisme d’égalité, les
parties se combattent avec les mêmes armes et partant avec les mêmes chances.

§1 Bref aperçu historique : conception classique et moderne du procès


1. Conception classique
À cette époque, la règle de la répartition du fardeau de la preuve était appliquée
de façon stricte et rigoureuse. C’est en ces termes que la doctrine stigmatisait
cette conception : « c’est toujours celui qui avance un fait qui doit le
prouver »11.
Les idées dominantes à cette époque étaient que le procès civil était une affaire
des parties et que le juge devait se borner à une simple constatation et

10 DONAT cité par Stevigny G: la Charge de la preuve en matière civile, in JT, 1997, p.749, n°36.
11 Id.
ratification des droits des parties ; la liberté du juge était soumise à la volonté
des parties.
L’attachement aux principes de la liberté a même conduit, sous l’influence de la
Révolution française, à méconnaitre le rôle des tribunaux en proposant leur
remplacement par des arbitres qui statueraient sans procédure et sans frais. Le
respect de procédure et l’imposition des frais faisaient perdre aux parties leur
liberté devant les tribunaux. Les rôles du juge et des parties étaient
respectivement déterminés.
1.1 Rôle du juge
Le procès était uniquement l’affaire des parties, sous l’œil d’un arbitre passif
appelé juge. Chaque plaideur connaît les siens et est le mieux indiqué pour le
prouver. Le rôle du juge dans un procès civil consistait en un constat et une
ratification. Son effet, des intérêts privés étaient en jeu. Chaque plaideur connaît
le sien. Mains liées, le juge se bornait à trancher le litige d’après la preuve qui
lui a été fournie par les plaideurs sans une participation active de sa part à la
recherche de la vérité. À l’époque classique, le juge ne se limitait qu’aux seuls
éléments lui fournit par les parties, à défaut desquels leur auteur était débouté.
Cette conception occidentale, selon la doctrine, était contraire à la vision
africaine où le juge recherche la vérité par tous les moyens, même en dehors du
prétoire12.
La stricte application de ces règles peut soulever de sérieuses difficultés. À ce
sujet, écrit la doctrine : « l’application de ces principes n’est cependant
nullement de nature à faciliter la tâche essentielle du juge qui consiste à apprécie
le bien-fondé des faits juridiques et autres dont la contestation lui est soumise ».
En effet, cette conception classique liait le juge et rendait pratiquement
prisonnier des parties. Le défendeur risquerait de se borner à nier les faits à ce
juge passif qui ne peut n’y contraindre les parties à une quelconque

12 RUBBENS A. Op. Cit, o. 69, note 93.


collaboration, le procès civil ayant sensiblement évolué est devenu l’affaire de
tous.

1.2 Rôle des parties


À l’époque classique, le procès civil était l’apanage des parties qui disposaient
librement de leurs droits. Ce sont elles qui en avaient la direction. Chaque partie,
cherchant à sauvegarder ses intérêts, ne se préoccupait pas de la collaboration
avec l’autre partie à la recherche de la vérité.

2. Conception moderne du procès


D’une manière générale, la conception moderne constitue une réaction à la
précédente qui était rigide et absolue. Elle corrige les considérations rigoureuses
de l’époque classique et fait une application souple du principe de la répartition
du fardeau de la preuve. Développée en France et en Belgique, elle a
essentiellement innové en deux points :
2.1 De la liberté des parties
La doctrine moderne, tout en reconnaissant que les parties sont libres de mener
leurs actions, admet cependant la nécessité d’une collaboration entre les parties
d’une part, et avec le juge d’autre part, dans l’administration de la preuve , à
condition que cette collaboration ne nuise pas aux intérêts des parties.
Désormais, les parties doivent savoir qu’elles participent à la recherche de la
vérité et qu’elles doivent le révéler au juge par une sincère collaboration. Mais
cette collaboration qui doit pourtant être régulière et spontanée est rare en
pratique. Car chaque partie vise à sauvegarder ses intérêts exclusivement. Or,
dans la conception moderne, le procès civil est devenu l’affaire de tous ; la
vérité étant une indivisible. Tous, parties et tribunaux, voire tiers, ont le devoir
de rechercher la vérité dans la mesure du possible. La doctrine estime que le
procès perd son caractère de droit privé du moment où il est soumis à un
magistrat13. Selon RUBBENS, en réalité le caractère privé se combine avec le
caractère public. Autrement dit, le procès civil n’est ni exclusivement de droit
privé, ni totalement de droit public14. Les parties sont ainsi appelées à exercer
leurs actions dans le respect et les limites des droits positifs.

2.2 De la passivité du juge


À l’inverse de son homologue classique qui n’était qu’entre deux parties au
procès qu’un simple arbitre passif aux mains liées, le juge moderne qui est en
même temps un organe public, remplit une lourde mission qui consiste à faire
triompher le droit au bénéfice de celui à qui il revient, sans toutefois considérer
la qualité de la personne. Il s’agit là d’une délicate mission confiée au juge
quand on sait en outre qu’il y a des parties plus fortes et plus influents dans un
procès que d’autres.
Le procès civil étant devenu l’affaire de toute, une décision rendue injustement
peut porter atteinte non seulement aux intérêts de la partie victime, mais aussi à
ceux des tiers, si pas de la société tout entière. À l’heure actuelle, le juge remplit
une fonction sociale en aidant les parties à faire respecter leurs droits respectifs.
Il n’est plus un simple arbitre, il devient l’un des artisans de la recherche de la
vérité objective. Il surveille le déroulement du procès, il fait respecter la
procédure en vigueur, contrôle la pertinence des faits dont la preuve est offerte.
Le législateur lui fait de plus en plus confiance et lui laisse un certain nombre
d’initiatives dans un litige qui oppose les particuliers. Il s’agit notamment de
certaines mesures ordonnées d’office par le juge telles que :
- En matière de visite des lieux, le tribunal peut décider de se transporter
sur les lieux ou commettre un des juges qui a participé au jugement pour
l’accomplissement de cette mesure ;

13 Molter, cité par Stevigny G, op. cit ; p. 752, p. 14-15.


14 RUBBENS A: Le droit judiciaire Zairois, Tome II, PUZ, 1978, p. 14-15.
- En matière de la comparution personnelle des parties et de leur
interrogatoire, le juge peut ordonner même d’office la comparution
personnelle des parties devant lui.
Le juge moderne joue ainsi un rôle actif dans la recherche de la vérité.
Toutefois, l’étendue des pouvoirs du juge doit se conformer au principe
accusatoire de la matière privée, à savoir les parties restent maitresses du procès
avec soumission à l’application de la procédure en vigueur.
§2. Principe actuel
À propos de la preuve des obligations, actuellement le principe de la répartition
de la charge est posé par l’article 197 CCLIII et s’articule comme suit : « celui
qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement celui
qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction
de son obligation ». Bien que posé en matière des obligations, ce principe revêt
une portée générale. C’est la doctrine qui l’a étendu à toutes les contestations
nées en matière de droit privé. Le législateur congolais n’indique cependant pas
comment répartir la charge de la preuve. Il faut se tourner vers la doctrine et la
jurisprudence pour fixer quelques principes en la matière.
D’après la doctrine, c’est à celui qui allègue un fait d’en faire la preuve ; qu’il
soit demandeur ou défendeur. D’où l’adage « actori incumbit probatio » ou
mieux « onus probanti incumbit actori », c’est-à-dire lorsqu’il survient un litige
dans les rapports privés des parties, celle qui prétend tirer à son profit les
conséquences juridiques des faits qu’elle allègue doit en fournir la preuve ou
mieux démontrer que la situation acquise par son adversaire n’est pas conforme
au droit.
En conséquence, le juge doit décider contre elle, si elle ne l’a pas faite . En
initiant l’action en justice, le demandeur vient ainsi troubler la situation acquise
de l’adversaire. Il est donc tenu de démontrer que cette situation n’est pas
conforme au droit.
La doctrine estime qu’il est même illogique d’imposer la charge de la preuve sur
celui qui désire en rien innover, mais seulement continue jouir de sa prétention
actuelle15.
À titre d’illustration, le cas du propriétaire d’un bien meuble qui est censé
détenir le titre par la possession de son objet. C’est à celui qui prétend être
propriétaire sans en avoir possession de fournir les éléments de preuve devant
l’établir dans ce droit. Tant que ce prétendant ne réussit pas à convaincre le juge
de ses droits, l’objet restera à celui qui en a la possession.
Cependant, si le législateur dans sa défense a soulevé contre le demandeur une
exception ou un moyen de défense au fond, il doit à son tour établir le bien-
fondé de cette exception. D’où l’adage « reus in exceptione(excipiendo) fit
actor ». De même que le défendeur peut intervertir les rôles et prendre à sa
charge la preuve du demandeur contre un tiers, codéfendeur qu’il a intérêt à voir
succomber16.
Le terme « actor » désigne non seulement le demandeur au sens de l’initiation en
justice , mais de celui qui vient modifier en sa faveur ordre existant des choses.
Il appartient donc à celui du demandeur ou du défendeur de supporter le fardeau
de la preuve dans la mesure où on invoque une situation contraire à l’état normal
des choses ou à une situation déjà acquise. D’où l’adage « onus probandi
incumbit ei qui dicit ».
Ce jeu de renversement de la charge de la preuve peut se poursuivre tant que les
parties continuent à se donner réplique l’une à l’autre. Le demandeur doit
prouver le premier parce que le défendeur, lui, jouit d’un droit et il n’est pas
besoin qu’il prouve qu’il en est bien le titulaire. C’est celui qui conteste la
concordance de ce droit qui doit fournir la preuve de ce qu’il avance. Le
défendeur peut se borner simplement à nier les faits, car il n’est tenu à aucune
justification.

15 Levy BRUHL: La preuve judiciaire, Paris, 1964, p. 36-37.


16 CSJ, section judiciaire, 30 juillet 1969, RDC, Tome II, p.12.
La doctrine moderne est favorable aux aménagements ou assouplissements
apportés à ce principe. C’est ainsi que le législateur qui a énoncé le principe de
la charge de la preuve( art. 197 CCLIII) peut lui-même dispenser de la preuve
celui qui allègue un fait et qui devait en supporter la charge de prouver. C’est le
cas par exemple d’une présomption légale qui dispense de toute preuve celui au
profit duquel elle existe.

Chapitre II. Des certaines obligations et spécialement du rôle des parties au


procès

Parmi les tempéraments apportés par le législateur à la rigueur de la répartition


de la charge de la preuve, nous citons la revalorisation de la tâche du juge,
l’intervention du législateur lui-même et la collaboration des parties à
l’administration de la preuve. Celui qui nous intéresse le plus, c’est le dernier.
En effet, comme nous l’avons dit précédemment à l’adage « nemo tenetur edere
contra se » de dévoiler au juge toute la vérité, même à leur propre détriment.
Traditionnellement, le procès civil était uniquement l’affaire des parties. À ce
sujet, le fardeau de la preuve incombait exclusivement au demandeur, tandis que
le défendeur pouvait, s’il lui plaisait, se retrancher derrière le silence et
l’abstention et refuser de produire devant le juge les moyens qui lui étaient
défavorables, même si lesdits moyens pouvaient jeter une pleine lumière sur
l’affaire.
La conception individualiser et rigide disparaît de plus en plus pour laisser la
place à la conception moderne, plus humaine et plus sociale du procès, dans une
collaboration plus loyale entre les plaideurs, à la manifestation de la vérité, sous
l’œil désormais vigilant du juge dont la fonction a été revalorisée et ses pouvoirs
étendus. Trois matières s’imposent aux plaideurs, à savoir :
Section 1. De la communication des pièces
§1. Notion et nature de la communication des pièces
1. Notion
Le décret du 7 mars 1960 n’exige pas que des parties communiquent à l’autre
des documents sur lesquels elle base son action en justice ou se défend à
l’instance introduite. Toutefois, il s’agit d’un principe général de droit qui est
applicable au Congo en vertu de l’équité qui exige qu’aucun document ou
dossier ne puisse être déposé à l’appui d’une action ou défense en justice sans
qu’il ait été porté à la connaissance de toutes les parties en cause.
On ne concevrait pas que le défendeur puisse combattre l’action judiciaire lui
intentée et répondre aux moyens invoqués par son adversaire de l’exploit
d’instance, s’il n’a pas eu de documents sur lesquels l’action est basée. Il en est
de même des documents produits par le défendeur et dont le demandeur n’a pas
eu connaissance.
L’obligation imposée à chaque partie de communiquer à l’autre les divers
éléments qu’elle entend utiliser présente un double intérêt :
- Éviter de surprendre l’adversaire par son action ;
- Permettre à chaque partie de répliquer et de préparer sa défense en
connaissance de cause.
Le caractère contradictoire de la procédure exige que les parties connaissent
l’une et l’autre le moyen qu’elles comptent soumettre au tribunal. Nous
estimons alors que la communication des pièces constitue un des moyens les
plus indiqués permettant aux parties de discuter en justice.
La communication des pièces repose essentiellement sur l’esprit de la loyauté et
d’équité sans difficulté en cours d’instance à l’amiable et avec courtoisie entre
avocats. La jurisprudence congolaise s’inspirant du droit comparé belge qui
consacre expressis verbis la communication des pièces fournit une abondante
jurisprudence à ce sujet17.
2. Nature de la communication des pièces
En cette matière, il serait indiqué de faire un tour d’horizon rapide pour voir s’il
existe une controverse doctrinale qui mérite d’être épinglée avant de dire un mot
plus précis sur la manière dont la jurisprudence congolaise apprécie cette notion.
La doctrine estime que le droit de demander communication n’est en fait que
l’exercice d’un droit de la défense.
Récemment, COUCHEZ faisant la distinction entre production et
communication des pièces affirme également que la communication des pièces
est dictée surtout par le souci du respect des droits de la défense18 chez d’autres
théoriciens nous trouvons des expressions comme « exception » de
communication des pièces, « incident » de communication pièces.
En France, et en Belgique, la communication des pièces ainsi que leur restitution
à la partie qui les produit est organisée par la procédure particulière qui règle la
durée de la communication des pièces. Lorsque la partie à qui la communication
des pièces est demandée n’y procède pas spontanément, son adversaire oppose
l’exception de communication. Cette exception peut être invoquée tant par le
demandeur que par le défendeur. La partie n’est pas tenue de communiquer
toutes les pièces qui se rapportent au litige, mais uniquement celles dont elle
compte se servir pendant le cours de l’instance et sur lesquelles elle base son
argumentation ?
3. Exception : de généralités
Dans un procès porté devant une juridiction civile, les pièces et documents
fournis par les plaideurs constituent un élément important de la preuve de leurs
prétentions. Il importe donc que chaque plaideur puisse avoir connaissance des
pièces et documents que son adversaire invoque et qu’il a introduit dans son

17 1ère inst. Elis. 28/05/1930, p. 276.

18 Couchez G, Procédure civile, 3ème édition, Sirey, 1984, p. 215, n° 32.


dossier. C’est le problème de la production volontaire et de la communication
des pièces. L’exception est définie comme étant tout moyen par lequel le
défendeur, sans contredire le droit lui-même, tient l’action du demandeur en
échec jusqu’à ce qu’un certain délai soit expiré ou une formalité déterminée
accomplie19.
Celle-ci provoque un arrêt momentané de la procédure sans engager les débats
sur le fond qui constitue un obstacle essentiellement temporaire à l’action. Dans
ce sens, l’exception désigne un événement qui vient modifier le déroulement de
la procédure entre la demande et le jugement20.
La demande de communication des pièces ne modifie pas l’objet, la cause ou
même les parties au procès. Elle pose simplement un problème dont la solution
oriente la marche du procès.
L’exception peut être soulevée tout au long du procès lorsqu’il y a à défaut de
communication des pièces sur les nouvelles pièces versées aux débats et ceci
peut paralyser momentanément le tribunal.
COUCHEZ dans son étude estime qu’il faut considérer la communication des
pièces comme une demande donnant lieu à un intérêt de procédure que comme
une exception. Il justifie cette tendance par le fait qu’elle favorise l’accélération
de la procédure en ce sens que l’incident lorsqu’il se produit, est réglé par le
juge par voie d’injonction, tandis que le jeu d’exception peut aller jusqu’à
entraîner une suspension des débats sur le fond.

Sans nous verser dans une controverse doctrinale, nous pouvons nous rassurer
d’une chose : le tribunal est tenu de faire droit à la demande de communication
formulée avant de poursuivre l’affaire. En tant que moyen de défense, la
communication est soulevée généralement comme exception.

19 Dethier A, Cours de procédure civile, UNAZA.


20 RUBBENS A, op. Cit., p. 13, n°47.
§2. Communication des pièces
Certains auteurs enseignent que la communication des pièces est un des aspects
des droits de la défense. Ce principe constitue une illustration évidente du
caractère contradictoire des débats consacrés, du reste, par l’article 15 du CPC.
Dans un sens large ou restreint, l’expression « droit de la défense » peut être
définie comme suit :
Au sens large, c’est un droit qui donne à toute personne la faculté de soutenir ou
de combattre une demande devant toute juridiction créée par la loi ou acceptée
par la volonté des parties.
Au sens restreint, c’est un droit qui consiste dans l’exercice du droit de soutenir
ou de combattre une demande devant une juridiction, c’est-à-dire à la preuve
contraire.
Au demeurant, ces droits sont consacrés par nos textes législatifs lorsqu’ils
reconnaissent à chacun le droit de se défendre dans le cas où ses intérêts se
seraient menacés. Toutefois, ces droits s’exercent dans le respect des droits des
autres. Donc, nous pouvons alors conclure que la communication des pièces
constitue un droit de la défense au sens restreint parce qu’il est soulevé à
l’occasion d’un litige devant le tribunal à défaut de sa communication.
En conséquence, cette communication doit être exigée dans toutes les
contestations judiciaires. Le but visé par celle-ci est de donner aux parties la
même possibilité de défendre leurs positions respectives.
§3. Communication et production des pièces
L’expression « production des pièces » vise le fait de verser aux débats tout
document susceptible de permettre ou de favoriser la preuve de certains
éléments.
Produire une pièce, c’est la verser afin d’étayer les moyens avancés en faveur de
sa thèse.
Le juge ne peut fonder sa conviction sur un document que s’il est produit en
justice. Le but de la production est de convaincre le juge de ses prétentions.
Dans la conception moderne, toute partie à l’obligation d’apporter son concours
à la justice en vue de la manifestation de la vérité.
À défaut de la production de la pièce détenue par l’une des parties, le juge peut
user de son pouvoir et l’ordonner. Le tiers peut également être contraint à
produire le document utile qu’il détient, c’est ce qu’on appelle le compulsoire.
Le compulsoire comporte également la demande d’une pièce retenue par un
officier ministériel et qui intéresse des personnes autres que celles venues au
procès, mais nécessaires à l’une des parties pour sa défense.
Trois conditions au moins doivent être réalisées :
- qu’une des parties au procès en fasse la demande ;
- qu’il y ait une décision du juge pour ordonner cette production ;
- qu’il n’y ait pas d’empêchement légitime
La production ne se confond pas avec la communication, la première concerne
l’administration de la preuve, la seconde vise à satisfaire le principe du respect
des droits de la défense.
En conclusion, les débats sur la question de savoir si la communication des
pièces est une exception, un incident ou un droit de la défense doivent être
regardés comme un faux problème dans la mesure où ces expressions ne se
rejettent pas. En d’autres termes, la communication des pièces comme exception
ne s’oppose pas à la communication des pièces soulevée comme incident
puisque l’exception de communication constitue un incident. Elle opère ainsi
comme un droit de la défense dans la mesure où il est reconnu à chacune des
parties le droit de soulever cette exception en vue de tirer profit.

Section 2. Organisation de la communication des pièces

Nous avons vu que la jurisprudence congolaise prévoyait que les parties sont
obligées de se communiquer réciproquement avant l’audience des documents
dont elles veulent faire état ou que doivent être rejetés des débats des documents
qui n’ont pas été communiqués à la partie adverse. Nous avons vu également
que la partie à qui un document dont il est usé en justice n’a pas été
préalablement communiqué dispose de l’exception de communication des
pièces. Il est aussi à noter que le procès civil prend du temps parce qu’il y a
plusieurs échanges des documents entre les deux parties. Le juge peut poser des
questions pour éclairer sa religion. Il a dans la pratique congolaise un rôle semi-
actif. Il peut même après pris l’affaire en délibérée , rouvrir le débat pour
permettre l’analyse d’une pièce.

§1. Comment s’opère la communication des pièces


Deux manières de se communiquer les pièces se distinguent :
1. La communication par voie de greffe
La loi ne prévoit aucune formalité particulière pour la communication des
pièces. Dans la pratique, elle se fait par l’avocat. Il pourra communiquer son
dossier par l’intermédiaire du greffe et remettre à cet effet au greffe les
documents des pièces. Pour ce faire, le greffier dresse un acte de dépôt qui sera
porté à la connaissance de l’adversaire et la partie adverse les consultera dans les
meilleurs délais. Il faut signaler ici que le demandeur a intérêt à soutenir son
action avec des pièces sinon son action est voué à l’échec.
2. La communication à l’amiable
Généralement, cette communication s’effectue entre avocats par remise du
dossier trois jours au moins avant l’audience sans réclamer inventaire ni
décharge. L’avocat de par sa profession, jouit d’une présomption d’honnêteté et
de franchise, c’est ce qui justifie la non-exigence d’inventaire ni décharge.
Quant à nous, la confiance n’exclut pas le contrôle, ne fût-ce que par souci
d’ordre administratif. Dans la pratique, les avocats font eux-mêmes l’inventaire
avec une lettre de transmission.
§2. Le moment de la communication des pièces
Le fait que la communication des pièces soit rangée dans les exceptions
dilatoires, il y a risque qu’elle doit être présentée in limine litis. Elle ne doit pas
nécessairement être sollicitée in limine litis avant toute défense au fond. Au
cours de l’instance, de nouvelles pièces peuvent être déposées et signifiées aux
parties. Mais, la doctrine pense que si cette demande vient après toutes
exceptions, cependant elle doit précéder l’examen du fond.
La demande de communication des pièces peut être formée sans formalités
particulières lorsque la pièce utilisée à l’audience. Le juge est tenu d’accorder
une remise pour respecter le principe du droit de la défense. Dans la pratique,
on peut communiquer une pièce à tout moment même pendant le délibéré. Le
juge appréciera la valeur de la pièce pour éviter le dilatoire.
§3. Communication des pièces et mentalité congolaise
Le juge peut fonder sa conviction sur une pièce ou sur un document utilisé que
si cette pièce ou document est préalablement communiqué à l’adversaire ; ceci
aux fins de respecter le principe de la contradiction des pièces. Le juge
traditionnel africain était autorisé à rechercher la vérité par tous les moyens,
même en hors le prétoire. En effet, l’Africain ne conçoit pas qu’une pièce utile à
la manifestation de la vérité puisse être rejetée par le seul motif qu’elle n’a pu
être communiquée préalablement à l’adversaire ou qu’elle lui a été
communiquée tardivement. Cependant, il y a lieu de noter que dans la pratique,
l’auteur de cette pièce peut écrire au juge pour présenter l’importance de la dite
pièce et le juge devra apprécier. Il peut décider de ré-ouvrir les débats. Dans la
pratique, le juge peut à tout moment ré-ouvrir les débats. Une autre possibilité,
c’est de faire appel pour présenter la pièce.
§4 Sanction et effets de la communication des pièces

Le droit de demander communication des pièces est un droit de la défense qui


doit s’exercer conformément aux règles prévues en la matière.
Lorsque ce droit ne soulève pas la difficulté ou qu’il n’y a pas de refus sur la
demande de communication des pièces de la part de l’adversaire, le juge ne peut,
en vertu du caractère accusatoire et du principe dispositif, initier la demande de
communication des pièces.
Une partie peut avoir intérêt à ce qu’il lui soit communiqué telle pièce utilisée
par son adversaire ; dans ce cas, elle en fera la demande devant le tribunal saisi.
Au cas où la partie adverse oppose certaines résistances, à communiquer les
pièces, des sanctions seront prises contre elle.
1. Sanction de la non-communication des pièces
Nous l’avons déjà dit que la communication réciproque entre les parties à
utiliser au procès revêt un caractère obligatoire. Mais si une partie peut par le jeu
d’une exception de procédure, demander au juge que l’instruction soit paralysée
tant qu’elle n’aurait pas eu connaissance de la pièce incriminée.
Mais selon la pratique qui est instituée depuis forts longtemps dans nos
juridictions civiles, le juge accorde une remise d’audience pour permettre cette
communication. Cette pratique est renforcée par des ordonnances du premier
président de la CSJ du 07 juin 1973 vis-à-vis des juridictions civiles d’accorder
au moins trois remises, à défaut la pièce sera rejetée des débats. Toujours dans la
pratique, le juge peut faire une sommation à produire la pièce ou une sommation
à conclure et à plaider ( dans l’état). Si une des parties refuse toujours de
communiquer une pièce ou document utile, il est possible de saisir le parquet
pour rétention illicite de document. Cela aura pour conséquence de sursoir au
civil pour vider la question au pénal suivant le principe « le criminel tient le
civil en état ». La Jurisprudence nous enseigne également que si une partie a fait
usage d’une pièce non communiquée, la partie adverse pourra solliciter une
réouverture des débats aux fins de permettre l’examen de cette pièce.
Lorsqu’une partie demande communication des pièces, elle doit justifier en
même temps d’un intérêt réel. D’où l’adage « pas d’intérêt pas d’action ».
L’exigence de l’intérêt permet d’éviter des demandes dilatoires et intempestives.
Il a été jugé ainsi qu’une demande de communication des pièces qui n’aurait
aucune influence dans la cause doit être rejetée.
Une telle demande ne ferait que traîner l’affaire en longueur. Faire droit à cette
demande serait une méconnaissance du caractère obligatoire du jugement. Le
juge, en vertu de ses pouvoirs, peut ordonner d’office la production de toutes
pièces utiles ou la refuser.
Quid lorsque la pièce utile a été communiquée tardivement au mépris des
délais ? Ici nous répondons différemment selon que cette tardiveté porte atteinte
ou non aux droits de la défense. Dans un premier cas, la sanction de rejet de
cette pièce doit être d’application ; tandis que dans le second cas, cette pièce ne
doit pas être rejetée. Contrairement au droit belge, lorsque la demande de
communication des pièces est tardive, le juge devra rechercher s’il y a intérêt à
l’accorder ou à la refuser. Pour ce faire, il examinera les raisons qui ont
entourées cette demander tardive ainsi « l’hypothèse de la déchéance ». Dans la
pratique congolaise, l’auteur de la pièce tardive peut écrire au juge pour
présenter l’importance de la pièce et le juge appréciera et peut ré-ouvrir les
débats.
2. Effets de la communication
Les pièces et documents déposés au greffe du tribunal saisi sont à la portée des
parties au procès. Ce greffier doit veiller à ce qu’une pièce ne puisse disparaître.
À partir de ce moment, ces pièces sont déclarées communes aux deux parties. Il
appartient à chacune d’elles de les consulter sur place ou en demander
l’expédition à ses frais. De même, la partie qui a produit la pièce ne demande
plus de la retirer avant le prononcé du jugement ; car celle-ci est devenue
commune à toutes les parties au procès. S’il n’y a pas d’empêchement légitime
et qu’il y a intérêt justifié, le public est aussi admis à prendre connaissance des
pièces déposées au greffe du tribunal saisi . Il est à noter aussi que la
consultation des pièces communiquées peut être faite au greffe du tribunal autre
que celui saisi si le requérant justifie de son empêchement légitime. C’est dans
ce sens qu’une jurisprudence avait décidé qu’une partie atteinte d’infirmité qui
l’empêche de se rendre au greffe du tribunal saisi peut demander que les
documents dont elle doit prendre connaissance soient remis au greffe du tribunal
de son domicile.
Qu’en est-il d’une partie qui refuse d’exécuter la décision qui la condamne à
communiquer ?
Dans ce cas, le juge examinera s’il s’agit d’un refus volontaire ou d’un refus dû
à un cas de force majeur.
2.1 Cas de refus volontaire
L’hypothèse de refus volontaire fait présumer la mauvaise foi dans le chef de la
partie qui doit communiquer les documents utiles. S’il est prouvé que le refus de
communiquer est volontaire, la pièce incriminée doit être écartée du procès. La
jurisprudence nous enseigne également que le demandeur n’a pas le droit
d’exiger et le tribunal n’a pas le pouvoir d’ordonner communication des
documents privés du défendeur et dont il n’entend pas faire usage dans
l’instance. Car ces documents ne nuisent nullement au demandeur.
2.2 Cas de refus dû à une force majeure
Lorsqu’une partie se trouve dans l’impossibilité de produire une pièce soit parce
qu’elle est détruite soit qu’elle est perdue, le tribunal en appréciera
souverainement les circonstances. Il en est de même dans une contestation
portant sur une somme d’argent restant due sur un prêt, le défendeur pourra se
trouver dans l’impossibilité de produire les quittances constatent les acomptes
versés. Le juge peut ordonner au demandeur de produire des registres ou papiers
domestiques dans lesquels sont mentionnés ces acomptes.
Section 3. De l’action ad exhibendum et du compulsoire
La conception de plus en plus moderne, humaine et sociale du procès impose
contrairement à la conception classique et individualiste, la collaboration loyale
entre plaideurs, sous le regard vigilant du juge qui dispose désormais des
pouvoirs plus élargis. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à
la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire afin d’éclairer le
tribunal . S’il n’existe pas d’empêchement légitime, fort de ses pouvoirs, le juge
peut également ordonner la production de tous les documents se trouvant entre
les mains des tiers. Il s’agit du compulsoire que nous examinerons bientôt.
§1. De l’action ad exhibendum
1. Notion
La tendance moderne veut qu’à partir du moment où les parties ont décidé de
confier leur différend à la justice, en toute logique, elles acceptent par-là de se
soumettre aux exigences de la justice qui imposent la collaboration entre parties.
Cette collaboration se concrétise par la communication des pièces qui est mal
accueillie par les parties ; car il est communiqué à l’adversaire une pièce dont on
sait préalablement que celui-ci va en tirer largement profit. Cette action qui a
pour objet de faire produire par l’une des parties au procès, des pièces et
documents susceptibles d’éclairer la justice s’appelle « action ad exhibendum ».
Elle tire son fondement dans l’esprit de loyauté des débats judiciaires et
d’équité.
Le mérite de cette action est certain. En effet, cette action permet à résoudre les
difficultés posées par les malices des parties qui pourraient se plaire à se
retrancher dans le silence et l’abstention de produire tous les moyens qu’elles
jugent défavorables pour elles. En d’autres termes, l’action ad exhibendum
appelle à la demande d’un plaideur tendant à obtenir la production d’une pièce
susceptible d’établir la réalité de ses allégations et que défie son adversaire .
C’est une dérogation à la règle « actori incumbit probatio ».
2. Rapport entre communication des pièces et action ad exhibendum
La communication des pièces suppose que les pièces sont produites par
l’adversaire, mais qu’elles n’ont pas été portées à la connaissance de l’autre
partie avant les débats. Nous avons déjà observé que les parties ont l’obligation
de se communiquer les pièces utiles. Ainsi, nous avons signalé que la loyauté et
l’équité exigent que chaque partie ne soit pas surprise à l’instance par la
production de nouvelles pièces dont elle n’a pas eu connaissance préalablement.
Si la communication est spontanée, le problème ne se pose pas. Mais souvent la
partie détentrice de la pièce utile refuse de la communiquer à son adversaire.
Dans ce cas, la procédure forcée s’ouvre. Le juge peut soit à la demande de
l’adversaire ordonner communication. C’est cette production forcée que nous
qualifions de l’action ad exhibendum.
D’une manière plus exhaustive, l’action ad exhibendum s’applique à obtenir la
production d’une pièce susceptible d’établir la réalité de ses allégations que
détient son adversaire.
Comme on peut le remarquer, cette action suppose que les pièces utiles ne sont
pas encore produites, mais que l’une des parties voudraient faire produire par
l’autre dans le but d’en tirer profit. Donc, on peut conclure que la
communication des pièces s’opère à l’amiable tandis que l’action ad
exhibendum appelle l’intervention du juge, généralement sur demande d’un
plaideur.
3. De l’action ad exhibendum
C’est d’une manière sommaire que le droit congolais règlemente cette action. Sa
base légale se trouve à l’article 6 du décret du 31 juillet 1912 relatif au livre de
commerce qui impose l’obligation de produire les livres de commerce.
En cette matière, c’est le seul texte qui existe. Mais pour des raisons d’équité, la
jurisprudence a élargi ce principe à tout document se trouvant entre les mains de
l’adversaire.
§2. Du compulsoire
1. Notion
Selon le lexique de termes juridiques, le compulsoire peut se définir comme une
période de grâce à laquelle un tiers pouvait se faire délivrer expédition ou copie
d’un acte public à la rédaction duquel il n’avait pas participé. Le Professeur
Bayona précise que le compulsoire est une demande d’une pièce retenue par un
officier ministériel et qui intéresse de personnes autres que celles venues au
procès, mais nécessaires à l’une des parties pour sa défense.

Le problème du compulsoire se pose uniquement lorsque les pièces et


documents se trouvent entre les mains d’un tiers. Faut-il alors exiger que ce tiers
qui n’a pas été partie au procès communique les pièces et documents en sa
possession ? RUBBENS répond par l’affirmative au cas où ces pièces se
révèlent utiles pour la bonne marche du procès et l’intérêt de la justice. À la
demande de l’une des parties et même d’office, le juge doit ordonner leur dépôt
au greffe du tribunal saisi aux fins de leur consultation éventuelle par les parties
au procès. Toutefois, le tiers détenteur des pièces et documents utiles conserve
son droit de les retenir s’il est lié par le secret professionnel où l’ordre public s’y
oppose.
2. Sanction
Le tiers détenteur des pièces et documents utiles doit satisfaire à l’obligation de
la communication des pièces ordonnée par le juge. En cas de non-exécution, le
tiers fautif peut être condamné aux dommages-intérêts conformément à l’article
258 du CCLIII. Ainsi donc, sera condamné aux dommages-intérêts, le tiers dont
le refus injustifié de communiquer les pièces utiles cause préjudice à la partie
demanderesse. La demande du compulsoire doit indiquer clairement les pièces
utiles qui ont causé préjudice à la partie demanderesse.
La demande du compulsoire doit indiquer clairement les pièces utiles et les
personnes entre les mains desquelles ces pièces se trouvent sinon elle sera
déclarée non recevable. En prévoyant la production obligatoire de tous
documents utiles se trouvant entre les mains d’un tiers, le législateur, la
jurisprudence et la doctrine ont entendu ainsi apporter plus de sécurité aux
justiciables. Le tribunal ne peut ordonner cette production que s’il existe des
présomptions graves et concordantes de la détention de ces documents par une
partie ou un tiers. Afin d’éviter la légèreté dans les décisions judiciaires,
l’exigence de présomptions graves s’impose.
3. Les restrictions à l’obligation de collaboration
On peut parfois être dispensé de l’obligation de collaboration. En effet,
l’obligation de collaboration à la manifestation de la vérité se heurte parfois aux
autres devoirs imposés par la loi aux individus. Il s’agit notamment de
l’obligation aux secrets professionnels et des droits des tiers.
3.1 Le secret professionnel
Chaque individu doit avoir le droit de disposer d’un petit domaine réservé et
intime protégé de toute intrusion abusive ; sauf lorsque l’ordre public et les
droits des autres l’exigent. En effet, pour des raisons morales, les dépositaires
par état ou par profession des secrets d’autrui ne doivent rien répéter de leurs
fonctions surtout lorsqu’ils ont eu connaissance des faits dans l’exercice de leurs
fonctions ou de leur sacerdoce.
Dans bien des cas, les seules possibilités que détient le confident nécessaire c’est
le secret professionnel. Ces confidents seraient dans l’impossibilité d’accomplir
correctement leur tâche, si par crainte d’une indiscrétion, les clients devaient
leur taire leurs confidences.
Le secret professionnel peut être absolu ou relatif. Il est absolu, lorsqu’il frappe
les médecins, prêtres et avocats tandis qu’il est relatif lorsqu’il concerne certains
fonctionnaires de l’administration tels que les fonctionnaires des P.T.T, des
finances publiques, de police, etc.
3.2 Les droits de tiers
Le Professeur ETANA enseigne que l’obligation de collaboration entre partie au
procès ne doit pas en principe violer les droits des tiers ; à moins que ceux-ci ne
soient à leur tour invités par le juge à collaborer à la manifestation de la vérité.

Chapitre III. Du régime de l’administration de la preuve en matière pénale

La question de preuve relève davantage de la procédure pénale que du droit


pénal général. Néanmoins, son importance est telle qu’il convient dès
maintenant d’en donner les principes généraux. D’abord, que faut-il entendre par
preuve en droit pénal ?
La preuve en droit pénal est tout moyen permettant d’affirmer l’existence d’un
fait donné, ou encore l’exactitude ou la fausseté d’une proposition. Bref, en
matière pénale, la preuve est tout moyen permettant d’affirmer l’existence d’une
infraction ou son absence, la culpabilité ou l’innocence du prévenu.
L’étude de la preuve en matière pénale sera menée autour des trois questions :
Section 1. La charge de la preuve
Pour qu’un individu soit condamné, il faut que le juge ait procédé à la
reconstitution des faits, et ait établi une correspondance entre ces faits et la
définition légale d’une infraction. Mais pour parvenir à cette vérité, à cette
certitude judiciaire, le demandeur ( accusateur) et le défendeur ( le prévenu)
auront chacun exprimé leurs prétentions.
Dans ce duel judiciaire, des obligations pèsent sur l’une ou l’autre partie. Elles
découlent toute de l’infraction et de deux principes fondamentaux :
§1. La charge de la preuve incombe au ministère public
La preuve de tous les éléments constitutifs et de l’absence de cause
d’exonération incombe toute entière au ministère public. D’où l’adage « actori
incumbit probatio ». Ce principe est de bon sens et répond à l’exigence du
prévenu, celui-ci sera immédiatement libéré de toute charge. La charge de la
preuve porte non seulement sur les éléments constitutifs, mais aussi sur les
éléments négatifs que comporte éventuellement la définition légale de
l’infraction. Si un élément négatif entre dans la définition légale du délit, il doit
être prouvé par le ministère public, quelle que soit la difficulté que celui-ci
puisse éprouver. Exemple : l’art 114 du CPP parle de destruction sans nécessité.
Il en va de même de l’absence de cause qui exclut la culpabilité ou la
responsabilité.
Cependant, le ministère public peut se dispenser de prouver des éléments dont
l’existence est vraisemblable et qui ne sont pas contestés par le prévenu.
Exemple, en matière d’infraction dite matérielle, le ministère public peut se
contenter d’établir le fait matériel et si la personne poursuivie ne conteste pas
l’existence de l’élément moral, celui-ci se déduit de la seule matérialité de faits.
En outre, le Ministère public peut être dispenser de prouver en cas de citation
directe. La charge de la preuve incombera à la partie citante même si le
Ministère public peut appuyer l’action. Souvent dans la pratique, les parties
utilisent la citation directe pour contourner la lenteur du parquet ou si elles
estiment avoir assez de preuves.

§2. Le doute profite au prévenu


La condamnation ne peut être fondée que sur la certitude du fait et de la
culpabilité de l’agent. Le doute que n’a pas dissipé le ministère public profitera
au prévenu. Celui-ci au cours du procès peut rester passif et silencieux. Ce
principe est en fait le corollaire de celui de la présomption d’innocence. Toute
personne accusée d’un acte délictueux est présumée, innocente tant que sa
culpabilité n’est pas établie au cours d’un procès public où toutes les garanties
nécessaires à sa défense lui auront été assurées. Il en résulte que le prévenu n’est
pas tenu d’établir son innocence par des preuves décisives. Il suffit qu’il allègue
sa version des faits d’une manière vraisemblable, plausible de nature à semer le
doute dans l’esprit du juge. Toutefois, en pratique, la personne poursuivie aura
intérêt à établir la preuve de ses allégations si elle le peut.
En effet, nous trouvons dans le système de l’intime conviction que le prévenu
doit se méfier de l’effet que peuvent produire sur le juge d’une part les preuves
produites par le ministère public et, d’autre part, son silence et ses hésitations.
Attendre passivement peut s’avérer désastreux. Il est plutôt vivement conseillé
que l’accusé apporte dans la mesure du possible la preuve de son innocence.

1. Qui bénéficie de la présomption d’innocence


Cette présomption bénéficie aussi bien aux récidivistes qu’aux délinquants
primaires. Il convient toutefois de souligner que certains auteurs tels que FERRI
et BETTIOL se sont demandé s’il ne conviendrait pas pour les récidivistes, les
criminels nés ou les criminels par tendance de remplacer la présomption
d’innocence par une présomption de culpabilité.
Cette opinion contraire au principe de ministère public doit être repoussée. La
multiplicité des infractions doit être considérée comme un indice d’un état
dangereux nécessitant un examen approfondi de personnalité et non une
présomption de culpabilité.
Il faut donc retenir que les délinquants sans distinction de leur qualité de
délinquant primaire ou récidiviste bénéficient de cette présomption.
De la même manière, Faut-il considérer qu’il y a présomption d’innocence en
cas d’infraction flagrante ? Sur le plan de texte, la réponse est oui mais dans la
pratique la présomption s’effrite. On retient la présomption de culpabilité et il
appartiendra à la personne poursuivie de prouver son innocence. Exemple : Une
dame qui devrait servir de l’eau à sa belle-sœur enceinte a fait de prière avant de
donner de l’eau quelques jours après, la dame enceinte est morte pendant
l’accouchement. La famille de la défunte a saisi le parquet qui aussitôt procéder
à l’arrestation de cette dame pour administration de breuvage ayant occasionné
la mort. Cependant, lors du procès, il y a un rapport médical qui atteste que la
dame souffrait d’un cancer . Ce rapport médical a permis d’acquitter la dame. Il
faut noter aussi que contrairement à la matière civile, la communication des
pièces peut se faire séance tenante. Même pendant l’audience. Ceci est lié au fait
que le procès pénal est caractérisé par la célérité. Même avant le délibéré, on
peut ré-ouvrir le débat pour analyser une pièce.
2. Quelles sont les conséquences de cette présomption
De la présomption d’innocence dont bénéficie la personne accusée d’une
infraction découlent les conséquences suivantes :
- L’inculpé doit être considéré comme innocent et traité comme tel tant que
la preuve de sa culpabilité ( faite de la garde à vue, arrestation, détention
préventive) ne sera pas établie ;
- Si la preuve de l’infraction est insuffisante et qu’il subsiste un doute ; le
juge doit prononcer l’acquittement ;
- En cas de tentative, si le commencement d’exécution peut s’appliquer à
plusieurs infractions de gravité différente, on doit présumer en l’absence
d’autres preuves que l’auteur avait l’intention de commettre l’infraction la
moins grave.
Il importe de signaler que dans la pratique congolaise, la présomption
d’innocence est remplacé par la présomption de culpabilité. Le prévenu doit
prouver qu’il est innocent. Exemple : Un garçon de 22 ans a été accusé de
viol sur une petite fille de 5 ans. Les parents de la fille ont apporté comme
preuve un sous-vêtement avec des liquides ( spermes) du garçon. Il revient au
garçon de montrer que ce n’est pas lui. Sinon, Il pourra être condamné. Il a
intérêt à mettre la main dans la poche pour solliciter une contre-expertise.

Section 2. Les moyens et l’appréciation des preuves


§1. Les moyens de preuves
Le principe consacré en droit pénal est celui de la liberté de la preuve. Il n’existe
donc pas des modes de preuves, exclues du champ des débats à priori ni
préalablement constitué. Ce principe est lui-même le corollaire de l’intime
conviction du juge. Le juge ne peut refuser sans motivation particulière de
recevoir les preuves que les parties sont prêtes à fournir. Il doit par exemple en
établir l’inutilité quant à la recherche et à la manifestation de la vérité. La liberté
de preuve peut trouver ainsi sa justification. Cependant, il existe des limitations
à ce principe de la liberté de la preuve et de l’intime conviction.
1. D’abord le juge doit respecter la force probante que la loi attache à
certains actes. Il en est ainsi des procès-verbaux faisant foi jusqu’à
preuve du contraire ( Voir art 75 du Code de procédure pénale).
2. Les moyens de preuves doivent être rationnels. Seront rejetés ceux qui
logiquement ou d’après l’expérience ne sont pas de nature à contribuer à
la manifestation de la vérité. C’est le cas des ordalies ou des pratiques
divinatoires.
C’est la même exigence qui explique pour la partie, la méfiance dont fait l’objet
de certains procédés scientifiques utilisés en vue d’arracher les aveux tels que la
narco-analyse. Procédés dangereux, constatent Merle et Vitu, car les aveux
obtenus ne sont pas nécessairement conforme à la vérité. Il ne peut non plus
admettre des moyens irréguliers tels que des documents saisis au cours d’une
perquisition irrégulière ou la déposition sous serment d’une personne privée du
droit de déposer en justice.
3. Les moyens de preuve doivent être respectueux de la dignité humaine.
C’est ainsi que doivent être combattus les passages à tabac, les tortures, la
ruse (…) utilisés en vue d’arracher des aveux.
4. Les moyens de preuve doivent respecter les droits de la défense. Le juge
ne peut recevoir des moyens parvenus à sa connaissance en dehors des
débats et non soumis au débat contradictoire des parties. Il ne peut non
plus admettre des moyens irréguliers, tels que des documents saisis au
cours d’une perquisition irrégulière.
§2. L’appréciation des preuves
Le juge apprécie les moyens qu’on lui soumet souverainement d’après son
intime conviction. Ce système a succédé à celui des preuves légales. Dans ce
dernier, la valeur des preuves était tarifiée à chaque moyen de preuve. La loi ou
la coutume attachait telle valeur probante et dès qu’elle était produite, elle
s’imposait au juge qui devait condamner et quand elle n’était pas apportée, il
devait acquitter, quelle que soit par ailleurs sa conviction personnelle.
Le système de l’intime conviction est appelé celui de la preuve morale. La loi se
borne à réglementer la recherche, la constatation et la production des preuves,
mais laisse aux juges la liberté entière de leur appréciation. Une des meilleures
formulations de l’intime conviction fut donnée par l’art 342 du code français
d’instruction criminelle. Aujourd’hui intégralement repris par l’art 427 du CPP
en ces termes : « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par
lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas les règles auxquelles ils
doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une
preuve ».
Elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement
et de rechercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression a fait, sur
leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense.
La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leur
devoir : avez -vous une intime conviction ?
L’intime conviction du juge ne signifie pas que celui-ci peut se livrer à des
décisions arbitraires ou fantaisistes. Sa conviction doit être raisonnable et les
cours de cassation française et belge se permettent de sanctionner les
raisonnements du juge répressif entachés d’un vice radical ou de contradiction.
Cela dit la liberté d’appréciation reste grande et a mainte fois été affirmée dans
la jurisprudence : il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement la
valeur des éléments de preuve régulièrement produits aux débats et sur lesquels
se fonde leur conviction.
Les tribunaux évaluent librement la force probante de l’aveu et celle de sa
rétractation, ils peuvent même écarter cet aveu s’il leur paraît suspect ou
contredit par les autres éléments du procès. Ils ne sont nullement liés par un
rapport d’expertise qui constitue seulement un élément de leur conviction.
Ils jugent souverainement la force probante des témoignages produits devant
eux.
Ils peuvent tenir compte des déclarations des co-prévenus désormais lorsqu’elles
sont renforcées par des indices concordants de manière plus détaillée voyant
quelle appréciation peut être faite des différents moyens de preuves en droit
pénal.
1. Les constatations directes
Les constatations directes portent sur les données matérielles qui entourent la
commission de l’infraction. Elles forment la preuve la plus simple et la plus
sûre, car elles donnent une vue directe et immédiate sur l’activité infractionnelle,
l’instrument de l’infraction, sur les lieux, etc.
2. L’aveu
L’aveu est constitué par les déclarations du prévenu par lesquelles il reconnaît le
bien-fondé des accusations portées contre lui. Longtemps il a été considéré
comme la reine des preuves, l’ultima probatio, d’une part, parce qu’il était de
nature à rassurer la conscience du juge ; d’autre part, parce qu’on estime que
personne n’avait intérêt à témoigner contre soi-même. Aujourd’hui, l’aveu ne
bénéficie plus d’un aussi grand crédit. Ces aveux peuvent être mensongers pour
des raisons diverses. Le plus grand nombre d’aveux se font sous l’effet de
l’intimidation, de la peur et de la torture.
Il en est ainsi de certains qui sont obtenus par la torture ou, pour utiliser
l’expression du droit ancien « la question judiciaire » écrit LA BRUYERE, était
une invention tout à fait sûre pour punir un innocent qui a le tempérament faible
et sauver un coupable né robuste. Les chroniques judiciaires rapportent aussi de
faux aveux faits dans le but de lucre ou pour avancer dans la hiérarchie d’une
association criminelle ». Il existe enfin des aveux par intérêt ; d’autre par
dévouement par exemple sauver un être cher, d’autre encore par désespoir ou
par jactance.
L’aveu doit être certain, sincère et vrai.
2.1 Formes d’aveux
Suivant leur forme, on distingue :
2.1.1 Les aveux véridiques
Parmi les aveux véridiques, on trouve :
-l’aveu spontané ou immédiat : c’est celui du flagrant délit où la culpabilité
éclate et/ou l’aveu implicite. C’est l’aveu fait spontanément et librement par
le délinquant. Dans ce cas, il est exprès. L’aveu spontané est favorisé par la
dépression nerveuse et les désarrois provoqués par l’arrestation. Plus tard il
peut être provoqué par le remords et par l’accumulation des preuves qui
amènent à la résignation ;
- l’aveu sollicité : c’est celui qui est fait par l’inculpé ( ou prévenu) au cours
d’un interrogatoire simple où il est mis en confiance. C’est aussi l’aveu fait à
la suite des dépositions successives et des éléments accablants qui apportent
la preuve de la culpabilité.
2.1.2. Les faux aveux
Parmi les faux aveux, on distingue :
- Le faux aveu pathologique : il s’agit de faux aveux, œuvre d’auto
accusatrice. Par exemple les faux aveux, œuvre de débiles mentaux ;
- Le faux aveu provoqué : c’est celui obtenu par la suite d’une contrainte
soit morale, soit physique. Il est ainsi de l’aveu arraché aux petites heures
de la matinée à un inculpé épuisé et fatigué à la suite d’un interrogatoire
prolongé pendant toute la nuit. De même, la souffrance physique peut être
telle que l’aveu soit la seule porte de sortie ;
- Le faux aveu imposé dans le milieu des malfaiteurs par la menace de
représailles. Chez les délinquants professionnels, la loi du « milieu »
empêche de « livrer » un camarade et de garder pour soi tous les risques
jusqu’à l’aveu si celui-ci est nécessaire et s’il faut éviter la perte du
leader ;
- Le faux aveu utilitaire servant d’alibi. Exemple, un meurtre crapuleux et
un vol commis le même jour, mais à des communes différentes. Le
délinquant en s’accusant du vol vise à se justifier d’un meurtre ;
- Le faux aveu qui est la monnaie d’échange : c’est ce qui se produit
lorsqu’un individu s’accuse d’un crime qu’il n’a pas commis en échange
d’une importante somme d’argent ;
- Les aveux de jactance relatifs à des individus qui cherchent à se valoriser,
à se vanter.
3. Les témoignages
Le Code de procédure pénale prévoit que l’officier du ministère public( art
16) comme le juge (article 74) peut faire citer devant eux toute personne dont
il estime l’audition nécessaire. Sont dispensées de témoignages les personnes
qui sont dépositaires par état ou par profession de secret qu’on leur confie.
On pense aussi notamment aux médecins et à toutes les personnes qui
exercent l’art de guérir, aux avocats, aux fonctionnaires de l’État, aux
membres de la FARDC, aux ministres de cultures, aux banquiers, aux
collaborateurs des personnes tenues au secret professionnel, etc.
La personne citée comme témoin doit, avant de déposer, prêter serment en
ces termes : « je jure de dire la vérité rien que la vérité ». On considère que
le serment améliore le témoignage, non seulement sous le rapport de
sincérité, mais même sous celui de l’exactitude en tirant l’attention du témoin
sur l’importance de ses déclarations et en rendant ses assertions plus
réservées de façon à ne pas donner pour certain ce dont il n’est pas sûr. Les
déclarations des personnes qui déposent sans avoir prêté serment sont reçues
à titre de simple renseignement. Longtemps le témoignage a bénéficié de
beaucoup de crédits surtout lorsqu’il était le fait de quelqu’un de bonne
réputation et qui déposait sous serment. Mais les progrès de la psychologie
ont permis de relativiser ces moyens de preuve. Il est rare qu’un témoignage
soit fidèle. La bonne foi et l’assurance du témoin concourent souvent à la
sincérité d’un témoignage, mais n’assurent pas toujours son exactitude. Le
témoin peut en effet prendre ses impressions et ses désirs pour la réalité ?
C’est ainsi qu’un témoignage peut être à la fois sincère et faux . Il faut
surtout se méfier des dépositions des enfants à cause de leur extrême
suggestibilité, des personnes âgées à cause de leur perte de mémoire. Il faut
se méfier des témoignages collectifs et retenir qu’une minorité qui peut avoir
raison contre une forte majorité. Enfin, un témoignage peut être faux par
intérêt ou par vengeance.

4. Les indices
Sont formés de tout fait ou de toute circonstance pouvant conduire à la
manifestation de la vérité. Ils forment une preuve indirecte, dont le point de
départ est constitué par des faits ou des circonstances qu’on suppose établis
et dont il s’agit de dégager les rapports avec les faits recherchés.
C’est aussi une preuve de second degré en ce sens que les indices s’appuient,
pour être connus sur le témoignage, les contestations, les aveux ou les
expertises.
Les indices doivent être maniés avec beaucoup de rigueur, car ils conduisent
rarement à une conclusion immédiate de la culpabilité. Ils sont plutôt les
points de départ d’un raisonnement qui lorsqu’il est bien mené conduit à la
vérité.
5. L’expertise
5.1 Définition
Selon PINATEL l’expertise est la procédure qui a pour but d’utiliser la
connaissance d’un technicien pour tirer aux claires une question dont la
solution demande une connaissance technique dont le juge est dépourvu21.
Pour De BRUYNE l’expertise est une opération , confiée par les parties ou
par le juge à une ou plusieurs personnes (experts) à l’effet de rechercher et de
déterminer dans un procès-verbal, appelé rapport, l’estimation d’une chose,
ou l’appréciation d’un fait, au point de vue, dans ce dernier cas, soit de la
responsabilité, soit des conséquences pécuniaires ou autres qui découlent de
ce fait22.
CHAUVEAU SUR CARRE, quant à lui, définit l’expertise comme étant
l’opération que font les experts ou connaisseurs dans un art, afin d’éclairer le
juge sur des questions ou sur des faits qu’il ne peut connaître par lui-même23.
Elle est réglementée par les articles 48 a 52 du CPP.
2 . Caractères de l’expertise judiciaire
Dans le cas d’une expertise, le juge s’adresse à l’expert, lui pose une question
précise et lui demande de consigner dans un rapport un avis motivé.
Il en résulte que :
- L’expertise a le caractère d’une voie d’instruction ayant sa source dans
une obligation judiciaire, c’est à dire donc un mode d’instruction ;
- L’expertise est un mode d’instruction facultatif pour le juge qui ne peut y
recourir que dans le cas où il ne peut établir autrement sa conviction.
Excepté dans le cas où elle est déclarée obligatoire par une disposition
expresse et formelle de la loi24.

21 BOUZART P, et PINATEL J, Traité de droit pénal et de criminologie, Tome III, op. cit, n° 1192.
22 De Bruyne, Traité des expertises, Liège, Dessain, 1908, Cité par BELVAUX : Théorie et pratique de l’expertise
judiciaire, les éditions scientifiques et littéraires, Paris, 1953, p. 7.
23 Chauveau sur Carre; Les lois de la procédure civile, Tome 3, p. 51, cité par De Bruyne, op. cit. p. 7.
24 Cass. Francaise 14 avril 1908, DP, 1908, 1. 392.
- L’expertise est un incident de procédure qui, par conséquent, suppose une
demande principale nettement formulée sur laquelle elle se greffe.
Il a été jugé à ce sujet que « l’expertise n’étant qu’un moyen d’instruction
destiné à protéger une demande principale, et à éclairer la religion du juge
sur la solution d’une action déjà introduite, ne peut jamais faire l’objet d’une
procédure principale. Par suite, est non recevable la demande d’une expertise
qui ne se rattache à aucune action, à aucune demande réellement formée et
qui ne constituerait qu’une mesure purement conservatoire et de précaution,
un moyen de preuve ou d’instruction ad futurum25 ;
- La désignation des experts est faite par le juge et non par les parties.
3. Importance de l’expertise en matière pénale
L’expertise pénale a des origines fort anciennes. Antoine Sohier signale que
dans le cadre de l’organisation judiciaire indigène dans notre pays, on
recourait à l’avis des experts et des jurisconsultes, par exemple lorsqu’il
fallait pratiquer les ordalies26. L’expertise à l’heure actuelle, avec le progrès
de la médecine légale et de la police scientifique, a pris une dimension et une
importance considérable partout dans le monde. Elle revêt à l’heure actuelle
les formes les plus diverses :
- Expertise chimique ;
- Expertise en écriture ;
- Expertise comptable ;
- Expertise médicale, etc.
4 Valeur probante de l’expertise
En application du principe de l’intime conviction, le juge n’est pas lié par les
conclusions des experts. En effet, l’expertise est sujette à trop d’erreurs pour
qu’elle puisse s’imposer au juge. Personne ne soutient guère aujourd’hui
l’opinion contraire des positivistes exprimée dans cette formule « l’expert

25 Jug. Gand, 23 mars 1881, Pas. 1881, II, 239 Pas, III, 257
26 Sohier A, Droit de la procédure du Congo belge, Nouvelles , Droit colonial, n°889
juge du fait, dont l’avis eût lié le juge »27. Car l’avis de l’expert n’est qu’une
opinion et non une décision et par conséquent, l’on ne peut lui assigner
d’autres caractères que ceux de simples renseignements auxquels le juge ne
peut être tenu de se conformer si sa conviction s’y oppose28.
Sur cette question, la jurisprudence congolaise a pris position en jugeant que
le tribunal n’est pas lié par les conclusions des experts ou des médecins et
qu’il y puise librement les éléments de sa conviction. Le juge est lié qu’à la
loi et à son intime conviction. Ainsi donc, les juges ne sont point astreints à
suivre les avis des experts. Si leur conviction s’y oppose. De plus, comme l’a
déclaré la jurisprudence, « les juges ne sont pas tenus de préciser les motifs
pour lesquels ils s’écartent de l’avis de l’expert »29. Mais ils doivent énoncer
les motifs qui, en dehors de l’avis des experts, ont déterminé leur
conviction30.
Toutefois les juges ne sont pas libres quand il s’agit d’une expertise à
laquelle s’en sont référées les parties dans une convention, car alors, il ne
s’agit que d’appliquer une convention qui fait la loi entre parties31.
5 Critiques faites au régime de l’expertise pénale
Les principales critiques au régime de l’expertise pénale portant les unes sur
l’usage des expertises et les autres sur la lenteur de l’expertise.
A. Critiques portant sur l’usage des experts
Concernant l’usage des experts par les magistrats, il est reproché à ce
dernier :
- De négliger souvent d’ordonner des expertises, aujourd’hui commandées
par le progrès scientifique ;
- D’abuser des expertises en vue de se décharger d’une partie de leurs
charges en donnant des missions trop larges aux experts. En agissant

27 Ferri E, Sociologie criminelle, n° 76.


28 Hilbert ; Guide juridique et pratique de l’expertise judiciaire, Duculot-Roulin, Tamines, 1946, p. 18
29 D.P 1909, 395
30 Cass. Française, 8 juillet 1908, P.FR, 1909, p. 567
31 Cass. Française, 30 janvier 1855.
ainsi, ils confient à des particuliers qui ne sont ni magistrats ni officiers de
police judiciaire, des opérations qui ne peuvent être légalement
accomplies que par des magistrats ou des officiers de police judiciaire
désignés par la loi ;
- D’adopter trop souvent sans discussion le résultat des expertises et
notamment des expertises mentales.

B. Critiques portant sur la lenteur des expertises


S’agissant de la lenteur des expertises, de nombreuses voix s’élèvent pour
stigmatiser la lenteur des expertises et spécialement des expertises
comptables.
On a connu, en effet, dans certains pays, des expertises qui ont duré si
longtemps que le délai de la prescription était parfois acquis avant le dépôt
du rapport de l’expert ; d’autant plus que l’expertise n’a aucun effet à
interruption de prescription comme l’a déclaré la jurisprudence32.
Il y a lieu de noter que dans la pratique, ce sont les parties qui doivent
prendre en charge les frais liés à l’expertise. C’est plus la partie diligente( qui
a intérêt) qui doit prendre en charge le coût de l’expertise. En cas de descente
sur les lieux ou de reconstitution c’est les parties qui supportent la charge.

Section 3 L’administration de la preuve en droit pénal comparé


§1. Principes relatifs à la recevabilité de la preuve
La question est claire : toutes les preuves, y compris celles qui n’auraient pas
été imaginées par le législateur, sont-elles recevables ? Autrement dit, le juge
peut-il condamner en se fondant sur n’importe quel moyen de preuve ? Deux
principes se retrouvent dans la plupart des législations : celui de la liberté des
moyens de preuve et celui, venant le tempérer, de la légalité dans
l’administration de la preuve.

32 Crim; 16 mars 1964, Bul. Crim, 1964., n°97.


A. Liberté des moyens de preuve
1. Principe
Toute preuve est recevable, l’aveu, le témoignage, l’indice, les pièces à
conviction l’écrit etc. La règle de la liberté de la preuve est générale et
pourtant elle n’est formulée législativement que dans les pays de la famille
romano germanique pour l’essentiel. Exemple de l’art 427 du code français
de procédure pénale qui dispose « hors les cas où la loi en dispose
autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve… »
cette formule est exactement reprise par divers codes d’Afrique francophone.
2. Les limites
a. Limites communes aux divers droits
Le souci d’une bonne défense : la correspondance écrite ou enregistrée
entre avocat et prévenu ne peut servir de preuve. Cependant le prévenu
peut donner son accord à l’utilisation de la correspondance. C’est le cas
aussi de la connaissance personnelle du juge. En common law, un concept
a été dégagé, celui que le juge peut rejeter une preuve qui est more
prejudicial than probative33. C’est à dire qui peut éveiller des préjugés
défavorables du jury sans apporter d’éléments déterminants sur la
culpabilité.
La jurisprudence française rappelle que si les infractions peuvent être
poursuivies par tous moyens, « c’est à la condition que ces moyens de
preuve produits devant le juge pénal ne procèdent pas d’une
méconnaissance des règles de procédure et n’aient pas pour effet de porter
atteinte aux droits de la défense »34.
Le respect dû à la personne : En application de ce principe, les tortures et
procédés assimilables sont évidemment exclus. De même, les procédés
attentatoires à la dignité et par exemple au corps humain. Ex : le passeur

33 Chambre des Lords Christie, 1914, AC 545 et J spencer, les limites en matière de preuve. Aspects actuels RSC
1992, p.42 et suivant.
34 Crim. 19 juin 1989, Bull crim, n°261.
de drogue qui avale avant la douane. Hésitations sur d’autres moyens
comme la preuve par journal intime, l’hypnose par serum de vérité, le
polygraphe ou détecteur de mensonges.
La recherche de l’intérêt d’une bonne administration de la justice : voir
art 139 al.2 CPP suisse limite le principe de la liberté de la preuve pour
les « faits non pertinents , notoires, connus de l’autorité pénale ou déjà ».
Ceci pour éviter le prolongement des débats.
b. Limites propres à certains droits : la technique de l’énumération des
preuves recevables :On exclut donc d’autres preuves C’est le système dit
de la preuve légale : voir droit marocain, égyptien. En Europe deux
législations : l’Allemagne et les pays bas.

La technique de la liste de preuves irrecevables ( problème du ouï-dire ou


témoignage indirect)
Certains droits écartent ces preuves. La preuve par ouï-dire est le fait pour un
témoin de relater devant le juge des événements ou des faits dont il n’a pas eu
personnellement connaissance. Il s’agit d’un témoignage indirect. Le Témoin A
relate au juge ce que B absent lui a dit. En Angleterre, les juges pensèrent que
l’exclusion du ouï-dire réduirait le risque de non-véracité de la preuve.

B. La légalité dans l’administration de la preuve


La liberté de la preuve est complétée par sa légalité, à défaut de quoi elle ne
serait pas licite et donc ne pourrait pas fonder une condamnation . L’exigence de
légalité s’impose d’ailleurs bien davantage lors de la phase préparatoire du
procès que lors de sa phase du jugement. En effet, les preuves sont récoltées
essentiellement au cours de l’enquête et de l’instruction tandis qu’au cours du
jugement c’est surtout une vérification de l’admissibilité de preuves qui est
conduite. Techniquement, la légalité, c’est le respect des formes prévues par la
loi. Ces formes sont décrites par les codes de procédures pénales qui concilient
la recherche de la vérité et droit de l’individu.
Section 4. La preuve numérique en droit congolais
Avant mars 2023, il n’existait pas en droit congolais de texte légal spécifique
traitant directement des preuves numériques ou encore du droit numérique dans
son ensemble que l’on soit en droit civil ou encore en droit pénal. Dans le cas
d’espèce , si le vol est toujours considéré par la doctrine et la jurisprudence
congolaise comme une infraction matérielle. Il appert de se poser des questions
sur le vol des objets immatériels comme les biens incorporels ou les données
numériques. En France et dans d’autres pays, il y a eu une évolution dans le sens
de tenir compte des preuves numériques. Le juge congolais pour faire face à la
réalité acceptait les preuves électroniques même en l’absence d’un texte y
faisant référence et c’est à peine que l’on pourrait se demander si le juge
congolais va au-delà des limites de son intime conviction en statuant ultra petita
ou soit alors c’est le droit congolais qui semblait être en retard du temps actuel
où l’informatique a une place importante.
Vers les années 2000, l’usage courant de la messagerie SMS rendait encore le
juge congolais très sceptique sur la recevabilité des preuves numériques non
seulement au civil mais aussi au pénal. Or depuis peu, avec les réseaux sociaux,
le juge autre fois très sceptique commence à avoir moins des réserves sur la
recevabilité des preuves numériques et, malgré son changement de position, il
reste lié au principe du code civil qui n’a guère changé depuis les années 1880.
Heureusement que l’ordonnance loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant Code du
numérique vient combler le vide juridique qui existait. En effet, la présente
ordonnance-loi s’applique :
- Aux activités et services numériques ;
- Aux écrits, outils électroniques et prestataires de services de confiance ;
- Aux contenus numériques ;
- À la sécurité et à la protection pénale des systèmes informatique.
Au regard de cette ordonnance, on définit le numérique comme « un ensemble
des procédés et moyens utilisant des outils et services qui permettent de créer, de
traiter , de stoker et de diffuser la donnée ». Selon l’art 84 de cette ordonnance,
l’écrit électronique doit obéir aux principes de : l’intégrité, liberté , transparence
et de clarté. Et l’art 86 renchérit que « nul ne peut être contraint de recourir à
l’écrit électronique ». C’est qui important ici est que le législateur reconnaît que
les professions juridiques et judiciaires recourent aux écrits et outils
électroniques dans l’établissement de leurs actes et dans l’administration de la
preuve( voir article 94).
§1. De la preuve électronique
Selon l’art. 95 de l’ordonnance du 13 mars 2023, l’écrit électronique est admise
comme preuve au même titre que l’original de l’écrit sur papier et a la même
force probante que celui-ci, sous réserve que puisse être dûment identifiée la
personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de
nature à en garantir l’intégrité conformément à la législation relative à la
conservation des archives.
La conservation des écrits sous forme des documents, enregistrements ou
informations sous forme électronique satisfait aux exigences suivantes :
1) Les documents conservés sont stockés de manière à être accessibles et
consultables ;
2) Les documents enregistrés conservés demeurent au format auquel ils ont
été générés envoyés ou reçus, ou se trouvent dans un format garantissant
l’intégrité et l’exactitude des informations générés, envoyés ou reçues ;
3) Ces documents sont conservés sous un format permettant d’identifier, le
cas échéant, leur origine et leur destination ainsi que les dates et heure
auxquelles ils ont été générés, envoyés et reçus pour la première fois.
L’intégrité des exigent que ceux-ci demeures complètes et inchangées.
On voit que le législateur reconnaît que la copie ou la reproduction d’un acte
sous forme électronique a la même valeur et force probante que l’acte lui-même
à condition qu’elle conserve l’intégrité de l’acte électronique originaire. C’est le
sens de l’art 98 de l’ordonnance. Cette intégrité peut être prouver au moyen d’un
certificat de conformité délivré par un prestataire de services de confiance.
Dans le cas où il est exigé la production d’un document en format physique, une
impression sur papier dudit document certifié conforme à original peut être
admis. C’est au prestataire de fournir une certification.
Les données envoyées et reçues au moyen d’un service d’envoi électronique
recommandé qualifiés bénéficient d’une présomption quant à l’intégrité des
données par l’expéditeur identifiés. Elles bénéficient également d’une
présomption de l’exactitude de la date et de l’heure d’envoi et de réception, lors
de leur réception par le destinataire identifié par le service d’envoi électronique
recommandé qualifié.
§2. Force probante de la preuve numérique
Il revient de savoir quelle force probante accorder à la preuve numérique en
droit congolais. Selon l’art. 104 de l’ordonnance Loi de 2023, la signature
électronique est un élément de validité d’un acte juridique. Elle identifie celui
qui l’appose et manifeste son consentement aux obligations qui en découlent.
Cette signature électronique peut être simple ou qualifiée. Voilà qui vient
résoudre le problème de la preuve numérique. Rappelons que le droit civil était
encore muet sur la preuve numérique. Avant l’ordonnance loi de 2023, le juge
doit se baser sur le principe de son intime conviction pouvoir considérer les
preuves numériques au même rang que les preuves retenues par le Code civil.
Le droit Ohada a résolu la question de la signature numérique, ce qui tend à
résoudre une partie du problème.
Il y a lieu d’indiquer que la justice congolaise n’est pas très avancé en matière
de preuve numérique. Il n’y a pas de laboratoire équipé pour faire les analyses.
Les parties ont déjà du mal à supporter le coût de la technique de l’ADN auprès
de l’INRB.
Concernant la signature numérique, elle ne peut pas être falsifié, elle est chiffré
et irrévocable. Le législateur français consacre les écrits numériques et devant le
juge français aucun problème sur la valeur probante de la preuve numérique
surtout quand la signature numérique permet d’identifier l’auteur de l’acte
numérique de manière intuitu personae.
S’agissant des preuves numériques comme les mails, SMS, WhatsApp,
Facebook, Tweeter, les enregistrements audio et vidéo, le juge congolais ne
pourra être tenu que dans la limite où les modes d’acquisition de ces preuves n’a
pas violé le respect de la vie privée ou encore si les modes d’acquisition n’a pas
entrainé en conséquence une quelconque forme d’infraction. Dans la pratique
congolaise, certains juges ont tendance à écarter certains enregistrements vidéos,
Exemple de l’affaire Mukuna. Le juge a considéré que le prévenu a été filmé de
manière illégal. Il faut une autorisation de la justice ou du concerné. C’est
pourquoi, les call center avisent toujours les clients avant tout enregistrement.
C’est l’idée de la loyauté de la preuve.
Cependant, il faut noter que la fiabilité d’un procédé de signature électronique
est présumée établie jusqu’à preuve du contraire, lorsque ce procédé met en
œuvre une signature électronique qualifiée et ce, grâce à un dispositif sécurisé
de création de signature électronique et que la vérification de cette signature
repose sur l’utilisation d’un dispositif qualifié. La signature électronique
qualifiée répond à certaines exigences :
- Être liée au signataire de manière univoque ;
- Permettre d’identifier le signataire ;
- Être lié aux données associées à cette signature de telle sorte que toute
modification ultérieure des données soient détectables.
Sauf preuve contraire, un document écrit sous forme électronique est présumé
avoir été signé par son auteur et son texte est présumé ne pas avoir été modifié si
une signature électronique qualifiée y est apposée (art 109).
Quant au cachet électronique, il est admis dans les échanges et transactions
électronique et renforce la validité de l’écrit électronique. Sa validité est soumise
aux mêmes exigences que celles auxquelles est soumise la signature
électronique.

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