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LES RÉSOLUTIONS

DES ORGANES INTERNATIONAUX


DANS LA JURISPRUDENCE
DE LA COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE

par

HUBERT THIERRY
H. THIERRY
389

TABLE DES MATIERES


Introduction 393

Chapitre I. La jurisprudence de la Cour au sujet de sa compétence pour


examiner la validité de résolutions 396
Section I. Principes juridiques relatifs à la compétence de la Cour pour
examiner la validité de résolutions
Section II. Les conséquences des principes relatifs à la compétence de la
Cour pour examiner la validité de résolutions

Chapitre II. La jurisprudence de la Cour au sujet de la validité des résolutions. 414


Section I. Les bases juridiques de la validité des résolutions
Section II. Les conditions de validité des résolutions

Chapitre III. La jurisprudence de la Cour au sujet de la valeur juridique des


résolutions 432
Section I. La jurisprudence de la Cour et la valeur juridique immédiate des
résolutions
Section II. La jurisprudence de la Cour au sujet du rôle des résolutions dans
la formation du droit international
Conclusion 445

Notes 447

Bibliographie 450
390

NOTICE BIOGRAPHIQUE
Hubert Thierry, né le 7 juin 1925.
Etudes de droit et de lettres à la faculté de droit de Paris et à la Sorbonne.
Premier secrétaire de la Conférence du stage des avocats au Conseil d'Etat et à la
Cour de cassation, 1952. Agrégé de droit public, 1954. Professeur à la faculté de droit
de Grenoble, 1954-1958. Conseiller juridique de l'ambassade de France à Tunis,
1959-1961. Professeur à la faculté de droit de Caen. 1962-1969. Professeur à
l'Université de Paris X-Nanterre, 1969-1980.
Membre des délégations françaises à l'Assemblée générale des Nations Unies, 1955.
1956. 1957, 1961. Président de la section française d'Amnesty International, 1971-
1976. Chargé de mission auprès du président de l'Assemblée nationale, 1973-1978.
Membre du conseil de la Société française de droit international et du conseil de
l'Institut international des droits de l'homme (fondation René-Cassin).
391

PRINCIPALES PUBLICATIONS
Livres
Les armes atomiques et la politique internationale, Dunod, 1970.
Droit international public, en collaboration avec les professeurs Jean Combacau, Serge
Sur et Charles Vallée, Editions Domat Montchrestien ; première édition, 1975 ;
deuxième édition, 1979.

Articles
«La condition juridique du Nord-Vietnam ». AFDI, 1955.
«L'avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 20 juillet 1962 sur
Certaines dépenses des Nations Unies », AFD1, 1962.
«La cession à la Tunisie des terres des agriculteurs français», AFDI, 1963.
« L'arrêt de la Cour internationale de Justice dans l'affaire du Cameroun septentrional,
exceptions préliminaires », AFDI', 1964.
«Les arrêts du 20 décembre 1974 et les relations de la France avec la Cour
internationale de Justice», AFDI, 1974.
«La nouvelle politique française du désarmement», AFDI. 1978.
« Les fleuves internationaux », Encyclopaedia Universalis.
393

INTRODUCTION

Les résolutions des organes internationaux occupent une place


désormais considérable dans les relations internationales, attestée par
la célébrité de certaines d'entre elles, telles que la Déclaration
universelle des droits de l'homme, la Déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, la Charte des droits
et des devoirs économiques des Etats, ou encore la résolution 242 du
Conseil de sécurité.
Le droit relatif aux résolutions demeure, en revanche, controversé.
L'orientation politique de certains organes internationaux et surtout de
l'Assemblée générale des Nations Unies suscite en effet des sensibilités
juridiques divergentes et des opinions doctrinales opposées quant aux
pouvoirs de ces organes et donc quant à la validité ou à la valeur
juridique de leurs résolutions.
Il est donc souhaitable de préciser, autant que possible, le droit
positif dans ce domaine. Différentes voies peuvent être empruntées à
cette fin. On peut s'attacher à la pratique des organes et à l'attitude des
Etats face à cette pratique. Telle a été la méthode choisie par
l'ambassadeur Jorge Castañeda au sujet de la valeur juridique des
résolutions des Nations Unies, dans le cours professé, en 1970, au sein
de cette Académie, auquel il est souvent, ajuste titre, fait référence '.
On peut toutefois aussi envisager le droit relatif aux résolutions à la
lumière de la jurisprudence internationale. Certaines sentences
arbitrales, telles que celle rendue par le professeur René-Jean Dupuy
dans l'affaire Texaco-Calasiatic c. le Gouvernement libyen, où une
large place est faite aux questions juridiques touchant à des résolutions,
sont à cet égard de grand intérêt2. L'examen toutefois de la
jurisprudence à ce sujet de la Cour internationale de Justice est
particulièrement justifié par l'autorité qui s'y attache et par l'abondance
des données qu'elle comporte.
Il n'est pas dans notre propos de traiter de l'autorité de la
jurisprudence de la Cour. Il suffit de rappeler à ce sujet que la Cour est,
selon l'article 92 de la Charte, l'organe judiciaire principal des Nations
Unies, que sa composition, tributaire de l'élection des juges par
l'Assemblée générale et par le Conseil de sécurité des Nations Unies,
est représentative des grandes formes de civilisation et des principaux
systèmes juridiques du monde (article 9 du Statut de la Cour), qu'enfin
la qualité de ses décisions procède d'une haute tradition, édifiée à
394 Hubert Thierry

l'origine par la Cour permanente de Justice internationale dont la CU


est la continuatrice.
Ces facteurs permettent de reconnaître à la jurisprudence de la Cour
l'autorité qui s'attache - selon l'expression de sir Humphrey Waldock
- à « l'interprétation judiciaire du droit faite pour le compte de la
communauté internationale » 3 , et d'affirmer en conséquence qu'il y a
là une source privilégiée de connaissance du droit international surtout
lorsque la Cour a eu l'occasion de se prononcer de façon élaborée et
étendue sur un aspect de ce droit.
Tel a été le cas quant aux résolutions, au sujet desquelles la
jurisprudence de la Cour est d'une grande richesse. Dans un grand
nombre d'affaires en effet des résolutions ont été en cause, soit que des
différends soumis par des Etats à la Cour aient été affectés par des
initiatives des Nations Unies (comme il en a été par exemple dans
l'affaire du Cameroun septentrional ou dans celle du Sud-Ouest
africain), soit que les demandes d'avis consultatif aient concerné
directement ou indirectement des résolutions. En conséquence, les
énoncés et les raisonnements de la Cour qui touchent aux résolutions
forment un ensemble jurisprudentiel considérable auquel s'ajoutent les
opinions séparées des juges, qui, en complétant ou en contestant les
positions de la Cour, en facilitent l'intelligence.
La jurisprudence de la Cour au sujet des résolutions concerne en
premier lieu sa propre compétence pour examiner la validité de
résolutions. En effet, dans les affaires de Certaines dépenses des
Nations Unies et de la Namibie qui ont donné lieu aux avis des
20 juillet 1962 et 21 juin 1971, l'aptitude juridique de la Cour pour
apprécier la validité des résolutions de l'Assemblée générale ou du
Conseil de sécurité, auxquelles les demandes d'avis se référaient, a été
contestée en fonction de la formulation des questions posées à la Cour
et de la situation de celle-ci par rapport aux organes politiques des
Nations Unies. La Cour a donc été appelée dans ces deux affaires à
préciser ses droits et ses devoirs quant à l'examen de la validité de
résolutions en s'appuyant sur les principes qui gouvernent l'exercice de
sa fonction consultative. Cette jurisprudence sera envisagée dans le
chapitre I de ce cours.
La validité des résolutions forme un second domaine au sujet duquel
la jurisprudence de la Cour est importante. Dans les deux affaires
précitées (Certaines dépenses et Namibie), la Cour a effectivement
examiné la validité des résolutions qui étaient en cause et des directives
junsprudentielles peuvent être dégagées de ses deux avis. Dans
d'autres affaires, toutefois, la Cour a été invitée à formuler des avis sur
Résolutions des organes internationaux 395

la conduite ultérieure des organes qui se sont adressés à elle pour


résoudre des questions juridiques liées à leurs activités. Les opinions de
la Cour ont alors porté sur la compétence ou la procédure de ces
organes et donc sur les conditions de validité de résolutions éventuelles
ou futures. Il en a été ainsi dans les affaires de la Réparation des
dommages subis au service des Nations Unies .(avis du 11 avril 1949),
de la Compétence de l'Assemblée générale pour l'admission d'un Etat
aux Nations Unies (avis du 3 mars 1950) de l'Effet de jugements du
Tribunal administratif des Nations Unies accordant indemnité (avis du
13 juillet 1954), ou encore dans les affaires touchant au statut du Sud-
Ouest africain (avis des 11 juillet 1950, 7 juin 1955 et 1er juin 1956).
Cette jurisprudence, quant à la validité des résolutions, sera envisagée
au chapitre II.
Enfin, la jurisprudence de la Cour est également substantielle au
sujet de la valeur juridique des résolutions, c'est-à-dire de leurs effets,
qu'il s'agisse de leurs effets directs ou de ceux, indirects, qui résultent
de leur contribution à la formation de normes coutumières du droit
international.
Quant aux premiers, la Cour s'est attachée dans les affaires de
Certaines dépenses et de la Namibie à déterminer les obligations
découlant de résolutions et ses avis dans ces affaires apportent des
solutions à des questions telles que celles de la portée des résolutions
par lesquelles l'Assemblée des Nations Unies détermine et répartit les
dépenses de l'Organisation ou de l'étendue des pouvoirs de décision de
l'Assemblée et du Conseil de sécurité.
La part des résolutions dans la formation du droit a retenu
l'attention de certains juges dès avant 1971, et la Cour elle-même, dont
la jurisprudence jusqu'alors ne comportait que peu d'éléments à ce
sujet, s'y est attachée à propos du droit de la décolonisation dans
l'affaire de la. Namibie et dans celle du Sahara occidental, qui a donné
lieu à l'avis du 16 octobre 1975.
Ainsi la jurisprudence de la Cour est-elle également éclairante sur
cet aspect du droit des résolutions, qui suscite un grand intérêt parce
qu'il est assurément déterminant quant à l'évolution du droit
international dans son ensemble.
C'est cette jurisprudence relative à la valeur juridique des résolutions
qui forme le sujet de notre chapitre III et dernier.
396

CHAPITRE I

LA JURISPRUDENCE DE LA COUR AU SUJET


DE SA COMPÉTENCE POUR EXAMINER
LA VALIDITÉ DE RÉSOLUTIONS

La Cour n'a pas été conçue comme une juridiction constitutionnelle


ou administrative qui serait comparable à ce que sont, dans l'ordre
juridique interne français, le Conseil constitutionnel ou le Conseil
d'Etat4. N'étant pas habilitée à décider de la validité de résolutions,
c'est-à-dire à les déclarer nulles et donc à les priver de leurs effets
juridiques, la Cour n'a pas dans ce domaine, selon sa propre
expression, de « pouvoir de contrôle judiciaire ou d'appel ». C'est ce
que la Cour a exprimé dans son avis du 21 juin 1971 (Namibie) -. « Il
est évident que la Cour n'a pas de pouvoir de contrôle judiciaire ni
d'appel en ce qui concerne les décisions prises par les organes des
Nations-Unies» (CU Recueil 1971, p. 45). La Cour avait dit
auparavant dans l'affaire de Certaines dépenses des Nations Unies que :
« Dans les systèmes juridiques des Etats, on trouve souvent
une procédure pour déterminer la validité d'un acte même
législatif ou gouvernemental, mais on ne rencontre dans la
structure des Nations Unies aucune procédure analogue. » (CIJ
Recueil 1962, p. 168.)
Ainsi, la Cour n'est-elle pas placée « au-dessus » des autres organes
internationaux. Elle n'est pas appelée à censurer leurs actes ou à
redresser leurs éventuels «excès de pouvoirs» 5 .
La Cour, en revanche, peut être appelée à examiner la validité de
résolutions et donc à formuler des opinions juridiques à ce sujet.
L'article 96 de la Charte prévoit en effet que l'Assemblée ou le Conseil
de sécurité peuvent demander à la Cour des avis consultatifs sur toute
question juridique. De même, selon le paragraphe 2 de cet article,
d'autres organes internationaux, qui y sont autorisés par l'Assemblée,
peuvent également demander à la Cour des avis sur des questions
juridiques « qui se posent dans le cadre de leur activité ».
C'est à l'occasion de l'exercice de cette fonction consultative que des
questions touchant à la validité de résolutions peuvent être soulevées.
Les demandes d'avis adressées à la Cour peuvent en effet mettre en
cause directement ou indirectement la validité de résolutions.
Résolutions des organes internationaux 397

La Cour a été appelée à répondre à une demande d'avis consultatif


portant directement sur la validité, sinon d'une résolution, tout au
moins d'un acte juridique - en l'occurrence une élection - d'un
organe international. Dans l'affaire de la Composition du Comité de la
sécurité maritime de l'Organisation intergouvernementale consultative
de la navigation maritime (IMCO), la question posée à la Cour était
rédigée de la façon suivante : « Le Comité de la sécurité maritime de
l'Organisation intergouvernementale consultative de la navigation
maritime, élu le 15 janvier 1959, a-t-il été établi conformément à la
convention portant création de l'Organisation ? » Il s'agissait donc
pleinement de donner un avis sur la validité de l'acte en question, c'est-
à-dire su/ sa conformité avec les normes juridiques le régissant.
La Cour, dans cette affaire, a répondu à la question qui lui était
adressée et elle a formulé dans le dispositif de l'avis l'opinion selon
laquelle le Comité n'avait pas été établi conformément à la convention
portant création de l'Organisation {CURecueil I960, p. 171), affirmant
par là même que l'élection de ce comité n'était pas juridiquement
valide.
En revanche, la Cour n'a jamais été saisie, jusqu'à présent, d'une
demande d'avis portant directement sur la validité de résolutions
adoptées par les organes des Nations Unies. Mais dans les affaires qui
ont donné lieu aux avis des 20 juillet 1962 (Certaines dépenses des
Nations Unies) et 21 juin 1971 (Namibie), la validité de résolutions,
discutée au cours des débats, était en cause et la Cour a effectivement
procédé à leur examen de ce point de vue.
La première de ces affaires concernait le financement des opérations
de maintien de la paix entreprises par les Nations Unies en 1956 au
Moyen-Orient (FUNU) et en 1960 au Congo (ONUC) et touchait donc
aux résolutions autorisant les dépenses afférentes à ces opérations et
même aux résolutions par lesquelles ces opérations avaient été
décidées.
La demande d'avis adressée à la Cour était toutefois rédigée de la
façon suivante :
« Les dépenses autorisées par les résolutions de l'Assemblée
générale 1583 (XV) et 1590 (XV) du 20 décembre 1960, 1595
(XV) du 3 avril 1961, 1619 (XV) du 21 avril 1961 et 1633 (XVI)
du 30 octobre 1961, relatives aux opérations des Nations Unies
au Congo entreprises en exécution des résolutions du Conseil de
sécurité en date des 14 juillet, 22 juillet et 9 août 1960 et des
21 février et 24 novembre 1961 ainsi que des résolutions de
398 • Hubert Thierry

l'Assemblée générale 1474 (ES-IV) du 20 septembre 1960, 1599


(XV), 1600 (XV) et 1601 (XV) du 15 avril 1961, et les dépenses
autorisées par les résolutions de l'Assemblée générale : 1122 (XI)
du 26 novembre 1956, 1089 (XI) du 21 décembre 1956, 1090
(XI) du 27 février 1957, 1151 (XII) du 22 novembre 1957, 1204
(XII) du 13 décembre 1957, 1337 (XIII) du 13 décembre 1958,
1441 (XIV) du 5 décembre 1959 et 1575 (XV) du 20 décembre
1960, relatives aux opérations de la Force d'urgence des Nations
Unies entreprises en exécution des résolutions de l'Assemblée gé-
nérale : 997 (ES-I) du 2 novembre 1956, 998 (ES-I) et 999 (ES-I)
du 7 novembre 1956, 1000 (ES-I) du 5 novembre 1956, 1001
(ES-I) du 7 novembre 1956, 1121 (XI) du 24 novembre 1956 et
1263 (XIII) du 14 novembre 1958, constituent-elles «des
dépenses de l'Organisation » au sens du paragraphe 2 de l'ar-
ticle 17 de la Charte des Nations Unies?»
La Cour a elle-même précisé le sens de cette demande :
« Il est demandé à la Cour de déterminer si certaines dépenses
qui ont été autorisées par l'Assemblée générale pour couvrir les
frais des opérations des Nations Unies au Congo ... et des
opérations de la Force d'urgence des Nations Unies au Moyen
Orient... « constituent... » des dépenses de l'Organisation au sens
du paragraphe 2 de l'article 17 de la Charte des Nations Unies. »
(C/J Recueil 1962, p. 156.)
Ainsi, la question posée à la Cour portait-elle sur la nature juridique
des dépenses et non pas directement sur la validité des résolutions par
lesquelles ces dépenses avaient été autorisées.
Il en eût été différemment si un amendement français à la résolution
par laquelle l'avis a été demandé avait été adopté. Le texte proposé par
la France tendait en effet à ce que la Cour fût interrogée sur le point de
savoir si les dépenses relatives aux opérations avaient été « décidées
conformément aux dispositions de la Charte » 6 . Si l'initiative française
avait été couronnée de succès, la Cour eût été invitée à formuler
directement une opinion sur la validité des résolutions autorisant les
dépenses, mais elle ne le fut pas.
La Cour a, néanmoins, estimé que l'examen de la validité des
résolutions qui étaient en cause était nécessaire pour qu'elle puisse
répondre à la question qui lui était posée et elle a effectivement
examiné la validité des résolutions autorisant les dépenses et, au moins
dans la mesure nécessaire pour écarter certains arguments, la validité
Résolutions des organes internationaux 399

des résolutions par lesquelles les opérations avaient été décidées,


agissant ainsi, pour l'essentiel, comme si l'amendement français avait
été adopté 7.
La seconde affaire, celle qui a donné lieu à l'avis du 11 juin 1971,
s'est inscrite dans la longue suite de difficultés juridiques suscitées par
le statut du Sud-Ouest africain, devenu, depuis 1976, la Namibie.
La demande d'avis, consécutive à la résolution 276 du Conseil de
sécurité déclarant illégale la présence continue de l'Afrique du Sud
en Namibie et invitant les Etats à agir en conséquence, mettait
implicitement en cause des résolutions antérieures du Conseil et
surtout la résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée qui a mis fin au
mandat exercé par l'Afrique du Sud sur ce territoire.
La question adressée à la Cour ne portait cependant pas sur la
validité de ces résolutions ni même sur leurs effets juridiques mais sur
les conséquences de leur inobservation par l'Afrique du Sud. Le texte
en était le suivant : « Quelles sont les conséquences pour les Etats de la
présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie nonobstant la
résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité? » Il s'agissait donc de
déterminer les obligations des Etats en raison du fait que l'Afrique du
Sud ne se conformait pas à la résolution du Conseil.
La Cour n'en a pas moins estimé, comme dans l'affaire de Certaines
dépenses, que l'examen de la validité des résolutions qui avaient
engendré les difficultés qui lui étaient soumises était nécessaire pour
répondre à la question posée et elle a de même effectivement examiné
la validité de la résolution 276 du Conseil de sécurité et de la résolu-
tion 2145 (XXI) de l'Assemblée.
Dans ces deux affaires, toutefois, la Cour a été amenée à s'interroger
sur sa propre compétence afin d'examiner la validité de résolutions et
les avis de la Cour ont largement contribué â l'élaboration d'un droit
jurisprudentiel à ce sujet.
Il apparaît ainsi, en premier lieu, que la Cour doit tenir compte, dans
la détermination de sa compétence pour examiner la validité de
résolutions, de principes juridiques fondamentaux qui découlent de sa
mission en tant qu'organe judiciaire principal des Nations Unies
(article 92 de la Charte).
La jurisprudence de la Cour concerne en second lieu les
conséquences de ces principes dans les deux situations où elle peut être
placée : celle où la demande d'avis porte directement sur la validité de
résolutions et celle où la validité de résolutions est en cause sans que la
Cour soit directement invitée à examiner leur validité.
Les deux sections du présent chapitre auront donc trait aux
400 Hubert Thierry

principes juridiques relatifs à la compétence de la Cour pour examiner


la validité de résolutions et aux conséquences de ces principes en
fonction de la teneur des questions posées à la Cour par les demandes
d'avis.

Section I. Principes juridiques relatifs à la compétence de la Cour


pour examiner la validité de résolutions

Il résulte de la jurisprudence de la Cour qu'elle doit tenir compte,


lorsqu'elle est appelée à déterminer si elle peut examiner, dans
l'exercice de sa compétence consultative, la validité de résolutions, de
trois principes qui sont liés à sa condition en tant qu'organe judiciaire
principal des Nations Unies.
La Cour, en premier lieu, ne doit pasen principe refuser de répondre
à une demande d'avis. La Cour, en second lieu, ne se départit pas de sa
« fonction judiciaire » lorsqu'elle exerce sa compétence consultative.
La Cour enfin ne doit pas s'arroger un pouvoir de contrôle judiciaire
sur les résolutions des organes internationaux.
Les deux premiers de ces principes tendent à favoriser l'examen par
la Cour de la validité de résolutions. Le troisième en revanche tend à
limiter la compétence de la Cour dans ce domaine.
a) Le précepte juridique selon lequel la Cour ne doit pas en principe
refuser de répondre à une demande d'avis découle d'une jurisprudence
constante à laquelle la Cour s'est souvent référée et notamment dans
ses avis : Compétence de l'Assemblée générale pour l'admission d'un
Etat aux Nations Unies (avis du 3 mars 1950)^Interprétation des traités
de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie (avis du
30 mars 1950), Jugement du Tribunal administratif de TOIT sur
requêtes contre ¡'Unesco (avis du 23 octobre 1956) et Certaines
dépenses des Nations Unies (avis du 20 juillet 1962). L'attitude ainsi
définie procède de la philosophie de la Cour au sujet de sa compétence
consultative.
Selon les dispositions de l'article 96 de la Charte, en effet, la Cour ne
peut donner un avis que sur une « question juridique ». En
conséquence : « Si une question n'est pas juridique, la Cour n'a pas de
pouvoir discrétionnaire en la matière, elle doit refuser de donner l'avis
qui lui est demandé. » (CU Recueil 1962, p. 155.)
En revanche, lorsque la demande porte sur une question juridique,
la Cour est juge de l'opportunité de donner un avis. Elle dispose à cet
égard, selon sa propre expression, d'un « pouvoir discrétionnaire ». Le
caractère permissif de l'article 65 de son Statut « donne à la Cour le
Résolutions des organes internationaux 401

pouvoir d'apprécier si les circonstances de l'espèce sont telles qu'elles


doivent la déterminer à ne pas répondre à une demande d'avis » (avis
du 30 mars 1950, CU Recueil 1950, p. 72).
Toutefois, aux fins de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la
Cour s'est imposée à elle-même une règle de bonne conduite selon
laquelle : « La réponse à une demande d'avis ne devrait pas en principe
être refusée» (CU Recueil 1950, p. 71).
La Cour a précisé à ce sujet qu'il faudrait des raisons décisives pour
l'amener à opposer un refus à une demande d'avis consultatif (avis du
23 octobre 1956, Jugements du Tribunal administratif de VOIT sur
requêtes contre l'Unesco, CU Recueil 1956, p. 86). Cette formule a été
rappelée dans l'affaire de Certaines dépenses.
Ainsi, le pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser de donner
un avis sur une question juridique est-il limité par une norme
jurisprudentielle.
Cette autolimitation découle de la philosophie de la compétence
consultative dont l'exercice a été conçu par la Cour comme une
contribution à l'action de l'Organisation.
La Cour, en effet, n'est pas extérieure à l'ONU ; elle en est l'organe
judiciaire principal. Lorsqu'un avis lui est demandé, la Cour n'est pas
dans une situation d'une instance étrangère à l'organe qui la sollicite
mais dans celle d'un conseil, placé aux côtés de cet organe, afin de
concourir à ses travaux en les éclairant sous l'angle juridique. Son
concours ne doit donc pas, en principe, être refusé. C'est ce que la
Cour elle-même a exprimé en disant que : « La réponse [à une
demande d'avis] constitue une participation de la Cour, elle-même
« organe des Nations Unies », à l'action de l'Organisation et, en
principe, ne devrait pas être refusée. » (CU Recueil 1950, p. 71.)
Cette jurisprudence est l'un des éléments dont la Cour doit tenir
compte lorsque la validité de résolutions est en cause. L'appréciation
de la conformité d'un acte juridique aux normes qui le régissent est en
effet une question juridique, dans la mesure où elle donne lieu à
l'interprétation de normes internationales et principalement de l'acte
constitutif de l'organisation dont la résolution émane. La Cour s'est
prononcée à différentes reprises à ce sujet en des termes qui ne laissent
place à aucun doute sur le sens de sa jurisprudence. Dans l'affaire de
Certaines dépenses, la Cour a fait remarquer que « la plupart des
interprétations de la Charte présentent une importance politique plus
ou moins grande », mais elle a énoncé qu'elle ne saurait « attribuer un
caractère politique à une requête qui l'incite à s'acquitter d'une tâche
402 Hubert Thierry

essentiellement judiciaire, à savoir l'interprétation d'une disposition


conventionnelle» (CU Recueil 1962, p. 155).
De même, dans son avis du 8 juin 1960, la Cour admet que la
question qui lui est soumise « se rattache à d'autres qui ont un
caractère politique » mais qu'« elle doit néanmoins, dans l'exercice de
sa fonction consultative, rester fidèle aux exigences de son caractère
judiciaire» (CU Recueil I960, p. 153).
Ainsi, la Cour ne doit-elle pas, en principe, refuser de donner un
avis sur une telle question. Sans doute n'est-ce pas là une directive
absolue puisque la Cour peut y déroger pour une « raison décisive »,
mais elle implique une inclination favorable à l'examen de la validité
de résolutions dans l'exercice de la fonction consultative.
b) Le second principe dont la Cour doit tenir compte quant à sa
compétence pour examiner la validité de résolutions est celui selon
lequel elle ne se départit pas de sa fonction judiciaire dans l'exercice de
sa compétence consultative.
C'est là un principe qui a une place eminente dans la jurisprudence
de la Cour. Il a été formulé par la Cour permanente de Justice
internationale dans l'un de ses premiers avis consultatifs en 1923. Il a
été dit en effet dans l'affaire du Statut de la Carélie orientale que la
Cour étant une cour de justice « ne peut se départir des règles
essentielles qui dirigent son activité de Tribunal même lorsqu'elle
donne des avis consultatifs » (CPJI, série B n° 5, p. 29).
La CU s'est souvent, depuis lors, référée à ce principe, soit de façon
étendue comme dans l'affaire du Cameroun septentrional (arrêt du
2 décembre 1963), soit en y faisant allusion (avis des 20 juillet 1962 et
11 juin 1971).
La notion de fonction judiciaire touche au statut de la Cour et
peut-on dire à sa condition juridique qui est d'être un tribunal appelé à
agir en toutes circonstances - et donc aussi bien sur le plan consultatif
qu'au contentieux - comme tel.
Le juge Fitzmaurice, dans son opinion dissidente jointe à l'avis sur la
Namibie, a particulièrement mis en valeur cette donnée essentielle en
comparant les pouvoirs et les devoirs de la Cour à ceux d'une
« Académie de juristes » ou d'un simple « groupe d'experts » qui,
n'étant pas investis d'une fonction judiciaire, ne sont pas soumis aux
mêmes contraintes et ne disposent pas de la même liberté que la Cour
(CU Recueil 1971, pp. 202-203)8.
La préoccupation de la sauvegarde de la fonction judiciaire de la
Cour peut en effet tantôt limiter tantôt élargir l'exercice de sa
compétence.
Résolutions des organes internationaux 403

D'un côté, la Cour en sa qualité de tribunal peut être privée du droit


de se prononcer sur certaines questions comme pourrait le faire un
groupe d'experts. Il en est ainsi lorsque la Cour est appelée à rendre
une décision qui n'aurait pas de conséquences concrètes et revêtirait un
caractère purement « académique ». Tel a été le cas dans l'affaire du
Cameroun septentrional ou la Cour était appelée à se prononcer sur la
violation alléguée d'un accord qui avait cessé d'être en vigueur. La
Cour a dit à ce sujet :
« L'arrêt de la Cour doit avoir des conséquences pratiques en ce
sens qu'il doit pouvoir affecter les droits ou obligations juridiques
existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs
relations juridiques. En l'espèce, aucun arrêt -rendu au fond ne
pourrait répondre à ces conditions essentielles de la fonction
judiciaire. » (CU Recueil 1963, p. 34.)
En conséquence, la Cour a estimé que :
« les limites qui sont celles de sa fonction judiciaire ne lui
permettent pas d'accueillir pour en décider avec autorité de chose
jugée les demandes qui lui ont été adressées... » {/bid., p. 38.)
La Cour a suivi la même ligne de conduite dans l'affaire des essais
nucléaires français en s'abstenant de se prononcer sur les demandes de
l'Australie et de la Nouvelle-Zélande devenues « sans objet » après que
la France eut pris, selon l'interprétation donnée par la Cour des
déclarations des autorités françaises, l'engagement de ne plus effectuer
d'essais nucléaires dans l'océan Pacifique. (Arrêts des 20 décembre
1974, CU Recueil 1974, pp. 271, 272 et 477.)
A l'inverse, la notion de fonction judiciaire assure à la Cour dans
l'exercice de sa compétence consultative une liberté d'appréciation
dont un organisme qui n'aurait pas le caractère d'un tribunal pourrait
être privé.
La Cour a dit en effet dans l'affaire de Certaines dépenses que :
« la Cour doit avoir pleine liberté d'examiner tous les éléments
pertinents dont elle dispose pour se faire une opinion sur une
question qui lui est posée en vue d'un avis consultatif» (CU
Recueil 1962, p. 157).
Cette liberté est la contrepartie d'un devoir que le juge Fitzmaurice
met en valeur de la façon suivante :
« Si un groupe d'experts peut fort bien, se livrant à une sorte
404 Hubert Thierry

d'exercice technique, donner des réponses en se fondant sur


certaines hypothèses préétablies, indépendamment de leur
validité, un tribunal ne peut agir ainsi : il est tenu d'examiner
soigneusement ce qu'on lui demande de faire et de juger si cela est
compatible avec son statut et sa fonction de tribunal. » {CIJ
Recueil ¡971, p. 303.)
Appliqué au problème de la compétence de la Cour pour l'examen
de la validité de résolutions, le principe de sauvegarde de la fonction
judiciaire conduit la Cour à se reconnaître compétente dès lors qu'elle
juge cet examen nécessaire pour répondre de façon pertinente à une
demande d'avis.
On pourrait penser ainsi qu'aucun obstacle ne s'oppose à l'examen
par la Cour de la validité de résolutions puisque les deux principes
envisagés jusqu'à présent sont l'un et l'autre favorables à un tel
examen. Une telle conclusion serait toutefois inexacte dans la mesure
où la Cour doit tenir compte également d'un troisième principe : celui
selon lequel elle ne doit pas usurper des pouvoirs de contrôle
judiciaire.
c) Le principe selon lequel la Cour ne doit pas s'arroger dans
l'exercice de sa compétence consultative un pouvoir de contrôle
judiciaire sur les résolutions des organes internationaux procède
d'abord du concept, admis dans tous les ordres juridiques, de la
répartition des compétences qui implique qu'un organe quelconque ne
doit pas usurper directement ou indirectement des pouvoirs qui ne lui
sont pas reconnus par le droit.
Une autre considération propre à la structure de l'ONU est toutefois
également en cause. Elle résulte du principe que le juge de Castro
désigne comme étant celui de la « division des pouvoirs » dont il
expose ainsi le contenu :
« La Charte a établi trois organes dotés chacun de pouvoirs
souverains dans la sphère de sa compétence : Assemblée générale.
Conseil de sécurité et Cour internationale de Justice...
Chacun d'entre eux a le pouvoir d'interpréter les dispositions
de la Charte, verbis et factis. Cette interprétation doit être
respectée par tous les autres organes, si elle ne touche pas à leur
propre compétence. Toute autre solution irait" à rencontre de
^indépendance ou de la souveraineté de chaque organe. » {CIJ
Recueil 1971, p. 180.)
L'examen par la Cour de la validité de résolutions, dans l'exercice de
Résolutions des organes internationaux 405

sa compétence consultative, met-il en échec le principe de la « division


des pouvoirs » ? On pourrait être tenté de répondre à cette question par
la négative puisque les avis de la Cour n'ont pas valeur obligatoire.
L'opinion de la Cour formulée soit dans les motifs, soit même dans le
dispositif d'un avis n'impliquerait aucun contrôle judiciaire puisque les
résolutions que la Cour estimerait dépourvues de validité juridique ne
seraient que pour autant annulées et ne cesseraient pas de produire des
effets de droit.
Ce raisonnement toutefois n'est pas pleinement pertinent. La
différence en effet est mince en pratique entre la constatation par la
Cour, dans l'exercice de sa compétence consultative, de la non-validité
ou de l'irrégularité d'une résolution et l'annulation de celle-ci.
Dès lors, en effet, que la Cour ne se départit pas de sa fonction
judiciaire dans l'exercice de sa compétence consultative l'opinion de la
Cour formulée dans un avis, certes dépourvu de force obligatoire, n'en
a pas moins l'autorité qui s'attache à l'exercice de cette fonction avec
les garanties qu'elle comporte'.
Elle est l'opinion d'un tribunal, formée à la suite d'un débat
contradictoire, par une majorité de juges dont l'indépendance affirmée
par le Statut de la Cour est en outre préservée par la condition
juridique que ce Statut leur assure. Une telle opinion a donc une
« qualité juridique » que celle d'un organe politique ne comporte pas
au même degré.
On peut ainsi penser qu'en pratique une résolution dont la validité
aurait été contestée par la Cour dans un avis consultatif serait privée,
sinon en droit, au moins en fait de toute valeur.
C'est pourquoi les organes internationaux, qui attendent de la Cour
qu'elle confirme la valeur et l'autorité de leurs résolutions, évitent
toutefois de formuler les demandes d'avis portant directement sur la
validité de celles-ci. Plus spécialement, les Etats qui ont contribué par
leurs votes positifs à l'adoption de résolutions ne doutent pas de leur
validité ou ne veulent pas paraître en douter, et ne souhaitent donc pas
qu'elles soient mises en cause. Ils ne manquent donc pas de formuler
des objections fondées sur la notion d'abus de pouvoir, quant à leur
examen par la Cour.
Ainsi, dans l'affaire de la Namibie, certains Etats étaient-ils vivement
opposés à toute discussion de la résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée,
mettant fin au mandat de l'Afrique du Sud, et des résolutions
subséquentes du Conseil qui constituaient des actes importants dans la
lutte entreprise en vue de la libération du Sud-Ouest africain et contre
la politique d'apartheid. Des déclarations faites au cours des débats
406 Hubert Thierry

concernant la résolution du Conseil de sécurité demandant l'avis


(résolution 284 (1970)) tendaient donc à dénier à la Cour, compte tenu
dé la formulation de la question, le droit d'examiner la validité de ces
résolutions. Des arguments ont été également développés en ce sens
dans les exposés écrits et pendant la procédure orale auxquels la Cour
s'est référée de la façon suivante :
« On a fait valoir en ce sens que la Cour ne devait pas s'arroger
des pouvoirs de contrôle judiciaire quant aux mesures prises par
les autres organes principaux des Nations Unies sans y avoir été
expressément invitée, ni jouer un rôle d'une cour d'appel à l'égard
de leurs décisions. » (CU Recueil 1971, p. 45.)
A l'opposé, les Etats qui se sont prononcés contre des résolutions,
notamment parce qu'ils en contestent la validité, souhaitent que la
Cour examine celles-ci. Tel était, dans l'affaire de Certaines dépenses,
l'inclination française qui a suscité l'amendement, dont il a été question
ci-dessus, qui tendait à faire en sorte que la question posée à la Cour
porte directement sur la validité des résolutions 10.
La jurisprudence de la Cour montre que celle-ci tient compte de ce
troisième principe de la « division des pouvoirs » et qu'elle est donc
soucieuse des limites de sa compétence.
C'est ce qui résulte en effet des énoncés qui rappellent que la Cour
n'a pas de pouvoirs de contrôle judiciaire, de même que de
l'affirmation selon laquelle « chaque organe doit, tout au moins en
premier lieu, déterminer sa propre compétence ».
Ainsi, le droit relatif à la détermination de la compétence de la Cour
pour examiner la validité de résolutions comporte-t-il trois principes
partiellement contradictoires.
Les conséquences de ces principes doivent donc être définies sous
l'angle de leur application par la Cour dans les différentes situations où
elle peut être placée, notamment en fonction de la teneur des questions
posées par les demandes d'avis consultatifs.

Section II. Les conséquences des principes relatifs à la compétence


de la Cour pour examiner la validité de résolutions

Les trois principes envisagés dans la section précédente - selon


lesquels : 1 ) la Cour ne doit pas refuser en principe de répondre à une
demande d'avis ; 2) la Cour ne se départit pas de sa fonction judiciaire
dans l'exercice de sa compétence consultative ; 3) la Cour ne doit pas
s'arroger des pouvoirs de contrôle judiciaire - guident la conduite de
Résolutions des organes internationaux 407

la Cour, qui est appelée à en tirer des conséquences appropriées dans


chaque espèce, compte tenu des circonstances propres à celle-ci.
On doit admettre toutefois à la lumière de la jurisprudence de la
Cour que ces conséquences sont principalement tributaires de la
formulation de la question posée à la Cour dans la demande d'avis
consultatif. Deux hypothèses peuvent être distinguées à cet égard :
celle en premier lieu où la Cour est invitée directement à examiner la
validité de résolutions ; cette question apparaissant alors comme
formant l'objet même de la demande d'avis. Celle en second lieu où la
validité de résolutions est en cause, sans pour autant que la question
formulée dans la demande d'avis porte directement sur cette validité.
A.'On peut admettre que lorsque la Cour est saisie d'une demande
d'avis portant sur la validité d'une ou de résolutions, elle doit en
principe répondre à cette demande.
Cette affirmation découle de la jurisprudence de la Cour et elle est
confirmée par la logique des principes ci-dessus énoncés.
N'ayant pas été saisie de demande d'avis portant directement sur la
validité de résolutions d'organes des Nations Unies, la Cour ne s'est pas
prononcée sur sa compétence dans cette hypothèse. Il apparaît
toutefois que les considérations de la Cour sur sa compétence pour
examiner la validité de résolutions dans les cas où elle n'y est pas
invitée reposent au moins implicitement sur la conviction qu'elle est
compétente pour répondre à une question portant directement sur la
validité de résolutions. Lorsque la Cour en effet dans l'affaire de
Certaines dépenses s'interroge sur les conséquences du rejet de
l'amendement français pour admettre que ce rejet « ne constitue pas
une injonction pour la Cour d'avoir à écarter l'examen de la question
de savoir si certaines dépenses ont été décidées conformément aux
dispositions de la Charte », il est implicitement admis que si
l'amendement avait été adopté la Cour se devait de répondre à la
question qu'il comportait. Le juge Morelli s'est en outre exprimé
positivement à ce sujet :
« Si un tel amendement avait été accepté, la Cour aurait été
obligée, par les termes mêmes de la requête pour avis consultatif,
d'examiner, en premier lieu, le problème de la conformité de
certaines résolutions avec la Charte ; problème que la Cour aurait
dû trancher dans le dispositif de son avis. » (C/7 Recueil 1962,
pp. 216-217.)
Il est remarquable, en outre, que dans l'affaire de la Composition du
Comité de la sécurité maritime de l'IMCO, la Cour a répondu à la
408 Hubert Thierry

demande d'avis qui lui a été adressée sans s'interroger sur sa


compétence sous l'angle de son droit d'examiner la validité d'un acte
d'un organe international.
Dans les très brèves remarques sur sa compétence dans cette affaire,
la Cour ne s'est attachée à la question posée que sous l'angle de son
caractère juridique et de sa formulation en termes généraux visant
toutefois un cas particulier {CU Recueil I960, pp. 152-153). On peut
en déduire que la Cour ne doutait pas de sa compétence en fonction de
l'objet de la question".
Cette jurisprudence découle des principes ci-dessus énoncés. Le
principe en effet de la « division des pouvoirs » selon lequel la Cour
doit éviter de s'arroger un pouvoir de contrôle judiciaire ne fait pas
obstacle à l'examen par la Cour de la validité de résolutions dès lors
que l'organe qui a adopté une résolution sollicite lui-même un avis sur
la validité de celle-ci. La « souveraineté » et 1'« indépendance » de cet
organe - selon la terminologie employée par le juge de Castro - ne
peut être atteinte quand celui-ci s'expose volontairement à la censure
éventuelle résultant de l'examen par la Cour à titre consultatif de la
validité de ses actes '2.
Cet obstacle étant levé, les deux autres principes : celui selon lequel
la Cour ne doit pas en principe refuser de répondre à une demande
d'avis et celui selon lequel la Cour ne se départit pas de sa fonction
judiciaire gouvernent donc exclusivement dans ce cas la compétence
de la Cour.
La seconde hypothèse, celle de la compétence de la Cour pour
examiner la validité de résolutions lorsqu'elle n'y est pas directement
invitée, est toutefois plus complexe que la précédente.
B. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que celle-ci a également
compétence pour examiner la validité de résolutions lorsque tel n'est
pas l'objet de la demande d'avis. Cette compétence toutefois fondée sur
la notion de fonction judiciaire est limitée par le concept de division
des pouvoirs et par la notion de fonction judiciaire elle-même qui
implique que l'examen de validité de résolutions n'est justifié que dans
la mesure où il est réellement nécessaire à l'exercice de cette fonction,
c'est-à-dire afin de donner une réponse juridiquement pertinente à la
demande d'avis.
Ces solutions toutefois ont été l'objet de critiques, tantôt quant à leur
application, tantôt dans leur principe, formulées par des juges dans
leurs opinions individuelles ou dissidentes dans les affaires de
Certaines dépenses et de la Namibie.
a) La Cour s'est fondée sur sa « fonction judiciaire » pour asseoir
Résolutions des organes internationaux 409

sa compétence quant à l'examen de la validité de résolutions dans les


deux affaires susmentionnées. Au sujet du rejet de l'amendement
français dans l'affaire de Certaines dépenses, la Cour a dit en effet :
« On ne doit pas supposer que l'Assemblée générale ait entendu lier ou
gêner la Cour dans l'exercice de ses fonctions judiciaires. » (CIJ
Recueil ¡962, p. 157.)
Cette jurisprudence a été suivie dans l'affaire de la Namibie bien que
les énoncés de la Cour dans son avis du 11 juin 1971 soient plus
restrictifs que dans celui du 20 juillet 1962. La Cour a pris soin en effet
de rappeler qu'elle n'a pas de pouvoirs judiciaires et de souligner que :
«Ce n'est pas sur la validité de la résolution 2145 (XXI) de
l'Assemblée générale ou des résolutions connexes du Conseil de
sécurité ni sur leur conformité avec la Charte que porte la
demande d'avis consultatif»,
avant d'ouvrir la dernière partie des motifs de son avis par l'énoncé
suivant où l'on peut remarquer une part de prudence ou d'hésita-
tion '3 :
« Cependant, dans l'exercice de sa fonction judiciaire et
puisque des objections ont été formulées [quant à la validité des
résolutions], la Cour examinera ces objections dans son exposé
des motifs, avant de se prononcer sur les conséquences juridiques
découlant de ces résolutions.» (CIJ Recueil 1971, p. 45.)
Ainsi, l'attitude de la Cour a-t-elle été plus nuancée en 1971 qu'en
1962 sans pour autant que l'on puisse faire état d'un « revirement de
jurisprudence » M.
La plus grande réserve de la Cour quant à sa compétence pour
examiner les résolutions en cause dans l'affaire de la Namibie peut au
demeurant être expliquée aisément. Dans l'affaire de Certaines
dépenses, en effet, la question de la validité des résolutions autorisant
les dépenses était étroitement liée à celle de la nature juridique de ces
dépenses, puisque, si celles-ci n'étaient pas des dépenses des Nations
Unies, les résolutions qui les avaient autorisées eussent été, en
conséquence, dépourvues de validité. Dans l'affaire de la Namibie, au
contraire, le lien entre la validité des résolutions de l'Assemblée et du
Conseil et les conséquences de leur inobservation par l'Afrique du Sud
était logiquement moins étroit. Une part d'hésitation était donc
légitime mais la Cour n'en n'a pas moins procédé - comme dans
l'affaire de Certaines dépenses - à un examen très large de la validité
des résolutions qui étaient en cause.
410 Hubert Thierry

Le chapitre II ci-après le montrera plus amplement.


b) La compétence de la Cour pour examiner la validité de
résolutions sans y avoir été expressément invitée par la demande d'avis
n'est toutefois pas illimitée. Elle est sujette à des restrictions formelles
et substantielles.
En premier lieu, les considérations sur la validité de résolutions dans
ce cas ont leur place dans les motifs de l'avis et non dans son dispositif.
Cette solution adoptée par la Cour dans les deux affaires est considérée
comme étant juridiquement inéluctable par les juges Morelli (CU
Recueil 1962, pp. 216-217), Bustamante (ibid., p. 288) et de Castro
(CU Recueil 1971, p. 182).
On doit admettre en effet que si la Cour faisait figurer, sans y être
invitée par la question posée, dans le dispositif de son avis son opinion
sur la validité de résolutions, elle porterait atteinte au principe de
l'indépendance des organes.
En second lieu, la Cour ne saurait examiner la validité de
résolutions qui seraient en cause dans une demande d'avis si l'organe
ayant adressé la demande à la Cour formulait une « injonction »
tendant à empêcher cet examen. C'est ce qui paraît résulter « a
contrario » de l'énoncé de la Cour dans l'affaire de Certaines dépenses
au sujet de l'amendement français :

« Le rejet de l'amendement français ne constitue pas une


injonction pour la Cour d'avoir à écarter l'examen de la question
de savoir si certaines dépenses ont été « décidées conformément à
la Charte. » (CU Recueil 1962, p. 157.)

On peut penser que dans le cas où une telle injonction serait formulée
et si l'examen ainsi prohibé apparaissait néanmoins nécessaire à
l'exercice par la Cour de sa fonction judiciaire, celle-ci serait conduite à
refuser de répondre à la demande d'avis.
Enfin, l'examen par la Cour de la validité de résolutions n'est
légitime que dans la mesure où il est véritablement nécessaire pour que
la Cour donne dans l'exercice de sa fonction judiciaire une réponse à la
question qui lui a été adressée.
Ce point a été particulièrement mis en valeur par le juge Morelli
dans son opinion individuelle dans l'affaire de Certaines dépenses
rappelée par le juge de Castro dans l'affaire de la Namibie.
Après avoir indiqué, en effet, que l'organe qui demande l'avis est
tout à fait libre pour ce qui concerne la formulation de la question à
soumettre à la Cour tandis qu'il ne peut poser à la Cour « aucune limite
Résolutions des organes internationaux 411

en ce qui concerne le procédé à suivre pour la résoudre », le juge


Morelli ajoute :
« Mais une telle liberté [celle de la Cour] ne peut être entendue
que comme une liberté subordonnée, non seulement aux règles
du droit et de la logique par lesquelles la Cour est liée, mais aussi
au but que la Cour doit poursuivre et qui consiste dans la solution
à donner à la question qui lui est soumise. » (Opinion individuelle
du juge Morelli, CU Recueil 1962, pp. 217-218.)
Dans la même affaire, sir Percy Spender écrit dans son opinion
individuelle :
« l'opinion de la Cour ne devrait pas, selon moi, dépasser les
limites de ce qui est raisonnablement nécessaire pour lui
permettre de répondre à la question. Aller au-delà est, à mon avis,
statuer ultra petita. » (CU Recueil 1962, p. 182.)
On peut affirmer que ce principe est sous-jacent dans la
jurisprudence de la Cour, qui prend soin de fonder explicitement sur la
permanence de sa fonction judiciaire sa compétence pour examiner la
validité de résolutions. Cette notion, en effet, n'a pas seulement une
portée permissive mais également limitative. La Cour irait au-delà de
ses droits si elle allait au-delà des exigences de sa fonction judiciaire en
examinant la validité de résolutions dès lors que cet examen ne serait
pas nécessaire pour répondre à la question posée dans une demande
d'avis.
La Cour est juge de cette nécessité et dans les affaires de Certaines
dépenses et de la Namibie elle a effectivement estimé que l'examen de
la validité des résolutions qui étaient en cause était nécessaire pour
répondre aux questions posées dans les demandes d'avis.
La ligne de conduite suivie par la Cour dans ces deux affaires, bien
qu'approuvée par des juges dans des opinions individuelles et même
dans des opinions dissidentes, a toutefois été critiquée par d'autres
juges.
c) L'exercice par la Cour de sa, compétence pour examiner la
validité des résolutions qui étaient en cause a été approuvé peut-on dire
le plus souvent implicitement ou explicitement par les juges qui ont
joint leurs opinions individuelles ou dissidentes aux avis de la Cour des
20 juillet 1962 et du 11 juin 1971. Tel a été le parti pris par le juge
Bustamante dans l'affaire de Certaines dépenses (CU Recueil 1962,
p. 258).
Dans l'affaire de la Namibie, le juge Fitzmaurice s'est prononcé
412 Hubert Thierry

fortement en faveur de l'examen de la validité des résolutions en cause


en mettant en valeur la notion de fonction judiciaire (CIJRecueil 1971,
pp. 302-303). Le juge Gros a déploré pour sa part que la Cour ait
« hésité » à exercer sa compétence, manifestant par là a fortiori que
celle-ci était, selon son opinion, hors de doute (ibid., p. 331). L'opinion
du juge Onyeama va dans le même sens que les précédentes (ibid.,
pp. 141-143), de même que celle du juge Dillard qui a formulé en
outre à ce sujet des arguments d'opportunité : selon son opinion, en
effet, l'avis de la Cour qui ne s'attacherait pas à la validité des
résolutions perdrait de son autorité si un raisonnement dissident
fortement charpenté faisait peser un doute sur cette validité. Faisant en
outre allusion à la réaction des Etats qui redoutaient que la demande
d'avis ne compromette la validité des résolutions, le juge ajoute:
« il n'est peut-être pas outrecuidant d'émettre l'opinion que, sur le
plan politique, il n'est pas dans l'intérêt à long terme de
l'Organisation des Nations Unies de paraître peu désireuse de
laisser apprécier la validité juridique de ses résolutions quand elle
demande à un tribunal de trancher des questions qui en
dépendent » (ibid, pp. 151-152) '5.
D'autres opinions en revanche comportent des critiques des
solutions adoptées par la Cour, soit sous l'angle de la nécessité de
procéder à l'examen de la validité des résolutions, soit sous l'angle de la
légitimité de cet examen.
Dans l'affaire de Certaines dépenses des Nations Unies, les juges sir
Percy Spender et Morelli ont estimé que la Cour pouvait examiner les
résolutions autorisant les dépenses afférentes à la FUNU et à l'ONUC,
tandis que l'examen de la validité des résolutions par lesquelles ces
opérations avaient été décidées n'était pas nécessaire en vue de la
réponse à la question posée dans la demande d'avis (opinion de sir
Percy Spender (CIJ Recueil 1962, p. 182) et opinion du juge Morelli
(ibid., pp. 224-225)).
D'autres juges toutefois ont exprimé des opinions plus radicales
mettant en cause le principe accepté par la Cour quant à sa compétence
pour examiner la validité de résolutions sans y avoir été explicitement
invitée par la demande d'avis.
C'est ce qui ressort de la déclaration du juge Spiropoulos dans
l'affaire de Certaines dépenses des Nations Unies, qui a rejeté la
compétence de la Cour pour se prononcer sur la validité des
résolutions concernant les opérations des Nations Unies au Moyen-
Orient et au Congo, non pas en se fondant sur l'absence de nécessité
Résolutions des organes internationaux 413

d'un tel examen, mais sur le respect de la volonté de l'Assemblée,


manifestée par le rejet de l'amendement français d'exclure cet examen
(CU Recueil 1962, p. 181).
Dans l'affaire de la Namibie, le juge Padilla Nervo, rejoignant les
déclarations de certains représentants des Etats dans le débat relatif à la
demande d'avis adressée à la Cour, a estimé que la question posée à la
Cour ne lui permettait pas d'examiner la validité des résolutions de
l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité relatives à la
terminaison du mandat de l'Afrique du Sud sur le Sud-Ouest africain.
Après avoir rappelé en effet que la question posée à la Cour ne portait
que sur les conséquences de la présence continue de l'Afrique du Sud,
le juge Padilla Nervo écrit :
« Aucune autre question ne lui ayant été soumise, la Cour
devra supposer que les mesures adoptées par le Conseil de
sécurité et l'Assemblée générale en ce qui concerne la Namibie
sont valables et qu'elles ont été prises conformément à la Charte.
La Cour ne doit pas s'arroger des pouvoirs de contrôle judiciaire
quant aux mesures prises par les organes principaux des Nations
Unies sans y avoir été expressément invitée. » (CU Recueil 1971,
p. 105.)
Ainsi, les juges Spiropoulos et Padilla Nervo tendent-ils à faire
prédominer le principe de la « division des pouvoirs » sur celui qui
procède du concept de fonction juridictionnelle. On peut toutefois
constater que leur position est minoritaire par rapport à celle des juges
qui, en 1962 et en 1971, ont souscrit, soit dans des opinions
individuelles, soit même dans des opinions dissidentes, à la
jurisprudence selon laquelle la Cour est compétente pour examiner la
validité de résolutions, sans y avoir été expressément invitée, dans
toute la mesure nécessaire à l'exercice de sa fonction judiciaire (quitte à
contester dans des cas déterminés l'existence ou l'étendue de la
nécessité de cet examen). Il est remarquable à cet égard que des juges
ayant exprimé des opinions dissidentes, et donc opposés aux solutions
quant au fond de la Cour dans les affaires de Certaines dépenses des
Nations Unies et de la Namibie, aient néanmoins manifesté leur accord
avec la Cour quant à cette question de compétence.
La jurisprudence de la Cour sur ce point bénéficie donc d'un large
assentiment. C'est en fonction de sa mise en œuvre effective que l'on
peut mettre en valeur un droit jurisprudentiel concernant non plus la
compétence de la Cour pour examiner la validité de résolutions mais
cette validité elle-même.
414

CHAPITRE II

LA JURISPRUDENCE DE LA COUR AU SUJET


DE LA VALIDITÉ DES RÉSOLUTIONS

La validité ou la « non-validité » des résolutions résulte de leur


conformité à certaines normes. Quelles sont, selon la jurisprudence de
la Cour, ces normes ? C'est là le problème des bases juridiques de la
validité des résolutions qui sera envisagé dans la section 1 du présent
chapitre.
Le terme de conformité, tel qu'il est employé au sujet de la validité
des actes juridiques, et donc des résolutions, peut toutefois prêter à
confusion. Il n'implique pas l'identité de l'acte à la norme, comme
lorsqu'on dit qu'une copie est conforme à un original, mais seulement
que l'acte remplisse certaines conditions fixées par la norme qui sont
les conditions de validité de cet acte. La jurisprudence de la Cour
relative aux conditions de validité des résolutions sera donc envisagée
dans la section 2 du présent chapitre.

Section I. Les bases juridiques de la validité


des résolutions

Les bases juridiques de la validité des résolutions sont les normes


auxquelles elles doivent être conformes et donc par rapport auxquelles
leur validité doit être appréciée. A cet égard, la validité des résolutions
dépend de leur conformité à l'acte constitutif de l'organisation dont
elles émanent mais elle peut aussi être tributaire, dans certains cas, de
leur conformité à des normes extérieures à cet acte.
Les pouvoirs des organes des organisations internationales sont en
effet déterminés, quant à leurs finalités, leurs étendues ou les modalités
de leur exercice, par les actes constitutifs de ces organisations. C'est
donc nécessairement au regard de ces actes constitutifs que la Cour
envisage la conduite des organes ou la validité de résolutions déjà
adoptées.
Dans certaines affaires, aucune autre norme juridique n'étant en
cause, la validité des résolutions dépend exclusivement de leur
conformité à l'acte constitutif. Ainsi est-ce seulement au regard de la
Charte que la Cour a formulé ses opinions, par exemple sur la
compétence de l'Assemblée générale pour l'admission d'un Etat (avis
Resolutions des organes internationaux 415

du 3 mars 1950) ou sur la validité des résolutions contestées dans


l'affaire de Certaines dépenses des Nations Unies.
La validité des résolutions peut dépendre toutefois de leur
conformité à des normes ou principes extérieurs à l'acte constitutif de
l'organisation dont elles émanent. On doit admettre en effet que les
résolutions doivent être conformes non seulement à l'acte constitutif de
l'organisation, mais également aux normes du droit international
général applicables aux organisations autant qu'aux Etats. Ce n'est
cependant que dans des cas exceptionnels que des normes extérieures
aux dispositions de l'acte constitutif sont en cause. Il faut, en effet, pour
que la question de la conformité des résolutions à de telles normes soit
posée, que celles-ci soient pertinentes en l'espèce, c'est-à-dire qu'elles
concernent les résolutions contestées. Il en est ainsi soit lorsque des
résolutions font application de tels normes ou principes, soit lorsque
ceux-ci sont invoqués à l'appui d'arguments tendant à contester la
validité de résolutions. Ces situations ont été envisagées par la Cour
dans les affaires concernant le Sud-Ouest africain, devenu depuis 1966
la Namibie.
a) Selon la jurisprudence de la Cour, en effet, telle qu'elle fut établie
dans son avis du 11 juillet 1950 sur le statut international du Sud-
Ouest africain et qui fut constamment suivie depuis lors dans toutes les
affaires concernant ce territoire 16, il a été admis que l'Assemblée
générale des Nations Unies a été chargée d'exercer les fonctions de
surveillance de la gestion du mandat confié après la première guerre
mondiale par la Société des Nations à l'Afrique du Sud sur cette
ancienne colonie allemande. Ainsi l'Assemblée, tout en agissant en
vertu de la Charte, était-elle appelée à appliquer les normes antérieures
à celle-ci régissant le mandat, à savoir l'article 22 du Pacte de la SdN et
l'accord de mandat établi en application de cette disposition. De plus,
l'Assemblée générale ayant par sa résolution 2145 (XXI) de 1966
déclaré que l'Afrique du Sud avait manqué aux obligations découlant
du mandat et décidé en conséquence que celui-ci était donc terminé, la
Cour a admis dans son avis du 21 juin 1971 que l'Assemblée était en
droit d'appliquer ainsi, en sa qualité d'organe de surveillance, les
principes du droit international, consacrés par la Convention de
Vienne sur le droit des traités, relatifs à la cessation d'une relation
conventionnelle en conséquence d'une violation (CU Recueil 1971,
p. 47).
Ainsi, la résolution 2145 (XXI) ne procédait-elle pas seulement de la
Charte mais d'autres normes extérieures à celle-ci et sa validité devait
être appréciée, comme la Cour n'y a pas manqué, au regard de ces
416 Hubert Thierry

différentes bases juridiques. (Article 22 du Pacte, accord de mandat,


article 60 de la Convention de Vienne.)
Lorsque ainsi des résolutions mettent en œuvre des normes
extérieures à l'acte constitutif de l'organisation dont elles émanent, elles
doivent être conformes à ces normes, qui constituent donc concurrem-
ment avec l'acte constitutif les bases juridiques de leur validité.
On conçoit toutefois que les exigences des actes constitutifs et celles
des normes extérieures puissent être contradictoires. Dans ce cas, il
convient de déterminer quelle est la base de validité prioritaire. Les
résolutions doivent-elles être de préférence conformes à l'acte
constitutif ou aux normes extérieures ?
Telle était la question soulevée dans l'affaire de la Procédure de vote
applicable aux questions touchant les rapports et pétitions relatifs au
territoire du Sud-Ouest africain (avis du 7 juin 1955) à laquelle le juge
Fitzmaurice a prêté une particulière attention dans son opinion
dissidente jointe à l'avis de la Cour du 21 juin 1971.
La Cour, en effet, était appelée à déterminer dans cette affaire la
procédure de vote que l'Assemblée devait suivre dans l'exercice de sa
fonction de surveillance de la gestion du mandat sur le Sud-Ouest
africain. L'Assemblée devait-elle se prononcer à l'unanimité pour se
conformer à la règle et à la pratique du Conseil de la SdN, ou au
contraire à la majorité des deux tiers, selon la procédure prévue, pour
les votes sur des questions importantes, par l'article 18 de la Charte ?
Bien que l'avis de la Cour concernait la conduite future de l'Assemblée,
il touchait directement aux bases juridiques de la validité des
résolutions puisque la question posée tendait à demander à la Cour si
l'Assemblée pouvait déroger aux dispositions de la Charte pour se
conformer aux normes extérieures qu'elle devait également appliquer.
En d'autres termes, les résolutions que l'Assemblée adopterait
devaient-elles être prioritairement conformes à la Charte ou aux
dispositions applicables aux mandats y compris celles ayant trait à la
procédure de leur surveillance.
La Cour a tranché cette difficulté en faveur du caractère prioritaire
de la conformité à la Charte. Elle a dit à ce sujet que :
« La constitution d'un organe prévoit généralement le système
de vote par lequel cet organe arrive à ses décisions. Le système de
vote est lié à la composition et aux fonctions de cet organe. Il est
l'une des caractéristiques de la constitution de l'organe. Prendre
des décisions à la majorité des deux tiers ou à la majorité simple
est l'un des traits distinctifs de l'Assemblée générale, tandis que la
Résolutions des organes internationaux 417

règle de l'unanimité était l'un des traits distinctifs du Conseil de la


Société des Nations. Les deux systèmes caractérisent des organes
différents et, sans un amendement constitutionnel, l'on ne peut
substituer un système à l'autre. Transposer à l'Assemblée générale
la règle de l'unanimité du Conseil de la Société des Nations ...
serait méconnaître une des caractéristiques de l'Assemblée
générale. » (CU Recueil 1955, p. 75.)
Cette solution fut approuvée par les juges Basdevant, Klaestad et
Lauterpacht. Le juge Fitzmaurice en a exprimé le principe de la façon
suivante :
« L'Assemblée ne peut exercer les pouvoirs qui lui sont
conférés ou qu'elle tient d'une autre source ou de l'extérieur que si
elle reste dans les limites de son rôle constitutionnel tel qu'il
résulte de la structure de la Charte. » (CU Recueil 1971, p. 284.)
Ainsi peut-on admettre qu'il résulte de la jurisprudence qu'en cas de
conflit entre les exigences de l'acte constitutif de l'organisation dont
elles émanent et celles de normes extérieures, les résolutions doivent
prioritairement être conformes à cet acte.
b) Les résolutions peuvent toutefois devoir être conformes à des
principes juridiques invoqués pour contester leur validité. Lorsqu'il en
est ainsi, la Cour se réserve le droit d'apprécier la portée de ces
principes et leur applicabilité aux résolutions en cause.
Dans cette même affaire de la Namibie, en effet, la validité de la
résolution 2145 (XXI) a été contestée en fonction de principes
juridiques, extérieurs à la Charte, qui peuvent être considérés comme
des « principes généraux du droit » auxquels se réfère l'article 38 du
Statut de la Cour.
Il avait été dit notamment que la résolution 2145 (XXI) contenait
« des prononcés que l'Assemblée n'a pas compétence pour formuler,
faute d'être un organe judiciaire ou de n'avoir pas renvoyé la question
à un tel organe» (CU Recueil 1971, p. 49). Cette considération
découlait d'un principe auquel on pourrait se référer comme étant celui
de la spécificité des fonctions des organes internationaux que le juge
Fitzmaurice définit de la façon suivante : « un organe politique n'a pas
lui-même le pouvoir de procéder aux constatations juridiques qui
doivent justifier son action, même s'il a compétence pour prendre les
mesures qui en découlent » (opinion dissidente du juge Fitzmaurice,
CU Recueil 1971, pp. 299-300).
De même, il avait été affirmé qu'en adoptant la résolution 2145
418 Hubert Thierry

(XXI), l'Assemblée eût agi unilatéralement « comme partie et juge en


sa propre cause» (CIJ Recueil 1971, p. 49).
La Cour a rejeté le premier de ces arguments en s'exprimant de la
façon suivante :
«On a objecté encore à la résolution 2145 (XXI) de
l'Assemblée générale qu'elle contient des prononcés que l'Assem-
blée n'a pas compétence pour formuler, faute d'être un organe
judiciaire et de n'avoir pas renvoyé la question à un tel organe.
Sans insister sur les conclusions de l'arrêt rendu en 1966 dans les
affaires contentieuses du Sud-Ouest africain, il convient de
rappeler qu'en l'espèce on a considéré que les Etats demandeurs,
qui se plaignaient de violations substantielles de dispositions de
fond du mandat « ne possédaient ... aucun droit propre et
autonome pouvant être invoqué ... de réclamer ... la bonne
exécution du Mandat conformément à la « mission sacrée de
civilisation» (CIJ Recueil 1966, pp. 29 et 51). D'autre part la
Cour a déclaré que « l'on considérait les différends relatifs à la
gestion d'un Mandat comme relevant de l'ordre politique et
comme devant être réglés entre le Mandataire et les organes
compétents de la Société des Nations » (ibid., p. 45). Refuser le
droit d'agir à un organe politique de l'Organisation des Nations
Unies, successeur de la Société des Nations à cet égard, parce qu'il
n'aurait pas compétence pour prendre ce qui est qualifié de
décision judiciaire, ce serait non seulement contradictoire mais
encore cela reviendrait à un déni total des recours disponibles
contre les violations fondamentales d'un engagement internatio-
nal. » (CIJ Recueil 1971, p. 49.)
Ainsi la Cour a-t-elle estimé que l'application du principe invoqué
serait contraire à sa jurisprudence antérieure et conduirait à un déni de
justice. Il convient toutefois de remarquer que l'emploi par la Cour du
conditionnel dans la dernière phrase de son énoncé : « n'aurait pas
compétence pour prendre ce qui est qualifié de... », manifeste un doute
quant à la portée du principe lui-même.
On peut en conclure que la Cour se réserve d'apprécier l'existence
et la portée des principes invoqués pour contester la validité de
résolutions qui ne doivent être conformes à ces principes que si ceux-ci
sont pleinement établis, ce qui n'était sans doute pas le cas, selon la
Cour, en la circonstance.
La Cour a rejeté en outre le second argument faute que le principe
invoqué fût applicable en l'espèce. Selon la Cour, en effet, l'Assemblée
Résolutions des organes internationaux 419

en mettant fin au mandat de l'Afrique du Sud sur le Sud-Ouest africain


n'agissait pas en tant que partie dans un différend avec cet Etat, mais
en tant qu'organe de surveillance « qui a compétence pour se
prononcer, en cette qualité, sur le comportement du mandataire à
l'égard de ses obligations internationales et pour agir en conséquence »
(CU Recueil 1971, p. 50)".
L'examen par la Cour toutefois de ces arguments montre qu'une
résolution peut devoir être conforme à des principes invoqués pour
contester leur validité pour autant que ces principes soient établis
comme appartenant au droit international et sous réserve de leur
applicabilité en l'espèce.
Ainsi les résolutions doivent-elles être conformes à l'acte constitutif
de l'organisation dont elles émanent, mais aussi éventuellement à des
normes ou principes extérieurs à celui-ci. Dans ce dernier cas toutefois
l'analyse de la conformité soulève des questions touchant à l'existence
et à l'applicabilité des normes et principes qui n'apparaissent pas
lorsque seul l'acte constitutif est en cause.
Mais il ne suffit pas de déterminer les bases juridiques de la validité
des résolutions, il faut encore préciser les conditions de validité de
celles-ci.

Section II. Les conditions de validité des résolutions

Les conditions de validité des résolutions sont les exigences


juridiques auxquelles elles doivent répondre pour être conformes aux
normes qui forment les bases juridiques de leur validité. Les actes
constitutifs des organisations qui constituent les bases juridiques
principales de la validité des résolutions (comme cela a été exposé dans
la section précédente) définissent les compétences des organes, les
procédures qu'ils doivent suivre et aussi les buts qui leur sont assignés.
Les conditions de validité des résolutions sont donc déterminées par
ces compétences, ces procédures et ces buts.
Les relations toutefois entre ces éléments dépendent de l'interpréta-
tion des actes constitutifs. On peut distinguer à cet égard l'interpréta-
tion extensive ou dynamique de l'interprétation restrictive ou
statique 18.
La première envisage les actes constitutifs comme des traités
dépourvus de spécificité sous l'angle de leur interprétation et s'attache
principalement à la volonté de leurs auteurs, c'est-à-dire à celle des
Etats qui ont participé à leur élaboration. En conséquence, une
importance décisive est accordée aux dispositions des actes constitutifs
420 Hubert Thierry

éventuellement éclairées par les « travaux préparatoires » tandis que la


pratique des organes est envisagée avec méfiance dès lors qu'elle a pu
s'éloigner des sentiers tracés par les dispositions statutaires et des
intentions dont celles-ci procédaient à l'origine. En outre, l'accent est
mis sur les règles de compétence et de procédure qui ne sauraient être
transgressées ou infléchies en fonction des buts assignés aux organes.
C'est ce qui est exprimé par exemple dans une note du Gouvernement
français adressée à la Cour en 1962 lors de l'affaire de Certaines
dépenses rappelée dans l'exposé écrit du même gouvernement dans
l'affaire de la Namibie -.

« Les Etats Membres des Nations Unies ont souscrit, qu'ils


soient membres originaires ou non, aux engagements de la Charte'
mais rien de plus. La Charte est un traité par lequel les Etats n'ont
aliéné leur compétence que dans la stricte mesure où ils y ont
consenti. » (C/J Mémoires, affaire de la Namibie, 1971, vol. I,
p. 368.)

Cette interprétation tend à limiter les pouvoirs des organes et par là


même à faire une large place à l'éventualité de leurs excès de pouvoir
et donc aux hypothèses d'invalidité des résolutions.
La seconde interprétation extensive ou dynamique s'attache moins
aux intentions des auteurs des actes constitutifs qu'aux exigences des
institutions que ces actes ont créées. Une grande attention est alors
prêtée à la pratique des organes dans l'évaluation de leurs compétences
en fonction des buts qui leur sont assignés. De même, les règles de
compétence et de procédure sont envisagées à la lumière des buts
assignés aux organes et ces buts deviennent déterminants lorsque les
textes comportent des lacunes ; c'est-à-dire lorsqu'on est en présence de
situations qui n'ont pas été prévues par les actes constitutifs. Cette
interprétation tend à étendre les pouvoirs des organes et en
conséquence à restreindre les risques d'éventuels excès de pouvoir et
donc les hypothèses d'invalidité des résolutions qui deviennent
exceptionnelles.
Il va de soi que dans les affaires où des résolutions sont en cause les
Etats qui mettent la validité de celles-ci en doute, en alléguant l'excès
de pouvoir de l'organe dont elles émanent, réservent leur faveur à
l'interprétation restrictive. Tel a été par exemple le choix de la France
et de l'URSS dans l'affaire de Certaines dépenses ou de l'Afrique du
Sud dans l'affaire de la Namibie. Le juge de Castro écrit avec
pertinence à ce sujet :
Résolutions des organes internationaux 421

« Dans ses écritures et dans son exposé oral, l'Afrique du Sud a


développé amplement sa théorie de l'interprétation des textes
juridiques et elle l'a fait à juste titre, parce que la méthode par elle
choisie est le fondement des solutions proposées. Elle défend
l'interprétation littérale des textes, l'interprétation restrictive des
pouvoirs accordés aux organisations internationales et elle
condamne avec force les méthodes téléologiques. » (CU Recueil
1971, p. 182.)
A l'inverse, les Etats qui dans les mêmes affaires sont favorables à la
validité des résolutions contestées se montrent plus ouverts à
l'interprétation extensive, qui bénéficie également de la faveur de
certains juges, tel M. de Castro qui écrit à ce sujet :
« On ne doit pas oublier que l'Assemblée générale et le Conseil
de sécurité ont la responsabilité de promouvoir les buts énoncés
dans la Charte. Ils ne peuvent pas rester liés par les intentions
possibles des rédacteurs, non seulement parce qu'il est difficile de
connaître ces intentions (si l'on connaît les intentions de ceux qui
parlent, on ignore les intentions de ceux qui se taisent et votent),
mais aussi parce que l'interprétation subit une évolution
nécessaire qui, comme dans le droit interne, doit s'adapter aux
circonstances du moment et aux exigences prévisibles de l'avenir.
Le texte se sépare de ses auteurs et vit de sa propre vie. » (CM
Recueil 1971, p. 184.)
Quelle est la ligne de conduite suivie par la Cour quant à
l'interprétation des actes constitutifs des organisations internationales
et donc quant à la validité des résolutions. Cette question ne comporte
pas une réponse simple et catégorique. Selon les circonstances de
chaque affaire et la nature de chacune des questions de droit qu'elle est
appelée à résoudre, la Cour fait une place plus ou moins large à la
considération de la pratique des organes et elle a recours tantôt aux
méthodes conceptuelles ou formalistes, tantôt à des raisonnements
d'inspiration « téléologique », c'est-à-dire fondés sur la primauté
accordée aux buts des normes juridiques. La Cour ne méconnaît pas
les exigences du fonctionnement des Nations Unies, la primauté des
buts de l'Organisation, mais elle tient compte également des limites de
ses compétences telles qu'elles sont déterminées par la Charte.
C'est ce qui résulte de sa jurisprudence relative à la validité des
résolutions qui peut être systématisée autour des propositions
suivantes :
422 Hubert Thierry

En premier lieu, la Cour admet que les résolutions bénéficient d'une


façon générale d'une présomption de validité dont on peut penser
qu'elle est fondée sur l'aptitude juridique des organes à interpréter eux-
mêmes les actes constitutifs des organisations. Cette présomption
toutefois n'est pas irréfragable et elle laisse place à l'examen des
conditions de validité.
En second lieu, la Cour accorde une importance primordiale à
l'adéquation des résolutions aux buts assignés aux organes dont elles
émanent, comme en témoigne la théorie jurisprudentielle des
« pouvoirs implicites ».
En troisième lieu, toutefois, la Cour veille au respect des
compétences explicites ou implicites des organes de même qu'à celui
des règles de procédure et sa jurisprudence implique l'invalidité des
résolutions qui les transgresseraient.

A. La présomption de validité des résolutions


La Cour a défini, sans équivoque, dans l'affaire de la Namibie, le
principe de la présomption de validité des résolutions : « Toute
résolution émanant d'un organe des Nations Unies régulièrement
constitué, prise conformément à son règlement et déclarée adoptée
par son président, doit être présumée valable. » (CM Recueil 1971,
p. 22.)
Cet énoncé est fort remarquable. Le principe qu'il formule est, en
premier lieu, purement jurisprudentiel et doit son existence à son
expression par la Cour. En second lieu, il s'agit d'une présomption
généreuse. Sont présumées valides, en effet, toutes les résolutions des
Nations Unies, dès lors qu'elles ont une existence juridique et
indépendamment de leur conformité à la Charte.
Les conditions mentionnées par la Cour pour que les résolutions
bénéficient de la présomption de validité sont en effet davantage des
conditions d'existence que de validité. Une résolution adoptée par un
organe irrégulièrement constitué ne serait pas en effet une résolution
de cet organe, mais un acte émanant d'un groupement de fait. De
même une « résolution » qui n'aurait pas été adoptée par la majorité
requise ou qui, faute d'avoir été déclarée adoptée par le président,
n'aurait pas atteint le stade définitif de son élaboration, ne serait qu'un
projet n'entrant pas dans la catégorie juridique des résolutions. En
revanche, selon l'énoncé de la Cour, il suffit qu'une résolution ait une
existence juridique, en fonction de son adoption dans des conditions
élémentaires de régularité formelle, pour bénéficier de la présomption
Résolutions des organes internationaux 423

avant même que soit vérifiés sa conformité aux dispositions ayant trait
à la procédure, â la compétence ou même aux buts de l'organe qui l'a
émise, puisque cette conformité n'est pas mentionnée dans l'énoncé de
la Cour.
Il s'agit donc d'une présomption inconditionnelle qui témoigne en
principe d'un préjugé hautement favorable aux initiatives des organes
internationaux.
Le fondement juridique de cette présomption n'a pas été défini par la
Cour et on en est réduit sur ce point aux hypothèses, en revanche la
jurisprudence nous éclaire sur la portée de cette présomption qui est
plus limitée qu'on ne pourrait le penser au premier abord.
Pourquoi la Cour a-t-elle posé le principe de la présomption de
validité des résolutions ? Il n'était pas nécessaire que la Cour s'engage à
ce sujet dans des considérations théoriques et elle ne l'a pas fait. On
peut penser toutefois que la présomption de validité correspond à une
exigence de certitude des actes juridiques, qui n'est pas propre à l'ordre
international, mais qui revêt un caractère impérieux dans celui-ci. Le
juge Morelli a particulièrement insisté sur ce point dans son opinion
individuelle dans l'affaire de Certaines dépenses en faisant valoir que,
faute d'un mécanisme international de contrôle de la validité des actes
juridiques analogue à ceux qui existent dans certains droits internes,
les résolutions sont exposées à des contestations de validité illimitées
dans le temps (CU Recueil 1962, p. 221). L'incertitude qui en résulte
appellerait un remède et tel serait le rôle de la présomption de validité
admise par la Cour.
On peut penser toutefois également que la présomption de validité
des résolutions est liée au droit des organes internationaux d'interpré-
ter eux-mêmes les actes constitutifs. La Cour a rappelé à ce sujet dans
l'affaire de Certaines dépenses que « comme il a été prévu en 1945
chaque organe doit donc, tout au moins en premier lieu, déterminer sa
propre compétence » (CU Recueil 1962, p. 168). La présomption de
validité des résolutions serait alors une conséquence logique de la
liberté ainsi accordée aux organes internationaux.
C'est ce que suggère le juge de Castro en s'appuyant sur l'opinion du
juge Fitzmaurice dans l'affaire de Certaines dépenses -.
« Aux Nations Unies « chaque organe doit donc, tout au moins
en premier lieu, déterminer sa propre compétence » (CU Recueil
1962, p. 168). Quand un organe prend une résolution, « il existe
au moins une forte présomption prima facie de validité et de
régularité » (opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice, ibid.,
424 Hubert Thierry

p. 204). On a été jusqu'à penser que les résolutions de l'Assemblée


et du Conseil, la pratique de l'un et de l'autre, facta concludentia,
pouvaient être considérées comme une interprétation authen-
tique, ayant en tout cas un caractère obligatoire pour ce qui est
des questions qui touchent le « maintien de la paix, le règlement
des conflits et même la plupart des activités de l'Organisation »
(opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice, CU Recueil 1962,
p. 213). » (CU Recueil 1971, p. 184.)
La portée de la présomption de validité découle toutefois plus
clairement de la jurisprudence que son fondement. Dans l'affaire de la
Namibie, en effet, la Cour a nettement indiqué que l'examen auquel
elle procédait de la validité de la résolution 284 (1970) du Conseil de
sécurité par laquelle l'avis était demandé, ou de la résolution 2145
(XXI) de l'Assemblée, était tributaire des objections soulevées à
l'encontre de ces résolutions (CU Recueil 1971, pp. 22 et 45). Ainsi
apparaît-il que la présomption de validité a surtout une portée
procédurale. Elle est liée aux problèmes de la compétence de la Cour
pour examiner la validité des résolutions et implique que la Cour,
respectueuse de l'indépendance des organes internationaux, ne soulève
pas elle-même les objections concernant la validité de leurs résolutions
mais qu'elle se réserve de formuler son opinion au sujet des objections
présentées par les Etats qui lui font connaître leurs observations.
C'est dire aussi qu'il ne s'agit pas d'une présomption irréfragable. La
Cour en dépit de cette présomption se réserve d'examiner la validité
des résolutions en regard des conditions concernant les buts assignés
aux organes, leur compétence et leur procédure. C'est bien ainsi que la
Cour a procédé et il résulte de sa jurisprudence que la première des
conditions de validité à laquelle les résolutions doivent répondre est la
conformité aux buts en fonction desquels les organes sont appelés à
agir.

B. La conformité des résolutions aux buts assignés aux organes


La première des conditions de validité des résolutions est leur
conformité aux buts assignés aux organes par les actes constitutifs des
organisations. C'est ce qui résulte de la jurisprudence de la Cour dans
l'affaire de Certaines dépenses et de façon plus générale des avis
portant sur la compétence des organes internationaux.
La Cour a dit dans l'affaire de Certaines dépenses que « si une
dépense a été faite dans un but qui n'était pas l'un des buts des Nations
Unies, elle ne saurait être considérée comme une dépense de
Résolutions des organes internationaux 425

l'Organisation» (CU Recueil ¡962, p. 167) et elle a affirmé


inversement que :
« lorsque l'Organisation prend des mesures dont on peut dire à
juste titre qu'elles sont appropriées à l'accomplissement des buts
déclarés des Nations Unies, il est à présumer que cette action ne
dépasse pas les pouvoirs de l'Organisation » (C/J Recueil ¡962,
p. 168).
Ainsi, une résolution étrangère aux buts de l'organisation dont elle
émane doit-elle être considérée comme étant dépourvue de validité,
tandis qu'une résolution adéquate à ces buts doit être présumée
régulière sous l'angle de la compétence de l'organe qui l'a adoptée.
Il y a là une présomption de compétence qui ne doit pas être
confondue avec la présomption générale de validité des résolutions
envisagée au paragraphe A ci-dessus, bien que ces deux présomptions
se complètent : une résolution bénéficie du seul fait de son existence
juridique (c'est-à-dire de son adoption par un organe régulièrement
constitué, attestée par la déclaration du président de cet organe) d'une
présomption de validité, mais en outre lorsque cette résolution est
conforme aux buts assignés à l'organe, elle doit être, au premier abord,
considérée comme relevant de la compétence de cet organe.
Cette seconde présomption est justifiée par l'importance des buts des
organisations qui sont la seule raison d'être des compétences qui leur
sont attribuées. Mais elle est aussi en harmonie avec la théorie
jurisprudentielle des pouvoirs implicites qui constitue l'un des apports
majeurs de la Cour à l'élaboration du droit des organisations
internationales.
Dès 1949, en effet, dans son avis sur la Répartition des dommages
subis au service des Nations Unies, la Cour a admis que les pouvoirs
des organes d'une organisation telle que celle des Nations Unies ne
sont pas limités à ceux qui sont explicitement définis dans l'acte
constitutif, mais comprennent également ceux qui par une
conséquence nécessaire leur sont conférés en tant qu'essentiels à
l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, selon les termes souvent cités de la
Cour :
« l'Organisation doit être considérée comme possédant ces
pouvoirs qui, s'ils ne sont pas expressément énoncés dans la
Charte, sont, par une conséquence nécessaire, conférés à
l'Organisation en tant qu'essentiels à l'exercice des fonctions de
celle-ci» (CfJ Recueil 1949, p. 182).
426 Hubert Thierry

La Cour a également dit au sujet des compétences des Nations Unies


que :
« On doit admettre que ses Membres, en lui assignant certaines
fonctions, avec les devoirs et les responsabilités qui les
accompagnent, l'ont revêtue de la compétence nécessaire pour lui
permettre de s'acquitter effectivement de ses fonctions. » (CIJ
Recueil 1949, p. 179.)
Cette jurisprudence par laquelle la Cour dans son avis sur la
Réparation des dommages a reconnu à l'Organisation des Nations
Unies le droit de présenter une réclamation internationale a reçu écho
par la suite dans différentes affaires (Statut du Sud-Ouest africain,
Cameroun septentrional). Elle a été surtout explicitement confirmée
dans l'avis du 13 juillet 1954 (Effet de jugements du Tribunal
administratif des Nations Unies accordant indemnité) où la Cour s'est
référée à son énoncé de 1949 pour admettre que l'Assemblée avait
compétence afin d'instituer une juridiction, sans y avoir été
explicitement habilitée par la Charte, dès lors que cette juridiction était
nécessaire à l'accomplissement des fonctions qui lui étaient dévolues
par une disposition de celle-ci (en l'occurrence l'article 101 relatif au
personnel des Nations Unies).
Sans doute, depuis lors, la Cour a manifesté, dans son arrêt du
18 juillet 1966 dans l'affaire du Sud-Ouest africain, une grande réserve
à l'égard de ce qu'elle a appelé « un principe d'interprétation
téléologique aux termes duquel il faudrait donner aux instruments
leurs effets maximum en vue d'assurer l'accomplissement de leurs
objectifs fondamentaux » dont elle a dit que la portée en était
« fortement sujette à controverse », ajoutant que « la Cour ne saurait
remédier à une lacune si cela doit, l'amener à déborder le cadre normal
d'une action judiciaire» {CU Recueil 1966, p. 48). Ces énoncés
concernaient toutefois l'interprétation de la clause de juridiction qui
figurait dans l'accord de mandat relatif au Sud-Ouest africain et
nullement les dispositions de la Charte. Ainsi la jurisprudence de la
Cour relative aux pouvoirs implicites n'a-t-elle jamais été remise en
cause ".
Ainsi une résolution peut-elle être valide en regard de la compétence
de l'organe qui l'a adoptée, soit parce qu'elle procède de l'exercice
d'une compétence explicitement dévolue à cet organe, soit parce
qu'elle relève d'une compétence implicitement reconnue à cet organe
comme étant nécessaire à l'exercice de ses fonctions.
Le champ ouvert ainsi à l'action des organes, pour autant qu'elle soit
Résolutions des organes internationaux 427

conforme aux buts assignés à ceux-ci, étant étendu, on conçoit qu'une


présomption de régularité en regard de la compétence des organes soit
accordée à leurs résolutions.
Cette présomption de compétence n'est toutefois pas davantage que
la présomption générale de validité des résolutions absolue.
Un énoncé de la Cour dans l'affaire de Certaines dépenses pourrait
laisser penser le contraire. Il s'agit du texte suivant qui concerne les
compétences de l'Assemblée quant à la détermination des dépenses des
Nations Unies :
« S'il est admis que l'action en question relève des fonctions de
l'Organisation, mais qu'on allègue qu'elle a été entreprise ou
menée d'une manière non conforme à la répartition des fonctions
entre les divers organes, telle que la Charte l'a prescrite, on aborde
le plan interne, l'économie interne de l'Organisation. Si l'action a
été entreprise par un organe qui n'y était pas habilité, il s'agit
d'une irrégularité concernant cette économie interne mais il n'en
ressort pas nécessairement que la dépense encourue n'était pas
une dépense de l'Organisation. Le droit national comme le droit
international envisage des cas où une personne morale, ou un
corps politique, peut être lié envers les tiers par l'acte ultra vires
d'un agent. » {CIJ Recueil 1962, p. 168.)
L'emploi par la Cour dans cet énoncé du terme d'irrégularité
pourrait faire croire que la Cour a fait place à une notion distincte de
celle d'invalidité. On pourrait admettre ainsi que les manquements des
organes aux règles qui déterminent leur compétence n'entraîneraient
pas l'invalidité des résolutions mais seulement un vice mineur qui
n'affecterait pas leurs effets à l'égard des Etats membres, tout au moins
lorsque de tels manquements ne concerneraient que l'économie interne
de l'organisation.
Une telle conclusion méconnaîtrait toutefois la portée de la
jurisprudence de la Cour qui, dans cet énoncé, s'est attachée non pas à
la validité ou à la régularité des résolutions (les deux termes étant
équivalents) mais aux conséquences juridiques éventuelles de résolu-
tions invalides ou irrégulières. De telles résolutions adoptées ultra vires
peuvent, lorsque, seule, l'économie interne de l'organisation est en
cause, comporter des effets juridiques, en dépit des vices qui affectent
leur validité ou régularité. Il en est ainsi dans le domaine financier où
les dépenses de l'Organisation doivent être supportées par les Etats
Membres, alors même qu'elles auraient été décidées dans des
conditions irrégulières en regard des compétences dévolues aux
428 Hubert Thierry

organes. Ainsi on ne saurait déduire de l'énoncé en question des


conséquences quant aux conditions de validité des résolutions. Cette
interprétation est justifiée par le contexte et elle est en harmonie avec la
jurisprudence antérieure et ultérieure de la Cour.
S'il résulte en effet de cette jurisprudence que les résolutions
bénéficient d'une présomption générale de validité à laquelle s'ajoute la
présomption de compétence des organes, et donc des résolutions
conformes aux buts assignés à ceux-ci, il en résulte aussi que ces
présomptions ne résistent pas aux manquements aux règles de
compétence et de procédure.
En d'autres termes, les résolutions présumées valides doivent, pour
que leur validité soit confirmée, d'abord être conformes aux buts
assignés aux organes qui les ont adoptées, mais il faut aussi qu'elles
n'aient pas été adoptées en violation des règles qui gouvernent la
compétence et la procédure de ces organes.

C. La conformité des résolutions aux règles qui gouvernent la


compétence et la procédure des organes
S'il est vrai que la Cour attache une importance primordiale aux
buts assignés aux organes et donc à la conformité des résolutions de
ceux-ci, cette ligne de conduite n'exclut pas la préoccupation du
respect des règles de compétence et de procédure. Il résulte en effet de
la jurisprudence qu'une résolution bien que présumée valide serait
invalide dans les cas suivants : si l'organe qui l'a adoptée a commis une
usurpation de compétence en transgressant les limites explicitement
définies de ses pouvoirs, si l'organe qui l'a adoptée a été au-delà des
pouvoirs qui lui sont implicitement reconnus, si enfin elle a été adoptée
en violation des règles de procédures imposées à l'organe par les
dispositions de l'acte constitutif éventuellement interprété à la lumière
de la pratique générale de l'organisation.
a) En maintes occasions, ia Cour a veillé au respect des
compétences des organes telles qu'elles résultent des dispositions
explicites des actes constitutifs ou de normes extérieures à ceux-ci.
Dans l'affaire de la Compétence de l'Assemblée générale pour
l'admission d'un Etat aux Nations Unies (avis du 3 mars 1950), il était
demandé à la Cour si un Etat pouvait être admis au sein de
l'Organisation par la seule décision de l'Assemblée en dépit des termes
de l'article 2, paragraphe 4, de la Charte qui prévoit que cette
admission se fait par décision de l'Assemblée sur recommandation du
Conseil de sécurité. La Cour, s'appuyant sur le sens naturel et ordinaire
Résolutions des organes internationaux 429

de cette disposition, s'est prononcée par la négative marquant


clairement par là même que l'Assemblée ne pouvait exercer une
compétence que la Charte ne lui reconnaît pas : celle de procéder, sans
le concours du Conseil, à l'admission d'un Etat. Il en résulte qu'une
résolution de l'Assemblée admettant un Etat, en l'absence de
recommandation du Conseil, serait nulle.
Dans l'affaire de Certaines dépenses, la Cour a pris grand soin de
montrer que la Force d'urgence des Nations Unies au Moyen-Orient
ne constituait pas une « action coercitive » qui, selon la Charte, ne peut
être décidée que par le Conseil de sécurité. Il résulte de l'avis de la Cour
qui si tel avait été le cas (c'est-à-dire si la FUNU avait eu le caractère
d'une « action coercitive »), les résolutions de l'Assemblée en vertu
desquelles cette action a été entreprise eussent été dépourvues de
validité. (Voir notamment CU Recueil 1962, p. 171.)
Dans l'affaire de la Namibie, en 1971, la Cour ne s'est nullement
contentée, pour apprécier la validité de la résolution 2145 (XXI) de
l'Assemblée (par laquelle il a été mis fin au mandat de l'Afrique du Sud
sur le Sud-Ouest africain), de constater que cette résolution était
conforme aux buts du mandat, c'est-à-dire à la « mission sacrée de
civilisation » qu'il comportait. Tout au contraire la Cour s'est attachée à
montrer, avec un grand luxe d'arguments fondés notamment sur les
travaux préparatoires du Pacte de la Société des Nations, que le
Conseil de cette Organisation avait compétence pour révoquer les
mandats en cas de faute grave du mandataire et qu'en conséquence
l'Assemblée, en sa qualité de successeur du Conseil, avait compétence
pour faire de même (CU Recueil 1971, p. 47, par. 97 à 100).
S'il en avait été autrement, c'est-à-dire si le Conseil de la SdN n'avait
pas eu compétence pour révoquer les mandats, la résolution 2145
(XXI) de l'Assemblée eût été contraire au principe exprimé par l'adage
nemo dare potest quod ipse non habet et par là même dépourvue de
validité. Cette question de compétence largement discutée lors des
débats occupe une place considérable dans l'avis de la Cour.
Ces exemples montrent que la présomption de validité fondée sur la
conformité des résolutions aux buts assignés aux organes n'implique
nullement que ceux-ci soient habilités à exercer des compétences qui
leur sont refusées par le droit. De même, la théorie des pouvoirs
implicites n'assure pas aux organes des compétences illimitées.
b) Assurément, la théorie des pouvoirs implicites permet aux
organes - comme cela a été exposé ci-dessus - d'exercer des
pouvoirs non prévus par les actes constitutifs dans la mesure où ces
pouvoirs sont « essentiels à l'exercice de leurs fonctions ». Ainsi une
430 Hubert Thierry

résolution peut-elle être valide en procédant de l'exercice par un


organe d'une compétence qui n'est pas explicitement prévue par l'acte
constitutif. Cela n'implique toutefois nullement qu'un organe puisse
exercer des compétences étrangères aux fonctions qui leur sont
dévolues. Comme le juge Fitzmaurice l'exprime dans son opinion
dissidente jointe à l'avis du 11 juin 1971 (CIJRecueil 1971, p. 282), les
pouvoirs implicites ne sont pas indéfinis ou illimités, mais au contraire
liés aux fonctions « existantes et définies » des organes. En d'autres
termes, les pouvoirs implicites (et les résolutions qui en procèdent)
doivent être rattachés à des dispositions explicites des actes constitutifs.
C'est ce qui résulte clairement de la jurisprudence de la Cour. Dans
l'affaire de la Réparation des dommages, la Cour s'est référée à l'ar-
ticle 100 de la Charte relatif à l'indépendance du personnel de l'ONU
pour y rattacher le pouvoir implicite de l'Organisation de former une
réclamation afin d'assurer une protection juridique à ses agents (CIJ
Recueil 1949, p. 183).
Dans l'affaire de Certaines dépenses, la Cour a dit au sujet de
l'ONUC qu'il n'était pas nécessaire qu'elle « indique sur quel article ou
quels articles de la Charte reposent les résolutions du Conseil de
sécurité », mais elle a tenu à marquer que ces résolutions pouvaient
procéder de l'article 29 (qui autorise le Conseil à créer des « organes
subsidiaires ») ou de l'article 98 (qui l'autorise à charger le Secrétaire
général de toutes « autres fonctions ») {CIJRecueil 1962, p. 177). De la
même façon, la Cour a suggéré que les résolutions de l'Assemblée
concernant la FUNU pouvaient procéder de l'article 14 ou de l'ar-
ticle 11 de la Charte (ibid., p. 172).
Dans l'affaire de l'Effet de jugements du Tribunal administratif des
Nations Unies, la Cour a fondé le pouvoir implicite de l'Assemblée
d'instituer cette juridiction sur les articles 22 et 101 de la Charte, qui
assurent à l'Assemblée le droit de créer des organes subsidiaires et celui
de fixer le statut du personnel de l'Organisation (CIJ Recueil 1954,
p. 57).
Ainsi une résolution qui ne pourrait pas être rattachée par un lien de
nécessité logique à une fonction définie d'un organe ne serait pas, selon
la jurisprudence de la Cour, valide.
c) Enfin, ni la présomption générale de validité, ni la présomption
de compétence des organes n'autorisent ceux-ci à déroger aux règles de
procédure qui leur sont imposées par les actes constitutifs. Une
résolution peut être invalide pour « vice de forme » (selon la
terminologie du droit administratif français). C'est ce qui résulte de
l'avis de la Cour dans l'affaire de la Namibie où plusieurs arguments
Résolutions des organes internationaux 431

relatifs à la validité formelle de la résolution 284 (70) du Conseil de


sécurité (par laquelle la demande d'avis adressée à la Cour avait été
formulée) ont été soulevées et rejetées par la Cour après examen.
Il avait été dit en effet que cette résolution 284 (70), adoptée avec
l'abstention de deux membres permanents, n'était pas valide faute
d'avoir été prise conformément aux termes de l'article 27, paragra-
phe 3, de la Charte par un vote affirmatif de neuf membres du Conseil
dans lequel sont compris les voix de tous les membres permanents.
Deux autres arguments étaient appuyés respectivement sur les
articles 32 et 27, paragraphe 3 (infine), selon lesquels une partie à un
différend examiné par le Conseil « est appelée à participer sans droit de
vote aux discussions relatives à ce différend », tandis qu'un membre du
Conseil, partie à un différend, doit s'abstenir de voter dans les décisions
prises aux termes du chapitre VI de la Charte.
La Cour a rejeté la première de ces objections en s'appuyant sur la
« pratique générale de l'Organisation ». Elle a dit que :
« La procédure suivie par le Conseil de sécurité [qui admet que
les résolutions puissent être adoptées avec l'abstention de
membres permanents] ... a été généralement acceptée par les
Membres des Nations Unies et constitue la preuve d'une pratique
générale de l'Organisation» (CU Recueil 1971, p. 22).
Les deux autres objections ont été également écartées notamment
faute que la Cour ait admis en l'occurrence l'existence d'un différend
entre l'Afrique du Sud et d'autres Etats ou entre l'Afrique du Sud et les
Nations Unies.
Si toutefois les objections formelles rejetées par la Cour avaient été
fondées, la résolution 284 (70) eût été dépourvue de validité.
Ainsi la jurisprudence de la Cour au sujet de la validité des
résolutions peut être résumée de la façon suivante.
Les résolutions des organes internationaux bénéficient d'une
présomption générale de validité à laquelle s'ajoute une présomption
de compétence des organes lorsque ceux-ci agissent conformément
aux buts qui leur sont assignés.
Toutefois, une résolution peut être dépourvue de validité en raison
de l'excès de pouvoir de l'organe qui l'a adoptée lorsque cet organe
outrepasse les compétences qui lui sont explicitement ou implicitement
reconnues, et il en est de même lorsqu'une résolution a été adoptée en
violation des règles de procédure découlant de l'acte constitutif de
l'organisation.
432

CHAPITRE III

LA JURISPRUDENCE DE LA COUR AU SUJET


DE LA VALEUR JURIDIQUE DES RÉSOLUTIONS

La valeur juridique des résolutions procède de leurs effets ou


conséquences juridiques. On doit distinguer toutefois à ce sujet la
valeur juridique directe ou immédiate des résolutions de leur valeur
juridique indirecte ou médiate.
Les résolutions en effet, envisagées en elles-mêmes, ont soit la
valeur de recommandations, soit celle de décisions. Les premières ont
pour objet d'inviter, d'inciter ou d'exhorter, mais leurs destinataires,
tenus de les examiner de bonne foi demeurent libres de ne pas s'y
conformer. Les secondes sont au contraire juridiquement obligatoires
et leurs destinataires ne peuvent s'y soustraire sans commettre une
faute. Ce sont là des effets directs ou immédiats.
Les effets indirects ou médiats résultent de la contribution éventuelle
des résolutions à la formation de normes coutumières. Les recomman-
dations non obligatoires peuvent en effet avoir une part dans le
processus par lequel des normes non écrites, mais obligatoires,
prennent place dans le droit international.
Ces deux aspects de la valeur juridique des résolutions soulèvent un
ensemble de questions controversées auxquelles la jurisprudence de la
Cour apporte certaines solutions.

Section I. La jurisprudence de la Cour


et la valeur juridique immédiate des résolutions

Comme il en est au sujet de la validité des résolutions, deux


tendances s'affrontent quant à leur valeur juridique qui s'appuient sur
des méthodes d'interprétation différentes des actes constitutifs des
organisations internationales.
La première orientation tend à limiter strictement les hypothèses où
les résolutions des organes internationaux et notamment celles de
l'Assemblée générale ou du Conseil de sécurité des Nations Unies ont
valeur de décisions obligatoires. C'est à cette orientation que se
rattachent les attitudes adoptées par la France et l'URSS dans l'affaire
de Certaines dépenses et par l'Afrique du Sud, dont l'argumentation
Résolutions des organes internationaux 433

était au moins en partie soutenue par la France, dans l'affaire de la


Namibie.
La seconde orientation tend au contraire à ouvrir (ou à ne pas
refermer) l'éventail des cas où les mêmes organes sont habilités à
prendre des décisions obligatoires et c'est à cette seconde orientation
que se rattachent les positions adoptées par les Etats-Unis et le
Royaume-Uni dans l'affaire de Certaines dépenses ou par la Fin-
lande (représentée par le professeur Castren) dans l'affaire de la
Namibie.
Dans l'affaire de Certaines dépenses, le débat portait sur l'interpréta-
tion de l'article 17 de la Charte et donc sur l'existence de l'une des
hypothèses où l'Assemblée générale'des Nations Unies peut prendre
des décisions obligatoires. Il n'est pas contesté en effet que l'Assemblée
peut prendre de telles décisions en vertu des articles 4, 5 et 6 de la
Charte qui l'autorisent à admettre, à suspendre ou à exclure un
Membre (dans chaque cas uniquement sur recommandation du
Conseil de sécurité) et il est de même généralement admis que
l'Assemblée dispose de pouvoirs exécutifs d'ordre interne qui lui
permettent d'élire son propre bureau, de fixer les heures et les dates de
ses séances, d'établir son ordre du jour, de constituer des commissions
permanentes ou ad hoc, d'arrêter le statut du personnel ou encore de
convoquer des conférences diplomatiques sous les auspices des
Nations Unies. En revanche, dans l'affaire de Certaines dépenses les
pouvoirs de l'Assemblée en vertu de l'article 17 ont été mis en
question. La France et l'URSS ont soutenu que les pouvoirs de
décision de l'Assemblée étaient limités à la détermination et à la
répartition des seules dépenses administratives de l'Organisation à
l'exclusion de celles ayant trait aux opérations de maintien de la paix,
tandis que les Etats opposés aux thèses françaises et soviétiques se
prononçaient au contraire contre une telle limitation du pouvoir
budgétaire de l'Assemblée.
Dans l'affaire de la Namibie, le débat était plus large que dans
l'affaire de Certaines dépenses et portait d'une part sur les « pouvoirs
résiduels » de décision de l'Assemblée et d'autre part sur l'étendue des
pouvoirs de décision du Conseil de sécurité en vertu de l'article 24 de
la Charte.
Les pouvoirs résiduels de décision de l'Assemblée sont ceux dont
celle-ci disposerait en dehors des hypothèses spécifiques des articles 4,
5, 6 et éventuellement 17 de la Charte. De tels pouvoirs existent-ils ? A
cette question le juge Fitzmaurice, dont l'opinion dissidente dans
l'affaire de la Namibie constitue un exposé exemplaire des thèses
434 Hubert Thierry

restrictives quant aux pouvoirs des organes des Nations Unies, donne
une réponse résolument négative :
<( Il est à peine nécessaire d'attirer l'attention sur le caractère
fallacieux de l'argument selon lequel l'Assemblée aurait un
pouvoir résiduel lui permettant de prendre des mesures
d'exécution dans toutes sortes de domaines parce qu'un pouvoir
spécifique dans ce sens lui a été reconnu par certains articles
particuliers (art. 4, 5, 6 et 17). C'est la déduction contraire qui est
exacte : lorsqu'un pouvoir de ce genre n'est pas spécifiquement
prévu, il n'existe pas. » (CU Recueil 1971, p. 281.)20
A l'inverse, l'existence d'un tel pouvoir résiduel de décision pouvant
être conféré à l'Assemblée par des normes extérieures à la Charte était
impliqué par les thèses favorables au caractère obligatoire de la
résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée par laquelle celle-ci a « décidé »
qu'en fonction des violations par l'Afrique du Sud des obligations du
mandat, celui-ci « était donc terminé ».
Le débat relatif aux pouvoirs de décision du Conseil de sécurité est
de même nature que le précédent. L'article 24 de la Charte en effet
dispose que :
« 1. Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation,
ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité
principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales
et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose
cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom.
2. Dans l'accomplissement de ces devoirs, le Conseil de
sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations
Unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité
pour lui permettre d'accomplir lesdits devoirs sont définis aux
chapitres VI, VII. Vili et XII. »
Cet article confère-t-il au Conseil de sécurité, dans l'exercice de sa
responsabilité principale du maintien de la paix, un pouvoir général de
décision, ou au contraire seulement des pouvoirs spécifiques définis
par les chapitres VI, VII, VIII et XII de la Charte ?
Sur ce point, l'opinion exposée par le professeur Castren devant la
Cour s'oppose radicalement à celle exposée par l'Afrique du Sud qui a
trouvé écho dans l'opinion dissidente du juge Fitzmaurice. L'éminent
juriste finlandais écrit en effet :
« J'estime que cet article 24 confère au Conseil non seulement
Résolutions des organes internationaux 435

les pouvoirs spécifiques énoncés aux chapitres VI, VII, Vili et


XII et énumérés à la fin du paragraphe 2 dudit article, mais aussi
des pouvoirs généraux, compatibles avec les buts et principes des
Nations Unies et qui sont nécessaires au Conseil pour s'acquitter
des devoirs que lui impose la Charte et particulièrement le
paragraphe 1 de l'article 24 qui énonce sa responsabilité
principale du maintien de la paix et de la sécurité internatio-
nales. » iCIJ Mémoires, affaire de la Namibie, vol. II, p. 72.)
Le juge Fitzmaurice écrit au contraire :
« Sans doute, elle [cette disposition] ne limite pas les cas où le
Conseil de sécurité peut agir pour assurer le maintien de la paix et
de la sécurité, étant entendu que la menace invoquée ne doit être
ni une simple fiction ni un prétexte. Mais cette disposition a pour
effet de circonscrire le genre de mesures que le Conseil peut
prendre pour s'acquitter des responsabilités qui lui incombent en
vue du maintien de la paix - en effet, le paragraphe 2 de l'ar-
ticle 24 dit expressément que les pouvoirs spécifiques conférés à
cette fin au Conseil de sécurité sont définis aux chapitres indiqués
(VI, VII, Vili et XII). Selon des règles normales d'interprétation,
cela signifie qu'en ce qui concerne le maintien de la paix ces
pouvoirs ne sont spécifiés nulle part ailleurs et ne peuvent
s'exercer que conformément aux dispositions de ces chapitres.
C'est donc à celles-ci qu'il faut avoir recours si l'on veut
déterminer quels sont les pouvoirs spécifiques conférés au Conseil
de sécurité pour le maintien de la paix, et notamment le pouvoir
qu'il a de prendre une décision obligatoire. Si l'on se réfère à ces
chapitres, on constate que c'est seulement lorsque le Conseil agit
en application du chapitre VII, et peut-être dans certains cas en
application du chapitre VIII, que ses résolutions auront force
obligatoire pour les Etats Membres. Dans les autres cas, elles
n'auraient valeur que de recommandations où d'exhortations. »
{CU Recueil 1971, p. 293.)
Ainsi la Cour a-t-elle été appelée à résoudre trois questions juridi-
ques relatives aux pouvoirs de décision de l'Assemblée et du Conseil :
celle des pouvoirs de l'Assemblée en vertu de l'article 17 de la Charte,
celle des pouvoirs résiduels de décision de l'Assemblée, celle de l'étendue
des pouvoirs du Conseil de sécurité en vertu de l'article 24 de la
Charte.
Sur chacun de ces points, la Cour a choisi des solutions favorables
aux thèses non restrictives des pouvoirs de l'Assemblée et du Conseil :
436 Hubert Thierry

1) Il ressort clairement de l'avis du 20 juillet 1962 que les


résolutions adoptées en vertu de l'article 17 de la Charte ont valeur
obligatoire et procèdent donc des pouvoirs de décision conférés par la
Charte à l'Assemblée.
Bien qu'elle ne fût appelée à se prononcer que sur la nature des
dépenses autorisées par l'Assemblée générale, la Cour a clairement dit
que « celle-ci avait le pouvoir de répartir de façon autoritaire les
dépenses de l'Organisation » :
« Le paragraphe 1 de l'article 17 donne à l'Assemblée générale
le pouvoir non seulement d'« examiner » le budget de l'Organisa-
tion, mais aussi de 1'« approuver ». La décision d'« approuver » le
budget est étroitement liée au paragraphe 2 de l'article 17 car, en
vertu de ce paragraphe, l'Assemblée générale a également le
pouvoir de répartir les dépenses entre les Membres et l'exercice
du pouvoir de répartition crée pour tous les Membres l'obligation
expressément énoncée à l'article 17, paragraphe 2, de supporter la
quote-part des dépenses qui leur incombe selon la répartition
fixée par l'Assemblée générale. » (CU Recueil ¡962, p. 164.)
Ces termes ne sont pas équivoques et M. Castañeda écrit â ce sujet :
« La suite logique inévitable de la thèse de la Cour est que toute
dépense qu'une majorité des Membres décide d'inclure dans le
budget en lui attribuant ainsi le caractère de « dépense de
l'Organisation » doit être automatiquement supportée à titre
obligatoire par tous les Membres. » 21
Il est remarquable à cet égard que le juge Fitzmaurice dans son
opinion dissidente dans l'affaire de la Namibie (dont on sait qu'elle
expose une conception restrictive des pouvoirs des organes des Nations
Unies) fait figurer les résolutions adoptées en vertu de l'article 17
parmi les cas de résolutions obligatoires (CU Recueil 1971, p. 281).
2) La Cour a admis dans son avis du 11 juin 1971 l'existence d'un
pouvoir résiduel de décision de l'Assemblée.
Dans l'affaire de Certaines dépenses la Cour avait dit que :
« Les fonctions et pouvoirs de l'Assemblée générale, selon la
Charte, ne sont pas limités à la discussion, à l'examen, à l'étude et
à la recommandation -, ses attributions ne sont pas seulement de
caractère exhortatif. »
Cet énoncé, souvent cité, ne constitue que la constatation de
l'existence de dispositions de la Charte qui confèrent à l'Assemblée un
Résolutions des organes internationaux 437

pouvoir de décision et ne suffit pas à témoigner de l'acceptation par la


Cour de la thèse des pouvoirs résiduels. Beaucoup plus probant en
revanche est l'énoncé suivant formulé dans l'affaire de la Namibie où la
Cour a dit que :
« Il serait en effet inexact de supposer que, parce qu'elle
possède en principe le pouvoir de faire des recommandations,
l'Assemblée générale est empêchée d'adopter, dans des cas
déterminés relevant de sa compétence, des résolutions ayant le
caractère de décisions ou procédant d'une intention d'exécution. »
(C/J Recueil 1971, p. 50.)
L'absence de référence à la Charte dans ce texte laisse penser que les
« cas déterminés relevant de sa compétence » ne sont pas nécessaire-
ment prévus par la Charte.
Plus concrètement, la Cour a souscrit à l'existence de l'un de ces cas
déterminés en se prononçant sur le caractère obligatoire de la
résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée. Les termes employés par la
Cour par exemple au sujet des effets de cette résolution à l'égard des
Etats non membres des Nations Unies ne laissent place à aucun doute
à ce sujet :
« De l'avis de la Cour, la cessation du mandat et la déclaration
d'illégalité de la présence sud-africaine en Namibie sont
opposables à tous les Etats, en ce sens qu'elles rendent illégale
erga omnes une situation qui se prolonge en violation du droit
international. ... Dès lors qu'il a été mis fin au mandat par
décision de l'Organisation internationale chargée du pouvoir de
surveillance à son égard et que le maintien de sa présence Sud-
africaine en Namibie a été déclaré illégal, il appartient aux Etats
non membres d'agir conformément à ces décisions. » (CIJRecueil
1971, p. 56.)
En l'espèce, le pouvoir de décision de l'Assemblée était inclus dans
son pouvoir de surveillance du mandat, exercé en vertu de la Charte,
en sa qualité de successeur du Conseil de la Société des Nations.
3) La jurisprudence de la Cour enfin est parfaitement claire sur
l'importante question de l'étendue du pouvoir de décision du Conseil
de sécurité.
La Cour a admis, contrairement aux thèses restrictives soutenues à
ce sujet, que le Conseil de sécurité dispose non pas seulement de
« pouvoirs spécifiques » afin d'exercer la responsabilité principale du
maintien de la paix mais d'un pouvoir général à cette fin.
438 Hubert Thierry

Au sujet de la résolution 269 (1969), la Cour a dit en effet:


« Pour ce qui est du fondement juridique de la résolution,
l'article 24 de la Charte confère au Conseil de sécurité les
pouvoirs nécessaires pour prendre des mesures comme celle qu'il
a adoptée dans le cas présent. Au paragraphe 2 de cet article, la
mention des pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité
en vertu de certains chapitres de la Charte n'exclut pas l'existence
de pouvoirs généraux destinés à lui permettre de s'acquitter des
responsabilités conférées par le paragraphe 1. » (CU Recueil
1971, p. 52.)
Cette opinion a été fondée sur le texte de l'article 24 et sur les
travaux préparatoires de la Charte, analysés notamment dans une
déclaration du Secrétaire général au Conseil de sécurité en date du
10 janvier 1947, à laquelle la Cour s'est explicitement référée. L'interpré-
tation par la Cour de cette disposition revêt une grande importance
quant au rôle du Conseil de sécurité dans les relations internationales.
il en est de même de la jurisprudence relative à la contribution des
résolutions à la formation du droit international.

Section 11. La jurisprudence de la Cour au sujet du rôle


des résolutions dans la formation du droit international
Les résolutions ont-elles, au-delà de leurs effets juridiques
immédiats, une part dans la formation des normes générales du droit
international ? Cette dernière question, dont l'importance et l'actualité
justifient l'étendue des réflexions dont elle est l'objet, n'est pas moins
controversée que celles qui ont déjà été envisagées.
Une partie importante de la doctrine admet que le droit international
est désormais tributaire de résolutions et particulièrement de celles par
lesquelles l'Assemblée générale formule des principes et des directives
dans différents domaines des relations internationales, tels que ceux
qui ont trait aux droits de l'homme, à la décolonisation, ou au « nouvel
ordre économique international ». Il en serait ainsi en raison du rôle
des résolutions dans l'élaboration des normes coutumières du droit
international. Différentes constructions juridiques sont édifiées à cet
égard fondées sur l'aptitude de résolutions à manifester ['opinio juris,
c'est-à-dire la conviction du caractère obligatoire de normes non
écrites. Ce processus pourrait être assuré de telle façon qu'une
résolution, en elle-même non obligatoire, révélerait ou parachèverait
Résolutions des organes internationaux 439

l'existence d'une norme coutumière obligatoire, mais il pourrait aussi


procéder de l'effet cumulatif de nombreuses résolutions.
C'est à cette hypothèse que se réfère le juge Dillard dans son opinion
jointe à l'avis de la Cour dans l'affaire du Sahara occidental. Exposant
en effet les controverses sur la part des résolutions dans la formation de
la coutume, le juge écrit :
« D'un côté, on prétend que même si une résolution isolée de
l'Assemblée générale n'a pas force obligatoire, l'effet cumulatif de
nombreuses résolutions d'un contenu semblable votées par une
forte majorité et fréquemment réitérées pendant un certain laps de
temps peut devenir l'expression d'une opinio juris et constituer
ainsi une norme du droit coutumier international. » {CU Recueil
1975, p. 121.)
A l'opposé, une autre partie de la doctrine conteste le pouvoir des
organes internationaux de créer, même par l'intermédiaire de leur
contribution à la formation de normes coutumières, un droit opposable
à des Etats qui ne l'accepteraient pas ou à plus forte raison le
récuseraient.
Quel est l'apport de la Cour à ce grand débat juridique ? Certains
juges se sont de longue date attachés, dans leurs opinions séparées, au
rôle des résolutions dans la formation du droit, mais la Cour elle-même
est demeurée longtemps réservée à ce sujet. Cette attitude toutefois a
été sensiblement infléchie par la Cour dans ses avis relatifs à la
Namibie et au Sahara occidental.
a) Dès avant l'avis de la Cour au sujet de la Namibie, certains juges
ont, dans différentes affaires, formulé des opinions mettant l'accent sur
le rôle normatif des résolutions.
Dans son opinion dissidente jointe à l'arrêt de la Cour du 18 juillet
1966 (Sud-Ouest africain), le juge Tanaka écrit:
«On doit noter ... que chaque résolution, déclaration, etc.,
étant l'émanation de la volonté collective des Etats participants, la
volonté collective de la communauté internationale peut certaine-
ment se manifester plus rapidement et plus fidèlement que ne le
permettait le processus normatif traditionnel. Ce système collectif
cumulatif et organique de création de la coutume représente, pour
ainsi dire, un moyen terme entre la législation par convention et
le processus traditionnel de création de la coutume et l'on peut
constater qu'il joue un rôle important dans l'évolution du droit
international. » (CU Recueil ¡966, p. 292.)
440 Hubert Thierry
i

Dans la même affaire, le juge Padilla Nervo se prononce dans le même


sens au sujet des recommandations nombreuses et quasi unanimes
concernant ['apartheid et la discrimination raciale. Il écrit :
« En fait, ces recommandations peuvent être considérées
comme l'expression de certaines directives que la Cour doit
appliquer dans l'accomplissement de sa mission aux termes de
l'article 38...
Ces déclarations constituent des guides et des règles qui
découlent dûment de la Charte et des décisions émanant de
l'Assemblée générale et des autres organes des Nations Unies et
liant tous les Etats Membres.» (Ibid., p. 456.)
Le juge Jessup écrit également que :
« les condamnations accumulées dont ['apartheid a fait l'objet ...
consignées notamment dans les résolutions de l'Assemblée
générale des Nations Unies, prouvent l'existence en la matière
d'un « standard » de la communauté internationale contempo-
raine. »' (Ibid., p. 441.)
Dans son opinion jointe à l'arrêt de la Cour dans l'affaire de la
Barcelona Traction (arrêt du 5 février 1970), le juge Ammoun écrit :
« De toute façon, et pour revenir à la pratique des Etats telle
qu'elle se manifeste au sein des organisations et des conférences
internationales, on ne peut dénier aux résolutions qui en émanent
ou, pour mieux dire, aux votes qui y sont exprimés au nom des
Etats, qu'ils constituent des précédents contribuant à la formation
de la coutume. » (CU Recueil 1970, p. 303.)
Ces opinions témoignaient de l'existence d'une tendance au sein de
la Cour favorable à la reconnaissance du rôle des résolutions dans la
formation du droit. La Cour elle-même toutefois est demeurée
longtemps à ce sujet sur la réserve.
b) Antérieurement â son avis de 1971 sur la Namibie, la Cour ne
s'est pas prononcée de façon explicite sur la part des résolutions dans
l'évolution du droit international. Dans différentes occasions en effet
qui auraient permis à la Cour de faire état de la valeur normative de
certaines résolutions, il semble 'que la Cour ait évité de s'engager dans
cette voie.
Dans son arrêt du 2 décembre 1963 dans l'affaire du Cameroun
septentrional, qui touchait à la décolonisation, la Cour s'est référée aux
résolutions spécifiques concernant la terminaison de la tutelle sur le
Résolutions des organes internationaux 441

Cameroun britannique - et notamment à la résolution 1608 (XIV)


qui prenait acte des résultats des plébiscites tenus dans ce territoire -
mais n'a pas fait mention de la résolution 1514 (XV) sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
Dans l'affaire du Sud-Ouest africain (arrêt du 18 juillet 1966), la
Cour s'est exprimée de façon particulièrement restrictive en affirmant,
après avoir rappelé que les résolutions de l'Assemblée « ne sont que
des recommandations dépourvues de valeur obligatoire » :
« Certes, les résolutions de l'Assemblée générale peuvent avoir
une grande influence mais c'est là une autre question. Cela joue .
sur le plan de la politique et non du droit ; cela ne rend pas ces
résolutions juridiquement obligatoires. » (CU Recueil 1966,
p. 51.)
L'arrêt de la Cour dans l'affaire du Plateau continental en mer du
Nord (arrêt du 20 février 1969) comporte d'importants développements
sur le rôle des traités dans la formation de la coutume mais ne
mentionne pas celui des résolutions dans ce domaine.
Enfin, l'arrêt de la Cour du 5 février 1970 dans l'affaire de la
Barcelona Traction comporte un énoncé souvent cité relatif aux
obligations des Etats envers la communauté internationale dans son
ensemble, notamment dans le domaine des droits de l'homme. Il est dit
que :
« Ces obligations découlent par exemple, dans le droit
international contemporain, de la mise hors la loi des actes
d'agression et du génocide mais aussi des principes et des règles
concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y
compris la protection contre la pratique de l'esclavage et la
discrimination raciale. Certains droits de protection correspon-
dants se sont intégrés au droit international général... ; d'autres
sont conférés par des instruments internationaux de caractère
universel ou quasi universel» (CIJ Recueil 1970, p. 32).
L'expression « instruments internationaux » se réfère peut-être aux
résolutions mais de façon non spécifique et la Déclaration universelle
des droits de l'homme n'est pas mentionnée.
Ce sont là des constatations négatives dont on ne saurait tirer des
conséquences abusives, mais on peut dire que la jurisprudence de la
Cour n'a pas comporté des formules analogues à celles ci-dessus citées
des juges qui se sont prononcés en faveur de la contribution des
résolutions à la formation des normes coutumières. L'attitude de la
442 Hubert Thierry

Cour dans ce domaine a été sensiblement différente dans les affaires de


la Namibie et du Sahara occidental.
c) Dans ses avis des 21 juin 1971 et 16 octobre 1975, la Cour a pris
en considération des résolutions sous Tangle de 1'« évolution du droit
international » et de la « détermination des règles existantes du droit
international », mais elle s'est abstenue de formuler à ce sujet des
propositions de caractère général.
Dans l'affaire de la Namibie, la Cour a affirmé que la résolu-
tion 1514 (XV) de l'Assemblée générale a constitué une « étape impor-
tante » dans l'évolution du droit relatif aux territoires non autonomes.
Afin d'« étudier » en effet « le contenu et la portée de l'article 22 du
Pacte de la Société des Nations et la nature des mandats C », la Cour a
envisagé les termes de cette disposition et ceux du mandat relatif au
Sud-Ouest africain, mais elle a également estimé « qu'il faut aussi tenir
compte des événements qui ont suivi l'adoption des instruments en
question » et de « l'évolution ultérieure du droit international ».
C'est au sujet de cette évolution « qui a fait de l'autodétermination
un principe applicable à tous ces territoires » (les territoires non
autonomes) que la Cour, après s'être référée à la Charte, a énoncé que :
« Une autre étape importante de cette évolution a été la
déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux (résolution 1514 (XV) de l'Assemblée générale en date
du 14 décembre 1960) applicable à tous les peuples et à tous les
territoires « qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance. » (CU
Recueil ¡971, p. 31.)
Ainsi, la Cour a-t-elle admis que la résolution 1514 (XV) a eu une
part importante dans l'évolution du droit de la décolonisation. La
portée toutefois de l'énoncé de la Cour demeure limitée dans la mesure
où la relation entre la résolution 1514 (XV) et les autres éléments
(Charte, pratique des Etats) par lesquels le principe de l'autodétermina-
tion a pris place en droit international n'a pas été précisée.
Une part plus large a été faite au rôle normatif des résolutions dans
l'affaire du Sahara occidental. La Cour s'y est en effet appuyée sur des
résolutions afin de « déterminer les règles du droit international qui se
rapportent directement aux termes de la requête et qui sont
indispensables pour bien interpréter et bien comprendre son avis
consultatif» (CU Recueil 1975, p. 30).
La demande d'avis adressée à la Cour comportait en effet deux
questions ayant trait au statut du Sahara occidental au moment de la
colonisation de ce territoire par l'Espagne à la fin du XIXe siècle. Il
Résolutions des organes internationaux 443

était demandé à la Cour de dire si le Sahara occidental était, au


moment de la colonisation par l'Espagne, un territoire sans maître (res
nullius) et dans la négative « quels étaient les liens juridiques de ce
territoire avec le Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien ? »
Ces questions toutefois étaient posées à la Cour par l'Assemblée afin
que celle-ci puisse se prononcer « sur la politique à suivre pour
accélérer le processus de décolonisation du territoire conformément à
la résolution 1514 (XV)».
C'est dans ce contexte que la Cour, avant de répondre aux questions
« historiques » qui lui étaient posées, a tenu à préciser leur portée à la
lumière des « règles existantes » se rapportant au statut actuel du
Sahara occidental.
La Cour s'est référée à cette fin à ses énoncés antérieurs dans l'affaire
de la Namibie au sujet de l'autodétermination et notamment à celui par
lequel elle avait dit que la résolution 1514 (XV) avait constitué une
« étape importante » dans l'évolution du droit international relatif à la
décolonisation.
Afin toutefois de déterminer les choix que l'exercice du droit à
l'autodétermination implique et surtout les modalités de cet exercice, la
Cour s'est référée aux dispositions de la résolution 1514 (XV) elle-
même et à ceux de deux autres résolutions de l'Assemblée : la
résolution 1541 (XV) et la résolution 2625 (XXV) adoptée en 1970,
relative aux principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre Etats conformément à la Charte des
Nations Unies.
C'est en fonction des dispositions de ces résolutions que la Cour a
défini les choix par lesquels un territoire non autonome peut atteindre
la pleine autonomie : il peut devenir un Etat indépendant et souverain,
s'associer librement à un Etat indépendant, s'intégrer à un Etat
indépendant. Et c'est aussi en fonction des dispositions de ces
résolutions que la Cour a manifesté que « l'application du droit à
l'autodétermination suppose l'expression libre et authentique de la
volonté des peuples intéressés» (CU Recueil 1975, p. 32).
La Cour a précisé à ce sujet que :
« La validité du principe d'autodétermination, défini comme
répondant à la nécessité de respecter la volonté librement
exprimée des peuples, n'est pas diminuée par le fait que dans
certains cas l'Assemblée générale n'a pas cru devoir exiger la
consultation des habitants de tel ou tel territoire. Ces exceptions
s'expliquent soit par la considération qu'une certaine population
444 Hubert Thierry

ne constituait pas un « peuple » pouvant'prétendre à disposer de


lui-même, soit par la conviction qu'une consultation eût été sans
nécessité aucune, en raison de circonstances spéciales. » (C/J
Recueil 1975, p. 33.)
Ainsi, la Cour a-t-elle au moins implicitement admis que le « droit
existant » relatif au Sahara occidental (dont l'application pouvait être
facilitée par l'avis de la Cour) procédait des résolutions de l'Assemblée
au sujet de l'autodétermination et des modalités de son exercice, tandis
que la pratique de l'Organisation a été envisagée pour confirmer les
conclusions découlant de l'analyse des dispositions des résolutions.
La Cour toutefois n'a pas formulé à ce sujet d'énoncé de caractère
général et n'a pas exprimé les raisons pour lesquelles les résolutions
auxquelles elle s'est référée (1514 (XV), 1541 (XV) et 2626 (XXV))
pouvaient être considérées comme l'expression des « règles existantes
du droit international qui se rapportent directement aux termes de la
requête ».
La Cour notamment ne s'est pas attachée aux modalités de
l'adoption de ces résolutions (importance des majorités, consensus,
etc.) et n'a pas fait mention de leur acceptation par les Etats qui lui
avaient fait connaître leurs observations, bien que cette acceptation ait
sans doute facilité sa démarche.
Si donc la Cour dans son avis du 16 octobre 1975 a analysé le statut
du Sahara occidental à la lumière de résolutions en reconnaissant par
là même la contribution de celles-ci à la formation de normes générales
du droit international, elle s'est gardée de formuler à ce sujet des
considérations théoriques ou de définir de façon élaborée les
conditions de cette contribution.
445

CONCLUSION

Les solutions apportées par la Cour aux questions qui ont été
envisagées : celle de sa compétence pour examiner la validité de
résolutions, celle de la validité des résolutions et celle de leur valeur
juridique, permettent de formuler de brèves remarques sur l'esprit de
sa jurisprudence.
Sur chacune de ces questions, la Cour était sollicitée de choisir entre
deux lignes de conduite : l'une plus dynamique, faisant une part à
l'innovation et au mouvement et donc à la contribution active de la
Cour elle-même au développement du droit international, l'autre plus
statique et donc favorable â la stabilité de ce droit. En d'autres termes,
la Cour était tantôt conviée à manifester de l'audace, tantôt à faire
preuve de prudence.
Sa jurisprudence fait apparaître que la Cour a choisi, entre les voies
qui lui étaient désignées, son propre chemin sous le signe de
l'équilibre.
Certains aspects de cette jurisprudence relèvent assurément du
mouvement et comportent une part d'innovation jurisprudentielle. En
procédant à l'examen de la validité de résolutions, sans y avoir été
directement invitée, dans toute la mesure nécessaire à l'exercice de sa
fonction judiciaire, la Cour a montré qu'elle entendait assurer
pleinement sa tâche d'organe judiciaire principal des Nations Unies. La
Cour a aussi pris ses risques en formulant les principes de la
présomption de validité des résolutions et de la présomption de
compétence des organes en harmonie avec la théorie des pouvoirs
implicites. La Cour a en outre favorisé en droit l'affermissement du
rôle des Nations Unies dans les relations internationales en se
prononçant au sujet des compétences de l'Assemblée en vertu de
l'article 17 de la Charte ou de ses pouvoirs résiduels de décision de
même qu'au sujet des pouvoirs du Conseil de sécurité en faveur d'une
conception non restrictive des droits de ces organes. Enfin, en faisant
une place à la contribution des résolutions à la formation des normes
générales du droit international, la Cour a manifesté son aptitude à
prendre en compte les changements que les nouveaux équilibres
politiques impriment à ce droit.
La jurisprudence de la Cour comporte toutefois aussi des aspects qui
témoignent du souci de la stabilité de l'ordre juridique international.
En limitant sa compétence pour examiner la validité de résolutions aux
446 Hubert Thierry

cas où un tel examen est nécessaire à l'exercice de sa fonction


consultative, en veillant au respect des compétences explicites ou
implicites des organes et à celui des règles de procédure, en
manifestant que les résolutions de l'Assemblée ont en règle générale
valeur de recommandation et que les décisions sont l'exception, en
s'abstenant de s'exprimer de façon rigide ou théorique quant au rôle
des résolutions dans la formation des normes coutumières, la Cour a
constamment évité de franchir la limite qui sépare l'interprétation
constructive du droit de ce qui serait la révision ou la rectification de
celui-ci.
Ce souci d'équilibre est inhérent à l'accomplissement de la tâche de
la Cour qui est d'assurer « l'interprétation judiciaire du droit pour le
compte de l'ensemble de la communauté internationale ».
447

NOTES
1. Jorge Castañeda, « Valeur juridique des résolutions des Nations Unies »,
RCADI, tome 129, p. 207. L*auteur précise lui-même que son étude « repose sur la
pratique des organes des Nations Unies, ainsi que sur l'attitude des Etats face à cette
pratique » (p. 222).
2. Sentence du 19 janvier 1977, reproduite dans le Journal du droit international.
1977, pp. 350-389, avec le commentaire de J.-F. Lalive. Voir également l'article du
doyen Gérard Cohen Jonathan, AFDI, 1977, p. 452.
3. Sir Humphrey Waldock, «General Course of Public International Law».
RCADI, 1962, tome 106. p. 106 : « These circumstances confine to make the Court in
a very real sense the world Court and to give its utterances the authority of judicial
interpretations of international law made on behalf of the whole international
community. »
4. La première de ces juridictions peut se prononcer sur la conformité des lois à la
Constitution, avant leur promulgation (art. 61 de la Constitution française). La
seconde peut annuler les actes administratifs entachés d'« excès de pouvoir ».
5. Il y a lieu de remarquer que les pouvoirs de la Cour quant aux résolutions sont
moins étendus que ceux dont elle dispose éventuellement à l'égard des actes
unilatéraux des Etats ou des traités. La Cour, en effet, peut être appelée à décider dans
l'exercice de sa compétence contentieuse de la validité en droit international d'un acte
étatique. Tel était le cas par exemple dans l'affaire anglo-norvégienne des Pêcheries où
la Cour a statué sur la validité d'un décret norvégien relatif à l'étendue de la zone de
pèche exclusive de la Norvège (arrêt du 18 décembre 1951). De même la Cour
pourrait décider de la validité d'un traité en vertu de la compétence qui lui est attribuée
par l'article 66 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, quant aux
différends relatifs aux jus cogens.
6. Amendement proposé le 16 décembre 1961 ; doc. A/L.378.
7. Il est remarquable que, dans cette affaire, la Cour soit même allée au-delà de ce
qu'eût exigé la question qui aurait été posée à la Cour si l'amendement français avait
été adopté. Comme la Cour l'a souligné, en effet, l'amendement français invitait la
Cour à rechercher si les résolutions autorisant les dépenses avaient été prises
conformément à la Charte mais « ne proposait pas de demander à la Cour si les
résolutions en exécution desquelles des opérations ont été entreprises au Moyen-
Orient et au Congo ont été adoptées conformément à la Charte » (CU Recueil 1962.
P- 156).
8. Cette comparaison entre les droits et devoirs de la Cour et ceux d'une
« Académie de juristes » a été initialement faite par Manley O'Hudson dans « The
Permanent Court of International Justice » auquel le juge Fitzmaurice se réfère.
9. Le juge de Castro écrit à ce sujet :
« L'autorité des avis n'est pas moindre que celle des arrêts. Il y a certes une
différence, qui tient à la vis re judicata des arrêts, mais elle est limitée aux parties
en litige (vis relativa, art. 59 du Statut).
Au contraire, les motifs des arrêts (art. 56 du Statut) comme ceux des avis sont
considérés dicta prudentium et leur force comme source du droit (art. 38 du
Statut) dérive non d'un pouvoir hiérarchique (tantum valet auctoritas quantum
valet ratio), mais de la valeur des raisonnements (non ratione imperi, sed ralionis
imperio). » (CU Recueil 1971, p. 173-174.)
10. Ces positions adoptées par les Etats, selon la faveur qu'ils accordent aux
résolutions contestées, peuvent donner lieu à des situations paradoxales. Lorsque la
Cour, en effet, formule des opinions favorables à la validité des résolutions contestées,
et confirme donc celle-ci. elle comble les vœux de ceux des Etats qui étaient opposés â
448 Hubert Thierry
leur examen et déçoit au contraire ceux qui estimaient que cet examen était nécessaire.
11. La question a été en revanche soulevée par le doyen Colliard qui écrit dans le
commentaire de cet avis :
« Utilisée dans ce domaine par application de l'article 96, paragraphe 2. de la
Charte, la procédure de l'avis consultatif aboutit à faire jouer à la Cour le rôle
d'un véritable tribunal administratif ou constitutionnel dans le cadre de
l'organisation considérée... On se rapproche donc de la technique du recours
pour excès de pouvoir administratif français ou des techniques générales de
contrôle de la constitutionnalité des lois dans les droits internes qui connaissent
cette institution.» iAFDI. 1960, p. 361.)
12. On pourrait s'interroger toutefois sur la compétence de la Cour pour répondre
à une demande d'avis formulée par un organe (par exemple le Conseil de sécurité)
portant sur une résolution d'un autre organe (par exemple l'Assemblée générale) ou
vice versa dans le cas où il existerait un conflit entre ces organes. Dans l'affaire de la
Namibie, la Cour, consultée par le Conseil de sécurité, a examiné la validité de la
résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée, mais celle-ci avait été «endossée» par le
Conseil qui l'avait faite sienne.
13. Voir ci-dessous à ce sujet l'opinion du juge Gros.
14. Cette nuance a été subtilement mise en valeur par le professeur B. Bollecker-
Stern qui écrit :
« Le changement de vocabulaire est très net : dans le présent avis, l'affirmation
du droit de contrôle de la Cour se fait plus timide, elle apparaît comme relative et
subordonnée dépendant de l'existence d'objections. (« L'avis consultatif du
21 juin 1971 ». Annuaire français de droit international, 1971, p. 299.)
15. M. Lissitzyn suggère au contraire qu'en se prononçant sur la validité des
résolutions, alors que seul le problème de leurs conséquences lui est posé, la Cour
risque de décourager les demandes d'avis ultérieures (« International Law and the
Advisory Opinion on Namibia ».Columbia J. Transnational Law. 1972, vol. I 1, n° 1,
pp. 50-73).
16. On sait que la Cour a rendu quatre avis consultatifs et deux arrêts concernant
ce territoire : avis du 11 juillet 1950, Statut international du Sud-Ouest africain ; avis
du 7 juin 1955, Procédure de vote applicable aux questions louchant les rapports et
pétitions relatifs au Territoire du Sud-Ouest africain; avis du 1er juin 1956,
A dmissibilité de l'audition de pétitionnaires par le Comité du Sud-Ouest africain : arrêt
du 21 décembre 1962, affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud :
Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires : et arrêt du 18 juillet 1966.
mêmes affaires, deuxième phase.
17. La relation entre l'ONU et l'Afrique du Sud. selon l'analyse de la Cour, n'était
pas sans analogie avec celle qui est établie entre l'Etat et un concessionnaire de service
public en droit administratif français. L'Etat partie au contrat de concession peut y
mettre fin unilatéralement dans certaines conditions.
18. Le juge Tanaka oppose pour sa part l'interprétation « téléologique ou
sociologique » à l'interprétation « conceptuelle et formaliste » :
« En résumé - écrit-il dans son opinion dissidente dans l'affaire du Sud-Ouest
africain - la divergence d'opinion qui se manifeste sur les questions qui nous
occupent s'explique en dernière analyse par une opposition entre deux méthodes
d'interprétation : l'interprétation téléologique ou sociologique d'une part,
l'interprétation conceptuelle et formaliste de l'autre. » (CU Recueil 1966. p. 278.)
19. La jurisprudence relative aux «pouvoirs implicites» a donné lieu à une
importante littérature juridique. L'ouvrage de Bernard Rouyer-Hameray. Les
compétences implicites des organisations internationales (Paris. LCDJ. 1962). mérite
une particulière attention.
Résolutions des organes Internationaux 449
20. Bien que l'opinion du juge Fitzmaurice soit restrictive quant aux pouvoirs de
décision de l'Assemblée, elle inclut dans ces pouvoirs les résolutions adoptées en vertu
de l'article 17 contrairement aux thèses soutenues en 1962 par la France, qui avaient
trouvé écho dans les opinions de certains juges (Koretski et Winiarski).
21. Op. cit.. p. 242.
450

BIBLIOGRAPHIE

Les décisions de la Cour, accompagnées des opinions individuelles ou dissidentes


des juges, sont publiées dans le Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances. Le
dossier de chaque affaire est publié dans la collection : Mémoires, plaidoiries et
documents. Ce sont là les sources fondamentales de la connaissance de jurisprudence
de la Cour.
Plusieurs cours publiés dans le Recueil des cours de l'Académie de droit
international (RCADI) touchent aux problèmes juridiques soulevés par les résolutions
et se réfèrent à la jurisprudence de la CU. Il en est notamment ainsi des suivants :
Tammes, « Decisions of International Organs as a Source of International Law »,
RCADI, 1958, tome 94. pp. 265-367.
Vallat, F. A., « The Competence of the United Nations Assembly », RCADI, 1959.
tome 97, pp. 207-287.
Castañeda, J., « La valeur juridique des résolutions des Nations Unies », RCADI.
1970, tome 129. pp. 205-332.
Conforti, B.. « Le rôle de l'accord dans le système des Nations Unies », RCADI, 1974,
tome 142. pp. 203-288.

Les ouvrages suivants concernent principalement ou accessoirement les résolu-


tions :
En langue française
Jacqué, J.-P., Eléments pour une théorie de l'acte juridique en droit international
public. Paris, 1972, spec. pp. 361-417.
Rouyer-Hammeray. B.,¿es compétences implicites des organisations internationales,
Paris, 1962.
Lino Di Qual, Les effets des résolutions des Nations Unies, Paris, 1967.
En anglais
Bowett. D.W., The Law of International Institutions, Londres, 1963.
Friedmann. W., The Changing Structure of International Law, Londres, 1964.
Higgins, R.. The Development of International Law through the Political Organs of the
United Nations, Londres. New York. 1963.
Basak. A.. Decisions of the United Nations Organs in the Judgements and Opinions of
the International Court of Justice. Wroclaw. 1969. pp. 170-207.
Un grand nombre d'études qui touchent aux résolutions ont été publiées dans les
revues juridiques. On retiendra particulièrement les suivantes :
Sloan, F. B., « The Binding Force of a Recommendation of the General Assembly of
the U.N. », BJIL. 1948. pp. 1-34.
Virally, M., « La valeur juridique des recommandations des organisations internatio-
nales ». AFDI, 1956, pp. 66-96.

Les articles relatifs à chacune des décisions de la Cour sont mentionnés dans
l'ouvrage de MM. Eisemann. Coussirat-Coustere et Hur : Petit manuel de la
jurisprudence de la Cour internationale de Justice, Paris, Pedone. 3e éd., 1980.

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