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REPUBLIQUE DU CAMEROUN REPUBLIC OF CAMEROON

Paix – Travail – Patrie Peace – Work – Fatherland


UNIVERSITE DE N’GAOUNDERE UNIVERSITY OF N’GAOUNDERE
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES FACULTY OF LAWS AND
ET POLITIQUES POLITICAL SCIENCES
DEPARTEMENT DE DROIT PRIVE DEPARTMENT OF PRIVATE LAW

ENSEIGNEMENT DE DROIT PENAL INTERNATIONAL

Année Académique 2019 / 2020


Second semestre

Par NGUELE MBALLA Fabrice


Docteur /Ph.D en Droit Privé et Sciences criminelles
Assistant

[1]
PLAN SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE

Section 1 : La définition du droit pénal international

Section 2. Les sources du droit pénal international

TITRE I : L’INCRIMINATION INTERNATIONALE

CHAPITRE I: LES TECHNIQUES D’INCRIMINATION INTERNATIONALE

Section 1 : La technique bilatérale de l’incrimination internationale

Paragraphe 1. L’affirmation nécessaire d’une obligation internationale d’incriminer

A- Les caractéristiques de l’obligation internationale d’incriminer

B : La configuration de l’obligation internationale d’incriminer

Paragraphe 2 : La consécration de l’obligation internationale d’incriminer dans la norme


nationale de criminalisation

A- Les mécanismes d’exécution de l’obligation internationale d’incriminer


1- Le renvoi du droit national au droit international
2- L’incorporation
B- Le pouvoir du législateur national dans la formulation de l’obligation
internationale d’incriminer

Section 2. La technique de l’unilatéralisme

CHAPITRE II : LES PRINCIPALES INFRACTIONS INTERNATIONALES

Section 1. Les crimes contre l’humanité


Paragraphe 1. L’historique du concept de crimes contre l’humanité

Paragraphe 2. La réception des crimes contre l’humanité par le droit positif aujourd’hui

Section 2. Le crime de génocide

Paragraphe 1. L’identification du génocide dans la convention des nations unies sur la


prévention et la répression du crime de génocide

Paragraphe 2 : Le crime de génocide et les juridictions pénale internationales

[2]
Section 3 : Les crimes de guerre

TITRE II. LA RESPONSABILITE PENALE INTERNATIONALE

CHAPITRE I LES FORMES DE LA RESPONSABILITE PENALE INTERNATIONALE

Section 1. L’individualité de la responsabilité pénale internationale

Section 2 : La question de la responsabilité pénale internationale du supérieur hiérarchique

Paragraphe 1. La genèse de la responsabilité pénale internationale du supérieur hiérarchique

Paragraphe 2. L’expression contemporaine de la responsabilité pénale internationale du


supérieur hiérarchique

A- La consécration de la responsabilité pénale internationale du supérieur


hiérarchique
B- Les déterminantes de la responsabilité pénale internationale du supérieur
hiérarchique

CHAPITRE II : LES OBSTACLES A L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE


PENALE INTERNATIONALE

Section 1. Les obstacles à l’engagement de la responsabilité pénale internationale liées à la


mise en échec de causes d’exonération pénale

Section 2. Les hésitations de la jurisprudence quant à l’engagement de la responsabilité pénale


internationale devant les juridictions nationales

Paragraphe 1 : La poursuite d’un dirigeant étranger devant une juridiction nationale

Paragraphe 2. La situation d’une juridiction nationale requise par la C.P.I.

TITRE III. LE SYSTEME JUDICIAIRE PENAL INTERNATIONAL

CHAPITRE I. LES JURIDICTIONS PENALES INTERNATIONALES

Section 1- Les juridictions pénales internationales ad hoc

Paragraphe 1- La répression par les tribunaux pénaux internationaux

A- Présentation des tribunaux pénaux internationaux

1- Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.)

[3]
2- Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.)

B- Le fonctionnement des Tribunaux pénaux internationaux

1- La compétence des T.P.I.


2- Les rapports entre les T.P.I. et les juridictions pénales nationales

Paragraphe 2- Les juridictions mixtes ou Tribunaux Pénaux Internationalisés

Section 2 – La répression des infractions internationales par une juridiction permanente : la


C.P.I.

Paragraphe 1- La compétence de la C.P.I.

A- La détermination de la compétence
1- La compétence matérielle

2- La compétence personnelle
B- L’exercice de la compétence
1- Les conditions d’exercice

a. Les conditions générales


b. Les conditions particulières
2- Les obstacles à l’exercice
a- Le sursis à enquêter ou à poursuivre

b- L’irrecevabilité de l’affaire

Paragraphe 2- L’organisation et le fonctionnement de la C.P.I.


A- L’organisation de la C.P.I.

1- La présidence
2- Les sections
3- Le bureau du procureur
4- Le greffe
5- L’Assemblée des Etats parties
B- La procédure devant la C.P.I.

1- L’enquête
a- L’ouverture de l’enquête

[4]
b- La conduite de l’enquête
2- Les poursuites
3- Le procès

CHAPITRE II. LA COOPERATION ET L’ENTRAIDE JUDICIAIRE PENALE


INTERNATIONALE : L’EXTRADITION

Section I- Les conditions de l’extradition

Paragraphe 1. Les conditions du fond

A- Les conditions relatives aux faits

1- La gravité de l’infraction extraditionnelle


a- L’exigence de la réciprocité d’incrimination
b- La détermination du seuil extraditionnel

2- L’exclusion de certaines infractions


a- Les infractions politiques
b- Les infractions militaires
c- Les infractions économiques
B- Les conditions relatives aux personnes

1- Les Etats
2- L’individu réclamé

a- La non extradition des nationaux


b- Le refus d’extrader les justiciables camerounaise

c- Le statut des refugies


C- Les condamnations prononcées
Paragraphe 2. Les conditions de forme

A- La demande d’extradition

1- La demande proprement dite


a- La demande faite par le gouvernement camerounais

b- La demande faite par le gouvernement étranger


2- La demande d’arrestation provisoire
a- Les conditions de l’arrestation provisoire

[5]
b- La cessation de l’arrestation provisoire
B- L’examen de la demande d’extradition

1- La phase judiciaire
a- L’étape préliminaire
b- La procédure devant la Cour d’appel.
c- La décision donnant lieu à l’extradition
d- Le contentieux de la mise en liberté
2- La phase administrative
a- L’hypothèse d’un avis défavorable (Cf article 661, 662 et 664 du CPP)
b- L’hypothèse d’un avis favorable
Section 2. Les effets de l’extradition

Paragraphe 1- l’extradition demandée par le gouvernement camerounais

A- La portée de l’extradition consentie


1- la règle de la spécialité

2- Les autres limites imposées par l’Etat requis

B- La convention de la validité de l’extradition


1- La procédure à suivre
2- Les causes de l’annulation
3- Les conséquences de l’annulation

Paragraphe 2- Le Cameroun, Etat requis

A- La remise de l’individu réclamé

B- La remise de l’objet saisi

[6]
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

1- ASCENSIO (H), DECAUX (E) et PELLET (A) (Sous la direction de), Droit
international pénal, 2ème édition révisée, Paris, Pedone, 2012.
2- BASSIOUNI, (M.C.), Introduction au Droit pénal international, Bruxelles, Bruylant,
2002.
3- BAUCHOT (B.), Sanctions pénales nationales et droit international, Thèse de Doctorat
en Droit Privé et Sciences Criminelles, Université Lille 2, Lille, 2007.
4- BAZELAIRE (J.P.), CRETIN (T.), La justice pénale internationale : son évolution, son
avenir : de Nuremberg à La Haye, Paris, P.U.F., 2000.
5- CABRILLAC (R.) (Sous la direction de), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 7ème
édition, Paris, Litec, 2015.
6- COHEN (D.), « Aspects récents du droit de l'extradition », in Travaux du Comité
français de droit international privé, 2000-2002, 2004.
7- CORNU (G.), Vocabulaire juridique, 11ème édition, Association Henri Capitant, Paris,
P.U.F., Quadrige, 2016.
8- DAVID, (E.), Les éléments de droit pénal international, 1èrepartie, Bruxelles, U.L.B.,
1998.
9- FRONZA (E.) et MANACORDA (S.) (Sous la direction de.), La justice pénale
internationale dans les décisions des tribunaux ad hoc. Etudes des laws clinics en droit
pénal international, Paris, Dalloz, 2003.
10- FOUCHARD (I.), Le crime international entre internationalisation du droit pénal et la
pénalisation du droit international, Thèse de Doctorat en Droit Privé et Sciences
Criminelles, Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne, Paris, 2008.
11- GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, 22ème édition,
Paris, Dalloz, 2014-2015.
12- HENZELIN (M.) ROTH (R.), (Sous la direction de), Le droit pénal à l’épreuve de
l’internationalisation, Paris/Genève/Bruxelles, L.G.D.J./Georg Editeur/Bruylant, 2002.
13- HUET (A), KOERING –JOULIN (R), Droit pénal international, 3ème édition, Paris,
P.U.F., collection Thémis, 2005.
14- KESSEDJIAN (C.) et LOQUIN (E.), (Sous la direction de), La mondialisation du droit,
Paris, Litec, 2000.

[7]
15- KEUBOU (P.), Le droit pénal camerounais et la criminalité internationale, Thèse de
Doctorat/PhD en droit privé, Université de Poitiers, Poitiers, 2012.
16- LANOTTE, (O.), Répression des crimes de guerre: espoir ou utopie?, G.R.I.P.,
Bruxelles, 1995.
17- LOMBOIS (C.), Droit pénal international, Paris, Dalloz, 1979.
18- MASSE, (M.), « La cour pénale internationale: l'humanité trouve une place dans le droit
international », in Revue des Sciences Criminelles, n°3 juillet-septembre 2001.
19- MASSE (M.), JEAN (J.-P.) et GUIDICELLI (A.), (Sous la direction de), Un droit pénal
postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, Paris,
P.U.F., collection « Droit et justice », 2009.
20- MEOUCHY TORBEY (M-D.), L’internationalisation du droit pénal, Bruxelles,
Bruylant, 2008.
21- NGUELE MBALLA (F.), La protection pénale du patrimoine immatériel en droit
camerounais : le cas des biens de la propriété intellectuelle, Thèse de Doctorat / Ph.D
en Droit Privé et Sciences Criminelles, Université de Yaoundé II, Soa, 2019.
22- NTONO TSIMI (G.), Le paradigme du crime contre l’humanité et la renaissance du
pluralisme juridique dans les droits pénaux africains, Contribution à une théorie sur
l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en transition, Thèse de Doctorat/
Ph.D en droit, Université de Yaoundé II-Soa, 2012.
23- PETREQUIN (G.), Le crime contre l'humanité : Histoire d'une prise de conscience, Le
monde juif, Paris, 1994.
24- REBUT (D.), Droit pénal international, 2ème édition, Paris, Dalloz, 2015.
25- SAINT-PAU (J.-C.), « L’internationalisation du droit pénal », in Dr. Pen., n°9,
septembre 2006.
26- TEANI (A-L), Formation et développement du droit pénal international, recherche sur
la naissance d’un ordre juridique, Thèse de Doctorat en Droit, Université de
Bourgogne, 2009.
27- YAWAGA (S.), (Sous la direction de), Crises humanitaires et responsabilités,
Yaoundé, L’Harmattan, 2018.
28- ZAPATERO (L. A.), « L’harmonisation internationale du droit pénal », in Revue des
Sciences Criminelles, 2011.

29- ZOLLER, (E.), La définition des crimes contre l'humanité, in Journal du droit
international, Paris, Seuil, 1993.

[8]
INTRODUCTION GENERALE

Ainsi que s’accorde à l’admettre la doctrine, la réaction des Etats face aux phénomènes
criminels, est aujourd’hui fortement empreinte d’internationalité, les agissements anti sociaux
affectant de plus en plus des espaces et intérêts communs, voire des valeurs et biens juridiques
supra nationaux. En fait, avec l’internationalisation de certaines catégories juridiques, l’on
assiste de plus en plus à l’émergence de comportements criminels considérés comme dépassant
le cadre strictement territorial de l’Etat. En raison de cette tendance contemporaine, le droit
pénal, discipline par essence nationale, s’est vu peu à peu tout aussi émancipé de sa
circonspection territoriale pour davantage s’internationaliser, flirtant de la sorte avec les
préceptes essentiels du droit international. Toutes choses qui, s’agissant spécialement des
comportements ici concernés, ont convergé à l’entretien de l’adjonction de l’épithète
international à cette discipline et, ont suggéré l’essor d’une discipline à la complexité avérée,
le droit pénal international.

En effet, l’internationalisation du droit pénal, ne s’est pas faite sans heurt si l’on se place
sous le prisme de l’intégrité des principes sacro-saints qui gouvernent les disciplines ici
convoquées. A la réalité, situé au carrefour de deux branches du droit fondamentalement
distantes, le droit pénal international se singularise par sa complexité. Le premier versant de
cette complexité est constitué par les principes irrépétibles du droit pénal, et le second par ceux
inhérents au droit international également connu sous le vocable de jus cogens (droit des gens).

Entendu de tradition comme l’ensemble des règles juridiques qui organisent la réaction
de l’Etat face au phénomène criminel, le droit pénal est classiquement bâti sur trois piliers
fondamentaux : la territorialité, la souveraineté, et la légalité étatique des normes incriminantes.
D’un autre côté, le droit international quant à lui postule justement pour le dépassement de la
territorialité, l’émancipation de la souveraineté et la discussion de la normativité strictement et
uniquement étatique comme base de l’incrimination. Aussi ces éléments combinés, augurent
d’ores et déjà, la configuration des difficultés qui peuvent se présenter à l’occasion de la
conjonction du droit pénal et du droit international, et qui portent entre autre sur la
problématique ici fondamentale de la conjugaison des paradigmes de la souveraineté des Etats
et de l’internationalisation de la matière pénale.

De la sorte, à titre introductif et à l’entame du présent enseignement sur le droit pénal


international, deux questions majeures retiennent ici notre attention : celle de la définition de

[9]
cette discipline et celle de la précision de ses sources, lieux d’inscription ou et mieux
d’extraction des normes qui la constituent. Ainsi envisageons nous tour à tour, l’identification
du droit pénal international par sa définition (section 1), et la clarification de ses sources
(section 2).

Section 1 : La définition du droit pénal international

Le Droit Pénal International fait généralement l’objet d’une variété de compréhension.


La difficulté que l’on éprouve lorsqu’on veut y apporter une définition, tient au fait que cette
discipline combine les aspects internationaux du droit pénal interne et les aspects pénaux du
droit international. D’où les deux visions de la discipline susceptibles d’être considérées dans
une approche définitionnelle.

En effet, l’adjonction du qualificatif international au droit pénal a de tout temps posé


beaucoup de problèmes, du point de vue de l’identification de cette discipline. La confusion a
ainsi souvent été entretenue entre le droit international pénal et le droit pénal international, à
une enseigne où, pour en simplifier la réflexion, certains à l’instar du Professeur Adolphe
MINKOA SHE, se sont interroger sur le point savoir

« si la controverse relevait juste du déplacement de l’épithète ‘‘international’’ ».

En d’autres termes soulignait -il, que recouvre la discipline, selon que cette épithète est
ante posé ou post posé ? qu’est ce qui est international ? Est-ce le droit ou la matière pénale
dont il est l’objet, c’est-à-dire le comportement répréhensible. Aussi, il importe d’apporter des
clarifications afin d’élaguer ce risque de confusion et ainsi d’aboutir à la définition du droit
pénal international.

En fait, le droit international pénal, s’entend par essence de l’ensemble des règles
(conventionnelles ou non) issues de l’ordre juridique international et qui ont pour dessein de
réprimer ce que les auteurs retiennent sous le vocable d’infractions « internationales »,
notamment parce que d’origine internationale c’est-à-dire érigée comme telle
(consensuellement ou non) par une norme internationale. Il est parfois dit « droit des infractions
internationales ». Selon le Professeur Alain PELLET, il a pour objet l’analyse de la façon dont
l’ordre juridique international réagit face à des crimes et autres infractions comportant un
élément d’« internationalité ». A cet égard, d’après les auteurs, sont grossomodo considérés
comme crimes ou infractions présentant un élément d’ « internationalité » les crimes contre la

[10]
paix et la sécurité de l’humanité d’après le jus cogens, infractions internationales par nature
(crimes de guerres, génocides, crimes contre l’humanité, crimes d’agression inter étatiques), et
les autres infractions strictement définies comme telles par les instruments
internationaux, infractions internationales par leur seul mode d’incrimination (les
infractions relatives à la protection des individus et des peuples – traite des hommes, esclavages
et pratiques assimilés, torture, prises d’otages, violations de la bioéthique…etc ; celles relatives
à la protection de l’Etat, des organisations internationales et de leurs agents – terrorisme, faux-
monnayage, mercenariat, atteintes à la sécurité du personnel des nations unies et assimilés,
outrage au tribunaux internationaux et autres atteintes à l’administration de la justice pénale
internationale …etc ; celles relatives aux espaces et à l’environnement - la piraterie et autres
infractions liées aux activités maritimes et d’aviations internationales, la pollution
internationale…etc, celles relatives aux échanges internationaux (le commerce illicite des
biens culturels, le trafic illicite des stupéfiants, la corruption transnationale…etc). On est en
présence ici d’un droit interétatique ou qui relève d’organisations créées par les Etats. Le
Professeur Antonio CASSESE en donne la définition suivante ; il s’agirait de :

« L’ensemble de règles internationales destinées à proscrire (et punir) les crimes


internationaux et à imposer aux Etats, l'obligation de poursuivre et de punir ces crimes (au
moins certains d'entre eux) ».

A la réalité, la doctrine des obligations de poursuivre (également dite obligations


positives) qui en est le creuset, sous-entend la dynamique d’émergence d’engagements
internationaux s’imposant aux ordres juridiques nationaux, en l’occurrence aux politiques
criminelles nationales, et suggérant la prise en considération de certaines catégories juridiques
supra nationales dans l’érection en infraction de certains comportements anti sociaux, et dans
leur poursuite pénale par les juridictions notamment internationales. De la sorte, le droit
international pénal s’est sédimenté à travers la création des tribunaux ad hoc dès la sortie de la
seconde guerre mondiale, et a été codifiée à travers le statut de Rome.

Ainsi compris le droit international pénal doit être nuancé du droit pénal international
stricto sensu même si les deux disciplines rendent compte des deux facettes d’une même
préoccupation, la répression des comportements dépassant le cadre étatique. A la réalité, alors
que le droit international tient son assise sur des normes et instruments juridiques issus de
l’ordre international, le droit pénal international quant à lui concerne l’ensemble des règles
juridiques issues de l’ordre juridique pénal interne et destiné à réprimer les infractions

[11]
présentant un caractère d’ « extranéité ». la différence entre les deux disciplines se situe donc à
un double niveau :

- Au niveau de l’ordre juridique incriminant ; dans le premier cas, celui du droit


international pénal, les normes sont issues de l’ordre juridique international alors
que dans le second cas, elles sont issues de l’ordre interne de l’Etat. Ainsi on a
traditionnellement un droit international pénal, mais beaucoup de droits pénaux
internationaux ; nous y reviendrons à l’occasion des sources du droit pénal
international.
- Au niveau de la définition des comportements concernés ; alors que s’agissant du
droit international pénal, sont concernées, les infractions présentant un caractère
dit « international » par nature ou parce que définies comme telle par un instrument
international (consensuel ou non), dans le cas du droit pénal international, il s’agit
des infractions présentant un élément d’ «extranéité », parce que susceptibles d’être
rattaché aux ordres juridiques internes d’un ou plusieurs Etats. L’élément de
rattachement à cet ordre juridique étranger peut résulter de la nationalité de l’auteur
ou du caractère extraterritorial de la commission de l’infraction.

Ainsi entendu et au-delà de cette définition circonscrite du droit pénal international,


cette dualité de dénominations devant renvoyer aux règles juridiques qui solutionnent les
problèmes pénaux qui se posent au plan international, n’a pas prospéré ainsi que le concède la
doctrine. Dans un effort de globalisation, la doctrine pénale contemporaine conserve en effet
l’expression « droit pénal international » à laquelle elle intègre le « droit des infractions
internationales ». Ce choix a sans doute été motivé par des raisons d’appellation unitaire des
deux domaines. Il s’est aussi imposé par l’incapacité de l’expression « droit international
pénal » à rendre compte des solutions de droit interne qui régissent pour partie la répression des
infractions présentant un élément d’extranéité. Aussi, la dénomination « droit pénal
international » est-elle communément utilisée alors même que son contenu a été étendu au droit
international pénal.

Cette intégration conduit à donner une définition large du droit pénal international qu’il
convient de retenir ici et, de l’entendre comme la branche du droit pénal qui régit la répression
des infractions ayant un caractère d’extranéité ainsi que compris supra et, des infractions qui
sont définies comme « internationales », consensuellement ou non, par le droit international.

[12]
Au-delà des préoccupations liées aux critères d’identification du droit pénal
international, qui ici touchent à la précision de la matière pénale et de l’ordre juridique
incriminant, il n’est pas inopportun dans une perspective de compréhension notionnelle et
définitionnelle de rappeler l’évolution historique du droit pénal international. Toutes choses qui
permettra d’étayer avec davantage de clarté la question de son objet et augurera celle des
sources de cette discipline.

En fait l’évolution historique du droit pénal international révèle que cette discipline s’est
constituée en trois phases, ainsi que les auteurs le relèvent (H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet).
Initialement, il s’agissait de s’intéresser aux compétences pénales des Etats sur les espaces
territoriaux communs. La discipline était concernée par les litiges intervenus sur ses espaces
territoriaux communs à différents Etats. Ainsi la piraterie dans ce cadre a été érigée en première
infraction internationale et la matière pénale du droit pénal international était constituée par
toute infraction commise en haute mer et pour laquelle toute juridiction pénale nationale pouvait
exercer sa compétence.

Dans la deuxième phase, les Etats sont passés des espaces communs aux intérêts
communs pour reconnaitre la matière pénale internationale. En effet, ainsi qu’il a pu être
observer par les auteurs, dans le développement des relations interétatiques, les Etats ont
identifié des domaines d’intérêts communs sur différents plans économique, sécuritaire ou
culturel. Aussi il s’agissait de se protéger contre toute forme d’atteinte portée aux dits intérêts.
Dans ce sens, ont été par exemple conclues des conventions internationales en matière de lutte
contre le terrorisme, de lutte contre le trafic de stupéfiant voire de lutte contre la corruption
transfrontalière etc…dans ce sens même on peut citer de nombreux aspects du droit pénal
communautaire.

Dans la troisième phase, les Etats ont évalué les intérêts communs pour les valeurs
communes dans l’identification de la matière pénale internationale. Ils sont partis de
l’hypothèse qu’il existe ou il devrait exister un ordre pénal international constitué par un
ensemble de valeurs élémentaires qui habilite les Etats à exercer leur compétence pénale, soit
parce qu’un état de paix et de stabilité internationale a été rompu, soit lorsqu’un acte commis a
choqué la conscience universelle. Ce sont ces critères qui, de nos jours constituent la substance
de l’infraction internationale. Dans cet esprit, des instruments juridiques internationaux furent
établis pour ériger des incriminations protectrices de ces valeurs sociales et consacrés de la sorte
la matière pénale contemporaine du droit pénal international. Ces instruments juridiques
internationaux constituent pour ainsi dire, l’un des lieux d’inscription ou et mieux d’extraction
[13]
des règles permettant de résoudre les problèmes pénaux qui se posent au plan international, et
subodore déjà la question des sources du droit pénal international, question sur laquelle il
importe de s’appesantir à présent.

Section 2. Les sources du droit pénal international

A la réalité l’interrogation sur les sources du droit pénal international suit le courant de
sa problématique définitionnelle, celle-ci renseignant de facto sur les normes qui constituent la
discipline. Dans ce sens, une distinction doit être faite parmi ces sources, selon qu’il s’agisse
des instruments juridiques empreints de la souveraineté étatique, et ceux qui en sont dénués,
affranchis, exempts.

En effet on peut d’abord envisager les normes juridiques qui trahissent la marque de la
souveraineté notamment pénale de l’Etat, monopole suprême de la puissance et de la contrainte
publique dans la définition et/ou la sanction des agissements attentant ses valeurs et biens
juridiques, en l’occurrence lorsque ceux-ci présentent un élément d’extranéité ou
d’internationalité. Dans cet esprit, la souveraineté pénale des Etats peut se manifester tantôt à
l’interne dans les législations nationales en matière pénale, tantôt à l’international dans les actes
consensuellement consentis par les Etats sur les questions concernées par la réponse pénale aux
agissements qui présentent un caractère d’extranéité. Aussi une subdivision peut être envisagée
ici entre les instruments juridiques pénaux essentiellement nationaux et ceux internationaux.

Les premiers concernent les textes de l’ordre interne notamment ceux pénaux tels le
code pénal, le code de procédure pénal…etc, dans leurs dispositions concernées par les
infractions présentant un élément d’extranéité. En fait, le droit pénal international conserve de
nombreuses sources nationales même si elles sont assurément en recul. Ces sources nationales
peuvent être exclusives quand elles régissent seules le domaine qui en est l’objet ou alternatives
voire complémentaires de sources internationales. La détermination de la compétence de la loi
pénale camerounaise participe, par exemple, de la première catégorie, étant donné qu’elle est
fixée par la seule loi pénale camerounaise. Les solutions afférentes se trouvent dans le Chapitre
III du Livre premier du code pénal relatif à l’application de la loi pénale dans l’espace. En
revanche, les articles 635 et suivants du code de procédure pénale relatifs à l’extradition
relèvent de la seconde catégorie, puisqu’ils ont pour objet de régir l’extradition en cas d’absence
de conventions internationales ou de compléter celles-ci sur les points qu’elles ne traitent pas.
Dans le cadre des sources essentielles, il peut tout aussi s’agir du texte constitutionnel dans ses

[14]
dispositions qui apportent des solutions aux problèmes de conflits de normes entre celles
pénales celle nationales et celles internationales. Le texte de l’article 45 de la constitution peut
être cité dans ce sens.

Les seconds instruments, ceux internationaux empreints de souveraineté, concernent ici


les textes issus de l’ordre international, résultant des conventions consenties par l’Etat et le
liant. Ils emportent des obligations inter partes entre les Etat parties, et peuvent contenir des
dispositions pénales intervenant dans le cadre de la répression d’infractions internationales. On
peut ici citer par exemple des accords en matière de coopération judiciaire répressive, tels
l’hypothèse des Accords d’extradition C.E.M.A.C. de 2004, lesquelles contiennent des
dispositions d’obligation aut dedere aut punire, aut dedere aut judicare.

S’agissant d’un autre côté des instruments juridiques non empreints de souveraineté, il
s’agit pour l’essentiel des normes issues des principes généraux du droit international et de la
coutume internationale tels qu’émanant du jus cogens, et qui s’imposent erga omnès en ce que
ce sont des normes impératives du droit des gens. Ce jus cogens admet par tradition qu’un
instrument juridique international puisse être imposé à l’Etat alors que celui-ci n’y a pas
consenti. C’est en l’occurrence sur cette base que le statut de Rome portant création de la Cour
Pénale internationale peut être appliqué à un Etat alors que celui-ci ne l’a pas ratifié. L’on peut
dans ce sens se demander si sur la base du jus cogens un Etat qui n’a pas ratifié un traité peut
saisir la cour ; nous y reviendrons.

En tout état de cause, dans le cadre du présent enseignement, toutes ces questions et
d’autres seront amplement abordées. Mais les principales interrogations qui peuvent retenir
notre attention ici sont relatives au point de savoir, qu’est ce qui constitue la matière pénale
internationale, et quel est l’autorité qui en fait l’érection en cette qualité ? Autrement dit quelle
est la substance de l’incrimination pénale internationale, en termes tant de comportements visés
comme infraction internationale, que d’autorité, mieux de techniques d’incriminations ici
appliquées ?

De même et non moins pertinemment, l’on doit s’interroger sur les déterminantes et les
contours de la responsabilité pénale internationale à la suite de l’incrimination sus évoquée. La
pertinence de ce second questionnement s’apprécie aisément lorsqu’on a en souvenir le principe
de droit pénal qui détermine la sanction pénale à l’existence de la responsabilité pénale de
l’agent. D’ailleurs l’actualité de cette préoccupation s’apprécie fort bien à l’aune des florissants
débats qui animent la doctrine, aussi bien pénaliste qu’internationaliste, tant sur la question de

[15]
la responsabilité des chefs militaires, chef d’Etat et autres supérieures hiérarchiques, que sur la
théorie des immunités et l’engagement de la responsabilité pénale internationale devant les
juridictions internationales.

Enfin et à l’aboutissement de la répression pénale des infractions internationales ou


présentant un caractère d’extranéité, l’on peut opportunément s’appesantir sur le cadre
institutionnel du procédé de cette répression, c’est-à-dire sur le système de justice pénale
internationale. L’interrogation porte ici sur le point suivant : quels sont les institutions,
structures et autres, mécanismes en charge de procédé à la justice pénale internationale. La
préoccupation flirte ici avec aussi bien les questions relatives aux juridictions pénales
internationales permanentes ou ad hoc, qu’avec celles relatives à la coopération et à l’entraide
judiciaire internationale via notamment l’extradition.

C’est dire que, si par souci d’originalité et dans une grille d’analyse ayant la typologie
de la matière pénale comme matrice, l’enseignement de droit pénal international peut fort
pertinemment être réparti entre l’étude de la répression des infractions internationales par les
juridictions pénales internationales et celles par les juridictions internes, il nous semble plutôt
judicieux d’opter pour une étude minutieuse de la répression des infractions aussi bien
internationales que celles empreintes d’extranéité, en ses différents moments, s’agissant tant
des règles qui gouvernent leur incrimination, que celles encadrant la responsabilité pénale
internationale y relative et, enfin celles qui organisent et régissent le système judiciaire pénal
international. Nous envisageons ainsi tour à tour l’incrimination pénale internationale ou et plus
simplement l’incrimination internationale (Titre 1), la responsabilité pénale internationale
(Titre 2), et le système judiciaire pénal international (Titre 3).

[16]
TITRE I : L’INCRIMINATION INTERNATIONALE

La tendance générale de la doctrine pénale en tout cas celle francophone est d’après les
auteurs à la simplification de la compréhension du terme incrimination. A la suite du Professeur
Stéfano MANACORDA, l’on considère l’incrimination comme :

« [L]e fait pour le législateur de rendre un comportement criminel ».

Il s’agit de l’érection d’un agissement en infraction en précisant les déterminantes


notamment de sa constitution et de sa sanction. A proprement parler, l’incrimination se nuance
de l’infraction. D’après, PELLEGRINO ROSSI, celle-ci désigne

« la violation d’un devoir exigible, au préjudice d’une société ou des individus ».

Il s’agit de toute action ou omission que la société interdit sous la menace d’une sanction
pénale. L’infraction pénale est donc l’attitude du citoyen qui transgresse les interdits édictés par
un texte normatif en matière répressive. C'est dire qu’une infraction pénale est constituée
lorsqu’une attitude interdite par un texte répressif initié par une autorité incriminante sous la
menace d’une sanction pénale a été matériellement et moralement réalisée au sens dudit texte.

Ainsi l’incrimination en droit pénal international n’est rien moins que l’érection d’un
agissement en infraction internationale. La doctrine internationaliste distingue ici deux types
d’incriminations internationales ; celle par détermination de la loi nationale et celle issue de la
doctrine des obligations positives consécutive à l’affirmation de biens juridiques supra
nationaux, c’est-à-dire de valeurs et catégories juridiques qui dépassent le cadre étatique et qui
touchent tantôt à des considérations tenant à la menace d’un état de paix et de stabilité
internationale (crime de guerre, crime d’agression…etc) ou alors qui concerne des
considérations élémentaires de l’humanité (tels les droits et libertés fondamentaux de l’homme,
la conscience universelle…). Dans le premier cas l’on utilise généralement le vocable
d’incrimination internationale formelle, et dans le second celui d’incrimination internationale
par nature ou matérielle.

Au-delà de cet aspect typologique dans la compréhension de l’incrimination


internationale qui n’est certes pas à négliger, et sur laquelle nous reviendrons bien souvent à
l’occasion de nos développements, l’étude de l’incrimination internationale passe par celle de
deux principaux éléments : celle des procédés d’incrimination et celle des différents

[17]
comportements ainsi incriminés, c’est-à-dire des infractions internationales objet de
l’incrimination internationale en question.

A la réalité, entendue comme l’érection d’un agissement en infraction internationale,


l’incrimination internationale examinée ici impose de s’appesantir sur les techniques
d’incrimination (chapitre 1), et sur les infractions internationales (chapitre 1) érigées comme
telle dans notre droit positif de l’incrimination internationale

[18]
CHAPITRE I : LES TECHNIQUES D’INCRIMINATION INTERNATIONALE

Ainsi qu’il a été observé plus haut, le droit pénal international, se singularise par le fait
qu’il est au confluent de deux disciplines : le droit pénal et le droit international. Aussi, s’il est
constant que le procédé de l’incrimination requiert l’existence d’une autorité incriminante,
l’absence de législateur international impose la question de savoir qui en droit pénal
international détient la prérogative de procéder à l’incrimination. Autrement dit quel est
l’autorité incriminante en matière d’incrimination internationale ?

Cette question est susceptible de recevoir deux réponses selon qu’il s’agisse des
incriminations formelles ou de celles matérielles. Dans la première hypothèse, cette prérogative
appartient aux Etats, alors que dans la seconde, le droit de définir et de punir ne saurait lui
appartenir en raison de ce que dans cette hypothèse l’incrimination est internationale de par sa
nature liée à la menace d’un état de paix ou de stabilité internationale ou alors à des
considérations inhérentes à la conscience universelle, non rattachable à un Etat en particulier.
De la sorte, l’incrimination internationale procède non pas d’une autorité incriminante
uniquement étatique ou supra étatique, mais de la mise en œuvre de techniques spécifiques
tantôt incluant les deux types d’acteurs des deux ordres (nationaux et internationaux), tantôt
uniquement d’un seul. On parle de technique bilatérale (section 1) et de technique multilatérale
(section 2) d’incrimination internationale.

Section 1 : La technique bilatérale de l’incrimination internationale

Egalement retenue en droit positif sous le vocable de bilatéralisme renvoi à l’hypothèse


du partage de la prérogative d’incrimination entre l’ordre juridique international et celui
nationale. On la désigne aussi comme l’hypothèse d’incrimination à plusieurs mains, celle de
l’ordre nationale et d’un ordre étranger, communautaire ou international. Cette technique est
celle qui préserve la souveraineté des Etats dans l’incrimination internationale. L’idée de base
est que l’incrimination internationale est ici composée de deux éléments : la norme
internationale qui identifie la valeur sociale à protéger, le comportement à réprimer, et la norme
nationale qui procède à l’écriture, à la formulation véritable de l’incrimination. C’est la raison

[19]
pour laquelle la doctrine s’est souvent fondamentalement interroger sur la nature internationale
de cette incrimination. Ils lui ont souvent préféré la terminologie d’incrimination transnationale.

Au demeurant cette technique suppose l’affirmation au niveau international d’un


impératif d’incriminer un comportement précis, c’est-à-dire d’une obligation internationale
d’incriminer (paragraphe 1) laquelle est ainsi consacrée au niveau national dans une norme de
criminalisation (paragraphe 2).

Paragraphe 1. L’affirmation nécessaire d’une obligation internationale d’incriminer

En droit international public, par obligation on doit comprendre l’engagement


international de l’Etat. Il s’agit d’une proposition ayant une structure juridique, autrement dit
une recommandation, une suggestion formalisée en terme normatif (traité, convention
internationale) et non purement descriptif (avis consultatif…), qui a pour effet d’inviter le
destinataire à s’y conformer. L’obligation est perçue ici comme le lien de droit par lequel un
Etat ou une organisation internationale est tenue envers d’autres à une prestation déterminée ou
à s’abstenir à suivre une ligne de conduite précise. De la sorte, l’obligation est par nature
essentiellement consentie, tantôt positivement, tantôt négativement, selon qu’elle impose une
action ou une abstention.

Appliquée au droit pénal, la doctrine des obligations en l’occurrence positives sous-


entend la dynamique de l’émergence d’engagements internationaux s’imposant aux ordres
juridiques nationaux, en l’occurrence aux politiques criminelles nationales, et suggérant la prise
en considération de certaines catégories juridiques supra nationales dans l’érection en infraction
de certains comportements anti sociaux.

C’est dire que le droit international édicte l’obligation d’incriminer dont les Etats sont
les destinataires. Cette obligation internationale d’incriminer présente certaines caractéristiques
(A) et une forme spécifique (B).

B- Les caractéristiques de l’obligation internationale d’incriminer

Il s’agit d’une obligation pénale positive, c’est-à-dire un engagement international pris


par un Etat de pénaliser dans son ordre juridique national un comportement précis. Cette
obligation internationale d’incriminer est généralement d’origine conventionnelle, c’est-à-dire

[20]
issue d’un engagement consensuellement pris par l’Etat. Dans ce sens elle trahit fortement la
souveraineté de l’Etat. A titre d’illustration, nous pouvons citer les engagements pris par les
Etats dans le cadre de la convention des nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003.
Son article 15 dispose que :

« chaque Etat adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère
d’infraction pénale …. »

De même on citera aussi la convention, celle de new York contre la torture et autres
peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, qui contient des
dispositions emportant obligation internationale d’incriminer.

Néanmoins, l’obligation internationale d’incriminer peut tout aussi être affranchie


d’expression de la souveraineté étatique. Dans ce sens elle est édictée par des juges supra
nationaux pour défendre certaines catégories juridiques toutes aussi supra nationales. Elle
résulte alors de l’effort de systématisation du travail d’interprétation des juges, dans la
considération et la protection des droits et libertés fondamentaux, catégorie juridique de plus en
plus érigée en bien juridique supranational dans sa considération en droit pénal. A la différence
de la première catégorie, ces obligations prétoriennes surprennent et dépassent la souveraineté
étatique dans l’édiction des interdits pénaux internationaux. De ce point de vue, ces obligations
posent au moins deux problèmes : celui du fondement du droit de punir des juges
supranationaux, et celui de leur légitimité en matière d’incrimination internationale formelle (à
l’opposé de celle matérielle).

Au-delà la discussion de la pertinence de cet engagement international d’incriminer


prise sur ce fondement, il importe de s’appesantir sur la configuration que cette obligation peut
prendre.

B : La configuration de l’obligation internationale d’incriminer

A parcourir les instruments juridiques internationaux emportant obligation


internationale d’incriminer, on peut noter que tantôt l’expression de cette obligation est
générale, c’est-à-dire formulée en une simple suggestion, tantôt elle est détaillée et explicite.
Le contenu de l’infraction précisée et la qualification pénale déterminée. A titre d’illustration,
c’est dans ce dernier esprit que, la convention de New york contre la torture et autres peines ou
traitements cruels inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, sus citées, énonce en son
article 4 alinéa 1 que :

[21]
« Tout Etat veille à ce que tout acte de torture constitue une infraction au regard de son droit
pénal »

Mais elle va plus loin en définissant de façon précise et explicite le terme « torture ».
C’est l’office en son article premier qui dispose que :

« Aux fins de la présente Convention, le terme "torture" désigne tout acte par lequel
une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement
infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des
renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis
ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider
ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme
de discrimination qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées
par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son
instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur
ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions
ou occasionnées par elles ».

Le caractère détaillé de cette formulation ne va pas sans susciter des problèmes en


termes de concurrence lors de l’écriture et la consécration de l’obligation d’incriminer par la
norme nationale d’incrimination.

Paragraphe 2 : La consécration de l’obligation internationale d’incriminer dans la norme


nationale de criminalisation

Il s’agit du fait pour l’Etat d’être obligé d’exécuter son obligation internationale
d’incriminer. En traduisant normativement et en exprimant cette obligation, dans son dispositif
répressif. Il importe de s’attarder sur les modalités de l’exécution de cette obligation et sur les
latitudes et pouvoirs que l’Etat dispose, la formulation et l’écriture normative de cette obligation
d’incriminer. Nous examinons tour à tour les mécanismes d’exécution de l’obligation
internationale d’incriminer (A) et le pouvoir du législateur national dans la formulation de
l’obligation d’incriminer (B).

[22]
A- Les mécanismes d’exécution de l’obligation internationale d’incriminer

Ces mécanismes sont contingents du type de rapport que l’Etat en question entretient
entre son ordre juridique interne et l’ordre international. La question flirte ici avec celle des
rapports hiérarchiques entre les ordres juridiques nationaux et internationaux, dans un contexte
de pluralité juridique. Comment les deux se posent t- ils ? Lequel prime t- il sur l’autre ? Ou
alors se confondent- ils ?

Pour y apporter une réponse, deux théories prévalent en droit positif. Celle du dualisme,
soutenue par le Pr ANZILOTTI, et qui prévoit qu’il y ait une différence entre le droit national
et celui international de sorte qu’une règle de droit international ou imposée par ce droit, n’est
valable que si elle fait l’objet d’une incorporation dans l’ordre juridique national. Dans ce sens,
la seule ratification de la norme internationale ne suffit pas ; il faut encore qu’elle soit intégrée
et insérée dans le corpus normatif de l’ordre juridique national en question dans les formes et
procédures que ce dernier prévoit.

A contrario de cette théorie du dualisme il a été développé déjà sous la plume de


KELSEN, celle du monisme selon laquelle le droit interne et celui international appartiennent
à la même réalité juridique, au même ordre juridique. La seule ratification de l’instrument suffit
alors pour le rendre valable et ainsi exécuter l’obligation internationale d’incriminer que la
norme internationale suggérerait.

Au demeurant, cette distinction qui rend à la réalité compte de l’insertion de l’instrument


international dans l’ordre juridique interne, ne doit pas être confondue avec la problématique
dont il est ici question des procédés de l’écriture pénale traduisant dans l’ordre national,
l’expression de l’obligation internationale d’incriminer. Dans ce sens deux techniques
d’exécution de l’obligation internationale d’incriminer sont envisagées : la technique du renvoi
(1) et celle de l’incorporation (2).

1- Le renvoi du droit national au droit international

Ainsi que le note la doctrine en l’occurrence le Pr MOLFESSIS, le renvoi normatif c’est

« l’invitation…, énoncée par la règle, à se reporter à une ou plusieurs autres dispositions ».

Ce renvoi peut être explicite ou implicite. Pris ainsi au sens large, cette définition vise
donc la simple référence d’un texte principal à un autre. Appliquée à la doctrine des obligations
internationales d’incriminer, la technique de leur intégration par renvoi (ou par référence),
consiste au fait pour le législateur de se référer à la définition de l’incrimination par le texte de
[23]
la convention, sans le reproduire, et de fixer la peine correspondante. Ce procédé est susceptible
de générer des difficultés pratiques d’application de la loi, car il faut chaque fois consulter le
texte de la convention pour déterminer les éléments constitutifs de l’infraction. Le renvoi
désigne ainsi la technique par laquelle le législateur fait implicitement ou explicitement
référence au droit international dans le texte national. Ce dernier se limite à édicter la sanction
qui sera appliquée au comportement internationalement défini. Le renvoi est dit explicite
lorsque le droit national reprend textuellement la définition du droit international ou fait
référence aux dispositions du droit international. C’est le cas en droit des affaires O.H.A.D.A.
au sens de la loi de 2003 portant répression des infractions contenues dans certains actes
uniformes. Le renvoi est en revanche implicite lorsque le législateur national utilise les
qualifications pénales internationales sans les définir ou sans les faire référer au droit
internationale. Tel est le cas de l’article 8 de la loi de 2017, portant code de justice militaire qui
dispose que :

« …Le Tribunal militaire est seul compétent pour connaitre …des crimes de guerre, des crimes
contre l’humanité, du crime de génocide ».

Il en est de même de l’article 11 du Code Pénal intitulé infractions internationales qui


dispose :

« la loi pénale de la République s’applique au mercenariat à la discrimination raciale, à la


piraterie… ».

2- L’incorporation

Il s’agit ici pour le législateur national d’intégrer une incrimination internationale dans
une loi nationale. La technique de l’intégration par incorporation consiste en la
reproduction intégrale dans la disposition nationale de la norme internationale relativement au
comportement visé. C’est la plus pratique, la plus utilisée et la plus achevée des techniques
d’exécution de l’obligation internationale d’incriminer d’après les auteurs. Elle procède de
l’internalisation de l’instrument international dans la norme nationale. A la différence de la
première technique, celle-ci satisfait entièrement les exigences de la légalité criminelle
beccarienne. Dans ce sens et à titre illustratif, on peut citer le cas du législateur camerounais
qui, à travers le Code Pénal de 2016, a internalisé l’infraction de corruption passive en son
article 134-1, comme faisant suite à la ratification de la convention des nations unies contre la
corruption.

[24]
Intéressons-nous à présent au pouvoir du législateur national dans sa formulation de
l’incrimination internationale.

B- Le pouvoir du législateur national dans la formulation de l’obligation


internationale d’incriminer

L’interrogation ici concerne la marge d’appréciation et la latitude du législateur


national dans son exécution de l’obligation internationale d’incriminer. Ici l’on questionne la
pesanteur de la souveraineté étatique en matière d’élaboration à l’interne des incriminations
internationales.

Le principe ici est que les législateurs nationaux disposent d’une liberté dans cette
entreprise de formulation. Seulement dans leur exécution de l’obligation internationale
d’incriminer, certains législateurs procèdent à une internalisation sélective des infractions
internationales. Tel est le cas de celui camerounais qui dans l’internationalisation de la
convention des Nations Unies contre la corruption n’internalise pas l’enrichissement illicite
comme infraction comme constitutive de corruption. A la réalité, l’on peut se demander si l’Etat
est tenu par une obligation de conformité dans son exécution de l’obligation internationale
d’incriminer, ou alors simplement d’une obligation de compatibilité. En raison de la
souveraineté étatique, il est admis que l’Etat n’est tenu que d’une obligation de compatibilité
en ce sens qu’il suffit que sa formulation de l’incrimination internationale soit simplement
compatible, conciliable avec l’orientation envisagée par la disposition internationale. D’ailleurs
dans la définition de la peine de l’incrimination, et sauf référence par le texte international, le
législateur national dispose d’une totale liberté. On parle de marge totale d’action. Le danger
est alors celui du risque d’incriminations internationales disparates, considération étant de ce
qu’en Droit Pénal International, il n’y a pour ainsi dire quasiment pas de contrôle de conformité
par une instance supra étatique, de la norme nationale par celle internationale.

Section 2. La technique de l’unilatéralisme

A contrario du bilatéralisme qui implique dans le procédé de l’incrimination


internationale, l’intervention d’au moins deux acteurs, deux ordres juridiques, et qui reconnait
la compétence du législateur national, l’unilatéralisme est la technique par laquelle cette

[25]
incrimination est entièrement laissée au soin de la norme internationale. Cette technique de
l’unilatéralisme magnifie en effet l’émergence des biens et catégories juridiques supra
nationaux, et dépasse le cadre étatique de l’incrimination internationale. Il n’est pas inopportun
de relever que, si la technique bilatérale est traditionnellement appliquée dans les conventions
internationales classiques, celle du bilatéralisme est davantage prévue dans les instruments
juridiques internationaux portant création des instances juridictionnelles internationales ou
internationalisées. On dit de cette technique qu’elle est intimement liée à l’établissement des
compétences juridictionnelles en Droit Pénal International. Aussi se pose-t-on la question de
l’internationalisation de cette technique unilatérale. Autrement dit, des poursuites peuvent - elle
être engagées dans l’ordre juridique interne contre un citoyen, sur le fondement d’une
incrimination définie de façon unilatérale en Droit Pénal International ?

La réponse de principe à cette interrogation est négative. La question se pose avec une
certaine acuité s’agissant de la Cour Pénal International dont le Statut n’est pas ratifié par
certains Etats, ratification qui implique de jure la souscription à la compétence de cette
juridiction pénale internationale. Nous y reviendrons.

En somme s’est ainsi unilatéralement ou bilatéralement que peut être procédé à


l’incrimination des infractions internationales. Intéressons-nous actuellement à l’examen des
principales infractions internationales, objets de l’incrimination tout aussi internationale.

[26]
CHAPITRE II : LES PRINCIPALES INFRACTIONS INTERNATIONALES

Il est n’est pas évident de procéder à la classification des différents comportements


répréhensibles comme constituant la matière pénale du Droit Pénal International. Plusieurs
raisons concourent à cet état de chose. D’abord il importe d’observer qu’il n’existe pas de
« Code Pénal International », à l’image des Codes Pénaux Nationaux qui viennent identifier et
classer notamment tripartitement les infractions en crimes, délits et contraventions, selon des
criteria précis ; de fait, il existe quasiment autant d’infractions internationales que
d’instruments juridiques internationaux qui les édictent. De plus les infractions internationales
dans leurs incriminations, varient selon les ordres juridiques des Etats, lesquels ne sont pas
toujours liés par les mêmes instruments internationaux. Enfin il n’existe pas de juridiction ayant
une compétence établie ou attribuée sur toutes les infractions internationales, quelles qu’elles
seraient. Chaque juridiction a une compétence limitée par les Statuts ou instruments juridiques
internationaux qui l’institut. De la sorte, et sans prétendre à l’exhaustivité dans l’examen des
infractions internationalement considérées comme telles, nous nous attardons ici
principalement sur celles relevant du « noyau dur » également dites « core crime » du Droit
Pénal International. Il s’agit des incriminations dites par nature du Droit Pénal International,
incriminations retenues par la doctrine sous le vocable de « crimes du droit des gens » ou encore
« crimes contre la civilisation humaine » ou enfin « crimes contre la conscience universelle ».

Ainsi entendu, trois incriminations retiennent ici notre attention. Les crimes contre
l’humanité, (section 1), les crimes de génocides (section 2) et les crimes de guerre (section 3).

Section 1. Les crimes contre l’humanité

Qu’est-ce qu’un crime contre l’humanité ? La réponse à cette question est peu évidente,
eu égard aux dérives et débats à propos desquels le concept a pu – et continue de – faire l’objet
en droit positif. Pour mieux cerner cette interrogation, il convient d’en remonter aux origines,
afin d’en comprendre les raisons d’être et le contenu. Et c’est alors que l’on pourra en restituer
la position contemporaine sur son identification et sa substance, en tant qu’infraction pénale.
Nous nous attardons ainsi principalement sur l’historique du concept de crimes contre
l’humanité (Paragraphe 1) et sa réception par le droit positif aujourd’hui (Paragraphe 2).

[27]
Paragraphe 1. L’historique du concept de crimes contre l’humanité

Les origines du concept de crime contre l’humanité révèlent en fait son appartenance au
Droit International et précisément au Droit Pénal International. C’est en effet pour le procès de
Nuremberg que ce concept trouve sa première tentative de codification juridique officielle. Le
tribunal des nations alliées y a entendait en effet juger les actes causés pendant la Seconde
Guerre mondiale par le régime nazi, dans un cadre discriminatoire, en plus des crimes de guerre
et des crimes contre la paix. Cela dit, déjà en 1868, la Déclaration de Saint-Pétersbourg
condamnait les souffrances inhumaines infligées à l’ennemi et l’utilisation des projectiles
explosifs et incendiaires comme étant contraires aux lois de l’humanité. En 1899, la Clause de
MARTENS, concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, parlait des lois de l’humanité
; mais la référence à ces « lois » servait à condamner les « crimes de guerre » et non les « crimes
contre l’humanité ». C’est en 1915, pendant la Première Guerre mondiale, que l’expression de
« crime contre l’humanité » apparaît en fait pour la première fois, au moment du génocide des
Arméniens de Turquie. La Russie, la France et la Grande-Bretagne dénoncent en effet à cette
occasion les massacres commis, comme étant des « crimes contre l’humanité et la civilisation
» ou des « crimes de lèse-humanité ».

L’idée de crime contre l’humanité est alors formulée en réaction à des actes inhumains
qui ne correspondent pas à une dérive militaire (crimes de guerre), mais qui visent la mort ou
la persécution de populations civiles embarrassantes pour le pouvoir. Les génocides,
Arméniens d’abord et Juifs plus tard, sont donc à l’origine de l’apparition de la notion, laquelle
est pourtant plus large que le génocide à sa genèse, et en est encore plus extrême et plus grave.

En fait l’idée de juger les crimes nazis à l’encontre des juifs est apparue rapidement au
cours de la seconde guerre mondiale. Dans la Déclaration de Saint-James signée à Londres, le
13 janvier 1942, les Alliés prévoient en effet de réprimer les forfaits commis à l’encontre des
populations civiles :

« qui n’ont rien de commun ni avec la notion d’actes de guerre, ni avec celle de crimes
politiques telles que les conçoivent les nations civilisées. ».

Aussi, à la fin de la guerre, la découverte des camps de concentration et d’extermination,


dont l’existence était connue depuis 1942, a conduit les Alliés à la mise en place d’un tribunal
international pour le jugement des criminels nazis. C’est l’Accord de Londres du 8 août 1945

[28]
qui fixe le statut du Tribunal de Nuremberg, et la première définition juridique du crime contre
l’humanité. Sa compréhension de ce concept a longtemps fait l’objet de vifs débats dans la
doctrine et la jurisprudence contemporaine notamment s’agissant du Tribunal Pénal
International de l’ex-Yougoslavie (TPIY) et ce jusqu’à la création et à la mise en place de la
Cour Pénal International, dont la position rend aujourd’hui compte de la réception de ce concept
en Droit Pénal International contemporain.

Paragraphe 2. La réception des crimes contre l’humanité par le droit positif aujourd’hui

Entendu prosaïquement comme des crimes qui couvrent des faits graves de violence qui
lèsent l’être humain en l’attaquant dans ce qui lui est le plus essentiel, sa vie, sa liberté, son
intégrité physique, sa santé ou sa dignité, les crimes contre l’humanité sont constitués par des
actes inhumains qui de par leur ampleur ou leur gravité, outrepassent les limites tolérables par
l’humain et par la société internationale qui doit en réclamer la sanction. En fait, les crimes
contre l’humanité transcendent aussi l’individu puisqu’en y procédant c’est l’homme est visé,
et niée est son humanité. C’est l’identité de la victime, l’humanité visée, qui marque la
spécificité du crime contre l’humanité. Ainsi peut être compris ce concept de crime contre
l’humanité, en tout cas au sens de la jurisprudence et plus précisément de l’arrêt DRZAEN
ERDEMOVIC de la chambre de première instance du T.P.I.Y. dans un contenu juridique de
son jugement du 1er novembre 1996.

Au demeurant ce concept a jusqu’à cette compréhension été fortement ancré dans un


contexte historique particulier. Aujourd'hui, le crime contre l’humanité est devenu un chef
d’inculpation beaucoup plus large et mieux défini parce que hors contexte belligérant par le
Statut de Rome de 1998, instituant une Cour Pénale Internationale (C.P.I.) chargée de juger les
« crimes internationaux ».

En effet aucune situation particulièrement orientée de guerre n’a pas gouvernée la mise
en place de la C.P.I. par le Statut de Rome. Il a d’ailleurs été souligné à son crédit que ce statut
est le dernier état de la codification du crime contre l’humanité. Son article 7 ose une définition
internationale assez aboutie de ce concept en y comprenant onze actes constitutifs de crimes
contre l'humanité, lorsqu’ils sont commis :

« dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute


population civile et en connaissance de l'attaque ».

[29]
Il s’agit :

- Du meurtre ;
- De l'extermination ;
- De la réduction en esclavage ;
- De la déportation ou du transfert forcé de population ;
- De l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation
des dispositions fondamentales du droit international ;
- De la torture ;
- Du viol, l'esclavage sexuel,
- De la prostitution forcée,
- De la grossesse forcée,
- De la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité
comparable ;
- De la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs
d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction
d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international,
en corrélation avec tout acte ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
- De la disparition forcée de personnes ;
- Du crime d’apartheid ;
- D'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes
souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou
mentale.

Malgré cette énumération exhaustive, le crime contre l’humanité reste une incrimination
de type « ouvert ». C’est pour cela que la doctrine a parlé à son propos d’incrimination en
extension. C’est sur le fondement de la notion « autres actes inhumains » que le crime de
terrorisme peut aujourd’hui faire l’objet de poursuites sur le fondement de crimes contre
l’humanité sans qu’il soit besoin de modifier le Statut de Rome.

Dans les dernières évolutions de sa compréhension, lorsqu’on parle de crime contre


l’humanité, l’on fait référence au projet de convention international de prévention et répressions
des crimes contre l’humanité portés par la Commission du Droit International (C.D.I.). Ce
projet date du 10 décembre 2014 et a été adopté en sa forme instrumentale, dans le paragraphe

[30]
7 de la résolution 69-118 de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Son état actuel résulte
du rapport de la C.D.I. présenté à sa 3496ème et 3499ème séance du 31 juillet au 05 août 2019.

Ce projet dans son écriture de 2019, porte actuellement 15 articles et son intérêt est
d’inscrire le crime contre l’humanité dans une convention internationale classique comme c’est
le cas pour les autres « crimes internationaux » (crimes de génocide ou encore crime de guerre).
En effet, il s’agit de sortir le crime contre l’humanité de son histoire liée au statut des
juridictions internationales. L’un des enjeux est de penser le crime contre l’humanité dans une
dimension horizontale, c’est-à-dire inter étatique du droit international. Il en va tout
différemment pour ce qui du crime de génocide.

Section 2. Le crime de génocide

A la différence du crime contre l’humanité, celui tout aussi international de génocide


fait quant à lui l’objet d’une consignation dans un instrument juridique international
multilatéral. Le terme génocide est inspiré des développements effectués par le juriste polonais
Raphaël LEMKIN qui a forgé le néologisme de génocide à partir de la racine grecque genos
qui signifie « descendance » et du suffixe cide qui renvoi à « tuer ». Le terme fut utilisé à
l’origine pour expliciter le spectre des persécutions nazis pendant la deuxième guerre mondiale.
En effet, fait LEMKIN était très préoccupé du manque de mécanisme de poursuites des crimes
dirigés contre un groupe donné des personnes, qu'accusait le traité sur la protection des
minorités nationales établi entre les deux Grandes Guerres. En 1945, ce mot était utilisé par les
Procureurs du Tribunal Militaire de Nuremberg et en 1946, le génocide était reconnu comme
tel et érigé au rang des crimes internationaux sur décision de l'Assemblée Générale des Nations
Unies. Déjà à cette époque il était important de définir le génocide en tant que crime à part, en
vue de le distinguer du crime contre l'humanité. Au demeurant l’identification du génocide fait
l’objet de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de
génocide (paragraphe 1), dont les juridictions internationales n’ont fait que systématiser le
régime juridique (paragraphe 2).

Paragraphe 1. L’identification du génocide dans la convention des nations unies


sur la prévention et la répression du crime de génocide

[31]
Depuis sa première formulation en 1948, à l’article 2 de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide, la définition de ce crime est demeurée sensiblement la
même. En effet cette disposition énonce que :

« le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa


destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».

Sont au demeurant visés dans ce sens, outre le génocide lui-même, l'entente en vue de
commettre le génocide, l'incitation directe et publique à commettre le génocide, la tentative de
génocide et la complicité dans le génocide.

On retrouve de similaires dispositions à l’article 6 du Statut de Rome instituant la C.P.I.,


qui emprunte à cette Convention, et définit le crime de génocide comme l'un quelconque des
actes ci-dessus commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel. C’est l’intention spécifique de détruire un groupe
mentionné en tout ou en partie qui distingue le crime de génocide du crime contre l’humanité.

Ainsi de la définition convenue du génocide, il ressort o l’analyse que cette infraction


internationale pour sa constitution se subdivise en deux éléments juridiques essentiels : le
comportement (actus reus) et l’intention (mens rea).

L’actus reus , matérialité de l’acte, se rapporte aux éléments objectifs de la définition et


a deux composantes :

- Les comportements explicitement prohibés et nommés dans la définition (meurtre,


atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, etc.) et,
- L’existence d’un groupe protégé contre qui le comportement est dirigé.

[32]
La mens rea, disposition psychologique ou morale relativement à cette infraction,
renvoie aux éléments subjectifs de la définition et comprend l’intention générale d’adopter un
comportement interdit et l’intention précise de détruire le groupe protégé, en tout ou en partie.
Il s’agit pour ainsi le dire d’un dol spécial.

Ainsi s’identifie cette infraction internationale, d’après les instruments juridiques


internationaux sur la question, en l’occurrence la Convention des Nations Unies sur la
Prévention et la Répression du Génocide. Sous réserve des développements à suivre, il importe
de relever que dans le traitement pénal des agents à l’occasion de cette infraction, un rejet des
immunités est prévu par l’article 4 de cet instrument juridique. Il dispose en effet que :

« les personnes ayant commises le génocide (…) seront punies qu’elles soient
des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers ».

En tant que convention internationale multilatérale, la convention des nations unies sur
la prévention et la répression du génocide prévoit à l’endroit des Etats parties, une obligation
d’incriminer ainsi formulée :

« les parties contractantes s’engagent à prendre conformément à leur


constitution respective, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des
présentes dispositions ».

L’autre spécificité relative au génocide dans le cadre cette convention est qu’elle
prévoyait déjà la mise en place d’une juridiction pénale internationale. Le texte dispose en effet
que :

« les personnes accusées de génocide (…) seront traduites devant les tribunaux
compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été commis ou devant la cour criminelle
internationale qui sera compétente à l’égard de celle des parties contractantes qui en auront
reconnues la juridiction ».

Toute chose qui nous conduit à nous intéresser aux développements à propos du crime
de génocide dans le droit des juridictions pénales internationales.

Paragraphe 2 : Le crime de génocide et les juridictions pénale internationales

Le crime de génocide n’a pas évolué dans le droit des juridictions pénales
internationales : il n’y a été que systématisé. C’est le sens de l’article 4 du T.P.I.Y. et de l’article

[33]
2 du Tribunal Pénal du Rwanda. Du point de vue de la jurisprudence, la notion de génocide a
été précisée dans l’affaire KARADZICH du T.P.I.Y. qui a conclu que :

« l’effectivité de la destruction totale ou partielle n’est pas nécessaire pour conclure à


l’existence du génocide ».

Cette décision consacre dans la jurisprudence internationale, l’intention de commettre


un génocide ou encore, la tentative de génocide comme étant constitutive de l’infraction de
génocide. Dans l’affaire JELISIK, du T.P.I.Y. il a été décidé que :

« le génocide se caractérise par deux éléments constitutifs : l’élément matériel de


l’infraction et l’élément moral de l’infraction consistant dans l’intention spéciale de détruire
tout ou partie d’un groupe comme tel ».

Sur la question de la définition de la notion de groupe protégé ici par l’incrimination de


génocide, il a été jugé dans la même affaire que :

« l’appartenance de l’individu à un groupe particulier (racial, national, ethnique ou


religieux) et non l’identité personnelle de l’individu constitue le critère décisif ».

Cette même décision a, dans un de ces attendus affirmé que :

« Si l’appartenance à un groupe religieux fait l’objet d’une détermination objective,


tenter de définir un groupe national, ethnique ou racial à partir de critères objectifs et
scientifiquement non contestables, serait un exercice à la fois périlleux et dont le résultat serait
incertain (…). Aussi, est – il approprié d’apprécier la qualité de groupe national, ethnique ou
racial d’un point de vue subjectif et en procédant à une étude au cas par cas ».

Au total, ainsi se trouve identifié l’infraction de crime de génocide dans ses éléments
constitutifs aussi bien par les instruments juridiques internationaux que par la jurisprudence
internationale. Il convient à présent de nous appesantir sur une autre catégorie de crimes
internationaux, les crimes de guerre.

Section 3 : Les crimes de guerre

Le concept de crimes de guerre est aussi ancien que les lois dites « de la guerre » qu'on
trouve aussi bien chez les peuples antiques que chez les peuples primitifs. C’est une notion
juridique centrale du droit de la guerre. Il désigne la catégorie pénale permettant de juger non

[34]
pas les raisons pour lesquelles les Etats font la guerre – jus ad bellum (droit de la guerre), mais
la façon dont les hostilités sont conduites – jus in bellum ( le droit dans la guerre).

Cette qualification pénale permet la pénalisation de l’usage inhumain de la force. Les


crimes de guerre font l’objet de plusieurs conventions internationales dont quatre principales
qui sont les conventions de Genève du 12 aout 1949. Pour qu’il y ait crime de guerre, il faut
nécessairement qu’il y ait un conflit armé et la notion de conflit armée a été élargie depuis ces
conventions de Genève à tout type de conflits armés fussent - ils internationaux, internes, ou
internationalisés. Les crimes de guerre sont aujourd’hui définis par l’article 8 du Statut de la
C.P.I. Il ressort de la longue énumération des actes visés qu’on entend par « crimes de guerre »
les violations graves du droit international humanitaire commises à l’encontre de civils ou des
combattants ennemis, à l’occasion d’un conflit armé international ou interne, violations qui
entraînent la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs.

En somme, ainsi se présente l’incrimination internationale, en sa formulation, et


s’agissant des infractions retenues. Il importe à présent d’envisager l’examen des règles
juridiques qui gouvernent la responsabilité pénale internationale à leur propos.

[35]
TITRE II. LA RESPONSABILITE PENALE INTERNATIONALE

En droit international, le sujet de la responsabilité constitue une question au centre de


nombreuses études et de houleux débats. Par essence la responsabilité du point de vue du droit
pénal renvoi tantôt à la faculté tantôt à l’obligation, de répondre de ses actes délictueux ou
criminels en subissant une sanction pénale, dans les conditions et selon les formes prescrites
par la loi. Plus spécialement, cette expression est utilisée à propos de certaines personnes en
raison d’une qualité qui leur est propre. Il s’agit d’une déterminante sine qua non de la
punissabilité, de la répression pénale. En Droit Pénal International, la question de la
responsabilité pénale sous - entend plusieurs autres, telle celle de savoir qui doit subir les suites
pénales de la commission d’un crime contre l’humanité, d’un génocide ou d’un crime de guerre,
lorsqu’on sait qu’étant généralement des forfaits de guerres ou de conflits armés, l’imputabilité
de l’infraction peut amener à s’intéresser au donneurs d’ordre. C’est l’interrogation sur le
tributaire de la responsabilité pénale internationale, qui subodore celle des formes de
responsabilité pénale internationale.

De même, il est capital de restituer les déterminantes de la mise en œuvre de cette


responsabilité pénale internationale. C’est la problématique de l’engagement de la
responsabilité pénale internationale. De la sorte, nous nous attardons tour à tour sur les formes
de la responsabilité pénale internationale (chapitre 1), et sur les obstacles à l’engagement de la
responsabilité pénale internationale (chapitre 2).

[36]
CHAPITRE I. LES FORMES DE LA RESPONSABILITE PENALE
INTERNATIONALE

La question des formes de la responsabilité pénale se pose avec pertinence en matière


d’incrimination internationale, en raison notamment de ce que l’une des spécificités des
infractions internationales est qu’il s’agit structurellement de crimes collectifs se singularisant
par l’existence d’une participation, voire d’une intelligence de plusieurs acteurs, avec parfois
une gradation entre ces acteurs, aboutissant à la commission du forfait. Aussi les règles
traditionnelles qui gouvernent la responsabilité pénale, en théorie générale, sont quelque peu
remises en cause, qu’il s’agisse de celles relatives à l’imputabilité ou à la culpabilité des acteurs.

A la réalité, en principe individuelle, la responsabilité pénale internationale peut


affecter, dans certaines hypothèses, aller au- delà. Nous envisageons tour à tour l’individualité
de la responsabilité pénale internationale (section 1) et la question de la responsabilité pénale
internationale du supérieur hiérarchique (section 2).

Section 1. L’individualité de la responsabilité pénale internationale

Dire que la responsabilité internationale est individuelle, signifie que les suites que le
droit positif réserve à la commission d’une infraction internationale sont supportées
personnellement par l’agent en question, en qualité tantôt d’auteur, de co-auteur ou de complice
à la double condition de culpabilité et d’imputabilité. C’est le sens de l’article 25 du Statut de
Rome en son aliéna 3. D’ailleurs au titre de la responsabilité pénale internationale individuelle,
cet alinéa en son paragraphe 4 introduit la notion d’entreprise criminelle. Toute chose qui
confirme la conception extensive de la responsabilité pénale internationale par cet instrument
juridique international. Cet article dispose en effet que :

« est pénalement responsable, la personne qui contribue d toute manière à la


commission ou à la tentative de commission d’un tel crime par un groupe de personnes agissant
de concert. Cette contribution doit être intentionnelle (…) »

Cette notion d’entreprise criminelle commune se caractérise de deux manières. La


première est la facilitation de l’activité criminelle ou du dessein criminel du groupe. La seconde

[37]
est le partage de la connaissance de l’intention du groupe. L’on en déduit que le Droit Pénal
International, à défaut d’admettre une véritable responsabilité pénale des personnes morales,
développe une théorie spécifique de la responsabilité pénale d’un groupe criminelle.

Néanmoins, il importe d’observer qu’à la différence du droit pénal général, les règles
qui organisent la responsabilité pénale individuelle en Droit Pénal International, en l’occurrence
s’agissant de l’imputabilité des crimes internationaux, élargissent le champ des personnes
susceptibles de se voir imputer leur responsabilité. En effet, l’article 25 du Statut de Rome, qui
entre autre évoque les faits justificatifs en matière de crimes internationaux, en a une conception
restrictive. Toute chose qui élargie le champ des personnes potentiellement responsables en
cette matière.

Section 2 : La question de la responsabilité pénale internationale du supérieur


hiérarchique

Les crimes internationaux étant souvent commis en masse, ceux qui y participent sont
généralement plus nombreux que ceux qui s’y salissent les mains. Aussi afin de prévenir la
commission de tels crimes, la communauté internationale souhaite dissuader et réprimer non
seulement les exécutants, mais également les commanditaires et autres ordonnateurs, chefs
civils ou militaires. D’ailleurs le Droit Pénal International permet de retenir leur responsabilité
même dans l’hypothèse où elles n’ont pas ordonné, mais pouvais empêcher où prévenir de tels
crimes internationaux mais ne l’ont pas fait. C’est le sens de la responsabilité pénale
internationale des supérieurs hiérarchiques dont il faut restituer ici l’origine (paragraphe 1) et
en examiner l’expression en droit positif (paragraphe 2).

Paragraphe 1. La genèse de la responsabilité pénale internationale du supérieur


hiérarchique

Tirée du droit militaire, la responsabilité pénale internationale des supérieurs


hiérarchiques pour le fait de leurs subordonnés, trouve sa genèse dans la doctrine of command
responsability, en tout cas telle qu’elle s’est trouvée reconnue au moins depuis le procès de
Peter Von HAGEN BACH, en 1474. Mais il faut attendre 1907, pour que le principe en vertu
duquel les commandants militaires sont réprimés comme responsables de la conduite criminelle

[38]
de leurs subordonnées, soit codifié. En fait, c’est un instrument juridique international annexé
à la 4ème convention de la Haye, qui a énoncé pour la première fois que

« les milices et les corps de volontaires bénéficient de la protection accordée par la


convention pourvu qu’ils aient à leur tête, une personne responsable pour ses subordonnées »

D’ailleurs l’article 43 du même règlement va plus loin, en observant que la personne en


charge d’un territoire occupé doit prendre toutes les mesures possibles qui dépendent d’elle, en
vue d’établir et d’assurer l’ordre et la vie publique. Du reste, au terme de la guerre, une
commission internationale se trouve chargée de la rédaction d’un rapport sur la responsabilité
des coupables de la guerre, laquelle commission pose le principe selon lequel, dans un contexte
de guerre, les personnes investies du pouvoir hiérarchique sont garantes de la bonne conduite
de leurs subordonnées, et peuvent encourir de leur fait criminel, une responsabilité pénale en
droit international.

Ces idées novatrices, issues déjà de la première guerre mondiale, furent reprises et
appliquées aux tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, au terme de la
seconde guerre mondiale. Dans ce sens, le procès du général japonais TOMOYUKI
YAMASHITA est le premier cas de condamnation dans l’histoire pour responsabilité pénale
du fait de ses subordonnés. A propos de cette condamnation, la cour suprême américaine a eu
à déclarer que :

« les commandants militaires sont tenus de prendre des mesures appropriées en leur
pouvoir pour protéger les prisonniers de guerre et la population civile. En effet, l’omission de
le faire, engage leur responsabilité criminelle pour les crimes de guerre commis par leur
troupe ».

A la suite ce dette décision, de nombreux instruments juridiques internationaux ont


réaffirmé cette responsabilité, telles les conventions de Genève de 1949. L’article 86 de leur
premier protocole additionnel énonce ainsi la responsabilité criminelle du commandant
militaire pour son omission de prévenir ou de réprimer les crimes commis par ses subordonnées.
Il en a résulté une forme de consensus international sur l’admission de cette responsabilité.
C’est ainsi que les statuts des Tribunaux Pénaux Internationaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie
et le Rwanda, respectivement de 1993 et 1994, ont affirmé cette responsabilité. Ainsi l’article
7 alinéa 3 du statut du T.P.I.Y. prévoit que :

[39]
« les crimes commis par un subordonné ne dégagent pas son supérieur de sa
responsabilité pénale, s’il avait su ou avait des raisons de savoir que le subordonnée
s’apprêtait à commettre ces crimes et que le supérieur n’a pas pris des mesures
nécessaires pour empêcher me crime ou pour punir les auteurs ».

L’article 6 du statut du T.P.R. reprend d’ailleurs cette formulation qui sera ratifiée par
le statut de Rome, exprimant ainsi véritablement la consécration de cette originale
responsabilité en Droit Pénal International.

Paragraphe 2. L’expression contemporaine de la responsabilité pénale internationale du


supérieur hiérarchique

Elle est issue du Statut de Rome instituant la Cour Pénale internationale, ayant pour
mission de juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides commis
après le 1er juillet 2002. Cette institution, maintenant centrale de la justice pénale internationale,
a innové à plusieurs égards, notamment dans sa conception de la responsabilité du supérieur
hiérarchique. Il convient d’examiner ici la consécration de cette responsabilité pénale
internationale (A) dans ce texte et, d’en faire ressortir les déterminantes (B).

C- La consécration de la responsabilité pénale internationale du supérieur


hiérarchique

C’est l’office de l’article 28 du Statut de Rome, article intitulé « responsabilité des chefs
militaires et autres supérieurs hiérarchiques ». Cette disposition énonce que :

« Outre les autres motifs de responsabilité pénale au regard du présent Statut pour des crimes
relevant de la compétence de la Cour :

a) Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est
pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces
placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle
effectifs, selon le cas, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces
dans les cas où :

[40]
i- Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des
circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient
commettre ces crimes ; et
ii- Ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures
nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher
ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes
aux fins d'enquête et de poursuites ;

b) En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non


décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes
relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et
son contrôle effectifs, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces
subordonnés dans les cas où :

i- Le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés commettaient


ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir
compte d'informations qui l'indiquaient clairement ;
ii- Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de
son contrôle effectifs ; et
iii- Le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et
raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en
réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux
fins d'enquête et de poursuites ».

Ainsi se trouve contemporainement systématisé le principe de la responsabilité pénale


internationale du supérieur hiérarchique. À la simple lecture de cet article 28, il apparaît
immédiatement qu’il vient confirmer que la doctrine de la command responsability s’applique
tant aux supérieurs civils, qu’aux supérieurs militaires. Elle innove en prévoyant des normes
différentes dans ces deux cas, comme dans ceux distincts de la responsabilité pénale directe ou
indirecte. Il importe de s’appesantir sur ces deux types de responsabilité, telles qu’elles sont
issues de ce texte, en termes de conditions et déterminantes de la mise en œuvre.

[41]
D- Les déterminantes de la responsabilité pénale internationale du supérieur
hiérarchique

Il existe en fait deux formes de responsabilité pénale internationale du supérieur


hiérarchique, la responsabilité pénale directe ou individuelle, ainsi que développé supra et la
responsabilité pénale indirecte, dont il est véritablement question ici.

En effet, la première naît lorsque le supérieur ordonne la commission de crimes


internationaux à ses subordonnés, y participe ou y aide (article 7 alinéa 1 statut du T.P.I.Y.). Il
peut, par exemple, avoir donné l’ordre de massacrer des civils ou de maltraiter des prisonniers
de guerre. Cette forme de responsabilité ne pose pas véritablement de problème, puisque le
supérieur a lui même participé personnellement aux crimes : sa responsabilité peut donc être
retenue suivant les principes généraux du droit pénal de la responsabilité individuelle également
admise en matière de droit pénal internationale.

La forme de responsabilité sur laquelle nous nous attarderons est la responsabilité indirecte,
ou la réelle responsabilité du supérieur, celle qui naît sans que le supérieur ait donné des ordres
à ses subordonnés, les ait encouragés ou aidés, mais en raison de son omission de prévenir ou
de punir leur participation à des crimes internationaux. Cette forme de responsabilité est basée
sur la présence de trois critères :

- l’existence d’une relation de subordination entre le supérieur et son subordonné ;

- une exigence de connaissance chez le supérieur, du fait que ses subordonnés


commettaient ou allaient commettre des crimes internationaux ;

- le défaut du supérieur de prévenir la commission du crime ou d’en punir les


auteurs.

S’agissant d’abord de l’existence d’une relation de subordination entre le supérieur et


son subordonné, c’est la première condition de la validation de cette responsabilité. Pour qu’un
supérieur hiérarchique soit reconnu coupable du fait de son subordonnée, il faut encore que
celui-ci ait cette qualité. Un supérieur n’assume donc pas de responsabilité par rapport aux
agissements de tout un chacun, mais bien seulement des personnes qui sont dans un état de
subordination par rapport à lui ou dont il est le supérieur hiérarchique. L’existence d’une
relation de subordination entre la personne à contrôler, qui aura habituellement commis le crime
international, et son supérieur hiérarchique est donc la première condition de mise en branle de
[42]
la responsabilité hiérarchique. À cet égard, le critère retenu est celui du contrôle effectif : le
simple pouvoir d’influence du chef n’étant pas suffisant, le supérieur doit réellement avoir le
pouvoir de contrôler les actions de ses subordonnés. Les marques de ce type de contrôle sont
davantage une affaire de preuve que de droit substantiel et elles servent seulement à montrer
que l’accusé avait le pouvoir de prévenir les crimes, d’en punir les auteurs ou, lorsqu’il
convient, de prendre l’initiative d’une action pénale à leur encontre. Ce critère de contrôle
effectif, élaboré déjà par les tribunaux ad hoc de l’ex –Yougoslavie et du Rwanda, a été repris
par le Statut de Rome, mais tout en le combinant à l’exigence de commandement effectif ou
d’autorité effective, qui s’appliquent respectivement aux supérieurs militaires et civils. Le
Statut de Rome fait en effet référence aux forces placées sous son commandement et son
contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas (article 28 a). De
plus, si le supérieur est un civil, les crimes commis doivent être liés à des activités relevant de
sa responsabilité et de son contrôle effectifs (article 28 (b) (ii)).

La doctrine du supérieur hiérarchique n’est en effet pas restreinte aux commandants


militaires, mais elle s’applique également aux supérieurs civils, comme l’ont reconnu les
tribunaux ad hoc de l’ex –Yougoslavie et du Rwanda. Ainsi, un dirigeant d’entreprise, un
ministre ou un préfet peut engager sa responsabilité de supérieur pour les actes de ses
subordonnés s’il possède un réel contrôle sur ces derniers. L’article 28 du Statut de Rome
mentionne clairement ces deux possibilités, en prévoyant deux régimes de responsabilité : l’un
pour un « chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire », à
côté de l’autre pour « les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites
au paragraphe a) ». Dans les deux cas, il n’est pas nécessaire que le réel contrôle que possède
un supérieur sur ses subordonnés découle d’une position officielle. Ce contrôle peut résulter
d’un lien de droit (de jure) aussi bien que d’un lien de fait (de facto), comme le T.P.I.Y. l’a
décidé dans la célèbre affaire Celebici. Par exemple, si un commandant militaire a, dans les
faits, le contrôle sur un groupe paramilitaire, bien que ce contrôle ne résulte pas d’une position
officielle, le commandant pourra voir sa responsabilité engagée par les actes de ces
paramilitaires. Cela permet d’élargir le cercle de supérieurs pouvant être tenus responsables
pour refléter le rejet de l’ordre établi, voire l’état de chaos dans lequel les crimes internationaux
peuvent être commis. Le contrôle effectif d’un supérieur sur ses subordonnés étant avant tout
une question de fait, il est difficile d’établir des règles universelles à ce sujet. Néanmoins, nul
besoin que le supérieur soit le supérieur immédiat du criminel pour que sa responsabilité soit
reconnue. Cependant, un supérieur ne peut être tenu responsable que pour les actes commis

[43]
après son arrivée en position hiérarchique avec ses subordonnés malfaisants, soit après
l’obtention de ce contrôle effectif.

S’agissant ensuite de l’exigence de faute constituée par la connaissance chez le


supérieur, du fait que ses subordonnés commettaient ou allaient commettre des crimes
internationaux, c’est la deuxième déterminante de la mise en œuvre de la responsabilité pénale
internationale du supérieur hiérarchique. La détermination de la norme de connaissance
applicable aux supérieurs militaires et civils est sans doute l’une des questions les plus
controversées et les plus difficiles amenées par la responsabilité liée au commandement. Les
différents statuts et la jurisprudence, ont relevé plusieurs exigences de faute applicables aux
supérieurs. De la connaissance réelle en passant par la connaissance imputée, ces exigences
englobent une très grande variété de situations. Souvent, plusieurs normes alternatives sont
acceptées, comme la connaissance ou la négligence du supérieur hiérarchique. On a souvent
distingué la connaissance personnelle de l’aveuglement volontaire (le supérieur « avait des
raisons de savoir » que ses subordonnés commettaient des crimes), voire de la négligence. Il
s’agit dans ce dernier cas de la norme de connaissance retenue par le Statut de Rome pour les
commandants militaires (article. 28 (1)). Le chef militaire voit donc sa responsabilité pénale
engagée dès lors qu’il devait savoir que ses troupes commettaient ou allaient commettre des
crimes internationaux, peu importe ce qu’il a réellement su. Ainsi, pour le militaire, la base de
responsabilité est la négligence. Le commandant militaire a donc une obligation d’obtenir
l’information et de l’évaluer.

Enfin s’agissant du défaut du supérieur de prévenir la commission du crime ou d’en


punir les auteurs, il s’agit des hypothèses où il n’a pas pris les mesures nécessaires et
raisonnables pour empêcher le crime avant qu’il soit commis (défaut de prévention) ou pour en
punir les auteurs après sa commission (défaut de punition ou de répression). Dans les deux cas,
c’est l’omission du supérieur qui lui est reprochée, soit le fait de n’avoir pas prévu, soit celui
de n’avoir pas puni. Cette pure omission rentre dans l’élément matériel de l’infraction. Bien
que le droit pénal se soit traditionnellement penché davantage sur les actions que sur les
omissions, ces dernières ont de plus en plus leur place.

[44]
CHAPITRE II : LES OBSTACLES A L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE
PENALE INTERNATIONALE

Ici il est question de s’intéresser aux pesanteurs de la mise œuvre de la responsabilité


pénale pour crime internationaux. L’on s’attarde ici spécialement sur le point de savoir quels
sont les obstacles à la mise en œuvre de la responsabilité pénale internationale ? Nous
examinons les obstacles à l’engagement de la responsabilité pénale internationale liés à la mise
en échec de causes d’exonération pénales (section 1), de même que ceux liés aux hésitations de
la jurisprudence quant à l’engagement de cette responsabilité pénale internationale devant les
juridictions nationales (section 2).

Section 1. Les obstacles à l’engagement de la responsabilité pénale internationale liées à


la mise en échec de causes d’exonération pénale

De façon générale, il est admis que l’engagement de la responsabilité pénale


international repose sur des principes essentiels dont celui de l’absence de causes d’exonération
de la responsabilité ici. Cette règle est celle de l’imprescriptibilité des crimes internationaux,
de l’interdiction de mesures de clémence en matière de crimes internationaux, qui suggère
l’insensibilité des lois et mesures d’amnistie et de grâce sur l’engagement de la responsabilité
pénale internationale, et de l’admission seulement résiduelle des immunités (de juridiction ou
d’exécution) en cette matière. Nous examinons ici spécialement la mise en échec affirmée de
la théorie des immunités.

La théorie des immunités, lorsqu’il s’agit des immunités de juridictions suggère de


distinguer l’immunité de fonction de celle personnelle. Cette dernière catégorie s’entend de la
protection attachée à un individu en raison de sa qualité officielle (immunité parlementaire, ou
diplomatique sur la base de la convention sur la protection diplomatique et de la convention de
vienne du 18 octobre 1961). Cette immunité est en droit, un obstacle procédural. La seconde
immunité est celle fonctionnelle qui n’est pas liée à la qualité officielle, mais couvre l’exercice
de la fonction lato sensu cette immunité est un obstacle de fond à l’engagement de la
responsabilité pénale (obstacle définitif qui peut être assimilé à une cause d’irresponsabilité
pénale). C’est ici que l’on fait la différence entre actes de fonction et actes détachés de la

[45]
fonction. Cette immunité a permis l’introduction en Droit Pénal International, de la théorie des
actes d’Etat qui a elle-même permis la distinction entre les actes publics du dirigeant et ceux
privés. L’immunité personnelle cesse avec la fonction. L’immunité fonctionnelle demeure
malgré la cessation de la fonction. On distingue aussi en Droit Pénal Internationale, la situation
de la responsabilité pénale internationale du dirigeant en exercice de celle du dirigeant déchu.

Lorsqu’on parle de l’échec des immunités devant les juridictions internationales, il


s’agit de l’échec de l’immunité personnelle. Par conséquent, la juridiction internationale ne
reconnait pas la distinction entre dirigeant en exercice et dirigeant déchu. C’est le sens de
l’article 227 du traité de Versailles du 28 juin 1919 qui prévoyait la mise en accusation de
Guillaume II, et qui trouva encore sa puissance dans les textes ultérieurs en l’occurrence dans
les articles 7 et 8 du Statut du tribunal de Nuremberg. Ces textes énoncent que le principe du
droit international, qui dans certaines circonstances protège les représentants d’un Etat, ne peut
s’appliquer aux actes condamnés comme criminels par le droit international. De même en
retrouve t-on des traces dans l’article 4 de la convention de 1948 sur le génocide, et les articles
6 alinéa 2 et 7 alinéa 2 du statut du T.P.R. La formulation est bien plus explicite dans l’article
27 alinéa 1 du statut de Rome qui prévoit que :

« la qualité officielle même de chef de d’Etat n’a aucune pertinence devant cette cour »

C’est cette règle qui a justifié le mandat d’arrêt lancé contre l’ex-president Omar El
BECHIR alors même qu’il était en fonction.

Section 2. Les hésitations de la jurisprudence quant à l’engagement de la responsabilité


pénale internationale devant les juridictions nationales

A la différence de la situation devant la juridiction internationale, la problématique des


immunités devant les juridictions pénales nationales reste particulièrement instable et donnent
lieu à une abondante jurisprudence. Non seulement les juges nationaux reconnaissent la
distinction dirigeant en exercice qui bénéficient d’une totale immunité, et dirigeant déchu qui
bénéficie d’une immunité résiduelle mais également, ils donnent divers fondements à leur
raisonnement. Tantôt ils ont tendance à s’appuyer sur la nature des crimes, tantôt ils se réfèrent
au droit international coutumier. En tout état de cause, la situation devant les juridictions
nationales ne se présente pas avec la même spécificité selon qu’un dirigeant étranger est

[46]
poursuivi devant une juridiction nationale (paragraphe 1), ou lorsqu’une juridiction nationale
est requise par la C.P.I. (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La poursuite d’un dirigeant étranger devant une juridiction nationale

Devant la juridiction nationale, il convient de relever d’abord que certains pays ont
adopté des législations nationales sur les immunités. Il en est ainsi à travers le state immunity
act de 1978 et le foreign immunity souvereign act de 1976.

De façon générale, les juges nationaux ont des tendances contradictoires, et l’on
distingue des juges contre les immunités et d’autres pour.

Dans la première catégorie, on peut citer le juge belge qui a lancé un mandat
international le 11 avril 2000 contre un ministre congolais accusé de crimes contre l’humanité
(affaire Herodiade NDOGBATI). On peut également citer le juge anglais dans l’affaire
PINOCHET, relative à la demande d’extradition de la chili, qui a affirmé que la demande
d’extradition était recevable même si dans l’arrêt finalement rendu, le 24 mars 1997, il a
souligné que le General PINOCHET avait encore assumé les fonctions d’un chef d’Etat, il aurait
joui d’une immunité totale et absolue, mais en tant que chef d’Etat. Pareillement, la cour
suprême espagnole , par la voie du juge Baltzar GARZON estime que :

« les crimes graves du droit international n’admettent et n’accordent aucune immunité


au chef d’Etat même en fonction ».

Parmi les juges en faveur de l’immunité des chefs d’Etat en fonction, on peut citer le
juge sénégalais qui, dans l’affaire Hisseine HABRE, a annulé par une décision de la Cour de
Cassation, le mandat d’arrêt délivré par le Doyen, juge d’instruction de Dakar. L’on peut
également citer le juge français qui s’est appuyé sur le caractère coutumier des immunités dans
l’affaire MOUAMMAR KHADAFI. La Cour de Cassation française a ainsi affirmé en termes
suffisamment clair que :

« la coutume internationale s’oppose à ce que les Chefs d’Etats en exercice puissent, en


l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire
l’objet de poursuites pénales devant les juridictions pénales internationales d’un Etat
étranger ».

[47]
Paragraphe 2. La situation d’une juridiction nationale requise par la C.P.I.

Lorsqu’une juridiction nationale est requise par la C.P.I. pour la mise en œuvre de la
responsabilité pénale internationale, la situation est différente. Dans la décision rendue le 5
septembre 2017, dans l’affaire OMAR El BECHIR, la Cour a ainsi condamné l’Etat sud –
africain pour manque de coopération, alors que le gouvernement sud-africain a basé son
raisonnement sur l’existence coutumière de l’immunité des Chefs d’Etats en exercice devant
les juridictions étrangères. La Cour a dans ce dessein interprété l’article 27 en l’occurrence en
son alinéa 2. D’après l’article 27 du statut de Rome :

« 1. Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée
sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement,
de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État,
n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle
ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité


officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent
pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne ».

[48]
TITRE III . LE SYSTEME JUDICIAIRE PENAL INTERNATIONAL

Après avoir envisager les règles qui gouvernent l’incrimination pénale internationale et
les déterminantes de la responsabilité pénale qui s’ensuit, il s’agit à ce dernier niveau
d’examiner les normes juridiques, en l’occurrence d’ordre procédurale, qui gouvernent
l’administration de la justice pénale internationale. Concrètement nous nous intéressons ici sur
le point de savoir quelles sont les instituions et les procédés par lesquels sont rendus la justice
en matière d’infraction internationale ou présentant un caractère d’extranéité ? La pertinence
de ce questionnement est avérée lorsqu’on a en souvenir l’actualité des débats et
développements doctrinaux sur la problématique d’une juridiction pénale supra nationale
s’agissant notamment de son rapport à la « compétence des compétences » de l’Etat, c’est-à-
dire à sa souveraineté spécialement en matière judiciaire.

Pour ainsi répondre à la question sus posée, c’est le lieu ici de souligner que s’il est
constant qu’au plan national il existe de façon disparate des règles internes à certains états qui
gouvernent leur compétence universelle en matière de crimes internationaux, notre attention se
porte ici spécialement sur celles qui à l’international régissent le rendu et l’administration de la
justice à la suite la commission de crimes internationaux.

De la sorte nous nous attardons ici principalement sur les juridictions pénales
international (chapitre 1) de même que sur la coopération judiciaire inter étatique ou
internationale (chapitre 2).

[49]
CHAPITRE I. LES JURIDICTIONS PENALES INTERNATIONALES

L’élaboration d’une justice pénale internationale s’est faite en réaction aux massacres
commis au cours du XXe siècle. La Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale,
les conflits en ex-Yougoslavie et la guerre au Rwanda ont constitué les épisodes les plus
marquants de ce processus. Si la première théorie d’une justice internationale apparait déjà au
XIIIe siècle, grâce au théologien politique Francisco de Vitoria qui énonce les fondements d'un
droit international nécessaire à la régulation des rapports entre États, ce n’est qu’au début du
XXe siècle que la communauté internationale va vraiment prendre conscience de la nécessité
de mettre en place une instance judiciaire internationale. Entre-temps, certaines conventions
engagent déjà les États parties à réprimer les actes constitutifs de crimes de guerre sans
mentionner explicitement la mise en place de juridictions pénales internationales (Cf. La
Convention de Genève du 6 juillet 1906 et la Convention de Genève du 27 juillet 1929 pour
l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne.) La
découverte de l’extermination de millions de personnes par le régime nazi en 1945 a conduit à
la création du Tribunal militaire international de Nuremberg (pour juger les principaux
responsables du régime nazi) et du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient (pour
juger les principaux responsables japonais). Ces juridictions étaient compétentes pour juger des
crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les procès devant
des tribunaux militaires internationaux ont permis de poser les bases de la justice pénale
internationale. Ces deux tribunaux ne reflètent toutefois que la justice des vainqueurs suite aux
procès tenus devant ces deux tribunaux militaires, l’Assemblée générale des Nations unies a
reconnu la nécessité de créer une cour internationale permanente pour juger les criminels de
guerre et les auteurs de crimes de masse, quelque soit la nationalité des auteurs ou le lieu de
commission des crimes. Dans un premier temps, une base juridique se crée pour définir les
incriminations et prévoir leur répression avant tout sur le plan national. Celle-ci est prévue dans
des conventions internationales (droit international humanitaire et droit international pénal) et
dans de nombreuses législations internes. De manière générale, ces conventions internationales
engagent les États parties à ériger plusieurs crimes internationaux en infractions pénales dans
le droit national et à établir leurs compétences pour poursuivre et juger les auteurs devant leurs
propres juridictions. En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide sont alors adoptées. En 1949, les quatre
[50]
Conventions de Genève sont adoptées afin d’assurer notamment la protection des personnes qui
ne participent pas aux hostilités (les civils, les membres du personnel sanitaire ou
d’organisations humanitaires) ainsi que celles qui ne prennent plus part aux combats (les
blessés, les malades, les naufragés, les prisonniers de guerre). Enfin, la Convention des Nations
unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est
adoptée en 1984. Cependant, malgré l’adoption de ces textes, le déclenchement de la guerre
froide bloque toute mise en place d’une instance internationale de justice pénale. Ce processus
ne reprend qu’au moment de la création de Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex
Yougoslavie et le Rwanda et suite aux décisions de plusieurs juridictions d’États européens de
poursuivre les personnes responsables de crimes restés impunis, comme Augusto Pinochet. La
mise en place d’une juridiction permanente réellement indépendante s’est alors concrétisée lors
de la conférence de Rome qui s’est tenue du 15 juin au 17 juillet 1998 et a donné naissance à la
C.P.I. dont le Statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002. La justice pénale internationale a
donc pour mission de juger les auteurs des crimes les plus graves du Droit Pénal International
en essayant de prévenir ces crimes internationaux. À l’inverse des juridictions pénales
internationale ad hoc (Section 1), la C.P.I. (Section 2) donne une place aux victimes dans le
processus judiciaire, aidant ainsi à l’établissement de la vérité historique, au-delà de la vérité
judiciaire, sur les crimes commis. Elle a également une mission de protection à l’égard de ces
victimes.

Section 1- Les juridictions pénales internationales ad hoc

Après une longue période de débats et de tergiversations internationales sur la création


d’une Cour Criminelle Internationale permanente, deux tribunaux internationaux ad hoc ont été
créés en 1993 et 1994 sur le modèle des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et
de Tokyo (Paragraphe 1). D’autres juridictions pénales ad hoc ont été instituées à leur suite,
lesquelles s’en sont cependant différenciées parce qu’elles conservent des caractères nationaux.
Il s’agit des juridictions mixtes ou tribunaux pénaux dits internationalisées (Paragraphe 2).

Paragraphe 1- La répression par les tribunaux pénaux internationaux

A la suite des violations flagrantes du droit humanitaire international qui ont eu lieu au
début des années 1990 et en l’absence de juridiction pénale internationale permanente, le

[51]
Conseil de sécurité des Nations unies a décidé de créer des tribunaux pénaux internationaux ad
hoc. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international
pour le Rwanda sont donc des institutions des Nations unies. Ces deux tribunaux étaient chargés
d’identifier et de punir les responsables de ces violations. Etant limités dans le temps, ces
tribunaux ont achevé leurs activités et sont aujourd’hui fermés (le TPIY a officiellement fermé
en décembre 2017 et TPIR a quant à lui officiellement fermé en décembre 2015). Sommes toutes
Il convient de présenter ces deux tribunaux pénaux internationaux (A), hypothèse de juridiction
pénale internationale ad hoc, et d’en décrire le fonctionnement (B).

A- Présentation des tribunaux pénaux internationaux

Il s’agit du Tribunal pénal international pour la répression des violations graves du droit
humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et dans les pays voisins (1) et du
Tribunal pénal international chargé de la répression des actes de génocide commis au Rwanda
et dans les Etats voisins (2).

1- Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.)

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a été créé par la


résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations unies du 25 mai 1993 qui l’avait chargé de
poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international
humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 3. Son siège était situé
à La Haye. Le TPIY a mis en accusation pendant qu’il était actif plus de 160 individus (dont
des dirigeants politiques ou militaires) pour des crimes commis entre 1991 et 2001 contre des
membres des communautés ethniques situées en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, en Serbie, au
Kosovo et en Macédoine. Plus de 60 individus ont été condamnés, plus aucun des accusés n’est
en fuite à l’heure actuelle et certaines affaires sont encore en cours. Le tribunal a mis en place
une « stratégie d’achèvement des travaux » en 2003, en travaillant en collaboration avec les
tribunaux nationaux des pays de l’ex-Yougoslavie et en renforçant leurs capacités pour qu’ils
puissent eux-mêmes juger des affaires de crimes de guerre.

[52]
2- Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.)

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a quant à lui été créé par la résolution
955 du Conseil de sécurité des Nations unies du 8 novembre 1994 et avait pour siège Arusha,
en Tanzanie. Il était uniquement chargé de juger les personnes présumées responsables d’actes
de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le
territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations
commis sur le territoire d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Plus de 90
personnes ont été mises en accusation : certaines ont été reconnues coupables de crimes
internationaux et d’autres affaires sont encore en cours. Une stratégie d’achèvement des travaux
a également été mise en place pour ce tribunal depuis 2003.

B- Le fonctionnement des Tribunaux pénaux internationaux

3- La compétence des T.P.I.

La compétence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie était limitée aux


crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité. Le T.P.I.R. quant à lui avait
compétence limitée aux violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949
et du Protocole additionnel II, aux crimes de génocide et aux crimes contre l’humanité commis
durant l’année 1994 sur le territoire du Rwanda ou sur le territoire des États voisins lorsque les
violations ont été commises par un ressortissant rwandais. Le 22 décembre 2010, le Conseil de
sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1966 qui crée le Mécanisme international
chargé d’exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux internationaux, étant donné
que les T.P.I. se devaient d’achever leurs travaux au plus tard le 31 décembre 2014, ce qui fut
le cas en décembre 2015 pour le T.P.I.R. et en décembre 2017 pour le T.P.I.Y.

2- Les rapports entre les T.P.I. et les juridictions pénales nationales

D’après les statuts des T.P.I., les juridictions nationales et les T.P.I. pouvaient se saisir
des mêmes infractions mais les T.P.I. avaient la primauté sur les juridictions nationales et
pouvaient demander à ces dernières de se dessaisir en leur faveur.

[53]
Paragraphe 2- Les juridictions mixtes ou Tribunaux Pénaux Internationalisés

De nouveaux types de juridictions voient également le jour. Celles-ci sont différentes


des juridictions pénales internationales déjà mises en place car il s’agit d’instances nationales
contrôlées et initiées par les Nations unies. Il s’agit donc de juridictions mixtes qui appliquent
le droit international et/ou le droit national et qui sont composées de juges étrangers et de juges
locaux. Ce type de juridiction a notamment été créé au Cambodge. Le 19 mai 2000, un projet
d’accord a été établi entre le gouvernement cambodgien et les Nations unies sur la création d'un
tribunal spécial chargé de juger les anciens responsables Khmers rouges pour les crimes
commis durant la période du Kampuchéa démocratique entre 1975 et 1979. Ensuite, une loi a
été adoptée le 10 août 2001 pour créer les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux
cambodgiens (CETC) mais elle s’éloigne de l’accord proposé par les Nations unies sur de
nombreux points. Les Nations unies décident alors de se retirer des négociations en février
2002. Le dialogue est toutefois rétabli en 2003. Un projet d’accord est approuvé par
l’Assemblée générale des Nations unies concernant la poursuite des auteurs des crimes commis
pendant la période du Kampuchéa démocratique et le texte est finalement signé par le
Gouvernement cambodgien et les Nations unies la même année. Cet accord international
détermine les modalités de fonctionnement des Chambres extraordinaires, qui sont détaillées
par la suite dans la loi cambodgienne du 27 octobre 2004 modifiant la loi de 2001 précitée. Ce
tribunal mixte a été inauguré en 2006. Ce type de juridictions mixtes a également été développé
pour d’autres pays : le Tribunal spécial pour la Sierra Leone ou le Tribunal spécial pour le
Liban. De plus un projet de Tribunal pénal spécial pour la RCA est en cours d’élaboration.

Section 2 – La répression des infractions internationales par une juridiction permanente


: la C.P.I.

La C.P.I. est la première juridiction internationale à valeur universelle et permanente et


la première à avoir été créée afin de juger les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de
la communauté internationale. La C.P.I. a été mise en place pour promouvoir le droit et assurer
que les crimes internationaux les plus graves (à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité,
les crimes de guerre et les crimes d’agression) soient réprimés et que leurs auteurs soient jugés.
Il convient d’exposer la compétence et le fonctionnement de la C.P.I..

[54]
Paragraphe 1- La compétence de la C.P.I.

La compétence de la C.P.I. fait l’objet d’une détermination dont la précision dépasse


celle des tribunaux internationaux. Car la C.P.I. n’est pas une juridiction ad hoc. Sa compétence
n’est donc pas enfermée a priori dans des limites géographiques ou temporaires déterminées.
Aussi les Etats parties ont-ils voulu qu’elle soit fixée avec une précision qui garantit la
prévisibilité de sa mise en œuvre. Ils ont dans le même sens réglementé précisément son
exercice.

A- La détermination de la compétence

Il convient de dissocier la compétence matérielle et la compétence personnelle.

1- La compétence matérielle

La C.P.I. a compétence « pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale
» ou « pour les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale
». Ces crimes sont déterminés comme étant le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes
de guerres et le crime d’agression. La C.P.I. est, à ce titre, la première juridiction pénale
internationale dont la compétence porte sur les quatre crimes internationaux recensés. Sa
compétence porte ainsi sur le génocide dont l’incrimination n’était pas formalisée à l’époque
des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et Tokyo. Elle intègre aussi le crime
d’agression, lequel n’a pas été prévu dans les statuts des tribunaux pénaux internationaux. Il est
vrai que sa compétence pour connaitre le crime d’agression suit un régime qui en diminue très
largement la portée. Il n’empêche que cette définition est prévue, pour la première fois, dans le
statut d’une juridiction pénale internationale. Elle consacre l’évolution du droit internationale
après la définition des crimes contre la paix dans les statuts des tribunaux de Nuremberg et de
Tokyo. La compétence de la cour procède à la seule commission des crimes en cause sans qu’il
soit nécessaire que celle-ci est eu un caractère transnational. Il en découle qu’un crime commis
sur le territoire d’un seul Etat par des auteurs et contre des victimes qui en ont la nationalité
peut entrer dans la compétence de la C.P.I.. Cela montre que la compétence de la Cour résulte
de la seule nature des crimes en cause. Cela confirme aussi que la qualification de crime
international n’exige pas une commission transnationale du fait qui le constitue. Elle se suffit
de commission matérielle de ce fait.

[55]
2- La compétence personnelle

La C.P.I. est compétente à l’égard des personnes physiques âgées de plus de 18 ans au
moment des faits. Les modes d’attribution de la responsabilité pénales individuelles sont la
commission directe ou par l’intermédiaire d’une personne, l’ordre, la sollicitation,
l’encouragement, l’aide, le concours ou tout autre d’assistance à la commission ou la tentative
ou à la contribution de tout autre manière à la commission ou à la tentative de commission par
un groupe de personnes agissant de concert. Il s’y ajoute l’incitation directe et publique à
commettre le génocide qui est spéciale à ce crime. L’énumération rend compte de l’ensemble
des modes d’attribution de la responsabilité pénale individuelle en droit international en y
incluant même l’entreprise criminelle commune telle qu’elle a défini par les tribunaux pénaux
internationaux. Le statut reprend aussi les solutions applicables au cas particuliers des officiels,
supérieurs hiérarchiques et exécutants. Il prévoit ainsi que la qualité officielle du participant ne
l’exonère pas de sa responsabilité et pose le principe de la responsabilité de l’exécutant d’un
ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur. Il formule aussi le principe de la responsabilité du
supérieur hiérarchique pour les crimes commis par les subordonnés. Il sépare le cas du supérieur
hiérarchique civil dont les conditions d’attribution de la responsabilité pénale sont plus strictes
que pour le supérieur hiérarchique militaire. C’est une différence avec le statut des tribunaux
pénaux internationaux qui ne distingue entre les supérieurs hiérarchiques militaires et civils. Le
statut de la C.P.I. prévoit aussi des motifs d’exonération de la responsabilité pénale qui sont la
transposition des causes traditionnelles d’irresponsabilité pénale. C’est ainsi qu’il prévoit que
la maladie ou la déficience mentale, l’intoxication involontaire, la légitime défense ou la
contrainte peuvent, à certaines conditions, exonérer son de sa responsabilité pénale. Il en va de
même pour l’erreur de fait ou l’erreur de droit. Cette prévision n’avait pas été faite dans les
statuts des juridictions pénales internationales précédentes.

B- L’exercice de la compétence

La C.P.I. exerce sur renvoi d’une situation par un Etat partie, sur renvoi d’une situation
par le conseil de sécurité de l’ONU agissant en vertu du chapitre VII de la charte des Nations
Unies ou à l’initiative du procureur. Mais cet exercice est soumis à des conditions et peut se
heurter à des obstacles.

[56]
1- Les conditions d’exercice

Il faut distinguer entre les conditions générales et les conditions propres au crime
d’agression.

a- Les conditions générales

Ces conditions ont trait au crime commis, lequel doit présenter certains caractères
déterminés pour entrer dans la compétence de la cour.

Crime commis après l’entrée en vigueur du statut : Il convient, d’une part, que ce crime
ait été commis après l’entrée en vigueur du statut de la C.P.I.. Celle-ci n’a pas de compétence
rétroactive à la différence de juridictions pénales internationales qui l’ont précédé. Dans le
même sens, la compétence de la C.P.I. ne s’exerce pas à compter de l’entrée en vigueur de son
statut pour les Etats qui l’ont ratifié ultérieurement. Elle ne s’exerce alors pour les crimes
commis après que ces Etats ont ratifié son statut. Il en va autrement si ces Etats ont fait une
déclaration par laquelle ils acceptent que la cour exerce sa compétence à compter de l’entrée en
vigueur du statut de Rome.

Crime commis sur le territoire d’un Etat partie ou par un ressortissant d’un Etat
partie : La création de la C.P.I. par une convention internationale en limite la compétence aux
Etats parties. On sait que ce choix a été fait à dessein de respecter la souveraineté des Etats
auxquels la juridiction de la C.P.I. ne peut pas être imposée s’ils n’y ont pas consenti. Il en
découle que la compétence de la C.P.I. ne peut s’exercer qu’à l’encontre des crimes qui relèvent
de la compétence des Etats parties. C’est le cas s’ils ont été commis sur le territoire d’un autre
Etat partie, à bord d’un navire battant son pavillon ou d’un aéronef qui y est immatriculé. C’est
aussi le cas s’il a été commis par un ressortissant d’un Etat partie. Ces deux situations donnent
compétence à la C.P.I., puisqu’elle relève de la compétence pénale interne des Etats parties. Il
s’agit en effet de situations qui entre dans leur compétence territoriale ou dans leur compétence
personnelle active. Il convient d’observer que ces deux cas de compétence peuvent conduire la
C.P.I. à connaitre de crimes commis par des ressortissants d’un Etat non partie ou sur le
territoire d’un Etat non partie. Il en va ainsi si les ressortissants d’un Etat non partie ont agi sur
le territoire d’un Etat partie ou si les ressortissants d’un Etat partie ont agi sur le territoire d’un
Etat non partie. La compétence de la C.P.I. n’est donc strictement limitée aux seuls Etat qui ont
ratifié son statut. En revanche, elle ne peut pas exerce sa compétence sur le seul fondement

[57]
qu’un crime a été commis contre des ressortissants d’un Etat partie. Cette impossibilité traduit
la portée internationale de la compétence personnelle, laquelle n’est pas considéré comme un
cas général de compétence pénale. Les conditions relatives à la commission du crime sur le
territoire d’un Etat partie ou par un ressortissant d’un Etat partie ne sont pas applicables quand
la cour est saisie par le conseil de sécurité.

b- Les conditions particulières

Ces conditions concernent les crimes de guerre et le crime d’agression.

 Les conditions particulières aux crimes de guerre

Possibilité de report de sept ans à compter de l’adhésion : L’article 124 du statut prévoit
qu’un Etat qui devient partie peut faire une déclaration par laquelle il n’accepte pas que la
compétence de la cour s’exerce, pendant une période de sept ans à compter de son adhésion, à
l’égard des crimes de guerre commis sur son territoire ou par ses ressortissants.

 Les conditions particulières au crime d’agression

La compétence à l’égard du crime d’agression supporte des conditions qui, pour


certaines, la reportait dans le futur et en diminuent très largement la portée.

Exercice après le 1er janvier 2017 : Au regard de l’article 15 bis, la compétence de la


Cour à l’égard du crime d’agression ne pouvait s’exercer qu’un an après l’acceptation des
amendements de Kampala par au moins 30 Etats. La Palestine a été le 30ème Etat à ratifier ces
amendements, rendant ainsi possible l’ouverture des négociations quant à l’activation de la
compétence de la Cour à l’égard du crime d’agression et le 17 juillet 2018 la compétence de la
Cour a été déclenchée.

Exercice en cas de renvoi par un Etat ou à l’initiative du procureur : Le procureur ne


pourra ouvrir une enquête sur renvoi d’un Etat partie ou de sa propre initiative que si le conseil
de sécurité a constaté qu’un acte d’agression a été commis. A défaut, il devra aviser le secrétaire
général de la situation portée devant lui, lui communiqué toute information utile et attendre un
délai de six mois pour que le conseil de sécurité puisse se prononcer. Si le conseil de sécurité
ne s’est prononcé dans ce délai, le procureur ne pourra ouvrir une enquête qu’après y avoir été
autorisé par la chambre préliminaire. Dans tous les cas, la compétence à l’égard d’un crime
d’agression commis par un Etat partie ne pourra pas être exercée si celui-ci a déclaré qu’il

[58]
n’accepte pas cette compétence. Cette compétence ne pourra pas davantage s’exercé à l’égard
de crimes d’agression commis sur le territoire ou par des ressortissants d’un Etat qui n’est pas
partie. Il en découle que la Cour ne sera pas compétente pour juger le crime d’agression commis
par des ressortissants d’un Etat non partie sur le territoire d’un Etat partie. C’est une différence
avec la compétence prévue pour les autres qui peut s’exercer dans ses deux hypothèses.

Exercice en cas de renvoi par le conseil de sécurité : Ces restrictions ne sont pas
applicables en cas de renvoi par le conseil sécurité. Il s’ensuit que le procureur peut, dans cette
hypothèse, ouvrir une enquête à réception de ce renvoi. Cette enquête peut indifféremment
porter sur un Etat partie ou sur un Etat non partie.

2- Les obstacles à l’exercice

Ainsi que relever supra, le statut de la C.P.I. dispose que les crimes entrant dans sa
compétence ne se prescrivent pas. Les obstacles à la poursuite devant cette juridiction peuvent
tenir à un sursis à enquêter ou à poursuivre ou à l’irrecevabilité de l’affaire.

a- Le sursis à enquêter ou à poursuivre

Sursis sur demande du conseil de sécurité : L’article 16 du statut prévoit qu’aucune


enquête ni aucune poursuite ne peut être engagée pendant les douze mois qui suivent la date à
laquelle le conseil de sécurité a fait une demande en ce sens dans résolution adoptée en vertu
du chapitre VII de la charte de l’O.N.U. La demande du conseil de sécurité s’impose au
procureur ou à la cour. Elle est renouvelable sans limite. Cet assujettissement s’explique par la
finalité assignée à la justice pénale internationale. Celle-ci participe de l’objectif de préservation
de la paix et de la sécurité internationale. Or, le conseil de sécurité est précisément l’organe
auquel incombe la responsabilité suprême dans ce domaine.

Sursis après ouverture d’une enquête par un Etat compétent : Le procureur qui est
saisi d’un renvoi par un Etat partie ou qui a ouvert une enquête de sa propre initiative le notifie
à tous les Etats parties et aux Etats qui auraient normalement compétente pour connaitre du
crime en cause. L’Etat qui ouvre ou à ouvert une enquête sur ses ressortissants ou sur d’autres
personnes sous sa juridiction en informe le procureur dans le délai d’un mois. A sa demande,
le procureur lui défère le soin de l’enquête et sursoit à sa propre enquête. Le procureur peut
cependant solliciter la chambre préliminaire pour qu’elle l’autorise à continuer son enquête
malgré la demande de sursis d’un Etat. Ce sursis à enquêter à la demande d’un Etat qui ouvre

[59]
ou a ouvert une enquête témoigne des relations unissant la C.P.I. et les justices pénales
nationales à la différence des tribunaux pénaux internationaux. Ce sont les juridictions
nationales qui priment au contraire la cour, puisque leur enquête arrête celle du procureur. Il
n’en autrement qu’en cas d’insuffisance, de manque de diligence ou de complaisance des
justices pénales nationales. La C.P.I. est une juridiction subsidiaire qui n’intervient que pour
pallier l’absence de justice pénale.

b- L’irrecevabilité de l’affaire

Irrecevabilité en cas d’enquête ou de poursuites par un Etat ayant compétence :


L’article 17 de la C.P.I. prévoit qu’une affaire est irrecevable quand elle fait l’objet d’une
enquête ou de poursuites par un Etat ayant compétence ou quand elle a fait l’objet d’une enquête
et que l’Etat en cause a décidé de ne pas poursuivre. L’hypothèse est différente de celle du
sursis à enquêter à la demande d’un Etat, parce qu’elle a trait au cas où l’enquête ou les
poursuites sont déjà en cours ou ont été conduites avant l’ouverture d’une enquête par le
procureur de la C.P.I.. L’existence de cette enquête ou de ces poursuites suffit à rendre l’affaire
irrecevable. Cette solution traduit le rôle subsidiaire de la C.P.I. et la primauté accordée aux
juridictions pénales nationales. Elle ne s’applique pas cependant quand l’Etat d’enquête ou de
poursuites n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de les mener à bien. Il en va de même si
sa décision de ne pas poursuivre est l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de mener
de poursuites.

Ne bis in idem : L’affaire est aussi irrecevable quand la personne concernée a été déjà
condamnée ou acquitté. La C.P.I. peut, par exception, rejuger une personne qui a été jugée par
une cour pénale nationale s’il apparait que cette procédure avait pour but de le soustraire à sa
responsabilité pénale ou s’il apparait qu’elle a été menée d’une manière qui était incompatible
avec l’intention de la traduire en justice.

Insuffisance de gravité de l’affaire : L’Affaire est aussi irrecevable si la gravité est


insuffisante. Cette condition induit que la seule commission d’un crime entrant dans la
compétence de la Cour ne suffit pas à lui permettre d’en connaître. C’est l’interprétation de la
C.P.I. selon laquelle il convient que le crime commis présente un seuil de gravité qui s’ajoute à
sa matérialité.

[60]
Paragraphe 2- L’organisation et le fonctionnement de la C.P.I.

Ce fonctionnement se distingue de celui des tribunaux internationaux en raison de la


nature de la C.P.I. qui n’est pas un organe subsidiaire du conseil de sécurité et qui ne prime pas
les juridictions pénales nationales. Ces traits s’observent dans son organisation et sa procédure.

A- L’organisation de la C.P.I.

L’organisation de la Cour distingue la présidence, les sections, le bureau du procureur


et le greffe auxquelles il faut ajouter l’assemblée des Etats parties.

1- La présidence

La présidence est composée du Président, du Premier et de Second vice-présidents. Ils


sont élus, à la majorité des différents juges de la Cour, pour trois ans ou jusqu’à l’expiration de
leur mandat de juge si celui-ci prend fin avant ce délai. Ils sont rééligibles une fois. Ils exercent
leur fonction à plein temps. La présidence constitue les chambres et leurs assigne les affaires,
examine les recours formés contre certaines décisions du Greffier et conclut avec les Etats les
accords de coopération liant la Cour dans son ensemble.

2- Les sections

Les juges sont affectés à trois sections : la section des appels qui comprend le président
et quatre autres juges ; la section de première instance et la section préliminaire qui sont
composés chacune de six juges au moins. Les fonctions judiciaires de la Cour sont exercées
dans chaque section par des chambres : la Chambres d’appel, la chambre de première instance
et la chambre préliminaire.

3- Le bureau du procureur

Le Bureau du procureur est composé du procureur et d’un ou plusieurs procureurs


adjoints ainsi que des conseillés nommés par le Procureur. Les procureurs adjoints sont élus à

[61]
la majorité absolue par l’Assemblée des Etats parties sur une liste de candidats présentés par le
procureur. Le mandat des Procureurs adjoints est de neufs ans comme celui du procureur. Le
Bureau du procureur est un organe distinct de la Cour qui ne sollicite ni n’accepte aucune
instruction d’aucune source extérieure. Il est dirigé par le procureur qui a autorité sur son
personnel, ses installations et ses autres ressources.

4- Le greffe

Le greffe est chargé des aspects non judicaires et de l’administration et du service de la


Cour. Le Greffier exerce ses fonctions sous l’autorité du Président la Cour. Le greffier est élu
pour cinq ans par les juges, lesquelles tiennent compte des recommandations éventuelles de
l’Assemblé des Etats parties.

5- L’Assemblée des Etats parties

L’assemblée des Etats parties est le principal administrateur et le corps législatif de la


C.P.I.. Elle est composée des représentants des Etats ayant ratifié le statut de Rome. Chaque
Etat partie dispose d’un représentant. L’Assemblée se réunit une fois par an. Elle peut tenir des
sessions extraordinaires. L’assemblée des Etats parties donne à la Présidence, au Procureur et
au Greffier des orientations générales pour l’administration de la Cour. Elle examine et arrête
son budget. Elle examine toute question relative à la non-coopération des Etats. Elle est
compétente pour se prononcer sur les amendements au statut de Rome. Elle est compétente pour
convoquer une conférence de révision si l’amendement révisé le nécessite. L’Assemblée des
Etats parties s’efforce de prendre ses décisions par consensus.

B- La procédure devant la C.P.I.

La procédure peut être divisée en trois phases : l’enquête, les poursuites, et le procès.

1- L’enquête

L’enquête est ouverte et conduite par le procureur. Mais sa décision et son action sont
très encadrées.

[62]
a- L’ouverture de l’enquête

L’ouverture d’une enquête formalise la saisie de la C.P.I.. C’est pourquoi elle ne doit
intervenir qu’après un examen préliminaire portant sur l’existence d’une base raisonnable pour
croire qu’un crime entrant dans la compétence de la Cour a été ou est en voie d’être commis et
sur la recevabilité de l’affaire. Cet examen amène le procureur à prendre la décision d’ouvrir
ou de ne pas ouvrir une enquête. Cette décision est dans les deux cas susceptible d’être contrôlée
et contestée.

 La décision d’ouvrir une enquête

Décision d’ouverture sur renvoi par Etat partie : Le procureur, qui est saisi d’une
affaire par renvoi d’un Etat partie, décide d’ouvrir une enquête s’il existe une base raisonnable
en ce sens. Il prend sa décision sur le fondement des informations qu’il reçoit et des
investigations conduites par ses services. La décision d’ouvrir une enquête est notifiée aux Etats
parties et aux Etats normalement compétents. Ceux-ci peuvent dans un délai d’un mois,
informer le procureur qu’ils ont ouvert ou qu’ils ouvrent une enquête et lui demander de sursoir
à enquêter.

Décision d’ouverture à l’initiative du procureur : Le procureur peut ouvrir une enquête


de sa propre initiative après avoir procédé à un examen préliminaire de l’affaire en cause. Il
saisit la chambre préliminaire aux fins d’autorisation d’ouverture d’une enquête s’il considère
qu’il existe une base raisonnable en ce sens. Le procureur notifie l’ouverture de son enquête
aux Etats parties et aux Etats normalement compétents après qu’il a été autorisé par la chambre
préliminaire. Ceux-ci ont un délai d’un mois pour l’informer qu’ils ont ouvert ou ouvrent une
enquête et lui demande de surseoir à enquêter.

Décision d’ouverture sur renvoi par le conseil de sécurité : Le procureur procède à un


examen préliminaire après que le conseil de sécurité lui a déféré une affaire. Il ouvre son
enquête quand il considère qu’il existe une base raisonnable en ce sens. Il n’a pas à solliciter
l’autorisation de la chambre préliminaire, le renvoi du conseil de sécurité témoignant que cette
ouverture n’émane pas de son initiative.

Contestation de décision d’ouverture : L’ouverture d’une enquête peut être contestée


pour incompétence ou irrecevabilité par l’accusé ou la personne faisant l’objet d’un mandat
d’arrêt ou d’une citation à comparaitre. Elle peut être aussi contestée par l’Etat qui est
compétente à l’égard du crime considéré du fait qu’il mène ou a mené des enquêtes ou des

[63]
poursuites ou par l’Etat qui a accepté la compétence de la cour. Cette exception d’incompétence
ou d’irrecevabilité est porte devant la chambre préliminaire avant la confirmation des charges
et devant la chambre de première instance après celle-ci. Elle est soulevée au plus tard à
l’ouverture d’un procès. Les victimes peuvent soumettre des observations devant la chambre
saisie d’une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence.

 La décision de ne pas ouvrir une enquête

Le procureur décide de ne pas ouvrir d’enquête s’il conclut n’y a pas de base suffisante
pour demander un mandat d’arrêt ou une citation à comparaitre. Il en fait de même s’il conclut
que l’affaire est irrecevable ou que des poursuites ne serviraient pas les intérêts de la justice. Il
informe la chambre préliminaire de sa décision et de ses motifs. L’Etat ayant procédé au renvoi
ou le conseil de sécurité peuvent saisir la chambre préliminaire pour qu’elle examine la décision
de ne pas poursuivre et demande au procureur de la reconsidérer. La chambre peut se saisir
d’office si la décision de ne pas ouvrir d’enquête intervient au motif que des poursuites ne
serviraient pas les intérêts de la justice. En revanche, les victimes n’ont aucun droit de contester
la décision du procureur.

b- La conduite de l’enquête

Pouvoirs du procureur : Le procureur dirige l’enquête. Il accomplit ou fait accomplir


l’ensemble des actes nécessaires. Il recueille et examine les éléments de preuve. Il convoque et
interroge les personnes visées par l’enquête, les victimes et les témoins. Il peut enquêter sur le
territoire d’un Etat. Le procureur saisit la chambre préliminaire afin qu’elle délivre un mandat
d’arrêt ou une citation à comparaitre à l’encontre d’une personne pour laquelle il y a des motifs
raisonnables de penser qu’elle a commis un crime entrant dans la compétence de la cour.

Droits des personnes : Les personnes suspectes sont informées, avant leur
interrogatoire, qu’elles sont suspectées d’avoir commis un crime relevant de la compétence de
la cour. Elles sont aussi informées de leur droit de garder e silence et de leur droit d’être assisté
d’un avocat. De leur choix ou d’un avocat commis d’office. Elles sont interrogées en présence
de leur conseil sauf si elles y ont renoncé volontairement. La personne remise à la Cour en
exécution d’un mandat d’arrêt comparait devant elle aux fins de vérification qu’elle a été
informées des crimes qui lui sont imputés et des droits qui lui sont reconnu par le statut de
Rome. La personne placée en détention peut demander sa mise en liberté provisoire en attendant
d’être jugée.

[64]
2- Les poursuites

Là encore, la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre du Procureur est contrôlée


et susceptible d’être contestée.

3- Le procès

L’audience : Le procès a lieu en présence de l’accusé et est public. Les victimes sont
admises à assister et à participer aux audiences par l’intermédiaire de leurs représentants légaux.

Le Jugement : Le jugement est mis en délibéré à une date qui est fixée à l’issue de
l’audience. Le jugement est prononcé en audience publique à cette date et, si cela est possible,
en présence de l’accusé, du procureur, des victimes. Les peines encourues sont
l’emprisonnement a temps d’une durée de trente ans au plus, une peine d’emprisonnement à
perpétuité, l’amende et la confiscation des biens, produits et avoir tires directement ou
indirectement du crime. La peine est fixée en tenant compte des considérations usuelles sur la
gravite du crime et la situation du condamne. La chambre peut rendre contre une personne
condamnée une ordonnance indiquant la réparation qui convient d’accorder aux victimes ou à
leurs ayants droit.

L’appel : Le procureure et la personne déclarée coupable peuvent interjeter appel pour


vice de procédure, erreur de droit, erreur de fait et disproportion entre la peine et le crime. La
personne déclarée coupable peut aussi interjetée appel pour tout autre motif de nature à
compromettre l’équité et la régularité de la procédure ou de la décision. La personne condamnée
est maintenue en détention pendant les délais d’appel sauf si la chambre de première instance
en décide autrement. La personne est mise en liberté sauf si la chambre de première instance
ordonne son maintien en détention à la demande du procureur.

Exécution des condamnations : L’absence de prison internationale conduit à


l’exécution des peines d’emprisonnement dans les établissements pénitentiaires d’Etat comme
c’est le cas pour les condamnations prononcées par les tribunaux pénaux internationaux. Les
peines d’emprisonnement sont ainsi accomplies dans un Etat désigné par la Cour sur la liste des
Etats qui lui ont fait savoir qu’il était disposé à recevoir des condamnés. Il est précisé que la
peine d’emprisonnement est exécutoire par les Etats parties, qui ne peuvent en aucun cas la
modifier.

[65]
CHAPITRE II. LA COOPERATION ET L’ENTRAIDE JUDICIAIRE PENALE
INTERNATIONALE : L’EXTRADITION

Il est constant que l’activité délinquante et criminelle a de tout temps été difficile à
confiner dans les limitations en l’occurrence spatiales de la norme pénale nationale. De façon
sans cesse évoluée, le crime n’a en effet eu de cesse de s’adapter sinon de s’employer à
s’affranchir des barrières notamment territoriales des différents ordres juridiques nationaux. Les
lois pénales étant par essence restreintes au cadre territorial de l’Etat, un certain nombre de
comportements qui portent atteintes aux intérêts, valeurs et biens juridiques protégés par des
Etats sont susceptibles d’échapper à la répression par ceux-ci pour diverses raisons, notamment
lorsqu’ils présentent un ou plusieurs éléments d’extranéité. L’extranéité en question désigne
l’élément dans l’infraction qui met en contact deux ou plusieurs systèmes juridiques nationaux
et exige le règlement d’un conflit de lois et/ou de juridictions (ex. : nationalités de l’agent, lieu
de situation territoriale d’un bien etc…). Aussi, pour surmonter l’obstacle de la souveraineté
inhérent à ce rattachement à un ordre juridique étranger, l’efficacité de la répression des
infractions internationales présentant un caractère d’extranéité à l’échelle internationale ne peut
être obtenue sans la mise en œuvre d’adroits mécanismes de coopération, de collaboration voire
d’entraide judiciaire pénale, entre les différents ordres juridiques nationaux.

Forme originelle de collaboration et d’entraide judiciaire internationale en matière


pénale, l’extradition, d’après le Professeur Georges LEVASSEUR, est une institution
élémentaire du Droit Pénal International. Composé des mots latins ex qui veut dire « hors de »,
et traditio, du verbe tradere signifiant « action de livrer », le terme extradition désigne la
procédure d’entraide répressive internationale par laquelle un Etat, appelé Etat requis, accepte
de livrer un délinquant qui se trouve sur son territoire, à un autre Etat, l’Etat requérant, pour
que ce dernier puisse le juger ou, s’il a déjà été condamné, pour lui faire subir sa peine. C’est
une procédure judiciaire pénale internationale ou et à tout le moins interétatique, au moyen de
laquelle un Etat requiert et, s'il y a lieu, obtient d'un autre Etat, aux fins de poursuites judiciaires
ou d'exécution d'une condamnation pénale, livraison d'un individu qui se trouve sur son
territoire. A la réalité, le concept d’extradition est l’une des expressions les plus avancées de la
coopération judiciaire interétatique voire internationale dans le domaine du pénal. Il faut
opportunément rappeler que, selon une configuration géométrique que nous empruntons à la

[66]
doctrine majoritaire en cette matière, on distingue deux types d’entraide répressive judiciaire
internationale, celle verticale et celle horizontale, la représentation verticale ou horizontale de
la figure de ces mécanismes de collaboration étant déterminée par la nature étatique ou supra
étatique des acteurs internationaux ici en présence. La première et la plus contemporaine des
formes d’entraide répressive judiciaire, celle verticale, correspond à la coopération entre des
juridictions ou des instances pénales internationales et les États (entre la C.P.I. et) un Etat), afin
de lutter contre la criminalité à l’échelle internationale. Elle se distingue de la seconde,
davantage classique, qualifiée d’entraide judiciaire répressive horizontale. C’est un mécanisme
de collaboration notamment judiciaire pénale entre deux ou plusieurs États qui s’engagent par
des traités ou des conventions bi ou multilatérales à s’aider mutuellement dans la lutte contre la
criminalité internationale. L’extradition est ainsi dite active ou passive selon que l’Etat
concerné est requérant ou requis. Il s’agit d’un instrument essentiellement politique parce que
le droit à l’extradition est influencé par le degré de confiance qui existe entre tous les Etats. Au
Cameroun, l’extradition est régie par la loi n°64/LF du 26 juin 1964 modifiée par la loi n°97/010
du 10 janvier 1997, ainsi que par le Code de Procédure Pénale (articles 635 à 675) dont les
dispositions ne sont applicables qu’en l’absence de traités ou dans un cas qui n’a pas été réglé
par le traité. Le Cameroun est en outre lié en matière d’extradition par de nombreux traités soit
bilatéraux, soit multilatéraux. S’agissant des traités bilatéraux, on cite la Convention Générale
de Coopération en matière de justice avec le Mali du 06 mai 1964, ratifiée le 19 juin 1964 et
l’Accord de coopération en matière de justice entre le Cameroun et l’ex-Zaïre (R.D.C.) signé le
11 mars 1967, ratifié le 23 juin 1967. En ce qui concerne les traités multilatéraux, on peut citer
l’Accord de coopération en matière de police criminelle entre les Etats de l’Afrique Centrale,
adopté par le Règlement N°04/C.E.M.A.C.-069-CM-04, signé par le Président du Conseil des
Ministres à Bangui le 21 juillet 2000, et surtout par l’Accord de coopération judiciaire entre les
Etats membres de la C.E.M.A.C., adopté à Brazzaville le 28 janvier 2004, et de l’Accord
d’extradition entre les mêmes Etats adopté également Brazzaville le même jour.

On examinera d’une part les conditions (Section 1) avant d’envisager les effets que
produit l’extradition (Section 2). Nous raisonnons sur le cas de camerounais.

Section I- Les conditions de l’extradition

Deux types de conditions doivent être étudiés : Celles de fond (Paragraphe 1) et celles
de forme (Paragraphe 2).

[67]
Paragraphe 1. Les conditions du fond

Leur étude nous amène à traiter des faits pouvant donner lieu à extradition (A), des
personnes pouvant faire l’objet d’une extradition (B) et les condamnations prononcées (C).

A- Les conditions relatives aux faits

Toutes les infractions dont l’Etat peut souhaiter la poursuite ne permettent pas le recours
à une procédure internationale aussi lourde que l’extradition. Il faut qu’elles soient d’une
gravité suffisante et que de par leur nature, elles n’échappent pas l’extradition.

1- La gravité de l’infraction extraditionnelle

Dans les textes anciens, les faits sortant de base à l’extradition étaient limitativement
énumérés et l’exigence de la gravité de la peine était rarement requise. Les traités actuels ont
abandonnés le système de l’énumération d’où la nécessité de fixer le seuil extraditionnelle. Dès
lors que toutes les infractions sont bénigne, il faut que les faits dont il s’agit soient punissable
à la fois par l’Etat requérant et celui requis.

a- L’exigence de la réciprocité d’incrimination

Notre droit consacre tantôt l’exigence classique d’une double incrimination, tantôt
l’exigence inhabituelle d’une triple incrimination. La première permet de tenir compte de
l’ordre public camerounais qui serait heurté si notre pays devait prêter main forte à la répression
des faits qu’il estime non punissables. Cette exigence est mentionnée dans toutes les
conventions conclues par le Cameroun ; il en est de même de l’art 642 al 1er C.P.P.

S’agissant de l’exigence d’une triple incrimination, elle suppose que le fait servant de
base à l’extradition doit être qualifié d’infraction à la fois par l’Etat du lieu de perpétration,
l’Etat requérant et l’Etat requis. Ce qui nous ramène à l’hypothèse classique d’une double
incrimination dans la mesure où dans la plupart des cas l’Etat requérant est aussi celui du lieu
de perpétration.

b- La détermination du seuil extraditionnel

Traditionnellement, on distingue entre le quantum de la peine encourue et celui


effectivement appliqué. Ainsi, de l’article 642 C.P.P., il ressort que le fait servant de base à la
demande de l’extradition doit être passible d’une peine privative de liberté dont le minimum est

[68]
au moins égale à deux (02) ans et dont la poursuite n’est pas rendue impossible par la
prescription, l’amnistie ou toute autre cause légale, soit une peine privative de liberté encore
légalement susceptible d’exécution de six (06) mois au moins sans tenir compte de la contrainte
par corps.

2- L’exclusion de certaines infractions

Il s’agit globalement des infractions politiques, militaires et économiques.

a- Les infractions politiques

- L’infraction objectivement politique ou celle politique par nature

D’après l’art 643 CPP, sont considérées comme infraction politiques et ne peuvent
justifier l’extradition : Les crimes ou délits dirigés contre la constitution, la souveraineté d’un
Etat ou les pouvoirs publics. L’appréciation des faits ou caractère politique, religieux ou racial
d’un mobile ou du mobile tenant à la nationalité en ce qui concerne la demande, appartient au
gouvernement de l’Etat requis (voir C.A de Grenoble, 13 janvier 1947, JCP 1947, 2e partie, n°
3664, note Pagnol).

- L’infraction subjectivement politique

Dans cette hypothèse, la qualification de l’infraction découle du mobile qui anime le


délinquant et il faut distinguer l’infraction connexe de celle complexe. L’infraction connexe à
une infraction politique est celle qui est commise pour préparer une infraction politique. C’est
aussi celle commise en vue de s’opposer à la perpétration d’une infraction politique (Cf. art 643
al 2 (b) CPP). Toutes les conventions conclues par le Cameroun excluent l’extradition pour ce
type d’infraction. La question de l’infraction complexe est plus délicate. En droit extraditionnel,
l’infraction complexe est celle dont l’auteur est animé par la passion politique, mais il porte
atteinte à des intérêts privés. En droit français, plusieurs décisions de la C.A de Paris consacrant
le caractère objectif de l’infraction politique avaient refusé l’extradition de l’auteur d’une
infraction complexe (voir C.A de Paris, 03 juillet 1967 et 03 décembre 1963, R.S.C., 1968, p
845, observation Legal)

Toutefois, le développement dans les années 1970 d’une violence terroriste Européenne
menaçant directement les fondements de la démocratie occidentale a conduit la jurisprudence à
retenir la conception subjective de l’infraction politique. C’est ainsi que dans l’affaire Klaus
CROISSANT, le Conseil d’Etat déclare :

[69]
« la circonstance que des crimes qui ne sont pas politique par leur objet, aurait eu pour
but (…) de renverser l’ordre établi en République Fédérale d’Allemagne ne suffit pas, compte
tenu de leur gravité, à les faire regarder comme ayant un caractère politique »

(Cf. Conseil d’Etat; Assemblée, 07 juillet 1978, Recueil Lebon 1978, p. 92 ; JCP, 1985,
2e partie, n° 20346, note Jean didier).

Au même moment, les Etats membre du Conseil de l’Europe signaient à Strasbourg le


27 janvier 1977 une convention pour la répression du terrorisme axé sur la dépolitisation de la
violence terroriste.

En droit extraditionnel camerounais, une restriction est faite concernant la conception


subjective de l’infraction politique par le biais de la « clause d’attentat » encore appelé « clause
Belge ». Cette clause refuse de qualifier de politique et soumet à l’extradition d’attentat contre
la personne du chef de l’Etat ou de gouvernement étranger, et les membres de leur famille. En
plus, d’après l’article 46 de la Convention d’Antananarivo, ne sont pas considérés comme
infraction politique en matière d’extradition, les crimes d’homicides volontaire ou
d’empoisonnement quelques soit la victime.

- Le refus de l’extradition demandée dans un but politique

D’après l’art 645 CPP, l’extradition n’est pas appliquée au transfert temporaire des détenus
aux fins d’audition ou de confrontation, aux simples citations auxquelles peuvent, en
application d’une convention internationale, déférées certaines personnes détenues au
Cameroun. Il en est de même lorsque l’extradition est demandée pour des opérations de remise
qui ne s’attachent ni à la répression d’une infraction ni à l’exécution d’une peine ou d’une
mesure de sûreté prononcée par une juridiction pénal étrangère. Ici l’Etat requis est confronté à
un véritable détournement de procédure de l’Etat requérant qui réclame l’auteur présumé d’une
infraction de droit commun en réalité pour des raisons politique. Il n’y a pas de jurisprudence
camerounaise en cette matière. Toutefois, faisant appel .au droit comparé, on notera qu’en
France, il est admis que l’individu réclamé doit fournir la preuve que l’Etat requérant poursuit
un but politique, ensuite le juge doit prendre en considération la nature du régime politique de
l’Etat requérant pour exclure l’extradition (Cf. C.E, 03juillet 1996, affaire KONE, Dalloz, 1996
p. 509, note Julien LAFFERIERE)

- La prise en considération de l’élément idéologique pour le refus de l’extradition

[70]
La diversité des systèmes idéologique ou leur convergence influence les rapports
d’extraditionnel entre les Etats. Ainsi, pour un même type d’infraction connexe ou complexe,
l’extra sera accordé à un Etat respectueux du droit de l’homme et refusée à un ordre jugé
autoritaire.

En droit camerounais, l’art 29 al 1er de la loi de 1964, modifiée par celle de 1997 énonce
à cet effet :

« qu’aucune personne ne peut être extradés vers un pays où il y a des motifs sérieux de
croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ».

Cette disposition a été reprise par l’art 642 (d) CPP . Ces dispositions qui résultent de
la mise en application de la convention contre la torture ont été rapidement mise en œuvre à
l’occasion de l’affaire des sept Rwandais réfugiés au Cameroun, poursuivis dans leur pays pour
génocide. Pour des raisons tenant aux droits fondamentaux au Rwanda au moment de la
demande, la C.A du Centre a émis un avis défavorable à la demande d’extradition. Ils ont plutôt
été transférés au TPIR à ARUCHA (Cf. CA du Centre, arrêt n° 337/COR du 02 février 1997,
inédit).

b- Les infractions militaires

Le refus d’extradition en cette matière se justifie pour les mêmes raisons qu’en matière
d’infraction politique. Les infractions concernées ici sont celles purement militaire et punie par
le Code de justice militaire à savoir, le manquement à la discipline des armés tel que la
destruction, l’insoumission, les voies de faits envers le supérieur ou même le vol des effets
militaires.

En revanche, restent soumises à l’extradition, les infractions de droit commun même


connexe à des infractions militaires qu’elles soient commises par un militaire ou non (Cf. art
642 al 2 CPP).

N.B : il n y a pas d’infractions subjectivement militaires.

c- Les infractions économiques

Le Code de procédure pénale ne fait pas allusion à cette catégorie d’infraction. En


revanche la plus part des conventions signées par le Cameroun envisage cette question et posent
comme condition préalable à l’extradition un échange de correspondances entre l’Etat requis et

[71]
celui requérant à propos de chaque type d’infraction économique. C’est ainsi que l’art 48 de la
Convention franco-camerounaise précise qu’en matière d’impôt et taxe de douane et d’échange,
l’extradition n’est accordée que s’il en a été ainsi décidé par échange de lettres, entre les
gouvernements des parties contractantes pour chaque infraction ou catégorie d’infraction. La
même condition est mentionnée à l’article 41 de la Convention camerouno-malienne et 47 de
la Convention d’Antananarivo.

B- Les conditions relatives aux personnes

Les personnes concernées par l’extradition sont les Etats et l’individu réclamé.

1- Les Etats

Il s’agit d’une part de l’Etat requis c’est-à-dire de celui sur le territoire duquel se trouve
actuellement l’individu recherché, et d’autre part de l’Etat requérant. En principe, elle ne peut
être accordée que si le fait pour lequel elle a été demandée a été commis sur le territoire de
l’Etat requérant ou constitue une infraction dont la loi autorise la poursuite au Cameroun si elle
a été commise à l’étranger. En tout état de cause, quatre Etats sont compétents pour réclamer
l’extradition d’un individu à savoir :

- l’Etat du lieu de commission de l’infraction sur la base de la compétence territoriale ;


- celui dont le délinquant relève de par sa nationalité (compétence personnelle active) ;
- celui qui se prévaut d’une atteinte à ses intérêts (compétence réelle)
- celui qui se prévaut d’une compétence universelle dans le cas où la loi camerounaise
l’admet.

De ce qui précède, il résulte qu’il peut y avoir conflit de compétences entre ces différents
Etats. En pareil hypothèse, l’article 648 CPP a prévu un ordre à suivre. Il ressort en effet de
cette disposition que si l’extradition est demandée concurremment par plusieurs Etats pour une
même infraction, elle est accordée de préférence à l’Etat contre l’intérêt duquel l’infraction était
dirigée ou à celui sur le territoire duquel elle a été commise.

2- L’individu réclamé

Il découle de la combinaison des articles 636 et 637 CPP que toute personne peut être
livrée à l’Etat requérant dès lors qu’elle est auteur ou complice d’une infraction ou d’une
tentative d’infraction que l’Etat a vocation à réprimer. Cependant, ce principe est

[72]
considérablement réduit par des exceptions dont certaines sont très importantes. Il s’agit
notamment de la non extradition des nationaux et la non extradition des justiciables
camerounais.

a- La non extradition des nationaux

Cette première dérogation découle de l’article 641 CPP aux termes duquel le Président
de la République peut par décret ordonner l’extraction au gouvernement étranger qui lui en fait
la demande de tout étranger trouvé sur le territoire national objet d’une poursuite nationale ou
d’une condamnation à une peine privative de liberté dans l’Etat requérant La qualité d’étranger
s’apprécie au moment de la commission des faits. Il en découle que cette disposition exclut
l’extradition des nationaux comme le prévoit de manière expresse l’article 42 de la convention
D’ANTANANARIVE énonçant que « les hautes parties contractantes n’extradent pas leurs
nationaux respectifs ».

Toutefois, l’extradition sera possible si celui qui se prévaut de la qualité de citoyen


camerounais ne l’a acquise qu’après la commission de l’infraction. Cette règle fondée sur un
nationalisme archaïque est de moins en moins justifier de nos jours étant donné que la majorité
des Etats modernes ont érigés en principe fondamental de droit un certaine nombre des règles
garantissant les droits et libertés de l’individu. Cependant, les défenseurs de cette solution
insistent sur le fait qu’elle a comme contreparties, le principe « aut dedere aut judiciaire ».
Cette règle ne figure pas dans le CPP Camerounais. Toutefois elle fait partie de notre droit
positif car elle est expressément établie par toutes les conventions auxquelles le Cameroun est
lié en matière collaboration judiciaire.

b- Le refus d’extrader les justiciables camerounaise

Le Cameroun refuse de livrer aux Etats étrangers ses justiciables même s’ils ne
possèdent pas la nationalité Camerounaise. Deux hypothèses se présentent ici :

- si l’individu réclamé a commis une infraction qui motive la demande de son extradition
sur le territoire camerounais, le refus de l’extrader est absolu et se justifie par
l’expression du principe de la territorialité de la répression ;
- si l’infraction a été commise en territoire étranger, le refus apposé à l’extradition n’est
possible que si l’infraction a déjà été poursuivie et jugée définitivement par les tribunaux
camerounais sur le fondement de la règle « non bis in idem ».
c- Le statut des refugies

[73]
D’après l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur la protection des
réfugiés :

« aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera de quelques manière que ce


soit un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie serait menacée en raison de sa race,
religion , nationalité ou son appartenance à certains groupes de ses opinions ». La question
qui se pose est de savoir si l’expression « n’expulsera ou ne refoulera de quelques manières
que ce soit »

englobe l’extradition dans la généralité de ses termes. Le HCR (Haut - Commissariat


des Nations –Unies pour les réfugiés) soutenus par une minorité de la doctrine répond par
l’affirmative. En revanche la doctrine dominante estime que l’article 33 ci-dessus doit recevoir
une interprétation stricte en ce sens que l’extradition est une notion distincte du refoulement et
de l’expulsion. Par conséquent le statut de réfugiés ne s’oppose pas en soit à l’extradition de
son bénéficiaire.

En effet, la Convention de Genève, en proclamant le droit à l’exile, exclu cet avantage


pour ceux dont on a des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis un crime contre
l’humanité, un crime de guerre ou un crime grave de droit commun dans leur pays d’origine
avant de venir dans le pays d’accueil.

C- Les condamnations prononcées

L’extradition n’est possible que si la condamnation a été prononcée à des fins pénales
et à l’issue d’un procès régulier. Ainsi, l’exception d’ordre publique permet de refuser
l’extradition dans le cas d’une condamnation par défaut alors que cette condamnation n’était
pas susceptible de recours (Cf. C.A de Douai 1er juillet 1951, JCP, 1951, 2e partie n° 6433,
note Magnol).

L’extradition est également refusée si elle est demandée pour l’exécution d’une simple
mesure de sûreté (Cf. Chambre Crim., 22 juillet 1954, JCP, 1954, 2e partie, n° 8359, note
Brouchot). L’extradition est enfin exclue si la condamnation prononcée dans l’Etat requérant
est insusceptible d’exécution en raison d’un obstacle de fond tel que la prescription (art 649
CPP), l’amnistie, la grâce.

En ce qui concerne la prescription, toutes les conventions conclues et ratifiées par le


Cameroun proscrivent l’extradition si la prescription est acquise soit d’après la loi de l’Etat
[74]
requérant, soit d’après celle de l’Etat requis. Il en est de même de l’article 649 CPP qui énoncent
que l’extradition est refusé si l’infraction est prescrite d’après la législation camerounaise ou
celle de l’Etat requérant au moment de la réception de la demande d’extradition.

Pour ce qui est de l’amnistie, lorsqu’elle est intervenue dans l’Etat requérant, elle
constitue inéluctablement un obstacle à l’extradition. L’amnistie étant une mesure de pardon
prise dans le cadre d’un Etat souterrain et n’ayant d’effet que dans cet Etat elle ne doit en
principe pas s’appliquer aux faits commis et poursuivis dans un autre pays. C’est pour cette
raison que l’amnistie intervenue dans l’Etat requis est difficilement un obstacle à l’extradition.
De facto, les traitées conclus par le Cameroun ne font de l’amnistie intervenue dans l’Etat requis
un obstacle à l’extradition que si cette infraction est au nombre de celles qui peuvent être
poursuivies de cet Etat lorsqu’elles ont été commises hors du territoire de cet Etat par un
étranger au dit Etat. S’agissant de la grâce, on sait qu’elle peut consister en une remise totale
au partielle des peines. Dans la première hypothèse l’extradition devient sans objet. Par contre,
s’il s’agit d’une remise partielle, l’extradition demeure possible si le reliquat de la peine à
exécuter atteint le seuil extraditionnel. Il s’agit dans ce cas de la grâce prononcée par les
autorités de l’Etat requérant car, en principe une décision de grâce ne peut être prise par l’Etat
requis ou tout autre Etat à l’égard d’un individu qui n’a pas été condamné par ses juridictions.

Toutefois ce cas de figure peut se présenter lorsque l’individu condamné est livré
à l’Etat dont il est ressortissant afin de purger sa peine.

La convention d’Antananarivo prévoit que seul l’Etat du lieu de condamnation peut


prendre une mesure de grâce. Par contre la Convention franco-camerounaise et celle
camerouno-zaïroise prévoient que seul l’Etat où la condamnation est exécutée, peut prendre
une mesure de grâce. Cependant, à condition que le parquet près les juridictions qui prononcent
la condamnation ait donné son avis dans ce sens.

Paragraphe 2. Les conditions de forme

Elles visent le déroulement de la procédure. L’extradition étant une mesure de


collaboration entre les Etats mettant en jeu la question de souveraineté, la décision finale est
toujours la paix des gouvernants en dépit de l’intervention des autorités judiciaire. Sa procédure
suppose donc qu’une demande formée par l’Etat requérant à l’Etat requis
fasse l’objet d’un examen par les autorités compétentes de l’Etat requis.

[75]
A- La demande d’extradition

Parce qu’elle est assez longue, la demande d’arrestation provisoire accompagne très
souvent la demande d’extradition proprement dite dans l’optique d’assurer le maintien sous
main de justice de la personne recherchée.

1- La demande proprement dite

Elle diffère selon que l’extradition est demandée par le gouvernement camerounaise ou
celui étranger.

a- La demande faite par le gouvernement camerounais

Il s’agit de l’extradition active. L’article 674 CPP énonce à cet effet que, l’extradition
demandée par le gouvernement camerounais est soumise à la procédure suivante :

- La demande du procureur de la République territorialement compétant pour


l’infraction en cause qui la transmet au procureur général près la Cour d’appel. Cette demande
doit contenir les pièces énumérées à l’article 674 al 1e (a).

- Conformément à l’alinéa 1er (b), le Procureur Général transmet le dossier au


garde des sceaux assorti d’un rapport énonçant la recevabilité et la légalité des poursuites.

- Sous réserve des conventions internationales spécifiques, le dossier ainsi conçu


est transmis au Ministre de relations extérieures qui l’achemine par voie diplomatique requise.

Cela est la synthèse des dispositions découlant des conventions internationales sur
l’extradition ; synthèse rappelée à l’article 675 CPP qui énonce que l’étranger objet d’une
première extradition au bénéfice du Cameroun ne peut faire l’objet d’une extradition par le
Cameroun au profit d’un Etat tiers sans le consentement du premier Etat. Toute fois ce
consentement n’est pas nécessaire si l’extradé a eu pendant un délai de 30 jours suivant son
élargissement, la possibilité de quitter le territoire Camerounais.

b- La demande faite par le gouvernement étranger

Il s’agit ici de l’extradition passive dans la mesure où le Cameroun n’intervient que


comme Etat requis. Sa procédure est prévue par les articles 650 et suivants du CPP. Selon cette
disposition et sous réserve des conventions internationales, toute demande d’extradition est

[76]
formée par voie diplomatique à laquelle sont jointes selon les cas, les pièces énumérées à
l’article 1er , notamment dans les paragraphes (a, b et c).

2- La demande d’arrestation provisoire

Cette procédure admise en cas d’urgence par la loi de 1964 et toutes les conventions à
été reprise par les articles 652 et suivant du CPP. Elle exige certain conditions de forme
manifestant le lieu entre la demande d’extradition et la demande d’arrestation elle-même.
L’arrestation étant provisoire elle pose le problème de sa cessation.

a- Les conditions de l’arrestation provisoire

Selon l’article 652 CCP et toute les conventions, cette demande peut être faite
directement de l’autorité judiciaire étrangère à l’autorité camerounaise à condition qu’elle laisse
une trace écrite. A l’instar de l’article 652 susvisé, toutes les conventions exigent que cette
demande indique l’existence des pièces requises pour la demande d’arrestation proprement dite.
En outre, toutes les conventions soulignent le lien existant entre la demande d’arrestation et
celle d’extradition ou vice-versa et exigent que la demande d’arrestation fasse clairement par
de l’intention

« d’envoyer une demande d’extradition tout en mentionnant l’infraction fondant la


demande d’extradition, les circonstances de commission et si possible le signalement de la
personne réclamer »

et cela pour bien montrer que la demande d’extradition est bien tributaire d’une demande
d’arrestation.

b- La cessation de l’arrestation provisoire

Selon l’article 666 CPP, l’individu arrêté provisoirement est mis en liberté et
l’extradition ne peut être demandé à son égard par le même Etat pour les mêmes faits, si
dans le délai de trois (03) mois suivant la notification du décret d’extradition a l’Etat
requérant, sa remise effective n’est pas demandée par ce dernier. La Cour d’appel qui est la
juridiction compétente en la matière n’a donc aucun pouvoir d’appréciation ; et si
d’aventure elle refuse d’accorder la liberté de plein droit alors que les conditions en sont
remplies, l’intéressé devrait pouvoir contester cette décision devant la Cour d’Appel
compétente qui statue dans 8 jours et la décision rendue par cette Cour est susceptible de
pourvoi devant la Cour suprême (seuls peuvent former le pourvoi, le ministère public et
l’intéresser). Quant-aux conventions, elles prévoient également la mise en liberté si au cours
[77]
d’un certain délai, il n’y a pas de demande proprement dite d’extradition accompagnée des
pièces requises. Ces conventions se répartissent en deux groupes :

- D’après le premier groupe, l’individu provisoirement arrêté est de plein droit remis en
liberté à l’expiration d’un délai qui varie de 30 à 45 jours. C’est le cas des conventions
franco-camerounaise et camerouno-zaïroise ;
- Le second quant à lui (convention d’Antananarivo, camerouno-malienne) ne prévoit
qu’une simple faculté de mise en liberté en cas d’arrestation non suivi d’une demande
d’extradition dans les délais. Toutes les conventions précisent que la remise en liberté
n’empêche pas la reprise de la procédure d’extradition si une demande remplissant les
conditions est produite ultérieurement.

B- L’examen de la demande d’extradition

L’examen ici est successivement judiciaire et administratif.

1- La phase judiciaire

La loi de 1964 avait confié le contrôle juridictionnel de l’extradition à la Chambre de


mise en accusation de la Cour d’Appel Cette juridiction ayant été supprimée en 1972, sa
compétence a été transférée de manière prétorienne à l’actuel Cour d’Appel Toutefois, sa
procédure est très différente de celle ordinaire et se déroule en quatre étapes :

a- L’étape préliminaire

Après que le dossier ait été transmis par le garde des sceaux au procureur de la
République dans le ressort duquel la personne réclamée a été localisée, cette dernière est arrêté
si elle ne fait pas l’objet d’une arrestation provisoire. Dans les 24 H de cette arrestation, un
magistrat du parquet du dit Tribunal (l’article 654 CPP prévoit le TPI) procède à un
interrogatoire d’identité de l’intéressé qui est transféré dans les meilleurs délais dans la maison
d’arrêts du siège de Cour d’Appel dans le ressort duquel il a été arrêté. Il lui notifie le titre en
vertus duquel il a été arrêté. Le Procureur Général peut à tout moment procéder où faire
procéder par un magistrat du parquet à un autre interrogatoire dans les formes indiquée à
l’article 653 CPP. L’intéressé peut se faire assister d’un avocat dès le premier interrogatoire.

[78]
b- La procédure devant la Cour d’appel.

D’après les articles 656 CPP et 21 de la loi de 1964, la Cour d’Appel est saisie sur le
champ des procès-verbaux d’interrogatoires et d’autres pièces et l’individu doit comparaître
devant elle dans les 8 jours suivant la notification officielle du titre d’arrestation. Lors de cette
comparution, la personne réclamée dispose d’une option :

- D’abord elle peut renoncer au bénéfice de la loi ou de la convention comme l’y

autorisent les articles 659 CPP et 23 de la loi de 1964 et consentir formellement à être livré aux
autorités du pays requérant. En pareil hypothèse, la Cour lui donne acte de sa déclaration dans
un PV qui est transmis par le procureur ou Ministre de la justice qui soumet s’il y a lieu à la
signature du président de la République un décret ordonnant l’extradition. Aucun recours
n’étant possible contre cette décision de donner acte, la procédure judiciaire est achevée ; elle
produit tous les effets de l’extradition.

- Ensuite, l’individu peut accepter de jouer le jeu de l’extradition tel que règlementé

par la loi de 1964 ou par une convention. Dans ce cas, la procédure est publique (Cf. C.A de
Douala, arrêt n° 1/P DU 06 octobre 1987, affaire AMINE SABRA, inédit). En vertu de l’article
657 CPP, cette procédure est publique sauf décision du huis-clos. Elle est orale et presque
contradictoire car elle nécessite la présence effective de la personne réclamée (Cf. article 22 al
1er de la loi de 1964). Si celle-ci, laissée en liberté ne comparait pas, la procédure doit être
suspendue (Cf. Chambre Criminelle 08 novembre 1956, Gazette du palais 1957, 1ere partie, p.
194. RSC ; 1957, 391, aobs. PATIN). L’unique exception à la présence effective du délinquant
survient lorsqu’après l’extraction effective, l’Etat requérant sollicite une extension. La Cour
d’Appel devrait par la force des choses statuer sur cette demande en l’absence du délinquant
qui a été déjà extradé (Cf. art 30, loi 1964). Toutefois, la contradiction ne concerne que la
personne poursuivie et le M.P. En aucun cas, l’Etat requérant ne peut être représenté dans la
procédure (chambre crim 11février 1965, Dalloz 1965, 1ere partie p 354). Pendant le
déroulement du procès, le Cour d’Appel peut sursoir à statuer jusqu’à ce qu’elle ait reçu des
renseignements complémentaires. Elle ne peut pas rendre un avis défavorable au seul motif
qu’elle manque d’informations. Elles sont demandées par voies diplomatique et hiérarchique
(CA. Douala, Arrêt Avant dire droit n°1225, 16 juin 1987, Aff, AMINE SABRA).

[79]
c- La décision donnant lieu à l’extradition

La Cour d’Appel. a pour seul rôle de vérifier s’il n’ y a pas eu erreur évidente notamment
sur l’identité de l’individus et s’assurer que les conditions légales sont réunies en vertu des
articles 657 CPP, 22 et 25 de la loi de 1964. Elle n’est donc pas habilitée à scruter l’opportunité
de l’extradition, les bien fondés de la poursuite, ni même la qualification que les autorités
étrangères ont attaché aux faits au regard de leur loi. Il s’agit d’un contrôle de régularité externe.

Toutefois, les limites ainsi imposées à la Cour d’Appel sont plus claire sur le papier que
dans la pratique. Le problème est celui de poser une frontière étanche entre le contrôle
d’opportunité et celui de légalité lorsqu’il s’agit d’apprécier le bût politique d’une demande et
plus largement, la volonté prêtée à l’Etat requérant de poursuivre ou de punir quelqu’un pour
des considérations de race, religion, nationalité et d’opinion politique. A la fin de son
intervention, la Cour d’Appel rend une décision qualifiée d’avis. Cet avis motivé qui n’est
communiquée qu’à la Chancellerie n’était pas susceptible de voie de recours dans la loi de 1964
(article 22 de ladite loi). Actuellement il ne peut faire l’objet que d’un seul recours (article 660
CCP). Seul le Procureur-Général a qualité pour attaquer cet avis devant la C.S. Au regard de la
loi de 1964, l’avis de la Cour d’Appel ne pouvait pas faire l’objet d’un pourvoi en cassation du
fait de la nature d’acte consultatif et non juridictionnel. Toutefois, deux atténuations à ce
principe devraient être admissent :

- Un pourvoi en cassation est possible dans l’intérêt de la loi. Il présente l’avantage de


maintenir une certaine unité de jurisprudence entre avis de différentes Cour d’Appel mais, n’a
aucun incidence sur le sort de la personne poursuivie (Cass. crim, 26 juin 1948, Bull. crim,
n°259).

- En deuxième lieu, on devrait permettre à l’individu arrêté de se pourvoir en cassation


pour les décisions de la Cour d’Appel relatives à sa mise en liberté.

d- Le contentieux de la mise en liberté

Lorsque l’individu réclamé fait l’objet non d’une arrestation provisoire mais d’une
arrestation consécutive à l’ouverture de la procédure d’extradition, la Cour d’Appel étant saisi
du dossier, on applique l’article 658 CPP sur la mise en liberté provisoire et l’article 27 al 1e
de la loi 1964 qui dispose que : « jusqu’à notification au parquet général des effets prévus par
les articles 23, la cour peut, le procureur général entendu, admettre les étrangers au bénéfice
de la liberté provisoire ». Avec ces dispositions, la législation répond à la question de savoir si

[80]
après avoir rendu son avis, la Cour d’Appel reste encore compétente pour statuer sur la mise en
liberté ? (voir C.A de Douala, Arrêt n°46/CC du 03 Octobre 2007, Affaire Véronique
FETTWEIS, inédit). S’agissant de la procédure, la loi prévoit que le Procureur Général est
entendu, mais elle ne dit rien sur le rôle de l’intéressé. C’est certain, ce dernier ne doit pas être
entendu, il doit simplement pouvoir saisir la Cour d’Appel par requête et déposer les mémoires.

2- La phase administrative

Une fois l’avis de la Cour d’Appel rendu, le dossier est transmis au garde des sceaux
par l’intermédiaire du P.G dans les meilleurs délais (article 659 al 2 CPP et 25 al 2 loi de 1964).
La suite de la procédure dépend alors du caractère favorable ou défavorable de l’avis rendu par
la Cour d’Appel.

a- L’hypothèse d’un avis défavorable (Cf article 661, 662 et 664 du CPP)

Lorsque l’avis de la Cour d’Appel est défavorable, l’individu réclamé ne peut plus être
extradé. Cet avis lie le Gouvernement et la personne détenue doit être remise en liberté
immédiatement si elle n’est pas détenue pour une autre cause.

b- L’hypothèse d’un avis favorable

Lorsque l’avis de la Cour d’Appel est favorable, le Gouvernement peut à son gré
accorder au non l’extradition en toute opportunité politique ou diplomatique (tout au moins
dans le cadre non contraignant de l’article 24 de la loi de 1964). Par contre, toutes les
conventions affirment l’engagement de l’Etat requis à livrer la personne réclamées dans le
respect des conditions qu’elles posent et exigent que tout refus d’extradition même partielle soit
motivé. Toutefois, même en pareil hypothèse, il appartient au gouvernement de choisir entre
l’exécution des obligations internationales et l’engagement de leur responsabilité. La décision
accordant l’extradition prend la forme d’un décret du président de la République sur proposition
du garde des sceaux. Il n’est pas susceptible de recours (Cf. art 659 al 3 CCP). En tant que acte
administratif, ce décret peut être déféré au juge de l’excès de pourvoi en droit français (voir
l’arrêt Decerf C.E., 28 mai 1937, SIREY 1937, 2e partie, n°73 ; Affaire Dame Kirkwod, C.E
30 mai 1952, Dalloz 1953, 2e partie, p.33, note Bouzat, confirmé par le C.E le 18 novembre
1955, JCP, 1956, 2e partie, n°9184, Aff. Petalas). Il faut tout simplement souligner que le
recours pour excès de pouvoir contre le décret d’extradition n’ayant pas d’effet suspensif,

[81]
l’individu réclamé a intérêt à demander le sursis à l’exécution dudit décret. Ce sursis dont
l’octroi par le juge administratif est facultatif obéit à trois conditions :

- la première est toujours remplie en l’espèce. La décision querellée doit entrainer une
modification de la situation de droit ou de fait du requérant ;
- l’exécution immédiate doit causer un préjudice grave à l’intéressé ;
- Le moyen invoqué pour obtenir l’annulation du décret doit avoir un caractère sérieux.

Section 2. Les effets de l’extradition

Il faut distinguer selon qu’elle est demandée par le gouvernement camerounaise ou celui
étranger. Dans la première hypothèse, le Cameroun est l’Etat requérant tandis que dans la
seconde, il est l’Etat requis.

Paragraphe 1- l’extradition demandée par le gouvernement camerounais

Lorsque c’est le gouvernement camerounais qui demande l’extradition, deux types de


problème se posent : ces derniers concernent la portée de l’extradition consentie et la
contestation de la qualité de celle-ci.

A- La portée de l’extradition consentie

L’extradition est limitée par le principe général de la spécialité. Toutefois, d’autres limites
peuvent être imposées à l’Etat requis en vertu de sa souveraineté.

1- la règle de la spécialité

Cette règle qui découle de l’article 29 de loi de 1964 limite la partie de l’extradition aux
seuls faits pour lesquels elle a été accordée. Sa justification est évidente car il serait très facile
à un Etat de réclamer un individu pour une infraction quelconque puis celui-ci une fois livré, le
faire juger ou l’incarcérer pour des infractions ou des peines pour lesquelles l’extradition
n’aurait pu être accordée.

Toutefois, l’application de cette règle est malaisée. En effet, l’acte extraditionnel ne


concerne que les rapports entre les Etat et comme il ne peut être ni produit devant la juridiction
de jugement ni communiquer à l’intéressé, il est difficile de vérifier le respect de cette règle
puisqu’on ignore pourquoi l’extradition a été accordée. En pratique, l’application se fait de
manière simple. En effet, dès lors que la qualification pénale est restée la même, on admet que
l’extradé puisse être jugé pour des faits plus grave que ceux invoqués dans la demande. En plus

[82]
rien n’empêche de profiter de la présence de l’individu réclamé sur le territoire pour procéder
à des actes d’instruction sur des faits antérieurs à l’extradition et non visées dans l’acte à
condition que le jugement ne soit pas contradictoire car à l’égard de ceux –ci, l’individus est
sensé ne pas être présent sur le territoire (chambre crim, 12 juillet 1939, Bull n° 178). Deux
exceptions sont néanmoins apportées à cette règle :

- d’abord, un jugement peut intervenir dans les conditions normales si l’on obtient de
l’Etat requis une prorogation de l’extradition ;

- ensuite, lorsque l’individu est resté volontairement au Cameroun plus 30 jours après
le jugement de la procédure valablement diligenté contre lui ou bien que l’ayant quitté, il revient
toujours volontairement (Cf. article 29 al 3 de la loi de 1964).

2- Les autres limites imposées par l’Etat requis

L’Etat requis peut soumettre l’extradition accordée à des conditions particulière, par
exemple, réextrader l’intéressé, ne pas le traduire devant une juridiction d’exception, l’épargner
du châtiment contraire à l’ordre publique. Le non-respect de ces conditions semble a priori ne
pouvoir être sanctionné que sur le plan politique ou diplomatique. La procédure d’annulation
est prévue par l’article 669 al 1 et 2 CPP.

B- La convention de la validité de l’extradition

Aux termes de l’article 31 al. 1 de la loi de 1964,

« l’extradition obtenue par le gouvernement Camerounaise est nulle d’ordre publique


si elle est intervenue en dehors des cas prévus par la présente loi ».

Encore faut-il préciser la procédure, les causes et les conséquences de l’extradition.

1- La procédure à suivre

En vertu de l’article 31 al. 2 de la loi 1964, la nullité est prononcée à la demande de


l’individu réclamé ou même d’office par la juridiction d’instruction ou de jugement dont il
relève lorsque qu’il s’agit d’une extradition à fin de poursuite. La réforme de 1972 ayant
supprimée la juridiction d’instruction comme institution indépendante, il faut admettre que
l’action puisse être portée devant l’IPI ou le TGI selon la nature correctionnelle ou criminelle
de l’infraction. S’il s’agit d’une extradition à fin d’exécution de la peine, la nullité est prononcée
à la seule requête de l’extradé par la C.A dans le ressort de laquelle la remise a eu lieu ou dans
le ressort de laquelle l’extradé est détenu. La demande en nullité formée par l’extradé est

[83]
recevable jusqu’à l’expiration de la peine lorsqu’il s’agit d’une extradition à fin d’exécution
d’une peine (article 32 al 2 de la loi de 1964). Par contre, lorsqu’il s’agit d’une extradition à fin
de poursuite, la loi est muette ; il faut alors se référer aux délais de prescription de droit
commun.

2- Les causes de l’annulation

L’extradé ne peut se prévaloir que des causes de nullité qui tiennent à l’observation de
la loi (loi de 1964) Ex : le fait pour lequel l’extradition a été obtenu ne remplit pas les conditions
de gravité exigées par la loi. Par contre, l’intéressé ne peut s’appuyer sur l’argument de nullité
entachant la procédure suivie sur le territoire de l’Etat requis car nos Tribunaux ne sont pas les
gardiens de la loi étrangère. Dans le même ordre d’idée, les circonstances d’arrestation et de
livraison à l’autorité camerounaise sont différentes. Des problèmes peuvent surgir de la
violation de la convention d’extradition existant entre l’Etat requérant et celui requis. Si l’on
estime qu’une telle convention n’est pas self executing, l’extradé peut demander la nullité de la
mesure prise à son encontre. Le juge camerounais ne s’est pas encore prononcer sur cette
question.

3- Les conséquences de l’annulation

Une fois la nullité prononcée, l’action publique ou l’exécution de la peine cesse et


l’intéressé est remis en liberté de plein droit sauf réclamation par l’Etat requis (article 34 loi
1964). En plus, il ne peut être jugé ou réemprisonné par l’Etat requérant pour les faits qui avaient
motivé son extradition ou pour les faits antérieurs à celle-ci. Toutefois, il en est autrement si
l’extradé est demeuré sur le territoire camerounais au-delà de 30 jours après sa libération (art
667 al 2cpp).

Paragraphe 2- Le Cameroun, Etat requis

Les effets l’extradition dans cette hypothèse se résument essentiellement à la remise de


l’individu réclamé et des objets saisis.

A- La remise de l’individu réclamé

L’individu réclamé étant détenu, il revient à l’Etat requérant de faire diligence pour en
prendre possession (l’extradé étant quérable et non portable). Cette expression découle de
l’article 28 de la loi de 1964 qui prévoit que : « si la remise n’a pas été faite dans le délai d’un
mois à compter de la notification du décret d’extradition au parquet général, l’individu sera
remis en liberté et ne pourra plus être redemandé pour la même causer ».
[84]
Des difficultés peuvent cependant se présenter. Il peut arriver que l’individu réclamé
soit en train d’exécuter une peine pour des faits qui font l’objet de poursuites au Cameroun. Si
la C.A a émis un avis favorable à l’extradition, le gouvernement a toute liberté de manœuvre
quant à l’exécution. Il peut soit livrer immédiatement l’individu à charge pour l’Etat requérant
de le lui rendre, soit différer la livraison jusqu’à la conclusion de la procédure en cour.

B- La remise de l’objet saisi

En vertu de la loi de 1964, c’est la Cour d’Appel qui décide sans recours s’il y a lieu de
transmettre au gouvernement requérant :

« tout ou partie des titres, valeurs ou objets saisis même si la demande d’extradition est
irrecevable, rejetée ou ne peut plus recevoir de suite pour quelques causes que ce soit » (articles
21 al 1er, 26 al.2 loi 1964).

S’agissant des documents et objets ne se rapportant pas aux faits imputés à l’étranger,
la Cour d’Appel ordonne leur restitution sans recours. Quant aux différentes conventions
auxquelles le Cameroun est partie, elles comportent des dispositions à peu près identiques à
ceci près que, la remise des objets « doit et non peut » être faite par l’Etat requis à la demande
l’Etat requérant (voir Convention camerouno-malienne, article 47).

[85]

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