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« La marche de l'ivrogne.
Ma façon de marcher s'apparente à celle-là.

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Un coup à droite, hips !, un coup à gauche.

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Roulis et tangage. Va comme le vent te pousse...Ou comme le bon vin te mène, après une soirée entre

’A E
amis.

D UR
J'aime la marche de l'ivrogne.

IT T
Parce qu'elle s'appuie, en alternance, sur le mur et le lampadaire, elle ressemble à la nage du poisson. Elle

O C
ondoie. C'est une godille. Une sinusoïde. La transposition physique d'une équation. Elle dégage une

R E
D HIT
élégance. On pourrait la nommer une « danse ».
Parce qu'elle refuse la ligne droite – qu'il s'agisse de la morale ou de la trajectoire -, elle remporte mon

AU RC
suffrage. Elle s'apparente au vagabondage poétique que je pratique de ville en forêt ou de plage en
montagne. Je déteste le culte de l'efficacité, l'obsession du rendement, et cette société qui ne jure que par la
IS ’A
performance et le profit rapide. Je suis partisan du détour, de l'hésitation, de la marche arrière, de la
M D
circonvolution, de l'errance. Du recommencement. De la fertile union du temps et de l'espace.
U E
SO UR

C'est la raison pour laquelle je préfère le sentier sauvage à l'autoroute. La surprise, la bifurcation, la
cachette, le secret à la ligne droite.
T IE

La marche de l'ivrogne n'est autre que celle de la vie même.»1


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Yves Paccalet
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1 Texte disponible sur le site internet : http://www.yves-paccalet.fr


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SOMMAIRE GÉNÉRAL

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Plan du mémoire p.2

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Développement du texte p.8

R E
D HIT
> Introduction p.5

AU RC
> Rédaction des différents chapitres p.8
> Conclusion
IS ’A p.59
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Bibliographie p.61
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Index des mots clés p.63


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Illustration de couverture : Le voyeur/Pull en Laine, photo personnelle, 2013


1
PLAN DU MÉMOIRE

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Introduction p.5

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I. Marcher en ville p.8
Attitudes et parcours dans un environnement en majorité prévu pour l'automobile

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I.1. Historique de la marche

D HIT
Quelles origines et quels buts ?

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I.2. Marcher en ville
Quelles attitudes, quelles démarches, quels rythmes, pour quelles destinations ?
IS ’A
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II. Itinéraire d'un flâneur p.16


T IE

En quoi le fait de se perdre en ville permet-il de mieux lire l'architecture et de se laisser surprendre par un
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environnement pourtant déjà connu ?


M PE
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II.1. Parcourir la ville sur une carte


C S

En quoi la cartographie constitue-t-elle un début de flânerie et suscite-t-elle la rêverie ?


D ALE

II.2. Redécouvrir la ville


En quoi l'attitude de la flânerie, son pas lent et serein permettent-ils de voir la ville d'une façon
N
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différente de celle vue depuis une voiture, un transport en commun ou par un piéton pressé ?
II.3. Art, architecture et flânerie
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Par quels moyens l'artiste propose-t-il parfois d'autres valeurs et transmet-il un autre regard sur le parcours
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en ville ?
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2
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III. Piéton, espace public et architecture p.34
Quelle place laisse aujourd'hui la ville au flâneur qui va au hasard sans se soucier des itinéraires tracés ?

AS
Quels rapports l'architecte peut-il établir entre ce personnage et le paysage urbain ?

R TR
III.1. Le rêveur confronté à l'espace public

U S
Quelle place laisse la ville au flâneur d'aujourd'hui ?

TE E
U D
III.2. Flâneur et mutation urbaine

’A E
En quoi l'intervention d'architectes, urbanistes et paysagistes peut-elle influencer sur l'errance de ce

D UR
marcheur rêveur, si cette influence est possible face au piéton qui ne suit aucun itinéraire tracé ?
III.3. Flânerie et conception urbaine

IT T
O C
Par quels moyens cette attitude peut-elle intéresser et interroger l'architecte, en quoi cette vision peut-elle

R E
favoriser une tendance à transformer le paysage urbain ?

D HIT
III.4. Le retour de la nature en ville

AU RC
En quoi les préoccupations actuelles d'architecture responsable peuvent-elle favoriser le flâneur ?

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Conclusion p.59
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Richard Long, A Line Made By Walking, 1967


Artiste, marcheur et arpenteur, il utilise des matériaux bruts et son propre
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corps comme moyen d'expression. Beaucoup de ses œuvres sont réalisées


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par la marche et le pas, laisser une trace éphémère. La marche est un outil.
Source : www.richardlong.org

4
INTRODUCTION

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LA MARCHE est peu dissociable de la trace. Marcher, suivre une trace, en laisser derrière soi, tout

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commence par un pas. Ce dernier défini la marche et la trace. Le pas s'appuie sur le sol, le pied ressent les

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irrégularités du support, s'adapte et on avance encore et encore. De là à affirmer que la marche constitue

U D
le seul acte de répétition obstinée d'un même geste pouvant mener très loin, il n'y a qu'un...pas.

’A E
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L'artiste Richard Long a beaucoup expérimenté cette trace. Marcher laisser ou non une trace, lire les traces
du passé, suivre une trace, toutes ces notions interrogent ce sculpteur du paysage. Il définit d'ailleurs son

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travail comme de « l'art fait en marchant dans les paysages »2. Ses œuvres se basent sur cette action

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instinctive qu'est la marche. Il avance, arpente, persévère parfois pendant des jours entiers et finit par

D HIT
laisser derrière lui la trace éphémère de son passage dans le territoire. Sur l'herbe pour A Line Made By
Walking en 1967 ou en plein désert au milieu des rocs, ses pas et ses mains sont ses seuls outils.

AU RC
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L'artiste nous le montre, la marche constitue un vaste sujet, aussi complexe que passionnant. Elle
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prend d'ailleurs une nouvelle dimension une fois pratiquée dans l'espace urbain parmi une multitude de
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chemins, ruelles, allées, parcs, places, cours.


SO UR

On trouve beaucoup d'ouvrages au sujet de la marche mais peu abordent le rapport entre l'architecture
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et la flânerie. Comment l'un et l'autre peuvent-ils être liés par le regard du marcheur, ou par son pas, son
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rythme, sa démarche ? Chaque aspect de l'espace urbain, même une fissure dans un pavé, influence la
M PE

marche. Cette faille peu représenter une marque de dégradation de la ville pour les plus sceptiques, un
U U

gouffre pour les plus imaginaires, un danger pour les plus inattentifs qui buttent sur la partie surélevée.
C S

Mais il est important de garder en mémoire la réciprocité de la relation. C'est-à-dire de s'interroger sur
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l'influence que peut avoir le marcheur sur son environnement. Peut-il modifier une partie - même infime -
de la ville ? Le concepteur se laisse-t-il influencer par ce besoin de marcher et de rêver dans une cité
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accueillant quotidiennement travailleurs, curieux, marchandises et véhicules en tout genre ?


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Marcher dans le labyrinthe que constituent la ville et ses multitudes d'angles et de creux, de passages et
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d'obstacles, d'axes et de sinuosités, soulève plusieurs interrogations. Flâner, parcourir la ville en tous sens,
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c'est établir une relation exceptionnelle avec le paysage. Lorsque nous flânons en ville, nous récoltons des
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signes, des détails, parfois presque insignifiants mais qui constituent notre fil d'Ariane. Le trajet n'est
aucunement déterminé, il s'établit sur l'instant, chaque pas tisse une nouvelle maille du parcours.
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2« Art made by walking in landscapes », texte disponible sur le site http://www.richardlong.org/


5
Par quels moyens les architectes, paysagistes et urbanistes peuvent-ils composer avec l'espace urbain

G
existant afin de créer des situations propices la flânerie, afin d'éveiller cette part de curiosité cachée dans

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l'esprit de chaque habitant de la ville ? Mais aussi, comment en tant qu'architecte, urbaniste ou

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paysagiste, puis-je être amené à l'idée de flâner ?

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La rêverie du flâneur fait-elle partie du projet urbain ?

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La marche en milieu urbain est un sujet qui touche de très près à l'architecture et à l'urbanisme.

U S
Ce mémoire tentera d'établir le rapport entre ces éléments. Les questionnements rassemblent une

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multitude de notions : l'espace public, le paysage, la marche et ses rythmes, les sensations, les vues et les

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perspectives.

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La réflexion s'appuiera donc sur un certain nombre de travaux d'architectes, sociologues, historiens, et
surtout de marcheurs. Ces ouvrages permettront de recueillir et d'analyser les témoignages et

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expériences de ces explorateurs de l'espace urbain dans le but d'illustrer le propos et d'enrichir la

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recherche.

D HIT
Pierre Sansot aborde le sujet dans Poétique de la ville et notamment dans les deuxième et troisième

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parties, respectivement « Du côté des trajets » et « Du côté des lieux ».
L'écrivain Rebecca Solnit décrit tous les aspects de la marche, elle fait part de cette passion dans L'art de
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marcher. Les première et troisième parties, respectivement « Le rythme des pensées » et « La vie des rues »
M D
seront particulièrement utilisées pour appuyer la réflexion et apporter les témoignages d'une habituée
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de la marche en tous lieux aussi bien naturels qu'urbains.


La ville de Paris est, dans une certaine mesure, la ville du flâneur. Elle possède la multiplicité des paysages
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urbains nécessaires à l'évasion, les échelles y sont variées. Paris, capitale du XIXème siècle : le Livre des
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Passages, de Walter Benjamin apportera des notions sur la capitale, sur l'épaisseur de la ville et la façon de
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la parcourir. Ces notions pourront être mises en rapport avec quelques projets contemporains.
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Enfin, les récits d'Italo Calvino, Marcovaldo ou les saisons en villes, seront mentionnés pour la vision naïve
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mais poétique et imagée que le héros propose dans ses aventures urbaines. La ville n'est plus une
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succession de rues et de bâtiments mais un vrai monde de surprises, de détours, de passages invisibles.
On y saisit une nouvelle réalité, une épaisseur de ville que l'on ne soupçonnait pas.
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Pour tenter de répondre à ces interrogations, il convient de se pencher dans un premier temps sur
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la marche en tant que telle, et au rapport qu'elle peut entretenir avec la ville. Quelles attitudes
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prédominent dans un espace urbain bien souvent zoné et dédié à la voiture depuis les années 1970 ?
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Quels rythmes existent-ils en milieu urbain, notamment dans la ville contemporaine dédiée à la rapidité
O

des déplacements et peu à la flânerie ?


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6
Un deuxième point abordera plus précisément la flânerie, le parcours du flâneur qui laisse son esprit

G
divaguer et le confronte à l'espace urbain et à l'architecture qui l'entourent. Il s'agit de mieux cerner cette

R
part de tout promeneur, notamment en se basant sur les expérimentations artistiques.

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Enfin le rapport entre l'architecture et la marche sera étudié plus en détail du point de vue du projet
urbain et architectural. Comment et par quels moyens la flânerie est-elle prise en compte dans les projets

AS
d'architectes, d'urbanistes et de paysagistes ? Peut-elle donner une nouvelle configuration à la ville

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d'aujourd'hui ? Le flâneur pourrait-il par ses envies de hasard et de lenteur, reconfigurer la cité
contemporaine ?

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I. Marcher en ville

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Attitudes et parcours dans un environnement majoritairement prévu pour l'automobile.

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I.1 Historique de la marche.
Quelles origines et quels buts ?

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Marcher, un acte en apparence anodin pratiqué par la grande majorité des êtres humains, même
les plus paresseux. Voici la définition qui en est généralement donnée : « Marche : Mouvement acquis, en

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général, au cours de la deuxième année de la vie, permettant le déplacement du corps sur les deux pieds dans

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une direction déterminée »3. Rien de plus simple donc, une fois le geste acquis et maîtrisé. Pourtant c'est un

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sujet qui interroge, préoccupe même. Depuis quand marchons nous sur nos deux pieds ? Pourquoi ne

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volons nous pas ou ne rampons nous pas comme d'autres êtres vivants ? La marche et les interrogations
qu'elle suscite se rapprochent d'un questionnement existentiel. Les scientifiques et paléontologues

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mènent leurs recherches afin de répondre à cette problématique et la spécificité qu'elle nous apporte.

R E
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Un état des lieux des connaissances recueillies peut éclaircir le propos. Selon une hypothèse de la

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paléontologue et archéologue britannique Mary Leakey, la bipédie remonterait à 3,6 millions d'années et
peut-être au-delà. En 1978, la scientifique découvrit en Tanzanie, des traces de pas d'hominidés bipèdes
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datant de cette ère., les plus anciens témoignages de bipédie.
M D
Les preuves d'un héritage ancien de bipédie ne furent pas attendue. Cette particularité des êtres humains
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fut retenue au début du XXème siècle comme suffisante - et rassurante - pour différencier l'Homme de
l'animal. Depuis des millions d'années, l'humanité marche pour survivre, se nourrir, pour explorer et
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conquérir de nouveaux territoires. N'oublions pas que nos ancêtres étaient avant tout nomades et
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parcouraient régulièrement des centaines de kilomètres à la recherche de lieux de vie propices à leur
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communauté. C'est à pied que l'Homme a atteint pour la première fois les plus hauts sommets du globe
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et traversé les forêts les plus denses. Depuis autant de temps, on peut supposer qu'il marche pour
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réfléchir, méditer. Dans un langage plus courant et plus contemporain, nous dirions, nous se changer les
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idées. Ce sont ces dernières propriétés de la marche qui nous intéressent, car le flâneur est loin d'être un
paresseux. C'est un grand penseur qui prend possession de notre esprit lorsque nous nous lançons au
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hasard dans la cité. Nous ne sommes pas « absents », nous sommes dans un autre présent.
A cette capacité qui nous est offerte de nous tenir sur nos deux pieds, il faut ajouter la notion de
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kinesthésie. Elle désigne la perception de la position et des mouvements du corps dans l'espace. Ce sens
N

du mouvement permet de ressentir un sol plat ou incliné. Indépendamment de la vue et du toucher, il


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indique toute position du corps.


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3Définition issue du Dictionnaire Larousse


8
Armé de ces deux atouts, chaque marcheur peut ressentir son environnement plus que dans n'importe

G
quelle autre situation. Marcher permet de mesurer (d'où l'un des sens du verbe arpenter : mesurer la

R
superficie d'un terrain), de sentir, voir et toucher.

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BO
Ce propos, Rebecca Solnit l'a justement parcouru en tous sens. Cette écrivaine californienne

AS
affectionne des sujets aussi variés que l'art, le paysage, la rêverie, le souvenir, l'écologie, la vie ou encore la

R TR
politique, qu'elle évoque dans ces écrits. L'art de marcher originellement intitulé Wanderlust4 : A History of
Walking aborde la marche dans tous ses aspects : historiques, paysagers, urbains et même mystiques.

U S
Dès le début de l'ouvrage elle mentionne cette pratique de la marche dans la Grèce Antique. Les

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U D
philosophes, et notamment Aristote, dispensaient des cours dans un lycée fondé à Athènes par ce

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dernier, célèbre penseur. L'auteur se base sur les recherches de Felix Grayeff 5 pour décrire le rapport entre

D UR
la marche et la philosophie à l'époque. Dans ce lieu unique, enseignants et élèves pensaient, écoutaient
et parlaient en marchant : « Une colonnade couverte conduisait au temple d'Apollon […]. Cette colonnade,

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ou promenade (peripatos), donna son nom à l'école ; sans doute était-ce là, au début du moins, que se

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rassemblaient les élèves et que les professeurs faisaient cours. On y déambulait d'une extrémité à l'autre ; c'est

D HIT
la raison pour laquelle on prétendit par la suite qu'Aristote lui-même enseignait en l'arpentant dans toute sa

AU RC
longueur. Les philosophes formés au Lycée furent appelés les « péripatéticiens », ceux qui se promènent, d'un
nom qui relie la pensée à la marche. »6. Ces informations mettent en évidence l'importance de la marche
IS ’A
reliée à la pensée philosophique et à l'enseignement. Felix Grayeff met en lumière une autre donnée
M D
capitale : dès le IVème siècle av. JC, l'architecture répond parfaitement aux besoins des philosophes : la
U E
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philosophie nécessite un espace de déambulation pour libérer la pensée, l'architecture fournit cet espace.
Marche et architecture sont étroitement liées et se répondent mutuellement. Il est important de ne pas
T IE

perdre cette notion de vue dans le développement du discours.


EN R

Rebecca Solnit précise quelques pages plus tôt « Le rythme de la marche donne en quelque sorte son
M PE

rythme à la pensée. La traversée d'un paysage ramène à des enchaînements d'idées, en stimule de
U U

nouveaux.»7. La colonnade rythme la marche, la marche rythme la pensée. Un mode particulier de


C S

fonctionnement est mis en place, peut-être à l'origine de la pérennité des idées des philosophes de cette
D ALE

époque. Marche et esprit intimement liés contribuent à diffuser des idées intemporelles. La puissance de
la marche justifie l'intérêt que lui portent écrivains, philosophes et concepteurs de l'espace urbain.
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IO

A ce propos, Rebecca Solnit fait part de l'aspect personnel, presque affectif que chacun peut avoir
AT

avec la marche, en fonction de son histoire propre, de son éducation ou du contexte dans lequel il vit :
N
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4 “Wanderlust” peut être traduit par "envie de voyager"


O

5 GRAYEFF Felix, Aristotle and His School: An Inquiry into the History of the Peripatos, Londres, Gerald Duckworth, 1974.
EC

6 Rebecca Solnit, L'art de marcher, Actes Sud, Arles, 2002, p 26


7 Idem p 13
9
« L'histoire de la marche, dès lors, relève en partie de l'histoire de l'imaginaire et de la culture ; quels plaisirs,

G
quelles libertés, quels sens poursuivent à des moments différents, les différents types de marches et de

R
marcheurs ? »8. Marcher c'est donc se libérer l'esprit, se construire tout en se basant sur l'expérience

U
BO
acquise jusqu'ici. Chacun établit son esprit de marcheur, chacun découvre son environnement en
fonction son héritage culturel mais aussi en fonction de son pas et de sa cadence.

AS
Dans le même esprit que cette architecture antique, l'architecte et historien de l'architecture Christian

R TR
Norberg-Schulz nous apprend dans le chapitre III de Genius Loci, que les lieux de cultes d'abord de
l'Empire Romain se basent sur un plan invitant le fidèle à parcourir les lieux : « Dans la basilique chrétienne,

U S
le parcours (nef) et le but (autel) s'unissent afin de symboliser le « chemin du salut » de la doctrine

TE E
U D
chrétienne. »9. Le parcours se suit aussi au sein même les bâtiments. L'architecture religieuse est conçue de

’A E
manière à suggérer voire imposer ce parcours initiatique. Encore une fois, la marche tient un rôle majeur

D UR
et garde un lien tout aussi fort avec l'esprit du fidèle. Pour la religion chrétienne, le déplacement implique
un effort d'où une purification, un moment de pénitence de l'esprit. L'idée se retrouve en parcourant un

IT T
O C
chemin de croix dans la religion catholique.

R E
Marche, esprit et architecture, voilà le trio qu'abordent ces deux auteurs. Ils pourraient presque à eux-

D HIT
seuls définir l'espace urbain, du moins celui des villes antiques.

AU RC
Dans la lignée historique, citons aussi la réflexion d’Éric Alonzo, architecte et enseignant à l’École
IS ’A
d'architecture de la ville et du territoire de Versailles. Après un travail de recherche historique sur le rond-
M D
point, il publie en 2005 l'ouvrage Du rond-point au giratoire10 dans lequel il émet l'hypothèse que la ville
U E
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serait le reflet du parc classique. Il se penche notamment sur le cas du parc du château de Versailles. Les
jardins, conçus au XVIIème siècle par Le Nôtre, haut lieu de promenade, de flânerie et d'émerveillement,
T IE

seraient à l'origine de nos formes urbaines. Une hypothèse intéressante qui replace le piéton au cœur du
EN R

débat.
M PE

Il est vrai qu'une vue en plan de ces jardins rappelle étonnamment nos rues actuelles avec leurs pattes
U U

d'oies, rond-points, places et impasses. Sur ces axes bien hiérarchisés et ordonnés, le piéton flâneur
C S

n'avait aucun mal à se laisser aller dans ses réflexions, en laissant son pas le guider de fontaine en
D ALE

bosquet, de statues en bassins. Cependant entre les jardins de la cité royale et nos villes actuelles, le
panorama a bien changé, au même titre que les rythmes. Les flâneurs et quelques calèches et cavaliers
N
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ont été remplacés dans les cités contemporaines par quelques engins bien plus rapides, puissants et
bruyants.
AT
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8 Rebecca Solnit, L'art de marcher, éditions Actes Sud, Arles, 2002, p 9


EC

9 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, éditions Mardaga, Bruxelles, 1997, p 58


10 Éric Alonzo, Du rond-point au giratoire, éditions Parenthèses, Marseille, 2005
10
Plan des jardins du château de

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Versailles par l'Abbé Jean de la

R
Grive, 1746.

U
Ce plan réalisé par l'Abbé à la

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demande de la ville de Paris illustre le
propos d'Eric Alonzo. Les axes

AS
principaux, croisements et “rond-
points” y sont bien visibles.

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Source :
http://www.editions-beauchesne.com

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L'auteur illustre son discours par un croquis de Le Corbusier. On y voit sa vision du giratoire et de la
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hiérarchisation des réseaux de circulation. Les réseaux piétons ne croisent jamais les réseaux viaires.
M D
Beaucoup d'espaces urbains sont aujourd'hui dédiés aux véhicules, la vie s'organise souvent autour de ce
U E

moyen de transport individuel bien plus efficace, et le piéton a bien du mal à trouver sa place dans ce
SO UR

système urbain. Mais faut-il pour autant en arriver à ces extrêmes ? Le piéton ne doit-il jamais rencontrer
T IE

un seul véhicule à moteur au cours de son parcours en ville ?


EN R
M PE

D'autres visions de l'espace urbain tout aussi tranchées existent. Voici celle de l'agence
U U

d'architecture danoise BIG11, pour le moins à l'opposée de cette planification séparatrice des fonctions :
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une vision du futur, dans laquelle chaussées, trottoirs et bitumes ; panneaux de signalisation, marquages
D ALE

au sol et éclairages publics, ne sont que de lointains souvenirs. Les frontières entre ces espaces
disparaissent, aucune hiérarchisation de voie. Les seules limites sont celles bâties. Entre les constructions
N
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urbaines, chacun est libre d'aller où bon lui semble, qu'il soit motorisé ou debout sur ses deux pieds.
IO

Le principe paraît simple : tout repose sur la technologie. Le sol dans sa totalité est un écran digital qui
AT

anticipe et signale les trajectoires de tout objet en mouvement. L'usage du progrès technique doit, selon
N

les concepteurs, permettre à la ville de s'adapter à la vie urbaine en fournissant informations, énergie et
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lumière.
La problématique est digne d'intérêt. Les architectes nous confrontent à un avenir utopique intrigant,
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EC

11 Concept créé en 2010 pour le concours d'architecture Audi Urban Futur Award
11
libérateur peut-être, mais aussi légèrement effrayant. Comment réunir sur un même espace sans bornes

G
rapidité et lenteur, humanité et technologie, Homme et machines ?

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Vision du futur, BIG architecture, 2010


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Sur cette place gigantesque tout droit sortie d'un film de science-fiction, piétons, véhicules, tous cohabitent dans un seul et
même espace non hiérarchisé. Mais qui doit se faufiler parmi les autres ? L'environnement semble assez hostile au flâneur. La
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technologie peut-elle anticiper et programmer la rêverie ? Nous avons le temps pour en débattre.
N

Source : http://www.archdaily.com
LE

Le pas a parcouru les siècles à des fins toujours différentes. Tous les extrêmes existent. Les témoignages,
O

qu'ils illustrent les expériences passées ou les hypothèses futures, prennent toujours en compte ce simple
EC

fait : mettre un pied devant l'autre. L'espace urbain doit composer avec cette aptitude.
12
I.2. Marcher en ville

G
Quelles attitudes, quelles démarches, quels rythmes, pour quelles destinations ?

R
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Si, comme l'affirme Rebecca Solnit, la marche a façonné les villes, il semble que seuls les quartiers

BO
anciens bénéficient de cet héritage. A partir des années 1970, la technologie trouve une alternative à

AS
première vue bien plus efficace. Un tournant s’opère, c'est la voiture qui dicte la configuration de la ville
au point que le piéton est perdu dans un labyrinthe d'asphalte dont une infime partie lui semble dédiée.

R TR
La configuration longtemps admise et mise en place pour la plupart des rues d'une ville présente une

U S
hiérarchie clairement définie : la voiture occupe l'espace central, le plus large, à l'échelle des véhicules qui

TE E
sillonnent la voie. Le piéton marche sur les côtés, sur un trottoir souvent étroit. Cette bande piétonne, le

U D
marcheur la partage souvent avec les cyclistes, les lampadaires, et autres équipements, et gare au rêveur

’A E
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qui osera lever la tête. Un poteau se chargera bien de le ramener à la réalité. Un espace qui ne semble pas
à l'échelle du pas humain, ni à l'échelle du partage de l'espace public. Une situation fréquente est celle

IT T
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aussi basique que de croiser un rival sur cette mince bande piétonne. A gauche un mur de plusieurs

R E
dizaines de mètres de haut, à droite les flots rugissants de véhicules en tout genre. Les adversaires se

D HIT
toisent du regard, qui va devoir céder sa place et risquer sa vie en quittant le trottoir rassurant ? Les lois
urbaines sont parfois aussi dures que celles de la jungle.

AU RC
Ailleurs, la conception des villes suit la logique de la société de consommation. Sur les axes longeant les
IS ’A
vitrines de boutiques toutes plus illuminées les unes que les autres, le piéton est plus chanceux. Un large
M D
trottoir lui laisse l'aisance de croiser ses congénères. Mais ici encore flâner s'avère périlleux. La foule
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interdit toute rêverie. L'imposante Oxford Street de Londres illustre bien cette configuration attractive
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mais peu propice à la marche en tant que telle.


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Configurations urbaines
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Quelques configurations fréquentes de rues dans les villes contemoraines d'Europe.


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A gauche : une rue typique de quartier résidentiel : trottoir étroit, mobilier urbain obstacle au passage du marcheur.
A droite : configuration classique d'un axe commerçant. La place du piéton est plus importante, mais la flânerie est risquée dans
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l'urbanisme de consommation. Source : croquis personnels


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13
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Boutiques , vitesse et lumières. Oxford Street, Londres, 2013.
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Une rue commerciale par excellence. Les trottoirs sont larges, mais flâner s'avère presque impossible face à la marée humaine qui
y défile chaque jour.
T IE

Photo personnelle
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Heureusement, quelques oasis piétonnes existent. Dans les villes d'Europe, les centres historiques
semblent bien plus dédiés aux piétons. Les pas résonnent souvent sur les pavés des rues étroites et
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sinueuses et les riverains et touristes fourmillent en ces lieux. Ici la voiture n'a pas sa place, elle est
C S

l’intruse mais peut parfois se faufiler lentement parmi les marcheurs.


D ALE

Les nouveaux quartiers s'étendent à la périphérie. La démarche y est moins aisée. La ville qui a pris le
N

relais autour de ce centre historique est celle des carrefours, parkings, avenues larges que le marcheur a à
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peine le temps de traverser avant que le petit personnage autoritaire ne vire à l'écarlate et lui ordonne de
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s'arrêter. Peu de « zone piétonnes » ne finissent pas tranchées par une importante voie de circulation
urbaine.
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Bien sûr il ne s'agit pas de généraliser, il est encore possible de marcher dans la plupart des villes
LE

contemporaines d'Europe en particulier celles qui ont pu développer le tourisme. Pourtant la marche
O

touristique n'est-elle pas une marche formatée, ponctuée de passages obligés et d'arrêts forcés ?
EC

Bien loin du hasard et de la spontanéité de certaines marches, la marche touristique suit un itinéraire bien
14
précis, souvent tracé par les guides. Lorsque nous allons en touristes dans une ville, nous récoltons les

G
renseignements qui nous enverront dans les lieux référencés de la ville. Les plans nous mèneront vers les

R
« immanquables ». Ce référencement des lieux incontournables nous impose un parcours au risque de

U
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passer à côté de beaucoup d'autres détails : prendre une ruelle étroite et sombre par curiosité de ce qui
pourrait se cacher à l'autre extrémité, découvrir l'arrière d'un bâtiment, la face cachée. Entre le pas du

AS
touriste et le pas du flâneur, deux marches se confrontent et mènent dans des directions opposées. Le

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touriste observe la Lune aux jumelles, repère la célèbre Mer de la Tranquillité et quelques cratères. Le
flâneur se munit de sa loupe et en fait le tour.

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Rebecca Solnit réfléchit à nouveau sur les types de marches, et les raisons les plus fréquentes de

’A E
la pratiquer : « On marche le plus souvent pour des raisons purement pratiques, en utilisant sans même y

D UR
penser ce mode de locomotion pour aller d'un point à un autre. ». La marche réflexe, moyen de transport, est
sûrement la plus répandue. Nous marchons pour nous rendre au travail, si bien que chaque matin, la ville

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grouille de marcheurs pressés se bousculant sur les trottoirs. Et gare à celui qui osera se perdre dans ses

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pensées. Une seconde « d'inattention » et il sera vite rappelé à l'ordre par le klaxon d'un camion de

D HIT
livraison déboulant sur son chemin ou par les jurons du propriétaire de ce caniche dont la laisse s'est

AU RC
emmêlée autour du rêveur.
Cette marche abordée par l'écrivaine est une marche d'usage, un pilote automatique en somme. Mais
IS ’A
elle-même évoque dans son ouvrage qu'il en existe des milliers, sûrement une par individu, ou plutôt une
M D
gamme de marches pour chaque citadin.
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La marche est commune aux Hommes mais les démarches ne se ressemblent pas, il existe une
EN R

marche pour chaque destination. La pratique de l'espace urbain se fait en fonction de ces besoins et
M PE

destinations. L'architecture et la configuration de la ville influence fortement ces parcours qui les
U U

sillonnent.
C S

Parmi toutes ces démarches, les pas du flâneur sont ceux qui mènent à la découverte du paysage urbain.
D ALE

Le dialogue du piéton avec son environnement, ses contemporains et l'architecture qui l'entourent.
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15
II. Itinéraire d'un flâneur

G
En quoi le fait de se perdre en ville permet-il de mieux lire l'architecture et de se laisser surprendre

R
par un environnement pourtant déjà connu ?

U
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Dans son ouvrage L'image de la Cité, l'architecte et urbaniste Kevin Lynch soutient que « S'égarer

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complètement est peut-être une expérience assez rare pour la plupart des gens dans la ville moderne. […] Mais

R TR
s'il arrive, par malheur, que nous soyons désorientés, la sensation d'anxiété et même de terreur qui
accompagne cette perte de l'orientation nous révèle à quel point en dépendent nos sentiments d'équilibre et

U S
de bien-être. »12. La perte d'orientation est en effet liée à une certaine angoisse. Notre culture commune

TE E
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connote l'égarement comme négatif, source de mauvaises rencontres.

’A E
Mais cette affirmation de Lynch ne pourrait-elle pas être nuancée ? Ne peut-on pas ressentir du bien être

D UR
par le fait de se perdre ? Laisser une place au hasard mène souvent à la découverte et à la surprise, vers
une cour baignée de soleil au détour d'une minuscule ruelle sombre et humide.

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II.1. Parcourir la ville sur une carte

D HIT
En quoi la cartographie constitue-t-elle un début de flânerie et suscite-elle la rêverie ?

AU RC
La cartographie est au premier abord une science très pragmatique, qui considère des données
IS ’A
réelles afin de les reporter sur un support. C'est un relevé d'informations précises parmi lesquelles des
M D
effets climatiques, tectoniques, des informations de positionnement de masses végétales, de bâtiments
U E
SO UR

ou d'activités humaines.
La carte donne un premier aperçu du terrain. Une vue interprétée, à distance est retranscrite. Pourtant la
T IE

carte donne matière à l'imagination. Il semble possible de flâner en parcourant un plan. L'esprit trouve la
EN R

possibilité de s'évader, d'imaginer. Ces lignes, points, formes, représentent des objets réels dont on se
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forme une image mentale. L'intérêt est ensuite d'aller confronter cette image à la réalité.
U U
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Le texte « Récits d'espaces » aborde cette question de la cartographie et de son rapport à la


D ALE

marche. Ce chapitre est tiré de l'ouvrage de Michel de Certeau L'invention du quotidien. Le philosophe et
historien français s'attache à ce parallèle difficile entre consulter une carte et parcourir l'espace.
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« L'opération d'aller, d'errer ou de « relicher les vitrines », autrement dit l'activité des passants, est transposée en
points qui composent sur le plan une ligne totalisante et réversible […]. Visible, elle a pour effet de rendre
AT

invisible l'opération qui l'a rendu possible […]. La trace est substituée à la pratique. »13. Alors cartes, plans,
N

retranscription aérienne de villes ne seraient que pâle interprétation de l'action réelle et impliquerait
LE

nécessairement une perte ?


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EC

12 Kevin Lynch, L'image de la Cité, Dunod, Paris, 1999, p 4


13 Michel de Certeau, L'invention du quotidien, tome 1 « Arts de faire », Gallimard, Paris, 1990, p147
16
Une certaine nuance peut sans doute être apportée à ces propos. Certes, la cartographie perd tout ce que

G
la marche possède en terme de pratique réelle de l'espace, de sensation du lieu. Mais elle en est une

R
interprétation, une traduction riche en symboles et informations. De ce fait, le lien cartographie, marche

U
BO
et architecture reste fort. Un plan de ville ou de bâtiment se parcourt, l'expérience tactile est possible :
nos doigts suivent les lignes symboles, effleurent des escaliers. Tout un monde bâti se crée par la pensée.

AS
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Pour que ce propos ne reste pas qu'imaginaire, prenons l'exemple d'un extrait de carte cadastrale du
centre ville de Strasbourg14.

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Carte cadastrale du centre
ville de Strasbourg

’A E
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Cette carte simple demeure
riche en informations.

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Chaque bâtiment se

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démarque sur un fond clair.

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Les pleins et les vides de

D HIT
l'espace urbain sont
nettement identifiables. Ils

AU RC
nous indiquent où la
marche est possible (le long
IS ’A des cours d'eau, dans les
rues sinueuses du centre
M D
ville souvent ponctuées de
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places et placette).
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Source :
http://www.geoportail.gouv.fr
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On y reconnaît la Grande Île de Strasbourg et les points particuliers de la ville. Par un mode de
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représentation simple, cette carte révèle la ville sous un angle nouveau. Chaque place se démarque de la
masse sombre du bâti et dessine un vide dans lequel le flâneur que nous sommes se projette. Nous en
AT

imaginons les contours, la hauteur des bâtiments qui la bordent, les rues qui s'en échappent. Un parcours
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circulaire se devine aisément le long de l'Ill, sur les quais, mais une multitude d'alternatives s'offre à notre
LE

imaginaire flâneur. Ces petites cours perdues au milieu d'étendues bâties intriguent particulièrement :
O

peut-on y pénétrer par des passages sous les constructions ? Il s'agit ici d'un tissu bâti ancien donc très
EC

14 Carte disponible sur le site : http://www.geoportail.gouv.fr


17
resserré, riche en ruelles et placettes.

G
En parallèle, une même carte d'un autre quartier de Strasbourg peut stimuler l'imaginaire d'une manière

R
bien différente. Le quartier étudiant de l'Esplanade dessine une configuration bien plus aérée, moins

U
BO
cadrée par le tissu bâti.

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Carte cadastrale du

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quartier Esplanade de
Strabourg

U S
Le tissu bâti est bien moins
dense que dans le centre

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ville. Il est plus délicat de
deviner où le piéton peut

’A E
s'aventurer. Les vides sont

D UR
nombreux mais les parcours
possibles n'y sont pas

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visibles.

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Source :

D HIT
http://www.geoportail.gouv.fr

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Cette carte cadastrale15 esquisse un quartier différent. Quelques axes majeurs se démarquent entre les
C S

grandes barres d'immeubles. Les placettes et ruelles ont disparu. Cette zone urbaine évoque une aire de
D ALE

passage et peu de flânerie. Le plan suffit à évoquer les bruits des véhicules le long des axes routiers
principaux. L'esprit flâneur se sent presque moins en sécurité dans un espace à grande échelle quand le
N
O

centre ville cadre les parcours entre ses murs variés et rassurants.
IO

Ces deux extraits évoquent à quel point on peut se familiariser avec la ville en parcourant seulement sont
AT

plan. Mais que les suppositions soient fausses ou véridiques, rien ne vaut l'expérimentation sur le terrain.
N
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D'autres cartes peuvent susciter l'intérêt et l'imaginaire par leur aspect parfois plus artistique, ce
O

sont les cartes anciennes, témoins de l'état des villes dans une période précise. Elles sont les témoins de
EC

15 Carte disponible sur le site : http://www.geoportail.gouv.fr


18
l'architecture et de l'urbanisme des siècles qui se sont succédés.

G
Sur une carte de Cassini représentant à nouveau Strasbourg au XVIII ème siècle, le centre reste très

R
reconnaissable, mais les abords évoquent un autre lieu. Des champs, une ceinture de fortifications et

U
BO
nous voilà plongés dans une autre époque. Flâner sur ce plan est moins aisé puisque les repères de nos
villes contemporaines y sont difficilement transposables. Mais le parcours est plus enrichissant, fort de

AS
découvertes et de témoignages.

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Carte de Cassini, XVIIIème siècle


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Les cartes des Cassini ou cartes de l’État-major furent établies entre 1750 et 1790 par plusieurs générations de Cassini.
IO

La carte de Strasbourg évoque l'aspect défensif de la ville du XVIII ème siècle. Les places et placettes sont identifiables, un parcours
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dans le Strasbourg de l'époque s'offre à l'imaginaire.


La carte se suffit à elle même pour évoquer une toute autre architecture, bien plus défensive à la périphérie de la cité de
N

l'époque.
LE

Source : http://www.geoportail.gouv.fr
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19
II. 2. Redécouvrir la ville

G
En quoi l'attitude de la flânerie, son pas lent et serein permettent-ils de voir la ville d'une façon différente de

R
celle vue depuis une voiture, un transport en commun ou par un piéton pressé ?

U
BO
Flâner est une attitude lente et curieuse. Le dictionnaire en donne la définition suivante :

AS
« Avancer lentement et sans direction précise. Se promener au hasard et sans hâte »16. Ces notions de lenteur
et de hasard permettent de s'égarer et redécouvrir un environnement même familier. Rebecca Solnit

R TR
constate dans ses écrits à ce sujet : « Une simple balade dans les rues du quartier s'avère parfois aussi propice

U S
aux surprises, aux libérations, aux clarifications du voyage qu'un périple autour du monde ; marcher c'est aller

TE E
tout près et très loin à la fois.»17. L'auteur l'a mis en avant : pour les philosophes de la Grèce Antique,

U D
marcher stimule la pensée. Cette pratique aide aussi à mémoriser des détails, le rythme rassure, berce. Le

’A E
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piéton dans cet état d'esprit s'ouvre donc à de nouvelles perspectives face à l'espace urbain, l'architecture
et le paysage.

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L'écrivain Italo Calvino nous présente un personnage qui semble posséder ce regard du flâneur en

D HIT
permanence et en tout lieu : le quelque peu naïf mais néanmoins rêveur poétique Marcovaldo 18,
manœuvre à la S.B.A.V. Il est doté d'une vision incomparable sur l'espace et la société urbaine qui

AU RC
l'entourent. Le héros paraît hors du monde, plongé dans une autre réalité. Cette attitude lui permet de
IS ’A
repérer des détails auxquels personne d'autre ne prête attention. Ce personnage atypique semble
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particulièrement affectionner les marques de la nature en ville.
U E

Il est toujours en quête de l'invisible et de l'insaisissable dans la cité. A la recherche de champignons, à la


SO UR

poursuite de la pluie, empruntant les plus étroits passages sur les traces des chats errants, il découvre
T IE

chaque jour un nouvel aspect de sa ville et s'émerveille de ses trouvailles. Le lecteur s'émerveille à son
EN R

tour, même si chaque situation même à la déception dans la cruelle vie urbaine d'une ville industrielle du
M PE

Nord de l'Italie. Une nouvelle perspective s'ouvre à nos yeux, Marcovaldo, souvent accompagné de ses
U U

enfants avec qui la ville devient un immense terrain de jeux, nous entraîne dans chacune de ses
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promenades, nous montre tout de cet inattendu.


D ALE

Un passage de l'ouvrage illustre particulièrement cet état d'esprit du héros poétique dans ses aventures
urbaines. Dans le chapitre 18 « Eté, la ville pour lui tout seul », la ville est abandonnée par ses habitants une
N
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fois le mois d'Août venu . Marcovaldo reste seul à errer dans les rues désertes : « Il alla faire un tour dans le
IO

centre, le matin. De larges et interminables rues s'ouvraient devant lui, désertes et vides de voitures ; les façades
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des maisons – de la haie grise des rideaux de fer baissés aux innombrables lattes des persiennes – étaient
N

closes comme des forteresses. Durant toute l'année, Marcovaldo avait rêvé de pouvoir utiliser les rues en tant
LE

que rues, c'est-à-dire en marchant en leur milieu : maintenant il pouvait le faire, et même passer au feu rouge,
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16 Définition donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)


EC

17 Rebecca Solnit, L'art de marcher, Actes Sud, Arles, 2002, p 13


18 Italo Calvino, Marcovaldo ou les saisons en ville, éditions Julliard, Paris, 1993
20
traverser en diagonale et s'arrêter au beau milieu des places. Mais il comprit que le plaisir, ce n'était pas tant de

G
faire ces choses insolites que de tout voir différemment : les rues, comme des creux de vallée ou des lits de

R
fleuves à sec ; les maisons, comme des chaînes de montagnes escarpées, ou comme des parois d'une

U
BO
falaise. »19. Un nouveau monde s'offre aux yeux de Marcovaldo rien que par le fait de pouvoir prendre la
place des voitures au milieu des rues, il prend réellement possession de l'espace urbain. Cette situation

AS
développe un imaginaire, une nouvelle vision s'offre à lui, un paysage bien plus monumental se déploie.

R TR
Ces simples maisons rivalisent avec les plus hauts sommets des montagnes. Un enthousiasme nouveau
nous saisit. Quel plaisir de découvrir la ville sous cet aspect. Elle est telle que nous voudrions qu’elle soit :

U S
appropriable. La rue est une esplanade, la place un lieu dans lequel s'arrêter est possible sans être

TE E
U D
emporté par le flux de la vie urbaine.

’A E
Malheureusement cette évasion dans une cité nouvelle sera de courte durée. Juste le temps qu'une

D UR
équipe télévision surexcitée investisse les lieux et recrute presque de force Marcovaldo pour la journée.
Certaines expéditions du manœuvre se rapprochent d'une intervention artistique, comme se lancer à la

IT T
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poursuite de la pluie sur un cyclomoteur pour abreuver sa passagère, une plante verte en pleine

R E
croissance.

D HIT
Marcovaldo aurait sûrement la réponse au questionnement du philosophe et sociologue français Pierre

AU RC
Sansot dans Poétique de la ville : «A la question assez embarrassante : "quelle est l'essence d'un lieu ?" il
faudrait substituer une autre question : "qu'en peut-on rêver ?". Ainsi, une poétique de la ville ne se donne pas
IS ’A
comme tardive. Il lui arrive de précéder un dévoilement de l'espace urbain. »20. Comme avec la cartographie,
M D
la ville se révélerait d'abord en rêve, elle est ce qu'on imagine d'elle avant même d'être. Cette sensation
U E
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est procurée par la marche. La ville présente toutes les configurations possibles pour stimuler
l'imagination et la rêverie.
T IE

A Strasbourg, aux abords de l'Ill, le cours d'eau, en contrebas, n'est pas visible, mais le marcheur sent que
EN R

quelque chose succède à l'alignement de bâtiments, une rupture se fait sentir. La configuration laisse
M PE

bien sûr à penser qu'il s'agit d'une rivière ou d'un canal, mais rien n'indique à quelle hauteur se trouve
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l'eau, comment sont les abords, dans quel sens le courant s'écoule. La rêverie se met en marche, le flâneur
C S

explore les possibilités avant de découvrir le paysage réel des berges accessibles, proches de l'eau,
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peuplées de lecteurs s'offrant un bain de pieds, de musiciens du dimanche ou d'autres flâneurs perdus
dans leurs pensées. A la vue de ces berges, son trajet pourrait bien se voir modifié.
N
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A l'opposé, plus loin dans la première partie de son ouvrage intitulée « Repères et partis pris », Pierre
Sansot décrit bien ce que la ville présente comme « trajets efficaces », c'est-à-dire rapides et directs et
AT

comment ils pourraient en être modifiés : « Nous entendons bien […] qu'il existe des axes de facilitation, que
N

nous sommes incités à emprunter tels parcours plutôt que tel autre. L'espace de la ville est fortement orienté
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avec des obstacles, des appels, des zones indifférentes, des points chauds, des nœuds, des goulots
O
EC

19 Italo Calvino, Marcovaldo ou les saisons en ville, éditions Julliard, Paris, 1993 p 146
20 Pierre Sansot, Poétique de la ville, Méridiens Klincksieck, Paris, 1994, p 23
21
d'étranglement... Les mouvements de la foule et des véhicules en font foi. Mais nous nous situons là à un

G
niveau pratique qui n'engage pas l'exploration d'une cité. Un homme moins pressé pourrait sans mal

R
emprunter un autre chemin (…) »21. Le sociologue explique ici que la configuration de la ville pousse

U
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majoritairement le marcheur à privilégier la rapidité. Il s'agit toujours de la même nécessité d'aller d'un
point A à un point B, sans se soucier du paysage environnant. Le flux urbain nous entraîne avec les foules.

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Didier Paris s'exprime dans le sens de Pierre Sansot. Ce professeur d'aménagement et d'urbanisme à

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l'université de Lille I déclare dans La ville qui fait signes : « Ainsi plus qu'une simple déambulation, parcourir
la ville devient à la fois un voyage dans le temps, et, sinon une quête, en tout cas une quête sociale, qui, de lieu

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en lieu, à travers les signes que l'on sait capter, permet de s'inscrire en tant qu'individu dans le système social

TE E
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complexe que forme la ville »22. La marche reste liée aux signes présents dans l'environnement urbain.

’A E
Nous nous reconnaissons ou non dans la ville, les rues et les éléments qui les composent.

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Lors d'un parcours en ville, il est facile de constater quels espaces correspondent à l'échelle du

R E
marcheur. Traverser à pied différents quartiers aide à sentir les nuances, les ruptures de l'espace urbain.

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Puisque ce dernier n'est pas seulement fait de juxtapositions de bâtiments, il est aussi fait d'immatériel,

AU RC
de frontières et d'ambiances, de courants d'air qui s'engouffrent entre les murs et longent les façades, un
monde de sensations et d'appréhension.
IS ’A
Lors d'un parcours depuis le centre ville de Strasbourg jusqu'à la rive du Rhin à l'Est de la ville, une
M D
multitude de ces paysages se présentent. Certains sont typiques, presque folkloriques, d'autres hostiles,
U E
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peu praticables. Le compte rendu de ce parcours illustrera cette notion d'échelle et permettra de mettre
en évidence les différentes aires urbaines :
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Centre-ville et quartier de la krutenau


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L'échelle urbaine est celle du pas et du regard humain.


C S

Les bâtiments d'une hauteur relativement faible laissent deviner les arrières
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plans. Du point de vue de la marche, le piéton trouve facilement sa place


notamment dans le centre historique où il peu s'approprier la rue à la place
N
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des véhicules, le trottoir n'est plus son seul domaine. Les marcheurs sont
AT

nombreux : travailleurs, touristes, curieux, promeneurs.


Photo personnelle
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LE
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21
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Pierre Sansot, Poétique de la ville, Méridiens Klincksieck, Paris, 1994, p 42


22 La ville qui fait signes, groupe le Moniteur, catalogue édité dans le cadre de l'exposition « La ville qui fait signes » sous la
direction d'Alain Guiheux, Tourcoing, 2004
22
Quartier rive étoile

G
Un nouveau quartier en mutation. La présence des commerces favorise les

R
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développements d'esplanades, allées et passerelles piétonnes.

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Les échelles y sont variées souvent grandes sans être démesurées, le tissu
bâti peu dense. Les piétons y sont également très nombreux.

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Photo personnelle

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Quartier Neudorf, le long de l'avenue du Rhin

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Périphérie urbaine, entre friches et nouvelles constructions. Un lieu en

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mutation.

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Échelles vastes. Peu de piétons fréquentent les trottoirs, les rares marcheurs

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font le trajet de leur immeuble jusqu'à leur voiture garée en contre-bas.

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D'ailleurs, inconsciemment, le pas s'accélère. Le piéton ne se sent pas à sa

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place malgré le large trottoir.
Photo personnelle

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IS ’A Canal du Rhône au Rhin et avenue du Rhin
M D
On devine que le piéton n'a pas sa place sur cet axe de circulation entre
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Strasbourg et l'Allemagne. L'espace est hors échelle : la portion réservée aux


piétons fait pâle figure face à la forte présence de l'axe routier. Un sentiment
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de danger prend le dessus.


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Photo personnelle
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Un autre parcours offre une perception sensorielle de la ville, celui de la perception kinesthésique de
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l'espace urbain et de son rapport aux sols.


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Chaque pas est en effet une expérience sensorielle. Les fabricants, quelque peu animé par cet esprit de
AT

consommation, ne manquent pas une occasion de nous le rappeler, nos chaussures sont de plus en plus
N

performantes et confortables, il n'empêche que nos pieds et leurs centaines de capteurs sensoriels notent
LE

toujours les aspérités du sol. Encore une fois, la ville de Strasbourg et ses multitudes de sols se prêtent
plutôt bien à l'expérience. Lors d'un trajet depuis la cathédrale jusqu'aux Ponts couverts, le marcheur
O

découvre une grande partie du centre historique, il expérimente aussi une variété de sols qui influencent
EC

sa marche et sa rêverie.
23
G
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Place de la Cathédrale

AS
Le paysage est celui d'un quartier médiéval.
L'hétérogénéité des constructions y règne :

R TR
hautes et étroites maisons de ville, contrefort de
la cathédrale. L'architecture et celle du passé,

U S
conservé, mis en valeur en tant que patrimoine

TE E
historique et culturel.

U D
Face à ce paysage d'un autre temps, le sol se

’A E
pare de pavés et larges dalles, écho à ce passé

D UR
historique. Mais l'épreuve est de taille pour le
flâneur. Lever la tête pour admirer la flèche de la

IT T
cathédrale et conserver un semblant de stabilité

O C
sur ce sol irrégulier n'est pas une mince affaire.

R E
D HIT
Rue du Maroquin
Configuration très similaire à celle de la place de

AU RC
la Cathédrale et que l'on retrouve dans de
nombreuses rues du centre.
IS ’A L'aspect reste pittoresque mais cette fois, les
M D
larges dalles plus stables nous ont abandonné.
U E

Le rythme de la marche se réduit pour éviter la


SO UR

chute. Par temps de pluie, la démarche des


promeneurs est unique au monde, un style
T IE

entre le patinage et le trekking pour trouver un


peu de stabilité. Difficile dans ce cas de se laisser
EN R

absorber par le décor des vieilles maisons


M PE

alsaciennes.
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Rue des Moulins et rue du Bain aux Plantes


A nouveau dans ces rues pittoresques, les pavés
D ALE

s'affichent, plus anciens et plus polis par la


succession des pas, le temps et la marche y ont
N

fait leur œuvre.


O
IO

Une très étroite bordure de dalles de grès offre


un petit refuge aux chanceux qui peuvent s'y
AT

faufiler. Ce sol pittoresque, très en accord avec le


N

contexte urbain n'est malheureusement pas des


plus idéaux pour le confort de la marche. On
LE

glisse, on butte, on trébuche, la promenade vire


O

à l'épreuve olympique. Mais les plus beaux


EC

paysages urbains se méritent dirons nous.

24
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Pont tournant

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Sur le pont de bois, notre pied retrouve sa
stabilité, les larges planches rassurent le pas,

U S
l'attention peut se porter sur le paysage sans
craindre la chute.

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Le passage entre les deux textures de sols, pavés
et planches de bois, est vraiment perceptible.

’A E
Bien que plongé dans un univers pittoresque

D UR
dans ces rues pavées, on ressent comme un
soulagement quand notre pied prend enfin

IT T
appui sur une surface plane et stable.

O C
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Square Louise Weiss

AU RC
Après le passage d'un porche sur la droite, le
IS ’A cheminement nous mène dans ce square, petite
respiration végétalisée entourée d'eau.
M D
Le paysage urbain reste celui de la vieille ville,
U E

les maisons à colombage bordent les cours


SO UR

d'eau.
Au sol, la terre stabilisée offre une relative
T IE

stabilité bien que par endroit, les pluies aient


EN R

creusé leurs nids habituels.


M PE
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Ponts couverts
D ALE

Sur le pont, la vue se dégage, d'un côté la ville


historique s’étale, de l'autre la ville
contemporaine à pris le relais, les énormes
N
O

vaisseaux du Conseil Général et du musée d'art


IO

moderne bordent l'Ill, ils ont effacé toute trace


AT

du passé sous leur pieds colossaux. Au sol, nous


retrouvons les pavés polis, heureusement une
N

large bande de dalles nous conduit en douceur


LE

à l'extrémité du pont. Là-bas, après un voyage


dans le passé tortueux et glissant nous
O

retrouverons le coutumier asphalte, finalement


EC

bien morne à côté des pavés plaisantins.

25
Ces constations aident à comprendre que la ville ne se révèle vraiment que sous certains angles,

G
sous certains rythmes. Le point de vue du piéton étant celui qui permet le plus de découvertes. Il suffit de

R
repérer ces signes et d'adapter son pas à leur cadence.

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Quelques rêveurs proposent d'ailleurs des solutions pour dévoiler cette face cachée de la ville.

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II.3. Art, architecture et flânerie

D UR
Par quels moyens l'artiste propose-t-il parfois d'autres valeurs et transmet-il un autre regard sur le parcours en ville ?

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O C
Au sujet de l'art, les auteurs investissent souvent la rue. C'est un lieu d'expression vivant, aux yeux

R E
de tous. Utiliser la rue est un moyen d'affecter le quotidien des citadins, de solliciter leur attention dans

D HIT
leur parcours usuel. La ville est aussi le sujet de l'art, elle est représentée, interprétée selon les yeux de

AU RC
l'artiste.
L'art trouve parfois son inspiration dans la marche. Le travail de Richard Long, artiste arpenteur, en est un
IS ’A
bon exemple. Il fait de la marche un outil de son art, un moyen de révéler les paysages autrement, de
M D
souligner des lignes jusque ici invisibles.
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Richard Long
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la marche comme outil


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L'artiste britannique né en 1945 dédie son art aux grands paysages naturels souvent désertiques
et ne se contente pas du périmètre de la galerie d'exposition, les sculptures se font souvent in situ.
N
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Le voyageur utilise des matériaux bruts et son propre corps afin de réaliser ses œuvres éphémères ensuite
livrées à l'épreuve du temps. Beaucoup ne sont réalisées sans aucun autre moyen que celui de la marche.
AT

Il définit lui même sont travail comme de « l'art fait en marchant dans le paysage. »23. La trace est l’œuvre,
N

elle modifie le paysage et la perception du spectateur. L'échelle du corps, du pas de l'artiste est donnée à
LE

l’œuvre, cette échelle est ensuite confrontée au paysage.


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23 Texte original : « Art made by walking in landscapes. », disponible sur le site internet de l'artiste : www.richardlong.org
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Richard Long

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A line and tracks in Bolivia, 1981 Karoo Line. A fifteen days walk in South Africa, 2004

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La succession des passages du marcheur finit par laisser une trace dans le paysage. Des lignes se croisent, un sentier se dessine.

R E
Le seul outil est le corps humain. L'enchaînement des pas modifie le paysage.

D HIT
Source : www.richardlong.org

AU RC
L'artiste utilise d'ailleurs les cartes pour planifier ses voyages. «Une carte peut être utilisée pour préparer une
marche. Elle peut aussi aider à faire une œuvre d’art. Les cartes sont porteuses d’informations ; elles montrent
IS ’A
M D
l’histoire, la géographie et la typonomie des lieux. Une carte est une combinaison artistique et poétique de
l’image et du langage.»24.
U E
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Mais l'espace urbain n'est pas en reste du point de vue des actions artistiques. Les artistes
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l'expérimentent en permanence. La ville propose un terrain de marche tout aussi varié et vaste qu'un
EN R
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paysage naturel.
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24 Texte disponible sur le site internet : www.lesartistescontemporains.com/Artistes/long.html


27
Francis Alÿs

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artiste arpenteur de l'espace urbain

R
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D'origine Belge, il est né en 1959. Architecte de formation, ce grand marcheur fonde sa pratique
artistique sur le parcours urbain qui constitue pour lui, une façon d’interroger la réalité à travers l’espace

AS
urbain. La ville est utilisée comme un immense laboratoire. Il tente d’en faire émerger les singularités, de

R TR
travailler l’imperceptible. Ses actions sont aussi aléatoires que discrètes. Ses interventions se basent sur
des objets du quotidien, parfois semés, une autre fois récoltés, tout est question de signes presque

U S
insignifiants aux yeux de la plupart des citadins.

TE E
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La base de ses activités trouve sa source dans la promenade en ville. Il étudie l'influence de l'art sur la vie

’A E
citadine. Il pratique cet espace, l'utilise comme une matière, un lieu à traverser. Les actions impliquent un

D UR
engagement de son propre corps. Francis Alÿs ne montre pas la ville, il l'expérimente, la vit. Il l'use pour
en extraire l'essence.

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Une action illustre bien le propos de l'artiste : The collector, une expérimentation effectuée en

D HIT
1991 dans les rues de Mexico. Au cours de l'expérience, Alÿs se promène lentement dans les rues, traînant

AU RC
au bout d'une corde un objet étrange. Voici le texte accompagnant l'intervention :
«Pendant une période indéterminée, le collectionneur magnétisé marche quotidiennement dans les rues et acquiert
IS ’A
graduellement un épiderme fait de tous les rebuts métalliques placés sur son chemin. Le processus se poursuit jusqu’à ce
M D
que le collectionneur soit entièrement recouvert par ses trophées. ».
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Francis Alÿs, The


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Collector, 1991
EN R

Accompagné d'un
M PE

étrange animal
métallique, l'artiste
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parcourt les rues de


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Mexico.
D ALE

Son compagnon récolte


des fragments urbains.
Source : arttattler.com, Ian
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Dryden
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28
Le « collectionneur », un étrange objet magnétique aux allures canines, prélève des échantillons

G
métalliques dans la capitale mexicaine. Cette promenade révèle un portrait urbain à travers les déchets

R
prélevés. Francis Alÿs flâne dans Mexico, il s'insère dans le flux urbain pour révéler l'invisible. Au hasard

U
des rencontres entre ce chien et les résidus, il s'agit de rassembler les signes invisibles qui font la ville. Un

BO
autre message est celui de la surprise que peut apporter la flânerie en ville. L'artiste tire le collecteur

AS
derrière lui, il ne voit pas ce qu'il accumule. C'est cet animal magnétique qui révélera à l'artiste la
récompense de son travail. Le marcheur emploie bien le mot « trophées » pour qualifier ces bouts de

R TR
ferraille, il donne de la valeur aux aspects négligés.

U S
TE E
Trois ans plus tard à La Havane cette fois, l'artiste expérimente la même idée. L'expérience,

U D
nommée Magnetic Shoes met la récolte en avant, mais cette fois, c'est le marcheur lui-même qui accumule

’A E
les objets sur ses chaussures. La marche lente s'oppose à la rapidité de la vie urbaine. Alÿs se perd, sa

D UR
déambulation s'enrichit de ces objets accumulés couche par couche sur ses souliers telle une

IT T
stratification de la ville, l'accumulation d'indices témoins de plusieurs années de dépôts est soudain

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révélée.

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Alÿs,
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Francis
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Magnetic Shoes, La
Havane, 1994
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L'artiste équipé de
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chaussures
D ALE

magnétiques, se
hasarde en ville, sans
but apparent. Mais
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les chaussures
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récoltent des
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fagments des rues,


témoins de l'espace
N

urbain parcouru
LE

Source : dawire.com,
David Zwirner
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EC

29
Régulièrement, l'artiste a mené de nombreuses actions tout aussi originales à l'occasion de flâneries dans

G
de nombreuses villes du globe.

R
On peut encore citer The Loser/The Winner en 1995. Vêtu d'un pull en laine dont une fibre est attachée au

U
BO
musée des Sciences et Techniques de Stockholm, il parcourt la ville, affichant la même attitude
insouciante tandis que le pull se démaille à chaque pas. Il traverse ainsi toute la capitale jusqu'au musée

AS
Nordique. « Comme les sociétés extrêmement rationnelles de la Renaissance sentirent le besoin de créer des

R TR
Utopies, nous, à notre époque, devons créer des fables. »25, mentionne le texte accompagnant l’œuvre. Les
histoires sont multiples, elles se disséminent dans la ville et sont la prolongation du geste, du

U S
mouvement. L'artiste se fait poète arpenteur, ses pas rédigent des fables. La marche raconte une histoire :

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celle de l'artiste, celle du passant interpellé, celle de la ville appréhendée sous un nouveau jour.

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Francis Alÿs, The Loser/The Winner, Stockholm, 1998


AT

La ville, un pull et la marche suffisent à raconter une


multitude d'histoires dans cette expérimenbtation. Des liens
N

sont créés entre différentes parties de la ville. Ce fil d'Ariane


peu à peu déroulé n'est que la trace visible de la succession
LE

des pas de l'artiste.


O

Source : parlonsdart.com
EC

25 Texte accompagnant la présentation du travail de l'artiste sur les cartes postales exposées dans les deux musées de
Stockholm reliés par l'artiste.
30
On comprend que chaque action de Francis Alÿs vise à révéler un ou plusieurs aspects de la ville. Par le

G
hasard, la récolte, la perte, les choses apparaissent différemment, et encore une fois la marche et plus

R
précisément la flânerie est au cœur du message. Beaucoup plus tôt, c'est le peintre Gustave Caillebotte

U
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qui porte son attention sur la ville, et notamment le Paris haussmannien du XIX ème siècle. Ses toiles
dépeignent les boulevards, les toitures et les modénatures de l'architecture de l'époque.

AS
R TR
Gustave Caillebotte

U S
Impressions urbaines

TE E
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Le peintre, proche des Impressionnistes, apprécie l'espace urbain de la capitale et lui dédie bon

D UR
nombre de ses œuvres. Il présente la ville soit depuis un point de vue élevé, une vue plongeante,
l'architecture et la vie urbaine, soit directement au contact des parisiens, dans la rue. Dans ces paysages,

IT T
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règne une véritable ambiance de flânerie. Paris semble peuplée de promeneurs admirant les curiosités de

R E
la capitale et de la modernité qu'elle représente : la puissance du chemin de fer, la technologie mise en

D HIT
place pour construire les ponts d'acier qui le franchissent.

AU RC
On se demande où vont ces gens, ils nous
entraînent dans une promenade le long des
IS ’A boulevards. Nous ne restons pas simples
M D
spectateurs face à ces toiles, nous flânons en
U E
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compagnie des ces parisiens de l'époque.


Caillebotte nous offre un voyage à travers
T IE

l'espace urbain, témoin fidèle de la ville de son


EN R

époque. Chaque œuvre déclenche un


M PE

imaginaire, une rêverie suscités pas la flânerie


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dans le Paris des années 1880.


C S

Parfois comme dans la toile Un balcon boulevard


D ALE

Haussmann, l'espace public est seulement


suggéré, dissimulé derrière le feuillage, mais rien
N
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ne semble perdu de l'action qui s'y déroule.


AT

Gustave Caillebotte, Un balcon, boulevard haussmann,


N

huile sur toile, 67,9x61cm, collection particulière


LE

La rue, invisible, reste perceptible. Tout passe par la


suggestion et l'orientation du regard des personnages.
O

L'espace public, les marcheurs et flâneurs sont invisibles


EC

mais très présents dans l'imaginaire.


Source : artliste.com

31
Un des exemples les plus parlants de l'oeuvre du peintre date de 1876 : Le Pont de l'Europe. Toujours dans

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un jeu de dissimulation, l'artiste dévoile une autre facette de Paris, celle des transports.

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Gustave Caillebotte, Le Pont de l'Europe, huile sur toile, 125x181cm, musée du Petit Palais, Genève, 1876
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Témoin du Paris haussmanien, l'oeuvre évoque la modernité et le dévelopement technologique de l'époque et la curiostité
qu'elle développe chez le piéton.
Source : baudelet.net
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La toile présente un pont d'acier à proximité de la gare Saint-Lazare. Les vues portent le regard vers le
AT

boulevard Haussmannien, point de fuite, et exposent la technologie que représentent les ponts. Le
N

spectateur découvre ces ouvrages innovants à la fois en détail au premier plan de l'image, et au loin à
LE

travers la structure métallique, une ode à la ville et la modernité. La toile s'apparente presque à un cliché
O

photographique, comme un instantané de cette journée ensoleillée de 1876. Le chien, les promeneurs
EC

sont saisis dans leur mouvement qui pourrait reprendre d'un instant à l'autre.
L'ouvrier au manteau gris transpose sa curiosité vers l'esprit du spectateur. Caillebotte développe notre
32
curiosité. Comment ne pas s'interroger sur ce que le personnage observe en contre-bas ? La colonne de

G
vapeur donne un indice : un train est à proximité. Sa promenade est ponctuée de pauses pour admirer et

R
rêver la ville et ses avancées technologiques. Toutes ces suggestions masquées témoignent de la vie des

U
BO
promeneurs de Paris. De point en point Caillebotte s'efforce de nous faire partager sa vision.

AS
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Déambuler en milieu urbain incite à la rêverie. Le piéton est directement confronté à l'espace
public, plus que n'importe quel véhicule ou cycle, un lien se crée. C'est ce rapport particulier que les

U S
artistes nous font percevoir par de multiples moyens. Tous ces espaces, imaginaires ou réel mais cachés

TE E
U D
qu'ils nous révèlent ne peuvent-ils pas entrer dans le travail de l'architecte afin de proposer de nouvelles

’A E
configurations de villes ? Par quels moyens laisser plus de place au marcheur dans la ville, et comment

D UR
nourrir son imaginaire ?
Le but de l'art est bien souvent d'ouvrir les yeux des spectateurs sur des dimensions déjà présentes mais

IT T
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peu perceptibles. L'architecture peu jouer le même rôle, faire ressentir ce lien kinesthésique mais aussi

R E
affectif qui peut exister entre un marcheur et l'espace qui l'entoure quotidiennement.

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33
III. Piéton, espace public et architecture

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Quelle place laisse aujourd'hui la ville au flâneur qui va au hasard sans se soucier des itinéraires

R
tracés ? Quels rapports l'architecte peut-il établir entre ce personnage et le paysage urbain ?

U
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Dans la préface de son ouvrage L'image de la Cité, Kevin Lynch donne une définition du paysage

R TR
urbain :
« Même si ce n'est pas son seul rôle, le paysage urbain est quelque chose que l'on doit voir, dont on doit se souvenir et se

U S
délecter. Donner une forme visuelle à la ville est un problème de création d'un type particulier et assez nouveau. »26.

TE E
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Le paysage urbain devrait donc être marquant, et sûrement refléter l'identité propre d'une ville. Un trajet

’A E
en milieu urbain serait ponctué de signaux, ou pour reprendre les termes de Lynch, de « nœuds » et de

D UR
« points de repères »27. Le marcheur évolue ainsi dans un milieu à la fois nouveau (une ville inconnue) et
rassurant. Une tour, un clocher donnent une direction à suivre, un repère au pied duquel retrouver un

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O C
arrêt de bus ou de tramway. Ces points de repère permettent de s'aventurer plus loin dans la ville, étape

R E
par étape.

D HIT
La flèche de la cathédrale de Strasbourg joue ce rôle de point de repère. Au détour d'une rue, au point de

AU RC
fuite d'une perspective d'avenue, on finit toujours par capter ce signal qui indique la direction du centre.
C'est de cette façon que le flâneur déambule en ville. De point en point, il change de trajectoire lorsqu'un
IS ’A
repère nouveau s'offre à son regard curieux.
M D
Peu à peu la notion revient au cœur du débat. Les concepteurs de l'espace urbain tentent de renouer
U E
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avec cette qualité des centres anciens et de leurs rapports avec le piéton. Par quels moyens utiliser « les
rues en tant que rues »28 comme le dirait Marcovaldo ?
T IE
EN R
M PE

III.1 Le rêveur confronté à l'espace public


U U

Quelle place laisse la ville au flâneur d'aujourd'hui ?


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Un état des lieux de la configuration urbaine actuelle laisse à penser que le piéton n'a parfois pas
sa place en ville. Hormis quelques lieux attractifs et touristiques, la planification urbaine depuis les années
N
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1970 à nos jours ne s'est que rarement développée en faveur du marcheur qui a pourtant été le premier à
peupler l'espace urbain. Le piéton lui-même, se laisse bien souvent emporter par les innovations et la
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facilité que la technologie peut lui offrir. Tracer son propre chemin est bien moins aisé.
N

Rebecca Solnit fait part d'une réflexion très intéressante dans L'art de marcher. Elle évoque la place
LE
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26 Kevin Lynch, L'image de la Cité, Dunod, Paris, 1999, préface V


EC

27 Idem pp 55-56
28 Italo Calvino, Marcovaldo ou les saisons en ville, éditions Julliard, Paris, 1993 p 146
34
que se laisse le marcheur lui-même dans l'espace urbain. « Bien des gens aujourd'hui vivent dans une série

G
d'intérieurs séparés les uns des autres, passant de la maison à la voiture, de la voiture à la salle de gym, au

R
bureau, aux magasins. A pied au contraire ces lieux restent reliés, car qui marche occupe les espaces entre ces

U
BO
intérieurs. ». L'écrivain constate que les citadins n'occupent pas l'espace urbain. Ils se contentent des
« intérieurs », plus confortables et sécurisants.

AS
Walt Disney lui-même s'est penché sur la question, il a proposé sa vision du futur dans un court métrage

R TR
intitulé Magic Highway. Cette vidéo mêlant images d'animation et vues réelles fait figure de contre
exemple. Influencé par le développement technique en cours en 1958, le réalisateur nous présente un

U S
monde ultra-moderne, dans lequel les machines sont au service des humains, dans le but de leur éviter le

TE E
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moindre effort. Tout est enregistré, programmé. Les voitures traversent des pays entiers via des

’A E
autoroutes automatisées à l'épreuve des intempéries de toute sorte. En ville l'image est déconcertante,

D UR
inadmissible peut-être, mais pourtant si peu caricaturale de notre vie actuelle. Sur le chemin de la ville, les
automobiles se séparent en deux modules : d'un côté, Monsieur file travailler dans un centre d'affaires, de

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l'autre, Madame et son jeune fils glissent en direction du centre commercial en vue de quelques achats.

R E
Sur place nul besoin de déambuler de boutique en boutique, un tapi roulant les mène sans efforts dans

D HIT
un couloir commercial le long duquel s'alignent les vitrines. Le retour se fera bien sûr par le même

AU RC
chemin : centre commercial, voiture, autoroute, domicile, une vision d'anticipation sans doute, si proche
de la constatation de Rebecca Solnit. On pourrait demander à cette famille ce qu'elle a vu de l'espace
IS ’A
urbain dans cette journée, la réponse serait sans doute : « Je n'en ai aucune idée !».
M D
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Walt Disney, Magic Highway, 1958


Le réalisateur présente sa vision de la vie quotidienne dans la société aisée du futur. Tout dépend de la machine et de la
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technologie. Inutile de faire le moindre pas, des véhicules plus spaciaux que routiers mène chacun directement au lieu voulu,
programmé dans le logiciel de la machine.
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Monsieur, directement déposé dans son bureau par son Madame et son fils “parcourant” le centre commercial sur un tapi
véhicule roulant
Source : images extraites de la vidéo
35
Cette vision, idéaliste à l'époque, dérange quelque peu. Où est l'espace public ? Où son les piétons qui

G
parcourent la ville ? Où est la ville en somme ? Cette ville futuriste et étrangement actuelle ne laisse

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malheureusement aucune place au flâneur, nul hasard dans ce monde automatisé.

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Heureusement le monde réel nous offre parfois quelques variantes. Il existe encore quelques parcelles de
pavés, de pelouses, de sable dédiées à nos chers orteils.

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La marche est le moyen d'investir ces espaces intermédiaires entre les lieux de vie. Elle peut leur donner

R TR
plus d'importance, et susciter un nouvel intérêt pour les espaces de transition dans la ville, pour que
justement ils deviennent des lieux de déambulation lente, mais aussi des lieux de « positions », des lieux

U S
d'arrêts. Michel de Certeau évoque justement une comparaison simple et claire entre lieu et espace :

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« l'espace est un lieu pratiqué »29, comme la place au milieu de laquelle Marcovaldo trouve soudain l'envie

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de s'arrêter en la découvrant sous un autre angle, dans une situation inédite.

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III.2. Flâneur et mutation urbaine

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En quoi l'intervention d'architectes, urbanistes et paysagistes peut-elle influencer sur l'errance de ce

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marcheur rêveur, si cette influence est possible face au piéton qui ne suit aucun itinéraire tracé ?

AU RC
A pied dans une ville, l'influence de l'urbanisme, architecture et paysagisme semble évidente.
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Mais par quels moyens les concepteurs peuvent-ils jouer un rôle dans la déambulation du piéton devenu
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flâneur. Comment peuvent-ils susciter la rêverie, plonger notre regard sur un détail inhabituel et
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plaisant ?
SO UR

Il ne s'agit pas ici de dresser une liste exhaustive de tous les projets urbains et architecturaux visant à
T IE

favoriser le piéton en ville, mais il existe un certain nombre d'exemples qu'il semble important de
EN R

mentionner.
M PE

Pourquoi la ville contemporaine devrait-elle être facile d'accès aux piétons uniquement dans son centre
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historique, touristique et lucratif ? La catégorie de piéton la plus présente dans les quartiers
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périphériques est l'habitant, qui doit chaque jour lutter contre un flot incessant d'automobiles en furies.
Dans ces zones autrefois peu favorisées par l'urbanisme, certains concepteurs tentent d'intervenir dans le
N

but d'initier une lente mutation des villes vers un urbanisme moins hostile au piéton.
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29 Michel de Certeau, L'invention du quotidien, tome 1 « Arts de faire », Gallimard, Paris, 1990, p173
36
Un premier élément urbain primordial pour cette mutation est l'échelle de la cité. Dans une ville à

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« échelle humaine », le rapport citadin/architecture est possible, autant que le rapport entre les citadins.

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Le piéton se sent impliqué dans l'environnement urbain.

U
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L'architecte et urbaniste danois Jan Gehl s'est penché sur ce sujet de l'échelle urbaine. L'ouvrage Pour des
villes à échelle humaine30 présente des exemples et expérimentations afin de faire de la ville un espace

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humain et non mécanique, systématique et stérile.

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Sibylle Vincendon, rédactrice en chef adjointe au magazine Libération en fait une description
intéressante : « Jan Gehl, architecte et urbaniste danois, aménage les rues et les places des villes à partir d’un

U S
élément de base : nous. Notre taille, notre vitesse de déplacement à pied, notre regard, notre propension à nous

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sentir bien en compagnie de nos congénères, pourvu qu’ils soient à juste distance, forment ses matériaux de

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base pour concevoir l’espace public. Il regarde comment les gens vivent et s’arrange pour que les lieux qu’il

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dessine leur correspondent. En général, les aménageurs font le contraire : aux habitants de s’adapter. »31. Le
point de départ de la réflexion de l'architecte est l'individu, les habitants, pour arriver à l'architecture.

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C'est de cette façon qu'il parvient à donner une dimension humaine à son travail. Ces propos intéressent

R E
particulièrement la problématique du marcheur urbain. Se déplacer en ville est une affaire de distance :

D HIT
entre les gens, entre les bâtiments, entre les usagers et les bâtiments. Marcher c'est aussi s'offrir à la

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rencontre mais elle n'est possible que dans un lieu à échelle humaine dans lequel on peut se confronter
aux autres sans pour autant ressentir de la gêne. L'architecte propose d'ailleurs une distance de 25 mètres
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pour favoriser le contact et l'échange entre les personnes.
M D
Dans une interview pour American Society of Landscape Architects, Gehl s'exprime au sujet de son livre, il
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évoque ses recherches, ses constatations et ses suggestions. « C'est mon stricte point de vue que si nous
adoptons une approche plus systématique et prenons ces "villes pour les gens" plus sérieusement nous
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réaliserons que les villes pourraient être considérablement plus amicales, vivables et vivantes car les gens
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seront plus dans ces villes. Nous réaliserons que les villes deviendraient plus attractives car l'échelle sera plus
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petite et le rythme et le son seront adoucis. Les villes seraient dominées par d'autres personnes, ce qui est la
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chose la plus intéressante dans nos vies. »32. Une ville, à une autre échelle, pour un autre rythme urbain,
C S

c'est ce que propose Gehl, des villes dans lesquelles la déambulation et la surprise de la rencontre sont
D ALE

possibles. Dans la même interview, il explique ce qu'est pour lui cette échelle humaine : « C'est bien sûr
basé sur l'Homo Sapiens, la vitesse à laquelle nous nous déplaçons, la façon dont nous nous déplaçons, sur
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30 Jan Gehl, Pour des villes à échelles humaine, titre original Cities for People, Ecososiété, Montréal, 2013
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31 Interview disponible sur le site internet : http://www.liberation.fr/evenements-libe/2013/02/15/jan-gehl-penseur-de-la-ville-


a-echelle-humaine_881860
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32 Texte original: « It is my very firm point of view that if we take a more systematic approach and take these "cities for people" more
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seriously we will find that the cities would be considerably more friendly, livable, and lively because people will be in these cities
EC

more. We will find that the cities will become more attractive because the scale will be smaller and the pace and noise is lowered.
The cities would be dominated by other people, which is the most interesting thing in our lives. »
Texte disponible en ligne : http://www.asla.org/ContentDetail.aspx?id=31346
37
comment nos membres sont organisés, comment notre organisme, nos sens sont destinés à être un animal qui

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marche, et sont destinés à tout voir horizontalement. Nous voyons tout horizontalement, nous voyons peu vers

R
le haut et à peine plus vers le bas.33». Il propose donc des villes plus proches du sol, mais plus denses, des

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villes qui s'adaptent au regard de l'usager et non l'inverse.
L'exemple des hauteurs de bâti figure dans Pour des villes à échelles urbaines. Un passage développe cette

AS
idée d'horizontalité visuelle nécessaire pour le marcheur en milieu urbain. Un schéma explicatif appuyé

R TR
de photos démontre que, jusqu'au quatrième étage, le rapport entre le piéton et le bâtiment et ses
habitants est possible : chacun peut se voir distinctement et se parler. Au-delà, le rapport entre

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l'architecture et la ville n'est plus vraiment existant, il ne subsiste que par un lointain rapport visuel. Le

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bâtiment est tourné vers le ciel, ce qui constitue en quelque sorte une négation de la ville. Le piéton ne

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distingue que des silhouettes minuscules aux balcons, aucun contact n'est possible. Cette prise en

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compte des hauteurs est un détail capital pour l'espace urbain. L'image des quartiers populaires dans
lesquels les habitants de différents immeubles échangent depuis les balcons illustre bien l'image de

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convivialité. L'échelle humaine semble donc résider dans un équilibre entre le dialogue, les rapports

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humains et l'intimité dans la sphère du logement.

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Ces constatations expliquent le succès des centres historiques dans les villes contemporaines, il y
règne une toute autre ambiance du fait de l'aspect typique du bâti, mais surtout du fait de l'échelle et de
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la densité de ce bâti. On peut donc s'interroger sur l'effet d'un tissu urbain de type « ville historique » sur
M D
la marche et les déplacements. L'hétérogénéité qui domine dans un centre historique ravit le flâneur qui
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ne sait plus où donner de la tête. Morphologie et hétérogénéité urbaine, ligne de ciel, curiosités et
diversités, tout ou presque va retenir l'attention du promeneur. C'est sur les détails que nous nous
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attardons le plus souvent.


EN R

Des projets architecturaux reprenant ce type de trame favorisent-ils la marche ? Il semble que oui. On
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peut citer l'exemple du quartier Borneo à Amsterdam. La diversité domine, chaque maison de ville est
U U

différente de la suivante. Cette perspective rythmée et colorée accompagne la marche. Le regard du


C S

flâneur divague entre cette architecture vivante et l'ouverture sur le canal.


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Cette typologie à semble-t-il précédé les Danois en Espagne, dans la région de Séville et Grenade. Le
flâneur parcourt des espaces urbains dans lesquels alternent constructions anciennes et contemporaines.
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Pourtant tout se confond dans une hétérogénéité à échelle humaine. Les modénatures de fenêtres ne
sont pas systématiques et diffèrent, les balcons dépassent mais rarement sur la même profondeur. Cette
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multiplicité des éléments agrémente le voyage dans la ville et pousse la découverte. Les jardins privés
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sont fermés mais parfois une vue est autorisée depuis la rue. Le marcheur évolue de portail en portail
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33 Texte original: « It is of course based on Homo sapiens, the speed with which we move, the way we move, how our limbs are
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organized, how our movement system, how our senses are geared to our being a walking animal, and are geared to see everything
horizontally. We see everything horizontally but we see very little up and a little bit more down. »
Disponible en ligne : http://www.asla.org/ContentDetail.aspx?id=31346
38
Jan Gehl, Pour des villes à

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échelle humaine, 2013

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Extrait de l'ouvrage

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présentant les liens entre

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hauteurs de bâti et rapports
humains.

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L'auteur explique comment
à partir d'une certaine

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hauteur, l'architecture est
tournée vers le ciel, elle est

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une négation de la ville et

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de l'espace urbain en

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contre-bas.

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tentant d'apercevoir un bout de verdure, un fragment de fontaine, soudain il tombe sur une place

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publique entourée d'arcades, il peut enfin pénétrer dans un cœur d'îlot. La ville possède une épaisseur

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que l'on peut appréhender par le regard et par le pas.

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Cette théorie de l'échelle urbaine s'applique de plus en plus dans les villes européennes, qu'il

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s'agisse de nouveaux quartiers ou bien de reconquête d'espaces urbains existants.

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Esto no es un Solar

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mutation de ville

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Toujours en Espagne, un exemple d'interventions sur l'espace urbain délaissé s'est récemment
mis en place : le projet Esto No Es Un Solar (« Ceci n'est pas une parcelle vide »).

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Esto No Es Un Solar est une opération instiguée en 2010 par Patrizia Di Monte, Ignacio Gravalos 34 et la ville

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de Saragosse afin de valoriser les espaces urbains délaissés. Le projet concerne dans un premier temps le

D HIT
centre historique avant de se répandre dans les quartiers périphériques dans le but de transformer et

AU RC
restituer un maximum d'espaces aux habitants des quartiers concernés et aux visiteurs.
L'objectif est simple : une mutation urbaine progressive et non définitive. Ces « solares », parcelles vides,
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creux dans le tissus urbain sur lesquels s'amoncellent les déchets, mutent peu à peu en espaces publics
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praticables, ludiques et fédérateurs du quartier.
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Esto no es un Solar, Gravalos &


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Di Monte Architectes, 2010


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Plan général de la première étape


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d'intervention du projet de
reconquête des espaces urbains
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délaissés. La zone orangée


C S

présente l'emplacement des


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parcelles dans le centre-ville. Les


autres points représentent
l’extension du projet à toute la
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ville.
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Ces nouveaux espaces publics


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créent un parcours dans toute la


ville, tissent des liens entre les
N

quartiers
LE

source :
http://www.urbanvista.net/reviving-
O

empty-lots-in-zaragoza/
EC

34 Patrizia Di Monte et Ignacio Gravalos Lacambra, architectes membres fondateurs de l'agence Gravalos & Di Monte Architectes
depuis 1998
40
Esto no es un Solar, Gravalos &

G
Di Monte Architectes, 2010 :

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solar n°1.

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Un exemple d'intervention

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minimaliste.
Les murs qui entourent la

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placette sont restés à l'état brut
en vue d'une éventuelle

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intervention supplémentaire. Des
cagettes de récupération forment

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ce damier dans lequel s'incère la

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végétation.

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Le tout forme un nouvel espace

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public accessible à tous.

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Source : archello.com

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Esto no es un Solar, Gravalos


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& Di Monte Architectes,


2010 : solar n°8.
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Reflet des jardins familiaux,


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cette parcelle est devenu un


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potager pour les habitants.


Mettre en valeur l'espace
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urbain tout en développant


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l'échange et l'autoproduction,
D ALE

voilà une des bases du projet.


Encore une fois, peu de
moyens pour plus d'efficacité :
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les planches des


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cheminements ont été


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récupérées, de même que les


conteneurs.
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Source : www.que.es
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41
Ces nouveaux espaces publics se nichent dans les accidents du tissu urbain, là où la destrcution d'un

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immeuble a laissé un vide. Une étude urbaine et socio-économique établit, dans chaque cas, les

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nécessités et lacunes des quartiers dans lesquels la mutation prend forme.

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Après une intervention simple et parfois minimaliste, chaque terrain devient un espace utilisable, et les
thèmes y sont variés : espaces publics, salles de jeux en plein air, terrains de sport, jardins potagers. Il

AS
s'agit d'investir l'espace public, de redécouvrir un lieu que les voisins et passants avaient l'habitude

R TR
d'ignorer. Les habitants du quartier concerné ont pu participer à la conception de ces espaces en
apportant leurs idées et suggestions.

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L'originalité et l'intérêt d'un tel projet est la multiplicité des parcelles transformées. Elles forment une

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constellation d'espaces et la ville trouve une nouvelle cohérence, un lien invisible et subtil relie chaque

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« solar ».

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Cette cohésion urbaine influence la marche : un circuit ou plutôt une multitude de chemins naissent de
cette succession de placettes. Le marcheur parcourt la ville avec un nouvel intérêt, celui de découvrir

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l'espace public suivant, caché entre deux pignons. Au hasard d'un détour, on découvre un jardin, on se

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demande ce qui va suivre, l'intérêt est éveillé. Les architectes ont favorisé la redécouverte de la ville.

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Cet aménagement est encore en cours, de nouveaux espaces publics naissent régulièrement dans la ville

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espagnole même si le projet semble souffrir d'un manque de subventions.
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III.3. Flânerie et conception urbaine


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Par quels moyens cette attitude peut-elle intéresser et interroger l'architecte, en quoi cette vision
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peut-elle favoriser une tendance à transformer le paysage urbain ?


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L'intervention sur l'espace urbain se fait parfois de façon plus ponctuelle, ou dans une autre
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échelle. La ville est remaniée. Les concepteurs tentent de restituer la ville aux marcheurs, de proposer de
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pauses et d'autres rythmes que ceux imposés par la dictature de l'automobile.


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Place de la République, Paris


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restitution d'une portion de ville aux piétons


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Un cas intéressant de reconversion de l'espace urbain en faveur du piéton a récemment été


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inauguré dans la capitale. Cette vaste place dont la forme actuelle date du Second Empire se situe à la
limite des 3ème, 10ème et 11ème arrondissements de Paris à proximité du canal Saint-Martin.
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L'ancien aménagement des lieux est loin de faire rêver. La place, immense (3,4 Ha, 120x300m), point
d'aboutissement d'une dizaine de rues et boulevards est le théâtre du cruel combat que se livrent chaque
42
jour les habitants de cette jungle urbaine. En tant que carrefour routier, la circulation y est importante.

G
Deux squares font figure d'îlots perdus au milieu des flots déchaînés de voitures, bus, scooter, taxis et

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quelques courageux (ou imprudents) cyclistes. En ce lieu, avant de voir, de marcher, on entend. Ce torrent

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rugit, vrombit, bêle, croisse sous le regard impuissant du marcheur rêveur. Comment atteindre cette oasis
arborée au centre de la place sans finir piétiné par ces buffles d'acier ?

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Place de la République avant
travaux, Paris.

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Carrefour routier, la place n'est pas

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accessible aux piétons. Sa traversée
est possible, mais rien ne permet de

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s'y attarder et de profiter du lieu
historique.

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Source : commercedeparis.fr

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En 2009, l'équipe d'architecte TVK35 propose une solution suite au concours lancé par la ville de
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Paris. Une solution visiblement bonne puisque ce projet à été inauguré le 16 Juin 2013.
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Voici ce qu'en disent les architectes eux-mêmes : «Notre projet pour le réaménagement de la place de la
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République s'appuie donc sur une décision forte, seule capable de réellement métamorphoser la place : créer
U U

un espace public piéton le plus grand possible et directement connecté aux façades d’un côté de la place. Il est
C S

nécessaire d’offrir à Paris une très grande place polyvalente et populaire comme de nombreuses métropoles
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dynamiques en ont, qui soit réservée aux modes doux et équipée d’un sol minéral disponible pour tous types
d’usages comme un grand champ libre dans la ville »36.
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Le nouvel aménagement permet de fusionner ces deux îlots arborés. La circulation automobile est
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reportée sur un seul côté, deux hectares d'espace urbain sont alors métamorphosés en esplanade
piétonne et offerts aux pas des parisiens. La plupart de la place de la République mais aussi une partie de
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la rue du Faubourg du Temple au Nord-Est de la place est rendue aux piétons et cyclistes.
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35
EC

TVK : Trévelo & Viger-Kohler Architectes Urbanistes, Paris, assistés pour le projet par les entreprises de paysagisme Martha
Schwartz Partners, Londres et Areal, Luxembourg.
36 Présentation du projet disponible en ligne : http://www.transsolar.com
43
Proposition des architectes Trévélo et Viger-Kohler pour la nouvelle place de la République.

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Les circulations automobiles sont concentrées sur un axe principal afin de dégager une grande esplanade pour les citadins.
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L'espace piéton est facile d'accès par le métro, le bus ou simplement à pied.
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Source : www.placedelarepublique.paris.fr
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Place de la République actuelle, Paris.


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Jeux d'eau, ombrages, la nouvelle place propose une grande esplanade ensoleillée accueillant de nombreuses manisfestations.
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Dans la journée, piétons et cyclistes se succèdent. Les 3,4 Ha de la place se dévoilent sous un nouveau jour.
Source : photo de gauche Jean-Baptiste Gurliat/Mairie de Paris, www.parisbouge.com, photo de droite Kenzo Tribouillard, AFP

44
Au centre de ce nouveau terrain de jeux, notre rêveur peut enfin contempler Marianne et ses acolytes

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sous un nouveau jour. Tous les angles sont abordables. C'est une redécouverte de la ville, les points de

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vue changent, au même titre que les rythmes, les cadences et les sons.

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Dans la partie Nord-Est de la place, l'espace n'est cependant pas strictement réservé aux piétons et aux
cyclistes, la circulation des transports en commun et taxis est maintenue afin de favoriser les transports

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collectifs dans la capitale. Une façon de préserver la mixité urbaine.

R TR
Notons qu'une démarche environnementale est incluse dans ce programme, avec une tentative de

U S
diminution de l'effet d'îlot de chaleur urbain par l'ajout de masse végétale caduque et la réduction de la

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vitesse des automobiles à la périphérie de la place.

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Le remaniement de l'espace public selon de nouveaux critères humains et environnementaux est donc

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possible. Ce mode de pensée redonne l'échelle du pas à la ville contemporaine.
Dans la même lignée à Paris, on peut citer la rive gauche de la Seine en partie rendue aux piétons en 2013

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entre le pont de l'Alma et le musée d'Orsay. Les usages y sont multiples (promenade, pique-nique,

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parcours sportifs). Le but étant de rendre ce quai de 2,3km de long aux marcheurs et flâneurs. L'espace est

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appropriable pour une intervention qui reste minime : peinture au sol, ajout de mobilier, d'estrades à

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structure légère. L'opération semble réversible et évolutive.
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Ces derniers projets mentionnés restent cependant à l'échelle urbaine. Certains architectes
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poussent la réflexion à propos de la marche et du parcours sur l'architecture elle-même, à l'échelle du
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bâtiment. Une pensée différente est alors mise en place. L'échelle du pas doit être prise en compte.
Arpenter un bâtiment n'est plus seulement l'acte de traverser des salles, emprunter un escalier ou plus
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simplement un ascenseur. Comment alors l'architecture elle-même peut-elle devenir un parcours digne
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d'intérêt pour tout flâneur ?


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Opéra National d'Oslo


Flâner en prenant de la hauteur
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L'OPÉRA NATIONAL D'OSLO fait figure de bon exemple dans cette lignée de pensée. Le bâtiment a
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été conçu par l'agence norvégienne Snøhetta et inauguré en 2008. L'agence pratique une originale
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méthode de « transpositioning » qui encourage le changement de rôle entre architectes, artistes,


LE

sociologues, philosophes et autres. Le groupe encourage même ce jeu de rôle avec les maîtres d’ouvrage,
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proposant au client de devenir architecte pendant que les architectes deviennent clients. Les membres
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de l'agence partagent leur vision sur cette technique de transposition: « La méthode de transposition

45
promeut le bénéfice positif de sortir de sa zone de confort. Elle défie les pensées bornées et encourage les

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approches holistiques»37.

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Cette collaboration interdisciplinaire a permis aux trois architectes à l'origine du projet (Kjetil Traedal

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Thorsen, Taral Lundevall et Craig Dykers) de remporter le prix européen d'architecture contemporaine en
2009 en récompense du développement de nouvelles idées et technologies dans ce projet d'opéra

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dressé dans le port commercial et industriel d'Oslo face au fjord.

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Le port industriel d'Oslo avant la construction de l'opéra.


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La zone industrielle est totalement coupée du reste de la ville. Aucun accès ne permet aux piétons d'approcher l'eau pourtant
élément prépondérant dans la ville. Seuls les cargos et les conteneurs se succèdent sur ces langues d'asphalte.
L'opéra prend actuellement place sur la presqu'île visible au centre de l'image.
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Source : http://snohetta.com/project/42-norwegian-national-opera-and-ballet
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A l'origine, l'ensemble du secteur était une péninsule de béton utilisée pour l'embarquement et le
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débarquement de marchandises. Cette plate-forme et le réseau routier dense réduisait à néant le rapport
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entre la ville et l'eau pourtant très présente aux abords de la capitale Norvégienne.
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37 Texte original « Transpositioning promotes the postitive benefits of moving out of one’s comfort zone. It defies narrow-minded
EC

thinking and encourages holistic approaches »,


Texte disponible sur le site internet : http://snohetta.com/process
46
Aujourd'hui le projet restaure ce rapport par une grande esplanade et un plan incliné plongeant

G
directement dans le fjord, telle une scène publique qui lie terre et mer. Mais la grande particularité de ce

R
projet réside dans sa toiture inclinée, totalement accessible au public, un véritable prolongement de

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l'espace urbain créé autour du bâtiment. Cette initiative multiplie par trois la surface de promenade pour
les piétons. La surface au sol du projet est équivalente à quatre fois celle d'un terrain de football, de quoi

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ravir les flâneurs norvégiens.

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Plan de masse du projet de
l'angence Snøhetta .

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On distingue nettement les zones

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accessibles aux marcheurs.

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Les rapport à l'eau est restauré par le
plan incliné sur la partie Ouest du

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projet.
Chaque plan incliné privilégie des

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vues particulières vers la ville ou vers

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le fjord.

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Source : http://snohetta.com/project/42-

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norwegian-national-opera-and-ballet

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Un des architectes du projet, Tarald Lundevall énonce une partie de la démarche dans la conception de
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l'opéra : « Avec ce bâtiment, nous avons essayé d’exprimer une sorte d’horizontalité pour l’ouvrir aux gens, leur
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permettre de marcher dessus comme sur un tapis volant »38. Le bâtiment fait figure de signal dans le port,
C S

mais il s’insère dans une relative discrétion, favorisant les lignes horizontales plutôt que les lignes
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verticales.
Du haut de ses 32 mètres, cette esplanade aérienne offre une vue imprenable sur le fjord d'un côté et sur
N
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la ville de l'autre. Le bâtiment propose un point de vue exclusif sur les environs à tous les promeneurs ;
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spectateurs ou non des différentes manifestations organisées dans les trois salles de l'opéra. Un dialogue
s'instaure entre le bâtiment et la ville. Depuis l'opéra, le spectateur redécouvre le paysage urbain. Depuis
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les environs, l'opéra souligne les éléments de ce paysage.


LE

Cette phrase des membres de l'agence résume bien les intentions des architectes au sujet du projet et
O

des intentions du point de vue de l'accessibilité : « Son toit et sa large entrée accessible au public font du
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38 Texte disponible sur le site internet : www.batiactu.com


47
bâtiment un bâtiment social plutôt qu'un bâtiment sculptural.»39.

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L'opéra National et ses plans inclinés .


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La quasi-totalité de la toiture du bâtiment est praticable pour les marcheurs. Les larges plaques de marbre offrent une
promenade en hauteur. Toute une fraction du port est rendues aux piétons qui accourent en toute saison sur ces pentes.
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Source : http://snohetta.com/project/42-norwegian-national-opera-and-ballet
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A l'intérieur, le parcours se poursuit. Des rampes mènent aux différents espaces de l'opéra. Elles
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aussi constituent un cheminement fait de vues et de détours. Ornée de chêne huilé, ces parois
C S

ondulantes évoque le rêve, l'évasion que procurent les balais. Ces galeries qui desservent les salles,
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s'élancent le long du hall principal est offrent des vues à la fois sur le bâtiment lui-même mais aussi sur le
fjord et la ville en direction du Sud, de l'Ouest et du Nord, au travers de la haute verrière. Cette dernière
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joue également un rôle important de nuit, diffusant la lumière intérieure sur les esplanades extérieures.
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L'ensemble de ces espaces (extérieurs et grand hall) restent ouverts au public de jour comme de nuit et
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tous les jours de l'année.


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L'architecture induit une marche ponctuée de lumière et rythmée par les dessins verticaux du parement
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de bois. Comme en milieu urbain, elle propose des vues, des pauses, des pentes et replats.
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39 Texte original : « Its accessible roof and broad, open public lobbies make the building a social monument rather than a
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sculptural one”.
Texte disponible sur le site internet : http://snohetta.com/project/42-norwegian-national-opera-and-ballet
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Le grand hall vu depuis la toiture inclinée Verre et bois dans le grand hall
photo Alexandre Rosa, www.travelpics.fr source : creativereview.co.uk

IS ’A Le parcours se poursuit à l'intérieur.


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Par l'intermédiaire de la verrière, intérieur et extérieur
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restent intimement liés. Le flâneur découvre un paysage


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architectural et urbain à chaque détour.


Les rampes menant aux différentes salles ou espaces
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d'attente sont un véritable cheminement, parfois


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tortueux, le long duquel se succèdent des vues sur les


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grand hall ou sur la ville à l'extérieur. Les parois de bois


évoquent l'ondulation des rêves.
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Depuis ce dernier, la confrontation entre le bois des


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passerelles et le verre et la transparence de la verrière


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forme une dualité, un vis-à-vis complémentaire.

Parcours, montée à la grande salle.


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Source : http://www.americanhardwood.org/fr/especes-de-bois-
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feuillus/etudes-de-cas/opera-doslo
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Aujourd'hui l'ensemble du projet reste cependant quelque peu enclavé, coupé du reste de la ville
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par les réseaux routiers et ferroviaires. Mais il prend place dans un espace en mutation : cette initiative
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n'est qu'une première pierre posée dans le projet urbain de la ville d'Oslo. La capitale norvégienne
O

entreprend depuis peu une reconquête de l'espace portuaire industriel dans le but de transformer ces
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berges en un espace public attractif dans un futur proche.

49
On comprend qu'une nouvelle vision et morphologie de la ville est possible. Tout est question de

G
proportions et de partage d'espace entre les différents modes de déplacements. Jusqu'à récemment les

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espaces dédiés à l'automobile ont été disproportionnés pour faciliter la fluidité et la rapidité du trafic,

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mais ces projets nous montrent que les mentalités évoluent et que la ville se transforme à notre bénéfice,
nous flâneurs, qui retrouvons une part de notre liberté dans de tels espaces à échelle humaine.

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III.4. Le retour de la nature en ville

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En quoi les préoccupations actuelles en matière d'architecture responsable peuvent-elle favoriser le

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flâneur ?

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La nature a toujours été présente en ville, sous un aspect plus ou moins domestiqué. Le moindre
espace non « entretenu » pendant quelques jours est très vite colonisé par une multitude d'herbes et

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même d'arbres. Ces traces de la nature façonnent la ville, elles relient les espaces, ponctuent les sites

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urbains.

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La philosophe et romancière française Anne Cauquelin fait part d'une remarque intéressante dans

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l'ouvrage « L'invention du paysage ». Dans le chapitre deux, elle évoque le jardin, et fait l'analogie entre la
ville minérale et la nature : « Comme un double inversé, la campagne offre le négatif de la ville qui cependant
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lui emprunte quelques traits dont elle ne pourrait se passer : Qu'est-ce donc que les colonnes de marbre qui
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ornent les maisons sinon l'image des forêts ? Et pourquoi vouloir une vue sur la campagne lointaine sinon
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parce que c'est là que se situe la vérité ? »40. La nature est présente en ville, même dans les lieux ou la
végétation est absente, tout est question de lecture du paysage urbain et d'interprétation sensible.
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Cette sensibilité, Italo Calvino en a doté Marcovaldo qui note tous les détails de la ville et de la nature qui
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l'accompagne. Dans le tout premier récit de Marcovaldo ou les saisons en villes, l'auteur décrit l'esprit du
M PE

héros invisible : « Par contre, qu'une feuille jaunît sur une branche, qu'une plume s'accrochât à une tuile, il les
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remarquait aussitôt ; il n'était pas de taon sur le dos d'un cheval, de trou de ver dans une table, de peau de
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figue écrasée sur le trottoir que Marcovaldo ne notât et n'en fît l'objet de ses réflexions, découvrant ainsi les
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changements de la saison, les désirs de son âme et les misères de son existence. »41. Le manœuvre remarque
donc bien des choses en ville, mais ce qui l'attire particulièrement ce sont les traces le nature. Il remarque
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chaque nouvelle pousse, chaque nouveau bourgeons et suit souvent la trace de cette verdure discrète
mais omniprésente.
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La végétation possède donc ce potentiel de créer des parcours dans la ville, de lier les lieux en traçant des
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sentiers discrets mais influents sur le trajet d'un flâneur. Comme Marcovaldo, le flâneur va d'arbre en
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arbre, de buisson en buisson, suivant le tournoiement des feuilles. La ville se présente sous un aspect
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40 Anne Cauquelin, L'invention du paysage, Presses Universitaires de France, Paris, 2000, p52
41 Italo Calvino, Marcovaldo ou les saisons en ville, éditions Julliard, Paris, 1993, pp 5-6
50
nouveau, celui des traces de nature.

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Les concepteurs des espaces urbains se laissent influencer par ce besoin de nature, l'évasion qu'elle

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procure lorsque la ville propose un parcours parsemé de végétation.

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Un exemple peut-être cité à Strasbourg. Le parc de la place de L’Étoile dans le quartier de

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Neudorf. Cet espace vert ne se distingue pas dans sa disposition : enclavé entre d'importantes voies de

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circulation. Il est même assez peu intégré dans le tissu urbain bâti. Sa particularité réside dans son aspect
de nature sauvage. Une nature simulée et maîtrisée bien sûr, mais il n'empêche que l'effet est inhabituel

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et intéressant en ville : les arbres ne sont pas élagués, les pelouses ne sont pas tondues au printemps et

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font plus figure de prairies. Une fois au milieu de la végétation, les bruits de la ville sont atténués, plus

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lointains, et l'imaginaire du flâneur peut se mettre en route.

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Comme une bulle de nature en pleine ville, cet espace pourtant urbain montre bien le lien qui peut se
tisser entre un marcheur et l'espace urbain. Ce parc est un lieu de pause, ou du moins un lieu dans lequel

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la cadence de la marche ralentit afin de se mettre au rythme de la nature des alentours.

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Dans une autre échelle, un lieux procure le même effet de nature dans le Nord de la France : le

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Parc Henri Matisse conçu par Gilles Clément et l'agence Empreinte à Lille. Situé à la frontière entre la
vieille ville et le très moderne quartier d'Euralille, le parc créé en 1995 offre huit hectares de promenade
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dans un cadre presque naturel.
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Le concept est celui cher au paysagiste Gilles Clément : le jardin en mouvement. Il reprend le thème de la
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friche. Laisser libre cours à l'évolution naturelle même en ville tel est le principe de ce jardin innovant :
« Dans ce genre d’espace les énergies en présence - croissances, luttes, déplacements, échanges - ne
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rencontrent pas les obstacles ordinairement dressés pour contraindre la nature à la géométrie, à la propreté ou
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à toute autre principe culturel privilégiant l’aspect. Elles rencontrent le jardinier qui tente de les infléchir pour
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les tourner à son meilleur usage sans en altérer la richesse. »42. Ainsi, le paysage est en constante évolution,
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rien n'est figé. Le marcheur découvrira un nouveau paysage à chaque saison mais aussi et surtout d'une
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année à l'autre. Ce nouveau paysage est favorisé par le déplacement physique de certaines espèces
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végétales : « Ce déplacement rapide et spectaculaire concerne les espèces herbacées à cycle court – annuelles,
bisannuelles (coquelicots, bleuets, nielles, nigelles, digitales, molènes, résédas etc …) – qui disparaissent sitôt
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leurs graines formées. Elles réapparaissent à la faveur des accidents du terrain – sols retournés – partout là où
les graines, disséminées par le vent, les animaux et les humains, parviennent à germer. »43.
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Cet espace vert propose trois aires pour trois ambiances bien particulières :
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– « la prairie du Boulingrin », une vaste pelouse parcourue de larges allées piétonnes. Elle accueille
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les habitants de la ville mais aussi les voyageurs en transit en provenance de la gare toute proche.
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42 Texte disponible en ligne sur le site : http://www.gillesclement.com/cat-mouvement-tit-Le-Jardin-en-Mouvement


43 Idem
51
– « Le bois des transparence », plus mystérieux et végétalisé le bois offre plus de détours, cette

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partie est dédiée à la promenade.

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– « L'île Derborance », seule partie du parc inaccessible. Du nom d'une forêt suisse entourée de

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hautes falaises, cette portion est dédiée au rêve. Elle est entourée de murs de sept mètres de haut
et est peuplée d'arbres, d'arbustes et de couvres sol qui se développent sans intervention

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humaine. Cette forêt suspendue s'étend sur 3000m², elles est la réplique d'une île des mers du

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Sud, nouvel éloge aux rêves et aux voyages.
Ce lieu interroge particulièrement, le piéton est poussé à en faire le tour à la recherche d'un

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éventuel accès, mais en vain. Seuls les rêves et l'imaginaire peuvent prendre le relais du corps

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pour prendre possession du lieu.

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Plan du Parc Henri Matisse à

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Lille, Gilles Clément et
agence Empreinte, 1995.

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Au centre, un

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parallélogramme représente

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la grande prairie du
Boulingrin. A gauche, la

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surface grissée dessine la
masse boisée du Bois des
IS ’A Transparences incluant l'arc
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de la voie ferrée qui plonge
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sous le parc.
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Entre ces deux espaces, l'ïle


Derborance, lieu dédié à la
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nature libre, aucune


intervention n'y a lieu, seule
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l'observation y est possible


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pour quelques scientifiques.


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Le tracé rouge évoque un


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parcours possible dans cet


espace varié et changeant.
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Source : http://www.gillesclement.com/cat-banqueimages-matisse-tit-Parc-Matisse-Lille
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Plus qu'un engagement écologique en faveur d'un système biologique, ce parc et cette île mystérieuse
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sont une invitation au voyage, un moyen d'impliquer le piéton dans le projet urbain. Une bulle de nature
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s’insère dans le tissu bâti, et bien que très tranché par rapport aux barres d'immeubles environnantes, ce
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parc fait partie du quartier, il y est intimement lié par des passages et passerelles. Cette île suspendue
dans la ville imprègne l'esprit du visiteur, sa vision se trouve influencée par cette disposition, il est
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probable qu'il parte ensuite à la recherche d'autres lieux porteurs de rêverie dans l'espace urbain.

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Clairière des Chablis dans le Bois des Transparences L'île Derbonrence depuis la grande prairie

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source : http://www.gillesclement.com/cat-banqueimages-matisse-tit-Parc-Matisse-Lille

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Chaque section du parc offre un univers différent. Bien que très végétalisé, ce parc reste un espace urbain, le marcheur découvre
un nouveau visage de la ville, celui de la nature qui reprend sa place en milieu urbain.

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Ville et nature porteuses de rêves, la combinaison est donc possible. Dans un petit texte intitulé “ Rien
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qu'une fleur”, L'écrivain, naturaliste et philosophe Yves Paccalet évoque la magie que peuvent évoquer
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toutes ces espèces végétales :
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«Rien qu'une fleur ; une feuille ; une tige ; un bulbe ; une racine...
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Juste un calice ou une corrole ; une étamine ou un pistile ; un nectar dans la brise ; la chiffonnade ou le velour
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d'un pétale ; un rai de soleil sur une vrille ; une goutte de pluie sur un bourgeon ; un fruit juteux qui dégorge ses
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graines en pointillés...
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Difficile de peindre ou de décrire la variété végétale. L'existence des plantes est un mystère. Elles ont une
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composante extraterrestre. Leurs formes, leurs teintes, leurs senteurs procèdent de la terre, de la lumière et de
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l'eau. Mais elles appartiennent à un autre monde.» 44


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Ce poème illustre une promenade dans ce parc dans lequel la nature évolue à son grès, les fleurs éclosent
librement et les arbres s'entendre sans limites vers les cieux.
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Le parc Henri Matisse offre toute une multitude de parcours, dans différents paysages mais reste
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cependant dans les limites d'un grand parc. Parfois les transformations urbaines prennent une autre
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ampleur, dépassent les limites d'un espace vert clos.


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44 Yves Paccalet, « Rien qu'une fleur », 1er Août 2008, texte disponible sur le site internet http://www.yves-
paccalet.fr/2008/08/01/rien-quune-fleur
53
De l'autre côté de l'Atlantique, un projet d'une toute autre envergure serpente depuis peu entre

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les immeubles de la ville de New York, à l'Ouest du célèbre quartier de Manhattan. Le projet de la HIGH

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LINE prend place dans un ancien quartier industriel. En 1999, l'association Friends of the High Line

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propose de transformer cette ancienne ligne de chemin de fer aérienne des années 30 en un espace
public. L'agence de paysagistes James Corner Field Operations et Diller Scofidio + Renfro proposent une

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longue promenade végétalisée, gagnante du concours.

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Plan et principes de la High Line, James

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Corner Field Operations et Diller

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Scofidio + Renfro, New-York, 2009.

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Le parcours se découpe en trois sections.

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La troisième (en vert en haut de l'image)
est prévue pour la fin 2014.

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Le principe : utiliser la voie ferrée aérienne

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afin de créer un long parcours traversant

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plusieurs quartiers. Régulièrement des

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aménagements proposent des pauses et
des points de vue depuis des gradins ou un

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belvédère.
Source :
IS ’A http://www.thehighline.org/james-corner-field-
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operations-and-diller-scofidio-renfro
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En 2009, ce parcours de 2,3km


ouvre enfin au public. Le
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cheminement perché à 9m du sol


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offre tout au long du voyage une


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multitude de vues sur la ville


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Au cours de la marche, les curieux


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sont accompagnés pas une grande


variété d'espèces végétales
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inspirées de la flore endémique qui


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poussait par elle-même sur la voie


ferrée à l'abandon pendant 20 ans.
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Les concepteurs décrivent leur


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démarche ainsi :
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« En changeant les règles


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d'engagement entre la vie végétale


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et les piétons, notre stratégie d'agri-tecture combine des matériaux organiques et les matériaux de

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construction dans un mélange de proportions changeantes qui accommode la vie sauvage, les cultures,

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l'intime et l'hyper-social »45.

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Parmi les nombreux aménagements disposés sur le site, citons le théâtre urbain, véritables gradins
suspendus au dessus de la 10 ème avenue. La vue s'étend sur la ville, la Statue de la Liberté peut même être

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aperçue.

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La voie ferrée à l'abandon avant travaux

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Pendant 20 ans, la végétation à repris ses

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droits formant un système naturel

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indépendant au dessus de la ville. C'est sur

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ce principe que s'est appuyée l'agence à
l'origine du projet.

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Source : www.thehighline.org

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Théâtre urbain au dessus de la 10 ème
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avenue
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Les gradins placés dans la perspective de


l'avenue offent un panorama sur Manhattan.
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Source : http://www.blogarchiphoto.com
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45 Texte original : « By changing the rules of engagement between plant life and pedestrians, our strategy of agri-tecture combines
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organic and building materials into a blend of changing proportions that accommodates the wild, the cultivated, the intimate, and the
hyper-social. ».
Texte disponible sur le site internet http://www.thehighline.org/james-corner-field-operations-and-diller-scofidio-renfro
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Une des cinq entrées sur la High Line Vue générale de la High Line
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L'accès donne l'impression d'entrer dans une forêt. La végétation abondante Source : http://projets-architecte-urbanisme.fr/
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accueille le marcheur. New-york-vue-du-ciel-alex-maclean-photographie
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Source : http://www.blogarchiphoto.com -urbaine/


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Ce projet n'est pas sans rappeler la promenade plantée de Paris, dans le 12ème arrondissement. Inauguré
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en 1988, cet espace vert prédécesseur de la High Line s'étend entre la place de la Bastille et le boulevard
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périphérique.
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Changer la morphologie urbaine et ses habitants par l'intervention de la nature, domptée ou


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simplement cadrée est donc possible. Même maîtrisée, elle suscite l'intérêt, tisse des liens et crée des
traces dans l'espace urbain, des marques qui mènent de découverte en découverte, de rêve en rêve.
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Les projets en ce sens sont de plus en plus nombreux, un changement dans les pensées des concepteurs
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mais aussi celles des habitants, s'effectue et modifie la morphologie des villes. On le voit, dans ce projet
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de la High Line, ce sont les habitants des quartiers concernés qui ont convaincu le maire de la ville de
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débloquer des fonds et contacter les concepteurs pour aménager cette promenade. Le lien architectes et
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marcheurs reste donc fort, les besoins et idées des uns influencent les autres.
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La nature occupe une place plus importante, elle crée des parcours urbains et accompagne le flâneur
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dans ses rêveries, il prend place dans la ville d'une façon différente, un nouveau rapport se forme par ces

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modifications.

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Charles Baudelaire évoque d'ailleurs les plaisirs du flâneur dans un de ses textes : « Pour le parfait flâneur,

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pour l'observateur passionné, c'est une immense jouissance que d'élire domicile dans le nombre, dans

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l'ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l'infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout
chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde, tels sont quelques-uns des

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moindres plaisirs de ces esprits indépendants, passionnés, impartiaux, que la langue ne peut que

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maladroitement définir. L'observateur est un prince qui jouit partout de son incognito. »46. Une description
aux retombées intemporelles puisque le piéton est toujours cet être observateur, qui fait partie de la vie

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et de la ville et qui les crée au fil de ses pas et des ses parcours.

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46 Charles Baudelaire, Le peintre de la vie Moderne, Tome III : L'artiste, homme du monde, homme des foules et enfant, édition
Fayard/Mille et une nuits, Paris, 2010.
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CONCLUSION

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L'espace urbain est peuplé de rêves, de marcheurs qui arpentent la multitude d'espaces de toutes
tailles, de toutes formes qui constituent une cité. Mais chaque portion de ville est aussi unique, elle

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possède son histoire, ses traces du passé, à moins que l'érosion humaine des progrès et des technologies

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ne les ait à jamais effacé.
La marche est un besoin intemporel, elle nous accompagne dans les moments d'angoisse ou de joie. Que

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nous marchions dans un but précis, un besoin ; ou par simple envie, par pur hasard, la ville se perçoit sous

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nos pieds, elle offre des obstacles ou des refuges à chaque nouveau pas. Le plus souvent d'ailleurs, nous

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marchons par plaisir, les parcs se remplissent de promeneurs, les quais de curieux admirant les rythmes

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des flots, les places de flâneurs avides de soleil.

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Marche, conception urbaine, architecture et paysagisme sont intimement liés. Les interactions se mêlent

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et s’emmêlent. La ville par elle même induit un besoin de marcher, d'entrer en contact direct avec l'espace

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urbain, de sentir les textures sous ses pieds. Chaque ville est un panel de paysages, mais aussi de sols aux

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couleurs et rugosités innombrables. N'importe quel véhicule nous met à distance, nous ne sommes plus
dedans, nous traversons simplement la cité comme à travers un nuage. Il est nécessaire de s'attarder,
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d'observer attentivement et parfois de revenir sur nos pas, pour s'apercevoir qu'elle est constituée de
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milliers de gouttelettes d'eau. La ville possède une épaisseur, une échelle qui, si elle est adaptée au
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marcheur, lui permettra de s'impliquer, de lire les lieux.


Cette richesse très présente dans les centres anciens est indispensable, elle revient peu à peu peupler nos
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villes par l’intermédiaire de projets réfléchis et influencés par la flânerie, la marche et la rêverie qui en
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émane.
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Du quartier au bâtiment, l'espace urbain des villes contemporaines entre peu à peu en mutation,
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influencé par ce besoin de parcourir, d’appréhender la ville. Les quartiers jusque ici inaccessibles comme
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les friches industrielles sont rendues aux habitants des villes. C'est un moyen de redécouvrir un
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environnement déjà connu, une autre perspective urbaine se forme, elle offre d'autres paysages, d'autres
rêves aux yeux du flâneur qui peut enfin prendre le temps de découvrir son environnement.
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La ville change, elle évolue parallèlement et au grès des contraintes et des changements de paradigmes.
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Cette évolution paraît d'ailleurs sans fin. Les technologies changent nos vies et nos villes. Aujourd'hui des
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immeubles se parent de façades qui ondoient au grès de la brise, d'autres n'ont besoin d'aucune énergie
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pour fonctionner. En parallèle, une prise de conscience nous tourne vers les techniques ancestrales du
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bois ou de la terre.
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L'architecture reste donc en perpétuelle évolution

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pas
flâner

piéton
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rythme
marche
arpenter

parcours
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urbanisme
paysagisme
architecture
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INDEX DES MOTS CLÉS

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Marcher, flâner, arpenter. En milieu urbain, ces pratiques prennent une toute autre
dimension face à la richesse des paysages. La ville est riche de signes, dont les plus intéressants
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sont souvent les mieux cachés.
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Confronter la rêverie du flâneur à l’architecture expose deux univers liés par des relations
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visuelles, sensorielles, expérimentales fortes. Comment ce lien est-il mis en avant dans les projets
architecturaux, urbanistiques et paysagistes dans nos villes d’aujourd’hui ?
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Le marche et son histoire montre qu’elle est indispensable aux Hommes, comment la lier à leur
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mode de vie et d’habitats toujours plus performants, rapides et innovants ?


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Vous aimerez peut-être aussi