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Par Rajaa Mejjati Alami (économiste, consultante)
et Jamal Khalil (sociologue, CM2S, Université Hassan II, Aïn Chock)
En partenariat avec la CGEM
<KL;<;<K<II8@E Enquêteurs : Ahmed Bendella et Mohamed Jeghllaly
Coordination : Fadma Aït Mous (chercheuse, CESEM)
Derb Ghallef
Le bazar de l’informel
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i\jÕfl\j\eki\c\]fid\c\kcË`e]fid\c%
L ’économie
le au Maroc
des réalités
informel-
recouvre
diverses :
l’artisanat traditionnel, le commerce
de rue, l’emploi non déclaré, la mi-
cro-entreprise, le travail à domicile,
les prestations de services (services
personnels, d’entretien, de répara-
tion...), les activités de transport,
la contrebande ou le narcotrafic.
Ces secteurs d’activité économique
incluent également le secteur fi-
nancier informel. Dans les villes
du Maroc, le nombre élevé de pe-
tits métiers localisés et les activités occupants de Derb Ghallef, nous d’organisation du marché dans son
de rue qui se développent frappent avons tenté de vérifier la validité de ensemble, mais aussi des métiers et
souvent l’observateur. La jouteya certaines de ces hypothèses et d’en de leurs acteurs, pris individuelle-
de Derb Ghallef est l’un des lieux tester d’autres. ment. Il s’agissait de recueillir les
phares de ce type d’activités. Les données concernant l’historique,
études existantes montrent que le Objectifs et les trajectoires et les conditions
secteur informel est la conséquence méthodologie de l’étude d’accès au local, l’environnement
de la migration, de l’urbanisation, économique, le rapport avec la ré-
de la crise de l’emploi officiel, de Cette étude, déclinée en deux par- glementation fiscale, de même qu’il
la situation du marché du travail, ties, sociologique et économique, se était question d’identifier les poten-
des difficultés que l’Etat rencontre propose de comprendre les modes tialités, les contraintes et le devenir
pour réguler l’activité économique, de fonctionnement des activités des activités de Derb Ghallef (DG).
des politiques économiques mises existant dans le quartier, et préci- Et qui dit contraintes, dit craintes
en œuvre (PAS), de la montée de la sément à la jouteya de Derb Gha- des sociétaires, par rapport à un
pauvreté et de la faiblesse du cadre llef. Elle a pour objectif de fournir délogement éventuel (ce ne serait
réglementaire. En interrogeant les des informations sur les modes pas le premier) ou à une tentative
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L a configuration de la
jouteya, comme prototype
du marché dit informel,
est intimement liée à celle de Derb
Ghallef. Elle peut même être con-
sidérée comme un condensé de
celle-ci, comme si le quartier était
porteur d’une trame récurrente qui
se reproduit sous d’autres formes,
quelques décennies, voire un siècle
plus tard. Cette trame sera analy-
sée à partir des discours, recueillis
durant l’enquête, des acteurs de la
jouteya.
Brève histoire
de Derb Ghallef
Dans les années soixante, l’urbaniste sur laquelle se trouve maintenant font ordonner la démolition par le
André Adam souligne que le pro- DG tombe entre les mains de six tribunal du Pacha en 1920. Cette
cessus de développement de Derb héritiers qui, en 1953, sont encore zone est réservée à l’extension de
Ghallef montre à quel point, dans dans l’indivision. Le plus entre- l’habitat européen. Non seulement,
une ville comme Casablanca, la prenant, mais agissant au nom de l’arrêt n’est pas exécuté, mais les
volonté des urbanistes et celle des tous, Mohammed Zemmoûri, com- constructions continuent : en 1921,
fonctionnaires municipaux peuvent mence, pendant la première guerre elles se comptent par centaines. Les
être battues en brèche . mondiale, à louer à des Marocains gens du Derb, pour échapper à la
des lots, ou zrîbas, de 36 m2, avec surveillance des agents de la mu-
Comment le Derb Ghallef a-t-il droit de zîna (jouissance), selon la nicipalité, travaillent les jours fériés
vu le jour ? Un Mediouni, El Hajj formule employée depuis longtemps européens et la nuit, à la lueur des
Bou’azza, surnommé Ghallef Amîn à Casablanca. Les locataires se torches. Procès-verbaux, amendes,
(représentant) des commerçants en mettent alors à bâtir en dur. rien n’y fait.
peaux, possède de vastes terrains à A la fin de 1919, 52 maisons sont
cet endroit. A sa mort en 1905, son déjà construites. Les services mu- En 1922, à cause de la pénu-
héritage est morcelé et la parcelle nicipaux interviennent alors et rie d’abris pour les Marocains,
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un accord est envisagé entre La localisation de la jouteya de Derb Ghallef avant l’incendie qui ravage la pre-
l’administration et les héritiers Gha- dans la ville de Casablanca en 2008
mière jouteya.
llef, pour faire place nette dans un En 1982, quelques mois avant
délai de 20 ans. Le Derb serait alors l’incendie, des enquêteurs ont
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+ ands, commerçants et artisans, sel-
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de la jouteya. Ceux-ci, plus d’autres,
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du Plan, à faire exécuter à leurs frais sont passés par la suite devant une
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les travaux de voirie. Mais proprié- )%D\Z_flXi
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commission, chacun devant prouver
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taires et zinataires sont bien décidés ,%J`[`Fk_dXe\ qu’il était là avant, en faisant témoi-
à ne pas appliquer, pour leur part, 1]ifek`
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1gi`dki\liYX`e\ gner ses voisins, ceux qui étaient à
les clauses de cette convention. Non côté, devant ou derrière lui. Une
seulement, on ne cède pas le terrain cartographie globale s’est ainsi con-
pour les voies, mais certaines rues d’occasion. Ces derniers se multi- struite, qui a permis d’identifier 730
deviennent des impasses. Les con- plient peu à peu. En 1959, un in- anciens.
structions ne s’arrêtent qu’une fois cendie ravage leurs marchandises:
atteintes les limites du terrain, vers la Souika est transformée en jar- Après ce recensement, il s’est agi de
1930. Au recensement de 1952, le din. Seuls subsistent quelques pois- leur trouver un espace. L’idée ini-
Derb, compte 1.954 maisons, 634 sonniers. Les autres commerçants tiale a consisté à les installer au souk
baraques et 20.754 habitants. s’installent alors, sur l’ancienne de Hay Hassani (lire témoignage 1).
route de Bouskoura, à l’ancienne Or, il n’y avait pas assez d’espace
Les autorités municipales finis- jouteya qui longe
sent par se résigner et par accepter le fleuve. Celui-ci Les autorités municipales
l’existence de ce quartier condamné sera asséché par
qui, sur tous les plans de ville, est la suite. finissent par se résigner et par
éventré par de larges avenues. Dans accepter l’existence de ce
le Schéma directeur de Casablanca Les occupants
de 1983, on a même tracé sur plan louent les par- quartier condamné.
de larges artères qui découpent le celles à un pro-
Derb Ghallef. 25 ans après, aucune priétaire du nom de Benjdia et pour contenir cette population. On
d’entre elles n’a été percée. s’installent dans les espaces mitoy- s’est rabattu sur une solution qui en
ens appartenant à d’autres proprié- principe est illégale, mais les autori-
Péripéties de taires. Leur commerce consiste pour tés de l’époque sont passées outre. A
la jouteya en bref l’essentiel en produits récupérés Derb Ghallef, se trouvait un terrain
(tbaqchicha) dans les quartiers euro- (celui de la jouteya actuelle) qui ap-
Lors du développement de Derb péens proches du Maârif, de Beau- partenait à plus d’une cinquantaine
Ghallef, un espace situé entre ses séjour et de Palmier. Ils vendent leur d’héritiers, dont une grande partie
deux artères longitudinales princi- tbaqchicha l’après midi. Le matin, vivait à l’étranger et qui se manifes-
pales Zemmouri et Lm’dan (à près ils apportent souvent des khourdas tait peu. Pourquoi ne pas l’utiliser ?
d’un kilomètre du lieu de la jouteya (Mélange de produits achetés ou ré- On a donc délivré aux 730 anciens
actuelle), sur une largeur de trois cupérés chez des personnes aisées) des autorisations provisoires pour
ruelles, a été réservé à un marché, qui étaient vendues à la criée. Les s’installer et construire des espaces
la Souika. Les propriétaires y louent commerces de l’ancienne jouteya de commerce sans dalle. Vingt-cinq
plus cher les boutiques que les habi- vont se diversifier progressivement, ans après, la jouteya est toujours sur
tations. L’activité de plus d’une cen- des halqa (contes, jeux et animations le même terrain et les héritiers, qui
taine de commerçants y est intense. populaires) vont voir le jour tout au- se sont multipliés depuis, attendent
Sur la place du souk, s’installent tour. Le nombre des commerçants toujours une solution. La formule
les premiers ferracha (marchands à va aller en se décuplant jusqu’à at- récurrente qui a donné naissance à
l’étalage), qui vendent des produits teindre plus de 700 en 1982, juste Derb Ghallef s’est reproduite.
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Parcours et mobilité
Les itinéraires des commerçants, des
artisans de la jouteya, sont pluriels.
D’aucuns (rares) ont suivi la profes-
sion de leurs pères (lire T6), certains
y ont trouvé une continuité logique
de leurs études (lire T7), ou une pro-
longation d’un hobby de jeunesse.
Pour la plupart, ce sont l’espace et
l’emplacement du local à la jouteya
payer d’indemnités aux marchands, et le transfert de la jouteya à son qui ont été déterminants dans leur
en déplaçant le souk dans la future lieu actuel, d’autres personnes choix. Ils ont pratiquement tous
jouteya. Le Selk a été ajouté récem- ont pu bénéficier d’autorisations changé de métier.
ment, c’est Moteâ (un ancien wali) d’exercer. Elles n’étaient pas forcé-
qui l’a créé. Les qerrada se sont re- ment du quartier. TEMOIGNAGES
groupés pour faire un souk là-bas. s #ERTAINS PARMI LES ANCIENS ARTI-
Ce sont les ferrachs, les « marchands sans de la jouteya ont vendu leurs T2 : La jouteya était destinée au
à l’étalage », on les appelle comme magasins, d’autres les ont légués à départ aux jeunes de Derb Ghallef,
ça. Moteâ les a recensés et leur a leurs héritiers qui ont fini, pour la dont je faisais partie. Nous étions
octroyé un terrain entouré de « selk plupart, par vendre. 600 personnes dans l’ancien souk.
». Mais tu sais ce qu’ils ont fait ? Quand nous sommes venus sur ce
Il y a les natifs de Derb Ghallef, site, nous étions 800 ; aujourd’hui
Ils ont vendu leur place sans avoir ceux de Casablanca et ceux qui nous sommes plus de 4000 ou de
une preuve ou un acte de propriété. viennent des autres régions. Les 5000. Il y a des personnes qui vien-
Selon eux, c’est le Makhzen qui premiers, quand ils sont âgés, par- nent de Berrechid, de Deroua, de
voulait cela. Moteâ, avant de don- lent de leur propre parcours. Les au- Rabat, ils ont tous des voitures. Moi,
ner des espaces de 2 à 3 mètres avec tres, plus jeunes, relatent l’histoire je suis né et j’ai grandi ici ; je tra-
des numéros pour chaque ferrach, a de leurs pères qui sont arrivés de la vaille ici et j’ai à peine de quoi faire
pris pour critère de sélection le té- campagne. Tous estiment être des vivre ma famille. Je ne peux pas me
moignage de 3 ou 4 autres ferracha. primo-arrivants face aux intrus qui permettre d’acquérir une voiture, ni
Vendeur de meubles. 64 ans. viennent de partout et s’enrichissent même une bicyclette, pour la simple
sans moralité, (lire témoignage 2), raison que je ne souffre aucune ex-
comme si, à un moment donné, ception à la morale dans mon com-
Enjeux des origines la capacité d’intégration de la ville merce, alors que, justement, c’est
devait s’arrêter aux premiers venus. devenu la tendance.
Les habitants du quartier de Deb Les Casablancais reconnaissent Bouquiniste. 66 ans.
Ghallef sont peu représentés à la qu’après un long parcours, voire
jouteya et ceci pour plusieurs rai- des études, la jouteya est un espace T3 : J’ai une première année de droit
sons d’«atterrissage» adéquat (lire T3). Les à l’université Hassan II et un diplôme
autres estiment que la jouteya offre en comptabilité de l’institut Goethe.
s !VANT LINCENDIE DE plus d’alternatives aux étrangers. Avec ce niveau et vu que mes frères
Les actifs de la jouteya étaient es- C’est un lieu de migration interne étaient plus jeunes que moi, j’ai dé-
sentiellement issus du quartier Derb par excellence (lire T4). Les migrants, cidé de donner un coup de main à
Ghallef, ils louaient leurs terrains une fois sur place, ne peuvent que mon père. C’est prioritaire. […] ce
aux propriétaires. Après l’incendie développer quelque chose, c’est leur n’est pas grave, même maintenant
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Certains ont basculé d’une activité à Tableau 2 : Nombre d’activités par local
l’autre avant de découvrir celle qui
leur semblait la plus rémunératrice
et la mieux adaptée à leur environ- EfdYi\[ËXZk`m`kjgXicfZXc EfdYi\[\cfZXlo
nement (lire T.8). D’autres ont pour- AdXVaVkZX&hZjaZVXi^k^i &'-& .'!)
suivi des études sans relation directe
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avec ce qu’ils font aujourd’hui. Et
d’autres enfin ont expérimenté plu- AdXVaVkZX(VXi^k^ih &' %!.
sieurs métiers avant d’arriver à la AdXVaVkZX)VXi^k^ih & %!&
jouteya (lire T.9).
AdXVaVkZX*VXi^k^ih & %!&
T.13 : C’est un job plein d’angoisses… et paraboles, 30 ans. pas pouvoir jouer les rôles qui leur
on a un jour de repos, pas de va- sont impartis (lire T.23). Il existe
cances, des crédits, des dettes à T 18 et 19 : des associations mais elles ont un
gérer et les prix qui baissent tout - Avant on gagnait 500 DH par uni- déficit de reconnaissance. Les com-
le temps. Vendeur de téléphones por- té, maintenant on gagne 50 DH dif- merçants en produits alimentaires
tables, 39 ans. ficilement. sortent du lot puisqu’ils arrivent à
Vendeur de luminaires 28 ans. fixer des prix, un jour de ferme-
T.14 : Au début, les vendeurs - Les mahals occupent tous les es- ture (le vendredi) et des amendes,
n’étaient pas nombreux et la de- paces et ne permettent pas que tu (3000 DH) pour ceux qui dérogent
mande était au top. Quand Maroc t’installes devant eux. à la règle. Tout se passe comme s’il
Telecom a lancé le produit Jawal, ça Ferrach 30 ans. y a un ensemble de questions qui
a été comme lorsque l’Etat a facilité doivent être réglées par l’association
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Si la jouteya s’est fait un nom à part, battre ce qui s’y passe, ce qui se rap- chances qu’on y réponde. Quand ce
par rapport aux autres souks, c’est porte au câble, à l’électronique, au sont plusieurs personnes qui expri-
d’abord par le piratage des chaînes piratage… Sur le plan technologique, ment la même demande, tout un
télés, la modification des appareils la réputation de DG le précède. Et réseau interne et externe se met en
numériques et de jeux et la vente comme n’importe qui, quand tu en- place pour y répondre le plus vite
des produits alimentaires du Nord. tends parler de ce monde, tu veux le possible. Les prix ayant tendance à
Par la suite c’est la téléphonie et le connaître, tu as cette curiosité. baisser très vite, le temps redevient
commerce des DVD qui ont pris le Vendeur de prêt à porter. 29 ans. de l’argent.
relais. Ces activités ont drainé une
nouvelle clientèle, et de nouveaux T33 : Dans ce système de fonctionnement
commerces formels se sont dévelop- Avoir un mahal à la Jouteya est un qui dépasse le format mixte (formel/
pés. Il se côtoie ainsi dans un es- avantage. Ici les gens viennent nom- informel) de départ qui lui a donné
pace réduit un ensemble d’activités breux. Par contre, si j’ai un mahal naissance, les marchands s’installent
disparates avec plusieurs spécialisa- ailleurs, je crois que je vais galérer. dans une spirale continue de recher-
tions et de larges menus qui rendent Les gens viennent ici pour une seule che du neuf, de l’original, parfois
la jouteya attractive (lire t. 33).
Témoignages
T 29 et 30 :
- La jouteya c’est la perle de Casa-
blanca. Vendeur de jouets. 48 ans.
rejoint ici le même format concomi- trogène. Qu’ils nous donnent juste d’organisation élevé peut faire
tant au développement du quartier la dalle et l’électricité. Aucune dif- avancer (lire t.40 et 41), en créant
de Derb Ghallef. Après un accord ficulté. Il faut juste que le Makhzen des opportunités de fabrication de
entre l’administration et les héritiers nous laisse tranquilles, c’est tout. propositions viables. La jouteya est
de Ghallef en 1922, les propriétaires Oui, seulement l’infrastructure. un espace où les gens sont con-
et zinataires continuèrent à constru- Pour le reste, tout est mriguel (ré- scients que, en plus des problèmes
ire et ne cédèrent pas le terrain pour glé). Opticien. 26 ans. d’infrastructure, de rapport aux
les voies. Ce n’est qu’en 1934 qu’on autorités, ils sont face à une autre
construisit les égouts et jusqu’en T 36 et 37 : menace, celle de se faire déposséder
1949, il n’y avait qu’une fontaine - L’électricité, et un peu d’ordre légalement de leurs locaux par des
d’eau. Si l’on transpose ce for- et d’organisation. Bref, manque personnes plus fortunées (lire t.42 et
mat à aujourd’hui, quelle que soit d’infrastructures et insécurité due 43) qui viennent de l’extérieur. Ils
l’attitude des autorités, la variable à la menace permanente d’être peuvent ainsi être victimes de leur
temps est annihilée. évacué. DG est menacé de disparaî- succès.
tre, vu que les échoppes ne sont pas
Tout processus d’aménagement et en dur et que Casablanca doit être Présent
de transformation de l’espace im- sans bidonville d’ici 2010. On est en
plique l’intervention des autorités 2007, il ne reste que trois ans, nous Aujourd’hui les commerçants savent,
et par conséquent la non-maîtrise sommes menacés de disparaître. par rapport à leurs intérêts, que le fait
par les propriétaires, les locataires, Vendeur de prêt à porter. 29 ans. de rester est le choix optimal, quelles
les ferracha de ces mêmes trans- que soient les contingences. Le local
formations ; en d’autres termes, - La LYDEC a été d’accord, car elle est la pièce maîtresse de l’ensemble
ce serait le début de leur exclusion y a un intérêt. Le wali a refusé car du dispositif à condition de le garder
progressive d’un processus où ils il semble que la terre soit la pro- (lire T.44). Leurs trajectoires et leurs
sont partie prenante. Les acteurs priété des héritiers. Il y a un conflit, situations marginales de départ leur
de la jouteya ne seraient plus dans je suppose. Les instructions du wali ont appris à être résilients (lire T.45).
une situation de tolérance d’un état rendent notre activité limitée, ce qui Ils comparent avec les autres souks et
de fait, même s’il est précaire. Pour freine notre ambition pour entamer ils y trouvent leur compte (lire T.46).
rester acteur de leur avenir, ils pré- la construction. Avec ce revêtement Toutefois un autre élément vient per-
féreraient transformer eux-mêmes, en zinc, il fait très chaud l’été. Et turber cette mécanique huilée. C’est
gérer le quotidien et passer du bi- l’hiver, pas de canalisation pour l’entrée en jeu des produits chinois
donville au dur avant 2010 (lire T. l’eau. La nuit, il y a des gardiens. qui sont importés légalement (lire
36 et 37) Pendant le jour, nous participons T.47 et 48). Les marges se réduisent
tous au gardiennage. mais, malgré tout, les prix des locaux
Témoignages Vendeur de vêtements. 34 ans. se maintiennent, de 400.000 DH à
1.200.000 DH. On est entré dans un
T 34 et 35: Malgré cette situ-
- Je n’ai aucune difficulté, sauf le ation qui pro- L’utilisation des NTI et des sites
fait que les clients ne trouvent pas gresse vers ses web a permis l’émergence
d’accès pour cause d’étroitesse des limites, le niveau
ruelles, de manque d’infrastructures. d’organisation d’un nouveau type
En fait, tous les services manquent. des marchands de commerce informel.
Pour l’électricité, il y a uniquement reste faible (lire
quelqu’un qui possède un groupe T.38), pour qu’ils
électrogène et nous fournit en élec- puissent demeurer acteurs dans les jeu complexe où plusieurs variables in-
tricité. L’eau, on la rapporte de la transformations à venir. D’un côté, terviennent : les acteurs (intervenants
fontaine. Et les égouts manquent… il y a une situation de fait, informel- directs identifiables et non identifi-
Commerçant Bale. 46 ans. le et qui fonctionne, draine du chif- ables, intervenants indirects identifi-
fre, permet à des exclus, des sans ables et non identifiables), la jouteya
- On a besoin d’électricité, et métier de pouvoir faire quelque comme ressource économique, sa
d’égouts d’assainissement. Nous chose, d’apprendre (lire T.39). D’un place dans la ville, son image qui a
n’avons pas d’électricité, nous tra- autre côté, cette même situation ar- dépassé la ville. Face à cet agrégat,
vaillons juste avec un groupe élec- rive à des limites que seul un niveau ils ne peuvent plus reculer.
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La ville est un espace à conquérir Commerçant en produits alimentaires Vendeur de chaussures, 35 ans.
pour l’ascension sociale. Comme 31 ans.
elle est conçue comme un lieu de T 57 et 58 :
transit, les endroits les plus recher- - J’ai entendu cela dès mon premier - C’est aux responsables, wilaya et
chés sont ceux qui permettent le jour à la jouteya : que la proprié- communauté urbaine, d’organiser le
plus de mobilité. taire du terrain à gagné l’affaire au souk en déléguant cette tâche à une
tribunal, et que le marché sera dé- société privée. Nous avons peur de
La jouteya en est un exemple : une placé à Bouskoura… mais beaucoup cette situation provisoire de jouteya.
zone instable en situation précaire de gens s’opposent à ce projet. Vendeur de téléphones portables.
qui, paradoxalement, est une zone Ferrach. 34 ans. 39 ans.
où les transformations et change-
ments sont nombreux. On y rencon- - La situation du marché est en - Je pense que le secteur privé gérera
tre des entrants, des sortants et plus régression, les gens qui ont les mieux que le secteur public.
de mobilité. Tous ces croisements, moyens se lancent dans des projets, Vendeur de téléphones portables.
cette conversion en carrefour la ren- ailleurs. Commerçant en télévisions et 26 ans.
dent attractive. C’est un espace qui paraboles. 30 ans.
offre plus de possibilités, voire de T 59, 60 et 61
T 52 : Moi, je pense à 100% qu’elle - [La solution] est de réglementer
va être déplacée. On souhaite qu’elle tout ça et que nous restions ici.
reste ici mais ça ne dépend pas de Commerçant de bal. 46 ans.
nous.
Vendeur de vêtements. 38 ans. - Moi je pense qu’il faudrait
construire la jouteya ici, avec son
T 53 - 54 : infrastructure. A ce moment là, s’ils
- L’essentiel c’est que chacun pré- veulent organiser et interdire la con-
pare un plan pour le jour venu (pos- trebande, qu’ils le fassent.
séder son mahal, quitter la ville, Commerçant de pneus. 33 ans.
émigrer…). Informaticien. 26 ans.
- Nous voulons rester ici, nous
- Je suis en train de monter deux sommes prêts à reconstruire nous-
projets que je vais lancer en dehors mêmes et à payer le montant qu’ils
de DG. Comme ça, même si le mar- fixeront, selon l’arrangement qu’ils
ché est démonté, j’aurai autre chose. trouveront avec le propriétaire du
Vendeur de prêt-à-porter, 29 ans. terrain…. Vendeur de chaussures.
35 ans.
T 55 :
Si on déplace la Jouteya d’ici,
il y aura des problèmes avec le La stratégie gagnante incorporée par
chances, qu’un espace maîtrisé. En Makhzen. Moi, le premier, ils au- les acteurs de la jouteya, est celle qui
générant de l’instabilité, l’espace de ront des problèmes pour me dé- permet de se trouver dans un espace
la jouteya permet à ses acteurs d’être loger… Bouquiniste. 66 ans. temps qui offre le maximum de pos-
insaisissables et d’utiliser cette pro- sibilités pour utiliser les avantages
priété comme outil stratégique. T 56 : de l’immobile tout en étant inac-
On est là tant que le souk est là… cessibles. C’est aussi une stratégie
J’espère seulement qu’ils nous de reconduction des attributs no-
Témoignages avertiront pour que nous puissions mades. Le déplacement est généra-
prendre nos dispositions, qu’il n’y teur d’opportunités à condition d’en
T 49, 50 et 51 aura pas un incendie …J’espère maîtriser les règles. A chaque fois
- Depuis longtemps j’entends ces qu’ils nous proposeront un arrange- qu’on déplace un ensemble de per-
rumeurs. Mais ils n’ont pas trouvé ment, qu’ils nous permettront de sonnes d’un espace à l’autre, ce sont
un emplacement pour le souk, j’ai bâtir en dur et de nous acquitter celles qui ont les vertus des « mobiles
entendu parler de Bouskoura, de d’un montant et de pouvoir rester » qui en bénéficient. De ces vertus,
Sidi Maarouf. sur place. la principale est l’inaccessibilité.
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Croquis de la
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82
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Un souk
entre le formel & l’informel
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Par Raja MEJJATI ALAMI, Economiste consultante
elles le veulent, nous leur éxécuterons les activités disposant d’une relative popularité du souk « qui est mondi-
leur ordonnance, on leur remplira bonne assise financière et qui sont alement connu ». Les uns estiment
leur mutuelle, c’est «remboursable». les plus nombreuses. Pour la grande que l’avantage ne réside pas seule-
Les opticiens diplômés viennent majorité d’entre elles, l’écoulement ment dans l’existence de produits
s’approvisionner chez nous». Vendeur des biens et services se fait au sein de contrebande à bas prix, qui sel-
en optique, 26 ans. même de la jouteya. De ce point de on eux ne représentent que 20% des
vue, celle-ci présente un avantage produits commercialisés. Il réside
Dans le commerce des luminaires, en terme de localisation, en tant essentiellement dans l’économie et
la clientèle est composée de sociétés qu’espace d’informalité. les effets d’agglomération, qui en
formelles immobilières. Il en est de font un pôle attractif, comme lieu
même de la vente et de la réparation “J’apporte la marchandise et je la de regroupement des différentes
de PC, dont la clientèle est compo- répartis auprès des commerçants du activités. Il est néanmoins impor-
sée également de sociétés du secteur souk. C’est mon assistant qui s’occupe tant de souligner que l’avantage de-
structuré. Enfin, il est important de des vitrines. Moi je reçois la marchan- meure aussi l’existence d’un espace
signaler que le secteur public ne dise ou je voyage pour la rapporter. Je d’informalité (absence de certaines
constitue pas un débouché en aval. revends la marchandise le matin et je charges fiscales, produits) où les
fais un tour l’après midi pour récu- prix demeurent inférieurs à ceux
Au sein de la clientèle, les catégo- pérer l’argent ». Grossiste en téléphones pratiqués dans le secteur formel de
ries sociales sont hétérogènes. On portables, 26 ans l’économie. Cet argument est avancé
peut identifier des catégories aisées La commercialisation à l’extérieur par la grande majorité des activités
et moyennes (prêt-à-porter de luxe), est le fait d’intermédiaires, détail- (électronique, informatique, prêt-à-
des professions libérales structurées
(avocats, médecins pour le matériel
de bureau.), des étudiants, mais
également des catégories à faibles
revenus. Il faut ajouter que, dans
certaines activités, la clientèle est
composée de RME (électronique).
La clientèle d’origine rurale, quant à
elle, s’adresse tout particulièrement
aux services (réparateurs de groupes
électrogènes).
La jouteya,
un lieu d’ancrage
et un pôle attractif
« Le facteur qui détermine la vente
de mes produits…? Ce n’est pas
l’expérience mais, c’est le nom de
jouteya». Commerçant en vêtements, lants ou grossistes. Même dans ce porter de luxe) qui affirment que les
34 ans. cas, la jouteya demeure un pôle at- prix sont de 15% inférieurs à ceux
« La jouteya est le point qui attire tout tractif. D’autres activités opèrent pratiqués dans le secteur formel
le monde : Agadir, Larache, Tanger, je sur les deux espaces, à l’intérieur et (Maroc Telecom par exemple).
vends à tout le monde». Vendeur de à l’extérieur de la jouteya. Dans ce « La jouteya, c’est la place où les prix
jouets et, de matériel sportif, 48 ans. dernier cas, le déplacement vers les sont les moins chers de tout le Maroc
clients, en cas de besoin, est cou- … je lance un défi à quiconque qui af-
En matière de commercialisation rant (réparation de matériel électro- firme le contraire. Et ça concerne toutes
des produits, il existe un ancrage nique, informatique et optique). les activités » Vendeur de meubles de
certain au sein de la jouteya, en bureau, 40 ans.
particulier pour les activités gravi- Le point de vue sur les avantages que « La jouteya est comme un moussem,
tant autour de l’électronique, de procure la localisation à la jouteya, comme une zone franche, les gens vien-
l’informatique et de la vente de prêt en terme de commercialisation, nent pour acheter ». Vendeur de télé-
à porter de luxe, en somme pour est unanime. On fait référence à la phones portables, 29 ans.
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Concurrence,
prix et revenus
L’acuité de la concurrence est dif-
féremment ressentie d’une activité
à l’autre. Certains ne perçoivent ou
ne subissent aucune forme de con-
currence. Il s’agit des activités de
ou trois commerces simultanés, par « Il faut qu’ils arrangent les bou- survie, à faible potentiel (vêtements
exemple le commerce de prêt-à- tiques... et pourquoi pas, qu’ils fas- d’occasion, bouquinistes), mais aus-
porter, avec une vitrine de vente de sent un centre commercial qui soit si de celles qui opèrent en situation
téléphones portables qui n’occupe aux normes internationales … Il est de monopole (optique).
pas beaucoup d’espace. impensable qu’un magasin dont le
Pour les plus scolarisés, et dont capital est de plus de 200 millions de Les sources
l’activité nécessite des capitaux, centimes soit recouvert de zinc. » Ven- de la concurrence
c’est l’insuffisance de ces derniers deur de vêtements de luxe, 29 ans. La concurrence est essentielle-
qui constitue l’obstacle principal. ment interne, c’est-à-dire qu’elle se
Leur augmentation peut même La demande de regroupement par déroule entre activités informelles
être une incitation au transfert à activité (associations) est plus le elles-mêmes et au sein de la jouteya.
l’extérieur de la jouteya (commerce fait d’activités évolutives (électro- Elle est révélatrice de la démultipli-
de pneumatiques) nique, commerce de téléphones cation d’unités de même type.
portables). Il existe, de leur part, « Des personnes qui trafiquent les prix,
Pour ceux qui subissent la concur- une demande de gouvernance qui gonflent les marges de manière exa-
rence des ambulants, la solution va même jusqu’à la proposition de gérée, et parfois les réduisent au point
réside dans la réglementation du formes d’auto-organisation pour la de vendre à perte. » Vendeur de maté-
commerce, face à « l’anarchie pro- défense des intérêts de la profes- riel électronique, 40 ans.
voquée par la contrefaçon ». Ces der- sion et l’organisation des métiers
niers proposent une espèce de label en terme de regroupement. Ces ca- Les produits importés
de qualité permettant de distinguer tégories peuvent percevoir l’intérêt Certaine activités se plaignent de la
entre la marchandise de bonne et d’un début de processus de for- concurrence des produits importés
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« Et parfois, rien » (fripier). Pour les tiques et électroniques, on dis- citées (secteur formel et circuit in-
vendeurs de produits alimentaires, tingue deux modalités dominantes. formel), une troisième modalité
la marge se situe entre 200 et 300 L’approvisionnement se fait auprès fait appel au réseau de proximité
DH par jour, tout en estimant que de fournisseurs formels, à partir entre commerçants au sein même
les ventes connaissent une baisse de marchandises provenant du de la jouteya, mais cette modalité
constante, en raison du tarissement secteur moderne de l’économie ne semble pas dominante. Dans le
des circuits de contrebande. Pour les et des grandes entreprises (Maroc premiers cas, l’approvisionnement
vendeurs de chaussures, on l’estime Telecom), ou auprès de grossistes passe par des intermédiaires qui ont
à 5000 DH par mois, en période de revendeurs de Garage Allal, Derb des contrats avec les deux opéra-
forte activité, et à la moitié de ce Omar, en provenance de Chine et teurs et achètent et revendent les
montant, en période de marasme. d’Europe. Là encore, les secteurs produits.
Pour les vendeurs d’accessoires de formel et informel sont imbriqués. Dans la vente de produits alimen-
voiture, la marge de gain varie entre L’approvisionnement en pièces et taires, l’approvisionnement s’effectue
30% et 50% ? appareils provient également de au Nord du pays où les jeunes et les
réseaux de migrants, et de con- femmes jouent un rôle actif, comme
Approvisionnement : naissances personnelles, qui jouent maillons du réseau de contrebande.
entre formel et informel un rôle actif. Il s’agit parfois de Toutefois, l’approvisionnement sur
fournisseurs individuels, localisés à le marché local, face aux difficultés
L’hétérogénéité des unités se traduit l’étranger. d’accès aux marchés extérieurs de-
par des modalités d’approvisionne- vient la solution de rechange. En-
ment différentes. L’analyse des ré- « Ce sont des personnes que nous con- fin, comme dans d’autres activités,
seaux de vente permet de voir si la naissons. Dès qu’elles arrivent, elles l’approvisionnement groupé est une
jouteya procure des avantages parti- nous téléphonent, nous informent sur pratique courante.
culiers. Elle révèle aussi les interpé- la nature de leur marchandise et vien-
nétrations entre formel et informel. nent au souk nous la proposer. Elles Quand un camion nous ramène 1000
savent où nous trouver, la jouteya est unités d’une marchandise, on la ré-
Lieux et réseaux connue. » Commerçant en informa- partit… » Commerçant en produits
d’approvisionnement tique, 26 ans. alimentaires, 31 ans.
Les fournisseurs sont localisés pour « Les émigrés
la quasi-totalité à l’extérieur du site. d’Allemagne, des La rétribution par chèque
Il existe plusieurs modalités et ré- Pays-Bas et de Bel-
seaux d’approvisionnement, mobili- gique apportent
est une pratique qui a cours
sant parfois les migrants. Les com- beaucoup de ma- mais qui est de plus en plus
merces d’appareils électroniques, tériel informatique
informatiques, d’alimentaire, de avec eux : des PC,
considérée comme
pneumatiques cumulent les différ- portables, PlaySta- une aventure périlleuse.
entes sources formelles et informel- tions,… nous les
les. Pour nombre de commerçants en connaissons. Ils nous appellent au té- Certains s’approvisionnent directe-
ameublement, l’approvisionnement léphone, on fixe un RDV, on négocie et ment auprès du secteur formel de
s’effectue auprès des grossistes du on conclut le marché. » Commerçant l’économie. C’est le cas des répara-
secteur formel uniquement. Par con- en informatique, 26 ans. teurs de groupes électrogènes qui
tre, le recours aux réseaux informels « Ce sont les émigrés qui m’apportent s’adressent à Honda pour les pièces
est de mise dans les commerces les produits : je suis connu dans ce do- détachées, des commerces de maté-
de chaussures, de prêt-à-porter de maine. J’ai ma carte de visite. Les au- riel de bureau et de meubles, de lu-
marque et de jeux électroniques. tres marchands m’appellent dès qu’ils minaires, qui s’approvisionnent au-
tombent sur une pièce qui m’intéresse » près des grossistes importateurs de
Deux types de Marchand de jouets, 48 ans. produits en provenance de Malaisie,
fournisseurs cumulés d’Italie, de Belgique et de Chine,
Dans le cas des commerçants Dans le commerce de téléphones plus prisée pour les prix, mais moins
réparateurs d’articles informa- portables, outre les deux sources appréciée pour la qualité.
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Quelles difficultés faire face aux ruptures de stock et l’autofinancement «un moyen licite»
d’approvisionnement ? fidéliser la clientèle, les tenanciers (Chaussures)
Les difficultés que rencontrent les empruntent chez les autres commer-
tenanciers pour s’approvisionner çants le produit qui leur fait défaut, Le recours
sont de différents ordres et vari- moyennant une marge bénéficiaire, à des associations ponctuelles
ables selon l’activité. Les grossistes et remboursent dans la journée En cas d’absence de liquidités,
déclarent subir les contrôles doua- même. Enfin, face à l’insuffisance des mécanismes d’adaptation se
niers, « allant jusqu’à perdre dans de liquidités, certains se voient ac- mettent en place. Il s’agit de formes
certains cas leur marchandise ». corder des facilités par paiement « d’associations » informelles immé-
échelonné, dans l’attente de la diates qui se nouent pour l’achat
Pour d’autres, le problème réside vente, ou en versant une avance. de marchandises.
au niveau de la cherté des matières
premières (le bois et le fer pour Financement « Il arrive que quelqu’un me rap-
l’ameublement) qui rend les produits précaire des activités porte de la marchandise. Je n’ai pas
locaux peu compétitifs face aux et préjugés religieux les moyens de l’acheter tout seul… Je
produits importés de Chine, même contacte les boutiquiers qui vendent
si la qualité de ces derniers est dou- A la jouteya, le financement des ac- les mêmes marchandises que moi, nous
teuse. À titre d’exemple, un bureau tivités s’appuie essentiellement sur mettons en commun notre argent et
fabriqué au Maroc coûte 6000 DH, des pratiques endogènes et relève nous achetons la marchandise en ques-
alors qu’un autre importé de Chine d’un phénomène local. Les relations tion. » Commerçant en informatique,
vaut entre 2500 et 3500 DH. avec les institutions bancaires étant 26 ans.
faibles, quelle que soit l’importance
Pour ceux qui dépendent des mar- de l’activité (à l’exception des lumi- L’originalité de ces pratiques réside
chés extérieurs et des réseaux in- naires), ces modes de financement dans le fait qu’elles ne s’appuient
formels, comme les commerçants semblent adaptés aux pratiques du sur aucun contrat écrit. Seuls
de vêtements de luxe ou d’occasion, milieu. Mais ceci n’exclut pas des les rapports de confiance et de
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proximité l’organisent. Très couran- personnelles, les critères de confi- nement, mais dans le commerce, il n’y
te, l’association prend des formes ance et de moralité des bénéficiaires, a pas de solidarité. » Vendeur de jou-
qui reposent sur le partage des gains dans une économie de proximité. ets d’occasion, 48 ans.
mais aussi sur le partage des risques «Un client qui me doit 12.000 DH et
et la division des tâches. Parfois cela veut acheter une marchandise à 8000, Perception négative
se fait entre personnes aux qualifi- doit payer l’ancien crédit avant de bé- du crédit bancaire
cations complémentaires. néficier du nouveau. Et nous faisons La plupart n’ont pas recours au fi-
la même chose avec les grossistes, en nancement bancaire, y compris dans
Les facilités leur donnant des chèques de garantie» les activités qui disposent de capaci-
fournisseur-client Vendeur de luminaires, 28 ans. tés financières (commerce et répara-
Le talq constitue une pratique très « C’est la confiance qui joue. Je peux lui tion de produits informatiques, télé-
courante dans la quasi-totalité donner une partie de l’argent et il peut phones, paraboles, Internet). L’appel
des activités et sont même le fait passer chez moi après pour compléter au crédit bancaire n’a lieu que dans
d’usines structurées qui entretien- la somme due… Une fois, une personne des cas extrêmement limités, en cas
nent des relations avec certains m’a vendu une marchandise que j’ai de présence sur le marché de march-
revendeurs (matériel informatique). payée en trois tranches, la seule garan- andises compétitives en termes de
A l’exception des activités liées aux tie était ma parole et le Mahal… Je ne qualité et de prix (luminaire) et
réseaux de contrebande qui ne peu- donne pas de chèque
vent y recourir en raison des risques de garantie. » March-
liés à la saisie de la marchandise and de vêtements, 34
Il existe, une demande de
par la douane, le talq semble en ef- ans. gouvernance allant jusqu’à la
fet constituer pour beaucoup une
alternative au manque de liquidités Le crédit personnel
proposition d’auto-organisation.
et à l’absence de recours au crédit en guise de solidari-
bancaire. Il s’agit d’une pratique de té semble inexistant. Les formules pour lesquelles on ne dispose pas
financement de type commercial de type tontine n’interviennent pas de liquidités. La relation avec le sys-
qui trouve sens dans les relations non plus comme sources de finance- tème officiel est nécessaire quand il
du fournisseur avec ses partenaires ment, vraisemblablement en raison s’agit de recouvrir ou d’encaisser un
commerçants. Celui-ci accepte de de l’affaiblissement des liens de soli- chèque de garantie. Cela prouve une
n’être réglé qu’ultérieurement, pour darité. L’auto-organisation de type cohabitation des modes formel et in-
avoir plus de chances de vendre à daret, comme alternative de finance- formel de financement.
nouveau. Cette pratique existe dans ment, est, selon nos informateurs, Dans le milieu, prévaut une per-
la plupart des activités qui n’ont inexistante. « Certes, on se solidarise ception négative à l’égard des prêts
pas les moyens de constituer des quand il y a des funérailles ou un évé- bancaires et nombre d’activités
stocks. n’envisagent pas d’y recourir dans
« Je pratique le talq… Chaque jeudi, l’avenir. Plusieurs arguments sont
je rembourse le fournisseur. On se Tableau 5 : Inscription à la patente avancés. L’écrasante majorité fait ré-
fait confiance…Les clients, je leur ac- férence aux interdits religieux :
corde des facilités de paiement. Je ne « La banque c’est riba, c’est h’ram,
rencontre aucun problème avec eux. Ils c’est « rwina » (optique, friperie, électro-
me paient et c’est ce que je veux. Où nique, prêt-à-porter de luxe, commerce
trouverais-je pareil ? » Commerçant en *& ). de pneus, paraboles…)
optique, 26 ans. «J’estime que le crédit bancaire est il-
licite, je suis musulman et tous les
Adapté au caractère instable des ac- oulémas musulmans l’ont déclaré illic-
tivités, souple au niveau des délais ite, à cause de la pratique de l’intérêt».
de remboursement, le talq est facile EfdYi\[\cfZXlo Marchand de prêt-à-porter de luxe,
d’accès et n’exige aucune procédure. .(+ 8jjliXeZ\j 29 ans.
Ce système n’aurait pas été aussi -.* JXejgXk\ek\
D’autres ne veulent pas y recourir,
sollicité sans la force des relations soit parce qu’ils n’en ressentent pas
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Recrutement il prend la moitié et, quand il ramène l’activité. Parmi les unités enquêtées,
via les réseaux familiaux des PC portables à vendre, il laisse une la quasi-totalité y est enregistrée et
La main d’œuvre, quelle que soit petite partie de la valeur pour le ma- s’acquitte de cet impôt. En somme,
son statut, est dans la plupart des hal ». Commerçant en informatique, la majorité des unités n’échappe pas
cas d’essence familiale (serrurerie, 26 ans. à la connaissance des autorités et
vente d’accessoires de voiture, ali- est inscrite dans les registres. Il faut
mentaire, téléphonie portable). A Les moins bien lotis sont payés à la tout de même noter que certaines
l’opposé du comportement clas- semaine, chaque week-end. Dans catégories, disposant uniquement de
sique qui voudrait qu’on dissocie certains cas, des avantages en na- vitrines, ne s’acquittent pas de cet
les relations marchandes (exercées ture sont accordés,
sur le lieu de travail) et les rela- tels que les repas Dans le secteur télé-Hi Fi, les
tions familiales, les unités sont « ou les frais de trans-
encastrées » dans les unités domes- port (chaussure). grandes surfaces, dont les prix
tiques. Dans l’alimentaire, ont fortement baissé, se posent
le montant de la
Les principales régions pourvo- rémunération est de en concurrents sérieux.
yeuses de la jouteya en main 1200 DH par mois,
d’oeuvre sont Doukkala, les ré- plus 10 DH chaque jour, pour les impôt. Ne disposant pas de local,
gions de Marrakech et d’Agadir. repas. Il faut aussi souligner que la elles ne se sentent pas concernées.
Les personnes originaires de Casa- main d’œuvre familiale, quand elle Selon les tenanciers, toutes les ac-
blanca sont peu nombreuses, mais n’est pas associée, est faiblement tivités s’acquittent de la patente à
tout dépend du secteur d’acitivité. rémunérée. « A la fin de chaque se- l’exception de celles créées à la fin
«Il y a beaucoup de familles. Moi je maine, on répartit le gain que nous des années 1990. Le montant des
vais amener mon frère ou mon cousin. avons réalisé. On n’a pas de règles patentes établi sur une base for-
Les gens qui travaillent dans l’élec- fixes pour la répartition. » Vendeur de faitaire est variable selon les activi-
tronique sont mélangés : la plupart téléphones portables, 39 ans. tés. A titre d’exemple les commerces
sont d’ici et les apprentis apprennent de produits alimentaires s’acquittent
sur le tas. » Vendeur de vêtements de Impôts, taxes, de 1000 DH annuels de patente, le
luxe, 29 ans. réglementation : commerce de jouets de 500 DH par
pas si informels que ça an, les commerces d’accessoires de
Modalités de paiement voiture de 1200 DH.
de la main d’oeuvre Tout comme pour les revenus, la
Certains sont rétribués à la com- fiscalité s’est révélée être une ques- L’inscription au registre du com-
mission ou au pourcentage sur les tion très sensible. Selon le recense- merce touche moins d’unités que la
ventes. Cette modalité se prête ment du HCP, le nombre d’unités patente, mais la plupart des activités
aux commerces disposant d’une inscrites à la patente ne dépasse de commerce (électronique, infor-
assise financière, quelle que soit pas 51%. Dans notre échantillon, matique, téléphonie, accessoires de
leur nature (vente de vêtements la proportion est plus importante, voiture, meubles et ameublement
de luxe, téléphones portables). A vraisemblablement en raison du de bureau, luminaire, vêtements de
titre d’exemple, le montant de la temps écoulé depuis le recensement luxe, groupes électrogènes, friperie)
rémunération des gérants de cette et du fait que ce dernier a touché y sont enregistrés et n’échappent
dernière activité s’élève à 6.000DH. quelques ambulants (356). pas au contrôle de l’État.
D’autres personnes touchent en-
tre 3.000 et 4.000 DH, selon leur Patentes et registres de commerce Qui paie l’IGR, la TVA
pourcentage sur les ventes. Dans Parmi les différents impôts, c’est et les taxes communales ?
la vente de téléphones portables, le la patente qui touche le plus grand Si les activités évolutives s’acquittent
niveau de rémunération est standard nombre d’unités. Ceci se comprend également de l’IGR (électronique,
: 50% sur les ventes réalisées. « Il aisément, puisque son paiement est vêtements de luxe, groupes élec-
travaille pour un pourcentage. Quand forcément lié à l’enregistrement et trogènes), cette réglementation est
il fait la réparation des PC portables, reste une condition de l’exercice de beaucoup moins respectée que les
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autres. A titre d’exemple, le com- 35 ans. mais manifestent tout de même des
merce de vêtements d’occasion, « Il faut graisser la patte, et même avec attitudes d’ouverture et des prédis-
l’optique ne s’en acquittent pas. ça, ça ne marche pas, ils ne font que positions à s’acquitter des différ-
En revanche aucune activité ne nous envoyer des avis.» Bouquiniste, entes contributions, si tout le monde
s’acquitte de la TVA. Il en est de 66 ans. le fait. L’endettement auprès des
même des taxes locales qui, autre- Concernant la patente, nombre des services des impôts et le poids de la
fois respectées, ne le sont plus par chefs d’unité l’estiment injuste, non fiscalité demeure une contrainte de
certains. en raison de son existence, mais non-paiement chez certains.
« On a payé 2DH/jour puis 60DH/ quant à son mode de calcul qui «J’ai déposé une plainte, j’ai rencon-
mois mais maintenant, le Souk entier s’appuie sur la valeur locative des tré un agent des impôts qui vient à
ne paie plus.» Fripier, 46 ans. locaux et du matériel au montant la jouteya. Je lui ai dit que j’ai un
forfaitaire, sans égard pour les résul- fils emprisonné et des enfants à nour-
Les autres taxes et impôts dont tats économiques réels de l’unité. Il rir. Il m’a écrit une demande qui a
s’acquittent les tenanciers sont les est évident qu’en période de crise abouti. Maintenant je paie 4000 DH
charges d’entretien, de gardiennage ce système est mal accepté. Il l’est pour l’IGR et avec la patente cela fait
(20 DH), d’électricité, variable sel- d’autant plus que les unités de la presque 6500 DH. Les trois millions
on l’activité, et d’eau. En revanche, jouteya voient mal la concrétisation (de centimes) que je dois à la direction
l’impôt communal sur « la bâche » de leur contribution. des impôts, sont dus à un retard de
n’est payé par aucune activité. Cer- « Pour que ce soit plus juste, il faud- paiement, parce que je n’avais pas de
tains déclarent qu’ils ne reçoivent rait imposer sur la base d’un bilan liquidités » Commerçant en ameuble-
ment, 64 ans.
mener pour organiser le souk conver- fiscalité calculée sur une base for- quel que soit le montant établi par la
gent pour une très grande majorité faitaire. Dans nombre d’activités, en réglementation.
vers une diminution des impôts. On l’absence de comptabilité, c’est le
fait valoir le fait que certains ten- régime du forfait fiscal qui prévaut Sollicités pour donner leur avis sur
anciers sont dans une précarité ex- et on perçoit les avantages que peut la contrepartie d’une situation plus
trême, qui permet difficilement un procurer l’existence d’une compt- légale, les tenanciers évoquent sur-
niveau d’imposition élevé. « Le souk abilité. « Les commerçants qui ont tout le problème de la dalle et de
n’est pas reconnu et il y a beaucoup une comptabilité bénéficient de plu- l’accès à l’électricité, aux équipe-
de gens qui ne paient pas. Les gens du sieurs avantages. Pour nous qui n’en ments sanitaires, à l’assainissement,
fisc sont venus ici pour enregistrer les avons pas, nous payons ce qu’on nous à la réfection des allées. Rares sont
gens, mais ils ont constaté que le souk fixe, c’est tout. » Vendeur de produits ceux qui soulèvent la question de
est ‘faible’ ». Fripier, 46 ans. électroniques, 40 ans. l’amélioration de l’environnement
économique et commercial, de
On invoque aussi l’absence de pro- Certains, tout en considérant leur l’appui de l‘État en matière de dé-
priété du local et les statuts ambigus activité comme florissante, per- bouchés… qui supposeraient le pas-
qui entravent la structuration et la çoivent l’intérêt d’une situation sage à une échelle supérieure et le
tenue d’une comptabilité. plus organisée
et plus légale, La plupart estiment bonnes les
La grande majorité, toutefois, ne dans un meilleur
se perçoit pas dans une situation environnement
relations avec les services
d’illégalité, à partir du moment où économique et des impôts et se rejoignent
elle s’acquitte de ses obligations fis- commercial,
cales : « Le Makhzen ne peut pas nous pour exercer leur sur cette réflexion : “avec le
léser. Tu es dans ton magasin, tu as
un numéro et tu paies tes impôts …
activité (optique)
ou encore don-
Makhzen, tu paies, tu paies”
tout ceci nous rassure quelque part » nent des réponses du type « Quand passage vers le formel.
Vendeur de produits électroniques, tu t’acquittes de tes obligations, tu es Certains préconisent tout de même
40 ans. tranquille et tu peux réclamer à voix d’abaisser les charges fiscales : « On
« Oui, ce n’est pas normal qu’un com- haute. » Marchand de vêtements de espère que les choses redeviendront com-
merçant ne soit pas enregistré dans le luxe, 29 ans. me elles étaient, mais l’augmentation
registre du commerce … et d’ailleurs est devenue une réalité inéluctable,
tout le souk n’est pas normal » Ven- Prédispositions et nous ne possédons pas d’autre alterna-
deur de pneus, 33 ans. contreparties de la fiscalité tive que celle de payer » Vendeur de
Interrogés sur leur capacité à faire produits électroniques, 40 ans.
Les avantages de l’enregistrement, face à leurs obligations fiscales, les in-
tels que perçus par les tenanciers, terviewés montrent des dispositions En conclusion, l’approche de l’aspect
sont les suivants : variables selon leur degré de struc- réglementaire montre qu’en général,
Pour certaines catégories, cela impli- turation et leur capacité financière. l’informalité est à relativiser. Les uni-
querait une disparition d’entraves Les activités à faible assise pourraient tés de la jouteya ne se caractérisent
administratives au niveau de à peine s’acquitter de la patente. « Je pas par une absence totale de respect
l’approvisionnement en particulier. n’ai pas les moyens de payer l’impôt du cadre réglementaire fiscal. Cer-
Ceux-ci perçoivent l’intérêt qu’offre local » Fripier, 46 ans. taines impôts sont respectés, d’autres
une situation plus légale, même s’ils le sont moins ou pas du tout, mais
n’y adhèrent pas totalement. « Je me En revanche, les activités ayant une la majorité des tenanciers est connue
suis enregistré par la force des choses, assise financière plus large (vête- des pouvoirs publics. Ces activités
j’avais besoin de faire des papiers.» ments) montrent plus de dispositions n’échappent donc pas totalement au
Fripier, 46 ans. à faire face à la fiscalité. Tout en se contrôle des services étatiques. Elles
percevant dans la légalité totale, ils observent en partie la réglementation
Le deuxième avantage serait de estiment ne pouvoir s’acquitter que fiscale et ne fonctionnent pas com-
faire face au caractère injuste de la de la patente et de l’IGR. et ceci, plètement en marge de la légalité.
CXi\ml\<:FEFD@8e)&=
mi`\i$DX`)''/ 95
Evaluation d’un
système
controversé
fiscal Gi\d`
i\gXik`\
Jl`k\XlcXeZ\d\ek[\i]fid\kk\jÔjZXc\j[Xejc\gifa\k[\cf`)''/#`cefljX
j\dYceZ\jjX`i\#gflipmf`igcljZcX`i#[\]X`i\c\Y`cXe[\c\i]fid\`e`k`Xc\
\ekXd\\e(0/+\khl`j\mflcX`k½jkilZkli\cc\¾%8$k$\cc\Xkk\`ekj\jfYa\Zk`]j6
<ehlf`c\jgfc`k`hl\jZfefd`hl\jd\e\j\efek$\cc\j[m`6;XejZ\gi\d`\i
mfc\k[\cËkl[\#c\jpjk
d\ÔjZXc\jkmXcl\ek\id\[Ë]ÔZXZ`k%
devaient caractériser le système fis- l’assiette fiscale, et si elle a, certes, cettes fiscales et le produit intérieur
cal marocain, à l’issue de cette ré- sensiblement réduit la charge fiscale brut, cet indicateur est d’abord con-
forme1. sur les revenus élevés, elle n’a pas testé au niveau de son propre mode
réduit la pression fiscale globale, de calcul. Quelles recettes retenir ?
Au niveau de son contenu, la ré- ce qui revient à en accentuer le Recettes de la seule administration
forme fiscale s’est déployée progres- caractère régressif et particulière- centrale ou des collectivités locales
sivement sur plusieurs années. C’est ment injuste. et régionales aussi ? S’en tenir à la
ainsi que, successivement, entrèrent fiscalité proprement dite ou élargir
en vigueur la taxe sur la valeur ajou- Un système toujours le champ à la parafiscalité, voire
tée (TVA, 1/4/1986), l’impôt sur les aussi peu efficace aux « prélèvements occultes » dans
sociétés (IS, 1/1/1988) et l’impôt gé- une économie elle-même encore
néral sur le revenu (IGR, 1/1/1990). L’efficacité du système fiscal largement « informelle » ? Au niveau
La fiscalité locale pour sa part a devait d’abord se mesurer par du dénominateur du rapport, quelle
également été réformée en 1990. l’amélioration de
Quant au système dérogatoire des son rendement, et Simplicité, efficacité et équité,
« codes d’investissement », déjà à
l’époque jugé peu efficace et coû-
se matérialiser à
travers sa capacité
les trois mots-clés du système
teux en termes de dépenses fiscales, à générer des res- fiscal né de la réforme de 1984 !
il devait disparaître purement et sources suffisantes
simplement, et le premier pas dans pour couvrir les
ce sens a effectivement été franchi dépenses de l’Etat, du moins dans approche du PIB retenir et quelle
en 1988, lorsqu’a été décidée une des proportions à même de résorber crédibilité accorder à des dispositifs
réduction systématique de moitié les déficits budgétaires et de réduire statistiques et de comptabilité na-
des avantages existant alors. Mais ce conséquemment la dépendance à tionale dont on sait qu’ils sont pour
premier pas restera sans suite, et la l’égard des ressources d’emprunt le moins approximatifs ? C’est dire
« Charte d’investissement », si elle qui ont conduit à la crise financière que selon les choix que l’on fait, un
se substitue aux différents « codes » du début des années 80. Les critères tel ratio peut sensiblement varier
en assurant un regroupement et une de performance devaient donc être sans qu’une telle modification sig-
certaine harmonisation des incita- multiples : accroître les recettes nifie nécessairement un « alourdisse-
tions fiscales, va les consolider en par l’élargissement de l’assiette et ment » ou un « allègement » de la
revanche et leur garantir la péren- l’abaissement des taux, et partant charge fiscale.
nité. de la pression fiscale, améliorer
l’élasticité du système ; rehausser Sur le fond, les questions sont en-
Plus de vingt ans après le lancement sensiblement la contribution des core plus essentielles. Ce concept,
de cette réforme, quel bilan peut- recettes fiscales au financement que représente-il au juste ? Le
on en faire ? Comment en évaluer des dépenses du budget général «poids» des impôts qui « pèse » sur
objectivement les résultats ? Pour de l’Etat. Nous examinerons suc- l’économie et les contribuables dans
procéder à une évaluation la plus cessivement ces trois aspects de la un pays donné comme l’affirment
« neutre » possible, le mieux est de question. certains, ou une «simple mesure de
s’en tenir aux objectifs que cette fonds soumis à affectation publique»
réforme s’était elle-même données. Une pression fiscale comme le démontrent d’autres ?
A-t-elle atteint ses propres objectifs, restée globalement stable Est-il intelligible en dehors d’une
tels que nous venons de les rap- La pression fiscale est sans doute analyse de la dynamique des cir-
peler? L’hypothèse que nous allons l’un des concepts les plus contro- cuits de l’économie dans leur en-
essayer de démontrer à travers cette versés dans les débats théoriques semble ? Peut-on valablement por-
étude doit être claire : cette réforme et empiriques qui opposent les ter un jugement sur le « niveau »
n’a réussi, ni à simplifier le système spécialistes des finances publiques de la fiscalité, sans en apprécier la
fiscal, ni à le rendre efficace, et en- et plus généralement de l’économie structure, celle du système fiscal et
core moins équitable. Elle n’a pas financière. Communément exprimé de l’impact de ses composantes sur
non plus significativement élargi sous forme de rapport entre les re- les différentes catégories sociales ?
CXi\ml\<:FEFD@8e)&=
mi`\i$DX`)''/ 97
citoyens ?
,*
I\jjfliZ\j]`jZXc\j 8lki\ji\jjfliZ\j
A l’indépendance du Maroc, il y a
plus de cinquante ans, la pression HdjgXZ/>YZb[^\jgZ&#
fiscale se situait autour de 10%, ce
qui était globalement le niveau des évoluant dans des proportions plus détérioration entre la première et la
pays alors nouvellement ou en cours ou moins importantes au regard seconde période (de 1,19 à 1,04),
de décolonisation. Une vingtaine de celles des créations de richesses puis a poursuivi sa chute durant la
d’années plus tard, ce niveau avait dans l’économie. Au dessus de 1, période 2000-2008, pour tomber en
pratiquement doublé pour se situer le coefficient indique une évolution dessous de 1 (0,95). Si l’on retient la
désormais aux alentours de 20%. des ressources fiscales plus rapide période 1990-2008, en considérant
Or, comme on peut le constater sur que celle du PIB, et en dessous de que la réforme fiscale n’a dû com-
la figure 1, le ratio de pression fis- 1, c’est la situation inverse qui est mencer à produire ses effets que
cale n’a depuis connu aucune évo- suggérée. durant la décennie 90, le coefficient
lution comparable, demeurant au d’élasticité apparaît quasiment égal
contraire quasiment contenu dans Durant les vingt premières années à 1 (1,02 exactement). En tout cas,
une fourchette comprise entre 18 de l’indépendance, ce coefficient dans l’ensemble, tous ces faits con-
et 22%. Même la baisse purement avait fortement évolué, s’élevant vergent pour témoigner d’une faible
« comptable » (inhérente au change- pour la période 1956-1975 à 2,16 élasticité. Qu’en est-il maintenant
ment de base de la comptabilité (ce qui est d’ailleurs une autre de la couverture des dépenses de
nationale, engendrant une sensible manière d’exprimer le doublement l’Etat par les recettes fiscales ?
revalorisation du PIB…) observée en de la pression fiscale durant cette
fin de période, est ensuite largement même période). Or force est de Une couverture des dépenses
annulée, de sorte que le ratio revient constater que par la suite, ce coef- toujours insuffisante
depuis 2005 à un niveau compris en- ficient a quasiment été divisé par 2, Parmi les différentes sources de fi-
tre 21 et 22%. En tout cas, force est revenant à des niveaux proches de nancement du budget de l’Etat,
de constater que pour l’essentiel, 1. On peut constater sur la figure c’est évidemment la fiscalité qui
la pression fiscale n’a significative- 2 que ce coefficient a été légère- apparaît la plus naturelle puisque,
ment ni baissé, ni augmenté depuis ment supérieur à 1 durant les an- fondée sur l’activité économique,
une trentaine d’années. nées 80 et 90, tout en accusant une c’est elle qui apparaît la plus apte à
Cette évolution peut-être confirmée fournir des ressources conséquentes
par un autre indicateur, celui de Figure 2
et pérennes. Ceci est d’autant plus
l’élasticité du système fiscal. Evolution de l'élasticité vrai dans le cas d’un pays qui, com-
des recettes fiscales
me le Maroc, ne peut compter sur
Une élasticité &!)
une richesse naturelle capable de lui
demeurée faible
&!&.
&!'
&
&!%)
%!.*
&!%' assurer une « rente » (pétrolière ou
Mettant en rapport les variations %!-
autre…) aussi abondante que facile
des recettes fiscales d’une part et %!+ à percevoir. Quant à l’endettement,
celles du PIB d’autre part, le coef- %!) ses limites ont été dans le passé as-
ficient d’élasticité fiscale exprime %!'
sez dramatiquement mises en évi-
%
la capacité du système à tirer avan- &..%$&.-% '%%%$&..% '%%-$'%%% '%%-$&..% dence à plusieurs reprises pour que
tage ou non de la croissance, en HdjgXZ/>YZb[^\jgZ&
toute politique de redressement des
98
qu’on soit particulièrement attentif à hams, soit 6% des dépenses totales). ('
Dans le contexte de crise financière représentent que 68%, alors que les HdjgXZ/>YZb[^\jgZ&#
du début des années 80, cette part emprunts continuent d’assurer tout
s’était beaucoup dégradée, chutant de même le quart des ressources en depuis bien longtemps « l’engrenage
aux alentours de 60%, le reste étant question. Toutes les autres recettes de la dette » ?
pour les trois quarts environ com- diverses en assurent à peine 7%.
blé par l’endettement. Comme on L’efficacité d’un système ne
peut le constater sur la figure 3, On peut ainsi conclure de ces don- s’apprécie pas seulement par rap-
nées que, dans des proportions à port à ses « niveaux » de perfor-
Figure 4 peu près comparables à celles précé- mance mais aussi à ses structures.
Structure des ressources du BGE,
dant la crise qui a motivé la réforme C’est que cette première approche
2008
fiscale des années 80, les ressources reste globale, et si elle nous dit
:begjcih
fiscales n’arrivent toujours pas à que les ressources générées par le
'*
assurer un financement suffisant système fiscal ont finalement peu
GZXZiiZh
des dépenses de l’Etat, de sorte évolué au regard des richesses créées
[^hXVaZh
6jigZh
+- que le corollaire d’un tel état de dans l’économie, elle ne dit pas qui
gZhhdjgXZh
, fait n’est autre que l’endettement. contribue à ces ressources ni dans
Contrairement à certaines alléga- quelle proportion.
tions officielles, on peut aisément
constater que la problématique de Quelle évolution
la dette, si elle a certes évolué (de- des structures
cette part s’était ensuite sensible- venue plus intérieure qu’extérieure, du système fiscal ?
ment relevée au cours des années et moins lourde au regard du PIB),
80, atteignant même un « sommet n’en demeure pas moins cruciale Apparemment, les structures du sys-
» au début des années 90 (près de dans l’équation budgétaire du pays. tème fiscal semblent avoir sensible-
90% en 1992). Mais depuis, s’est à Autant au niveau des ressources ment évolué. En réalité, au-delà des
nouveau enclenché un processus de que des dépenses, la dette demeure classifications traditionnelles, plus
dégradation quasiment continue, omniprésente, incontournable, son ou moins trompeuses, la structure
à tel point qu’on retrouve depuis poids manifestement excessif, et de l’assiette fiscale n’a pas fonda-
quelques années des niveaux com- pour ainsi dire dangereux. Devant mentalement changé, de sorte que
parables à ceux qu’on croyait avoir supporter un service de la dette de l’impôt pèse toujours sur les mêmes
définitivement abandonnés il y a 25 pas moins de 47,9 milliards de dir- catégories de contribuables.
ans ! Ainsi, à titre d’exemple, dans le hams2, le budget pour 2008 ne peut
projet de loi de finances pour 2008, être « bouclé » qu’au prix de nou- Droits de douane
les recettes fiscales représentent à veaux emprunts qui doivent attein- « internalisés »
peine 63,8% des dépenses du bud- dre 49,5 milliards de dirhams. Les Généralement, ce sont les structures
get général de l’Etat (BGE), le reste sommes en question représentent des recettes fiscales qui n’évoluent
étant principalement financé par les 25% des recettes et 23% des dépens- que très lentement. En effet, celles-
emprunts, intérieurs et extérieurs, et es… Y a-t-il meilleure illustration ci n’ont guère significativement
accessoirement par certaines recettes de ce qu’il est convenu d’appeler changé tout au long des trente pre-
CXi\ml\<:FEFD@8e)&=
mi`\i$DX`)''/ 99
mières années du Maroc indépen- droits de douane à l’importation a Il s’agit d’abord de la TVA qui as-
dant. Alors même que la pression ainsi conduit à une division presque sure à elle seule 34,2% des rec-
fiscale doublait, la structure du sys- par trois de la part des recettes des ettes fiscales, et apparaît de ce fait
tème fiscal restait amplement domi- droits de douane entre le début des comme étant de loin l’impôt le plus
née par les impôts indirects (au sens années 1990 et aujourd’hui : en productif de ressources du système3.
large, c’est-à-dire comprenant en 2008, celle-ci ne représente plus que Nettement en retrait par rapport
plus des traditionnelles taxes à la 8% des recettes contre 23% en 1990. au premier, l’impôt sur les socié-
consommation, les droits de douane Comme on peut le constater sur les tés (IS) arrive en deuxième posi-
et les droits d’enregistrement et figures 5 et 6, là réside le premier tion avec le cinquième des recettes.
de timbre). Ainsi, ces derniers facteur de changement qui entraîne L’impôt sur le revenu (IR), classé
s’accaparaient près des trois quarts dans son sillage une reconfigura- 2e jusqu’en 2007, se place désor-
des recettes contre à peine un quart tion inédite des structures fiscales. mais en troisième position, avec
pour les impôts directs (impôts sur En somme, les quinze points de des recettes qui représentent près
les revenus et les bénéfices des en- pourcentage perdus par les droits de de 19% du total. A ce niveau, on
treprises). Mais au cours des années douane sont « internalisés » à parts peut noter que ces trois premiers
80, avec les politiques d’ajustement à peu près égales
structurel et le début de libéralisation par les impôts di- La pression fiscale n’a
des échanges qu’elles initiaient, cette rects (qui passent
structure a commencé à se modifier de 32 à 40%) et les significativement ni baissé,
légèrement, au détriment des droits «impôts indirects» ni augmenté depuis trente ans.
de douane dont la part commence (limités à la TVA
à baisser, et à l’avantage des impôts et aux taxes inté-
directs qui ont vu la leur augmenter rieures à la consommation) dont la impôts – TVA, IS et IR - accapar-
de manière presque mécanique. De part passe de 39 à 46%. Les droits ent déjà presque les trois quarts des
sorte que, au début des années 90, d’enregistrement et de timbre pour recettes fiscales totales (73,2%). Si
cette dernière passait déjà du quart leur part demeurent depuis toujours deux sur les trois premiers impôts
à près du tiers des recettes fiscales cantonnés dans une proportion de 5 sont directs, les trois impôts suiv-
totales (cf. figure 5). à 6% des recettes. ants sont tous indirects : les droits
de douane à l’importation (DDI,
Cette tendance s’accentue depuis Le « Top six » du système 7,7% des recettes), puis les deux
les années 90, au demeurant prin- fiscal marocain taxes intérieures à la consommation
cipalement poussée par le même Ceci étant, au-delà des classifica- spécifiques que sont les taxes sur les
mouvement de libéralisation des tions traditionnelles de moins en produits pétroliers (TPP, 6,7%) et le
échanges, qui s’accélère lui aussi moins pertinentes, une meilleure tabac (TAB, 4,2%).
avec la conclusion de l’accord du compréhension des structures du
GATT à Marrakech en 1994 et la système fiscal actuel nécessite d’aller Le corollaire de cette concentration
signature de différents accords au niveau des différents impôts et d’y est que tous les autres droits, impôts
de libre-échange à partir de 1995 identifier ceux «qui comptent», ou et taxes formellement inscrits parmi
(Union européenne, Pays arabes, plus exactement ceux qui représen- les recettes du budget général de
Etats-Unis d’Amérique, Turquie…). tent en terme de recettes les piliers l’Etat dans la loi de finances (entre
Le démantèlement progressif des du système, ceux sur lesquels repose une trentaine et une cinquantaine
l’essentiel de son rendement. Sur la selon l’approche que l’on retient…),
Figure 6 base des données pour 2008, et en se partagent à peine 8% des recettes
Structure des recettes fiscales, classant les différents impôts par or- fiscales totales. En somme, c’est la
2008
dre décroissant de leurs recettes, on fameuse « loi des 20-80 » poussée à
:cgZ\ii^bWgZ aboutit à ce que l’on pourrait ap- son comble4. Certes, cette concen-
+
peler le «top six» du système fiscal tration des recettes sur quelques
>beihY^gZXih
)% marocain… Ainsi, comme on peut le impôts n’est pas exceptionnelle dès
constater sur le tableau 1 et la fig- lors qu’un système fiscal évolue vers
>beih
^cY^gZXih ure 7, les recettes cumulées de six des impôts de type synthétique,
)+
impôts seulement totalisent près de comme ce fut le cas dans le cadre de
9gd^ihYZ 92% de l’ensemble des recettes fis- la réforme fiscale des années 80, du
YdjVcZ
- cales du budget général de l’Etat. moins au niveau de ses intentions.
100
matière imposable, alors que la con- millions de salariés, alors même que Impôt sur les sociétés, ou
tribution des autres composantes ces derniers représentent moins du impôt sur les « 15 sociétés » ?
paraît plutôt faible, voire dérisoire. cinquième de la population active. L’autre impôt direct, l’impôt sur les
Essayons d’illustrer cette affirma- Certes, cette situation est favorisée sociétés, apparaît à l’analyse égale-
tion au niveau des deux principaux par le fait que les revenus salariaux ment fortement concentré sur une
impôts directs que sont l’IR et l’IS. –contrairement à la plupart des toute petite minorité d’entreprises,
autres catégories de revenus- sont l’écrasante majorité ne payant guère
Impôts sur déclarés par l’employeur et de sur- l’impôt ou n’en payant que très
les revenus… salariaux ! croît prélevés à la source. Il n’en peu. Là encore, dans un domaine
L’IR devait en principe être un im- demeure pas moins qu’elle reflète où l’opacité est quasiment totale,
pôt synthétique, regroupant cinq ca- aussi à quel point l’Etat préfère il est possible néanmoins d’avancer
tégories distinctes de revenus, pour mettre l’accent sur la composante en approchant certaines données
les soumettre aux mêmes règles de l’assiette la plus commode, et officieuses mais crédibles et en en
d’imposition. Il s’agit des revenus négliger le reste… recoupant d’autres. La première in-
salariaux, professionnels, agricoles, formation, et probablement la plus
ainsi que des profits et revenus En tout cas, de ce constat découle importante, a trait à la très forte
fonciers, d’une part, et de capitaux une conclusion majeure : l’impôt sur proportion d’entreprises soumises à
mobiliers, d’autre part. Si les con- le revenu, qui devait pourtant être « l’IS mais qui déclarent des résultats
tributions de ces différentes catégo- général », est en fait largement un nuls ou négatifs, ce qui les dispense
ries à la valeur ajoutée globale sont impôt sur les salaires. Sur les 27,6 en tout cas du paiement de l’impôt.
évidemment inégales, on a tout de milliards de dirhams de recettes de En 2004, sur 79 625 sociétés con-
même du mal à imaginer qu’une l’IR inscrits dans
seule catégorie, celle des revenus la loi de finances
salariaux en l’occurrence, puisse en pour 2008, près
Sur les sociétés concernées par
représenter plus des trois quarts ! de 21 milliards l’IS, 63,4% ont déclaré des
devraient sans
C’est pourtant ce que suggèrent les doute provenir de
résultats déficitaires ou nuls
rarissimes données en la matière qui la masse salariale
arrivent à «s’échapper» de temps à distribuée par les secteurs public et cernées par l’IS, 65 518 ont déposé
autre de la Direction des impôts7… privé, et toutes les autres catégories une déclaration de résultat. Or, par-
Ainsi, des données relatives à la de revenus ne devraient guère con- mi ces dernières, 41 587, soit 63,4%
structure des recettes de l’IR par ca- tribuer pour plus de 6 à 7 milliards. ont déclaré des résultats déficitaires
tégories de revenus sur cinq années Voilà des faits qui devraient nous ou nuls. Cette proportion, impres-
(2000-2004) permettent de constater montrer cet impôt sous un tout au- sionnante par son ampleur, apparaît
qu’en moyenne, les seuls revenus tre visage que celui que l’on nous assez stable sur plusieurs années (cf.
salariaux sont à l’origine de 76,2% présente habituellement… figure 9). Elle est cependant en « pro-
des recettes en question8 . grès » par rapport aux niveaux déjà
jugés tout à fait alarmants durant les
Figure 8
Alors que les revenus agricoles sont Recettes de l'IR par années 80 et 90 et qui se situaient
catégories de revenus
tout simplement absents, en raison autour de 55%. Du reste, nous avons
de leur exonération totale jusqu’en GZkXVe^iVjm là un excellent indicateur de l’échec
bdW^a^Zgh
2010, les revenus professionnels ne Egd[[^ih^bbdW^a^Zgh
-
de la réforme fiscale – au niveau de
rapportent que 10,9% des recettes, *
l’IS du moins - puisque l’objectif
et les profits et revenus fonciers et GZkZcjh d’amélioration de l’efficacité et du
egd[Zhh^dccZah
financiers encore moins : respective- && rendement du système, passant
ment 5,4% et 7,5% (cf. figure 8). forcément par l’élargissement de
l’assiette, impliquait précisément
Il faut dire que de toutes les catégo- une réduction notable de cette pro-
ries de contribuables bénéficiaires de portion d’entreprises se déclarant
revenus, ce sont les salariés qui sont GZkZcjh
hVaVg^Vjm systématiquement « déficitaires » et
,+
les mieux appréhendés : en 2003, ce, notamment, par une lutte con-
sur les 2,6 millions de contribuables séquente contre l’évasion fiscale.
soumis à l’IGR, on dénombrait 2,3 A l’opposé de ce qui était recher-
102
publiques ont versé à l’Etat plus de ments publics qui contribuent le I\Z\kk\j]`jZXc\jkfkXc\j &'+*&. &%%
(%:fejfddXk\lij ,+&%) +%
4,5 milliards de dirhams au titre de plus à l’IS, auxquels on ajouterait !;if`kj[\[flXe\ &'())
l’IS, ce qui représente déjà 18,4% IAM, on obtient déjà ce résultat très !KM8 )%),)
!KXo\j`eki`\li\j~cXZfejfddXk`fe &+%%+
des recettes totales de cet impôt. Si marquant : 15 entreprises seulement !;if`kj[\ei\^`jki\d\ek\k[\k`dYi\ ,'-%
on y ajoute les quelques dizaines assurent près de 6,6 milliards de dir- )%JXcXi`j &-'(' &)
!.-%)[\c@I)*0).!'%.-
d’entreprises privatisées (32 exacte- hams, ce qui représente 26,4% des *%<eki\gi`j\j?( ',)'- ''
ment), on atteint près de 9,9 mil- recettes totales de l’impôt sur les <eki\gi`j\j?)
?(1!@J
&(+(-
'),.+
&&
encore un peu plus dans le détail En ce qui concerne le secteur privé KfkXcZflm\ikgXic\½ki`Xe^c\¾ ?( &'&,+) .+
des chiffres, on s’aperçoit qu’il y proprement dit, une bonne indica- ?) &%,.,) -*
CXi\ml\<:FEFD@8e)&=
mi`\i$DX`)''/ 103
Bourse, on aboutit encore à ce résul- la base de deux hypothèses : la pre- même démarche réalisée au début des
tat tout à fait édifiant : sur les quelque mière retient les versements de toutes années 90 nous avait permis d’aboutir
80.000 entreprises concernées par les entreprises déclarées, au titre de à peu de chose près à la même con-
l’impôt sur les sociétés, on en compte l’IS ou de l’IR–Revenus professionnels figuration du « triangle fiscal » maro-
à peine 77 qui assurent 44% de ses (ceux-ci étant estimés à 11% des rec- cain11.
recettes totales. ettes de l’IR) ; la deuxième hypothèse
s’en tient à la centaine d’entreprises, Cette difficulté à faire évoluer signifi-
Si l’on convient que nombre de dont nous avons montré qu’elles as- cativement le système n’est au fond
grandes entreprises, ou du moins de surent plus de la moitié des recettes de qu’une autre manière de mettre en
« gros contributeurs » à l’IS, ne sont l’IS (le niveau retenu ici étant 55%). La évidence l’incapacité de la réforme
pas encore cotées en Bourse, il est première hypothèse nous donne ainsi fiscale à en élargir l’assiette et partant,
permis de penser que finalement, une contribution estimée à 22% des à en améliorer l’efficacité.
une centaine d’entreprises seulement
devrait assurer entre la moitié et les 1 Cf. Dahir n°1-83-38 du 23 avril 1984 portant promulgation
deux tiers des recettes de l’impôt sur Triangle fiscal au Maroc de la loi-cadre n°3-38 relative à la réforme fiscale, BO n°3731
du 2 mai 1984.
Figure 10
les sociétés.
2 Cette somme est ventilée à raison de 36,3 milliards pour la dette
8dchdbbViZjgh intérieure (dont 16,3 milliards d’intérêts) et 11,6 milliards pour
Le « triangle fiscal » +% la dette extérieure (dont 2,7 milliards d’intérêts).
dernière décennie par les « impôts di- :cigZeg^hZh HVaVg^h 4 Cette « loi », bien connue notamment dans le monde de
l’entreprise auprès des gestionnaires des stocks, indique que 20%
rects » dans la structure du système ''"&& &) des marchandises peuvent représenter 80% du chiffre d’affaires
fiscal. Outre l’effet quasi mécanique (parce que ce sont les marchandises qui « tournent » le plus), alors
que les autres 80% des stocks de marchandises, faisant l’objet de
de la baisse de la part des droits de beaucoup moins de transactions, n’assurent que 20% du chiffre
d’affaires. En l’occurrence, on pourrait plutôt parler de loi des
douane, la progression des impôts di- recettes fiscales totales, et la seconde 10-90 »…
rects se réduit en fait à celle des sala- ramène la contribution à 11%. Au to- 5 Encore que, même au niveau de la TVA ou des taxes intérieures
riés et d’une centaine d’entreprises. tal, ces trois « assiettes » couvrent entre à la consommation, il soit difficile d’identifier les dépenses finan-
cées par les transferts des résidents marocains à l’étranger, lesquels
Pour le reste, le système demeure 85 et 96% de l’ensemble des recettes ont dépassé 10% du PIB en 2006…
largement dominé par les impôts in- fiscales, selon les deux hypothèses re- 6 Les produits pétroliers étant presque totalement importés, nous
directs, autrement dit par des impôts tenues au sujet des entreprises. retenons tout le produit des taxes correspondantes, mais pour celui
des taxes sur le tabac, nous n’en retenons par hypothèse que la
qui, d’une manière ou d’une autre, moitié.
sont en dernier lieu supportés par les Consommateurs, salariés, entre- 7 Rappelons que nous sommes là dans un domaine où l’opacité
consommateurs. prises et notamment une centaine est encore quasiment totale. Les données que nous livrons ici
proviennent directement de l’Administration ou ont été pub-
parmi elles… au-delà des apparences liées dans la presse sur la foi de déclarations de responsables de
l’Administration fiscale. Si cette dernière estime qu’elles ne cor-
En ce qui concerne l’année 200610 , les et des idées reçues, voilà finalement respondent pas à la réalité, elle n’a qu’à les démentir et publier
impôts supportés par les consomma- le trépied sur lequel repose pour les données exactes. Nous en tiendrons compte et si nécessaire
procéderons aux corrections qui s’imposent. Ce faisant, on aura
teurs, comme on peut le constater sur l’essentiel le système fiscal marocain, fait un pas sur la voie de la transparence, et contribué à faire
avancer la recherche en finances publiques…
le tableau 2, représentent 60% des re- le « triangle fiscal » qui n’est évidem-
8 Encore que cette part semble en retrait par rapport à ce qu’elle a
cettes fiscales totales. Les salariés pour ment pas équilatéral puisque l’un de été dans les années 90 pendant lesquelles elle atteignait 88%…
leur part, sur la base d’une proportion ses « côtés » (celui des consommateurs)
9 Ces entreprises sont les suivantes : Bank Al Maghrib (1330
de 76% des recettes de l’IR, contribuent est particulièrement « lourd », mais qui MDH), CDG (872 MDH), ONDA (335 MDH), HAO (177
MDH), FEC (151 MDH), OCP (125 MDH), ANCFCC (119
pour 18,2 milliards de dirhams, ce qui n’en résume pas moins bien la réalité MDH), ONEP (86 MDH), RAM (64 MDH), ANRT (53 MDH),
représente près de 14% de l’ensemble fiscale au Maroc. Du reste, vues sous ONE (48 MDH), RAMSA (29 MDH), RADEEMA (27 MDH),
BAM 27 MDH).
des recettes fiscales de l’année. Quant cet angle, les structures du système
10 Dernière année pour laquelle les statistiques disponibles cor-
à la contribution des entreprises, nous fiscal aussi, comme le niveau de pres- respondent aux réalisations et non seulement aux prévisions.
raisonnons en ce qui la concerne sur sion fiscale, ont peu évolué puisque la 11 Cf. N.Akesbi, L’Impôt, l’Etat et l’Ajustement, op. cit. p.106.
104
FORMALISER L’INFORMEL ?
L a jouteya de Derb Ghallef
est le laboratoire d’une
créativité que l’école :fdd\ek\o`^\i[\
les précariser davantage ou de don-
ner l’impression que l’Etat réduit la
marge d’informel qui lui échappe ?
publique n’a pas su enseigner aux
Marocains, un lieu où des mutants
g\ijfee\jhl` Est-ce que le manque à gagner dans
le secteur « formellement formel »
sociaux, des diplômés refusant de se kiXmX`cc\ekg\lfl n’est pas proportionnellement plus
faire « chômeurs », des commerçants gifl[XejcË`e]fid\c important que celui que l’on sup-
mondialisés sans label économique- pose être dérobé par l’informel ?
ment correct apprennent à s’en $Xlc`\l[\g\jk\i
sortir dignement, même si ce n’est Zfeki\cXZi`j\ Certes, Derb Ghallef et consorts sont
pas toujours dans le droit fil de
la légalité. La jouteya est un lieu
[\cË\dgcf`$[\ de hauts lieux de petite corruption
dont profitent d’ailleurs certains
fuyant, qui résiste aux définitions, gXp\igclj[Ë`dgkj# commis de l’Etat. C’est aussi du
oscillant entre richesse foncière et Xcfijhl\[\j poil à gratter pour les multination-
précarité commerciale, à l’image ales, les franchises, et même pour
d’un pays qui surenchérit sur les dXjkf[fek\jY`\e quelques champions nationaux,
terrains mais a du mal à créer de la `ejkXccj[Xej tous titillés sur leurs prix. Mais peut-
valeur ajoutée pérenne. La jouteya,
telle qu’elle nous est scrupuleuse-
c\dXiZ_]fid\c on les ostraciser tout en occultant
la grande corruption qui sévit dans
ment révélée par les chercheurs, Ra- eË\efekZli\6 des structures aux devantures trans-
jae Mejjati et Jamal Khalil, est un parentes, et pratiquer un libéralisme
lieu précieux, en suspens, qui vit de conciliant vis-à-vis du marché mon-
l’économie formelle et la fait vivre dialisé, au risque de paupériser da-
aussi. Elle n’en peut plus de subir vantage la société ?
la continuelle menace de « la mort
ou la déportation » et porte dans ses Le dilemme est vieux comme le
gènes son statut de paria : le bazar monde : comment concilier éthique
de l’informel. économique et justice sociale ? En
ayant un système de contrôle et de
Dans la jouteya, on paie ses impôts, double contrôle en terme de gou-
pas tous, et pas toujours, mais on ne vernance, doublé d’une politique
sait pas trop pourquoi. Hors d’elle, sociale qui tienne compte autant du
dans la vie réelle, plus cadrée, moins salarié, du débrouillard que du pa-
insolite, on les paie un peu plus mais recettes fiscales de l’IR proviennent tron. Or, côté gouvernance (fiscale,
on ne sait pas trop pourquoi non des salaires, 63% des entreprises qui en particulier), l’opacité est totale.
plus ! L’étude très fouillée et docu- ont déposé une déclaration de ré- Et côté politique sociale, l’Etat al-
mentée de Najib Akesbi montre sultat ne versent pas son dû à l’Etat, terne le saupoudrage et les coups de
que 60% de la charge fiscale tombe sans parler de toutes celles qui gueule. Dans ce marasme, la survie
sur la tête des consommateurs. fuient délibérément le fisc. économique à tout prix est le maître
Le prochain épisode de son bilan mot. Ce n’est pas vivable à terme.
prouvera, chiffres à l’appui, qu’en Questions à mille inconnues : com- Mais pourquoi formaliser l’informel
terme de redistribution équitable ment demander à des personnes en premier ? En quoi cet acte aurait-
des richesses et de redéploiement de qui travaillent peu ou prou dans il une plus grande priorité que de
l’argent du contribuable en projets l’informel - au lieu de manifester faire payer leurs impôts aux gros
de développement, l’Etat marocain contre la crise de l’emploi - de payer bonnets ? Cela s’appellerait sérier les
est très loin du compte. Mais déjà, plus d’impôts, alors que des masto- priorités politiques. Et le Maroc de
dans ce premier épisode, le constat dontes bien installés dans le marché la pensée unique et de l’indigence
est affligeant : alors que 70% des formel n’en ont cure ? S’agit-il de politique s’y prête-t-il vraiment ?