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Jimmy Tshitenge

La Problématique
de l’inattaquabilité
du certificat
d’enregistrement

2
2
Introduction

La présente introduction gravite autour de quatre


points à savoir : la problématique, l’intérêt du sujet, la
méthodologie ainsi que l’exposé du plan sommaire.

I. Problematique
Nul ne l’ignore depuis des temps immémoriaux que le
problème foncier et immobilier a toujours été à la base de
beaucoup de controverses dans notre pays. Le nombre
impressionnant de conflits qui inondent les cours et
tribunaux l’attestent. Les raisons en sont multiples. L’on
peut citer notamment : l’ignorance de la loi dans ce
domaine, la fraude et la magouille constatées à l’occasion de
la délivrance de titre de propriété à savoir le certificat
d’enregistrement qui devient inattaquable après deux ans
d’existence.
Dans le même ordre d’idées Monsieur AMISI
HERADY relève que : « la seigneurie dont l’histoire de
l’humanité reste marquée était une organisation fondée sur
l’appropriation foncière ; de même, bien des guerres qui ont
éclaté entre nations ont été l’expression des puissances

2 3
étatiques de pouvoir s’accaparer le plus largement possible
des étendues foncières »1
L’on comprend dès lors que l’importance du régime
foncier et immobilier dès nos jours, a une importance
capitale dans une société car il est et reste une préoccupation
primordiale de ceux qui dirigent.
Ainsi, dans le souci d’éviter le danger d’éviction
intempestive d’une part et de protéger les transactions tant
foncières qu’immobilières d’autre part, le législateur
congolais a dès 1885 introduit dans l’arsenal juridique
foncier et immobilier les règles issues de l’Act TORRENS et
spécialement celles relatives au principe de l’inattaquabilité
des droits certifiés par le certificat d’enregistrement,
généralement désigné sous l’expression ‹‹le principe de
l’inattaquabilité du certificat d’enregistrement››2
Ce principe qui fait l’objet de notre étude a été posé
clairement par le décret du 6 février 1920, ensuite par la loi
du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime
foncier et immobilier et régime des sûretés, telle que
modifiée et complétée par la loi n°80-008 du 18 juillet 1980.
Ces deux textes avaient des ressemblances quant aux
principales règles issues de l’Act TORRENS, notamment en
ce qui concerne la consécration du principe de
l’inattaquabilité des droits certifiés3.

1
AMISI HERADY, « Annulation du certificat d’enregistrement : étude
critique », mémoire, UNIKIN, 1993-1994, P.1.
2
A. FATAKI WA LUHINDI, « Les limites du principe de l’inattaquabilité
du certificat d’enregistrement en droit Congolais », 2ème éd., Kinshasa,
Edition du service de Documentation et d’études du ministère de la
Justice et Garde des Sceaux, P.17
3
Ibidem

42
Il convient de souligner aussi que ce principe fait l’objet
de diverses interprétations doctrinales. Certains affirment le
caractère absolu du principe de l’inattaquabilité du certificat
d’enregistrement d’autres par contre sa relativité ou sa
limitation.
L’exposé des motifs de la loi du 20 Juillet
1980 modifiant et complétant la loi du 20 Juillet 1973
prévoit la possibilité d’attaquer le certificat
d’enregistrement endéans deux ans à partir de son
établissement. En d’autres termes, après cette échéance,
l’action en justice tendant à la rétrocession d’un bien
immeuble spolié n’est pas possible, eu égard au principe de
l’inattaquabilité du certificat d’enregistrement qui, par
ailleurs, ne peut être contesté. Dans l’ordre de conséquence
des actions dirigées contre ce titre, ne se mueront qu’en
dommages-intérêts conformément à l’article 1er de la loi
susdite.
Le principe de l’inattaquabilité tel que conçu sous la loi
du 20 Juillet 1973 a été critiqué par bon nombre de juristes
et par le législateur de 19804. L’inattaquabilité absolue de
l’expression « le droit de propriété tel qu’il est constaté est
inattaquable » avait donné l’occasion comme nous l’avons
signalé ci-dessus à de phénomènes malheureux car certaines
personnes ayant assez des moyens arrivaient et cela en
complicité avec le conservateur des titres immobiliers à
dresser des titres indus. A titre illustratif, du fait de la
détention par plusieurs nationaux des livrets de logeur, déjà
abolis, des locataires malins avaient acquis des parcelles de
leurs bailleurs ; des riches peu scrupuleux celles de leurs

4
A.FATAKI WA LUHINDI, op.cit, P.17

2 5
voisins démunis ; des héritiers apparents l’avaient fait au
détriment des héritiers réels. Tout cela était de manière
illégale, mais aboutissait à l’obtention irrégulière des
certificats d’enregistrement, inattaquable dès leur
établissement.5
Cependant, l’on constate que ce principe consacré à
l’article 227 de la loi n°80-008 du 18 juillet 1980 modifiant
et complétant la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant
régime général des biens, régime foncier immobilier et
régime des sûretés suscite maintes interrogations en ce qui
concerne notamment :
• la question d’un certificat détenu par un possesseur
de mauvaise foi après l’écoulement du délai légal de deux
ans
• la question de l’inattaquabilité face au principe de
l’autonomie du droit pénal.
• La question de l’inattaquabilité face aux biens du
domaine public
Les analyses autour de ces interrogations constituent
l’objet de notre étude qui, comme l’on peut s’en rendre
compte, n’est pas sans intérêts.

II. Interet du sujet


L’intérêt de notre travail se situe au triple plan
juridique, économique et social.
Sur le plan juridique, cette étude s’avère être un effort

5
TSHILOMBO MUNYENGAYI, « la force probante du certificat
d’enregistrement : Evolution du principe et Situation actuelle », in Revue
Juridique du Congo n°002/1999, P.54

62
de contribution de notre réflexion quant à ce principe
consacré par le législateur congolais car par des suggestions
auxquelles il aboutit, il pourra amener ce dernier à
retoucher son œuvre pour qu’il atteigne le plus efficacement
possible le but qui lui a été assigné.
Sur le plan économique, ce travail se veut être une mise
en lumière de l’idée que le certificat d’enregistrement
participe au développement de la vie économique du pays
avec pour conséquence que le moindre dérèglement dans les
procédures, qu’il s’agisse du constat des droits immobiliers,
de l’inscription ou de la radiation des hypothèques est
susceptible d’entamer le crédit économique qui s’y attache.
Sur le plan social, cette recherche se veut pour objectif
majeur d’essayer d’apporter un remède aux disputes au sein
de notre société à travers ce qu’on appelle ‘Conflits
parcellaires’ auxquels l’on assiste quotidiennement et qui
empêchent ou qui ternissent l’image de notre pays face aux
investisseurs étrangers et mêmes nationaux.
L’intérêt de ce travail ainsi présenté ne peut être mieux
perçu qu’à travers une méthodologie appropriée.

III. Methodologie du travail


La méthode du travail est très importante dans le cadre
d’une œuvre scientifique car elle permet d’avoir un
cheminement cohérent de la pensée humaine. La méthode
est définie comme étant l’ensemble des opérations
intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à étudier
les vérités qu’elle poursuit, les démontre et les vérifie6

6
R. PINTO, et M. GRAWITZ, « Méthodes de recherche en sciences
sociales », tome II, éd. Dalloz, Paris, 1924, P.289

2 7
Dans le cadre du présent travail, nous avons estimé que
notre objectif ne pouvait être atteint qu’à travers deux
méthodes : la méthode exégétique ou juridique et la
méthode sociologique.
La méthode juridique ou exégétique est celle qui
consiste en l’analyse des textes juridiques pour saisir la
volonté du législateur dans un domaine donné.
La méthode sociologique consiste à effectuer une
descente sur terrain pour voir comment sont appliqués les
textes de lois. Elle est essentiellement fondée sur
l’observation et permet d’expliquer convenablement un fait
social.
De cette méthodologie découle le plan sommaire de ce
travail.

IV. Plan sommaire


Le présent travail comporte deux chapitres. Le premier
est consacré au système d’enregistrement des droits réels et
immobiliers alors que le second sur la portée du principe de
l’inattaquabilité du certificat d’enregistrement.

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Chapitre I
Système d’enregistrement
des droits réels et immobiliers

Pas de droits réels fonciers sans certificat


d’enregistrement et pas de droits réels immobiliers sans
inscription7.
En invoquant cette phrase chère au professeur
KALAMBAY LUMPUNGU nous avons touché en fait à la
l’importance du certificat d’enregistrement considéré
comme preuve et titre légal de propriété immobilière ou de
droit de jouissance foncière.
Ce chapitre comprend deux sections. La première
analyse l’évolution historique du droit foncier et immobilier
congolais, spécialement en ce qui concerne l’enregistrement
des droits y relatifs alors que la deuxième s’attèle à
l’application du système congolais d’enregistrement.

7
G. KALAMBAY LUMPUNGU, « Droit civil vol II : Régime foncier et
immobilière », 2ème éd., Kinshasa, éd. EUA, P.225

2 9
Section I: Evolution historique du droit
d’enregistrement en République Démocratique du
Congo.

§1. Notions générales


A. Définition du certificat d’enregistrement
Au seuil de toute étude, il est essentiel, précise le
professeur CHARLES de VISSCHER, d’en cerner aussi
nettement que possible, de dégager ce qui en fait la
spécificité8. De ce fait, il est ressenti ici la nécessité de définir
le sujet abordé.
Le rédacteur de la loi foncière ne donne pas une
définition sur le certificat d’enregistrement. La jurisprudence
et la doctrine le présentent que sous forme d’un titre par lequel
s’acquiert et se transmet la propriété immobilière9.
C’est surtout dans la doctrine et la jurisprudence belge et
Française que paradoxalement nous allons chercher les
éléments de sa définition. En effet bien que le terme certificat
d’enregistrement n’existe pas dans leurs systèmes fonciers, les
droits belge et français connaissent néanmoins l’institution du
certificat de propriété. Celui-ci est un acte par lequel un
fonctionnaire ou un agent public atteste l’existence d’un droit
sur une chose ou sur une valeur10. Pour HEYSE, le certificat

8
CHARLES DE VISSCHER, « les effectivités du droit international
public », Paris, éd. A. Pédone, 1967, P.13
9
V. KANGULUMBA MBAMBI, « La loi du 20 juillet 1973 portant
régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des
sûretés : trente ans après quel bilan ? » Bruylant, Bruxelles, P.82-83
10
R. Guillien et J. Vincent cite par KATUALA KABA KASHALA, « Le
certificat d’enregistrement », Kinshasa, éd. Bena NTAMBWA, 1998, P.7

10
2
d’enregistrement est le véritable titre de propriété11.
Le professeur Vincent KANGULUMBA MBAMBI tire
la définition du certificat d’enregistrement de la
combinaison des articles 222 et suivant de la loi foncière.
L’auteur signale que : « l’autorité compétente pour établir le
certificat d’enregistrement est un fonctionnaire de l’Etat
appelé « Conservateur des titres immobiles » ; que le
document qu’il dresse a comme fonction d’attester d’un
droit réel en faveur d’une personne déterminée et qu’enfin,
cet acte a une valeur probante supérieure aux actes sous-
seing privés »12.
Dans son arrêt du 3 avril 1976, la Cour Suprême de
Justice décide que : « Le certificat d’enregistrement est un
document ou un titre attestant le droit de propriété
immobilière ou de jouissance foncière enregistré
conformément à la loi, par un fonctionnaire, en
l’occurrence le conservateur des titres immobiliers, ayant
pour but d’établir et de transmettre la propriété
immobilière »13.
Le professeur Vincent KANGULUMBA MBAMBI ne
partage pas le point de vue de la Cour Suprême de Justice
sur la dernière manche de la définition. En effet, le certificat
d’enregistrement n’a pas nullement pour vertu de
transmettre la propriété immobilière. Il constate
officiellement, par l’enregistrement qu’il y a eu transfert de

11
HEYSE cité par KIFWABALA TEKILAZAYA, « Droit civil : Les biens,
Les droit réels fonciers », Tome 1, PUL, 2004, P.416
12
V. KANGULUMBA MBAMBI, « Précis de droit civil des biens, théorie
générale des biens et théorie spéciale des droits réels fonciers et
immobiliers congolais », Bruyant-académia, S.a., Bruxelles, P.455
13
KATUALA KABA KASHALA, op. cit., P.7

2 11
propriété entre deux ou plusieurs personnes au départ d’un
acte qui peut être sous-seing privé ou authentique14.
Dans son ouvrage : « droit civil vol II : Régime foncier
et immobilier », le professeur KALAMBAY LUMPUNGU
dit que le certificat d’enregistrement constate le droit de
jouissance du fonds ou le droit de propriété sur
l’immeuble15. Ce point de vue est partagé aussi par le
professeur KIFWABALA TEKILAZAYA que le certificat
d’enregistrement est un titre authentique établi par le
conservateur des titres immobiliers qui constate l’existence
et la consistance d’un ou de plusieurs droits fonciers ou
immobiliers16.
Le certificat d’enregistrement est donc un certificat de
propriété immobilière enregistrée conformément à la loi
foncière par un fonctionnaire, en l’occurrence le
conservateur des titres immobiliers, qui en le délivrant
moyennant perception de droit de l’Etat, opère la
constitution et la transmission de la propriété immobilière17.
C’est un écrit officiel qui atteste un droit de propriété dans
tous ses contours18.

14
V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit, PP.455-456
15
Nous tirons cette déduction lorsqu’il écrit qu’une concession tout
comme un immeuble peut appartenir à une ou plusieurs personnes cas
de copropriété ordinaire dans ce cas, le certificat d’enregistrement
constatant le droit de jouissance du fonds ou le droit de propriété sur
l’immeuble doit mentionner le nom ou les noms du ou des titulaires du
droit.
16
J.P. KIFWABALA TEKILAZAYA, « droit civil : les biens »,
Lubumbashi, 2004, P. 482
17
A. DETHIER, « Cours des biens », UNAZA, 1973, P. 233
18
G. KALAMBAY LUMPUNGU cité par KATUALA KABA KASHALA,
op.cit., P.7

12
2
B. Nature
La loi foncière reste muette quant à la nature du
certificat d’enregistrement. Certains doctrinaires
considèrent le certificat d’enregistrement comme un acte
authentique19 et d’autres le prennent comme un acte
administratif20.
Pour maître FATAKI WA LUHINDI, et nous
partageons cet avis, le certificat d’enregistrement a une
nature hybride. Il renferme à la fois les caractères
administratifs et authentique21.
Il est considéré comme un acte administratif dans la
mesure où l’autorité qui l’établit, en l’occurrence le
conservateur des titres immobiliers est un fonctionnaire
public.
Parlant de l’acte administratif, le professeur
KABANGE NTABALA relève qu’en considération de
l’origine, c’est-à-dire les personnes ou les organes de qui
émane l’acte, sera considéré comme formellement acte
administratif uniquement l’acte ayant pour auteur une
autorité publique22.
Le certificat d’enregistrement est également rangé
parmi les actes authentiques en se fondant sur l’article 199
du décret du 30 juillet 1888 des contrats ou des obligations
conventionnelles mieux connu sous le nom du code civil
livre III (CCL III), selon lequel « l’acte authentique est celui

19
A. FATAKI WA LUHINDI, op.cit., p.26
20
DIBUNDA KABUINTI cité par FATAKI WA LUHINDI, op.cit., P.26
21
A. FATAKI WA LUHINDI, op.cit. P.33
22
Cl. KABANGE NTABALA, « Droit administratif », T.I, Imprimerie
vina, Kinshasa, 1997, P.28.

2 13

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