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UN LABEL INDÉPENDANT

AUDIOACTIVISTE

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BBF juin 2014
FOCUS SUR JARRING EFFECTS
Monsieur MO

Qu’est-ce qu’un label Tout commence en 1993, un collectif


indépendant ? Comment
fonctionne-t-il ? À quelles d’amis musiciens et techniciens réamé-
logiques économiques est-il
soumis et quelles sont les nage une cave afin d’en faire un local de
possibilités qui s’offrent
à lui pour non seulement répétition pour leurs groupes, lieu qui de-
survivre face aux majors,
mais proposer un système de vient naturellement un foyer d’expérimen-
production, de valorisation,
de diffusion, de rétribution et tation musicale, de réflexion, et un studio
aussi de diversité culturelle ?
Autant de questions d’enregistrement à part entière. Progressi-
auxquelles le label engagé
Jarring Effects s’efforce de vement, l’équipe diversifie ses activités en
répondre, tandis que l’État
peine à réguler cette filière. apportant son soutien au développement
d’artistes, et en organisant des concerts
dans la région Rhône-Alpes.

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Couverture du coffret rétrospective
FX100 paru en 2011 pour fêter le
centième disque du label.

versée partant de Lyon, en bus et poids lourd,


pour installer un chapiteau ! Plusieurs plateaux
Jarring Effects sont organisés en France – aux
Vieilles Charrues (2003) ou au Bikini à Tou-
louse (2003) – et l’association perfectionne son
propre studio d’enregistrement.
En septembre 2004, Jarring Effects s’associe à
d’autres labels indépendants pour créer la fédé-
ration nationale de labels, CD1D.
En septembre 2005 débute une tournée euro-
péenne et commune à trois groupes lyonnais

E
(Le Peuple de l’Herbe, Meï Teï Shô, High Tone)
n septembre 1998, la première compi- intitulée « Lyon Calling Tour » qui passe par
lation regroupant les groupes du local 17 pays pour 23 concerts. Six semaines de pure
de répétition sort chez les disquaires. folie avec 30 personnes sur les routes !
Une division Label est ainsi créée au En 2007, puis en 2009, Jarring Effects sépare
sein de l’association et ouvre la voie de l’acti- ses activités en créant respectivement une
vité « production phonographique ». Un an plus Scop nommée Jarring Effects Label (dédiée à
tard, Jarring Effects obtient une licence d’entre- la production de phonogrammes et de vidéo-
preneur du spectacle et commence à faire du grammes) et Active Disorder, association pro-
booking et du management pour deux groupes ductrice de spectacles et gestionnaire du Fes-
du local : High Tone et Meï Teï Shô. tival Riddim Collision. L’association historique
Décembre 1999, une première soirée d’impor- Jarring Effects continue quant à elle de s’occu-
tance est organisée au Transbordeur à Lyon avec per de l’activité booking du collectif. Cette der-
huit groupes et six deejays : High Tone, Meï Teï nière rencontre des difficultés financières en
Shô, Ez3kiel, Monsieur Orange, In Extremis, 2010, conséquences de la morosité du marché
COX 6, Le Peuple de l’Herbe et Cosmik Connec- du disque et des problèmes judiciaires. Ap-
tion. Une nouvelle compilation promotionnelle puyée par un plan de soutien du CNV (Centre
avec les groupes en question est offerte lors de national des variétés), une campagne de dons et
cet événement, qui constitue par ailleurs les pré- le soutien de nombreux médias, Jarring Effects
mices du Festival Riddim Collision. Association revient à un équilibre comptable en
Dès 2000 et années suivantes, les premiers al- fin d’année.
bums (High Tone, EZ3kiel, Monsieur Orange...) L’activité du label entérine en 2012 les volontés
sont produits et distribués par des distributeurs de diversifier les genres musicaux et de ne pas
français, Kubik et Pias. Parallèlement, la pre- céder au désœuvrement dû aux crises, globale
mière édition du Festival Riddim Collision voit et du disque particulièrement. Avec six sorties
le jour en décembre 2000. le premier semestre (R;Zatz, High Tone x Brain
Automne 2002, une compilation caritative, Damage, Filastine, Ben Sharpa & 4DLS, nÄo,
« How do you sleep ? », voit le jour, permettant Aucan), Jarring Effects œuvre de fait au renou-
de verser 15 000 € à l’association Drugimost. veau de sa ligne directrice musicale, en propo-
L’action se poursuit avec la réalisation à Mos- sant un spectre large des musiques indie de
tar (Bosnie-Herzégovine) d’un festival, une tra- qualité : noise, hip-hop et électroniques (elec-

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Pochette du disque de High Tone,
Ekphron, paru en mars 2014.

tro pop, rock, dub ou dubstep). Aujourd’hui, le JARRING EFFECTS,


label compte plus de 130 références discogra- UN LABEL INDÉPENDANT…
phiques, accompagne sur disque ou en tournée MAIS C’EST QUOI ?
une quinzaine d’artistes et s’attache encore et
toujours à la découverte des nouveautés de Un label indépendant a pour objet de déve-
demain. lopper des artistes en prenant en charge les
En 2013, création du projet artistique Cape Town frais de production de leur album, la duplica-
Effects, ou comment consacrer dix ans de col- tion de celui-ci (pressage de CD ou de vinyles
laboration avec l’Afrique du Sud en concevant – édition phonographique), et la diffusion (ou
un projet artistique de A à Z ! Premier album distribution) de la musique ainsi enregistrée. Il
de Mat3r Dolorosa, la rencontre entre Vibronics défriche quotidiennement en fonction des pro-
& Brain Damage au travers de l’album Empire positions reçues, en fonction des rencontres
Soldiers, qui sera labellisé Centenaire… lors de concerts, ou suite à des échanges avec
Création la même année du disquaire JFX Store d’autres professionnels qui ont ainsi un rôle de
au sein des locaux du collectif. C’est un véri- prescription. L’artiste signé par le label (souvent
table comptoir culturel, avec la possibilité de auteur, compositeur et interprète) est salarié
faire des show-cases, ayant ouvert des comptes (en tant qu’interprète via des cachets d’inter-
chez les différents distributeurs nationaux, et mittent – artiste) et enregistre ses titres dans
permettant de retrouver les références de des studios appartenant au label (ou loués par
CD1D.COM, et la borne 1D touch 1. Un lieu pas- celui-ci) sans avoir à dépenser les frais néces-
serelle entre le physique et le numérique, qui saires pour cette production.
prouve que l’un peut supporter l’autre en bonne Un label indépendant est une personne mo-
intelligence, la borne d’écoute permettant au rale, doté d’une personnalité très marquée. 1  Ndlr : voir dans ce
public d’apprécier une multitude d’albums et de Très simple à créer, il doit répondre à différents dossier du BBF l’article de
les acheter sur place. Création en 2013 égale- droits (droit de la propriété intellectuelle, droit Cédric Claquin, « Création
indépendante : réinventer
ment du JFX Lab, le Net label de Jarring Effects, du travail, droit du commerce), sans d’autres de nouveaux modèles
une distribution exclusivement numérique dé- critères. Le droit de la propriété intellectuelle collectifs et équitables »,
diée aux nouveaux talents repérés par le label. imposera le respect du droit d’auteur, le droit page 60-70.

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schéma 1 Les missions d’un label

Manager Tourneur Salles de concert

Médias régionaux

ARTISTES LABELS PUBLIC

Médias nationaux

Éditeur Distributeurs Points de vente


physique / numérique

(Source : http://www.fede-felin.org/quest-ce-quun-label/)

du travail soumet le label à la convention col- tits labels indépendants, pour être précis. Ces
lective de l’édition phonographique (CCNEP), TPE (très petites entreprises) sont très nom-
avec le respect de minimas sociaux, et le droit breuses (un millier en France), elles représen-
du commerce permet de tout faire. Ce qui laisse tent plus de 80 % des disques produits chaque
un champ d’action très large, le plus fort peut année pour un chiffre d’affaires inférieur à 20 %
imposer sa vision du marché au plus faible, et de ce marché. Elles sont parfois si petites que
abuser de sa position, le tout sous couvert de leur travail n’est pas reconnu officiellement par
clauses contractuelles abusives que l’on retrou- les ténors de cette industrie, qui occultent avec
vera au sein de contrats d’artiste entre l’artiste un certain mépris non dissimulé le travail réalisé
et le producteur (incluant la notion de territoire, chaque année par ces artisans de la musique,
de durée, du taux de royautés, et de salariat pour les « pieds-nus » en marge d’un écosystème
l’interprétation rémunérée de l’œuvre au sein industriel régi par les majors de la musique.
d’un studio d’enregistrement), de contrats de Il convient donc de pondérer les chiffres offi-
licence (entre un producteur et un label, ou un ciels tenus par ces barons pour comprendre
distributeur), de contrats de distribution (entre la complexité et la diversité culturelle qui nous
un producteur, un label et le distributeur). entourent. Des centaines de petits labels pour
Son activisme culturel démontre une démarche des dizaines de milliers d’artistes, l’offre artis-
artistique affirmée, valorisant ainsi une contre- tique ces dernières années a été démultipliée, et
culture qui lutte contre la standardisation musi- avec un niveau de qualité indéniable. Il devient
cale que le public subit depuis des années. Cura- difficile de faire des choix. C’est justement ce
teur de nouveaux talents, un label indépendant qui caractérise le petit label indépendant, qui
est une antichambre de l’industrie, l’alternative va produire un artiste car il apprécie son talent.
au système orchestré par l’industrie musicale. Mais ses capacités à produire aujourd’hui sont
La quête du profit n’est pas une fin en soi : c’est réduites de moitié. Le risque pris pour promou-
une activité gérée par passion, celle-ci constitue voir un artiste rend cette activité légèrement fri-
le carburant des équipes (réduites et compo- leuse ! Un échec peut réduire à néant le travail
sées de bénévoles) qui animent ces labels. Pe- développé par un label pendant des années.

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QU’EST-CE QUE
C’EST « INDÉ » ?

LES MISSIONS D’UN LABEL

Le label indépendant fait partie d’un marché qui « Il y a toujours eu des labels
se décompose en trois majors, quelques PME indépendants – en grand nombre.
et des centaines de TPE, qui vont de l’associa- L’histoire de la musique populaire
tion animée par un bénévolat et un esprit DIY enregistrée est faite de constants
(do it yourself ) radical, à la société de capitaux. allers-retours entre groupes à
Entre ces deux extrêmes, une multitude de la- tentation monopolistique et aventures
bels comme Jarring Effects existent, en militant individuelles plus ou moins éphémères.
chaque jour pour préserver leur activité de pro- […] L’exemple le plus parlant de ces
ducteur. En part de marché, les indépendants labels nés au tournant des années
représentent moins de 20 % du marché du 70/80 est sans doute Factory Records
disque physique mais plus de 35 % du marché qui publia, notamment, les disques
numérique. Une différence qui s’explique par la de Joy Division puis de New Order
présence que les indés peuvent avoir sur le Net, et des Happy Mondays. Une des
contrairement au marché physique, de plus en caractéristiques du label était de
plus étroit. Selon les chiffres du cabinet Niel- ne pas signer de contrats avec ses
sen ­Soundscan, les parts de marché des labels artistes : la légende veut que Tony
indépendants réunis aux USA (premier mar- Wilson, l’initiateur de l’entreprise, ait
ché mondial, en lutte avec le Japon) étaient à théâtralement signé de son sang un
34,6 % fin 2013. Et leur part dans la distribution engagement à laisser entière liberté
était de 12,3 %. aux groupes. […] Insistons sur le fait
Les lieux de ventes dédiés au physique se ra- que la volonté des artistes de maîtriser
réfient, et s’y ajoute une politique cynique des leur production ne date pas de la fin
grandes surfaces spécialisées qui ont parti- des années 70. Frank Sinatra créa
cipé activement à la disparition des disquaires son propre label en 1960 (Reprise
indépendants (3 000 dans les années 1970, Records, vendu à Warner en 1963) avec
moins de 200 aujourd’hui). Aujourd’hui, elles l’ambition affichée de se donner plus
réduisent leurs rayons musique pour vendre du de liberté artistique. Abba a publié
matériel audiovisuel aux fortes marges, au dé- tous ses disques chez Polar Music, label
triment des productions des petits labels indé- fondé par le manager du groupe qui en
pendants. Il n’y qu’à regarder le contenu de ces devint actionnaire. »
enseignes au sein des grandes gares françaises,
c’est édifiant. Il y a très peu de références, et Source : http://www.stereolux.org/quest-
celles présentes correspondent aux standards ce-que-cest-inde
du marché. Au sein de ces magasins, on parle
de rotation des stocks, de déstockage et non
d’objectifs de vente…
flyers, d’affiches, de badges…), mais avec des
méthodes de travail et de communication vi-
LA VIE D’UN LABEL AU QUOTIDIEN : rales et modernes (utilisation des réseaux so-
CRÉER POUR NE PAS SOMBRER ciaux, logiciels de gestion de projet en ligne…),
qui nécessitent un traitement spécifique, qu’on
C’est le doute permanent, nous produisons, apprend sur le tas faute de temps pour prendre
nous savons ce que nous allons dépenser, nous du recul et se former correctement. Le lien avec
parions sur l’avenir, avec des budgets prévision- le public doit être fort, car c’est lui notre pre-
nels, revus à la baisse chaque année, car un mier supporter. Il faut le fidéliser, le respecter,
seul échec peut être la fin d’un petit label. Le pour parcourir ensemble quelques aventures
travail nécessaire pour produire et promouvoir discographiques. Nous avons nos fans, nos
un artiste est double. À « l’ancienne », comme il inconditionnels, ces derniers attendent de nous
y a quelques années (pressages de CD promo, d’être toujours accessibles, d’être interactifs,
démarchages téléphoniques, impressions de d’être surpris aussi…

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Notre économie est fluctuante, versatile, sai- comme seule contrepartie des revenus issus
sonnière, multiple. Nous vendons des disques, de l’exploitation numérique qui se calculent en
nous enregistrons des groupes au sein de nos millièmes d’euro, voire moins ? On nous prédit
studios (prestations), nous prospectons pour des millions d’écoutes sur un marché mondial.
synchroniser les œuvres de nos artistes avec Mais les nouveaux entrants sur le marché du
des musiques de films ou de publicités (pour streaming (Google, Apple…) imposent dès leur
ceux qui sont éditeurs inscrits à la Sacem), nous entrée sur ce secteur des rémunérations encore
formons des amateurs ou des professionnels à plus infimes… Il faudra bénéficier de milliards
nos métiers ou à l’usage de logiciels de mu- d’écoutes pour avoir un revenu permettant de
sique, nous vendons du merchandising à l’effi- produire à nouveau. Et cela prendra du temps.
gie de l’artiste ou du label (selon la notoriété). Le Ce n’est pas parce que le marché chinois et/ou
tout doit permettre d’équilibrer nos dépenses, indien se mettra au streaming que les popula-
et de salarier les artistes, les ingénieurs du son, tions écouteront nos productions, contraire-
et l’équipe en charge du label. Un équilibre pré- ment à un catalogue de major. Cette dernière
caire sans garantie chaque année. Mais il est est juge et partie : d’une part, elle demande des
de plus en plus difficile aujourd’hui de renouer droits d’accès exorbitants aux plateformes pour
avec un succès au niveau du disque. Un artiste qu’elles diffusent son catalogue (des sommes
peut avoir une couverture médiatique impor- non reversées aux artiste car elles ne sont pas
tante et ne pas rencontrer un succès commer- qualifiées en tant que royautés) et, d’autre part,
cial. La scène sera alors son revenu substantiel. investit dans le capital de ces diffuseurs (Spotify,
À cela s’ajoute une très forte disparité entre les Shazam…), avec des pactes d’actionnaires qui
artistes ayant un succès (souvent énorme) et privilégient leurs dividendes… C’est toute une
les autres. Les écarts se creusent, le secteur se richesse augmentée qui se met en place, avec
paupérise, le public suit son instinct au travers un partage oligarchique de la valeur créée, qui
des réseaux sociaux, il est donc très volatil. passe d’un porte-monnaie à un autre sans que
Comment le petit label indépendant peut-il les petits labels indépendants en bénéficient
continuer à vendre ses productions avec un un minimum. La réalité augmentée qui nous
marché en perte de 50 % en physique ? Avec accompagne agit sur notre réalité fragmentée.

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HISTOIRE DE CHIFFRES

Capture d’écran d’un relevé numérique les écarts entre les rémunérations peuvent
de Jarring Effects. Pas loin de trente aller du simple au centuple. Une écoute
colonnes, des dizaines de milliers de peut être rémunérée en millièmes d’euro
lignes minuscules, avec un montant par (la majorité des streams sont en millièmes
ligne exprimé en millièmes d’euro. Ces d’euros) mais certains streams (très rares
relevés génèrent un travail fastidieux en quantité) rémunèrent en centimes. En
pour le label pour répartir les royautés distribution physique, vous fixez un prix
selon les artistes, qui peuvent différer de vente hors taxes avec le distributeur,
selon les contrats signés. Les taux de et celui-ci le respecte. S’il fait une remise
rémunérations se comptent en dizaine, sur le prix de vente, il la supporte. En
nous ne maîtrisons pas les prix de vente, numérique, c’est la roulette russe…

Cette révolution numérique nous amène à un sultat n’est pas négligeable, mais ces écoutes
marché de la musique où ce qui était payant, ont généré 15 000 €. Une rémunération qui
avec une valeur forte, devient presque gratuit, s’exprime en millièmes d’euros par titre écouté
avec une dévalorisation monétaire très forte ne peut être une solution d’avenir pour mainte-
de la musique auprès du jeune public. Pour les nir une création indépendante de qualité.
adolescents, la musique est censée être gra- Depuis la révolution industrielle, les manufac-
tuite, c’est le constat flagrant que nous pouvons turiers gouvernent et imposent aux popula-
faire. Forcément, avec des forfaits mobiles Uni- tions des nouvelles manières de vivre. Si cer-
versal, M6 ou autres, il leur est impossible de tains créent des contenants, donc des coquilles
concevoir que la musique a un prix… vides, ils ont besoin de contenu, de matière,
Nous devons en conséquence monétiser des pour vendre leurs produits. Les frères Lumière
statistiques pour négocier des partenariats avec ont une place majeur dans les prémices de
des médias en tout genre, qui se retrouvent l’industrie du cinéma en produisant de nom-
sous la forme de fichiers (tableur) de relevés breux films pour vendre leur Cinématographe.
de royautés en ligne composés de dizaine de EMI était associé à ses origines à Gramophone
milliers de lignes avec des dizaines de colonnes Company, un constructeur de gramophones
(voir encadré ci-dessus). Pour l’année 2013, le et des disques fonctionnant avec. Produire
catalogue de Jarring Effects a généré 4 millions des artistes a permis de vendre les appareils
d’écoutes (un fichier de 230 000 lignes). Le ré- en question. Plus récemment, Apple avec ses

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QU’EST-CE QU’UNE
MAJOR COMPANY ?

i­Bidules en tout genre a su créer iTunes pour ali- Une major a un principe de
menter servilement ses appareils domestiqués fonctionnement calqué sur les
et fidèles. Cette orchestration dictatoriale a su grands groupes multinationaux
être terriblement efficace, cela nous a amené à (auxquels elle appartient, n’oublions
un prix unique de la musique (99 cents un mor- pas !), la recherche de profit étant
ceau de musique). Les ventes par millions de l’intérêt majeur. C’est une entreprise
iPod (fabriqués à bas prix en Asie) ont consti- qui possède, directement ou par
tué un trésor de guerre pour Apple qui peut le biais de filiales, l’ensemble de la
désormais continuer sa saga iBuesque, tout en chaîne allant de la production à la
cherchant à contourner les réglementations en distribution. Toute la seconde moitié
vigueur pour ne pas s’acquitter des droits telle du XXe siècle a vu l’industrie musicale
la copie privée en France pour ses tablettes se concentrer. Les majors ont racheté
(une créance estimée à 20 millions d’euros…). des grands labels indépendants, et
ont également fusionné entre elles,
ce qui génère des mastodontes
LE MARCHÉ DU DISQUE EN 2013 (dinosaures ?) qui ont des
comportements dévastateurs pour les
Un marché physique mis à mal depuis les petits labels indépendants.
années 2000, qui a touché les petits labels
indépendants à partir de 2006, une fois que le
haut débit était enfin en place. Les publicités
de l’époque vantaient le téléchargement de la « Après la fusion fin 2004 de Sony
musique plus rapide, que son origine soit légale Music Entertainment et BMG
ou non. Or l’offre légale de l’époque était d’une Entertainment en Sony BMG Music
qualité médiocre, tant au niveau du service (on Entertainment, rebaptisé Sony Music
ne trouvait pas des millions de références) qu’au Entertainment, et le rachat de EMI
niveau du son (le MP3 était d’une qualité très Group par Universal Music Group
médiocre). Ce qui aurait été précurseur, c’est de en novembre 2011, trois sociétés se
s’associer à Napster, un service utilisé par des partagent l’essentiel du marché de
millions de personnes, où chacun contribuait l’industrie musicale. Elles représentent
au catalogue. Au lieu d’innover dans les usages en effet 71,7 % de parts de marché
et de s’associer avec de nouveaux partenariats sur le marché mondial concernant les
pour régulariser une situation inédite, le choix a ventes de productions musicales.
été de sanctionner un tel acteur. Au mépris des
nouveaux usages d’internet… Un gâchis qui a Universal Music Group :
contribué à amoindrir la valeur de la musique, 38,9 % France
entre autres, et qui a retardé le développement
des offres légales de qualité. Sony Music Entertainment :
Pour les petits labels indépendants, le secteur 21,5 % Japon
de la distribution physique est en crise. Les dis-
tributeurs physiques ferment les uns à la suite Warner Music Group :
des autres, et subissent la politique commer- 11,3 % États-Unis. »
ciale des grandes enseignes spécialisées, qui
elles-mêmes se réduisent d’année en année. Un Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/
réseau commercial comme la Fnac qui centra- Major_(industrie_musicale)
lise les commandes de disques mène une poli-
tique qui pénalise fortement nos productions.

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Structure des ventes en 2013
schéma 2

Le marché du numérique +4% Streaming Téléchargement –1%


se décompose en trois 43 % internet
parties avec une part en 50 %
téléchargement de 50 %
mais qui stagne, une part en
streaming qui a pris un essor
considérable ces dernières
Téléphonie
années, et la téléphonie mobile mobile
qui perd ses parts de marché 7%
d’année en année.
–5%
(Source : SNEP - 2014)

Ce schéma met en avant la


répartition du prix d’un disque
vendu dans le commerce. Si
le public acquiert un disque CD au prix de vente de 16 €
au prix de 16 €, le label perçoit schéma 3
quant à lui 2 € une fois que
les charges directes sont SDRM* 1€
déduites, à savoir le coût de
fabrication du support, les
droits mécaniques associés Royautés artistes 2€ Distributeur 4€
(droits d’auteur, 10 % en
moyenne du prix de gros hors
taxe – PGHT), et les royautés
issues de la vente. Restent à la
charge du label tous les frais
Fabrication 1€
de production de l’album, et * SDRM : Société pour
l’administration du droit de
les frais de promotion liés à ce
reproduction mécanique
disque. Sans oublier les frais
des auteurs, compositeurs
généraux propres à toutes Label 2€ et éditeurs.
les structures. Une marge si Vendeurs 3,38 € Créée en 1935, elle
faible nécessite de vendre des regroupe la Sacem (Société
milliers d’albums pour avoir des auteurs, compositeurs
un retour sur investissement et éditeurs de musique)
supportant les dépenses citées TVA 2,62 € et l’AEEDRM (Association
précédemment. Le seuil des éditeurs pour
d’équilibre reste donc élevé, et l’exploitation des droits de
incertain ! (Source : http://www.nextinpact.com/dossier/628-dans-les-coulisses-dun-label-independant/1.htm) reproduction mécanique).

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schéma 4
Album vendu 8,99 € sur iTunes

Distributeur
Agrégateur numérique 1,08 €
Royautés
artistes 2,16 €
TVA 1,48 €
Sur un album vendu en
numérique, la situation
est largement en faveur de
l’artiste et du label, mais ce
type de vente (download) est
bien inférieur aux ventes
physiques. Cela constitue
Label 2,16 € un complément de revenus,
mais qui ne compense
iTunes pas les ventes physiques
(dont Sacem) 3,38 € largement en baisse.

(Source : http://www.nextinpact.com/dossier/628-dans-les-coulisses-dun-label-independant/1.htm)

Le physique représente toujours en France l’es- orchestres, vu la complexité mise en œuvre. On


sentiel des ventes au travers du CD. parle d’un coût à la minute. Plus l’album est
Si on ne prend pas en compte les droits voi- long et plus les minima sociaux sont élevés.
sins, le physique représente 75 % du marché et Loin de nous l’idée de ne pas vouloir salarier les
le marché numérique 25 %, ce qui démontre artistes, mais les minima à respecter sont très
que ce dernier est loin de compenser les pertes loin de nos réalités économiques et de nos ca-
issues du physique. Ce marché du disque repré- pacités financières. Le salariat à respecter est si
sentait 1,3 milliard en 2002… élevé qu’il ne reste plus de moyens pour pro-
Une chose est claire, au vu des répartitions indi- mouvoir la sortie d’un album. Et sans cette pro-
quées dans les schémas 3 et 4. Si les produc- motion, le projet discographique disparaît rapi-
tions des labels ne bénéficiaient pas des aides dement des radars…
des sociétés civiles de gestion collective du sec- Mais une nouvelle source de financement se
teur de la musique enregistrée (Adami, SPPF, met en place, même si son principe de base
SCPP, sans oublier le FCM)2 ou des collectivités rappelle une simple souscription : le crowdfun-
locales (dans quelques régions telle Rhône- ding –  dit financement participatif ou finance-
Alpes), voire de l’État dans des cas très rares, ment par la foule. Certains producteurs sont ex-
les labels auraient de très grandes difficultés à clus des dispositifs d’aides. Il y a de plus en plus
salarier correctement les artistes et les ingé- de demandes, la répartition des aides n’est pas
2  Adami : société de
gestion collective des
nieurs du son. Or les aides se basent justement très équitable selon les sociétés civiles (les gros
droits de propriété sur le salariat des artistes-interprètes, salariat touchent de plus en plus, les petits touchent de
intellectuelle des artistes- qui doit respecter une convention collective de moins en moins – un constat personnel !). Solu-
interprètes. l’édition phonographique, adoptée en 2008 et tion : demander directement au public un finan-
SPPF : Société civile
des producteurs de
élargie à tous les producteurs phonogra- cement des projets en cours. Ce financement
phonogrammes en phiques. Elle a pour conséquence, depuis son participatif permet à des particuliers ou à des
France. application, de doubler les coûts des cachets structures, qui n’ont pas les fonds nécessaires
SCPP : Société civile réalisés sur une production. Cette convention pour démarrer leur activité, de faire financer
des producteurs
phonographiques.
ne prend pas en compte les difficultés que ren- leur projet en faisant appel au soutien du public
FCM : Fonds de création contrent les petits labels indépendants. Et le au travers d’une plateforme web dédiée. Don,
musicale. mode de calcul des rémunérations est issu des récompense, pré-achat, prêt, investissement au

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capital des entreprises (Equity), les exemples
sont nombreux et concernent tous les do-
maines d’activités. Sur le site de KissKissBank-
Bank, on voit clairement que les projets les plus
aidés sont la musique, le cinéma et le spectacle
vivant. Une contribution qui compense les dif-
ficultés en tout genre que rencontrent les petits
labels indépendants. Mais ces derniers doivent
s’unir pour agir collectivement.

UNE INDÉPENDANCE
QUI S’ORGANISE

Les TPE que nous sommes ne peuvent agir vendre en direct nos productions en VPC (vente
comme les majors. Mais, véritables Gaulois par correspondance) et en téléchargement, à
que nous sommes, nous résistons, avec nos un prix moins élevé, tout en gagnant plus sur
moyens limités mais sincères et équitables. Le une vente, car il n’y a plus d’intermédiaire. Une
label indépendant, comme son nom l’indique, réussite car, dix ans après, la plateforme existe
a tendance à travailler seul dans son coin, et toujours, et réunit plus de 250 labels tous styles
subit le marché qui l’entoure. C’est pourquoi, musicaux confondus.
en 2004, plusieurs labels se sont réunis pour Cette structuration des petits labels indépen-
fonder CD1D, une fédération nationale et pro- dants se complète de fédérations régionales
fessionnelle de labels, afin de partager des de labels, elles-mêmes dotées de plateformes
valeurs et agir ensemble. La constitution de musicales (voir carte page 52). Ces dernières
la plateforme musicale CD1D.COM a été le se regroupent au travers d’une autre instance
premier outil mutualisé, qui nous permet de nationale, la FELIN, qui est la confédération des

Source http://www.kisskissbankbank.com/fr/stats

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Carte des fédérations
régionales de labels.

fédérations régionales. Cette structuration per- culturels tels que la bibliothèque municipale de
met des échanges multiples sur nos métiers, et Lyon, la salle de spectacle Le Fil à Saint-Étienne,
les innovations à réaliser. Les Abattoirs de Bourgoin-Jallieu, met en place
En parallèle de cette structuration, le SMA un service de streaming équitable nommé
(Syndicat des musiques actuelles), un syndicat 1D touch, qui sera géré par une SCIC SA (so-
de filières œuvrant dans les champs des mu- ciété coopérative d’intérêt collectif). Il s’agit de
siques actuelles, développe la représentativité construire un modèle économique alternatif (à
des petits labels indépendants. Cela permettra un secteur marchand en crise profonde) et effi-
d’apporter des aménagements sur les disposi- cace pour les artistes et les producteurs indé-
tifs réglementaires telle la CCNEP et d’aborder pendants, qui renforce l’exposition et la diffusion
les enjeux de la musique enregistrée en lien des créations culturelles artisanales. La gouver-
avec les deux autres syndicats d’employeurs nance sera partagée au travers d’une société
que sont l’UPFI (Union des producteurs pho- coopérative réunissant l’ensemble des acteurs
nographiques français indépendants – réunis- de la chaîne de valeur culturelle, et gérera cet
sant les grands labels indépendants) et le SNEP outil de diffusion et de monétisation indépen-
(Syndicat national de l’édition phonographique dant. Pour cela, il est nécessaire de mobiliser
– composé des majors entre autres). les ressources et les acteurs territoriaux autour
Afin de répondre à un marché numérique où de dynamiques innovantes et de nouveaux mo-
l’essor du streaming est flagrant, CD1D, accom- dèles adaptés aux usages numériques. Ce ser-
pagné de la FEPPRA et de nombreux acteurs vice prend la forme d’une plateforme numérique

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CD1D.COM

CD1D est une fédération professionnelle – Une vision collective du travail au


créée par 7 labels indépendants en travers de la mutualisation des outils et
2004 et qui regroupe aujourd’hui plus des équipes afin d’améliorer l’activité
de 257 labels (associations, SARL, quotidienne et le degré d’expertise
SCOP…). L’objectif de cette fédération des labels (relations médias, gestion
est de proposer de nouvelles formes de royalties, groupements d’achats
de collaborations et de diffusion de la d’espaces ou de pressage).
musique, centrées sur le respect des
artistes et du public, le renforcement de – Le tissage de liens avec des
la diversité musicale et la mise en place groupements indépendants en région et
durable d’un réseau alternatif aux majors à l’international (Europe, Méditerranée,
et autres « supermarchés culturels ». CD1D Francophonie) afin de construire une
offre ainsi un cadre collaboratif aux labels large communauté d’individus soucieux
et aux artistes afin de s’unir, de mutualiser de soutenir la création.
leurs moyens, de réfléchir et de s’adapter
collectivement aux mutations engendrées
par le développement technologique et les
évolutions du milieu du disque. –  257 labels indépendants issus de France,
Ses missions s’articulent autour de quatre Québec, Suisse, Belgique, Angleterre.
grands axes : –  1 964 artistes.
–  3 251 références (CD, DVD, vinyle)
– La recherche de nouveaux modèles –  24 695 titres en téléchargement
économiques alternatifs destinés à –  CD, DVD, vinyle, MP3 320, FLAC,
permettre aux artistes et aux labels fanzines…
indépendants de continuer à produire et –  Une radio sans pub classée par style de
diffuser leurs œuvres non formatées. musique.
–  85 % des recettes reversés aux labels et
– L’utilisation des nouvelles technologies aux artistes.
pour renforcer les échanges et les
modes de diffusion directe entre Source : http://cd1d.com/fr/about#cd1d-
amateurs de musique et créateurs. en-chiffres

accessible par tous les appareils connectés, ou Sur les sommes brutes collectées, 65 % sont re-
d’une borne tactile installée dans les lieux parte- versés aux ayants droit, incluant 10 % destinés
naires. Les publics ciblés sont les amateurs de à alimenter un fonds de soutien et d’épargne,
musiques, les « curieux » de contenus culturels 15 % de part fixe (chaque contributeur percevra
non formatés, les jeunes de 15-25 ans, les lieux une part forfaitaire des recettes perçues – ainsi,
de médiation artistique et culturelle et les col- si les phonogrammes du producteur ne sont ja-
lectivités territoriales soucieuses de défendre mais écoutés, il percevra tout de même une ré-
la diversité culturelle. La rémunération provient munération pour sa production mise en ligne),
des abonnements mensuels contractés par des et 40 % en fonction des statistiques d’écoute.
tiers-lieux (bibliothèques, salles de spectacles, Cette démarche originale reçoit un accueil très
établissements scolaires, lieux de vie culturels, favorable auprès des bibliothécaires, des salles
espaces publics numériques), afin de proposer de spectacles, des festivals, des collectivités
à leurs usagers un accès gratuit à un service nu- locales, des comités d’entreprises, mais laisse
mérique d’écoute et de découverte de contenus perplexe l’industrie musicale, qui observe ce
culturels indépendants et créatifs. développement avec parfois de l’agacement, vu

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LES
13 ENGAGEMENTS
DU RAPPORT HOOG

que cela se présente sous une forme de gestion Engagement no 1


collective, où chaque écoute, chaque stream, Publication des conditions générales de
seront rémunérés de la même manière, quelle vente.
que soit la notoriété de l’artiste ou de son pro-
ducteur… Engagement no 2
Pérennité et stabilité des contrats.

PRÉCONISATIONS, RAPPORTS, Engagement no 3


POINT MORT… Justification des avances.

Engagement no 4
LE RAPPORT PHÉLINE
Transparence des minima garantis.
Après les rapports Zelnik, Hoog, « Engage-
ment 8 » et Lescure, Christian Phéline, conseil- Engagement no 5
ler-maître à la Cour des comptes, est l’auteur Prise en compte des parts de marché.
d’un nouveau rapport sur le partage de la valeur
de la musique à l’ère numérique entre les ar- Engagement no 6
tistes, les producteurs et les plateformes 3. L’ob- Définition d’une classification des modes
jet essentiel porte sur la nécessité de mettre en d’exploitation.
œuvre des mesures législatives propres à mieux
encadrer les pratiques contractuelles entre les Engagement no 7
acteurs de la profession. Ce qui permettrait Simplification des obligations de compte
d’orienter la rédaction du projet de loi d’orienta- rendu (reporting).
tion sur la création, projet sans cesse reporté,
qui risque fortement d’imploser en de multiples Engagement no 8
pièces réglementaires, alors qu’il était présenté Partage des données relatives à l’économie
comme un digne successeur des lois Lang de du secteur et état actuel du partage de la
1985. valeur.
Il est nécessaire d’adapter la réglementation au
numérique. Une proposition concrète serait de Engagement no 9
mettre en place une gestion collective obliga- Transparence au bénéfice des artistes
toire des droits exclusifs des artistes interprètes interprètes.
par les sociétés de gestion car il y a un manque
cruel d’équité entre les différents artistes et Engagement no 10
producteurs. Si l’Adami et la Spedidam y sont Délai de versement des rémunérations.
favorables, ce n’est pas du tout la position de
la SPPF ou de la SCCP, ces dernières défendant Engagement no 11
le rôle régulateur du marché… Un manque total Rémunérations au bénéfice des artistes
de transparence. À titre de label, je suis parti- interprètes.
san, ainsi que mes collègues de CD1D, d’une
telle gestion collective. D’une part, comme cela Engagement no 12
se passe au sein de la Sacem, une gestion col- Œuvres d’expression originale française.
lective permet à chacun de percevoir des reve-
nus en fonction d’usages encadrés, accompa- Engagement no 13
3  http://www. gnés de taux de collecte communs. Le pouvoir Gestion collective en matière d’écoute
culturecommunication. collectif de négociation nous rendra plus forts linéaire en ligne (webcasting et webcasting
gouv.fr/Actualites/
Missions-et-rapports/
et simplifiera notre quotidien sur les rémuné- semi-interactif).
Musique-en-ligne-et- rations à reverser. Les droits mécaniques sont
partage-de-la-valeur payés directement par les plateformes, ce qui

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décharge les producteurs d’un travail de fourmi retiens trois points majeurs, sources de polé-
pour les droits d’auteurs issus du numérique. miques mais pourtant indispensables pour
S’il en était de même pour les royautés, on moderniser notre secteur :
pourrait rémunérer les artistes plus rapide- – soumettre la rémunération des ayants droit à
ment. Et un producteur pourrait reverser une un régime de gestion collective ;
part en plus à ses artistes en fonction des reve- – taxer les appareils connectés et la nécessité
nus globaux générés sur la durée d’exploitation d’adapter le mécanisme de la copie privée ;
d’un album… –  adapter le droit de la propriété intellectuelle.
Le rapport de Christian Phéline nous replonge
dans un passé proche car il recommande que
LE RAPPORT COLIN-COLLIN
les 13 engagements de la mission Emmanuel
Hoog pour encadrer les relations contractuelles À lire également, le rapport de Nicolas Colin et
entre maisons de disques et plateformes web Pierre Collin 5, sur la fiscalité de l’économie nu-
soient transcrits dans la loi. mérique, ou comment lutter contre la prédation
Mais à ce jour, aucun engagement n’a été trans- fiscale de la « bande de GAFA » (Google, Apple,
crit, de près ou de loin… Facebook, Amazon), appelée également « rue
GAMA » ! Les revenus générés par l’exploitation
des données personnelles ne sont pas correcte-
LE RAPPORT LESCURE http://www.
ment partagés, et échappent substantiellement 4 

culturecommunication.
Le rapport « Contributions aux politiques cultu- au contrôle de l’État ! Un partage équitable per- gouv.fr/var/culture/
relles à l’ère numérique 4 », dont on attendait mettrait de financer la création à partir de nou- storage/culture_mag/
beaucoup, est doté de 80 propositions pour velles ressources financières, issues d’une fisca- rapport_lescure/index.
développer l’accès des publics aux œuvres, mo- lité inédite, et d’une volonté politique forte, afin htm
derniser la rémunération des créateurs et le fi- de ne pas récupérer des miettes, comme ça l’a
5  http://www.economie.
nancement de la création et protéger et adapter été pour la Presse tout récemment. Mais le gouv.fr/rapport-sur-
les droits de propriété intellectuelle. Il a suscité CNN (Conseil national du numérique) a reto- la-fiscalite-du-secteur-
de nombreuses réactions courues d’avance. Je qué la création d’une taxe sur les données numerique

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­ ersonnelles récoltées, et affirmé qu’il ne fallait
p enjeux en cours, l’intervention de l’État est né-
pas freiner le développement du cloud en cessaire. La seule chose qui m’inquiète est de
France. Voilà, une fois de plus, il est donné la constater le manque d’ambition de celui-ci,
possibilité d’utiliser nos musiques (et bien sans parler du peu de compétences réelles en la
d’autres œuvres numérisées) sans s’acquitter matière, et le désintérêt porté à nos structures.
d’un droit à la copie privée. Le cloud d’Apple Il avait été évoqué la sanctuarisation de la
permet d’intégrer dans son iCloud tous les Culture… Pourtant, il est vital de réguler les pra-
titres qu’on possède sur ses ordinateurs, por- tiques de ce marché du disque, c’est-à-dire
tables et tablettes, quelle que soit l’origine des contraindre la gestion individuelle des droits de
dits morceaux. Ils sont ainsi « blanchis » si vous certains (lutter contre l’hyperconcentration) au
aviez par mégarde des œuvres d’origine dou- nom de l’intérêt général, au « nom de la diversi-
teuse… té culturelle, patrimoine commun de l’huma­
6  Unesco, Déclaration nité 6 ». Reste qu’une régulation équitable du
universelle sur la diversité Soit la filière s’autorégule et se restructure col- marché à une échelle nationale constitue un
culturelle, voir article 1.
http://unesdoc.unesco.
lectivement, par un jeu de concertation ouvert défi d’autant plus difficile à relever. Une Europe
org/images/0012/ à tous, soit l’État nomme un (super) médiateur forte doit peser contre ces excès.
001271/127162f.pdf pour régir le tout. Vu les rapports de force et les

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