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PROCÉDÉS CHIMIE - BIO - AGRO

Ti142 - Chimie verte

Intensification des procédés


et méthodes d'analyse durable

Réf. Internet : 42493 | 4e édition

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III
Cet ouvrage fait par tie de
Chimie verte
(Réf. Internet ti142)
composé de  :

Chimie verte : principes, réglementations et outils Réf. Internet : 42490


d'évaluation

Voies de synthèse et solvants alternatifs Réf. Internet : 42492

Intensification des procédés et méthodes d'analyse durable Réf. Internet : 42493

Énergie durable et biocarburants Réf. Internet : 42494

Gestion durable des déchets et des polluants Réf. Internet : 42495

Chimie du végétal et produits biosourcés Réf. Internet : 42570

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IV
Cet ouvrage fait par tie de
Chimie verte
(Réf. Internet ti142)

dont les exper ts scientifiques sont  :

Jérémy PRUVOST
Professeur à l'université de Nantes, laboratoire Gepea - UMR 6144, plateforme
Algosolis - UMS 3722, Saint-Nazaire

Stéphane SARRADE
Directeur de recherche au CEA, administrateur du Club français des
membranes et de la Société française de génie des procédés, président d'IFS
(Innovation fluides supercritiques)

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V
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VI
Intensification des procédés et méthodes d'analyse
durable
(Réf. Internet 42493)

SOMMAIRE

1– Principes Réf. Internet page

Intensification des procédés. Introduction J7000 11

Intensification des procédés. Fondamentaux et exemples d'industrialisation J7002 13

La chimie analytique verte CHV1010 17

2– Procédés catalytiques Réf. Internet page

Photocatalyse : des matériaux nanostructurés aux réacteurs photocatalytiques NM3600 25

Biocatalyse ou catalyse enzymatique BIO590 29

Diels-alderases artificielles au service de la chimie verte IN404 33

Catalyse acido-basique J1210 39

Catalyse hétérogène dans les procédés industriels J1255 43

La catalyse organométallique en phase aqueuse assistée par des charbons actifs IN142 47

Chimie par transfert de phase CHV1550 51

Catalyse redox par les phosphines IN405 57

3– Procédés de synthèse et de production Réf. Internet page

Ultrasons et sonochimie AF6310 65

Sonochimie organique K1250 69

Sonochimie : innovations et enjeux J8200 73

Micro-ondes en synthèse organique J5020 77

Synthèse organique sous haute pression CHV1610 81

Chimie supportée sur phase solide K1260 87

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VII
Microréacteurs pour l'industrie IN94 93

Microréacteurs : outils d’intensification de la chimie CHV2227 97

4– Procédés de séparation membranaire Réf. Internet page

Introduction aux enjeux des procédés membranaires J2842 101

Filtration membranaire (OI, NF, UF). Mise en oeuvre et performances J2793 103

Filtration membranaire (OI, NF, UF, MF). Applications en traitement des eaux J2794 107

Filtration membranaire (OI, NF, UF, MFT). Applications en agroalimentaire J2795 111

Filtration membranaire (OI, NF, UF). Applications diverses J2796 115

Perméation gazeuse J2810 119

Électrodialyse J2840 123

Bioréacteurs à membranes (BAM) et traitement des eaux usées W4140 127

Céramiques pour l'environnement : filtres, membranes, adsorbants et catalyseurs N4805 131

5– Procédés d'extraction et de traitement de la Réf. Internet page

biomasse végétale
Le CO2 supercritique appliqué à l'extraction végétale CHV4015 137

6– Méthodes et instruments d'analyse Réf. Internet page

Chromatographie en phase supercritique P1460 143

Biocapteurs pour la surveillance des polluants dans l’environnement CHV1620 149

Laboratoires sur puce dédiés à la chimie. Principes et caractéristiques CHV2225 155

Laboratoires sur puce dédiés à la chimie. Conception CHV2226 161

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Intensification des procédés et méthodes d'analyse
durable
(Réf. Internet 42493)

1
1– Principes Réf. Internet page

Intensification des procédés. Introduction J7000 11

Intensification des procédés. Fondamentaux et exemples d'industrialisation J7002 13

La chimie analytique verte CHV1010 17

2– Procédés catalytiques

3– Procédés de synthèse et de production

4– Procédés de séparation membranaire

5– Procédés d'extraction et de traitement de la


biomasse végétale

6– Méthodes et instruments d'analyse

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1

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Référence Internet
J7000

Intensification des procédés


Introduction
1

par Jean-Claude CHARPENTIER


Professeur et directeur de recherche émérite CNRS
Ancien directeur de l’ENSIC, de l’ESCIL et de l’ESCPE Lyon et du département sciences pour
l’ingénieur du CNRS
Former président de la Fédération européenne de génie chimique
Laboratoire réactions et génie des procédés CNRS/ENSIC/Université de Lorraine, France

1. Demande industrielle d’intensification des procédés................ J 7 000 - 2


2. Intensification des procédés : comment ? .................................... — 3
3. Obstacles et voies d’avenir pour l’intensification
des procédés .......................................................................................... — 4
4. Glossaire.................................................................................................. — 5
Pour en savoir plus ........................................................................................ Doc. J 7 000

ans le cadre du développement durable, de la protection de l’environ-


D nement et de la globalisation des marchés, il existe une prégnante et
urgente demande qui combine à la fois un attrait des marchés « market pull »
et une demande d’innovation technologique « technology push ». La réponse
est apportée par l’intensification des procédés qui se définit par « produire
beaucoup plus et mieux en consommant beaucoup moins » en utilisant de
nouveaux modes opératoires avec les équipements existants ou bien en uti-
lisant de nouveaux équipements basés sur des principes scientifiques qui
conduisent à de nouveaux modes ou échelles de production de produits ciblés
par des consommateurs de plus en plus exigeants.
L’intensification des procédés peut être menée :
– avec des équipements et réacteurs multifonctionnels (hybridation d’opéra-
tions unitaires) ;
– avec des réacteurs microstructurés ;
– avec de nouveaux modes opératoires de production ;
– avec des modes utilisant des milieux réactionnels de la chimie verte ;
– avec une chimie intensifiée dans des réacteurs microstructurés pour les-
quels les phénomènes de transfert de chaleur et de matière sont parfaitement
dominés « novel process windows ».
Cela peut conduire à des économies cumulées de 30 % de matières premières
et d’énergies et en coûts opératoires, mais il existe cependant plusieurs obsta-
cles importants à surmonter pour que la méthodologie et les technologies de
l’intensification des procédés soient encore plus répandues qu’elles ne le sont
aujourd’hui.
Toutes ces considérations vont justifier la publication d’articles sur l’intensifi-
Parution : février 2016

cation des procédés dans une nouvelle rubrique de Techniques de l’Ingénieur.

Copyright © –Techniques de l’Ingénieur –Tous droits réservés J 7 000 – 1

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Référence Internet
J7000

INTENSIFICATION DES PROCÉDÉS _____________________________________________________________________________________________________

1. Demande industrielle l’intensification des procédés comporte une approche développe-


ment durable dans la conception des équipements et réacteurs.
d’intensification Cette approche est maintenant adoptée par le génie chimique et
des procédés moderne (vert) qui doit faire face à de nouveaux
des procédés défis pour la production d’un grand nombre de produits qui
comportent des systèmes complexes à l’échelle moléculaire, à
Les progrès effectués depuis 1990 en recherche de base et déve- l’échelle du produit et à l’échelle du procédé.
loppement portant sur le génie chimique et le génie des procédés,

1
En effet, pour la production de produits de commodités et de
en instrumentation scientifique analytique fine et en outils informa-
produits intermédiaires, incluant les industries de procédés miné-
tiques ont conduit à une meilleure compréhension et modélisation
rales qui représentent encore aujourd’hui un secteur de l’économie
des phénomènes physico-(bio)chimiques et des transferts d’exten-
(40 % des marchés), et pour lesquels les brevets ne portent pas
sités (quantité de mouvement, chaleur, matière) qui interviennent
habituellement sur les produits, mais plutôt sur les procédés, ces
aux différentes échelles de temps et d’espace de la chaîne de pro-
procédés ne peuvent plus être durablement sélectionnés sur les
duction chimique (depuis l’échelle de la molécule, du site catalyti-
seuls critères de l’exploitation économique comptable. Une
que ou du principe actif, du gène ou de l’usine cellulaire jusqu’aux
compensation résultant d’une augmentation de la sélectivité et des
échelles des unités et des sites de production) (figure 1).
économies liées au procédé lui-même doit être envisagée, ce qui
nécessite le plus souvent des recherches approfondies portant sur
Il est donc possible aujourd’hui de concevoir de nouveaux le procédé lui-même. Le défi est alors de savoir produire
modes opératoires avec des équipements existants ou bien de d’énormes quantités au plus faible coût possible et des facteurs
concevoir de nouveaux équipements basés sur des principes tels que les aspects de santé, de sécurité et de préservation de
scientifiques qui conduisent à de nouveaux modes ou échelles l’environnement doivent être pris en compte à l’échelle du pro-
de production de produits ciblés par des consommateurs de cédé. De plus, la tendance vers des équipements pour une produc-
plus en plus exigeants : c’est ce qu’on appelle « l’intensification tion à l’échelle mondiale va très bientôt nécessiter un changement
des procédés ». total ou plus probablement partiel de technologie, sachant que les
technologies actuelles ne pourront plus être mises en œuvre dans
un esprit « on construit toujours plus gros ». Cela requiert au
Le but clairement affiché est d’imaginer des procédés et/ou de
contraire une intensification des procédés conduisant à un change-
concevoir des équipements et réacteurs pour produire plus (et mieux)
ment de technologies afin d’extrapoler de façon fiable de nou-
en utilisant beaucoup moins. Cela signifie produire plus et mieux :
veaux procédés à de très grandes échelles, depuis les échelles
– dans de plus petits volumes ; intermédiaires actuelles jusqu’à de très grandes échelles pour les-
– avec une plus grande efficacité ; quelles il n’existe pas d’expérience antérieure.
– avec une réduction de la consommation énergétique et des
matières premières ; Par ailleurs pour la chimie fine, la chimie de spécialités et pour
– avec une minimisation de l’impact environnemental dû à l’utili- la production de principes actifs et de matériaux hautement spé-
sation d’un moins grand nombre de solvants et à des coûts de cialisés avec les industries concernées correspondantes (santé,
transports réduits ; cosmétique, alimentaire, agriculture), les marchés demandent
– avec une production industrielle combinant de multiples opé- aujourd’hui des produits à haute valeur ajoutée, à rapide temps
rations unitaires dans un unique équipement ou en réduisant le d’arrivée sur le marché, à court temps de vie et à grandes marges
nombre d’étapes et d’unités de production. bénéficiaires dont les ventes et la compétitivité sont dominées non
pas (ou peu) par les spécifications techniques du produit, mais plu-
Cela peut conduire aujourd’hui à des réductions de coûts de pro- tôt par la valeur d’usage du produit, à savoir ses critères de qualité
duction allant jusqu’à 30 %. comme les propriétés sensorielles et ses fonctions comme la per-
Il est clair que pour répondre à la demande sociétale de dévelop- formance ou la convénience. Et ces produits conçus « sur
pement durable et pour apporter une contribution à la lutte contre mesure » pour le consommateur, en ce qui concerne leur formu-
la destruction environnementale et contre le comportement non lation et leur fabrication, requièrent de nouveaux équipements
durable d’un certain nombre de productions industrielles actuelles, dont la conception dépasse le seul objectif de produire un unique

Figure 1 – Multiéchelle de temps et d’espace de la chaîne de production chimique de produits

J 7 000 – 2 Copyright © –Techniques de l’Ingénieur –Tous droits réservés

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Référence Internet
J7002

Intensification des procédés


Fondamentaux et exemples
d’industrialisation 1
par Christophe GOURDON
Professeur
Université Fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées, INPT/ENSIACET,
Laboratoire de Génie Chimique, UMR CNRS/INPT/UPS, TOULOUSE

1. Principes fondamentaux de l’intensification des procédés .................... J 7 002 - 2


1.1 Historique .................................................................................................... — 2
1.2 Les quatre piliers de l’intensification......................................................... — 3
1.3 Classification des outils d’intensification.................................................. — 4
1.4 Autres approches ........................................................................................ — 4
2. Identification des limitations et stratégies............................................... — 6
2.1 Nature des limitations ................................................................................ — 6
2.2 Côté transformation chimique ................................................................... — 6
2.3 Côté technologie ......................................................................................... — 7
3. Plateformes de démonstration industrielle.............................................. — 9
4. Méthodologies d’aide à l’intensification .................................................. — 11
5. Exemples de réussite industrielle en intensification............................... — 12
5.1 Miniaturisation et transposition batch – continu...................................... — 12
5.2 Activation par apport d’énergie ................................................................. — 13
5.3 Synergie par la multifonctionnalité ........................................................... — 14
5.4 Fonctionnement cyclique ........................................................................... — 14
5.5 Conclusion : courbe de maturité des technologies.................................. — 14
6. Freins au déploiement de l’intensification et les perspectives .............. — 14
6.1 Freins............................................................................................................ — 14
6.2 Perspectives................................................................................................. — 15
7. Conclusion ................................................................................................... — 15
8. Glossaire ...................................................................................................... — 16
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. J 7 002

a liste des challenges auxquels sont désormais confrontés tous les sec-
L teurs industriels, notamment celui de la transformation de la matière, est
longue. Sans prétendre à l’exhaustivité, citons-en quelques-uns : raréfaction
des ressources (matières premières, eau …) ; attente sociétale en matière de
respect de l’environnement (réduction de l’empreinte carbone et des émissions
de gaz à effet de serre, augmentation de la sécurité, diminution des rejets) ;
exigence de maintenir la compétitivité industrielle en maîtrisant les coûts dans
un contexte de concurrence internationale ; montée en puissance de sources
diversifiées de matières (biomasse) et d’énergie (énergies renouvelables) ;
besoin de mise sur le marché de nouveaux produits, d’origines et de disponibi-
lités diverses (produits biosourcés), recyclables ou biodégradables (analyse de
cycle de vie, ACV) ; croissance de la démographie et donc de la demande …
Parution : septembre 2016

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J 7 002 – 1

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Référence Internet
J7002

INTENSIFICATION DES PROCÉDÉS _____________________________________________________________________________________________________

C’est dans ce contexte complexe et exigeant qu’est apparue la notion


d’intensification des procédés, une préoccupation qui rassemble aussi bien le
monde industriel que le monde académique autour de la notion de développe-
ment de technologies ou de méthodes, dites de rupture, en vue de produire de
manière plus propre, plus sûre, et plus sobre en consommation d’énergie et de
matière.

1
L’objectif de cet article est de passer en revue les fondamentaux de l’intensi-
fication des procédés, en termes de principes, d’outils et de classification des
technologies et méthodes, puis quelques-unes des pistes disponibles pour
identifier et dépasser les limitations inhérentes à tout procédé. En particulier, il
est primordial d’effectuer un diagnostic sur la nature de la limitation intrin-
sèque au procédé, à savoir si elle est plutôt chimique ou plutôt physique.
Selon le résultat de ce diagnostic, les stratégies d’intensification peuvent dif-
férer en faisant appel à des outils multi-échelles, d’ordre soit technologiques
soit méthodologiques, parmi lesquels on trouve :
– la structuration spatiale de l’équipement (en particulier la miniaturisation) ;
– l’activation des phénomènes ou mécanismes par apport d’énergie (méca-
nique, thermique …) ou d’énergie non conventionnelle (ultrasons, micro-
ondes, UV …) ;
– la recherche de synergie par la multifonctionnalité ou l’hybridation de
technologies ;
– la mise en œuvre de modes de fonctionnement cyclique ou instationnaire
des procédés.
Compte tenu de la diversité des voies possibles pour intensifier un procédé,
un certain nombre d’initiatives ont été récemment lancées, notamment en
Europe, en vue d’assister le concepteur dans sa tâche de sélection de la voie
optimale. Elles se sont traduites notamment par la création de plateformes de
démonstration industrielle et par l’apparition de méthodes visant à guider
l’ingénieur dans son développement de procédé intensifié. Sont également
évoqués ici les réussites, en particulier industrielles, de l’intensification des
procédés, mais aussi les freins à son développement et à son passage à
l’industrialisation. Cet article se termine en dressant quelques-unes des pers-
pectives en matière d’intensification des procédés pour répondre aux enjeux
industriels du futur.

et fonctionnement), de qualité, de rejets et de sécurité ». On


1. Principes fondamentaux retient que la revendication affichée dans cette définition corres-
de l’intensification des pond davantage à des innovations, que l’on peut qualifier de rup-
ture, plutôt qu’incrémentales. Par ailleurs, dans ce document
procédés étaient mis en exergue les défis selon les secteurs industriels et
selon leur importance relative. Quelques-uns sont rappelés dans
le tableau 1.

1.1 Historique Depuis, d’autres secteurs, comme celui de l’énergie, de l’envi-


ronnement ou des industries manufacturières par exemple, se
La dénomination « intensification des procédés » est apparue la sont également déclarés intéressés par l’intensification, notam-
ment très récemment dans les pays nordiques de l’Europe, aux
première fois dans les années quatre-vingt. Depuis, on a vu éclore
États-Unis, en Inde ou en Chine. En matière d’énergie, les enjeux
un nombre impressionnant de définitions diverses et variées [1]
portent, entre autres, sur les systèmes distribués de génération
[2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12]. En 2007, sous l’impulsion
d’énergie, la production de biogaz, la récupération de la chaleur,
du gouvernement néerlandais, une enquête approfondie a été l’efficacité énergétique, l’implantation de sources d’énergies
menée auprès de divers secteurs industriels de la transformation renouvelables. L’industrie forestière, quant à elle, fait face à une
de la matière en Europe (notamment aux Pays-Bas, en Allemagne mutation majeure, la forêt étant une ressource de biomasse qui
et en France). Cette enquête a abouti à la publication d’une feuille dépasse largement la seule application papetière. Le concept de
de route intitulée « European Roadmap for Process Intensifica- bioraffinerie, en particulier à base de bois, fournit une formidable
tion » [6], dans laquelle on trouve la définition suivante pour opportunité de développement de procédés intensifiés, modu-
l’intensification des procédés : « un ensemble de principes radica- laires et durables, visant à minimiser les coûts énergétiques et de
lement innovants (changement de paradigme) en conception de traitement des eaux. Là aussi, dans le secteur de l’environnement
procédés et de technologies, qui apporte des bienfaits de plus et du traitement des rejets, les enjeux sont considérables, avec la
d’un facteur de 2, en termes d’efficacité, de coûts (investissement nécessité de respecter des exigences de plus en plus sévères

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J 7 002 – 2

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Référence Internet
J7002

______________________________________________________________________________________________________ INTENSIFICATION DES PROCÉDÉS

Tableau 1 – Défis industriels [6]

Importance Chimie de spécialités/Chimie fine


Chimie lourde/pétrochimie Agro-alimentaire
pour le secteur – pharmaceutique

Haute Économie d’énergie Sélectivité Compétitivité

1
Compétitivité Compétitivité Qualité
Sécurité Soutenabilité Sécurité alimentaire
Législation Réduction du temps d’accès Fonctionnalité du produit
au marché

Moyenne Impact sociétal Sécurité Économie d’énergie


Fiabilité Fiabilité Sécurité
Flexibilité

Faible Économie d’énergie

notamment quant à la qualité des eaux traitées, tout en ayant à tous les domaines, qu’ils soient spatial, temporel, thermodyna-
faire face à des polluants de plus en plus diversifiés, dont certains mique, et/ou fonctionnel. Pour atteindre ces objectifs, une
parfois à l’état de traces (produits pharmaceutiques, métaux approche multiphysique multi-échelle est alors envisagée, repo-
lourds …). sant sur quatre piliers fondateurs (figure 1) :
Pour terminer, l’intensification concerne non seulement les pro- – la structure (l’échelle spatiale) ;
cédés mais aussi les produits, dans le but de réduire les consom- – la thermodynamique (la fenêtre opératoire et l’apport d’éner-
mations énergétiques ou de matières premières entrant dans la gie) ;
fabrication du produit. On parle ainsi de « produit intensifié », – la synergie (la multifonctionnalité et/ou l’hybridation) ;
comme par exemple un détergent intensifié qui ferait appel à – le temps (l’échelle temporelle).
moins de surfactant et d’eau tout en conservant les mêmes per-
Pour conférer une histoire identique à chaque molécule dans le
formances fonctionnelles en matière de lavage.
procédé, on a recours la plupart du temps à la transposition
Au final, on s’attend à ce que l’intensification des procédés batch-continu. Une parfaite similitude existe entre le temps d’opé-
contribue de manière positive à satisfaire un certain nombre de ration d’un batch pur (pour lequel tous les réactifs sont introduits
critères rassemblés dans le tableau 2. Cependant, dans ce tableau, au même instant) et le temps de séjour d’un écoulement piston,
les bénéfices escomptés de l’intensification en matière de flexibi- avec dans ce dernier cas, l’assurance que les molécules qui
lité ou de réduction de la complexité sont tout à fait discutables. entrent à un instant donné dans le procédé en sortent toutes au
Pour ce faire, un certain nombre de principes fondamentaux, même instant. Ce fonctionnement piston s’accompagne en géné-
détaillés en suivant, sont à appliquer. ral d’une miniaturisation de l’équipement favorable à l’intensifica-
tion des cinétiques des phénomènes de transfert, car augmentant
à la fois les surfaces d’échange et les gradients des propriétés,
1.2 Les quatre piliers de l’intensification donc les flux (matière, chaleur). En conséquence, l’échelle spatiale
de l’équipement, et aussi sa structuration, constitue le premier
Le concept d’intensification repose sur quelques principes fon- pilier de l’intensification. On parle de micro- ou milli-technologies.
damentaux [12] : En ce qui concerne l’activation des transformations chimiques,
– optimiser la transformation chimique en étant au plus près des il peut être fait appel aux interactions ondes-matière à l’échelle
événements intra- et intermoléculaires ; moléculaire – micro-ondes, photons, champ électromagnétique…
– assurer à chaque molécule un traitement identique ; – voire à la méso-échelle – ultrasons ou via l’apport d’énergie
– réduire les limitations aux transferts ; mécanique (centrifugation, par exemple). L’apport d’énergie
– rechercher les effets de synergie entre phénomènes et/ou entre constitue le second pilier.
opérations. Ensuite, il peut y avoir intérêt à tirer parti de la combinaison
Si ces principes paraissent simples et de bon sens, leur mise en dans un même appareil de différentes opérations, fonctions ou
œuvre est plus délicate et suppose implicitement des actions dans phénomènes, comme réaction, mélange et transfert de chaleur,

Tableau 2 – Bienfaits attendus de l’intensification [13]

Environnement Sécurité Économie Intensification

Coûts Taille
Investisse- Temps
Déchets Efficacité Énergie Sécurité de fonc- Flexibilité équipe- Complexité
ments opératoire
tionnement ment

↓ ↑ ↓ ↑ ↓ ↓ ↓ ↑ ↓ ↓

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J 7 002 – 3

15
Référence Internet
J7002

INTENSIFICATION DES PROCÉDÉS _____________________________________________________________________________________________________

Structure Énergie Synergie Temps


(Échelle spatiale) (Thermodynamique et (Multifonctionnalité et (Échelle temporelle)
activation) systèmes hybrides)

1 Sortie des produits

Entrée
des réactifs
Mouvement oscillatoire

Figure 1 – Les quatre piliers fondateurs de l’intensification de procédés

ou réaction et séparation. La multifonctionnalité propice à des tions ou selon les phénomènes. Nous en donnons quelques
effets synergétiques et à la compacité du procédé est le troisième exemples dans le paragraphe suivant.
pilier, au même titre que l’hybridation qui, elle, repose sur l’agen-
cement de différentes technologies au service d’une seule et
même fonction (par exemple, séparation). 1.4 Autres approches
Enfin, il y a toute une richesse de phénomènes potentiellement
amorçables par des régimes transitoires, et/ou périodiques (ou Selon [13], les progrès dits de rupture que l’on attend de la part
cycliques) qui demeurent encore trop peu exploités par le génie de l’intensification peuvent résulter de l’application de différentes
des procédés, friand de régimes permanents et/ou établis. Et règles :
pourtant, les instationnarités peuvent contribuer à la génération – règle 1 : intégration des opérations unitaires ;
d’instabilités, de turbulences, voire de chaos, favorables à l’inten- – règle 2 : intégration des fonctions ;
sification des transferts. La variable temporelle constitue le qua-
– règle 3 : intégration des phénomènes ;
trième pilier.
– règle 4 : intensification ciblée d’un phénomène au sein d’une
L’approche multi-échelle revendiquée par l’intensification met opération donnée.
donc en jeu des temps et des tailles caractéristiques [14], qui
couvrent un large spectre allant de la molécule aux installations. En appliquant les règles 1 à 3, l’intensification est réalisée via
Ainsi, conformément à la figure 2, l’intensification s’intéresse les principes d’intégration (couplages), de façon à aboutir à une
aussi bien à l’échelle moléculaire qu’à la méso-échelle ou la technologie intensifiée capable de maximiser les forces motrices
macro-échelle de l’appareil, et va même jusqu’à l’échelle de et donc de supprimer les limitations. En appliquant la règle 4,
l’usine, dès que l’on parle d’intensification globale. Elle laisse par l’intensification est atteinte par la levée d’une limitation particu-
contre de côté l’organisation du site de production et de son envi- lière identifiée au sein d’une opération.
ronnement, au sens large, qui relève plutôt du Process System Pour illustrer ce propos, examinons dans le tableau 3 comment
Engineering et du génie industriel. se déploie cette démarche permettant d’aboutir à une classifica-
tion de quatre technologies intensifiées. Un examen détaillé du
tableau met en lumière toute la subtilité, voire la complexité, de
1.3 Classification des outils cette approche, dans la mesure où l’on se rend compte que, par
d’intensification exemple, la règle 2 pourrait très bien s’appliquer tout aussi bien
au contacteur à disque tournant qu’au microréacteur.
Sur la base des principes fondateurs de l’intensification, précé- Une autre approche fondée sur l’analyse en temps caractéris-
demment décrits, Stankiewicz [9] a proposé une classification des tiques, préconisée par l’école nancéenne [15] [16] [17] consiste à
outils de l’intensification en distinguant équipements et méthodes recenser les phénomènes élémentaires en leur associant leurs
(figure 3), chaque rubrique, correspondant à des opérations uni- échelles temporelles caractéristiques et ensuite à mettre en regard
taires, étant ensuite déclinée (dans la colonne de droite de la les technologies en fonction de leurs performances respectives,
figure 3) en préconisations de technologies en guise d’illustra- exprimées elles aussi en temps caractéristiques. Nous revien-
tions. drons, dans le paragraphe qui suit, sur cette approche intéres-
Cette classification permet d’associer très vite une technologie sante, car elle permet de classer les appareils en fonction de leurs
donnée à un objectif précis d’intensification. Il existe néanmoins performances et là encore de dégager très rapidement des straté-
d’autres voies qui font intervenir des classements selon les fonc- gies efficaces d’intensification.

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J 7 002 – 4

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La chimie analytique verte

par Frédéric CHARTIER


1
Chef de Projets Sciences Analytiques au CEA Saclay, France

1. Chimie analytique et chimie verte ..................................................... CHV 1 010 - 2


1.1 La chimie analytique et les principes de la chimie verte ......................... — 2
1.2 Les concepts de la chimie analytique verte .............................................. — 3
2. Méthodologies vertes pour le traitement de l’échantillon.......... — 4
2.1 Techniques d’extraction avec réduction de solvants............................... — 4
2.2 Solvants alternatifs ..................................................................................... — 5
2.3 Techniques d’extraction sans solvant ....................................................... — 5
2.4 Traitement des échantillons par micro-ondes et ultrasons..................... — 6
3. Techniques analytiques « vertes »..................................................... — 7
3.1 Techniques séparatives et couplages ....................................................... — 7
3.2 Techniques spectrométriques directes ..................................................... — 9
3.3 Techniques d’analyse par capteurs et électrodes .................................... — 14
4. Techniques d’analyse miniaturisées .................................................. — 16
4.1 Microsystèmes séparatifs........................................................................... — 16
4.2 Microspectromètres.................................................................................... — 17
5. Efficience opératoire pour une chimie analytique plus verte .... — 18
5.1 Chimiométrie............................................................................................... — 18
5.2 Automatisation............................................................................................ — 19
5.3 Traitement des effluents de laboratoire.................................................... — 19
6. Conclusions et perspectives ................................................................ — 20
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. CHV 1 010

a chimie connaît un essor considérable pour réduire, à la source, l’impact


L des procédés et des produits chimiques sur la santé et l’environnement. La
Parution : novembre 2013 - Dernière validation : novembre 2021

prise en compte de façon préventive des effets de la chimie sur son environne-
ment a conduit au développement du concept de chimie verte. Dans ce cadre,
la chimie analytique fournit les outils et méthodes permettant d’évaluer et de
quantifier, de façon rapide et économique, la compatibilité environnementale
d’une technologie ou d’un produit.
Par ailleurs, l’omniprésence de la chimie analytique dans la recherche et
l’industrie entraîne une augmentation considérable de la consommation de pro-
duits chimiques toxiques et de la production de déchets dangereux, dans
l’ensemble des étapes de la chaîne analytique. Des volumes d’effluents plus
importants, souvent plus nocifs que l’échantillon d’origine, sont ainsi produits
lors de chaque analyse. Pour ces raisons, de nombreux efforts sont réalisés par
la communauté analytique pour adhérer, comme les chimistes, à des pratiques
plus écoresponsables répondant à une forte demande sociétale. Différentes stra-
tégies complémentaires sont ainsi développées depuis quelques années pour
rendre la chimie analytique plus respectueuse de l’environnement, donnant nais-
sance à la chimie analytique verte. Dans ce cadre, des efforts importants sont
réalisés pour développer de nouvelles techniques et méthodes d’analyse afin de
réduire, remplacer ou supprimer l’utilisation de solvants et réactifs toxiques,

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LA CHIMIE ANALYTIQUE VERTE ________________________________________________________________________________________________________

minimiser la consommation d’énergie ainsi que les quantités de déchets et


rejets, tout en conservant le même niveau de performances analytiques. La prise
en compte de tels critères pour une chimie analytique plus verte a également
souvent pour avantage l’amélioration des performances analytiques par la
réduction des étapes mises en œuvre. Un autre avantage fondamental est la
diminution des coûts engendrée par l’augmentation des cadences d’analyse, la
diminution des consommations d’eau, de réactifs et d’énergie ainsi que des

1 volumes de déchets à traiter. Cet avantage économique est une composante non
négligeable du développement de la chimie analytique verte.
Cet article présente ainsi les principales techniques et développements
récents pour une chimie analytique durable, depuis le prétraitement de
l’échantillon et la séparation des espèces d’intérêt jusqu’au traitement des
effluents de laboratoire en passant par les techniques d’analyse directe de
l’échantillon, sur site et en laboratoire, les techniques d’analyse en ligne, les
capteurs, la miniaturisation des techniques, etc.

1. Chimie analytique Ces principes de la chimie verte sont en accord avec la mise en
place de règlements et normes tels que le règlement REACH
et chimie verte (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemi-
cals) qui, depuis le 1er juin 2007, impose aux industriels de la chi-
mie de prouver que leurs produits ne présentent pas de risques
pour la santé et pour l’environnement. Les techniques de la chimie
1.1 La chimie analytique et les principes analytique doivent ainsi identifier et quantifier les molécules, leurs
de la chimie verte structures, les éléments voire les isotopes, éventuellement la distri-
bution spatiale de ces éléments et molécules, leurs interactions
Le concept de la chimie verte a été développé dans les ainsi que l’impact et la biodisponibilité d’une espèce, sa mobilité,
années 1990 pour donner un cadre à la prévention de la pollution son accumulation et sa toxicité [5]. Dans le contexte de ce règle-
liée aux activités chimiques. La mise en œuvre de ce concept s’est ment, la chimie analytique doit ainsi permettre de caractériser les
traduite par douze principes définis par Paul Anastas, considéré matières premières et les produits finis, d’évaluer les procédés
comme le fondateur d’une chimie écologiquement responsable mais également les atmosphères de travail et plus globalement
[1][2][3]. Ces principes, indiqués ci-après, consistent en une liste de l’impact de la chimie sur l’environnement (eau, air, sols…) [P2000].
recommandations visant à rendre le développement de la chimie Il en résulte que de nombreux développements méthodologiques,
plus durable, c’est-à-dire prenant en compte les effets de la chimie voire instrumentaux, sont indispensables pour répondre aux
sur son environnement, pris au sens large, de façon préventive et besoins engendrés par la réglementation et, d’une façon plus
non plus curative. Dans ce cadre, la chimie verte a pour objectif de
générale, par la préoccupation sociétale vis-à-vis de l’impact et du
traiter les problèmes à la source, en développant des procédés et
devenir des substances générées par la recherche et l’industrie.
des produits non dangereux ou toxiques, en limitant l’emploi des
matières premières, en diminuant la consommation d’énergie, Les développements nécessaires en chimie analytique pour
d’eau et la production de déchets…[K1200] [4]. Depuis une quin- répondre à ces enjeux vont concerner l’ensemble des différentes
zaine d’années, la chimie verte a connu un essor considérable étapes, plus ou moins longues et complexes, schématisées
dans tous les domaines et s’emploie actuellement à développer figure 1, chacune essentielle pour l’obtention d’un résultat juste et
des procédés économiquement avantageux par rapport aux procé- fidèle.
dés traditionnels pour être adoptée plus largement par l’industrie.
Le premier défi analytique concerne le prélèvement des échan-
tillons qui doit être effectué de façon à être représentatif des
Les douze principes de la chimie verte variations spatiales et temporelles des concentrations et formes
chimiques des espèces à caractériser. Il est ensuite nécessaire de
1. Prévention de la pollution à la source pour limiter les déchets
s’assurer que le transport et le stockage des échantillons
2. Économie d’atomes et d’étapes pour réaliser un produit n’engendrent ni contamination, ni perte, ni transformation des
3. Concevoir des synthèses chimiques peu ou pas toxiques analytes, c’est-à-dire des espèces à analyser. Les techniques de
4. Concevoir des produits chimiques peu ou pas toxiques préparation (prétraitement, préconcentration…) des échantillons
5. Réduire l’utilisation de solvants et auxiliaires de synthèse et les techniques d’analyse (séparation, identification, quantifica-
tion…) seront ensuite fonction de la nature de l’échantillon
6. Réduire les dépenses énergétiques (solide, poudre, liquide, gaz…), de la nature et de la quantité de
7. Favoriser les matières premières renouvelables l’analyte ainsi que de l’information ciblée (identification, quantifi-
8. Réduire le nombre de composés réactionnels intermédiaires cation, forme chimique…).
9. Privilégier les procédés catalytiques aux procédés stœchio- La chimie verte et la chimie analytique sont ainsi devenues
métriques indissociables, la chimie analytique permettant d’évaluer et de
10. Concevoir des produits dégradables quantifier l’aspect écocompatible d’une technologie ou d’un pro-
11. Développer des méthodes d’analyses en temps réel pour duit. Les laboratoires de contrôle qualité industriels doivent ainsi
prévenir la pollution pouvoir disposer des moyens analytiques adéquats pour s’assurer,
de façon rapide et économique, que la qualité d’un produit fabri-
12. Développer une chimie plus sûre pour minimiser les risques
qué réponde aux besoins finaux tout en respectant les normes de
d’accidents
sécurité. Cela implique également de certifier ou de vérifier la qua-

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Prélèvement Transport Prétraitement Préconcentration Traitement


Séparation Quantification
échantillons Stockage échantillon analytes des données

Figure 1 – Succession des étapes analytiques nécessaires pour caractériser un échantillon

lité des matières premières pour éviter toute difficulté lors du pro- 1.2 Les concepts de la chimie analytique
1
cessus de fabrication.
verte
Les développements analytiques concernent également les pro-
cédés de fabrication, non seulement pour s’assurer du bon fonc- À l’image des développements effectués pour rendre la chimie
tionnement du procédé et de la qualité des produits, mais aussi plus verte, la chimie analytique s’est ainsi orientée vers des métho-
pour être en accord avec les différentes normes et pour diminuer des plus vertueuses vis-à-vis de l’environnement et de la santé.
les coûts de production. Au niveau des procédés, l’accent est mis Les principes de la chimie verte, mentionnés précédemment, peu-
sur le développement de méthodes d’analyse en ligne ou in situ et vent également s’appliquer à la chimie analytique dont certains
en temps réel de façon à pouvoir suivre et corriger le plus rapide- directement, comme ceux concernant la prévention de la généra-
ment possible toute dérive ou écart dans le fonctionnement du tion des déchets, l’utilisation de solvants moins toxiques, l’écono-
mie d’énergie ou la minimisation des risques potentiels
procédé. Pour la caractérisation des déchets et des rejets, des tech-
d’accidents. Le onzième principe de la chimie verte traite ainsi
niques d’analyse directes, à distance ou des systèmes automatisés
directement et exclusivement de chimie analytique et prône l’utili-
en ligne sont développés pour éviter tout délai dû à l’échantillon- sation et le développement de techniques d’analyse en temps réel,
nage, le transport et l’analyse des échantillons en laboratoire. Il est in situ et non destructives pour suivre et contrôler les procédés
en effet indispensable d’obtenir une réponse efficace et quasi ins- industriels. D’autres principes de la chimie verte peuvent être
tantanée à un dysfonctionnement d’un procédé et de contrôler la adaptés pour prendre en compte les activités spécifiques de la chi-
toxicité des rejets émis mais également les ambiances de travail et mie analytique. À titre d’exemple, les techniques permettant la
l’environnement. réduction de la quantité d’échantillon, réactifs et solvants ou la
Il est évident que les méthodes analytiques mises en œuvre diminution de la part consacrée au traitement chimique de l’échan-
pour la caractérisation de ces composés ne doivent pas non plus tillon vont se traduire par une économie d’atomes et d’étapes pour
engendrer de conséquences nocives pour la santé et l’environne- réaliser une analyse.
ment et donc être le plus écocompatibles possible. Or, la chimie Les principes majeurs de la chimie analytique verte concernent
analytique est omniprésente dans tous les domaines de l’industrie, ainsi :
de la santé, de l’environnement, etc. De plus, sa croissance en rai- – le développement des techniques d’analyse à distance, sur site
son des normes, règlements et principes de précaution mais aussi ou non invasives ;
des contrôles de procédés ou de produits entraîne une consomma- – le développement des techniques de miniaturisation et
tion vertigineuse de solvants et réactifs nocifs et une production d’automatisation ;
croissante de déchets dangereux à traiter. – le traitement direct des échantillons avec le moins d’étapes de
prétraitement possible ;
La chimie analytique est ainsi directement concernée par les
– l’utilisation de traitements d’échantillon moins polluants et
principes de la chimie verte et se doit de les prendre en compte nocifs ;
sans que cela n’ait d’influence sur les performances analytiques – l’utilisation de solvants et réactifs chimiques moins nocifs ;
nécessaires pour répondre aux besoins. En particulier, la chimie – le traitement en ligne des effluents et des déchets ;
analytique doit réduire la quantité de solvants et réactifs toxiques – la réduction de la consommation d’énergie ;
ou les remplacer par des substances moins nocives, limiter les – la minimisation des risques pour l’homme et l’environnement.
quantités de déchets et rejets, la consommation d’eau et d’énergie,
Si différentes stratégies peuvent être employées à chacune des
etc.
étapes de l’analyse d’un échantillon pour rendre une méthode
Nous verrons que la prise en compte de ces critères pour rendre d’analyse plus verte, de grands axes de développement de la chi-
la chimie analytique plus durable permet le plus souvent l’amélio- mie analytique verte peuvent être mis en exergue, d’une façon
ration des performances analytiques en réduisant le nombre d’éta- plus globale, reposant soit sur des améliorations ponctuelles et
pes, en particulier pour le traitement de l’échantillon, en incrémentales, soit sur des concepts totalement nouveaux et diffé-
développant des techniques de mesure en ligne, non destructives rents [6].
et automatisées mais également des méthodes multiparamétri- On peut ainsi citer le développement des techniques permettant
ques fournissant plus d’informations à partir d’un nombre de l’analyse directement sur site, que ce soit les techniques optiques,
mesures réduit. souvent basées sur l’utilisation des lasers, la miniaturisation des
Le développement de ces méthodes a également pour consé- instruments pour les rendre portables et autonomes ou les cap-
quence l’amélioration de la productivité par l’augmentation des teurs chimiques ou biochimiques utilisés en particulier en réseaux.
Ces développements permettent d’obtenir l’information en direct
cadences d’analyse et la réduction des coûts ce qui, dans un envi-
en évitant les difficultés et les risques analytiques liés au prélève-
ronnement concurrentiel, favorise son développement.
ment, transport et conservation de l’échantillon, ainsi qu’à son trai-
Si le rôle fondamental de la chimie analytique de fournir les don- tement. Ces techniques limitent également les risques pour
nées de base indispensables à la prise de décisions dépend des l’opérateur et l’environnement. Néanmoins, le domaine de l’ana-
performances des techniques en terme de justesse, sensibilité, lyse en ligne reste un véritable défi pour les analystes en charge
fidélité, traçabilité, etc. d’autres facteurs sont devenus prépondé- du développement et de l’application des techniques analytiques
rants comme la rapidité de réponse pour une analyse, son coût, destinées à identifier et quantifier, de façon fiable et représenta-
son automatisation. D’autres critères, enfin, doivent être pris en tive, les espèces d’intérêt.
compte comme la sécurité des opérateurs et des consommateurs Un autre axe de développement concerne les techniques d’ana-
ainsi que l’impact sur la santé et l’environnement. lyse directe d’échantillons en laboratoire, c’est-à-dire évitant l’utili-

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sation des solvants, réactifs et de l’énergie nécessaires à la mise velles techniques d’extraction sur support solide et enfin sur les
en solution et au traitement de l’échantillon. Si, de plus, la techni- techniques d’extraction assistées, en particulier par micro-ondes et
que est peu ou pas destructive, elle limitera la production de ultrasons.
déchets. D’une façon plus générale, le développement des techni-
ques instrumentales à la place de la chimie analytique en solution,
qui est une tendance générale, va dans ce sens d’une chimie ana- 2.1 Techniques d’extraction
lytique plus verte. avec réduction de solvants

1
Quand une analyse directe de l’échantillon est impossible en rai-
son de mélanges ou de matrices complexes, il convient de privilé- L’extraction liquide-liquide est la méthode la plus ancienne pour
gier le développement de procédés de mise en solution plus préconcentrer ou purifier les analytes. Elle repose sur le partage de
efficaces et moins énergivores, telles que les techniques de prépa- l’analyte entre l’échantillon en phase aqueuse et un solvant
ration d’échantillon sous pression, par micro-ondes ou ultrasons. d’extraction non miscible. Sous sa forme traditionnelle, elle pré-
La miniaturisation des techniques, en particulier pour le prélève- sente l’inconvénient d’utiliser des quantités importantes de sol-
ment et le traitement des échantillons (microsystèmes d’analyse, vants organiques (souvent plusieurs dizaines de millilitres), parfois
micro-extraction, microséparation…) limite les quantités d’échan- toxiques, et d’être très consommatrice en temps.
tillon, solvants et réactifs, améliore la sécurité et réduit les coûts. Les améliorations apportées ces dernières années aux techni-
L’automatisation des méthodes d’analyse (injection en flux, labora- ques d’extraction liquide-liquide, ont permis de fortement réduire
toire sur vanne…) permet généralement des gains de réactifs et leur consommation en solvants, tout en les rendant plus rapides et
son association avec les techniques miniaturisées de traitement plus efficaces. En particulier, l’émergence de la micro-extraction
des échantillons et de séparation des analytes permet d’augmenter liquide-liquide (LPME pour Liquid Phase MicroExtraction) et de ses
de façon sûre les fréquences d’analyse et d’intégrer toutes les éta- nombreuses variantes a permis de rendre cette étape plus compa-
pes du processus analytique. Enfin, la chimiométrie, c’est-à-dire tible avec la préservation de l’environnement [7].
globalement les outils statistiques et la modélisation, permet de
limiter le nombre d’analyses en augmentant l’information que l’on La micro-extraction sur goutte (SDME pour Single Drop MicroEx-
peut extraire d’un échantillon, en évitant les étalonnages ou en uti- traction), technique d’extraction et d’enrichissement, consiste à
lisant des modèles prédictifs pour déterminer des paramètres phy- mettre en contact une goutte de solvant organique de quelques
sico-chimiques dans des échantillons similaires. microlitres au bout d’une microseringue avec la phase aqueuse
(ou l’espace de tête au-dessus du liquide pour les composés vola-
Pour des raisons évidentes de sécurité mais aussi de réduction tils ou semi-volatils) contenant l’analyte d’intérêt (figure 2a).
des coûts, les industries ayant à traiter des échantillons particuliè- L’extrait est ensuite généralement directement injecté dans un sys-
rement dangereux (radioactifs, biologiques, explosifs…) ont déve- tème chromatographique. La SDME est certainement la technique
loppé depuis longtemps des méthodes et des techniques adaptées d’extraction liquide/liquide nécessitant les quantités les plus faibles
à ce type d’échantillons. Ces développements entrent dans ce
de solvant d’extraction, mais elle est relativement peu reproducti-
domaine d’une chimie analytique soucieuse de la protection de
ble et la surface d’extraction est assez limitée. Facile d’utilisation et
l’homme et de son environnement. Ainsi, des techniques analyti-
peu coûteuse, la SDME est appliquée dans les secteurs de l’envi-
ques permettant de minimiser les quantités d’échantillons, de
ronnement, du médical et dans une moindre mesure de l’agroali-
déchets et donc des volumes de solvants et réactifs ont été mises
mentaire pour l’extraction de composés organiques et
au point mais également des techniques d’analyse à distance et in
inorganiques.
situ ainsi que les méthodes de chimiométrie pour limiter le nom-
bre de mesures. Avec la technique de micro-extraction sur fibre (HF-LPME pour
Hollow Fiber Liquid Phase MicroExtraction), l’analyte est extrait
d’un échantillon aqueux par l’intermédiaire d’une fibre creuse
poreuse en polypropylène. De façon simplifiée, l’extraction est
2. Méthodologies vertes effectuée par quelques dizaines de microlitres de solvant organi-
que contenus dans les pores de la fibre (figure 2b). L’analyse est
pour le traitement ensuite effectuée par chromatographie ou électrophorèse capil-
laire. Des facteurs d’enrichissement de plusieurs centaines peuvent
de l’échantillon être atteints avec des rendements élevés, par contre les temps
d’extraction sont de plusieurs dizaines de minutes. La HF-LPME
permet l’analyse d’échantillons avec matrices chargées en raison
Malgré le développement de techniques d’analyse de plus en
du rôle de microfiltre joué par la fibre creuse. Cette technique s’est
plus sélectives, le traitement préalable des échantillons reste, dans
donc largement développée dans les secteurs de l’environnement
la plupart des cas, une étape indispensable pour adapter l’échan-
et de la biologie, notamment pour l’analyse de polluants organi-
tillon à la technique de mesure et pour obtenir des résultats d’ana-
ques (HAP, pesticides…) et de résidus de médicaments [8].
lyse fiables. Ce traitement consiste, généralement, à séparer
l’analyte recherché d’éventuels interférents ou de la matrice elle- La micro-extraction en milieu dispersif (DLLME pour Dispersive
même et/ou de le concentrer afin de faciliter sa détection. Cette Liquid-Liquid MicroExtraction) utilise quelques microlitres de sol-
étape, préliminaire à la mesure, structure l’analyse dans ses coûts vant d’extraction non miscible avec l’échantillon liquide contenant
et ses impacts car elle est souvent laborieuse, consommatrice de l’analyte auquel est ajouté un solvant dispersif, miscible avec le
temps et génératrice de quantités importantes de déchets. En solvant d’extraction et l’échantillon. La dispersion du solvant
outre, elle nécessite fréquemment l’utilisation de réactifs ou sol- d’extraction dans le milieu favorise les échanges et permet de
vants toxiques. C’est la raison pour laquelle ce domaine du traite- réduire considérablement les temps d’extraction. Après centrifuga-
ment de l’échantillon est activement étudié pour apporter des tion, le solvant extractant contenant l’analyte est prélevé par une
améliorations et a vu l’apparition de nouvelles méthodes et procé- microseringue. Cette technique est simple et rapide, offre des fac-
dés plus verts afin de remplacer et réduire, voire supprimer, les teurs d’enrichissement élevés (de l’ordre de plusieurs centaines)
solvants utilisés. Les principales innovations vertes ont porté sur la mais nécessite des volumes de plusieurs millilitres de solvant de
réduction des quantités de solvant grâce aux techniques d’extrac- dispersion. La DLLME est principalement appliquée à l’extraction
tion miniaturisées, l’utilisation de solvants alternatifs aux solvants et à la concentration de composés organiques, notamment pestici-
organiques classiques, la suppression des solvants grâce aux nou- des, et ions métalliques dans des échantillons aqueux [9].

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________________________________________________________________________________________________________ LA CHIMIE ANALYTIQUE VERTE

lequel de nombreuses études en montrent les avantages par rap-


port à d’autres techniques d’extraction. D’autres applications dans
les secteurs pharmaceutique pour l’extraction de composés bioac-
Microseringue tifs et environnemental pour la dépollution des sols contaminés en
métaux lourds et polluants organiques se développent [12].
Parmi les autres extractants potentiels pour remplacer les sol-
vants organiques traditionnels, on peut également citer les liquides

1
Solvant ioniques. Les liquides ioniques sont des sels fondus constitués
(milieu accepteur) Fibre d’un cation organique associé à un anion organique ou inorgani-
creuse
que. Ils présentent une température de fusion inférieure à 100 °C,
Échantillon aqueux sont souvent liquides à température ambiante et stables à tempé-
(milieu donneur) rature élevée. Les liquides ioniques constituent globalement des
Agitateur
solvants intéressants pour de nombreux composés organiques et
magnétique inorganiques et sont considérés comme verts par certains auteurs
car ils sont non volatils et non inflammables, bien que la question
a micro-extraction sur goutte b micro-extraction sur fibre de leur toxicité et de leur recyclage puisse se poser. Depuis une
dizaine d’années, de nombreuses études décrivent leur utilisation
Figure 2 – Représentation schématique de la micro-extraction sur en tant que solvants d’extraction et laissent entrevoir une exten-
goutte (SDME) et de la micro-extraction sur fibre (HF-LPME) (d’après sion de leur champ d’application pour le traitement de l’échantillon
[10])
[13].

2.3 Techniques d’extraction sans solvant


2.2 Solvants alternatifs
L’extraction sur phase solide constitue sans doute la technique
Une des voies d’amélioration des processus d’extraction pour de préparation des échantillons liquides la plus répandue. Elle est
les rendre plus durables repose sur la recherche de solvants moins couramment appliquée à l’analyse de polluants organiques dans
toxiques ou produisant moins de déchets. les eaux mais est aussi largement développée dans le domaine
biomédical.
L’extraction par fluide supercritique offre des possibilités extrê-
mement intéressantes pour l’extraction de molécules organiques à Son principe repose sur la distribution de l’analyte entre l’échan-
partir de matrices solides sans utilisation de solvants organiques tillon liquide et une phase solide adsorbante, le plus souvent un
[11]. Le principe consiste à utiliser comme solvant un composé qui polymère, à travers laquelle percole l’échantillon [P1420]. Les com-
est maintenu dans un état supercritique, intermédiaire entre posés d’intérêt piégés sur la phase solide sont ensuite extraits
liquide et gaz, par un contrôle précis des conditions de tempéra- avec des rendements proches de 100 % ou peuvent être analysés
ture et de pression. directement par couplage avec un système chromatographique. Il
existe une grande variété de phases commercialisées, condition-
Dans cet état supercritique, les fluides présentent des viscosités nées sous différentes formes, pour la séparation de composés
réduites et des coefficients de diffusion élevés qui les font davan- organiques ou inorganiques. Ces phases sont disponibles égale-
tage s’apparenter à des gaz qu’à des liquides. Leur tension superfi- ment sous la forme de précolonnes pour les couplages en chroma-
cielle est proche de zéro, ce qui facilite leur pénétration dans des tographie, réduisant de ce fait l’étape de préparation des
échantillons micro-poreux et accélère ainsi l’extraction des analy- échantillons et l’usage de solvants intermédiaires pour l’extraction
tes. Leur pouvoir de solvatation est par ailleurs important pour cer- des analytes.
tains composés et peut être modulé par combinaison de fluides
(mélanges de solvants en phase supercritique) et ajustement des Différentes techniques de micro-extraction ont été développées
conditions opératoires. Une fois l’extraction terminée, les analytes à partir de ce principe d’extraction sur phase solide comme la
peuvent être récupérés par condensation ou précipitation, en micro-extraction sur phase solide (SPME pour Solid Phase
jouant sur la forte sensibilité de leur solubilité en fonction des MicroExtraction) sur fibre ou la micro-extraction sur barreau (SBSE
conditions de pression. En diminuant la pression, le fluide super- pour Stir-Bar Sorptive Extraction)…
critique perd en effet son pouvoir de solvatation et l’analyte préci- La SPME repose sur l’utilisation d’une fibre de silice enrobée
pite ou se condense. Le solvant retourne quant à lui à l’état gazeux d’un film (10 à 100 µm) de phase d’adsorbant, le plus souvent en
et pourra être traité comme tel (éliminé ou réutilisé). PDMS (polydiméthylsiloxane) qui est mise en contact avec l’échan-
Le fluide supercritique le plus couramment utilisé est le dioxyde tillon. Seuls quelques millilitres d’échantillon sont nécessaires
de carbone, CO2, sous pression (100 - 400 bars) et à température pour la mise en œuvre de cette technique, simple et rapide, qui ne
voisine de l’ambiante (30-60 °C) en raison de son comportement fait appel à aucun solvant organique. Elle est adaptée à l’extraction
apolaire (alternative industrielle aux solvants organo-chlorés), son d’espèces, quelle que soit la nature de la matrice, et s’utilise
point critique facilement accessible (Tc = 31,1 °C et Pc = 73,8 bars), immergée dans l’échantillon ou dans l’espace gazeux au-dessus de
sa facilité de manipulation, son faible coût et sa non-toxicité. Une l’échantillon pour l’extraction (figure 3). La fraction d’analyte
alternative polaire à l’extraction par CO2 supercritique est l’extrac- extrait dépend de la nature et de la quantité du polymère enrobant
tion par eau supercritique (Tc = 374 °C, Pc = 221 bars), solvant non la fibre et peut être analysée ensuite par chromatographie après
toxique par définition et dont la sélectivité d’extraction peut être désorption thermique.
ajustée en fonction de la température et de la pression. Lorsque La SBSE est une technique voisine de la SPME et implique l’uti-
l’on augmente sa température, sa constante diélectrique diminue lisation d’un barreau d’agitation magnétique de 1 à 2 cm de long
et les coefficients de diffusion augmentent tandis que sa viscosité enrobé le plus souvent de PDMS sur une épaisseur de 0,5 à 1 mm
et sa tension superficielle décroissent. À température élevée et à (figure 4). Le volume d’adsorbant étant nettement supérieur à celui
pression modérée, la polarité de l’eau décroît aussi de manière utilisé en SPME, la sensibilité de cette technique est améliorée. Le
significative, au point que l’on puisse considérer l’eau dans ces meilleur rendement d’extraction par barreau SBSE par rapport à
conditions comme un solvant organique. une extraction par fibre SPME est compensé par une cinétique
Le domaine d’application le plus important de l’extraction par d’extraction plus faible qui impose des temps d’équilibre plus
fluides supercritiques concerne le secteur agroalimentaire pour importants.

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. CHV 1 010 – 5

21
1

22
Intensification des procédés et méthodes d'analyse
durable
(Réf. Internet 42493)

1– Principes 2
2– Procédés catalytiques Réf. Internet page

Photocatalyse : des matériaux nanostructurés aux réacteurs photocatalytiques NM3600 25

Biocatalyse ou catalyse enzymatique BIO590 29

Diels-alderases artificielles au service de la chimie verte IN404 33

Catalyse acido-basique J1210 39

Catalyse hétérogène dans les procédés industriels J1255 43

La catalyse organométallique en phase aqueuse assistée par des charbons actifs IN142 47

Chimie par transfert de phase CHV1550 51

Catalyse redox par les phosphines IN405 57

3– Procédés de synthèse et de production

4– Procédés de séparation membranaire

5– Procédés d'extraction et de traitement de la


biomasse végétale

6– Méthodes et instruments d'analyse

 Sur www.techniques-ingenieur.fr
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23
2

24
Référence Internet
NM3600

Photocatalyse : des matériaux


nanostructurés aux réacteurs
photocatalytiques
par Delphine SCHAMING

2
Maı̂tre de conférences
Laboratoire ITODYS, UMR 7086 CNRS, université Paris Diderot – université Sorbonne
Paris Cité, Paris, France

Christophe COLBEAU-JUSTIN
Professeur des universités
Laboratoire de Chimie Physique, UMR 8000 CNRS, université Paris-Sud, université
Paris-Saclay, Orsay, France

et Hynd REMITA
Directrice de recherche
Laboratoire de Chimie Physique, UMR 8000 CNRS, université Paris-Sud – université
Paris-Saclay, Orsay, France

1. Catalyse et photocatalyse............................................................. NM 3 600 – 2


2. Dioxyde de titane (TiO2)................................................................. — 2
2.1 Origine ................................................................................................ — 3
2.2 Synthèse ............................................................................................. — 3
2.2.1 Synthèse en phase liquide ...................................................... — 3
2.2.2 Synthèse en phase gaz ............................................................ — 4
2.2.3 Synthèses par pyrolyse laser .................................................. — 4
2.3 Applications ........................................................................................ — 4
2.3.1 À l’échelle micrométrique : un pigment blanc ....................... — 4
2.3.2 À l’échelle nanométrique : interaction avec les UV ............... — 4
2.4 Recherches actuelles autour de TiO2 ................................................. — 7
2.4.1 Différentes nanostructures ...................................................... — 7
2.4.2 Dopage du TiO2 ....................................................................... — 8
3. Quelques autres matériaux photocatalytiques ......................... — 10
3.1 D’autres semi-conducteurs photocatalytiques .................................. — 10
3.2 Photocatalyseurs organiques : une nouvelle génération
de photocatalyseurs ........................................................................... — 11
4. Une technique de choix pour l’étude des paires électron-trou
au sein des semi-conducteurs : Time Resolved Microwave
Conductivity..................................................................................... — 11
5. Nanomatériaux photocatalytiques et chimie
Parution : août 2017 - Dernière validation : janvier 2021

environnementale ........................................................................... — 13
6. Insertion des nanomatériaux dans les réacteurs
photocatalytiques............................................................................. — 14
7. Conclusion........................................................................................ — 16
8. Glossaire ........................................................................................... — 16
9. Sigles, notations et symboles ...................................................... — 17
Pour en savoir plus.................................................................................. Doc. NM 3 600

a catalyse est un domaine important en chimie, puisque 90 % des processus


L chimiques impliquent un procédé catalytique dans au moins une de leurs
étapes. Une étude aux États-Unis a ainsi permis de montrer que 60 % des
63 principaux produits chimiques industriels sont obtenus via un processus

Copyright © - Techniques de l’Ingénieur - Tous droits réservés NM 3 600 – 1

25
Référence Internet
NM3600

PHOTOCATALYSE : DES MATÉRIAUX NANOSTRUCTURÉS AUX RÉACTEURS PHOTOCATALYTIQUES ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

impliquant une étape de catalyse, et que 90 % des 34 principaux procédés


industriels impliquent un phénomène de catalyse.
De ce fait, la catalyse est actuellement source de nombreuses études. En par-
ticulier, les processus catalytiques induits par une activation lumineuse ont été
largement étudiés ces dernières décennies, car ils s’inscrivent dans une poli-
tique environnementale actuelle ayant la volonté d’employer des énergies pro-
pres, en l’occurrence l’énergie solaire.
Le développement de matériaux photocatalytiques efficaces sous irradiation
dans le domaine visible permettrait donc d’utiliser de manière plus rationnelle
l’énergie solaire et d’apporter ainsi des solutions à de nombreux problèmes
environnementaux. En effet, la partie visible du spectre solaire sur terre repré-

2
sente environ 50 % du rayonnement, alors que les ultraviolets (UV) n’en consti-
tuent que 3 à 4 % environ.
Le développement de photocatalyseurs stables et actifs sous irradiation dans
le domaine visible est donc un défi important. Il s’agit généralement de semi-
conducteurs, tel le dioxyde de titane (TiO2), dont l’activité photocatalytique peut
être étendue dans le visible par différentes modifications ou dopages. Nous
présenterons ici des nanostructures à base de dioxyde de titane et leurs princi-
pales techniques de synthèse. Nous verrons comment le dioxyde de titane peut
être dopé ou modifié en surface afin d’étendre son domaine d’activité dans le
domaine visible. La synthèse d’autres matériaux photocatalytiques nanostructu-
rés (semi-conducteurs inorganiques ou polymères conjugués) sera présentée.
La technique de conductivité micro-ondes résolue en temps permet d’étudier
la dynamique des porteurs de charge dans le matériau irradié, cette dynamique
est fortement liée à son activité photocatalytique. Les différentes applications
environnementales (dépollution de l’eau et de l’air, surfaces autonettoyantes,
production d’hydrogène) des matériaux photocatalytiques seront décrites.
Nous verrons enfin comment ces matériaux peuvent être insérés dans des réac-
teurs photocatalytiques.

Certains processus catalytiques nécessitent par ailleurs une acti-


1. Catalyse et photocatalyse vation extérieure qui va apporter de l’énergie au système. Selon le
principe d’activation du processus, il est possible de distinguer par
exemple :
 l’électrocatalyse : le catalyseur nécessite une activation
L’Union internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC) électrique ;
définit la catalyse comme un procédé qui augmente la vitesse
d’une réaction sans que son enthalpie libre soit modifiée.  la photocatalyse : le catalyseur nécessite une activation
lumineuse.

Toute réaction catalytique nécessite l’emploi d’un catalyseur, Dans la suite de cet article, nous nous focaliserons uniquement
substance à l’origine du processus catalytique qui apparaı̂t à la sur les processus photocatalytiques, en particulier ceux dans les-
fois comme réactif et produit de la réaction, c’est-à-dire qu’il est quels le catalyseur est un semi-conducteur. Un semi-conducteur
restauré en fin de processus, et donc n’apparaı̂t pas dans le bilan est un matériau isolant qui peut devenir conducteur lorsque de
global de la réaction. En effet, le catalyseur intervient dans une l’énergie lui est fournie, par exemple sous forme de lumière. Des
(ou plusieurs) étapes de la réaction, expliquant son influence sur paires électron-trou très réactives se créent alors au sein de ce
la vitesse de la réaction, et est ensuite régénéré dans une étape sui- matériau et peuvent participer à des réactions de transfert électro-
vante. De ce fait, le catalyseur est utilisé en quantité beaucoup plus nique avec des composés en surface du matériau, entraı̂nant leur
faible que les autres réactifs. De plus, le catalyseur n’influe pas sur modification, leur dégradation, etc. Le semi-conducteur, quant à
la composition de l’équilibre thermodynamique en fin de réaction. lui, est resté intact au cours de ce processus, et peut donc servir
plusieurs fois.
Différents types de catalyse peuvent être distingués selon la
nature du catalyseur :
 la catalyse homogène : les réactifs et le catalyseur sont dans
la même phase (généralement phase liquide) ; 2. Dioxyde de titane (TiO2)
 la catalyse hétérogène : les réactifs et le catalyseur sont dans
deux phases distinctes (généralement des réactifs en phase
liquide et un catalyseur solide) ; Le dioxyde de titane (TiO2) est le photocatalyseur le plus couram-
 la catalyse enzymatique : le catalyseur est une enzyme. ment utilisé.

NM 3 600 – 2 Copyright © - Techniques de l’Ingénieur - Tous droits réservés

26
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NM3600

––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– PHOTOCATALYSE : DES MATÉRIAUX NANOSTRUCTURÉS AUX RÉACTEURS PHOTOCATALYTIQUES

2.1 Origine thermique est également nécessaire durant la réaction. Il s’agit


donc de méthodes hydrothermales ou solvothermales. Des sels
Le titane (symbole chimique : Ti) est le quatrième métal le plus d’oxyde de titane (TiOSO4, TiO(NO3)2, H2TiO(C2O4)2, etc.) sont sou-
abondant sur Terre (après l’aluminium, le fer et le magnésium) et vent utilisés comme précurseurs. Néanmoins, lorsqu’un un sel tita-
le neuvième élément chimique le plus abondant. Le titane repré- nique (TiCl4, Ti(SO4)2, etc.) ou titaneux (TiCl3, etc.) est utilisé
sente en effet 0,63 % en masse de la croûte terrestre. Il fut décou- comme précurseur, la formation de l’oxyde est également permise
vert en 1791 en Angleterre par le minéralogiste William Gregor, qui par hydrolyse en solution acide ou basique. Un ajustement de la
constata la présence d’un nouvel élément chimique dans un mine- durée de la réaction, de la concentration en précurseurs, de la tem-
rai du nom d’ilménite. Cet élément fut ensuite redécouvert plu- pérature et de la pression du milieu permet de contrôler la morpho-
sieurs années plus tard par un chimiste allemand, Heinrich Kla- logie des particules de TiO2 (nanoparticules, nanofils, nanobâton-
porth, dans un autre minerai, le rutile. Il donna à ce nouvel nets, nanotubes) ainsi que la phase cristalline (phases anatase ou
élément chimique le nom de titane, en référence aux Titans (divini- rutile pures, ou alors mélange des deux). Il existe également des
tés primordiales géantes qui ont précédé les dieux de l’Olympe variantes qui consistent à effectuer la synthèse en micro-émulsion,
dans la mythologie grecque), qui sont les fils de la déesse Gê

2
nécessitant la présence d’une phase organique, d’une phase
(signifiant « Terre » dans la Grèce antique), identifiée à la déesse
aqueuse et d’un tensioactif.
mère, ancêtre maternelle des races divines [1].
Le titane ne se trouve jamais à l’état pur dans la nature ; il est Un procédé sol-gel peut également être mis en œuvre pour obte-
toujours combiné à d’autres éléments au sein de roches ou sédi- nir du TiO2. Il s’agit d’une technique de chimie douce puisqu’elle
ments. Il se trouve principalement dans des minerais tels que le
rutile et l’ilménite, mais aussi le leucoxène, l’anatase, la brookite,
la pérovskite et le sphène.
Néanmoins, seulement 2 % de la production mondiale sert à
l’obtention de titane métallique. En effet, 98 % de la production
mondiale servent à la production d’un oxyde de titane, le dioxyde
de titane (TiO2, figure 1). Cet oxyde métallique est extrait principa-
lement du rutile (entre 93 et 96 % de TiO2), du leucoxène (jusqu’à
90 % de TiO2) et de l’ilménite (entre 44 et 70 % de TiO2).
Différentes structures cristallographiques de TiO2 sont obser-
vées. Les principales sont le rutile et l’anatase (figure 2). Toutes
deux cristallisent selon un système quadratique.

2.2 Synthèse
Si le TiO2 est présent à l’état naturel, il est également possible de
le synthétiser. Différents procédés permettent d’obtenir du dioxyde
de titane avec une très grande pureté [2].

2.2.1 Synthèse en phase liquide


Tout d’abord, plusieurs méthodes de synthèse s’appuient sur
l’hydrolyse ou la solvolyse d’un précurseur de titane. Un traitement Figure 1 – Poudre de TiO2 (©
© Delphine Schaming)

b a
a
c
a b

Figure 2 – Structures anatase (a) et rutile (b) du TiO2

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NM3600

PHOTOCATALYSE : DES MATÉRIAUX NANOSTRUCTURÉS AUX RÉACTEURS PHOTOCATALYTIQUES ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

s’effectue à basse température. Le principe consiste en une hydro- sous forme d’anatase, peuvent être obtenues avec un taux de pro-
lyse d’un alcoxyde de titane (Ti(OR)4, avec R un groupement alkyl duction de 10 à 25 g/h [5].
de type méthyl, éthyl, iso-propyl ou tert-butyl), suivie d’une Le tétrachlorure de titane TiCl4 peut également être utilisé
condensation entraı̂nant la formation d’une solution colloı̈dale. comme précurseur en présence d’oxygène O2 ou le protoxyde
Un gel est alors obtenu après chauffage léger ou vieillissement. d’azote N2O comme oxydants. À partir de ce précurseur, des nano-
La réaction peut être accélérée par ajout de catalyseurs acides particules de TiO2 de 20 nm sont obtenues [6].
(HCl ou NH3) ou basiques (NH3OH ou NaOH). Cette méthode per-
met l’obtention de TiO2 avec une grande pureté et une grande Actuellement, de nouveaux matériaux composites sont synthéti-
homogénéité. Selon le pH, le solvant, l’alcoxyde utilisé, le cataly- sés par cette méthode, tels que le TiO2 dopé avec des nanotubes de
seur éventuel, il est possible de contrôler la taille, la forme et la carbone pour des applications en photovoltaı̈que [7].
phase cristalline (anatase, rutile ou brookite) des particules de TiO2.
Ces différents procédés de synthèse présentent l’avantage d’être 2.3 Applications
faciles à mettre en œuvre et peu coûteux.

2
Alors que le TiO2 est l’un des matériaux les plus abondamment
Des méthodes électrochimiques peuvent également être
utilisés dans le domaine de la photocatalyse, il possède également
employées, comme par exemple des techniques d’électrodéposi-
de nombreuses propriétés lui permettant des utilisations industriel-
tion où le substrat joue le rôle d’électrode qui est immergée dans
les dans bien d’autres domaines.
une solution contenant un sel de titane ou d’oxyde de titane utilisé
comme précurseur. La structure et la morphologie du dépôt peu-
vent alors être contrôlées en ajustant le potentiel appliqué, la den- 2.3.1 À l’échelle micrométrique : un pigment
sité de courant, la composition de la solution électrolytique, son pH, blanc
ou encore la température. Une oxydation chimique peut également Du fait de ses très bonnes propriétés opacifiantes, le TiO2 fut tout
être effectuée, par exemple en utilisant H2O2 comme oxydant. d’abord utilisé dans l’industrie comme pigment blanc. Les particu-
L’ajout de sels inorganiques de type NaX permet la synthèse de les ont une taille de l’ordre de 250 à 350 nm dans ce cas. Les
nanobâtonnets, X = F- ou SO42- favorisant la formation de la domaines d’applications sont très divers : peintures et encres, blan-
phase anatase et Cl- celle de la phase rutile. chiment de plastiques, de papiers, de fibres textiles, de caout-
choucs et de cuirs…
2.2.2 Synthèse en phase gaz À l’échelle macroscopique, le TiO2 est inerte chimiquement, et
Certaines voies de synthèse s’effectuent également en phase gaz. est biologiquement compatible. De ce fait, il est également utilisé
La méthode dite de dépôt chimique en phase vapeur (CVD) est un comme agent blanchissant dans de nombreux produits cosméti-
processus durant lequel un précurseur (généralement de l’isopro- ques et pharmaceutiques, la blancheur étant souvent souhaitée
poxyde de titane) est porté à l’état de vapeur ; il réagit alors pour pour des raisons marketing. Ainsi, nous pouvons par exemple en
conduire à la formation de TiO2 qui se condense à la surface d’un trouver dans des crèmes, des dentifrices, des savons, et des
substrat. En ajustant le débit du gaz porteur, la température et la comprimés.
pression, il est possible de contrôler la forme des particules de Le TiO2 est également couramment utilisé dans l’industrie ali-
TiO2 obtenues. mentaire et est notamment connu sous le nom de colorant E171.
Il est également possible d’effectuer une synthèse par combus- Nous le retrouvons ainsi notamment dans bon nombre de
tion au cours de laquelle un précurseur (isopropoxyde de titane confiseries.
ou TiCl4 généralement) est décomposé par effet thermique dans
une flamme résultant de la combustion d’un combustible 2.3.2 À l’échelle nanométrique : interaction
(méthane, éthylène ou acétylène) avec un comburant (oxygène ou avec les UV
air). L’agglomération des particules obtenues peut être contrôlée
Le TiO2 à l’échelle nanométrique (particules dont au moins une
par la température de la flamme, et peut être inhibée par l’emploi
dimension est inférieure à 100 nanomètres) n’est plus inerte et
de dioxygène pur au lieu de l’air. L’anatase est la phase la plus sou-
son interaction avec les rayonnements ultraviolets (UV) conduit à
vent obtenue par ce procédé.
différentes applications que l’on peut classer en deux catégories.
Des variantes à ces méthodes peuvent exister, comme par exem-
ple la spray-pyrolyse qui consiste à nébuliser un précurseur sous 2.3.2.1 Atténuation des rayonnements UV
forme d’un aérosol entraı̂né par des gaz porteurs vers la flamme.
Contrairement à la CVD, qui nécessite une température élevée et Le TiO2 absorbant les rayonnements UV, il trouve des applica-
une pression basse, cette méthode de synthèse est réalisée sous tions comme atténuateurs de lumière UV. Il est par exemple cou-
conditions normales de température et de pression. La technique ramment utilisé comme écran solaire dans de nombreuses crèmes
de pyrolyse laser peut également être employée. Elle consiste solaires, mais également comme filtre UV dans des plastiques ou
cette fois en l’utilisation d’un faisceau laser au CO2 émettant dans des textiles. Le TiO2 activé par les UV, réagissant par exemple faci-
l’infrarouge qui va interagir avec un flux de réactifs, entraı̂nant lement avec l’eau, conduisant à des radicaux qui pourraient être
néfastes pour la santé, son utilisation dans des crèmes, nécessite
leur dissociation et la formation des particules de TiO2.
un traitement surfacique préliminaire afin d’inhiber les propriétés
Dans ces différents procédés en phase gaz, c’est l’oxygène qui photocatalytiques sans bloquer l’absorption des UV.
joue le rôle d’oxydant.
2.3.2.2 Photocatalyse : dépollution, revêtements
2.2.3 Synthèses par pyrolyse laser auto-nettoyants, production d’hydrogène et
réduction du dioxyde de carbone
La première synthèse de poudres nanométriques par pyrolyse
laser a été développée en 1982 au Massachusetts Institute of Tech- & Principe
nology pour l’élaboration de céramique à base de silicium (Si, C’est au début du XXe siècle que la photocatalyse a été décou-
Si3N4, SiC) [3] à l’échelle nanométrique. La synthèse de nanoparti- verte par Eibner et al. qui ont mis en évidence en 1911 l’action de
cules de TiO2 par pyrolyse laser a été initiée en 1987 [4]. L’isopropo- l’oxyde de zinc ZnO sous irradiation sur les peintures et le bleu de
xyde de titane peut être utilisé comme précurseur : il est volatile et Prusse [8] [9]. En 1921, Renz et al. rapportent le bleuissement du
absorbe la radiation laser. L’éthylène peut être utilisé comme gaz dioxyde de titane TiO2 sous lumière solaire en présence de glycé-
sensibilisateur et porteur. Ainsi, des nanoparticules de TiO2 avec rol, suggérant la réduction partielle du semi-conducteur sous
une taille allant de 6 nm à 20 nm, et cristallisant majoritairement irradiation [10].

NM 3 600 – 4 Copyright © - Techniques de l’Ingénieur - Tous droits réservés

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BIO590

Biocatalyse ou catalyse enzymatique

par Didier COMBES

2
Professeur à l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse
et Pierre MONSAN
Professeur à l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse
École nationale supérieure des mines de Paris
Institut universitaire de France

1. Enzymes : structure, origine, classification ..................................... BIO 590 - 2


1.1 Structure – coenzymes ................................................................................ — 2
1.2 Sources d’enzyme ........................................................................................ — 3
1.3 Classification des enzymes ......................................................................... — 4
2. Cinétique homogène ............................................................................... — 5
2.1 Équation de Michaelis-Menten ................................................................... — 5
2.2 Inhibition/activation ..................................................................................... — 6
2.3 Allostérie (modèle de Monod) .................................................................... — 7
2.4 Effet du pH et de la température................................................................. — 8
3. Cinétique hétérogène .............................................................................. — 9
3.1 Méthodes d’immobilisation des enzymes ................................................. — 9
3.2 Influence des phénomènes de transfert de matière
(diffusion, encombrement stérique, partage) ............................................ — 11
3.3 Réacteurs (piston, mélangé) ....................................................................... — 12
4. Applications industrielles des enzymes ............................................ — 13
4.1 Détergents .................................................................................................... — 13
4.2 Industrie de l’amidon ................................................................................... — 13
4.3 Domaine agroalimentaire (alimentation humaine et animale) ................ — 14
4.4 Chimie fine et santé ..................................................................................... — 15
4.5 Applications analytiques, diagnostic et capteurs ...................................... — 17
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. BIO 590
Parution : novembre 2009 - Dernière validation : octobre 2016

es enzymes savent compenser leur manque de généricité par leur extra-


L ordinaire sélectivité, voire énantiosélectivité et régiosélectivité, qui en font
des outils de choix pour réaliser des réactions de synthèse dans des conditions
particulièrement compatibles avec la préservation de l’environnement (milieux
aqueux, pH non extrêmes, températures peu élevées). L’utilisation de plus en
plus grande de matières premières renouvelables, donc d’origine biologique,
pour favoriser des conditions de développement durable ne pourra
qu’accroître les exemples de mise en œuvre de biocatalyseurs. De plus, les
outils de la biologie moléculaire, combinés à ceux de la biologie structurale et
de la modélisation « in silico », permettent aujourd’hui non seulement de
diversifier les sources de nouvelles enzymes et d’en améliorer extraordinaire-
ment l’efficacité et la stabilité, mais également de concevoir des biocatalyseurs
totalement originaux, capables de réaliser de nouvelles réactions.

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. BIO 590 – 1

29
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BIO590

BIOCATALYSE OU CATALYSE ENZYMATIQUE _____________________________________________________________________________________________

– structure tertiaire : la chaîne polypeptidique déjà ordonnée en


Encadré 1 – Historique structure secondaire peut se replier sur elle-même pour former une
molécule de configuration spatiale bien déterminée (en général, de
forme globulaire dans le cas des enzymes). Les liaisons intramolé-
Il est très difficile de donner une date exacte de la décou- culaires (pont disulfure, liaisons hydrogènes, liaisons ioniques,
verte des enzymes. Une activité hors d’une cellule vivante a liaisons hydrophobes) responsables de la stabilité de la structure
été observée en 1783 lorsque Spallanzani nota que la viande tertiaire se forment à partir des chaînes latérales des acides aminés ;
était « liquéfiée » par le suc gastrique des faucons.
– structure quaternaire : les protéines sont souvent constituées
D’autres observations similaires ont été faites par la suite, de plusieurs sous-unités qui correspondent chacune à une chaîne
mais la première découverte d’une enzyme est en général cré- polypeptidique de structure tertiaire définie. L’association de ces
ditée à Payen et Persoz qui, en 1833 ont traité un extrait sous-unités entre elles par le même type de liaisons que celles
aqueux de malt avec de l’éthanol et ainsi précipité une subs- rencontrées au niveau de la structure tertiaire constitue la structure
tance labile à la chaleur, qui initie l’hydrolyse de l’amidon. Ils quaternaire de la protéine. C’est de cette association dont dépend

2 ont appelé cette fraction « diastase ». Aujourd’hui, on sait que


la diastase était une préparation impure d’amylase.
Le mot enzyme, « dans la levure » en grec, apparaît en
l’activité de la protéine.
La réaction de production d’un produit à partir d’un substrat,
catalysée par une enzyme passe par la formation d’un complexe
1878 : Kühne le propose pour faire la distinction entre les enzyme-substrat. Cette notion de couple enzyme-substrat implique
« ferments organisés » (le micro-organisme entier) ou que l’enzyme possède une région complémentaire par sa taille, sa
« inorganisés » (excrétés par les micro-organismes). forme et la nature chimique du substrat : c’est le site actif de
C’est en 1897 que Bertrand observa que quelques enzymes l’enzyme. Ainsi, une seule substance ou au plus un nombre limité
nécessitaient des facteurs dialysables pour avoir de l’activité de substances peuvent se lier à l’enzyme et agir en tant que subs-
catalytique : ces substances ont été appelées coenzymes. trat. C’est seulement lorsque le substrat est ancré dans le site actif
que peuvent se produire les changements chimiques qui le
À partir du début du 20e siècle, de nombreux essais sont
convertissent en produit. On sait que le site actif n’a pas besoin
faits pour purifier les enzymes et décrire leur activité catalyti-
d’être une cavité rigide ou une poche, mais plus simplement un
que en termes mathématiques précis.
arrangement spécifique dans l’espace de résidus d’acides aminés
En 1902, Henri a suggéré qu’un complexe enzyme-substrat qui vont interagir avec les groupes complémentaires du substrat.
était un intermédiaire obligatoire dans la réaction catalytique.
Les enzymes sont des protéines dont la masse molaire est au
Il donne également une équation mathématique qui prend en
moins supérieure à 10 000. La plupart des substrats sont des subs-
compte l’effet de la concentration du substrat sur la vitesse de
tances de faible masse molaire (dans le cas des substrats
réaction.
polymériques : protéines, polysaccharides... c’est seulement une
L’effet du pH sur l’activité enzymatique a été mis en évi- partie du polymère qui est reconnue et non le polymère entier).
dence par Sorensen en 1909 et c’est en 1913 que Michaelis et Ainsi, seule une faible fraction de l’enzyme est impliquée dans le site
Menten redécouvrent l’équation d’Henri. Cette équation est actif. Il n’y a pas plus d’une douzaine d’acides aminés autour du site
basée sur des principes simples d’équilibre chimique. actif et seuls deux ou trois d’entre eux sont directement impliqués.
Le fait que les enzymes sont des protéines n’a été accepté Pourquoi les enzymes sont-elles des macromolécules alors
que vers la fin des années 1920. qu’un peptide constitué d’une douzaine d’acides aminés devrait
Enfin, c’est en 1965 que Monod, Wyman et Changeux suffire ? La réponse est évidente lorsque l’on considère que les
présentent un modèle cinétique pour les enzymes allostériques deux ou trois résidus d’acides aminés du site actif doivent avoir
(enzymes de régulation qui donnent des courbes de vitesses une conformation tridimensionnelle précise impossible à obtenir à
sigmoïdes et non hyperboliques). partir d’un court peptide.
La combinaison de l’enzyme et du substrat peut être plus spécifi-
que encore que ne le laissent penser les concepts du type clef-ser-
rure. Une liaison tridimensionnelle du substrat et la flexibilité du site
1. Enzymes : structure, actif permettent d’expliquer le haut degré de spécificité d’une
enzyme vis-à-vis, par exemple, de molécules analogues au substrat.
origine, classification Les enzymes accélèrent d’une manière phénoménale les vitesses
de réaction. Lorsqu’il est possible de comparer des vitesses de réac-
tion non enzymatique et enzymatique, on observe que les enzymes
1.1 Structure – coenzymes accélèrent les vitesses de réaction d’un facteur supérieur à 1015.
Les enzymes sont des protéines et, à ce titre, leur structure peut Toutefois, la réaction « S est transformé en P » doit tout d’abord
être décrite en quatre étapes : être possible d’un point de vue thermodynamique. Mais avant
qu’une molécule de substrat soit transformée en produit, elle doit
– structure primaire : c’est l’ordre d’enchaînement des acides posséder un minimum d’énergie pour passer par un état de transi-
aminés de série L, liés entre eux par une liaison de type amide, la tion. Cet état activé représente une sorte de point médian où les
liaison peptidique. Ce premier niveau de structure est responsable liaisons du substrat sont suffisamment modifiées pour que la
au moins indirectement des niveaux supérieurs d’organisation et conversion en produit soit possible.
ainsi de toutes les propriétés des protéines, en particulier des pro-
priétés catalytiques des enzymes, mais aussi de la formation Il y a deux façons pour accélérer cette réaction. La première
d’autres liaisons covalentes (modifications post-traductionnelles) ; consiste à élever la température de telle manière qu’un nombre
– structure secondaire : elle résulte de l’établissement de liaisons significatif de molécules atteignent l’état de transition. Une autre
hydrogène entre les groupements amide (-NH) et carbonyle (-CO) façon est de diminuer l’énergie d’activation.
du squelette peptidique. L’existence de structures secondaires Les cellules vivantes existent aux températures relativement
vient du fait que les repliements énergétiquement favorables de la faibles (entre 0 et 100 oC). À ces températures de la vie, pratique-
chaîne peptidique sont limités et que seules certaines ment aucune des réactions du métabolisme intermédiaire ne peut
conformations sont possibles. Il existe trois principales catégories se dérouler à une vitesse suffisante pour permettre la croissance ou
de structures secondaires selon le repliement des liaisons la maintenance de la cellule. De plus, même si la cellule pouvait
peptidiques : les hélices (de type alpha), les feuillets (de type bêta) augmenter d’une manière significative sa température, il n’y aurait
et les coudes ; pas de réaction favorisée par rapport à une autre. Ce sont donc les

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_____________________________________________________________________________________________ BIOCATALYSE OU CATALYSE ENZYMATIQUE

Tableau 1 – Origine de quelques enzymes


Origine de l’enzyme industrielles
Utilisation
Enzyme No EC Origine
Animale Végétale Microbienne industrielle
Origine animale
Broyage intracellulaire extracellulaire catalase 1.11.1.6 foie Industrie
alimentaire
chymotrypsine 3.4.21.1 pancréas Traitement
Broyage cellulaire centrifugation filtration du cuir

mécanique non mécanique cellules surnageant


lipase 3.1.1.3 pancréas Industrie
alimentaire 2
présure 3.4.23.4 abomasum Industrie
fromagère
élimination des acides nucléiques UF/diafiltration
trypsine 3.4.21.4 pancréas Traitement
du cuir
Figure 1 – Extraction des enzymes d’origine différente
Origine végétale

enzymes que possèdent les cellules qui diminuent l’énergie d’acti- α-amylase 3.2.1.1 orge Brasserie
vation. Ces enzymes diminuent sélectivement l’énergie d’activation β-amylase 3.2.1.2 orge Brasserie
d’une réaction donnée qui peut alors se dérouler à une température
faible. Les enzymes sont donc des catalyseurs qui augmentent la Bromélaïne 3.4.22.4 ananas Brasserie
vitesse de réactions chimiques sans être consommées. La constante
d’équilibre de la réaction n’est pas modifiée, simplement la vitesse β-glucanase 3.2.1.6 orge Brasserie
de la réaction est affectée par l’enzyme.
Ficine 3.4.22.3 figue Industrie
En disant que les enzymes augmentent la vitesse de réaction en alimentaire
diminuant l’énergie d’activation, on ne répond pas à la question :
comment ? Plusieurs facteurs ont été suggérés et nous allons les Lipoxygenase 1.13.11.12 soja Industrie
analyser : alimentaire
– la plupart des réactions enzymatiques se déroulent suivant un Papaïne 3.4.22.2 papaye Industrie
mécanisme de réactions organiques (acide-base, nucléophile, élec- de la viande
trophile) pour lesquelles l’enzyme fournit les groupes catalytiques ;
– d’autre part, les facteurs de proximité et d’orientation sont cer- Enzymes bactériennes
tainement prépondérants. En solution, sans enzyme, les rencon-
tres de deux molécules se font au hasard : ce n’est plus le cas ici ; α-amylase 3.2.1.1 Bacillus Industrie
– enfin, l’idée que certaines liaisons du substrat soient tendues de l’amidon
par l’enzyme a été proposée par certains auteurs. Il se produit β-amylase 3.2.1.2 Bacillus Industrie
alors un état de transition active. Au niveau du site actif, on a vu de l’amidon
les différents concepts qui permettent d’expliquer la spécificité et
l’efficacité d’une enzyme. Asparaginase 3.5.1.1 Escherichia coli Domaine
Un certain nombre d’enzymes nécessitent pour leur fonction- de la santé
nement la présence d’un composé non protéique appelé cofacteur Glucose 5.3.1.5 Bacillus Sirops
ou coenzyme. Les cofacteurs qui doivent être présents en quantité isomérase de fructose
stœchiométrique et les coenzymes présents en quantité catalytique
sont de plusieurs types. Dans le cas des ions métalliques, ces der- Pénicilline 3.5.1.11 Bacillus Industrie
niers sont, soit liés à la structure de l’enzyme (par exemple, la pré- amidase pharmaceutique
sence de zinc est indispensable à l’activité de la carboxypeptidase),
soit liés au substrat (dans le cas des kinases). De même, la plupart Protéase 3.4.21.14 Bacillus Détergent
des carboxylases nécessitent la présence de la biotine, liée de Pullulanase 3.2.1.41 Klebsiella Industrie
manière covalente à l’enzyme alors que les aminotransférases ont de l’amidon
besoin de pyridoxal phosphate lors de la réaction d’interconversion.
Enzymes fongiques
1.2 Sources d’enzyme α-amylase 3.2.1.1 Aspergillus Panification

Les enzymes peuvent être extraites de n’importe quel organisme Aminoacylase 3.5.1.14 Aspergillus Industrie
vivant : des bactéries aux champignons, des plantes aux animaux. pharmaceutique
Parmi toutes les enzymes utilisées industriellement, plus de la
Glucoamylase 3.2.1.3 Aspergillus Industrie
moitié proviennent de champignons ou de levures, environ un
de l’amidon
tiers sont d’origine bactérienne et ce qui reste se divise entre les
sources animales (8 %) ou végétales (4 %) (figure 1). Catalase 1.11.1.6 Aspergillus Industrie
La très grande majorité des enzymes utilisées dans l’industrie alimentaire
(tableau 1) provient donc de la culture de micro-organismes pour
Cellulase 3.2.1.4 Trichoderma Traitement
diverses raisons : faible coût de production, teneur en enzyme
des déchets
mieux contrôlable, composition des extraits connue et constante,

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BIOCATALYSE OU CATALYSE ENZYMATIQUE _____________________________________________________________________________________________

Mais, le nom de l’enzyme peut être aussi lié à une propriété de


Tableau 1 – Origine de quelques enzymes cette enzyme. Par exemple, l’invertase hydrolyse le saccharose
industrielles (suite) ([αD] = + 66,5o, dextrogyre) en un mélange de D-glucose
Utilisation ([αD] = + 52o) et de D-fructose ([αD] = – 92o). Le mélange est lévo-
Enzyme No EC Origine gyre, il y a donc inversion du pouvoir rotatoire, d’où le nom donné à
industrielle
l’enzyme.
Dextranase 3.2.1.11 Penicillium Industrie Pour clarifier tout cela, en 1956, une classification a été proposée
alimentaire par la Commission internationale sur les enzymes, avec différentes
Glucose 1.1.3.4 Aspergillus Industrie révisions en 1965 et en 1978. Cette nomenclature s’appuie sur le
oxidase alimentaire type de réaction catalysée, le substrat utilisé, ainsi que la présence
d’éventuels cofacteurs. Le nom systématique qui en résulte est
Lactase 3.2.1.23 Aspergillus Produits laitiers parfois complexe et les noms d’usage sont admis. Il est alors forte-

2
ment conseillé de les associer à leur numéro « EC » qui provient
Lipase 3.1.1.3 Rhizopus Industrie de la classification numérique également mise en place. Ce
alimentaire numéro, constitué de quatre nombres désigne la classe de réaction
catalysée par l’enzyme, une sous-classe, une sous sous-classe et
Présure 3.4.23.6 Mucor Industrie
un numéro propre à l’enzyme. Les classes d’enzymes ainsi
miehei fromagère
constituées sont au nombre de six :
Pectinase 3.2.1.15 Aspergillus Industrie 1 – Oxydoréductases : enzymes qui catalysent les réactions
des boissons d’oxydo-réduction. Exemple : alcool déshydrogénase (E.C.1.1.1.1) :
Pectine lyase 4.2.2.10 Aspergillus Industrie
des boissons Alcool + NAD+ → Aldéhyde ou cétone + NADH

Protéase 3.4.23.6 Aspergillus Panification 2 – Transférases : enzymes qui catalysent le transfert d’un
groupe spécifique d’une molécule à une autre. Exemple : hexoki-
Raffinase 3.2.1.22 Mortierella Industrie nase (E.C.2.7.1.1)
alimentaire
ATP + Hexose → ADP + Hexose 6 − P
Enzymes de levure
3 – Hydrolases : enzymes qui catalysent la coupure hydroly-
Invertase 3.2.1.26 Saccharomyces Confiserie tique des liaisons C—O, C—N et C—C. Exemple : l’α-amylase
Lactase 3.2.1.23 Kluyveromyces Produits laitiers (E.C.3.2.1.1) hydrolyse des liaisons 1,4—α—D-glucosidiques dans
des polysaccharides contenant 3 ou plus D-glucose.
Lipase 3.1.1.3 Candida Industrie 4 – Lyases : enzymes qui coupent les liaisons C—C, C—O et
alimentaire C—N par élimination, en formant des doubles liaisons ou des
Raffinase 3.2.1.22 Saccharomyces Industrie cycles. Exemple : pyruvate décarboxylase (E.C.4.1.1.1)
alimentaire
2 − oxoacide → aldéhyde + CO 2

enfin les tissus animaux ou végétaux contiennent des molécules 5 – Isomérases : enzymes qui catalysent des changements géo-
plus dangereuses ou plus gênantes que celles rencontrées dans métriques ou structuraux dans une molécule. Exemple : la glu-
les micro-organismes (composés phénoliques ou inhibiteurs cose-isomérase (E.C.5.3.1.5) catalyse l’isomérisation du glucose en
d’enzymes par exemple). fructose.
En pratique, la grande majorité des enzymes microbiennes vient 6 – Ligases : enzymes qui catalysent la liaison entre deux molé-
d’un nombre limité d’espèces parmi lesquelles on trouve principale- cules, couplée à l’hydrolyse d’une liaison phosphate de l’ATP (ou
ment les Aspergillus, Bacillus et Kluyveromyces. Le développement un autre tri-phosphate). Exemple : pyruvate carboxylase
des enzymes commerciales demande un savoir faire certain dans (E.C.6.4.1.1)
les domaines suivants : recherche de nouvelles enzymes, fermenta-
tion, purification à grande échelle et formulation. ATP + Pyruvate + HCO −3 → ADP + PO −4 + Oxaloacétate
Le remodelage d’enzymes est également une voie pour produire
des enzymes plus performantes que les enzymes naturelles ou bien 1.3.2 Classification CAZy (Carbohydrate Active
même pour créer des activités nouvelles. La mutagenèse dirigée, enZymes )
technique la plus utilisée, permet de substituer un ou plusieurs aci-
des aminés de la protéine. L’utilisation de banques de données (data Cette classification a pour originalité de ne pas reposer sur une
mining) présentant des corrélations séquence-structure est une aide spécificité réactionnelle des enzymes, comme la classification de la
très efficace pour prédire les évolutions conformationnelles liées aux nomenclature enzymatique. Elle repose sur une analogie de struc-
substitutions. Parmi les enzymes industrielles modifiées, la subtili- ture des modules catalytiques et de reconnaissance de motifs glu-
sine, une protéase de Bacillus amyloliquefaciens, a vu son activité, cidiques des enzymes qui catalysent la dégradation, la
dans les détergents, améliorée par une stabilisation vis-à-vis des modification ou la création de liaisons osidiques. Elle a été établie
températures élevées, de l’effet du pH et de l’oxydation. par Bernard Henrissat et peut être consultée sur le site :
http://www.cazy.org/.
1.3 Classification des enzymes Cette classification repose sur une étude de la séquence d’acides
aminés d’une enzyme, séquence qui conditionne la structure
1.3.1 Nomenclature systématique secondaire et tridimensionnelle de la protéine enzymatique. Elle
reflète donc les caractéristiques structurales de ces enzymes, beau-
De nombreuses enzymes ont des noms triviaux qui leur ont été coup plus que leur simple spécificité de substrat. Elle permet,
donnés, il y a des années, lorsqu’elles ont été découvertes. Dans notamment, de révéler les relations au cours de l’évolution entre
de nombreux cas, on s’est contenté d’ajouter « ase » au nom du les enzymes d’une même famille, ainsi que de prédire des don-
substrat de l’enzyme à l’instar de l’uréase pour l’urée. nées concernant leur mécanisme catalytique. Ces familles peuvent

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Diels-alderases artificielles
au service de la chimie verte
par Wadih GHATTAS
2
Chargé de recherche au CNRS
Institut de Chimie Moléculaire et des matériaux d’Orsay UMR 8182,
Université Paris Saclay, Orsay, France
Jean-Pierre MAHY
Professeur
Institut de Chimie Moléculaire et des matériaux d’Orsay UMR 8182,
Université Paris Saclay, Orsay, France
Rémy RICOUX
Ingénieur de recherche au CNRS
Institut de Chimie Moléculaire et des matériaux d’Orsay UMR 8182,
Université Paris Saclay, Orsay, France
A. Jalila SIMAAN
Directrice de recherche au CNRS
Institut des Sciences Moléculaires de Marseille UMR 7313,
Aix Marseille Univ, Centrale Marseille, Marseille, France
et Marius RÉGLIER
Directeur de recherche émérite au CNRS
Institut des Sciences Moléculaires de Marseille UMR 7313,
Aix Marseille Univ, Centrale Marseille, Marseille, France

P our faire face aux conséquences de la cause anthropique du change-


ment climatique, la chimie se voit contrainte de développer des
procédés plus respectueux de l’environnement. Avec des usines cellulaires
comme les micro-organismes, la biologie de synthèse, s’inscrit dans cette
perspective. En effet, la biologie de synthèse, qui combine le pouvoir de
régénération des micro-organismes avec le potentiel synthétique de leurs
voies métaboliques, est l’application des principes du développement
durable au monde de la chimie. Bien que de nouvelles voies métaboliques
soient découvertes régulièrement, l’utilisation industrielle de la chimie du
vivant reste limitée à quelques grandes réactions. En particulier, les réac-
tions de formation de liaisons C-C, pour laquelle la chimie de synthèse
offre de très nombreuses variantes, sont peu développées en biocatalyse.
Face à ce constat, un des défis de la chimie du XXIe siècle est d’enrichir le
champ de la biocatalyse en rendant biocompatibles des réactions qui ne le
sont pas (ou peu) actuellement.
Les enzymes artificielles provenant d’enzymes dont l’activité a été modifiée
et/ou redirigée, ou d’enzymes créées de novo, sont des outils de choix
pour cette nouvelle ère de la chimie. Le développement d’enzymes artifi-
cielles pour le bénéfice de la chimie fine va de pair avec des progrès
spectaculaires dans des domaines variés de la biocatalyse, tels que l’immo-
bilisation d’enzymes sur des surfaces pour conduire à des biocatalyseurs
Parution : septembre 2021

supportés, les techniques d’évolution dirigée, l’ingénierie des voies métabo-


liques, la catalyse in cellulo/in vivo etc. Ces dernières années, un nombre
croissant d’enzymes artificielles ont été conçues, dont certaines qui cata-
lysent une réaction de Diels-Alder (DA). Celles-ci ont fait l’objet d’une
attention particulière car, jusqu’à la fin du XXe siècle, les réactions de DA

8-2021 © Editions T.I. IN 404 - 1

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INNOVATION

étaient considérées comme appartenant au seul domaine de la chimie et


leur introduction en biocatalyse représentait un défi majeur à relever.
Après une introduction générale sur la biocatalyse et les développements
récents de son utilisation à l’échelle industrielle, la réaction de Diels-Alder
est présentée ainsi que ses nombreuses applications en synthèse. La partie
centrale de l’article s’oriente alors vers la découverte d’enzymes capables de

2
catalyser la réaction de Diels-Alder dans les systèmes vivants pour se foca-
liser ensuite sur le développement de métalloenzymes artificielles capables
de catalyser cette réaction. S’ensuit alors une discussion sur les avantages
et les inconvénients des différents systèmes pour conclure sur les perspec-
tives qu’ils offrent.

Points clés
Domaine : biocatalyse
Degré de diffusion de la technologie : émergence
Technologies impliquées : biotechnologie, chimie bioorthogonale, catalyse,
modélisation moléculaire
Domaines d’application : synthèse chimique
Principaux acteurs français :
– Pôles de compétitivité : pôle TERRALIA-PASS
– Centres de compétence : Les deux équipes auteurs de cet article, l’équipe de
M. Salmain Sorbonne Université.
– Industriels : Tout industriel qui s’appuie sur la biocatalyse
Autres acteurs dans le monde : l’équipe de G. Roelfes, université de Groningue,
Pays-Bas ; l’équipe de D. Baker, université de Washington, États-Unis ; l’équipe de
P. C. Kamer, université de St. Andrews, Royaume-Uni ; et l’équipe de T. Hayashi,
université de Osaka, Japon.
Contact : wadih.ghattas@universite-paris-saclay.fr et jalila.simaan@univ-amu.fr

1. Biocatalyse grâce au séquençage des génomes, aux criblages à haut débit


des activités enzymatiques, à l’accès aux gènes synthétiques,
Dans un contexte de développement d’une chimie verte, aux techniques de clonage pour la conception rationnelle et
c’est-à-dire d’une « chimie qui a pour but de concevoir et de l’évolution dirigée d’activités enzymatiques. Avec ces nouveaux
développer des produits et des procédés chimiques permettant aspects de la biologie de synthèse, J. Keasling et ses collabora-
de réduire ou d’éliminer l’utilisation et la synthèse de subs- teurs ont réussi à reprogrammer par ingénierie métabolique une
tances dangereuses » [1], la biocatalyse s’est imposée sur ces souche de levure pour lui faire synthétiser l’artémisinine, un
antimalarique naturel isolé de la plante Artemisia annua [11]
vingt dernières années comme une alternative incontournable à
[12] [13]. Cette étude fondamentale a mené à la mise au point
la chimie classique [2] [3] [4] [5] [6] [7]. En effet, la bio-
d’un procédé biocatalytique de fabrication de l’artémisinine
catalyse intervient dans de nombreux procédés industriels
par la société Sanofi-Avantis. Installée depuis 2013 à Garessio
dans les domaines de la chimie dite de commodité, comme
(Italie), l’usine produit environ 50 t.an–1 d’artémisinine.
par exemple la production de l’acrylamide par hydrolyse de
l’acrylonitrile catalysée par la nitrile hydratase (procédé Nitto Dans une perspective d’accroître et de diversifier le potentiel
30 000 t.an–1) [8] ou encore la production de diacides à longue des activités enzymatiques du vivant [14], une nouvelle
chaîne par oxydation d’acides gras par des cytochromes P450 approche a émergé au début des années 2000. Il s’agit du
(Chinaby Cathay Biotech, 40 000 t.an–1) [9] [10]. Avec domaine des enzymes artificielles [15], dont l’objectif est d’utili-
des tonnages plus modestes, la biocatalyse est également à la ser le potentiel du vivant pour introduire ex nihilo des
base de très nombreux procédés en chimie fine pour la phar- activités enzymatiques copiées sur des réactions de la
macie et l’industrie des arômes et des parfums. Ce dernier chimie classique. Focalisée sur la réaction de Diels-Alder, cette
aspect de la biocatalyse industrielle a fait l’objet de la revue de revue se rapporte à cette nouvelle perspective en biocatalyse.
T. Bornscheuer et de ses collaborateurs [2].
Cet essor impressionnant de la biocatalyse à l’échelle 2. Réaction de cycloaddition
industrielle est en partie dû à la nécessité de faire évoluer nos de Diels-Alder
procédés chimiques classiques vers une chimie durable, mais
surtout à l’apparition de nouveaux concepts fondamentaux et La cycloaddition de Diels-Alder (DA) est une réaction emblé-
de techniques d’analyse de plus en plus performantes. En effet, matique qui a marqué la chimie de synthèse [16] [17]. Son
la biocatalyse a bénéficié de la découverte de nouvelles enzymes impact en biologie est aussi important, car elle est devenue un

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outil efficace pour la modification chimique sélective des pro- en ancrant un cofacteur métallique respectivement sur l’ARN,
téines dans l’étude de leurs fonctions in vitro et in vivo [18]. l’ADN et des G-quadruplexes d’ADN, Jäschke [29], et Feringa et
La réaction, n’impliquant que des dérivés carbonés (homo-DA), Roelfes [30], et les auteurs de [27] [31]) ont introduit le
(figure 1) conduit à la formation d’un dérivé cyclohexénique subs- concept d’ARN/ADNzymes qui a conduit au développement de
titué. Une de ses variantes intéressante (hétéro-DA) (figure 1) catalyseurs efficaces dans les réactions énantiosélectives de DA
est la formation de composés hétérocycliques par cycloaddition [32] [33] [34].
de diènes et diénophiles qui contiennent au moins un hétéro-
atome.

2
La réaction de Diels-Alder est une cycloaddition [4 + 2]
Le principal intérêt synthétique de la réaction de DA est sa d’un diène conjugué et d’un alcène (diénophile).
capacité à créer, en une seule étape, 2 liaisons C-C, ainsi que
4 centres stéréogéniques dont les configurations relatives
découlent de la stéréochimie (E vs Z) des précurseurs et de la 2.1 Applications industrielles
géométrie (exo vs endo) de l’état de transition (ET). La réac-
La réaction de DA permet la synthèse d’une variété de com-
tion de DA entre dans la catégorie des réactions péricycliques
posés organiques d’origine naturelle [16]. La mise en œuvre
thermiques concertées entre les 4 électrons π du diène et les
de cette réaction pour la production à l’échelle industrielle est
2 électrons π du diénophile. Sa régio- et sa stéréosélectivité sont
la preuve de sa robustesse et son efficacité [35].
régies par les règles de Woodward-Hoffmann qui impliquent la
conservation de la symétrie des orbitales frontières HO (Haute La réaction de DA est largement utilisée dans l’industrie des
Occupée) et BV (Basse Vacante) telles que représentée sur arômes et des parfums [36]. En effet, le cyclopentadiène et le
les figures 2b et 2c [19] 1,3-butadiène sont les précurseurs d’une large gamme de subs-
Dans les réactions de DA dites « normales » ou à demande tances volatiles telles que le jasmacyclène, le florocyclène, le
électronique normale, i. e. impliquant un diénophile substitué gardocyclène et le lyral qui sont préparés à l’échelle de plu-
par un groupement attracteur d’électrons (EWG, Z) et un sieurs tonnes chaque année par des processus qui impliquent
diène portant un groupement donneur d’électrons (EDG, X), une réaction de DA (figure 3). Ainsi, la réaction de DA est
la régio- et la stéréoselectivité sont contrôlées par une interac- largement utilisée pour l’élaboration de fragrances dans les
tion suprafaciale des deux partenaires avec le recouvrement de savons, les produits d’hygiène, les préparations cosmétiques,
l’HO du diène avec la BV du diénophile. La régio-sélectivité, les assainisseurs d’air, les détergents textiles et les produits de
ortho vs méta, est contrôlée par le recouvrement maximal entre nettoyage [37]. Étant donné que la perception de l’odeur et de
les orbitales atomiques affectées du plus grand coefficient de l’arôme est un phénomène subjectif, la disponibilité d’une large
l’HO et de la BV (figures 2a et 2c).[20] Pour l’homo du diène, gamme de parfums abordables avec une longue durée de
le plus grand coefficient étant celui de l’orbitale localisée sur le conservation est souhaitable. La réaction de DA semble être
carbone Cγ, et pour la BV du diénophile celui de l’orbitale loca- bien adaptée pour poursuivre ces objectifs, car elle permet la
lisée sur l’atome Cβ, c’est la formation de l’ortho-adduit qui est construction efficace de structures cycliques à six chaî-
favorisée. Pour l’ortho-adduit, le stéréosisomère endo est ciné- nons avec divers profils olfactifs [17].
tiquement favorisé en raison d’interactions secondaires favo- De nombreuses substances olfactives ont ainsi été préparées
rables qui stabilisent un état de transition endo (figure 2c). par la réaction d’un diène – souvent dérivé du cyclopentadiène,
Les réactions de DA à demande électronique normale néces- du butadiène ou du cyclohexadiène – avec un dérivé acrylique.
sitent souvent des températures élevées. Plusieurs approches Ces matières premières disponibles en grande quantité et à
ont été développées pour tenter d’abaisser l’énergie d’activation bas prix sont compatibles avec les directives de l’industrie des
et accélérer la réaction. Notamment, les acides de Brönsted ou arômes et des parfums. Les composés sont obtenus sous
de Lewis, qui diminuent l’énergie de la BV du diénophile, ont forme d’un mélange de diastéréoisomères et/ou de régio-
été largement utilisés dans les réactions de DA catalysées isomères et sont habituellement purifiés par distillation. La
(figure 2b) [21]. Les effets électrostatiques ont également été distillation est en effet la méthode de choix pour isoler des
retenus dans une approche organocatalytique [22]. En solu- composés volatils, contrairement aux industries pharmaceu-
tion aqueuse, l’accélération des réactions DA par confinement tiques ou agrochimiques, où la cristallisation (souvent de com-
hydrophobe [23] a été obtenue dans les zéolites [24] ou à posés hétéroaromatiques) est l’option préférée. Dans le cadre
l’aide de molécules macrocycliques telles que les cyclodex- d’une utilisation intensive de la distillation sous pression réduite,
trines [25], les calixarènes [26] et les cucurbituriles [27]. les unités de production correspondantes sont capables de fonc-
tionner sous un vide supérieur à la norme de 30-100 mbar cou-
Les réactions DA ont également fait l’objet d’importants ramment utilisée dans une usine chimique. Certains produits
développements en synthèse asymétrique avec l’utilisation sont commercialisés sous la forme d’un mélange défini de com-
d’auxiliaires chiraux sur les réactifs ou de ligands chiraux dans posés de structures apparentées aux propriétés olfactives
les réactions de DA métallo-catalysées [28]. Dans ce contexte, uniques. Les informations concernant la composition de chaque
ingrédient olfactif sont souvent limitées aux informations de
pureté par chromatographie phase gazeuse, généralement
appelées « somme d’isomères ». Ceci contraste avec les subs-
R1 R1 tances pharmaceutiques qui sont hautement réglementées
R2
[38]. Les autorités imposent en effet de cibler les puretés dias-
R2 Homo-DA : téréoisomères et énantiomériques aussi élevées que possible,
A DA A A et B = carbones avec des limites supérieures acceptables fixées par une évalua-
tion toxicologique préliminaire.
B B Hétéro-DA :
R3 A et/ou B = hétéroatomes En dépit de son utilisation pour la synthèse d’arômes et de
R3 colorants, la réaction de DA semble sous-utilisée dans le reste
R4 R4 du monde industriel chimique. Par exemple, les réactions de for-
mation de liaisons C-C représentent environ 11,5 % de l’ensemble
du répertoire réactionnel utilisé en chimie médicinale. Dans ce
Figure 1 – Réaction de Diels-Alder groupe, les réactions catalysées par des complexes de palladium

8-2021 © Editions T.I. IN 404 - 3

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R2
DA
+ + Demande électronique normale
R1 = EDG et R2 = EWG
R2 R2

R1

2
R1 R1 Demande électronique inverse
R1 = EWG et R2 = EDG
ortho méta

a régio-chimie

DE normale DA catalysée

R R R

X O O O
+ +
E H Mn

BV

HO

ortho méta

γ γ
HO

Gros Gros
α α
Petit
Recouvrement Petit
Petit secondaire
X X X
O
Gros
Petit α Gros
α
β O
β
O
BV

exo endo
c

b et c orbitales frontières HO et BV impliquées dans la réaction de Diels-Alder avec une demande


d’électron normale (X = EDG)

Figure 2 – Réaction de Diels-Alder

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à l’échelle de toute réaction chimique, et les industries des


arômes et parfums ont prouvé que la réaction de DA était un
O atout (voir préalablement). La rareté des exemples de réactions
O de DA à grande échelle dans l’industrie pharmaceutique reflète
R
H OH
plutôt davantage la démarche suivie dans l’industrie pour la
O découverte de médicaments, qui s’appuie sur des librairies de
composés émergeant d’un ensemble de réactions préférées
(i.e. couplage de Suzuki et formation d’amide) [41] [42]. Les

Jasmacyclène®, Cyclacet® (R = –CH3)


Florocyclène® (R = –CH2CH3)
Lyral®
développements dans le domaine de la catalyse asymétrique de
la réaction de DA, y compris l’utilisation d’enzymes artificielles
apparues ces dernières années, n’ont pas encore été appliqués
2
Gardocyclène® (R = –C(CH3)3) à grande échelle [43]. Dans le contexte des obstacles crois-
sants au développement de substances actives innovantes,
Ces molécules phare de la chimie des arômes l’utilisation impartiale de la panoplie complète de réactions
et des parfums sont préparées via des réactions de DA. chimiques doit être implémentée pour ouvrir des voies efficaces
vers de nouveaux composés chimiques prometteurs.

Figure 3 – Structure du jasmacyclène, du florocyclène, du


gardocyclène et du lyral Une provitamine est une substance issue de l’alimentation
pouvant être transformée en vitamine par l’organisme.

représentent environ 60 % des occurrences, tandis que la réac-


tion de DA ne représente que 1,8 % du nombre total de réac-
tions [39]. La réaction de DA est néanmoins utilisée à l’échelle À retenir
industrielle pour la préparation de plusieurs composés notables
comme les vitamines D2 et D3, la vitamine B6, la médrogestone, – La réaction de DA crée, en une seule étape, 2 liaisons C-C
les provitamines K3 et K4, et plusieurs dérivés d’anthraquinone, ainsi que 4 centres stéréogéniques.
d’anthracène et de prostaglandines de type E et F. La situation – La réaction de DA est une réaction péricyclique thermique
est similaire en agrochimie où parmi les rares exemples d’utilisa- concertée entre les 4 électrons π du diène et les 2 électrons π
tion de la réaction de DA à l’échelle industrielle, nous trouvons la du diénophile.
synthèse du célèbre endosulfan (figure 4) [40]. – La régio- et la stéréo-sélectivité de la réaction de DA
Cet insecticide organochloré est suspecté d’avoir entrainé la sont régies par les règles de Woodward-Hoffmann, qui
mort de centaines de personnes depuis 1970, il est interdit impliquent la conservation de la symétrie des orbitales
dans l’EU depuis 2005. Pendant les années 1990-1980, l’endo- frontières.
sulfan a été préparé à l’échelle de 10 000 t.an–1 en utilisant la – La réaction DA est largement utilisée dans les industries
réaction de DA. des arômes et des parfums.

Pour expliquer le faible nombre de réactions de DA menées


à l’échelle industrielle dans les industries pharmaceutiques
et agrochimiques, nous pouvons suspecter des problèmes liés 3. Réaction de cycloaddition
à l’instabilité des réactifs et à la synthèse en réacteur dis-
continu utilisée pour ce type de réaction bimoléculaire. De de Diels-Alder biocatalysée
plus, les précurseurs qui permettent ces transformations effi-
caces peuvent être difficiles d’accès à l’échelle de la produc- Jusqu’à la fin du siècle dernier, les réactions DA semblaient
tion, d’un point de vue technique ou économique. Évaluer la exister uniquement dans le domaine de la chimie de synthèse.
sécurité de cette réaction avec des substrats sujets à la poly- Mais en 2000, Vederas [44] et Watanabe [45] ont décrit pour
mérisation, maîtriser la synthèse complexe de réactifs élaborés la première fois dans la littérature deux enzymes multifonc-
de DA et contrôler la sélectivité de la réaction sont en effet de tionnelles présentant des activités diels-alderase (DAase). Il
véritables défis. Cependant, ces objectifs ne sont pas spéci- fallut attendre 2011, pour que la première vraie DAase, SpnF,
fiques à la réaction de DA, mais sont plutôt typiques de la mise soit découverte par le groupe de Liu [46] ouvrant ainsi la voie
à la découverte d’autres DAases [47] [48] [49] [50] [51] [52]
[53]. Au cours des 20 dernières années, un nombre croissant
de DAases supposées ont été décrites. Cependant, peu d’entre
elles ont clairement été identifiées comme DAases et la ques-
tion concernant leur mécanisme -concerté vs en deux étapes-
Cl Cl est encore débattue.
Cl
Cl 3.1 Découverte de Diels-aldérases naturelles
Jusqu’à récemment, les DAases décrites dans la littérature ne
O catalysaient que des cycloadditions intramoléculaires. Récem-
Cl ment, une DAase catalysant des réactions intermoléculaires
Cl
O S (MaDA), impliquée dans la biosynthèse de la chalcomoracine
O avec une efficacité et une énantiosélectivité élevées, a été rap-
portée [54]. Fait intéressant, MaDA présente une promiscuité de
substrats qui offre des opportunités d’évolution enzymatique pour
l’utilisation de substrats non naturels et ouvre la voie à une utili-
Figure 4 – Structure de l’endosulfan sation en biocatalyse.

8-2021 © Editions T.I. IN 404 - 5

37
Référence Internet
IN404

INNOVATION

O NH

2
H
R
R
N N
O N O NH O

O
O R
N

Figure 5 – Schéma montrant l’effet matrice des DAases

Des structures aux rayons X de plusieurs DAases naturelles synthétiques sont la base de la conception de DAases artifi-
ont été obtenues (LepI [55], MaIC [56], Spnf [57], AbyU [58], cielles. Pour être efficace, un catalyseur de la réaction de DA
PyrI4 [59], PyrE3 [60]). Dans la plupart des cas, les structures doit donc répondre au cahier des charges suivants :
aux rayons X indiquent que ces enzymes agissent comme une – avoir une cavité capable d’accepter le diène et le diéno-
matrice [61], qui lie les substrats dans une poche hydrophobe phile dans des positions favorables à l’induction d’une sélecti-
et oblige le diène et le diénophile à adopter une conformation vité ;
proche de celle de l’ET (figure 5). Des approches de modélisa-
– être capable de stabiliser l’ET de la réaction pour abaisser
tion moléculaire ont suggéré qu’à l’intérieur de la cavité, les
l’énergie d’activation.
effets électrostatiques contribuaient à la polarisation du diène et
du diénophile abaissant l’enthalpie d’activation par la stabilisa- Dans ce contexte, un paramètre clé pour évaluer l’efficacité
tion des redistributions de charge dans l’ET [58]. d’un catalyseur est la vitesse d’accélération ou molarité
Alors que les structures 3D suggèrent des résidus impliqués effective, qui compare les vitesses des réactions catalysées
dans la fixation/activation des substrats, la mutagenèse dirigée vs non catalysées dans les mêmes conditions expérimentales.
de ces résidus n’a jamais complètement éliminé les activités
DAase.
La Molarité Effective (ME) exprimée en concentration
molaire est le rapport entre la constante de vitesse du
Exemple de PyrI4 :
premier ordre kcat (min–1) et la constante de vitesse
La structure cristallographique de PyrI4 a été résolue en
du second ordre kuncat (M–1 . min–1) déterminée pour la
présence du produit de la réaction de DA qui se trouve dans
réaction de DA non catalysée.
une cavité hydrophobe où les résidus Gln115 et His117
semblent responsables de l’activation du précurseur diénophile
(figure 6) [59]. Cependant, la mutation de Gln115 ou H117 en
alanine a entraîné respectivement une diminution de seulement
30 % et 6 % de l’activité enzymatique (kcat), sans influence À retenir
significative sur l’affinité du substrat (KM).
– La première DAase naturelle a été découverte en 2011,
Ceci peut être attribué à la flexibilité de la poche catalytique elle catalyse une réaction intramoléculaire.
qui peut adopter d’autres conformations qui mènent à de nou- – Seule MaDA découverte en 2020 catalyse une cyclo-
velles interactions avec les substrats, et ainsi à leur activation. addition de DA intermoléculaire.
Bien que les données de structure et de mutagenèse ne soient – Des études structurales indiquent que les DAases
pas disponibles pour toutes les DAases, la plasticité de la poche agissent comme des matrices qui lient les substrats dans
protéique semble être une caractéristique commune aux DAases une poche hydrophobe, et obligent le diène et le diénophile
naturelles. à adopter une conformation proche de celle de l’ET.

3.2 Opportunités et limites


des Diels-alderases naturelles 4. Diels-alderases artificielles
Mis à part MaDA, toutes les DAases naturelles catalysent des sans métal
réactions intramoléculaires peu utiles pour la biocatalyse. Or la
réaction DA est très importante pour la synthèse chimique, d’où Deux approches ont été utilisées pour générer des DAases
le besoin de développer des DAases artificielles qui comble- artificielles sans ion métallique : l’utilisation d’anticorps cataly-
raient le manque de DAases naturelles dans la transition vers tiques ou la conception d’enzyme in silico. Comme mentionné
une chimie plus verte. Nos connaissances des caractéristiques précédemment, les propriétés catalytiques des enzymes pour
fonctionnelles des DAases naturelles, ainsi que des catalyseurs une réaction donnée sont dues à la stabilisation de l’ET de

IN 404 - 6 © Editions T.I. 8-2021

38
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J1210

Catalyse acido-basique

par Michel GUISNET


Professeur à l’Université de Poitiers

2
Laboratoire de Catalyse en Chimie Organique (UMR CNRS 6503)

1. Bases théoriques ...................................................................................... J 1 210 — 2


1.1 Théories de l’acido-basicité ........................................................................ — 2
1.1.1 Acides et bases. Définition................................................................. — 2
1.1.2 Applications à la catalyse................................................................... — 3
1.2 Intermédiaires réactionnels ........................................................................ — 4
1.2.1 Carbocations ....................................................................................... — 5
1.2.2 Carbanions .......................................................................................... — 7
2. Catalyse acide et ses applications ...................................................... — 7
2.1 Principaux catalyseurs industriels.............................................................. — 8
2.1.1 Zéolithes .............................................................................................. — 8
2.1.2 Silices-alumines.................................................................................. — 8
2.1.3 Alumines chlorées .............................................................................. — 8
2.2 Alkylation aliphatique ................................................................................. — 9
2.2.1 Conditions opératoires et catalyseurs .............................................. — 9
2.2.2 Mécanisme .......................................................................................... — 10
2.3 Craquage catalytique (FCC) ........................................................................ — 10
2.3.1 Conditions opératoires et catalyseurs .............................................. — 10
2.3.2 Principales réactions et mécanismes ................................................ — 11
2.4 Alkylation des aromatiques par les alcènes.............................................. — 11
2.4.1 Conditions opératoires et catalyseurs .............................................. — 12
2.4.2 Mécanismes ........................................................................................ — 12
2.5 Isomérisation des alcanes légers C5-C6 .................................................... — 12
2.5.1 Conditions opératoires et catalyseurs .............................................. — 12
2.5.2 Mécanisme acide et mécanisme bifonctionnel................................ — 12
2.6 Acétylation de l’anisole ............................................................................... — 13
2.6.1 Conditions opératoires et catalyseur ................................................ — 13
2.6.2 Mécanisme .......................................................................................... — 13
Références bibliographiques ......................................................................... — 14

es interactions acide-base jouent un rôle prédominant dans les réactions chi-


L miques, que celles-ci se produisent dans la matière vivante ou soient mises
en œuvre par l’homme. Un grand nombre de ces réactions sont catalytiques. La
catalyse enzymatique, n’intervient pas seulement dans les organismes vivants,
mais aussi pour la synthèse des produits à haute valeur ajoutée et la dépollution.
Dans les grands procédés industriels, la catalyse homogène acide, d’abord très
utilisée a, pour des raisons économiques et écologiques, été progressivement
remplacée par la catalyse hétérogène.
L’industrie pétrolière a beaucoup contribué au développement des catalyseurs
acides solides. La majorité des procédés du raffinage du pétrole et de la pétro-
chimie utilise ces catalyseurs, essentiellement oxydes : silice-alumine, zéolithes,
alumines chlorées. Ce n’est pas le cas en synthèse organique (chimie fine, chi-
mie pharmaceutique) où la catalyse homogène est encore prépondérante. Un
regain d’intérêt s’est d’ailleurs manifesté dans les années 1970 avec la
Parution : juin 2005

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© Techniques de l’Ingénieur J 1 210 − 1

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J1210

CATALYSE ACIDO-BASIQUE ______________________________________________________________________________________________________________

découverte des possibilités d’activation à basse température d’espèces peu


réactives par les milieux superacides.
Cet article est divisé en deux parties. La première rappelle les théories de
l’acido-basicité et les mécanismes de transformation des hydrocarbures par
catalyse acide et basique. La seconde présente quelques grandes applications
de la catalyse acide, l’accent étant mis sur les catalyseurs utilisés et les
mécanismes de réaction.

2 1. Bases théoriques La force relative d’un acide est caractérisée par :

[ HA ]
Le lecteur pourra se reporter à la référence [1]. p K a = – lg K a = pH + lg ------------- (5)
[ A– ]

1.1 Théories de l’acido-basicité Le même raisonnement peut être appliqué à l’équilibre de proto-
nation de la base B avec définition d’un pKb. Cependant, afin d’obte-
nir une échelle unique de classement des acides et des bases, les
1.1.1 Acides et bases. Définition bases sont comparées par la force de leur acide conjugué BH+ :

■ C’est à la fin du XIXe siècle qu’Arrhenius propose la première


[B] 10 –14
véritable théorie de l’acido-basicité. Selon lui, les acides et les K a = --------------------------------- = -------------- soit pKa = 14 − pKb (6)
bases sont des composés qui, en solution aqueuse, donnent nais- [ OH – ] [ BH + ] Kb
sance respectivement à des protons (H+) ou à des ions hydroxyles
(OH−).
■ C’est également en 1923 qu’une définition encore plus générale
■ Dans la théorie développée indépendamment par Brönsted et
de l’acido-basicité est avancée par Lewis. Selon lui, une base est
Lowry (1923), la réaction acido-basique est considérée comme un
un composé possédant une paire libre d’électrons qu’il peut don-
transfert d’un proton d’un acide vers une base :
ner à un acide (accepteur d’un doublet d’électrons) pour compléter
(1) sa couche électronique externe et adopter une configuration élec-
HA + B A– + BH+
tronique stable. Les notions d’acidité et de basicité s’appliquent
Un acide est donc un composé capable de céder un proton à donc à des molécules ou ions ne possédant pas d’atome d’hydro-
une base, une base un composé capable d’accepter un proton gène. La réaction acide base correspond à la mise en commun
d’un acide. Cette définition est bien plus générale que la d’un doublet d’électrons, qu’un proton soit ou non impliqué dans
précédente : des composés tels que NH3 qui n’étaient pas des cette réaction.
bases dans la théorie d’Arrhenius le deviennent dans celle de
Brönsted-Lowry ; la présence de l’eau comme solvant n’est plus La principale faiblesse de la théorie de Lewis réside dans
indispensable, etc. l’absence de référence universelle (alors que celle-ci existe dans la
théorie de Brönsted-Lowry : transfert du proton mesuré par le pKa,
Notons que, à l’équilibre de la réaction (1), le proton est présent
l’eau étant prise comme référence). Son caractère qualitatif la limite
sous les deux formes HA et BH+. A− capable d’accepter un proton est
à la seule interprétation du mécanisme des réactions sans permettre
la base conjuguée de l’acide HA, BH+, l’acide conjugué de la base B.
de prédiction quantitative de la vitesse des réactions acido-
Si l’équilibre est totalement déplacé vers la droite, HA (totalement
dissocié) peut être considéré comme un acide fort vis-à-vis de la basiques.
base B ; la base A− est dans ce cas beaucoup plus faible que la
base B et l’acide BH+ beaucoup plus faible que HA. Certains compo- ■ Une formulation originale de la réactivité entre acides et bases a
sés tels que l’eau sont amphotères, c’est-à-dire qu’ils se comportent été proposée par Pearson en 1963. Le principe qualitatif dit HSAB
comme des acides ou comme des bases selon le partenaire qui leur (Hard and Soft Acids and Bases), qu’il avance alors, consiste à clas-
est présenté. Ils peuvent servir comme référence pour caractériser ser les acides et les bases selon leur caractère dur ou mou. Le clas-
les forces des acides HA ou des bases B. Ainsi la force acide de HA sement des bases B en dures ou molles est lié à leur complexation
peut être caractérisée par la constante d’équilibre de protonation de préférentielle vis-à-vis de deux acides : H+ typiquement dur et
l’eau : CH3Hg+ typiquement mou. Si on considère le tableau 1, on voit que
le caractère dur est présenté par des espèces de petite dimension,
HA + H2O A– + H3O+ (2) d’état d’oxydation élevé, ne possédant pas de doublet d’électrons
libre dans leur couronne de valence, et donc très électronégatives et
[ A – ] [ H3 O + ] peu polarisables. À l’inverse, les espèces à caractère mou sont de
K = -------------------------------- (3) grande dimension, leur état d’oxydation faible ou nul, et fortement
[ HA ] [ H 2 O ] polarisables (tableau 1). Les interactions sont donc essentiellement
ioniques entre espèces dures, et essentiellement covalentes entre
En milieu dilué, [H2O] peut être considérée comme constante et espèces molles. De cette analyse, Pearson déduit que les acides
on écrit : durs préféreront s’associer aux bases dures, les acides mous aux
bases molles et que de plus ces réactions seront faciles ; les autres
[ A – ] [ H3 O + ] réactions qui constituent des cas défavorables pour la formation de
K a = -------------------------------- = K [ H 2 O ] (4) liaisons électrostatiques ou covalentes sont thermodynamiquement
[ HA ] et cinétiquement défavorables.

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J 1 210 − 2 © Techniques de l’Ingénieur

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J1210

______________________________________________________________________________________________________________ CATALYSE ACIDO-BASIQUE

(0)

Tableau 1 – Classification de quelques acides et bases selon le principe HSAB de Pearson [2]
Acides durs ............................... H+, Li+, Na+, K+, Mg2+, Al3+, Cr3+, Co3+, Fe3+, Ti4+, BF3, AlCl3, Al(CH3)3, RCO+
Acides mous ............................. Cu+, Ag+, Au+, Hg+, Pd2+, Ti3+, CH3Hg+, GaCl3, I2, métaux, carbènes
Bases dures............................... F−, OH−, PO 43– , SO 42– , CH3COO−, H2O, ROH, R2O, NH3, RNH2
Bases molles ............................. I−, H−, R−, CN−, RSH, R2S, CO, C6H6

Peu après la publication du concept HSAB, Klopman (1967) a lui confère une réactivité exceptionnelle qui fait que le proton ne
développé le cadre théorique qui manquait, permettant ainsi de
rationaliser un domaine plus large d’acides et de bases. La théorie
HSAB a par la suite été reformulée par Parr et Pearson pour la ren-
peut exister à l’état libre. Il se partage entre :
— la base conjuguée du composé porteur d’hydrogène qui peut
lui donner naissance (c’est-à-dire le catalyseur acide) que celui-ci
2
dre quantitative. Pour cette quantification, deux paramètres sont
soit présent à l’état gaz, liquide ou solide ;
considérés : la dureté absolue (assez proche de la notion de polari-
sabilité précédemment avancée) et l’électronégativité du système — et les molécules de réactif, de produit et de solvant.
(égale en valeur absolue à son potentiel chimique). Ce ne sera donc pas l’acidité des composés porteurs d’hydro-
gène, mais l’activité protonique du milieu dans lequel ils sont pré-
sents qui déterminera l’activité catalytique. En solution, cette
En conclusion de cette présentation succincte des théories de
activité protonique sera caractérisée par les fonctions d’acidité.
l’acido-basicité, soulignons l’intérêt toujours actuel des théories
Cette notion, bien que non parfaitement adaptable aux solides aci-
de Brönsted-Lowry et de Lewis. Nous verrons que ces théories
des peut cependant être utilisée pour caractériser leur force acide.
permettent de décrire l’acte catalytique, que le catalyseur soit
soluble (catalyse homogène) ou solide (catalyse hétérogène).
1.1.2.2 Fonctions d’acidité de Hammett
En milieu aqueux dilué, les solutions d’acides forts peuvent être
1.1.2 Applications à la catalyse considérées comme idéales ; leur acidité s’identifie à la concentra-
tion en ions hydronium H3O+ et s’exprime par le pH. Toutefois, les
Après avoir présenté les théories de l’acido-basicité, il serait natu- solutions d’acide utilisées en catalyse sont généralement très
rel de parler successivement de catalyse acide, de catalyse basique concentrées ; la concentration du réactif est souvent très grande et
et catalyse bifonctionnelle acido-basique selon que les intermédiai- le milieu aquoorganique. Dans ces conditions, la définition de l’aci-
res réactionnels sont formés sur une espèce acide, basique ou sur dité par le pH, cesse d’être utilisable. Par exemple, dans le système
les deux. L’importance industrielle de ces types de catalyse est très H2O-H2SO4, lorsqu’on augmente la concentration en acide, la con-
différente. La catalyse acide jouant le rôle essentiel, nous insiste- centration en H3O+ passe par un maximum au voisinage de la com-
rons donc sur la caractérisation de l’acidité. position équimolaire tandis que l’acidité qui est mesurée par la
tendance de la solution à céder des protons à une base continue à
augmenter. En effet, les ions H3O+ sont alors remplacés par des
Comme cela est souligné ci-après, le proton est un acide de molécules H2SO4 encore plus acides. La véritable grandeur caracté-
Lewis très particulier. C’est pourquoi il est habituel de distinguer ristique du milieu est dans ce cas l’activité du proton aH qui ne
les acides protoniques (ou de Brönsted) des acides non protoni- prend pas seulement en compte l’ion hydronium mais toutes les
ques appelés simplement acides de Lewis. sources de proton.
L’équilibre de protonation d’une base neutre B par un proton (pré-
En catalyse acide, le proton est généralement l’espèce active, le sent uniquement à l’état solvaté) du milieu dont on cherche à déter-
rôle des acides de Lewis se limitant à exalter la force des acides pro- miner l’acidité :
toniques en s’associant avec ceux-ci.
Exemple : AlCl3 agirait en catalyse d’hydrocarbures non pas B + H+ BH+ (7)
comme acide de Lewis mais sous la forme de l’acide de Brönsted
H AlCl 4– (association d’AlCl3 et HCl).
+
est caractérisé par la constante d’équilibre thermodynamique :
Toutefois les acides et bases de Lewis sont souvent les espèces
actives en catalyse acido-basique. aB aH [B] fB
K BH + = ------------- = ---------------- a H ---------- (8)
a BH + [ BH ] + f BH +
1.1.2.1 Importance de l’activité protonique en catalyse
La première étape d’une réaction de catalyse acide est la polarisa- où les a et f représentent respectivement les activités des diverses
tion ou mieux encore l’ionisation des molécules neutres (donc peu espèces et les coefficients d’activité.
réactives) de l’un des réactifs. L’ionisation peut être provoquée par la L’expression (8) peut se mettre sous la forme :
présence d’acides de Lewis tels que le chlorure d’aluminium très uti-
lisé dans les réactions de Friedel et Crafts. Mais le rôle du proton est
[ BH + ] 1 fB 1
généralement essentiel, ce qu’on peut lier à ses caractéristiques. En
---------------- = ------------ a H ---------- = ------------ h 0 (9)
effet, le proton est le seul cation univalent à se réduire au noyau ato- [B] K BH + f BH + K BH +
mique avec par conséquent une taille 100 000 fois plus petite que
celle des autres ions. Si l’approche d’une molécule par un acide de c’est-à-dire que le rapport des concentrations de l’acide conjugué et
Lewis met en jeu la répulsion entre leurs nuages électroniques, ce de la base est égal au produit de la tendance de la base à fixer un
n’est pas le cas pour son approche par un proton. Au contraire, le
proton ( 1 ⁄ K BH + ) par la tendance du milieu à le céder ou fonction
proton exerce à son voisinage un champ électrique et une action
polarisante particulièrement puissants. Cette caractéristique unique d’acidité h0 [3].

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© Techniques de l’Ingénieur J 1 210 − 3

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2

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J1255

Catalyse hétérogène
dans les procédés industriels
par Denis UZIO
Ingénieur de recherche

2
IFP Énergies nouvelles (IFPEN), Lyon, France
Note de l’éditeur
Cet article est la version actualisée de l’article J1255 intitulé « Catalyse hétérogène dans les
procédés industriels », rédigé par Claude Naccache et paru en 2005.

1. Catalyse hétérogène dans l’industrie du raffinage


pour la production de carburants.............................................................. J 1 255v2 - 2
1.1 Raffinage du pétrole ................................................................................... — 2
1.1.1 Procédés de conversion catalytique................................................. — 2
1.1.2 Procédés de purifications catalytiques par hydrotraitement ......... — 5
1.2 Conversion du charbon et de la biomasse en carburants ....................... — 6
1.3 Élimination du soufre dans les gaz............................................................ — 7
2. Catalyse hétérogène dans l’industrie de la pétrochimie
et de la chimie ............................................................................................. — 7
2.1 Hydrogénations........................................................................................... — 7
2.2 Déshydrogénations..................................................................................... — 9
2.3 Transformation des aromatiques BTX ...................................................... — 9
2.4 Réactions d’oxydation catalytique sélective des hydrocarbures légers...... — 9
2.4.1 Oxydation du propène en acroléine ................................................. — 10
2.4.2 Oxydation du butane en anhydride maléique ................................. — 10
2.4.3 Époxydation de l’éthylène................................................................. — 10
2.4.4 Oxydation du propène en présence d’ammoniac
(ammoxydation).......................................................................................... — 11
3. Chimie minérale (production d’ammoniac, d’acides nitrique
et sulfurique) ............................................................................................... — 11
3.1 Synthèse de l’ammoniac ............................................................................ — 11
3.2 Synthèse de l’acide nitrique....................................................................... — 11
3.3 Synthèse de l’acide sulfurique................................................................... — 11
4. Dépollution automobile ............................................................................. — 12
5. Production et conversion d’hydrogène et de gaz de synthèse .............. — 12
Parution : février 2018 - Dernière validation : octobre 2020

5.1 Production de l’hydrogène et du gaz de synthèse ................................... — 12


5.2 Synthèse Fischer-Tropsch vers carburants ou alcools ............................ — 13
6. Conclusion ................................................................................................... — 13
7. Glossaire ...................................................................................................... — 14
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. J 1 255v2

éployée dans plus de 85 % des procédés industriels, la catalyse hétéro-


D gène est devenue une composante essentielle du paysage industriel
depuis ses lointaines origines liées aux travaux de Berzélius il y a presque
deux siècles. En effet, elle est présente dans les domaines stratégiques de
l’énergie tels que la production de carburants, la chimie des grands intermé-
diaires ou encore la dépollution. De par ses principes fondamentaux, la

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J 1 255v2 – 1

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Référence Internet
J1255

CATALYSE HÉTÉROGÈNE DANS LES PROCÉDÉS INDUSTRIELS _______________________________________________________________________________

catalyse hétérogène est à même de concilier les contraintes apparemment


antagonistes du monde moderne en matière de demande toujours croissante
en vecteurs énergétiques et composés chimiques, de protection de l’environ-
nement en minimisant les produits secondaires non valorisables (rejets
toxiques ou gaz à effet de serre – GES –) ainsi qu’une utilisation parcimonieuse
des ressources naturelles. Parmi les principaux atouts de la catalyse hétéro-
gène, nous pouvons rappeler qu’elle met en jeu une très faible quantité de
matière catalytique par rapport à la quantité de produits convertis (contraire-
ment aux processus dits « stoechiométriques ») et qu’elle offre la possibilité
d’orienter sélectivement les chemins réactionnels vers les produits désirés, ce
qui permet de réduire la formation de sous-produits indésirables et par voie de

2 conséquence les opérations de séparation. Elle est aujourd’hui un acteur


incontournable pour le respect des principes de chimie verte et durable tels
que définis par Paul Anastas [1] [J1200].
La catalyse hétérogène s’est imposée pour représenter aujourd’hui les deux
tiers des procédés catalytiques industriels, le dernier tiers correspondant à la
catalyse homogène avec une part mineure de la catalyse enzymatique (2 %).
Parmi les grandes familles de réactions concernées, on trouve quasiment à égale
répartition en nombre les hydrogénations, oxydations et les réactions acido-
basiques mises en œuvre principalement dans des procédés en phase liquide.
Nous parcourrons dans cet article les grandes familles de procédés indus-
triels modernes mettant en œuvre des catalyseurs hétérogènes et permettant
la synthèse des produits répondant aux besoins sociétaux. Le lecteur non spé-
cialiste du domaine pourra ainsi se rendre compte de l’extraordinaire
importance et prolifération de cette discipline scientifique et dont les perspec-
tives pour répondre aux enjeux environnementaux et énergétiques sont
immenses.

1. Catalyse hétérogène 1.1 Raffinage du pétrole


dans l’industrie du raffinage L’industrie du raffinage, née en 1863 aux États-Unis, traite
aujourd’hui environ 85 millions de barils de pétrole brut par jour
pour la production correspondant à une capacité voisine de 4 milliards de tonnes par
an réparties dans environ 700 raffineries en opération dans le
de carburants monde. Le fort développement de cette industrie dans la seconde
moitié du XXe siècle est intimement lié à celui de la catalyse.
L’industrie du raffinage produit les carburants, les fuels domes- Aujourd’hui, les différents procédés mis en œuvre dans le raffi-
tiques et industriels ainsi que des produits dits de spécialité tels nage du pétrole font intervenir les principales familles de maté-
riaux catalytiques, principalement hétérogènes, qui comprennent :
que les solvants, les huiles ou encore des produits de base pour la
les solides acides, métaux, sulfures, solides bifonctionnels, et
pétrochimie. La mobilité à l’échelle mondiale des personnes et
enfin les oxydes. Une très grande variété de compositions et de
des marchandises étant en croissance régulière, les procédés
mises en forme ont été développées pour répondre aux spécifici-
industriels de raffinage devront assurer la production de carbu-
tés de chaque procédé (figure 1). L’industrie du raffinage
rants pendant encore de nombreuses années. Ces procédés
consomme à elle seule 20 % de l’ensemble des catalyseurs hété-
peuvent être répartis en deux familles :
rogènes, ce qui représente un marché d’environ 10 G€/an. Les
– les procédés de transformation et de conversion permettant pétroles bruts riches en carbone et hydrogène contiennent égale-
soit de produire les molécules ayant les bonnes propriétés de com- ment de nombreuses impuretés délétères à leur utilisation
bustion dans les moteurs thermiques, soit de convertir les molé- (soufre, azote, métaux tels que le nickel, le vanadium, le mercure
cules notamment celles de haute masse moléculaire en molécules ou l’arsenic). Ces pétroles sont constitués de milliers de molécules
de masse moléculaire entrant dans la gamme visée (cf. tableau 1) ; différentes répertoriées en grandes familles chimiques comme les
– les procédés de purifications catalytiques (exemple des pro- paraffines, aromatiques, cyclo-paraffines ou hétérocycles. À cette
cédés d’hydrotraitements) dont l’objectif est d’améliorer les extrême diversité répond le raffinage, étape clé de l’industrie
caractéristiques de coupes pétrolières lourdes avant leur transfor- pétrolière, qui consiste à transformer le pétrole brut en carbu-
mation dans une unité de conversion ou de mettre aux spécifica- rants, combustibles, matières premières pour la pétrochimie, ou
tions les différents carburants (élimination du soufre en encore en des produits spécifiques tels que les huiles lubrifiantes
particulier) avant le mélange final. (le lecteur pourra consulter le ou les bitumes.
site de la société Axens pour plus de détails sur les schémas de
procédés).
1.1.1 Procédés de conversion catalytique
Ces procédés sont aujourd’hui soumis à des contraintes multi-
ples liées à la nécessité d’adapter la production en quantité et en La figure 2 représente le schéma de principe du raffinage du
qualité aux évolutions des ressources et à la demande du marché pétrole. On peut distinguer deux classes de procédés de conver-
tout en veillant au respect des normes environnementales en sion : ceux qui utilisent seulement la température pour réaliser la
termes de rejets. rupture des liaisons C-C, on parle alors de craquage thermique

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J 1 255v2 – 2

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J1255

________________________________________________________________________________ CATALYSE HÉTÉROGÈNE DANS LES PROCÉDÉS INDUSTRIELS

Tableau 1 – Caractéristiques des principales coupes issues du raffinage du pétrole

Type de coupe Nombre d’atomes de carbone Températures d’ébullition [°C]

Gaz + GPL (gaz de pétrole liquéfiés) C1-C4 –200/0

Essences C5-C12 30/210

Naphtha C8-C12 100/200

Kerosène C10-C14 180/220

Gazoles

Distillats sous vide


C14-C25

C20-C45
220-370

370/550
2
Résidus atmosphériques > C30 350+

Résidus sous vide > C60 550+

Huiles, cires, paraffines C20-C60 400+

recherché mais une quantité importante d’oléfines légères (GPL


C3-C4, C5) peut également être obtenue grâce à ce procédé dans
sa version « pétrochimique ». La catalyse mise en œuvre est de
type catalyse acide qui permet de promouvoir via des intermé-
diaires réactionnels carbocationiques, les réactions de scission C-C,
d’isomérisation de position des chaînes carbonées ou encore de
condensation.
D’un point de vue technologique, la solution retenue est majori-
tairement le craquage catalytique en lit fluidisé ou FCC, dans
lequel le solide catalytique sous forme de fine poudre (environ
60 microns de diamètre) circule à grande vitesse entre les sections
réactionnelle et régénérative. Opérant en absence d’hydrogène, le
craquage catalytique permet d’augmenter le ratio H/C de la charge
en retirant le C qui se dépose sur le catalyseur sous forme de coke
avant que celui-ci ne soit régénéré par combustion.
Les catalyseurs utilisés sont généralement constitués de petits
cristaux de zéolithes Y (faujasite) de quelques microns dilués dans
une matrice d’alumine poreuse. À cette base minérale, sont sou-
vent ajoutés de nombreux additifs tels que des terres rares et des
traitements spécifiques (désalumination) sont effectués pour amé-
liorer les performances notamment vis-à-vis des réactions secon-
daires indésirables ou de la stabilité hydrothermale du catalyseur.

Figure 1 – Différents types de catalyseurs hétérogènes (© IFPEN/ 1.1.1.2 Hydrocraquage des charges lourdes (DSV, DAO,
Patrick Chevrolat) résidus)
Moins répandu et par certains aspects concurrent du FCC,
(viscoréduction, cokage), et ceux qui utilisent un catalyseur pour l’hydrocraquage – comme son nom l’indique – réalise la conver-
accélérer et orienter les réactions comme le craquage catalytique sion des charges lourdes en présence de fortes pressions
ou encore l’hydrocraquage. Nous ne traiterons ici que les aspects d’hydrogène (80-150 bar) et à haute température (350-450 °C en
concernant ces derniers. fonction des charges traitées). Il est particulièrement versatile
mais souvent dédié à la production de distillats moyens (gazole,
1.1.1.1 Craquage catalytique kérosène) de très bonne qualité en termes de teneurs en impure-
Procédé très important de par sa capacité à traiter de nombreux tés (soufre, azote) et en indice de cétane du gazole produit. Les
types de charges lourdes (typiquement des distillats sous vide améliorations successives du procédé ont conduit à un schéma
(DSV), mais aussi des gazoles lourds d’hydrocraquage (HCK), multi-étapes comprenant un prétraitement (HDS, HDN, HDA), et
coker, deasphalted oil (DAO)) et les capacités de production qu’il une section simple ou double d’hydroconversion ; les technolo-
permet d’atteindre (environ 800 Mt/an dans le monde), le cra- gies usuelles étant des réacteurs de type lits fixes contenant un
quage catalytique met en œuvre un catalyseur acide de la famille ou plusieurs catalyseurs étagés.
des aluminosilicates cristallisés (zéolithes) à haute température Les catalyseurs présentent une double fonction catalytique (on
(500-550 °C) et sous faible pression (proche de Patm). Après frac- parle alors de catalyse bifonctionnelle) [J1217] : un sulfure de
tionnement, les effluents liquides produits sont envoyés dans des métal de transition (NiMoS, NiWS) associé à un oxyde aux pro-
unités d’hydrotraitement afin de les rendre compatibles aux spéci- priétés acides tel que les zéolithes ou les silice-alumines amor-
fications notamment en termes de teneur en soufre ou en aroma- phes. Le premier assure l’élimination des hétéroéléments et
tiques. L’essence (coupe C5-220 °C) est le produit généralement participe à l’activation de l’hydrogène et des hydrocarbures qui

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J 1 255v2 – 3

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2

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IN142

INNOVATION

La catalyse organométallique
en phase aqueuse assistée
par des charbons actifs
2
par Nicolas KANIA
Docteur
Attaché de recherches de l’université d’Artois / UCCS Artois
Anne PONCHEL
Professeur
Enseignant chercheur de l’université d’Artois / UCCS Artois
et Eric MONFLIER
Professeur
Enseignant chercheur de l’université d’Artois / UCCS Artois,
Directeur de l’UCCS Artois.

Résumé : La capacité d’adsorption des charbons actifs peut être mise à profit pour
améliorer le transfert de matière dans des réactions de catalyse organométallique en
phase aqueuse. Un procédé catalytique original a été développé, dans lequel le charbon
actif permet de faciliter la rencontre entre un substrat hydrophobe et un catalyseur
organométallique hydrosoluble par confinement des espèces dans les pores.

Abstract : The adsorption capacity of activated carbon can be used to improve the
mass transfer in a organometallic catalysis reaction in aqueous phase. An original cata-
lytic process was developed in which the activated carbon allows the meeting between
the hydrophobic substrate and the water-soluble organometallic catalyst by a confine-
ment effect of the species.

Mots-clés : Charbon actif, catalyse biphasique, transfert de matière, chimie durable.

Keywords : Activated carbon, Biphasic catalysis, mass transfert, sustainable chemistry.

Points clés
Domaine : Catalyse organométallique en milieu aqueux, chimie verte
Degré de diffusion de la technologie : Émergence | Croissance | Maturité
Technologies impliquées : Adsorption, transfert de phase
Domaines d’application : Catalyse, traitement des pollutions
Principaux acteurs français :
Université de Lille Nord de France, 59000 Lille
Université d’Artois, Unité de Catalyse et de Chimie du Solide, 62300 Lens
CNRS, UMR 8181, 59650 Villeneuve d’Ascq
Parution : novembre 2011

11-2011 © Editions T.I. IN 142 - 1

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IN142

INNOVATION

1. Contexte Une classe de ligands attire une attention toute particulière :


les phosphines contenant des groupements sulfonés
polaires (SO3–, Na+). Plusieurs procédés industriels basés sur
1.1 Catalyse biphasique aqueuse cette technologie utilisent des phosphines hydrosolubles pour
stabiliser des complexes métalliques. L’un des meilleurs exem-
Les réactions catalytiques sont classées en deux grandes
ples est le procédé Ruhrchemie/Rhône-Poulenc (devenu Ruhr-
catégories selon que le catalyseur et les réactifs forment une chemie/OXEA) d’hydroformylation du propène ou du butène en
seule phase (catalyse homogène) ou plusieurs phases (cata- présence de complexes de rhodium stabilisés par la triphényi-

2
lyse hétérogène). Pour ces deux catégories, les avantages et phosphine trisulfonée [TPPTS : P(m-C6H4SO3Na)3] [3]. Un autre
les inconvénients ont largement été discutés. En effet, les cataly- exemple concerne l’hydrodimérisation du butadiène en nona-
seurs homogènes sont connus pour être très actifs et très sélec- nediol développée par la compagnie japonaise Kuraray. Ce pro-
tifs, car les propriétés électroniques et stériques des catalyseurs cédé inclut deux étapes catalytiques en milieu biphasique
peuvent être modulées en fonction des problèmes rencontrés. A utilisant des complexes de palladium ou de rhodium stabilisés
contrario, cette modulation est plus difficile en catalyse hétéro- par la triphénylphosphine monosulfonée [TPPMS : PPh2(m-
gène. En effet, les incompréhensions mécanistiques de certaines C6H4SO3Na)] [3].
réactions de catalyse hétérogène l’ont amené à être parfois qua- Cependant, bien que la catalyse biphasique aqueuse soit
lifiée de « black art ». Cependant, l’utilisation de métaux très appropriée aux substrats hydrosolubles, elle ne peut être faci-
coûteux met en évidence un des problèmes fondamentaux de la lement généralisée aux cas des substrats hautement hydro-
catalyse homogène d’un point de vue environnemental et écono- phobes. En effet, le transfert de matière entre les phases
mique : le recyclage du catalyseur. La catalyse organométallique organique et aqueuse est insuffisant pour envisager des déve-
aqueuse est une solution à ce problème. Dans ce type de systè- loppements industriels.
mes, le catalyseur est solubilisé dans une phase alors que le
substrat de la réaction se trouve dans l’autre phase. Ces deux 1.1.2 Solutions
phases étant non miscibles, la réaction se déroule à l’interface Pour pallier les limitations diffusionnelles se produisant entre
et/ou dans la phase contenant le catalyseur. La récupération et des réactifs hydrophobes et le catalyseur hydrosoluble, plusieurs
le recyclage du catalyseur sont effectués par simple séparation approches ont été proposées dans des études antérieures.
des phases, les produits de la réaction étant eux aussi insolubles
dans la phase catalytique (figure 1) [1][2]. Dans le contexte de 1.1.2.1 Cosolvants
la chimie verte, le choix des solvants est primordial. Ils ne doi- En modifiant la polarité de chacune des phases (phase
vent être ni toxiques ni dangereux. La combinaison d’un pro- aqueuse et phase organique), les cosolvants permettent d’aug-
cédé alliant la catalyse homogène biphasique et l’utilisation de menter le transfert de matière entre ces deux phases. Les cosol-
solvants adéquats peut donc être une bonne alternative pour la vants les plus utilisés sont le méthanol, l’éthanol, l’acétone,
mise au point de nouveaux procédés propres. Ainsi, différentes l’acétonitrile et le tétrahydrofurane. Néanmoins, en augmentant
stratégies ont été mise en place, avec le développement de sol- le transfert de matière, les cosolvants peuvent conduire à la
vants alternatifs (liquides ioniques, solvants fluorés, dioxyde de solubilisation partielle du catalyseur dans la phase organique et
carbone supercritique, eau) et de ligands spécialement conçus peuvent compromettre son recyclage.
(ioniques, fluorés, carbonylés, hydrosolubles) pour retenir le cen-
tre métallique actif dans le solvant. Parmi tous les solvants, 1.1.2.2 Tensioactifs
l’eau est particulièrement intéressante. Sa non-toxicité, son
caractère non polluant, son ininflammabilité, son coût en font un Les tensioactifs sont des molécules constituées d’une
solvant de choix. On parle alors de « catalyse biphasique partie hydrophobe (une ou plusieurs chaînes alkyles par
aqueuse. » exemple) et d’une partie hydrophile sous forme cationique
(ammonium ou phosphonium), anionique (sulfate ou sulfo-
1.1.1 Avantages et inconvénients nate), neutre (chaînes polyoxyéthylènées) ou zwittertionique
(groupements simultanément cationiques et anioniques) [4].
La catalyse biphasique aqueuse est une méthode élégante
et respectueuse de l’environnement. Toutefois, il faut être
capable de solubiliser les complexes organométalliques dans Jusqu’à une certaine concentration (concentration micel-
l’eau en apportant un caractère hydrosoluble aux ligands. laire critique), ces molécules se rassemblent à l’interface

Réactifs Produits/réactifs
Produits Séparation
et
réactifs
Décantation
Agitation
Solution Solution
catalytique catalytique
Solution
catalytique

Recyclage

Figure 1 – Principe de la catalyse biphasique

IN 142 - 2 © Editions T.I. 11-2011

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IN142

INNOVATION

des deux phases en présentant leur partie hydrophobe vers 1.1.2.4 Supports poreux inorganiques
la phase non aqueuse. Au-delà de cette concentration, les Une autre stratégie consiste à ajouter dans le milieu réac-
molécules s’assemblent pour former des micelles. Ce tionnel un support poreux d’aire spécifique élevée. L’exemple
comportement permet d’améliorer le transfert de matière le plus répandu est celui de la catalyse de type SAP (Suppor-
entre les deux phases par solubilisation des composés ted Aqueous Phase) originellement développé par Davis et
hydrophobes au sein des agrégats micellaires [5]. Toutefois, coll. ([12] à [14]). Le principe est basé sur l’adsorption d’un
l’utilisation de tensioactifs conduit souvent, en fin de réac- film d’eau contenant le précurseur catalytique sur la surface
tion, à la formation d’une émulsion stable qui gêne le recy- d’un support poreux inorganique hydrophile comme la silice ou
clage de la phase catalytique.

1.1.2.3 Récepteurs moléculaires


l’alumine. Dans ce type de catalyse, le catalyseur immobilisé
agit à l’interface des phases aqueuse et organique. Ainsi, les
interactions entre les réactifs et le catalyseur sont favorisées
2
par l’interface liquide/liquide développée par la texture du
support poreux (figure 3). Bien que cette technique soit large-
Les récepteurs moléculaires sont des molécules cages ment appliquée ([15] à [17]), son efficacité peut être compro-
hydrosolubles qui peuvent former des complexes d’inclu- mise par la difficulté à maintenir le catalyseur au sein du film
sion avec les substrats hydrophobes par des processus de aqueux [18]. Le contrôle du degré d’hydratation à l’intérieur
reconnaissance moléculaire. des pores est un paramètre délicat à contrôler. En effet, si la
teneur en eau est trop élevée, une baisse d’activité due à la
diminution de l’interface liquide/liquide est observée [18].
Comparativement aux supports poreux inorganiques, l’utilisa-
Ce phénomène permet le transfert du substrat vers le cata-
tion de supports poreux carbonés a été beaucoup moins étu-
lyseur solubilisé dans la phase aqueuse. Les principaux récep-
diée dans ce type de catalyse. Néanmoins, une étude décrit
teurs moléculaires utilisés sont les calixarènes [6][7] et les l’utilisation combinée d’un charbon actif hydrophile et d’un
cyclodextrines [8][9]. Dans le cas des cyclodextrines en parti- complexe organométallique de rhodium stabilisé par la TPPTS
culier, il est proposé que le mécanisme d’action du récepteur pour l’hydroformylation de l’hexène [19]. Dans cette étude,
dépende de la solubilité du substrat dans la phase aqueuse. les auteurs ont proposé un mécanisme de type SAP, en rap-
Ainsi, en présence de substrats partiellement solubles, le port avec la forte dépendance de l’activité vis-à-vis de la
mécanisme est de type catalyse de transfert de phase inverse, teneur en eau. En effet, les meilleures conversions ont été
alors qu’en présence de substrats fortements hydrophobes, un obtenues avec de faibles teneurs en eau.
mécanisme de catalyse interfaciale est privilégié (figure 2)
[10]. Toutefois, le choix du couple cyclodextrine/ligand est 1.2 Charbon actif
crucial. En effet, la formation d’un complexe d’inclusion entre
la cyclodextrine et le ligand peut rendre le récepteur molécu- 1.2.1 Définition et propriétés
laire moins disponible pour le substrat. Ce phénomène
Le charbon actif (CA) également appelé « charbon activé »
entraîne un empoisonnement des cavités qui se traduit par est un matériau carboné qui peut se présenter sous forme gra-
une diminution des activités catalytiques [11]. nulaire ou pulvérulente. Sa structure est formée de feuillets de
Nota : pour plus d’informations sur la chimie de transfert de phase, se référer à carbone arrangés de manière irrégulière laissant des interstices
l’article [CHV1550] des Techniques de l’Ingénieur. entre eux. L’espace libre entre ces feuillets est à l’origine d’une

Phase organique Phase organique

Produit Substrat Produit Substrat

Interface Interface
Catalyseur
organométallique
hydrosoluble
Catalyseur
organométallique
hydrosoluble

Phase aqueuse Phase aqueuse

a catalyse de transfert de phase b catalyse interfaciale

Figure 2 – Catalyse biphasique aqueuse en présence de cyclodextrires

11-2011 © Editions T.I. IN 142 - 3

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Référence Internet
CHV1550

Chimie par transfert de phase


par Chantal LARPENT
Professeur à l’université de Versailles-St-Quentin en Y.
et Emmanuel MAGNIER
Chargé de recherche au CNRS

1. Catalyse par transfert de phase (CTP) : transfert de réactifs


et/ou de catalyseurs en phase organique ......................................... CHV 1 550 - 2
2
1.1 Principe et applications......................................................................................... — 2
1.2 Catalyseurs de transfert de phase....................................................................... — 3
1.3 Catalyse par transfert de phase asymétrique.................................................... — 4
1.4 Intérêts et domaines d’application de la catalyse par transfert de phase..... — 5
2. Transfert de phase inverse : transfert de réactifs
et/ou de catalyseurs en phase aqueuse ............................................ — 5
2.1 Transfert de phase inverse par formation d’un intermédiaire
réactionnel hydrosoluble...................................................................................... — 5
2.2 Transfert de phase inverse par formation de complexes d’inclusion
avec des molécules hôtes hydrosolubles.......................................................... — 6
2.3 Solubilisation/dispersion en phase aqueuse par addition
de tensioactifs ........................................................................................................ — 9
3. Systèmes thermomorphes faisant intervenir un transfert
de phase induit par variation de température ................................ — 12
3.1 Systèmes catalytiques à base de ligands à solubilité
thermoréversible : catalyse biphasique aqueuse thermorégulée.................. — 12
3.2 Systèmes basés sur des mélanges solvants thermomorphes....................... — 13
3.3 Systèmes à base de gels thermosensibles........................................................ — 18
4. Conclusion................................................................................................. — 18
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. CHV 1 550

e développement d’une chimie durable dite « chimie écocompatible » ou


L « chimie verte » constitue un défi majeur pour les chimistes de synthèse. Un
des objectifs de la chimie verte est de concevoir des produits et des procédés chi-
miques permettant de réduire ou d’éliminer l’utilisation et la synthèse de
substances dangereuses et toxiques. Pour atteindre ce but, le chimiste de syn-
thèse doit intégrer un certain nombre de principes de base (12 principes de la
chimie verte) parmi lesquels on peut citer la limitation de l’emploi de solvants
organiques (toxiques et inflammables) et de réactifs coûteux et dangereux, la
diminution de la quantité de sous-produits et de déchets des réactions en incluant
les étapes de séparation et de purification, l’économie d’atomes et d’étapes en pri-
vilégiant les réactions catalytiques plutôt que stoechiométriques. Cette démarche
doit inclure la totalité du procédé, à savoir la réaction en elle-même ainsi que son
traitement en limitant les problèmes de séparation et de purification.
L’approche classique du chimiste organicien de synthèse, qui consiste à effec-
tuer les réactions en milieu homogène en utilisant un solvant organique commun
à l’ensemble des partenaires réactionnels, induit non seulement des étapes de
séparation et de purification coûteuses et génératrices de déchets supplémen-
taires, mais aussi des effets de dilution et de solvatation qui peuvent limiter
l’efficacité.
L’utilisation de systèmes polyphasiques (par exemple liquide-liquide ou solide-
liquide), avec transfert d’un ou plusieurs partenaires d’une phase vers l’autre,
constitue une alternative plus écorespectueuse et généralisable à la plupart des
Parution : février 2011

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. CHV 1 550 – 1

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CHV1550

CHIMIE PAR TRANSFERT DE PHASE ____________________________________________________________________________________________________

réactions de la chimie organique. Cette chimie par transfert de phase s’applique


aussi bien à des processus stoechiométriques que catalytiques, le transfert de
phase ayant lieu soit en cours de réaction, soit après réaction. Les procédés par
transfert de phase présentent de multiples intérêts en termes de chimie durable :
ils permettent de limiter, voire de s’affranchir, de l’utilisation de solvants organi-
ques (avec la possibilité d’effectuer des réactions uniquement en présence d’eau)
et de faciliter la séparation (idéalement par simple décantation) minimisant ainsi la
quantité d’effluents toxiques et le coût énergétique. Ils sont généralement très effi-
caces, sélectifs et s’opèrent dans des conditions douces.
Dans cet article nous nous focaliserons sur les applications du transfert de

2
phase en chimie de synthèse selon trois grandes approches : la catalyse par
transfert de phase qui implique un transfert en phase organique, le transfert
de phase inverse qui implique un transfert en phase aqueuse et les systèmes
thermorégulés qui impliquent un transfert de phase ou une séparation de
phase induite par variation de température.

1. Catalyse par transfert – les réactions qui font intervenir des anions disponibles sous
forme de sels (cyanures, halogénures, azotures ou sels d’acides
de phase (CTP) : transfert organiques « forts » comme les carboxylates...). Dans ce cas, la réac-
tion procède selon un mécanisme dit « d’extraction » décrit figure 1.
de réactifs et/ou Les sels sont introduits en solution aqueuse (système liquide-liquide
L/L) ou sous forme solide (système solide-liquide S/L). La phase
de catalyseurs en phase organique contient le substrat organique en solution dans un sol-
vant organique ou pur, s’il est liquide. Le catalyseur transfert en
organique continu l’anion réactif en phase organique, sous forme de paire
d’ions lipophiles générée par échange d’ions, phase dans laquelle se
La catalyse par transfert de phase (CTP) est maintenant une techni- produit la réaction. Ce mécanisme s’applique par exemple à des
que bien établie, largement utilisée en chimie de synthèse et appli- réactions de substitutions nucléophiles, d’estérifications, d’oxyda-
quée dans de multiples procédés industriels. Nous présentons ici le tions ou de réductions (figure 1, encadré 1) ;
principe de la catalyse par transfert de phase et ses avantages pour le – les réactions qui font intervenir des anions organiques générés in
développement de procédés plus écorespectueux, ses principales situ à partir d’acides organiques faibles comme les carbanions, alcoo-
applications avec les développements récents les plus saillants. Pour lates, amidures, thiolates, etc. Dans ce cas la réaction procède selon
un panorama complet et détaillé des multiples applications de la cata- un mécanisme interfacial décrit figure 2. La base inorganique est
lyse par transfert de phase le lecteur pourra se reporter aux articles introduite sous forme de solution aqueuse concentrée (NaOH ou
[J1192][J1230v2] de cette base et aux ouvrages cités en références. KOH) pour les procédés L/L ou sous forme solide (NaOH, KOH,
K2CO3) pour les procédés S/L. La phase organique contient le précur-
seur de l’anion (acide organique faible AH), le réactif électrophile, le
1.1 Principe et applications catalyseur de transfert de phase et le solvant. L’anion réactif est
généré à l’interface par réaction avec la base, puis est transféré dans
La catalyse par transfert de phase repose sur le transfert d’un la phase organique sous forme de paire d’ions lipophiles A–Q+ où il
réactif anionique en phase organique par formation d’une paire réagit avec l’électrophile (généralement un agent alkylant). Cette
d’ions lipophiles avec un cation lipophile, appelé catalyseur de technique s’applique à un vaste panel de réactions (figure 2,
transfert de phase. Cette technique est applicable à une grande encadré 1) : C-, O-, N-, S-alkylations, éliminations, réactions de Wit-
variété de réactions au cours desquelles des anions, organiques ou tig et analogues, réactions de Darzens, additions de Michael, etc.
inorganiques, réagissent avec des substrats organiques. Les réac- Les réactions impliquant des carbènes, comme l’insertion de
tions peuvent être conduites en système liquide-liquide (L/L : eau / dichorocarbènes sur des doubles liaisons et la formation d’isonitri-
solvant organique ou substrat liquide pur) ou en système solide- les, procèdent selon le même schéma. Le dichlorocarbène est
liquide (S/L). Dans ces systèmes biphasiques hétérogènes, une généré par action de la soude sur le chloroforme utilisé comme
phase (phase aqueuse ou solide) est le réservoir d’anions réactifs solvant [J1192][J1230v1] [1].
ou de base (qui permet la génération d’anions organiques) alors
que le substrat organique est localisé dans la seconde phase La catalyse par transfert de phase est également utilisée pour
(phase organique). Les anions réactifs sont continûment transférés des réactions métallocatalysées telles que des réactions de carbo-
en phase organique sous forme de paire d’ions lipophiles avec un nylations de composés halogénés catalysées par le complexe dico-
cation lipophile (Q+) apporté par le catalyseur de transfert de phase balt octacarbonyle ou des complexes du palladium ou du nickel et
(typiquement un sel de tétraalkylammonium Q+X–). des réactions d’oxydations d’alcools et d’époxydation d’alcènes
par l’eau oxygénée catalysées par des tungstates ou d’autres poly-
En système L/L, les réactions sont généralement effectuées avec oxométallates [5][7]. Des réactions de couplage carbone-carbone
des solvants aromatiques (toluène), des solvants chlorés (chloro- telles que des réactions de Heck et de Suzuki (couplages d’aroma-
forme, dichlorométhane) ou sans solvant lorsque le substrat orga- tiques halogénés avec des alcènes ou des acides arylboroniques),
nique est liquide à la température de réaction. catalysées par des complexes ou des sels de palladium (en
En système S/L on utilise classiquement des solvants polaires l’absence de ligand) sont efficacement réalisées en milieu aqueux,
aprotiques (acétonitrile, DMF…) ou encore des solvants aromati- sans solvant organique, en présence de sels d’ammonium [5][8].
ques (toluène). De nombreux exemples de réactions couplant la catalyse par trans-
Les réactions de catalyse par transfert de phase peuvent être fert de phase avec une activation micro-ondes ou ultrasons ont été
divisées en deux grandes catégories [1] : décrites, notamment en systèmes solide-liquide [2][6] [K1250]. L’utili-

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Phase organique R X + M +Y – R Y
R X + Q+ Y– R Y + Q+ X– X = Cl, Br, I M = Na, K...
Y = CN, N3, RCO2, F, Cl, Br, I

M+X– + Q+ Y– M+Y – + Q+ X– R + Ox. R CO2H


Phase aqueuse Ox. = MnO4– , RuO4 , OsO4

R
R
CH OH + Ox. O

2
2– R'
R' Ox. = ClO– , Cr2O7 R' = H, alkyle

R R

O + NaBH4 CH OH
R'
R' = H, OH, alkyle R'

Figure 1 – Catalyse par transfert de phase par mécanisme d’extraction et exemples de réactions typiques

Phase R X A R R' Z H+R X R' Z R


organique Z = O, S, NR1
A H
Q+A– Q+X– Y
Y R X CH R
CH2 + W
Q+A– Q+X– W Y
Z Z
Interface A H
Y, W, Z = groupement attracteur W
M+A– M+X–
Cl Cl
Phase
aqueuse M+OH– H2O M+X– R R' + CHCl3 R R'

Figure 2 – Catalyse par transfert de phase par mécanisme interfacial et exemples de réactions typiques

sation des micro-ondes permet de diminuer notablement les temps


de réactions par rapport aux réactions conduites sous activation ther-
mique (quelques dizaines de minutes par rapport à quelques heures).
À titre d’exemples, les réactions suivantes ont été réalisées en CTP ronnes, cryptands,
sous activation micro-ondes, sur des échelles allant du gramme au Sels d’onium
polyéthylène-glycols
kilogramme : O-alkylations (synthèse d’esters et d’éthers), oxydation
d’alcools par l’eau oxygénée, N-alkylations, réactions de couplage C-C
Bu4N+ X– O O O
ou encore la synthèse de polymères comme les résines époxy [6].
(X = Cl, Br, HSO4) O O N O O N
O O
Et3BuN+ Cl–
1.2 Catalyseurs de transfert de phase O O
Cryptand (2,2,2)
PhCH2NEt3+ Cl– O
1.2.1 Catalyseurs de transfert de phase 18-crown-6
conventionnels (C8H17)3NMe+ Cl– O OMe
(Aliquat 336) N O OMe
■ Les catalyseurs de transfert de phase les plus couramment HO(CH2CH2O)nH O OMe
employés sont des sels d’ammonium quaternaire ou de phospho- Bu4P+ Cl–
PEG 400-6 000 (TDA)
nium. Des exemples de catalyseurs usuels sont fournis figure 3.
Les sels d’ammonium, peu coûteux, sont les plus utilisés. Les sels +
de phosphonium présentent l’intérêt d’une plus grande stabilité au NBu3 X–
dessus de 100 ° C. La charge en catalyseur est classiquement de 1 Catalyseurs supportés PS
+
à 5 % molaire. ou PBu3 X–

■ Les éthers-couronnes et les cryptands (figure 3) forment des


complexes avec les cations alcalins et permettent ainsi le transfert
de l’anion associé. Ce sont des agents de transfert très efficaces
pour les réactions en système solide-liquide. Ils sont stables à haute Figure 3 – Exemples de catalyseurs de transfert de phase

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température jusqu’à 150-200 ° C et en milieu basique. Ils présentent Les catalyseurs de transfert de phase chiraux ont permis de réa-
cependant l’inconvénient d’être coûteux. Un analogue acyclique, liser de multiples réactions d’alkylations énantiosélectives d’acides
moins onéreux, la tris(3,6-dioxaheptyl)amine (TDA) est également aminés ou de β-cétoesters [22] à [26]. L’alkylation de dérivés d’aci-
un bon agent de transfert de phase pour des réactions S/L [2]. des aminés (plus particulièrement des imines) par catalyse par
transfert de phase est très efficace pour la synthèse asymétrique
■ Les polyéthylène-glycols (PEG) : ces polyéthers sont des substituts de dérivés mono- ou di-alkylés en α avec de très bons excès énan-
économiques aux éthers-couronnes. Ils présentent de plus l’intérêt
tiomériques (figure 5) ([22] à [26]). Les autres réactions énantio-
d’être faciles à séparer et peuvent être récupérés en fin de réaction
sélectives réalisées par CTP sont notamment les réactions
[2][4][9][10]. Des PEG, de masses molaires comprises entre 400 et
d’additions de Michael de dérivés d’acides aminés ou de dérivés
6000, ont été utilisés comme catalyseurs de transfert de phase pour
une grande variété de réactions en système solide-liquide avec ou maloniques sur des cétones α,β-insaturées (figure 6), des réactions
sans solvant organique (éthérifications, substitutions nucléophiles, d’aldolisation, des réactions de Mannich, des réactions de Darzens,
oxydations, réductions, carbonylations) [9]. Un intérêt majeur des des réactions d’époxydation de doubles liaisons activées par l’eau

2
PEG est la possibilité de les utiliser comme solvant permettant ainsi oxgénée ou l’hypochlorite de sodium [22][23].
de s’affranchir de l’utilisation de tout autre solvant organique [9].
■ Les liquides ioniques comme les sels d’imidazolium sont des
agents de transfert de phase efficaces et récupérables. Ils peuvent
F
être utilisés comme catalyseurs de transfert de phase dans des
procédés S/L classiques avec solvant organique [11]. Les liquides Br– F
ioniques comme le [bmim][PF6] peuvent également être utilisés
comme solvant réactionnel unique, en l’absence de solvant H N+ F
organique : ils permettent une séparation facile des produits par
distillation, extraction classique ou extraction par le CO2 supercriti- OR
+N
que et un recyclage du liquide ionique après élimination des sels
par lavage à l’eau [12]. N
Br–
Plus récemment, des dérivés perfluorés d’éthers-couronnes et F
de sels d’onium ont été développés pour la mise en œuvre de 1a R = H
réactions biphasiques L/L ou S/L avec des solvants fluorés ou des 1b R = allyle 3 F
solvants organiques classiques. Dans ce dernier cas, les propriétés F
de solubilité des catalyseurs perfluorés permettent leur séparation
par simple variation de température [13] (cf. § 3.2.1). Ph
Ar Ar
HO Cl–
1.2.2 Catalyseurs de transfert de phase supportés O
+N
N+ Me
2 BF4–
Les catalyseurs de transfert de phase classiques posent parfois O + Me
N H N
des problèmes de séparation, leur récupération est souvent diffi-
cile et nécessite des étapes séparatives supplémentaires. L’utilisa- Ph Ar Ar
tion de catalyseurs supportés facilite la séparation des produits en
fin de réaction et permet un recyclage aisé du catalyseur. 2 4 Ar = p-C6H4-Me

Les exemples les plus courants sont des catalyseurs de type


ammonium, phosphonium ou PEG immobilisés sur des supports soli- Figure 4 – Catalyseurs de transfert de phase chiraux
des polymériques (résines à base de polystyrène réticulé) ou inorga-
niques (silice, alumine, argiles, magnétite) [2][4][14][15][16][17]. On
parle dans ce cas de « catalyse triphasique » ; le catalyseur supporté,
qui constitue une troisième phase solide, est généralement moins
actif que les analogues solubles en raison des limitations dues au
transfert de masse et à la diffusion inhérentes à l’immobilisation. O O
L’immobilisation sur des polymères solubles dans le milieu réac- Ph N Ph N
tionnel permet de pallier ces limitations et conduit à des cataly- Ot-Bu + PhCH2Br Ot-Bu
seurs beaucoup plus efficaces, tout en permettant une séparation Ph Ph Ph
et une récupération facilitées [18][19][20]. Des catalyseurs suppor- (R) ou (S)
tés sur polyéthylène-glycols, polyacrylamides (notamment le PNI-
PAM) ont été plus particulièrement étudiés et utilisés, par exemple,
pour des réactions de substitution nucléophile, O- et N-alkylation Catalyseur Conditions Rdt Ee %
et d’oxydation par l’eau oxygénée [18][19][20][21].
1a KOH 50 % eau/PhMe
68 % 91 % (S)
(10 % mol) 20 °C ; 18 h
1.3 Catalyse par transfert de phase 1b CsOH/CH2Cl2
87 % 94 % (S)
asymétrique (10 % mol) – 78 °C ; 23 h

De nombreuses réactions énantiosélectives ont été réalisées en 2 NaOH 50 % eau/PhMe


75 % 66 % (R)
présence d’agents de transfert de phase chiraux [22][23][24][25][26]. (10 % mol) 20 °C ; 9 h
Les catalyseurs de transfert de phase chiraux les plus performants KOH 50 % eau/PhMe
3
sont des sels d’ammonium dérivés d’alcaloïdes (cinchonine, cinchoni- (0,05 % mol)
98 % 99 % (R)
0 °C ; 2 h
dine, quinine, quinidine), des sels d’ammonium de symétrie C2 tels
que des dérivés de tartrate ou de binaphtyle, des sels d’éphédrine
ainsi que des éthers-couronnes chiraux. Quelques exemples de cata-
lyseurs chiraux commerciaux sont fournis figure 4. Figure 5 – Alkylation énantiosélective

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O O 5 C6H13 Encadré 1 – Réactions conduites avantageusement


Ph2C N 4 (10 % mol) par catalyse par transfert de phase
OBn O
+ Cs2CO3 (1 équivalent) O-Alkylation (éthérification, estérification, transestérification)
O O Ph Cl BnO2C N CPh2
– 40 °C, 66 h N-Alkylation
5 C6H13 84 %, 82 % ee C-Alkylation
S-Alkylation
Figure 6 – Addition de Michael énantiosélective
Oxydation d’alcools, epoxydation d’alcènes
Réduction (borohydrure)
1.4 Intérêts et domaines d’application
de la catalyse par transfert de phase
Hydrohalogénation, déshydrohalogénation
Polymérisation (polycarbonate, résine époxy)
2
Les intérêts et avantages de la catalyse par transfert de phase Addition de Michael
sont multiples :
Aldolisation
■ Les réactions par transfert de phase sont généralement sélecti-
Réaction de Darzens
ves et conduisent le plus souvent à de très bons rendements avec
peu de sous-produits. En effet, la nucléophilie du réactif anionique Réaction de Knoevenagel
est exacerbée puisque l’anion extrait en phase organique sous
forme de paire d’ions avec le catalyseur de transfert de phase est Réaction de Wittig et d’Horner-Emmons
peu solvaté (« anion nu »). Cet effet est d’autant plus marqué que Réaction de carbènes (insertion de dichlorocarbènes, prépa-
le cation Q+ est volumineux. L’anion réactif étant transféré continû- ration d’isonitriles)
ment en phase organique, sa concentration dans la phase réactive
est limitée (elle n’excède pas celle du catalyseur usuellement intro- Réactions métallocatalysées (carbonylation, oxydation, cou-
duit à 1-5 % molaire) ; le partenaire réactionnel est en large excès, plage carbone-carbone, réduction)
ce qui conduit à des conversions élevées et limite les réactions Réactions de substitutions :
secondaires.
Nucléophile Substrat
■ La catalyse par transfert de phase constitue une alternative Cyanure Halogénoalcane
écorespectueuse à de nombreux procédés classiques de synthèse
organique : Azoture Halogénure d’acide
– elle permet de limiter (voire d’éliminer) l’emploi de solvants Nitrite, nitrate Anhydride
organiques ; elle constitue souvent une alternative à des procédés
utilisant des solvants dipolaires aprotiques ; Bromure, Iodure, Sulfochlorure
– elle permet d’éviter l’emploi de réactifs coûteux et dangereux Fluorure
comme les bases fortes (NaH, NaNH2, tBuOK, R2NLi..) dans les
réactions d’alkylation par exemple ; Thiocyanate, cyanate Epichlorhydrine
– les procédures sont simples avec une séparation facile des Sulfure, Sulfite Halogénure de phosphoryle
produits ;
Carboxylate
– les rendements élevés et l’absence (ou la quantité limitée) de
sous-produits facilitent les étapes de séparation et de purification
des produits ;
– les procédés sont peu coûteux en énergie et minimisent la solubilisation en phase aqueuse par formation d’un intermé-
quantité de déchets. diaire réactionnel hydrosoluble ou d’un complexe d’inclusion
hydrosoluble. Le transfert peut également être obtenu au
La catalyse par transfert de phase est maintenant communément moyen de composés tensioactifs qui permettent soit la solubili-
utilisée en synthèse organique et intervient dans de multiples pro- sation dans des agrégats, soit la dispersion sous forme de gout-
cédés industriels. telettes ou de fines particules solides.
L’encadré 1 récapitule les grands types de réactions qui peuvent Compte tenu des préoccupations environnementales actuelles
être effectuées par catalyse par transfert de phase.
et des limitations relatives à l’emploi de solvants organiques,
l’utilisation de l’eau comme solvant réactionnel connait un inté-
rêt croissant. De nombreux travaux ont permis de démontrer
que l’eau est un solvant de choix pour bon nombre de réactions
2. Transfert de phase inverse : de synthèse organique qui peuvent y être conduites dans des
transfert de réactifs et/ou conditions douces avec des rendements et des sélectivités sou-
vent améliorés par rapport aux solvants organiques [K1210].
de catalyseurs en phase
aqueuse 2.1 Transfert de phase inverse
par formation d’un intermédiaire
Il s’agit ici de l’approche inverse qui fait intervenir un trans- réactionnel hydrosoluble
fert d’un ou plusieurs partenaires réactionnels lipophiles, orga-
nosolubles, dans l’eau et ainsi permet à la réaction de se Les premiers exemples décrits de catalyse de transfert de phase
produire en phase aqueuse. Le transfert peut être réalisé par inverse sont des réactions d’acylation catalysées par la diméthylami-
adjonction d’un catalyseur de transfert de phase qui permet la nopyridine ou l’oxyde de pyridine [27][28] (figure 7). La réaction fait

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Catalyse redox par les phosphines

par Charlotte LORTON


2
Doctorante de l’Université Paris-Saclay
ICSN-CNRS, Gif-sur-Yvette, France
et Arnaud VOITURIEZ
Directeur de Recherche CNRS
ICSN-CNRS, Gif-sur-Yvette, France

Introduction
es phosphines jouent un rôle primordial en tant que promoteurs dans
L de nombreuses transformations classiquement utilisées en chimie orga-
nique dans lesquelles, le plus souvent, la phosphine est oxydée
(réactions de Wittig, Mitsunobu, Staudinger…). Si elles sont très effi-
caces et utilisées quotidiennement dans les laboratoires de recherche
académique et en industrie pour la formation de liaisons carbone-
carbone et carbone-hétéroatome, ces réactions sont également généra-
trices d’une quantité importante de déchets chimiques, notamment en
oxyde de phosphine. Or ce sous-produit complique très souvent l’étape de
purification. Ainsi, afin de diminuer la quantité de phosphine utilisée, plu-
sieurs chercheurs à travers le monde ont développé des procédés
catalytiques redox P(III)/P(V) par régénération in situ de la phosphine tri-
valente. Pour ce faire, les silanes, qui peuvent être également des déchets
de l’industrie des silicones, sont utilisés comme agents réducteurs. Ainsi, il
est maintenant envisageable de tendre vers une chimie plus économe en
atomes, et par là même de diminuer l’impact environnemental et la
demande en énergie de certaines réactions chimiques. Dans cet article,
après avoir détaillé la première réaction de Wittig catalytique en phos-
phine, toutes les conditions opératoires nécessaires à la réussite d’une telle
transformation sont exposées. Par la suite, plusieurs procédés catalytiques
redox par les phosphines sont décrits et présentés par grande classe de
réactions : oléfination de Wittig et ses dérivés, Mitsunobu (substitution
nucléophile sur un alcool), halogénation d’Appel, Staudinger (transforma-
tion d’un azoture en amine ou formation d’amides). Des exemples en
synthèse organique, et notamment la synthèse totale de produits naturels
sont présentés, tels que le (S)-vasicinone et les dichrocéphones A et B.
Enfin, dans le cas où les produits formés possèdent des centres stéréo-
gènes, il est possible d’utiliser une faible quantité de phosphines chirales,
et ainsi d’obtenir des produits optiquement actifs par catalyse asymétrique,
et notamment des cyclobutènes chiraux et des composés azotés tricycli-
ques complexes.
Le lecteur trouvera en fin d’article un glossaire et un tableau des notations
utilisées.
Parution : mars 2021

2-2021 © Editions T.I. IN 405 - 1

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Points clés
Domaine : Catalyse / Chimie verte
Degré de diffusion de la technologie : Émergence
Technologies impliquées : Organocatalyse, catalyse asymétrique
Domaines d’application : Chimie

2 Principaux acteurs français : A. Voituriez (CNRS, Université Paris-Saclay)


Autres acteurs dans le monde : O. Kwon (UCLA, USA), T. Werner (University
of Rostock, Germany), C. J. O’Brien (ChemTank Ltd, Ireland), R. M. Denton
(University of Nottingham, UK), F. L. van Delft (Radboud University, Netherlands),
J. Mecinović (University of Southern Denmark), A. Radosevich (MIT, USA)
Contact : arnaud.voituriez@cnrs.fr
https://icsn.cnrs.fr/cv/voituriez

1. Contexte la catalyse enzymatique ont longtemps dominé le domaine de


la catalyse asymétrique, l’alternative de l’organocatalyse, qui
Les composés organophosphorés jouent un rôle primordial en propose d’utiliser des petites molécules organiques chirales afin
synthèse organique et sont employés quotidiennement aussi de réaliser ces réactions asymétriques, a connu un essor crois-
bien dans les laboratoires académiques qu’à grande échelle sant depuis une vingtaine d’années. Ainsi, ce qui paraissait
dans l’industrie. Parmi les réactions promues par des phos- impossible auparavant, puisqu’il n’était pas imaginable d’utiliser
phines, figurent notamment les réactions de Wittig et aza-Wittig de grandes quantités de phosphines chirales extrêmement coû-
(formation de double liaisons carbone-carbone et carbone- teuses, devient réalisable par l’utilisation de cette méthodo-
azote), de Mitsunobu (substitution nucléophile sur des fonc- logie. Ces nouvelles réactions catalytiques, qui visent à faciliter
tions alcools), d’Appel (réaction d’halogénation d’alcools) ou les purifications, mais également à obtenir des produits énan-
de Staudinger (réduction d’azoture en amine ou réaction de tioenrichis, ne sont pas juste des curiosités de la recherche aca-
formation d’amides) [1] [2] [3]. Si l’efficacité de ces réactions démique, mais intéressent également le monde industriel. Par
n’est plus à démontrer du fait de leurs nombreuses applications exemple, depuis 2005, l’American Chemical Society (ACS), dans
en synthèse, ces transformations possèdent également des le cadre de la Green Chemistry Institute a initié une table ronde
désavantages. En effet, la principale force motrice de ces réac- regroupant une quinzaine de compagnies pharmaceutiques, afin
tions étant la formation d’une liaison forte phosphore-oxygène, de catalyser la mise en œuvre de la chimie verte et de l’ingé-
une quantité stœchiométrique de déchet d’oxyde de phosphine nierie verte dans l’industrie pharmaceutique mondiale. En 2018,
est formée en parallèle de la formation du produit désiré. Ce ils ont priorisé dix domaines ou réactions clés qui les ont parti-
sous-produit n’étant généralement pas soluble dans l’eau, il culièrement intéressés, car pouvant répondre à leurs besoins
peut co-éluer avec le produit synthétisé, ou bien précipiter avec spécifiques [9]. Le développement de la réaction de Wittig cata-
ce dernier dans le cas où un solide est attendu. Cela pose bien lytique en phosphine faisait partie de cette liste, démontrant
évidemment de gros problèmes de purification, notamment à tout l’intérêt de ce domaine, également pour les industriels.
une échelle industrielle. Cet article est organisé par grande famille de réactions, à
Plusieurs solutions ont été mises au point afin de résoudre commencer par la plus connue d’entre elles, la réaction d’oléfi-
ces difficultés, parmi lesquelles nous pouvons citer l’immobilisa- nation de Wittig. Dans chaque chapitre, nous nous efforçons de
tion de la phosphine sur un support solide [4], l’utilisation de présenter brièvement la réaction, ainsi que son mécanisme.
phosphines solubles dans l’eau [5], ou encore la synthèse Les premiers exemples historiques sont par la suite détaillés,
de phosphines contenant des chaînes fluorées permettant une avec dans certains cas des développements plus récents et des
extraction de cette dernière par une phase fluorée [6]. Une applications synthétiques. Le dernier chapitre expose les résul-
alternative a été initiée en 2009 et repose sur la régénération tats les plus novateurs dans le domaine, à savoir le développe-
dans le milieu réactionnel de la phosphine à son degré d’oxyda- ment de procédés catalytiques en phosphine et asymétriques.
tion PIII via la réduction in situ de l’oxyde de phosphine PV=O à Cette revue n’a pas vocation à être exhaustive et toutes les
l’aide d’un agent réducteur [7] [8]. Cette méthodologie a été réactions rendues catalytiques par réduction in situ de l’oxyde
développée initialement pour la réaction de Wittig, mais elle a de phosphine ne sont pas détaillées. Pour aller encore plus loin
par la suite été appliquée à de très nombreuses autres transfor- dans le domaine, la lecture de revues plus spécialisées est
mations, comme nous allons le voir au cours de cette revue. recommandée [10].
L’intérêt le plus important de cette méthode est qu’il est doréna-
vant envisageable d’utiliser des quantités sous-stœchiométriques
de phosphine. Ainsi, à la fin de ce procédé catalytique, les 2. Réaction de Wittig catalytique
déchets en oxyde de phosphine très difficilement séparables
des produits de la réaction sont remplacés par des déchets en 2.1 Présentation
hydroxysilane facilement éliminable du milieu réactionnel par
simple extraction liquide/liquide. L’autre avantage indéniable de Cette réaction est l’une des plus utilisées en chimie orga-
ce procédé est qu’il est maintenant possible d’envisager des nique, pour la formation de doubles liaisons carbone-carbone,
réactions asymétriques, par l’utilisation de faibles quantités de en partant de dérivés carbonylés [RR’C(O)] et d’ylures de
phosphines chirales. En effet, si la catalyse organométallique et phosphore [RR’C=(PR3)] [11]. Découverte en 1953 par Georg

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Réduction de l’oxyde
de phosphine

2
PPh3 Br O = PR3 PR3
R2
R1
R2
R3
Réaction R3 X
O
de Wittig (A)
O O
O O = PPh3
R1
R2 R2
Déprotonation X
OR R3
R3 PR3 PR3
H
R = C(O)CH3 Base
Saponification Ylure Sel
de phosphore de phosphonium
Vitamine A (R = H) (C) (B)

a application industrielle de la réaction b mécanisme de la réaction de Wittig catalytique


de Wittig

Figure 1 – Application industrielle et mécanisme de la réaction de Wittig

Wittig [12], elle lui a notamment valu en 1979 le prix Nobel, catalytique par réduction de l’oxyde de phosphine et donc la
pour « le développement de l’utilisation des composés phos- régénération de la phosphine trivalente. Il est donc possible
phorés comme réactifs importants en synthèse organique ». d’utiliser une quantité sous-stœchiométrique de phosphine.
Parmi les applications marquantes de cette réaction dans
l’industrie, nous pouvons citer la synthèse de la vitamine A 2.2 Premiers exemples de la réaction
(figure 1a) [13] [14].
de Wittig catalytique
Le mécanisme de cette réaction se divise en quatre étapes
consécutives dont la première consiste en la formation du sel ■ La première réaction de Wittig, utilisant des quantités sous-
de phosphonium (B) résultant de la substitution nucléophile stœchiométriques de phosphine, a été mise au point par
de la phosphine trivalente (PR3) sur le partenaire halogéné l’équipe du C. J. O’Brien en 2009 (figure 2) [16]. En utilisant
(A) (figure 1b). Ce sel de phosphonium est ensuite converti l’oxyde de 3-méthyl-1-phénylphospholane comme catalyseur,
en ylure de phosphore (C) par déprotonation, en présence le diphénylsilane comme agent réducteur et le carbonate de
d’une base organique ou inorganique. Cet ylure de phosphore sodium (Na2CO3) comme base, dans le toluène à 100 °C et
réagit alors avec un aldéhyde (RCHO) ou une cétone après 24 h de réaction, plusieurs oléfines ont ainsi pu être
[RR’C(O)] par réaction de Wittig intermoléculaire aboutissant à synthétisées. Comme nous allons l’expliquer par la suite, la
l’oléfine désirée [15]. Comme exposé précédemment, le gros structure cyclique de la phosphine possède un rôle important
point négatif de ce procédé est qu’il est peu économique en dans le succès de cette réaction. De nombreux aldéhydes por-
atomes, du fait de la formation d’oxyde de phosphine (R3P=O) tant des substituants alkyles, aryles ou des hétéroaryles, ainsi
comme déchet. Il n’est donc pas étonnant que des chercheurs que différents dérivés bromés primaires électrodéficients ont pu
aient voulu développer une version catalytique en phosphine être utilisés (21 exemples avec des rendements de 60 à 81 %,
de cette transformation. 34:66 à > 95:5 en termes de rapport d’isomères E/Z). Dans
certains cas, le triméthoxysilane peut être employé comme
Il est important ici de différencier une réaction promue par agent réducteur, de même que la N,N-diisopropyléthylamine
une phosphine (> 1 équivalent) ou catalysée par une espèce (DIPEA) a pu être utilisée comme base organique soluble [17]. Il
phosphorée (5 à 20 %mol dans la majorité des cas rencontrés est à noter que, durant cette transformation catalytique, le
dans le cadre de cette revue). Ce changement fondamental ratio des isomères E/Z était susceptible de changer au cours du
est lié à la stœchiométrie des réactifs introduits au début de temps en faveur de l’isomère E. Il a été postulé que cette post-
la réaction. Ainsi, dans le cas de la synthèse décrite dans la isomérisation résultait d’une addition nucléophile de la phosphine
figure 1a, les quantités de tous les réactifs, incluant l’espèce trivalente sur l’oléfine Z, suivie d’une élimination aboutissant à
phosphorée, sont proportionnelles à leurs nombres stœchio- l’oléfine E de façon majoritaire.
métriques au début de la réaction. C’est le cas rencontré dans
une réaction de Wittig « classique ». Tout l’intérêt des travaux ■ Ainsi, en utilisant cette nouvelle méthodologie catalytique, il a
détaillés dans le cadre de ce paragraphe réside dans la régé- pu être isolé un intermédiaire clé de la synthèse du chlorhy-
nération in situ de l’espèce phosphorée à un niveau d’oxyda- drate de donépézil (commercialisé sous le nom Aricept®),
tion P(III). Ainsi, un agent réducteur permet de boucler le cycle utilisé dans le traitement de la maladie d’Alzeimer (figure 3).

2-2021 © Editions T.I. IN 405 - 3

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P (10 %mol)
Ph O
O R2 R2
Ph2SiH2 (1,1-1,5 équiv.) R1

2
+
R1 H R3 Br Na2CO3 (1,5 équiv.) R3
toluène, 100 °C, 24 h 21 exemples
Rdts = 60-81 %
Rapport E/Z = 34:66 à >95:5

R R CN

Ph
R = CO2Me, 74 %, >95:5 R = CO2Me, 70 %, 60:40 63 %, 66:34
R = CN, 80 %, 75:25 R = CF3, 70 %, 60:40
R = COPh, 74 %, >95:5

CO2Me CO2Me
R Ph
3
R = CO2Me, 65 %, >95:5 77 %, 83:17 68 %, >95:5
R = CN, 66 %, 66:34

Figure 2 – Première réaction de Wittig catalytique en phosphine

O
P
(10 %mol)
Ph O O
Ph N
Ph2SiH2 (1,2 équiv.)
+
O iPr2NEt (1,1 équiv.) Ph N
OMe OMe
toluène, 100 °C, 24 h
Br E/Z >95:5
74 % (12,2 g) OMe
OMe

O H2, Pd/C

Ph N OMe
HCl
OMe
Chlorhydrate de donépézil

Figure 3 – Application de la réaction de Wittig dans la synthèse d’une molécule d’intérêt

En présence de seulement 10 %mol d’oxyde de phosphine, et ■ Malgré les avantages indéniables de ce procédé, il subsiste
du diphénylsilane comme agent réducteur, à 100 °C pendant encore certains inconvénients. Notamment, d’un point de vue
24 h, le produit désiré a été synthétisé avec un rendement de pratique, il serait plus avantageux de réaliser cette réaction
74 %, sur une échelle de plus de 40 mmol. Dans cet exemple, d’oléfination à température ambiante, au lieu de chauffer à 100 °C.
la sélectivité de la réaction de Wittig a été totalement en Une observation expérimentale a permis à O’Brien de résoudre
faveur de l’isomère E. Une réaction d’hydrogénation subsé- ce problème. En effet, il s’est aperçu qu’il était possible de
quente a permis d’obtenir le chlorhydrate de donépézil, prin- diminuer la température réactionnelle si un aldéhyde non
cipe actif du médicament. purifié, contenant des traces d’acide carboxylique, était utilisé

IN 405 - 4 © Editions T.I. 2-2021

60
Référence Internet
IN405

INNOVATION

P (10-20 %mol)
nBu O
O R2 PhSiH3 (1,4 équiv.) R2
+ R1
R3

2
R1 H R3 CO2H
Br
(2,5-10 %mol) 16 exemples
Rdts = 61-91 %
O2N
Rapport E/Z = 51:49 à >95:5
iPr2NEt (1,4 équiv.)
EtOAc, 20 °C, 24 h

Figure 4 – Réaction de Wittig à température ambiante

(figure 4). Ainsi, une réaction de Wittig a pu être réalisée en nant les phosphines acycliques (I), les trialkylphosphines
présence d’oxyde de 1-butylphospholane et de phénylsilane à (comme la tributylphosphine) sont plus nucléophiles que leurs
température ambiante en ajoutant un équivalent d’acide 4-nitro- analogues aryliques (comme la triphénylphosphine). Pour les
benzoïque (16 exemples, rendements de 61 à 91 %, rapport phosphines cycliques, plus le cycle est grand, et plus la phos-
d’isomères E/Z de 51:49 à > 95:5) [18]. Cet additif aurait un phine sera nucléophile. Ainsi, des phosphines à 5-6 chaînons
double effet permettant d’une part de faciliter le processus de sont bien plus nucléophiles que leurs analogues à 4 chaînons. En
réduction et, d’autre part, de solubiliser le sel de phosphonium ce qui concerne la facilité de réduction de l’oxyde de phos-
intermédiaire, offrant ainsi une meilleure réactivité. phine, les phosphines cycliques sont plus faciles à réduire que
leurs homologues acycliques. Cela est d’autant plus vrai pour
des phosphines cycliques à 4 ou 5 chaînons. Le meilleur compro-
2.3 Prérequis au développement mis entre la nucléophilie et la facilité de réduction a donc été
de procédés catalytiques établie avec les oxydes de phosphines cycliques à 5 chaînons,
en phosphine tels que l’oxyde 5-phénylbenzo[b]phosphindole (II), l’oxyde
3-méthyl-1-phénylphospholène (III) ou l’oxyde de 3-méthyl-
À travers le développement de ce premier procédé de Wittig 1-phénylphospholane (IV), utilisés par l’équipe de O’Brien. En
catalytique, il semble se dessiner trois critères nécessaires à ce qui concerne les phosphines chirales utilisées en catalyse
l’élaboration d’un tel processus (figure 5). asymétrique (§ 7), les meilleurs catalyseurs se sont avérés
être les phosphines bicycliques de la famille des HypPhos (V).
■ La structure de la phosphine
La phosphine doit être suffisamment nucléophile pour la ■ La nature de l’agent réducteur
première étape de formation du sel de phosphonium. Cepen- L’agent réducteur doit être suffisamment réactif afin de
dant, l’oxyde de phosphine correspondant doit être également réduire la liaison P=O, qui est l’une des liaisons les plus fortes
réduit dans les conditions les plus douces possibles. Concer- en chimie organique, mais surtout suffisamment chimiosélectif

O OMe
TsN
P
R R P P
P P
R Ph O O
Ph O Ph O
(I) R = Ph, nBu,… benzophosphindole (II) phospholène (III) phospholane (IV) HypPhos (V)

a phosphines utilisées

CH3
PhSiH3 Ph2SiH2 Me(OEt)2SiH O
Si O
HMe2Si SiMe2H
H n
TMDS
PMHS
b agents réducteurs

Acides de Brѕnsted : Acide de Lewis:


ArCO2H (RO)2PO2H Ti(OiPr)4

c additifs

Figure 5 – Paramètres importants pour le développement de la réaction de Wittig catalytique

2-2021 © Editions T.I. IN 405 - 5

61
2

62
Intensification des procédés et méthodes d'analyse
durable
(Réf. Internet 42493)

1– Principes

2– Procédés catalytiques
3
3– Procédés de synthèse et de production Réf. Internet page

Ultrasons et sonochimie AF6310 65

Sonochimie organique K1250 69

Sonochimie : innovations et enjeux J8200 73

Micro-ondes en synthèse organique J5020 77

Synthèse organique sous haute pression CHV1610 81

Chimie supportée sur phase solide K1260 87

Microréacteurs pour l'industrie IN94 93

Microréacteurs : outils d’intensification de la chimie CHV2227 97

4– Procédés de séparation membranaire

5– Procédés d'extraction et de traitement de la


biomasse végétale

6– Méthodes et instruments d'analyse

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63
3

64
Référence Internet
AF6310

Ultrasons et sonochimie

par Christian PÉTRIER


Professeur des universités, université de Savoie (Chambéry)
Nicolas GONDREXON
Professeur des universités, université Joseph-Fourier (Grenoble)
et Primius BOLDO

3
Maître de conférences, université de Savoie (Chambéry)

1. Ultrasons .................................................................................................... AF 6 310 – 2


1.1 Généralités ................................................................................................... – 2
1.2 Effets associés à la propagation de l’onde ultrasonore et cavitation...... – 4
1.3 Champs d’application des ultrasons de puissance .................................. – 9
2. Sonochimie : applications ..................................................................... – 9
2.1 Synthèse organique .................................................................................... – 9
2.2 Matériaux ..................................................................................................... – 10
2.3 Environnement ............................................................................................ – 11
2.4 Électrochimie ............................................................................................... – 12
3. Réacteurs sonochimiques ..................................................................... – 12
3.1 Réacteur fermé ............................................................................................ – 12
3.2 Réacteur ouvert ........................................................................................... – 13
3.3 Méthodes de caractérisation de l’activité ultrasonore ............................. – 13
3.4 Hydrodynamique ......................................................................................... – 14
4. Conclusion ................................................................................................. – 14
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. AF 6 310

armi les domaines industriels faisant appel à une utilisation classique des
P ultrasons, le nettoyage constitue sans doute l’exemple le plus connu et le
plus remarquable. Du point de vue de la sonochimie, les applications des
ondes ultrasonores sont rares. Même si l’usage de cette technologie dans les
secteurs de la chimie fine, de la chimie de synthèse, de la chimie de spécialité
ou encore de la chimie de l’environnement est connu, il demeure souvent
confidentiel et relève dans la grande majorité des cas d’un savoir-faire volon-
tairement gardé secret.
Les ultrasons, identifiés par le CNRS comme l’une des technologies du
XXIe siècle, constituent une voie unique tant pour l’activation des phénomènes
de transfert que comme agent d’oxydation radicalaire ou de pyrolyse.
Parution : janvier 2008

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. AF 6 310 – 1

65
Référence Internet
AF6310

ULTRASONS ET SONOCHIMIE _________________________________________________________________________________________________________

1. Ultrasons et la puissance P (W) qui permet de quantifier l’énergie ultrasonore


transmise au milieu soumis aux ultrasons. Cette puissance, rap-
portée à l’unité de surface émettrice, définit l’intensité ultrasonore
(W · m−2). Elle peut aussi être relative au volume de milieu irradié ;
Aperçu historique c’est la puissance ultrasonore volumique (W · m−3). Les ultrasons
se différencient alors selon deux critères principaux : la fréquence
En 1880, Pierre et Jacques Curie découvrent l’effet piézo- et la puissance.
électrique direct en observant la polarisation électrique d’un Le domaine ultrasonore (figure 1) est divisé entre des ultrasons
échantillon de quartz soumis à une contrainte mécanique. de basse fréquence (16 à 100 kHz) et des ultrasons de haute et très
L’effet inverse, établi par Lippman, en 1881, permet de créer haute fréquence (supérieure à 100 kHz et 1 MHz respectivement).
une vibration mécanique à partir d’une énergie électrique
alternative. Cette découverte conduira Langevin à la mise au La puissance ultrasonore constitue également un critère de
point du sonar, première application connue des ultrasons. distinction : lorsque la puissance est faible (inférieure à 1 W), il n’y
Dans la seconde moitié du XXe siècle, cette technologie con- a pas d’interaction autre que vibratoire avec la matière et les ultra-
naît son essor le plus remarquable avec le développement sons n’induisent pas de modification du milieu qu’ils traversent.
industriel du nettoyage par ultrasons. Cette évolution se pour- Cela concerne l’ensemble des applications de contrôle non des-
suit avec l’émergence de la sonochimie et des nombreux tra- tructif (voir Contrôle non destructif (CND) [R 1 400]) et de diagnos-

3
vaux de recherche qu’elle recouvre, ouvrant ainsi sur la tic médical. Lorsque la puissance ultrasonore est suffisante, le
perspective de nouvelles applications des ondes ultrasonores. passage de l’onde ultrasonore s’accompagne de phénomènes phy-
siques non linéaires et des transformations chimiques associées.
On parle alors d’ultrasons de puissance dont l’émission est sus-
ceptible de modifier le milieu traversé.
1.1 Généralités
1.1.3 Propagation
1.1.1 Définition
Les ultrasons sont des ondes vibratoires de compression longi-
Les ultrasons appartiennent à la catégorie des sons inaudi- tudinale dont la propagation induit à la fois une variation spatiale
bles par l’Homme. Ce sont des ondes vibratoires dont la fré- et temporelle de la pression, comme ce qui peut être observé dans
quence est supérieure au seuil d’audibilité de l’oreille humaine le cas d’un piston oscillant (figure 2). Deux formes d’agitation du
qui se situe classiquement aux environs de 16 000 Hz. fluide en résultent. Du fait de la compressibilité du liquide, il appa-
raît un mouvement d’oscillation des éléments de liquide autour de
leur position d’équilibre. À cela s’ajoute un mouvement d’ensem-
1.1.2 Caractérisation ble provoqué par la propagation de l’onde.
Les grandeurs physiques caractéristiques principales de l’onde La transmission des ultrasons est un phénomène vibratoire pour
ultrasonore sont la fréquence f (hertz ou cycle par seconde), la lon- lequel se retrouvent les problèmes classiques de transmission, de
gueur d’onde λ (m), la vitesse de propagation ou célérité c (m · s−1) réflexion et d’ondes stationnaires.

18 kHz 100 kHz 1 MHz Fréquence


Basses fréquences Hautes fréquences Très hautes fréquences Domaine

Ultrasons Sonars marins Diagnostic


de faible
puissance
(< 1 W) Contrôle non destructif

Extraction solide-liquide

Sonochimie

Ultrasons de Dégazage
puissance
Applications
(> dizaine
de watts) Démoussage

Nettoyage

Émulsification

Figure 1 – Domaine ultrasonore et ses applications

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


AF 6 310 – 2 est strictement interdite. – © Editions T.I.

66
Référence Internet
AF6310

_________________________________________________________________________________________________________ ULTRASONS ET SONOCHIMIE

Il est évident que la transmission est d’autant meilleure que les


impédances sont proches. De même, on tend vers une réflexion
totale si l’impédance du second milieu est faible. C’est la raison de
la non-transmission de l’onde ultrasonore de l’eau vers l’air. Ces
grandeurs conditionnent le dimensionnement des émetteurs pour
Raréfaction
lesquels la longueur est un multiple de la demi-longueur d’onde
(tableau 1).

Compression 1.1.4 Génération des ondes ultrasonores


La création de l’onde ultrasonore nécessite un transducteur. Il
s’agit d’un dispositif capable de transformer l’énergie disponible
(mécanique ou électrique) en une vibration. Il existe trois grands
Raréfaction types de transducteurs.

■ Le sifflet acoustique inspiré du sifflet pour chiens est bien


connu. Une version, dans laquelle un jet de liquide à grande

3
Compression vitesse s’impacte sur une lame vibrante, est utilisée, notamment
pour réaliser des opérations d’homogénéisation de mélanges. Ce
procédé n’est toutefois pas utilisé en sonochimie.

■ La magnétostriction, qui consiste à utiliser la modification de


Raréfaction forme d’un alliage métallique (Terfenol-D® notamment) sous
l’effet d’un champ magnétique, est une voie pour la production
d’ultrasons de très forte puissance. Elle reste limitée aux fréquen-
ces ne dépassant pas 70 kHz et n’est guère utilisée en sonochimie.
Temps

L’application majeure actuelle est le sonar.

■ Les céramiques piézo-électriques (notamment PZT : titanate zir-


Figure 2 – Transmission de l’onde de pression conate de plomb) sont la solution la plus largement utilisée dans la
gamme 20 kHz à plusieurs mégahertz. L’effet piézo-électrique se
traduit par l’apparition d’une différence de potentiel entre les faces
En se limitant à une onde longitudinale, les paramètres princi-
de certains cristaux lorsqu’ils sont soumis à une déformation. C’est
paux sont l’impédance acoustique :
l’effet inverse qui est utilisé dans ce cas. Le fait d’appliquer une dif-
Z = ρc férence de potentiel alternative entre les deux faces d’un cristal
permet de créer une succession de phases de compression et de
et la longueur d’onde :
détente génératrices de mouvement (figure 3).
c
λ= Un générateur de fréquence et un amplificateur complètent le
f
avec Z impédance acoustique (kg · s−1 · m−2), montage classique. La variation de puissance de l’étage d’amplifi-
cation permet de faire varier l’amplitude de la vibration. L’ampli-
λ longueur d’onde (m),
tude de la déformation de la céramique est de l’ordre de grandeur
ρ masse volumique du milieu (kg · m−3), du micromètre.
c vitesse du son dans le milieu (m · s−1),
f fréquence (Hz).
Déformation Vibration
Pour une onde se propageant du milieu 1 vers le milieu 2, le
coefficient de transmission vaut :

2Z 2 V
Z 2 + Z1

et le coefficient de réflexion :
Effet Effet piézo-électrique
Z 2 − Z1 piézo-électrique inverse
Z 2 + Z1 Figure 3 – Piézo-électricité

Tableau 1 – Quelques caractéristiques acoustiques pour différents milieux


Longueur d’onde λ
Masse volumique ρ Célérité de l’onde c Impédance acoustique Z
à 20 kHz
(kg · m−3) (m · s−1) (kg · s−1 · m−2)
(m)

Air 1,29 344 0,017 444

Eau 1 000 1 500 0,075 1,5 · 106

Titane 4 430 5 073 0,254 22,5 · 106

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K1250

Sonochimie organique
par Micheline DRAYE
Professeur des universités, université de Savoie (Chambéry)
Laboratoire de chimie moléculaire et environnement

et Julien ESTAGER
Docteur de l’université de Savoie (Chambéry)
Laboratoire de chimie moléculaire et environnement

Conseillers éditoriaux pour cet article :

Max MALACRIA
Jean-Philippe GODDARD
et Cyril OLLIVIER
UPMC, Univ. Paris 06, Institut parisien de chimie moléculaire (UMR CNRS 7201)
3
1. Théorie .............................................................................................. K 1 250 – 2
1.1 Dynamique de bulle ........................................................................... — 2
1.2 Facteurs affectant la cavitation .......................................................... — 3
1.3 Estimation des paramètres ultrasonores........................................... — 3
2. Équipement de laboratoire et équipement industriel.............. — 4
2.1 Bacs à ultrasons ................................................................................. — 5
2.2 Sondes ultrasonores .......................................................................... — 5
2.3 Réacteurs haute fréquence................................................................. — 5
2.4 Réacteurs « cup-horn » ...................................................................... — 6
2.5 Réacteurs sifflets ................................................................................ — 6
2.6 Transducteurs pour réacteurs en continu.......................................... — 6
3. Application à la synthèse organique .......................................... — 6
3.1 Synthèse en milieu homogène .......................................................... — 6
3.2 Synthèse en milieu hétérogène ......................................................... — 7
4. Autres utilisations des ultrasons en chimie .............................. — 10
4.1 Sonophotocatalyse ............................................................................. — 10
4.2 Polymérisation sous ultrasons........................................................... — 10
4.3 Ultrasons et nanoparticules ............................................................... — 10
4.4 Chimie enzymatique sous ultrasons.................................................. — 10
4.5 Sonoélectrosynthèse .......................................................................... — 10
4.6 Utilisation des ultrasons pour la dégradation de polluants
organiques .......................................................................................... — 11
5. Limitations de la sonochimie........................................................ — 11
5.1 Reproductibilité .................................................................................. — 11
5.2 Homogénéité du champ ultrasonore ................................................. — 11
5.3 Détermination de la puissance ultrasonore ...................................... — 12
5.4 Scale-up .............................................................................................. — 12
6. Conclusions et perspectives des ultrasons en chimie
organique.......................................................................................... — 12
Pour en savoir plus.................................................................................. Doc. K 1 250

e terme sonochimie est utilisé pour décrire les processus chimiques et phy-
L siques qui se produisent en solution grâce à l’énergie apportée par les ultra-
sons. Ces effets sont reliés au phénomène de cavitation qui correspond à la
formation et à l’implosion de microbulles de gaz dans les liquides sous l’effet
des ultrasons. En s’effondrant, ces microbulles de cavitation libèrent d’impor-
tantes quantités d’énergie sous forme d’une intense chaleur locale, comparable
à la température à la surface du Soleil (5 000 K), de très haute pression (jusqu’à
1 000 atm), d’ondes de choc et de microcourants acoustiques ; chaque bulle de
cavitation peut ainsi être considérée comme un microréacteur.
Parution : mai 2009

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est strictement interdite. – © Editions T.I. K 1 250 – 1

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K1250

SONOCHIMIE ORGANIQUE –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

1. Théorie forte puissance. Les bulles de quelques micromètres de diamètre


qui apparaissent dans le liquide sont soumises à leur tour à l’exci-
tation ultrasonore qui provoque leur croissance, leur oscillation et,
Le spectre sonore est généralement divisé en quatre intervalles pour certaines, leur brusque implosion. Cette phase d’implosion est
définis en fonction de l’onde émise : alors accompagnée d’effets locaux très intenses (mécaniques et
– les infrasons dont la fréquence est comprise entre 0 et 16 Hz ; chimiques) à la base de l’ensemble des applications de la sonochi-
mie. La dynamique de la bulle est, en première approximation, la
– les sons audibles dont la fréquence est comprise entre 16 Hz et
conséquence de la compétition des forces inertielles (c’est-à-dire
16 kHz ;
issues de la différence de densité du gaz et du liquide), des forces
– les ultrasons dont la fréquence est comprise entre 16 kHz et
de cohésion issues de la tension superficielle, et de la pression
200 MHz ;
oscillante imposée.
– les hypersons dont la fréquence est supérieure à 100 GHz ;
Les ultrasons sont des ondes élastiques qui possèdent toutes les Encadré 1 – De l’histoire des ultrasons et de la sonochimie
propriétés générales des ondes sonores telles que la déformation organique
du milieu dans lequel elles se propagent (figure 1).
Les deux paramètres les plus évidents pour la caractérisation Bien que les chauves-souris, dont le plus ancien fossile date du
d’une onde de pression alternative sont la fréquence f et l’ampli- début de l’ère primaire, produisent des ultrasons depuis tou-
tude P. L’équation (1) fournit une forme simplifiée de l’évolution jours dans une gamme de fréquences de 30 à 80 kHz, ce n’est
qu’au début du XXe siècle que l’Homme apprit à les utiliser de

3
temporelle de la pression P(t) en un point donné d’un milieu élas-
tique tel que l’eau : manière fiable.
Inaudibles par l’oreille humaine, les ultrasons ont été décou-
P t = P max sin ð2pt + jÞ (1) verts en 1883 par le physiologiste anglais Francis Galton
(1822-1911), qui inventa le « sifflet à ultrasons ». Mais c’est la
avec Pmax amplitude maximale,
découverte, en 1880, de la piézoélectricité par les frères Pierre
t temps, (1859-1906) et Jacques (1856-1941) Curie qui a permis de pro-
j phase. duire facilement des ultrasons et de les utiliser. Ainsi, durant
les années 1910, il a été possible de générer des ultrasons
La gamme de fréquences des ultrasons se situe entre 16 kHz et dans l’eau grâce à la disponibilité de matériaux piézoélectri-
200 MHz, au-delà de celles audibles par l’oreille humaine. En deçà ques et d’appareillages électroniques puissants. Après le
de cette bande se situent les sons et les infrasons ; au-delà les drame du Titanic, Paul Langevin (1872-1946) suggère leur utili-
hypersons. La fréquence f (en Hz) d’une onde de pression s’ex- sation pour la détection d’icebergs puis, en 1915, il met au
prime par la relation : point un système de détection des sous-marins au moyen de
f = c/l ces vibrations non audibles, en proposant ainsi la première
application industrielle. Des études ont ensuite rapidement per-
avec c vitesse du son (1 430 m.s-1 dans l’eau en condi- mis d’observer des modifications par les ultrasons du milieu
tions normales), dans lequel ils se propagent et, en ces termes, les travaux de
l longueur d’onde (en m). Robert William Wood (1868-1955) et d’Alfred Lee Loomis
(1887-1975) en biologie ainsi que de Théodore William Richards
Ainsi, la longueur d’onde d’une onde ultrasonore de 20 kHz se (1868-1928) et d’Alfred Lee Loomis en chimie sont considérés
propageant dans l’eau est égale à 0,0715 m alors qu’elle n’est plus comme les premières expérimentations sonochimiques [1] [2].
que 0,0009812 m à une fréquence de 1,6 MHz. Il fallut cependant attendre les années 1980 et l’apparition des
premiers générateurs ultrasonores fiables pour que des cher-
cheurs démontrent que les ondes ultrasonores offrent d’indé-
1.1 Dynamique de bulle niables perspectives en chimie et que soit utilisé pour la pre-
mière fois le terme de « sonochimie » par Neppiras dans une
Un phénomène nouveau, « la cavitation » (figure 2), fut décrit revue sur la cavitation [3]. C’est dans les années 1980 que l’on
par John Thornycroft et Sydney Barnaby en 1895 qui expliquèrent a pu observer une véritable explosion du nombre de réactions
que les vibrations anormales de l’hélice de leur sous-marin étaient de composés organiques s’opérant dans des solvants organi-
dues à de grosses bulles, engendrées par le mouvement des pales ques eux aussi et sous l’influence des ultrasons.
et qui implosaient sous la pression de l’eau. Dans le milieu liquide,
l’action des ultrasons repose essentiellement sur ce phénomène de
cavitation. La cavitation décrit le phénomène d’oscillation radiale
d’une bulle de gaz et/ou de vapeur dans un liquide (figure 2). Elle Pression
correspond à la formation de cavités remplies de gaz au sein d’un acoustique
liquide en mouvement lorsque la pression en un point de celui-ci
devient inférieure à sa pression de vapeur saturante. La variation
de pression responsable de la croissance de la bulle peut être pro-
voquée par un champ acoustique de forte puissance. On parle alors
de cavitation acoustique. Le phénomène de cavitation ultrasonore Ondes de
intervient dans les liquides soumis à une excitation acoustique de compression

1/f
Pression P

Variation
Pmax de taille
des bulles

Temps t Temps

Figure 2 – Représentation schématique du phénomène de cavitation


Figure 1 – Propagation d’une onde ultrasonore dans un milieu liquide acoustique

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


K 1 250 – 2 est strictement interdite. – © Editions T.I.

70
Référence Internet
K1250

––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– SONOCHIMIE ORGANIQUE

Si les ondes ultrasonores périodiques sont suffisamment inten- Une puissance acoustique minimale est nécessaire pour obser-
ses, elles provoquent, dans les zones de dilatation, une pression ver le phénomène (connu sous le nom de seuil de Blake). La
locale inférieure à la pression ambiante, créant des microcavités durée de vie des bulles de cavitation transitoire est courte et uni-
dont le diamètre peut atteindre plusieurs dizaines de micromètres. quement déterminée par la fréquence ultrasonore. Le rayon maxi-
Quand la pression oscillante imposée redevient « positive », ces mal de ces bulles diminue proportionnellement à la fréquence de
cavités subissent un très bref effondrement et implosent en moins l’onde ultrasonore, selon un rapport 3/f (où f est la fréquence).
d’une microseconde, induisant localement, au sein de la bulle, des
températures d’environ 5 000 K et des pressions proches de À l’heure actuelle, bien que l’ensemble des mécanismes ne
1 000 bar, des vitesses de réchauffement et de refroidissement soient pas totalement élucidés, il est couramment admis que,
supérieures à 1010 K.s-1, des chocs divergents au voisinage immé- dans l’eau, les fréquences dites basses (comprises entre 20 et
diat et des jets liquides violents (100 m.s-1) à proximité des parois 80 kHz) permettent l’obtention de bulles de cavitation transitoire
solides avoisinant la bulle. Les conséquences de ces variations bru- relativement peu nombreuses mais de dimensions élevées, condui-
tales sur le milieu soumis aux ultrasons sont mises en évidence par sant à des effets physiques prédominants sur les effets chimiques,
l’élévation de température du milieu liquide et la formation de radi- alors que les hautes fréquences ultrasonores (150 à 2 000 kHz) sont
caux libres entraı̂nant des modifications chimiques de ce dernier. à l’origine de nombreuses bulles de cavitation transitoire de plus
Ces effets locaux, mécaniques et chimiques, très intenses au faible diamètre, favorisant la production de radicaux hydroxyles
moment de l’implosion, sont à la base de l’ensemble des applica- et, donc, les réactions d’oxydation radicalaire des solutés organi-
tions utilisant la cavitation. L’ensemble de ces considérations sont ques hydrophiles. À haute fréquence, les bulles ont un temps
regroupées sous le nom de théorie du « hot spot ». Les ultrasons d’expansion (durant le cycle de raréfaction de pression) et de
sont donc dits « de puissance » (par opposition aux ultrasons de
diagnostic) lorsqu’ils modifient le milieu dans lequel ils se propa-
gent. Leur action dépend de la nature de ce milieu : les principaux
collapsus (durant le cycle d’augmentation de pression) plus faible
qu’à basse fréquence. Une puissance acoustique supérieure est
nécessaire pour obtenir les mêmes effets sonochimiques qu’à fré-
3
effets sont de type mécanique, thermique et/ou chimique. quence inférieure.

1.1.1 Cavitation stable Au total, parmi les effets de l’irradiation ultrasonore d’un liquide,
on peut identifier l’effet thermique, les forces de cisaillement, les
Les interactions entre bulles gazeuses et ondes ultrasonores sont microcourants et la production de radicaux.
différentes selon l’amplitude de la variation de pression.
Il est schématiquement possible de distinguer deux grandes
À faible amplitude de variation de pression, la bulle de gaz
familles d’applications des ultrasons, basées soit sur les actions
répond de façon linéaire à la variation de pression, son diamètre
varie de façon sinusoı̈dale simultanément à la pression. Pour une sonophysiques, soit sur les actions sonochimiques. Les conditions
amplitude de variation de pression donnée, il existe une fréquence obtenues dans le milieu sont responsables d’un grand nombre
de résonance pour laquelle l’amplitude des vibrations de la bulle d’effets physico-chimiques : réactions chimiques accélérées ou inu-
est maximale. Une bulle de 0,15 mm de rayon entrera en résonance suelles, émulsification, érosion, cristallisation, précipitation, désin-
avec une onde ultrasonore de 20 kHz. Ce phénomène porte le nom fection, etc. [5].
de cavitation stable. Cette cavitation ne conduit généralement pas
aux phénomènes sonochimiques.
1.3 Estimation des paramètres
1.1.2 Cavitation transitoire
ultrasonores
À forte amplitude de variation de pression, la réponse de la bulle
gazeuse devient non linéaire. C’est le phénomène de cavitation tran- Ce paragraphe résume les paramètres ultrasonores pertinents
sitoire. Après quelques cycles acoustiques, l’expansion des bulles estimés par divers auteurs à travers, à la fois, l’expérimentation et
entraı̂nant une augmentation du volume gazeux supérieure à la la modélisation.
diminution se produisant durant la compression, les forces de ten-
sion superficielle à l’interface gaz-liquide ne peuvent contrarier les
forces de cisaillement lors de la contraction de la bulle. La bulle se 1.3.1 Vitesse de l’onde ultrasonore
contracte à grande vitesse sur un petit volume en un collapsus bru- dans les fluides purs et les mélanges
tal, à l’origine de température et de pression extrêmes au moment
de l’implosion de la cavité. Elle subit des distorsions asymétriques La vitesse de propagation de l’onde ultrasonore (C, en m.s-1) est
et des jets de liquides sont projetés dans la bulle, formant de nouvel- égale à 1 435 m/s dans l’eau pure à 25  C. Elle peut être calculée
les microbulles dans le liquide. Les fortes températures engendrées dans les fluides purs en fonction de la température du milieu (T
peuvent provoquer la dissociation de la vapeur d’eau en radicaux H en  C) et du nombre de carbone Cn selon l’équation :
et  OH, la dissociation des autres molécules gazeuses et l’émission  
de lumière (connue sous le nom de sonoluminescence, découverte b e
C=a+ - d+ T
en 1933 par Marinesco et Trillat [4]). La cavitation transitoire conduit Cn Cn
donc aux différents effets sonochimiques. Wang et Nur [6] en 1991 ont évalué les constantes de l’équation
précédente pour des alcanes linéaires et des 1-alcènes ; ils ont éga-
1.2 Facteurs affectant la cavitation lement montré que l’augmentation de la vitesse est inversement
proportionnelle à la température du fluide. De plus, la vitesse aug-
Les conditions ambiantes d’un système réactionnel peuvent for- mente en fonction du nombre de carbone, mais la magnitude de
tement influer sur l’intensité de la cavitation acoustique, qui affecte cette augmentation est inversement proportionnelle à cette
alors directement la vitesse ou le rendement de la réaction augmentation.
chimique.
Pour un mélange d’hydrocarbures, Wang et Nur proposent
L’apparition de la cavitation acoustique dans le milieu liquide
l’équation suivante :
dépend d’un grand nombre de paramètres :
i =n
– puissance et fréquence des ultrasons ;
– pression ambiante ; C mélange = Â XiCi
i =1
– nature du solvant ;
– température ; avec Xi et Ci respectivement fraction volumique et vélocité
– présence d’impuretés solides ou de gaz dissous. du composé pur, i e composé du mélange.

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. K 1 250 – 3

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3

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J8200

Sonochimie : innovations et enjeux

par Grégory CHATEL


Maı̂tre de conférences HDR
Laboratoire EDYTEM, Univ. Savoie Mont Blanc/CNRS, Chambéry, France

1. Principe de la sonochimie ............................................................. J 8 200 – 2


1.1 De la cavitation aux effets sonochimiques ........................................ — 2
1.2
1.3
Paramètres à évaluer .........................................................................
Ultrasons : outils de la chimie verte ..................................................


4
4 3
2. Recherches et enjeux associés ..................................................... — 5
2.1 Innovations dans la préparation de matériaux et polymères ........... — 5
2.2 Activation non conventionnelle en catalyse et chimie organique .... — 6
2.3 Enjeux pour la conversion de biomasse ........................................... — 7
2.4 Extractions assistées améliorées ....................................................... — 8
2.5 Efficacité pour des procédés de dépollution ..................................... — 9
3. Évolution des équipements et montée en échelle.................... — 9
3.1 Production d’ultrasons dans un milieu liquide ................................. — 9
3.2 Équipements de laboratoire .............................................................. — 10
3.3 Vers une montée en échelle ............................................................... — 11
4. Sonochimie française, pionnière et innovante ......................... — 12
4.1 Historique de la sonochimie .............................................................. — 12
4.2 Organisation de la sonochimie française .......................................... — 12
5. Conclusion........................................................................................ — 13
6. Glossaire ........................................................................................... — 13
7. Sigles, notations et symboles ...................................................... — 14
Pour en savoir plus.................................................................................. Doc. J 8 200

es ultrasons sont des ondes sonores qui se propagent grâce à l’élasticité du


L milieu environnant sous forme d’ondes longitudinales alternant les zones
de compression et de dilatation du milieu traversé. Comme toutes les ondes,
les ultrasons sont caractérisés par une période (T, exprimée en secondes) dési-
gnant le temps nécessaire à une oscillation, et une fréquence (f, exprimée en
Hertz) qui définit le nombre de périodes par unité de temps. La gamme de fré-
quences des ultrasons se situe entre 20 kHz et 200 MHz, au-dessus des fréquen-
ces du domaine de l’audible, mais peut être divisée en deux régions distinctes :
les ultrasons de diagnostics (entre 2 et 200 MHz), utilisés en imagerie médicale
notamment, et les ultrasons de puissance (entre 20 kHz et 2 MHz) utilisés en
chimie et qui font l’objet de cet article.
Les effets des ultrasons sont à l’origine du phénomène de cavitation qui se
définit par la formation, la croissance et l’effondrement de microbulles gazeu-
ses en phase liquide. Les effets locaux intenses dus à l’effondrement brutal de
ces bulles de cavitation sont à l’origine de toutes les applications de la sonochi-
mie. Ces conditions extrêmes, à la fois physiques (ondes de choc, microjets,
phénomène de microconvection, microémulsion, etc.), thermiques (températu-
res supérieures à quelques milliers de degrés au cœur de la bulle de cavitation)
et chimiques (production d’espèces radicalaires en solution) conduisent parfois
à de plus grandes efficacités de transformation de molécules, matériaux ou
Parution : juin 2022

Copyright © - Techniques de l’Ingénieur - Tous droits réservés J 8 200 – 1

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J8200

SONOCHIMIE : INNOVATIONS ET ENJEUX ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

polymères, mais aussi à de nouvelles réactivités ou fonctionnalisations, parfois


complètement inattendues par rapport à des conditions plus classiques. Ces
résultats uniques constituent un atout de taille pour le développement de
potentielles futures innovations impliquant l’utilisation des ultrasons.
En effet, l’industrie chimique est confrontée à de nouveaux enjeux et à la
nécessité de faire émerger de nouvelles innovations technologiques, à la fois
pour réduire les impacts environnementaux des procédés mais aussi pour aug-
menter la productivité. Ainsi, la chimie fait de plus en plus appel à des métho-
des d’activation physique et des technologies de rupture mettant en œuvre les
ultrasons, mais aussi les micro-ondes, le plasma froid, le broyage réactif, les
fluides supercritiques ou d’autres. Ces technologies avancées permettant
notamment l’activation de synthèses chimiques ou de préparations de maté-
riaux, ou encore de nouvelles applications en écoextraction, dans la valorisation
de biomasses et de déchets, ou dans le secteur de la dépollution d’effluents
liquides. L’utilisation des ondes ultrasonores peut donc jouer un rôle clé en ter-
mes d’innovation dans différentes applications dans un contexte de chimie

3 verte et de décarbonation de l’industrie.


Cet article explique dans les grandes lignes le principe de la sonochimie en
détaillant les différents paramètres influençant les phénomènes associés et en
discutant la contribution de cette technologie à une chimie plus verte. Les
recherches de ces dernières années dans le domaine sont ensuite abordées
pour montrer les enjeux actuels de la sonochimie dans différents champs
d’application. L’évolution des équipements et de l’industrialisation des procé-
dés sonochimiques est ensuite discutée. Enfin, après un bref historique sur le
développement de la sonochimie, la structuration du paysage français des
sonochimistes est également décrite. L’article conclut sur une série de recom-
mandations dans le cadre de l’utilisation des ultrasons en chimie.

l’implosion des bulles de cavitation (figure 1). En résumé, la dyna-


1. Principe de la sonochimie mique des bulles est, en première approximation, le résultat de la
compétition de deux forces d’inertie : les forces de cohésion résul-
tant de la tension superficielle et celles de la pression oscillante.
1.1 De la cavitation aux effets L’implosion brutale de la bulle de cavitation (aussi appelé « colla-
sonochimiques psus » ou « effondrement », figure 2) conduit au dégagement d’im-
portantes quantités d’énergie sous forme de chaleur locale intense
(jusqu’à 5 000 K), de très haute pression (proche de 1 000 bar), d’on-
La cavitation est définie comme une perturbation du milieu des de choc divergentes à l’environnement immédiat de la bulle, des
liquide sous l’effet d’une contrainte excessive (alternance com- microcourants acoustiques et des microjets liquides violents (jusqu’à
pression-dépression) accompagnée de la formation, de la crois-
sance et enfin de l’implosion violente de bulles de gaz créées
par cette perturbation [AF 6 310]. Pression Phase de Phase de
compression compression
+p
Le phénomène de cavitation débute donc par la formation de
microbulles de gaz en solution sous l’effet de l’irradiation ultraso-
nore. Une fois formées, ces bulles de gaz irradiées absorbent l’éner-
gie des ultrasons et grossissent. Les interactions entre les bulles de Temps
gaz et les ondes ultrasonores dépendent de l’amplitude de la varia- 0 Phase de Phase de
tion de pression acoustique. À faible amplitude, les diamètres des dépression dépression
bulles de gaz varient linéairement avec les variations de pression.
Cette cavitation stable ne conduit généralement à aucun phéno-
mène sonochimique. Cependant, à une amplitude de variation de –p
pression plus élevée, la réponse de la bulle de gaz peut devenir
non linéaire. Dans ce cas, la croissance des bulles lors de la phase Implosion
de dépression entraı̂ne une augmentation du volume gazeux qui de la bulle
est supérieure à sa diminution ayant lieu lors de l’étape de com-
pression : c’est la cavitation transitoire, à l’origine des effets utili-
sés en sonochimie. Arrivées à une taille instable, les bulles se Figure 1 – Formation, croissance et implosion d’une bulle de gaz
rétractent à très grande vitesse sur un petit volume : c’est sous ultrasons

J 8 200 – 2 Copyright © - Techniques de l’Ingénieur - Tous droits réservés

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–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– SONOCHIMIE : INNOVATIONS ET ENJEUX

Au-delà de cette catégorisation entre actions sonophysiques et


sonochimiques, il est difficile de définir des tendances plus fines, car
il existe presque autant de résultats décrits dans la littérature scienti-
fique que d’applications développées et d’équipements mis en jeu.
Ainsi, aucune corrélation claire sur les fréquences n’a été établie
pour le moment, si ce n’est que les effets physiques et chimiques
sont favorisés respectivement aux basses et aux hautes fréquences.
& Puissance acoustique
La puissance acoustique est l’énergie irradiée dans le milieu pen-
dant une durée d’irradiation déterminée. Elle est directement liée à
la puissance électrique imposée au générateur par l’opérateur. Une
puissance acoustique minimale est nécessaire pour observer le
phénomène de cavitation, appelé « seuil de Blake » [5]. La puis-
sance acoustique dépend également de l’impédance acoustique
du milieu, qui augmente lorsque le milieu entame le processus de
cavitation. Ainsi, la température et la viscosité du milieu ont une
influence sur la puissance acoustique. L’évolution de la cavitation
en fonction de l’augmentation de puissance est difficile à prévoir
et reste très dépendante de la géométrie du réacteur ou/et de la
hauteur de solvant irradié.
& Pression hydrostatique dans le réacteur
3
Figure 2 – Représentation de la bulle au moment de son implosion
durant la cavitation acoustique (Source : SiLabTec) Plus la pression hydrostatique augmente, moins la cavitation est
favorable, mais plus l’énergie libérée par l’implosion de la bulle et
100 m.s ). De plus, les températures élevées générées peuvent pro-
-1
les effets sonochimiques correspondants sont importants. Quel-
voquer la dissociation des vapeurs de solvant ou d’autres molécules ques exemples récents ont rapporté l’utilisation d’ultrasons sous
gazeuses en radicaux (tels que H• et HO• via la sonolyse de l’eau par pression pour l’extraction des caroténoı̈des [6] ou encore le prétrai-
exemple) ainsi que l’émission de lumière (sonoluminescence). Ces tement des boues [7].
effets locaux (mécaniques, thermiques et chimiques) sont à l’origine
de toutes les applications de la sonochimie. & Température du milieu irradié
Au niveau fondamental, tous les phénomènes ne sont pas com- La température du solvant peut jouer un double rôle lorsqu’il est
plétement connus et plusieurs théories, toujours débattues au sein soumis à des ultrasons. En effet, l’augmentation de la température
de la communauté scientifique, pourraient expliquer les effets sono- diminue toutes les interactions (forces de Van der Waals, liaisons
chimiques : la théorie du « point chaud », la théorie de « décharge hydrogène, attractions dipolaires, etc.) et améliore les phénomènes
de plasma », la théorie « électrique » ou encore la théorie « supercri- de diffusion. Par contre, à puissance ultrasonore du générateur
tique » [2] [3]. constante, la cavitation est plus facilement atteinte à des tempéra-
tures plus basses. Dans une gamme raisonnable de températures
Même si des tendances sont parfois difficiles à décrire, les para- (de 20 à 80  C), l’augmentation de la température du milieu peut
mètres intrinsèques ou réglables d’un équipement ultrasonore être intéressante pour améliorer le rendement d’une réaction ou la
ainsi que les conditions expérimentales peuvent fortement affecter synthèse de matériaux spécifiques.
le phénomène de cavitation et les effets associés.
Il est à noter que la cavitation provoque l’augmentation continue
& Fréquence de la température du milieu en fonction du temps d’irradiation
La fréquence ultrasonore (notée f, exprimée en Hz) détermine la sous ultrasons. Dans certains cas, il est nécessaire de contrôler la
durée de vie des bulles lors de la cavitation transitoire. Le rayon température du milieu avec un système de refroidissement lors de
maximal des bulles diminue proportionnellement à la fréquence l’irradiation, notamment pour optimiser les conditions expérimen-
de l’onde ultrasonore, selon un rapport 3/f. Ce rayon maximal tales et mieux appréhender les phénomènes associés.
auquel les bulles sont instables est déterminé pour une fréquence & Solvants
spécifique, appelée « fréquence de Minnaert » [4].
La majorité des applications sous ultrasons sont développées
Il est généralement admis que, dans l’eau, les basses fréquences dans l’eau comme solvant ou liquide d’irradiation. Cependant,
(20 à 80 kHz) permettent d’obtenir un nombre réduit de bulles de
d’autres solvants peuvent être utilisés, en particulier pour des réac-
plus grandes dimensions, entraı̂nant préférentiellement des effets tions en chimie organique. La principale limitation des solvants
physiques (ondes de choc, microjets, microconvection, etc.). Au
organiques courants réside en leur pression de vapeur élevée qui
contraire, les hautes fréquences ultrasonores (150 à 2 000 kHz) per-
réduit fortement l’intensité de la cavitation, pouvant conduire à
mettent la production de nombreuses bulles de plus petit diamètre,
des effets sonochimiques limités. De plus, plus les forces de cohé-
favorisant la production de radicaux hydroxyles (HO•) entraı̂nant
sion agissant dans le liquide (viscosité, tension superficielle) sont
principalement des effets chimiques (figure 3).
importantes, plus le phénomène de cavitation est difficile à attein-
dre. La viscosité est également étroitement liée à l’atténuation de
l’onde ultrasonore.
CAVITATION DANS L’EAU
& Gaz en solution
Basses fréquences
(20 à 80 kHz)
Actions sonophysiques Les bulles de gaz en solution dans un liquide sont capables de
(ondes de chocs, microjets, favoriser la cavitation grâce à l’amélioration de la phase de germi-
microconvection) nation. Pour cette raison, un gaz est souvent introduit en solution
Hautes fréquences jusqu’à saturation par un bullage continu, pour augmenter significa-
Actions sonochimiques
(150 à 2 000 kHz) tivement les effets de la cavitation. Le dégazage permet également
(produsction de radiaux HO•) de réduire les réactions parasites, par exemple celles de radicaux
formés avec le diazote en solution, issu de l’air. Classiquement, les
Figure 3 – Cavitation dans l’eau et effets associés en fonction gaz monoatomiques tels que l’hélium, l’argon et le néon sont les
de la fréquence ultrasonore plus utilisés.

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SONOCHIMIE : INNOVATIONS ET ENJEUX ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

& Géométrie du réacteur par photométrie), la dosimétrie des nitrites et des nitrates et évolu-
La taille et la forme du réacteur jouent un rôle important dans la tion du pH (à partir d’azote et d’oxygène gazeux sous ultrasons en
topologie du champ ultrasonore et, par conséquent, dans l’activité présence de Na2CO3 et NaHCO3 ; analyse de NO2− et NO3− par
sonochimique. L’effet de la hauteur du liquide sur l’efficacité sono-
chromatographie ionique), etc.
chimique dépend davantage de la configuration du réacteur que de
la fréquence (voir section 3). Une autre méthode très précise, mais pas disponible dans tous
les laboratoires, est le spin trapping des radicaux formés sous
ultrasons à l’aide de composés diamagnétiques et leur suivi par
1.2 Paramètres à évaluer spectroscopie de résonance paramagnétique électronique (RPE).

De nombreux paramètres peuvent modifier les effets des ultra- & Efficacité sonochimique
sons sur une réaction chimique, une préparation de matériau ou À partir des estimations de la puissance acoustique et du taux de
un autre procédé. Il est aussi parfois difficile de répliquer une expé- formation d’anions déterminés par dosimétrie (vion, exprimé en
rience spécifique décrite dans la littérature, car le matériel est très mol.s-1), il est intéressant de calculer le rendement sonochimique
différent d’un groupe de recherche à l’autre. De plus, certaines SEacous (Sonochemical Efficiency, mol.J-1) :
publications ne décrivent pas spécifiquement les caractéristiques
du système sonochimique utilisé. Pour ces raisons, il est fortement v ion
recommandé d’évaluer et de reporter de façon systématique certai- SEacous =
nes informations lorsqu’on utilise les ultrasons à l’échelle labora- Pacous

3
toire, afin de reproduire ou comparer des expériences.
Ce paramètre donne l’efficacité globale du système ultrasonore
& Puissance électrique en tenant compte à la fois des aspects de puissance et de la forma-
La puissance électrique est la puissance délivrée par le généra- tion de radicaux, constituant une méthode d’évaluation intéres-
teur. En effet, il est indispensable d’estimer la puissance électrique sante de l’efficacité pour comparer différentes conditions ou
convertie en puissance acoustique dans le milieu. La méthode la sonoréacteurs.
plus économique et la plus simple consiste à connecter le généra-
& Autres caractérisations
teur à un wattmètre. La puissance électrique Pelec du générateur uti-
lisé est calculée par différence entre la puissance totale consom- La description de l’équipement utilisé doit également être bien
mée par le générateur en fonctionnement Ptot et sa puissance en détaillée. En plus de la fréquence de l’appareil, sa marque, son
veille P0 : modèle et le mode d’irradiation (direct ou indirect, voir section 3)
sont importants à partager. La géométrie et la taille du sonoréac-
Pelec = Ptot − P0 teur sont aussi des indications à reporter.
Du fait des caractéristiques intrinsèques des ondes ultrasonores,
& Puissance acoustique
il est impossible d’obtenir un phénomène homogène sur tout le
D’énormes écarts pouvant être constatés entre la puissance élec- volume d’un liquide. Différentes méthodes peuvent être utilisées
trique et la puissance acoustique (Pacous), puissance réellement dis- pour déterminer les zones actives dans un sonoréacteur [8] :
sipée dans le fluide irradié, il est essentiel d’estimer de façon systé- méthodes optiques (diffusion de la lumière), chimiques, électriques
matique la puissance acoustique par mesures calorimétriques. et mécaniques, mesure de l’augmentation locale de la température
Au-dessus du seuil de cavitation, une partie de l’énergie acous- (thermocouples de silicone) ou encore l’étude de la sonolumines-
tique est convertie en chaleur par absorption. Si l’on connaı̂t la cence (émission de photons émis lors du collapsus de la bulle).
masse m (exprimée en g) du fluide irradié et sa capacité calorifique L’ajout de luminol (3-aminophtalhydrazide) qui s’oxyde en présence
spécifique cp (en J.g-1.K-1), et l’échauffement initial par unité de de radicaux HO• en acide 3-aminophtalique, conduit à la formation
temps ((dT/dt)t0 exprimé en K.s-1) induite par les ultrasons (mesure d’électrons dans un état excité. La désexcitation de ces électrons
de la montée en température en fonction du temps), il est possible provoque une émission de lumière bleue visible (430 nm). L’utilisa-
de calculer la valeur de la puissance acoustique du système : tion d’une solution de luminol peut notamment permettre une car-
tographie précise des zones efficaces d’un réacteur sonochimique
⎛ dT ⎞ (figure 4) [9].
Pacous = ⎜ × m × cp
⎝ dt ⎟⎠ t =0
1.3 Ultrasons : outils de la chimie verte
Généralement, la puissance acoustique est rapportée par unité
de volume sous la forme d’une puissance acoustique volumique Peu de temps après la proposition des douze principes de la chi-
Pacous.vol, exprimée en W.L-1. Si le fluide irradié est complexe mie verte par Paul T. Anastas et John C. Warner en 1998 [10], Jean-
(mélange) ou si la capacité calorifique n’est pas disponible, il peut Louis Luche (voir section 4.2) fit rapidement le lien entre la chimie
être opportun d’estimer la puissance acoustique dans l’eau pour verte et la sonochimie, mettant en évidence les principaux avanta-
caractériser le sonoréacteur utilisé. ges de l’utilisation des ultrasons en chimie [11] : (1) la possibilité de
changer le mécanisme d’une réaction pour changer la nature du
& Intensité ultrasonore
produit final, appelée « commutation sonochimique », (2) l’amélio-
La détermination de l’intensité ultrasonore expérimentale (IUS, ration des conversions, des rendements et des sélectivités (avec
exprimée en W.cm-2) est estimée en ramenant la puissance acous- économie d’énergie et réduction des déchets produits), (3) la possi-
tique par unité de surface de la sonde irradiante (Ssonde en cm-2) : bilité d’utiliser d’autres réactifs ou solvants sous ultrasons, comme
des milieux aqueux (avec sécurisation de certains procédés exis-
IUS = Pacous / Ssonde tants, utilisation de réactifs moins toxiques, etc.). Plus récemment,
Timothy J. Mason a discuté ces aspects à travers des exemples
& Production radicalaire d’utilisations des ultrasons à l’échelle industrielle dans les domai-
La dosimétrie permet d’estimer la quantité de radicaux produits. nes de la protection de l’environnement et des procédés
Plusieurs méthodes peuvent être utilisées : l’iodure de potassium dépollution [12].
en solution aqueuse (KI) avec dosage de l’ion I3- en spectrophoto- Même si les études mécanistiques et des explications associées
métrie, l’acide téréphtalique en solution alcaline pour doser l’ion sont rarement rapportées dans la littérature, de nombreux résultats
2-hydroxytéréphtalate hautement fluorescent, la dosimétrie de et applications impliquant les ultrasons constituent des avancées
Fricke (oxydation de Fe2+ et détermination de la formation de Fe3+ intéressantes, du point de vue de la chimie verte. En effet, lorsque

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Micro-ondes en synthèse organique

par Martine POUX


Ingénieur de Recherche
Laboratoire de Génie Chimique INPT/UPS/CNRS, École Nationale Supérieure
des Ingénieurs en Arts Chimiques et Technologiques, Toulouse (ENSIACET), France
Lionel ESTEL
Professeur des Universités

3
Laboratoire de Sécurité des Procédés Chimiques, Institut National des Sciences Appliquées
de Rouen (INSA Rouen), France
et Christophe LEN
Professeur des Universités
Transformations Intégrées de la Matière Renouvelable, Université de Technologie
de Compiègne (UTC), France

1. Théorie du chauffage sous micro-ondes .......................................... J 5 020 - 2


1.1 Nature des ondes électromagnétiques ..................................................... — 2
1.2 Interaction ondes-matière et propriétés diélectriques............................. — 2
1.3 Spécificité du chauffage sous micro-ondes.............................................. — 3
1.3.1 Profil du champ électromagnétique et profil thermique
dans un milieu............................................................................................. — 3
1.3.2 Transfert d’énergie............................................................................. — 5
2. Équipements de laboratoire et systèmes industriels .................... — 5
2.1 Les différents éléments de base ................................................................ — 5
2.2 Les appareils micro-ondes de laboratoire ................................................ — 6
2.3 Vers une production à plus grande échelle .............................................. — 8
3. Application à la synthèse organique ................................................. — 8
3.1 Effet des micro-ondes en synthèse organique ......................................... — 8
3.1.1 Activation possible de la réaction..................................................... — 8
3.1.2 Superheating ...................................................................................... — 8
3.1.3 Chauffage sélectif............................................................................... — 8
3.2 Exemples de réactions................................................................................ — 8
4. Autres applications................................................................................. — 10
5. Avantages et limites............................................................................... — 10
6. Conclusion................................................................................................. — 11
7. Glossaire .................................................................................................... — 11
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. J 5 020

es micro-ondes – ondes électromagnétiques qui se situent dans la gamme


L des hyperfréquences – sont capables de générer le chauffage de milieux
pour peu qu’ils soient sensibles à ces ondes, par exemple en possédant des
caractéristiques diélectriques particulières. Contrairement aux techniques clas-
siques de chauffage par conduction ou convection, l’utilisation des micro-
ondes implique une interaction entre un rayonnement électromagnétique et la
matière. Il ne s’agit donc pas d’un transfert thermique, le chauffage par micro-
ondes d’un produit résulte ainsi de la conversion en chaleur de l’énergie d’une
onde électromagnétique au sein de ce matériau.
Parution : août 2016

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J 5 020 – 1

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MICRO-ONDES EN SYNTHÈSE ORGANIQUE ______________________________________________________________________________________________

L’application de ce type de chauffage à la synthèse chimique a été initiée il y


a maintenant près de trente ans. Si beaucoup d’expériences positives ont été
menées, trop peu dépassent encore le stade du laboratoire. La mise en œuvre
d’un procédé de synthèse sous micro-ondes reste complexe et nécessite une
attention particulière. L’approche intégrative de l’ingénieur alliant la com-
préhension des mécanismes électromagnétiques mis en jeu et de leurs
interactions avec le milieu, le développement de technologies spécifiques et
l’analyse critique des réactions sont autant d’éléments indispensables pour la
réussite de toute réaction organique sous micro-ondes et par la suite de son
industrialisation. Cet article rapporte les connaissances de base indispen-
sables, fait le point sur les technologies disponibles, met l’accent sur les points
critiques et enfin propose une démarche utile pour appréhender la synthèse
organique sous micro-ondes. Il s’accompagne d’exemples de synthèses orga-
niques et montre les potentialités offertes par l’utilisation de cette technique de
chauffage en particulier dans le contexte du développement durable.

3
1. Théorie du chauffage Pour les diélectriques purs, il y a trois mécanismes de polarisa-
tion électrique :
sous micro-ondes – la polarisation électronique αe ;
– les polarisations atomiques et ioniques αi ;
– la polarisation d’orientation αo, qui est le phénomène principal.
1.1 Nature des ondes électromagnétiques Pour les matériaux où la conductivité ne peut être négligée, Il y
aura également la polarisation interfaciale αd.
Composées d’un champ magnétique et d’un champ électrique La polarisabilité totale α (C2m2/J) d’un matériau est donc la
oscillants, les ondes électromagnétiques se situent entre 300 MHz somme de ces différents termes :
et 300 GHz dans le spectre électromagnétique, zone intermédiaire
entre l’infrarouge et les ondes radio. Les fréquences les plus
répandues en France pour le chauffage sont 2,45 GHz (four micro-
Sous l’effet d’un champ électrique E, il y a création d’un moment
onde ménager) et 945 MHz, les autres fréquences étant réservées
dipolaire induit :
à des usages de télécommunication ou de détection. La gamme
des longueurs d’onde associées dans le vide varie de 1 m à 1 mm.
Ces phénomènes de polarisation entraînent un échauffement de
la matière par relaxation diélectrique (ou hystérésis diélectrique).
1.2 Interaction ondes-matière La relaxation peut se résumer par un phénomène général qui
et propriétés diélectriques consiste en l’existence d’un délai de réponse pour un système
soumis à une excitation extérieure. Il y a relaxation diélectrique
Par analogie avec la lumière visible, les ondes électromagné- lorsqu’on supprime brusquement le champ électrique qui polari-
tiques, en fonction de leur longueur d’onde et de la nature des sait un matériau. Un temps, dit temps de relaxation, est néces-
matériaux, vont être réfléchies, absorbées ou ne pas interagir. saire pour que le matériau retourne dans son état de désordre
Pour les matériaux aptes au traitement par micro-ondes, ces trois moléculaire de départ. Il est défini comme le temps nécessaire
comportements vont la plupart du temps coexister. pour que la polarisation décroisse à 1/e de sa valeur initiale.
Contrairement aux conducteurs dans lesquels les charges L’hystérésis provient du retard τ de la réponse du système au
peuvent se déplacer librement, un diélectrique est un matériau champ électrique (tableau 1) ; plus celui-ci est long, plus l’échauf-
isolant (papier, mica, verre, etc.) dont les charges sont très forte- fement résultant sera important.
ment liées aux atomes qui le constituent. Il n’existe pratiquement
pas d’électrons libres dans les diélectriques ; ce sont donc de très
mauvais conducteurs d’électricité.
Un diélectrique est donc un milieu matériel dans lequel un Tableau 1 – Quelques valeurs de temps
champ électrique peut exister à l’état stationnaire. L’apparition de relaxation (d’après [1])
d’un champ électrique au sein du diélectrique provoque une
déformation des molécules ainsi qu’une réorientation de ses Temps de relaxation τ
moments dipolaires permanents. En effet, certaines molécules, Types de polarisation
(s)
comme la molécule d’eau, sont dites polaires car elles présentent
une polarisation moléculaire permanente due à une répartition
Électronique 10–15
non homogène des charges électriques. La polarisation par un
champ externe est par définition la somme de tous les moments
Atomique (ou ionique) 10–12
multipolaires induits. Elle peut donc être reliée à une caractéris-
tique des constituants microscopiques du milieu : la polarisabilité.
Orientation 10–9 à 10–6
Pour le chauffage, c’est l’absorption des ondes électromagné-
tiques qui va importer, elle dépend de la polarisabilité α du maté- Interfaciale (effet Maxwell-Wagner) 10–4
riau.

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J5020

_______________________________________________________________________________________________ MICRO-ONDES EN SYNTHÈSE ORGANIQUE

La relaxation est donc un phénomène très rapide et même Les valeurs de ces paramètres, pour un même matériau, sont
quasi instantané par rapport au transfert thermique. dépendantes de la température et de la fréquence. La connais-
La conversion d’énergie ne se fait pas à l’échelle d’une molé- sance de l’évolution du facteur de pertes du milieu avec la tempé-
cule ou d’un atome, mais suivant la longueur d’onde, à un groupe rature est une donnée indispensable pour la conduite de procédés
quasi macroscopique de molécules ou d’atomes ; certains et particulièrement pour prévenir des emballements thermiques.
modèles parlent de clusters [1]. L’interaction de l’onde électroma- On trouvera quelques valeurs de ces paramètres dans différents
gnétique avec un objet diélectrique dans un applicateur va corres- ouvrages [2] [D5940].
pondre à une répartition du champ électrique rarement Nota : Il n’existe pas de technique « clé en main » permettant la mesure directe des
homogène, c’est aux maximums du champ, quand le milieu aura propriétés diélectriques ce qui peut expliquer les différences de valeurs que l’on ren-
des pertes diélectriques suffisamment élevées, que la conversion contre parfois. La mesure donne accès à la permittivité effective du matériau grandeur
macroscopique qui dépend de la polarisabilité moyenne de l’échantillon. Les différentes
et l’échauffement seront importants. techniques font appel à un analyseur vectoriel de réseau qui compare par exemple :
Les micro-ondes n’interagissent donc qu’avec certains types de – les propriétés d’une onde réfléchie sur le matériau à analyser par rapport celles de
matériaux : l’onde incidente (mesure en réflexion) ;
– les propriétés d’une onde transmise par le matériau à analyser par rapport celles de
– les milieux diélectriques, peu conducteurs d’électricité et ne l’onde incidente (mesure en transmission) ;
possédant pas de charges libres. Le champ électrique a alors pour – la perturbation crée par un échantillon placé dans une cavité résonnante (mesure par
petites perturbations) [D5941] [D2310].
effet de polariser les atomes et les molécules au sein du matériau
(polarisation électronique) ou bien d’orienter les dipôles
permanents : dans ce dernier cas, il s’agit de la polarisation dipo-
laire ou rotationnelle. L’eau liquide en est un exemple type, avec
son moment dipolaire élevé elle aura tendance à s’aligner avec le
Propriétés diélectriques d’un milieu et répercussion
sur la synthèse organique
3
champ électrique, mais avec ses nombreuses liaisons hydrogènes,
elle résistera au mouvement imposé ; Lors de la mise en œuvre d’une réaction chimique sous
– les milieux conducteurs qui possèdent des charges libres, micro-ondes, il faut auparavant vérifier la sensibilité des réac-
comme par exemple les ions qui soumis à un champ électrique tifs aux micro-ondes mais aussi s’assurer que l’évolution du
vont migrer et sont à l’origine d’un courant de conduction lié à la milieu réactionnel va permettre de maintenir un niveau de
conductivité électrique du milieu. température suffisant tout au long de la réaction.
Les propriétés diélectriques du matériau permettent de caracté- Si le milieu est peu sensible aux micro-ondes, on peut avoir
riser l’interaction entre les ondes et la matière (tableau 2). La recours à l’utilisation de « suscepteurs », matériaux inertes
connaissance de ces propriétés diélectriques est indispensable chimiquement, mais très absorbants de l’énergie et capables
pour le calcul et le design des applicateurs micro-ondes. d’une excellente conversion en chaleur. Ces « suscepteurs » se
comportent donc comme une source externe de chaleur. On
La permittivité complexe ε décrit le comportement d’un diélec-
peut les utiliser soit lorsque le milieu est totalement insensible
trique soumis à un champ électromagnétique et est définie par la
aux micro-ondes, soit pour initier le chauffage d’un milieu à
relation suivante :
faible permittivité jusqu’à une température à laquelle l’interac-
tion devient alors significative.
avec :
– la permittivité ε' (partie réelle) qui indique la faculté du diélec-
trique à se polariser, à absorber l’énergie et à la propager. Elle Choix du matériau du réacteur
s’exprime en F.m–1 ;
– le facteur de pertes ε'' (partie imaginaire) qui traduit la capacité Il sera préférable d’utiliser comme matériau du réacteur, un
du matériau à convertir l’énergie en chaleur et donc à s’échauffer. matériau transparent vis-à-vis des micro-ondes ; le quartz est
Il s’exprime en F.m–1 ; l’idéal mais est réservé à des systèmes de petite taille compte-
– le rapport entre ces deux paramètres tan δ, appelé tangente de tenu de son coût élevé. Le verre, le téflon sont de bons candidats.
perte : ε''/ε' est souvent utilisé.

1.3 Spécificité du chauffage


Tableau 2 – Classification des matériaux sous micro-ondes
en fonction de tan δ
tan δ Conduction Propagation du champ 1.3.1 Profil du champ électromagnétique
du courant électrique électrique et profil thermique dans un milieu
0 Isolants Diélectriques parfaits Les équations de Maxwell décrivent comment sont liés les
Milieux sans pertes champs électriques et magnétiques, les charges et les courants
électriques ; les équations de Helmholtz traduisent la propagation
<1 Matériaux peu Bons diélectriques des ondes électromagnétiques dans un milieu et s’expriment
conducteurs ainsi [E 1020] :
Milieux à faibles pertes
≈1 Conducteurs Milieux de propagation
avec pertes avec pertes
avec ω pulsation de l’onde (rad/s), égale à 2πf,
>1 Bons conducteurs Mauvais diélectriques
E champ électrique (V/m),
Milieu à pertes élevées
H champ magnétique (A/m),
∞ Conducteurs Le champ électrique est nul μ perméabilité magnétique (H/m).
parfaits à l’intérieur d’un conducteur
parfait. L’onde plane (se propageant dans le vide sans charge ni cou-
rant) est l’expression mathématique la plus simple possible d’une

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Synthèse organique sous haute


pression
par Isabelle CHATAIGNER
Professeure
Université de Rouen Normandie, Rouen, France
et Jacques MADDALUNO
Directeur de recherche CNRS
Université de Rouen Normandie, COBRA, INSA Rouen, CNRS, Rouen, France

1. Pourquoi les hautes pressions ? ..................................................... CHV 1 610v2 - 2 3


2. Notions fondamentales ..................................................................... — 3
2.1 Éléments de la physico-chimie des hautes pressions ......................... — 3
2.2 Pratique du volume d’activation............................................................ — 4
2.3 Solvant sous haute pression.................................................................. — 5
3. Équipements ......................................................................................... — 6
3.1 Comment générer des hautes pressions ? ........................................... — 6
3.2 Choix de l’équipement............................................................................ — 7
3.2.1 Enceinte – piston – enclume.......................................................... — 7
3.2.2 Joints d’étanchéité......................................................................... — 7
3.2.3 Liquide piézo-porteur..................................................................... — 7
3.2.4 Réacteurs ........................................................................................ — 8
3.2.5 Fenêtres optiques........................................................................... — 8
3.2.6 Mesures .......................................................................................... — 8
3.3 Sécurité des installations ....................................................................... — 8
4. Applications.......................................................................................... — 9
4.1 Réactions péricycliques .......................................................................... — 9
4.1.1 Cycloadditions [4+2] ...................................................................... — 9
4.1.2 Cycloadditions [3+2] ...................................................................... — 12
4.1.3 Cycloadditions [2+2] ...................................................................... — 12
4.1.4 Cycloadditions tandem et multicomposants ............................... — 12
4.1.5 Cycloadditions d’ordre supérieur ................................................. — 13
4.1.6 Réactions ène ................................................................................. — 13
4.1.7 Réactions sigmatropiques et électrocycliques ............................ — 14
4.2 Réactions d’addition nucléophile .......................................................... — 14
4.2.1 Additions conjuguées .................................................................... — 14
4.2.2 Additions nucléophiles sur la fonction carbonyle....................... — 17
4.3 Réactions de substitution ....................................................................... — 19
4.3.1 Substitutions nucléophiles sur dérivé d’acide carboxylique...... — 19
4.3.2 Substitutions nucléophiles sur carbone sp2................................ — 20
4.3.3 Substitutions nucléophiles sur carbone sp3................................ — 20
4.4 Réactions métallocatalysées .................................................................. — 20
5. Conclusion............................................................................................. — 21
6. Glossaire ................................................................................................ — 21
Pour en savoir plus Doc. CHV 1 610v2

et article est consacré à l’emploi des pressions hydrostatiques (2-20 kbar)


C en synthèse organique. Cette technique, dont le mode d’action peut être
Parution : novembre 2018

qualifié de « catalyse physique », est présentée du fait, d’une part, de sa capa-


cité à permettre de nombreuses réactions, en chimie organique, dans des

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SYNTHÈSE ORGANIQUE SOUS HAUTE PRESSION _________________________________________________________________________________________

conditions « douces » et respectueuses des réactifs ou des produits fragiles et,


d’autre part, de son caractère économe en énergie (pas d’apport d’énergie
durant la transformation chimique).
Les apports à attendre de ces techniques sont multiples en chimie fine. En
effet, comparées aux techniques thermiques ou catalytiques classiques, les
méthodes hyperbares rendent parfois possibles des réactions impossibles du
fait d’encombrements moléculaires importants, offrant ainsi des raccourcis
synthétiques qui peuvent être précieux dans l’élaboration multi-étapes de
molécules complexes à haute valeur ajoutée. Par ailleurs, les quantités de
solvant à employer peuvent être très faibles, les réactions étant effectuées à
concentration élevée, voire en l’absence de solvant, minimisant ainsi les pro-
blèmes de recyclage et de contamination de l’environnement. L’absence de
catalyseur chimique et/ou la diminution de la température réduit la dégrada-
tion (cas des catalyseurs acides par exemple) et facilite de ce fait la
purification, le milieu étant en général plus propre à l’issue de la transforma-

3 tion. Les durées sont également réduites, la cinétique de réactions types de la


chimie organique pouvant être accélérée de manière spectaculaire. Il faut
néanmoins noter que l’utilisation de ce type de procédés reste rare et n’a pas
encore trouvé d’applications à grande échelle en synthèse organique (vide
infra).
Nous présentons ici :
– dans un premier temps, les aspects techniques des hautes pressions en se
limitant cependant aux éléments nécessaires à la mise en œuvre de cette acti-
vation en chimie organique ;
– les notions fondamentales de physico-chimie à considérer lorsque la pres-
sion varie et les paramètres usuels qui sont les plus influencés par celle-ci ;
– ensuite, de façon sommaire, les appareillages les plus communément
employés dans la gamme de pression utile en chimie organique, en particulier
le cas des appareils de type « piston-cylindre » qui permettent d’accéder à de
très hautes pressions tout en conservant des volumes utiles « raisonnables »
pour le chimiste de synthèse ;
– quelques exemples choisis, et d’autres récents, pour représenter les
grandes classes de réactions qui subissent une influence positive de la
pression.

1. Pourquoi les hautes pression rencontrées dans la nature, en situant la zone de pres-
sion utilisée en synthèse organique est donnée sur la figure 1.
pressions ? La préparation des molécules organiques complexes et à haute
valeur ajoutée (principes actifs de médicaments, arômes, parfums,
La pressurisation de milieux, la plupart du temps liquides, est colorants…) fait appel au savoir-faire de la synthèse. En général,
moins usuelle que la compression des gaz (utilisée dans les réac- la mise en route des réactions chimiques requises passe par une
tions d’hydrogénation ou carbonylation par exemple). La gamme phase d’activation qui peut consister en un apport direct d’énergie
de pression considérée dépasse en fait très largement ce que l’on (chauffage, photochimie) ou en une diminution de la quantité
entend habituellement par « haute pression » puisqu’elle est com- d’énergie nécessaire à son initiation (catalyse chimique ou enzy-
prise entre 2 et 20 kbars. matique). Outre ces méthodes conventionnelles, d’autres techno-
L’unité SI de pression est le pascal : logies dites « extrêmes » ont été mises au point (micro-ondes,
hautes pressions, ultrasons) [1]. Les réactions sous haute pression
sont ainsi progressivement passées du rang de curiosité à celui
d’outil indispensable en chimie, permettant des synthèses inno-
mais le bar est aussi couramment employé : vantes, l’accès à de nouveaux produits ou à l’analyse mécanis-
tique des réactions.

La « catalyse physique » par les hautes pressions, qui nous inté-


Il est d’ailleurs parfois fait mention de « ultra hautes pres- resse ici, présente plusieurs caractéristiques :
sions », par opposition aux pressions utilisées en chromatogra-
phie liquide par exemple (< 400-500 bar). Ces valeurs extrêmes – le coût énergétique global est fortement diminué (le chauffage
nécessitent donc d’avoir recours à des équipements particuliers, en continu étant remplacé par un apport ponctuel d’énergie lors de
détaillés plus loin (§ 3.1). Une échelle sommaire des gammes de la montée en pression) ;

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Centre de la Lune
(47 kbar)
Niveau Fosse des Centre Centre Centre des
de la mer Mariannes de la Terre du Soleil naines blanches

1 102 104 106 108 1010 1012 1014 1016 bar


105 107 109 1011 1013 1015 1017 1019 1021 Pa

Gamme utile en synthèse organique

Figure 1 – Échelle sommaire des gammes de pression rencontrées dans la nature

– l’emploi de catalyseurs métalliques, parfois toxiques et/ou diffi-


ciles à éliminer, n’est souvent plus nécessaire ; 2. Notions fondamentales
3
– sous pression, les molécules stériquement encombrées, sou-
vent inertes lorsqu’employées dans des conditions classiques, 2.1 Éléments de la physico-chimie
deviennent réactives, ce qui peut être mis à profit pour modifier le
cours d’une réaction donnée ; des hautes pressions
– les réactions rendues impossibles par des réactifs ou des pro- L’observation empirique de l’effet favorable de la pression sur
duits thermosensibles peuvent être envisagées dès la température la cinétique de certaines réactions est très ancienne [2]. Ces tech-
ambiante ; niques sont utilisées depuis le milieu des années 1970 en syn-
thèse organique, en particulier grâce aux travaux pionniers de
– les sélectivités (chimio-, régio-, stéréo-) peuvent être modifiées
William Dauben aux États-Unis.
puisque la pression permet, dans certains cas, d’obtenir des com-
posés thermodynamiquement moins favorisés à pression atmos- La pression, comme la température, est un paramètre qui influence
phérique ; l’équilibre d’une réaction chimique. Le produit mathématique pres-
sion par volume PV a les dimensions d’une énergie. Par conséquent,
– le nombre des sous-produits est généralement diminué, facili- l’emploi de la pression constitue un moyen alternatif à l’activation
tant d’autant la phase de purification des composés obtenus ; thermique pour favoriser une réaction [3]. Les processus de formation
de liaisons, qui sont caractérisés par une diminution de volume (et
Cette technique nécessite néanmoins l’utilisation d’un équipe- pour lesquels la distance entre les deux atomes concernés décroît de
ment particulier (voir § 3), qui peut être coûteux à l’achat, la main- la distance de van der Waals à celle d’une liaison covalente), sont
tenance et la sécurisation. accélérés lorsque la pression augmente (figure 2). Cela correspond à
un volume d’activation négatif :
Ces caractéristiques font, un peu paradoxalement, de la chimie
hyperbare une méthode d’activation douce et répondant aux exi-
gences de la chimie « verte ». Certains domaines industriels font
un usage routinier de la haute pression. avec VTS volume de l’état de transition,

Exemples VR volume des réactifs (= VA + VB).


C’est le cas des céramiques, de la métallurgie des poudres ou, L’équilibre est alors déplacé vers la formation du (ou des) pro-
plus récemment, de l’industrie agroalimentaire, où cette technique, duit(s) ; le volume de réaction ΔV (= VAB – VR) est également négatif.
dite de pascalisation sous 4 à 6 kbar, se développe de façon très La réaction inverse, correspondant à la rupture de la liaison,
importante depuis la fin des années 1990, en particulier pour la stérili- conduit à une augmentation de volume (ΔV ‡ et ΔV > 0) et est
sation des purées, jus de fruits ou de la charcuterie (voir la rubrique défavorisée par l’augmentation de pression. Cela induit une décé-
Sites Internet du Pour en savoir plus). lération et un déplacement de l’équilibre vers les substrats de
En chimie, la synthèse du diamant industriel (HPHT diamonds), départ.
obtenue sous une pression de l’ordre de 50 kbar pour de très faibles L’effet de différents facteurs peut, cependant, moduler cette
volumes (procédé GE, assurant 90 % de la production mondiale (voir règle simple, ainsi que précisé un peu plus bas (§ 2.2).
la rubrique Sites Internet du Pour en savoir plus)), du rubis (société Analytiquement, l’effet de la pression sur les équilibres et les
Rubis Synthétique des Alpes), du quartz synthétique (société cinétiques chimiques peut être décrit par la relation bien établie
GEMMA), obtenu sous 1,7 kbar à 400 °C sur des volumes de 300 L, entre pression et enthalpie libre (de Gibbs), respectivement de
ou du polyéthylène basse densité (procédé ICI), préparé sous 2 kbar, réaction et d’activation (figure 3) :
méritent d’être soulignés.

Cependant, peu d’applications en chimie organique industrielle


ont vu le jour jusqu’à présent. Les freins à l’industrialisation sont
sans doute liés à certains aspects techniques rebutants (taille des
installations, maintenance, coût élevé, procédés discontinus, sécu-
rité par exemple), même s’ils ne sont pas insurmontables et ont
trouvé des solutions dans d’autres secteurs d’application, comme avec ΔG enthalpie libre,
celui de l’agroalimentaire. ΔG‡ énergie d’activation,

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A B TS A-B

VA VB V‡ VAB

Si VA + VB > V ‡ alors la réaction est accélérée sous pression.

Figure 2 – Variation du volume au cours d’une réaction de condensation

3
KP constante d’équilibre à pression constante, D’un point de vue physico-chimique, le volume d’activation est
un paramètre recouvrant une réalité complexe et toujours mal
kP constante cinétique à pression constante,
comprise. Il peut en effet, pour certaines réactions, être plus
R constante de Boltzmann, important, en valeur absolue, que le ΔV global de la réaction, ce
qui impliquerait que l’état de transition soit paradoxalement plus
T température. compact que l’état final. Sans entrer dans des détails qui dépasse-
Il découle de ces équations (dites d’Evans-Polanyi) que la pres- raient le cadre de cet article, on peut néanmoins décomposer ΔV‡
sion influence l’énergie d’activation (ΔG‡) en fonction du signe et en deux contributions dites intrinsèque et de solvatation :
de la valeur absolue de ΔV‡. En effet, on déduit de l’équation ci-
dessus que :
Le premier terme correspond au changement de volume lors de
la formation du complexe de transition associé à la réaction. En
général, varie entre –20 cm3.mol–1 (formation de liaisons) et
+20 cm3.mol–1 (rupture de liaisons).
Ainsi, la réaction est accélérée avec la pression si ΔV‡ < 0 car Le second terme devient important lorsque la réaction
∂lnkp/∂p > 0. À l’inverse, si ΔV‡ > 0, l’augmentation de la pression correspond à la formation ou à la disparition de charges, ou à un
retarde la réaction. changement de polarité global lors de la formation d’un complexe
Cette équation ne peut pas être intégrée directement car ΔV‡ de transition.
dépend lui-même de la pression, et ce dès P > 1,5 kbar. Cepen-
dant, l’approximation linéaire : Exemple
Si un réactif neutre s’ionise au cours de la réaction, le solvant
deviendra peu mobile autour des ions formés (phénomène d’électros-
triction) et le terme sera important.
est acceptée dans la gamme de pressions utilisées, et car elle per-
met de déterminer expérimentalement une valeur approchée de La valeur finale de ΔV‡ dépend donc de l’importance de cha-
ΔV‡ via des mesures de cinétique effectuées à pression variable, cune des deux contributions indépendantes .
en général par absorption UV-visible à travers les fenêtres d’un
réacteur pressurisable (souvent appelé pill-box). Dans la pratique,
de très nombreuses valeurs de ΔV‡ ont été compilées et sont dis- 2.2 Pratique du volume d’activation
ponibles pour les grandes classes de réaction de la chimie orga-
nique (cf. § 2.2). Les considérations physico-chimiques ci-dessus (§ 2.1) sug-
gèrent que certaines grandes familles de réactions sont particuliè-
rement sensibles à la pression. On peut citer :
Énergie – les réactions associées à une décroissance du nombre de
Volume molécules dans le milieu (A + B → C, par exemple les cycloaddi-
tions ou les condensations) ;
– les réactions passant par un état de transition cyclique (par
ΔG ‡ exemple certains réarrangements) ;
ΔV ‡
– les réactions passant par un état de transition dipolaire (par
exemple les substitutions électrophiles aromatiques) ;
– les réactions très ralenties par l’encombrement des partenaires
ΔV du fait d’interactions stériques défavorables dans l’état de transi-
ΔG tion.
Les articles [4] [5] [6] rassemblent l’essentiel des valeurs de ΔV‡
Coordonnée de réaction mesurées jusqu’à la fin des années 1990. Dans le tableau 1 sont
regroupées les valeurs de ΔV‡ de quelques processus élémen-
Substrats TS Produits taires fréquents.
initiaux Si nous revenons sur l’approximation linéaire (§ 2.1) permettant
d’estimer que, pour un ΔV‡ donné, l’accélération d’une réaction
Figure 3 – Variation du volume et de l’énergie au cours du chemin est directement proportionnelle à la pression imposée, nous pou-
réactionnel d’une condensation vons tracer une série de courbes qui décrivent la variation de

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2.3 Solvant sous haute pression


Tableau 1 – Valeur des ΔV‡ de différents processus
chimiques élementaires
Avant d’entamer une étude de la réactivité sous haute pression,
Processus élémentaire Contribution ∆V [cm3.mol–1] il est souhaitable de disposer de données physico-chimiques
concernant la « baro-dépendance » du solvant employé. En effet,
la structure de la couche de solvatation est susceptible d’être
Rupture (ou formation) ≈ +10 (ou –10)
modifiée par la pression avant même que la réaction ne com-
homolytique de liaison
mence. L’influence du milieu sur le cours de la réaction hyperbare
peut, par conséquent, devenir décisive. La température de fusion,
Déformation de liaison ≈ 0
la densité, la viscosité, la solubilité, la compressibilité, la
constante diélectrique et la conductivité sont des paramètres
Ionisation (ou neutralisation ≈ –20 (ou +20) utiles mais très rarement disponibles. En général :
de charges)
– la température de fusion augmente avec la pression (d’environ
Cycloadditions [4+2] –25 à –50 15 à 20 °C/kbar, avec une exception de taille : l’eau). Il faut donc
vérifier que, pour le couple température-pression de travail envi-
Cycloadditions [3+2] –20 à –25 sagé, le solvant de la réaction hyperbare ne fige pas ; néanmoins,

3
de nombreuses réactions ont pu être effectuées dans des condi-
Cycloadditions [2+2] –20 à –50 tions pour lesquelles le solvant utilisé est censé être solidifié. Le
tableau 2 [7] regroupe quelques valeurs concernant la congélation
Cycloadditions [4+2] –10 à –15 des solvants usuels ;
intramoléculaires
– la solubilité des solides décroît avec l’augmentation de la pres-
sion, ce qui peut entraîner la cristallisation des réactifs dans ces
Aza-Michael –40 à –50
conditions. Des mélanges de solvants peuvent être employés pour
éviter ces problèmes ;
Réactions « ène » –25 à –50
– la viscosité des solutions augmente avec la pression (environ
Réarrangements de Cope ≈ –10 × 2 par kbar). La cinétique de la réaction risquant de passer sous
ou de Claisen contrôle de diffusion de la matière, il est souvent utile de chauffer
légèrement le milieu réactionnel pour lui donner une certaine flui-
dité ;
– la dérivée de la constante diélectrique (permittivité) par rap-
port à la pression a été établie pour un certain nombre de solvants.
Ig (kp/katm)

ΔV ‡ = – 40 mL/mol Exemple
15
→ Diels-Alder, Michael… Pour l’eau, les alcools (éthanol, méthanol) ou le dichlorométhane,
Effets ΔV ‡ = – 30 mL/mol les valeurs de ∂e/∂P sont comprises entre 1,5 × 10–10 (pour le dichlo-
12 rométhane) et 6 × 10–12 Pa–1 (pour l’eau).
de viscosité → cycloadditions [2 + 2],
réaction éne…
Vitesse × 107 ΔV ‡ = – 20 mL/mol
9
à 10 kbar → cycloadditions Tableau 2 – Température de fusion des solvants
1, 3-dipolaires usuels à différentes pressions
6
ΔV ‡ = – 10 mL/mol
→ SNAr, sigmatropie-[3, 3]… TF [°C] sous pression
3 Solvant TF [°C] à 1 bar
(kbar)

Acétate d’éthyle –83,6 +25,0 (12)


0 5 10 15 20 25 p [kbar]
SNAr substitution nucléophile aromatique Acétone –94,8 +20,0 (8)
Benzène +5,5 +33,4 (1)
Figure 4 – Variation de vitesse de quelques grandes familles de
réaction en fonction de la pression Chloroforme –61,0 –45,2 (1)

Cyclohexane 6,5 +58,9 (1)


vitesse de quelques grandes familles de réactions (figure 4).
Dichlorométhane –96,7 –85,8 (1), +25,0 (13)
Notons que cette approximation linéaire, fausse dès 1,5 kbar, est
totalement invalidée à très haute pression du fait de l’augmenta- Eau 0,0 –9,0 (1)
tion de la viscosité.
Éthanol –117,3 –108,5 (1)
Il faut cependant garder en mémoire que :
Éther diéthylique –116,3 +35,0 (12)
– ces approximations linéaires sont analytiquement fausses ;
Hexane –95,3 +30,0 (10)
– l’accélération calculée par la formule
ne permet de comparer les cinétiques réactionnelles que lorsque Méthanol –97,7 +25,0 (30)
les transformations sont réalisées dans des conditions par ailleurs
strictement identiques (température, catalyseur, additif par Tétrachlorure de C –2,9 +12,1 (1)
exemple). On ne peut pas par exemple comparer une réaction réa- Toluène –95,1 +30,0 (10)
lisée à 10 kbar et 25 °C à une autre effectuée à 1 bar et 100 °C.

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CHV1610

SYNTHÈSE ORGANIQUE SOUS HAUTE PRESSION _________________________________________________________________________________________

3. Équipements cédures à suivre lors de la conception d’un réacteur hyperbare


sont disponibles dans [R 730] [9] [10].
Des entreprises spécialisées proposent des équipements stan-
dard permettant de travailler sous 5 à 20 kbar avec des volumes
3.1 Comment générer des hautes utiles allant de quelques dizaines de centimètres cubes à plusieurs
pressions ? centaines de litres (P ≤ 6 kbar). Des petits équipements facilement
installés dans des laboratoires académiques de chimie (benchtop)
Les pressions hydrostatiques importantes peuvent être obte- et les composants haute pression correspondants sont également
nues en utilisant cinq principaux types d’équipements. Ils sont commercialisés.
complémentaires et sont choisis en fonction des pressions à
atteindre et du volume utile souhaité. Pour la synthèse organique à des pressions supérieures à
10 kbar, les équipements de type piston-cylindre sont de loin les
■ Enceinte haute pression plus communément utilisés. Le schéma de principe d’un tel sys-
tème est présenté à la figure 5.
L’enceinte haute pression est un cylindre fermé par des obtura-
teurs et relié par une tubulure et des vannes hyperbares à un Une pompe hydraulique (à commande manuelle, électrique ou
générateur de pression externe, constitué lui-même d’un multipli- par air moteur) injecte l’huile du réservoir dans un circuit primaire
cateur ou d’une pompe. Ce type d’installation permet de compri- (où la pression est mesurée par un manomètre de type Bourdon).
mer des volumes importants (plusieurs centaines de litres) sous

3
Le multiplicateur constitue la pièce maîtresse de cet équipe-
des pressions allant jusqu’à 6 kbar. ment. Ce dispositif intégré agit par l’intermédiaire d’un piston
dont la tête et l’extrémité sont de sections différentes. Le principe
Exemple de Pascal fait que le rapport des pressions est égal au rapport des
En agroalimentaire, des installations de 400 L utilisent l’eau comme surfaces entre pistons. Le multiplicateur transforme ainsi les rela-
fluide de compression et un multiplicateur (vide infra) comme généra- tivement basses pressions (< 700 bar) du circuit primaire en
teur de pression. hautes pressions (rapport de 2 à 100). L’efficacité théorique du
multiplicateur est cependant diminuée de 5 à 10 % du fait des frot-
■ Autoclave tements accompagnant le mouvement du piston par rapport à
l’enceinte haute pression. L’ensemble du circuit secondaire peut
L’autoclave est une enceinte fermée à ses deux extrémités dans
être séparé de l’opérateur par un écran de protection.
laquelle la pression est engendrée, en général, par simple chauf-
fage, le remplissage de la cuve étant calculé pour atteindre la Le piston est soumis, côté haute pression, à des contraintes très
pression voulue. élevées et doit donc être conçu dans un matériau approprié (acier
à outils jusqu’à 20 kbar, carbure de tungstène fritté jusqu’à
Exemple 60 kbar). Son extrémité, équipée de joints adaptés, lui permet de
La synthèse hydrothermale du quartz est ainsi réalisée avec ce type coulisser dans une enceinte, elle-même remplie d’un fluide piézo-
d’installation sur plusieurs centaines de litres dans l’eau supercritique. porteur et obturée par une pièce métallique également équipée de
joints et appelée enclume (cf. § 3.2.1).
Notons qu’il a été montré, sur des systèmes de petit volume, L’enceinte cylindrique hyperbare est le réacteur où sera réalisée
que la dilatation, à –20 °C, de l’eau contenue dans un autoclave l’expérience soit dans la totalité de ce volume, soit dans un réac-
fermé conduisait à une augmentation du volume initial de 10 % teur fermé (cf. § 3.2.4) et immergé dans le fluide remplissant la
environ lors de la congélation, ce qui provoque mécaniquement cavité (fluide piézo-porteur). La pression à l’intérieur de l’enceinte
une augmentation de pression au sein de l’enceinte (jusqu’à
2 kbar) [8].
■ Système piston-cylindre Mesure
de pression
Le système piston-cylindre permet d’accéder à des pressions
primaire
supérieures, pouvant atteindre 40 kbar pour des fluides et 70 kbar
pour des solides. Pour les applications en synthèse décrites plus
bas, la pression utile dépasse rarement 20 kbar et le volume Vanne
quelques dizaines de centimètres cubes.
■ Système enclume-cylindre Réservoir
Multiplicateur
Le système enclume-cylindre permet de travailler aux pressions d’huile
de pression
intermédiaires (30 à 60 kbar) et peut être mis en œuvre sur des Piston
volumes de quelques centimètres cubes.
■ Instruments à enclume Pompe
Les instruments à enclume(s) sont, quant à eux, adaptés aux
expériences aux pressions les plus élevées (≥ 60 kbar), mais leur
volume utile est très faible (< mm3).
Les équipements capables de résister aux contraintes très éle- Enceinte
vées imposées par les hautes pressions doivent être conçus avec hyperbare
un maximum de précautions. La détermination des pics de
contraintes mécaniques, en utilisant la méthode des éléments
finis [AG 2 530], est utile et permet d’agir sur la géométrie des Écran de protection
pièces pour les optimiser. La réalisation de ces dernières fera
appel à des matériaux possédant de hautes propriétés méca- Obturateur
niques, élaborés avec les procédés les plus performants, de façon (enclume)
à minimiser les risques de défauts susceptibles de générer des
ruptures (par exemple l’utilisation d’aciers refondus sous vide qui
limitent le taux d’inclusions). Des descriptions détaillées des pro- Figure 5 – Schéma du principe d’un système piston-cylindre

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Chimie supportée sur phase solide

par Géraldine GOUHIER


Professeur à Normandie Université, COBRA UMR 6014, France

Cet article est la version actualisée de l’article K 1 260 intitulé « Chimie supportée sur phase
solide » rédigé par Max MALACRIA, Jean-Philippe GODDARD, Cyril OLLIVIER et Géraldine
GOUHIER, paru en 2008.

3
1. Principe de la chimie sur phase solide........................................... K 1 260v2 - 2
2. Supports.................................................................................................. — 3
3. Caractéristiques des supports de type gel ................................... — 5
4. Fonctionnalisation du support solide............................................. — 7
5. Méthodes d’analyses et suivis réactionnels ................................. — 10
6. Synthèses sur phase solide : exemples d’applications ............. — 13
7. Applications et procédés innovants ............................................... — 16
8. Applications et perspectives industrielles.................................... — 20
9. Conclusions et prospectives ............................................................. — 20
10. Glossaire ................................................................................................. — 20
Pour en savoir plus ....................................................................................... Doc. K 1 260v2

epuis le travail pionnier de Merrifield en synthèse peptidique sur phase


D solide, qui lui a valu le Prix Nobel en 1963, la synthèse organique sup-
portée a connu une popularité et un développement constant. La phase solide
a tout d’abord été mise en œuvre pour la synthèse oligomérique de produits
naturels tels que les polypeptides, polysaccharides et oligonucléotides. Ce sont
les travaux de Fréchet et Leznoff, à la fin des années 1970, qui ont initié son
utilisation à la synthèse de petites molécules en effectuant des réactions orga-
niques dans lesquelles un substrat, un réactif ou un catalyseur étaient greffés
sur un polymère solide insoluble. Une autre application est la purification de
mélanges réactionnels par des agents piégeant attachés sur supports solides :
les scavengers. Un nombre important et une grande diversité de réactions
organiques ont été transposés, avec succès, à la phase solide et ont été à l’ori-
gine, dans les années 1990, du développement de la synthèse combinatoire,
puis de la synthèse parallèle.
Cet article aidera le lecteur à choisir le support, sélectionner la méthode et
identifier les analyses possibles pour un meilleur suivi réactionnel en fonction
de ses objectifs de synthèse à travers de nombreux exemples sélectionnés. Le
recyclage du support par simple filtration solide/liquide permet de réduire les
coûts et les risques. Des réactions activées (micro-onde, haute pression, ultra-
sons) ou réalisées en liquide ionique seront également décrites, confirmant
que la chimie sur phase solide est un outil accessible et efficace pour le déve-
loppement de la chimie verte.
Le lecteur trouvera en fin d’article un glossaire des termes utilisés.
Parution : septembre 2018

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CHIMIE SUPPORTÉE SUR PHASE SOLIDE ________________________________________________________________________________________________

1. Principe de la chimie Phase solide


sur phase solide réactif
Filtration
Lorsqu’un réactif est fixé à un polymère, le processus chimique A +B AB + réactif AB
s’effectue généralement en une seule étape. Les réactifs en solu- Phase liquide
tion A et B réagissent avec l’entité supportée, qui peut être par réactif
exemple, un catalyseur (figure 1) (§ 6). Le composé AB obtenu est
isolé dans le filtrat par simple filtration du polymère ainsi régé- Figure 1 – Utilisation d’un réactif supporté
néré.

Lorsqu’un agent de piégeage supporté (scavenger) (§ 6.5) est uti-


lisé, les réactifs en excès ou les produits secondaires non désirés scavenger
(noté C), présents dans le milieu réactionnel, sont fixés sur la
phase solide et ensuite éliminés par simple filtration (figure 2). A +B AB + C (sous-produit)

3
L’utilisation d’un substrat supporté nécessite une fonctionnalisa-
tion préalable et une succession de filtration (figure 3). La pre- AB + scavenger-C
mière étape consiste à greffer un bras espaceur fonctionnalisé
(appelé linker) (§ 4), de longueur variable, sur une phase polymé-
scavenger-C
rique, puis d’additionner un substrat (noté A). Ce polymère greffé
étant généralement solide et insoluble dans tous les solvants, le
Phase liquide AB Phase solide
composé A résiduel est éliminé par simple filtration et lavage.
Dans le but d’accéder à des conversions quantitatives, les réac-
Figure 2 – Utilisation d’un scavenger
tions peuvent être réitérées. Cela est en général nécessaire pour
des transformations réalisées sur de grandes quantités. Ce
polymère greffé est alors engagé dans des réactions chimiques
classiques. Ainsi, un substrat (noté B) réagit sur le site actif A sup- 1.1 Avantages
porté pour former le composé AB. Les sous-produits de la réaction
et réactif résiduel présents dans le filtrat (phase liquide) sont élimi- De nombreux avantages ont contribué à l’utilisation de
nés par simple filtration. Le polymère (AB) est ainsi purifié puis la polymères en synthèse organique et justifient l’appellation
liaison entre le bras (linker ) et la molécule AB est coupée chimie verte :
(cleavage ) par action d’un réactif C (souvent un acide). Cette étape • Simplification des étapes d’isolation et de purification
de clivage peut, dans certains cas, être également une étape de des produits : la résine est séparée de la phase liquide par simple
transformation chimique qui peut s’accompagner d’une cyclisa- filtration, évitant ainsi les problèmes de purifications supplémen-
tion, par exemple. La molécule AB est ainsi obtenue avec une taires (chromatographie, distillation, cristallisation...). Un gain de
grande pureté et le polymère initial est régénéré. temps et d’énergie remarquable est ainsi possible ;

Polystyrène solide insoluble

Fonctionnalisation

Bras espaceur (linker)


AB
Filtration et lavage A en excès
Phase liquide Greffage

A + A résiduel
AB +
Phase solide

A résiduel
Coupure Filtration et lavage
C
(cleavage) Phase liquide
AB

+ B + sous-produits
B + sous-produits B en excès
Filtration et lavage Transformation chimique

Phase liquide

Figure 3 – Schéma général d’une synthèse sur phase solide

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_________________________________________________________________________________________________ CHIMIE SUPPORTÉE SUR PHASE SOLIDE

• Utilisation possible des réactifs en excès : les rende- 1.4 Évolution


ments sont alors optimisés sans alourdir le traitement réactionnel ;
l’excédent reste dans la phase liquide et donc éliminable et recy-
clable facilement. De plus, chaque étape peut être réitérée pour La chimie sur phase solide a connu un développement impor-
obtenir un rendement maximal ; tant dans les années 1990 avec l’arrivée de l’automatisation et de
la chimie combinatoire. Quinze ans plus tard, cette stratégie de
• Régénération du polymère par simple lavage et synthèse a été recentrée sur le développement de synthèse paral-
filtration ; particulièrement utile dans le cas de substrats chiraux lèle dans le but de produire de plus petites librairies (chimio-
coûteux ; thèques) de manière plus construite et moins aléatoire. Un large
• Réduction remarquable de la toxicité et des odeurs, panel de scavengers ou catalyseurs supportés, ainsi qu’une large
dues à la non-volatilité des molécules greffées, particulièrement gamme d’automates de synthèse, d’extraction et de purification
recherchée dans la chimie du soufre, du sélénium ou de l’étain ; sont maintenant disponibles commercialement. Enfin, le transfert à
la phase solide de nouvelles méthodologies, réactifs et concepts
• Stabilisation forte des supports permettant de travailler développés en solution est nécessaire au développement des
dans une large gamme de conditions réactionnelles (température, industries pharmaceutiques et agrochimiques qui utilisent ces
acido-basicité...) sans dégradation physico-chimique du polymère. outils synthétiques pour la production, puis le criblage de chimio-
De plus, les supports solides nécessitent rarement des conditions thèques innovantes.
de stockage particulières (réfrigération, gaz inerte) simplifiant éga-

3
lement leur manipulation ;
• Cyclisations intramoléculaires facilitées par effet de
pseudo-dilution (§ 6.3) dû au milieu hétérogène (solide/liquide)
diminuant le contact direct entre les sites réactionnels ;
2. Supports
• Automatisation des réactions multi-étapes possible et uti-
lisation en chimie combinatoire et synthèse parallèle permettant Nous focaliserons cette bibliographie sur les supports carbonés
l’obtention rapide de bibliothèques de molécules potentiellement polymériques linéaires et surtout tridimensionnels. Les supports
actives comportant plusieurs milliers d’analogues (§ 7.2). minéraux insolubles existent mais sont plus faiblement exploités.

1.2 Sécurité et environnement 2.1 Squelettes linéaires


L’utilisation de phase solide dans une stratégie de synthèse
réduit les risques d’intoxication et de contamination puisque le Les polymères à squelette linéaire sont solubles dans certains
contact direct avec les composés par voie aérienne comme cuta- solvants organiques, permettant ainsi d’effectuer les réactions en
née est évité. La stabilité remarquable de ces supports évite toute milieu homogène, sans problème de diffusion, avec une égale
dégradation chimique. Enfin, les étapes de filtration réduisent la accessibilité de tous les sites réactionnels supportés et une ciné-
manipulation de solvants toxiques inflammables. La sécurité est tique classique. De plus, les substrats immobilisés peuvent être
donc améliorée, et les risques et les coûts environnementaux caractérisés par les techniques d’analyse standard. Enfin, la préci-
réduits. pitation par ajout d’un non-solvant du polymère rend sa filtration
possible. Cependant, elle n’est pas toujours totale et sélective,
engendrant parfois des problèmes de séparation et de purification.
1.3 Inconvénients et limites Les polymères linéaires les plus utilisés en synthèse organique
de la méthode sont le polyéthylène glycol (PEG) 1, le polyéthylène glycol mono-
méthyl éther (MPEG) 2 et le polystyrène linéaire 3 (figure 4).
Cette technique, bien que très pratique et efficace, présente
néanmoins quelques limites : La masse moléculaire des PEG étant en général de 20 000, le
nombre de site de greffage est très faible (de l’ordre de 0,1 milliéqui-
• Deux étapes supplémentaires sont nécessaires par rapport valent par gramme). Les PEG précipitent dans le diéthyl éther ou le
à la synthèse en solution (greffage et clivage). Ces étapes doivent tert-butylméthyléther, mais ces solvants étant peu polaires, les
être quantitatives et ne pas générer de sous-produits. Cependant, impuretés trop polaires précipitent parfois avec le polymère. L’utili-
elles peuvent être intégrées à la stratégie de synthèse (traceless. sation de l’alcool isopropylique permet de pallier cet inconvénient.
linker) (§ 7.2) ; Par contre, à cause de leur insolubilité à basse température dans le
• L’utilisation de solvant reste nécessaire lors des lavages du THF (tétrahydrofurane) et de leur potentiel chélatant pour les cations
support. Les volumes sont cependant très inférieurs à ceux utilisés métalliques, les PEG sont évincées de la chimie organométallique.
pour la purification par colonne chromatographique ; Dans ce cas, ce sont les qui sont retenus. De plus, ces derniers
peuvent être fonctionnalisés à un taux supérieur aux PEG (jusqu’à 6
• Le rapport atomes utilisés/atomes engagés n’est pas opti- –1
ou 7 mEq · q ). Cependant, une fonctionnalisation trop importante
mal. En effet, la fonctionnalisation des résines employées peut être peut engendrer des réactions secondaires intrapolymériques entraî-
faible et, par conséquent, une masse importante de polymère doit nant une réticulation indésirable et irréversible qui modifie la struc-
être utilisée. Le principe d’économie d’atomes est, ici, loin d’être res- ture et donc la réactivité de la résine (§ 3.6).
pecté. Cependant, le support est recyclé au cours de la synthèse ;
• L’adaptation des réactions organiques à la synthèse sur
phase solide nécessite, généralement, une mise au point car la
réactivité des substrats supportés peut, dans certains cas, être dif-
O H O H
férentes (problèmes de diffusion et d’accessibilité des sites... O O
H Me
(§ 3.5). De plus, les liaisons avec le polymère doivent être suffisam- x x x
ment stable vis-à-vis de tous les réactifs utilisés ; PEG MPEG Ph
PSᐉ
• Le suivi réactionnel et/ou les analyses du support solide
(quantification du chargement et détermination de la structure du
produit greffé) sont plus fastidieux (§ 5). Figure 4 – Structures de polymères solubles

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CHIMIE SUPPORTÉE SUR PHASE SOLIDE ________________________________________________________________________________________________

2.2 Résines tridimensionnelles


Les polymères à squelettes tridimensionnels se présentent sous
forme de petites billes et sont insolubles dans tous les solvants. Il NEt3, (CO3)1/2
s’agit de polymères réticulés généralement dérivés du polystyrène.
Leur taux de réticulation est une caractéristique importante entraî-
nant, selon son degré, des propriétés physico-physiques très diffé- MP-Carbonate
rentes (§ 3). Deux sous-groupes peuvent être distingués, les
résines macroporeuses et les résines de type gel. OH HN—NH2

NH2 S O S O
2.2.1 Résines macroporeuses
O O
Les résines macroporeuses sont caractérisées par un fort taux
de réticulation (≥ 20 %). Cette réticulation n’étant pas homogène, MP-NH2 MP-TsOH MP-TsNHNH2
les polymères présentent des pores permanents de différentes
tailles. Les plus grandes cavités (de l’ordre de 0,1 µm) sont acces-
sibles par les molécules en solution sans problème de diffusion. Figure 5 – Polystyrènes macroporeux fonctionnalisés

3
Cette forte réticulation limite considérablement la mobilité des
sites réactionnels ; par conséquent, des taux de greffage élevés
peuvent être obtenus sans craindre d’éventuelles interactions Le styrène et ses dérivés fonctionnalisés sont les composés
interpolymériques entre sites supportés (§ 3.6). Les sites réaction- monovinyliques généralement employés pour former le squelette
nels sont répartis sur la surface des pores et sont donc accessibles. des résines-gels. Le para-divinylbenzène (DVB) est le monomère bis-
La réactivité de ces polymères ne dépend pas de leur gonflement fonctionnalisé le plus courant pour créer une faible réticulation au
dans les solvants, car il s’agit d’une réactivité de surface à l’inté- sein de la matrice. Par exemple, la résine de Merrifield (chloro-
rieur des pores (> 500 m2 · g–1) ; ce sont donc des supports intéres- méthylée) est obtenue soit par copolymérisation de styrène, divinyl-
sants pour des réactions développant des intermédiaires très benzène et de para-chlorométhylstyrène, soit par fonctionnalisation
polaires, voire ioniques. Cependant, ces résines sont physique- du polystyrène par une réaction de Friedel-Craft (figure 6).
ment très fragiles et l’agitation prolongée dans un réacteur ou des
températures élevées peuvent causer des dommages irréversibles. Le contrôle et la reproductibilité des réactions de poly-
C’est pourquoi elles sont souvent employées pour l’extraction mérisation nécessitent un savoir-faire spécifique. Elle permet la
solide-liquide (SPE : Solid Phase Extraction) grâce à la présence préparation de polymères hautement fonctionnalisés (taux supé-
d’agents piégeants supportés (scavengers) (§ 6.5) ou comme rieur à 50 %) ; cependant, tous les sites créés ne sont pas acces-
résines échangeuses d’ions. Quelques exemples de polystyrènes sibles car enfermés dans la maille polymèrique. Les chimistes
macroporeux (MP) fonctionnalisés sont illustrés figure 5. organiciens préfèrent, généralement, fonctionnaliser directement
le squelette polystyrénique préalablement formé. Cependant,
La résine MP-Carbonate est choisie pour piéger des chlorhy-
cette méthode présente également des inconvénients. D’une part,
drates d’amines, des acides carboxyliques ou des phénols. Le
l’accessibilité des sites réactionnels étant plus faible qu’en phase
polymère MP-NH2 est un agent piégeant d’électrophiles tels que
homogène, à cause de l’encombrement de la matrice, leur réacti-
les chlorures d’acides et de sulfonyles ou les isocyanates. L’acide
vité en est réduite. Il est donc important d’opérer dans des sol-
para-toluènesulfonique greffé sur polystyrène macroporeux,
vants qui permettent un gonflement optimal de la résine (§ 3.2).
MP-TsOH, commercialisée sous le nom Amberlyst A-15, est
D’autre part, en fin de réaction, il est impossible de purifier le
généralement utilisé comme agent piégeant d’espèces basiques
polymère. Par conséquent, les réactions de fonctionnalisation du
et particulièrement des amines. Les hydrazines supportées,
support doivent être quantitatives et chimiosélectives, afin d’évi-
MP-TsNHNH2 , piégent les cétones et aldéhydes.
ter la présence de sites indésirables. Enfin, cette méthode permet
d’accéder à des taux de fonctionnalisation maximum de 30 % ;
2.2.2 Résines de type gel cependant, dans ce cas, tous les sites créés sont réellement
actifs. Cette deuxième approche ayant été largement exploitée,
Il s’agit de polymères faiblement réticulés (0,5-2 %). Le taux de de nombreuses réactions répondent à ces critères et cette
réticulation est une caractéristique importante entraînant, selon méthode est donc la plus communément pratiquée. Dès le début
son degré, des propriétés physiques différentes pour les des années 1980, Fréchet et al. ont mis au point diverses fonc-
polymères (§ 3). tionnalisations du polystyrène (figure 7).

+ +

CH2Cl

Copolymérisation Fonctionnalisation
radicalaire du polystyrène
CH2Cl

Figure 6 – Deux voies de synthèse du polymère de Merrifield

K 1 260v2 – 4 Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés

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_________________________________________________________________________________________________ CHIMIE SUPPORTÉE SUR PHASE SOLIDE

Y=O
YH
Y=S

O2 ou
S8
Br
COOH
n-BuLi
CO2
Br2 , TI 3+

n-BuLi / TMEDA Me2SiCl2


Li SiMe2Cl

CICH2OCH3 CIP(Ph)2
SnCl4
B(OMe)3

3
CH2Cl P(Ph)2

B(OH)2

Figure 7 – Fonctionnalisation du polystyrène

3. Caractéristiques supportés. Si le solvant de réaction ne permet pas l’expansion de


la maille polymérique, la mobilité des chaînes, ainsi que l’accessi-
des supports de type gel bilité des sites réactionnels, sont fortement réduites. Par consé-
quent, la réactivité de la résine est amoindrie et le taux de
conversion et la vitesse de réaction risquent d’être plus faibles. Le
gonflement d’un polymère dans un solvant donné est très forte-
3.1 Taux de fonctionnalisation ment dépendant de sa réticulation, de son loading et de sa fonc-
tionnalisation. Plus la réticulation est faible, plus le polymère
Le taux de fonctionnalisation ou loading est un paramètre présente de bonnes propriétés de gonflement.
important. Il détermine le nombre de noyaux benzéniques fonc-
tionnalisés par rapport au nombre total de noyaux aromatiques du De manière générale, les solvants polaires ne favorisent pas
polymère. Par exemple, dans le cas de résine de Merrifield l’expansion de la maille et l’ajout d’un co-solvant adapté permet
(figure 6), ce paramètre est exprimé par le pourcentage massique d’améliorer le gonflement du polymère (tableau 2).
de chlore (% Cl) ou par le nombre de milliéquivalents de chlore par
gramme de résine (nCl). La correspondance entre ces différentes En l’absence de solvant, le volume du polymère est minimum
unités est représentée dans le tableau 1. car les chaînes sont enchevêtrées et les pores ne sont pas expan-
sés, tandis qu’en présence d’un solvant approprié, la solvatation
des chaînes engendre l’expansion de la maille et la reconstitution
des pores (figure 8).
Tableau 1 – Variation du taux de fonctionnalisation Les chaînes deviennent alors mobiles rendant le volume et
du polymère de Merrifield l’emplacement des pores variables. La réactivité des polymère-gels
nCl (en mmol) 0,8 2,1 4,3 tend à s’approcher de celle de la phase homogène lorsque les pro-
blèmes de diffusion des réactifs non greffés sont palliés par un
Cl (en %) 2,84 7,46 15,27 bon gonflement de la résine.
Taux de
9 32 56
fonctionnalisation (en %)
3.3 Taille des billes
3.2 Propriétés de gonflement Lors de leur formation par polymérisation en suspension, les
polymères forment des billes de tailles variées : de 50 µm à 1 mm
Les résines peuvent, dans des solvants appropriés, gonfler de diamètre. Pour assurer ensuite une réactivité homogène des
jusqu’à dix fois par rapport à leur volume à sec. Cette propriété résines, les billes sont tamisées et groupées selon leur taille. L’ana-
permet de limiter les problèmes de diffusion des réactifs présents lyse de ces lots homogènes permet de déterminer le nombre de
en solution et d’augmenter l’accessibilité des sites réactionnels sites actifs portés par une seule bille (tableau 3).

Tableau 2 – Volumes de gonflement pour une résine de Merrifield 1 % DVB


Solvants (1) – Eau MeOH MeCN DMSO THF/Eau Et2O THF
Vpolymère (en mL · g–1) 1,5 1,5 1,8 1,8 1,8 3,1 3,3 7,7
(1) MeOH : méthanol ; MeCN : acétanitrile ; DMSO : diméthylsulfoxyde ; Et2O : diéthyléthee ; THF : tétrahydrofurane.

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INNOVATION

Microréacteurs pour l’industrie


par Joëlle AUBIN et Catherine XUEREB

Les microréacteurs ouvrent des possibilités nouvelles pour les industries. Ils
s’inscrivent dans une démarche de qualité, de sécurité, de créativité et d’in-
tensification des procédés. À ce titre, ils constituent une des briques de l’usine
du futur. Transformations chimiques ou physiques y sont mises en œuvre. Les 3
phénomènes et principes de base sont décrits, ainsi que certaines initiatives
industrielles, tout en pointant les limites d’application de ces technologies
innovantes.

et non l’inverse, ce qui est souvent le cas dans les pro-


Joëlle AUBIN est ingénieur en génie chimique cédés classiques à macro-échelle.
de l’université de Sydney, docteur de l’INPT
et de l’université de Sydney. Elle est chargée Les longueurs des appareils sont très variables, et
de recherche au CNRS. sont conditionnées par le calcul du temps de séjour
qui est nécessaire pour mener à bien l’opération. Il
Catherine XUEREB est ingénieur de l’École faut alors vérifier quel est le phénomène limitant qui
nationale supérieure d’ingénieurs de génie chi- conditionne le dimensionnement : mélange, transfert
mique de Toulouse et docteur de l’INPT. Elle est thermique, cinétique chimique…
directrice de recherche au CNRS.
Toutes deux exercent au laboratoire de Génie 1.2 Avantages liés
chimique de Toulouse UMR 5503 INPT/CNRS/UPS. à ses caractéristiques
Des petites dimensions des canaux découlent les
spécificités des microréacteurs.
1. Enjeux de la miniaturisation & La première caractéristique qui présente un intérêt,
Miniaturiser n’est pas un acte naturel chez un ingé- essentiellement en terme de sécurité, c’est le très
nieur de procédé. Culturellement, la démarche faible volume de produit manipulé, le fonctionne-
consiste plutôt à partir de mécanismes, de transfor- ment en continu autorisant néanmoins des capacités
mations, de réactions, qui sont obtenus à petite de traitement honorables. Ce mode de travail permet,
échelle – en général celle de la paillasse – puis de réa- par exemple, d’envisager la production à la demande
et sur place de substances intermédiaires présentant
liser une extrapolation, souvent en passant par des
un danger potentiel lors de leur stockage ou de leur
étapes sur pilotes, pour arriver à proposer une instal-
transport. Fabriquées pour être à leur tour transfor-
lation industrielle de grande capacité.
mées, il est envisageable de localiser leur production
Pourtant, les enjeux de la miniaturisation sont nom- sur le site de leur consommation.
breux, et nous allons voir en quoi les spécificités des
microréacteurs permettent d’ouvrir de nouvelles pers- Citons par exemple le phosgène, réactif bien
pectives en termes de propriétés et de qualité des connu pour ses nombreuses applications et sa dan-
produits, de sécurité industrielle, d’efficacité, et de gerosité. En cas d’incident, les quantités mises en
développement durable. jeu sont très faibles.
En contre-partie, les lieux où des incidents peu-
1.1 Caractéristiques vent se produire sont ainsi multipliés : une dissémi-
d’un microréacteur nation du danger, mais avec une forte diminution
du degré de dangerosité.
Un microréacteur est un système fabriqué par des
techniques de microfabrication, car ses dimensions & Les petites dimensions du microréacteur sont
caractéristiques le nécessitent. On fait référence, en également exploitées pour la maîtrise qu’elles offrent
Parution : septembre 2008

général, à des largeurs ou diamètres allant de 1 à sur la manipulation physique des produits. Les tailles
1 000 mm. Les nombreuses micro-techniques disponi- de canaux sont de l’ordre de grandeur que l’on peut
bles aujourd’hui autorisent des géométries variées et souhaiter pour des inclusions, de type bulles, gouttes
complexes. La fabrication des unités est souvent ou solides. C’est ainsi que l’on fabrique des émulsions
encore réalisée de façon quasi-artisanale, ce qui per- rigoureusement monodisperses, ou des polymères à
met d’adapter exactement la géométrie à l’opération, surface contrôlée…

9 - 2008 © Editions T.I. IN 94 - 1

93
Référence Internet
IN94

INNOVATION

& Une propriété fondamentale du microréacteur est la avantage majeur : celui de passer directement de
valeur extrêmement élevée du rapport entre sa l’échelle des essais, à l’échelle de la production, sans
surface et son volume. À titre d’exemple, des hypothèse lourde sur les facteurs d’extrapolation. Ceci
canaux de section carrée de 100 mm ou 1 mm présen- permet, d’une part, de limiter les risques intrinsèques
tent, respectivement, un rapport surface/volume de à tout changement d’échelle (dégradation de qualité
40 000 ou 4 000 m2/m3. Les phénomènes de paroi du produit, perte des performances énergétiques,
sont ainsi intensifiés ; en particulier, le transfert mauvaises estimations des durées opératoires, dys-
thermique est largement augmenté par rapport aux fonctionnements hydrodynamiques,…) et, d’autre
installations de taille classique, et le transfert de part, de réduire le temps qui sépare la mise au point
matière avec la paroi n’est plus négligeable. du produit de sa phase de fabrication industrielle. Cet
Cette propriété peut ainsi être utilisée pour des opé- élément peut être majeur lorsqu’il s’agit de mettre
rations de réaction catalytique par exemple, où la rapidement sur le marché un produit très sensible au
paroi constitue le support sur lequel le dépôt de cata- contexte concurrentiel.

3 lyseur est réalisé.


& Les débits de fluide qui sont associés aux micro-
réacteurs se situent dans une gamme allant de
Une alternative à la parallélisation consiste à utiliser
des réacteurs microstructurés. Ces outils, de taille
plus classique, permettent au fluide de circuler dans
des espaces de très petite dimension, d’environ 0,5 à
0,1 mL/h à quelques L/h pour les canaux dont
2 mm. Ils sont conçus pour s’intégrer sans souci de
les dimensions se situent autour du millimètre. Ceci
raccordement dans la chaîne classique du procédé à
permet d’envisager des applications, qui vont de la
macro-échelle. Ils autorisent des débits pouvant aller
manipulation d’échantillons pour analyse par exem-
jusqu’à plusieurs tonnes par heure.
ple, jusqu’à de la production industrielle de faible
tonnage. Ces débits sont associés à des vitesses La diminution d’échelle de taille, l’augmentation des
d’écoulement lentes, voire très lentes, selon le capacités de transfert, la diminution des temps
diamètre hydraulique de l’appareil. caractéristiques, la limitation de la formation de
sous-produits, permettent de situer les microréac-
Dans les plus petits canaux où le diamètre hydrau-
teurs dans la catégorie des appareils qui œuvrent
lique est de l’ordre d’une dizaine de microns, le fluide
dans le sens d’une intensification des procédés
peut progresser à moins de 1 mm/s, tandis que l’ordre
dans un contexte général de développement durable.
de grandeur est d’une dizaine de cm/s dans les
canaux autour du millimètre. Ces caractéristiques
entraînent un régime d’écoulement de type laminaire, 2. Exemples d’appareils
que l’on travaille avec des gaz ou des liquides. Du fait
de l’absence de turbulence dans l’écoulement, on est Parmi les différents types d’appareils miniaturisés,
souvent amené à concevoir le réacteur de telle façon nous pouvons distinguer deux classes principales :
que la géométrie génère des perturbations qui sup- — les mélangeurs et contacteurs ;
pléent la turbulence en promouvant le mélange. — les réacteurs-échangeurs.
Dans certaines applications au contraire (par exem-
ple en électrochimie), on pourra tirer avantage du 2.1 Mélangeurs et contacteurs
non-mélange des courants juxtaposés sous la forme diphasiques
de filaments ou de lamelles.
& Les microréacteurs sont également utilisés pour les Les micromélangeurs et microcontacteurs ont
faibles temps caractéristiques qu’ils présentent. pour but premier de mettre en contact deux flui-
Comme nous le verrons dans le § 3, la manipulation des miscibles ou immiscibles afin de les homo-
de faibles quantités de fluide dans des géométries généiser rapidement, de favoriser le transfert de
structurées permet un temps de mélange très court, matière ou une réaction, ou bien de créer une
malgré le caractère laminaire de l’écoulement. Dans dispersion à propriétés contrôlées. Ils peuvent
ce cas, la dispersion axiale est limitée, et on peut être également associés à un système de trans-
donc piloter bien mieux qu’à macro-échelle le temps fert de chaleur (voir [21]).
Sur les mélanges de
fluides et le transfert
de contact entre les réactifs. Ceci permet, avec un
de chaleur : contrôle d’excellente qualité de la température, d’aug- & La géométrie et le type de mise en contact des
menter la sélectivité de nombreuses réactions, fluides définissent la performance de l’appareil.
Convection naturelle.
Aspects théoriques lorsque des sous-produits apparaissent via des méca- Pour mélanger des fluides miscibles, la performance
[AF 4 080] de G. Lauréat nismes de réactions consécutive-compétitive par du micromélangeur est liée directement à la distance
exemple, ou dans le cas de réactions parallèles aux caractéristique entre les espèces, généralement
cinétiques différenciées. déterminée par la géométrie du micromélangeur.
Des améliorations du rendement sont également Dans le cas du mélange de fluides immiscibles, les
attendues, dans la mesure où le contrôle de la tempé- dimensions caractéristiques du contacteur ont aussi
rature, et la capacité d’évacuer de la chaleur, permet- un rôle très important. Couplées avec les conditions
tent de fonctionner dans des gammes opératoires que opératoires, elles contrôlent les caractéristiques phy-
les règles de sécurité interdisent à macro-échelle. siques de la dispersion : le régime d’écoulement et la
taille de goutte ou de bulle.
1.3 Un outil adapté aussi & Aujourd’hui, il existe des nombreux types de
à la production micromélangeurs/contacteurs sur le marché (exem-
Afin d’atteindre des capacités importantes de traite- ple les appareils commercialisés par IMM, Ehrfeld BTS,
ment, la démarche consiste à paralléliser les unités LTF, Mikroglas Chemtech, Corning, Velocys…) pour des
(« numbering-up »). Cette méthode présente un applications de mélange de fluides miscibles,

IN 94 - 2 © Editions T.I. 9 - 2008

94
Référence Internet
IN94

INNOVATION

immiscibles, ou gaz-liquide. Les mécanismes de mise en direction de l’écoulement (figure 1(d)). En rétrécis-
contact de fluides employés reposent essentiellement sant la largeur du microcanal de manière abrupte ou
sur l’énergie de l’écoulement et la structure géométrique progressive, le mécanisme de convergence hydrody-
de l’appareil, plus rarement sur une source d’énergie namique permet de diminuer le temps de mélange
externe pour faciliter le processus de mélange. en forçant les filaments de fluide par un orifice plus
De vastes possibilités existent et dépendent des étroit, ce qui réduit la distance caractéristique pour la
technologies de fabrication retenues. À titre d’exem- diffusion ;
ple, les modes de mise en contact de fluides les plus — division et recombinaison des courants
courants sont (figure 1) : (figure 1(e)). Les fluides subissent des phases d’étire-
— contact de deux courants en T ou en Y (figu- ment, de découpage et de recombinaison, afin d’aug-
res 1(a)-1(b)). Si les dimensions du microcanal sont menter la surface de contact entre les lamelles de
suffisamment petites, le processus de mélange par dif- fluide et de diminuer leurs épaisseurs. Souvent, les
fusion peut être rapide car la distance caractéristique écoulements générés avec ce mécanisme ont des
du système est très faible. Cependant, pour mélanger
rapidement dans des microcanaux plus grands, le débit
traversant doit être suffisamment élevé afin d’induire
caractéristiques chaotiques qui permettent un
mélange rapide et efficace ;
— mécanismes de mélange chaotique lorsqu’une
3
des effets instationnaires dans l’écoulement ; perturbation périodique est appliquée à l’écoulement.
— multilamination par l’introduction de multiples L’écoulement chaotique est favorable au mélange
courants de deux composants, souvent de manière puisqu’il permet de séparer à une vitesse exponen-
interdigitale (figure 1(c)). Le temps de mélange est tielle deux quantités infinitésimales de fluides initiale-
donc dépendant de la largeur de chaque filament de ment très proches et d’augmenter ainsi l’interface
fluide, déterminée par la dimension des microcanaux. entre les espèces. Il peut être généré par une géomé-
Dans le cas où la largeur de chaque canal est relative- trie tri-dimensionnelle et périodique (figure 1(f)), ou
ment importante (> 100 mm), le mélange par diffusion lors d’une perturbation périodique dans le temps
moléculaire étant peu efficace, le temps de mélange créée par une source externe (exemple l’injection
peut être diminué en couplant la multilamination périodique d’un courant normal à l’écoulement princi-
avec le mécanisme de convergence hydrodynamique ; pal ou l’application de potentiels électriques non-uni-
— convergence hydrodynamique par la diminu- formes sur les parois du microcanal dans le cas d’un
tion de la distance diffusionnelle, normale à la écoulement électro-osmotique).

B
B Mélange

A
A

Mélange
Mélange
a contacteur en T b contacteur en Y c multilamination

Étirement
A
A B
B
A
A B Division
B B
A Recombinaison A

Mélange
Étirement

Recombinaison Division

Mélange

d convergence e division et recombinaison f élément d’une géométrie


hydrodynamique itératives des courants tridimensionnelle pour la
création d’un écoulement
chaotique

Figure 1 – Mécanismes de mise en contact de fluides dans les microréacteurs

9 - 2008 © Editions T.I. IN 94 - 3

95
3

96
Référence Internet
CHV2227

Microréacteurs :
outils d’intensification de la chimie
par Clarisse MARIET
Ingénieur chercheur
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
Christine DALMAZZONE
Ingénieur de recherche

3
Direction Physico-Chimie et Mécanique Appliquées
IFP Énergies nouvelles (IFPEN), Rueil-Malmaison, France
Marie MARSIGLIA
Ingénieur de recherche
Direction Physico-Chimie et Mécanique Appliquées
IFP Énergies nouvelles (IFPEN), Rueil-Malmaison, France
Emmanuel MIGNARD
Chargé de recherche
CNRS, Université Bordeaux, Solvay, LOF, UMR 5258, Pessac, France
Axel VANSTEENE
Doctorant
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
et Laurent VIO
Ingénieur chercheur
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France

1. Intensification de procédés industriels..................................................... CHV 2 227 - 2


2. Principes ...................................................................................................... — 2
3. Exemples de microréacteurs industriels .................................................. — 3
4. Application à la chimie fine........................................................................ — 4
5. Conclusion ................................................................................................... — 6
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. CHV 2 227

’impact sur l’environnement, pour ce qui est des déchets et de l’énergie


L consommée, est devenu un enjeu majeur sous la pression de la réglemen-
tation européenne, en particulier avec l’entrée en vigueur de REACH, le
règlement relatif à l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des produits
chimiques. Le tout sur un marché toujours plus rude, où les coûts de produc-
tion deviennent déterminants. Pour répondre à ces défis et accélérer la
recherche, les équipes de recherche et l’industrie ont recours aux microréac-
teurs. Ils sont utilisés pour tester différentes voies de synthèse en parallèle, des
conditions expérimentales ou la détermination des données cinétiques ou
physico-chimiques avec, à la clé, un gain de temps appréciable.
Mais ce nouvel outil ouvre aussi des perspectives industrielles. Des synthèses,
bannies ou délicates, deviennent possibles. Les laboratoires pharmaceutiques
commencent à s’équiper bien que cela prenne du temps car l’intégration de micro-
réacteurs au niveau industriel nécessite de revoir tout le procédé. Le passage aux
Parution : mai 2019

Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés CHV 2 227 – 1

97
Référence Internet
CHV2227

MICRORÉACTEURS : OUTILS D’INTENSIFICATION DE LA CHIMIE _____________________________________________________________________________

microréacteurs est un changement de culture. Ils permettront de passer plus rapi-


dement d’un procédé de recherche et développement (R&D) à une échelle
industrielle par leur parallélisation.
Dans l’article [CHV 2 225] ont été exposés les avantages et les inconvénients
des laboratoires sur puce, puis un état de l’art des microsystèmes développés
spécifiquement pour des applications à la chimie séparative élémentaire (sels,
métaux et radionucléides), pour les caractérisations chimiques et physico-
chimiques des processus ainsi que pour l’intensification de la R&D. L’article
[CHV 2 226] se focalise sur la conception de ces laboratoires sur puce, avec
notamment l’exposé des fonctions de base, le choix des matériaux. Les prin-
cipes de fonctionnement des microsystèmes séparatifs sont décrits de façon à
comprendre comment ils ont été dimensionnés.
Traditionnellement, les réactions chimiques se font dans de grandes cuves,
produisant simultanément d’importantes quantités de substances. Ces réac-

3 teurs volumineux ont de multiples défauts. Il est en effet difficile d’obtenir un


mélange uniforme ou une température constante et il faut régulièrement
stopper le processus pour vider la cuve. De plus, les réactions chimiques sont
souvent développées à l’échelle du laboratoire mais plusieurs problèmes appa-
raissent quand il s’agit d’obtenir le même résultat à échelle industrielle. Ces
problèmes peuvent être résolus par l’utilisation de microréacteurs dont le
développement a été stimulé par celui des laboratoires sur puce. Le présent
article est axé sur l’intensification obtenue grâce à ces microréacteurs. Désor-
mais utilisés pour la chimie fine, des exemples d’intensification de procédés
industriels y sont présentés.
Voir aussi les articles [J 500] et [J 7 002] du traité Procédés chimie – bio –
agro | Opérations unitaires. Génie de la réaction chimique et l’article [IN 94] du
traité Procédés chimie – bio – agro | Chimie verte.

1. Intensification de procédés l’échelle industrielle sont plus rares. En contrôlant mieux les condi-
tions d’écoulement et de transfert, les réactions secondaires para-
industriels sites peuvent être supprimées, permettant ainsi d’obtenir des
produits de très grande pureté avec une grande sélectivité [2].
C’est pourquoi le marché principal de la technologie microréacteur
L’intensification des procédés consiste, par le développement est aujourd’hui celui de l’industrie chimique (raffinage, pharmaceu-
de méthodes, techniques et appareils adaptés, à concevoir des tique, cosmétiques, biotechnologies et environnement) même si à
procédés plus compacts et plus économiques, dont la capacité de plus long terme les outils développés pourraient atteindre l’indus-
production est de plusieurs fois supérieure à celle d’un procédé trie agroalimentaire [1]. Le marché des procédés en continu et des
conventionnel. Cette définition se résume de manière très synthé- technologies de microréaction s’est structuré et, depuis 2012, une
tique par « faire plus avec moins » [1] [2]. Il s’agit de réduire de transition s’opère des modules unitaires vers des modules de
manière importante la taille et la consommation énergétique des microréaction intégrés dans des systèmes entiers de production ou
procédés de fabrication et de transformation, les rendant ainsi de recherche et développement [4]. Sur la période 2007-2012, le
efficaces en minimisant les quantités de matières et d’eau mises nombre de ces technologies intégrées s’est accru de 18 % et le
en jeu. Le procédé est conçu dans un esprit de développement marché global des microréactions pour la recherche et le dévelop-
durable. L’intensification des procédés revoit en profondeur les pement a connu un taux de croissance annuelle de 25 %.
bases des procédés industriels traditionnels et met en œuvre de
nouvelles technologies et de nouveaux procédés miniaturisés
opérant en continu et présentant un plus faible impact visuel et
d’encombrement sur l’environnement. 2. Principes
Les objectifs visés sont [3] [4] :
– des procédés de production moins coûteux ; Les procédés de transformation de la matière et de l’énergie font
– le recyclage des produits et sous-produits ; intervenir de multiples phénomènes couplés à différentes échelles
– une sécurité améliorée ; spatiales et temporelles. Les processus les plus lents ont les temps
– un temps d’accès au marché plus court ; caractéristiques les plus élevés, ce qui traduit l’influence des phéno-
– une image de l’industrie concernée améliorée. mènes limitants. En pratique, ces limitations peuvent être partielle-
L’intensification des procédés promet une chimie plus sûre, plus ment levées par une intensification des transferts. Une autre solution
propre, moins énergivore. Si à l’échelle du laboratoire ces prin- consiste à augmenter considérablement les surfaces spécifiques de
cipes ont été adoptés, les exemples de procédés intensifiés à transfert en diminuant la taille caractéristique de l’écoulement, c’est

CHV 2 227 – 2 Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés

98
Intensification des procédés et méthodes d'analyse
durable
(Réf. Internet 42493)

1– Principes

2– Procédés catalytiques

3– Procédés de synthèse et de production


4
4– Procédés de séparation membranaire Réf. Internet page

Introduction aux enjeux des procédés membranaires J2842 101

Filtration membranaire (OI, NF, UF). Mise en oeuvre et performances J2793 103

Filtration membranaire (OI, NF, UF, MF). Applications en traitement des eaux J2794 107

Filtration membranaire (OI, NF, UF, MFT). Applications en agroalimentaire J2795 111

Filtration membranaire (OI, NF, UF). Applications diverses J2796 115

Perméation gazeuse J2810 119

Électrodialyse J2840 123

Bioréacteurs à membranes (BAM) et traitement des eaux usées W4140 127

Céramiques pour l'environnement : filtres, membranes, adsorbants et catalyseurs N4805 131

5– Procédés d'extraction et de traitement de la


biomasse végétale

6– Méthodes et instruments d'analyse

 Sur www.techniques-ingenieur.fr
• Saisissez la référence Internet pour accéder directement aux contenus en ligne
• Retrouvez la liste complète des ressources documentaires

99
4

100
Référence Internet
J2842

Introduction aux enjeux


des procédés membranaires

par Gilbert Marcel RIOS


Professeur émérite
Docteur ingénieur
Directeur European Membrane House (AISBL)
Directeur-adjoint chaire UNESCO SIMEV

1. Enjeux pour la séparation et la purification ..................................... J 2 842 - 2


1.1 Matériau et fonction membranaires ........................................................... — 2

4
1.2 Un matériau solide sélectif qui constitue l’interphase ? ........................... — 3
1.3 Ou un matériau qui génère les interfaces fluides ?................................... — 4
2. Enjeux pour la réaction........................................................................... — 4
2.1 Déplacement d’équilibre ............................................................................. — 4
2.2 Catalyse hétérogène ou catalyse homogène ? .......................................... — 4
2.3 Fonctionnalisation et microréacteurs : des économies d’atomes ........... — 5
3. Autres enjeux et perspectives .............................................................. — 5
3.1 Couplages d’opérations............................................................................... — 5
3.2 Génération et transfert d’énergie ............................................................... — 6
3.3 Transfert d’information et capteurs............................................................ — 6
3.4 Vers un « monde nouveau » de systèmes biomimétiques ...................... — 6
4. Conclusion.................................................................................................. — 7
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. J 2 842

ans un ouvrage paru chez Elsevier en 1995 [2], E. Sackmann écrit : « La vie
D dans toute sa diversité n’est devenue possible qu’après que la nature ait
découvert la membrane. Cet outil représente la barrière nécessaire pour pro-
téger les entités vivantes des effets néfastes de leur environnement inerte et
hostile, tout en garantissant entre les deux mondes les échanges hautement
sélectifs qui sont nécessaires... La réduction à deux dimensions de la géométrie
de l’outil lui assure une efficacité considérable en offrant la possibilité de sépara-
tion de charges irréversibles et d’un stockage transitoire de l’énergie via le
développement de gradients de potentiels électrochimiques ». Les membranes
biologiques représentent l’achèvement ultime poursuivi par les recherches et
développements technologiques conduits aujourd’hui dans le secteur des mem-
branes artificielles. Avec la catalyse enzymatique, elles sont à la base de tous les
modèles du vivant donc garantes du développement le plus durable qui soit.
Par principe [3] [4], les technologies à membranes artificielles présentent des
avantages considérables au regard des objectifs de la chimie verte :
– opérations isothermes, elles se caractérisent par une meilleure efficacité
énergétique, une plus grande sécurité, une meilleure qualité des produits
traités (en particulier s’ils sont fragiles comme les produits biologiques) ;
– en ne nécessitant aucun recours aux solvants (sauf pour le nettoyage des
installations hors cycle de production), elles participent à une réduction de
l’utilisation de ceux-ci et de produits finis plus sains ;
– en travaillant au niveau moléculaire ou ionique, elles autorisent une utili-
sation plus rationnelle de la matière ;
– leur modularité autorise un contrôle en ligne accru des performances et
une plus grande sûreté d’utilisation des installations...
Parution : juin 2012

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. J 2 842 – 1

101
Référence Internet
J2842

INTRODUCTION AUX ENJEUX DES PROCÉDÉS MEMBRANAIRES _____________________________________________________________________________

Autant d’arguments que l’on pourrait multiplier et qui tous renvoient au


corpus de principes évoqués dans l’encadré « Technologie de rupture ».
Aujourd’hui, les technologies à membranes sont considérées comme
« technologies dominantes » dans un certain nombre de pays avancés
comme les États-Unis, la Chine, le Japon, la Corée... en particulier pour leurs
applications dans le domaine de l’environnement et du recyclage. « Les
membranes et les technologies associées sont aujourd’hui des technologies
dominantes dont la visibilité dans le domaine public croît continuellement.
Leur succès repose sur le fait qu’elles autorisent des progrès significatifs
dans la rationalisation d’un grand nombre d’opérations de production indus-
trielle, minimisant l’impact environnemental, diminuant la consommation
d’énergie et de matières premières, améliorant les ratios productivité/taille
des installations ou encore productivité/masse des substrats consommés...
toutes choses qui sont cohérentes avec les objectifs d’intensification des
procédés » [5] [6] [7] [8].
Pour ces raisons et bien d’autres qui suivent – non seulement de miniaturisa-
tion des systèmes et procédés, de réduction et de meilleures utilisations des
intrants, mais aussi de participation à la mise au point de concepts entièrement
nouveaux qui seraient inenvisageables sans elles –, elles sont appelées à avoir

4 un rôle « messianique » ou salvateur dans bien des domaines d’une chimie qui
se veut verte.
Dans ce qui suit, notre ambition n’est pas de produire une nouvelle mono-
graphie de présentation générale des technologies à membranes (nous
préférons renvoyer à des sources existantes déjà bien renseignées,
notamment [3] [4]), mais bien plutôt d’illustrer. Comment ? En passant en
revue quelques exemples marquant dans les domaines de la séparation, de la
réaction et en donnant des ouvertures sur d’autres domaines encore plus pros-
pectifs, mais d’ores et déjà d’une réalité brûlante.

1. Enjeux pour la séparation


et la purification Rétentat

Différence
de potentiel
∆µ
1.1 Matériau et fonction membranaires Membrane

Considérée du point de vue des applications que l’homme a pu


Perméat
en faire, l’utilisation des technologies membranaires est récente. Il
y a 50 ans, leur rôle était mineur [3]. Leur développement en tant
que techniques séparatives a connu depuis lors un essor Figure 1 – Schéma de séparation par membrane
considérable, que l’on considère les domaines d’activités ciblés ou
bien encore le type des techniques elles-mêmes. Cela n’a pu être
réalisé que grâce aux progrès réalisés dans le domaine des maté-
riaux et aussi à des concepts d’ingénierie nouveaux. Une La fonction membranaire [8] résultante d’une intersection
démarche qui n’est pas sans rappeler ce qui s’est produit au milieu complexe (figure 2) entre les caractéristiques des matériaux en
du XXe siècle avec la mise au point des premières « puces » pour couche mince – ou « membranes » – utilisées comme barrières,
le développement des circuits électroniques... [9]. les conditions opératoires ou de procédés et les propriétés des
fluides utilisés, représente la performance du système en
Le schéma de la figure 1 rappelle le principe de base des tech- conditions normales de travail.
nologies membranaires « classiques ». Il souligne la garantie
unique de « barrière » offerte dans le domaine des séparations et
rappelle le rôle d’outil-clef de recyclage qui est le leur, suite à la C’est elle qui intéresse in fine l’utilisateur. Parce qu’elle est diffi-
séparation d’un courant dit de « rétentat » d’un courant extrait dit cile voire impossible à appréhender par mesure directe (car non
« perméat ». ∆µ est la force motrice de la séparation : une diffé- accessible par nature en « conditions statiques » ou à partir des
rence de potentiel électrochimique qui peut se décliner en termes seules propriétés du matériau), une approche holistique et un
de différence de pression, de concentration ou potentiel électrique recours massif à la modélisation/simulation sont nécessaires pour
suivant le cas. en rendre compte ou la prévoir.

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J 2 842 − 2 est strictement interdite. − © Editions T.I.

102
Référence Internet
J2793

Filtration membranaire (OI, NF, UF)


Mise en œuvre et performances
par Pierre AIMAR
Laboratoire de génie chimique – UMR CNRS/INP/UPS
Université Paul-Sabatier (Toulouse)

1. Modes de fonctionnement .................................................................... J 2 793 — 3


1.1 Mode de régulation ..................................................................................... — 3
1.1.1 Pression constante ............................................................................. — 3
1.1.2 Flux constant....................................................................................... — 3
1.1.3 Mode intermédiaire ............................................................................ — 4
1.2 Modes de fonctionnement..........................................................................
1.2.1 Fonctionnement discontinu ...............................................................
1.2.2 Fonctionnement continu ....................................................................



4
4
4
4
1.2.3 Fonctionnement continu multiétagé ................................................. — 5
1.2.4 Fonctionnement en diafiltration ........................................................ — 5
1.2.5 Temps de séjour moyens ................................................................... — 6
2. Performances ............................................................................................ — 6
2.1 Modèles de calcul de flux (approche théorique)....................................... — 6
2.1.1 Loi de Darcy ........................................................................................ — 6
2.1.2 Détermination de la perméabilité...................................................... — 6
2.1.3 Modèles. Difficultés rencontrées. Niveau de prédiction ................. — 6
2.2 Sélectivité..................................................................................................... — 7
2.2.1 Phénomènes de rétention.................................................................. — 7
2.2.2 Rétention observée. Rétention intrinsèque ...................................... — 9
2.2.3 Efficacité de rétention......................................................................... — 10
2.2.4 Amélioration de la rétention.............................................................. — 10
2.3 Considérations énergétiques...................................................................... — 10
2.4 Colmatage .................................................................................................... — 11
2.4.1 Principales origines du colmatage .................................................... — 11
2.4.2 Modélisation des phénomènes de colmatage ................................. — 12
2.5 Moyens de limiter les effets du colmatage. Conséquences..................... — 12
2.5.1 Compromis membrane-fluide ........................................................... — 13
2.5.2 Conditions opératoires....................................................................... — 13
2.5.3 Moyens de lutte en ligne.................................................................... — 13
2.5.4 Nettoyage des membranes................................................................ — 14
2.5.5 Vieillissement des matériaux............................................................. — 15
Références bibliographiques ......................................................................... — 15
Parution : juin 2006 - Dernière validation : juillet 2018

es opérations de filtration membranaire (nanofiltration NF, ultrafiltration UF,


L microfiltration NF), dans lesquelles on inclut ici l’osmose inverse (OI), bien
que les membranes qui y sont utilisées ne soient pas poreuses, peuvent être pré-
sentées comme des séparateurs tripolaires qui divisent un flux d’alimentation
en deux : le rétentat et le perméat (qui est constitué du liquide, solvant et une
partie des solutés, qui a traversé les membranes). La particularité de la filtration
membranaire, par rapport à la filtration classique, réside dans le fait que l’on fait
circuler, tangentiellement à la membrane, le liquide à filtrer de manière à limiter,
par effet de cisaillement hydrodynamique en paroi, l’accumulation de la matière
retenue : ce dernier mécanisme, lorsqu’il se développe en solution, est appelé
polarisation de concentration et, lorsqu’il se traduit par un dépôt de matière sur

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J2793

FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF) ____________________________________________________________________________________________________

la membrane, devient un colmatage de cette dernière. Pour cette raison éga-


lement, les membranes de filtration peuvent traiter des suspensions dont les
composants sont de tailles bien inférieures à ceux des suspensions concernées
par la filtration conventionnelle. Cela se traduit par des diamètres de pores bien
plus petits dans les membranes que dans les media filtrants.
Dans le tableau A, on a regroupé les principales caractéristiques des opéra-
tions de séparation concernées par ce dossier.
(0)

Tableau A – Principales caractéristiques des séparations concernées


Pressions de Flux
Taille des pores
service moyens
Opération Molécules retenues (ordres de grandeur)
moyennes
(nm)
(kPa) (L/h/m2)

Osmose Ions minéraux, Pas de pore 3000 à 7000 10 à 50


inverse petits composés organiques
(20 à 100 g/mole)
Nanofiltration Ions divalents, 1à5 300 à 3000 10 à 50
composés organiques, sucres

4
(100 à 1 000 g/mole)
Ultrafiltration Macromolécules 5 à 50 100 à 500 30 à 150
(1 000 à 500 000 g/mole),
Virus
Microfiltration Particules 50 à 1 000 50 à 300 30 à 150
(0,05 à 10 µm)

Le lecteur pourra trouver un exposé général concernant toutes ces techniques dans les dos-
siers [J 2 790], [J 2 792], [J 2 794], [J 2 795], [J 2 796] et [Doc. J 2 799].

Notations et symboles Notations et symboles (suite)

Symbole Unité Définition Symbole Unité Définition

A m2 aire membranaire E efficacité de rétention

a m rayon de molécule e cb charge élémentaire

B m/s paramètre de diffusion J m3/(m2 · s) densité de flux de matière

CA kg/m3 concentration en solutés dans k m/s coefficient de transfert de


ou mol/m3 l’alimentation matière

Cb kg/m3 concentration de la solution Lp m coefficient de perméabilité


ou mol/m3 circulante
M kg/mol masse molaire
Cg kg/m3 concentration critique en solutés
ou mol/m3 P kWh puissance

Cm kg/m3 concentration en solutés à la p Pa pression


ou mol/m3 membrane
QA m3/s débit volumique à l’alimentation
Cp kg/m3 concentration en solutés dans le
ou mol/m3 perméat
Qd m3/s débit volumique de fluide de
diafiltration
Cr kg/m3 concentration en solutés dans le
ou mol/m3 rétentat
Qp m3/s débit volumique de perméat
Cs kg/m3 concentration en solutés au
ou mol/m3 soutirage Qr m3/s débit volumique de recirculation

C (t ) kg/m3 bilan matière Qs m3/s débit volumique au soutirage

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____________________________________________________________________________________________________ FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF)

Notations et symboles (suite) Notations et symboles (suite)

Symbole Unité Définition Symbole Unité Définition

q ( t) kg quantité de matière qui quitte le Y taux de conversion du procédé


système à l’instant t
zi eq/mol nombre d’équivalents porté par
r m rayon d’un pore une espèce ionisée

᏾ 8,32 J/(K · mol) constante molaire des gaz εm F/m permittivité du milieu

R taux de rétention de la η rendement des pompes


membrane
µ Pa · s viscosité dynamique
Rh m-1 résistance hydraulique de la
membrane Π Pa pression osmotique
Robs taux de rétention observé

T K température

t s temps
A
Liste des indices

alimentation
4
V m3 volume de solution/suspension
a co-ion
W kWh/m3 puissance par unité de produit
b contre-ion
Xd eq/m3 densité de charge du matériau
membranaire
p perméat
Xi facteur de concentration pour
l’étage i d’un système multiétage s soutirage

1. Modes de fonctionnement 1.1.1 Pression constante

Les opérations menées à pression moyenne constante sont les


plus courantes, car plus faciles à mettre en œuvre a priori. Ce con-
trôle peut s’opérer par le biais d’une vanne de laminage en sortie de
1.1 Mode de régulation module ou d’installation. Dans le cas où l’installation est alimentée
par une pompe non volumétrique, une variation de contre-pression
peut entraîner des variations de débits de circulation : dans ce cas,
Les opérations de séparation membranaires en phase liquide, même si la pression moyenne ou la pression de sortie demeurent
pour lesquelles la force agissante est une différence de pression, constantes, la répartition des pressions dans les modules peut
peuvent se conduire essentiellement de deux manières : varier au cours du temps et altérer le fonctionnement du système.
Par ailleurs, dans le cas d’installations équipées de plusieurs modu-
— en imposant une consigne sur le flux de filtration ; les en série, une régulation de pression par module devrait être pré-
férée, car une pression moyenne constante sur l’ensemble de
— en imposant une différence de pression moyenne dans l’instal- l’installation peut masquer des variations importantes de pression
lation. d’un étage à l’autre. Il faut noter que, sauf panne de régulation, un
système mené à pression contrôlée est a priori stable, et peut être
De manière générale, on considère que fonctionner à flux sécurisé au moyen d’un simple pressiostat.
contrôlé permet d’éviter qu’au début des essais, lorsque la mem-
brane est encore propre et donc de perméabilité élevée, l’applica-
tion d’une pression de consigne moyenne, choisie pour la durée du
reste d’un cycle de production, ne provoque un flux très élevé et
1.1.2 Flux constant
donc des phénomènes d’accumulation et de compression de
matière sur le filtre, induisant un colmatage irréversible lourd, qui Ces systèmes sont régulés sur la base du débit de perméat,
conditionne le rendement de l’installation pendant toute le reste de mesuré ici également étage par étage. L’électrovanne de laminage
la durée du cycle. Le fonctionnement à flux constant peut être utile, applique une consigne au débit de perméat et augmente donc la
pour des raisons d’intégration de l’étage de séparation dans un pression moyenne de chaque étage au fur et à mesure que le colma-
procédé continu. tage augmente. Ce système est a priori divergeant car le colmatage

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Filtration membranaire
(OI, NF, UF, MF)
Applications en traitement des eaux

par Christel CAUSSERAND


Professeure UPS
Laboratoire de génie chimique, Université de Toulouse,
CNRS, INPT, UPS, Toulouse, France
Claire ALBASI
Directrice de recherche CNRS

4
Laboratoire de génie chimique, Université de Toulouse,
CNRS, INPT, UPS, Toulouse, France
et Hélène ROUX de BALMANN
Directrice de recherche CNRS
Laboratoire de génie chimique, Université de Toulouse,
CNRS, INPT, UPS, Toulouse, France

Note de l’éditeur : cet article est la mise à jour de l’article « Filtration membranaire (OI,
NF, UF) – Applications en traitement des eaux » rédigé par Philippe APTEL en 2006.

1. Principe général de la filtration membranaire ............................. J 2 794v2 - 2


2. Dessalement des eaux de mer et des eaux saumâtres .............. — 3
3. Production d’eau destinée à la consommation
humaine à partir des eaux douces................................................... — 9
4. Traitement des effluents et des eaux résiduaires....................... — 13
5. Différents concepts de couplage..................................................... — 15
6. Conclusion.............................................................................................. — 17
7. Glossaire ................................................................................................. — 18
Pour en savoir plus ....................................................................................... Doc. J 2 794v2

e programme phare des Nations unies pour l’eau, World Water Assess-
L ment Program (WWAP), réunissant l’Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) et l’UNICEF, estime que chaque être humain a besoin d’au minimum 20
à 50 L d’eau propre chaque jour pour satisfaire ses besoins. Près de 2 per-
sonnes sur 10 sont encore privées d’eau potable et plus d’un milliard d’êtres
humains sont réduits à consommer de l’eau potentiellement contaminée. La
pollution des eaux par les rejets issus de l’industrie, de l’agriculture et des
eaux usées domestiques a des conséquences dramatiques. La plus préoccu-
pante est la propagation de maladies, au premier rang desquelles le choléra, la
typhoïde ou la dysenterie. On estime que 80 % des maladies prévalant dans les
pays en développement seraient directement liées à un accès défaillant à l’eau
potable et aux équipements sanitaires.
Les ressources en eau douce sont limitées : l’accroissement prévisible de la
population et le développement industriel font craindre une rupture des res-
sources en eau aux conséquences bien plus graves que celles qui résulteront
Parution : août 2017

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FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF, MF) _____________________________________________________________________________________________

de la fin des réserves pétrolières. Il y a des substituts au pétrole, pas à l’eau.


Ainsi, 47 % de la population devrait connaitre un stress hydrique à l’horizon
2030, contre 40 % actuellement (source UNESCO).
Qualité de l’eau distribuée et quantité suffisante sont donc les critères à
concilier pour le traitement des eaux. Les opérations de séparation par
membranes (osmose inverse OI, nanofiltration NF, ultrafiltration UF, microfil-
tration MF) sont bien placées pour atteindre ces objectifs. En effet, comme les
membranes jouent le rôle de barrière physique, elles produisent avec une
grande fiabilité une eau de qualité pour la consommation humaine et l’indus-
trie, que ce soit à partir d’eaux douces ou d’eaux salées. Introduites dans le
traitement des eaux usées, ces opérations de séparation permettent un recy-
clage ou/et une réutilisation de l’eau réglant ainsi, potentiellement, le problème
de la quantité.
Le glossaire en fin d’article récapitule les définitions de l’article et celles
nécessaires à sa compréhension.

4 1. Principe général principal que présente la filtration membranaire en comparaison


aux traitements conventionnels. En effet, ceux-ci consistent en une
de la filtration filtration sur média granulaire (sable et/ou charbon actif), qui ne
constitue pas un filtre absolu. Contrairement à la filtration
membranaire membranaire, la qualité de l’eau filtrée par procédé traditionnel
dépend grandement de l’eau brute traitée.

La filtration membranaire est un procédé de séparation physique À l’issue d’une opération de filtration membranaire, deux phases
en phase liquide. Elle repose sur le principe de perméation à tra- sont obtenues :
vers une membrane permsélective. Cette membrane permsélec- – le rétentat (ou concentrat) dans lequel se concentrent les
tive, selon ses caractéristiques intrinsèques et son mode molécules et/ou particules retenues par la membrane ;
d’utilisation, constitue une barrière permettant (ou favorisant) cer-
tains transferts de matière et en limitant d’autres (figure 1). Les – le perméat, exempt des molécules et/ou particules retenues.
forces motrices permettant la perméation à travers la membrane
peuvent être la diffusion d’une des deux phases (transport actif)
mais également des différentiels de pressions, de concentrations, 1.1 Domaines de la filtration membranaire
ou de potentiels électriques (transport passif).
En fonction de la taille de ses pores, la membrane de filtration Les performances de filtration des procédés membranaires utili-
constitue une barrière physique absolue pour des molécules ou sant la pression comme force agissante sont évaluées par les
particules de taille supérieure à un certain seuil. C’est l’avantage notions de productivité (perméabilité) et d’efficacité (sélectivité).

e
an
br Perméat
Rétentat em
M

Flux
Particule ou molécule
retenue

Particule ou molécule
non retenue

Alimentation

Figure 1 – Principe de filtration membranaire (en mode tangentiel)

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_____________________________________________________________________________________________ FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF, MF)

Ultrafiltration
Procédés Nanofiltration Microfiltration
de filtration Osmose Filtration conventionnelle
Inverse
10–1 1 10 102 103 104 105 106 107
Ions métalliques Taille de
Sels aqueux pores (nm)

Pesticides/herbicides
Sucres
Gélatine
Solutés et
particules Virus
retenus Colloïdes
Pigments
Bactéries
Sables

4
Figure 2 – Positionnement des procédés de filtration en fonction du diamètre de pores [J 2 791] [J 2 789]

Il est d’usage de séparer les membranes en différentes catégo- 1.2 Modes de filtration
ries selon leurs capacités de rétention et de définir ainsi des
domaines de filtration. Les principaux domaines de filtration en Une opération de filtration membranaire peut être mise en
fonction de la taille moyenne de pores des membranes, ainsi que œuvre selon deux configurations différentes : en mode frontal
la correspondance avec les molécules et particules retenues sont (dead-end filtration ) ou tangentiel (cross-flow filtration ).
représentés sur la figure 2 [J 2 791] [J 2 789]. Pour comparaison, le
Dans le cas d’une filtration en mode frontal, le fluide à filtrer cir-
domaine couvert par la filtration conventionnelle est également
cule perpendiculairement à la membrane. Il en découle un débit de
reporté.
concentrat QR nul (figure 3a ). Ce mode de fonctionnement induit
Selon les propriétés des membranes, on distingue donc les une accumulation importante de matière à la surface de la
domaines suivants [J 2 789] : membrane au cours de son utilisation, ce qui en réduit progressi-
vement la perméabilité. Afin de limiter ce phénomène, la filtration
– l’osmose inverse (OI). Dans ce domaine, on utilise des en mode tangentiel consiste à imposer au fluide à filtrer une circu-
membranes denses (sans porosité apparente) qui permettent de lation parallèle à la surface de la membrane (figure 3b ). Cette
retenir la quasi-totalité des solutés, y compris les sels et ions configuration permet d’obtenir dans une certaine gamme de
métalliques. L’application principale de l’OI est le dessalement de débits, des contraintes de cisaillement constantes à la surface de la
l’eau de mer ainsi que la production d’eau ultra-pure ; membrane, et donc de limiter le colmatage.
– la nanofiltration (NF). Ce domaine de filtration permet de
retenir des sels ionisés multivalents et des composés organiques
non-ionisés, de masses molaires supérieures à environ
300 g · mol–1. Il est généralement considéré que les membranes de
2. Dessalement des eaux
NF retiennent des composés de taille minimale allant de 0,5 à
8 nm ;
de mer et des eaux
– l’ultrafiltration (UF). Les membranes d’UF présentent des
saumâtres
diamètres de pores compris entre 2 et 100 nm. L’UF permet la
rétention de molécules de masses molaires élevées telles que des Selon l’UNESCO, environ 40 % de la population mondiale
polymères, protéines ou colloïdes ; connait un stress hydrique et l’évolution démographique va porter
ce chiffre à 47 % en 2030. Pourtant les mers et océans couvrent ¾
– la microfiltration (MF). Les membranes de MF permettent
de la planète et 80 % de la population mondiale habite à moins de
l’élimination de particules en suspension (séparation solide/
80 km d’une côte. Le dessalement de l’eau de mer est donc une
liquide) de rayon hydrodynamique minimal compris entre 75 nm et
des possibilités permettant l’alimentation en eau douce. Les pre-
10 µm.
mières installations sont apparues dans les années 1980 avec une
Dans le domaine de la filtration conventionnelle (ou particulaire), croissance significative à partir des années 2000 (figure 4 [1]). Fin
les filtres permettent la rétention de macroparticules ayant une 2014, les Nations unies comptabilisaient près de 16 000 usines de
taille supérieure à 10 µm. Ils sont généralement utilisés en prétrai- dessalement, d’une capacité totale de production de 70 millions de
tement, en amont de membranes plus performantes. Il convient de m3 d’eau par jour. Au total, le dessalement absorberait près de
noter que les limites entre les différents domaines ne sont pas 75 TWh/an, soit l’équivalent d’environ 0,4 % de la consommation
définies précisément et ne sont données qu’à titre indicatif. Il appa- électrique mondiale.
raît, par exemple, une zone de recouvrement entre NF et UF et on La figure 5 donne les pays leaders dans le domaine du dessale-
parle alors indifféremment de haute NF ou de basse UF. ment et les capacités installées (www.energie.sia-partners.com).

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J 2 794v2 – 3

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FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF, MF) _____________________________________________________________________________________________

QA Alimentation

Alimentation Rétentat

QA QR

Membrane Membrane
Particule ou molécule
non retenue

QP Perméat QP Perméat
Particule ou molécule
retenue

4 Figure 3 – Filtration en mode frontal et tangentiel


a mode frontal b mode tangentiel

Capacité sous contrat

1re moitié d’année

2e moitié d’année

année entière
Capacité (million m3/j)

Capacité installée

2015 : 3,1 millions m3/j

2015 : 3,2 millions m3/j

2016 : 2,1 millions m3/j

1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2016

La capacité sous contrat désigne la capacité des unités ayant fait l’objet d’un contrat (donc non encore installées)

Figure 4 – Dessalement d’eau de mer. Évolution de la capacité installée (doc. Desoldata/IDA, juin 2016 [1])

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont les principaux inverse (OI) qui sont décrits dans l’article concernant le dessale-
producteurs d’eau dessalée, tandis que des pays comme l’Inde, le ment de l’eau de mer [W 5 700].
Mexique ou l’Afrique du sud connaissent la plus forte croissance.
La distillation consiste à porter l’eau de mer à ébullition et
à condenser la vapeur d’eau produite afin d’obtenir une eau
2.1 Place de l’osmose inverse par rapport (distillat) épurée des sels et autres matières contenues dans
aux autres procédés de dessalement l’eau de mer. L’osmose inverse (OI) utilise une membrane
semi-perméable non poreuse. L’eau de mer, mise sous pres-
Les procédés de dessalement les plus largement utilisés pour sion, est séparée en une fraction d’eau épurée des sels et
produire de l’eau, potable en particulier, à partir d’eaux « salées », autres matières initialement contenues dans l’eau (filtrat) et
eaux de mer ou eaux saumâtres, sont la distillation, principale- une fraction contenant les espèces ainsi retenues (rétentat ou
ment distillation flash et distillation à multiples effets, et l’osmose concentrat).

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Filtration membranaire (OI, NF, UF, MFT)


Applications en agroalimentaire
par Geneviève GÉSAN-GUIZIOU
Science et technologie du lait et de l’œuf (STLO), UMR 1253 INRA – Agrocampus Rennes
Institut national de la recherche agronomique (INRA), Rennes

1. Industrie laitière ....................................................................................... J 2795 - 2


1.1 Microfilt
rat ion ............................................................................................... — 2
1.2 Ultafilt
r at
r ion ................................................................................................ — 4
1.3 Nanofiltration, os mos e inv er s e................................................................... — 6
1.4 Exemples d’applications combinant différentes opérations
à membranes................................................................................................

4
— 6
2. Industrie des boissons ............................................................................ — 7
2.1 Vin ................................................................................................................. — 7
2.2 Bière .............................................................................................................. — 9
2.3 Jus de fruits et de légumes ......................................................................... — 11
3. Autres industries concernées ............................................................... — 11
3.1 Protéines végétales...................................................................................... — 11
3.2 Ovoproduits .................................................................................................. — 12
3.3 Sirops et jus sucrés ...................................................................................... — 13
3.4 Polysaccharides............................................................................................ — 14
3.5 Autres secteurs............................................................................................. — 14
3.6 Épuration biologique des eaux résiduaires ............................................... — 14
4. Forces et faiblesses des membranes dans le secteur
alimentaire ................................................................................................. — 14
4.1 Points forts des opérations à membranes ................................................. — 14
4.2 Freins techniques du développement des opérations
à membranes................................................................................................ — 15
5. Conclusion.................................................................................................. — 17
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. J 2 795

n près de 30 ans, les opérations de filtration tangentielle sont devenues


E des outils industriels incontournables dans les technologies
alimentaires [1] [2]. Les principales applications des membranes dans le
domaine agroalimentaire ont été développées dans le secteur laitier (30 à 40 %
du marché) majoritairement pour la concentration des protéines du lactosérum
et la standardisation du lait en protéines, loin devant les autres produits
alimentaires : vin, bière, jus de fruits, ovoproduits... [1] [3] [4]. D’autres champs
d’application émergent : concentration de jus de légumes, récupération du
plasma sanguin des abattoirs... Ces techniques sont utilisées aussi bien au sein
même de la chaîne de production (clarification, concentration, fractionnement)
que pour le traitement des fluides techniques (eau de process...) et des
effluents.
Cet article a pour but de fournir aux techniciens, ingénieurs ou étudiants du
domaine alimentaire, une vision générale des applications agroalimentaires
des quatre opérations à membranes majeures (microfiltration : MF,
ultrafiltration : UF, nanofiltration : NF, osmose inverse : OI) pour lesquelles la
Parution : décembre 2007

séparation à travers la membrane est réalisée en phase liquide, sous l’action


d’un gradient de pression, appelé pression transmembranaire.

To
uter
epr
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111
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FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF, MFT) ____________________________________________________________________________________________

1. Industrie laitière Tableau 1 – Composition moyenne d’un lait


de vache
L’industrie laitière est à l’origine de nombreux développements
Composants Concentration
des technologies de séparation par membrane en industrie alimen-
(g · L–1)
taire (voir Séparations par membrane dans l’industrie alimentaire
[F 3 250]). En effet, dès le début des années 1970, des chercheurs
ont eu l’idée, à partir de procédés utilisés en médecine dans Eau 870 à 875
certains cas d’infection rénale, de chercher à concentrer le lait uti-
lisé en fromagerie par les techniques à membranes. Aujourd’hui, Matières sèches 125 à 130
les opérations de filtration tangentielle sont intégrées tout au long
de la chaîne technologique de traitement et de transformation du Glucide (lactose) 48 à 50
lait et du lactosérum, coproduit de la transformation en fromage :
réception du lait, transformation fromagère, concentration des pro- Matière grasse 34 à 44
téines du lactosérum, fractionnement d’hydrolysats de protéines,
recyclage des fluides techniques (solutions de nettoyage, Matière azotée 29 à 35
saumure...) et purification des eaux résiduaires (bioréacteur à Protéines
membranes). On peut dire que ces opérations ont atteint, dans
l’industrie laitière mondiale, le même degré de banalisation que Caséines 21 à 27
l’écrémeuse ou l’échangeur à plaques. Protéines solubles 6à7
Parmi les opérations de séparation à membranes, l’ultrafiltration
Azote non protéique <1
est largement la plus répandue, avec une aire membranaire instal-
lée estimée à 350 000 m2. La nanofiltration (100 000 m2) s’est

4 développée récemment pour la déminéralisation des lactosérums.


L’aire membranaire installée pour l’osmose inverse se stabilise
(65 000 m2) alors que celle dédiée à la microfiltration se développe
Minéraux

Autres : vitamines, enzymes


8à9

traces
(15 000 m2 installés).
La composition du lait est détaillée dans le tableau 1.
Il doit être mentionné que les laits microfiltrés sont dépourvus
de toutes les cellules somatiques (7 à 30 µm). Ces cellules naturel-
1.1 Microfiltration lement présentes dans le lait proviennent principalement du sang
La microfiltration du lait recouvre trois opérations principales [4]. et du tissu mammaire et sont riches en enzymes susceptibles
d’entraîner une dégradation des constituants du lait au cours de sa
conservation. Leur élimination, totale, contribue à augmenter la
1.1.1 Épuration bactérienne stabilité du lait.
Face à une trop forte charge bactérienne des laits, qui peut entraî- Si l’emploi de cette technique pour les laits de fromagerie permet
ner une altération de leur composition chimique (dégradation du de satisfaire en toute sécurité aux normes bactériologiques des fro-
lactose en acide lactique, hydrolyse des protéines en peptides et mages fabriqués à partir de lait cru, elle impose un réensemence-
acides aminés...) et des défauts de conservation et de transforma- ment de l’écosystème spécifique du fromage pour lui assurer la
tion des produits laitiers fabriqués, la microfiltration tangentielle de typicité de texture et de flaveur souhaitée par les consommateurs
lait offre une alternative intéressante à la pasteurisation (72 à 75 oC, (voir Procédés de transformation fromagère (partie 1) [F 6 305]).
10 à 30 s) et à la bactofugation (centrifugation du lait) [4]. Cette tech-
nique ne s’applique qu’à du lait écrémé du fait des recoupements Les membranes utilisées sont des membranes céramiques, de
de taille des globules gras et des micro-organismes (figure 1). diamètre de pore 1,4 µm. En combinant un fort écoulement tan-
gentiel (7 à 8 m · s–1), et donc une forte contrainte de cisaillement à
Cette technique permet, selon le schéma de la figure 2, de la paroi, avec une faible pression transmembranaire (Δp < 50 kPa),
réduire la teneur en micro-organismes du lait de consommation ou elles procurent de faibles pertes de matière (5 % en volume à un
du lait de fromagerie, tout en maintenant ses qualités organolep- facteur de réduction volumique FRV = 20 ; < 1 % de caséines) sous
tiques grâce à un traitement thermique moindre (37 à 50 oC). L’effi- de fortes densités de flux de perméation (J = 400 à 650 L · h–1 · m–2,
cacité de la séparation, estimée par la réduction décimale (RD) est soit 110 à 180 µm · s–1) pendant une période de l’ordre de 10 h.
bonne puisque la réduction décimale obtenue est supérieure à 3,5, Pour obtenir de telles performances, il est nécessaire d’assurer des
ce qui signifie que pour un lait écrémé contenant 20 000 ufc · mL–1, conditions locales de filtration homogènes tout au long de la mem-
le microfiltrat produit contient moins de 10 ufc · mL–1. RD est cal- brane, soit grâce à un système de circulation du filtrat à cocourant
culée à partir du nombre de germes du lait non traité, C 0 et celui du rétentat (système Bactocatch®, figure 3, [5]), soit en utilisant
du lait microfiltré, C MF selon : des membranes à gradient de résistance hydraulique [6] [7]. Dans
 C  des installations plus importantes, un second étage de microfiltra-
RD = lg  0  tion peut être installé pour atteindre un FRV de 200, conduisant à
 CMF  0,5 % de pertes en volume (figure 2).

Taille (nm) 106 105 104 103 102 10 1 10–1

Micro-organismes

Composants
Globules gras Micelles de Protéines Eau
caséines solubles Lactose
Minéraux solubles
Azote non protéique

Figure 1 – Répartition en taille des composants majeurs du lait

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112
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J2795

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Facteur de réduction volumique Lait

Pour un système discontinu (batch), le facteur de réduction Écrémage


volumique (FRV ) est défini comme le rapport du volume initial
à traiter, noté V 0 et du volume restant à l’instant t, côté réten-
tat, noté V R , soit :

V0 Crème Lait écrémé


FRV =
VR Microfiltration 1,4 µm Rétentat
FRV = 20
Pour un système continu, FRV est le rapport du débit total Traitement
thermique Microfiltration 1,4 µm
d’alimentation entrant dans le système de filtration, noté Q 0 ,
FRV = 10 Rétentat
et du débit de sortie de la fraction de fluide n’ayant pas franchi
la membrane, noté Q R (le débit de sortie du perméat est noté
Q P) : Crème traitée Microfiltrat = lait écrémé épuré
thermiquement
Q0 QP + QR Q
FRV = = = 1+ P
QR QR QR

avec . Q0 = QR + QP Lait frais microfiltré

4
FRV : facteur de réduction volumique
Le FRV traduit une réduction du volume mis en œuvre par
l’opération de filtration. Cette grandeur fait souvent l’objet d’une Figure 2 – Procédé de traitement du lait utilisant la microfiltration
confusion avec le facteur de concentration (FC ) d’un composé. pour l’élimination des micro-organismes
Le facteur de concentration d’un composé est une grandeur qui
ne se définit que par rapport aux concentrations de ce composé
dans le rétentat, C R , et dans le produit à filtrer, C 0 : Exemple : en France, le lait de consommation microfiltré le plu s
connues tpr oposé sousle nom commer cial Mar gu erit e. Il estfa bri-
CR qu é parl’U nion desc oopér ativ esla it
ièresde V illefranc he-s ur-Saône
FC = (69) etes tob tenupa rle méla nge de la it« c ru» mic rofiltréa vecde la
C0
crème c ha uffée à95 oCpenda nt20 s. S adu rée de v ie c ommer c
ia le à
4 oCes tde 15 jou rs.U ne variant e de c e lait(méla nge dula itmic rofil-
Il est possible de relier FC et FRV en prenant en compte la tr
é pa steu r
isé a v
eclac rème c ha uffée) es tpr opos ée da nsplu sieu rs
rétention de la molécule considérée [1]. pay s(Ca nada ,Scandinavie,et c.).

Pre = 3 ba r Prs = 1 bar Pre = 3 ba r Prs = 1 bar

Rétentat Rétentat

Perméat Perméat

Ppe = 1 bar Pps = 1 bar Ppe = 2 bar Pps = 0 bar

Local
2 2
Moyen
1 1
Moyen Local
0 0

a fonctionnement traditionnel b fonctionnement avec recirculation du perméat


à cocourant du rétentat : Bactocatch®
L‘objectif de la recirculation du perméat à cocourant du rétentat est d‘assurer une pression transmembranaire homogène, tout au long du chemin
filtrant, c'est-à-dire de l‘entrée à la sortie de la membrane. L‘homogénéité des pressions transmembranaires locales est assurée par une recirculation
du perméat à cocourant du rétentat conduisant à une égalité des pertes de charge rétentat et perméat :

Δpe = Δps ⇔ Pre – Ppe = Prs – Pps ⇔ Pre – Prs = Ppe – Pps ⇔ PCr = PCp

P
Δp
PC

Figure 3 – Principe de fonctionnement du système Bactocatch®

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113
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1.1.2 Standardisation en micelles de caséines 1.2 Ultrafiltration


des laits
La séparation par voie physique des micelles de caséines, qui L’ultrafiltration est l’opération la plus largement répandue en
sont les protéines fromageables du lait, est devenue depuis les industrie laitière.
années 1990 une réalité industrielle, qui ne cesse de prendre de
l’ampleur. La mise en contact du lait écrémé avec une membrane
de diamètre de pores 0,1 µm conduit à l’obtention d’un rétentat
1.2.1 Standardisation et concentration du lait
enrichi en micelles de caséines, dont la taille moyenne se trouve en protéines totales
autour de 0,15 µm (150 nm, figure 1) et d’un perméat contenant les
protéines solubles, qualifié de « lactosérum idéal ». L’ultrafiltration est utilisée depuis les années 1970 sur presque
tous les sites de transformation pour la standardisation du lait en
Le perméat, qui contient tous les éléments constitutifs du lacto- protéines totales tant pour le lait de consommation (FRV = 1,8) que
sérum (protéines solubles dans leur état natif, lactose, minéraux), pour les laits de fromagerie 1,8 F FRV < 4 . Cette élévation de la
qui est stérile et dépourvu de bactériophages et de matière grasse teneur en protéines totales des laits de fromagerie, nécessaire
résiduelle, est une matière de choix pour la préparation par ultrafil- pour assurer une régularité et une qualité des laits avant transfor-
tration, de concentrés et d’isolats protéiques à hautes propriétés mation, répond à un triple objectif d’augmentation de rendement,
fonctionnelles et activités biologiques (§ 1.2.3). de régularité de la qualité fromagère et d’amélioration de la pro-
Le rétentat est utilisé pour l’enrichissement en caséine des laits ductivité des outils de transformation (voir Procédés de transfor-
de fromagerie et conduit à une amélioration du procédé fromager mation fromagère (partie 1) [F 6 305]). Des membranes organiques
(accélération des cinétiques de coagulation, augmentation de la spirales ou inorganiques tubulaires de seuil de coupure inférieur à
fermeté du coagulum, réduction des pertes en fines de caillé lors 10 kg · mol–1 pour limiter la transmission des protéines solubles
de l’égouttage conduisant à l’augmentation significative du rende- sous 200 à 400 kPa produisent des rétentats, avec des flux dans la

4
ment fromager...). Par ailleurs, l’élimination partielle des protéines gamma 30 à 120 L · h–1 · m–2.
solubles permet de réduire fortement les effets dommageables des
traitements thermiques sur la coagulation du lait par la présure, ce L’ultrafiltration a également permis le développement d’une
qui a permis de concevoir un procédé de préparation de poudre de nouvelle technologie fromagère connue sous le nom de procédé
lait à haute aptitude fromagère destinée à l’exportation vers les MMV (Maubois, Mocquot, Vassal, 1969) (voir Procédés de transfor-
pays dont la production laitière est insuffisante [1]. mation fromagère (partie 1) [F 6 305]). Dans ce procédé (figure 4
[7]), le lait est concentré, effectuant ainsi l’« égouttage » avant la
La séparation se fait avec une membrane céramique de 0,1 µm, coagulation du lait et non après comme dans une technologie clas-
à 50 oC et FRV variant de 2 à 4. Les flux de perméation obtenus sique. Le perméat obtenu contient de l’eau, du lactose, des
sont de l’ordre de 75 L · h–1 · m–2, et sont étroitement liés à la minéraux solubles et de l’azote non protéique, l’ensemble des pro-
contrainte de cisaillement pariétale τ w : téines (micelles de caséine et protéines du lactosérum) étant
concentré dans le rétentat, produit liquide plus ou moins visqueux
J (L ⋅ h−1 ⋅ m−2 ) ≈ 0, 8 τ w (Pa) ayant une composition proche de celle du fromage. Ce rétentat,
appelé préfromage liquide, est ensuite transformé, après fermenta-
La microfiltration peut être combinée à une diafiltration (voir tion lactique et coagulation, en fromages à textures et saveurs
Séparations par membrane dans l’industrie alimentaire [F 3 250]), variées. Dans le cas du procédé MMV, le FRV peut atteindre 7 pour
lavage de la phase micellaire avec plusieurs diavolumes d’eau de préparer le préfromage liquide. L’UF est souvent combinée à une
qualité appropriée (nombre de diavolumes = 4), pour purifier les diafiltration destinée à diminuer les teneurs en lactose et en sels
micelles de caséines et ainsi préparer du « phosphocaséinate minéraux ou à ajuster qualitativement ces derniers.
natif ». Cette matière première peut être utilisée pour le fractionne-
ment des caséines individuelles, en particulier de la caséine β, dont L’ultrafiltration est également utilisée pour la préparation des
la séquence contient de nombreux peptides reconnus pour leur préfromages à concentration intermédiaire : les éléments « froma-
activité biologique (activité opiacée, activités régulatrices du geables » se trouvent alors en concentration bien supérieure à
sommeil, de l’appétit, de la tension artérielle, etc.). celle du lait et inférieure à celle du préfromage à concentration
totale (concentration de ces mêmes composants très proche de
celles du fromage). Les préfromages partiellement concentrés sont
1.1.3 Fractionnement de la matière grasse transformés en fromages selon des technologies conventionnelles
globulaire adaptées.
La séparation de la matière grasse globulaire du lait entier ou Pour ces opérations, des membranes organiques spirales ou
enrichi en matière grasse ou de la crème, proposée très récem- inorganiques tubulaires avec des seuils généralement de 20 à
ment, permet de préparer des fractions enrichies en petits (< 2 µm) 100 kg · mol–1 sont utilisées. Les flux d’ultrafiltrat sont liés à la
et gros (> 2 µm) globules gras. Cette microfiltration se réalise avec concentration selon :
des membranes céramiques de taille de pore dans la plage 1,8
à 10 µm, dans des conditions opératoires très variables : tempéra-
J = a ln FRV + b avec a < 0
ture 35 à 55 oC ; vitesse d’écoulement tangentiel 4 à 8 m · s–1,
0, 2 ⋅ 105 Pa F Δp F 1, 75 ⋅ 105 Pa , 2 F FRV F 20 . Les produits laitiers
(fromages, yaourts...) issus de laits de fabrication dont toute la Dans les étages d’UF où FRV > 3 à 4, la viscosité et la polarisa-
matière grasse se trouve sous forme de petits globules natifs, ont tion de concentration amènent les flux vers des valeurs de l’ordre
une texture plus fine et plus onctueuse que celle des produits issus de 10 L · h–1 · m–2.
du même lait dont la matière grasse est constituée soit par de gros Des dizaines de nouveaux fromages ont ainsi vu le jour depuis
globules, soit par la matière grasse originelle. Seul le beurre est les années 1970.
obtenu avec de meilleurs résultats organoleptiques en utilisant les
gros globules. Exemple : c’est en adaptant le b revet M M Và une utilisation indus-
D’un point de vue technique, le procédé n’est pas encore opti- trielle que le Pavé d’Affinois, fromage à pâte molle proposé par la fro-
misé. La faisabilité du fractionnement est montrée et il apparaît magerie Guilloteau (Pélussin, 42), apparaît sur le marché en 1982.
clairement que l’utilisation de la microfiltration pour le fractionne- Depuis, la gamme d’Affinois s’est développée (le Léger d’A ffinois,le
ment de la matière grasse laitière dépendra de la plus-value P laisir d’Affinois...) et de nouveaux autres fromages se sont déve-
commerciale dégagée par les nouveaux produits obtenus. loppés autour de ce concept d’ultrafiltration.

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114
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J2796

Filtration membranaire (OI, NF, UF)


Applications diverses
par Sylvie BOURDON
Responsable développement membranes
Orelis-Novasep Process
et Arnaud BAUDOT
Direction Catalyse et Séparation
IFP Lyon

1. Biotechnologie et biopharmacie.......................................................... J 2 796 - 2


1.1 Extraction des moûts de fermentation ...................................................... — 2
1.1.1 Procédés de fermentation .................................................................. — 2

1.2
1.3
1.1.2 Extraction des métabolites ................................................................
Concentration/Purification ..........................................................................
Membranes stérilisantes.............................................................................



2
4
5
4
2. Industrie automobile............................................................................... — 5
2.1 Dégraissage et traitement des huiles......................................................... — 5
2.1.1 Concentration des effluents huileux avant destruction................... — 5
2.1.2 Recyclage des bains de dégraissage ................................................ — 6
2.2 Procédés membranaires dans les dépôts de peinture
par électrophorèse....................................................................................... — 7
2.2.1 Rinçage des carrosseries et recyclage de la peinture...................... — 7
2.2.2 Recyclage des eaux de rinçage final ................................................. — 8
3. Autres domaines d’applications .......................................................... — 9
3.1 Recyclage des sauces de couchage dans l’industrie papetière ............... — 9
3.1.1 Traitement de couchage du papier.................................................... — 9
3.1.2 Traitement de recyclage des sauces ................................................. — 9
3.2 Extraction de solvant par nanofiltration dans le procédé
de production d’huile moteur..................................................................... — 10
3.2.1 Production de l’huile pour moteur .................................................... — 10
3.2.2 Déparaffinage par membranes de l’huile pour moteur................... — 10
4. Conclusion ................................................................................................. — 11
Références bibliographiques ............................................................. — 11

ême si les membranes sont depuis de très nombreuses années présentes


M dans les deux grands domaines de production – potabilisation de l’eau et
l’hémodialyse –, de très nombreuses autres applications font appel à cette
technologie.
Nous nous proposons dans ce dossier de décrire, de façon non exhaustive,
quelques exemples d’applications membranaires dans les domaines de la
biologie et de la pharmacie, de l’industrie automobile, de l’industrie papetière
et, enfin, de la pétrochimie.

D’autres applications de la filtration membranaire sont développées dans les Techniques de


l’Ingénieur (références [13] à [22]).
Parution : septembre 2006

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115
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J2796

FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF) ____________________________________________________________________________________________________

1. Biotechnologie 1.1.2 Extraction des métabolites

et biopharmacie L’extraction des métabolites des moûts de fermentation est


effectuée par deux étapes successives (figures 1 et 2) :
— 1re étape : concentration du moût de fermentation suivant un
Trois types d’applications peuvent être présentées dans le procédé continu ou batch, ou batch alimenté ;
domaine de la biologie et de la pharmacie, à savoir le traitement — 2e étape : diafiltration du moût de fermentation suivant un
des moûts de fermentation, la concentration et la purification de procédé continu ou batch.
principes actifs de vaccins et d’antibiotiques et, enfin, la production
d’eau hautement purifiée.
1.1.2.1 Première étape : concentration du moût
de fermentation
1.1 Extraction des moûts de fermentation ■ Cas d’une concentration en procédé continu
La biotechnologie est une science qui consiste à exploiter les La première étape de concentration en continu (figure 1) se
cellules et les micro-organismes afin de leur faire produire ou compose d’une installation multi-étagée suivant un montage en
transformer de multiples substances appelées métabolites dans série (le rétentat du premier étage alimente les modules du second
des domaines tels que l’agroalimentaire et la pharmacie. Ce n’est étage et ainsi de suite). La vocation de ce procédé continu est de
qu’à partir des années 1970, où la biologie des microbes fut bien concentrer progressivement le moût de fermentation (rétentat) tout
comprise, que le stade de production à l’échelle industrielle de la en obtenant un filtrat exempt d’impuretés (par exemple, séparation
culture de micro-organismes (bactéries, champignons) et des du principe actif de la biomasse). La biomasse traitée peut être
métabolites résultants a pu être développé. fortement colmatante et, dans ce cas, les membranes minérales sont
particulièrement adaptées, car résistantes aux solutions de régéné-

4
ration de pH extrêmes (1 ou 14) à des températures élevées (85 oC).
1.1.1 Procédés de fermentation
Ce procédé continu permet la gestion et le contrôle du facteur de
concentration volumique (FCV : ratio entre le débit d’alimentation
La fermentation consiste en une réaction au cours de laquelle et le débit de rétentat). Suivant le type de moût de fermentation et
la matière organique est dégradée de façon incomplète. l’évolution de la viscosité de la solution dans chaque étage, nous
pouvons arriver à des FCV compris entre 5 et 10 (moûts bruts type
Ces réactions de fermentation sont réalisées dans des acides aminés), et jusqu’à une gamme avec un facteur de
fermenteurs. Ces cuves contiennent les micro-organismes et l’envi- concentration de l’ordre de 30 à 50 (moûts préfiltrés type péni-
ronnement favorable permettant leur développement (nutriments, cilline, acides organiques).
température, pH, oxygénation, pression…). Un brassage continu
est effectué pour éviter la formation de zones stagnantes et pour
maintenir ainsi un milieu parfaitement homogène. Enfin, les Ce procédé peut traiter tous les types de moûts avec des uni-
fermenteurs sont stérilisés avant toute phase de remplissage, ainsi tés de production de grosse capacité.
que tous les produits apportés au cours des opérations, pour éviter
toute contamination du milieu par des souches étrangères qui ■ Cas d’une diafiltration en procédé batch ou batch alimenté
pourraient inhiber voire détruire la production.
Le procédé batch ou batch alimenté est utilisé pour traiter des
■ Le procédé discontinu ou « batch » correspond à l’opération de moûts de fermentation d’unités de plus faibles capacités.
fermentation traditionnellement et majoritairement la plus répan-
● Le procédé batch consiste à apporter, en une fois, le moût de
due. Dans ce cas, le milieu de culture est initialement ensemencé et
n’est pas renouvelé jusqu’à la fin de cette fermentation. En fin de fermentation dans la cuve de travail. Cette solution est traitée par
cycle, le fermenteur est vidangé, puis les micro-organismes et l’unité membranaire avec retour du rétentat dans la cuve. Au cours
produits extraits sont séparés et traités. du temps, nous avons donc une diminution du volume dans la cuve
de travail et un FCV qui augmente.
■ Les fermentations continues, utilisant des systèmes dans
Dans le procédé batch, il faut un taux de recyclage important
lesquels la cuve est continuellement alimentée en milieu de culture
(TR : ratio entre le débit de rétentat et le débit de perméat) compris
alors que le produit est retiré avec le même débit, est encore
entre 2 et 10 (2 pour les produits faiblement colmatants, tels que
aujourd’hui un procédé très faiblement utilisé. Ce système permet
les moûts préfiltrés type acide citrique, et 10 pour des moûts très
d’augmenter la productivité, mais les risques de contaminations
concentrés en biomasse).
sont plus importants.
■ Le traitement des moûts de fermentation est de plus en plus réa-
lisé à l’aide de la technologie membranaire, avec des membranes Le procédé batch est utilisé pour le traitement des moûts
minérales (par exemple Orelis, gamme Kerasep™ avec des seuils de d’antibiotiques (céphalosporine, érythromycine), des acides
coupure de 15 kD à 0,1 µm [1]), des membranes organiques planes organiques (acide citrique) et certains acides aminés
ou encore des membranes d’électrodialyse [2]. Il consiste à séparer (thréonine).
la ou les fractions valorisables pour favoriser les étapes situées en
aval (étapes de purification des métabolites, de reconcentration, et
● Le batch alimenté est, quant à lui, utilisé lorsque la loi de
enfin, d’évaporation et de cristallisation (figure 1).
perméabilité (débit perméat en fonction du FCV) chute très
L’exploitation industrielle, avec des unités de grosse capacité faiblement. Cette opération suppose un ajout continu de solution
(débit d’alimentation supérieur à 300 m3/j), nécessite de plus en plus d’alimentation dans le bac de travail qui compense le volume de
de traiter ces moûts de fermentation dans un fonctionnement global perméat produit. Les avantages du batch alimenté, par rapport au
en continu (figure 1). Les plus petites unités (pour un débit d’alimen- mode batch, correspondent à l’utilisation d’une cuve de plus faible
tation inférieur à 300 m3/j) fonctionnent, quant à elles, le plus sou- volume, mais surtout à un temps de séjour moindre du produit à
vent avec un procédé batch ou batch alimenté (figure 2, page 4). valoriser (perméat) dans la cuve, et ainsi un risque de dénaturation
Suivant la taille des installations, les surfaces membranaires thermique plus faible. L’inconvénient majeur vient du fait que, à loi
installées vont donc de quelques dizaines à plusieurs milliers de de perméabilité identique, le débit de perméat moyen est plus faible
mètres carrés, pour des débits d’alimentation de quelques dizaines que dans le procédé batch (figure 2), d’où une productivité moindre
de litres à quelques centaines de mètres cubes par heure. au mètre carré.

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116
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___________________________________________________________________________________________________ FILTRATION MEMBRANAIRE (OI, NF, UF)

1re étape = concentration 2e étape = diafiltration


procédé continu procédé continu

Solvant de diafiltration

FCV
Bac final
Fermenteurs Tr
FCV Rétentat
final

Concentration Perméat Purification Évaporation/cristallisation


constante

Produit

Solvant de diafiltration Reconcentration

Rétentat
4
Bac de travail Bac
Tr

Concentration Perméat
variable

2e étape = diafiltration
procédé batch

FCV = ratio entre le débit d’alimentation et le débit de rétentat

Figure 1 – Schéma simplifié d’une ligne en procédé continu – continu ou continu – batch pour la production de métabolite issu d’un moût de fermentation

Souvent, à l’étape de concentration de la biomasse en batch ■ Cas d’une diafiltration en procédé continu
alimenté s’ajoute une étape supplémentaire en mode batch afin de Le solvant de diafiltration est ajouté en continu à l’entrée de
concentrer à l’optimum la cuve de travail et d’avoir un volume chaque étage, afin de maintenir une dilution et une solubilité
minimal à traiter lors de la diafiltration. suffisantes des composés de la solution d’alimentation, et ainsi de
permettre l’extraction des métabolites dans le perméat. Souvent, le
Le procédé batch alimenté est utilisé pour des moûts préfiltrés dernier étage correspond à une étape ultime de surconcentration
tels que des moûts d’acides aminés (MSG – monoglutamate de du rétentat.
sodium). Au final, le procédé membranaire continu-continu présente les
avantages suivants :
1.1.2.2 Deuxième étape : diafiltration — obtention d’une concentration en métabolites dans le bac de
perméat quasi constante, favorisant le bon fonctionnement des
À la fin de la phase de concentration, la biomasse contient étapes ultérieures de purification/reconcentration et évaporation/
encore une proportion non négligeable en métabolites (de cristallisation ;
quelques % pour un FCV égal à 8, à 50 % pour un FCV de 2). — même si la diafiltration en continu consomme plus d’eau que
la diafiltration en batch, on peut envisager plus facilement un
La phase de diafiltration consiste à retravailler ce rétentat afin de recyclage partiel du perméat le plus dilué pour l’incorporer en tête
récupérer les principes actifs restants. Cette deuxième phase de diafiltration.
d’extraction peut être réalisée soit par un procédé continu, soit par
un procédé batch, selon les volumes à traiter, le flux membranaire ■ Cas d’une diafiltration en batch
et le rendement souhaité. Cette technique de diafiltration consiste
à ajouter, dans le fluide traité, un volume de solvant de diafiltration Le solvant de diafiltration est ajouté, progressivement et de
(de l’eau, le plus souvent) équivalent au volume de perméat extrait. préférence à volume constant, directement dans le bac de travail.
Le rétentat retournant lui aussi dans ce bac, nous obtenons pro-
Des rendements globaux de l’ordre de 95 à 99,5 % peuvent être gressivement une diminution de la concentration en métabolites
atteints, en fonction des FCV obtenus lors de la première phase de dans la solution d’alimentation. Les avantages de cette technique
concentration et du taux de diafiltration du concentrat lors de la résident dans sa facilité de mise en œuvre, l’utilisation d’un
deuxième étape. volume de diafiltration moindre et des surfaces membranaires plus

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117
4

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Référence Internet
J2810

Perméation gazeuse

par Lian-Ming SUN


Expert Groupe, Centre de recherche Claude-Delorme - Air Liquide
Docteur de l’université Pierre-et-Marie-Curie
et Jean-Yves THONNELIER
Collège des experts, Centre de recherche Claude-Delorme - Air Liquide

1. Aspects généraux .................................................................................... J 2 810 - 3


1.1 Principe et terminologie.............................................................................. — 3

4
1.2 Classification des différents types de membranes ................................... — 3
2. Membranes de perméation gazeuse ................................................... — 4
2.1 Mécanisme et modélisation de la perméation gazeuse ........................... — 4
2.2 Choix des matériaux polymères................................................................. — 5
2.3 Membranes asymétriques et composites ................................................. — 6
2.3.1 Membranes en matériaux polymères vitreux .................................. — 6
2.3.2 Membranes en matériaux polymères élastomères ......................... — 6
2.4 Membranes planes et fibres creuses ......................................................... — 6
3. Mise en œuvre des membranes ........................................................... — 7
3.1 Modules à fibres creuses ............................................................................ — 7
3.2 Modules spirales.......................................................................................... — 7
3.3 Modules plans.............................................................................................. — 8
3.4 Configurations d’écoulement dans les modules à fibres creuses........... — 8
3.5 Agencement des systèmes membranaires à plusieurs étages ............... — 9
3.6 Protection des membranes......................................................................... — 9
4. Modélisation des modules à fibres creuses ..................................... — 10
4.1 Pertes de charge........................................................................................... — 10
4.2 Bilans de matière ......................................................................................... — 10
4.3 Influences des propriétés de la membrane et des grandeurs
opératoires ................................................................................................... — 11
5. Éléments d’une évaluation technico-économique .......................... — 14
6. Principales applications de la perméation gazeuse ....................... — 14
6.1 Application des membranes en matériaux polymères vitreux................ — 14
6.1.1 Récupération d’hydrogène ................................................................ — 14
6.1.2 Générateurs d’azote ........................................................................... — 15
6.1.3 Traitement du gaz naturel .................................................................. — 15
6.1.4 Séparation de l’hélium ....................................................................... — 16
6.2 Application des membranes en matériaux élastomères.......................... — 16
6.2.1 Récupération des composés organiques volatils (COV).................. — 16
6.2.2 Séparation des hydrocarbures .......................................................... — 17
7. Recherche et développement ............................................................... — 17
7.1 Membranes en matériaux polymères........................................................ — 17
7.2 Membranes à matrice mixte....................................................................... — 17
7.3 Membranes inorganiques à base d’adsorbants........................................ — 18
7.4 Membranes à sélectivité inverse................................................................ — 18
7.5 Membranes céramiques conductrices mixtes .......................................... — 18
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. J 2810
Parution : septembre 2004

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J2810

PERM ÉATION GAZEUSE _________________________________________________________________________________________________________________

a perméation gazeuse a connu au cours des deux dernières décennies un


L fort développement des applications industrielles pour la séparation et la
purification des gaz. Elle est aujourd’hui largement utilisée pour la production
d’azote à partir de l’air, pour la récupération d’hydrogène dans des sources
diluées, pour le traitement du gaz naturel ou, encore, pour le séchage ou le trai-
tement des composés organiques volatils (COV).
Si la perméation gazeuse a trouvé sa place technique et économique dans
des domaines traditionnellement réservés à des procédés bien en place (dis-
tillation, adsorption, lavage), c’est en raison de progrès accomplis dans
l’ensemble des éléments constitutifs d’une « solution membrane » :
— dans les domaines des matériaux polymères – amélioration des sélectivités ;
— dans la technologie des modules, en taille, en qualité, en arrangements
dans la circulation des fluides ;
— dans la mise en œuvre de ces modules, dans des systèmes intégrant les
fonctions nécessaires à la protection des films (ou fibres) contre le risque d’un
vieillissement prématuré ou d’une pollution accidentelle, et ainsi que régula-
tions et contrôles nécessaires à une bonne exploitation des membranes, en
régime de production comme dans les phases d’arrêt ou de démarrage ;
— et enfin dans l’analyse technico-économique pour un meilleur positionne-

4
ment des membranes dans la panoplie des solutions. La perméation gazeuse
permet avant tout de concentrer ou d’appauvrir un mélange en l’un de ses
constituants ; elle se prête moins bien à des séparations complètes visant à la
production de gaz de haute pureté.
La perméation gazeuse a pour atout principal la simplicité d’un procédé « sec »
à température modérée, permettant un traitement continu après une étape de
compression ou en profitant d’une pression disponible. De multiples variantes
intéressantes introduisant des recyclages, des compressions multiples, des
balayages, ont été décrites. Pour autant, la solution membrane aura d’autant
plus de chance d’être la plus adaptée qu’on cherchera à l’utiliser pour ce qu’elle
sait faire, et en privilégiant les arrangements les plus simples.
À l’ingénieur désireux de s’informer sur les aspects fondamentaux, nous pro-
posons des informations sur les matériaux et les bases théoriques de la sépa-
ration par membrane.
Au lecteur confronté à un problème particulier et désireux d’évaluer une
« solution membrane », nous avons souhaité apporter un guide à sa réflexion :
choix des matériaux, influence des caractéristiques intrinsèques à la membrane
et des variables opératoires, etc.
Enfin nous avons souhaité présenter l’état de l’art en donnant des exemples
des principales applications industrielles et évoquer les développements en
cours.

Pour de plus amples informations sur la perméation gazeuse, le lecteur se reportera aux
références [1] [2] [3] parues dans les Techniques de l’Ingénieur.

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120
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J2810

_________________________________________________________________________________________________________________ PERM ÉATION GAZEUSE

Notations et symboles
1.1 Principe et terminologie
La séparation d’un mélange gazeux par un procédé membra-
Symbole Unité Définition naire est rendue possible par une perméation sélective des diffé-
rents constituants du mélange à travers une membrane. Dans un
A m2 Surface active de la membrane tel procédé, un flux d’alimentation, généralement en haute pres-
c kmol · m–3 Concentration sion, est mis en contact avec une membrane pour permettre à la
partie la plus perméable de ce flux de traverser la membrane
d m Diamètre des fibres creuses jusqu’à l’autre côté, maintenu en basse pression (figure 1). Le flux
D m2 · s–1 Coefficient de diffusion du gaz perméé, celui du perméat, est enrichi en constituants les
e m Épaisseur de la couche active plus perméables (constituants rapides ) tandis que le flux du gaz
des fibres creuses non perméé, celui du rétentat ou encore du résidu est concentré en
constituants les moins perméables (constituants lents ).
G kmol · s–1 · m–1 · Pa–1 Perméabilité
Dans certains cas, il est utile de faire circuler un flux de balayage,
J kmol · s–1 · m–2 Flux de perméation exempt de (ou pauvre en) constituants les plus perméables, du
ᐉ m Longueur d’une fibre côté du perméat d’une membrane afin d’accroître la différence des
L kmol · s–1 Débit molaire du côté pressions partielles des deux côtés de la membrane.
de l’alimentation
m Nombre d’espèces
p Pa Pression partielle
1.2 Classification des différents types
P Pa Pression totale
de membranes
Q
S
kmol · s–1 · m–2 · Pa–1
kmol · m–3 · Pa–1
Coefficient de perméance
Coefficient de solubilité
Les membranes utilisées pour la séparation des gaz sont très
variées et peuvent être classées en fonction de leurs mécanismes
de transport associés (figure 2).
4
v m · s–1 Vitesse
V kmol · s–1 Débit molaire du côté ■ Membranes poreuses basées sur la diffusion de Knudsen (la taille
du perméat des pores est du même ordre de grandeur que les libres parcours
x Fraction molaire du côté moyens des gaz).
de l’alimentation Étant donné que la sélectivité de deux gaz est proportionnelle à
y Fraction molaire du côté la racine carrée du rapport des masses molaires et reste donc
du perméat généralement faible, une des rares applications est l’enrichisse-
z m Coordonnée axiale (le long ment isotopique de l’uranium (U235 F6 / U238 F6 ) avec des membra-
des fibres creuses) nes inorganiques.
α Permsélectivité ■ Membranes microporeuses basées sur des effets de tamisage
γ Rapport des pressions moléculaire avec un mécanisme d’adsorption – diffusion
( P B /P H ) Généralement ce sont des membranes inorganiques, typique-
µ N · s · m–2 Viscosité ment des zéolites, tamis moléculaires carbonés, etc. Ce type de
membranes est encore en phase de développement et sera briève-
ment abordé dans le paragraphe 7.3.
Indices ■ Membranes denses de type polymère basées sur un mécanisme
de solution – diffusion
A Alimentation
Principalement utilisées dans les applications industrielles de
B Côté basse pression séparation de gaz.
H Côté haute pression
■ Membranes denses basées sur la diffusion des atomes
SW Balayage (d’hydrogène) dans un solide.
k Constituant Ces membranes sont généralement des membranes métalliques
(Pd, Ag) fonctionnant à des températures supérieures à 300 oC
avec une sélectivité idéale infinie. Leur application principale est la
production de l’hydrogène à petite échelle.
1. Aspects généraux
Contrairement à la plupart des autres technologies de séparation
(distillation, absorption, majorité des procédés d’adsorption), la
séparation par la perméation gazeuse est un procédé cinétique. Ce
procédé est basé sur les différences des vitesses de perméation à Flux d'alimentation Flux de rétentat
travers une membrane des constituants d’un mélange gazeux. Les Membrane
performances de séparation de la technologie de perméation
gazeuse dépendent des :
— permsélectivités – définies par les natures des gaz et du maté-
riau utilisé ;
— des forces motrices disponibles (généralement des différences Flux de perméat Flux de purge
de pressions partielles) ;
— l’agencement des différents flux à l’intérieur des modules de
membrane. Figure 1 – Principe de séparation par une membrane et terminologie

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121
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PERM ÉATION GAZEUSE _________________________________________________________________________________________________________________

H+
ou
O2–

a diffusion de Knudsen b adsorption - diffusion dans c solution - diffusion d diffusion dans les sites e diffusion des ions
des matériaux microporeux dans un polymère interstitiels d'un solide ou des protons
(par exemple zéolites)

Figure 2 – Mécanismes de transport impliqués dans les différents types de membranes pour la séparation des gaz

■ Membranes denses basées sur des conductions mixtes ionique Les perméabilités peuvent être exprimées de différentes

4 (O 2 –) ou protonique (H+) et électronique


Ces membranes, de nature céramique, fonctionnent à très haute
température (> 700 ~ 800 oC) et avec une sélectivité idéale infinie.
manières :

1 Barrer = 10 –10 N cm3 · cm/(s · cm2 · cmHg)


Les applications potentielles de ces membranes céramiques sont la = 2,7 × 10 –9 N cm3 · m/(h · cm2 · bar)
production de l’oxygène ou du gaz de synthèse H2/CO. Ce sujet dans les conditions normales de pression et température.
sera abordé dans le paragraphe 7.5.
La perméabilité d’un gaz est le produit d’un coefficient de diffu-
Dans cet article, nous traitons principalement des membranes sion (une propriété cinétique décrivant la mobilité des molécules
polymères et des applications de la perméation gazeuse. dissoutes dans le polymère) et d’un coefficient de solubilité (une
propriété thermodynamique décrivant la concentration des molé-
cules dissoutes en équilibre avec la phase gazeuse). Selon les
matériaux et les molécules gazeuses, on pourra obtenir des per-
2. Membranes de perméation méabilités gouvernées par la mobilité ou par la solubilité. Dans les
gazeuse polymères denses, on obtiendra un ordre de passage gouverné par
la vitesse de diffusion, tandis que, dans les élastomères, c’est au
contraire la solubilité de la molécule gazeuse dans le matériau
membranaire qui prévaut.
2.1 Mécanisme et modélisation L’équation (2) montre aussi que pour avoir un flux de perméation
de la perméation gazeuse important, il faut avoir une perméabilité élevée – propriété intrin-
sèque d’un polymère – et une faible épaisseur de membrane qui
Le transfert d’un gaz à travers les polymères résulte d’un méca- peut être obtenue seulement par une structure asymétrique
nisme de solution-diffusion, le gaz se dissout d’abord dans la (voir § 2.3).
phase polymère avant d’être transporté par un processus de diffu- L’épaisseur d’une membrane (asymétrique et/ou composite)
sion. étant souvent une grandeur mal connue, il est souvent plus prati-
La vitesse de perméation d’un gaz à travers un polymère est que d’utiliser les coefficients de perméance à la place des
donc décrite par la loi de Fick : perméabilités :
Gk
Jk = – Dk ∇ck (1) Q k = -------
- (3)
e
avec Jk flux de perméation,
Dk coefficient de diffusion, Les coefficients de perméance sont couramment exprimés en
ck concentration du constituant k dans la phase polymère. Nm3/(h · m2 · bar).
La capacité d’une membrane à séparer deux gaz A et B peut être
L’intégration de l’équation précédente sur toute l’épaisseur de la caractérisée par une permsélectivité idéale, qui est égale au rap-
membrane permet de déterminer le flux de perméation station- port des coefficients de perméabilité de ces deux gaz :
naire en fonction de la différence de pression (en supposant le
coefficient de diffusion constant et la loi de Henry valable) : GA DA S A
α AB = ----------- = ---------
- ---------- (4)
GB DB SB
Dk Sk Gk
J k = ----------------
- ( y k PH – x k PB ) = ---------
- ( y k PH – x k PB ) (2)
e e La perméabilité d’un matériau polymère caractérise la capacité
de production de ce matériau tandis que la permsélectivité carac-
avec S coefficient de solubilité, térise la qualité de séparation de celui-ci. Plus la permsélectivité est
P H , P B pressions totales du côté de l’alimentation (la partie grande, plus il est facile de séparer les deux gaz et plus la pureté
haute) et du côté du perméat (la partie basse), du gaz produit est élevée.
y, x fractions molaires du côté de l’alimentation et du D’une manière générale, les perméabilités des gaz dans les
côté du perméat, matériaux polymères ne sont pas constantes et varient avec la
G perméabilité, pression mais aussi avec la composition en raison des interféren-
e épaisseur de la membrane (partie active). ces cinétiques ou/et thermodynamiques entre les différents

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J2840

Électrodialyse

par Hélène ROUX-de BALMANN


Directeur de recherche au CNRS
avec la collaboration de
Ernest CASADEMONT
Ingénieur de recherche au CNRS

Laboratoire de Génie chimique-UMR 5503 (Toulouse)

1.
2.
2.1
Principe et définitions ............................................................................
Membranes d’électrodialyse .................................................................
Membranes échangeuses d’ions................................................................
J 2 840 - 2


2
2
4
2.1.1 Définition. Classification .................................................................... — 2
2.1.2 Différents types de membranes et fabrication ................................. — 3
2.1.3 Propriétés caractéristiques ................................................................ — 3
2.2 Membranes bipolaires ................................................................................ — 4
2.2.1 Principe ................................................................................................ — 4
2.2.2 Propriétés caractéristiques ................................................................ — 4
3. Mise en œuvre de l’électrodialyse....................................................... — 4
3.1 Électrodialyse conventionnelle................................................................... — 4
3.1.1 Configuration à deux compartiments ............................................... — 4
3.1.2 Configuration à trois compartiments ................................................ — 5
3.1.3 Configuration à quatre compartiments............................................. — 5
3.2 Électrodialyse bipolaire............................................................................... — 5
3.2.1 Configuration à deux compartiments ............................................... — 5
3.2.2 Configuration à trois compartiments ................................................ — 6
4. Phénomènes de transport ..................................................................... — 6
4.1 Exclusion de Donnan................................................................................... — 6
4.2 Polarisation de concentration. Courant limite........................................... — 7
4.3 Rendement faradique.................................................................................. — 8
4.4 Transfert de solution et transfert de soluté. Concentration maximale.... — 8
5. Dimensionnement d’une installation ................................................. — 9
5.1 Électrodialyse conventionnelle................................................................... — 9
5.1.1 Détermination du courant limite ....................................................... — 9
5.1.2 Flux d’extraction et surface membranaire........................................ — 10
5.1.3 Concentration maximale.................................................................... — 11
5.1.4 Rendement faradique ......................................................................... — 11
5.1.5 Consommation énergétique .............................................................. — 11
5.1.6 Exemple de dimensionnement.......................................................... — 11
5.1.7 Discussion. Limitations ...................................................................... — 11
5.2 Électrodialyse bipolaire............................................................................... — 12
5.2.1 Électrodialyse à membranes bipolaires à deux compartiments..... — 12
5.2.2 Électrodialyse à membranes bipolaires à trois compartiments ..... — 13
5.2.3 Discussion. Limitations ...................................................................... — 13
6. Applications de l’électrodialyse .......................................................... — 13
6.1 Eau et effluents ............................................................................................ — 14
Parution : septembre 2006

6.2 Industrie agroalimentaire............................................................................ — 14


6.3 Industrie chimique. Chimie fine. Pharmacie.............................................. — 15
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. J 2 840

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J2840

ÉLECTRODIALYSE ______________________________________________________________________________________________________________________

’est pour faire face à des besoins en eau potable au Japon, en particulier,
C que l’électrodialyse a été développée en tant que procédé de dessalement
de l’eau de mer à l’échelle industrielle. Au-delà du domaine du traitement de
l’eau, de nouvelles applications ont ensuite été développées, comme la démi-
néralisation du lactosérum, qui représente une part importante de la surface ins-
tallée. Les problèmes liés à la réduction de l’impact environnemental des
procédés de production offrent des perspectives encore plus vastes pour des
procédés physiques comme l’électrodialyse, vis-à-vis de procédés physico-
chimiques, comme l’extraction liquide-liquide, la précipitation ou l’échange
d’ions sur résine, plus polluants. En outre, la possibilité de réaliser une démi-
néralisation sélective, c’est-à-dire accompagnée d’une purification, devrait éga-
lement ouvrir des perspectives de marché.

1. Principe et définitions
(0)

Abréviations
EDC Électrodialyse conventionnelle

4 EDMB
MEA
Électrodialyse à membranes bipolaires
Membrane échangeuse d’anions
Le terme « électrodialyse » désigne le transfert d’ions à tra-
vers des membranes sous l’effet d’un champ électrique.

MEC Membrane échangeuse de cations


Il s’agissait à l’origine, dans les années 1930, d’utiliser un cou-
MEI Membrane échangeuse d’ions rant électrique pour accroître le transfert de matière des espèces
MB Membrane bipolaire chargées par rapport à celui obtenu par une simple dialyse [1]. À
l’heure actuelle, l’électrodialyse utilise des membranes spécifiques,
disposées en alternance orthogonalement à un champ électrique.
Le réacteur est constitué d’un empilement de membranes, souvent
désigné par le terme « stack », lui-même composé d’une répétition
Notations et symboles
de « motifs élémentaires » identiques, montés dans un arrange-
ment type « filtre-presse ».
Symbole Unité Désignation

C mole · m–3 concentration


D m2 · s–1 coefficient de diffusion 2. Membranes
Y 96 500 C constante de Faraday d’électrodialyse
i A· m–2 densité de courant
On distingue deux types de membranes : les membranes échan-
I A intensité geuses d’ions (MEI) et les membranes bipolaires (MB).

j mole · m–2 · s–1 densité de flux molaire Ces deux types de membranes sont utilisés pour effectuer diffé-
rentes transformations, selon la configuration des empilements
J mole · s–1 flux molaire mis en jeu (cf. § 3). Les MEI sont parfois qualifiées de membranes
homopolaires, par opposition aux membranes bipolaires MB.
k m· s–1 coefficient de transfert de matière
m kg masse
2.1 Membranes échangeuses d’ions
n mole nombre de moles
Q éq nombre d’équivalents 2.1.1 Définition. Classification
R Ω résistance électrique
Les membranes échangeuses d’ions permettent le transfert
t nombre de transport sélectif d’espèces chargées selon leur signe de charge, transfert
T K température de cations dans le cas des membranes échangeuses de cations
(MEC), transfert d’anions dans le cas des membranes échan-
u m2 · V–1 · s–1 mobilité électrophorétique geuses d’anions (MEA).

V m3 volume
Le transfert sélectif des espèces chargées s’effectue suivant un
z valence mécanisme d’échange d’ions de site en site entre les ions de la
solution et les contre-ions de la membrane (figure 1). Ainsi, par
δ m épaisseur de la couche limite exemple, les MEC portent des groupements fonctionnels de charge
de diffusion négative. Ces mécanismes d’échange d’ions, et donc la nature
η rendement faradique chimique des matériaux constituant les MEI, sont très proches de
ceux des résines échangeuses d’ions [2].

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______________________________________________________________________________________________________________________ ÉLECTRODIALYSE

vée que le taux d’hydratation est important, et la résistance méca-


nique, d’autant plus grande que ce taux est faible.
SO3–
SO3– ■ La résistance électrique de la membrane contribue à la
Cl– Cl– consommation énergétique. Cependant, dans la pratique, cette
– –
SO3 SO3 contribution est négligeable.
Na+ – SO3– Na+ ■ La capacité d’échange, exprimée en équivalents par gramme de
SO3
matériau échangeur, est directement liée au nombre de sites échan-
Na+ geurs (groupements fonctionnels).
Na+
– Na +

SO3–
Cl–
Cl–
+ ■ La sélectivité est exprimée par le nombre de transport t , qui
représente la fraction du courant transporté par une espèce i, (t i ), ou
SO3–
par une famille d’espèces, les cations par exemple. Le nombre de
Cl– SO3– Na+
transport d’une espèce i est défini par la relation suivante (1) :
SO3–
SO3– Cl– ui z i C i
Na+ t i = ------------------------------- (1)
Na+ Na+ Na+
∑ ui z i C i
i
SO3–
SO3– avec u i mobilité électrophorétique.
Cl– SO3–
Cl– ● Pour information, rappelons l’existence d’une relation entre la
SO3–
mobilité électrophorétique et le coefficient de diffusion :
SO3–
Na+

4
Di z i Y
u i = ------------------- (2)
RT
Figure 1 – Représentation schématique du fonctionnement
● Les valeurs de mobilités de certains ions communs sont
d’une membrane échangeuse de cations
données dans le tableau 1. On peut constater que les ions H+ et OH–
ont des mobilités sensiblement plus élevées que les autres ions
Il existe également, depuis peu, des membranes homopolaires, (cations et anions respectivement).
MEC ou MEA, sélectives, c’est-à-dire présentant un transfert sensi- ● Par définition, la somme des nombres de transport de toutes les
blement plus faible pour les ions multivalents que pour les ions espèces est égale à 1 :
monovalents de même signe de charge.
∑i t i = 1 (3)

2.1.2 Différents types de membranes Une MEC idéale, ayant une sélectivité parfaite vis-à-vis des
et fabrication cations, satisfait donc aux équations suivantes, qui expriment le
fait que tout le courant est transporté par des ions de charge
Les MEI peuvent être homogènes ou hétérogènes.
positive :
Les membranes hétérogènes sont élaborées à partir de parti-
cules colloïdales échangeuses d’ions, incorporées dans une résine ∑ti =1 et ∑ti =0
phénolique ou un polymère (polystyrène ou polypropylène, par (4)
exemple). cations anions
Les membranes homogènes sont obtenues par polymérisation avec ti nombre de transport de l’ion i dans la membrane.
directe de monomères fonctionnels ou en fonctionnalisant des De la même façon, une MEA idéale satisfait les conditions
films de polymères, c’est-à-dire en y fixant des groupements fonc- suivantes :
tionnels, par voie chimique ou radiochimique.
Le plus souvent, les membranes comportent une trame tissée ∑ ti =0 et ∑ ti =1
(5)
garantissant leur tenue mécanique lors de leur montage dans les
empilements. cations anions
Les groupements fonctionnels sont identiques, que les mem- (0)
branes soient hétérogènes ou homogènes. De même que dans le
cas des résines, on distingue des échangeurs forts, groupements
fonctionnels acide et base forts pour les MEC et les MEA respecti- Tableau 1 – Mobilités électrophorétiques
vement, et des échangeurs faibles, groupements fonctionnels acide des principaux ions
et base faibles pour les MEC et les MEA respectivement. (valeurs en 10–8 m2 · V –1 · s–1 à dilution infinie et 25 oC)
Les échangeurs forts comportent des groupements fonctionnels
– + Cation Mobilité Anion Mobilité
sulfonate ( SO 3 ) pour les MEC ou ammonium quaternaire ( NH 4 )
pour les MEA.
H+ 36,25 OH– 20,64
Li+ 4,01 F– 5,74
2.1.3 Propriétés caractéristiques
Na+ 5,19 Cl– 7,91
Les propriétés structurales et chimiques ont été présentées pré-
K+ 7,62 NO3– 7,40
cédemment. D’autres propriétés [19] sont également essentielles
pour qualifier les MEI. Ces propriétés définies ci-dessous ainsi que NH4 + 7,62 ClO3 – 6,70
les valeurs moyennes correspondantes sont données dans le
Mg2+ 5,50 CH3COO– 4,24
tableau A, pour des membranes « standards » en [Doc. J 2 840].
Ca2+ 6,17 SO42– 8,29
■ Le taux d’hydratation, ou gonflement, résulte d’un compromis
entre l’accessibilité des sites échangeurs d’ions, d’autant plus éle- Pb2+ 7,20 CO32– 7,18

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ÉLECTRODIALYSE ______________________________________________________________________________________________________________________

Il faut souligner que la valeur du nombre de transport n’est pas


une caractéristique intrinsèque, puisqu’elle dépend de la composi- 3. Mise en œuvre
tion de la solution (relation (1)). Dans la plupart des cas, les valeurs
données par le fabricant sont celles obtenues dans une solution
de l’électrodialyse
électrolytique simple, de type KCl ou NaCl (0,1 à 1 M).
■ Les caractéristiques comme la résistance chimique, en parti- On distingue principalement deux modes de mise en œuvre.
culier, la résistance aux agents oxydants et aux pH élevés, et ther-
mique sont également déterminantes pour beaucoup ■ L’électrodialyse conventionnelle, EDC, est la plus ancienne et
d’applications. Des membranes plus spécifiques que les membra- reste encore la plus utilisée. Elle repose sur l’utilisation de mem-
nes « standards » sont disponibles chez certains fournisseurs. En branes échangeuses d’ions (homopolaires). Différentes
particulier, il existe des membranes permettant un transfert différen- configurations peuvent être employées pour constituer le motif élé-
cié des ions de même signe de charge suivant leur valence. Les mentaire afin de permettre diverses opérations de transformation.
caractéristiques de ces membranes « spécifiques » sont données
dans le tableau B en [Doc. J 2 840]. ■ L’électrodialyse à membranes bipolaires, EDMB, est beaucoup
Nota : les notations et symboles sont définis dans le tableau au début de cet exposé. plus récente. Elle repose sur l’utilisation, dans des empilements de
diverses configurations, de membranes bipolaires et de membra-
nes échangeuses d’ions (homopolaires).
2.2 Membranes bipolaires
Seules les configurations couramment utilisées pour des
2.2.1 Principe applications industrielles sont présentées dans ce paragraphe.

4 Une membrane bipolaire est constituée de trois couches : une


face échangeuse de cations (EC), une face échangeuse d’anions (EA)
et une interface hydrophile de jonction (figure 2). Sous l’effet d’un 3.1 Électrodialyse conventionnelle
champ électrique dans des conditions spécifiques, l’eau contenue
dans la membrane est dissociée en ions H+ et OH– [3]. Les faces EC
et EA sont disposées respectivement du côté de la cathode et du
côté de l’anode, de façon à permettre le transfert des ions ainsi pro- 3.1.1 Configuration à deux compartiments
duits vers les solutions adjacentes. L’utilisation d’une membrane
bipolaire permet donc de réaliser une titration physique, c’est-à-dire Le principe de fonctionnement d’un motif élémentaire à deux
sans ajout d’acide ou de base. En effet, elle produit simultanément compartiments (…/ MEA/ MEC/…) est représenté schématiquement
des ions H+, qui migrent à travers la face EC et provoquent une titra- sur la figure 3. Les deux compartiments sont alimentés avec une
tion acide dans le compartiment proche de la cathode, et des ions solution saline MX (M+, X–) de concentration donnée C 0 , qui peut
OH–, qui migrent à travers la face EA et provoquent une titration être une solution de chlorure de sodium NaCl, par exemple. Sous
basique dans le compartiment proche de l’anode. Les comparti- l’effet du courant, les cations M+, qui migrent vers la cathode, tra-
ments adjacents aux faces EA et EC sont donc appelés respective- versent les MEC et sont stoppés par les MEA. De la même manière,
ment compartiments base et acide. Les MB peuvent être utilisées les anions X –, qui migrent vers l’anode, traversent les MEA et sont
dans des motifs élémentaires de différentes configurations permet- stoppés par les MEC. On obtient ainsi, en sortie d’empilement, deux
tant, par association avec des membranes homopolaires, de réaliser solutions : une solution MX « déminéralisée », appelée diluat, dont
diverses transformations (cf. § 3.2). la concentration est inférieure à la concentration d’entrée, et une
solution MX « concentrée », appelée concentrat, dont la concentra-
tion est supérieure à la concentration d’entrée.
2.2.2 Propriétés caractéristiques
Les caractéristiques principales sont directement liées au
principe décrit précédemment :
— perméabilité à l’eau élevée, afin d’entretenir la réaction de Solution déminéralisée Solution concentrée
dissociation de l’eau ; MX (C < C0) MX (C > C0)
— faible résistance des faces EC et EA au transfert des ions H+ diluat concentrat
et OH– produits ;
— bonne sélectivité des faces EA et EC (cf. § 2.1.3) ;
— bonne résistance aux pH extrêmes. MEA MEC MEA MEC MEA

Anode X– X– X– Cathode
Face EA Face EC

M+ M+ M+
Anode H2O Cathode

H+
+ H+ Solution sel MX
OH– OH– (C0)

Figure 2 – Représentation schématique du fonctionnement Figure 3 – Électrodialyse conventionnelle – configuration


d’une membrane bipolaire à deux compartiments (.../MEA/MEC/...)

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J 2 840 − 4 ©Techniques de l’Ingénieur

126
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W4140

Bioréacteurs à membranes (BAM)


et traitement des eaux usées
par Alain GRASMICK
École polytechnique universitaire de Montpellier, Université Montpellier II
Corinne CABASSUD
Institut national des Sciences appliquées deToulouse (INSA)
Mathieu SPÉRANDIO
Institut national des Sciences appliquées deToulouse (INSA)
et Christelle WISNIEWSKI
École polytechnique universitaire de Montpellier, Université Montpellier II

1.
2.
Contexte .....................................................................................................
Spécificité du bioréacteur à membranes –
W 4 140 - 2
4
Présentation générale............................................................................. — 2
3. Paramètres de dimensionnement et de contrôle............................ — 3
3.1 Étape de séparation sur membranes poreuses en BAM.......................... — 3
3.2 Système biologique..................................................................................... — 8
4. Exemple simplifié de dimensionnement d’un BAM
pour le traitement d’un effluent urbain............................................. — 10
4.1 Calcul du volume des réacteurs biologiques
et de la production de boues ...................................................................... — 10
4.2 Calcul des besoins en oxygène de la biomasse
dans les quatre réacteurs............................................................................ — 11
4.3 Calcul de l’unité de séparation membranaire ........................................... — 11
4.4 Comparaison des procédés ........................................................................ — 12
5. Conclusion ................................................................................................. — 12
6. Exemples industriels ............................................................................... — 13
6.1 Exemple de BAM en traitement d’effluents industriels............................ — 13
6.2 Exemple de BAM en traitement d’effluents urbains................................. — 14
Bibliographie ...................................................................................................... — 15

e traitement des eaux résiduaires urbaines (ERU) ou industrielles (ERI) est


L régi, soit par une réglementation basée sur la plus ou moins grande fragi-
lité du milieu récepteur en cas de rejet direct, soit par une qualité d’usage
requise en cas de volonté de réutilisation des eaux traitées.
Pour les rejets en milieu naturel des effluents domestiques, il a ainsi été
défini des zones dites « normales » pour lesquelles le traitement est principa-
lement axé sur l’élimination des fractions particulaires et des pollutions carbo-
nées et des zones dites « sensibles », où une élimination complémentaire des
fractions azotées et phosphatées est nécessaire.
Pour les effluents domestiques, les procédés dits « conventionnels », qu’ils
soient intensifs (boues activées ou lits bactériens, biofiltres par exemple),
extensifs (lagunage, système d’infiltration notamment) ou combinés, peuvent
répondre aux exigences de rejet en présentant chacun des performances plus
ou moins fiables du fait de leur sensibilité à des variations brutales de flux à
traiter (cas des systèmes à cultures libres), de l’état de floculation des popu-
lations épuratives (cas des boues activées) ou de défauts de maîtrise de la
répartition de la biomasse et des écoulements au sein de garnissages poreux
Parution : août 2007

(systèmes à cultures fixées dans des lits à ruissellement, voire biofiltres).

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W4140

BIORÉACTEURS À MEMBRANES ET TRAITEMENT DES EAUX USÉES (BAM) ________________________________________________________________________

Pour les effluents industriels, une réglementation précise également les


conditions de rejet en milieu naturel, voire en réseau urbain, mais on observe
un intérêt croissant pour des systèmes permettant une réutilisation partielle ou
totale des eaux traitées.
Le présent article a pour objet de présenter les bioréacteurs à membranes uti-
lisés en traitement des eaux usées, de mettre en avant l’originalité de ce pro-
cédé multifonctionnel, en terme de qualité et de fiabilité du traitement, et de
donner quelques outils pour la maîtrise des processus physiques et biologi-
ques spécifiques au procédé.
Le bioréacteur à membranes étant l’association d’un réacteur biologique et
d’une séparation physique par des membranes poreuses, le document intègre
la présentation générale du système, les caractéristiques propres à chaque
étape unitaire et à leur couplage, des exemples de dimensionnement et d’appli-
cations, ainsi que des perspectives de développement.

1. Contexte La fiabilité de cette étape est donc déterminante pour la qualité de


l’eau traitée mais aussi pour la maîtrise des processus biologiques

4 Cette réutilisation des eaux traitées devient en effet particulière-


ment intéressante pour les raisons suivantes :
en empêchant tout « lessivage » du réacteur biologique (diminution
progressive de la concentration en biomasse et donc de l’activité
dans le réacteur due à une vitesse de croissance des espèces épura-
— permet de préserver les milieux naturels en minimisant les tives inférieure au flux spécifique d’extraction du bioréacteur).
prélèvements en eau (quel qu’en soit l’usage) et les rejets ;
— peut se justifier économiquement par rapport au traitement Il est ainsi primordial de maîtriser la bonne décantabilité des
d’une eau de surface, ou souterraine, de qualité dégradée qui boues ce qui, malheureusement, peut échapper ponctuellement
oblige à faire appel à des systèmes de traitement de plus en plus aux opérateurs du fait de variabilité de la composition de
complexes. l’intrant, ou de l’apparition de conditions de réaction non opti-
Ce type de décision doit toujours être réalisé dans l’objectif de males (introduction accidentelle de toxiques, faible tempéra-
fournir une eau présentant continûment une qualité spécifique liée ture, teneur en oxygène insuffisante, écart de pH, concentration
à l’usage attendu (eau de production, eau de lavage, eau de refroi- en biomasse excessive...) entraînant une défloculation ou bien
dissement, eau d’irrigation...). l’apparition de flocs à faible décantabilité de type bulking fila-
Les procédés conventionnels peuvent alors s’avérer non adaptés, menteux, par exemple.
notamment par leur manque de fiabilité dans la qualité des eaux Il n’est donc pas rare d’observer sur de tels systèmes des dys-
traitées et le risque encouru de contamination microbiologique, fonctionnements préjudiciables pour l’environnement ou pour
sauf à utiliser des étapes supplémentaires de traitement tertiaire un objectif de réutilisation.
incluant une désinfection.
Vis-à-vis de ces systèmes conventionnels, le challenge du déve- ■ Pour pallier la fragilité de l’étape de décantation, l’étape de sépa-
loppement des bioréacteurs à membrane en traitement des eaux ration doit être composée d’une barrière infranchissable par les
usées est alors double : espèces épuratives, quel que soit leur état de floculation, voire par
des fines particules non retenues habituellement par décantation.
— assurer une clarification extrême et fiable des effluents, quelle
que soit leur qualité initiale. L’enjeu essentiel est la décontamination Le choix de cette barrière s’est porté sur une opération de tami-
microbiologique (arrêt des bactéries, algues, parasites divers, voire sage très fin obtenu par la mise en place de membranes poreuses
virus) permettant d’envisager une réutilisation partielle ou totale dont la sélectivité est imposée par le seuil de coupure choisi (micro
des eaux traitées ; ceci est rendu possible par la mise en œuvre ou ultra-filtration) [22] [23] [24].
d’une filtration sélective associée aux processus biologiques ; Cette association d’un système biologique et de l’étape de sépa-
— garantir un traitement des eaux dans des conditions intensi- ration sur membranes poreuses a donné naissance au procédé
ves en minimisant la taille de l’installation ou la masse de co-pro- appelé « bioréacteur à membranes » (BAM). La sélectivité remar-
duits générés (boues en excès notamment), tout en facilitant une quable de la barrière filtrante a alors pour conséquences :
conduite totalement automatisable.
— une grande qualité de l’eau filtrée en terme de particules
(absence totale de MES (matières en suspension) et de matières
colloïdales) ;
2. Spécificité du bioréacteur à — une désinfection poussée dont l’intensité dépend du seuil de
coupure et de la distribution des diamètres des pores des
membranes – Présentation membranes ;
— une rétention totale des espèces biologiques, même peu flo-
générale culées, qui peut favoriser le développement d’espèces et d’activités
spécifiques au sein du réacteur ;
■ Dans le cas du procédé conventionnel par boues activées (BAC), — une retenue, par la membrane, des matières en suspension
l’étape de séparation biomasse/eau traitée repose sur une décanta- non décantables dont le temps de séjour dans le système devient
tion gravitaire placée en aval du bioréacteur. Cette étape de sépara- égal au temps de rétention de la phase solide (âge des boues), faci-
tion a deux rôles essentiels, minimiser la teneur en matières en litant ainsi leur assimilation ;
suspension dans l’eau traitée, et permettre un recyclage des boues — le maintien dans le réacteur d’une teneur contrôlée et élevée
concentrées vers le bioréacteur pour y maintenir une concentration en biomasse qui permet une intensification des processus biolo-
en biomasse adaptée à l’épuration attendue. giques.

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W4140

________________________________________________________________________ BIORÉACTEURS À MEMBRANES ET TRAITEMENT DES EAUX USÉES (BAM)

installer est plus importante du fait d’une filtration effectuée avec


de plus faibles flux de perméat (entre 10 et 40 l · h · m–2 pour un
Alimentation BAMI contre 50 à 120 l · h · m–2 pour le BAME).
Perméat C’est donc un système extensif sur le plan de la filtration dont
l’utilisation s’est accrue grâce au développement de membranes
organiques dont le coût est plus modéré que celui des membranes
minérales largement utilisées dans les systèmes à boucle externe.

Extraction de boues Il est à noter que, dans cette configuration, aucune ligne de
excédentaires recyclage de boues n’est indispensable et la conception du
a module membranaire est simplifiée car ne nécessitant pas la
présence de carter.

Dans les deux cas, l’extraction de boues excédentaires se fait


Alimentation directement à partir du bioréacteur.
Perméat

3. Paramètres
de dimensionnement
Extraction de boues
excédentaires
b
et de contrôle 4
Les grandeurs caractéristiques du fonctionnement d’un bioréac-
Figure 1 – Représentation de bioréacteur à membranes « à boucle teur à membranes sont donc celles gouvernant le dimensionnement
externe » (BAME (a )) ou à « membranes immergées » (BAMI (b )) et le contrôle de chaque opération unitaire, mais les valeurs des
paramètres de dimensionnement, pour chacune d’elles, ne sont pas
indépendantes des conditions de travail imposées dans l’opération
■ Le développement des bioréacteurs à membranes a fait apparaî- associée.
tre deux configurations. Pour mieux intégrer cette relative complexité du BAM, un bref
En analogie avec le positionnement aval de l’étape de décan- rappel des grandeurs déterminantes de chaque opération unitaire
tation dans le procédé par boues activées (BAC), la première géné- est donné ci-après conformément aux spécificités du bioréacteur à
ration a été conçue en intégrant un positionnement externe du membranes.
système membranaire par rapport au bioréacteur (figure 1a ).
Pour cette configuration, dite « à boucle externe » et notée
BAME, le maintien de la perméabilité membranaire à un niveau 3.1 Étape de séparation sur membranes
économiquement intéressant est obtenu en pratiquant une filtra- poreuses en BAM
tion « tangentielle », imposant une circulation de la suspension
dans le module membranaire à grandes vitesses (0,5 à 4 m/s), Pour se rappeler les principes mêmes de la séparation sur mem-
éventuellement combinée à une circulation gazeuse. Si cette branes, on pourra se reporter, par exemple, aux textes publiés [21]
configuration induit des coûts de fonctionnement élevés, peu [22] [23] [24].
compatibles avec le traitement de flux d’eaux importants et peu
concentrés comme le sont les eaux résiduaires urbaines, elle peut Nous allons ici mettre en évidence les particularités de la sépa-
être tout à fait adaptée au traitement d’effluents industriels ration membranaire dans un bioréacteur à membranes.
concentrés car elle autorise, dans certains cas, des compacités
importantes. 3.1.1 Rappel des notions de sélectivité
Pour diminuer les coûts de fonctionnement dus à cette circulation et de perméabilité
intense de la suspension dans les modules externes, une seconde
génération a été développée (figure 1b ). Elle repose sur l’immer- Les performances associées à une séparation sur membranes
sion des membranes, ou des modules membranaires, directement poreuses sont estimées au travers des deux critères suivants :
dans les boues activées, soit dans le réacteur principal, soit dans — la sélectivité du milieu filtrant qui assure la qualité de l’eau
une cuve annexe en liaison directe avec celui-ci. Ce système appelé traitée et doit toujours conduire à une clarification parfaite, mais
« bioréacteur à membranes immergées », noté BAMI, est largement aussi une désinfection poussée. Cette sélectivité repose sur une
utilisé pour traiter les effluents domestiques. différence de taille entre l’ouverture des pores de la membrane et
la taille des composés à retenir. En cours d’opération, elle peut tou-
La maîtrise de la perméabilité membranaire en cours d’opération
tefois dépendre des conditions opératoires, déformation de parti-
est obtenue par simple aération, mais aussi par des conceptions
cules sous la pression de filtration, voire mise en place d’une
spécifiques des modules membranaires.
membrane dynamique ;
La turbulence engendrée peut s’avérer très efficace pour des — la perméabilité membranaire associée à la valeur du flux
besoins limités en énergie. Il est certain que, dans le domaine du volumique de perméat pouvant traverser une surface unitaire de
traitement des eaux usées urbaines, ce second système présente membrane dans les conditions imposées. (0)
des avantages sur le plan technico-économique, d’autant que les
En pratique, compte tenu de la structure complexe des maté-
procédés biologiques mis en œuvre intègrent toujours une étape
riaux membranaires et de la difficulté d’obtenir des mesures préci-
en aérobiose où les besoins d’aération sont importants.
ses de la porosité et de la distribution de la taille de pores, la loi
Les coûts de fonctionnement sont moins élevés que dans le cas de DARCY est souvent utilisée sous forme simplifiée (tableau 1).
du système avec boucle externe mais la surface de membranes à On peut ainsi faire apparaître deux paramètres globaux utilisés

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BIORÉACTEURS À MEMBRANES ET TRAITEMENT DES EAUX USÉES (BAM) ________________________________________________________________________

Ainsi en bioréacteur à membranes, deux types principaux de


Tableau 1 – Formulations associées modules vont être rencontrés :
à la filtration membranaire — ceux reposant sur une filtration en mode interne-externe,
Flux, résistance et perméabilité en eau propre essentiellement mis en œuvre dans la configuration BAME ;
(ou fluide de référence) — ceux basés sur une filtration en mode externe-interne équi-
pant, majoritairement à ce jour, les systèmes à membranes immer-
PTM gées BAMI.
J= = Lp0 × PTM (1)
µ × Rm Ces deux modes de filtration imposent des caractéristiques par-
ticulières de travail pour les systèmes industriels.
Flux, résistance et perméabilité en cours d’opération
■ Dans le premier cas, les membranes, souvent tubulaires, sont
PTM insérées dans un carter (figure 2a ). La suspension biologique
J= = Lp PTM (2) épurative issue du bioréacteur circule à l’intérieur des tubes et le
µ (Rm + Rc )
perméat traverse, sous l’action de la pression de travail, appelée
« pression trans-membranaire » (PTM), la paroi membranaire pour
être évacué à l’extérieur du carter.
pour caractériser la facilité, ou non, de transfert d’un fluide de réfé-
rence au travers de la membrane, la perméabilité Lp0 du matériau
ou sa résistance hydraulique Rm. Les avantages de ce mode de filtration sont :
— la maîtrise parfaite des contraintes pariétales en surface
Ces formulations font aussi remarquer l’importance potentielle,
de la paroi membranaire ;
sur la valeur du flux spécifique J, de la pression transmembranaire
— la circulation de la suspension à filtrer se faisant dans un
PTM et de la viscosité dynamique µ du fluide considéré.

4
espace géométrique défini ;
Nota : Rc apparaît comme une résistance additionnelle due à la rétention de composés — le développement dans le carter d’un réseau dense de
sur/dans la membrane.
membranes (tubes jointifs) car seul le perméat (eau traitée par-
faitement clarifiée) circule à l’extérieur des tubes.
3.1.2 Nature des membranes et caractéristiques
Les inconvénients sont, par contre, liés à l’obligation :
Les membranes polymères ou minérales (céramique, carbone)
— de placer les membranes dans un carter pour récupérer le
utilisées en BAM ont une structure asymétrique permettant
perméat ;
d’atteindre des perméabilités compatibles avec les flux souvent
— de choisir des canaux de circulation de diamètre hydraulique
importants d’eau à traiter. On pourra se référer à l’article [22] pour
important (au minimum 6 mm) pour éviter tout blocage interne de
les aspects relatifs à la caractérisation des membranes.
circulation par accumulation locale de biomasse.
Vis-à-vis de la demande de rétention totale des espèces épura- L’intégrité des membranes et des systèmes d’étanchéité est aussi
tives et des germes divers présents au sein du réacteur, ou dans essentielle pour la qualité de la filtration.
l’eau à traiter, le seuil de coupure des membranes est choisi dans
le domaine de la microfiltration (valeur moyenne du diamètre des ■ Dans le cas des systèmes immergés, la conception du module est
pores de 0,05 à 0,4 µm), voire de l’ultra filtration (10 à 50 nm) pour simplifiée (figure 2b ). La suspension biologique circule simplement
assurer, notamment, une rétention virale. entre les tubes, ou plaques membranaires, reliés à un système spé-
cifique d’extraction du perméat.
Les résistances hydrauliques initiales R m des membranes utili-
sées en BAM sont généralement comprises entre 2 et 20 1011 m–1.
La qualité de la désinfection, voire la possibilité d’un contrôle Les avantages de ce mode de filtration sont :
plus maîtrisé de la perméabilité membranaire en cours d’opéra- — ne pas nécessiter de carter enveloppant tout le réseau
tion, reste néanmoins très liée à la distribution de la taille des membranaire, lequel peut alors être immergé facilement dans
pores autour des valeurs moyennes indiquées ; des distributions des ouvrages conventionnels existants ;
serrées devant être préférées. — pouvoir choisir des tubes très fins et obtenir ainsi des sur-
faces spécifiques de filtration, théoriquement très grandes (la
valeur du diamètre des fibres doit néanmoins être compatible
Notons que la constitution d’un dépôt, voire d’un biofilm, sur avec les contraintes mécaniques imposées en BAM, soit des
et dans les pores en cours d’opération, peut contribuer signifi- diamètres externes compris entre 1,4 à 2,5 mm selon la struc-
cativement à la rétention de composés spécifiques solubles, au ture et la longueur des fibres).
détriment du flux spécifique.

Les critères essentiels à respecter sont alors :


3.1.3 Modules membranaires. Configuration — la densité locale de membranes et leur arrangement (il est
et mode de filtration important que la suspension biologique puisse circuler facilement
entre les fibres ou plaques, celles-ci sont donc suffisamment espa-
■ La géométrie de la membrane, la configuration et le nombre ins- cées pour n’occuper qu’entre 10 et 40 % de l’espace dans le
tallé de modules de filtration permettent de connaître l’espace module) ;
nécessaire à l’opération de séparation ; la surface filtrante dévelop- — la maîtrise de la turbulence locale (aération, circulation de la
pée devant correspondre au rapport du flux volumique à traiter par suspension, mobilité possible des membranes) ;
le flux spécifique J. — la conduite de la filtration (filtration continue ou associée à
des régénérations ponctuelles).
Outre les conditions de filtration, le choix des caractéristiques du
système de filtration doit aussi intégrer la nature spécifique des ■ Même si la surface filtrante à développer apparaît plus importante
suspensions présentes dans le bioréacteur à membranes et, en BAMI qu’en BAME (la PTM étant plus faible en BAMI, moins de
notamment, leur concentration importante en biomasse cellulaire 0,3 bar contre 1 à 3 bar en BAME), le volume occupé par les modules
(8 à 20 kg/m3), mais aussi leur caractère évolutif en fonction des peut toutefois être comparable du fait du développement de plus
contraintes hydrodynamiques et biologiques imposées. grandes surfaces spécifiques en système immergé (tableau 2).

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W 4 140 − 4 est strictement interdite. − © EditionsT.I.

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Référence Internet
N4805

Céramiques pour l’environnement :


filtres, membranes, adsorbants
et catalyseurs

par André AYRAL


Professeur à l’Université Montpellier 2
Institut européen des membranes, CC047, Université Montpellier 2, France
Vasile HULEA
Professeur à l’École nationale supérieure de chimie de Montpellier
Institut Charles Gerhardt UMR 5253, CNRS/UM2/ENSCM/UM1, MACS, ENSCM, Montpel-
lier, France
Jean-Pierre JOULIN
Consultant
New Energy Consulting Services, Montpellier, France
4
et Anne JULBE
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique
Institut européen des membranes, CC047, Université Montpellier 2, France

1. Membranes et filtres ............................................................................ N 4 805 - 2


1.1 Membranes pour la filtration des liquides à basse température .......... — 2
1.2 Filtres pour métaux fondus ...................................................................... — 5
1.3 Filtres pour le traitement des gaz ............................................................ — 7
2. Dispositifs catalytiques pour le traitement
des effluents gazeux ............................................................................ — 7
2.1 Sources mobiles........................................................................................ — 7
2.2 Sources stationnaires ............................................................................... — 11
3. Adsorbants céramiques pour la capture de gaz
et de vapeur ............................................................................................ — 12
4. Applications en cours de développement ...................................... — 12
4.1 Membranes pour la séparation de gaz.................................................... — 12
4.2 Réacteurs catalytiques à membranes ..................................................... — 14
5. Techniques de caractérisation et de contrôle
des membranes ...................................................................................... — 15
6. Conclusions et perspectives .............................................................. — 16
Pour en savoir plus ........................................................................................ Doc. N 4 805

es pressions environnementales croissantes telles que la pollution massive


L de l’air et des ressources en eau ou encore l’épuisement accéléré des
réserves en énergie fossile ont conduit au concept de développement durable
et à des stratégies associées telles que le traitement des effluents liquides et
gazeux, la purification et le recyclage sur site de l’eau, l’utilisation et la purifica-
tion des bioressources, l’allègement des véhicules de transport, l’utilisation de
nouveaux vecteurs énergétiques, comme le dihydrogène, ou plus généra-
lement l’intensification des procédés (associée à la notion d’« économie
d’atomes », indicateur mesurant l’efficacité d’un procédé et égal au rapport,
Parution : novembre 2014

pondéré par les coefficients stœchiométriques appropriés, de la masse molaire


du produit à synthétiser par la somme des masses molaires des réactifs). Les
réglementations nationales ou internationales en matière d’environnement

Copyright © –Techniques de l’Ingénieur –Tous droits réservés N 4 805 – 1

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Référence Internet
N4805

CÉRAMIQUES POUR L’ENVIRONNEMENT : FILTRES, MEMBRANES, ADSORBANTS ET CATALYSEURS ________________________________________________

sont de plus en plus sévères et constituent donc des leviers importants pour la
mise en place de nouveaux procédés industriels ainsi que pour l’amplification
des efforts de recherche et développement sur les procédés propres et la
remédiation des environnements pollués.
Du fait de propriétés spécifiques telle que la réfractarité, la stabilité chimique
ou encore la tenue mécanique à la compression ainsi que de la grande diver-
sité de microstructures, de porosités et de géométries accessibles, les
céramiques constituent une classe de matériaux incontournables pour de nom-
breux procédés industriels actuels ou en cours de développement, visant la
protection de l’environnement. Cet article en fournit une illustration en abor-
dant des applications relatives à la filtration, à la catalyse hétérogène, à
l’adsorption ou encore à des opérations couplées, par exemple dans les
réacteurs catalytiques à membranes, basées sur la multifonctionnalité des
matériaux ou des systèmes mis en jeu.

1. Membranes et filtres La membrane peut être réalisée en alumine, en oxyde de titane, en

4
zircone ou bien en carbure de silicium dans le cas de supports en
carbure de silicium.
Si l’application des céramiques poreuses pour le traitement de
l’eau est ancestrale (cf. encadré 1), c’est leur utilisation comme
barrières pour l’enrichissement isotopique de l’uranium par diffu- Encadré 1 – Céramiques poreuses pour le traitement
sion gazeuse (cf. encadré 2) qui a conduit de nombreux pays dont de l’eau, une application ancestrale
la France à développer des savoir-faire et des outils industriels
adaptés. Les retombées de ces efforts technologiques ont permis
L’homme a fabriqué les premières céramiques il y a plus de
une multitude d’autres applications de médias céramiques poreux
6 000 ans. Leur rôle était d’améliorer son bien-être : conserver
dans de nombreux domaines dont celui de la protection de l’envi-
et stocker l’eau, les aliments, l’huile, le vin. Nos ancêtres en
ronnement (tableau 1) [1]. Le terme « membrane » est généra-
Arabie et en Afrique s’aperçurent vite qu’avec la présence de
lement utilisé lorsque la taille des pores du filtre est inférieure à
porosité dans la céramique une faible évaporation sur la sur-
10 qm, c’est-à-dire lorsque l’on sort du domaine de la filtration
face extérieure de la poterie refroidissait l’eau de boisson
dite « conventionnelle » [2] [3] [4]. Dans le cas des membranes et
qu’elle stockait, la rendant plus agréable à boire. Certains sont
filtres céramiques poreux, la force motrice pour le transport est
même arrivés, en polissant la surface extérieure de la cérami-
généralement un gradient de pression entre les compartiments
que avec des graines de baobab, à réaliser, sans le savoir, une
d’alimentation et de perméat, nommé « pression transmembra-
membrane extérieure qui contrôlait cette évaporation.
naire ». La figure 1 propose des schémas simplifiés, associés à la
N’est-ce pas là l’une des plus anciennes utilisations des céra-
filtration frontale (le flux de fluide à traiter est perpendiculaire à la
miques poreuses comme membranes ? On retrouve les céra-
surface du filtre) et à la filtration tangentielle (le flux de fluide à
miques poreuses dans la littérature à la fin du XIXe siècle sous
traiter est parallèle à la surface du filtre).
forme de bougies filtrantes à base d’argile poreuse cuite qui
étaient fournies aux armées coloniales d’Afrique Noire et du
Sud-Est Asiatique pour que les soldats boivent de l’eau « en
1.1 Membranes pour la filtration partie épurée ».
des liquides à basse température
Le terme « basse température » correspond, dans ce cas, à un
intervalle généralement compris entre la température ambiante et
80 oC. Avant d’aborder les applications, nous allons en premier Encadré 2 – Enrichissement isotopique de l’uranium
lieu fournir quelques éléments sur l’architecture et l’élaboration par diffusion gazeuse au travers de membranes
des membranes céramiques poreuses. céramiques poreuses

Il faut attendre la fin de la 2e guerre mondiale pour que les


1.1.1 Architecture et fabrication des membranes termes de « filtres » et « membranes céramiques » commen-
cent à être prononcés, avec la problématique de l’enrichisse-
La perméabilité du matériau poreux et son épaisseur fixent le
ment de l’uranium à des fins militaires, puis civiles. La
flux visqueux d’un fluide qui traverse la membrane pour une
technologie par diffusion gazeuse alors choisie par la France
pression transmembranaire donnée. L’épaisseur de la couche
nécessite des filtres avec des pores nanométriques. La cérami-
séparative doit donc être assez fine pour atteindre des flux suffi-
que avait été choisie pour réaliser ces filtres, préférée au
samment attractifs avec des conditions acceptables en termes de
métal fritté utilisé par les Anglo-saxons. Le rôle de ces cérami-
pression transmembranaire. D’un autre côté, la tenue mécanique
ques était de séparer les isotopes d’uranium sous forme
de la membrane doit être suffisante pour résister à la pression
gazeuse au travers des nanopores. Cela a donné lieu en
appliquée. Ces considérations ont donc conduit au concept de
France, entre 1975 et 1980, à une très importante production
structure asymétrique basé sur l’utilisation d’un support macro-
industrielle de membranes céramiques poreuses (jusqu’à
poreux de quelques millimètres d’épaisseur et de couches minces
160 000 pièces céramiques tubulaires d’un mètre de long trai-
de taille de pores décroissantes (tableau 2, figure 2). Les maté-
tées et montées par jour) correspondant à un total proche de
riaux utilisés pour les supports sont généralement à base d’alu-
4,4 millions de m2 de surface membranaire.
mine, d’oxyde de titane et, plus rarement, de carbure de silicium.

N 4 805 − 2 Copyright © –Techniques de l’Ingénieur –Tous droits réservés

132
Référence Internet
N4805

_________________________________________________ CÉRAMIQUES POUR L’ENVIRONNEMENT : FILTRES, MEMBRANES, ADSORBANTS ET CATALYSEURS

Tableau 1 – Caractéristiques des principaux procédés pouvant utiliser des membranes céramiques
Nature Taille Origine Pression Opération
Procédé
alimentation/perméat des pores de la sélectivité transmembranaire élémentaire
Clarification,
Microfiltration (MF) 0,1 à 10 µm 1 à 3 bar débactérisation,
séparation
Effet de tamisage
Clarification,
Ultrafiltration (UF) 2 nm à 0,1 µm 3 à 10 bar purification,
Liquide/liquide
concentration
Effet de Purification,
tamisage + interactions adoucissement
Nanofiltration (NF) < 2 nm 10 à 40 bar
spécifiques de l’eau, séparation,
avec la membrane concentration
Tamisage + interactions
Pervaporation (PV) Liquide/gaz < 2 nm spécifiques 1 bar Séparation
avec la membrane
Filtration Séparation,
100 à 0,01 µm Effet de tamisage 0,1 à 5 bar
de gaz (FG) dépoussiérage

Séparation
de gaz (SG) Gaz/gaz
50 à < 2 nm
Tamisage + interactions
spécifiques 0,1 à 50 bar
Séparation,
extraction,
4
supplémentaires purification
Conduction ionique Séparation de l’air,
Séparation ∆P (O2)
Dense de O2– ou H+ transport sélectif
de gaz (SG) ∆P (H2)
dans les oxydes de O2 ou de H2

Pression P1 Pression P2 Pression P1

Alimentation Rétentat
Rétentat

Perméat
Filtre

Pression P2 Perméat
Alimentation

Filtre

a b

Figure 1 – Schémas simplifiés associés à la filtration frontale (a) et à la filtration tangentielle (b) : la pression transmembranaire 5P correspond
à la différence entre la pression P1 , en amont du filtre, et la pression P2 , en aval du filtre

La réalisation des supports macroporeux, comme d’ailleurs celle tube est débité en tronçons. Ces tronçons de tubes sont ensuite
des couches intermédiaires macroporeuses, est obtenue par la séchés, déliantés et frittés. Les couches poreuses sont élaborées
mise en œuvre de technologies céramiques conventionnelles. La par enduction (engobage/slip casting ) du support avec une sus-
matière première principale est une poudre céramique, constituée pension fluide (barbotine/slurry ). Les étapes suivantes concernent
de particules dont la taille détermine la taille des pores du maté- le séchage et la calcination de la couche déposée. En général, deux
riau final. En effet, les différentes méthodes utilisées pour la mise à trois couches de membranes sont nécessaires pour obtenir une
en forme et la consolidation par frittage contrôlé conduisent à des couche filtrante continue possédant les caractéristiques souhai-
porosités résiduelles de l’ordre de 30 % et à des tailles de pores de tées. Pour optimiser la compacité des installations (rapport entre la
l’ordre de 30 % de la taille des grains. L’extrusion des supports surface filtrante et le volume du dispositif), les membranes cérami-
tubulaires peut être réalisée en continu par propulsion des pâtes ques actuelles sont généralement tubulaires, à multicanaux
par une vis sans fin à travers une filière à la sortie de laquelle le (figure 3), et placées dans des modules multitubulaires.

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133
Référence Internet
N4805

CÉRAMIQUES POUR L’ENVIRONNEMENT : FILTRES, MEMBRANES, ADSORBANTS ET CATALYSEURS ________________________________________________

Tableau 2 – Caractéristiques des couches intermédiaires et de la couche séparative de surface


pour les membranes céramiques (d’après [5])

Nombre moyen Épaisseur de la couche Taille des pores de la


Procédé Nature de la porosité
de couches séparative couche séparative

Microfiltration 1à3 Quelques dizaines de µm 0,1 à 5 µm Macroporosité

Ultrafiltration 3à4 Quelques µm 2 à 100 nm Mésoporosité

Nanofiltration/
4à5 < 1 µm < 2 nm Microporosité
séparation de gaz

20 µm

Couche séparative

Couche intermédiaire

4
Support

Le support est en alumine et oxyde de titane tandis que la membrane est


constituée d’oxyde de titane et de zircone. Les tailles moyennes des
pores du support, de la couche intermédiaire et de la couche séparative
varient de 6 µm à 7 nm.

Figure 2 – Image par microscopie électronique à balayage (MEB) de la section transverse d’une membrane commerciale d’ultrafiltration (CTI,
Salindres, France)

a membranes Pall Exekia (Tarbes, France) b membranes Tami (Nyons, France) c membranes CTI (Salindres, France)

Figure 3 – Photographies de membranes céramiques multicanaux commerciales

1.1.2 Principales applications Les applications sont également nombreuses dans le domaine
de la dépollution des liquides chargés par divers contaminants
La première application industrielle a été la débactérisation de pour rejeter ou réutiliser une eau bactériologiquement propre. On
l’eau par microfiltration puis par ultrafiltration pour éliminer les peut citer la filtration du moût de vin, les eaux usées domestiques,
virus et ainsi la rendre potable, sans ajout d’agent chimique tel le les eaux de plates-formes pétrolières ou provenant de la fractu-
chlore. Beaucoup d’autres applications se sont développées ration hydraulique (les gaz de schiste) et tous rejets industriels
ensuite, comme le traitement des huiles, des vins, des jus de fruits liquides. Il existe aussi des applications en biochimie, avec la puri-
ou encore la déferrisation de l’eau minérale. fication de molécules spécifiques telles que des acides aminés ou

N 4 805 – 4 Copyright © –Techniques de l’Ingénieur –Tous droits réservés

134
Intensification des procédés et méthodes d'analyse
durable
(Réf. Internet 42493)

1– Principes

2– Procédés catalytiques

3– Procédés de synthèse et de production

4– Procédés de séparation membranaire


5
5– Procédés d'extraction et de traitement de la Réf. Internet page

biomasse végétale
Le CO2 supercritique appliqué à l'extraction végétale CHV4015 137

6– Méthodes et instruments d'analyse

 Sur www.techniques-ingenieur.fr
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135
5

136
Référence Internet
CHV4015

Le CO2 supercritique appliqué


à l’extraction végétale
par Karima BENAISSI
Docteur en chimie
Responsable technique, IFS Innovation Fluides Supercritiques (Valence, France)

1. Principes de l’extraction par fluides supercritiques ..................... CHV 4 015 - 3


1.1 Phase supercritique .................................................................................... — 3
1.2 Propriétés physico-chimiques.................................................................... — 3
1.3 Avantages et inconvénients de l’extraction supercritique ...................... — 4
2. Procédés d’extraction supercritique ................................................. — 6
2.1 À partir de matrices solides ....................................................................... — 6
2.2 Liquide : fractionnement ............................................................................ — 6
3. Extraction de principes actifs.............................................................. — 7
3.1 Décaféination du café et du thé (extraction de la caféine) ...................... — 7

5
3.2 Houblon de la bière (extraction de principes amérisants)....................... — 8
3.3 Nicotine du tabac ........................................................................................ — 9
3.4 Autres molécules bioactives ...................................................................... — 9
4. Extraction d’arômes et parfums ......................................................... — 9
4.1 Plantes aromatiques (thym, romarin, lavande) ........................................ — 9
4.2 Arômes naturels (vanille, épices : poivre, cannelle) ................................ — 11
5. Huiles essentielles (rose, jasmin, lavande)....................................... — 11
6. Extraction d’antioxydants naturels.................................................... — 12
6.1 Fruits, légumes............................................................................................ — 12
6.2 Sous-produits de l’industrie agroalimentaire........................................... — 13
7. Extraction de lipides............................................................................... — 13
7.1 Huiles (olive, tournesol, soja…) ................................................................. — 13
7.2 Céréales (riz) ................................................................................................ — 13
7.3 Huiles de microalgues (biocarburants) ..................................................... — 13
8. Extraction de pesticides, polluants et autres molécules
indésirables ............................................................................................... — 14
8.1 Pesticides organophosphorés (fruits, légumes, céréales)....................... — 14
8.2 Solvants (huiles : huile de soja) ................................................................. — 14
8.3 Désodorisation des huiles végétales......................................................... — 14
8.4 Purification d’huiles usagées (arachide) ................................................... — 15
8.5 Bouchons de liège (extraction de trichloroanisole) ................................. — 15
9. Stabilisation de jus de fruits................................................................ — 15
10. Conclusions et perspectives ................................................................ — 16
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. CHV 4 015

’extraction par fluides supercritiques est d’abord apparue pour l’extraction


L végétale.
Découverte (extraction supercritique procédé alternatif à la distillation)
L’extraction supercritique est apparue au stade industriel vers la fin des
années 1970 comme procédé alternatif à la distillation de plantes. L’utilisation
du CO2 supercritique (CO2 SC) comme solvant d’extraction de molécules orga-
Parution : mai 2013

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. CHV 4 015 – 1

137
Référence Internet
CHV4015

LE CO2 SUPERCRITIQUE APPLIQUÉ À L’EXTRACTION VÉGÉTALE ______________________________________________________________________________

niques à partir de plantes est l’application la plus ancienne et la plus


développée à l’échelle industrielle, notamment dans le secteur agroalimen-
taire. Le premier exemple d’industrialisation de ce procédé concerne la dé-
caféination du café. Le CO2 de par ses propriétés physico-chimiques (incolore,
inodore, non toxique, non inflammable) est le fluide supercritique le plus uti-
lisé. De plus, du fait de ses conditions critiques modérées (Tc = 31 °C,
Pc = 73,8 bar), le CO2 SC est très rapidement apparu comme un candidat parti-
culièrement approprié à l’extraction végétale, et ce notamment comme
alternative aux solvants organochlorés. Depuis, de nouvelles applications du
CO2 SC pour l’extraction de plantes sont apparues et ont permis de confirmer
les potentialités de ce fluide comme solvant alternatif de choix, non seulement
pour l’extraction d’une large gamme de composés naturels mais également
pour bien d’autres applications relatives au végétal.
Développement durable et « chimie verte » (enjeux)
L’intérêt croissant porté ces dernières années aux questions environnemen-
tales a permis l’émergence de solutions innovantes s’engageant définitivement
dans le développement durable. Ainsi les procédés chimiques respectant les
douze principes fondateurs de la « chimie verte » ont connu un remarquable
essor au cours de ces vingt dernières années. Le développement de nouvelles
technologies de séparation dans l’industrie chimique, pharmaceutique, cosmé-
tique et alimentaire est lié aux exigences pour la protection de l’environnement,
la santé publique et au besoin de minimiser la consommation énergétique des
procédés. Par exemple, l’utilisation des solvants organiques pour le traitement

5 des matières végétales est soumise à des restrictions de plus en plus fortes, en
particulier depuis la mise en œuvre de la directive REACH, visant à assurer un
niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, contre
les risques que peuvent poser ces produits chimiques. Ces restrictions sont par-
ticulièrement importantes dans le domaine de l’industrie alimentaire, pour
laquelle il devient urgent de proposer des substances alternatives aux solvants
organiques traditionnellement utilisés dans les procédés d’extraction ou de
purification de la matière végétale. L’extraction par fluide supercritique, et plus
particulièrement par le CO2 supercritique, a été introduite comme alternative à
ces procédés d’extraction par solvants.
Les fluides supercritiques et l’extraction végétale (procédé écologique/
économique)
Le CO2 est le fluide supercritique le plus utilisé car il présente des avantages
notables : non toxique, non polluant, non inflammable, largement disponible à de
très hauts degrés de pureté (jusqu’à 99,99999 %) et à des coûts modérés (de
l’ordre de 1 €/kg). De plus ses paramètres critiques sont faibles (Tc = 31 °C,
Pc = 73,8 bar) ce qui en fait un solvant « vert » ayant des applications industrielles
tout à fait innovantes. Le principe de l’extraction végétale utilisant le dioxyde de
carbone supercritique (CO2 SC) repose sur la forte variation du pouvoir solvant du
CO2 en fonction des conditions opératoires (température et pression), ce qui
permet d’extraire sélectivement les molécules selon leur nature chimique. Très
faiblement polaire, le CO2 se révèle être un excellent solvant des molécules apo-
laires ou peu polaires dans les conditions supercritiques. Partant de ce principe,
une fois le composé désiré dissous dans le milieu CO2 SC, il sera aisé d’obtenir
l’extrait pur par une simple dépressurisation qui entraîne alors la séparation du
CO2, redevenu gazeux, et de l’extrait, récupéré sous forme liquide ou solide. Les
procédés supercritiques s’acquittent des opérations d’élimination des résidus de
solvant (extraction, imprégnation, formulation), opérations indispensables lorsque
ce solvant est un composé organique. De plus, les faibles températures mises en
œuvre (en général de 40 à 60 °C) permettent de conserver l’intégrité chimique des
molécules thermosensibles traitées et de minimiser les coûts opératoires. Ces
propriétés font de l’extraction par fluides supercritiques une alternative, écologi-
quement et économiquement viable, aux procédés de distillation.
Les principes de l’extraction par CO2 SC reposent sur les propriétés physico-
chimiques des fluides supercritiques et connaissent des applications en extrac-
tion végétale toujours plus innovantes.

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


CHV 4 015 – 2 est strictement interdite. – © Editions T.I.

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CHV4015

_______________________________________________________________________________ LE CO2 SUPERCRITIQUE APPLIQUÉ À L’EXTRACTION VÉGÉTALE

1. Principes de l’extraction pos, les valeurs typiques des propriétés physiques du fluide aux
états gazeux, liquide et supercritique (FSC) sont répertoriées dans
par fluides supercritiques le tableau 1.
De façon notable, les fluides supercritiques présentent une den-
sité proche de celles des liquides, un coefficient de diffusivité inter-
1.1 Phase supercritique médiaire à celui des liquides et des gaz et une faible viscosité
proche de celle des gaz.
Tout corps pur, se trouve, en fonction de trois paramètres ther- Par ailleurs, la conductivité thermique est relativement élevée
modynamiques (pression P, température T et volume V) à l’état dans la région supercritique et devient très élevée à proximité du
liquide, solide ou gazeux. La relation entre ces trois variables, point critique, car, en principe, la capacité thermique d’un fluide
connue sous le terme d’équation d’état, est représentée par la sur- tend vers l’infini au point critique. La tension interfaciale est pro-
face de la courbe en trois dimensions P, V, T. Les surfaces sous les che de zéro dans la région supercritique. En général, les propriétés
courbes représentent les différents états physiques de la matière physiques dans la région supercritique augmentent les processus
(solide, liquide et gazeux) qui correspondent à des valeurs particu- de transfert de masse et de transfert de chaleur [2].
lières de pression et température. D’après la règle de phase, la
Le dioxyde de carbone est le fluide supercritique le plus utilisé en
pression d’équilibre à chaque état est fonction de température [1].
particulier parce qu’il possède un bon pouvoir solvant pour l’extrac-
Les projections des équilibres de phases liquide-solide, gaz-solide
et gaz-liquide sont représentés sur la figure 1. tion de composés apolaires tels que les molécules hydrophobes
(alcanes, huiles). Son moment dipolaire élevé lui permet dans le
En particulier, la courbe liquide-vapeur représente la courbe de même temps de dissoudre certaines molécules faiblement polaires
pression de vapeur qui commence au point triple de coexistence telles que les alcools, les esters, les aldéhydes et les cétones. Tou-
des états gazeux-liquide-solide et se termine au point critique. La tes ces propriétés physico-chimiques du CO2 SC rendent son utili-
nature du point critique peut être appréhendée en suivant les sation particulièrement pertinente pour l’extraction d’une large
changements des propriétés du fluide le long de la courbe de pres- gamme de composés naturels à partir de matière végétale [3].
sion de vapeur. Lorsque la température augmente, la densité de la
phase liquide diminue et la densité de la phase gazeuse augmente
du fait de l’augmentation de la pression de vapeur. Finalement les

5
densités des phases liquide et gazeuse convergent au point criti- Pression
que et il n’est alors plus possible de différencier l’état liquide de
l’état gazeux, au-delà de la température critique [2]. Quand la tem-
pérature et la pression, sont toutes deux au-dessus des valeurs cri-
tiques (Pc et Tc), on considère que le système est dans la région Fluide
« supercritique » (voir figure 1). Solide Liquide supercritique

Dans une région proche du point critique, les propriétés du fluide


sont hautement sensibles aux variations de pression et de tempéra-
Pc
ture : cette région est dite « sous-critique ». Habituellement, le fluide Point
supercritique est utilisé à une température proche de sa valeur criti- critique
que (autour de 40 °C pour le CO2 SC) et à une pression assez élevée
(supérieure à 100 bars pour le CO2 SC) pour permettre à sa densité Point
de devenir supérieure à la densité critique du fluide [2]. triple Gaz

1.2 Propriétés physico-chimiques


Tc Température
Dans la région supercritique, le fluide présente un comporte-
ment intermédiaire entre celui de l’état liquide et de l’état gazeux.
Cela lui confère des propriétés particulières. Pour illustrer ce pro- Figure 1 – Diagramme de phases d’un corps pur

Tableau 1 – Comparaison des propriétés physiques d’un fluide aux états gazeux, liquide et supercritique
(d’après [1])

Propriété physique Gaz (Tamb) FSC (Tc, Pc) Liquide (Tamb)

Densité ρ (kg.m-3) 0,6 – 2 200 – 500 600 – 1 600

Viscosité dynamique µ (mPa.s) 0,01 – 0,3 0,01 – 0,03 0,2 – 3

Viscosité cinétique η (106 m2.s-1)(a) 5 – 500 0,2 – 0,1 0,1 – 5

Conductivité thermique λ (W/mK) 0,01 – 0,025 Maximum(b) 0,1 – 0,2

Coefficient de diffusion D (106 m2.s-1) 10 – 40 0,07 0,0002 – 0,002

Tension de surface σ (dyn/cm2) –– –– 20-40

(a) La viscosité cinétique est définie par la relation η = µ / ρ.


(b) La conductivité thermique présente des valeurs maximales autour du point critique, où elle est hautement dépendante de la température.

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CHV4015

LE CO2 SUPERCRITIQUE APPLIQUÉ À L’EXTRACTION VÉGÉTALE ______________________________________________________________________________

1.2.1 Masse volumique autour du point critique 1.3 Avantages et inconvénients


Les propriétés des fluides supercritiques (FSC) se situent entre de l’extraction supercritique
celles des gaz et celles des liquides lorsque la pression augmente.
Ainsi en est-il, par exemple, de la masse volumique comme cela 1.3.1 Avantages
est illustré par la figure 2 dans le cas du CO2.
Aux températures légèrement supérieures à la température criti- 1.3.1.1 Diffusion rapide dans les matrices solides
que, la masse volumique varie beaucoup pour de faibles variations
de pression. Aux températures plus élevées, ce changement est Les FSC sont caractérisés par de faibles viscosités et des diffusi-
moins brusque et se manifeste aux pressions plus élevées. Par vités élevées (de l’ordre de 10-4 cm2. s -1 par rapport à 10-5 cm2. s-
1 pour les liquides). Ils peuvent ainsi pénétrer beaucoup plus facile-
conséquent, il est plus difficile de bien contrôler la masse volumi-
que autour de la température critique. Les autres propriétés ther- ment dans les matériaux solides poreux et, de fait, augmenter le
modynamiques, telles que l’enthalpie, varient de la même manière transfert de masse permettant une extraction plus rapide [6]. De ce
[2][4]. fait, l’utilisation des fluides supercritiques en extraction va être
caractérisé par des durées d’extraction pouvant être réduites de
manière significative : de quelques heures voire quelques jours
1.2.2 Influence de la température sur la solubilité dans une extraction liquide-solide classique à quelques dizaines de
La solubilité dans le CO2 supercritique change avec la tempéra- minutes en extraction par fluide supercritique (SFE) et ce avec des
ture sous l’influence compétitive de deux phénomènes [2][5] : la rendements comparables voire supérieurs [7].
tension de vapeur du soluté qui augmente avec la température, et
le pouvoir solvant du CO2 supercritique qui diminue avec la tem- 1.3.1.2 Fort pouvoir solvant
pérature en raison de la diminution de la masse volumique du
Le pouvoir de solvatation du fluide supercritique peut être modi-
fluide. À basse température, la solubilité diminue lorsque la tem-
fié simplement en changeant la pression P et/ou la température T
pérature augmente en raison de l’effet prédominant de la diminu-
tion de masse volumique du fluide devant l’augmentation de la permettant ainsi d’atteindre une sélectivité particulièrement éle-
pression vapeur du soluté. Au-delà d’une certaine température, le vée. Ce pouvoir de solvatation des FSC modulable en fonction des
dernier effet devient prédominant et la solubilité passe par un conditions opératoires (température et pression) est particulière-

5
minimum, puis augmente avec la température. La température à ment utile pour l’extraction des matériaux complexes tels que les
solubilité minimale est plus élevée à pression plus faible. La matières végétales car il permet d’extraire sélectivement les molé-
figure 3 qui concerne un mélange modèle naphtalène-CO2 en est cules selon leur nature chimique [8]. Un bon exemple est l’extrac-
un exemple : à une faible pression, le pouvoir solvant du CO2 tion sélective d’un composé, la vindoline parmi plus de
décroit lorsque la température augmente. Par contre, à pression 100 composés alcaloïdes présents dans les feuilles de pervenche
élevée, la solubilité augmente avec la température. de Madagascar (Catharanthus roseus) [9].
Il est souvent plus commode d’exprimer la solubilité d’un
composé dans un fluide supercritique en fonction de la masse volu- 1.3.1.3 Facilité de récupération et purification des extraits
mique de ce dernier. Un tel exemple est présenté sur la figure 4. Les solutés dissouts en CO2 SC peuvent être facilement séparés
La figure 4 met en évidence, d’une part, l’augmentation du pou- des autres molécules insolubles en CO2 SC par simple dépressuri-
voir solvant d’un fluide supercritique avec la masse volumique à sation. Par conséquent, la SFE par CO2 SC permet de s’affranchir
une température donnée et, d’autre part, l’augmentation du pou- des étapes de concentration des échantillons, étapes habituel-
voir solvant d’un fluide supercritique avec la température à une lement très longues et qui se traduisent souvent par la perte de
masse volumique donnée. composés volatils [8].
Concentration (WT %)

1 000
Masse volumique (kg/m3)

280 K
300
300 K 10
310 K 150
800

120
330 K
600 1
100
90
400
80
0,1 70 bar
400 K
200

0 0
30 50 70 90 100 130 150 170 0 10 20 30 40 50 60
Pression (bar) Température (°C)

Figure 2 – Isothermes masse volumique-pression pour le CO2 Figure 3 – Solubilité du naphtalène dans le CO2 en fonction de la
(d’après [3]) température (d’après [3])

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Intensification des procédés et méthodes d'analyse
durable
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1– Principes

2– Procédés catalytiques

3– Procédés de synthèse et de production

4– Procédés de séparation membranaire

5– Procédés d'extraction et de traitement de la

6
biomasse végétale

6– Méthodes et instruments d'analyse Réf. Internet page

Chromatographie en phase supercritique P1460 143

Biocapteurs pour la surveillance des polluants dans l’environnement CHV1620 149

Laboratoires sur puce dédiés à la chimie. Principes et caractéristiques CHV2225 155

Laboratoires sur puce dédiés à la chimie. Conception CHV2226 161

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141
6

142
Référence Internet
P1460

Chromatographie en phase
supercritique

par Didier THIÉBAUT


Directeur de recherche au CNRS
UMR 8231 Chimie Biologie Innovation
Laboratoire sciences analytiques bioanalytiques et miniaturisation
ESPCI Paris, PSL, Paris

1. Fluides supercritiques en chromatographie .................................. P 1 460v3 - 3


1.1 Propriétés thermodynamiques ................................................................ — 3
1.2 Propriétés physico-chimiques.................................................................. — 4
1.3 Principaux fluides utilisables en CPS ...................................................... — 6
2. Propriétés chromatographiques des phases mobiles
à base de dioxyde de carbone ........................................................... — 7
2.1 Aspect thermodynamique........................................................................ — 7
2.2 Aspect cinétique........................................................................................ — 9
3. Colonnes et phases stationnaires..................................................... — 10
3.1 Colonnes remplies .................................................................................... — 10

6
3.2 Colonnes capillaires.................................................................................. — 11
4. Appareillage............................................................................................ — 11
4.1 Préambule.................................................................................................. — 11
4.2 Colonnes remplies .................................................................................... — 11
5. Applications............................................................................................ — 13
5.1 Applications générales ............................................................................. — 13
5.2 Chiralité...................................................................................................... — 13
5.3 Lipides........................................................................................................ — 16
5.4 Produits pétroliers et dérivés (CPS avec du dioxyde
de carbone seul)........................................................................................ — 16
6. Conclusion............................................................................................... — 18
7. Glossaire .................................................................................................. — 20
Parution : septembre 2016 - Dernière validation : octobre 2021

Pour en savoir plus ........................................................................................ Doc. P 1 460v3

a chromatographie en phase supercritique, CPS (ou SFC pour Super-


L critical Fluid Chromatography), met en œuvre une phase mobile
constituée d’un fluide ou d’un mélange de fluides généralement porté au-delà
du point critique par un contrôle adéquat de la température et de la pression.
Cette technique est complémentaire des chromatographies en phases
liquide, CPL (ou LC Liquid Chromatography), et gazeuse, CPG (ou GC Gas
Chromatography), car elle possède des caractéristiques propres, liées aux
propriétés des fluides supercritiques : la masse volumique du fluide super-
critique, comparable à celle d'un liquide, associée à une plus faible viscosité et,
pour le dioxyde de carbone, une grande compatibilité avec les détecteurs de
la CPG et de la CPL, en font une technique très performante, principalement
avec les colonnes remplies de la CPL (les applications mettant en œuvre les
colonnes capillaires de la CPG étant devenues rarissimes). Ainsi :
– de grandes efficacités par unité de temps sont atteintes en raison de la
diffusion rapide des solutés dans les fluides supercritiques du fait de leur faible
viscosité ; aussi, des séparations peuvent-elles être obtenues en des temps

Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés P 1 460v3 – 1

143
Référence Internet
P1460

CHROMATOGRAPHIE EN PHASE SUPERCRITIQUE _________________________________________________________________________________________

d'analyse environ 5 à 10 fois plus courts qu'en CPL, pour une granulométrie de
phase stationnaire identique ;
– on peut aussi, pour la même raison, augmenter la longueur de la colonne
et disposer alors d'une très grande efficacité, même avec les colonnes
remplies ; cela est beaucoup plus difficile à réaliser en CPL à cause de la perte
de charge élevée ;
– des sélectivités importantes sont observées en raison des interactions
entre les solutés, la phase stationnaire et la phase mobile que l'on peut faire
varier par l'ajout de faibles quantités de modificateurs polaires à la phase
supercritique ; la CPS s'apparente donc à la chromatographie de partage en
phase normale, même si la plupart des phases stationnaires de la CPL, y
compris celles de la phase inverse et de la chiralité, peuvent être employées
avec succès ;
– la CPS est une technique « verte » du fait qu'elle utilise comme phase
mobile majoritairement du dioxyde de carbone, atoxique, à la place de sol-
vants organiques. La consommation des solvants organiques est donc réduite
et, pour les applications à l'échelle industrielle, le CO2 peut être facilement
recyclé et purifié ;
– la CPS préparative présente, par ailleurs, l'avantage de permettre une
récupération des solutés par simple détente de la phase mobile, les seules
traces de solvants résiduels provenant des additifs polaires éventuellement
ajoutés. Cela a aussi son importance en extraction en phase supercritique dans
le domaine alimentaire par exemple ;
– contrairement à la CPL, la CPS, avec une phase dioxyde de carbone pur,
autorise le couplage avec le détecteur à ionisation de flamme (DIF) de la CPG.
On peut donc avantageusement la mettre en œuvre pour la séparation d'un
mélange complexe de solutés peu ou non volatils solubles dans le CO2 super-
critique et non aisément détectables comme les hydrocarbures saturés par

6 exemple.
Aussi, on comprend que la CPS trouve ses applications dans le domaine
pétrolier lorsqu'elle est couplée à la détection DIF – domaine pour lequel les
colonnes capillaires ont encore un intérêt – et, surtout, dans le domaine phar-
maceutique, en particulier pour les séparations des énantiomères où elle est
utilisée en routine depuis le milieu des années 1990. Depuis 2010, le renouvel-
lement de l’offre en chromatographes performants pour la CPS par des
grandes sociétés d’instrumentation constitue un facteur très favorable à son
extension dans tous les domaines pour lesquels la CPL est la technique de
choix.
Cet article expose le principe et les avantages de la CPS dans les domaines
où elle trouve des applications en incluant les dernières avancées techno-
logiques et pratiques.

P 1 460v3 – 2 Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés

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P1460

__________________________________________________________________________________________ CHROMATOGRAPHIE EN PHASE SUPERCRITIQUE

Symbole Unité Description 1. Fluides supercritiques


ASTM American Society for Testing and Materials en chromatographie
CPL Chromatographie en phase liquide (LC)
CPG Chromatographie en phase gazeuse (GC)
Chromatographie en phase supercritique
Aperçu historique
CPS
(SFC)
Dès 1962, Klesper, Corwin et Turner [1] utilisent la CPS pour
D m2 · s–1 Coefficient d’autodiffusion la séparation de porphyrines non volatiles. Toutefois, le déve-
loppement de cette méthode a d’abord été éclipsé par celui,
Coefficient de diffusion d’un soluté dans la
Dm m2 · s–1 très rapide, de la chromatographie en phase liquide (CPL) bien
phase mobile que, périodiquement, des exemples d’utilisation et des mises
Détecteur évaporatif à diffusion de la au point aient été publiés. Il faut attendre 1982 pour assister à
DEDL un regain d’intérêt pour la CPS, 1988 pour la parution du pre-
lumière (ELSD)
mier ouvrage [2] et les années 1990 pour les applications
Diamètre des particules de phase industrielles significatives.
dp m
stationnaire
mm ou Diamètre de la colonne
dc
m 1.1 Propriétés thermodynamiques
DIF Détection à ionisation de flamme (FID)
EC Électrophorèse capillaire 1.1.1 Fluide pur
CPG intégralement bidimensionnelle
GC GC Pour un composé pur, le diagramme pression (P ) température
(comprehensive 2D GC )
(T ) (P, T ) (figure 1) [3] précise les domaines des trois états de la
H m Hauteur équivalente à un plateau théorique matière, solide s, liquide , ou vapeur v, déterminés par l’équation
d’état. Les raccordements de ces différents domaines corres-
h Hauteur de plateau réduite pondent aux transitions de phase, s’accompagnent de disconti-
Infrarouge à transformée de Fourier nuité de certaines propriétés physiques, la masse volumique ρ en
IRTF particulier, et correspondent aux équilibres liquide-vapeur ,
(détection)
solide-liquide et solide-vapeur (s-v ). Au point triple T
k ou k
KT Pa –1
Facteur de rétention
Compressibilité
coexistent les trois phases solide-liquide-vapeur.
6
N Nombre de plateaux théoriques
Pression (bar)
P Pa Pression
PC Pa Pression critique
80
Résolution entre deux pics chromatogra- C
Rs
phiques
S g · L–1 Solubilité d’un soluté 60
SM Spectrométrie de masse (MS)
s-ᐉ

T °C Température 40 Solide Liquide Vapeur

Tc °C Température critique
ᐉ-v

t0 min ou s Temps de rétention nulle 20


–1 Vitesse linéaire de la phase mobile dans la
u mm · s T
colonne s-v
0
uopt mm · s–1 Vitesse linéaire à l’optimum d’efficacité
–100 –50 0 50
UV Ultraviolet (détection) Température (oC)

Ultra High Performance Liquid Chromato- ᐉ phase liquide


UHPLC
graphy v phase vapeur
s phase solide
Ultra High Performance Supercritical Fluid
UHPSFC C point critique (PC = 73,8 bar et TC = 31 oC)
Chromatography
1/2 T point triple (PT = 5,2 bar et TT = –56,6 oC)
δ MPa Paramètre de solubilité de Hildebrand
Les lignes en tiretés au-delà du point C sont
ρ g · cm–3 Masse volumique traversées sans discontinuité. Ainsi, un fluide peut
être à une température supérieure à TC et à une
ρc g · cm–3 Masse volumique au point critique pression inférieure à PC ou bien à une pression
supérieure à PC et à une température inférieure à TC ;
η Pa · s Viscosité
il est alors dans l’état subcritique.
Vitesse réduite de la phase mobile dans la
ν
colonne Figure 1 – Diagramme (P, T ) du dioxyde de carbone [3]

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CHROMATOGRAPHIE EN PHASE SUPERCRITIQUE _________________________________________________________________________________________

On remarque que l’on ne peut passer de l’état solide à l’état


liquide sans traverser un segment, donc sans qu’il y ait disconti-
Pression (bar)
nuité de la masse volumique des phases. Par contre, il est possible
de passer de l’état liquide à l’état gazeux continûment, sans traver-

C
0o
ser le segment , à la condition de contourner le point C,

60
appelé point critique ; il lui correspond une température critique
TC , une pression critique PC et une masse volumique ρC . 740

0
30
Au point C, on a un état intermédiaire entre l’état liquide et l’état Gaz
gazeux que l’on appelle état critique ou, si l’on s’éloigne notable-

0 0
ment de C, état supercritique. Cet état correspond donc à des 400

15 20
températures et des pressions supérieures à celles de C. 370
300
La figure 2 représente le diagramme de phase pression, masse

0
volumique (P, ρ ) du dioxyde de carbone. Plusieurs isothermes ont

10
220
été tracées et la zone d’utilisation habituelle de la CPS a été grisée.
Pour toute température supérieure à Tc , on constate qu’à une 150 60
augmentation continue de la pression correspond une augmen- 40 Liquide
tation continue de la masse volumique. 38
La compressibilité KT : 74 32
20 Solide
50
0 oC
36

augmente lorsque la température se rapproche de TC ; au point cri- Équilibre


tique, KT tend vers l’infini : une faible augmentation de la pression liquide - gaz –30
provoque un accroissement important de la masse volumique ; ce
phénomène est, comme nous le verrons, largement exploité en
CPS, aussi bien avec les colonnes capillaires que les colonnes
remplies.
–60

6 1.1.2 Mélanges binaires

L’ajout au fluide supercritique d’un solvant polaire entraîne


0,25 0,50 0,75 1 1,25
Masse volumique (g · cm–3)
des déplacements importants du point critique [4]. Si on se limite à
courbe de démixtion
une fraction molaire en solvant inférieure à 0,1, ce qui est souvent
La zone utile en CPS apparaît en grisé.
le cas en CPS, il est aisé de maintenir le mélange à l’état supercri-
tique. En revanche, pour des teneurs supérieures, les températures
critiques atteignent très vite des valeurs incompatibles tant avec la Figure 2 – Diagramme de phase du dioxyde de carbone
stabilité thermique des phases stationnaires greffées qu’avec celle
des solutés. C’est la raison pour laquelle l’emploi de phases
mobiles subcritiques (généralement du point de vue de la tempé-
rature) est couramment réalisé. Si le fait de travailler à l’état
1.2 Propriétés physico-chimiques
subcritique plutôt que supercritique a régulièrement fait l’objet de
discussions animées, en pratique cela n’a guère d’impact tant que Le tableau 1 [5] rassemble les ordres de grandeur des trois
l’un des deux paramètres excède la valeur au point critique et que paramètres masse volumique, viscosité et coefficient de diffusion,
la phase mobile reste monophasique. Cependant, en fonction des pour les trois états d’un même fluide. On remarque que, malgré
conditions, la masse volumique et la viscosité varient ce qui a une des valeurs élevées de masse volumique, proches de celles des
influence sur le comportement chromatographique comme on le liquides, les fluides supercritiques sont peu visqueux et, de ce
verra plus loin. point de vue, se rapprochent des gaz.

Tableau 1 – Ordre de grandeur de la masse volumique, de la viscosité et du coefficient


d’autodiffusion pour les gaz, liquides et fluides supercritiques [5]
D
État du fluide
(g · cm–3) (Pa · s) (m2 · s–1)

Gazeux 1 bar, 15 à 30 °C 0,6  10–3 à 2  10–3 1 10–5 à 3 10–5 1 10–5 à 4 10–5

Supercritique à TC , PC 0,2 à 0,5 1 10–5 à 3 10–5 5 10–8

Supercritique à TC , 4 PC 0,4 à 0,9 3 10–5 à 9 10–5 10–8

Liquide (solvants organiques-eau) 1 bar, 15 à 30 °C 0,6 à 1,6 0,2 10–3 à 3 10–3 0,2 10–9 à 3 10–9

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__________________________________________________________________________________________ CHROMATOGRAPHIE EN PHASE SUPERCRITIQUE

1.2.1 Masse volumique et compressibilité


Masse volumique
Beaucoup des propriétés remarquables des fluides au voisinage (g · cm–3)
du point critique sont une conséquence de leur très forte compres-
sibilité (tableau 1). 1,2

Ainsi, une légère augmentation de la pression provoque un 1


accroissement de la masse volumique (figure 3). Dans la zone du 0,8
point critique, la compressibilité est environ 500 fois plus forte que
celle des liquides. Par conséquent, contrairement à la CPL, il est 0,6
possible de faire varier la masse volumique de la phase mobile en
0,4
agissant sur la pression et (ou) la température.
0,2 PC
À température constante, la masse volumique augmente avec la
pression (figure 3), tandis qu’à pression constante, la masse volu- 0
mique diminue lorsque la température augmente. Comme la 0 200 400 Pression (bar)
masse volumique influe à la fois sur le pouvoir solvant et sur la
polarité du fluide (§ 1.2.5), on comprend que la rétention des solu- Figure 3 – Variation de la masse volumique du CO2 en fonction
tés peut être modifiée par des changements de pression (et de de la pression à 40 °C
température). C’est là un point où la CPS diffère de la CPL : en
phase liquide, la compressibilité n’a que des effets négligeables
pour des pressions inférieures à 300 bar et la masse volumique est
constante. Viscosité (10–2 cP)

1.2.2 Viscosité 12

10
La viscosité des fluides supercritiques est 5 à 20 fois inférieure à
celle des liquides (tableau 1). Cela est important, car la viscosité de 8
la phase mobile est en partie responsable de la faible vitesse de
diffusion des solutés et du fort gradient de pression dans une 6
colonne chromatographique. La viscosité augmente avec la pres-

6
4
sion (figure 4), mais elle approche celle du liquide plus lentement
que ne le fait sa masse volumique. La viscosité ne diminue que 2 PC
légèrement avec une augmentation de la température dans la
gamme habituelle de pression (100 à 400 bar) et de température (0 0
1 cP = 10–3 Pa · s 0 200 400 Pression (bar)
à 60 °C) de la CPS.

Figure 4 – Variation de la viscosité du CO2 en fonction


de la pression à 40 °C
1.2.3 Coefficient d’autodiffusion

Il caractérise la diffusion des molécules de fluide dans le fluide 1.2.5 Polarité d’un fluide supercritique
lui-même et le tableau 1 montre qu’il est intermédiaire entre celui
d’un liquide et celui d’un gaz. Il diminue avec la pression et aug- La polarité d’un solvant peut être mesurée par son paramètre
mente avec la température. de solubilité de Hildebrand δ [7] :

1.2.4 Coefficient de diffusion des solutés

Le coefficient de diffusion Dm est un paramètre important en avec Ev énergie de cohésion du solvant,


chromatographie puisqu’il régit les processus de transfert de
Vm volume molaire.
masse entre les phases solide et mobile.
Pour un fluide supercritique, δ augmente avec la masse
■ Fluide supercritique pur volumique [8], ce qui permet de disposer d’un paramètre supplé-
mentaire pour la mise au point des séparations par simple varia-
Pour un fluide comme le CO2 , les valeurs de Dm sont comprises tion de la pression et/ou de la température. Par ailleurs, un
entre 10–8 et 5  10–8 m2 · s–1 et sont d’autant plus faibles que la gradient de pression permet aussi d’augmenter la masse volu-
masse molaire du soluté et la masse volumique du fluide sont mique du fluide lors de la séparation et, partant, d’éluer des solu-
grandes à température constante [5] [6]. Elles diminuent lorsque la tés de plus en plus polaires.
viscosité augmente et augmentent avec la température à masse
volumique constante. Elles peuvent être calculées [6], comme en
CPL, par la relation de Wilke et Chang. 1.2.6 Solubilité dans un fluide supercritique
La solubilité S d’un soluté dépend, en première approximation,
■ Mélange fluide supercritique-modificateur polaire de deux facteurs [9] [10] :
Les coefficients de diffusion diminuent lorsque la teneur en – le pouvoir solubilisant du fluide lié à sa nature et à sa masse
modificateur polaire dans la phase mobile augmente, mais ils volumique ;
demeurent néanmoins très supérieurs à ceux mesurés en phase – la volatilité éventuelle du soluté qui varie en fonction de la
liquide pour des teneurs inférieures à 20 % [6]. température.

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147
6

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CHV1620

Biocapteurs pour la surveillance


des polluants dans l’environnement
par Sulivan JOUANNEAU
Maitre de Conférences
Université de Nantes, UMR CNRS 6144 GEPEA, La Roche-sur-Yon, France
et Gérald THOUAND
Professeur des Universités
Université de Nantes, UMR CNRS 6144 GEPEA, La Roche-sur-Yon, France

1. Principe des biocapteurs ............................................................................ CHV 1 620 - 2


2. Architecture des biocapteurs..................................................................... — 2
2.1 Bioéléments................................................................................................. — 3
2.2 Méthodes de transduction ......................................................................... — 4
3. Applications dans le domaine de l’environnement ................................. — 6
3.1 Détection spécifique d’éléments traces métalliques (ETM) .................... — 6
3.2 Détection et quantification de polluants organiques ............................... — 13
3.3 Caractérisation écotoxicologique de l’environnement ............................ — 15
4. Conclusion ................................................................................................... — 18
5. Sigles, notations et symboles ................................................................... —
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. CHV 1 620
19
6

a préservation et l’amélioration de la qualité de l’environnement sont des


L préoccupations majeures pour nos sociétés. Les moyens mis en œuvre
pour la surveillance et la mesure de la qualité de l’environnement, dans ces
différents compartiments (air, eau, sol), reposent, pour l’essentiel, sur des
approches physico-chimiques.
Ces dernières sont particulièrement sensibles et spécifiques pour identifier et
évaluer avec précision les concentrations en présence dans les échantillons
analysés. Néanmoins, elles sont contraintes par leur champ d’action qui est
limité à la gamme des composés susceptibles d’être mesurés. De plus, ces
approches requièrent généralement des équipements complexes et onéreux,
ainsi que du personnel hautement qualifié induisant des coûts relativement
élevés. Ce dernier point est un frein à leur déploiement dans l’environnement,
au vu de la complexité et de la diversité des matrices (sol/air/eau), et contraint
généralement les campagnes de mesure à des zones géographiques limitées
et/ou avec un maillage grossier de l’espace d’étude.
Dans ce contexte, les biocapteurs apparaissent comme des alternatives tech-
nologiques susceptibles de répondre à ces limitations en permettant de
renseigner des informations non disponibles via les approches physico-
chimiques (toxicité, biodisponibilité, biodégradabilité). Aussi, depuis plusieurs
décennies, les chercheurs s’intéressent à ces approches pour des applications
de monitoring environnemental. Plusieurs voies ont été explorées reposant sur
des architectures différentes tant au niveau des mécanismes biologiques impli-
qués dans le processus de détection (ADN, protéines, cellules) qu’au niveau
des signaux recueillis.
Parution : février 2019

Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés CHV 1 620 – 1

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Référence Internet
CHV1620

BIOCAPTEURS POUR LA SURVEILLANCE DES POLLUANTS DANS L’ENVIRONNEMENT ____________________________________________________________

Cet article reviendra, dans un premier temps, sur la définition et sur le prin-
cipe de fonctionnement d’un biocapteur avant de présenter, en détail, les
grandes familles de biocapteurs. Les deux premières sections se focaliseront,
respectivement, sur le principe et l’architecture des biocapteurs en s’appuyant
notamment sur des illustrations et des schémas. La troisième section de
l’article abordera, quant à elle, l’aspect applicatif de ces stratégies métro-
logiques dans le contexte de la mesure environnementale.

respiratoire…). Le rôle du transducteur est alors de convertir le


1. Principe des biocapteurs signal biologique en signal numérique analysable. La nature des
signaux biologiques va directement conditionner le type de trans-
Depuis le premier biocapteur décrit par Leland C. Clark, Jr. et ducteur utilisé. Par conséquent, le développement de tels sys-
Champ Lyons en 1962 [1] dédié à la mesure du glucose (biocap- tèmes requièrt des compétences avancées dans les domaines de
teur enzymatique), les stratégies analytiques implémentées la biologie, de la physico-chimie et du traitement du signal impli-
dans les biocapteurs se sont largement diversifiées afin de cou- quant donc d’étroites collaborations interdisciplinaires.
vrir un champ d’actions très étendu, de l’agroalimentaire
[F 4 010] à la santé en passant pas l’environnement [BIO 7 100].
Cet article se focalise uniquement sur les stratégies déployées
dans les domaines de la surveillance et du diagnostic dans
l’environnement.
2. Architecture
Un biocapteur est définit par l’IUPAC (Union internationale de des biocapteurs
chimie pure et appliquée) comme un dispositif intégré capable de
fournir des informations spécifiques quantitatives ou semi-
quantitatives grâce à un élément de reconnaissance d’origine bio- Les architectures des biocapteurs présentées dans cet article ne
logique en contact direct avec un élément de transduction. se limitent pas uniquement aux biocapteurs appliqués à l’environ-
nement, à l’exception des biocapteurs microbiens qui ne

6
Ce dispositif analytique est, par conséquent, la résultante de la connaissent, actuellement, pas ou peu de développement dans les
synergie entre un élément de reconnaissance biologique immobi- domaines du diagnostic médical et de l’agroalimentaire.
lisé (bioélément) et un capteur physique : le transducteur [2] [3]
[4] (figure 1). Les éléments biologiques de reconnaissance La chaîne de mesure mise en œuvre dans un biocapteur est
peuvent être de natures très différentes (anticorps, enzymes, ADN, directement liée à la nature des bioéléments utilisée. En effet, le
cellules). Ces derniers vont interagir avec leur environnement et, choix du bioélément va conditionner le type de signal biologique
de cette interaction va naître un signal analogique spécifique généré et, par conséquent, les modalités de transduction permet-
(émission de photons, modification de pH, de masse, d’activité tant de collecter et d’analyser ces signaux.

Bioélément
Sonde biologique
Algorithme de traitement du signal

Signal Signal
Transducteur

biologique numérique

Échantillon
analysé
Mécanisme
de reconnaissance

ADN Optiques
Aptamères Électrochimiques
Anticorps Piézoélectriques
Enzymes Thermiques
Cellules

Figure 1 – Principe d’un biocapteur

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CHV1620

_____________________________________________________________ BIOCAPTEURS POUR LA SURVEILLANCE DES POLLUANTS DANS L’ENVIRONNEMENT

En outre, les biocapteurs permettent, selon les modalités de de ces bioéléments s’appuie sur les différents mécanismes d’inte-
reconnaissance biologiques mises en œuvre, d’étendre le champ raction identifiés.
de caractérisation des matrices environnementales en s’attachant Les aptamères sont, quant à eux, des oligonucléotides de syn-
notamment à la question des effets induits. La figure 2 reprend thèse (séquences d’acides nucléiques, ADN ou ARN) présentant la
l’étendue des informations susceptibles d’être évaluées par ces capacité de se lier avec des cibles de différentes natures (petites
stratégies d’analyse biologiques. molécules organiques, peptides, protéines, acides nucléiques, cel-
lules intactes) [6] [7]. Ces séquences sont obtenues par une
méthode combinatoire de sélection in vitro, appelée « systematic
2.1 Bioéléments evolution of ligands by exponantial enrichment » (SELEX), et réali-
sée en plusieurs étapes. Dans un premier temps, les cibles vont
être immobilisées et soumises à une librairie de séquences aléa-
2.1.1 Enzymes et anticorps toires d’ADN. Certaines de ces séquences vont se lier aux cibles.
Les enzymes sont des structures protéiques, largement utilisées Ces dernières sont alors collectées et amplifiées par une réaction
pour le développement de biocapteurs. Historiquement, les de polymérisation en chaîne via une polymérase (PCR). Elles vont
enzymes ont été les premiers bioéléments utilisés pour le déve- ainsi pouvoir être utilisées en tant qu’éléments de reconnaissance
loppement de biocapteurs notamment à la suite des travaux ini- dans le cadre du développement d’un biocapteur.
tiés par Clark et Lyons en 1962 [1].
Une réaction enzymatique est une réaction chimique ou bio- 2.1.3 Cellules vivantes
chimique catalysée par une enzyme. Le substrat (cible de
l’enzyme) va se lier transitoirement avec l’enzyme pour former un Le premier biocapteur développé à partir de cellules vivantes a
complexe et induire la transformation du substrat en produit de la été décrit par Serat et al. en 1967 [8]. Ce biocapteur visait à suivre
réaction. Le produit se libère alors de l’enzyme, qui reprend sa la toxicité de matrices gazeuses au moyen de bactéries naturelle-
conformation initiale, restaurant, dans le même temps, ses pro- ment bioluminescentes (Photobacterium phosphoreum).
priétés catalytiques. Malgré une démonstration pertinente de la stratégie et de son
Les anticorps sont, comme les enzymes, des structures pro- potentiel dans le domaine de la métrologie, le concept est passé
téiques. Néanmoins ces derniers sont spécialisés dans la recon- relativement inaperçu dans la communauté scientifique jusqu’en
naissance spécifique d’antigènes, c’est-à-dire des molécules 1977 [9]. Il a fallu encore attendre les années 1990-2000 afin de
reconnues comme étrangères à un organisme (bactérie, champi- voir ce concept réapparaître notamment grâce au développement
gnon, virus, composé chimique). des techniques de biologies moléculaires. Ces avancés scienti-
fiques ont permis le développement, par génie génétique, de
Les biocapteurs reposant sur ces bioéléments de reconnais- souches microbiennes dédiées à la détection spécifique ou semi-

6
sance sont donc des dispositifs analytiques combinant une struc- spécifique de composés dans l’environnement [10] [11] [12].
ture protéique avec un transducteur (capteur physique capable de
mesurer l’intensité du signal biologique et de le convertir en un Contrairement aux approches basées sur des moyens de recon-
signal numérique, voir figure 1) capables de produire un signal naissance par protéines (§ 2.1.1) ou oligonucléotides (§ 2.1.2)
proportionnel à la concentration d’analyte cible (substance ou pro- (quantification de la fraction totale de polluants spécifiques)
duit chimique constituant le centre d’intérêt d’une procédure (figure 2), les stratégies basées sur une reconnaissance par cel-
d’analyse chimique, toxicologique ou écotoxicologique [5]). lules vivantes se focalisent plus particulièrement sur les effets
induits pour estimer les paramètres recherchés tels que :
– la fraction biodisponible : fraction pouvant induire des effets
2.1.2 ADN et aptamères sur les organismes. Cette fraction exclut les molécules non dispo-
nibles pour les organismes (par exemple la fraction adsorbée,
L’ADN (acide désoxyribonucléique), support de l’information etc.) ;
génétique, est constitué de deux brins d’acides nucléiques com-
– la toxicité d’un composé ou d’un mélange de composés ;
plémentaires. Les bases nucléiques d’un brin s’apparient avec les
bases complémentaires d’un autre brin via des liaisons hydro- – la biodégradabilité d’un composé organique ou d’un mélange
gènes. Néanmoins, il apparaît que l’ADN possède également des de composés.
capacités d’interaction avec certains composés. Par conséquent, le D’un point de vue applicatif, les biocapteurs reposant sur ce
principe de fonctionnement des biocapteurs développés à partir type de reconnaissance ont connu un essor particulier dans le

Caractérisation
environnementale

Molécules Mélange
spécifiques de molécules

Fraction totale Fraction Biodégradabilité Toxicité Biodégradabilité


biodisponible

Méthode physico-chimique 

Méthode biologique     

Moyens • ADN • Cellules • Cellules • Cellules • Cellules


de reconnaissance • Protéines • Enzymes • Enzymes

Figure 2 – Champ d’action des biocapteurs et moyens de reconnaissance associés

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CHV1620

BIOCAPTEURS POUR LA SURVEILLANCE DES POLLUANTS DANS L’ENVIRONNEMENT ____________________________________________________________

Analyte

Bioéléments

Surface métallique

Angle

in c e
se
in c e

Angle
se

de réflexion

m r
eu
m r

lu Sou
eu
lu Sou

de réflexion

ue r
ue r

tiq teu
de référence
tiq teu

op tec
op tec

é
é

D
D

Figure 3 – Principe de fonctionnement d’un biocapteur optique SPR

domaine de l’environnement, contrairement aux domaines médi-


cal ou agroalimentaire, où peu d’applications ont été recensées
(mesure d’effets peu transposable dans ces domaines). Les princi-
paux développements commerciaux reposent sur ce moyen de Angle
de réflexion
reconnaissance pour estimer des paramètres d’effets tels que la Saturation
toxicité ou l’évaluation de la charge polluante biodégradable. Relargage

n
tio
6 2.2 Méthodes de transduction
Asso
cia
2.2.1 Biocapteurs optiques
Niveau de base
Parmi l’ensemble des biocapteurs optiques recensés dans la lit-
térature, on retrouve une multitude de stratégies combinant une
ou plusieurs technologies de transduction afin de mettre en évi- Injection Rinçage Temps
dence le signal biologique émis par les bioéléments de reconnais- de la cible
sance. Néanmoins, on peut classer ces technologies selon trois
familles : Figure 4 – Effet de la capture des cibles par les bioéléments
sur l’angle de réflexion
– le marquage (fluorescence, colorimétrique, bioluminescence) ;
– la résonance plasmonique de surface (SPR) ; 2.2.1.2 Résonance plasmonique de surface
– la spectroscopie Raman [13].
La résonance plasmonique de surface (Surface Plasmon Reso-
2.2.1.1 Méthode par marquage nance) est une méthode permettant de mettre en évidence la liai-
son entre l’analyte cible et un « récepteur » adsorbé à la surface
Les techniques reposant sur le marquage consistent à mettre en d’une couche métallique (généralement une couche d’or sur un
évidence la liaison entre le bioélément (sonde biologique) et la support de verre). Cette technique repose sur les variations de
cible au moyen d’un indicateur optique [2] [14] [15] [16] [17]. Le l’indice de réfraction d’une lumière polarisée à l’interface quand le
type de marqueur utilisé va conditionner la nature du signal émis : ligand se fixe aux récepteurs [BIO 7 100] (figure 3).
– colorimétrique : le marqueur va induire l’apparition, la modifi- Dans le cas des biocapteurs, les bioéléments (oligonucléotides,
cation ou l’inhibition de la couleur de l’indicateur suite à la réaction aptamères, anticorps, enzymes, microorganismes) sont immobili-
entre le bioélément et la cible. La colorimétrie sera suivie par spec- sés sur une surface métallique. La lumière incidente va être
trophotométrie (absorbance de la lumière incidente par l’indicateur réfléchie selon un angle spécifique par la surface (figure 3). La liai-
colorimétrique) ; son des cibles sur les biorécepteurs va induire une modification
– fluorescent : le phénomène de reconnaissance biologique va significative de l’angle de réflexion du signal lumineux, propor-
être révélé par un signal fluorescent. La molécule fluorescente tionnelle à la masse de cibles liées (figure 4).
(fluorophore ou fluorochrome) va absorber de l’énergie lumineuse
incidente (longueur d’onde d’excitation) passant ainsi dans un état
2.2.1.3 Spectroscopie Raman
excité. Le retour à un état fondamental va induire une émission
d’énergie sous la forme de photons (longueur d’onde d’émission) ; La spectroscopie Raman peut également être utilisée comme
– luminescent : le signal émis dans ce cas correspond à un transducteur optique pour les biocapteurs. Cette technique
signal lumineux généré sous l’action de réactions chimiques, enzy- consiste à envoyer une lumière monochromatique sur un échantil-
matiques (chimiluminescence), électrochimiques (électro-chimilu- lon et à analyser la lumière diffusée. Ainsi il est possible d’identi-
minescence) ou biologiques (bioluminescence) à l’origine d’une fier les groupes chimiques présents dans l’échantillon en
émission de photons. s’appuyant sur l’analyse des spectres recueillis.

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152
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CHV1620

_____________________________________________________________ BIOCAPTEURS POUR LA SURVEILLANCE DES POLLUANTS DANS L’ENVIRONNEMENT

Dans le domaine des biocapteurs, la spectroscopie Raman exal- marqueurs peuvent être de natures diverses : enzymes (activité
tée en surface (ou Surface Enhanced Raman Scattering – SERS) redox), ferrocène, substances électroactives interactives, nanopar-
est privilégiée, au détriment de la spectroscopie Raman conven- ticules [19].
tionnelle insuffisamment sensible [18]. Dans le cas du SERS, les
sondes biologiques sont immobilisées sur une surface métallique
permettant l’exaltation du signal Raman (figure 5). Il est alors pos- 2.2.3 Biocapteurs piézoélectriques
sible de détecter des modifications structurelles à l’interface et
ainsi, de mettre en évidence des liaisons entre les biorécepteurs et Le principe de ces biocapteurs repose sur le phénomène de
un ligand spécifique [13]. prise de masse associé à la formation de complexes entre les
bioéléments et les analytes cibles (figure 6) [18] [19] [BIO 7 110].
L’évaluation de ces prises de masse s’appuie sur les propriétés
2.2.2 Biocapteurs électrochimiques vibrationnelles propres aux cristaux piézoélectriques. En effet, la
fréquence de vibration de ce type de cristaux est directement liée
Dans le cas des biocapteurs électrochimiques, les bioéléments à la masse de substance adsorbée à sa surface. Aussi, le monito-
sont immobilisés à la surface d’une électrode. La formation d’un ring de la fréquence vibrationnelle de ces microbalances permet
complexe entre la sonde biologique et la cible va induire un signal de mettre en évidence les phénomènes recherchés.
électrique spécifique.
Les biocapteurs reposant sur cette stratégie de mesure sont 2.2.4 Biocapteurs thermiques
reconnus pour leur haute sensibilité, leur faible dimension, leur
faible coût et leur rapidité de réponse [19] [20]. Ces systèmes Ce type d’architecture repose sur les variations de température
peuvent reposer sur des mesures ampérométriques, potentiomé- observées lors d’une réaction enzymatique (à l’origine d’une libé-
triques, impédancemétriques ou conductimétriques [BIO 7 110]. ration ou d’une absorption de chaleur). L’amplitude de cette varia-
Dans la plupart des cas recensés dans la littérature, le mécanisme tion est relative au nombre d’unités enzymatiques qui réagissent.
de détection implique la mise en œuvre de marqueurs électro- Par conséquent, des biocapteurs ont pu être développés, basés
chimiques afin de révéler le phénomène de reconnaissance. Ces sur ce phénomène de reconnaissance [22] [23].
mo
no
Lu oma
ch

D ét
mi

e
r

opt cteur
ère tique

6
iqu
e

2,5
Intensité [u.a.]

1,5
1
Filt 0,5
re R
am
an 0
0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500
Bioéléments Déplacement Raman [cm–1]
Signature spectrale en absence de cibles
Surface métallique
mo
no
Lu oma
ch

D ét
mi

e
r

opt cteur
ère tique

iqu
e

2,5
Intensité [u.a.]

1,5
1
Filt 0,5
re R
am
an 0
Cibles 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500
Bioéléments Déplacement Raman [cm–1]

Surface métallique Signature spectrale en présence de cibles

Figure 5 – Principe de fonctionnement d’un biocapteur optique Raman (SERS)

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153
6

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Laboratoires sur puce dédiés


à la chimie
Principes et caractéristiques
par Clarisse MARIET
Ingénieur chercheur
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
Christine DALMAZZONE
Ingénieur de recherche
Direction Physico-Chimie et Mécanique Appliquées
IFP Énergies nouvelles (IFPEN), Rueil-Malmaison, France
Marie MARSIGLIA
Ingénieur de recherche
Direction Physico-Chimie et Mécanique Appliquées
IFP Énergies nouvelles (IFPEN), Rueil-Malmaison, France
Laurent VIO
Ingénieur chercheur
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
Axel VANSTEENE
Doctorant

et
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
Emmanuel MIGNARD
6
Chargé de recherche
CNRS, Université de Bordeaux, Solvay, LOF, UMR 5258, Pessac, France

1. Intérêt de la microfluidique pour la chimie ..................................... CHV 2 225 - 3


2. Traitement de l’échantillon en laboratoires sur puce................... — 3
3. Intensification de la recherche et développement ........................ — 13
4. Conclusion................................................................................................. — 16
5. Glossaire .................................................................................................... — 17
6. Sigles, notations et symboles.............................................................. — 17
Pour en savoir plus ......................................................................................... Doc. CHV 2 225

e concept des laboratoires sur puce date du début des années 1990, mais
L les développements fourmillent et bouleversent le secteur des biotechnolo-
gies à partir des années 2000 comme en témoigne l’évolution du nombre
d’articles dont le sujet contient le mot-clé « microfluidics », qui désigne à la
fois la science et la conception des laboratoires sur puce et dont au moins
l’une des dimensions caractéristiques est de l’ordre de quelques dizaines de
micromètres, dans la base de données Thomson ISI Web of Knowledge. Ce
nombre d’articles est passé de 28 en 1998 à plus de 2 200 pour la seule
année 2017 (étude réalisée en juillet 2018). Depuis, les laboratoires sur puce
sont omniprésents dans de nombreux domaines : en médecine, dans l’énergie,
dans la chimie verte, la cosmétique, l’industrie agroalimentaire…, mais quels
Parution : mai 2019

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LABORATOIRES SUR PUCE DÉDIÉS À LA CHIMIE __________________________________________________________________________________________

sont les réels avantages de cette technologie pour la chimie ? Quelles sont
leurs particularités ? Comment sont-ils développés ?
La microfluidique a suscité l’intérêt de l’industrie chimique motivée en
grande partie par les applications en analyse, en synthèse ou pour l’intensifica-
tion des processus. Par exemple, ces réductions d’échelles sont pertinentes
dans le domaine nucléaire ou pour les industries fabriquant des produits
toxiques ou explosifs car elles permettraient de :
– diminuer la production de déchets (réactifs, consommables de laboratoire,
solution de décontamination…) ;
– automatiser des opérations unitaires de procédé chimique ;
– diminuer l’exposition radiologique et chimique des personnels ;
– diminuer les coûts (par exemple en transférant des analyses d’enceintes
blindées en boîtes à gants).
Essentiellement mise en œuvre en physico-chimie des fluides complexes sur
des systèmes fonctionnant dans des conditions proches de l’ambiante, la
microfluidique présente aussi un intérêt pour mener des expérimentations dans
des conditions plus sévères (haute pression, haute température), représentatives
des conditions opératoires industrielles rencontrées dans diverses applications,
qui vont de l’exploration/production du pétrole, en passant par le raffinage et la
pétrochimie à la transformation de la biomasse, la synthèse de biocarburants…
Ce changement de paradigme dans la chimie organique permet d’améliorer :
– la productivité ;
– la sélectivité. Pour des réactions conduites en milieu biphasique, l’absence
de mélange est mise à profit en fin de réaction : l’étape d’extraction et de puri-
fication des produits est supprimée, les produits se situent exclusivement dans
l’une des deux phases.
– le contrôle thermique lié au rapport surface/volume et à la possibilité de
6 positionner des capteurs au plus près de la réaction ;
– la gestion des risques.
Le criblage des conditions opératoires à haut débit intéresse aussi les
chimistes quel que soit leur domaine. C’est pourquoi la microfluidique est
devenue un instrument de choix pour tester des milliers de formulations de
surfactants (pour un fabricant de shampoing, par exemple), de catalyseurs ou
d’extractants pour l’hydrométallurgie et sélectionner les meilleurs candidats.
Alors que d’ordinaire la littérature décrit les laboratoires sur puce dédiés aux
biotechnologies, le but des trois articles qui suivent est de sensibiliser le
lecteur aux spécificités des laboratoires sur puce développés pour la chimie.
L’article [CHV 2 225] décrit les avantages et les inconvénients des labora-
toires sur puce puis dresse l’état de l’art des microsystèmes développés
spécifiquement pour des applications à la chimie séparative élémentaire (sels,
métaux et radionucléides) et les caractérisations chimiques et physico-
chimiques des processus. Enfin, leur apport à l’accélération de la recherche et
développement fait l’objet de la dernière partie.
L’article [CHV 2 226] est centré sur la conception de ces laboratoires sur puce,
avec notamment l’exposé des fonctions de base, le choix des matériaux. Les prin-
cipes de fonctionnement des microsystèmes séparatifs précédemment décrits
sont présentés de manière à comprendre la façon dont ils ont été dimensionnés.
L’article [CHV 2 227] est axé sur l’intensification obtenue par les microréac-
teurs utilisés pour la chimie fine, des exemples d’intensification de procédés
industriels y sont présentés.
Les deux articles [CHV 1 010] et [BIO 7 150] constituent un complément d’infor-
mation. L’article [CHV 1 010] concerne plus particulièrement le traitement de
l’échantillon par des techniques miniaturisées mais pas nécessairement en labora-
toire sur puce, ainsi que des techniques séparatives miniatures couplées à des
techniques de détection pour des applications essentiellement biologiques.
Enfin, le lecteur pourra consulter l’article [BIO 7 150] qui est entièrement axé
sur les biopuces et leurs applications au diagnostic médical et à l’analyse de
l’ADN par amplification, des protéines, des sucres ou des cellules.

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___________________________________________________________________________________________ LABORATOIRES SUR PUCE DÉDIÉS À LA CHIMIE

taire et isotopique. L’automatisation des réactions améliore de


1. Intérêt de la microfluidique façon systématique la répétabilité et la reproductibilité des opéra-
pour la chimie tions, diminue le contact des opérateurs avec des échantillons ou
des réactifs toxiques non seulement grâce au pilotage électro-
nique mais aussi grâce au confinement des réactifs dans des dis-
Les laboratoires sur puce ou systèmes microfluidiques sont des positifs le plus souvent clos. Le µTAS (miniaturized total analysis
dispositifs compacts miniaturisés de quelques centimètres carrés, system), défini initialement comme « un système qui exécute des
multifonctionnels. Ils peuvent associer des éléments mécaniques, étapes d’analyse requises pour traduire l’information chimique en
chimiques, optiques, électromagnétiques, thermiques et flui- données électroniques au plus proche du point de prélèvement
diques à de l’électronique. Ils assurent des fonctions de capteurs d’échantillons » [5], est l’approche la plus prometteuse pour la
pouvant mesurer des paramètres physiques (pression, accéléra- surveillance chimique et l’analyse ultérieure de données volumi-
tion…) et/ou d’actionneurs (écoulement, séparation…). Les neuses. La puissance de calcul accrue et l’analyse de données
volumes mis en jeu sont de l’ordre du microlitre ou inférieurs, et plus avancée couplées au développement des μTAS ouvrent de
les débits de l’ordre de quelques dizaines de microlitres par nouvelles possibilités pour la compréhension de processus com-
minute ou inférieurs. plexes et le contrôle des procédés et permettront le développe-
Toutefois, cette définition liée à l’échelle est insuffisante et la ment de modèles prédictifs, une détection plus précoce des
description des microsystèmes passe par celle de leurs spécifici- artefacts.
tés et de leurs performances.
Les avantages immédiats de la réduction d’échelle associée à la
manipulation de fluides dans des puces microfluidiques ont été
décrits en détail dans les articles [NM 250] et [IN 214]. 2. Traitement de l’échantillon
On peut citer, en premier lieu, l’intérêt de la réduction des
volumes des échantillons. Si cette réduction est intéressante dans
en laboratoires sur puce
le domaine biologique pour lequel l’échantillon est disponible en
faible quantité, il en est de même lorsqu’il est très onéreux, Depuis une dizaine d’années des industries chimiques déve-
comme pour la synthèse de nouveaux produits chimiques à forte loppent des outils microfluidiques répondant aux spécificités de
valeur ajoutée, ou lorsqu’il présente un danger potentiel qui peut leur domaine à savoir des milieux souvent très agressifs tels que
être diminué proportionnellement à la taille de l’échantillon, les solvants organiques ou les acides (hydrométallurgie,
comme c’est le cas lors de la manipulation de radionucléides ou nucléaire) et des propriétés physiques extrêmes telles que des vis-
de produits toxiques comme le pétrole. cosités des fluides, des pressions et des températures élevées
(industrie pétrolière, hydrométallurgie). Ces particularités les ont
La miniaturisation jusqu’à l’échelle microfluidique permet un conduits à la réalisation de systèmes microfluidiques dédiés à la

6
meilleur contrôle des réactions et accélère le transport des chimie séparative élémentaire (sels, métaux et radionucléides)
espèces puisque le temps de diffusion est proportionnel au carré nécessaire au traitement de l’échantillon. De la même façon, des
de la distance de diffusion d, correspondant par exemple au rayon techniques de caractérisation chimiques et physico-chimiques ont
d’un microcanal à section circulaire (équation (1)) [1]. Le temps de dû être développées et adaptées aux besoins de l’industrie
diffusion moyen, t, à travers un canal de profondeur d est donné chimique lorsque les techniques appliquées à d’autres domaines
par la relation (1) [2] [3]. où la miniaturisation est courante (comme en biotechnologie)
étaient insuffisantes. Par exemple, la fluorescence utilisée de
(1) façon prépondérante en biologie et dans le diagnostic est souvent
incompatible avec des milieux corrosifs dans lesquels les mar-
où D est le coefficient de diffusion. queurs fluorescents peuvent être instables.
Selon cette équation, quand 17 minutes sont nécessaires pour
la diffusion à travers un tube de 1 mm, 100 millisecondes suffisent
pour un canal de 10 μm. 2.1 Séparations élémentaires et
De plus, aux dimensions micrométriques, les instabilités isotopiques en laboratoires sur puce
d’écoulements omniprésentes dans les systèmes de taille « ordi-
naire » sont supprimées. Les lois d’écoulement restent celles de la Bien que les techniques d’analyse soient de plus en plus sélec-
fluidique classique (ce qui n’est pas nécessairement le cas en tives, le traitement préalable des échantillons reste souvent une
nanofluidique) et peuvent être étudiées par l’équation de Navier- étape indispensable pour adapter l’échantillon à la technique de
Stokes pour un fluide incompressible alors que le régime d’écou- mesure. Ce traitement consiste, généralement, à séparer
lement est majoritairement laminaire, caractérisé par un faible l’analyte recherché d’éventuels interférents ou de la matrice elle-
nombre de Reynolds (Re < 1). La création d’une interface liquide- même et/ou de le concentrer afin de faciliter sa détection. Ces
liquide stable et bien définie, permettant un meilleur contrôle des étapes consomment des quantités importantes de réactifs et
réactions, résulte de la laminarité des écoulements. Enfin, le rap- sont longues à mettre en œuvre. Les instruments de mesure
port surface sur volume subit une forte augmentation permettant tendent à être miniaturisés [CHV 1 010], mais les développe-
d’améliorer les transferts de masse ou d’énergie entre phases. ments portent aussi sur la miniaturisation du traitement de
Cela a conduit à imaginer l’amélioration des opérations unitaires l’échantillon afin de réduire les quantités manipulées. En labora-
où les phénomènes de transferts jouent un rôle prépondérant, par toires sur puce, la séparation élémentaire repose sur l’utilisation
exemple dans les réactions chimiques polyphasiques, hétéro- du flux électrocinétique, sur les techniques de chromatographie
gènes où l’augmentation de la surface d’échange permet d’avoir ou d’extraction liquide-liquide.
un taux de conversion de la réaction plus important [4]. On peut
ainsi contrôler les paramètres de transfert pour optimiser les
temps de séjour et augmenter le rendement.
2.1.1 Systèmes électrocinétiques
L’automatisation et la portabilité font également partie des Dès les années 1990, l’électrophorèse capillaire (EC) est apparue
atouts des dispositifs microfluidiques. Les laboratoires sur puce comme la technique de séparation analytique la plus aisée à
facilitent le couplage d’opérations chimiques et de techniques de miniaturiser, avec des avantages tels que la haute résolution, la
mesure comme on le constate dans le domaine de l’analyse orga- vitesse, les possibilités de multiplexage et la faible consommation
nique, et de plus en plus dans le domaine de l’analyse élémen- d’échantillons et de réactifs [6]. Plusieurs revues récentes traitent

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LABORATOIRES SUR PUCE DÉDIÉS À LA CHIMIE __________________________________________________________________________________________

de ces séparations électrophorétiques en microsystèmes [7] [8]. fèrent très peu. En effet, les écarts de mobilités électrophorétiques
Contrairement à la chromatographie liquide, aucune pompe ou reposent uniquement sur une différence de rayon hydrodyna-
valve n’est nécessaire pour le transport de fluide. Le transport mique de 17.10–6 nm entre le premier et le dernier élément de la
électrocinétique des espèces présente plusieurs avantages. L’élec- période. Le microsystème développé a permis, après une sépara-
tromigration dans des canaux de faibles dimensions ne génère tion par ITP, l’analyse en ligne des rapports isotopiques entre lan-
pas de surpression et l’application ou l’absence de courant élec- thanides par couplage avec la spectrométrie de masse à
trique dans les branches d’un réseau de canaux permet de réaliser multicollection en boîte à gants avec un gain en sensibilité d’un
des opérations complexes d’injection, de dilution ou de tri de facteur 100 à partir d’un échantillon de 20 ng. Ces résultats sont à
nano-volumes avec une très grande précision du fait de l’absence comparer avec le protocole classique réalisé par HPLC à partir
de volumes morts additionnels comme le ferait une valve. Néan- d’un échantillon de 2 μg.
moins, la mobilité électrophorétique propre à chaque espèce char-
gée induit un biais à l’injection avec un enrichissement en
analytes d’autant plus important que l’espèce sera mobile. Ce 2.1.2 Chromatographie liquide et extraction
biais augmente avec le volume d’injection. Pour cette raison l’uti- en phase solide
lisation de l’injection électrocinétique devra se limiter à des
volumes très réduits (quelques nanolitres). Le premier système séparatif miniaturisé, décrit en 1979 [11],
était un appareil de chromatographie en phase gazeuse pour
Les systèmes électrophorétiques microfluidiques contiennent l’analyse de l’air. La miniaturisation de la chromatographie liquide
généralement deux canaux qui se croisent, reliant quatre réser- a été globalement moins rapide que celle des systèmes de chro-
voirs contenant le tampon ou l’échantillon (figure 1). Les réser- matographie gaz ou d’électrophorèse capillaire pour lesquelles le
voirs (de 5 à 10 μL) peuvent faire partie de la puce ou être transport des fluides était plus aisé [12] mais a gagné en popula-
ajoutés plus tard, parfois en utilisant des ports disponibles dans rité depuis l’an 2000. Avec la « chip LC-MS », la société Agilent
le commerce. La manipulation du champ électrique permet le Technologies a abordé la fabrication de laboratoires sur puce
chargement de l’échantillon dans la zone d’intersection en comme un simple transfert technologique d’échelle, depuis les
amont de la séparation électrophorétique [6]. L’électrophorèse colonnes chromatographiques usuelles (diamètre interne de
peut être exécutée de façon beaucoup plus efficace en disposi- 4,6 mm) vers des microcanaux de quelques centaines de microns
tifs microfluidiques, car la dissipation de la chaleur est meilleure et moins, en intégrant des phases stationnaires particulaires au
au format de la puce qu’au format capillaire, et la boucle d’injec- sein de microcanaux. En plus de la colonne de séparation, le dis-
tion intégrée est beaucoup plus courte. Ainsi, un champ élec- positif inclut une boucle d’injection [13]. Ce dispositif a permis
trique plus intense peut être appliqué sur une distance de d’améliorer considérablement la robustesse de l’instrumentation,
séparation beaucoup plus courte ce qui accélère la séparation sa facilité d’utilisation et la réduction des risques de fuites. Pour
électrophorétique. Toutefois, la séparation est limitée à des ce qui est des performances, l’intégration d’une partie de l’injec-
espèces chargées et à des milieux dont la charge saline est infé- teur dans le microsystème minimise les phénomènes de disper-

6
rieure à 0,1 mol.L–1. sion externe et améliore les séparations [14]. La société Eksigent a
Autre avantage de la microfluidique, la création de réseaux de adopté la même démarche pour sa puce cHiPLC. À ce jour, aucun
canaux interconnectés sans volume mort permet de prévoir sur dispositif commercial dédié à la séparation de métaux ou de
un même dispositif l’analyse de composés cationique et anio- radioéléments n’a été développé. En dépit de ces différences, les
nique migrant pourtant en sens opposés. Le principe consiste à deux développements s’appuient sur le couplage de la puce avec
injecter l’échantillon au centre du canal de séparation. En l’instrument contenant les valves et les pompes pour une manipu-
l’absence de flux électro-osmotique, les ions migreront selon le lation fluidique.
sens de polarité imposé par les électrodes : anions vers l’anode, Au niveau des laboratoires de recherche, les systèmes d’extrac-
cations vers la cathode. L’intégration d’un module de détection à tion en phase solide (solid phase extraction (SPE)) au format
l’extrémité de chaque canal permet une analyse en une seule miniature sont principalement des microcolonnes monolithiques
injection des cations et anions de l’échantillon [9]. ou particulaires respectivement synthétisées ou insérées en capil-
L’isotachophorèse (ITP) permet de séparer des éléments aux laires ou en microcanaux. Les phases stationnaires monolithiques,
propriétés physico-chimiques semblables en s’appuyant sur la
discrimination des éléments en fonction de leur mobilité appa-
rente. On peut citer la première séparation en microsystème des 2 300
14 lanthanides contenus dans un échantillon de combustible 1 : La 8 : Tb
nucléaire [10] (figure 2) dont les mobilités électrophorétiques dif- 2 100 2 : Ce 9 : Dy
3 : Pr 10 : Ho
Signal conductimétrique [mV]

1 900 4 : Nd 11 : Er
5 : Sm 12 : Tm
1 700 6 : Eu 13 : Yb
7 : Gd 14 : Lu
1 500
Réservoirs
1 300 1
2
3 4 14
1 100
5 13
6 7
900 8
9 10
11 12
700

500
55 57 59 61 63 65 67 69
Temps [min]

Figure 2 – Séparation par ITP d’un mélange des 14 lanthanides à


Figure 1 – Exemple de système électrophorétique microfluidique 20 ng chacun

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___________________________________________________________________________________________ LABORATOIRES SUR PUCE DÉDIÉS À LA CHIMIE

à base organique ou silice, synthétisées in situ et de façon locali- ler délicat. En outre, l’obtention de résolutions satisfaisantes en
sée dans un microcanal se sont fortement développées par rap- chromatographie en phase liquide reste difficile à obtenir sur des
port au remplissage de particules [15]. Elles allient en effet une petites dimensions de séparation.
bonne résistance mécanique grâce à l’ancrage covalent aux parois
des microcanaux, un bon contrôle de la porosité et de la perméa-
bilité, et de larges possibilités de fonctionnalisation chimique. Par 2.1.3 Systèmes d’extraction liquide-liquide
exemple, la séparation des éléments Mn(II), Co(II), Ni(II), Zn(II),
Cd(II), Cu(II) a été réalisée dans des capillaires de silice remplis L’extraction liquide-liquide a été développée par les industries
par un copolymère monolithique lauryl méthacrylate (LMA)-éthy- nucléaires et pharmaceutiques à partir des années 1940 puis par
lène diméthacrylate (EDMA) fonctionnalisé par le vinyle azlactone, l’industrie pétrochimique dans les années 1955 et enfin par
suivie par une immobilisation de l’acide iminodiacétique (IDA) l’hydrométallurgie à partir des années 1960. Cette technique de
[16]. Cette approche a été appliquée à la conception d’un système séparation trouve des applications dans différents domaines :
séparatif dédié à la séparation uranium, plutonium, produits de séparation de composés avec des températures d’ébullition
fission en milieu acide chlorhydrique concentré. Des monolithes proches, séparation de composés thermosensibles, purification de
polyméthacrylates, fonctionnalisés par liaison covalente [17] ou solutions diluées, séparation d’éléments ayant des propriétés
imprégnation [18], ont été synthétisés dans un microsystème dont chimiques semblables, obtention de produits de haute pureté, etc.
la conception s’est inspirée de celles des Labs-on-a-CD qui uti- De plus, cette technique séparative fait intervenir divers domaines
lisent la force centrifuge pour transporter les fluides (figure 3). du génie chimique : thermodynamique, cinétique, hydrodyna-
L’absence de connexion est parfaitement adaptée à l’automatisa- mique, chimie des solvants, émulsions et dispersions bipha-
tion et à la parallélisation des analyses en boîte à gants. Un gain siques, physico-chimie des interfaces, formation de micelles,
de réduction d’un facteur 250 sur le volume des déchets liquides modélisation moléculaire…
générés par l’analyse a été obtenu avec le poly(glycidyl méthacry-
late-co-éthylène diméthacrylate) fonctionnalisé par la triéthyla- Deux voies de miniaturisation de l’extraction liquide-liquide
mine. sont explorées par la communauté scientifique et font toutes les
deux références à la microextraction liquide-liquide. La première
Des phases stationnaires particulaires sont également utilisées. technique n’est pas réalisée en laboratoire sur puce et a été dési-
Un microsystème d’extraction en phase solide pour la séparation gnée par le terme « microextraction en phase liquide » (liquid
d’éléments à l’état de traces dans une matrice chargée en ura- phase microextraction, LPME) depuis 1997 [21]. Cette technique,
nium ou en thorium a été conçu par remplissage d’un microcanal détaillée dans [CHV 1 010] met en contact une microgoutte (de 1 à
avec une résine particulaire commerciale [19]. Le remplissage a 10 μL) de phase organique contenant l’extractant suspendue à la
été réalisé en système ouvert et la phase particulaire est mainte- pointe d’une microseringue et une solution aqueuse contenant
nue en place grâce à la présence de frittés aux deux extrémités du l’analyte sous agitation magnétique (figure 4). Après extraction, la
microcanal. Cette solution a aussi été retenue pour la conception microgoutte est aspirée à l’intérieur de la microseringue pour être

6
d’un microsystème séparatif contenant 12 microcolonnes remplies injectée dans le système de détection [22] [23] [24].
de particules C18 (diamètre 5 μm) [20] couplé avec une mesure
par spectrométrie d’absorption atomique à flamme. La seconde technique est réalisée en microcanaux par une mise
en contact, dans un microcanal, d’une phase aqueuse contenant
La miniaturisation des séparations chromatographiques reste l’analyte et d’une phase organique immiscible contenant un
complexe, pour deux raisons principales : la faible dimension des extractant [25] [26]. Dans ce cas, on parle de microextraction
canaux impose tout d’abord l’application de fortes surpressions, liquide-liquide (µELL) (et non en phase liquide). Sa première appa-
ce qui n’est pas toujours facile à mettre en œuvre, et le remplis- rition dans la littérature date de 2000 [27]. C’est à cette seconde
sage des microcanaux avec des phases stationnaires peut se révé- technique qu’il sera fait référence dans l’ensemble de l’article.

22 cm
Chambre d’injection

Phase stationnaire 7 cm
monolithique

Évent

Réservoir 10 cm
de collecte

a b

Le déplacement des fluides est réalisé grâce à la force centrifuge.

Figure 3 – Microsystème d’extraction chromatographique mis en œuvre sur une plateforme centrifuge pour le déplacement des fluides sans
connectique

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159
6

160
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CHV2226

Laboratoires sur puce dédiés


à la chimie
Conception
par Clarisse MARIET
Ingénieur chercheur
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
Laurent VIO
Ingénieur chercheur
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
Christine DALMAZZONE
Ingénieur de recherche
Direction Physico-Chimie et Mécanique Appliquées,
IFP Énergies nouvelles (IFPEN), Rueil-Malmaison, France
Marie MARSIGLIA
Ingénieur de recherche
Direction Physico-Chimie et Mécanique Appliquées,
IFP Énergies nouvelles (IFPEN), Rueil-Malmaison, France
Axel VANSTEENE
Doctorant
Direction de l’Énergie Nucléaire (DEN), Service d’Études Analytiques et de Réactivité
des Surfaces (SEARS), CEA, Université Paris-Saclay, Gif sur Yvette, France
6
et Emmanuel MIGNARD
Chargé de recherche
CNRS, Université de Bordeaux, Solvay, LOF, UMR 5258, Pessac, France

1. Principe de fonctionnement des laboratoires séparatifs


et méthode de dimensionnement ....................................................... CHV 2 226 - 2
1.1 Systèmes électrocinétiques ....................................................................... — 2
1.2 Systèmes chromatographiques................................................................. — 4
1.3 Systèmes d’extraction liquide-liquide....................................................... — 4
2. Concevoir un laboratoire sur puce pour une application
à la chimie ................................................................................................. — 9
2.1 Fonctions de base ....................................................................................... — 9
2.2 Matériaux..................................................................................................... — 11
2.3 Traitement de surface................................................................................. — 14
2.4 Assemblage et automatisation .................................................................. — 15
3. Conclusion................................................................................................. — 16
4. Glossaire .................................................................................................... — 16
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. CHV 2 226

’article [CHV 2 225], auquel le lecteur est invité à se reporter, expose les


L avantages et les inconvénients des laboratoires sur puce puis dresse l’état
de l’art des microsystèmes développés spécifiquement pour des applications à
la chimie séparative élémentaires (sels, métaux et radionucléides), pour les
Parution : mai 2019

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LABORATOIRES SUR PUCE DÉDIÉS À LA CHIMIE __________________________________________________________________________________________

caractérisations chimiques et physico-chimiques des processus ainsi que pour


l’intensification et l’accélération de la recherche et développement.
Le choix d’un dispositif microfluidique pour la chimie implique la prise en
compte préalable de certaines contraintes comme le choix du ou des maté-
riaux pour la conception des dispositifs et la gestion des fluides dans les
microcanaux : compatibilité chimique, mouillabilité préférentielle aux parois,
perte de charge, temps de mélange et de séjour, gestion d’une fraction solide
(intégration d’un lit fixe ou écoulement d’une suspension par exemple), etc.
C’est pourquoi le présent article est centré sur la description des phénomènes
physico-chimiques et hydrodynamiques qu’il convient de connaître et de maî-
triser pour mettre au point des méthodes de traitements d’échantillons telles
que les techniques électrocinétiques, chromatographiques ou d’extraction
liquide-liquide. Dans un second temps, les différentes briques élémentaires
appartenant à la boite à outils des systèmes microfluidiques seront exposées
afin d’aider le concepteur de procédés à les utiliser de la façon la plus judi-
cieuse. Des exemples de procédés automatisés pour les besoins de l’industrie
pétrolière seront présentés.
Voir aussi les articles [NM 6 020] et [NM 250] du traité Innovation – Nanos-
ciences et nanotechnologies, et [IN 214] et [BM 7 970] du traité Mécanique –
Travail des matériaux – Assemblage.

1. Principe de fonctionnement électrolyte meneur et un électrolyte terminal dont les mobilités


sont respectivement supérieures et inférieures à celle de
des laboratoires séparatifs l’ensemble des espèces chargées du système. Lorsqu’une tension
est appliquée, la séparation des ions se produit dans la région
et méthode
6
comprise entre les électrolytes « meneur » et « terminal »
(figure 1) selon leur mobilité respective. Le suivi en conductivité
de dimensionnement d’une séparation par ITP s’apparente à un signal en forme
« d’escaliers » (figure 1) ou chaque chute de conductivité corres-
pond à une nouvelle bande de soluté purifiée et dont la largeur
Les principes de fonctionnement des séparations et le compor- est proportionnelle à sa quantité massique.
tement hydrodynamique des fluides en systèmes microfluidiques
sont rappelés afin d’éclairer la phase de conception et de dimen- Le premier axe d’optimisation revient à maximiser les diffé-
sionnement des laboratoires sur puce dédiés à la chimie sépara- rences de mobilités entre les bandes de migration en jouant sur la
tive élémentaire. composition de l’électrolyte meneur. Figure 1b, on observe que la
différence de mobilité entre la paire d’ions A/B est supérieure à
celle de la paire B/C ce qui se traduit par des zones de diffusion
1.1 Systèmes électrocinétiques plus étroites pour la paire A/B. La minimisation ou la suppression
du flux électro-osmotique est alors préférable car celui-ci dégrade
1.1.1 Techniques électrocinétiques de séparation les performances de séparation. La réorganisation des analytes se
élémentaire faisant simultanément à la migration globale du contenu du sys-
tème, il convient ensuite d’allonger la longueur du canal de sépa-
Le principe du développement de méthodes en électrophorèse ration suffisamment. La largeur des bandes purifiées et donc la
de zone est exposé dans l’article [P 3 365]. Il consiste à maximiser résolution de séparation augmentent jusqu’à tendre vers un maxi-
les différences de mobilité électrophorétique entre les analytes mum où l’effet de purification associé à une longueur de sépara-
d’intérêt en fonction de leur chimie en solution dans l’électrolyte tion supérieure est annulé par les phénomènes de diffusion aux
support pour aboutir à leur séparation dans un système de lon- interfaces des bandes (figure 2). Dès lors, l’augmentation de la lon-
gueur de séparation donnée. Si l’utilisation de capillaires de silice gueur de séparation n’a plus d’intérêt. Les performances analy-
de plusieurs dizaines de centimètres est classique en électropho- tiques peuvent encore être améliorées en réduisant la section du
rèse de zone, en microfluidique l’espace disponible sur la puce canal de séparation afin de réduire la contribution des zones dif-
est limité et impose l’utilisation de canaux en serpentin ou en spi- fuses aux interfaces des bandes de solutés. Cette solution est
rale. adaptée à l’analyse d’échantillons de faibles teneurs car cette
De façon à réduire la dispersion créée dans les zones courbes, miniaturisation s’accompagne d’une réduction de la capacité de
des rayons de courbures faibles sont préférés aux angles droits chargement du système.
ainsi que des structures en serpentin ayant une largeur des
canaux dans les courbes réduite d’un facteur a minima égal à La dérivée première du profil de séparation en « escalier » per-
deux par rapport à la largeur du canal dans les zones rectilignes met de mettre en évidence les effets de diffusion en ITP et de les
[1]. quantifier par intégration (figure 1b). L’optimisation de l’ensemble
de ces points permet d’obtenir un profil en escalier de concentra-
tions homogènes entre les analytes dont les bandes se succèdent
1.1.1.1 Isotachophorèse
par des transitions franches. Ce profil d’élution est particulière-
L’isotachophorèse (ITP) utilise un système discontinu d’électro- ment adapté à la réalisation de mesures isotopiques des combus-
lytes qui se déplacent à une vitesse fixe (isotacho) dans le capil- tibles nucléaires dans lesquelles la précision des mesures est
laire ou le microcanal. L’échantillon est introduit entre un assurée par la stabilité de l’intensité du signal.

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162
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___________________________________________________________________________________________ LABORATOIRES SUR PUCE DÉDIÉS À LA CHIMIE

M : électrolyte meneur
T : électrolyte terminal

t m
Lsep : longueur de séparation

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A A
+ T C CBB A A A M –
C C C B BA A 1

C C C BB A A
C A
+ T C C C BB A A M –
C A
C C C BB A A 0
Quantité injectée (Qi)
a principe de l’isotachophorèse

Figure 2 – Évolution de la résolution Rs de l’ITP en fonction de la


quantité injectée de l’analyte d’intérêt dans l’échantillon pour un
système de géométrie donnée
Largeur de la bande (Lb)
Le couplage ITP-CZE est principalement indiqué pour l’analyse
Diffusion Diffusion d’échantillon à l’état de traces qui nécessite une séparation spa-

6
tiale des pics. On peut citer l’exemple du couplage développé par
Largeur plateau Kaniansky et al. [2] pour la préconcentration et la séparation de
Signal

(Lp) traces de lanthanides dans les eaux urbaines et de rivière. Le


microsystème utilisé est une jonction en T dont le canal principal
contient l’électrolyte meneur tandis que le second canal (orthogo-
nal au canal principal) contient l’électrolyte terminal. Une cellule
de détection conductimétrique est positionnée sur le canal princi-
pal en amont de la jonction en T. Le courant électrique est appli-
qué entre la zone d’électrolyte terminal, la zone échantillon et
C B B B A enfin la branche principale contenant l’électrolyte meneur. Les
C A analytes vont migrer selon un régime d’ITP vers la jonction en
T. Lorsque ces derniers migrent au-delà de la cellule conductimé-
Temps trique, l’électrode de terre est permutée de la branche contenant
l’électrolyte terminal à la branche du T contenant l’électrolyte
b forme en escalier du signal de conductivité meneur. Ainsi, de l’électrolyte meneur est présent avant et après
le front des bandes séparées. Le système adopte alors un régime
Figure 1 – Illustration du principe de l’isotachophorèse et de la
de migration par électrophorèse. Grâce à la préconcentration par
forme en escalier du signal de conductivité ITP, ce système permet d’atteindre un gain en limite de détection
d’un à deux ordres de grandeur par rapport à une séparation
purement CZE.
Dans le cas d’échantillons présentant à la fois des analytes En capillaire, la difficulté de ces couplages réside dans le change-
d’intérêt à forte teneur et à l’état de traces, la quantité minimale ment des électrolytes à l’issue de la phase de réorganisation de
d’échantillon à injecter pour permettre la formation d’une bande l’échantillon sans générer de volumes de dispersion. En revanche, en
pour l’analyte peu concentré peut conduire à des systèmes com- microsystème, l’absence de volume mort dans les réseaux de
plexes et peu efficaces. Dans ce cas, la combinaison de l’ITP avec canaux, combiné à un pilotage adéquat des électrodes, est favorable
l’électrophorèse de zone (CZE) est recommandée. au couplage.

1.1.1.2 Couplage isotachophorèse et électrophorèse


de zone pour l’analyse élémentaire 1.1.2 Gestion des fluides
La composition de l’électrolyte meneur en ITP est généralement Pour garantir la représentativité d’un échantillon, il est néces-
compatible avec une séparation par électrophorèse de zone ce qui saire de prévoir un temps d’homogénéisation correspondant à
facilite le couplage des deux méthodes. La séparation par ITP pré- l’obtention d’un régime stationnaire de migration de ces entités
concentre les analytes en bandes successives. Le passage en CZE avant leur séparation. Des géométries en croix, double T ou multi-
par l’échange de l’électrolyte terminal par l’électrolyte meneur ple T associées à une séquence de polarisation d’électrodes per-
conduit à la perte du régime ITP et les effets de diffusion non mettent de couvrir une gamme de volumes d’injection allant de la
compensés en CZE vont progressivement aboutir à la formation fraction de nanolitre à quelques nanolitres [3]. Dans la pratique, le
de pics à la place du signal en escalier. On parle alors de phéno- pilotage de l’injection se fait par polarisation modulée des
mène de « dé-stacking ». branches voisines au canal de migration pour maîtriser les effets

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163
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LABORATOIRES SUR PUCE DÉDIÉS À LA CHIMIE __________________________________________________________________________________________

– la technique de mesure, notamment sa limite de détection qui


impose la quantité de matière minimale à fixer sur la colonne pour
Potentiels normalisés un élément donné ;
0 0,7 0,7 0,7 0 0,7 0,7 0,7 0 – la capacité d’échange de la phase stationnaire.
Considérons le dimensionnement d’une microcolonne mono-
h/ 2 lithique fonctionnalisée ammonium quaternaire adaptée à la sépa-
ration U, Pu, Eu avant analyse par spectrométrie de masse à
h 0,55 0,7 0,7 0,7 0,7 0,55 ionisation thermique (TIMS) (figure 4) [7], le volume d’échantillon
à injecter est calculé à partir d’une contrainte imposée par les ana-
lyses isotopiques par spectrométrie de masse TIMS : la quantité
1 1 1 minimale d’élément X analysable, nTIMS(X).
Cette quantité a été déterminée au laboratoire pour chaque élé-
L/ 2
ment (tableau 1) en fonction de l’appareillage utilisé et au volume
L à injecter, Vinj, pour un échantillon de combustible au volume à
injecter :
Profils fluidiques

(1)

avec nTIMS(X) la quantité minimale nécessaire à l’analyse


isotopique par TIMS pour l’élément X,
[X]échantillon la concentration de l’élément X dans
l’échantillon de combustible.
Le volume d’injection minimal a été fixé à 20,08 μL en considé-
rant l’élément nécessitant le volume le plus élevé, ici l’europium.
Figure 3 – Illustration du principe d’injection électrocinétique en Cela représente une quantité d’europium égale à 26 μmol. Or cette
microsystème (inspirée de [5])
microcolonne présente une capacité d’échange égale à 0,109 μmol
d’analyte par microlitre de monolithe (soit 327 μmol.g–1 de mono-
de diffusion électrostatique. Les niveaux de polarisation sont défi- lithe). Pour que l’europium n’excède pas 10 % de la capacité
nis selon la loi des mailles de Kirchhoff en lien avec les caractéris- d’échange disponible dans la colonne, il faut 2,5 μL de monolithe
tiques géométriques du dispositif microfluidique. La figure 3 fonctionnalisé.

6
illustre ce principe en donnant les ratios de potentiels à appliquer Le moule utilisé pour la réplication du microsystème ayant un côté
pour guider le fluide dans un canal particulier et limiter les effets de 7 cm, une longueur maximale de colonne de 2,5 cm a été fixée
de diffusion dans les canaux adjacents pour des canaux de sec- afin de laisser de la place pour la création des réservoirs d’injection
tion équivalente et de longueurs données par rapport au canal et de collection. Par conséquent les dimensions de la microcolonne
central contenant le fluide en mouvement électrocinétique. À ont été fixées égales à 25 mm × 0,2 mm × 0,5 μm = L × h × l.
l’image de la phase d’injection ce principe de gestion de l’électro-
migration peut être adapté pour isoler des fractions d’intérêts en
aval du canal de séparation sans modifier la séparation [4]. 1.3 Systèmes d’extraction liquide-liquide
Dans le cas de volumes plus importants (100 nL à quelques
microlitres), les méthodes d’injections électrocinétiques ne sont L’extraction liquide-liquide [J 2 760] est une technique de sépa-
pas adaptées. Il convient de privilégier le recours aux modes ration utilisée à l’échelle industrielle dans les domaines de
d’injections hydrodynamiques. l’hydrométallurgie classique, l’industrie nucléaire, la pétrochimie,
l’industrie pharmaceutique ou encore l’industrie agroalimentaire.
Une fois la longueur du microcanal de séparation déterminée expé-
Elle est largement utilisée à l’échelle analytique en hydrométallur-
rimentalement pour une analyse donnée, le reste du microsystème
gie. En pratique, l’utilisation d’un procédé d’extraction liquide-
est adapté pour l’injection des fluides en amont de la séparation. Pour
liquide requiert deux opérations successives (figure 5) :
un mode de transport passif, les dimensions et mouillabilités des
canaux seront ajustées aux fluides à mettre en mouvement. Des val- – une mise en contact intime des deux phases liquides durant un
ves pourront être intégrées si l’on a choisi un mode de transport temps suffisant à l’obtention de l’équilibre ou d’un état proche de
dynamique des fluides afin de piloter les résistances hydrodyna-
miques dans le but de faire varier les volumes d’injection [6].

Tableau 1 – Composition type d’un combustible


1.2 Systèmes chromatographiques UOx usé et calcul du volume minimal à injecter
lors de la séparation U/Pu/Eu en fonction
En chromatographie, la séparation est fondée sur la distribution des quantités minimales analysables en TIMS
des solutés entre deux phases non miscibles : la phase station- pour chaque élément
naire et la phase mobile. La phase mobile tend à entraîner les
espèces à séparer lors de son écoulement et la phase stationnaire Concentration nTIMS(X) Vinj
Élément
tend à les retarder, d’autant plus fortement que les interactions [mg.L–1] [ng] [μL]
mises en jeu sont plus nombreuses et énergétiques.
Uranium 631,3 100* 0,158
Le dimensionnement d’une microcolonne chromatographique
intégrée dans un système microfluidique tient compte de :
Plutonium 8,9 100* 11,25
– l’encombrement total du microsystème qui doit contenir la
microcolonne, des réservoirs, des valves, etc. La taille de celui-ci Europium 0,2 5* 20,08
doit être compatible avec la technique d’analyse en aval ;
– la méthode de microfabrication ; * Valeurs estimées au LANIE [8]
– l’échantillon à analyser (la concentration des éléments) ;

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