Dossier Réduction des risques en addictologie

Rôle infirmier et réduction

des risques pour usagers
de drogues
Yann Denize L'association Ithaque est un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des
Infirmier risques pour usagers de drogues (Caarud). Elle accueille toute personne “débordée” par
Sophie Humbert une pratique addictive en vue de la soutenir dans la démarche de soins qu'elle souhaite
Infirmière entreprendre. Les infirmiers jouent un rôle clé tout au long du parcours de l'usager.
Adrien Laborde © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Infirmier Mots clés - addictologie ; bienveillance ; centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques
Aurélie Kreiss pour usagers de drogues ; prévention ; risque
Chef de service

Gauthier Waeckerlé* Nursing role and risk reduction for drug users. The Ithaque association is a drop-in and
Directeur risk reduction centre for drug users. It caters for anyone ‘overwhelmed’ by an addiction
22 Association Ithaque, with a view to supporting them in the treatment approach they wish to undertake.
12, rue Kuhn, Nurses play a key role throughout the user’s care pathway.
67000 Strasbourg, France © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved
Keywords - addictology; compassion; drop-in and risk reduction centre for drug users; prevention

L e champ d’intervention des infirmiers en individu afin de répondre au mieux à ses demandes
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail :
g.waeckerle@ithaque-asso.fr
(G. Waeckerlé).
centre d'accueil et d'accompagnement à et ses besoins. L'accueil et le premier contact sont
la réduction des risques pour usagers de essentiels à la confiance qui peut s'établir entre
drogues (Caarud) et en salle de consommation à l'usager et les professionnels. Aussi ces lieux garantis-
moindre risque (SCMR) est très étendu : accueil, sent-ils l'anonymat et la gratuité à chaque personne.
orientation, soin somatique et soutien psychique.   Leurs missions sont d’entrer en contact avec les
La prévention est ici le cœur de métier, qu'il s'agisse usagers, de les accueillir là où ils sont et là où ils en
de la prévention de nouvelles contaminations par le sont avec leurs pratiques et leurs addictions, et de
virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et contribuer à l'apaisement du climat
des hépatites, de celle des risques infec- social environnant lorsque cela
tieux et des décès par surdosage. est nécessaire. Les détracteurs
Pour promouvoir le dépistage,
Au centre d'accueil (peu nombreux) ont coutume
limiter les overdoses ou encore et d'accompagnement, de dire que ce sont ces dispo-
accompagner la personne vers la prévention est sitifs qui attirent et amènent
une diminution de ses consom- le cœur de métier les usagers dans un territoire
mations, un panel d'outils est à donné ; la réalité est diamétrale-
la disposition des soignants. ment opposée : ces dispositifs s'instal-
Afin de remplir aux mieux ces mis- lent là où se trouvent les consommateurs.
sions, les infirmiers de l’association Ithaque [1], sont   Le travail de médiation avec l'environnement
formés à l'utilisation de Fibroscan®1, de tests rapides immédiat est majeur. Il s'agit de déconstruire les
à orientation diagnostique2, mais également à l'Aerli3 représentations et de dialoguer afin d'éviter les
et délivrent des kits de naloxone aux usagers les plus conflits d'occupation de l'espace public qui pour-
à risque de faire une overdose d'opiacés. raient naître. Les hommes et les femmes qui fré-
quentent ces lieux viennent partager, avec les
La singularité des personnes professionnels, leur manière de consommer, leur
accueillies savoir, leurs émotions, une partie de leur vie, de leur
  La diversité des Caarud vise à prendre en histoire afin d'élaborer des idées, des projets et des
compte la singularité biopsychosociale de chaque solutions pour avancer. Ceux qui poussent la porte,

© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.revinf.2017.11.004 La revue de l’infirmière ● Janvier 2018 ● n° 237

© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 09/11/2021 par Universite d'Aix-Marseille - (28145). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
 Réduction des risques en addictologie Dossier

qui se rendent visibles, sont issus de toutes origines

sociales ; mais les personnes les plus éloignées des
soins et des dispositifs, les plus marginalisées sont
l'une des priorités de l'association Ithaque.

L’infirmier, un acteur central

  L'infirmier joue un rôle clé dans ce dispositif,
car au-delà de l’accueil des usagers, l'activité se
partage entre la bienveillance dans l'écoute, la déli-
vrance des traitements, l'attention portée à la façon
de consommer, la remise de matériel de réduction
des risques, l'organisation de la prise en soins des
maladies. Il nous semble important de développer la © BSIP/Amélie Benoist
réflexion autour de la clinique de l'usager en prenant
en compte l'aspect médical, social et psychologique.
  Cette construction réflexive est adaptable en
tous lieux. Penser qu’il existe un profil particulier Un Caarud met à disposition du matériel de réduction des risques,
pour occuper un poste infirmier dans les lieux de un soutien dans l'accès aux soins, une aide à l’hygiène, une médiation
sociale et propose un soutien dans l’accès aux droits.
réduction des risques serait faux. Cependant, la
fonction infirmière demande des qualités humaines 23
et professionnelles qui laissent place à l'empathie, de présenter la structure et ce qu'elle propose. Pas
mais aussi à une certaine façon d'assurer le fonc- besoin de carte d'identité ou de sécurité sociale, Notes
1
Fibroscan® : appareil permettant
tionnement de ces lieux. d'attestation de quelque genre que ce soit ; ici l'ac- d'évaluer la fibrose hépatique.
2
Trod : tests rapides à orientation
  Les infirmiers qui composent notre équipe cueil est anonyme, gratuit, sans aucune autre condi- diagnostique permettant le
sont issus de différentes formations, ce qui favo- tion que celle d'être usager de drogues. Ensemble, dépistage du VIH, VHB et VHC
avec un prélèvement capillaire
rise la diversité des approches dans le suivi clinique intervenant et usager font le point. et une réponse sous 20 minutes.
des personnes accueillies. Être infirmier à Ithaque Le résultat, si positif, doit être
confirmé par une prise de sang.
demande de la vigilance dans la surveillance des L’espace d’accueil 3
Aerli : accompagnement
et éducation aux risques liés
fonctions vitales, mais aussi une connaissance accrue   Si la personne le souhaite, elle peut ensuite à l'injection. Ce programme
dans l'observation des signes de consommation. accéder à "l’espace d’accueil”, habité de la même se compose de séances de
supervision et d'accompagnement
Au-delà de cette question, nous accueillons toutes manière dans le Caarud ou la SCMR : un espace spécifiques durant lesquelles
un intervenant et un usager
les pathologies somatiques et psychiatriques. collectif offrant petite restauration, accès à internet, volontaire réfléchissent ensemble
  Enfin, en plus de l'activité paramédicale, les une bibliothèque proposant une documentation à une amélioration possible de la
pratique de ce dernier.
infirmiers valorisent l'identité des usagers, l'indivi- variée (information sur les dépistages, les traite-
dualisation des accompagnements et créent l'ac- ments de substitution aux opiacés, les différents
croche pour l'entrée en soins. Ils sont, à ce titre, des produits et leurs effets). Un intervenant, infirmier
acteurs centraux de l'équipe pluridisciplinaire dont ou travailleur social, est toujours présent sur ce lieu.
ils font partie.   Outil de contact, cet espace permet aux usa-
gers et aux intervenants d'échanger autour de
L’enjeu du premier accueil thèmes variés, de se rencontrer, de créer du lien. Un
  Tout commence lors du premier accueil, et lien de confiance qui permettra qu'untel montre
pour parler du rôle des infirmiers au sein d'un l'abcès qu'il a à la jambe ou qu'un autre ose parler
Caarud et d’une SCMR, il faut d’abord évoquer les de son histoire. Ici, l'écoute tient une place fonda-
personnes qui bénéficient de ces lieux. Ou plutôt, mentale et il est courant que les échanges donnent
de ce qu'implique, pour eux, le fait de pénétrer dans lieu à un entretien individuel dans un bureau ou en
une telle structure. Car il s’agit d’oser exposer sa pra- salle de soins.
tique à autrui, une pratique intime, parfois secrète.
C'est pourquoi le premier accueil est fondamental. L’espace “programme d'échange
  À Ithaque, le parti pris est de rencontrer de seringues”
chaque personne franchissant la porte pour la   Afin de permettre aux usagers de drogues de
première fois lors d’un entretien d’accueil. Dans la réduire les risques liés à leur pratique, du matériel
discrétion d'un bureau, intervenant et usager se stérile à usage unique et personnel leur est délivré
rencontrent afin de se connaître, mais également dans un espace appelé "programme d'échange de

La revue de l’infirmière ● Janvier 2018 ● n° 237

© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 09/11/2021 par Universite d'Aix-Marseille - (28145). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
 Dossier
Référence
[1] www.ithaque-asso.fr
24
Remerciements
Les auteurs remercient les
infimier(e)s Ève Fuchs, Hélène
Niva, Anne-Sophie Koch,
Amélie Schilling et Axel
Beauxerois.
Déclaration de liens d'intérêts
Les auteurs déclarent ne pas
avoir de liens d’intérêts.
© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 09/11/2021 par Universite d'Aix-Marseille - (28145). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
Réduction des risques en addictologie
seringues”. Qu’il se situe dans un bureau ou un
espace ouvert, dans un Caarud ou une SCMR, il
est le lieu où usagers et intervenants se retrouvent
autour du matériel de réduction des risques : serin-
gues serties ou non, aiguilles, garrots, lingettes de
désinfection, récupérateur de seringues (Dasri), mais
aussi carnet de pailles à usage unique et aluminium
non traité.
  Tout le matériel stérile, à usage unique et per-
sonnel, nécessaire à la préparation, l'injection ou
l'inhalation de substances y est délivré. Il ne s'agit là
ni de distribution ni de dispensation, mais bien d'un
entretien au cours duquel l'intervenant en réduc-
tion des risques et l'usager vont définir ensemble le
matériel le plus adapté à la pratique de ce dernier :
ici, chacun apprend du savoir de l’autre.
  En tant qu’infirmiers, on peut avoir une repré-
sentation très protocolaire de ce que doit être une
injection, mais il est important de laisser la place à
l'usager et à sa pratique, d'essayer de comprendre
pourquoi il procède de cette manière, quelles sont
les conditions dans lesquelles il injecte. Il s'agit là
d'allers-retours entre le savoir scientifique et théo-
rique de l'intervenant et le savoir expert (au sens
expert de sa pratique) de l'usager.
  Au cours de cet entretien, l'intervenant va pou-
voir prendre la mesure des connaissances de l'usager
et les compléter si besoin avec des conseils adaptés
à la pratique, aux ressources, au contexte de vie et
de consommation de ce dernier.
L’espace de consommation
  L’espace de consommation, propre aux SCMR,
est un espace d’exception. C’est le seul endroit en
France où la consommation de produits stupéfiants
est autorisée avec du matériel délivré sur place, et il
s'agit également du seul espace (au sein d’un Caarud
et d’une SCMR) où la présence de l'infirmier est une
obligation légale. Dans cet endroit, les usagers sont
accueillis collectivement par deux intervenants (un
infirmier et un éducateur, ou deux infirmiers).
  Les intervenants offrent ici une présence bien-
veillante, apportant conseils et soutien lors de la
préparation et de la consommation, et observent
sans trop interférer, à moins qu’ils n’estiment que
la personne prend un risque trop important pour
elle-même (par exemple, injection dans le mauvais
sens). Ils doivent pouvoir repérer d'éventuels signes
de surdosage et intervenir le cas échéant.
  Ils garantissent également un espace de
consommation propre (désinfection des postes
entre deux passages). C'est en salle de consomma-
tion que le travail des infirmiers est le plus spécifique,
de l'accompagnement à l'injection (repérer une
veine, aider à poser un garrot), à la surveillance
des points d'injection et la gestion des situations
d’urgence.
  Une fois que l'usager a terminé sa consomma-
tion, qu'il a nettoyé son poste et éliminé convenable-
ment son matériel, il peut, s’il le souhaite, s’installer
dans la salle de repos attenante. Un membre de
l'équipe est en charge de cet espace où se pratiquent
écoute, réassurance et accompagnement dans la
gestion des angoisses notamment.
La prévention des risques
et des dommages
Outre l'objectif de mieux répondre aux besoins
des usagers, une dimension importante de santé
publique entre en compte dans ce dispositif. Grâce
à la mise en place de traitements de substitution et
la mise à disposition de matériel, le nombre d'over-
doses aux opiacés a en effet très largement dimi-
nué, tout comme les contaminations par le VIH et
celles par l'hépatite C. Cette politique permet ainsi
l'amélioration des conditions sanitaires et sociales
des usagers.
La connaissance de leur statut sérologique est aussi
l'un des axes de nos interventions, en mettant à
disposition des tests rapides d’orientation diagnos-
tique VIH 1 et 2, VHB, VHC, et un Fibroscan®, ces
outils complémentaires au dépistage permettant
de repérer les éventuelles contaminations et les
maladies chroniques du foie.
Un accès aux droits et aux soins
Les différents espaces et outils cités plus haut sont
un support à la relation permettant d'orienter au
plus juste les usagers et de favoriser l'accès aux droits
et aux soins. Les consommateurs peuvent ainsi être
orientés vers un travailleur social, un psychologue ou
un médecin de la structure, qu'il s'agisse d'un rendez-
vous programmé ou d'une rencontre spontanée.
L'orientation se fait aussi vers l'extérieur, toujours
avec l'accord et en présence de la personne. Ce
travail, en premier lieu avec les usagers puis vers
l'extérieur, est pensé comme un soutien à l'accès
aux soins. Ainsi, Caarud et SCMR sont un maillon
supplémentaire permettant de faire lien entre les
consommateurs de drogues les plus précaires et
les plus isolés et les services sanitaires et sociaux
appropriés.  •
La revue de l’infirmière ● Janvier 2018 ● n° 237