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P. Bodenmann INTRODUCTION
I. Rossi Dans sa pratique, le médecin est souvent amené à informer son
patient du risque de certaines maladies dans le cadre d’une re-
J. Cornuz lation empathique et motivationnelle. Il s’agit alors de prendre
en compte la perception qu’a le patient des risques liés à ses
Dr Patrick Bodenmann
et Pr Jacques Cornuz comportements.1
PMU, 1011 Lausanne La perception du risque peut être définie comme le processus
patrick.bodenmann@hospvd.ch
jacques.cornuz@hospvd.ch
par lequel un individu ou un groupe d’individus comprend et
donne un sens à une menace ou à un danger.2 Bien que cons-
Pr Ilario Rossi
Faculté des sciences sociales
cients de l’interdépendance entre les thèmes de la perception
et politiques et de la communication du risque, l’intérêt porté à la percep-
Université de Lausanne tion du patient étant un pré-requis pour améliorer la pratique
1015 Lausanne
ilario.rossi@unil.ch de la communication du risque par le médecin, nous nous
intéresserons dans cet article essentiellement au concept de
la perception du risque.
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faible. Un risque involontaire, «exotique», dont l’impact est A partir de ces réflexions sur la perception du risque en
direct, non familier ou d’origine humaine sera perçu comme général et sur la perception du risque lié au tabagisme en
plus important (tableau 1).12 Les possibilités de contrôle particulier, il s’avère intéressant d’illustrer quelques aspects
du risque ainsi que la peur générée par celui-ci en influen- plus spécifiques de la perception du risque lié au tabagisme
cent également sa perception.13 Le tabagisme actif est un dans la pratique clinique à l’aide d’une vignette.
risque considéré comme volontaire, contrôlable, et ne géné-
rant que peu de peur,14 donc perçu comme un risque faible.
L’HISTOIRE D’UN PATIENT
Tableau 1.Typologie de la perception du risque Il s’agit d’un patient de 53 ans, d’origine bosniaque,
(Adapté de Aako E.12).
en Suisse depuis vingt ans, parlant et comprenant bien
Risque faiblement perçu Risque fortement perçu le français, fumeur de longue date, qui consulte la con-
sultation de tabacologie de la Policlinique médicale uni-
Volontaire : tabagisme actif Involontaire : tabagisme passif versitaire de Lausanne. Bien que traité pour un carcinome
«Domestique» : borréliose «Exotique» : virus de Chikungunya anaplasique à petites cellules depuis plusieurs mois
Généralisé : terrorisme Direct : pluies diluviennes hiver 2005
(lobectomie, radiothérapie), ce patient à très forte dé-
pendance nicotinique se trouve toujours à un stade de
Familier : poussière de maison Non familier : grippe aviaire
contemplation sans plan précis pour un arrêt de sa con-
D’origine naturelle : uranium D’origine humaine : radiation nucléaire sommation tabagique dans les mois à venir. Après 45
minutes d’entretien, le médecin se sent démuni, le pa-
tient ne semblant pas percevoir le risque de son taba-
également souligner que les individus présentent des carac-
Hormis les caractéristiques propres aux risques, il faut
gisme et notamment le très probable lien entre son
téristiques psychologiques favorisant ou non la prise de risques.
tabagisme et sa pathologie oncologique pulmonaire. Les
questions que le médecin peut alors se poser sont les
(risk seeking), alors que d’autres refusent d’en prendre (risk
Certaines personnes sont disposées à prendre des risques
suivantes.
averse) ; entre deux, les personnes sont considérées comme
risk neutral.15 De plus, il a été constaté que l’individu se Quels sont les facteurs pouvant influencer
considère souvent comme étant moins à risque que les la perception du risque lié au tabagisme chez
autres personnes face au même danger ; ce phénomène ce patient ?
est décrit sous différentes formulations: «biais d’optimisme», Aux facteurs communs influençant la perception des ris-
«optimisme non réaliste» ou «syndrome d’invulnérabilité». ques (décrits ci-dessus) peuvent s’ajouter certains facteurs
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formation précise sur les risques du tabagisme.25 Pour les
à l’absence d’activité professionnelle, un moyen lui per-
patients migrants, le processus de migration forcée (qui
mettant de s’affirmer comme homme «patriarche» res-
favorise l’habitus tabagique), le degré d’intégration (avec
ponsable de la famille et une anxiolyse par rapport à
acquisition progressive des comportements à risque du
l’incertitude de sa maladie oncologique.
pays hôte) et la génération d’immigrants à laquelle appar-
tient le patient migrant (avec un facteur protecteur de la part
des aînés non fumeurs), sont les paramètres qui peuvent Comment intégrer ces informations sur la
influencer la perception du risque lié au tabagisme. perception du risque lié au tabagisme aux
autres données tabacologiques du patient ?
Notre patient, fumeur actif de longue date, bosniaque
Dans le dossier du patient, ces différentes informations
et musulman n’ayant pas pu finir sa scolarité obligatoire
sur la perception du risque (et des bénéfices) pourraient
en raison d’un processus de migration forcée, et «patriar-
compléter celles concernant l’évaluation de la dépendance
che» au sein de sa famille, présente plusieurs facteurs
nicotinique et des stades de changement selon Prochaska
pouvant affecter sa perception du risque lié au tabagisme
et Di Clemente. Si la perception du risque lié au tabagisme
dont le médecin devra tenir compte. Ainsi, il ne sera
est imprécise (habituellement dans le sens d’une sous-
pas aisé de communiquer à ce patient le bénéfice d’un
évaluation), il semble essentiel que le médecin informe
arrêt du tabagisme même en présence d’une néoplasie
précisément, de manière compréhensible et personnalisée
alors que le bénéfice a été abondamment décrit dans
son patient à partir de sources d’informations didactiques
la littérature.26
et mises à jour régulièrement.30 Ainsi l’intervention réalisée
dans le cadre d’un entretien motivationnel31 serait plus
Comment évaluer la perception du risque adaptée à ce qu’attend et souhaite le patient, et la com-
chez ce patient ? munication du risque personnalisée aurait comme objectif
Selon Weinstein,27 il est indispensable de s’intéresser
et le médecin (shared decision making).32
d’aboutir à terme à une décision partagée entre le patient
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cation du risque efficace dans le contexte du counselling. De
est perçu par le patient est un pré-requis à une communi-
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re collectif d’autre part. Ceci soulève un certain nombre de le risque et sa perception ne sont pas des notions simples
questions éthiques, dont les enjeux s’inscrivent «dans une et objectives: même réduites à celle d’un pourcentage, elles
dialectique entre interventionnisme bienveillant et respon- se prêtent à des interprétations variées et, dans une logique
sabilisation citoyenne, entre paternalisme étatique protec- d’offre et de demande, parfois divergentes. Dans cette
teur et solidarité citoyenne, entre devoir d’intervention et perspective, un facteur important pour comprendre cette
respect des attentes de la population».40 Ainsi, le chemi- variabilité est la qualité de l’information communiquée aux
nement individuel est au cœur d’un destin collectif. Les personnes concernées.45 Ces interprétations tiennent aux
interrogations et les stratégies d’intervention évoquées spécificités et aux capacités de communication de chaque
dans la vignette clinique qui précède font état de cette médecin, à l'organisation du système de soin et/ou à leurs
problématique. valeurs respectives.46
En ce sens, au sein d’une société, différents groupes so-
ciaux ou catégories de populations interprètent différem-
ment le même risque : certains ont des attitudes de déni, CONCLUSION
d’autres de défi. Tous inscrivent le risque dans des logi- Tout médecin devrait s’intéresser à la perception que le
ques qui leur sont propres.41 Plus particulièrement, la cons- patient a du risque, notamment en vue de devenir un meil-
truction du savoir lié à la perception du risque se réfère à leur «communicateur du risque». La perception du risque
un mélange de connaissances d’origines respectivement – concept complexe – regroupe à la fois une démarche
professionnelles – qui découlent des modèles explicatifs analytique et rationnelle mais aussi affective et intuitive.
de la médecine et sont transmis par les cliniciens mais Ce concept est multidéterminé ; son évaluation devrait se
aussi par les médias – non professionnelles – en lien avec faire au travers de différentes questions permettant d’éva-
des croyances et des conceptions partagées au quotidien luer les différentes dimensions du risque. La décision abou-
dans les groupes et réseaux sociaux d’appartenance d’un tissant à un changement de comportement n’est pas uni-
individu – et idiosyncrasiques – auxquelles l’individu donne quement déterminée par la perception du risque.
lui-même sens au travers de ses expériences de vie, de
santé et de maladie.42 Ce qui signifie que, pour ceux qui y Implications pratiques
sont soumis, un risque ne prend son sens qu’en y inté-
grant les éventuels bénéfices attendus d’une pratique ou > Tout médecin devrait s’intéresser à la perception du risque
d’un acte et une hiérarchisation parmi d'autres risques qui de son patient, notamment en vue de devenir un meilleur
peuvent être de nature différente.43 «communicateur du risque»
Dans cette perspective, diverses logiques interviennent
pour construire le risque tantôt comme une menace, tantôt
> La perception du risque – concept complexe – regroupe à la
fois une démarche analytique et rationnelle mais aussi affec-
comme un élément maîtrisé par la médecine. Sa perception tive et intuitive
n’est pas exclusivement en lien avec sa valeur scientifique.
Elle s’inscrit aussi dans une lecture étiologique et préven- > Le concept de perception du risque est multidéterminé ; son
tive profane, qui détermine à son tour les usages sociaux évaluation devrait se faire au travers de différentes questions
du risque. Ceux-ci vont de l’ordalie – les comportements à permettant d’évaluer les différentes dimensions du risque
risque comme stratégies d’existence44 – au principe de
> La décision aboutissant à un changement de comportement
précaution et donc de comportements adaptés aux propo- n’est pas uniquement déterminée par la perception du risque
sitions médicales. Cette mise en perspective montre que
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