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Introduction
L’optimisation des colonnes à bulles peut se faire par une approche empirique. Cependant,
cette approche atteint rapidement ses limites et son pouvoir prédictif est faible.
Une approche nettement plus performante pour l’optimisation d’une unité est la création
d’un modèle mathématique [2]. Cette approche, qui offre un pouvoir prédictif beaucoup plus
important, passe par la description et la modélisation mathématique des phénomènes qui y
prennent place, en particulier des transferts de matière entre les phases [4]. Le modèle peut
alors être utilisé pour rechercher les valeurs optimales des paramètres de conception et de
fonctionnement de cette unité.
1 . Introduction 6
Une approche résolument moderne est l’approche dite "multi-échelles". Elle consiste à
prendre en compte, de manière séquencée, les différents phénomènes prenant place aux diffé-
rentes échelles de temps et d’espace et plus particulièrement à leurs interactions entre eux. Le
recours à cette approche est une des tendances actuelles dans l’évolution du génie des procé-
dés pour faire face aux enjeux économiques et environnementaux de demain [5, 6]. L’approche
multi-échelles connaît un succès croissant, ce qui est reflété par le nombre de plus en plus
important de publications dans le domaine du génie chimique [7] ou dans d’autres domaines
(biologie, écologie, physique, . . .) [8].
Dans cette approche, les différentes échelles de longueur auxquelles les phénomènes de
transport prennent place sont modélisées successivement, à partir de la plus petite. Elle permet
de prendre en compte la complexité issue des couplages entre la chimie-physique, les transferts
entre phases et l’hydrodynamique [5].
Les modèles développés selon l’approche multi-échelles sont des outils performants de
conception et d’optimisation des colonnes à bulles. Ils nécessitent néanmoins une compréhen-
sion profonde des phénomènes de transport s’y produisant.
Malheureusement, beaucoup de phénomènes se déroulant en colonnes à bulles sont encore
aujourd’hui mal connus et donc difficiles à décrire, que ce soit à l’échelle d’une bulle ou à
l’échelle des interactions entre bulles.
Parmi ceux-ci, nous avons notamment le couplage entre transfert de matière et réaction
chimique [9, 10].
A l’échelle des bulles, des phénomènes tels que la coalescence des bulles [11, 12, 13], et
la rupture des bulles de grande taille (ayant la forme de calottes sphériques) [12, 14, 15]
prennent place. Les bulles d’un diamètre de quelques millimètres (de forme ellipsoïdale) [16]
ont également une dynamique particulière.
Au niveau des interactions, nous pouvons également citer les phénomènes "collectifs", c’est-
à-dire liés à l’influence des bulles voisines sur les capacités de transfert de matière et de quantité
de mouvement d’une bulle [17], l’interaction entre les mouvements d’ensemble du liquide et
des essaims de bulles à une échelle macroscopique (plus de 10 cm) [18], ainsi que le mélange
de la phase liquide par des bulles de grande taille [19].
De surcroît, si une phase solide est dispersée dans le liquide, cette phase solide peut éga-
lement influencer la coalescence des bulles [20].
Ce travail, réalisé en collaboration avec la société Solvay, porte sur l’étude et la modéli-
sation des phénomènes de transfert de matière entre phases, couplés à des réactions
chimiques, prenant place au sein d’une colonne à bulles de production de bicarbo-
nate de sodium raffiné. Il poursuit une démarche multi-échelles, en allant de l’échelle des
interfaces (échelle microscopique) à l’échelle du réacteur industriel (échelle macroscopique).
L’association, d’une part, d’études sur le réacteur à l’échelle industrielle ou réduite (pilote)
et, d’autre part, des études plus fondamentales sur des dispositifs de laboratoire, permet de
développer une meilleure compréhension du fonctionnement de l’appareil et d’en construire un
modèle mathématique détaillé.
Figure 1.1: Schéma du procédé de production du bicarbonate de soude brut.
1 . Introduction 7
3 + NH3
NH2 COO− + H2 O → HCO− (1.2)
Na+ + HCO−
3 → NaHCO3 ,(s) (1.3)
Ces réactions sont exothermiques et produisent une grande quantité de chaleur, c’est pour-
quoi les colonnes BIB sont équipées de systèmes de refroidissement.
Lorsque la concentration en Na+ et HCO− 3 dépasse une certaine valeur critique, appelée
produit de solubilité, le bicarbonate précipite suivant la réaction (1.3). La suspension obtenue
est filtrée et le bicarbonate de soude brut est obtenu.
Le filtrat est alors mélangé au lait de chaux. Une distillation de ce mélange permet une
régénération du NH3 , qui est ainsi recyclé.
Figure 1.2: Schéma du procédé de production du bicarbonate de soude raffiné.
1 . Introduction 8
Figure 1.4: Représentation de l’évolution de la concentration d’une espèce dans un réacteur piston (à
gauche) et dans un réacteur parfaitement mélangé (à droite).
1 . Introduction 9
au gaz entraîné d’être en partie évacué des jambes. Ce gaz est réintroduit dans la partie centrale
de la colonne quelques mètres plus haut, juste en-dessous du plateau le plus bas.
La sortie de la suspension est située au bas d’une des jambes de recirculation, tandis que
le mélange gazeux N2 -CO2 résiduel est évacué par le sommet de la colonne.
1.3 Objectifs
Malgré leur grande taille et la présence éventuelle de plateaux dans la partie supérieure,
la vitesse de transfert gaz-liquide du CO2 reste l’étape limitante du procédé. En effet, le gaz
en sortie de colonne est encore riche en CO2 (environ la moitié du CO2 est transféré). Bien
Figure 1.5: Diagramme phase du système eau-NaHCO3 -Na2 CO3 et concentrations d’entrée et de
sortie de la colonne BIR [23].
Figure 1.6: Evolution théorique des concentrations en NaHCO3 et en Na2 CO3 dans un réacteur piston
[23].
1 . Introduction 10
que le mélange gazeux sortant de la colonne soit réutilisé, une quantité importante de CO2
est relâchée dans l’atmosphère. Or, la pression écologique sur les émissions de gaz à effet de
serre devient de plus en plus contraignante. En outre, comme mentionné précédemment, la
production de ce CO2 est réalisée par calcination du calcaire. Ce processus, très énergivore,
représente la majeure partie des consommations énergétiques du procédé.
De surcroît, les nouvelles applications du bicarbonate de soude raffiné exigent une amélio-
ration toujours croissante de la pureté et de la granulométrie du produit.
Une meilleure compréhension des phénomènes se déroulant dans la colonne est donc néces-
saire pour avoir une meilleure maîtrise du procédé. Or, la compréhension fine du fonctionnement
de ces colonnes est difficile, essentiellement en raison du couplage entre plusieurs phénomènes
physiques et chimiques complexes : écoulement triphasique et transfert gaz-liquide du CO2
couplé à des réactions chimiques, dont une réaction de précipitation. De plus, les différentes
interactions à petite échelle entre les phases vont déterminer les propriétés macroscopiques et
le fonctionnement global de la colonne.
Les différentes optimisations successives qui ont été apportées aux colonnes BIR l’ont été
de manière essentiellement empirique mais, pour les différentes raisons qui viennent d’être
énoncées, cette approche a atteint aujourd’hui ses limites.
L’objectif appliqué de ce travail consiste donc en l’étude des transferts de matière
au sein des colonnes BIR et la modélisation mathématique de ces colonnes.
Un tel modèle permettrait de déterminer les conditions opératoires nécessaires pour at-
teindre un objectif donné ou de prédire quels seraient les produits de sortie obtenus pour des
conditions opératoires données. En permettant ainsi de réaliser des expériences virtuelles, il
pourrait être utilisé comme outil d’optimisation, afin d’accroître le rendement de production
ou de réduire le coût énergétique de fonctionnement ainsi que la consommation des ressources
et les émissions de CO2 . De plus, il pourrait également servir d’outil de dimensionnement pour
la construction de nouvelles colonnes, en déterminant, par exemple, le nombre optimum de
plateaux.
Cet objectif appliqué est supporté par trois blocs d’étude fondamentale, répartis dans deux
volets, dont les résultats vont alimenter la modélisation macroscopique de la colonne BIR.
Volet 1 : Ce volet est consacré à l’étude du transfert gaz-liquide du CO2 et comprend les
deux blocs suivant :
1. la modélisation du couplage entre les réactions chimiques et le transport du
CO2 en phase liquide par les processus de diffusion et de convection ;
2. l’étude expérimentale du transfert gaz-liquide de CO2 par interférométrie de
Mach-Zehnder.
Une comparaison des résultats expérimentaux avec des simulations des modèles dévelop-
pés dans le premier bloc est également réalisée.
Volet 2 : Ce volet, comprenant le troisième bloc, présente une contribution à l’étude des
cinétiques de précipitation du NaHCO3 . Trois outils sont développés et sont utilisés
de façon combinée sur des mesures expérimentales.
Figure 1.7: Evolution théorique des concentrations en NaHCO3 et en Na2 CO3 dans un réacteur
parfaitement mélangé [23].
Figure 1.8: Evolution approximative des concentrations en NaHCO3 et en Na2 CO3 dans une colonne
BIR [23].
1 . Introduction 11
Le chapitre 2 est consacré au premier bloc de travail, dans lequel sont développés plusieurs
modèles du couplage entre le transfert de matière depuis une bulle de gaz et les réactions
chimiques en phase liquide auxquelles participe le CO2 dans une colonne BIR. Les paramètres
physico-chimiques de ces modèles sont calculés à partir de corrélations trouvées dans la litté-
rature.
Dans un premier temps, des modèles sont développés en utilisant les approches unidi-
mensionnelles (1D) classiquement rencontrées dans la littérature. Ensuite, des modèles plus
complets sont développés en utilisant une approche bidimensionnelle (2D) axisymétrique et
comparés avec les modèles 1D.
De plus, une décomplexification d’un modèle de transport est réalisée dans le but d’une
utilisation dans le modèle de colonne BIR. Une expression simplifiée quantifiant le transfert
bulle-liquide de CO2 est donc développée et comparée aux modèles tenant compte de l’en-
semble des phénomènes.
C’est pourquoi une méthode d’estimation paramétrique est également développée afin
Figure 1.9: Photographie de la cellule expérimentale.
d’identifier les valeurs numériques de ces paramètres physico-chimiques sur base des résul-
tats expérimentaux.
Le troisième bloc est présenté au chapitre 4. Dans ce chapitre, nous apportons une contri-
bution à l’étude des cinétiques de précipitation du NaHCO3 dans un cristallisoir à cuve agitée.
Trois outils sont développés.
Le premier outil est une table de calcul, réalisée avec le logiciel Excel, synthétisant pour
chaque expérience l’ensemble des résultats obtenus. Le second outil est un ensemble de si-
mulations de l’écoulement au sein du cristallisoir par mécanique des fluides numérique (Com-
putational Fluid Dynamics, CFD) pour différentes conditions d’agitation, afin d’obtenir une
caractérisation des propriétés globales et locales de l’écoulement du liquide. Le troisième outil
est une nouvelle méthode d’estimation des cinétiques de germination et de croissance des cris-
taux de NaHCO3 à partir des résultats expérimentaux. Ces cinétiques s’obtiennent sur base
de mesures de masse de cristaux produits dans le cristallisoir à cuve agitée. Ces cristaux sont
répartis par des tamis selon leur taille dans différents intervalles de taille et la masse de cristaux
contenue dans chaque intervalle est mesurée.
Enfin, ces trois outils sont utilisés de façon combinée pour estimer les influences de la
fraction massique de solide et de l’agitation sur la cinétique de germination secondaire du
NaHCO3 à partir des résultats expérimentaux obtenus par Vanessa Gutierrez. L’objectif final
de son travail est d’obtenir des expressions permettant de quantifier le transfert liquide-solide
et de décrire les caractéristiques granulométriques de la phase solide obtenue.
La synthèse de l’ensemble des études est également réalisée dans ce travail, dont le résultat
final est le développement d’un modèle global de colonne BIR. Ce point est développée au
chapitre 5, reprenant l’approche de modélisation en compartiments, validée au cours du travail
précédent [22], regroupant les trois blocs d’études réalisées dans ce travail et les travaux
d’Aurélie Larcy et de Vanessa Gutierrez.
Les équations modélisant les différents phénomènes sont présentées, ainsi que la méthode
utilisée pour résoudre ces équations. Des simulations des équations du modèle sont réalisées
et discutées. Les résultats des simulations sont également comparés à des mesures effectuées
sur une colonne BIR.
La conclusion générale de ce travail, ainsi que les perspectives qui s’en dégagent, dont
quelques pistes d’optimisation du modèle de colonne BIR, sont exposées au chapitre 6.
Un schéma de l’assemblage des blocs de travail et des interactions avec les autres travaux
est présenté à la figure 1.10.