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géographes français
Abstract
Millions of inhabitants living in the mississippian floodplain remain under the threat of the floods. These natural phenomena have
been often worsened by human activities, economic, social and technical choices. How are hazards managed ? Many actors are
acting in order to mitigate the flood problem. A multiscale analysis of people, scopes, strategies and practices will allow us to
draw a "mississipian pattern " of hazard mitigation and emergency management .
Résumé
La population du bassin-versant mississippien reste toujours sous la menace des inondations. Ces aléas naturels ont souvent
été aggravés par les activités humaines, les choix économiques, sociaux et techniques. Comment sont gérés les risques qui en
découlent ? De nombreux acteurs semblent intervenir. Une rapide analyse multiscalaire des acteurs, des domaines
d'intervention, des stratégies et des pratiques permet de cerner un "modèle" original mais encore inachevé mêlant la prévention
des risques et la gestion des catastrophes.
Heude Jacques. Le risque d'inondation, les acteurs et les stratégies de prévention dans le bassin Missouri-Mississippi (Flood
hazard, actors and prevention strategies in the Missouri-Mississipi basin). In: Bulletin de l'Association de géographes français,
82e année, 2005-1 ( mars). Israël-Palestine / Risques naturels et territoires. pp. 96-105;
doi : https://doi.org/10.3406/bagf.2005.2443
https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2005_num_82_1_2443
Missouri-Mississippi
(FLOOD
PREVENTION
IN THE MISSOURI-MISSISSIPI
HAZARD,
STRATEGIES
ACTORS AND BASIN)
Jacques HEUDEk
Les aléas les plus récents -la grande inondation de 1993, les expériences plus
ponctuelles mais répétées de 1997, 2001 et 2002- ont rappelé aux millions
d'habitants riverains du Mississippi et de ses affluents (12 millions vivent dans
la seule vallée du Mississippi) qu'il s'agit là de phénomènes anciens mais
toujours d'actualité et, en ce début de XXIème siècle, d'un risque toujours
récurrent malgré la somme des investissements et des travaux entrepris.
Comment a évolué la politique de prévention des risques ? Les nombreux
intervenants nous imposent une analyse multiscalaire des acteurs, des domaines
d'intervention, des stratégies et des pratiques, qui permet de mieux comprendre
un "modèle" original mais encore inachevé combinant la prévention des risques
et la gestion des crises.
L'immense bassin- versant du système Missouri-Mississippi-Ohio (3,2
millions de kilomètres carrés, presque six fois la France) a toujours connu des
crues et des inondations décalées dans le temps et dans l'espace. Ceci s'explique
par l'irrégularité ou plutôt par la complexité du régime hydrologique du fleuve,
synthèse d'une mosaïque de régimes se succédant du nord au sud ou se
juxtaposant d'est en ouest, comme le rappelle la carte n° 1. Il résulte de cette
grande diversité dans les courbes de variations saisonnière des crues
polygéniques (M. Pardé) parfois "exorbitantes" dont les poussées successives et
les très fortes montées d'eau sont très difficiles à vivre pour les habitants
exposés, et délicates à gérer "en direct" par les autorités, d'où la prise de
conscience assez précoce d'une politique de prévention.
Cet hydrosystème gigantesque et complexe, qui se développe sur 6800 km de
long (de la Front Range des Rocheuses au Golfe du Mexique), a été
profondément modifié par les aménagements humains réalisés pour répondre
aux besoins multiples de la navigation fluviale, de l'agriculture et de
l'urbanisation. Il fut transformé également par les travaux destinés à protéger les
populations et les activités économiques riveraines contre le risque
d'inondation.
Il s'agit donc d'un objet d'étude et d'un exemple très intéressant à plus d'un
titre : le traitement du risque y est relativement ancien ; il concerne un très large
spectre d'acteurs et d'échelles d'intervention (que tente de synthétiser le tableau
n°l ci-dessous), depuis les habitants de Prairie au Chien (Wisconsin) jusqu'aux
décideurs de Washington. En effet, la configuration même du bassin- versant qui
s'épanouit au centre du territoire et qui baigne la moitié des Etats de l'Union a
très tôt obligé les autorités à recourir à l'intervention de l'Etat fédéral.
Avant l'arrivée des Européens, les Amérindiens avaient appris à édifier des
tertres ou tumuli qu'ils utilisaient, entre autres, comme lieux de refuge pour se
protéger de la montée parfois brutale des eaux de crues du Mese sepe (la
"grande eau" en langue algonquine). La première génération de digues fut
érigée au début du XVIIIème siècle (1717-1727). à l'initiative du gouverneur et
de grands propriétaires terriens de Louisiane, alliant la technologie hydraulique
ligérienne et l'exploitation de la main-d'œuvre de prisonniers et d'esclaves. Ces
"levées" de terre ne dépassaient pas 2 m de haut sur quelques kilomètres de
long.
Cependant, c'est seulement avec l'arrivée massive des pionniers de l'Est des
Etats-Unis, à partir de la 2ème moitié du XIXème siècle et surtout après la
guerre de Sécession, que l'artificialisation de l'écosystème mississippien s'est
fortement accrue. Depuis cent vingt cinq ans, la vénérable Commission du
fleuve Mississippi mise en place par le Congrès des Etats-Unis d'Amérique,
gère le budget fédéral destiné aux travaux réalisés par son maître d'œuvre, le
Corps des ingénieurs de l'Armée (l'U.S.A.C.E) dans le but d'améliorer la
circulation fluviale et de "contrôler le fleuve", autrement dit de réduire les effets
des inondations.
Pendant cinquante ans, de 1880 à la fin des années 1920, la technique quasi
exclusive mise en œuvre a été la transformation méthodique du liseré
discontinu des bourrelets de rives et le remplacement des levées locales par un
imposant dispositif de digues (Mississippi Levees System) et de murs maçonnés
(Floodwalls). Cette option technicienne du "toujours plus de levées toujours
plus hautes" corsetant l'écoulement naturel a eu une conséquence catastrophique
lors de l'inondation exceptionnelle de 1927. Les ruptures de digues et les
brèches permirent aux eaux du Bas-Mississippi de retrouver l'immense lit
majeur de la plaine alluviale. Les phénomènes de crues bloquées par des
barrages hydrauliques naturels forçant les eaux à remonter en amont, ont été
décrits magnifiquement par William Faulkner dans le Vieux Père, autre surnom
du fleuve. Le coût humain a été difficilement estimé : 500 noyés, un millier de
disparus, des centaines de milliers de sans-abris.
Il est possible d'interpréter cet événement comme un bel exemple de déficit
culturel, où le traitement du risque a été mal fondé sur une confiance aveugle et
sourde et une seule solution technicienne. Le mythe de l'infaillibilité de
l'USACE fut ébranlé mais pas suffisamment pour que le retour d'expérience
attendu puisse remettre fondamentalement en cause la politique de construction
des digues.
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Il y eut quand même une certaine réaction et une reprise en main des affaires
mississippiennes par le gouvernement fédéral (l'administration Hoover) et par le
Congrès. Ce dernier vota dès 1928, une loi fédérale, tentative de codification et
d'uniformisation des actions de contrôle des crues. Ce Flood Control Act traduit
une plus forte implication de l'Etat fédéral dans la lutte contre le risque
d'inondation. Ainsi, des années 1930 aux années 1960, la pratique de prévention
du risque a consisté en de vastes chantiers contemporains de l'ère des grands
travaux (avant, pendant et après le New Deal rooseveltien) : digues, épis,
barrages et bassins de déversement (Spillways) tel celui de Bonnet Carre pour
détourner les crues de la métropole économique du delta, New Orleans. La
gamme des travaux hydrauliques fut donc élargie aux redressements des tracés
des méandres, par des raccourcis (cut-offs) et aux creusements de bassins de
rétention écrêteurs de crues , construits sur les affluents (la Kansas et
l'Arkansas) afin d'éviter d'entraver le trafic fluvial sur le tronc principal. Parmi
les travaux les plus intéressants, on doit citer ceux de l'Old River Control
Auxiliary Structure, l'aménagement d'une chaîne de barrages et de bassins, 300
km en amont de New Orleans, pour réduire non seulement le risque
d'inondation mais aussi pour éviter la capture du cours inférieur du Mississippi
par un bras subparallèle, celui de la rivière Atchafalaya.
L'impact écologique a été majeur. Depuis les années 1940, ce sont près des
trois quarts des zones humides marécageuses (wetlands) riveraines du fleuve et
de ses tributaires, qui ont disparu. Elles ont été soit drainées et mises en culture
par les agriculteurs qui trouvaient là des terres alluviales fertiles et très bon
marché, soit asséchées et loties par des autorités municipales à la recherche de
nouveaux sites de développement urbain.
Ce n'est qu'en 1968 que le Congrès, réagissant à l'inondation exceptionnelle
de 1965, décide de rénover le Plan national de contrôle des crues de 1928.
L'objectif est d'améliorer encore les travaux de protection mais aussi de
promouvoir enfin une politique de l'assurance contre le risque d'inondation
s'appuyant sur une nouvelle cartographie des zones inondables (les Special
Flood Hazards Areas). Cette campagne cartographique concerne l'ensemble du
territoire et doit déterminer le montant des primes d'assurance en fonction d'une
typologie des zones inondables. Ces cartes précises à l'échelle du territoire
municipal ou comtal, commandées par le Ministère du Logement aux services
fédéraux spécialisés (USGS et USACE), prennent logiquement le nom de Flood
Insurance Rate Map. Leur réalisation s'est échelonnée des années 1970 aux
années 1990 Ces FIRMs sont considérées comme le document officiel en
matière de calcul de prime d'assurance mais aussi en matière de planification et
d'aménagement. Ces cartes ont été seulement corrigées ponctuellement par des
documents annexes, de simples lettres officielles appelées Letters of Map
Amendment ou Letters of Map Correction.
Le long et coûteux épisode d'inondation du printemps et de l'été 1993 a
sérieusement entamé le bilan de plus de cent ans de politique de contrôle des
crues. Considérée comme ayant un temps de retour centennal, la vaste
inondation a affecté 43 000 km2 répartis sur neufs Etats du Haut Mississippi. 9
000 kilomètres de levées ont été endommagées (parmi elles seulement 17%
étaient directement gérés par l'Etat fédéral alors que plus des trois quart des
levées ayant subi des brèches étaient gérées par des districts locaux (levees
boards ou districts), ce qui révèle l'hétérogénéité de la qualité et de la gestion
du dispositif.
Si les principales victimes furent des fermes isolées dans la plaine
d'inondation, des villes importantes comme Saint-Louis (2,5 millions
d'habitants) et des villes moyennes comme East Des Moines ont vu certains
lotissements et des zones industrielles sérieusement menacés par la montée des
eaux difficilement contenues par des digues temporaires de sacs plastiques
bourrés de sable ou de terre. Ces efforts collectifs des communautés ont été
médiatisés par les chaînes de télévision et sont devenus dans les mémoires
presque aussi héroïques que le siège de Fort Alamo!
Au total, 400 comtés (dont beaucoup de comtés ruraux pauvres) ont été
concernés par la déclaration de catastrophe naturelle. Avec 12 milliards de
L'échelle fédérale : les lois fédérales (ex. le National Flood Act de 1928, révisé en
1973, le Reform Act de 1994) ; les programmes nationaux (le National Flood
Insurance Program de 1968, le National Ressources Conservation Soils) ; les
agences spécialisées dans les activités de prévention des risques et dans les secours
(Federal Emergency Management Agency, Mississipi River Commission), L'Armée
(U.S. Army Corps of Engineers) ; la recherche fondamentale et appliquée (U.S
Geological Service, National Oceanic Air Administration, National Weather Service)
L'échelle des Etats : la législation des 25 Etats du bassin-versant (Government
Codes) en matière d'aménagement et d'urbanisme dans les zones à risques et la
tentative d'harmonisation menée au sein d'une association "trans-étatique" (Floodplain
managers association) ; les S.O.E.S, State Offices of Emergency Services, sont les
"départements" de planification des risques et de gestion des scénarios de crise. Les
programmes d'assurance à l'échelle des l'Etats. Les accords d'assistance mutuelle
entre les Etats. La Garde nationale mobilisée en cas de catastrophe sur l'ordre des
gouverneurs des Etats.
L'échelle des collectivités locales : les codes d'urbanisme et d'aménagement
locaux (Uniform Building Codes) ; les Mayor's Offices of Emergency Services
équivalents des O.E.S à l'échelle des grandes villes; les Fire Departments et les
polices municipales ou comtales (Sheriff), les syndicats d'entretien des levées dans
les villes (New Orleans, St Louis), villages (towns) et comtés ruraux..
Les sphères de la société civile : les Grass-rooted organisations (les associations
environnementalistes associées ou opposées aux projets fédéraux ou des Etats. Ex :
La fondation American Rivers, les Mississippi, Louisiana, Arkansas Association. Les
organismes indépendants : American Red Cross, Sierra Club. Les associations de
quartiers organisés dans l'entraînement aux situations de crise et de secours, (les
Neighborhood Emergency Response Teams.)
Tableau n°l : Les principaux acteurs et échelles d'intervention dans le domaine
des
*c risques
ncnuac
Tableau n°2 : L'assurance contre le risque d' inondation dans les 24 Etats du
bassin-versant.
(par ordre décroissant du total des valeurs couvertes). Source : Graindealers, 2003
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