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TEXTES DES L.L. 14 et 15.

1) Théophile Gautier, « Le Pin des landes », Espana, 1890

On ne voit en passant par les Landes désertes,


Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc,

Car, pour lui dérober ses larmes de résine,


L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,


Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

Le poëte est ainsi dans les Landes du monde ;


Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !
2) Tristan Corbière, « Le crapaud », Les amours jaunes, 1873.

LE CRAPAUD

U  chant dans une nuit sans air…


N

— La lune plaque en métal clair


Les découpures du vert sombre.

… Un chant ; comme un écho, tout vif


Enterré, là, sous le massif…
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

— Un crapaud ! — Pourquoi cette peur,


Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… — Horreur ! —

… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?


Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.

(Ce soir, 20 Juillet.)

Remarque : vous retrouvez dans ces deux poèmes le thème de la boue avec les « flaques d’eaux vertes »
(v.3) dans le 1er et la « boue » (v. 10) dans le 2d.
L.L. 14 : Théophile Gautier, « Le Pin des landes », Espana, 1890.

Pbq : Comment à travers ce poème reposant sur la figure d’analogie Théophile Gautier fait-il le portrait du Poète ?

Mouvements du texte : Q1 + Q2  présentation du pin des Landes, victime de l’exploitation de l’homme

Q3  analogie avec le soldat

Q4  révélation de la clé du poème : analogie pin/Poète

On ne voit en passant par les Landes - Long portrait du pin des landes victime du gemmage : 1
désertes, unique phrase sur 2 quatrains (enjambements v.
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc, 1,2,3,4,5,6,7)
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux - Retardement de l’apparition du pin qui ne « surg[it] » (v.3)
vertes
dans le poème qu’au v.4  suspens et surprise
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au
flanc, - Description qui met en valeur l’aridité du lieu :
 « désertes », qui sonne comme « déserts », deux
épithètes détachées « Vrai Sahara français » (métaphore)
et « sable », « herbe sèche », « flaques d’eau vertes » (=
petites quantités d’eau croupie)
 et deux adjectifs connotés positivement « poudré de
sable blanc »
- solitude du pin soulignée par la négation liée à une
comparaison « ne…/D’autre que »
- effet de surprise augmenté par la personnification
douloureuse : « avec sa plaie au flanc »
Car, pour lui dérober ses larmes de résine, - explication de la référence tirée de la culture traditionnelle
L’homme, avare bourreau de la création, landaise du gemmage : conjonction de coordination « Car »
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il - 1ère information = le but poursuivi par la création de cette
assassine, plaie : « Pour lui dérober ses larmes de résine »  poursuite
Dans son tronc douloureux ouvre un large
de la personnification sur le registre pathétique
sillon !
- Dénonciation forte de la manière dont « l’homme » (v.6)
traite la nature (il s’en sert sans respect, avec brutalité, seul
compte son intérêt) : champ lexical de la violence  registre
polémique 
+ il y a une forme de parallélisme basé sur une redondance
qui va insister sur la barbarie de l’attitude de l’homme (à
savoir vol et crime) « avare bourreau de la création, Qui ne
vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine »
+ antithèse entre « vit » et « assassine » et la négation
restrictive « ne…qu’ » souligne également cette barbarie :
l’homme assure sa propre vie en organisant la mort du pin
- Fin du développement d’une analogie christique : « plaie au
flanc » (v.4 = allusion à la plaie au côté faite au christ sur la
croix par le centurion romain avec sa lance), « tronc
douloureux » (polysémie de « tronc » : même mot pour
l’arbre et pour l’homme) ; le terme « création » pour
désigner la nature, le monde qui nous entoure, est
également à connotation religieuse et il nous annonce déjà
aussi la fin du poème, avec la « création » artistique,
poétique.
- Fin de cette longue phrase et du premier mouvement par
l’image hyperbolique de la blessure : « un large sillon ». Un
sillon est la petite tranchée creusée dans la terre d’un champ
et dans laquelle on va déposer les graines afin qu’une fois
recouvertes de terre elles puissent germer. Cette notion de
sillon renvoie donc à l’idée d’une fente, d’une plaie que l’on
fait dans la terre et qui permettra à des plantes de pousser :
ce terme annonce déjà lui aussi l’analogie avec le poète,
puisque de sa blessure naîtront les vers, la poésie.
- La ponctuation exclamative souligne encore le registre
pathétique.

Sans regretter son sang qui coule goutte à - Suite de la personnification mais changement de comparé :
goutte, après le Christ, le pin est comparé en fin de quatrain à un
Le pin verse son baume et sa sève qui bout, soldat.
Et se tient toujours droit sur le bord de la - Générosité du pin : complément de manière « sans regretter
route,
son sang » + « baume » (connotation positive : terme qui
Comme un soldat blessé qui veut mourir
debout. désigne en médecine une substance qui permet de guérir,
d’apaiser une blessure physique, voire de manière
métaphorique une blessure psychique).
- « sève qui bout » : retour explicite au pin, avec une allusion à
l’aspect bulleux de la sève qui s’écoule « goutte à goutte »
- Image du soldat qui incarne le sacrifice de sa vie (on dit
d’ailleurs d’un soldat mort en mission qu’il a « donné/versé
son sang pour le pays ») et la préservation de son honneur :
« soldat blessé », « sang qui coule » « mourir » et « toujours
droit », « debout ». Illustre les registres pathétique et épique
- Résolution explicite de l’analogie cachée dans le début du
Le poëte est ainsi dans les Landes du
poème à travers une comparaison : « Le poète est ainsi » 
monde ; poète // pin et société// Landes (« Landes du monde » =
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son métaphore). Vers 13 crée un effet de surprise à travers
l’analogie inattendue. Explication suit dans les 3 derniers
trésor. vers.
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde - Reprise du champs lexical antérieur de la
souffrance (« blessure/entaille profonde/larmes ») mêlé à
Pour épancher ses vers, divines larmes celui de la poésie (« poète/ cœur/ vers »)
d’or ! - Parallélisme exprimant une redondance, d’abord sous une
forme négative puis sous une forme affirmative  : Lorsqu’il
est sans blessure, il garde son trésor. /Il faut qu’il ait au cœur
une entaille profonde/ pour épancher ses vers, divines
larmes d’or ! » Antithèses : « garde≠épancher », « sans
blessure ≠ une entaille profonde »
- Grandeur de la création poétique : métaphore « ses vers,
divines larmes d’or », renforcée par la rime « trésor/or ».
« divine » renvoie aussi à l’image christique du poète vue
plus haut, ainsi qu’à l’image du poète qui est un représentant
des dieux, un medium, sur terre pour révéler aux hommes les
mystères divins (cf. L.L. « Correspondances », de Baudelaire).
La poésie est liée à l’idée de mystique, de religion, de
révélation (c’est d’ailleurs cette idée qui conclut le poème)
- Message essentiel de l’analogie : il n’y a pas de création
poétique possible (« Il faut ») sans souffrance, sans blessure
du poète. La souffrance est la source d’inspiration du poète,
elle seule va permettre de nourrir sa poésie. Cette idée est
conforme à la représentation que l’on a notamment des
« poètes maudits », ces poètes marginaux qui se sont
consacrés à leur art en étant rejetés par la société et
condamnés à une vie de marginaux (avec parfois même un
comportement autodestructeur à travers les drogues et
l’alcool notamment).
L.L.15 : Tristan Corbière, « Le crapaud », Les amours jaunes, 1873.

Même problématique que pour la L.L.14

Mouvements du poème :

T1 + T2 = la mise en place d’un mystère

Q1 + v.11-13 = la découverte du crapaud avec les réactions antagonistes du narrateur et de son amie

v.14 = la clé du poème, l’analogie poète/crapaud

Forme générale du poème : sorte de sonnet inversé déstructuré (2 tercets puis 2 quatrains dont le dernier est fragmenté
en 3 vers + 1 isolé) ; rimes AAB CCB DEED DEED

U  chant dans une nuit sans air…


N
- Mise en place du cadre spatio-temporel :
l’extérieur une nuit (« nuit », « lune », « vert
— La lune plaque en métal clair sombre »), sans doute l’été (« nuit sans air » 
Les découpures du vert sombre. ambiance étouffante)  cela dénote une
ambiance romantique (promenade estivale au clair
de lune)
- 1er mot du poème donnera le ton : le « chant » va
trahir la présence du crapaud et est directement
lié à la notion de poésie et donc de poète (à
travers la notion de lyrisme) ; le déterminant
indéfini « un » laisse planer le mystère sur la
nature et l’origine de ce chant.
- Ponctuation surprenante (caractéristique de la
poésie de TC) : points de suspension et tiret
semblent isoler les deux éléments (v1/ v2-3), et
déstructurer la narration
- Ambiguïté de la lecture : « La lune (est comme
une) plaque en métal clair/(on voit) les
découpures du vert sombre » ou « La lune plaque
(verbe « plaquer ») en métal clair/ Les découpures
du vert sombre » (2ème interprétation de plaquer
n’apparaît que lorsque le v.3 est est lu. Au début
on pense à une phrase nominale, sans verbe)
- Tercet sous le signe de la vue (« métal clair »,
« vert sombre »…), de l’ouïe (« chant »), du
toucher (« sans air »  sans vent et chaud)

… Un chant ; comme un écho, tout vif - Nouvelle suspension par la ponctuation, sorte de
Enterré, là, sous le massif… respiration, ou de suspens.
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre… - Anaphore « Un chant » (v. 1,4)  élément
essentiel
- Développé par une comparaison (« comme un
écho »  tonalité troublante, inquiétante ),
complétée par une épithète détachée (oxymore
« tout vif/Enterré », mélange paradoxal et
surprenant de mort et de vivant) et d’un CCL (« là,
sous le massif… »  dissimulation)
 Suspens
- Tiret + impératif présent (2 ème pers du sg)
« Viens » : semble indiquer le début d’un
dialogue ; on devine le narrateur et une autre
personne qui l’accompagne
- Poursuite du suspense : les pronoms indéfinis
« Ca » et « c’ » ne révèlent pas la nature de ‘auteur
du chant. Curiosité du lecteur.
- Nouvelle évocation de la dissimulation du
chanteur : «dans l’ombre », qui rime de manière
redondante avec « sombre » (v.3) 
— Un crapaud ! — Pourquoi cette peur, - Poursuite du dialogue
Près de moi, ton soldat fidèle ! - Réponse surprise (en bien ou en mal) de
Vois-le, poète tondu, sans aile, l’interlocuteur qui révèle enfin, au 7 ème vers, la
Rossignol de la boue… — Horreur ! — nature de la source du chant.
- Question (sans point d’exclamation mais avec un
point d’exclamation = déstructuration de la
syntaxe normale par Corbière) qui renseigne sur la
nature de la réaction précédente (« Pourquoi cette
peur (…) ») et sur la nature de l’autre
interlocuteur : il s’agit sans doute de la femme
aimée, puisque le narrateur-poète se pose en
chevalier servant (« Près de moi, ton soldat
fidèle ! »).
- Défense du crapaud par le narrateur- poète :
injonction à mieux regarder pour modifier son
jugement (« Vois-le ») en présentant le crapaud
par les métaphores « poète tondu, sans aile » et
«Rossignol de la boue » ; alliance à chaque fois
sous forme d’antithèse, voire d’oxymore, entre le
nom positif et les qualificatifs négatifs. « Tondu,
sans aile » est synonyme de privation de beauté,
de force (cf. dans la Bible, Samson qui est privé de
sa force après qu’on lui a coupé ses cheveux qui
renfermaient sa force), de liberté (« ailes »). Le
rossignol, lui, est connu pour la beauté unique de
son chant ; ici, comme il s’agit d’un crapaud, il vit
dans la boue, qui est son habitat naturel.
- Réaction de dégoût très fort de l’interlocutrice :
exclamation nominale « Horreur ! » = rejet total
du crapaud
- Suite du dialogue (tirets)
… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
- Suspension, temps mort destiné à laisser place au
Vois-tu pas son œil de lumière… chant du crapaud (« … » v. 11) puis commentaire
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre. du narrateur qui nous éclaire : « Il chante. »
- Réponse : répétition de la même exclamative,
cette fois doublée par une double ponctuation 
rejet total du crapaud (sorte de gradation
ascendante de « Un crapaud ! / Horreur ! /
Horreur !! » v. 7, 10, 11)
- Nouvelle incompréhension du poète-narrateur
(« Horreur pourquoi ? », dans une syntaxe
minimaliste et même incorrecte 
déstructuration) ; tentative de rendre au crapaud
une image sympathique à travers l’évocation de
« son œil de lumière » (v. 12) ; la question est à
nouveau sans point d’interrogation =
déstructuration)
+ surprise pour le lecteur, suite inattendue :
« Non »
+ annonce du départ du crapaud, qui va se cacher :
rythme ternaire « il s’en va, froid, sous sa pierre » ;
écho aux vers 4-5 (« tout vif/Enterré ») ; allusion à
la physiologie du crapaud qui est un animal à sang
froid, mais ici le terme a une connotation
mortifère (et « pierre » résonne alors comme
« pierre tombale »).
- Isolement du dernier vers du quatrain et du
poème grâce à un saut de lignes et une ligne de
………………………………………………………………. points : sorte de temps suspendu, de réflexion.
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi. Permet de faire attendre la chute qui produira un
effet de surprise.
- Chute, révélation de la clé du poème : analogie
poète/ crapaud.
- Message semble s’adresser désormais au lecteur
et non plus (exclusivement) à la femme aimée. Le
terme « Bonsoir » peut indiquer une formule
d’adieu (le crapaud vient de se retirer) mais
surtout il semble être une formule inaugurale* (=
qui marque le début de qqch) : le poète se révèle
être ce chanteur « rossignol de la boue », qui
semble repoussant aux humains, aux gens, et leur
fait peur. Le poème s’achève sur la revendication
d’identité, le dernier mot est « moi ».
Il faut se souvenir que TC se sentait extrêmement
laid, presque difforme, et que la faiblesse et la
maladie l’ont contraint à une vie difficile, pour
mourir à l’âge de 30 ans. Il fait partie de ceux que
l’on nomme les « poètes maudits ».

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