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Les Misérables, IIIe Partie : Marius, Livre IVe : Les amis de l’A B C, Chap. IV : L’arrière-salle du café Musain :
[Un des étudiants de la « société secrète à l’état d’embryon », Les amis de l’A B C, « signait Lègle (de Meaux).
Ses camarades, pour abréger, l’appelaient Bossuet. »]
Bossuet (…) discutait un point de droit avec la cantonade, et (…) était engagé plus qu’à mi-corps dans
une phrase d’argot judiciaire dont voici la fin:
—...Et quant à moi, quoique je sois à peine légiste et tout au plus procureur amateur, je soutiens ceci: qu’aux ter-
mes de la coutume de Normandie, à la Saint-Michel, et pour chaque année, un Équivalent devait être payé au
profit du seigneur, sauf autrui droit, par tous et un chacun, tant les propriétaires que les saisis d’héritage, et ce,
pour toutes emphytéoses, baux, alleux, contrats domaniaires et domaniaux, hypothécaires et hypothécaux....
I III
II IV
à la traductrice Isabel F. Hapgood, qui prend ainsi le risque de « rectifier » la prose hugolienne. Encore
faudrait-il qu’il y ait eu erreur.
Tirant parti de la double assonnance « domaniaires et domaniaux, hypothécaires et hypothécaux », le romancier
meuble et anime sa scène en faisant réagir un personnage aux propos d’un autre par le biais d’un emprunt à
une bluette connue des lecteurs de l’époque et à laquelle il n’apporte qu’une modification pour l’œil.
***
IIe Partie : Cosette, Livre Ve : À chasse noire, meute muette, Chap. V : Qui serait impossible avec l’éclairage au gaz :
(Poursuivi par Javert, Jean Valjean, accompagné de Cosette — âgée de 8 ans — est aux abois : il se re-
trouve au pied du mur d’enceinte du couvent du Petit-Picpus.)
Il aurait fallu une corde. Jean Valjean n’en avait pas. Où trouver une corde à minuit, rue Polon-
ceau? Certes, en cet instant-là, si Jean Valjean avait eu un royaume, il l’eût donné pour une corde.
La source d’inspiration de la formule n’est autre que le cri de désespoir de Richard III (V, 4) :
***
Cinq chapitres plus loin (Où il est expliqué comment Javert a fait buisson creux — Hugo file sa métaphore cy-
négétique), explicit :
Au point du jour, il [Javert] laissa deux hommes intelligents en observation et il regagna la préfec-
ture de police, honteux comme un mouchard qu’un voleur aurait pris.
Ve Partie : Jean Valjean, Livre Ier : La guerre entre quatre murs, Chap. XXI : Les héros :
Homère dit: « Diomède égorge Axyle, fils de Teuthranis, qui habitait l’heureuse Arisba; Euryale, fils de Mé-
cistée, extermine Drésos, et Opheltios, Ésèpe, et ce Pédasus que la naïade Abarbarée conçut de l’irréprochable
Boucolion; Ulysse renverse Pidyte de Percose; Antiloque, Ablère; Polypætès, Astyale; Polydamas, Otos de Cyl-
lène, et Teucer, Arétaon. Méganthios meurt sous les coups de pique d’Euripyle. Agamemnon, roi des héros,
terrasse Élatos né dans la ville escarpée que baigne le sonore fleuve Satnoïs. » Dans nos vieux poëmes de
gestes, Esplandian attaque avec une bisaiguë de feu le marquis géant Swantibore, lequel se défend
en lapidant le chevalier avec des tours qu’il déracine.
Le morceau de bravoure épique est un montage à partir d’emprunts « retouchés » au Chant VI de l’Ilia-
de ; c’est le romancier, p. ex., qui précise que Diomède « égorge » Axyle, alors que le texte original porte
ἔπεφνε « tua ».
Esplandian (fils d’Amadis de Gaule) renvoie à Garcí Ordóñez de Montalvo, Las sergas de Esplandián, que
Don Quichotte tient en haute estime. Mais Swantibore ? Hugo l’a déjà mentionné dans La Légende des
Siècles (Première Série, Histoire — Les petites épopées, V — Les chevaliers errants, II — Éviradnus, IV — La
coutume de Lusace, titre qui devient, dans une collection électronique gratuite, « La coutume de l’usage ») :
In our old poems of exploits, Esplandian attacks the giant marquis Swantibore with a cobbler’s shoulder-stick
of fire, and the latter defends himself by stoning the hero with towers which he plucks up by the roots.
L’arme est encore définie comme suit (Journal des sciences militaires, no2, 2e série, t. 1er, fév 1833, p. 261 :
Aide-mémoire de l’ingénieur militaire…, par Grivet, capitaine du Génie) :
« 35. La hache d’armes, hache à manche mince, portant un fer en croissant allongé, tranchant, ter-
miné par deux pointes très courbées et rapprochées du manche. Ce fer se terminait de l’autre côté
du manche en pointe, ou en fer semblable au premier ; et alors elle s’appelait besaiguë. »
Les Misérables, IVe Partie : L’idylle rue Plumet et l’épopée rue Saint-Denis, Livre VIe : Le Petit Gavroche, Chap. I :
Méchante espièglerie du vent, incipit :
Depuis 1823, tandis que la gargote de Montfermeil sombrait et s’engloutissait peu à peu, non dans
l’abîme d’une banqueroute, mais dans le cloaque des petites dettes, les mariés Thénardier avaient
eu deux autres enfants, mâles tous deux. Cela faisait cinq; deux filles et trois garçons. C’était beau-
coup.
La Thénardier s’était débarrassée des deux derniers, encore en bas âge et tout petits, avec un bon-
heur singulier.
Débarrassée est le mot. Il n’y avait chez cette femme qu’un fragment de nature. Phénomène dont
il y a du reste plus d’un exemple. Comme la maréchale de La Mothe-Houdancourt, la Thénardier
n’était mère que jusqu’à ses filles. Sa maternité finissait là. Sa haine du genre humain commençait
à ses garçons. Du côté de ses fils sa méchanceté était à pic, et son cœur avait à cet endroit un lugu-
bre escarpement. Comme on l’a vu, elle détestait l’aîné; elle exécrait les deux autres. Pourquoi?
Parce que. Le plus terrible des motifs et la plus indiscutable des réponses: Parce que.
—Je n’ai pas besoin d’une tiaulée d’enfants, disait cette mère.
Attesté chez d’autres écrivains (Séverine, Octave Mirbeau) et dialectalement, le populaire tiaulée sub-
siste en français du Canada, où il a conservé le sens de « ribambelle, floppée, nichée, couvée ».
Voici les entrées pertinentes du Glossaire du patois normand, « augmenté des deux tiers, et publié par M.
Julien Travers (Caen, 1856) », ouvrage de Louis Du Bois (1773-1855), qu’on peut consulter sur l’excellent
site de la Bibliothèque électronique de Lisieux (www.bmlisieux.com) :
[page 16] AQUIAULÉE : longue et désagréable suite, file, série. Une aquiaulée de.... Il se prend en
mauvaise part. De queue.
[page 292] QUEULÉE : assemblée de gens qui font queue ; famille.
[page 293] QUIAULÉE, qui se prononce t’chiaulée. V. AQUIAULÉE.
(« QUIAULOGIE ; QUIOLOGIE : généalogie » relève de la plaisanterie mais confirme ipso facto l’exis-
tence de quiaulée)
Le point de départ est queulée, c’est-à-dire queue + suffixe -lée (cf. bannelée, caudelée, hottelée, …), puis,
après prépalatalisation de la dorsale initiale entraînant un changement de timbre de la voyelle radi-
cale : quiaulée, passage à l’affriquée post-alvéolaire (ou chuintante) */ʧ͡ ’/ : « t’chiaulée » et, en dehors du
normand, effacement du segment chuintant : tiaulée. (Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette.)
Quant à aquiaulée, c’est le résultat d’une agglutination de l’article défini, suivie d’une fausse coupe :
la quiaulée → l’aquiaulée ; cf. « Il y a aussi ma cousine Apollonie ; on l’appelle la Polonie » (J. Vallès, L’Enfant, II :
La famille).
En ce qui concerne la motivation de queulée, l’explication qu’en donne Du Bois me semble faible.
Dans leur Dictionnaire du patois normand, Caen, 1849, Édélestand et Alfred du Méril (qui avaient coupé
l’herbe sous le pied de L. Du Bois, ce qui fit enrager leur rival en lexicographie) en proposent deux, celle
sous aquiaulée ayant ma préférence.