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à la Rencontre sur Francophonie et culturels francophones et anglopho-


Culture appelait, à juste titre, ((un nes en Afrique. Une bonne franco-
directoire franco-québécois )) ? phonie sera celle qui fera du fran-
L’attrait français pour la francopho- çais l’instrument d’une meilleure’
nie se nourrit, à l’heure actuelle, de connaissance de l’Afrique et non de
beaucoup d‘ambiguïtés, mais aussi l’Afrique uniquement un spectacle
de beaucoup d’ignorance. La ren- pour la France !
contre de Lagos a bien montré les
difficultés d’imbrication des réseaux Alain Ricard

Les soieils des Assurances

Pour Simenon, l’actuaire est un


(( eEAfrique, ce qui a permis de rédi-
monsieur ennuyeux u*. Il ne fait duns ger l’article qui suit.
sa vie aucune place à la philosophie,
aux sentiments : homme des statisti-
ques, il serait l‘antithbe du roman-
cier qui ne connaît que des destins
personnels. Ahmadou Kourozima
ferait-il mentir Simenon ?
L’auteur d’un des best-sellers du
P OUR dire les choses simple-
ment, la réassurance est
l’assurance au second degré: le
roman en Afrique, Les Soleils des réassureur est l’assureur de la com-
indépendances, écrit dans les années pagnie d’assurance (la cédante). Le
60, paru en 1967 à Montréal, en réassureur cède à son tour à
1970 ci Paris, publiera son“ second d’autres réassureurs une partie de
roman en janvier 1989 aux éditions ses risques. Toutes les compagnies
du Seuil; or, depuis vingt ans, l’écri- se réassurent les unes les autres, le
vain Kourouma est resté caché der- but étant de répartir au maximum
rière l‘actuaire, azrjourd’@i directeur les risques. I1 se constitue ainsi une
général de la CICA-RE (Compagnie sorte de fonds international pour la
commune de réassurance des Etats réassurance, qui par son importance
membres de la CICA (1). Dans un et la diversité de ses détenteurs
entretien avec Christine Breney et donne son assise à la réassurance.
Marc Pilon, il a expliqué le fonction-
*
nement et les enjeux de la réassurance
Une longue histoire

* Quandj’éruis vieux, Paris Presses de la Avant les. Indépendances,


Cité, 1970, p. 185. excepté pour I’Egypte, l’assurance
(1) CICA : Conférence internationale des était le fait des sociétés françaises
contrôles d’assurance, regroupant les pays sui- et anglaises, qui toutes se réassu-
vants de la zone franc : Bénin, Burkina Faso, raient hors du continent africain.
Cameroun, Centrafrique, Côte-d’Ivoire,
Congo, Gabon, Mali, Niger, Sénégal, Tchad Dès le lendemain -de l’indépen-
et Togo. dance, les nouveaux Etats africains

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ont tout de suite cherché à contrô- États membres de l’OUA. I1 fut
ler ce secteur. Les pays restés dans alors décidé que toutes les sociétés,
la mouvance occidentale ont opté étrangères ou de droit national,
pour un marché de l’assurance con- devaient confier à AFRICA-RE 5 ‘70
currentiel, tout en veillant à avoir du montant de leurs traités (con-
))

leur propre société (en devenant trats de réassurance) et les sociétés


actionnaire majoritaire d’une société étrangères 5 ‘70 de leur chiffre
déjà existante). Les pays socialis-
(( d’affaire.
tes B, quant à eux, ont installé une Les différences de situation
situation de monopole, pratiquant la monétaire entre les pays africains
nationalisation. Mais il faut souli- ont posé - e t posent encore
gner que la majeure partie des aujourd’hui - des problèmes de
sociétés d’assurance de droit natio- fonctionnement à AFRICA-RE. Les
nal ne sera créée qu’à partir des pays à monnaie indépendante, prin-
années 70. cipalement anglophones, connaissent
Les États africains francopho- de grandes difficultés pour payer les
nes, ont organisé dès 1960, avec soldes de réassurance. Ce problème
l’aide de la France, la Conférence fait qu’à ce jour, les pays anglopho-
internationale des contrôles d’assu- nes ne sont toujours pas parvenus
rance (CICA), dont la préoccupa- à mettre en place une structure
tion première concernait la question équivalente à leur niveau. Par con-
de la réassurance. .La CICA s’est tre, nombre d’entre eux ont déjà
par la suite attelée à la promotion créé leur propre société nationale de
de l’assurance, d’une part en créant réassurance ; phénomène qui reste
un institut de formation, l’Institut encore embryonnaire dans les pays
international d’assurance, à francophones (seuls le Sénégal et le
Yaoundé, chargé de doter les mar- Cameroun ont créé à ce jour des
chés de cadres compétents, d’autre sociétés de réassurance). Pour ces
part en encourageant la création de derniers, l’antériorité de la CICA
sociétés de droit national. (et son fonctionnement), l’existence
Le souci de la CICA était donc de la zone franc, ont constitué des
de limiter les sorties de devises du facteurs favorables à la mise sur
continent africain, induites par le pied de la compagnie commune de
système de la réassurance ; devises réassurance des Etats membres de
qui, prenant le chemin des pays la CICA: la CICA-RE. Elle a été .
développés ne pouvaient participer créée en 1981, soit plus de vingt
au financement des économies ans après la tenue de la CICA ! et
nationales. Ainsi en 1974, avant la n’est officiellement entrée en ris-
((

création d’institutions africaines de que qu’au lerjanvier 1984.


))

réassurance, l’Afrique avait exporté Pourquoi un tel délai, un tel


plus de 200 milliards de f. CFA décalage entre un intérêt, une
pour la réassurance. préoccupation très tôt exprimés, et
C’est pour remédier à cette la concrétisation dans les faits?
situation que la Banque africaine On peut lire dans le premier
pour le développement a proposé rapport du conseil d’administration
dans les années 70, la création de la CICA-RE:
d’une société ,africaine de réassu- cc Dès 1966, PAssemblée générale
rance : elle verra le jour en 1976, de la CICA a été amenée à étudier
sous la dénomination sociale la constitution d’une société multina-
AFRICA-RE, impliquant tous les tionale d’assurances et de réassuran-

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ces. Le projet a été pris en inté-rêt par cières et économiques peuvent être
les instances de I’OCAM, mais a dû très lourdes : considérant la fragi-
être abandonné du fait de certaines lité, les dysfonctionnements des éco-
contingences politiques mais surtout nomies africaines, et le problème de
techniques (notamment le manque de la formation des cadres, seraient-
cadres qzialgiés pour animer une telle ils capables de mener à bien
(( ))

entreprise))). une telle entreprise ?


Mettre en place des institutions
communautaires inter-Etats, n’a
jamais été une chose facile, en Afri- Un marché spécifique
que comme aille9rs. I1 a fallu le
temps que les Etats, leurs diri- Aujourd’hui, la réassurance en
geants, parviennent à surmonter Afrique au sud du Sahara, est donc
leurs querelles, conflits politico- pour une large part, le fait de ces
idéologiques et sans doute aussi deux institutions que sont
interpersonnels ; sans oublier des l’AFRICA-RE à l’échelle de
comportements nationalistes au plan l’ensemble des pays membres de
des postes à pourvoir. Par exemple, l’OUA, et la CICA-RE pour les
la nomination du premier - et pays relevant de la zone franc.
actuel - directeur général de la (c AFRICA-RE et CICA-RE
CICA-RE, M. Ahmadou Kourouma mvrent aujourd’hui de façon conco-
(ivoirien), a demandé plus d’un an mitante et coniplémentaire ci l’intéga-
de tractations, reculant d’autant le tion des assurances en Afrique. Elles
démarrage de la compagnie. Vou- poursuivent le même but qui est de
lant éviter une élection qui puisse promouvoir le développement des acti-
((

prendre allure de confrontation il vités nationales d’assurance et de réas-


)),

fallut au Conseil d’administration surance dans les pays africains, de


plusieurs interventions, jusqu’au favoriser la croissance des capacités de
niveau suprême, pour parvenir à un souscription et de rétention nationa-
consensus, une candidature unique, les, sous régionales et régionales et de
puis une élection à l’unanimité. soutenir le développement économique
Un autre élément d’explication de l’Afrique (2). ))

de cette longue gestation, et qui Par ailleurs, la multiplication


n’est sans doute pas le moindre, des sociétés de réassurance peut
tient à la réticence des sociétés concourir à un meilleur fonctionne-
d’assurance et de réassurance étran- ment du système global de la réas-
gères, essentiellement françaises, surance, par le jeu d’une plus
pour lesquelles la création d’une grande répartition des risques, où
institution comme la CICA-RE, tout le monde réassure tout le
signifiait la perte d’une part du monde.
marché de la réassurance. La La sortie de devises du conti-
CICA-RE bénéficie en effet d‘une nent africain, à des fins de réassu-
cession légale, de 15 Yo du montant rance, demeure encore très impor-
des traités négociés par les sociétés tante. D’après les statistiques élabo-
d’assurance de droit national et de rées par l’organisation des assuran-
5 90 pour les sociétés étrangères. ces africaines (OAA), la sortie ‘nette
Réticence également, en terme
Rapport du Conseil d’administrtion
d’un manque de confiance. La réas- de (2) la CICA-RE couvrant la période du
surance est une activité fort com- 26 novembre 1982 au 31 décembre 1983,
plexe, dont les implications finan- p. 3.

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de ces devises a été très importante celui-ci que la réassurance montre
pendant les quinze dernières tout son intérêt ...
années(3). Ce problème, qui était
donc à l’origine de la création des De plus, la structure des risques
institutions africaines de réassu- est tout à fait différente dans les
rance, reste aujourd’hui non totale- pays africains. Par exemple, si en
ment résolu. France c’est l’assurance vie qui
Aussi, pour aider davantage à sa vient largement en tête des assuran-
résolution, 1’OAA travaille sur un ces souscrites (malgré la Sécurité
projet de création d‘une Chambre sociale) avec près de 40 70 des pri-
africaine de compensation pour mes, au Togo, c’est l’assurance
l’assurance, qui aurait pour fonction automobile et l’assurance transport
le règlement des soldes entre les
((
qui représentent deux tiers des
pays africains ayant accepté des primes.
transactions de réassurance (4). Ce
))
La faiblesse de l’assurance-vie
qui devrait notamment permettre de est ainsi jusqu’à présent une carac-
résoudre le problème de la diversité téristique de l’assurance en Afrique.
des monnaies et des systèmes moné- En 1986, la CICA-RE a dû payer
taires, et celui d’une dificulté pour deux sinistres importants : une
(croissante) des gouvernements afri- éruption de gaz d’un puits de
cains à régler leurs soldes de réas- pétrole au Congo (dont le coût total
surance, se trouvant confrontés à sera de près de 4 milliards de f.
des arbitrages impliquant d’autres CFA) et l’incendie de la brasserie
types de dépenses tels que l’achat ((la béninoise D à Cotonou (environ
de denrées alimentaires, de produits 750 millions de f. CFA). Par con-
pharmaceutiques, d’énergie ... (5). tre, la catastrophe du lac Nyos au
Comme tient à le souligner Ahma- Cameroun (1 800 morts) n’a occa-
dou Kourouma, L’assurance et la
((
sionné à la CICA-RE aucun
réussurunce fonctionnent exactement déboursement : les victimes, princi-
de la même façon du point de vue palement des paysans, n’étaient pas
technique, en Afrique, en Europe ou dans le jargon technique, consom-
((
en Amérique D. Mais du point de mateurs des assurances n...
vue du marché, certaines spécifici-
tés sont à noter. Par ailleurs, en Europe, la con-
Dans les pays en voie de déve- currence entre les compagnies
loppement, les sociétés d’assurance d’assurance a entraîné une baisse
sont généralement des PME à capi- des tarifs. Ce n’est pas encore le cas
taux restreints. Or, si les petits ris- des pays africains où les tarifs
ques sont peu nombreux, les gros d’assurance demeurent très élevés
risques sont importants et se mul- par rapport aux prix pratiqués en
tiplient. On arrive donc à des situa- Europe, et plus encore si l’on se
tions où une société d’assurance qui réfère au pouvoir d’achat dans ces
a un capital de 100 millions de f. Pays.
CFA assure par exemple un grand
hôtel de 35 étages pour 25 mil- Enfin, beaucoup de sociétés
liards ! C’est dans un cas comme d’assurance ont de grosses difficul-
tés à recouvrer leurs primes, notam-
ment auprès des Etats déjà endet-
(3) om. Rapport annuel 1986; p. 16. tés, et doivent pourtant réassurer
(4) Ibid, p. 16. des risques pour lesquels elles n’ont
(5) Ibid, p. 16. pas encore p e r p de primes.

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La CICA-RE aujourd’hui du Sénégal a crû de 10,7 90 à
173 Yo.
(( Entrée en risque seulement
))
La répartition par branche du
au 1.1.1984, la CICA-RE n’en est total des primes encaissées par la
réellement qu’à ses débuts. Son CICA-RE en 1986 -près de
siège, à Lomé, regroupe un person- 5 milliards de f. CFA - donne la
nel d’un peu plus e! 40 personnes situation suivante :
originaires de 6 Etats membres;
effectif qui va être progressivement Branche 070

accru afin que tous les Etats mem-


bres participent à la gestion de la Incendie 23,2
société. Transports 31’0
Auto 24,7
La part due par chaque pays au Accident 15,9
titre de la constitution du capital Aviation 04
social de départ a été calculée pro- Total dommages 95,4
portionnellement au montant du Vie 4,6
100,o
chiffre d’affaires réalisé par chaque
marché national de l’assurance. La
prédominance de la Côte-d’Ivoire, Une comparaison avec les chif-
qui concourt pour près d’un quart fres de 1985 montrerait une nette
(24,6 YO)au capital, puis la position augmentation pour les branches
intermédiaire du Cameroun (14 Yo), transports et auto (de 70 et 89 Yo).
du Gabon (11,l Yo) et du Sénégal L‘évolution de la situation économi-
(9,3 Yo), illustrent ainsi par le biais que des pays et des législations en
de l’assurance des différences de vigueur (par exemple pour l’assu-
développement économique et rance automobile), peut évidemment
industriel. Différences qui sont du influer fortement sur la structure
reste atténuées par la non-prise en par branche de l’assurance et de la
compte dans le chiffre d’affaires réassurance.
réalisé par les marchés nationaux
d’assurance, des primes d’assurance La CICA-RE investisseur
relatives aux compagnies pétrolières
étrangères, comme ELF, qui ont
leur propre société d’assurance sise L’assureur qui, comme le dit
hors du continent africain (au Ahmadou Kourouma, vend avant
(<

Liechtenstein pour ELF). d’acheter accumule beaucoup de


)),

réserves. Ces réserves sont placées


La répartition par pays de la en attendant qu’elles soient mobili-
cession des primes de réassurance sées pour le règlement d’un éven-
auprès de la CICA-RE fait ressor- tue1 sinistre.
tir la prédominance de la Côte- En France, les grandes compa-
d’Ivoire, suivie d’un petit groupe de gnies d’assurance et de réassurance
pays que sont le Sénégal, le Gabon font partie de ces investisseurs dits
et le Cameroun, puis le Congo. La ((institutionnels qui font et défont
))

part de chaque pays peut être varia- les marchés boursiers. Les assureurs
ble d’une année sur l’autre, selon ont beaucoup investi dans l’immo-
la politique de réassurance de cha- bilier (15,8 Yo en 1986). On cite
cun: par exemple, entre 1985 et l’exemple de 1’UAP qui possède un
1986, la part du Gabon est passée parc immobilier aussi vaste que
de 18 Yo à 11,9 Yo tandis que celle celui de 1’Etat français. Enfin, les

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assureurs accordent des prêts directs res a augmenté de plus de 41 Yo
aux collectivités locales, entreprises, entre 1985 et 1986. Dans la même
etc. qui représentent 4,6 Yo de leurs période, son effectif est passé de 17
placements. 6,6 Yo seulement sont à 23 salariés, auxquels il faut ajou-
placés à court terme. ter le personnel élu, pour atteindre
Pour ce qui est de la CICA-RE, 38 personnes actuellement.
son existence toute récente ne lui Mais les sociétés de réassurance
a pas encore permis de diversifier ne doivent pas se contenter de
ses placements. Pour l’instant, ils récolter des primes ; L’assistance
sont réalisés au niveau des cédan- aux cédantes fait aussi partie inté-
tes - en fonction de leur participa- grante de leur rôle économique.
tion au chiffre d’affaires de la Pour l’ancien directeur de l’Institut
CICA-RE - qui reversent ensuite international des assurances de
un taux d’intérêt assez faible (4 Yo) Yaoundé, Ahmadou Kourouma, les
à la CICA-RE. activités de conseil et de formation
devraient se développer dans les
Le total des placements s’élève années qui viennent.
à près de 5 milliards de f. CFA qui Phénomène transparent, ignoré
sont placés dans les banques des du grand public, la réassurance
différents pays de la CICA (par constitue néanmoins un enjeu éco-
exemple 800 millions de f. CFA à nomique et financier non négligea-
Lomé). Les placements des sociétés ble pour le développement de
d’assurance et de réassurance sont l’Afrique. Près de trente ans après
d’ailleurs réglementés en terme de les indépendances, et en dépit d’une
liquidité, de façon à ce que les volonté d’agir très tôt exprimée, les
fonds puissent être mobilisés rapi- activités d’assurance et de réassu-
dement en cas de besoin. La CICA- rance n’en sont réellement qu’à
RE joue donc le rôle d‘un orga- leurs débuts, avec des potentialités
nisme d’épargne, et, par une injec- de croissance importantes (niveau
tion régulière de liquidités dans les encore très faible de certaines bran-
. systèmes bancaires des différents ches comme l’assurance vie ; impor-
pays, participe au financement des tance de la fuite de capitaux
(( ))
économies nationales. Elle a main- hors du continent africain au titre
tenant fait ses preuves par rap-
(( ))
de la réassurance...). Des perspec-
port aux autres sociétés internatio- tives d’avenir, qui apparaissent très
nales de réassurance, qui, selon liées à l’évolution politico-
M. Kourouma craignaient au départ économique de l’Afrique et du reste
qu’elle ne puisse pas faire face à ses du monde.
engagements.
Le développement de la société Christine Breney
est très rapide. Son chiffre d’affai- Marc Pilon

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