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DE L’HABITAT :
D’UN ÂGE A UN AUTRE
Michel PREVOST
Ce fut ensuite, par la fusion de deux sociétés datant pleinement fondée, pouvait-elle être longtemps contour-
l’une de la période coloniale et l’autre des années 1960, la née ? Devait-on encore s’attendre à ce qu’elle fut limitée
création de la Société ivoirienne de construction et de aux seuls cadres supérieurs ?
gestion immobilière (SICOGI, société d’économie La nécessité, tout comme la volonté, d’engager sans
mixte). La Caisse centrale de coopération économique tarder le processus du développement, en donnant satis-
participe au capital de la SICOGI et lui apporte des con- faction aux cadres, conduisit 1’État à loger nombre de ses
cours à des conditions privilégiées. Pour assurer un agents, qualifiés pour la circonstance (( d’ayants-droit H
financement efficace des outils de production qu’on (médecins, enseignants, militaires et hauts responsables
venait de créer, était institué en 1968, l’Office pour le des services de 1’État). L’option fut cependant ouverte de
soutien de l’habitat économique (OSHE). Celui-ci était percevoir une indemnité, à charge pour l’ayant-droit de
chargé de gérer les ressources publiques consacrées au trouver un logement à sa convenance. Au résultat, la
secteur et alimentées principalement par une taxe sur les quasi totalité des intéressés devait préférer le logement
salaires. direct par 1’État.
En 1971, le dispositif était complété par la création de Le patrimoine public ne suffisant pas à tous les
la Société d’équipement des terrains urbains (SETU), besoins, les bénéficiaires de logements gratuits devenant
chargée de réaliser et coordonner les travaux de viabilisa- plus nombreux, 1’État en vint à bailler une partie de plus
tion et de desserte des terrains à bâtir. en plus considérable du parc de la SOGEFIHA et de la
Enfin, l’appareil de financement du secteur devait être SICOGI, mais encore un nombre grandissant de loge-
amélioré par la fusion de l’OSHE, en 1977, avec la Ban- ments privés.
que nationale pour l’épargne et le crédit (BNEC),
laquelle avait été fondée en 1975. Cet établissement se Par souci d’assurer l’accès au logement des familles à
voyait affecter la totalité des deniers publics réservés à la bas revenus, décision était prise en 1970 de diminuer,
construction. La BNEC se devait d’assurer le finance- puis bloquer, les loyers de l’habitat économique des
ment des sociétés para-publiques mais encore, de sociétés para-publiques.
manière générale, tous concours à la promotion de
l’habitat économique. Dans le système bancaire ivoirien,
la BNEC tenait seule la place d’une véritable banque
de l’habitat.
Un édifice lézardé dans la crise
Dans ce contexte, les sociétés para-publiques ont pu
construire jusqu’à 72 O00 logements, au total. Au plus 1975 : la Caisse centrale de coopération économi-
fort de son activité la seule SICOGI était parvenue à met- que, bien que toujours actionnaire de la SICOGI, décide
tre en chantier 5 O00 logements l’an. de ne plus apporter de concours privilégiés, partout en
Afrique, dans le domaine de l’habitat. Ceci entamera
quelque peu les activités de la société. Fort heureuse-
ment, la BNEC créée à cette même date et gérant les
Une politique du logement fonds publics affectés au secteur pourra prendre le relais..
La puissance coloniale avait instauré un droit au loge- 1976 : la situation financière de la SOGEFIHA justi-
ment gratuit pour tous les agents de l’administration. La fie qu’on dresse un diagnostic, qui aboutit, en 1977, à un
Côte-d’Ivoire héritait de cet usage. Allait-on revenir sur plan de redressement, passant notamment par la révision
cet avantage, au moment où 1’État indépendant était de la politique des loyers. Le dispositif convenu ne put
dans la nécessité de susciter des vocations pour son ser- être mise en œuvre ;
vice et s’employait à retenir au pays l’élite de ces fils ? 1979 : instruction est donnée à la SOGEFIHA de ne
Force était aussi de prendre acte de ce que l’accès au cré- plus entreprendre de nouveaux programmes ;
dit immobilier était encore hors de portée du plus grand 0 1980 : la BNEC est dessaisie de la gestion des res-
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Modes d’habiter à Abidjan
pour tomber, en 1980, à 38 Yo des besoins. Les crédits à Le document prend acte de ce que la politique antérieure
moyen et long terme accordés au secteur bâtiment- n’est plus de circonstance.
CITÉS AFRICAINES
AFRICAN CITIES
tt Au-delà de la seule politique de l’habitat social, Une transformation des règles du jeu
c’est bien la mise en place d’une politique globale
qui est en cause D . L’ampleur de la réforme ainsi engagée aboutira à un
Plan 1981-1985, bouleversement considérable du paysage économique de
tome 2, volume 2, page 725. l’habitat. Mais, nul ne peut songer que la situation pré-
sente puisse être rapidement retournée par quelques
Novembre 1982, le président de la République pro- mesures régaliènnes. I1 y aura des étapes, selon un proce-
nonce une allocution radio-télévisée, à l’occasion de la sus qu’il faut concevoir. Par où, et alors comment, enta-
Journée mondiale de l’urbanisme. I1 confirme la néces- mer les règles présentes pour mettre en mouvement le
sité de réviser la politique du secteur. système actuel ? Ceci renvoie à l’examen des mécanismes
réels qui ont créé l’habitat d’aujourd’hui.
a La mise en cause de nombreuses pratiques de la L’intervention de 1’État a permis aux sociétés para-
première période de notre indépendance tient autant publiques de produire un parc composé aux deux tiers de
au changement d’échelle de notre économie qu ’à la logements économiques ;le solde étant de l’habitat inter-
conjoncture ; c’est la combinaison des deux que médiaire. Aujourd’hui, ce parc représente un peu moins
nous devons surmonter. Par ailleurs, les critiques de 15 “o des logements.
qui ont été faites aux mécanismes en place jusqu ’en Dans la nécessité de satisfaire au plus vite les besoins
I980 demeurent et, en outre, avec 1ӎvolutionnatio- les plus pressants et compte tenu des ressources disponi-
nale, les problèmes à résoudre, aujourd’hui et dans bles aux lendemains de l’Indépendance, on avait choisi
les dix années à venir, ne sont pas ceux des années de privilégier le logement économique, fortement sou-
1970... Le contexte économique actuel nous oblige à tenu par 1’État. Cette option de première urgence sacri-
reconsidérer les politiques conduites antérieurement fiait, au moins dans l’immédiat, la production d’un habi-
et à réorienter 1’intervention financière de IY?tat B tat intermédiaire de bas et moyen standing. Faute qu’on
ait, en cours de route, réaménagé la priorité initiale en
Janvier 1983 : révision radicale de la politique du faveur de cet habitat, il s’est produit une pression de plus
logement des agents de 1’État. Désormais seuls les (< per- en plus forte sur le logement économique des sociétés
sonnels en tenue >) bénéficient de la gratuité. Une liste para-publiques. L’effondrement de la production, au
limitative précise quels fonctionnaires ont droit à une cours du quinquennat qui s’achève (1981-1985), n’a pu
indemnité de logement. Ceux d’entre-eux qui sont logés qu’ajouter au phénomène. La SICOGI n’aura produit au
dans le patrimoine public ou baillé par l’État verront leur cours de la période que quelques 1 O00 logements, cepen-
indemnité prélevée sur leur solde et acquitteront, en sus, dant qu’une part importante du FSH était consacrée au
une redevance proportionnelle à leur grade. soutien financier de la SOGEFIHA. Mais encore, les très
sévères restrictions bancaires au financement de l’habitat
0 31 mai 1983 : le gouvernement adopte une (t Décla- des familles à revenus très supérieurs à la moyenne ont
ration de politique économique >) liée au second prêt abouti à porter plus haut l’origine des tënsions qui s’exer-
d’ajustement structurel accordé par la Banque mondiale cent sur le logement économique.
à la Côte d’Ivoire. Au nombre des engagements ainsi pris Les promoteurs privés se sont orientés vers la pro-
figurent les orientations de la réforme de la politique de duction de haut standing, correspondant aux finance-
l’habitat. ments qu’ils obtenaient et inspirés qu’ils étaient par
Le bout du chemin est clairement indiqué. I1 s’agit de l’objectif économique d’une forte rentabilité. Ont-ils
désengager peu à peu 1’État jusqu’à la limite de sa voca- trouvé dans le système qui prévalait des raisons de
tion essentielle qui est d’orienter et inciter. Dans l’immé- s’employer dans le logement intermédiaire et, a fortiori,
diat, il importe d’assainir la situation des sociétés para- économique ?
publiques. Ceci doit passer en particulier par une Les investisseurs particuliers ont, selon leurs capacités,
réforme de la politique des loyers. C’est une nécessité investi dans l’habitat évolutif et ponctuellement dans
pour libérer les finances publiques en faveur d’une l’intermédiaire. Ne disposant pas d’une capacité substan-
relance que l’effondrement de la production impose, tielle d’autofinancement et de facilités pour accéder .au
mais encore et surtout que la réalité économique du mar- crédit bancaire (mais les règles de celui-ci étaient-elles
ché immobilier commande. On créera des mécanismes de adaptées à cette clientèle ?), ils ne pouvaient s’engager
financement à long terme, fondés sur une mobilisation sur le marché du logement économique du type société
grandissante de I’épargne privée de manière à couvrir para-publique. Leur démarche correspondait moins à
sinon la totalité, du moins la plus grande partie du une stratégie d’investissement à terme qu’à celle de trou-
champ de l’habitat. ver, peu à peu, des revenus complémentaires grandis-
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sants. Au demeurant, en raison des loyers pratiqués par tion des concours de 1’État auprès des secteurs stratégi-
les sociétés para-publiques et des aides dont elles bénéfi- ques que nous venons d’identifier.
ciaient, l’évolutif, produit du tâcheronnage, s’est trouvé Les deniers publics étant fort comptés en cette période
en concurrence avec une partie de l’économique des de crise et lourdement grevés, dans le domaine de l’habi-
sociétés. tat par la situation de la SOGEFIHA, 1’État devra faire
Au résultat, la distribution du parc et son occupation appel momentanément à des ressources extérieures.
révèlent que l’habitat économique fait défaut, cependant Le paysage économique de l’habitat ne changera pas
que ses règles d’amortissement sont entravées par la poli- du tout au tout du jour au lendemain. La ville conservera
tique des loyers, et qu’il est à l’usage d’une majorité de quelque temps encore le visage de ses vingt-cinq ans. Le
cadres moyens. Ceux-ci n’ont pas trouvé de logements tâcheron continuera longtemps à monter, au fil des mois,
intermédiaires de moyen standing, ce parc étant très les murs de parpaings qui sont le lingot du G pauvre D.
insuffisant. Des mécanismes de péréquation fondés sur les bases du
La seule importance du phénomène locatif indique nouveau système devront être inventés pour des finance-
assez qu’il engendre, à coup sûr, des revenus considéra- ,merits adaptés aux familles à bas revenus. Mais, déjà on
bles. Comme hier, ceux-ci sont en partie réinvestis dans aura commencé à relever le défi du développement
l’évolutif, puisque les mécanismes actuels conduisent à urbain dans la crise et préparer les chemins d’un nouvel
cela. âge de la politique d’habitat I