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LTHEA2171 

: Dramaturgie : Étude transversale

Les prénoms dans Purifiés de Sarah Kane


1) Introduction

Ce travail portera sur la signification et l’importance des prénoms dans la pièce


Purifiés de Sarah Kane. L’envie d’aborder l’œuvre sous cet angle m’est venue lorsque j’ai fait
le lien entre le nom de l’horrible personnage de « Tinker » et la petite fée sournoise « Tinker
Bell » (la Fée Clochette) dans la pièce Peter Pan de J. M. Barrie. En relisant la pièce en me
penchant plus sur les diverses appellations de chaque personnage, j’ai remarqué que les
prénoms que chacun se donnait les uns aux autres étaient très important et symboliques.

Par exemple, dans la scène 2, Rod insiste pour que Carl l’appelle par son prénom et
pas par un surnom affectueux tel que « chéri ». Pour lui, l’amour passe par son vrai prénom.
En scène 4, c’est d’ailleurs lorsque Carl dit enfin le prénom de Rod que Tinker lui coupe la
langue. En donnant ce prénom, il a prouvé son amour et « mérite » de ne plus savoir parler,
pour ne plus pouvoir nommer cet amour. Dans la scène 7, Grace apprend à Robin à écrire et
commence par leurs prénoms à tous les deux, montrant que cette nouvelle manière de
communiquer commence par se nommer. La pièce commence aussi comme cela : la première
réplique est « Tinker », un prénom.

Pour ce travail, j’ai donc commencé par réaliser une recherche autour de chaque
prénom pour tenter d’élaborer plusieurs théories sur le choix d’appeler chaque personnage de
cette manière.

2) Tinker

La pièce commence par son prénom, alors il est normal de commencer par lui. En
anglais, « tinker with » peut se traduire par « bricoler, essayer de réparer ». Dans la première
scène, il annonce qu’il n’est pas docteur. Il va rapidement changer d’avis puisque durant tout
le reste de la pièce, il est appelé « docteur » par plusieurs personnages et se comporte comme
tel. Les autres personnages ont tous des « vices » qu’il semble vouloir réparer. Il bricole avec
eux. Par exemple, toutes les fois où il mutile Carl, c’est pour l’éviter de communiquer son
amour pour Rod et donc le « guérir » de son homosexualité : lorsqu’il veut parler, il lui coupe
la langue, lorsqu’il veut danser, il lui coupe les pieds, etc. Il est le grand bricoleur qui tente de
réparer et façonner les autres selon ses idéaux.
« Tinker with » peut aussi vouloir dire « jouer avec ». Cela met en évidence
l’impression que l’on peut avoir qu’il s’amuse à torturer ceux qu’il croise. Il ne se contente
pas de les bricoler, il joue/jouit de leurs souffrances. Il semble profondément mauvais sans
que l’on ne comprenne jamais réellement pourquoi il fait tout cela. C’est un peu comme s’il
fallait un « méchant » dans l’histoire et qu’il avait été désigné par hasard. D’ailleurs, il existe
une comptine portant le nom de Tinker, Tailor qui est utilisée par les enfants américains pour
désigner qui sera « le loup » lors d’un jeu. Tinker aurait été désigné par la comptine pour être
le bourreau des autres personnages. Les scènes qu’il a avec « La femme » montrent d’ailleurs
qu’il est lui-même perdu dans ce rôle. Il cherche à être ami avec elle, comme s’il veut
échapper à l’horrible personne qu’il est avec les autres, mais finit par se comporter
violemment avec elle, comme s’il était rattrapé par son rôle de « loup » qui lui a été assigné.

Enfin, un tinker est aussi une appellation dérivée du métier de « tinsmith », de


ferblantier. Ce dernier travaille et conceptualise divers outils en fer blanc. Tinker utilise
beaucoup d’objets métalliques pour réaliser son « travail » de docteur : barre métallique,
ciseaux, couteaux, etc.

3) Rod

« Rod » veut dire en anglais « tige », « barre en métal ». Ce choix du prénom est
évident : Carl est puni par Tinker à cause de son homosexualité, de l’amour qu’il porte pour
Rod. Tinker le viole donc à l’aide d’une barre métallique. Il souffre par l’objet de sa
« faute » : il reproduit l’acte sexuel que les deux hommes ont entretenu, mais en substituant
Rod par le métal.

« Rod » peut aussi vouloir dire « le coup de bâton », celui qui punit. Cette appellation
prend tout son sens ici. La scène 2 vient donc prendre une tournure tout autre. Rod insiste
pour que Carl ne l’appelle pas « chéri » : c’est en l’appelant par son vrai prénom qu’il va
pouvoir prouver son amour. Plus tard, c’est « a rod » qui va le torturer. L’amour vient donc le
torturer. Il souffre, car il aime Rod, un homme.

4) Carl

Étymologiquement parlant, Carl viendrait des langues nordiques et voudrait dire


« homme libre ». Carl est tout sauf libre, son prénom ne lui convient pas. D’ailleurs, dans la
scène 8, Rod l’appelle « Chéri » et non pas « Carl » alors qu’il insistait fortement pour qu’ils
se nomment par leur vrai prénom. Il semble avoir compris que « Carl » ne lui convenait pas. Il
n’est pas un homme libre, mais un homme sous la coupe de Tinker.

Carl lui-même semble vouloir se soustraire à la désillusion de son prénom. Dans la


scène 4, alors que Tinker le viole, il répète plusieurs fois « Rod pas moi » et la police de
caractère change au fil de la réplique pour devenir identique aux didascalies, comme si son
prénom était devenu « Rod Pas Moi ». Il n’est pas Carl, l’homme libre, mais « Rod Pas Moi »,
une négation de son amour pour Rod, mais aussi une volonté de ne pas se résumer à son
homosexualité : il n’est pas juste « celui qui pratique la sodomie » et donc « celui qui se fait
violer par un rod (barre métallique) ». En résumé : Tinker l’empêche d’être un homme libre à
cause de son amour pour Rod, donc Carl tente de devenir quelqu’un qui n’aime pas Rod, pour
redevenir libre. Hélas Tinker ne tombe pas dans le panneau et lui coupe la langue pour éviter
qu’il recommence ce subterfuge.

5) Robin

Tout d’abord, le prénom « Robin » est un prénom non genré. Cela peut refléter le fait
que Robin n’est jamais vraiment lui-même, jamais un seul genre. Au départ, il est vêtu
comme Graham et tente donc de devenir ce que Graham a été pour Grace : un ami, un frère,
un amant. Mais ensuite, il doit se vêtir des habits de Grace et petit à petit, son genre va
devenir plus flou. Dans la scène 15, Tinker l’appelle d’ailleurs « femme ». Le personnage de
Robin n’a jamais su écrire, il ne perçoit donc pas les mots, et c’est comme s’il ne sait pas
mettre un mot sur qui (ou ce) qu’il est. Dans la scène 17, Robin atteint le point de non-retour
et se suicide. Il le fait en se pendant avec les collants de Grace, comme si les vêtements
l’avaient conduit à sa perte. Il répète plusieurs fois le prénom de Grace avant de mourir : pour
l’appeler ? Ou pour clamer que c’est qui il a cru être lui-même ?

Ensuite, « robin » veut dire « rouge-gorge » en anglais et j’ai trouvé des légendes sur
ceux-ci que l’on pourrait relier au personnage. Ces oiseaux auraient leur coup de couleur
rouge car, soit ils venaient chanter auprès de Jésus sur la croix et auraient été tâchés de son
sang, soit ils se seraient brûlés en allant chercher de l’eau pour les âmes coincées dans le
purgatoire. Robin serait un peu ce rouge-gorge qui tente d’apaiser la peine de Grace suite à la
mort de son frère. Il est aussi un peu le lien entre Graham mort et Grace en vie : il ramène de
l’eau pour l’un au purgatoire et pour l’autre dans le monde des vivants. Ce lien est aussi
symbolisé par le fait qu’il parle parfois en même temps que Graham et qu’il porte les
vêtements des deux personnages. Enfin, ces vêtements de Graham sont une trace du défunt,
comme la gorge rouge des oiseaux est une trace du sang de Jésus.

6) Grace/Graham

Le prénom Grace évoque directement la grâce divine, la bonté, la gentillesse. Son


personnage est au premier abord perçu comme une jeune fille innocente. Hélas, on comprend
vite que ce n’est pas le cas et, comme Carl et Robin, elle va chercher à fuir ce prénom et à
devenir quelqu’un d’autre : Graham. En anglais, « grace » peut aussi référer aux bénédicités
que l’on fait avant un repas. Ironiquement, le dernier mot que Robin dit avant que Tinker ne le
gave à manger du chocolat est « Gracie », comme s’il faisait sa prière avant un repas.

Graham viendrait de l’ancien anglais et son étymologie réfère à « grand + ham », une
grande maison, mais aussi une maison faite de gravier. C’est le nom d’un ancien clan écossais
puissant. Ce prénom réfère donc tant à la force physique, qu’à l’idée de foyer. Grace voit en
son frère son propre foyer, son point de repère, qu’elle pensait fort devant toute épreuve, mais
qui au final disparait de sa vie. Puisqu’elle se retrouve sans repère, la pièce devient en quelque
sorte une quête d’un nouveau clan, un nouveau « graham » qu’elle va finir par trouver en
devenant elle-même cette personne. La pièce se termine donc avec un nouveau personnage :
Grace/Graham, le mélange « parfait » entre la douceur et la force.

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