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Oeuvres complètes de M.

de
Bonald,.... Tome premier /
publiées par M. l'abbé
Migne,...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Bonald, Louis de (1754-1840). Auteur du texte. Oeuvres
complètes de M. de Bonald,.... Tome premier / publiées par M.
l'abbé Migne,.... 1859.

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ŒUVRES COMPLÈTES

DE

M. DE BONALD.
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ŒUVRES COMPLÈTES

DE

M. DE BONALD,
PAIR DE FRANCE ET MEMBRE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE,

RÉUNIES, POUR LA PREMIÈRE FOIS, EN COLLECTION SELON


LE TRIPLE ORDRE LOGIQUE, ANALOGIQUE
ET CHRONOLOGIQUE;
REVUES SUR LES ÉDITIONS corrigées; par L'AUTEUR;
PRÉCÉDÉES D'UNE NOTICE EXACTE ET ÉTENDUE SUR
SA VIE ET SES œuvres;
DE SON ÉLOGE PRONONCÉA l'académie PAR MM. ANCELOT ET BRIFFAUT;
PUIS, D'UN AUTRE ÉLOGE PAR MGR FOULQUIER, évêque DE mende
AUGMENTÉES D'UN NOMBRE CONSIDÉRABLE
DE DISCOURS prononces PAR L'AUTEUR DANS LES DEUX
CHAMBRES SOUS LA RESTAURATION, ET D'UN PLUS GRAND NOMBRE ENCORE D'OPUSCULES OU
D'ARLICLES TRÈS-IMPORTANTS, ÉDITÉS AUTREFOIS séparément,
OU EXTRAITS DES
JOURNAUX DE L'ÉPOQUE;
CLASSÉES, COLLATIONNÉESET CORRIGÉES AVEC LE PLUS GRAND
SOIN;

suivies d'une table analytique des matières en dehors des tables particulières

PUBLIÉES

PAR M. L>ABBÉ MIGNE,


ÉDITEUR DE LA BIBLIOTHÉQUE UNIVERSELLE DU CLERGÉ,
00
BES COÏÏR3 COMPLETS SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE ECCLÉSIASTIQUE.

TOME PREMIER.

3 VOLUMES, PRIX: 24 FRANCS,

S'IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P. MIGNE ÉDITEUR,


AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D'AMBOISE, AU PE1TT-M0NTR0UGE,
BARRIÈRE D'ENFER DE PARIS.

1859
SOMMAIRE

DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME PREMIER DES OEUVRES


COMPLÈTES DE M. DE BONALD.,

Notice sur de Bonald.


M.
Éloge de M. de Bonald par M. Ancelot. XXIX
Réponse de M. Briffaut à M. Ancelot. xxxiv
Éloge de M. de Bonald par Mgr Foulquier. xxxv)
Avertissement de l'éditeur. xuv
PREMIÈRE PARTIE. ÉCONOMIE SOCIALE.

Démonstration philosophique du principe constitutifde la Société. 1

Théorie du pouvoir politique et religieuxdans la société civile, démontrée par. le rai-


122
sonnement et par l'histoire.
Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre social; ou du pouvoir, du ministre
954
et lu sujet de la société.
Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières^de
la raison 1050

Imprimerie de L. MIGNE, au Pelil-Monlrousc


NOTICE BIOGRAPHIQUE.

La vie du vicomte de Bonald a été racontée par deux de ses fils (a) avec une élégante sim-
plicité et le charme d'un profond sentiment de piété filiale. La notice que nous plaçons en
tête des OEuvres complètes de cet homme illustre est le résumé de ces deux écrits remar-
quables à des titres divers et qui se complètent l'un par l'autre.
Louis-Gabriel-Ambroise,vicomle(6)deBonaId,naquitàà Millau en Rouergue, d'une famille
ancienne, le 2 octobre 175i. Il n'avait que quatre ans lorsqu'il perdit son père. Sa mère,
femme très-pieuse, l'éleva auprès d'elle jusqu'à l'âge de onze ans, et lui inspira
ce vif
attachement à la foi catholique dont il a donné des preuves dans toutes les circonstances
de sa vie. On peut dire que c'est du zèle de ses ancêtres pour la religion qu'il aimait à
relever. Il rappelait divers traits de leur conduite à l'époque de la prétendue Réforme,
et l'ardeur que montra un de ses grands- oncles, Etienne de Bonald (c) conseiller
au parlement de Toulouse, pour empêcher que les nouvelles erreurs ne s'introduisissent
dans cette ville. Théodore de Bèze en fait mention dans son Histoire de l'Eglise réformée.
Vers l'âge de onze ans M. de Bonald quitta le toit paternel pour aller faire
d'abord dans une pension à Paris ensuite au célèbre, collège de Juillj, ses études
que dirigeait alors
le P. Mandar. C'est là qu'il fit sa rhétorique et
sa philosophie.
An sortir du collége, il entra dans les mousquetaires, et resta jusqu'à leur
y suppression,
en 1776. Revenu dans sa ville natale, il fut élu maire, quoique jeune
encore. Déjà les
temps devenaient mauvais on était à la veille de la révolution. Il sut retarder long-
en
temps les orages pour la ville qui l'honorait de ses suffrages; et,
par sa fermeté, la cha-
leur de ses paroles et la confiance générale qu'il inspirait, il put contenir les partis, et eut
le bonheur d'empêcher en plus d'une circonstance
une collision menaçante. Il prévint l'ef-
fusion du sang, comme l'avait fait, sous Louis XIII,
son bisaïeul, Pierre de Bonald,
lequel reçut de Louis XIV un brevet de conseiller (d) du roi
en ses conseils d'Etat et privé,
en considération des services qu'il avait rendus pendant les troubles de religion.
La considération que s'était acquise le vicomte de Bonald dans l'exercice de la mairie de
Millau le plaçait naturellement au nombre de
ceux qui pouvaient prétendre à représenter
la noblesse de sa province aux états généraux qui allaient s'ouvrir; mais, content d'être
utile dans une position modeste, M. de Bonald ne seconda pas les désirs do ses amis. Il fut
néanmoins porté, dans les deux sénéchaussées de Villefranche et de Rodez, aux élections
du mois de mars 1789, et obtint un grand nombre de voix dans l'une et dans l'autre.
Quelques mois après, une circonstance vint augmenter la popularité dont jouissait
dans sa province le maire de Millau, et valut à son nom l'honneur de retentir un moment
à la tribune de l'Assemblée nationale.
Un bruit fort extraordinaire s'était répandu dans toute la France. Chaque ville s'imagina
voir à ses portes une armée de brigands dont elle allait devenir la proie. Des émissaires
étaient envoyés dans toutes les directions pour s'assurer de leur marche, et leurs rapports
contradictoires augmentaient la confusion et la frayeur. Comment cette alarme s'était-elle
tout à coup et si universellement répandue? Etait-ce une manoeuvre habile des fauteurs
de la révolution, ou un de ces pressentiments qui accompagnent toujours les grandes

(a) Notice sur M. le vicomte de Bonald, par M. Henri de B., Paris, Adrien Leclère, 1841, grand in-8"
De la vie et des écrits de M. le vicomte de Bonald, par M. le vicomte V. de Bonald, Avignon, Sexiiiii
aîné, 1855, in-8°.. B
(b) U Encyclopédie du \W siècle a dit que le titre de vicomte lui été donné
était porté
a par Louis XVIH c'est
une erreur. Ce titre avant lui dans sa famille.
(d)
rec'–.
(a) Le 2i mai
Le 21 mai 1659.
105a.
~–
(e) Etienne de Bonald était beau-frère du président Duranti, massacré par les ligueurs.

w,r t
calamités? car il n'était que trop vrai qu'une armée de brigands
cAlamités? brigands était alors à nos portes,
et allait fondre sur notre malheureuse patrie.
Dans cette circonstance, M. de Bonald assembla le conseil municipal de Millau et les
notables de la ville, et leur proposa d'adresser à toutes les autres villes du département
une invitation pour se réunir et former une association pour la défense commune. « La
ville de Millau, » dit M. de Bonald, « a, la première, réclamé les droits de sa province
et elle sera la première à réclamer le respect des lois et de l'humanité, dans un moment où
l'extrême agitation des esprits semble les faire oublier. Elle a vu avec une vive reconnais-
sance, lors des terreurs qui viennent d'affliger ces contrées, les différentes communautés
s'unir pour le salut commun, et les citoyens abandonner leurs foyers pour voler à la dé-
fense de leurs frères. Elle leur propose à présent de s'unir étroitement en une confédéra-
tion d'honneur, de vertu et de respect pour les lois, et pour arrêter toute infraction à
l'ordre public, et toutes les violences qui mettraient en danger la vie et les propriétés des
citoyens etc.
La délibération prise sur cette proposition par les officiers municipaux et les habitants
de la ville fut transmise à l'Assemblée nationale, qui, dans sa séance du 21 août 1789,
en ordonna l'impression, et chargea son président, M. de Clermont-Tonnerre,
d'en témoi-
gner sa satisfaction (a).
Au mois de février 1790, à la réorganisation des municipalités, M. de Bonald fut réélu
maire de Millau, par une majorité de 293 voix sur 368.
Bientôt après, en juillet 1790, la création des assemblées départementales fournit à ses
toncitoyens une occasion de lui donner un nouveau témoignage de leur estime et de leur
confiance il fut nommé membre de l'assemblée départementale de l'Aveyron, par une
majorité de 452 voix sur 523, malgré une opposition furibonde organisée par le trop cé-
lèbre Chabot, alors prieur du couvent des Capucins de Rodez, et qui,'sous sa robe de moine,
laissait déjà pressentir le redoutable conventionnel. Le choix presque unanime de ses col-
lègues (26 voix sur 32) appela M. de Bonald à la présidence de t'administration départe-
mentale. Il quitta alors la mairie de Millau, et.on trouve à ce sujet, dans des notes tout inti-
mes, ces nobles et chrétiennes paroles: J'ai donnéma démission de la place demaire, quej'exer-
çais depuis le 6 juin 1785. Dieu seul sait ce que j'y ai souffertJe lui ai offert mes peines, et il
a daigné m'en dédommager en ne permettantpas que la tranquillité publique fût troublée pen-
dant ce long espace de temps, et au milieu des circonstances les plus orageuses. Il m'appelle
dans une autre carrière à de nouvelles croix je m'y résigne, et s'il daigne m'en faire triom-
pher, je lui demande d'écarter de moi l'esprit d'orgueil et d'amour-propre. (1er août 1790;)
Ainsi, sans partager de tristes illusions ni de folles espérances, M. de Bonald ne se
croyait pas le droit de refuser son concours, même lorsque son pays s'engageait dans des
voies qui lui semblaient aboutir aux abîmes. Le donnant avec la loyauté d'un honnête
homme et le dévouement d'un bon citoyen, il n'hésita pas à entreprendre courageusement
la tâche difficile de présider à l'organisation d'un des nouveaux départements.
Toutefois, il ne devait pas remplir longtemps ses nouvelles fonctions. La conscience a
des droits imprescriptibles, et le moment était proche où elle allait imposer au chef de l'ad-
ministration départementale de l'Aveyron l'obligation de protester contre un des actes du
gouvernement. L'horizon devenait de plus en plus sombre; un schisme affreux désolait
l'Eglise; les exigences de l'Assemblée nationale avaient imposé à la faiblesse du monar-
que l'acceptation de la Constitution civile du clergé. M. de Bonald crut de son devoir et de
son honneur de résigner ses fonctions, et de faire connaître hautement les motifs de sa
résolution, dans une lettre qu'il adressa à ses collègues et qui fut alors fort répandue. Cette
lettre, où respirent le courage du citoyen, l'honneur du gentilhomme et l'humble soumis-
sion du Chrétien, est le premier écrit qu'il ait publié, et elle mérite. de rester à la tête, de
ses OEuvres complètes. La voici
« Dispensé par ma place d'assister aux délibérations du Directoire, j'aurais pu prolon-

(a) Cette séance de la municipalité de Millau, avec le discours de M. de Bonald, est insérée al.
tome 111 des procès-verbaux de l'Assemblée nationale.
NOTICE BIOGRAPHIE' v»
ger mon séjour loin de vous,fous, Messieurs, et éviter ainsi de concourir personnellement"
personnellement"* a:}
l'exécution des nouveaux décrets; mais je dois à la foi que je professe un autre hommage
qu'une absence équivoque ou un timide silence. J'ai donné, je donnerai toujours l'exem-
ple de la soumission la plus profonde à l'autorité légitime, et les dispositions les plus
sévères ne m'arracheront ni un regret, ni un murmure mais sur des objets d'un ordre
supérieur, et qui me paraissent intéresser ma religion, je n'irai pas, en me séparant de
cette autoritévisible de l'Eglise, que les éléments les plus familiers de ma croyance m'ont
appris à reconnaître dans le corps des pasteurs, unis à leur chef, m'exposer à des doutes
cruels, à des remords déchirants pour celui qui a confié a ces consolantes vérités le bon-
heur de son existence. L'Assemblée nationale a décrété des changements dans la disci-
pline ecclésiastique et la constitution du clergé; elle a imposé aux pasteurs le serment de
s'y conformer, et de les maintenir. Le roi, sur des instances réitérées, a donné
sa sanc-
tion à ces décrets mais le chef de l'Eglise garde le silence mais les premiers pasteurs
rejettent unanimement ces innovations; mais les pasteurs secondaires, unis à leurs évê-
ques, annoncent partout la plus invincible résistance; mais plusieurs même de ceux qui
y avaient adhéré rétractent leur adhésion, comme une faiblesse ou une surprise. Et moi,
à qui il est commandé de croire, et non de décider; moi, qui sais que le mépris du Saint-
Siége et de l'autorité des premiers pasteurs a été le principe de toutes les dissensions reli-
gieuses qui ont désolé l'Eglise et l'Etat; moi, qui ne puis séparer le respect que je dois
à ma religion, du respect qu'elle me commande pour ses ministres, j'irais prévenir la dé-
cision du chef de l'Eglise, braver l'opinion unanime de mes pasteurs, déshonorer ma re-
ligion en plaçant ses prêtres entre la conscience et l'intérêt, le parjure et l'avilissement;
je leur dirais Jure, ou renonce à tes fonctions, à ta subsistance, comme en d'autres temps
on disait à des hommes Crois, ou meurs! Non, non, Messieurs, non; l'humanité autant
que la religion se révoltent à cette pensée. Ce n'est pas là sans doute le prix que mes con-
citoyens mettaient à la confiance dont ils m'ont honoré; ils me reprocheraient un jour de
l'avoir usurpée, et je renonce aux témoignages flatteurs qu'ils m'ont donnés, si je ne puis
en jouir sans trahir ma conscience et leurs plus grands intérêts. »
M. de Bonald se retira à la campagne; mais cette démission éclatante ayant inspiré de
vives craintes à sa famille, il céda, sans les partager encore, aux instances qu'elle lui fai-
sait de pourvoir à sa sûreté, et croyant désormais, comme toute la noblesse française, rem-
plir un devoir d'honneur, quand la religion était détruite et l'autorité royale avilie, il
se décida à émigrer.
Il se rendit d'abord à l'armée des princes, et après son licenciement, il se fixa à Hei-
delberg, et s'y consacra avec autant d'assiduité que de tendresse à l'éducation de
ses
deux fils aines qu'il avait emmenés avec lui, et qu'il retira alors du collège de Saint-
Charles, de cette université célèbre où il les avait placés à son arrivée en Allemagne. La
première fois qu'il entra avec eux dans l'église du Saint-Esprit d'Heidelberg, ayant re-
marqué l'inscription qui était au haut du maître-autel, Solatori Deo « Mes enfants, ») "leur
dit-il, « ces mots semblent s'appliquer particulièrement aux émigrés. » En effet, ils allaient
bientôt n'avoir plus d'autre consolateur que celui-là.
Ce fut au milieu des soins de cette éducation et de toutes les distractions qu'elle lui
occasionnait, au milieu des cruols tourments que lui causaient les maux toujours plus
grands de sa patrie, son éioignement du reste de sa famille, et plusieurs fois du dénû-
ment absolu de toutes ressources, qu'il commença à s'occuper de la composition de son
premier ouvrage, sa Théorie du pouvoir politique et religieux, privé, sur ce sol étranger, de
tous lessecours nécessaires pour traiter un aussi vastesujet. Il n'avait guère à sa disposition
que l'Histoire universelle de Bossuet, et quelques volumes de Tacite qu'il lisait beaucoup,
et qui a été, jusqu'à la fin de ses jours, son auteur de prédilection. On lui avait. prêté
l'Esprit des lois et le Contrat social. Il eot alors l'idée de combattre ces deux ouvrages.
Avant l'âge de quarante ans, il n'avait jamais songé à écrire il fallut les loisirs de l'émi-
gration et un vif désir de s'opposer à l'envahissement des mauvaises doctrines, pour l'y
déterminer.
7. 1
vin NOTICE BIOGRAPHIQUE.
Dans son exil, M. de Bonald était toujours à l'affût de toutes
.f.,r. R. compatriotes
rencontrer des m..IH.e
nn.W'nn.~f.l"fn.o malheureux, et"v lorsqu'il passait à
tou
). T?..
les occasions de
Heidelberg des colonnes
de prisonniers français, il aimait à se trouver sur leur passage et à se mêler à leurs rangs,
pour causer avec eux de la France, les questionner sur leurs combats et leurs souffrances,
et s'informer s'il se trouvait parmi eux quelques Aveyronnais, tout heureux alors de pou-
voir leur dire quelques mois de patois, de leur parler de leur famille, et souvent de leur
offrir quelque petit secours ce qui, dans sa position, n'était pas sans quelque mérite.
Un jour, il avait marché longtemps, fort longtemps avec une longue colonne de prison-.
niers, que l'on conduisait en Bohême; et lorsque après s'être un peu oublié dans ses con-
versations, il voulut revenir sur ses pas et rentrer dans la ville, un caporal autrichien lui
barra brusquement le passage, et s'obstinait à le garder prisonnier, et à le faire marcher
avec les autres, au grand divertissement de quelques malins de la troupe, lorsque inter-
vint, fort heureusement pour lui, un officier qui le comprit et le délivra.
Lorsque la compositionde la Théorie du pouvoir fut achevée, M. de Bonald se détermina
à quitter Heidelberg, pour se rapprocher un peu du midi de la France, et il se rendit, à
pied, à Constance, suivi de ses deux fils, et emportant son manuscrit dans son havresac.
Nos voyageurs s'établirent sur le territoire suisse, hors de là porte de cette ville, alors
habitée par tout ce que la noblesse française avait de plus illustre; et ils allèrent occuper,
dans le village d'Egelshoffen, une de ces petites maisons de paysan, entourée d'un joli
verger, d'où la vue s'étendait sur le lac de Constance.
Dans cette retraite,qui eût été heureuse et douce pour le noble écrivain, si le souvenir
de la patrie absente, la pensée des maux qui l'accablaient, et l'éloignement de ce qui lui
était cher, n'eussent constamment assiégé son esprit et brisé son cœur, M. de Bonald se
livrait de plus en plus au travail pour écarter de si sombres pensées. Il se consolait par
l'étude et par les soins qu'il donnait à l'instruction de ses enfants. Il revit son manuscrit,
y fit des corrections et des changements importants, le communiqua à des hommes de
mérite qui habitaient Constance, et il se décida enfin à le faire imprimer par des prêtres
émigrés qui y avaient établi une imprimerie française, dont le faible produit devait être
consacré au soulagement des nombreux ecclésiastiques, victimes de la révolution, qui
s'étaient établis dans cette ville hospitalière.
L'édition de la Théorie du pouvoir (a) fut envoyée presque en entier à Paris, où elle fut
saisie par ordre du Directoire, et, sauf quelques exemplaires distribués par l'auteur à ses
amis, il n'en échappa qu'un bien petit nombre.
Cet ouvrage, où tous les principes politiques et religieux qu'on avait voulu détruire
étaient relevés, où les véritables bases de l'ordre social, ensevelies sous un amas d'er-
reurs, étaient remises à découvert, se trouvait parfaitement approprié aux circonstances,
et la vive impression qu'il produisit sur le petit nombre de personnes qui purent se le.
procurer, sur des hommes tels que Fontanes, La Harpe, Chateaubriand, permet de juger
du succès qu'il eût obtenu. M. Necker lui-même, dont les idées étaient loin d'être les
mêmes que celles de l'auteur, écrivant de Lausanne, en 1800, à M. Marigni, qui fut depuis
inspecteur général de l'Université, lui disait, au sujet de la Théorie du pouvoir: « J'ai lu
l'ouvrage de M. de B. et j'y ai trouvé le mérite d'un grand nombre d'idées, d'une im-
mensité de connaissances, et d'une opinion toujours indépendante. Plusieurs propositions
seraient susceptibles de controverse, et c'est dans le faire qu'il y aurait le plus à désirer;
mais cet art est en seconde ligne, au jugement des vrais appréciateurs de l'esprit. »
Voici comment un journal qui ne partageait pas en tout la manière de voir de M. de
Bonald, se plaisait à peindre l'impression que dut produire l'apparition de son premier
ouvrage.* Jamais,» dit la Revue européenne (b),« M. de Bonald ne fut plus éloquent écrivain;
jamais un style plus beau, plus pur, n'a, comme un verre qui grossit, rapproché des yeux.
(a) Cette édition, extrêmement rare, est en 3 vol. in-42, et porte pour titre Théorie du pouvoir
politique et religieux, dans la société" civile, démontrée par le raisonnementet par l'histoire, par M. de l>
gentilhomme français. 1796. Sans nom de ville, ni d'imprimeur.
(b) Mai 1854.
les moins perçants la hauteur de Ses conceptions. On aime à le voir,
au fond de son exil,
entouré de souffrances, étourdi de frivolités, élevant une voix sévère consolante;
et ap-
pelant ses compagnons d'infortune à des idées graves et hautes, contraires leurs habi-
tudes, étrangères à leurs souvenirs; détournant leurs yeux des futilités du moment,
leur révéler la cause inconnue, là vraie, la grande cause de leurs misères leur expliquant pour
logiquement les iniquités, les violences dont ils sont victimes par l'oubli
qu'on a fait de la
foi de leurs pères! Quelle n'a pas dû être,
au milieu de telles circonstances, l'autorité d'une
parole qui présentait à des hommes persécutés là religion comme
une alliée perpétuelle,
nécessaire, essentielle, dont la nature est de vouloir tout ce qu'ils veulent, de combattre
et
les mémés ennemis 1 Quelle action ne devait pas exercer sur ces enfants du xvm' sièele
un système qui établissait entre les lois de l'Eglise et l'organisation politique dont fa
chute les écrasait, une telle parité, qu'elles semblent s'identifier, et qui relevait
en quel-
que sorte les institutions brisées en eux, au rang des choses saintes » »
Aussi cet ouvrage fut-il extrêmement recherché, et on pressa vivement l'auteur
d'en
donner une nouvelle édition. Il eut toujours le projet de le faire, et néanmoins
qu'après sa mort que la Théorie du pouvoirà été réimprimée. On" s'étonne, » écrivait-il ce n'est
« (a),
« que je n'aie pas fait réimprimer mon ouvrage de la Théorie du pouvoir.
Je n'ai jamais écrit
par goût, encore moins par ambition et par intérêt; j'ai
cru remplir un devoir, et j'ai pris
la plume sous l'influence d'une irrésistible impression. Cet
ouvrage, composé sans secours
et sans livres, avec des réflexions et des souvenirs, au milieu de toutes les misères de l'é-
migration et des soins que je devais à mes enfants, fut imprimé Allemagne
en et envoyé à
Paris, où il fut saisi par la police, et où je faillis t'être moi-même. Je le fis
parvenir à Bo-
naparte à son retour d'Egypte, en cachant toutefois mon domicile. Un
peu plus tard, il
me fit presser par Desmarets, chef de sa police secrète, de le faire réimprimer, sechargeânt
d'en faire les frais. Je m'y refusai, pour n'être
pas obligé de supprimer ce que je disais de
Louis XVIII, dont j'annonçais le retour. Depuis ce moment, distrait
par d'autres soins pu-
blics et domestiques, je ne me suis plus occupé de cette nouvelle édition. II n'y
aurait eu,
je crois, rien à changer aux principes, mais seulement à la forme,
et, saris parler de la répu-
gnance que j'éprouvais à revenir sur un ouvrage qui m'avait si péniblement et si malheu-
reusement occupé, je préférai d'en reproduire les principes sous une forme plus abrégée,
ce que j'ai fait dans plusieurs écrits, et notamment dans la Démonstration philosophique.
du principe constitutifde la société. »
Au printemps de l'année 1797, M. de Bonald
se décida à rentrer en France; avec ses
deux fils. Toujours à pied, car l'état de leurs finances leur interdisait toute
autre manière
de voyager, ils traversèrent la Suisse, et par Schaffouse, Berne et Fribourg, ils
arrivèrent
à Lausanne, d'où, côtoyant les bords du lac de Genève,'ils
se rendirent à Nyon et de là, gra-
vissant la chaîne du Jura, après deux nuits de marche clandestine dans les
arrivèrent au-dessus de la ville de Saint-Claude. Vers minuit, les trois
montagnes ils
voyageurs, par une
nuit obscure, et au milieu d'un orage, passèrent dans un petit bateau
un torrent ra-
pide que la pluie et ta fonte des neiges avaient enflé; et parvenus heureusement à l'autre
bord, ils purent enfin, après avoir évité les postes militaires établis
sur la frontière, at-
teindre, auprès dePont-d'Ain, la grande route de Lyon.
Après six années d'exil, M. de Bonald put revoir sa famille, mais, hélas 1 diminuée.
Cette
mère chérie qui avait élevéson enfance avec tant de sagesse et d'amour, n'avait
pu résis-
ter à l'éloignement de son fils, aux fatigues de sa fuite dans les montagnes, et
de la réclusion qu'elle avait subie pendant plusieurs mois. Une autre place était aux peines
vide au
foyer domestiqué. Il ne retrouvait pas la plus jeune de ses filles, frêle enfant qu'avaient
brisée la frayeur des poursuites exercées contre sa mère, et des fatigues au-dessus de
âge, en la suivant plus d'une fois dans une fuite précipitée. Qu'était auprès de celason la
perte de sa fortune? Sa maison, ses meubles, ses biens avaient été vendus. II
ne lui restait
qu'un coin de terre de peu de rapport, dernier asile qu'avait
pu conserver ,sa femme. JI
n'eut pas même alors la consolation de s'y retirer; car, à peine arrivé à Montpellier, où sa
(a) Lettre la Reçue européenne, août \SM.
femme et ses enfants étaient allés le recevoir, il dut s'arracher une seconde fois à leurs em-
brassements, pour aller à Paris se soustraire plus facilement aux poursuites qui venaient
de recommencercontre les émigrés, à la suite des événements du 18 fructidor.
Peu de temps après son arrivée dans la capitale, M. de Bonald fut curieux de savoir
Constance à
ce qu'élait devenue l'édition de sa Théorie du pouvoir, envoyée de
Paris, curiosité qui aurait pu lui coûter cher. Il se rendit à la police sous un nom
supposé, et c'est là qu'il apprit que son livre, le premier-né des enfants de son intelligence,
avait été saisi et envoyé à l'ignoble pilon, par ordre du Directoire, qui régnait encore.
Ayant témoigné le désir d'en obtenir un exemplaire, si par hasard il en était échappé quel-
qu'un aux gémonies de la police, un des employés supérieurs de cette administration eut
l'obligeance de le conduire lui-même dans une salle où étaient entassés, pête-mêle, des
exemplaires de tous les ouvrages qui avaient éprouvé ce lamentable sort. Là, ayant remué
du boutde sa canne quelques livres de cet énorme tas, sa Théorie du pouvoir lui apparut
tout à coup à la surface côte à côte d'un ouvrage infâme dont nous n'oserions transcrire le
titre. A cette vue, les entrailles paternelles de l'auteur, trop vivement émues, le trahirent
subitement, et il ne put s'empêcher de s'écrier Je péris ici en bien mauvaise compagnie
A ces mots, l'employé, qui était honnête homme, se mit à sourire, et lui dit
Je sens que
l'épreuve était trop fortepour un père, mais je lui promets toute discrétion; et il lui laissa
emporter l'exemplaire.
M. de Bonald demeura deux ans caché à Paris; ce fut dans cette retraite,
environnée de
Divorce con-
beaucoup de dangers, qu'il composa trois de ses principaux ouvrages le
sidéré au xix* siècle, l'Essai analytique, et la Législation primitive. Il a dit avec
raison
France que sur un
dans un de ses écrits postérieurs, que la révolution n'avait reculé en
le dire avec quelque
seul point sur la question du divorce; et il aurait eu le droit de
question a
orgueil, car la supériorité de talent avec laquelle il traita cette importante
contribué certainement à ramener les esprits à la vérité, et à faire effacer plus tard
de
écrivait de Coppet, le 28
notre code cette loi destructive de la famille. M. Necker lui raison, de mesure,

Necker.
juillet 1802, au sujet de ce livre C'est un ouvrage excellent, plein de
parfaite éloquence. J'ai
de la meilleure philosophie, et qui finit par des pages de la plus dignes d'être
remarqué aussi avec un sentiment heureux les fragments que vous avez jugés
réservés à la postérité. On
placés dans un ouvrage qui s'est fait place parmi les livres
peut .affirmer que l'Europe savante, religieuse et morale, a confirmé le
jugement de
M.
pensée qui do-
Dans l'Essai analytique et dans la Législation primitive, on retrouve la
forme
mine dans la Théorie du pouvoir. C'est la même théorie de l'ordre social sous une
moins importants.
différente, avec des développements plus ou moins étendus, plus ou
résultats, il
Quand l'esprit, pour asseoir une théorie, a rencontré une vérité féconde en
la suit avec persévérance, il ne peut plus s'en détacher. M. de
Bonald appliqua son prin-
qui appartient
cipe constitutif de la société en général, son principe générateur, à tout ce
les phéno-
à l'ordre moral, comme Newton appliquait son principe de physique à tous
faces; il en
mènes de l'ordre matériel, ou dé l'univers. Il l'envisageait sous toutes ses
p|ua satisfai-
faisait les applications les plus variées; il y trouvait les explications lesqu'à la vérité.
convenir
santes. Ce principe devint pour loi d'une fécondité qui ne peut les émigrés de
Après la chute du Directoire, et lorsque le premier consul eut fait rayer
se fixer dans sa petite
la liste de proscription, M. de Bonald rentra dans ses foyers, et vint
terre du Munna (a), faible débris de son patrimoine, vendu d'abord comme bien national,
dot englobée dans les biens
et que M- de Bonald avait rachetée pour une partie de sa
de son mari.
dont nous
C'est à partir de cette époque qu'il s'occupa de la publication des ouvrages
de parler, et qui parurent successivement dans les premières années de ce sièele,
venons
en même temps qu'il concourut activement à la
rédaction du Mercure de France, avec
Chàteaubriand,alors son ami, et avec qui il devait se retrouver plus tard dans
le Con~

(a) Auprès de Millau,


sertateur, avecLa Harpe, M. de Fontanes, M. 1 abbé de Boulogne, depuis évoque de
Troyes, avec MM. Fiévée, Lacretelle, Charles Delalot. II écrivit aussi à cette époque dans
le Journal des Débats de nombreux articles, dont plusieurs ont été réimprimés depuis
avec ceux du Mercure sous le titre de Mélanges, et où la profondeur des vues, les hautes
pensées, et les aperçus religieux, philosophiques et politiques, se trouvent si souvent
réunis à l'agrément d'un style piquant et nerveux, au talent d'observation et à la finesse
de l'esprit et du goût.
Cependant l'estime qu'avait ressentie Napoléon pour le premier ouvrage de M. de Eo-
nald {a), et qui le portait à en désirer la réimpression, devait attirer son attention sur lui.
L'organisation de l'Université parut à l'empereur une occasion d'employer utilement les
talents d'un homme dont la renommée grandissait chaque jour, et dont le nom, placé par
l'opinion à la tête de la réaction contre l'école voltairienne et matérialiste, devait offrir
aux familles une sérieuse garantie de la direction morale et religieuse qu'il voulait im-
primer à l'institution naissante. Il fut donc nommé, au mois de septembre 1808, conseiller
de l'Université (b). Mais, malgré la présence dans ce conseil de plusieurs de
ses amis,

(a) Le premier consul, préoccupé de ses projets contre l'Angleterre, avait souhaité voir traiter
de Bonald la grande question de la liberté des mers. par M
M. de Fontanes avait été chargé de l'y inviter. Voici la note dans laquelle il lui envoyait le
de ce.travail rédigé sous l'inspiration du premier consul, et qui a d'autant plus d'intérêt que'les programme
idées si
élevées et si justes qu renferme ont enfin pris place dans le droit public européen, grâce à l'initiative
d un autre Napoléon. r ° o
On désirerait qu'il (M. de Bonald) se chargeât d'un ouvrage dont voici le but Le droit public établi
les puissances continentales est plein d'humanité et de justice. Cette humanité et cette justice sont dues àparmi
l'in-

,<
fluence qu'y a toujours exercée la France. Dans l'origine, le pays conquis était dévasté des peuples entiers
faits prisonniers et réduits en esclavage. Depuis plusieurs siècles, c'est-à-dire, depuis
que la France influe
comme première puissance du continent, le droit de conquête ne donne que celui de soumettre les provinee'%
à sort gouvernement, au lieu de celui du prince qui y régnait; le droit de propriété reste sacré. Aucun indi-
vidu ne perd son champ; les tribunaux du pays continuent leur exercice
n'est donc interrompu; les successions des familles, les mariages, les procès,presque sans être troublés. Rien
les testaments, etc., etc., tout
a lieu comme à l'ordinaire.
Sur mer, au contraire, le droit des gens a conservé la rudesse et la barbarie des premiers
rudesse et cette barbarie sont dues à l'influence qu'y exerceut les Anglais depuis plusieurs siècles. temps. Cette
Au lieu
de s'améliorer le droit des gens sur les mers est devenu plus dur et plus barbare à
mesure que les Anglais
y sont devenus plus puissants. En effet ce ne sont point des bâtiments de guerre qui se battent entre
comme sur terre des armées, ce sont des bâtiments de guerre qui prennent des bâtiments de commerce; eux,
ce sont des familles qu'on ruine, des propriétés individuellesqu'on attaque, quoiqu'ellesn'aient rien de commun
avec la guerre. Il faudrait faire sentir que la guerre sur met ne devrait avoir
colonies ou des bâtiments dont on se sert comme moyen de transports et moyen d'attaque;pour but que la prise des
mais que le cont-
merce devrait jouir. de sa liberté ordinaire; que la propriété ne devrait pas moins être sacrée etc., etc
Et dans de nouveaux développements sur ce qui concerne les neutres, faire sentir à quel degré de
Les Anglais sont arrivés, puisqu'ils
tyrannie
lie reconnaissent plus de neutres, puisqu'ils soumettent à leur inauisilicn
même ceux convoyés par des bâtiments de guerre.
On pourrait faire sur ce sujet un ouvrage de longue haleine, raisonné et classique, qui pût être
la nation et à l'Europe. 7 t–– utile à
Nous ignorons ce qui empêcha M, de Bonald de traiter un sujet aussi important et qui répondait
tièrement à toutes ses idées. Quelques pages éparses et incomplètes la liberté des mers sont tout ce
en-
qu'il paraît avoir écrit là-dessus.
sur
(b) D'autres tentatives avaient déjà été faites avant cette époque pour rattacher M. de Bonald
vernement impérial. Voici à cet égard quelques détails parfaitement authentiques et dont une partie au gou-
se trouve pas dans les deux nôtices que nous avons citées. ne
En 1806, M. de Bonald avait envoyé au Mercure un article sur la tolérance qui déplut
police, Fouché. Celui-ci écrivit au préfet de Rodez, pour le charger d'exprimer à l'auteur au ministre de la
tout son mé-
contentement. Le préfet, en fonctionnaire zélé, manda M. de Bonald auprès de lui et joignit au blâme du
ministre toute l'acerbité et toutes les petites vexations, à l'aide desquelles il crut pouvoir lui faire
M. de Bonald se plaignit à son ami, M. de Fontanes, qui lui répondit à la date du 17 août 1806 J'aisa cour.
couru'
votre lettre à la main chez le maître. J'ai vu tout de suite que les ordres ne venaient pas d'en haut. J'ignorai,
tout cela, m'a-t-on dit, je m'en ferai rendre compte. A l'audience suivante on est venu à moi
avec l'air
de la plus excessive bienveillance. L'affaire de votre ami n'est rien, tout est arrangé. Qu'il soit tranquille,
mais qu'il vienne à Paris; à deux cents lieues il est diflicile de se bien entendre. Voilà les
celui qui peut tout. Et M. de Fontanes, après avoir vivement poussé M. de Bonald de propres mots de
rendre à cette
invitation, revient sur l'affaire qui a été l'occasion de cette correspondance et termineseainsi
des malentendus dans toute cette affaire et peut-être un peu de jalousie littéraire, si j'en crois M. dey a eu
leyrand. Des subalternes qui prétendent aussi être des écrivains profonds, n'aiment Tal-
pas, dit-on, ceux qui ont
une vraie profondeur sans l'affecter et sans rien prétendre. Quoiqu'il en-soit, oubliez tout cela et venez à
l'aris chercher la gloire et tout ce qui doit V accompagner sous un gouvernement éclairé. M. de Bonald
resta dans sa solitude et moins de deux mois après cela, M. Mole était chargé par le ministre de la police
de lui proposer la dircctiou du Journal de l'Empire. Quelques jours après, M de Fontanes lui écrivait à
malgré ses relations intimes avec le grand maître, M. de Fontanes, il n'accepta pas, et
prolongea son séjour dans sa retraite du Monna.
Il y était encore le 7 juillet 1810; lorsqu'un envoyé de Louis Bonaparte, M. Briatte,
homme de mérite et d'esprit, mort il y a quelques années conseiller maître à la cour des
comptes, vint l'y trouver et lui présenta une lettre du roi de Hollande, dans laquelle ce
prince lui demandait, avec les plus affectueuses et les plus honorables expressions, de se
charger de l'éducation de son fils. Louis Bonaparte cherchait par -la confiance la plus
flatteuse à attirer auprès de lui le célèbre écrivain et l'honnête homme, et il ne négligeait
rien pour intéresser son cœur à l'accomplissement de son vœu le plus ardent.
Nous rapliorterons cette lettre, si honorable pour celui auquel elle est adressée, plus
encore peut-être pour les sentiments de celui qui l'écrivait, si pleine de noblesse, de
véritable grandeur, d'ardent patriotisme. En la transcrivant ici, nous croyons honorer la
mémoire de notre écrivain; mais nous croyons aussi rendre hommage à celle du roi
Louis.
« Monsieur, je suis presque toujours malade, quoique jeune j'ai des occupations au-
dessus de mes forces et, le seul but d'une vie laborieuse et pénible, c'est pour moi d'être
utile à un pays qui m'a été confié, et de laisser à mou fils aine (a) une carrière plus pai-
sible et plus heureuse à parcourir. Il a dans ce moment cinq ans et demi. 11 est doué d'une
intelligence supérieure à son âge, et il aurait besoin de passer déjà sous la direction de
son père, et de quitter les dames qui ont pris soin de lui jusqu'ici, si je pouvais m'y
livrer. Malheureusement, je suis très-souvent malade, et le peu de temps que ma santé
me laisse disponible est à peine suffisant pour les affaires du pays et les soins pénibles
qu'il me donne.
« Dans cette situation, j'ai pensé souvent sans succès au moyen d'être à côté de mon
fils parfaitement tranquille. 11 est confié jusqu'ici à une dame très-respectable, que j'aime
et j'estime; mais malheureusement.je m'aperçois que cet enfant a besoin, et un besoin
très-pressant, d'être dirigé par un homme. Ce ne sont plus de petits soins qu'il lui faut
uniquement, mais une juste direction sans cela il ferait son éducation lui-même, c'est-
à-dire que son esprit prendrait au hasard des impressions bonnes ou mauvaises, et
qu'ensuite il serait très-difficile de le mener sur le bon chemin. Je voudrais qu'il fût
homme avant de savoir qu'il est destiné peut-être à commander à ses semblables; je
voudrais que l'expérience des temps et des hommes, pût lui servir réellement, et qu'il
reçût, non l'éducation des mots, mais celle des choses.
« Après avoir cherché partout,j'ai réfléchi, Monsieur, que, sans vous connaîtra
autrement, vous étiez un des hommes que j'estime le plus; il m'a paru que vos
principes étaient conformes à mes sentiments. Vous me pardonnerez donc, Monsieur,
si ayant à choisir quelqu'un à qui je désire confier plus que ma vie, je m'adresse
à vous c'est le cas de bien choisir. Si donc, Monsieur, le bonheur dont vous jouissez
sans doute dans une modeste retraite ne vous a point rendu insensible au bien que vous
pouvez faire, je ne dis pas à moi, à un individu, mais à toute une nation plus estimable
encore que malheureuse, et c'est beaucoup dire, acceptez d'être le gouverneur de mon Qls:

le préfet, s'il
ce sujet; (18 octobre 1806), qu'on lui assurerait pour toujours mille écus par mois, et que
acceptait, avait l'ordre de lui faire compter à son domicile la somme dont il aurait besoin pour le trans-
porter à Paris avec toute sa famille. M. de Fonlanes ajoutait Je vous jure que je n'aurais pas voulu
entendre celte proposition pour vous, si je n'étais sûr que vous serez libre, parlement libre dans toutes
monarchique et religieux,
vos opinions- On veut un homme d'un beau talent, d'un caractère élevé, éminemment
qui puisse donner une grande autorité aux principes contenus dans une feuille lue par un million d hommes
tous les malins. Je ne doute pas qu'avec la considération qui vous entoure on ne fit mieux encore dans la
suite. Mais je -n'insiste point sur ce genre de considérations. -La fortune vous touche peu, songez seulement que
vous servez la bonne cause en répondant au vœu qui vous appelle. Mais l'appàt de la
fortune ne séduisit
pas ptus M. de Bonald que ne l'avait fait deux mois auparavant l'invitation du maître.
(o) Le fils aîné du roi de Hollande était mort à cette époque. Celui dont il est ici question était le
second itfst mort en Italie en 1832.
MÔTICE BIOGRAPHIQUE.
xn,
vous le confier, c'est vous marquer le plus vif désir de gagner votre votre amitié, et vous mon-
trer tout le cas que je fais d'un
H un homme def\ bien
ïirtTYïTYlfi ai éclairé,
a Viîûn et <£/)la£.tA tel mia je
tal que vous crois.
îa. imite* /»m/\îc?Je
'Tavous
nAnf<
prie, Monsieur, défaire un petit voyage dans ce pays. Vous devez aisément vous ima-
giner avec quel plaisir je vous recevrai; et si je ne puis réussira vous faire accepter
l'olfre que je vous fais, j'aurai au moins, Monsieur, le plaisir de faire votre connais-
sance, et de vous exprimer ma satisfaction de trouver en vous l'homme de bien et l'homme
éclairé dont je désire l'amitié.
« Si l'on vous parle de ce pays et de moi, nos malheurs nous donneront sans doute des
torts que nous sommes loin de mériter; on vous dira peut-être que je n'aime que la Hol-
lande, que je ne suis plus Français, que je déteste tous ceux qui se trouvent ou se sont
trouvés ici avec moi., Remettez votre jugement sur tout cela, je vous prie, jusqu'au mo-
ment où je pourrai me défendre. Vous verrez alors, Monsieur, qu'attaché par devoir et
par inclination à un pays dans lequel je suis venu malgré moi, j'ai tout bravé pour y
remplir des devoirs plus difficiles qu'il n'est possible de se l'imaginer; tout, jusqu'à passer
pour avoir renié mon pays et n'être plus Français, tandis que mon cœur, depuis long-
temps, ne palpite plus qu'à ce nom. Et cependant j'en reste éloigné; je défends de son
incorporation, c'est-à-dire, de sa ruine totale, un pays dont le climat me détruit chaque
jour visiblement; j'y supporte toutes les difficultés, tous les événements, tous les mal-
heurs sans me lasser. Si je n'y étais obligé par le plus impérieux des devoirs, resterais-je
dans cette situation? J'y suis obligé, mais j'avoue que mon plus grand malheur vient
du renom d'être Anti-Français, qu'il me faut endurer.
« Adieu, Monsieur, recevez cette communication confidentielle avec assurance, et
veuillez me répondre franchement; ne craignez point de me causer du chagrin, si vous
ne croyez ;pas pouvoir accepter; j'y suis accoutumé la seule chose; à laquelle je ne
m'accoutumeraisjamais, c'est dé ne point mériter l'estime et le suffrage des personnes
telles que vous.
i Amsterdam, 1er juin 1810.
Louis NAP. »

Cette iettre fit couler quelques larmes des yeux de celui qui la recevait, comme elle en
avait coûté sans doute à celui qui l'écrivait, et qui avait cessé de régner lorsqu'elle parvint
à sa destination. Ecrite le 1" juin 1810, elle fut remise à M. de Bonald le 7 juillet. Le roi
Louis avait signé son abdication le 4 du même mois, et le 9 la Hollande fut décrétée
province française. Au moment où il écrivait, la résolution du roi était probablement
prise. L'empreinte de tristesse profonde des dernières lignes le fait supposer, et la manière
dont il rapporte lui-même ce fait dans ses Mémoires écrits en 1817, sous le nom de Docu-
ments historiques du comte de Sain.t-Leu, ne permet pas d'en douter. Nous citons ces pa-
roles qui ajoutent encore au témoignage de confiance que donnait le prince à l'illustre phi-
losophe, et qui contiennent de lui une appréciation que nous devons recueillir ici Jl
«
chercha, » dit le comte dé Saint-Leu, «parmi les hommes distingués en France, celui au-
quel il pourrait confier son fils d'avance, afin que s'il était obligé d'abdiquer, son fils et la
reine eussent un guide sûr. I| fallait pour être agréé de l'empereur et respecté lors de la
catastrophe, comme pour soutenir la Hollande dans ce cas, un homme célèbre, un Fran-
çais, un homme connu, estimé de l'empereur comme en Hollande, un monarchistelibéral,
un homme indubitablement ferme d'honneur et de probité. Il choisit M. de Bonald, qu'il
ne connaissait que de réputation. Sa letlre parvint par un secrétaire expressément envoyé
dans le Rouergue.» C'est vraisemblablementà l'approbation de l'empereur que se rapportent
ces mots de la lettre recevez cette communication avec assurance, et en effet l'empereur
était chargé de la lui faire connaître verbalement.
Profondément touché d'offres faites d'une manière si délicate et avec une confiance si
honorable et si flatteuse, M. de Bonald regretta de ne pouvoir s'y rendre; il
ne put accep-
ter ni accorder autre chose que l'amitié qui lui était si "noblement offerte et demandée,
et conserva au roi Louis un reconnaissant et respectueux souvenir qu'il aimait encore
6 rappeler dans ses derniers jours.
Ce fut quelques mois après, à la fin de 1810, que M. de Bonald, vaincu par les instances
de ses amis, par celles surtout de M. de Fontanes se décida à aller occuper au conseil de
l'Université la place à laquelle il avait été nommé deux ans auparavant, et qui était restée
vacante depuis cette époque. Lucien Bonaparte l'ayant demandée dans cet intervalle pour
une personne à laquelle il s'intéressait, cette place, avait dit l'Empereur à M. de Fonta-
nes, est réservée à M. de Bonald.
Une fois décidé à l'accepter, celui-ci se dévoua avec ardeur à ses nouvelles fonctions,
dont l'exercice lui était rendu facile et doux par l'amitié que lui portait le grand maître
de l'Université, et la confiance qu'il lui accordait.
La Restauration qu'il avait prédite dans la Théorie du pouvoir les lui conserva;
Louis XVIII le nomma membre du conseil royal de l'instruction publique qu'il réorgani-
sait sous la présidence de M. de Bausset.
Dans les premiers jours de 1815, M. de Bonald fit paraître un écrit qui produisit alors
et
une grande sensation en France et en Europe qui était digne de la faveur qu'il obtint
non-seulement par le patriotisme, mais aussi par la grandeur et l'élévation de ses vues.
Les Réflexions sur l'intérêt général de l'Europe furent regardées par tous les hommes ins-
truits et zélés pour l'honneur et la gloire de la France, comme un des meilleurs traités de
politique générale, et l'aperçu le plus lumineux sur la situation relative de la France et de
J'Europe, qui eussent paru depuis longtemps. L'auteur demandait, dans l'intérêt de la paix
générale, l'extension de la France jusqu'aux limites du Rhin, et il démontrait avec une
noblesse et une vigueur de style qui n'étaient égalées que par la force de sa dialectique,
que cette extension de la France était un besoin pour l'Europe. «Non, »
s'écriait-il, « ce
n'est pas à la France qu'il importe d'aller jusqu'au Rhin: les habitants de l'ancienne
France n'en seront ni plus ni moins heureux; son gouvernement n'en sera ni plus ni
moins stable et fort C'est pour l'Europe que cette mesure politique est nécessaire, parce
) qu'alors, et seulement alors, la France sera utile à tous les Etats, et ne sera dangereuse
pour aucun. La France serait au repos comme une arme détendue, et toute l'Europe y
serait avec elle et par elle; et ce ressort qu'on voudrait en vain comprimer, aurait perdu,
en s'étendant, son élasticité. C'est alors que la France pourrait donner l'exemple unique
développements, n'ayant rien à
au monde d'une société, qui, parvenue à ses derniers
craindre, rien à désirer, rien à acquérir, et rien à perdre, en paix avec tous ses voisins,
tranquille sur toutes ses frontières, peut agir sur elle-même et employer ses talents na-
turels et ses connaissances acquises à perfectionner ses lois, ses mœurs, son administra-
tion sa constitution à tout réparer, et à tout maintenir dans l'ordre; à fermer les plaies
faites à la religion, à la justice, à la morale, à la propriété, ces bases, fondamentales de
h'prdre social. et la France, peut-être, peut seule conserver cette Europe, que, seule, elle a
pu bouleverser. »
Cette brochure, qui fut goûtée des esprits élevés, ne plut pas en général aux esprits
timides et aux hummes qui avaient la prétention de diriger l'opinion. Cette demande
des frontières du Rhin parut hardie et embarrassante dans les circonstances où l'on se
trouvait, et, dans le parti royaliste, plusieurs s'offensaient qu'un des leurs demandât la
de
conservation des conquêtes de la révolution de ce qui faisait partie de- la France

éclairés.
Bonaparte. Placé, par l'élévation de ses idées, au-dessus des


petitesses de l'esprit de
parti, Louis XVÏ1I joignit son approbation à celle de la grande majorité des hommes

Aux cent jours, M. de Bonald revint dans ses foyers et ne retourna


à Pans qu'après la
seconde Restauration, et lorsqu'il y fut envoyé par le département de l'Aveyron en qua-
le
lité de membre de la chambre des députés de 1815. Il refusa alors de rentrer dans
conseil de l'instruction publique pour pouvoir se livrer tout entier aux nouveaux et
honorables devoirs qui venaient de lui être imposés par les suffrages presque unanime!»
de ses concitoyens.
MOT1CË BIOGRAPHIQUE.

C'est ici que commence sa législative et, quelle que soit l'opi-
»a carrière politique et législative,
nion laquelle on appartient, il est impossible de ne pas reconnaître qu'il y a marché
avec talent et avec honneur. Pendant les quinze années de la "Restauration, soit à la
chambre des députés, soit à la chambre des pairs, il intervint dans toutes-les grandes
délibérations en même temps que, comme publiciste, il prenait part à toutes les discus-
sions qui agitèrent la presse de 1815 à 1830. C'est surtout pendant les premières années
de cette époque qu'on le trouve constamment sur la brèche, défendant, avec une énergie
de conviction et une probité politique que ses adversaires ont été forcés d'honorer, les
principes auxquels il avait consacré sa vie. II ne descend de la tribune que pour rédiger,
pour le Conservateur pour le Défenseur et plusieurs autres journaux, de nombreux et
piquants articles sur divers sujets de législation d'administration et de haute politique,
soit générale, soit de circonstance, qui faisaient sensation en Europe et étaient reproduits
dans diverses langues.
La noblesse, la raison et le bon goût de son éloquence ne tardèrent pas à le faire re-
marquer on écoutait avec un grand intérêt ses discours, qui ne visaient pas aux effets
aratoires, mais dans lesquels étincelaient, au milieu des plus hautes considérations poli-
tiques, des traits mordants aussi forts que justes et dont ses adversaires se ressentaient
longtemps. Aussi eut-il bientôt acquis une grande influence et une autorité égale à la
considération dont il était entouré, et qui se traduisait par de fréquents témoignages de
la.part de ses collègues. Souvent désigné comme rapporteur de projets importants, mem-
bre des commissionsd'adresse et président de bureau, il figura plusieurs fois parmi les
candidats présentés au roi pour la présidence de la chambre, et fut appelé à la vice-prési-
dence dans les deux sessions de 1821 et 1822.
11 serait trop long de donner l'analyse de ses travaux législatifs; mais nous ne devons

pas cependant passer sous silence son intervention dans la question du divorce. Il lui
appartenait plus qu'à tout autre de la soulever. Dès le mois de décembre 1815, il avait
proposé à la chambre de solliciter du roi la présentation d'un projet de loi portant
abolition du divorce. Sa proposition, développée dans la séance du 26, fut adoptée, et,
le gouvernement ayant présenté ce projet au mois de mai 1816, M. de Bonald fut nommé
rapporteur de la commission chargée de l'examiner. Cet honneur lui revenait de droit, et
son rapport, chef-d'œuvre de haute raison, de saine politique et d'éloquence, fut admiré
de l'immense majorité de la chambre. Il rappela que c'était à la demande de Portalis (1)
qu'il avait entrepris autrefois de traiter cette importante question. Ce rapport entraîna
l'assemblée, et valut à l'orateur le succès qui lui tenait le plus au cœur, en contribuant
à remettre la France en harmonie avec l'Europe chrétienne et civilisée, à l'égard de cette
partie si importante de la législation et des mœurs.
M. de Bonald avait pris une trop grande part à l'opposition qui s'était formée dans les
rangs du parti royaliste contre le ministère Decazes pour que sa candidature ne fût pas
combattue par le gouvernement. Après la dissolution de la chambre introuvable, il fut
réélu néanmoins malgré les efforts du ministère, et le fut constamment depuis jusqu'au
moment où Louis XVIII l'éleva à la patrie en 1823. Il avait été honoré, quelque temps
auparavant, de la dignité de ministre d'état, et, dès le commencement de la Restaura-
tion, le roi l'avait appelé à faire partie de l'Académie française. La désignation par
l'autorité de membres d'un corps littéraire peut paraître singulière; mais il n'est per-
Bonald était certainement
sonne quiine doive reconnaître avec M. Jules Simon que M. de
très-digne d'une distinction pareille, et qu'il aurait pu obtenir sans difficulté, de l'élection
de ses confrères, ce qu'il dut à une faveur royale d'ailleurs entièrement spontanée.
Après la mort de Louis XVIII, les attaques contre la monarchie avaient redoublé, et,
ce qui était plus malheureux encore, la division entre les
défenseurs du trône ouvrait
à s'introduire au
une large brèche par laquelle la révolution ne devait; pas tarder
(\) M. de Bonald n'était pas éloigné de penser que Portalis, en l'engageant à écrire contre le divorce,
M'avait fait que lui transmettre la pensée de Napoléonlui-même..
cœur de la place. C'est à ces luttes à jamais regrettables que se rattache une cir-
constance de la vie politique de M. de Bonald, qui fut pour lui la source la plus fé-
conde d'amertumes de tout genre, et de la plus cruelle de. toutes, l'injustice, à son
égard,d'un ancien et illustre ami, mais qui n'arien quede très-honorable pour samémoire..
Frappé des ravages d'une presse audacieuse, voyant la religion et ses lois périr
sous. ses coups redoublés, effrayé des progrès d'une propagande qui dans l'espace
de treize années, de 1814. à 1827 avait répandu jusque dans les chaumières trois,
millions de mauvais, livres et en grande partie de Uvres obscènes, le gouvernement
s'était décidé établir dans l'intervalle de deux sessions une censure temporaire. M. de
Bonald sans être, consulté ni prévenu fut nommé à la présidence toute gratuite do
la commission do censure.
M. de Bonàld n'hésita pas. Le roi,, dans un péril suprême de la monarchie, il est
permis de le dire aujourd'hui après les événements accomplis, faisait appel à son
dévouement il lui offrait un poste où il fallait combattre avec la certitude de suc-
comber. Tant que le dévouement ne sera pas un vain mot, ce sera un honneur pour
M. Bonald, de ne s'être pas refusé à la confiance royale. M. de Bonald avait-il tort
ou raison de penser qu'il vaut mieux en matière de presse prévenir que réprimer, peu
importe. Nous n'avons pas ici à discuter, quoiqu'à vrai dire, la question semblerait bien
éclaircie, depuis qu'on a vu le gouvernement qui succéda à la restauration, obligé
d'en venir aux lois de septembre, et;.cette législation draconienne devenue elle-môme
plus tard insuffisante. Mais M. de. Bonald pour lequel cette doctrine était un axiome
incontestable, pouvait-il se refuser à l'appliquer, lorsque cette application devait être
dangereuse pour lui? Voilà la véritable question et la poser c'est la résoudre. En ac-
ceptant cette présidence, M. de Bonald fit un sacrifice à Charles X, d'autant plus grand
qu'il ne se faisait aucune illusion sur les résultats delà mesure soit par rapport à l'Etat,
soit par rapport à lui-même. Il savait très-bien que cette mesure temporaire, au point où
l'on en était venu* ne remédierait à rien; il n'ignorait pas davantage qu'il allait dé-
vouer son nom à la plus effrayante impopularité. Mais où serait le courage de l'homme
publie s'il ne savait braver l'impopularité pour suivre l'impulsion de sa conscience ?
Serait-ce seulement à remplir des fonctions largement rétribuées et entourées de tous
les honneurs publics et à prendre soin de se ménager toujours les faveurs de l'o-
pinion que se plairait un grand caractère?
Tout fut tenté alors pour intimider M. de Bonatd, ou le rendre odieux; on se
plaisait à répandre le bruit que ses fonctions étaient salariées, 'quoiqu'on sût fort
bien qu'elles étaient gratuites, ce qui est aujourd'hui reconnu par tous ses ad-
versaires la haine se traduisit par tout ce que le sarcasme et l'injure peuvent avoir de
plus violent et la calomnie de plus odieux. Placé au-dessus des calomnies- par sa
conscience, des menaces par son caractère, dédaignant les unes et les autres et se
rappelant peut-être en ce moment les beaux vers que lui disait quelques années
auparavant un grand poète
Le mépris du vulgaire
Est l'apanage des grands cœurs.
(Lamartine, Médit. Ode à M. de Bonald.)

il s'acquitta avec un simple et ferme courage de ce qu'il regardait comme un devoir


et repoussa avec dignité les attaques dirigées contre ses fonctions et contre la me-
sure du gouvernement. Les. membres du conseil de surveillance de la censure ont accepte,
disait-il, les pénibles fonctions que la volonté royale (car ils n'en connaissent pas d'autre)
leur'a imposées. Ce sacrifice, dont ils ont mesuré toute l'étendue, ils ont cru le devoir à
leur pays et à leur roi, el cette surveillance, que les journalistes de l'opposition et leurs
amis trouvent odieuse, parce qu'elle les blesse dans leurs intérêts personnels, ils la re-.
gardent comme aussi digne de la pairie que la surveillance des haras, des, liquidations
et des manufactures. Le poste où l'on peut avec le moins d'avantages pour soi-même, ou,
même le plus de désagréments et de dangers, défendre le mieux la roliqion et la royauté,
les mœurs; la société tout
écrits, est le poste le plus
royauté elle-même,
tout entière contre son ennemi le plus dangereux, la licence
us honorable, celui qui appartient âà la pairie,
et à ce titre, spécialement
vairie. appendice
annenrli™ de la “
investie par la constitution du devoir du
droit de défendre la société envers et contre tous. Et puisqu'on
moi, comment après avoir consacré tant d'années de ma vie à la défense de
après avoir tout sacrifié à cette noble causé et tout perdu
et
me forcé à parler de
la royauté
pour elle, aurais-je pu lui re-
XVÏ£
licence des
i~ royauté 1

fuser mes services contre l'attaque la plus dangereuse que la haine de


veuglèment de ses amis lui aient livrée depuis la restauration ses ennemis et' Va-
Répondant à M. de Chateaubriand, qui attaquait aussi cette
censure temporaire, et ré-
clamait une liberté illimitée, mais 'avec une loi terrible, immanis
lex, avec la mort
même Vos lois sont une illusion, lui disait-il. Plus la loi
sera sévère, plus sera forte
et légitime la répugnance des jugés à l'appliquer. Pourquoi
porter des lois atroces, pour-
rait-on dire au législateur; pourquoi exiger des condamnations à
mort contre les au-
teurs et à ruine contre les imprimeurs, quand il aurait suffi d'un jugement de
qui, en ménageant la personne, la fortune et l'honneur de l'écrivain censure
et de l'imprimeur, au-
rait veillé aux intérêts de la société, en supprimant de l'écrit
ce qu'il pouvait renfermer
de répréhensible.
Cette lutte entre deux homme.s qui avaient si longtemps combattu
ensemble, et dont
le nom restera inséparablement attaché à la renaissance, spiritualiste du
xix<> siècle,
fournit à M. de Bonald l'occasion de montrer
un talent de polémiste supérieur, au-
quel la modération n'ôtait rien de sa force, et dont M. de Chateaubriand lui-môme,
au milieu des triomphes que lui décernait l'opinion, ressentit la vigueur des coups
acérés, directs et qui auraient paru, dit M, Sainte-Beuve, des blessurespar
profondes, si
on y avait pris garde. Mais dès lors le bruit et le triomphe de l'opinion couvraient
tout.
Ces grandes luttes de la tribune et de la
presse, qui trouvèrent M. ds Bonald debout au
dernier jour de la restauration comme au premier, né lui faisaient
intérêts plus modestes. Plein d'amour et de dévouement pas perdre de vue des
naître et pour le département qui l'avait
vu dont il allait avec empressement revoir les âpres montagnes pendant
ses
vacances législatives, c'était un bonheur pour lai que d'accueillir à Paris, et de
tronner ses compatriotes, quelque humble que pût être leur position, de leur donner pa-
ses conseils, ses encouragements, son appui, de leur être utile. Les intérêts du dé-
partement de l'Aveyron trouvaient en lui, non-seulement lorsqu'il
mais après son élévation à la pairie, en était le député,
un défenseur actif, vigilant, dévoué; et un des
actes de sa vie législative dont il se souvenait
avec le plus de bonheur, était d'avoir
contribué avec le concours de ses collègues, les autres députés de
alléger en 1821 le lourd fardeau qu'avait imposé à l'Aveyron ce département, à
tition de la contribution foncière. Très-assidu une très-inégale répar-
dant toute là restauration et dont le roi lui avaitan conseil général, dont il fit partie pen-
confié la présidence, il était loin
d'y soumettre les questions locales à des théories absolues,
comme le ferait supposer
une phrase de M. Sainte-Beuve; il comprenait les intérêts matériels de
son départe-
ment; et quoiqu'il ait écrit et répété souvent, ce qui n'est hélas! que trop vrai, que
rapprocher les hommes n'est pas le plus sûr
moyen de les unir, il ne lui refusait pas
des chemins, comme on s'est plu à le dire. Au
à ce point de vue -des intérêts ne l'ordre
reste le souvenir de ses services, même
matériel, vit encore au sein des montagnes
du Rouergue, qui le compte
avec orgueil au nombre de ses plus nobles enfants.
Au milieu d'occupations si multipliées et si diverses,
au milieu des devoirs de so-
ciété que lui créaient de nombreuses relations,
et l'empressement avec lequel on re-
cherchait en lui l'homme du monde, indulgent et doux, l'observateur
plein de finesse,
le causeur aimable et spirituel, M. de Bonald
ne perdait pas de vue ses grands tra-
vaux, et pendant là restauration il publia plusieurs ouvrages considérables
et donna
des nouvelles éditions de ses ouvrages antérieurs. En 1818, parut
un de ses livres les
plus célèbres, les Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances mo-
raies, dans lequel, dit M. Sainte-Beuve, il a défendu la philosophie spirUualiste
par
XT11|
A·1u
«.““,“. les
tes armes /“» • plus aiguisées
nitnritte* et
NOTICE BIOGRAPHIQUE.
Us plus
rt les hnhiles qu'elle
nhts habiles
ensuite l'ouvrage de Mm" de Staël sur la révolution française, dans une
fois ferme, vigoureuse et pleine d'égards pour l'illustre auteur. Il
ail maniées de
au'elle ait dt nos jours, il réfuta
réponse à la
donna ensuite un
servir de I ex-
recueil de pensées où apparaissaient quantité de sentences d'or, pour nous
partie de ses
pression d'un critique moderne; il réunit sous le nom de Mélanges une
articles du Mercure etdu Journal des Débats, à quelques travaux
inédits; il surveilla
de nouyellesl éditions de l'Essai analytique, du Divorce et de la Législationprimitive
enfin aux derniers jours de la Restauration, il dédiait aux rois de l'Europe le der-
nier volume de ses œuvres, la Démonstration philosophique du principe constitutif des
sociétés, suivie de Méditations politiques sur l'Evangile.

elles..
Voué depuis longtemps, dit-il au début de sa Démonstration philosophique, à la
défense
C'est pour le
du système éternel de la société, je termine par cet écrit ma longue carrière.
maisons
bonheur de vos peuples, rois chrétiens, c'est pour le vôtre, et celui de vos illustres
toutes ses théories politiques
que je l'ai entrepris. Cet ouvrage fut comme un résumé de
et religieuses, dont il rapprochait, enchaînait, coordonnait les
diverses parties, embras-
créatures
sant l'ordre universel des êtres, leurs relations avec le Créateur, et celles des
entre
intelligents,
Ces théories, fondées sur les lois les plus naturelles qui régissent les êtres
dévorés d ambi-
mais si opposées au mouvement qui entraînait alors des esprits inquiets,
tion et d'une soif désordonnée de liberté et d'égalité, étaient
essentielles à établir après de
si longues et si tristes expériences. C'est ici le lieu de les
considérer dans leur ensemble.
égarés par les
Quand M. de Bonald commença à écrire, les esprits étaient profondément
certains points
doctrines du xviii' siècle. Composer avec ces doctrines, les admettre sur
avoir le droit de les rejeter sur d'autres, était impossible: tout y était mauvais. Ce
pour de la vérité.
n'était que par leur négation absolue qu'on pouvait rentrer dans les voiesqu'ils avaient
d'adorer ce
Saint Remy disait à nos pères de brûler ce qu'ils adoraient, et
philosophisme, et il était
brûlé. Nous aussi nous avions nos idoles à brûler, les idoles du
d'opposer culte insensé qu'on leur rendait les leçons de la raison, de la religion
pressant au
l'histoire, cette lumière des temps, ce témoin fidèle de la vérité, comme dit dcéron.
et de
Bonald nie d'abord le soi-disant état de nature, qui n'était pour le philosophe de
M. de
le plus naturel à l'homme et la
Genève que l'état sauvage, et montre que l'état social est
plus conforme à sa destinée.
l'origine basse et terrestre que Jurieu et Rousseau donnaient au pouvoir, et en
Il nie
Quand des esprits malins
recherche la véritable source dans le sein même de la Divinité.
rusés, disait-il, persuadent au peuple qu'il est souverain, ils lui présentent, commeje ser-
* et
]
le fruit défendu; alors yeux s'ouvrent, non sur les devoirs et sur les douceurs
vent à Eve, ses
Vinfériorité de son état, infériorité nécessaire,
de la vie privée et de la médiocrité, mais sur
de la misère et de
inévitable, et que dans l'orgueil de ses nouvelles lumières, il prend pour
tant
Jil
l'oppression. Il a conservé toute son ignorance, et il a perdu sa simplicité Heureux
n'était que sujet, il se trouve, comme souverain, pauvre et nu.
fini pour lui; et exilé.de l'ordre, comme
Alors tout, bonheur est
Adam du paradis terrestre, il entre dans une longue
carrière de révolutions et de calamités.
social que ces deux sophistes, Jurieu et Rous-
M. de Bonald nie également ce contrat
avaient inventé pour flatter les passions démocratiques de la multitude.
seau Vunité de pouvoir; à la souveraineté du peuple,
<~ la
Aux idées républicaines, il oppose
Dieu; à la déclaration révolutionnaire des droits de l'homme, la déclara-
souveraineté de
plus chrétienne de ses devoirs. L'homme, dit-il, ne peut rien sur l'homme
tion plus juste et
doit rien à l'homme pour Dieu. Toute autre doctrine ne donné ni base
que par Dieu, et ne que
motifs devoirs. Elle détruit la société, en ne faisant du Pouvoirjuun
au pouvoir, ni aux ses devoirs qu'un marché
ZntratrévocaUeà volonté; elle dégrade l'homme, en ne faisant de
Ainsi remontant tout de suïtejusqu'à Dieu, source de tout
entre des intérêts personnels. en
à tout ce qui existe,
ordre, de tout pouvoir, et dont la volonté immuable est la seule règle tels
qu'au moral, il replace le monde social sur des fondements ™mo
tant au physique
Se
La domestique, sa constitution, la subordination de ses membres,
sont pour
M. de Bonald l'image véritable
itable de la constitution de la société publique, qui n'est en défi- s
nitive que la continuation et le développement de la famille. Et comme la société domesti- 5

que est assujettie à des règles immuables dont elle ne pourrait s'écarter sans périr
qu'elle est fondée sur l'unité d'un pouvoir d'origine divine, il pense que la société publi- f
que est aussi invariablement soumise aux mêmes règles, que le pouvoir y est essentielle-
ment divin, essentiellement un, et que ce n'est que dans cette unité que l'ordre et la paix
peuvent s'établir et se conserver. Il pense que tout système de constitution pour la société
politique, qu'on ne, peut pas appliquer à la société domestique,
en en réduisant les propor-
` lions à sa mesure, est faux et contre nature, et que c'est la pierre de touche des constitu- li

tions.
Il veut le pouvoir absolu, «'est-à-dire indépendant des hommes, mais il
ne le confond «
pas avec le pouvoir -arbitraire, indépendant des lois. Tout pouvoir, disait-il, est nécessai-
rement indépendant des sujets qui sont soumis à son action; car s'il était dépendant des
su-
jets, l'ordre des êtres serait renversé: les sujets seraient le pouvoir, et le pouvoir de sujet
Pouvoir et dépendance s'excluent mutuellement.
Ainsi, le pouvoir du père est indépendantdes enfants le
pouvoir du maître est indépendant
des serviteurs; le pouvoir de Dieu'est indépendant des hommes.
Mais le pouvoir s'exerce en vtrtu de certaines lois qui constituent le mode de
tence et déterminent sa nature. Quand le pouvoir est constitué dans son exis-
dance des hommes il est dans ses lois naturelles il est dans
une entière indépen-
sa nature dans la nature de la
société; IL EST DIVIN. Car Dieu est l'auteur de toutes les lois naturelles des Etats.
n ne trouve donc pas que le gouvernement constitutionnel-parlementaire soit dans les
lois naturelles il y voit un renversement de l'ordre qui doit exister dans toute société
bien constituée. Cette forme de gouvernement lui paraît aussi déraisonnable aussi dange-
reuse pour un Etat qu'elle le serait pour la société domestique qui voudrait se constituer
aussi avec trois pouvoirs distincts, celui du père, de la mère et des enfants. La monarchie
lui paraît le gouvernement le plus naturel et le plus parfait, soit
pour la société politique,
soit| pour la société religieuse; oelui auquel toutes les autres formes de gouvernement
tendent à revenir pour y trouver la stabilité et le
repos. Il aimait à citer ce passage de
Tacite Omnem potestatem ad unum conferri pacis interfuit. C'est la tendance irrésistible
de l'invincible nature.
Il ne regarde pas sans doute comme illégitimes toutes
ces diverses formes de gouver-
nement qui existent sur la terre ,il savait que chaque peuple, ainsi que Je dit Bossuet,
doit suivre comme un ordre divin le gouvernement établi dans
son pays parce que Dieu est
un Dieu de paix, et qui veut la tranquillité des choses humaines; mais il croit que les
gouvernements qui s'éloignent de la forme monarchique absolue, la plus conforme, dit
Bossuet, à la volonté de Dieu, selon qu'elle est déclarée
par ses Ecritures sont moins bien
appropriés à la nature humaine, moins à l'abri des révolutions moins
propres à assurer
le bonheur des hommes.
II est persuadé qu'il ne peut
y avoir qu'une seule forme naturelle de gouvernement,
dont le principe général ;et constitutif -se trouve dans la distinction des trois
personnes,
qui, sous divers noms, sont entre elles dans les mêmes
rapports, et réunissent les mêmes
fonctions dans toute société domestique, civile et religieuse. Un jour peut-être, dit-il
on
fera quelque attention d cette doctrine simple et féconde qui classe, sous trois idées les plus
générales, de CAUSE, de moyen et d'EFFET, comme dans trois catégories, tous les êtres et
leurs rapports, et qui, transportées de la métaphysique dans la société domestique,
y
deviennent le père, la mère et l'enfant; dans la société politique, le pouvoir, le ministre
et le sujet, et dans la société religieuse, Dieu, le médiateur et les hommes, sauvés et
éclairés par lui; en sorte que la famille, l'Etat, la religion, présentent, chacun dans l'ordre
de son être, trois personnes, trois opérations ou trois rapports toujours
en harmonie; et
c'est de l'examen de ces rapports que M. de Bonald déduit les lois naturelles de chacune
de ces sociétés.
Caril-n'admet pas que l'organisation sociale soit abandonnée
aux caprices des hommesj
et quand il voit que les espèces animales qui vivent en société ont pour leur conservation
suppose pas que les
'des lois précises qui règlent leurs mouvements et leur instinct il ne
société physique
•êtres intelligents, vraiment destinés plus que tous tes autres, à vivre en
et que le créateur n'ait pas réglé par
et morale soient livrés ad hasard de leurs passions religieuse.
ses lois leur triple société
domestique, politique et
Ce système universel des êtres, exprimé d'une manière si
simple, par les trois termes
de pouvoir, âè ministre et de
de cause, moyen et effet, lesquels se traduisent en ceux
sujets, à l'égard des êtres intelligents, indique leur subordination, leurs rapports, et la
forme'de société qui leur est la plus naturelle.
La nécessité de ces considérations était évidente
dans un temps de désordre où lès
gouvernements ébranlés penchaient vers une dangereuse démocratie, Il fallait montrer,
monarchique était la plus naturelle, et par
et c'était facile dans ce système, que la forme pour la société politique, mais
conséquent la plus parfaite; qu'elle l'était non-seulement
aussi pour la société religieuse, à cause de l'identité de leurs principes constitutifs; car,
le pouvoir, c'est l'Etre-Supréme
dans cette société, il y a aussi trois personnes distinctes
sont l'universalité du genre humain
Seigneur souverain de toutes les créatures les sujets été donnée { Matth. xxviu, 18 )
le ministre est le divin Médiateur à qui toute puissance a
sur la terre un vicaire
devant qui tout genou doit fléchir (Philipp.n. 10), et qui a laissé
visible pour le représenter.
Le raisonnement seul justifie ainsi, aux yeux de ceux
,,“<
qui ne veulent pas de I autorité
constitution monarchique, si
de la foi l'existence de la société religieuse et de sa
lumières de la raison qu'il essaie de
odieusement attaquée. C'est encore à l'aide des seules'
unissent la
rechercher dans la nature de l'homme et de la société, et dans les rapports qui
créature au Créateur, les motifs du sacrifice, de, ce grand acte de toute société, et particu-
lièrement de la société religieuse, observé dans tous les temps et chez tous les
peuples.
Il le définit 'Le don de soi fait au pouvoir par ;leministre, au nom et dans l'intérêt
des
une
sujets. C'est l'offrande de Y homme et de la propriété ,qa\ se retrouve, d'après lui, sous
forme ou sous une autre, même dans la famille et dans l'Etat mais surtout dans la religion,
don de soi
où, sans parler du grand sacrifice des Chrétiens,, il y a un autre sacrifice ou ministres
continuel, dans le renoncement aux douceurs de la vie domestique imposésouffrances aux
les des
de la religion; dans les austérités des cénobites, dans les travaux et
missionnaires: idée du sacrifice si profondément gravée dans l'esprit de l'homme, les
si
jusqu'à étouffer
impérieuse que, chez les malheureux subjugués par t'erreur, elle va
exemple, à
sentiments naturels, et jusqu'à pousser une mère, comme les Chinois, par
ne permit Jamaëque ses
vérifier ses enfants à YEsprit du fleuve. Mais la Vraie' religion
arrêta le bras d'Abraham prêt
autels fussent souillés du sang des victimes humaines elle
fils. ces idées générales sur le sacrifice,' il arrive par degré à ce qu il
à immoler son De
la religion
va de plus auguste et de plus mystérieux dans politiques
chrétienne.
Sous la plume de M. de Bonald, ces théories et religieuses ont été fécondes
conséquences utiles, en aperçus ingénieux, en développements inattendus et dignes
en l'expérience confirme
d'être sérieusement médités. L'histoire vient toujours à leur appui
les principes qu'il pose; il montre les peuples se formant et se
fortifiant, ou s'affaiblis-
sant et tombant en ruines suivant que leur constitution politique
est plus ou moins con-
s'éloignent de ce type
forme aux lois naturelles de la société, et qu'ils se rapprochent ou
fondamental et éternel de tout ce qui est bon, c'est-à-dire delà religion.
pays qu'il
Admirateur de l'ancienne constitution du royaume de France, c'est dans notre
croit reconnaître la constitution la plus naturelle de
la société publique. La France d au-
trefois lui parait presque le type de la perfection, et de ld,
disait-il, venait' sa préémi-
jusqu'au moment où des systèmes insensés et de grands esprits
nence dans tous les genres
faux, comme les appelle Bossuet l'en ont fait descendre.. ministère social, le plus
C'est dans l'ancienne constitution française qu'il trouve le
service de l'Etat et
naturellement organisé dans l'ordre de la noblesse, dévoué au
dans l'Etat une noblesse,
n'ayant cependant aucune attribution politique. Car il veut
ministre du pouvoir, iir, mais n'admet pas une aristocratie, pouvoir elle-même.
elle-môme. Aussi M.
Jules Simon n'est-il .il exact qu'à demi, quand il dit: En homme pratique, M. de de Bonald
fait fi de cette noblesse toute de décoration qui cherche une vaine importance dans
un
titre nu, et qui n'a point de part à l'autorité. Ennemi des aristocraties, M. de Bonald
n'accorde à la noblesse aucune part à l'autorité, mais lui impose le devoir de servir
l'Etat. Et c'est précisément ce qu'il remarquait dans notre ancienne forme de gouver-
nement.
La noblesse, dit-il, n'est ni l'ancienneté de la race, ni la richesse, ni les titres ou les
décorations; elle est le dévouement héréditaire au service de l'Etat, dans les deux profes-
sions défensives de la société, la justice et les armes. Elle est le ministre du pouvoir en
qui réside, comme dans sa source, le droit de rendre la justice et de disposer de la
force publique.
Il ne voit au contraire dans l'aristocratie que le gouvernement du pays par les
grands, comme, dans la démocratie, le gouvernement du pays par le peuple. Ce sont
deux modes de société qui ont également pour principe la souveraineté du peuple,
du peuple des salons, ou du peuple des rues, et si les formes sont différentes, le
principe est le même.
Si de la philosophie politique, nous passons à la philosophie pure, à la philosophie
proprement dite, nous remarquerons que M. de Bonald n'a pas essayé de ces systè-
mes qui embrassent une foule de questions insolubles à l'esprit humain il rejetait
tout ce qui n'était pas de pratique, tout ce qui ne s'appliquait pas à l'utilité de l'hotn-
me et de la société. Sur toutes les questions épineuses que la scolastique agite, il
ne demandait pas la raison plus de lumière qu'elle n'en possède, et la foi était
toujours l'asile ou il aimait à se refugier. 11 ne se rangeait sous la bannière d'au-
cun philosophe; et n'ayant aucune pensée de produire un système de philosophie,
mais seulement d'étayer ses systèmes politiques, il se bornait à discuter quelques
points isolés de la philosophie de l'école ceux-là seulement qui se rattaéhaient à
ses théories d'organisation sociale et devaient leur servir de base.
Aussi, la définition de la. philosophie de l'école ne lui suffit pas. La philosophie
de l'école, la philosophie proprement dite, ne considère que l'homme isolé. On la
définit la connaissance de Dieu et de soi-même par les seules lumières de la raison.
C'est ainsi qu'on l'a entendu dans tous les temps. M. de Bonald fait entrer
un élé-
ment de plus dans cette définition elle est pour lui la science de Dieu, -de l'homme
et de la société, considérée toujours par la seule raison. Sa philosophie
se distingue
donc de toute autre en ce qu'elle ne considère jamais l'homme que dans
ses rapports avec
ses semblables et vivant en société; elle est toute morale et sociale; il en fait des applica-
tions continuelles aux gouvernements et aux divers Etats de société qui peuvent exister
sur la terre.
Mais pour fonder une science quelconque, il faut nécessairement,
ou un premier
principe d'évidence naturelle, ou un fait incontestable, généralement admis, qu'on
ne
puisse révoquer en doute, et qui serve de point de départ M. de Bonald choisit comme
fait primitif le don du langage fait au premier homme. Ce fait lui parut réunir toutes
les conditions requises pour asseoir son édifice philosophique.
Il s'attacha donc à prouver que le langage ne pouvait être d'invention humaine, et
de là résultaient deux conséquences: la vérité de l'existence de Dieu, auteur du lan-
gage, et la nécessité de la société humaine pour le conserver et le transmettre à cha-
que individu, sans quoi les hommes n'auraient pu ni exprimer leurs pensées, ni les
connaître, ni jamais se réunir.
Il déduit de cette théorie de justes conséquences, mais qu'il
ne faut pas juger à
travers les exagérations qu'y ont mêlées plus tard des esprits extrêmes.
Pour arriver à démontrer que l'homme ne peut inventer le langage, il traite d'abord
la question des idées et montre ta la nécessité de leur union avec la parole aui qui nous
nôu les
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OKïTVÏlRK COMPL. rit?
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BONALD,
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manifeste c'est la -partie ta plus remarquable de cette théorie. Les philosophes
pl s'é-
taient assez inutilement fatigués à considérer les idées en elles-mêmes, sans s'embar-
rasser
-1 du
_"1. moyen qui nous en donne11 la perception. Ils divisaient ce qui semble essen-
tiellement uni, du moins dans l'état actuel de l'homme. M. de Bonald établit que la
parole est absolument nécessaire, toujours dans notre condition actuelle, pour penser
aux objets qui ne peuvent se présenter à nous sous des images qu'elle est le moyen
de cette manifestation, et il la compare à un rayon de lumière dans un lieu obscur,
éclairant tous les corps qu'il renferme, et nous découvrant leur forme, leur couleur,
et les rapports qu'ils ont entre eux et avec nous-mêmes. Notre entendement, dit-il, est
le lieu obscur où nous n'apercevons aucune idée, pas même celle de notre propre intélli-
gence, jusqtià ce que la parole humaine, dont on peut dire qu'elle éclaire tout homme
venant en ce monde, pénétrant jusqu'à notre esprit par le sens de l'ouïe, comme le rayon
du soleil dans le lieu obscur, porte la lumière au sein des ténèbres, donne à chaque idée,
pour ainsi dire, la forme et la couleur qui la rend perceptible pour lès yeux de l'esprit.
Alors chaque idée, appelée par son nom, se présente, et répond, comme les étoiles dans
Job Me voilà l
M. de Bonald pense qu'on peut trouver là un moyen d'accommodement e.ntre, les parti-
sans des idées innées et ceux qui ne veulent que des idées acquises par les sens, ou des
sensations transformées. L'idée est innée, son expression est acquise. Ainsi, dit-il, quoi-
que nos idées ne soient pas innées dans le sens que l'école ancienne l'a peut-être entendu, il
n'est pas moins vrai que la loi de Dieu, et généralement toutes les vérités morales, sont, comme
dit saint Paul, écrites dans le cœur de l'homme: « Opus legis scriptum in cordibus nostris, »
où elle» attendent que la parole transmise à chaquehomme par la société suivant les lois géné-
rales du Créateur, vienne les rendre visibles d l'esprit.
En réalité, M. de Bonald ne diffère pas de l'école ancienne sur les idées innées, puis-
que la seule différence est dans le moyen qu'il jugeait nécessaire à leur manifestation, et
dont l'école ancienne ne s'était pas occupée.
De cette théorie résulte cette conséquence, que l'invention du langage,. invention la plus
profonde, la plus- étendue, la plus féconde et qui suppose une infinité d'idées accessoires,
ne peut- avoir été faite par l'homme. Comment en effet des muets auraient-ils pu se con-
certer pour une si belle œuvre comment àuraient-ils pu s'entendre sur l'expression de
leurs idées, lorsqu'ils n'auraient connu encore aucune des idées dont ils auraient ea à
chercher l'expression?L'homme n'a donc pu inventer le langage; il l'a donc reçu d'un être
intelligent et supérieur à lui, c'est-à-dire de Dieu même.
De ce don primitif du langage, M. de Bonald déduit encore comme une conséquence
naturelle une transmission ou révélation première faite à la société, des lois qui doivent en
assurer la durée, et de cette législation primitive, expression de la volonté divine. De sorte,
dit-il, que toutes les vérités générales, fondamentales, sociales, sont en dépôt dans la société
et nous sont données par la société. M.d«Bortafd démontre donc par-là la nécessité de l'état
social et l'impossibilité d'un pacte qui aurait créé la société.
Mais M. de Bonald est loin-denier l'existence en nous de la toi naturelle, et à ceux qui
voudraient faire sortirde sa doctrine cette fausse conséquence, il serait en droit de répon-
dre, qu'en raisonnant dans le système où les idées ne sont perceptibles que par leur ex-
pression, c'est-à-dire par le langage, si ce langage nous est donné par la société dans
laquelle nous naissons, il est vrai de dire, en un sens, que l'homme tient tout de la société,
puisque ce langage non-seulement nous fait connaître les vérités existantes par tradition
dans la société, mais nous manifeste aussi les vérités qui sont en nous et que le doigt de
Dieu y a gravées, opus legis scriptum in cordibus nostris. (Rom. u, 15.) Il adopte pleine-
ment ces expressions de saint Paul, dans un passage que nous venons de citer, et recon-
naît formellement qu'il y a dans notre esprit, quelque chose d'antérieur à l'enseignement,
des pensées qui attendent des paroles pour se joindre à elles, des idées que les mots ré-
veillent, montrent à l'esprit et ne créent pas; des vérités morales qui sont écrites dans le
cœur, où elles attendent que les paroles viennent les rendre visibles à l'esprit.
NOTICE BIOGRAPHIQUE.
XXJ)J
Seulement dans ce système,
?téme, l'homme ne pouvant rien connaître de qui est
ce en lui sans
sans
le concours de la société, i, ne
U% pouvant user Sans elle
USer éâtlS P.Ùa de
dfi sa propre
nrrtnPA inf*slli»ort^a
intelligence, n~
ne .vn».r.n>
pouvant
atteindre ces vérités écrites ert lui, mais invisibles à ses yeux, on est forcé d'admettre
l'existence de la société comme fait primitif et antérieurement à km! pacte social. Ainsi
tombent infailliblement les doctrines de Rousseau;
On comprend maintenant quelle liaison étroite existe chez M. de Bonald
entre la philo-
sophie et les théories sociales, et corïinïefit fa Êhitosôpbïe n'est autre chose
base êè ses systèmes pofiliquôs, le premier anneau d'une chaîné pour lui que la
que la parfaite cohésion
de toutes ses parties rend très-difficile a briser'.
Au mois de juin 1830, M.Ûè Bo&âld, l'aura pleine des plus sottbrês préâsenliai&nts,
mais
sarïs Connaître aiwan des projet du gouvernement, sur lesquels il n'avait point été
suite, éMit parti de Parte pour aller1 présider le collège électoral de con-
département, et
s'était rendu ensuite dans sa terré dû Mô*ma. C'est là qu'il apprit son la révolution. Cette
catastrophe {'affligea profondément, mais ne le surprit pèrê. Qui l'avait plus souvent pré-
dite que lui? Profondément attaché aux Bourbons, dont le retour lui avait cause
une si
grande joie? il- les vit, avec, une profonde- douleur* partir pouf leur troisième exil.
Il n'hésita pas un instant sur la conduite à tenir. Sans faiblessé; mais s-ans ostentation
et sans se draper dans son dévouement il descendit volontairement et avec eàlme de
la haute position que lui avait conquise son mérite. Il dédaigna mêftïa dé l'apprendre
publie et d'en faire part au nouveau gouvernement. Il eut, du reste, d'aiïtént moins de au
regret qiï© l'institution d'une pairie héréditaire était opposée à toutes ses idées
A parti-P de ce Momèot» M. de Bonald s'établïl, pour ne plus la quitter, dans
sa terre du
Monnâ.M y vécut ses dix dernières artnéës, entouré deâafamile, adressant
encore à divers
journaux des articles où l'on retrouvait souvent Urte sève* une énergie que l'âgé n'avait
pas
épuisées, suivant avec lin vif intérêt tous les événements, tous les débats, toutes les iutles
politiques de ce temps si agité, -et ft'fiêsïïaat- pas à blâmer^ chez ses amis politiques,
l'aveugle tactique qui, «Ouvrant le trône debouë, en haine deeëlui qui était assis, décon-
y
sidérait la royauté dans ï'èSprit dé là nation1.
C'est dans cette retraite qu'il mourut d'une attaque d'asthme suffoquant, ie 23 novembre
1810, âgé de ê6 ans. (<J).
M. de Bonald ne se mêla à aucune intrigue; ne sollicîta aucun suffrage. Le crédit qu'il
eut quelquefois, il né l'employa que pour rendre service. Simple dans Ses habitudes, sé-
rieux dans Ses gôûis, exact à toutes les1 pratiques de religion, on peut dire que la vraie
philosophie avait pénétré jusqu'à son cœur, et y avait établi cette paix qui est le plus
grand de tous les biens. Il aimait la libefté et le calffie de la campagne les Occupations
de l'agriculture qu'il aima toujours et qui remplirent les loisirs de sa vieillesse, lui fai-
saient oublier volontiers la politique et la philosophie. Urie exploitation agricole le char-
mait C'est, disait-il', une véritable famille dont le chef, propriétaire ou fermier, est le père. H
s'occupe des mêmes travaux que seit strviteurs, se *« nourrit
nuwnn du uui tnémepain, souvent àa la
e, souvent
même pain, et ta même
(a) deBonalJ
t n.\ M. Ha n laissé
T^Annl.l a laics^ quatre
rnmfiv» enfants
Anfïtnfe < 1°
Henri de Bonald, connu par quelques brochures et
M.
4o M r,™<i*t^ï» d'autres
avoir
en
encore
*>ï~–j't
^'n,i*«nn aujourd'hui que ses deux
existant et ses trois
1 fils
1..
petits-fils. MM. Au-
<
Je nombreux articles politiques, mort sans enfants guste et René de Bonald sont deux frères, appar-
en 1848 2° M. Victor de Bonald, recteur de l'a- itenant à une famille de Rodez, qui n'a de commun
cadémie de Montpellier sous l'empire et à la fin de <que le nom avec celle de Millau. Encore
la Restauration, qui a trois fils; 3- le cardinal de s'écrivait-il ce nom ne
s pas de même autrefois. la plupart des
Bonald, archevêque de Lyon 4" madame de anciensi titres portant pour cette famille Bonat et
Serres, morte en 1856 au Vigan laissant neuf non i Bonald. M. René de Bonald était conseiller de
enfants. préfecture
1 et non du conseil général de l'Aveyron,
Le Dictionnaire de la conversation et de la lecture où
c il n'y a eu de ce nom que le vicomte de Bonald
a reproduit, sur la famille de Bonald (art. Bo- €et son petit-fils qui en fait partie aujourd'hui il fut
nald), l'erreur de M. dé Courcelles, dans son grand sous-préfet
s et non préfet son frère, M. Auguste de
ouvrage généalogique (t. VI, Pairs de France), qni I
Bonald, fut payeur du département de l'Aveyron, et
donne au vicomte de Bonald un frère, M. Auguste sson fils exerça après lui les mêmes fonctions, fut
de Bonald, et cinq enfants, e1 désigne cïimitte son ensuite
e receveur général à Mende et est aujour-
second fils M, René de Bonald, conseiller du conseil d'hui
d en la même qualité à Niort. Ce sont deux fa-
général du département de l'Aveyron, nommé par in- milles
n appartenant au même département, mais
térimpréfet de ce département en 1817 et 1818. ccomplètement ,distinctes, malgré la confusion éta-
M. de Bonald n'a jamais eu de frères et n'avait ljblie par la complaisante
erreur de M. de Cour-
aucun parent de son nom, de sorte qu'il ne peut y celles.
c
table Cette
table. exploitation nourrit tous ceux qu'elle a fait naître. Elle a des occupations pour
Cette exploitation pi
tous les dges et pour tous les sexes; et les vieillards, qui,ne peuvent se livrer à des travaux
pénibles, finissent leur carrière comme ils l'ont commencée, et gardent autour de la maison
les enfants et les troupeaux.
Quelle différence, disait-il, entre cette vie de l'homme des champs et-celle de l'indus-
triel occupé tout le long du jour à tourner une manivelleTout développe l'intelligence de
l'agriculteur, et élève sa pensée vers celui qui donne la fécondité à la terre, dispense les sai-
voit pas
sons, fait mûrir les fruits; tout tend à rabaisser l'intelligence de l'industriel, qui ne
à laquelle il est
au delà du maître qui l'emploie, ou tout au plus de l'inventeur de la machine
-attaché. L'un attend tout de Dieu, et l'autre ne reçoit que de.l'homme.
Malebranche méditait les fenêtres fermées; M. de Bonald, au contraire, aimait à méditer
que sonesprit méditatif pre-
au grand air. La promenade était son exercicefavori. C'est là
nait de nouvelles forces, et préparait, mieux que dans le silence. du cabinet, les matériaux
qu'il devait mettre en œuvre. Souvent, dit M. le comte de Marcellus dans un écrit consacré é
.à la mémoire de son illustre ami, souvent
dans ces moments de rêverie où on le voyait se
promener seul dans lesjardins de la capitale, il travaillait à traduire avec concision,
exacti-
tude et élégance, quelque phrase énergique de Tacite ou de Cicéron, ses deux auteurs favoris,
ou quelques vers sentencieux d'un poète latin. Rien, me disait-il, ne forme le style commeun
4el exercice souvent pratiqué.
Ce qu'écrivait M. de Bonald était bien plus le fruit de ses méditations que de ses études.
11 ne se consumait pas dans de pénibles recherches historiques ou philosophiques. Il ne
s'enfonçait pas dans la poussière des bibliothèques. L'immense quantitéde livres, disait-il,
fait qu'on ne lit plus; et dans la société des morts comme dans celle des vivants, les liaisons
trop étendues ne laissent plus aux amitiés lé temps de se former. II remarquait que si du siè-
cle de Louis XIV on remonte à celui d'Horace et de Virgile, et des temps d'Auguste à ceux
d'Homère, on trouve toujours moins desecours pour produire et-de plus grands effets pro-
duits ;,moins de livres à consulter et plus de ce génie qui ,enfante par sa propre fécondité
image du Créateur qui, pour produire toutes choses, n'a besoin que de lui-même. Il dédaignait

société. ••_
.toutes les questions de philosophie autour desquelles on languissait autrefois sans utilité;
elles ne lui semblaient plus appropriées aux progrès des esprits et à l'état de la

On voit par ses ouvrages quelle était son admiration pour Bossuet, ce génie rare qui ne
s'égare point dans d'inutiles questions et ne respire que pour la religion. Il retrouvait dans
sacrée sa propre politique. 11 disait,
sa philosophie ses propres idées, et dans sa Politique
au sujet de l'assemblée de 1682, que ce grand évêque aurait
voulu empêcher, et dont les
décisions, désapprouvées par le Saint-Siège, devinrent plus tardl'objet des regrets du clergé
et de Louis XIV lui-même: Quand Bossuet voulut poser dans les quatre articles les limites
gui, en France, séparaient les deux pouvoirs spirituel et temporel, il manquait, j'ose le dire
avec le respect dû à ce grand homme, il manquait à ses vastes connaissances, ce que
les plus
vastes connaissances neremplacent pas: l'expérience la plus hardie en projet, la plus habile
en exécution, la plus désastreuse en résultat, qui ait
jamais été faite par un peuple chrétien.
Si Bossuet eût pu prévoir celle révolution dont le profond révolutionnaire Miraheau donne
« l'argument
dans ce peu de mots qu'il fallait décalhodiciser la France pour la démonarchiser,
.je ne crains pas de dire que ses idées sur le pouvoir social, c'est-à-dire sur l'accord du pouvoir
universel du chef de l'Eglise catholique, avec le pouvoir local du chef d'un Etat particulier.
auraient pris une direction moins locale et moins tranchante.
Par une suite naturelle de ses idées sur la perfection à laquelle le christianisme tend à
élever l'homme et la société, M. de Bonald se faisait une théorie littéraire dépendante de
ses idées sociales. Tout s'enchaînait dans ses pensées et se rapportait à un même prin-
cipe. Buffon avait dit que le style est l'expression de l'homme; M. de [Bonald ajouta que la
littérature est l'expression de la société, c'est-à-dire que la littérature, considérée d'une
manière générale, dépendait de l'état social qu'elle était plus ou moins parfaite selon que
la société était arrivée à un âge plus ou .moins avancé, et que sa constitution po-
litique et religieuse était plus ou moins conforme aux rapports naturels des hommes
entreeux.
Il faisait remarquer que, dans l'enfance des peuples comme dans celle de l'homme,
l'imagination est plutôt éveillée que la raison, et qu'ainsi la littérature devait être alors
pauvre d'idées et riche d'images; mais qu'à mesure qu'un peuple avançait dans les voies
de la civilisation, le langage de la raison se faisait mieux sentir, et qu'on trouvait enfin
chez les peuples chrétiens la perfection du style, c'est-à-dire un style fort d'idées et sobre
d'images, parce que la société chez ces peuples était parvenue à cet âge de virilité où la
raison prend.le pas sur l'imagination. La religion, qui tend à perfectionner l'homme et la
société, était pour lui la cause première et cachée des différences qu'on aperçoit dans le
style des divers peuples et des diverses écoles de littérature.
Aussij.d'après ces principes, il ne voyait de véritable éloquence. politique qu'au sein des.
sociétés chrétiennes. Ainsi, dans la poésie, il mettait au premier rang des chefs-d'œuvre
de l'esprit humain la Jérusalem délivrée, parce qu'elle chante le triomphe de la chrétienté
dans sa-lutte contre l'erreur armée de toute la puissance des infidèles: sujet grand, majes-
tueux, et d'un intérêt général. Il trouvait que/dans ce poëme, tout était élevé dans les mo-
tifs, noble dans les moyens, juste et vrai dans les idées. Ce qui distingue, disait-il, le génie
du Tasse, et fait de son poëme le tableau le plus par fait de ce que doit être la société chrétienne,
c'est le caractère à la fois religieux et politique de ses guerriers; mélange de douceur, de
ce
force, de foi, de courage, de grandeur et de soumission qui constituent l'homme publie,
tt dont le christianisme seul a connu le secret.
flexibilité de son esprit et la fécondité de son imaginationétaient remarquables. Il
La
traitait avec une égale facilité des sujets de politique, de métaphysique et de littérature, et
quelque vulgaires et rebattus qu'ils fussent, ils prenaient sous sa plume une physionomje
nouvelle.
Il avait cette heureuse et rare faculté de traduire le plus souvent sa pensée en un mot
concis, énergique, spirituel ou profond. Aussi est-il, au dire de M. Sainte-Beuve, un des
écrivains dont il y aurait le plus de grandes ou spirituelles pensées à extraire; on-en ferait un
petit livre qu'on pourrait intituler « Esprit, » ou même « (îénie de M. de Bonald, » et qui se-
rait très-su'bstantiel et très-original. Peu d'écrivains en. effet ont fourni à la littérature autant
de ces mots qui deviennent comme la monnaie courante de l'esprit humain, et que l'on cite
tout en ignorant la source où on les .a puisés. Nous avons cité déjà cette pensée qui
fait loi, d'après M. Sainte-Beuve, la littérature est l'expression de la société. Com-
ment ne pas citer aussi sa célèbre définition L'homme est une intelligence servie j>a®
des organes?
-Accueillie au commencement de ce siècle avec enthousiasme, elle a subi dans ces der-
niers temps des critiques qui nous engagent à nous y arrêter un instant. Il se peut qu'elle
ne soit pas assez rigoureuse, et ne marque pas avec assez de précision l'union substantielle
des deux natures, mais elle ne l'exclut pas et ne peut pas être taxée d'erreur, comme on
a essayé de le faire. « Une définition ne peut pas tout dire: c'est un discours abrégé et res-
treint aux points les plus sa.illants de l'objet défini c'est un texte qui a besoin de dévelop-
pement. Il fallait surtout indiquer ici la distinction des natures et leurs fonctions diverses.
Saint Augustin définit l'homme Anima rationalis, mortali atque lerreno utens corpore;
Bossuet dit aussi qu'on peut le définir: Une âme raisonnable se servant d'un corps. Ces
définitions incomplètes ne sont pas taxées d'erreur; elles n'excluent rien de ce qui est
essentiel à l'homme, et se prêtent à tous les développements nécessaires, comme Bossuet
le fait voir (1). »
Si la définition est incomplète, disons au moins, avec M. Jules Simon, que c'est un mot
heureux ajoutons très-heureux, et si M. Simon s'était placé au moment où elle a paru, il
ne s'étonnerait pas de l'accueil qu'on lui fit. Ce mot a eu le succès qu'aura toujours l'ex-
pression vive, saisissante, énergique d'une vérité essentielle à la société ettrop longtemps
(t) Défense des principes philosophiques de M. de Bonald, par M. Y. de Bonald, son fils, contre de ré-
centes critiques.
méconnue. Le matérialismedébordait
matérialisme débordait enenFrance. doctrines sensualistes qui avaient fait
France le,s dp.çtrines
la révolution régnaient encore dans l'école, mais déjà leur joug pesait. Le moment de le
seconer é(ait venu. Le mot de M. de BonaJdfut uaépjajp qui jaillit daus les ténèbres et qui,
mettant en lumière le ç.Oté élevé de la nature humaine, indiqua la voie où il fallait mar-
cher. « L'impression fut vive et durable» et dès ce moment on n'osa plus citer la définition
grossière, à la fois absurde et coupable de Saint-Lambert (1) ,v
Des esprit extrêmes vinrent ensuite; ils voulurent y voir plus peut-être que l'auteur
n'avait voulij y mettre ils en Grent une défînitian complète, rigoureuse et un homme
éminent qui devait l'attaquer dans ces derniers temps, çommo radicalement f(ms$ef écrivait
alors « Pour parler d'une façon plus, exacte et en- même temps plus honorable
pour t'homme, la définition qui lui convient le mieux est celle-ci: l'homme est une
intelligence servie par des arganes. Elle, n'attribue rien à l'homme, qui ne lui appartienne,
elle. le distingue de tout ce qui n'est pas lui 5 elle le rapge dans la classe, des êtres intelli-
gents, où il doit être?elle le définit par tout ce. qui l'élève et l'ennobUt 5 elle; est donc
vraie J'ose, affirmer que cette définition, bien développée» équivaudrait à un traité
complet de physiologie. »
En dépit de toutes ces attaquai qu'elles viennent de droite ou de gauche, des philoso-
phes chrétjens au des rationalistes» Je, mût de M. de Boriald restera toutes les fois qu')n
voudra parler de l'homme, sous son aspect le plus général, le plus élevé, sous le rappjrt
de ses fonctions les plus nobles, cette définition sufBra à l'écrivain, à l'orateur, au mora-
liste, au philosophe lui-même; et il sera toujours vrai de dire « qu'avec une définition
plus ngo,ure,use- çt dans les termes mê. we» de l'école., on n'eût pas obtenu le même suceès
contrôle. Biaté.ria,li&me, et on n'eût pas dôtfônê Saint-Lambert (2;). »
On, a reprochéè M, de Bonald d'être trop tib.so.lik dans ses principes; mais on ne fat ja-
ttais plus indulgent pour les personnes et plus calme dans ses jugements, « Au physique, w
disait-il» « la force employée avec adresse vient à bout de tout; au moral, des principes
inflexibles et un caractère liant prennent sur les hommes un grand ascendanj. Ce sont
ceux dont il estdit Heureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre. { Matth.
v, 4. } »|l a eu da violents et implacables ennemis de ses principes; il n'en a. jamais eu
de sa personne. Il a eu des amis même parmi ceux qui ne partageaient pas ses principes
politiques. Le général Foy et lui avaient l'un pour t'autre une bienveillance réciproque ?
et quoique siégeant dans des rangs bien opposés, M. de Bonald rendait toute justice à l'élé-
vation de l'esprit et à la noblesse de sentiments de son collègue,qui, à son tour, professait
pour lui la plus haute estime. Il en a inspiré à tous ses adversaires, à oeux qui l'ont com-
battu pendant sa vie, aussi bien qu'à ceux qui repoussent encore aujourd'hui ses principes. Le
Jownal des Débats, organe de ses plus ardents adversairessous la Restauration, ne s'exprime
pas autrement à cet égard que M. Jules Simon le jugeant au nom du rationalisme dans la
Revue des DeuxrMondes. « A toutes les grâces de l'esprit le plus fia et le plus délicat, M. de
Bonald unissait, «dit le Journal des Débats,» le cceur le plus ouvert, le caractère le plusloyal et
le plus chevaleresque (3).»– « Tout le monde, » dit M. Jules Simon, est unanime pour Jouer
cette vie pure et désintéressée, et c'est quelque chose de glorieux que celt& unanimité des
partis en faveur d'un homme qui neleurajamais fait aucune concession (4).»-
Devant ces témoignage?, nous n'aurions donc. rien à ajouter sur le caractèrede notre
écrivain, si dans ces derniers temps un critique distingué, qui a su d'ailleurs, pour juger
M. de Bonald, se placer au-dessus des préventions vulgaires, n'eût émis cette assertion

étrange « En plus d'u» cas, M. de Bonald fut un instrument du pouvoir, sincère, mais
non désintéressé. »
Pendant sa vie, M. de Bonald a gardé le silence devant des accusations, de ce genre pro-
duites paç d'ignobles pa.eaphlétai?e,s. Ses admirateurs agiraient de naêtne, mais lorsque
(1) Défense des principes philosophiques de M. de Bonald,
par M. V. de Bonald, son fils, contre de ré-
centes critiques,
(2) Idem.
(3) tournai des Débats, 2 et 3 janvier 1841.
(6) Revue des Deux-Mondes, 1841.
des écrivains d'une aussi haute valeur se laissent tromper par ces accusations au- point de-
leurdonner l'autorité de leur parole» leur devoir est de les repousser.
M. de Bonald fut un instrument du pouvoir; comme tout homme mêlé aux aff aires publi-
ques, comme tout homme qui prend une part quelconque, grande ou petite, au gouverne-
ment de la société. Là question est de savoir s'il fut un instrument du pouvoir contre ou
suivant ses convictions s'il fut un instrumentdu pouvoir en vue dé ses intérêts ou en vue
de ses principes?
Sur ces questions, on pourrait en appeler au même critique, qui avoue que M. de
Bonald n'a pas cédé une ligne de terrain; qu'il ci eu jusqu'au bout l'intrépidité de sa
croyance et n'a jamais fléchi. Mais M. Jules Simon sera encore plus précis, M. Jules Simon,
qui pense que M. de Bonald, si l'on excepte la part honorable qu'il a prise au retour et au
triomphe des idées spiritualistes, n'a guère fait que du mal. « Ou ne trouve pas dans cette
longue carrière, dit-il, une action qui ne soit conforme à ses principes, pas une ligne qui
les démente. Il pouvait relire en 1810 sa Théorie publiée 46 ans auparavant sous la
république, sans regretter une seule de ses opinions. Il figura cependant en 1815 dans le
dictionnaire des Girouettes, et jamais accusation né fut plus contraire à la vérité. M. de
Bonald ne s'est jamais 1 éhdu, il n'a jamais été le complaisant de personne, pas même de
ses amis politiques;» car, » dit un peu plus loin le même écrivain, «honnête avant tout, et
plutôt homme de système qu'homme de parti, il se mOntfait sévère Même pour ses
amis. »
Ainsi, au pouvoir ou hors du pouvoir,dans l'oppositionou sur les bancs ministériels, M. de
Bonald n'a suivi que ses convictions. Une pareille constance dans ses opinions, Une pareille
indépendance de caractère ne sont-elles pas la preuve incontestable du désintéressement
le plus profond? n'en sont-elles pas le résultat? Quoi 1 voilà un homme dont la vie pu-
blique, commencée en 1785, s'est terminée en 1830, et qui dans ce long espace de près
d'un demi-siècle a mérité qu'un ennemi de ses doctrines politiques, philosophiques et re-
ligieuses écrivît de lui qu'on ne trouve pas une action qui ne soit conforme à ses principes,
et on pourrait douter de son désintéressement c'est impossible.
Au surplus, qu'on ouvre sa vie. Président de l'administration de son département, il
donne sa démission dès qu'un acte du pouvoir menace de porter atteinte à ses croyances
Revenu pauvre de l'émigration, il refuse plusieurs occasions de faire sa fortune sous l'em-
pire. Le gouvernement lui offre la rédaction du Journal de l'Empire avec d'énormes ap-
pointements qui lui seront assurés non-seulement pouf le présent, mais pour toujours:
il n'accepte pas. L'empereur le fait presser de réimprimer sa Théorie du pouvoir, proposant
d'en faire lui-même les frais il y renonce plutôt que de supprimer une phrase, suppres-
sion qui eût passé inaperçue, dans un livre inconnu du public, et que le régime sous le-
quel était alors la presse, eût d'ailleurs snfiisamment expliquée. Le roi de Hollande veut
le nommer gouverneur de son fils il ne se rend pas à ses désirs. Un personnage éminent
lui laisse entrevoir qu'on pourrait peut-être un jour songer à lui pour l'éducation de l'hé-
ritier du trône impérial, et sa réponse est une énergique protestation contre le titre donné
au jeune prince Je lui apprendrais à régner partout, excepté à Rome: Trouverait-on
dans les honneurs que lui a accordés la Restauration et qui n'étaient certes pas au-dessus
de son mérite, la preuve de peu de désintéressement? mais les a-t-il obtenus par quelque
capitulation ? il ne les a pas même demandés. La trouverait-on dans l'acceptation de la
présidence de la commission de censure? mais ces fonctions furent gratuites, nul ne l'ignore
aujourd'hui et y a-t-il une plus grande marque d'un désintéressement profond, d'un
ferme caractère, que d'accepter gratuitement des fonctions pénibles, au bout desquelles
se trouvaient l'impopularité et un déchaînement d'opinion d'une violence inouïe, mais par-
faitement prévu? Pair de France nommé par Louis -XVJII, il pouvait, après 1830, conser-
ver sa pairie et sa dotation; bien d'autres le firent et on ne les accusa pas de manque de
désintéressement. M. de Bonald, qui n'avait pas de fortune personnelle, ne l'a pas fait.
Que reste-t-il donc pour étayer l'assertion que nous venons de réfuter? quelques phra-
ses des mémoires fort connus d'un calomniateur anonyme, autorité que n'accepte sûre-
ment pas l'honorable écrivain trompé sans doute par des réminiscences des déplorables
luttes de la Restauration. Mais la vérité se dégage des erreurs qu'elles ont accréditées
autour de certains noms, et nous en avons assez dit pour montrer que, quand M. de
Bonald servit le pouvoir, il le fit avec l'indépendance d'un esprit élevé, et le discerne-
ment d'une conscience honnête et éclairée.
Aussi M. de Lamartine a-t-il placé très-haut le caractère de M. de Bonald, la plus noble
el la pluspure figure que l'ancien régimepût présenter au nouveau (1).
Nous terminerons cette notice par quelques traits du portrait qu'en a tracé cet écri-
vain •
« Gentilhomme de province, chrétien de foi, patriote de cœur, royaliste de dogme, bour-
honniste d'honneur et de fidélité, il avait revendiqué sa part de proscription et d'indigence
pendant l'émigration, il avait erré de villes en villes, à l'étranger, avec ses enfants nourris
de son travail. Ii avait étudié l'histoire, les moeurs, les religions, les révolutions des peuples
dans leurs catastrophes mêmes et sur place. Comme Archimède ilavait écrit et calculé au mi-
lieu de l'assaut des hommes et de l'incendie européen. Sa religion était sincère et soumise
comme â un ordre reçu d'en haut et non discuté. Il empruntait toute sa philosophie aux Livres
saints. il remontait toujours d'échelon en échelon jusqu'à l'oracle primitif, Dieu.Comme
dans toutes les fois sincères et désintéressées, il n'y av^it en lui ni excès ni violence.
JJ était indulgent et doux, comme les hommes qui
se croient possesseurs certains et in-
faillibles de leur vérité. Son caractère avait la modération du possible. Il aurait été le
ministre très-sage d'une restauration patiente prudente et mesurée. Il possédait la sa-
gesse de ses opinions. Il était trop élevé et trop serein pour être orateur parlementaire,
ou orateur populaire. Il ne parlait pas, il pensait à la tribune. Mais ses livres et ses opi-
nions écrites faisaient dogme dans le parti monarchique et religieux. Son style simple,
réfléchi, coulant sans écume et sans secousse (3), était l'image de son esprit. On y sentait
l'honnêteté et la candeur de l'intelligence; on s'y attachait comme à un doux et intime en-
tretien on en prenait l'habitude, et même en résistant aux convictions, on suivait en-
traîné par le charme de la bonne foi dans l'erreur, et du naturel dans la vérité. Sa conver-
sation surtout était attachante.. C'était la confidence de l'homme de bien. M. de Bonald
n'était pas seulement pour la France d'alors un grand publiciste, c'était un pontife de la
religion et de la monarchie (2). »
(1) Hist. de la Restauration, t. II, p. 408.
(2) M. Nettement, comparant entre eux les écrivains de notre siècle, a dit La prose de M. de Bonald
est celle qui. se trouve dans les rapports les plus intimes avec la prose des grands écrivains du xvne siècle.
Chose remarquable la parenté des styles suit ordinairement la parenté des esprits. »' (Ui&t. de la littéra-
ture française sous la Restauration, t. II.)
(5) Ibid. p. 408, 409, 410.
ÉLOGE DE M. DE BONALD

PRONONCÉ PAR M. ANCELOT, le 15 JUILLET 1841, JOUR DE SON INSTALLATION A l'Académie


FRANÇAISE

Messieurs, nabit
na de mousquetaire. Mais quand le corps
S'il n'est pas un écrivain dont le cœur n'ait auquel
au il appartenait fut supprimé, quand
palpité au seul nom de l'Académie fran- les
Je: événements le contraignirent à reposer
çaise; si le plus orgueilleux s'étonne de se l't
l'uniforme, et que, rentré au foyer paternel,
sentir modeste en entrant dans cette en- nommé
ne bien jeuneencore, maire de sa ville
ceinte, où le passé s'unit au présent pour natale,
na il se vit appelé à de nouveaux de-
décourager toutes les vanités si les re- voirs,
vo le mousquetaire n'eut point de trans-
gards les plus fermes se baissent éblouis formation morale à subir; car sa précoce
fo
devant ce lumineux foyer où rayonnent tant raison,
ra la sévérité de ses principes, t'avaient
de gloires que ne dois-je pas éprouver, fait distinguer parmi ses brillants camara-
fa
moi qui viens occuper, sans la remplir, la de et une étude constante avait fécondé
des,"
place d'un des plus illustres membres de les germes précieux qui, déposés dans un
lei
cette illustre compagnie; moi qui dois pro- esprit
es grave et méditatif, devaient plus tard
noncer son éloge au lieu même où j'avais produire
pr de si nobles fruits. Aussi le voyons-
espéré recevoir ses leçons? Croyez-le bien, nous,
ne dès son début dans la carrière admi-
Messieurs, nul n'a mieux compris que moi ni
nistrative, dominer par la confiance qu'il
combien devait peser à ma faiblesse cette inspire, par l'austère énergie de sa parole,
in
tâche que vos suffrages m'ont imposée 1.
Et je l'ai désirée pourtant 1 C'est qu'il m'était
pz la fermeté de son caractère, lescircons-
par
tances difficiles qui commencent à naître;
ta
doux de songer qu'en obtenant l'honneur de et, non moins heureux que ne le fut son
et
payer à M. le vicomte de Bonald un nouveau aïeul Pierre de Bonald pendant tes troubles

tribut d'admiration je pourrais acquitter dE religion qui éclatèrent sous le règne de
de
publiquement une dette de reconnaissance. Louis XIII, écarter longtemps les orages
L<
Car l'homme éminent auquel je succède de la ville dont les suffrages l'ont choisi,
de
avait honoré ma jeunesse de son bienveil- prévenir
pr des luttes cruelles entre les ha-
lant intérêt sa bonté avait souri à mes pre- bitants
foii que leur culte sépare, et retarder
miers travaux, et j'ai vu s'écouler onze an- l'effusion
l'E du sang qui bientôt inondera la
nées depuis l'époque où son vote daigna France.
Fi
m'appeler à siéger auprès de lui dans cette Je ne veux point, Messieurs, ramener
Académie. J'étais loin de penser, quand ce sous
so vos regards le sombre tableau de ces
glorieux témoignage de son estime embel- temps funestes que la terreur a flétris de
te
lissait pour moi la défaite, que le regret de son nom, et vous me suivrezdans cette ville
so
sa perte viendrait un jour attrister ma vie- d'
d'Allemagne où nous retrouvons M. de Bo-
toire. nald,
n: exilé et proscrit, appliquant ses soins
Ce regret, que vous avez tous ressenti, à l'éducation de deux de ses fils, qu'il avait
Messieurs, il faut aujourd'hui que je le associés
as à son exil, et demandantquelques
réveille, en vous racontant cette noble vie, consolations
cc à des travaux qui ne tarderont
en vousparlant de ces austères travaux, élo- pt à lui donner la gloire,
pas
quents monuments élevés sur les confins de Le licenciement de l'armée de Condé ve-
deux sociétés. Il ne m'est point donné, je le nait
m de faire rentrer dans le fourreau l'épée
sais, d'apprécier dignement ces hauts en- dt gentilhomme le philosophe s'arma de
du
seignements du publiciste, ces profondes la plume 1 C'est à ces longs jours de mal-
méditationsdu philosophe; mais je les rap- heur
hl et d'isolement que nous devons le
pellerai du moins à votre pensée vos sou- premier
pr ouvrage de l'illustre écrivain. Les
venirs suppléeront à l'insuffisance de ma yeux attachés de loin sur la France, il a vu
ye
parole; et peut-être me prêterez-vous une to les liens relâchés ou rompus; les cons-
tous
oreille indulgente,commeonécoute encore, titutions
til dévorant les constitutions; les
apportés par l'écho, si faible qu'il soit, les vainqueurs
va de la veille devenus les pros-
derniers sons d'une voix amie qu'on a cessé cr du lendemain tous les droits mécon-
crits
d'entendre. ni tous les devoirs oubliés ;et l'anarchie
nus,
Issu d'une des plus anciennes familles du marchant
m sur des cadavres à l'accomplisse- ·
Rouergue, qui avait donné des magistrats ment m de son oeuvre de destruction 1 Il n'a
renommés au parlement de Toulouse, M. de pas pa cessé de l'aimer, cette patrie qui n'a plus
Bonald fut, comme son père et son oncle, pc pour lui qu'un échafaud Maissebornera-
destinée la professiondes armes; et l'homme t-il
dont la pensée devait sonder si profonde- Il
t-i à lui donner de stériles regrets ?.
Non 1
II pense que, dans un temps de dissolution,
ment tous les mystères de la politique et de le premier devoir qu'on ait à remplir envers
la philosophie, entra dans le monde sous un sonso pays, c'est de l'aider à se reconstruire,
et, appelant à son secours la force qu'il a Jâtrie
lâ( d'elle-même 1 On vit se renouveler les
puisée dans de profondes études et de fruc- principales
pr: vicissitudes philosophiques du
tueuses méditations, il compose la Théorie passé.
pa Alors l'Inde, la Grèce, Alexandrie re-
du pouvoir politique et religieux. > naquirent
na avec leurs systèmes; on avait
Certes, Messieurs, en traitant un pareil abusé del'aulorité; on abusa, plus qu'on ne
ab
sujet à une pareille époque, un homme mé- l'avait jamais fait, du raisonnement.
l'a
diocre se serait jeté dans des personnalités: Descartes du moins avait agi par l'esprit,
l'homme qui souffre se croit si facilement et il avait ainsi laissée l'homme les moyens
le droit de se plaindre !Loin de là. de remonter dans les hautes sphères reli-
gieuses. Au dix-huitième siècle, on ne you-
M. de Bonald ne songe qu'à poser des prin- giE
cipes. Depuis plus d'un demi-siècle, la so- lui procéder que des sens. La France était
lut
ciété se balançait sur un océan de doutes et devenuedisciple
de de Locke 1 Et sur cette pente
de tempêtes l'écrivain n'aura point de re- rapide
raj on descendit si bas, si bas, qu'on
lâche qu'il ne l'ait affermie sur des bases iné-en vint au point de demander si l'homme
branlables 1 Depuis un demi-siècle, la vie n'a n'était
n'é pas une machine ou une plante.
été qu'un long paroxysme d'orgueil poli- C'est après cette tourmente philosophique
tique; M. de Bonald cherche à ranimer partout qu parut M. de Bonald,
que
lé cultedes grands souvenirs qui ont le plus Lfl
1 dix-huitième siècle avait tronqué
honoréPhumanitéIAinsi,quand]ap!upartde 1 hhomme en retranchant de sa synthèse la
ses contemporains s'efforcent de renouer la partie
Fiai divine. M. de Bonald le complète en
chaîne deCondillac et des encyclopédistes,il la lui rendant avec cette logique vigou-
a, lui, des idées plus élevées, des résolutions reuse
rei qui enfante d'indestructibles convic-
plus viriles: ce qu'il veut, c'estconstituer la tions.
tio Les gouvernements, qui s'étaient pré-
cil~ les uns sur les autres depuis l'as-
société civile en constituant la société reli- cipités
gieuse et politique c'est vers ce but qu'il semblée
sei constituante, avaient surtout agi
dirige toute la vigueur de son intelligence, au nom d'eux-mêmes, au nom de la per-
toute la puissance de sa spéculation, toute la sonnalité humaine il n'en est plus ainsi
noblesse de son âme 1 M. de Bonald n'ignore av<
soi
avec M. de Bonald 1. D'après lui, on ne peut
de la société sans parler de l'homme,
pas combien il y a de faussetés accréditées traiter
tra
dans sa patrie; il n'ignore pas ce qu'il y a ni parler de l'homme sans remonter à Dieu.
de dangereux pour un écrivain à contredire Di< Dieu et l'homme, voilà les deux grandeurs
ceux qui ont usurpé le monopole de la qu'il qu lie invariablement Dieu comme l'ar-
faveur populaire mais M. de Bonald est de chétype
chi de toute puissance, de toute per.
ces hommes qui préfèrent le bien public à la fection;
fec l'homme comme ne devant relever
qu de Dieu seul. Déjà, vous le voyez, Mes-
vanité individuelle. Il parle donc à son pays que
avec la candeur du génie qui fait ses pre- sieurs,
sie nous avons quitté les landes stériles
mières armes dans le rude métier de penseur. où s'étaient égarés la majorité des philoso-
Avant de vous entraîner avec moi dans phes ph du dix-huitième siècle; nous sommes
da les voies où nous apparaissent les plus
les profondeurs de cet immense travail, l'un dans
des plus imposants peut-être que notre siè- grandes
gn célébrités philosophiques nous ne
de ait produits, me sera-t-il permis dejeter soisommes plus ni avec Locke, ni avecl'atmos- les en-
un rapide coup d'œil en arrièreî cyclopédistes
cyi nous respirons dans
Le moyen âge avait trop tendu le principe phère
ph intellectuelle de Platon. Il y a déjà un
de l'autorité l.Qu'arriva-t-il,Messieurs?. ob: abîme entre le sensualisme et M. de Bonald:
Dès la renaissance, quand on ressuscita mais nu ce n'est point assez! M. de Bonald
toute la spéculation grecque, il y eut un s'est s'e mis en dehors de l'arbitraire humain
vaste frémissement parmi les populations pour po ne subir qu'une autorité éternelle;
européennes elles aussi voulurent penser; l'enfant
l'e: des montagnes du Rouergue a
elles aussi voulurent faire acted'indépen- puisé
pu peut-être au lieu natal cette fierté qui
dance 1 Mais la réaction fut excessive comme empêche.
en: l'homme de s'agenouilter devant
la cause qui l'avait amenée. Un philosophe d'autres
d'e hommes; il ne sera satisfait que
italien avait détaché la morale de la religion; lorsqu'il
lot aura extrait de son principe toutes
Machiavel en avait détaché la politique; les les conséquences qu'il juge indispensables
Luther avait brisé le dogme catholique à'I résurrectionde notre dignité morale.
à'Ia
Descartes avait sécularisé la philosophie. Les limites qui me sont imposées, Mes-
Dès lors on s'élança de toutes parts à I'a,>- sieurs,
su non moins que mon insuffisance,
saut des vériiés et des erreurs: un siècle m'interdisent
m' de suivre pas à pas cettear-
suffit pour troubler toutes les notions qu'on gumentation
gu puissante où nous trouvons M.
avait eu tant de peine à répandre à travers de Bonald et Jean-JacquesRousseau combat-
tai un moment côte à côte. Et d'ailleurs,
les tumultes de la féodalité; un siècle suffit tant
pour renverser te. sanctuaire où s'était est-il es besoinqueje vous les rappelle, ces ad-
conservée la parole d'ordre, la paroi» de sa- mirables
mi pages dans lesquelles votre glo-
lut universel. En vain Louis XIV et Bossuet rieux
ri* confrère dépasse de si loin parl'origina-
lit de ses aperçus, par la profonde péné-
luttèrent de puissance et de gériieipour réé- lité
difier les tabernacles qu'on venait de démo- tration
Ira de son intelligence. les publici-stes
Jir en vain Bossuet, plus roi que le grand qui qu l'oat précédé ? Je m'adresse sans crainte
à
roi, monta sur le Sinaï, armé de ses plus à ttous ceux qu: ont lu etmédité ces pagess
urûlantes inspirations, pour empêcher l'in- éloquentes,
él< et je leur dis M. de Bonald ne
telligence humaine de s'abandonner à l'ido- ressemble-t-il
re pas trait pour trait à ces beaux
ELOGE DE M. DE BONALD PAR M. ANCELOT. xxxi
génies de l'antiquité quiui écrivaient sur les ne pensant d'ailleurs ni à lui ni aux siens,
lois ou sur la chose publique ?.. sa parole n'ayant
n'a d'autre culte que celui de la vérité.
n'est-elle pas ici un magnifique retentisse- La postérité, Messieurs, ne doit-elle'pas son
ment, un retentissement tout nouveau néan- respect
res à l'homme qui se présente devant elle
moins, des plus larges inspirations de avec de pareils titres?pour louer une sembla-
ave
l'homme qui réunit sur sa tête la triple ble vie, ne suffit-il pas de la raconter?.
gloire du consulat, de l'art oratoire et de la Mais
S M. de Bonald avait annoncé qu'on ne
philosophie romaine?. pouvait
poi parler de l'homme sans remonter à
Cependant il ne suffit pas à M, de Bonald Dieu. ïl consacrera donc la seconde partie
Die
d'avoir établi des principes qui forment un de la Théorie du pouvoir à constituer la so-
de
étrange contraste avec la faiblesse native et ciété
cié religieuse. Cette force de tête, qu'il a
la caducité précoce des pouvoirs qui venaient développée d'abord, le soutiendra, s'étendra
déi
de terrifier la France. Il crée, il fait jaillir même dans ce second travail ici M. de Bo-

de sa vaste tête une monarchie dont llexis- nal accomplira des prodiges de raisonne-
nald
tence rappelle, dans le domaine de l'esprit, me et de sagacité; il prouvera qu'il n'est
ment
ces monumentsélernels que les sièclesetles pas de problème si dilicile qu'il n'ait pé-
hommes ne peuvent ni dissoudre, ni renver- nétré,
né! analysé, lorsqu'il s'agit de réunir tous
ser. Pour l'auteur de la Théorie du pouvoir, les membres de l'humanité comme dans une
le monarque, c'est la volonté générale incar- sec et même famine, dans une seule et
seule
née 1 Il est le lien d'amour entre les hom- mé
même foi, dans une seule et même satisfac-
mes il est à ceux-ci ce que le centre est à tioi sociale. Ici, l'homme politique se fond
tion
tous les points de la circonférence; il est le dans l'homme religieux, et celui-ci dans
dar
pouvoir général OU social conservateur, qui, l'homme
l'hi politique, de telle facon qu'ils
pour faire exécuter les lois, expression de deviennent
dei inséparables l'un de l'autre. Ici,
la volonté générale conservatrice, agit par M. de Bonald prolonge sa vue infiniment
la force générale. Pour M. de Bonald, la au delà de toutes les bornes où s'était arrêtée
monarchie n'est pas un fait, un fait discu- l'intelligence
l'icr des auteurs profanes. Ici, nous
table comme un autre elle est une loi, un retrouvons
reli un esprit qui rappelle involontai-
rapport de la nature sociale à Dieu 1 Elle. rement
ren la verve d'un saint Thomas, d'un
est l'idéal de la force et; de la dignité^ de saint Augustin, et de tous ces nobles enfants
sai
l'amour et de la protection. de l'Occident qui défendirent le mieux, la
On peut croire sans peine qu'un homme plume
pluti à la main, les plus grandes et les plus
tel que M. de Bonald avait assez d'imagi- belles traditions de l'histoire.
bel
nation pour s'exciter au bruit qui sortait de I philosophie du dix-huitième siècle
La
l'éco e de Mably et de quelques ouvrages n'a
n'avait cherché la glorification de la race
connus dans l'effervescence révolutionnaire; humaine que dans les seules faeultés de sa
hui
mais M. de Bonald a profondément étudié nature;
nat M. de Bonald ne la trouve et ne
les sociétés c'est-à-dire qu'il dédaigne des l'accepte
Tac que par le christianisme et dans le
triomphes trop faciles. Il aimera mieux res- christianisme. La philosophie du dix -hui-
chr
ter dévoué à l'expérience de toute l'histoire tième
tièi siècle avait conclu à la jouissance;
qu'a la fièvre politique d'une époque; il pré- M. de Bonald conclut au sacrifice. Le dix-
férera l'indépendence de sa pensée à la |i- huitième siècle et M. de Bonald sont
hui
vrée d'un parti. Et qu'on n'invoque point dei guerriers1 qui se suivent, se me-
deux
contce M. de Bonald ni son passé aristocra- surent,
sur se heurtent sans cesse dans les
tique, ni son éducation, pour expliquer ses questions les plus capitales. Mais est-ce le
qui
opinions et ses écrits 1 M. de Bonald ne siè, qui terrasse l'homme ? est-ce l'homme
siècle
relève que deses études,de ses méditations, qui terrasse le siècle?. Regardez autour
dc sa probitéd'esprit et decceur. Un homme de vous, Messieurs, et voyez ce qui reste
de sa taille ne s'incline devant personne, il de la lutte engagée entre ces deux redouta-
reste debout lui-même. bieschampions
ble 1 Dans le dix-huitième siècle,
Tant qu'il y aura des hommes, Messieurs, on n'avait eu d'autre objet que de donner
il y aura des mécontents. Nous portons tous au sensualisme la prédominance absolue
en nous-mêmes l'amour de l'infini, le sen- sur le spiritualisme or voilà que les plus
timent de l'infini il est et il sera donc tou- illustres
illu représentants de la philosophie se
jours impossible d'assouvir nos exigences. sot tous déclarés contre les doctrines que
sont
Tous les gouvernements, quels qu'ils soient, combattait M. de Bonald 1 Dans le dix-hui-
cor
auront des adversaires et des ennemis: car tième siècle, on n'avait travaillé en politique
tièi
en matière de gouvernement comme partout, que sur la souveraineté du peuple: or voilà
que
ailleurs ici-bas, nous ne saurions jamais at-» que de toutes parts se lèvent et s'unissent
qu<
teindre à la réalisation de notre idéal; le les résistances pour opposer une digue aux
les
génie ne peut donc avoir d'autre objet et envahissements
en\ de ce dogme renouvelé de
d'autre but que de satisfaire le moins im- Buchanan et de Jurieu Dans le dix-huitième
Bu<
parfaitement qu'il soit possible nos espé- siècle,
siè< on niait radicalement le christianis-
rances et nos désirs. C'est là ce qu'a tenté mee on le niait avec la rage frénétique et
me
M. de Bonald 1 11 avoulu affranchir J'homme l'ironie sanglante d'un Chubb, d'un Wools-
Fin
de l'homme il a voulu affermir sa cons- ton et d'un Bolingbroke or voilà qu'aujour-
tan
cience sur des principes; il a voulu donner d'b la conscience lassée des générations
d'hui
à la société un pouvoir fort, en favorisant n'a plus d'autre refuge que le christianisme
toutes les libertés qui ne sont pas ïa licence, sous peine de s'éteindre, de mourir déses-
sou
pérée dans le néant Qui donc a vaincu, Mes- sa féconde pensée contient le germe de tons
sieurs, nous le répétons?. Est-ce le siècle le! principes qu'il a développés plus tard,
les
qui a terrassé l'homme? est-ce l'homme qui qu'il a constamment défendus c'est qu'on
qu
a terrassé le siècle? ne saurait trop ie recommander à l'atten-
ne
Toutefois, Messieurs, la Théorie du pou- tion des esprits sérieux, ce vaste travail que
tic
voir n'eût pas été complète, si l'auteur n'a- le directoire livrait aux ignominies du pilon,
vait offert un moyen de l'appliquer. M. de pendant
pe que le général Bonapartele lisait en
Bonald appelle donc au secours de sa pensée le méditant. Ge double fait ne nous révèle-
l'éducation sociale, sujet formidable par son t-il pas l'avenir prochain de deux puissan-
t-i
importance, et qui malheureusement ne ce qui vont bientôt se heurter? Le direc-
ces
s'est jamais présenté qu'en sous-œuvre à la toire s'irrite et tremble devant ces hautes
toi
majorité des gouvernements.C'est sur l'édu- leçons;
le^ le général Bonaparte les comprend
cation religieuse qu'il concentre toutes les et les étudie.
prédilections de ses recherches; il a vu tout Nous voici parvenus, Messieurs, à ces
ce qu'il y a de faux et de puéril à ne parler jours
joi où M. de Bonald, que ses étudessévères,
que de philosophie grecque et latine à des non moins que l'espoir d'être utile à son
no
générations nées chrétiennes et pour être pays
pa malheureux, avaient armé contre les
chrétiennes; il impose donc le christianisme peines
pe cuisantes de l'exil, céda au be-
afin que le travail de la civilisation soit con- so de respirer l'air de la patrie. 11 avait
soin
séquent avec son principe. Il a vu tout ce quitté
qu l'All'emagne pour s'arrêter un mo-
qu'il y a de déplorable pour l'esprit public ment
m< en Suisse, et bientôt, à travers mille
dans la multiplicité, dans la confusion des dangers,
da voyageant à pied et durant la nuit,
systèmes;, il appelle dans l'éducation so- ca-i alors c'étaient la gloire et la vertu qui se
car
ciale l'uniformité, l'universalité la per- cachaient,
cal le noble proscrit atteignit la ville
péluité. de Lyon avec ses deux fils. Dans cette cité,
Ce que M. de Bonald a toujours redouté, que le fléau des discordes civiles avait livrée
qu
le plus, c'est de voir lesgouvernements mar- naguère
na à toutes tes horreurs de la dévas-
cher au hasard, sans se,proposer aucun point tation,
tal M. de Bonald se dérobe quelque
fixe; aussi, de même que Platon était pour- temps
te aux rigueurs de la loi qui le menace;
suivi sans cesse par son idée du beau et du la prudence lui commande enfin de s'en
bien, M. de Bonald est sans cesse tourmenté éloigner, et prêt à partir pour Paris, où les
élf
par un impérieux besoin de vérité absolue: périls
pé sont moins grands, parce que les
yoilà le secret des luttes opiniâtres de son moyens de s'y soustraire sont plus nom-
m<
infatigable dialectique. Là où1 il n'y a que br
breux, il se décide à laisser dans une pen-
des vérités relatives, et parconséquent mobi- sion
si< de Lyon son plus jeune fils, Maurice de
les et incertaines, que rencontrons-nous, en Bonald.
Bc
effet, Messieurs ? négation de toute autorité, Oh! garde-le bien, ville hospitalière, cet
provocation à un étemel désordre 1 enfant
en pour qui son père demande un re-
Oserons-nous le dire? ce qui fait que tout fu à tes murailles en ruines 1 Quarante
fuge
vacille aujourd'hui, littérature, arts, scien- années
an passeront: un autre fléau amoncel-
ces, politique et philosophie, c'est que nulle lera d'autres ruines dans tes muraillesI
lei
part ne s'élève ni croyance ni vérité absolue. Garde-le bien aujourd'hui, cet enfant 1. car
Gj
Et l'on s'étonne que le monde social soit à l'heure de tes nouveaux désastres, le digne
agité 1. Comment un édifice sans base ne pasteur qui épanchera sur tes souffrances
pa
chancellerait-il pas? comment croire à une to les trésors de sa charité évangélique,
tous
harmonie durable là où commandent seules le saint prélat qui pansera tes blessures,
des passions du moment?. Et pourtant, qc séchera tes larmes, qui consolera tes
qui
Messieurs, rit, désespérons pointlLa foi n'est infortunes,
in il se nommera Maurice de Bo-
pas éteinte dans tous les cœurs; les idées nald!
na 1
d'ordre et de stabilité ne sont pas absentes Quand des jours moins sombres commen-
de tous les esprits. L'impulsion salutaire est cèrent à luire pour la France, M. de Bonald,
ce
donnée, et le jour n'est pas loin peut-être dont le nom avait été rayé de la liste des
de
où nos regards pourront se tourner vers l'ho- proscrits
pr par le premier consul, fut rendu
rizon, sans redouter d'v voir poindre un aux 'douceurs de la vie de famille, et il se
au
orage. N'avons-nous-pas pour garantie de retira
re dans sa petite terre du Monna, faible
l'avenir cette royale sagesse qui préside à débris d'un patrimoine que les confiscations

nos destinées et qui a grandi dans les tem- avaient
a\ dévoré. Déjà il avait écrit son Essai
pêtes du passé? analytique,
an la Législation primitive, ainsi que
Je m'arrête, Messieurs car, entraîné par so Traité sur le divorce; s'unissant à des
son
mon désir d'excuser, du moins, si je ne hommes qui, comme lui, dévouaient leurs
h(
peux lesjustirier, les suffrages qui m'ontap- ef
efforts à la reconstruction de la société, il
pelé à m'asseoir à cette place, avant moi si ceconsacra ses loisirs à la composition de
.glorieusement occupée, je n'ai peut-être pas nombreux
ne articles dont il enrichit le Mer-
assez consulté mes forces. Je me suis étendu cure
eu et le Journal des Débats.
longuement, trop longuement sans doute, Deux fois l'auteur de la Theorie du pou-
sur le premier ouvrage dn célèbreauleurde voir
vo fut appelé à une haute mission par
la Législation primitive; mais c'est qu'il est deux de ces récentes monarchies que la
d(
le moins connu de tous ceux que M. de Bo- gloire militaire avait enfantées. On désira
gl
nald publiés; c'est.que ce premier fruit de confier
c( à ses lumières l'éducation de l'héri-
tier du grand empire; et le roi de Hollande, (on en rencontrait, Messieurs, à l'époque
Louis Bonaparte, le supplia par une lettre où M. de Bonald écrivait) ont accusé d'ob-
aussi noble que touchante, d'accepter la di- scurité l'auteur de la Législation primitive;
rection morale de son fils aîné. M, de Bo- ils n'ont pas craint d'attacher à son nom
nald refusa! Subissant le fait, mais défen- J'épithète d'inintelligible. Certes, i! est plus
seur infatigable du droit, l'illustre écrivain aisé de formuler ainsi une condamnation
ne croyait point à l'avenir de ces "dynasties; qne de lire pour s'éclairer et d'étudier
il ne croyait point à la stabilité de ces trô- pour comprendre. Sans doute les ouvrages
nes. Peu d'années après, ces trônes s'écrou- de M. de Bonald ne sont pas aussi facilement
lèrent, ces dynasties disparurent. appréciés que peuvent l'être des écrits
Avec la Restauration commence la car- frivoles; mais ils sont clairs pour qui veut
rière politique et législative de M. de Bo- prendre la peine de méditer et de réflé-
nald et il serait superflu de rappeler ici chir. Il est peu d'hommes qui aient obtenu
quelle trace éclatante y laissa chacun de ses plus souvent que lui le bonheurdevoir leurs
pas. Les échos des deux chambres n'ont définitions devenir des axiomes philosophé
point oublié ses mâles accents; vous n'avez ques et littéraires. Dans une ou deux cir-
point oublié, Messieurs, qu'il n'y eut pas constances peut-être l'inflexibilité de sa
alors une discussion importante que sa pa- pensée le livra-t-elle à quelques illusions.
role n'ait illuminée; pas une grave délibéra- Parfois, peut-être, il excéda lui-même ses
tion où ne se soient révélées son influence forces, notamment dans sa dissertation sur
et cette autorité que donnent toujours le ta- l'o:igine du langage. Peut-être, enfin, lui re-
lent et le patriotisme, quand ils se joignent procha-t-on avec quelque raison de presser
à la probité politique et individuelle. trop les mots, de les tordre, pour ainsi dire,
Célèbre par ses écrits, célèbre par son élo- afin d'en faire jaillir un principe. Mais qu'im-
quence, M. de Bonald avait sa place marquée portent ces légères taches là où brille tant de
dans cette Académie. Il eût manqué à cette lumière? Que M. de Bonald pèse les lois
savante compagnie, le profond philosophe, naturelles de l'ordre social ou du pouvoir;
le publiciste éclairé dont l'Europe admirait qu'il recherche les premiers objets des con-
les ouvrages, et qui s'étonna pourtant de sa naissance morales qu'il lance du haut de sa
nouvelle dignité. Il ne comprenait pas pour- science et de sa méditation son verdict con-
quoi on lui avait conféré ce titre, et l'homme tre le divorce qu'il publie ces pensées qui
degénie disait qu'il n'avait pas assez d'esprit eurent et qui méritèrent un si grand reten-
pour être académicien. tissement, partout où il marche, que de vivi-
Après quinze années de rudes travaux et fiants conseils 1 que de profondes réflexions 1
de luttesglorieuses, M. de Bonald vit encore quelle expérience de l'homme, quelle saga- 1MI
s'accomplir une révolution plus d'une fois cité prophétique!
annoncée par sa prévoyance. Celui qui avait Le style de M. de Bonald, constamment
écrit qu'il n'y a rien de pis que les mesures pur et correct, toujours fort, énergique et
fortes prises par les hommes faibles, ne pou- concis, souvent remarquable par la chaleur
vait pas se tromper sur l'iss,ue du combat. et l'élévation, appartient à la grande école
Résigné aux décrets de la Providence, qui du dix-septième siècle. Nourri de la lecture
voulut signaler par la chute d'un trône les des admirables modèles qu'il a parfois éga-
deux extrémités de sa carrière, mais fidèle lés, l'austère écrivain avait gémi à la nais-
à ses doctrines comme à ses affections, il sance d'une littérature qui mettait sa gloire
renonça sans regret à tous ses honneurs, à foulersous ses pieds toutes les traditions,
heureux de pouvoir les abdiquer sans re- à mépriser toutes les lois, à renverser tous
mords. Depuis ce temps il ne quitta plus les autels, et qui espérait se grandir en se
son antique manoir, où, jusqu'au dernier dressant sur des débris. Trop équitablo
jour, il écrivit des pages remarquables sur pour ne pas rendre hommage à de jeunes et
les grandes questions religieuses et sociales nobles talents, mais aussi trop clairvoyant
qui avaient fait l'étude de sa vie. pour ne pas déplorer de funestes doctri-
Admiré pour ses talents, honoré pour son nes, il repoussait de toute la force de sa
caractère, noble dans la retraite comme il raison une école ardente à détruire, impuis-
l'avait été dans l'exil; dévouant les années sante à fonder, car il avait lu sur. sa ban-
que Dieu lui laisse à semer autour de lui nière ces deux mots: Désordre et révolte 1
par ses conseils, par ses exemples, par sa M. de Bonald savait que les règles du goût
charité, tout le bien qui était dans son cœur, sont plus- unies qu'on ne pense aux autres
M. de Bonaid nous apparaît peut-être plus éléments conservateurs vous le savez
imposant encore au milieu des simples habi- aussi, Messieurs, et plus d'une fois sans
tudes du montagnardaveyronnais, que sous doute, depuis quinze années, vous avez ré-
le manteau du législateur. C'est qu'il n'y a pété avec une douloureuse amertume cette
pas de plus beau spectacle Messieurs, que phrase que le génie de votre confrère avaitt
celui de ces hautes vertus que les épreuves jetée à la méditation des hommes, et que la
ne sauraient courber C'est qu'il n'est point mémoire des hommes a recueillie
d'orgueilleuse fortune qui ne se doive incli- La littérature est l'expression de la so-
Her devant cette glorieuse indigence. ciété.
Des critiques superficiels ou malveillants
EXTRAIT
DE LA REPONSE DE M. BRIFAUT, DIRECTEUR DE l'ACADÉMlÉ FRANÇAISE AW DISCOURS DE
M. ANCELOT, prononcé DANS LA séance DU 15 juillet léîî.

Monsieur, pelaient Descartes, Pascal, Leibnitz, Ma-


J>ans les Etats où règne la concorde, le lebranehe, Bossuet, Féneloo, ses instructeurs
jour de la mort d'un grand homme est aussi et ses modèles, s'élevât par degrés, à l'aide"
le jour de son apothéose la justice préside de ces sublimesgénies, de la contemplation
au convoi, l'impartialité prononce l'orai- des choses créées à la connaissance du
son funèbre, lescontemporairis applaudis- Créateur, remplît avec la grande image de
sent, la patrie pleure, et les larmes de ta Dieu le vide incommensurable fait par les
patrie sont te plus bel éloge de ses enfants incrédules au fond du diel, et restituât, pour
descendus dans le cercueiL ainsi dire, au Tout-Puissant son trône effacé
Quel spectacle différent se déploie chez de l'univers.
un peuple agité par la fièvre des révolutions! Toutefois, Monsieur, en flétrissant la
Alors, autour du tombeau qui s'ouvre pour mémoire de ces faux docteurs dont les ma-
recevoir de glorieux restes, accourent de ximes perverses égarèrent une si grande
toutes- parts les passions haineuses dont les partie de la génération qui nous a précédés,
voix, chargées de mensonges et de calom- empêchons qu'on ne donne ici trop d'ex-
nies, insultent un«j mémoire qu'elles de- tension. à votre pensée et à la mienne. Loin
vrai'ent honorer, trompent ou pervertissent de moi, loin de vous sans doute l'injurieux
l'opinion et s'efforcent de falsifier d'avance dessein d'imprimer le sceau de l'impiété
jusqu'au jugement de la postérité taudis sur tous les fronts qui s'élevèrent dans ce
que la vérité repoussée s'assied tristement à siècle trop fameux t Si nous avions à nous
l'écart, voile son front, garde le silence et reprocher ce tort inexcusable, l'histoire
attend. son heure, heure souvent bien tar- viendrait bientôt nous confondre par un ac-
dive. cablant démenti. La magistrature nous op-
Aujourd'hui, Monsieur, félicitons-nous pasprait ses Malesherbes, l'université ses
il nous est doux de penserquenous sommes Mollin, la cour ses Panthièvre, l'épiscopat
loin des temps de perturbationsociale, puis- sesBelzaraee. Le profond auteur de l'Esprit
que nous pouvons,vous et moi, sans contra- des lois,, ranimé tout à coup par l'indigna-
diction., sans réserve, au milieu d'une illus- tion, s'élancerait du fond de sa tombe pour
tre et docte assemblée, rendre à votre véné- nous rappelei cet incomparable éloge de la
rable prédécesseur les hommages qu'il a religion, tracé par la même plume qui, se-
mérités par une vie enrichie de vertus, par lon Voltaire, rendit au genre humain ses
des ouvrages empreints de génie. titres perdus. Le peintre sublime de la na-
Vous ne pouviez manquer d'être juste en- ture, sortant d& son silence de mort, nous
vers la mémoire de M. de Bonald, vous, crierait à soti tour: Non, non, ce n'est pas
Monsieur, que le religieux auteur de la Lé- moi qui ai pu, qui ai voulu renier celui
gislation primitive initia plus d'une fois dans dont j'ai trouvé le secret de faire encore plus
le secret de sa pensée, vous qu'il instruisit admirer les ouvrages en les faisant mieux
à J'admirer puisqu'il se découvrit à vous connaître. Certes, Monsieur, si l'époque
tout entier. Je me garderai bien de vouloir dont nous parlons n'eût produit que des
ajouter quelques traits au remarquable éloge hommes d'une telle science, d'une telle sa4
que nous venons d'entendre je me conten-gesse, d'une telle vertu, -ce n'est pas à eux
teraid'y applaudir. Et que dirais-je que vous que M. de Bonald aurait jeté le défi, livré le
n'ayez déjà mieux dit que moi ? Oserais-je combat et porté les coups dont l'effet a: été si
qui <
célébrer le triomphe de ce philosophe chré- puissant
1
fil reculer devant sa parole toute n'a
brûlante de foi, une secte orgueilleuse et autre.
1
£
et dont le retentissement prolongé
ébranlé un siècle que pour en avertir un,

impie ? Votre éloquence a magnifiquement Quantau système politique de votre cé-
signalé le résultat de cette lutte imposante. 1lèbre prédécesseur, il n'est, comme vous l'a-
Qui le croirait cependant, qu'il fut un temps vez si bien démontré, Monsieur, que la con-
où de prétendus précepteurs du genre hu- séquençenécessaire
s de son système religieux.
main, parés du fastueux nom de sages, ont Si
dit au monde matériel Cache-nous Dieu ? vous
i je ne suis pas surpris de l'admiration qu'il
v inspire, je le suis du moins de la date
Et derrière la vaste épaisseur de ce monde, de c. sa publication. Au moment où fut impri-
Dieu avait en effet disparu à leurs yeux. Il mée t la Théorie du pouvoir, nous étions en
fallait qu'un homme arrivât qui, se détour- république.
i Qu'est-ce qu'une république ?f
nant de leur chemin de ténèbres pour gra- a£ dit un spirituel écrivain: c'est un corps
*Ç* viter vers les lumineuses régions où l'ap- qui t cherche une tête. M. de Bouald voulut
REPONSE DE M. BR1FAUT.
xxxv
nous donner ce que nous cherchions shions Bo- dans
c le mouvement des affaires politiques.
naparte le gagna de vitesse. Ce que propo- Discute-t-on des questions morales, morales. ils
sait le publiciste; le général l'accomplit à sa reprennent
i aussitôt leurs avantages. Ils
manière. Nous vîmes dès lors se dérouler parlent
1 la langue du peuple comme celle
les pages du plus brillant chapitre de l'his- des
c initiés ils communiquent avec toutes
toire de notre révolution, mais ce ne fut les
1 âmes pourquoi? Parce qu'ils ont tou-
qu'un chapitre. Cent victoires ne purent cche la sphère de.l'immuable. Là, point de
affermir le dictateur; il lui en fallait une de principes
1 qui ne soient généralement re-
plus, elle lui manqua. La Providence, qui cconnus, point de lois dont chacun n'ait la
lui avait promis une fortune sans égale, notion
r en soi-même, point de règles qui
voulut aussi qu'elle fût sans durée. Il dis- n'obligent
r simultanément tout et tous.
parut, après avoirjeté le bruit de son nom à I
Faites un appel à l'intérêt de la nature, au
tous les échos de la postérité, après avoirr sentiment
s de la justice* du devoir, de l'hu-
ramassé tout ce qu'il y a de gloire sur manité,
r à toutes les saintes affections dont
la terre, pour aller, aux pieds de son juge le
1, type est gravé
au fond des cœurs dans les
et du vôtre, apprendre combien pèsent les mille
u contrées de l'univers demandez-nous
lauriers dans tes balances de la justice di- de
d croire à l'existence de Dieu, à l'immor-
yine. talité
ti do notre âme, à une vie future, vous
Avertis par Je retentissement de sa chute, êêtes sûrs d'être entendus, vous persuadez,
les descendants de saint Louis et de Henri vous
v triomphez. Telle est/ je pense, Mon-
IV accoururent revendiquer l'honneur de sieur,
s la cause de l'immense crédit que vo-
reconstituer la France. La nation, qui leur tre illustre prédécesseur a toujours obtenu
ti
devait d'être affranchie de l'étranger, se jeta ddans le monde moral tandis que l'autorité
dans les bras de ces descendants de trente de
d ses maximes échouait dans le monde po-
souverains mais fatiguée du despotisme litique.
Ii
impérial, elle demanda sûreté pour ses in- Toutefois, surce champ de bataille même,
térêts, garantie pour ses libertés. Une charte j! de Bonald remporta dés victoires. Je n'en
M.
lui fut donnée elle ne satisfit point toutes vveux pour preuve que l'abolition de la loi
les opinions. Une puissante opposition se d divorce; mais remarquons, Monsieur,
du
forma: des orages grondèrent autour du qque la morale était encore intéresséedans ce
trône. Pour les conjurer M, de Bonald ap- grave
g sujet.
porta de nouveau sa sévère et grave uto- L'abolition de la loi du divorce fut un des
pie, dans laquelle était renfermé le dogme plus
p grands événements de l'époque mo-
de l'obéissance passive vaine feuille sem- derne. II s'agissait de savoir si le mariage
d
blable à celles de la sibylle, et que J'irrésis- ggarderait, comme chez les anciens, son ca-
tible vent de l'opinion n'aurait pas manqué ractère
n brutal et grossier, s'il ne serait que
de rejeter bien loin de l'arène où luttaient rl'adultère légal, l'infidélité autorisée, ou
déjà les partis. Le pouvoir comprit les em- si,
s reprenant son auguste influence sur la
barras de sa positon et ne voulut point les destinée de l'un ou de l'autre sexe, il s'ap-
d
compliquer. Loin de là il s'éloigna des puierait
p encore du génie de la religion
conseils de M. de Bonald, qui lui sem- pour
p épurer et perfectionner les mœurs,
blaient trop porter le caractère de l'absolu-, ppour sanctifier et éterniser les nœuds de
pour céder aux insinuations de la politique, l'l'homme sérieusement associé à la femme.
cette timide justice des circonstances, qui se II s'agissait de savoir enfin si l'humanité
Il
plie aux nécessités, compose avec les pas-? continuerait à rétrograder de deux mille
ci
sions lu jour, n'aspire qu'au possible, n'ob^ ans,
a; ou si, jalouse de- revenir au point
tient qu'en cédant, et dont les triomphes d départ qu'elle avait abandonné, elle se
de
les plus avantageux ne sont encore que des rallierait
r; à cet esprit civilisateur auquèl le
capitulations. monde
tr doit les nouvelles Vertus qui l'ho-
Ce système d'accommodement ne pouvait nnorent et le bel ensemble des lois sociales
convenir à M. de Bonald. Les génies spé- qui
q le régissent. En faisant cesser la plus
culatiis, accoutumés à vivre sans cesse avec étrange anomalie dans nos institutions en
éi
eux d'eux-mêmes,s'avancent seuls ou pres- nous replaçant dans la véritable voie du
n
que seuls pour combattre en faveur de la progrès,
p M. de Bonald résolut une immense
vérité 'qu'ils portent ou qu'ils croient por- question. L'adoption de la mesure qu'il pro-
q
ter dans leur pensée. Armés de cette forte posa
pi aux chambres législatives peut être
intelligence qui n'a la mesure de rien parce considérée
c<
comme le triomphe du spiritua-
que rien n'est à sa hauteur, ils ne font en- lisme
li chrétien sur le sensualisme pr.ïen.
trer dans leur calculs ni les hommes ni les Tout un code de morale, toute un civilisa-
T
choses ilsne tiennent pas plus compte des tion
ti est là.
obstacles matériels que de la résistance des Un si admirable résultat suffirait à l'éter-
esprits. Temporiser leur semble une fai- nelle
n gloire du noble publiciste dont nous
blesse, transiger une trahison. Ils sont ri- rappelons
n les travaux. Mais cette gloire,
goureux comme un principe, ou plutôt ils est-ce
e; donc tout? Ne doit-on qu'un tribut
sont un principe. Comme ils parlent une d'encens à la mémoire de M. de Bonald ?2
d'
langue hiéroglyphique sans rapport avec la Ah!
A si quelque étincelle du feu sacré qui
langue vulgaire, ils ne sont point compris animait
ai nos. ancêtres vivait encore au fond
et ne comprennent point de là, le peu des
dl cœurs: si l'enthousiasme des belles^
d'intluence qu'ils exercent sur leur siècle actions
ai se manifestait encore parmi nous
xïsti M. ANCELOT.
lLD PAR M.
ELOGE DE M. DE BONALD ANCELOT.
nnn signes éclalants,
des eirrnne
par .4ab pères,les
nàpac
les
An]nt unie Uc époux,
'lac£nrmV
les enfants se réuniraient d'un mouvement
V
jjours
1A11PC PO
aaprès
ce nll'îlc veulent;
qu'ils qui courent
VAIllpnf- fTliî P plus
les choses brillantes qu'après les cho-
spontané pour élever sur la tombe de celui ses
s raisonnables, qui s'aiment assez entre
qui fut leur bienfaiteur un impérissable eux
« et font souvent comme s'ils se détes-
monument d'amour et de reconnaissance, taient,
t qui méprisent les méchancetés et en
La, on verrait les arts consacrer sa véné- rient,
r qui ont pris -le bon parti de n'être ja-
rable image, et au bas du marbre destiné à mais
i d'accord sur rien par amour pour la
reproduire les traits du patriarche, la pos- variété
î gens naturellement gais, mais afr
térité attendrie lirait en pleurant 11 fut f
fectant la gravité sans pouvoirporter-du sé-
l'ange du foyer, le protecteur du berceau,
le gardien des vertus domestiques en sau-
vaut la famille, il sauva la société.
rieux
r
de
c
grâces,
{
dans les affaires, pétris de défauts et
qualités, pleins d'inconséquenceset
se plaignant le matin et dansant le
de
Que si nous nous séparonsde l'homme pu- soir,
s amis de la liberté tant qu'ils ne possè-
blic pourvivre familièrement avec l'homme dent
c pas le pouvoir, désintéressés tant qu'ils
privé, sous que! aimable et gracieux aspect 1lorgnent inutilement les places, assez phi-
il vient se présenter à nous 1 Quelle simpli- 1losophes pour se moquer de leurs travers,
cité dans ses manières 1 Quel charme dans mais
r pas assez pour s'en corriger.
son langage 1 Jamais on ne mit tant d'esprit Quand M. de Bqnald reprenait le (on élevé
en communauté avec tant de raison ;ja- qui
c
lui convenait encore mieux, il fallait
mais l'accent de la bonté ne tempéra mieux voir
a sous quels nobles traits il peignait sa
ce qu'il y a toujours d'austère dans la pa- nation,
i comme il relevait au-dessus des au-
role du génie. Loin d'apporter par sa pré- tres,
t commeil s'enflammait au récit de quel-
sence la gêne et la réserve, il montrait d'a- que
<
grande action qui faisait honneur au
bord un laisser-aller si séduisant, que les (caractère français.
cœurs s'épanouissaient, que la conversation Et pourrais-je oublier, Monsieur, la plus
roulait plus rapide, et qu'il n'était pas un ]louable de ses qualités ? Je veux parler de
des interlocuteurs dont il ne fît en quelques (cette humeur indulgente qui le portait à
minutes, je ne dirai pas seulement un ad- pardonner
{ les torts, les injustices, les cri-
mirateur,mais, ce qu'il y a de plus difficile 1tiques, et beaucoup plus que les critiques:
et de plus doux, un ami tant il savait en- |heureuse disposition d'un cœur plein d'a-
courager la timidité, gagner la confiance, in- ménité,
)
mansuétude charmante, dont j'ai
téresser le sentiment toujours prêt à trai- 1besoin de me souvenir pour me mettre
ter tous les sujets, toujours habile à saisir 1l'esprit en repos sur. la hardiesse des censu-
tous les tons; tantôt s élevant en homme ires que j'ai tout à l'heure hasardées moi-
d'Etat aux plus hautes considérations, qu'il même
i à propos de ses plans politiques.
sillonnait de mille traits de lumièje, tantôt Quoique vous a'yez négligé volontairement
se jouant comme un enfant dans le terre-a- quelques-uns
c des titres de M. de Bonald à
terre des discussions frivoles, où il portait l'estime publique, pour me laisser le soin
sa facilité entraînante et sa piquante finesseade cette partie de sa renommée, je sens que
d'aperçus. de
< plus longs détails pourraient tasser 1 at-
C'est dans une de ces conversations que, itention et nuire aux intérêts de cette gloire
exerçant sur notre caractère sa critique en- qui < a tout ce qu'il faut pour se passer de
jouée et inoffensive, il nous disait un jour. mon i secours. Ainsi, Monsieur, en abandon-
( je ne prends point sur moi la responsabi- nant ce beau sujet, je me contenterai de dire
iilé de ses paroles }; il nons disait donc avec
i vous et avec tous les hommes de bien
Qu'est-ce que la France ? Une terre aussi Honneur au pays qui produisit un tel génie,
riante que féconde, habitée par des hommesassocié à une telle vertu 1 Honneur au payss
industrieux et vains, penseurs et parleurs, qui voit les fils marcher dignement sur les
profonds et étourdis, qui ne savent pas tou- traces du pèrell

ELOGE DE M. LE VICOMTE DE BONALD


PAR M" FOULQUIER,ÉVÊQUE DE MENDE.

AVIS DE L'ÉDITEUR.

Ce discours a été lu à la distribution des prix du petit séminaire de Sainl-Piern a Rodez,


par MSt Foulquier, alors supérieur de cette maison, et aujourd'hui évêque de Mende. Nous-
avons sollicité auprès du prélat la permission d'en enrichir notre édition des OEuvres de M. de
Bonald. Le vénérable auteur nous a d'abord répondît qu'un discours de ce genre, adressé à un
auditoire de jeunes gens, et dans des conditions toutes spéciales, ne pouvait être une étude
aussi complète et aussi profonde que le méritent les hautes et délicales questions traitées par le
ELOGE DE M. DE BONALD PAR M«r -DE FOIJLQUIER.
xxïvn
grand philosophe
ilôsophe; il nous a fait observer encore
que la nature même d'un éloge
élone et
P.t'h
le but «,•/
h»i qu'il
se proposaitne lui avaientpas permis de faire la juste part de la critique,
secondaires il est vrai, mais qu'il croirait devoir signaler sur quelques points,
sans rien perdre de l'estime gu'il
pro fesse et qu'ilvoudrailinspirerà tous
pour les doctrines fondamentales, l'admirable talent et
le beau caractère de M. de Bonald.

Messeigneurs, vôirs qui le répriment pour le protéger, il


Vers le milieu du xvm* siècle, ne
un jeune)
enfant, sur lequel reposaient les espérances lui restait plus qu'à briser de
ses ,rains
propre couronne, et il. t'avait fait. Son ori- sa
<3 une noble famille, descendait des s
monta- gine céleste, sa haute destinée, les lois de
gnes du Rouergue et s'acheminait, obscurr sa nature morale, il avait tout mis en ques-
encore et inconnu, une école célèbre. tion, tout combattu, tout abjuré. On avait
Cet enfant devait unvers
jour illustrer le payss
qui l'avait vu naître, l'école qui le cet être immortel, que Dieu avait fait vu si
reçut, ett
léguerau monde d'impirissablesmonuments grand, s'étudiant à prouverscieMlifiqueraent
tle foi et de génie.
La mort du juste est venue naguère
ronner sa longue vie, l'une des plus glorieu-
i
la était
que cetteboue, où fermentent les germes de
son berceau, s'épuisant en
con- efforts incroyables pour se déshériter lui-
même de avenir et après avoir raisonné
ses que nous offrent les annales de notre• sa honte, son
France, couronnée elle-même de tant de néant, il saprès était
avoir, croyait-il, conquis l«>
gloires. Son étage serait-il déplacé sous lel'abîme. assis triomphant au fond de
ciel de 1 Aveyron, darrs ce jour solennel C'est là que l'auteur des Recherches philo-
consocréaux lettres, dans la maison où crois- sophiques
sent les enfants du sanctuaire; eh présence mêlée de pileié trouva avec une indignation
d'amour,
d une assemblée choisie, qui entoure leurs noblement et et qu'il lui tendit
premières années de son amour et de la main pour le relever.
ses L'homme est une intelligence, servie par
vœux; sous tes yeux de d,eux pontifes véné- des« organes. Cette parole à jamais rélè-
rés, qui honorent par leurs éminentes bre était tout une philosophie. Celle SeM de
lités cette foicélestequ'il a si bien défendue? Qua-
Bonald s'y dessinait avec ce caractère
L un (1), pour lequel M. de Bonald d'éle-
professait t
la plus haute estime, eut le bonheur de Je Jamais 'homme -vation et de profondeur qui la distingue
compter parmi les plus dociles brebis de n'avait été conçu sous
son plus noble aspect, jamais il n'avait été défini un
troupeau. L'autre, que son mérite vient d'é- plus de grandeur. mueun)
lever sur l'un des premiers sièges du monde avec Son rang dans Ja hiérarchie des
chrétien, va continuer pour notre pays la était ass.gné. L'intelligence et les êtres lui
chaîne de ces hommes d'élite, voués à la plus i esprit organes,
sainte de toutes lesoeuvres, l'affermissement et la matière se réunissaient en lui
de la société par la religion. t sans se confondre. Lien des deux mondes,
Il m'a semblé, Messieurs, que le temps nœud puissant et mystérieux qui les rassem-
)le..1 tenait du ciel
lé lieu ne pouvaient être mieux choisis, et la par sa pure essence de
pour
acquitter envers celui dontla gloire est pour avail été donné terre, par ce corps pétri de limon, qui lui
ses concitoyens comme un riche héritage comme un moyen d'action
sur la nature soumise à
une dette sacrée, celle de la reconnaissance;•' reste la suprématie de l'intelligence son empire. Du
et le sentiment de mon insuffisance a dû flé- hautement proclamée. était
chir devant un devoir dont l'accomplisse- Elle était reine-et
corps, son aide et son esclave, devait obép

E
mentétait un besoin pour mon coeur. à ses lois: ou plutôt elle étaitVhomme r
Dans J'auteur de la Législation primitive même lui-
le penseur, l'écrivain, l'homme enfin, tout et ce qui en lui tombe sous les
sens
digne de la sublime mission qu'il avait est n'était que le péristyle du temple.et commHa
den.naut, et qu'il a si bien remplie, de procla- reçue s enveloppe de son immortelle sut)s-
lance..
mer et de défendre les vérités sociales,àà une Avec quelle douce joie,
époque où l'on put craindre de les voir pé- orgueil, avec quel légitime
nr dans un commun naufrage. Mais ici liment < tout ce qui conservais encore le se.
l de la dignitéhumaiuedSÏSl eH te, d
comment dire en quelques mots la nature et cette' parole, dut-il voir se développer la
la portée des travaux de cette vaste intelli- i
t théol'ie qu'elle annonçait 1
et qu'elle résuma
gence? Essayons toutefois de la suivre de S
loin dans les routes jusqu'alors inconnues anti-chrétienne t Tfr6 1 Les maximes de la
phi losophie
qu'elle s'estfrayées avec autant de a venaient de recevoir un-
que de bonheur. courage6 effrayante
e application. Un vaste gémissement
ss était prolongé sur cette terre de France si

'r~
La fausse science, qui, au siècle, longtemps
avait usurpé le beau nom de xvm< 1. Travaillée par le génie du mai et
philosophie, aau moment, où, de lassitude,

(il
..––t.-
venait dè franchir les derniers degrés de bourreaux
i erreur. Lorsque l'homme, formé à son perdre
école, eut nié systématiquementtous les
(1) Mgr C-î ri 11 il aLnn A,, J
114-- xxiratiu, ainrs evéque de Rodez,
OEUVRES COMPL.
Du
DE M.
n i qui fut
DE BONALD. J.
1.
h
ii dans
et ceux
un
pou- *«mvtjt,graMetM~nn,!),.pM,j,~
ss élevait, grave et solennelle,
ensuite nommé à l'arclievéellé
l'arcbe\'êché de
des
lugubre

de Cambrai.
les cris des
victimes venaient se
silence, une voix
pour dire à

V
l'homme qti'on ne l'avait ainsi méprisé que (le
<
l'esprit humain, avec le caractère dccer-
parce qu'on l'avait méconnu; pour lui ren-' titudequi t résuite des faits, avec une évi-
dre, avec les titres de sa grandeur, toutes denéequi
c finira, on peut leprédire, partriom-
ses espérances et les lui demontrer envi- | pher de toutes les résistances.
ronnées de la plus pure et la plus écla- Et voyez, Messieurs, combien \a pensée
chrétienne, lorsqu'elle inspire la science, lui
tante lumière. «
de grandeur! Tandis que, dans un
Ainsi, le dogme consolateur de 1 immor- imprime siècle impie.on avait osé représenlerl'homme
lalilé de nos âmes recevait un hommage
éclatant. Là science elle-même était réhabi- comme <
issu de cette niasse inerte et infor-
liléeî Des doctrines plus élevées allaient suc- me que nous louions aux pieds, et qui, en
céder à la philosophie du néant. C'était le se transformant, après avoir parcouru tous
réveil après les angoisses d'un rêve de mort: les degrés- <J« l'échelle des êtres, parvenue
c'était une ère nouvelle qui comnienc.ait.pour enfin au sommet, avait revêtu la forme hu-
l'humanité. nraine, Vau leur des Recherches philosophiques
Qu'on lise M. de Bonald, et l'on verra awec nous le montre, à' Dieu, l'origine des choses, sor-
admiration se déployer les richesses de sa tant des mains de qui, bien loin d'a-
dialectique puissante, lorsqu'il combat sous bandormer sonauavenir religieux et son exis-
toutes les formes cette erreur fondamentale, tence sociale hasard de ses inventions,
qui pesait sur la société dans un temps otl, le crée dans la perfection et la plénitude de
par la plus étrange inconséquence, après son être. 11 lui donne, avec la parole qui
avoir dit à l'homme qu'il n'était qu'un peu seule peut les lui manifester, ces luis éter-
de boue, on élevait sur cette base la pom- nelles dans leur principe, primitives dans la
peuse théorie de sa dignité et de ses droits, date deileur promulgation, qui doivent être à
la base de ses croyances, la règle de
de son affranchissement et de sa perfectibi- jamais
lité, comme s'il était possible d'asseoir quel- ses devoirs, et lefrontispice auguste du lem-
chose de généreux et de moral sur un pkde lu Législation. Confiées à la grande
que famille par le Père commun, elles seront
symbole d'ignominie! âge avec la parole elle-
Un philosophe s'était rencontré dans 4a transmises d'âge enimpérissable patrimoine,
patrie des Descartes, des Bossuet et des Ma- même comme un fécond de toutes celles qui
lt-branche, qui, répudiant le noble hérita.gei pour être le germe
de leurs doctrines, avait, pour ainsi dire, doivent régir l'homme et la société.
matérialisé l'origine de nos idées..Rien de « L'a société est l'homme en grand. »
plus avilissant, riende plus funeste pour res- dit M. deBonald.Celui qui avait si bien com-
prit humainque ce système, flétri depuissous j-iris'la dignité de l'un a dû voirde bien haut
5
t
le nom de s-ensuaHstne. Par lui la raison avait les lois
constitutives dé l'autre. Aussi, ja-
humaine ne s'était 1
perdu ses ailes et se traînait comme un reptile3 niais peut-être la pensée
j
fangeux; par lui était tarie la source divines Théoriedéployée avec plus de puissance que dans la
du pouvoir et la Législation primi-
de la poésie et de l'éloquence;, par I-ui toutes
les sciences morales étaient frappéés desà tire-, jamais le droit public n'avait rencontré
un plus digne interprète jamais un plus
mort. Le roi delà création était condamné às beau monument ne lui avait été consacré
ne jamais connaître que ce que ses sera
peuvent lui révéler, à ne jamais sortir dee par la main du génie.
i'humble sphère où ils sont eux-mêmes cir- Platon avait à peine effleuré la science.
conscrits. M. de Bonald l'a compris autre- Rousseau l'avait appuyée sur une base rui-
ment il ne croit pas que l'hommeaitappris s lieuse. Montesquieu, peu d'accord avec lui-
à leur école tout ce qu'il sait de Dieu et dee même, et donnant l'esprit de ce qui est plu-
la vertu, de la vérité éternelle et du beauu tôt que la raison de ce qui doit être, s'était
qui en est la splendeur. €e que la raisonu faces. plus d'une fois arrêté à de trompeuses sur-
humaine a de plus pur et de plus élevé,i, Dans le" publiciste du xif siècle, c«
il le fait descendre de plus haut; pour lui,i, sont des vues d'ensemble,
c'est une théorio
complète, où les principessont exposés dai.s
comme pour Platon, la source en est danss tout leur jour, où tout est ramené à quelques
les cieux.
Il y a eu une révélation primitive. C'est ;t notions simples et élevées, ou plutôt à un
Dieu même qui, en donnant à l'homme la la seul principe fondamental. L'unité est son
parole, flambeau de son intelligence, a créé :é dogme politique. Il a vu l'univers obéir à
la une seule volonté toute puissante la société
en quelque sorte pour lui le monde de x religieuse, comme la société domestique,sou-
pensée, comme, en faisant briller à ses yeux
le soleil qui nous éclaire, il lui avait mani- i- mise à un seul chef suprême. Ce type uni-
festé les merveilles du monde visible. Telle le versel de la monarchie, il l'a retrouvé
univers abrégé,
est la théorie de l'origine céleste du langage,e, jusque dans l'homme, cet
que l'homme n'eût pu inventer que par unin selon la pensée des anciens et il se demande
* effort de raison, auquel le langage lui-même, e, pourquoi la loi de l'analogie subirait, dans
qui seul la développe,aurait pu seul la pré- i- l'ordre social, une si étrange exception. Il
parer. Cette haute vérité, que tes plus pro- )- pénètre, avec le flambeau de l'analyse, jus-
fonds penseurs regardent comme désormais is que Jons ses plus 'intimes profondeurs,
acquise à la science, avait été pressentie; ï ses prévisions se changenten certitude et
jusqu'à M. de Bonald, elle n'avait pas été té ildemeureconvaincuquelemonde politique,
démontrée. Sous sa plume, elle se présente te comme celui de Newton, aussi su.n centre,
comme l'une des plus magnifiques conquêtes es vers- leauel il doit sans ce^se converger,
ELOGE DE M. DE BONALD PAU Mgr DE
sous peuré d'errer au hasard hors de l'or-
bite qui lui fut tracée par la sagesse éternelle.•
Et lorsque, descendant des hauteurs de la
spéculation, on entre, sur les pas du publi->
FOULQL1ER.
jetée
jïaIiSa par
n«r i>v>.rn^x_:t i. j.
l'hypocriteambition de quelques-
uns à la crédulité de tous.
On suspend au-dessus des lois,
glaive comme le
de Damoclès, un pouvoir menaçant,
m.x

ciste, dans le domaine de l'histoire, on voit• $


celui de la justice populaire.il déclare que les
nvecéfonnement le merveilleux accord
faits avec les doctrines. L'antique Egypte et des [
soumettre à ceux qui-leur doivent soumis-
la Germanie, Rome et Athènes, la Fiance sion
s etamour,c'est]esfrapperd'impuissance.
l'Angleterre viennent» par les phases et Au manifeste des droits du citoyen, il
suc- op-
cessi ves de leurs deslinées, déposer ipose, avec toute l'autorité de la raison, la
fa- déclaration
veur de cette vaste conception, et luien offrir,
c de sesdevoirs.
La société a été détruite au
comme un tribut et un hommage, l'applica- de I homme; nom des droits
tion anticipée des principes sur lesquels elle c il prononce qu'elle ne se relè-
vera
v de ses ruines que le jour où on
repose..
Et ne croyez pas, Messieurs, que la Théorie
hautement
1 reconnu les droits de Dieu. aura
Dieu 1 le) est le premier et le dernier mot
au pouvoir soit une œuvre de circonstance des
( doctrines du publiciste, comme des théo-
que la politique de son auteur soit une poli- ries
r du philosophe. Empreintes d'un
tique obséquieuse, complaisante, où, pour 1tère profondément religieux, alors carac- qu'on
servir quelques intérêts passagers, on livre avait a rompu violemment tous les liens qui
el on trahi! les intérêts permanents de la uunissent la terre au ciel et l'homme à
société. Assez d'autres, sans M. de Bonald, auteur, elles font son
a
fléchiront le genou devant lesidoles du jour, pouvoirs jusqu'à remonterla hiérarchie des
élevées la Veille par le caprice populaire, P celui qui en est la source •
et 1« loi qui régit les êtres jusqu'à celui qui
la
que le même caprice aura peut-être brisées ares les
*> des trésors de sa toute-puissance. C'esta
le lendemain. Pour lui, sans méconnaître ainsi a qu'en rattachant la politique à la mo-
les exigences du temps, il
ne voit, à travers rale,
les opinions qui passent, que ri et par la morale à la religion, il consa-
la vérité qui cre ci J'autorité, en même temps qu'il ennoblit
ne passe point, et il ne sait point la rele- II' obéissance. Le droit de commander n'a
nir captive. Entré dans l'arène
lonté et un caractère qui furent avec une vo- pluspi sa racine dans la volonté créée, et la
à la hauteur « raison d obéir ne peut s'appuyer
de son génie, il se mesure avec tous les du
d suprême législateur
quesur celle
radoxes- qui ont envahi la législation d'un pa- (a).
Telles sont, en apercu, les doctrines de
grand peuple. I illustre Aveyronnais. Et encore n'ai-je rien
]',
On est dans l'ivresse de cette liberté fa- di dit de ses vues si lumineuses et si profondes
rouche qui a été inaugurée,
vers la fin du Sl sur la famille, type et élément de la société;
dernier siècle, sur les débris d'un trône et fl sur le catholicisme, qui en est, à ses yeux, la
dans des flots de sang. Pour lui, il
se
range lo
loi première et fondamentale. Cet homme
du côté d'un pouvoir tutélaire, qui seul peut e]
extraordinaire a embrassé toutes les grandes
la défendre d'elle-même etde propres q" questions; il les a présentées sous un aspect
excès. Sous Néron, il eût étéses nouveau et les a éclairées d'une lumière
n(
Burrhus; sous la Convention, il est un autre soudaine
le Monck fc il a saisi les rapports intimes qui
de la science politique. le unissent. II a su réunir comme
les
On proclame autour de lui la souverai- fa faisceau des vérités éparses jusqu'à en un
lui, et
nuté du nombre; il n'y voit que la consé- 9l qui, sous sa main, se sont. rattachées à un
cration et le triomphe de la force. immense système. Et ce qu'il y a de plus
Oninvoqueladémocralielaplus effrénée beau
!n et de plus consolant, c'est qu'il lui a été
elle n'est à ses yeux qu'une immense ironie donné
de d'agir puissamment sur son siècle,
pour
pc le ramener à la source de toute vérité
(a) Pour satisfaire à un désir du vénérable
teur, nous ajouterons ici une remarque, dont au-
il a
fondamentaux de cette constitution française, si mal
foi
lui-même indiqué l'objet et l'esprit comprise
co par de petits politiques improvisés, ct
La Théorie calomniée par des sophistes ambitieux. On conçoit
cal
du pouvoir est le premier ouvrage de Ai. de Bo-
^Jiald. Il fut composé et put lié dans l'exil, encore que le rétablissement de cette institution
en
même de la révolution. On a dit que l'auteur au milieu da ses parties fondamentales ait
dans
ypré- pu être l'objet de
sente ancien régime ou l'ancienne forme de ses désirs et de ses espérances.
se,
vernement en France comme l'idéal du genre gou- Du reste il n'a jamais méconnu les nécessités
Sans entrer dans une discussion à les impossibilités que font naître les révolutions; et
il
bon de faire observer que M. de Bonaldce sujet, il est
distingue
savait
«ai quest des retours impossibles des manx
longtemps irrémédiables;il l'a reconnuetet déclaré
lon
fort bien entre les principes dont il proclame la vé-
rite absolue, et les formes particulières du pouvoir mais
ma il ne croyait pas qu'il fût permis à personne
de mépriser l'état ancien, de préconiser des systè-
qui en sont des conséquences plus ou moins éloi-
gnées ou des applications plus ou moins heureuses, mes anarchiques comme des conquêtes heureuses,
me
subordonnées d'ailleurs à des circonstances et de voir dans la nouveauté seule un progrès,
que le
temps amène peu à peu, et les révolutions brusque- Cette apologie de l'ancienne France, les regrets dé
Cei
meni;0D cLo.nÇoit 1"'en présence de la république 1raauteur, comme ses désirs et ses espérances, on peut
de 93, le philosophe royaliste regrettât l'ancien ne pas les partager, mais cela n'empêche pas que
ordre de choses, et que. cet esprit éminent, qui v<
1-esprit et les tendances de l'ouvrage soient
voyait pas les institutions seulement à travers les ne admirables, et que ce livre ne développe ne
ad! supérieu-
abus qu en font les hommes, s'efforçât de rement
ren les grands principes conservateurs.
montrer
les raisons profondes et la sagesse des principes (Note de l'édit.)
XL do
et toute e! Si
justice. la “.“
pensée hnm.inp. ««
humaine,
s'est c'était
terre,
sée
céj
était immense, mais elle était divine:
elle était
la pensée chrétienne. Elle avait tout
divin'

trop longtemps courbée vers le devons sans réglé,


la
rég tout ordonné, dans la sphère de la vie
redressée vers le ciel, nous privée comme dans celle de la vie sociale,; U é-
doute à la cruelle expérience qui nous a mon- pri à cette doctrine sa:nte, commeil 1e disait
tréen action lesdoclrinesd'unesecledésorga-
nisatrice. Mais grâces immortels en
seuil du
soient
xax
a tait
\w
à 25
4
chante,
en
ans d'une
.qu'il
manière si noble et si Lou-
avait confié, le bonheur de son
rendues aussiàcelui qui, sur le ex
existence] et il eût pu ajouter, la direc 101
siècle.a imprimé aux esprits une si heureuse de ses travaux d'écrivain. Dès lors
déjà suprême
su
et si puissante impulsion!
grandira
Son nom,
dans pour
po iui plus d'incertitude. f* route étoi
si grand en Europe,
qu'il
encore
osé, pres- tracée;
tra elle devait le conduire sûrement
l'avenir, lorsqu'on verra a
vérité à travers les dangers et les écueils, soute-
que seul, sans autre appui
que la et tl
La foi et la science, éclairées et a l..abn
lice avec-toutes les
son courage, entrer en les passions, «ues
«u l'une par l'autre, le mettaient
erreurs, défendues par toutes «e
de la séduction des systèmes et des essais.
et armées de toute la puissance la humaine; que Aussi la magnificence de leurs promesses*1
dans cette lutte de géants,
Dieu et celle de l'humanité
il a vaincu; et que, par cette

étaient
cause de ai
engagées,
victoire,
était celle de la vérité elle-même, il est de- chaient
instruments dont
qui |

t e
|
s'est
la pompe de leurs mensonges ne pureni-

ciales,
chF,
Il
venu l'un des heureux miséricordieuse qui «crimes, il en jouissait par -une possession
^f^l
»» l'éblouir un moment. Les vérités so-
elles
que des esprits qui étaient des
par des expériences
servie une Providence paisible et assurée.
voulait sauver le. monde. v •'
De là, je sais quoi de calme et de .),, -n
re-
ait aspiré ne
Quoique M. de Bonald
la gloire d'écrivain, et que
n
la
point
pensée fût t
tout
à
I l|
posé,
vie.
que ses écrits respirent
De là, un langage pur,
comme sa
facile, narmn-
pour une si haute raison,leunslyle de
ticulier devait distinguer
sour profond, de cette
Par le fond ainsi
partenait point à celle
intelligence
que par
école
la
caractère

forme,
moderne
il
par- nieux, dans lequel la beauté noble et digne
ce peu- de
créatrice.
n
née
I giqueë|
1.

`tEE ta forme répond à celle


(Comme ses convictions,il est ferme même
ap-
comme
dignité,
son caractère, il est,
et
de la pensée,

-empreint de cette modestie,


de dans
"< sa
du scepticisme, livrée à de vagues, à ca-
de "< celle simplicité auguste où se peint sou
pricieux iusiihcts, et qui, au
.•royances, n'avait qu« des
passions.
lieu
ti
Sorti
e âme
de
En
tout entière.
le lisant, on croit entendre un écho
-le
de la tourmente d'une double révolution,
monde des idées,
l,
ce siècle -régulateur vers lequel si elle est
accomplie d'abord dans le bien
«' inspirée, gravitera toujours, dans ses
et bientôt traduite en faits sanglants et en1 plus heureuses -hardiesses, la lilléralure
désastreuses réalités, le génie de cette école, P
conceptions, incertain »
Française. Jamais peut-être cette langue,
desoedonné dans ses a pu appeler universelle, ne fut par-
dans sa marche,
gitives, vers ne je
courait
sais
après
quel avenir
lui.
lueurs
ces inconnu
Du
fu-
1 " qu'on
?ée
q
avec
a
avec plus de précision et de justesse,
plus de force et de grâce tout ensem-
qui fuyait toujours devant reste.,
ble.
b Jamais écrivain nesut démêler avec un
plus sûr et plus exquis.ce que 1 austèo
plein de cette force convulsive que donne le
[l
violente, de cette tact
<
paroxysme d'une crise devait con- philosophie admet comme'un ornement qui
tiance audacieuse qu'il aux espéran-
à
r n la P
< relève, et ce qu'elle rejette comme un
ces dont il s'éta-it bercé, semblable un
aurait. pressenti un luxe qui la dépare.
nouveau Colomb qui
subli-
in
T Ce n'est pas, Messieurs, que le respect de
nouvel univers, il avait ses moments l'illustreauteur
l'l, pour les, vieilles traditions
mes, ses heures d'inspiration. ait pris dans ses écrits un caractère limiuo.
Mais c'étaient les éclairs dans la tempête, « et une teinte de servilisme. Loin de là, on
à
qui vont mourir ets'éleindre dans une pro- 0-
peut dire que lui, aussi, dàns sa sphère,
fonde nu*. Rien d'égal, rien de soutenu, l
usf
t
commeBossuet dans la sienne, il a su créer
rien de complet tous les genres confondus, é-'
<
sa langue et la calquer fldèlementsur sa
toutes les notions déplacées la liberté dé- d'idées lui a fait
pensée. Un nouvel' ordre
générée en licence, dans les lettres comme ti un besoin de locutions nouvelles,et ce.Jes-ci,
dans l'ordre politique; l'ambition dans
l'ac-
le 1
comme d'elles-mêrnes, ont répondu à l'ap-
langage, comme dans la pensée et dans le- pel du génie; et toujours conçues dans un
tion. De là des créations monstrueuses,
raisonon esprit de sage indépendance, quelquefois
t~
que le bon goût désavoue, dont la bonheur, elles sont venues eu-
s'afflige, alors même qu'elles ne font avec un rare
°" ïiebir le langage de la science.
pas
rougir la vertu et gémir tout ce qui porterte
Trois hommes surtout ont brilléphi au pre-
oso-
un cœur chrétien. mier rang dans cette phase de la
M. de Bonald avait puisé à d autres sour- Ir- phie chrétienne, qui, des dernières année,
ces. C'était sous J'influence d'un soleil plus au siècle, s'étend presque jusqu'à nos
doux et d'un ciel plus serein que s était ait xviir leur gén« élaiet.t
fsl
puis- jours. Leurs âmes comme
mûri son génie, élaborée celte raison ( ils l'ont dit eux-mêmes ) à l'unisson. Mal-
sante, qui pendant 4.0 ans devait dominer !S' gré les nuances qui les distinguent, l ide£
la société des intelligences. A côté de l0" tité de leurs vues, la glorieuse sympathie
son
berceau, le pouvoir était assis sur des ba- >a' qui les attirait l'un vers l'autre, et tous vern
ses séculaires. L'existence tout entière re- le centre commun de leurs efforts, nous, Pre;
posait sur une seule pensée, mais cette oen- Z~
ELOGE DE M. DE BOMALD PAR M*' DE FOULQUIEH.
sentent dans V su
leurs
fHl'PS i)
doctrines
f\0t TV! 1-1respectives
fie* Mn»«nAt' le rien de plus pur que son âme,
triple aspect d une seule et môme pensée,
1 • el son gér.L©
qui descend- du ciel et qui remonte, a sn racine dans son cœur.
lie les hommes entre eux duymême lien qui Une loi qui attentait aux, droits sacrés delà
tes,u«Ub Dieu. Ces nobles intelligences qui nature, non moins qu'aux plus sages pres-
été comme les cordes harmonieuses de ont criptions de la morale chrétienne, était pré-
narpe divine qui, dans des jours mauvais, cette sentée aux dépositaires de la puissance lé-
gislative, et le matérialisme envahisseur al-
a fait entendre au monde étonné et ravi une
hymne à la vérité et à la vertu, réalisées ait pénétrer jusque dans le sanctuaire de
la famille. Tout à coup une voix
dans le christianisme. se fait en-
tendre, forte et puissante, pour protester
De Maistre, deBonalil, Chateaubriand, au
noms immortels que la Religion et les let- nom de la Religion et de la plus haute sa-
très ont adoptés avec bonheur Mais le phi- gesse.
1 Elle n'est point écoutée, au milieu
losophe de Savoie a plus de nerf et plus de des passions tumultueuses d'une sociéié
chaleur sa parole est un glaive, qui venait de subir toutes les fureurs de l'a-
est vive et pénétrante, quelquefois sa pensée théisme,. Mais elle plane 15 ans sur la double
tureuse et hardie le blâme, sous sa plume, aven- honte de sesloiset.de ses mœurs le jour de
la réparation se lève, et il est donné
laisse après lui le stigmate de l'indignation^
1losophe, devenu législateur, d'arracher
au phi-
A.e philosophe du Monna, dirigé de
plus sen-
siblement que son émule par un sûr instinct main
i la page qui déshonorait le code de sa la
de vérité et de justesse, a- toute la modé- première nation d-e l'univers.
ration et tout le. calme de la raison. Ce qui Heureux de rendre ainsi à la vertu ses
l'inspire, c'est le bon sens parvenu à celle droits,
< à une union sainte son lustre et sa
élévation où, dans la sphère de la pensée, il sécurité,
s à la société, dont elle est le fonde-
prend le nom de génie. ment,,
i la plus précieuse garantie! Dans le
ini ce n'est plus, livre qu'il publia alors d'inspira-lion, M. de
dans les Soirées fut admirable. H eut des pages de
(itbaint-PélersUurg,comme
cet aigle dont le regard
Donald
1
1la plus haute éloquence, qui resteront
a P'ongé dans les abîmes, oà le reptile se comme
débat vainement sous son étreinte victo- un
i monument élevé à la gloire des lettres
ffrançaises et delà philosophie chrétienne,
rieuse; ce n'est plus ce génie de la contro- de celui qui- sut leur prêter de si
verse, qui, sous ses coups redoublés, sape comme
c
nobles
r accents.
et renverse l'édifice de l'erreur c'est un Si maintenant nousconsideronsdansM.de
esprit terme, une intelligence méditative, Bonald,
qui élève lentement et par degrés celui dont
I non plus l'écrivain et le publiciste,
elle a conçu les- majestueuses proportions, mais
r l'homme et les principes qui ont pré-
sidé
s à sa vie, nous y verrons la plus haute
Quelque chose de la grandeur de Bossuet,
de la profondeur de Pascal, de ia finesse ssanction de ses doctrines, et le philosophe
â l'Aveyron grandira encore, s'il se peut,
de
d'observation de Labruyère, vient s'y'fon- dans notre pensée. Comme le génie l'avaitt
d
are et s'y réunir par un heureux mélange. couronné de ses rayons, la vertu est venue
Pour l'écrivain aux yeux duquel la pensée c
aussi
a le ceindre de son auréole je dis une
et expression sont unies d'un nçeud indis- d ces vertus antiques, auxquelles
de ou rend
soluble, l'une doit trouver dans l'autre un
écho fidèle qui la reproduise dans toutes
| hommage avec d'autantplas de bonheurque
la sève qui les reproduit avait paru plus
ses
nuances. Aussi, dans M. de Bonald, la parole, longtemps tarie parmi nous.
j(
comme l'idée, est-elle grave sans être sé- Qu'il est beau, Messieurs, de le voir, cet
vère, haute sans fierté, ornée sans ombre homme
h

dest.iné à tenir pendant 40 ans le
d'affectation et de recherche. Peu de ces sceptrede la philosophie chrétienne dans
traits saillànts qui saisissent et qui élan- s un
siècle
s de rénovation, dominer ses erreurs
nent, mais une élocution qui déploie ppar l'ascendant de son caractère, comme par
riche efc abondante,, comme un se fleuve qui l< supériorité de sa raison 1 Si l'unité ferme
la
épand ses magnifiques» eaux.
En remontant aux principes de la science e inébranlable de ses doctrines a quelque
et
chose
c de merveilleux, cette uniformité
sociale,, méconnus par l'ignorance ou d toute une existence, son unité dans le
de
obscurcis par le sophisme,, il se simplifie et bbien, au milieu de toutes les séductions et
devient,, pour ainsi dire, élémentaire. Mais d toutes les terreurs, n'est-elle pas encore
de
v ent-il à remuer quelqu'un&de une plus touchante merveille ? Combien
ces ques-
lions auxquelles le bonheur de l'homme u
J'avenir du monde sont étroitement liés,, et son
si âme ne dut-elle pas être fortement
alors sa pensée s'élève», elle se peint des- utrempée pour lutter, aune Selle époque,
couleurs d'une imagination brillante^elle contre
c< tous les orages d'une vie de 86 ans1
s anime et s'empreint de je ne sais quoi Tout change autour de lui la scène poli-
T
d'intime et de touchant. Les vérités qu'il tique se renouvelle pour se renouveler en-
ti
core
c< des épreuves se succèdent, trop vio-
expose-dans toute leur magnificence,on voit lentes
let, pour les caractères d'une période de
que non-seulement il en a conçu la raison scepticisme. Et tel que 1796 l'annonça à
s<
profonde, mais encore, qu'il leur a voué un l'Europe, au moment où parut la Théorie
1'
culte, et qu'il- veut les faire aimeraux nom- d pouvoir, tel l'a retrouvé 18iO, toujours
du
mes, parce qu'il aime les hommes. S'il n'est semblable,
s< toujours fidèle à lui-méme.. Pas
rien déplus noble que ses conceptions, de
plus djgue .que sa parole, c'est' qu'il n'est une tache dans cette vie d'un siècle; pas un
u
n
nuage sur l'azur d'un si beau ciel.
sut ELOGE DE M. DE BONALDPAR fosr DE FOULQUIER.
A aébut dans la carrière administra-
snn néhut
son tin jour des conséquences
conséquei que son rœur
soif ar-
tive, il avait été choisi pour présider aux désavoue. Ce n'est pas lui qu'une
destinées de son pays (1). Une loi est pu- donte de célébrité à tout prix a engagé dans
bliée, qui aîtère dans son essence la consti- des voies nouvelles et hasardeuses, dans
cf s sentiers détournés qui
conduisent à des
lution de cette Eglise, mère des sociétés
modernes, et qui porte dans son sein toutes abîmes.
leurs espérances. Les dispositions les plus Et ici, Messieurs, comment ne pas déplorer
sévères, qui n'eussent compromis que sa cette profanation de l'intelligence et de ses
fortune, attenté qu'à sa vie, ne lui auraient plus riches trésors, dont ces derniers temps
arraché, dit-il lui-même, ni une plainte, ni nous ont offert de si tristes, de si nombreux
lun murmure. Mais le législateur humain a exemples? Pourquoi faut-il que la royauté
ijiorté une main sacrilége surcet antique édi- du génie ait pris plaisir à se dégrader ainsi
tice, qui remonte à l'oiïginedu monde, et dont elle-même? Lorsqu'on voit cette puissance
les fondements ont été posés de la main de de la pensée humaine, appelée, dans la pen,
Dieu même. Il a envahi le domaine de la sée de Dieu, à devenir entre ses mains la
Heligion; et, auxyeux de M.deBonald, la colonne de la vérité et le soutien de l'édifice
Religion, venue d'en haut, ne peut être as» social,lorsqu'on la voit, trahissant tout à la
servie aux pouvoirs d'ici.bas. 11 proteste en fois sa gloire et sa destinée, servir l'erreur
se retirant, et il trace cette lettre, monu- et le mensonge, et, complice de toutes lus
u.en de sa foi et de sa haute raison. Dès passions, ouvrir au monde des sources em-
lors y destinée fut fixée, et on put prévoir poisonnées, comment ne pas bénir le nom
tout on avenir de philosophe et de publi- et la mémoire de celui q.ui crut, dans sa sim-
ciste. 11 s'était révélé tout entier dans ces plicité, qu'il y avait quelque chose au-des-
lignes, telqu'ils'est montré jusqu'à sou der- sus des combinaisons de l'amour-propre et
nier soupir I des honteux calculs de l'égoïsme; ou plutôt
Au moyen âge, sur les traces des Villiers qui s'oublia saintement lui-même, dont la
de l'Ile-Âdam, des d'Aubussou, des Lava- vie tout entière ne fut qu'un long dévoue-
jette, il eût fait reculer le croissant. Au xixe ment, et qui a pu dire en toute vérité, dans
siècle, le champ de bataille était changé les épanchements d'une amitié désormais
c'étaient les combats de la pensée, c'était célèbre, celle qui l'unissait au cornue de
la croisade de la parole. Du reste, le môme Marcellus « Je n'ai jamais écrit une ligne qui
esprit anime le nouvel athlète le même n'ait été dictée par le désir d'être uti!e.»
courage soutient ses efforts. Il se présente Et maintenant. Messieurs, qu'ajouter en-
pour venger, au nom de Dieu et de la vérité, core à l'éloge de celui qui a pu confierduque-
un
il
la cause de l'homme et de la société, contre tel secret à un ami dans le cœur
l'homme séduit et la société entraînée hors devait expirer, et qui vient de le trahir m
de ses voies. heureusement sur la tombe de son ami? Du
Et ce n'est pas, Messieurs, vous le savez, reste, toutes les œuvres, comme toutes les
une pensée d'ambition qui l'anime. Indica- actio-isdeM. de Bonald, n'ont été qu'une
teur sévère, placé entre deux mondes pour longue et éclatante confirmation de cette
instruire celui qui commence par l'étude de parole, la plus honorable peut-être qui
<;uiui qui finit, et par les graves avertisse- soit jamais tombée des lèvres d'un homme
ments qui en ressorlent, à quoi peut-il de génie.
pré'fiisdre et que lui est-il permis d'espé- L'a-l'On vu, Messieurs, courir après les
rer ? La première production de son génie, honneurs cet écueil où sont venuessociété se bri-
ser tant de vertus sur lesquelles la
où il a déposé le germe de toutes .ses doc-
trines, provoque les fureurs d'un pouvoir avait pu fonder de douces espérances? Il
ombrageux. Ce n'est pas qu'il ait cherché les a subis, ces honneurs, sa vie nous l'at-
à appeler sur ses actes la haine et le mépris. teste, plutôt qu'il ue les a acceptés. Où la
Jamais intelligence plus iiioffeiisive jamais vanité humaine, ne cherche qu'une pâture, il
écrivain moins disposé à descendre des ré- n'a su voir qu'une tâche à accomplir. lit
gions paisible Je la théorie jusqu'à l'in- lorsqu'il n'a pu les conserver qu'au prix de
sulte et à l'outrage. Mais il a dit la vérité ses convictions. il l«?s a quittés sans regret,
sur les principes, qui sont tout à ses yeux. comme il les avait possédés sans orgueil. La
Il l'a dite sans passion, comme sans crainte; postérité pourra-t-elle. liii reprocher d avoir
avec calme, maisaussiavecfermelé. Il la dira sacrifiée à la fortune? Qui ne sait qu'après
toujours tout entière, parce qu'il a compris avoir rempli l'Europe (iu bruit de sou nom,
-tout ce que la mission de l'écrivain a de conquis l'estime et la confiance des rois,
saint et tte redoutable. Sa gloire, c'est de l'admiration de ses concitoyens, il s'est re-
faire triompher les principes conservateurs; trouvé, au terme de sa longue carrière, avec
un modeste patrimoine, débris de celui que
ses intérêts, il les subordonne à l'intérêt le malheur des temps n'avait point épargné?
général. On dirait que cette plume qui donne
au monde de si hautes leçons, il ne la prend
jamais sans élever ses regards vers le ciel
Dans cette solitude, dont le nom sera li« dé-
sormais au sien, qui fit toujours ses délices
que toutes ces paroles, qui auront tant d'é- et à laquelle il était rendu pour jamais,vieil-
qui
cho dans l'avenir, il les pèse religieusement, n'eût aimé à contemplerdatis l'illustre
de peur que le génie du mal n'en exprime lard ce qu'il y a de plus beau et de plus toy»

il, M, tic Bouald avait été nomme président du dircctoire du département de fAvcyron.
ELOGE DE M. DE BONALD PAR Me' FOliLQlJiER. ïlîu
la triple
imaine, la
chant dans la vie humaine, triple majesté
de la religion, de la vertu et du génie?
majesté la
appris à la révérer et à la bénir. Comme
croyance, elle avait toutes ses convictions;
Lorsqu'après avoir remonté le cours et comme sentiment, elle régnait sur son cœur,
suivi les bords sinueux de la. fourbie, le elle en réglait, elle en inspirait toutes les
Monua apparaissait tout à coup à vos re- affections. Et, on peut le dire, Messieurs, s'il
gards. le cœur vous battait, comme àl'appro- fut pour elle un fils tendre et respectueux,
che d'un sanctuaire. A quelques pas, vous s'il lui consacra son magnifique talent, ce
alliez voirun grand homme, celui de votre ne fut que justice car elle aussi avait élé
prédilection, celui dont l'âme fut toujours une mère pour son illustre défenseur. Elle
haute, la vie sans reproche et la plume comme l'avait nourri du lait le plus pur de ses doc-
l'épée de Bayard, toujours fidèle et glorieuse. trines. Elle avait élevé son âme et agrandi
Il n'avait jamais adoré que son Dieu, servi la sphère de ses conceptions. Nous lui de-
que son roi et sa pairie; défendu et proclamé vons M. de Bonald, et lui-même dut à cette
que les doctrines qui honorent l'humanité céleste bienfaitrice ses vertus et sa gloire.
et qui la protègent et l'auréole d'une double On peut ajouter qu'il lui dut aussi son bon-
immortalité rayonnait déjà sur son front qui heur. Si toutes les vicissitudes de son exis-
fléchissait à peine sous le poids des ans. tence ne purent altérer la sérénité de son
Vous l'abordiez avec un saisissement de âme, s'il se vit entouré du respect et de,
respect et de bonheur. 1-1 vous accueillait l'amour d'une famille bénie, qui retraçait
avec une bonté qui vous charmait sans vous quelque chose de l'ère des patriarches, c'est
surprendre, car elle vous était connue. Vous que sa vie fut toujours aussi chrétienne que
ne vous lassiez point d'admirer dans ce no- ses principes; c'est qu'il laissait à:des en-
ble vieillard, rassasié de jours et couvert fants dignes de lui un trésor plus, précieux
d'une gloire si pure, le dirai-je? une sim- encore que ses immortels écrits, l'héritage
plicité, une candeur d'enfant. On voyait que soigneusement recueilli de ses exemples.
les orages qu'il avait traversés dans sa vie Sur la fin de ses jours, le plus jeune de ses
ne l'avaient point atteint: ils étaient venus fils venait se jeter à ses pieds pour qu'il le..
s.e briser à ses pieds. Sa physionomie, dont bénît encore une fois, au moment où il allait
l'expression était digne et ferme, respirait prendre possession du siège des Pothin et
en même temps quelque chose de calme et des lrénée. L'illustre vieillard pouvait main-
de serein. A ses côtés, on se sentait trans- tenant mourir en paix: il avait donné à. soa;
porté dans une région d'ordre et de paix, pays l'un de ses plus saints Pontifes, qui de-
élevé à une hauteur immense au-dessus de vait porter glorieusement, avec le poids do
tout ce qui enflamme la cupidité et qui agite son nom, celui de la charge pastorale dans la,
la vie de l'homme sur la terre. C'était un première Eglise de l'antique Gaule.
sage, et un sage chrétien, dont les paroles, Je suis heureux, mes enfants, d'avoir re-
dont le silence même, dont la seule présence, tracé, quoique, faiblement, devant vous,
agissaient puissamment sur votre âme. Alors quelques uns des titres de cette gloire im-
même qu'il n'était entouré que d'humbles périssable, de vous avoir présenté, presque-,
di.sciples, il semblait ne voir en eux que à votre. entrée dans la vie, la grande figure de-,
des amis; il souriait avec bienveillance à la celui dont la vie fut elle-même si pure et si,
pensée timide qui osait à peine se produire belle.,
devant lui. Et lorsque, avec un aimable aban- Votre pays, qui voit en lui la plus haute
don, il ouvrait les trésors de sa profonde sa- de ses illustrations, aime sa mémoire, parce
gesse et de son expérience séculaire, cha- qu'en réveillant ses plus beaux souvenirs,
cune de ses parolesétait un trait de lumière, elle encourage ses plus douces espérances.
quelquefois un éclair de génie. Tout annon- S'il s'honore de lui avoir donné le jour, il
çait'une raison supérieure, mûrie par une se félicite surtout de pouvoir offrir à ses nou-
vie de réflexion, et surtout cette passion du veaux enfants un si parfait modèle, et l'éclat
bien, la seule qui eû.t jamais possédé cette qu'il emprunte à un si beau nom lui est
grande â,me.,Après cinquante ans de travaux, moins précieux que les nobles pensées que,
l'infatigable athlète n'avait pas déposé les ce nom lui rappelle.
armes, et de vastes projets l'occupaient en- Un jour, vous aussi, mes enfants, vous^
core, tous inspirés par la double pensée qui aurez, selon la mesure de vos forces, à sou-
fut le mobile de toute sa vie, le triomphe tenir la grande lutte, celle qui a commencé^
de la Religion et le bonheur social. avec le inonde et qui ne doit finir qu'avec
La Religion, Messieurs! elle était tout lui, la lutte de la vérité contre l'erreur, du,,
pour M. de Bonald.Hors d'elle, il ne voyait bien contre le génie du mal. Préparez-vous
ni vérité, ni vertu, ni bonheur. Elle était à à celle haute mission. Les. doctrines philu-t
ses yeux,, pour le monde des intelligences, sophiques et religieuses de l'auteur delà Lé-,
l'air qu'on y respire, le jour bienfaisant qui gislation primitive sont en quelque sorte
l'éclairé, la chaleur vivifiante sans laquelle v. stre patrimoine. Ses leçons, qui retentis^
tout s'engourdit dans la mort. Ce grand es- sent dans toute l'Europe, sont pour voua
prit en avait fait l'objet d'une étude sérieuse^ comme des leçons de famille. Nous avons la
incessante. Il était parvenu, dans ses savan- douce confiance qu'elles ne seront point per-
tes investigations, aux dernières limites dues.En recevant le prix de vos premiers
qu'il est donné à la raison humaine d'attein- efforts, vous allez en déposer l'engagement
dre, lorsqu'elle porte son flambeau dans Jes sacré entre les mains du digne pontife quia
mystérieuses profondeurs de cette Oeuvre bien voulu relever par sa présence l'éclat dt$
divine et plus il l'avait étudiée, plus il avait cette solennité littéraire.
AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

défense de la
Recueillirles œuvres des grands hommes qui ont consacréleurs talents à la
religtoh ét des principes sociaux, les coordonner et les offrir ensuite au public à des prix
accessibles à toutes les positions, c'est la une des spécialités des Ateliers catholiques de
Montrouge. Mais si nous nous faisons un devoir de ressusciter, pour ainsi dire, ces
écrivains*
antiques, quelle qu'ait été leur patrie, dont les siècles passés nous ont transmis les oeuvres, à
plus forte raison devons-nous réunir en faisceaux lés écrits dés hommes éminents, qui, de
révolutionnaire
notre temps, se sont immortalisés par les nobles combats livrés à l'hydre
menaçant de précipiter dans le même abîme et la religion et l'ordre social. C'est à ces héros
chrétiens; nos contemporains et nos concitoyens, qu'il convient surtout d'élever un monu-
ment dé gloire qui rappelle à la génération actuelle la reconnaissance qu'elle leur doit, et
triompher des
qui apprenne à nos descendants de quelles armes ils doivent se servir pour
aberrations & l'esprit humain. Si le volcan qui, à la fin du xvm° siècle, menaçait de sa lavé
l'Europe értfeè^é, semble s'éteindre s'il ne se fait plus dé ce gouffre encore béant que quel-
figure, les esprits se calment,
ques éruptions locales et dé loin en loin, si, pour parler sans
les naines antireligieuses s'effacent, l'ordre renaît, les bons principes revivent, n'en doutons
p'aM'ést àtec luttes incessantes de ces glorieux soldats de l'ordre contre le désordre
social que nous le devons. La force matérielle peut bien retenir le bras prêt à frapper; mais
la plume du véritable philosophe, en calmant peu peu les esprits, change les convictions.
Toutefois il n'en est pas des combats littéraires comme de ceux qui se livrent sur un champ
de bataille où deux àfmées s'entre-çhoqûent. Ici souvent le vainqueur écrase à l'instant le
vaincu, lui dicte ses lois et l'oblige à faire une paix soudaine. Dans les discussions philoso-
phiques et religieuses au contraire, lé suecès se fait attendre. Le héros de la vérité n'est ap-
plaudi, àû montent de la lutte, que par un petit nombre de spectateurs; mais ses ouvrages,
circulant dans le monde, sont comme une semence qui germe peu à peu, éclot, grandit,
se développe; et dont la tige, en grandissant, devient comme un
phare lumineux qui dissipe
lès ténèbres, et découvre les écueils contre lesquels la société allaitse briser.
Ce premier trait de lumière devient une invitation à relire des ouvrages dont les préjugés
avaient d'abord voilé le mérite j on leur rend entin justice; on en adopte les principes; ja
vérité se fait ainsi jour et se communique de proche en proche. C'est le changement que
nous avons vu s'opérer eh France depuis cinquante ans. -L'esprit religieux, sauvegarde de
l'ordre social, reprend peu à peu son empire sur les esprits, et ramène insensiblement, en
calmant les mauvaises passions, l'ordre et la paix.
Or, parmi les^éçrivains français de notre siècle qui ont reçu d'en haut la mission de corn?
battre là philosophie antireligieuse et antisociale, se distingue particulièrementM. le vicomte
de. Bonald.. Pendant sa longue carrière il s'est dévoué à la défense du trône et de
l'autel,
Constamment sur la brèche, armé de sa vigoureuse logique, il repoussait sans cesse les atta*
ques de la révolution. Bien plus, il ne craignait pas de descendre avec elle dans l'arène; il
la prenait corps à corps, et chacun de ses traits la perçait à jour et lui assurait la victoire,
Telle a été sa lutte pendant quarante ans, aussi n'est-41 pas un écart de l'esprit révolutionnaire
qu'il n'ait relevé en proclamantbien haut le principe qui lui était opposé.
Pour remplir sa tâche, M. de Bonald a pris toutes les formes il se montrait tout à la fois
philosophe profond, écrivain habile et judicieux aucun genre de littérature ne lui était
étranger. Sa plume infatigable déconcertait ses adversaires, consolait les hommes de bien et
excitait l'admiration de tous, malgré les invectives du parti qu'il combattait. Ce fut dansl'exil
que M. de Bonald essaya son talent, et son essai fut un chef-d'œuvre,quoiqu'en dise une cer->
taine école philosophique. Gémissant sur les maux qui désolaient sa patrie, il voulut tenter
d'y apporter un remède. Il composa la Théorie du pouvoir qui fut imprimée, pour la pre*
mière fois en 1796, à Constance, dans une imprimerie élevée par des prêtres français émigrés
Cet ouvrage qui attaquait de front la révolution ne plut
pas au Directoire républicain; il
en ordonna la saisie, et peu d'exemplaires échappèrent aux agents du pouvoir. L'auteur ne le
fit pas réimprimer; mais dès que le calme fut un peu rétabli, en 1800, il
en publia, sous le
voile de l'anonyme, une analyse dans un volume in-8. qu'il intitula Essai analytique
sur les
lois naturelles de l'ordre social. Ce dernier ouvrage eut trois éditions différentes dans l'espace
àe quelques mois. Après le dévergondage qui durait depuis dix ans, le monde semblait tout
stupéfait d'entendre une voix qui parlait raison et proclamait des principes
que l'on croyait
oubliés à tout jamais; l'on achetait ce livre comme une nouveauté qui piquait la. curiosité.
La
dernière édition de cet ouvrage que l'auteur avait préparée avant sa mort, parut chez Adrien.
Leelereen 184Î.
L'année suivante, c'est-à-dire en 1801, M. de Bonald publia un troisième ouvrage qui
leva contre lui toute la secte des libres penseurs et que sou-
ne lui pardonne pas encore cette pha-
lange de philosophes qui se posent en réformateurs de l'ordre social et religieux.
Cet ouvrage
a pour titre Du divorce considéré au dix-neuvième siècle relativement à l'état domestiquent
à l'état public de la société. Le divorce était la honte et le fléau de la France.
W. de Bonald Je
poursuivit avec acharnement, et ne lâcha prise
que lorsqu'il eut obtenu des-Chambres-
l'annulation de la loi du divorce aussi antisociale qu'antireligieuse dans
un pays catholique-
M. de Bonald mit le comble à sa réputation
en publiant en 1802 la Législation primitive
considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison. Cet
ouvrage fut ac-
cueilli avec enthousiasme dans les diverses parties de l'Europe; il eut, dès
France, les honneurs d'une traduction en plusieurs langues étrangères. L'auteur son apparition en
de la Litté-
rature française contemporaine, malgré ses préventions et le dénigrement qu'il
veut faire
peser sur M. de Bonald est forcé d'avouer que cet ouvrage restera longtemps.
La première édition ne contenait que la Législation primitive
Aux éditions suivantes on ajouta divers traités politiques où l'on
proprement dile
pouvait voir l'ap-
plication des principes développés dans le
corps de l'ouvrage. Nous ne parlons
pas ici des Réflexions sur le traité de Campo-Formio et
livre des Pensées sur divers sujets que l'auteur publia
sur celui de Westphalie, ni du
en 1817; cependant elles ont paru
assez saillantes pour qu'on les traduisît en allemand en 1838. Pour faciliter la lecture
pensées, nous avons cru utile de les rapporter à certains chefs particuliers, de ces
et de les diviser
ainsi en diverses catégories se rapportant aux divisions ;de
notre édition; néanmoins toutes
les pensées se trouvent reproduites sous un seul titre général forment
et un tout.
L'ouvrage auquel les philosophesde notre temps rendent le plus
d'hommage est celui qui a
pour titre: Recherchesphilosophiques sur les premiers objets des
connaissances morale, « Aban
donnantles routes qu'il avait suiviesjusqu'alors, dit l'auteur déjà cité de
la Littérature française
contemporaine (1), de Bonald semblait dans cet ouvrage vouloir s'élever par ses
et nous faire regretter qu'il n'ait pas toujours consacré raison à propres forces
sa
cherches philosophiques sont une production solide et l'une des mieux un si bel emploi. Les Re-
écrites en cette ma-
tière. Ses Recherches renferment entre autres une dissertation
laisse rien à désirer. Mais ses dissertations les plus remarquables sur l'âme des bêtes qui ne
sont celles qui renfer-
Mient la solution de deux grands problèmes que la philosophie
n'avait pas encore réso-
lus, savoir l'Origine du langage et celle de l'écriture. » Ce témoignage
est bon à recueillir de
la part d'un auteur qui s'est efforcé de flétrir, autant qu'il l'a
pu, la mémoire du grand philoso
phe. Nous laissons à d'autres le soin de venger ses. écrits et
ses principes d'économie sociale
et religieuse, ce semble ne sont pas du goût de M. Quérard. Cet
vrais services en publiant son grand ouvrage, de Bibliographie, intitulé La
auteur a rendu de
France littéraire; il
eût bien fait de suivre toujours le même plan en mettant au jour la Littérature
française con-
temporaine. En admettant dans sa nouvelle collection des articles de
biographie Û
s'est détourné de sa spécialité. Pour juger un auteur qui s'est trouvé mêlé
aux événements de
son siècle, il faut se dégager
fard a consacrée à M. deBonaldporteavant tout le cachet d'une prévention
H) xix* siècle. tom, 11 naa. 207. il
de ses propres passions politiques. Or, la notice
que M Que-
W"1 ami
politique qui «veu-
gle letïingraplie,et dénature à ses yeux celte admirable fixitéde principes basés surKessencedes
choses qui fera toujours la gloire du célèbre éeonomiste qu'il critique avec- tant d'amertume.
Outre les principaux ouvrages que nous venons d'énumérer, M-. de Bonald a publié une
foule d'articles dans les journaux, principalementdans le Mercure de France, les Débats, le
Conservateur, la Quotidienne et le Rénovateur. L'auteur en avait réuai une partie qu'il a
publiés en 1819 chez Adrien Leclere, sous le titre de: Mélanges littéraires, politiques et phi-
losophiques, 2 vol. in- 8°. Une foule d'autres opusculesavaient été publiés à part et à diverses
époques. On en trouve le détail dans la partie biWrogcaphique"de la notice de M. Quérard.
Déja il a paru, chez Adrien Leclere, une édition des œuvres de M. de Bonald. Cette édition
commencée en 1811 ne s'est terminée qu'en 1843; elle forme 15 vol.,in-8' du prix de 75 francs.
« L'éditeur, dit Quérard, a réuni, à l'aide d'un frontispice commun, les principaux ouvrages
de cet écrivain,imprimés séparément à diverses époques! Il suffit de comparer la. nomen-
clature partielle des ouvrages du vicomte de Bonald avec les tables des volumes de cette édi-
tion pour reconnaître que lacollection n'en est pas complète. »
En conséquence l'édition des OEuvres complètes de M. de Bonald était encore a faire. Le
point le plus difficile et le plus important était de réunir les divers opuscules publiéspar
l'auteur et dont Quérard, malgré le blâme qu'il inflige àl'édition d'AdrienLeclere, ne donne
lui-même qu'une liste fort incomplète. Pour arriver à notre but, nous'avons eu recours à
nos moyens ordinaires. Des consultations ont été adressées aux personnes qui pouvaient
nous procurer des renseignements; plusieurs d'entre elles se sont montrées pleines dte
zèle pour notre œuvre et nous ont puissammentsecondés. Nous devons surtout des actions
de grâces à M. Victor de Bonald, membre du conseil général de l'Aveyron et petit-fils s de
l'auteur. Il acoaiprisriinjprtans?.du inonu a Mit qai nous éleviansà la gloire de son illustre
aïeul aussi n'a-t-il rien épargné pour que notre édition fût complète et exacte. lia a même
poussé le zèle jusqu'à se condamner au rôle de cocrecteuren- lisant tes épeeuves de nos trois
énormes volumes,. pour rétablir le texte authentique de l'auteur partout où il avait été aK
téré par les premiers éditeurs.
Malgré ce dévouement de la famille et des amis de M. le vicomte de Bonald, notre édition
serait restée incomplète, si nous n'avions eu la patience de parcourir, page par page, tous
les journaux de France dans lesquels a écrit ce fécond publiciste, depuis 1801 jusqu'à l'é-
poque de sa mort en 1841. Nous avons été amplementdédommagés de. nos peines car nous
avons recueilli dans la plupart de ces journaux une foule de discours ou- d'écrits très-impor-
tants qui enrichissentmaintenant notre- édition. Pour ne pas nous égarer, malgré notre dé-
sir d'être complets, nous nous sommes bornés à n'extraire des divers recueils dans lesquels.
écrivait M. de Bonald que les articles qu'il a signés de son nom. Il est néanmoins à présumes
que les Débats, la Quotidienne et la Gazette de France, contiennent une foula d'autres a rti-
cles'communiquéspar l'illustre écrivain et qu'iljn'a^asjugé à propos de signer. Nous avonscra
qu'il valait mieux négliger ces sortes d'écrits que de grossir notre édition de productions n«
portant pas un vrai cachet d'authenticité. Nous avons eu soift d'indiquer les sources où nous
avons puisé, atin de ne laisser aucun doute sur ce point important. Malheureusement les
premiers éditeurs ont laissé beaucoup à désirer à cet égard les dates mêmes d'un grand
nombre de pièces n'ont pas été conservées par eux, malgré leur utilité pous l'intelligence
des faits. Nous avons réparé cette omission partout où il nous a- été possible de le faire
l'on rencontrera encore néanmoinsquelques pièces sans date, par.ce.qu'il nous a été im~
possible de la déterminer.
Les oeuvres de M. de Bonald une fois réunies, il fallait les diviser de manière à éviter te
confusion des éditions précédentes, où, comme le remarque avec raison l'auteur de la Litté-
rature française, contemporaine, chaque ouvrage se trouve plutôt juxtaposé à la suite d'un
autre que coordonné d'après un plan quelconque. Cependant la coordination s'offrait
tout naturellementà l'esprit. Qui ne sait que M. de Bonald s'est révélé au monde comme un
économiste habile. Dans un temps où tout était confusion dans la société, il rétablissait victo-
rieusement sur leur base les principes de l'ordre social, et il les a soutenus jusqu'à la fin
(1) Liu. fravç. contemp. t.- Il, p. 211et suiv.
«'esavie avec un zèle admirable. aussi la plus grande partie de
ses œuvres se rapporte-t-elle
à l'économie sociale. C'estdans cette catégorie
que viennent se ranger la Démonstration philo-
sophique duprincipe constitutif de la société, la T héorie du pouvoir, Y Essai analytique, la
Légis.
lation primitive, l'ouvrage sur le Divorce, et une foule d'écrits moins étendus,se
rapportant aux
bases fondamentales de la société'; nous en donnerons bientôt
une énumération complète.
Un si ardent défenseur des principes constitutifs de la société devait
se tracer à lui-même
un système politique en harmonie avec ces mêmes principes. M. de Bonald
occasion
d'exposer ce système d'abord à la Chambre des députés dont il été membrea eu
a pendant sept
ans, puis à la Chambre des pairs où Louis XVIII l'appela en 1823. La seconde partie des
œu-
vres de M. de Bonald se rapporte donc à la politique. Outre les discours prononcés dans
les deux Chambres, nous avons dû agglomérer dans cette partie un grand
nombre d'opuscu-
les fort remarquables se rapportant à la politique, dont la plupart
la Restauration, ont même été publiés avant
et par conséquent avant que l'auteur ne siégeât au Palais-Bourbon.
La troisième partie est consacrée à la philosophie. Si M. de Bonald, dit l'auteur
« de la
Littérature française contemporaine, n'a
pas, à proprement parler, fondé' une école, il est
du moins avec le comte de Maistre M, de Lamennais
et à la tête de ce qu'on a appelé l'école
catholique. De Bonald était même plus particulièrement le philosophe de l'Ecole.
» II était
donc tout naturel de réunir en faisceau les
œuvres philosophiques d'un auteur qui, de l'a-
veu même de ses adversaires, s'était élevé si haut dans la science de la philosophie.
Ce qu'on remarque particulièrement en M. de Bonald, c'est qu'il était
un écrivain eminem-
ment catholique. Son dévouement à la religion, foi de chrétien peignent tellement dans
sa se
toutes ses oeuvres qu'on pourrait presque les rapporter toutes à
sion qu'on intitulerait OEuvres morales etreligieuses.
une seule et même divi-
Il nous a paru néanmoinsplus ration-
nel de ne réunir sous ce titre
que ceux de ses écrits qui ont un but directement religieux.
Cette catégorie forme la quatrième partie de
notre édition.
Dans une cinquièmepartie intitulée, Mélanges,
giquement dans les quatre premières. Nous divisons nous reproduisons ce qui n'a pu entrer lo-
celle-ci en trois sections la première
contient les œuvres se rapportant à l'histoire; la seconde, celles qu'on
peut appeler litté-
raires la troisième renferme divers opuscules qui n'ont
aucun rapport logique avec les au-
ires subdivisions de cette partie.
Ce plan permettra d'étudier avec ordre les
œuvres de M. de Bonald. On remarquera que
Jans chacune de nos divisions nous faisons marcher de pair l'ordre analogique et
chronologique. Nous publions, autant
que possible, à la suite les des autres tous les
traités sur la même matière, en les classant selon l'ordre uns chronologique. C'est
ainsi que dans la première partie
nous avons réuni tout ce qui avait rapport au di-
vorce dans la seconde, tous les discours et autres écrits rélatifs aux élections, à la liberté de
la presse. L'on n'aura plus le désagrément de passer d'un article
sur l'éducation, par exemple,
à un autre sur les finances, puis des matières politiqnes pour retomber ensuite sur d'au-
ires ayant un but littéraire. Cette confusion rendait intolérable la lecture des œuvres de
M. de Bonald, et impossible
une étude tant soit suivie de ces mêmes œuvres.
Lorsque l'esprit humain se sera suffisamment fatigué à la poursuite des systèmes chi-
mériques d'économie sociale et politique, lorsqu'il
aura découvert le vide et la fausseté de
ceux que des hommes plus amateurs de leurs propres conceptions que de la logique et du
bien public, s'efforcent d'implantée dans la société, l'on reviendra à la vraie philosophie
r.iate on l'etudiera dans les
so-
œuvres de ces écrivains qui, comme M. de Bonald, l'ont si habile-
ment développée en s'appuyant sur l'ordre que la divine providence établi dans la nature. Ne
a
voyons-nous pas de no» jours cet heureux retour vers les idées saines des principes sociaux?
N'en avons-nous pas l'application sous les yeux? L'édition des
œuvres de M. de Bonald
est donc un service rendu au public, à la société. Aussi n'avons-nous rien négligé
pour qu'il
fût complet. C'est dans ce but que nous
avons fait rédiger une table analytique des
matières, afin que Ton pût trouver sans peine, dans
nos trois énormes volumes, ce dont on
a besoin. Puisse notre édition atteindre le. but que nous nous sommes proposé et contri-
huer à ramener dans les esprits le respect de l'autorité civile et religieuse, la gravité des
mœurs par la méditation des lois que la divine providence a établies pour la
constitution
de son Eglise, de lafemille et des sociétés!1

CONSPECTUS

POUR L'ÉDITION DES OEUVRES COMPLÈTES DE M. DE BONALD.

PREMIERE PARTIE – ECONOMIE SO- De la réunion des royalistes dans les deux
CIALE Chambres.
Ci

Démonstration philosophique des princi- Sur le changement de ministère.


Considérations politiques.
pes constitutifs de la société, Augmentation de la Chambre des pairs.
Théorie du pouvoir politique et religieux Sur les partis.
dans la société civile, démontrée par le rai-
sonnement et par l'histoire.. Sur les inquiétudes politiques.
Législation primitive, considérée dans les- Sur les lois d'exception.
derniers temps par les seules lumières de la. Sur les pétitions.
raison, suivie du Traité du ministère public et Sur les institutions militaires.
du Traité de l'éducation. Sur les rentes.
Essai analytique sur les lois naturelles de- Sur un écrit de M. Camille Jordan.
l'ordre social. Réflexions sur la pétition de M. Madier
dde-Montjau.
Du divorce eonsidéré au xix* siècle, rela-
De la noblesse.
tivement à l'état domestique et à l'état public De l'aristocratie et de !a noblesse.
de la société. Sur l'emploi de quelques temps du verbe
Résumé sur la question du divorce. être.'
Proposition faite à la Chambre des dépu.- e
Sur les circonstances présentes.
tés sur la suppression du divorce. De l'esprit de corps et de l'esprit de
De !a société et de ses développements. é,-

Du perfectionnement de l'homme. p<i rti


l1

Des lois et des mœurs considérées dans


Sur un passage de V Esprit des lois.
la société en général.
Sur la Turquie.
Quelques notions de droit en réponse h Sur la guerre d'Espagne.
Du gouvernement représentatif..
M. Cormenin.
Des gouvernements.
Sur la maxime On ne peut contredire le
Des nations polies et des nations-s civilisées. monarque.
71

De la famille agricole, de la famille indus-


Sur le cailnslrCi
trielle et du droit d'aînesse. Sur les Juifs.
De la richesse des nations.
Sur l'Espagne et la loi «alique.
Sur la mendicité. Sur la Pologne.
Sur le duc «le Bordeaux.
Sur les enfants trouvés. Il est-trop tard.
Sur 1'écononie politique, Sur la duchesse de Berry.
Considérations politiques sur l'argent et Lettre au rédacteur de la Quotidienne.
le prêt à intérêt.
Sur la loi pour l'organisation des» corps
administratifs par voie d'élection.
Section
c lit-. –
Discours prononcés dans
les chambres et écrits relatifs aux lois
DEUXIEME PARTIE. – ŒUVRES POLITI- qui y ont été discutées.
QUES.
Rapport sur la proposition de M. Hyde
SECTION l" OPUSCULES EN MATIÈKE POLITIQUE. de ( Neuville tendant b réduire le nombre des
Discours politiques sur l'étal actuel de ttribunaux et à suspendre l'institution royale
l'Europe. des juges.
Du traité de Weslphalie et de celui de
c
Réponse aux objections la
proposition
Onmpo-Fonnio. de
( M. Hyde de Neuville.
Considérations surla France et l'Angleterre. Opinion sur la proposition de M. ie comte
Réflexions sur l'intérêt général de l'Eu- de i Blangy, relative à l'amélioration du sort
rope. du
( clergé.
De l'équilibre politique en Europe. Opinion sur la proposition de rendre au
De la langue politique. clergé
c la tenue des registres civils.
Réflexions sur un ouvrage de M' de Slaiil. Rapport sur la proposition tendant a
De l'émigration. voter des remerciements à ceux qui ont dé-
Sur les Suisses. -ffendu le roi et la royauté, !ors de la révo-
De la Chambre de 1815.. lution du 20 mars..
Opinion relative à un amendement à l'art. (Opinion sur le projet de loi relatif aux
1" de la loi d'amnistie. élections,
éle 1820.
Opinion sur le mot restitution employé î les élections, 1820.
Su/
dans le projet de loi relatif à la dotation du (Opinion sur la résolution de la Chambre
clergé. des pairs relative à la loi des élections, 1820.
des
Opinion sur le budget de 1816. Sur les élections, 1820 ou 1821.
Opinion sur le projet de loi de finances (Opinion sur le projet de loi relatif aux jour-
de 1817. nai
naux.
Opinion sur le projet de loi de finances (Opinion contre le projet de loi surla liberté
de 18.18. de ia presse, 1817. 1
Opinion sur la fixation des dépenses de la (Opinion contre lé projet de loi sur la liberté
guerre, 1819. de la presse, 1819.
1822.
Opinion sur le budget du ministère des Opinion
( sur la liberté de la presse, 1821.
affaires étrangères,
1822.
Opinion sur le budget du ministère de la
guerre,
Opinion relative aux haras, 1820.
Opinion relative aux haras, .1822.
ques.
qui
Sur
5
(Opinion sur un amendement à l'art. 4 .du
projet
pre de loi concernant les écrits périodi-
la liberté de la presse (1826).
Encore
1 un mot sur la liberté de la presse,
Quelques réflexionssur le budget de 1823. 1826.
185
Opinion sur le cadastre. Sur la liberté de la presse.
Opinjon.sur le projet de loi relatif au re- De
1 l'opposition dans le gouvernementet de
crutement de l'armée. la liberté de la presse..
Un dernier mot sur le recrutement de l'ar- Observations
( sur le discours que M. de
mée. Chateaubriant
Chi devait prononcer à la Chambre
Un mot sur les frères de la doctrine chré- contre
coi la loi sur la police de la presse et
tienne à l'occasion de la loi du recrutement, qu'il a publié depuis que la loi a été retirée.
qu'
Un mot sur la responsabilité de ceux qui TROISIÈME
TB PARTIE. ŒUVRES PHILO-
se font remplacer pour l'état militaire. SOPHIQUES
Opinion sur le projet de loi concernant la
récompense nationale à accorder à M. le Recherches
J philosophiques sur les pre-
duc de Richelieu. mi
miers objets des connaissances morales.
Sur l'abolition du droit d'aubaine. ]Dissertation sur la pensée de l'homme.
Opinion sur la proposition tendant à in- De
1 l'état natif et de l'état naturel.
terdire dans la Chambre des paroles impies (Considérations philosophiquessur les prin-
contre Dieu et injurieuses au roi. cipes et leur application.
cip
Rapport sur le projet de loi relatif aux De
1 la philosophie morale et politique du
pensions ecclésiastiques. xi> siècle.
xixe
Résumé sur le projet de loi relatif aux Réflexions
] philosophiques surla tolérance
pensions ecclésiastiques. de; opinions.
des
Réflexions préjudicielles sur la pétition Réflexions
1 sur l'esprit et le génie.
du sieur Lovéday. 1Réflexions philosophiques sur le beau mo-
Discours à l'ouverture du collége électoral ral.
rai
de l'Aveyron, 1821. i la philosophie est utile pour le gouver-
Si
Rapport sur le projet de loi pour le réta- nèment
néi de la société.
blissement du siége épiscopal de Rhodez. La
] philosophie et la révolution.
Discours à l'ouverture du collége électoral Sur un dernier ouvrage de M. de Lamen-
de l'Aveyron, 1823. nais.
na:
Opinion sur le projet de loi relatif aux corn- (Observations de M. de Bonald sur la cri-
munautés religieuses de femmes. liq qui a été faite de son système sur l'ori-
tique
Opinion sur le projet de loi tendant à in- gine du langage.
gir
demniser les anciens propriétaires des biens
fonds confisqués et vendus au profit de l'Etat; QUATRIÈME
Q£ PARTIE. RELIGION ET MO-
en vertu des lois révolutionnaires. RALE.
Opinion sur le projet de loi relatif au ren- SECTION re. Religion.
boursement ou à la réduction de l'intérêt des
rentes cinq pour cent. Discours sur la vie de Jésus-Christ.
Considérations politiques sur le projet de Méditations politiques tirées de l'Evan-
loi relatif aux donataires. gile.
gil
Discours sur le projet de loi relatif au sa- De la chrétienté et du christianisme.
crilége. De l'unité religieuse en Europe.
Opinion sur le projet de loi relatif à Jaju- Sur les missions.
ridiction militaire. Réflexions sur le mémoire à consulter de
Opinion sur le projet de loi relatif auxélec- M. de Montiausier.
tions, 1816. Réponse à la lettre de M. de Frenilly au
Opinion sur les élections, 1816. sujet
su; du dernier ouvrage de Lamennais.
Opinion (seconde) sur la loi des élections, Observations sur l'abjuration de M. Haller
1817. et correspondance de M. de Bonald et de
Opinion sur l'organisation des colléges M. Fischer à ce sujet.
électoraux, 1817 Observations sur les arrêts rendus par la
cour royale dans le procès du Constitutionnel Réflexions sur l'indépendance des gens
et du Courrier Français. de lettres.
Sur le rejet de la pétition du Vivarais pour Du progrès ou de la décadence des let-
la conservation de son évêché. tres.
De l'origine des cultes. Tableau littéraire de la France au.xvin*
Lettre au Journal des Débats sur les ques- siècle.
tions religieuses. Sur les langues.
Section II. Morale. Sur une dissertation de Malte-Brun sur les
langues.
De .a politique et de la morale
Du poëme épique.
Des spectacles relativement au peuple. De l'art dramatique et du spectacle-
Des lumières, de l'ignorance et de la sim- Des jeunes écrivains.
plicité. Sur les ouvrages classiques.
Observations morales sur quelques pièces De ]a multiplicité des livres.
de théâtre. De l'alliance des gens de lettres et des
Questions morales sur la tragédie.
Les lois civiles de la révolution, cause de gens du monde.
la licence des mœurs. SECTION III.
Sur les préjugés.
– OEuvres diverses.
CINQUIÈME PARTIE. MÉLANGES. Sur l'assassinatde M. Kotzebûe.
SECTION I". OEuvres historiques. Sur le rejet du bill d'émancipation des ca-
tholiques d Irlande.
Sur les Francs et les Gaulois.. Des écrits de Voltaire.
Notice historique sur Louis XVI» De la décence dans les discours et dans
Analogie de l'histoire de France et d'An les écrits.
gleterre. Surles prix décennaux.
Sur l'éloge de M. Seguieret Malesherbes. Sur le catéchisme de Saint Lambert.–
Sur l'histoire de Bossuet. Prii décennaux.
Sur la mort de M. De Maistre. Sur les derniers événements.
De la manière d'écrire l'histoire. i
Grande et dernière leçon.
SECTION IL-OEuvres littéraires. Sur l'enseignement mutuel et les frères des
Du style et de la littérature. écoles chrétiennes.
Des sciences, des lettres et des arts. Pensées sur divers sujets.
Sur la guerre des sciences et des lettres. Lettres à M. De Maistre.
ŒUVRES COMPLÈTES

DE

M. DE BONALD.

^umikt
311 Partie
1 1: 311 4

ÉCONOMIE SOCIALE.

DÉMONSTRATION PHILOSOPHIQUE
DU PRINCIPE CONSTITUTIF DE LA SOCIÉTÉ.

AUX PRINCES CHRÉTIENS.

C'est tous les rois, puisque tous les rois dans les esprits, et rejetèrent,
sont frères, que j'ose faire hommage d'un comme trop
sévères, les doctrines qui avaient présidé à
écrit qui peut, sous leur puissante protec- l'éducation du premier âge.
tion, préparer le retour de la politique Elles voulurent faire une autre religion,
aux
voies qu'elle a depuis trop longtemps aban-
données.
une autre politique, une autre société.
Dans cette confusion universelle, Dieu
La société chrétienne condamnée, ainsi fut pas plus respecté que les rois; ne
que l'homme, à passer par l'enfance et la et la
royauté, partout où s'en était conservée l'i-
jeunesse pour arriver a l'âge mûr,
a vu ses mage, fut sommée de recevoir, des mains de
premières années s'écouler dans ce travail
ses sujets, l'investiture du pouvoir qu'elle
intérieur de développement, naturel à tout
ne tenait que de Dieu.
corps organisé qui tend à sa perfection. Ces doctrines se sont répandues dans la
Au xv siècle la société sortit de l'enfance. chrétienté, et en ont troublé successivement
Les passions s'éveillèrent, toujours plus toutes les parties.
avancées que la raison elles firent irruption La France, l'aînée de toutes les> sociétés,
OEUVRES COMPL. I. 1
DE M. DE BoNALD. A
et qui avait étendu sur toute l'Europe la do- o- n'est'pas encore renverse, et recommence
mination de sa langue, de ses arts, de sa t-lit- sans cesse le fragile édifice élevé par
l'igno-
térature, de ses exemples, la France, après ès rance et l'orgueil
avoir longtemps contenu la fureur du tor- r- Mais peut-être l'excès du désordre éclai-
rent, a cédé à sa violence; et il n'est as
pas rera les esprits; peut-être l'âge mûr, revenu
besoin de rappeler aux rois de l'Europe, qui ni des illusions de la jeunesse, redemandera la
tous en ont été atteints, les événements qui ui lumière, qui peut seule lui faire retrouver
ont signalé cette sanglante période de notre re la vérité.
histoire. C'est, s'il est permis encore d'espérer,
Dans son désespoir, l'Europe s'est levée, :e, pour hâter cet heureux moment, que j'ose
elle a couru aux armes mais, en arrêtant nt mettre sous les yeux des princes chrétiens
s;
les effets, elle a laissé subsister les causes; un exposé simple et fidèle du système éter-
et si elle a repoussé les armées, elle a peut- t- nel de la société.
être accrédité les doctrines. Le volcan an Depuis longtemps voué à sa défense, je
brûle et gronde encore, même après que ne termine par cet écrit ma longue carrière.
l'explosion a cessé. C'est pour le bonheur de vos peuples, rois
Les erreurs, qui veulent s'affermir malgré ré chrétiens, c'est pour le vôtre et celui de vos
la nature qui les condamne à une éternelle lie illustres maisons, que je l'ai entrepris.
mobilité, entretiennent donc dans la société,;é>
Daignez en agréer l'hommage.
par ces efforts impuissants, un état d'agita- a**
Le vicomte DE Bonald.
tion et de trouble qui menace tout ce qui ui
Pair de France (1).

INTRODUCTION

Avant d'exposer mes principes de philo- Ce système serait assez fidèlement traduit
tirée de
sophie appliquée à la société, j'ai dû consi- par cette .définition de l'homme
Saint-Lambert L'homme est une masse orga-
sidérer l'état actuel de la philosophie en
nisée et sensible, qui reçoit l'esprit de tout ce
France.
On peut ramener à trois écoles différentes qui l'environne et de ses besoins.
les systèmes philosophiques qui partagentl Dans ce système les organes matériels
aujourd'hui les esprits. sont tout l'homme, et même l'homme intel-
C'est ce qu'a fait M. Ph. Dàmiron dans ligent la pensée est une digestion ou une
son Essai sur l'histoire de la philosophie en sécrétion comme tout autre elle est, dit
Condillac, la sensation transformée.
France au xix.e siècle, essai dont cette intro-
duction n'est que l'analyse. Ici, dit M. Damiron, les applications nais-
Il pourrait y avoir plus d'exactitude, et sent d'dles-mémes. Elles sont toutes en har-
peut-être d'impartialité, dans les jugements monie avec l'idée générale dont elles émanent.
quelques-uns des S'agit-il, en effet, de savoir ce que c'est que le
que M. Damiron porte sur bien, ce que c'est que le .mal? la réponse est
écrits qu'il examine: il est si difficile d'être
entièrement juste envers ceux dont on ne aisée. Le bien est tout ce qui tend à conserver
l'homme, c 'est-à-dire l'organisme; le mal est
partage pas les sentiments mais, tel qu'il
est, l'Essai suffit au dessein que nous -nous tout ce qui tend à le détruire ou à le détério-
rien
sommes proposé. S'il n'expose pas avec as- rer. Rien au-dessus du bonheur physique,
les systè- de pis que les souffrances du corps le bien
sez de fidélité ou de connaissance suprême est la santé. Aussi le vice et la vertu
mes particuliers qu'il combat il indique volontaire des
avec assez de précision les différentes écoles ne peuvent être que l'habitude
'auxquelles ils appartiennent; or, ce sont les actes con formes ou contraires à la loi de la
écoles de philosophie et non les philoso- conservation ( toujours des corps ou de l'or-
phes, que nous considérons dans cet écrit. ganisme). Tel est le fond du catéchisme de
M. Damiron commence par l'école sen- « Volney.» c'est
là toute sathéorie. Onregrette
seulement a"y trouver des lacunes, » l'une
sualiste, expression adorfcie, équivalente de «

matérialiste. relative aux arts, l'autre à la religion. Sans


-.II4Ur4GI 414U4J4G,

<(1) Cet écrit fut -publié dans les premiers mob de 1850.
5 PART. I. ECONOM. SOC. – PRINCIPE CONST. DE LA SOCIETE,
6
doute, il ne juge pas ces deux formes »de
« formes» de de philosophie religieuse, représentée
de
l'activité humaine assez positivement utiles à par
MM.
M de Maistre, de la Mennais, de Bonald
la conservation de l'individu pour en tenir et
et d'Eckstein.
compte ou en recommander l'usage. C'est un Ceux-là croient l'homme une intelligence
tort et une erreur; car, d'abord, il y a dans servie
se par des organes, intelligence distincte,
la culture des arts un charme honnête, etc., etc. pj csnséquent, de l'organisme, éclairée sur
par
Quant au sentiment religieux, Volney fait soson origine, sa nature, ses devoirs et sa fin,
plus que le négliger, il le repousse et le pros- m comme le dit l'auteur de VEssai, par
non
crit il ne veut ni de la foi ni de l'espé- ui inspiration que les Catholiques laissent
une
rance, etc. aux protestants, mais par une révélation di-
ai:
Comment Volney aurait-il pu parler de vine,
vi positive, extérieure, transmisejusqu'à
religion, lorsqu'il ne reconnaît point d'âme nous
nc par un enseignement traditionnel ou
distincte des organes, et qu'en aurait-il pu hi
historique doctrine qui ne prend pas son
dire? Nous remarquerons seulement que, de point
pc d'appui dans l'homme, dans sa sensa-
la part de M. Damiron, l'expression de îacu- tion, comme l'école: sensualiste, ou dans sa
tic
ne est bien faible en parlant, de l'absence de conscience
co comme l'école éclectique; mais
ja religion dans un système de philosophie. en dehors de l'homme, ou en Dieu.
M. Dam ron rejette ce système désolant, La troisième école dephilosophieestl'école
dont Locke, parmi les modernes, a jeté les éclectique,
éc qui s'appelle aussi, on ne saitt
fondements, lorsqu'il élève la question de pourquoi,
po spiritualiste, rationnelle, car elle
savoir si la matière peut recevoir la faculté n'est
n'< proprement ni l'une ni l'autre école
de penser; que Condillac avec sa sensation éclectique, c'est-à-dire qui cherche pour choi-
éc~
transformée, a continué et rendu populaire; sir,
sir renouvelée des Grecs, grands chercheurs
et qui, à quelques différences Iprès, est, se- de philosophie Grœci, dit saint Paul sa-
Ion M. Damiron, le système de MM. Cabanis pientiam
pi, quœrunt (1 Cor. i, 22) et dont
( revenu depuis à des idées plus saines), Des- MM.
MJ Bérard, Virey, Kératry, Massias, Bons-
tutt de Tracy, Volney, Garat, Gall, Azaïs, testen,
les Ancillon, Droz de Gérando, Maine
Broussais (ce dernier omis dans la première de Biran, Royer-Collard, Cousin, Jouffroy
édition de l'Essai, et nommé dans la se- et M. Damiron lui-même sont les disciples
conde ), tous philosophes sensualistes ou ma- ou les apôtres.
térialistes, et même M. !a Roaiiguière, que Puisque le caractère de cette école est de
M. Damiron classe parmi eux, parce que, choisir,
ch et par conséquent de chercher, il
dit-il, le principe qu'ilprofessa d'abord, qu'il sernblerait
se naturel d'attendre pour la défi-
modifid ensuite, savoir, que toute idée a sa nir,
ni de savoir si elle a fini de chercher, et ce
source dans la sensation, offre assez de traces qu'elle
qu a enfin trouvé et choisi. Nous ne le
de ce système pour pouvoir sans inconvénient savons pas, et, s'il faut en croire M. Dami-
sa
en prendre le nom et le drapeau. ron, elle ne Je sait pas elle-même, et il est
roi
Nous ne nous arrêterons pas plus long- difficile qu'elle puisse jamais le savoir, tant
dii
temps sur cette doctrine abjecte, réfutée dans il y a de différences et même de contradic-
nos Recherches philosophiques, etc., et M. Da- tions
tic dans les recherches faites à la fois par
miron l'a remarqué elle anitnalisel'homme, fai de philosophes, et d'incertitude dans
tant
en n'offrant à ses désirs et à son activité que leurs
lei choix. La philosophie de l'éclectisme
des jouissances matérielles; elle laisse la di
dit l'auteur de l'Essai, plus diverse et plus
vertu souffrante sans récompense, le crime confuse, a plus de peine à se rallier à un nom
co;
heureux sans châtiment, la conscience sans et à un drapeau. Ce ne sont cependant pas
remords, l'homme sans avenir et sans con- les noms qui lui manquent puisqu'elle en
solation et comme elle ne voit d'autre bon- a, dans l'Essai de M. Damiron', plus à elle
heur que la vigueur corporelle, et nie tout seule
sei que les deux autres écoles ensemble
autre devoir que celui de la conserver, elle ni les drapeaux, puisqu'elle en a autant que
semble imaginée tout exprès pour les mé- de philosophes. Mais c'est tout à fait la faute
chants, que Hobbes appelle des enfants ro- de l'éclectisrue lui-même c'est à une école
«le
bustes. qui
qu sait ou croit savoir, et non à une école
La seconde école dans l'ordre suivi par qui
qu cherche et cherchera toujours qu'un
M. Damiron, est l'école théologique, spiri- ho
homme supérieur peut attacher son nom et
tualiste ou catholique (car il lui donne ces soi drapeau. Ainsi, continue M. Damiron,
son
trois noms), et que nous appellerons l'école l'éclectisme nest pas le même dans tous les
l'ét
temps; il dépend des opinions au milieu des- Catholique est aussi positif qu'il est possible
quelles il intervient; aujourd'hui il se trouve qu'il le soit, fondé sur une révélation écrite,
entre le sensualisme et la théologie; il consiste, transmise jusqu'à nous d'âge en âge par la
de la législation
par conséquent,dans un spiritualisme ration- tradition, base universelle
nel. Bien des différences séparent sans doute de tous les peuples, conservée fidèlement
ies écrivains assez nombreux que nous ran- par le plus ancien peuple qui subsiste en-
les nations
geons dans cette classe. Outre le génie, qui core sous nos yeux, reçue par
n'est pas le même il y a encore des questions les plus éclairées et les plus fortes, comme
qui sont loin d'écre identiques; mais ce qui le fondement de leurs croyances, et défen-
ieur est commun à tous est de ne prendre leur due par les plus beaux génies. Qu'ajou-
doctrine ni dans le système de la sensation, ni terez-vous à ce système pour le rendre plus
.dans celui de la tradition {de la révélation) positif et plus complet? Le ferez-vous pen-
mais dans un. système moyen, qui, plus large cher vers le sensualisme? Mais, dans ce
que le premier et plus positif que le second, système l'homme est une intelligence servie
s'attache bien moins à repousser qu'à modifier par les organes, et dans ces organes, servi-
i'un et l'autre, moins à le~ nier tous les deux teurs ou ministres de l'intelligence est toute
qu'à les compléter, les éclaircir, et à leur la matière que le système spiritualiste peut
.emprunter avec critique ce qu'ils peuvent admettre.
avoir de vrai. Et puis, dans quelle proportion, quelle
Ainsi l'éclectisme n'est pas proprement dose si je peux ainsi parler, prendrez-vous
à l'autre ? Ils sont, cha-
une doctrine, mais il est en quelque sorte de l'un pour ajouter
deux doctrines; il n'est pas un système suivi cun dans leur genre, deux systèmes absolus
dans toutes ses parties, il dépend des opi- et il ne peut y en avoir d'autres; deux sys-
nions au milieu desquelles il intervient au- tèmes complets, positifs l'un dans l'affir-
jourd'hui il se trouve entre le sensualisme et mation de la seule substance corporelle,
le spiritualisme, demain il peut se trouver l'autre dans l'affirmation de deux substances,
peul-être entre l'illum.inisme de Saint-Mar- corporelle et spirituelle, qui composent
tin et celui de Swedemborg. Bien des diffé- l'être humain; deux systèmes diamétrale-
rences séparent les nombreux écrivains que ment contradictoires, et, pour en composer
nous rangeons dans cette classe; mais ce qui .un tiers système, un système moyen qui ne
leur est commun à tous est de ne prendre leurs soit ni l'un ni l'autre et qui soit tous les
.doctrines dans aucun des deux autres systè- deux, vous chercherez en vain, vous vous
mes, mais dans un système moyen plus large condamnerez, comme les
Danaïdes, à rem-
que l'un, plus positif que l'autre, et qui s'at- plir un tonneau sans fond vous
chercherez
tache moins à les nier qu'à les compléter. toujours et vous ne choisirez jamais de
Cette explication du système éclectique manière à faire un corps de doctrine un et
n'est pas très-philosophique, au moins dans lié dans toutes ses parties et universellement
l'expression. Que signifie en effet rendre plus reçu et prenez garde que, tant que vous
large.le système matérialiste, et plus positif cherchez, vous n'êtes que des sceptiques;
le système théologique ou religieux, et les dès qu'une fois vous aurez choisi, vous n'ô-
compléter tous deux? Le système matéria- tes plus éclectiques.
liste est aussi large qu'il peut l'être; il est Et c'est ici que se montre la grande erreur
surtout simple et complet; il n'admet qu'une de l'éclectisme. La pensée a été donnée
substance, la matière, et il en fait tout et à l'homme comme instrument, moyen,
même l'intelligence; il en fait son Dieu et produit de son activité intellectuelle, de
son homme. Rien certainement de plus sim- même que ses organes lui ont été don-
ple et de plus complet. Lui ajouterez-vous, nés comme instrument et moyen de son
pour le rendre plus large, une âme distincte activité corporelle. L'homme doit nourrir ses
des organes? ce ne sera plus le matérialis- organes, pour les faire vivre et croître il doit
me, mais le système opposé, qui admet les les exercer, pour les fortifier et les rendre
deux substances.Ne lui ajouterez-vous qu'un propres au service qu'il en attend mais il
peu d'âme et retrancherez-vous quelque prend toujours au dehors de lui-même, et ce
chose à son organisme? il n'en sera qi plus qui accroît leur substance, et ce qui exerce
large ni plus complet, et, d'odieux qu'il est, leurs forces. L'homme doit également nour-
il deviendra .ridicule. 'u rir son esprit par l'étude, l'exercer et le
D'un autre -côté le système religieux du fortifier par le travait, mais c'est aussi tou-
9 PART. I. ECONOM. SOC- PRINCIPE COSST. DE LA SOCIETE. 10
jours hors de lui-même qu'il doit chercher
les matériaux de ses études et les objets de
saire. « Toute
saire- <
«M^tivit/ et toute,
Tnnt* subjectivité ^n^i«;
tn,,t, réflexivi-
té expirent dans la spontanéité de l'apercep-
ses travaux et, pour cela, la religion, la tion; )> mais la lumière primitive est si pure,
morale, la jurisprudence, la politique, l'his- qu'elle est insensible. C'est la lumière réfléchie
toire, les sciences les arts la nature, J'uni- qui nous frappe, mais souvent en offusquant
uivers tout entier, sont à sa disposition: de son éclat infidèle la pureté de la lumière
Tradidit mundum disputationi eorum. (Eccle. primitive. La raison devient bien « subjecti-
m, 11.) Les éclectiques, au contraire, ne
ve y> par son rapport au « moi » volontaire et
prennent qu'en eux-mêmes l'objet et le sujet libre, siège et type de toute « subjectivité; »
de leurs pensées, et ne pensent, si je peux mais, en elle-même, elle est impersonnelle, et
parler ainsi, que leur propre pensée. Leur n'appartient pas plus à tel « moi » qu'à tel'
science philosophique est la science du moi, autre « moi » dans l'humanité. Elle n'appar-
mot qui revient si souvent dans leurs écrits; tient pas même à l'humanité, et ses lois ne re-
ilsn'étudientqueleurconscience,qui ne veut lèvent que d'elle-même.
dire, en langage philosophique, que la scien- J'avoue avec une entière sincérité que,
ce de soi, sui scientia. Ce sont donc des ou- quoique assez accoutumé à des études sé-
vriers sans ouvrage, qui ne travaillent que rieuses, je ne comprends pas un mot de ce
sur leurs outils; labeur ingrat, plaisir sté- long passage et, si d'autres moi en pénè-
rile, qui ne saurait produire, et dessèche trent le sens, il est pour le mien d'une obs-
l'esprit sans le féconder vaine contempla- curité désespérante. Encore un exemple-
tion de soi-même, qui ressemble à cette pris dans le même auteur. Dans tout et par-
occupation des solitaires du Mont-Athos,, qui, tout, Dieu revient en quelque sorte à lui-
les journées entières, les yeux fixés sur même dans la conscience de l'homme, dont il
leur nombril, prenaient pour là lumière in- constitue indirectement le mécanisme et la
créée les éblouissementsde vue que leur cau- triplicité phénoménale, par le reflet de son
sait cette position. J'avais en adoucissant propre mouvement ou de la Ir.iplicité substan-
l'expression, caractérisé d'une manière vraie tielle, dont il est l'identité absolue.
et énergique cette dangereuse habitude de Tout fait individuel est un concert de deux
l'esprit. M. Damiron a trouvé ce rapproche- parties, dont l'une est entièrement indivi-
ment ridicule ce n'était pas là son défaut. duelle et déterminée par elle-même, et la se-
Aussi l'éclectisme qui prend dans la conde, individuelle et déterminée par son con-
conscience son premier principe comme le tact avec lapremière, n'est cependant, consi-
matérialiste le prend dans la sensation, se dérée en elle-même, ni individuelle, ni dé-
produit dans ses écrits par une expression terminée.
vague, obseure, aride, abstraite, sans cou- En veut-on un autre exemple, tiré du plus
leur et sans vie; et je doute que personne, littéraire, au moins dans son style, des phi.
hors leurs auteurs ou leurs traducteurs, ait pu losophes qui composent la galerie de M. Da-
lire jusqu'au bout, sans une extrême fatigue; miron ? Au reste, celui-ci est plutôt de l'é-
les nombreux ouvrages sortis de l'école cole sensualiste, selon l'auteur de l'Essai.
éclectique, ou écossaise. En voici des exem- Quant à la volonté, son point de départ est
ples pris au hasard Plus que jamais fidèle à la faculté élémentaire, ou le désir, comme
la méthode psychologique, dit un célèbre pro- l'attention est le point de départ de la faculté
fesseur de cette école, au lieu de sortir de élémentaire de l'entendement le désir engen-
l'observation, je m'y « enfonçai » davantage; dre, comme l'attention, deux autres facultés,
et c'est parl'observation que, dans « l'intimité « ni plus ni moins, » savoir la préférence et
de la conscience, » et à un degré où Kant la liberté. La préférence est au désir ce que la
n'avait pas penétré sous la « relativité » et la comparaison est à l'attention, et la liberté est
« subjectivité» des principes nécessaires, j'at- à la préférence ce que la raison est à la com-
teignis et je démêlai le fait instantané, mais paraison. Comme les facultés élémentaires de
réel, de l'aperception spontanée de la vérité, l'entendement se compliquent des facultés se-
aperception qui, ne se réfléchissant pas immé- condaires qui interviennent dans leur
exer-
diatement elle-même, passe inaperçue dans cice, de même les trois facultés élémentaires
« les pro fondeurs de la conscience, » mais y de la volonté, savoir le désir, la préférence
est la base véritable de ce qui, plus tard, soùs et la liberté, se compliquent successivement
une forme logique, '< et entre les mains de la de diverses facultés secondaires auxquelles
réflexion, » devient une conception néces-elles donnent naissance, telles
que le repentir
qu'on peut appeler une religion humaine,
et la délibération. Le repentir naît à la suite
de la préférence.
veut se substituer à la religion divine, com-
(raisonnant ment, même avec l'appui des journaux popu-
Le repentir, dit M. Damiron
passage), n'entre dans les facultés laires dont se vante l'éclectisme, peut se
sur ce pas populaire la foi à une doctrine, ou
intellectuelles de l'auteur que nous venons de rendre
faculté, selon Con- plutôt à des opinions si diverses, si confuses,
citer, quoiqu'il soit une
selon l'auteur cité, le repentir si peu unanimes, exprimées dans un langage
dillac mais,
si abstrait, si vague, si peu populaire? Si
appartient à la sensibilité la délibération
suit la préférence et précède la liberté. On elfes pouvaient être comprises, elles ne
feraient qu'un peuple de chercheurs, qui
peut d'abord préférer sans avoir délibéré;
l'acte de préférence été suivi du n'aurait rien de fixe dans ses dogmes, rien
mais st a re-
d'arrêté dans des croyances qui ne parlent
pentir, on ne préfère pas de nouveau sans ni à l'esprit, ne présentent à
ni au coeur
délibérer. Or, la préférence après délibéra-
aucun sentiment, et n'entretiennent
tion, c'est la préférence libre, la liberté. l'un
liberté, voilà les trois fa- l'autre que de doutes et d'incertitudes 1
Désir, préférence, Damiron, les prodiges de la
cultés réelles; leur réunion est la volonté.
Voyez, dit M.
société chrétienne elle n'a dans l'origine de
Mais, comme la réunion de plusieurs facultés
n'est puissance que sa foi mais sa foi lui vaut l'em-
n'est point une faculté réelle, la volonté
faculté mais faculté pire. C'est que les Chrétiens ne cherchent
point une propre, une croire, c'est savoir. Les
nominale, un signe, ainsi que l'entendement, pas, ils savent; car
et rien de plus.
nations, dit encore M. Damiron, ne sont que
préven- qu'elles croient. Que serait donc la nation
Je le demande à tout homme sans ce
l'éclectisme?
tion, qu'a-t-on appris, que sait-on, quand qui croirait à
pâli cet étrange enseignement? Au reste, les éclectiques ont eu une preuve
on a su.r de l'obscurité, de l'in-
qu'en reste-t-il dans l'esprit? quelles notions récente de la faiblesse,
système: les journaux
utiles et distinctes a-t-on acquises? pense- cohérence de leur l'Académie avait pro-
t-onque l'intelligence soit plus éclairée parla nous ont appris que
prix annuel, l'explica-
subjectivité et la réflexivilé, par la lumière posé, pour sujet de n'a répondu
primitive ou la lumière réfléchie; ou que cation de l'éclectisme. Personne pouvait y répondre:
J'esprit, même le plus ordinaire, ait besoin à l'appel, et personne ne de mot.
d'étudier toute cette généalogie de désir, de c'est une énigme qui n'a pasreligieuse parla-
préférence, de liberté, de volonté, pour dé- Avant de passer à l'école
sirer, préférer, vouloir et agir ? Cette dissec- quelle nous terminerons cette dissertation,
sur le rapprochement
tion de la faculté intellectuelle en apercep- il convient de s'arrêter
fortunes diverses
tion, intuition, perception, réflexion, obser- qu'a fait M. Damiron des
France, avec les
vation, etc., lui servira-t-elle de quelque des écoles de philosophie en
révolution. Ce rappro-
chose pour apercevoir, concevoir, observer, diverses phases de la
honneur à l'é-
réfléchir et juger? et cela ne ressemble-t-il chement ne fera peut-être pas
de certaines personnes;
pas un peu aux leçons ;de grammaire que te clectisme aux yeux chez une nation
maître de langue donne, dans les comédies mais, comme la philosophie
de Molière, à M. Jourdain? Autant vaudrait avancée fait partie de sa
littérature, il en
démonstration de
soutenir que l'homme a besoin, pour digérer résultera une nouvelle
ses aliments, de connaître le mécanisme de cette
vérité avancée ailleurs par l'auteur de
la digestion ou, pour marcher, d'avoir étu- cet écrit Que la littérature est l'expres-
dié les lois du mouvement. sion de la société.
M. Damiron reproche sans cesse de la En effet, M. Damiron montre le matéria-
poésie au système religieux qu'il appelle lisme tout-puissant aux premières époques
tbéologique, comme si la poésie était con- de la révolution, sous le règne de l'anarchie
damnée à ne pas raisonner. Assurément on et de la terreur. Alors la force physique ré-
partie
n'accusera pas l'enseignement éclectique gnait seule, et la société livrée à la
d'être trop poétiqua. matérielle et populaire de la nation, n'était
Mais si, comme le dit M. Damiron, chez occupée qu'à ravir ou à disputer des intérêts
les nations la foi fait tout; si l'histoire de> matériels.
A la restauration, continue M. Damiron,
la philosophie est celle des croyances; si lat
déclare. L'école éclectique et l'école théo-
philosophie n'est que la foi des peuples réflé- tout se
chie et expliquée si enfin la philosophie, logique se constituent l'une et l'autre. Mais
wu u a.mw:m mr w.-a UV"'4-I.I. ·y
la première, faible encore, sans principes bien l
lisme répond, sous le directoire et sous l'em-
arrêtés, dispose les esprits plutôt qu'elle ne les pire, le peu de foi aux choses morales, la Gor-
gouverne, elle commence à percer, mais ne ruption
7 des consciences,leur servilité, la con-
rïqne pas encore.. La sèconde, au contraire duite
c brutale du pouvoir, le matérialisme des
(l'école religieuse), pleine de force et d'éclat, arts
c et le dédain de la religion. Quand, à
et comme armée de toutes pièces, a d'abord une sson tour, le catholicisme réparai (avec la mo-
action assez vive et assez étendue par le clergé narchie), et entre en scène avec « l'éclat et l'ap-
qui la propage, et le pouvoir qui la favorise, pui des noms qui le soutiennent, « tout s'en
Elle a bientôt un public mais ensuite elle ressent;
r » aussitôt la foi semble renaître, elle
défaille et commence à perdre crédit. Aujour- gagne le pouvoir, passe dans les arts et dans
(,

dhui « elle est peu puisgante. » De son côté, les`mceurs,


1 etc.
l'éclectisme a grandi et s'est développé il a Ainsi le système matérialiste s'allie na-
gagné sur tous les points, et le grand nombre turellement
t à l'anarchie et à ses désordres;
est à lui. Il a presque passé dans les journaux le système catholique ou religieux, à la mo-
et dans les plus populaires preuve qu'il ar- narchie
i et à l'ordre. L'éclectisme, qui ne.
rive à l'empire. repousse ni n'admet le matérialisme et le
Est-ce l'histoire de la philosophie,
n'est-ce pas plutôt celle de la société poli-
ou j
spiritualisme, qui ne nie ni l'un ni l'autre et
les modifier tous deux et les compléter,.
«veut
tique que nous venons de présenter? AJa est
( donc forcé de tenirle milieu entre l'ordre
restauration, la monarchie commence, et < le désordre, entre le bien et le mal, comme
et
avec elle l'ordre, la paix, la religion, tous les la
] démocratie, à laquelle il s'allie, veut tenir
bienfaits de l'état véritablement social, mêlés ]le milieu entre la monarchie et l'anarchie:

cependantde l'élément populaire déposé dans système d'entre-deux, comme dit Pascal,
la constitutionécrite dans la Charte. Le s/s- entre le vrai et le faux; système moyen ou
tème de philosophie catholique ou religieuse mitoyen, système faible tant que l'Etat in-
commence donc avec la monarchie, et tend cline vers la monarchie plus que vers sa ri-
avec elle às'étendre et à s'affermir. Toutefois vale, qui grandit, prend de la force, et se
s'élève àcôtéd'elle,timide encore et sans force, développe à mesure que la démocratie prend
la philosophieéclectique.L'espritetla tendan- le dessus, et lorsque la société politique, in-
ce monarchiques s'affaiblissent; laphilosophie certaine de sa route, cherche aussi à choisir
religieuses'affaiblitavecla monarchie: l'uneet entre la monarchie et ^la démocratie. Ainsi
j'autre défaillent h la fois iadémocratie gagne l'éclectisme politique, qui fait le fond de
du terrain; l'éclectisme, son contemporain, toutes les constitutions modernes, et l'éclec-
son compagnon, ou plutôt son complice, gran- tisme philosophique, s'appuient mutuelle-
dit avec elle et se développe. II gagne, commement, introduits l'un et l'autre par de faibles
elle, sur tous les points; le grand nombre estpolitiques et de faibles philosophes, qui
à lui; il passe dans les journaux les plus po-croient que la vérité est un milieu, comme
pulaires, preuve qu'il arrive à l'empire; et la vertu aussi incapable d'éclairer les peu-
preuve que nous arrivons à l'anarchie, sui- ples qu'impuissants à les gouverner.
vant la remarque faite à la tribune par un Si nous voulions aller plus loin, et cora»
de nos derniers ministres, M. de Martignacj parer les divers systèmesphilosophiquesaux
et je m'étonne que, pour l'honneur de son aiverses religions, comme nous, les avons
éclectisme, M. Damiron n'ait pas répudié cette
comparés aux divers gouvernements poli-
honteuse alliance avec les journaux populai- tiques, nous trouverions que le système de
res, ces organes furibonds de la démocratie. philosophie sensualiste ou matérialiste qui
Au reste, je doute que les philosophes an- nie l'intelligence humaine,, n'est que l'athé-
ciens, même les éclectiques, et Cicéron le isme qui nie l'intelligence divine; que le
premier de tous Cicéron qui disait Mihi système religieuxou catholique est le théisme,
nihil unquam populare placuit, eussent atta- qui croit à l'existence de Dieu, et à la réali-
ché tantde prix à la popularité de leur phi- sation d.e l'idée abstraite de la Divinité, par
losophie. Horace n'en voulait pas même pour sa présence réelle au milieu des hommes,
sa poésie. au Verbe incarné, Dieu du. genre humain,
Odi profanum vulgus et arceo. comme dit M. 'Cousin; et que J'éclectisme
tCarmin., lib. m, od. 1, vers. 1.)
qui ne rejette ni n'admet le matérialisme et
le spiritualisme, mais prend de tous les deux,
Ainsi, continue M. Damiron, ait sensua- conduit au pur déisme qui modifi&ralhéisme
en admettant' l'existence de la Divinité, et même, pour ce qui concerne M. de Bonald,
modifie le catholicisme en niant la réalité de avec
i exagération sur les talents, le génie, Vé-
sa présence au milieu des hommes, et son rudition,
î l'éclat de style des écrivains de l'é-
influence sur les destinées humaines. cole
< religieuse. Il n'eu dit pas tout à fait au-
Ainsi l'éclectisme philosophique admet tant des écrivains des autres écoles pas
un Dieu sans action dans la société et l'é- même, sans doute par modestie, de celle à
clectisme politique veut des rois sans in- laquelle
1 il appartient. Quelques lecteurs
fluence et sans pouvoir. pourraient
1 prendre au pied de la lettre les
Les systèmes de philosophie sont des éloges
< qu'il donne au style des écrivains ca-
croyances, ou, comme je l'ai déjà dit, des tholiques
t et en concevoir des préventions
religions humaines et les philosophes qui contre
c les systèmes opposés. Quand on veut
en sont les prêtres sont jaloux du pouvoir et décrier
c le fond, il ne faut pas tant vanter la
de l'influence des prêtres qui enseignent des forme.
croyances divines et les longues disputes Il est vrai que, par compensation, l'école
de la philosophie et de la religion tfont pas religieuse
r compte bien moins de noms que
un autre principe. 1les deux autres surtout que l'école éclecti-
Je passe à l'école de philosophie spiritua- que q mais, si M. Damiron aime les noms
liste ou religieuse, sur laquelle je m'élen- propres, l'école religieuse pourrait revendi-
drai davantage, comme appartenant spé- quer q les noms des Pascal des Leibnitz, des
cialemerit aux matières traitées dans cet IE 'er,desCh.Bonnet,etdetantd'autresquiont
ouvrage. é de l'école théologique et catholique sans
été
M. Damiron l'appelle aussi école catholi- êêtre théologiensni môme tous catholiques; et
que, et nous donne le droit d'appeler protes- ces c noms, elle pourrait les opposer, sans trop
tante l'école éclectique ou écossaise et ef<- de d désavantage à tous ceux qu'a cités
fectivement, fidèle audogme calviniste, cette M. S Damiron.
t'cole ne voit qu'inspiration et sens privé, là Cet écrivain voit beaucoup d'att et [d'arti-
où l'école catholique croit une véritable et fice
fi dans le style de M. de Bonald, qui n'en a
réelle révélation. jamais mis dans son style, pas plus que dans
Ainsi la philosophie catholique est une ssa conduite; et, s'il y à un mécanisme si sau-
philosophie d'autorité générale, et l'éclec- vantv et si curieux dans sa phrase, il a fait,
tisme est une philosophie de raison indivi- ccomme M. Jourdain, de la prose sans le sa-
duelle mais que 'peut vouloir l'éclectisme voir. i> M. Damiron voit aussi de grands res-
autre chose que faire de sa raison indivi- sentiments
s dans les écrits de M. de Maistre,
duelle une autorité générale, qu'il trouve eet dans ceux de M. de la Mennais de grands
toute faite dans la philosophie catholique ?7 ddégoûts et une grande mélancolie. Il n'y a
r de tout cela dans aucun de ces écrivains,
Dans l'école de philosophie religieuse ou rien
catholique, il y a unité de vues et de systè- maisc un grand amour de la vérité et il se-
mes entre ses défenseurs seulement les rait r plus raisonnable et plus vrai d'attribuer
uns ou les autres font des applications par-' à la supériorité de la cause qu'ils défendent,
ticulières et en quelque sorte spéciales des les différents mérites de leur style, la force
principes qui leur sont communs; M. de dde leurs pensées, et même le ton ferme et
Maistre à la religion, M. de Sonald à la po- hardi
'J de leurs écrits (t).
litique, M. de la Mennais à la philosophie, L'éclectique prend donc en lui-même et
M. d'Eckstein à l'histoire.
ddans la conscience son premier principe,
On remarquera peut-être que M. Damiron ccomme le matérialiste le prend dans la sen-
s'étend, ce semble, avec complaisance, et sation.
si

(1) On me permettra de relever ici une'injustice, dd'un projectile, et que l'autre rappelle au juge l'idee
à mon égard, de M. Damiron. A propos de ce qu'a morale
nr qu'il sera jugé lui-même par celui qui juge
écrit mon illustre ami le comte de Maistre, sur l'exé- le justices. La religion ne nous dit-elle pas que
les
cuteur des jugements puhlics, M» Damiron appelle nnous serons tous jugés par le Juge suprême, et la
affreusement religieux ce que j'avais dit à la chambre peine
p' de mort qu'infligent les jugements humains
des pairs, que punir un coupabledu dernier
puce
sup- {((celte peine,
c'était le renvoyer devant son juge naturel,
qu'innocents ou coupables, nous
Trouve-t-il plus humain le mot usuel chez les An- sommes tous condamnés à subir), est-elle une ex-
si
gtats, qui disent dans la même circonstance lancei ppiation suffisante d'une vieentiêre de crimes et d'une
multitude
m d'assassinats: et le doux Fénelon ne dit-
un homme dans l'éternité? Il y a cette différence, il pas que c'est un bienfait pour les méchants que
que le mot anglais ne présente que l'idée physique d, les rentettre dans l'ordre par le supplice ?
de
PART. I. ECOiNOM. SOC.- PRINCIPE CONST. DE LA SOCIETE.
1.7
=.a. "Vl1..
a. vvu.-a aaa. 18
Ainsi tous les: deux le prennent dans dans le fait incontestable des enfants qui,
l'homme mais le philosophe catholique le nés chez les sauvages ou chez les peuples
prend hors de l'homme et en Dieu et certes, policés, parleront indifféremment les lan-
quand on reconnaît l'existence de la Divi- gues barbares des peuplades américaines,
nité, il faut la bannir de sa pensée, ou la ou les langues polies des nations européen-
placer à la tête de l'homme, de la société et nes, et n'en parleront conséquemment au-
de l'univers Ab Jove principium, disaient cune, si aucune n'a pu frapper leur ouïe ?
les païens.
Cette preuve, je le sais, paraît à nos sa-
C'est donc de la révélation (s'il y a une vants trop vulgaire et pas assez rationnelle
révélation, dit M. Damiron), et non de l'ins-
piration que les Catholiques, je le répète, ou scientifique; et une vérité sur laquelle
on ne peut disputer, et qu'on ne peut con-
laissent aux protestants, que partent, comme tredire, ne doit pas prendre rang dans leur
d'un premier principe, les partisans de cette philosophie. En toute autre matière, ils ne
doctrine; et, comme Archimède, ils deman- veulent pas croire à ce qu'ils ne voient pas;
dent un point d'appui hors du monde pour dans celle-ci, ils refusent de croire à ce qu'ils
le soulever. Cette révélation, orale pour la voient, et, pour échapper à cette preuve
première famille, et plus tard écrite pour la irréfragable de la transmission primitive du
première société publique, a été conservée langage, ou plutôt à ses nombreuses et na-
par ce même peuple miraculeusement sub- turelles conséquences, quelques-uns sesont
sistant au milieu de nous, et transmise jus- jetés dans les hypothèses les plus monstrueu-
qu'à nous d|! génération en génération par
ses ils ont imaginé des myriades de siècles
les monumeîps historiques ou traditionnels pendant lesquelles l'homme, par le moyen de
les plus authentiques, et par le monument circonstances favorables, aurait pu naître du
de tous le plus authentique, l'établissement limon de la terre échauffé par les rayons du
de la religion chrétienne, qui a été le der- soleil, d'abord imperceptible animalcule,
nier développement de la révélation primi- puis insecte, poisson, bipède ou quadru-
tive, et dont l'état extérieur et politique s'ap- pède, homme enfin et, dans cette hypothèse
pelle la chrétienté, réunion et comme confé- il était aussi facile de faire l'homme inven-
dération des nations les plus puissantes et teur de son propre langage, que d'avoir fait
les plus éclairées qui furent jamais. le soleil créateur de l'homme. C'est ce qu'on
appelle de la science.
Cette révélation, que MM. ile Maistre, de
la Mennais et d'Eckstein ont considérée et M. Damiron ne partage pas ces extrava-
défendue comme une vérité de foi, religieuse gantes rêveries; mais, après avoir exposé
et historique, j'ai voulu en donner la preuve avec bonne foi mon opinion sur la nécessité
philosophiqueou scientifique,et j'ai soutenu de la transmission primitive du langage,
la nécessité physique et morale, physiologi- philosophe timide, mais consciencieux, n'o-
que et psychologique, si l'on veut, de la sant pas l'admettre et craignant de la rejeter,
transmission primitive du langage faite à il finit par demander: Que faut-il en penser
l'homme par un être nécessairement supé- Mais, pourrions-nous lui dire, philosophe,
rieur et antérieur au genre humain. vous vous présentez pour nous servir de guide
dans la recherche de la vérité, et au premier
Ce n'est pas, comme le dit M. Damiron,
pas vous nous demandez la route! Vous écri-
par l'autorité des Livres saints, qui ne le éclairer, et c'est de
disent pas, au moins directement, ni sur des vez pour nous la lumière! Mais c'estnous que
à vous-
attendez
recherches archéologiques que j'ai établi la vous
même nous demandons ce qu'il faut penser
nécessité de cette transmission primitive je de quedoctrine;
cette et puisque vous êtes éclecti-
m'en suis servi tout au plus pour en confir-
que, cherchez et « choisissez» entre les deux
mer la vérité. Mais quel besoin avais-je de opinions qui font de Dieu ou de l'homme l'in-
l'archéologie ou même de la Bible, lorsque
venteur du langage, celle que nous devons eni-
j'avais sous les yeux la preuve la plus visi-
brasser.
ble, la plus palpable, la plus évidente, la
plus populaire, la plus universelle, la plus A la preuve physique de la nécessité de
usuelle, de la nécessité de cette transmis- la transmission primitive du langage, tirée
sion, dans l'état des sourds-muets, qui ne du spectacle de la transmission journalière
sont muets que parce qu'ils sont sourds,. et que les hommes s'en font les uns aux autres,
el de l'absence de toute parole, ou du mu- goût,
g de l'étucation des sourd-muets, et qui
lis me absolu chez ceux qui n'ont pu recevoir tous le s'accordent à reconnaître que les sourds-
cette transmission à cette preuve physique, muets m n'ont point d'idées, parce qu'ils n'ont
dis-je, se joint la preuve métaphysique tout point p d'expressions.
aussi évidente de l'impossibilité de l'inven- De ces deux propositions ega.ement in-
tion de la parole par les hommes, qui, sans contestables,
& ou plutôt de ces deux faits,
parole ou sans expression, n'auraient pas l'un, 1' que les hommes ne peuvent parler
pu avoir même la pensée de l'invention et que q la langue qu'ils ont pu entendre l'au-
c'est ce qu'a très-bien aperçu J.-J.Rousseau, iitre, qu'ils ne peuvent, sans expressions
lorsqu'il dit que, tout considéré, la parole lui mentales
n ou vocales intérieurementou exté-
paraît avoir été fort nécessaire pour inventer rieurement
r prononcées, se rendre sensibles
la parole. leurs propres pensées, ni les rendre sensi-
Cette preuve n'est autre chose que l'évi- bles b aux autres, c'est-à-dire avoir la cons-
dente nécessité de la parole mentale ou in- cience c de leurs propres pensées et en
térieure pour s'exprimer soi-même ou se ddonner aux autres la connaissance; de
rendre sensible sa propre pensée, et de la ces c deux faits, dis-je, résulte, ce me semble,
parole vocale ou extérieure pour t'exprimer le h plus haut degré de certitude de, la vérité
et la rendre sensible pour les autres; et, que q j'ai voulu établir, savoir, la révélation
comme je l'ai dit dans les Recherches philo- faite f< à l'homme par Dieu même, vérité si
sophiques, sous une forme plus abrégée, la universellement
v reçue, qu'une révélation
nécessité de penser sa parole avant de parler quelconque,
q sous une forme ou sous une
sa pensée, aautre, est le premier dogme «fe religions
C'est cette nécessité de la parole, pour de d tous les peuples, consentement de tous
exprimer sa pensée, qui a fait donner à des les 1 peuples dans un même sentiment, que
mots le nom usuel d'expressions; mais il Cicéron ( appelle la voix de la nature et la
faut observer que la parole n'est nécessaire preuve de la vérité a voxnaturœ et argumen-
que pour rendre la pensée aux choses mora- tum t veritatis. »
les, et non pour exprimer la pensée aux M. Damiron croit sans doute à une révé-

imagination, sous des images qui sont leurs yj a une révélation


expressions naturelles ou leurs représenta- puis

objets physiques qui se représentent à notre 1lation, quoiqu'il ait demandé plus haut, s'il
Dieu, dit-il, a produit,
l il a instruit, et le « rôle » de révélateur a
tions, des images qu'en peut figurer au de- dû < succéder à celui de créateur. Jusque-là
hors par le geste ou le dessin le geste, quii inous sommes d'accord, mais ici commence
est la parole de l'imagination, comme le des- un i autre système. Non, continue M. Dami-
tin en est l'écriture. ron, qu'en effet Dieu ait pris visage et corps,
M. Damiron ne sait trop que penser de et < se
soit « incarné » sous quelque forme;
cette nécessité de l'expression. Dans un en- tout ce qui se dit de semblable sur cette ma.
droit il dit: que l'homme ne peut avoir dess tière, est, à mon sens, « figure et poésie. » IL
idées sans mots; rien de plus constant. Danss n'a i point eu voix et langage, il n'a enseigné
un autre, cherchant à s'expliquer à lui-même 3 que sousvoile, et n'a révélé que par symboles.
comment l'homme a pu inventer son proprei C'est comme Père des lumières, comme auteur
langage, il suppose évidemment, comme3 de tout ce qui « est et paraît, » que, se mani-
les puissances de la nature
nous le verrons tout à l'heure, l'idée de3 festant par toutes
l'invention et toutes celles qui en découlent t tt tous les phénomènes de l'univers, il s'est
antérieures à l'invention même. fait « sentir aux dmes, il les a « inspirées. »
Cependant, pour le mettre à portée de see Ainsi, ajoute -t-H, s'est passée la révélation,
décider en connaissance de cause sur cettee du moins atnsi l'entendons-nous. M. Cousin,
question fondamentale, je lui indiquerai unn le patriarche de l'éclectisme, l'entend au-
écrit récent ( 1 ) sur l'intelligence des sourds- trement. Laraison,dit-il, est donc, àla lettre>
muets, dans lequel l'auteur a rassemblé less une révélation, une révélation nécessaire et
témoignages les plus décisifs, recueillis danss universelle, qui n'a manqué à aucun homme
les écrits des savants de presque toute l'Eu- et a éclairé tout homme venant en ce monde:
venientem in
rope qui se sont occupés, par devoir ou parr « Illuminat omnem hominem
Recherches sur >
les connaissances Montaigne. Muets. A Paris, chez Adrien le Clère imprimear-
tuelles des sourds-muets, par M. l'abbé Montaigne, libraire, rue Cassette, 29 in-8° de 80 pages.
ancien aumônier del'Institution royale des îSourds.-
i-
2'i ECONOM. SOC.- PRINCIPE CONST. DE LA SOCIETE.
PART. 1.
.W u u VVlIrJ;, LL .LJ.l'1, QVV11i1ü. 22
hunc mundum.
hune » (Joan. i, carlerde
i. 9.) La raison est le parler
p de vive voix ou par seste. ou
Dar geste, par écrit,
nar écrit.
« médiateur » nécessaire entre Dieu et l'hom- ej lui supposer, par conséquent, la pensée
et
me; le « logos » de Pythagore et de Platon, le e la réflexion à ce qu'on veut lui inspirer?
et
« Verbe fait chair, » qui sert d'interprète à Une
U inspiration absolument muette ne trou-
Dieu et de précepteur à l'homme, << homme à verait
v que des sourds.
la fois et Dieu tout ensemble. » Ce n'est pas C'est donc une loi générale de l'ordre
sans doute le Dieu absolu dans sa majestueuse moral et de la condition humaine, que

indivisibilité, mais sa «. manifestation en es- l'homme
l' ne puisse concevoir ou communi-
prit et en vérité; » ce n'est pas l'Etre des quer
q ses pensées que sous une expression
êtres, mais « c'est le Dieu du genre humain. » mentale
a ou vocale, et Dieu lui-même n'est-
Selon M. Damiron, il ne faut pas croire il pas soumis aux lois générales qu'il a éta-
que Dieu ait pu s'incarner prendre voix et blies
b ? C'est une loi générale de l'ordre mo-
parole; selon M. Cousin, homme à la fois et ral,
n comme c'est une loi générale de l'ordre
Dieu tout ensemble, médiateur entre Dieu et physique,
p que, dans le cercle, tous les points
l'homme, le Verbe s'est fait chair, et en cette d la circonférence soient également éloi-
de
qualité, s'est manifesté en esprit et en vérité; gnés
g du centre; et comme Dieu hn-mêrae
il est le Dieu du genre humtin, ie Dieu pré- nné pourrait faire un cercle sous une autre
sent à la société, et il a pu par conséquent condition,
& et que toute figure où tous les
se faire entendre aux hommes. Je pourrais points
p ne seraient pas à égale distance du
employer ici cesbelles paroles du Psalmiste centre,
& ne serait pas un cercle, un être in-
Qui plantavit aurem non audiet? qui finxit telligent
t< qui n'aurait pas besoin d'expres-
oculum non considerat? « Celui qui a fait sion
s ou de parolepour connaître ses propres
l'oreille n'entendra pas ? celui qui a fait l'œil pensées
p et les transmettre au dehors, serait
ne verra pas? » (Psal. xchi, 9.) Et l'on peut tout
t( ce que l'on voudrait, mais ne serait pas
ajouter, celui qui a pu donner à l'homme l'homme
l' tel que nous le connaissons.
voix Qt parole, ne parlera pas 1 M. Damiron Cette nécessité de la parole révélée est
ne voit que figure et poésie dans ce que nous exprimée
e dans les Livres saints, dont j'in-
croyons touchant la révélation faite à l'hom- voque
v ici l'autorité, non pour établir, mais
me; mais n'est-ce pas aussi figure et poésie, pour
p confirmer la vérité de mes proposi-
plutôt que philosophie, que cet enseignement tions.
ti Ecoutez sainLPaul Deus olim loqueni
sous voile, cette révélation par symboles, ce patribus
p in prophetis, novissime diebus istis
Père des lumières, auteur de tout ce qui est et locutus
1( est nobis in Filîo. (Hebr. i, 1. ) Et
paraît, -qui se fait sentir aux âmes et les ailleurs
a Fides ex auditu; quomodo audient
inspire par toutes les puissances de la nature sineprœdicante
si ? (Rom. x, 17, 14..) « Dieuqui a
et tous les phénomènesde l'univers Ces voi- parléautrefois
p à nos pères par les prophètes,
les, ces symboles, ces puissances, ces phé- ddans
d ces derniers temps, et denos jours, nous
nomènes qui se font sentir, expriment-ils aparlé
a parson Fils. La foi vient par l'ouïe;
des idées bien nettes, bien rationnelles, et comment
c entendront-ils la vérité, si on ne la
ne rappellent-ils pas plutôt l'idée d'une sen- leur
li annonce ? »
sation que celle d'un sentiment ? Prenez Je sais bien que, dans les écrits ascéti-
garde que dans tout cela, il n'y a encore ques,
q et en générai dans les ouvrages reli-
point de parole, point d'expression, parcon- gieux,
g on parle aussi d'inspiration; mais ce
séquent point de pensées; tout est pour les n'est
n pas au sens que l'entendent les protes-
yeux, rien pour l'intelligence; et s'il ne tants,
ti et que l'entend M. Damiron c'est,
faut que des yeux, l'homme le plus stupide ddans l'intention de ces écrivains, une ex-
peut aussi bien s'élever à l'idée du Créateur pression
li figurée, qui ne signifie qu'une at-
et du Révélateur que l'homme le plus t
tention plus intime aux vérités révélées.
éclairé. Mais 'de quelque manière que M. Mais, il faut bien le dire, ce n'est pas le
Damiron entende l'inspiration, à moins qu'il principe de la révélation qui épouvante nos
n'en lasse quelque chose de semblable à ce philosophes,
p ce sont les conséquencesqui en
qu'on appelle dans l'école une prémotion ddécoulent naturellement,c'est non-seulement
physique, une sensation, l'infpiration suppose 1l'existence d'un être antérieur et supérieur

la pensée qui la reçoit, comme la pensée à l'homme, mais sa manifestation aux hom-
suppose des paroles qui l'expriment; et, r
mes en esprit et en vérité, c'est-à-dire en
quand on veut inspirer à. quelqu'un quel- âme
à et en corps; c'est là législation qu'il leur
que chose à dire ou à faire, ne faut-il pas lui aa donnée c'est, en un mot, toute l'écono-
mie de la religion chrétienne, fondée sur cces vagues « sensations, » ces notions irréflé-
l'incarnation et la prédication du Verbe fait chies,
t qu'on retrouve en soi-même dans tous
chair, base inébranlable sur laquelle s'est lles instants où l'on ne donne aucune attention
élevé le majestueux édifice du christianisme, àt ce qu'on voit, où l'on se borne à sentir et
qui s'avance à travers les siècles, et toujours i fait on n'en aurait pas d'autres si les cho-
de
attaqué, et aujourd'hui plus que jamais, tses en restaient toujours là. Mais, comme il
par toutes les erreurs de l'esprit, par toutes est
t inévitable que l'esprit vienne à réfléchir,
les passions du coeur, reste et restera iné- ài recueillir ces impressions, et qu'alors laper-
branlable à leurs atteintes, et, dans ses tré- ception
i est en lui plus ferme et plus « pro-
sors, recèle encore des sujets de consolation noncée,
i » ces pensées, ces mouvements intel-
pour ses enfants, et de confusion pour ses lectuels,
l deviennent plus forts, se produisent
ennemis. avec
c plus d'énergie, et sortent de lapure con-
Et qu'on prenne garde que, lorsque nous science
i pour pénétrer dans l'organisation.En
disons que Dieu a communiqué à l'homme y pénétrant, ils déterminent certains « mouve-
le don de la parole, et que, comme dit M. iments internes, » que suivent aussitôt les ges^
Damiron, il l'a instruit après l'avoir produit, tes
i d'attitude, la physionomie et la x parole.M
nous ne contestons pas qu'il ait pu le créer L'organe
i
vocal en particulier est très-propre.
parlant, au lieu de le rendre parlant après par son extrême souplesse, à bien recevoir et à
l'avoir créé; nous ne disons pas qu'il ait ïbien rendre ces impressions de l'dme. Il « ar-

reçu au premier moment une langue corn- rive donc » que les pensées se « mettent en
plète; nous disons seulement que l'homme, rapport
i » avec les mouvements organiques, et
au premier instant de son existence, a été principalement
j avec les sons, qu'elles s'y al-
instruit en pensées et en expressions, de tout lient et s'y unissent intimement. C'est au
ce qu'il lui était nécessaire de savoir et d'ex- point qu'on a peine quelquefois à les en dis-
primer et que l'homme ait été créé avec le tinguer, et qu'on croit les voir, les saisir, les
don de la parole, ou qu'il l'ait reçu après sentir réellement dans les phénomènes,qui
avoir été rréé, cette double hypothèse ne n'en sont cependant que les signes. Or, une
change rien au fait de-la révélation, prouvée telle alliance n'a pas lieu sans que ces actes de
par la nécessité d'une transmrsskta primi- l'espritne participent plus ou moins à la na-
tive et par l'imoossibilité de penser, sans ex- ture de ceux du corps. Ils « prennent quel-
pressions. que chose » de leur caractère et de leur al~
En attendant de savoir ce qu'il faut en lure ils deviennent plus positifs et plus
penser, M. Damiron, après avoir repoussé marqués; ils se « matérialise~at» en quelque
comme peu philosophiques les comparai- sorte, et sont alors des pensées qui, arrêtées
sons, qu'à l'exemple du plus célèbre philo- et fixées par l'expression, s'achèvent, se défi-
sophe de l'antiquité, j'avais employées pour nissent et se « changent » en idées claires et
faire entrer plus facilement ma pensée dans distinctes. « C'est ainsi qu'on pense au moyen
l'esprit du lecteur, essaye de donner de l'in- des signes, et surtout aumoyen des mots.» >,

ventiun du langage par l'homme lui-même, Que faut-il penser de cette explication,
une explication qui, dit-iJ, sera peut-être puis-je à mon tour demander à M. Damiron,
philosophique. Le lecteur en jugera la et qu'en' pense-t -il lui-même ? en
est-il
voici pleinement satisfait? ne trouve-t-il pas un
Quelles que soient l'origine et la nature peu précipitée la conclusion qu'il a tirée de
de l'esprit, on peut dire indépendamment ce long raisonnement, et que j'ai soùli-
de tout système, et sans s'exposer à être gnée ? Toutes ces locutions physiques qu'il
contredit par aucun, que cet esprit qui vit, emploie pour exprimer te fait moral de
sent et se meut en nous, est quelque chose l'invention du langage, ces forces, ces mou-
d'animé et d'acti f que c'est une force, une vements internes et intellectuels dont il parle
force intelligente de perception des pensées comme il parlerait de mouvements intestins
voilà les mouvements qui sont propres à cette et qui passent comme l'éclair, ces demi-pensées
force. Tant que ces mouvements sont purs, qui sortent ds la conscience et passent dans
simplement spirituels, dégagés de tout lien, l'organisation, cette parole, qui est, dit-il
de toute force matérielle, ils sont si déliés, si ailleurs, une sortie de l'esprit qui passe de
rapides, sipeu marqués, qu'à peine laissent- la conscience dans les nerfs, s'y projette pour
ils de trace dans'la conscience ils y passent ainsi dire, et s'y produit sensiblement au
comme l'éclair. Ce sont là ces « demi-pensées, » moyen du son et de la voix; ces pensées
qu'on cvoitvoir, saisir,sentirdansdesphéno- prodigieuse souplesse, se prêter, comme dit
mènes qui ne sont pas des signes, ces actes de M. Damiron, aux mouvements intellectuels,
l'esprit qui se matérialisent en quelque sorte, et produire spontanément le langage, com-
etc., tout cela lui paraît-il à lui même, et ment nos muets, au milieu de toutes les re-
dans la pensée et dans l'expression, bien lations de la société, qui donnent aux esprits
philosophique? Ces demi-pensées, ces vagues bien plus de mouvement et d'activité, entou-
sensations, si déliées, si rapides, qu'à peine rés d'êtres parlants et entendants, et en com-
laissent-elles -des traces dans la,conscience; merce continuel avec eux, malgré tous les
ces notions irréfléchies alors qu'on se borne bienfaits d'une éducation qui ne leur laisse
seulement à sentir, lui rendent-elles une pas les mots à inventer, puisqu'elle s'appli-
raison suffisante de l'art merveilleux du que à leur enseigner les mots d'une langue
langage articulé et de tous ses phénomènes? toute formée comment nos muets ne peu-
M. Damiron confond-il les idées et les ima- vent-ils pas même répéter cette parole, et
ges, les pensées et les sensations? Est-ce ne font-ils entendre que des sons inarticulés
qu'il y a des moitiés de pensées ou des qui les rapprochent bien plus de la brute
moitiés d'expressions? il n'y a pas encore le que de l'homme? Et encore il faut remar-
langage, et il veut que l'esprit réfléchisse, quer, comme une nouvelle preuve, que de-
recueille des impressions vagues et fugitives, puis le premier homme qui la reçut de Dieu,
qui ne laissent pas de traces dans la con- l'art de parier a toujours été transmis et est
science, et qu'alors la perception soit plus venu aux hommes, comme la vie, par suc-
forte et plus prononcée expression remar- cession que l'homme, même doué de tous
quable, qui échappeau philosophe etqui de- ses sens, ne parlerait qu'avec une extrême
vrait lui faire apercevoir qu'une perception difficulté, ou même ne parlerait pas du tout,
n'estprononcéeque lorsqu'on peut la pronon- si jusqu'à quinze ou vingt ans il était entiè-
cer ou la parler. Il faut pour cela que la con- rement séquestré de la société de ses sem-
science pénètre dans l'organisation com- blables, parce que son organe vocal n'aurait
ment se fait ou peut se faire cette action de plus assez de souplesse pour se prêter aux
l'être moral qui pénètre l'être physique ? La combinaisons infinies du langage arti-
conscience est-elle autre chose que l'intelli- culé.
gence qui réfléchit à ce qu'elle a fait, ce La production de l'esprit par la parole est
qu'elle fait ou veut faire, à ses devoirs, à ses comme celle des corps le résultat de l'action
fautes, etc.? et y a-t-il conscience, sui scien- simultanée de deux agents; et delà vient
tia, sans pensée et par conséquent sans ex- sans doute que les mêmes expressions s'ap-
pression ? Combien d'autres questions à pliquent aux deux opérations, et qu'on dit,
adresser à M. Damiron avant de lui accor- en parlant de la pensée, conception, produc-
der cette conclusion si peu préparée: C'est tion, fécondité de l'esprit, qénération des
ainsi qu'on pense au moyen des signes et sur- idées, etc.
tout au moyen des mois. Non, philosophes, vous ne dissiperez pas
Est-ce que M. Damiron compare le geste le doute de J.-J. Rousseau, que la parole lui
ou le dessin, signe de la pensée, aux choses paraît avoir été fort nécessaire pour inventer
matérielles, images ou figures que Jes Latins la parole. Jamais vous n'expliquerez autre-
appelaient signa, avec les mots qui ne sont ment que par une transmission primitive la
pas les signes, mais l'expression naturelle de merveille de la parole et le fait de sa trans-
ja pensée, ou la pensée exprimée et rendue mission journalière et lorsque vous nA niez
sensible? pas l'existence d'un Etre supérieur à l'hom-
Mais le raisonnement par lequel M. Dami- me, et que vous avez pour vous l'opinion de
ron veut expliquer l'invention du langage tous les peuples qui ont admis une révéla-
par l'homme lui-même, peut-il détruire ou tion, et l'exemple des nations les plus éclai-
seulement balancer le fait évident, palpable, rées et des plus beaux génies qui ont cru
visible comme la lumière du soleil, du mu- à celle que reconnaissent les Chrétiens
tisme qui n'a pour cause que la surdité, ou pourquoi vous égarer dans des hypothèses
''absence d'une langue transmise, pour ceux chimériques ou absurdes, supposer toujourss
qui ne sont pas sourds? Si l'organe des pre- ce qui est en question, et vouloir que la
miers inventeurs du langage, au temps de la pensée ait précédé la parole, lorsque, sans
plus extrême barbarie, puisqu'elle précédait parole, je le répète, l'homme ne pourrait
l'invention du langage, a pu, à cause de sa avoir eu même la pensée de l'invention?
27
Mais _·.r m,t.s ..1. 1. tj DE
OEUVRES COMPLETES
__it a créé l'homme parlant,
si la Divinité
ou lui a révélé l'art de parler après t'avoir
M. DE BONALD.
*rLJ 1TJU JJIJ .LPVSi.inLJLS.
Ts.o~ e'o!~te
ddans les Livres-
}pas '
saints? 9Malebranchen
28
Mra~hfonnh~ n yHaA
cherché sa métaphysique, ni Leibnit/ sa
ils ont pu se rencontrer avec les
créé, elle lui a donc donné aussi le merveil- Théodicée;
3
leux organe de la voix, et celui plus mer- lLivres saints, comme le feront tous ceuxqui
veilleux peut-être de l'ouïe, sans lesquels il s'occuperont
s à développer les vérités de
l'ordre moral mais, s'ils y ont trouvé la vé-
ne pourrait parler; elle a donc créé l'hom- 1

me intelligence servie par des organes; elle rité,


r on peut dire que c'est sans l'y chercher.
a donc créé tes organes sans lesquels il ne ]Et, lorsque de prétendus savants ont l'injus-
pourrait -parler, et l'activité de son intelli- ttice d'accuser la révélation d'arrêter les re-
gence serait sans action elle a donc créé cherches
c sur des objets de science ou de
l'univers, habitation de l'homme, et sans philosophie,
l je leur demanderai de quelles
lequel le genre humain ne saurait subsister, connaissances
c
nécessaires, ou simplement
Ces vérités, je le sais, ne se démontrent pas utiles,
i la foi à la révélation a borné les pro-
je demanderai à l'éclectisme ce qu'il a
de la même manière que le carré de l'hypo- grès
ç

ténuse, où les propriétés du cercle se dé- trouvé


t depuis qu'il cherche ce qu'il a pré-
montrent à nos yeux. et à notre esprit; mais féré
i depuis qu'il choisit.
elles se démontrent à la partie la plus élevée Je crois avoir démontré, dans les Recher-
de notre intelligence, à notre raison; elles ches
< sur les premiers objets de nos connais-
se démontrent avec la même certitude que sances morales, la nécessité physique et mo-
les vérités géométriques,par une suite d'in- rale
i de la transmission primitivedu langage,
ductions et de conséquences si naturelles et prouvée
] pour nous, pour tous les hommes,
si évidentes, qu'elles sont comprises par les tous
1 les temps et tous les lieux, par la né-
enfants et les hommes les plus simples; et cessité de sa transmission constante et jour-
si une science orgueilleuse demande qu'on nalière
] à tous les êtres humains, à mesuree
lui explique comment l'Etre incorporel a pu qu'ils arrivent à la vie sociale; prouvée par
agir sur la matière pour lui donner l'exis- l'impossibilité
] de parler où sont les hommes
tence et la forme, je m'engage à la satisfaire à qui la parole n'a été ni pu être transmise;
pleinement, si elle daigne m'expliquer com- prouvée encore par la nécessité de l'expres-
ment la volonté, qui est aussi quelque chosesion ou de la parole, pour penser aussi bien
d'incorporel, peut agir sur les organes, qui que pour parler, pour penser aux choses
sont aussi de la matière, sur la langue pour qui ne peuvent pas se présenter sous des
la faire parler, sur les mains pour les faire images ou figures, et pour en parler aux au-
agir, sur les yeux et les oreilles pour les tres. Personne, que je sache, n'a essayé de
faire regarder et écouter, sur le corps tout combattre ces deux propositions, et je ne
entier pour le transporter d'un lieu à un crains pas d'assurer que personne ne le ten-
autre et agir sur les organes non-seulement tera avec succès; et certes,
il faut bien qu'el-
incontestables, puisque, pour les
pour leur commander ce qui peut leur être les soient
utile ou agréable, mais pour leur comman- combattre, on s'est jeté dans l'hypothèse ri-
l'hom-
der la fatigue, la douleur, la souffrance, la dicule, si elle n'était monstrueuse, de
poisson ou d'in-
mort, oui, la mort; puissance de la volonté me né, sous la forme de
les rayons du
de détruire même ses organes, puissance de secte, de la terre échauffée par
l'homme sur lui-même, puissance incompré- soleil, etc.
hensible et qui n'a pas de modèle, si on Ces deux vérités une fois reconnues, il
les pensées dans
peut le dire, dans la puissance même de était naturel de chercher les
Dieu, qui ne peut rien contre lui-même, et l'expression, puisque nous ne pouvons
faire connaître
dont toutes les lois ne tendent qu'à la con- connaître nous-mêmes ni les
servation des êtres qu'il a créés. aux autres par un autre moyen, et les pen-
M. Damiron croit que la révélation une sées les plus
générales sous les expressions
j'ai fait, et
fois admise, tout ce qui n'y revient pas et n'y les plus générales. C'est ce que
ici sur le terrain de la méta-
est pas conforme, est réputé par les Chrétiensr nous entrons
physique ou de la philosophie transcen-
erreur et mensonge, sciences physiques, scien- qui est la connaissance des vérités
ces métaphysiques, sciences morales, etc. Mais dante,
différente des scien-
le philosophe peut-il ignorer que nous n'é- les plus générales, bien
chacune s'attache
tudions pas dans les Livres saints les scien- ces proprement dites, dont
physiques, quoique sur plusieurs points à considérer et à développer quelque vérité
ces chrono-
l'observation ait confirmé les faits exposés particulière, historique, politique,
logique, géométrique astronomique, bota- ce
( moi, mille fois répété, ne peut être ni
nique, zoologique, etc. dire
c nous et quel est le moi qui puisse dire
Ces expressions les plus générales, puis- t
nous, si ce n'est un moi général, un moi
qu'elles comprennent absolument tous les pouvoir,
1 un homme enfin, qui représente
êtres et leurs rapports les plus généraux, tous
t les autres l'homme roi dans une so-
une fois trouvées dans là langue la plus vraie ciété,
c L'HOMME DIEU dans l'univers ?
et la plus exacte qui fût jamais, j'en ai fait C'est, je le répète, de la philosophie, et la
l'application à la société c'est-à-dire à ce seule
s vraie, la seule positive, la seule qui
qu'il y a de plus général dans nos concep- explique
e i'homme social, et qu'on ne peut
tions, puisqu'il comprendaussi tous les êtres considérer
c hors de la société.
intelligents et sociaux. Ni la philosophie des sens, ni celle du
J'ai donc cherché les caractères généraux, ddoute, qui cherche et qui cherchera toujours,
naturels ou nécessaires, permanents, par r peuvent convenir à l'âge avancé de la so-
ne
conséquent, et indestructibles, de la société ciété.
c La première étrangère à l'homme rno-
en général et des sociétés en particulier, et r et qui ne voit dans l'homme que la partie
ral,
de toutes les sociétés; caractères plus ou animale
a et matérielle, n'est au fond que le
moins explicites et développés suivant les chapitre
c homme d'un traité de zoologie; l'au-
divers états de société, et d'où naissent des t est en arrière de dix-huit siècles sur le
tre
rapports entre les êtres semblables quicom- t
temps présent. Il n'y a plus, depuis l'éta-
posent chaque société, rapports domestiquas blissement du christianisme, d'autre philo-
h
ou publics, religieux ou politiques, géné- sophie
s raisonnable que la philosophie reli-
raux ou particuliers, universels ou locaux gieuse,
g et c'est une grande vérité, même
et partout j'ai retrouvé ces caractères sans philosophique,
P que ces paroles d'un Père
effort, sans subtilité, et leurs diverses ma- d l'JEgiise
de Solutio omnium difficultatum 0

nières d'être, qui distinguent les sociétés en Christus.


C

sociétés parfaites ou imparfaites,constituées Cette philosophie, à la fois théorique et


ou non constituées, selon que ces caractères pratique,
F quia confondu la sagesse du Por-
et'les rapports qui en découlent sont confor ttique et évangélisé les pauvres, c'est-à-dire,
mes ou contraires à la nature des êtres en eenseigné les hommesles plus simples, éclaire
société. l'esprit du savant qui l'étudié, et échauffe
1'

Enfin, et pour compléter la démonstration, le cœur de l'homme simple, à qui la vue


j'ai retrouvé l'expression de ces caractères d'uned croix sur un grand chemin en dit plus
dans les habitudes les plus familières du que q les Entretiens de Malebranche, la Théo-
langage, comme j'en avais trouvé le type dicéede à Leibnitz ou les Lettres d'Euler, n'en
dans les conceptions les plus élevées aux- disent
d aux savants.
quelles la raison puisse atteindre. Aussi, dit M. Damiron, le peuple et les
M'. Loyson professeur de l'école nor- Pphilosophes ne pensent pas de la même façon,
male, cité par M. Damiron, a traité de calem- et e cependant leurs idées ne serepoussent pas;
bour cette vaste catégorie, qui, dans son elles e diffèrent sans se combattre, et se rappor-
expression comme dans sa réalité, comprend t<tent au fond malgré la forme. Ainsi, les phi-
tous les êtres. Cette légèreté dans une me- losophes
U ne font qu'un avec le peuple leur
tière aussi grave ne fait honneur, ni à la phi- pensée
p n'est que sa pensée, leurs doctrines ne
losophie du professeur, ni à celle de l'école *<sont que sa foi. Il y aurait quelque chose à.
normale. rabattre
r, de cette conclusion, et les doctri-
n de nos philosophes ne sont heureuse-
C'est là, je le crois du moins, de la philo- nes
sophie, et de la philosophie appliquée à la ment n pas la foi des peuples. C'est ce qui m'a
société. Les écoles de philosophie moderne, si souvent fait désirer qu'on pût mettre le livre
matérialiste ou éclectique, ont fait la philo- ded l'enfance, le Caléchisme, à la portée des
sophie de l'homme individuel, du moi, qui savants,
si comme on a mis l'enseignement des
joue un si grand rôle dans leurs écrits j'ai sciences
si et des lettres à la portée des enfant.
voulu faire la philosophie de l'homme so- En considérant sous un point de vue ra-
cial, la philosophie du nous, si je peux ainsi titionnel les vérités proposées à notre foi$
parler, et ces deux pronoms, moi et nous, n'ai-jen pas rempli un des vœux de 'la philo-
distinguent parfaitement les deux manières sophie
si ? Ne viendra-t-il pas une autre épo~
différentes de philosopher. que,
q dit M. Damiron, où ce que la dernière
Qu'on y prenne garde, cependant; jamais manifestation
ni (de la vérité) pourrait avoir
encore d'obscur et de mystérieux, paraîtrae moins, un de ces nouveaux motifs de croire
plus intelligible et plus clair; où une croyance à sa divinité. Non, il n'y aura point de nou-
héritière du christianis- velle croyance mais l'ancienne croyance
« nouvelle, » fille et
me; en reproduira les dogmes, mais sous des peut recevoir de nouveaux développements
formes qui conviendront mieux que les pré- qui la rendront plus auguste et plus chère,
cédentes à la manière dont tout le monde voit non à ce monde qui voit les choses de la reli-
aujourd'hui les choses? gion d'une certaine manière, c'est-à-dire
Non, il n'y aura point, il ne peut y avoir avec indifférence,ignorance, haine ou mé-
de croyance nouvelle. Le christianisme a pris à ce monde qui ne paraît nombreux
rempli sur ce point tous les vœux raisonna- que parce qu'il fait du bruit; mais à ce monde
bles de l'esprit il a satisfait tous les besoins chrétien qui, trouvant assez de lumière dans
du cœur; mais il peut y avoir de nouveaux la religion, n'en est pas moins disposé à en
motifs de croire, et la force de la religion accueillir de plus grandes, pourvu qu'elles
chrétienne, au milieu des attaques les plus soient approuvées par la grande autorité de
furieuses et les plus habiles qu'elle ait es- l'Eglise, qui éprouve tous les esprits et n'en
suyées, est pour nous, qui en sommes té- repousse aucun.

PREFACE.

Dans les Recherches philosophiques sur les principe générateur, ou seulement constitu-
premiers objets de nos connaissances morales, tif, de la société en général et de toutes les
j'ai considéré l'homme, intelligence servie sociétés particulières, domestique civile
par des organes, ses idées, ses images, ses religieuse qui portât dans toutes le même
sensations, en [un mot, toutes ses facultés nom, qui remplit dans toutes les mêmes
individuelles, et j'aurais pu intituler cet fonctions, qu'on aperçût jusque dans les so-
ouvrage Philosophie de l'homme. ciétés les plus imparfaites et leurs combi-
Dans l'écrit que le lecteur a sous les yeux, naisons les plus irrégulières et cet élément
je considère la société en général, réunion ou principe une fois connu, m'a conduit de
d'êtres semblables pour leur production et conséquence en conséquence à des résultats
leur conservation mutuelles, et ses éléments que je peux dire inattendus, et sur lesquels
naturels et constitutifs; j'applique cette dé- j'appelle le jugement du public éclairé et
finition aux différentes espèces de société impartial.
domestique civile religieuse et à leurs Je n'ignore pas que, dans beaucoup d'es-
combinaisons ou modifications diverses so- prits, l'impartialité-n'esl aujourd'hui que de
ciétés toutes semblables, comme l'indique le l'indifférence pour la vénié, et que les lu-
nom de société, commun à toutes, bien dif- mières, les lumières morales, les seules qui
férentes de ces associations de commerce ou méritent ce nom, disparaissent de plus en
d'entreprises, ouvrage de l'homme, et disso- plus, remplacées par des connaissances
lubles à sa volonté. d'arts et d'objets tous matériels, accessibles
Ce vaste sujet, je l'avais ébauché dans un à tous les esprits et même aux hommes sans
Essai analytique sur les premiers principes esprit; connaissances qu'on prend pour des
de l'ordre social, et plus développé, d'une lumières, quoiqu'elles n'éclairent l'esprit ni
manière à la vérité plutôt historique que sur jle vrai bonheur de l'homme, ni sur le
philosophique, dans la Théorie du pouvoir bon ordre de la société, et qu'elles puissent
politique et religieux; ouvrage saisi sous le plutôt, par leur excès, matérialiserl'homme
Directoire, qui n'a pas reparu depuis, et et corrompre la société.
auquel celui-ci pourrait servir d'introduc- Le moment n'est donc pas favorable, je ne
tion. ne dis pas au succès d'un pareil ouvrage, je
J'ai en effet cherché par les seules lumiè- n'ai garde de prévenir à cet égard le juge-
res de la raison, et à l'aide du raisonnement, ment du public, mais seulement à sa publi-
s'il existait un fait unique, évident, palpa- cation et cependant je ne me suis pas dé-
ble, à l'abri de toute contestation, qui fût le couragé. Scribantur hœc ln generatione altéra
me suis-je dit avec le Psalmiste (Psal. ci, dans l'obscurité, répand à l'horizon un plus
19) j'ai pensé qu'il pouvait tôt ou tard vif éclat.
tomber en des mains qui le feraient fructi- J'ai pris mon point de départ d'une idée
fier, ne fût-ce qu'en le refaisant et en le pré- diamétralement opposée et convaincu que
sentant sous une forme moins didactique l'ordre, la force, la sécurité, la prospérité,
car, dans mes nombreux travaux, tous rela- la douceur des mœurs, la politesse des ma-
tifs à la société, j'ai plutôt songé à sonder et nières, la décence dans la conduite, la cha-
à raffermir les fondements de l'édifice, qu'à rité envers ses semblables, la bienveillance
le décorer et à l'embellir. universelle, en un mot toutes les vertus pri-
Mon premier objet en traitant philosophi- vées et publiques, et tous les biens sont les
quement des principes de la société, a été fruits nécessairesde la vérité et comparant,
d'en faire l'application à la société reli- sous ce rapport, le monde idolâtre ( 1 ), le
gieuse, mère de toutes les autres, et parti- inonde païen, le monde mahométan, le monde
culièrement à la religion chrétienne, mécon- encore sauvage, le monde même philosophi-
nue par la honteuse et superbe igorance des que, tel que l'a fait la révolution, au monde
uns, attaquée par les autres avec Une haine chrétien, j'ai cru que la vérité était dans la
furieuse, que la vérité seule a le triste pri- chrétienté, qu'elle y avait toujours été, et
vilège d'inspirer: car oh ne peut ni aimer que les désordres locaux et passagers qui
ni haïr à demi la vérité quiconque n'est pas avaient pu s'y manifester, prouvaient seule-
pour elle est contre elle, et c'est ce qui a fait, ment que la vérité n'avait pas été toujours
même dès l'origine du christianisme, des et partout .complètement développée car
bourreaux et des martyrs. ce que les hommes peuvent espérer (de
Les écrivains qui depuis un siècle ont fait mieux dans la recherche de la vérité, est de
de la religion chrétienne, et surtout de la re- découvrir des vérités fécondes, et non des
ligion cathodique, l'objet de leurs sarcasmes, Vérités complètes.
de leurs sophismes ou de leurs déclama- J'ai cru que la société chrétienne n'aurait
tions, ont tous supposé que, jusqu'à cette pu croître, se civiliser, se perfectionner
bienheureuse époque, pompeusement déco- s'affermir sous l'influence d'une fausse doc-
rée du nom de siècle des lumières, le monde trine de religion, de la religion qui se mêle
chrétien avait été dans l'erreur; que l'en- aux lois, aux moeurs, aux pensées, aux sen-
seignement religieux n'avait été que men- timents, aux actions, aux habitudes domes-
songe et imposture la foi des peuples qu'es- tiques et civiles d'un peuple, qui pénètre, si
clavage et aveuglement la piété, qu'hypo- je peux ainsi parler, sa vie tout entière
crisie ou faiblesse d'esprit; qu'eux seuls privée et publique; pas plus qu'un élève,
avaient porté les lumières dans les ténèbres dans un art ou une science quelconque, ne
et mis les hommes sur la route de la vé- pourrait y faire de progrès si son esprit était
rité, ou plutôt hors des voies de l'erreur et imbu de faux principes sur cette science ou
d'une honteuse crédulité car ces écrivains sur cet art; et j'aurais pour garant de mon
ne se sont chargés que de démolir, sans rien opinion, de l'influence puissante de.la reli-
remettre à la place; et, en annonçant pour gion sur l'état d'un peuple, ces paroles d'un
une autre époque de nouvelles constructions, philosophé de ces derniers temps, ennemi
ils ne se sont pas du tout occupés de ce que haineux du christianisme, Condorcet :La re-
deviendrait la société pendant l'interim. ligion mahométane retient les Turcs dans une
Il a été, comme nous l'avons vu, rempli incurable stupidité.
par une sanglante révolution, dont la bruta- Ce qui explique la différence, ou plutôt
lité toute physique a achevé l'œuvre du bel l'opposition totale qui existe entre l'opinion
esprit, sans que les démolisseurs aient paru des ennemis de la religion et la nôtre, c'est
se douterqu'un grand désordre ne peut avoir qu'ils n'ont vu dans la société et dans la re-
pour cause qu'une grande erreur. Ils ont ligion que l'homme, l'homme individuel, ses
même vu, sans le comprendre, la force et la erreurs, ses passions, ses faiblesses, et ils en
vie de la religion se débattant sous leurs ont demandé compte à la religion comme
coups, s'accroître avec ses douleurs et leur
violence tel le soleil, au moment de dispa-
raître et de plonger par
lUayaV;V1.4V3Nm.vbcu
(
yan son
avaa.uvo~a.vv
le monde
.absence acu.mvaauu
i ) Je distingue le paganisme de l'idolâtrie
comme les Grecs et les Humains.
cu redresser
en aculcaaC'1 les
aca mauvais Ut
si la religion pouvait changer notre nature
et faire autre chose que nous offrir, pourr
maauram penchants et les JU-7

le paganisme était l'idolâtrie des peuples polices 0


uw~ vu na. LL LrJ1\11LV. eu
diriger vers le bien, des secours et des les vengeurs et les soutiens oes doctrines
moyens dont nous sommes toujours libres religieuses: Ergo pietatis doctrinœ vindices
de ne pas profiter 1 Ils ont même exagéré les erunt pii magistratus. Mais l'idée de société
vices qu'elle n'empêche pas, quoiqu'elle les renferme en elle le droit de juridiction, de
condamne, et n'ont pas aperçu les vertus tribunal, de jugement, et, par conséquent,
qu'elle produit. Ils ont déclamé contre les de mesures coactives et répressives; et une
vices des Chrétiens, et leur ontopposé les société qui n'aurait ni juridiction sur ses
vertus des païens, sans faire attention qu'on membres, ni luis, ni juges pour les appli-
ne remarque les vices que chez un peuple quer, ni jugements à porter, ne serait pas
vertueux, et les vertus que chez un peuple une société.
vicieux, parce qu'on ne remarque, en géné- Je l'ai donc vue, cette religion tant ca-
rai, que ce qu'il y a de plus rare. Ils n'ont lomniée, parler ait cœur des hommes les
pas vu que les vertus se cachent, et que c'est plus simples comme à l'esprit des plus éclai-
même une vertu de ne pas faire parade de rés inspirer à tous les dévouements les
sa vertu que les vices, au contraire, se mon- plus généreux, et les sacrifices les plus pé-
trent, et sont chez les Chrétiensplus remar- nibles à la nature, les sacrifices qui sont la
qués, par la raison que, dans une marche plus grande force de l'homme, le mépris des
de troupes bien ordonnée,! on ne remarque richesses, des grandeurs, des douceurs de la
que ceux qui sortent des rangs. Les yeux vie, de la vie elle-méme; envoyer ses mis-
malades de la haine ne se sont fixés que sur sionnaires aux extrémités du monde, chez
Biv coin du tableau, ils n'ont donc vu que des peuples barbares, combattre toutes les
le particulier, que l'homme;je n'ai vu que le erreurs et braver tous les périls; je l'ai vue
général, que la société. Ils ont cru que c'était appeler le sexe le plus faible à consacrer sa
à l'homme à faire la société, et je crois que vie entière aux soins les plus rebutants du
c'est à la société à faire l'homme; et c'est soulagement des infirmes ou de l'éducation
surtout dans les sociétés chrétiennes, com- de l'enfance ouvrir des asiles à'ceux qui ne
parées à toutes les autres, que se montre veulent pas du monde ou dont le monde no
l'influence taute-puissante de la religion. veut pas, et|les y employer au service ou à la
Autant que j'ai pu en juger par t'extrait sanctification des hommes obtenir de l'opu-
qu'en ontdonné les journaux, l'enseignement lence ces fondations pieuses où sont servies
philosophico-historiqued'un professeur célè- et soulagées toutes les misères humaines
bre met dans le plus grand jour cette diffé- je l'ai vue régner sur les sociétés les plus
ren«e. Il ne veut,. ce>semblef qu'une religion fortes et les plus éclairées qui furent jamais;
individuelle et reproche à la religion d'être multiplier enfin, si les gouvernements ne
devenue V Eglise c'est reprocher à la société les contrariaient pas, ses bienfaits, ses se-
politique d'être devenue gouvernement. Faite cours, ses services, à mesure que là dépra-
pour la société, et société elle-même, la re- vation des mœurs, le désordre des doctri-
ligion chrétienne a dû en revêtir tous, tes ca- nes et la haine de, ses ennemis augmentent;
ractères. Il lui reproche, comme un enafié- toujours féconde et toujours jeune; car une
tement sur les droits de l'homme, d'avoir religion, qui,, après dix-huit cents ans,, ins-
attenté à la liberté dei penser; mais une so- pire tant de dévouements et de sacrifices ne
ciété toute spirituelle ne peut pas plus per- fait que commencer.
mettre la liberté de penser autrement qu'elle A la vue de tant de prodiges et de tant de
n'enseigne à croire, qu'une société politique bienfaits, j'ai regardé, non comme une opi-
ne peut permettre la liberté d'agir autrement nionfausse, mais comme une opinion ab-
qu'elle ne le prescrit et l'une et. l'autre, surde, que cette religion n'eût été qu'une
sous peine de tomber dans l'anarchie des.grande imposture. et une longue erreur et
pensées et des actions,, ont dû se réserver le sans demander à sou enseignement la. dé-
droit de: juger les. pensées et les actions con- monstration de sa vérité, je me suis demandé
traires M'ordre qu'elles ont établi. à moi-même si la religion étant une société,
Le même professeur conteste donc à la et la mère de toutes les autres, l'homme ne
religion le droit de coaction et de répres- pouvait pas trouver dans la constitution na-
sion. Calvin, cependant, jdont ce professeur turelle et générale de la société la raison
suit la doctrine, en a largement usé envers des croyances religieuses,, qu'il ne décou-
le malheureux Servet, et il a posé en prin- vrait pas en lui-même, et dans la raison in-
cioe eine les magistrats pieux doivent être dividuelle je me suis demandé si la facilité
57 PART. I. ECONOM, SOC– PRINCIPE COiNST. DE LA SOCIETE. 588
avec laquelle le christianisme s'est
s'est propagé
propagé intelligence supérieure à cellecette des autres
autre';
à sa naissance chez les peuples païens, et de
hommes, s'érige Jui-môme en Dieu, et il faut
nos jours chez les peuples sauvages,, lors- autre chose que des mots et des phrases
que son autorité ne pouvait encore avoir peur légitimer cette usurpation.
été démontrée aux uns ni aux autres, ne On demandera peut-être pourquoi il y a
prouvait pas, indépendamment des œuvres tant d'incrédules et d'ennemis de la religion,
surnaturelles qui ont pu accompagner sa si elle est prouvée à la fois par la raison et
prédication, qu'il y a, dans les croyances par l'autorité. La réponse est facile il y a
même les plus mystérieuses, quelque chose longtempsqu'on a dit que, s'il résultait quel-
qui s'assimile aux pensées, aux sentiments que obligation morale de la proposition
de l'homme social, même à son insu, pour géométrique, que les trois anghs d'un trian-
les éclairer et les diriger, à peu près commegle sont égaux à deux angles droits, cette
les substances alimentaires s'assimilent à proposition serait combattue, et sa certitude
nos corps pour les nourrir, sans que nous mise en problème. Même quand l'esprit
puissions connaître leur nature et leur rap- consent aux vérités religieuses, le cœur
port à nous, ni savoir comment elles agis- trop souvent s'y refuse et, si la philosophie
sent sur nos organes et se convertissent en peut éclairer l'esprit, la religion seule a ]e
nos différentes humeurs. pouvoir
] de changer les cœurs et puis il y a
Et qu'on prenne garde que ce qu'il y a de si peu d'hommesqui aient la force de suivre
plus élevé et de plus mystérieux dans les toute leur raison 1
croyances dogmatiques de la religion, n'est Cependant cette haine de la religion que
pas ce qui pénètre le plus difficilement dans tantd'hommes professent. ouvertement; cette
l'esprit des peuples, et que les prescriptions crainte
< de son autorité, que montrent un peu
morales, dont elles sont la sanction, éprou- 1trop les gouvernements, influe plus qu'on
vent de leur part bien plus d'obstacles. Le ine pense sur les conseils de la politique; et
goût des hommes pour le merveilleux et le il i n'est pas douteux que la chrétienté, en
surnaturel, ou plutôt le surhumain, qu'ils perdant
1 la foi au christianisme, perdrait en
cherchent jusque dans les fictions, ce goût même i temps sa force et ses lumières et quel
plus vif à mesure que, par leur âge ou leur 1temps, en effet, fut pl us fécond
que le nôtre en
état social, ils sont plus près de leur nature doctrines
< erronées et en faiblesse politique t
originaire, est à mes yeux la preuve la plus s Je n'ignore pas que tout écrivain qui traite
s
forte que l'homme sent en lui et hors de lui aujourd'hui,
i même philosophiquement, dans
quelque chose de plus élevé que lui-même un
i sens religieux et monarchique, de matiè-
qu'il le cherche surtoutdans la religion pour ires religieuses et politiques, au lieu de cri-
y trouver la raison des devoirs qu'elle lui (tiques qui l'éclairent ne trouve que des
impose. Une religion sans mystères, sans ennemis ( qui t'outragent. Les uns, qui n'ont
miracles, sans mission divine réelle ou ni i assez de force d'esprit pour croire à la
supposée ne paraîtrait à l'homme que religion, i ni assez de force de caractère pour
l'ouvrage de l'homme il se révolte la
1 pratiquer, l'accusent d'hypocrisie ou de
rait contre elle comme contre une insup- fanatisme;
i les autres, prenant leurs systè-
portable tyrannie, qui n'obtiendrait par mes i politiques pour le type de toute per-
conséquent, ni créance dans son esprit, ni ifection, le taxent d'intentions séditieuses, et
autorité sur ses mœurs; et ce système de 1lui reprochent, de troubler les gouverne-
religion purement humain ne pourrait ments i et, au lieu de réfuter rationnelle-
contenter tout au plus que celui qui l'aurait menti des considérations rationnelles, s'en
inventé et de là vient qu'aucun système, prennent 1 à J'auteur même le plus inoffensif,
je ne dis pas idéologique, amusement stérile et < trouvent plus prompt, plus sûr, et sur-
et sans résultat, mais purement philosophi- ttout plus facile de verser sur sa personne
que, n'a pu encore et ne pourra jamais être qu'ils( ne connaissent pas, sur son caractère,
universellement accrédité, parce qu'un sys- fsa s vie, sa famille, sa fortune, le mensonge
tème philosophique est une sorte de reli- is <et la calomnie. Dans ce dernier combat de
gion tout humaine, à laquelle l'homme ne l'erreur 1 contre la vérité la détraction et
trouve aucune raison de croire et moins 1l'imposture sont un métier lucratif, et leur
encore d'obéir. L'homme qui, de son chef, publicatisn
1 impunie et sans frein est com-
veut impes.er à ses semblables des croyances 1 ptée au nombre des libertés publiques. Mais
morales, s'annonce par cela seul pour une le t\l sacrifice de sei est le premier que demande
39 OEUVRES COMPLETES
~-<t.~t-
r_ sainte cause catholique
de ses défenseurs la
et monarchique. Ainsi, en soumettant la
ILS DE M. DE
JJ& M.
cdroit ,o..
UE. BONALD.
ISUHALU.
a.E ,a"
de m'imposer ses
e qu'aucune considération, aucune
et
nn1ifinnp.
opinio'ns politiques,,
cnc nr,inin'nc
crainte,
40
4O

partie religieuse de mes écrits à l'autorité t me-fera sacrifier des vérités que je crois
ne
religieuse, je déclare hautement que je ne ééternelles, à des systèmes d'un jour ou d'un
reconnais à aucune autorité humaine le siècle,
s et à des intérêts d'un moment.

DÉMONSTRATION PHILOSOPHIQUE
DU PRINCIPE CONSTITUTIF DE LA SOCIÉTÉ.

CHAPITRE PREMIER. Mais, si la brute vit passagèrement en fa-


mille, pour ta production de ses semblables,
DE LA SOCIÉTÉ. l'homme, être moral, doit vivre en société
Le genre humain a commencé par une fa- pour la conservation des êtres que la famille
a produits. L'animal naît parfait, et
n'a rien
mille, et la preuve en est sensible, puisqu'il
continue par des familles; et que, si on pou- à apprendre, pour sa conservation, des anv
maux de son espèce l'homme naît
perfecti-
vait le supposer réduit à une famille, il suf-
firait d'une famille pour le recommencer. ble, et a tout à recevoir de la société de ses
il peut se conserver au
Trois êtres semblables, puisqu'ils appar- semblables, car ne
ni au moral que dans sa perfec-
tiennent tous à l'humanité, mais non égaux, physique même que le gland périt
puisqu'ils ont des fonctions différentes, père, tion relative et, de l'enfant périt s'il ne
mère, enfant, constituent la famille consti- s'il ne
devient chêne,
tution naturelle et nécessaire, puisqu'on ne devient homme.
peut supposer la famille composée de plus CHAPITRE II.
ou de moins que du père, de la mère, et des
enfants. LA SOCIÉTÉ DOMESTIQUE
DE
La famille est donc essentiellement mono-
game, c'est-à-dire formée du seul mariage Revenonspour un instant à la famille par
d'un homme ou d'une femme. laquelle commence toute société: Prima so~
La polygamie, ou plusieurs mariages suc- cielas, dit Cicéron, in ipso conjùgio est. Dans
cessifs, est non une famille, mais plusieurs( le père est le pouvoir, c'est-à-dire la volonté
familles, puisque chaque mère fait la sien- et l'action de produire et de conserver, ou
ne(l). de développer l'intelligence de l'enfant, en
traiterons des effets de la polygamie
Nous lui donnant, par la communication de la pa-
en parlant du divorce, qui est une polyga- role, le moyen d'apprendre tout ce qu'il lui
mie actuelle ou éventuelle, puisqu'il permet1 est nécessaire de savoir pour sa conser-
à l'homme d'avoir une ou plusieurs femmes vation.
du vivant des premières. Le père agit pour la conservation, comme
Ce n'est encore là que la famille, rappro- pour la production, par le moyen ou le mi-
chement d'êtres physiques pour la produc- nistère de la mère, qui concourt à l'accom-
tion d'un être semblable à eux. plissement de la volonté et de l'action du
Mais le genre humain se compose noni pouvoir.
des êtres produits, mais des êtres conservés L'enfant sujet à cette volonté et à cette
la brute vit passagèrement en famille, maiss action est, pour la production comme pour )
seulement pour la production de ses sem- la conservation le produit de l'un et de
blables, et non pour leur conservation et, l'autre, et procède de tous deux.
une fois la production assurée, le père, lat Ainsi, aux dénominations physiques et
mère, les petits vivent étrangers les uns particulières de père, de mère, d'enfants,
aux autres et ne se reconnaissentplus. communes aux familles même d'animaux,
( 1 ) Monogamie, polygamie, ne veulent pas dires la mort. Aussi, Théodore de Bèze, un des chefs Je
une ou plusieurs femmes,mais un ou plusieurs ma- la réforma tion, a intitulé un traité sur le divorce t
riages, sans que les précédents aient été dissous par De votygatnia seu divortiis.
H PAKT. 1. ECONOM. SOC– PRINCIPE CONSÏ. DE LA. SOCIETE. 42
substituons les expressions morales et gé- conservation. de
mier moyen de toute conseRvation. de toute
nérales de pouvoir, ministre, sujet, qui dési- perfection* de toute sociabilité parole qu'il
gnent l'être intelligent, conviennentà la so- transmet à son enfant, comme il l'a lui-
ciété et même à toute société, et ne peuventt même reçue de ses parents, et ceux-ci, en
•.convenir qu'à. elle. remontant de génération en génération de
Pouvoir" ministre, sujet, sont les personnes s la première famille, qui n'a pu elle-même
sociales, appelées personnes, quia per see la recevoir que d'un être hors de l'homme
ponant, c'estr.à-dire parce que leur nom seul1 et supérieur à l'homme ( 1 ).
indique leur rang.et leurs fonctions. L'enfant reçoit donc de ses parents l'ins-
Nous pouvons, donc à présent opérer avec3 trnction de la parole, et avec la parole la,
ces expressions générales,;qui représentent t connaissance de tout ce qu'il lui est nécos-
toutes. Ie.s personnes- dans toutes les sociétés saire de savoir ou la faculté d'acquérir cette
rendre,,au moyen de ces expressions, raison; connaissance; car, si on ne lui parlait pas,
de tous les accidents des.sociélés,et résou- il ne parlerait pas lui-même, et les sourds-
dre tous les problèmes qu'elles présentent. muets ne sont muets que parce qu'ils sont
C'est ainsi que les géomètres opèrent surr sourds-, et n'ont pas entendu la parole.
toutesjes quantitésayecdes signes gënéraux,s L'homme ne naît pas, comme la brute,
qui leur servent à exprimer toutes les va- vêtu et armé jjl n'a pas reçu de la nature
leursparticulières,età résoudre avec des for- cet instinct de conservation personnelle,qui
mules tous les problèmes de l'analyse. 11 yr sans éducationde leçon, ni même d'exemple,
a toutefois cette différence à l'avantage de fait discerner à l'animal ce qui lui est utile
la science politique, que les signes a, 6~
ne disent rien à la pensée, et,sont une lettre
onchercher
ce qui lui nuisible,
',est
sa proie ou éviter -son
et lui fait
ennemi;
morte qui ne parle à l'esprit que lorsqu'on l'animal, je le répète, naît parfait, et ce que
aisubstitué àleur place des valeurs concrè- nous lui apprenons est poar nos besoins ou
tes et particulières; au lieu, que les exprès- : nos plaisirs, et non, pour les siens l'homme
sions pouvoir,, ministre, sujpt, offrent toutes., naît perfectible,; il faut qu'il apprenne vi-
seules à la, uenséo un sens précis et déter- vre, qu'il juge par son intelligence tout ce
miné et de même que les géomètres par- qui est nécessaire à sa conservation, qu'il
viennent, par-le secours de signes, des rés comba(.te par l'aplion de ses organes tout ce
3ultats qu'ils Sauraient pu-, obtenir, ou n'a*, qui s'oppose à, l'accomplissementde ses be-
raient obtenus qu'avec de. grandes diffjcuH soins ou au développement de ses facultés.
fés, et en opérant directement par des dé, Il faut donc qu'il .apprentie, tout.de ceux qui
monstrations compliquées, d'arithmétique l'ont précédé dans la carrière de la vie, qu'il
ou de géométrie linéaire,, sur les quantités apprenne à parler, pour apprendre à expri-
particulières de nombres ou d'étendue, je mer ses pensées, et pour. les autres, et
crois que nous pourrons aussi, en opérant pour lui-même il faut don,c qu'il écoute
avec les expressions générales de pouvoir,, et, qu'il obéisse; et je le demande aus
ministre,, sujet, donner une solution satis- matérialistes, qui ne voient dans l'homme
faisante de tous les phénomènes, même les. qu'un animal un peu, mieux organisé
plus singuliers, que présente l'état social,,
ancien et moderne, et peut-être nous arri-
qjie les autres, comment expliqueion-t-
ils ce pouvoir paternel, cette tendresse
vera-t-il, comme aux géomètres, d'être con- maternelle,.ce.respect filial dont la grossière
duits à des résultats inattendus et d'une apparence ne survit pas dans l'animal, au °
grande importance. temps si court, de la gestation et de l'allaite-
L'homme, intelligence servie par des orga- ment, après lequel père, mère, petits ne se
nes, entre en société ou en communication reconnaissent même plus,, et qui, dans
avec ses semblables, avec tout ce qu'il est l'homme civilisé,, plus encore peut-être dans
et tout ce qu'il a, avec son être et son avoir, l'homme sauvage, forment, entre les mem-
son intelligence et ses organes par consé- bres d'une même famille,, des nœuds si
quent avec l'expression organique de son étroits, des liens si doux et si forts, aussi
intelligence, je veux dire la parole, pre- durables que la vie des enfants, et qui sur-
( 1 Voy. les Recherches. philosophiques sur les transmission du langage, puisque sous nos yeux
premiers objets de nos connaissances morales, par l'enfant parle indifféremment toutes les langues qu'il
l'auteur de cet écrit. 11 n'y a, ce semble, rien de entend parler, et qu'il ne parle pas s'il u'eikeiuënd;
mieux démontré que la nécessité d'une première aucune.
vivent même à la mort des parents? Je de- exprimer le rang de la femme à côté de son
manderai ces philosophes qui ont enseigné époux. Peut-être ministre est le mot qui le
que l'enfant ne devait rien à ses parents, traduit le mieux (1 ).
qui, dans leur union, loin de songer à lui, Qu'on y prenne garde, et cette observation
n'avaient pensé qu'à leur satisfaction per- reviendra plus d'une fois dans le cours de
sonnelle, pourquoi tous ces sentiments d'o- cet ouvrage,je n'ai pas eu besoin de recourir
béissance et de respect, qui ne semblent pas à l'autorité des Livres saints pour y trouver
dans la nature de l'homme et coûtent sou- la preuve de ce que devaient être les per-
vent à ses inclinations ? N'en doutons pas, sonnes de la société domestique; mais, après
une voix puissante a été entendue d'un pôle avoir constaté comme un fait évident et pal-
à l'autre Tu honoreras ton père et ta mère pable ce qu'elles sont, j'ai cherché à démon-
(Èxod. xx, 12); elle retentira jusqu'à la fin trer que ces faits étaient conformes à ce que
des temps, et elle seule a tiré la famille hu- les Livres sacrés nous apprennent des origi-
maine de l'animalité, et l'a élevée au rang nes de l'homme et de la société.
de société. Après avoir distingué les uns des autres,
Le père, pour la conservation et l'instruc- les personnes de la société domestique, nous
tion de l'enfant, est donc pouvoir, comme allons examiner les caractères de chacune
il l'a été pour sa production. La mère n'est d'elles.
pas pouvoir, mais autorité, puisqu'elles be-
soin d'être autorisée par un époux et qu'elie CHAPITRE 111.
est chargée, par la- nature, de la première SOCIÉTÉ DOMES-
instruction de l'enfant, cotnme de sa pre- C4IUCTÈRE DU POUVOIR DE LA
mière nourriture elle est aide et ministre TIQUE OU DU POUVOIR PATERNEL.
de l'homme, et dans l'abaissement ou le mé-
pris de'tous les pouvoirs, même du pouvoir Le pouvoir domestique :est un et ne peut
paternel, qui caractérisent toutes les révo- être deux, et l'Auteur de la nature n'a pas
lutions, l'autorité maternelle est encore permis à l'homme d'altérer l'élément de la
respectée. société domestique, type elle-même et élé-
Ce sont des faits que nous avons tous ment de toute société.
sous les yeux, des faits confirmes par les ?II est perpétuel, et l'enfant est toujours à
la législation de tous les peuples, l'égard de ses parents, mineur dans la fa-
mœurs et
et dont la raison démontre la nécessité. mille, même lorsqu'il est majeur dans l'Etat:
Mais trouve-t-on dans l'histoire des pre- Le pouvoir paternel s'étend
même après la
miers Ages du monde la preuve et l'origine mort de celui qui l'exerce, par des disposi-
de cette autorité maternelle, de ce ministère tions testamentaires, et il se perpétue en-
de la mère, de sa dignité, à côté de son core, quoique d'une autre sorte, par
le droit
lois du
époux, enfin de ces relations depouvoir, de d'aînesse, une des plus anciennes,
ministre, de sujet, qui forment la constitu- monde et des plus généralement pratiquées,
tion de la société domestique? Ecoutez, et si ittvpolitiquement abolie dans quelques
Dans le livre où sont racontées les origines sociétés qui ont mis les droits du fisc avant
du genre humain, et le plus ancien dont ceux de la politique, et le bien-être de l'in-
nous ayons connaissance, il est dit JS'hom- dividu qui passe avant la conservation de Ct

mequittera son père et sa mère pour s'atta- la société qui demeure.


cher à sa femme; ils seront deux dans une Le pouvoir paternel est indépendant des
même chair; elle est Vos de ses os, et la chair autres membres de la famille; car,
s'il était
de sa chair. Faisons-lui, dit le Seigneur, une dépendant, il ne serait pas pouvoir.
» semblable à lui. (Gen. n, 24, 18.) H est donc absolu ou définitif; «ar, s'il ne
e. aide
y aurait
Cette aide s'appellera d'un nom qui marque l'était pas, il serait dépendant, et il
l'homme, virago; sur quoi M. de Sacy ob- un pouvoir plus grand que lui celui de lui
serve que ce mot ne peut pas se traduire en désobéir.
français, et qu'il est tiré de vir, comme cour Ses fonctions sont de juger ce qui est

{i) Les Anglais appellent la femme women monde par la faute de la première femme: dans un
de la
homme de mal, de malheur, de souffrance, de woe, sens physique, des misères et des douleurs état
qui veut dire mal, douleur, souffrance, et de man, maternité; et dans un sens politique, de 1 dg
homme. Cette locution remarquable peut s'entendre, passivité et de dépendance du ministère.
dans le sens religieux, du mal introduit dans le if
m PART. L.ECQNO». SOC2- PRWCIPE CONS-l. DE LA SOCIETE. 46
.).u.c uVty^:r~ vC. 1na ..7vüIGlG.
£1
utile
n.ti~o Aii, nuisible -).à 1~
ou- ',r¡'I1.ici.~ln J'Io"n.iJ. de la1
la conservation ~1_.1 langage mathématique, on pourrait dire •*
'1 1

société dont il est le chef, et de combattre l'homme est à la femme ce qu-e la femme est
pour écarter les obstacles qui s'opposent à à l'enfant ou le pouvoir est au ministre
cette conservation, et l'infertilité de la terre, ce que le ministre est au sujet.
qui, sans Je travail imposé à l'homme,
comme première condition de ta vie, ne pro- CHAPITRE V.
duirait que des ronces et des épines, et la
malveillance des hommes qui voudraient lui DU SUJET DANS LA SOCIÉTÉ DOMESTIQUE.
ravir le fruit de ses labeurs. L'enfant, sujet de l'action et de la volonté
Aussi, le pouvoir domestique avant tout du père et de la mère, n'a qu'un devoir
établissement de pouvoir public, avait le celui d'écouter et d'obéir. il n'a point de
droit de glaive pour défendre sa société, le fonctions qui lui soient propres mais toutes
%us vitœ et necis, attribut essentiel du
pou- les fonctions des deux autres personnes de
voir public, et que le pouvoir domestique la société se rapportent à lui, et les travaux
conserveencore pour sa défense personnelle, du père, et la sollicitude de la mère et les
même sous l'empire de la société publique, soins des serviteurs. Par sa faiblesse même,
dans les lieux et les moments où il ne peut il est le maître. Quel est le plus grand, dit
appeler à sa défense l'autorité publique. Ce admirablement le code de la morale chré-
droit de vie et de mort, les anciens peuples tienne, de celui qui sert, ou de celui qui est
l'avaient attribuéau pouvoir paternel, même servi? (Luc. xxn, 27.}, Et le législateur s'a-
sur les membres de sa famille ( 1 ). L!histoire dressant à ses disciples, et dans leur per-
en offre d'illustres exemples, et l'on.peut sonne à tous ceux qui ont autorité sur les
remarquer que les lois encore n'en punissent autres Qu& celui, leur dit-il, qui veut dire
pas et en, trouvent excusable le terrible usage le plus grand entre vous, ne soit que le servi-
delà part de l'époux, dans le cas de flagrant te.ur des autres. (Matth. xx, 26; Marc, x,
délit contre la fidélité conjugale. (Voyez le 43.) Leçon sublime, qui apprend aux hommes
Code pénal.) qu'ils ne sont élevés, par leur rang et leur
fortune, au-dessus des autres que pour les
CHAPITRE IV. servir que les honneurs sont des charges,
CARACTÈRE DU MINISTÈRE DE; LA SOCIÉTÉ c'est-à-dire des fardeaux, et elles en portent
DOMESTIQUE.
le nom des offices, c'est-à-dire des devoirs,
offlciutn; en un mot, que tout ce qui est
La. mère, placée par la nature entre le grand ne l'est que pour servir tout ce qui
père et, les enfants, entre le pouvoir et le est faible et petit, et de là sont venus les
sujet,, et par le moyen ou le ministère de la-. mots servir, service, employés à désigner,
quelle s'accomplit l'action productive et dans les langues des peuples chrétiens seu-
conservatrice, la, mère reçoit de l'un pour lement, les plus hautes fonctions du minis-
le transmettre à l'autre, obéit à celui-là tère public. Nous reviendrons ailleurs sur
pour avoir autorité sur celui-ci dépendante cette idée.
du pouvoir, indépendante du sujet, et pour La société domestique est donc une société
remplir la double fonction d'obéir et de de production et de conservation des indi-
commander, de recevoir et de transmettre, vidus. Nous verrons plus tard que la société
elle doit être homogène à l'un et. à l'autre, publique, appelée aussi Etat ou gouverne-
c'est-à-dire de même nature que l'un et l'au- ment, est une société de production et de
tre». Aussi, si elle participe de l'homme par conservation des familles.:
la raison,. elle participe de l'enfant, comme Au reste, je n'ai parlé que de la famille
-'ont observé tous les physiologistes, par la agricole et propriétaire, la seule qui soit
délicatesse de ses organes, l'irritabilité de indépendante, qui puisse ne travailler que
ses nerfs, la mobilité de son humeur, et l'on pour elle, et n'ait pas besoin pour vivre de
pourrait l'appeler homme-enfant. Je prie le rendre son temps «t son industrie -et l'on
lecteur de bien retenir cette proposition, peut remarquer que, dans les leçons que
dont il trouvera, des applications à d'autres donne l'Evangile à la société, presque tout
sociétés. Ainsi, si l'on voulait traduire la les exemples sont pris de la famille agri-
constitution, de la société domestique en cole.
( i ) Lorsqu'il naissait un enfant chez les Romains, terre, l'enfant devait vivre d'où est venue î'<?w*
eu le mettait-aux pieds du père s'il le levait de sion élever un enfant.
1E/S5 l»Ei lu. UEj DULIALiUa
CHAPITRE VI. thologie a conservé des traces oe ces événe-
ments des premiers âges. Un danger com-
DE L ÉTAT PUBLIC DE SOCIÉTÉ.
mun a réuni toutes ces familles mais cette
Les fatnihes en se multipnant se rappro.- foule, sans un conseil et sans une direction,
chent ( 1 ) les besoins des hommes sont ne pouvait que fuir, et il fallait combattre.
égaux, les moyens de les satisfaire, ou les Qu'au milieu de cette troupe consternée,
forces, sont inégales et la guerre naît entre écoutant et rejetant à la fois lés conseils con-
les hommes de l'égalité des besoins et de tradictoires et les mille moyens de salut
l'inégalité des forces. Les premières richesses imaginés par la peur ou l'incapacité, il s'é^
furent des troupeaux, qui donnaient la nout- lève un homme fort en paroles et eaàetions,
riture et le vêtement, et il faut, pour vivre qu'il soit écouté, qu'il entraîne la multitude
en paix, que Jacob se sépare d'Esaü, et que, dans son avis, voilà le pouvoir; que les hom-
dans les immenses plaines de la Mésopota- mes après lui les plus habiles et les plus,
mie, l'un aille à l'occident et J'autre à l'o- courageux s.e joignent à. lui pour l'aider de
rient. Des querelles entre bergers,, pour leurs conseils, et agir sous ses ordres et par
l'usage d'un pâturage, d'un chemin ou d'une sa direction, voilà les ministres du pouvoir
fontaine, étaient et sont encore de fréquents que le reste, sous la protection de leur in-*
sujets de guer.re entre le& hommes pasteurs tel ligence et de leur courage, serve à l'action
ou laboureurs,, et sans le pouvoir public, du pouvoir en portant des vivres, des armes*,
qui prévient la guerre par ses lois, ou l'em- des matériaux, selon qu'il faut combattreou
pêche par la force dont il dispose, les fa- travailler, voilà les sujets. Voilà, non l'ébau-
milles auraient péri, 'comme les individus che et les éléments de la société, mais le
périraient sans les soins delà famille. complément même de la société relatif aux
Il s'éleva donc des. pouvoirs publics, et temps, aux lieux et aux hommes.. Voilà toute
l'on voit dans l'histoire des chefs, et des rois la constitution de la société, etîdans toute
aussitôt que l'on voit des peuples et des société, même à son dernier âge, nous ne
cités. trouvons ni d'autres personnes, .ni d'autres
Quelles furent les causes et les origines rapports entre elles, ni d'autres fonctions.
de ces importants établissements? Comment César, dans ses Commentaires, donne la
des familles indépendantes les unes des au- m^me origine au pouvoir public dans les
dont il décrit les moeurs
tres, des hommes jusque-là étrangers les sociétés celtiques,
uns aux autres, purent-ils reconnaître des et les coutumes. Lorsque,
dit-il, quelqu'un
maîtres ? Fut-ce l'effet de la force ou le ré- d'entre Içs premiers se propose lui-même
sultat d'un contrat? Ni l'un ni l'autre. L'éta- pour commanderV expédition,, et demande qui
blissement du pouvoir public ne fut ni vo- veut le suivre; ceux qui approuventl'entreprise
lontaire, ni forcé; il fut nécessaire, c'est à- çt le choix du chef se lèvent et promettent
dire conformée ia nature des êtres en société leurs secours, et la. multitude applaudit. « At-
concilia quis ex principibus se
et les causes et l'origine en. furent toutes que ubi in
naturelles. dixit ducem fore, ut qui sequi velint profi-
Des familles issues les unes des autres, teantur, consurgunl,
ii qui et causqm et homi-
auxilium pollicentur
établies sur le même territoire (car la pro- nem probant, suumque
multitudine collaudantur. »
pagatian du genre humain ne s'explique atque a
pas autrement, et c'est ainsi que se peuplent Ainsi, dans cet exemple, nous voyons la
actuellement les pays récemment habités volon té et l'action, du pouvoir, la coopération
des aides ou ministres pour l'utilité du sujet:
ou nouvellement découverts), ces familles,
disons-nous, ont vu !a sûreté de leur vie et nous y retrouvons, l'élément de toutes les
nécessaires de
de leurs propriétés menacée par un ennemi institutions, dépendances
puissant, par le débordement d'un fleuve, tout établissement public de société, et que
le temps développe jusqu'à la civilisation la
ou par. des animaux féroces, et dans le récit
des exploits de ses héros fabuleux, la my- .plus avancée (2).

(1) La population peut doubler tous les vingt quelque homme plus intelligent, plus hardi ou plus
fort que les autres pour réparer le mal ou enOn pré-
ans, mêrçie tous les quinze dans un pays vide encore venir les suites, et des hommes pour l'aider. le
d'l):il>itanls. enfants,,
2 ) Il n'arrive pas un accident dans les rues de remarque jusque dans les jeux des parmi
lesquels il se trouve toujours un petit pouvoir pour
nos cités populeuses, un accident qui rassemble la
commander et diriger. La nature se retrouve partout.
foule, sans qu'on n'y trouve une image de cette
formation fortune de la société, et qu'il s'y montre
«4~ PAK'f.
~'Hhl. 1. ECOiNOM.7V[.
1. ~AV.l"J1U. SOC.– PRINCIPE
Y1211\41 CONST. DE LA SOCIETE. 50
Ainsi ces secours ou services de toute es- Ainsi le pouvoir, en se montrant, a dis-"1!-
pèce en vivres, en armes, en matériaux, que tingué et classé les personnes et toutes les `

le reste de la peuplade fournissait à ceux fonctions, comme le soleil, en s'élevant à


qui devaient travailler ou combattre pour l'horizon, crée en quelque sorte pour nos
repousser le danger commun, représentent yeux, et nous fait distinguer tous les objets.
fidèlement l'impôt établi dans toutes les so- Aussi telle est la similitude ou. plutôt
ciétés pour l'utilité commune. Les combat- l'identité, de tout temps reconnue, entre la
tants, compagnons du chef, se contentèrent société domestique et la société publique,
sans doute de payer de leurs personnes, et que, dès la plus haute antiquité, les rois ont
l'on aperçoit encore dans cet exemple la été appelés les pères,des peuples; qu'encore
raison des priviléges ou exemptions pécu- aujourd'hui, dans quelques langues mo-
niaires accordés autrefois à quelques classes dernes, ils sont appelés sire, qui en anglais
de citoyens dévoués au service public. Les veut dire père (et en Russie on appelle mère
terres nobles, dit Montesquieu, doivent avoir l'impératrice) que, dans nos Livres saints,
des privilèges comme les personnes. dépositaires de toutes les vérités, même po-
Ainsi le chef, dans l'intérêt commun, litiques, tout pouvoir est appelé une pater-
aurait contraint celui qui aurait refusé ne, et que les nations elles-mêmes y sont
d'aider à repousser le péril dont on était appelées de grandes familles, familim gen-
menacé, et il aurait traité en ennemi celui tium.
qui, loin d'aider à écarter le danger, aurait Aussi les premiers rois conservèrent-ils
trahi las intérêts de la peuplade, et troublé .tous les caractères du père de famille. Il y
ses mesures de défense et de salut; et voilà eut en Egypte des dynasties de rois pasteurs;
encore le fondement de la juridiction crimi- les trônes dans l'Orient furent et sont encore
nelle, et du pouvoir de coaction et de ré- le lit où le vieillard reposait ses membres
pression que le pouvoir exerce sur les mena- fatigués (1); le sceptre était le bâton qui
bres délinquants de la société. Citons encoreaffermissait ses pas chancelants, et le dia-
César: «Ceux qui ont refusé de suivre les dème le bandeau qui couvrait son front dé-
guerriers sont regardés comme des déser- garni.
teurs et des traitres, et ils sont à jamais Y a-t-il dans cette origine naturelle, et on
çxclus, des conseils et de tous les avantages
dire historique du pouvoir public, la
de la communauté. « Qui ex iis secuti non peut
plus légère trace de souveraineté populaire^
surit in desertorum et proditorum numero du- dit Montesquieu
çiintur, omniumque rerum in posteO: ficles et le peuple qui, comme
qbrogatuy. » a toujours trop ou trop peu d'action, avec
mille bras quelquefois renverse tout, et
La société, même la plus avancée, n'est cent
cent mille pieds ne va que comme un
pas autre chose; et remarquez que cette avec heu-
agrégation fortuite de familles, sans conseils insecte; le peuple n'a-t-il pas été trop
et sans direction, disposée à fuir plutôt qu'à reux
d'obéir à qui a su diriger son action et
çomba,ttçe n'a pu être formée en société régler ses mouvements? Veut-on
qu'il ait
qu'après. avoir trouvé, dans le pouvoir et ses appelé lui-même celui qui devait le sauver?
ministres, volonté et action, conseil et di- Mais alors cet homme s'était fait connaître
rection, et que, par conséquent, le pouvoir à subjugué
lui par des qualités qui avaient
et ses ministres ont précédé les sujets en tant. son admiration, et ne lui avait plus laissé la
liberté du choix. C'était un pouvoir secrè-
que sujets, et d'une foule confuse fait June tement conçu dans la société, et qui attendait
société régulière et ordonnée pour une fin
quelconque, comme le père et la mère pré- le moment d'éclore, comme dans nos sociétés
cèdent l'enfant, le produisent, et forment l'enfant-roi encore dans le sein de sa mère.
une société domestique,ordonnée aussi pour Dira-t-on que, dans l'exemple que nous
des fins de conservation. avons cité, le peuple eût pu ne pas obéir?
Ainsi les sujets, en tant que sujets, pro- Non; car il n'est pas dans la nature de

-7
cèdent du pouvoir et de ses ministres, de i'homme, moins encore dans celle d'un
même que J'enfant procède du père et de la peuple, qu'il refuse les moyens de salu* qui
mère. Bossuet dit la, même chose dans ses lui sont offerts, quand le soin de sa propre
Avertissements. les né-
conservation, la première de toutes les né-
(1 ) Nous appelions en France lit de justice, la circonstance où le pouvoir royal se montrait avec.!?
plus d'éclat.
UU LSU 111' JL7LJ UUllillJl/t Oit
cessités, lui en fait sentir le besoin, et que norer le père et la mère, ce que tous les com-
sa raison en approuve les moyens. mentateurs, et entre autres Bossuex, enten-
Certes, nousayons sous Les yeux un exem- dent des pouvoirs et .magistrats :publics
ple mémoFablede la formation d'une société comme des pouvoirs do la famille, et de la
par l'élévation spontanée du pouvoir. Quand paternité publique comme de la paternité
Bonaparte a paru, la France n'était plus une domestique?
société; mais est-ce le peuple français, est- JI y a peu de jugement aussi à faire dériver
ce le directoire, est-ce le conseil des Cinq- la formation d'une société du droit de con-!
Cents ou celui des Anciens, est-ce même quête; car la conquête suppose ua état ^in-
l'armée qui a nommé cet homme pour finir térieur de société, une société armée, et par
les malheurs et la honte de l'anarchie con- conséquent un pouvoir* et des officiels ou
ventionnelle et directoriale? N'est-ce pas ministres qui en commandent ou dirigent
lui et lui seul qui s'est nommé lui-même les mouvements vers une fin commune, un
premier consul, consul à vie, empereur, roi pouvoir déjà établi et reconnu. La conquête-
d'un pays, protecteur d'un autre, et partoutn'est donc pas une formation de société
nou-
le maître sous divers noms? Prendrait-on velle, mais une extension. de société déjà
pour un contrat social la ridicule comédie formée,
1 extension qui peut être légitime
de ces listes ouvertes où s'inscrivaient la <dans son principe ou légitimée par sa durée.
peur ou l'ambition, et que rejetait la fidélité? La formation de la société publique n'a-
Et, si la légitimité, la première puissance été, < je le répète, ni volontaire, ni= forcée ;.elle-
de toutes dans les nations chrétiennes, ne ai été nécessaire.
se fût montrée, le pouvoir n'aurait-il pas Et sans cette nécessité, à prendre cette ex-
passé à la famille du conquérant? pression
j dans son acception philosophi-
Si la nécessité de repousser un ennemi que, < comment serait tombée dans l'esprit
extérieur a pu donner naissance au pouvoir d'hommes,
< naturellement indépendants, la
public, la nécessité, tout aussi urgente, de plus] inconcevable de toutes les idées et 1*
réprimer l'ennemi intérieur et d'assurer plus ] répugnanLe à la nature de l'homme
contre les passions la tranquillité de la cité l'idée
I de sujétion à son semblable? Le sys-
t
et le repos des familles, a ùû. aussi le pro- tème
1 d'un contrat social entre les peuples et
duire. Aussi nous trouvons, dès la plus haute
les rois, ce contrat qui suppose une délibé-
antiquité, des rois ou chefs législateurs, rationi a priori, pour sacrifier, sans nécessité-
comme nous y avons trouvé des rois guer- urgente et démontrée, sa liberté et sa vo-
riers et'des héros vainqueurs de monstres. 1lonté à la volonté d'un autre, n'a pu naître
Que les rois se soient élevés dans les sociétés que
< dans des esprits sans jugement et des.
naissantes par la profondeur de leur raison âmes i sans élévation et, loin que les hommes
ou la hauteur de leur courage, est-ce au aient '< pu ainsi à l'avance, et pour la satisfac-
peuple, ou n'est-ce pas à la nature» ou plutôt tion
1 de l'un d'entre eux, se donner un.
à son auteur, qui a départi à quelques maîlreà J telle ou telle condition,trop heureux
hommes les qualités d'esprit et de cœur qui dans < des périls urgents de trouver un sau-
les ont rendus propres à commander à leurs veur, ils ont accepté de sa part, avec recon-
semblables, que l'honneur doit en être rap- naissance,
i toutes les conditions qu'il leur a
porté? Et les premiers peuples eux-mêmes iimposées dans leur intérêt.
ne sont-ils pas tout à fait entrés dans celte Ainsi nous avons trouvé, dans j'état pubfic
pensée^ quand ils out fait leurs premiers rois <ou politique de la société à sa naissance, lés
enfants des dieux? Et n'ont-ils pas, comme trois
t personnes sociales que nous avons
les enfants de la famille, obéi à l'ordre d'ko* trouvées
1 dans la société domestique (Ij.

(1 ) De grands esprits, comnie saint Augustin et Un roi dans la. société politique, constituée sur
Bossuet, ont voulu non expliquer, mais faire com- 1les lois naturelles., est 1* pouvoir législatif; 2° il
prendre par des similitudes le mystère de da Tri- est pouvoir exécutif, c'est-àrdire instituant et di-
<
nitë, cetui qui présente les plus grandes difficultés rigeant
] la force publique, soit celle des armes, soit
à la raison mais its ont pris leurs points de com- celle
( des lois criminelles; 3° il est administrateur
paraison dans l'homme, et ils pouvaient les cher- suprême
s de la fortune de l'Etat, distributeur sou-
cher dans la société; et, si le pouvoir politique est verain
1 des grâces et des emplois. Si l'on demandé
l'image et le lieutenant du pouvoir divin, c'est dans 1le pouvoir législatif est-il roi? on répondra sans
l'image qu'il est naturel de chercher quelques traits hésiter*:
1 oui. Le pouvoir exécutif est-il- roi (rt)? oni;
du modèle. encore. L'administrateur suprême de la, fortune, de;
<
Nous restrouverons dans les sociétés poli- un pouvoir, et le plus respecté de tous,
tiques les plus avancées, sous divers nomss mais
i qui cependant n'aurait pas à la longue
de noblesse, d'officiers publics, de magistrats, 1pu maintenir tout
seul. l'ordre et la sûreté
<ié guerriers, etc. ( 1 ). <de l'Etat, dans un pays plus étendu etmoins

Ainsi les trois personnes et la place» isolé.


i
qu'elles occupent, et les fonctions qu'elless Nous avons sous les yeux l'exemple de
exercent, et les rapports qui les unissent, peuplades
] sauvages, qui, pour n'avoir pu
forment toute la constitution ou le tempéra- sortir
i de l'état domestique, vivent ou plutôt
ment de la société, bien différente de l'ad- végètent dans la barbarie et la faiblesse, et
ministration qui n'en est que le régime; 1finissent un peu pins tôt un peu plus tard,

d'où vient.que, pour la société comme pourr par


] une dépopulation progressive ou une
J'homme, le régime doit être plus sévère à extermination totale.
mesure que la constitution est plus faible, Nous allons reprendre les principaux
c'est-à-dire qu'il faut une administration i caractères
•< des personnes sociales; mais nous
plus concentrée, ou plus monarchique, aà 1ne pouvons, en les
développant et les ap-
mesure que la constitution ou le pouvoirr pliquant
1 à l'état public de société, que ré-
est plus démocratique ou plus dispersé. péter
] ce que nous en avons dit en traitant
Ainsi nous pouvons soutenir déjà que ( 2 ) de
< l'état domestique. Le lecteur pardonnera
si l'état domestique de société produit ett ces répétitions en faveur de l'importance de
<

conserve les individus, parce que le pou- la matière.


voir, le ministre le sujet n'y sont que dess Nous prendrons nos exemples et nos
individus, l'état public ou politique mul- termes
1 de comparaison dans la société où
tiplie et conserve les familles, parce que, toutes
1 les institutions politiques s'étaient le
dans les sociétés politiques à leurs dernierss plus
]
développées, en France. Ces institu-
développements, le pouvoir et les ministres s tions
1 ne sont plus; mais, s'il ne nous est
tendent toujours et partout à devenir dess plus
]
permis de les représenter comme des
familles, «'est-à-dire à se rendre hérédi- modèles,
i nous pouvons les étudier comme
taires. des monuments. Tel le voyageur, voyant à
<
Nulle part que dans la fabuleuse Arcadie, ises pieds les ruines
imposantes des temples
on n'a vu un certain nombre de familless de
< Memphis ou de Palmyre, en considère
placées sur le même sol, subsister sans lieni avec étonnement les magnifiques débris.
commun et moyen d'ordre intérieur et des
défense extérieure c'est-à-dire sans unj CHAPITRE VII.
pouvoir pub!ic; à moins qu'elles ne fussent,»
DU POUVOIR PUBLIC OU POLITIQUE.
comme les;missions du Paraguay, soumises S
h des institutions religieuses, qui y étaientt La première condition du 'pouvoir es>t

FElat, distributeur souverain des grâces et des om- prême, et pour parler le langage humain, le pou-
plois, est-il roi? oui, pour la troisième fois. Sont- voir législatif; que dans la seconde personne, Fils
pe trois rois? non, mais trois personnes en un seulIl de Dieu et Dieu lui-même est l'action et la direc-
roi, et tout ce que l'Eglise nous enseigne avec tant it- tion du ministère, force de la religion et sa milice
de précision et d'exactitude, des trois personnes enn spirituelle; qu'enfin dans la troisième personne,
Dieu dans la belle Préface du dimanche de la Tri- Dieu aussi, et procédant de l'une et de l'autre (ce
rite, s'applique exactement à la trinité royale. Unn qui est vrai aussi de la troisième personne royale,
seul roi, disons-nous, non en ne fanant qu'une seulee car l'administration se compose de législation et
personne, niais irais personnesen une même substance, d'exécution, et procède de l'une et de l'autre) se
< non in unius singularitate personœ sed in unius.s trouve l'administration de l'Eglise, puisque l'Esprit-
trinitate subslantiçe. »Ainsi il y a propriété dans less Saint est appelé dans la liturgie religieuse adminis-
personnes, unité dans t'essence, égalité dans la ma- tmlew al distributeur des dons el des grâces, et que
jesté, tel in personis. propriétés, et in e&sentia imita, ces trois personnes constituentaussi l'essence et la
et in majestate ae.gaulitas. Et cela est vrai, et avecc substance de la Trinité divins.
la plus rigoureuse exactitude, vrai philosophi-r- Encore une fois, je ne prétends pas expliquer ce
quement et métaphysiquement, de lalrinité royale, qui est inexplicable, mais, à l'exemple des grands
Ces trois personnes dans le roi sont bien -dis- hommes que j'ai cités, faire entrevoir par des simi-
tinctes puisque le roi délègue les fonctions dess litudes
1 la possibilité du mystère.
deux dernières à des personnes différentes, qu'elless (1 ) Dans les langues du Nord, le pouvoir est ex-
constituent un ordre différent de devoirs et d'affairess primé
1 à découvert; car les mots Kosnig, Kitig,
militaires ou administratives, et que ces trois fonc- Kan,
j etc., qui expriment la royauté, ont tous pour
tions et ces trois personnes constituent l'essence oui racine
] le verbe germanique ou scythique Kœnnen,
la substance de l'unité royale. qui veut dire pouvoir à l'infinitif. (Leibnitz;)
Or que nous enseigne la religion dans sa doctrineb ('2) Je crois devoir prévenir que l'état domestique
|a plus usuelle et la plus simple?Qu'en Dieu le Père, n'est
j pas l'état de domesticité; mais la vie en l'a-
prefijièi personne de la Trinité, est la-volonté su- mille,
i a domo.
d'être un: et le pouvoir n'est entre les> violences, en attendant d'être la victime,de
hommes un si grand sujet de division, que} ceux qu'il opprime.
parce qu'il ne peut pas. être un objet de3 Il est bon d'observer que l'Académie fran-
partage. C'est la tunique sans couture quii çaise, dans les premières éditions de son
ne peut être divisée et se tire au sort,.ett Dictionnaire, avait, fait absolu. synonyme
toujours entre les. soldats. d'arbitraire; dans les dernières, elle les.aa
Le pouvoir doit être un, et il est, comme distingués, et depuis que laJangue politique
nous le verrons, toujours un, malgré- des5 a été mieux faite, il n'est permis qu'à des
apparences contraires car la politique a, ignorants en grammaire comme en poli-
comme l'astronomie, ses mouvements réelsi tique, ou à, des factieux, de les confondre.
et ses, mouvements apparents. Un philosophe qui,fait autorité aujourd'hui.
Les fonctions du pouvoir peuvent êtrei pour beaucoup de gens,. M, Victor Cousin,
multiples,, suivant que son action s'appliquei a dit, dans ses. Fragments philosophiques,
à divers objets mais son essence est d'être page 153 Le contraire de l',arbitraire, logir
un, car deux pouvoirs répondraient à deux quement et grammaticalement parlant, c'est
sociétés, et de là vient que, partout où. le L'ABSOLU,
pouvoir est divisé, il se forme des partis Bossuet, définit le pouvoir absolu ou dé-
qui sont plusieurs sociétés dans le même finitif celui où un seul agit, mais par des
Etat; et le grand Maître en morale ne nous lois fondamentales contre lesquelles tout ce
dit-il pas que tout pouvoir, divisé en lui.- qu'on fait est nul d soi. Et la plus fonda-
même sera désolé? (Math. xur 25,; Luc. mentale de ces lois est que le pouvoir
xi, 17.) n'agira pas sans conseil ou sans remon-
Le pouvoir est essentiellement indépenr trances qui sont tôAou tard écoutées. Mon?
dant; car un pouvoir dépendant de quelque tesquieu définit le pouvoir arbitraire celui
autre n'est plus un pouvoir* où un seuj^entraîne, tout. par sa volonté ou,
Summum esse, dit Hobbes, et aliis subjick, par ses caprices;, mais il avoue lui-même
contradictoria sunt. « Etre le premier et le qu'il n'y a pas de pouvoir, pour si absolu
plus haut, et être soumis à quelque autre; qu'il soit, qui ne soit borné par quelque
implique contradiction. » endroit. Ce pouvoir, qui entraîne tout s'il,
n'est pas, comme en Turquie, borné par
Il faut, dit le célèbre Kant, que celui qui la religion, est entraîné lui-même par des.
devra limiter le pouvoir ait un pouvoir plus
révoltes de prétoriens et de janissaires.
grand ou du moins égal à celui qui est Ce n'est, pas le pouvoir» absolu, qui, pèse
limité; mais alors c'est le dernier et non le les peuples c'est l'obéissance absolue.
premier qui a l'autorité suprême, ce qui im.. sur Le pouvoir est la théorie, et, l'obéissance
plique contradiction. l'application. L'un, est une abstraction,don{
Le pouvoir public ne peut être indépen- les peuples ne s'occupent même
pas, l'au-
dant, sans être propriétaire dans le sol, car, tre est un. fait; et. je ne crains pas de sou-
sans propriétés territoriales, il n'y a pas tenir que jamais le pouvoir absolu de nos
d'indépendance politique puisque toute rois n'aurait osé demander
aux peuples ce.
autre richesse immobilière ou commet qu'en a obtenu le pouvoir constitutionnel
ments, i
ciale, dépend des hommes et des événe- du monarque armé de deux chambres.
1 | La religion chrétienne et les mœurs qu'elle
Le pouvoir est définitif, car un pouvoir avait formées étaient un frein doux et puis-
'qui ne peut définitivement exiger l'obéis- sant aux abus ou aux erreurs du pouvoir
sance n'est pas indépendant, n'est pas le (cette réflexion est de Montesquieu), et ce
:pouvoir, puisqu'il y a un pouvoir plus grand n'est que dans le pays où l'on a prétendu la.
que lui, celui de lui désobéir. réformer que l'on a vu surgir, dans la per-
C'est ce pouvoir définit-if que des hommes sonne de Henri VIII, le pouvoir le plus
ignorants ou perfides ont voulu rendre arbitraire, le plus cruel et le plus insensé
odieux en l'appelant absolu, et le confon- ii dont le monde eût entendu parler depuis les.
dant avec le pouvoir arbitraire, qui est le Commode et les Héliogabale.
moins indépendant, le moins définitif, le >
Le pouvoir partout est définitif, ou il n'est
moins absolu de tous, les pouvoirs, puisque pas un pouvoir. Ainsi, dans l'ordre domes-
sa volonté est sans règle et son action sans tique, le pouvoir du père sur ses enfants,,
direction, et qu'il est le jouet de ses propres du maître sur ses serviteurs, du chef d'alo».
lier sur ses ouvriers ainsi, dans l'Etat po- puleuses, où les rois ont été obliges de les
litique, les'arrêts des cours de justice, les déléguer.
ordres des chefs militaires, les décrets des Les premiers rois jugeaient eux-mêmes
assemblées législatives, sont chacun dans les différends qui s'élevaient entre leurs su-
leur sphère des pouvoirs définitifs ou abso- jets, et combattaient toujours à ta tête de
lus, et plus absolus si le pouvoir est collec- leurs armées et, plus d'une fois, le combat
tif et, si tous ces pouvoirs ne pouvaient singulier de deux rois a décidé du sort de
pas exiger l'obéissance, toute société domes- deux nations.
tique ou politique, même toute association Aujourd'hui les rois jugent en donnant des
d'intérêts, serait impossible. lois, en instituant des juges et combattent
Le pouvoir est essentiellement acti f, puis- par leurs généraux et leurs araées.
qu'en lui réside la volonté générale, prin- Ces deux fonctions, de juger et de combat-
cipe de toute action politique. tre, se retrouvent partout où il y a un com-
Le pouvoir doit être perpétuel car la mencement de société, et jusque dans les
mort ou la suspension du pouvoir serait la peuplades sauvages où les vieillards ren-
fin de la société, puisqu'une société sans dent la justice et les hommes plus jeunes
pouvoir n'est plus une société. Aussi les prennent les armes et déjà, chez les Ger-
rois ne meurent pas dans nos monarchies hé- mains, ces derniers étaient distingués en
réditaires. chefs, duces, ou compagnons du prince,
Le pouvoir par conséquent, doit être comites, d'où nous sont venus les titres
continuellement et réellement présent à la so- modernes de duc et de comte.
ciété, pour en régler le mouvement et en di- Tous les caractères que nous avons assi-
riger l'action car, comme la société ne gnés au pouvoir domestique conviennent
peut exister sans pouvoir, l'absence du pou- donc aussi au pouvoir public. Ils sont les
voir législateur et régulateur livre la société mêmes pour le pouvoir divin, en qui rési-
au désordre, et finit par l'usurpation qui dent, mais dans un degré infini, l'unité,
ramène une société, mais négative; c'est-à- l'indépendance, la force, l'activité la per-
dire qu'au lieu de pouvoir, de ministre, de pétuité, etc.
sujets, il y a un despote, des satellites et des
esches. CHAPITRE VIII.
Des publicistes ont, dans ce siècle, dis- CARACTÈRE DU MINISTÈRE DE
tàïigué deux autres pouvoirs LA SOCIÉTÉ
le pouvoir
exécutif et le pouvoir judiciaire. L'essence PUBLIQUE.
du pouvoir est d'être législateur, et celui-ci Le pouvoir domestique agit pour la pro-
ne se délègue pas; mais son action admi- duction et la conservation de ses sujets, qui
nistrative, son action judiciaire sont des sont ses enfants, par le moyen ou le minis-
fonctions qu'il délègue en 5,s'en réservant la tère de la mère (expressionabsolumentiden-
suprême direction ceux à qui il les délègue tique, sauf toutefois que moyen peut se dire
ne sont pas des pouvoirs, mais des autorités, de tous les êtres, même des êtres physiques,
puisqu'ils ont besoin d'être autorisés à les au lieu que ministère ne peut se dire que
remplir. des êtres intelligents).
Comme nous avons dit que le pouvoir Ainsi le pouvoir public agit pour la pro-
était volonté et action, vouloir et faire, velle duction et la conservation de ses sujets par
et facere, ces deux attributs du pouvoir ré- le moyen ou le ministère de ses agents, no-
pondent aux deux parties, intelligence et blesse, magistrats, guerriers, fonctionnaires,
organes, dont l'homme est composé. A l'in- etc., qui maintiennent l'ordre dans l'Etat, le
telligence appartient la volonté, aux organes défendent contre l'étranger, protégent les fa-
appartient l'exécution ou l'action. milles, jugent et apaisent leurs différends,
Le. pouvoir a donc deux fonctions émi- et contribuent ainsi à accroître et à conser-
nentes celle de juger tout ce qui peut éclai- ver la population.
rer sa volonté, celle de combattre tout ce qui Qu'on ne s'étonne pas de ce rapproche-
peut faire obstacle à son action. ment entre la société domestique et la so-
Dans les sociétés primitives, ces deux ciété publique; car, de même que sans le
fonctions du pouvoir de juger et de combat- père et la mère il n'y aurait pas de familte3
tre étaient remplies par les rois eux-mêmes et de sujets dans la société domestique, ainsi
plus littéralement que dans nos sociétés po- nous avons vu que, sans pouvoir public et
sans ministres, il n'y aurait pas de société, priété
pt territoriale il n y a pas d'indépendance
par conséquent pas de sujets; mais une foule politique.
po
sans conseil et sans direction qui ne pour- Le pouvoir, avons-nous dit, doit être dé-
rait que se détruire elle-mène, si elle finitif ou absolu, et il c'est même toujours
fi*
n'était; pas détruite par des causes étran- et partout, et plus absolu s'il est collectif.
gères. Son
Sc action exercée par ses ministres doit
Le ministère que, considéré en corps ou donc
de être définitive; et les arrêts des cours
en ordre on appelait dans l'Europe chré- de justice rendus de par le pouvoir de l'Etat,
de
tienne la noblesse, a suivi en France toutes et les commandements des chefs militaires
les phases du pouvoir viager tant que le donnés en son nom, et revêtus de son*auto-
de
pouvoir lui-même a été viager et que la suc- rite, doivent être obéis.
ri
cession héréditaire n'a pas été réglée» et de Le pouvoir est essentiellementaotif,les mi-
là vient qu'on n'aperçoit pas de noblesse nistres seront à la foisactifs et passifs; passif à
ni
proprement dite sous les premières races de 1.'égard
!'< du pouvoir dont ils prennent les or-
dres,
dr actifs à l'égard des sujets auxquels ils
nos rois; plus fixe à mesure que la succes-
sion héréditaire au pouvoir a été plus régu- le transmettent ils ne sont pas pouvoir, ils
les
lière et mieux affermie; héréditaire enfin se autorité; ils reçoivent du pouvoir pouc
sont
quand le pouvoir est devenu définitivement transmettre
tr, au sujet, et ils sont intermé-
héréditaire, parce que, ainsi que nous l'a- diaires, moyen, medius, entrel'un et l'autre,
di
vons dit, !e ministère doit être partout ho- et ils doivent être homogènes oude mêmean-
mogène au pouvoir. tu que le pouvoiret le sujet, pour quelepou-
ture
D'ans les gouvern èmentsgrossiersdes sociétés y< puisse agir sur eux et qu'ils puissent
voir agir
primitives, dit Condorcet dont la phi- st: le sujet ils participent donc
sur du pouvoir
losophie ne rejettera pas l'autorité, on trouve et du sujet, et c'est de cette participation
«presque générale » l'hérédité des chefs et des réelle
ié au pouvoir royal qu'est venu l'usage
rois, ainsi que la prérogative« usurpée » par des
d< couronnes que la noblesse portait dans
d'autres che fs inférieurs de partager seuls sE armoiries.
ses
l'autorité politique, d'exercer les fonctions Les fonctions essentielles du pouvoirsont,
du gouvernement et de la magistrature. avens-nousdit,
a^ de juger et de combattre. Les
C'est là l'origine de la noblessse; et ce que fonctions
fc subordonnées des ministres ou
Condorcet appelle usurpation était un besoin agents
à; répondent à ces deux fonctions du
ou plutôt une nécessité de la société où les pouvoir.
pi Au ministre appartient le conseil
rois ou chefs ne pouvaient tout seuls gou- pour p> éclairer le jugement du pouvoir, elle
verner c'est-à-dire juger et combattre. L'o- service
st pour seconder son action ces deux
rigine de la féodalité n'a pas été particulière fonctions,
fc conseil et service, ont été long-
à nos climats mais elle se trouve presque temps te remplies en France par les mêmes per-
sur tout le globe aux même époques, partout sonnes
s< depuis, et à cause de la multiplicité
la propriété ou l'usufruit de la propriété des d affaires, elles ont été divisées; le conseil
donné à condition de défendre l'Etat, et sous ou o la remontrance appartenait à la noblesse
l'obligation du service militaire. sénatoriale
si ou à ia magistrature le service,
Le pouvoir, avons-nous dit, doit être un, à la noblesse militaire; et cependant l'an-
parce que la volonté est simple et ne peut cienne c: pairie, siégeant dans la cour souve-
être divisée mais, comme son action peut raine ri et remplissant de hauts emplois mili-
§tre appliquée à un grand nombre d'objets, taires,
ti représentait l'ancien temps et avait
ses agents ou ministres sont plusieurs, et les retenu
ri ces deux fonctions.
sujets, tous.. Je répéterai ici, comme une vérité du pre-
Le ministre doit être indépendant du su- mier n ordre et comme la preuve que tout ce
jet mais dépendant du pouvoir, et même qui q existait dans nos sociétés de noble obéis-
plus dépendant que le sujet, puisqu'il est su- sance
s; et de véritable liberté nous venait de
jet lui-même, et de plus subalterne et soumis h la religion chrétienne que les mots servir
à des devoirs spéciaux et c'est avec raison et e service, employés pour désigner les plus
que Terrasson a dit, que la Subordination était hhautes fonctions, celles qui ont commande-
plus marquée darts les premiers rangs que dans ment,
n oni passé de l'Evangiledans toutes les
les derniers. langues des peuples chrétiens; le ;divin lé-
Il
Lé ministre doit donc être, comme le pou- ggislateur dit à ses disciples, qui se dispu-
voir, propriétaire dans le sol; car sans pro- taient
ti les premières places Que le plus grand
d'entre vous nesoit que le serviteur des autres. relle, car toute famille tendj et doit tendre à
Et c'est pour obéir à cette noble et touchante s'élever.
leçon, que le premier pouvoir de la chré- Cette ambition honorable la monarchie,
tienté s'intitule serviteur des serviteurs de où tout allait régulièrement et sans secousse
-Dieu, et c'est son plus beau titre. (car ta nature, dit Leibnitz, ne fait jamais de
sauts), l'avait inspirée* aux familles, et même? to
CHAPITRE IX. souvent elles y parvenaient trop tôt et avant ï
d'avoir acquis une fortune qui leur permît y
DU SUJET DANS LA SOCIÉTÉ PUBLIQUE.
de servir l'Etat, comme le dit Montesquieu, >
Comme tout se fait dans la société publique avec le revenu ou même le capital de leur
bien.
pour l'utilité des sujets, ils n'y ont propre-
ment rien à faire. C'est pour eux, en effet, La démocratie où tout va par sauts et par
bonds s soufflé cette ambition dans le eœur r
que lepouvoirfaitdes lois, que les magistrats
jugent, que les guerriers combattent,que les de tous les individus et a mis h découvert,,
prêtres instruisent, etc. Les sujets n'ont de pour le malheur du plus grand nombre, ce
pouvoir et de fonctions que dans la société résultat inévitable dans une société popu-
âdomestique, petit Etat où ils sont rois, où leuse, que, sur tant d'admissibles, il fie peut
ils sont ministres et leur devoir comme leur y avoir que très-peu d'admis.
intérêt est d'y maintenir l'ordre et la paix, Cependant la monarchie n'excluait aucurt
de veiller sur leurs familles d'en accroître individu:, même des plus hauts emplois. Les
'la considération parieurs vertus, et la for- constitution du royaume de France est si ex-
tune par leur travail et c'est d'eux que l'on cellente, dit le président Hénault, d'après un
pourrait dire avec vérité: ancien auteur, qu'elle n'a jamaisexclu et n'ex-
clura jamais les citoyens nés dans le bas étagef
0 fortunatos minium,, sua si bona norint! des dignités les plus relevées ( 2 ). Mais si les
(Virg. Georçf. life. n, vers. 458.) exemples de ces élévationsétaient rares, c'es!
que les hommes nés pour s'élercr ainsi et
Les sujets, dans la convocation générale de franchir de si grands intervalles,
sont encore
tous les ordres de l'Etat, appelée états géné- plus
rares que les exemples. La révolution
raux, avaient pris la dénomination de tiers cependant en a fourni un grand nombre;
étatr mot que les ignorants ont cru. une in- mais Mme de Staël
remarque que c'est pres-
jure, ce qui était synonyme de troisième que uniquement dans la carrière militaire,
ordre de, l'Etat. et elle en donne une raison que je m'abstiens
Qu'est-ce que le tiers état ? demandait i'abbé de répéter.
Sieyès aux premiers jours de la révolution. Un des plus grands maux qu'ait fait S l'E-
Il répondit,, je pense, que c'était la partie de tat et à ta famille
la révolution, a été d'ins-
la nation la plus nombreuse, la plus forte,. pirer l'ambition des pJaees et des honneurs,
la plus laborieuse, la plus industrieuse, et disons mieux, la fureur de sortir de leur
sans doute la plus éclairée en politique, condition. à une foule d'individus, heureux
puisqu'elle comprenait les avocats, les mé- jusque-là dans la vie privée, touriïïefltés
au-
decins, les fabricants et les négociants. Avec jourd'liBi des désirs, la loi' d'admis-
d'autres principes politiques et plus de ju- sibilité générale par que
ne leur donne ni lesuioyens
gement, il aurait répondu que le tiers état ni l'occasion do satisfaire, etd'avoir ainsi
en-
était la partie de la nation qui, n'étant pas combré toutes les carrières de médiocrités
encore sortie de l'état domestique desociété, mécontentes^ inutiles à leurs familles à
par lequel ont commencé plus tôt ou plus charge à t'Etat, qui ne peut cependant laisser
tard toutes les familles même les familles sans moyens de subsistance ce nombre im-
royales. ( î ), travaillait pour arriver à l'état mense de jeunes gens à qui l'éducation des
publie, et prendre rang parmi les familles dé- arts et des lettres qu'ils ont
reçue, et presque
voué'es au service politique, tendance natu- toujours aux frais du public, ne permet plus

(1 ) Comme fa dit Coulanges cienne) à laquellen'ont point été élevées tant d'an-
L'un a dételé le matin, tres familles dont l'antique éclat remonte aux pre-
L'autre l'après-dînée. miers temps de la monarchie, et qui ont mêlé leur
( 2) c Du sein de ce tiers état, si avili, si opprimé,.
sang avec celui de nos rois, (Pu Gouvernement,
des mœurs, et des conditions en France avant té ré*
si méprisé, dit-on, sont sorties, dans l'espace d'un volutitm, par M. Sénac DE Meillan, aueien iul«n<
oiècle, quinze familles honorées de la pairie (au- dant de Valenciennes; chez Maradan, libraire.)
de -reprendre les travaux utiles et lucratifs de Il faut, en terminant ce chapitre, reiliàr-
ïa maison paternelle. Aujourd'hui que lesi quer qu'autrefois, en France, si la noblesse
particuliers ne sont plus assez riches ou as- appartenait à la constitution comme mihis-
sez généreux pour payer les chefs-d'œuvre tère du pouvoir royal, l'administration ap-
des arts, l'Etat, poar faire vivre les artistes, partenait au tiers état et c'est là que la par-
commande des tableaux aux uns, des mo- tie démocratiquede l'Etat est bien placée.
dèles en pl-âtre aux autres, des projets de mo- Quand la monarchie
pure est dans la cons-
numents d'architecture} qu'on n'exécuterai titution, la démocratie peut et doit être dans
jamais, et se ruine ainsi pour faire éclores l'administration; et en France les municipa-
:i des talents malgré la nature, comme on faitt lités, les assemblées provinciales; même les
venir en serre chaude des fruits qui n'ontt pays d'états avec leurs comtes et leurs barons;
ni couleur ni saveur. Les écoles ont tué ces étaient et faisaient de la démocratie, mais

font à leur tour, •;•».


études solitaires que fait le génie, et qui lei sans danger, contenue qu'elle était par la
force de la constitution. Si, au contraire, il y
Sans doute, pour en revenir au tiers état, a dela démocratie dans la constitution,il faut
l'Etat est plus que la famille, et la profes- placer la monarchie dans l'administration;
sion de magistrat ou de guerrier, plus ho- car il y aurait trop de démocratie, si elle était
norable que celle d'artisan, même d'avocatl à la fois dans l'une et dans l'autre. De là est
ou de médecin, parce qu'il y a plus de di- venue la grande autorité des maires dans
gnité à servir le public que le particulier. toutes les révolutions. Aujourd'hui, qu'il y
Mais le tiers état en corps, ou, comme l'on a de la démocratie dans notre constitution,
disait alors, l'ordre du tiers état, dans lat la force des choses a placé la monarchie dans
convocation des trois sociétés, la société re- l'administration, et cette concentration ad-
ligieuse, la société politique, la société do- ministrative, dont on se plaint depuis si
mestique, qui composent l'Etat tout entier, longtemps avec plus de chaleur que de rai-
était autant élevé en dignité politique ques son, n'est pas autre chose que le monarchisme
chacun des deux autres ordres, et son con- de l'administration. Il estpossible que le po-
sentement était aussi nécessaire que le leur• sitif de cette administration monarchique
pour former les résolutions de l'assemblée pesât sur le particulier, bien plus que ne le
des états généraux. feraient les principes théoriques de la cons-
Il faut même remarquer que le premier• titution dont il ne s'occupe guère mais l'E-
corps (je ne dis pas le premier ordre) de> tat ne résisterait pas à la double action d'une
l'Etat politique, la magistrature souveraine, législation démocratique et d'une adminis-
et la première dignité du royaume, celle dej tration populaire, si toutefois cette comhi-
chancelier,appartenaient au tiers état, quoi- naison, qui nulle part n'a existé, pouvait ja>
que ceux qui en étaient revêtus pussent, mais se réaliser. Jamais, en France, l'admi-
de leurs -personnes, appartenir aux autresi nistration n'a été plus despotique que lors-
ordres. que la constitution a été, sous la convention,
Les partisans vaniteux d'une égalité chi- plus démocratique.
mérique se sont offensés de quelques [dis-
tinctions d'étiquette et de costume entre les•> CHAPITRE X.
ordres ils n'ont pas compris que, si l'éga-
lité personnelle consiste à être actuellement[ DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE SOCIÉTÉS
aussi fort d'esprit et de corps que tout autre, POLITIQUES.
l'égalité politique ne peut être qu'éventuelle,
c'est-à-dire qu'elle consiste h pouvoir, selon Nous avons vu que la famille peut être
ses dispositions naturelles ou acquises, être> monogame ou polygame; la société politique
dans l'Etat autant que tout autre, et que la1 peut être aussi monocratique
liberté politique dont on fait tant de bruit, tique, c'est-à-dire monarchique ou polycra-
n'est autre chose que la liberté pleine et en- laire. ou popu-
tière de se servir, pour parvenir, de toutes Il y a trois sortes de monarchies la mo-
ses facultés. II n'y a pas d'autres libertés> narchie royale, la monarchie despotique et
publiques, et les sujétions, et les contrain- la monarchie élective.

tes du jury et de la conscription, et mêmes Dans la monarchie royale, les trois per-
la licence de la presse, fussent-elles des né- sonnes qui forment,
• comme nous l'avons
cessités, ne sont pas des libertés. dit, toute la constitution de la société et sou
65 PART. I.ECONOM. SOC. minute, CONST.
PRINCIPE CUiNNT. DE LA SOCIETE. fifi
r,
c,C,
tempérament
homogènes.
politique, sont
fprïl l'i^rîlfllPn r iiAlihi/ina tnnt distinctes
rlîcr-ïrtnfft^ et «;^«A ou laI noblesse,
nistère i. i if. i
• et, si j'0^9
en détail,
le dire, par individus.
Le pouvoir, en France, était héréditaire ire La distinction de noblesse ancienne de
et
par ordre de primogéniture, de mâle en noblesse récente n'était pas daris la consti-
mâle, à l'exclusion des femmes, et l'on n'a 1'a tution, rnais elle était dans les
mœurs, qui ac-
qu'à jeter les yeux sur des Etats voisins ns cordaient aux familles anciennement vouées
pour voir les troubles qu'y a produits un or-
)r- au service public, et qu'on pouvait regarder
dre différent de succession. comme les vieillards de la société politique,
Le ministère, sous le nom de noblesse, »e, le respect que l'on accorde aux hommes
était aussi héréditaire, et même, dans la plus us avancés en âge, dans la société domestique.
grande partie des coutumes, les fiefs qui lui Comme ta noblesse était soumise à l'impôt
obligeaient au service militaire étaient mas- is- personnel du service militaire, où elle servait
culins et appartenaient à l'aîné. même avec le capital de son bien, dit Montes-
Le sujet participait de cette hérédité, et, >i> quieu, et du service de magistrature, si fai-
dans aucun autre Etat, il n'avait une sécu- u- blement rétribué, ses propriétés étaient af-
rité plus entière pour la possession et la franchies de quelques impôts matériels.
transmission héréditaires. de ses propriétés. *• Dans ce siècle d'argent, on lui en a fait
Le pouvoir, en France, était indépendant un
nt crime, et cependant le même publiciste,
et définitif, tout entier entre les mainsdu Ju qu'un certain parti ne cite jamais que lors-
roi, mais du roi en son conseil. Il avait le qu'il se trompe, dit
que lesterres nobles doi-
jugement par les officiers de magistrature re vent avoirdes priviléges comme les personnes.
qu'il instituait, et le combat ou la suprême Je Les sujets, comme nous l'avons dit, n'é-
direction de la paix ou de la guerre, par ses es taient exclus d'aucun avancement, et le re-
autres officiers.. La noblesse ou le ministère re proche fait à une ordonnance du ministre de
avait donc le conseil ou droit de remon- 1- la guerre, M. de Ségur, porte à faux. Le
trance, et il était tenu, actuellement ou tu jeune homme du tiers état qui voulait em-
éventuellement, au service militaire. Le con- brasser la profession des
seil et le service avaient été séparés, comme armes, pouvait
ie commencer par être soldat, comme le jeune
nous l'avons dit, et avaient formé deux or-r-. homme issu d'une famille noble, qui aujour-
dres de noblesse, noblesse de robe et no- 3- d'hui voudrait entrer dans la. carrière du
blesse d'épée. Toute division dans un ordre '« commerce, commencerait par être commis.
est un mal, et celui-là se faisait sentir depuisis D'ailleurs on n'a qu'à consulter les états mi-
longtemps. Cependant, cette division, que le litaires de cette époque, pour se convaincre
l'étiquette de la cour contribuait à entrete- i- que la moitié au moins des emplois militai-
nir, tendait à s'effacer, et souvent, dans les 3S res, surtout dans l'infanterie, étaient occu-
mêmes familles, l'aîné était membre d'une ie pés par des personnes qui n'étaient pas no-
cour souveraine de magistrature, et les puî- î- bles; le tiers état n'avait pas à craindre la
nés étaient dans la milice et même dans les is concurrence de la noblesse dans les spécu-
pi'us hauts emplois. lations de commerce et d'industrie, et il
La noblesse, en France, s'était toujours 's paraissait assez naturel qu'il lui laissât le
montrée digne de sa haute destination, soit it service militaire, qui assurément ne l'enri-
dans le conseil, soit dans le service mi- cbissaitpas.
litaire, malgré les altérations qu'avait subies s Toute distinction entre les ordres cessait
sa constitution naturelle, par sa division enn aux états généraux; ils étaient convoqués
noblesse magistrale et en noblesse militaire, de loin en loin
par le roi, ou plutôt par les
en gens de, qualité et en simples gentils- circonstances, pour sonder les plaies
hommes par la diminution de son nombre, temps, les passions que le
î, des hommes, et les er-
qui n'était plus en proportion avec sesfonc- reurs ou lesîautes du
tions enfin, par son appauvrissement, tou- pu faire à la constitution de
gouvernementavaientt
l'Etat ou à son
tes choses qui venaient à la fois de sa pro- administration, et en avertir celui qui devait
pre faute et de la faute du pouvoir; car less y porter remède. Ils étaient, si on peut le
Etais périssent par l'altération de la consti- dire, les médecins
consultants de l'Etat, et,
tution du ministère, plutôt que par l'altéra-
sous ce rapport, les états généraux na de-
tion de la constitution du pouvoir. Les pou- vaient pas plus être
periodiques que la mé-
voirs en .Europe, avaient trop oublié qu'il deeine ordinaire
un hommequeenlesanté.
pour n'avaient
faut
tut gouverner les sujets en masse, et le mi- Los. états généraux n'avaient que le droit
droit
Qli'lJVKES
QIUJVKES M. hp Himiii> J,
COMPL
O.O-MPL DE TVT
DE DE BONALD. I I. 3
de conseil ou de doléance; et, quand ils ont donc celle où les trois personnes sociales
voulu sortir de leur sphère, ils ont été inu- sont parfaitementdistinctes, et dans laquelle
tiles ou funestes. le pouvoir et les ministres sont homogènes.
On n'a pas assez connu la nature de cette Cela s'expliquera mieux par les applica-
convocation générale des trois sociétés, re- tions aux deux autres espèces de monarchie
ligieuse, politique et domestique, qui com- dont nous avons parlé, la monarchie despo-
posaient l'édifice social, représentées par le tique et la monarchie élective.
cierge ou les ministres de la religion, par la
noblesse ou les ministres de la politique, et CHAPITRE XI
par le tiers état, qui appartenait à la société DE LA MONARCHIE DESPOTIQUE ET DE
domestique.
LA MONARCHIE ÉLECTIVE.
Ces trois ordres représentaient les trois
choses qui constituent toute société, et sans Un exemple qui est sous nos yeux mettra
lesquelles une société d'êtres intelligents et dans le plus grand jour cette distinction en-
physiques ne saurait subsister les lumières, tre ces deux monarchies; car il n'y a de
la propriété, le travail; les lumières dans les vraie et de bonne théorie politique que celle
ministres de la religion, de qui leur divin qu'on peut sur-le-champ réduire en applica-
chef a dit Vous êtes la lumière du monde, tion.
'« vos estis lux mundi. » (Matth. v, 14.) C'est, La monarchie légalement despotique
en effet, dans la religion que se trouvent telle qu'elle existe en Orient, et plus près de
toutes les lumières morales et même poli- nous en Turquie, et la monarchie élective
tiques; car toutes les sciences humaines ne telle qu'elle existait en Pologne, sont celles
sont.pas des lumières, mais des connaissan- où deux des trois personnes, le pouvôir et
ces plus ou moins utiles, et sans influenco ses ministres, sont distinctes, mais né sont
au moins directe sur le vrai bonheur Ide pas homogènes.
l'homme et le bon ordre des Etats; la pro- Ainsi, en Turquie, le pouvoir est hérédi-
priété dans la noblesse, riche en grandes et taire, et tes ministres, officiers ou agents,
franches propriétés, si elle avait su les con- comme on voudra les appeler, sont amovi-
server le travail et l'industrie dans le tiers bles, et rentrent par un caprice du sultan
état,avee lesquels il pouvait acquérir la pro- dans les conditions privées d'où un autre
priété et la noblesse, et les lumières par caprice les a fait sortir.
l'éducation. 1 En Pologne, au contraire, le pouvoir était
Aux derniers états généraux, devenus de- électif ou viager, et ses ministres ou la no-
puis l'assembléewationale,toutaété confondu. blesse étaient héréditaires.
Au lieu de voir chaque ordre comme le re- Ces deux causes diamétralement opposées
présentant d'une société, et comme une seule ont conduit ces deux Etats au même résul-
personne, on n'y a vu que des individus tat faiblesse du gouvernement et oppres-
qu'on a domptés un à un et par tête, et ja- sion des peuples, en Turquie, par la violence
mais l'adage ancien, lot capita, tôt sensus, de l'administration en Pologne, par sa fai-
n'a été plus complètement vérifié. Les hom- blesse ou sa nullité.
mes du travail et de l'industrie ont égalé en L'éligibilité du roi, qui avait en Pologne
nombre et surpassé en force matérielle les remplacé l'hérédité, ne s'y était pas intro-
hommes des lumières et de la propriété; la duite sans motifs. Entourée de voisins bar
religion et la royauté, le clergé et la nobles- bares toujours armés et perpétuellement
se, ministres de l'une ef de l'autre, ont souf- agresseurs, la Pologne avait continuelle-
fert la persécution la plus cruelle les lu- ment besoin moins d'un roi que d'un géné-
mières se sont affaiblies, la propriété a été ral d'armée; et les chances de la minorité,
envahie, le travail seul et l'industrie ont de la jeunesse ou de la faiblesse de carac-
dominé et dominent encore, et se perdront tère de son souverain, était pour elle un dan-
par leur excès. ger de plus. Ces mêmes chances, autrefois
Je n'en dirai pas davantage sur ce chapi- .sans conséquences décisives dans lesjEtats
tre. Jen'aivoulu faire ni l'apologie du temps mieux situés, sont devenues plus menaçan-
passé, ii la satire du temps présent, mais tes pour J es monarchies, là où un» politique
exposer des faits trop ignorés aujourd'hui, étroite et jalouse a, sons do vains prétextes,
et en déduire les conséquences naturelles. supprimé le lieutenant perpéluef.et inamo-
La monarchie royale, je le répète, est vible ae la royauté, le premier officier milir
taire de la couronne, général né de ses ar- pouvait
p que la jeter dans de nouveaux abî-
mées, dictateur perpétuel, ie connétable, et mes,
n eussent consulté la nature, qui, par les
que les rois se sont ainsi coupé lé bras qui ddésordres mêmes où leur pays était tombé,
tenait leur épée; cette épée, qui, entre les leur
11 indiquait le besoin d'une royauté héré-
mains de simples gentilshommes, avait plus ditaire,
d et leur en [montrait la force et les
d'une fois sauvé la France, et entre les mains hbienfaits chez les nations voisines!1
du premier prince du sang, révolté contre Le magnat polonais, quidemandait au phi-
son souverain, n'avait pu l'entamer. L'office losophe
1 une constitution pour son pays, était
de connétable était une institution purement t
tout aussi raisonnable que le serait un ma-
défensive, et c'est en cela qu'elle était tout 1lade qui prierait son médecin de lui faire un
à fait monarchique aussi il est à remarquer tempérament,
t et rien ne prouve mieux que
que c'est à la veille des longues guerres et la
1 demande de ce seigneur, l'ignorance où
des grandes conquêtes de Louis XIV qu'elle 1l'on était alors de la science, politique.

a été abolie. Mais, si le défaut d'homogénéité entre un


Mais dès que les barbares voisins de la pouvoir électif et viager et une noblesse hé-
Pologne ont été repoussés de ses frontières réditaire,
r a conduit la Pologne au dernier
par l'éloignementdesTartares, la décadence degré
c de faiblesse et de dépendance, une
de l'empire ottoman et les conquêtes de la cause
c tout opposée, un pouvoir héréditaire,
Russie, les troubles de l'élection d'un roi, et E des ministres ou
et officiers publics amovi-
les facilités qu'ils donnaient à quelques 1bles, auraient depuis longtemps conduit la

puissances de lui imposer un maître, se sont Turquie, au même résultat, sans la chimère
fait sentir. La Pologne, dit J.-J. Rousseau, surannée
s de l'équiiibre politique auquel les
tombait en paralysie cinq à six fois par siè- puissances
1
chrétiennes ont cru la conserva-
cle. Sans roi qui ne mourût pas, sans direc- ttion de la Turquie nécessaire. Dans une mo-
tion uniforme et perpétuelle, sans indépen- narchie
î élective, le roi est sous la dépen-
dance, car l'indépendanced'une société n'est dance
( des grands héréditaires qui l'ont
que l'indépendancede son pouvoir, comme nommé
i et lui ont imposé des conditions.
l'indépendance d'un individu n'est que l'in- Dans
1 la monarchie despotique, tes ministres
dépendance de sa volonté; sans gouverne- ou agents du pouvoir sont sous la dépen-
<

ment enfin, la Pologne était dans une véri- dance


(
arbitraire du pouvoir, qui peut les
table anarchie; elle n'était un royaume que révoquer,
i
les dépouiller et les rejeter eux,
sur la carte, et une république que sur les et
< leurs enfants dans les derniers rangs de
protocoles de sa chancellerie. Elle n'était à la
1 société, ou même leurôter la vie et les
proprement. parler ni monarchie, ni aristo- Ibiens. De là, dans la monarchie despotique,

eratie, ni démocratie; elle était tout cela, si la


] violence du pouvoir, qui ne trouve de ré-
l'on veut, ou plutôt elle n'était rien, et les sistanée que dans la révolte des soldats, iqui
puissances voisines s'en sont partagé le ter- ]lui coûte souvent le trône et la vie et dans
ritoire comme un pays abandonné, et qui la monarchie élective, ta faiblesse du pou-
appartient au premier occupant. Heureuse voir, dépendant de ceux qui l'ont élu.
l'Europe, si les puissances copartageantes, Ainsi, là où le pouvoir est électif et où îa
consultant la politique de la morale, plutôt noblesse ou les ministres sont héréditaires,
que cellede leur ambition, se fussent accor.- il y a trop de force dans tes ministres, et là
dées à imposer à la Pologne, et même s'il où le pouvoir est héréditaire et les ministres
eût fallu, malgré elle, une famille royale, amovibles, il y a trop de force dans le pou-
eussent consacré ainsi, par un grand acte voir. Le premier de ces états de société est
politique, la loi fondamentale de la société, anarchie ou absence de chef; le second est
l'hérédité du pouvoir, et n'eussent pas donné despotisme ou force excessive et déréglée du
au monde le fatal exemple d'effacer de la pouvoir.
carte, et de réduire à l'état de province, ce Ou dira peut-être que dans la monarchie
vieil et noble enfant de la chrétienté Heu- royale le souverain révoque aussi et desti-
reuses les puissances, si elles eussent laissé tue des emplois militaires ou administratifs;
entre elles ce grand corps dont l'interposi- mais s'il révoque le fonctionnaire, il ne desti-
tion amortissait les coups qu'elles peuvent tue pas le noble, qui ne peut perdre son
se porterlHeureuse, enfin, la Pologne, si caractère et le faire perdre à sa famille que
ses grands, au lieu de demander une consti- par un jugement infamant et une dégrada-
tution à Fauteur* .du Contrat social, qui ne tion judiciaire; or tout ce qui, dans la so-
ci été, est .légalement indépendant du pou- CHAPITRE XII.
voir.est un frein aux abus d'autorité. DE LA DÉMOCRATIE;
Mais il faut bien distinguer le despotisme
légal et constitué du despotisme personnel, A l'extrémité opposée de la monarchie su
qui est proprement la tyrannie; et saint trouve la démocratie c'est-à-dire que la
ti
Louis lui-même, s'il est vrai que les Sarra- monarchie
Hy est le gouvernement d'un seul et
sins, frappés de ses héroïques qualités, lui Il démocratie est le gouvernement de tous.
la
aient offert la couronne, saint Louis, avec Dans la monarchie royale, il y a distinc-
ses vertus, obligé de gouverner ces peuples tion et fixité ou hérédité des personnes so-
par leurs propres lois, eût été un despote, et ciales,
cj et homogénéité entre le pouvoir et
n'eût certainement pas été un tyran. Il est ses
S( ministres; une famille royale exerçant
vrai que lé passage de l'un à l'autre est glis- e seule le pouvoir, des familles ministres
elle
sant, et que des peuples abrutis s'accoutu- occupées
0 à le conseiller ou à le servir, des
ment trop aisément à ne voir que l'ordre lé- £
familles sujettes occupées de travail et d'in-
gai dans les violences et les caprices du des- ddustrie, exerçant des professions lucratives
pote. Rendons grâces aux mœurs chré- qui
q puissent, en les enrichissant, leur per-
tiennes, qui font que le despotisme même mettre de passer, chacune à leur tour, de la
r,
légal est, comme dit Montesquieu, plus société
Sl
domestique dans la société publique,
pesant au souverain qu'aux peuples eux-më- 0ou autrement de la société de soi dans la
mes. La tyrannie n'est aujourd'hui à crain- société
s de tous.
dre que de la part d'une assemblée. S Dans la démocratie, où il n'y a ni famille
Dans le temps où nous sommes, et qui se ppouvoir, ni famille ministre, les familles
distingue par une haine si profonde de l'au- privées
p ont fait toutes à la fois irruption dans
torité, dans ce temps où l'on ne veut voir, \t société publique et les trois personnes
la
dans les pouvoirs publics les plus légitimes, ssont réduites à une seule qui les
comprend
que despotisme et tyrannie, on parle à peine toutes.
t,
de ces tyrans qu'on peut appeler domesti- Le peuple y est pouvoir, y est ministre, y
qués, qui, en dépouillant ou assassinant le e sujet; il est pouvoir, il est ministre du
est
père de famille, exercent une oppression cent pouvoir,
p puisque tous peuvent y prétendre;
fois plus cruelle que celle que peut exercer car,
c pour quel motif quelqu'un en serait-il
le gouvernement le plus oppresseur. Je exclu?
e Il n'y a plus de sujets, je veux dire
veux parler des crimes si multipliés de nos que
q le nomde sujet disparaît devant l'orgueil,
jours, et particulièrement en France et en e il n'y a que des citoyens. C'est ce que
et
Angleterre où l'on déclame le plus contre nous
r avons vu il y a trente ans.
l'oppression, et où l'on redoute le plus le On dirait que, dans cette fouie, personne
despotisme. En Angleterre, la prodigieuse d'assez fort pour commander ne s'étant éle-
multiplicationdes crimes a été dénoncée à la vé, les hommes qui la composent ont mis
chambre des communes il y a deux ans; en een société leurs
médiocrités pour gouverner
France, il faut sans cesse agrandir les mai- e commun, en
en attendant qu'il se présente
sons de détention et les bagnes, et l'on a été un
v homme qui prenne les rênes et renvoie
obligé de constituer à Paris le jury en per- t
tous ces gouvernants à leurs affaires; car
manence pour juger les malfaiteurs. Pour- c'est
( ainsi que finissent toutes les démocra-
quoi dans ces deux pays qui se disent libres tties. Jamais homme fort ne sera démocrate
cette surabondance de crimes, dont on ne que
( par ambitiondu pouvoir, et pour l'exer-
se plaint pas dans les autres? Est-ce que la (cer lui seul.
licence des actions suivrait la licence des C'est à peu près ainsi que de petits capi-
discours et des écrits? chacun donnerait-il talistes
t associent leurs fortunes dans une
au mot liberté, dont on parle sans jamais spéculation
< de commerce, que chacun d'eux
l'expliquer, un sens particulier accommodé n'est pas assez riche pour entreprendre seul,
à ses goûts et à ses passions, et les uns et
( c'est de cette- identité que vient sans
l'entendraient-ils de la liberté de tout faire doute
( la faveur dont jouit le commerce dans
comme d'autres l'entendent de la liberté de |les démocraties.
tout dire? Peut-être. Il faut remarquer que, moins la démocratie
est restreinte, je veux dire plus elle appelle
<
de peuple au gouvernement, plus elle est
démocratie
( plus elle est dans sa nature,
plus elle est parfaite; car le mal même a manière
1 absolue, est le pouvoir du jour oui
s m beau idéal-; mais aussi moins elle estt plutôt
1 du moment.
possible; et l'on ne pourrait gouverner, mê- Ainsi, lorsqu'en cas d'égalité des voix, on
me le plus petit bourg, s'il fallait appelerr donne
( au président la voix prépondérante ou
aux délibérationse t au maniement des affaires
s deux
( voix, que fait-on autre chose que sup-
tous les habitants sans distinction qui au- poser
1 la présence d'un votant qui n'exista
raient atteint l'âge de raison; car il ne fautt pas,
1 et qui n'en est pas moins quoiqu'il ne
pour gouverner que l'intelligence et la rai- soit
s qu'une fiction, le pouvoir de la circons-
son. C'est ce qu'ont senti tous les législa- tance?
t
teurs populaires qui en établissant la dé- Ainsi, dans toute assemblée, commission
mocratie, n'en ont voulu qu'aussi peu qu'il1 comité,
c un ouvre l'avis, qui finit par l'em-
a été possible d'en conserver, et ils ont faitt porter;
I car, si deux seulement parlaient à la
ce que font les médecins qui, administrantdess ffois, ils ne seraient pas entendus.
poisons comme remèdes, en pèsent la dose3 Ainsi, dans plusieurs Etats populaires, on
avec un si religieux scrupule. Aussi il estt rnomme un premier magistrat qui n'est
risible de voir les peines qu'ils se sont don- t un pouvoir permanent, mais qui pré-
pas
nées, et les moyens qu'ils ont imaginés danss sente
s une image et comme une fiction de
tous les temps et tous les pays, en Suisse ett l'unité
1 du pouvoir, tant cette unité est dans
à Genève, comme en France, et jadis à Rome3 1la nature de l'homme et les besoins de la

et en Grèce, pour distinguer, classer, bor- société


s I

ner de mille manières la partie du peuple3 La démocratie est le gouvenement des


qui doit prendre part aux délibérations pu- f
faibles puisqu'il est le gouvernement des
bliques, pour neutraliser les uns par less passionspopulaires,
l et elle est te plus faible-
autres, et attacher le droit de voter, contre3 des gouvernements, puisqu'il faut, dit Mon-
C
l'esprit de ce gouvernement, à tel cens, à tel1 tesquieu,
t qu'il ait toujours quelque chose à
âge, à 'telles conditions, plutôt qu'à toutt redouter.
i Dangereux pour ses voisins, car,
autre cens, à tout autre âge, et à d'autress 1les redoutant toujours, il est toujours à leur

conditions sans que, dans toutes ces combi- éégard dans un état hostile; dangereux pour
naisons plus ou moins ingénieuses, il y aitt lui-même,
1 parce que le pouvoir y est en
autre chose que l'esprit de l'homme, trop) proie
F à tous les ambitieux, et qu'il ne peut
souvent lés erreurs de son jugement, quel- échapper à la guerre civile que par la guerre
quefois ses passions, et sans qu'on puisse yl étrangère.
é C'est l'histoire de Rome, de Car-
trouver quelque raison prise de la nature de tthage, de l'Angleterre, de la France républi-
l'homme ou de celle de la société; que,
q des républiques grecques et des démo-
Cependant J.-J. Rousseau a dit Ppurr craties
c italiennes du moyen âge; et la dé-
qu'une volonté soit générale dans une républi- mocratie
E ne peut se maintenir quelque
que, il est nécessaire que toutes les voix temps
t dans un grand Etat, comme les Etats-
soient comptées; toute exclusion formelles lUnis d'Amérique, qu'à l'aide de circonstan-
rompt la généralité. Et plus loin Là démo- cces particulières d'isolement ou d'une popu-
cratie peut embrasser tout un peuple ou seî lation
1» dispersée sur un vaste territoire; et.
resserrer jusqu'à la moitié. Ce qui est une» ddans les petits, que par l'amitié et, s'il en
contradiction formelle avec ce qui précède; était
é besoin, par l'intervention de quelque
là il ne veut pas une seule exclusion; ici il grande
g puissance, ou enfin, comme dânsles
exclut la moitié du peuple. petits
p cantons helvétiques, par l'influence
Mais la nature ne perd pas ses droits, ett toute-puissante,
t< et, pour parler plus exàc-
jusque dans la démocratie la plus étendue, tement,
t1 par le pouvoir de la religion,
et par conséquent la plus désordonnée, oni
retrouve, au fond de toutes les combinaisons, CHAPITRE XIII.
quelque image de l'unité du pouvoir ou des
la monarchie; car, ainsi que nous l'avons DE L'ARISTOCRATIE.
déjà dit, la politique a, comme l'astronomie,
ses mouvements réels et ses mouvements Dans la monarchie royale, nous avons vu
apparents. les
j( trois personnes sociales parfaitement
Ainsi les affaires se décident à.la moitié distinctes
d les unes des autres; dans la démo-
plus une des voix, et cette voix seule quoi- cratie nous les avons trouvées confondues
c
que inconnue, qui tranche la question d'une een une seule dans J'aristocratie nous en
?g
ta
.-°.M-«na “«, 1a«
trouverons deux, les ministres

OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
minUtras et
Pt les sujets,
suiets. sor magnifiques seigneurs comme ceux
sont ceux de
Venise. S'il y avait un livre d'or à Venise,
Ve
7fi

la noblesse et le peuple.
L'aristocratie se rapproche donc davanta- où étaient inscrits les seuls nobles Vénitiens,
même de et si même les nobles de terre ferme étaient
ge de la.monarchie elle participe t
des plus hauts emplois, il y avait à
M force de conservation
et de stabilité, et elle exclus
ex(
monarchie Genève, et dans d'autres républiques de la
Ge
•est à proprement parler une
acéphale, ou sans chef; et c'est pour conser- Suisse, des distinctions entre les natifs, les
Su
naturels, les bourgeois, les paysans, etc., et
ver une image plus complète de la monar- na
conséquemment des priviléges et des exclu-
chie, qu'elle se donne un chef sous le nom coi
de doge, de président, et quelquefoisde roi sions,
sic et tous ces gouvernements s'appe-
les vains laient,
lai les uns comme les autres, républi-
comme en Pologne, qui n'a que
honneurs de la souveraineté, et n'est que le ques,
qu et l'étaient en effet.
premier sujet de cette aristocratie, ou plutôt VeniseE puissante était4 tranquille parce
constitu-
son premier esclave, qn ainsi que nous l'avons dit, sa
que,
II faut remarquer que cette classe de ci- tic la rapprochait davantage de la monar-
tion
toyensqui exercé exclusivementetcollective- chie,
ch et que le pouvoir y était reconnu com-
anciennes
ment le pouvoir, réunie en un corps presque me la propriété héréditaire des
mi
partout appelé sénat perd le nom politique famille
fai fondatrices de cet Etat; et Genève,
de noblesse pour prendre celui de patriciat; malgré
m, l'exiguïté de son territoire était
agitée, parce que la nature
et, pour faire sentir en deux mots cette dis- continuellement
co
linction, la noblesse sert le pouvoir le pa- de de ce gouvernement appelant au pouvoir,
qui en
triciat l'exerce, et, devenu roi, nomme des en er général tous les citoyens, ceux
ministres ou secrétaires d'Etat, pour les dif- étaient ét exclus s'offensaient avec raison de
férentes parties de l'administration. l'inconséquence
l'i et de la dureté des lois qui
Ce qui rapproche le plus l'aristocratie de avaienti al concentré le pouvoir dans un cer-
la monarchie royale, est l'hérédité que le tain i ta nombre de familles qui n'y avaient pas
patriciat a gardée pour lui et n'a pas accor- plus p de droit que les autres.
dée à son chef, de peur d'en faire un roi,
Mais, si l'aristocratie, pouvoir plus cou-· CHAPITRE XIV.
centré, participe de la stabilité de la monar-
pouvoir collectif elle DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF..
chie, en sa qualité de 3
participe aussi des vices de la démocratie
elle préserve par la plus sé-
1
Le gouvernement appelé représentatif, on
dont ne se que regardé comme
vère surveillance. Plus forte et plus tran- ne n sait trop pourquoi, est
|< dernier terme des progrès
le politiques de
quille que la 'démocratie, elle l'est meins s
monarchie, réunit plutôt les in- l'esprit
1 humain, et des découvertes qu'il a
qu la et
F faire dans la
science de la société.
çonvépients des deux gouvernements quee pu
leurs avantages. Si nous l'examinons d'après les principes
C'est l'hérédité du pouvoir, qui fait la dif- F- que
ç nous avons appliqués aux autres formes
de {l'ancienne aristocratie noble de
le de
c gouvernement, nous y voyons, au moins
férence sociales mais
Venise l'aristocratie bourgeoise de Genève, i, de t nom, les trois personnes
it confondues ensemble et, dans le fait, ré-
entre lesquelles J.-J. Rousseau n'en voit (
le pouvoir; car la roi y
quelque raison; it
car duites à une seule,
aucune, et certes avec <

l'aristocratie proprement dite est une dé-


S- est pouvoir, la noblesse,ou plutôt le patri-
pi <

mocratie de nobles, on peut dire que la dé- é- çiat,


t yest pouvoir, les sujets y sont pouvoir
représentation. Ils sont donc tous pou-
mocralie est une aristocratie de bourgeois. s. par]

hérédité, qui n'existe pas de


ie voir législatif, le premier pouvoir et même
Au reste, cette
peu
droit à Genève, y existe de fait, ou à m le seul, puisque pouvoir judiciaire ne
exécutif et
les autorités nommées
près, puisque le pouvoir tend s'y concen- n- pouvoir
certain nombre de familles, et sont que des fonctions du pouvoir législatif
trer dans un volontés.
que les enfants des membres du gouverne- e- et l'exécution de ses l'ancienne noblesse;
ment de Genève ne retombent pas plus que ue La charte a conservé
Venise, mais cette noblesse, sans fonctions politi-
ne le faisaient ceux des patriciens de :e'
condition du peuple. Aussi les ques, n'est à côté de la pairie ou du patn-
dans la ap-
p-
qu'étaient à côté du sénat, les
pellations d'honneur sont les mêmes dans ns ciat, que ee
ve chevaliers
romains, qui n'eurent jamais de
les deux pays, et les aristocrates de Genève
place bien marquée ni de fonctions spéciales hygiène; mais celle qui opère le plus tôt
dans l'Etat. et le plus cômplétement le rétablissement.
Le type du gouvernement représentatif Ce gouvernement composé plaît aux
est en Angleterre. Il y a été formé sans des- beaux-esprits parce qu'il faut beaucoup
sein combiné d'avance par les chances va- d'art pour diriger la course de ce char au
riées des événements, les troubles civils, les milieu des précipices dont la route est se-
guerres étrangères, l'audace et la puissance mée, parce qu'on y parle beaucoup et que
des barons, la faiblesse ou les violences de l'on y écrit encore davantage. Il plaît au
quelques souverains, et surtout par la né- commerce et à l'industrie, dont il favorise t
cessité continuelle où se trouvaient les rois et quelquefois outre mesure, le développe-
d'Angleterre perpétuellement en guerre ment il plaît à l'ambition, qui trouve, dans
avec la France, l'Ecosse ou l'Irlande, de de- ses fréquentes révolutions d'administration,
mander à leurs peuples, pour la soutenir des chances inespérées de succès. Aussi,
des subsides qu'ils n'osaient pas toujours lorsque le règne du bel-esprit eut commen-
imposer d'autorité; et c'est un des avantages cé en France, et que l'égalité de représenta-
pour les rois, ou des inconvénients pour les tion, et bientôt la supériorité de force et
peuples, de cette forme de gouvernement, d'influence, eut été donnée, dans l'assemblée
si toutefois il y a avantage pour les rois dans constituante, à la partie de la nation exclu-
ce qui est inconvénient pour les peuples. sivement occupée de commerce et d'indus-
Ce gouvernement mixte n'est proprement trie, la France, après plusieurs essais tous
lii monarchie, ni aristocratie, ni démocratie; plus malheureux les uns que les autres
t
mais il tient de tous les trois. Il en a eu, en passa du despotisme militaire de Bonaparte
Angleterre, selon les temps, les biens et les sous cette forme de gouvernement qui réa-
maux, et il a successivementpassé par toutes lisait bien des projets, calmait beaucoup de
les violences du despotisme, toute l'inso- craintes, et tranquiltisait beaucoup d'intérêts.
lence de l'aristocratie, toute la turbulence et La constitution anglaise avait été le pro-
les orages de la démocratie. La réforme re- duit des événements; celle de France fut une
ligieuse du xv* siècle y prit aisément imitation a priori, plus raisonnée que rai-
racine elle y trouva ses principes, et ne sonnable de celle d"Angleterre dont quel-
contribua pas peu à les affermir. ques écrivains avaient fait après coup la
En 1688; le gouvernement prit une forme théorie, comme on a fait des poétiques sur
plus déterminée le roi gagna en respects des poëmes. On s'expose à de grandes mé-
extérieurs et le peuple en licence ce que prises lorsqu'on cherche la raison de ce qui
l'un et l'autre perdirent en pouvoir réel. Ce n'en a pas d'autre que le hasard des événe-
changement se fit au profit de l'aristocratie, ments et le résultat irrégulier des passions
qui craignit que la tendance des derniers humaines.
Stuarts au catholicisme, ou même la profes- Le roi, dans cette forme de gouvernement,
sion ouverte qu'en faisait Jacques II, ne n'a, comme pouvoir légistatif de plus que
remit en question la légitimité de possession les deux autres, que le droit de faire faire des
des biens de l'Eglise, dont les grandes fa- propositionsde lois par ses secrétairesd'Etat;
milles s'étaient emparées. Le peuple ne fut car c'est plutôt comme pouvoir exécutif et
pour rien dans cette résolution, tout entière administrateur suprême qu'il a reçu de la
faite contre lui ou sans lui et qui n'a pas charte le droit de nommer des ministres, de
encore porté tous ses fruits. faire la paix et la guerre, et de publier des
Que les Anglais dit Montesquieu ordonnances* quand les circonstancesle de-
conservent soigneusement leurs institutions mandent..
car, s'ils venaient à les perdre, ils seraient~ le. Le -roi ne peut donc que voter sur le vote
peuple le plus esclave de la terre. Ce publi- des chambres c'est-à-dire sanctionner ou
ciste ne s'est pas aperçu qu'il ruine et dé- rejeterleursrésolutions, comme les chambres
ment, par cette seule observation tout ce elles-mêmes peuvent accepter ou rejeter les
qu'il a dit à l'éloge de la constitution anglai- propositionsfaites au nom da roi, après en
se car, pour les Etats comme pour les avoir délibéré, et même oes propositions,
t
hommes, la constitution la. plus forte n'est comme tous les actes législatifs, quoique si-
pas eelle qui empêche les maladies, ce qui gnés du roi lui-même, n'auraient aucun effet
n'est pas plus possible en politique qu'en et ne seraient pas prises en considération,si,
79 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BOiNALD. 80
n'étaient contre-signées et comme en-
elles n'étaient
elles qu'aucun
q autre peuple dans les habitudes
dossées par un des secrétaires d'Etat. ordinaires
01 de la vie, et indépendantsjusqu'à
Le pouvoir n'est donc un que par fiction, l'originalité, les Anglais ne portent pas cette
1'
puisqu'il est divisé en trois. JI n'est pas in- ir
indépendance dans les discussions parlemen-
dépendant dans les mains du roi, puisque taires;
ta ils pensent que l'opinion de chacun
le roi est pensionné, et non suffisamment doit
d, céder à l'opinion de ceux avec qui il
propriétaire. Mais, à la place de ce que la loi combat,
e< et qu'un gouvernement fondé sur
lui refuse elle lui confère un privilége qui des majorités de nombre serait impossible si
d<

semblait réservéé à la Divinité celui de ne chacun voulait, sous prétexte d'indépendance


cl
pouvoir faillir; et il est naturel, en effet, que d'opinion, se frayer une route particulière.
d'
ne pouvant tout seul rien faire lui-même Les destitutions fréquentes qui sont la suite
L
dans la législation, il ne puisse pas mal faire. d< révolutions ministérielles font ressem-
des
Tout le mal, s'il y en a, se fait par les minis- bl les gouvernementspopulaires aux gou-
bler
tres secrétairesd'Etet, et ils en font beaucoup, vernements
ve despotiques avec lesquels ils ont
s'il faut en croire les journaux démocrati- déjà assez d'autres rapports; mais, si quel-
di
ques, qui les attaquent sur tout et à propos ques-uns ont à s'en plaindre,d'autres, en plus
qi
de tout 1 Cette guerre perpétuelle entre ces grand
gr nombre, s'en accommodent,et tout se
journaux et les secrétaires d'Etat, premiers compense. Il n'y a, dans tous ces change-
cc
agents de l'autorité, qu'on appelle exclusi- ments
m et toutes ces révolutions, de perte que
vement ministres, tient ceux-ci dans un état .pour
.pc la tranquillité publique, chose en géné-
de vigilance continuelle sur leurs actes, mais ral dont on s'occupe fort peu dans ces sortes
ra
elle peut aussi les retenir dans un étatd'iner- de gouvernements.'Un gouvernement libre,
d<
tie et de timidité ou même leur arracher des dit Montesquieu est toujours agité. Quand
di
concessions funestes à l'Etat. Des hommes vous
vc voyez un Etat tranquille, dit J.-J. Rous-
d'un grand caractère pourraient, il est vrai, seau,
se soyez assuré que la liberté n'y est pas.
se mettre au-dessus de ces pusillanimités et Ci philosophes ont cru que l'homme et la
Ces
de ces complaisances mais ils courraient le société
sc étaient faits pour vivre dans le trou-
risque d'être accusés par une chambre et ju- ble et l'agitation et, si telle est leur desti-
bl
gés par l'autre. La force de leur caractère ne née,
ni les gouvernements représentatifs sont,
servirait qu'à rendre leur retraite plus hono- sans contredit, ceux quiconviennent le mieux
sa
rable, et ce n'est pas tout à fait à la monar- à la nature de l'homme et à celle de la société.
chie représentative ou constitutionnelleque En effet, le gouvernement représentatif est
convient cette observation de J.-J. Rousseau: une lutte permanente et continuelle entre
ui
Quand, par quelque heureux hasard, un de ces deux
di ennemis irréconciliables la monarchie
hommes nés pourgouverner prend le timon dese et la démocratie, la nature et l'art et l'oppo-
el
affaires dans une monarchie presque abîmée, sition entre ces deux antagonistes y est né-
si
on est tout surpris des ressources qu'il trouve, cessaire,
Cf parce qu'elle y est naturelle.
et cela fait époque. Le passage suivant de Cette lutte existe en Angleterre comme en
^Montesquieu aurait beaucoup mieux F
France; mais en Angleterre la monarchie est
convenu à des temps par lesquels nous avons défendue par une aristocratie plus nom-
di
passé, et qui, il faut l'espérer, ne revien- breuse
bi et plus puissante, soit par ses rela-
dront plus. Quel état, demande-t-il, que ce tions
ti avec la chambre des communes dont
système de tyrannie produit par des gens qui elle nomme, avec la couronne ou fait nom-
el
n'avaient obtenu lepouvoirpolitique que ><par mer
rr une grande partie des membres, et où
la connaissance des affaires civiles, » et qui. elle fait entrerses fils, ses frères,. ses parents,
el
dans les circonstances de ces lemps-là, avaient ses amis, ses obligés soit par son influence
st
besoin au dedans de la lâcheté des citoyens, si le peuple des campagnes, à cause de ses
sur
pour qu'ils se laissassent gouverner, et-de leur it
immenses propriétés et de leur nature féo-
courage au dehors pour les défendre? dale
di lareligion anglicane, qui a retenu la
Les révolutions ministérielles seront, je hiérarchie
h épiscopale et conservé de grandes
crois, plus fréquentes en France qu'en An-• propriétés,
p appuie aussi la monarchie; mais,
gleterre, à cause de l'inconstance de notre comme
ci elle est presbytérienne dans s,es
humeur et de la précipitation de nos juge- d
dogmes, et que les méthodistes, calvinistes
ments d'ailleurs, nous comprenons beau- rigides,
pi et mille autres sectes, penchent vers
coup moins bien que les Anglais ie gouver- h démocratie le gouvernement" royal qui
la
nement représentatif; plus indépendants voit
v le danger, appelle dans ce moment à son
secours les catholiques, et abroge les lois aujourd'hui ceux qui les remplacent, et leur
aujc
barbaresportées contre eux. rendrait
ren( volontiers le pouvoir absolu s'ils
La monarchie, en France, ne trouve pas voulaient
vou s'en servir contre le gouverne-
tout à fait le même appui dans sa pairie mer et, comme les magistrats sont hom-
ment
nouvellement formée, encore sans esprit de mes il est à craindre que la magistrature
mes,
ne
ne se laisse prendre quelquefois à cet ap-
corps, sans influence sur le choix des dépu- Il

tés, et à qui les confiscations révolutionnaires pât.


P^1-
Le gouvernementreprésentatif a des effets
L
sur les grands propriétairesn'ont pas permis
différents dans un Etat insulaire et dans un
difft
encore d'acquérir la consistance que don-
nent de grandes richesses anciennement Etat continental. 11 est, comme tout gouver-
possédées. Mais la monarchie trouve un nement
ne|r où le peuple a part au pouvoir,
pointilleux
P0^ et querelleur de sa nature, puis-
secours dans la religion catholique, essen- qu'il ait tou-
tielletnent manarchique. Aussi la démocra- ÏM'* faut a dit Montesquieu
qu'il
tie fait tous ses efforts pour ruiner l'influence 1°™ quelque chose à redouter. Uu Etat insu-
jours
du catholicisme et nous jeter dans le protes- ^vt isolé de tous les autres, défendu par la
laire,
tantisme, au hasard de renouveler parmi mer surtout quand il en est le maître, ne
mer,
nous les scènes sanglantes et les affreux dé- Prei aux querelles du continent, que la
prend,
sordres dont il a été la cause et l'occasion. part qu'il veut bien y prendre. Mais un Etat
coiitinental
co" entouré de voisins puissants, ar-
L'Angleterre trouve encore une res-
més quelquefois jaloux, ne peut se refuser à
més,
source contre la turbulence accoutumée de la gguerre, surtout lorsqu'il la provoque, et le
la démocratie et sa lutte éternelle contre la
gouvernement
^ou représentatifestprovocateurde
monarchie, dans les habitudes un peu no-
mades des Anglais et ce goût de voyager qui sa nnature, ou par ses armes ou par ses doctri-
sa
nes et voulût-il rester en paix, il suffirait de
leur fait quitter teur pays pour vivre en l'éloquence véhémente d'un orateur de tribune
d'autres climats, et surtout dans les nom-
breuses occupations que leur donne un com- jpou le pousser à la guerre. Si jamais notre
pour
ce
belle France était entamée, elle le serait de
merce maritime qui les disperse dans les ce côté;
c elle serait conquérante jusqu'à ce
quatre parties du monde. La classe intermé- qu'elle fût conquise car c'est par là que fi-
diaire étant aussi beaucoup plus riche qu'elle E
nissent
nis* tous les Etats conquérants, et nous
ne l'est en France, voit avec moins déjà-
lousie le pouvoir, la fortune les faveurs de en `eavons fait la triste expérience.
en
Mais en même temps que ce gouvernement
est'
la cour entre les mains de l'aristocratie, et y
est plus guerrier, ou plutôt plus guerroyant,
fst
a beaucoup plus de respect, au moins exté- est moins militaire aussi toutes les répu-
il e'
rie ur, pour les classes supérieures. modernes ont confié le soin de leur
bliques
bile
Le Français est plus sédentaire, et parce défense à des troupes étrangères, qu'elles ne
défi
qu'il est du double plus nombreux que le rd
redoutaient pas comme les nationales, dans
peuple anglais,.il est généralement moins lesquelles la république craignait de trou-
]esc
distrait par le commerce,. et il a aussi plus ver un compétiteur. C'est ce que la France
de cette vivacité d'impressions et d'émotions, san doute ne fera jamais mais l'esprit mili-
sans
qui fait qu'il s'occupe de politique avec plus taire s'y est affaibli, et des écrivains, mili-
tair
de danger pour l'Etat .el. pour son propre taires de profession, en font la remarque .il
tair
bonheur. s'y est affaibli, parce que les. classes les plus
La magistrature, ou plutôt les magistrats élc
élevées appelées à la pairie, aimeront mieux,
qui n'ont jamais fait corps en Angleterre, ni h longue, gouverner l'Etat que le servir,
à la
rivalisé de pouvoir avec le gouvernement, ett déjà, dans les familles patriciennes, les
n'ont point de cet esprit de corps ou de ces aîn n'embrassent plus la profession des
aînés
souvenirs qui puissent les détourner de prê- armes,
ara les puînés entrent de préférence dans
ter au gouvernement, dans les questions ju- les carrières civiles, et en tout le civil prend
diciaires qui l'intéressent l'appui le plus le pas
] sur le militaire, qui occupait autrefois
franc etle plus sûr. Nous ne sommes pas tout dar la nation le premier rang. Dans un Etat
dans
à fait dans la même position, et il est à re- insulaire,
ins la partie la plus militaire de la na-
marquer que le parti qui a le plus hautement tioi sert sur mer, et ce service, qui se con-
tion
déclamé contre l'c~6solûtisme de l'ancienne fon avec la navigalion commerciale, est
fond
magistrature, qui a détruit les parlements et dai la nature de ce gouvernement, et les
dans
envoyé leurs membres à l'échafaud flatte habitudes
hal1 ou les intérêts de ces peuples,
et n'expose pas l'Etat au danger de l'usur- que des lormes plus ou moins neureuses
pation. d'administration,qui diffèrent de la consti-
L'oppression serait plus pesante et plus tution, ainsi que nous l'avons déjà dit, com-
générale de la part d'un gouvernement col- me le régime diffère du tempérament.Ainsi,
lectif, que de la part du monarque même le pour ne nous occuper que dela constitution,
plus absolu. Le monarque ne peutopprimer dans la société domestique se trouvent les
que ses courtisans, parce qu'il ne connaît trois personnes pouvoir, ministre, sujet, par-
personne au delà de sa cour; le gouverne- faitement distinctes.
ment collectif peut opprimer avec la force La famille est monogame ou polygame.
et les passions de tous ses membres et La société publique peut être aussi mono-
commeceux-ci, en:parvenantau pouvoir, ont cratique ou polycratique, c'est-à-dire mo-
laissé dans le monde des ennemis, des, ja- narchique ou populaire.
loux, des concurrents, ils peuvent employer Dans la monarchie royale, le plus parfait
cette force à satisfaire des vengeances ou des des gouvernements, parce qu'il est le plus
rnimosités personnelles. naturel, et qu'il ressemble le plus à la fa-
Nous avons comparé la société politique mille, son élément, les trois personnes sont
à la société domestique, et le pouvoir pu- parfaitement distinctes, et le pouvoir et le
blic à la paternité. En suivant jusqu'au bout ministre sont héréditaires, propriétaires,
cette comparaison, on pourrait regarder le inamovibles, et par conséquent homogènes
gouvernement représentatif comme une avec le pouvoir.
sorte de polygamie politique, qui réunit Dans la monarchie despotique, comme
deux sociétés sous un même pouvoir, de dans la monarchie élective, les trois per-
même que la polygamie domestique réunit sonnes sont distinctes, mais non homogènes
plusieurs familles sous un même père et la entre elles, puisque, dans la première, le
comparaison est d'autant plus juste qu'il pouvoir est héréditaire et le ministère amo-
n'y a pas beaucoup plus d'union entre les vible, à la volonté du pouvoir comme en.
deux sociéiés monarchique et populaire, Turquie et en Perse; et que dans l'autre le
qu'entre les familles nées de mères diffé- pouvoir est viager et la noblesse ouïe ministè-
rentes (1). re héréditaire, comme autrefois en Pologne.
Dans la monarchie représentative ou.
CHAPITRE XV. constitutionnelle, il y a distinction même
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.
héréditaire de personnes et confusion de
fonctions, puisque les trois personnes ont
Si, avant de passer à la société religieuse, part au pouvoir, mais en corps de sénat ou
nous jetons un coup d'œil sur l'ensemble de de peuple.
la société civile dont nous venons d'ànaly- Les Etats populaires ou polycratiques;
ser les différentes formes et les divers acci.. sont démocratiques ou aristocratiques et,
dents, nous trouverons que toute la consti- portent tous deux le nom de république.
tution decette société, soit domestique,soit Dans la démocratie proprement dite, il y
publique, consiste dans la distinction ou la a confusion de personnes, ou plutôt il n'y
confusion ;des personnes sociales, et dans en a qu'une, le peuple souverain, alternati-
leur existence héréditaire ou viagère, fixé vement pouvoir, ministre, sujet; et il n'y a,
ou amovible.. ni hérédité, ni fixité, mais une mobilité per-
Je dis la constitution, et non l'adminis- pétuelle, et c'est ce qui en fait le plus ora-
tration, choses squ'on confond aujourd'hui geux et par conséquent le plus imparfait des.
plus que jamais; car toutes les constitutions gouvernements.
modernes et d'invention humaine ne sont Dans l'aristocratie proprement dite ou

(1) Nous avons parlé, à propos des états géné- breux, nous ne pouvons en venir à. bout avec nos
raux, du clergé et de la noblesse. Qu'il nous soit soldats, qui tombent chaque jour et qu'on ne rem-
permis d'opposer aux ignorants détracteurs de ces place pas. Il faut que la France se lève. Eh
deux classes de citoyens, le sentiment d'un véri- comment voulez-vo.us que la France se lève, inter-
table homme d'Etat, de Bonaparte, rapporté par un rompitavec vivacitéNapoléon U n'y a pas de clergé, Na-
homme dont ils ne récuseront pas l'autorité « Dans il n'y a pas de noblesse, et j'ai tué la liberté, j
ja campagne de France, dit le général Foy, dans poléon croyait donc à l'utilité politique de ces deux
ion Histoire de la péninsule; t. 1, p. 169, «aux pre- ordres, non-seulementpour affermirla liberté, mais
miers mois de 1814, Napoléon parlait à Troyes en pour la défense de l'Etat, où ils formaient l'esprit
sont
Champagne avec un de ses généraux de l'état des
choses Les ennemis, disait trop nom-
public, de toutes les défenses la plus sure.
héréditaire, ilit n'y a .que deux personnes dde leurs enfants, et les mères parce qu'elles
dont l'une exerce héréditairement le pou- se s sont crues plus jeunes.
voir sur l'autre; c'est comme nous l'avons Enfin, la troisième personne, celle de qui
déjà dit, une monarchie acéphale ou sans on c parle, sujet de l'entretien
politique du
chef, At comme elle se rapproche davantage pouvoir f et du ministre, parce qu'elle est
de la monarchie, elle participe aussi de sa l'objet 1 de leurs fonctions et que tout se rap- •
stabilité. porte
{ à elle, s'exprime par il, et cet il dési-
Ici, je m'adresse aux esprits vraiment phi- gne § si bien l'infériorité, qu'il devient terme
losophiques, et je leur demande d'accorder de c mépris, si on se le permet en parlant
une sérieuse attention à ce qui me reste à d'une ( personne présente. Je, tu, il, langage
dire sur les personnes sociales. de
c la société domestique, de la société dont
Nous retrouvons le type et la preuve de le 1 pouvoir dit moi nous, vous, eux, lan-
leur existence distincte et de leurs différen- gage i de la société publique, de la société
tes natures à la fois aux deux extrêmes de dont ( le pouvoir dit nous. Le particulier dit
nos esprits, si je peux ainsi parler, et dans J
je, le roi ou le public dit nous (1).
les conceptions les plus élevées de notre Ils seraient bien peu philosophiques ceux
raison, et dans les règles les plus familières qui (
regarderaient un rapprochement si frap-
et les plus usuelles de notre langage. pant
1 comme trop familier et trop vulgaire
podr servir de preuves à de si hautes vé-
Ainsi, pour commencer par ce qui nous 1
rités.
est lé plus familier, les trois pronoms per-
sonnels je, tu, il, base de toutes les langues, Mais on peut offrir aux esprits méditatifs,
des considérations d'un autre genre, et
ne sont que l'expression des trois personnes
sociales et de leurs différents rapports. après avoir cherché une preuve familière de
l'existence et de la nature des personnes so-
Je, première personne, celle qui parle, qui ciales dans la constitution de tout langage
commande, désigne le pouvoir; d'où vient et
l'expression ses règles fondamentales, nous en trou-
que est, dans les Livres
ego verons une d'un genre plus élevé dans la
saints, particulièrement affectée à l'Etre su- constitution même de l'univers, et dans les
prême* et il est si bien reconnu que ce mot conceptions les plus hautes auxquelles notre
est l'expression de la supériorité, qu'il est raison puisse atteindre.
contraire aux bienséances de le répéter trop 11 faut avant tout établir ou rappeler deux
souvent en parlant de soi; et dire sans cesse propositions dont la certitude ne peut être
je fais, je dis, etc., est un ridicule, si ce contestée, et qui sont comme le fondement
n'est un tort, et l'on a fait de ego le substantif de lascience de l'homme intelligent.
et l'adjectif du vice d'égoïsme et d'égoïste. 1* C'est que nos idées sont l'expression
Laseconde personne, celle à qui l'onparle, ou la représentation des objets, et les mots
l'on.commande, s'exprime par tu; terme de dont nous nous servons, l'expression de nos
commandement du pouvoir au ministre, du idées.
père à son fils, de l'époux à sa femme, du 2° Qu'il n'y a point d'idée reçue qui ne
maître à ses serviteurs, et nous en trouvons soit l'expression d'un objet, ni de mot com-
encore la preuve dans les règles de la civilité pris qui ne soit l'expression d'une idée.
entre personnes bien nées, qui ne permet- C'est ce qu'a voulu dire Fontenelle dans
tent rien, dans les relations de société, quii cette proposition Qu'une vérité « nommée »
sente la supériorité; de là vient qu'on doitt est une vérité « connue. »
s'abstenir de tutoyer en public qui que ce Cela posé, je dis que les trois idées géné-
soit.t. rales de pouvoir, de ministre, de sujet, cor-
La révolution, qui a introduit le mépris> respondent une à une avec une parfaite
de toutes les bienséances, sous le prétexteî analogie, aux trois idées plus générales en-
d'égalité, a fait une mode du tutoiement des5 core de cause, de moyen et d'effet, idées
pères et mères par leurs enfants, en même les plus absolument générales que la rai-
temps qu'elle supprimait, comme contraireJ son puisse concevoir, et qui sont expri-
à l'égalité, le mot de domestique. Les pèress méos par les termes les plus absolument
ont permis ce tutoiement enfantin et contre généraux que la langue puisse fournir.
nature, parce qu'ils se sont crus plus aimés3 De même que pouvoir, ministre, sujet,

(i) Le pouvoir en '1'1


Espagne sigue moi le
1 roi; mais aussi le pouvoir y est plus constitué ou mieux
défendu par les mœurs que par les lois.
87
.v .v
ŒUVRES COMPLETES ES
'V.l.1.1.J,IJO.J.l
comprennent absolument tous les hommes,
a
DE M.
AI. DE BONALD. gs

ainsi cause, moyen, effet, comprennent abso-


civile ou nnhlim,««c
on publique, sous i« a* roi,
nnm de
Je nom »“/ de
noblesse, de peuple, ou, sous tous autres
lument tous les êtres, depuis Dieu lui-même noms, et dans le système de la société reli-
3
iusqu'au vermisseau. gieuse, comme nous leverrons tout à l'heure,
S'il n'y avait dans l'univers ni sous les noms de Dieu, de prêtres de
cause, nii
moyen, ni effet, ces idées ne se trouveraientt fidèles, etc. Il se retrouve ce sytème uni-
dans aucun esprit, et les termes qui les versel jusque dans l'homme lui-même, intel-
expriment, ne se trouveraient dans aucune ligence servie par les organes, dont l'intelli-
3
langue. gence est pouvoir et cause de ses actions
Ces trois expressions sont universellementt libres, dont les organes sont les moyens et
entendues, puisqu'elles entrent de mille ma- comme les ministres, et dont tous les êtres
nières dans le langage usuel, et par consé- subordonnés qui servent à ses besoins, pro-
quent les idées qu'elles expriment sont uni- duits de son travail et de son industrie, sont
versellement comprises, quoiqu'elles le les sujets ou les effets.
soient plus ou moins complètement par les Ainsi l'homme est constitué comme la
différents esprits. famille, la famille comme l'Etat, l'Etat com-
Je crois qu'il est impossible de remonter me la religion l'homme, la famille, l'Etat,
plus haut, et qu'au delà il n'y a plus que. la la religion, comme l'univers; et, si je vou-
région sans bornes des subtilités et des'il- lais parler à l'imagination,je me représente-
1 usions. rais des cercles concentriquesqui, commen-
Nous avons dit que pouvoir, ministre, su- çant par l'homme, et finissant par l'univers,
jet correspondaient un à un avec une par- s'embrassent mutuellement, et sont tous
faite analogie à cause, moyen, effet. Effecti- embrassés par le grand cercle sur lequel se-
vement, qui dit cause(intelligente), dit pou- rait écrit cause, moyen, effet. C'est sans
voir de faire qni dit pouvoir, dit cause de doute par un sentiment confus de cette vé-
ce qui est, puisque la volonté, principe rité, que les anciens philosophes appe-
d'action, est une qualité inhérente à la cause laient l'homme un monde en abrégé, un petit
(intelligente), comme au pouvoir, et que monde.
l'un et l'autre agissent avec volonté pour C'est une harmonie qui constitue l'ordre,
produire un effet. l'ordre, la loi inviolable des esprits, a ditt
Moyen et ministre ne se correspondent Malebranche, et comme le sceau que le ré-
pas avec moins d'exactitude, puisqu'on peut gulateur et conservateur de tout ordre, ordres
dire indifféremment:La «cause» ou le « pou- lui-même essentiel, a imprimé à ses ou-
voir » agit par un mo yen ou le ministère de vrages.
ses agents, et que le moyen est interposé Nous n'avons considéré la cause, le moyen
entre la cause et Veffet, comme le ministre et l'effet, que dans leur généralité la plus ab-
entre le pouvoir et le sujet. Quand on dit solue, et nous n'avons rien dit des causes
II n'y a pas d'effet sans cause, on pourraitt secondes, qui ne sont que des moyens que
ajouter qu'il n'y a pas de cause et d'effet sans l'on considère comme causes, lorsqu'elles
moyen, ni de pouvoir sans ministres. agissent par des moyens subordonnés. Ainsi
Enfin, effet et sujet sont aussi deux idées le soleil qui n'est qu'un effet dans l'univers,
semblables, ou plutôt sont une seule et mê- est encore le premier moyen de la fécondité
me idée, puisque l'une et l'autre désignent de la terre, puisqu'il donne à tous les êtres
l'être sans volonté et sans action propre, la chaleur et la vie; et il peut être consi-
sujet à la volonté d'un autre, objet de son déré comme cause lui-même, si l'on se Je
action, et qui ne fait que recevoir ce qui lui représente comme produisant là lumière et
est transmis. Or, dans ce sens, la produc- élevant les vapeurs et les exhalaisons, qui
tion de l'homme dans là famille, la conser- retombent en pluie, et portent partout \&
vation de la famille dans l'Etat, sont les ef- fertilité.
fets dont la cause est dans le pouvoir domes- Ainsi le même homme qui est sujet dans
tique ou public. la société, y peut être ministre, s'il remplit
Le système universel des êtres exprimé des fonctions politiques, et il est pouvoir
par cause, moyen, effet, se retrouve donc, dans sa famille et les rois eux-mêmessujets,
dans le système particulier de la famille, comme les autres hommes de la Divinité*
sous les noms de père, mère, enfants; et ne sont, comme les chefs de la société, que
dans le système ptus général delà société les premiers ministres du pouvoir divin
~,« V\JUI.J.:Ji 1' UU
pour faire le bien, minister Dei in bonum, m, opinions, s'élèvent, ici, des princes pontifes;
dit l'Apôtre (Rom. XIII, 4), et ils sont comme
meri là, des familles ou des tribus sacerdotales;
rois, pouvoir dans la société civile, et commo
no ailleurs, des colléges de prêtres. Cette distinc-
homme, pouvoir dans leurs familles. tion de pro fession, dont à la fin du xviir* siè-
Ainsi, tout ce qu'il y a de plus général au cle le clergé nous offre encore le modèle, se
monde et dans nos idées est soumis à une ne retrouve chez les peuples les moins civilisés;
combinaison ternaire trois catégories d'ê- 'ê- et elle est trop générale, et se rencontre trop
tres dans l'univers cause, moyen, effet; trois
)is fréquemment à toutes les époques de la civili-
personnes dans la société pouvoir, ministre,

Il
re, sation et à tous ses degrés, « pour qu'elle n'ait
sujet; trois temps dans la durée passé,pré- ré- pas un fondement dans la nature même. »
sent, futur; trois dimensions dans l'espace3 i est facile de dire, avec Lucrèce, que la
longueur, largeur, profondeur, etc. Cette tte crainte a fait les premiers dieux, ou, avac
vérité n'a pas été ignorée des philosophes nos athées, que la Divinité est une invention
es
de l'antiquité, dont le plus célèbre, Platon, des prêtres. La crainte ou l'amour, l'impos-
n,
parle du nombre trois comme d'un nombre ture ou l'erreur exagèrent, défigurent ce
re
mystérieux et qui renferme de grandes es qui est, mais ne créent point ce qui n'est
vérités. pas; et, si la Divinité elle-même, dans le
CHAPITRE XVI. grand intérêt du genre humain, n'avait dai-
gné se rendre sensible aux premiers hu-
DE LA SOCIÉTÉ RELIGIEUSE.
mains, soit par la transmission du langage,
Nous voyons dans la société humaine,
i, qu'on ne peut expliquer autrement, soit de
telle qu'elle nous est connue par l'histoire toute autre manière,, jamais l'idée de la
re
et la tradition, seuls monuments que nous js Divinité ne serait entrée dans aucun esprit,
puissions consulter, et aussi haut qu'il nous
îs jamais son expression ne se serait trouvée
soit possible de remonter, la connaissance dans aucune langue. Et n'est-ce pas à cette
;o
de Dieu aussitôt que l'existence de l'homme,e, manifestation sensible de la Divinité qu'il
et la religion aussitôt que la famille. faut rapporter la pente prodigieuse du genre
J'entends ici par religion une connais- s- humain, presque à son origine, à se faire
sance plus ou moins distincte et raisonnable!e des dieux visibles, des dieux de chair et de
d'un être invisible et tout-puissant, créateur matière, des dieux enfin tels que le deman-
lr
des êtres subordonnés, à qui l'homme attri- i- daient les Hébreux, qui marchassent devant
buait les biens et les maux de la vie, et donttt eux ?
il s'efforçait de mériter les bienfaits ou de Une fois cette idée de la Divinité enwée
e
fléchir le courroux. dans le monde, elle s'y diversifiera à l'infini,
A ce consentement universel du genre e soit dans son expression, soit dans les déve-
humain, regardé par un des plus grandss loppements
que les hommes lui donneront
philosophes de l'antiquité, Cicéron, comme e ou les altérations qu'ils lui feront subir;
la voix de la nature et la preuve de laa mais, transmise
avec la langue de généra-
vérité, vox naturœ et argumentum veritatis, tion en génération, elle
ne sortira plus de la
opposera-t-on les réeits suspects de quel- société.
ques voyageurs qui, croyant trouver unt Dieu et l'homme, êtres non égaux, mais
culte public chez des hommes à peine eni semblables, puisque deux intelligences qui
i
état domestique, n'ont, disent-ils, aperçu se connaissent mutuellement sont sembla-
dans quelques peuplades sauvages aucune bles, quoique à
i une distance infinie l'une de
connaissance de la Divinité? Mais, outrei l'autre. Cette vérité de raisonnement est
qu'ils allaient y chercher toute autre chose, confirmée par Jes croyances religieuses, qui
et que ces peuples aussi avaient toute autreî nous apprennent que Dieu fit l'homme à son
chose à leur offrir, que pouvaient-ils, dansi image et à sa ressemblance.

de plus secret et de plus intime chez


i
leur court passage, découvrir de ce qu'il y a Dieu et l'homme formeront donc
des
i société d'êtres
une
s semblables pour leur produc-
hommes stupides dont ils n'entendaient p-as tion t et leur conservation mutuelle; car, si
la langue, et dont ils ne connaissaient ni les 1Dieu a produit le
genre humain et le con-
usages ni les mœurs? sserve, on peut dire aussi que les hommes,
Nous remarquons, au contraire, dit Con- en e se transmettant de génération en généra-
dorcet, que partout se montre l'idée de puis- tion,
t avec la parole, la connaissance de
sances surnaturelles, et partout, à cdté de ces Dieu,
l la produisent et la conservent dans
l'univers Vides ex auditu, dit saint Paul, famille
fa pour ses dieux particuliers, que,
(Rom. x, 77.) • réunies
Ti en corps de cité, elles conservèrent
Cette société de Dieu et de l'homme aura el portèrent dans d'autres familles, comme
et
Dieu
tous les caractères que nous avons remar- u portion de leur patrimoine. Votre
une
les
qués dans les sociétés, et composée d'hom- sera mon Dieu dit Ruth à Noémi dans
mes, et faite pour le bonheur de l'homme,
s<
Livres saints. (Ruth.
L i, 16.)
elle suivra toutes les phases de la société Les cités ou petits Etats récemment sortis
humaine. dde l'état domestiqueen retinrent les coutu-
Elle commencera donc dans la famille et n
mes le chef ou roi qui avait hérité du pou-
voir du père de famille, hérita aussi de son
avec la famille, et sera une religion pure- v
ment domestique. Son pouvoir, qui est Dieu sacerdoce,
s. et offrit le sacrifice au nom du
même, sera adoré dans l'enceinte des foyers peuple. p
domestiques le prêtre, ou ministre du pou- Tout, dans le culte, devint alors extérieur
e public; les temples
s'élevèrent. 11 était
voir, sera le père de famille; les sujets, ou et
fidèles, seront les membres de la famille, naturel n d'adorer, dans une maison commune,
dont le père offrira à la Divinité les vœux une t divinité commune à tous le sacerdoce
et les hommages, et il demandera pour elle fut f attribué au pouvoir public ou commun,
e la commune, ou
le peuple tout entier, fut
la rosée du ciel et la graisse de la terre. Cette et de ce
1 sujet de cette société et le sectateur
religion aura son sacrifice, caractère essen- le
tiel de la société, comme nous le verrons culte. (
tout à l'heure; et le père de famille, revêtu Mais, lorsque les Etats se furent étendus
( peuplés, et que
les pouvoirs publics eu-
du sacerdoce domestique, offrira à la Divinité et
les prémices de ses champs et de ses trou- rent i autre chose à faire que des cérémonies
seules richesses des sociétés primi- religieuses,
i le paganisme, qui est propre-
peaux,
tives. ment l'idolâtrie des peuples policés, fit, non
religion des premières fa- pas de la religion, mais du culte, une insti-
Telle a été la ]

milles, appelée religion naturelle, et natu- tution 1 séparée du maniement des affaires
relie en effet au premier état, et seulement politiques, ] et il établit des collèges de prê-
de société. tres. On connaît le luxe de cet établissement
au premier état la 1
chez les Romains,
Ces familles avaient retenu le dogme fon- sacerdotal-ebezles Grecs et
les Grecs
damental de l'unité de Dieu. Mais celles qui, et ces derniers, plus jaloux que
traditions antiques, retin-
plus tard', s'en séparèrent, tombées dans de conserver les
derniers temps,
l'idolâtrie, avaient aussi leur culte domes- rent dans le sénat, jusqu'aux
des sacrifices.
tique, comme nous le voyons dans l'exem- le titre politique de roi
même elles sacriSèrent aux Aussi Montesquieu dit avec raison Us
ple de Laban et
de prêtres sont ordinai-
dieux de leurs foyers, sous le nom de lares, peuples qui n'ont pas
et firent de ces foyers eux-mêmes une sortei rement barbares. pourrions, Et, à voir ce qui se passe
chez nous, nous ajouter qu'ils ne
de divinité.
remarqué deux états dans tarderont pas à le devenir, les peuples qui
Nous avons
t
la société domestique, la monogamie et ne veulent plus de
prêtres, et les regardent
deux états correspondantss comme un parti.
la polygamie
t
dans la société politique, la monarchie ou Nous avons cité
monor,ratie et la polycratie ou démo- à l'autorité
des faits; et, sans recourir
des Livres saints, les histoires
cratie. Nous retrouvons cette même; di- profanes nous en disent assezavait sur le sacer-
t
vision dans la religion, le monothéisme et doce des premiers rois, quelquefois de la
qui succédé à
le polythéisme, religion d'un Dieu ou de. e. celui du père de famille,
furent devenues
plusieurs dieux, partout unité ou plura- mère, lorsque les familles
lité. des peuplades et des nations, et sur le grand
l'extravagance ou
Mais lesfamillesétaient devenues des cités, nombre des dieux et sur
cuites, et sur les désordres-
et les cités des nations et la religion de fa- la cruauté des les familles, de la po-
mille, de domestique qu'elle était, devintreli-i- de la polygamie dans
du polythéisme dans
gion de la ci té, religion de l'Etat, religion pu- lycratie dans les Etats,
division était dans les fe-
blique. Nous ne parlons ici que des sociétéss l'univers. Ainsi la
la multiplicité des femmes dans
idolâtres; et la cause des variétés infiniess milles, par
de leurs cultes et de la multiplicité de leurs >s les Etats, par la multiplicitédes concurrents
fut précisément culte de chaque e au pouvoir; dans l'univers, par la muitipU-
dieux, ce
cité des dieux particuliers à chaque famille, ne jamais abandonner la couronne, quand
à chaque contrée, àchaque nation et, comme3 même elle pendrait d'un buisson.
il y avait les dieux dos foyers ou lares, il yr La noblesse française a toujours défendu
eut les dieux des cités, deos populares; ett le trône de ses rois de son corps et de ses
tout était Dieu, dit Bossuet, excepté Dieui biens, et elle a tout perdu ou tout compro-
même.. mis par son émigration, sacrifice ou dévoue.
Il existait cependant, le vrai Dieu, ce Dieut ment, le plus mémorable et le plus étendu
unique car, s'il y en avait un, il ne pou- dont l'histoire fasse mention.
vait y en avoir plusieurs. Il existait ce vraii Et n'était-ce pas encore un sacrifice que
Dieu, puisqu'il y en avait tant de faux, ett la vie austère et occupée de nos anciens ma-
et ;què l'erreur n'est jamais qu'une vérité gistrats, qui consumaient leur vie et leur
incomplète ou défigurée; et la connaissance fortune dans des fonctions ingrates péni-
et
s'en était conservée dans l'univers, puis- bles, et dont l'honneur était la seule récom-
qu'elle s'y conserve encore. pense ?
Par quel moyen s'y était-elle conservée ?2 Le sacrifice existe surtout dans la société
Nous le demanderons à l'histoire, et nous eni religieuse; et sans parler
encore du grand
trouverons la preuve sous nos yeux. Mais sacrifice de la religion chrétienne, qu'est-
avant de passer à cette démonstration, il ce, je demande, que ce renoncement
convient de s'arrêter sur le plus grand acte douceurs de la vie domestique et aux
soins
de la société et de toute société, et plus par- lucratifs des affaires temporelles aux s'im-
ticulièrement de la société religieuse, qui posent les ministres de la religion, que
pour
en a plus qu'une autre retenu J'expression, s'occuper exclusivement de l'instruction des
je veux parler du sacrifice, que, pour cette peuples et du service des autels? Que sont
raison, la religion; dans sa liturgie, appelle les austérités des cénobites, le dévouement
l'action par excellence, actio. des saintes filles au soulagement des pau-
vres et des malades, et à l'éducation de l'en-
CHAPITRE X VIL fance ? Que sont les travaux des missionnai-
DU SACRIFICE (1).
res que sont même dans les fausses reli-
gions les cruautés qu'exercent sur eux-
Le sacrifice est le don de soi que le minis- mêmes les bonzes et les faquirs qu'est-ce
tre fait au pouvoir, au nom et dans l'intérêt autre chose que le don de soi et de véritables
*des sujets, et par lequel il offre la société sacrifices ?
itoul entière, en offrant l'homme et la pro- S'il avait manquéquelque chose en France
priété, qui composent toute la société. aux sacrifices de la noblesse et du clergé, les
Ce don de soi existe dans la société domes- déportations, la ruine, le bannissement et
tique, où la femme se donne corps et biens la mort d'un si grand nombre de prêtres et
à son époux, pour ne faire qu'un avec lui, de nobles, tristes fruits de la révolution,
etêtre, disent les Livres saints, l'os de ses os, n'y auraient-ils pas abondamment sup-
et la chair de sa chair {Gen. n, 23), et, chez pléé ?
tous les peuples, le don de la virginité s'est En effet, la société une fois convaincue
appelé sacrifice, et en a eu le mérite lors- de l'existence d'un Etre suprême, arbitre
qu'il a été fait à la Divinité. souverain des événements, dispensateur
Ce don de soi existe dans la société po- équitable des biens et des maux, des ré-
litique ou le corps des ministres, où la compenses et des châtiments, que pouvait-
noblesse se donne corps et biens au pou- elle faire autre chose pour reconnaître son
voir dans l'intérêt de la défense de la so- souverain domaine, mériter ses bienfaits ou
ciété. La noblesse anglaise, dit Montesquieu, fléchir sa justice? Que pouvait-elle donner
s'ensevelit sous les débris du trône. Et sir au maître souverain de tous les hommes et
Thomas Windham disait à ses fils, en [mou- de tous les biens qu'elle-même tout entière,
rant Mes enfants, je vous recommande de c'est-à-dire l'homme et la propriété ? Et ef-

(t) M. !e comte de Maistre, mon illustre ami, qu'il m'accordait, etdela conformité de nos opinions.
dit de très-belles choses sur le sacrifice. a
Un journal Il m'écrivait, peu avant sa mort « Je n'ai rien
ni fait l'honneur de m'appeler son discipte je n'ai pensé que vous ne l'ayez écrit; je n'ai rien écrit
été ni son disciple, ni son maître. Nous ne nous que vous ne l'ayez pensé. L'assertion, si flatteuse
sommes jamais vus; mais je le regarde comme un pour moi, souffre cependant de part et d'autre
'Je nos plus beaux génies, et m'honore de l'amitié
quelques exceptions.
t
fectivement, nous voyons dans toutes les CHAPITRE XVIII.
sociétés, sous une forme ou sous une autre, DE LA SOCIÉTÉ JDDAÏQUE.
l'offrande de l'homme et de la propriété et
je le demande, si cette grande idéa du sacri- lUne vérité aussi fondamentale que l'exis-
fice, fondée sur l'inébranlable conviction de ter d'un Dieu, aussi nécessaire à la société,
tence
l'existence de la Divinité et de sa. toute- ne pouvait périr dans l'univers, et elle y a
puissance, n'eût pas été si fortement enraci- toujours
tôt été, puisqu'elle y est encore.
née dans l'esprit des hommes, quelle est Par
1 quels moyens s'y est-elle conservée?
l'imposture, la séduction ou l'éloquence, Pa des moyens pris dans l'ordre des choses
Par
qui eût pu faire violence aux sentiments de ^n
humaines et de la société car Dieu ne gou-
la nature, au point de persuader aux mères ye
verne les hommes que par des moyens hu-
de faire brûler leurs enfants dans les bras mains,
m, et il s'est fait homme lui-même, quand
d'airain d'une horrible idole et de quel -j a voulu régénérer les sociétés humaines.
il
malheur.plus grand que celui de perdre Cette vérité, confiée à des familles péris-
ainsi les doux fruits de leur tendresse vou-
sables, aurait péri avec elles; elle fut confiée
sa]
laiént-eiles se préserver ? Quel est le délire
à un peuple tout entier, et ce peuple fut
qui dévouerait les prêtres indiens à des constitué
pénitences barbares, pires que la mort, et j50 pour ne jamais périr, et être ua
témoin
téi toujours vivant de la foi à l'existence
què ta justice n'oserait pas infliger à des
malfaiteurs ou pousserait les Japonais à se
de Dieu.
faire écraser sous les roues des chars qui Les familles patriarcales étaient donc de-
portent leurs fausses divinités, et les Chinois venues un peuple et un grand peuple, et ce
ve
à sacrifier leurs enfants à l'Esprit du fleuve? peuple
pe issu de ces familles, et qui en avait
Et cependant ces détestables sacrifices ont re la connaissance du vrai Dieu, devint
reçu
été ou sont encore pratiqués partout où le naturellement
na le dépositaire de cette grande
vrai Dieu n'a pas été connu ils le furent vérité,
yé le plus précieux patrimoine du genre
même chez les Romains et jusque dans les humain.
lit Le peuple Juif, pour être capable
derniers temps de l'Empire. Hélas! ils l'ont de cette haute destination, fut séparé des
été" chez nous-mêmes, et il entrait aussi des nations
né toutes idolâtres, par ses lois et par
idées de sacrifice dans les nombreuses exé- ses moeurs, comme il l'était déjà par ses
se
cutions faites au pied de la statue de la li- croyances
cr et il reçut une constitution par-
berté, et l'on en a vu la preuve dans les ticulière
ti< dont nous voyons encore les effets
discours et les écrits du temps. Non, l'im- et ce peuple répandu dans tout l'univers
chez
posture et l'hypocrisie ne vont pas jusque- et partout sous nos yeux une constitution
là, et les erreurs ne sont jamais que des que tant de siècles d'oppression, de disper-
qi
vérités ,défigurées. sion,
si de persécutions et d'outrages, n'ont
11 était donc dans la nature de l'homme et pu altérer, et qui, seule entre toutes les
pi
de la société, le sacrifice de l'homme et de la constitutions,
c( dit J.-J. Rousseau, est à
propriété. Le raisonnement en donne le l'épreuve
l'< du temps, de la fortune et des
motif, l'histoire en constate le fait. Mais il conquérants.
ci
ét-ait aussi dans la nature de la Divinité que Nous retrouvons dans la constitution de
l'homme fût offert et ne fût pas immolé, et cette
ci société tous les caractères que nous
la preuve de cette vérité philosophique se avons remarqués dans la société domestique,
a'
trouve dans les Livres saints, où Dieu exige et bien plus développés, puisqu'elle était
ei
de la société domestique, représentée par nne
n constitution non .de famille, mais de
Abraham, le sacrifice de son fils, et, satisfait nation.
n
de son obéissance, ne permet pas qu'il soit Comme cette société fut constituée sur la
consommé, et agrée le sang de l'animal à la religion
r qui doit être la base et la pierre
place de celui de l'homme. angulaire
a de toutes les constitutions même
C'est ce sacrifice que nous allons retrouver politiques,
p Dieu en fut le pouvoir suprême.
dans la société judaïque, et que les Turcs, 1Le pouvoir doit être continuellement et `

dans leur religion échappée du judaïsme, réellement


r présent à la société, qui ne peut,
out retenu sous le nom de coran. même
a un instant, subsister sans pouvoir, et
cette
c vérité rationnelle reçut son application
à la société judaïque à qui, nous disent les
Livres saints, Dieu daignait manifester sa
présence dans te lieu et lo temps qu'il s'étaitt faudrait pas remonter hien loin dans l'his-
choisis. toire des sociétés pour trouver l'application
Ce pouvoir eut ses ministres. Une hiérar- vivante de ces hautes leçons. Ces châtiments
chie de prêtres et de familles sacerdotales, n'ont n'en de miraculeux; ils ne sont
s,
prises dans la nation, mais séparées du restee conséquence naturelle des lois générales que la
du peuple, qui priaient pour le peuple et surr qui régissent les sociétés. Il faudrait au
le peuple, lui expliquaient la loi, et offraient con-
it traire des miracles pour sauver une société
à la Divinité le sacrifice social, le sacrifice e de ses propres désordres* du mépris des lois
de l'homme et de la propriété mais le sangg divines, de l'esprit de révolte et d'impiété,
de l'homme fut racheté par le sang de l'ani- comme il faudrait des miracles
pour sauver
mal, et jamais' il ne souilla les autels du vraii l'insensé qui
se précipiterait dans un bra-
Dieu. Les aînés mâles, rachetés aussi par dess sier ardent
ou dans les profondeurs d'un
animaux, innocents, étaient spécialementt abîme.
consacrés au Seigneur, et la plus politiquee Le peuple juif fut en butte à la Mine 0
de
de toutes les lois, celle du droit de primogé- de toutes les nations,
parce que son exemple
niture dans la ligne masculine, fut ainsii et ses lois les condamnaient toutes, et que,
consacrée paria religion. possédant seul la vérité, il devait être persé-
Cette société eut des chefs politiques, cuté par toutes les erreurs.
d'abord sous le nom de juges, plus tard, Mais la société judaïque, quoique con-
sous celui de rois; car la royauté n'est quee qnise, sans territoire et sans gouvernement
la justice personnifiée. Ce pouvoir eut sess politique, anéantie
ministres, et l'ordre des lévites (qui n'étaitt devait survivre à soncomme corps d'Etat,
anéantissement pôli-
pas l'ordre sacerdotal), qui tenaient autant à tique, et saus sacerdoce, sans autels et
la politique qu'à la religion, héréditaire danss temple, conserver sans
religieuses a
les familles d'une même tribu, fut une sorte3 elle devait finir ses croyances
comme elle avait commencé,
de noblesse qui prenait les armes pour dé-
en état domestique, et se perpétuer en corps
fendre ses autels et ses lois. de famille, partout étrangère et partout vi-
Tout avait été domestique et intérieurr vante, qu'elle devait compte à l'uni-
dans la religion patriarcale; tout fut exté- vers duparce grand secret dont elle avait reçu la
rieur et public, ou plutôt national, dans lai confidence, et qu'elle avait gardé avec
religion judaïque. L'autel campait avec lai religieuse fidélité. une
nation et se fixa avec elle; et quand Dieui Ces dernières réflexions nous conduisent
eut son temple, la royauté eut son palais, lai à la religion chrétienne.
nation son territoire, et l'État sa capitale
et la religion et la royauté eurent leur ordre CHAPITRE XIX.
et leur hiérarchie de ministres, pris dans le
corps de là nation et séparés du reste du DE LÀ SOCIÉTÉ CHRETIENNE OU De
peuple. CHRISTIANISME.
il y eut donc un peuple tout entier mono-
théiste ou sectateur de l'unité de Dieu, et Nous avons vu dans les premières familles
qui, pour cette raison, mérita d'être appelé une religion tout intérieure
le peuple de Dieu, dépositaire de l'antique ou domestique
comme la société.
patrimoine auquel le genre humain était Le pouvoir n'y était adoré que dans l'en-
substitué; il fut élevé comme un signe au ceinte des foyers domestiques, le prêtre ou
milieu des nations pour être, dans ses di- le ministre était le père de famille, les su-
verses fortunes, ta leçon vivante de tous les jets ou fidèles étaient les
membres de la
gouvernements heureux et puissant tant famille.
qu'il restait fidèle aux lois que Dieu lui avait Nous avons vu une religion locale ou na-
données, et qui n'étaient que les lois les plus tionale chez les Juifs. Tout
était extérieur
naturelles de la société; malheureux et et public, mais seulement y
opprimé jusqu'à devenir la proie des nations et le culte
pour cette nation?,
ne s'étendit ni à d'autres peuples
voisines, lorsqu'il méprisait les avis de se's ni à d'autres lieux. Dieu
prophètes, qu'il prêtait l'oreille à des doc- tout national, et qui n'était y eut un temple
fréquenté que
teurs de mensonges et à des doctrines étran- par les Juifs. Les ministres de
gères, et qu'il allait chercher chez des nations furent cette religion
un ordre particulier de pontifes et de
Corrompues des exemples dés
<l>ues aes exemples et aes modèles. 11 ne prêtres, qui ne pouvaient être pris que dans
OEUVRES
/*ÏT3 COMPL, DE M. DE BONALD. I. 4k
;a nation et dans une tribu, et les sujets ou nisme ou la religion universelle ou catho-
fidèles furent la nation elle-même. ligue, suivant la force du mot grec.
Mais le genre humain tout entier était Mais quel est ce ministre universel? Je te
appelé à la connaissance de la vérité, et le demande au raisonnement. La même ex-
secret de l'unité de Dieu ne pouvait plus pression nous représente les mêmes carac-
longtemps rester caché. La vérité est la vie tères et les mêmes fonctions; et ce ministre
des intelligences;et partout l'homme, même universel du pouvoir universel sur l'uni-
dans l'état le plus sauvage, a conservé le versalité des hommes sera donc, comme les
moyen de parvenir à la connaissance de la autres ministres des autres sociétés, inter-
vérité par le langage articulé, expression médiaire entre deux êtres, médius, c'est-à-
de son intelligence, attribut' incommuni- dire médiateur entre Dieu et les homme's,;
cable de l'espèce humaine, qu'elle n'a pu mediator unius,non eslf,ditsaint Paul. (Gal'at.
recevoir que de son auteur, ni conserver m 20.) Il sera passif à l'égard du pouvoir,
actif à l'égard des sujets, passif pour recevoir
que par la société. C'est avec la parole, et
par la parole, qu'il a partout retenu quelque les volontés du pouvoir, actif pour les trans-
idée plus ou moins distincte, et raisonnable mettre au sujet; 'et pour pouvoir remplir
de'quélque être supérieur à l'homme, idée cette double fonction d'obéir au pouvoir et
qui, toute confuse ou même bizarre qu'elle de commander au sujet, il devra être homo-
peut être, servira à la ramener à une con- gène, ou de même nature que l'un et
naissance plus distincte de là Divinité, l'autre.
vérité première et source de toutes les A présent, que l'on veuille bien se rap-
autres. peler tout ce que nous avons dit de cette
Il faut nier l'existence de Dieu, ou re- homogénéité; et dans la société domestique,
connaître que l'Etre souverainement parfait où la femme, c'est-à-dire le ministre, doit
n'a pu créer des intelligences, non égales, participer de la nature de l'homme et de
mais semblables à la sienne, que pour le celle de l'enfant; et dans la société politique
connaître, et connaître toutes les vérités ou publique, où lé ministère héréditaire ou
• nécessaires à leur bonheur. la noblesse participe de la nature du pou-
Et sans cette haute distinction, et si[ voir royal et de celle du peuple, et exerce
l'homme n'était ici-bas que pour satisfaire une sorte de sacerdoce royal, puisque les
des goûts et des besoins matériels, quel nobles, dans une monarchie héréditaire,
avantage n'auraient pas sur lui les ani- sont les prêtres de la royauté; et l'on sera
maux, qui, sans étude, sans art et sans conduit à" cette conclusion naturelle, que le
travail, logés, vêtus, armés, nourris par la ministre universel entre Dieu et les hommes
nature, sont doués, pour satisfaire ces devra participer de la nature divine et de la
mêmes besoins, d'un instinct plus surett nature humaine; mais un être ne peut par-
plus prompt que sa raison? ticiper de la nature divine sans être Dieu,
Dieu, intelligence suprême, est donc les ni de la nature humaine sans être homme.
pouvoir universel de toutes les intelligences; Ce ministre universel sera donc. Me sera-
à ce pouvoir universel répondra donc, sui- t-il permis de déduire. une vérité si haute et
vant l'analogie la plus exacte du langage, si surhumaine d'une discussion purement
un sujet universel ou l'universalité des» philosophique? J'hésite. Mais, puisque
hommes;, car il n'y a pas de pouvoir sans> notre siècle ne veut que de la philosophie,
sujet, comme il n'y a pas de causé sans osons le dire il sera. Homme-Dieu.
effet. Qu'on prenne garde que nous avons été
Mais il n'y a pas de pouvoir et de sujett conduits à cette conclusion par le seul rai-
sans ministre, ou moyen intermédiairei sonnement et la similitude qui existe entre
entre l'un et l'autre comme il n'y a pas dej toutes les sociétés, toutes semblables dans
cause et d'effet sans moyen entre l'un ett leur constitution; et la philosophie n'a, pour
l'autre. cette démonstration, rien demandé à l'en-
A ce pouvoir universel, à se sujet uni- seignement théologique et religieux.
versel, répondra donc. aussi un ministree Que les esprits faibles ou les consciences
universel; et voilà la société universelle for- timorées ne s'alarment pas de ce rappro-
mée des trois personnes, pouvoir, ministre, chement entre les deux extrêmes de la
sujet, qui embrassent l'universalité des êtress société, la société domestique ou particu-
intelligents. Cette société est le christia- lière, et la société chrétienne ou universelle,
(a famille et la religion, et entre les mi- usage, ce ministre ou médiateur, les livres
nistres des deux sociétés. Le plus sublime in- saints nous disent qu'il fut annoncé à la
terprète des vérités dé la religion, saint Paul, première famille, mais sous les voiles du
semble nous y préparer, lorsqu'il a employé mystère; et si loin encore du temps où il
cette locution extraordinaire, en parlant du devait paraître, il n'était pas nécessaire que la
seul sacrement de mariage C'est un grand société en eût une connaissance plus déve-
sacrement, je le dis en Jésus-Cltrist et en loppée. Elle le fut chez le peuple Juif d'une
l'Eglise. (Epkes.Yt3-2 ) Et plus haut Jésus- manière plus explicite, et la foi en un média-
Christ est le chef de l'Eglise, comme l'homme teur, qu'il appelait le messie, ou l'envoyé,
est le chefde la femme. (Ibid., 23.) Et l'Eglise fut en quelque sorte toute sa constitution.
aussi est appelée l'épouse de Jésus-Christ, Une vivait que pour l'attendre, il l'attend
la mère des Chrétiens, qui les a conçus et encore même après qu'il est venu, et l'on
engendrés; et Bossuet va plus loin encore, peut dire qu'il est encore le peuple du
lorsque, parlant du plus haut mystère de la messie, comme il était .alors le peuple de
religion, il dit Qu'encore que la perception Dieu.
du corps et du sang dé l'Homme-Dieu ne soit Mais, si ce ministre universel doit, pour
que momentanée, le droit que nous avons de remplir sa double fonction, être à la ibis
le recevoir est perpétuel et semblable « au droit Dieu et homme, l'enseignement figuratif de
sacré que l'on a l'un sur l'autre par le ma- la religion judaïque doit lui attribuer le
riage. » double caractère de divinité et d'humanité,
Mais cet être prodigieux, intermédiaire de gloire et d'abaissement, d'obéissance à
entre Dieu et l'homme, et tenant de la na- Dieu, d'autorité sur les hommes. Aussi,
ture de tous deux, ou plutôt l'un et l'autre tantôt il est nommé le roi de gloire (Psal.
ensemble, a-t-il toujours été ignoré du genre xxm, passim), tantôt l'homme de douleurs
humain; et une vérité si haute et si conso- (Isa. LIII, 3); tantôt le désiré des nations (Aggœ.
lante est-elle restée cachée dans la société ii, 8), tantôt le rebut du peuple (Psal.
jusqu'à la naissance du christianisme ? Gar- dans un endroit il est le précepteur des
xxi, 7);
gen-
dons-nous de le croire, et il suffit d'ouvrir tils (Isa. lv, i); dans un autre l'opprobre
les yeux pour retrouver une connaissance des hommes (Psal. 7); celui-ci le voit
confuse de cette vérité dans les plus an- rassemblant
xxi,
ses sujets des quatre parties du
ciennes traditions des peuples et l'attente monde (Habae. 6); celui-là le voit les pieds
h,
expresse d'un médiateur ou envoyé, dans et les mains percés (Psal. xxi, 18); l'un le
les doctrines les plus constantes; ou plutôt voit sur le trône (Jerem.
xxn 4), l'autre sur
dans la vie entière du peuple de Dieu. la croix:
Qu'on veuille bien réfléchir à la marche Mais c'est chez les Chrétiens et dans leurs
que nous avons suivie; et pour la rendre doctrines que tous les caractères de l'Homme-
plus sensible par une comparaison, toute Dieu 1 paraissent le plus à découvert et avec
imparfaite qu'elle est, nous avons fait à peu le plus d'évidence, et le
nom de chrétiens
près comme Christophe Colomb, qui, per- que < ses sectateurs reçoivent à Antioche, et
suadé par la configuration du globe terrestre 1le nom. de christianisme donné à
sa doc-
et ses connaissances en astronomie et en trine, I et celui de chrétienté à la réunion des
physique, qu'il devait exister un autre hé- nations
i qui croient en lui, ont été tirés du
niisphère, le chercha et le découvrit. Et inom de Christ, ou d'Oint du Seigneur,
par
nous aussi, nous avons, à l'aide du raison- lequel
1 Ja religion l'a désigné à nos res-
nement philosophique, pensé qu'il devait {pects.
exister une société universelle et nous C'est dans ce code sacré de la société
l'avons cherchée et trouvée daus la religion chrétienne,
c dans. l'Evangile, que l'on trouve
chrétienne. les
], preuves de la mission et du caractère de
Ce ministre universel du pouvoir divin ce c ministre universel par qui tout a été fait,
sur l'universalité des hommes, cet être in- et e rien n'a été fait sans lui. (Joan. i, 3.) C'est
termédiaire, medius (car ces mots sont syno- lilà qu'on le voit égal à Dieu, et
par consé-
nymes), et que la philosophie aurait pu quent q Dieu lui-même, et dans sa naissance,
traduire par médiateur, qui ne signifie aussi sa s, vie et sa mort, soumis toutes les infir-
que moyen ou intermédiaire entre deux mités n de la nature humaine, hors ses pas-
personnes, si la religion n'avait depuis sions si et ses vices obéissant à Dieu et
iongteirips consacré cette expression à «on obéissant jusqu'à la
o mort (Philip. n, 8), au
nom de qui tout genou fléchit au ciel et sur tenues
te dans les livres des Juifs, qui avaient
la terre (Philipp. h, 10), et à qui Dieu a donné annoncé
ai sa naissance, sa vie et sa mort, des
les nations comme son héritage [Psal. h, 8); le figures
fis qui avaient mis en action ces pro-
Roi des rois de la terre, Princeps regum phéties, pi d'un peuple tout entier qui l'aiten-
terrœ, etc., etc. (Apoc. i, 5.) Il faudrait dait da et qui l'attend encore, de cet enchaîne-
copier en entier les Livres saints, et nous ment m merveilleux de la religion des figures
trouverions dans tous, et à toutes les pages, et el de la religion des réalités, du judaïsme et
f application à ce ministre universel du dou- du d' christianisme, des monuments contem-
Me caractère que nous avons attribué au porains p' qui racontent sa naissance, sa vie
ministère de toute société. el sa mort, avec des circonstances qui ne
et
d'est, en effet, devant ses premiers dis-pouvaient
P convenir qu'à l'Homme-Dieu, tou-
-ciples, qu'il légitime en quelque sorte son je jours Dieu lorsqu'il était homme, toujours
ministère divin. Il leur dit en mille endroits homme
h quoiqu'il fût Dieu sans parler des
'qu'il ne fait pas sa volonté, mais celle de-son traditions
ti et des écrits de tous les âges sub-
Père, qui l'a envoyé; qu'il ne cherche pas sai séquents
si qui continuent les récits de ses
gloire, mais celle de son Père; que, s'il se glo- historiens,
h et contiennent les actes faits en
-rifie lui-même, sa gloire n'est rien (Joan. V, si son nom par ses premiers disciples, le mo-
30; vm, 50, 54) c'est toujours son Père»' nument n de tous le plus authentique, je veux
qu'il prie pour eux; tes paroles qu'il leur<• dire
d la société qu'il fondée, et qui existe
a
adresse ne sont pas les siennes, mais celles dee sous
s nos yeux depuis dix-huit cents ans,
place l'existence, la venue et la mission du
son Père. (Joan. svii, 9 xïv, 24..) Il ne parle3ministre
P
universel entre Dieu et les hom-
jamais qu'au nom du pouvoir, il rapporte o
au 'plus haut degré de certitude histo-
lotit au pouvoir dont il est le ministre;• mes, «
puisse recevoir.
mais en même temps, accréditant son divini rrique qu'un événement
II la fonde cette société, en laissant après
ministère, il dit qu'on ne peut aller à son
Père que par lui ni le connaître sans le con- 1lui un pouvoir
visible, comme son représen-
naître lui-même que ,qui n'honore pas lee tant t sur la terre, chef du ministère qu'il
ministre, n'honore pas le pouvoir qui l'aa institue,
i en l'envoyant comme il a été lui-
même envoyé, en l'envoyant enseigner toutes
envoyé, etc., etc. [Joan. xïv, 6, 7.) r'

Comme il devait être homme et fils deelesnations.


J {Matth. xxvm, 19.) Il leur donne,
l'Homme, ainsi qu'il le dît lui-même, il de- àà ces ministres, la
puissance dé lier et d,
vait naître, vivre et mourir comme hommee délier; < il les assure qu'il sera toujours avec
les er-
dans le temps et dans un lieu, et la domi- «eux jusqu'à la fin des temps, et que
prévaudront jamais
nation universelle, entendue par les Juifs's ireurs et les passions ne
dans un sens tout matériel, ta domination n contre
< la vérité qu'ils annoncent il leur
de ce ministre universel àqui toute puis-[- promet 1
enfin comme le sceau de sa doctrine,
< la preuve des
vérités dont il leur confie la
sance avait été donnée au ciel et sur la terre 'e et
de cruelles persécutions, des
(Màtth. xxviii, 18), au nom de qu-i les',s prédication,
]

rois eux-mêmes devaient régner, et les législa-i. combats


<
continuels, jusqu'à leur prédire que
leurs donner des lois justes et sages cette :e ceux qui les feront mourir, croiront faire une
domination universelle ne fut pas tout à fait itt veuvre
'i
agréable à Dieu. (Joan. xvi, 2.) Jamais
ignorée des auteurs profanes, puisque nous IS
prédiction n'a été plus littéralement accom-
lisons, dans Tacite et dans Suétone, que re plie de nos
jours et, dans le royaume dont
c'était une opinion répanlue en Orient, vers •s le souverain
s'honore du titre de roi très-
glaive et du mé-
le temps d'Auguste, qu'on ne serait pas is >chrétien, la persécution du
,x pris a été portée au delà
de tous les excès:
longtemps à voir sortir de la Judée ceux
qui régneraient sur toute la terre, profecti Ii «t, sans les promesses de son fondateur, la
aurait paru menacée
e Judœa rerum potirentur
et comme le religion chrétienne
f- d'une destruction totale.
très -dif-
ces deux historiens, de style
férent, rapportent cette prédiction abso- 3- Mais il manquait à la société, que le pou-
lument dans les mêmes termes, on peut utt voir divin avait fondée, le premier et le plus
croire que ce sont précisément ceux de le essentiel caractère de toute société, le sacri-
l'opinion populaire qui s'était répandue. fice. Dans une société où tout pouvoir, mi-
Jésus-Christ naquit donc sous le règne ie nistre, sujet, était universel, le sacrifice aussi
d'Auguste, vécut et mourut sous celui de ie ne pouvait être qu'universel et si, comme
don de soi.
Tibère et, sans parler des prophéties con- a- uous l'avons dit; le sacrifice est le
105 PART. I. ECONOM. SOC._ PRINCIPE GONST. DE LA SOCIETE. iO8
que le ministre fait au pouvoirdans
pouvoir dans l'intérêt
l'intérêt veui par le
veuî dire par le moyen, le ministère, l'eni™.
l'entre*
du sujet, quel pouvait être ce sacrifice, que mise de quelqu'un. Le raisonnement et l'a-
celui du ministre universel se sacrifiant lui- nalogie des idées et des expressions nous
même pour le salut de tous les hommes, et ont conduits à le reconnaître comme le
expiant, par la vertu de son sacrifice, les ministre universel du pouvoir universel de
péchés du monde, je veux dire les désordres Dieu sur l'universalité du genre humain
de l'idolâtrie, de l'immolation des victimes participant, par conséquent, de la nature
humaines, des jeux sanglants de l'arène, de de Dieu et de la nature de l'homme, comme
l'esclavage, du divorce, de Ja polygamie-, de dans toute société le ministre participe né-
l'exposition des enfants, que sa doctrine cessairement de la nature du pouvoir et de
a
abolis partout où elle a été annoncée, et celle du sujet; Homme-Dieupar conséquent
chez tous les peuples qui l'ont reçue. et tout ce que l'enseignement religieux,
C'est en vertu de ce sacrifice que l'Hom- dans son langage ascétique, nous enseigne
me-Dieu est devenu sauveur, rédempteur, de cet Homme-Dieu, découle de ce caractère
médiateur entre Dieu et les hommes, qui de ministère universel, par une suite d'in-
lui ont été donnés en héritage, comme le ductions et de raisonnements dont il faut
prix de son sacritice. combattre le principe ou admettre les con-
Nous avons dit que le pouvoir devait être séquences. Ce n'est pas, je le répète, expli-
constamment et réellement présent à la so- quer le mystère, mais c'est en montrer la
ciété, qui ne peut même un instant exister nécessité, je veux dire la conformité à la;
sans pouvoir. nature de la société car l'Elre souveraine-
L'Homme-Dieu sera donc toujours pré- ment libre ne fait rien de nécessaire ou de
sent à la société qu'il a fondée il y sera pré- forcé; mais l'Être, qui est la souveraine rai-
sent par les lois qu'il lui a données, par le son, fait librement tout ce qui est conforme
vicaire ou le représentant visible qu'il à la nature, dont il est l'auteur.
a
il
laissé sur la terre y sera présent par
ses La religion chrétienne est donc une so-
miftistres, présent enfin comme victime du
sacrifice, sacrifice réel et sanglant une fois ciété monarchique, où le pfiunoin, le nii*
accompli par un peuple, par des hommes qui nistré, le sujet sont personnes distinctes.
ne savaient ce qu'ils faisaient, en répandant l'une de l'autre, où le ministère universel,
ua sang qui est retombé sur eux et sur leurs devenu pouvoir et fondateur de la société
enfants, nié aujourd'hui par des hommes chrétienne, juge et combat suivant les fonc-
qui ne savent ni ce qu'ils font, ni ce qu'ils tions que nous avons assignées au pouvoir-
disent; mais désormais, sacrifice mystique- dans toute société. Aussi, dans le livre mys-
et commémoratif, quoique non moins réel, térieux de la religion chrétienne, Je Verbeiv
sacrifice innocent de l'homme universel Dieu, ouson ministre, sort pour juger etcam-
offert pour l'universalité des hommes battre; « et cum justitia judicat et pugriat, »
s& (Apoc. xix, il.) Les ministres qu'il a insti-
crifice de l'homme et de la propriété, re-
présentée par la propriété la plus. générale,. tués, comme tous les ministres des autres
seule nécessaire à la subsistance de l'hom- sociétés, ont, sous les ordres et la direction
me, le pain et le vin,, sacrifice enfin dont du pouvoir, la double, Sanction de conseil y'
l'esprit de l'homma ne peut pénétrer la ma-
nière, mais dont sa, raison peut: concevoir
.b,oana..muca.uG;
dans les assemblées générales. de,:l',Egl;Ise ar"
ses conciles, et de service, dans tous^
t,Lâ~:4~G ~Vy

temps, pour combattre et repoussé


les motifs naturels ou la,parfaite.cooxeqa,aca
;E:
'e ?T^f
à lasociété,.
Toute l'économie de la. religion, chré- i-,
tienne porte donc sur le. ministre universel,J,
1. réur.

et de constitution, narc
par è~ qüi
~'ést cette identité parfig^T
C'est
e
enjj^Tfor'ce)
a
qUi a faitfait
e force, la
ia force
le médiateur, le sauveur, Jésus-Christ, gieuse etet lala.Qjpnarc^tauralion des Etats
mo
enn
un mot, comme sur un fondement inébran-
lable. Aussi,, l'on peut remarquer que l'E-
i- Ja perfection.
conservat¡¿œes.
«^ tofflbés
Etats, tombés dans Je ]e
de
de conserva^ presbytérianisine,en poli-
glise termine toutes ses prières et toutes ses cathohqo^ sontsans force
demandes à Dieu ainsi Par notre Seigneur C&à£
;s
;r
~opu~
I de
religion, sont sans force propre
stabilité, toujours agités
Jésus-Christ votre Fils, etc., etc.; mais- cette JSàns toujours hostiles et, agresseurs
préposition par suppose toujours que moyen a.
ou ministère sont sous-entendus; et fair/^ai
>lf ÏÏoll et en cherchant. le boohW
ou demander quelque chose par quelfjr'
.ETES DE M. DE BOHALD. îw
et la force, ils n'ont rencontré que la ri- des divines Ecritures. Le calvinisme a donc
chesse. rejeté toute hiérarchie, et chaque fidèle est
si bien à lui-même son pouvoir reBgieux,
CHAPITRE XX. que le calvinisme a fini par rejeter tout au-
tre pouvoir. Il a commencé par méconnaître
DE LA RÉFORME. l'autorité du vicaire de Jésus-Christ, son

'
L'événement qui, an xvie siècle, divisa1 la représentant visible, et qu'il a traité d'ante-
société religieuse, porta le même désordre ire christ, et bientôt il a méconnu Jésus-Christ
rîaiis la société politique, et établit à la fois
ois lui-même. Il n'y a plus à Genève, écrivait
la religion presbytérienne et te gouverne-
Voltaire, que quelques gredins qui croient
le-
ment populaire; et tantôt le presbytéria- lia encore au consubstantiel. De nos jours, le
nisme politique, ou la démocratie, naquit au conseil supérieur a défendu aux ministres,
depuis longtemps accusés, même par
sein du presbytérianismereligieux, ou de la ja
réforme, et tantôt le presbytérianisme re- J.-J. Rousseau, d'être sociniens, unitaires
ligieux au sein du presbytérianisme poli- ,ljl ou déistes (1 ), de traiter dans les chaires
tique. de la Divinité de Jésus-Christ et leurs fidè-
les sont, comme on le sait, partagés sur cette
Le lecteur n'a pas oublié que la différence
essentielle et caractéristique que nous avons
remarquée entre la monarchie royale ett ,a
nce

la
s croyance fondamentale.
Mais, comme la démocratie politique se-
démocratie, est que, dans la première, les rait d'autant plus impraticable qu'elle appel-
lerait plus de citoyens au pouvoir, et qu'il
trois personnes sont distinctes l'une de
l'autre, et les deux premières homogènes et a fallu, malgré le principe de ce gouverne-
semblables par la perpétuité, ou l'hérédité; \é ment, restreindre de mille manières le nom-
Des bre de ceux qui peuvent prendre part aux
et que, dans la seconde, les trois personnes délibérations politiques, de même, dans la
sont confondues en une seule, le peuple, •r' démocratie religieuse, le grand nombre des
actuellement ou éventuellement pouvoir, autorités interprétantes jeta au commence-
ministre et sujet.
ment un si grand désordre et produisit un
Nous retrouverons les mêmes accidents mts
si grand nombre d'opinions différentes, d'où
dans la société religieuse, et les mêmes dif- sortirent des-sectes plus ou moins nombreu-
férences entre la Religion catholique et les CS mutuellement,
doctrines calvinistes. ses, qui s'anathématisaiènt
qu'il devint indispensable de rétablir l'auto-
Dans la société catholique, les trois per-)er..
rité qu'on avait abolie comme une tyrannie.
sonnes sont parfaitement distinctes l'une ded On essaya donc des consistoires et des syno-
l'autre, et le ministère, qui ne peut pluss S,9~
se
des, et même on multiplia les conjessions de
confondre avec l'état de simple fidèle, se foi sans pouvoir s'accorder sur aucune, ac-
perpétue par la consécration, qui est une une
"ne
spirituelle. cord en effet tout à fait inconséquent au
sorte d'hérédité ou de filiation principe de la réforme et à la liberté du sens
Dans le presbytérianismereligieux,tel que privé, et qui, à la place de l'autorité de TE-
l'a établi Calvin, chaque fidèle peut être» ie le
glise, contre laquelle on s'était élevé, éta-
ministre du culte, et, effectivement, partouttout
blissait la tyrannie de quelques théologiens,
où manque ce ministre, qui n'est qu'un
\oraleur
orateur ou un
plus un. tecteur, ie premier
lecteur, le premier ve-
ordinairement un ancien, le rem-
Non-seulement chacun
sonS^même le ministre de sa religion,
son sens est son pouvoir, son autorité,
ver
em-
î
est ou peut
ion,
rîté,
qui bientôt eux-mêmes se divisèrent, et la
Hollande
]
arminiens
i
retentit des disputes acharnéesdes
et des gomaristes qui eurent
tant d'influence sur l'état politique de ce
1pays (2)-

^miisque chacun peut, par Enfin le calvinisme, déserteur de Tindé-


pendance de la religion chrétienne et cher-
Sd,e
que
'(* ) Je
,iii
ne peux^féter à son
de s l'état actuIlW
1 le
gré le sens
sens

~1~
dicateur ded.Starek,
J" rainistreW
mUHstre l' lecteur
le lecteur à ce la réunion des différentes communions chrétiennes, et
2™ Ia, COU1' de HessedX le se trouve chez Adrien Le Clère,cerueque Cassette* n° 29,
ecrK •? .Pl"S 'à Vânts l'An^firemierpré- protestante
ite dit M. labhe
pré- près Saint-Sulpice. Voy. aussidans
écrit qui tit veauc9up de bruit dans un (ies des Grégoire sur le même sujet son Histoire des
rie v \lt£ mqUe?
de violentes persécubiôns
I\'lonnaires.
de- TModule, attira us
dé la et un
p~rt ses
Cet écrit ons. ,e la partdé
un sectes.
sessccunus sectes. nu ils rroiftnt. ni ce qu'ils
ra\ ) f\n ne sait
« On na fa qu'ils
eait ce croient, nl OU IIS

i818, sous IC titre


d~Ên~ei~~adUl,t.tet
et
de
imprimé
impriméne
Kv us
èïKcemblant
sur
e
(2
ne croient pas on ne sait pas même ce qu'ils font
de croire. Leur seule manière d'établir
s sur N^rfoj, c'est d'attaquer cette des autres,» dit Jean-
x~<ç Rousseau des ministres calvinistes.
109. PART. I. ECONCM. SOC –'PRINCIPE CONST. DE LA SOCIETE. uq
ouant partout une autorité qu'il ne trouvait de
chant d< répudier son époux, et à l'époux de ren-
pas eu lui-méme, se mit sous le joug du voyer Vr sa femme, et il rétablit ainsi, par la
pouvoir civil, et, irréconciliable ennemi de faculté
fa du divorce, la polygamie qui n'était
la roy.au!é, trouva le secret de l'affaiblir en plus
pl en pratique chez les peuples barbares.
se joignant à elle. C'est en mettant l'Eglise Le L( divorce, qui permet d'user des droits du
sous le joug du pouvoir civil que nos iibé- mariage
m avec une femme du vivant de la
raux entendent la séparation du spirituel et première!,
pr est une polygamie au moins éven-
du temporel, qu'ils ont si fort à cœur mais tu tuelle, et c'est avec raison que Théodore de
alors il n'y aurait plus séparation entre l'un Bèze
Bé intitulé un traité sur le divorce De
et l'autre, mais confusion des deux. La tur- Polygamia,
p( seu Divortiis. 11 y a même cette
bulence et les orages des démocraties polifi- différence
<ji à l'avantage de la polygamie, telle
ques ont pour cause les prétentions au pou- qu'elle
qU est en usage dans l'Orient, qu'elle
Yoir que chacun veut exercer, et qu'il ne s'j s'y pratique sans scandale et que le désordre
voit pas sans jalousie entre les mains de ceux ne se fait sentir que dans l'intérieur de la
qui le possèdent, et les variations infinies mi maison, au lieu que le divorce fait retentir
des Eglises protestantes n'ont pas un autre les les tribunaux et entretient le public de ses,
principe chacun veut y interpréter le dog- accusations
aci et de ses débats.
me à sa guise, et veut faire prévaloir sa doc- Mais une fois que la réforme eut posé le
trine (l). principe
pr: de la polygamie éventuelle, elle ne
Le grand nombre de sectes différentes qui, pu put se retenir sur la pente où elle s'était,
comme autant de rejetons, ^sortirent de cette placée,
p]t et sept de ses plus fameux docteurs
tige trop féconde, sont, je crois, réduites permirent,
pe; par acte devant notaire, au land-
aujourd'hui,dans les pays réformés, à trente grave
gn de Hesse, sur les motifs les plus hon-
ou quarante, qui chacune interprète la sainte teLteux, d'épouser une seconde femme en con-
Ecriture à sa manière, et entre lesquelles le tinuant
tin de vivre avec la première toutefois»
méthodisme,sorte de calvinisme rigide, tient en en hommes prudents, ils lui recommandè-
le premier rang toutes ces sectes jouissent, rentrer le secret sous le ',sceau de la confession t
en Angleterre et en Hollande, d'une liberté qu' qu'ils avaient abolie, sub sigillo. confessionis
qui passe dans ces pays pour une perfection et cela, dans le temps que le Saint-Siège re-
de l'état social, mais qui favorise singuliè- fusfusait de consentir au divorce d'Henri VIII
rement Tindifférence pour toutes les reli- avec avi Catherine d'Aragon,, et, quoi qu'en ait
gions pu dire une politique mondaine, se résignait
Le calvinisme, en détruisant l'unité du avec av( raison à perdre l'Angleterre par son re-
pouvoir politique et du pouvoir religieux, fus, fus plutôt que de perdre la religion par sa
n'épargna pas le pouvoirdomestique. Comme complaisance.
coi
toutes les sectes ennemies de la religion ca- Les
] opinions les pi us monstrueuses en mo-
tholique (chose bien remarquable 1J, il brisa rairale devaient suivre les erreurs sur le dog-
le nœud conjugal en permettant à la femme me, me et le calvinisme enseigna Vinamissibililé

( 1 ) Les protestants ont amèrement reproché à l'Ecriture


l'Ei sainte comme un simple véhicule dans
l'Eglise catholique sa maxime hors de l'Eglise point leq
lequel, pour l'amour des âmes pieuses, peu éclairées,
de salut; et ils ignorent que Calvin, au livre tv de et bigotèment attachées à la Bible, on est obligé
ses Institutions, chap. i", § 28, dit Extra kujus d'envelopper
d'ei la morale. En dernière analyse, la
gremium nulla est speranda 'peccatorum remissio, plupart
plu rejettent toute l'Ecriture sainte, toute révé-
nulla satus. c Hors de son sein, il n'y a à espérer ni lation,
lati tous les dogmes du christianisme pour sa-
rémission des péchés, ni salut.» En général, les crifier
crii au déisme, ce demi-frère de l'athéisme. Si
protestants sont très-peu instruits, de leur religion, Luther
Lui et Calvin revenaient sur la terre, dit l'abbé
et point du tout de la nôtre, et ils craignent de Grégoire dans son Histoire des sectes, 'ils seraient
Gr(
s'instruire. très-surpris
très de n'être pas de la religion de qui
L'auteur protestant des Lettres confidentielles au ont emprunté d'eux leurs dénominations, t. ceux
bibliothécaire Biester, savant luthérien dit à la L'auteur
L cité plus haut dit «Les prosélytes les
page 45,: «A proprement parler, n'existe plus plus zélés que puisse avoir l'Eglise catholique se
plu
d'Eglise entre les protestants, si l'on comprend par troi
trouveru maintenant parmi les protestants, soit phi-
ce mot d'Eglise une société de chrétiens réunis par la losophes, soit théologiens, qui font tous leurs efforts,
los(
même foi, par les mêmes principes religieux et les pour détruire le christianisme,.»,:
pou
« JI importe beaucoup, écrivait Luther à Mé-
mêmes moyens de salut ce n'est plus qu'une masse «
d'hommes dont ceux des classes les plus civilisées et lan-chthon, son fidèle disciple",c que la postérité ne
lam
les plus instruites ont cessé d'avoir pour la plupart s'aperçoive pas de nos dissensions; car il serait sou-
s'al
aucune liaison avec Luther, Calvin, etc. La foule verainement
ver; ridicule que nous qui nous élevons,
au contraire de ces mêmes hommes ne suit plus contre
con l'univers entier, nous soyons cependant, et
que ses propres opinions, quelque fausses et er- dès l'origine de la réformation, si désunis entre
rouées qu'elles puissent être ceux-ci regardent nous.* {Ëpisi. ad MelançhthPtttM.l45.).
nou
111 OEUVRES COMPLETES DE -M. DE BONALD. 112
de la justice, même après les plus grands fait
i Grotius, quoique protestant
dire à Grolius,
crimes, une fois qu'on a été
-Á.<. justifié
'f-:I1..{ parce Ubicunque ~n~o//p ~<t/K7~f~r~
1lr~1.J't'lINlnUIJ calvmislce invaluere imperia
4*~M~~4'~

que, disait-il, le médiateur, par la surabon- ilurbaverunt « Partout où le calvinisme s'est,


dance de ses mérites, n'a rien laissé à l'hom- introduit,
i il a troublé les Etats. » Ces trou-
Ibles n'ont cessé, ou plutôt n'ont été suspén-
me à mériter; et il enseigna encore, comme
une conséquence, l'inutilité des bonnes œu- dus
( que lorsque cette religion, abjurant sa
vres qu'Amsdorf, disciple de Luther, a même dignité
« et son indépendance, s'est mise sous
regardées comme dangereuses, à cause de Ile joug du pouvoir civil autre erreur contre

l'orgueil qu'elles inspirent. Ces doctrines nature, et qui a conféré au pouvoir laïque
qui conduisent au fatalisme, et la faculté du 1la suprématie ecclésiastique; sujet de risée

divorce qui rétablit la polygamie, ont fait pour les gens instruits, et d'indifférence re-«
dire à l'un des plus grands génies qui aient 1lîgieuse pour tous les autres.
paru, à Leibnit?, quoique luthérien, qu'il y La réforme, ouvrage, en Allemagne, de la
avait de grands rapports entre les doctrines cupidité des princes; en Angleterre, de
mahométanes et les doctrines protestantes. l'amour d'un roi pour une maîtresse.; en
Aussi Luther, au fort de la guerre des Turcs France, du goût des nouveautés, la réforme
contre la maison d'Autriche, se montra-t-il a été l'événement des temps modernes le
leur partisan, et il ne voulait pas qu'on leur plus funeste à la société, et la cause pro-
résistât.. chaine ou éloignée de toutes les révolutions
Le calvinisme a porté atteinte à la croyancequi, depuis le xv'- siècle, ont agité l'Europe,
de l'immortalité de l'âme et d'une vie futu- et de toutes les guerres qui l'ont ensanglan-
re, en proscrivant l'invocation des saints et tée et, si la société doit finir, je n'hésite
les prières pour les morts; doctrine froide pas à le regarder comme le premier coup
et cruelle, qui rompt tout lien, tout com- de cloche de cette dernière catastrophe.
merce de sentiments et de secours, que les
dogmes plus humains et plus consolants de CHAPITRE XXI.
l'Eglise catholique établissent entre ceux qui
DU LUTHÉRANISME.
vivent encore sur la terre et ceux qui n'y
sont plus (1). Si le calvinisme est la démocratie de la
Le calvinisme, dit M. Hume dans son his- religion, le luthéranisme- en est l'aristo-
toire d'Angleterre, a toujours montré une cratie.
haine furieuse contre la religion catholique. En effet, la monarchie royale présente les
Cette haine s'est manifestée à toutes les trois personnes distinctes; la démocratie
époques par la destruction des objets du n'en a qu'une l'aristocratie, j'entends l'aris-
culte catholique et la persécution contre ses locràtie héréditaire, la seule qui, dans' la
ministres. Cette haine dure encore, et s'est langue politiqué, porte le nom d'aristocratie,
manifestée de nos jours par les mêmes en a deux, les ministres ou corps héréditaire,
excès. qui exerce le pouvoir, et les sujets.
La réforme a établi une sorte de christia- Ainsi, dans la monarchie religieuse ou la
nisme domestique, puisqu'elle n'a ni sacer- société catholique, les trois personnes sont
doce, ni autel, ni sacrifice, et que le père de parfaitement distinctes. Dans le. calvinisme,
famille, une Bible à la main, peut être le mi-r il n'y en a qu'une, le peuple; il y en a deux i
nistre de ce culte. L'erreur politique de cer- dans le luthéranisme, qui a conservé une
tains législateurs est d'avoir voulu en faire hiérarchie, des évoques, des doyens, même
une religion publique, et de l'avoir, en cette des chanoines, et retenu dans quelques
qualité, associée à l'Etat politique. Cette as- lieux plusieurs rites de la religion catho-
sociation contre nature et qui voulait réunir lique, même à sa manière, la présence réelle,
deux principes opposés, un culte domes- et jusqu'à la confession auriculaire, derniers
tique sans autel et sans sacrifice, et une so- vestiges de f'ancienne croyance qui tendent
ciété publique et politique, a été, indépen- tous les jours davantage à s'effacer.
damment des passions humaines, la cause de Nous avons dit que l'aristocratie politique
tous les troubles qui se sont manifestés dans était une monarchie acéphale ou sans chef.
les Etats oft elle s'pst introduite, et qui ont l.à où le luthéranisme n'a pas dégénéré, on

(1 ) Cependant, selon Calvin dans ses Insti- prier pour les morts mais dans la suite il n'a pas
tutions, chap. 5, dit- le baron de Starck, « il est reçu été plus embarrassa de cet aveu que de plusieurs
depuis plus de treize cents ans dans l'Eglise de autres.
pourrait aussi le considérer comme un ca- tutions religieuses et des constitutions anale*
tuti
tholicisme acéphale; et cette définition s'ap- gues des gouvernements politiques.
gue
piquerait encore mieux à la religion grec- Ainsi
A la. monarchie royale et la religion
catholique, la démocratie et le calvinisme,
que, qui a presque tout conservé des dogmes ca-tl
catholiques, hors le pouvoir du chef visible l'ar
l'aristocratie et le luthéranisme, s'accordent
de l'Eglise, Par la conformité de leurs principes.
par
Aussi le luthéranisme est presque partout L'Angleterre,
I plus aristocratique que dé-
uni à une monarchie mêlée d'aristocratie, mocratique,
mo est aussi plus luthérienne que
de démocratie, de despotisme, comme en calviniste,
cal puisque le luthéranisme, modi-
Angleterre, en Suède et en Danemark, ou le fié par ses différentes révolutions religieu-
pouvoirest contenu par les mœurs, bien plus ses y est la religion dominante, et- propre-
ses,
que par les lois. me celle de l'Etat.
ment
Le dogme fondamental de la réforme, le L'Angleterre
1 a une religion nationale,
sens privé, était moins un dogme luthérien qu a fait schisme avec la religion univer-
qui
qu'un dogme calviniste, et le superbe Luther selle,
sel et qui succombe elle-même sous la
aimait trop la domination sur les esprits, multiplicité
mi des sectes et surtout sous le
méthodisme. Des insensés voudraient aussi
pour la laisser ainsi usurper au vulgaire. En m^
déclamant avec violence contre le Pape, il nous donner une religion nationale, et nous
rio
se fit lui-même le Pape de sa nouvelle
séparer, s'ils le pouvaient, de l'unité de reli-
sé|
Eglise; et le sage, le modéré Mélanchthon,le gion, qui, réellement et sans antithèse, n'est
gic
plus habile de ses premiers disciples, s'en que la religion de l'unité.
qu
plaignait. Luther était plus emporté, Calvin Notre Eglise gallicane avait bien aussi
plus haineux; et il semble que la haine de quelque
qu chose de moins universel et de plus
Calvin contre l'Eglise romaine autant que national,
na particulier à elle seule. Tout ce qui
l'aversion de LutherpourCalvin et ses doctri- affecte
afl la religion réagit toujours sur le
nés, aient, de nos jours, ramené les luthé- corps
co politique; mais les sentiments de la
riens à des sentiments plus modérés envers France pour le Saint-Siège, et son attache-
Fr
l'Eglise catholique et envers les souverains. ment
m< à la religion catholique, corrigeaient
On en voit la preuve en Angleterre, qui ce que les opinions gallicanes pouvaient
vient de rendre les droits civils et politiques avoir
av de trop indépendant. C'est précisé-
aux catholiques d'Irlande. D'ailleurs Luther ment
m ce dont nos libéraux se plaignent; et
avait fait sa réforme avec des princes, Cal- la religion qu'ils voudraientnous donner(s'ils
vin la sienne avec des bourgeois, ce qui veulent
vé même d'une religion), serait une
explique la tendance plus populaire du cal- religion
re presbytérienne qui s'accorderait
yinisme., merveilleusement
m avec leur démocratie, et
Aujourd'hui, qu'ils ont tous abandonné il. ils modifieraient l'une et l'autre leur ma-
les dogmes de leurs fondateurs, et qu'ils nière. n: Mais le presbytérianisme naquit en
sont aussi peu luthériens ou calvinistes les E Europe d'un zèle outré de religion; il ne
réunir, pourrait renaître aujourd'hui que de l'a-
uns que les autres, ils cherchent à se p
malgré l'infinie distance de leurs croyances5 théisme
tl et dans l'indifférence de toutes les
le dogme le plus fondamental, l'Eucha- religions;
n et cette, mère inféconde ne peut
sur
eharistie, et la haine réciproque de leurss rien ri produire, ou ne peut produire que des
fondateurs. Quand deux religions en sont à1 monstres.
n
point de tolérance et de complaisanceî La religion catholique se prête à toutes les
ce
mutuelle, on peut assurer qu'elles sont finies; formes
f< de gouvernement; mais toutes les
gouvernement ne se prêtent pas
et que,,si elles sont encore des factions po- formes-de
fi
catholique et com-
litiques, elles ne sont plus des sectes reli- aaussi bien à la religion
gieuses. me
c elle est la plus parfaite des religions, elle
Au reste, ce que nous avons dit en parlantt rne porte tous ses fruits que sous le plus
de l'aristocratie politique, qui tend forte- parfait
I des gouvernements. Elle fleurit, il est
ment la démocratie si même elle n'est;t vrai, dans quelques petits cantons démocra-
it tiques de 'la Suisse mais il faut observer
pas une démocratie plus concentrée, peut t
s'appliquer au luthéranisme, qui, tous lesis qu'elle
( y est presque la seule autorité; et
jours, tombe davantage dans le calvinisme. î. ces( peuples isolés, simplesdans leurs mœurs,
On peut voir à présent avec évidence, la la agricoles
< et pasteurs n'ont pas besoin d'un
tendance réciproque des différentes consti- autre pouvoir.
Quand j'ai dit que
v ..av ..auaiw
le protestantisme con- voir qui commande, un sujet qui obéit, un
aiV

duisait à la -démocratie, et la religion càtho-ministre, moyen ou intermédiaire entre Je


lique à la monarchie, je n'ai pas prétenduLi pouvoir et le sujet, qui reçoit de l'un pour
que tous tes protestants fussent démocrates, i, transmettre à l'autre, soumis au pouvoir,
ou tous les catholiques royalistes j'ai connuIl ayant autorité sur le sujet, et pour remplir
trop d'exemples du, contraire; mais cettee cette double fonction, participant de la na-
anomalie s'explique aisément. Il y a beau- ture du pouvoir et de la nature du sujet.
coup de protestants qui sont meilleurs que8 Je considère la religion dans la famille, et
leurs principes, et beaucoup trop de catho- j'y vois aussi un pouvoir qui commande,
liques qui sont moins bons que les leurs. un sujet qui obéit, et un ministre ou prêtre,
,Faut4l, pour continuer
la comparaison,
appliquer aux religions ce que J.-J. Rous-
moyen intermédiaire entre le pouvoir et le
sujet; qui reçoit de l'un pour transmettre
seau dit des gouvernements politiques ? Lee à l'autre soumis au pouvoir, ayant autorité
gouvernement,. dit-il,. passe de l'aristocratiee sur le sujet, et pour remplir cette double
àla démocratie, de da démocratie à la royauié; forfetion, participant de la nature du pou-
le progrès inverse est impossible ( 1 ). Ett voir et de celle du sujet.
l'Europe peuHl}e; espérer qu'un jour la Ré- La famiile. devient un peuple et la reli-
forme et toutes les sectes qui en sont. sorties gion de domestique qu'elle était, devient
reviendront à. l'unité de la religion ? Cela doit,t publique ou, nationale; et chez le peuple
être, pour que la parole du pouvoir suprême comme dans cette religion publique, c'est-
de la société s'accomplisse Et pet unumt à-dire, dans la société politique ou civile
ovile et unus pastor. (Joan. x, 16.) Quoi qu'ill commedans la société religieuse, je vois tou-
en soit, le protestantisme, dit M. l'abbé Gré-• jours des pouvoirs qui commandent,des su-
goire, ne reviendra jamais ce qu'il a été, et il jets
qui obéissent, et entre eux sous divers
nepeut rester ce gu) il est; une pente irrésis- noms, des ministres, moyens ou intermé-
tible l'entraîne vers sa fm, où il subira une diaires entre le' pouvoir et le sujet, qui re-
nouvelle métamorphose. Sa ëohstitulionméme v
çoivent de l'un pour transmettre à l'autre,,
est le principe corrosif de son existence. -soumis an pouvoir et ayant autorité sur le
En terminant la longue carrière que j'ai sujet, et j'en conclus que cette hiérarchie de
parcourue, je prie le lecteur; de faire atten- personnes et dé fonctions forme la consti-
tion à la Marche que j'ai suivie dans les tution naturelle de toute société.
considérations que j'ai soumises à son exa-* Je- remarque même que plus le peuple
m.en. est nombreux et la société policée, plus le
u
Dieu et l'homme, la famille et la religion» culte religieux est pompeux et solennel. La
paraissent à 3a fois; dans l'univers et par-- majesté de la religion suit les progrès de la
tout où je vois la religion je vois
croyance d'un, être supérieur, à l'homme.
une
civilisation, et c'estavec. raison. que je répète
ce que Montesquieu a dit Lès peuples qui
Si Dieu n'existait pas^ jamais cette grande n'ont pas de prêtres sont ordinairement bat'
idée ne se: serai t montré© à l'esprit de Vhom bar es [2).
me, jamais son expression ne seserait trou- Que la société civile soit monocratique
vée dans son langage; et ce langage, que ou f-olycratique, c'est-à-dire monarchique
l'homme n'a jamais pu inventer, est* tout ou populaire; que la société religieuse soit
seul à mes yeux une preuve décisive de monothéiste, religion d'un Dieu ou religion
l'existence d? un être supérieur à l'ho-aime. de <
plusieurs dieux.; que la famille soit mo-
JouU philosophie, dit un homme d'un grand nogame i ou polygame, partout se trouvent
sens, M. Ancillon, dans son Essai sur* la des < pouvoirs qui commandent, des sujets
science et la foi, toute philosophie qui ne part qui < obéissent, des ministres, moyens ou in
pas de Dieu est par là mêine une philosophie termédiaires
1 entre le pouvoir et le sujet,
manquée et fausse. soumis
i à l'un et ayant autorité sur l'autre.

( Je considère la famille, .et j'y vois aapou- iSeulement, dans les sociétés monarchiques
( 1 ) La chute de la royauté dans te démocratie
est qu'un accident, une .maladie passagère
n
retour de ta démocratie à la royauté est tin état
Je gleurs
| ou des devins, qui, trompés ou trompeurs;
s'aUribuenl
s
les
1
pour la guérison de leurs maladies et
succès de leurs chasses ou de -leurs guerres,
naturel et le rétablissement vdë lapante. des
c qualités surnaturellesque la superstition de ces
{%); Cela ne Veut pas dire que les Barbares
«
peuples regarde comme inspirées par quelque puis-
n aient aucune -religion,' mais seûlemçjit que, dans sance
s supérieure à l'homme.. >
leurs idées grossières comme eux; ils ont des jon-
1L14xn i
vvm.ua. w
et monothéistes, les personnes sociales sont J'examine cette religion, et je me de-
distinctes comme les fonctions dans quel- mande
£ si son existence dans le monde ré-
ques autres elles sont confondues. Mais pond à la dignité et à l'universalité qu'elle
·
laissons les sociétés politiques, et ne nous s'attribue.
s
occupons plus que du monothéisme, ou de Je la vois depuis dix-huit cents ans tou-
la monarchie religieuse. j
jours combattue; et c'est là le caractère le
Parce que le monothéisme, ou la société plus
{
certain de la vérité, et celui qui lui a
de l'unité de Dieu, contient vérité, elle a dû été
< le plus souvent et le plus solennellement
être la première ^t doit être la dernière. annoncé
i combattue dans ses dogmes par
File est l'alpha et l'oméga de la religion rien 1Ferreur, dans ses préceptes par les
passions,
ne l'a précédée et rien ne la suit. La vérité dans
( ses conseils par la mollesse; toujours
a commencé l'éducation du genre humain, combattue
< et toujours triomphante; persé-
et elle doit la terminer. cutée
< par le glaive, persécutée par le so-
Il
Cette société peut être considérée dans phisme,
]
persécutée par le mépris, persécu-
trois états, et ne peut exister dans aucun 1tée^par l'indifférence, et
toujours plus fé-
autre; elle est, ou domestique et dans une conde inspirant, suivant les temps et les
famille, ou nationale chez un peuple, ou lieux, le courage à ses martyrs, la science à
universelle dans le monde. ses docteurs, la pureté à ses vierges, l'austé-
Nous l'avons vue, cette religion, dans les rité à ses cénobites, le. zèle de sa propagation
familles patriarcales où elle était inférieure à ses missionnaires, et t'enthousiasme de la
et domestique, dans son pouvoir, dans son charité même au sexe le plus faible; inspi-
ministre, dans son sujet, dans son sacrifice, rant enfin tous les dévouements et tous les
action essentielle de toute société. sacrifices. Je la vois, de siècle en siècle, dé-
Nous l'avons vue dans la nation juive, où fendue et pratiquée par les hommes les plus
elle était extérieure et nationale nationale recommandables par leurs vertus ou les plus
dans son pouvoir (car l'unité de Dieu n'était célèbres par leur génie; et je ne parle pas
reconnue et n'avait un. culte public que chez des Augustin, des Thomas d'Aquin, des
cette nation) nationale dans ses ministres Bernard, des Bossuet, mais par les hommes
pris dans le corps de la nation nationale qui tiennent le sceptre des sciences même
dans ses sujets ou fidèles, qui étaient la na- profaner, par les Bacon, les Descartes, les
tion tout entière et nationale dans son sa- Pascal, les Leibnitz, les Newton, les Euler,
crifice, qui n'était offert que dans son tem- les Ch. Bonnet, les de Maistre, sans qu'au-
ple et par son pontife. Mais où est la reli- cun homme d'une haute considération mo-
gion universelle? Ici 'la religon chrétienne rale ou d'un génie universellement reconnu
se présente se donnant à elle-même le ti- soit entré en lice pour t'attaquer. Faut-il
tre d'universelle, ou de catholique et excepter le plus bel esprit de notre époque,
elle se dit en effet universelle dans son Voltaire? Mais ses plus graves objections ne
pouvoir, qui est l'Etre suprême, souve- sont que des bouffonneries- ( 1 ). Les esprits
rain Seigneur de t.outes les créatures uni- superficiels n'ont pasvu que, le se.1 du sar-
verselle dans ses sujets^ qui sont l'universa- casme consistant dans le contraste, pîus l'ob- –
lité du "genre humain doeete omnes gentes. jet est élevé et grève, plus la bouffonnerie
(Matth. xxym, 19) universelle dans son et le sarcasme' sont piquants et faciles; et
ministre, par qui tout a été fait, à quitoute c'est ce qui fait qu'on ne peut parodier et
puissance a été donnée au. ciel et sur la terre qu'on n'a jamais parodié que des tragédies.
(Ibid. 1 8}, et devant qui tout genou doit flé- Elle a été attaquée de nos jours; elle l'est
chir (Philip. n, 10), représenté par le vicaire peut-être encore par. des littérateurs sans
visible qu'il a laissé sur la terre univer- génie, qui prennent leur ignorance pour
selle dans sa morale, qui est celle du genre des objections, et croient.se grandir en atta^
humain universelle, enfin, dans son sacri- quant ce qu'il y a de plus grand.
fice, qui doit toujours, nous dit cette reli- Mais ce qui place la religion chrétienne
gion, être offert du couchant à l'aurore, pour• hors de toute comparaison" avec toute autre
le salut et la rédemption du genre humain. doctrine, ce spnt les peuples formés à son

(4 ); Traiter en badiiiage ou en plaisanterie nny Pucelle d'Orléans travestie. Traiter sérieusement un


sn}Gt sérieux et grave, est de la bouffonnerie, du{, sujet plaisant et frivole, c'est de la plaisanterie;
bfrrlesqùe tels sont Je Virgile travesti, de Scarron, comme le Lutrin de Boileau et le Vert-Vert (te
j, Gressel,
et lepoëme de Voltaire, qu'on pourrait appeler la.
école. Et si, comme le dit Condorcet, la reli-
gion mahométane retient les Turcs dans
• mœurs du particulier qui croit à son ensei-
unei gnement, à ses promesses, à ses menaces,
incurable stupidité, à quoi attribuerons-nous les gouvernements, en l'abandonnant, ont
les progrès, les lumières, la force toujours fait qu'elle perd chaque jour de son influence
croissante des sociétés chrétiennes, même
pour assurer la tranquillité dès Etats, le
leurs vertus? Car on y remarque les vices pouvoir légitime des rois, l'obéissance des
parce qu'ils sont rares, et par la même rai- peuples (1).
son qu'on remarque les vertus chez les L'homme privé peut ne voir dans la. Peli-
païens. A quoi attribuerons-nous cette in- gion que sa doctrine sa morale, ses précep-
contestable supériorité, si ce n'esta l'in- tes l'homme public, l'homme d'Etat, doit
fluence toute-puissante de la religion chré-
tienne, qui anime le grand corps de la chré- y voir son autorité sur les esprits, sa juste
influence sur la législation, même politi-
tienté, et de qui l'on peut dire
que, et cette force indestructible, qui fait que
Mens agitât molem et magno l'Etat qui s'appuie sur elle ne peut jamais
se corpore miscet ? tomber.
(ViRGit., Mneïi., lib. vi, vers. 727.)
Il me reste quelque chose à dire sup la
Et il serait bien peu philosophe, celui qui manière dont j'ai considéré la religion.
croirait qu'un peuple peut s'élever à La vérité de la religion chrétienne, consi-
une
haute perfection sous l'influence d'une dérée comme corps de doctrine et institution'i
doctrine et de croyances religieuses désa- divine, est établie sur des preuves histori-
vouées par la raison.
ques et morales qui ont subjugué les meil-
Et, il faut bien le dire, c'est à sa propre leurs esprits, et ne laissent rien àv désirer à
vertu, à la force de son principe intérieur, ceux qui, de bonne foi,, veulent s'instruire
et presque malgré les gouvernements, que dans la science de la religion,,)a première
la religion doit sa force de vie et d'expan- de toutes les sciences, et ne prennent pas
sion, et que nous devons nous-mêmes
bienfaits, ces bienfaits que, selon Montes-
ses pour des objections leur ignorance ou leurs
passions. Mais en considérant la. religion
quieu, la .nature humaine ne saurait
reconnaître. Car
assez comme une société, j'ai pensé que ce point
quel secours lui ont prêté de vue nouveau peut-être pouvait offrir,
les gouvernements, ou plutôt quel appui
sinon des preuves nouvelles, au moins é§s
n'ont-its pas prêté à ses ennemis? Lorsque inductions rationnelles. et philosophiques
leur- premier-intérêt était de la défendre,
et qui pourraient servir à établir d'une autre
leur premier devoir de la propager, ils ont manière la vérité de ses dogmes; non nova,
livré son enseignement et ses doctrines
aux sed nové, dit saint Augustin. Je n'ai pas je
blasphèmes, aux sophismes de l'impiété; crois, à me justifier de cette manière ration".
quelquefois, les objets de son culte et la nelle de considérer la religion; car, outre
personne de ses ministres aux fureurs que je la soumets sans aucu ne restriction au.
populaires. ils ont redouté son pouvoir, jugement souverain de l'Eglise, le plus docte.
envahi ses propriétés, et'se sont montrés interprète du christianisme nous avertit que
jaloux de son influence; mais le châtiment
notre foi doit être raisonnable, rationabilë
n'a pas tardé à suivre la faute, et tous les obsequium (Rom. xn 1), et eUe ne peut être
gouvernements qui ont attenté à l'indépen- raisonnable sans être raisonnée mais ce
dance de la religion ont perdu leur
propre siècle de raisonnement raisonne la religion,
indépendanceet sont tombés sous la
souve- moins que toute autre chose, et la jugé avec
raineté populaire de ministres qu'ils étaient
du pouvoir divin, pour faire le bien, minister une légèreté qu'il ne, se permet pas sur
le plus mince objet des recherches physi-
in bonum (Rom.xm, 4), comme dit saint
ques sur la pétale d'une fleur ou l'organi-
Paul, ils sont devenus les ministres des sation d'un insecte. Je n'ai employé les
caprices populaires, pour faire ou laisser
faire des révolutions. preuves tirées de l'enseignement religieux
et des Livres saints, que pour montrer que
Aussi, si la religion peut encore régler les
ce que j'ai voulu établirpar Je raisonnement
( 1 ) Avant la révolution, pour découvrir les
teurs ou complices de ces effroyables incendies au- contre ceux qui n'auraient pas révélé à là justice
désolent quelques-unes de nos provinces, qui ce qu'ils pouvaient savoir. Ce moyen fut souvent
on aurait
publié, à la requête de l'autorité civile, un moiiiioire, employé avec succès; mais alors on n'avait pas
cest-a-dire fulminé en chaire une excommunication encore éteint dans l'esprit des peuples la foi à l'au-
torité de la religion.
se trouve confirmé par la doctrine et l'ensei- cru qu'elle devait appeler à sa défense la
gnement de la religion. J'ai cru que la philosophie comme un corps de réserve. Elle
religion, comme société, était soumise aux saura placer cet allié au rang qu'il doit oc-
lois qui régissent toutes les sociétés, admi- cuper, et lui prescrire des bornes qu'il ne
rable harmonie, et qui est comme le sceau pourra pas franchir
des œuvres du Créateur. Je n'ai pas prétendu Espérons cependant que, malgré les nua-
expliquer la nature et le comment des mys- ges qu'accumulent contre elle l'ignorance et
tères, mais en montrer la nécessité, en don- les passions, cette graride lumière du monde
ner la raison et ce dernier mot m'avertit que moral, ce soleil de justice, ne sera pas obs-
la raison peut la chercher, que ce premier, et curci, et que, de toutes les recherches de
le plus importantsujet des pensées humaines, ses défenseurs, comme de toutes les. criti-
n'est pas interdit à notre investigation et en- qnes de ses adversaires, sortira cette vérité
fin,au moment où la religion est le plus auda- de fait Qu'il y a oubli de Dieu et oppres-
cieusement attaquée, ou le plus honteuse- sion de l'homme partout où il n'y a pas con-
ment délaissée, lorsque, sous le vain pr'é- naissance, adoration et culte de l'Homme-
texte de l'ordre légal, on attente à ses droits Dieu et tôt ou tard il sera prouvé que les
les plus légitimes, et que le nom même de dogmes de la religfon chrétienne sont confor-
son divin fondateur ne peut pas sauver mes à la plus haute raison ses préceptes à la
de la haine de ses ennemis l'institution qui plus pure morale, ses conseils à la plus sage
lui est le plus spécialement consacrée, j'ai politique.

THÉORIEDU POUVOIRPOLITIQUEET RELIGIEUX

DANS LA SOCIÉTÉ CIVILE,

DÉMONTRÉE PAR LE RAiSONNfcMEflT ET PAR L'HISTOIRE.

PRÉFACE

Dans tous les temps, l'homme a voulu s'é- nature des êtres qui composent chacune de
riger en législateur de la société politique et en
ces deux sociétés, aussi nécessairement que
réformateurde, la société religieuse, etdonner la pesanteur résulte de la nature des corps.
une constitution à l'une et à l'autre société; orCes deux constitutions sont nécessaires dans
je crois possible de démontrer que l'homme l'acception métaphysique de cette expres-
ne peut pas plus donner une constitution à sion, c'est-à-dire,qu'elles ne pourraient être
la société religieuse ou politique, qu'il ne autres qu'elles ne sont, sans choquer la na-
peut donner la pesanteur aux corps, ou l'é- ture des êtres qui composent chaque société:
tendue à la matière, et que, bien loin de ainsi toute société religieuse ou politique,
pouvoir constituer la société, l'homme, par qui n'est pas encore parvenue à sa constitu-
son intervention, ne peut qu'empêcher que tion naturelle, tend nécessairement à y par-
la société ne se constitue, ou, pour parler venir toute société religieuse ou politique)
plus exactement, ne peut que retarder le que les passions de l'homme ont écartée de
succès des efforts qu'elle fait pour parvenir sa constitution naturelle., tend nécessaire-
à sa constitution naturelle. ment à y revenir. Cette tendance contrariée
En effet, il existe une et une seule consti- par les passions de l'homme, ce combat en-
tution de société politique, une et une seule tre l'homme et la nature, pour constituer la
constitution de société religieuse la réu- société, est la seule cause des troubles qui
nion de ces deux constitutions et de ces> se manifestent au sein des sociétés reli-
deux sociétés constitue la société civile gieuses et politiques. La force, l'indépen-
l'une et l'autre constitution résultent de _lat dance, le perfectionnement en tout genre,
sont, dans la société religieuse et politique, sciences auprès de la science de la so-
les fruits nécessaires de la constitution; la ciété ? et qu'est l'univers lui-même, si on le
faiblesse la dépendance, la détérioration compare à l'homme?
religieuse et politique sont l'infaillible par- Après avoir établi les principes de la
tage des sociétés constituées. Une société constitution des sociétés en général, et en
religieuse non constituée n'est qu'une forme avoir fait l'application à la constitution delà
extérieure de religion une société politi- société politique, j'ose les appliquer à la
que non constituéë .n'est qu'une forme ex- constitution de la société religieuse en dé-
térieure de gouvernement et, à propre- veloppant ces principes, sous des rapports
ment parler, des sociétés non constituées moraux ou religieux, je suis pas à pas l'or-
ne méritent pas plus le nom de société, dre et la marche que j'ai suivis en les dé-
qu'un corps qui ne serait pas pesant ne mé- veloppant sous les rapports politiques. Je
riterait le nom de corps. Si je n'ai pas dé- parviens donc à des, résultats absolument
montré ces vérités, d'autres les démontre- semblables et cela doit être car la société
ront, parce que le temps et les événements civile, réunion d'êtres à la fois intelligents
ont mûri ces vérités parce que la conserva- et physiques, est un tout composé de deux
t lion de la société civile dépend aujourd'hui parties absolumeut semblables, puisqu'elles
de leur mani festation, et que If agitation in- sont composées des mômes éléments, et que
testine, qu'il n'est que trop aisé d'apercevoir la seule différence qui existe entre elles
dans la société générale, n'est autre chose que consiste dans le rapport différent sous le-
les efforts qu'elle fait pour enfanter des vé- quel chacune de ces parties considère les
rités essentielles à son existence. éléments ou les êtres dont elle est composée
Tel est le sujet et presque l'analyse de éléments ou êtres que l'une de ces parties,
cet ouvrage. Je cours, en l'annonçant, Je qui est la société politique, considère ·
risque d'éveiller des préventions défavora-
bles; mais je veux c nvaincre mon lecteur,
et non pas le surprendre.
tre qui
comme physiques et intelligents, et que l'au-
est la société religieuse, con-
sidère comme intelligents et physiques.
J'ai donc traité de la constitution de la J'ai donc considéré la société politique
société politique et de la constitution de la sous ses rapports intérieurs ou religieux, et
société religieuse. la société religieuse sous ses rapports exté-
J'ai commencé par la constitution politi- rieurs ou politiques.
que, parce que la société est nécessaire- J'ai dit qu'il existait une et une seule
ment société politique ou extérieure avantt constitution de société politique une et
d'être société religieuse. une seule constitution de société reli-
Non-seulement ce n'est pas à l'homme àl gieuse; j'ai dit que l'existence de la so-
constitue.r la société, mais c'est lasociétéi ciété civile dépendait de la démonstration
à constituer l'homme, je veux dire à le for- de cette vérité: je vais plus loin, et j'ose
mer par l'éducation sociale et j'ai traité des dire que l'instant où cette vérité sera dé-
l'éducation sociale. montrée sera l'époque d'une révolution dans
L'homme n'existe que pour la société, ett la société civile car, à commencer par l'E-
la société ne le forme que pour elle il doitt vangile, et à finir 'par le Contrat social, tou-
donc employer au service de la société tout tes les révolutions qui ont changé, en bien
ce qu'il a reçu de la nature et tout ce qu'il ou en mal, l'état de la société générale,
a reçu de la société, tout ce qu'il est et toutt n'ont eu d'autre cause que la manifestation
ce qu'il a. Servir la société, c'est l'adminis- de grandes vérités, ou la propagation de
trer suivant la force de cette expression, oui grandes erreurs.
exercer une fonction dans une partie quel* Mais pourquoi des vérités si importantes
conque de son administration et j'ai traité> au bonheur de la société sont-elles restées
de l'administration sociale ou publique ett jusqu'à présent ensevelies sous un prodi*-
de ses différentes parties. gieux amas d'erreurs? Si leur démofiiHra-
j'ai donc traité de la constitution politi- tion est nécessaire, pourquoi leur manifes-
que, de l'éducation sociale, de l'administra-• 'tation est-elle si tardive? Dans les sciences
tion publique c'est-à-dire que j'ai traitéî qui ont pour objet la quantité, l'étendue, le
le sujet le plus vaste et le plus importantt mouvement, les propriétés enfin de la ma-
de tous ceux que l'homme peut soumettre àt tière, l'homme a fait des progrès étonnants
ses méditations.Que sont en effet toutes les» et, dans sa propre science, et dans la science
123 PART. I. EÇONOM. SOC.
la société
Je la SOciétf5. il enil est
Ilnlitimio
politique, on uct ““,> “
encore
éléments et presque à l'ignorance du auxx
pre-
-–'tn.
THEORIE DU POUVOIR.

_-< J.
– PREFACE.
rnr.rrrt.t~.
nature, jusqu'à la croyance d'un Etre su-
prême, créateur du monde, père du
m
126

mierâge Ne cherchons pas hors de l'homme genre


e humain législateur de l'univers, l'orgueil
la cause de *ette contradiction.
n'en révoque en doute l'existence que
Dans les découvertes que l'homme a faites pour
dans Je monde physique, il n'a s ne pas obéir à ses fois. C'est moins la vérité
àeu com- spéculative que les conséquences pratiques
battre ou à persuader que
ses sens; et less qui J'effrayent; et l'homme égaré par l'or-
sens cèdent à 1a force de l'expérience gueil repousse la nature, ferme les yeux à
l'ascendant de la raison. ou àh
la lumière, et abandonne la pensée
Mais, -dans ses recherches sur te-monde lante et sublime d'un Être; protecteur,conso-
intellectuel, sur sa propre nature, et
nature des sociétés dont il est membre,
sur la
»•
j se livrer à l'idée absurde
pour
et désolante d'une
a
l'homme à combattre ou à vaincre
ses pas-
sions et les passions ne cèdentqu'à la force,
inflexible fatalité..
Si révélant à la- pensée le mystère de ce
nœud invisible et puissant, qui, dans la
et elles bravent toute autre autorité et jus- ciété politique, soumet toutes les volontés à
so-
qu'à celle del'évidence. une
i volonté, tous les amours hanamour tou-
Aussi, dans le monde physique, l'homme tes
i les forces à une fèree 7 qui de tous les hom-
a surpris à la nature des secrets qu'elle sern^ mesnefaitqu'un
s homme, lanature lui présente
blait vouloir dérober à sa curiosité et, dans cette idée de l'unité, sigrande parce qu'elle est
<
le monde moral, il repousse la nature
qui < simple; si elle lui montre dans l'homme
si
s'obstine à lui offrir des connaissancesutiles
à son bonheur.
unité
i de volonté, dans l'homme phy-
sique unité d'action, dans l'univers unité de
S'il a découvert les propriétés de ce fluide plan;
1 si elle lui fait voir dans 1,'unité le prin-
dans lequel il est plongé et sans lequel il ne
cipe
i de l'ordre, dans l'unité \e secret du
peut vivre, c'est malgré ses sens et sur ]e l
beau l'ambition, décue de ses espérances,
témoignage de sa raison qu'il a attribué
un s'indigne
s contre la barrière que la nature
corps à ce qu'il ne pouvait saisir; l'étendue
à ce qu'il ne pouvait apercevoir; la figure à veut opposer à ses desseins, et. l'homme, en-
<v

ce qu'il ne pou vait borner; toutes les pro-


traîné
t par l'ambition, rejette les inspirations
de
d la nature et, s'éloignant de l'idée simple
priétés de la matière à ce qui lui parait
participer des qualités des esprits. p
Si, embrassant t'espace dans ses hardies
e vraie de l'unité et de f indivisibilité du
et
pouvoir,
P se perd dans les combinaisons la-
hborieuses de la division et de l'équilibre des
conceptions, il a observé ces corps immenses
pouvoirs.
p
qui roulent au-dessus de sa tête; s'il a ca!-
culé leurs distances, évalué leurs masses, C'est.donc sur une fatalité aveugle, sur
tpacé leur orbite, comparé leurs vitesses, une
u division sans terme ou un équilibre in-
prédit leur retour, il a imposé silence à ccertain de poa~o! que l'homme élève, mal-
ses gré
malgré leur g la nature, à l'aide de l'orgueil et de l'am-
sens; et,
ces
rapport, il a, sur le:
témoignage de sa raison, distribué entre bition, l'éd-ifice de lasociélé.
corps le mouvement et le repos, deviné, ex- Mais l'ouvrage se ressent du peu de soli-
pliqué les lois de leur action réciproque, ddité des bases et de la folie des ouvriers.
distingué, dans ce prodigieux éloignement, L'architecte, lui-même, ne peut se recon-
I.
la réalité des apparences, et la raison elle- naître
n dans ce désordre il prend des opi-.
môme ébranlée par les sens n'a fléchi qu'en nnions pour des principes, et des raison-
murmurant sous la puissance du génie et nnements pour des conséquences; il a ima-
l'évidence du falcul. giné
a une société, il imagine l'homme, et ne
Mais lorsque, rentrant en soi-même et reconnaît
r< plus Tii l'homme, ni la société.
méditant sur la s'ociété politique, source de Aussi, les hommes extraordinaires lui pa-
A
tous les biens et de tous les maux de l'espèce raissent
rl des hommes vertueux, et des so-
humaine, l'homme veut en étudier la nature, ciétés
ci célèbres lui semblent des sociétés
en déterminer les lois; les passions alar- heureuses,
hi Cependant, cet ouvrage ruineux
mées sur les conséquences viennent obs- croule
cr de toutes parts; les passions l'ont
curcir les principes et détournent la raison élevé,
él les passions le détruisent; et l'homme,
dans leurs sentiers, de peur qu'elle qi s'obstine en vain à le soutenir, multiplie,
qui
ne suive
la nature dans ses voies.
pour
p( en retarder la chute, d.es étais dont la
&i l'homme veut s'élever, à l'aide de la multitude démontre l'inutilité. (Contrat so-
m
yt
cial.) Alors, fatigué de ses
–––
efforts impuis-
– Je n'ai pu, non plus, faire l'éloge de cer-
taines formes de gouvernement, sans faire la
sants, fatigué de ses propres erreurs, lors-
qu'il voit tout dans la nature obéir à des lois censure de quelques autres; c'est la faute
constantes, il doute s'il y a, pour les sociétés, des principes et non la mienne car je fais
d'autres lois que le hasard; il en vient jus- profession de Tespecter tous les gouverne-
qu'à douter que la soeiété soit dans la na- ments établis, hors le gouvernement révolu-
ture de l'homme. tionnaire.
Mais si la société n'est pas dans la naturei Toutes les vérités sont utiles aux hommes,
de l'homme, pourquoi y a-t-il des sociétés?? nous criaient les charlatans en nous débitant
La société existe elle est donc dans la na-: des erreurs, et ils avaient raison c'est une
ture de l'homme; les lois de son existencej preuve que ce qu'ils vous disent n'est pas la
sont donc nécessaires, comme la nature de> vérité, nous criait un fou en débitant des er-
l'homme. Constituée comme l'homme, elle at reurs encore plus dangereuses, et il avait
comme lui l'existence pour objet, et elle doit, raison aussi. Je dis donc des vérités, car ce
par sa nature, tendre à sa conservation, à sai que je dis est utile à l'homme et à la société.
perfection, parce que l'homme, par sa na- Toutes les vérités sont utiles aux hommes la
ture, tend à l'existence et au bonheur. maxime est essentiellement vraie, et la raison
Telles étaient mes pensées, et j'ai osé5 en est évidente, c'est que tout ce qui est
chercher les lois fondamentales de l'exis- utile aux hommes est une vérité.
tence des sociétés, et lorsque j'ai cru less J'ai dit des vérités sévères, mais je n'ai
avoir découvertes, j'ai interrogé la nature3 pas dit des vérités hardies, parce que je n'ai
sur leurs motifs, et le temps sur leurs effets. pas eu besoin d'efforts sur moi-même pour
Occupé des devoirs sacrés que la natureb dire la vérité. Il est dans la nature des
m'impose, livré à des inquiétudes de pluss choses que l'erreur soit honteuse et timide,
d'un genre, dénué de livres et de secours, et que la vérité soit haute et fière; et trop
je n'ai pu donner, à cet ouvrage, la perfec- longtemps, en Europe, on a vu le contraire.
tian.dont il était peut-être susceptible, et jee Un avantage qui résultera de la révolution
sens combien je suis resté au-dessous dee française sera de remettre l'erreur à sa place,
mon sujet mais j'ai posé quelques bases, et de rétablir la vérité dans ses droits.
j'ai rassemblé quelques matériaux que dess Ces vérités, je les publie donc hautement,
mains plus habiles sauront mettre en œuvre. et je porte à tous les politiques, même à
J'appelle, sur ces grands objets, l'attentionn tous les législateurs, le défi de les combattre,
de ces écrivains distingués qui ont fui surr sans nier Dieu, sans nier l'homme.
une terre étrangère, autant pour conserver :r Je dois prévenir quelques observations
l'indépendance de leurs opinions, que pour Ir ou quelques reproches.
assurer la liberté de leurs personnes, et dee On trouvera peut-être que j'aurais dû
placer la Théorie du pouvoir religieux dans
ceux qui, restés en France, ont échappé auxx
dangers de leur célébrité et aux dangers 's la seconde partie de l'ouvrage, et immédia-
plus grands de leur silence. tement après la Théorie du pouvoir politi-
C'est à eux de réparer les torts des lettres
>s que; mais, 1° il était naturel que le traité
de l'éducation et celui de l'administration
envers l'humanité, et de rappeler, à sa des-
tination primitive, cet.art sublime d'embellir ir suivissent immédiatement la Théorie du
la vertu, de flétrir le vice, d'épurer les «s
pouvoir politique, puisque je ne considé-
mœurs, de faire aimer les lois. rais l'éducation et l'administration que re-
Je n"ai pu établir des principes sans ren- i- lativement à la société politique, 2° Il m'a
verser des opinions, mais j'ai discuté les ;s paru qu'en traitant de l'éducation de l'homme
opinions sans attaquer les personnes; et et de l'administration des Etats, j'avais oe-
l'on remarquera peut-être que je ne me suis is casion de ramener mon lecteur sur les prin-
cipes des sociétés en général, principes
pas permis de nommer un seul homme vi- [-
vant, lorsque je n'ai pu en parler avanta- i- déjà posés dans la Théorie de la société po-
geusement. Il n'y a que trop de sujets de le litique, mais qui ne pouvaient être assen
haine; et c'est bien assez; c'est trop, peut- t- développés pour en rendre plus sensible
être, pour son repos, d'avoir raison contre -e
l'application que j'en voulais faire à la so-
ciété religieuse (J).
tes opinions, sans y joindre gratuitement nt
des torts envers les personnes. Quoique l'éducation sociale et l'adminis-
(1) Il paraît, qu'après de nouvelles réflexions,l'au*
i- teur a changé le plan qu'il vient d'indiquer. Car dans
vu rvu rvtn.
5%jLki-r~ rtir.rm,r,
tration publique, telles que je les considère, ment; parce qu'il sacrifie sans cesse la so-
paraissent ne convenir qu'à la France; avec ciété à l'homme, l'histoire à ses opinions, et
un peu d'attention, il est aisé de voir qu'el- l'univers entier à Genève parce que, après
les peuvent convenir à toutes tes sociétés avoir édifié avec effort un système de gou-
constituées car, si l'homme Haït partout le vernement pour un Etat d'une lieue d'é-
môme, la même constitution politique et tendue, désolant politique, il le termine par
religieuse doit convenir à toutes les sociétés, témoigner ses craintes que sa théorie ne
ia môme éducation à tous les hommes, la soit impraticable, et qu'il ne traîne son lec-
même administration à tous les Etats. teur sur les combinaisons'laborieuses du
J'ai beaucoup cité Montesquieu et J.-J. gouvernement populaire, que pour le lais-.
Rousseau. Comment -en effet, écrire sur la ser sans guide, dans l'obscurité, entre ta
politique sans citer l'Esprit des lois et le haine des hommes et le mépris des gouver-
Contrat social, qu'on peut regarder comme nements (2). On remarquera que ces deux
l'extrait de toute la politique ancienne et écrivains sont opposés l'un à l'autre aussi
moderne? Mais je combats Vgsprit des lois, souvent que je le suis moi-même à chacun
i° parce que son auteur ne cherche que le d'eux, et qu'ils se réunissent presque tou*
motif ou Vesprit de ce qui est, et non les jours pour appuyer mes principes et pres-
principes de ce qui doit être parce qu'au que jamais pour les combattre.
lieu d'attribuer aux passions de l'homme la On remarquera aussi que je les mets vo
cause des différences qu'il aperçoit dans la lontiers l'un et l'autre à ma place lorsqu'ils
législation religieuse et politique des so- s'accordent avec mes principes, parce que
ciétés, il la rejette sur l'influence des divers si ces écrivains célèbres n'ont pas su se
climats et qu'un ouvrage duquel il résulte, préserver de l'erreur, ils ont apercu de
malgré quelques précautions oratoires et grandes vérités et les ont exprimées Avec
quelques phrases équivoques, que la lati- énergie.
tude décide de la religion et du gouverne- On me reprochera des longueurs, des re-
ment, est un ouvrage antireligieux et anti- dites. une méthode sèche et didactique.
politique, un ouvrage antisocial. Aussi;i il m'eût été peut-être aisé de resserrer mon
loin de pouvoir fonder ce système de l'in- sujet, et possible de l'orner; mais je n'ai
fluence des climats, décrié aujourd'hui eu qu'un objet devant les yeux la crainte
même chez les philosophes, sur l'histoire d'échapper à l'attention du lecteur par une
approfondie et développée des sociétés cet brièveté déplacée, ou la crainte de tat dis-
auteur est réduit trop souvent à l'étayer par traire par des ornements superflus.
des épigrammes et des anecdotes. Tous ces Le lecteur trouvera dans quelques en-
reproches lui ont été faits depuis longtemps, droits de cet ouvrage une multiplicité, fati-
mais l'esprit de parti étouffait la voix de la gante peut-être d'oppositions et d'antithè-
raison aussi, malgré les éloges que la phi- ses c'est un inconvénient particulier au
losophie lui a prodigués, des écrivains dis- sujet que je traite. L'antithèse n'est dans
tingués, et M. Delolme entre autres, dans les mots que parce que l'opposition est dansi
un ouvrage estimé sur la constitution d'An- les choses. Placé entre la volonté générale
gleterre, avouent qu'il nous manque encore de la société, et la volonté particulière do
un ouvrage qui remonte aux premiers prin- l'homme, c'est-à-dire entre la constitution
cipes des sociétés, et qui en lie le déve- de l'homme social ou perfectionné, et les
loppement à leur histoire et à la connais- institutions de l'homme dépravé ou de ses
sance de l'homme. passions, je me trouve constamment entre
Je combats le Contrat social, parce quee deux extrêmes, je marche toujours entre
son auteur ne rencontre quelques principes l'être et le néant.
que pour les abandonner aussitôt, ne rai- Je dois repousser un reproche plus sé-
sonne que pour s'en écarter davantage, ne rieux. Des personnes de beaucoup d'esprit
conclut que pour les contredire formelle- et de mérite, effrayées de l'abus qu'on a fait
la première édition de la Théorie du pouvoir que ff) des animaux féroces de la ménagerie du
Un
rwusavons sous les yeux, celte du pouvoir religieux tyran de la France, le dévastaleitr d'Arras, de Cam-
vient immédiatement après la Théorie du, pouvoir brai, le trop fameux Lebon, ex-professeur, suppli-
politique; la Théorie de V éducation et celle de Y ad- cié à Amiens en décembre 1798, laissa échapper
ministration viennent ensuite. C'est Fordre que nous dans son interrogatoire,devant la convention, ces
Ce terrible J.-J. m'a perdu
avons conservé dans notre édition.
~\T~–~
OEUVRES COMPL. DE M. D.
eT DE BONALD. 1I. -i
p aroles. remargnaules
ses principes.
avec ses
uvec principes.
b3Il
de nfts jours, dans les matières politiques ne fasse l'application de la blancheur, de
de quelques propositions générales, sont l'acidité ou de l'étendue, à quelque chose
disposées à improuver toute exposition théo- de blanc, d'acide ou d'étendu car, si elle
rique des principes fondamentaux des so- ne pouvait faire cette application, l'abstrac-
ciétés; elles réduisent toute la science du tion supposée ne serait rien.
gouvernement à une administration vigi- Ainsi une proposition abstraite est une
lante et ferme, et semblent craindre que les proposition générale dont la vérité doit être
vérités politiques et peut-être religieuses, démontrée par une application particulière.
les plus utiles à l'ordre social, s'évanouis- Lorsque je dis Si à un nombre pair, j'a-
sent dans une discussion approfondie. Elles joute un nombre pair, la somme totale sera
qualifient d'abstraction tout ce qui n'est pas un nombre pair, j'énonce une proposition
de pratique, parce que, disent-elles, un sys- générale ou abstraite; mais, si je' veux en
tème politique fondé sur des raisonnements prouver la vérité à mon élève, j'en fais une
peut être-détruit par d'autres raisonnements. application particulière, en lui faisant ob-
C'est le piège le plus adroit et le plus dan- server que quatre et quatre font huit, que
gereux que la philosophie ait pu tendre à six et six font .douze. Les propositions al-
la société. gébriques sont des vérités abstraites, qui
C'est cette erreur qui a perdu la France, deviennent évidentes par leur application à
et qui perdrait toutes les sociétés, parce que des problèmes d'arithmétique, de géométrie
le gouvernement qui se croit un abus, et qui ou de mécanique. On peut dire que l'exis-
craint de voir s'écrouler dans un examen tence de Dieu est une vérité abstraite, dont
approfondi les bases sur lesquelles il re- la création des êtres extérieurs est, à l'égard
pose, sera par timidité, faible ou oppres- de l'homme, l'application et la preuve.
seur et le sujet, persuadé que l'autorité à Les propositions générales ou abstraites
laquelle il est soumis ne peut être justifiée qui ont rapport à la société c'est-à-dire à
par aucune raison solide, ni les principes l'homme, ne peuvent recevoir d'application
sur lesquels elle se fonde résister à une que de l'histoire, ou des actions de l'homme
discussion sérieuse obéira sans affection, en société. Ainsi, lorsque je fonde un sys-
en attendant qu'il puisse secouer le joug. tème de politique sur des propositions gé-
L'ignorance n'est bonne à rien, dit l'abbé nérales ou abstraites, et que j'en fais l'ap-
Fleury, et je ne sais où se trouve cette pré- plication par l'histoire, il ne suffit pas, pour
tendue simplicité qui conserve la vertu. Ce le combattre d'opposer des propositions à
que je sais, c'est que dans les siècles les plus des propositions, ni des raisonnements à
ténébreux et chez les nations les plus igno- des raisonnements mais il faut encore op-
rantes, on voyait régner les vices les plus poser les faits aux faits, l'histoire à l'his-
abominables. Ce que ce judicieux auteur• toire. Donnons-en un exemple. Des hommes
disait de la religion convient parfaitement qu'on a honorés du titre de métaphysiciens
à la politique et il n'y a qu'à jeter les yeux politiques, et dont toute la métaphysique
sur ce qui se passe en Europe, pour se con-• est l'obscurité d'un esprit faux, et toute la
vaincre qu'elle est aujourd'hui aussi peul politique les désirs effrénés d'un cœur cor-
avancée dans les connaissances des vrais rompu, ont avancé que la souveraineté ré-
principes de la société politique, que les sidait dans le peuple. C'est là une proposi-
Barbares l'étaient peu au m* siècle dans lat tion générale ou abstraite; mais, lorsqu'on'
connaissance des vrais principes de la reli- veut en faire l'application à l'histoire ou par
gion. 11 faut se faire des idées justes desi l'histoire, il se trouve que le peuple n'a ja-
choses, et de ce qu'on doit entendre par desï mais été et qu'il ne peut jamais être souve-
abstractions. rain car où seraient les sujets quand le
Une abstraction est une opération par la- peuple est souverain ? Si l'on veut que la
quelle l'esprit sépare les qualités ou acci- souveraineté réside dans le peuple, da-ns ce
dents des sujets pour en former un être3 sens qu'il ait le droit de faire des lois, il se
idéal qu'il soumet à ses méditations; ainsii trouve que nulle part le peuple n'a fait des
la blancheur, l'étendue l'acidité sont dess lois, qu'il est même impossible qu'un peu-
abstractions. Mais il faut observer que l'es- ple fasse des lois, et qu'il n'a jamais fait, et
prit ne peut s'arrêter sur ces abstractions qu'il ne peut jamais faire autre chose qu'a-
sans que l'imagination ne replace pour ainsii dopter des lois faites par un homme appelé
dire les accidents dans les sujets, et qu'ellei par cette raison législateur or adopter des
lois faites par un homme, c'est lui obéir; et de mon ouvrage des propositions générales
obéir n'est pas être souverain, mais sujet, et et abstraites; mais j'en ai fait une applica-
peut-être esclave. Enfin si l'on prétend que tion continuelle et suivie à l'histoire an-
la souverainetéréside dans te peuple dans cienne et moderne, et ces propositions abs-
ce sens que le peuple en délègue l'exercice traites sont devenues des vérités évidentes,
en nommant ceux qui en remplissent les des principes.
diverses fonctions, il se trouve que le peu- Je n'ignore pas qu'il n'est pas toujours
ple ne nomme personne, et ne peut même facile de saisir ces propositions générales
nommer qui que ce soit; mais qu'un nom- mais j'ose assurer que le lecteur se donne-
bre convenu d'individus, qu'on est convenu ra, pour m'entendre, bien moins de peine
d'appeler peuple, nomment individuellement que je ne m'en suis donné pour être enten-
qui bon leur semble, en observant certaines du et celui qui pourrait ne pas me com-
formes publiques ou secrètes dont on est prendre, je le renverrais aux ouvrages des
également convenu. Or des conventions ne publicistes les plus célèbres au Contrat
sont pas des vérités car les conventions social lui-même.
humaines sont contingentes c'est-à-dire La partie historique et pratique prouvera
qu'elles peuvent être ou n'être pas, ou être la partie théorique; la théorie du pouvoir
autres qu'elles ne sont; au lieu que les vé- politique et celle du pouvoir religieux s'ex-
rités sont nécessaires c'est-à-dire qu'elles pliqueront mutuellement. Il résultera, je
doivent être Ht qu'elles ne peuvent être crois, de la lecture attentive de l'ouvrage
autres qu'elles ne sont sans cesser d'être une intelligence générale des principes qui
des vérités. y sont développés, lors même que quelques
Donc cette proposition générale ou abs- détails en paraitraient obscurs par la faute
traite: La souverainetéréside dans le peuple, de l'ouvrage ou par celle du lecteur: car je
n'a jamais reçu et ne peut recevoir aucune ne sais pas, plus que J.-J. Rousseau, l'art
application donc c'est une erreur. d'être clair pour qui ne veut pas être at-
J'ai énoncé dans les premiers chapitres tentif.

PREMIÈRE PARTIE. THÉORIE DU POUVOIR POLITIQUE.

LIVRE PREMIER.
LOIS FONDAMENTALES DES SOCIÉTÉS.

CHAPITRE PREMIER. Quand les principes conservateurs des so-


ciétés sont ébranlés, il faut les replacer sur
SOCIÉTÉS NATURELLES.
leurs bases; quand un édifice menace ruine,
On ne peut traiter de la société sans par- on en sonde, on en raffermit les fondements.
ler de l'homme, ni parler de l'homme sans Une fausse philosophie affecte de décrier ce
remonter à Dieu (1). qu'elle ne veut pas comprendre; sa théorie
(1) Quand l'univers croyait à une foule de divini- rapports nécessaires qui existent entre les êtres. Ils
tés, les philosophes croyaient à l'unité de Dieu; mettent dans la société religieuse les lois à la place
quand l'univers a cru un Dieu unique, les phitoso. de l'Etre suprême, comme ils mettent, dans la so-
phes ont nié son existence si l'univers devenait ciété politique, la loi à la place du monarque. Ce que
athée, ils deviendraient peut-être polythéistes. je me suis surtout attache, dans cet ouvrage, à
Quand les peuples adoraient des dieux de bois et faire remarquer à mes lecteurs, est la similitude de
de métal, les sages croyaient Dieu un pur ei-prit; ces deux sociétés, et ce lien merveilleux qui les
quand les peuples ont cru Dieu un esprit, les sages unit l'une à l'autre, et qui est tel, qu'il n'arrive pas
l'ont cru l'assemblage de tous les êtres, même cor- un changement dans l'une des deux qu'il ne sur-
porels, l'univers.C'est ce qu'on appelle ne pas pen- vienne bientôt dans l'autre un changement sem-
ser comme le vulgaire. Les fabricateurs les moins blable.
insensés de la Divinité font leur Dieu de la nature Le.consentement, ou sentiment commun du génie
c'est-à-dire de l'assemblage des lois générales ou humain me parait la plus forte preuve de l'exia-
est simple et sans obscurité c'est celle de Mais ces êtres parfaits seraient Dieu, et
l'athéisme et de l'anarchie. Il ne faut pas des l'être ne peut se créer lui-même; ils seront
raisonnement à qui ne fait que nier, comme parfaits, mais ils ne seront pas Dieu, ils ap-
il ne faut pas de plan à qui ne fait que dé-• procheront de la perfection de Dieu, ils se-
truire. Opposons la raison aux sophismes, ront faits à l'image et à la ressemblancede
et l'histoire aux hypothèses. Dieu, ils seront semblables à Dieu mais
Le genre humain, c'est-à-dire les socié- ils ne seront pas égaux à Dieu Cum quadam
tés de tous les temps et de tous les lieux, a eut inœqualitate, dit un des plus doctes inter-
le sentiment de l'existence de la Divinité prêtes de la Divinité.
donc la Divinité existe car le sentiment gé- Cet être semblable à Dieu est l'Homme.
néral du genre humain est infaillible. Si l'homme est semblable à Dieu, Dieu
EXISTENCE de Dieu, vérité fondamentale l'aime, parce qu'il voit qu'il est bon. S'il:
j<? la suppose ici, j'essayerai ailleurs de la l'aime, il veut le conserver, et conserver à
démontrer. cause de lui les êtres nécessaires à sa sub-
Dieu échappe à tous nos sens; donc il est in- sistance donc l'amour des êtres semblables
telligence, et intelligence infinie; donc il se3 à lui est, dans Dieu, le principe de la con-
connaît lui-même d'une connaissanceinfinie; servation des êtres donc l'amour de ces
donc il s'aime lui-même d'un amour infini; êtres dirige la force ou la puissance conser-
donc il veut se conserver, ou être heureux, vatrice donc l'amour des êtres semblables à
d'une volonté infinie donc il peut se conser- lui, agissant par la force, est, dans Dieu, le
ver d'une force ou d'une puissance infinie. pouvoir conservateurdes êtres..
Donc Dieu est volonté, amour, force oui Ainsi Dieu crée l'homme par amour de
puissance infinie. soi, il le conserve par amour pour lui.
Dans l'être simple, toutes ces opérationss Donc l'homme est comme Dieu, intelli-
ne sont qu'un seul et même acte mais il1 gence et volonté, amour, force* ou puissance.
est permis de les distinguer par la pensée, Donc il connaît Dieu ou le produit dans sa
puisqu'elles se distinguent elles-mêmes parr pensée donc il l'aime, donc il veut le
les effets. conserver, c'est-à-dire en conserver la con-
Dans l'être lihre, l'action résulte de la vo- naissance donc il peut le conserver, puis-
lonté et de la force une action nécessai- qu'il est force ou puissance car quoique
rement infinie résultera d'une volontéé Dieu existe par lui-même, et indépendam-
et d'une force infinies; l'action infinie est laî ment de la connaissance que l'homme peut
création, ou l'action par laquelle Vitre estt en avoir, il est vrai de dire que Dieu n'est
donné à ce qui n'était pas. Donc Dieu crée3 produit et conservé pour l'homme, qu'au-
les êtres (1). tant que l'homme fait de Dieu le sujet de
Dieu s'aime lui- même, et il veut se con- ses pensées et l'objet de son amour.
server, ou être heureux sa conservation oui L'homme n'est semblable à Dieu que par son
son bonheur est donc l'objet de sa volonté; intelligence. Etre composé, son intelligence
mais la création est l'effet de sa volonté ett est unie à un autre être, être extérieur qu'on
de sa puissance donc Dieu ne crée less appelle corps, et qui est de moitié dans ses
êtres que par le motif de sa conservation ouj opérations. La volonté est dans Y intelligence;
de son bonheur donc l'amour de soi est, la force ou la puissance dans le corps
dans Dieu, le principe de la création dess ainsij'bomme ne peut, conserver la connais-
êtres donc Yamour de soi dirige la puis- sance de Dieu, qu'autant que la force ou le
sance ou la force créatrice donc l'amour dee corps se joint à l'intelligence., c'est-à-dire
soi agissant par la force est, dans Dieu, lee l'action à la pensée et la force à la volonté.
pouvoircréateur ou prod,ucteur des êtres. On voit naître la religion, sprirituelle ou
L'Etre souverainement bon ou parfait intérieure dans l'adoration, corporelle eu
ne peut créer que des êtres bons ou parfaits. extérieure dans le culte.

tence de Dieu qu'on puisse offrir à l'homme en so-t- sur lesquels elle est fondée. 6'est cette preuve sur
ciëté car il ne faut jamais considérer l'homme e laquelle Cicéron insista le plus. Quoniam in re omizi
hors de la société, puisqu'il est impossible qu'ilil consensiofirma gentiumomnium est vox naturm et ar-
existe un homme hors de toute société ou naturelle,i, gumenlum veritatis. Je développerai ces vérités en
ou politique. Cette preuve de l'existence de Dieu u traitant de la société religieuse.
est d'une évidence sociale: car il y a une évidence
e (1) Dans Dieu, la volonté veut de toute éternité,
sociale, comme il y a une évidence morale, physi- mais la force ou la puissance n'agit que dans le
que et métaphysique, suivant la nature des rapportss temps.
L'homme ne peut vouloir conserver Dieu sant par la force ou la puissance pour la fin
que parce qu'il l'aime. L'amour de Dieu est de leur production et de leur conservation
donc, dans l'homme, le principe de conser- mutuelles; production ou création de l'hom-
vation de la connaissance de Dieu l'amour me et sa conservation paf la volonté, l'amour
de Dieu dirige donc une force conservatrice, et la puissance de Dieu; production ou con-
qui est l'action des corps dans lé culte ex- naissance de Dieu et sa conservation, dans la
térieur. Donc l'amour de Dieu agissant par volonté; l'amour et la force de l'homme. Je
la force ou l'action des corps dans le culte prie le lecteurdebiensaisircettedistinction,
extérieur, est, dans l'homme, le pouvoir pro- pour ne pas abuser de mes expressions.
ducteur et conservateur de la connaissance 11 y a donc société entre Dieu et l'homme

de Dieu. et s'il n'y avait pas de société d'intelligence


L'amour n'est donc ni la volonté ni la entre Dieu et l'homme l'homme ne pour-
force, ni l'esprit, ni le corps, mais il parti-rait pas penser à Dieu. C'est la société na-
cipe dé tous les deux. 11 est intérieur ou turelle religieuse, ou religion naturelle.
intelligent dans son principe, puisque l'es- La société est donc la réunion des êtres
prit pense nécessairement à l'objet aimé il semblables par des lois ou rapports néces-
est extérieur ou corporel dans ses effets, saires, réunion dont la fin est leur produc-
puisque l'amour se produit nécessairement tion et leur conservation mutuelles.
par l'action du corps Vamour est donc le Il n'est pasbon qae l'homme soit seul (Gen*
lien de l'esprit et du corps, de la volonté et H, 18) c'est-à-dire que la société est un
de la force, et le moyen de leurs relations. rapport nécessaire dérivé de la nature de
Volonté, amour, force, esprit, cœur et corps ou l'homme, une loi; en sorte que la société
sens extérieurs, voilà l'homme. Ces trois fa- est un être nécessaire quoique l'homme
cultés sont bien distinctes l'une de l'autre lui-même soit un étre contingent qui pou-
car volonté sans farce est désir force sans vaitexister ou ne pas exister. Cette proposi-
voiontéesl folie, fureur; amour sans volonté tion nous conduira à la démonstration des
et sans force n'est rient vérités les plus importantes.
Dieu et l'homme sont donc, l'un à l'égard Puisque l'homme est volonté, amour et
de l'autre, dans de certaines manières d'être force comme Dieu; comme Dieu, il veut
qu'on appelle rapports. produire, et comme Dieu il veut pro-
Ces rapports sont des rapports de volonté duire par un motif d'amour de soi ou de
à volonté, d'amour à amour, de force à force, son bonheur. S'il veut; il peut, car il est
Ces rapports sont donc dérivés de la na- puissance ou force donc il produit des
ture de l'être, volonté, amour, forces infinies êtres à son image et à sa ressemblance. II
ou créatrices et de l'être, volonté, amour, les produit par amour de soi; donc Vamour
forces finies ou créées. de soi est dans l'homme le principe de pro-
Ces rapports sont donc nécessaires, c'est- duction de l'homme; donc l'amour dirige la
à-dire qu'ils sont tels qu'ils ne pourraient force productrice donc Vamour de soi agis-
être. autres qu'ils ne sont, sans choquer la sant par la- force ou par les sens, est dans
nature des êtres. l'homme le pouvoir producteur de l'homme.
Donc ces rapports sont des lois. Donc il existe entre l'homme et son sem-
« Les lois sont des rapports nécessaires
blable des lois ou rapports nécessaites dé-
qui dérivent de la nature des êtres, » dit rivés de leur nature physique ou de leur
l'Esprit des lois. sexe des rapports de volonté commune,
« Les rapports naturels (synonyme de
d'amour réciproque agissant par la force ou
nécessaires) et les lois doivent tomber tou- le corps pour la, production d'êtres sembla-
jours de concert sur les mêmes points, » dit bles à eux, ou pour ia reproduction de l'es-
le Contrat social. pèce humaine.
Montesquieu et J.-J. Rousseau s'accordent L'homme a produit des êtres égaux à lui
entre eux je m'accorde avec eux, parce ils sont donc semblables à Dieu l'homme voit
:jue nous nous accordons tous avec la. vé- qu'ils sont bons et aussi bons que lui donc
rité. il duit les aimer comme il s'aime lui-même î
Il existe donc des lois entre Dieu et Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
l'homme, des lois ou des rapports néces- [Matth. xix, 19.) S'il les aime, il veut les con-
saires dérivés de leur nature rapports de server il peut les conserver, puisqu'il est
volonté commune, d'amour réciproque, agis- puissance ou force: donc Vamour des autres
hommes ou prochain est dans l'homme le les reproduit et les conserve par ses sek.s
principe de conservation de l'homme donc et ses travaux.
Vamour du prochain dirige une force con- Ainsi la propriété commence avec la so-
servatrice donc Y amour du prochain agis- ciété naturelle, et elle est antérieure à toute
l
sant par la force, est dans homme le con- autre société.
servateur des hommes. Les sociétés naturelles religieuse et phy-
L'homme a produit l'homme par amour de sique sont donc des réunions d'êtres sembla-
soi il conserve les hommes par amour bles par des lois ou rapports nécessaires de
pour eux (1). volonté commune, d'amour ré.ciproque agis-
Il existe donc entre l'homme et l'homme sant par la force pour la fin de leur produc-
des lois ou des rapports nécessaires dérivés tion et de leur conservation mutuelles.
de leur nature physique ou morale, de vo- Donc la société religieuse et la société
lonté commune, d'anour réciproque,agissant physique sont semblables, puisqu'il existe
par les sens ou par la forcepour la fin de leur des rapports semblables entre les êtres qui
production et de leur conservation mutuelles. les composent.
H y a donc société entre l'homme et l'hom- Donc la société religieuse et la société
iftè. C'est la société naturelle physique ou physique ont la même constitution, puisque
la famille. la constitution d'une société est l'ensemble
Il est évident que la societé naturelle est des lois ou rapports nécessaires qui exis-
fondée sur ces trois rapports de volonté, tent entre les êtres dont elle est composée.
d'amour et de force: car, si dans l'union de Qu'on ne-s'effraye pas de ce. rapproche-
Thomme et de la femme, telle qu'elle existe ment l'union de la Divinité avec l'homme
au sein de la société civile, qui ne consi- et avec la société est représentée dans La
dère pas seulement l'homme animal mais religion sous l'emblème de l'union de l'é-
l'homme intelligent, il y a erreur de per- poux avec son épouse; et Bossuet a dit
sonne, ou défaut de volonté, contrainte ex- avant moi :« Le droit que l'homme a sur
térieure ou défaut d'amour impuissance Dieu par la religion est semblable au droit
physique ou défaut de force, les lois pro- sacré qu'on a l'un sur l'autre par le mariage.»,
noncent la séparation, parce qu'il n'y a pas (Hist. des variât.)
de société c'est ce que l'on appelle des Dieu et l'homme les esprits et les corps.,
empêchements dirimants. sont donc des êtres sociaux, éléments de
La société naturelle physique comprend toute société.
tout ce qui sert à la subsistance de la fa- J'ai dit que l'homme conserve Dieu et
mille, je veux dire les propriétés car nul conserve son semblable, parce que j'ai sup-
être vivant ne peut subsister sans propriété: posé l'homme bon et tel qu'il est sorti des
on peut même dire qu'il existe entre l'hom- mains de son créateur.
me et les êtres matérielsqui entrent dans la Qu'est-ce que la conservation d'un être?
société naturelle comme utiles à sa subsis- C'est son existence dans un état conforme
tance, des rapports nécessaires qui oet pour à sa nature.
objetsla reproduction et la conservation mu- L'état conforme à la nature de Dieu est la
tuelles. Car, si les fruits de la terre et les perfection, puisque Dieu est la perfection
animaux domestiques aident à la reproduc- même.
tion et à la conservation de l'espèce hu- L'état conforme à la nature de j'hômme
maine, en nourrissant l'homme physique et intelligent est aussi la perfection puisque
satisfaisant à ses.besoins, t'homme à son tour t'homme intelligent est semblable à Dieu.
(1) L'amour est donc le principe de production et nivers n'aurait donc qu'un principe de mouvement,
de conservation, le pouvoir producteuret conserva- et le Fabricateur suprême qu'un agent. La force du
Genèse (i, 2) indique l'action de
teur des êtres intelligents et physiques, et des so- texte hébreu de lacréation
ciétés, qu'ils forment entre eux. Remarquez que dans l'amour dans la du monde. Ces paroles
la seule société d'animaux qu'on ait observée avec que nous traduisons ainsi 1,'Esprit dé Dieu dans
était
attention et succès, dans la société des abeilles, le rportésitr les eaux, « superferebatm-jtsignifient ani.
monarque est amour ou pouvoir producteur de la l'hébreu incubabat, instar volucris ova calore
société, puisque l,a reineest mère de toute la ruche; tnanlis c'est-à-dire que « V Esprit de Dieu que le
les eau*,
et qu'elle eu est pouvoir conservateur,puisqu'uu es- S.iint-Espvit (qui est amour) se reposait sur fécon-
saim sans reine ne peut subsister. Remarquez en- comme pour les animer par sa vertu et sa
produire toutes les créa-
core que le principe de la fructification des végétaux dité divines, et pour en
est fondé sur la différence des '*>xes, et qui sait si tures de l'univers, comme un oiseau se repose sur
le nouveau système de chimie ne conduira pas à ses œufs et les anime peu à peu par sa chaleur
quelque chose de sembbble sur le. principe de la pour en faire éclore ses petits. > (Saint Jérôme,
î;o.înoosition des corps? La gr.mdc machine de Fu- cité daus la traduction de la Bible, par S\çx£
Soyez parfaits comme votre Père céleste est st mables. Ce sont là des rapports nécessaires,;
parfait. ( Malth. v, 48.) donc ce sont des lois.
L'état conforme à la nature de l'homme e L'homme qui n'a que l'amour de soi et
physique est la liberté, puisque l'hommee qui n'a plus l'amour des êtres sociaux, c'est-
physique est puissance ou force. à-dire qui se préfère à eux, pèche donc
Dieu, relativement à l'homme, n'est pas. s contre des rapports nécessaires ou des lois
conservé dans la perfection conforme à saa son amour est donc hors de la loi ou de la
nature, tant que l'homme ne conserve pas laa règle, il est déréglé.
connaissance de ses perfections. Si I"amour se dérègle la volonté ou l'in F
L'homme intelligent n'est pas conservé ie telligence se déréglera, puisque l'homme
dans la perfection conforme à sa nature, qui aime pense nécessairement à l'objet de
quand il perd la connaissance de Dieu son amour; la force ou les sens se dérégle-
car la perfection de l'être intelligent con-i- ront aussi puisque l'amour se produit né-
siste à avoir la connaissance de la perfec- cessairement par l'action des sens l'action
tion, qui est Dieu même. dans l'être intelligent et physique résulte
L'homme physique n'est pas, conservéé de l'accord de la volonté et de la force
dans la liberté conforme à sa nature, quandi donc il y aura ,'des actions réglées et des
il est assujetti à la force particulière d'una actions déréglées des actions bonnes et des
autre homme. actions mauvaises. La distinction du bien et
Or, la religion naturelle ne conserve pass du mal, du juste et de l'injuste, n'est donc
plus la connaissance de Dieu dans l'homme3 pas arbitraire; c'est un rapport nécessaire;
intelligent, que la famille ne conserve laa donc c'est une loi.
liberté de l'homme physique, puisque l'his- Mais si l'homme, déréglé dans son amowr»
toire me montre le polythéisme aussitôt ques pèche contre une loi ou rapport néces-
la religion naturelle, et l'esclavage aussitôtt saire il est coupable; s'il est coupable, ij
que la famille. doit être puni; s'il est puni, il est malheu-
La religion naturelle et la famille sontt reux ce sont là des rapports nécessairest
donc des sociétés de production, mais elless des lois. Je vois l'homme malheureux dans
neïontpas des sociétés de conservation. tous les temps, dans tous les lieux dans
D'où provient ce désordre ? et commentt tous les âges, dans toutes les conditions
l'homme créé à l'image de Dieu, et qui pro- et les monuments les plus anciens, que la
duit l'homme à sa propre image peut- fable altère et qu'elle ne peut détruire
il cesser de conssrver Dieu, de conservetr- m'apprennent que l'homme est déchu d'un
l'homme ?2 état plus heureux, et que, dévoué en nais-
C'est ici le champ de bataille de la reli- sant à tous,les maux jusqu'à la mort, il ne
gion et de la philospphie les faits pronon- lui est resté que l'espérance d'un meilleur
ceront entre elles. avenir.
Puisque l'amour de soi est, dans l'homme, Tous les hommes sont malheureux, puis-
le principe dela.productiondes êtres sociaux; qu'ils sont tous mortels donc ils sont tous
puisque l'amour des êtres sociaux est.dans, s punis; donc ils sont tous coupables; donc lq
l'homme le principe de leur conservation, volonté de tous, l'amour de tous, la force de
l'homme de la religion naturelle et de lai tous est nécessairement dépravée ou déré-
famille qui produit les êtres et qui ne lesi glée.
conserve pas, a donc l'amour de soi et noni Je suis d'accord avec la théologie, qui fa^î
pas l'amour des êtres sociaux, c'est-à-direi d'une volonté déréglée, d'un amour de soi
de Dieu et des hommes. désordonné, d'une action dépravée ou cri,
Mais l'homme doit aimer Dieu plus que3 minelle, la source de tous nos désordres et
tous les êtres, puisque Dieu est le plus ai-l'origine de tous nos maux.
mable des êtres. La guerre entre les hommes doit nécessai-
L'homme doit aimer les hommes ou soni rement résulter du dérèglement de leurs
prochain autant que lui-même, puisquei volontés et de l'amour exclusif de soi, qui
tous les hommes, semblables à Dieu, sontt n'est que le penchant à se préférer aux au-
également bons, c'est-à-dire également ai- tres, à les dominer (t). Leur destruction doit

(1) L'orgueil, la colère, l'ambition, ia vengeance, de dominer. Le délicieux plaisir d'obliger lient
i'amour même, comme sentiment ou passion, neî peut-être aussi, et à notre insu, quelque chose de
§pni que des modificationsdifférentes de la passioni ce principe; L'avarice, L'envie et l'ingratitude n.$ s
résulter nécessairement de l'inégalitéde leurs dans l'autre, volonté, amour et force de pro-
forces: car ta philosophie, qui veut que les ditire. Mais, parce que la conservation des
hommes naissent égaux en droits, n'empêche êtres suppose nécessairement leur produc-
tion, les sociétés qui produisent les êtres se-
pas qu'ils ne naissent inégaux en forces.
Je suis d'accord avec l'histoire. Cet état de ront les éléments de celles qui les conser-
guerre et de destruction est l'état sauvage, vent ainsi la religion naturelle sera l'élé-
lel qu'il a existé dans les premiers temps, et ment de la religion publique, et la famille
tel qu'il existe encore sur la terre. sera l'élément de la société politique; donc
L'effet nécessaire de la multiplication de la religion publique sera la religion naturelle
l'espèce humaine est de rapprocher les hom- accomplie, généralisée dans la religion chré-
mes l'effet nécessaire du dérèglement de tienne, et la société politique sera la famille
leurs volontés et de leurs fortes est de les généralisée dans la monarchie, car la con-
détruire. servation des êtres n'est au fond que la pro-
Puisque les hommes ne peuvent se mulli* duction continuée, accomplie, généralisée.
plier sans se rapprocher, il est nécessaire Ainsi l'on pourra définir la religion chré-
qu'ils puissent se rapprocher sans se détrtii* tienne et la monarchie, une réunion d'êtres
semblables., réunion dont la fin est leur con-
re, c'èst-à-dire qu'il est nécessaire qu'ils se
conservent, pour qu'ils puissent se pro* servation mutuelle; comme on définit la relU
duire. gion naturelle et la famille, une réunion d'ê-
Nécessité des sociétés extérieures ou gé- tres semblables, réunion dont la fin est leur
nérales de conservation, religieuses et phy- productionmutuelle.
siques, appelées religion publique et société
politique. CHAPITRE Il.
Je suis d'accord mëthe avec la philosophie. SOCIÉTÉS POLITIQUES OU GÉNÉRALES.
« c'est, » dit le Contrat
social, l'opposition,
des intérêts particuliers (ou des volontés dé- Volonté générale, amour général, force gé»
réglées)qui aifenda nécessaire l'établissement nérale, forment la constitution de la sociéié
des sociétés, et c'est l'accord de ces mêmes politique ou de la société de conservation.
înlérêts qui L'a rendu possible. Donc la volonté, l'amour et la force sont
Cet accord de tous les intérêts opposés extérieurs car il n'y a de général que co
qui forma la société, fut-il volontaire od qui est extérieur ou public.
forcé, demande la philosophie? NÉ l'un ni Comment la volonté générale de la société
l'autre, dit la Faison il fut nécessaire. Ou ta volonté sociale fut-elle rendue exté-
Là o'û toutes les volontés particulières tousrieure ? Cette question, la plus importante
les amours particuliers, toutes les forces par- de toutes les questions politiques, exige des
ticulières, veulent nécessairement dominer,. il développements étendus et malheureuse-
est nécessaire qu'une volonté générale, un ment un peu abstraits. La philosophie, qui
amour général, une fotee générale dominènt;i place la volonté générale dans la volonté po-
c'est-à-dire que, pour que la société puisse pulaire, n'évite des difficultés dans la théo-
se former, il faut que l'amour- général des rie que pour enfanter des monstres dans
autres l'emporte sur l'amour particulier d& l'application.
soi. La volonté générale de la société de con-
Voilà l'accord des intérêts opposés, voilà servation ne peut être la volonté particulière
la société générale- ou politique. d'un homme: car la volonté particulière de
La société' politique ou la soeiété de con- tout homme est essentiellementdéréglée elle
servation sera donc constituée comme la so- ne peut être la volonté de tous les hommes:
ciété de production. Je vois dans l'une vo- car des volontés essentiellement déréglées
Ionien amour et fotee de conserver; comme ou destrueti ves ne,peuvent se réunir en une.

sont des. viees. si bas, qu'en ce qu'ils, sont contraires. soit avare, envieux, ingrat. De là encore la dis-
à la nature de LTiomme, et que l'avare est domiré tinction que l'opinion publique met entre les crimes;
par son argent l'envieux avoue, par son <ume plus l'objet en est élevé, moins ils déshonorent
même, la supériorité des autres; t'ingrat souffre la pourvu toutefois que les moyens ne soient pas vils
domination du bienfait, sans chercher à s'y sous- et infâmes, ce qui n'est guère possible.
traire par la reconnaissance. Ces passions rendent La pudeur naturelle à l'homme n'est autre chose
l'homme vil et coupable à la fois, et les autres le que la honte que l'homme éprouve à rendre les,
rendent coupable sans l'avilir. Aussi l'on avoue la autres témoins de son impuissance à dominer ces,
<olsi:e, l'ambition, l'amour on n'avoue pas qu'on sens elle n'existe pas dans les enfants.-
volonté essentiellement droite ou conserva- à
à l'esprit et au corps. Il sera l'amour agissant
trice, ni des volontés nécessairement parti- pa la force: car, dans l'être libre, l'amour
par
culières et opposées se réunir en une vo- sa force ou sans acte n'est pas amour.
sans
lonté essentiellement générale et toujours là1 L'homme particulier ou individu a une
même. fit particulière, qui est l'objet d'une volonté
fin
La volonté de tout un peuple, fût'-êlle una- pi particulière et comme le moyen est propof-
nimé, n'est qu'une somme de volontés parti- tii tionné à la volonté; l'amour particulier agit
culières et elle ne peut être la volonté gé- p£ par une force particulière»
nérale. La société, homme collectif ou général, ou
J.-J. Rousseau, qui a élevé l'édifice dui ré réunion d'hommes particuliers, a une fingè-*
Contrat social sur cette misérable équivoque3 ni nérale, qui est l'objet de la volonté générale,
dé volonté populaire et de volonté 'gêné*j et el à laquelle elle parvient avec un moyen
rale, est forcé lui-même de les distinguer général,
gi c'est-à-dire un amour général, agis-
« Quand le peuple d'Athènes nommait ou i sant
s< par une force générale.
cassait ses chefs, décernait des honneurs à Je suis donc ramené par un autre chemin
l'un, imposait des peines à l'autre, il n'avaitt à cette proposition déjà démontrée, qu'il y
politique une volonté géné^-
pus de volonté générale. » il distingué ail-1- a dans la société
t,
leurs la volonté générale de la volonté par- rale, unamour général, une force générale de
à sa fin, qui est la conservation des
liculiére. « La volonté générale tend à l'éga- parvenir
p
lité, et la volonté particulière aux préférer.- éiêtres sociaux.
ces. » Donc elles sont diamétralement oppo- 1- Mais un être parvient nécessairement à sa
sées donc elles ne peuvent se réunir. fin,
fi à moins qu'un être supérieur ne l'en
Qu'est-ce donc que la volonté générale dee empêche
e et il n'y a point d'être supérieur à
la société?'l 1; société, puisqu'il n'y a point d'être hors
la
La société est an être car, si elle n'étaitit de d la société.

pas un être, elle n'existerait pas.


Dont la volonté générale de la société sera
Tout être a une fin, qui est la production n nécessairement
« conservatrice, son amour gé-
la conservation des étres néral nécessairement conservateur, sa force
ou
t, générale
Tout être a la volonté, s'il est intelligent, g nécessairement conservatrice.
la tendance, s'il est matériel, de parvenir à Ecoutons les aveux de la philosophie
)- «« Tant que plusieurs hommes se
considèrent
sa fin. Ainsi, dans l'homme, l'âme à la vo-
lonté d'exister, le corps une tendance à se ;e comme
c ne formant qu'un seul corps, ils ne
dissoudre; et comme tout être parvient né-i-j lpeuvent avoir qu'une volonté qui se rapporte-
céssairement à sa fin, la dissolution du corpsas à l la commune conservation, La volonté
présage et prouve l'immortalité de l'âme. générale
{ ne peut statuer sur un objet parti-
Si tout être a une fin, il a lé moyen d'y 'y cûlier.
c
» [Contrat social.)
parvenir car, s'il n'avait pas le moyen d'y 'y Le lecteur est à présent en état de com-
parvenir, il n'y parviendrait pas c'est-à- ât prendre
j comment la volonté générale fut
dire que sa fin ne serait pas sa fin, ce qui est
st rendue
]
extérieure.
absurde. Des êtres en société sont, les uns à l'é-.
Dans l'être matériel, ce moyen est la force,e, gard des autres, dans de certaines û?anières
puisqu'il faut une force supérieure pour ur d'être qu'on appelle rapports.
l'empêcher d'y parvenir. Ainsi un corps ps Ces rapports sont des lois quand ils sont
1e nécessaires, c'est-à-dire quand ils sont
tels,
grave tend au centre de la terre avec une
force appelée pesanteur; mais si j'oppose à qu'ils ne pourraient être autres qu'ilsne sont,,
à sa chute une force supérieure, je l'empê- ê- sans choquer la nature des êtres.
che de tomber ou de parvenir au centre. Des êtres en société entre lesquels il exista
1 Dans l'être simple ou intelligent, la vo- o- des rapports nécessaires, sont donc dans l'él-
lonté est le moyen de la volonté, Dieu veut ut tat social le plus conforme à leur nature*
exister, donc il existe l'homme intelligent nt c'est-à-dire le plus parfait, le plus propre.
veut penser, donc il pense à assurer leur conservation
Dans l'être composé, esprit et corps, dansnss Mais la volonté générale de la société pofk
l'homme, le moyen tiendra, donc de l'esprit rit tique veut la conservation des êtres; dont
nécessaires en*
et du corps, de l'intelligence et des sens il elle veut les lois ou rapports
les pro-
$erâ donc l'amour, puisque l'amour dans ns tre les êtres si elle les veuU elle
)is duitj ou se produit elle-même par eux, puis*
1'h.omme, et l'amour seul appartient à la £015
que la volonté générale est nécessairement vases n'est le potier qui les a faits. Il est vrai
vas
efficace. quf les rapports de figure, de grandéur, de
que
Des lois ou rapports nécessaires sont des capacité,
cap de poids, etc., qui existent entre
rapports ou des lois fixes, immuables, fonda- les vases, ne dépendent plus du potier une
mentales; donc les lois fixes, immuables, fois qu'il a fait les vases; et, de même, la
fondamentales, sont la manifestation, la ré- nature
nati ou l'essence des êtres et les rapports
vélation, l'expression de la volonté générale. qui existent entre eux, sont indépendants
Celte dernière définition est de Rousseau de Dieu,
] une fois qu'il a créé ces êtres et
car on voit qu'il ne faut que s'expliquer pour cela doit être ainsi, puisque Dieu a créé ces
cela
s'entendre. êtres
être avec la nature la plus parfaite, et les a
Montesquieu définit aussi la monarchie placés dans des rapports nécessaires, c'est-
pla(
« L'Etat où un seul gouverne, mais par des à-di les plus propres à parvenir à leur fin.
à-dire
lois fixes et fondamentales. » Ain Dieu peut créer de nouveaux êtresou
Ainsi
Si les rapports entre les êtres sociaux sont cesser
ces; de conserver ceux qui existent, mais
nécessaires ou tels qu'ils ne puissent être autres il nne peut faire un homme sans âme ou sans
qu'ilsnesontsanschoquer la nature des êtres corps,
cor] parce qu'un être sans âme ou sans
la nature des êtres veut donc produire les corj ne serait pas un homme Dieu ne peut
corps
rapports nécessaires; car tout être veut in- faire
fain des corps sans étendue car des corps
vinciblement se placer dans l'état le plus sans étendue ne seraient pas des corps. Ainsi
san;
conforme à sa nature donc la nature des- la nature
n de l'être est indépendante de Dieu,
êtres sociaux veut ce que veut la volonté gé- dans ce sens seulement que Dieu rie peut
dan
nérale de la société. Mais Dieu aime les changer
chai la nature de l'être sans changer
êtres qu'il a créés, puisqu'ils sont bons, l'être
l'étr lui-même car si Dieu pouvait chan-
c'est-à-dire faits à son image il veut donc ger la nature de l'être sans changer l'être
aussi leur conservation il veut donc les lois lui-
lui-même, il pourrait faire qu'un être fût
ou rapports nécessaires, qui assurent leur tel et< qu'il ne fût pas tel en même temps; il
conservation ou leur existence dans l'état le pourrait
pou donc l'absurde. Mais si la nature
plus conforme à leur nature. de l'être
1 est indépendante de Dieu, l'être
Donc la volonté générale de la société, la lui-même
]ui-| en dépend, et en cessant de con-
nature des êtres en société, la volonté de serv l'être, Dieu détruit la nature de l'être.
server
Dieu, veulent la même chose ou sont con- La nature, dans ce sens, est ce que les an-
r
formes; donc elles ne sont qu'une même cien entendaient, sans le connaître, par le
ciens
volonté, parce que des volontés qui n'oc- dest
destin, fatum, qu'ils mettaient au-dessus
cupent point d'espace peuvent se réunir en des dieux, et dont quelques modernes ont
nne seule et même volonté. fait, sans le comprendre, Dieu même car la
Ainsi, volonté générale de la société, du philosophie,
phil en voulant faire une consti-
corps social, de l'homme social, nature des tution de société religieuse, a été forcée
tuti(
êtres sociaux ou de la société, volonté so- d'imaginer un Dieu; comme en voulant faire
d'im
ciale, volonté de Dieu même, sont des ex- une constitution de société politique, elle a
pressions synonymes dans cet ouvrage. été forcée d'imaginer un homme
été et dans
Comme la philosophie moderne a étran- ces créations bizarres, Dieu a été encore
gement abusé du mot nature, il faut en dé- plus défiguré que l'homme. Après cette di-
terminer le véritable sens. gression
gros indispensable, je reviens à mon
La nature ou l'essence de chaque être est sujet.
suje
ce qui le constitue tel qu'il est, et sans quoi Le volonté générale de la société fut donc
La
il ne serait pas cet être. Ainsi la nature ou rendue extérieure, ou se manifesta par des
rend
l'essence de l'homme est d'être esprit et lois fixes et fondamentales. On verra, dans
corps, parce que sans esprit ou sans corps, la suite
si de cet ouvrage, comment la volonté
il ne serait pas homme. La nature des corps générale produit les lois, ou, ce qui est la
gén*
est l'étendue, lafigurabilité, la divisibilité, la mên chose, se produit par les lois.
même
pesanteur, etc.: car des corps inétendus, Comment
Ce l'amour général fut-il rendu
indivisibles, sans figure, ne seraient pas exté
extérieur ?2
des corps. La nature en général est l'en- 11 faut revenir à l'homme. L'amour, avons-
JI
semble des natures ou essences particuliè- nous dit, est intérieur ou intelligent dans
nou;
res de chaque être. Donc la nature n'est pas son principe, extérieur ou physique dans
Dieu, pas plus que la forme ou la figure des ses effets il appartient à la fois à l'esrrjt
et au corps; il est esprit et corps,
puisqu'il chacun, comme il n'y avait que l'amour gé-
est pensée et action il ne peut donc être néral ou l'amour du prochain qui pût em-
rendu extérieur ou. manifesté que par un pêcher les effets déréglés de l'amour-propre
esprit uni à un corps, par un homme. Il ou de l'amour de soi.
s'éleva dans un homme, et cet homme fut La volonté particulière de l'homme-roi
l'amour général de la société, puisqu'il ap- ne représenta pas la volonté générale, parce
partint à la fois à sa volonté générale dont que la volonté de tout homme est essentiel-
il manifesta les ordres, et à la force géné- lement déréglée sa force particulière ne
rale dont il dirigea l'action. Ainsi l'amour, put pas représenter la force générale, parce
dans la société comme dans l'homme, fut le que la force d'un homme est physiquement
noeud l'intermédiaire de la partie intelli- insuffisante; mais il put représenterl'amour
gente et de la partie matérielle; et cet homme que les hommes en société doivent avoir les
s'appela monarque, parce qu'il ordonna seul, uns pour les autres, être le but, le centre
et roi, parce qu'il dirigea la force publique. de cet amour mutuel, parce que l'amour est
Il jfut l'amour général ou de conservation, bonde sa nature, et qu'il est nécessairement
c'est-à-dire l'amour des autres, parce qu'il conservateur lorqu'il est réglé par une vo-
personnifia la société, ou le prochain en lonté conservatrice.
général, à l'égard de chaque homme en par- Le roi ne fut dans la société ni le pouvoir
ticulier. Cet amour général lia les hommes législatif, ni le pouvoir exécutif, ni le pou-
voir judiciaire, mais le pouvoir général ou
entre eux', en unissant chaque homme à social conservateur, qui, pour faire exécu-
tous les hommes représentés dans un seul,
comme le centre qui unit entre eux tous les ter les lois, expression de la volonté géné-
points de la circonférence et il produisit rale conservatrice, agit par la force générale.
dans la société, comme dit Rousseau, « cet La volonté générale essentiellement conser-
intérêt commun qui forma le lien social; car, vatrice, se manifestant par les lois, dirigea
s'il n'y avait pas quelque point dans lequel donc le pouvoir général, qui fut nécessaire-
tous les intérêts s'accordent, nulle société ne ment conservateur, lorsqu'il agit par une
pourrait subsister. » force qui fut nécessairement conservatrice.
L'amour des hommes, ai -je dit, est dans Donc la volonté générale de la société, ou
l'homme principe/les conservationsdes hom- la nature, ou la volonté de Dieu même fut le
souverain; l'amour général, ou le roi, fut le
mes, il est pouvoir conservateur, lorsqu'il
çgit par la force ou la puissance cet homme- ministre ou l'agent; la force générale, ou les
roi fut donc le pouvoir conservateur lorsqu'il hommes physiques, furent le sujet ou l'ins-
dirigea la force générale ou publique. Cet trument. Le dogme de la souveraineté du
homme-roi fut donc un rapport nécesssaire peuple, en renversant cet ordre et détrônant
dérivé de la nature des êtres en société; et Dieu, devait naturellement conduire à l'a-
théisme.
comme Dieu créateur des êtres est l'auteur
de tous les rapports nécessaires qui existent Dans l'homme réglé, la .volonté jrectifiée
entre eux, il est rigoureusement vrai de par les lois doit être aussi le souverain, et
dire Omnis potestasaDeo [Rom. in,l), parce diriger l'amour vers des objets permis; et
qu'il n'y a pas de pouvoir général ou social, Yamour doit être le ministre ou l'agent, et
potestas, là où il n'y a pas de Roi. faire servir le sujet ou l'instrument,je veux
Ainsi la société, qu'jl faut bien distinguer dire, la force ou le corps à des actions
du rassemblement d'hommes, du peuple, utiles.
Aussi remarquez que les Latins, pour ex-
ne put exister avant le monarque, parce
qu'elle ne put exister avant le pouvoir d'exis- primer l'état d'un homme dont les actions
affections légi-
ter donc il est absurde de supposer que la ne sont pas dirigées par des l'appellent sui
société put prescrire des conditions au times, ou un amour réglé,
impotentia, sans pouvoir sur soi-même, dans,
monarque.
Comment la force générale de la sociélé le même sens que nous disons d'un homme
fut-elle rendue extérieure?2 emporté par ses passions, qui ne sont qu'ut*
amour désordonné de soi-même,
qu'il n'est
La force extérieure de l'homme est dans
son corps; la force extérieure de la société pas maître de lui.
fut donc dans les corps ou les hommes phy- L'amour agissant par la force est dono
siques et il n'y avait que la force de tous pouvoir dans la société comme dans l'homme»
l'ém-
qui pût réprimer efficacement la force de et désormais je n'emploierai plus que
pression de pouvoir pour désigner l'amour Ces rapports doivent être nécessaires et dé'
agissant par la force. rivés de la nature des êtres.
Ainsi, volonté générale manifestée par des Les rapports nécessaires sont des lois.
lois fondamentales; pouvoir général exercé La volonté générale delà société se mani-
par un roi, agent de la volonté générale feste par les lois ou rapports nécessaires
force générale ou publique, action du pou- entre les êtres.
voir général, formèrent la constitution de la Il y a plusieurs espèces de Lis, parce
société de conservation, ou de la société po- qu'il y a plusieurs espèces de rapports il y
litique ou générale. a plusieurs espèces de rapports, parce que
Et comme j'aperçois ces caractères dans les hommes eh société peuvent être consi-
certaines sociétés, et que je ne les aperçois dérés dans différentes manières d'être. Con-
pas dans toutes les sociétés, j'en conclus sidéré relativement à là société ou au corps
qu'il y a des sociétés qui ont une constitu- sucial, l'homme peut être pouvoir où sujet.
tion, et des sociétés qui n'ont pas de consti- Les rapports nécessaires qui existent entré
tution des sociétés constituées, et des so- ces différentes manières d'être sont les lois
ciétés non constituées, c'est-à-dire des socié- politiques, ou les lois qui déterminent la
tés qui conservent les êtres, et des sociétés forme extérieure de gouvernement.
qui ne les conservent pas, ou qui ne se con- Considéré relativement à ses semblables;
servent pas elles-mêmes, puisqu'elles n'ont l'homme est époux, père, maître, voisin, etc.
pas de pouvoir conservateur. il a avec sa femme, ses 'enfants, ses domes-1
Il suit, des propositions démontrées dans tiques, ses voisins, etc., des rapports parti-
ce chapitre, cet axiome fondamental de la culiers, et ceux-ci en ont respectivement à
politique ou de la science des sociétés son
·
égard. il a, comme propriétaire de sa
Là où tous les hommes veulent' nécessaire- vie, de son honneur, de ses biens, des rap-
ment dominer avec des volontés égales et des ports relatifs à leur possession et à leur dé-
fol-ces inégales, il est nécessaire qu'un seul fense. Ces rapports sont les lois civiles et
homme domine ou que tous les hommes se criminelles.
âélruisent. Le corps social lui-même à dés rapports
Je présente cet axiome sous une forme avec les autres sociétés rapports récipro-
abrégée et comme une formule, parce que ques qui sont les lois et dont l'ensemble
j'ai fait voir quel est cet homme qui s'est forme le droit des gens.
élevé au-dessus des aulres, et sous quel rap- Les lois civiles, criminelles et du droit dès
port il est Vrai de dire qu'il les domine. gens, déterminent la forme d'administration
Ainsi la société politique naît comme J'u- intérieure et extérieure de l'Etat.
nivers dans l'une et dans l'autre, une vo- Si, dans une société politique, les'rapports
lonté dirigeant un amour agissant par une entre les êtres qui la composent étaient tous
force, tire l'ordre du sein du chaos, et fait nécessaires, toutes les lois seraient parfaites;
cesser.la confusion parmi les éléments, et la cette société serait parfaitement constituée,
guerre entre les hommes et dans ce rap- puisqu'elle remplirait parfaitement sa fin,
port d'une volonté qui ordonne, d'un amour qui est là conservation des êtres sociaux.
qui dirige, d'une forcé qui exécute, on aper- Cet état de perfection n'est pas plus le par-
çoit je ne sais quelle image d'un dogme tagé dé la société politique, qu'il n'est sur
fondamental de la société religieuse de con- Ja terre celui de l'homme et la société la
servation ou de la religion chrétienne. plus constituée manque de quelque loi ou
rapport nécessaire, comme l'homme le plus
CHAPITRE III. juste pèche contre quelque loi ou rapport
nécessaire de la société religieuse.
SOCIÉTÉS CONSTITUÉES ET NON CONSTITUÉES. Si dans une société politique les êtres
sont entre eux dans dés rapports nonnéces-
JI faut revenir aux principes saires, ou contraires à leur nature; les lois,
La société politique est une réunion d'êtres loin d'être fixes et fondamentales, seront
semblables, réunion dont la fin est leur con- variables et défectueuses cette société
sera
servation mutuelle. imparfaite Où non constituée, puisqu'elle
Ces êtres sont, les uns à l'égard des au- n'atteindra qu'imparfaitement fin, la
sa con-
tres, dans de certaines manièresd'être qu'on servation des êtres cette société produira
appelle rapports. les êtres, mais elle ne les conservera pas.
Ainsi toutes les sociétés religieuses pro- me. C'est un rapport nécessaire ou parfait;
duisent Dieu dans la pensée de l'homme, un rapport d'une volonté à une volonté, d'un
c'est-à-dire donnent à l'homme la pensée de amour à un amour, d'une force à une force,
Dieu, sans laquelle il ne peut exister de re- c'est-à-dire d'une âme à une âme et d'un
ligion; mais toutes ne conservent pas Dieu corps à un corps. Donc'ce rapport est une loi
ou la connaissance de ses perfections dans fondamentale, expression de la volonté gé-
l'intelligence humaine, et par conséquent nérale donc cette société est constituée
elles ne conservent pas l'homme intelligent donc elle parvient parfaitement à sa fin. Ef-
dans la perfection conforme à sa nature. fectivement, il est démontré que le mariage,
Ainsi toutes les sociétés physiques produi- ou l'union indissoluble d'un homme et d'une
sent l'homme par te rapprochement des femme, est la société naturelle la plus favo-
sexes, mais toutes ne le conservent pas dans rable à la propagation de l'espèce humaine.
la liberté conforme à la nature de son être. La polygamie, ou l'union d'un homme avec
On peut dire que ces sociétés rapprochent plusieurs femmes, est un rapport non néces-
les êtres sans les réunir, et les produisent saire, imparfait, indéterminé, puisqu'il est
sans les conserver. d'une volonté à plusieurs volontés d'un
Ainsi la philosophie moderne, qui est la amour à plusieurs amours, d'une force à
sagesse de l'homme et non celle de la
ciété, c'est-à-dire la sagesse de l'homme
so- plusieurs forces, c'est-à-dire d'une âme à
plusieurs âmes, et d'un corps à plusieurs
dépravé et non la sagesse de l'homme social corps. Ce rapport n'est donc pas une loi ou
ou perfectionné, veut ramener l'homme in- l'expression de la volonté générale de la so-
telligent à la religion naturelle et l'homme ciété, de la nature des êtres, de la volonté de
physique à la société naturelle ou la famille, Dieu même, qui fait naître les hommes des
aux sociétés qui rapprochent sans réunir, et deux sexes en nombre égal sur tout le globe.
qui produisent sans conserver,. Aussi la reli- Ce rapport est l'effet d'une volonté particulière
gion philosophique, le culte pur de la Divi- dépravée par un amour déréglé de soi, qui
nité, du grand Etre, de l'Etre des êtres, le s'exerce par une action ou force déréglée.
déisme conduit infailliblementà l'athéisme; Cette société n'est donc pas constituée elle
comme le gouvernement philosophique des ne parvient donc pas parfaitement à sa fin,
sociétés politiques, la division et l'équilibre la propagation de l'espèce humaine; car,
des pouvoirs, ou le gouvernement représem- outre que la polygamie relâche, en les éten-
tatif, aboutit nécessairement à l'anarchie. dant, les liens de la paternité, « (a pluralité
Tous les rapports, même nécessaires, ne des femmes, qui le croirait ? dit Montesr
sont pas également importants ainsi les quieu, « mène à cet amour que la: nature
rapports de pouvoir à sujet., dan? la société désavoue ;» et il le prouve par des faits.Non-
politique, ceux de mari femme, de père à seulement la société naturelle de la polyga-
fils, dans la société naturelle, sont plus im- mie ne parvient pas à sa fin, la production
portants àJa conservation des êtres, ou à des êtres, mais elle empêche la société po-
celle de la société, que les rapports de sujet litique dans laquelle elle se trouve de par-
à sujet dans la première, ou de, propriétaire venir à la sienne, la conservation de l'homme
à propriétaire dans ta seconde. physique dans Ia7j6er^ conforme à sa na-
Une société sera donc plus constituée ou ture; puisque la femme y est nécessairement
plus parfaite, à mesure que les êtres qui la esclave., et que la nécessité de la tenir ren*-
composent seront, les uns à l'égard des au- fermée soumet l'homme, lui-même à un.autre
tres, dans des manières d'être ou des rap- genre d'esclavage,
ports plus nécessaires, et que ces rapporta Ce même raisonnement peut s'appliquer
seront plus importants. au divorce, qui n'est. au fond qu'une poly-
Une société sera moins constituée ou plus gamie économique, puisqu'il permet la plu-
imparfaite, à mesure que les rapports, quii ralité en permettant la séparation; mais il est
existent entre les êtres dont elle est compo- plus imparfait que la polygamie, parce que,
sée, seront moins nécessaires, et que ces s'il. est moins destructif de l'homme physi-
rapports seront plus importants. Venonsi que, il est plus destructif de l'homme moral.
aux exemples.
Le mariage, ou l'union indissoluble d'uni
J'y reviendrai ailleurs.
Si les rapports nécessaires ou lois fixes
homme et d'une femme, forme la société na- immuables, fondamentales, sont produits
turelle dont la fin est la production de l'hom- par la volonté générale de la société l$s
rapports non nécessaires, ou les lois varia- ble, si l'on prend à la rigueur la définition
bles et défectueuses seront produits par la qu'en donne Montesquieu « Le despotisme
volonté dépravée et particulière de l'homme; est le gouvernement où un seul, sans loi
car les hommes ne peuvent pas exister en- et sans règle, entraîne tout par sa volonté
semble sans être les uns à l'égard des au- et par ses caprices. »
tres dans des rapports quelconques, néces- Volonté particulière de plusieurs,
saires ou défectueux, conformes ou contrai- Pouvoir particulier de plusieurs,
res à leur nature. Force de tous
Ainsi volonté générale de la société, volonté c'est la république, gouvernement impossi-
particulière de l'homme, sont le législateur ble, si l'on suppose que la volonté particu-
particulier
des sociétés constituées et des sociétés non lière soit celle de tous, le pouvoir
constituées. celui de tous ce qui constitue la démocra-
Les lois fondamentaleset nécessaires, ex- tie pure, qui, selon Rousseau
lui-même,
pression delà volonté générale les lois non n'a jamais existé et ne peut pas exister.
nécessaires ou contraires à la nature des Lorsque la volonté et le pouvoir sont ceux
êtres en société, expression de la volonté d'un petit nombre, alors la république est
particulière, sont donc les caractères exté- aristocratique, et peut être élective où" hé-
• rieurs qui distinguent entre elles les deux réditaire.
sociétés. Ces définitions présentent plusieurs ob-
Mais toutes les sociétés présentent à l'ex- servations importantes
térieur des caractères d'identité je vois 1° Que la volonté particulière et le pou-
dans toutes des pouvoirs,une f orce publique, <
voir particulier sont le caractère commun
des agents de l'un et de l'autre; c'est-à-dire des sociétés non constituées.
que toutes les sociétés ont une
forme de 2° Que la force publique est un caractère
gouvernement, mais toutes n'ont pas une commun à toutes les sociétés constituées ou
la force
constitution. non mais avec cette différence, que
Volonté générale manifestée par des loisï publique est une force générale dans la sO'
fondamentales, pouvoir général exercé par• ciëté constituée, parce qu'elle est l'action
le monarque, force publique dirigée par le» d'un pouvoir général; au lien que, dans les
pouvoir général, forment la constitution de» sociétés non constituées, la force publique
la société; et il ne peut y avoir d'autre n'est que la force particulière de tous,
puis-
constitution, parce que la société ne peutt qu'elle n'est que l'action d'un pouvoir par-
qui
avoir qu'une volonté générale et un pouvoirr ticulier de là vient que la même force,
général. fait la sûreté des sociétés constituées, fait le
le sont
Les formes du gouvernement peuvent va- danger et la perte de celles qui ne
rier h l'infini mais toutes les espèces peu- pas. Rome périt par sa force publique, qui
particulière de Marius
vent se réduire à deux genres. En effet, lei n'était que la force
principe des sociétés non constituées, de3 ou de Sylla la France eût été sauvée,
si
celles qui n'ont qu'une forme extérieure de3 le pouvoir général de la société eût vou-
gouvernement, étant la volonté particulière, lu employer la force générale de la so-
le pouvoir y est nécessairement particulier 5 ciété.
car il est évident que, dans le même être, 3° Les deux formes extrêmes de gouver-
la volonté et le pouvoir doivent être deJ nement, le despotisme pur et la démocratie
même nature, et qu'une volonté particulière3 pure, ont un rapport commun, celui d'être
ou une somme de volontés particulières, neî impraticables; ces deux gouvernementsles se
peut s'exercer que par un pouvoir parti- rapprochent par conséquent, et comme
culier ou une somme de pouvoirs particu- deux extrémités d'un cercle, ils finissent
démocratie
liers. par se confondre. En effet, si la
volontés
Donc le pouvoir, dans la société non cons- pure est impossible, parce que les
tituée, ne pourra être qu'un ou plusieurs, de tous, les pouvoirs de tous ne peuvent
ce qu'on appelle gouvernement despotique, s'exercer
ensemble, le despotisme pur ne
ou gouvernement républicain. l'est pas moins, parce que la force de tous
Ainsi Volonté particulière d'un seul, dirigée par le pouvoir particulier d'un seul,
Pouvoir particulier d'un seul doit nécessairement finir par renverser ce
Force de tous; pouvoir, et qu'il est contre la nature que la
c'est le despotisme, gouvernement impossi- force de tous soit guidée par le pouvoir d'uu
seul tandis qu'il est dans la nature que le pouvoir général exercé par un monarque,
pouvoir général dirige, sans danger, la force force générale dirigée par le pouvoir gé-
générale .Ce qu'il y a d'abstrait dans ces rai- néral, forment la constitution, et constituent
sonnements s'expliquera par les faits. la forme de gouvernement monarchique
Ainsi la démocratie pure est précisément c'est-à-dire que les lois politiques qui cons-
l'état sauvage, où toutes les volontés, tous tituent la forme de gouvernement sont des
les pouvoirs, toutes les forces se heurtentet se conséquences nécessaires des lois fonda-
combattent; et le despotisme pur est l'état de mentales qui formentla constitution,.et sont
conquête, où un chef absolu chasse devant fondamentales elles-mêmes. Rousseau a
lui un troupeau d'esclaves, toujours prêts à aperçu cette vérité lorsqu'il dit « Les lois
se révolter. La société politique, milieu en- politiques peuvent devenir elles-mêmeslois
tre ces deux états, est une armée disciplinée fondamentales, si elles sont sages. »
dont tous les soldats sont réunis, par un in- 6° Dans les sociétés non constituées, il
térêt commun, sous les ordres d'un général; n'y a point de volonté générale, point de
cette armée est toujours en ordre de bataille, rapports nécessaires, point de lois fonda-
parce que l'ennemi est toujours en présence: mentales. Aussi les lois politiques qui dé-
la moindre négligence dans le chef est pu- terminent la forme de gouvernement, ou-
nie par un échec. La société politique n'est vrage de la volonté dépravée de l'homme,
réellement que la guerre des bons contre les ne peuvent avoir rien de nécessaire, rien de
méchants, et toute la vie des premiers n'est fondamental, ou fondé sur la nature des
qu'une longue et périlleuse campagne.Cette êtres mais elles sont variables, défectueu-
idée est aussi juste en politique qu'en mo- ses. Je vais plus loin, et je soutiens qu'elles
rale, et le gouvernement monarchique n'en sont toutes absurdes ou puériles, ridicules
est que l'application. ou cruelles, immorales ou injustes, con-
k" II ne peut y avoir qu'une constitution, traires à la nature de l'homme, attentatoires
ou une forme de société constituée, parce à sa liberté ou à sa dignité, depuis la loi
que, sur un même objet, il ne peut y avoir qui, dans les républiques grecques, ban-
qu'un rapport nécessaire. Ainsi, dans la so- nissait la vertu reconnue, pour éloigner
ciété naturelle constituée l'homme n'a l'ambition présumée, jusqu'à celle qui, dans
qu'une femme, et dans la société politique les exercices publics, ôtait, dit Montesquieu,
constituée, le pouvoir général est entre les la pudeur même à la chasteté; depuis la loi
mains d'un seul homme mais il peut y qui, à Sparte, ordonnait d'égorger de mal-
avoir une infinité de formes différentes de heureux esclaves, jusqu'à celle qui pres-
gouvernement, parce qu'il peut y avoir, sur crivait de manger en public un certain ra-
un même objet, une infinité de rapports non goût depuis la loi qui, à Rome, permettait
nécessaires. Ainsi dans la société naturelle de vendre son débiteur, jusqu'à celle qui
non constituée, l'homme peut avoir une in- permettait de tuer son fils dans des répu-
finité de femmes, ou, ce qui est la même bliques modernes, depuis la loi en vertu de
chose, divorcer une infinité de fois ainsi laquelle le pouvoir civil ordonne le jeûne,
dans la société politique non constituée, le jusqu'à la coutume ou loi non écrite qui,
pouvoir peut être celui d'un nombre indé- dans certains cantons suisses, autorise, ou,
fini de personnes et il est aisé dè voir que pour mieux dire, force les candidats à met-
la société naturelle, ou la famille, sera plus tre publiquement les suffrages à l'enchère,
défectueuse à mesure que le nombre des ou qui, traitant l'homme comme un enfant,
femmes s'éloignera de l'unité ou du ma- gêne sa liberté naturelle dans les actions
riage comme la société politique non cons- les plus indifférentes, et lui prescrit, pour
tituée, ou le gouvernement, sera plus vi- ainsi dire, de souper à sept heures, et de se
cieux à mesure que le nombre qui expri- coucher à neuf; depuis la loi qui, dans la
mera les personnes exerçant le pouvoir s'é France république, dissout le lien du ma-
cartera davantage de l'unité ou de la monar- riage, jusqu'à celle qui anéantit l'autorité
chie. Les vérités géométriques ne sont pas paternelle depuis la loi qui ordonne de
plus évidentes. démolir les maisons, jusqu'à celle qui, par
5° Dans la société constituée, la corstitu- un hors de la loi, ordonne d'assassiner les ci-
tion se confond avec là forme du gouverne-' toyens.
ment. En effet, volonté générale de la- so- La raison de cette différence entre les lois
ciété, manifestée par des lois fondamentales, politiques de la société constituée et les
159 OEUVRES COMPLETES DE H. DE BONALD. 160
loi$ des sociétés non constituées, s'aperçoit que l'auteur du Contrat social, qui pénétrait
du Contrat pénétraitt
aisément. Je principe, mais qui s'égaraitdans les consé-
Dans la société constituée on pose un quences, exprime en ces termes « Si le lé-
principe fondamental, d'une vérité évidente, gislateur, se trompant dans son objet, prend
irrésistible, fondé sur la nature de l'home un principe différent de celui qui naît de
me Là où tous veulent dominer avec des la nature des choses, l'Etat ne cessera, d'être
volontés égales et des forces inégales, il faut agité jusqu'à ce que ce principe soit détruit
qu'un seul domine, ou que tous se détruisent ou changé, et que l'invincible nature ait re-
et l'on en déduit, par ordre, comme des con- pris son empire. »
séquences plus ou moins prochaines, mais Les sociétés non constituées tendent donc
toujours nécessaires, tous les rapports et inévitablement et invinciblement à se consti-
lois constitutives et politiques. -Ainsi, de ce tuer, et les sociétés constituées à devenir
principe, que la ligne droite est la plus plus constituées c'est-à-dire, que la légis-
courte entre deux points donnés, ou de quel- lation
de la nature tead à détruire celle de
l'homme, et à substituer ses lois ou rapports
ques autres, en petit nombre et d'une égale
évidence, découlent, plus ou moins immé- nécessaires à des rapports qui ne le sont
diatement, toutes les vérités géométriques pas. « Le gouvernement,v dit l'inconséquent
et comme il ne peut y avoir un principe Genevois, » passe de la démocratie à l'aristo-
différent pour une société que pour un au- cratie, de l'aristocratie à la royauté
c'est là
progrès inverse
tre, puisque l'homme est le même dans toutes son inclination naturelle, le
les sociétés, celles qui s'écartent du principe est impossible, » Il est évident,
d'après cet
fondamental des sociétés ne peuvent que aveu, qu'il aurait dû intituler des
le Contrat
s'égarer, et d'un principe faux elles ne peu- social Méthode à l'usage sociétés pour
les éloigner de leur inclination naturelle, ou
vent déduire que des conséquences absur-
des. Remarquez, pour la parfaite exactitude de la nature. C'est parce que ce prétendu
du parallèle, qu'il n'y a qu'une forme de sectateur de la nature est sans cesse,
dans
elle, qu'il a
gouvernement monarchique, ou une cons,- cet ouvrage, en opposition avec
titution de société, qui puisse satisfaire aux mérité d'être flétri solennellement par le dé-
le Panthéon à côté
conditions de cette proposition Là où tous cret qui, le plaçant dans
veulent dominer, etc., comme il n'y a qu'une de Marat, met l'insensé qui réduit en théo-
h côté du fu-
seul-e ligne droite qui soit la plus courte rie la révolte contre la nature,,
entre deux points au lieu qu'il peut y avoir rieux qui la réduit en pratique.
entre deux points une infinité de lignes C'est parce que le progrès inverse de ta
courbes qui toutes s'écarteront davantage royauté à la démocratie est impossible, et
de la ligne droite, comme il peut y avoir que l'inclination naturelle des sociétés est
une infinité de combinaisons différentes de de passer de h démocratie à la
royauté, que
républiques finis-
gouvernement républicain, qui toutes s'é- les troubles éternels des
earteront.davantagede la société constituée- seul tôt on tard. par y établir le pouvoir d'un
seul, et que les crises violentes que les mo-
a La démocratie, » dit Rousseau, « peut em-
brasser tout le peuple ou se resserrer jus- narchies essuient quelquefois » loin, d'y
que la moitié. » Ces vérités intéressantes et changer la forme du gouvernement, y per-
pratiques seront mises dans tout leur jour. fectionnent souvent la législation, La na-
Mais si les lois ou rapports Mon néce*sai<- ture, qui travaille sans interruption à subs-
nécessaires aux
res sont l'ouvrage de. la volonté dépravée et tituer ses lois ou, rapports
particulière de l'homme, Us ne peuvent dé- lois défectueusesque. l'hommeintroduit dans
truire, les lo.is ou rapports nécessaires qui la société, a.vertit, l'administration de la. né-
existent entre les êtres, et que, la volonté cessité du. changement parles troubles in-
générale de i& société ou la nature veulent tériaurs dont l'Etat est agité et lorsqu'une
n&essaîYemerçl produire- Il y aura donc dans administration faible,
insouciante ou cor-
les sociétés, dans lesquelles se trouveront ces rompue, refuse d'écouter les»avertissëments
rappaFtsnonnéeeasaires,uncombatcontinuel de la nature, celje-ci remédie au désordre,
la société par une
entre îa volonté, de l'homme et la volonté de en rejetant ces lois de
la nature, dont l'homme peut retarder, mais explosion violente (6*).
C'est parce que l'auteur du Contrat social
non empêcherl'exécution. C'est cette vérité
a aperçu que l'inclination naturelle des so- d êtres soient détruits ou changés, ces so-
des
ciéiés était vers la royauté, qu'il a osé ciétés
ci seront faibles en elles-mêmes; donc
avancer que la société n'était pas dans la elles
e seront dépendantes, quelle que soit
nature de l'homme, et qu'il a été absurde, d'ailleurs
d leur force extérieure, et elles ne
de peur d'être conséquent. pourront
p faire cesser l'agitation produite
C'est parce que la volonté générale, ou la par
p le' conflit des volontés de la nature et
nature, fait des lois dans les sociétés cons- ddes volontés de l'homme, que par une agi-
tituées, et que la volonté particulière de tation plus forte ou un danger plus pres-
tt
l'homme en imagine dans les sociétés non sant,
s; c'est-à-dire en portant sans cesse la
constituées, qu'on ne voit de législateurs gguerre au dehors ou en la redoutant. Rome
que dans les états despotiques ou républi- n put maintenir la tranquillité dans son
ne
eains, et qu'on ne peut assigner d'origine, sein
si qu'en portant la guerre dans tout l'u-
ni de date certaine, à la plupart des lois nivers
n Athènes ne fut paisible que tant
fondamentales des sociétés constituées. qu'elle
q eut à redouter ses voisins. La France
Dans celles-ci, on peut toujours corriger démocratie
d n'a pu subsister sans boulever-
une loi défectueuse, et faire le changement ser l'Europe, ni Genève être tranquille.

dont la nature indique la nécessité, en re- même-
n avec trois puissances garantes de sa
montant au principe, là où tous veulent do- constitution,
c< parce que des puissances sont
miner, par la suite de propositions intermé- bien
b faibles contre la nature. « 11 faut,dit
diaires. Ainsi je juge vicieuse une loi ou Montesquieu, « qu'une république ait tou-
.M

un rapport qui me ramène à un principe jours


je quelque chose à redouter. » Athènes
contraire à l'unité et à l'indivisibilité du périt,
pi selon le môme auteur, lorsqu'elle
pouvoir; comme je découvre le vice d'une n'eut
n plus rien à craindre; Rome se détrui-
démonstration géométrique qui, par la fi- sit elle-même lorsqu'elle n'eut plus rien à
si
liation des propositions génératrices, me détruire.
d
ramène à un principe absurde, tel, par Si les sociétés non constituées ne peuvent
exemple, que serait celui que la ligne droite s< conserver qu'en faisant la guerre ou eu
se
n'est pas la plus courte entre deux points. Is redoutant, il est évident qu'elles dépen-
la
Mais dans la société non constituée, dans ddent des autres sociétés, par la nécessité
laquelle on a commencé par méconnaître le d les détruire, si elles sont puissantes, Ou
de
principe, on ne peut que s'égarer dans les ppar la crainte d'en être détruites, si elles
conséquences et faute d'un régulateur cer- sont faibles. Elles ne sont donc pas indé-
s*
tain, l'homme ne peut apercevoir ses er- pendantes
p en elles-mêmes, puisqu'elles ne
reurs qu'en en éprouvant les suites funestes, subsisteraient
si pas si elles n'avaient d'autres
ni les corriger que par des erreurs nou- sociétés
si à détruire ou à redouter. Elles
velles. C'est précisément parce que les mo- l'es
oont donc hors d'elles-mêmes, et dans
dernes législateurs ont senti ce vice radical autres
a\ sociétés, le principe de leur conser-
de leur législation, qu'ils ont essayé de vation,
'v< ou leur pouvoir conservateur elles
suppléer au principe fondamental par des n sont donc pas dans les vues de l'auteur
ne
déclarations préliminaires de droits imagi- d la nature, qui, n'ayant établi les sociétés
de
naires et de devoirs prétendus véritable q pour la conservation de l'homme, ne
que
manifeste dans )a guerre que l'homme dé- veut
v pas que les sociétés se détruisent elles-
clarait à la nature, déclarations de droits et mêmes
n ni qu'elles détruisent les autres
de devoirs, qui ôtent à l'honnête homme la sociétés;
si mais qui veut que les sociétés
force des droits réels, et au scélérat le frein particulières,
p membres de la grande société
des devoirs nécessaires; bavardage niaise- d l'univers, liées entre elles par des rela-
de
ment absurde ou profondément dangereux, tions de commerce et de secours récipro-
ti
dans lequel nous p.vons vu l'idiot placer une ques,
q soient indépendantes les unes des
sottise, persuadé qu'il y posait un principe, autres
a dans le principe de leur conserva-
et le factieux consacrer un forfait, en per- tion, sous l'empire des mêmes lois fonda-
ti
suadant aux autres qu'il y développait une mentales;
n comme il veut que les haïmes,
vérité. liés
li entre eux par des besoins communs et
Si les sociétés non constituées sont dans d services mutuels, soient indépendants
des
une agitation continuelle jusqu'à ce que h uns des autres dans leurs facultés mo-
les
l'invincible nature ait repris son empire, rales
r et physiques, sous l'empire des mêmes
nr.
ett qtio les rapports contraires à la nature
OEUVRES COMPL. r., M. Rlî BoiNALD.
DE 1\,t n i.
c
lois
li religieuses et morales.
6
On me dira peut-être que, par la nature et former le culte extérieur et public. Né-
des choses, une petite société constituée cessité du culte public.
ce:
dépend nécessairement d'une plus grande, Mais la société de Dieu avec lé corps so-
dans le principe de sa conservation et, pour cial, que j'appelle culte public, n'a pas plus
cil
en donner un exemple dans deux sociétés détruit
dé la société particulière de Dieu avec
voisines, égales en constitutions, inégales l'h
l'homme ou la religion naturelle, que la so-
en forces, on m'objectera que le Portugal ciété
ci( de tous les hommes entre eux, que
dépend de l'Espagne. Mais je ferai observer j'a
j'appelle société politique, n'a détruit les
que la société constituée, ou la monarchie, sociétés
so() naturelles ou les familles seule-
ayant en elle-même un principe de conser- ment
m. les rapports se sont étendus, ou bien
vation et de résistance, et n'ayant pas, il s'est développé de nouveaux rapports ou
comme les sociétés non constituées, de cause de nouvelles lois.
in'erne d'agitation, ni par conséquent de La société politique a fortifié les rapports
principe d'agression, l'Espagne emploierait, de l'homme, membre du corps social, avec
pour attaquer le Portugal, bien moins de sa famille, et développé de nouveaux rap-
forces que celui-ci ne pourrait en employer ports
pc entre les familles, c'est-à-dire qu'elle
pour sa défense, même en supposant qu'il a 1fortifié les lois naturelles et développé les
fût abandonné à ses seules forces. J'ai pour lois civiles.
)o
moi les efforts inutiles qu'a faits l'Espagne La société intellectuelle de Dieu avec le
pour le soumettre; et l'on peut voir, dans corps social a fortifié les rapports intellec-
co
l'ouvrage intitulé Politique des cabinets de tu de Dieu avec l'homme, et a développé
tuels
l'Europe, qu'il y a entre les forces réelles de nouveaux rapports entre les hommes
de ces deux puissances une égalité que l'é- membres
nl( du corps social car si Dieu est en
tendue respective des territoires et la popu- société intellectuelle avec tous les hommes,
so
lation ne semblent pas comporter. to les hommes sont en société intellec-
tous
La société politique constituée est formée tuelle
tu entre eux, comme tous les rayons
c'est tin corps dont les sociétés naturelles $
d'une circonférence se trouvent au centre
ou les familles sont les éléments, et dont er contact mutuel ces rapports de Dieu
en
tous les hommes sont les membres. avec l'homme, membre du corps social, sont
a\
Passons à la société civile. les lois religieuses. Les rapports de tous les
le
hommes intelligents entre eux, comme mem-
h(
CHAPITRE IV. br du corps social, sont les lois morales
bres
SOCIÉTÉ
É CIVILE.. la réunion de ces rapports, de ces lois reli-
gieuses
gl et morales, forme la religion. Né-
L'homme tout entier est entré dans la so- cessité
CE de la religion. Je réunis la religion
ciété politique. Si le corps y a porté ses be- et le culte public pour en former la religion
soins, l'esprit y a porté ses facultés, le sen- publique.
pi Première loi fondamentale des so-
timent d'un Etre suprême, la connaissante ciétés civiles, RELIGION PUBLIQUE.
ci
de ses rapports avec lui, ou la religion na- La société civile est donc la réunion de la
turelle. société
-s< intellectuelle ou religieuse, et de la
Si Dieu est en société intellectuelle avec société
se politique.
chaque homme, il est en société avec tous Une réflexion se présente naturellement à
les hommes, comme le centre avec tous les l'i l'esprit du lecteur attentif.
points de la circonférence (comparaison par- S'il existe une constitution de société po-
faite, et dont le développement offrira des litique,
li pourquoi n'existerait-il pas une
rapports bien intéressants) mais les hom- constitution
ci de société intellectuelle et reli-
mes en société politique ne sont plus que gieuse g ?
les membres d'un grand corps, d'un corps
général, d'un corps social Dieu est donc Oui il existe une constitution religieuse
o une religion pour l'homme social, comme
en société intellectuelle avec le corps social. ou
Jamais Etat ne fut fondé, dit Rousseau, que il existe pour la société une constitution po-
la religion ne lui servît de base. litique.
li Cette vérité sera démontrée par moi
Société intellectuelle de Dieu avec le ou o par d'autres mais elle sera démontrée,
corps général ou social. P
parce qu'elle est mûre, que son développe-
Cette société ne peut devenir générale ou ment» est nécessaire d la consertation de la
-sociale, sans devenir extérieure ou publique, société
s civile, et que l'agitation qu'on y aper-
çoit n'est autre chose que les efforts qu'elle volonté déréglée qu'elles ont à combattre est
fait pour enfanter cette vérité. indestructible.
Si la société politique constituée est celle Troisième loi fondamentale des sociétés
qui assure le mieux l'unité du pouvoir gé- civiles, distinctions-sociales-permanentes.
néral de la société et la conservation de RELIGION PUBLIQUE.
l'homme physique, la société religieuse ou Pouvoir 'UNIQUE.
la religion constituée sera celle qui défen- dlstinctions-sociales-ï'eb.manentes.
dra le mieux, dans la société, la foi de l'u- Lois fondamentales des sociétés civiles;
nité de Dieu et de l'immortalité de l'âme, union de la société religieuse et de la société
ou la conservation de l'homme moral. politique, pour former la société civile.
Ainsi un peuple, malgré sa prétendue On peut donc définir la société civile
souveraineté, n'a pas plus le droit de s'écar- constituée L'ensemble des rapport ou lois
ter de la constitution politique de l'unité de nécessaires qui lient entre eux Dieu et
pouvoir, que de la constitution religieuse l'homme, les êtres intelligents et les êtres phy^
de l'unité de Dieu. 11 peut en avoir la force, siques, pour leur commune et réciproque con-'
mais il n'en a pas le pouvoir, et cette force servali4n.
n'est que celle qu'a tout homme de trans- La fin de la société civile, l'objet de sa
gresser les lois religieuses et morales. volonté générale, est de conserver l'homme
Toute société a une fin elle a donc la vo- intelligent et l'homme physique, par la con-
lonté d'y. parvenir; elle en a donc les servation de la société religieuse et de la so-
moyens, je veux dire le pouvoir et la force. ciété politique, et elle a des moyens propor-
La religion publique, qui est la société in- tionnés à ce double objet. Pouvoir et force
tellectuelle de Dieu avec le corps social, de la religion, pour conserver l'homme in-
aura donc un pouvoir qui est Dieu et elle telligent par la répression de ses volontés
cura une force, qui devra être extérieure ou dépravées pouvoir et force de la société po-
sociale, puisqu'elle devra être exercée sur litique, pour conserver l'homme physique
et dans la société. par la répression des actes extérieurs de ees
Or, toute force agit nécessairement par mômes volontés; union intime, indissolu-
des agents ou des ministres. ble des deux sociétés dans la répression des
Nécessité des ministres de la religion pu- volontés par la répression des actes exté-
blique. Ces ministres seront nécessairement rieurs, et dans la répression des actes exté-
distingués des autres membres de la société, rieurs par k répression des volontés; pou-
parce que celui qui exerce une force, est voir de Dieu, pouvoir de l'homme, fonde-
nécessairementdistinguéde ceux sur qui ou ment inébranlable de la doctrine des deux
contre qui cette force s'exerce. puissances. Je connais l'abus monstrueux
Je reviens à la société politique je suis que l'entêtement et l'ignorance ont fait de
obligé de mener de front ces deux sociétés, cette doctrine je compare les erreurs d'un
pour en former la société civile. siècle et les forfaits d'un autre, et je me dis
Là où tOus les hommes veulent dominer, à moi-même que, lorsque des prêtres peu
éclairés citaient les rois à leur tribunal pour
avec des volontés égales et des forces inégales,
il est nécessaire qu'un seul domine ou que les déposer, les peuples n'érigeaient pas de
tous se détruisent.
tribunal pour les égorger, et que la religion
Seconde loi fondamentale des sociétés ci- faisait respecter la royauté, lors même que
viles, unité de pouvoir. ses ministres, abusant de son nom sacré
Ce pouvoir général et unique doit diriger pour exercer
leur pouvoir particulier, en
la force générale ou publique, et toute force
humiliaient le dépositaire..
s'exerce par des agents. Religion publique, pouvoir unique, dis,
tinctions-sociales-permanentes, lois fonda-r
Ces agents seront nécessairement distin-
mentales de l'existence des sociétés civiles,
gués des autres membres de la société, car
1° Parce qu'elles sont fondées sur la na-
les agents d'une force sont nécessairement
de l'Jiomme moral et de l'homme phy?
distingués de ceux sur qui ou contre qui ture
sique, éléments de toute société
cette force s'exerce. 2° Parce que leur type se retrouve dans
J'aperçois deux distinctions, et elles sont
toutes les sociétés.
sociales, puisqu'elles ont la conservation de
Il n'y a jamais eu de sociétés sans dieux,
la société pour objet; et elles doivent être
il n'y a jamais eu de nations sans chefs, ii
permanentes., parce que, dans l'homme, la n'y jamais
a eu de dieux sans prêtres, ni de
clieîs -sans soldats, c'est-à-dire qu'il n'y a sin
simultanée de ces deux freins nécessaires
jamais eu de religion sans ministres ni de des passions humaines mais la société, qui
des
infailliblement
force publique sans agents. ne meurt pas, en ressentira
Là où tous les hommes vexdent nécessaire- les effets, et verra s'affaiblir, s'altérer, se
.les
ment dominer détruire,
dét s'anéantir ensemble le culte public
avec des volontés égales et des
forces inégales, il est nécessaire qu'un seul et le gouvernement, la religion et la consti-
homme domine ou que tous se détruisent. tut
tution vérité frappante, sur laquelle j'ap-
;pel l'attention de l'homme sans préjugés
pelle
Cet axiome est à la politique ce qu'est à
la géométrie l'axiome de la ligne droite la qu ne renfermant pas tous les temps dans
qui,
dans un
plus courte entre deux points, un instant, ni toutes les sociétés
La géométrie s'est perfectionnée parce point, porte à la fois ses regards sur tous
poî
qu'on est parti d'un principe évident. les temps et sur toutes les sociétés.
1 remarquera, dans les faits
Il incontesta-
La politique a rétrogradé, parce qu'on est
parti d'hypothèses ingénieuses. ble dont je vais mettre sous ses yeux :e
bles
rapprochement,
rai l'unité de Dieu et l'unité
Ainsi les principes des gouvernements se
de pouvoir général se détruire à la fois dans
sont altérés, en même temps que les con
la société la multiplication des dieux sui-
naissances se sont étendues. Ainsi les so- pouvoirs,
ciélés ont été plus agitées, en même temps vrl de près la multiplication des
vre
ou la division du pouvoir général
l'oppres-
que les académies sont devenues
plus sa-
sic religieuse et l'oppression
sion politique pe-
vantes. pouvoir s'a-
ser ensemble sur la société le
sel
CHAPITRE V. néantir, et bientôt le sentiment même de

1 l'existence
l'e de l'Etre suprême s'effacer de
RELIGION PUBLIQUE, FORME DE GOUVERNEMENT. l'esprit
l'e de l'homme. Etonné de ces rapports,
e
J'ai défini la société civile, la réunion de ji se dira à lui-même que le père des hom-
il
la société religieuse et de la société politi- mi et des sociétés, attentif à eonserver,
mes
que; et j'ai fait remarquer l'union intime dans da la société comme dans l'homme, non-
et indissoluble de ces deux sociétés. seulement
sel le sentiment de son existence,
En effet, la société intellectuelle ou reli- mi encore la croyance de son
mais unité et la
gieuse a pour objet la conservation de connaissance
co de ses perfections, a donné à
l'homme social par la répression de ses. vo- la société la constitution politique la plus
d'elle la foi
lontés dépravées; la société politique a pour propre à maintenir au milieu
pr,
objet la conservation de l'homme social par de ces vérités essentielles à son existence
la compression des actes extérieurs de ces et à sa prospérité, comme il a donné à
mêmes volontés: ces deux sociétés ont l'homme
['h la religion la plus propre à conser-
de ces
donc un objet commun, Ja conservation de ver dans son âme la connaissance
ve
l'homme social et elles le remplissent de vérités essentielles à sa conservation et à

éternelles,
concert, puisque l'une, en réprimant ses so bonheur vérités immuables,
son
m. qui s'effacent de la
volontés, empêche les actes extérieurs, et mais société comme de
que l'autre, en réprimant les actes exté- l'esprit
l'e et du cœur de l'homme, lorsque la
rieurs, rend les volontés impuissantes. société
so s'écarte de ses lois constitutives,
Mais ces deux sociétés sont rendues ex- et l'homme de ses lois religieuses et mo-
térieures et visibles, l'une par la religion rales.
ra
publique, l'autre par la forme du gouverne- Le tableau que je vais mettre sous les

ment. L'identité d'objet se manifestera donc yeux du lecteur otfre, avec la preuve
ye
de l'exis-
au dehors par une identité d'effets. Si la ce vérités, une démonstration
ces
religion est impuissante à réprimer les vo- tence de Dieu, d'une évidence sociale, si
te
lontés ou l'homme moral, le gouvernement j'c me servir de cette expression.
j'ose
sera hors d'état d'empêcher les actes exté- Les méchants, ou ceux qui transgressent
rieurs ou l'homme physique à mesure que le lois religieuses et morales, portent le
les
le gouvernement sera plus faible, la reli- trouble
tn dans la réunion des hommes, ou
gion deviendra moins réprimante le go.u- dans la société politique les sociétés non
à(
vernement ne pourra chanceler sans que la constituées,
ce celles qui s'écartent des lois
religion ne soit ébranlée, ni la religion être fondamentales
fo de leur existence, portent le
attaquée, sans que le gouvernement ne s'af- trouble dans la réunion des sociétés, ou
tri
car il y aurait une paix
inalté-
faiblisse. L'homme, dans son existence fu- l'univers
1't
gitive, n'apercevra pas toujours l'altération rable
ra dans la société, si tous, les hommes
voulaient obéir aux lois religieuses et mo- leurs premiers auteis sous tes tentes d'un
rale*, et dans l'univers, si toutes les socié- farouche conquérant.
tés voulaient se conformer aux lois fonda- Le polythéisme défiguré l'idée de l'unité
mentales de leur existence. (le Dieu par ses extravagances le despo-
Le caractère d'inquiétude particulier au tisme détruit le pouvoir par ses excès.
méchant, et le principe d'agitation intestine, « Si la société politique, » me dis-je à moi-
caractère des sociétés non constituées, sont même, « ne peut exister sans un pouvoir gé-
la cause ou l'occasion de tous les troubles néral, la nature de la société défendra le
qui affligent la société et l'univers. Le spec- pouvoir général contre les excès du despo-
tacle qu'offre la société prouve la première tisme, et constituera la' société politique.
partie de cette proposition: l'histoire éta- Si là société intellectuelle de Dieu avec les
blirait la seconde avec la même évidence. hommes ne peut exister sans la connaissance
La guerre naquit donc avec la so- de l'unité de Dieu, Dieu maintiendra parmi
ciété, parce que les passions naissent avec les hommes la foi de son unité contre les
l'homme. Avec la guerre commença le des- progrès du polythéisme, et constituera la
potisme, qui n'est pas le pouvoir général société intellectuelle ou religieuse. »
de la société, mais lé pouvoir particulier Et je vois naître la monarchie égyptienne
d'un seul homme; avec le despotisme com- et la religion judaïque.
mença l'oppression. Ceci est conforme aux Ces bases de la foi de l'unité de Dieu et de
plus anciens monuments. Nemrod, premier la conservation de l'unité de pouvoir restent
despote, fut, dit l'Ecriture, un puissant séparées l' homme peut aisément distinguer
guerrier. (Gen. x, 9.) Il n'y a plus de pou- la société religieuse de la société politique.
voir général dans la société bientôt il Cette séparation était nécessaire, de peur
n'y aura plus de Dieu unique. Le pouvoir, qu'à la vue de leur rapport étonnant,
devenu individuel, est en proie à l'usur- l'homme ne confondît un jour Ja religion
pation ou à la révolte l'idée de l'Etre su- et la politique.
prême est défigurée par les sens et les pas- Le Juif; avec sa religion sublime,, jus-
sions. Chaque homme veut faire de son qu'au temps de ses rois, n'a pas de gou-
pouvoir particulier le pouvoir général de la vernement humain et lorsque, mécontent
société chaque homme, de ses passions, de ses derniers juges il demande des
veut faire des dieux. Les sens leur donnent rois(l), Dieu, qui n'a pas voulu faire de son
l'être, les distinguent par des noms, les dé- peuple une société politique, nelui annonce
signent par des emblèmes, leur attribuent que des despotes.
dés figures c'est le polythéisme. L'Egyptien, avec sa constitution excel-
lente, n'a qu'un culte ridicule et grossier;
Le culte public de ces dieux des sens, ou et lorsqu'il demande des dieux à ses prê-
l'idolâtrie, était licencieux ou cruel à son tres, ces oracles de J'antiquité incapables
tour le pouvoir devient voluptueux et op- de s'élever d'eux-mêmes à la hauteur de la
presseur. La société religieuse, la société révélation, ne proposent à ses adorations
politique ne remplissent plus leur objet, que les animaux de ses étables ou les
)a conservation de l'homme que dis-je ? légumes de ses jardins. Et remarquez que
elles concourent à sa destruction. L'homme les dieux de cette monarchie ne sont pas,
périt, victime d'une superstition barbare, ou comme ceux du despotisme, impudiques ou
d'une ambition effrénée un sexe est op- barbares; ils sont vils, mais ils sont utiles
primé par la guerre, un autre par la volupté; ils défigurent l'idée de Dieu, mais il-s n'ou-
le vainqueur ne laisse au vaincu que le tragent pas la divinité.
choix entre l'esclavage ou la mort c'est le Par la religion seule, le peuple juif survit
despotisme. Le polythéisme naît avec le aux plus effroyables revers, à une captivité
despotisme, l'idolâtrie avec l'oppression générale; il survit à sa destruction même;
des dieux impurs et sanguinaires. dressent et malgré sa constitution, l'Egyptien périt

(1) On ne peut pas appeler un gouvernement civil in Israel, sed unusquisque quod sibi rectum videba-
ou humain un gouvernement où Dieu intervient lur, hoc fuciebat. (Judic. xxïi, 24.)
sans cesse visiblement, et où la première magis- Les derniers Juges enfants de Samuel, ne mar-
trature de la nation est presque toujours entre les chèrent pas dans les voies de leur père, ils se lais-
mains d'hommes inspirés; de quel gouvernement sèrent aller à l'avarice et corrompirent le jugement.
courrait-on dire ce qu'il est dit du peuple juif à la {l Reg. vin, 3.)
lin du Livre des Juges? In diebus Mis non eral
rex
BOMLD. m
^j ŒUVRES COMfLEtES
V
DE M. DÉ
ft.-vmp.tmifftfnerrière, consacré ad dieu

par ses divisions,
«. • « j»fll_
avant d'être i_ proie ,i'nn
la “““;“ d'un I
Koipe, toute guerrière, seseconsâcrëau diéU

fconquérant insensé. des combats, se dévoue à la guerre, et dé-


des
Le sort différent de ces deux nations ap- voue vol l'univers à la destruction.
prend à l'homme que la religion, sans ta La
1 religion païenne, sanguinaire en Orient,
constitution politique, peut conserver un voluptueuse vol en Grèce, devient à Rome aus-
peuple; et que la constitution politique, tère tèr et guerrière.
fa religion, peut défendre la so- Le despotisme de Rome pèse sur tout
sans ne
ciété. l'univers, les dieux de Rome conquièrent
Ya
les peuples.
Les Grecs, peuple ingénieux et sophiste, les dieux de tous
révolution dans la religion, et te pouvoir, objet, de. l'ambition du sénat
font une
fait révolution dans le gou- et de ia jalousie du peuple, s'y multiplie
bientôt il se une
vernement. comme
c0 les dieux la société politique sans
allégo- pouvoir unique, la religion sans unité de
Les poëtes mettent la religion en po
ries, les législateurs mettent le pouvoir en Dieu, Di laissent les passions sans frein et
fictions. 1 l'homme sans défense.
peuple croit voir le pouvoir unique et L'homme périt Rome dépeuple l'univers
Ce
Chez cette nation
général dans son sénat, comme il croit voir et se dépeuple elle-môme. l'urbanité de ses
une religion dans sa mythologie,
célèbre
ce par ses vertus et
La théologie païenne et ses fables, les mœurs, m le sang humain est offert sur les au-
(iietïx et leurs amours, amusent la Grèce; et tels te en sacrifice à des dieux
barbares, il est
peuple
sur l'arène en spectacle un donné
à
dans son oisiveté, elle est ^Favement occu- offert oi
pée de ses orateurs, de ses scrutins et de policé le droit de vie et de mort est
citoyen sur le
p<
a'
au maître sur son esclave, au
ses assemblées.
Mais sans unité de pouvoir général, il n'y ci citoyen, au père sur son fils.
unité de Pendant des milliers d'années, je ne vois,
a pas de société politique; sans
de société religieuse; et chez
cl les peuples les plus vantés, que des
Dieu, il n'y a pas
société civile, il n'y pas, pour superstitions cruelles et des gouverne-
hors de la a s
oppresseurs.
l'homme, de moyen assuré de conserva- ments b religion
Mais la religion judaïque, ou la
tion.. s'est conservée en Orient
gouvernement Mcen- de
d l'unité de Dieu,
Ce culte dissolu, ce
cieux exaltent lespassions.de l'homme; tous chez c un peuple ignoré.
les talents, La constitution égyptienne, ou la consti-
les esprits, tous les corps, tous l'unité de pouvoir général, s'est
dominer dans la tution
t de
toutes les sociétés, veulent i
conservée nord chez quelques nations
Grèce et sous les dehors séduisants d'une c au
civilisation perfectionnée,tous ses hommes, obscures. (

tous ses peuples cachent les passions 3 La


des religion de l'unité de Dieu, la consti-
des peuples dans l'état sau- stitution de l'unité de pouvoir, se sont con-
hommes et
servées, parce qu'elles sont dans la nature
s

vage.
de l'homme'intelligent et dans la nature de
L'homme est opprimé par le gouverne-
ment et par la religion, par les lois et par l'homme r physique.
L'univers subjugué par la République ro-
tes mœurs.
constituée, si j'ose le dire, maine est soumis à la fois au despotisme ac-
La guerre y est foule de maîtres et au culte
consacrée, la loi ordonne ouu câblant d'une
la prostitution
permet d'assassiner l'esclave et 'd'exposert insensé d'une multitude de dieux.
l'univers n'obéissent qu'à
l'enfant. Mais Rome et
de la société est
st unpouvoir; bientôt Rome et l'univers ne
Le pouvoir gênerai
anéanti dans les assemblées populaires par »r reconnaîtront qu'un Dieu.
particulier ^législateurs, l'exis-s- La monarchie de l'univers encore impar-
le pouvoir avec
même de l'Etre suprême est attaquée ie faite, ou l'unité de pouvoir, commence
tence
dans les lycées par les opinions extravagan- i- Auguste. temps, la plus haute sagesse se
En même
tes des philosophes. fait entendre, le christianisme ou la religion
L'athéisme, au rapport de Diodore de i-
Si-
la démocra- universelle de l'unité de Dieu parait sur la
cile, commence à Athènes avec a-
divin fondateur accomplit, en
de néant reli-
li- terre, et son
tie et ces deux principes terminant, la religion judaïque.
gieux et politique seront désormais insépa- ,a. la le chris-
Faible dans ses commencements,
rables.
lianisme s'étend et l'idolâtrie, qui suc- mé
n par les usages barbares des sérails.
combe, entraîne le despotisme dans sa Ainsi, la société civile n'a commencé
chute. dans
d l'univers qu'avec l'établissement du
La religion s'avance de l'Orient et du culte
c public de la religion chrétienne; et
Midi avec les Romains la constitution mo- la France est revenue.à à l'état sauvage, lors-
U
narchique vient de l'Occident et du Nord qu'il
q y a été aboli.
avec les Barbares. Ainsi, pour montrer, sous un seul point
La vocation des gentils ou païens à ta re- de d vue et dans les destinées d'une môme
ligion chrétienne est, en même temps, Ja société,s> la marche simultanée de la religion
vocation des Barbares à la société civile. e du gouvernement, la constitution politi-
et
Et séparées pendant quarante siècles, la que q est altérée en France, depuis un siècle,
justice et la paix se sont emhrassées la re- par P des volontés particulières mises trop
jigion de l'unité de Dieu et la constitution souvent
s à la place de la volonté générale
de l'unité de pouvoir se rencontrent en Eu- la 1(' religion est attaquée, depuis le môme
rope; la religion y établit la liberté des en- temps,
t< par l'orgueil et l'impiété le gouver-
fants de Dieu, ou la liberté religieuse la nementn et la religion vont s'affaiblissant de
monarchie y fonde la véritable liberté de concertc bientôt la division du pouvoir en-
{'homme, ou la liberté politique (Esprit des traîne
ti la division du culte, et l'abolition de
lois); et réunies dans la société civile, elles tout
tl culte public suit de près l'anéantisse-
détruisent du même coup l'idolâtrie et le ment n de tout pouvoir général. Alors l'exis-
despotisme, l'esclavage religieux et l'escla- tence
'< de Dieu même est hautement attaquée,
vage politique. e l'on voit l'athéisme le plus effronté naître
et
Des sociétés particulières se forment d la démocratie la plus illimitée mais les
de
soumises à la fois à la religion chrétienne peuples
P ne peuvent exister sans divinité, ni
et à la constitution monarchique, qui sont les sociétés sans pouvoir les sens se créent
dans la nature morale et dans la nature des d dieux, l'ambition érige un pouvoir. Des
physique de l'homme, elles affermissent sur courtisanes
c sont les divinités, des bour-
f sont le pouvoir, et despotisme
ses véritables bases l'existence de la société reaux
l'idolâtrie la plus
le plus
civile par la conservation des êtres intelli- impure s'élève à côté du
1]
"
gents et physiques dont elle est composée. féroce; mais la religion reparaît, et elle
tend la main à la monarchie qui se relève,
L'homme moral ou intelligent se conserve tE
par la foi pratique de l'unité de Dieu et de Ainsi le culte le plus compliqué, le poly-
l'immortalité de l'âme, foi qui est l'effet et théisme,
t! a commencé dans l'univers avec le
l'objet de la religion chrétienne l'homme gouvernement
g le plus simple, le despotisme;
physique se conserve par les lois qui répri- et,e de nos jours, l'absence de tout culte, le
ment sa force, ou qui protègent sa faiblesse, déisme
d ou l'athéisme, commence en Europe
!ois qui sont l'objet et l'effet de la constitu- aveclegouvernement
a le plus compliqué, la
tion monarchique ainsi l'on ne pourra dé- divisiond et l'équilibre des pouvoirs, ou le
truire, à la fois, dans la société, la religion gouvernement
g représentatif.
chrétienne et la constitution monarchique, Ainsi, et ce principe, hardi peut-être, se
qu'en détruisant la société. développera
d fdans le cours de cet ouvrage,
Enfin, pour achever le tableau, une reli- h leE principe de la monarchie est un principe
gion voluptueuse crée en Orient, dans les d'unité,
d d'existence, de perfectionnement
temps modernes, un gouvernement oppres- politiquep et religieux; et le principe des so-
seur; au défaut du despotisme des lois, s'é- ciciétés non constituées est un- principe de
tablit le despotisme des mœurs à la foi de division,
d de mort, de néant politique et
l'unité de Dieu, la religion mêle les opi- religieux.
ri Je"; ne dis pas que dans toutes les
nions les plus licencieuses, et le culte, les monarchies
n on ait connu l'unité de Dieu
pratiques les plus gênantes; à l'unité' de encoree moins que l'athéisme soit la religion
pouvoir le gouvernement mêle les lois poli- dde toutes les républiques je dis seulement
tiques les plus absurdes, et l'administration qu'à
q considérer en général, et comme l'on
les coutumes les plus tyranniques et lors doit di considérer les vérités sociales, tous les
même que ce jeuple amolli n'est plus op- te temps et toutes les sociétés, l'observateur
primé par la guerre, il est opprimé par là peut pi apercevoir les rapports frappants et les
polygamie, opprimé par l'ignorance, oppri- progrès
pi simultanés de certaines opinions,
t
politiques et de certaines opinions religieti- tituée
t chez un peuple qui ne connaissait pas
ses(l). l'unité
1 de Dieu; mais la force de la consti-
Je m'arrête le lecteur saisira sans peine 1tution politique avait, en Egypte, constitué

l'enchaînement et pénétrera l'étendue des le


1 culte public, c'est-à-dire l'avait lié au
rapports que je n'ai fait qu'indiquer. Satis- gouvernement
£ autant que l'absurdité du
fait d'avoir peut-être agrandi ses pensées polythéisme
1 avait pu ie permettre. Entrons
je le laisse à ses réflexions, et je me hâte dans
c Je détail.
d'arriver au développementhistorique de la La sociélé religieuse se joint à la société
théorie abstraite, mais indispensable dont politique pour réprimer les volontés dépra-
j'ai exposé les principes. vées
i de l'homme ou ses passions. Mais les
1passions naissent avec l'homme et ne meu-
CHAPITRE VI. la religion doit donc s'em-
rrent qu'avec lui

MONARCHIE. 1parer de l'homme


social à sa naissance et le
suivre
c
jusqu'au tombeau.
C'est donc chez l'antique Egyptien que y
Intervention de la religion dans toutes les
commence ta constitution des sociétés, ou la actions
{
sociales de l'homme première loi
constitution monarchique il est aussi Je religieuse, conséquence nécessaire de la loi
premier à en recueillir les fruits, et le pen- j r
ifondamentalede la religion publique, et fon-
pie le plus sage est en même temps le peuple damentale
(£ elle-même.
le plus éclairé et le plus heureux. Le culte en Egypte consacra donc toutes
« Les Egyptiens sont
les premiers, dit les
j actions de l'homme social; il épura ses
l'immortel Bossuet, où. l'on ait su les règles plaisirs,
I il sanctifia ses travaux: impie ou
du gouvernement et l'Egypte est la mère de absurde à force d'être social, il osa déifier
toutes les, antiquités historiques, la source |les hommes bienfaisants,les animaux utiles,
«le toute police, le berceau des sciences et et
(
jusqu'aux plantes salutaires.
les arts. » (Dise. sur l'Hist. univ., m' part., La volonté dépravée de l'homme est plus
ch.3.) iflexible dans l'enfance, parce qu'à cet âge il
Je cherche dans leur histoire quelles ont n'a
1 pas contracté d'habitudes, et qu'il reçoit
été les règles de leur gouvernement, ces rè- plus facilement toutes les impressions qu'os
gles qu'ils ont sues les premiers; et je pré- iveut lui donner.
viens le lecteur, accoutumé peut-être à re- Nécessité d'une éducation religieuse se-
garder comme fabuleuse ou peu certaine conde loi religieuse, conséquence nécessaire
<

Vhisioire des premiers temps de l'Egypte, de la loi fondamentale de la religion publi-


que les obscurités qu'elle présente portent que, et fondamentale elle-même.
sur quelque point de sa chronologie, sur le L'éducationpublique ou sociale était, chez
nombre ou l'ordre de ses dynasties, sur le les Egyptiens, l'institution la plus perfec-
nom et la suite de ses rois, et non sur sa tionnée, comme elle est dans les gouverne-
législation, dont toute l'antiquité a admiré ments modernes l'institution la plus négli-
la sagesse, et dont les, effets sur la puis- gée. Cependant le temps presse il faut, par
sance et le génie du peuple égyptien sont une éducation sociale, former les hommes
attestés par des monuments venus jusqu'à pour la société, ou bientôt il n'existera plias
nous. de société parmi les hommes.
Reprenons les lois fondamentales des so- Les passions de l'homme pouvoir sont
ciétés civiles! religion publique, pouvoir bien plus dangereuses pour la société que
•unique, distinctions sociales et nous ver- celles de l'homme membre de la société. Ce-
lui-ci, pour les satisfaire, n'a que sa force
rons les lois religieuses dans la société re-
ligieuse, les lois politiques dans la société celui-là peut se servir de la force de tous.
politique, découler des lois fondamentales C'est donc principalement sur le monar-
de chaque société comme des conséquences que que la religion, en Egypte, exerce son
nécessaires, et devenir fondamentales elles- empire. Enfant, elle le forme; homme, elle le
mêmes. conseille vivant, elle le défend et le res-
La société religieuse ne pouvait être cons- pecte mort, elle le juge (2).
plus grande
(1) On n'a pas encore vu des sociétés chrétiennes que des fractions détachées d'une so-
revenir à l'idolâtrie, ni des sociétés monarchiques ciété on, ne citera pas la France.
devenir républiques, sans se dissoudre. Home, (2) Je suppose le lecteur instruit de la coutume
même sous ses vois, n'était pas une monarchie la (le juger les rois après leur mort, qui se pratiquait
Suisse, les Provinces- Unies, les Etats-Unis ne sont en Egypte.
Consécration religieuse du monarque, res- une force nécessairement
une
m
indépendante des
membres de la société; car une force qui
pect du monarque pour la religion lois re- m
ue
hgieuses et politiques, conséquences né- doit nécessairement réprimer la volonté
d(
cessaires des lois fondamentales, et fonda- l'homme, doit êtrS nécessairement indépen-
1'l

mentales elles-mêmes. dante de cette même volonté.


•Toute société, ai -je dit, existe par une


Le sacerdoce, force publique, conserva-
volonté générale, un pouvoir général, une tr de la société religieuse, rendu perpé-
trice
force générale; car une société qui
n'aurait tuel
tu par la transmission héréditaire, était
n'aurait pas le pouvoir, indépendant
iti de la,volonté de l'homme, puis-
pas la volonté qui qu'il était un caractère qu'aucune volonté
qui n'aurait pas la force d'exister, n'existe- q
rait pas.
humaine
h ne pouvait effacer, et qui même se
communiquait indépendamment de toute
La société religieuse a donc, comme so- C(
volonté humaine, puisqu'il se communiquait
ciété, la volonté, le pouvoir, la force d'exis- v«
voies par
ter ou de se conserver. ei même temps et par les mêmes
en
actionr lesquelles se communiquait l'existence en
If
La force est l'action du pouvoir
suppose des agents ou des ministres.
sorte
s< que l'homme communiquait le droit
o le devoir d'être ministre de la
société,
Ainsi les ministres du culte public ou les ou
prêtres sont la force générale ou sociale de o l'existence sociale, en même temps que
ou
l'l'existence naturelle, et qu'il donnait ainsi
la société religieuse extérieure ou du culte
naissance à une famille sociale et à une
public.
Mais la force doit agir aussi longtemps
famille
u“ naturelle la fois. Je dis plus Dieu
l'action du même
n ne pourrait effacer dans l'individu ce
que le pouvoir, puisqu'elle est caractère qu'il tient de sa famille, et il ne
pouvoir, et qu'un pouvoir sans force n'estt c
peut
p faire que l'homme ne naisse avec
pas un pouvoir. l'obligation de remplir les fonctions sociales
Or, dans la société religieuse le pouvoir•
li
hhéréditaires dans sa famille, parce qu'il ne
général ou social, conservateur de la socié-
peut pas faire que le fils ne naisse de son
té, est immortel, puisqu'il est la divinité F
père.
même donc la force générale ou sociale, con- £

servatrice de la société, action de son pou- Les ministres du culte public furent donc,
ddans leurs fonctions, indépendants de
la
voir conservateur doit être immortelle; volonté de tout homme, pouvoir ou sujet de
donc le ministère du culte public ou le sa- minis-
1la société; car s'ils eussent, comme
cerdoce doit être immortel et perpétuel. la volonté
Mais l'homme physique ne peut être im-
très
t du culte, été dépendants de
particulière de quelque homme, le culte
Tûortel que par l'hérédité, c'est-à-dire que? r
de' quelque
dans5 1lui-même eût été dépendant
la perpétuité est dans la famille et non particulière; il eût pu cesser d'être
l'individu. volonté
A

Perpétuité du sacerdoce, loi religieuse, public;


[
la loi fondamentale eût été violée,
conséquence nécessaire de la loi fondamen- et
( la société religieuse extérieure eût été
fondamentalee détruite.
tale de la religion publique, et t
elle-même. Je ne m'étendrai pas davantage sur la
la société religieuse, que je me propose de
Cette perpétuité était physique dans a î
traiter séparément j'en ai dit assez pour
religion des sens; elle est devenue spiri- 1
principes constitu-
ifaire voir l'identité des
tuelle dans la religion où l'homme adoree
tifs des deux sociétés politique et religieuse;
l'Etre suprême en esprit et en vérité. 1
j reviens à la société politique, qui va faire
je
Il y eut donc en Egypte des familles sa-
cerdotales et remarquez que cette loi étaitit exclusivementle sujet de la première partie.
conforme au principe élémentaire de laa de cet ouvrage.
La première loi fondamentale de la société
société politique, qui ne considère pass
l'homme, mais la famille.
politique était l'unité de pouvoir social, ou
perpétuellee le pouvoir général de la société dont un
La nécessitéde la transmission
homme appelé monarque était revêtu.
du sacerdoce peut être portée au dernier(r
degré d'évidence. Cet homme-pouvoir ou ce monarque de-
Un pouvoir nécessairement conservateur;r vait être immortel ou perpétuel, car s'il
nécessaire- cessait d'être, l'exercice du pouvoir général
ne peut agir que par une force î-
nécessai-
i- de la société cessait je veux dire que la
ment conservatrice. Or, une force
conservatrice de la société doit être
'e volonté générale, conservatrice de la société,
rement
se trouvait sans pouvoir général qui pût blimes conceptions de la nature. Elle se
l'accomplir,et la force générale sans pouvoir réserva le soin de produire des grands
qui pût la diriger. Or, l'on a vu qu'une vo- hommes lorsqu'ils seraient nécessaires à la
lonté sans pouvoir n'est *pas une volonté conservation de la société et elle lui laissa
libre et éclairée; qu'une force sans pouvoir le soin de former de bons rois, parce qu'une
n'est pas une force dirigée. La société sans société constituée n'a que rarement besoin
volonté et sans pouvoir se trouvait livrée à de grands hommes ( 1 ), qu'elle peut, par
une force aveugle et sans frein. L'état actuel l'éducation, former de bons rois, comme elle
de la France est une application frappante forme des hommes utiles dans les autres
de cette vérité. professions, et qu'enfin le monarque ne
La volonté générale, conservatrice de la conserve pas la société par son action, mais
société, exigeait donc que la succession du par sa seule existence semblable à la clef
pouvoir ne fût pas interrompue, même un d'une voûte, qui n'en soutient pas les dif-
seul instant, ou que le monarque fût perpé- férentes parties par son effort, mais qui les
tuel. Or le monarque ne pouvait être rendu maintient à leur place par sa position (2).
perpétuel que par la transmission hérédi- Ainsi la société n'eut pour rois que des
taire du pouvoir dans une famille. hommes élevés à l'être; car alors l'éduca-
Nécessité de la succession héréditaire du tion en faisait des rois et non des hommes;
pouvoir, première loi politique, consé- tous ceux qui les instruisaient, tous ceux
quence nécessaire de la loi fondamentale qui les approchaient, tout ce qu'ils voyaient,
du pouvoir social, et fondamentale elle-, tout ce qu'ils entendaient, leur inspirait de
même loi sacrée qu'aucune nation n'a im- grandes vertus et non de petites passions,
punément méconnue, et la Pologne en est leur apprenait à pratiquer les devoirs pé-
depuis longtemps un triste exemple. nibles de la royauté et à redouter les hon-
Remarquez encore la concordance de cette teuses faiblesses de l'humanité. Aussi ces
loi avec le principe élémentaire de la so- princes, soumis presque en naissant à une
ciété politique. Dans une société qui ne éducation sévère, la seule qui, pour former
considère que les familles et jamais les in- des rois, puisse remplacer les leçons utiles
dividus, la volonté générale a dû confier le de l'adversité, donnaient à leurs peuples
pouvoir général à une famille et non à un l'exemple de l'observation rigide de la reli-
individu. gion et des lois « Les plus grands hommes
Les petites craintes, les petites prévoyan- de l'Egypte, » dit Bossuet, «furent ses rois. »
ces de l'homme disparurent devant les su- Avancer, avec les modernes législateurs,
(I) Une société constituée n'a besoin que de bienfait de la royauté est d'épargner à la société
bons rois, parce que là où la nature l'ait les Ms une foule de grands hommes qui voudraient deve-
l'homme n'a autre chose à faire qu'à en maintenir nir plus grands.
l'exécution. Or l'éducation peut former 'l'homme ( 2 ) Le parallèle est d'une vérité frappante. Dans
pour la profession royale comme pour toutes les une voûte, les parties inférieures et les plus éloi-
autres professions sociales; mais il faut éloigner gnées de la clef ont peu de saitlie et semblent se
de la jeunesse des princes la philosophie de l'esprit maintenir par elles-mêmes et sans le secours des
et celle du plaisir: Ce n'est pas seulement en éga- parties supérieures. C'est le peuple, partie nécessaire
rant les peuples que la philosophie ébranle les trô- et primitive de la société; à mesure que les parties
nes, c'est aussi en corrompant les rois. supérieures s'élèvent, elles prennent plus de cour-
On appelle sans cesse de grands hommes ils bure et de saillie, et leur assiette est plus dépen-
paraissent, où et quand ils sont nécessaires. Quand dante de celle de la clef. Ce sont les secondes
la nature des sociétés amène de grandes circons- classes de la société. Les parties de la voûte qui
tances, la nature des choses produit des grands sont immédiatement voisines de la clef ne peuvent
hommes. Un grand homme hors de sa place (comme se soutenir sans elle, et la soutiennent à leur tour,
ils le sont presque toujours dans les républiques) elles se maintiennent ou tombent ensemble; c'est
n'est qu'un grand fléau, parce qu un grand homme le clergé et la noblesse, parties nécessaires de la
veut créer de grands événements et qu'il ne pro- constitution monarchique, voisines du trône dont
duit que de grands malheurs. Mariùs, Sylla, César elles partagent l'éclat et les revers. Si les parties
parurent trop tôt; Auguste vint à propos. Ou verra, iiiférieures supportent les parties supérieures
dans le cours de cet ouvrage, que Clovis, Charle- celles-ci, à leur tour, couvrent les inférieures et
magne, saint Louis Henri IV, parurent chacun assurent leur stabilité par leur pression. Quand la
dans le moment qu'il fallait, et avec les circon clef et les parties avancées de l'arche sont tom-
atances de caractère et de position qu'exigeaient le bées, le fleuve emporte les piles et engloutit dans
qui jusque-là
temps où ils vivaient, et les grandes choses qu'ils son gouffre jusqu'à l'humble moellon,
avaient à faire « On se plaint quelquefois, dit avait bravé la violence des eaux. La société est un
Hénault, « de la disette des grands hommes 11 pont élevé sur le fleuve des passions humaines, surà
n'y a pas de plus grand malheur pour les Etats que lequel il faut que l'homme passe pour arriver
ee" concours de personnages illustres et puissants, l'éternité. Le mal est qu'on prend une superppsi-
qui, prétendant tous à l'autorité commencent par lion nécessaire pour une oppression.
ia diviser et finissent par l'anéantir, i Le plus grand
181 PART.I..ECONOB. SOC. -THEORIE DU POUVOIR.
qu'an peuple peut attenter à la loi fonda-
mentale du pouvoir
r.

unique, à la loi non dit


ou
1
ro

moins fondamentale de la succession héré- parmi


ditaire du pouvoir, c'est avancer que la armes.
«.Ml
U YV/llV.
1 iamilles
nui»
la
PART. l.POUV. POLITIQUE. LIV. I. 182
w i • v»-" ^»x.w"* –
-n..nw.l.->.tn1m-i qu'on estimait le plus,
sacerdotales,
Bossuet, les plus illustres étaient, comme
l
f
C

nous, les familles destinées aux


»
Remarquez toujours l'accord parfait de
£k T~i 1 11

volonté particulière de quelques hommes a


droit de s'opposer à la volonté générale cette
<
loi avec le principe élémentaire de la
le
société politique, qui n'est composée que de
de la société, et que la société peut vouloir1
détruire elle-même, lorsque la nature familles,
1 et qui-ne considère que la famille
se jamais l'individu.
veut qu'elle existe et qu'on n'oublie pas et publique de la société, pour être
suicide social a pour La force
de remarquer que ce
défenseurs les partisans du su'icide na-
essentiellement conservatrice de la société,
turel. devait être essentiellement indépendante de
m'a prévenu doute, et il a la volonté particulière de tout homme de la
Le lecteur sans
qu'on pouvait appliquer à la société; car la volonté particulière de tout
déjà aperçu
générale, conservatrice de la société homme est nécessairement dépravée et des-
force
une force nécessairement con-
politique, ce que j'ai dit de la force générale, tructive, et puisqu'elle
conservatrice de la société religieuse je ne servatrice, est l'action d'un pou-
conservateur, ne pou-
craindrai pas de le répéter, et presque dans voir nécessairement
obéir à une volonté nécessairement
les mêmas termes. Dans le développement vait
destructive.
de vérités aussi essentielles à la société, je
craindre de n'être pas assez Le ministère de la force publique de la
ne puis que
société politique, rendu perpétue! par la
clair.
folontë générale ou sociale, pouvoir gé- transmission héréditaire,fut indépendant do
néral ou social, force générale ou sociale, toute volonté humaine, puisqu'il fut un ca-
conditions sans lesquelles une société ne ractère qu'aucune volonté humaine ne put
effacer; puisqu'il se communiqua indépen-
peut exister ou se conserver.
La volonté générale, conservatrice dé la damment de toute volonté humaine; puis-
société, se manifeste par un pouvoir général qu'en même temps et par les mêmes voies
l'exis-
conservateur; car une volonté sans pouvoir par lesquelles l'homme communiqua
n\»st pas une volonté. tence naturelle, il communiqua l'existence
sociale, c'est-à-dire le droit, ou, pour mieux
Le pouvoir général conservateur agit par
dire, le devoir d'être ministre de la force
une forte générale conservatrice, car un publique, conservatrice de la société poli-
pouvoir sans force n'est pas un pouvoir.
La volonté générale qu'un être a de par-
tique, et qu'ainsi il donna naissance à une
venir à sa fin est perpétuelle; son pouvoir famille sociale et à une famille naturelle à
d'y parvenir doit être perpétuel; sa force d'y la fois. Dieu même ne pourrait effacer, dans
parvenir doit être perpétuelle aussi; car le l'individu, ce caractère qu'il tient de sa
pouvoir ne peut pas plus exister sans force, naissance, et il ne peut pas faire que l'homme
remplir les fonc-
que l'être ne peut exister sans' la
volonté de ne naisse avec le devoir de
parvenir à sa fin. tions confiées à sa famille, parce qu'il ne
Force est action action suppose des agents peut pas faire que le fils ne naisse pas de
ou ministres. Donc les agents ou ministres son père.
de la force publique, générale ou sociale On a vu, dans la perpétuité des fonctions
(car ces expressions sont synonymes), de la -sacerdotales, l'origine du ministère lévi-
société politique, seront perpétuels; donc tique chez les Juifs et du sacerdoce chez les
le ministère de la force publique sera héré- Chrétiens; on peut voir, dans l'hérédité des
ditaire. fonctions militaires sociales, l'origine et le
Hérédité du ministère de la force publique motif de la noblesse dans les sociétés poli-
sociale, conservatricede la société politique; tiques.
loi politique, conséquence nécessaire des Le sacerdoce et la noblesse ne sont donc
des
lois fondamentales du pouvoirunique et des des distinctions que parce qu'elles sont
distinctions sociales, et fondamentale elle- professions distinguées des autres par leur
même. nécessité pour la conservation de la société.
Il y eut donc en Egypte des familles mi- L'individu, membre de la profession sacer-
lit.aires, comme il y avait des familles sacer- dotale ou noble, n'est distingué des autres
dotales et une famille royale. « Après less individus que parce qu'il appartient à une
tamil.le sociale, c'est-à-dire à une famille lontés particulières destructives de la so-
vouée spécialement et sans retour à la con- ciété.
servation de la société, et qui ne peut, sans Il faut, avant d'aller plus loin., se faire des
encourir le blâme ou l'animadversion de la idées justes de l'oppression politique dont
société, se soustraire à ses engagements les uns parlent. sans Ja définir, et dont les
envers la société. Cette famille ne peut donc autres se plaignent sans la connaître.
plus disposer d'elle-même; elle est donc
esclave de la société; elle n'est donc distin- CHAPITRE VII.
guée des autres familles qu'en ce qu'elle n'a
pas là liberté qu'elles ont d'embrasser une SUITE DO MÊME SUJET.
autre profession que celle à laquelle sa nais-
sance la destine. C'est là la solution du pro- Qu'est-ce que l'oppression politique? L'op-
blème que l'auteur du Contrat social se pro- pression est l'acte d'une volonté dépravée
pose et qu'il n'ose résoudre, parce qu'il n'a qui s'exerce par une force supérieure con-
que l'instinct de quelques vérités et qu'il ne sidérée dans l'homme dépositaire du pou-
remonte pas aux principes « Quoi, dit-il, voir général, elle est l'effet de la volonté dé-
la fibeilé (sociale) ne se maintient qu'à l'ap- pravée d'un seul, qui s'exerce par la force
pui dé la servitude ? peut-être. » L'histoire de tous.
s'accorde parfaitement avec ma théorie. L'oppression est publique ou individuelle,
« Les peuples, » dit Montesquieu,. qui n'ont selon qu'elle pèse sur le corps social ou
point de prêtres, sont ordinairement bar- sur ses membres.
bares. Tels étaient, autrefois, les Pédaliens, La fin de ta société étant de conserver ou
tels sont encore les Wolguski. » C'est-à- de défendre l'homme et la propriété, il y a'
dire que des peuples qui n'ont point de oppressiontoutes les fois que l'homme et la
prêtres ne forment point de société j'ajoute propriété ne sont pas défendus.
que, chez les peuples qui n'ont point eu de Pour défendre l'homme et la propriété
noblesse, la société n'a point rempli la fin contre les entreprises de l'homme ou les
de toute société, qui est la conservation de accidents de la nature, il faut employer ou
l'homme c'est-à-dire que des peuples qui déplacer une partie des hommes par la pro-
n'ont point eu de familles sociales ou de fession tailh&ire-défensivs, et une partie des
noblesse, n'ont point formé de société, et propriétés par l'impôt.
qu'ils n'ont pas laissé après eux ces monu- Si cette partie des hommes et des proprié-
ments qui attestent l'existence impérissable tés, déplacée ou employée pour la défense
d'une société. L'histoire nous fournira la de l'autre partie, excède les besoins de la
preuve de cette assertion. société ou est insuffisante, la société est
La force publique sociale, conservatrice également opprimée, dans le premier cas,
de la société politique, n'avait pas pour par un gouvernement dur et avide dans le
objet sa défense au dehors, mais sa conser- second, par un gouvernement indolent et
vation au dedans parce qu'une société cons- faible: car faiblesse est oppression, et mên^e
tituée ne peut périr que par elle-même. Or, l'oppression la plus funeste.
une société peut périr par les passions de Puisque l'oppression est un emploi ou
l'homme-pouvoir, ou par l'oppression, par déplacement excessif ou insuffisant d'hom-
les passions des hommes-sujets, ou par la mes et de propriétés il faut fixer la partie
révolte. Les ministres de la force publique, des hommes et des propriétés dont les in-
-indépendants des volontés particulières ou térêts de la société nécessitent le déplace-
des passions des hommes-sujets, préser- ment car l'homme-roi ne pourra faire de
vaient la société de la révolte par leur ac- déplacement d'hommes ou de propriétés
tion, et plus encore par leur exemple; indé- contraire aux intérêts de la société, là où les
pendants des volontés particulières ou des hommes et les propriétés seront fixés de la
passions de l'homme-pouvoir, ils préser- manière la plus utile à la société.
vaient la société de l'oppression par leur Ainsi l'oppression publique sera empê-
existence même; car s'ils eussent été, comme chée, et l'homme dépositaire du pouvoir do
ministres de la force publique, dépendants l'Etat sera limité dans sa volonté particu
des volontés particulières ou des passions lière, non par des équilibres où des chocs,
de l'homme-pouvoir, la force générale, con- mais de la même manière que la volonté de
servatrice de la société, eût obéi à des vo- Dieu même est limitée par des lois ou rap-
ports nécessaires, et qu'elle ne peut détruire servé
s de cette loi, et ce qu'il y a ajoute.
(i) Car si une volonté particulière, qui Non-seulemen-t le déplacement excessif
s'exerce par une force publique, devait être desc hommes par la profession militaire était
réprimée par une autre volonté agissant avec empêché
e par la loi qui avait déterminé le
une autre force publique, il y aurait dans la nombre
r de familles militaires sur les vrais
t
société deux volontés, deux pouvoirs, deux besoins de la société, c'est-à-dire pour sa
forces publiques, il y aurait deux soçié- défense;
d mais il était encore empêché par
tés. la toi qui attachait toutes les familles à une
1.
Voyons comment la société égyptienne profession
p particulière car l'homme-roi ne
fixa, de la manière la plus utile pour elle, pouvait
p faire le déplacementd'hommes con-
la partie des hommes et des propriétés dont traire
t aux intérêts de la société, là où la loi
l'emploi était nécessité par ses hesoins. fixaitfi tous les hommes delà manière là plus
Commençons p*r les propriétés. utile
u à la société, puisque tous les hommes,
e le roi lui-même, étaient soumis à La
La partie de Ja propriété dont les intérêts et
de l'Etat exigent le déplacement, c'est-à-dire loi.
li
l'impôt, a deux objets les dépenses per- Les motifs de cette loi, qui subsiste en-
sonnelles du monarque, les dépenses publi- core c d'une manière plus analogue aux dé-
ques de l'Etat. veloppements
v de la société et à ses besoins,
• Le monarque, établi pour réprimer les ac- étaient
é puisés dass la nature de la société.
tes extérieurs de la volonté dépravée ou de Avec la société étaient nés les besoins, et
la passion de tous, doit être personnelle- les 1< besoins multipliaient les professions.
ment indépendant de tous. Il doit donc né- L'utilité
1 commune exigeait donc que les
cessairementêtrê propriétaire car celui qui membres
n de la société exerçassent différen-
ne subsiste pas de sa propriété subsiste de tes t< professions, et. que chaque membre
celle d'autrui, et par conséquent il est exerçate une profession; car, dans une asso-
dépendant, soit qu'il accepte, soit qu'il ciation,
c tous les membres doivent. concourir
usurpe. à l'utilité commune.
Le monarque devint donc propriétaire, « Il n'était pas permis, » continue Bossuet,
et la société assigna des terres pour son en- « d'être inutile à l'Etat la loi assignait à
tretien. chacun
c son emploi, qui se perpétuait de
Autre loi politique nécessaire indépen- pèreenfils.
p Les prêtres et les soldats avaient
dance personnelledu monarque, assurée par ddes marques d'honneur particulières; la
une dotation en propriétés. profession
p de la guerre passait dé père en
Chez les anciens peuples, et particulière- fils,
fi comme les autres et après les familles
ment en Egypte, comme on le voit par l'his- sacerdotales,
s, qu'on estimait le plus, les plus
toire des Juifs, on imposait pour les dépen- illustres
il étaient, comme parmi nous, les fa-
ses publiques, dit Rousseau, plutôt les bras milles
n destinées aux armes. »
des hommes que leur bourse, et les travaux On voit dans cette disposition la néces-
publics étaient faits par des esclaves. Cette ssité, des distinctions héréditaires; elle est
disposition avait le double effet d'empêcher évidente.
é
le déplacement des propriétés par l'impôt, et Il était dans la nature des choses, que les
celui des citoyens par les travaux publics; professions
p fussent distinguées entre elles
mais pour ménager la propriété ou l'homme par p leur degré d'utilité pour, remplir la fin de
elle opprimait l'humanité. h société.
la
Le déplacement excessif" des hommes, Ainsi, parce qu'il y avait deux professions
par la profession militaire, n'était pas moins ddistinguées des autres par leur importance
prévenu que l'emploi excessif des proprié- pour p le maintien de la société, Je ministère
tés par l'impôt, puisqu'une loi bornait cette ded la religion et celui de la force publique,
profession à un certain nombre de familles, il y eut des distinctions et parce que les
et qu'il y avait des familles militaires comme professions
p étaient héréditaires, il y eut des
ïl y avait des familles sacerdotales et une fa- distinctions
d héréditaires.
mille royale. Comme les professions étaient distinguées
Nous verrons dans la suite ce que le per- entre
e elles par leur utilité respective, les
feotionnement nécessaire des sociétés a con- lihommes se distinguèrent entre eux par leur
(1) Dieu ne peut changer les essences des choses; triangle
tr équiïatéral, l'étendue à la matière, la fifUFe
ôter la rondeur au cercle, l'égalité des angles à unIl aux
a1 corps, etc.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. i8%
187
supériorité personnelle dans l'exercice de mes habiles dans les professions utiles, et
leurs professions, et cette disposition fit elle avait surtout un plus grand nombre
servir à l'avantage de la société, et la passion d'hommes heureux car le plus grand bon-
naturelle de s'élever au-dessus des autres, heur que la société puisse procurer à l'hom-
qu'aucune force ne pouvait étouffer, et les me, est de le défendre contre les illusions
inégalités naturelles decorps et d'esprit que de sa cupidité, les écarts de son imagination
la société ne pouvait détruire. et l'inconstance de ses goûts.
Ainsi la loi fixa toutes les familles dans La société était donc défendue contre
une certaine profession, comme la nature l'oppression ou le déplacement excessif ou
fixait tous les hommes dans une certaine insuffisant d'hommes et de propriétés, puis-
famille. que le roi ne pouvait employer les hommes
La permanence héréditaire des profes- ou les propriétés que dans la proportion
sions établie en Egypte révolte peut-être fixée pour les besoins de la société, c'est-à-
ceux qui ne sont pas accoutumés à réfléchir, dire pour sa défense ou sa conservation.
même à ce qu'ils ont sous les yeux il est Loi politique, conséquence nécessaire de
cependant aisé d'en apercevoir tes effets. la loi fondamentale des distinctions sociales,
Revenons à la nature, et toujours à la na- et fondamentale elle-même fixité et per-
ture. pétuité de la force publique par l'hérédité
La nature est avare d'hommes supérieurs, de la profession militaire défensive.
et elle sème avec profusion les hommes mé- De cette loi suivait l'indépendance delà
diocres. L'homme vraiment supérieur aux profession de la volonté particulière du mo-
autres hommes, celui que la nature fait naî- narque, et l'inamovibilité de la personne
tre -pour remplir ses vues sur la société, car, si la volonté particulière et dépravée
s'élève toujours Je lui-même, et malgré dé l'homme-roi eût pu anéantir la force pu-
tous les obstacles, à la place que la nature blique ou en déplacer le ministre, elleau-
lui assigne car, s'il avait le même besoin rait puleursubstituerureautreforceet d'au-
que les autres hommes de la faveur des cir- tres ministres, et opprimer la société avec
constances ou du secours de l'éducation, il une force particulière et des agents de son
choix.
ne leur serait pas supérieur.
Mais il n'y a que l'éducation qui puisse Dans les états monarchiques, la noblesse,
former le grand nombre des hommes ordi- véritable force publique défensive et per-
naires, et les disposer à remplir des fonc- manente de la société, est inamovible,indé-
tions utiles à la société. pendante du monarque, dans sa distinction
Or, l'éducation la plus efficace commence ou profession; et par une suite de l'esprit
dès l'âge le plus tendre, comme l'instruction de la constitution, les mœurs ont étendu à
la plus puissante est celle de l'exemple. tout le reste du militaire qu'on peut appeler
Ainsi le fils suivait, en Egypte, la profes- force publique offensive et accidentelle, l'i-
sion de son père « parce que, » dit Bossuet, namovibilité que la loi assure à la noblesse
« on faisait mieux ce qu'on avait
toujours comme force publique défensive et perma-
vu faire, et ce à quoi on s'était uniquement nente. Ainsi toute la force publique, néces-
exercé dès son enfance. » sitée par les progrès de la société, est par là
Ce ne fut pas là le motif de la loi, mais devenue profession sociale et distinguée.
cela en fut le résultat et sans cette disposi- J'en traiterai ailleurs avec plus d'éten-
tion naturelle qu'on a à faire ce qu'on a vu due.
faire à ses parents, et à quoi l'on s'est unique- La force publique ne fut donc établie,
ment exercé dès son enfance, se trouverait-il dans la société politique constituée, que
des hommes qui se dévouassent par choix pour les besoins de la société, c'est-à-dire
à ces professions viles, malsaines ou péril- pour sa défense. De là suit le principe in-
leuses, qu'exigent les besoins de la so- contestable, et dont l'histoire fournit la dé
ciété 2? monstration qu'une société constituée ou
En fixant ainsi les membres de la société monarchique a plus de force de résistanr-6
dans des professions déterminées, la nature que de force d'agression; nouvelle preuve
contrariait peut-être ces esprits inquiets, que la royauté est dans la nature, qui veu>
parce qu'ils sont faibles, qu'on prend trop qu'une société se conserve sans détruire les
Souvent pour, des génies supérieurs mais autres sociétés.
'la sociétéavaitun plus grand nombre d'hom- L'oppression publique. 'était donc impossi-
ble, et l'emploi excessif de'la force publique parabilité
1 de l'homme et du monarque
prévenu, non par une force d'action, mais l'homme
1 peut vouloir substituer sa volonté
par une force de résistance ou d'inertie ce particulière
i à la volonté générale, dont le
qui veut dire que l'opposition n'était pas monarque
r est l'exercice et comme toute
dans les hommes, mais qu'elle était dans volonté
'v s'exerce par un pouvoir, et tout pou-
les institutions. t par une foree, l'homme peut vouloir
voir
L'oppression individuelle n'était pas pré- exercer
e sa volonté particulière,par son pou-
venue d'une manière moins efficace. voir
v particulier, exercer son pouvoir parti-
En effet, l'individu ne pouvait être oppri- culier
c par la force publique; ce qui constitue
mé dans son corps ou dans ses biens que 1l'oppression.
par un emploi de la force publique, dirigée L'homme-roi ne doit pas lui-même être
contre lui par le pouvoir particulier, agent tenu de distinguer la volonté particulière
ti
de la volonté particulière ou de la passion d l'homme de la volonté générale du roi
de
du monarque. # car,
c s'il devait les distinguer, il pourrait
Or, la force publique n'étant que l'action aussi
a les confondre.
du pouvoir général, et le pouvoir général Il faut donc qu'elles soient distinguées
n'étant que l'exercice de la volonté générale, par
p d'autres, c'est-à-dire par des age'nts
il est évident que la force publique ne doit chargés
c d'exécuter les ordres de la volonté
recevoir le mouvement que de la volonté générale,
g et dont la fonction soit de la dis-
générale, c'est-à-dire de la loi, qui est l'ex- tinguer
ti de la volonté particulière.
pression de la volonté générale. Autre loi politique, conséquence néces-
La société était défendue contre l'emploi saire
s de la loi fondamentale du pouvoir uni-
oppressif des hommes et des propriétés par q
que nomination de ministres pour trans-
les lois politiques, qui fixaient, dans la pro- mettre
n et certifier les ordres du monarque.
portion la plus utile à la société, l'emploi Puisque ces ministres ou agents ont une
nécessaire des hommes ou des propriétés. fonction
fi à remplir, ils doivent être punis
L'individu était défendu contre l'emploi s'ils
s ne la remplissent pas; et, puisque cette
oppressif de son corps ou de ses biens par fonction
f< est de distinguer la volonté géné-
les lois civiles, qui protégeaient son bien et rale
ri de la société de la volonté particulière
sa personne, en réglant fa disposition qu'il dde l'homme, et de n'exécuter les ordres que
pouvait légitimement faire de l'un ou de dde la volonté générale, ils doivent être ju-
l'autre. g par les tr-ibunaux dépositaires des lois,
gés
Les lois politiques sont des conséquences c'est-à-dire
c de l'expression de la volonté
nécessaires des lois fondamentales, et fon- générale.
g
damentales elles-mêmes. Autre loi politique, conséquence néces-
Les lois civiles sont des conséquences né- saire
s, de la loi fondamentaledu pouvoir uni-
cessaires des lois politiques, et lois politi- qque, et fondamentale elle même responsa-
ques elles-mêmes. L'auteur de l'Esprit des bbilité des ministres aux tribunaux déposi-
dois a aperçu cette vérité^ lorsqu'il dit « La taires des lois. « Le pontife, » dit Bossuet,
ti
prepritété et la vie du citoyen doivent être « supposait toujours que les rois ne com-
assurées et fixées dans une monarchie mettaient
n de fautes que par surprise ou par
comme la constitution même de l'Etat. La ignorance.,
ij chargeant d'imprécations les mi-
différence de. rang, d'origine et de condi- nistres
n qui leur donnaient de mauvais con-
tions entraîne souvent des distinctions dans sseils, et leur déguisaient la vérité. »
la nature des biens et des lois relatives à la J'aurais dû parler des tribunaux déposi-
constitution, et peut augmenter le nombre taires
ti des lois.
de ces différences. » À mesure que la société s'étend, les hom-
Il est sensible que, dans la société cons- mes,
n les propriétés se multiplient, les rap-
tituée, le monarque est la loi vivante, puis- ports
f entre les hommes et entre les proprié-
que la loi est l'expression de la volonté tés,
t c'est-à-dire les lois, se multiplient, il
générale, dont il est l'exercice ou le pou- f,faut pouvoir les connaître et les consulter.
voir il ne peut donc pas, en qualité de mo- Nécessité d'un dépôt des lois.
narque, vouloir violer la loi, c'est-à-dire Mais ce dépôt des lois expression de la
vouloir détruire ce que la volonté générale volonté générale, ne peut être confié au
de la société veut conserver. imonarque; car l'homme pourait altérer le
Mais à cause de la simultanéité, de l'insé- dépôt
c il ne peut pas non plus être confié
191 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1C2

••
aux ministres, dont – la fonction est «de dis-
»• n'est
n' J pasJ toujours par les agents
1 ^m. mdu
Ava. A monar-
mf-S>.•*W*rt
m~i^H41
lui-
tinguer la volonté générale de la société de que,
qi encore moins par le monarque
la volonté particulière de l'homme-roi; car, même,
m que l'individu est opprimé, mais par
s'ils voulaient les confondre, ils auraient son
s< égal. Tout homme qui porte le déshon-
intérêt d'altérer le dépôt. Ce dépôt ne doit neur
ni dans la famille d'un autre par la, cor-
pas être confié à un homme sujet à la sé- ruption
ri de ses mœurs, le chagrin dans son
duction de la faveur ou à l'influence de la âme
ai par la calomnie, ou le désordre dans
crainte; il ne peut être remis qu'à un corps, s< affaires par l'injustice, est un
ses véritable
trop nombreux pour être séduit, assez puis- oppresseur. Les lois'peuvent punir l'oppres-
O|
sant pour n'être pas intimidé, qui n'ait si
sion l'éducation seule en formant les
aucun intérêt à altérer le dépôt. mœurs, peut la prévenir.
n:
Autre loi politique nécessaire consé-
CHAPITRE VIII.
quence des lois fondamentales, et fonda-
mentale elle-même établissement des tri- CARACTÈRES DE LA MONAUCHIE.
bunaux dépositaires des lois. Cette fonction
en Egypte était confiée aux prêtres; dans Je me résume, et je reviens sur les lois
les monarchies modernes elle est confiée politiques
p qui constituaient la monarchie
aux juges. Nous en parlerons ailleurs. égyptienne,
é; et qui constituent toutes les
Les membres de ce corps doivent être, monarchies
u
dans leurs fonctions, indépendants de toute 1° Intervention de la religion dans toutes
volonté particulière, soit de l'homme dépo- les
1<
i
actions sociales.
sitaire du pouvoir, soit des hommes mem- 2° Education religieuse et politique, ;ou
bres de la société, parce que les hommes, ééducation publique.
quelque rang qu'ils occupent dans la société, 3° Indépendance de la religion et de ses
tendent naturellement à se soustraire aux ministres
n de toutes volontés particulières.
lois, c'est-à-dire à les renverser ou à en 4.° Succession héréditaire de l'exercice du

altérer le dépôt. f
pouvoir.
Autre loi politique nécessaire indépen- 5° Indépendance personnelle du monar-
dance des membres des tribunaux dépositai- que.
<] «•
6" Perpétuité de la profession militaire
res des lois, de toutes volontés particulières; l'hé-
ce qui veut dire inamovibilité des offices, cou de la force publique assurée par
perpétuité de la profession. rédité.
L'oppression individuelle était donc pré- 7° Indépendance de la force publique do
ltoutes volontés particulières.
venue, ou pouvait être réprimée, puisque
la force publique ne pouvait être dirigée 8° Etablissement des tribunaux déposi-
contre un individu par la volonté particu- taires
t des lois.
lière du monarque, et que, si les agents de 9" Indépendance des tribunaux de toutes
la volonté générale se permettaient d'obéir volontés particulières.
10° Nomination d'agents du pouvoir ou
à une volonté particulière du monarque, au
préjudice du corps social ou d'un de ses ministres.
r
membres le recours contre eux était ouvert 11° Responsabilitédes ministres aux tri-
1bunaux dépositaires des lois.
devant les tribunaux. La France doit une
partie de ses malheurs à cette loi néces- 12° Indépendance de toutes les profes-
saire trop souvent méconnue. Aussi la sions
s sociales, assurée par l'inamovibilité
â'esponsabilité des ministres était-elle for- de
< leurs membres.
mellement demandée par les trois ordres Ainsi le caractère particulier de la mo-
,de l'Etat à leur dernière convocation. Cette narchie
i est que toutes les professions y sont
dépendantes des lois et indépendantes des
loi n'a aucun inconvénient; parce qu'une loi c

nécessaire ne peut avoir d'inconvénient, et ]personnes,


c'est à-dire dépendantes de la
si elle entrave la marche de l'administration, volonté
1
générale, indépendantes de toutes
c'est une preuve qu'il y a quelque autre loi volontés particulières.
.dont l'exécution est négligée, ou quelque Le monarque est soumis aux lois fonda-
loi non nécessaire; car il faut que toutes les mentales,
i
puisque sans elles il n'existerait
puisqu'elles déter-
lois s'exécutent ou se perfectionnent. Au pas;
] aux lois politiques,
reste, l'oppression individuelle est ïe résul- minent
i le mode de son existence politique
toi inévitable des passions humaines; et ce aux l,pjs religieuses, parce qu'il est homme;
i'9'3 PART. I. ECON'OM. SCC-THEORIE DU POUVOIR. PART.
I. t-OUV. POLITIQUE. LIV. I. i94
but lois civiles, parce qu'il est propriétaire
propriétaire? mais aussi ils doivent obéir tous les actes
mais il ne peut être soumis aux lois crimi- de cette volonté générale,, qui leur sont
nelles 1° parce qu'il ne, peut être coupable transmis par les agents du pouvoir, parce
que par l'intention de nuire à la société, et qu'ils jne sont pas chargés de distinguer la
qu'il n'est pas possible qu'il ait l'intention volonté générale du monarque de la volonté
de nuire à la société, puisqu'il est le pou- particulière de l'homme, et qu'ils doivent
voir général qui la conserve, l'agent de sa vo- reconnaître et respecter la volonté générale
lonté générale conservatrice, et le directeur dans tous les ordres qui leur en présentent
•le- force .publique conservatrice 2" parce
la extérieurement les caractères; car, s'ils de-
qu'il .ne peut nuire à la société que par une vaient distinguer la volonté générale du
volonté particulière qui dirigerait, au préju- monarque de la volonté particulière de
dice de la société, la force publique or, la l'homme, ils pourraient substituer leur opi»
force publique no peut recevoir le mouve- nion ou volonté particulière à la volonté
ment que de la volonté générale, et la société générale; et comme ils sont la force publi-
a pourvu, par la nomination des agents in- que ou générale, ils pourraient exercer leur
termédiaires et leur responsabilité, à ce que volonté particulière par la force publique,
ces deux volontés ne puissent jamais se con- dont ils sont les ministres ce qui constitue
fondre et, si elles viennent à se confondre, le despotisme militaire, le plus oppressif de
c'est par la faute de ceux qui sont chargés tous, après le despotisme populaire.
de les distinguer; 3° parce que, s'il était, dans Les autres citoyens, membres de la société,
sa personne, responsable à d'autres hommes, également soumis aux lois fondamentales et
la volonté générale,dont il est !'exercice,serait politiques, religieuses, civiles et criminel-
soumise à des volontés particulières, et la les, sont encore soumis aux lois particu-
loi responsable à ses ministres, ce qui est lières de leurs professions respectives;
absurde. Si le roi pouvait être puni dans sa mais ils ne dépendent ni de la volonté par-
personne, tout factieux lui susciterait des ticulière des autres, ni même de la volonté
accusations pour le mettre en jugement. Il particulière du monarque puisqu'ils ne
doit être à l'abri des passions de tous, lui doivent connaître que'la volonté générale,
qui est fait uour réprimer toutes les pas- manifestée dans les formes prescrites.
sions. Or, lasournission égale, de la part de tous,
Les ministres de Ja religion sont soumis à des lois générales et communes à tous, et
tux lois fondamentales et politiques, comme à des lois particulières relatives aux pro-
membres de la société; aux lois religieuses fessions particulières, constitue l'égalité
générales et particulières, comme hommes sociale; et l'indépendance de toute volonté
et prêtres; aux lois civiles et criminelles, constitue la liberté sociale.
comme propriétaires et citoyens mais ils Il y a donc liberté et égalité sociales dans
sont indépendants, dans leur existence po- la monarchie.
litique et leurs fonctions, de la volonté par-
ticulière du monarque et de celle des mem- CHAPITRE IX
bres de la société, puisqu'ils doivent répri-
DESPOTISME CHEZ LES ANCIENS PEUPLES.
mer dans son principe la volonté particu-
lière du monarque et celle des membres de Lorsque les premières réunions d'hommes
la société. se faisaient la guerre, la nécessité créait un
Les ministres de la force publique sont pouvoir, parce qu'il ne peut y avoir d'armée
soumis aux lois fondamentales, politiques, sans chef. Le chef se perpétua dans sa place
religieuses, militaires, civiles et criminel- parce que la guerre était continuelle; la
les, comme membres de la société, hommes, société fut une armée et fut toute dans le
soldats, propriétaires et citoyens; mais ils camp. Si au milieu du tumulte des armes il
sont indépendants, dans leur existence po- y eut un culte public, il eut des distinctions
litique et leurs fonctions, de la volonté religieuses, parce qu'il ne peut exister de
par-
ticulière des membres de la société, dont ils culte public sans ministres j inais it n'y ea
doivent réprimer Jes effets, et indépendants eut point d'autres, parce que là où tout est
aussi de la volonté particulière du monar- soldat, il ne peut y avoir de profession par-
que, puisqu'ils ne doivent obéir qu'à la ticulière des armes les commandements du
Volonté générale manifestée et transmise chef militaire furent les lois, parce que dans
par le pouvoir général ou par ses agents ¿ L-doit7être,
chef
une armée la volonté du chef -L-
être, par
OEUVRES
~M7- –
-––- COMPL. DE M. de Bonàu>.
lL.'C"n- I.
T 7
la nature des choses, la volonté, générale. qui doivent leur naissance à d'autres causes,,
C'est le despotisme et l'on voit qu'il a dû et produisent des effets différents.
succéder aux sociétés naturelles dans l'état
CHAPITRE X.
sauvage, et que, par une raison d'analogie,
appuyée sur les faits, il est l'héritier naturel RÉPUBLIQUES.
et immédiat de tous les gouvernements qui
ne sont pas constitués, et nommément de Les Grecs, Egyptiens dégénérés, dénatu-
l'état populaire. rèrent la constitution par leurs institutions,
Le despotisme n'est pas une constitution, défigurèrent la religion par leurs fables
puisqu'il n'a pas toutes les 'lois fbndamen- corrompirent la morale par leur culte, et les
tales; ce n'est donc qu'une forme de gou-' mœurs elles-mêmes par leurs exercices et
vernement. leurs spectacles.
L'effet des distinctions sociales étant, 1° de Dans l'origine, ils avaient élevé leurs
défendre la société par la nature de leurs bienfaiteurs au rang de rois;
mais ce peuple
delà de la
fonctions; 2° de limiter le pouvoir par leur toujours extrême, toujours au
avait, dans son in-
indépendance là où il n'y a point de dis-sagesse et de. la raison, et confié
tinctions sociales, le pouvoir n'est pas limité, discrète reconnaissance, confondu'
et la société n'est pas défendue. toutes les fonctions. Ces rois étaient rois
prêtres et juges. (Esprit des lois.) Dans cette
« Mais le pouvoir le plus absolu est tou- confusion montrueuse de fonctions,les Grecs-
jours limité par quelque coin, » dit Mon-
perdirent de vue la nature et la constitution;
tesquieu. Le pouvoir du despote était donc des ambitieux leur persuadèrent, pour les
limité; mais la limite était actiôn et rion gouverner,, qu'ils pouvaient se gouverner
résistance, force de mouvement et non force eux-mêmes; et ils anéantirent la royaufcér
d'inertie c'esl-à-dire qu'elle était dans les lieu de la ramener à sa destination natu-;
hommes, parce qu'elle n'était pas dans les au relle.
institutions, et qu'elle se trouvait dans les Dès que le pouvoir général ou social fut
révoltes de la soldatesque ou dans l'insur- anéanti, la force générale ou sociale n'eut
rection populaire; et commé cette limite plus de directeur, ni la volonté générale ou
était désordonnée elle était toujours ex- sociale de ministre. La force ne fut donc,
cessive, et ne savait contenir les abus du plus générale
ou sociale, c'est-à-dire que la
pouvoir que par la déposition ou la mort du société ou volonté générale. n'eut plus de
despote, c'est-à-dire par la destruction du force sa
pouvoir lui-môme, ce qui n'est autre chose une volonté sans force n'est pas une
volonté, mais un désir; la société n'eut donc
que la dissolution de la sociéié.
plus la volonté générale d'exister ou d'être.
La société n'était pas mieux défendue constituée, mais un désir général,, une ten-.
contre les passions de l'homme revêtu du dance à se constituer, .qui fut le principe,
pouvoir. Comme il était né dans la guerre et caché, la- cause secrète de ses .agitations,
pour la guerre, il était guerrier et conqué- éternelles..
rant et parce qu'il n'y avait pas de classe Mais une association ne peut exister, si
déterminée de citoyens voués par leur nais- elle n'a la volonté, le pouvoir,la force d'exis-
sance à la profession militaire, tous les ci- ter. Dès qu'il n'y eut plus de volonté géné-
toyens étaient soldats, toutes les propriétés rale, de pouvoir général, de force générale
étaient impôt; et il se faisait une effroyable dans les associations grecques, il y eùt né-
consommation d'hommes et de propriétés. cessairement une volonté particulière, un,
Si l'ambition opprimait un sexe, la volupté pouvoir particulier, une force particulière.
opprimait l'autre quand le gouvernement Commençons par la volonté. Cette volonté
devintoppresseur,la religiôndevint cruelle particulière fut celle du législateur.
îé sang des hommes coula dans lés combats Le législateur fut donc un homme qui
pour assouvir l'ambition des despotes, et osa mettre sa volonté particulière à la place
sur les autels, pour apaiser la colère de ces de la volonté .générale de la nature; et re-.
poreuses divinités. marquez qu'il n'a paru de législateurs que
constituées d'où les
Je n'ai voulu parler que du despotisme dans les sociétés non
chez les anciens, peuples, et tel qu'il exis- gens profonds n'ont pas manqué de
conclure
tait en Asie; je traiterai ailleurs des empires qu'il n'y a de lois que dans les sociétés où.
de l'Orient, que nous appelons despotiques, il a paru des législateurs.
La loi au lieu d'être l'expression de la vo-
0- peuples, et que des lois semblables au-
lonté générale, ne fut donc que l'expression>n raient formé des peuples semblables la phi-
-d'une volonté particulière. losouhie en tira une conséquence tout bp-
La nature, partait d'un principe simple etet posée. Elle supposa que les peuples nais-
évident La où tous les hommes veulent né- é- saient avec un génie naturellementjdifférent;
cessairement dominer avec des volontés éga- 1- pour expliquer cette diversité, que la nature
les et des forces inégales, il est nécessaire ~e
de rhommerepoussait,ellecherchaunecause,
yu'un seul homme domine ou qüe tous se dé- ?'- et n'en trouvant pas de plus générale que le
truisent. Cet homme, exerçant le pouvoir ir climat, elle fit de l'homme une plante soumise
général^ manifestait à l'instant la volonté é aux influences de l'air et aux propriétés du
générale et dirigeait la force publique. Tou- i- terroir elle s'extasia sur la profonde sagesse
tes les lois fondamentales naissaient à laa de ces législateurs qui avaient approprié
fois,: De la nécessité de réprimer les volon- leurs lois politiques, ou leur forme de gou-
i-
tés dépravées de t'homme et leurs actes ex- i- vernement, à la température du climat, à la
térieurs, émanaient ensemble la religionn nature des productions, à la situation des
publique et le pouvoir unique de l'une et »t lieux, au génie des peuples. Dès lors tout
dé l'autre émanaient nécessairement les dis- l'art et le mérite de la législation se rédui-
tinctions sociales ou les fonctions nécessai- i- sait presque.à un problème de météorologie
res cle la religion et du pouvoir. ou de topographie; et l'on pouvait, par da
Si la constitution n'était que la nature, laa prétendues convenances, justifier les dispo-
forme de gouvernement n'était que la cons-i- sitions les plus absurdes et les plus immo-
titution et les lois politiques, qui déter- •- rales. « Une des principales peines fut, à
minaient la forme de gouvernement, étaieut it Sparte, de ne pouvoir prêter sa femme à ura
des conséquences nécessaires des lois. fon- autre, ni recevoir la sienne. » (Esprit des
damentales qui formaient la constitution, ett lois, !x.) Montesquieu, qu'en cet endroit je
étaient fondamentales eUes-mêmes: ainsi*
de la loi fondamentale du pouvoir unique e
ne
cite pas en entier, ajoute: «Dans les
gouvernements modérés, tout, pour un bon
découlait nécessairement la; loi politique de3 législateur, peut servir à former des pei-
la succession héréditaire, celle de l'indé- nés. » Réflexion incroyable et plus immo-
pendaaoe; personnelle du monarque, de laa rale que la loi même 1 Revenons à nos té*
noininati.oii.:de;; ses ministres, de leur res- gislateurs.
ponsabilité, etc., ete. Dès qu'ils eurent fait des lois, l'un eut la
MaiSj, lorsqu'un législateur voulait mettreî bonne foi de convenir qu'elles n'étaient pas
sa volonté particulière à la place de la vo- bonnes; l'autre, plus adroit, fit jurer l'ob-
ÎQnté générale do la nature* il n'avait pas de3 servation des siennes jusqu'à
son retour,
principe à: substituer à celui de la nature, et se. dérobant au joug de fer sous lequel il
parce que, sur Je même objet, il ne peut yr avait mis ses concitoyens, partit et ne re-
avoir qu'un rapport nécessaire, et à tout il1 vint plus (1)- La sincérité de l'un, la petite
n'yaqu'tm principe. Dès lors ces lois nei ruse de l'autre, ne, pouvaient donner à leur
pouvaient plus avoir rien de fondamental, ouvrage le. caractère de nécessité,q\iela nature

.{..
rien de nécessaire en soi, c'est-à-dire, qui ne donne aux siens. Ces lois, bonnes ou mau-
pût être autrement; ou, s'il y avait quelque dais.es, n'étaient que les volontés ou les opi-
chose de nécessaire, c'était qu'émanées de nions d'un homme; un autre homme
l'homme,, les lois devaient nécessairement vait avoir des opinions plus
pou-
sages; des pen-
être imparfaites, et qu'émanées de plusieurs sées plus profondes et l'on ne pouvait
con-
hommes, elles devaient nécessairement por- tester au peuple le droit, «je dis plus, le de-
ter l'empreinte du caractère de leurs au- voir de les adopter, car la société doit tou-
teurs, jours tendre à sa perfection.Rousseau adopte
Le farouche Dracon donna des lois atro- ce principe, lorsqu'il avance «qu'un peuple,
ces; l'indulgent Solon, des lois plus douces,dans la république, a toujours le droit de
l'austère Lycurgue des lois bizarres et même changer ses lois, même les meilleures;
car,
cruelles l'Athénien fut aimable, je Spartiate s'il veut se faire mal a lui-même, qui est-ce
dur et féroce. La raison concluait de ces di- qui a le droit de l'en empêcher?»»
versités, que les; institutions forment les Il était même contre la nature du gouver-
(1) Les législateurs quine veulent pas imiter la meur voyageuse de Lycurgue, et partir pour ne ptus
6incente i
de Solon,devraient au moins imiter l'iiu- revenir.
i
ig9
lytf
f ~))- –– iiiii
CELWES COMPLETES DE M. DE BONALD.
nement républicain, qu'un peuple ro.l~ e'occ.i-
jelît sans réserve aux volontés d'un homme
s'assu-^ existence

c'eût été rétablir, en quelque sorte, le pou- et


e: embrasse le
générale, qui '(1.mflrn~
le présent, l'avenir; ce caractère ,de durée
le
ei d'immortalité s'étend à tout peine irré-
200
passé,
IfitaSSO.

«>o«r d'un seul. vocable


v pour le crime, distinctions hérédi-
Dès qu'un homme s'arrogeait le droit de tairesta pour la vertu; châtiments et récom-
mettre sa volonté particulière à la place de penses,p la monarchie éternise tout comme
la volonté de la nature, chaque membre de la la religion.
l'association avait le droit de mettre sa vo- Dans la république, la société n'est plus
lonté particulière à la place de la volonté un u corps général, mais une réunion d'indi-
du législateur. Ce droit, ou pour mieux vidus v comme la volonté générale n'est plus
dire, l'exercice de ce droit fut appelé la vo- qu'une
q somme de volontés particulières, la
lonté générale et comme la loi doit être conservation
ci générale, qui est son objet,
l'expression de la volonté générale, on con- n'est n plus que le bonheur individuel; et
vint d'appeler loi une volonté particulière l'on l' voitgen effet le bien-être physique
du législateur conforme à toutes ces vo- de d l'homme compenser quelquefois dans les
lontés particulières ou au plus grand nombre. républiques
r< sa dégradation morale, et le
Ce système incohérent portait sur une sacrifice s. de sa liberté sociale tout s'y in-
base évidemment défectueuse. On suppo- dividualise, d tout s'y rétrécit et s'y concentre
sait que la volonté de tous était ou repré- dans d la vie présente; le présent est tout
sentait la volonté générale, et l'on ne voyait pour p elles; elles n'ont pas d'avenir. Tout ce
qui est éternel dans la religion, tout ce qui
pas que la volonté detous,-même en la sup- q la fois
posant unanime, n'était que la somme des est e permanent dans la société y est à
volantes particulières de l'homme naturel, détruit d ou méconnu on nie l'éternité des
volontés essentiellement dépravées et des- peines f et des récompenses, la vie future,
tructives, au lieu que la volonté générale ou l'existence
l' même de Dieu; et dans le même
la vdlonté du corps-social est essentielle- temps t, la peine de mort, ce premier moyen
d conservation dans la société, se ehange
nrent droite, puisqu'elle n'est autre chose de temporaire, les distinctions
la tendance naturelle d'un en
e une peine
que la nature ou
t
être à remplir sa fin. Rousseau a aperçu héréditaires en fonctions amovibles, la pro-
cette vérité; il la développe, et par une in- priété
l foncière en revenus viagers; l'homme
conséquence inexcusable, il l'abandonne un devient c une plante ou un animal, et Dieu
instant après. «II y a souvent, dit cet au- même
r n'est que l'assemblage des êtres.
bien de la différence entre la volonté J'observe
3 les progrès successifs de ces opi-
teur, « désolantes; et en rapprochant non pas
de tous et la volonté générale celle-ci ne nions r
regarde que l'intérêt commun, l'autre re- les 1 années, mais les siècles, non pas une
deux sociétés, mais toutes les sociétés,
garde à l'intérêt privé et n'est qu'une som- ou
me de volontés particulières. Quand
<
j
le peu- je remarque avec effroi la marche combi-
de l'athéisme, du matérialisme etdu ré-
pie d1 Athènes nommait ru cassait ses chefs, née i
décernait des honneurs à l'un, imposait des publicanisme.
1

peines à l'autre, il n'avait pas de volonté gé- La nécessité du pouvoir unique est mé-
nérale proprement~dite. » connue à Athènes, et bientôt l'existence de
Dès que la volonté de tous n'est pas tou- la ] Divinité même y est attaquée. Les Athé-

jours la volonté générale, elle ne l'est ja- niens, au rapport de Diodore de Sicile,
mais; et ce passage de Rousseau est la ré- mirent à prix la tête d'un j>ens-ewr qui avait
futation la plus complète de son ouvrage. osé douter dans ses écrits de l'existence de
Le corps social comprend les hommes ett Dieu.
les. propriétés, tous les hommes et toutes less 'C'est une source inépuisable de réflexions
propriétés; il réunit dans une même vo- profondes et peut-être de vérités nouvelles,
principes reli-
lonté générale, et dans l'objet unique de saa que cette liaison intime des
conservation, toutes les générations et touss gieux et des principes politiques, et Je nœud
les âges les membres se renouvellent mystérieux qui unit les deux sociétés. Je
mais le corps reste le même les proprié- reviens à mon sujet.
taires se succèdent, mais la propriété estt Il n'y eut donc plus de volonté générale
immuable; l'homme meurt, mais le pouvoirr dès que toutes les volontés particulières
ou le monarque est immortel. Tout se gé- purent se manifester. « En effet, s'il n'est
néralise dans ce corps général il vit d'unee pas impossible, » dit Rousseau, «
« qu'une
201 PART. l. ECOMOM. SOC-THEORIE DU POUVOIR.
volonté particulière s'accorde
Volonté s'anf-nriin sur
i wu .v/nu PART.
cm. quelque
nnl>l/A
point avec la volonté générale, il est im-
possible au moins que cet accord soitdura-
ble et constant, car la volonté particulière
rn.ni: i. ruuv.
_».-i
I.
POUV. POLITIQUE.

LIV. 1. 202
FULITIQUE. LIV.
».t. s'il n'y eut pas dans la république
Mais,
de volonté générale, il ne put y avoir de
pouvoir général, qui n'est que l'exercice de
la volonté générale.
tend par sa nature aux préférences, et la
lonté générale à l'égalité. » C'est-à-dire vo- Ainsi, dès que les volontés furent indivi-
que
la volonté particulière veut dominer, et que duelles, le pouvoir fut individuel aussi, ou
la volonté générale ne veut pas.qu'aucune tendit à le devenir.
volonté particulière domine. Si ces volontés particulières pouvaient
se
Toutes ces volontés particulières ne pou- manifester en commun, tous ces pouvoirs
vaient s'exercer ensemble, et la jalousie de individuels ne pouvaient s'exercer
ensem-
ces petites âmes, qui dans un roi ne voyaient ble. On fit pour le pouvoir ce qu'on avait
qu'un homme, ne soutirait pas qu'un seul fait pour les volontés, mais avec cette diffé-
exerçât la volonté générale. On convint rence que le plus grand nombre faisait pré-
doncque le plus grand nombre des valoir sa volonté sur celle du petit nombre,
lantes remporterait sur le plus petit vo- et
dans les assembléespopulaires, et que, dans
par cela même on regardait ces volontés l'administration, ce fut le plus petit nombre
comme individuelles, puisqu'on était obligé qui exerça son pouvoir au nom du pouvoir
de les compter. Cette disposition était évi- de tous car, même en s'en écartant, on
demment tirée de ce principe qu'à égalité rendait hommage au principe fondamental
de pouvoir, la force est du côté du nombre. de l'unité de pouvoir.
Effectivement, cette société sans volonté On sépara donc les volontés des pouvoirs
r
générale n'était au fond qu'une société dans et cette séparation contre nature fut cause
l'état sauvage, où la force pouvait à tout ins- de tous les désordres car qu'est-ce que la
tant tenir lieu de raison. Cependant, pour volonté, sans le pouvoir d'en faire usage? et
déguiser autant qu'il était possible ce que le pouvoir est-il autre chose que l'exercice
ces luttes de volontés pouvaient avoir de de la volonté?
scandaleux, et toutes ces fictions d'invrai- Puisque chacun avait le droit de manifes-
semblable, on imagina les formes mysté- ter sa volonté, il était dans la nature de
rieuses au scrutin, et ce ne fut qu'en ca- l'homme qu'il voulût en faire usage et,exer-.
chant soigneusement sa volonté qu'on put
la manifester. Invention digne de son objet, cer son pouvoir.
H se forma des brigues dans les assem-.
à l'abri de laquelle on put impunément cou- blées, pour faire prévaloir sa volonté parti-.
ronner l'intrigue et écarter la vertu, et q,ui culière jjl s'éteva des factions 'dans l'Etat,.
ôtait à l'injustice et à l'envie jusqu'à Uem-
pour être admis à exercer son pouvoir -par-
barras de la pudeur (1) 1. ticulier.
(1)) Oïi penrraii soutenir que là. foi fondamen-
tale .de Punité et de l'individualité du pouvoir passe à la voix prépondérante dû-président, la vo-.
se lonté générale n'est plus même une volonté parti-
retrouve même dans.une assemblée populaire exer- culière elle n'est réellement qu'un être de raùdit»
çant les fonctions de souverain, en dépit des hom- puisqu'elle est la volonté d'un
mes et de leurs institutions. Qu'on suppose une votant qui n'existe"-
assemblée législative divisée sur une question pas.
en Rousseau dit ailleurs (1. Ii, ch. H) que la volonté
deux partis numériquement égaux toute décision générale est la loi. Il confond deux choses très-
est impossible, la loi ne peut pas naître, et c'est distinctes, la volonté générale et son expression.
déjà un vice radical. Mais, si un votant passe d'un l'homme et la parole. Montesquieu dit que la volonté
<«te à l'autre, il est évident que sa volonté fait la générale est le pouvoir de l'Etat. Il confond aussi
loi, qu'il est le législateur du, jour, et quil pro- deux choses très-distinctes la volonté générale et,
nonce entre les deux partis comme le roi en son. son agent. Le pouvoir est l'agent de la volante,
conseil. donc iln'est pas la volonté. La volonté dirige lu
t. Si l'on ôte, dit Rousseau, « les voix positi- pouvoir, donc file n'est pas le pouvoir. L'homme.
ves et négatives. qui se détruisent, reste pour. somme l'organe de la parole, la parole, sont des choses
des différences la volonté générale, s Or ici il ne très-distinctes; comme la volonté générale, le pou-
reste qu'une voix donc, selon Rousseau, une voix voir, la loi. Lorsque je ne sais quel membre de
particulière est. dan*, ce eas la volonté générale, l'assemblée constituante osa dire que, si la société
("est la même chose dans toute supposition des (française) avait la volonté, de renoncer à la religion
deux tiers ou des trois quarts des suffrages te chrétienne, elle en aurait le pouvoir, il dit une ira-
scrutin ue sert qu'à masquer quelle volonté parti- piété absurde. La société en aurait la force,
culière ou combien de volontés particulières ont irais
elle n'en aurait pas le pouvoir, car une société
fait la loi. constituée n'a pas plus le pouvoir de se déronsti-
Toute assemblée délibérante doit pour cette rai-
tuer, que l'homme raisonnable n'a le pouvoir de se
8011 être en nombre impair, ou si elle est en nombre détruire lui-même, ^approfondirai cette question
pair, on donne deux, voix à celui qui ta préside, intéressante dans la Théorie du pouvoir religieux, eu
fiction par laquelle on suppose ta présence d'un traitant de la liberté.
votant qui n'existe pas et lorsque la question
Jane de volontés se contrariaient, tant de Le pouvoir tendit donc à revenir à chacun
pouvoirs se heurta-ient on voulut limiter le et e comme on imagina différents moyens,
nombre de ces volontés et de ces pouvoirs, pour p empêcher cette division, ou la contenir
Parune nouvelle fiction, caron s'enfonçait dans d certaines bornes, il en résulta diffé-
toujours plus avant dans le pays sans bornes rents r modes de gouvernement républicain..
des illusions, on supposa qu'il n'y avait «.La «.
démocratie peut embrasser tout un
qu'un certain nombre de citoyens qui eus- peuple p ou-se resserrer jusqu'à la moitié. »
sent le droit de manifesterJeur volonté dans (Contrat
(i social.)
les assemblées, et un nombre encore plus Une fois le pouvoir parvenu au terme ex-,
petit qui eût le droit d'exercer son pouvoir trême tl de sa division, c'est-à-dire lorsque
par J'administration. Le gouvernement de- tous ti eurent acquis le droit d'exercer leur
vint aristocratique il n'y eut plus alors, propre p volonté par leur propre pouvoir,, la-
dans cette société, même l'apparence d'une société s revint à l'état primitifde société saur
volonté générale. Pour qu'une volonté soit vage v et sous une forme extérieure de gou-
générale dans une république, il est néces- vernement,
v elle ne fut plus qu'une réunion
saire que toutes les voix soient comptées d'hommes
d attachés au même sol, divisés de
toute exclusion formelle rompt la généra-volontés, et cherchant à les faire prévaloir
lité. » (Contrat social.) r leurs forces particulières.
par
Pour base à une distinction aussi inju- La loi fondamentale de l'unité de Dieu ne
rieuse, on imagina je ne sais quelle quotité ffut pas moins altérée que celle de l'unité de-
de propriété, qui donnait au propriétaire le pouvoir.
1 Dès que celui-ci ne put plusrépri-
droit de manifester sa volonté à la place de merlesr actions, la religion. ajouta par sa li-
celle des autres, et une quotité plus forte cence c à la dépravation des volontés.
qui lui donnait le droit d'exercer son pou- Les Grecs avaient des dieux auxquels un.
voir et celui des autres on confondait ce honnête homme aurait rougi de ressembler,,
qui est distinct de sa nature, l'homme et la et < le culte était digne de telles divinités.,
propriété,, l'esprit et la matière et par une «< On ne peut lire sans étonnement les hon-
fiction plus étrange que toutes celles dont ineurs qu'il fallait rendre à Vénus, et. les
nous avons parlé, ce n'était plus à l'homme, prostitutions
1 qui étaient établies pour l'ado-
mais à sa terre, à son argent, à ses bestiaux, 1rer. » (Bossuet.) En Egypte le culte cônsa-
à ses moissons, qu'on donnait le droit dei crait < les' travaux utiles de l'agriculture; en
vouloir, de pouvoir; et cette faculté qu'ont Grèce< il consacrait la. volupté; la licence
refusait à l'être intelligent, on la plaçaitt devint affreuse, et tes mœurs abominables;.
dans des êtres qui n'avaient pas même lat le J respect s'affaiblit pour un culte aussi dis-
{acuité de connaître (1).. solu
s et à Athènes, selon un ancien auteur
Alors parurent pour la première fois, dans cité < par le président. Hénault, chaque citoyen
le vocabulaire des sociétés, les mots de li- avant < d'avoir part aux charges publiques*
berté et d'égalité, dont on ne parle jamais que était obligé de prêter serment de défendre la
chez un peuple où il n'existe ni l'une nii •'-religion de l'Etat et de s'y conformer. La loi
3'autre. Ceux qui eurent pour eux et pourr du serment en prouve lanécessité.
les autres le droit de pouvoir et de vouloir, Puisqu'il n'y avait pas de volonté générale
eurent toute la Ji&«r^ dont l'homme pouvaitt dans les républiques, il n'y eut pas depou-
jouir elle reste, constitué par la médio- voir général, qui est l'exercice dé la volonté
crité de sa fortune dans une nullité merale3 générale, ni de profession militaire distin-
et physique de volonté et de pouvoir, récla- guée ou de force publique, qui est l'action
ma l'égalité, à laquelle tous les hommes peu-r
du pouvoir général.
vent prétendre. 11 n'y eut donc pas de professions sociales,,

Une distinction aussi contraire à- la natures au moins politiques, séparées des autres
de l'homme fut le principe detousles maux ·, professions point de distinctions hérédi-!
la nature de l'homme voulait qu'il cherchât,t taires, nulle fixité dans les personnes dans
à manifester sa volonté et surtout à exercée t la monarchie, le pouvoir général réuni sur
*!>on pouvoir. un seul était limité par .tous; en Gréée, le-
(1) Dans la distribution des emplois, le princee constitution du royaume de France est si excellente
doit, a mérite égal, préférer la propriété et j'enn qu'elle n'a jamais exclu et n'exclura jamais les ci-
dirai ailleurs la raison mais la loi ne doit pass toyens nés dans le plus bas étage des dignilés le&
«cime la pauvrelé et en aggraver ainsi le inal- plus relevées, i (M aiharel contre Hotman% cité gat
Ikjiu 9 es sui-ait créer l'esclavage politique. ( Laa le président Héiiault.l
pouvoir individuel ne put être contenu que cîrcenses.
c; Le peuple se crut riche, parce
par une limite individuelle, c'est-à-dire que qu'on
q lui distribua du blé; heureux, parce
le pouvoir de l'un limita ou voulut limiter qu'onq lui donna des spectacles|; libre, parce
le pouvoir de l'autre; de là les dissensions -qu'il
-qi eut des esclaves.
et les guem s civiles. J'attribuerais vo'ontiers à cette raison l'in-
Aussi l'oppression générale, ou l'emploi troduction
tr de l'esclavage dans les républi-
immodéré des hommes par la guerre, y fut ques qi anciennes et s'il n'eut pas ce motif,
il
an plus haut degré; et à Sparte., sous ce il eut du moins cet effet.
gouvernement de fer, l'esclavage môme ne En Egypte, il résultait des lois sur les
fut pas un asile contre l'oppression indivi- professions,
Quelle la plus barbare. On connaît la loi place;
p, que chaque citoyen était à sa
p| en Grèce, au contraire, où rien ne
épouvantable duCryptia ou de l'Embuscade. fixait g. l'inconstance naturelle à l'homme et
11 n'y avait as de profession particulière n
n'occupait son oisiveté, effet et cause de ces
vouée au service militaire, on y dévoua les gouvernements, il eut beaucoup d'hommes
g, y
peuples entiers; ce fut un système, dans <ji déplacés, et qui, n'ayant rien à faire, s'oc-
ces gouvernements, de faire périr les ci- cupaient
c, à chanter ce qu'avaient fait les
toyens pour assurer le repos de la cité; des autres,
a, ou à disserter sur ce qu'ils devaient
conscriptions entraînaient à à l'agression des fafaire. Les poëtes et les philosophes pullulè-
Etats voisins, bien plus qu'à la défense de r( rent dans la Grèce on crut les poëtes dess
leurs foyers, -tous les citoyens, sans distinc- hommes
b, utiles, parce qu'ils amusaient les
tions d'occupations, d'habitudes, ou de liens autres, et les philosophes des hommes
a, ver-
domestiques.
Et qu'on ne dise pas qu'un amour exalté vertu.
t
tueux, parce qu'ils discouraient sur la
de la patrie était' le mobile de ce généreux V( Le caractère de la monarchie était dé-
dévouement car 1° l'amour de sa patrie pendance égale de tous les citoyens de la
p<
oblige à la défendre, et non à attaquer cefle volonté générale indépendance égale de
V(
des autres. 2° Dans les beaux jours de la fC tous les citoyens de toutes volontés particu-
république romaine, le peuple a souvent ]j lières.
refusé de se faire inscrire, et il a fallu l'y
Le caractère de la république fut nulie
contraindre.
J'ajouterai quel genre plus monstrueux d dépendance
] de la volonté générale, puisqu'il
n'y eut point de volonté générale assujet-
d'oppression que celui qu'exerce un
vernement qui donne des passions à ses
gou-tissement à des volontés particulières, puis-
sujets pour pouvoir assouvir les siennes? '?' les lois ne furent que l'expression de vo-
.que
Comme il n'y eut pas dans les républiques
lontés particulières; inégalité d'assujettisse-
m
de distinctions sociales permanentes, on vit ment à ces mêmes lois, puisqu'elles permi-
reparaître les inégalités naturelles, et l'on y d'rent
rc aux uns de manifester leur volonté, ou
d'exercer leur pouvoir, et l'interdirent aux
remarqua -de grands esprits et de grands
autres.
courages, parce que les inégalités naturelles at ai
sont l'esprit et la force du corps. Or il ne peut exister ni liberté ni égalité
Tout s'y rapprochait de l'état naturel st i
sociales, là où le citoyen est assujetti à des
aussi les femmes y eurent moins d'empire; volontésparticulières,
v( et où tous les citoyens
car l'amour, comme sentiment, appartient n< ne sont pas également assujettis aux mêmes
plus à l'homme de la société qu'à l'homme v< volontés.
de la famille (1). 11 n'y eut donc ni volonté ni égalité dans
Dans les aristocraties (et selon Rousseau les te républiques.
lui-même il n'y eut jamais de véritable dé- Rousseau en convient à peu près, lorsqu'il
mocratie), une partie plus ou moins dit di « Ceci suppose que tous les caractères
nombreuse de citoyens était exclue des as- de de la volonté générale se trouvent dans la
semblées politiques et des emplois publics, pluralité
pi quand ils cessent d'y être, quel-
On chercha à distraire leur attention, et à que qi parti que l'on prenne, il n'y a plus de
faire oublier à l'homme naturel l'oppression lit liberté. » Et selon lui-même, ces caractères
exercée sur l'homme politique!; on multiplia sontso si difficilesà déterminer,etles conditions
les distributions et les spectacles, panem et quiqi les constituent si impossibles à réunir,
(1) Le sauvage est extrêmement froid sur le et l'imagination ne parviennent à l'âge de pubertit
sentiment de l'amour, et l'on peut dire que le coeur qu chez l'homme policé.
que
L~'w7 LG 1M. Lru DUl'iU.i1.
qu'il est évident qu'il ne peat exister de li- plus
p régler son action, qu'il ne peut csnnai-
berté dans une république. tre ses volontés il ne sait ni ce qu'il veut,
ti
La république n'est donc qu'une forme de ni
n ce qu'il fait; c'est-à-dire qu'il est sans
gouvernement: elle n'est pas wne constitu- volonté
v et sans pouvoir, ou sans force di-
tion, puisqu'elle n'est point établie sur des rigée.
ri
lois fondamentales les lois que ses défen- « Une loi fondamentale est de fixer le
seurs appellent lais fondamentales, ne sont nnombre
n des citoyens qui doivent composer
que des lois politiques, qui ne sont pas fon- les assemblées sans ce!» on pourrait igno-
JE
dées sur la nature de l'homme. C'est ce qui r,
rer si le peuple a parlé, ou seulement une
va faire le sujet du chapitre suivant. partie
p du peuple. A Lacédémone, il fallait
CHAPITRE XI. t mille citoyens, à Rome, on n'avait point
dix
fixé ce irombre, et ce fut u»e des causes de
LOIS POLITIQUES DES RÉPUBLIQUES. Si ruine.
sa »

Je me hâte d'en venir aux lois politiques. II y a contradiction dans ce passage; car
des républiques fe lecteur jugera si elles siSI l'on fixe le nombre des citoyens, on ne
sont des rapports nécessaires qui dérivent Ppeut fias ignorer que tout te peuple ne parle
de la nature des êtres, c'est-à-dire de l'hom- pas,
I' et que ce n'est que le nombre de ci-
qu'on a fixé. Assurément, cette pré-
me, comme les lois politiques d'une société toyens
t(
monarchique je te prie de méditer le clta- tf tendue loi fondamentale n'est pas dans la
pitre 2 du livre Il de Y Esprit des lois J'es- nature
n de l'homme, elle n'est donc pas dans
père convaincre tout homme impartial que la lt nature de la société pourquoi les uns
Jes lois que Montesquieu qualifie de lois sont-ils
sc plus monarques que les autres ? ou"
fondamentales des Etats populaires, !le sont pour
P mieux dire, pourquoi les uns exercent-
ils tes droits de souverain, et les autres ne
que des lois politiques, qui, loin d'être fon- jouissent-ils même pas des droits de ci-
dées sur aucun pri «ci pe, sur aucune nature ^c
des choses, ne doivent leur existence qurà toyens ? Que faut-il de plus à un citoyen
des volontés particulières, des opinions et pourP être admis à exercer tous les droits»
des convenances. qque le libre et bon usage de ses facultés in-
« Dans la démocratrie, le peuple ne
peut tellectuelles ? Si vous me répondez que vo-
ll
être monarque que par ses suffrages, qui tre gouvernement ne pourrait aller avec tant
sont ses volontés la volonté du souverain de d souverains, j'en concturai que votre gou-
est le souverain lui-même. » vernement n'est pas dans la nature dé
Ses suffrages sont ses volontés. Avant de 2'homme.
2'
s'assembler, il ne connait pas quel sera le Si cette fixation du nombre de citoyens
résultat de ses suffrages, il ne eonnaît donc qui
q doivent exercer les fonctions de monar-
pas ses volontés ce souverain ne sait donc qque est si importante, que l'omission ou
pas ce qu'il veut; et, si les suffrages sont l'imperfection de cette loi puisse être une
exactement balancés, ou s'il en manque un d principales causes de la ruine d'un Etat
des
seul, il n'y aura point de volonté, et par con- populaire,
P sur quelle base asseoir cette fixa-
fréquent point de souverain (1). tion si essentielle ? Je trouve dans la nature
ti
Le peuple n'est monarque que par ses va- la raison qui, dans une monarchie, place
iontés il doit donc toujours avoir des vo- ddans une seule famille t'exercice du pou-
lontés, parce qu'il est dans sa nature qu'il voir,
v appelle l'ainé des mâles, et exclut les
veuille toujours être monarque de là son femmes de la succession mais à quelle lai
intervention continuelle dans le gouverne- naturelle
n ou positive aurai-je recours pour
ment, et la ruine de la démocratie. me
B décider entre la moitié, le tiers. ou le
«Cemonarque,»continue l'auteur, « a tou- quart
9 des citoyens ? Si j'écoute les savants,
jours trop ou trop peu d'action quelquefois je me livre à l'incertitude des systèmes; si
J'
avec cent mille bras il renverse tout quel- i
je consulte l'histoire,, je m'expose àiacon-
quefois avec cent mille pieds il ne va que tradiction
t des exemples.
comme un insecte. » Mais enfin ce nombre mystérieux une fois
Voilà donc ce monarque qui ne peut pas f
fixé, la réunion des* volontés de tous les ci-

(1) Toute société qui peut se trouver dans> dd'autres) puisse n'être pas faisable n'est pa; une
«ne condition telle, qu'une loi qu'elle juge néces- société.
s
taire à sa conservation (et il ne doit pas s'en faire
teyens sera la volonté du monarque Point Cicéron écrit que les lois qui les rendirent
du tout. secrets, dans les derniers temps de la répu-
Ces membres du souverain, dont il était blique, furent une des grandes causes de sa
si diflicile et si important de fixer le nombre, chute. Comme ceci' se pratique diversement
il n'est pas du tout nécessaire 'qu'ils s'accor- dans différentes républiques, voici, je crois,
dent, il est presque impossible qu'ils le fas- ce qu'il faut en penser, » etc.
sent et le moyen le plus sûr de réduire ce L'existence de la démocratieest bien fréle:
monarque à une inaction totale, est d'exiger voici une troisième- loi dont l'imperfection
l'unanimité dans ces volontés et comme peut entraîner sa chute. La perfection de
quelques-uns peuvent pour tous les autres, l'homme et de ses œuvres est dans le gou-
quelques-uns aussi veulent pour tous les vernement populaire une condition sine qua
autres; en sorte qu'une volonté prétendue non. Cependant, selon l'auteur lui-même.
générale se compose de* volontés particuliè- rien de, plus incertain que les bases sur les-
res, différentes et souvent formellement queUes on doit établir cette loi. C'est une
opposées (1). Poursuivons. loi fondamentale, et l'on ne sait à qui s'en
« Une loi fondamentale, dans l'état popu- rapporter, ni à quoi s'en tenir 1 C'est une
laire, est de diviser le peuple en de certai- grande question de savoir si les suffrages
nes classes. C'est dans la manière de faire doivent être publics ou secrets; et Cicéron
cette division que les grands législateurs se prétend que la république romaine périt
sont signalés, et c'est de là qu'ont toujours pour avoir adopté les suffrages secrets; et
dépendu la durée de la démocratie et sa pros- Montesquieu lui-même hésite et propose ses
périté. » doutes et Rousseau, pl'us tranchant, décide
Encore une loi dont l'imperfection peut contre Cicéron 1 Ce n'est pas la nature qui
entraîner la ruine de l'état populaire. Ser- décidera entre eux, elle est muette sur cette
vius Tullius divisa le peuple romain en six grande question; ce n'est donc pas une loi
classes, et Solon divisa le peuple d'Athènes fondamentale. Quelque parti que l'on pren-
en quatre seulement. L'un s'attacha à fixer ne, il aura des partisans et des adversaires,
ceux qui devaient élire, l'autre, ceux qui c'est une opinion à discuter; on peut au-
devaient être élus. Le premier suivit, dans jourd'hui en adopter une, et demain une
la composition de ses classes, l'esprit de l'a- autre, et se décider pour Cicéron, Montes-
ristocratie, le second, celui de la démocra- quieu ou Rousseau; il 'n'y a donc rien de
tie tous deux étaient de grands législateurs, nécessaire dans cette loi; elle n'est donc pas
et dans une division de laquelle ont toujours une loi fondamentale.
dépendu la durée de la démocratie et sa pros- « C'est encore une loi fondamentale de la
périté, ils suivirent des principes tout oppo- démocratie, que le peuple seul fasse des
sés. D'autres législateurs auraient pu partir lois; il y a pourtant mille occasions où il est
de principes différents, et adopter de nou- nécessaire que le sénat puisse statuer il est
velles combinaisons ils n'auraient pas man- même souvent à propos d'essayer une loi
qué de raisons pour en justifier la sagesse. avant de l'établir (à). »
A Athènes même Ciislhènes au lieu de Je n'en veux pas savoir davantage dès
quatre tribus, en établit dix, et Démétrius que cette loi fondamentale de la puissance
Poliorcètes en établit douze. Il n'y a donc législative du peuple souffre des exceptions;
rien de nécessaire dans cette loi, rien qui dès qu'il y a, je ne dis pas mille occasions,
soit tel, qu'il ne puisse être autrement sans mais une seule circonstance, où, malgré la
choquer la nature des choses ce n'est donc loi fondamentale, le peuple ne doit pas faire
pas une loi fondamentale. une loi; dès qu'il est môme si peu certain
« La loi qui fixe la manière de donner les de sa capacité à faire des lois, qu'il est utile
billets de suffrages est encore une loi fon- de les essayer, pour voir si des lois qui lui
damentale de la démocratie. C'estunegrande ont paru sages comme législateur, lui con-
question, » dit gravement Montesquieu, « si viendront comme sujet, je ne vois là plus
les suffrages doivent être publics ou secrets. rien de fondamental, rien de nécessaire. On
(1) Le symptôme le plus grave de la maladie qui idées plus contradictoires. La nature n'essaye pas
afflige l'Europe est le sérieux avec lequel il faut elle prend trop bien ses mesures. Essayer des lois
discuter ces extravagances que des peuples sages Avec de pareilles notions pu peut faire de l'esprit
devraient livrer sur leurs théâtres à la risée pu- sur les lois, comme disait Voltaire, mais on ne sai-
blique. sit pas l'esprit des lois,
(2) Essayer une loi Je ne connais pas deux
.2.11l OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
peut élever des opinions contradictoires sur
Jes occasions où le peuple devra ou ne de^
vra pas faire des lois, et sur le plus ou le
moins de probabilité qu'une loi qu'il a^faite,
-T -1'"
et fondées comme elles sur la nature de
l'homme et sur celle de la société.
« Les lois politiques s'apaellent fonda-
mentales elles-mêmes, si elles sont sages. »
212

et Même essayée, lui conviendra ou ne lui (Contrat social.)


conviendra pas. Bien plus, dès que, malgré 3" Les lois civiles doivent être des con-
la loi fondamentale d e sa souveraineté et de séquences nécessaires des lois politiques et
son pouvoir législatif, le peuple ne doifpas fondamentales .fondées sur la nature de
faire, toutes les lois, ou qu'i-1 n'est pas sûr des l'homme et sur celle des propriétés, etc.
lois qui lui conviennent, on peut dire que « La propriété et la vie des citoyens y sont
la démocratie peut périr par l'observation assurées et fixes, comme la constitution
rigoureuse de ses propres lois fondamenta- ;même de l'Etat. La différence de rang,
les, comme la monarchie périt par l'inobsef*- d'origine et de conditions entraîne des
-i
vation des siennes. distinctions dans la nature des lois. »
Ces prétendues lois fondamentales ne sont (Esprit des lois, vi, ch. 1.)
1.
donc que des lois politiques; et parce qu'el- On ne peut donc pas écrire la constitu-
les n'ont rien de fondamental, rien de né- tion car la constitution est existence et
cessaire, rien de fondé sur la nature de nature.
i Et l'on ne peut écrire l'existence n'v
l'homme, ni sur celle de la société, mais la nature écrire la constitution, c'est la
qu'elles portent uniquement sur des conve- renverser; comme décréter l'existence de
nances, des opinions et des volontés parti- l'Etre
1 suprême, c'est en anéantir la foi.
culières, elles doivent changer comme les Mais là où il n'y a qu'une forme de goit-
opinions, les volontés et les:convenances..i vernement
i sans constitution, il faut écrire;
Peut-être pourrait-on dire que la démo- <car les lois politiques n'étant que des vo-
cratie a réellement des lois fondamentales, lontés
] particulières, des opinions et dés
mais négatives;, parce qu'elle n'est pas une convenances,
< peuvent changer avec ies vo-
constitution, mais la négation de la constitu- lontés,
1 les opinions et les convenances et
tion. En effet, ce qui constitue essentielle- jpour se reconnaître dans ce conflit de vo-
ment la démocratie; chez les modernes est 1lontés, de convenances et d'opinions, il faut

1" Nulle religion politique 2a nul pouvoir savoir


i quelles sont les volontés qui l'ont
unique; 3° nulles distinctions sociales per- «emporté, les convenances qui ont paru les
manentes. C'est parce que ses lois fonda- plus
1 sages, et les opinions qui ont prévalu.
mentales sont négatives, que ses lois poli- 1 faut donc les écrire.
Il
tiques sont arbitraires comme dans la « Les décemvirs, sous prétexte dé donner
monarchie les lois politiques sont nécessai- au
a peuple des lois écrites, se saisirent du
res, parce que les lois fondamentales sont ggouvernement. » (Esprit des lois.) Le pré-
positives.. t
texte, comme l'on voit, était connu; mais il
n'était
r pas usé, et l'on s'en est servi en
CHAPITRE XII. i
France avec succès. «Quel était,V se de-
mandeMdntesquieu,
r « ce système de tyran-
OBJET ET DÉFINITION DES DIFFÉRENTES LOIS. nie,
r produit par des gens qui n'avaient ob-
Ainsi les lois fondamentales forment la tenu
t le pouvoir politique et militaire que
constitution du pouvoir social, ou la consti- par la connaissance des affaires civiles, et
tution de la société. qui, dans les circonstances de ces temps-là,
Les lois politiques déterminent la repré- avaient
a besoin, au dedans, de la ldcheté des
sentation du pouvoir, ou la forme du gou- citoyens
c pour qu'ils se laissassent gouver-
vernement. ner, et de leur courage au dehors pour les
E

Les lois civiles, qui se divisent en inté- défendre


d » (Esprit des lois, 1. h, ch. 15.)
rieures, c'est-à-dire civiles et criminelles, Ce texte n'a pas besoin de commentaire.
et extérieures ou diplomatiques, sont Inap-
plication du pouvoir, ou l'administration CHAPITRE XIIL `
générale.
CONCLUSION DU LIVRE PREMIER.
1° Les lois fondamentales dérivent de la
nature de l'homme. Je ne dis pas Voilà mon système car je
2* Les lois politiques sont des consé- n ne fais pas de système; mais j'ose dire s
quences nécessaire." des lois fondamentales, Voilà
> le, système de la nature dans l'organi-
sation des sociétés politiques, tel qu'il ré- de la nature et de la législation de l'homme
suite de l'histoire de ces sociétés. En effet, La nature, 'qui connaît l'homme et sa vo-
c'est l'histoire de l'homme et des sociétés lonté
loi dépravée, lui ôte, dans la société
qu'il faut interroger sur la perfection ou constituée,
co l'exercice de sa volonté mais
l'imperfection des institutions politiques elie laisse à ses actions indifférentes toute
eH
qui ont pour objet le bonheur de l'un et la leur liberté naturelle. S'il en abuse, il n'en
lei
durée des autres. doit compte qu'à la religion; elle seule peut
do
Il ne s'agit donc pas de savoir si les prin- l'e punir, parce que son action commence
l'en
cipes que je viens d'exposer sont nouveaux, là où finit l'action du gouvernement.
mais s'ils sont vrais s'ils sont conformes à L'homme, dans la monarchie, est comme
dès opinions accréditées, mais s'ils s'accor- un enfant plein de vie et de santé dont une
dent avec des faits incontestables; si quel- mère sage éloigne prudemment tous les
mi
ques hommes célèbres en ont avancé de objets
ob avec lesquels il pourrait se blesser j
différents, mais s'ils en ont soutenu dee et l'abandonnant ensuite à son humeur vive
meilleurs, je veux dire de plus propres à et folâtre, elle sourit à ses jeux, et voit avec
assurer la perfection de l'homme moral; et complaisance
coi se développer son génie in-
la conservation de l'homme physique, uni- ventif
vée et ses forces naissantes.
que fin de la société civile. Les législateùrs, au contraire, commen-
J'ai dépouillé l'exposé que j'en ai fait de cent par méconnaître l'homme ils lui sup-
cei
tout ornement superflu, pour qu'on pût en posent une volonté naturellement dirigée
po
mieux saisir l'enchaînement, en suivre plus vers
ve; le bien, et ils lui eh laissent l'exercice*
facilement l'application, ou en apercevoir Bii Bientôt, pour réparer leur erreur, ils sont
plus aisément les erreurs et j'ai pensé que ob obligés de multiplier autour dé lui Jes pe-
l'intérêt résultant des développementshis- tit<tites lois et les petites précautions; ils lui
toriques me ferait pardonner la sécheresse ût( ôtént 'là liberté de ses actions naturelles
de la méthode didactique que j'ai suivie po pour lui laisser la licence de ses volontés
jusqu'à présent, politiques;
po ils ont pris la place dé la nature
Je vais donc faire voir quelle a été l'in- dadans leurs institutions, ils prennent dans
fluence de la constitution sur la durée, lei leurs règlements la place de la religion.
l'indépendance, la prospérité, le perfection- Ainsi, à Sparte, le législateur avait pres-
nement, le caractère national, l'existence crit cr: un mauvais ragoût pour forcer le ci-
enfin des sociétés selon qu'elles en ont to toyen à être sobre; ainsi, dans quelques
plus ou moins suivi les principes et déve- ré républiques modernes, la loi défend d'en-
Joppé les conséquences, c'est-à-dire selon trer trc ou de sortir de la ville pendant les
qu'elles ont été plus ou moins constituées. Offices
01 divins, pour forcer le citoyen à être
Les institutions opposées dont nous avons religieux;
re ainsi, dans le plus grand nombre
analysé les principes ont eu, à leur tour, des de sociétés non constituées, les lois pro-
sur l'état et les habitudes des peuples qui hi hibent le libre emploi des richesses pour
les ont établies ou adoptées, dès effets qu'il foi
forcer le citoyen à être modéré.
sera intéressant de remarquer. Des routes L'homme, dans les républiques, est un
opposées nous ramèneront au même but, à en enfant mutin à qui une nourrice, égale-
cette vérité fondamentale que -la constitu- ment
'mi faible et craintive, n'ose rien Ôter de
tion politique des sociétés est le résultat ce qui peut lui nuire, rien permettre de ce
nécessaire de la nature de l'homme, et non qui qu peut l'amuser tantôt elle satisfait ses
le fruit de son génie ou du hasard des évé- volontés
vo les plus désordonnées, tantôt elle
nements. contrarie ses goûts les plus innocents.D'une
co
Je terminerai ces réflexions par une ob~ main,
m; elle lui présente les aliments les plus
servation importante, et qui résulte du rap- nuisibles,
nv et le flatte de peur qu'il ne s'ir-
prochement que je viens de faire de la rite rit de J'autre, elle le tient par les lisières,
constitution monarchique et des institutions et;et, de peur qu'il ne .tombe, l'empêche d»
républicaines, c'est-à-dire, de la législation
n marcher.
m;
LIVRE II.
SOCIÉTÉS ANCIENNES.

CHAPITRE PREMIER. parties détachées d'une autre société, à la-


L'EGYPTE.
quelle elles tendent à se rejoindre. Pour
maintenir cette union forcée, il faut au pou-
« L'Egypte,» ditBossuet, « était le plus beau voir de la société un accroissement de force
pays de l'univers, le plus abondant, le mieux dont la constitution n'avait pu prévoir le
cultivé, le plus riche, le plus commode, et besoin. Il avait des limites il devient né-
le plus orné par les soins et la magnificence cessaire de les reculer ou. de. les détruire.
de ses rois il n'y avait rien que de grand «La conquête, » dit Montesquieu,. « sup-
dans leurs desseins et leurs travaux. » Tout pose le despotisme. » De ce principe ineonr-,
atteste la sagesse de ses lois, l'étendue de testablé, parce qu'il est fondé sur des faits
ses connaissances, l'utilité de ses découver- non contestés, il résulte une vérité essen-
tes, son immense population, son étonnante tielle au bonheur de l'espèce humaine,
prospérité, son incroyable opulence. « Il et sur laquelle j'appelle. l'attention de mes
n'appartient qu'à l'Egypte de dresser des mo- lecteurs; c'est que plus une société a de
numents pour la postérité; mais ses plus constitution, c'est-à-dire plus son pouvoir
nobles travaux et son plus bel art consis- y est un, limité et défendu, plus elle, tend
taient à formerdes hommes. Les législateurs à rester dans le même état, ou à y reve-
les plus célèbres de l'antiquité allaient ap- nir; qu'une société puissante ne lU-vùnt
prendre la sagesse en Egypte, ou la consul- conquérante que lorsque la constitution, y
taient de tous côtés sur les règles des mœurs est altérée ou renversée que dans une so-
elle régnait par ses conseils, et s'étendait par ciété trop faible pour faire la guerre, les
toute la terre, en envoyant ses colonies, et dissensions intestines prennent la place de
avec elles sa politesse et ses lois, car elle la guerre étrangère, à moins que quelque
n'était pas guerrière, et n'avait des soldats cause extérieure n'y maintienne la tranquil-
que pour sa défense. » Cependant la consti- lité, en la tenant dans la dépendance. Je
tution s'altère, et l'Egypte devient conqué- reviens à l'Egypte.
rante Sésostris (1) porte atteinte la loi Elle s'était agrandie le pouvotr particu-
de l'hérédité de la profession militaire, et lier du conquérant s'éleva à la place du
donne a son Etat une force offensive, avec pouvoir général de la société; la morale
laquelle il étend ses conquêtes jusque dans même se relâcha selon quelques auteurs,
les pays les plus éloignés. Mais l'Egypte Sésostrisamollit les mœurs pouf prévenir les
périt par ses conquêtes. Une société consti- révoltes, toujours à craindre dans un em-
tuée doit se conserver et non conquérir pire trop étendu. La constitution, altérée en
car la constitution est un principe de con- un point, fut. bientôt attaquée dans-toutes
servation, et la conquête un principe de ses bases; la succession héréditaire fut
destruction. En effet, la conquête fait entrer troublée; l'antique société fut dissoute on
dans la société (2) des parties hétérogènes vit à la fois plusieurs rois, et. par consé-
sans liaison de lois ni de mœurs, sans rap- quent plusieurs sociétés l'Egypte divisée
ports d'usages ni d'habitudes sociales, quel- devint la. proie facile de Cambyse, le plus
quefois sans convenance de position des insensé des conquérants (3). Mais,, et ceUe
(1) Les historiens disent que le père de Sésos- (2) Je dis la- conquête, et non des acquisitions
tris conçut te dessein de faire de son fils un con- commandées par la nécessité que la nature de la
quérant. Il s'y prit,dit Bossuet, « à la manière
des Egyptiens, c'est-à-dire avec de grandes pensées.
société amène, qui placent an Etat dans ceriaines
limites que la nature lui a marquées, et entrent
Tous les enfants qui naquirent le même jour que ainsi dans le plan de sa conservation.
Sésostris furent amenés à sa cour et élevés avec (3) < II n'y a point d'Etat, dit Montesquieu
lui. Quand il fut un peu avancé en âge, il fit à leur dans les Causes, de la grandeur des Romains qui
tète un apprentissage militaire par une guerre menace si fort les autres d'une conquête, que celui
contre les Arabes. Quand il voulut pousser plus qui est dans les horreurs d'une guerre civile »
loin ses conquêtes, il leva des troupes et leur donna parce que dans les troubles civils la constitution
pour capitaines les jeunes gens que son père avait s'affaiblit; et la raison qu'en donne cet auteur est
fait nourrir avec lui. > remarquable i C'est q#e tout le monde y est sot-
_a_é • t
217 PART. III. ECONOM. Sou. –
• _;ti
vérité importante sera mise ailleurs dans
tout son jour, le caractère d'un peuple se
j
THEORIE I>U POUVOIR. PART. I. POUV. POLITIQUE. L1V. Il. 218
/tt
CHAPITRE If
a niTDT?M.
EMPIRES DE L'ASIE.
compose de ses habitudes, et survit à ses
Les peuples de l'Asie occidentale, qui fu-
désastres ce culte grave et cérémonieux,
rent
fr les conquérants de l'Egypte, n'avaient
ces lois si sages, ce gouvernement si régléé
et si uniforme, « où tout se faisait toujours t ses institutions religieuses, ni ses insti-
ni
ttutions pelitiqnes.
de même, » avaient formé chez l'Egyptien
Les dieux de l'Egypte n'étaient que vils,
un caractère de gravité, de solidité de cceux de ces nations furent
coupables* \h,
fierté, d'attachement à ses usages, remar- le culte déifiait des productions utiles à
que par tous les historiens, et dont on aper- l'homme ici, il déifia des passions funes-
çoit encore les traces dansquelques restes de
t à la société.
tes
cet ancien peuple, échappés aux malheurs Ces peuples avaient des maîtres, car ces
des révolutions et aux ravages des conquê- sociétés avaient un pouvoir; mais ce pou-
s
'tes. « L'Egypte eut peine à souffrir les Per- voir était particulier, c'est-à-dire qu'il était
ses, dont elle voulut souvent secouer le sans
c limites réglées les chefs déplaçaient,
joug. Il n'y eut pas de peuple qui conservât
aussi longtemps ses usages et ses lois. Sous au gré de leurs caprices, les hommes et les
(1
propriétés les peuples faisaient et défai-
le,jougde ses nouveaux maîtres, l'Egypte saient les chefs et ces empires furent tou-
resta opiniâtrément attachée à ses anciennes jours placés entre la révolte et l'usurpation.
coutumes et incapable de démentir les •Ces sociétés n'eurent donc
pas de constitu-
maximes de ses premiers rois. » Aussi elles furent guerrières et elles
(tion.
t
Cette antique société n'est plus; mais tout conquirent parce qu'elles étaient puis-
atteste sa gloire; mais un génie d'imiiiorta- santes.
lité plane encore sur ses débris; « mais l'E- `s
Ces empires tombèrent avec un fracas
gypte se vantait d'être la seule qui eût fait effroyable les uns sur les autres. (Bossuet.)
comme les dieux.des ouvrages immortels; » Les vertus de Cyrus fondèrent un empire,
mais des monuments aussi anciens que le
et ne purent former une société. Le génie d'A-
monde, aussi durables que lui, sont venus 1lexandre embrassa et soumit l'univers, et il
jusqu'à nous, comme des pièces justificati-
ne put fonder un empire. Ces conquérants ne
ves de l'histoire de ce peuple célèbre, et 1laissèrent après eux que des déserts; de ces
des médailles de sa constitution; mais cette empires si célèbres, il ne resta que des dif-
Egypte encore est l'esclave la plus indocile ficultés à la chronologie, et des incertitudes
(1) du terrible maître auquel elle est assu- l'histoire. Pour confirmer ce que j'ai dit
jettie; mais les savants retrouvent partout de l'influence des institutions sociales sur
ses connaissances, ses arts, sa religian mè- le caractère des peuples, demandez aux sa-
me; mais ils la retrouvent elle-même dans vants quel fut le caractère particulier de ces
un autre peuple, à l'extrémité opposée- de peuples fameux, Assyriens, Babyloniens,
l'Asie (2.) avec ses antiques connaissances, Mèdes, Perses, ils vous répondront qu'ils
sa langue hiéroglyphique,' ses distinctions ne furent distingués entre eux que par plus
de rangs multipliées sa police admirable, de mollesse et de vices.
sa population prodigieuse, son humeur pa- « Les anciens ne
connaissaient point le
cifique, ses moeurs cérémonieuses, son at- gouvernement fondé sur un corps de no-
tachement à ses usages, son goût pour l'a-[ blesse -(Esprit.des lois) » c'est-à-dire limité
griculture, et l'administration paternelle de3 par des distinctions héréditaires donc ils
ses souverains et pour achever la ressem- ne connaissaient point la monarchie; ils ne
blance, « l'ancienne Egypte, » selon Bos- [ connaissaient que le despotisme d'un seul
suet, « tirait cette utilité 'de l'excellente ou le despotisme de plusieurs.
constitution de son Etat, que les étrangers
entraient dans ses mœurs, plutôt que d'yf CHAPITRE III.
introduire les leurs; » et, de nos jours, lesq RÉPUBLIQUES GRECQUES.
Chinois ont policé leurs conquérants, et ces5
conquérants étaient les Tartares. Nous avons vu dans la Grèce le pouvoir
des formes moins despotiques que dans ses autres
dat Rousseaudit la même chose en d'autres ter-
lorsque Etats.
« Un peuple ne devient célèbre que e
mes
législation commence à décliner. (2) C'est l'opinion de M. de Guignes, savant di<-
sa »
(t) Le Grand Seigneur n'y jouit que d'une au- tingué dans la connaissance des langues et des ail-
torité très-précaire et n'y leve les tributs qu avec
e tiquités orientales. (Voir l'Encycl.)
général de 1a société devenu le pouvoir par- tel était l'effet de ses institutions sanguinai-
ticulier de chaque membre de l'association res, qu'àThèbes, selon Plutarque, cité dans
c'est-à-dire la société devenue l'homme. VEsprit des lois (\\h. iv, c. 8), il fallait que
Mais les hommes ne peuvent rester réunis5 les lois rendissent la jeunesse abominable
sans chercher, à former la société, ni la so- pour la rendre moins féroce.
ciété exister sans pouvoir parce que la so- Je vois, il est vrai, dans la Grèce, dés ta-
ciété est dans là nature de l'homme, et le lents, des succès, et même des vertus; mais
pouioir dans la nature de la société. Leî les talents ne sont pas la sagesse, les succès
pouvoir tendit donc à se- généraliser ainsii ne sont pas le bonheur et la vertu, s'i! faut
la Grèce fut doublement agitée, et lorsque> entendre, avec l'es partisans du gouvernement
i
le pouvoir général tendait à se diviser dans républicain, la vertu politique, c'est-à-dire
les assemblées populaires, et lorsque les l'amour dé là patrie, n'est que la passion for-
pouvoirs particuliers tendirent à se réunir jenée d'exterminer tous les autres peuples
i
sous les tyrans. La loi fondamentale. de la pour élever sa patrie sur leurs débris. Les
religion publique n'y avait pas été moins vertus morales eurent en Grèce je ne sais
«Itérée que celle de l'unité de pouvoir. quoi de théâtral et d'apprêté, contraire à l'i--
Les Egyptiens tenaient de leur culte im- dée de la véritable vertu et celle-ci, lors-
posant et cérémonieux, de iëur gouverne- qu'elle y parut, y devint l'objet de la plus
ment réglé et tranquille, un caractère dé injuste, comme de la plus lâche persécution.
solidité, de gravité et de retenue les Grecs Peut-être est-il vrai de dire que les peuples
prirent de leur religion. dissolue et théâ- vertueux sont ceux où l'on ne remarque que
trale, de leur gouvernement orageux et tur- les vices, comme les peuples vicieux sont
bulent, un caractère de frivolité, de légère- ceux où l'on ne remarque que les vertus il
té, d'inconséquence ou, pour mieux dire, me semble que c'est là la différence des
les Grecs n'eurent point de caractère .(1) peuples anciens aux peuples modernes.
parce qu'ils n'eurent pas de constitution. Les Grecs firent des prodiges de valeur
Aussi la Grèce fut-elle guerrière, et même contre les Perses mais je ne voisdàns leurs
conquérante, autant que sa position le J ui succès que l'ascendant naturel d*unè excel-
permit. lente discipline militaire sur une multitude
Ces petits peuples, bornés par la mer, con confuse de peuples amollis, et l'effet assez
tenus par -leur jalousie mutuelle, ne pou- commun du désespoir, dans des guerres où
vaient s'étendre bien loin ;mais ils se firent la défaite mettait à la disposition de peuples
entre eux, et avec des forces à peu près éga- voluptueux et barbares, tout ce qu'on était
les, des guerres atroces; et la Grèce polie, et tout ce qu'on avait: « liberté civile, biens,
savante et spirituelle, fut inondée du sang femmes, enfants et sépultures mêmes. ^{Es-
-de ses habitants. prit des lois). Voyez les 4,000 Grecs mutilés,
Si là guerre cessait au dehors, elle com- qu'Alexandre trouva dans la Perse. C'est,
mençait au dedans, ou pour réclamer le pour le dire en passant, le principe de ces
pouvoir, ou pour le retenir, ou pour l'usur- résistances furieuses si fréquentes dans
per. Sparte, à laquelle de prétendus amis de l'antiquité, et dont les écrivains sans juge-
l'humanité veulent sans cesse nous ramener; ment font honneur à l'amour de la patrie (2).
Sparte, dont il paraissait à Platon lui-même La Grèce dut sa gloire à ses écrivains, et
impossible de définir le gouvernement, no- ses succès .à son excellente, éducation, par-
tait au'une école deguerriers farouches: et faitement adaptée à ses lois politiques (3).
(1) Les Grecs étaient grands parieurs et natu- publique, et lé soin moral et physique de la jeu-
rellement sophistes, dit Montesquieu: or le carac- nesse Sera abandonne à des laquais et à des femmes
tère s'allie rarement avec la loquacité et la subtilité. de chambre. Qu'on fasse attention que presque
(2) Mallet du Pan a fait avant moi cette ré- :tous les coryphées de la révolution française sont
flexion, dans les excellents tableaux politiques, et nés après l'époque où l'éducation en France a cessé
l'on pourrait dire prophétiques, de- la révolution d'être publique et uniforme. Ce sont inoins les
française qu'il insérait au Mercure de France, dont choses que les hommes, moins les gouvernements
il était un. des. rédacteurs. que les administrations, qui ont besoin de réforme.
(5) La négligence des gouvernements sur cet Or, si les gouvernements se réforment par les révo-
objet important, et le plus important dé tous, est lutions, les hommes se réforment par l'éducation
inconcevable, le signe le .plus certain, comme la car, dans tous les temps, ils naissent les mêmes et
cause la plus prochaine de leur décadence. Il y a également disposés à ce qu'on veut faire d'eux
dans tous lés Etats un ministre pour chaque partie Ce n'est pas, dit Montesquieu, la génération nais-
de l'administration, et un bureau pour chaque dé- sante qui dégénère vérité consolante, et qui doit
tail l'éducation publique n'a pas même un sur- tranquilliser les gouvernements sur les progrès des
veillant bientôt même il n'y aura plus d'éducation fausses doctrines et des opinions dangereuses.
C'était la seule institution des Egyptiens chain n'annonce un peuple impatient de
qu'elle eût retenue ou perfectionnée. Mais ses chaines. Les premiers Grecs avaient dé
ee n'est pas dans ses succès qu'il faut cher- triât l'unité du pouvoir politique, en abo-
cher le caractère d'un peuple, comme ce lissant la constitution monarchique; les
n'est pas dans ses poëtes qu'il faut étudier Grecs modernes ont rompu l'unité religieuse
sa constitution. C'est dans les revers qu'il en divisant Jar-eligion chrétienne. Seul
faut juger une nation, comme oa connaît un peuple chrétien, asservi à des maîtres qui ne
homme dans l'adversité; et c'est dans les le soient pas, il porte la peine de son schis-
revers que paraît la légèreté, la frivolité, la me, moins par la. rigueur de l'oppression
nullité des Grecs. Philippe est à leurs portes, que par la patience de la servitude.
et ils rendent une loi pour punir de mort Si je voulais parler à l'imagination, je
celui qui proposerait de convertir aux usa- comparerais l'Egypte à une reine dépouil-
ges de la guerre l'argent destiné pour les lée de ses Etats, qui, sous le poids de l'âge
spectacles (Esprit des lois); Démosthènes ne et du malheur, en impose encore par la di-
peut les rendre attentifs que par des contes gnité de son maintien
d'enfants. « Athènes avait les mêmes forces, Le Romain dont je yaïs: parler, à un vieux
quand elle domina avec tant de gloire, et guerrier, qui, réduit à l'esclavage par le sort
quand elle servit avectant de honte mais des armes, semble, dans les fers, insulterà
cette ville, une fois vaincue à Chéronée, le ses vainqueurs
fut pour toujours, » (Esprit des lois.) Ces Et le Grec, à un roi de théâtre qui, la pièce
hommes libres coûtèrent aux Romains bien finie, a déposé le sceptre et le diadème, et
moins à soumettre, que Spartacus «t ses es- qui, revenu à son premier état, mêle à des
claves. habitudes de valet le langage emphatique de
ÏJh'e fois soumis, ces Grecs qui avaient
son rôle.
fait r'admiration ou la terreur de l'Orient Veut-on juger la différence ..qu'il y a 'entre
deviennent 'e plus vil de tous les peuples; des institutions et une constitution?
ifs: né sont pas esclaves, et-ils ont toute l'ab- Rome, pour détruire la Grèce, luf rendit
jection de la servitude leur fourberie, leur ses institutions Adrien; extermina lés Jiiiîs
bassesse*, leur goût pour la flatterie, passent et ne put les dompter (1),
en proverbe et jusque dans nos langues CHAPITREilV:,
modernes, la dénomination de Grec rappelle
l'idée de tout ce qu'il y a de plus vil et de ROME.' "'
plus lâche à la fois. Les Romains les prodi- Rome commence ses législateiirs, ins-
guent sur leurs théâtres, et ne les appellent truits dans la sagesse de l'Egypte et la
même que de pauvres Grecs, Grceeulus. Je philosophie de la Grèce, par tés- colonies
cherche dans ce peuple fameux les ruines grecques établies sur les côtes d'Italie, mê-
imposantes d'une société malheureuse, et je lent à la constitution de l'une les institutions
n'y vois que les débris informes d'une as- de l'autre.religion
:Mp
publique maïs
sociation dissoute. Rome a une
La Grèce devient une métropole de la re- grave et sérieuse, autant que peut l'être lv
ligion _chrétienne et de l'empire romain; et religion païenne; c:est le culte des Grecs,
la religion ne peut donner de la solidité à mais sous les mêmes noms, ce sont d'autres
son esprit, ni l'empire de l'élévation à son divinités. Romulus dit Denys d'Halicar-
caractère. Le petit esprit, dit Montesquieu, riasse, rejeta toutes ces fables absurdes, qui
était parvenu à faire le caractère de la na- attribuaient aux dieux des actions crimi-
tion. Le Grec avilit la religion par ses dis- nelles les Romains dressèrent des autels à
putes, et il déshonore l'empire par ses per- la chasteté, à la bonne foi, au dieu des con-
fidies et. ses bassesses. Il s'occupait de ses seils, etc. « Ces rites frivoles et supersti-
théâtres en présence de Philippe il s'occupe tieux en apparence, réunirent ces brigands
des cochers verts ou bleus du cirque en en corps indissolubles (Rousseau, Gouv. de
présenee de Mahomet second; enfin, docile Pologne);, et le Romain prit, de ses institu-
esclave du Turc, et plus nombreux que ses tions religieuses, ce caractère de solidité et.
oppresseurs, aucun effort généreux, même de gravité qu'on retrouve à; toutes les épo-
avec l'espoir d'un secours puissant et pro- ques de son histoire.

(1) c Les Grecs se livrèrent à une joie stupide, et crurent être libres, parce que les Romains les
déclaraient tels. » (Grandeur des Romains.)
'Rome eut fies rois, d'abord électifs temps-là, un territoire moins borné et une
bien-
t,
itt ils seraient devenus héréditaires. Elle puissance
p plus grande, il y a apparence que
•eut dés distinctions héréditaires le sacer- sa s fortune eût été fixée pour jamais, » {Gran-
doce l'était dans quelques familles, comme d-eut
o des Romains.) Nouvelle preuve que les
celles dès Pinariefls et des Potitiens; et nmonarchies ne sont pas conquérantes. Mais
I
^histoire révèle la piété héroïque de Fabius Rome était réservée à de plus hauts des-
Dorso, qui descendit du Capito'le assiégé tins.ti
par les Gaulois, et traversa leur armée pour L'équilibre du pouvoir produisit à Rome
aller s'acquitter, sur le mont Quirinal, d'un l'effet
l' qu'il devait naturellement produire
sacrifice établi à perpétuité dans sa famille. lé
1< pouvoir luttait contre le pouvoir, 'et les
(Ïrir.-Liv., lib. v, c. 40.) rois
r tous grands personnages, l'auraient
-La distinction héréditaire des sénateurs, sans
s doute emporté sur le sénat et sur le
!ou'le patriciat, n'était pas, comme en Egyp- peuple,
p sans un événement qui survint tout
te, la profession des armes. On essaya de exprèse pour le rendre odieux.
remédier à ce défaut par l'établissement des Je ne s'ais par quelle fatalité il arrive dans
Chevaliers, distinction intermédiaire et équi- tltoutes les révolutions (1), que le parti qui
voque. Ces chevaliers étaient militaires ils succombe
s est toujours coupable de quelque
durent juges; ils furent traitants; ils exer- action
a atroce ou insensée, qui se découvre à
cèrent les fonctions les plus opposées, et ppropos, et que le parti oppose ne manque
n'eurent jamais de place fixe dans le gou- pas p de mettre à profit pour hâter l'explo-
vernement, parce qu'ils n'en avaient aucune sion.
s
dans la nature des sociétés. Je reviens aux A Rome, s'il faut en croire des histo-
sénateurs. riens
r qui ont écrit longtemps après l'évé-
L'ordre des'sënateurs, ou le patriciat, au nement,
n le fils du roi fait violence à Lu-
lieu de défendre la société, la gouvernait crèce
c elle se tue. Son mari et ses parents,
•c'est-à-dire qu'au lieu d'être force publique, ennemis
e et parents du foi, jurent sur son
action et limite du pouvoir il était pouvoir sang
s la perte de la royauté, qui n'avait rien
lui-même, même du temps des rois. 11 fal- dde commun avec les actions bonnes ou
lut donc placer ailleurs la force publique, mauvaises
ri du fils du roi.
l'action et la limite du pouvoir, et le peu- Quoi qu'il en soit, la royauté est anéan-
ple fut appelé à cette fonction délicate. « Ro- tie
t le sénat la partage comme il avait déjà
mulus eut envie de contenir le sénat par le partagé
p (2) un roi il retient le pouvoir,
peuple, et le peuple par le sénat. » Le peuple et
e accorde l'autorité et la représentation ex-
devenu force devenait nécessairement pou- htérieure à deux magistrats pris dans son
voir; car tdès que le peuple est quelque sein, s et élus annuellement par le peuple.
chose dans la constitution, il y est tout. Montesquieu fait sur cet événement une
Ainsi les mêmes mains qui fondaient l'em- réflexion
r aussi douloureuse qu'elle est pro-
pire y jetaient une semence de destruction fonde.
fi « Malheur, » s'écrie-t-il, « à la ré-
et de mort ainsi des germes funestes, op- putation
y de tout prince qui est opprimé par
probres et fléau de l'humanité, se mêlent uun parti qui devient le dominant, ou qui a
aux principes de la vie et en infectent les titenté de détruire un préjugé qui lui sur-
sources. vit
v u

Rome avait, si j'ose leldire, trop de*cons- Si cet édifice monstrueux, que toutes les
titution pour son territoire; elle devait s'é- passions
p ont élevé de concert sur les ruines
tendre jusqu'à ce qu'elle eût mis sa popu- de d la France, pouvait subsister, si la pos-
lation et son territoire au niveau de sa cons- térité
tl osait arrêter ses regards sur ces temps
titution. « Le règne de Numa, long et paci- ddéplorables de notre histoire, elle croirait
fique, était très-propre à laisser Rome dans peut-être
p aussi, sur la foi de tant d'écrivains
sa médiocrité; et si elle eût eu, dans ce ppervers, que les jours des forfaits de la
(1) C'est ce qu'on a vu en Suisse, en Angleterre, e\ débile sont des fables. Il ne faut pas oublier que
en
en France, où l'on révéla aux Parisiens ébahis, que 1< deux premiers consuls furent Collatin, mari <!o
les
le malheureux Louis XVI avait formé le projet de Lucrèce,
L et Brutus, tous deux parents de Tar-
faire sauter en l'air une ville de huit à neuf lieues qquin.
de circuit, et qu'il entrait des troupes par les (2) Romulus fut tué, à ce qu'on croit, par la
égouts. sénateurs
Sl qui emportèrent sous leurs robes *-es
Rousseau convient 'que nous n'avons nuls monu- membres
n déchirés, et firent croire au peuple qu'il
ments assurés des premiers temps de Rome, et qu'il s'était élevé-au ciel pendant un orage.
s'
y a grande apparence que la plupart des choses qu'on
France furent les jours de son bonheur, que jouissent d'une autorité légitime, et que
la, noblesse française fut une horde d'an- les sénateurs lui paraissent jouir d?un pou-
thropophages, et que Louis XVI fut un voir usurpé. Montesquieu le dit lui-même t
tyran. « C'est le noble (c'est-à-dire le souverain)
Dès qu'à Rome le pouvoir se.. fut écarté qu'on envie, et non le magistrat.Quand
de son principe, dès qu'il ne fut plus un, il le pouvotr est un, il est ce qu'il doit être,
n'y avait pas de raison pour qu'il fût deux parce qu'il est le pouvoir général de la so-
cents, trois cents, plutôt que mille, que deux ciété, et qu'une société n'a qu'un pouvoir
mille, que tous et certainement il n'appar- le pouvoir est limité, le peuple est tran-
tenait pas plus alors aux patriciens qu'aux quille (2); mais quand le pouvoir est une
plébéiens. « Rome, après l'expulsion de ses fois entre les mains de plusieurs, ce n'est
rois, devait être une démocratie car, pré- plus le pouvoir de la société, c'est le pou-
tendre que le peuple eût voulu chasser les voir de l'homme chacun veut exercer le
rois pour tomber dans l'esclavage de quel- sien, l'Etat est alors comme une société de
ques familles, cela n'était pas raisonnable. » commerce dont la dissolution donne à cha-
(Esprit des lois, t. II, chap. 14.) Comme que associé le droit de retirer sa mise.
l'autorité royale avait passé tout entière en- Après cette digression, je reviens à mon
tre les mains des consuls, le peuple sentit que sujet.
cette liberté dont on voulut lui donner tant Si Rome avait été constituée, elle ne l'é-
d'amour, il ne l'avait pas, (Grandeur des Ro- tait plus les institutions grecques avaient
mains.) Il chercha donc à abaisser le consu- pris le dessus. Elle devint guerrière et con
lat, à avoir des magistrats plébéiens – les quérante et même plus conquérante à
patriciens furent forcés de lui accorder tout mesure que ces institutions dominèrent da-
ce qu'il demanda La puissance devait vantage. Et comme sa discipline militaire
donc revenir au plus grand nombre, et l'a- était parfaite, sa situation heureuse, et son
ristocratie se changea peu à peu en Etat po- caractère ferme et sévère, elle eut de grands
pulaire. » Le sénat avait dépouillé le roi, le succès, et elle les ménagea avec une ex-
peuple dépouillait le sénat; chacun voulait trême habileté. Voyez, dans les Causes de la
son pouvoir, parce qu'il n'y avait plus ni grandeur et de la décadence des Itomains, la
volonté générale, ni pouvoir général. marche profondément astucieuse du sénat,
Encore un aveu précieux du même au- avec quel art perfide il trouvait dans la
teur :<< Ceux qui obéissent à un roi sont guerre de nouveaux motifs de guerre, et
moins tourmentés d'envie et de jalousie, dans la conquête de nouveaux germes d'a-
aue ceux qui vivent dans une aristocratie grandissement.
héréditaire. » (Grandeur des Romains.) Il Mais à mesure que l'Etat s'étendait au
donne pour raison, « que le prince est plus dehors, le pouvoir allait se divisant au de-
loin de ses sujets, qu'il n'en est presque dans. Quand il fut parvenu au terme ex-
pas vu (1), au lieu que les nobles sont sous trême de sa division, quand le Sans-culotte
les yeux de tous. » Et il cite en preuve, de Rome eut son pouvoir, la société n'en
« que le peuple, dans toutes Jes aristocra- eut plus; et pourqu'eUe subsistât, il de-
ties modernes, déteste les sénateurs. Ainsi, vint nécessaire que son pouvoir général se
il donne le fait en preuve d'une raison in- rétablît en détruisant tous les pouvoirs par-
soutenable. Pourquoi le peuple dans les ticuliers. « Dès lors on vit le gouvernement
monarchies ne déteste-t-il pas les magis- prendre sa pente-naturelle, et tendre forte-
trats qui exercent une portion d'autorité, ment à l'aristocratie (Contrat social, 1. III,
dont il ressent même l'action d'une manière ch. 10), c'est-à-dire, à la réunion du pou-
plus immédiate et plus répressive, et-qui voir. Il fallait un maître à ce peuple-roi il
sont aussi sous ses yeux? C'est que ceux-ci préluda par dix tyrans. Marius, Sylla, César,
(1) Montesquieu dit que le peuple déteste
chefs, purce qu'il les a continuellement sous ses peuple, car le peuple est toujours et parlout le
les même. Le peuple aisé, éclairé et philosophe de Ge-
yeux. Rousseau dit, au livre il, ch. 9 du Contrat nève, a massacré comme le peuple pauvre, igno-
social, qu'un peuple a moins d'affection pour les
2heh qu'il ne. voit jamais.
rant et grossier de Paris. Montesquieu se demande
(2) H est à comment ces guerriers si fiers dans les combats,
remarquer que le peuple se révolta auraient-ils pu être citoyens tranquilles? Et com-
à Rome dans les premiers temps de la république, ]ment les guerriers français, anglais, allemands, es-
et se sépara du séria; on ne voit pas qu'il se soit ipagnols, russes, qui sont fiers aussi dans U>s com-
révolté contre les empereurs, même tes plus cruels; )bats, sont-ils des sujets soumis ?
et qu'on ne dise pas que ce n'était pas le même
~-6ru- eua y~.c ug Il cbau yaa lu ~ucme
OEUVRES COMPI.. nr. M. nu RruvAtn T
Antoine, Octave môme, établirent tour à dde' celle de l'Etat toutes les anciennes fa-
tour leur pouvoir à la place du pouvoir gé- milles
n avaient péri dans les guerres civiles,
n'érai; l'usurpation devint successive, en ou o périrent sous Tibère et ses successeurs,
attendant que la succession devint régu- dans d une paix plus cruelle que la guerre (2).
S les distinctions héréditaires n'eussent
l'ière. Il y eut à la vérité quelques tentatives Si

'
pour rendre le pouvoir au sénat, de la part été é
de quelques partisans peu éclairés de l'aris- dans
d
dans Rome que ce qu'elles doivent être

tocratie, qui se désolaient de la perte de la nécessaires


n
tout Etat -constitué, des professions
à la conservation de la société,
liberté, c'est-à-dire du pouvoir; elles ne et e limite de son pouvoir, et qu'elles n'eus-
firent que prolonger les désordres et aggra- sents pas été pouvoir elles-mêmes elles
ver les maux c'étaient les dernières oscil- auraient
a subsisté avec utilité pour la socié-
lations d'un pendule qui va se fixer. té
t mais parce que le sénat avait été pou-
« Si César et Pompée avaient pensé comme voir,
t et qu'il en était encore à plusieurs
Caton, d'autres auraient pensé comme firent égards
é la représentation, les empereurs le
César et Pompée, et la république, destinée redoutaient
r et parce qu'il faisait corps il
à périr, aurait été entraînée au précipice leur 1 donnait plus de prise, soit pour l'op-
par une autre main. » (Grandeur des Ro- primer, r soit pour l'avilir, et ils y réussirent
mains.) Enfin, Auguste paraît pour le bon- si s bien, surtout à l'avilir, que Tibère
lui-
heur de Rome, et ia paix de l'univers même
r s'en plaignait.
Postquam omnem potestatem ad unum con- Leur prompte servitude a fatigué Tibère.
(Raoijse, Britamicus
ferri paci interfuit (Tacit., Hist., lib. î.)
il recompose cette société en dissolution, D'un autre côté, la succession au trône
«n rétablissant son pouvoir et telle est était ( extrêmement incertaine. Auguste n'a-
l'influence salutaire de l'institution monar-vaiti pas laissé d'enfants; ses sept premiers
unique, que peu d'années suffirent à réparer ssuccesseurs moururent aussi sans posté-
deux siècles des plus affreuses calamités. rité,
i au moins qui leur succédât; l'Empire
« Gomme, du temps de la république, on ffut usurpé, fut donné, fut vendu et le
eut pour principe de faire continuellement désordre
( vint au point qu'on compta soixante-
ia guerre.; sous les empereurs, la maxime dix ( Césars en 160 ans (3).

mains.) Je cet
.fut d'entretenir la paix. » (Gandeur des Ro-

mes principes et l'on observera, à l'appui qu'elle


t
Je me suis étendu plus longtemps sur
aveu, il rentre dans 1l'histoire de cette société célèbre, parce
offre dans les différents Etats lès
de cette vérité, qu'Auguste le premier ren- leçons les plus utiles à ceux qui, dans les
dit les légions des corps fixes, en sorte que révolutions des empires, cherchent des ré-
>le gouvernement devint pacifique, au rao-
sultats utiles au bonheur de l'espèce hu-
ment où il se mettait en état de faire la maine, et à la durée des sociétés. Rome
aristocratique
guerre avec plus d'avantage. Auguste lui- monarchique sous ses rois,
même, qui connaissait l'esprit du gouver-sous son sénat, démocratique sous ses tri-
pré-
nement qu'il avait établi, •« recommanda en buns, despotique sous ses empereurs,
mourant, de ne point chercher à étendre sente sous un même point de vue et dans
i'Empire par de nouvelles guerres. » {Ibid.) un seul tableau, les diverses phases d'une
Auguste eût voulu donner une constitu- société et les vices ou les avantages de tou-
tion à l'empire qu'il avait fondé, ou, pour tes les formes de gouvernement (4). Mais
mieux dire, à la société qu'il avait formée; ce qu'on y voit avec le plus d'évidence et
mais plusieurs obstacles s'opposaient à ce ce qu'on doit y remarquer avec le plus d'in-
dessein il avait, à la vérité, rétabli avec térêt, est l'effet salutaire de l'unité de pou-
le plus grand zèle le culte religieux (1); voir et les calamités inséparables de sa di-
mais ur.e religion nouvelle, née avec l'em- vision. Sans parler du temps de ses rois,
pire, s'élevait insensiblement sur les débris où Rome, resserrée dans une étroite en-

{!) Voy. dans Horace les louanges qtf donne ài compté que 66 rois.
dont un
Auguste sur sa piété et son zèle à rétablir le cultee (I) Je ne connais que deux sociétés,
doive méditer
des dieux. honune appelé à gouverner les autres
qu'un petit
( 2) Opns aggredior ipsa etiam pace sœvum, ditt les révolutions Rome et la France; et étude sé-
Tacite (Hist. lib. n, c. 2). en pariant de ces mê- nombre de livres dont il doive faire une dans
rieuse et Tacite en est un. C'est surtout ce
mes temps. intéressant à consulter, cet ob-
(5) Voy. Casa ubon, cité par Montesquieu(Gran- moment qu'il est
servateur profond des hommes et des révolutions.
deur des Rom.); et lia France, en 1400 ans. n'a»
ceinte, cherchait à devenir un Etat, plutôt ment en France, par le coniité de salut pu-
quelle ne refait encore, le temps de son blic. Plus souvent elle se fera par les armes.
bonheur comme de ses vertus fut ce- Quand tous les membres de la société ont
lui qui suivit immédiatement l'établisse- leur pouvoir, les soldats ont le leur, parce
ment du consulat, parce qu'alors l'institu- qu'ils sont membres aussi de la société; et
tion monarchique était dans toute sa force ils y joignent la force qui naît de leurs fonc-
et qu'il n'y avait à la monarchie, pour tions, de leur réunion, et l'obéissance
ainsi dire rien de changé que les noms. qui naît de leurs habitudes. Alors, il n'y a
a Comme l'autorité royale avait passé tout réellement de constitution que dans l'armée,
entière entre les mains des consuls (Gran- parce qu'il n'y a que là un poupoir et des
deur des Romains}, » le peuple crut voir distinctions sociales, e'est-à-dir.e militaires,
l'unité du pouvoir royal là où il en voyait et ce pouvoir devient souvent celui de la
l'autorité et la représentation, et dans son société entière.
heureuse simplicité il ne songea pas à ré- Du temps d'Auguste, et après lui, lorsque
clamer sa part d'un pouvoir déjà partagé. le poupoir était limité par la modération nar
Mais ses flatteurs, et il y en a partout, lui tu.relle du prince, il y eut à Rome des inter-
font ouvrir les yeux il réclame son pou- valles de bonheur et même de vertus, coiïb-
,voir, et ii l'obtient. Le pouvoir se partage, parables aux plus beaux jours de la répu-
et par l'admission au consulat accordée à blique. Voyez tout ce que les historiens les
tous les citoyeas, ,et par l'établissement des moins suspects ont écrit des règnes de Yes.-
tribuns alors les dissensions et les trou,- pasien, Tite, Trajan, Marc-Aurèle, etc: Et
bles, signes certains d'une dissolution iné- Tacite lui-même, qu'on ne soupçonnera pas
vitable, déchirent la société Rome s'étend de prévention pour la personne ou le gou-
et s'enrichit, et elle n'est que plus agitée vernement des empereurs, « réserve avec
chacun réclame un pouvoir qui peut con- complaisance,'et comme pour charmer l'en-
duire à de grands honneurs ou à d'immenses nui de sa vieillesse, les règnes de Nerya et
richesses. Lorsque chacun & son pouvoir, de Trajan, dont il se propose d'écrire l'his.-
TEtat n'en a plus; la société n'existe plus toire. Temps heureux ei trop rares, s'écrie<-
qu'extérieurement l'homme est revenu à t-il, où l'on peut penser tout ce qu'on veut;
l'état sauvage, avec les vices de, la civili- et dire tout ce qu'on pense f(l) 1 » Et même
sation. Mais., je le répète les hommes ne dans < les derniers temps, « Claude, Aurélien^
peuvent demeurer assemblés sans former Tacite et Probus, dquatre grands hommes,
une société, ni la société exister sans pou- qui, < par un grand bonheur, se succédèrent,
voir. Chez un peuple naissant, il paraît un rétablirent
] l'empire prêt à périr. » (Gran-
grand homme, et les hommes confient leur deur < des *Romains.) Car, dit l'auteur du Con-
.pouvoir à la vertu ou la donnent à la recon- trati social, quand, par quelque heureux ha-
naissance chez un peuple vieilli dans la sard, un de ces hommes nés pour gouverner,
t
j
corruption, il s'élève un tyran et les hom- prend le timon de,s affaires dans une monar-
aaes laissent usurper leur pouvoir à la ter- chie < presque abjimée, on, est tout surpris des
reur. Ce sera Nabis, Marins, Sylla, Groiravellressources
i qu'il trouve, fit cela fait époque.
©u Robespierre et ce .tyran, quel qu'il soit, Il est temps de le dire Rome, avec toutes
recomposera momentanément une société-9 <ces formes de gouyernement, n'eut jamais
en y rétablissant un pouvoir; mais ce pou- de < constitution fixe, c'est-à-dire qu'elle n'eut
voir particulier ne manifestera que des vo- <que par intervalles un pouvoir unique et
lontés particulières dépravées et tyranni- Ilimité tout à la fois. A Rome, il n'y eut pas
ques il sera renversé par la force et frayera de < pouvoir unique, tant que les rois le par-
la voie à un pouvoir général qui régnera ttageaient avec le sénat, ou le sénat avec le
par les lois expressions de la volante gé- peuple.
•nérate. Le pouvoir n'y fut pas limité car, si le
-Quelquefois, l'usurpation ou le rétablis*- sénat limitait le poupoir des rois, si le peu-
sèment momentané du pouvoir se fera à la ple ] limitait le pouvoir du sénat, rien ne li-
faveur des leis comme à Rome, par les dé- mitait i celui du peuple, et même la limite
€emvirs; en Angleterre, par le long parle- (que le peuple opposait au pouvoir du sénat
(1) Quod si vita suppeditet, principatum divi félicita
| te, ubi senlire qurc velis, et ((use senties d_i-
Uervas et imperium Trajani uberiorem seçuriorem- eçrelicet!
< (Çorn. Taçit^ /ftst.lib, i, ç. lf)
<iue materiam senectuti scposui rara tempor.ym
ne consistait plus, comme aux jours de la recours pour les besoins les moins urgents^
re<
simplicité, à se retirer de la ville et à ne ré- et souvent sans besoin. Perpétuelle sous
sister que par une force d'inertie que le Sylla
Sy et César, héréditaire sous Auguste,
sénat surmontait avec un apologue, mais ell devint enfin le premier titre des empe-
elle
dans une action le plus souvent violente et reurs. Il est essentiel de remarquer que ce
rei
excessive que le sénat repoussa quelquefois ne fut jamais pour attaquer, mais toujours
à force ouverte. pour se défendre et préserver l'Etat de quel-
po
Sous les empereurs qui ne partageaient le que danger imminent au dedans ou au de-
qu
pouvoir avec personne, si le pouvoir était hors, qu'on créa à Rome cette magistrature
ho
unique, il n'était pas limité, ou il ne l'était extraordinaire
ex preuve évidente que la cons-
que par l'action violente et désordonnée des titution
tit monarchique est un principe de
soldats, comme celui du sénat l'avait été par conservation
co et non d'agression. Cette .vé-
l'action violente et désordonnée du peuple; rit consolante sera mise ailleurs dans tout
rité
et parce que ce pouvoir n'était pas limité, il so jour.
son
n'était pas constitué, il n'était pas défendu, « Cette faculté
précieuse qu'avait le sénat,
et la succession y fut sans cesse troublée par d'ôter la république des mains du peuple »
d'1
la révolte des troupes et l'ambition des usur- (Grandeur des Romains) par la création du
(6
pateurs. Vespasien, Nerva, Trajan, sentaient dictateur,' c'est-à-dire de constituer la so-
di
si bien le défaut de leur pouvoir, et même ciété,
ci, la vénération affectueuse du peuple
le désavantage de leur position, que leur pour les familles distinguées; son respect
pc
premier soin fut de rétablir le sénat, autant pour un culte grave et cérémonieux, et pour
pc
qu'ils le pouvaient, dans son antique con-si- la religion du serment, qui, comme une ancre,.
dération ce qui n'était autre chose que reretenait ce vaisseau dans la tempête (Esprit
poser des limites à leur pouvoir (1), dt lois); ces idées vastes et sublimesdes
des
La république romaine eût subsisté bien dieux protecteurs de l'Empire, garants de
di
sapins de temps sans l'institution du dicta- sc immortelle durée, vengeurs des ser-
son
teur, qui, dans les temps de crise, créait le ments
m méprisés, qui prévinrent tant de sé-
pouvoir général de la société, en suspendant ditions
di et apaisèrent tant de révoltes ce««
le pouvoir particulier des corps aristoerati- Rome,R fondée sous les meilleurs auspices; ce
ques ou démocratiques, et ramenait ainsi la Romulus,
& leur roi et leur Dieu, ce Capitolt
société à l'unité monarchique. Alors Rome éternel et comme la ville, et la ville étemelle
avait une constitution; car le pouvoir était eomrnec< son fondateur (Grandeur des Ro-
unique et limité même par ie sénat, qui n'é- mains);
m ces pensées, pleines d'immorta-
tait plus alors pouvoir, mais simplèment lité, li ce mélange inexprimable de pensées
distinction sociale et permanente, et qui, profondes
p et de sentiments exaltés, qui font
revenu à l'objet de l'institution naturelle de le les grands hommes et les peuples immortels,
la noblesse; n'était plus que force conser- ddonnèrent aux Romains un caractère forte-
vatrice de la société, et n'avait plus qu'à n ment prononcé de gravité, de fierté, de con-
combattre sous les ordres du dictateur; et fiance fl en eux-mêmes et en la protection des
Fhistoire romaine en offre plus d'un exem- ddieux, qui imposa aux autres peuples, au-
ple. Cette monarchie avait cet avantage, que té tant que leurs succès, et commanda à l'uni-
le monarque choisi dans des temps criti- vvers, pour tout ce qui était Romain, un res-
ques et pour des besoins extrêmes, était pect p que le temps n'a pu détruire. Les Ro-
souvent un homme d'un grand talent, et mains n ne sont plus; les débris de toutes les
quelquefois un homme d'un grand génie. Il hhordes qui envahirent l'empire d'Occi-
était dans la nature de la société, qui tend à dent,
d mêlés et confondus, ont remplacé,,
se constituer, que ce pouvoir, de temporaire dans d l'heureuseItalie, ces maîtres du monde;
qu'il était, devînt fixe et permanent, et qu'il mais
n leurs rois, leur langue, leurs usages,
opérât la conversion entière de la république le leurs colonies, leurs monuments, ont sur-
à la monarchie; et c'est en effet ce qui ar- vécuàleurdestruction:
v tout ce quiétonne no-
riva. La dictature, rare dans les premiers tre tr imagination,dans le beau moral comme
temps de la république, devint, dans la dans d le beau physique, nous n'osons nous
suite, beaucoup plus fréquente. On y eut l'l'approprier, et nous l'attribuons aux Ro-
(1) Montesquieu, remarquant l'industrie avec mêmes,
n compte au nombre des moyens qu'il eni-
laquelle le gouvernement rnsse cherche à sortir dit ploie,
p l'établissement des tribunaux. (Esprit des
despotisme qui lui est plus ijcsanl qu'aux yeuvles lois, t. v, ch. 14.)
L
mains (1). Tout l'univers est plein dei puissance des Egyptiens et des Romains;:
Rome l'empire romain ne peut périr le> parce que le premier de ces peuples fonda
plus grand homme des temps modernes, son existence politique sur les lois immua-
Charlemagne, digne héritier d'Auguste et deî bles qui dérivent de la nature de l'homme,
Trajan, décore du titre imposant d'empire) et que le second, écarté de cette constitu-
romain le frontispice du majestueux édifice) tion fondamentale par la forme particulièro
qu'il élève; et Rome elle-même, destinée ài de son gouvernement, trouvait, dans les
l'éternité, de l'empire, devient le centre d'uni principes de sa législation politique, la fa-
empire dans l'éternité. culté d'y revenir lorsque l'intérêt de la so-
Ainsi, lorsqu'il ne reste plus que des sou- ciété l'exigeait, et qu'en attaquant et sub-
venirs confus de l'existence des premiersi juguant l'univers avec les passions des so-
empires de l'Asie, ou de frivoles produc- ciétés non constituées, il défendit et con-
tions de l'esprit des Grecs, l'observateur re- serva ses conquêtes, avec toute la force de
trouve encore, au milieu des ruines accu- la constitution.
mulées par le temps et les passions, dess Je me hâte de passer aux temps moder-
monuments impérissables du génie et de lai nes.

LIVRE III.
SOCIÉTÉS MODERNES.

CHAPITRE PREMIER. les sociétés modernes des combinaisonsdif-


férentes, nous ne trouverons pas de nou-
PEUPLES GERMAINS.
veaux éléments car le pouvoir ne peut
• Nous avonsvu en Egypte le pouvoir cons-
>- être que général ou particulier; il ne peut
titué, c'est-à-dire le pouvoir général de laa être que le pouvoir de la société ou celui de
-société, placé entre les mains d'un monar-r- l'homme.
que, dirigé et limité par les lois fondamen-
i- « L'empired'Occident n'en pouvait plus, »
tales, ou autrement, le gouvernement mo- i- dit Bossuet les bases de ce monstrueux
narchique édifice, posées sur des ruines, chancelaient
En Asie, le pouvoir particulier d'un seul,I, de toutes parts. Depuis que la force mili-
sans lois fondamentales qui le limitent et lee taire donnait des maîtres à l'univers, la loi
dir.igent, ou le gouvernement despotique; ne pouvait plus garantir l'hérédité de la
En Grèce, le pouvoir- entre les mains dee succession si des honneurs précaires et
plusieurs ou de tous, sans direction et sansis dangereux distinguaient encore quelques
limites fixes et déterminées, ou le gouver- courtisans, les familles patriciennes avaient
nement républicain, aristocratique ou dé- 5- péri. Mais ce qui ébranlait l'empire jusque
mocratique dans ses fondements et en rendait la des-
A Rome, dans les premiers temps, les's traction inévitable, était la chute progres-
formes du gouvernement monarchique, sive du culte national, de ces autels anti-
aristocratique et démocratique existant à laa ques du paganisme, dont une ombre du.
fois et limitées l'une par l'autre, ensuite l'a-i- sénat, qui siégeait à Rome s'efforçait en
ristocratie et la démocratie seules, et se ser- vain d'étayer les ruines.
vant l'une à l'autre de contre-poids et de li- L'univers touchait à une revolution; car
mite, jusqu'au moment où l'équilibre, enn il ne faut pas se dissimuler que, si les so-
se rompant, donne naissance au gouverne- i- ciétés partielles ont à craindre des révolu-
ment despotique ou militaire, dans lequel;1 tions politiques, la réunion des sociétés, ou
le pouvoir d'un seul n'est plus limité quee l'univers, a à redouter des révolutions d'un
par la force de tous. autre genre.
Ce sont là toutes les formes possibles duu Cet empire étonnant, qui dans tous les
offert
gouvernement;
{~'jnvUiUUU-iCt.H) et si nous
t~ &i <ipcn-'CYUiia dans
11VUJ apercevons tIaIJJs événements
cYcucj-m-.uL~ uc sa l~v..yuv avait
'.1\ politique
de ou vie m
(1) On dit probité romaine, beauté romaine, ouvrage des Romains, elc.
des fêçons aux gofivernenienfs à ven.ir, de- quant aux choses, et limité quant aux per-
vait leur apprendre par sa chute le danger sonnes, nec infinita, nec libera.
des grandes conquêtes, et la folie d'une La première limite àce pouvoir, que l'au-
monarchie universelle. teur a soin de remarquer, est dans les mi-
Les peuples du Nord, après avoir long- nistres de la religion les prêtres y avaient
temps menacé et souvent désolé ses fron- seuls la juridiction sur les personnes « Il
tières, débordèrent enfin de tous côtés et n'est permis qu'aux prêtres de reprendre en
envahirent cet empire qui avait envahi l'u- public, de lier, même de frapper » Neque
«ivers. animadvertere, neque vincire, ne verberafè
Les premiers passèrent comme un torrent, quidém, nîsi sacerdotibus permissum. Et ce
et ne firent que des conquêtes; leurs suc- n'est pas à leurs personnes, mais à leurs
cesseurs, plus heureux et plus sages firent fonctions que ce droit est attaché; ils l'exer-
des établissements. cent même indépendamment du chef, et
D'où venaient ces peuples et quelles comme par les ordres de la Divinité même
étaient leurs institutions et leurs mœurs ? Non quasi in pœnam nec ducis jussu, sed
J'essayerai ailleurs de répondre à la pre- telut dëo imperante.
mière question Tacite satisfera à l'autre. Ils avaient des grands, des familles que
Cet auteur célèbre 4 qui abrégeait tout leurs services élevaient au-dessus des au-
(Esprit des lois), parce qu'il voyait tout, » tres « Dans les assemblées, le roi ou les
dans son excellent ouvrage sur les mœùVs grands sont écoutés selon leur âge, leur no-
des Germains, nous donne sur les institu- blesse, leur réputation à la guerre » Reg
tions politiques et les mœurs des peuples vél princeps, prout œtas cuique, pfout nobij
du Nord des notions si exactes, si conformes litas, prout decus bellorum. audiuntur.
à ce que nous lisons ailleurs, et même à ce Ces distinctions étaient héréditaires l'att*
que nous voyons qu'elles doivent servir teur parle de jeunes gens distingués dans
d'introduction à l'histoire des peuples mo- les deux sexes Nobilium adolesctntium
dernes et des gouvernements de l'Europe. nobiles puellœ.
11 fallait que ce judicieux écrivain trouvât Plus loin, il distingue une naissance il-
signalés des pères
ces institutions et ces mœurs dignes de la lustre, où les services
plus sérieuse considération puisqu'il en a comme des motifs d'élévation pour les en-
transmis le détail à la postérité dans un des fants Insignis nobililas, aut magna patrum
adoles-
ouvrages les plus parfaits que l'antiquité merita, principis dignationem etiam
fious ait laissés et il est extrêmement re- centulis adsignant.
marquâble qu'au temps de la plus grande Ailleurs il parle des compagnons du
t
puissance de Rome, Tacite ait décrit avec prince « son ornement dans la paix son
tant de soin la législation, les usages l'o- rempart à la guerre » Jn pace decus in
rigine, [les révolutions mêmes des nations bello prœsidium c'est une infamie éternelle
pauvres et obscures qui devaient un jour de lui avoir survécu; l'engagement le plus
renverser Pempife romain. sacré est de le défendre. »
Ces peuples, dit-il (1). ont des rois pris Ces peuples avaient donc une royauté,
parmi la noblesse, règes ex nobilitate; et de peut-être élective dans la même famille
peur qu'on les confonde avec des chefs mi- mais sans doute héréditaire, comme elle
litaires, il ajoute que ceux-ci sont choisis était en France sous les premiers rois francs
parmi les plus courageux; duces ex atxftuie le pouvoir était 'limité; le ministère de la
iumunt ce qui présente suivant Montes- religion et les armes y étaient deux profes-
quieu et la raison, l'idée de l'hérédité pour sions distinguées', ou; pour mieux dire, les
les rois, et de l'élection pour les chefs. Ils deux seules professions. Un corps de guer-
avaient mieux que des rois, ils possédaient riers veillait à la sûreté du pouvoir général
le secret de la royauté la puissance des et se dévouait à sa défense. Le culte était
rois est déterminée et limitée Nec regibus lié au gouvernement, puisqu'à ses ministres
infinita, dut libera potestas ce qui signifie, seuls appartenait la juridiction sur les per-
dans le style exact et précis de cet auteur, sonnes. Religion publique, pouvoir unique,
que le pouvoir des rois était déterminé distinctions héréditaires:assurément ce sont
terminaient par la noblesse, et dans le choix de
(1) Les Francs, dit le président Hénault, avaient
de véritables rois; et Montesquieu, lit. m, ch. A leur chef par sa vertu.Il aurait dû, je crois, dire
t tel Germaine dans le choix de leur roi* se dé- le courage. virius*
là les institutions égyptiennes adaptées aux
.n ··
in
"LII. a,avVl.IVUaai7yuL. ya.. 111. l,Uv
il singulis domibus factiones sunt et l'on
mœurs simples et guerrières d'une société se doute bien que l'habile César fonda sur
S(
naissante. o divisions ce système de conquête qui
ces
CHAPITRE II. ddans dix ans, donna une province au peuple'
romain,
r et un maître à sa république.
SUITE DU MÊME SUJET. LES GAULOIS. Si l'institution royale avait péri dans les
Chez le Gaulois, limitrophe du Germain » qGaules, les professions sacerdotale et mili-
et bien plus policé, la foi fondamentale du1 taire s'y étaient développées, et elles y for-
tj
pouvoir unique avait été méconnue, les dis- maient
n deux ordres très-marqués le pre-
tinctions sociales permanentes étaient de- mier
n était celui des prêtres ou Druides; le
venues pouvoir; mais en devenant, malgré second
s celui des nobles ou chevaliers, equi-
la nature de la société, plus qu'elles ne de- tes.
t, Leurs fonctions étaient exactement dé-
vaient être, elles avaient retenu leur objet1 terminées,
t( les druides avaient le ministère
primitif; elles avaient môme bien mieux1 des choses divines le soin de l'instruction
que chez le Germain, adapté leurs fonctions5 e de l'éducation publique Jlli rébus divi-
et
naturelles et primitives aux vues de la na- n intersunt, religiones interpretantur ad'
nis
ture, c'est-à-dire aux besoins de la société.· hos magnus adolescentium numerus, disci-
Le conquérant des Gaules, César "lui- plinœ causa concurrit. En général, ces drui-
même, a tracé dans ses Commentaires avece des avaient sur plus d'un objet des ressem-
la rapidité et l'exactitude qui le caractéri- blances
j; frappantes avec les prêtres égyp-
sent, les mœurs et les institutions des Gau-" tiens.
t La profession des nobles ou chevaliers
lois, et à plus d'un égard, on pourrait direB éétait les armes Équités omnes in bello ver-
des Français. • santur
s leur considération comme leur
Les Gaulois avaient eu des rois, et c'était1 fforce, consistait à mener avec eux à la guerre
sous leur conduite qu'ils avaient fait en Ita-l" beaucoup
i de vassaux ou de clients Pluri-
lie, en Grèce, et jusque dans l'Asie Mineure, '> mos
r circum se ambactos clientesque habent,
ces émigrations si célèbres dans l'histoire6 hanc unam gratiam potentiamque noverunt.^
ancienne; mais ainsi qu'à Rome, et peut- " I laisse au lecteur à faire des rapproche-
Je
être par les mêmes causes, la royauté ;avait it ments
x entre ces institutions et celles qui
péri dans les Gaules, et s'était changée dans lS existaient
( en France, et je reviens aux. Ger-
les divers cantons de ce vaste pays enn mains.
]
une aristocratie de deux professions distin- CHAPITRE III.
guées.
Ces républiques plus ou moins étendues !S SUITE
s DU MÊME SUJET. MOEURS RELIGION
s'étaient extrêmement multipliées dans lesS DES GERMAINS.
Gaules, qui s'étendaient alors depuis les 's Les sociétés germaines nous ont donc of-
Alpes et les Pyrénées jusqu'au Rhin (1). fert l'empreinte et les traits principaux de
Elles étaient aussi turbulentes, aussi agi-i- la constitution naturelle des sociétés poli-
tées qu'elles l'avaient été dans la Grèce » tiques dont nous avons trouvé chez les
qu'elles l'étaient à Rome. A l'arrivée le de Egyptiens le type et le modèle. L'identité
César, la Gaule entière était divisée en deux ix des lois fondamentales de leur existence
grandes factions, à la tête desquelles étaient1t sociale n'est pas un système que l'art ait
les Eduens et les Sequaniens, peuples de la élevé sur des conjectures et soutenu par des
Bourgogne et de la Franche-Comté. Chacun n vraisemblances elle est prouvée par l'iden-
de ces peuples avait ses alliés soit dans la tité de leurs mœurs. On en retrouve quel-
Gaule, soit chez l'étranger. Cet esprit de di-
i- que chose dans leur religion; et la tradition
vision avait gagné partout. « Le peuple, » même, seul monument historique pour des
dit César (De bell. Gall., lib. \i\, « créaitlit temps si éloignés, conserve le souvenir de
des partis pour se donner des protecteurs.:» :»» quelque communication entre ces peuples.
Ne quis ex plèbe contra potentiorem auxilii rii Une partie des Germains, dit Tacite, sacrifie
egeret. Il y avait deux factions dans chaque ie à Isis (on sait que c'était la déesse des Egyp-
cité et jusque dans chaque famille Etiam m tiens), et le vaisseau, emblème sous lequel

(1) Si le Rhin est la borne naturelle de la cas de succès, de l'obliger à les démolir ce serait
France, dès que, de gré ou de force, la France s'est
ist rendre la France à sa tendance naturelle et, sous
renfermée dans des limites plus étroites, en forti-
ti- ce rapport, les places. fortes de la France garan-
fiant plusieurs lignes de places, ce serait une
ne lissaient de la conquête les pays voisins, cornais
fausse politique à quelque puissance étrangère, en la France elle-même de l'invasion.
239 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 240
elle est adorée, indique que le culte de cette3 Bon constituée, dans la-
Dans une société non
déesse a été porté en Germanie par des na- quelle les lois sont n< n nécessaires ou con-
vigateurs Docet advectam religionem. Jea traires à la nature <es êtres, les mœurs pri-
passe à des preuves plus décisives. vées peuvent être bonnes, ou conformes à
La fin de toute société est la conservation
». la nature des êtres.
des êtres qui la composent. Dans une société constituée, les mœurs
La volonté générale de la société qui veutt privées peuvent être mauvaises, et les mœurs
parvenir à sa fin s'exerce par le pouvoir gé- publiques être bonnes.
néral, et le pouvoir général par la force pu- Ainsi, une société dans laquelle le divorce
blique ou générale. et l'exposition des enfants seraient permis,
La volonté générale se manifeste et le3 aurait des Ibis défectueuses ou contraires à
pouvoir général agit par des lois qui doiventt la nature des êtres; mais si l'homme ne fai-
être l'expression de la volonté générale. sait jamais usage décès lois, les mœurs
Les lois sont écrites ou non écri-tes. Less privées seraient bonnes. L'imperfection des
premières s'appellent particulièrement lois; lois peut et doit entraîner la corruption des
les secondes, coutumes, mœurs, habitudes. mœurs privées parce qu'il est dans la na-
Les coutumes sont les habitudes d'une na- ture de l'homme qu'il fasse ce que sa pas-
tion les habitudes sont les coutumes deî sion lui inspire et que la loi lui permet.
l'individu les mœurs sont ou des'coutumess Si les individus d'une nation étaient adon-
ou des habitudes, selon qu'il s'agit d'une» nés au libertinage ou livrés à la fureur d'un
nation ou d'un individu. jeu ruineux, les mœurs privées seraient
Une société constituée est celle qui par- mauvaises; mais s'il y avait de la gravité
vient à sa fin; une société non constituée estt dans le sacerdoce, de l'honneur dans le mi-
celle qui ne parvient pas à sa fin. litaire, de la probité dans les juges, de la
Donc les lois et ies mœurs seront plus bonne foi dans le commerçant, les mœurs
parfaites à mesure qu'une société sera plus publiques seraient bonnes. Il est à craindre
constituée. que la corruption des mœurs privées n'en-
Donc les lois et les mœurs seront moins traîne la dépravation des moeurs publiques,i
parfaites, à mesure que la société sera moins parce que les passions dans l'homme qui
constituée. leur cède ne tardent pas à l'emporter sur
Je n'ai pas besoin de dire que la perfec- les devoirs.
tion ou l'imperfection d'une loi écrite out Ainsi, dans une société non constituée
non écrite consiste à être ou à n'être pas uni les mœurs de l'homme doivent lutter sans
rapport nécessaire dérivé de la nature des cesse contre la loi, ce qui est contre la na-
êtres qui composent la société. ture des choses;
L'homme,considéré en société naturelle,, Et dans la société constituée, la loi doit
ou l'homme de la famille a des habitude?; sans cesse lutter contre les moeurs de l'hoai-
ce sont ses mœurs ou les mœurs privées ou me, ce qui est dans la nature.
domestiques. Les peuples non policés n'ont que dt/3
L'homme, considéré en société politique, mœurs ou des coutumes ce sont leurs lois.
ou l'homme social, a des habitudes ce sontt Lés Germains n'avaient que des coutumes.
ses mœurs ou les mœurs publiques ou so- Pour conserver les êtres qui la composent,
çiales. et parvenir à sa fin, la société doit réprimer
Dans la société politique non constituée, la passion ou la force de l'homme, et proté-
qui n'est pas une véritable société politique,ger sa faiblesse.
il n'y a point d'hommes sociaux il n'y a La société constituée réprime la passion
point de mœurs publiques ou sociales; et ou la force de l'homme par le frein du pou-
parce qu'il n'y a que des mœurs privées, la voir social la société non constituée ne la
société non constituée périt par la corrup- réprime pas, parce qu'elle n'a pas de pouvoir
tion des mœurs privées. social ou général. Je renvoie, à cet égard, à
Dans la société politique constituée, qui ce que j'ai dit au chapitre 10 du livre i".
est la véritable société politique il y a des La société protège la faiblesse de l'homme
hommes sociaux, il y a des mœurs publi- par les lois écrites et non écrites, par les
ques ou sociales; aussi la société constituée lois et par les mœurs.
ne peut éprouver de révolution que par la La société constituée protége la faiblesse
dépravation des mœurs publiques. la société non constituée l'opprime.
anaaa.
La preuve en est dans l'histoire des socié-

ié-
J rUL
aux
{ w.
\ui». rAi\i..i.iv/uï. ruLaxi\£uij.
<1~ ~ti~t~n qui
besoins d'une population
lit- h*
nn; paraît
nora?t fa-
m1**

tés égyptienne grecque romaine et ger- Br- buleuse.


1 Mais comme les hommes se multi-
maine, seules sociétés]! de l'antiquité que
[ue plient
1 et que la terre ne s'étend pas, toute
l'on doive considérer, parce qu'elles com- m- société
i doit, sous peine de périr elle-même
i de faire périr les sociétés
voisines, avoir
prennent tous les genres, toutes les espèces, es, et
tous les états de .société qu'elles, renfer- sr- des
( moyens coupables ou légitimes, doux
ment les éléments de toutes les combinai- lai- ou
< violents, de consommer ou de prévenir
sons des sociétés, et que nos sociétés poli- >li- un
i excédant de population. L'Egypte dé-
tiques modernes n'en sont que le dévelop- >p- pensa
1 donc ses hommes par ses travaux in-
pement plus où moins étendu. croyables
< dont les monuments existent en-
La faiblesse de l'homme est celle de l'âge, ge, core,
< et par ses colonies nombreuses que les
du sexe, de la condition du vieillard ou de savants i
retrouvent en Asie et peut-être en
l'enfant, de la femme, de l'esclave. Amérique. Ainsi, quand l'Europe civilisée
Chez les Egyptiens la vieillesse était tait a été surchargée d'habitants, la nature lui a
puisque leur principale vertu était
tait montré en Amérique de nouvelles terres à
honorée, punir.
la reconnaissance; la vieillesse était honorée réo cultiver, et peut-être des peuples à
les Grecs, chez lesquels il était doux rde
de La France, qui plus qu'un autre Etat de
par excédant de popula-
vieillir, et qui, ayant retenu les institutions ons l'Europe peut avoir un
l'éducation, avaient conservérvé tion à dépenser, avait dans le partage du
de l'Egypte sur l'Amérique un lot mar-
la loi sur le respect dû aux vieillards, qui vaste continent de bientôt
s'y rapporte. La vieillesse était honorée chez hez qué par la nature elle le perd, et
les Romains mais à mesure que la société iété la révolution la plus meurtrière vient con-
population la plus pré,
s'éloigna davantage de la constitution et que nue sommer jusqu'à sa
qui s'applaudit de
les institutions démocratiques prirent le cieuse; et l'Angleterre, voit
dessus, les mœurs s'altérèrent, l'intérêt prit lui enlever le
Canada, ne pas la faute
du.sentiment; vieillard riche. et énorme qu'elle commet en ôtant à ce fleuva
la place un a
enfants était accablé de soins et de flat-
[lat- immense un 'épanchement nécessaire. Ce
sans perdu en Amérique,
teriespar une foule d'intrigants avides qui lot que la France a Europe et les guerres
avaient fait de l'art de succéder une théorie Drje elle le recouvrera en
bli- les plus sanglantes, et peut-être les plus
savante et profonde, une profession publi-
et comme sous les empereurslurs inquiétantes pour l'Angleterre seront la,
que reconnue
sion suite du traité de 1763, qui, malgré na-.
la
la même espèce d'hommes fit une profession population dans,
publique, un métier avoué et lucratif du ture, a resserré une énorme m'ar-
rôle infâme de délateur. un espace qui ne peut la contenir. Je
rête sujet et les développements histo-
Chez les Germains, la vieillesse était ho- ce
pourrais l'accompagner, me
norée elle l'était davantage, à mesure que riques dont je
Je vieillard était entouré d'une plus nom- om_
conduiraient trop loin.
breuse postérité. Chez ce peuple vertueux, eux, Je reviens aux Egyptiens.
ce n'était pas, comme à Rome, un avantage tage On aime à croire que ce peuple, le plus
pour le vieillard d'être sans enfants. Quo sage et le plus
juste qui fut jamais, n'op-
major adfinium nûmerusp tante gratiosior sior primait. pas l'enfance par l'exposition pu-,
senectus, mec ulla orbitatis pretia. (Tacit.) -.} blique, quoique l'histoire de Moïse et
L'enfance n'était pas également respectée ctée J'exemple des colonies égyptiennes ancien-
peuples. Le détail suivant pourra
urra nes et modernes, et particulièrement des
par tous ces
paraître curieux. Grecs et des Chinois, autorisent à penser le
Les Egyptiensne redoutaient pas, pourleur leur contraire.
société, l'excessive population « Les sages âges Les politiques grecs étaient extrêmement
d'Egypte,»ditBossuet,« avaient particulière- ère- embarrassés du nombre des hommes comme
ment étudié le régime qui fait les esprits prits ils ne les classaient pas dans des profes-
solides, les corps robustes, les femmess fé- sions, ils ne savaient où les placer. « Rien, »
ce
condes et les enfants vigoureux par ce dit Montesquieu, « ne fut négligé de ce qui
ït en pouvait empêcher la trop grande multipli-
moyen, le peuple croissait en nombre et
force. » (Histoire universelle.) cation des enfants. D'abord, ils s'attachèrent
L'agriculture la plus perfectionnéequidfut fut à régler le nombre des citoyens. Platon,
mille
jamais, le sol le plus fertile, le climat le plus dans sa République, le fixe à cinq
productif et. le moins exigeant, suffisaient aient quarante; et il veut que l'on arrête ou que
HZ CÈÙVRE^ COMPLETESDE M. Î)E BONAL0. Il 2«
l'oit encourage la population. Il veut bientôt un être vil et nuisible aux
l'ori
.A.même que l'on règle le -1
1- nombre des maria- politique. Les législateurs
yeux de la
grecs font des
ges, de manière que le peuple se répare lois pour borner le. nombre des citoyens
sans que la république soit surchargée. Si les législateurs français commandent .des
la loi du pays, dit Aristotei défend d'expo- massacres pour le réduire et annoncent
ser les enfants, il faudra borner le nombre hautement le projet de le diminuer de moi-
de ceux que chacun doit engendrer. Si l'on tié. Les mêmes principes conduisent infail-
a des enfants au delà du nombre défini par liblement aux' mêmes conséquences.' J'en
la loi, il conseille de faire avorter la femme viens aux peuples barbares.
avant que le fœtus ait vie » (Esprit des lois, Si les Romains, qui faisaient aux pères
liv. xxin, ch. 17, 22.) une loi de ne pas tuer leurs enfants mâles ni
« Le moyen infâme qu'employaient les les aînées de leurs filles, qui leur permet-
Crétois pour prévenir le trop grand nombre taient de faire périr les filles cadettes et les
d'enfants est rapporté par Aristote, et j'ai enfants mal conformés, qui portaient l'hu-
senti la pudeur effrayée quand j'ai voulu le manité jusqu'à défendre de tuer un de ces
rapporter. » (Ibid.) enfants qu'il n'eût atteint l'âge de trois ans,
Que toutes ces sottises se trouvent dans avaient, selon Montesquieu,une assez bonne
des politiques grecs, je n'en suis pas étonné; police sur l'exposition des enfants il faut
mais que Montesquieu les rapporte sans un convenir qu'elle n'était pas mauvaise chez
témoignage d'improbation, c'est ce que j'ai les Germains, qui proscrivaient sévèrement
peine à concevoir. C'est donc un-être bien toutes ces horreurs « On regarde comme
Yil que l'homme t un crime de borner le nombre des enfants,
Passons aux Romains. ou d'en faire périr un seul. » Numerum li-
cc Les premiers Romains, » continue cet bérorum finire, aut quemquam ex agnatis ne-
auteur, « eurent une assez bonne police sur care, /làgitium habetur. (Tacit.)
l'exposition des enfants. Romulus imposa à Si les lois grecques et romaines sur l'ex-
tous les citoyens la nécessité d'élever tous position des enfants sont dans la nature de
les enfants mâles et les aînées des filles; si la société, la société n'est pas dans la nature
les enfants mâles naissaient difformes et de l'homme si la société est dans la nature
monstrueux, il permettait de les exposer. de l'homme, les moeurs germaines sont dans
Romulus ne permit de tuer aucun enfant la nature de la société. Ces propositions
qui eût moins de trois ans; et par là il con- sont évidentes.
ciliait la loi qui donnait aux pères le droit C'est par l'état social des femmes qu'on
de vie et de mort sur leurs enfants, et celle peut toujours déterminer la nature des ins-
qui défendait de les exposer. » {Ibid.) titutions politiques d'une société.
« On trouve encore que la loi qui ordonnait En Egypte, où nous avons trouvé le type
aux citoyens de se marier et d'élever tous de la constitution, les lois soumettaient les
leurs enfants, était en vigueur l'an 277 de maris à leurs femmes en l'honneur d'Isis
Rome,' et que l'usage avait seulement res- ce qui veut dire
que cette dépendance était
treint la loi de Romulus, qui permettait inspirée par la religion et lés mœurs, plu-
d'exposer les filles cadettes. » (Ibid.) tôt qu'elle n'était commandée par les lois
Alors les mœurs étaient bonnes, et elles on n'y connaissait donc ni le divorce ni la
repoussaient des lois atroces. Mais les lois polygamie.
]
qui favorisent des passions doivent l'empor.; La faiblesse du sexe était opprimée en
ter sur des mœurs qui n'ont pour elles que Grèce ( par la religion qui consacrait la pros-
des sentiments la coutume d'exposer ses titution, 1 elle était opprimée par la loi qui
enfants s'introduisit à Rome, « lorsque le permettait
1 le divorce car le divorce est op-
luxe ôta l'aisance, que les richesses parla-. pression
1 pour le sexe le plus faible, même
gées furent appelées pauvreté, et que le lorsqu'il1 le provoque.
père crut avoir perdu ce qu'il donna à sa A Rome, la religion protégeait la faiblesse
famille. » du
c sexe par les prérogatives qu'elle accor-
On a vu chez les peuples policés des lois daitc à la chasteté et à la fidélité conjugale.
cruelles, et des mœurs aussi cruelles que 1La loi l'opprimait par le divorce les mœurs
les lois on en a vu le motif; mais on n'en privées,i tant qu'elles furent bonnes, furent
voit pas le principe. Quand l'enfant n'est pas naturellement
r d'intelligence avec la religion
i*ra être sacré aux yeux de la religion, il est contre
c la loi et par le respect pour les aus-
pïces qui consacraient l'union des époux, Germains,
Ger de l'union intime des époux, de
pendant cinq cent vingt ans, personne n'usa la courageuse
c fidélité des femmes, de l'édu-
du divorce jusqu'à Carvilius Ruga, séna- cati mâle et sévère des enfants, est d'un
cation
teur, qui répudia sa femme pour cause de sut
sublime de pensée, de sentiment et d'ex-
stérilité. Trois auteurs anciens qui ont écrit pression,
pre que je pourrais paraphraser. mais
sur l'histoire romaine rapportent ce fait ils que je désespère de traduire.
en font honneur à la pureté des mœurs des Nous avons vu en Egypte les maris sou-
F
premiers Romains; ils ajoutent que Carvilius mis à leurs femmes par la force de la reli-
en devint odieux au peuple; et Montes- gio et des mœurs chez les Germains, les
gion
quieu s'échauffe à prouver que ce fait n'est feu
femmes regardées comme des êtres au-des•
pas vraisemblable;
qxTiï n'était pas possible sus de l'humanité par la force de l'opinion5
que personne n'eût usé du divorce dans un nous retrouverons dans nos monarchies mo-
noi
aussi long espace de temps et comme il dei
dernes la même opinion et les mêmes
assure que le divorce a ordinairement une mo
mœurs et c'est la preuve la plus forte de
très-grande utilité politique, il est naturel l'identité
-Pie des principes constitutifs des so-
qu'il veuille en multiplier les exemples. ciétés
cié égyptienne, germaine, et des sôeié-
Mais lorsque la loi eut corrompu les mœurs, tés monarchiques modernes.
et que la corruption des mœurs eut affaibli ]La faiblesse de la
condition ou celle de
le frein déjà si faible de la religion païenne, l'esclave
l'e: n'était pas plus protégée chez les
alors la loi du divorce produisit J'effet Gr
Grecs et les Romains, ni plus opprimée
qu'elle doit produire dans toute société qui ch l'Egyptien et le Germain que la fai-
chez
n'est pas contenue par V exemple d'une autre blesse
bl< de l'âge ou celle du sexe.
société. Il devint une véritable polygamie Les Egyptiens n'eurent des esclaves que
!a licence opprima la femme libre, comme lorsque leur constitution se fut altérée s
loi
la Jemme esclave; le désordre et le mépris encore les Hébreux n'étaient-ils esclaves
en
pour cette partie intéressante de l'humanité qu de l'Etat et si la servitude est plus
que
furent poussés à un excès, dont nous ne dt
dure* elle est moins avilissante. Tant que
pourrions nous former une idée, si les la constitution fut en vigueur, l'Etat ne pou<
auteurs satiriques du temps n'avaient pris va avoir d'esclaves, puisqu'il n'avait ja-<
vait
soin de nous en laisser une peinture trop mais
m la guerre; ni le particulier, car à q,uoi
fidèle. lé'e aurait-il employés, puisque l'agriculture
les
Voilà les mœurs des républiques policées était chez l'Egyptien l'occupation la plus
ét
voici celles des monarchies barbares. honorable ?
h(
La coutume chez les Germains attribuait En Grèce, les esclaves étaient de vérita-
bl bêtes de somme
bles les Lacédémoniens
.aux femmes de grandes prérogatives et
voyez l'attention de la nature, qui inspire étaient
et nourris par les Ilotes, les Crétois par
des sentiments aux nations ou aux hommes les Perieciens, les Thessaliens par les Pé*
le
auxquels elle ne peut encore donner des nestes.
ni L'outrage de l'esclavage personnel
connaissances. L'opinion de ces peuples était
éi ajouté à la dureté de l'esclavage réel.
simples allait jusqu'à attribuer aux femmes « Ils
étaient soumis à tous les travaux hors
d< la maison, et à toutes sortes'd'insultes
de
quelque chose de divin et de prophétique,
Jnesse quin etiam feminis sanctum aliquid et ddans la maison. Ils ne pouvaient avoir au-
providum putant. Les mœurs proscrivaient cune
ci justice ni contre les insultes, ni contre
1< injures. L'excès de leur malheur était
les
le divorce et la polygamie. « Plus heureuses
et plus sages, » dit Tacite* « sont les nations tel,
t< qu'ils n'étaient pas seulement esclaves
germaines, chez lesquelles il n'est permis d'un
d citoyen, mais encore du public; ils ap-
partenaient à tous et à un seul. » (Esprit des
aux .jeunes filles de céder qu'une fois p
seulement au vœu ue la nature. L'époux au- lois.) Mais ce n'était rien encore au prix de
l>

quel elles s'engagent est leur corps, leur la loi épouvantabledu Cryptia ou de l'Em-
1<

âme, leur existence même toute pensée buscade,


b qui regardant le malheureux Ilote
secrète, tout désir prolongé» tout espoir ccomme un ennemi
domestique, faisait de
étendu dans l'avenir sont interdits c'est 1l'assassi-nat de l'esclave un exercice pour le
leur mari et non le mariage qu'elles doi- j
jeune citoyen, et opprimait ainsi jusqu'à la
vent aimer. » servitude
s même.
Je ne citerai pas le texte. Tout ce que dit Tant que les principes monarchiques se
Tacite des cérémonies du mariage chez les conservèrent
( à Rome sous des formes aris*
to(,ratiques, les mœurs romaines furent bon- tache. «S'il vient à le tuer,
nes et l'esclave fut heureux. « Les pre- ce n'est pas en
vertu d'une loi et comme châtiment', mais
miers Romains vivaient, travaillaient et dans un premier mouvement, et
mangeaient avec leurs esclaves, .ils avaient comme il
tuerait un ennemi. On ne distingue
pour eux beaucoup de douceur et d'équité. » pas,
aux douceurs de l'éducation, le maître de
(Esprit des lois.) l'esclave ils vivent sur le même sol,
Mais lorsqu'il n'y. eut plus de pouvoir au
milieu
1 des mêmes troupeaux, jusqu'à ce
dans cette société, et que toutes les
pas- <que l'âge sépare l'enfant de l'homme libre
sions furent déchaînées, l'esclave devint de
re- i celui de l'esclave, et que sa vertu le fasse
dou!able, parce qu'il avait aussi ses
sions, et que la passion de dominer Jetait
pas- reconnaître. »
Ces hommes, que les Romains appelaient
exaltée par la servitude môme. Il fallut
sup- esclaves, servi, parce qu'ils n'avaient au-
pléer au frein du pouvoir par des lois hu- <
cune
( expression pour désigner cette espèce
maines, et elles furent atroces, insensées, d'engagement
( qu'ils ne connaissaient pas,
absurdes comme le législateur. Ecoutez n'étaient
i précisément que des colons par-
Montesquieu « On fit le sénatus-consulte tiaires t et Tacite le dit expressément.
Sillanien et d'autres lois, qui établirent Les Germains se servaient de leurs es-
que
lorsqu'un maître serait tué, tous les esclaves claves
c pour la guerre. « Dans la plupart des
qui étaient sous le même toit, ou dans
lieu assez près de la maison pour qu'on pût un républiques,
r » dit Montesquieu, « on a tou-
jours
} cherché à abattre le courage des es-
entendre la voix d'un homme, seraient sans claves le peuple
distinction condamnés à la mort. Ceux qui, même, c Germain, sûr de lui-
-n cherchait à augmenter l'audace des
dans ce cas, retireraient un esclave
pour le -siens.
s »
sauver, étaient punis comme meurtriers. Ce- Ces esclaves, qui cultivaient
lui-là même, à qui son maître aurait ordonné mêmes pour eux-
n la propriété de leur maître, et qui
de le tuer, et qui eût obéi, eût été
coupa- combattaient
c avec lui pour défendre leur
ble; celui qui ne l'aurait point empêché de propriété
p commune, sont devenus en Eu-
se tuer lui-même aurait été puni. Si un mat- n
tre avait. été tué dans un voyage, on faisait religionrope les paysans., lorsque la réunion de la
chrétienne à la société politique,
mourir ceux qui étaient restés avec lui, et r< former la
pour
p société civile, a rendu ce dé-
.ceux qui s'étaient enfuis. Toutes ces lois veloppement nécessaire.
,avaient lieu contre ceux même dont l'inno- l'esclave vi Ces terres que
1'1 travaillait en payant une redevance
cence était prouvée. » à son maître, le vassal les a travaillées
Je ne connais de lois qui ressemblent à P' en
payant une redevance à- son seigneur. Lors
celles-là que les lois révolutionnaires. Non- de d< l'introduction des Germains dans
seulement la loi opprima l'esclave, mais Gaules, les
G la propriété donnée pai le pouvoir do
elle permit au maître de l'opprimer; des lois la société, à titre
de bénéfice ou viagère-
«ruelles formèrent des mœurs plus cruelles ment, m aux chefs particuliers; distribuée par
encore et l'on se rappelle qu'Auguste, ceux-ci, ce sous les mêmes conditions, aux
soupant chez Pollion, ne put l'empêcher de soldats so qu'ils avaient amenés de Germanie,
faire jeter aux poissons
un malheureux es- 01 ou aux Gaulois qui s'étaient rangés sous
clave qui avait cassé leurs drapeaux pour échapper à la tyrannie
un vase de cristal, et le
qui implorait l'intercession de l'empereur, des de Romains cette propriété, dis-je, est de-
qu'en usant ou en abusant de
son autorité, ve venue fixe et héréditaire sur la tête des chefs.
pour donner lui-même la liberté à l'es- et «t sur celle des soldats. Les uns comme les
clave. autres ont été comme attachés à la glèbe,
au
Chez les Germains, peuple barbare, « l'es- c'est-à-dire
Ce investis d'une propriété déter-
clave n'a point d'office dans la maison, mi minée, inamovible, qu'ils possédaient, à la
parce que les travaux domestiques charge d'un service militaire envers l'Etat.
ch,
faits par les femmes et les enfants. sont Te Telle est l'origine de la féodalité, dont
» Cha-
que esclave a sa maison et sa famille. 11 l'ignorance ou le faux savoir ont tourmenté
l'if
air maître une certaine quantité de blé,paye de l'histoire
-l'h de cent manières différentes. J'y
bétail ou .d'étoffe l'objet de
son esclavage reviendrai
rei plus loin.
ne va pas plus loin Servus hac tenus paret. La
] nature, par cette institution sublime,
par
liarement le maître punit-il
<Ji'S
son esclave par tro
la prison ou par une certaine sol,
trouva le secret de doubler, sans étendre le
sol là propriété foncière, la seule
que !a
249 PART. I, ECONOM. SOC– THEORIE DU POUVOIR. PART. 1. POUV. POLITIQUE. LIV. III 250
société doive connaître; et elle en propor- rantie
r des lois les plus solennelles, qui a
tionna l'espèce à la fonction de chacun dans peuplé,
p et qui tous les jours encore peu-
la société. Au noble, qu'elle appelait à dé- plait
p de familles propriétaires les contrées-
fendre la société, et qui devait être toujours les1< plus stériles de la France; ce contrat,
prêt à remplir cette destination, elle donna dontd la nature sollicitait l'extension, comme
une propriété sans travail qui pût le rete- le li développement nécessaire d'un rapport
nirtau peuple, dont il fallait contenir les qui q dérive de la nature d'une grande so-
passions, elle donna une propriété avec tra- ciété,
c de la nature des fonctions sociales, et,
.vail qui pût l'occuper. A l'un, elle attribua en e plusieurs endroits, de la nature même
certains honneurs qui pussent marquer l'u- du d sol; ce contrat a été regardé, par la phi-
tilité de ses fonctions dans l'ordre social; losophie,
Il comme une oppression le pro-
elle obligea l'autre à certains devoirs qui priétaire
p bienfaisant qui l'avait consenti,
l'accoutumassent à respecter celui auquel il comme
c un tyran le pauvre qui l'avait ac-
devait obéir; et, pour en donner un seul cepté c avec reconnaissance, comme un es-
exemple, le droit de chasse, utile au noble clave
c et comme on ne s'arrête pas dans lés
qu'elle aguerrit, funeste au paysan qu'elle voiesv glissantes de l'iniquité, ces propriétés,
distrait, fut, par la loi, réservé à l'un et dont
d un premier décret avait permis le ra-
ôté à l'autre. chat,
c un décret postérieur en a prononcé
Je sais que les passions de l'homme se0 l'anéantissement
1' de peur qu'il n'en restât
mêlèrent plus d'une fois aux sages disposr- quelque
q trace, un autre a ordonné l'incen-
t'ons de la nature la nature se sert de die d des monuments qui les constataient
l'homme pour exécuter ses volontés mais *•bientôt, plus vorace que le temps, plus des-
Fliomme est un instrument imparfait, et la tructive
tl que la guerre la philosophie a
nature est obligée de retoucher son ou- commandéCl la démolition de ces antiques
vrage. Il en résulta quelquefois des coutu- asiles
a d'une pauvreté honorable ou d'une
mes bizarres, oppressives ou immorales, richesse ri bienfaisante il ne manquait plus
parce que les passions n'eurent point 'de q que d'ordonner le massacre de ces proprié-
t!
frein lorsque la société fut assujettie à une taires coupables d'avoir succédé à leurs
foule de pouvoirs mais peu à peu tout P pères ou d'avoir eux-mêmes appelé leurs
rentra dans l'ordre; le pouvoir général, au vvassaux à la propriété en leur distribuant
moins en France, s'éleva sur les débris des des d terres et le massacre a été ordonné.
pouvoirs particuliers la religion et les lois J'ai dit que l'on retrouvait jusque dans
firent disparaître tout ce que la barbarie et leî< culte public de la religion païenne, chez
les passions avaient surajouté à l'ouvrage les h Egyptiens et chez les Germains, quelque
de la nature. La philosophie est venue, et vestige
v de la perfection de leurs lois poli-
elle a détruit l'ouvrage même; absurde et ti tiques.
immorale, elle a changé la propriété fon- « Jamais Etat ne fut fondé,» dit Rousseau,
cière du noble en capitaux, et le défenseur « que la religion ne lui servit de base. » On
oe; l'Etat en un vil agioteur. La nature avait a vu plus haut que l'oppression de la reli-
trouvéle secret de doubler la propriété fan- gion
g n'allait jamais sans l'oppression du
g
cière sans étendre le sol la philosophie gouvernement, et réciproquement. Par con-
trouve le moyen de diminuer la propriété séquent,
SI la perfection, ou ce qui est la
foncière sans diminuer le sol;, elle con- même n chose, la constitution politique de la
quiert sur la société- la moitié de 'sa pro- société,
si devrait se trouver toujours avec la
priété, sans lui enlever son territoire mais perfection
p de la religion ou fa constitu-
cette conquête a des effets 'plus funestes tion religieuse
li et cela- serait ainsi, si
elle ôte au peuple toute idée de dépen- 1' l'homme pouvait s'élever de lui-même à
dance, de respect et de considération elle la h religion parfaite, comme il peut, en sui-
fait plus, elle lui ôte toute notion de mo- vantv ses passions, descendre à une religion
rale, de justice et de droit de propriété. Le oppressive
o c'est-à-dire absurde, cruelle,,
jontrat d'inféodation, ce contrat si légitime, lilicencieuse.
dès qu'il est réglé par les lois, puisqu'il est Chez les Grecs et les Romains, sociétés
.e prix d'une chose cédée si nécessaire, politiques
p non constituées ou oppressives,
puisqu'il appelle à la propriété, sans exploi- la
1; religion était oppressive pour l'homme
tation et sans conquête, la partie pauvre moral,n parce qu elle était absurde et licen-
d une nation; ce contrat, passé sous la ga- eieuse;
c pour l'homme physique, parce
& .v.u.uv. VJ4
qu elle était voluptueuse et cruelle. La reli- |. les Romains, ont offert de ces sacrifices abo«-
gion s'accordait donc avec le gouvernement v minables. Les Espagnols trouvèrent dans les
et ce qui prouve bien la vérité du principe, f temples du Mexique deux cent mille crânes
c'est qu'elle était plus oppressive là où la de victimes humaines. J'ai la conviction la
société politique était moins constituée. plusintimequela révolution de France n'eût
Ainsi elle était plus licencieuse, plus vo- pas fini sans qu'on eût offert en réalité et
luptueuse, plus oppressive par conséquent, sans métaphore, à la liberté, ces horribles
.dans la Grèce, où le pouvoir était plus di- holocaustes. J'approfondiraiailleurs les cau-
visé et les institutions populaires dans tout ses de cette affreuse maladie du genre hu-
leur délire elle était plus grave, plus sé- main. Je reviens aux peuples du Nord. Quel-
vère, plus chaste à Rome, où le pouvoir que absurde, quelque cruel que fôt leur
jetait plus réuni, c'est-à-dire plus constitué, culte, on démêle cependant dans leur reli-
.et où la société avait même la faculté pré- gion des idées ou pour mieux dire des sen-
cieuse et particulière à elle seule, de con- timents de la nature de la divinité, bien plus
stituer parfaitement son pouvoir, toutes les justes que chez les autres peuples. La nature
Sois que l'intérêt de sa conservation le de- inspirait des sentiments à ces nations dociles
mandait ce qu'elle faisait en nommant un à ses lois, en attendant que la véritable reli-
,dictateur, comme nous l'avons dit. gion pût leur donner des connaissances.
En Egypte et chez ies Germains, où la Ecoutons Tacite les expressions dont il se
société politique était constituée, le gouver- sert sont remarquables.« Au reste, » dit-il,
nement était nécessairement en contradic- a les.Germains ne.pensent pasqu'ilsoit digne
tion perpétuelle avec une religion qui ne de la majesté des dieux de les renfermer
•J'était pas. La guerre était inévitable entre dans des murs, ou de les représenter sous
un gouvernementprotecteur et une religion des figures humaines; ils consacrent de vas..
oppressive cette guerre intestine devait tes forais, et ils donnent des noms de divi-
entraîner une révolution dans la religion nités à cette sombre et secrète horreur qu'ils
«u une révolution dans le gouvernement. n'aperçoivent qu'avec les yeux du respect; »
L'une et J'autrej arriva en Egypte. La re- Deorum nominibus appellant secretum illud,
ligion de l'Egypte ne ressemblait à la reli- quod sola reverenlia vident.
gion d'aucune autre contrée idolâtre. Ail- Cer-taiuement une nation qui ne croyait
leurs, les dieux étaient voluptueux ou san- pas que les dieux eussent un corps, n'était
guinaires, et le culte licencieux et barbare pas loinde croire que la Divinité est un pur
,eu Egypte, les dieux furent vils, mais uti- esprit. Je vais plus loin et il me semble
les, le culte fut grave, imposant, cérémo- que Tacite lui-même a méconnu la religion
nieux, et l'on soupçonna même ses prêtres des Germains, religion qui, quoique idolâ*-
d'avoir eu des notions plus relevées de la tre, s'écartait peut-être autant dans son culte
divinité dont ils n'offraient aux peuples que du paganisme des peuples policés, qu'elle
de grossiers emblèmes. Mais cette religion se rapprochait par ses traditions de la reli-
imparfaite, moins constituée que le gouver- gion primitive. Cette méprise, presque iné-
nement, l'entraîna à une révolution; et vitable lorsqu'on traite de ce qu'il y a de
l'Egyptien se ruina par ses divisions, avant plus intérieur dans les institutions d'un peu
.de périr par la conquête. ple non policé, et qui ne présente à l'examen
Chez les Germains, la religion était la re- le plus attentif que des pratiques exté-
ligion païenne, s'il faut en croire Tacite et rieures dont les motifs souvent ignorés du
-César; car il faut observer que les Romains plus grand nombre des individus, doit met-
seuls ont décrit les meeurs de ces peuples, tre en garde contre les relations des voya-
.et que les Romains n'imaginaient pas d'au- geurs, et tout ce qu'ils nous disent de la
ire religion que la leur. Le culte chez les religion des peuples sauvages ou barbares.
Germains était simple, parce que la nation On. retrouve, en effet, dans les croyances
(était dans son .enfance il .était grave, parcereligieuses les plus anciennes des peuples
que les mœurs étaient pures; mais il était du Nord, des traces non équivoques des tra-
«ruel, parce que les habitudes étaient guer- ditions primitives du genre humain, tradi-
rières on voit du moins dans Tacite qu'ils tions conservées dans les livres sacrés de la
immolaient des victimes humaines. Tous les religion constituée o.u chrétienne. « On
peuples de la terre, excepté les Juifs, les sait,
» dit le judicieux Mallet, dans son
peuples même les plus policés, les Grecs et foyage de Norwége, berceau des peuples du
Nord, « on sait que/lans le systèmereligieux appliqué à un plus grand nombre d'objets;
des anciens peuples du Nord on admettait mais je demande Quelle arme que le bon
un ennemi. de Dieu et des hommes, un mau- sens pour défendre un peuple contre les
vais principe qui se manifestait sous diver- Romains? et s'il n'eût été question, dans
ses formes, et qui attaquait sans cesse sour- cette lutte, que de bon sens, qui en avait
dement et buvertement toute la création. plus que les Romains? Les Carthaginois, les
Thor, le fils du Dieu suprême et le second Espagnols, les Gaulois et tant d'autres peu-
des dieux, la défendait avec courage et per- ples soumis par les Romains, ne manquaient
sévérance ses fonctions étaient'de chercher pas de bon sens, et cependant iîs subirent la
partout cet ennemi et de le combattre. Dans joug. Il faut le dire, les Germains résistè-
une des fables de l'Edda, le mauvais prin- rent par leur constitution, comme les autres
cipe est représenté sous la figure d'un grand peuples furent subjugués avec leur forme
serpent marin. Thor, sous celle d'un jeune de gouvernement, ou par leur forme même
homme, va le. pêcher, accompagné d'un géant de gouvernement. « Car, dit Tacite, la H*
auquel il cache son dessein le dieu le pé- berté des Germains est. plus forte que toute
cha, et, suivant quelques récits, il lui brisa la puissance des Parthes; » Quippe regno Ar-
la tête d'un coup de massue. » Les Germains,sacis acrior est Germanorum libertas. L'ou-
à leur entrée dans les Gaules, y trouvèrent vrage de l'homme ne pouvait arrêter les Ro-
la religion chrétienne établie. Disposés par mains la puissance romaine ne devait cé.
leurs opinions à en croire les dogmes, à en der qu'à la puissance de la nature.
pratiquer les vertus par la pureté de leurs extrêmement singulier, » remarque Montes-
Il est
naœur-s, ces fiers Sicambres baissèrent la tête quieu en parlant du démembrement de l'em.
sous le joug de la religion, et la constitution pire romain, parles peuples du Nord, « que
naturelle des sociétés religieuse s'unit à la les nations les plus faibles aient été celles
constitution naturelle des sociétés politiques qui firent les plus grands établissements. »
pour former la véritable société civile. ;€Mj en voit la raison, que cet auteur
ne
donne pas; et, en général, toutes les fois
CHAPITRE IV.
que, dans ses systèmes, il ne peut pas ex-
LES GERMAINS SE MAINTIENNENT CONTRE LES
pliquer un fait, il s'en tire en disant qu'il
est singulier, inconcevable. Les Huns, les
ROMAINS, ET FORMENT DES ÉTABLISSEMENTS.
Arabes ravagèrent; les Germains s'établi-
Les Germains avaient donc la constitution rent les premiers n'étaient que des armées
-égyptienne ou pour mieux dire, la consti- commandées par un général, les seconds
tution naturelle des sociétés et cette cons- étaient des sociétés soumises à des rois.
titution .renfermait en elle-même le germe Il ne manquait à la i société politique des
-de sa perfection et des développements que Germains qu'une religion digne de l'Etre
l'étendue et les progrès futurs de la société suprême, digne de l'homme, protectrice de
-rendaient nécessaires. On verra au chapitre la* société, fondée sur la connaissance de
suivant l'ordre et la suite de ces développe- )l'unité de Dieu et de ses perfections. Les
ments. Germains trouvent la religion chrétienne
Les soeiéAés germaines avaient donc un répandue
] avec les Romains et par les Ro-
principe de conservation, caractère spécial mains, dans tous les pays soumis à leur em-
d'une société constituée aussi elles se con- pire il se fait un échange entre ces peu-
servèrent contre la puissance romaine. Ce ples. Le Dieu du coeur et de la pensée rem-
ne fut pas, comme dit Montesquieu, « avec place chez les Germains les fantômes de l'i-
Je seul bon sens attaché aux fibres grossières magination
i la constitution politique de la
de ces climats, que ces peuples se maintin- naturei remplace chez le Gaulois-Romain les
r.ent contre la puissance romaine. Cette institutions
i politiques de l'homme. Le Ger-
raison matérialiste est aussi indigne d'un main, i en entrant dans la société religieuse
écrivain sensé que d'un lecteur judicieux. du < Romain, voit s'adoucir la férocité de ses
Je ne parle pas de ce bon sens que l'auteur passions,
1 et l'oppression absurde ou cruelle
attache des fibres grossières, ni de l'esprit de < ses dieux. Le Romain, en entrant dans la
qu'il attache à des fibres plus déliées dans société
i politique du Germain, voit cesser les
les climats chauds comme si le bon esprit, désordres
< de son gouvernement et la fai-
ou l'art de trouver des rapports justes entre 1blesse anarchique de ses maîtres; désormais
les objets, était autre chose que le bon sens <ces deux peuples, ces deux sociétés, nofe-
AJV Uliwr,~ vv.wam.a
ront plus qu'un peuple, qu'une société. Si société au dernier degre de trouble, de dé-
les contrées d'où les Germains sont sortis sordre et de malheur cette assertion sera
sont encore livrées à leurs superstitions bar- démontrée en son îieu. Vérités fondamenta-
bares ou insensées, le fondateur de l'Europe, les, dont la théorie est le sujet de cet ou-
Charlemagne, y portera, avec la terreur de vrage puisse son application à la société
ses armes, sa religion et ses lois le chris- être l'objet des méditations les plus sérieu-
tianisme pénètre chez les peuples les plus ses, des efforts les plus soutenus de tous
sauvages et dans les parties les plus reçu- -les gouvernements 1
lées de l'Europe; la civilisation marche à ra Ainsi, pour suivre le parallèle jusqu'au
suite, et vient embellir son ouvrage. (Esprit bout,. l'homme moral ou intelligent se per-
des lois, I. vi, ch. 1-6.) Les nouveaux peu- fectionne par la pratique des lois religieu-
ples se placent, s'étendent, se fixent les ses et morales, et acquiert sur ses pen-
vainqueurs se mêlent aux vaincus, les fa- chants un empire qui fait sa force et son
milles- s'unissent, les terres se partagent, les bonheur. Mais s'il méconnaît ses lois, il
territoires se limitent, les sociétés se perfec- tombe dans l'esclavage de ses sens, et n'y
tionnent, la constitution se développe, les trouve que désordre, trouble et confusion.
nations prennent un caractère et l'Europe Je vais réunir sous un même point de vue
commence. les nouveaux rapports entre la société et
son pouvoir, ou les nouvelles lois politi-
CHAPITRE V. ques que la nature a successivement déve-
loppées dans les sociétés fondées par les
LOIS POLITIQUES DES MONARCHIES MODERNES» peuples Germains. Je prendrai la France
On ne doit pas être étonné de retrouver pour exemple; parce qu'elle était, de toutes
les sociétés, celte dans laquelle il s'était dé-
une constitution semblable chez des peuples veloppé le plus de ces rapports, c'est-à-dire
que la nature a placés aax extrémités oppo- qui avait des lois politiqués plus-nécessaires
sées de l'univers.
L'homme, sous les zones brûlantes, est,t et en plus grand nombre.
le même que dans les climats glacés; il a Reprenons les lois fondamentales.
les mêmes besoins, donc il aura les mêmes La religion chrétienne essentiellement
relations avec ses semblables ou avec les sociale, non-seulement intervint dans tous
êtres inanimés donc il formera avec eux les actes de l'homme social mais elle con-
sacra la société même, en marquant d'un
une même société il a la même passion de
dominer; donc il lui faut le même frein; sceau particulier celui que la nature appe-
donc la société doit avoir partout la même lait à exercer la volonté générale de la so-
constitution. Mais la société ainsi que ciété. Pour l'intérêt de là société, pour le
l'homme, passe par différents états d'en- sien propre, il contracta, dans les mains de
la religion, l'engagement de la défendre; et
fance, de jeunesse, de virilité la constitu-
la religion contracta envers lui l'engage-
tion aura, comme l'homme et la société, ment de le protéger; engagement récipro-
ses différents âges. Elle aura en elle-même
un genre de perfectionnement insensible, que et sacré, que la religion n'enfreint ja-
qui se développera à mesure que la société mais la première, mais auquel le pouvoir de
s'étendra et se perfectionnera, et qui, effet la société ne manque jamais impunément.
Je ne parle qu'en politique. Si Louis XVI,
et cause à là fois de ses progrès, la conduira plus touché de l'intérêt général de la so-
infailliblement au plus haut période de
perfection auquel une sociétépuisse parve- ciété, que sensible aux malheurs particu-
liers que sa résistance n'eût pas manqué
nir les changements que l'on croira re-
d'entraîner, eûf refusé son consentement
marquer dans la constitution d'une société
n'en seront le plus souvent que les dévelop- aux décrets sur la constitution civile des
ministres de la religion,
pements naturels et nécessaires. Cette ob-
servation est particulièrement applicable à Troia. stares. nunc
(Vibgil., Mneid., lib. n, vers. 57.)
la monarchie française.
Les institutions politiques des peuples Les peuples Francs avaient, il est vrai,
qui, comme lés Grecs, cherchent la sagesse fixé dans une famille l'exercice du pouvoir
hors de la nature, ont en elles-mêmes un général; mais ils élisaien* souvent, entre
priucipe de dégénération dont le dévelop- les individus de cette familie, celui qui de-
des
pement successif et nécessaire entraînera la vait l'exercer, en sorte qu'ils souffraient
inconvénients de l'élection,- et de ceux de la de la loi fondamentale du pouvoir uni-
succession héréditaire. C'était ainsi sous la que.
première et quelquefois sous la seconde Ce rapport n'a été entièrement développé
race des rois Francs. Peu à peu, et sans en France, et consacré par une loi DOSitivé,
qu'on puisse en assigner l'époque, la cou- que dans le siècle dernier.
tume s'établit d'appeler à la couronne l'aîné La régence n'est pas fixée en France, par-
des mâles, à l'exclusion des collatéraux et ce, que la régence est une place de con-
des filles; « coutume, •> dit Jérôme Bignon, fiance, et qu'il est contre la nature des cho-
« plus forte que la loi même, cette loi ayant ses qu'une loi fixe, à l'avance et sans le
été gravée non dans du marbre on du cui- connaître, celui qui doit occuper une place
vre, mais dans le -cœur des Français. » de confiance.
Cette loi est dans la nature. Le régent doit être désigné par le prince
1° II est dans la nature que celui des régnant; parce qu'il est dans la nature de
en-
fants qui est le plus tôt en âge de gouver- la société que son pouvoir- conservateur
ner, soit le premier appelé à exercer le pou- prenne à sa conservation l'intérêt le fplus
voir. vif et le plus éclairé et il est dans la nature
2° L'exclusion des collatéraux est égale- de l'homme que personne ne prenne à la
ment fondée sur là nature. Car il est dans personne du fils un intérêt plus vif et plus
la nature de l'homme qu'un prince régnant éclairé
que le père.
prenne de l'ombrage de celui qui doit lui Mais si le prince régnant n'a pu faire ce
succéder, s'il n'est que'son parent et il est choix, il est incontestable que la régence
dans la nature de l'homme qu'il ne soit pas appartient de droit au plus proche parent du
jaloux de son fils. D'un autre côté, le suc- roi mineur; parce que, représentant le chef
cesseur désigné pourrait être tenté d'usur- de la famille dans l'ordre de la nature, il a
per la couronne sur son parent; et il est droit, dans l'absence ou l'empêchementdu
dans la nature de l'homme qu'il ne soit pas chef, à représenter le pouvoir dans l'ordre
tenté de l'usurper sur son père. de la constitution, et qu'ainsi l'on peut dire
3° 11 est dans la nature que les femmes qu'il faut une loi pour l'exclure, mais qu'il
soient exclues de la succession n'en faut pas pour l'appeler. Telles sont les
1" Parce que la nature n'a pas destiné ce saines maximes, telle est la loi en France,
-•
sexe à être pouvoir, puisqu'elle ne lui a pas parce que telle est la loi de la nature.
donné la force. Quand Louis XIV, n'osant pas exclure son
2° Par conséquent, il est contre la nature neveu de toute part aux affaires, nomma un
qu'elle dirige la force publique, première conseil de régence, au lieu de nommer un
fonction du pouvoir général. régent, il commit une grande faute, il di-
3° Parce que la femme est destinée par
.a visa le pouvoir il manqua à la foi fonda-
nature au mariage, c'est-à-dire à être dé- mentale et par le fait, il déféra la régence
pendante, et qu'il est contre la nature du au duc d'Orléans. On croit que le peu d'é-
pouvoir que celui qui l'exerce soit assujetti, gard qu'eut le parlement de Paris pour les
ou contre la nature de la société qu'il trans- dernières volontés de ce prince, entraîna de
porte de lui-même le pouvoir en d'autres grands malheurs; mais qui peut connaître
mains. les désordres qu'eût entraînés le mépris de
Dès que le droit successif héréditaire à la la loi fondamentale du poùvoir unique?
couronne était fixé dans l'aîné des mâles de Je :passe aux distinctions sociales elles
la maison régnante, les mariages que les in- ont subi des développements qu'il importe
dividus de cette famille pouvaient contrac- de remarquer.
ter ne devaient plus être indifférents à la Le sacerdoce ne pouvait plus être uno
société il était dans la nature de la société professionhéréditaire
sous une religion qui
qu'elle ratifiât, par l'organe de sa volonté prescrivait le célibat à
ses ministres; mais
générale, des alliances qui devaient assurer comme tout y était spirituel, la succession
la perpétuité de la succession. devint spirituelle l'effet politique, c'est-à-
La nécessité du consentement que donne dire,l'effet de limiter le pouvoir par l'indé-
la société, par l'organe du monarque, aux pendance de la profession et l'inamovibilité
alliances que contractent les membres de la de la personne,n'en acquit que plus de force;
famille régnante, est donc une loi politique, mais,
par la faute de l'homme qui met par-
conséquence nécessaire, quoique médiate, tout ses passions à la place de ses devoirs,
– -v^uvmv, ii^ucosniic, 4110114110 uioumie, iuui passions a la piact) ue uuvu
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cette force quelquefois devint excessive. ciété en sorte que, par une institution, su-
Les besoins de l'homme en société se mul- blime, et qui n'a pu émaner que de la vo-
tiplient, et les besoins réels créent les arts lonté générale de la société qui a la conser-
utiles comme les arts superflus ou dange- vation de la société pour objet, la récom-
reux créent les besoins factices. La société pense la plus honorable, ,1e salaire Je plus
ne devait pas laisser sans récompense les précieux dont la société pût payer un bien-
travaux importants, les découvertes utiles, fait, fut d'admettre la famille du bienfaiteur
les chefs-d'œuvre de l'imagination et du au nombre de celles qui étaient plus parti-
goût, l'étude approfondie des sciences, les culièrement consacrées à la conservation de
talents de l'homme d'Etat, les vertus du ci- la société, et par leur naissance même dé-
toyen car, dans une société constituée,l'hé- vouées à sa défense. Car, qu'on ne s'y
roïsme des vertus et l'éclat des talents mili- trompe pas, la noblesse n'est une distinction
taires ne devaient pas être les seuls honorés. qu'en ce qu'elle est un engagement particu-
11 était dans la, nature des choses lier, dont on verra plus loin le motif et la
que la so-
ciété payât tous les services qu'on lui ren- nature. Ainsi l'on n'est pas militaire, parce
dait, et qu'elle proportionnât le salaire au qu'on est d'une famille noble; mais on est
service, la récompense au mérite, la recon- noble, parce qu'on est d'une.famille mili-
naissance au bienfait. Or tous les services taire, quoique l'individu puisse exercer
rendus à la société, tous les bienfaits dont quelque autre profession également utile à
elle est l'objet, ont un effet aussi durable la société et plus analogue à sa position. La
que la société même. La récompense ou le service militaire social constitutionnel ou
salaire devait donc durer autant que la so- défensif est doncla véritable destination, le
ciété. Récompenser quelqu'un est .le.distin- premier motif de la. noblesse tout le lui
guer des autres.; et la société ne connaît rappelle, jusqu'à ses emblèmes; tout le
d'autres distinctionsque les professions so- prouve, jusqu'à son expulsion de la France
ciales ou distinguées. D'un autre côté, la so- et de ses armées, que les factieux n'ont pas
ciété ne considère jamais l'homme, mais la manqué de provoquer secrètementou même
famille; elle récompensa donc son bienfai- d'ordonner, lorsqu'ils ont voulu détruire la
teur en récompensant sa famille, elle récom- société.
pensa la famille en la distinguant elle la C'était donc une loi bien inconstitution-
distingua (1) en l'agrégeant à une profession nelle que celle de Henri IV, qui ordonnait
distinguée. Ainsi elle proportionna la récom- qu'à l'avenir la noblesse ne s'acquerrait puis
pense au bienfait relativement à la sopiété par les armes (2) et le président Hénault
en la faisant durer autant que la société et s'en étonne avec raison. C'était donc une loi
relativement au bienfaiteur, en la faisant constitutionnelle ou plutôt un retour tardif
durer autant que sa famille. Telle est l'ori- à la constitution, que la loi de 1750, qui
gine de nos lettres d'anoblissement,manière fixait l'époque après laquelle la noblesse
d'agréger de nouvelles familles à la profes- personnelle de l'homme de guerre devien-
sion sociale ou à la noblesse, qui a précédé drait héréditaire dans sa famille.
et qui a dû précéder celle par exercice de "C'était donc une violation absurde et ma-
charges, dont je parlerai en son temps. nifeste de la constitution que cette loi ré-
Cette loi politique est une conséquence cente, qui, fermant l'accès de la profession
nécessaire de la loi fondamentale des distinc- militaire aux familles non agrégées, rendait
tions sociales, et le résultat inévitable des impossible l'agrégation de nouvelles famil-
progrès de la société et de ses besoins. les par la voie la plus naturelle, la plus ana-
La société politique ne pouvait agréger à logùe aux fonctions sociales de la noblesse,
la professionsacerdotale les familles qu'elle et devait à la longue en occasionner Texiïnc-
voulait distinguer, puisque cette profession, tion totale.
dans la religion chrétienne, n'était pas une On n'a pas oublié qu'en Egypte toutes les
profession de famille. Elle les agrégea donc professions, et même les professions méca-
à la profession sociale défensive de la so- niques, étaient héréditaires; et l'on, croit
(i) Les premières lettres d'anoblissement' en portée à l'année 1579, supprima la noblesse ac-
France sont de Philippe le Hardi, en 1270, en fa- quise par les fiefs, et l'édit de Henri lYsûpprima
veur de Raoul, argentier (orfèvre) du roi. (Hé- celle acquise par les armes. On peut être surpris,
mault.) La nation se poliçait, et les arts utiles ac- dit Hénault, que Henri IV, qui devait tant à ses
quéraient de la considération. braves capitaines, reconnût si peu leurs lervices mi-
-l2) L'aiLicle 258 de l'ordonnance de Blois, rap- litaires.
peut-être qu'il n'existe rien de semblable corps social a seul le droit de produire cet
dans nos gouvernements modernes. Cepen- acte de sa volonté générale.
dant nous avons emprunté cette loi des Il fallait donc que le corps social se format
Egyptiens, ou plutôt de la nature des socié- pour produire cet acte. Effectivement, les
tés j et nous l'avons adaptée aux circons- Germains avaient des assemblées générales
tances particulières de notre existence so- pour les grandes affaires de la société De
ciale je veux parler de l'établissement des majoribus omnes. consultant, dit Tacite.
corps de métiers ou maîtrises, adopté, je Mais* comment rendre extérieur le corps
crois, dans toute l'Europe, et qui produit social? La société est la réunion des hommes
l'effet de conserver sans contrainte les mê-
et des propriétés. Elle ne pouvait être re-
mes professions dans les mêmes famil- présentée que par des hommes qui fussent
les (1). propriétaires. Mais ta société constituée ne
Cette loi est très analogue à la constitu- connaît pas les hommes, elle ne connaît que
tion, qui ne considère jamais l'homme que les professions; elle ne pouvait donc être
dans sa profession; et la profession que dans représentée que par des professions qui
les familles et parce, qu'elle dérive néces- fussent propriétaires. Or, dans les premiers
sairement de la constitution, elle produit en âges de nos monarchiesd'Europe, et particu-
administration les plus heureux effets elle lièrement de la monarchie française, il n'y
donne au gouvernement des moyens pré- avait que trois propriétaires, c'étaient la re-
cieux et efficaces de surveiller, de contenir, ligion, le roi, la noblesse; là profession sa-
par te motif puissant ae l'intérêt personnel, cerdotale, la profession royale, la profession
ftt même 4e l'honneur, les jeunes gens de la militaire; la religion publique, le pouvoir
Classe pauvre et nombreuse, en y employant unique, les distinctions sociales permanen-
i"autori;t«4 des maîtres elle fortifié
entre les tes, ou la volonté générale de la société re-
familles tes liens de la bienveillance et de présentée par la religion, le pouvoir général
la fraternité qui sont d'une autre importance exercé par le roi, la force générale exercée
que de prétendus progrès dans les arts, qui par la noblesse. Tout le reste de la nation
souventn'enannoncentqueladécadence:elle était sans propriétés sociales; car toute pro-
assure à la société la perpétuité des métiers priété dans la société constituée doit obliger
les plus vils ou les plus périlleux, et cepen- à un service envers la société, et c'est pour
dant les plus nécessaires elle nourrit enfin pouvoir assurer et exiger ce service que le
cet esprit de corps, dont on^qit sentir la né- servage était établi. Voilà le gouvernement
cessité dans une monarchie après les ef- féodal. La société seule était propriétaire,
forts, peut-être trop heureux* que la philo- et donnait l'usufruit au roi, sous l'obligation
sophie faisait depuis longtemps pour le dé- de la gouverner; aux ministres de la reli-
truire cet esprit d'e corps qui n'effraye que gion, sous l'obligation de réprimer les vo-
les gouvernements oppresseurs, qui n'em- lontés dépravées de tous aux ministres de
barasse qu'une administration faible ou ma-, la force publique, sous l'obligation de ré-
ladroite; cet esprit de corps dont un gou- primer les actes extérieurs de ces volontés
vernement sage et habile se sert toujours dépravées. Le corps social était donc repré-
avec succès, quand il l'emploie avec me- senté par tous les hommes sociaux et par
sure. toutes les propriétés sociales, puisqu'il l'é-
Ce n'était pas assez, pour assurer /a con- tait par toutes les professions sociales, et
servation de la société, d'avoir fixé l'exer- par les professions qui occupaient toutes les
çice du pouvoir dans une même famille, si propriétés; et cette représentation était aussi
la société n'avait en elle-même le moyen de;
exacte et un peu plus sociale que cette pré-
h remplacer en cas d'extinction. tendue représentation fondée sur une com-
Dès que le pouvoir général, ou la royauté, binaison si savante et si ridicule de popu-
est l'exercice ou l'acte de la volonté géné- lation, de contribution et de territoire com-
rale du corps social, il est évident que le binaison par laquelle on fait entrer dans la
"J
(!) L'Allemagne a, à cet égard, des institutions homme. La langue allemande, riche en mots com-
excellentes, et dans ses corporations qui sont plus posés, seconde merveilleusement, par la facililëdés
multipliées et plus distinctes que partout ailleurs, qualifications, l'institution politique. ^Jt ne; s'agit
et oserai dire, jusque dans le grand nombre de pas, en administration, que tous les Ontcitoyen» aient
titres, même sans fonctions, qui fixent chacun à > une place très-utile et très-active, te gïand
une place, et amusent tous les amours-propres qui nombre serait hors d'état de remplir les fonctions,
no sont que la passion de dominer naturelle à tout mais que tous soient, ou croient être placée.
représentation du corps social, comme par- dont la nature n'indiquait pas la nécessité,
tie intégrante et sine qua non, et le scélérat et réunir ce qu'elle avait séparé
le plus vil, et l'impôt le plus oppressif, et Rien de plus curieux et de plus instructif
le rocher le plus aride. que le développement du gouvernement
Les professions royale, sacerdotale et mi- féodal, véritable constitution d'une société
litaire on noble, comme professions sociales indépendante. « C'est un beau spectacle, »
et uniques propriétaires, composèrent donc dit Montesquieu, « que celui des lois féo-
seules les grandes assemblées de la nation dales. Un chêne antique s'élève, l'œil en
et comme une des fonctions de ces assem- voit de loin les feuillages; il approche, il en
blées était d'élire, en cas de nécessité, la voit la tige; mais il n'en aperçoit point les
famille régnante, on vit les deux professions racines, il faut percer la terre pour les
conservatrices de la société, disposer seules trouver. »
de la couronne, lorsque la nature de la so- Montesquieu, loin de percer la terre pour
ciété qui tend sans cesse à sa conservation, chercher les racines, s'arrête à considérer
rendit nécessaire la réunion de ce que les l'extrémité des branches, et emploie la moi-
passions des hommes avaient séparé malgré tié de son ouvrage sur l'Esprit des lois à
la nature, je veux dire la réunion du pou- disserter sur les lois civiles des Francs avec
voir et de l'autorité dans la personne de autant d'érudition et de fatigue pour lui-
Pépin, et celle du pouvoir et de la puissance même, que d'inutilité pour son lecteur.
dans la personne de Hugues Capet (1). J'ai dit que le monarque, les ministres de
L'introduction exclusive des deux pre- ,a religion et de la force publique étaient
miers ordres dans ces assemblées ne fut les seuls propriétaires dans les premiers
donc pas une usurpation mais une né- temps; et je n'ai pas dit comment ils l'étaient
cessité. devenus.
Il est vrai qu'on voit sous les premières Les Germains, qui ne connaissaient aucune
races, comme dans les forêts de la Germa- contrainte, faisaient à leurs chefs, comme à
nie, des assemblées générales de la nation leurs prêtres, des présents qui suffisaient à
entière, concurremment avec les assemblées leur entretien quod pro honore acceptum
des grands et des professions propriétaires; etiam necessitatibus subvenit. Dès qu'ils fu-
et cela même est une preuve sans réplique rent établis, que les besoins de la société se
que celles-ci étaient dans la nature de la furent accrus avec sa population et son
société. La nature se dégageait peu à peu étendue, la nature amena la nécessité de
d'un reste d'imperfection; ce qui avait con- rendre indépendants de tous le culte qu'ils
venu aux petites sociétés germaines ne avaient adopté, et la famille qu'ils avaient
pouvait convenir à la grande société des élevée au trône. La religion comme la royau-
Francs, et ce que les gens superficiels re- té ne pouvaient tirer leur force que de leur
gardent comme un changement dans la indépendance. La société assigna donc des
constitution, n'en était que le développe- propriétés à l'entretien du monarque; elle
ment nécessaire. On ne voit pas plus la fin en assigna aussi pour les frais du culte pu-
de ces assemblées générales qu'on n'en a vu blic et, lorsque ces dernières eurent été
l'origine c'est la nature qui les fait naître, usurpées par la violence, elles furent rem-
qui les fait cesser au moment qu'il convient; placées par la piété. Je laisse à d'autres à
et l'on ne peut apercevoir les époques de s'appesantir sur les motifs des hommes,je
son travail, parce qu'elle ne se repose ja- ne vois que les intentions de la nature.
mais. Puisque la société ne pouvait subsister
On verra tout à l'heureque ces assemblées sans religion et sans royauté, il était dans
de professions propriétaires prirent une la nature des choses que les domaines affec-
nouvelle forme sous Philippe le Bel, et ce tés à leur entretien devinssent inaliénables,
changement n'entraîna aucun inconvénient, et ils devinrent inaliénables sans qu'on
parce qu'il était ^ans la nature de la société; puisse, en assigner l'époque. Le président
mais de nos jours tout a été perdu, lorsque Hénault prouve que cette loi était connue dès
l'homme a voulu y faire un changement les premiers âges de la monarchie.

(1) La seule prérogative que les plébéiens à des


( élections. 11 était nommé pour an temps irès-
Rome laissèrent aux patriciens, fut de nommer court.
( Ce fait me paraît digne de remarque. Le dic-
l'entrë-roi (interrex), magistrat qui tenait la place tateur,
t vrai monarque, n'était pas non plus nommé
des consuls dans les intervalles quelquefois longs par
1 le peuple.
Mais, si le monarque devait être indépen- terres militaires, comme aux terres ecclé-
dant des membres de la société pour pou- siastiques.
voir gouverner la société, il ne fallait pas Ainsi la société, pour me servir d'une
qu'il fût indépendant de la société même, de expression qui convient parfaitement à mon
peur qu'il ne voulût l'opprimer c'est-à-dire, sujet, bailla à fief l'exercice du pouvoir gé-
qu'il ne devait pas avoir des moyens de néral, le ministère de la religion et de la
puissance à lui personnels^ qu'il ne tînt pas force publique et par cette disposition, les
de la société, qu'il pût accroître, et dont il[ trois lois fondamentales des sociétés, la re-
pût abuser contre la société. La loi po- ligion publique, la royauté et les distinctions
litique qui réunit au domaine de la cou- sociales se trouvèrent établies d'une manière
ronne les domaines particuliers des rois fixe, irrévocable, indépendante. Et observez
de France était donc un développement que ]e service féodal était défensif, et non
nééessaire de la constitution mais il s'est offensif; car « le roi dépendait en quelque
fait Plus tard, parce qu'il était moins im- sorte de ses vassaux, qui souvent au milieu
portant. d'une campagne l'abandonnaient, parce que
Le pouvoir et la religion furent dotés par leur service était fini. » (Hénault.) Ce ser-
la volonté générale de la société ou la nature vice était fixé à un terme fort court, et il fut
elle-même donc là où leur dotation leur décidé, sous Charles le Chauve, que la no-
sera enlevée, elle le sera malgré la nature, blesse ne serait contrainte de suivre le roi
malgré la volonté générale de la société, et à la gueçre que lorsqu'il s'agirait de défendre
il n'y aura bientôt plus ni pouvoir, ni reli- l'Etat contre l'invasion étrangère. L'institu-
gion, ni société. tion féodale était donc dans la nature de la
La force publique fut aussi dotée. Le pou- société constituée, puisqu'elle était un priri-
voir général de l'Etat, agent de sa volonté çipe de résistance, et non un principe d'a-
générale, distribua à ses défenseurs des gression et ce principe de résistance était
Jtérres, à charge de service militaire et si fort, que malgré que la France fût alors
ce ux-lei les pariaerent entre leurs subalternes divisée en un grand nombre de souveraine-
sous la môme condition. Telle est l'origine tés indépendantes les unes des autres, et
générale et l'esprit des fiefs; quand même rivales de l'autorité royale, on vit sous
quelque critique bien savant découvrirait, à Louis le Gros et sous ses prédécesseurs, des
force de recherches, qu'il y avait quelques armées de deux cent mille hommes accourir
terres ou quelques fiefs possédés sans con- pour défendre les frontières menacées d'une
dition ou sous d'autres conditions. Le ser- invasion. Alors la nation française ne se le-
vice militaire, exigé presque toujours for- vait pas en masse pour attaquer, mais pour
cément et gratuitement chez les anciens se défendre; alors un duc de Brabant ne
peuples, devint dans cette société libre et sollicitait pas en vain ses peuples de se join-
soldé, puisqu'il fut le prix d'une propriété dre à lui pour repousser l'agression en-
acquise volontairement. Chez les anciens, nemie.
on était soldat, parce qu'on était citoyen Comme la profession des armes, ou la
Chez ces nouveaux peuples, on devint pro- noblesse, était héréditaire, les terres don-
priétaire pourvu qu'on voulût être soldat, nées à charge du service militaire devinrent
c'est-à-dire pourvu qu'on voulût défendre nécessairement héréditaires. Dès que le feu-
sa propriété. Qu'y avait-il dans ce contrat, dataire de l'Etat fut propriétaire inamovible,
entièrement libre de part et d'autre, qui il appela le serf à la propriété; de fermier
blessât les Ibis naturelles ou civiles? 11 est du seigneur, il en devint emphytéote, et
évident que, dans la république, le citoyen prit à cens les terres qu'il faisait valoir au-
en devenant soldat rendait sa condition plus paravant comme serf. L'abolition du servage
mauvaise, et qu'ici le soldat, en devenant suivait nécessairement l'hérédité des fiefs
propriétaire.,améliorait la sienne. C'était le l'industrie suivit l'affranchissement, et de-
moyen et le seul qu'il pût y avoir, d'assi- vint une nouvelle propriété. Les villes se
gner des terres pour l'entretien de la force peuplèrent, acquirent le droit de communes,
publique, comme on en avait affecté à l'en- et donnèrent lieu à un autre genre de pro-
tretien de la maison régnante, et aux frais priété à la fois mobilière et foncière, je vaux
du culte; et c'était tellement l'esprit de parler des maisons et des effets de com-
l'institution, que la dénomination de béné- merce. On verra tout à l'heure le change-
fice fut donnée dans les premiers temps aux ment nécessaire qui résulta de l'extension
et de l'accroissement des propriétés. Mais il se passa un temps considérable
La nécessité des choses avait rendu héré- aavant que le pouvoir général de l'Etat pût
ditaires lès fiefs ou terres de l'Etat mais la reconquérir
r tous les pouvoirs particulier^.
faiblesse du gouvernement rendit Créditai- 1Il fallut que nos rois eussent toujours les
res les commissions. De là vinrent tous les armes
S à la main pour repousser ou conte-
abus et la ruine du gouvernement féodal; r ces fiers vassaux plus puissants qu'eux.
nir
et c'est pour n'avoir pas su distinguer les 1Il n'y eut plus dès lors de proportion entre
terres ou fiefs, des commissions ou emplois, 1 force publique dont le pouvoir pouvait
la
que les écrivains superficiels ont mis sur le disposer,
d et le pouvoir lui-même. Roi dp
compte de la féodalité tous les désordres toute
t, la France, le monarque ne pouvait
qui n'étaient arrivés que parce que la féo- lever
1' des troupes que dans ses domaines,
dalité n'existait plus. n exiger des secours que des vassaux con-
ni
Les gouverneurs de provinces, ceux des t lesquels il ne faisait pas la guerre. Cette
tre
villes .et des marches ou frontières, les disproportion
d avait les suites les plus funes-
agenjts du pouvoir général s'érigèrent donc tes,
t, si le vassal, contre lequel le monarque
en souverains, ssemparèrent des domaines faisait
f< la guerre, joignait une force élranr
du roi et des mouvances de la société, c'est- gère
g à celle qu'il tirait de son fief: comme,
à-dire du droit qu'avait la société de deman- par
F exemple, lorsque le duc de Normandie
der la prestation du fief ou le service mili- cou de Guyenne se trouvaitroi d Angleterre;
tajre ils forcèrent à les reconnaître les aalors les engagements bornés, temporaires,
feudafaires particuliers, trop faibles pour contestés,du
c service féodal ne purent suffire
leurrésister;ils se firent payer ce quin'était à des guerres continuelles, il fallut des
dû qu'à la société, et enfin firent consacrer t
troupes fixes et des impôts pour les solder,
leur usurpation parjeur complaisance pour Un auteur célèbre, qui a fait les Etudes de
les usurpateurs Eudes et Raoul. la nature physique et morale, comme je fais,
l<

Dès que le pouvoir général fut sans force, les


l' études de la nature sociale et politique,a
il s'éfe va une foule de pouvoirs particuliers, remarqué
r l'attention de la nature à faire
qui, agents d'une volonté particulière et contraster
c les êtres entre eux. L'observa-
dépravée, s'exercèrent par une force parti- tion
t est au moins aussi juste dans les socié-
çulière et oppressive. La crainte que ces tés.
t( La France et l'Angleterre sont le cod-t
vassaux, grands ou petits, eurent tes uns ltraste l'une de l'autre; le mal qu'elles ont
des autres, ou d'autres raisons, les forcèrent voulu
v se faire l'une à l'autre n'a servi qu'à
à conserver, avec le pouvoir général, une développerleurs
d moyens de puissance, sans
relation de dépendance qui pût au besoin pouvoir
F les anéantir, et quelquefois il a plu
devenir une relation de protection et de se- à la nature d'employer l'une à tirer l'autre
cours. Le pouvoir général de l'Etat ou le de quelque grand danger. lime semble qu'à
monarque, conserva un pouvoir sur ces so- lire attentivement l'histoire de leur rivalité,
piétés démembrées, mais un pouvoir très- ° demeure convaincu qu'aucune des deux
on
souvent sans force ce pouvoir, appelé su- c jamais eu longtemps à se réjouir du mal
n'a
zeraineté était contre la nature, puisqu'il qu'elle avait fait à l'autre.
soumettait la même société à deux pouvoir.. Peuples faits pour vous estimer, et con-
toujours rivaux, et souvent ennemis. Mais ddamnés à vous combattre, si la nature or-
si ce pouyoir s'établit malgré la nature, la donne
d le duel entre vous, que l'honneur
nature, qui ramène tout à ses vues, sut le choisisse
c les armes. N'ébrantez pas, pour
faire servir à ses desseins ce lien si faible vous
v renverser, la base commune sur la-
de la suzeraineté fut la chaîne par laquelle quelle
ç vous repose?; respectez dans vos fu-
le pouvoir général de la grande société at- reurs
r la morale des nations, et ne vous ven-
tira à lui tous les pouvoirs, toutes les socié- gez
g pas à force de forfaits 1
tés particulières et la nature ne conserva J'en suis resté à l'impôt.
de la suzeraineté que ce qu'il en fallait pour I/irupôt, ai-je dit, est l'emploi d'une par-
? rappeler au seigneur ses obligations, à l'em- t de la propriété pour la défense de l'au-
tie
phytéote ses devoirs, pour entretenir des t partie car puisque la société est com-
tre
jdées de subordination et de respect qpi fa- posée
1 d'hommes et de propriétés, il est
cilitent l'obéissance due aux lois et la féo- dans
c la nature des choses que l'homme dé>-
dalité fut ainsi ramenée à son institution ffende l'homme, et que la propriété défende
primitive. 1 propriété. Or, il est évident que si le roi,
la
pouvoir général, conservateur de la société, raux n'ont ni ne peuvent avoir de faculté
doit mieux que tout autre en connaître les législative, parce qu'ils ne sont pas le pou-
besoins, les propriétaires seuls peuvent voir général de l'Etat, qu'ils ne sont pas
connaître leurs facultés; et l'impôt n'étant l'organe de sa volonté générale; et ils ne
que la partie de la propriété que deman- peuvent procéder que par doléances, plain-,
dent les besoins de la société, et que per- tes respectueuses. C'était en France l'usage
metiént les facultés du propriétaire, il en. lé plus constant.
résulte nécessairement que, dans une so- Dans ces assemblées, les professions ne
ciété constituée, le roi doit demander l'im- doivent pas se confondre car il est dans la
pôt, et les propriétaires le consentir. nature, que des professions distinguées les
Nous avons vu qu'en France il s'était unes des autres restent séparées, et que des
élevé un troisième ordre de propriétaires propriétaires qui tiennent leurs propriétés
inamovibles. Il devait donc être appelé aux à des conditions différentes* ou dont les
assemblées générales des propriétaires. En propriétés ne sont pas de la même nature,
effet, on voit le troisième ordre admis aux accordent sur leurs propriétés une portion
Etats généraux précisément pour y voter différente et dans un mode différent, et par
l'impôt; et comme, dans les premiers temps, conséquent ne puissent se réunir pour dé-
l'admission exclusive du clergé et de la no- libérer sur le fond ou sur la forme.
blesse n'avait pas été une usurpation, dans Loi politique nécessaire distinction dts
lés temps postérieurs, l'introduction du ordres dans les assemblées générales de la
troisième ordre ne fut pas une grâce. Dans nation.
les deux cas ce fut la nature des choses. Les professions, avons-nous dit, doivent
Si l'on m'objectait que les impôts ne por- être distinguées entre elles selon leur utilité
taient pas sur les propriétés du clergé, ni respective, pour la conservation de la so-
sur celles de la noblesse, et môme que les ciété de là suit nécessairement la loi po-
propriétés de ces ordres ne devaient pas y litique de la préséance des ministres de la
être soumises, parce qu'ils en acquittaient religion sur ceux de la force publique, et
les charges par un service personnel, je ré- de ceux-ci sur le troisième ordre.
pondrais 1° que tous les impôts, même Dans les républiques anciennes, du moins
indirects, portent sur la propriété, et qu'ainsi à Rome, les impôts ne furent connus que
c'était toujours aux propriétaires à consen- bien tard. On imposait, il est vrai quelques
tir l'impôt; 2* que les deux premiers ordres redevances sur les terrés distribuées aux
dispensés de l'impôt en argent, par l'impôt citoyens; mais les dépouilles des peuples
en service personnel, ocraient cependant vaincus alimentèrent le trésor public jus-
au roi des secours volontaires ou dons gra- qu'aux derniers temps de la république.
tuits et l'on voit à la fois le motif des privi- Les impôts cessèrent après fa guerre contre
lèges pécuniaires de l'Eglise etdes dons gra- Persée, et ne furent rétablis qu'après la
tuits que paye le clergé. Autre fonction des mort de César. A Rome, comme dans les
assemblées générales ou Etats généraux républiques grecques, le gouvernement
octroi de l'impôt. payait des impôts au peuple par les distri-
Election de la famille régnante en cas butions qu'il lui faisait plutôt qu'il n'en
d'extinction; octroi de l'impôt en cas d'in- levait sur lui, et l'on en sent la raison il luiil
suffisance fonctions essentielles et naturel- payait en subsistances ce qu'il lui prenait
les des Etats généraux. Je reviendrai ail- en pouvoir; c'est encore aujourd'hui la
leurs sur l'impôt. même chose dans les républiques. Au fond,
Les Etats généraux avaient alors une au- ces Etats avaient peu besoin d'impôts; les
tre fonction. C'était dans leur sein' que nos travaux publics étaient faits par les esclaves,
rois faisaient leurs capitulaires; c'est-à-dire et la guerre par les citoyens. Ce ne fut que
qu'ils jugeaient si la loi proposée par le pour le siége de Veies que le sénat accorda
souverain était conforme à la volonté géné- une paye aux soldats; aussi Montesquieu
rale de la société. Cette fonction, dont je remarque « que ce siège fit dans la répu-
parlerai bientôt, a été depuis attribuée par blique une espèce de révolution. »
la nature à des corps toujours assemblés, et Les peuples du Nord avaient encore moins
tien plus en état par. leurs occupations ha- besoin d'impôts. Quels travaux publics
bituelles d'être les dépositaires des lois. pouvait-il y avoir à faire chez des peuples
Sur tous les autres objets, les Etats gêné- simples et pauvres, qui tenaient leurs as-
semblées en plein air, passaient les fleu- fices lois ou rapport nécessaire que la na-
ves à la nage, parcouraient leurs vastes ture a successivement développé mesure
forêts par d'éiroits sentiers, et qui n'avaient que les besoins de la société se sont éten-
gar.e de soudoyer personne pour faire la dus. La Chambre des comptes est née la
guerre à leur place ? première, parce que son objet est plus so-
Mais dès que les. sociétés se furent fixées cial, et qu'elle défend la société contre l'abus
et agrandies, les besoins publics naquirent que le monarque peut faire du droit de de-
de la réunion des besoins particuliers. 11 mander et de celui d'employer l'impôt. La
fallut ouvrir des communications,détourner Cour des aides est venue plus tard, parce
ou contenir des fleuves dessécher des ma- que son objet est plus individuel et qu'elle
rais, élever des édifices publics on y pour- défend les individus contre les vexations
vut parla corvée je veux dire par le tra- que les agents du monarque pourraient
vail gratuit des citoyens disposition encore se permettre dans la perception. Ces deux
en usage dans une grande partie de l'Eu- tribunaux sont nécessaires dans la cons-
rope et abolie en France depuis peu d'an- titution, et plus nécessaires à mesure
nées (1). que les impôts s'accroissent avec les be-
.Mais la corvée ne pouvait suffire à toutes soins. Les Chambres des comptes sont de
les parties des travaux publics ni à toutes la plus haute antiquité, et elles eussent été;
les dépenses de la société. Il fallait des le plus ferme rempart de la constitution, si,
Impôts et puisque l'essence du pouvoir plus éclairé sur ses vrais intérêts, le gou-
conservateur de la société était de connaître vernement lui eût rendu ses comptes, au
tout ce qu'exigeait le besoin de sa conser- lieu de permettre des comptes rendus.
vation, sa fonction nécessaire était de le En voilà pour le moment assez sur 1 im-
demander, de le percevoir, d'en faire l'em- pôt. Je reviens à son principal objet, la solde
ploi. Mais la société pouvait être opprimée, des troupes.
si le monarque, substituant sa volonté par- Le propriétaire, par le sacrifice d'une lé-
ticulière à la volonté générale dont il était gère portion de sa propriété, fut donc dis-
l'agent, demandait plus que les besoins de pensé du service personnel le père de fa-
l'Etat n'exigeaient ou s'il percevait plus mille no fut plus arraché à ses enfants, ni
d'impôts qu'on ne lui en avait accordé, ou l'époux à son épouse. Assurément c'est un
enfin s'il détournait à des usages particu- grand pas vers la liberté du sujet et le bon-
liers les fonds destinés à des besoins pu- heur de l'homme; et les troupes réglées
blics. qu'on affecte de représenter comme l'arme
Pour éviter ce triple écueil, il était né- du despotisme et un instrument d'oppres-
cessaire que la société éclairât la perception sion, sont les sauvegardes du bonheur et
de l'impôt et reçût le compte de l'emploi qui de la liberté; elles assurent le repos des so-
en avait,"été fait car la société ou ses repré- ciétés elles préservent l'espèce humaine
sentants ne pouvaient refuser au pouvoir de d'une effroyable destruction il y aurait
la société les sommes qu'il demandait, sans bien plus de guerres, s'il n'y avait pas de
compromettre la sûreté de l'Etat. Le mo- soldats.
narque ne pouvait faire la perception ni Le soldat de profession remplaça donc le
rendre le compte, que par des agents jus- laboureur utile, l'artisan industrieux il as-
ticiables et comptables à la société, et la sura leur liberté sans sacrifier la sienne. En
société ne pouvait éclairer là perception ni effet, l'enrôlement est presque partout, et
recevoir le compte que par des offlciers in- surtout dans les sociétés constituées, volon-
dépendants du monarque et chargés de taire et limité; et s'il ne suffit pas aux be-
poursuivre et de punir, s'il y avait lieu, la soins de l'Etat, l'obligation naturelle de dé-
personne de ses agents. On voit la nécessité fendre la société dont on fait partie, soumet
( des tribunaux connusen France sous le nom au service militaire ceux qui, par leur âge
de Chambre des comptes et de Cour des aides ou leur position, sont moins précieux à
''cours souveraines indépendantes dans leurs familles. La paternité, le mariage, la
leurs fonctions, inamovibles dans leurs of- viduité, la vieillesse des parents, la pro-
m. r x

1 1) J'ai cité ailleurs ce passage de Rousseau l'homm?, et la constitution plutôt que la commo-
c Je crois la corvée moins contraire à la liberté, dité de l'individu. Avec de la uiesure dans la dé-
<;ue les taxés. > Quelques parlements en jugeaient termination des ouvrages publics, et de l'économie
de même, lorsqu'ils s'opposaient au rachat des dans leur direction, ou peut accorder l'un et
corvées. Ils considéraient la société plutôt que l'autre.
priété, l'étude des lettres, le goût des arts qui peut tout renverser est un pouvoir sans
utiles sont respectés et ce n'est que dans, limites or la noblesse est une limite au
un Etat populaire, que le matérialisme le pouvoir; car le monarque ne peut anéantir
plus oppresseur a pu se permettre ces ef- la noblesse, qui est coexistante à lui, fille
froyables réquisitions qui dévouent à Ja comme lui de la constitution, engagée comme
guerre et à la mort toute l'espèce humaine lui à la société par des nœuds indissolubles,
d'une grande société, depuis un âge jus- et marquée comme lui, du caractère indé-
qu'à un autre, comme un vil troupeau dont lébile d'une naissance distinguée. Qui vous
le berger livre au boucher toutes les bêtes a fait comte? demandait un roi de France
d'une môme année, lorsqu'il veut le renou- au souverain d'une petite province, ceux
veler. qui vous ont fait roi, repartit le fier vassal.
On m'objecterasans doute que la noblesse, Il avait tort comme souverain, mais il avait
en la supposant la profession des armes, ne raison comme noble, et la nature de la so-
peut plus suffire depuis longtemps à l'objet ciété constituée a fait les nobles aussitôt
de son institution; que, hors quelques cas qu'elle a fait les rois. Aussi le premier soin
extraordinaires, elle ne .s'acquitte plus en des despotes est de détruire dans le pays
corps du service militaire; que son nombre qu'ils conquièrent, la noblesse comme une
est partout si fort au-dessous des besoins existence indépendante, et ce qui caractérise
de l'Etat, qu'il est obligé de prendre dans les Etats despotiques, est qu'il n'y a point
les autres classes de la société la de noblesse héréditaire. Sa nécessité sous ce
presque
totalité de ses défenseurs que les nobles rapport n'est pas contestée et Rousseau lui-
sont soldés lorsqu'ils font la guerre, et même, dans son .Gouvernement d». Pologne,
qu'ainsi, tenant les fiefs sans en acquitter dit qu'avec un roi héréditaire il faut une
les charges, la noblessse a dû être soumise, noblesse héréditaire.
comme les autres classes de la société, à 2' La noblesse défend le pouvoir de la so-
l'impôt destiné à la solde des troupes. ciété par son interposition, c'est-à-dire en
Je ne dissimule pas l'objection, il est tropdonnant l'exemple de la soumission aux
aisé d'y répondre elle a été répétée jusqu'à autres sujets, qui obéissent avec moins de
satiété» par ceux qui dans la noblesse peine lorsqu'ils voient obéir ceux qu'ils
ne
voient qu'une distinction, et qui bornent sont accoutumés à respecter en répandant,
tous les devoirs d'un sujet envers l'Etat à en entretenant, dans toutes les classes de la
l'argent qu'il lui paye. Je vais répondre à la société, un esprit d'attachement à la consti-
fois à la jalousie et à l'avarice, et si je tution et de fidélité envers le pouvoir: et il
ne
puis convaincre les passions je pourrai est vrai que c'est par l'exemple qu'elle don-
peut-être dissiper les préjugés. ne, ou par les principes qu'elle répand, que
La noblesse est la force publique consti- la noblesse prévient la révolte des sujets
tutionnelle, c'estrà-dire défensive et sociale,contre le pouvoir; que lorsque, par des cir-
parce qu'elle a pour objet la conservation constances malheureuses, son exemple a été
du corps social, et non l'agrandissement de inutile et l'esprit de fidélité perverti, elle
l'empire le service féodal était purement n'a presque jamais eu assez de forces réel-
défensif. les pour arrêter la révolte: et que dans tou-
Le corps social peut périr ou par l'oppres- tes les-insurrections
dont l'histoire des mo-
sion que te ,pouvoir exerce sur les sujets, narchies modernes
nous a transmis le sou-
ou par la révolte des sujets contre le pou- venir, on voit périr la noblesse, victime de
voir, ou par la guerre de la part d'une so- son devoir et de la constitution. Elle
ciété voisine. Le service de la noblesse est beaucoup trop inférieure est
nombre aux
relatif à ces trois circonstances, et il est autres classes de la société, en
continuel comme le danger. La noblesse été destinée pour qu'elle ait
préserve les sujets de l'oppression par son seule, par la nature à leur opposer,
une force active, en cas d'une révolte
existence le pouvoir, de la révolte par son générale; mais elle doit
être cependant dans
interposition; la société, de la conquête par
une certaine proportion avec la population
son action. totale. A ce sujet, je dois remarquer que lo
1" Elle préserve les sujets de l'oppression
gouvernement de France n'avait pas fait as-
par sa seule existence. Un pouvoir oppres- sez d'attention à l'extrême diminution de la
seur est un pouvoir qui peut tout détruire, noblessè, depuis le règne de Louis XIV.
tout renverser, tout changer; un pouvoir Cette circonstance seule
en indiquait la
causé; elle était dans le goût dû célibat véritable force défensive sociale, intérieure
qu'inspiré le'philosophis.me et quenécessite et extérieure, que dans les'deux professions
le luxe, dans la réunion des fortunes qui distinguées, parce que c'est dans ces deux
est la suite nécessaire de la rareté des.ma- professions seules que la nature et la cons-
riages elle était encore dans l'abolition in- titution l'ont placée. Ce n'est ni un éloge
constitutionnelle de quelques priviléges que j'en fais, ni un mérite que je leur attri-
dont il fallait seulement prévenir l'exten- bue c'est une destination nécessaire et in-
sion et l'abus et puisque la vanité et l'in- dépendante des dispositions personnelles de
térêt sont; deux, mobiles puissants sur le leurs membres. Ecoutez Montesquieu « On
cœur de l'homme, il fallait les conserver a vu la maison d'Autriche travailler, sans
tous les deux et les diriger vers un but relâche, à opprimer la noblesse hongroise;
utile à la société, celui d'empêcher l'extinc- elle ignorait de quel prix elle lui serait
tion. de. la noblesse. Je traiterai peut-être quelque jour. Elle cherchait chez ces peu-
ail:leurs cette matière avec plus d'étendue ples de l'argent qui n'y était pas; elle ne
mais je ne suis pas éloigné de penser que voyait pas les hommes qui y étaient; Lors-
les lois somptuaires peuvent être appliquées que tant de princes partageaient entre eux
à la noblesse comme elles le sont au clergé; ses Etats, toutes les pièces de sa monarchie,
que la noblesse doit être pauvre sans indi- immobiles et sans action, tombaient, pour
gence,.comme elle doit être fière sans or- ainsi dire, les unes sur les autres. Il n'y
gueil qu'elle ne doit avoir que le luxe de avait.de vie que dans cette noblesse, qui
sa profession, et point celui de la vanité s'indigna, oublia tout pour combattre, et
que sa force réelle est dans la considération crut qu'il était de sa gloire: de périr et de
dont elle jouit, sa considération dans ses pardonner. La noblesse anglaise s'ensevelit,
vertus, et sa dignité dans sa modestie. avec Charles I", sous les débris du trône, et
Le gouvernement ne doit ni la dépouiller avant cela, lorsque Philippe II fit entendre
ni l'enrichir. Ainsi il choquerait également aux oreilles des Français le -mot de liberté,
la constitution, s'il dépouillait la noblesse la couronne fut toujours soutenue par la
par des taxes sur ses biens. privilégiés, noblesse. »
c'est-à-dire sur les terres de la profession, Dans les circonstances où se trouve la
et s'il enrichissait quelques nobles par des France,, la noblesse a donc obéi à la loi im-
profusions. Les terres nobles doivent avoir périeuse de son institution et si elle devait
des priviléges comme les personnes. (Esprit à la société les charges de ses fiefs, qu'on me
des lois.) permette l'expression, elle en a bien, ac-
3° La nooiesse préserve la société de ..a quitté les arrérages; et soit que, restée dans
conquête par son action. L'accroissement le royaume, elle y ait conservé le feu sacré
nécessaire de la société, les progrès néces- de la fidélité à la religion et au pouvoir de
saires de l'art militaire, et l'état accidentel l'Etat par son exemple et par la compassion
des sociétés voisines ont nécessité l'établis- même qu'ont inspirée ses malheurs; soit
sement d'une autre force publique offensive qu'elle se soit réunie, hors du royaume, à
et accidentelle. La noblesse s'y est incor- ses braves et. malheureux chefs, lorsque le
porée et soit qu'elle forme seule des corps monarque, dans les fers, n'a pu l'appeler àr
distincts, nécessaires dans un gouvernement, sa défense; elle a, au dedans comme au de-
monarchique, soit qu'elle soit répandue, hors rempli son devoir et sa fin, la conser-
dans les divers corps de l'armée, elle y porte vation de la société. Si la pureté de sés-mo-
l'esprit de son institution, l'esprit de fidélité tifs a été calomniée, par la fureur de parti, et
au pouvoir de l'Etal qui a disparu avec elle, ses efforts traversés par de misérables in-
et l'esprit d'ilonneur ou de courage qui lui, trigues si des indiscrétions de conduite,'
a survécu, mais qui ne survivrait pas à la, que l'âge et le malheur rendent excusables,¡
monarchie cet esprit d'honneur qui, dans. ont été exagérées par ta haine, et les vertus
les combats, des soldats français a fait des héroïques du plus.grand nombre méconnues'
héros, et qu'il ne faut pas confondre avec ce par la jalousie, qu'elle s'en console: elle n'a
fanatisme démocratique, qui quelquefois,; dû se proposer que son devoir et-sa gloire.'
après le combat, en a fait des assassins.
La noblesse s'acquitte donc, sous tous les Infeiix utcumque ferent ea fecta, minores
Vincet àmor pamœ, laiidumque immensacupido
rapports, de la fonction de défendre la so- (Virg., Mneid., lib. vi, vers. 82! 822.5
ciété; je dis-plus il n'y a pour la société de
Cicéron rendait compte à Aul.us Torquatus la conscription militaire a lieu, on ne peut
1j

des motifs qui l'avaient engagé à quitter pas dire que le service personnel soit forcé,
p
l'Italié, pour aller se réunir à la noblesse ccomme il l'était dans les républiques an-
romaine auprès au grand Pompée. « Ce n'est ciennes
c car, outre les nombreuses excep-
pas, » dit ce vertueux Romain, dans le des- tionsqu'il
t y a cette loi, tout individu presque
sein de mettre à profit la victoire, que j'ai partout
p peut s'y soustraire, ou même se re-
abandonné ma patrie, mes enfants et mes tirer
t: du service, en devenant chef de famille,
biens; mais dans la persuasion que je rem- c'est-à-dire,
c en obéissant à la destination
plissais un devoir juste, sacré, indispensa- naturelle.de
n l'homme or, on n'est propre-
ble, que la profession honorable que j'exer- ment n forcé de faire une chose, que lorsqu'on
çais m'imposait envers l'Etat (1). » Mais, si nne peut s'y soustraire par aucun moyen, ou
là nature a établi un pouvoir conservateur que q par des moyens dangereux et contraires
et deux professions conservatrices de la so- aux a lois naturelles, religieuses ou -civiles,
cfété, pourquoi voit-on des révolutions qui c'est-à-dire
c à la nature de l'homme social
la détruisent? 1° Les révolutions sont les cou à ses devoirs.
maladies du corps politique et dans le corps On m'objectera peut-être les milices de
politique comme dans le corps humain, la France, F
nature, lasse de parler à qui ne veut pas en- 1° Elles ne servaient qu'en temps de
tendre, se débarrasse, par des crises vio- guerre, g et n'étaient pas même assemblées
lentes, des lois défectueusesqui s'opposent pendant 1 la paix or, personne ne conteste
au développementde la constitution, ou des cque le devoir, disons mieux, le droit de tout
mauvaises humeurs qui, dans le corps hu- citoyen c ne soit de défendre l'Etat dans ses
main, dérangent l'équilibre nécessaire à la dangers.c
perfection de la santé; 2° la révolution de 2° La milice ne portait que sûr les jeunes
France a une causé qui n'a jamais existé gens g les moins utiles à leur famille.
dans aucune société, et qui seule en ex- 3° La milice n'était pas réellement forcée,
plique la promptitude et la violence elle puisque j tout jeune homme pouvait s'y dé-
est venue du pouvoirconservateur lui-même, rober r en se mariant.
qui, égaré par des suggestions perfides, et 4° Enfin, le sort du soldat, dans nos gou-
séduit par la bonté de son cœur, a cru des vernements,
> en paix ou en guerre, sain ou
changements nécessaires; or, des change- malade, i est infiniment plus heureux qu'il nee
ments faits par les hommes dans une société l'était1 chez les anciens il est mieux habillé,
constituée, sans que la nature en ait indi- mieux i nourri, mieux soigné; au lieu qu'on
que la nécessité, sont des révolutions. Dès aa peine à concevoir les fatigues incroyables
que, par un changement que la nature n'a- qu'endurait
c habituellement le soldat ro-
vait pas demandé, les trois ordres de l'Etat main. i
ont été réunis en une seule assemblée, la CHAPITRE VI.
révolution a été consommée.
Je finirai par des faits; et ils sont décisifs* SUITE DU MÊME SUJET. – TRIBUNAUX.
à les considérer en général, comme l'on doit Les peuples germains, moins agricoles
considérer toutes les vérités sociales. que
( pasteurs et chasseurs, avaient plus de
1' L'esprit de l'institution de la distinction propriétés
j communes que de propriétés in-
héréditaire de la profession des armes, ou dividuelles
( ils avaient donc peu de lois ci-
de la noblesse, je veux dire le motif d'assu- viles cependant ils connaissaient des for-
rer là liberté et la défense de tous, parla ]mes régulières dans l'administration de la
dépendance et même le sacrifice de quel- justice distributive; on nommait, dans les
ques-uns, subsiste encore dans toute sa différents ( cantons, des juges et des asses-
force car là où la noblesse est militaire par seurs Eligunturin iisdem conciliis et prin-
préjugé, le peuple est guerrier par inclina-
<
j
cipes,
( qui jura per pagos vicosque reddunt
tion; c'est-à-dire que l'administration n'a centeni singulis ex plebe comités, consilium
point de. contrainte à exercer là où l'opinionsimul et auctoritas, adsunt. (TACITE.)
exerce la sienne. Lorsque ces peuples se furent placés-dens.
2° Même dans les Etats monarchiques, où leurs nouveaux établissements, libres autre-.

(1) Née enim nos arbitrer, victoriae prœmiis pium, et debitum rèipublica*> nostraque dignitaii,
ductos, palriam oliin, et liboros et fortnnas reli- videbamur sequi. (Cic> Epist. A. forquato,
quisse sed quoddam nobis otïiciUm justmn, et lib. vt, 1.)
fois dans leurs vastes forêts, ils devinrent grieultureen
g honneur, et l'homme de guerre
nécessairement serfs, c'est-à-dire attachés à eenrégimenté.
la gièDe, dans les terres où ils se trouvè- On dira peut-être que cette loi a long-
rent firés par le sort de la conquête, où la temps
t( subsisté après que les fiefs sont de-
volonté des chefs et le pouvoir de la société venus
v héréditaires; et je répondrai que la
naissante durent soumettre à des lois uni- nnature amène, par des voies insensibles et
formes les anciens possesseurs et les nou- progressives,
p les changements nécessaires,
veaux colons. comme
c l'homme gâte tout par des innova-
En effet, tant que les bénéfices, c'est-à-dire tions précipitées le temps est tout pour
*j

les terres à charge du service militaire, ne rl'homme, il n'est rien pour la société. C'est
furent que viagers, il fallut que la loi du ser< la pensée sublime de saint Augustin, lors-
vage fixât dans les mêmes lieux ceux qui
qu'il
q dit en parlant de. Dieu Patiens, quia
n'auraient pu être fixés par un usufruit pas- œternus.
a
sager. S'il eût été libre à ces hommes si en- Les Germains, dans leurs forêts, avaient
nemis du repos, si avides de hasards et de peu de propriétés particulières dans leurs
P
Courses, dé se déplacer à volonté, comment nouvelles
n conquêtes, ils n'en eurent point
aurait-on pu empêcher les colonies établies d transmissibles; ils eurent donc peu de
de
dans les sables arides de la Sologne, dans les lois civiles, et parce qu'ils n'avaient que la
montagnesstériles duGé vaudan et du Rouer- propriété
P de leurs personnes, ils n'eurent
gue, de se jeter sur les plaines fertiles de la presque que des lois criminelles. De là, tous
P
Beauce ou de la Limagne, lorsque la nation cces tarifs, dans les lois des f'rancs, pour les
elle-même avait quitté les rochers de la coups,
Cl les blessures, les injures, les outra-
Scandinavie ou les forêts de la Germanie, ges.
g La punition du meurtre, ce crime de
pour s'établir dans lès belles contrées de lèse-nature et de lèse-société an premier
l'Italie ou des Gaules?1 chef,
c fut dans les premiers temps, laissée à
Comment aurait-on pu arrêter le vagabon- la famille du mort, mais elle pouvait com-
dage individuel, et les désordres qui en se- poser avec le coupable l'une et l'autre dis-
P
raient résultés dans une société naissante, position
P était dans la nature de ces sociétés
formée par des hommes hardis et féroces, naissantes.
n La première rendait le meurtre
qui auraient cherché leur subsistance dans bbeaucoup plus rare, en en rendant je châti-
]e pillage, et trouvé leurs plaisirs dans les ment
n beaucoup plus sûr; la seconde était
aventures périlleuses; des hommes qui, se- juste*
îl dans un temps où le meurtre était
Ion Tacite, regardaient comme honteux d'ac- plusP souvent la suite d'une querelle qu'un
quérir par le travail ce qu'on pouvait obte- forfait
& prémédité. En permettant à tous les
nir par la furce parents
P de tirer vengeance du meurtrier, la
Comment aurait-on pu inspirer le goût de h loi ordonna de courre sus a l'assassin, com-
la culture des terres à des hommes, qui, sui- meK sur une bête féroce; elle le mettait hors
vant le même auteur, laissaient aux femmes, de d la société mais en même temps elle lais-
aux vieillards, aux plus faibles de la famille sait
Si dans la composition une ressource à
le soin de leur ménage et de leurs terres, et l'l'homme plus malheureux que coupable.
ne savaient que dormir ou combattre ? « peu- CC'étaient les lettres de grâce de nos gouver-
ple inconcevable, » dit Tacite, « qui abhorre nements.
le repos, et se plait dans I'oisiveté4 » Dès que la nature de la société eut rendu
Comment les chefs particuliers auraient- le les terres héréditaires dans les familles de
ils pu s'acquitter de la charge de leurs béné- leurs
le possesseurs, le goût si puissant d'une
ficès, et mener leurs hommes à la guerre; si propriété
pi permanente inspira le désir de la
eeux-ci eussent pu se soustraire à cette obli- c(
conserver, et les moyens de là défendre. Les
gation parleur déplacement? peuples
pi sentirent le besoin des lois écrites
La loi du servage était donc nécessaire, ilsiL rédigèrent leurs anciennes coutumes
en
dans une société naissante, formée par un lo lois écrites, ou bien la nature en introduisit
peuple étranger au pays qu'il occupait, pour dedi nouvelles. Oh vit naître les codes saxons,
prévenir une émigration générale, empêcher wisigoths,
w lombards, bourguignons; plus
le vagabondage individuel, retenir le culti- tatard on découvrit lé recueil des lois romai-
vateur à sa terre, et le soldat sous ses dra- n(
nes, et la nature elle-même inspira aux peu-
peaux et elle est inutile aujourd'hui que ples pi d'en confier l'interprétation à ceux qui
tes peuples et les individus sont fixés, l'a- seuls
se pouvaient Jes entendre, et le soin d'en
faire l'application à ceux qui seuls avaient rends sans juges; mais il est impossible d'a-
la force nécessaire pour faire respecter leurs voir une religion publique sans ministres,
décisions. Ainsi les actes judiciaires furent ou une force publique sans guerriers on
Mnfiés aux clercs ou ecclésiastiques, comme peut supposer des propriétaires sans pro-
l'administration de la justice avait été confiée cès maison ne peut supposer un pouvoir
aux seigneurs ou chefs militaires et ce né religieux ou politique, sans force publique,
fut pas usurpation de la part de ceux-ci, ce car un pouvoir sans force n'est pas un pou-
fut nécessité. voir.
Il n'est pas hors de propos de remarquer Mais si, comme chargée d'administrer la
que ces peuples, que les Romains appelaient justice distributive, la magistratureexerçait
barbares, parce qu'ils avaient des rois et une profession relative aux individus plutôt
qu'ils ne parlaient pas latin, confièrent à qu'à la société; comme dépositaire des lois
perpétuité le dépôt des lois et l'administra-? qui s'étaient extrêmement multipliées, com-
tion de la justice, et que les Romains eux- me chargée de vérifrer les lois, c'est-à-dire,
mêmes ne surent jamais où fixer l'un et l'au- de n'admettre dans ce dépôt sacré que 1"ex-
tre. Voyez dans Montesquieu leurs varia- pression de la volonté générale, la magistra-
tions éternelles sur cet objet important. ture exerçait une fonction sociale (1) elle
La société s'étendait; le commerce et les fut donc profession distinguée par la nature1e
arts créaient de nouvelles propriétés; de de ses fonctions, profession sociale par son
nouveaux rapports se développaient et don- objet, profession permanente comme la so-
naient naissance à de nouvelles loïs leur ciété. Puisqu'elle était distinction sociale,
interprétation devenait plus difficile, parce permanente, elle devait, suivant l'esprit de
que les propriétés étaient d'une nature plus la monarchie, et par analogie avec les autres
composée, et que les hommes s'éloignaient distinctions sociales, devenir inamovible, et
de la simplicité primitive leur application elle devint inamovible héréditaire, et elle
devenait plus fréquente, parce que la so- devint héréditaire, en devenant propriétaire
ciété était plus nombreuse cette fonction par la vénalité. Car la vénalité n'est qu'une
ne pouvait plus être exercée par des hom- propriété en argent, établie primitivement
mes livrés à d'autres occupations, elle de- sur l'Etat, et qui passe, par la résignation
maridait l'homme tout entier. Alors la néces- des offices, d'une famille à une autre, comme
sité des choses, la nature de la société éta- la vente d'un fief militaire, ou la résignation
blirent insensiblement une autre profession, d'un bénéfice ecclésiastique fait passer d'une
qui tenait à la fois de la gravité, de l'appli- famille ou d'un individu sur un autre une
cation de là profession sacerdotale, et de la propriété séculière on ecclésiastique, sous
force de la profession militaire car l'homme la charge d'un service militaire ou religieux.
peut faire de nouvelles combinaisons, mais La vénalité n'est pas établie pour l'homme,
il ne peut créer de nouveaux éléments mais pour la société il est douteux si, sans
cette profession fut nommée magistrature^: la vénalité, on aurait des juges plus éclai-
et il y eut. des chevaliers ès-*lois, comme des rés mais il est incontestable que, sans la
chevaljei-s de nom et armes. vénalité, on n'aurait pas de magistrats indé-
.On a vu que la religion et la force publir pendants La magistrature vénale est dans
que étaient dotées en fonds de terre. La ma- la constitution monarchique, comme le sa-
gistrature ne pouvait l'être, parce qu'elle cerdoce transmissible, ou la noblesse héré-
était une profession de nouvelle création. ditaire. On ne peut assigner l'époque fixe à
Comme elle n'était pas fondamentale ou né- laquelle la magistrature devint profession
cessaire autant que les deux autres, Ja ria- sociale, inamovible, pas même celle de la
ture ne l'avait pas élevée, comme les deux vénalité, quoique plus récente; parce que
antres, au rang de profession de proprié- ces changementssuccessifs sont t'ouvrage de
taire en effet, on peut terminer les diffé» la nature, et non celui des hommes, et que

(1) En Egypte, « trente juges étaient tirés des tion relative aux individus les seconds ont une
principales villes. pour composer la compagnie qui fonction relative à la société ou sociale. En Egypte,
jugeait tout le royaume; on était accoutumé à ne il y avait des juges, comme on vient de le voir,
voir dans ces places, que les plus honnêtes gens du mais il n'y avait d'autres magistrats que les prê-
pays et les plus graves. > (Bossuet.) Les juges tres. Aussi, parce que la profession da juge n'était
sont.chargés de rendre-aux individus la justice dis- pas sociale comme tes deux autres, elle ne fut paa
tributve les magistrats sont chargés du dépôt des héréditaire comme elles.
lois de la société. Les premiers n'ont qu'une fonc-
la nature disposant tout avec ordre, avec priétés leur interprétaTio^ f>lfî§ difficile, et
sagesse, dans le temps convenable, et par par conséquent les erreurs des juges plus
des voies que les hommes ne peuvent trou- fréquentes et .plus préjudiciables, il fallut,
bler, parce .qu'ils ne peuvent les connaître, pour l'intérêt de la société, pourvoir la
marche lentement et sûrement à ses fins,: sûreté du dépôt des lois et à la correction
mais parce que des propriétés en argent ne des erreurs, ou des prévarications des juges
sont que des propriétés fictives ou de con- alors se formèrent les cours souveraines;
vention, et non des propriétés naturelles, la alors la profession devint sociale, c'est'à-
profession de la magistrature ne fut pas ad- dire distinguée des autres professions, per-
mise dans les assemblées générales des pro- manente, indépendante,inamovible, pro-
priétaires, ou états généraux, et elle resta, priétaire, etc. Alors la nature de la société
dans l'opinion, un peu au-dessous des deux attribua au pouvoir général et conservateur
premières. de la société l'administration suprême de la
J'ai dit qu'elle avait le dépôt des lois, justice, parce que tout ce qui est social doit
c'est-à-dire de l'expression de la volonté émaner de la volonté générale de la société,
générale elle devait donc veiller à ce qu'il et ressortir à son pouvoir général.
Mais, puisque la magistrature était deve-
ne se glissât dans ce dépôt sacré aucune loi
qui ne fût l'expression de la volonté géné- nue distinction sociale, ou profession dis-
rale, c'est-à-dire qui ne fût une conséquence tinguée, elle devait servir au pouvoir géné-
nécessaire des lois fondamentales, si c'était ral de limite et de défense et en effet eRe
remplit avec zèle et quelquefois avec cha-
une loi politique, ou une conséquence né- leur cette fonction délicate et si elle a quel-
cessaire des lois politiques, si c'était une
loi civile et lorsqu'elle n'apercevait pas ces quefois borné te pouvoir particulier de
caractères dans une loi qui lui était pré- l'homme, elle a beaucoup favorisé le déve-
sentée, elle devait avertir l'agent de la vo- loppement du pouvoir général du mo-
lonté générale, dont cette loi était censée narque.
l'expression. On voit naître la nécessité des Lois politiques nécessaires établissement
des tribunaux et des cours souveraines,
remontrances,et l'on aperçoit le terme de ce
devoir, dans la nécessité à toutes volontés inamovibilité des fonctions, perpétuité des
particulières d'obéir à la volonté générale, offices, droit de remontrance et d'enregis-
clairement manifestée,et qu'on ne s'exagère trement, administration suprême de la jus-
tice, attribut de la royauté.
pas le danger de cette obéissance, la consti-
tution y a pourvu. Je suis obligé de ren- CHAPITRE VII.
voyer à un autre chapitre ce qui me reste à
dire sur ce sujet. RÉFLEXIONS SUR LES LOIS POLITIQUES DES SO-
Comme la distinction de cette profession CIÉTÉS MODERNES.
n'était pas fondamentale et primitive, se?; 11 est sensible que les institutions ancien-
membres individuellement furent agrégés à nes se sont développées et perfectionnées
la distinction fondamentale et primitive de dans notre législation moderne; et ce qu'il
la profession militaire, et firent partie de la est surtout important de remarquer est la
noblesse. Mais remarquez qu'ils n'en firent liberté que l'homme a acquise, sans que 14
partie qu'autant qu'ils furent membres des conservation de la société ait été moins as-
tribunaux qui avaient des fonctions socia- surée.
les, comme dépositaires des lois, ou des Ainsi la profession naturelle de la no-
cours souveraines les autres cours infé- blesse est la profession des armes'; mais le
rieures, quoique plus anciennes, qui n'a- noble peut exercer une autre fonction éga-
vaient d'autres fonctions que de rendre la lement utile àl'Etat, et plus analogue à ses
justice aux individus, au nom et à la place connaissances et à ses habitudes, la profes-
de ceux auxquels cette fonction avait été sion sénatoriale ou judiciaire.
primitivementconfiée, ne participèrent point Le propriétaire non noble, tenu par la
à cette prérogative. condition de sa propriété au service mili-
Ainsi lorsque les seigneurs ou leurs taire personnel, a acquis par l'impôt la li-
cours administraient la justice, cette fonc- berté de s'y soustraire il a pu se d^chàr-
tion n'avait rapport qu'aux individus; lors- ger sur un autre de cette fonction honora-
que la multiplication des lois eut rendu leur ble et périlleuse, comme il a pu remplacer
dépôt nfcessaire, et l'accroissement des pro- aussi par un léger sacrifice les fonctions i>é
n) blés de la corvée et cependant, loin de de nos' établissements politiques, c'est que
rien perdre à ce changement, l'Etat y a ga- leurs
1 auteurs ont voulu trouver un législa-
grié, soit du côté de sa défense qui a été teur i 'là où ils ne devaient chercher que la
plus assurée, soit du côté des travaux pu- nature,i et assigner des époques fixes à la
blics qui ont été exécutés avec plus de législation^
1 lorsqu'il ne fallait qu'en étudier
promptitude et d'intelligence. la
1 marche et en observer les progrès. L'art
.. « Mais dans un long gouvernement on va met
i à découvert ses procédés; la nature dé-
au mal par une pente sensible. » (Esprit robe i ses opérations à nos regards, et ne
des lois,.) nous
i laisse apercevoir que des résultats. Si
L'extrême facilité dedéplacer le signe de un i peintre veut représenter un arbre, je
la propriété a rendu excessivement fré- vois -i ies pinceaux, la toile et les couleurs
j
quent le déplacement de la propriété même, je vois le tronc se dessiner, les branches
et lui a ôté cette fixité nécessaire pour em-
pêcher l'oppression. Les impôts dans quel- de
s'étendre,
s le feuillage naître c'est l'ouvrage
l'homme, copie imparfaite et périssable
<
ques Etats n'ont plus été proportionnés ni des ( productions de la nature. La terre re-
aux vrais besoins de la société; ni aux fa- çoit (, le fruit qui doit produire le chêne;
cultes de ses membres; des systèmes faux elle < referme son sein et travaille en secret.
ou exagérés sur les effets d'une circulation L'arbre
i se développe de son germe; mais
rapide d'espèces ont obscurci les idées sim- qui ( racontera les merveilles de cette géné-
ples et distinctes*de l'ordre et de l'économie; ration2
i Il croit, il s'élève; mais qui le voit
et égaré les gouvernements. Ils se sont s'élever s et croître? Battu par les orages, il
aveuglés sur la nécessité de régler ou de n'en i est que plus robuste; retranché par le
justifier Remploi des contributions, publi- fer, i il en devient plus vigoureux il verra
ques. Le luxe et quelquefois les intérêts passer les générations et les siècles; et le
particuliers ont multiplié sans mesure les vieillard
a qui dans son enfance se courbait
travaux publics, ou en ont diverti les fonds ]pour redresser sa tige, en contemple là hau-
d'autres emplois. Alors l'impôt forcé ou teur, t et assis à son ombre, réfléchit avec
détourné de son véritable «bjet a pu faire douleur c à la rapidité du temps. Voilà f ou-
regretter la corvée et ses abus; alors seule-- vrage de la nature voilà la société.
ment on a pu dire avec Rousseau « Je crois Nous connaissons la législation politique
les corvées moins contraires à la liberté que de la Grèce
les taxes, et je voudrais qu'on imposât tou- c et de Rome nous distinguons
c qui est de Romulus ou de Solon, de Nu-
jours les bras des hommes et jamais leur ce
bourse. » tma ou de Lycurgue les motifs du légiste--
teur,
t l'époque précise de ses institutions
Ainsi, dans les sociétés anciennes, on dé- leur 1 objet, leurs dispositions, leurs effets,
plaçait beaucoup plus les hommes que les rien
propriétés; et dans les sociétés modernes tutions, r ne nous échappe et nos propres insti-
t ces institutions qui subsistent en-
on déplace ou l'on emploie beaucoup plus ccore, et
les propriétés que les hommes et il était sous lesquelles nous vivons, ces
institutions récentes, si nous les compa-:
réservé à. un Etat devenu populaire de don- à celles des Grecs et des Romains et
rons
r
ner .à l'Europe chrétienne et civilisée l'af- sur lesquelles. nous avons des .monu-
freux exemple de: déplacer à la fois tous les s
ments contemporains de tous les âges. déjà
hommes et toutes les propriétés, et de dis- cmonarchie,
n elles ne sont pour nous qu'une
poser par des réquisitions inouïes, des en- matière à systèmes et un sujet de disputes.
fants de la veuve et du pain de l'orphelin, n
rQui est-ce qui a réglé l'ordre de la succes-
L'humanité aurait donc infiniment gagné sion, s établi l'indivisibilité de la couronne,
aux nouvelles lois qui se sont établies dans rinaliénabilité
l' des domaines? y avait-il
les gouvernements modernes, si un emploi plusieurs p ordres de citoyens sous la pre-
immodéré des propriétés ne pouvait deve- mière n et la seconde race? Quelles étaient les
nir funeste à la société, et par conséquent fonctions
f( des assemblées générales, Ou l'e-
nuisible à l'espèce humaine. rigine
ri de la pairie ? Quelle est l'époque cer-
Si le développement insensible des insti- taine
t£ de l'hérédité des fiefs, de l'introduc-
tutions monarchiques, tel que je l'ai pré-- tion ti de la magistrature, do l'inamovibilité
senté, ne s'accorde pas avec les systèmes ddes offices, de la vénalité des charges?
de quelques écrivains célèbres sur les pre- N Nous l'ignorons mais nous voyons un or-
miers temps de notre histoire et l'origine dre d de succession invariable, une couronne
indivisible, une noblesse héréditaire, unee quelles une nation se fit à elle-même l'ap-
magistrature inamovible; nous voyons laa plication de la constitution, découlèrent plus
France, ce chêne antique, croître peuà peu,i, ou moins imraèd'i3.tement,nécessairementdës
et par des progrès insensibles, étendre surr lois fondamentales; cette nation prit un ca-
toute l'Europe son ombre protectrice etit ractèrô plus ou moins marqué, ce caractère
courbé par les vents, redresser sa tête al- qui fait qu'un peuple est lui-même et non
tière. Qu'on ne parle pas des hommes ni dee un autre; ce caractère,principe intérieur de
leurs motifs, la nature les fait servir à sess sa force, cause secrète de ses succès, res-
desseins qu'on ne m'oppose pas des faitss source inespérée dans ses malheurs.
contraires, la nature les ramène à son plan Le caractère d'une nation se compose de
qu'on ne m'allègue pas des dates, la naturee ses affections, ses affections de ses habitu-
ne connaît pas d'époques dans ses opéra- des, comme le caractère d'un homme se com-
tions, parce qu'elle opère sans cesse. pose de ses penchants.
Une religion grave et imposante, tour à
CHAPITRE VIII.
tour indulgente etsévère, qui ne laissait pas
RECAPITULATION CARACTÈRE DES PEUPLES la faiblesse sans espoir, ni la vertu même
PROPRIÉTÉS GÉNÉRALES DE LA SOCIÉTÉ. sans crainte, et qui faisait consister toute laa
loi dans l'amour de l'Etre suprême et dans"5
Les sociétés fondées en Europe par less l'amour de ses frères, dut donner à
peuples du Nord furent donc constituées, ett ple des affections douces et sociales,unet peu- for-
leur constitution reposa sur les trois lois5 mer en lui des habitudes de confiance la
fondamentales d'une religion publique, d'unt Divinité et de bienveillance en
envers ses sem-
pouvoir unique, de distinctions héréditai- < blables.
res. Mais, comme la religion chrétienne L'hérédité du pouvoir, en rendant hérédi-
qu'elles embrassèrent,fondée sur la croyance taires les sentiments d'affection et de recon»
de l'unité de Dieu, la connaissance de ses naissance pour la famille régnante, dut ms-
perfections et de la destination de l'homme, pirer à un peuple des habitudes d'amour
et
était la seule religion digne de Dieu, de de respect pour le pouvoir de l'Etat mis 11
i'homme et de la société; que le pouvoir sa portée, et qu'il pouvait, pour ainsi dire,
unique ou la royauté reçut dans presque voir i de ses veux et toucher de ses mains.
toutes ces sociétés, la perfection dont il Enfin tes distinctions héréditaires,
était susceptible, par l'introduction d'un or- transmettant, d'une génération à l'autre, en
dre régulier de succession; et qu'enfin les vénération une
i affectueuse pour des familles an-
distinctions héréditaires et permanentes ne ciennementdistinguée», et une considération
furent plus bornées à ceux qui exerçaient naturelle pourles professions qu'elles
]
la profession des armes ou le ministère de çaient,
exer-
< durent donner au peuple des habi-
la religion, mais qu'elles furent étendues ài ttudes de déférence et de subordination, né-
la profession dépositaire des lois, accordées cessaires
< à former et à maintenir envers les
même comme récompense à ceux qui professions ] chargées de veiller à la conser-
avaient rendu des services importants à la vationi de la société., et qui, dans le respect
société, et cependant toujours ramenées à des < classes inférieures, trouvent de nouveaux x
l'esprit de leur institution en sorte que moyens ] de remplir cette imoortante fonc-
pa&la nouveUeforme qu'elles reçurent sous tion. t
le nom de noblesse, elles furent de la part Et parce que la religion publique, le pou-
de la société le souvenir ineffaçable de ser- voir
i unique, et les distinctions sociales,
vices rendus, et dans la famille distinguée étaient
( les lois fondamentalesde la spcjété
ou anoblie, un engagementirrévocable à en civile,( et que la société ne pouvait subsister
rendre de nouveaux la constitution fut sans « elles, la famille régnante, les ministres
donc chez les modernes le développement, du ( culte, et ceux d« la force publique dé-
la perfection, le complément de la constitu- ffensive ou sociale, c'est-à-dine la
noblesse,
tion primitive. furent
f les propriétes publiques e.t générales
Et selon que les lois politiques, par les- dec la société (1).
(i) «Vous vioulez détruire la noblesse, disait un j
I Robespierre et par d'autres.
par
des coryphées de la révolution française; vous n'y Cette auecdocte est tirée du Tableau de Paris,
songez pas on ne détruit pas ta noblesse, qui est llors des massacres des mois d'août et de septem-
un être moral, ce sont les nobles qu'il faut dé- 1bre 1792. Son estimable auteur,
nuire. 'C'est ce legs épouvantable qui a été acquitté des un des rédacteurs
d Actes des Apôtres, a employé ses talents à
re.
La famille- -élevée au trône fut une véri-r les soumet à périr avec elle tel est leur
table propriété de la société; puisqu'elle nee sort, et
pour qu'ils ne puissent s'y sous-
put plus disposer d'elle-même, renoncerah traire, la religion et la nature les ^marquent
la succession, ni en intervertir l'ordre con- d'un caractère particulier qu'aucune
force
damnée à la grandeur, elle dut en supporter
le poids, en dévorer les amertumes,
r
ne peut effacer. Car si la violence peut in-
en terdire aux ministres de la religion,, ou à
éprouver les revers. « Ce n'est pas pour l'in-
ceux de la force publique sociale, t'exercice
des
térôt de. la famille régnante, dit l'Esprit s public de leurs fonctions quelle force
lois, que le droit de succession est établi, rait ôter à des pour-
prêtres le caractère qu'ils
mais parce qu'il est do, l'intérêt de l'Etatf tiennent de leur consécration,
qu'il y ait une. famille régnante. » ou à des no-
bles
] le caractère qu'ils tiennent de leur
Les ministres de la religion et ceux de lat naissance?
i 2
force publique, ou les nobles, furent, aussi Je ne puis mieux terminer cette partie de
une propriété de la société, puisqu'ils. ne imon ouvrage, que par un passage intéres-
purent plûs disposer d'eux-mêmes, renon- sant
cer volontairement à; leurs distinctions, ni de
embrasser des professions incompatibles
<

( l'Esprit des lois:


•.
qui en est comme l'analyse. Je le tire

« Voici comment se forma le premier,plan


avec leur destination primitive, sans encou- des monarchies
rirl'animadversion des lois, pu le blâme de nations ( que nousconnaissons. Les;
i germaniques, qui conquirent l'em-
laisoçiété: ençbainés,pour son intérêt, dans pire romain, étaient, comme l'on; sait, ,très-
1
îieurs professions respectives, ils durent en librès;i mrn'â qu'à voir là-dessus Tacite sur
remplir les engagements, et en braver les jLes mœurs des Germains, Les
conquérant? se
dangers. Esclaves de ce maître dur et in- répandirent dans le
juste, obligés de ,souffrir ses caprices, sou- r pays ils habitaient, :1es
et peu Jes villes. Quand ils
vent d'éprouver son ingratitude, quelquefois campagnes
0
éétaient en Germanie, toute la nation pou-
d'essuyer ses fureurs, ils assurèrent, li-
sa vait
v s'assembler lorsqu'ils,furent dispersés
berté aux dépens delà leur, et payèrent leur dans d la conquête, ils ne le purent: plusv II
distinction de leur servitude. C'est la sol u- f,fallait
pourtant que la nation délibérât sur
tion. du problème que Rousseau se: propose
s affaires, comme elle avait fait avant la
ses
Quoi, dit-il, la liberté ne se maintient qu'à conquête;
c elle le fit par des représentants-
l'appui de la servitude peut-être. Il n'ose Voilà l'origine du gothique
décider» parce que, confondant toutes les parmi nous. fut gouvernement;
p 11 d'abord mêlé de J'aristo-:
idées, il parle de la servitude domestique, cratie
c et de la monarchie. Il avait cet incçjD-
Oui, les seuls esclaves" de la société civile vénient,
sont les membres des professions royal», (serf, v que le bas peuple y était esi^laye
u et non esclave); c'était un bpn gou-
sacerdotale et noble que leurs chaînes Ç, yeraement :qui avait en soi, la çapaeilé}de de-
soient dorées, elles n'en sont pas moins des venir meilleur.
Vt La coutume vint d'accordée
chaînes; et de temps en temps, l'injustice d, des lettres d'affranchissement, et bientôt la
de leur maître leur en fait sentir toute la pe- jj liberté ci vile du peuple, les prérogatives- de
santeur. Jetez les yeux sur la famille royale, la noblesse et du clergé, la puissance
des
sur le clergé et la noblesse d'une grande rois, rc se trouvèrent dans un tel concert, que
société, vous qui avez si souvent envié leurs je je ne crois pas qu'il y ait eu sur la terre de
prérogatives, exagéré leurs fautes, et peut- gc gouvernement sf bien tempéré que le fut ce-
être calomnié leurs vertus; voyez-les obéir lu lui de chaque partie de l'Europe dans le
nécessairement à la loi de leur profession, te temps qu'il y subsista. Et il est admirable
qui les dévouant à la défense de la société,
qU la corruption du gouvernement d'un peu-
que
lardérte progrès dé la révolution, ou à en retra- d'amour
<j'a maternel, de piété filiale, d'attachementde
cer les ailleurs pour l'instruction des peuples et
m
la
)ai pan de serviteurs dévoués, etc. Nations étrangè-
des rois. Il faut que la révolution soit connue,
qu'elle soit connue dans tous ses détails, je dirai re« c'est là que vous jugerez les vrais., Français!t
res,
Un auteur ancien dit, en parlant des proscriptions
Un
presque dans toutes ses horreurs. L;iiistoJre de la de Rome, que les proscrit* trouvèrent mie fidélité
révolution, le traité.le plus complet de politique et entière dans leurs épmtses, rare dans leurs] enclaves,
de morale expérimentale, qui ait jamais paru, peut ent
avoir, avec là fidélité historique, tout l'intérêt du médiocre
mé, dans leurs affranchis,, nulle dans leurs en-
fan C'est un point de comparaison entré nos Ver-
fants.
roman. Si, à la honte de l'espèce humaine, il dé- tus et celles^ des anciens-. Elle sera à- notre avan-
voile des atrocités qui la déshonorent pour la tage, quoi qu'en disent les admirateurs des Grecs
tà<*
consolation de l'humanité, il mettra au jour des
traits sublimes de religion, de courage, de sensibi- etijdes
et d Romains, qui n'avaient ni constitution poli-
lité, de reconnaissance, de tendresse conjugale, tique, ni constitution religieuse.
tiq,
a^VB j"1 Hk IF* b
pie eo'nquérant ait formé la meilleure espèce échappent
é à l'esprit subtil du philosophe,
de gouvernement que lés hommes aient pu e il met à leur place une
et absurdité qui
imaginer. >s (Esprit des lois, lil;.vxi, c. 8.) 1l'étonne lui-même. 11
est admirable, dii-il,
Ce passage décisif prouve évidemment que
q là corruption du gouvernement d'un peu-
que Montesquieu entrevoyait des vérités ple
j. conquérant ait formé la meilleure espèce
qu'il sacrifié à des préventions. de
c gouvernement que les hommes aient pu
H esquisse rapidement le tableau du imaginer.
t Mais le gouvernement d'un peuple
gouvernement des nations germaines, de conquérant
( est un mauvais gouvernement,
ces nations très-libres, dit-il lui-même, ce car
( la conquête n'est pas dans la nature.
gouvernement, où la nation s'assemblait par Ainsi
i
c'est la corrupt ion d'un mauvais gou-
qui a produit le meilleur gou-
ses représentants, ce gouvernement mêlé d'a- vernement
i
ristocratie et de monarchie, et l'origine de vernement
i possible. Cela serait admirabte
celui qui existe parmi nous. C'était un bon assurément.
i Mais comment l'auteur est-il
gouvernement qui avait en soi la capacité de tombé en contradiction avec lui-même pour
<

devenir meilleur. En effet il s'améliore outrager


( la raison? Si c'était un bon gouver-
bientôt la coutume vient d'accorder des lettres nement,
i ce n'était pas le gouvernement d'un
d'affranchissement, c'est-à-dire qu'à l'aris- peuple conquérant, et s'il avait en soi la
tocratie et à la monarchie se mêle une re- capacité de devenir meilleur, il ne s'est pas
Présentation populaire; voilà nos états gé- corrompu, il s'est amélioré. Les; Germains
néràux; et alors la liberté civile du peuple, n'étaient pas un peuple conquérant, et l'au-
les prérogatives du clergé et de làmoblesse, teur le remarque lui-même ailleurs. Ce
la puissance des rois se trouvent dans un furent, dit-il, les nations les plus faibles'qui
concert parfait, et forment le gouvernement firent les plus grands établissements (Gran-
le mieux tempéré qui ait existé sur la terré. deur des Romains). Les Huns conquirent et
Ce bon gouvernement est évidemment de-
ravagèrent, les Germains- entrèrent après
venu meilleur, et cela n'est; pas étonnant, eux, et s'établirent; Montesquieu ajoute, en
puisqu'il en avait en soi la capacité. C'est parlant d'un des gouvernements formés en
la nature qui, ayàntformé les nations comme Europe par les peuples germains « Ce
les hommes pour être libres et très:ïibres, beau système de gouvernement a été trouvé
leur donne des lois, telles qu'elles poissent dans les bois; » et c'est là seulement, c'est,
cabi-
convenir à leur enfance, et qu'elles aient au sein de la nature, et non dans les
nets des savants qu'il faut chercher les lois
en elles-mêmes la capacité de devenir meil~ immuables que l'Auteur de la nature et le
leures, c'est-à-dire de convenir à leurs pro-
grès. Ce' sont des germes qui mûrissent ett Père du genre humain a données lui-même
aux sociétés comme le fondement nécessaire
se développent; ce sont les mêmes lois,
mais leur application est plus étendue. Ces de leur existence.
vérités si grandes, si simp! es, si' naturelles,

LIVRE I:V:IÍ
SOCIÉTÉS CONSTITUÉESOU MONARCHIES ROYALES.

CHAPITRE PREMIER. Parcourons son histoire, et nous verrons


dans tous les temps ses prospérités ;et ses
MONARCHIE FRANÇAISE.
revers dépendre de son attachement ses
La France, à laquelle je vais faire l'appli- lois fondamentales.
cation des principes que j'ai posés est Si, sous la seconde race de ses roi s, la
l'aînée des sociétés de l'Europe. Ce souvenir succession héréditaire est interrompue* les
arrache une réflexion douloureuse le re- oiBces deviennent héréditaires; l'unité se
tour à la barbarie suivrait-il le même ordre. rompt; il s'élève des sociétés particulières
que la civilisation a suivi, et la société qui au sein de la grande société, et des pouvoir.
s'est fornoée la première, serait-elle la pre.- rivaux du pouvoir de l'Etat, La France est
îûière à se dissoudre? livrée à tous les maux oui suivent la divi-
sion de la société et la multiplicité des pou- que la nature même de la société leur avait
voirs fi). Mais sous la troisième dynastie, assigné, alors
commencera la longue série
la succession est assurée dans, la même fa- des calamités les. plus déplorables
dont les
mille, la monarchie se recompose, les pou- annales des nations aient transmis le
sou-
voirs particuliers cessent, le pouvoir général venir. Pour détruire cette société florissante,
reparaît, et la France se rétablit de ses lon- toute la profondeur de J'esprit de l'homme
gues calamités' mettra en oeuvre toute la corruption de son
Si la loi de la succession est encore violée
cœur, tout le dérèglement de ses sens les
dans la personne de Charles VII, par un roi malheurs de la France
surpasseront sa
en démence et une mère dénaturée, l'Etat gloire, et ses crimes surpasseront ses mal-
sera en proie aux.plus affreux désordres, et heurs.
il ne se relèvera de ses désastres qu'en re- Mais la France avait une constitution, et
plaçant le légitime héritier sur ie trône dé le Français
un caractère cet Etat sans cons-
ses pères. titution en avait plus qu'aucun Etat de
Si la religion de l'Etat est attaquée, les ï'Eùf ope, ce peuple sans caractère en avaitt
efféts seront proportionnés à l'importance plus qu'aucun peuple de l'univers.
de la cause pendant cinq règnes consécutifs La France avait plus de constitution
la France sera un théâtre d'horreur et de qu'aucune autre société, puisque le pouvoir
discorde; et comme la constitution est une, général y était plus constitué, c'est-à-dire,
et que les Ibis fondamentales se tiennent mieux défendu et plus limité
que dans tout
•toutes, la loi de la succession sera encore autre Etat monarchique. Religion publi-
méconnue. Mais l'héritier légitime embrasse que, royauté héréditaire, distinctions héré-
la religion de l'Etat, les troubles cessent, ditaires et permanentes
non seulement
l'étranger se retire, la prospérité renaît avec dans les
personnes, mais dans les choses,
l'ordre et la paix, et la France respire sous immunités du clergé, prérogatives de la
le bon et grand Henri. no-
blessé, privilèges des provinces, des villes,
La révolte de la capitale et de plusieurs des
corps, grands offices de Ja couronne,
provinces, l'erreur du premier corps de ma- prééminence de la pairie, attributions des
gistrature, le génie même du grand Condé cours souveraines, inamovibilité des char-
ne peuvent sous un roi enfant et le minis- ges de magistraturé, tout était, quant à son
tère d'un étranger haï et envié, faire-de la existence politique, indépendant riu
Fronde autre chose, qu'une intrigue de cour narque. Cette inamovibilité des charges,mo- les
ou une tracasserie de ville, parce qu'aucune mœurs l'avaient étendue à presque tous les
loi fondamëntale n'était attaquée comme emplois civils et militaires; les professions
sous Louis XI, le mécontentement de pres- mécaniques étaient fixées par l'établisse-
que tous les princes du sang, d'un grand ment des maîtrises; jusqu'aux dernières
nombre de seigneurs, des plus grands ca- fonctions de la domesticité, tout existait
par
pitaines aidés par les. plus puissants vas- soi-même autour du souverain; tout était
saux et par des princes étrangers, aboutit à possédé en titre d'office, tout était propriété,
une bataille indécise, et se termine par un La propriété,
comme une barrière impéné-
traité de paix insignifiant (2). trable, placée par la nature elle-même entre
Mais si le fanatisme, l'ambition et l'or- la' faiblesse et la force, formait autour du
gueil attaquent de concert et à la fois, la monarque une enceinte qu'il1 ne pouvaH
religion, la royauté et les distinctions; si le franchir; et lui-même,
pauvre au milieu de
pouvoir égaré par des suggestions perfides propriétaires, dépendant
au milieu d'hom-
ouvre la hee à toutes les passions, en ren- mes libres, appartenait à tel point à la na-
versant les barrières que la nature avait éle- tion, qu'il n'avait
pas même les facultés du
vées entre les divers ordres de l'Etat; si les dernier citoyen, et ne pouvait posséder de
crofessions distinguées, conservatrices de propriété particulière qui
ne fût, par les
la société, sont forcées de quitter le poste lois, réunie au domaine public
au bout de
( 1 ) Le président Hénault fixe au règne de Raoul,
étranger à la maison régnante, l'établissement des sans que le roi ni le comte de Charollois eussen*
envie de combattre la perte fut égale des deux cô
grands fiefs. Raoul ne fut pas reconnu par les.pro- tés. Cette guerre fut terminée par le traité de Con
vinces méridionales. flans et de Saint Maur, où le roi avait, tout accordé,
(2) On voit que je veux parler de la du espérant bien tout avoir par ses intrigues, t (Hé-
bien public, qui éclata au commencementguerre
du règne nault.)
de Louis XI. < La bataille de Montlliéri fut donnée
dix ans de possession. « Le domaine de la la. faiblesse et d'une pëdantesque sévérité
la
couronne est comme la dot du royaume, n'attristez
n' pas la précieuse, l'inépuisable.'
donné au roi à cause de la royauté, et par gaieté
g; de son humeur, et ne lâchez pas la
conséquent inaliénable, de même que la dot bride
bl à la violence de ses premiers mouve-
qu'une femme a apportée à son mari. » ments
m le Français h'est fait ni pour une
dépen-
(Hênault. ) Comparaison sublime, et qui extrême
eu liberté, ni pouf une extrême
établit d'une manière aussi touchante dance
di il se laissera opprimer pour ne .pas
qu'elle est exacte, les vrais rapports du roi servir,
s( il prendra desçhaîaes de peur 'd'en
avec son Etat. recevoir.
rt Ne croyez pas que le nouveau ré-
Le Français avait un caractère, et c'est gime auquel on l'a .soumis puisse lui con-
gi
dans l'invariabilité de son caractère, comme venir
vi ta turbulence des institutions démo-
dans la force de la constitution, qu'il faut cratiques
ci accroîtra sa licence, ou l'austérité
chercher la cause de ses longues prospéri- des formes républicaines effarouchera son
di
tés, comme le principe de ses fautes, et l'o- humeur
h libre et folâtre. N'en croyez pas ses
rigine de ses malheurs. serments
sc c'est un jeune homme sensible à
J'observe ave.c attention ce peuple, mêlé l'excès,
l' qu'un dépit passager jette dans un
de Romains (1 ), de Gaulois et de Germains, cloître,
cl et que la facilité d'un cœur tendre
et je crois apercevoir dans son caractère la ramène
r; aux pieds d'un objet chéri. Il' faut
fierté nationale du Romain, l'impétuosité a Français l'éclat de la monarchie et la vi-
au
du Gaulois, la franchise du Germain; comme gueur
g du pouvoir unique mais que votre
je retrouve, dans ses manières, l'urbanité fermeté
fE ne soit pas sans indulgence, ni votre
du premier, la vivacité du second, la sim- sagesse
si sans grâces hélas t s'il s'est perdu,
plicité du dernier. c'est
c que son caractère méconnu de ses
Il est tout âme, tout sentiment, tout ac- maîtres
n a été trop bien saisi par ses tyrans.
tion il sent quand les autres pensent, il Je les retrouve, ce caractère et. cette cons-
agit quand les autres délibèrent; chez lui titution,
ti principes féconds d'existence
l'action devance la pensée, et le sentiment dans
d tous les événements, à toutes. les épo-
devance l'action terrible dans ses écarts, ques
q de la vie politique. C'est par l'action
extrême dans ses vertus, il a moins de vi- dde ce double ressort que la France démem-
ces que de passions; frivole et capable de brée
b par les grands vassaux, envahie par ses
civiles,
constance, fier et capable de docilité, impé- eennemis, déchirée par les guerres
een proie aux guerres étrangères,
agitée par
tueux et capable de réflexion, confiant jus-
qu'à l'insolence, actif jusqu'au prodige, l'ambition
V et le fanatisme, dans la bonne
brave jusqu'à la témérité, ses bonnes qua- comme
c dans la mauvaise fortune, sous des
lités sont à lui, et trop souvent ses défauts r faibles, sous des rois captifs, sous des
rois
à ceux qui le gouvernent. Parlez à son cœur r enfants, sous des rois en (îémençe, sous
rois
plutôt qu'à sa raison; donnez-lui des senti- yune administration trop souvent
accablée
ments, et non des opinions surtout défen- de,
d besoins et dénuée de principes, réunit
dez-vcus de tout changement, vous qui le ses
s parties séparées, repousse l'étranger,
gouvernez 1 n'ajoutez pas à la mobilité natu- accroît
a sa population, étend son commerce
relle de ses goûts, par les variations d'une e son industrie, augmente ses moyens
et de
administration irrésolue; que rien ne change défense,
c crée sa marine, fonde des coloaies.
autour de lui, si vous ne voulez pas qu'il réforme
r ses lois, perfectionne ses arts, for-
change lui-même; ne déplacez rien, si vous tifie
t ses frontières, et se place dans les bor-
ne voulez pas qu'il renverse tout. Que votre i :que la nature lui a fixées. Le président
nes
administration soit également éloignée de IHénault fait la même observation, mais il

(1) Userait, je crois, aisé de prouver que la Ponlii agèr; Marcillac, de Marçelli ager, etc. et
France est, de tous les pays soumis à la domina- comme
c cette expression ne désigne que des biens
tion Romaine, celui où il a dû se conserver le d campagne, il n'y a pas de ville considérable dont
de
plus de Romains, surtout dans les provinces du le nom se termine ainsi. On retrouve aussi leur
l<
midi. Leur langue particulièreest beaucoup plus la- agriculture
a et leurs usages, dans plusieurs usages
tine que la langue française les terminaisons en e dans différents procédés de
et l'agriculture de ces
ac, si communes dans la topographie de ces pro- provinces. Les différentes parties de la charrue à
vinces, ne sont que le mot ager défiguré par con-
traction les Romains, selon toutes les apparences,
i
p
bœufs portent, dans le jargon méridional, au moins
ddans les montagnes où les peuples sont plus cons-
donnaient au g un son dur et ferme, approchant tants
t; dans leurs habitudes, absolument les mêmes
Den-
du k, comme lont encore les peuples du nord qui rnoms qu'elles unt dans Virgile Aures, Stiva,
appellent un champ Acker. talia,
t< Temo.
Ainsi, Aurillac, vient de Aurelii ager: Pontac, de
semble ignorer le secret de la force de la tés par des revers accablants, si le royaume
France « De là, dit-il, cette suite non in- est dans le dernier degré d'épuisement, et
terrompue de sages précautions transmises, son monarque réduit eet excès d'abaisse-
comme par une espèce de miracle, de règne ment, qu'il offre de concourir à; détrôner son
en règne, par lesquelles nos: rois, sans lais- petit-fils si la haine exige davantage, si
ser pénétrer leur secret, parvinrent enfin à elle ose demander qu'il le détrône lui-
reprendré l'autorité s: nécessaire pour le même le ressort de l'honneur trop violem-
bonheur des peuples. » ment comprimé réagit avec force, et l'hon-
Voilà l'effet de la constitution de la neur dicte à Louis la généreuse résolution»
France voici l'effet du caractère français. de se mettre à la tête de ses fidèles sujets,.
Si le roi Jean souscrit dans sa prison à et de s'ensevelir sous les débris de la mo-
un traité honteux, l'honneur français s'in- narchie, plutôt que de consentir à L'avilis-
digne, et courbé sous le malheur, il ose sement du pouvoir de l'Etat.
tenter la fortune des armes. Ce caractère national s'est plus d'une fois
Si, après le long et déplorable règne de prononcé contre l'administration elle-même,
Charles VI, son fils, déshérité par sa mère, à des époques dont on n'a pas perdu le sou-
dépouillé par son, concurrent, accablé par venir, lorsqu'il repoussait par les traits du
l'èis divisions même de son parti, réduit à ridicule, ou le silence de l'improbation, les
Orléans et à Bourges, ne peut être sauvé atteintes portées aux lois fondamentales.
que par un prodige; ii se fera un prodige Mais pourquoi recourir à des exemples
une jeune elle (1) simple et pauvre s'an- éloignés ? Voyez la France; elle n'est plus t
nonce comme envoyée de Dieu, pour dé- depuis six ans entiers, le plan de destruc-
livrer Orléans assiégé, et faire sacrer le roi tion le plus vaste, le plus savamment com-
à Reims occupé par les Anglais. L'orgueil biné, le plus opiniâtrément suivi, la guerre
national sourit à l'idée d'une protection par* civile la plus acharnée, la guerre étrangère
,ticulière de, la Divinité, et ne se croit pas la plus générale des proscriptions sans
au-dessous. Le roi écoute l'héroïne, les exemples, une oppression inouïe, la faim,
chefs lui cèdent, l'armée est entraînée, et la la misère et la mort, tous les fléaux ensem-
croyance d'un miracle enfante des pro- ble, n'ont pu anéantir dans cette société
diges, l'esprit de vie que lui imprimèrent sa cons-

:
Si la France est attaquée par toute la titution et le caractère national. Il n'y reste
puissance de l'Espagne, de l'Autriche et de pas pierre sur pierre, et ses fondements,
l'Italie réunies sur une seule tête; si elle a comme ceux de ce temple célèbre, agités
à lutter contre la profonde habileté de Char- par une force secrète, engloutissent les ou-
les-Quint et tous les trésors du Nouveau- vriers et repoussent leurs constructions. Les
Monde si ses finances sont épuisées, ses lois nouvelles ne peuvent s'affermir, ni les
armées battues, son roi prisonnier,tout sera anciennes habitudes se détruire; le feu
perdu hors l'honneur mais cet honneur au- sacré brûle encore dans la Vendée comme
tant que la politique prescrira à la régente dans un sanctuaire là des Français, sans,
de donner enolage les enfants de France, autre motif que l'attachement au culte de
plutôt que ,les capitaines,{dernier espoir de ileurs pères et à l'héritier de leurs rois,
l'Etat. sans,
autre secours que leur courage, luttent,
Si Louis XIV expie ses longues prospéri- avec la seule force du caractère national,
(1 JII ne s'agit de savoir si toute la cour de Voltaire eût nié les faits, s'ils eussent été moins ré-
Charles VII croyaitpasque Jeanne d'Arc fût inspirée cents et moins constatés, et nbri-sëulement il eût
1 armée, le peuple, les Anglais eux-mêmes le <
rejeté le prodige de l'inspirationparticulière,mais il
croyaient, et tous agissaient d'après cette persuasion, i
C en est
eût
e rejeté le prodige de la persuasion; il n'eût pas.
assez pour que j'aie pu dire avec vérité, manquëdedirequ'on
t ne persuade pas à des nations, à
que la religion a sauvé la France. Au
Pucelle d'Orléans fût inspirée ou non, reste, que la des
d armées, qu'une jeune et pauvre fille,: qu'elles
elle n'en est voient combattre, qu'elles voient blessée et prise, est
pas moins l'héroïne de la nation et comment le envoyée
e de Dieu pour sauver un grand empire réduit
gouvernement a-t-Ù pu accueillir l'auteur et tolérer aaux dernières extrémités. C'est cependant ce qui
la publication d'un ouvrage, où le fiel le plus amer, arriva. Oii n'eût pas impunément plaisantéà Romesur
le ridicule vie plus obscène, sont versés à pleines a
hla nymphe Egérie, ou sur les bouclierstombés du ciel
mains sur tout ce qu'il y a de plus respectable
parmi les hommes, la vertu, le courage, le malheur, o a interdit en Suisse des discussions critiques sur
on
l'
l'histoire de GuillaumeTell. Il se répand sur les gou-
et la mort pour sa patrie et son roi? Est-ce là vernements destinés à servir d'exempte aux autres.
ce v
que le gouvernement devait à la mémoire de cette
courageuse fille? Ou croyait-on l'ouvrage politique- un esprit de vertige et d'erreur,
ment utile, parce qu'il était effrontémentimmoral ? De la chute des rois funeste avant-coureur.
(Racine.)
contre toutes lès passions des hommes et vait i plus à craindre qu'elle-même. Ce fut
toute la rage de l'enfer; tandis que d'autres cependant
(
l'acquisition de l'Alsace et de' la
Français poursuivent avec un acharnementFlandre
I française, qui sont à peine la qua-
déplorable la ruine- de leur patrie, et leur rantième
i partie du: sol de la France, qui fit
propre perte. Hélas î: si leurs jeux étaient craindre
( à toute l'Europe que Louis11.XIV
moins cruels, on verrait avec pitié ces en- n'aspirât
i à la monarchie universelle,* est
fants s'obstiner à élever un édifice de neige vrai,
"i
dit -Montesquieu que ses ennemis
leurs craintes
l'en accusèrent plutôt. sur que
sur un sol brûlant s'il y avait réussi, rien
C'est surtout dans l'histoire de la France ssur leurs raisons

qu'on trouve la preuve dé cette vérité, que n'aurait


»
été plus fatal à ses. anciens-, sujets, â
la constitution est un principe de conserva- llui et à sa famille. » C'est que la monarchie

tion et non d'agrandissement: «Un Etat eût


< été détruite, parce que la conquête et
monarchique, dit' Montesquieu doit être lei monarchie. ne sauraient subsister ensem-*

d'une grandeur médiocre. » Cet auteur a bie.


l Il n'y a eu que deux républiques* la
raison, parce qu'un Etat ne peut s'étendre république:,
>
romaine et la république fran-
démesurément, qu'en cessant d'être md- çaise qui. aient pu aspirer, à lamonarchie
narchique.; ;•• _•
<
universelle; et il n'y a que des républiques
qui puissent enréaliser le projet parce que
Jusqu'à Louis XIV, la -France n'avait corn- l
monarchie universelle n'est que, le des-
la
battu que pour repousser l'étranger^ domp-
J

potisme universel, que le despotisme uni-


ter des vassaux révoltés, ou soumettre des -1
universelle,
sujets rebelles des fleuves d'or et de sang,
versel
1 suppose une conquête
vr'rsés pour soutenir des droits-légitimes, et que les républiques sont essentiellement

en
ti' avaient, pu lui assurer Ja moindre eon-
Italie. Sous touis XIV, elle dé-
ploie tout à coup une force inconnue elle
conquérantes.

est
<
Mais lorsque la constitution de la France
anéantie, non par des altérations insen-
sibles, mais tout coup ét à la fois par la
était guerrière, elle devient conquérante i

mais aussi sa constitution s'était affaiblie, <destruction


de la religion publique, de la
et, sans parler de plusieurs^àùses moins )rroyauté des distinctions, sociales alors et
sensibles d'altération, l'aliénation progrès- toutà'cbup
1 la France république déploie des
sive d'une grande partie du domaine royal, ressources inconnues et une force itrésis-
qui avait rendu nécessaire l'établissement tible comme chez les Romains, *=Ies vertus
de nombreux subsides, le schisme dans la guerrières restent après qu'on a perdu tou-
religion dé l'Etat, qui, durant plusieurs tes les autres.» {Grandeur des Romains.)
règnes, avait mis les armes à la main de Elle se défend, elle attaqué à la'fois;
tous les citoyens, avaient fait perdre aux elle s'étend sur tous lés points elledé-
personnes et aux propriétés cette fixité qui borde toutes les frontières elle franchit
est la vraie limite du pouvoir et l'effet né- les Pyrénées --elle passe les Alpes; elle
cessaire de la constitution. Et cependant de traverse le Rhin elle'va porter ou soutenir
!la guerre au delà des mers; elle se joue de
toutes ses conquêtes, -Louis XIV 'ne con-
serva que l'Alsace et une partie de la Flan- la guerre civile' et de la guerre étrangère;
dre car je ne parle pas de la Franche^Comté
elle
'< prodigue les hommes comme les plus
vils animaux elle sème l'or comme le
que la nature même donnait à la France>
plomb elle conquiert par la corruption et
comme une compensation légitime delài
haute Navarre qu'elle laissait à l'Espagne. l'intrigue, comme par la terreur et les ar-
prin- mes. Ce n'est plus une
guerre dépeuples
Et cependantLouis XIV, obéissant au policés, ce sont les massacres des hordes
cipe de la monarchie, posa, peut-être mal-
gré la nature, des bornes à la France dans sauvages. Une loi, inouïe dans les fastes des
la triple enceinte de placés fortes qu il fitt nations ordonne d'égorger après la victoire
construire avec tant de dépense sur les le brave guerrier.qui n'aura pas violé ses
frontières. En interdisant ainsi à la France3 serments et trahi sa patrie; oh ne laisse
jusqu'au désir des conquêtes, ce grapdi aux vaincus ni leurs lois, ni leur culte.
prince annonçait à l'Europe qu'elle n'au- Bientôt le délire de la liberté fera revivre
rait plus désormais à redouter l'ambition l'esclavage. L'Europe semble avouer sa dé-
de la France et il avertissait ses succes- faite, et si elle échappe à la domination de
seurs que la France, parvenue au plus hautt la force, elle aura encore à se défendre de
période de sa grandeur et de sa gloire, n'a- la domination des principes.
Détracteurs ignorants ou perfides de la 1< forme' comme le:fond, est nécessaire dans
la
royauté, comparez la France à la France t les
I< institutions d'une société constituée.
le monarque -qui a le plus -forcé ses moyens Le monarque trompé autorise un chan-
de puissance à l'assemblée qui a; le plus gement
g dans la proportion respective des
abusé des siens, les levées d'hohimés et ordres
o un seul ordre, et encore celui qui
d'argent de Louis XIV avec les réqitisi- n'exerce
n pas de profession sociale, se

soyez justes 1 ' '


tions inouïes du Comité de salut public;- et trouve aussi nombreux que les deux autres
ti
ensemble cette mesure était contre la na-

-
e
. : • titure de la société civile car il est contre la

;• CHAPITRE II. r
nature
n de la société civile que> les professions
sociales de la société religieuse et de la so-
••
LA FRANCE RÉPUBLIQUE.

Si nous considérons la France sous le trice'de


s
ciété
C
tl
politique, la force publique, conserva-
l'une et dé Fautre, se trouve la plus

' "
point de vue que nous présente son nou- faible £ en n'ombre dé députés dans la een»
générale de l'une et de l'autre so^
veau gouvernement, nous trouverons', dans vocation
les différentes révolutions qu'elle à es- ciété.
s'tïyéés, et qu'on décore du nom- de éons-
v
c
En portait'1 cette loi, le monarque mit
•'
titiitiëns de 1789, 91, 93, 94, 95; la preuve âdonc sa volonté particulière à la place de la
évidente que le '-pouvoir une fois écarté de volonté"
v générale et par conséquent son
son; principe, qui est l'unité, a une tendance pouvoir particulier à là place- dà pouvoir
irrésistible à se diviser sur tous les mem- ggénéral.
brés de la société; et une fois parvenu au Les corps dépositaires des lois, chargés
terme extrême de sa division, à revenir à cde distinguer la volonté particulière de
son principe c'est-à-dire que, lorsqu'il n'y l'hômmede
1 la volonté générale de la socié-
à plus de pouvoir général dans la société, tté, réclamèrent contre une loi qui n'était
chaque membre de la Société tend à exercer pas ï émanée dé la volonté générale mais en-
son pouvoir particulier et lorsque tous les traînés
t eux-mêmes par lé torrent irrésistible
membres' de la société ont leur pouvoir cdes circonstances, ils jugèrent une plus
particulier^ il n'y a plus de société, parce longue résistance inutile ou dangereuse, et
qu'iln'y a plus de pouvoir général mai1à iils enregistrèrent, c?ëst-à-dire qu'ils admi-
le pouvoir général tend à se rétablir, ou rent r dans le dépôt des lois cette loi désas-
pour mieux dire, la société tend à se recom- treuse,
t la cause de tous les malheurs.
poser, parce que ia société ne peut exister Les états généraux s'assemblèrent sous
sans pouvoir général, ni l'homme exister ces
,sans société.
Je prie le lecteur de faire une' attention
sérieuse au développement qui va suivre
il lui offrira l'analyse du système de la so-
t funestes auspices.
.-
Apparent dirse facies, inimicaqoe Trojss
Numina.
(Yihg., JEneï(l.t lib. h, vers. 62fti)1
Dès que le monarque avait fait prévaloir
ciété civile'; jamais théorie n'avait été con- son pouvoir particulier sur le pouvoir gé-
firmée par une expérience plus vaste et plus néral,r lé pouvoir général n'existait plus
décisive. car
c le pouvoir général de la société et le
Le pouvoir général de la société existait pouvoir
1 particulier de l'homme ne sauraient
en France dans le monarque. Il devient exister e ensemble dans la même société.
nécessaire de convoquer la nation parce Dès qu'il n'y avait plus de pouvoir- gé-

et tés revenus de l'Etat infiniment aù-dei- j t


sous de ses besoins.
r
particulier..
que l'impôt ordinaire et fixe était insuffisant, néral, chacun voulut exercer son pouvoir

Les députés du troisième ordre voulurent


La volonté générale de.la société deman- s'ériger
s en pouvoir, ou, ce qui est la môme
dart cette convocation, puisque la nation chose, c exercer leur pouvoir. Les deux autres
seule peut, sur la proposition du monarque, cordres s'y opposèrent en vain force générale
statuer sur l'augmentation extraordinaire conservatrice
c de la société civile, ilsn'étaientt
des subsides. Mais quand la. volonté gêné- cque l'action du pouvoir général, et il n'y
rale de la société convoque la nation pro- avait s plus de pouvoir général. – Ils ne ré-
priétaire pour délibérer sur la propriété, sistèrent
£ donc qu'avec leur volonté particu-
son pouvoir général doit maintenir les for- 1lière et leur pouvoir particulier.
mes nécessaires de la convocation car tout, Mais dans cette lutte de volontés et de
pouvoirs particuliers, .les volontés et les Quelques-uns de ceux qui exerçaient leur
pouvoirs^»: grand nombre devaient ]'em4 pouvoir, et avaient usurpé celui des autres,
porter tes professions sociales, dominées» jaloux de le retenir, ou persuadés du dan-
par le nombre, se réunirent aux députés, dui ger de le diviser davantage, imaginent la
troisième ordre, pour, former, malgré elles- distinction de citoyens actifs et non actifs:·
mêmes, le pouvoir particulier de l'assemblée c'est une borne à la manifestation de tou-
soi-disant nationale tes les volontés. Bientôt paraît le décret
Cette réunion était contre la volonté géné- qui exige, pour être élu, la contribution
rale de Ja société, puisqu'elle était contre du marc d'argent c'est une limite à l'exer-
la nature des êtres en société. En effet, il cice de tous les pouvoirs.
est contre! la nature des êtres, que des pro- Mais que pouvaient ces faibles digues
fessions distinguées soient confondues avecs contre la tendance irrésistible du pouvoir
.cell.eçjd-on.t elles sont distinguées; que les une fois partagé ? On se rappelle avec quelle
professions sociales se mêlent aux profes- persévérance cette loi fut attaquée, j.ayec
sions, naturelles, et que des propriétaires, quelle, chaleur elle fut défendue. La pre-
dont les uns, comme le clergé et la no-; mière assemblée; îa léguera à la seconde, et
blesse, sont, investis de propriétés sociales, lui recommande de la maintenir. “ 11 m_e
et les autres, comme le troisième ordre, «e semble voir d'imprudents bergers quj;pnfc
possèden^que des propriétés personnelles, précipité un rocher au haut d'une. ^qnr
se réunissent pour, délibérer; en commun tagne, et qui, effrayés de sa chute :jmp,é,r
sur la propriété. tueuse, crient à d'autres de l'arrêter,
Le .monarque,; averti par les désordres. qui La nouvelle constitution .?Yçrow/eaw6n«7;
précédèrent ou qui suivirent la réunion des des serments de la maintenir. L'assemblée
crdr.es:en une seule assemblée, voulut ap- législative renverse la frêle barrière qui
peier à la défense de la société la force; pu? s'opposait à l'entière division du pouvoir
tlique extraordinaire ou l'armée. La force }epouvoir déborde, si j'ose le dire, et s'é-
publique n'est que l'action du pouvoir 'gèt tend jusqu'au dernier. individu de la société.
;néral et dès qu'il n'y a plus .d^, pouvoir .Ghacuu a son pouvoir^ et veut l'exercer par
général, mais des pouvoirs particuliers, la sa"force c'est l'état sauvage les plus forts
.farce publique n'est que l'action des pou-r et les plus adroits sont les maîtres. Quel-
Vfiirs particuliers aussi, l'armée ne reçpnT ques-uns alarmés de tant de désordres,
nut plus que le pouvoir particulier de l'as? tremblants pour eux-mêmes, proposent des
semblée oatipnale. Dos lors la force publi- plans de législation; mais comme ils tendent
que fut séparée du pouvoir général ou du, tous à restreindre le nombre des pouvoirs,
monarque dès lors le pouvoir général ne ils sont rejetés, et celui de Condorcet lui-
fut plus un pouvoir, car un pouvoir sans même est traité de royaliste. Cependant la
force n'est pas .un pouvoir.. société dissoute tend à se recomposer, par
Dès que le pouvoir général conservateur le rétablissement d'un pouvoir ;g^péraj x?ar
(Je' la société" .avait cessé d'être pouvoir, la Phommf ,rie saurait exister sans' société, ni
sbciëïé avait cessé de se conserver, ou d'être là société sans pouvoir général. Il s'élève
société;. Dès qu'elle ne fut plus société, elle donc un seul pouvoir, i\ se forme une cons-
rie put plus remplir la fin de toute société titution. Mais quel pouvoir, grand Dieu! et
qui est la conservation des êtres qui la com- quelle constitution elle a ses lois fonda-
posent l'homme ePa propriété furent dé- mentales, elle à une religion publique; c'est
truits, et l'on commença par détruire l'hom- le culte de Marat elle a un i pouvoir unique
me social', c'est-à-dire le prêtre ou le noble, et général c'est la mort elle à des distinc-
et leurs propriétés ou les propriétés sociales; tions sociales; ce sont les jacobins, prêtres
bientôt on détruisit le simple citoyen,
on de ce culte et agents de cc pouvoir. Ce poil-
envahit les propriétés personnelles. "voi.r/à'un représentant, c'est l'instrument des
Cependant les factions commencent dans supplices ce monartjué a des ministres, ce
rassemblée et les dissensions dans le, sont 'es bourreaux; il a des sujets, ce sont
royaume, et vont toujourscroissant. Chacun ses'victimes. Rien de semblable n'avait en-:
veut manifester sa ,volonté particulière, ou. core paru sur la terre.
satisfaire sa passion de dominer, par l'exer- L'univers avait vu le gouvernement. exté-
cice de son pouvoir particulier et par l'ac- rieur de Dieu chez les Juifs, celui de l'hom-
tion de sa force individuelle. me chez les autres peuples: il voiten France
celui des démons. Le peintre des enfers, 1l'occuper. Dans cette famille, chose sans
Milton, seul pourrait s'élever à l'horreur de exemple
E l'héroïsme et le génie se trans-
cet effroyable tableau, je le termine ici. La mettent
i héréditairement, pendant quatre
mort du tyran a rendu à ses complices la générations,
£ et le fils est toujours plus grand
,faeui6é ^d'exeréer leur pouvoir particulier; que c le père c'est Pépin d'Héristel, c'est
maison observateur attentif peut aperce- Charles-Martel
( c'est Pépin le Bref, c'est
;voir dans rie pouvoir une nouvelle tendance Charlemagne
( enfin, Charlemagne, le plus
à 'se réunir, et dans la convention de nou-grand i homme des temps modernes, et peut-
veaux efforts pour le diviser. Dans ce mo- être i de tous les temps. Si,pour produire ce
mênt'une nouvelle constitution a placé le 1puissant génie, la nature déroge à ses lois;
pouvoir entre les mains de cinq personnes; la 1 langue, pour nommer ce grand homme,

c'est-à-dire, qu'elle a permis à cinq person- dérogera


c à ses usages. Ce nœud mystérieux
société re-
nes d'exercer leur pouvôir particulier à la <qui unit la société politique à la
place de celui du corps délibérant, comme 1ligieuse, deviné par Clovis, aperçu par Pé-
telu'i-ci exerce le sien à la place du reste de pin,i Charlemagne en a connu toute la force,
la nation. « Le gouvernement a pris sa pente,a en « a pénétré toutlesecret. 11 .fond ensemble,
naturella^et tend fortement à l'aristocratie: si s j'ose le dire, le sacerdoce et l'empire, la
carie gduvennement passede ladémocratieà monarchie i et la religion c'est, un faisceau,
l'aristocratie, de l'aristocratie à la! royauté; lié par la main de la nature et du génie, que
le progrès inverse ést impossible. ~u: (Contrat le bel esprit s'efforcera en vain de désunir.
social 4 .t- :•.
:
1

Charlemagne .est. ce -qu'il doit être pour les


Je ne veux pas quitter la France, sans la circonstances
l de sonrègne, de son siècle et
présenter -âmes lecteurs sous un point de de c sa mission.; il est héros religieux et con-
vue plus vaste et plus consolant; il est temps quérant
c législateur.
de fixer leurs regards sur la fortune de cet Le zèle ferme ,et éclairé de Charlemagne
empire, gouverné par la Providence, disait pour I la religion avait fortifié l'autorité du
Benoît, Xiy,: dans le même sens que. Méze- monarque,I pouvoir général de la société la
rai; dit,- que Dieu seul a planté les lis. dévotion
£ pusillanime et mat entendue de
La piété de nos pères nous a transmis le Louis 1 le Débonnaire anéantit \ë pouvoir gé-
récit des prodiges qui, embellirent leberceau néral, en soumettant le monarque au pou-
delà monarchie française, et moi j'ose offrir. lvoir particulier de ses enfants rebelles se-
à la raison :dédaigneuse d'un siècle de lu- condés f par des prélats factieux.
mières, le tableau des prodiges aussi éton- Le vaste empire de Charlemagne accable
nants. et mieux constatés qui en ont signalé ses s débiles successeurs; il avait- créé l'Eu-
toutes les époques.. rope,
l ils ne peuvent suffire à gouverner la
La religion chrétienne et la constitution FranceI ils laissent envahir leurs posses-
nionarchique se rencontrent en Europe, et sions, s affaiblir leur autorité, deux fois même
se rejoignent dans les Gaules aux débris du usurper leur couronne (1),; on s'arme con-
nom romain la France devient le point de ttre eux de leurs propres bienfaits, et leurs
réunion de tout ce que le culte de la Divi- Qfficiers
< deviennent leurs égaux, souvent
nité a jamais eu de plus pur, la constitution 1leurs rivaux, et quelquefois leurs maîtres.
des sociétés de plus parfait, et les restes de Quand l'autorité royale était avilie par les
l'antiquité de plus imposant. derniers
( rois de la première race, il fallut
Ûnhommed'un génie vasteethardi (c'est la un i grand homme pour la relever, et Charle-
force et le génie qui fondent les empires, c'est imagne parut quand elle est dépouillée sous
la sagesse et la vertu qui les conservent, les 1 derniers rois de la seconde, il faut un
c'est la faiblesse et le bel esprit qui les dé- puissant
l propriétaire pour la rétablir, et
truisent), Cloyis, élève sur des bases indes- 1 Hugues Capet monte sur le trône. il apporte
tructibles l'édifice de l'empire français. Cé ài la couronne les belles provinces dont il
prince est ce qu'il doit être pour fonder un <est possesseur, et réunit ce que le malheur
empire, il est politique et guerrier. Les di- des ( temps avait séparé, la puissance du vas-
visions de ses enfants, la faiblesse de ses-:sal s
et le pouvoir du roi.
-
successeurs, menacent son ouvrage d'une L'empire français recommence, la succes-
ruine prochaine; une famille s'élève à côté sion s au trône devient régulière, la -société
du trône pour le soutenir, et bientôt pour se s recompose et rappelle dans son sein
toutes les sociétés partielles. Pour opérer- ce singuliers qui aient jamais été le monarque,
long et difficile ouvrage, la nature emploie je ne crains pas de le dire, le plus propre au
successivement la vigueur de Louis leGros-, temps où il a: vécu et aux grandes choses qu'il
la profonde habileté de Suger, l'imposante avait à faire (2).
et adroite fermeté de Philippe-Auguste, et La nature se repose après saint Louis,
jusqu'à !a'coquetterie politique de la belle comme elle s'était reposée après Glovis,
et vertueuse Branche de Càstille ( 1 ). La na- après Charlemagne. Les malheur'eux Yalois
ture fait naître à propos les-grands rois, les perdent la France par la mollesse: de Jeur
grands ministres, les grandes reines. /La administration, ils la perdent par leur cou-
riatureicût beaucoupsans doute, la religion rage même dans les combats. Si la Frahce
fera davantage elle enverra au delà des mers respire un instant sous Charles V et Du
ces fiers et turbulents vassaux ils périront Guesclin, elle retombe sous son infortuné
dans ces expéditions lointaines, où ils-en successeur. L'Anglais est .maître de nos plus
reviendront affaiblis et trapquiltes. Les res- belles provinces. Paris a1 vu proclamer un
tes de la barbarie gothique;et germaines'ex- roi étranger et déshériter le sien c'est fait
halenten Asie. L'homme péril, mais la so- de la France, si elle ne1 oeut être sauvée que
ciété -sëperfêctionnei siècle de
« Encore; un par un grand roi ou un grand homme; Char-
guerres privées, dit Hériault, «t c'était fait les YILruihèSes affaires parsa nonchalance,
de la France. »; i et ses plus braves capitaines affaiblissent
Au règne :des armes doit suéeéder le rè-
son parti par leurs divisions. La religion se
gne des lois. Philippe-Auguste avait réuni charge seule du salut de la France elle avait
des provinces à l'Etat paria justice appuyée formé Suger dans l'obscurité d'un cloître,
de la force le plus grand dé nos rois, saint elle appelle une jeune fille de l'état lé plus
Louis, réunira les justices à la souveraineté humble, et l'envoie délivrer la monarchie
par l'ascendant de l'amour, de la confiance Jeanne d'Arc le croit et l'annonce ainsi.' (Hé-
et du respect. Ce n'est pas tout la religion Naûlt.) Dans un siècle de philosophes, on
avait fondé et soutenu ]a monarchie; Allais eût contesté la vérité'dtî sa mission i;ôu laa
ses ministres, ambitieux ou peu éclaiféSjVen sincérité de sa persuasion, et là France dût
troublaient; la- tranquillité par leurs' préten- pérrï dans le siècle de Dufrôis et dé la Hire,
tions. Dans un temps où les droits du sacer- on croit, et la France; est sauvée.' Rendue à
doce et ceux de l'empire n'étaient pas exac- ses anciennes limites; elle né doit plus com-
tement définis; où la religion était plus sen- battre que pour sa gloire. Mëisi'autoritë
tie qu'elle n'était connue, ces luttes entre royale est affaiblie au milieu ctés troubles:
les deux puissances, si funestes à l'Allema- Louis XI l'affermit par ses rigueurs, et
gne,, pouvaient prendre aux yeux du peuple Louis XII, par sa bonté. François I" est
l'apparence du schisme, et peut-être en avoir malheureux, mais il est brave tout n'est pas
les effets. Il fallait apprendre à ia-Frahèe perdu, il a sauvé le trésor de la nation, l'hon-
qu'on peut- allier l'obéissance à l'Eglise, et
neur du trône, et celui du nom français.
la résistance à ses ministres; pour marcher S'il faut à la France des: règnes prospère^
d'un pas sûr entre les aeuxécueils égale-
et tranquilles, il lui faut peut-être aussi des
ment à redouter, d'une rébèllron ouverte, règnes agités et des rois malheureux. Un
ou d'une soumission aveugle; il fallait un at- roi dans'les fers (3) (et quel Etat en a eu
tachement à la religion sans petitesse, aux
autant que laFranceî)rerodnte,c'hez cette na-
droits de la couronne sans entêtement il tion, le ressort de la vénérationet de l'amour
fallait un roi sans faiblesse, et un homme'
un règne agité lui rend toute son énergie.
sans passions il fallait un grand roi et un Après François I" commencent des trou-
grand saint, il fallait saint Louis, un des plus bles d'un genre jusqu'alors inconnu; La re-
grands hommes, dit le P. Daniel, et des plus lïgioa de TËtat es t attaquée par le ïanatis m e,
(1) tOn ne saurait nterlsi passion du comleile
Champagne pour la reine Blanche elle en profita
peut-être avec une politique mêlée de 'coquetterie,
mais il n'en fut pas plus heureux! > (Hénault.)
(%)Voy. le beau portrait que le président Hé-
plu-;
(5) Saint Louis, Jean,
lui.
Ce grand roi était bon, brave et simple dans ses
manières comme Henri IV, inais plus vertueux et
ferme que.
François Ier, le malheu-
reux Louis XVI, et cet enfant infortuné; 4»i
nault fait de ce grand prince. Çn historien aiabe
dit de lui i Ce prince était d'une Belle figure, il de soD'dëslin ce qu'il a pu comprendre
avait de l'esprit, de la fermeté et de la religion ses Est qu'il sortait d'ua'sang
qu'ils brûlaient derépandre.
belles qualités lui attiraient la vénération des Chré-, (R/C1KB.)
tiens, qui avaient eu lui une extrême confiance, 1
et aussitôt la succession légitime est at- gogie
g brutale affectait, dansses discours, de te
taquée par l'ambition. Pendant un demi-siè- méconnaître
r la rigueur de ses précautions
cie. le sang français coule a grands flots pour trahissait
t ses frayeurs, et tes malheurs dé-
attaquer ou défendre l'une et l'autre. Mais celaient
c tes droits tu étais roi, puisque tu
admirez ici le destin de la France deux étais
é dans les fers 1 Quelle que soit la cause
partis la; déchirent; ;le parti ligueur veut c ta mort, la nature, en finissant tes maux,
de
conserver la religion de l'Etat, et attenter à a voulu, sans doute, mettre un terme aux
la succession légitime le parti calviniste nôtres,
r et épargner à la France les troubles
veut renverser la religion, et conserver la d'une
c minorité après les orages d'une révo-
succession. « Malheureux prince, s'écrie le lution.
1 Elle appelle à recomposer cette so-
président Hénault, en parlant de Henri III, ciété
c un prince dans l'âge où la raison a ac-
lesdéfenseursde.sonautorité étaient les enne- quis
c toute la force que donne l'expérience
mis de sa religion, et les défenseurs; d:e sa re- et la vertu, toute la solidité que donne le
E
ligion, étaientles ennemis de sa .personne. » malheur.
r Elle le fait arriver au trône par le
Les ligueurs défendent la religion de l'E- circuit long et pénible de l'adversité. Il en

; .:
c
tat,avec toute la passion qu inspire une au- as médité la leçon sévère dans la retraite
torité usurpée. •; _ profonde
f à laquelle les événements l'ont
Leurs adversaires défendent l'autorité lé- condamné;
t et cette leçon n'a pas été perdue
gitime avec tout le zèle qu'inspire une reli- jpour un prince qui réunit à un esprit éten-
gionnouvelle. • cdu et cultivé, à un jugement sain et solide,
Si Henri IV n'eût pas été calviniste, les 1l'intention bien connue de faire le bonheur

Jigeurs n'auraient pas eu de raison pour dé- de


c ses peuples. Au langage noble, sage et
fendre avec tant de, chaleur la religion de touchant
t qu'il leur adresse, je reconnais lé
l'Etat, ni les calvinistes de motif pour dé- monarque
i de France. Il en tarira les mayx,
fendre avec tant d'acharnement la succession puisqu'il
j en connaît les sources; il en sera
légitime; les deux partis échouent égale- 1le pouvoir conservateur, puisqu'il en con-

ruent pour détruire^, et réussissent également naît


t la constitution cette constitution par-
à conserver. l'ancienne religion et la suc- faite,
i dont il a sondé les bases, dont il a pé-
cession légitime triomphent; et se réunissent nétré
i le secret, lorsqu'il déclare qu'elle lé
dans la personne du bon et grand Henri. La met
» lui-même dans l'heureuseimpuissance de
nature répare un demi-sièctede calamités, la
i changer (1). Il ramènera son peuplé à la
par un siècle de prospérités et d'éclat elle raison
] par la religion, et au bonheur par la
produit, elle prodigue, ,pour ainsi dire, les vertu
i il versera sur des plaies longtemps
grands rois, les. grands capitaines, les grands douloureuses
< le baume de l'indulgence et
ministres, les grands prélats Henri IV et de
< l'oubli. Qu'à sa voix l'homme égaré re-
Sully, Richelieu et Louis XIV, Condé et vienne, que le faible se rassure, que le coù-,
Turenne, Bossuet et Kénelon là France pable
] même qui ne le fut que par erreur,
s'affermit, elle s'étend> «Ile s'embellit mais 1trouve dans sa bonté un refuge contre sa

son génie s'assoupit encore ;aux jours de la j


j
justice. Qu'il embrasse aveccourage la tâche
force et de la gloire succèdent les jours de ]pénible de la royauté; ses sujets
fidèles
la corruption et de la faiblesse, et enfin ceux dispersés dans toutes les parties de l'em-
des forfaits, de la honte et du malheur. 11 pire, seconderont ses efforts par leur in-
faudrait pour sauver la France tous les pro- fluence
1 ils éclaireront sa sagesse parleurs
diges de la nature, tous les miracles de la conseils, ils feront respecter son autorité par
religion mais quel miracle pourrait faire la leur exemple, ils la feront chérir par leurs
religion pour changer un peuple décomposé vertus; ils pardonneront aussi 1 Qui oserait
par la philosophie? quel libérateur pourrait se venger, quand le roi pardonne?
susciter la nature à une nation desséchée par En vain la politique, cherchant des ex-
l'égoïsme? Je l'ignore. mais il ne faut pas cuses dans le passé au lieu de porter ses re-
désespérer de. la France. gards sur l'avenir, se ménagera des ressour-
•. Au moment où je traçais ces lignes, le fils ces dans un silence équivoque ou des dé-
infortuné de LouisXVlterminait, dans l'obs- • marches ambiguës en vain le fanatisme
curité d'une prison, sa déplorable carrière. creusant de plus en plus l'abîme où il a en-
Cheretmalheureux enfant en vain une dé ma- traîné la France, repoussera la seule nmn
( 1 ) Ceci est tiré de la Déclaration adressée aux Voy. les Consid..mr la France, par le comte de
Français par Louis XVIII, au mois de juillet 179S. Maistre, ch, 8. (Édit.)
quipuisse l'en retirer en vain l'ambition différemmentconstituée,
osera former de criminelles:espérances; en et j'en dirai la rai-
son lorsque je traiterai de ses institutions,
vain la.-Dalp.ii.nie, qui s'attache à ses pre- politiques. Aussi l'Angleterre a-t-elle tou-
miers pas, le, défigurera pour que ses
peu- jours montré moins de force de résistance
ples ne puissent le reconnaître il régnera,
que de force d'agression: avec moins de po-
ou la société entière descendra avec la France pulation et de forces réelles
dans le tombeau; la France aura que la France,
son roi, ou elle en a longtemps occupé une partie, elle
bientôt, l'Europu n'aura plus que des ty-
a fondé dans l'Inde un vaste empire; ne
rans.. r pouvant agrandir son territoire, 'elle a tou-
CHAPITREIII. jours étendu son commerce, et jamais elle
n'a développé âù; dehors plus de force d'a-
AUTRES MONARCHIESBÈt'lSUftOP-Éi • gression, que lorsque sa constitution était
Si je .o'avgis fait l'histoire de toutes les plus altérée, et qu'elle gémissait au dedans
monarchies constituées, en faisant celle de sous le despotisme d'un usurpateur. Mais
elle a vu ses foyers envahis, ses lois fon-
la monarchi.e.française, et si je ne me hâtais damentales
d'arriverà des considérations plus générales, primée, attaquées, sa liberté même op-
je ferais. remarquer à mes lecteurs, sans montrer cette forcé de réac-
comme tion que nous avons remarquéedans d'autres
de nouvelles preuves de mes principes sur • sociétés.. " •
les monarchies ou sociétés constituées, l'im- Après de longs et violents orages, l'Anglais
perturbabletranquillité intérieure de l'Es-
s'est reposé dans une constitution où des
pagne et jen trouverais la cause dans l'ob- pouvoirs rivaux s'observent; se balancent et
servation inaltérable de ses lois fondamen- limitent. L'auteur de f Esprit des lois dit
tales, comme le principe du caractère forte- se dans le dernier
que siècle la république ne
ment prononcé de l'Espagnol dans l'invaria- put s'y établir,
bilité de ses habitudes.. Cette monarchie, parce qu'il n'y avait pas as-
sez de vertu c'est au contraire, parce qu'il
après sept siècles d'asservissement, secoue
y avait trop de vertus qu'élle:ne S'y étamit
le joug des Maures par la force de sa consti-
pas, et j'espère en convaincre :m«s lecteurs,
tutiony.e.t elle ne peut se maintenir dans le lorsque je traiterai de
la vertu danV lés mo-
Portugal qui lui oppose la sienne. Heureu- nàrchiès et dans les républiques,
sement peut-être pour l'Europe, elle fonde Unsiècle de bonheur et dé' gloire» sous
des colonies dans le Nouveau-Monde, et elle le
règne de l'auguste maison de Brunswick, a
s'affaiblit en s'élendant. 'felle qu'elle est, dû fixer
ce peuple estimable, et former ses
quelles ressources n'offre-t-elle pas à une habitudes; Légitime héritière d'une famille
administration active et sage, dans sa situa- illustre autant
tion, ,son climat, sa juste étendue, ses limi- par; le droit de la que malheureuse, elle règne
naissance comme par lé ti-
tes, naturel les,, et le caractère original de ce tre de l'élection s elle réunit toutes les
peuple qui a fait de si grandes choses, pro- nions, toutes les affections/ opi-
duit- tant d'hommes extraordinaires, seul en fondant
tous les vœux,
tous tes droits puisse -t -elle
peuple de l'Europe. qui ait le bon sens de remplir ses hautes destinées et
retenir cette
lui-même (1).
n'admirer que son pays, et de ne copier que nation inquiète
sur la pente rapide où la
placent ses institutions 1
Je ferais remarquer l'Angleterre, moins S'il
entrait dans mon plan de
constituée. que la France, parce qu'elle est, l'histoire desrautrës monarchies de parcourirl'Europe,
( 1 ) L'Espagne avait, dit-on, cinquante millions bi li té où est sa. capitale.de s'agrandirdémesurémèn t
d'hommes sous César ce qui çsl plus certain, est Toutes les grandes villes du monde sont sur des
qu'elle en avait 20 millions sbits Ferdinand et Isa-' rivières navigables ou sur la mer; et cela doit être
belle. Elle en a bien moins aujourd'hui sa popu- pour que les subsistances, nécessaires à une im-
lation se consomme dans le Nouveau-Monde;Ceux mense population, puissent arriver avec facilité, et
qui ont prétendu que la population d'un Etat était être vendues à un prix modique; Madrid seul est
le signe le plus certain de la prospérité d'un pays, sur un ruisseau. En 1S49, sous Heiirr II, on re-
de la bouté de son gouvernement et de la sagesse doutait l'excessif accroissement; de Paris un édit
de son administration, auraient dû commencer par en fixa les bornes Louis XIV renouvela la dé-
prouver que plus il y a d'hommes dans une même fense de bâtir au'délà de certaines limites parce
société,: plus ils sont heureux, et la société tran- qu'il était à craindre, disent les lettres patentes
quille. L'administration ne doit pas tant multiplier de 1672, que la ville de Paris, parvenue à cette
les hommes, que veiller à la conservation, c'est-à- excessive grandeur, n'eût le même sort des plus
direla perfection morale et physique de ceux qui
existent. Un avantage inappréciable de l'Espagne,
puissantes villes de l'antiquité, qui avaient trouvé
en elles-mêmes le principe de leur ruine, t (Hé-
et qu'on n'a peut-être pas remaraué, est l'iinoossi- nault.)
.u·,· u n··n, LwvW un. avv.-muvm:u~vm n v~
on verrait que, toutes les fois que les socié- monarchique a un principe intérieur de per-
tés se sont écartées de leurs lois fondamen- fectionnement ou la société se détruites!
tales (1), et surtout du principe conserva- des causes particulières s'opposent au dé*
teur de l'unité du pouvoir, elles ont été pu- ve.loppement de son principe intérieur.
nies par la fureur des conquêtes, par les Il était donc dans la nature des choses y
troubles intérieurs, et quelquefois par l'op- `que la conversion infaillible et prochaine. un
pression étrangère. gouvernement de la Pologne: se fît en :une<
Ainsi-la' Suède, toujours partagée entre un monarchie constituée,. ou que: cette malheui-:
roi qui veut exercer le pouvoir de l'Etat et reuse société achevât de se dissoudre; car;
une aristocratie qui veut exercer Je sien, une société assez, puissante, pour avoir. en
tantôt dans, le- délire des conquêtes, tantôt elle-même te principe de; sa conservation,
dans la langueur de l'épuisement, ne trou- qui ne peut pas remplir sa fin et conserver
vera de repos et de véritable force que dans les êtres qui la composent, est contre les vues
une juste confiance à l'autorité royale. de la nature, et ne peut ni ne doit sub-
Ainsi la Pologne, puissante sous des rois sister.
héréditaires, et qui, en s'écartant de ce prin-
CHAPITRE IV..
cipe conservateur, a perdu son repos, sou

éclairés sur les vrais intérêts de leur patrie,;


convaincus que la seule loi politique actuel-;
•'
bonheur, et jusqu'à son indépendance* eût ÔBSERYATlOJSS GÉNÉRALES SUR LES MONARCHIES
repris sa place parmi les nations, si, plus, MODERNES:

Toutes les sociétés de l'Europe ont donc


lement nécessaire était la loi de la succession un intérêt pressant et commun ;à se garantir;
héréditaire, et que l'influence continue de mutuellement une constitution qui assure
la royauté eût amené successivement, et se- leur repos, leur conservation, leur indépen-
lon le besoin, le développementdes autres dance réciproque. •
lois politiques, ses grands eussent consenti Ce n'est qu'elles puissent
>
prévenir
'•
pas
à suspendre l'exercice d'un droit dont il est entre elles toutes les guerres, résultat né-
à désirer, pour toutes les sociétés, qu'elles cessaire des efforts que font les; sociétés
ne fassent jamais usage. C'était le conseil de pour se placer dans certaines bornes que la
la raison, parce que c'était la volonté de la nature leur a assignées, ouiplutôt du prin-
nature. cipe intérieur d'agression et d'inquiétude
Rousseau lui-même est forcé d'en conve- que les sociétés non constituées entretien-
nir « LesPolonais, » dit-il, « ont toujours eu nent en Europe. Il ne serait peut-être pas
du penchant à transmettre la couronne du impossible de prouver, l'histoireà, la main,
père au fils, ou au plus proche parent. «Phi- que les républiques sont la cause ou, l'occa-
losophe aveugle 1 ce n'est pas un penchant sion du plus grand norahredes guerres qui
dans les hommes, c'est la volonté générale ont éclaté en Europe depuis quatre siècles.
de la société qui tend à se constituer. Il Au reste, la guerre exerce les forces respec-
tives de tous les Etats, met des bornes,
estétonnant,» dit-il encore, «il est prodigieux
que la vaste étendue de la Pologne n'ait pas malheureusement nécessaires, à leur ex-
cent fois opéré la conversion du gouverne- cessive population, et entre ainsi dans le
ment au despotisme, abâtardi les âmes des plan de leur conservation. La constitution
Polonais et corrompu la masse de la na- n'empêche pas toutes les guerres, parce que
tion. » Dans cette phrase pompeuse, il n'y a la religion même n'étouffe pas, toutes; les
passions mais elle prévient le malheur des
que des mots et pas un raisonnement: il n'y
a que la démocratie dont la conversion s'o- grandes conquêtes, et mieux quelles traités,
père au despotisme, parce que ces deux for-; maintient l'équilibre entre les puissances.
On ne remarque pas assez que jusqu'ici
mes de gouvernement sont essentiellement
les mêmes; mais la conversion de la monar- aucune des grandes monarchies fondées ;en
chie se fait nécessairement en une monarchie Europe des débris de l'empire romain ne
plus constituée, parce que la constitution s'est anéantie, et qu'il s'en est même élevé

II) En 1282, les Etats de Castille déposent Al- soutenir les droits sacrés des rois eides pères:mais
plionse son frère Emmanuel prononce la sentence vous êtes Chrétien et je suis musulman songez que
venger la nature.
je ne suspends haine que pour
qui le dégrade. Alphonse eut reconrs au roi de Ma- ma
roc, qui passa aussitôt en Espagne, pour le
rétablir. et la majesté royale violées en votre personne. »
luidit-il, » en combattant pour vous, (Hist d'Esp., par M. Désokmeaux.)
t Je viens,
de nouvelles. L'antiquité n'offre rien de dant un instant et pour de plus grandes rai-
semblable dans un aussi long espace de sons, elle jette, pour ainsi dire, toute l'Eu-
temps. Si quelques Etats de création posté- rope du même côté, en réunissant sur la
rieure :ont été réunis à d'autres, ou ils n'é- tête de Charles-Quint, l'Allemagne, Tes Pàys-
taient que des parties, détachées d'une plus Bas, l'Espagne, l'Italie, et jusqu'à l'Améri-
grande société qui tendaient à s'y rejoindre, que. Mais, lorsque leTurcamolîicesse d'être
ou ils étaient trop petits pour pouvoir sub- redoutable, et que la maison d'Autriche
sister par eux-mêmes car la nature ne veut avec sa politique invariable, son adminis-
pas plus de monstres politiques que de tration sage, ses nombreuses armées; sa
monstres humains, et elle ne veut ni des discipline parfaite le devient à son tour,
nains, ni des géants, parce qu'elle ne veut alors s'élève auprès d'elle une puissance
pas que l'homme soit le jouet de son sem- dont la nature hâte, presse le' développe-
blable^ bu qu'il en soit le tyran: Ainsi la ment par des moyens nouveaux elle avance
Navarre,détachée de la F rance et de l'Espa- à pas de géant, et la Prusse est barrière;
gne, trop faible pour pouvoir subsister entre lorsqu'on peut à peine la soupçonner d'être
ces deux puissances, été réunie à l'une et obstacle. La Russie son tour jouit du bien-
à l'autre, et par cette réunion, la nature a fait fait de la civilisation de son état naguère
cesser une cause de guerre entre deux puis- barbare, elle a retenu la passion de guer-
sances qu'elle devait unir un joor par les royer placée sur la limite de l'Europe
nœuds les plus étroits, et l'alliance néces- et de l'Asie, elle pèse à là fois sur toutes
saire, indispensable, entrait dans le plan de les deux mais il
progrès.
me semble que j'aper-
leur conservation réciproque mais elle a çois une borne qui s'élève pour arrêter ses
laissé le Portugal enclavé dans l'Espagne;
elle a réuni le territoire et séparé les peu- J'entends dire que le musulman, malgré
ples, pour tenir en haleine les forces de sa religion et ses préjugés, veut s'instruire
cette belle partie de l'Europe, trop sujette dans nos arts mais un peuple ne peut se
à s'endormir dans la langueur du repos. La civiliser sans devenir Chrétien et monarchi-
nature suspend la réunion de l'Ecosse et de que, parce que la société civile est la réu-
l'Angleterre, tant que l'Angleterre est re-
doutable pour la; France et qu'elle en oc-
nion de la société religieuse de l'unité
Dieu, ou du christianisme, et de la société
de `

cupe les plus belles provinces; mais elle politique de l'unité de pouvoir, ou de la
rend à leur tendance réciproque son libre monarchie; et si le Turc, abruti par sa reli-
cours, et rejoint ces deux parties d'une. gion oppressive et son gouvernement des-
même île, lorsque l'Ecosse cesse d'être une tructeur, ne peut s'élever au christianisme
alliée nécessaire pour la France, et que la et à la monarchie, son empire sera infailli-
France réunie en un seul corps devient re- blement détruit; et, quel qu'en soit le con-
doutable à l'Angleterre. Elle laisse les petitsquérant, fût-ce le Russe lui-même, l'empire
Etats de la maison de Sardaigné à côté de grec et l'empire
russe se limiteront l'un
la France, parce qu'elle ne veut pas que l'autre. Ces événements plus
ou moins éloi-
cette puissance s'étende en Italie; et elle gnés sont infaillibles, parce qu'ils sont dans
l'avertit^ par des revers réitérés, de l'inu- la nature des choses ils sont dans la
na-
tilité des efforts qu'elle fait pour s'y main- ture des choses, parce. que la constitution
tenir. Lorsque dé plus grands intérêts exi- religieuse et politique est dans la nature de
gent de plus grandes mesures, lorsqu'elle la société; comme les sociétés religieuses
craint pour la société civile de l'Europe et politiques sont elles-mêmes dans la
chrétienne, c'est-à-dire pour la religion ture de l'homme moral physique. Au na-
et mi-
chrétienne et la constitution monarchique lieu de tous
ces changements de scène, je
menacées par le despotisme du Croissant, vois l'ambition des souverains, les intrigues
alors, dans la crise de son développement, des
cours, les des peuples; je vois
elle élève de ce côté de l'Europe la barrière les passions deerreurs
l'homme, mais je vois les
la plus redoutable; comme un habile ingé- volontés de la nature qui entraîne,
qui di-
nieur, elle y multiplie les ouvrages avancés. rige vers le but qu'elle
Depuis longtemps elle y a placé le Hongrois, peuples et leurs se propose, les
les rois et leurs
le plus belliqueux de ses enfants; elle le conseils, l'hommeerreurs,passions.
et ses
réunit au Bohémien, elle les réunit tous les Il me semble voir une troupe d'enfants
deux à la maison d'Autriche et même pen-__conduits
par un précepteur sévère; L'un
court, et l'autre s'arrête; l'un s'écarte' à CHAPITRE V.
droite ;et l!autre à gauche quelques-uns se
RÉVOLUTIONS GÉNÉRALES. DÉCADENCE
battent entre eux, chemin faisant;: mais le
précepteur presse l'un, arrête l'autre, ra- DES ARTS ET DES MOEURS.
mène celui-ci; apaise ceux-là, et -les fait ar? Avant de passer aux sociétés non consti-
river ensemble au terme. tuées, il est à propos de faire quelques ob-
II faut observer, à l'honneur de la société servations générales sur dès objets impor-
xLyile-, .c'est-à-dire à l'honneur de la religion tânts observations que j'ai dû réserver jus-
chrétienne, et de la constitution monarchi- après l'entier développement de mes
que
que, que lesfjois civiles sur la transmission principes sur les sociétés constituées, et
des propriétés particulières ont été suivies leur application par les faits historiques.
Pour la réufiandes Etats, et ratifiées par le Chacun de ces objets pourrait fournir le
.consentement exprès ou tacite des sociétés. sujet d'un ouvrage; et* pressé par la matière
Dans ces réunions»,;les sociétés ont presque que je traité, je ne puis lëùr'consacrer qu'un
toujours obéi à la loi fondamentale de la chapitre.
succession héréditaire, lorsque, par l'extinc-
'" "
Je n'ai pas laissé échapper une occasion
tion des mâles de la famille régnante, elles de faire remarquer à mes lecteurs l'exacte
ne pouvaient obeir à la loi politique delà parité qu'il y a entre la société et l'homme.
succession masculine. L'homme est la société en abrégé, la société
Ainsi, des alliances ont Véuni la Hongrie est l'homme en grand; et cela doit être,
à la Bohême, et l'une et l'autre à la monar- puisque l'homme est l'élément du corps
so-
chie autrichienne; des droits de succession cial, et que le corps social est un composé
ont réuni l'Ecosse à l'Angleterre, et la Na- d'hommes. La société civile a donc, ainsi
varre à la France; un testament dispose de que l'homme, une partie intérieure ou intel-
J'Espagne mais ces réunions n'ont pas ligënte, une partie extérieure ou matérielle;
anéanti les titres, .ni confondu les peuples.. elle a donc, ainsi-que l'homme, ses facultés
Je retrouve avec un secret plaisir, sur la et ses besoinsy ses devoirs et ses passions,
liste des puissances, les noms de ces vieux ses vertus et ses vices ainsi que l'homme,
enfants de l'Europe; j'entends nommer les elle naît, elle croit, elle se développe au
rois de Bohême; et de Hongrie, de Navarre moral et au physique; comme lui, elle dé-
et d'Ecosse. Je commerce avec des Ecossais cline, elle vieillit, elle meurt.
et des Hongrois; et dans la société civile de L'homme meurt par la séparation ou l'ab-
l'Europe, la seule société civile de l'univers,
des spectacles sence de sa partie intelligente, et la décom-
le cœur n'est pas affligé _par position dé sa partie matérielle une société
de barbarie et de destruction dont. les autres peut finir par là destruction de sa partie in-
parties du. monde présentent de si nombreux térieure qui est la religion, et le démem-
monuments..
Puissent les souverains être pénétrés de
brement des parties extérieures dent elle
est composée. Ainsi a fini l'empire romain,
cette vérité, dont il semble qu'il soit réservé
ce siècle grande ou la société de l'univers idolâtre. La société
à la fin de de montrer une religieuse, la société politique périrent la
V vérité, que la France prouve
application fois la religion de l'empire- fut détruite et
par ses malheurs, et que d'autres nations
ses provinces envahies et démembrées. Ce
prouveront peut-être par leurs revers; vër
fut une grande révolution dans l'univers.
rité dont la politique humaine rie fait que J'en approfondis la cause, j'en observe les
hâter le développement, ,lorsqu'elle croit effets, je la rapproche de cette révolution
l'éloigner, parce qu'elle est un l'apport. né- dont l'Europe est le témoin ou ,1a victime;
cessa ire qui dérive de la nature des choses; il
mécbhnaît, parce me semblé que le grand rideau se tire, et
vérité que l'homme que que le présent et le passé me dévoilent l'a-
dans sa courte existence il n'en voit pas venir.
l'accomplissement,mais dont la société qui Si la religion est le culte delà Divinité, il
survit ressent infailliblement les effets c'est
est évident qu'il ne peut exister que deux
qu'il n'y ci de succès dur utiles que ceux dont religions dans l'univers, la religion d'un
la ,force n'a pas à rougir devant la justice, et Dieu et la religion de plusieurs dieux;
qu'une nation est tôt ou tard punie du mal le judaïsme ou christianisme, et le poly-
qu'elle a fait à une autre. ` théisme chacune de ces religions peut se
diviser en plusieurs sectes, et le maho-
métisme lui-même n'est qu'un grossier mé-• lièrè. Je l'ai déjà dit, mais je ne saurais
lange de judaïsme et de christianisme. assez le répéter et le développer là passion
Dès que la raison de l'homme fut éclairéei de dominer, naturelle 'à t'homme, irritée!,
par la vérité, et, ce qui est bien plus difficile, exaltée dans la société par la présence <tes
ses passions. subjuguées par l'admiration, lai objets et la fréquence des occasions, ne peut
première évolution se fit, celle du polythéis- être contenue que par le double- frein <dti
me au christianisme; et elle était nécessaire, pouvoir religieux et du pouvoir politique,
c'est-à-dire conforme à la nature perfection- de la religion et du gouvernement. Dans les
née de l'homme, ou à sa raison éclairée, à l uns, la religion réprime les. volontés,' et par
la vertu; et par conséquent a ta nature per- elles,' réprimé les actes extérieurs dans tes
fectionnée de la société, ou à sa; constitu- autres, le gouvernement réprime^les actes
tion. Par le: même principe, la révolution extérieurs, et par eux, réprinDteles-'vôIoMés;
contraire; ou le retour au moins immédiat ces deux freins se prêtent tin secours tnu<-
du christianisme au polythéisme, payait im- tùel, parce que la religion ne peut réprimer
possible dans l'univers, et aussi contraire à toutes les volontés dépravées des uns, ni le
la raison de l'homme qu'à la constitution gouvernement arrêter tous lès actes éxté-
de la société. Mais, si }ar;évolulion générale rieurs des autres. La religion, qui est intel-
est impossible par le retour immédiat du ligence, do\t agir plus efficacement sur ceux
christianisme au polythéisme, la révolution, qui, par leurs dispositions naturelles, leur
au moins partielle. du christianisme à l'a- éducation et leur position1 dans la- société,
théisme extérieur et social, ou à l'abolition ont l'intelligence ou la volonté plus dégagée
de tout culte public, est malheureusement des sens, plus cultivée par lés connaissances,
possible, parce qu'elle est conforme à la na- plus occupée d'objets intellectuels} c-'esl-à^-
ture dépravée de l'homme ou ses passions, dire, sur ceux que la nature de la société
et à la nature dépravée de la société, ou à destine à commander aux autres, où, par l'au-
sa déconstitution. Cette résolution doit ar- torité du rang ou parcelle de l'instruction
river lorsque la raison de l'homme sera éga- et de l'exemple. Le gouvernement, qui est
rée par les passions, et la société dissoute force, doit agir plus efficacement sur ceux
par l'extinction du pouvoir social ou gé- ^ont les forces physiques s'ont plus néces-
néral.. Le projet de cette révolution existe,
et n'est pas un secret; l'exécution en est
saires la conservation de la sdciëté/ ou
plus dangereuses pour sa tranquillité, sur

n'est pas uné«himè.re. v.


commencée depuis longtemps, et s<on succès

Il y a cette différence entre le changement


ceux qui doi vent obéir, siir le peuple. L'har-
monie de la société, qui n'est que l'acéord
entre ceux qui doivent commander et ceux
qui se fit du polythéisme au christianisme, qui doivent obéir, résulte' donc1 de l'harmo-
et celui qui se ferait du christianisme à l'a- nie, de l'accord, de l'action sirnultànéé'dù
théisme, que le premier fut moins une des- pouvoir religieux et du pouvoir politique
truction qu'un perfectionnement, parce,que de la religion ,et du gouvernéplent; La des-
l'idolâtrie ou le culte public du polythéisme truction, ou iflèmé l'affaiblissement de l'un
ne détruisait pas la Divinité, et ne faisait de ces deux freins des passions humaines,
qu'en défigurer l'idée au lieu que le second doit nécessairement entraîner là destruction
serait la mort de la société civile, puisqu'il ou l'affaiblissement de l'autre; cdr, si la re-
serait la destruction totale de sa partie inté- ligion périt chez ceux qui doivent comman-
rieure, de son âme. der, le gouvernement sera corrompu ou
Le premier changement, celui de l'idolâ- anéanti dans son principe, puisque les vo^
trie 'au christianisme, fut d'autant plus'fa- lontés dépravées de ceux qui commandent
cile, que l'univers idolâtre se trouva réuni ne seifûnt pas réprimées; et si le gouverne-
en une seule société sous la domination ro- ment est détruit par ceux qui doivent btiéft^
maine cette remarque, faite par Bossuet et la religion sera corrompue ou ahéarïtie dans
par d'autres, est parfaitement juste et sous ses effets, puisque les actes extérieurs des
tous les rapports. La révolution du christia- volontés dépravées ne seront pas ré'p'rïpiésS
nisme à l'athéismeparaît donc d'autant plus dans ceux qui obéissent..
éloignée, que l'univers chrétien est divisé Donc dans une société où la religion et le
ea un plus grand nombre de sociétés indé- gouvernement auront été détruits, il est nér
pendantes les unes des autres, ou monar- cessaire que la religion renaisse chez les
chiques. Ceci mérite une attention particu- grands, avant que le gouvernement renaisse
pour le peuple, parce qu'il est dans la nature rrope; heureusement la mine a été éventée
d.es êtres que les dispositions de celui qui doit par
commander précèdent les dispositions de jouer. j
j l'empressement des mineurs à la faire
j
celui qui doit obéir. J'ai prouvé, avec la der- assuré,
Ils ont cru leur triomphe prochain et
lorsqu'ils ont pu lever l'étendard de
a
nière évidence, qu'il n'existait pas de pou- l'athéisme,
1 et accélérer, par l'effet prompt et
voir général ou social dans une société repu- décisif
d de la force, l'effet trop lent de la per-
blicaine (existant par elle-même); il n'y suasion.s
existera donc pas de religion sociale ou pu- Il n'entre pas dans mon sujet de rappeler
blique, elle tombera donc dans l'athéisme, ou c de dévoiler les manœuvres inouïes, épou-
et ce n'est que par instinct de cette vérité vantables,
v que la philosophie a employées
politique que Bayle a supposé sa répu- ppour parvenir à diriger vers t'accomplisse-
blique d'athées, ment
n de ses desseins les forces de cette so-
Le projet de répuhlieaniser l'Europe est ciété
c célèbre, destinée, ce semble, à dominer
donc le projet d'y introduire, l'athéisme; ou l'l'Europe par la force de ses armes où par
le projet d'y introduire l'athéisme, celui de l'influence de ses exemples. La révolution
1'
la républicaniser. C'est ici qu'il faut admi- ddu christianisme à l'athéisme extérieur et
rer la profondeur des vues et des moyens social,
s ou à l'abolition de tout culte public,
qu'employait, pour parvenir à ce double e été inévitablement consommée en Eu-
eût
but, cette secte infernale, dont l'origine est rope,
r si les progrès des armées révolution-
plus ancienne, et les métamorphoses plus nnaires de la France n'eussent été arrêtés.
nombreuses qu'on ne pense. ïForte de l'irréligion des uns, de l'esprit sé-
Les philosophesprêchaient l'athéisme aux dditieux des autres, de la politique étroite et
grands, et le" républicanisme aux peuples ji
jalouse des cabinets, la révolution française
ils délivraient du joug de la religion ceux eeût rallié partout sous ses drapeaux, par le
qui doivent commander, et du frein du gou- fanatisme, la licence et le pillage, l'intérêt,
f<

vernement ceux qui doivent obéir, Ils di- la


1( volupté, la terreur, par tout ce qui peut
saient aux premiers, que la religion n'était affecter
a l'esprit, te cœur et les sens de l'hom-
faite que pour les.peuples; et aux seconds, me,
n eût rallié, dis-je, cette classe nombreuse
que le gouvernement n'était utile qu'au? q vit sur la propriété d'autrui, que le luxe
qui
grands il résultait de cette, double instruc- multiplie
V en Europe à un point effrayant, et
tion, nécessairement commune aux grands qque le commerce entretient., Car le com-
et au peuplé, que les grands, en concevant merce,
n regardé comme l'unique religion des
du mépris pour la religion, concevaient sociétés,
s depuis que l'argent est devenu l'u-
aussi des doutes sur la légitimité du pouvoir nique
n Dieu des hommes, le commerce, en
même qu'ils exerçaient; et que le peuple, déplaçant
d les subsistances, en entassant en
en prenant en haine ou en jalousie l'auto- IEurope les blés de l'Afrique et le riz de l'A-
rité politique, concevait aussi des doutes sie,
s contrarie peut-être les vues de la na-
sur l'utilité de la religion qu'il pratiquait, ture,
ti dérange son système de population, et
et qui lui prescrivait l'obéissance, au gou- prépare
P des causes et des instruments de ré-
vernement. Cependant la philosophie ne volution,
v en faisant naître les hommes à
proposait pas une destruction sans rempla- force
f( de subsistances étrangères, comme on
cement; elle remplaçait les réalités par des fait
fi naître et mûrir les fruits à force de cha-
abstractions chez les grands, cite mettait leur
li artificielle.
la raison à la place de la religion; chez le Nous avons vu que le Rhin et les Ger-
peuple, elle mettait la loi la place du pou- mains
n défendirent, contre les progrès de la
voir; chez tous, elle mettait je ne sais quelle république
r romaine, la constitution politi-
philanthropie à la place de la charité et de qque des sociétés, ou l'unité de pouvoir; et
l'amour du prochain car la religion, qui il est extrêmement singulier que le Rhin et
il
est intelligence pour quelques uns est les
\t Germains aient, jusqu'à présent, défendu,
amour pour tous; parce que tous les hom- ccontre les progrès de la république française,
mes n'ont pas l'esprit éclairé, mais tous ont ]i constitution religieuse ou la foi de l'unité
la
le cœur sensible. dde Dieu. Cette observation peut nous con-
Les philosophes travaillaient à leur but dduire plus loin. La domination que Rome
avec une ardeur infatigable, et y employaient eexerçait, par la force des armes, sur tes so-
tous les agents et surtout tous les moyens, ciétés
c païennes, facilita le changement do
C'était une uitiic qu'ils
ctGut une mine tju ua creusaient
ucusoicui auu3l'Eu-
sous i r.u- l'l'idolâtrie
i îuuiau ic auau christianisme; et la
tin louauiDiiiV} et domina-
jli uuuiimu
OEUVRES r~nwoi
~~iLIIVaFC COMPL. w·DK M. DE
R.~i 32nroer.n1.
w~r ISOiSAtP. 1 il
AA
s.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. "32i
523
ti >n)nque
ti la France exerçait depuis long-
aue la Ions- tié
t apparente. On décrète la liberté des cul-
On décrètela
temps sur la plus grande partie dés sociétés ttes, mais la religion n'a pas de temples on
chrétiennes, par l'ascendant de ses exem- rouvre
r les portes de la France aux ministres
ples, par la supériorité reconnue ou suppo- dde la religion; mais ils périssent encor-e
sée de ses arts, de sa littérature, de sa lan- dans
c les prisons et sur les vaisseaux où on
1les tient renfermés; mais, et c'est là la voie
gue, de ses modes, de ses mœurs, de ses
manières, semblait devoir faciliter aussi la la plus sûre, la plus prompte d'abolir le culte
révolution du christianisme à l'athéisme public,
i on propose de dépouiller la religion
et peut-être la philosophie ne s'est-elle cde ses propriétés,- au lieu d'en régler l'em-
trompée qu'en ce qu'elle a cru obtenir, par ploi,
1 d'acquitter, par une contribution exi-
la force des armes, un succès qu'elle ne de- gée
f ou volontaire, les frais du culte et les
vait attendre que de l'influence des exem- honoraires
1 des ministres; et l'on parvient
pies, Cependant il rie me paraît pas douteux ainsi
a à renverser tons les principes, à dé-
que, si la France pouvait conserver sa forme naturer
i toutes les idées, et à faire regarder
républicaine, elle ne dût espérer de prodi- 1 religion comme un moyen de gouverne-
la
gieuses conquêtes de son immense popula- iment, et le culte public comme une dépense
tionque tant de causes contribueraient à t l'Etat, au lieu de regarder le gouverne-
de
"accroître, et de l'impétuosité naturelle du ment
i comme un moyen de la religion, et la
caractère français. J'ose même avancer que ssociété politique comme la
public.
matière du cultee
L'Europe semble donc être, la pre-
dans les guerres continuelles que cette ré- 1

publique serait condamnée à entreprendre, mière,i réservée à une révolution dont tou-
l'égalité de' forces. que l'identité de moyens tes
t les promesses des charlatans qui l'en-
militaires met entre les peuples les plus dorment,
< ou des imbéciles qui la trompent,
flegmatiques et les nations les plus impé- aprèsJ s'être trompés eux-mêmes, ne détour-
tueuses, disparaîtrait devant le nombre et neraient
i pas les suites épouvantables, La
la vivacité française. Les philosophes qui destruction
<
du pouvoir dans toutes les so-
ont médité aussi, et qui connaissent les ciétés, < destruction opérée en France, et es-
temps et les hommes, ne l'ignorent pas; et sayéei à Naples, à Turin et partout l'abtrïï-
l'on a pu voir, dans celte guerre, le parti tion1 de toutes les institutienïrpolitiqùes et
qu'ils ont tiré de cette. connaissance. Le pro- religieuses,
i qu+, sans violence et sans crime,
jet de là révolution du christianisme à l'a- empêchent
<
l'excès de la population en Eu-
fhéisrae extérieur, ou à l'abolition de tout rope, qui seules ont fait cesser ces nom-
culte publie, a donc existé mais, qu'on ne breuses1 émigrations de Barbares qui nous
«'y trompe pas, il existe encore il n'est pas étonnent, institutions que la nature de la so-
abandonné, et quelle qu'en soit la cause, ciété a multipliées là où la population pouvait
t7 ne le sera jamais. A des mesures exagérées être plus nombreusepar l'abondance des sub-
qui no convenaient plus, ont succédé des sistances, et son excès plus dangereux par le
moyens ptas doux qui conviennent beau- tempérament des hommes; l'extrême division
coup mieux «t personnage qui, par un des terres et
leur défrichement bien plus
motif louable d'humanité, a contribué à ce étendu qu'autrefois; des passions plus exal-
changement,est, sans le savoir, l'instrument 1tées toutes ces causes, mille autres encore,
docile dont se servent des gens profonds. y accroitraient la population dans une pro-
On a ajourné les moyens militaires dont la gression incalculable, tandis que les insti-
violence et l'intensité avaient usé la force tutions républicaines ne pourraient opposer
on désavoue, on punit même des horreurs aux passions de tant d'hommes qu'une bar-
dont l'excès commençait à contrarier l'effet rière impuissante. Tous les désordres des
mais l'impression est faite, et sur le peuple temps anciens, de plus grands encore, ré-
disposé par la terreur à tout souffrir, et sur sulteraient infailliblement et de la multipli-
l'Europe préparée, par des succès inouïs, à cité des passions et de la destruction du
tcut admirer; mais le système parait s'af- pouvotr. Les moeurs, nous en verrons bien-
fermir sur des combinaisons politiques tôt la preuve, périraient avec la religion;
qu'on n'ose pas même juger car, dans ce les arts périraient avec les mœurs les
malheureux temps, l'homme réfléchi ne sait sciences., qu'on a vues en France prêtes à
où placer ses affections ni ses haines, et s'éteindre, les sciences, et par conséquent
craint également d'être injuste envers une l'art militaire, se perdraient dans cette con-
amitié déguisée, ou d'être dupe d'une ami- fusion générale et l'Europe affaibrie, épui-
sée, comme elle le'futà la chute de l'empire On sait qu'il y avait dans la religion chré-
romain, offrirait une proie facile à ces peu- tienne des corps et des individus qui
ples que la nature recèle dans les vastes se
vouaient à la fonction périlleuse d'annoncer
plaines de l'Asie septentrionale, et qu'elle aux peuples idolâtres l'unité de Dieu. Ainsi,
réserve à de grands desseins. tandis que ces missionnaires appelaient,
A juger de l'avenir parte passé, les dé- péril de leur vie, des païens à la connais-
au
chirements effroyables qu'éprouva l'empire sance du vrai Dieu, et par conséquent des
romain par les inondations successives des barbares à la société civile, et travaillaient
Barbares, et sa dépopulation presque uni- ainsi à consommer le changement de l'ido-
verselle, se répéteraient sur la malheureuse lâtrie au christianisme des missionnaires
Europe les mêmes peuples qui se faisaient d'athéisme travaillaient avec autant de
appeler les fléaux de Dieu, viendraient 'la per-
sévérance, mais avec moins de dangers, à
punir d'avoir oublié la Divinité, comme ils avancer la grande révolution du christia-
la punirent alors d'en avoir défiguré l'idée. nisme à l'athéisme, et de l'état civil à l'état
Que le philosophe, qui serait tenté de m'ac- sauvage. Il était aisé de prévoir une rivalité
cuser de faiblesse, et mes idées d'exaltation, éclatante entre des ouvriers dont les
écoute Rousseau, et qu'il admire comment uns
travaillaient à détruire ce que les autres
il est ramené à la même conséquence par la s'efforçaient d'édifier; elle produisit la des-
force des principes. «Les Tartares, » dit-il, truction de cet ordre célèbre qui a allumé
« deviendront nos maîtres; cette révolution tant de haines et excité tant de regrets. La
me paraît infaillible, tous les rois de l'Eu- vraie cause de sa chute ne fut connue dans
rope travaillent de concert pour l'accélé- le temps que d'un très-petit nombre de
rer. » per-
sonnes, qui fascinèrent les yeux des plus
Je n'ai considéré les effets de cette révo- clairvoyants, et égarèrent les intentions les
lution que dans une partie de l'univers; plus pures. Les philosophes eux-mêmes
mais, si l'on suppose les ténèbres de l'a- ne
s'en cachèrent pas; et le plus rusé d'entre
théisme répandues sur toute la surface de eux, oubliant, dans l'ivresse du succès, sa
la terre, on sera conduit forcément à des prudence ordinaire, osa écrire ces lignes
conséquences bien importantes et j'ose re-
marquables « Les sots et les ignorants at-
dire, bien nouvelles. Je ne sais si tribueront la destruction des Jésuites aux
un hom-
me peut passer du polythéisme à l'athéisme, magistrats; les sages l'attribueront aux phi-
mais il n'est pas dans l'ordre des choses ni losophes. »
Cans la nature des idées humaines, qu'un Jamais il ne s'offrit un sujet plus impor-
peuple qui croit plusieurs dieux, en vienne tant à l'attention des hommes d'Etat et
tout à coup à abolir tout culte public de la aux
méditations des rois. Tandis qu'une politi-
Divinité. Il semble nécessaire qu'il
passe que sans élévation et sans vues s'applaudit
auparavant par l'intermédiaire de la reli- du succès de ses intrigues; qu'elle jouit des
gion de l'unité de Dieu. L'histoire s'accorde troubles qu'elle a causés, et combine les
avec cette observation et l'on n'a pas en- moyens d'en causer de nouveaux; l'insen-
core vu chez un peuple idolâtre naître l'a- sée ne voit pas l'athéisme s'avancant à pas
théisme extérieur, c'est-à-dire, cesser tout lents, se glissant dans le désordre, et éten-
culte public de la Divinité. Il faut donc dant sur l'Europe son crêpe funèbre.. 11
que
la religion d'un Dieu; ou le christianisme, me
semble voir, dans un vaste salon, une troupe
soit connu de tous les peuples idolâtres, de joueurs avides. La présence du
avant que la révolution générale, qui peut maître
contient les passions violentes qui les agi-
conduire l'univers à l'athéisme, soit mais uniquement occupés de leur ob-
con- tent
1
sommée. Je rapproche ces observations poli- jjet, ils n'aperçoivent pas les lumières prêtes
tiques des croyanees religieuses sur la der- ài s'éteindre ils se trouvent tout à
nière catastrophe de l'univers, sur l'exlinc- coup dans
iune obscurité profonde le maître a disparu
tion de la foi qui doit la précéder, àl leurs regards. La cupidité qui les anime,
sur les
désordres effroyables qui doivent l'accom- délivrée
c d'un frein importun, sans recourir
pagner, et qui seraient la suite nécessaire dé àà des chances incertaines, veut
la conversion de toutes les monarchies de se satisfaire
l'Europe en république; etj'admire ipar la force ou par la ruse; et ce lieu, où
comment régnait
r naguère l'ordre et la décence, de-
une saine et vaste politique meramène à la vient
valigion. v un théâtre de confusion, de discorde
e d'horreur. On a trop séparé, jusqu'à prâ-
et
uv"i"j^t
EiO èJEi ai» i-»*J
la supé-
supe-
sociétés
,™:a«ao
soci. ,.i,riioc
civiles remarquez
rfmarnuez aussi la.
sent la politique de la religion. Quelques
théologiens, riorité
non que les arts avaient acquise, en
écrivains qui notaient que dans l'imitation de la belle nature
considéré la société reli- Frar
France,
n'ont pas assez
la société et voyez, dans les sociétés policées, ancien-
gieuse dans ses rapports avec po- v<
s'éloigner de l'imi-
n'étaient nés
nes et modernes, les arts
Ktmue d'autres écrivains, qui pas la
considéré la société tatic de cette nature perfectionnée, dans
tation
même politiques, ont institutions s'é-
men proportion que leurs
la société même
politique sans aucun rapport avec loignent de la nature de.la
loig
société constituée.
religieuse. Quand on traite de' la société ci- Je n'en excepte aucun peuple, pas même les
-vile, qui est la réunion de la société politi- n
qui, l'imagination encore pleine de
il' faut, sous Grecs,
bre<
que et de la société religieuse, société leurs rois, et de leurs héros,
leur
immortali-
peine de s'égarer, considérer la po-
saient, dans leurs chefs-d'œuvre, des temps
saie
lilique sous le point de vue de la religion, et des
d hommes qui n'étaient plus mais qui
point de vue
et la société religieuse sous le descendent souvent, dans les sujets même
des
du gouvernement politique; traiter, pour les plus relevés, à des imitations d'une na-
la
ainsi dire, la politique en théologien, et quel-
religion en politique. C'est un grand ou- turi excessivementfamilière, basse, et
ture
qu'ébaucher d'autres quefois
que ignoble, parce que leurs sociétés,
vrage que je n'ai fait san constitution n'étaient, au turbulents
fond, que
achèveront, et le trait lancé ne reviendra pas sans
des rassemblements fortuits et
en arrière. des de sociétés domestiques souvent dans 1 état
Une société constituée peut essuyer
crises qui ne détruiront pas le corps social sauvage.
sau
passagères dans un I
Le goût ou l'imitation de la belle nature
ce sont dès maladies i
robuste. Ces crises ne sont quelque-• ne se perfectionne chez les Romains, que
corps
fois que des moyens violents, que la nature, lor lorsque les institutions monarchiques pren-
à gouvernement qui ne nent
nei la place des institutionsdémocratiques,
lasse de parl'er un
veut pas entendre, emploie pour amener r Les
Le temps d'Ennius>et de Lucile sont ceux
des Saturnins le siècle
•quelque développement nécessaire de a
la des
de: Gracques et
politique dont a
la d'Auguste
û'1 est celui de Virgile et d'Horace.
constitution, quelque
société a besoin. Ainsi,
loi
dans un
débarrasse
homme bien
quelque-
ti Ce l serait,
de
ce me
littérature
semble, le sujet d'un
politique bien inté-
constitué, la nature se ouvrage
ou
des obsta- ressant, le rapprochement de l'état des
fois, par des maladies violentes, re: que
développement du
u arts
arl chez les divers peuples avec la nature
cles qui s'opposent au
progrès du tempérament. Il11 de leurs institutions, fait d'après les prin-
«orps, ou au cipes que je viens d'exposer. L'auteur trou-
pourrait arriver, par-exemple, que la France, ei| la mollesse des ins-
établît l'éducation n verait peut-être, dans
échappée à sa révolution, ve
perfectionnât lois sur l'im- titutions
tit politiques des Etats d'Italie le
publique et ses i-
politiques dont le développement 1t motif
m de l'afféterie qui domine dans leurs
pot, lois dureté militaire des insti-
la nature, a arts; dans la

l'univers. la
nécessaire, sollicité en vain par ar
la commotion terrible qui a ébranlélé tutions
tu des peuples du Nord, le motif de
produit litté-
la rudesse de leurs productions
politique profond, comme le médecin in raires;ra dans la constitution mixte de l'An-
Le
habile, peuvent, à des signes certains, con- n- g| gleterre, la cause de ces inégalités bizarres,
sublime et
naître l'approche des crises violentes du lu de dl ce mélange d'une nature
social du corps humain. Le symp- P- d'une
d nature basse et abjecte qu'on remar-
corps ou Il rejetterait le prin-
moins équivoque de celles dont le que
q dans ses poêles.
tome le imitations exagérées, de
politique est'menacé, est la décadence ce cipe
ci secret de ces
corps qu'on aperçoit
cette grandeur gigantesque
des arts et des mœurs. c
politique et reli-
li- dans
d les productions et jusque dans le ca-
Plus, dans sa législation espagnol, sur la constitution de
policée, qui connaît
ait ractère
r
gieuse, une société ou
société, où le pouvoir royal n'est pas
rapproche de la constitution ou cette
c
les arts, se limité par les institutions politiques;
plus, assez
de la nature perfectionnée des sociétés, l]S a n'oublierait pas surtout de remarquer que
dans leurs productions, les arts se rappro- -o- iil s'éloignaient de la nature
embellie 1les arts en France
la
chent de l'imitation de nature ou descendre à la
à pein-
in- noble et perfectionnée, pour
perfectionnée des objets qu'ils ont r
champêtre, enfantine, fami-
qu'aucune nature simple,
dre. La France était plus près me i
depuis la société politique pen-
naturelle les
des lière, que
autre nation de la constitution
1
chait vers la révolution qui devait la rame- choses dont la mesure est aussi convenable
ner à l'état primitif des sociétés naturelles. que l'excès en est ridicule; je passe sur ces
Ainsi la poésie peignait les jouissances des détails, qui paraîtraient peut-être-Trivoles,et
sens, plutôt que les sentiments du cœur ou je viens à un objet plus important, à l'état
l'Héroïsme des vertus publiques elle met- des femmes dans la société politique.
tait sur la scène les détails naïfs, bas, quel- Si je ne respectais les lecteurs de tous
quefois larmoyants, souvent obscènes, de les âges, à l'instruction desquels cet ou-
l'intérieur de la vie privée plutôt que le vrage est consacré, je ferais voir dans la
tableau des grands événements qui déci- Grèce,îa société naturelle ou l'homme na-
dent du destin des rois et de la fortune des turel, écarté de sa fin principale la propa-
empires, plutôt que la représentation dé- gation de l'espèce humaine par d'infâmes
cente et vraie de mœurs nobies et relevées. désordres, sur lesquels une poésie volup-
La peinture exprimait plus volontiers la fé- tueuse s'efforce en vain de jeter un voile;
rocité de Brutus que la magnanimité d'A- comme la société politique, ou l'homme so-
lexandre, L'architecture avait moins de cial, était écarté de sa fin par les institutions
monuments à élever que de boudoirs. em- politiques. Ces vice-s, inconnus à Rome, tast
bellir; et la. disposition d'esprit qui
même
que 1'institutio» monarchique y conserva
changeait un jardin, où l'art avait perfec- les mœurs, je tes y retrouverais lorsque les
tionné la nature en en disposant avec ordre institutions populaires ouvrirent la Ijce aux
les différentes beautés, en une campagne passions les plus monstrueuses je les re-
inculte et agreste sous le nom de jardin trouverais transmis avec les institutions et
anglais, devait bientôt remplacer la régula- les arts d'Athènes, datis les démocraties ita-
rité majestueuse d'une société constituée, liennes dumoyen âge; jeil'es retrouverais peut-
parle désordre et le délire des institutions être se glissant dans une société monarchique
politiques de l'homme. à la veille de sa dissolution source itrtaris-
La langue elle-même se ressentait de sablede réflexions profondes sur la- déprava-
l'approche de cette révolution. En vain tion de l'homme, de cet être inexplicable à-
quelques bons écrivains se roidissent contre la philosophie, de cet être qu'elle outrage,
une dégénération dont le temps a révélé le qu'elle honore quelquefois lorsqu'elle n'en?
principe, la Inngue française, la langue de fait qu'un animal! Je l'ai dit ailleurs c'est
Fétielon et de Racine, de Bossuet et de Buf- par l'état social des femmes qu'on peut tou-
fon cette langue simple sans bassesse et jours déterminer la nature des institutions
noble sans enflure harmonieuse sans fati- politiques d'une société.
gue, précise sans obscurité, élégante sans En Egypte, où était le type de la consti-
afféterie métaphorique sans recherche tution, les lois soumettaient les maris à
cette langue, la véritable expression d'une leurs femmes en l'honneur d'Isis chez les
nature perfectionnée,de venaitbrusque, dure, Germains, où nous avons retrouvé les lois
courte, sauvage, hyperbolique, parce qu'il fondamentales de la constitution,, Fopinien
fallait, disait-on, que la langue fut pensée, fût faisait des femmes des êtres au-dessus de
sentie, forte, pittoresque comme la nature, l'humanité; chez tes peuples dont les con-
C'est à l'imitation de la belle nature que naissances étaient bornées, et les habitudes
la langue, les arts et les manières françaises guerrières et féroces, la nature exagérait U
devaient la supériorité qui les faisait, même sentiment, pour mieux protéger la faiblesse
dans leur dégénération, admirer et copier
et, pour le dire en passant, ce quelapMlo-
de toute l'Europe parce qu'en tout genre, sophie appelle, dans
les enfants', les femmes
ce qui est dans la nature'la plus parfaite est ou le peuple, préjugés, superstitions, n'est
nécessaire, et si l'homme peut en retarder
autre chose qu'une exagération de sentiment,
tes progrès il ne saurait en arrêter le dé-
veloppement.
par lequel la nature supplée à la faiblesse de
l'esprit pour assurer la pratique d'un prin-
Les moeurs déclinaient avec les arts, elles cipe important,
ou établir la foi d'une vérité
déclinaient avec la constitution. Je ne dirai essentielle. Et c'est
ce qui fait que la philo-
pas que dans la manière de se vêtir ou'de sophie, qui éteint le sentiment, et veut tout
se loger la nature libre et, sans gène rem- faire avec la raison, d'un homme instruit
plaçait la nature embellie et perfectionnée fait un pédant qui étouffe ses sentiments na-
que la familiarité, la commodité, bannis- turels pour faire parade d'une raison dé-
saient la dignité, la décence extérieure placée d'une femme oa d'unenfant,,fail des
êtres ridicules qui veulent mettre une force la constitution
co politique de la société. La
femm secoue elle-même le joug. des mœurs
de raison qu'ils n'ont pas, à la place de sen- femme
timents qu'ils doivent avoir; et du peuple décentes,
décer les mœurs cessent de la protéger,
fait un monstre qui n'a ni raison ni senti- les lois li mêmes l'oppriment, et l'on porte
ment, parce que le sentiment est la raison contre contr elle la loi du divorce: L'homme re-
du peuple, comme on peut dire, à certains jette le frein du pouvoir; le pouvoir cesse
égards, que la raison doit être le sentiment de le protéger, le pouvoir même l'opprime,
des rois. Je rentre dans mon sujet. l'o porte contre lui les lois révolution-
et l'on
naire Dans le même temps et chez le
Dans nos monarchies modernes, et parti- naires.
culièrement en France, l'opinion n'attri- même mêm peuple, une philosophie orgueilleuse
buait aux femmes rien du divin, mais les veut ramener la religion sociale à la reli-
mœurs en faisaient des divinités et tel était gion
naturelle; une philosophie sensuelle
le respect public à leur égard, que la poli- ne considère
co plus les femmes sous des rap-
tesse française donnait la même qualification ports sociaux, mais sous des rapports pure-
à 1'épouse du monarque, et à la femme du ment ment naturels; une philosophie séditieuse
dernier sujet. ramê la société civile à l'état féroce et
ramène
Cette identité, sur le même objet, entre sauvage
sauv, des sociétés naturelles.
les mœurs des Egyptiens, des Germains et Qu'on
Q« ne s'effarouche pas de ce rappro-
des peuples monarchiques modernes, a une chement chen d'idées, en apparence si disparates.
cause, et il ne faut pas la chercher ailleurs C'est ce mélange inexprimable de religion,
que dans la constitution de ces sociétés. de galanterie
g; et de fidélité à l'Etat qui for-
La nature, qui ordonne tout avec sagesse, mait le caractère de l'antique chevalerie
et pour la conservation des deux sexes, ré- institution
insti sublimé que la nature avait
prime la force destructive de l'homme par adaptée adap aux besoins d'une société naissante,
le frein du pouvoir, et met la faiblesse de et qu'elle ql saurait encore proportionner à ses
la femme sous la sauvegarde du respect. développements
déve et à ses progrès, si les
Elle contientl'homme par le pouvoir, parce souverains
sou\ daignaient réfléchir à cette vé-
que le pouvoir est empire et force comme rité ritépolitique Que dans une société cons-
l'homme elle protége la femme par les tituée titué tout ne peut pas se faire avec la force
mœurs, parce que les mœurs sont persua- et de dl par le roi que le moral dans l'homme
sion et douceur comme la femme. Des lois est quelque c chose que ce ressort puissant
positives en faveur des femmes, déjà fortes se .< .dirige contre les gouvernements, s'il
des avantages que la nature leur donne, en n'est n'es pas dirigé par eux et pour eux; que
feraient des tyrans; comme en Orient, des ce ressort n n'a de force que par la résistance
moeurs différentes, malgré les avantages de qu'on qu'o lui oppose, ni d'utilité que par la di-
la nature, ou à cause de ces avantages rection rect qu'on kii donne; et que, pour ac-
mêmes, en font des esclaves. croître
croî sa force et diriger son action, la re-
Ce respect pour les femmes, qui tient à la ligion
ligi< est bien supérieure à la philosophie.
nature de la société ou de l'homme social, En effet l'homme est esprit, cœur et sens,
mêlé à un sentiment pour elles qui tient à intelligence
inte ou volonté, amour et force. La
la nature de l'homme naturel, forme entre religion,
relij en subjuguant l'esprit et maîtri-
les deux sexes ce commerce, appelé galan- sant sanl les sens, concentre toute la force mo-
terie, où la force de l'homme devient com- rale de l'homme dans son cœur, qu'elle
plaisance et trop souvent faiblesse, et où la nourrit
nou en lui ordonnant d'aimer, qu'elle
faiblesse de la femme devient empire et dirige diri en fixant à ses affections des objets
quelquefois tyrannie. légitimes
légi elle fait donc des hommes sensi-
ble; et vertueux; car l'homme est sensible
On:a a remarqué plus haut l'influence de la bles
forme de gouvernement sur les arts on en aimant, et vertueux en n'aimant que ce
qu' doit aimer. La philosophie, au con-
peut remarquer ici l'influence de la religion qu'il
sur les mœurs et sur la constitution. traire,
trai en laissant aller l'esprit et laissant
fair les sens, dessèche le cœur en l'épui-
Le libertinage d'esprit porte atteinte aux faire
principes fondamentaux d'une religion so- sant, san et porte toute la force morale de
cials; bientôt le libertinage des sens bannit l'homme
l'hc vers son esprit qu'elle ne veut pas
une galanterie décente qu'on peut appeler bor borner, et vers les sens q.u'elle ne veut ni
le culte extérieur des mœurs honnêtes un ne peut maîtriser et selon que
l'esprit et
fanatiques
délire républicain ne tardera pas à attaquer les sens dominent, elle fait des
WVUltt. JPAlil. I» rUUY. 1 UJLjinvjuix îjii. il. ooi
ou des scélérats;, et quelquefois tous les riosilé elle conserve le cœur en fixant sa
deux ensemble; car on est fanatique par légèreté; elle conserve lés sens en bornant
l'exagération de V esprit, et scélérat par le leur usage et prévenant leur dérèglement.
dérèglement des sens. La vertu est donc La philosophie, en épuisarit le cœur détruit
dans le cœur, ou dans des affections diri- le pouvoir, éteint la faculté d'aimer, seul
gées, le fanatisme dans l'esprit, ou dans des ressort de l'homme, et met les sens ou la
opinions exaltées et la scélératesse est dans force sous la direction immédiate d'une vo-
les sens, ou dans des actions hardies. Cette lonté dépravée. Dès lors, elle fait des hom-
distinction est juste; et l'on remarque en mes vicieux par le déréglement des sens, et
effet, que l'héroïsme de la vertu se joint elle fait des athées par l'extinction de la fa-
presque toujours à Ja candeur, c'est-à-dire, culté d'aimer car la foi de la Divinité est
à une certaine simplicité dans l'esprit; l.e sentiment en nous, et non opinion. La re-
fanatisme des opinions, à l'insensibilité du ligion laisse chaque faculté à sa place; elle
cœur; et la scélératesse, à la perfection des se borne à communiquer le mouvement au
sens ou à la force physique. L'esprit, le premier moteur; elle éclaire l'intelligence;
cour, (es sens, voilà l'homme et tout l'homme; l'intelligence guide la faculté d'aimer, celle-
c'est en réunissant la perfection de ces trois ci se manifeste par les moyens extérieurs
facultés, la justesse et J'étendue de l'esprit, la religion éclaire la volonté, la volonté rè
j'élévfltion et la sensibilité du cœur, et la gle le pouvoir, le pouvoir dirige la force;
perfection des sens ou la force physique, c'est-à-dire, que la religion éclaire l'esprit,
ccelir règle les
que la nature forme dans. Je silence ces l'esprit dirige le cœur, le
hommes extraordinaires, qu'elle réserve à sens. Cette théorie explique l'homme, ex-
de grands desseins, qu'elle a marqués pour plique la société, explique la religion
être pouvoir, et qu'elle envoie, quand il est même; sans .elle, j'ose le dire, tout n'est
temps, ou former, ou rétablir une société. qu'incertitude, système dans l'homme na-
Si forte virumquem
turel et l'homme social, dans l'homme mo-
onspexere, silent. ral et dans l'homme, physique telle est le
(Virg., MneiiX.h. i, vers. Ibb.) fondement de la politique et de la théolo-
L'esprit, le cœur, le corps intelligence, gie,, c'est-à-dire*de la science de la société
politique et de la société religieuse. Fai-
amour, sens extérieurs; volonté pouvoir,
force, voilà l'homme, ou la société en abrégé: sons-en une application qui porte sur
et si l'on se rappelle mes priaci j es sur les l'homme, sur la société, sur la religion à la
opérations et le concours de ces trois agents fois. J'ouvre l'histoire de l'Europe chré-
dans la société, on pourra en faire à l'homme tienne, j'y vois de grands crimes mais j'y,
et fréquemment des remords violents,,
une application exacte. En effet, la volonté vois actions
dans l'homme ou son esprit est tout inté- s'? des expiatoires, de grandes vertus
rieur ou moral; les sens ou la force sont sociales, c'est-à-dire, des vertus religieuses
tous extérieurs ou physiques; le cœur ou le et politiques; j'y vois de l'héroïsme dans
pouvoir tient à l'un et à l'autre; car, si les les fautes, de l'héroïsme dans le repentir.
inclinations du cœur doivent être dirigées Voilà l'homme,, me dis. -je,, l!homme dé la
par l'esprit ou la volonté, ses affections sont religion. C'est son. cœur combattu^ déchiré
nécessairement manifestées par la force ou entre la volonté dépravée de l'homme,, et sa
religion. de, recon-
par les sens. La philosophie déprave et con- volonté éclairée par la
sume toutes les facultés de l'homme, en ne nais l'une à ses erreurs,, et. l'autre à ses re-
réglant pas l'usage qu'il dojt en faire: elle mords. Si je vois les crimes que la religion
exalte l'esprit en permettant à ses recher- n'empêche pas, je vois aussi, les, vertus
ches les objets auxquels il ne peut pas at- qu'elle produit. Tout n'est pas perdu, puis-
teindre elle épuise le cœur, en livrant à que, emporté- par. s.a. passion naturelle, la
ses affections les objets qu'il ne doit pas passion de dominer», l'homme public, obéit
aimer; elle dérègle les sens, en laissantà au frein de la.religiou qui le ramène.
leur usage tous les objets dont ils ne doi- Je parcours les fastes de l'Europe philor
vent pas user, La religion, au contraire, sophe à travers le voile transparent des
conserve toutes ses facultés en réglant leur événements, je découvre des horreurs cal-
usage, et accroit leur force par l'utile résis- culées, des forfaits raisonnes, de sombres
tance qu'elle leur oppose. Elle conserve l'es- et affreuses vengeances, des machinations,
prit en arrêtant sa vaine et impuissante cu- infernales.
que je ne fais que soupçonner. L'amour de
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers.
(Racine, Phèdre.)
l'homme n'est plus dans le cœur, où la reli-
Voilà l'homme de la philosophie, me dis-
gion l'avait placé; il en est sorti avec elle.
je ce sont les crimes de son esprit dépravé.
C'en est fait le bonheur de la société* la
Le cœur s'emporte et éprouvedes remords; conservation de l'espèce humaine ne sont
l'esprit combine, et ne peut éprouver de re- plus qu'une opération de l'esprit, un
gret que celui d'avoir mal combiné. Les for- problème.
faits que je vois me font frémir sur ceux

LIVRE V.
SOCIÉTÉS NON CONSTITUÉES.

CHAPITRE PREMIER. «avec les


principes que j'ai posés. J'espère
rque cette digression ne
paraitra pas inutile.
GOUVERNEMENTSDESPOTIQUES.
On a vu, dans les révolutionsde la France
La passion de la gloire, chez les anciens,
s, république,
i la marche de l'homme qui vent
avait fait des conquêtes dans le moyenn établir
E son pouvoir particulier à la place du
âge, le besoin de subsister et l'ardeur duu pouvoir
i général de la société: on va voir,
pillage dévastèrent l'Europe dans des temps >s dans
( la révolution de Danemark, la marche
plus récents, le zèle d'une religion nouvelle
& de
< la nature qui relève le pouvoir général
fonda des empires. « Jamais Etat ne fut it sur
j les ruines des pouvoirs particuliers.
fondé, » dit l'auteurdu Contrat social, «quele La constitution primitive du Danemark
la religion ne lui servît de base. » était
( celle de toutes les autres nations d'ori-
L'empire d'Orient avait traîné jusque Q gine
< germaine, la constitution de la nature
vers le milieu du xv' siècle un reste de le des
(
sociétés. « Le pouvoir du prince, » dit
majesté romaine que douze cents ans dee ]Mallet, auteur d'une Histoire estimée du
vices, de faiblesse, de révolutions et de re- i- Danemark, dans des notes pleines de rai-
vers n'avaient pu effacer. Réduit alors à ià
capitale, il est envahi par un peuple neuf, f,
sa -j

son
i
par
]
et de goût sur le Toi/agë en Danemark,
M. Coxe, dont il a donné la traduction,
bouillant de courage et de fanatisme lee «< le pouvoir du prince était limité par les
despotismeusé des empereurs grecs ne peut it droits
< de la noblesse et duclergé; » c'est-
résister au despotisme des sultans dans laa à-dire,
l que le pouvoir social ou général
crise de son développement. Constantinn était
< constitué, puisqu'il était défendu et
Paléologue illustre en vain, par une défensee limité
] par les professions générales ou
glorieuse, les derniers moments de son n ssociales.
règne il se fait tuer sur la brèche l'em- La couronne était alors héréditaire, oa du
pereur et l'empire, tout périt à la fois etit moins
i élective dans la famille. Mais, par une
Constantinople devient le siége de la domi- i- suite
s de circonstances malheureuses, la sue-
nation ottomane et le centre d'un Etat des- i- cession
i héréditaire, ce rapport nécessaire
potique, si on le compare aux monarchies is dérivé
t de la nature des êtres, cette loi poli-
chrétiennes. tique,
t conséquence nécessaire de la loi fon*
Malgré les déclamations de quelques écri- damentale
( de l'unité de pouvoir, et fonda-
vains qui ont peint des couleurs les plusis mentale
i elle-même, n'avait pu se conserver
odieuses la révolution de 1660, qui détrui- dans
i cette société. Le pouvoir général n'y
sit, en Danemark, le pouvoir particulier duu iétait donc pas constitué et parce qu'il
sénat, pour élever sur ses débris le pou- n'était
r pas constitué, il n'était ni défendu
voir général de la société, le despotisme e i limité et parce qu'il n'était ni défendu
ni
de droit n'existe pas plus dans la constitu- r limité, il était fréquemment usurpé et
ni
tion du Danemark que le despotisme de faitit quelquefois
c oppresseur. Le même règne vit
n'existe dans son administration. Il suffit,t, i exemple mémorable de tyrannie et d'u-
un
pour s'en convaincre, de rappeler les faits;s surpatiôn.
£ Christiern le Néron du Nord,
historiques, et d'en montrer l'accord parfaitit ffut un tyran qui n'exerça que &on pouvoir
particulier le sénat qui le déposa fut un avait
ai ses enfants; mais Vunivers n'avait pas
usurpateur, qui exerça aussi son pauvoir de citoyens.
d<
particulier car il faut observer que l'auto- Le danger qui menaçait Copenhague fit
rité royale était à tel point anéantie en Da- taire
ta toutes les volontés particulières, ces-
nemark, que, par un article des conditions se tous les pouvoirs particuliers, et réunit
ser
que le sénat faisait signer au prince auquel toutes
te les forces individuelles. Le roi devint
il déférait le vain titre de roi, conditions donc
dc le pouvoir général conservateur, Agent
toujours plus dures à chaque changementde d< la volonté générale conservatrice, direc-
de
règne, le cas de la déposition était prévu, te de la force publique conservatrice. La
teur
et le monarque y était expressément soumis. société
s< danoise,renfermée tout entière dans
Dès que le roi ou Je sénat exerçaient le lec. murs de Copenhague, fut donc consti-
les
pouvoir particulier, il n'y avait plus de pou- tuée
U et par cela même, elle acquit toute la
voir général dans la société car le pouvoir force
fc de résistance et de conservation dont
général et le pouvoir particulier ne peuvent elle
el était susceptible. Aussi la bravoure des
exister ensemble dans la même société. vvieux héros de la guerre de trente ans
Une société soumise à des pouvoirs parti- échauffés
éi par la présence d'un des plus
culiers est une société non constituée; elle grands rois qu'ait eus la Suède, cette socié-
gi
est donc dépendante des autres sociétés, té qui compte parmi ses monarques tant

soit par le besoin de les détruire, soit par la dd'hommes extraordinaires,ne put triompher
crainte d'en être détruite; c'est-à-dire qu'elle d' la courageuse résistance des habitants de
de
a un principe d'agression, et qu'elle n'a au- Copenhague; et Frédéric III recueillit le
C
cune force de résistance et de conservation. fruit
fr du calcul politique que doit faire tout
Le Danemark .fut donc guerrier et .même prince,
p dans une situation en apparence dé-
conquérant, et malgré la nature, il assujettit sespérée, do défendre avec hauteur, avec
s<

.a Suède à ses lois; mais aussi il fut con- obstination


o ses droits légitimes, et de tout
quis parla Suède, parce que cette société perdre
p plutôt que de s'abaisser aux yeux de
qui n'était pas plus constituée que celle du son ennemi ou de s'avilir aux yeux de ses
si
Danemark, avait aussi son principe d'a- sujets.
si
gression et n'avait aucune force de ré- Dès que Copenhague fut libre, le roi con-
sistance. voqua
v les états généraux. Cette convocation
Ce principe d'agression se développa en était
é nécessaire, c'est-à-dire, dans la nature
Suède, dans le siècle dernier, avec la plus d la constitution, puisqu'il fallait des sub-
de
grande énergie; et ce peuple, après avoir sides
s: extraordinaires pour faire face aux dé-
soumis et ravagé l'Allemagne sous Gustave- ppenses de la guerre, et que, dans une so-
Adolphe, envahit le Danemark sous Charles- ciété
c constituée, la nation, assembléeen états
Gustave, qui, en 1658, mit le siège devant généraux,
g a seule le droit d'accorder, sur la
Copenhague. ddemandedu monarque,les subsides extraor-
Frédéric 111, roi de Danemark, s'y était dinaires.
d
enfermé avec la reine son épouse, décidés Ce fut le moment que la nature prit pour
l'un et l'autre à supporte/ les fatigues du faire sa révolution, et constituer, pour tou-
f<

siège, à en braver les dangers. j(


jours le pouvoir général qu'elle n'avait cons-
Cette magnanime résolutioninspira un titué
t: qne pour une circonstance. Et remar-
courage étonnant à la garnison, à la bour- qquez la différence des révolutions que fait
geoisie, aux étudiants, aux femmes mêmes. ]< nature de la société à celles que font les
la
Dans une société en danger, tout est soldat hommes.
h Au milieu d'un peuplearmé, aguer-
lorsque le monarque est capitaine. C'est r par un long siége, irrité contre le sénat,
ri
alors le pouvoir général qui agit par une 1< couronne, malgré le sénat et presque mal-
la
force absolument générale. g le roi lui-même, est rendue .héréditaire
gré
Les villes, à cette époque, avaient moins's dans
d la postérité masculine et même fémi-
de comptoirs, de théâtres, de promenades, nine
n du monarque,sans qu'aucune violence,
de wauxhalls.de bibliothèques, d'académies; aaucun désordre trouble cette majestueuse
mais elles comptaient plusd'hommes disposés opération
0 de la nature.
à sacrifier leurs plaisirs, leurs fortunes et En France, les hommes font une révolu-
leurs vies pour conserver l'honneur et sur- tion, c'est-à-dire qu'ils veulent établir leur
ti
tout l'indépendance de leur société. Chaque pouvoir
p particulier à la place du pouvoir
société avait ses membres, chaque patrie général
g et le peuple le plus policé devient
tout à coup une horde d'anthropophages, et Le despotisme politique n'existe donc pas
la contrée la plus heureuse devient une plus en Danemark que dans la plupart des
terre abominablelivrée à tous les fléaux qui sociétés monarchiques d'Eùrope. « Le titre
puissent affliger l'humanité, à tous les cri- du roi de Danemark à cette souveraineté
mes' qui puissent la déshonorer. qu'on appelle absolue, continue Mallet est
La noblesse danoise, en cessant d'être cette même loi royale. qui la limite dans
pouvoir, devint ou resta ce qu'elle devait plusieurs points essentiels et il ne peut
être, profession sociale conservatrice de la l'enfreindre sans détruire les fondements
société. « Il ne faut, dit le sage écrivain que mêmes de son pouvoir. Ainsi, de quelques
j'ai cité, « que jeter les yeux sur la charte de termes que cette loi fasse usage pour expri-
ses priviléges, pour se convaincre que sa mer que son autorité n'est plus assujettie à
condition resta égale à celle des nobles des celle de personne, il n'en est pas moins vrai
monarchies de l'Europe, où ils sont le plus qu'un monarque danois ne peut seulement
favorisés. » avoir la pensée de changer l'ordre de la suc-
Le Danemark, en se constituant, a cessé cession, ni la religion de l'Etat, ni l'époque
d'être conquérant, il a même perdu les pro- de la majorité des rois; limitations qui cons-
vinces, que, malgré la nature, il possédait tituent une vraie monarchie, et la distinguent
en Suède; mais sa force intérieure, c'est-à- essentiellement des Etats despotiques. Je
dire sa prospérité et sa population, se sont vais, plus loin, et je soutiens que, de quel-
considérablement accrues et une adminis- ques expressions dont la nation danoise. se
tration sage et habile étend et perfectionne soit servie dans l'acte par lequel elle consti-
tous les jours ses moyens de résistance.«La titue son pouvoir général, pour exprimer sa
nation danoise, en général, a été réellement pleine, entière et absolue indépendance de
plus libre, qu'elle ne l'était depuis bien des tout pouvoir particulier, ces expressions eus-
siècles, et elle a-sensiblement gagné à bien sent-elles un caractère d'abjection et de ser-
d'autres égards; » (Mallet.) vitude, tant qu'elle a conservé la succession
Je n'ignore pas que Montesquieuattribue héréditaire.et les professions social es,eût-elle
la supériorité qu'ont eue, dans plusieurs voulu créer le despotisme, elle ne l'a pas pu.
rencontres, les troupes suédoises sur celles Le pouvoiren Danemark est donc constitué;
du Danemark à un vice intérieur dans mais il n'est pas parfaitement constitué, et il1
le gouvernement danois, « vice, »dit-il,« que manque à cette monarchie, ee-mme à pres-
je ne crois pas difficile à découvrir. » Il va que toutes celles de l'Europe, excepté la
sans dire, pour quiconque connaît la ma- France, des corps dépositaires des lois, corps
nière et les principes de cet écrivain, que propriétaires1, inamovibles, indépendants
ce vice est un défaut de liberté dans la cons- dans l'exercice légitime de leurs fonctions,
titution du Danemark mais, outre qu'il se dont la seule fonction soit d'éclairer le-mo-
trompe dans le droit, puisque la liberté so- narque en lui apprenant à distinguer les
cialé existe en Danemark, et que la société lois émanées de la volonté générale, dont il
y est constituée, il se trompe encore dans le est l'organe, des ordres émanés de sa volonté
fait, parce que la supériorité militaire d'un particulière, et de protéger le sujet contre
Etat sur un autre prouve qu'il a une meil- l'abus que les agents du pouvoir peuvent
leure organisation militaire; mais elle ne faire de l'autorité qui leur est confiée.
prouve rien en faveur de sa constitution po- On m'objectera sans doute que le paysan
litique et c'est moins sur ses succès pen- est serf en Danemark mais, 1° le servage
dant la guerre, que sur sa situation après la n'est pas la servitude; 2° Le servage n'empê-
guerre, qu'on peut juger la Suède. Sans sor- che pas qu'une bonne administration ne
tir de l'exemple cité, aucune nation n'a eu puisse améliorer la condition du. paysan;
des soldats plus braves, des chefs plus ha- 3° le paysan est serf en Danemark, par la
biles des monarques plus guerriers que même raison qu'il l'était en France et ail-
celle-ci et cependant aucune nation de l'Eu- leurs parce qu'il était un peuple trans-
rope n'a fait, depuis un siècle et demi, pro- planté et qu'il fallait fixer et ce qni.me pa-
gressivement plus de perte et l'on eût été rait confirmer cette opinion, est que le ser-
fondé à dire avant 1772, que cette nation vage n'est connu ni en Suède ni en Norvè-
avait un vice intérieur dans son, gouverne- ge, berceau des peuples scandinaves, fonda-
ment, vice qui n'était pas bien difficile à dé- teurs des monarchies de l'Europe,.ou ancê-
couvrir. tres de ceux qui les ont fondées; 4." si le
pouvoir général ou social eût toujours été générale;
g et c'est bien assez pour l'Europe
constitué en Danemark, comme il l'est au- dd'avoir à redouter un gouvernement neuf,
jourd'hui, c'est-à-dire héréditaire et indé- dans
d la crise de son développement, où l'ad-
pendant, il n'y aurait pas plus de serfs au- ministration
n est très-éclairée et le peuple
jourd'hui en Danemark, qu'il n'y en avait en très-barbare, et qui réunit ainsi l'extrême
ti
France perfection
p du moteur à l'extrême docilité
Je me suis étendu plus au long sur la ré- d agents.
des
volutiondu Danemark, parce qu'elle a été Ce n'est donc que l'empire ottoman qu'on
plus défigurée, par l'esprit de parti et qu'elle peut
p considérer comme un Etat despotique.
a été représentée comme l'acte de l'avilisse- Mais
ft il ne faut pas croire, sur la foi de Mon-
ment le plus profond auquel une nation tesquieu,
ti que, dans un Etat despotique,
puisse descendre;tandis qu'elle est, en réa- « un seul gouverne sans loi et sans règle,
lité, l'acte le plus auguste de liberté et d'in- e qu'il entraîne tout par sa volonté et ses
et
dépendance auquel une société puisse s'é- caprices.
c » Un pareil gouvernement ne sub-
lever. Heureuse la Pologne, si elle eût pu sisterait
s pas deux jours et bien loin que
constituer ainsi son pouvoir, et si elle n'eût ces
c gouvernements soient dans une mobi-
écouté que la nature, au lieu de consulter 1lité continuelle,
comme l'on pourrait le con-
un insensé, qui lui donne le conseil perfide, clure
c de cette définition,, il n'en est aucun
s'il n'était absurde, de constituer chez elle qui
q tienne plus opiniâtrement à ses habitu-
l'insurrection et l'anarchie en constituant des
d religieuses, politiques et militaires; et
une royauté élective 1 En vain la Pologne a c'est
c même la cause de la grande supériorité
voulu faire une révolution les premiers pas qu'ont
ç sur les Etats despotiques les sociétés
marqués par des attentats contre l'homme et constituées
c qui perfectionnent sans cesse
contre la propriété, ont manifesté à l'Europe 1leurs institutions et bien loin encore que )

que c'étaient les hommes qui voulaient éta-. Je


1 despote entraîne tout par sa volonté et
blir leur pouvoir particulier, et non la na- ses
s caprices, il est lui-même souvent en-
ture qui voulait constituer le pouvoir géné- traîné
t par la volonté de la soldatesque et les
raI de la société. Nation infortunée et digne caprices
c de la multitude.
d'un meilleur sort, dont les efforts inconsi- Ces états n'ont pas de constitution, parce
dérés n'ont servi qu'à serrer les chaînes et qu'ils
c n'ont pas toutes les lois fondamenta-
aggraver les malheurs!1 les
1 à proprement parler, ils n'en ont qu'une,
Le despotisme, avec ses convulsions, ses mais
r qui, pour assurer leur durée, a la force
révolutio'ns et ses cruautés, existait en Rus- de
( toutes les autres, tant qu'elle conserve,
sie il y était même constitué par une loi de son
s énergie, je veux dire la religion en
1722, par laquelle Pierre 1" attribuait à l'em- sorte
s qu'il est vrai de dire que la société
musulmane est, comme celle des Juifs, une
pereur régnant le droit de changer la suc- r
société religieuse plutôt qu'une société po-
cession aussi souvent qu'il le jugerait à pro- i
litique. « Dans les Etats despotiques, » dit
pos. « Ces troubles, ces violentes convul-
1

sions, qui ont si longtemps ébranlé l'em- Montesquieu, «il n'y a point de lois fonda-
pire, » dit le traducteur de M. Coxe,« ont été mentales,
l il n'y a pas non plus de dépôt des
apaisés par l'attente bien fondée de voir un Ibis
1 de là vient que, dans ces pays-là, la
ordre régulier de succession héréditaire éta- religion a ordinairement tant de force. La
bli dans la famille impériale actuelle. » Cet religion
J a plus de force dans ces Etats que
immense empire ne pourrait, sans danger dans
( aucun autre c'est d'elle que les peu-
pour ses voisins et plus encore pour lui- ples
1 musulmans tirent le respect étonnant
même, subsister longtemps sans constituer qu'ils
( ont pour leur prince. »
son pouvoir. Pierre 1" a fondé un empire II est vrai qu'en Turquie la succession est
le plus grand deses successeurs, Catherinell, fixée
f dans une famille particulière mais il
peut faire davantage, elle peut constituer ifaut observer que, dans ces pays, une famille
une société. C'est à son génie que la nature ine peut être une propriété pour la nation,
commet le soin de fixer le destin de la Rus- comme elle l'est dans les nôtres; puisqu'à
<
sie, et peut-être celui de l'Europe. Une so- cause de la polygamie, elle n'en est pas une
ciété, telle que la Russie, non constituée, pour
] le père ui-même, qui, loin d'aimer sa
s'est-à-dire travaillée d'un principe inté- famille,
i peut à peine la connaître. « Ces prin-
rieur d'agression et du besoin de s'étendre, ces ont tant d'enfants qu'ils ne peuvent ja
menace d'un grand danger la tranquillité mais avoir d 'affection pour eux. » {Esprit des
lois.) Ces Etats n'admettent pas non plus de tales ce n'est donc qu'une forme extérieure
distinctions héréditaires, parce que les ré- de gouvernement, déterminée par quelques
voltes qui y sont fréquentes, à cause de la lois politiques. Mais, parce que la religion
grandeur démesurée cft l'empire, y devien- est la loi fondamentale de ces Etats; la loi
draient aussi plus dangereuses, si elles politique, qui veut qu'on consulte l'uléma, ou
trouvaient des chefs accrédités par une exis- les ministres de la religion, dans Jes affaires
tence politique et des honneurs indépen- importantes, est une loi religieuse et politi-
dants du souverain. Non-seulement il n'y a que tout à la fois, qui dérive nécessairement
pas de distinctions permanentes dans les de la loi fondamentale, et qui est fondamen-
Etats despotiques, mais il ne peut pas y en tale elle-même. « Dans ces Etats où il n'y a'
avoir parce que le despote n'exerce que point de lois fondamentales, la succession à
son pouvoir particulier, qu'un pouvoir par- l'empire ne saurait être fixe. Chaque prince1
ticulier ne peut agir que par une force par- ayant une égale capacité pour être élu# if
ticulière, et qu'une force particulière ne arrive que celui qui monte sur le trône fait
saurait être permanente et héréditaire car d'abord étrangler ses ffères, comme en Tur-
il n'y a de permanent et héréditaire que ce quie, ou lés fait aveugler, comme en Perse,
qui est général et social. ou les rend fous, comme au Mogol. » (Es-
C'est parce que les despotes n'ont pas au- prit des lois.) Ce sont de véritables lois po-
tour d'eux l'enceinte que forment les dis- litiques, dans ces Etats; et elles sont contre
tinctions et les rangs qu'ils sont obligés d'é- la nature de l'homme, parce que le gouver-
lever entre eux et leurs sujets la barrière nement despotique est contre la nature des
de l'invisibilité. Ce n'est pas qu'ils les re- sociétés.
doutent plus que les autres princes ne re- Si les Etats despotiques ne sont pas cons-
doutent les leurs tout souverain se per- titués, ils sont donc guerriers et conqué-
suade volontiers qu'il est l'objet de l'amour rants, et ils sont eux-mêmes aisément con-
et de la vénération de ses peuples mais, quis.
comme le despote est le centre et l'unique Ce serait 'cependant une grande erreur
dispensateur de toutes les grâces, de tous d'assimiler le gouvernementottoman au gou-
les emplois, de toute existence politique; vernement des anciens empires de l'Asie.
qu'il peut d'un sourire, ou d'un signe de « Le despotismeabsolu du Grand-Seigneur,»'
tête, faire un ministre ou un gouverneur de est-il dit dans la Politique des cabinets de
province; s'il vivait au milieu de ses sujets l'Europe, « est une erreur ancienne que la
avec la familiarité et l'affabilité de nos prin- constitution ottomane n'avoue pas. Le pou-
ces, il serait en butte aux demandes les plus voir de ce prince est grand, sans doute; en
déplacées, et aux sollicitations les plus im- tout où la loi n'est pas expresse, sa volontô
portunes. Nos rois n'ont rien de pareil à re- y supplée mais cette volonté n'est pas si
douter grâce aux distinctions établies, ils indépendante, qu'elle ne doive avoir l'aveu
ont des convenances impérieuses, ou, pour des ordres de l'Etat, entre lesquels l'uléma
mieux dire, des lois à suivre dans la distri- est le plus nécessaire; parce que l'empire
bution des emplois publics, et ils peuvent devant sa naissance,son accroissement et ses
être accessibles sans être importunés. progrès à la religion, celle-ci a dû et doit
Le pouvoir particulier du despote n'est encore faire le pivot principal sur lequel
donc limité que par la religion et si elle porte toute la machine du gouvernement. »
ne peut en réprimer les excès, la limite se Les fiefs mêmes d charge de service militaire-,
trouve naturellement dans la force armée, ou sont connus en Turquie. « La richesse de
dans l' insurrection populaire c'est-à-dire tout ce qui est connu sous le nom de Ré-
que le pouvoir particulier de l'armée, ou gial. consiste dans des bénéfices militaires,
celui du peuple, limité le pouvoir particu- qui exigent une prestation de services, ou
lier du despote et parce que cette résistancei,. de secours en cas de guerre. » (Ibid.) C'est
ne consiste pas dans une force d'inertie, mais une limite au pouvoir du sultan r et si l'oa
dans une force très-active, elle agit toujours connaissait mieux l'intérieur de ces cours
sans mesure, comme elle agit toujours sans silencieuses, on apercevrait peut-être d'au-
raison. tres limites à la volonté du despote, dans les
Il n'y a donc pas de pouvoir général dans prérogatives de certaines places, ou dans
les Etats despotiques, il n'y a donc pas do quelques habitudes d'administration, aux-
constitution politique, pas delois fondamen-' quelles l'usage, dans ces gouvernements

SOC,-THEORIE DU tJUtU'r. r~
POUVOIR. PART. I. POUV. POLITIQUE. L1V. V W

lois..
345 rr~m.
a~a .ART. I. ECONOM.
de loi. Et r« ni nAi»i
enfin, e celui
et n\\à\\
mniqui mi'îl n'a d'autres inté-
t>\ qu'il
obéit, et înté-
routiniers, a donné force
“ ï
avec lui que des intérêts po-
de mots, peut rêts à démêler
ppurle caractériser en peu on r<
lieu que les membres du patri-
dire qu'il est plus despotique par les mœurs h
litiques au
les ciat helvétique, distingués par leurs fonc-
que par de l'Etat, ta
tions politiques des sujets ne
individuelles,
CHAPITRE II. sont
s. pas par leurs professions
à tout
e sorte que le sujet peut se trouver,
en
ARISTOCRATIES. moment, en concurrence avec le
souverain,
n
J'entends par aristocraties les gouverne- dans d les affaires civiles, comme mariages,
nombre quelconque de familles acquisitions,
a commerce concurrence aussi
ments où un
jouit héréditairement du droit de gouvernerr fâcheuse fi pour l'amour-propre, qu'elle peut
préjudiciable à l'intérêt personnel.
l'Etat ce qui n'est autre chose que d'y exer- être ê
pouvoir particulier. Ainsi dans quelques cantons, où un cer-
cer son tain
t nombre de familles appelées par excel-
Il est évident que cette définition peut t
familles de l'Etat, jouissent de la fa-
convenir à Zurich comme à Venise, à Berne3 lence 1
leur pouvoir, au nom et à la
à Genève à Lucques; cuité d'exercer
comme à Gênes, comme
s
c
place de celui du reste des citoyens, tout ce
et il semble qu'on pourrait distinguer les 1

aristocraties en aristocraties nobles, et enn qui c n'est pas de l'Etat ou souverain est
mais privé non-seulement des avantages politi-
aristocraties bourgeoises en y regar- 1

près, voit toutes les ques, mais même de certains droits naturels.
dant de plus on que s (
citoyen-sujet ne peut exercer son indus-
aristocraties sont nobles. Car si la noblesse e Le 1

profession distinguée, quelle profes- trie en établissant des fabriques au préju-


est une de celles du citoyen-souverain, ni même
sion plus distinguée que celle de souverain?1 dice <
talents en s'appliquant à des étu-
Ce raisonnement est sans réplique; et il en
n cultiver ses
à des places ecclésiastiques
résulte que les seigneurs de l'Etat, dans Ils des qui mènentfamilles de l'Etat. Ces lois,
les
quoi
aristocraties helvétiques, sont nobles, )i réservées aux
fondamentales de ces petits Etats,
qu'ils disent, et beaucoup plus nobles que ie quoique
française hongroise: cel- ne sont pas des rapports nécessaires dérivés
la noblesse ou car 1-

le-ci, esclave de la société, n'a d'autre dis-3_


de la nature des êtres, mais des conséquen
le ces immédiates de l'intérêt
personnel; et
tinction que le privilége de se ruiner et de
mourir pour sa défense; et l'autre, souve- 3_ elles sont émanées non de la volonté géné-
société, risque la gou- rale, ou de la nature, mais de la volonté par-
raine de la ne pour i-
fortune ni vie. Non-seule- e- ticulière de l'homme. Aussi la nature tend
verner, .ni. sa sa elle a déjà mani-
ment ils sont nobles de fait, mais ils sont nt à les faire disparaître, et
a été décidé, il festé à cet égard, dans plus d'un endroit, ses
nobles de droit; et il y a peu !U
dans canton aristocratique, queie volontés tôt.ou tard irrésistibles.
de temps, un
les membres de l'Etat étaient nobles, et Les aristocraties héréditaires sont les plus
tous
vicieux des gouvernements, s'il faut en croi-
pouvaient prendre le de avant leur nom Montesquieu et Rousseau; mais ce dont
décision parfaitement conforme à la raison.n! re
Il est certain, qu'ô-à- ils ne conviennent pas, et qui est bien plus
Ecoutez Rousseau «
l'extrême disparité des deux républi- i- vrai, c'est que l'aristocratie de Venise est
tant imparfaite que celle de plu-
la bourgeoisie de Genève représente ite beaucoup moins
ques, suisses. L'aristocratie véni-
exactement le patriciat vénitien, abstrac- c- sieurs cantons
de grandeur, son gouvernement nt tienne est une monarchie tronquée, les au-
tion faite sa despotisme acéphale. Ces so-
n'est pas plus aristocratique que le nôtre, » » très sont un
différence entre le ciétés nesont pas constituées car elles n'ont
Il y a cependant cette
loi fondamentale que celle de la re~
patriciat des républiques de Venise ou de d'autre
celui des cantons helvétiques, que
ue ligion publique, encore y est-elle dans une.
Gênes, et
le premier, jouissant de l'antique considé- lé- grande dépendance du gouvernement, parce.
donnent l'exercice immémorial ial que ces souverains qui craignent tout, crai-
ration que l'influence des ministres de. la
souveraineté, le souvenir de serviceses gnent aussi
de la
importants rendus dans les emplois civils ou religion.
fortune considérable, ne H est vrai que la représentation extérieure
militaires, et une
jamais la même ligne que le du pouvoir y est accordée à un magistrat
se trouve sur nomade
peuple, placé à la distance que la natureet et permanent ou temporaire, sous le
celui qui commande ide doge, d'avoyer, de syndic, etc.; mais ce n'est
la raison mettent entre
qu'une idole qu'on vu.uvYILILL. "~h0
ou'on habille magnifiquement
rnsenifimiomont ™a
oent même.
pour l'exposer à la vénération des peuples,
r-~u
Celles qu'on aperçoit en Suisse, dans
)les, les Provinces-Unies,
et elle n'a ni yeux, ni oreilles, ni mains. en Allemagne, font
i. partie de la confédérationhelvétique, batave
Dans ces Etats, il faut que l'administra-
stra- ou germanique. Ces deux dernières ont cela
tion soit surveillanie, et les membres du du de particulier, qu'elles ont
pouvoir modérés; parce que le peuple y chef un magistrat ou
étant porté à détester les sénateurs (Esprite y suprême de l'union.
prit Si, passant dans le Nouveau-Monde,
des lois), qu'il regarde comme les nous
'pa- considérons
usurpa- < cette république, fille chérie de
teurs d'un pouvoir dont chacun a droit de la 1 philosophie, dont
réclamer sa part dès que quelques-uns une politique fausse,
ont parce t qu'elle était injuste, accueillit l'en-
la leur, doit être contenu
par la vigilance
nce fance, f et soutint les premiers pas, nous re-
des magistrats, ou désarmé la modéra-
;ra- marquerons
par i qu'une organisation ingénieu-
tion des nobles « car c'est le noble (c'est-à-t-à- sement
dire, le souverain), qu'on envie, et s combinée, une représentation scru.
non le puleusement
r proportionnelle, des pouvoirs
magistrat (Grandeur des Romains) » et
lui ôter la pensée d'envahir le pouvoir, sur artistement
pour a mis en équilibre, remplacent
y
il ces c riches et antiques propriétés auxquelles
faut qu'il soit heureux à Venise
comme >etet les 1< Etats les plus florissants doivent leur
en Suisse, où l'aristocratie répare, par les existence e c'est un particulier qui a con-
vertus de ses membres et la sagesse de son son verti
administration, le vice de son organisation v ses fonds de terre en billfts de banque.
politique. on Les L enthousiastes la croient éternelle,
parce
qu'elle
q a duré quinze ans. Je ne puis m'em-
Ainsi, tant que,le peuple n'aura point de pêcher de faire un rapprochement dans les
pi
part au gouvernement, et que les déposi- ii- premiers
taires du pouvoir en trouveront la limite pi temps de la république romaine, lé
ite peuple mécontent des sénateurs
dans leur modération naturelle, si L'Etat, p( se venge en
at, se SE retirant de la ville; un apologue l'y
trep faible pour songer à s'étendre, est placé cé mène. Il y a à peine quinze ans de la fon-
ra-
de manière à n'avoir rien à démêler m
les autres puissances, il pourra être avec ec dationde de la république anglo-américaine,
tran-
n- et dans la Pensylvanie on a pris les armes,
quille et le peuple heureux, parce s'il faut en croire les papiers publics,
que le pou-
u- s'i
voir y sera plus un que dans toute autre moins
avec
re in- de raison que n'en eut ,le peuple
forme de république. Le
« gouvernement ut main. On n'a pas envoyé contre les mutins
ro-
m;
aristocratique a par lui-même une certaine
force que la démocratie n'a îe un un nouveau Ménénius avec des apologues,
des lois.) Cet Etat
pas. » (Espritit mais mi un général avec des soldats. Dans les
a par conséquent un prin-î- sociétés
soi non constituées c'est-à-dire^ qui
cipe de durée qu'on ne trouverait pas dans n'c n'ont ni volonté générale conservatrice, ni
les autres. Venise, contemporaine:des is
3- pouvoir
pre- po général conservateur, on ne peut
mières monarchies de l'Europe, a déployé é sel eon-
server qu'avec la force.
dans des circonstancescritiques
une grande Tout ce que j'ai dit des républiques
énergie d'esprit public la sagesse profondee grec-
e qui ques peut s'appliquer aux républiques tab;-
de son sénat paraît avoir pour objet de dei
e dernes. Les anciens
maintenir la paix au dedans, en la conser- monarchie, selon ne connaissaient pas la
mo Montesquieu lui-même,
vant au dehors, ce qui n'est pas toujours lee mais ma ils avaient fondé la république. Ce
moyen le plus. sûr; le relâchement de l'es- gouvernement
gox déjà si. vicieux l'est devenu
prit public qui suit une longue.paix, le mé- bie bien davantage par nos institutions; j'ai
pris et l'inconsidération qui l'accompagnent, présenté pré le tableau du perfectionnement
sont pour une société des fléaux plus à re- successif de la
douter qu'une guerre même malheureuse. tuée, suc monarchie royale ou consti-
tué, je vais mettre sous les yeux de
Venise, au reste, doit beaucoup de tranquil- lect lecteurs l'aperçu rapide de la désorganisa- mes
lité à son heureuse position. Gênes, moins tion tion progressive du gouvernement républi-
isolée, et peut-être un peu moins aristocra-
cair En considérant les progrès du répu-
cain.
tique, a toujours été plus agitée. blicanisme
blic, en Europe, et les pas que chaque
1 TRE III.
CHAPITRE nouvelle
nou république fait vers la désorgani-
sation
sati< sociale, on croirait
que l'espèce hu-
DÉMOCRATIES.
maine suit, pour retourner à l'état
Jusqu'à. présent, on ne connaissait sauvage,
en Eu* la marche
rope aucune démocratie qui existât par elle- civilisation.
civil
m qu'elle a-suivie pour arriver la
Une vérité incontestable est que toutes
les troubles inseparahles de la révolution,
U
les républiques anciennes ou modernes, et e emportent avec eux leur secret que des
grande3 ou petites, ont dû leur naissance à éévénements ultérieurs auraient dévoilé. Ce-
l'ambition du pouvoir. L'oppression n'a ja- ppendant les effets arrivent, parce que l'im-
mais été qu'un prétexte. Ce ne fut pas Tarn- pulsion
p est donnée; mais le voile reste sur
bition, ce fut la nature des choses qui porta les
1< causes, et la foule imbécile, qui ne les
Augnste au pouvoir suprême si ce n'eût soupçonnesi pas, imaginedu merveilleux pour
pas été Auguste, c'eût été nécessairement expliquer
e les effets. Quoi qu'il en soit, les
un autre; « la république destinée à périr cantons
e. insurgés se confédérèrent, et se
eût été entraînée au précipice par une autre crurent
c libres, parce qu'on ne leur demanda
main. » (Grandeur des Romains.) Mais si plus p ni révérences ni impôts. Successive-
Brutus et Coltetin n'eussent pas voulu s'em- nment d'autres cantons accédèrent à cette
parer du pouvoir, ou pour mieux dire, exer- confédération.
c Ils conservèrent tous une
cer leur pouvoir, la société romaine mo- religion
r publique; quelques-uns retinrent
narchique n'en eût pas moins subsisté, et la li noblesse même avec une existence politi-
les lois ou l'honneur outragé auraient puni queq tous les grands cantons se constituè-
Sextus, sans qu'il en coûtât la vie à Lucrèce rent
r en aristocratie, parce que, comme l'am-
et une révolution au peuple romain. En. tbition fait les révolutions, l'ambition veut
Amérique, quelques droïtsmodiques sur le en e profiter je vois dans ces gouverne-
thé servirent de prétexte, à défaut d'un mo- ments
r une loi fondamentale, la religion ou-
tif plus grave; et pour payer cette boisson blique.
t `
malsaine quelques sous; de moins, l'Améri- La république des Provinces-Uniess'élève
que fût dépeuplée, fut ruinée, la guerre aau milieu des eaux; elle préfère un culie,
s'aftuma dans lés deux mondes, le sang hu- mais r elle tolère tous les autres; elle mêle
main coula à grands flots et le grand homme, toutes
t les institutions; elle appelle le peu-
qui n'exposait sa vie qu'au danger des indi- pler au gouvernement, elle conserve les dis-
gestions des dîners de Paris, s'applaudissait ttinctions politiques, et en fait l'ordre éques-
des progrès de l'incendie qu'il avait allumé; ttre qui a part au pouvoir; tout cet édifice
t
et tandis qu'il riait en secret de la sottise est surmonté d'un magistrat suprême, héré-
des peuples, il s'extasiait en public sur J'é- ditaire,
( inamovible, chef des forces de terre
nergie républicaine et les progrès de l'esprit et
( de mer, etc. Ainsi cette société a l'appa-
humain. On ne contestera pas sans doute rrence des lois fondamentales on peut dire
que la démocratie française ne doive sa qu'elle ( a tous les cultes, sans avoir de reli-
naissance à l'ambition réduite à inventer les gion
ç un roi, sans avoir de royauté; une
prétextes les plus absurdes, lorsque les aristocratie,
j sans avoir de nobles.
intentions bien connues du malheureux La république des Etats-Unis commence,
Louis XVI, et les dispositions non équivo- et < la forme de gouvernement qu'elle adopte,

ques de tous les ordres de l'Etat, ne per- est ( tout entière l'ouvrage de l'homme la
mettaient pas d'alléguer des motifs (1). 1nature n'y est pour rien. Aussi elle fait de

Les premiers symptômes de la maladie grands | progrès vers la désorganisation. Elle


qui afflige l'Europe se manifestèrent, en ne i préfère aucun culte, et les traite tous
Suisse, chez quelques hommes simples et avec wne égale indifférence, on pourrait
pauvres, de qui l'on exigeait, dit-on, de dire, ( avec un égal mépris. L'unité de pou-
l'argent qu'ils ne pouvaient donner, et des voir est une loi fondamentale des sociétés
révérences qu'ils ne voulaient pas faire. Car constituées, la division des pouvoirs est une
il faut observer que lés commencements de loi fondamentale de celle-ci; les distinctions
la république helvétique sont aussi incer- sociales y sont formellement abolies la
tains que ceux de la république romaine. philosophie et l'orgueil ont fait la révolu-
Dans toutes lès révolutions il y a un des- tion, et en exigent le prix, on livre la reli-
sous de cartes, qui n'est pas toujours connu,gion à l'une, et les distinctions à l'autre.
parce que les meneurs périssent souvent dans Culte, pouvoir, distinctions, tout y est indi-

(1) On ne parviendra jamais à obscurcir ces deux infortuné n'eût peut-être été que trop loin dans sa
vérités l'une, que Louis XVI voulait faire le bon- bienfaisance et tel était le torrent de certaines opi-
heur de son peuple, lorsqu'il assembla les états gé- nions, que, selon toutes les apparences, la constitu-
néraux Vautre, que tous les ordres de l'Etat étaient tion eût été sacrifiée à la philanthropie.
disposés à le seconder de tous leurs efforts. Ce prince
viduel,rien n'y est social il n'y a pas mêmee membres d'une confédérationoù l'aristocra-
de vestige des lois fondamentales. tie domine, et dont la forme est garantie par
La France s'érige en démocratie, et s'élèvee d'autres puissances. C'est toujours hors
en un instant au plus haut période de dé-i- d'elles-mêmesqu'il faut chercher le principe
sorganisation auquel une société puisse at- de leur conservation, c'est-à-diro leur pou-
teindre les Etats-Unis avaient toléré touss voir conservateur.
les cultes; malgré quelques décrets hypo- Ainsi les petites aémocraties de la Suisse,
crites, la France les proscrit tous, et pourr des Provinces-Unies, de l'Allemagne, sont
mieux anéantir la religion, elle en massacree tenues en respect par les membres les plus
les ministres. Les Etats-Unis avaient abolii puissants de la confédération.
la royauté; la France va plus loin elle faitt Ainsi les petites républiques de Lucques,
• périr le roi, et par la honte de sa mort, ellee Raguse et Saint-Marin, qui, ne pouvant guer-
veut étouffer jusqu'à la compassion (1). Less royer au dehors, pourraient être travaillées
Etats-Unis avaient anéanti les distinctions de dissensions intestines, ont dans lesgrau-
la France détruit les familles distinguées. des puissances des protecteurs qui, au he~
Les Etats-Unis avaient respecté la croyance3 soin, deviendraient Jeurs maîtres.
de la Divinité; la France l'anéantit, et sess Les Etats-Unis de l'Amérique ont, dans
tyrans décrètent qu'elle existe, comme sii la crainte des Anglais ou dans celle des
Dieu était l'ouvrage de l'homme. Les Etats- sauvages, un motif de conserver la traju-
Unis avaient respecté l'homme, et le sang quillité au dedans, ou un moyen de l'y ré-
n'avait coulé que sur le champ de bataille; tablir.
la France détruit l'homme de tout âge, de3 Les grands cantons de la Suisse, Venise,
tout sexe, de toute profession, de tout parti, Gênes, verraient les grandes puissances in-
et par tous les moyens de destruction queî terposer, dans leurs troubles ou leurs dé-
peut fournir l'art ou la nature. Les Etats- bats, une médiation efficace.
Unis avaient respecté la propriété; la France2 On verrait encore aujourd'hui l'Angleterre
anéantit la propriété même, en dépouillant,» et la Hollandese disputer l'empire des mers,
en égorgeant les propriétaires. C'en est fait; si dés puissances intéressées ne mainte-
la coupe de la destruction et du malheur naient chez la dernière des formes monar-
est épuisée, la royauté et le roi, le culte ett chiques, qui, modifiant les institutions po-
ses ministres, les distinctions et les person- pulaires, y compriment les passions répu-
nes, la propriété et les propriétaires, l'hom- blicaines, et assurent ainsi le repos des deux
me, Dieumême, la France a tout détruit. nations et celui de l'Europe.
Voyez comment les chefs profondément
CHAPITRE IV. habiles de la démocratie française, connais-
sant le besoin d'une haine nationale pour
OBSERVATIONSGÉNÉRALES SUR LES RÉPU-
BLIQUES.
cette démocratie naissante, et te parti que
son gouvernement peut en tirer dans la
Il semble, à voir l'état florissant et tran- suite, lui désignent l'Angleterre par leurs
quille des républiques modernes, que mes déclamations emportées et leurs féroces dé-
principes sur le vice intérieur des sociétés crets, et donnent ainsi à leur Rome une
non constituées ne peuvent leur être appli- autre Carthage.
qués; puisqu'au lieu d'être guerrières et Nullus amor populis, nec foedera sunto.
conquérantes, elles jouissent de !a paix la (Yirg. JSneid., lib. iv, vers. 624.
plus profonde, et qu'on pourrait même re- On dit aux peuples que des rivalités entre
procher à quelques-unes un amour du re- des < ministres ont produit de longues guerres
pos, voisin de la faiblesse, et peu compatible entre< les rois; mais on ne leur dit pas que,
avec la dignité et la considération qu'une pour ] armer une république contre une
société, quelles que soient ses forces, doit autre,i il ne faut qu'une querelle de pâtres,
être jalouse de maintenir. (ou une concurrence de marchands.
La réponse est aisée, et fournira mes On ne leur dit pas que, si la vanité et la
principes de nouveaux développements. mode
i font des militaires dans les monarchies,
Toutes les républiques modernes sont sous dans ( les républiques la passion de dominer
Ja dépendance ou la protection de droit ou ffait des guerriers.

o-
de fait de quelque grande puissance, ou sont
1.-
(l) Deformitas exitus misericordiam absliilerai.
On ne leur dit pas que la guerre la plus
(Tacit.,
#11*. >– u:
Hht., ni, on
85.)
-,¡,-
heureuse compromet la félicité d'un roi et tives,
t qu'il plaît à Montesquieu de regarder
la prospérité de son Etat; et que, dans un comme
( étemelles, le dernier Européen eût
Etat populaire, la guerre la plus malheu- cdepuis longtemps expiré sur cette terre fé-
reuse ouvre des chances favorables à l'am- conde où deux cent millions d'habitants
bition des chefs, et préserve l'Etat du danger j c
jouisent de tous les avantages d'une reli-
plus grand des divisions intestines. gion
| bienfaisante, et de gouvernements mo-
Les républiques n'existent donc pas par dérés.
c
«Iles-mêmes, et indépendamment des mo- Quel aliment à des guerres interminables,
narchies et soit qu'elles redoutent un en- cque la possession ou le commerce de l'Asie,
nemi, qu'elles ménagent un co-Etât confé- de
c l'Afrique et de l'Amérique, si les répu-
déré, qu'elles respectent un protecteur ou 1bliques avaient besoin de motif pour guer-

un garant, ou qu'enfin elles aient à redouter royer


r
des voisins dangereux; c'est toujours hors Il faut le dire il n'y a jamais eu que
d'elles qu'il faut chercher leur pouvoir con- deux
c républiques, qui, trop puissantes pour
servateur, puisque le pouvoir qui conserve ménager
i un protecteur ou redoutsr un en-
une société est le frein des passions qui la nemi,
r trop turbulentes pour avoir des ga-
détruisent. Le corps germanique, l'aristo- rants,
r montrent à découvert tous les vices
cratie la plus puissante de l'univers, a le intérieurs
i qui les travaillent, et tout le dan-
principe de sa conservation, c'est-à-dire son gger dont elles menacent leurs voisins;
pouvoir conservateur, dans les monarchies c'est
c la république romaine et la démocratie
garantes' du traité de Westphalie comme f
française.
Genève, la plus petite des démocraties, a le Si l'on me demandait quelle serait la des-
sien dans les trois puissances qui garantis- ttinée de cette démocratie née au sein des
sent sa forme de gouvernement. Il n'est au- lumières et de la corruption, et qui, dans sa
1

cun poNtique en Europe qui ne pense que f


fureur d'innover, n'a pas même établi les
le renversement de la monarchie française f
frêles barrières qu'une organisation diffé-
entraînerait la dissolution de la constitution rente
r eût pu opposer à ses propres excès,
germanique. j répondrais, fondé sur la raison et sur
je
Ici je me rapproche de l'auteur de l'Esprit l'histoire, que, si elle pouvait subsister, elle
1

des lois. « Comme une certaine confiance àdévasterait, elle subjuguerait, e,lle dévore-
fait la gloire et la sûreté d'une monarchie, rait
r l'Europe. Puissante comme Rome, et
il faut au contraire qu'une républiqueredowte dépendante
d comme elle elle ne pourrait
quelque chose. La crainte des Perses main- eexister sans détruire les autres sociétés, ni
tint les lois chez les Grecs; Carthage et subsister
s après les avoir détruites.
Rome s'intimidèrent l'une l'autre et s'affer- Qu'étaient auprès des avantages physi-
mirent. Chose singulière! plus ces Etats ques de la France les faibles commence-
Ç,

ont de sûreté, plus ils sont sujets à se cor- ments


d de Rome? Et Rome n'assujettit qu'un
rompre. » Et ailleurs « il faut qu'un Etat monde,
E et la France en aurait deux à con-
aristocratique ait toujours quelque chose à quérir
<3 Si les nations conservent jusque
redouter. » Ce passage seul prouve que la dans
d leur vieillesse ce caractère particulier
guerre est l'état naturel d'une république qque les institutions et les événements leur
car un Etat qui s'attend toujours à être atta- ddonnèrent à leur naissance, quel serait un.
qué doit finir par attaquer lui-même; il le jour ce peuple, né au sein de la licence la
j1
doit même à sa sûreté car pour se défendre plus
P effrénée, de la barbarie la plus révol-
avec succès, il faut presque toujours atta- tante,
tf de l'athéisme le plus effronté, des
quer avec promptitude. Rome ne périt que succès
s les plus éclatants, et réunissant à
parce qu'elle n'eut plus d'ennemis à com- toutes les lumières d'une civilisation per-
l<

battre; « la victoire de Salamine sur les fectionnée, l'impétuosité féroce de l'état


f(
Perses corrompit la république d'Athènes sauvage
s. ?2
la défaite des Athéniens perdit la république « Mahomet, » dit Montesquieu, « trouva
de Syracuse. » (Esprit des lois.) Et l'auteur 1< les Arabes guerriers; il leur donna de l'ea-
dont j'extrais ces passages ose avancer que tlthousiasme, et les voilà conquérants. » Cette
l'esprit de la république est la paix et la turbulente ti inquiétude, caractère distinctif
modération 1 d Etats populaires, signe certain d'un vice
des
Je ne crains pas de le dire, si l'Europe eût intérieuril de constitution, comme les pas-
étéô divisée en républiques même fédéra- iédéra- ssions haineuses sont dans l'homme le svmp-
~R-n~nt.'c
OE-UVRES l''fiJi.1tH"
COJSPL, T\~DE M. r2nn,xrn1,-S
DE BoKALD.
j~,lr ,em A
32
:2
tome d'un vice de tempérament, ne pouvant anéantir les distinctions héréditaires, par >a
s'étendre par les armes, a pris une direction mort ou l'exil de ceux qui en sont revêtus.
non moins funeste que la guerre de l'hu- Ce
1 n'est pas, comme on le croit communé-
manité. ment,
) à la jalousie ombrageuse du despote,
La soif de l'or a remplacé la fureur des ou
< aux vengeances populaires que ces illus-
conquêtes, et la fièvre dévorante qu'il al- ttres victimes sont immolées, mais au despo-
lume est devenue le principe de l'existence tisme
t et à la démocratie mêmes, c'est-à-dire
des républiques et du caractère national de aux
< principes de ces gouvernements, qui
leurs citoyens. Hors d'état d'étendre leur s'empressent
s de substituer leur nivellement
territoire, elles ont tout fait, tout bravé, tout caractéristique
( aux distinctions propres à la
souflert, pour étendre leur commerce (t); ) monarchie, comme le nouveau propriétaire
le commerce est devenu la seule affaire de d'un
< hôtel en fait enlever l'inscription et les
Jeurs gouvernements, la seule religion de armoiries
£ pour y substituer son nom et son
leurs peuples, le seul sujet de leurs que- i
écusson.
relies. Entraînées par ee délire universel, Aussi, je vois ces deux Etats déployer,
les administratiors les plus sages n'ont vu en naissant, une force irrésistible, surtout
E
de puissance que le commerce, de richesses s'ils
s sont fondés par le zèle d'une nouvelle
que l'argent, de prospérité que le luxe et doctrine,
c renverser les obstacles qui s'op-
l'égoïsme, les besoins factices et immodé- posent à leur développement, porter au de-
rés, l'extrême inégalité des fortunes, comme hors
1 l'inquiétude qui les dévore, et s'éten-
un chancre dévorant, ont attaqué les prin- dre
c par des conquêtes mais en même
cipes conservateurs des sociétés. La guerre t
temps, ils s'affaiblissent par des révoltes, ou
présente a révélé à l'Europe l'étendue et la sse consument par des dissensions intestines;
gravité du mal (2). L'intérêt a paru le dieu 'et après avoir brillé quelque temps sur l'ho-
ve

de l'homme, et ce dieu a exigé en sacrifice rizon


r politique, redoutables à leurs voisins,
-toutes les vertus. Si l'univers est son temple, f
funestes à eux-mêmes, l'un périt de lan-
son sanctuaire est dans les républiques gueur,
g l'autre de frénésie et toujours plus
étrange destinée de ces gouvernements, qui rapprochés,
r ils finissent par se confondre, et
semblent n'exister que pour détruire l'es- 1le despotisme de tous aboutit au despetisme

pèce humaine, ou pour la corrompre1 d'un


c seul.
C'est cependant celui qu'appellent par Cette identité n'a pas échappé à Montes-
leurs vœux que hâtent par leurs efforts, quieu
c « Une règle assez générale est que
tant d'imbéciles ou de fripons, qui, dans le
1 gouvernement militaire (il parle du des-
leurs déclamations insensées, qualifient de potisme
ï des empereurs romains) est, à cer-
despotisme tout pouvoir unique, et ne se ttains égards, plus républicain que monar-
doutent pas que le despotisme et la démo- chique
c et qu'on ne dise pas que les sol-
cratie sont, au fond, le même gouvernement, dats
c ne prenaient de part au gouvernement
Ce n'est pas seulement parce que le pouvoir que
c par leurs désobéissances et leurs ré-
dans tous les deux est sans limites déterrai- voltes
> les harangues que les empereurs
'liées, ou limité seulement par la force mili- leur
1 faisaient, ne furent-elles pas, à la fin,
taire et par l'insurrection populaire; ce n'est du
c genre de celles que les consuls et les
pas uniquement parce qu'il n'y a rien de fixe ttribuns avaient faites autrefois au peuple? »
dans les choses, ni dans les personnes, que (Grandeur
( des Romains.)
Je despote fait un ministre d'Etat d'un jar- Et voilà le gouvernement auquel on veut
dinier, comme le peuple souverain fait un rnous ramener et c'est pour l'établir ou le
législateur d'un maître à danser, que l'un rrepousser que des flots de sang et de larmes
pille une maison en vertu des mêmes lois iinondent l'Europe 1
par lesquelles l'autre s'approprie une suc- Qu'on ne m'accuse pas de m'élever contre
cession. Le trait le plus marqué de leur aaucun gouvernement je fais profession de
identité, parce qu'il est dans la nature même respecter
r tous les gouvernements qui con-
(te l'un et de l'autre, est l'acharnement avec servent
s Dieu et l'homme je conviendrai,
lequel le peuple dans ses révolutions, et le s l'on veut, que, si l'existence d'une nation
si
despote dans ses conquêtes, cherchent à est
e plus assurée dans une monarchie, le

( 1 ) On n'ignore pas les avanies que les nations ( 2) Aperiet et recludet contecta et tumescentia
commerçantes endurent à la Chine et au Japon, vulnwa bellum ipsum. (Tacit., tJisi., lib. u, 77.)
pour obtenir la permission d'y commercer.
sort de l'individu est quelquefois plus heu- variable
v et si incertain, puisqu'il met d'un
reux dans les républiques, qui procurent à côté
c la politique des ministres, et de l'autre
l'homme, en bien-être et souvent en licence,» les volontés de la nature. Ces vérités peu-
li
ce qu'elles lui ôtent en liberté. La repu- vent
v être géographiquement démontrées;
blique est comme un homme d'un tempé- 3° Que la destruction de la monarchie
rament faible, qui vit de régime; et trop française entraînerait inévitablement et pro-
fi
souvent la monarchie est un homme d'une cchainement la destruction de toutes les ré-
constitution vigoureuse qui se permet des publiques
p de l'Europe; en sorte que les ré-
excès. publiques
p sont bien plus intéressées que les
Mais ce bonheur, ou plutôt ce bien-être monarchies
n à rétablir en France la constitu-
qu'on goûte dans quelques républiques, tition monarchique. L'état de la Pologne, de
c'est aux monarchies qu'elles le doivent. En la1 Hollande et de quelques parties de la
effet, si le régime populaire existe dans les SSuisse offre la preuve de cette assertion.
petits Etats, et le despotisme dans les Etats Je terminerai cet article par un parallèle
d'une grandeur démesurée, c'est par la même ue a la monarchie et de la république, qui
raison que le régime municipal existe dans ssera comme l'analyse de tout ce que j'ai dit
les cités d'un empire. Les républiques sont sur s ces gouvernements.
des fractions des sociétés monarchiques en Dans la monarchie, tout est social, reli-
général, comme les cités sont des fractions gion,
g pouvoir, distinctions.
d'une société monarchique particulière; le Dans l'Etat populaire, tout est individuel
régime républicain peut convenir au petit chacun
c a sa religion, chacun a son pouvoir;
nombre des citoyens, comme le despotisme chacunc veut se distinguer ou dominer par
au nombre excessif des sujets. Mais ni l'un sess talents ou.par sa force.
ni l'autre ne convient à la nature des so- Dans la monarchie, parce que le pouvoir
ciétés car la nature ne veut pas qu'une so- este social, sa limite est dans les institutions
ciété soit oppressive, et qu'une autre soit sociales.
s
opprimée elle ne veut pas que l'une soit trop Dans la démocratie, parce que le pouvoir
puissante pour être contenue, et l'autre trop est
e individuel, sa limite est dans l'homme.
faible pour pouvoir se défendre la nature La monarchie considère l'homme dans la
veut que les sociétés soient libres et indé- société,
si ou membre de la société, ou l'homme
pendantes sous l'empire des lois fondamen- social:
s>
tales', comme elle veut que l'homme soit La république considère l'homme hors de
libre et indépendant sous l'empire des lois la h société ou l'homme naturel.
religieuses politiques et civiles or la Et comme la société est faite pour l'homme,
plus grande société républicaine est, en Eu- ete l'homme pour la société, la monarchie
rope, dépendante, comme la plus petite; qui q considère l'homme dans ses rapports
l'Allemagne a besoin, comme Genève, que avec a la société, convient à l'homme et à la
des monarchies étrangères garantissent sa société.
s<
constitution, c'est-à-dire maintiennent sa Et la république, qui considère l'homme
tranquillité. Il suit de là sans
s. rapport avec la société, ne convient ni
1° Que des républiques ne sauraient sub- à la société ni à l'homme.
sister indépendantes, et qu'elles sont dans Et si, au centre de l'Europe, au sein de (a
un état continuel d'agitation,jusqu'à ce que civilisation,
c lorsque tous les principes au-
l'invincible nature ait repris son empiré, r<ront été attaqués par une fausse philosophie,
c'est-à-dire, que toutes les sociétés non t<tous les devoirs ébranlés par l'intérêt, tous
constituées tiennent de la nature une ten- 1< les liens relâchés par l'égoïsme, une grande
dance à se constituer, ou à former une véri- société
s< passe tout à coup de la plénitude
d la constitution à la démocratie la plus
table société, parce que la société constituée de
est dans la nature des êtres; ppopulaire, comme cette révolution sera sans
2° Que les sociétés ne peuvent tendre à se exemple,
e les effets en seront inouïs.
constituer, sans faire effort pour se placer Tout y sera détruit à la fois lois fonda-
dans les bornes que la nature leur a assi- mentales,
n lois politiques, lois religieuses,
gnées c'est l'opposition réciproque à cette 1< lois civiles, droit de propriété, existence de
tendance naturelle qui entretient, en Eu- l'homme,
l' existence de Dieu même.
rope, une cause perpétuelle de guerre, et Et lorsqu'il n'y aura plus ni Dieu, ni
qui y a produit ce système d'équilibre, si rois,
r, ni distinctions, on verra reparaître les
559 ŒUVRES COMPLETES DE 4t. DE BO~ALD.
~ivimt~<')~en1nciT~l~te
divinités les plus impures, .rle ier7te9ie les
ies tyrans
plus féroces, les inégalités naturelles less
~nc
s 1.L.
hA la mort ne sera
Et
dernier des malheurs.
.7.
1.

pas let._plus grand ni le


1
560
vVV

plus choquantes. Les passions de l'homme civilisé se com>-


Des hommes de sang, des courtisanes re- bineront pour la honte et le malheur de
cevront les honneurs divins des scélératss l'espèce humaine, avec les passionsde l'hom-
échappés au supplice courberont cette nationî me sauvage; et par un affreux mélange, la
sous un joug de fer; la force et l'audace9 cruauté sera voluptueuse, et la volupté sera
usurperont l'empire de la raison et dess barbare (1).
lois. O crime t ô dernier outrage que l'enfer
La première ville de l'univers célèbre3 réservait à l'humanité 1 avant de donner la
paria douceur et la politesse de ses habi- mort, on voudra faire éprouver le sentiment
tants, verra tous les jours, et comme unx et le regret de la vie. l'homme prêt à mou-
spectacle ménagé à son oisiveté, livrer i la rir servira de jouet à l'homme. et le tré-
mort, sur ses places publiques, un nombre pas ne sera pas le dernier asile contre la rage
infini de malheureux, de tout âge, de toutt des bourreaux, la pudeur n'obtiendra pas la
sexe, qui ignorent quel est leur érime, ett triste faveur de jeter un voile sur ces déplo-
dont les juges ne connaissent pas même le rables restes, l'humanité ne pourra leur ren-
nom; et cette ville, si courageuse contre dre les derniers devoirs, et la pitié même
son roi, tremblera devant ses bourreaux. n'osera leur accorder des pleurs.
La seconde cité de l'empire, où le luxe} Et si ces jours n'eussent été abrégés, nul
avait ses ateliers et la mollesse son domicile, homme ne se serait sauvé. (Matth. xxiv, 22.;
| Cette épouvantable anarchie aura des par-
entendra vingt fois par heure, retentir le son
lugubre du canon qui mettra en pièces ses tisans, parce que toutes les passions ont
:na!heureux habitants, et l'explosion de la( des panégyristes,
..Dy et tous les forfaits ont des
mine qui renversera ses édifices. Que dis-je ? fauteurs.
elle se détruira de ses propres mains on Les peuples, las de bonheur, égarés par
verra ses citoyens, qu'enrichissait le luxe de des suggestions perfides, favoriseront, par
toute l'Europe, forcés pour vivre de démolir une inaction coupable ou des vœux insen-
leurs propres habitations, et cette ville, ja- sés, les progrès de cet incendie dévorant
dis si florissante, changée en un tas de dé- et si les pouvoirs des nations oublient qu'ils
combres détrempés avec du sang. ont des devoirs à remplir, et non des opi-
Une autre viHe opulente et populeuse, où nions à discuter; que, comme agents de la
le cri plaintif d'un enfant corrigé par sa volonté générale conservatrice de la société,
mère aurait jadis excité la compassion pu- directeurs de sa force publique, ils doivent
blique, verra sans s'émouvoir, mener à la réprimer les passions des peuples et non
mort sansjugement et par troupes, et comme flatter leurs erreurs si séduits par une
de vils animaux, des milliers de malheu- fausse philanthropie, ils se laissaient gagner
reux; et l'enfant sur ie sein de sa mère, la aussi au délire des nouveaux systèmes, ou
fille à côté de son père, l'époux et l'épouse, s'ils sacrifiaient de grands intérêts à de pe-
la femme prête à donner le jour, le vieillard tites passions, et l'existence de la société
que le temps avait respecté; elle entendra aux combinaisons aveugles de la politique.
l'accent lamentable de la douleur, le cri dé- alors commencerait pour les peuples et les
chirant du désespoir, et au milieu de cent rois la dernière catastrophe; et si ce n?était
vingt mille âmes, où le fanatisme et la cu- la fin du monde, ce serait la fin des so-
pidité ont fait tant de monstres, l'humanité ciétés.
ne fera pas un héros. CHAPITRE V.
Il n'y aura pas un lieu sur toute la surface POURQUOI LES SOCIÉTÉS TÏON CONSTITUÉESSONT
de ce vaste empire, qui ne soit le théâtre TOUJOURS GUERRIÈRES.
d un crime; il n'y aura pas un homme qui Je dois ramener l'attention de mes lecteurs
n'en soit la victime, ou le complice.
sur cette vérité importante, et la démontrer
(1) On voit assez que je veux parler des mas- vélées la procédure contre les membres du comité
sacres commis à Paris, Lyon, Nantes, etc., et 4ies révolutionnaire de Nantes. L'affreuse invention des
norreurs d'un genre inouï, épouvantable, qu'a ré- mariages républicains (a) passe le génie de l'homme.
(o) Carrier, représentant du peuple, envoyé à Nanles en les faisant attacher ensemble par le bras, avant de ies
pendant la terreur, mariuit un homme avec une femme précipiter dans ia Loire.
par le raisonnement, comme elle est établie de tous de là vient que dans les républi-
par l'expérience. ques tous les citoyens sont soldats, et que
Si cette proposition est prouvée, la phi- dans les monarchies la profession militaire,
lanthropie doit dire anathème aux républi- est celle du petit nombre. La passion tend a
ques. Je reviens aux principes. détruire, l'honneur à se distinguer de là
« L'opposition des intérêts particuliers a vient que dans les monarchies, des procédés
rendu nécessaire l'établissement des socié- généreux et humains, qui n'ôtent rien à la
tés. L'accord de ces mêmes intérêts l'a rendu valeur ni au devoir, au milieu même des
possible. » (Contrat social.) combats, mettent des bornes aux malheurs
<
Les intérêts particuliers sont les passions, de la guerre au lieu que dans les Etats po-
et le moyen qui les accorde est le pouvoir pulaires, des barbaries froides et inutiles
général de la société qui les comprime par viennent en aggraver les horreurs. On n'i-
force. rait pas loin pour en trouver des exemples.
Les passions ne sont donc pas accordées « Les Romains faisaient à leurs ennemis des
ou comprimées, dans une société qui n'a maux inconcevables(Grandeurdes Romains);
pas de pouvoir général, ni de force géné- la république engloutit et dépeupla l'univers;:
rale. le seul Paul Emile détruisit enEpire,soixante-
Or j'ai prouvé qu'il n'y avait de pouvoir dix villes et en emmena cent cinquante mille,
général et de force générale, que dans une esclaves. » (Esprit des lois.)
société constituée ou monarchique. Ici Rousseau est bien opposé à Montes-
La passion de l'homme est de dominer ses quieu, et de leur opposition même je tire la
semblables. preuve de mon assertion. « Les Romains, »
La passion de ces hommes réunis sera donc dit le premier dans son Gouvernement de
de se dominer entre eux, ou de dominer Pologne, « furent conquérants par nécessité
d'autres hommes. et, pour ainsi dire, malgré eux-mêmes; la
De là la guerre civile et la guerre étran- guerre était un remède nécessaire au vice
gère, qui ne sont qu'un effort que fait une de leur constitution toujours attaqués et
partie de la société pour dominer l'autre toujours vainqueurs, ils devinrent les maî-
partie, ou toute une société pour dominer tres du monde en se défendant toujours. ».
une autre société. L'histoire et Montesquieu s'élèvent contre
« Les princes, dit Montesquieu, « ont l'assertion de Rousseau, qui implique con-
dans le cours de leur vie, des périodes d'am- tradiction car, puisque la guerre était un<
bition, après quoi d'autres passions et l'oi- remède nécessaire au vice de leur constitu
siveté même leur succèdent mais la répu- tion, ils devaient toujours faire la guerre, et.
blique ayant des chefs qui changeaient tous ne pas attendre d'être attaqués.
les ans. il n'y avait pas un moment de Les Romains furent presque toujours les
perdu pour l'ambition; ils engageaient le agresseurs, tout en mettant les àpparences,
sénat à déclarer la guerre, et lui montraient de leur côté. Voyez le chapitre 6' des Causes
tous les jours de nouveaux ennemis. » de la grandeur des Romains. Rousseau, qui
(Grandeur des Romains.) C'est une chose di- a senti qu'on ne pouvait expliquer l'humeur
gne de remarque, et qui me paraît caracté- coaquérante des Romains que par la nature
riser l'esprit de cet auteur, qu'il explique du gouvernement républicain, a préféré de
toujours de grands effets par de petites cau- la nier; Montesquieu, en l'avouant, a cher-
ses ne dirait-on pas que le sénat romain ché à l'expliquer par des raisons faibles et
était une assemblée populaire, jouet de l'am- secondaires ils ont tous deux suivi leur
bition ou de l'éloquence des consuls? la po- génie. La belle entreprise littéraire que la
litique des chefs provoquait la guerre mais concordance des philosophes1
la nature du gouvernement rendait néces- Ne serait-ce point parce qu'on fait la
saire la politique des chefs. guerre par passion dans les Etats populai-
'Non-seulement les guerres sont plus fré- res, que la profession militaire y est peu
quentes dans les républiques, mais elles y estimée? On n'a nul mérite à faire ce qu'on
sont plus atroces. fait par passion, au lieu que dans les mo-
Dans les monarchies, la guerre se fait avec narchies, où l'on brave les dangers de la
la passion d'un seul, le roi, et l'honneur de guerre sans motif personnel, et par le sen-
tous; dans les républiques, elle se fait avec timent du devoir ou le désir de la gloire, le
l'honneur d'un seul, le général, et la passion métier des armes y jouit d'une juste consi-
{JÏJ(}
~t'1.:
\JIUKJ

dération. Je sais que ce fait s'explique par


1

d'autres causes; mais qu'on prenne garde


1 ILAJkJ UVtUl UU1UU 1^
1.~ In,- magistratures cu-
ge avec les nobles les mRFfUtMtnffS Cn-
ger
rules
ru les patriciens furent foreés de lui ac-
que, si les hommes ont leurs raisons, la na- corder
co tout ce qu'il demanda. (Grandeur
ture a ses motifs. de Romains.) La puissance devait donc re-
des
C'est par le même principe que les Etats venir
ve au plus grand nombre, et l'aristocra-
populaires font mieux la guerre offensive tie se changer peu à peu en Etat populaire.
til
que là défensive car la passion est im- Tant qu'il resta quelques prérogatives aux
T<
pétueuse et entreprenante. L'exemple que patriciens,
pa les plébéiens la leur enlevè-
nous offre la démocratie française en est rent.
re »

une nouvelle preuve car elle a fait la guerre Le peuple, à Rome, n'avait pas de liberté,
défensive avec les moyens et l'esprit encore parce
pé qu'il n'avait pas l'autorité, et qu'elle
subsistant de la monarchie, et l'offensive a\ passé tout entière entre les mains des
avait
la liberté n'est donc, pour le peu-
avec les passions naissantes de la répu- consuls
cc
blique. ple, que l'autorité.
pl
Enfin, Rousseau s'exprime ainsi, en par- « On n'entend parler,
continue cet auteur,
lant de la Pologne « 11 faut convenir que qi des divisionsqui perdirent Rome mais
que
J'état de liberté ôte à un peuple la force of- on ne voit pas que ces divisions y étaient
01
fensive, et qu'en suivant le plan que je nécessaires,
ni qu'elles y avaient toujours été,
propose, on doit renoncer à tout espoir de et qu'elles y devaient toujours être (ibid.);
conquête. » Or, j'ai prouvé que la liberté et pour règle générale, toutes les fois qu'on
sociale ou politique ne se trouvait que dans verra
v< tout le monde tranquille dans un
la monarchie; et c'est aussi une monar- Etat qui se donne le nom de république, on
El
chie, quoique mal constituée, que cet au- peut
P< être assuré que la liberté n'y est pas. »
teur propose d'établir en Pologne où il Rien de plus clair. Tant que tout le monde
recommande d'éviter le tumulte démocrati- est tranquille dans une république, il n'y
es
que. a pas de liberté l'agitation, les disputes
CHAPITREVI. sont
se le signe de la liberté mais le sujet de
toutes
ta les disputes est que les uns ont le
UBGRTÉ ET ÉGALITÉ DANS LES RÉPUBLIQUES. pouvoir des autres, et que ceux-ci récla-
la liberté dans une
Je l'ai dit ailleurs ment
ffi leur pouvoir, que ceux-là veulent gar-
république consiste à assujettir la volonté der.
d< Quand chacun a repris son pouvoir, il
particulière des autres à la sienne, et à n' a plus lieu à disputer, il n'y a donc plus
n'y
exercer leur pouvoir; l'égalité consiste de liberté, puisque tout le monde peut être
d,
dans le droit de manifester sa propre vo- tranquille.
tr Alors il y a égalité la liberté et
lonté et d'exercer son propre pouvoir l'égalité
y{ ne peuvent donc exister ensemble
c'est-à-dire qu'il n'y a pas, dans un Etat dans les républiques elles s'excluent done
di
populaire, de liberté ni d'égalité sociales, mutuellement;
m mais s'il n'y a plus lieu à
et encore moins de liberté et d'égalité na- disputes,
di il y a matière à combats. Dès que
turelles. chacun a son pouvoir, chacun veut l'exer-
cl
« On met en avant,»
dit Tacite,« la liberté c(
cer « alors les assemblées deviennent do
et d'autres prétextes spécieux; et quicon- véritables
vi conjurations, et l'autorité du peu-
que vent assujettir les autres à sa domina- ple,
p; ses lois, lui-même, des choses chimé-
tion ne manque jamais de faire sonner ces riques.
ri » Et cela arrive « lorsqu'on prend
grands mots ( 1 ). » l'esprit
1' d'égalité extrême alors le peuple ne
On me permettra de répéter ici un pas- peut
p souffrir le pouvoir même qu'il confie,
sage de Montesquieu sur la république ro- veut
v tout faire par lui-même, délibérer
maine, qui ne laisse aucun doute sur ce pour
p le sénat, exécuter pour les magistrats,
que j'ai avancé. el dépouiller tous les juges. »(Esp.des lois,
et
« Comme l'autorité royale avait passé tout 1. vin, ch, 2.) C'est-à-dire que chacun veut
entière entre les mains des consuls, le peu- manifester
n sa volonté et l'exercer par son
ple sentit que cette liberté, dont on voulait pouvoir.
p
lui donner tant d'amour, il ne l'avait pas Dans une monarchie où existe la li-
il chercha donc à abaisser le consulat, à berté
b sociale, la loi protége la liberté natu-
avoir des magistrats plébéiens, et à parta- relle
ri dans la république où il n'existe pas

< i ') Cseterum


libertas et speciosa nomina prae- naiionem
n sibi concupivit, ut non eadem ista voca-
tcxuiiiur; nec quisquam alienum servilium et domi- bula
b usurparet. (Tacit., Hist., lib. iv, 75.)
de liberté sociale, la loi viole la liberté na- klui a déplu dans l'exercice de quelques fonc-
turel:e. Je viens aux exemples. tions publiques; ailleurs on la démolit, et
H
Si dans une monarchie, les agents du le vol est public et se fait à main armée il
pouvoir me ravissent ma liberté par des mô- y est presque une profession et parce qu'on
tifs de vengeance personnelle, la loi veille; ne peut le réprimer, on dit que c'est l'effet
ni
et si j'ai le courage de l'invoquer, ou d'autres il
inévitable de la liberté.» On a vu,» dit l'En-
en mon nom, je pourrai faire cesser l'oppres- cyclopédie,« ces dernières années, les habi-
c?
sinn et, punir l'oppresseur. Mais dans ces tants d'une -démocratie se porter en.foule chez
ta
républiques si vantées, lorsque le peuple uun homme riche, le dépouiller de son argent,
condamnait un citoyen, il n'y avait pas de et le partager entre eux, pour rétablir, di-
et
remède,, parce que le peuple faisait une loi, saient-ils,
sé l'égalité. » Et l'auteur met cette
ou se servait d'une loi déjà faite et ce n'é- violence
v: sur le compte de la nature du
tait pas pour des indiscrétions,des bassesses gouvernement.
g<
ou des crimes qu'on était puni on était Voilà pour les propriétés voici pour les
banni ou mis en prison parce qu'on était hommes.
hi Dans une république, on enrôle,
grand homme, parce qu'on était vertueux pour
pi des possessions éloignées et malsai-
parce qu'on était las de vous entendre appe- nnes, par des moyens que la religion, la mo-
ler Juste. Le peuple vous punissait des ser- n et l'humanité réprouvent; ailleurs on
rale
vices que vous lui aviez rendus ou de la lève
U les gens de mer avec des formes très-
considération qu'il ne pouvait vous refuser; pressantes.
p; Dans ce pays même, si chéri par
il faisait un crime à l'homme de génie de la philosophie, et où, pour être sauvé à ses
ce penchant involontaire à dominer que la yeux, il fallait, au moins une fois en sa vie,
yi
nature avait mis en lui preuve plus forte faire un pèlerinage philanthropique, dans
fa
qu'on ne pense que le gouvernement d'un l'heureuse
l'i Helvétie, on ne redoute pas un
»eul est dans la nature. grand
gi homme dont les monarchies voisines
La république d'Athènes faisait mourir arrêteraient
ai les projets ambitieux; mais on
en prison Miltiade et Cimon, bannissait redoute
r< les hommes, et on les disperse che?
Thémistocle et Aristide; Êome exilait Co- toutes les puissances de l'Europe: et ce que
te
riolan et Camille, forçait, par son ingrati- l'l'onregarde comme l'effet de l'humeur guer-
tude, un Scipion à se bannir, et peut-être rière de la nation, n'est au fond que la com-
ri
l'autre à se tuer lui-même, par la même binaison
b très-politique de ces administra-
raison que Tibère faisait périr Germanicus, tions qui favorisent, par leurs institutions*
ti
que Néron faisait empoisonner Britanni- c< goût pour l'émigration reconnu chez cette
ce
eus, que les sultans font, étrangler leurs nation
n depuis César (1).
frères la république comme le despote Dans quelques républiques, on dépense
craignait un successeur. h hommes par les plaisirs, et la politique
les
C'est parce qu'il n'y a point- de liberté ii
impose silence à la morale. Je ne dirai qu'un
sociale dans les républiques, que les per- mot
a à ce sujet on ferait une révolution à
sonnes et les propriétés y sont moins dé- V
Venise, si on voulait supprimer l'extrême
fendues contre l'oppression ou les entre- licence du masque et du carnaval on l'au-
li
prises de la licence. rait
ri prévenue en France, si l'on eût sup-
Dans une certaine république, le peuple primé
p les mauvais lieux, les mauvais livres
dévaste méthodiquement et avec le flegme e les mauvais spectacles (2).
et
qui le caractérise, la maison d'un citoyen qui Si la liberté est l'essence du gouverne-
( 1 ) On sait que, du temps de César, cette nation ti
tique prescrive des moeurs décentes, et' quelquefois
en corps, après avoir incendié ses villes et ses bourgs, d moeurs, austères. Je crois que l'histriomanie a
des
se mil en marche an nombre de 368,000 âmes, pour bbeaucoup aidé à la corruption-de nos mœurs, parce
aller s'établir en Saiiitonge. (De bello Gall., lib. î.J qu'il
q ne convient pas de faire un amusement domes-
( 2 ) 11 est des choses criminelles ou dangereuses, tique de ce qui doit être tout au plus une institu-
ti
dont les administrations pusillanimes s'exagèrent ti
tion nationale je crois que ce qu'on appelait à
le besoin, pour déguiser leur faiblesse ou leur im- Paris
P les petits spectacles étaient des établissements
moralité. Je suis loin de penser qu'on puisse régler infâmes, indignes d'une nation, je ne dis pas chré-
if
un vaste empire, comme l'on légîerait une famille; ttenne,
tt mais policée; de véritables écoles de pros-
mais jecrois que, si l'autorité ne peut, sans attenter titution,
ti où l'on corrompait des enfants, pour cor-
à la liberté naturelle du sujet, agir directement sur rompre
ri par eux le peuple. Ce ne sont pas les plai-
les mœurs privées, elle a des moyens efficaces de sirs
si qu'il faut lui procurer; il faut lui faire goûter
les améliorer, en épurant, en surveillant les moeurs son bonheur, et non pas chercher à lui faireoublier
s<
publiques. Je crois que les mœurs des grands peu- s: misère: car il est alors le peuple le plus dange-
sa
vent intluer, en bien ou en mal, sur les mœurs pu- nreux qui existe, un peuple misérable et corrompu.
bliques, et qu'ils sont même les seuls à qui la poli:-
ment républicain, pourquoi les républiques faut un motif pour faire passer un homme
exercent-elles sur les provinces sujettes du avant un autre or l'âge est un motif suffi-
corps de l'Etat une domination si tyranni- sant.
que ? Montesquieu prouve qu'une républi- Parce qie
1° ce motif de préférence ne
que ne peut gouverner ses Etats- sujets que peut être un sujet d'orgueil pour celui qui
despotiquement. [Esprit des lois, xi, 19.) est préféré, ni un sujet d'humiliation pour
En parlant de la république romaine, il ap- celui à qui il est préféré;
pelle les proconsuls les pachas de la répu- 2" Parce que l'âge donne plus d'expérience
blique et il dit que « la liberté était au des choses passées, et peut faire supposer
centre, et la tyrannie aux extrémités. » plus de connaissances.
Voilà des faits, et voici des autorités qui Mais l'âge seul ne peut servir à classer les
ne seront pas suspects hommes dans la société.
« La démocratie et l'aristocratie ne sont 1° Parce qu'il faut, pour l'intérêt de la
pas des Etats libres par nature. Les Goths so-
ciété, préférer les hommes utiles et que
conquérant l'empire romain, fondèrent par- J'âge ne donne ni les talents, ni les vertus,
tout la monarchie et la liberté les peuples
du Nord de l'Europe l'ont conquise en hom- et suppose au contraire l'affaiblissement des
facultés naturelles
mes libres. Ils ont été la source de la li- 2° Parce que l'âge, en confondanttous ceux
berté de l'Europe, c'est-à-dire, de presque
que séparent des inégalités bien plus impor-
toute celle qui existe aujourd'hui parmi les tantes de
hommes. » (Esprit des lois, xi, h.) Or les moyens naturels ou acquis, d'é-
ducation, d'habitudes, de professions, pro-
peuples du Nord ne fondèrent nulle part de duirait
république. un désordre réel et une inégalité, ex-
trême, sous une apparence d'ordre et d'é-
CHAPITRE VII. galité.
La propriété ne peut pas davantage être la
POURQUOI LES DIFFÉRENCES D'AGE ET DE PRO- base d'une distinction sooiale.
PRIÉTÉ NE PEUVENT TENIR LIEU DE DISTINC-
Il faut distinguer la propriété absolue, la
TIONS SOCIALES.
propriété relative, et l'espèce de propriété.
Comme il peut y avoir quelques person-
1° La distinction peut porter sur l'es-
nes portées à croire, par l'exemple des Etats pèce de propriété,ne
populaires, que les différences d'âge et prin- constituée parce qu'une société
cipalement d& propriété peuvent, même dans ne doit reconnaîtrequ'une espèce
de propriétaires, les propriétaires fonciers,.
une monarchie, remplir l'objet pour lequel quoiqu'elle doive protéger
les distinctions eiisteht dans la société, il toutes les pro-
faut dissiper cette illusion et revenir aux priétés
principes. 2° La propriété absolue ne peut être ùne;
La nature établit des inégalités parmi les distinction sociale
hommes; la société seule reconnaît des dis- Parce qu'une société constituée doit ten-
tinctions. dre
< saris cesse à appeler tous ses membres
L'âge et la propriété ne sont que des inéga- à la propriété, et qu'ainsi elle tendrait à ef-
lités naturelles, et non des distinctions poli- facer elle-méme les distinctions qu'elle au-
tiques puisque l'un et l'autre ont précédé la rait
] établies;
société politique, qui n'a été établie que Parce que l'exercice du pouvoir dans la
pour défendre la propriété et faire respecter société étant héréditaire, il faut que la li-
la faiblesse de l'âge (1). mite
1 à ce pouvoir soit aussi héréditaire, .afin
Les distinctions sont, comme je l'ai prou- <que la limite ait autant de force de résis-
vé, l'importance relative des professions tance t que le pouvoir a de force d'action.
pour le maintien de la société or l'âge ni la C'est
( ce que dit Rousseau dans son Gouver-
propriété ne sont des professions, elles ne nement
1 de Pologne « Pour conserver l'éga-
sont donc pas des distinctions sociales. 1lité, principe de constitution, il faut
que
Mais dans la même profession; l'âge peut rien r ne soit héréditaire que la noblesse, si
et doit distinguer l'homme de l'homme, au- la couronne est héréditaire,-» » Or la propriété
tant que le bien de la société peut le per- est e transmissible, la noblesse, seule est hé-
mettre; par ce que là où tout est égal, il réditaire
r la propriété peut être séparée du
( 1 ) On voit, dans l'histoire, que les Bactriens, vieux
v à de grands chiens, et encore aujourd'hui
soumis par Alexandre, faisaient manger leurs pères quelques peuples saavages les mangent eux-mêmes.
q
propriétaire, la noblesse ne peut être sépa- pose une éducation plus soignée, l'esprit
rée du noble. d'ordre et de conduite, la connaissance des
Mais dans la même profession, surtout si affaires civiles, et qu'elle peut être une cau-
elle a rapport à l'administration on peut tion de désintéressement, ou du moins un
prendre la quotité de la propriété, ou la pro- gage de responsabilité;
priété relative pour motif de préférence 3" Parce qu'elle donne au gouvernement
1" Parce que la propriété est un intérêt au la facilité, plus précieuse encore sous le rap-
maintien de la société, et qu'une plus grande port des mœurs que sous celui des finances,
propriété donne un plus grand intérêt de solder les fonctions publiques avec peu
2° Parce qu'une plus grande propriété sup- d'argent et beaucoup d'honneur.

LIVRE VI,
QUESTIONS GÉNÉRALES SUR LA LÉGISLATION ET SUR LA DIVISION DES POUVOIRS.

CHAPITRE PREMIER. teur célèbre le talent ni l'intention de don-


ner des définitions exactes et complètesdans
DÉFINITION DES DIVERS GOUVERNEMENTS PAR
une matière aussi importante.
L'AUTEUR DE l'Esprit des lois. principes Celles-ci méritent une attention particu-
DES GOUVERNEMENTS. lière. Le gouvernement républicain n'y est
J'ai avancé qu'il n'y a de constitution que caractérisé que par sa forme extérieure
dans une société monarchique parce que « c'est celui où le peuple en corps, ou seule-
c'est la seule qui ait des lois fondamentales ment une partie du peuple, a la souveraine
pour base de son existence, et des lois po- puissance. »
litiques, conséquences nécessaires des lois Le despotisme y est caractérisé par ses ef-
fondamentales, et fondamentales elles-mê- fets supposés « celui où un seul, sans loi
mes, pour base de sa forme de gouverne- et sans règle, entraîne tout par sa volonté et
ment ici je me rapproche, et plus qu'onses caprices. »
ne pense, de l'auteur de l'Esprit des lois. La monarchie seule y est désignée par la
Il ne distingue que trois sortes de gouver- nature de sa constitution « celui où un seul
j
nements, le républicain le monarchique gouverne, mais par des lois fixes et éta-
et le despotique. Dans les chapitres suivants, blies. » Et au chap. k du liv. h, il définit le
il subdivisele gouvernement républicain en gouvernement monarchique « celui où un
aristocratique et démocratique. On verra un seul gouverne par des lois, fondamen-
tout à l'heure le motif qui l'a éloigné de la tales.»
division plus méthodique, même dans son Ces lois fixes et établies sont donc des lois
système, en deux genres, monarchique et fondamentales, ou dès lois politiques, con-
républicain, et chacun en deux espèces, et séquences nécessaires des lois fondamenta-
qui lui a fait préférer le nombre trois. Quoi les et fondamentaleselles-mêmes.
qu'il en soit, voici comme il les définit « Je L'auteur a dit des monarchies, qu'elles se
suppose trois définitionsou plutôt trois faits: gouvernent par des lois fixes et établies; par-
l'un qae le gouvernement républicain est ce que la monarchie a des lois fixes et éta-
celui dont le peuple en corps, où seulement blies et il n'a pu dire des républiques
des lois fixe»
une partie du peuple a la souveraine puis- qu'elles se gouvernassent par
sance le monarchique, celui où un seul et établies, parce qu'elles n'ont que des lois.
gouverne, mais par des lois fixes et établies; incertaines et variables.
au lieu que, dans le despotisme, un seul Et comment la république aurait-elle des
panégyriste le plus
sans loi et sans règle entraîne tout par sa lois fixes, puisque son
volonté et par ses caprices. » {Esprit des ardent (Rousseau) ose dire « qu'un peuple
lois, il, 1.) Cette définition est répétée pres- peut toujours changer même ses meilleures
que dans les mêmes termes au chap. 2 du lois et s'il lui plaît de se
faire mal à lui-
liv m. même, qui est-ce qui a le droit de l'en em-
la pouvait vou-
un ne contestera pas sans doute à cet au- pêcher ? » Comme si société
loir se détruire, lorsque la nature veut qu'elle res celui où la société est gouvernée pardes
existe 1 lois fixes, établies, fondamentales, etceluioù la
L'auteur de l'Esprit des lois n'a donc pu société
1 est gouvernée sans loi et sans règle
définir la monarchie que par sa constitution, (fixes) par des volontés et par des caprices.
parce que la monarchie est la constitution. C'est précisément la distinction que j'ai
Et il n'a pu définir la république que par adoptée, de sociétés constituées, gouvernées
sa forme extérieure de gouvernement, parce par la volonté générale essentiellementt
que la république n'est qu'une forme exté- droite et conservatrice, se produisant par
rieure de gouvernement. des lois nécessaires ou fondamentales'; et de
Rousseau a été plus adroit « Toutgouver- sociétés non constituées soumises à des vo-
nement, dit-il, est républicain J'entends lontés particulières, essentiellement dépra-
par ce mot tout gouvernement guidé par la vées et destructives, se produisant par des
volonté générale; alors la monarchie elle- lois non nécessaires ou arbitraires.
même est république. » Ce qui est dire qu'il Or Montesquieu donne la crainte pour
n'y a qu'une forme de gouvernement légi- principe au gouvernement despotique, celui
time, qui est la monarchie, puisqu'il est le où la société est gouvernée sans loi et sans
seul qui soit guidé par la volonté générale. règle par des volontés et par des caprices.
II est étonnant que les caractères par les- Il devait donc donner Vamour, ou l'opposé
quels l'auteur de l'Esprit des lois distingue de la crainte, pour principe au gouverne-
la nature des divers gouvernements ne ment monarchique, celui où la société est
J'aient pas mis sur la voie de découvrir les gouvernée par des lois fixs, établies, fonda-
principes qui les font agir, pour me servir mentales.
de ses expressions, et qu'après avoir assi- En effet, l'amour est le principe des so-
gné la crainte pour principe au gouverne- ciétés constituées ou monarchiques, parce
ment despotique, il se soit arrêté à moitié que l'amour est le principe de conservation
chemin, et qu'il n'ait pas été conduit par la des êtres, et que la société constituée est
force du raisonnement à trouver le principe une réunion d'êtres semblables pour la fin
du gouvernement monarchique. Reprenons de leur conservation.
ses définitions. Ainsi, volonté générale du corps social
Le gouvernement despotique est celui où untrice, agissant par l'amour
seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par
volonté essentiellement droite et conserva-
'Principe des
fa volonté et par ses caprices. sociétés constituées.
Il est évident que celte définition, convient Volonté particulière de l'homme, volonté
également et même beaucoupmieux au gou- nécessairementdépravée et destructive, agis-
vernement populaire et qu'en mettant le sant par )a crainte Principe des sociétés
peuple souverainou la partie souveraine du non constituées.
peuple à la place du despote souverain, on Il ne peut donc y avoir de liberté sociale,
peut dire avec bien plus de vérité du peuple politique ou religieuse, que dans la société
que du despote qu'il gouverne sans loi et constituée, puisque son principe est l'amour.
sans règle (fixes), et qu'il entraine tout par sa Et il y a nécessairement esclavage social, po-
volonté et par ses caprices. litique ou religieux, danslessociétés non con-
Cette conséquence devait se présenter na- stituées, puisque leur principe est la crainte.
turellement à l'auteur de l'Esprit des lois, On voit que je suis ramené aux principes
puisqu'it dit lui-même que l'Etat despotique que j'ai posés dans les premiers chapitres
est un peuple sans tribuns. Or, dans l'Etat de cet ouvrage. Cette théorie de l'amour,
populaire, le peuple n'a pas non plus de tri- principe des sociétés constituées, politique
buns, et il n'a besoin de cette magistrature et religieuse, et de la crainte, principe des
turbulente tout au plus que dans J'aristo- sociétés non constituées, ne peut être entiè-
cratie, où elle est bien moins la sauvegarde rement développée que dans la partie de cet
de sa liberté que l'instrument de sa tyrannie. ouvrage où il sera traité de la constitution
Le gouvernementmonarchique est, selon le des sociétés religieuses.
même auteur, celui où un seul gouverne, CHAPITRE II.
mais par des lois fixes et établies, ou, comme
il est dit ailleurs, fondamentales. DE LA VERTU CONSIDÉRÉE DANS LES MONAR-
Les gouvernementssont donc distingués, CHIES ET LES RÉPUBLIQUES.
selon Montesquieului-même, en deux gea- Il est temps de le dire l'auteur de l'Esprit
des lois n'a adopté la division des gouverne- livré l'humanité, demandait 'aussi qu'on le
ments en trois espèces différentes que parce jugeât sur son intention, et soutenait qu'elle
qu'il n'a pu trouver que trois étiquettes dif- avait été pure et vertueuse! C'est cette vertu
férentes pour les caractériser; et le motif est qui a dicté ces horribles décrets contre de
si évident, que, lorsqu'il veut désigner à part braves étrangers pris en combattant pour
le gouvernement aristocratique, il lui donne leur patrie, et qui va soudoyant partout des
pour principe la modération de ceux qui agitateurs et des assassins. Il était digne de
gouvernent, tandis qu'il a donné aux trois cette doctrine mensongèrequi isolait l'hom-
autres la vertu, l'honneur et la crainte de me de toutes les affections de la- nature et
ceux qui sont gouvernés en sorte qu'il de la société, pour le rendre, disait-elle, ci-
place le principe du gouvernement, tantôt toyen de l'univers, d'isoler aujourd'hui !e
dans le souverain et tantôt dans les sujets. peuple français de l'univers entier, pour lui
Quoi qu'il en soit, cette distinction a accré- faire trouver dans la haine qu'elle lui inspire
dité une erreur de la plus pernicieuse con- contre les autres peuples, le droit affreux
séquence. de les opprimer.
Dans ce partage de vertu, d'honneur et de Je vais plus loin; et c'est de ces divers
crainte, fait entre les divers gouvernements, principes que Montesquieu a assignés aux
le meilleur lot est échu à la république, et gouvernements monarchique et républicain,
son partage a été la vertu. A la vérité, l'au- que je tire la preuve la plus évidente que la
monarchie seule est une société constituée.
teur, qui craint la méprise, parce qu'il la subsiste
prévoit, a soin d'annoncer, et plus d'une « La monarchie,» dit cet auteur,«

fois, qu'il ne parle que des vertus politiques, indépendamment de l'amour pour la patrie,
du désir de la vraie gloire, du renoncement
et non des vertus religieuses; mais outre
à soi-même, du sacrifice de ses plus chers
que toutes les vertus sont et doivent être à la intérêts, de toutes ces vertus héroïques que
fois des vertus religieuses et politiques, il
faut éviter les distinctions sur le mot de nous retrouvons chez les anciens, et dont
vertu, comme sur la vertu même parce que nous avons seulement entendu parler. Les
lois y tiennent la place de toutes les vertus. »
ceux qui n'entendent pas l'auteur, et qui ce-
pendant t'admirent, se sont accoutumés à (Liv. v, chap. 3.)
croire sur parole, qu'il ne pouvait exister Dans ce passage, l'auteur fait, sans le vou-
de vertu en général que dans les Etats po- loir, l'éloge le plus complet de là monarchie,
pulaires et ceux qui ne l'entendent que et la critique la plus juste de l'Etat popu-
trop, se sont persuadés et ont persuadé à laire.
d'autres qu'il n'y avait de vertus nécessaires Si les hommes étaient doués de ces perfec-
à pratiquer que les vertus politiques, et tions angéliques qui les disposent à la pra-
qu'un citoyen avait rempli tous ses devoirs tique des plus héroïques vertus, il ne fau-
et accompli toute justice par un amour spé- drait ni gouvernements ni lois.
culatif ou pratique de sa patrie, pourvu tou- C'est parce que l'homme doit combattre
tefois qu'elle fût gouvernée démocratique-
ses propres passions, et se défendre de cel-
ment erreur funeste, qui, réduisant tous les des autres, qu'il a fallu des gouverne-
les devoirs, toutes les vertus qui font le bon-
ments et des lois. « C'est l'opposition des
heur de l'homme et l'ornement de la société, intérêts particuliers qui a rendu nécessaire
à l'amour exclusif de sa patrie, n'est trop l'établissement des sociétés. »
souvent que le masque de l'ambition des
chefs et l'excuse de la férocité des peuples Le gouvernement qui suppose les hom-
vertu, si elle mérite ce nom, qui inspirait à mes vertueux et sans passions, n'établit au-
Caton cette conclusion atroce Ergo delenda cunes lois pour en prévenir ou en arrêter
l'effet; il doit donc périr par ces mêmes
est Carthago; qui a inspiré de nos jours à
passions qu'il n'a pas prévues. « L'abus du
des hommes vertueux aussi, ces lignes abo-
pouvoir,» dit l' Esprit des lois ,« est plus grand
minables": Ladestruction de cette ville (Lyon)
consolide toutes les autres et en racontant dans une république, parce que les lois qui
ne l'ont point prévu n'ont rien fait pour
l'ar-
leurs affreux exploits dans la même ville
Ce. gouvernement né convient donc
Qu'il y a de plaisir pour les républicains de rêter. »
société humaine, puisqu'il ne sup-
bten remplir leur devoir! Et le monstre qui a pas à la tel qu'il est. Aussi Rous-
entassé quarante mille victimes dans les flots pose pas l'homme
de la Loire, et dont une justice tardive a dé- seau
dit-il qu'il ne convient qu'à des dieux
Û'JI
ce qui est dire qu'il ne convient à personne. Caton prêter sa femme à Hortensius, et la
Le gouvernement, au contraire, qui, sup-i- régicide Brutus placer son argent à une
posant à l'homme des passions, établit desis usure criante (i).
lois pour les contenir, qui subsiste indépen- i- Opposons le Contrat social à l'Esprit des
damment de ces vertus héroïques dont it lois. « Que de choses difficiles à réunir ne
l'homme est si rarement partagé, convientit suppose pas le gouvernement démocrati-
donc parfaitement à la nature de l'homme, que 1 x Et après une énumération qui prouve
et remplit le but de la société, qui est de con- que ces choses sont non-seulementdifliciles,
server l'homme ou de le rendre heureux parr mais impossibles à réunir, il ajoute « Voilà
la répression de toutes Jes passions, qui fontit pourquoi un auteur célèbre a donné la vertu
son malheur et celui de ses semblables. IlIl pour principe de la république, car toutes
assure donc l'existence et la conservation dee ces conditions ne sauraient subsister sans la
la société,fil est sa constitution. Il n'est pass vertu. Mais, faute d'avoir fait les distinc-
vrai que les lois y tiennent laplace de toutess tions nécessaires, ce beau génie a souvent
les vertus; mais les lois y répriment tous less manqué de justesse, quelquefois de clarté,
vices. et n'a pas vu que l'autorité souveraine étant
Si l'Etat populaire est exclusivement laa partout la même, le même principe (la vertu)
patrie des vertus h éroïques, et qu'il ne puissee doit avoir lieu oans tout Etat bien constitué,
subsister sans elles, je défie qu'on m'expli- plus ou moins, il est vrai, selon la forme-
que pourquoi ces mêmes vertus y sont pres- du gouvernement. »
que toujours l'objet de la plus noire ingra- Le même principe, la vertu, doit avoir lieu
titude et de la persécution la plus injuste. dans tout Etat bien constitué il doit donc
Je ne crains pas de l'avouer; en admirantt avoir lieu dans la monarchie, et il ne doit, dans
ces vertus héroïques dont les écrivains dei mon système, avoir lieu que dans la monar-
l'antiquité, emportés par le goût du merveil- chie, puisque je ne reconnais de constitution.
leux, et par leur amour pour leur patrie, que dans la société monarchique. Effêetive-
nous ont fait un si pompeux étalage, je mei ment la vertu n'est moyen (et non pas prin-
rappelle involontairement que dans une cipe) du gouvernement que dans la: monar-
autre république,des écrivains ont prodiguéi chie elle y est sociale, parce que l'homme
à Robespierre et à ses dignes amis le titre> y est social; et dans les autres gouverne-
de vertueux; et je frémis de penser que sii ments, elle n'est qu'individuelle, parce qu'il
ce parti eût pu triompher, la postérité abu- n'y a que des individus.
sée les eût regardés peut-être comme des Quel est le caractère distinctif et spécial'
Sully ou des Fénelon. de la société constituée, ou de la monarchie?
Si l'on voulait porter le flambeau, je ne La distinction des professions. Le moyen ou
dis pas du christianisme, mais de la saine le ressort de la monarchie sera donc le
morale dans la conduite privée de ces hom- moyen ou le ressort particulier de chaque
mes, dont l'antiquité se glorifie, et suivre profession ou le ressort commun et général
ces héros de théâtre derrière les coulisses, de toutes les professions. Or ce ressort est,
on verrait trop souvent les déplorables fai- l'honneur, et l'honneur est la vertu propre
blesses de l'homme succéder aux vertus gi- de chaque profession et la vertu commune
gantesques du citoyen on verrait l'austère de toutes les professions. Ainsi l'honneur

( 1 ) Brutus, sous des noms empruntés, prêta de aux yeux des partisans mêmes de la république, il
l'argent aux Salaminiens à 4 pour cent par mois. il eût fallu qu'il l'eût rétablie. Oh admire, en le détes-
obtint pour cela deux sénatus-consultes, dans le tant, un forfait heureux; mais un assassinat
premier desquels il est dit que ce prêt ne serait pas succès n'est que le plus vil et le plus lâche des sans
cri-
regardé comme une fraude faite à la loi. Pompée, mes. Ce n'ett qu'à une action conforme aux lois na-
pour six cents talents qu'il avait prêtés au roi Ario- turelles, religieuses et civiles, que l'intention peut
'^rzane, se faisait payer trente-trois talents attiques suffire. Et que gagna Rome à la mort de César? ce
tous les trente jours. (Voy. les Lettres de Cicérore à qu'a gagné la France à la mort rie Louis XVI, qui,
Auicus, liv. \i, leur. 1,2, 5.) avec des droits bien plus légitimes, avait le cœur
Brutus assassine son ami, son bienfaiteur, peut- aussi bon. Rome tomba sous la tyrannie TTAnloine,
être plus encore; il épargne Antoine, l'indigne com- deLépideet d'Octave, comme la France sous cette
plice du plus aimabte des maîtres il perd la tête deMarat et de Robespierre. Ce n'était au fond que
après l'action, il négocie avec Antoine, il a peur du des disputes d'ambition. Caton, Cieéron Brutus et
peuple, il perd l'espoir à Philippes, croit voir un autres voulaient exercer leur pouvoir; et ils étaient
fantôme et se tue, parce qu'il a la faiblesse de croire des aveuglesde ne pas voir que la volonté générale
tout perdu; et l'on en fait un grand homme! César de la société demandait impérieusement que le pou
ne se fût pas tué. Ah! du moins, pour mériter ce voir général se constituât.
titre et faire excuser le meurtre de son bienfaiteur
dans l'homme d'église est la décence et la sous
sc Henri III et la régence mais l'esprit
gravité, dans l'homme d'épée la bravoure, d( professions ou les moeurs publiques
des
dans le magistrat l'intégrité, dans le gentil- s'étaient
s'i extrêmement altérées et lorsqu'on
homme la loyauté, dans l'homme de lettres voyait dans une monarchie toutes les profes-
vc
la vérité, dans le commerçant la bonne foi, sions se confondre dans les clubs, et y per-
si,
dans l'artiste même le bon usage de son ta- dre
dr leur esprit particulier, le ministre de la
lent. L'honneur français est la fidélité à son religion
re devenir administrateur ou académi-
roi ou, ce qui est la même chose, à sa pa- cien;
ci, le militaire, bel esprit le magistrat,
trie l'honneur d'une femme est une con- pl
philosophe la noblesse, avide d'argent le
duite irréprochable. L'honneur est donc la commerçant, agioteur et les sociétés litté-
co
vertu de chaque profession,. et de toutes les raires,
ra devenues les dépositaires de l'in-
professions car toutes disent mon hon- struction
sti et de la morale publiques, décer-
neur, quoique chacune le fasse consister ner
nE des prix aux actions louables et mettre
dans une qualité différente. Montesquieu a un tarif à la vertu il ne fallait pas une ex-
ur
entrevu cette vérité, lorsqu'il a donné aussi trême
tri sagacité pour prévoir une révolution.
l'honneur pour principe à la monarchie. Mais Les monarchies ont ce grand avantage sur
ce beau génie, égaré par ses préjugés philo- les républiques, que le gouvernement peut
le;
sophiques, a manqué de justesse l'honneur toujours
to; empêcher l'altération des mœurs
qu'il a adopté, et dont il trace les caractères, publiques
pu ou la corruption des professions
fait aussi peu d'honneur à son tœur qu'à son mais les mœurs privées ne sont pas de son
m.
esprit et tout ce qu'il en dit est faux et im- ressort,
re et ne lui donnent pas la même prise.
moral (1). Au reste, je ne borne pas la signification de
AI
Dans les républiques,où tous les éléments ce mot mœurs à celle qu'on lui donne com-
de la société mêlés et confondus étaient em- munément
mi quand on dit d'un homme qu'il a
portés dans un tourbillon de passions vio- de mauvaises mœurs ce genre de corrup-
lentes, allumées par de grands intérêts, on tic est plus funeste à l'homme que nuisible
tion
voyait fréquemment des vertus hors de leur à 1la société, et il n'est pas impossible à un
place naturelle, et elles en étaient plus re- gouvernement
go attentif, et qui se donne la
marquées. On admirait la continence d'un peine
pe de veiller sur 1'homme physique, d'en
guerrier et Je courage d'une femme; c'étaient ôter le scandale, et de rendre les mœurs plus
ôt(
les vertus de l'homme et non celles de la décentes, et par conséquent meilleures

profession, les mœurs privées et non les mi la corruption vraiment à redouter pour
mais
mœurs publiques; mais aussi l'on trouvait la société, parce qu'elle y éteint tout esprit
souvent l'ambition du pouvoir suprême dans public, tout sentiment généreux, qu'elle
pu
un général, et l'esprit de faction dans un flétrit
(lé l'âme et dessèche le cœur, est le goût
magistrat. Règle générale, les républiques immodéré des richesses. Dans les monar-
im
pé'rissent par la corruption des individus, et chies,
ch cette passion trouve un correctif dans
les monarchies par la corruption des pro- les mœurs qui permettent le luxe au citoyen,
fessions; c'est-à-dire, que les sociétés non ou qui honorent la pauvreté dans le noble
constituées périssent par la dépravation des mais
m* dans les républiques, dans lesquelles
mœurs privées, et les sociétés constituées, toutes les institûtions favorisent l'acquisi-
toi
par l'altération des mœurs publiques. A tion des richesses par le commerce, et où
tic
Home, dans les derniers temps de la répu- les mœurs, et souvent les lois, en interdi-
les
blique, la corruption, des moeurs privées se, l'emploi par le luxe, elle est devenue
sent
était à son comble en France, les moeurs une avarice insatiable, dont les progrès sont
un
privées étaient meilleures de nos jours que d'autant plus effrayants, qu'ils sont moins
d'e
( i ) Montesquieu prétend que l'honneur permet Cette morale facile rappelle le trait (le l'auteur a un
Cei
la ruse, lorsqu'elle est jointe à l'idée de la grandeur ouvrage célèbre, à l'égard du cardinal de Fleury (a);
ou.
des affaires. L'honneur s'accorde avec la prudence, il est
( vrai qu'il s'agissait d'un grand esprit et d'une
mais le véritable honneur ne permet jamais la ruse, grande
gre affaire; d'être de l'Académie française.
et le faux honneur lui-même défend de l'avouer.
(a) L'auteur fait ici allusion à un trait de la vie de Mon- rel
retrancha ou on adoucit tout ce qui pouvait être con-
tesquieu, rapporté par Voltaire dans son Siècle de Louis damné
dat par un cardinal ou par un ministre. M. de Mon-
XIV, Cet écrivainprétend que le cardinal de Fleury avait tes
tesquieu porta lui-même l'ouvrage au cardinal, qui ne
écrit à l'Académie que le roi ne donnerait point son ap- lisait
Usa guère et qui en lut une partie; cet air de confiance,
probation à la nomination de l'auteur des Lettres persanes, soutenu par l'empressement de quelques personnes eu
dauslesquellesselrouvajentdes sarcasmes impies. « Alors,
dit Voltaire, i Montesquieu prit un tour fort adroit pour
i sou
cré
crédit, ramena le cardinal, et Montesquieu entra à l'Àcao
déi
démie. s Cette anecdote, quoique rejetée par les biogra-
mettre le ministre dans ses intérêts il fit faire en peu de phes modernes, n'a été contredite par aucun des canteiu-
ph<
jours une nouvelle édition de son livre, dans lequel on porains
poi et des amis de Montesquieu.
aperçus. C'est là ce qui perdrait les républi- mains,
n il faut que le crime soit connu, que
Ii faiblesse soit ignorée. »
ques modernes, si les monarchies cessaient la
de les protéger. A combien d'Etats en Eu- CHAPITRE III
rope ne pourrait-on pas appliquer ce que Ju-
r
gurtha disait de Rome 0 urbemvenalem, si POUVOIRS LÉGISLATIF, EXÉCUTIF, JUDICIAIRE.
emptorem invenerit I II est temps d'aborder la célèbre question
Je reviens à la vertu publique ou à l'hon- de la division des pouvoirs, dogme fonda-
neur, ressort des monarchies. La constitu- mental
c de la politique moderne. Avec les
tion qui ordonne tout avec sagesse, ne cher- principes que j'ai posés, je puis la simpli-
che donc pas à forcer la nature de l'homme fier,g et peut-être la résoudre.
en lui inspirant le goût de la vertu pour la « Il y a dans chaque Etat, » dit Montes-
vertu même, perfection idéale à laquelle la quieu,
q «trois sortes de pouvoirs la puis-
religion même ne nous élève pas mais elle sance s législative, la puissance exécutive des
substitue à cette brillante chimère le désir choses
c qui dépendent du droit des gens, et
de la gloire, la crainte de l'infamie. L'hon- la], puissance exécutive de celles qui dépen-

neur est dans la monarchie ce qu'était la cen- <jdent du droit civil. Cette dernière puissance
sure chez les Romains; avec cette différence, s'appelle
s aussi pouvoir judiciaire. » (Esprit
que confiée à toute une nation, elle ne peut dese lois, I. h, ch. 6. )
être abolie ni usurpée. L'honneur peut avoir Opposons Montesquieu à lui-même. i Le
ses excès, mais un gouvernement qui gou- rpouvoir, » dil-il, « est la volonté générale de
verne, doit en réprimer les écarts et peut ]l'Etat; » or, l'Etat n'a qu'une volonté, celle
quelquefois armer avec succès l'honneur de c sa conservation; donc l'Etat n'a qu'un
contre l'honneur même. pouvoir.
j
On reproche à l'honneur d'épargner un Opposons Rousseau à Montesquieu. « Nos
coupable pour étouffer une faiblesse, et politiques
t ne pouvant séparer la souverai-
d'étendre sur les familles la honte du châti- neté
i dans son principe, la divisent dans son
ment. C'est une conséquence nécessaire de objet. ( Ils la divisent en force et en volonté,
la constitution, qui ne considère jamais l'in- en( puissance législative et en puissance
dividu, mais la famille, et qui ne considère exécutive,
< en droit d'impôts de justice et de
les familles que dans les professions. Ce qui guerre,
1 en administration intérieure, et en
fait que le crime de l'individu est celui de pouvoir
] de traiter avec l'étranger. Tantôt ils
la famille, et que le crime de la famille re- confondent
c toutes ces parties et tantôtils les
tombe sur la profession; et comme la profes- séparent
< ils font du souverain un être fan-
sion est nécessaire à la conservation de la 1tastique et formé de pièces rapportées
société, tout ce qui peut l'avilir diminue c'est ( comme s'ils composaient l'homme de
sa force et son utilité. « II y a,» dit Montes- plusieurs
] corps dont l'un aurait des yeux,
quieu, «de mauvais exemples qui sont pires ]l'autre des bras, l'autre des pieds, et rien de
que des crimes et plus d'Etats ont péri plus. ] Les charlatans du Japon dépècent, dit-
parce qu'on a violé les mœurs, que parce <on, un enfant aux yeux des spectateurs;
qu'on a violé lesjlois. «Maxime profondément puis jetant en l'air tous ses membres l'un
j
vraie, et qui reçoit dans ce moment une ap- après l'autre, ils font retomber l'enfant vi-
plication bien étendue 1 Cette attention à vant et tout rassemblé. Tels sont à peu près
dérober certaines fautes à la connaissance les tours de gobelets de nos politiques
du public et à Tanimadversion des lois est après avoir démembré le corps social, par
un nouveau trait de ressemblance de nos un prestige digne de la foire, ils rassem-
mœurs à celles des Germains. « Les peines 1blent les pièces, on ne sait comment. » [Con-
chez les Germains, » ditTacite. (1), « varient jtrat social. )
selon les délits. Les traîtres et les transfu- Dans cette sortie violente, évidemment
ges sont pendus à des arbres élevés; on dirigée contre Montesquieu,Rousseau com-
étouffe dans des bourbiers, en les accablant pare à un charlatan celui qu'il appelle ail-
avec des claies, les lâches, les faibles, les leurs un beau génie.
infâmes. Quand on punit, disent les Ger- Il n'y a donc qu'un pouvoir mais ce pou-

(1 ) Distinctio pœnarum ex delicto proditores et rpspicit,


i tanquam scelera ostendi oporteat, dum psv-
transfugas arboribus suspendunt ignavos, et im- niuniur,
i flagitia abscondi. (Tacit., De mor. Gens*
belles, et corporeinfames,coeno ac palude, injecta cap.
« i-1.)
ûisuper crate, mergunt. Diversitas. supplicii iltue
U JfUUVUlK. l'AKT.I.POlTV. POLITIQUE. Ll'V.VI. 382
eoira différentes fonctions qu'il faut consi-i-quences nécessaires des lois fondamentales,
dérer séparément. des rapports dérivés dû la nature de la so-
1" Le pouvoir judiciaire n'est pas un pou-
s- ciété, puisqu'elles sont l'application des lois
voir « De ces trois puissances,»dit Montes- s- fondamentales à la société. Dans une société
quieu, «celle de juger est, en quelque façon,i, constituée, ces rapports, comme nous l'a-
nulle. » vons fait voir, sont nécessaires, et s'ils ne
2° « La puissance exécutrice, pour l'admi-i- l'étaient pas, la société ne serait pas consti-
nistration intérieure doit être dans les ;s tuée. Or, bien loin qu'il faille un pouvoir
mains d'un monarque, puisque cette partie ie humain pour établir des rapports nécessai-
du gouvernement, qui a presque toujours -s res, le pouvoir de l'homme ne fait que re-
besoin d'une action momentanée, est mieux ix tarder l'ouvrage de la nature, et l'empêcher
administrée par un que par plusieurs. » qu'elle n'établisse des rapports nécessaires,
(Esprit des lois.1 en en établissant lui-même qui ne le sont
Jusqu'ici je suis d'accord avec Montes- pas. De là vient la nécessité d'un homme,
quieu, parce que nous nous accordons tous is comme législateur, dans les sociétés qui ne
les deux avec la nature. veulent pas de la nature pour législatrice;
s- il ne faut donc pas de pouvoir législatif pour
3" II ne reste plus à examiner que la puis-
sance ou le pouvoir législatif, selon les mo-(- faire des lois politiques.
dernes législateurs, ce que j'appelle la fonc-
> 3° Les lois extérieures ou diplomatiques
tion législative car, comme je l'ai déjà dit, t, sont les rapports de nation à nation; rap-
je ne reconnais dans la société, comme dans is ports nécessaires, parce qu'ils sont l'ouvrage
l'univers, qu'un pouvoir, le pouvoir conser- r- de la force ou de la convenance réciproque ·.
vateur dont les puissances législative, exe- i- or, la force majeure, ou la convenance réci-
cutive et judiciaire, ne sont que des modifi-i- proque sont elles-mêmes pouvoir législatif,
cations ou des fonctions. et n'en reconnaissent pas d'autre.
Qu'est-ce que des lois?2 4° Les lois civiles, ou d'administration
Les lois, selon Montesquieu, sunt les rap- intérieure, fixent les relations des citoyens
,s entre eux,
ports nécessaires qui dérivent de la nature des relativement à la conservation et
choses. Rousseau dit la même chose Les à la transmission de leurs propriétés res-
,s
morales ou physiques or ces rap-
rapports naturels et les lois doivent tomber ,r pectives,
toujours de concert sur les mêmes points. ports dérivent nécessairement de la nature
J'admets cette définition, et je dis des professions et de la nature des proprié-
Les lois fondamentales, les lois politiques, tés. Mais les professions comme les pro-
les lois civiles, intérieures ou extérieures, priétés sont de différente nature donc les
sont donc des rapports qui dérivent néces- rapports entre elles seront différents mais
5>

sairement de la nature des choses. ces différences seront nécessaires parce


1° Les lois fondamentales dans la société
qu'elles seront elles-mêmes de nouveaux

civile sont les rapports nécessaires qui déri- rapports entre les êtres.
i-
vent Toutes ces lois sont donc des rapports
De la nature de l'homme intelligent et nécessaires, qui dérivent de la nature des
physique c'est la religion publique, ou lee choses; donc la nature seule établit ces rap-
culte de l'unité de Dieu ports, donc la nature seule doit faire des
lois, donc la nature seule a le pouvoir légis-
De la nature de l'homme physique et in- latif. Ces principes
sont rigoureux, mais ils
telligent c'est la monarchie royale ou le le
ne sont pas nouveaux.
gouvernement de l'unité de pouvoir;
« On veut, «dit le président Hénault, le
De la nature du pouvoir religieux et de le plus judicieux de nos historiens, « que l'on
celle du pouvoir politique ce sont les dis-
vous dise que telle année, à tel jour, il y
tinctions ou professions sociales, force pu- L" eut un édit pour rendre vénales les charges
blique, conservatrice des deux sociétés. qui étaient électives or il n'en va pus ainsi
Or, la nature de l'homme intelligent et et de tous les changements qui sont arrivés
physique, la nature du pouvoir religieux et 3t dans les Etats, par rapport aux mœurs, aux
celle du pouvoir politique, sont immuables, s, usages, à la discipline; des circonstances ont
t
nécessaires donc il ne faut pas de pouvoir préeédé, des faits particuliers se sont multi-
législatif pour faire des lois fondamentales.
s. pliés ( voilà la nature ), et ils ont donné, par
2° Les lois politiques sont des cousé- succession de temps, naissance à la loi gêné-
rale sous laquelle on a vécu. » (Rem. part. )) el qu'en plaçant le roi entre la nécessité
et
Venons aux exemples; ils éclairciront ce ,e d'agir,
d' et le besoin d'être gouverné, elle
qu'on a pu trouver d'abstrait dans ce qui a l'accoutume à une timidité, à une défiance
"( soi-même, funeste à beaucoup de princes.
de
précédé. Je serai forcé de revenir sur quel-,l_
2° Une loi qui la fixerait plus tard, comme
ques objets déjà traités dans le cours de cet
et
elle
el l'est dans quelques Etats, serait plus
ouvrage; mais entre l'inconvénient de se raisonnable. Car il est plus dans la nature,
'y
répéter et celui de n'être pas entendu, il n'y Ti

a pas a balancer. que l'esprit ait acquis toute sa force, lorsque


Qu'on dise, quand, comment et par qui a le corps a pris tout son accroissement.
été réglé le droit successif héréditaire à la la 3° La fixation de la majorité doit avoir des
rapports nécessairesavec l'éducation, dont j'es-
couronne ? Cette loi est un rapport nécessaire re TË
qui dérive de la nature de l'homme et de la saierai
S£ ailleurs de développer les principes.
4° Enfin cette loi est fondée sur des rap-
nature du pouvoir; et l'Etat qui, comme la
Pologne, a refusé d'écouter la nature et d'a- a. ports
Pl qui ne peuvent jamais être nécessaires,
dopter ce rapport nécessaire, a vécu dans l'a-
a. à cause des variétés dans le moral et le phy-
narchie et fini dans l'esclavage. sique de l'individu, que l'homme ne peut
si
Qu'on cite le lieu, le temps et le législa-a_ connaître;
Ç( et parce que la fixation de la ma-
teur d'uri édit sur l'inaliénabilité des do- o- jorité
j( ne peut être nécessaire, les minorités
maines de l'Eglise ou du monarque 1 Cette .te seront
S( toujours orageuses, ou parce que le
loi est un rapport nécessaire, qui dérive de roi
ri devenu majeur par la loi sera encore
la nature du pouvoir religieux et de celle du lu nmineur par la nature, ou parce que le roi
pouvoir politique. majeur
n par la nature sera encore mineur
On nomme le législateur qui a fixé la par la loi, et qu'ainsi il voudra gouverner
P
quelquefois
q malgré la nature et quelquefois
majorité des rois de France à quatorze ans; s.
n malgré la loi imperfection qui, tenant à la
mais, 1" il existait avant cette époque une n
nnature de l'homme, ne peut être corrigée
coutume ou loi non écrite, qui fixait la ma- la.
>a*
jorité des rois à un âge plus avancé. ppar aucune loi.
J'ajouterai, pour dernière réflexion, qu'il
2° Elle avait déjà été fixée à quatorze ansns
eest étonnant que Charles V, contre la na-
par Philippe le Hardi, et l'occasion de la ture du gouvernement monarchique, ait
mettre à exécution ne s'était pas présentée.
(1

loi n'était
'r
pasnécessaire, choisi pour époque de la majorité des rois,
3° Parce que cette trê l'âge
l de quatorze ans, qui était l'époque de
elle fut nuisible; et l'on pourrait peut-être
LI majorité des citoyens non nobles, parce
la
lui attribuer une partie des malheurs de la qu'alors ils pouvaient se livrer à quelque né-
France sous le rè^ne de Charles VI, en fa- j.
goce, 9 au lieu de l'âge de vingt et un ans, épo-
veur de qui elle fut portée. Car si ce prince que de la majorité du noble, parce qu'alors
n'eût été majeur que plus tard, suivant la 1 noble pouvait porter les armes et desser-
coutume ancienne, il y eût eu un régent ,t
,1]
le
vir
v son fief.
jusqu'à cette époque, c'est-à-dire un pouvoir ~ar Souvent une loi politique n'est que le ré-
dans l'Etat; mais comme la régence cessa ér t'tablissement nécessaire d'une loi plus an-
lorsque le roi n'était pas en âge de gouver- cienne, inconstitutionnelle ment abrogée.
ner par lui-même, ou si l'on veut, d'être tre
re t
Ainsi la loi de 1750, sur la noblesse mili-
pouvoir, il y eut le pouvoir de ses oncles,
ttaire, n'était que le retour nécessaire à la loi
le pouvoir de sa femme, le pouvoir de son on politique abrogée par Henri IV, loi qui don-
frère, etc.; et ce monarque infortuné, ac- as-
coutumé dès l'âge de quatorze ans à être as- rnait à la profession des armes le droit de
servi, ne put plus, même dans ses interval-
les de raison, se ressaisir d'une autorité que
ue
a conférer
t
tait
t
la noblesse. Ainsi la loi qui permet-
au clergé de France de rentrer dans ses
les usurpateurs avaient eu le temps de con-
domaines,
i ne fût pas devenue nécessaire, si
m~ 1l'on n'eût pas abrogé ou enfreint la loi qui
solider, et réduisit la France aux dernières res 1lui défendait de les aliéner.
extrémités par la faiblesse de son caractère,
r.e' Je terminerai ce qui concerne les lois po-
autant que par la faiblesse de son esprit. :it* litiques par un passage du judicieux prési-
(Mézerai.) dent
( Hénault, qui s'accorde parfaitement
La loi de Charles V me paraît défec- 3C~ avec
l mes principes. «L'àutorilé,» dit cet au-
tueuse tteur, « ne doit tirer les lois nouvelles que
1° Parce que par cette loi l'autorité pré-
ré- comme
« des écoulements des anciennes. Dès
cède la raison, ce qui est contre la nature;
re; qu'elle
<
n'y aura plus d'égards, le droit nou-
>U YU1K. PAKT. I. POUY, POLITiQUE. LIV. \J. 586
veau forcera tout, et sera, comme dît Pope, et d-e l'exposer en vente avant la loi de
mm droit toujours, ou trop fort avec les fai- Sparte qui permettait d'égorger les malheu-
bles, ou;trop faible avec les forts. » Voyez
dans ce passage de Pope les nouvelles lois
reux Ilotes, ou qui faisait du larcin une ins-
titution nationale; avant la loi infâme de
françaises, également impuissantes à proté- Thèbes, rapportée par Plutarque, qui ne sa-
ger la vertu et à réprimer le vice. Hénault vait adoucir les mœurs qu'en outrageant la
dit ailleurs « Toutes les origines sont obs- nature avant les lois reçues dans les aris-
cures, et la coutume des fiefs était anté- tocraties, qui distinguent les citoyens des
rieure à la loi des fiefs. •» citoyens, et mettent d'un côté la perpétuité
En voilà assez sur les lois politiques du .pouvoir particulier, et de l'autre la perpé-
passons aux lois civiles, j'ébauche à grands tuité de la sujétion avant la loi rendue dans
traits un vaste tableau. la république française, qui ôte avec tant
Toute société est régie par des coutumes de soin aux ministres de la religion toute
'ou des lois écrites et l'on ne peut conce- influence dans l'éducation publique qui ne
voir une société sans les unes ou sans les veut pas que l'éducation soit religieuse, de
Autres, -et même sans toutes les deux. peur qu'elle ne soit pas assez sociale avant
Or je dis qu'à toute époque de son exis- la loi qui, regardant le célibat comme une
'tence une société constituée a eu^usque-là propriété, ou l'impôt comme un châtiment,
'toutes les lois nécessaires à sa conservation.; soumet le célibataire à. une contribution
car s'il lui eût manqué une seule loi néces- particulière; avant la loi qui, dans la répu-
saire à sa conservation, elle ne se serait pas blique, brise le lien conjugal ou anéantit
«onservée. Cette vérité est évidente, et pour l'autorité paternelle; avant toutes ces lois
en faire l'application aux lois politiques, ci- dis-je, il n'existait rien de semblable dans
viles et criminelles à la fois, j'observerai ces sociétés la nature n'avait eu garde d'y
qu'avant l'édit de Charles V sur la majorité introduire de pareilles lois et elles étaient
des rois de France il y avait une loi qui si peu nécessaires à leur conservation
fixait l'époque de ;la majorité; qu'avant qu'elles ont été, au contraire, ou qu'elles
l'ordonnance de 1667, il y avait en France peuvent être la cause de leur ruine. i Car
des lois sur latransmission ou la conservation si le législateur, se trompant dans son ob-
des propriétés; qu'avant l'ordonnance eritui- jet, prend un principe différent de celui qui
«elle de 167©, il y"avait des lois sur la ré- naît de là nature des choses, l'Etat ne ces-
pression des délits; comme avant l'ordon-
sera d'être agité jusqu'à ce que ce principe
nancedu célèbre chancelier d'Aguesseau sur
les testaments, il y avait des lois sur la- j
soit détruit ou changé, et que l'invincible
nature ait repris son empire. »
disposition des biens. Car s'il n'y eût eu
J'ai dit que les lois civiles étaient les rap-
en France, avant Charles V, aucune loi pour ports nécessaires qui dérivent de la nature
fixer l'époque à laquelle le pouvoir de la
des professions et de la nature des pro-
société devait -être exercé avant t667, au-
priétés.
1
cune loi sur la transmission et la conserva- Cette relation des lois à la nature des
tion des propriétés; avant 1670, aucune loi
professions et à celle des propriétés n'a pas
sur la punition des délits avant d'Agues- échappé à l'auteur de l'Esprit des lois 1&
4
seau aucune loi sur la disposition des titre seul du ch. 9 du liv. v l'annonce as-
biens, la société française n'aurait pu se (
sez Comment les lois sont relatives à leur
conserver jusqu'à l'une ou à l'autre de ces principe dans la monarchie. « 11 faut, dit-il,
époques ces lois fussent-elles utiles n'é- j »
«que les lois travaillent à soutenir cette no-
taient pas nécessaires et c'est ce qui dé- blesse*
dont l'honneur est, ainsi dire
montre l'injustice de l'effet rétroactif donné 1l'enfant et le père il faut pour
1

qu'elles la ren-
aux lois puisque c'est les supposer néces- dent héréditaire,
saires dans un temps où la volonté générale ( non pour être le terme
entre
< le pouvoir du prince et la faiblesse du
de la société ne les jugeait pas même utiles. peuple
mais le lien de tous deux. Les sub-
On ne peut pas en dire autant des lois stitutions,
s qui conservent le bien dans les.
des sociétés non constituées car, avant la ffamilles, seront très-utiles dans
ce gouver-
loi qui donnait à Rome droit de vie et de nement i les terres nobles auront des privi-
mort au père sur son fils, au citoyen sur léges 1 comme les personnes on ne peut sé-
son esclave, ou qui permettait a un créan- fparer la dignité du monarque de celle du
eier de réduire son débiteur en esclavage, royaume
i on ne peut guère séparer non
OEUVRES Kiunn a 1,
fiOMPL. niî AT.
itp T
587 OEUVRES COMPLETES DE M.
&& Uti DE BONALD,
JU. JUti LSUJNALW, 588
ulus
plus dignité du
sa
*a noble de celle de son fief.
du noble fief, gement dont elles sont tenues envers la so-
gsèment so-
Toutes ces prérogativessont particulières à ciété
ci étant héréditaire, il faut que les moyens
la noblesse et ne passeront point au peuple, d les remplir soient héréditaires aussi et
de
si on ne veut pas choquer le principe du gou- hles substitutions sont, pour les terres de la
vernement, si on ne veut diminuer la force noblesse
n ou profession militaire, ce qu'est
de la noblesse et celle du peuple. » l'inaliénabilité pour les domaines de la pro-
1'
Mais si les lois civiles varient suivant la fession sacerdotale, et pour ceux de la pro-
f<

nature des professions, elles doivent varier fession royale je vois entre ces lois mêmes
f<

aussi suivant la nature des propriétés. C'est rapports,


ri mêmes motifs, mêmes effets.
donc aller contre la nature des choses, que Ainsi la contrainte personnelle on l'em-
de vouloir soumettre aux mêmes lois civiles prisonnement
p s'établira nécessairement pour
les différentes contrées d'un vaste empire, 1« obligations de commerce, parce que cette
les
où les différences de propriété seront très- propriété
p est fugitive de sa nature, et aisée
multipliées. Ecoutons encore Montesquieu à soustraire à l'action de la justice; et cette
je me sens bien plus fort quand je puis h est si nécessaire, qu'en France, où le dé-
loi
m'en aider.: Il y a, » dit-il, « de certaines lire
li de 'la liberté l'avait fait abroger, il a
été question de la rétablir. Au contraire,
idées d'uniformité qui saisissent quelque- déjà
d
fois les grands esprits, car elles ont touché 1, contrainte civile, ou la saisie des biens,
la
Charlemagne, mais qui frappent infaillible- s'établira
s pour les dettes contractées à l'oc-
ment les petits ils y. trouvent un germe de casion
c des propriétés territoriales, pare»*
perfection qu'ils reconnaissent, parce qu'il qque cette propriété ne peut être cachée «i
est impossible de ne pas le découvrir; les déplacée,
d et qu'on ne doit attenter à la li-
mêmes poids dans la police, les mêmes me- tberté de l'hommequi n'est coupable d'aucun
ddélit, que lorsqu'il n'y a pas d'autres moyens
sures dans le commerce, les mêmes lois
dans l'Etat. Mais cela est-il toujours à pro- àde conserver la propriété.
pos sans exception, et la grandeur du génie Jl me reste à parler des lois criminelles,
ne consisierait-elle pas mieux à savoir dans qui
q font partie des lois civiles ou d'adminis-
quel cas il faut l'uniformité, et dans quel tration
t intérieure elles sont, en elles-mê-
cas il faut la différence ? » ( Esprit des lois, rmes, comme toutes les autres lois, des rap-
liv. xix, ch. 18.) ports
1 nécessaires qui dérivent de la nature des
Le judicieux président Hénault dit la choses
c ( Esp. des lois ); et, considérées hors
même chose en termes encore plus formels, d'elles-mêmes
c et relativement à la soeiété,
« Louis XI avait cru que son autorité serait
elles
e doivent être l'expression de la volonté
mieux affermie, si les lois de son royaume générale..
£ (Cantr. soc) Entrons dans le détail.
étaient uniformes il voulut donner à ce Les lois criminelles répriment et punis-
projet le prétexte spécieux du bien publie. sent
£ les délits que l'homme peut commettre
L'uniformité des poids et mesures n'est dans
< la société.
qu'une dispute de nom; mais il n'en est pas Les lois criminelles sont donc dè&rap-
de même des lois qui ont été faites, des .ports
-g nécessaires qui dérivent de la nature
coutumes qui se sont introduites, suivant de
< l'homme, de la nature du délit, de la
]i nature de chaque pays et les mœurs de nature de la société.

à
i

ses habitants,; on ne vit pas à Dunkerque 1° L'homme qui commet le délit est phy-
comme à Toulouse, à Marseille comme i. sique et moral mais le pouvoir politique
Paris, en Normandie comme à Saint-Malo, ne peut statuer que sur l'homme physique
et les diverses professions veulent être ré- j l'homme, relativement à la société politique,
gies différemment. » (Rem. part.) ne sera donc coupable que par l'action, et
Ainsi, parce que les professions et les
propriétés sont différentes quant à leur ob-
non par la volonté premier rapport, pris
de la nature de l'homme.
jet ou*à leur nature, les lois relatives aux[ 2° Le délit peut être commis contre le
unes et aux autres seront différentes mais5 corps social, ou contre ses membres les dé-
leurs différences seront toujours nécessaires..• lits seront donc publics ou particuliers se-
J'en citerai deux exemples, l'un relatif auxE condrapport,qui dérive de la nature du délit.
professions, l'autre aux propriétés. 3° Le corps social, ou la société, est com-
Les substitutions s'établiront dans les fa- posé d'hommes.et de propriétés. Les honi-
milles qui exercent une profession -sociale, mes, membres du corps social,. diffèrent
commû celle des armes; parce que l'enga- entre eux par l'importance respective da
leurs professions pour la conservation de la de répression, et non comme châtiment. Je
société; les propriétés diffèrent entre elles m'explique,: la volonté générale de la so-
par leur nature différence dans les délits, ciété qui a la conservation des êtres pour
relative aux professions des hommes et à la objet, emploie, pour1 les conserver, des
nature des propriétés. Troisième rapport moyens infaillibles, parce qu'elle est une
qui dérive de la nature de la société. volonté efficace; c'est-à-dire que, supposant
Tous ces rapports sont nécessaires, et ils
avec raison à l'individu coupable d'un de
dérivent de la nature des choses donc ils
ces délits qui détruisent le corps social,
sont des lois. (Esprit des lois. ) l'intention de poursuivre sa destruction,
J.'ai dit que l'homme pouvait commettre" elle le met dans l'impossibilité physique
un délit contre le corps social ou contre ses d'accomplir ses desseins or, il n'y a que la
membres, c'est-à-dire détruire le corps so- mort qui puisse mettre l'homme dans cette
cial ( autant qu'il est en lui ), ou seulement impossibilité physique donc la peine de
l'offenser. mort est un moyen de conservation pour la
Offenser le corps social, c'est troubler un société donc la loi qui soumet à la peine de
de ses membres dans la jouissance paisible mort l'homme convaincu de crimes qui dé-
de ses propriétés, de quelque nature qu'elles truisent la société est l'expression de la vo-
soient, ou si l'on veut, le troubler dans le lonté générale, conservatrice de la société.
libre exercice de ses droits de citoyen et de Mais n'y a-t-il que la peine de mort qui
propriétaire. puisse mettre l'individu coupable d'avoir
L'homme qui trouble son semblable dans attenté l'existence du corps social, dans
l'exercice de ses droits de citoyen et de pro- l'impossibilité physique de continuer ses
priétaire, doit être puni par la suspension attentats? Oui, car la mort est le seul moyen
entière ou partielle de l'exercice de ses de répression auquel il soit physiquement
droits de citoyen et de propriétaire; et je impossible de se soustraire; parce que tout
vois clairement, entre ledélitet le châtiment, homme peut se dérober par la fuite à une
ce rapport nécessaire qui constitue la loi. peine même perpétuelle, et qu'une révolu-
Détruire le corps social politique, c'est le tion peut rejeter dans la société les malfai-
ramener à l'état sauvage, puisque former le teurs qu'elle a prétendu exclure de son sein
corps social, a été le tirer de l'état sauvage. en sorte qu'il est vrai de dire que l'homme
C'est détruire la société politique, ou la ni la société ne peuvent pas infliger une
ramener à l'état sauvage, que d'attenter à peine perpétuelle.
ses lois politiques parce qu'une société Ainsi la nation qui condamnerait à la dé-
dans l'état sauvage n'a point de lois politi- portation 'des scélératsqui ont mérité le der-
ques. Ce crime s'appelle crime de haute tra- nier supplice, manquerait essentiellement
hison, ou de lèse-majesté.
aux lois des sociétés entre elles, c'est-à-
C'est détruire la société politique, ou la dire aux lois de l'humanité, en laissant, au
ramener à l'état sauvage, -que, d'ôter-de des- milieu de la société générale, des causes et
sein prémédité, et sans motif légitime, la vie des instruments de la destruction des so-
à "son semblable, ou d'envahir ou détruire à ciétés.
dessein et sans cause suffisante, les proprié- Et remarquez que le pouvoir de la société
tés publiques ou particulières, à force ou- politique, en retranchant du corps social un
verte ou par l'introduction furtive d'un si- membre coupable, fait comme les tribunaux,
gne faux, représentatif de la propriété, à la qui, dans une cause mixte, prononcent sur
place du signe universellement convenu et ce qui est de leur compétence, et renvoient
reconnu dans la société; puisque le carac- le surplus de l'affaire à d'autres tribunaux,
tère de l'état sauvage est de laisser les hom- chargés d'en connaître. Il n'exerce son ac-
mes et les propriétés exposés aux attentats tion sur l'homme physique, seul soumis à sa
de la force ou aux entreprises de la ruse. juridiction, que pour renvoyer le vrai cou-
Or quel châtiment la société peut-elle in- pable, l'homme moral, par-devant son juge
9iger à l'homme, qui soit en proportion avec naturel, Dieu, pouvoir de la société intellec-
la destruction de la société ? Il "n'y en a au- tuelle à laquelle il appartient.
cun car la destruction même de l'homme Je n'ignore pas qu'une fausse philosophie
n'a aucune proportion avec la destruction refuse à la société le-droit de condamner à
de la société^ et la mort qu'elle fait subir mort, et qu'à ces principes conservateurs,
au coupable, elle l'emploie comme moyen fondés sur des' raisons inattaquables, elle
391 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 392

oppose de misérablessophismes sur le tour- Sous les deux premières races, les frères
ment prolongé d'une existence malheureuse, des rois n'étaient pas apanages en proprié-
di
ou des opinions extravagantes sur les droits té mais en pouvoir on en faisait des rois,
tés,
de l'homme en société. ai lieu d'en faire de grands propriétaires.
au
Ces opinions tiennent d'un côté à cette
“ D là la confusion de la première race, l'a-
De
cruelle philanthropie qui sacrifie sans cesse narchie
in de la seconde, les malheurs de
la société à l'homme, et de l'autre à ce maté- toutes
te les deux. La nature indiquait la né-
rialisme désolant, qui, ne voyant rien pour cessité
et du remède par la gravité du mal; et
l'homme après cette vie, craint de lui tout pi la guerre des pouvoirs entre eux,
par elle
ôter en lui ôtant l'existence présente. Et il avertissait
ai assez qu'il ne fallait pas établir
est bien digne de remarque, que les mêmes des pouvoirs. L'homme, toujours avide de
û<
hommes qui refusaient le droit de glaive au dominer,
d1 met ses conceptions à la place des
pouvoir général de la société, en ont permis conseils de la nature, et la société n'en est
ce
en France l'exercice le plus illimité au pou- que plus agitée. Il s'élève un nouveau pou-
qi
voir particulier de l'homme, c'est- à-dire à voir,
*< le pouvoir suzerain; nos rois retien-
nent 1-a suzeraineté, et cèdent à leurs enfants
ses passions. ni
Je n'ai fait que poser les'bases sur les- 'la souveraineté; ils retiennent le pouvoir,
>la
quelles on doit asseoir les lois civiles et cri- et donnent la force. Dès lors on vit des pou-
minelles; je laisse les détails aux juriscou- voirs
«< dépendants d'autres pouvoirs, et des
suites mais au tracé des fondements, on sociétés
se politiques soumises à la fois à deux
peut apercevoir le contour et les distribu- pouvoirs.
p< La nature réclama contre ces ins-
tions de l'édifice. titutions monstrueuses on vit le souverain
ti
Si les lois sont des rapports nécessaires attaquer,
at avec ses sujets, son suzerain, ou
qui dérivent de la nature des choses, ces rap- le suzerain venir au secours des sujets
ports s'éldLbMsseiitnécessairement,si l'homme, contre
c( leur souverain. Dans quelques so-
toujours libre, n'en retarde pas le dévelop- ciétés,
ci si le souverain mourait sans enfants
pement c'est-à-dire que la nature des cho- mâles,
m sa fille portait sa succession dans la
ses les établit, si l'homme, qui gâte tout, ne maison
m d'un ennemi puissant qui ne respec-
veut pas en établir d'autres. La nature fait tait même pas les faibles liens de la suze-
ta
donc les lois dans une société constituées rahieté.
n Cette infraction à la loi de la nature,
mais comment fait-elle des lois? de deux qi ne veut pas qu'une femme puisse être
qui
manières pouvoir,
p< porta les plus belles provinces de
1° Elle introduit dans la société des cou- la France dans la maison des rois d'Angle-
tûmes qui acquièrent ferce de loi. J'ai terre,
te et alluma entre ces deux couronnes
prouvé qu'en France toutes nos lois politi- des
da guerres interminables.
ques n'étaient que des coutumes dont on ne Eclairé par deux siècles de calamités, Phi-
pouvait assigner l'époque, ni fixer l'origine. lippe
jj le Bel restreignit les apanages aux
2° Elle indique à la société le vice d'une seuls
S( hoirs mâles mais il fallut bien d'au-
loi défectueuse ou incomplète, par le ca- tres désastres, et les désordres affreux cau-
ti
ractère des troubles dont elle est agitée; s, par l'ambition des deux maisons de
sés
comme dans le corps humain, elle indique Bourgogne,
B pour qu'on en vint à l'usage
l'espèce de remède par le genre de la ma- a,actuel, de ne diviser ni le pouvoir ni la
ladie. Ainsi l'on peut apercevoir la cause force,
fi et de donner aux princes apanagistes
des troubles qui agitent la Pologne, dans le des
d propriétés sans souveraineté et des
vice de sa loi politique qui fait un pouvoir h
honneurs sans pouvoir.
de chaque ordre de l'Etat; et l'origine de la Ainsi la nature doit être le seul pouvoir
guerre qui s'éleva en Espagne pour la suc- législatif des sociétés et elle est effective
i,
cession à la couronne, dans l'imperfection ment
n l'unique législateur des sociétés cons-
de la loi politique qui rend les femmes ha- tituées, dont le pouvoir général n'a autre
ti
biles à succéder. chose
c à faire qu'à rédiger, en loi écrite, les
On peut se faire une idée bien distincte coutumes
o qu'a établies la volonté générale
de la manière dont la nature des sociétés s'y d la société ou la nature, ou à faire les
de
prend pour faire des lois, en suivant les diffé- changements
c dont elle indique le besoin.
rentes variations qu'a subies en France la loi 1 pouvoir général ou le monarque, en rem-
Le
sur les apanages des princes du sang, avant plissant
p cette fonction, manifeste donc la
d*être fixée comme elle l'est actuellement. volonté
v générale dont il est l'exercice et
l'organe, puisqu'une coutume n.'a acquis raux bornés, CQmme nous l'avons vu, è
força de toi dans une société constituée, assurer la perpétuité du pouvoir par l'élec- •
que parce que la société a eu la volonté> tion d'une autre famille, lorsque la maison
générale e la suivrj. Le monarque n'est régnante vient à s'éteindre, ou la conserva-
donc, pour ainsi dire, quo le secrétaire de tion de la société par l'octroi de l'impôt,
la nature, et il ne doit écrire que sous sa lorsque l'impôt actuel est insuffisant ne
dictée. Clovis, Charlemagne, saint Louis, peuvent sur les autres objels procéder
n'ont fait que rédiger d'anciennes coutu-
que par doléances. Et remarquez la force de
mes, ou donner des développements néces- cette expression, qui signifie plaintes res-
saires à des lois déjà exilantes; ils n'ont pectueuses parce que, dans une société où
pas èïêAv.s législateurs, parce qu'il n'a ja- la nature seule fait des lois, le pouvoir doit
mais existé de législateurs que dans les so- les faire observer, et la société ne peut se
eiétés qui n'ont pas voulu de la nature pour plaindre à son pouvoir que de leur inobser-
législatrice; et voilà l'explication de cette vation. En effet, ouvrez les procès-verbaux
maxime du Contrat social <i Pour que le de tous les états généraux ils ne sont rem-
gouvernement soit légitime, il ne faut pas plis que de réclamations sur la négligence
que le gouvernement se confonde avec le du gouvernement à faire observer les bon-
souverain, mais qu'il en soit le ministre. nes coutumes et les lois anciennes et lors-
Alors la monarchie elle-même est répu- que, emportés par un zèle peu éclairé, éga-
blique. » rés par des factions, ou dominés par la vio-
Dans la société constituée, le souverain lence, ils ont voulu proposer de nouvelles
est la volonté générale ou la nature, et son lois dont la nature n'avait pas indiqué la
ministre est le monarque ou le gouverne- nécessité, ou en faire malgré le pouvoir de
ment. La monarchie est donc le seul gouver- l'Etat, c'est-à-dire malgré la volonté géné-
nement légitime, puisqu'il est le seul où le rale, ils ont toujours troublé la France, et
souverain, la nature, ne puisse, sous aucun ils ont fini par l'anéantir.
rapport, se confondre avec le gouvernement,. En un mot, quand la nature de la société
qui est le monarque. Dans une république, exige une loi nouvelle, la nécessité introduit
où le pouvoir réside dans le sénat, ou dans
une nouvelle coutume quand la nature de-
Je peuple, le souverain nomme le gouverne- mande la correction, la modification, le dé-
ment, ou ce qu'on appelle le pouvoir exécu- veloppementd'une loi existante, il survient
tif. Non-seulement il en nomme les mem- des troubles dans la société qui en avertis-
bres, mais il établit des lois qui détermi- sent. Quand la succession héréditaire dans
nent ses fonctions,Aracent sa marche, règlent l'ainé des mâles de la maison régnante est
son action or un pouvoir; qui donne des devenue nécessaire à l'étendue, aux cir-
lois à un autre pouvoir, qui détermine tou- constances de la société française, la cou-
tes ses fonctions,, règle son action», trace sa tume s'en est introduite sans qu'on puisse
marche, nomme les membres qui l'exer- en assigner l'époque, ni en nommer l'au-
cent, et les destitue s'ils s'écartent dés rè- teur. Quand la loi, qui veut que l'impôt ex-
gles qu'il leur a tracées,, se confond avec traordinaire soit consenti par la nation sur
lui, et leur séparation ou distinction, est la demande du monarque, a été enfreinte,
purement idéale. Un prince qui dicterait à les troubles entre le pouvoir de l'Etat et les
son ministre toutes les décisions qu'il de- corps dépositaires des lois ont agité ia
vrait rendre, toutes les démarches qu'il de- France c'était un avertissement de la na-
vrait faire, assurément se confondrait avec ture, et comme un accès de fièvre du corps
lui. social qui annonçait un vice intérieur.
Je reviens à la fonction du pouvoir géné- Les hommes n'ont donc pas de nouvelles
ral, de rédiger en lois ies volontés de la na- 1lois à faire dans une société constituée.
ture. Nulle autorité ne peut exercer, même Une coutume nouvelle, » dit Bossuet, « était
concurremment avec le monarque, cette iun prodige en Egypte les Juifs n'ont eu
fonction du pouvoir général, car il y aurait rien
i à changer à la loi de Moïse. »
alors deux pouvoirs, deux sociétés. Ils sentaient bien cette vérité, les nova-
Les corps dépositaires des lois ne peu- teurst qui ont bouleversé la France, lorsque»
vent d'eux-mêmes ajouter au dépôt qui leur 1pour créer le besoin d'un pouvoir législatif: f
est confié; car s'ils pouvaient y ajouter, ils qu'ils
( pussent eux-mêmes exercer, ils sup-
pourraient en retrancher. Les états gêné- posaient
] à la France le besoin de lois fou?-
damentales, le besoin de lois politiques, le core
( atteinte à la loi politique nécessaire.,
besoin de lois civiles, le besoin de lois cri- puisqu'elle
{ tient aux mœurs, qui déclare les
minelles, le besoin môme de lois religieu- enfants
t naturels inhabiles à succéder. Aussi
ses: comme si une société politique ou une cette
c disposition, revêtue de toutes les for-
société religieuse eussent pu se conserver, imes légales, et confirmée par des disposi-
même un seul instant, sans des lois, et sans tions
t postérieures ne fut regardée que
toutes les lois nécessaires à leur conserva- ccomme une volonté particulière de Louis
tion. XIV, et elle fut ôtée du dépôt des volontés
Z
Je reviens à la fonction attribuée au ino- générales,
« c'est-à-dire révoquée par son suc-
narque, de rédiger en, lois écrites les cou- cesseur
t qui reconnut et confirma le droit de
tûmes introduites par la nature, ou de faire la
1 nation. On n'a pas oublié des exemples
les changements dont elle indique la né- semblables
< et plus récents, à l'occasion des
eessité. 1lois subversives de la magistrature en 1771
On objectera sans doute que le monarque et e 1788. Des dispositions moins directe-
est homme, et qu'il peut se tromper c'est- ment, r moins prochainement attentatoires à.
à-dire rédiger en loi écrite une coutume à la I constitution, resteront sans exécution et
laquelle la volonté générale n'a pas donné tomberont
t en désuétude, et il serait aisé
son assentiment c'est-à-dire rédiger en lui d'en ( fournir des exemples. Mais si elles.
un abus, ou faire à une loi existante un £sont exécutées, elles altéreront peu à peu le
changement dont la nature n'indique pas la caractèrec national, affaibliront le respect de
nécessité alors la constitution vient à son la nation pour les lois fondamentales, chan-
seeours, et lui présente, dans les corps char- geront
$ ses habitudes, et produiront à la fin
gés du dépôt des lois, des conseillers qui une i crise violente si le gouvernement,
éclairent la raison de l'homme, en respectant avertii par les troubles qui auront précédé,
la volonté générale de la société à laquelle ne J se hâte de remonter à la source du mal
rien ne peut faire obstacle. En vain s'exa- et < si l'on prétendait
qu'un corps législatif
gère-t-on le danger de l'opposition, ou les aurait prévenu le désordre par des lois
inconvénients de la complaisance je n'hé- plus ] sages, je répondrais qu'un corps légis-
siterai pas à répondre que, toutes les fois latif, voudrait faire des lois, ce qui seul
qu'une loi sera nécessaire, son inscriptionamènerait et plus tôt et [plus sûrement des
au dépôt des lois, qu'on appelle en France crises aussi violentes et plus irrémédia-
enregistrement, ne souffrira aueune diffi- bles.
culte car il est dans la nature des choses Dans une société non constituée, princi-
que tout cède à une nécessité reconnue. Ce palement dans la démocratie, où il y a un
n'est jamais qu'à l'occasion de lois non né- corps législatif qui est le peuple, il peut se
cessaires et conséquemment nuisibles, et faire sans cesse (1), et il se fait fréquem-
presque toujours à l'occasion de lois fisca- ment de nouvelles lois, parce que le légis-
les, qu'on a vu s'élever en France ces luttes lateur aura sans cesse de nouvelles volon-
aussi funestes que scandaleuses entre l'au- tés, et se décidera fréquemment, d'après de
torité royale et les corps dépositaires des nouvelles convenances et comme il n'y a
lois. rien de fondamental, rien de nécessaire dans
Leur complaisance n'est pas plus à redou- les lois elles-mêmes, il n'y aura rien de fixe
ter et c'est ici qu'il faut admirer la force dans les formes avec lesquelles on fera des
de la constitution. Une loi directement, pro- lois. Le législateur pourra non-seulement
chainement destructive de la conservation changer la loi, mais encore changer la forme,
de l'Etat, sera formellement repoussée par qui est bien moins respectable que la loi$
la seule force du principe constitutif; je me en sorte qu'on ne pourra reconnaître, à au-
borne à un seul exemple. Lorsque Louis XIV cun caractère certain et légal, si sa volonté
appela à la couronne les princes légitimés a été, ou non, suffisamment éclairée. Don-
ou leurs descendants à défaut des princes nons-en un exemple. La loi politique de-
du sang, il viola la loi politique et fonda- toutes les sociétés institue des tribunaux
mentale, qui donne à la nation, en cas d'ex. pour prononcer sur la vie et les propriétés
ih)Ctio|L$ie la maison régnante, le droit d'é- des citoyens. Dans une société constituée,
lire celle qui doit la remplacer. Il porta en- cette institution est une conséquencenéces-
(1) c U d gouvernement libre, c'est-à-dire, tou- Romains) c'est-à-dire que,, parce qu'il s'y fait des
jours agile, ne saurait se maintenir, s'il n'est, par lois absurdes, il faut pouvoir les changer
tes prupres Sois, capable de correction (Grandeur des
saire de la loi fondamentale de l'unité de peut manqueraux lois de la morale et même
pouvoir, et de celle des distinctions de pro- à celles de la raison, mais qu'if n'enfreint
fessions elle y est même devenue loi fon- aucune loi politique, puisqu'il peut, comme
damentale. Les offices dans ces tribunaux législateur suprême, changer à tout moment
sont inamovibles, et les officiers indépen- et-dans toute circonstance, et le fond et la
dants de l'homme-roi. forme des lois. « Un peuple,» dit Rousseau,
« a toujours le droit
dechanger ses lois, mê-
Dans la démocratie, les offices sont amo-?
vibles, et les tribunaux ne sont fixes qu'au- me les meilleures. »
tant qu'il plaît au peuple souverain, de ne CHAPITRE IV.
pas les déplacer. Ainsi, lorsque le peuple
veut disposer de la vie ou de la propriété DE L'AUTORITÉ DES CORPS DÉPOSITAIRES DES
d'un citoyen, iLchange la loi politique, ou LOIS.
plutôt il en porte une autre- et.comme dans
la monarchie le roi renvoie le prévenu de- On a souvent observé que les corps dépo-
vant les tribunaux établis pour le juger, le sitaires des lois en France ont toujours
peuple souverain suspend par un acte de ,étendu leur autorité pendant.les minorités
son pouvoir législatif les tribunaux, les ju- et sous les règnes faibles;. et Won. n'a pas
ges et jusqu'à l'exécuteur des jugements il
considéré que cette extension de pouvoir, est
évoque à lui seul la connaissance de l'af- nécessaire et dans la nature de la société,
faire, et s'attribue presque toujours la pu- constituée, parce qu'elle est pour, la .société
nition du délit. Et qu'on ne dise pas qu'il, un moyen de conservation.
n'observe point, en portant cette nouvelle Une société constituée est comme un plan
loi, les formes prescrites; ces formes ne sont parfaitement horizontal, dout un côté ne peut
elles-mêmes que des lois qu'il a faites, et., baisser que le côté opposé ne s'élève. Dès
qu'il lui plaît égalementide-changer.. que le pouvoir général est exercé avec fai-
blesse, tes pouvoirs particuliers prennent
J'oserais même dire que cette volonté nou- le dessus car la société ne peut pas plus
velle a autant le caractère de l'unanimité et exister sans pouvoir, que l'homme exister
de la généralité, qu'aucune autre volonté de
sans société.
ce législateur absolu; et quiconque a eu-
Le pouvoir particulier ne peut être que le
sous les yeuxle terrible spectacle d'un peu-
ple prêt à exercer un acte de sa prétendue pouvoir d'un individu, ou celui d'un corps.
souveraineté dans les fonctions judiciaires Mais le pouvoir.. particulier d'un individu,
et executives, a pu remarquer que jamais sa qui s'élève dans la. société à la place du pou-
volonté ne se prononce par des signes plus voir général, constitue précisément la ty-
expressifs, moins équivoques,,et en appa- rannie, et entraîne la destruction ou le mal-
heur de la société, soit qu'elle laisse usur-
rence plus unanimes. Si l'on prétendait que
ce n'est qu'une partie du peuple, qui, dans per son pouvoir par la force ou par la ruse,
le cas que je suppose, a exercé le pouvoir ou qu'elle le défende par la guerre civile.
législatif, je répondrais que, dans une ré- Le pouvoir particulier de corps interprè-
publique, ce n'est jamais qu'une partie du tes et dépositaires des lois, comme -sont, les.
peuple qui fait des lois, et qu'il ne s'en fe- parlements de France, n'expose l'Etat hm*
rait aucune, si l'unanimité absolue des opi- cun de ces dangers; 1° parce qu'étant plu-
sieurs, tous indépendants les uns des au-
nions était requise.
tres, ces corps sont nécessairement divisés,
On dira peut-être qu'un roi peut mettre et ne peuvent s'accorder ni sur le but, ni
la force à la place de la justice, soustraire un sur les moyens; 2° parce que n'étant pas
coupable aux tribunaux, oalivrer un inno- pouvoir par la constitution de l'Etat, commet
centa des-commissions arbitraires. Mais il le sénat de Suède et de Pologne, ou le, par-
est aisé d'apercevoir que le roi, en suppo- lement d'Angleterre, mais seulement fonc-
sant qp'il trouve des ministres pour signer tion du pouvoir, ces corps peuvent devenir
des ordres contraires aux lois, viole à la fois les plus puissants dans l'Etat, sans pouvoir
les lois de la morale et les lois politiques de jamais y être les premiers, puisque dans.
son Etat; qu'il n'est plus alors le pouvoir t'ordre des professions sociales, ils ne sont
général de la société, l'agent de sa volonté pas la profession la plus distinguée 3° par--
générale, puisqu'il manifeste sa volonté par- ce qu'à quelque excès qu'ils portent leur,-
ticulière au, lieu que le peuple souverain pouvoir, il ne peut jamais, être dangereux*
pour ta constitution; car, selon la judicieusee comme l'Angleterre et l'Ecosse. Sans ces:
remarque de Montesquieu, ces corps, danss corps, la France serait ce qu'est aujourd'hui
leur égarement même, ne soupirent qu'après s la Pologne. Toutes les autres nations mo-
les lois et leur devoir, et qu'ils retardent la
a narchiques ont une royauté et des distinc--
fougue et l'impétuosité des factieux, pluss tions héréditaires; la France seule a des
qu'ils ne peuvent les servir. corps dépositaires et interprètes des lois,,
Les affaires de la Fronde, auxquelles Mon- corps indépendants dans l'exercice de leurs
tesquieu fait allusion dans ce passage, prou- fonctions et en convenant que ces corps.
vent mieux que tout ce qu'on pourrait diree sont sujets à l'erreur, parce qu'ils sont su-
combien peu doit être suspecte au gouver- jets aux passions* je ne crains pas de dire
nement l'autorité que les parlements ne& que c'est dans ce développement des lois.
manquent pas de s'arroger pendant le som- fondamentales, que consiste la supériorité;.
meil ou la faiblesse du pouvoir général,, de la constitution française sur la constitu-
puisqu'à l'époque de J'extension la plus im- tion des autres Etats, comme c'est à l'ex-
modérée que les parlements aient, donnée ài cellence de sa constitution que la France
leur autorité, le plus, puissant de ces corps, doit la perfection dans tous les genres à la-
secondé par la capitale,. et par les personna- quelle elle était parvenue. Lorsque le pou-
ges les plus considérables de l'Etat, bien
lain de se rendre redoutable, ne devint pass
voir général de la société est exercé avec,
vigueur, le pouvoir particulier des corps.
même odieux, et ne fit que se rendre ridi- rentre dans ses bornes, parce qu'il n'est
cule-. Ce ridicule qui caractérisa la Fronde, plus nécessaire mais lorsque, sous un rè-
s'étendit jusque sur les choses et les hom- gne faible, on entend des plaintes contre-
mes qui en étaient le moins susceptibles; ett l'excessive autorité des parlements, on peufc
le grand Condé lui-même, factieux par dé- croire qu'il y a derrière la toile quelque am-
pit et par air, comme le parlement l'était par bilieux qui voudrait établir son,pouvoir par-
faiblesse, eut peine à s'en sauver en sorte ticulier; et l'Etat alors ne ressemble pas.
)
que cette tragi-comédie n'a conservé d'inté-• mal à une maison où des valets qui vou*
rêt chez la postérité que par le caractère draient abuser de la faiblesse de Monsieur,
profondément séditieux de son premier ac- vont partout se plaignant du despotisme de-
teur,, le coadjoteup de Paris,, et le tour ori- Madame.
ginal de ses Mémoires. Ce siècle a vu des exemples mémorables.
Une grande partie des malheurs de la td'extension d'autorité judiciaire sur l'auto-
i-
France,, sous les règnes faibles de François rite religieuse entreprises aussi funestes à
II et de Henri III, vint de ce que le parle- la société politiquequ'à la société religieuse,
ment de Paris, affaibli par la diversité d'o- levain empoisonné qui fermente encore, et
pinions religieuses, qui s'étaient glissées dont l'effet le moins déplorable a été de li-
parmi ses membres, ne put pas faire préva- vrer au ridicule des disputes et à la frivolité
loir son pouvoir particulier sur celui des des conversations ce qu'il y a de plus sacré-
Cuises: encore n'aperçoit-on, dans ces parmi les hommes, ta religion et la justice!
temps déplorables, d'attachement à la cons- Je ne craindrai pas de déterminer avec
titution et de courage à la défendre, que précision les relations des corps dépositai-
dans ce corps respectable, dont le chef, res des lois avec les états généraux; et, bien
Achille de Harlay, bravant un sujet auda- loin de penser avec quelques personnes,
cieux, qui venait de chasser son souverain que la nature ait laissé des obscurités et des
de sa ville capitale, et, qui bientôt ne lui incertitudes dans la constitution qu'elle a
laissa de force que celle de le faire assassi- donnée aux sociétés, j,e crois fermement qu&
ner, osa lui dire « C'est grand'pitié quand tous les cas y sont prévus et que tous les
le valet chasse la maître; au reste, mon âme points en sont exactement définis.
est à Dieu, mon cœur est au roi, et mon. Les étals généraux ont deux fonctions t
corps entre les mains des méchants qu'on celle de remplacer la famille royale en cas
en fasse ce qu'on voudra. » (Hénablt.) d'extinction, et celle d'accorder l'impôt en
C'est au pouvoir particulier des parle-
cas d'insuffisance. Or, les parlements ne
ments pendant les minorités, que la Franc& peuvent, sous aucun rapport, s'occuper du.
doit de n'avoir pas été en proie à des tu- premier objet, parce qu'ils ne sont pas des
telles ensanglantées, à des régences ora- ordres ou professions primitivement et né-
gsuses, à des protectorats tyranniques, cessairement conservatrices de la société*ui
du second, parce qu'iJs ne sont pas des or- pouvoir,
1 en lui faisant-craindre de ne pas le,
dres propriétaires. Là qualification insigni- conserver
c
fiante qui leur a été donnée par lés états gé- 3° Parce que les corps dépositaires des.
néraux de. d'états généraux au petit pied, lois
li sont'jtaïce, et; que les états généraux
ne peut tirer à conséquence parce que dans sont
s force, etqu'il esidans la nature impres-.
la-constitution des sociétés, des compliments criptible
c des êtres:que force obéisse àiustice.
ne peuvent pas prescrire contre la nature 4° Enfin parce que les états généraux ne
des êtres. S'il y avait dans une société des ppeuvent s'assembler sans convocation et.
états généraux continuellement, ou même que
q leur convocation étant une loi, ne peut,
périodiquement assemblés,, ne fussent-ils êêtre appliquée que par les corps qui en sonfe.
qu'au petit pied, il n'y aurait plus de consti- ddépositaires.
tution de pouvoir général,, appelé monar* On dira peut-être que les parlements ne,
chie; mais une constitution de pouvoirs par- cconvoqueront pas les états généraux, pour-
Mculiers appelés aristocratie. cconserver plus longtemps l'intérim du pou-
Mais si les parlements ne peuvent con- vvoir
v général mais il est aisé de sentir que-
courir, avec les professions ou ordres essen- plusieurs
p parlements, tous égaux et indé-
tiellement conservateurs et propriétaires, à pendants
p les uns des autres, ne pourraient
nommer la famille qui doit exercer le pou- eexercer conjointement le pouvoir, au lieu
voir général, conservateur des hommes et qque les états généraux, assemblée unique et,
des propriétés,, la nature des choses ou la représentant
n la généralité, pourraient facile-
constitution leur assigne des fonctions plus ment
n l'usurper. Je n'avance rien de nou-
éminentes, puisqu'elle les destine à exercer vveau, et les prétentions mêmes du parlement
le pouvoir général lui-même, dans l'inter- e prouvent les droits. « A la mort de Char-
en
valle qui s'écoule, entre l'extinction de la fa- les IX, après le dîner, qui, selon l'usage,
1<

mille régnante et le choix de celle qui doit suit


si les obsèques à Saint-Denis, le parle-
la remplacer 1° parce que la volonté géné- ment,
n ayant à sa tête Christophe de Thou,
pale n'étant plus extérieurement exercée par envoya
e ordonner à Amyot, grand aumônier,
le monarque, réside nécessairement dans les d lui venir dire les grâces comme roi, ce-
de
lois, qui sont l'expression, la parole, pour qu'il
q refusa de faire, et se cacha.. La mém&.
ainsi dire, de la volonté générale et qu'ainsi ddifficulté s'éleva à l'enterrement de Louis
elle ne peut être manifestée que par les 5
XIV, de Mesme étant premier pré ident. »
corps qui en sont les dépositaires et les in- (Hénault.)
(I Cette prétention parait déplacée*
terprètes. puisqu'il
p y avait un roi mais il n'en faut
2° Parce que la conservation de la société ppas moins regarder comme le chef-d'œuvre
exigeant impérieusement que le pouvoir gé- dde la constitution, et l'effet le plus marqué-
Eéral ne soit pas vacant, même un instant, dde la volonté générale, conservatrice de la
l'intérim ne peut en appartenir qu'aux corps .société, que dans la circonstance la plus
,s<
dépositaires des lois ou aux états généraux, dangereuse
d, pour sa conservation, je veux
Or, s'il appartenait aux états généraux, il dire
d l'extinction de la famille qui exerce lo>
arriverait infailliblement que ce corps,, le1 .pouvoir
,p général, l'exercice provisoire du
premier de tous, conserverait l'exercice du pouvoir
p soit attribué à un corps, et la fonc-
pouvoir au lieu de le conférer, et déconsti- tion de le conférer à perpétuité soit confiée
ti
tuerait la société en étabLissant une aristo- à un autre en sorte que, par ce partage, la
eratie à la place d'une monarchie. C'est pré- facilité d'usurper le pouvoir générai se trouve
fa
cisément ce qui l'a établie en Pologne et ddans le corps multiple, divisé et par consé-
ailleurs, et c'est infailliblement ce qui l'au- quent
q plus faible, et l'obstacle à l'usurpa-
rait établie en France, à l'extinction de la tition, dans le corps unique et plus puissante
première ou de la seconde race de ses rois, Enfin
E ce n'est qu'en supposant que l'intérim
si, à l'une et à l'autre époque, la nature mê- d pouvoir général soit attribué à un corps,
du
me de la société n'e&t, depuis plus d'un de- qque la maxime, que le roi ne meurt pas en
mi-siècle, désigné à la nation une famille France,
F se trouve exactement vraie, au lieu
pour occuper le trône, et si l'autorité héré- qu'il
q peut mourir dans les autres sociétés;
ditaire de la maison des Pépin et la puis- e même, si l'exercice provisoire du pouvoir
et
sance territoriale de celles des Hugues si trouve réuni dans les mêmes mains que
se
n'eussent empêché l'assemblée des grands 1* la fonction de le conférer à perpétuité, le
de succomber à la tentation de retenir le roi
r< peut mourir pour ne plus revivre, ou
pour ne revivre que faible et dépendant, puisque des ordres cessent d être distingués
comme en Pologne, en Suède, et même en du moment qu'ils sont confondus. Si le mo-
Angleterre. Je reviens aux relations des narque,, déférant au vœu unanime de la na-
corps dépositaires des lois avec les états gé- tion,, eût promulgué une loi sur la réunion
néraux. des ordres; les corps, dépositaires des lois,
Les états généraux peuvent et doivent s'a- auraient donc dû la repousser du dépôt des
dresser au roi par voie de doléances ou de lois par tous les moyens que la constitution
plaintes respectueuses, pour réclamer l'ob- leur permet; « parce que, pendant l'assem-
servation des^ Lois anciennes, le développe- blée des états généraux, l'autorité du parle-
ment nécessaire d'une loi existante, l'abro- ment, qui n'est autre chose que celle du roi,
gation d'une loi non nécessaire, ou enfin la ne reçoit aucune diminution. » (HâNAutT.)
rédaction d'une coutume en. loi écrite. Les officiers des cours souveraines peu-
Le. pouvoir générai,, dont rien ne peut vent donc être personnellement députés aux
gêner La liberté et l'indépendance, défère, états généraux par leurs ordres respectifs;
dit Hénault, à leurs doléances et à leurs mais les compagnies elles-mêmes ne peu-
prières,, suivant les règles de sa prudence et vent y avoir séance, parce qu'il serait contre
de sa justice; car, s'il était obligé de leur la nature et la raison qu'elles s'opposassent,
accorder toutes leurs demandes, il cesserait comme corps dépositaires des lois, à l'enre-
d'être roi. Si le monarque, déférant aux gistrement d'une loi, dont elles auraient
prières des états généraux, promulgue une peut-être, comme partie intégrante des états
loi,, le droit et le devoir des corps déposi- généraux, provoqué la promulgation. Un
taires des lois sont de vérifier si elle est con- exemple contraire, qui a eu lieu en 1558, ne
forme ou non à la volonté générale dont la peut prévaloir contre la nature des choses.
loi doit être l'expression. Et qu'on ne dise CHAPITRE V..
pas qu'une loi sollicitée par les états géné-
IMPÔT.
raux a tous les caractères de la volonté gé-
nérale car, 1° nul individu, dans une société L'impôt est un déplacement d'une partie
constituée, nul corps ne peut avoir l'initia- de la propriété du sujet, fait au nom de la
tive des lois; cette initiative, comme je rai société et pour sa conservation.
prouvé, n'appartient qu'à la nature et à la La loi sur l'impôt est donc un rapport né-
volonté générale de la société qui donne le cessaire qui dérive de la nature de la pro-
mouvement au pouvoir conservateur comme priété et de la nature de la société. Je dis
à son agent; 2° lorsqu'une loi est soumise à de la nature de la propriété, car il y a des
la vérification, les corps vérificateurs ne propriétés qui peuvent supporter le dépla-
doivent voir que la loi, et non les motifs qui cement d'une partie plus considérable je
l'ont dictée ou les personnes qui l'ont solli- dis de la nature de la société car il y a des
citée 3° les états généraux, la nation elle- sociétés dont la conservation peut exiger
même ne peut manifester qu'une somme de une pdus forte somme d'impôts.
volontés particulières or, on a vu que la La nécessité de l'impôt n'est pas contestée
volonté générale de la société n'est pas la une société ne peut exister sans besoins,
somme des volontés particulières de ses elle ne peut, satisfaire aux besoins sans dé-
membres, mais la nature môme des êtres penses,, ni solder les dépenses sans impôts.
qui la composent. Ainsi, pour en donner un Je l'ai déjà dit; il ne faut pas d'impôt pour,
exemple, je suppose que, lors de la der- l'entretien personnel du roi et de sa famille
nière convocation des états généraux, tous dans l'éclat qui convient à la dignité de ses
les ordres de l'Etat eussent demandé, par fonctions, éclat nécessaire, et que de faux
l'universalité de leurs cahiers, ce qui a été principes d'économie ou de simplicité phi-
demandé par quelques-uns, la réunion des losophique ne doivent jamais diminuer. La
trois ordres en une seule assemblée; cette nation a donné des domaines, que la cons-
unanimité n'aurait manifesté qu'une somme titution a rendus inaliénables; il faut les
de volontés particulières et destructives, et reprendre, les conserver, les augmenter'
non la volonté générale essentiellement con- même, si la dotation ne suffit pas; parce-
servatrice parce que la volonté générale est que, pour maintenir la constitution dans
conforme à la nature des êtres, et qu'il était toute son intégrité, il ne faut pas que le roi
contre la nature des êtres que des ordres dépemie de la société pour des besoins d'ar-
distingués fussent réunis en un seul corps, gent comme il ne faut pas que la société
dépende du roi par des confusions de dé- ploi se fait par lui la sociéte reçoit ie
penses qui doivent être soigneusement dis- compte parce que l'emploi se fait pour
tinguées. elle.
On ne dira 'pas qu'il soit impossible au Ainsi en France, les rois avaient demandé
roi de faire régir sagement et fidèlement ses les tailles, les gabelles, les droits d'aide; les
domaines. états généraux les avaient octroyés ou taci-
1° Rien n'est difficile à un roi que de vou- tement approuvés. La répartition, la percep-
loir. tion et l'emploi étaient faits et le compte-
2° Plus lé propriétaire est riche, mieux il rendu par les agents du pouvoir comptables
peut exploiter ses possessions. à la société; la répartition était approuvée*
3° Charlemagne administrait ses domaines, la perception surveillée et le compte reçu
comme il gouvernait l'Europe il donnait par les officiers ou agents de la société indé-
des lois à son vaste empire, et traçait à ses pendants du roi dans leurs fonctions; je
régisseurs les préceptes tes plus sages d'é;- veux dire, par les Cours souveraines desAides
conomie rurale (1). « Ce prince, dit Mon- et les Chambres souveraines des Comptes.
tesquieu, « qui avait distribué à ses peuples Je vois des rapports nécessaires entre les
toutes les richesses des Lombards et les im- êtres; entre le pouvoir et ses fonctions, en-
menses trésors de ces Huns qui avaient dé- tre le propriétaire et ses droits je vois la
pouillé l'univers, ordonnait qu'on vendît nature de ces rapports nécessaires,, et dans la
les œufs des basses-cours de ses domaines nature, je vois la constitution des sociétés.
et les herbes inutiles de ses jardins. an Louis XIV déclare en plein conseil, au
Dans l'impôt, réduit à son véritable et seul rapport du chancelier de Poutchartrain, qu'il
objet, celui d'assurer la conservation de la n'a pas le droit d'établir un impôt sans le
société au dedans et au dehors, je considère consentement de la nation, et il établit, sans
six choses la demande, l'octroi, la répar- elle, la capitation;' violation des lois que le
tition, la perception, l'emploi, le compte. malheur des temps semble excuser. Parce
Rien ne prouve combien l'organisation que le pouvoir seul l'avait établie, le pou-
d'une société constituée est dans la nature voir seul en faisait la répartition et l'approu-
des choses, comme l'analyse que je vais pré- vait, en faisait la perception et la surveillait
senter. par son commissaire ce qui était contre la
1° Le pouvoir demande; car il est dans la nature, parce que l'établissement de l'impôt
nature que le pouvoir conservateur de la était contré la constitution, et l'impôt lui-
société connaisse parfaitement ce qui est né- même contre la nature de l'homme. En ef-
cessaire à la conservation de la société. fet, il est dans la nature de la société, que la
2° La société-propriétaire représentée par propriété seule ,soit la matière de l'impôt,
les états généraux octroie ou accorde; car il et il est contre la dignité de l'homme qu'il
est aans la nature que le propriétaire con- soit soumis à un tribut par tête aussi la ca-
naisse parfaitement ce qu'il peut donner de pitation, inconstitutionnelle dans son éta-
sa propriété, et sous quelle forme il lui con- blissement, vicieuse dans son principe, est
vient de le donner. souvent injuste dans sa répartition, et fu-
3° Le pouvoir répartît, perçoit, dépense, neste dans ses effets elle est, pour chaque
rend compte par ses différents agents; car article, une énigme à deviner ou un pro-
nul ne peut mieux percevoir que celui qui blème à résoudre, puisque le répartiteur, ou
répartit, ni rendre compte que celui qui dé- pour mieux dire, l'inquisiteur cherche à
pense. connaître ce que tous cherchent à cacher;
4.° La société approuve la répartition, sur- elle est une source d'injustices, une occa-
veille la perception, reçoit le compte par ses sion de vengeance, une cause de murmures;
officiers; car nul autre ne peut mieux ap- elle entretient une guerre sourde entre le
prouver la répartition que celui qui doit citoyen et ses magistrats immédiats, et je
payer, surveiller la perception que celui qui crois qu'elle n'eût jamais été consentie par
paye, recevoir le compte que celui qui a la nation.
payé. Je ne parle que de la capitation tellequ'elle
Le pouvoir rend compte, parce' que l'em- est établie dans les pays de taille réelle, où

(1) i Un père de famille, dit Montesquieu,


à gouverner sa
fait de cet homme prodigieux, Ésprit des lois,
liy. xxxi, cii. 18.
« pourrait apprendre dans ses lois
maison. Voyez le portrait éloquent que cet auteur
.tfU7- GLLU ·lLLaT 4V11·1111uauu
elle est distinguée de Kimpôt foncier ou ter- yrait les forcer à en accorder or il est ab-
ritorial. surde, et contre la nature des choses, que le
Je m'étendrai sur l'impôt, lorsque je trai- roi demande ce qu'il pourrait forcer la na-
terai de l'administration intérieure je ne le tion à lui accorder, ou que la nation refuse
considère ici qu'en général et dans ses rap- ce qu'elle devrait forcer le r.oi à lui deman-
ports avec la constitution. der.
Les principes que je viens d'exposer re- Il n'y a donc dans une société constituée^
çoivent des modifications indispensables. ni nouvelle demande à former pour l'impôt
Les besoins de la société qui sont l'objet fixe, ni nouveau consentement à accorder.
de l'impôt sont fixes ou accidentels; l'impôt Mais si la société a partout des besoins
doit être fixe ou accidentel comme son fixes et constants, l'impôt, tel qu'il est établi,
objet. dans toute l'Europe, est variable, puisque s*
Comme la société n'est que la réunioa des valeur décroît à mesure que le prix des den-
hommes et des propriétés, les besoins de la rées augmente par l'abondance du numé-
société ne peuvent être que la conservation, raire. A un objet fixe d'impôt répond done
c'est-à-dire,, l'administration et la défense un impôt variable bien loin de voir dans
des hommes et des propriétés; tout ce qui cette loi ce rapport nécessaire qui dérive de
est au delà estluxe,et ne peut être fixe ni fixé. la nature des choses, j'y vois un rapport non
Or tant que le nombre-des hommes, ou la nécessaire contraire à la nature des êtres,
somme des propriétés, n'augmente ni ne puisqu'il y a contradictionformelle entre la
diminue dans une société, par une cause loi et son objet. J'en oonclus que la loi est
étrangère, comme par une cession ou une mauvaise, et je ne crains pas d'attribuer à
acquisition de territoire, les frais d'adminis- son imperfection une partie des malheurs de la
tration restent les mêmes et tant que la France;» parce que, «dit l'auteur du Contrat
force militaire des nations voisines ne reçoit «>daJ,«.silelégislateur,setrompant dans son
point d'accroissement extraordinaire, les objet, prend un principe différent de celui qui
frais de défense de la. société restent aussi nait de lanature des choses, l'Etat ne cessera
les mêmes, et par conséquent les besoins de d'être agité jusqu'à ce que le principe soit
la société, l'objet de- l'impôt,. et l'impôt lui- détruit ou changé, et que l'invincible nature
même ne peuvent changer. ait repris son empire. », En effet, parce que
Si l'objet de l'impôt et l'impôt sont fixes,, la la valeur de L'impôt allait toujours décrois-
demande une fois faite par le pouvoir de sant, l'administration voulaiUe soutenir à la
l'Etat, et le consentement une fois donné hauteur des besoins et parce qu'elle ne
parla nation, il n'y a plus, pour l'impôt fixe, voulait pas assemblerles états généraux, elle
ni nouveJle demande à former de la part
souverain, ni, par conséquent, nouveau con- ces
du s'adressait aux parlements et parce que
i corps n'étaient pas toujours disposés à
seulement à accorder de la part de la nation. enregistrer
i des lois fiscales, soit par le sen-
Or toutes les fois que, dans une société, 1timent de leur incompétence,, ou pour ne
l'on voit des impôts établis pour des besoins pas ] aigrir la nation, le gouvernement recou-
fixes et permanents, on peut, on doit suppo- rait i à Ja ressource ruineuse des emprunts.
sêr qu'ils ont été volontairement accordés viagers i ou perpétuels, des anticipations, des
par la société, sur la demande du pouvoir ttaxes sur les offices,, des augmentations
car si la société n'eût pas accordé l'impôt ssourdes d'impôts directs ou indirects,etc.,etc..
qu'exïgeait sa conservation, elle n'aurait pu Mais s'il faut un impôt fixe comme son ob-
se conserver. j constant comme les besoins, un impôt
jet,
Je dis donc que, pour l'impôt fixe, il n'y a dont < la valeur s'élève ou décroisse progres-
plus, de la part du souverain, ni nouvellesivement s avec le prix des denrées, et qui
demande à former, ni de la part de la société fixé f une fois se soutienne toujours à la han-
de nouveau consentement à donner car si teur t des dépenses, je ne vois que l'impôt en
le roi pouvait ne pas demander d'impôt pour inature de productionsterritoriales qui puisse
les besoins fixes, la nation, dont il compro- rempliri toutes ces conditions et j'en con-
mettrait la sûreté, devrait le forcer à en de- clus ( rigoureusement que la loi de l'impôt en
mander; et si la nation propriétaire ou ses inature est du petit nombre des lois politi-
députés pouvaientrefuser l'impôt qu'exigent (ques qui manquaient à la perfection de las
les besoins fixes, le pouvoir de la société, constitution
( de la France et malgré les ob-
j
dont ce refus compromettraitl'existen-ce,, de- jections qu'on accumule contre cet impôt;,
jl n'est point de difficultés de perception ses officiers, et qu'elle peut toujours par eux
SE
qu'une volonté ferme et éclairée ne fit dispa- vérifier
v< les dépenses;
raître. 2° Elle, n'en a pas le droit car ne pouvant
On dira peut-être que toute nation peut, connaître,
c< comme le. pouvoir général et con-
-comme la nation anglaise, accorder l'impôt servateur
s( de ta société, tout ce qui est né-
permanent pour un temps limité, et en re- cessaire
et sa conservation elle risquerait
nouveler l'octroi à époque fixe. Je ne crains dl la compromettre par son refus.
de
pas derépondre que cette loi défectueuse, par- Donc elle ne peut refuser d'accorder l'im-
ce qu'il est contre la nature des choses d'ac- p que le roi demande.
pôt
corder un impôt temporaire pour des besoins Si la nation ne doit pas 'refuser, il est
.permanents, peut avoir un motif en Angle- iï
inutile, dira-t-on, que le roi demande. Mais,
terre, à cause des circonstances particuliè- 1' le roi demande, pour donner à la nation

res de sa constitution, dont je traiterai tout le moyen de connaître., et non pour lui don-
le
à l'heure; mais qu'elle y est toujours dan- n la facilité de refuser; 2° si la nécessité
ner
.gereuse, puisqu'elle suspend périodique- d l'octroi assure la conservation de la so-
de
eut la circulation du sang dans le corps ciété
ci contre les volontés destructives des
politique, et qu'elle doit avoir Vinitiatipe sujets, la nécessité de la demande assure la
si
dans toutes les révolutions. conservation
ci de la société contre les excès
Mais si la société vient à déclarer la ei l'inutilité des dépenses, c'est-à-dire contre
et
guerre, si des mouvements hostiles de la les volontés dépravées de l'homme revêtu
le
part de ses voisins exigent de la sienne une ddu pouvait.
augmentation ou une démonstration de Le principe que la nation ne peut refuser
force, si le soin d'embellir son existence, l'
l'impôt n'est pas contradictoire avec ce que
qui doit entrer aussi dans le plan de sa j' dit plus haut, que la nation propriétaire
j'ai
conservation, demande qu'on creuse des es.- pouvait
p seule juger ce qu'elle pouvait don-
naux ou des ports, qu'on construise des n de sa propriété. Car, en lui étant le
ner
chemins, qu'on élève des édifices publics, ddroit de refuser, je n'exclus pas les arran-
etc. comme tous ces besoins sont acciden- gements,
g les négociations, Les principes
tels, l'impôt doit être accidentel aussi, et sont
s< rigoureux, l'exécution doit être moins
cesser avec l'objet qui l'a fait naître. Cepen- roide.
ri
dant, on peut dans une grande société, où il On m'opposera peut-être que le clergé de
y a toujours des ouvrages publics à faire ou France
F et les pays d'états, qui avaient con-
à entretenir, mettre ces besoins au nom- servé
s quelque chose des anciennes formes,
bre des besoins fixes, et accorder, sauf le payaient
p sous la forme de don gratuit mais,
compte une somme déterminée pour cet 1° 1 le clergé, assujetti à un service personnel
objet; et l'on peut, l'on doit réduire les ddans le ministère des choses saintes, ne de-
besoins accidentels au seul cas de guerre vait v pas de contributions et ne pouvait offrir
imminente ou déclarée. que
q des dons volontaires; 2° le don gratuit
Après les principes que j'ai posés, ce n'est ddes pays d'états n'était fait que pour sup-
pas une question de savoir si le roi seul pléer F à l'insuffisance des domaines que les
peut faire la paix et la guerre. Puisqu'il est rois
r avaient aliénés et comme ils s'étaient
le pouvoir conservateur de la société, agest appauvris
a par leur faute, ils s'étaient mis
de la volonté générale, à lui seul appartient dans
d la dépendance de la nation, et ne pou-
de pouvoir tous les actes de cette société, vaient
v exiger d'elle des impôts pourfournir
et surtout les actes qui intéressent éminem- à leur entretien personnel, après avoir dis-
ment sa conservation. sipé
s les domaines qu'elle leur avait assignés
Mais, dans les vrais principes, il est tenu pour
ï cet objet. L'aliénation des domaines
de demander à la nation l'impôt nécessité royauxr était en France l'atteinte la plus
par les besoins accidentels; et il se présente dangereuse
d qu'on eût portée à la constitu-
à ce sujet une question importante. tion
t de l'Etat.
Les représentants de la nation proprié- Une fois que l'impôt permanent qu'exi-
taire, ou autrement les états généraux, ont- gent
g les besoins fixes et ordinaires est fixé,
1 nation, dans une société constituée, n'a

d'accorder l'impôt que le roi demande ?


Non 1° La nation n'a point d'intérêt à
ils le droit de refuser en tout ou en partie, la
ddonc autre chose à faire qu'à accorder, sur
1 demande du monarque, l'impôt extraor-
la
refuser, puisque les comptes sont rendus à dinaire
c et temporaire, surveiller la percep-
UUU TUUiJ V*V/IUt LiEjAIL .r .u. amuv.,aiuv.
tion et vérifier l'emploi de cet impôt, comme nérations, si. si. si. alors le pouvoir
de l'impôt fixe. Elle remplit le premier objett général n'existe plus; la société n'est plus
par les assemblées générales, où états géné- constituée, elle n'est plus société ou réunion
raux, et le second par les officiers particu- d'êtres semblables, réunion dont la fin est
liers indépendants de tout pouvoir particu- leur conservation. Donc elle ne conserve
lier dans l'exercice de leurs fonctions. plus les êtres qui la composent; et comme
Mais si l'intérêt de la société exige quei la société est composée d'hommes et de pro-
son pouvoir déclare la guerre, au lieu de priétés, il arrive nécessairement, inévitable-
l'attendre; ou si la société est surprise par• ment, une destruction de propriétés, qu'on
une déclaration de guerre imprévue, com- appelle banqueroute, ou une destruction
ment concilier le secret que demande l'a- d'hommes et de propriétés à la fois, qu'on
gression, ou la promptitude qu'exige lat appelle RÉVOLUTION.
défense, avec la nécessité de convoquer les
états généraux, pour en obtenir des secours CHAPITRE VI.
extraordinaires? Ne peut-il pas même arriver
CONSTITUTION D'ANGLETERRE.
qu'une puissance rivale sème la corruption
et l'intrigue dans une assemblée, et ne sus- En exposant mes principes sur la perfec-
cite, à la veille d'une guerre, des embarras tion des sociétés purement monarchiques
au pouvoir de la société? Pour éviter ce ou constituées, j'ai dû m'attendre que les
danger très-probable, il est nécessaire que nombreux partisans des monarchies mixtes
le pouvoir ait une somme en réserve, qui m'opposeraientl'Angleterre et sa prospérité.
puisse faire face aux premières dépenses des J'ai déjà laissé entrevoir que l'Angleterre
la guerre cette somme doit être calculée, se trouvait dans des circonstances particu-
avec sagesse, sur la quantité du numéraire lières à elle seule j'oserai développer ici
en circulation, et sur la probabilité des be- une opinion qui n'est peut-être ni hardie,
soins elle doit être plutôt! au-dessous ni nouvelle.
qu'au-dessus des dépenses présumées; et si En Angleterre il y a deux pouvoirs, parce
l'on m'objectait qu'une somme en réserve qu'il y a deux sociétés.
dans les coffres de l'Etat est regardée par Il y a une société politique constituée ou
quelques financiers comme une mauvaise monarchique, avec ses lois fondamentales,
opération de finance, je répondrais qu'elle sa religion publique, son pouvoir unique,
est regardée par les grands rois comme une ses distinctions sociales permanentes.
excellente opération de politique. Sixte- Il y a une société de commerce là plus
Quint, Henri IV et Frédéric avaient des étendue qu'il y ait dans l'univers car l'Etat
sommes en réserve. Ce moyen est préférable est commerçant en Angleterre, et n'est pro-
à celui d'un emprunt prement commerçantqu'en Angleterre. Dans
1° Parce qu'il est plus secret; cette dernière société, le pouvoir est néces-
2° Parce qu'il ne met pas le gouvernement sairement séparé du pouvoir de la société
dans la dépendance des banquiers et gens à politique; parce que dans celle-ci le pouvoir
argent; est unique, dans l'autre il est collectif par
3° Parce qu'il n'est pas susceptible de la la nature même de la société commerçante.
même extension; En effet, ce n'est pas une opposition d'inté-
4° Paree qu'il ne favorise pas le jeu fu- rêts particuliers et de volontés opposées, qui
neste de l'agiotage. a rendu nécessaire l'établissement de cette
Mais si le pouvoir particulier de l'homme, société, mais une réunion libre d'intérêts
agent d'une volonté particulière et dépravée, communs et de volontés unanimes qui l'a
détourne, à des emplois inutiles ou dange- rendu possible.
reux, des fonds consacrés à la défense de Ces deux sociétés se confondrontà certains
l'Etat. s'il rend permanent un impôt qui égards, et. se distingueront à d'autres. Au
n'est que temporaire, s'il étend l'impôt fixe pouvoir de [la société politique appartien-
au delà de la quotité déterminée, s'il sous- dront les relations extérieures, les al.lianèes,
trait les dépenses publiques à la vérifica- le droit de guerre et de paix au dedans; H
tion, et les agents du pouvoir général à la aura la plénitude des fonctions executives,
responsabilité, s'il consomme par des anti- la direction de la force publique, le soin s if-
cipations les fonds de plusieurs années, et la tranquillité intérieure, l'aiiaiinistration
par des emprunts les fonds de plusieurs gé- suprême de la justice, en un mot, il aura
415 PART. I. ECONOM. SGC. -THEORIE DU POUVOIR. PART.).POUV. aPOLITIQUE. UV. VI. 414
\Y-t.JtVll\l11\I..J..LV'-J v.s.u.
riche; la société
société politique
Ips fonctions des
«i les
•«.«rihnf ian et
l'attribution dès autres mo- parce qu'elle
parce Qu'elle sera riche la
narques; mais il ne pourra lever aucun im- sera forte, parce qu'elle empruntera sa force
pot, même pour les besoins ordinaires et de la richesse de l'autre société.
permanents, sans le consentement de l'autre Ce gouvernement sans modèle, parce que
pouvoir; il sera dépendant dans ses dépen- 1cette double société est sans
exemple, sera
ses personnelles parce qu'il ne sera pas florissant
i tant que chaque pouvoir se con-
propriétaire, mais pensionné; il sera tenu tiendra
i dans ses bornes mais il sera ora-
de rendre compte des dépenses publiques au geux et agité, parce que l'un cherchera tou-
pouvoir de 4a société commerçante, et cette jours à entreprendre sur l'autre.
loi ne pourra être éludée et enfreinte, par- Le pouvoir de la société politique entre-
ce que la société commerçante a un intérêt prendra sur le pouvoir de la société com-
très-pressant à ce que le pouvoir de la so- merçante, par la tendance naturelle qu'a
dé té politique ne dissipe pas la fortune pu- toute société à se dégager des obstacles qui
bliquel qui forme les capitaux de son com- s'opposent à sa parfaite constitution le pou-
mer-ce.
,mer.ce. vo-ir de la société commerçante entreprendra
Au pouvoir de la société commerçante ap- sur le pouvoir delà soeiété politique, par
partiendra la faculté d'accorder l'impôt, et le principe d'inquiétude (1) et d'agression
de concourir à la législation, parce que tou- naturel aux sociétés non constituées ou
tes les lois qu'il y aura à faire dans cet Etat républicaines.
auront, de près ou de loin, rapport au com- Cet Etat serait funeste à ses voisins, puis-
attaquerait avec tes passions d'une
merce, unique objet de la société commer- qu'il les
çante. ' république, et qu'il se défendrait contre l'a»
Le roi ne pourra faire des lois, ni pour gression avec
la force de résistance d'une
l'une ni pour l'autre de ces sociétés car il monarchie; mais parce que les institutions
serait à craindre qu'à la faveur de l'autorité de l'homme affaiblissent, parleur mélange,
constitution de la nature, cet Etat mon-
que lui donne son pouvoir politique il ne la
voulût maîtriser la société commerçante, ce trera toujours plus d'ambition que de forces
qui détruirait infailliblement une société réelles, et il aura plus de vigueur pour at-
donU'essenee est ^d'être arbitre de ses ^opé- taquer que d'énergie pour se défendre,
rations. Mais si le roi n'a pas la faculté de J'ose croire que c'est là le mystère de la
faire des lois, il a celle d'empêcher que constitution anglaise;et si le lecteur se rap-
J'autre pouvoir n'en fasse, parce qu'il serait pelle ce que j'ai dit au chapitre 5 du livre
à craindre que le pouvoir de la société com- iv, de l'influence de la constitution sur les
merçante, redoutable parce qu'il dispose de arts et les mœurs, il apercevra qu'on peut,
l'impôt, agresseur parce qu'il n'est pas cons- à l'aide de cette clef, expliquer ce mélange
titué et qu'il est formé de plusieurs pouvoirs original d'imitation d'une nature perfection-
particuliers, ne voulût empiéter sur le pou- née et souvent sublime, et d'une nature sau-
voir politique. vage et quelquefois atroce, triviale et quel-
Les professions distinguées, sacerdotale> quefois abjecte, qu'on remarque, chez
les
les plus célèbres
et militaire, auront part au pouvoir législa- Anglais, dans leurs poëtes
tif, parce que leurs membres seront action- ce contraste bizarre d'une populace féroce
éclai-
naires dans le commerce de l'Etat, commeî et grossière, et d'une noblesse polie et
les autres membres de la société. Ainsi, rée; de générosité dans les cœurs et
d'âpre-
l'individu sera pouvoir dans la société com- té dans les manières; de popularité quel-
quelquefois
merçante, et sujet revêtu d'une fonction so- quefois ignoble, et de dignité
ciale ou distinguée dans la société politique3 hautaine de sentiments [élevés, et
d'habi-
crapuleuses.ildémêlera,dans la cons-
ou religieuse et pour cette raison, il pour- tudes
la raison qui fait du culte
ra être commerçant, sans cesser d'être dis- titution anglaise,
tingué. anglican un culte particulier, aussi éloigné
La société commerçante sera puissante des autres cultes que le gouvernement an-

( 1 ) Cet Etat périra, dit Montesquieu, en parlantit société commerçante. Lorsque la puissance législa-
de l'Angleterre, lorsque la puissance législaaive y seraa tive sera plus corrompue que Cexéculive, c'est-à-dire,
plus corrompue que l'exécutive. Cet oracle assez z lorsque le parlement, s'éievant au-dessus des lois,
obscur ne peut s'expliquer que par mon système. Laa voudra empiéter sur la prérogative royale, ce qui,
puissance exécutive est le roi, ou le pouvoir de laa par la nature de cette société, doit nécessairement
société politique. La puissance législative, ou le par-
r- arriver."
iement, est plus particulièrement le pouvoir de laa
glais est éloigné des autres gouvernements. s. sentiellement être empêché, te pouvoir du
Partout enfin et dans la jurisprudence ci- i- parlement est donc nécessairement destruc-
'vile équitable dans ses dispositions, op- )- teur, puisqu'il a fallu lui opposer un pou-
pressive dans ses formes-; et dans la juris- s- voir nécessairement coercitif. Le.pouvoir du
prudence criminelle-, sévère sans être ré-i- parlement est donc -actif-, puisqu'il tendà
;pressive, qui punit le malfaiteur, et qui nee faire le pouvoir du roi n'est donc que pas-
peut protéger la propriété et jusque dans laa sif, puisqu'il ne tend qu'à empêcher quel'au-
langue, cultivée sans-être polie, perfection-i- tre ne fasse. Le pouvoir actif et destructeur
née sans être embellie, 'l'observateur retrou- du parlement doit tôt ou tard l'emporter sur
vera une nature embellie et perfectionnée à 'le pouvoir passif du monarque, parce que le
côté d'une nature brute et sauvage effet >t pouvoir passif ne peut anéantir le pouvoir ac-
inévitable d'une organisation de société ohà tif, mais seulement suspendre son action-,
la constitution de la nature se combine avecc Dans une sécrété parement monarchique,,
4es institutions de l'homme, et la yalontéé les corps dépositaires des lois ont le droit de
générale de la société essentiellement con- représenter au pouvoir de l'Etat qu'une loi
servatrice avec les volontés particulières des n'est pas émanée de là volonté générale de
l'homme nécessairementdestructives. la société, mais de la volonté particulière
Une observation importante et peut-êtree de l'homme- ce veto., si l'on petit l'appeler
décisive, est que ce n'est que depuis que les ainsi ne peut être que suspensif, parce que
^commerce a pris en Europe une grande fa- le pouvoir général est -essentiellementcon-
t
veur, et qu'on airoulu en faire, souvent servateur, et que les volontés particulières
malgré la nature, la fin «t le moyen de touss d'un homme quel qu'il soit', peuvent cor-
les gouvernements, que les politiques mo- rompre l'administration, mais ne sont.jamais
dernes ont insisté sur la nécessite de ce3 assez fortes pour renverser la constitution.
qu'ils appellent la division des pouvoirs ett Fn France, la lutte ne pouvait être qu'entre
la création d'un ipoutvoiiï législatif séparé des hommes en Angleterre«lie est entre
preuve évidente que c'est àïa réunion d'une3 des pouvoirs.
société commerçante à la société politique, Les fautes de l'administration auraient pu
que l'Angleterre doit cette législation parti- produire des troubles en France; mais il
culière qui déconstitue la société politiquei n'y aurait jamais eu de révolution si les
pour constituer la société mercantile, quii états généraux, dérogeant à leur nature et à
Ôte au monarque le pouvoir de faire, et nej leurs fonctions, ne s'étaient pas érigés en.
lui laisse que le pouvoir d'empêcher, qui luii pouvoir législatif, dont les résolutions
donne la direction de la force publique, ett devaient être sanctionnées par le monar-
peut lui refuser les moyens de la mettre eni que c'est-à-direqu'il a fallu, pour détruire
mouvement, et qui, ne laissant ainsi à lat la France, que le choc des passions et le
volonté générale qu'un pouvoir négatif, lal hasard des circonstances y aient formé une
met hors d'état de remplir parfaitement lat constitution semblable, dans le' fond, à la
fin de toute société; constitution que la foule constitution anglaise; et l'on propose à la
admire parce que l'administration y est France cette même constitution pour la ré-
sage et habile; société où elle croit beaucoup tablir. Et qu'on ne dise pas que l'assemblée
de vie, parce qu'elle y voit beaucoup de nationale de France ne formait qu'une
mouvement, et où elle trouve beaucoup de chambre, tandis que le parlement d'Angle-
bonheur, parce qu'elle y voit de grandes ri- terre est composé de deux chambres dont
chesses. Je finis par une réflexion que je re- l'une balance, par ses prérogatives, la force
commande à l'attention la plus sérieuse du de l'autre l'équilibre ne peut existerqu'en-
lecteur. tre des forces égales aussi, dans des temps
Le roi, dans ,1a constitution anglaise, a le de troubles, il doit arriver que la force
veto absolu surles résolutions du par!ement, l'emporte sur les prérogatives. Qu'on ne
ou le pouvoir d'empêcher les actes du par- m'allègue pas un siècle de tranquillité;
lement de devenir des lois. Dans une société qu'est-ce qu'un siècle pour une société ?
où il y a deux pouvoirs; s'il y en a un dont La preuve que la constitution d'Angle-
la nature et l'essence soient d'empêcher, la terre est insuffisante pour assurer la conser-
nature et l'essence de l'autre sont de dé- vation de la société, est qu'on est obligé d'y
truire car un pouvoir dont l'essence est déroger toutes les fuis que la sûreté inté-
d'empêcher, suppose un pouvoir qui doit es- rieure de l'Etat est menacée, et d'étendre le
pouvoir général en restreignant 1-es pouvoirs tes Provinces-Unies, où le commerce est
particuliers mais il est aisé de voir que moins national., parce que la société politi-
cette mesure, quoique indispensable, est un que est moins constituée et moins une.
danger de plus puisqu'elle doit -être votée Celle-ci -est une confédération informe com-
presque toujours par ceux mêmes dont il posée à peu près de cinquante républiques,
faut restreindre les pouvoirs et qu'elle met très-inégales entre elles quant aux forces
nécessairement aux prises le pouvoir géné- réelles et à l'influence politique, et surtout
ral et les pouvoirs particuliers. quant aux principes constitutifs de leur gou-
Le bill sur la suppression des «ssemMées vernement particulier. La société politique,
séditieuses «stactaelle tirent l'occasion d'une la société commerçante, y sont républicai-
îuïte de ce genre, la plus opiniâtre qu'on nes, et par conséquent elles tiennent toutes
eût vue depuis longtemps. les deux de leur nature un caractère d'in-
Il ne faut pas s'en étonner. Dans ce mo- quiétude et un principe d'agression récipro-
méat l'Angleterre est en équilibre entre la que, par lequel on peut expliquer beaucoup
démocratie et la monarchie. Si le bill ne d'événements des temps passés et des temps
.passait pas, elle tomberaitinfailliblementdans- modernes.
*e gouvernement populaire, et les vrais amis En Angleterre, la société commerçante
de rhumanitë ne pourraient que donner des n'est pas incompatible avec la société poli-
larmes au sort de cotte belle partie de l'Eu- tique, qui, comme monarchique et consti-
rope. Mais il sera adopté, et il sera peut-être tuée, tend encore plus à se conserver qu'à
l'époque d'uneaméliorationdans la constitu- entreprendre sur l'autre mais dans les Pro-
tion de ce pays. Car quelle constitution que vinces-Unies, la société commerçante a tout
celle qui donne aux. députés des professions à appréhender de la société politique, parce
conservatrices de la société, aux repré- que là où il y a d'immenses richesses na-
sentants de la nation propriétake,le droit tionales, si le pouvoir est entre les mains de
d'invoquer impunément, dans l'assemblée plusieurs, il sera bientôt entre les mains de
même de la nation, la forte du peuple con- tous, ce qui doit entraîner la ruine des deux
tre 1es décrets du corps législatif, au moment sociétés et à cet égard, les faits qui se pas-
où cette force s'est dirigée de la manière la sent sous nos yeux s'accordent avec le rai-
plus criminelle contre la personne sacrée du sonnement. Je crois qu'il n'y a pas un Etat
monarque et qui leur permet de soutenir, en Europe à qui un pouvoir unique soit plus
sans encourir l'interdiction civile, que cent nécessaire qu'aux Provinces-Unies c'est le
mille sans-culottes peuvent s'assembler
plein champ, et sous la présidence d'un leurs
en 1
seul moyen de préserver leur commerce et
possessionséloignées, s'il en est temps
énergumène ou l'influence d'un factieux; encore, < des troubles du dedans et des atta-
censurer les opérations du gouvernement .<ques du dehors. Ce qui pourrait arriver de
et la conduite de ses agents prendre parti plus I heureux pour la société commerçante,
pour ou contre une loi soumise à la discus- serait s que la société politique s'étendît assez
sion la plus réfléchie et la plus solennelle; pour devenir monarchique. Tout peuple,
« >»
exprimer leur vœu sur les questions poli- dit i Rousseau, « qui, par sa position, n'a que
tiques les plus importantes, décider de la 1l'alternative entre le
commerce et la guerre,
paix et de la guerre embrasser toutes les est « faible en lui-même, il dépend de ses voi-
opinions que l'éloquence peut dicter à la sins, s il dépend des événements. il ne peut
sottise se communiquer tous les désirs que se s conserver libre qu'à force de petitesse ou
la cupidité peut suggérer à la misère; se li- de d grandeur. »
vrer peut-être à tous les attentats que l'am- C'est donc forcer la nature des choses et.
bition ou la vengeance peuvent conseiller à méconnaître n tous les principes, que de -vau.-
la force; et que ces démarches ne sont pas loir li établir en France deux pouvoirs, lors-
seulement compatibles avec l'ordre public qu'il q ne peut y avoir qu'une société. Un
et la sûreté individuelle, mais qu'elles sont gouvernement
g républicain n'y choquerait
l'effet et le gage de cette liberté sage et ré- plus]a nature qu'un gouvernement,
pas
p
glée à laquelle l'homme est appelé par la mixte. « De
rc toutes les productions do l'in-
nature même de la société?2 trigue,
tr depuis le commencement de la ré-
Les circonstances qui ont produit la cons- volution, » dit
titution anglaise n'existent nulle part les prit, v< un homme de beaucoup d'es>~
pi « ce prétenduacte constitutionnel a été,
mêmes qu'en Angleterre, pas même dans
OEUVRES rnntor
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COMP! r.a
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LOri4.Ll). 1.
sans contredit,
s. vvaawcmo~ ac
lev plus
F.Lt" absurde et le
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Ah
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plus
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~1L~,15 iLk-
umiuluw
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31d.~
4lJ
nefte. Des droits sans démarcation, des for- démocratie sans égalité-, voilà ce qui a été
ces sans équilibre; des mouvements sans di- appelé le pacte social un 1791. » (Merciep-
rectiori, une monarchie sans patriciat, une n°9, 1795.

UVRE VII.
CARACTÈRE NATIONAL.
INFLUENCE DES CLIMATS:

CHAPITRE PREMIER. animal,


an bientôt est descendu au-dessous des
animaux
an mêmes.
DE L'INFLUENCE DES CLIMATS SUR LES
QUALITES Je considère l'homme comme un être in-
MORALES OU PHYSIQUES DE
L'HOMME.
telligent roi de l'univers et de tout ce qu'il
il ne peut, dans ses facultés mo-
Je ne puis traiter du caractère national des renferme, re
tenir de cette terre qu'il foule aux
divers peuples sans m'arrêter sur J'effet du raies,
ra rien
auquel Montesquieu, et d'autres à pieds,
pi ni de cet air qu'il fait servir à ses be-
climat, i

exemple, attribuent une 'influence sii soins sc supérieur à tous les objets sensibles,
son
les des l'être
T< intelligent ne peut rien devoir qu'à
marquée sur le caractère et mœurs lui son phy-
l'homme pro- d< êtres intelligents comme
des
hommes. En faisant de une
végétale soumise propriétés du sique
si même ne dépend que très-peu de ces
duction aux l
l'air, ils ont avili sa causes extérieures. « Dans l'espèce humai-
terroir et à l'action de
dignité, dégradé ses vertus, justifié ses vi-
t
dit
ce
ne,
ni Buffon, « l'influence d.es climats
des variétés assez lé-
gouvernement de ses dé- ne
ni se marque que par
ces, et délié le gères-, V espèce est une comme il est fait
voirs. ':•
physique du climat t pour
Pl régner sur la terre, que le globe en*
« Quand la puissance tier
ti est son domaine, il semble que la nature
viole la loi naturelle, » dit cet auteur, « t
c'est
législateur des lois civiles qui- s< soit
i- se prêtée à toutes les situations. »
à faire
au
rétablissent t Mais si l'on ne doit pas croire à l'effet des
forcent la nature du climat et sur l'homme physique, et bien moins
les lois primitives. ^(Esprit des lois, liv. xvi, climats cl
e
encore sur l'homme moral, on ne peut s'em-
chap. 12.)
Le climat opposé à la loi naturelle 1 la na-pêcher
P d'attribuer beaucoup d'influence a la
à.la de l'hom- transmission
tl héréditaire ( 1 ), c'est-à-dire
ture du cl imat opposée nature
les mœurs et le caractère d'un peuple
me t c'est absurde lés lois civiles qui for- q
que
climat l'homme qui change e se
s. forment par les institutions religieuses
cent la nature du
la nature: c'est, impossible. et politiques « Ce sont, » dit Rousseau,
tranchants les institutions nationales qui forment le
D'autres écrivains ont été plus «
loi, même génie,
g le caractère, les goûts' et les mœurs
ils ont nié l'existence de toute e
dans l'homme des d'un
d peuple » et une fois le caractère et
naturelle, et n'ont vu que s institutions, si un
1les mœurs formés par les
appétits et des besoins. qui gouverne a soin de con-
de l'homme unee gouvernement
ë
Les uns avaient fait institutions dans toute leur pu-
l'art et les soins du jardinier server
s les
plante dont ,r
habitudes de la nation se main-
pouvaient améliorer les sucs; ceux-ci ont
it reté,
r les
tiennent,
t les qualités se transmettent par la
fait de l'homme un animal uniquement dé-
physiques. Ces opi- succession,
s se développent par-l'imitation,
terminé par les besoins [L
l'éducation, et le caractère
nions; si commodes pour paresse la de ceuxs se
s forment par
national se conserve. En vain
l'esprit de
qui gouvernent, si favorables aux passions 1S r
qui gouvernés, sont- répan- parti s'efforce d'obscurcir des vérités aussi
de ceux sont se 1
démêle, dans les vues profon-
dues; et l'homme, regardé comme un vil
il sensibles;
s on

(ceux qui en seront attaqués la


transmettront à leur
(1) Les grands médecins connaissent très-peu
îu
etlorsqu'elle sera ainsi répandue dans un
de maladies contagieuses, et beaucoup de maladies
es postérité
j qu'elle
héréditaires. La goutte peut se former dans un
ln canton,
( un médecin ignorant en conclurales eaux lay
homme par un vice de régime. La même cause peut,
it, est
e un elfet du climat, et que l'air ou
dans la même contrée, multiplier la même maladie; 3; produisent.
j
des de la philosophie,le motif pour lequel elle verses professions. Ces opinions vulgaires
refuse à la transmission héréditaire l'effet sur le peu d'intelligence des habitants de
qu'elle accorde au climat; l'av eu qu'il y dans certaines contrées comme des Béotiens
l'homme social quelque chose de transmissi- dans, la' Grèce, fondées uniquement sur des
ble par l'hérédité l'entraînerait à des consé- dictons populaires ou des -rivalités., -entre
quences qu'elle veut éviter. voisins, sont entièrement fausses:. On veut
Les faits prononceront erftre les opinions. que l'Italie soit exclusivement la patrie des
On n'attribuera pas sans doute à l'influence arts on fait honneur à son heureux climat
du climat les qualités purement morales, la de cette organisation sensible et flexible;
bonne foi de l'Espagnol, fameuse dans; tous et les uns, en raisonnant doctement sur les
lés temps, ta franchise du Germain, l'in- ftbres plus ou moins lâches, croient donner
constance du Gaulois, l'humeur vindicative des explications que d'autres croient com-
du Côrse;:on ne peut rejeter sur la latitude prendre mais, à l'égard des arts d'imita-
l'avarice particulière à certains peuples, la tion, tels que la peinture, la sculpture, Tar*-
fourberie naturelle à d'autres. Quelles heu- chitecture, il est évident que là. où les ri-
reuses zones que celles qui ne produiraient chesses et le luxe auront accumulé plus de
que des ivçrtus; quels affreux climats que chefs-d'oeuvre et depuis plus de temps, il y
ceux qui ne feraient éclore que des vicesl aura plus d'admirateurs, plus d'amateurs,
Les qualités bonnes ou mauvaises sont plus d'artistes. Cette impulsion, une fois
héréditaires, chez les :peuples, comme elles donnée, se transmet par la succession, se
1-e sont dans les familles.: J'en atteste l'expé- développe par l'imitation, se perfectionne
rience il n'est personne:qui ne connaisse par l'éducation et si l'on supposait, dans
de bonnes et de mauvaises races des fa- toute autre partie de l'Europe et depuis la
milles où,, dans toutes les générations, on même temps, les mêmes modèles, on y ver-
est violent, opiniâtre, faux, borné d'autres rait régner les mêmes goûts. J'en appelle à
où l'on est sincère, spirituel-, humain; on l'expérience quels climats plus opposés
voit dans l'histoire romaine des exemples que ceux de la Flandre et de l'Italie? Et ce-
frappants de cette succession de caractères, pendant l'école de peinture flamande a ri-
entre autres dans les familles des Ap. Clau- valisé avec l'école romaine. Veut-on, dans
•dius, des Çaton, des Domitius un autre genre, un exemple encore plus
frappant, parce qu'il est plus général, et que
Des fiers Domitius l'humeur triste et sauvage.
(Racine, Brilamicus.) son objet paraîtrait devoir tenir davantage
de la température du climat? Le goût de la
L'éducation corrige ou développe, mais ne musique est naturel à l'italien et à l'Alle-
peut détruire les effets de la transmissionmand, peuples situés sous des climats bien
héréditaire. Qui doute que le sauvage qui différents. Ce goût, chez l'un et chez l'au-
se serait distingué entre ses compatriotes tre. i tient à des institutions semblables en
par un génie plus inventif, transporté en- Allemagne comme en Italie, il n'y a pas de
fant dans nos climats, instruit dans nosvillage
i qui n'ait un maître de musique,
arts, ne devînt un Européen spirituel; et parce• qu'il n'y a pas d'église qui n'ait des
qu'un Européen à qui la nature aurait re- orgues, et qu'on y chante (1), du moins en
fusé des talents, transporté jeune au milieuAllemagne, pendant les Offices, des canti-
des sauvages, ne fit un Indien simple et Âquêis ( en langue vulgaire que les enfants ap-
borné? jprennent aux écoles. Ce n'est pas la même
Dans les diverses parties de l'Europe, les chlore < en France, et le Français, aussi heu-
peuples qui ont des institutions presque- ressèment i organisé que l'Allemand ne
semblables, et reçoivent à peu près la même montre i
pas en général la même aptitude
éducation, ont produit à peu près le même 1pour la musique. M. Coxe, dans ses Voya-
nombre d'hommes distingués dans lés di- ges i de Russie, remarque que le peuple russe

(\) Qu'on me permette de citer un fait dont j'ai exécutait


« des morceaux de musique avec beaucoup
été témoin. Un ecclésiastique desservait, dans sa de
( justesse et de précision. Il occupa environ vingt
jeunesse, une cure dans la campagne la dIus sau- ans
i ce bénéfice. Les jeunes enfants s'accoutumèrent
vage et chez le peuple le moins sensible au plaisir ài entendre chanter, et à ehaiiier eux-mêmes en par-
de la musique. Ce curé, possédé du démon de la tie; ils ont transmis ce goût à leurs descendants, c>
musique, regrettait beaucoup de ne pouvoir faire «encore aujourd'hui, quoique ces institutions musi-
exécuter dans son église des parties de chant. Enfin cales
( aient été négligées par les successeurs, on dis-
il parvint, avec une patience et des soins incroya- 1tingue facilement tes jeunes bergers île ce village h
bles, à former des élèves, et à monter un cliceurqui 1 perfection de leur chant.
la
est le peuple le plus chantant de l'Europe, Cette observation, à force de^prouver con-
et qu'il met en chant jusqu'à ses conversa- tre tr Montesquieu prouverait contre moi-
tions les plus familières. même,
m si l'or. pouvait oublier que, même
Pourquoi, sous le beau ciel de l'Italie, les sous
sc les rapports physiques, l'homme ne
Romains eurent-ils si longtemps tant de mé- peut p< être considéré comme un pur ani-
pris pour les arts? Pourquoi, dans l'heureux mal. m
climat de la Grèce» les Grecs modernes ou L'auteur de l'Esprit des lois veut que les
les Turcs, n' ont-ils plus de goût pour l'imi- peuples
p< du Nord aient plus de masse et une
tation de la belle nature? La poésie est de taille ta plus avantageuse que les peuples da
tous les peuples, de tous les temps, de tous Midi; M cela n'est vrai que des nations ger-
les climats, et partout la même, quant aux maines m d'origine, chez lesquelles cette taille
sentiments elle ne diffère que par les ima- est es héréditaire, et Tacite le remarque.
Mais
ges. Les bords glacés de la Néwaont retenti cela c< n'est pas vrai des Russes, des Suédois,
de chants qui avaient l'élévation et le feu encore el moins des Lapons, peuples que Buf-
des chants de Pindare ils ont entendu des fon fc croit de la même race que les plus sep-
accords qui avaient, dit-on, la mollesse et tentrionaux.
t£ Si les Germains doivent à une
la douceur de ceux de Racine. plus
p grande quantité d'aliments, et à des
Bst-ce le courage qui est l'effet d'un cli- boissons
b (l) plus nourrissantes, plus de
mat froid? Montesquieu le prétend; et les taille tt et d'embonpoint, les peuples du Midi
dissertations anatomiques sur les fibres plus sont S( plus nerveux, plus agiles le Basque
ou moins lâches dont il élaie son système sont ou o le Catalan aurait certainement de l'avan-
eji contradiction avec la nature et l'histoire. tage
t< à la course, à la lutte, sur le Hollan-
Il suivrait de ce système, que le lecteur daisd ou le Danois; le soldat le plus robuste
trouvera expliqué fort au long dans les li- de d l'Europe est le soldat espagnol et si
vres xiv, xv, xvt de l'Esprit des lois, que ma n mémoire ne me trompe pas, l'abbé Du-
les Lapons et les Samoïèdes seraient les bos, b dans ses excellentes Réflexions sur la
peuples les plus courageux du monde et poésie p et la peinture, avance que lé Napoli-
cependant le Lapon est si peureux, qu'on tain ti est le plus bel homme de l'Europe. « Le
n'a jamais pu le faire aller à la guerre, et peuplep napolitain, dit le comte d'Albon dans
que Gustave-Adolphe essaya en vain d'en ses s Discours sur l'Italie, offre un assem-
faire un régiment; et cependant l'extrême blage t d'hommes robustes et nerveux, d'une
froid est plus contraire à la constitution taille t assez haute, d'un port assuré, d'un
physique de l'hommeque l'extrême chaleur, regard r pénétrant, vif et plein de feu; d'bom-
puisque l'on trouve des habitants sous lu mes r qui portent empreinte sur leur front
ligne, et que, selon toutes les apparences, l'ancienneté
l -de leur origine, et qui ressem-
il n'en existe pas sous les pôles, et qu'il est 1blent peut-être plus aux anciens Grecs que
même prouvé que nos corps peuvent s'ha- nos i Grecs modernes. Quoique extrêmement
bituer à supporter des degrés excessifs de sobres, s ils ne perdent rien de leur embon-
chaleur. point,
] et ils savent également souffrir le
Une observation constante apprend que froid 1 et supporter la chaleur. » Y a-t-il des
les animaux féroces, uniquement exposés ài peuples 1
plus forts et plus nerveux que les
l'influence du climat, sont plus forts, plus i )noirs
1 d'Afrique?
courageux^ plus féroces, dans les ctimalss L'histoire ne s'accorde pas mieux avec
brûlants que sous les températures froidess cette < théorie qui calcule les degrés de force
et humides. « Sur les animaux, » dit Buffon, et de courage sur les degrés de froid du
« l'influencedu climat est plus forte, et se5 climat. Jusqu'à la destruction de l'empire
marque par des caractères plus sensibles. romain, le Midi avait triomphé du Nord,
Dans les pays chauds, les animaux terres- puisque les Romains avaient soumis l'uni-
tres sont plus forts et plus grands que danss vers. César et d'autres après lui battirent
les pays froids et tempérés-; ils sont aussii les Bretons et les Germains; et si les Ro-
plus hardis et plus féroces toutes leurss mains ne poussèrent pas plus loin leurs con-
qualités naturelles semblent tenir de l'ar- quêtes sur ce dernier peuple, c'est qu'il
deur du climat. » avait une constitution, c'est que, plus éloi-
boisson
(1) Les Germains connaissaient la hière dès lee mor. Germ., cap. 23). « Ils usent d'une
temps de Tacite Potui humor ex hordeo aut fru- t- faite avec de l'orge ou du blé qu'on fait fermenter
mento, in quamdam similitudinemvini co.rruplus. (De
•e à peu près comme le vin. i
gné d'eux,-il en fut attaqué plus tard, et que çde temps, leur population s'était acerue au
le pouvoir unrnue qui s'éleva dans Rome à point que leur pays ne pouvait plus suffire
cette époque, y éteignit l'ardeur des con- èà leur subsistance (et des peuples nomades,
quêtes, comme je l'ai dit ailleurs. Les Ro- x pasteurs ou chasseurs, ont besoin, pour
mains vinrent même plus aisément à. bout subsister,
s d'une vaste étendue de terrain),
des Bretons, peuples très-septentrionaux, i fallait qu'ils en sortissent, qu'ils s'établis-
il
que de l'Espagnol Sera Cantaber domitus sent,
s qu'ils vécussent enfin, ou qu'ils fussent
catena, indomitus Canlaber, dit Horace; et il exterminés.
e
est à remarquer que les Arabes et les Par- Ainsi, les Cimbres et les Teutons cher-
thes, peuples des pays chauds, furent les chaient
c à s'établir lorsqu'ils furent défaits
seuls des peuples connus qui échappèrent à par une armée de méridionaux, malgré l'a-
leur joug. vantage d'un nombre effroyable, et le cou*
Lorsque les peuples du Nord envahirent rrage que, selon Montesquieu, ils devaient
l'empire d'Occident, j'ai fait voir que les ttenir de leur climat; d'autres plus heureux
circonstances étaient telles qu'il ne pouvait renversèrent
r l'empire romain, et envahirent,
se soutenir plus longtemps, et qu'il se serait à différentes époques, toute l'Asie méridio-
détruit lui-même, s'il ne l'eût pas été par nale
n et orientale. La Chine, plus monarch^
une force étrangère. qque, leur a opposé ses mœurs, et les a con-
quis
q eux-mêmes en leur donnant ses lois.
CHAPITRE II. La preuve que ces peuples ne sont con-
SUITE DU MÊME SUJET. – TARTARES.
C'est surtout dans les révolutions de l'Asie
quérants
q que par nécessité est, qu'une fois
éétablis, ils deviennent de paisibles cultiva-
que Montesquieu voit l'influence du climat, iteurs, leur ardeur guerrière s'éteint dans
auquel il attribue et les dévastations fré- la possession d'une terre fertile; et c'est ce
li
quentes de cette belle partie du monde, et qui
q fait que les empires despotiques de
son despotisme permanent. l'l'Asie n'ont jamais pu lutter contre les Tar-
Je conviendrai avec lui que les Asiatiques tares, peuple toujours neuf, parce qu'il est-
tl
septentrionaux, peuples Gétiques ou Scy- ééternellement le même, et toujours dans la
thes, que nous appelons Tartares, ont con- fièvre des conquêtes, parce qu'il est toujours
fi
quis plusieurs fois le midi de l'Asie, comme ddans la crise des besoins. « Ce peuple, » dit
ils ont conquis l'Europe, et plus récemment YEsprit des lois, « le plus singulier de laterre,
V
la Chine; mais ce n'est pas le climat qui les conquiert
c sans cesse et forme dos empires,
rend conquérants, c'est le besoin, c'est la nmais la partie de la nation qui reste dans le
nécessité. ppays est soumise à un grand maître, qui,
Le climat ne leur donne pas du courage, ddespote dans le midi, veut encore l'être dans
maisilleurrefuse des subsistances; il ne tend le nord, et, avec un pouvoir arbitraire sur
1<
pasleursfibres^maisilstérilisfrleursterresil les sujets conquis, le prétend encore sur les
l(
n'est pas la cause de leurs conquêtes, il n'en sujets
s conquérants. »
est tont au plus que l'occasion. Si la chaleur du climat a naturalisé le des-
Les peuples qui détruisirent l'empire ro- potisme
p dans l'Asie méridionale, si la fibre
main» ceux qui,. sous les successeurs de lâche de ces peuples amollis ne peut jamais
II
Charlemagne, furent à la veille- de détruire se monter au ton de la liberté, si l'influence
s<
l'empire français, ceux qui ont conquis, en dd'un ciel toujours serein, d'un sol excessi-
différents temps, la Perse, le Mogol, la vement
v fertile y plonge les rois dans la
Chine, n'avaient pas reçu de la nature de mollesse
n et les peuples dans l'engourdisse-
leur climat une constitution physique plus nment pourquoi l'intrépide habitant des
propre au courage que celte des peuples ccontrées glaciales et stériles de la grande
plus méridionaux mais errants sous un ï Tartarie courbe-t-il la tête sous le joug du
ciel dur et rigoureux (1), dispersés sur une ddespotisme? C'est là, bien plus que dans la
terre froide et stérile, sans aucune des ins- partie
p méridionale, que le despotisme est
titutions, sans aucun des besoins ni des arts naturalisé,
n puisqu'il s'y conserve éternelle-
qui détruisent l'espèce humaine chez des nment, puisque de là il se répand dans les
peuples policés, ou empêchent son excessive ppays où les Tartares, selon Montesquieu,
multiplication; lorsqu'après un long espace n'ont
n conquis qu'en esclaves, et n'ont vaincu
(t) « Nous voyons encore, dans les relations, rie, est aussi très-froide, et que te pays ne se cultiva
ri
que la grande Tartarie, qui est au raidi de la Sibé- ppas. » {Esp. des lois, 1. xv», c. 3.)
que pour un maître; parce que ce maître, v< vernèment despotique, la religion chrê--
despote daws le midi, veut encore l'être dans tienne,
ti essentiellement monarchique a
le nord, et avec un pouvoir arbitraire sur trouvé
tr plus de facilité à s'introduire à la
les tufels conquis, le prétend encore sur les Chine,
Ci du côté dès mœurs, que du gouver-
sujets conquérants. (Esprit des fois.) Si ce peu- nement, qui a fiîii pa-E. en défendre la prédi-
n<
pie n'est pas amolli, pourquoi est-il 1 esclave ? a
Gatioov. C'est parce que le gouvernement y
s'il est-amolli, pourquoi est-il conquérant 1: es despotique, qu'il a été souvent renversé,
est
Montesquieu explique ces contradictions en et la dernière fois par les Tartares en 1644;:
disant, que c'est le peuple le plus singulier de et
et c'est parce que les mœurs y sont mohar-
h terre; mais c'est, là aussi une singulière, chiques qu'elles s'y sont conservées malgré
et
explication. -; les
Jee révolutions, et que, dans la dernière con-
Je ne puis passer sous silence la Chine, quête, elles ont conquis les Tartares; qui
qi
cet empire étonnant par sa. durée; et le plus- ont adopté les mœurs chinoises; de sorte
ai
singulier de l'univers par la nature de ses qu'en
ql rapprochant ces faits certains et ré~-
institutions. Montesquieu le range dans la, cents
ce de mes observations sur le principe de-
classe des Etats despotiques, et il a raison ; conservation
ce des sociétés constituées ou mo-
mais la preuve qu'il en donne est hors d'état narchiques,
ne et sur Je principe de destruc-
de satisfaire un lecteur sensé, Quel, est, de- tion des sociétés non constituées ou despo--
ti(
rnafide-t-il, l'konnem d'un peuple qu'on ne tiques,
ii< on verra que, dans cette société
mène qu.'avec le bâton? parce qu'il, ne recon- mixte, la forcé dé résistance est dans les
m
naît que. son honneur pour principe de la. mœurs, parce qu'elles sont monarchiques,
m,
monarchie, et que, dans tes idées, européen- et le principe de destruction dans le gou-
&t
ues et françaises, il regarde le bâton comme v-ernement, qui y est despotique. Mais si' le-
V-e
un outrage et non comme un châtiment, despotisme
dE est un effet du climat, comme^lë
Quesnay qualifie la Ciiine d'Etat mojiac- veut
V€ Montesquieu, comment l'extrême cha--
chique,, et il a raison, ayssi; mais le rapport, leur,
]e la fertilité du sol, le relâchement des:
sous; lequel il la considère est incomplet, fi1 n'onl-ils' pas étendu jusqu'aux mœurs,
fibres
parce qu'il ne l'envisage queducôté del'ad-: le despotisme des lois? C'est que le despo-
min.istration. et des mœ.urs. Le gouverne-: tisme du gouvernement y est défendu par la
tis
ment de ta Chine est despotique, et l'admi- religion,
re comme le monarchisme de l'admi-
nistration y est monarchique cet empire; nistration
ni y est défendu par l'éducation
est despotique par les loi^ et monarchique. c'est
c'< cette opposition de principes* entre -la.
par les mœurs; tout au contraire del'Empire religion
re et l'éducation, te gouvernement et'
turc,. qui est despotique par les mœurs, et à. l'administration,
]'ê les lois et les mœurs, qui
certains égards monarchique par les. lois. Le forme le- contraste indéfinissable de la plus
fo
gouvernement, est despotique.; car le pouvoir sage des nations et du plus ridicule des..
sa
y est unique la religion, publique y est. peuplés.
pE Une preuve décisive de ce que j'ai,
la religion païenne, et les distinctions n'y avancé
a,v sur la tendance de toute société à se.
sont ni héréditaires^ ni professions,sociales constituer,
co c'est-à-dire, à devenir monar-
il est despotique par les lois; car le sexe le chique, est qu'à la Chine les mœurs insen-
ch
plus faible y est opprimé par la polygamie, siblernent l'emportent sur les lois> et l'édu-
si
et l'âge le plus tendre par l'exposition pu- cation sur la religion
ca car lareiigion païenne
blique. L'administration y est monarchique,. s'est déjà changée, dans une partie de la.
s'<
parce qu'elle y est. très-paternelle, «les dis- nation,
ru en pur théisme, et on ne peut pas
tinctïons de professions très-muHipliées, et douter que, si la religion: chrétienne eût. pu

l'éducation très-sociale la Chine est monar- s'y introduire ou s'y répandre, elle n'eût
s';
chiqaê pafr;;lës roœurs; car les mœurs sont opéré prochainement la conversion de ce
oj:
partout lia place dé l'hbnneup, q.ui est le
gouvernement
gc en un gouvernement pure-
ressort des monarchies; tout y. est réglé ment monarchique. Ce M'est pas la chaleur
m
jusqu'aux compliments et aux révérences; d.i climat qui produit la fois, dans le même
du
le citoyen y est esclave de ses moeurs, empire,
et le despotisme des lois et le mpnae-
comme dans une monarchie il est esclave chisme
ch des mœurs; mais les unes y sont
de l'honneur. Aussi, yà-t-il beaucoup de despotiques, parce que le despotisme y a,
dE
bienséances et nulle vertu aussi, parce que commencé
ce avec ies sociétés, comme dans le.
les mœurs y' sont monarchiques et le gou- reste
re de l'Asie (1) et lés autres y sont mo-*
(t) Lo^
(1) Lot despotisme avait commencé sous sous Nemrod, hi'omiw rni
Nemrod, premier
pi;. Accvrî^nc L'Ecriture
rloc Assyriens.
roi des dit de
T^R/rîllirn Ait lui'
Afi lui
!`n"r n. rF_
C«!ptf esse païens in lerra. (Gènes, x, o8.)
0
? i~
narchiques, parce que, selon tes apparences e nos arts, et rios systèmes, et recommencer
et
les plus fortes, une colonie d'Egyptiens y a la
1 société, en ramenant au milieu d'elle
porté, dans les temps les plus reculés, son l'unité
l de pow«oir,'ébranlée par des opinions
éducation et ses coutumes. Ce qui est, dit insensées
i ou altérée par des institutions
avec beaucoup de vérité l'auteur de la Féli- désastreuses.
d Et si, après avoir fait, dans
citépublique, tient toujours de ce qui a été; 1le siècle' passé, sa dernière invasion vers

la Chine est soumise à la fois à l'autorité l'Orient,


1 ce torrent se dirigeait vers l'Occi-
despotique de son gouvernement, et à l'au- dent,
c il pourrait être redoutable pour l'Eu-
torité monarchique de son administration et rope,
r si les deux puissances militaires les
de ses moeurs, par la même raison « que le plus
1 formidables, l'Autriche et la Russie, si
Macédonien est encore aujourd'hui le mail- notre
t tactique, notre artillerie, nos places
leur soldat de l'empire turc. » (Grandeur des fortes
i ne lui opposaient une forte barrière.
Romains, Montesquieu, qui le remarque» Il est peut-être à désirer, pour cette rai-
en, attribue la cause au climat (qui est chaud sson, que la Pologne, au travers
de laquelle
cependant), comme si le climat de la Macé- ces
< nations pourraient s'ouvrir un passage,
doine était fort différent de celui du reste de ]par la petite Tartarie,
et qui, dans ses plai-
la Grèce; et prévenu pour son système, il nes
i vastes et fertiles, offrirait à ces nom-
ne veut pas voir, dans le Macédonien mo- ]breuses hordes des facilités pour leur mar-

derne, le descendant du soldatde Philippe che et leur subsistance, acquière, avec un9
et d'Alexandre,, dont les montagnes escar- constitution fixe, toute la force de résistance
pées ont préservé la race d'une destruction dont elle est susceptible. Rousseau, dont il
totale et c'est une nouvelle preuve de la. faut souvent saisir les aperçus, et rarement
force de la constitution monarchique; car les principes, pronostique que les Tartares
Rousseau met sur la même ligne la petite deviendront nos maîtres. «Lette révolution,
monarchie des Macédoniens et celle des dit-il, me paraît infaillible; tous les rois
Francs. C'est dans la transmission hérédi- de l'Europe travaillent de concert à l'accélé-
taire, fortifiée par l'imitation ou par l'éduca- rer » et quoique ce danger ne soit peut-
tion, qu'il faut chercher la cause de ces dis- être pas aussi prochain que cet auteur parait,
positions générales à certains peuples on le penser, qui oserait, après ce que nous
ne peut rendre raison du caractère, des na- avons vu, fixer les progrès de cinq à six
tions que par leurs institutions, on ne peut cent mille Tartares conduits p^n un Attila
expliquer, l'homme que par lui-même. ou un Tamerlan, que la Turquie aux abois
Je reviens au Tartare. Ce qu'il a de sin- verserait en Europe, et qui pourraient comp-
gulier n'est pas son caractère, c'est qu'il n'a ter parmi nous, sur deux alliés fidèles, nos
aucun caractère, parce qu'il n'a pas d'insti- divisions et nos jalousies « « il semble, » dit
tutions politiques c'est le peuple de la.na- un auteur judicieux, « que, dans le politique
ture, prêt à recevoir toutes les institutions et dans le moral, tout est en effort, comme
qu'on lui donnera, et à prendre les habitu- dans le- physique, et que les peuples répan-
des et le caractère que formeront en lui ces dus sur la surface de la terre se pressent,
institutions. Il est devenu Européen dans comme les éléments, et se portent, par leur
nos climats, Indien au Mogol, Chinois à Pé- propre poids, vers les lieux où le luxe, le
kin. La grande Tartarie semble être l'atelier. despotisme, la corruption des mœurs, ont
de la[nature elle a placé ce, peuple dans de énervé les âmes, comme l'air, l'eau, le feu
vastes déserts, loin de notre civilisation cor- se précipitent dans les espaces vides, ou
ruptrice, comme une mère sage qui éloigne remplis d'un air sans ressort, de corps sans
ses jeunes enfants de la ville, et les fait nour- résistance. » (Pluquet.)
rir dans ses terres. Montesquieu ne trouve que dans les cli-s
Ainsi le genre humain a commencé en mats froids une grande force d'esprit et de,,¡
Asie, puisqu'il y recommence encore, et s'y corps, qui rend les hommes capables d'ac-
refait des pertes qu'il éprouve ailleurs. C'est. tions longues,, pénibles, grandes et hardies.
dans ses immenses régions, vingt fois plus Mais pourquoi la civilisation, qui suppose les
grandes que la France,-selon Bufion, que se progrès de l'esprit humain et le plus grand
forment dans le silence et sous les yeux de développement de sa force, la civilisation,
la nature, loin de nous, de nos arts, de notre qui est une action longue, grande et pénible,
luxe,de nos systèmes, ces nations vierges qui a-t-elle toujours été si avancée dans la
viennent, de loin en loin, détruire et nous,. Midi, si retardée dans les climats glace
du NorU ? Mais les Romains et même les effets déréglés de ce sentiment que la natu-
Grecs, le législateur des Arabes et ses sue-
re a destiné à la conservation de l'espèce-
cesseurs, Mahomet II et Soliman, les pro- humaine, et que l'homme, qui abuse de
digieux conquérants du Mexique et du tout,
1 fait servir à sa destruction. Cette in-
Pérou (1), nés et faisant la guerre dans ifluence du climat était commode pour les,
des climats chauds, n'avaient-ils romancîers, qui veulent des penchants irré-
pas une J
grande force de corps et d'esprit, n'étaient- sistibles,
s et pour les philosophes, qui veu-
ils pas capables d'actions longues, grandes, lent
1 des passions insurmontables aussi l'on
pénibles et hardies ? Cette théorie ne s'ac- aé débité sur ce système bien des romans,
corde pas mieux avec l'histoire moderne. et
e encore plus de philosophie.
Les Espagnols, les Italiens, sous Charles- Je suis loin de penser que la nature ait
Quint, Philippe II, et de nos jours, se sont donné
c à l'homme plus de besoins sous une
battus en Flandreau en Allemagne, 1latitude que sous une autre,
comme parce que je ne-
au Mexique ou en Afrique les Anglais puis
p croire qu'elle n'ait pas également voulu
dans l'Inde, comme en Amérique les Fran- I conservation et la propagation de l'espèce
la
çais au Canada comme en Italie; les Rus- humaine-
h dans tous les lieux où elle a pla-
ses sur les bor Is de la mer Noire, comme cé
c l'homme autrefois le Midi était excessi-
en Finlande les Autrichiens dans le Pié- vement
v peuplé; la population de l'Italie, de-
mont, comme aux plaines de Tirlemont .(2) la
1< Sicile, de l'Espagne, de l'Egypte était

ou de Nerwinde. L'empereur a dans ses prodigieuse;


P plus tard le Nord, par ses émi-
troupes des Allemands, des Hongrois, des grations
g incroyables, a étonné et subjugué
Italiens, des Français, des Wallons, des l'Europe
l' ce qui prouve que le Midi et le
Polonais, des Esclavons tous ces peu- Nord
N sont également favorables à la repro-
ples soumis à la même discipline dduction de l'espèce humaine, qui partout se
se
battent avec le même courage les Hongrois, multiplie
rr en raison des subsistances; mais h
peuples d'un climat plus chaud, ont-ils des
d sentiments qui sont à lanature, l'homme
lafibre plus lâche, le corps moins dispos ajoute des passions qui sont à lui, et déran-
aj
quele Flamand ou le Hollandais ?les Suis- gi ainsi les vues de la nature je m'expli-
ge
ses sont-ils moins bons soldats en Espagne que.
q
et Naples, qu'en France ou en Hollande?R" Là où la rigueur des saisons oblige l'hom-
Si, selon Montesquieu, tes Autrichiens ont m à se tenir renfermé autour de son foyer
me
eu des revers en Espagne dans la guerre avec
ai sa famille, il doit résulter quelque
de la succession, parce qu'ils passaient d'un chose
cl de différent dans les habitudes exté-
climat plus froid dans un climat plus chaud, rieures,
ri de ce qui arrive dans ces heureux
pourquoi, suivant le même auteur, doit-on climats,
cl où une température égale et douce
attribuer à la même cause les succès des permet aux hommes de se voir plus souvent,
p(
Tartares en Asie ? Sous le même climat, et de se réunir en plus grand nombre.
dans l'Inde, les Cipayes sont amollis, les Là les hommes s'isolent, ici ils se cher-
Marattes durs et courageux. $
chent de ces usages opposés il ne résulte
CHAPITRE 111. pl quelque chose de différent dans l'orga-
pas
nisation physique, mais une différence dans,
ni
CAUSES DE LA CORRUPTION DES MOEURS. les manières. Dans le Nord l'homme en gé-
]“
On se doute bien que les écrivains qui ont néral
n( sera plus froid, parce qu'il ne voit que
attribué à l'influence du climat les qualités le mêmesobjets, et que l'habitude émousse
les
bonnes et mauvaises de l'homme, n'ont pas le sensations; dans le Midi il sera plus
les
manqué de rapporter à la même cause les empressé,
en parce qu'il verra plus souvent
(1) II n'y a, dans aucune histoire, rien de
com-
parable au courage incroyable de Cortez, attaquant, ves armées, qui, forcées de reculer devant un enne-
ve
mi, fort de son audace et de son nombre, depuis
mi
avec cinq cents fantassins et quinze cfievaux seule- les bords de la Sambre jusqu'aux rives du Rhin, tou-
ment, un vaste empire dont on ne peut juger les jours soumises à une discipline sévère, inébranla-
km
forces, dans, un pays nouveau et inconnu, et mettant bles
ble dans leur valeureuse fidélité, résistent à tous
le feu à ses vaisseaux pour s'ôter jusqu'à espoir les genres de séduction, à des. fatigues incroyables,
«le la retraite. (Robertson.)
(2) Pour juger les institutions et les peuples, au dégoûts d'une retraite continuelle, dans une
aux
qu'on compare les révoltes éternelles des armées guerre
»u inouïe, où les combats amènent les combats,
romaines sous les empereurs, et même dans les plus et où les victoires mêmes ne sont pas des succès.
beaux jours de la république, lorsqu'elles C'estdans l'excellent esprit de ces armées que l'on
s^ent battre exprès pour mortifier un général se fai- doit admirer la force des institutions politiques et
do;
qui religieuses.,
rel
fcur déplaisait, avec l'admirable fermeté de bra-
ces
des objets nouveaux, auxquels, même sans « 'Il faut, dit Montesquieu, « de certaines.
dessein particulier, et par un effet de l'hu- lois dans une nation où les hommes se com-
meur sociale et de la bienveillancenaturelle, muniquent beaucoup, il en faut d'autres
il cherchera à se rendre agréable. Le climat chez un peuple où l'on ne se communique
sera, si l'on veW, l'occasion de ces diflTéren- point. » ( Esprit des lois, i. xiv, c. 1,0. )•
tes manières d'être, mais il n'en sera pas la Les peuples du Midi auront donc l'imagi-
eause: car dans le Nord, les hommes à qui nation plus mobile, parce que la nature et:
leur fortune ou Jeurs occupations permet- la société leur offriront plus fréquemment
tront un genre de vie plus communicative de. nouveaux objets; et comme la cause sera,
et moins uniforme, seront empressés, et constante, les effets du plus au moins se-
dans les pays chauds, ceux que des travaux ront uniformes.
champêtres ou des professions sédentaires Chez les Romains', j'aperçois, dans les.
isoleront beaucoup des autres hommes, se- jours de leur vertu, l'attention de ce gouver-.
ront froids et peu sensibles. nement habile et prévoyant à réprimer les
Les mc&urs sont bien moins corrompues écarts de cette imagination légère et
dans les campagnes du midi de l'Europe que la fixer sur des objets sérieux. 11 en redou-
dans les villes des pays du nord; et dans les tait le danger, il en connaissait le remède,
villes mêmes, le plus ou le moins de corrup- ce gouvernement, « qui avait banni de la
tion ne tient pas au climat; et it y a certai- religion païenne toutes ces fables absurdes
nement moins de désordres à Turin qu'à qui attribuaient aux dieux des actions cri-
Saint Pétesbourg. minelles » qui avait donné à la chasteté»,
La sage nature, qui a condamné l'homme dans les prêtresses de Vesta, de si grandes
au travail, a compensé ces différences par le prérogatives, et à la vertu des dames romai-«-
plus ou le moins de travaux indispensables. nes une si haute renommée chez lequel lo
L'homme du Nord confie à la terre ses trou- magistrat des moeurs dégradait un sénateur
peaux et son blé, et elle nourrit les uns et pour avoir, devant sa fille, donné un baiser
développe l'autre l'habitant du Midi, avec à sa femme; qui offrait au peuple des spec-
ses vignes, ses oliviers, ses mûriers, ses tacles atroces, plutôt que des spectacles vo-
amandiers, est obligé de lui demander sans luptueux, et qui le rendait cruel pour ne pas
cesse ce qu'elle lui accorde toujours si, le rendre faible. Aussi le Romain eut un ca-
malgré cette sage précaution de la nature, ractère fortement prononcé de solidité, de
les peuples du Midi ont été plus adonnés à sévérité, d'austérité même; et en se domp-
l'oisivetii et à la mollesse,il faut en chercher tant lui-même il apprit à dompter l'uni-
lacause dansleurs gouvernements.En Grèce,, vers.
le peuple était oisif par la nature même de Les Grecs au contraire, nés sons un ciel
ses institutions, qui lui donnaient des es- aussi tempéré, ayant sous les yeux le spec-
claves pour travailler ses terres en Italie, tacle d'une nature aussi riante, au lieu de
au moins dans quelques endroits, le peuple captiver par des habitudes graves et sévères
est oisif par la faute de son administration, une imagination que la diversité des objets,
qui n'excite pas assez le travail ou favorise la variété des tableaux, devaient rendre mo-
trop la paresse; car l'homme est partout et bile et légère, adoptèrent toutes les institu-
dans tous les temps un animal paresseux. tions qui pouvaient l'égarer davantage. 11
Les habitants du midi de la France sont furent dans ce genre à un degré d'extrava-
beaucoup plus propriétaires que ceux des gance qu'on aurait peine à croire et, comme
provinces du nord, et cela doit être; ils se- dit Montesquieu, ils itèrent la pudeur même
raïent plus turbulents, s'ils étaient moins à la chasteté. La religion et le gouvernement
occupés, parce qu'ils seraient plus souvent se disputèrent à l'envi à qui corromprait le
assemblés; mais aussi, parce qu'ils sont plus promptement ce peuple si aisé à cor-
plus propriétaires, ils ont montré en géné- rompre la religion ordonna la licence à
ral plus d'attachement à leurs lois, plus de l'homme (1); le gouvernement interdit le
fidélité à leurs souverains. travail au citoyen. La débauche y devint
(I)! < Ou ne peut lire sans étonnement, dit Bos- ves faisaient ses travaux, sa grande affaire était sa
suet, les -honneurs qu'il fallait rendre à Vénus, et liberté. Quoi! la liberté ne se maintient qu'à l'ap-
les prostitutions qui étaient établies pour l'adorer.> pui de la servitude? Peut-être. Les deux excès se
« Chez les Grecs, dit le Contrat social, « tout ce touchent. Tout ce qui n'est point dans la nature a ses
que le peuple avait à faire, il le faisait lui-même; inconvénients, et la société civhleplus^quetout le resie.*jo
il était sans cesse assemblé sur la place des escta- La société civile n'est pas dans la nature Et c'est
,435 ŒUVRES COMPLETES
l^tj DE
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M.
ai* JL71-JiJ\Ji.y£\UlU,
DE BONALD. 456
échappés à la destruction de
-*fV
monstrueuse, et les mœurs abominables; Les savants 1
quand des courtisanes y devenaient des' l'empire
1 grec, accueillis en Italie, y avaient
personnages importants, des sages devaient réveillé
r le goût des connaissances de- tous
1les genres. On rechercha avec soin les mo-
y paraître des hommes extraordinaires l'on
en remarqua sept mais il y eut une foule numents
r des arts et des sciences que le
do peintres, de musiciens, de -sculpteurs, de temps
t et les Barbares avaient respectés; les
poètes, de gens qui se donnaienten specta-' chefs-d'œuvre
c anciens en'firent éclore de-
cle. Ce fut un peuple de femmes et d'enfants, nouveaux,
i et la Grèce corrompit encore une
sans cesse assemblé- sur. ses places publi- ffois l'Italie, et par elle toute l'Europe elle
1lui fut doublement funeste, et par l'imita-
ques pour voir et pour entendre; un peuple
sans jugement et sans solidité, emportépar tion
t de'ses arts, et par l'introduction de ses

.- "
«ne imagination sensible à l'excès, qui quel- institutions
i politiques. Dans les pays du
quefois lui fit faire de grandes choses, et qui midi
i de l'Europe, il.y eut plus de désordres,
plus souvent lui-, fit faire de grandes fau- plus de licence, plus de passions, parce
tés.- ••
Lorsque les Romains eurent assujetti les
1
qu'il
< y eut plus de commerce, de voyages,
de richesses, de tableaux, de statues, de ro-
Grecs, et les rois de cette nation successeurs mans, de-théâtres1 (1). Mais lé climat nefait
d'Alexandre, la vanité des triomphateurs ett rien de tout cela; c'est le gouvernement qui
l'avarice des proconsuls transportèrent ài le fait ou le laisse faire, et qui, au lieu de
Rome tous les chefs-d'œuvre des arts dont t considérer, le commerce, les richesses, les
la-Grèce était ornée; alors la peinture, iai arts, les productions de l'esprit ou de l'ima-
sculpture, la musique, lapoésie^dévoilècent t gination, comme de nouveaux moyens de
de mille manières,, et dans le langage le pluss conduire les hommes au bonheur parla ver-
séduisant, ce que la nature jusque-là n'avaitt tu, abandonne ce ressort puissant à des
confié qu'en secret à la pudeur. Chez les5 mains corrompues ou malhabiles, et content
Grecs, peuple faible, les imaginations n'é- de réprimer l'homme physique, livre l'hom-
taient que sensibles chez le Romain, durr me moral, c'est-à-dire, tout l'homme, au
et féroce, elles devinrent ardentes les ins-• dérèglement de son esprit, à la dépravation
titutions religieuses et politiques s'altérè- de son cœur, au délire de ses sens, souvent
rent.dans les troubles civils, les mœurs se5 même le pousse sur cette pente rapide, par
perdirent cruel par l'effet de ses institutionss de coupables exemples, ou des institutions
primitives, voluptueux par Tefifet de ses nou- imprudentes et dangereuses, et le conduit
velles mœurs, le Romain devint extrême3 ainsi au malheur par le vice (2).
dans ses vires, comme il l'avait été dans sess Je le répète les gouvernements. font les
vertus, et les mêmes temps virent éclore less institutions, les institutions font les, hom-
horribles proscriptions de Sylla.et la prodi- mes, et les hommes se transmettent les qua-
gieuse mollesse de Lucullus,. lités bonnes ou mauvaises qu'ils tiennent de
Je passe à l'Italie moderne. Lorsqu'elles leurs institutions.. Les souverains qui rè-
commença à respirer des dévastations dess gnent sur des, peuples d'une imagination
Barbares, les mêmes causes vinrent l'embel- plus mobile, ont, si l'on veut, plus de pré-
lir et la corrompre. Les arts-ne s'étaient pass cautions à prendre que ceux qui ont à gou-
perdus en Italie, où régnaient les Papes ett verner des peuples plus constants dans leurs
les empereurs grecs, où il y avait des villess goûts, plus tranquilles dans leurs manières
florissantes, et presque le seul commercee mais ils ont aussi un ressort de plus à em-
qui se fît pour lors; > le commerce, causee ployer-: ressort actif, d'une force irrésisti-
unique de prospérité, selon les moderness ble, incalculable, tel que la poudre, dont
politiques, et source la plus féconde dee l'explosion,, dirigée par un mineur habile
corruption particulière et publique. Les artss ou par un ouvrier ignorant, peut renverser,
se ranimèrent à la voix, de Léon X, des Mé- en un clin d'oeil, l'obstacle le plus formida-
diçis,, des princes ou des particuliers aux- ble, ou faire sauter l'édifice le plus pré-
quels un grand commerce avait procuréé cieux.
d'immenses richesses.
de l'insensé. qui a osé calomnier ainsi la nature et »t tues!
la société, que les sectateurs prétendus de la nature, (2) Dans l'Orient, et chez les, peuples qui sui;-
les soi-disants législateurs des sociétés,, ont fait unn~n vent la, religion mahométane. les insliiutions reli-
dieu! gieusesajoutent aux causes de corruption, puisque,,
(1) Le moyen, dit un homme d'esprit,, dans ses !s non contentes de permettre les plaisirs des sens dans
Lettres sur l'Italie, d'avoir des mœurs et des sta-
i- cette vie, elles les proliietteiit dans l'autre.
:'•
CHAPITRE IV.
-
CARACTÈRE NATIONAL DANS LES DIVBHS
GOUVERNEMENTS.
institutions
i
qu-éès
C
primitives y 'auront été atta-»
avec plus ou moins de succès.
Les peuples soumis à une monarchie bien,
constituée auront beaucoup de caractère,
c
puisqu'ils ont contracté toutes. les habitudes
J'ai dit ailleurs que le caractère d'une sociales;
s et qu'ils ont sous les yeux des ob-
tiq.n se composait de ses habitudes religieu- jets a toutes leurs affections..
ses ou politiques, de son attachement pour Dans une aristocratie, le- peuple aura
les propriétés sociales, c'estrà-dire, de son moins de- caractère, surtout si le pouvoir est
r
affection à un culte antique* de son amour entre les mains d'un grand nombre de fa-
pour une famille anciennement régnante,, de milles,
r parce- qu'alors il est;. comme je l'ai
sa vénération affectueuse pour les familles remarqué, plutôt un objet d'envie que d'af-
r
exerçant les professions distinguées. Le ca- fection cependant si le peuple est heureux,
ractère national, plus aisé à sentir qu'à dé- s'il
s a une religion-, sévère, et un, culte impo-
finir, me paraît être l'attachement d'un peu- sant si cet Etat est d'une médiocre étendue,,
g
pie aux objets sensibles de ses affections.
et séparé des Etats voisins par iine situation,
Cet attachement ne peut être formé que: par particulière si les familles patriciennes sont
f
s,es habitudes un peuple qu.i aura plus aanciennes et considérées; si, jouissant en.
d'objets à. ses affections, et des objets plus de l'effectif du pouvoir, elles savent,
commun
c
constants,, plus [invariables, plus sensibles»
aura donc plus d'habitudes, plus d'attache- en tempérer l'éclat par leur modération per-
sonnelle,
s le peuple aura de l'affection pou?
ment, plus de caractère. Ce sentiment pro.- gouvernement^ et Yenise, qui réunit
fond, endormi dans la jouissance uniforme sson

tous ces avantages, a déployé- autrefois,dans
et tranquille d'une longue, prospérité, se les moments de crise, une grande force de
çéveille aux jours du maiheur; et si la ter- national.
caractère
c
reur en comprime momentanément les ef- Dans un Etat populaire, il ne peut y avoir
fets, il se replie sur lui-mêoie,,et caché dans
de caractère national car où seraient les..
le fond du coeur, il y vit de souvenirs, de
objets
c des affections et le motif des habitu-
regrets et d'espérances, et n'en acquiert que des ? S'il y a une religion, publique, des
plus d'énergie, semblable à ces ressorts dont c

on décuple la force en les resserrant.


rraisons particulières à ces gouvernements la
tiennent dans un état de simplicité, et ses
L'oppression du gouvernement l'affaiblit ministres dans un état de dépendance, qui
r
sans doute, mais son indifférence le tue: n'inspirent
r aux peuples ni la vénération ni
Ah! si le roi le savait! s'écriait-on en France, le
] respect s'il n'y a dans Il'Etat aucune reli-
lorsque le caractère national n'y avait pas gion
c nationale,, aucun culte public et com-
été altéré.. Cette, sensibilité précieuse est,
rmun, il ne peut y avoir d'affections sociales
dans les nations comme dans l'individu,. la ou
c communes pour ce qui n'est qu'indivi-
cause des plus grands écarts, comme le mo- duel
c on peut en dire autant du pouvoir,
bile des plus belles actions véritable tré- qui
c n'y étant que particulier, n'y formant
sor, qu'un gouvernement sage doit accroître point
r propriété publique,, est un sujet d'am-
avec persévérance, ménager avec habileté,
employer avec mesure; principe de cette
force de réaction qui peut rétablir une na-
quent c
e
des
ibition individuelle, et ne peut par consé-
être affections générales;
et comme il n'existe pas non plus de familles
tion des crises les plus désespérées, et .revêtues
r héréditairement de professions né-
maintenir les plus petites monarchies con- ccessaires,
au maintien de la société, et que
tre les plus grandes, en donnant aux unes ceux
c qui y ont une représentation de pou-
en force de ressort ce qu'ont les autres en voir ne l'exercent que passagèrement, et
moyen de puissance. qu'enfin
q ces gouvernements, par la nature
Ce caractère sera plus ou moins fortement .de
c1 leurs institutions, sont eux-mêmes dans
prononcé, selon qu'une nation sera pluswne, iune grande mobilité; le peuple n'y peut
plus séparée des autres par une langue ou contracter
c d'habitudes et ne sait où placer
des moeurs-particulières,qu'elle sera réunie sses affections.
depuis plus. de temps sous un même culte, Sous le despotisme, tel qu'il existe chez
un même gouvernement, une même.maison 1les musulmans, il y a peut-être un peu plus

régnante, dans les mêmes limites;. ce ca.raer c1 caractère national, parce que le peuple
de
ière sera plus ou moins -altéré, selon, que les t
trouve un motif à ses habitudes, et un objet
à sas aifectioas, dans la religion qui y a or- tance
ta opposa l'opinion publique à ces opé-
dinairement beaucoup de force mais il ne rations
ra désastreuses d'autres tentées plus.
peut placer son attachement, ni dans une fa- récemment
ré sur les mêmes corps ont été
mille régnante trop invisible po.ur être con- moins heureuses, parce qu'elles étaientplus
m
nue,, trop nombreuse pour être un objet inconstitutionnelles,
in et qu'on attaquait à la
d'affection, ni dans des familles distinguées fo les institutions et les personnes, c'est-à-
fois
qui n'existent pas à quoi il faut ajouter dire,
di la propriété publique et particulière^
que le pouvoir inspire la terreur plutôt que et si sur d'autres points les institutions po-
la confiance, que les lois y font des esclaves litiques
lit de l'Etat ont reçu quelque atteinte,
et non des enfants, et que l'homme exerçant el a été le fruit d'une altération progres-
elle
le pouvoir, caché à tous les yeux, est comme sive plutôt que d'une brusque invasion.
si
une divinité redoutable dans un sanctuaire Je n'ai parlé que de la France-monarchiet
inaccessible. ca la France-républiquen'a pu, même dans
car
Ainsi, parce qu'il y aura plus de caractère ^a
la ferveur d'une liberté naissante, la défen-
dans une monarchie, elle défendra mieux dre dr contre la tyrannie la plus insolente, la
ses lois fondamentales contre l'usurpation, plusP1 féroce qui fut jamais.
et son territoire contre l'invasion étrangère, Si l'on m'objectait le renversement subit
et elle se relèvera plus promptement de ses dE de toutes les institutions religieuses et po-
chutes. litiques,
lit j'oserais répondre que depuis
Et parce qu'il y en aura moins dans les m moins d'un siècle, le caractère national s'é-
républiques, eltes défendront avec moins de taitta altéré par des causes qu'il n'entre pas
courage leur sol contre l'ennemi, ou leur dans d8 mon plan de détailler, mais qu'on eût
liberté contre leurs tyrans; et une fois sub- pupi et àik prévenir; et que cependant tel était
juguées, elles secoueront plus difficilement l'attachement
1'* de la nation à sa religion, à la
le joug. J'en appelle à l'histoire. monarchie
m et même à son malheureux mo-
« Athènes, » dit Montesquieu, une fois narque,
ne que le culte, qu'il ne faut pas con-
vaincue à Chéronée, le fut pour toujours, » fondre
fo avec la religion, n'y a été anéanti
et elle ne défendit pas mieux sa liberté que qu'avec
<H des ménagements et des précautions
son territoire. Rome fit toujours la guerre qui <Il décelaient les craintes des novateurs, et
se une apparence de réforme capable d'in-
avec désavantage en Italie, et au fort de sa sous
liberté se vit opprimée par les décemvirs.(Es- duire
di en erreur, s'il était possible, jusqu'aux
prit des lois.) Carthage fut perdue quand él élus mêmes (Matth. xxiv, 24); que la monar-
Scipion fut à ses portes; l'Angléterre n'a chie et n'a été renversée qu'en faisant concou-
pas toujours défendu ses lois fondamentales rir ri le monarque lui-même à sa destruction;
contre ses tyrans, ni son territoire contre en ei sorte que la révolution, dirigée contre la
l'invasion. La Hollande a toujours plus royauté, rc a été faite de par le roi ce qui a
compté pour sa défense sur ses eaux que jeté je de l'odieux, dans l'esprit des peuples,
si les zélés défenseurs de la monarchie, et
sur ses citoyens; et la Suisse, quoi qu'on en sur
dise, se défendrait mieux par ses montagnes le leur a ôté tous les moyens de la sauver, en
que par ses soldats. réunissant
ré contre eux, dans les mains de ses
La France avait jusqu'à présent mieux dé- ennemis,
et la force réelle et la force d'opinion.
fendu ses institutions qu'aucune autre na- d< de l'autorité légitime; et qu'entin le mal-
tion; les innovationsprécipitéesqui yavaient heureux
n< monarque n'a été immolé que lors-
T la majesté royale anéantie ne pouvait
été tentées n'avaient pu réussir^ et sans ré- que
volte ouverte elles avaient été repoussées plus pl le protéger, et que la nation, égarée
P* l'imposture, ou écrasée par la terreur,
par la seule force du caractère national et du par
principe de la constitution. La destruction n< ne pouvait plus le défendre.
des corps dépositaires des lois, sur la fin du Que du nombre des jours, ce jour soit effacé.
règne de Louis XV, fut moins un change- Le caractère français, retrempé par les
ment de choses qu'un changement de per- plus pi effroyables calamités, juste châtiment
sonnes; on remplaça les parlements par de d< ses égarements, peut encore souléver ce
d'autres parlements, qui, à la première oc- poids
p< immense de malheur et de honte qui
cas.ion favorable, auraient fait valoir les accable
ac cette nation, destinée sans doute à
mêmes droits (si toutefois ils eussent pu étonner
ét l'Europe par son retour,comme elle
tenir jusqu'à cette époque contre l'opinion l'a î'< épouvantée par ses forfaits. A lui seul
publique). On n'a pas oublié quelle résis- appartient
al ce prodige, et peut-être n'8Uend-
il qu'une preinière impulsion quod, in re ( toutes les nations qui ont envahi l'em-
de
tali, dit Tacite, difficillimiim est, iprima. vox. pire
l romain, a moins un caractère national
C'est ce ressort comprimé par une longue cque les goûts .d'un peuple industrieux:
oppression, qui, par sa réaction., établi* la parce
1 que le Romain, le Napolitain, le Tos•
France sous Charles VJI et Hettri IV; l'Es- can,
( toujours italiens et par conséquent ci-
pagne, sous Pelage et Philippe V; la Suède, ttoyens de deux patries, n'ont pu encore
sous Gustave Vasa; le Portugal, sous le duc Iformer des habitudes dans des gouverne-
de Bragance, et qui eût rendu l'Angleterre à ments
r où la succession est élective comme
Charles II, si la mort prémsfturée de Crom- àl Rome, ou récemment fixée dans la maison
well n'eût hâté son retour (1)., régnante,
r comme à Naples ou en Toscane,
Moriamur pro rege nostro, s'écrient les ( où là distinction héréditaire de la no-
et
fidèles Hongrois à la vue de Marie-Thérèse, 1blesse n'est peut-être pas assez profession
qui leur présente son fils, trait suMme
caractère qui honore autant le peuple qui
de sociale
£ mais, si ces peuples heureux ne
peuvent
1 encore trouver de motifs à leurs
•en fournit l'exemple, qee Je souverain qui ]habitudes dans la constitution de leur Etat,
«n est l'objet. ils
i ont dans l'administration paternelle de
1leurs souverains des objets bien doux à
CHAPITRE V. leurs
j affections.
CARACTÈRE DES BIVEBS PEDPLES DE L'EUROPE, Cependant l'on remarquera, comme une
nouvelle
] preuve de mes principes sur le
Si l'on voulait faire une application plus caractère
( des nations, un caractère national
particulière de ces observations générales, plus
] prononcé chez le peuple le plus mo-
on pourrait remarquer que l'Italien, débris narchique
] de l'Italie et le plus aborigène
(i) Il me semble que Hume en fait l'observation. der!
( parler avec éloquence, avec grâce sur la vente
Ce célèbre historien me ramène à son respectable exclusive du tabac, sur les assignats, sur la consti-
<
compatriote, Burke, ce défenseur bloquent et sen- tution civile du clergé, sur l'impôt, sur les succes-
sible des vrais et solides principes de la constitution sions,
j] etc., etc.; résister pendant deux ans à des as-
monarchique,J'ose croire que quelques-unes de mes sauts de tous les jours, à des dangers de tous les
pensées, sur ces grands objets, se trouveront ÏTu-* j instants, à des contradictions de tous les genres1
nisson de ses méditations profondes, lorsque je me surmonter l'insurmontable dégoût d'une lutte opi-
rappelle avec quelle force, avec quelle chaleur, il niâtre, où la raison et le génie étaient condamnés
défend la religion publique, le pouvoir royal, la suc- d'avànce, où l'orateur persuadait sans convaincre,
cession héréditaire, les distinctions sociales. touchait sans émouvoir, ébranlait sans entraîner,
Ce vertueux étranger venant rompre une lance, c'est ce qu'on n'avait jamais vu; c'est sans doute
dans cette joule mémorable de toutes les passions ce qu'on ne verra plus. Qu'on ne dise pas que ces ef-
contre tous les principes, a rappelé ces chevaliers forts prodigieux ont été inutiles, et que le côté droit
qui, dans tes anciens tournois, accouraient des pays de l'assemblée constituante aurait du se retirer dès
lointains, attirés par le désir de la gloire, et fixaient le commencement car, sans parler des mesures
tous les regards par l'éclat de leurs armes, la fierté violentes que cette mesure extrême aurait pu en-
de leurs devises et la force de leurs coups. Jamais traîner, les principes auraient été également atta-
les principes conservateurs des sociétés n'avaientété qués, et ils n'auraient pas été également défendus,
attaqués par des moyens aussi profonds qu'ils l'ont ce qui seul eût été un grand mal; et la révolution,
été de nos jours, jamais ils n'avaient été défendus faite sans obstacle, n'en aurait été ni moins géné-
avec autant de génie, de connaissances et de cou- rale, ni moins sanglante, parce qu'en dernière ana-
rage. Dans l'assemblée constituante, ils furent dé- lyse, les meneurs, qui étaient hors de l'assemblée, en
fendufr par des orateurs de tous les ordres, avec une voulaient à la religion, à la royauté, à la noblesse,
force de raisonnement et de caractèrequi ne laissa à la propriété dans toute l'Europe; il fallait que le
au parti opposé que la ressource des clameurs et scandale arrivât; il était nécessaire, pour la conser-
des injures. il faut observer, àThonueur de la cons- vation de la société et l'instruction des races futures,
titution, et comme une preuve de mes principes sur que les principes conservateursdes sociétés fussent
la force conservatrice des sociétés religieuse et poli- attaqués, fussent défendus par toute la puissance de
tique, que les défenseurs les plus nombreux et les l'homme; il fallait que la constitution succombât
plus éloquents de la constitution religieuse et de la malgré le génie de l'homme, et qu'elle ressuscitât
constitution politique, se trouvèrent dans les profes- par la seule force de la nature de la société, parce
sions sociales, conservatrices de l'une et de l'autre qu'il était nécessaire que la nature montrât sa force
société. L'abbé Maury et Cazalès déployèrent une et l'homme sa faiblesse. Depuis la séparation de
puissance de talent, une force et surtout une pres- l'assemblée constituante, des écrivains distingués
tesse d'éloquence, une fermeté de caractère qu'on ont empêché la prescription des bons principes et
n'avait vue jusqu'à présent dans aucune assemblée entretenu avec soin le feu sacré. Les professions
politique, ancienne ou moderne. bémosthènes par- sociales ont encore rempli leur destination je re-
lait devant le peuple d'Athènes, de tous les peuples marque avec intérêt, sur la liste des défenseurs de
le plus dillicile à fixer, mais le plus aisé à entraî- la société religieuse et de la société politique, des
ner Cicéron, devant un sénat grave, instruit, pré- ministres de la religion, des magistrats de nos pre-
venu presque toujours pour l'orateur; l'un et l'autre mières cours souveraines; l'abbé Barruel, Ferrand,
n'avaient à parler que sur de grands {intérêts poli- constamment sur la ligne de la raison et du goût,
tiques, ou dans de grandes causes particulières. défendent la cause de la religion et des lois avec une
Mais raisonner devant des sophistes! avoir des phi- pureté de principes que les sophismes ni les circons-
losophes à émouvoir, et des beaux esprits à persua- tances n'ont pu altérer.
-et le Napolitain, à qui il ne manque peut- laisser ce qu'il est, s'ils veulent rester: ce
être que de développer sa constitution pour1 qu'ils sont dans le Polonais, tout- Sàrmate>
devenir un grand peuple, se distingue ai- niais qui a perdu son indépendance pour
sément, au physique et au moral, des au- l'avoir préférée sa liberté;; et jadis dans

ropé.
L'Allemand, composé aussi dé plusieurs dre un roi malheureux.:
peuplades réunies sous diverses souverai-
"• :-
tres habitants de cette belle partie de TEir- l'Ecossais, peuplé si fidèle et ;si jfiep, mais
égaré une fois par- tefanatismej Jusqu?à ven--

Ou peut remarquer comtrte. un trait de


netés, pouvant changer de gouvernement ressemblance Commun à presque. tous les
sans changer de patrie, n'a que les goûts peuples, une sorte, de fierté méprisante pour
-tranquilles d'un peuple heureux et paisible; les autres nations, etque celles.-ci -leur re-
^t encore, comme du temps de Tacite, les prdcheht c'est l'effet du' caractère: national
mœurs y sont plus puissantes que les lois. il faut qu'us peuplé" qui a du i-aractère,; ait
Au reste, il est aisé de remarquer un carac- de lui-mêoie «t de tout ce qui est à lui, une
tère plus prononcédans les sujets allemands haute opinion^ et nécessairement une -opi-
des deux monarchies autrichienne et prus- nion moins avantageuse des autres cet ©r-
sienne, quoique dans l'une et dans l'autre gueil bien dirigé est le principe de grandes
il soit modifié par des circonstances parti- choses. Un peuple qui se place bien au-
culières. :, dessus des autres, en est asservi moins ai-
L'Anglais même n'a pu prendre un caraci- sèment avant d'être attaqués par les Ro-
tèrewwet simple de son gouvernement com- mains, les peuples étaient à demi vaincus
posé, ni des habitudes invariables de ses par la haute opinion qu'ils en avaient, et
fréquentes révolutions; mais il a tes maniè- nous avons eu sous les yeux quelque chose
res hautes, généreuses et quelquefois bi- de semblable;

'.
zarres que donne l'opulence, la fierté ordi>- CHAPITRE Vi.
naire aux peuples dominateurs des mers,
et lé, tour d'esprit solide et penseur, que OSSERVÀTIONS GÉNÉRALES SUR LE CARACTÈRE
doivent prendre les citoyens dans un pays NATIONAL.
où le gouvernement est pour tous un objet Si l'on rapproche les applications que
de surveillance et d'inquiétude, plus peut- nous venons de faire, des observations pré-
être qu'un objet d'affection. cédentes,pour en déduire des conséquences
Le Russe, peuple composé de ïaht de na- générales et pratiques
sur les causes mora-
tions diverses, qui ne sont réunies ni par les et physiques qui peuvent influer sur Je
«ne [;même religion ni par les mêmes caractère national, on remarquera
ïneeurs, ni par la même langue, n'a pu pren- 1° Que chez les anciens, comme les mo-
dre de caractère déterminé; parce que cette dernes, les peuples qui out montré le plus
société n'a pas encore fixé sa constitution, de caractère, ont été ceux qui, dans la so-
qu'elle n'a pas encore trouvé d'objet cons- ciété politique comme dans la société reli-
tant à ses affections dans la succession qui gieuse, ont eu le plus d'objets à leurs affee-
n'y est pas héréditaire, et qu'enfin, depuis tion's sociales, et des objets envers lesquels

heureux.
que le peuple russe a pris place parmi les l'amour, principe des sociétés constituées
nations de l'Europe, il a été constamment pouvait se manifesterpar les sens. Cette pro-
position ne peut être entièrement dévelop-
Je ne .vois de caractère jfortement pro- pée que dans la Théorie du pouvoir reli-
noncé que dans le Français, peuple com- gieux
posé de Gaulois, dé Romain et de Germain • 2° Que le caractère national se formant
dans l'Espagnol, mêlé de Gothet d'Arabe, par tes habitudes et les affections rejigieu-
réunissant à l'imagination mobile des peu- ses et politiques, tout changement dans les
ples du Midi le flegme des peuples du Nord, unes ou dans les autres qui interrompt les
et l'expression hyperbolique, le tour d'es- habitudes, et déplace l'objet des affection.?,
prit romanesque des Orientaux; dans le toute .1 loi civile ou criminelle, tout mode de
Hongrois, Tartare humanisé, excellent peu'- ïchâtiment ou même de récompense qui
ple, qui réunit à la politesse des nations les 1choque les sentiments et les opinions d'une
plus civilisées les inclinations guerrières, société constituée, ne peut qu'altérer le ca-
l'héroïque et courageuse fidélité d'une na- ractère national
tion vierge, peuple que ses maîtres doivent 3° Que la loi politique la plus urgente, la
U5 PART. I. ECONOM. SOC.-THËOR1E DU POUVOIR.
dette la plus sacrée des
i souverains, le
1 puis
l'UU H'illi PART.
is rope
-n**VL
Eil-Ul. I.
des
n ri nr*
l.rUU
progrès
r\vt/\i-fn&t> si
r*i

ferme appui de la constitution, tomme la l'homme par Tégoïsme, en délayant les peu-
an.
POU V. POLITIQUE. LIY.
1.1 utl»I^U^. ^.a i «.»"
effrayan-ts, en isolant
Yli.ttG
î S! f"ï l AflT.

st pies par le cosmopolitisme, détruit à la


fois
garde la plus fidèle de leur personne, est
une éducation sociale ou publique, analo- )- les vertus privées et les vertus publiques ou
sociales car il faut, pour le bonheur de
gue aux professions des familles dont les 3s
impressions, aussi aisées à former que dif- f. l'homme, que l'homme aime et estime son
ficiles, à détruire, impriment, dans le cœur ir semblab!e autant et plus que soi-même; et,
durée et l'indépendance des socié-
de la génération naissante, le respect pour Jr pour la
s'estime plus
les lois: fondamentales et les propriétés so-a. tés, qu'un peuple s'aime et
ciales, le respect pour la religion, l'affec- que les autres peuples
T Qu'un symptôme alarmant des progrès
tion pour la personne du monarque et pour ap
s. de l'égoïsme dans l'individu, ainsi que
de
sa famille; la considération pour les profes-
sions distinguées; l'altération du caractère des peuples, symp-
k° Que puisqu'un des effets les plus mar-
,!•_ tome auquel les gouvernements ne font peut*
d'attention, est la coupable
,quôs du caractère national est de donner à être pas assez
uri peuple une. haute opinion de lui-même, ie
indifférence, peut-être les vœux criminels
de certains peuples, qui, dans. la religion,
et par conséquent une opinion moins avan- n_
tageuse des autres peuples, tout gouverne- g,, tie .voyant que des richesses qu'ils envient,
ment, dans une société constituée, qui souf-If- dans le pouvoir qu'un frein qu'ils haïssent,
fre qu'il s'introduise dans la langue, dans dans les professions sociales qu'une distinc-
ns
les mœurs, dans les usages, dans la litté- L<$_
tion qu'ils jalousent, dans l'administration
le devoir
rature même, un goût général d'imitation de ne considérant que l'impôt, dans
quelque autre peuple dont il semble avouer ier de tout citoyen de défendre sa patrie et son
ainsi la supériorité, altère le caractère na-
ia_
prince, que ce qu'il peut eh coûter d'argent
tie au propriétaire, bu de dangers à l'homme,
tional. L'expérience vient à l'appui de cette
y
observation. Le Français, sous Louis' XIV, sont prêts à vendre leur religion, leur indé-
existence politique, et le
n'eût pas imité les modes ou les manières 'es pendance, leur
ils jouissent sous des admi-
anglaises on imite bien moins les mœurs irs bonheur dont
des Français, on en parle bien moins la Ja nistrations très-modérées, pour l'infâme es-
publiques
langue en Espagne qu'en Allemagne ou en poir de se partager les propriétés
Russie
5° Que la même raison peut rendre dan- m-
et particulières. ••
Ainsi les peuples des Pays-Bas autrichiens
gereux pour le caractère ;nationaj, le goût >ût se sont refusés aux invitations paternelles
ue d'un souverain qui ne leur était connu que
excessif des voyages; et c'est ce qui fait que
les peuples qui ont fleuri par le commerce, ce, par des traits de bouté et de valeur, et qui,
ont eu peu de caractère, joint à ce que l'a-'a- exposant, pour les défendre, ses armées et
mour du gain'est chez un peuple, comme me sa personne, ne leur demandait que de l'ai-
dans l'homme, l'ennemi mortel du carac- tc- der à défendre leurs propres foyers (1).
tère et des vertus; Ainsi les peuples des Provinces-Unies
6° Que cette philosophie qui a fait en Eu-Su- ont abandonné cette famille illustre, à la-

ées
(t) Les peuples des pays envahis par les armées à-dire, le pouvoir de perpétuer l'anarchie dans sa
les plus
Hollande etet
ue ta Convention, dans la Belgique, la heureuxde de
: patrie. C'est, au contraire» la liberté qui est tran-
quille; et la servitude qui est orageuse, parce que
l'Allemagne, étaient les peuples
l'Europe; et cependant ils ontareçu en beau-
au-
bras ouverts.
rts.
tout ce qui est bien pour l'homme est dans la nature
de la société. La liberté sociale, la seule qui puisse
coup d'endroits leurs oppresseurs
D'où viennent ces germes de révolution, c'est-à-dire lire convenir à l'homme en société, se trouve avec la
de corruption et de mort? croit-ou que les révolu-
)lu- tranquillité dans la monarchie, parce que la monar
tions soient dans l'intention de la nature, de cette ette chie est le gouvernement de la nature: au contraire.
sage et bonne mère, qui veut la conservation de dans la république je vois le plus grand nombre
l'homme physique et moral,et la durée des sociétés?
tés? dans la servitude, parce que je vois, contre les vo-
Non, le père de t'homme et de la société, l'auteur eur lontés de la nature, quelques-uns exerçant le pouvoir
de la nature veut que les peuples soient heureux, et particulier et celui des autres, d'où il résulte le trou-
le pouvoir utile; or, pour que le peuple soit, lieu- eu- ble et la confusion pour tous.
pouvoir; pour quee le H est à remarquer que les anciens, qui vivaient au
reux, il ne faut pas qu'il soit qu'il soit peuple.'• sein des républiques, ne nous parlent que du tumulte
pouvoir soit utile, il ne faut pas
Dira-t-on avec Rousseau Malo periculosam liber-
ber- et de la déraison des assemblées populaires, et que
talem, quam tranquillam servitulem? Ce propos l'ad- tant
ant les modernes qui vivent tranquillement sous des
cité d'un palatin polonais ne devait pas exciter ad- monarchies modérées, et qui leur doivent jusqu'à la
miration de ce philosophe car il savait bien que liberté d'en attaquer les principes, soupirent après
cette liberté dont le. palatin regrettait la perte, n'é-
n'é- le gouvernement républicain.
tait autre chose que .son pouvoir particulier, c'est-
est-
quelle ils doivent leur existence politique
tie de cet ouvrage, du pouvoir daïis les
«t leur tranquillité intérieure: que dis-je?sociétés politiques, et des lois fondamenta-
des traîtres méditaient peut-être de la livrer
les de sa constitution. J'ai osé m'élever con-
aux assassins des rois, tandis que son sang tre des opinions accréditées par des écri-
•coulait pour leur défense; et, courant au-vains célèbres, et penser que l'homme vrai"
devant d'un joug honteux qu'il n'avait pas ment libre, c'est-à-dire comme je T'expli-
îe courage de repousser, le parti le plus iâ-
querai dans la suite de cet ouvrage, celui
ebe osait se dire le plus libre!1 qui, dans la société religieuse comme dans
la société politique, B'obêitqu'à des lois, ouà
Ainsi les peuples d'en deçà la Meuse ontt
fermé l'oreille à la touchante proclamationdes rapports nécessaires dérivés de la nature
de ce prince, leur compatriote, destiné à des êtres, ne pouvait sans s'avilir, assujettir
combattre toute sa vie pour le soutren de sa perasée aux opinions àe quelques esprits
eet empire, dont son antique maison a va dont l'autorité fondée sur la hardiesse de
jeter les fondements. leurs écrits, bien plus que sur la nouveauté
Là le gouvernement n'a pu sauver des su-de leurs systèmes, a été soutenue par la
jets qui voulaient périr: ea France, les su-
licence et l'esprit de révolte.
jets n'ont pu sauver un gouvernement qui On doit regarder comme une expérience
voulait se dissoudre (1). faite en grand sur l'humanité, le'dëveloppe-
CHAPITRE vn. ment de ce système profond, saivi avec la
p^us infatigable persévérance, par ce parti,
«ONCtUSÏON DE LA PREMIÈRE PARTIE. qui depuis longtemps disposait en France
J'ai rempli la tâche que je m'étais im-de
• toutes les réputations, donnait la vogue
posée de traiter, dans la première par- *ux opinions et aux personnes, calomniait
(1) On n'imagine pas ce que la révolution a coûte famille une partie dès biens suffisante sa conser-
<de peines à ses auteurs, ni combien la partie pro- vatioa.
priétaire du peuple français a résiste aux innova- Dans les pays oh, par l'égalité des partages, la loi
tions. On ne peut pas en dire autant de la partie force les enfants de vendre tout ce qui pourraitleur
commerçante. La propriété forme les habitudes, le rappeler leurs pères, il n'y a jamais de famille; je
commerce conrt après les chances et les hasards. dirai plus, il n'y a jamais de société, parce qu'à
Partout l'intérêt, et non le patriotisme, a propagé le chaque génération la société finit et recommence.
f oût des cocardes et des uniformes nationaux, pre- Les novateurs, avec leurs lois faites pour le moment
miers signes de la rébellion. C'était te moyen de qui suit, pour l'homme qui passe, hachent mena
débiter du drap et des rubans. Des écrivassiers, des la société. Il me semble voir un enfant qui a coupé
'histrions, des agioteurs, des filles publiques, ont
donc été tes auteurs ou les agents de la catastrophe un serpent en plusieurs parties; il s'applaudit de les
voir sautiller,s'agiter en tout sens; il croit voir pins
•qui a bouleversé le plus bel empire de Puni vers! Vide de vie oh il voit plus de mouvement mais bientôt ce
quam turpi lethopereamus, écrivait Cicéron àAtlicus.
J'ai dit que la propriété formait les habitudes: reste d'esprits animaux que chaque partie tenait
du corps dont elle avait -été détachée, s'exhale tout
«ne loi civile très-sociale, parce qu'elle est très- meurt; et t'enfant étonné ne voit sur le sable que
monarchique très-monarchique,parce qu'elle est des morceaux infects et inanimés.
«ne conséquence directe de la loi politique de l'hé-
rédité des professions, comme cette loi politique est On me dira qu'en appelant l'aîné à la propriété,
«Ile-même une conséquence nécessaire de la loi fon- j'en exclus tous ses frères j'aurais trop à répondre;
damentale des distinctions sociales, est la loi qui mais, comme je ne traite pas cette question ex pro-
établit l'inégalité des partages entre les enfants d'un jesso, je me contenteraide dire que le gouvernement
même père, et qui, constituant chaque famille, comme ne doit considérer l'homme que dans les familles,
ta sociétémême, y établit en quelque sorte la royauté comme la constitution ne considère les familles que
par le droit d'aînesse, et l'indivisibilité et presque dans les professions. Ainsi, quand l'administration,
î'inaliénabiliié du patrimoine par la nécessité de en France, s'applaudissait de voir les droits de con-
convenance, où sont les frères de prendre en argent trôle augmenter par la fréquence des mutations de
leur portion légilimaire, et délaisser dans la maison propriété, elle se réjouissait devoir de nouvelles l'a-
paternelle l'intégrité des possessions. milles s'élever sur les débris des anciennes ce qui
On n'est pas digne de gouverner les hommes, est un mal, même lorsque la nature le fait, et un
lorsqu'on ne sent pas l'influence d'une loi pareille grand mal, lorsque l'administration y coopère par
sur les habitudes d'un peuple, c'est-à-dire, sur ses des impôts excessifs, par l'introduction d'une nou-
vertus. Cette maison a été la demeure de mes pè- velle espèce de propriété qui ne manque pas d'ins-
res, elle sera le berceau de mes descendants. Là, pirer le dégoût des propriétés foncières, par la faci-
j'ai vu la vieillesse sourire à mes premiers travaux, lité que l'on trouve à faire des fortunesrapides, etc.
et je verrai moi-même l'enfance essayer ses forces Peu d'années avant la révolution, on vit à la fois,
naissantes. Ces champs ont été cultivés par mes chez les notaires de Paris, neuf mille terres en vente.
pères, je les cultive moi-même pour mes enfants. C'était, pour un Etat, un symptôme de mort pro-
Des souvenirs aussi chers, des sentiments aussi chaine. Je reviens aux hommes en société. Des ha-
doux se lient au goût le plus puissant sur le cœur bitudes et non des opinions, des souvenirs et non
de l'homme, le goût de la propriété, et font le bon- des raisonnements, des sentiments et non des pen-
heur de l'homme en. assurant le repos de la société; sées voilà l'homme religieux et l'homme politique,
je dis plus, elles assurent sa .perpétuité. Les fa- le gouvernement et la religion. Jî suis, dit avec
milles sont beaucoup plus nombreuses là où le beaucoup de raison l'auteur des Etudes de la nature,
nombre des enfants, quel qu'il soit, laisse dans la parce que je sens, et non parce que je pense.
ce qu'il'n.0 pouvait-détruire, entamait par le mêmes. A la vue du leurs effo.rts impuis-
ridicule ce qu'il n'osait. attaquer à force sants, de leurs dissensions éternelles, l'ob-
ou-
verte, flattait avec bassesse, l'autorité, pour la servateur attentif s'est, rappelé celte tour cé-
corrompre, ou la censurait avec audace pour lèbre, que des constructeurs orgueilleux et
l'intimider, et sapait ainsi les fondements de divisés voulaient élever jusqu'aux nues, et
ia société, jusqu'au moment où, la brèche qu'ils ne purent achever. Ce n'est qu'avec
étantouverte, il a pu monter l'assaut. Alors une sérieuse considération, ;et peut-êtro
la société a recueilli le fruit de cette doc- avec quelque étonnement, qu'il a retrouvé
trine, dont la propagation avâ*ït été tolérée, ce tableau si vrai, si animé ces funestes ef-
favorisée peut-être par des administrateurs fets de la multiplicité des pouvoirs dans la
aveugles ou corrompus; de cette doctrine, constitution des sociétés; précisément dans
qui substituait la raison de chacun à la re- les mêmes lieux qui virent jeter les fonde-
ligion de tous, et les calculs, (feFintviiêit per- ments des premières, sociétés, et au moment
sonne] à l'amour de l'Etre suprême et à l'a- où leurs fondateurs prêts à se séparer pour
mour de ses semblables. toujours, emportant avec eux, pour fonder
Les effets de cette morale étaient peu sen- les sociétés diverses, les notions précieuses
sibles tant que les entreprises de l'intérêt de l'unité de pouvoir, avaient besoin de le-
personnel, #u l&fs étcar-iis de te raison étaient çons fortes et sensibles sw1. le danger de le
contenus par les lois mais, lorsque, par le diviser.
renversement subit de toutes les lois reli- Mais quand ces notions fondamentales
gieuses et politiques, la raison de chacun a commençaient à s'effacer de l'esprit des peu-
été admise à la discussion de tous les prin-
cipes, et l'intérêt de chacun appelé au par- que la religion publique devenait l'ob-
pl.es,
jet de l'indifférence, le pouvoir général l'ob-
tage de toutes les propriétés, l'intérêt dé- jet de l'ambition, les distinctions sociales
chaîné a enfanté de nouveaux crimes qu'une l'objet de la jalousie et de la haine; une
raison égarée a aussitôt érigés en vertus. Providence sévère, mais juste, a voulu rap-
La délation a été une vertu, le pillage une peler aux sociétés, par un grand exemple,
vertu, l'assassinat même une vertu; ces ver- ces vérités essentielles à leur durée et à la
tus ont eu leurs héros; et ceux qui, animés conservation de l'espèce humaine. Elle a
d'une horrible émulation, ont le plus dé- choisi.la France, la France réduite à être le
noncé, le plus. pillé, le plus assassiné, ont modèle de l'Europe par l'élégance de ses
été les plus vertueux; et la tolérance, l'hu- modes, ou le scandale,par la licence de ses
manité, la bienfaisance, rhorreur de la guerre écrits, après en avoir longtemps été l'arbitre
n'ont paru que des étiquettes, que des char- par la force de ses armes et la sagesse de ses
latans, pour tromper les sots, avaient mises conseils; et la France a montré à l'Europe,
à leurs poisons, Cette doctrine épouvantable par son exemple, ce que pouvait être une
a fait des prosélytes, et l'Europe du xvni* société sans religion publique, sans pouvoir
siècle a été menacée de descendre bien au- général,lsans distinctions sociales; O Francel
dessous de l'Europe des siècles de barbarie ô ma patrie si tu as été destinée à instruire
et d'ignorance. les nations par tes malheurs, tu as rempli,
Ces hommes vertueux, après avoir fait des dans toute son étendue, cette funeste mis-
hommes nouveaux, ont voulu fonder desso- sion. Assez longtemps, tu as attristé tes amis
ciétés nouvelles habiles à détruire, ils ont par les crimes assez longtemps, tu as ré-
rasé, jusqu'au sol, l'ancien édifice, et en ont joui tes ennemis par tes divisions, et dévoré
dispersé les matériaux.; mais, quand il a tes propres enfants par tes fureurs et par tes
haines. 0 Français 1 peuple jadis si aimant
fallu réédifier, ils n'ont pu s'accorder ni s'en-
tendre. Ils ont posé des bases fragiles sur et si sensible revenez à vos institutions,
un sol inégal et ma! affermi à la place de la et vous reviendrez à votre caractère aima-
majestueuse simplicité, des constructions ble, à vos vertus douces, à votre bonheur.
antiques, ils ont élevé des masses sans pro- Ce bonheur, vous ne le trouverez que dans
portions et sans aplomb cet édifice ruipeux la religion, dans la vertu; et la vertu dans
n'était pas parvenu à sa hauteur, et déjà il un peuple, n'est que la justice. N'en croyez
croulait de toutes parts.; alors la confusion pas ces hommes timides, qui, doutant de la
5'e.st mise dans l'ouvrage, et la division force infime des lois; ou ces hommes cor-
parmi les ouvriers ils ont détruit leur pro- rompus, qui, voulant jouir du fruit de leurs
tre ouvrage, ils ont fini par se détruireeux- forfaits,
pre forfaits, parlenfde
parlenldecomposer
composer avec la justice.
just
OEUVKKS
OEuVKKS COMPL. DE M.
COillM. V.F M mîlinsiin 1 DE RONALD 1. 15
THÉORIE DU POUVOIR.

SECONDE PARTIE. – THÉORIE DU POUVOIR RELIGIEUX.

AVERTISSEMENT.

La Théorie du pouvoir religieux, qui fait tables


ta que présente l'histoire des sociétés
la seconde partie de la,Théorie du pouvoir politiques
P' dans tous les temps et chez toutes
politique et religieux dans la société civile, les
lE nations.
n'est ni un livre de piété, ni un ouvrage de Les personnes pieuses seront peut-être
controverse. L'auteur s'est proposé un but scandalisées
s< que l'auteur ait osé présenter
plus général, ou, ce qui est la même chose sous
si un point de vue nouveau peut-être, et
plus social, et par conséquent plus utile. Il soumettre
si au raisonnement des vérités que
lî religion propose à notre foi bien
plus
a voulu démontrer qu'il ne peut y avoir
la
qu'à nos recherches l'auteur peut
leur ré-
qu'une constitution nécessaire de société re q
il pondre, 1° qu'il n'a pas eu la présomption
ligieuse, comme a démontré qu .il n'y a P
qu'une constitution nécessaire de société d'expliquer
d ce que l'homme ne peut compren-
politique; c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir dre,
d mais l'intention de faire voir la néces^
qu'une religion dont les dogmes soient des sitéde ce que l'homme doit croire; 2° que la
rapports nécessaires (89) dérivés de la nature religion
r n'interdit pas à la raison d'appro-
des êtres intelligents physiques, comme il fondir
fi des vérités qui, comme le dit fort
n'y a qu'un gouvernement dont les lois bien
b le savant abbé Fleury, ont été mises d
soient des rapports nécessaires dérivés' de la ttoute épreuve, et ne craignent que de n'dire
nature des êtres physiques intelligents et J connues. Que votre culte soit raisonna-
pas
considérant, ainsi qu'il le dit lui-même, la b (90), dit le plus docte interprète de la re-
ble
religion sous des rapports extérieurs et ?o- 1ligion mais la religion ordonne à l'hommô
litiques, comme il a considéré le gouverne- de
c soumettre sa raison particulière à la rai-
î générale de la société religieuse; et, à
ment sous des rapports intérieurs ou mo- son
cet égard, l'auteur a pris soin de ne laisser
raux, il cherche dans les faits incontestables <(
doute sur la sincérité de ses disposi-
que présente l'histoire de la religion dans aucun
i
tions, dans la conclusion de cette seconde
tous les âges et chez tous les peuples, la 1
de son ouvrage 3° que, s'il a été en-
raison de ses principes et de ses dogmes partie
]
l'enchaî-
comme il a cherché dans les principes des
traîné
t par la force des principes et
,gouvernements lé motif des faits incontes- nement
1 des conséquences à développer les
RationabiU obseqwum vestrum. (Row.xu, I.)
(89) Sur l'acception de ce mot, voyez la Pré- (§Q)
Jace, ci-dessus, col. il):
J Ï~UT~ttt. t~n~J. !J. rUL)'~tt* nCLI.(~IGU 1. 4a41
vérites dogmatiques les plus relevées, il sent être les preuves de la nécessité de la
peut justifier sa hardiesse par l'exemple des religion chrétienne, il restera toujours dans
écrivains les plus orthodoxes, qui ont es- le comment inaccessible de ses mystères, as-
sayé de faire comprendre à Ja raison les sez d'obscurité pour exercer la foi du Chré-
dogmes les plus impénétrables de la reli- tien, humilier la raison de l'homme, et ré-
gion; 4° que, quelque évidentes que puis- volter l'orgueil du faux sage.

INTRODUCTION

J'ai défini la société civile, -la réunion de n'est autre cnose que les efforts Quelle fait
-la société politique et de la société reli-
gieuse j'ai traité de la société politique, et
pour enfanter cette vérité
Dans la discussion à laquelle je vais me
je vais traiter de la société religieuse. livrer, j'ose braver à la fois et la timidité de
Si la société civile est la société religieuse l'homme plus
vertueux qu'éclairé, qui craint
et la société politique ensemble, je n'ai pu de voir sa religion soumise à l'examen de la
considérer la société politique, dans l'état raison; et les superbes dédains
du philo-
civil, que dans ses rapports avec la société sophe moderne, qui
religieuse; ainsi je ne pourrai considérer la beau de la raison dissipé se vante que Je flam-
a les prestiges do
société religieuse dans l'état civil
que la religion.
dans ses rapports avec la société politique. Chrétiens, il est temps de justitiernotre
C'est parce qu'elles ne peuvent être sé}>a- foi; philosophes,
il est temps de justifier
rées, que les révolutions de Ja société reli- votre incrédulité.
gieuse ont produit les républiques, et que les Le grand procès de la re-
ligion et de la philosophien'a que trop duré;
révolutions de la société politique ont
pro- sachons enfin si elle est l'ouvrage de l'hom-
duit les sectes.
J'ose donc fixer l'attention de mes lecteurs me, elle doit sa naissance à l'imposture,
si
ses progrès à la crédulité,
sur la société religieuse, ou la religion; bitude, cette religion qui son empire à l'ha-
j'ose essayer de démontrer qu'il existe, ne détruit pas les
passions indestructibles de l'homme dépra-
pour la société religieuse, une et une seule vé, mais qui fait
constitution nécessaire ou naturelle, a cesser tous les crimes
comme de l'homme social, et les affreux sacrifices
il existe une et une seule constitution
natu- du sang humain, et le culte infâme dé la
relle ou nécessaire de société politique
c'est-à-dire, qu'il n'existe qu'une religion prostitution, et les jeux barbares du cirque.
qui puisse conserver, sur la terre, la et le trafic imposteur des oracles, et l'op-
naissancede Dieu et !a perfection de l'homme con- pression de la. faiblesse. de l'âge par l'expo-
intelligent, comme il n'y a qu'un gouverne-
sition publique, et l'oppression de Ja fai-
blesse du sexe par Je divorce ou Ja polyga-
,ment qui puisse conserver le pouvoir de la mie,
société politique et la liberté de l'homme et l'oppression de la faiblesse de 1a
physique. condition par l'esclavage, et le plus mons-
Je le répète encore, parce que cette trueux de tous les crimes, l'apothéose do
l'homme;
grand vérité, qui fait le sujet de cet ouvrage, devons, cette 'religion, « à laquelle nous
doit être l'objet des méditations les plus sé- et dans le gouvernement un certain
droit politique, et dans la guerre un cer-
rieuses de tous les hommes éclairés ver-
et tain droit des gens que la nature humaine
tueux.
'Si je n'ai pas démontré cette vérité, d au- ne
saurait assez reconnaître. » (Esprit des
lois.) Sachons si elle n'est qu'une faiblesse
tres la démontreront, parce qu'elle est mûrie du cœur,
cette religion qui a produit dans
par le temps et les événements (1), parce
que la société.des vertus si courageuses si elle
son. développement est nécessaire à la corner- .n'est qu'une illusion de l'esprit
vation de la société civile, et que l'agitation [:jgion cette reli-
qu'on peut remarquerions là société générale qui résiste, depuis dix-huit, siècles à
] persécution du glaive et à la persécution
,1a
(1) Ma pensée n'est pas qu'on n'ait pas démon- n'a
tre jusqua présent qu'il n'y a qu'une véritable reli- r pas fait sentir assez raccord intime et secret
/{.s principes des deux sociétés religieuse et poli-
gion; cette vérité est depuis longtemps à l'abri de <
i
tique.
toute atteinte mais je veux dire seulement qu'on
à la persécution de la Si dans cette discussion importante, et la
du raisonnement
pauvreté et de l'abaissement, à la persécu- plus
1 importante de toutes celles qui peu-
tion des richesses et de l'empire; à la per- vent
i occuper l'homme en société, il est
sécution du scandale dans ses ministres, et à quelqu'un
<
de mes lecteurs qui n'ait pas la
la persécution de l'ignorance dans ses en- forcé
i d'imposer silence aux préjugés de sa
fants à la persécution du ridicule de la part naissance,
i aux opinions de son parti, aux
de ses ennemis, et à la persécution plus dan-• sophismes
i de ses passions qu'il ferme ce
gereuse de l'indifférence de la part de ses
livre,
] il a assez lu.
disciples; cette religion qui, sourdementt Je n'écris ni pour ni contre quelques hom-
les
combattue, pendant un siècle, par toutes les» mes et quelques partis j'écris pour tous
ressources du génie, attaquée à
force ou- hommes et pour toutes les sociétés.
verte par tous les moyens de l'autorité re- Je ne .me dissimule pas la difficulté de
mal
naît de toutes parts, comme ces feux 1 faire revenir les esprits à des idées dont ils
étouffés dont l'activité concentrée se mani- paraissent si éloignés mais je me rassure
feste par des jets de flammes, avant-coureurs> en pensant que l'esprit humain, parvenu au
d'une éruption générale, ou comme ces> terme extrême de l'absurdité et de l'erreur,
plantes vivaces qui abandonnent leurs feuil- h en est que plus près, dans le cercle qu'il
les à la dent d'un animal vorace, mais dontt parcourt, dé la raison et de la vérité et je
les racines trouvent un asile inviolable danss ne désespère pas de persuader quelques lec-
les flancs impénétrables du rocher. teurs, lorsque je réfléchis que des écrivains
Il est temps de décider si ceux qui ontt qui, du développement d'un atome, ont fait
tout sacrifié pour cette religion, qui la croientt Dieu, et du développementd'un poisson ont
et qui la pratiquent, eu ceux qui, moinss fait l'homme, qui ont rêvé que le globe pou-
conséquents et plus faibles, la croient sanss vàit être de verre fondu, et les montagnes
la pratiquer, sont des esprits crédules, où sii de coquilles d'huîtres, ont eu leurs admi-
les philosophes qui veulent la détruire sontt rateurs, et peut-être ont fait quelques pio-
les bienfaiteurs de l'humanité? Faut-il op- sélytes (1).
poser les talents ? J'opposerai Arnauld à Je prie le lecteur de relire avec attention
Bayle, Pascal à J.-J. Rousseau, Malebranche e les premiers chapitres de la première partie
-à Boulanger, Nicole à Helvétius, Fénelon à de cet ouvrage sur les principes des
sociétés
Diderot, Bossuet à Voltaire? Faut-il compa-i- en générai je suivrai dans leur application
religieuse la méthode didacti-
vrer les vertus? Ah! nous n'en sommes pass à la société
encore réduits à cet humiliant parallèle. i. que et rigoureuse que j'ai adoptée. Des vé-
Objet de mépris ou de haine, nous endurons, i, rités d'un aussi grand intérêt que celles que
depuis un siècle, les sarcasmes de la philo- je vais développer, peuvent se passer de ces
sophie écrivante; nous essuyons, depuis six x ornements que l'art trop souvent prodigue
-ans, les fureurs de la philosophie revêtue e au mensonge. Je ne veux pas de cette admi-
it
de l'autorité; un plus long silence trahirait• ration stérile] qui accorde aux talents de
• la cause de la vérité. l'auteur ce qu'elle refuse à la solidité de
Dans son sein rejetons cette guerre,
l'ouvrage; je renonce à éblouir celui que je
Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre. ne pourrais pas convaincre, et si je puis être
(Racine, Milhrid.)
utile, je me croirai assez éloquent.
D'autres ont défendu la religion de l'hom- i- Je vais encore ramener mon lecteur dans
me je défends la religion de la société ils Is les sentiers déserts de la métaphysique; mais
ont prouvé la religion par la religion même; î; j'espère le dédommager de l'ennui de la
je veux la prouver par l'histoire. Je laisseie marche, par l'application qu'il pourra faire
l'écrivain pusillanime trembler au seul re- à chaque pas, pour ainsi dire, de la théorie
proche de crédulité ou d'intolérance le le que je vais mettre sous ses yeux, et par la
«temps des petites craintes et des ménage- i- satisfaction qu'il éprouvera, en retrouvant
ments politiques est passé; que l'univers vs les. motifs de ses sentiments les plus chers,
prononce entre nous, et que l'homme impar- r- et le fondement des vérités les plus précieu-
tial juge enfiïr de, quel côté est l'amour de le ses. Ainsi l'on contemple avec intérêt les
la vérité, et de. quel côté est le fanatisme de le détails et le jeu de ces machines ingénieuses
l'erreur. dont on a longtemps admiré lès effets.
î 1 ) Voy. dans '«s
Leilres Helviennes, de l'abbé
)é philosophie a amoncelées pour expliquer Dieu)
CaiTuel, les absurdités vraiment incroyables que la IMiomme et l'univers.
LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER. être que j'appelle Divinité; 2° qu'elies ont


de l'im-
ÉLÉMENTS DES SOCIÉTÉS. eu le sentiment de la spiritualité et
mortalité de l'âme; 3° que ces sentiments
« On ne peut traiter de la société sans par-
r- sont infaillibles, et qu'ils prouvent nécessai–
?.er de l'homme, ni parler de homme sans is rement l'existence de leur objet.
remonter à Dieu. »
Dieu est être existant par lui-même,
(1) CHAPITRE II.
e>
purement intelligent, infini, tout-puissant,,
t.»
EXISTENCE DE LA DIVINITÉ.
créateur de j'homme et de l'univers. Tous IS
ic
les peuples ont reconnu son existence; donc Les hommes sociaux, car les hommes-
il existe car tous les peuples n'ont pu s'ac-
> n'existent qu'en société ou naturelle ou gé-
corder que dans un sentiment, et non dans is nérale, soit qu'ils en avouent, soit qu'ils en-
une opinion; or, une existence dont tous lesîs combattent l'existence, pensent à la Divinité:
peuples ont le sentiment est une existence ;e donc la Divinité peut exister; car les hom-
réelle pour tous les peuples. mes ne peuvent penser qu'à ce qui peut exis-
L'homme existe être contingent et borné, é, ter, parce que ce qui ne peut pas exister ne
être à la fois spirituel et matériel, les sens
us peut pas être Je sujet d'une pensée.
extérieurs attestent aux sens son existence ;e Les hommes en société ont le sentiment
te de la Divinité donc la Divinité existe car
matérielle le sens intime ou intérieur atteste
es les hommes ne peuvent avoir le
à l'esprit son existence spirituelle tous les sentiment
hommes voient et touchent d'autres hom- n- que de ce qui existe, parce quecequi n'existe
mes; tous les hommes sentent en eux-mê- S- pas ne peut pas être l'objet d'un sentiment.
mes un être qui veut, qui aime, qui craint; t; Les hommes ne peuvent avoir la pensée-
or une existence spirituelle dont tous lès es que de ce qui peut exister les hommes ne
hommes ont le sens intérieur ou le sentiment,
It, peuvent avoir le sentiment que de ce qui
est aussi réelle pour tous les hommes qu'unele existe vérités importantes, dont le déve-
existence matérielle dont tous les hommes ss loppement demande l'attention la plus sé-
ont le sens extérieur ou la sensation. Donc ic rieuse.
l'homme existe, être à la fois spirituel et Si Dieuexiste, il est volonté, amouret force;:
matériel. car on ne peut concevoir un Dieu sans vo--
Dieu et l'homme les esprits et les corps,>s, lonté, un Dieu sans amour, un Dieu sans
éléments de toute société. force. S'il est volonté et force, il agit s'ils
Les esprits survivent aux corps auxquels !s agit, il crée des êtres, et parce qu'il est par--
ils sont unis vérité que toutes les sociétésés fait ou souverainement bon, il crée des êtres
st bons ou semblables à lui. Il y a donc quel-
ont reconnue: donc l'immortalité de l'âme est
un sentiment commun à toutes les sociétés, s, que être qui est volonté, amour et force,,
donc l'âme est immortelle. comme Dieu; et je vois un être que j'appelle,-
ur homme, et qui est en effet volonté, amour et-
Existence d'un êlre intelligent, supérieur
à l'homme, qui a créé l'homme, et qui le force.
conserve spiritualité et immortalité deje Dans Dieu, être simple, la volonté, l'a-
l'âme vérités fondamentales de toute so- o- mour et la force sont un seul et même acte.
ciété. L'homme, être composé, est volonté par sons
o- intelligence, force par son corps, amour par
Je dois donc prouver, 1° que toutes les so-
le l'un et parl'autre; puisque l'homme ne peut
ciétés ont eu le sentiment de l'existence de
n- aimer un objet sans y penser, et qu'il ne
quelque être intelligent, supérieur à l'hom-
me, qui a créé ('homme et qui le conserveî peut l'aimer sans produire, s'il est libre, son?
(1 Hé, ilil semble qu'il serait plus exact de
) S'il était permis de s'écarter du langage usité, .-dire l'Etre de
Dieu, l'exisienceile l'homme.
amour au dehors par l'action de ses sens ou ses actions UDres aans ta société religieuse,
l ar sa force. ou de. ses actes religieux; l'amour de soi,
)! faut faire ici une distinction importante. le principe de ses actions libres dans la
L'homme peut penser à un objet sans l'ai- société naturelle, ou de ses actes naturels;
mer, sans agir sur lui par les sens exté- "amour des autres, le principe de ses actions
rieurs. Ainsi je pense aux Commentaires de libres dans la société politique, ou de ses
César, à la distance qu'il y a de Paris à actes politiques.
Lyon, aux propriétés du cercle, et cette pen- Je ne m'occupe que de la société reli-
sée n'excite en moi ni sentiment, ni s'ensa- gieuse et je remarque, dans les sociétés
lion. Mais l'homme raisonnable et libre ne religieuses de tous. les temps et de tous le»
peut agir sur un objet par ses sens extérieurs lieux, un grand acte le don de l'homme, et
ou, pa.r.sa force, sans que cette action ne soit l'offrande de la propriété, qu'on appelle
produite par l'amour, et accompagnée de la SACRIFICE. C'est un fait, et il est attesté par,
pensée et si l'on m'objectait que l'air, nos; l'histoire et par le témoignage de nos sens.
vêtements agissent sur nos sens extérieurs, Cet acte, s'il est libre, doit donc être pro-'
sans que nous éprouvionsd'amour pour eux, duit par l'amour de Dieu. Je vois avec évi- °

même sans que nous y pensions; que sou- dence le motif pour lequel la société ou

ou
vent on fixe les yeux sur un objet sans le
qu'on le touche sans le sentir; je
répondrais que danscessituatious,l'homme
l'homme social fait à la Divinité le don de
l'homme et le don de la propriété. Aimer,
c'est se donner soi-même tout entier à l'ob-
trop fortement occupé d'un autre objet, n'est jet de son amour ainsi dans la société
pas actuellement libre de réfléchir sur ses naturelle de l'homme ou des deux sexes il
sensations. L'amour est donc le principe de y a don mutuel de l'homme tout entier
nos actions libres. ainsi dans la société extérieure des hommes
L'homme ne doit aimer que Dieu et l'hom- entre eux, nul, dit le Fondateur de la reli-
me, parce que l'amour étant le principe de' gion chrétienne, ne peut donner un plus
la production et de la conservation des êtres, grand témoignage d'amour que de donner sa
l'homme ne peut aimer que les êtres qui vie pour ses amis (Joan. xv, 13), c'est-à-
peuvent le produire ou lé conserver. Or, dire de se donner tout entier à eux.
Dieu et l'homme peuvent seuls produire Donc la société se donnera tout entière à
l'homme et le cunserver, c'est-à-dire, main- Dieu, objet de son amour. Or, la société est
tenir l'homme moral. dans sa perfection, et l'homme et la propriété donc elle fera à
l'homme .physique dans sa liberté. Dieu le don de l'homme et celui de la pro-
L'homme doit aimer Dieu infiniment, priété. Ce sont des'rapports nécessaires déri-
parce que Dieu est infiniment aimable; il vés de la nature des êtres sociaux donc ce
doit s'aimer lui-même, parce qu'il est bon sont des lois. L'homme est. physique et mo-'
ou créé à l'image de Dieu il doit aimer les ral, la société fera donc à Dieu le don de.
autres hommes, ou son prochain, autant l'homme physique, et le don de l'homme
que lui-même, parce que les autres hommes moral..
sont :aussi bons que lui, puisqu'ils sont J'ai dit, dans la première partie de cet
créés, comme lui, à l'image de Dieu. Ce ouvrage qu'il ne pouvait exister que deux*
sont des rapports nécessaires, dérivés de la religions parmi les hommes, le mono-
nature des êtres sociaux donc ce sont des théisme et le polythéisme; parce que la
lOiS. : religion étant le culte de Dieu, il ne peut y
L'homme social ne peut être considéré avoir que le culte d'un Dieu ou le culte de
quejelativement Dieu, à lui-même, à ses plusieurs dieux. Or, je dois retrouver dans
semblables; c'est-à dire, en société reli- les deux religions le sacrifice, c'est-à-dire,
gieuse, en société naturelle ou famille, en le don de l'homme et l'offrande de la pro-
société politique. Donc toutes les actions priétê.
sociales qu'il peut faire ont rapport à l'un Je ne parlerai pas de l'offrande de la pro-
ou à l'autre de ces états ou de ces sociétés. priété, qui dans les deux religions et dans
Donc toutes, ses actions sont des actions de tous les âges, a été l'oblation des fruits de
j'homme social, soit religieux, soit naturel» la terre ou l'immolation des animaux, c'est-
soit politique; et comme l'amour est le à-dire le don des propriétés naturelles.
principe de toutes ses actions libres, l'amour Dans le premier âge du monothéisme, la'
de Dieu sera ou devra être le principe de religion. patriarcale ou des premières famil-
les, telle que nous ia connaissons par des L'homme aimait Dieu, parce que Dieu l'a-
monuments dont j'aurai bientôt occasion de vait créé et le conservait; mais Dieu pouvait
parler, Dieu exige le don de l'homme phy- cesser de conserver l'homme, donc l'homme
sique ou son immolation; mais, content du le craignait c'étaient des rapports nécessai-
cœur, il arrête le bras et dans cette religion res dérivés de la nature des êtres, donc c'ê-
d'amour imparfait ou de désir, il n'y a pas taient les lois.
de don de l'homme physique, et la propriété Ainsi l'amour et la crainte sont les seuls
seule est immolée. sentiments de l'homme, et toutes les autres
Dans la religion judaïque, second âge du affections n'en sont que des modifications.
monothéisme religion non plus d'une L'homme avait été créé bon, parce que l'E-
famille ou de la société naturelle, mais d'un tre infiniment bon ne pouvait produire
que
peuple ou d'une société extérieure, Dieu des êtres bons. Dans l'homme bon, l'amour
demande le sacrifice de quelques hommes l'emportait sur la crainte, parce que, si Dieu
à la place de celui de tous les hommes a créé l'être bon, il l'aime il l'aime, tant
(le don des premiers-nés), mais il veut qu'il est bon: il veut le conserver, tant qu'il
qu'ils soient rachetés par le sang de l'ani- l'àime. L'amour doit être plus fort que la
mal et dans cette religion d'amour impar- crainte,
parce que l'amour est un sentiment
fait' ou d'attente, il n'y a pas de don de positif, puisqu'il se rapporte à une action
l'homme physique, mais seulement l'immo- positive, celle de produire; la crainte n'est
lation de la propriété. C'est-à-dire que qu'un sentiment négatif, puisqu'il se rap-
dans la religion patriarcale et la religion porte à une action négative, celle de dé-
judaïque, Dieu, satisfait du don de l'homme truire, c'est-à-dire, de
ne pas conserver.
moral, ou de la volonté remet à la société Mais l'homme est malheureux donc il est
le don de l'homme physique; mais il ne lee puni; donc il est coupable; donc il n'est
remet qu^après t'avoir demandé, parce que plus bon; donc il a commis quelque action
le. sacrifice de l'homme tout entier est de déréglée et
comme l'amour ré^lé est le
l'essence de la société religieuse et de la principe de ses actions libres, ou réglées,
société politique c'est-à-dire qu'il est un son amour s'est déréglé. L'amour réglé esf
rapport nécessaire, dérivé de la nature des d'aimer Dieu plus que soi-même, et d'aimer
êtres en société, une loi. ses semblables autant que soi l'amour dé-
]
Dans la religion chrétienne, dernier âge réglé est donc de s'aimer soi-même ou ses
du monothéisme, religion d'amour parfait semblables, plus que Dieu, et de s'aimer
ou de jouissance, je vois le sacrifice de soi-même plus que ses semblables. L'homme4
l'homme, de l'homme tout entier, de l'hommea donc perdu l'amour dej Dieu, et il y a
moral par l'obéissance, de l'homme physi- substitué l'amour de l'homme, comme il a
quepar la destruction. Mais n'anticipons substitué l'amour de soi à l'amour de ses
pas sur la démonstration de vérités aux- semblables
1 mais il n'a pu effacer de soiu
quelles je n'ai pu encore préparer mon lec- esprit< l'idée de la Divinité; il en a perdu»,
teur. Yamour,
1 mais il en a conservé la crainte. La
Dans le polythéisme, c'est-à-dire, chez craintesans
( amour est la haine il a donc la
tous les peuples de la terre, hors le peuple 1haine de Dieu la haine de Dieu, la haine
sectateur de la religion' de l'unité de Dieu, de ( ses semblables se, manifestent à la fois.»
je vois le sacrifice de l'homme physique, ce et < le gouvernement se déprave comme la re-
sacrifice que Dieu exige de la volonté, et 1ligion.
qu'il interdit à la force et en effet le Père L'homme établit son pouvoir particulier
des humains ne peut pas être honoré par le ou < l'amour de soi, à la place du pouvoir gé-
meurtre de l'homme, puisqu'il défend à néral i de la société ou de l'amour des autres
l'homme d'attenter à la vie de son sembla- et E il fit servir la force générale ou celle des
ble; l'action de ce sacrifice n'est pas une autres
a à seconder les fureurs ou les caprices,
action libre ou dont le principe soit l'amour, déc l'amour de soi. Malheureux par ses pro-
parce que l'amour, pouvoir producteur ét pres r passions et par les passions d'autrui*.
conservateur des êtres, ne peut pas être le ddétruit dans son corps, détruit dans les ob-
principe d'une action qui les détruit. C'est jets
ji de ses affections, cherchant en vain,.
là un rapport non nécessaire, ce n'est pas dans d la société naturelle, un asile contré-
une loi. 11 faut expliquer cette horrible in- l'oppression de la société politique, l'homme-
I'
conséquence du coeur humain. i vit plus autour de lui que des êtres mak-
ne
faisants conjurés pour sa perte il sentit gieuses
g qui n'ont pas de sacrifice peuvent
qu'il était haï, parce qu.'il sentait qu'il était avoir
a l'opinion de la Divinité, mais eiles
haïssable. Cet amour mêlé de crainte, qui n"en
n ont pas le sentiment; elles en-ont la
présentait à l'homme bon, dans l'Auteur de pensée,
p< qui est production, mais elles n'eu
son être, le pouvoir qui le conservait, de- o pas le sentiment qui est conservation
ont
venu, dans l'homme coupable, crainte sans c'est-à-dire
c' qu'elles produisent Dieu dans la
ïîmôur, ou haine, ne lui fit voir dans la Di- pensée,
p mais elles ne conservent pas dans
Viriité qu'une puissance armée pour le dé- 1< cœur le sentiment de son existence. Donc
le
trui'rë la-frayeur multiplia les dieux, comme it
il y a des sociétés religieuses athées, ou qui
il
elle multiplie les objets l'homme social of- nn'ont pas 'le sentiment de la Divinité.
frit àUx dieux la vie de son semblable pour La vraie religion ou la religion de l'unité
détourner les maux dont il se croyait me- d Dieu est amour. La fausse religion ou la
de
nàcé, comme il offrit à son semblable sali- r
religion de plusieurs dieux est haine donc
îierté même pour racheter sa vie. Ainsi l'i- 1< monothéisme a précédé le polythéisme,

tiolâtrie, le despotisme, l'esclavage, prirent parce
p que le positif précédé le négatif, ou
à la fois naissance dans l'univers; comme le 'l'être a précédé le néant qui n'est que l'ab-
T
'christianisme, la monarchie, la liberté ont sence
s de l'être. 'L'homme avait le sentiment
volonté et
commencé ensemble, o 'l'amour d'Un être qui avait la
ou
Ainsi il y a dans toutes les sociétés reli- 1; force de le conserver, avant d'avoir le

gieusès étdans'tous les états de ces sociétés, sentiment
s contraire ou la haipe d'un 'être
le don de 7'Ao)MMt'e'e< d~. tie la ~ropriéGé qui'aVait
q la volonté et la force de le détruire.
,don de l'homme, don sans destruction dans La'religion èh générai est sentiment ,1a
'la religion d'amour; don âè l'homme, don t
Tëligion de l'unité' de Dieu est amour. Aussi,
'avec destruction dans Ta religion de haine; ddans le premier code social, c'est-à-dire
parce que là haine fait, comme l'amour, le religieux
T et politique, qui ait été donné à
don de l'homme et que l'homme se donne l'homme, il est dit Tu aimeras Dieu de tout
T
lui-même au Dieu qu'il -aiite pour obtenir t esprit, de tout ton cœur, de toutes ~tes for-
ton
lé bien qu'il désire où pour sa conserva- ocs(J»eM«.vi,5);d'oùil
<j résulte:1° que, comme
tion, comme il donne son semblable au Dieu Ti-le cœur est en nous la seule faculté aimante
qu'il hait pour éviter le mal qu'il craint ou aimer
a Dieu par l'esprit et l'aimer par les for-
c ou par le corps signifie que l'amour,
sa destruction. ces qui
C'est sur ce fait incontestable que repose a sa source dans le cœur, doit éclaifërTesprit
toute la théorie dé la religion. Je dis incon- i la foi et régler les sens par le culte ex-
par
testable, parce que le don réel ou figuré de térieur
t 2° que ce passage confirme é-videm-
l'homme, dans fautes les sociétés, est at- ment
c que l'homme est, comme ji? l'ai dit,
testé par les monuments les plus inébran- esprit,
e cœur et sens ou force.
Tables. C'est parce que ta reîigiûfn est amour, que
Il y a donc eu, dans toutes lès sociétés po- -les
1 femmes ont, en général, une religion
litiques de l'univers, le don de l'homme", [plus sentie; non parce que leur esprit est
avec Ou sans destruction, offert à la Divi- plus f faible, mais parce que leur cœur est
nité donc il y a eu dans toutes Tes religiorrs plusj aimant.
l'acte de Tàmour ou delà hame, c'est-à-dire C'est parce que la religion est amour qu'il
tfe la crainte sans amour de la Divinité, est e si fréquent de voir des personnes livrées
Mais l'amour et la crainte sont les seuls serr- aaux faiblesses d'un ecetir trop sensible, por-
iimënts de l'homme; donc il y a eu dans ter t dans la religion toute la vivacité de leurs
toutes les sociétés politiques et religieuses sentiments
s et le Fondateur lui-même de la
de l'univers le sentiment de la Divinité. r'religion chrétienne ou sociale pardonne
La religion est donc sentiment et non opi- beaucoup
1 de faiblesses en faveur de beau-
nion; principe de la plus haute importance, ccoup d'amour Remiltuntureipeccatamulta,
ï
clef de toutes les vérités religieuses et même quoniam dilexit multum. (Luc. vu, W.)
de toutes les vérités politiques, puisque j'ai C'est parce que la religion est amour que
prouvé que la constitutionmonarchique était 1le malheur dispose ou ramène l'homme à la
aussi sentiment, et non opinion. Je vois religion r l'homme accablé par les rigueurs
donc chez tous les peuples le sentiment de de ( la nature ou par Tinjuslice des hommes,
la Divinité, parce que je vois chez tous les cherche
c à aimer pour trouver qui l'aime.
peuples* le sacrifice donc 'les sociétés reli- C'est parce que la religion est amoùr, que
ou conserver ce qui n est pas
produit; ce
l'amour profane a été chez les anciens une
religion qui a eu son culte et ses prêtres, ses qu' est absurde.
qui
autels "et ses sacrifices; et que, dans le lan- Les
1 hommes pensent Dieu donc Dieu
pei exister. Les hommes ont le
peut sentiment
gage figuré, il en a conservé encore tous
les
attributs. de Dieu; donc Dieu existe.
Les hommes en société ont eu l'amour de CHAPITRE III.
la Divinité, parce que la Divinité pouvait les SUITE DU MÊME SUJET.
conserver, comme ils ont eu la haine de la
Divinité parce que la Divinitéponvait les dé- Je dois répondre à quelques objections.
truire car l'amourdans l'homme n'a rapport ·Tous les hommes, me
demande le philo-
qu'à ce qui peut le conserver, comme la bai- sophe,
sol ont-ils le sentiment de la Divinité?2
ne n"a rapport qu'à ce qui peut le détruire. Ot et la preuve de cette assertion me pa-
Oui,
Mais (et j'appelle sur la démonstration sui- raît évidente. Je ne puis connaître le senti-
rai
vante l'attention la plus sérieuse) l'homme, ment
m< de l'individu, sentiment particulier
être contingent, qui peut exister ou ne pas et qu'il peut ne pas manifester au dehors
exister, peut se méprendre sur l'objet de mais
mî je connais infailliblement les senti-
ai- ments de la société, sentiments sociaux,
son amour ou de sa haine c'est-à-clire m<
c'est-à-dire extérieurs -et publics. -Or, on a
qui
mer ce qui peut le détruire, ou haïr ce
c'e
vu dans toutes les sociétés le
sentiment de
peut le conserver: mais la société être
nécessaire ( en supposant l'existence de la Divinité manifesté par un acte extérieur
l'homme), rie peut se tromper sur l'objet de et semblable, par le sacrifice donc tous les
hommes ont le sentiment de ta Divinité,
ses sentiments, c'est-à-dire qu'elle ne peut
lie
aimer que ce qui peut la conserver, et parce
pa que tous lés hommes sont membres
qu'elle ne peut haïr que ce qui peut la dé- du corps social et qu'en qualité de mem-
dt
truire; car, si la société humaine pouvait bres d'un corps, ils en partagent nécessaire-
br
se tromper sur l'objet de ses sentiments,
ment
»«< tous les sentiments. Existence d'un
c'est-à-dire haïr ce qui peut la conserver, Etre supérieur à l'homme, qui i"a créé et
El
qui le conserve loi fondamentale de toute
ou aimer ce qui peut la détruire, elle pour- qt
société humaine, sentiment que l'homme
rait cesser de se conserver donc elle ne so
serait pas nécessaire. Or, la société ou les tient de sa nature d'homme social. Unité de
tri
Dïeu,-rapport nécessaire dérivé de la nature
hommes sociaux aiment ou haïssent la Di- D
vinité, je l'ai prouvé donc la Divinité peut des êtres loï religieuse, conséquence né-
d<
cessaire de la loi fondamentale et fondamen-
les conserver ou les détruire. Mais un être ce
ne peut conserver ou détruire que ce
qu'il ta elle-même car, s'il existe un Etre in-
tale
peut créer donc Dieu a créé t'homme, donc fini, tout-puissant, il ne peut en exister
fil
Dieu existe. J'ai dit que les hommes ne qu'un.
qi C'est ce que l'homme apprend de ses
maîtres
k fides ex auditu (Rom. x, 17) ;mais
peuvent penser qu'à ce qui peut exister.
En effet, penser à ce qui-ne peut pas exister c'est ce qu'il apprend aussi de sa raison.
c'
Ainsi, dans la société politique, l'existence
est ne penser à rien penser à rien est ne A
ddu pouvoir général est une loi fondamen-
V»as .penser.
•J'ai dit que l'homme ne pouvait avoir le
tale
t£ et l'existence d'un seul homme appelé
sentiment, c'est-à-dire aimer ou craindre n monarque, exerçant le pouvoir général^, est
dérivé
u loi politique rapport nécessaire
une
que ce qui existe car avoir le sentiment d la nature des êtres, conséquence néces-
de
de ce qui n?existe pas, c'est avoir le senti-
saire de la loi fondamentale, et loi fonda-
ment du néant, c'est n'avoir aucun senti- Sl
elle-même. Si Dieu n'existait pas,
mentale
ment, c'est n'aimer ni ne craindre. Or, n
1( mot Dieu n'existerait dans aucune
le lan-
l'homme, esprit et corps ne peut pas plus le sentiment de Dieu n'existerait chez
exister sans pensée- et sans sentiment, c'est-
gue,
8
aaucun peuple; l'élève ne
pourrait pas en-
à-dire sans amour ou aans crainte, qu'il
ne peut exister sans «action ou sans mouve- ttendre, parce que le maître ne pourrait pas
parler. Le missionnaire n'apprend pas au
ment.
Penser est produire or penser à ce qui sauvage
s que la Divinité existe; car il lui
parlerait en vain, si le sauvage n'en
avait
ne peut pas exister, ce serait produire ce I
le sentiment. Il Mi apprend seulement't
qui ne peut pas être; ce qui est absurde. pas
1
qu'il n'existe qu'un Dieu, parce que l'unui
Aimer est reproduire ou conserver or, c
de Dieu est un rapport nécessaire, dérivé
aimer ce qui n'existe pas serait reproduire r
<
de la nature des êtres, rapport sur lequel a que la triste impuissance de combattre.
la nature éclaire l'homme sauvage comme C'est à cette même cause qu'il faut attribuer
l'homme policé. la prétendue pureté Je moeurs qu'on croit
Les hommes peuvent découvrir des rap- remarquer dans quelques gouvernements et
ports entre les êtres, et ils travaillent sans dans quelques sectes.
cesse à en découvrir de nouveaux, c'est-à- On demande si un homme élevé dans les
dire étendre et perfectionner leurs con-
à forêts, sans communication avec ses sem-
naissances mais l'homme n'invente pas des blables, aurait la pensée et lo sentiment de
êtres, car inventer un être ce serait le créer, la Divinité il est aussi absurde de supposer
et l'homme ne peut pas plus créer un être un homme hors de la société pour lui de-
qu'il ne peut le détruire. Quand Néper dé- mander ensuite s'il. a la connaissance de
couvrit les logarithmes, il ne fit que mettre Dieu, qu'il le serait d'arracher un enfant
au jour de nouveaux rapports entre les naissant à sa famille pour lui demander,
nombres; Archimède trouva le rapport du dans un âge avancé, s'il connaît ses parents.
diamètre à la circonférence,mais il n'inventa C'est changer 1 état de la question, puisque
nilediamètre,nilacirconférence;Pascaln'in- je parle de l'homme social, et qu'on me
venta pas les courbes, ni Newton les cou- parle de l'homme sauvage. Or, s'il a existé,
leurs, quoiqu'ils découvrissent, l'un de s'il existe encore des peuples sauvages, il
nouvelles propriétés des courbes, l'autre de n'a jamais existé, il ne peut même exister
nouveaux effets de la lumière. d'hommes sauvages. L'homme n'est pas une
Oui, tous les hommes ont le sentiment de plante qui puisse croître uniquement à l'aide
la Divinité, soit positi f qui est l'amour, soit des sucs de la terre et des influences de
négatif qui est la haine. Philosophe, tu l'air. Les seuls hommes sauvages que l'on
penses à Dieu, quand tu en nies l'existence; ait connus, l'hommedesforêts de Hanovre, et
et, malgré toi-même, tu en as le sentiment, la fille trouvée dans les bois de Picardie, ont
c'est-à-dire la haine, quand tu la combats. été rendus à la société; et leur existence
L'homme parfaitement libre, l'homme ver- jusque-là ne peut être regardée que comme
tueux, celui dont l'amour est réglé, a néces- une enfance prolongée, ou un état d'im-
sairement le sentiment, c'est-à-dire l'amour bécillité.
de la Divinité l'homme esclare de ses pas- On a trouvé-, dit-on, des peupies qui ne
sions, l'homme dont l'amour est déréglé, et manifestaient aucun sentiment de la Divi-
qui n'a que l'amour de soi, a aussi le senti- nité, c'est-à-dire qu'on en a cherché, et
ment de la Divinité, mais ce sentiment est qu'on a vu peut être quelques peuplades en
la crainte sans amour, ou la haine il vou- état de société naturelle dans laquelle le
drait anéantir un être dont l'existence l'im- culte est purement domestique, et renfermé
portune et ce n'est pas dans son esprit, dans l'intérieur de la famille (2).
mais dans son cœur, que l'impie a dit il n'y On a sous les yeux un exemple récent du
a point de Dieu (1). peu de fond qu'il faut faire sur les aperçus
Donc l'athée, ou l'homme qui hait la Divi- des voyageurs, même les plus éclairés, lors-
nité, car il n'y en a pas d'autre, est un qu'ils nous parlent de la religion des peu-
homme nécessairement- vicieux, esclave de ples sauvages. En 1767, le capitaine Wallis,
ses passions. Mais il faut observer que l'a- après un séjour de quelques semaines à, l'île
thée sera plutôt livré à l'amour déréglé de d'Otahiti, dans la mer du Sud, déclare for-
soi, ou à la passion spirituelle de l'orgueil, mellement qu'il n'a pu découvrir parmi ces
qu'a l'amour déréglé de ses semblables, ou insulaires la moindre trace de culte reli-
aux passions des sens; car l'amour déréglé gieux, quoiqu'il les ait observés avec une
des autres n'est pas dans la nature d'un être altention particulière. Deux ans après, en
qui n'aime que soi et qui hait tout le reste. 1769, le célèbre Cook aborde à la même île.
C'est pour cette raison que quelques athées JDans le long séjour qu'il y fait, il observe,
en imposent, par des dehors de régularité, il-décrit,
i avec la sagacité et l'impartialité
à ceux qui, ne faisant consister la vertu que qui
<
le caractérisent, les traditions religieu-
dans l'absence des passions sensuelles,ises et même les coutumes politiques, de ce
croient voir la force de vaincre là où il n'y peuple
1
singulier. Ecoutons cet observateur
(l) Dixil insipiens in corde suo Non est D, us. un esprit malfaisant, et qu'ils lui adressent des
(lHfil.xin,i.) prières. Les Hottentots sont des peuples en sociélé
(2)' U» voyageur dit qne les Hottentots n'ont au- naturelle,
i et ils ont la religion idolâtre de la société
tune religion e.1 ailleurs il dit qu'ils recoimnisseut naturelle,
i ou l'idolâtrir dans son premier état.
profond dans la recherche ces croyances d'alliance parmi les Juifs est remarquable
d'al
religieuses du genre humain, les sentiments mai ce qui est encore plus singulier, est
mais
conservés chez des peuples simples sont qu'< lui dit qu'elle 's'appelait la maison de
qu'on
d'un autre'poids que les opinions inventées Dieu.
Die\
par les philosophes. « Les habitants de la Nouvelle-Zélande
« Les Otahitiens croient unDieu créateur, connaissent
con l'influence de plusieurs êtres
le genre humain venu d'un homme allié à sa supérieurs
sup à l'homme, dont l'un est suprê-
fille; ils connaissent une Divinité suprême, me, les autres subordonnés. Ils ont à peu
qui est chez eux la puissance, puisqu'ils la près
prèi les mêmes dogmes, que les Otahitiens,
désignent par le mot de producteur des ils écoutaient avec un silence profond et
et 'il
et il
tremblements de terre; mais ils adressent beaucoup
béai de respect et d'attention les dis-
leurs prières à une autre divinité appelée cou: sur la Divinité. »
cours
Tané, qui est la Bonté, puisqu'elle prend L usages politiques de ces peuples ne
Les
une plus grande part aux affaires des hu- sonl pas moins dignes d'attention que leurs
sont
mains. Ils croient l'âme immortelle, soumise dog
dogmes religieux.
à deux états, l'un plus heureux, l'autre Chez
C. ces différents peuples, la royauté. est
moins. Ils ont des prêtres; ils font des of- héréditaire du père au fils « leur gouver-
hér<
frandes à la Divinité, et lui prodiguent des nement
nerc ressemble au premier état de toutes
témoignagesd'adoration et de respect. Les l'es inations de l'Europe, lors du gouverne-
les
cimetières, qu'ils appellent moral, sont des ment féodal. Le roi, le baron, le vassal, le
men
lieux où ils vont rendre une sorte de culte paysan,
pay; y sont distingués: chaque baron
religieux. Ils récitent des prières quand ils four
fournit et conduit à la guerre un certain
enterrent leurs morts ils y vont adorer une nombre de combattants. »
non:
divinité invisible, et ils expriment leurs Li croyance de la Divinité se trouve donc
La
adorations et leurs hommages de la manière che2 tous les peuples or l'accord de tous les
chez
la plus respectueuse et la plus humble. peuples
peu sur l'existence d'un objet est senti-
Leurs regards et leur attitude montrent as- men et non une opinion. En effet, les opi-
ment, x

sez que la disposition de l'âme répond à son nior dans l'homme sont des opérations de
nions
extérieur. Ces Indiens sont plus jaloux l'esprit,
l'esl ou des volontés; or les hommes
de ce qu'on fait aux morts qu'aux vivants; diffèrent nécessairement par les volontés
diffè
et le seul cas où ils se soient permis d'user puisqu'ils
puis ont tous nécessairement la'ro-
de violence envers les gens des équipages, lont de se dominer réciproquement niais2
lonlé
ç'a été lorsqu'ils ont voulu violer leurs en- ils s'accordent nécessairement par les senti-
s
dos funéraires, en en abattant les murs, ou men parce que le sentiment est amour de
ments,
même en y cueillant du fruit. » On ne peut conservation, crainte de sa destruction., et
sa c<
nier que les notions primitives de la reli- que tous les hommes ont nécessairement le
gion, telles que l'existence de Dieu et la mên amour pour ce qui peut les conser-
même
connaissance de ses principaux attributs, le ver, la même crainte de ce qui peut les dé-
dogme de la création, l'existence d'un pre- truire.
iruii
mier homme et d'une première femme qu'ils j'j dit qu'on retrouvait dans toutes les
J'ai
font même naître du, premier homme, la sociétés
socil le sentiment de la spiritualité et de
croyance de l'immortalité de l'âme, des pei- l'immortalité de l'âme; c'est ce qui va faire
i'jm,
nés et des récompenses futures ne se soient l'objet du chapitre suivant.
l'obj
conservées chez ces insulaires. Mais, voici
qui est encore plus extraordinaire; ces peu-, CHAPITRE IV.
ples connaissent la circoncision Cook nous SPIRITUALITÉ
SI ET IMMORTALITÉDE l'aME.
l'apprend, quoiqu'il pense qu'elle n'est pas
chez eux une pratique religieuse. Banks, Spiritualité
Sf et immortalité de l'âme loi
célèbre naturaliste, embarqué avec Cook, fond
fondamentale des sociétés religieuses, vé-
découvrit chez ce peuple un objet qui excita rite attestée par-le sentiment unanime de
rité
sa curiosité. C'était, selon Cook, une es- toutes les sociétés humaines, et par l'abus
touti
pèce de coffre ou d'arche travaillée avec qu'e ont fait les peuples idolâtres.
qu'en
délicatesse, faite pour être transportée d'un L( honneurs divins que les peuples,
Les
endroit à un autre. Elle contenait quelque dans leur enfance, comme les peuples vieil-
dans
chose que Banks ne put voir. La ressem- lis dans
d la civilisation, ont rendus à la mé-
LIance générale de ce coffre avec l'arche. mois de leurs bienfaiteurs ou de leurs
moire
me», no s auressaiein pas a ues caaavres ce sentiment sont plus forts dans l'âge, le
inanimés; ils croyaient qu'ils existaient, sexe et les conditions dont la faiblesse ou
puisqu'ils leur décernaient un culte et des les occupationsne permettent pas l'esprit
hommages. La croyance des génies aussi de se livrer à des études pénibles, de saisir
ancienne que l'univers, le respect pour les des rapports composés alors le sentiment
morts et les sépultures, respect plus marqué supplée à toutes les autres manières de s'ins-
à mesure que les peuples sont près de l'é- truire de cette vérité fondamentale la na-
tat des sociétés primitives c'est-à-dire 2 ture met cette vérité dans tous les cœurs,
mesure qu'ils sont plus près de cet état où parce que tous les cœurs sont capables de
les peuples n'ont que des sentiments et n'ont sentir mais elle ne la confie qu'à l'esprit
pas encore des opinions, la coutume reçue du petit nombre, parce qu'il n'y a que le
chez un grand nombre de peuples d'enseve- petit nombre qui ait un esprit capablé de
lir avec les morts les objets de leurs affec- comprendre.
tions pour les servir dans l'autre rie, les On peut apprécier, d'après ce principe, ce
lois sévères portées contre tous ceux qui que les philosophes appelaient des préjugés
violaient les sépultures, et qui dépouillaient populaires, et le service qu'ils rendaient à
les cadavres, l'obstination remarquée dans l'humanité en cherchant, comme ils le di-
toutes les sociétés naissantesà ne pas laisser saient, à éclairer les hommes, c'est-à-dire à
dans les combats leurs morts au pouvoir de
l'ennemi tout annonce que les peuples,
toutes les époques de leur existence, ont eu
à ôter les sentiments du cœur de ceux dont,
ils ne pouvaient suffisamment éclairer l'es-
prit.
le sentiment consolateur que le corps n'é- Quand la raison est développée, et qu'elle.
tait que la demeure d'un être qui lui était peut être éclairée par l'étude et le raisonne-
supérieur, et qui survivait à sa décomposi- ment, alors le sentiment se règle il cesse
tion.. d'être exagéré, et la raison dit à Thouime
Pour .connaître, sur ce dogme important, qui veut et qui peut la culti-ver, que l'hom-
le sentiment des premiers peuples, nous me n'est pas tout entier dans son corps,
n'avons pas besoin d'interroger les tnonu- qu'il a une âme spirituelle et immortelle,
ments anciens, ni de remontera l'origine et que cette vérité, et les conséquences. qui
des sociétés. Nous avons au milieu de nous en découlent, sont le lien le plus puissant
un peuple naissant; car le genre humain des
( sociétés humaines. C'est la nature de ln
renaît à chaque génération vérité conso- société
i qui établit la foi de la vérité par le
Jante pour les gouvernements, qui peuvent, sentiment; et ce sont les philosophes qui la
quels que soient les progrès des fausses d.oc- détruisent avec leurs opinion.s. De là tant de
trines, recommencer .un peuple par l'édu- systèmes, absurdes, sur la nature de l'âme,
cation, puisque la nature le recommence par que les uns croyaient du feu, les autres de
la naissance. Or les enfants, les femmes «t l'air;
1 que ceux-là faisaient passer dans le
les conditionspeu élevées, c'est-à-dire l'âge, corps des animaux, et que :ceux-ci refusent
le sexe et les conditions qui ont des senti- même à l'homme,.
iuents et qui ne peuvent avoir des opinions, On- ne contestera pas sans doute que
ont naturellement le sentiment des esprits; la
1 foi de sentiment ne soit dans la plu-
c'est de là que vient l'opinion reçue chez jsart des hommes, et peut-être dans tous
presque tous les peuples, que les femmes les
1 hommes, bien plus ferme et bien plus
ont la connaissance de l'avenir et des com- profonde
] que la foi d'opinion. Qui est-ce
munications particulières avec des êtres in- qui
< croit le plus, qui est-ce qui croit le
visibles. De là la croyance de tous les peu- mieux aux vérités fondamentales de J'exis-
pies, que les hommes extraordinaires étaient tence
I de Dieu et de l'immortalité de -l'âme,
inspirés par un génie particulier. C'est un de
< celui quiaécouté, souvent sans 1r com-
préjugé, ditla philosophie c'est un senti- prendre,
] un discours scientifique sur cette
uaent,, répondrai-je, par lequel la natire matière,
i par l'orateur le plus disert, ou de
supplée à la faiblesse de la raison ou au dé- la
J veuve, de l'enfant accablés de douleur,
faut de connaissances. Un enfant a peur de qui
< offrent leurs larmes à t'Etre suprême
quelque chose qu'il ne peut voir, quoiqu'on pour l'époux ou le père que la murt leur a
ne l'ait jamais enrayé par des contes de re- ravi,
i qui le conjurent de le recevoir dans
venants il a peur dans l'obscurité, il est son sein, et qui mêlent à cet acte religieux
mal à son aise dans la solitude. Les effets de cet
< espoir indéfinissable qu'ils ne soni \ax
separés pour toujours des objets de leurs immortalité de l'âme vérités fondamen-
'nlîefiiions et de leurs regrets ? tales base de toutes les sociétés reli-
Une société se disant religieuse, qui se gieuses.
contente de parler de l'existence de Dieu et La société en général est la réunion d'êtres
de l'immortalité, de l'âme, ne .peut conserver semblables réunion dont la fin est leur pro-
ni l'une ni l'autre de ces vérités. Elle tombe duction et leur conservation mutuelle.
à l'égard des au-
donc nécessairement dans l'athéisme et le « Ces êtres sont les uns
matérialisme, et comme l'existence de Dieu tres dans de certaines manières d'être qu'on
et la spiritualité de l'âme immortelle sont appelle rapports. »
les éléments de toutes les sociétés religieu- « Ces rapports
doivent être nécessaires,
ses, il est évident qu'elle cesse aussi de c'est-à-dire qu'ils doivent dériver de la
se conserver elle-même. nature des êtres qui composent la société. »
J'appelle à l'histoire de l'état présent des « Ces rapports
nécessaires sont des lois,
sociétés religieuses en Europe, de cette pro- suivant Montesquieu, Rousseau, la rai-
position qui renferme tout ce qu'on peut son (97). »
dire sur les sociétés religieuses, et qui, pro- 11y a différentes lois, parce qu'il y a entre
fondément méditée, présente les vérités les les êtres en société différents rapports,
plus importantes en morale, et les consé- c'ést-à-dire qu'ils sont les uns à l'égard des
quences les plus étendues en politique. autres dans différentes manières d'être.
La religion ou la foi pratique de l'exis- Il y a dans la société religieuse, comme
tence de Dieu et de l'immortalité de l'âme ddns la société politique, des lois primiti-
est amour et intelligence; mais, si elle doit ves fondamentales de la société et sans
être amour pour tous, elle ne peut être lesquelles on ne saurait la concevoir. C'est,
,intelligence que pour un petit nombre. dans la. société politique, l'existence du
Dans l'âge, le sexe et les conditions plus pouvoir qui gouverne les hommes physi-
étrangères aux passions qui tyrannisent ques-intelligents et dans la société reli-
l'homme, l'amour est plus réglé donc elles gieuse, l'existence de .la Divinité, qui gou-
conservent mieux l'amour de la Divinité verne les hommes intelligents-physiques-
(1) et ce sentiment peut dégénérer en Dans la société politique, l'existence d'un
superstition, c'est-à-dire, en faiblesse. Au pouvoir unique, ou d'un monarque, est une
contraire, dans l'âge, le sexe et les condi- loi politique, conséquencenécessaire, immé-
tions plus livrées à l'orgueil, à l'ambition, à diate de la foi fondamentale, et loi fonda-
la cupidité, l'amour se dérègle et l'homme mentale elle-même; parce que là où tout
substitue l'amour de soi à l'amour de Dieu: veulent dominer, il est nécessaire qu'un siuk
mais, s'il perd l'amourde Dieu, il y substitue domine, ou que tous se détruisent. Dans la=
la crainte sans amour ou la haine car société religieuse l'existence d'un Dieu,
l'homme ne peut exister sans amour ou sans unique est une loi conséquence nécessaire,,
crainte de la Divinité et cette haine dégé- immédiate de la loi fondamentale de l'exis-
nère en fanatisme, qui est une force exces- tence d'une intelligence suprême, et loi fon-
sive. L'amour de Dieu peu éclairé peut damentale elle-même, parce qu'elle est- uni
devenir superstilion. La haine de Dieu ou rapport nécessaire qui dérive de la nature^
l'athéisme, et on l'a vu, peut devenir fana- des êtres. En effet, s'il existe un être intelli-
tisme. Aussi le fondateur dé la religion gent, infini, tout-puissant, il ne peut en-
chrétienne témoigne une prédilection parti- exister qu'un; parce que des êtres tout-
culière pour la faiblesse du sexe, de l'âge et puissants veulent nécessairement dominer,
de la condition; et il juge dangereuses, et que là où. tous veulent nécessairement
dominer, il est nécessaire qu'un seul domine,
pour la vertu, l'opulence et les conditions
élevées. ou que tous se détruisent. Le lecteur remar-
CHAPITRE V.
quera avec étonnement que ce principe
soit, même à l'égard de Dieu, appuyé par
SUITE DES PREUVES DE L'EXISTENCE Dëi DIEU un fait; et il se rappellera la croyance reçue
ET DE L'IMMORTALITÉ DE L'AME. dans la religion chrétienne, de la chute des
Existence de la Divinité, spiritualité et esprits orgueilleux qui voulaient s'assimiler

( 1) On ne peut avoir l'amour de Dieu sans avoir çaue par la fermeté de leur religion, et leur coura-
l'amour de ses semblables aussi les femmes se sont geuse sensibilité envers les malheureux.
particulièrementdistinguéesdans la révolution Iran- (97; Voy. part. i> liv. i, chap. 1.
*75 (OUVRES COMPLETES DE DE BONAED.
aa.v aru M.
11n. ulu L1f1111LV. 476
lj.~(j
Très-Iïsut. croyance
au Très-Iïaut, nrovflnp.fi dont on
nn retrouve impérissable; donc
rptrnnvp imn<£r-iéca>\la Annn l'homme
l'knmm»' ««<
est immortel,
1-1
dans la fable des traces manifestes. soit dans son âme, soit dans son corps,
L'immortalité de l'âme n'est pas une con- instrument
i du culte extérieur par lequel
séquence moins nécessaire de sa spiritua- l'amour 1
se produit. Aussi la résurrection
lité. En effet l'homme sent en lui-même des ( corps est un dogme fondamental de la
l'existence d'un être qui pense, qui veut, religionr chrétienne Surget corpus spiri-
qui aime, qui craint; mais il ne peut voir tale. t (ICor. xv, 4-4.)
cet être, ni le soumettre à aucun de ses L'immortalité de l'âme est donc un rap-
sens. Or, l'existence d'un être qu'on sent et port f nécessaire dérivé de la nature des êtres
qu on ne peut voir, est une existence invi- qui q composent la société religieuse; elle est
sible, l'âme existe donc d'un6 existence donc d une conséquence nécessaire, immé-
invisible, ou, ce qui est la même chose, elle diate,
d de la foi fondamentale de l'existence
vit d'une vie invisible. Or, une vie invisible de d Dieu et de la spiritualité de l'âme; elle
est une autre vie que celle que nous voyons, est e donc loi fondamentale elle-même.
et par laquelle vivent tous les corps maté- Mais, si l'âme vit d'une autre vie et dans
riels et par conséquent elle appartient à un un u autre ordre de choses que celui que
autre ordre de choses, à un autre monde que nous n voyons, cette vie est nécessairement
ce monde matériel. heureuse
h ou malheureuse. Sous un être
L'homme moral et physique, produit la infiniment
ir juste, bonheur est récompense,
connaissance de Dieu dans sa pensée, et la malheur m est châtiment. La récompense sup-
conserve par le sentiment; donc l'homme est pose pi le mérite et le châtiment suppose la
en société avec Dieu, puisque la société en faute. fa Ce sont des rapports nécessaires, des
général est la réunion d'êtres semblables, lois. lo Le mérite ou la faute supposent un état
réunion dont la fin. est leur production et antérieur
ai à la récompense, ou au châtiment
leur conservation mutuelle. Mais nous avons et cet état antérieur ne peut être que la
vu (1), que « l'amour que l'homme a pour société sc présente. Donc le dogme des peines
Dieu est, dans l'homme, le principe de pro- et des récompenses futures est
un rapport
duction et de conservation de la connais- nécessaire
ni dérivé de la nature des êtres qui
sance de Dieu dans la pensée de l'homme, composentcc la société religieuse; une loi
et qu'agissant par les sens, c'est-à-dire par religieuse,
re conséquence nécessaire, immé-
le culte extérieur, il est pouvoir producteur diate,
di de la loi fondamentale de la spiritua-
et conservateur de la connaissance de lité lit et de l'immortalité de l'âme, et de celle
Dieu. Nous avons vu que « l'amour que de de l'existence de l'Etre suprême. Donc elle
Dieu a pour l'homme est, dans Dieu, le est es loi fondamentale elle-même et l'on en
principe de conservation de l'homme, et retrouve re la croyance dans toutes les socié-
qu'agissant par la force ou la puissance, il tés. té; Je reviendrai ailleurs sur ces lois reli-
est pouvoir conservateur de l'homme. » gieuses,
gi< et je développerai les autres à me-
Or, une société dans laquelle Dieu est sure su qu'elles se présenteront il me suffit
pouvoir conservateur par son amour et sa pour po le moment d'avoir fait remarquer à
puissance, et dans laquelle il est lui-même mes mE lecteurs que les principes que j'ai posés
produit et conservé par l'amour et la force dans da la première partie de cet ouvrage, en
de l'nomme agissant dans le culte extérieur, traitant
tra des sociélés politiques, sont rigou-
ne peut périr. En effet, si urie société qui rei reusement applicables à la société religieuse.
produit et qui conserve la connaissance de Car Ca la société religieuse et la société politique
Dieu par l'amour et le culte, et que Dieu sont soi semblables, et elles ont une constitution
conserve aussi par son amour, pouvait semblable ser, (2).
périr, Dieu cesserait d'être produit et con- ]Existence et unité de Dieu, spiritualité et
servé, non en lui-même, mais au dehors et im; immortalité de l'âme, peines et récompenses
dans des intelligences semblables à lui et de l'autre vie ces dogmes sont vrais, parce
faites son image; il cesserait eu même qu'ils qu' sont utiles à la conservation de la so-
temps d'être pouvoir conservateur Dieu ciété cié civile car, s'il pouvait y avoir quelque
.perdrait donc la faculté d'être produit et dogme, do§~r. utile à la conservation de la société,
conservé, et le pouvoir de conserver. Or, qui ne fût pas vrai, la société manquerait de
Dieu ne peut perdre ni faculté ni pouvoir quelque moyen de conservation donc elle
que
donc la société des hommes avec Dieu est ne pourrait se conserver. Or, la société est
(1) Voy. pari 1, liv. i, chap. 1. (2)
(ç Yoy. part. i, liv. 1, ebas. 1.
un être nécessaire, en supposant l'existence corps
c en sorte qu'ils ôtent aux hommes la
de l'homme, puisqu'elle dérive nécessaire- moyen
rr de se conserver, et leur laissent la
ment de la nature de l'homme donc la so- facilité
fa de st> détruire.
ciété se conserve nécessairement; donc il ne La société civile, formée par la société re-
lui manque aucun moyeu de conservation; ligieuse.
U et par la société politique, est donc
donc le dogme de l'existence et de l'unité proprement
p la réunion des esprits et le rap-
de Dieu, de la spiritualité et de l'immorta- pprochement des corps, pour la production et
lité de l'âme, des peines et des récompenses ic conservation mutuelle de Dieu et de l'homme.
la
de l'autre vie, sont nécessairementvrais. On a vu, dans la première partie de cet
Tout ce qui est utile à la conservation de oouvrage, que l'amour de soi est, dans Dieu et
la société est nécessaire tout ce qui est né- ddans l'homme, le principe de création « ds
cessaire est une vérité donc toutes les vé- production
p de l'homme, et qu'agissant par la
vi tés sont utiles aux hommes ou à la société; puissance
p ou par la force, il est pouvoir
donc tout ce qui est dangereux pour l'homme créateur
c; ou producteur de l homme
at pour la société est une erreur, Que l'amour des hommes est, dans Dieu et
CHAPITRE VI. ddans l'homme, le principe de conservation
ddes hommes, et qu'agissant par la puissance
SUITE DES PREUVES DE L'EXISTENCE DE DIEU, 0 la force, il est pouvoir conservateur des
ou
ANALOGIE DES VÉRITÉS GÉOMÉTRIQUES ET hommes.
SOCIALES. Nous en avons conclu, dans la société des
Dieu et l'homme, les esprits et les corps, hhommes extérieurs ou physiques, la we'ces-
éléments de toute société. sité
s; d'un homme, objet général et commun
Les corps unis aux esprits, éléments de la dde l'amour que les hommes en société exté-
société politique. rieure
r doivent avoir les uns pour les autres.
Les esprits unis au corps, éléments de la Cet C homme, appelé roi ou monarque,amour
société religieuse. ggénéral de la société, parce qu'il représente
La société en général est une réunion d'é- Utous les hommes à l'égard de chaque homme,
ires semblables, réunion dont la fin est leur este le principe de conservation des hommes
production et leur conservation mutuelle. physiques
p agissant par la force générale de
Cette déûnition, qui convient à toute so- la 1; société, il en est le pouvoir conservateur.

ciété, ne s'applique, avec une rigoureuse Et j'en conclus, dans la société des êtres
exactitude, qu'à la société intellectuelle, ou intelligents,
il la nécessité d'une intelligence,
à la société des intelligences, parce que la objeto général et commun de l'amour que les
société des corps n'est que leur rapproche- êtres ô intelligents doivent avoir les uns pour
ment, aii lieu que la société des esprits est les Il autres. Cette intelligence, amour géné-
:eur réunion. Er effet, les corps, occupant ral r de la société, est donc le principe de con-
chacun un espace, ne peuvent que se rap- servations des êtres intelligents, agissant par
.prêcher, mais ils ne peuvent passe confon- la 1; force dans le culte extérieur, elle en est le

dre en un seul corps; au lieu que des pen- pouvoir i: conservateur. car les sociétés reli-
séés et des sentiments, qui n'ont aucune ggieuses ou physiques sont semblables, et elles
étendue et n'occupent aucun espace, peu- ont 0 une constitution semblable.
vent se réunir et se confondre en une seule Je ne puis me refuser à fixer l'attention
pensée et un seul sentiment. De tous les ddu lecteur sur l'analogie qu'il y a entre les
sentiments, de toutes les pensées sur le mê- deux d propositions que je viens d'énoncer et
rue objet, peut résulter une seule pensée, les 1' vérités géométriques; et cela doit être,
un" seul sentiment; mais de tous les corps, puisque
p Dieu, vérité par essence, est }&
il ne peut résulter un seul corps. Donc il ssource et le type de toutes les vérités. Il me
n'y a proprement de société que pour les es- semble
s que cette connexité singulière entre
prits, parce qu'il ne peut y avoir proprement ddes vérités d'un ordre différent ajoute une
de réunion que pour les esprits; donc les ziouvelle
i\ force aux preuves de l'existencede
législateurs modernes, qui séparent avec Dieu. 1 Je suppose que mes lecteurs ont quel-
tant de soin la société religieuse de la so- qque teinture de la géométrie élémentaire.
ciété politique, détruisent toute réunion en- A considérer la société politique comme
tre les hommes, pour ne laisser subsister un i problème dont on cherche la solution,
entre eux que le rapprochement; c'est-à-dire quelles
<\ en seraient les conditions?
qu'ils divisent les esprits, et rapprochent les Trouver une forme de société politique ou
479 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BQNALD. 480
gouvernement,telle
de gouvernement, telle qu'un nombre quelcon- cette
nombre quelcon- e< famille, ou, ce qui est la. même chose,
la même
que d'hommes physiques soient unis entre eux l'i l'écarter du milieu d'eux, sans perdre leur
et maintenus dans cette union par un rapport unionw mutuelle entre eux, ni recouvrer cette
ou intérêt commun. union,
Ui après l'avoir perdue, sans rétablir au
Quelles seraient les conditions du pro- m milieu d'eux cet homme, ou cette famille re-
blème de la société intellectuelle?2 \i
vêtue du pouvoir, ou sans se rétablir eux-
Trouver une forme de société intellectuelle, mêmes
m dans leur rapport commun d'amour
telle qu'un nombre quelconque d'êtres intelli- oi ou de subordination envers ce pouvoir.
gentssoient unis entre eux, et maintenus dans Les dissensionscommencèrent à Rome avec
cette union par un rapport ou intérêt com- l'< l'expulsion des rois; elles allèrent toujours
mun. croissant,
cr et ne cessèrent qu'au rétablisse-
Quelles sont les conditions du problème m ment du pouvoir unique sous Auguste. Les
de la circonférence? désordres les plus effroyables ont commencé,
l'f
Trouver une figure telle qu'un nombre quel- en ei France, avec la destruction du pouvoir gé-
conque, un nombre infini de points soient néral n< ou royal; ils ont été, ils iront toujours
adhérents entre eux, et maintenus dans cette croissant,
cr et ne cesseront qu'au rétablisse-
adhésion par un rapporte commun. ment
m du pouvoir sous le monarque légitime.
Je pense qu'il n'y a rien de forcé, rien Cette C< vérité est aussi, évidente que les pro-
que de parfaitement exact dans l'énoncé de p< positions d'Euciide.. •
ces trois problèmes absolument semblables. Or, ce pouvoir, l'homme ne l'a pas créé;
Or, pour résoudre le problème, de la cir- il existait, et l'homme n'a fait que le pro-
conférence, dans un nombre quelconque in- dl duire au dehors.
fini de points, j'en trouve un que j'appelle Ainsi, dans la société religieuse, le mo-
centre, au moyen duquel je trace une figure nothéisme,
n< ou la religion de l'unité de Dieu,
qui satisfait rigoureusement à toutes les cori- remplit
re toutes les conditions du problème;
ditions du problème car la circonférence est puisque
pi la société religieuse de l'unité de
une figure d'une infinité de points tous
adhé- Dieu,
D ou la religion chrétienne, est telle
vnts entre eux et maintenus dans cette adhé- qu'unqi nombre quelconque infini d'êtres in-
sion par un rapport commun, lequel rapport telligents
te sont unis entre eux, et maintenus
est leur distance égale du centre. Je'dis que dansdî cette union réciproque, par un rapport
ce rapport commun ou cette distance égale commun cc d'amour et de dépendance envers
du centre les maintient dans leur adhésion ui une intelligencesuprême que nous appelons
réciproque; puisqu'ils ne peuvent s'éloigner Dieu.D
ni se rapprocher du centre sans perdre leur C'est cette union mutuelle en Dieu, quc
adhésion mutuelle, et qu'ils ne peuvent la la religion consacre sous le nom de commu
recouvrer, s'ils l'ont perdue, qu'en se réta- nionni des saints.
blissant dans leur rapport, ou dans leur dis- Les hommes ne peuvent se soustraire à'ca
tance égale à l'égard du centre. rapport
rt avec l'Etre suprême, sans perdre
Or, à considérer cette proposition d'une le leur union mutuelle entre eux; ni la recou-
manière abstraite, l'homme n'a pas créé ce vi vrer, après l'avoir perdue, sans rétablir fui
point appelé centre: ce point existait néces- milieu
m d'eux l'amour de l'Etré suprême, ôu
sairement dans un nombre infini de points, pour pi mieux dire, sans se rétablir eux-mê-
et le géomètre n'a fait que le produire au mes m dans ce rappnrt d'amour et de dépen-
dehors. dance
di envers l'Etre suprême.
Une république d'athées ne peut pas sub-
Dans la société politique, la monarchie
constituée ou royale satisfait à toutes les con- si
sister, et la France en offre la preuve.
ditions du problème puisque la monarchie Les hommes n'ont pas fait Dieu; il existe
royale est une forme de gouvernement telle ei en lui-même, et il n'a fait, par la création de
physiques l'homme
l' et de l'univers, que se produire au
qu'un nombre quelconque d'hommes
familles sont unis entre et main- dehors.
&
ou de eux,
tenus dans cette union par un rapport com- puisqu'il Le centre existait avant la circonférence,
mun d'amour et de subordination avec un p a produit la circonférence; et la
homme ou une famille qui exerce le pouvoir circonférence
ci n'a fait que le rendre visible
• général de la société, ou monarque. Car. les ou 0 le produire. Le pouvoir existait avant la
hommes sociaux ou membres de la société société S( politique, puisqu'il n'y a eu de so-
ne peuvent se séparer de.cet. homme ou de ciété c politique qu'après que le pouvoir a été
r^!rr Ct VISiWe
et visible dans
renauexiéneur. la P–
da"S la
vu..raiu.
oifc iala république des Juifs n'était
u. ruu y liiiuwtt X. UV. 482
aaW^l F.

monarque. personne n'était qu'une


du mnnarnnn
dtt réu-
nion de familles sans pouvoir général poli-
Donc, par une raison d'analogie, Dieu
existe avant la société des hommes intelli- u tique. Ses chefs, appelés rois, étaient des
i- despotes et non des monarques, et Dieu lui-
gents, et la création n'a fait que le produire
'e même avait annoncé au peuple qu'il en
à univers. Donc Dieu existe se-
avant l'homme» ï| rait traité en esclave et non en sujet. Cette
donc Dieu est cause, et l'homme
est effet.t- société était et est encore une véritable
Donc Dieu a créé l'homme et les
pb,iloso-
»- théocraiie, destinée alors à montrer à l'uni-
phes, qui veulent que Dieu soit le
produit
de la société, sont comme des géomètres si vers qu'une société extérieure, sans pouvoir
qui général ou sans monarque,
prétendraient que la circonférence existeil ne peut subsis-
avant le centre, ou comme des politiquese
ter indépendante que par ,l'intervention
qui voudraient prouver que la monarchie miraculeuse du pouvoir divin comme elle
s
existait avant le monarque. e est destinée à faire voir aujourd'hui qu'une
Le lecteur pensera ce qu'i: voudra de 1
société religieuse, dont Dieu a été le légis-
cette3 lateur et le pouvoir, peut
analogie, que les esprits subtils
pousseront le
peut-être plus loin, et peut-être trop loin.
t ] secours d'aucun
se maintenir sans
pouvoir humain.
J'ai voulu faire remarquer 3- Le troisième état de la religion du
aux hommes mé- nothéisme mo.
thtatifs un rapport frappant entre des vérités i est la religion chrétienne, ou Ja
également certaines, plutôt que fonder j
religion
r dé la société monarchique, troi-
une1 sième état de la société extérieure, et qui
preuve rigoureuse sur ce rapport. Au reste, s
on dit fréquemment cconstitue la véritable société politique.
que la Divinité le cen-
tre de tout ce qui existe, que toutestse rap- ]l'homme, La société naturelle de l'homme
avec
porte à elle comme à son centre. On ou la famille, est l'élément de la
en dit cciété extérieure des familles entre elles so-
autant du monarque, relativement à la la
1; société politique
et
ciété politique; et ces manières de so- constituée est le déve-
parler 1< loppement, le perfectionnement de la so-
communes, c'est-à-dire sociales, ont tou- ciété extérieure
jours un motif tiré d'un c; des familles entre elles.
rapport nécessaire De même, la religion naturelle
entre les objets., est le ger-
me
m de la religion judaïque, et la religion
chrétienne ou révélée est le développement,
cl
CHAPITRE VII. le perfectionnement, l'accomplissement
LA Jf. la religion judaïque Je
de
DIFFÉRENTS AGES DE MONOTHÉISME
OU DE ne suis pas venu,
RELIGION DE L'UNITÉ Dé JMBIj.
dit
di son divin fondateur, pour détruire la loi,
mais
mi pour l'accomplir. (Matth. v, 17.)
La société générale des hommes extérieurs
Ainsi, dans la religion naturelle,
et physiques, appelée société politique, 'est on doit
apercevoirl'élément de la religion judaïque,
ap
composée de trois sociétés 1° de la société
naturelle de l'homme des deux sexes, qu'on rei et dans l'une et dans l'autre le germe de la
religion chrétienne ou révélée (i)
appelle famille; 2° d'une société de familles,
da la société naturelle, on aperçoitcomme
dans l'élé-
ou société municipale ou commune; 3° d'une de la société extérieure des familles
société de communes réunies sous ment
m(
un mo- en entre elles, et dans l'une et dans l'autre le
narque, ou société monarchique.
On peut aussi considérer la société reli- gei germe de Ja société politique constituée.
gieuse de l'unité de Dieu dans trois états Les
] 'sociétés monarchiques chrétiennes
différents, qui ont rapport aux divers états soi sont donc 10 dernier état, le terme extrême
du développement de la société extérieure
de la société politique
1° Le premier état de la religion du
ou politique et de la société intérieure
ou
mo- religieuse.
reli ou
nothéisme est la religion naturelle La preuve en est évidente, puis-
ou la re- qu' qu'une société où la monarchie et le chris-
Iigion de la famille, premier état de la
ciété extérieure.
so- tianisme
tiar ont été abolis à la fois, est revenue
aussitôt à l'état barbare d'une société ido-
aus
2° Le second état de la religion du
mono* lâtre lâtr et sauvage.
théisme est la religion judaïque
ou la reli- Nous
N connaissons la société extérieure
gion de la société extérieure des Juifs,
cond se- dans
cona état de la société extérieure. En effet, sons
o. fit*
j^^toùî^TZZ
-U~ ·o,
dan ses différents états, puisque
nous fai-
rua~tiuC 11VU5
son; tous partie d'une famille. d'une société
Iila-
1A K^it'/J'd^hrSsPato' dU Sâim
OEUVRES COMPL;
u~ la aV1
COMPl.i r>RDE M
uea~nreLmns.
L
DE 1!^»,
M< t>t?
Augustin, en
ttu de la toi des Juifs et,de la loi des c.:hrétiens.
BON~LH. i
des deux Testament,
16
1R
~u-.t~j
485
/j*5
_x,a *otous ioc
les lomns. c'est-à-dire/pour être la
temps,p.'fist-à-dire.'pour
de familles entre elles, ou d'une société
àî. tOI
lien, le moyen de réunion et par conséquent
municipale et d'une société de communes
monarchique, de sociétédes intelligences de tous les lieux
entre elles, ou d'une société et ded< tous les temps. Ce sont des rapports
Mais qui est-ce qui nous fera
connaître la
nécessaires
néce dérivés de la nature des êtres en
société intérieure ou religieuse dans ses société donc ce sont des -loi».
différents âges, ou les divers états de la re- soci
Jigion sociale, qu'on appelle religion
chré- Li La parole fixée ou l'écriture est donc né-
cessaire à la société des intelligences unies
tienne ou révélée? Nous les connaissons par cess
la révélation. dos corps; donc l'art de multiplier la pa^
àà dp,
role fixée ou l'écriture par l'impression est
rôle
nécessaire, produit par la
CHAPITRE VIII. un développement qu'en
nati même de la société, et l'abus
nature
la
RÉVÉLATION. ont fait les passions des hommes, par
Révélation coupable
cou négligence des pouvoirs des so-
Qu'est-ce que la révélation? ciétés, n'empêche pas que la découverte de
ciét
signifie manifestation. du
cet art précieux ne soit, selon la pensée
Les êtres intelligents sont entre eux en
société savant abbé Fleury, un des plus grands
société; car, s'il n'existait aucune sav,
bienfaits de la volonté générale de la société
bie
entre les êtres intelligents, l'hommedenel'hom-
pour-
intellectuelle,
mti de Dieu même, parce que cet
rait avoir la pensée ni de Dieu ni • des
in- art est nécessaire au perfectionnement
me; il penserait pas, il ne
serait pas
ne sociétés.
soc
telligent. J1La -parole et l'écriture sont,
donc données
,“ s
Mais la société est une réunion d'êtres
semblables donc des intelligences qui sont t à-dire
au: êtres intelligents unis
aux
aux hommes, et aux hommes
à des corps, c'est-
seuls,
société doivent avoir le moyen de see a-d
des intelligen-
en comme le lien de la société
réunir, c'est-à-dire de communiquer en- coi réunion.
semble, ou de se communiquer leurs pen-“ ces, et le moyen de leur
ces
L'animal est égal ou supérieur à l'homme
sées; car des êtres semblables qui ne pour- il a même un
raient pas se réunir, ne seraient pas en so-
). pa ses facultés physiques
par
instinct
in, qui semble le rapprocher de l'intel-
ciété. «,
lij
ligence humaine mais il n'a pas de pen-
%our que les intelligences forment so-». sées, puisqu'il ne peut ni les communiquer
ciété, il faut donc qu'elles puissent se L-
réu- sé
ni|les
ni transmettre; il ne forme avec sei
nir ou se communiquer leurs pensées et st
semblables qu'une société animale dont la
unies à -des corps ls se
comme les intelligences séparées fii est la production, une société de rappro-
fin
existent dans divers lieux, et que >s
et non de réunion; les moyens de
du corps, elles existent dans divers temps, s chemenl
e*
la société intelligente lui sont refusés.
Ils
il est nécessaire qu'elles puissent se com- jl l'apanage exclusif de l'homme, parce
l'éloigné- sont
muniquer leurs pensées, malgré 3. S(
c est-
il- que l'homme est de tous les êtres sublunat-
ment de lieux et la distance des temps
«y
pensées res le seul pensant et la question qti'élè-
à-dire, qu'il est nécessaire que les es r<
métaphysiciens sur la possi-
soient transportables d'un lieu à un
autreetet v quelques
vent
)r bilité
b qu'il y a que le Créateur donne à la
transmissibles d'un temps à un autre. Or, matière la faculté de penser, est du maté-
entre des intelligentes unies à des corps, les
les n
sensibles ou rialisme
r en pure perte car, si la matière
pensées ne peuvent se rendre peut penser, sans qu'elle ait un moyen
de
que la parole il faut
iut F
se communiquer par
transportable et trans-
as- communiquer
c ses pensées, cette faculté est
donc que la parole soit peut dire qu'elle
sans objet, et même on.
missible, pour pouvoir transporter et trans- ns-
n'existe pas, puisque son existence ne
peut
l'expression.
mettre la pensée dont elle est périssable on. 1

ble se produire et si la matière pensante.a un


Mais la parole est de sa nature fugitive
>

produit, et ive moyen de communiquer ses pensées, cette


comme l'organe qui la
i

est donc matière, qui a la faculté de penser, et de


comme le milieu qui la transmet; il onc
communiquer ses pensées, n'est autre chose
fixée,.pour être trans-
ns_
nécessaire qu'elle soit
ible
transmissible que l'homme (tj.
portable dans tous les lieux et
système de
.rie Ywietliqence et du senliment, et que le «««««"«•
(1 Sans entrer dans aucune discussion sur
du P. Male-
"al
le
Locke est la métaphysique des sens ou des
secrète vers le
fond des systèmes de métaphysique Aussi, par une suite de celte pente
bTànckt et de Locke, on pnit «ire mmétaphysique
ue le
gênerai que donnée à l'Europe, le
ie de
de màtérià isme que laiWfornw a
système du P. Malebranche est la
Si les intelligences humaines n'ont que la lontés auxquelles le corps n'obéit pas re
parole et l'écriture pour se communiquer qui, sans doute, est la seule cause du dé-
leurs pensées dans tous les lieux et dans lassement qu'éprouve, dans le sommeil, le
tous les temps, l'intelligence divine elle- corps, que l'âme, hors du sommeil, fatigue
même n'emploiera pas d'autre moyen pour et use par ses volontés. On peut remarquer
former société avec les intelligences hu- à l'appui de ce que je dis que saint Paul,
maines, et leur communiquer ses pensées rendant compte d'une révélation qu'il a eue,
c'est-à-dire se communiquer elle-même à ne sait si, dans cet état, son âme était, ou
elles. En effet, Dieu a voulu que les intel- non, unie à son corps. (1 Cor. xh, 2.)
ligences unies à des corps reçussent la com- L'intelligence suprême a donc dû se ser-
munication des pensées par les sens exté- vir d'une parole extérieure et fixée par l'é-
rieurs de l'ouïe et de la vue or Dieu est criture, pour communiquer ses pensées à la
soumis lui-même aux lois générales qu'il a société générale des intelligences unies à
établies, puisque ces lois sont sa volonté des corps, c'est-à-dire pour se communiquer
et que Dieu, essentiellement libre, fait sa elle-même aux hommes; ce sont là des
volonté; il ne peut donc pas établir un au- rapports nécessaires, dérivés de la nature des
tre moyen de communicationavec les intel- êtres donc ce sont des lois.
ligences humaines sans déroger à sa loi gé- Mais Dieu ne peut parler ni écrire exté-
nérale, c'est-à-dire sans cesser de faire sa rieurement sans cesser d'être une pure in
volonté; et si quelquefois il a dérogé aux telligence, sans cesser d'être Dieu ( 1 )
lois générales que nous connaissons, il n'a comme l'homme ne pourrait entendre une
fait alors qu'exécuter une autre loi générale parole purement intérieure c'est-à-dire
dont il lui a plu de dérober aux hommes la pensée, qu'en devenant lui-même une pure
connaissance. intelligence, qu'en cessant d'être homme
Ce qu'on appelle inspiration particulière ce sont encore des rapports nécessaires dé-
de la Divinité est un esprit plus capable de rivés de la nature des êtres des lois.
comprendre, un cœur plus capable d'aimer, Dieu n'a donc pu se servir que d'un être
donnés à des hommes que Dieu destine à corporel pour faire entendre à l'homme, es-
ses grands desseins sur la société, en même prit et corps, sa parole, et pour la fixer par
temps qu'il dispose les événements et les l'écriture. Non nisi per creaturam visibiliter
circonstances qui les mettent à portée de factum est, dit saint Augustin, en parlant des
remplir les vues qu'il se propose, sans ce- communications de l'intelligence suprême
pendant porter atteinte à ce libre arbitre avec le premier homme. »
qui constitue l'homme, et qui peut seul le Dieu ne parle donc pas lui-même; mais
rendre digne et capable de former société obéissant aux lois générales qu'il a établies,
avec Dieu. c'est-à-dire, faisant sa volonté, il se sert du
Je n'ai parlé jusqu'à présent que des ministère d'intelligences unies à des corps
communications entre l'intelligence divine pour transmettre sa parole à des intelligen-
et. l'intelligence unie à un corps; car, s'il ces unies à des corps; il éclaire les] uns
plaît au Créateur de l'homme de détacher, pour qu'ils puissent éclairer les autres.
pour ainsi dire, l'âme de l'homme de son Ainsi, dans ses communications avec la so-
corps, et d'anticiper en quelque sorte leur ciété naturelle ou patriarcale, telle que nous
séparation, qui oserait douter qu'il puisse la connaissons par les Livres saints, il se
communiquer avec l'intelligence de l'hom- sert d'esprits célestes revêtus de corps; et
me d'une manière qu'il n'est pas donné à lorsque la société politique est formée, il se
l'homme de connaître? Et ce qui vient à sert d'hommes animés par une intelligence
l'appui de cette observation, est que ces supérieure. Il donne aux premiers un corps
communications, assez fréquentes dans les supérieur à celui de l'homme fit aux
Livres saints, ont lieu dans le sommeil, état seconds, un esprit supérieur à celui de
dans lequel l'âme paraît avoir avec le corps l'homme.
une union moins intime puisque alors elle Mais Dieu, en chargeant des hommes de
a, du moins à ce qu'il nous semble, des vo- la fonction sublime de communiquer aux

système de Locke a fait oublier celui du P. Male- négliger la métaphysique même ou la science de
branche qui avait eu tant de partisans en France l'intelligence.
et même en Angleterre, parmi les meilleurs esprits;
et enfin la physique ou la science des corps a fait
1( Idipsum quod Deus est, quidquid illud est,
corporalitervideri non potest. (S. AuG.)
1
487 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 4SS
.ti'OJ
hommes
hi-immo« de les lîftn-r
trms Ips
Ho tous lieux etat de tmis les
rlfl tous l'homme, donc
rhnmmft.
1'l L'homme existe. S'il existe
dnnn l'homme
temps, ses pensées par la parole ou par l'é- dE êtres appelés hommes qui aient la pensée
des
criture, a dû donner à leurs discours, à leurs et le sentiment les uns des autres, il y a donc
écrits, et à eux-mêmes, un caractère de réunion de sentiments et de pensées, c'est-

divinité qui pût autoriser leur mission. Ce à-dire,
à- d'intelligence entre ces êtres donc
caractère donné à leurs discours et à leurs il y a entre eux communicationd'intelli-
écrits est la connaissance de l'avenir; et le gence.
gc Mais te seul moyen de communica-
caractère donné à leurs personnes est le tion entre des intelligences unies à des
ti<
pouvoir d'interrompre les lois générales corps
ce est'la parole donc il y a parole hu-
des êtres, c'est-à-dire le pouvoir de substi- maine,
m qui n'est que la parole fixée, ou trans-
tuer des lois générales que nous ne con- missible
m et transportable.
naissons pas, aux lois générales que nous J'oserai aller plus loin, et dire Tout ce
connaissons; car l'Etre suprême, ordre et qt est social, ou tout ce qui sert è la con-
qui
intelligence par essence, ne peut agir que servation
se de la société, être nécessaire, est
par des lois. aussi
ai nécessaire, c'est-à-dire, est tel qu'il ne
Or, la connaissance de l'avenir, comme le peut être autrement sans choquer la nature
p(
pouvoir de changer les lois générales con- des êtres. Or, l'écriture sert à la conserva-
d<

nues, sont des caractères également divins. tion de la société des intelligences, puis-
tii
Car la prédiction de ce qui doit arriver est qu'elle
qi fixe, étend et transmet la parole, qui
une création puisque créer est donner est le moyen de communicationentre les in-
es
l'existence à ce qui n'est pas, ou voir ce qui telligences
te donc l'écriture est nécessaire.
n'est pas encore, comme ce qui est actuelle- Mais
M l'écriture fait communiquer les intelli-
ment, ou ce qui n'est pais; et substituer gences
g< entre elles, malgré la distance des
des lois inconnues aux hommes, aux lois lieux et la différence des temps donc les
Iii
qu'ils connaissent, est avoir une connais- intelligences vivent en divers lieux et en
in
sance et une puissancesupérieures à la force divers
di temps donc les intelligences vivent
et aux connaissances de l'homme. Or, cette d'une
d' autre manière ou d'une autre vie que
puissance et cette connaissance de l'avenir celle
cf que nous voyons.
ont été regardées par tous les peuples comme Dieu ne pourrait parler et écrire lui-même,
un attribut essentiel de la Divinité, puis- sans
se cesser d'être une pure intelligence, et
qu'ils ont, dans tous les temps, décerné les sans gêner le libre arbitre de l'homme il

honneurs divins à tous les hommes chez qui fa donc parler et écrire par d'autres hom-
fait
ils ont cru en apercevoir une émanation; et m
mes il autorise donc la mission qu'il leur
par là ils ont hautement déclaré qu'ils re- donne par le caractère dont il les revêt. Si
d<
gardaient l'Etre suprême comme le Créateur la mission est divine, le caractère doit être
de l'univers et l'auteur des lois de la na- divin. Or, Dieu est, comme l'homme, intel-
di
ture. ligence,
H, amour et force; mais il a la pléni-
Ainsi, pour reprendre en peu de mots la tude tl de l'intelligence, de J'amour et de la
série des propositions qui ont conduit à fc force donc il communiquera à ceux qu'il
cette démonstration les hommes pensent à c' chargera d'annoncer ses volontés une partie
Dieu; donc Dieu peut exister. Les hommes di de son intelligence, par le don de prophétie,
dl son amour, par une charité ardente, de
ont le sentiment de Dieu; donc Dieu existe. de
S'il existe une intelligence suprême dont les saSi force, par le pouvoir de suspendre les
hommes intelligents aient la pensée et le lois Jc connues de la nature. Ces hommes ex-
sentiment, il y a donc société d'intelligence traordinaires
tr parleront et écriront la parole
& Dieu, que Dieu ne peut parler ni écrire
entre cette intelligence suprême et l'homme: de lui-même Multifariam,multisque modis olim
donc il y a réunion d'intelligences donc il Il
Deus
& loquens parribus in prophetis. (Hebr.
y a communicationsd'intelligences, donc il volontés de Dieu sont
l> 1.) Et, comme les
y a parole, doncil'y a écriture, qui n'est que i, parole qui les
la parole fixée, ou transmissible et transpor- des volontés immuables, la
table; donc il y a parole divine et écriture exprimera
e sera fixée par l'écriture.
divine. Ce ne sera que pour des développements
Cette démonstration me parait aussi ri- nécessaires
n au perfectionnementde la société
goureuse que le serait la suivante. civile, pour l'établissement de la religion
ci
L'homme pense à l'homme donc l'homme sociale,si que Dieu parlera par un homme
peut exister l'homme a le sentiment de plus p extraordinaire que ceux qui l'auront
a~wvma.,r:~ma. Il. rvu Y. ttC,l..l(üLU:l. L1Y. JI. 490
précédé, et qu'il fixera sa nouvelle
nonvpllfi parole
narnio par
une nouvelle écriture :«Novissimediebusislis
nnn nAm^i.
nements
n *“» At^
futurs ôtërait »“» i-i .i
tout libre arbitre à
l'homme. Ce livre doit contenir l'histoire de
Y
locutus est nobis in Filîo. (Hebr. i, 2.) Et
» cet tout ce que Dieu a fait pour les hommes, et
t<
homme sera, -comme les autres et bien plus
de
d tout ce que Dieu demande des hommes
que les autres, intelligence divine, amour il doit être à la fois l'histoire et le code des
divin, force divine. Ainsi ses oeuvres
auront, sociétés, et il doit convenir à toutes les si-
par-dessus celles de tous les autres hommes,
un caractère de puissance et sa parole
ti s,
tuations de l'homme, et à tous les événe-
aura, ments de la société.
m
par-dessus celle de tous les hommes,
un ca- Je trouve tous ces caractères d'antiquité,
ractère de prophétie..
Dieu ne parlera que rarement; car il
d sublimité, de-sagesse, de prophétie, dans
de
ne ]e livre que le plus étonnant de tous les
le
peut parler sans changer les lois générales peu-
ples
pi a conservé à l'univers, avec une fidélité
qu'il a établies, et sans accompagner sa si inviolable et en même temps si aveugle.
pa-
rôle de signes extérieurs qui puissent
en j'i trouve tout ce que la société a été; et,
J'y
constater la divinité. s'i m'était donné d'en pénétrer les profon-
s'il
C'est cette parole et cette écriture divines
deurs, j'y découvrirais sans doute tout
de
qu'on appelle révélation ou manifestation. Il ce
qu'elle
qu doit devenir. C'est le long entretien
y a donc un livre qui contient la parole de de Dieu avec les hommes, c'est le livre de l'al-
Dieu à l'homme et aux sociétés. Ce livre
liance de Dieu avec les hommes, c'est-à-dire
]ja
doit être le plus ancien de tous les livres, et
de l'alliance de la société religieuse et de la
le plus sublime de tous les écrits il doit
donc avoir été conservé de siècle en siècle,
société
S0( politique, de la religion et du. gou-
avec le soin le plus religieux, et transmis à
vernement
vei Qui fecit utruque unum. (Ephes.
la société avec la fidélité laplus scrupuleuse. nn, 14.)
Ce livre est donc divin. En effet, ce livre
Ce livre doit contenir l'histoire de la société
'<

de Dieu avec l'homme, et de tous ses divers est nécessaire à la conservation de la société
civile, puisqu'il contient le recueil des pré-
civ
états, ou de la religion dans ses différents
âges; et comme la société religieuse et la ceptes
cer donnés aux sociétés, et l'histoire de
leurs
leu développements. Donc il n'est pas fait
société, politique sont unies dans la société
civile, ce livre doit contenir l'histoire des par l'homme, car l'homme, être trop borné,
divers états et des différents âges de la so- ne peut rien faire de nécessaire; donc il est
fait par Dieu; donc il est la parole et l'écri-
ciété civile et comme Dieu est une intelli-
ture de Dieu; donc il est divin.
tur(
gence infinie, qui connaît tout ce qui n'est jJe laisse l'athéisme pâlir, sécher sur quel-
pas encore comme tout ce qui n'est plus, ce
livre doit renfermer l'histoire prophétique ques dates obscures, parce qu'on veut faire
que
accorder l'écriture de Dieu avec l'écriture de
acci
des divers états et des différents âges de la
l'homme, sur quelques faits étonnants, com
.r>n0
société civile, c'est-à-dire, de la société re-
ligieuse et de la société politique et cette me si Dieu ne pouvait que ce que peut
me
l'ho
l'homme; et je poursuis, et l'histoire de la
histoire se développera à mesure que les
soci
société se développe à mes yeux.
événements en fourniront la démonstration,
parce qu'une connaissance parfaite des évé-

LIVRE Il.

CHAPITRE PREMIER. d'abord le corps; bientôt après il forme


SOCIÉTÉS NATURELLE, PHYSIQUE l'âme, pour habiter le corps et en diriger
ET RELIGIEUSE.
les mouvements. Dieu donne à l'homme une
Dieu et l'homme, la famille, la religion
compagne; n'est esclave qu'il lui
naturelle, paraissent à la fois dans l'uni- donne, maisce aide pas un
un semblable à lui c'est la
vers. première société naturelle ou la première
Dieu crée l'univers ou la propriété bien- femille. Elle
tôt après il crée l'homme pour régner est consacrée par Dieu même.
sur L'homme quittera son père et sa mère et il
l'univers et user de la propriété. Dieu forme s'attachera
à sa femme il sera la chair de sa
4Sl
j. j. ,““ !“OEUVRES COMPLETES Dû M.
LlîiS DE

chair, les os»de ses os; ils seront deux dans la *•»*,
même chair (1).
Ue, BONALD.
M. DE BUWALill.
rez point,
re% «n;,i/ et
connaissant
cor
/>/vous
nmis ferez
492
*<>«
dieux,
fiomwie des dîêuJF.
vcr^z comme
le bien et le mal (Gen. m, h] »
La femme naît après l'homme; elle est st et le sujet séduit, mettant l'amour déréglé
l, de soi ou l'orgueil à la place de l'amour de
l'objet de sa tendresse mais elle est sujet,
l'homme est pouvoir. Amour et dépendance ce l'Etre
l'E suprême ose désobéir, c'est-à-dire
(onstituent les relations du pouvoir et du lu substituer
su] au pouvoir général son pouvoir
sujet; amour et crainte, voilà la société ex- s- particulier
pai fruit funeste, qui cause une
térieure ou physique. mort
mc certaine à l'orgueilleux qui ose s'en
Le genre humain sort d'une famille, puis- is- nourrir.
no L'homme, pouvoir de la société ex-
té, térieure,
ter partage la désobéissance du sujet,
que la famille est l'élément de la société, déréglé de son
Croissez, leur dit le Créateur, c'est-à-dire, ej au lieu de la punir l'amour
hommes intelligents, développez les il-
facul- semblable
se l'emporte dans son cœur sur l'a-
«
tés que j'ai mises en vous (2); multipliez, as, mour
mi de l'Etre suprême. L'orgueil avait
c'est-à-dire, hommes physiques, remplissez ez égaré
ég le sujet, la faiblesse perd le monar-
cet univers que je n'ai créé que pour vous.»» que. i. qt
A peine l'homme a-t-il cédé à ses pas-
Dieu comble l'homme de ses dons, mais ais
il met un frein à ses désirs par une défense si
ise sions, que, troublé par la conscience de sa
sévère. Dieu se constituepouvoir, et il cons- as- faute
fa il tremble de rencontrer l'Auteur
'a- de d« son existence, et il se cache de de-
titue l'homme sujet; il lui commande l'a-
la reconnaissance] de ses bien-
>n- vcvant sa face. (Ibid., 8.) Le sentiment de la
mour par s'altère dans l'homme coupable;
faits, et la crainte, par la menace des pei- lei- Divinité
D
)Ur I'j l'amour fait place à la crainte. Adam ne se
nes qui suivront sa désobéissance. Amour à la vue de son Créateur, que parce
dérobe
d(
et crainte, voilà la religion. Créateur de lui.
Dieu n'intime ses ordres qu'à l'homme, ne, qu'ilq ne peut éloigner sonhaine, il en fera
pouvoir de la société naturelle; l'homme les Déjà D il le hait, et dans sa
Dieu a pi-
transmet à la femme. La fonction du pou- ou- un u Dieu barbare et impitoyable
voir est de faire connaitre au sujet la loi, et ti tié de son ouvrage (3). Il reprend l'homme
avec
a bonté il le châtie avec ménagement,
de la lui faire observer.
famille est heureuse, tant l'homme, et
e dans la punition même, il place l'espoir
La que me,
que ddu pardon. Il
lui laisse entrevoir qu'un au-
pouvoir de cette société, reste la place que
à
ordre de choses succédera un jour à Vétat
la nature de cette société lui assigne sii sa fitre lequel la société est tombée.
fait descendre, s'il obéit à celle
elle malheureux dans
faiblesse l'en w

qui il doit commander, il désobéit lui- I


La fable elle-même laisse l'espérance au
à
ène fond de la boîte fatale de laquelle sont sor-
même à celui à qui il doit obéir la scène
fi

change, et alors commence pour l'homme ime tis t tous les maux.
la femme, le pouvoir
voir La bonté de l'Etre suprême se manifeste
comme pour pour
le sujet, un état de peine, dede en
e même temps que sa justice crainte mê-
comme pour lée d'amour, mais d'un amour d'espoir et
misère et de douleur. 1

Quelle leçon donnent à l'univers les sui- d'attente, c est le premier état de la religion
déplorables de la faiblesse du pouvoir ir et de
<
l'unité de Dieu. Dieu annonce à l'homme
tes l'état futur de
de l'orgueil du sujet! C'est en faisant bril- )ril- un i changement heureux dans
la société; développement et perfectionne-
1er aux yeux de la partie faible de la so-
1

de la liberté
té et ment qui caractérisent la constitution reli-
ciété les lueurs trompeuses i
la société politique.
de l'égalité, qu'un génie malfaisant la sôu- gieuse
i comme
Le Créateur oblige l'homme au travail de
lève contre l'autorité légitime. « La défense 3nse
qui vous est faite, » lui dit-il, « ne gêne votre otre 'la 1 terre c'est à ce prix que l'homme ac-
propriété il condamne la
liberté que pour vous empêcher d'aspirer er à quiert le droit de douleur c'est à ce
l'égalité avec votre Créateur Yous ne mour- our- femme à enfanter avec
l i ) Geu. n, 24. Ce n'est pas sans doutepoliti-
religieux
ces paroles que les législateurs du divorceou de la
dans
.oliti-
seebal sapientia. (Luc. h, 40.)
“•
( 3 ) Ce n'est que chez le sectateur de l'idolatne
publique ou cacbée, que la crainte de Dieu peut
ques ont trouvé la justification ou
être sans amour, ou haine; car le sectateur du mo-
polygamie. nothéisme constitué, ou de la religion du rédempteur
P° T2 ) Ou les deux expressions, Croissez et
iulli-
Multi-
promis ou donné, ne peut avoir une crainte sans
pliez (Gen. 28) signittt-nt la même chose, et ilTex- ne une crainte sans es-
peut y avoir rien d'inutile dans. l'Ecriture, ou 1 ex- amour, puisqu'il ne peut avoir
poir. La crainte de l'un est celle de l'esclave, la
pression croissez a le sens que je lui donne ett c'est crainte de loutre eôt celle de l'eufant.
au.si dans ce sens qu'il est dit de Jesus-Chnstdans dans
l'Evangile Venfanl croissait en sagesse. « Puerr exe- cxe-
prix qu'elle acquiert dans la famille les tait un culte,' mais ce n'était pas une
reli-
droits de la maternité. gion et l' Etre suprême, amour par essence,
Malheureuse par la faiblesse du pouvoir veut la religion qui est culte, et rejette le
et par l'orgueil du sujet, la société ne con- culte qui n'est pas religion.
naissant que trop le bien de son état passé, Dieu distingue la religion d'Abel aver
et le mal de sa position présente, s'éloi- cuite, du culte sans
religion de Caïn. La
le juste et le mé-
gne, à la voix du Créateur, du séjour guerre commence entre des so-
de délices qu'elle avait habité jusqu'à sa chant, et elle durera jusqu'à la fin
désobéissance c'est la première révolution, ciétés. Les bons voudront conserver la so-
et elle a les mêmes causes qu'auront à l'a- ciété en défendant son pouvoir général con-
venir toutes les autres, la faiblesse et l'or- servateur les méchants voudront la dé-
gueil. truire, ou faire prévaloir leur pouvoir parti-
plus
Les faits décrits par l'écrivain sacré sont culier. Mais jamais les haines ne seront
réels, mais prophétiques et je lis, dans les actives, ni les fureurs pi us sanglantes, que
détails qu'ils me présentent, la cause des lorsqu'à l'ambition d'établir son pouvoir
désordres futurs des sociétés et des malheurs particulier daii&la société politique, l'homme
de l'espèce humaine. joindra l'ambition de faire dominer son
Cette prophétie sublime, que tant d'évé- pouvoir particulier où ses opinions dans la
fanatisme se
nements ont justifiée, est à mes yeux une société religieuse, lorsque le
la cupidité. Alors on verra les
preuve irrésistible de la divinité des Livres joindra à
saints. plus grands désordres qui puissent affliger
Avec l'homme commence la religion la société, parce
qu'il s'agira des plus grands
intérêts qui puissent occuper les hommes.
avec la religion commence le sacrifice. Les
philosophes veulent que la religion natu- Malheur à la société livrée au double fléau
turelle ou la religion de la famille soit pu- de l'ambition et du fanatisme 1.
rement intérieure c'est une erreur gros- Le fanatisme verse le premier sang que la
jaloux de la pré-
sière ou un sophisme évident la religion terre ait vu répandre. Caïn,
donnée par Dieu même au sacrifiée
est amour, l'amour est action, l'action de férence
l'amour est le sacrifice. de son frère, l'immole à sa jalousie. Le der-
Le sacrifice, avons-nous dit, c'est le don nier meurtre
qui souillera la terre, comme
le premier qui l'ensanglanta, ne peut être
que l'objet qui aime fait de lui-même à l'ob- qu'un fratricide.
jet aimé.
Comme la société naturelle est un homme Dieu avait parlé à l'homme, pour consa-
qui forme la société naturelle,
et une propriété, le sacrifice était le don de crer l'union le travail qui la perpétue il
l'homme et le don de la propriété. On voit pour ordonner
condamner les crimes
naître la distinction bien marquée de la re- lui parle encore pour
ligion avec sacrifice, et de la religion sans qui la détruisent.
sacrifice de la religion de sentiment, et de Qu'as-tu fait?- crie au meurtrier cette voix
la religion d'opinion; de la religion du puissante et terrible qui se fait entendre au
l'assassin; la voix du sang d'e ton
cœur, et de la religion de l'esprit, de la phi- cœur de
losophie. frère crie de la terre jusqu'à moi tu seras
cultiveras en vain
Abel, homme juste, choisit ce qu'il a de maudit sur la terre; tu la
y trouver un asile et,
plus beau dans ses fruits et ses troupeaux, tu la parcourras, sans s'attache
le remords à ses pas; la
et l'offre au Seigneur. Il joint les disposi- dès lors, lui le sceau de l'homi-
tions du cœur, ou le don de l'homme mo- frayeur habite avec il croit, dans
ral, aux présents de l'homme physique. cide s'empreint sur son front homme y lira son
Aussi l'Ecriture ne dit pas que le Seigneur- ses terreurs, que tout
être le vengeur. Le
regarde favorablement les présents d'Abel, crime et voudra en
il n'a pas conféré à fa
mais qu'il regarde favorablement Abel et Créateur le rassure
société naturelle le droit de glaive; ce droit
ses présents. qu'à la société politique qui
Cdïn, homme sombre et farouche, offrait n'appartient
Le père ne peut pas ré.
à Dieu les mêmes présents en apparence, s'existe pas encore.
mais le don de l'homme n'accompagnaitpas pandre le sang de son fils, venger un
ni crime
le don de la propriété. La religion do Caïn par un crime plus
grand. Cette loi mons-
d'ôter
etait extérieure comme celle d'Abel, mais trueuse, qui donne au père le droit
elle n'était pas sacrifice comme le sien. C'é- la vie à son fils, et qui détruit la
société na-
turelle pour conserver la société politique, e, sée de son crime, Lamech dévoile à sa famille
cette loi est émanée de la volonté particu- u- cet horrible mystère; dans sa frayeur, il
lière de l'homme, et non de la volonté gé-
nérale de la société. Dieu se réserve à lui-
:é- désespère du pardon de son crime, et^ il
li- éternise le châtiment. J'ai tué deur'hom-
en
même le châtiment de Caïn, et déclare qu'il 'il mes, dit-il, dans un accès de jalousie maè
punira le meurtrier de Caïn plus que Caïn ïn j'en serai puni septante fois sept fois. (Gen.
même. iv, 23, 1k.) On sait que.ce nombre se prend,
L'édifice de la société se dessine, et j'en
;n dans l'Ecriture, pour un nombre infini et
aperçois les fondements. Je reconnais, dans fis c'est dans ce sens que le divin fondateur du
le sacrifice religieux, la loi fondamentale de
le christianisme dit qu'il faut pardonner à son
la religion publique; dans la supériorité de le ennemi septante fois sept fois (Matth. xvm,
l'homme. sur sa famille, la loi fondamentale le 22) quelques versets plus bas, M est dit
de l'unité de pouvoir: je vois commencer ^r qu'Hénoch, homme juste, ne meurt pas.
les lois civiles dans le droit de propriété ac-
c-
quis et consacré par l'obligation du travail il CHAPITRE II.
imposé à l'homme, et les lois criminelles JS FORMATION DES SOCIÉTÉS POLITIQUES.
dans la défense faite à l'homme de la famille,
*J
ou à l'homme naturel de venger le crime le Les hommes se multiplient, et les pas-
commis sur l'homme. La société naturelle le sions se multiplient avec les hommes l'or-
ne peut avoir de distinctions sociales ou de le gueil et la volupté, c'est-à-dire l'amour dé-
force publique là où il n'y a qu'un homme, »,
réglé de soi ou la passion de dominer, atti-
il est le pouvoir, il est la force, il est tout,
t, rent sur l'espèce humaine le châtiment épou-
parce qu'il est seul. vantable attesté à la fois par l'inistoire, par
Mais dans la religion naturelle, Dieu est lee la fable, et par l'état présent du globe. L'a-
pouvoir, l'homme est l'agent de ee pouvoir r mour déréglé de soi sera dans tous les
ou la force H est le ministre du sacrifice, lee temps la seule cause des révolutions de la
prêtre de la religion raison pour laquelle,(, société et des désastres du genre humain.
dans l'enfance des sociétés politiques, le
sacerdoce était toujours uni à la royauté.
e La société physique oujdes corps recom-
mence, comme elle avait commencé, par une
Dans ce tableau si vrai, si animé, je voiss famille. Cette famille
conserve le dépôt de
le développement progressif de la sociétéé la religion d'amour, et à peine descendue
ou de l'homme social, l'accomplissementdut sur cette terre bouleversée par les eaux
précepte donné au premier homme Crois- elle offre au Seigneur
un sacrifice qu'il
sez. Enos enseigne aux hommes à invoquerr agrée, parce que le don de l'homme se joint
le nom du Seigneur par un culte public ett au don de la propriété. Croissez et multi-
avec de certaines cérémonies Tubalcaïn en- pliez (Gen, i» 28), dit encore l'Etre suprême,
r
seigne aux hommes à fondre et à travailler qui dans une famille a conservé le
les métaux c'est le premier et le plus né- humain, comme il l'avait produit dans
genre
une
t
l
cessaire de tous les arts, puisqu'il fournit famille.
les instruments de tous les autres Jabel La terre se repeuple, les hommes et les
perfectionne l'agriculture avec lesarts uti- passions naissent à la fois la guerre des
les qui conservent 1$ société, naissent lesy bons et des méchants, cette guerre née
avec
arts agréables qui l'embellissent; Juhal dé- la société, devient plus active à mesure que
couvre l'art de varier les sons, et sans doutei le genre humain est plus nombreux et les
d'y adapter des paroles, car la poésie a dû hommes plus rapprochés.
naître aussitôt que ta musique. La fable at- Pour reproduire le genre humain, il est `
teste toutes ces vérités par ses fictions, inévitable
l'histoire que les familles se rapprochent;
comme par ses monuments, et la pour conserver les familles, il est nécessaire
tradition par ses souvenirs.
On aperçoit chez les premiers hommes la les que les sociétés se forment c'est-à-dire que
familles particulières formeront, en se
croyance de peines éternelles pour le crime, rapprochant, de petites sociétés, et
de récompenses éternelles pour la vertu. ] que les
sociétés formeront, en se distinguant, de
Un des pères du genre humain avait dé- grandes familles. Mais comment réunir
f en
robe un meurtre à la connaissancedes hom- isociété, et pour leur conservation mutuelle,
mes mais il n'avait pu échapper à ses re- des < familles d'hommes également animés de
mords ni à ses terreurs. Troublé de la pen- la 1 passjon de dominer? comment séparer
distinguer les sociétés, sans les fixer dans encore constitué, c'est-à-dire défendu
et li-
un territoire déterminé? et comment fixer mité, il se sert de la force
;les sociétés chez des hommes pour satisfaire ses
que le goût passions. La force qui ne doit être que
de l'indépendance, si puissant sur le
cœur l'action du pouvoir général de la société,
de l'homme naturel, les habitudes ou les be- devient l'instrument
du pouvoir particulier
soins de la vie pastorale favorisés par la de l'homme. Ce
pouvoir est ambition chez
constantebeauté du climat, invitaient à voya- l'homme fort, volupté chez l'homme faible;
ger sans cesse, et qui, pour se déplacer, mais sous tous ces rapports il est égale-
n'avaient qu'à lever leur tente et suivre ment
leurs troupeaux? Comment dire aux uns oppresseur, parce qu'il est toujours
amour déréglé de soi ou passion de domi-
Vous vous fixerez ici, et aux autres,vous de-
ner. Les hommes soumis à ce pouvoir parti-
meurerez là? Quelles montagnes, quels fleu- <culier partagent les passions qui les oppri-
ves auraient pu arrêter leur humeur vaga- ment tyrans de leurs semblables, esclaves
honde ? Dieu, volonté générale, conserva- eux-mêmes
et toujours malheureux, soit
trice des sociétés humaines, attachera, pour qu'ils < soient, l'instrument de l'oppression
ainsi dire, la glèbe des diverses sociétés \i ou < qu'ils en soient le sujet, ils ne voient
rendra un peuple serf du pays qu'il habite dans
< la nature qu'oppression et que mal-
il tracera, entre les sociétés diverses, des li- heur. 1 Le sentiment consolateur d'une Divi-
mites que l'homme tentera en vain de ren- nité r bienfaisante s'altère mais il ne peut
verser. Déjà les sociétés ne s'entendent plus s'effacer
s du milieu de la société; la religion
entre elles; je vois naître la diversité des se s corrompt,, mais le culte ne peut se dé-
langues, puissant moyen de réunion entre truire. t La religion était amour et crainte
les familles de séparation entre les socié- l'amour 1
sans crainte ou l'amour profane de
tés. J'ai remarqué ailleurs qu'aujourd'hui, l'homme, 1 la crainte sans amour ou la haine
comme alors, la diversité des langues a été de d Dieu font les dieux et ces nouveaux
le plus grand obstacle h l'achèvement de l'ou- dieux d demandent un nouveau culte la vo-
vrage de l'impiété et de l'orgueil; et j'ajoute- lupté
1 leur donne un sexe, la haine leur prête
rai ici que le parti philosophique, pour con- ses s fureurs; les premières divinités sont des
duire son œuvre à sa perfection, cherchait déesses
d impures et des dieux altérés de
1
autant qu'il le pouvait, à faire disparaître la sang. s, Les sacrifices qu'on leur offre sont la
diversité des langues, en répandant en Eu- prostitutionp et le meurtre; et remarquez que
rope le goût de la langue de la société dans la le prostitution
comme le meurtre sont éga-
laquelle son œuvre était le plus avancée. lement 1< le don de l'homme.
Chaque peuple doit conserver sa langue, On ne peut en douter aujourd'hui
parce que toute langue suffit aux besoins reyolution que la
ri française a ramené une nation à
du peuple qui la parle, et qu'elle peut se l'état 1' barbare et sauvage des sociétés pri-
perfectionner avec sa constitution.
Il est impossible la mitives.
n
raison humaine d'ex- l'idolâtrie,
pliquer le phénomène de la diversité des
{•
Ce fut le despotisme qui produisit
ce furent les passions qui défigu-
langues; et si la philosophie prétend, contre
rèrent
ri la religion. Lorsque le pouvoir géné-
toute vraisemblance, que toutes les langues p, n de la société a fait place en France au?
ral
sont dérivées d'une seule, elle remonte à un di pouvoir particulier la plus oppresseur, des;
déesses impudiques, des dieux anthropopha-
seul peuple, elle remonte à une seule fa-
mille, elle-remonte à la création. g( sont exposés à la vénération des peu-
ges
ples.
p]
Quand le genre humain est divisé en so- O honte éternelle de l'humanité 1 au sein
ciétés, il s'élève au milieu d'elles des
pou- dedf la société religieuse la plus éclairée et
voirs car nulle société ne peut exister sans
d( la société politique la plus policée,
de
pouvoir, parce que l'homme ne peut exister on a
vu
Vi renaître l'idolâtrie et ses impures et.
sans un amour. cruelles extravagances;la raisonde l'homme
L'homme devenu pouvoir dans la société cr
personnifiée
pe par de viles courtisanes sa
extérieure, aux passions de l'homme joint force fo personnifiée par des hommes abomina-
les moyens du pouvoir, c'est-à-dire la force; bles bl
et dans les sociétés où le pouvoir n'était pas lire
( 1) ont obtenu d'un peuple en dé-

phages.
lit les hommages que Minerve et Mars
re.
( 1 ) On a rendu, dans plusieurs lieux, à Marat baptisé
ba
et Robespierre tes honneur. que tous les peuples
à des enfants .au nom de ces deux amhropo-
dIi
se sont accordés à ne rendre qu'à la Divinité on
a
499 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 500
Athènes d'un peuple idolâtre; ett
cevaient à Athènes social. Tout sacrifice social est le don de
il est affreux de penser que si cette orgiee l'homme, et le don ou l'offrande de la pro-
d'assassms et de bacchantes, appelée gou- priété parce que la société n'est composée
vernement révolutionnaire, eût pu subsis- que d'hommes et de propriétés, comme l'u-
ter, la société, aux affections de laquelle ilil nivers lui-même n'est que l'assemblage des
faut des objets sensibles, abrutie par le mal-l- substances spirituelles et matérielles.
heur et l'oppression, exaspérée par la guer- La société naturelle se développe un ins-
développe
re, premier besoin de ce gouvernement dé- tant, et la religion naturelle se
vastateur, aurait décerné à des monstres lee avec elle. La société naturelle du plus saint
culte public que la Grèce décerna aux héros \s des patriarchesdevient momentanément une
qui l'avaient délivrée de ceux qui l'infes- société politique la religion naturelle de-
taient. Les familles proscrites auraient dis- •- vient en même temps et pour le même temps,
paru de dessus la terre le silence et le tom- î- une religion publique et dans cet événe-
beau, seuls confidents de leurs malheurs, ment, on peut lire l'annonce et l'état futur
les auraient dérobées à la mémoire des hom- i- de la société civile.
mes de nouvelles générations se seraientH La religion du premier homme, après sa
élevées dans l'erreur et la férocité le temps,s, chute, était une religion d'espoir et d'at-
qui jette un voile sur les crimes comme sur ir tente. Les promesses deviennent plus posi-
c'est-à-
les vertus n'aurait laissé percer que l'au- t- tives l'espoir devient plus motivé,
dace de l'entreprise et l'éclat du succès; et la dire que dans cette religion de crainte et
postérité abusée aurait mis peut être les as d'amour, la crainte, peu à peu, fait place à
bourreaux, de tant d'innocentes victimes au u l'amour. Le Créateur avait annoncé au pre-
rang des bienfaiteurs de l'humanité (1). mier homme, d'une manière enveloppée
que sa postérité triompherait de l'esprit
CHAPITRE III séducteur qui avait été la cause de sa chute;
il daigne révéler au plus saint des patriar-
DÉVELOPPEMENT DE LA SOCIÉTÉ NATURELLE ET ST
ches, que tous les peuples de la terre seront
DE LA SOCIÉTÉ RELIGIEUSE.
bénis dans sa postérité. (Gen. xxii, 18.)
La religion du premier homme, ou Jla re- 3- J'ai dit que la famille dont Abraham était
ligion primitive, s'était conservée dans..la la le chef, était devenue une véritable société
société naturelle de quelques familles, qui, li, politique.
dans la pratique de toutes les vertus et 1° Elle passe de l'état errant d'une société
é- naturelle à l'état stable et fixe d'une société
l'exercice de la vie pastorale, vivaient indé-
pendantes de toute société- politique. C'é- è- politique. Abraham, pour prévenir les con-
tait la même religion, c'était le même sa- a- testations qui s'élevaient entre ses pasteurs
ar et ceux de son frère, lui propose de se sé-
crifice. La société naturelle était formée par
l'homme et sa propriété l'homme s'offrait tit parer et de se fixer chacun dans un tesri-
donc lui-même et il offrait sa propriété, 5, toire déterminé. Il demeura, dit l'Ecriture,
c'est-à-dire que, dans la religion d'un Dieu,u, dans la terre de Chanaan. (Gen. mi, 12.
l'homme moral s offrait lui-même au Dieu ;u 2° 11 fait alliance avec ses voisins. Trois
de l'intelligence et du cœur, par l'aveu de le chefs Amorrhéens avaient fait alliance avec
sa dépendance et la conformité de ses dis- s- Abraham. (Gen. xiv.)
positions à la volonté de son Créateur, et 3° 11 fait la guerre pour un sujet légitime
que, dans la religion de plusieurs dieux, x, car ayant appris que son frère avait été aWa-
l'homme physique s'offrait lui-même aux jx qu6 et fait prisonnier, il choisit les plus bra-
dieux des sens, en lui sacrifiant ses pro- 0- ves de ses serviteurs, il forma deux corps dv
pres enfants par la prostitution ou par le ses gens et de ses alliés, et, venant fondre sur
meurtre. j lesrois ennemis, il les défit. (Gen. xiv 14,
Je reviendrai sans cesse sur cette vérité,è, 15.) Ainsi je vois dans cette société 1° éta-
parce qu'elle nous conduira à des dévelop- p- blissement stable dans un territoire déter-
pements que le lecteur peut déjà pressentir.
ir. miné 2° droit de paix et de guerre; 3° pou-
II n'y a pas de religion sociale sans sacrifice
ce voir général qui dirige la force publique;

( 1 ) C'est un des bienfaits de l'art de l'imprime-


le- l'établissement de toutes les démocraties les mêmes
rie qu'à l'avenir on sache à quoi s'en tenir sur les motifs, les mêmes moyens tt quelquefois les même*
révolutions si nous avions les Hémoires de toutes i«'s forfuiis.-
celles qu'il y a en dans l'univers, nous venions dans
ns
k" distinctions sociales ou profession consa- tateurs veulent que ce soit lui-même en sorte
crée à la défense de la société, puisqu'A- que dans.leur sens le même pontife qui an-
braham choisit et distingue ceux qui défen- nonce dès lors au Père des croyants l'union fu-
dent, de ceux qui doivent être défendus. J'y turede la société politique et de la société reli-
vois donc tous les caractères d'une vérita- gieuse, serait le même que celui qui, dans la
ble société politique. Et qu'on ne dise pas suite des temps, a consommé cette alliance-
qu'Abraham, vivant en société naturelle, ne Le caractère essentiel de la société reli
faisait qu'user du droit naturel de repous- gieuse constituée, le don de l'homme, se re-
ser l'agression puisqu'il ne prend pas les trouve encore dans la société dont Abraham
armes pour se défendre lui-même, mais est le chef. Le Seigneur lui commande de
pour défendre son frère séparé de lui en- lui immoler son fils unique, le seul espoir
core moins pour s'enrichir, puisqu'il jure de sa vieillesse, et l'ojet des promesses fai-
qu'il ne prendra pas un fil de tout ce qui a tes à sa postérité. Le patriarche obéit mais
appartenu aux ennemis. (Ibid., 23.) le Seigneur se contente des dispositions du
Mais, et ce fait est digne d'une sérieuse cœur, c'est-à-dire du don de l'homme moral,
considération, dès que la société politique seule manière de faire le don de l'homme
se constitue, j'aperçois la société religieuse dans la société naturelle, qui fût agréable à
constituée ou la religion publique, et le sa- l'Etre suprême. Il fait alliance avec Abraham,
cerdoce paraît distingué de la royauté. Lors- et il jette ainsi les fondements de la société
qu'Abraham exerce dans une guerre légi- civile, ou de l'accord'futur de la véritable
time les fonctions de pouvoir de la société religion et du véritable gouvernement.
politique, Melchisédech, roi de Salem, ou, Ce ne sont point là des interprétations mys-
suivant la force du mot hébreu, pouvoir de tiques, fruit d'une imagination exaltée, ou
justice et de paix, offrant le pain et le vin, des allégoriespieuses fondées sur des rappro-
parce qu'il était prêtre du Très-Haut, bénit chements ingénieux. C'est le propre texte
Abraham revenant de la poursuite des rois des Livres saints et l'existence de César ou
vaincus, et Abraham lui donne la dîme du d' Alexandre est bien moins constatée que
butin qu'il avait fait (Ibid., 18-20), c'est- l'existence d'Abraham, que les monuments
à-dire que la religion, qui est justice et paix, les moins suspects, que des preuves vi-
consacre l'action du pouvoir politique qui vantes rendent contemporaine de tous les
s'exerce par la force dans une guerre légi- âges.
time, et que le pouvoir politique assure, par 1° Dieu fait alliance avec Abraham, et le
le don de la propriété, l'indépendance,c'est- sceau de cette alliance n'est pas encore brisé.
à-dire la perpétuité du culte public. Pour séparer la famille d'Abraham, qu'il
La société politique ou la société de destinait à former son peuple, des familles
force et de guerre, la société religieuse et des peuples des autres dieux, il lui im-
ou la société de justice et de paix, s'unis- pose et à tous ses descendants la doulou-
sent un instant et forment la société ci- reuse et humiliante pratique de la circonci-
vile mais les temps n'étaient pas ve- sion; et les descendants d'Abraham, partout
nus où, la véritable royauté devait s'unir errants, partout dispersés, l'observent en-
au véritable sacerdoce, pour former la véri-• core avec une religieuse fidélité.
table société civile le voile qui la tient ca- 2° Dieu annonce à Abraham qu'il sera le
chée s'entr'ouvre un instant, et se referme» père d'un grand peuple, qui égalera en nom-
aussitôt. Melchisédech ou le pontife dui bre les étoiles du ciel et les sables de la mer
Très-Haut, se montre une fois et disparaîtt [Gen. xxh, 17); et sans parler de la posté-
pour toujours. 11 n'est plus parlé de lui dans5 rité spirituelle de ce patriarche ou des Chré-
le livre de l'ancienne alliance ou de l'an- tiens, sapostérité naturelle, répandue en
cienne société; mais dans celui de la nou- Orient par les Arabes, et dans l'univers en-
velle, il est dit que ce pontife, qui offrait le3 tier par les Juifs, s'accroît sous nos yeux
sacrifice de la propriété, le pain et le vin, dans une progression incalculable.
ce pontife, sans père ni mère, sans généalo- 3° L'ange du Seigneur, en promettant à
gie, dont les jours n'avaientpasde commence- Agar que la postérité d;lsmaël, qu'elle avait
ment et dont la vie n'a point de fin, est eni eu d'Abraham, se multiplierait prodigieuse-
cela parfaitement semblable au pontife de laî ment, trace d'une manière sublime le carac-
nouvelle alliance, c'est-à-dire au fondateurr tère inquiet, agresseur et turbulent de l'A-
de la nouvelle société. Quelques commen- rabe descendu d'Ismaëi. « Ce sera un homme
VV~
fier et sauvage; il lèvera la main contre tous,i, bienfait
b de la société civile par l'accord de
et tous lèveront la main contre lui, et il1 la l, religion de l'unité de Dieu avec le
dressera ses pavillons à l'oppositè de touss vernement de l'unité de pouvoir gou-
v gouverne-
ses frères. » Les Arabes comme les Juifs see ment
n qui conserve l'homme pbysique-intel-
reconnaissent pour issus d'Abraham, et laa ligent li dans sa liberté, par l'amour et la
mémoire de ce patriarche est en grande vé- craintec du pouvoir général de la société po-
nération dans tout l'Orient. litique,
jj qui est le monarque; comme la re-
4° Dieu promet à Abraham que toutes les ligion
t li conserve l'homme intelligent-physi-
nations de la terre seront bénies en lui (Gen. queq dans sa perfection ou sa liberté, par l'a-
xxii, 18) ;et c'est d'Abraham qu'estissu celuii mour
n et la crainte du pouvoir général de la
qui a répandu sa bénédiction sur toutes les> société
S( religieuse, qui est Dieu.
nations, en les appelant toutes à jouir du

111.
LIVRE

CHAPITRE PREMIER. les bons sont presque toujours coupables de


faiblesse, comme les méchants d'égarement. Je
RELIGION JUDAÏQUE, reviens aux Juifs; « Moïse, » dit Rousseau,
La postérité d'Abraham, longtemps es- « osa faire de cette troupe errante et servile
un corps politique, un peuple libre; et, tandis
clave en Egypte, avait contracté, chez lee
qu'elle errait dans les déserts, sans avoir
plus superstitieux de tous les peuples, un3
penchant à l'idolâtrie que des traditions ett une pierre où reposer sa tête, il lui donnait
des souvenirs ne pouvaient plus réprimer. cette institution durable à l'épreuve du
grand Dieu,» ditBossuet, «ne voulaitt temps, de la fortune et des conquérants,
« Ce
pas abandonner plus longtemps à la seule que cinq mille ans n'ont pu détruire ni
mémoire des hommes le mystère de sa reli- même altérer, et qui subsiste encore aujour-
d'hui dans toute sa force, lors même que le
gion et de son alliance; il était temps de
corps de la nation ne subsiste plus. »
donner de plus fortes barrières à l'idolâtrie
qui inondait tout le genre humain, et ache-
Philosophe lu te prends par tes propres
aveux les institutions de l'homme ne peu-
vait d'y éteindre les restes de la lumière na- vent pas être durables; cet être faiblè et pé-
turelle. » rissable ne peut faire un ouvrage à l'épreuve
Pourquoi, demande t'homme présomp- du temps, de.la fortune et des conquérants.
tueux, Dieu avait-il laissé éteindre, parmi L'ouvrier ne peut donner à son ouvrage un
les nations, la connaissance de son unité, caractère de durée et d'immortalité qu'il n'a
puisque cette connaissance était nécessaire pas lui-même. Si le législateur des Hébreux
à leur bonheur? L'homme a le choix du bien n'est qu'un sage, il est donc le seul sage qui
et du mal, ou le libre arbitre, puisqu'il est ait paru dans l'univers; puisque nous ne
intelligent ce n'est même que parce qu'il voyons chez aucun autre peuple une consti-
est intelligent qu'il est semblable à Dieu, et tution durable, à l'épreuve du temps, de la
qu'il est digne et capable d'être en société fortune et des conquérants. La plus forte
avec Dieu; mais il est puni du mauvais preuve que la constitution judaïque n'est
usage qu'il fait de son libre arbitre, par l'af- pas l'ouvrage de l'homme, est qu'elle ne
faiblissement de son intelligence. On dira convient pas à tous les hommes, et qu'en
sans doute que, dans une société idolâtre, même temps qu'elle est inaltérable chez un
tous étaient punis et tous n'étaient pas cou- peuple, elle est impraticable chez les au-
pables; mais, outre que Dieu pouvait main- tres (1).
tenir la foi de son unité dans quelques fa- Dieu même avait éclairé l'esprit, avait
mi41es de justes, au milieu même des ténè- surtout échauffé le cœur de Moïse; c'est-à-
bres de l'idolâtrie, comme on peut le conjec- dire que, lui ayant donné une intelligence
turer de l'histoire de Job, il faut prendre plus capable de comprendre, un cœur plus
garde que, dans une révolution. religieuse ou capable d'aimer, des sens plus capables d'a-
politique, nul presque n'est innocent, et que
presque nest gir, il lui avait ménagé dans l'éducation la
( ) 9.V'0ljne m'oppose pas Lycurgiie et ses institutions, car je demanderai qu'on me montre le
j) uple qa ila forme.
v
plus soignée, et dans les autres circonstan- multiplier les dieux; le Dieu jaloux lui dé-
ces de ses premières années, les moyens de fend expressément d'adorer les dieux étran-
perfectionner ses facultés, et de se rendre gers, de se faire aucune figure taillée, au-
propre aux grands desseins de Dieu sur lui. cune image de la Divinité, ni de la repré-
C'est ainsi que l'Etre suprême éclaire Yes- senter sous la ressemblance d'aucun corps
prit, échauffe le cœur, fortifie même les sens animé ou inanimé.
des hommes extraordinaires, auxquels il L'intelligence pure se manifeste aux sens
donne la mission sublime de former ou de par la parole, mais elle ne veut
pas encore
rétablir les sociétés. Moïse devient donc le se peindre aux yeux. Elle est sensible, mais
législateur du peuple juif c'est-à-dire que. elle ne veut pas être visible chez un peuple
Dieu se sert de ce grand homme, pour, par- porté à n'adorer quedes dieux qu'il puisse
ler et écrire sa parole; et il renferme, dans voir.
dix commandementsou préceptes, les pre- Dieu interdit aux Juifs d'adorer de faut'(
miers principes du culte de Dieu, et de la so- dieux. Non adorabis neque coles (Ibid., 15)
ciété humaine. Remarquez que Bossuet, de et il distingue ainsi l'adoration du culte. En
qui sont ces paroles, joint ici la société po- défendant à son peuple de se faire des figu-
litique à la société religieuse. res taillées, ou des représentations visibles
Avant, d'aaalyser ce code célèbre, le type de la Divinité, Dieu emploie ces paroles re-
de tous les codes, je dois faire une observa- marquables Je punirai les iniquités des
tion importante. A l'instant que le peuple pères sur les en fants, jusqu'à la troisième et
juif sortait de l'Egypte, et qu'il allait entrer quatrième génération dans tous ceux qui
il
dans la terre dont devait faire la conquête, haïssent (Ibid.); preuve évidente que l'ido-
me
c'est-à-dire lorsqu'il dépose les chaînes de lâtrie est une religion de haine, ou de crainte
l'esclavage, pour s'élever à la dignité d'un sans amour.
peuple indépendant et d'une société exté- Dieu menace de punir jusqu'à la troisième
rieure,-Moïse ordonne aux Juifs, au nom et quatrième génération les iniquités de
'du Seigneur, de lui consacrer tous les pre- ceux qui le haïssent il promet de fair*
miers-nés mâles; et, en établissant une dis- miséricorde, jusqu'à mille générations, à
ceux
tinction aussi marquée entre l'aîné et ses qui l'aiment et gardent ses préceptes. (Ibid.,
frères, il constitue la famille comme le seul 6.) Après la défense que Dieu vient de faire,
et véritable élément de la société extérieure de fabriquer et d'adorer de faux dieux, on
et politique. ne peut entendre par ceux qui Je haïssent,
Dieu se place lui-même à la tête du code que les idolâtres, sectateurs de la religion
qu'il donne aux sociétés. Je suis le Seigneur de haine, et par ceux qui l'aiment, que les
votre Dieu (Exod. xx, 2), dit-il; sublime sectateurs fidèles de la religion de l'unité
préambule de la loi la plus auguste qui fut de Dieu, religion d'amour.
jamais 1 Moïse n'ordonne pas au peuple de Dieu lui-même établit entre eux une dif-
croire l'existence de Dieu; il n'en fait pas férence remarquable. Il borne au nombre
un décret c'est un fait indépendant de la déterminé de trois ou quatre générations la
croyance des -hommes; Dieu si j'ose le punition de l'idolâtrie, c'est-à-dire la durée
dire, expose son titre et se réserve de le de l'idolâtrie, ce qui annonceque la religion
prouver. publique du polythéisme ne peut avoir
Je suis le Seigneur votre Dieu qui vous ai qu'un temps et qu'elle doit prendre fin, au
tirés de l'Egypte, de la maison de servitude lieu qu'il étend au. nombre infini de mille
(Ibid.) parce que la liberté religieuse ne générations sa miséricorde envers ceux qui
peut exister que dans la religion constituée l'aiment, c'est-à-dire la conservation de la
de l'unité de Dieu, comme la liberté poli- religion de son unité.
tique n'existe que dans la monarchie eons- Dieu a proscrit le polythéisme;il condamne
tituée, et que la liberté religieuse et polili- l'athéisme qui est l'excès opposé. Vous ne
que consiste, pour la société comme pour prendrez point le nom du Seigneur en vain
l'homme, à obéir aux lois religieuses et po- (Ibid. 1), e'est-à-dire, vous ne regarderez pas
litiques, ou aux rapports nécessaires dé- la Divinité comme si elle n'existait pas.
rivés de la nature des êtres intelligents et L'interprétation différente qu'on peut don-
physiques. ner à ce passage rentre au fond dans celle
Ce n'est pas assez d'établir le principe de que je donne car jurer à faux le nom de
<
l'unité de Dieu chez ce peuple si porté à JDieu est nier tacitement son existence.
Dieu a établi la religion intérieure ou commence un nouvel ordre de lois et un
l'adoration, il établit la religion extérieures autre genre de récompenses.
ou le culte. Souvenez-vous de sanctifier le Ce n'est pas sans des motifs profonds, que
jour du sabbat {lbid., 8); et comme la reli- le Législateur suprême, au lieu de dire en
gion, aussi ancienne que l'homme, se lie, général d'honorer ses parents, désigne sé-
dans tous ses préceptes,à quelque motif tiré5 parément le père et la mère, et les distingue
de la nature de l'homme, le culte, aussi an- l'un de l'autre.
cien que la société, se lie, danstoutes sespra- L'homme est le pouvoir de la société po-
tiques, à quelque époque de l'histoire et de lai litique; la mère désigne plus particulière-
nature delà société. Dieu rappelle à son peu- ment la société naturelle ou la famille.
ple, qu'après avoir créé l'univers durant sixc Ainsi, dans ce précepte, Dieu ordonne t'o-
jours, ils'est reposéle septième{Exod, xx, 11); béissance affectueuse l'amour mêlé de
il veut que tous les septièmes jours luii crainte, honora, envers le pouvoir de la so-
soient consacrés, en mémoire de la création ciété politique, et le pouvoir de la société
et en donnant un jour de repos utile àk naturelle parce que tout homme est, sur la
l'homme physique, il se le réserve tout en- terre, membre de ces deux sociétés, et que
tier, pour occuper à son culte l'homme in- tous les devoirs de l'homme envers les pou-
telligent. Dans îa religion judaïque, religioni voirs des sociétés dont il fait partie, se ré-
de crainte mêlée d'attente, Dieu défend, lee duisent à une affection accompagnée |d'o-
jour du sabbat, jusqu'aux occupations less béissance amour et crainte sont le principe
plus innocentes, de peur que ce peuplee de toutes les sociétés politiques et reli-
indocile et grossier ne passât bientôt jus- gieuses ainsi la religion comme le gouver-
qu'aux occupations les moins utiles ett nement doit être sentiment, et non opinion
peut-être jusqu'à méconnaître la loi; etit et système.
dans la religion chrétienne, religion d'a- L'interprétation que je donne à ces paro-
mour, l'extrême rigueur de cette loi a étéé les me paraît exacte 1° parce que l'homme
modérée et restreinte aux seules occupa- qui se contenterait d'honorer son père et sa
tions lucratives. On remarquera que la pre- i- mère, c'est-à-dire, en prenant l'expression
mière loi donnée aux Juifs, celle qui devait itt père dans lé sens naturel, de remplir ses de-
être un souvenir toujours subsistant dee voirs envers la société naturelle, sans rem-
J'acte de la puissance infinie, de la création,
i, plir ses devoirs envers la société politique,
ne pourrait vivre heureux sur la terre,
puis-
est précisément celle que ce malheureux x
peuple observe partout avec la plus reli- qu'il serait exposé aux châtiments que la
gieuse fidélité, quoiqu'elle soit celle dont it société politique inflige à ceux qui man-
l'exécution est la plus répétée et la pluss quent à leurs devoirs envers elle.
pénible. 2° La société politique doit être considérée
La loi religieuse de l'observation du sab- comme une grande famille, dont le chef ou
bat est une conséquence nécessaire dérivéee le pouvoir est le père et les rois ne sont
de la loi fondamentale de l'existence dee appelés, et ne doivent être, que les pères de
Dieu, et elle est fondée aussi sur la nature 'e leurs peuples.
de l'homme. Car s'il existe un Dieu, il doit
it 3» La maternité, chez tous les peuples po-
être honoré et si l'homme n'est jamais oc- licés, désigne le pouvoir domestique et in-
cupé que de ses besoins physiques, il né- térieur de la famille, ;et la femme est même
gligera le culte de la Divinité; l'homme in- i- plus pouvoir à mesure que le peuple est
telligent cessera de former société avec l'E- plus policé.
tre suprême, et par conséquent cessera de le En rapprochant ce passage de celui que
se conserver lui-même dans sa perfection. j'ai cité plus haut, où Dieu menace de pu-
Dieu a prescrit Yadoration et institué le nir jusqu'à la troisième ou la quatrième
culte il a constitué la société religieuse;5 génération ceux qui le haïssent, et promet
il va constituer la société politique. de récompenser pendant mille générations
ceux qui l'aiment, on voit évidemment la
CHAPITRE II. différence des récompenses et des châtiments
LOIS POLITIQUES. spirituels ou de la société intellectuelle,
itê aux récompenses et
châtiments temporels
Honores votre père et votre mère, afin que
la terre le Sei-
:t- ou de la société politique car un idolâtre,
vous viviez longtemps sur que
donnée. (Exod. xx, 12.) ci et même un athée, peuvent remplir exté-
Ici
gneur vous a
rieurement leurs devoirs envers les sociétés purement pt intelligent Vous ne désirerez
politique et naturelle, et ainsi mériter d'un point pi la maison de votre prochain, ni sa
côté les récompenses temporelles attachées femme, fe ni son serviteur, ni sa servante, ni
se bœuf, ni son dne, ni rien qui
lui appar-
à l'accomplissement de ce précepte, et en- son
courir de l'autre les châtiments dont Dieu tienne. ii (Ibid., 17.)
Dieu législateur défend de désirer même le
menace de punir l'idolâtrie ou l'athéisme..
C'est la pensée de saint Augustin, en par- bœuf bl ou l'âne de son prochain l'homme lé-
lant des Romains, qui ont reçu, dit-il, des gi gislateur ordonne de ravir la propriété de
récompenses aussi vaines que leurs vertus. celui
c< qui n'aura fui sa patrie que pour con-
Si Dieu ne s'explique pas plus formelle- si server sa vie.
ment sur l'obéissance que l'on doit au pou- Les différences que ces défenses établis-
voir de la société politique, ou s'il ne dési-• sent si sont remarquables, en ce qu'elles ont
pas celui qui exerce ce pouvoir par une nrapport aux différentessociétésdont l'homme
gne L'homicide, l'adultère, le vol,
autre expression que celle de père, c'estt fifait partie.
qu'il veut que les rois ne se regardent que» sont s des crimes de l'homme physique, et
les pères de leurs peuples, ou qu'il
1 détruisent
d la société des corps naturelle ou
comme
les désirs criminels sont des
ne veut pas faire de son peuple une sociétéi politique p
politique, puisqu'il ne lui donne d'autre3 crimes c de l'homme intelligent, et ils dé-
pouvoir, même extérieur, que lui-même. truisent t la société des esprits en les empê-
Au reste, si ce texte avait besoin d'un côm- chant c de se conserver dans leur perfection.
mentaire, on le trouverait quelques ligness Le faux témoignage est un crime de l'hom-
puisque
plus bas dans ces paroles qui comprennentt me i intelligent et physique à la fois, coupable,
1 faux témoignageest une pensée
en général tous ceux qui exercent quelquee le
autorité légitime. qui,
C par sa manifestation extérieure et lé-
Tous ne parlerez point mal des grands, et•t gale, £ peut produire le vol et même l'hoini-
cide. Il détruit à la fois l'une et l'autre so-
vous ne maudirez point le prince de votree <
peuple. (Exod. xxn, 28.) ciété.
(
Tous ne tuerez point La; défense de l'homicide, de l'adultère,
Tous ne commettrez point d'adultère; du
<
vol, du faux témoignage, consacre dans
1l'homme la propriété de sa
vie, de sa fa-
Vous ne déroberez point. (Exod. xx, 13, {,

14, 15.) mille,


]
de ses biens physiques et moraux
qui comprend la
Le législateur avait jusqu'ici adouci enn car le faux témoignage,
aussi un ho-
quelque sorte la rigueur du précepte, en enn calomnie etjla médisance, est
de tout
donnant le motif: il prend un ton plus sé- micide. Ces lois sont le fondement
vère les trois préceptes qu'on vient de.lire e droit civil et criminel; car tous lesatlen-
et ceux qui suivront sont dans le style le le tats que l'homme en société peut commet-
plus impératif ils ne sont accompagnés 5s tre contre son semblable, ne peuvent atta-
d'aucune explication, parce qu'ils ne sont ît quer que ses propriétés physiques ou; ses
susceptibles d'aucune interprétation, et que, e, propriétés morales. La loi
qui défend le faux
eux,- il" ne peut exister, je ne dis pas de
le témoignage consacre l'autorité de la justice
sans
société politique constituée, mais même au- i- humaine, qui seule a le droit d'exiger té-
moignage.
cune forme de gouvernement parmi les es
hommes. Vous ne désirerez point.
Dieu commence par défendre les crimes 3S Jusqu'ici Dieu a défendu les crimes que
de l'homme physique. Il défend également nt les hommes peuvent punir; il défend, par
l'homicide, qui ôte l'existence physique à ce précepte, les infractions à la loi que
1rs
> hommes ne peuvent connaître. 11 avait dé-
l'homme l'adultère, qui ôte l'existence mo-
rale à la famille; le vol, qui ôte la propriété té fendu les actes, il réprime les volontés; il
e. avait défendu l'homicide,
l'adultère, le vol
ou la subsistance à l'homme et a la famille.
matériel, il défend l'homicide, l'adultère, le
Dieu défend les crimes que peut com- a.
vol spirituel; comment a-t-on pu dire que
mettre l'homme intelligent et physique à la spiritualité de l'âme n'avait pas été con-
fois, ou le crime de la pensée, qui se pro-
o_
la
2
nue du peuple hébreu?
duit par le sens qui lui est propre, par la
parole Tous ne porterezpoint de faux té- é- Le désir est une opération de l'âme, une
moignage contre votre prochain. [Ibid., .16.) i.) volonté que la force ne seconde pas. La dé-
de la
Enfin Dieu défend les crimes de l'homme ie fense du désir suppose donc le dogme
s11 ` OEUVRES COMPLETES DE 11. DE BONALD. gjg
foI.I,.
spiritualité de l'âme; il suppose la société ploiera donc la parole, qui est extérieure et
intérieure des intelligences humaines avecs qui n'est pas visible et, parce qu'il ne pour-
l'intelligence infinie puisque le législateur• rait parler lui-même sans cesser d'être une
ne fait pas de lois dont il lui soit impossi- pure intelligence, et sans gêner le libre ar-
ble de connaître ou de punir l'infraction. bitre de l'homme, il mettra sa parole dans la
Aucun autre législateur n'a défendu les dé- bouche d'un homme, et il confirmera pardes
sirs cette défenserenferme encore le dogme actes visibles de sa puissance, la mission
des peines et des récompenses de l'autre dont il le revêt.
vie: En effet, Dieu ordonne l'observation Ceux qui demandent sans cesse pourquoi
extérieure de la loi il défend les infractions l'Etre suprême, en donnant des lois aux
intérieures ou fspirituelles l'exécution de hommes, a pu leur laisser la force de les en-
la loi mérite récompense, comme l'infraction freindre, sont aussi insensés que ceux qui
à la loi mérite châtiment. Mais le même demanderaient pourquoi un monarque qui
homme peut observer extérieurement la veut empêcher dans ses Etats l'homicide.
loi et l'enfreindre intérieurement ou par l'adultère et le vol, ne met pas tous ses
le désir le même homme devra donc à la sujets à la chaîne.
fois être récompensé et puni. Or Dieu lui- Les lois mosaïques sont le commentaire
même ne peut pas récompenser et punir le de ce texte divin, et les lois de tous les peu-
même être dans le même temps il récom- ples doivent en être l'application.
pensera donc dans cette vie la régularité
des actes, et il punira dans l'autre la dépra- CHAPITRE III.
vation des désirs.
La défense, de l'homicide, de l'adultère, LOIS MOSAÏQUES.
du vol, du faux témoignage, est dans la na- L'Hébreu, corrompu par un long séjour
ture de l'homme social ou de la société; au milieu du peuple le plus idolâtre, ulcéré
puisque la société, réunion d'êtres sèmbla- par-un dur esclavage, accoutumé
en Egypte
bles pour leur conservation mutuelle, est la à
ne trouver d'adoucissement à ses peines
garantie de toutes les propriétés physiques que. dans les jouissances dès sens, avait
et morales de l'homme. La défense du désir contracté ce penchant à une religion tout
n'est pas moins dans la nature de l'homme extérieure, cet attachement pour les biens
social car un désir est une volonté sans de la terre et pour les plaisirs des
sens, que
force, qui devient un acte, si la force se l'observateur démêle encore dans le
carac-
joint à la volonté; or la force tend néces- tère original de ce peuple superstitieux,
sairement à se joindre à la volonté, parce lascif et intéressé.
que l'homme ne peut désirer sans aimer, ni L'indocile et grossier Hébreu n'était pas
aimer sans produire s'il est libre, son un peuple que le législateur pût spiritua-
a-mour au dehors par l'action de ses sens. liser; il ne voulait que le séparer des autres
Les philosophes qui, en admirant la su- peuples, et le défendre contre ses propres
blimité des lois du Décalogue veulent qu'el- penchants. Les préceptes dont il l'accable,
les soient l'ouvrage de Moïse, ne croient frivoles en apparence, dit J.-J.-Rousseau,
pas que Dieu existe, ou qu'il daigne don- mais dont si peu de gens sentent la force et
ner des lois aux sociétés des. êtres sembla- l'effet, sont autant de barrières qu'il élève
bles à lui. Mais s'ils croient que Dieu exis- entre les autres nations et son peuple, au-
te s'ils pensent qu'il ne soit pas indigne tant de chaînes dont il lie cet esclave tou-
de sa grandeur de donner des préceptes qui jours prêt à se révolter.
assurent la conservation de l'homme qu'ils La majesté du culte, la pompe des céré-
daignent nous dire de quelle manière Dieu monies, l'établissement des fêtes, l'appareil
pourrait s'y prendre pour donner des lois du sacrifice, retenaient le peuple hébreu
aux sociétés, sans gêner physiquement le dans la foi de l'unité de Dieu, dont if était
libre arbitre de l'homme. Ces lois doivent établi le dépositaire: les préceptes sévères
être extérieures, puisque la société pour la- et multipliés sur les degrés prohibés des
quelle elles sont faites est un corps exté- alliances, la distinction rigoureuse des plai-
rieur donc le législateur qui donne ces lois sirs permis et des plaisirs défendus, l'absti-
doit se rendre extérieur mais Dieu ne nence ] de certaines viandes mettaient un
peut se rendre visible il se rendra donc 1frein à sa sensualité l'horreur du sang, les
extérieur sans se rendre visible. Il em- purifications ordonnées à celui qui avait
ïouché un cadavre, les peines prononcées d'assurer la perpétuité de la force qui est
contre les violences, punies même dans l'a- l'action du pouvoir; pour assurer la perpé-
nimal sans raison, le précepte d'indiquer le tuité de la force, il est nécessaire, d'assurer
chemin à l'étranger, de secourir jusqu'à l'a- la perpétuité des ministres qui sont les
nimal tombé sous le faix, avaient pour objet agents de la force. Or, pour assurer la per-
de réprimer sa férocité naturelle. Tout ten- pétuité du ministre de la force conservatrice
dait à ce but, de le séparer des peuples ido- de la société religieuse, Moïse place le mi-
lâtres, de le rendre fidèle à Dieu, tempérant nistère, non dans l'individu qui passe, mais
sur lui-même, humain et compatissant en- dans la famille qui demeure; et dès ce mo-
vers ses frères; c'est-à-dire, d'épurer son ment, ces familles sont marquées d'un ca-
esprit par la religion, de diriger son coeur ractère qu'aucune puissance ne peut leur
par la répression de ses penchants déréglés, ôter. En même temps, et par les mêmes
de contenir ses sens par l'habitude des actes voies par lesquelles l'homme communique
de bienfaisance. Le législateur voulait enfin l'existence, il communique le devoir d'être
lui donner une institution, durable,-l'é- ministre de la société, il communiquel'exis-
preuve du temps, de la fortune et des conqué- tence sociale en même temps que l'existence
rants et le philosophe est forcé de convenir naturelle, et il produit une famille sociale
qu'il a réussi.
ou dévouée à la défense de la société, en
Dans le nombre infini des lois qui forment même temps qu'une famille naturelle. Dieu
cette constitution étonnante, je distingue même ne peut pas faire que l'enfant de cette
1° L'institution du ministère lévitique; famille ne naisse avec. le devoir de remplir
2° le sacrifice 3° les rites .expiatoires; 4° le les fonctions confiées à sa famille, ou d'être
droit d'aînesse dans les familles. ministre de la force conservatrice de la so-
1° Dans la religion de la famille, l'homme ciété, parce que Dieu ne peut pas faire que
était le ministre du culte; à une religion l'enfant ne naisse de son père. Voilà le mi-
domestique il fallait un ministre particulier; nistère lévitique, voilà la nohlesse, voilà la
à une religion sociale ou publique il fallait profession sociale et les familles distinguées
des ministres sociaux ou publics. des autres familles.
Dieu établit donc un ministère social pour Ainsi, il y a une noblesse religieuse dans
une religion sociale; il établit un ministère la société religieuse, comme il y a
qui doit durer autant que la société. une no^
blesse politique dans la société politique. Le
J'ai prouvé que la société religieuse et la ministère lévitique est donc la force cdnser^
société politique sont semhlables, et qu'elles vatrice de la société religieuse, comme les
ont une constitution semblable. nobles sont la force conservatrice de la so
Donc la société religieuse a: un pouvoir ciété politique; le sacerdoce et la noblesse
général conservateur: car une société qui forment donc les deux professions sociales;'
n'aurait pas le pouvoir de se conserver, ne c'est-à-dire, essentiellement et nécessaire.
se conserverait pas. ment conservatrices de la société civile;
Donc ce pouvoir général ou social dirige parce qu'une société constituée ne peut
une force générale ou sociale car un pou- exister sans pouvoir, et qu'un pouvoir ne
voir sans force n'est pas un pouvoir force peut exister sans force (1).
est action; action suppose des agents ou mi- En effet, les lévites n'étaient pas seule-
nistres. ment employés au ministère des choses
Pour assurer la perpétuité de la société; saintes et au service des autels, ils prenaient
il est donc nécessaire d'assurer la perpétuité
encore les armes dans les grands dangers
de son pouvoir conservateur; pour assurer qui menaçaient la société religieuse; car il
la perpétuité du pouvoir, il est nécessaire ne faut jamais perdre de vue quo les Juifs
( 1 ) La province de France qui s'est le plus nobles des provinces embrassaient moins
con-
servée dans la révolution, je veux dire, qui a conservé la profes-
sion des armes; la constitution gagnait infiniment
lopins détachement la constitution religieuse et
politique, a été la Bretagne, qui avait le plus de
à la perpétuité des familles, sansquç la défense exr
lérieure de l'Etat en fût moins assurée. Depuis l'é-
force conservatrice ou de noblesse. En Bretagne, là tablissement de la croix de Saint-Louis, les idées
noblesse servait l'Etat autant et plus que la noblesse ont pris nue autre direction; et je crois que la no-'

1..
des autres provinces; mais les familles s'y conser- blesse s'est beaucoup diminuée à compter de cette
vaient peut-être davantage, à cause que les aînés époque l'extrême diminution de la noblesse en
d'un grand nombre de maisons nobles de cette pro-
vince occupaient des places dans le parlement. Sous
Louis XIV et même plus tard, les aînés des familles
– u«.» Ci inciuc jnu» Lai u, les aines ues lamines
Oftîi VH PTC fftUDl r»ïi" TV1 ïï\ï? T^s.i r it I
A
1
France est un fait avéré dont il serait utile de re-
chercher la cause, et urgent de prévenir l'effet.
ne formaient société constituée que sous le lévites étaient réellement la noblesse; ils
rapport de la religion. en avaient les fonctions, et les biens même
Lorsque.le peuple attente à la constitu- qui leur furent donnés aux dépens des au-
tion religieuse, en prostituant ses adorations tres tribus avaient part à leur privilége,
à des dieux, ouvrage de ses mains, ce sont puisqu'il y avait pour leur maison, qui est,
les lévites que Moïse charge de la punition à proprement parler, la propriété de la fa-

(1).
des coupables; ce n'est qu'à eux qu'il confie, mille, une substitution qui n'existait pas
de la part de Dieu, les armes qui doivent pour les maisons des autres familles car il
les exterminer, parce que c'est à la force di- ne faut pas oublier que, dans le dénombre-
rigée par le pouvair à conserver la^société. ment que fait Moïse de sa nation, il ne
Les lévites étaient les gardiens et les dé- compte que par familles et jamais par tê-
fenseurs du tabernacle, et non pas des prê- tes
tres, puisque le sacerdoce n'était que dans Puisque la religion était une société, elle
ta famille d'Aaron. Les lévites campaient devait être indépendante, elle -devait être
toujours autour du tabernacle, qu'on peut propriétaire. Moïse ordonne le payement des
•regarder comme le pouvoir extérieur de la dîmes en faveur du lévite, de l'étranger ou
société des Juifs, et la garde en était confiée du pauvre, de la veuve et de l'orphelin;
à leur valeur. Ce ne sont point des conjec- c'est-à-dire qu'il veut que les biens de la
tures c'est le propre texte des Livres sacrés. religion soient consacrés au culte religieux,
Les lévites porteront eux-mêmes le taberna- et à soulager la faiblesse de Y âge, du sexs
cle. et ils camperont autour. Les lévites et de la condition. Les propriétés de la reli..
dresserontleurs tentes autour du tabernacle. giou chrétienne n'ont pas une autre desti-
et ils veilleront à sa garde. Faites appro- nation.
cher la tribu de Lévi; qu'elle se tienne devant La dlme, chez les Chrétiens comme chez
Aaron, grand prêtre, afin qu'ils le servent les Juifs, est d'institution divine, dans ce
et qu'ils veillent à la garde du tabernacle. sens qu'elle est un rapport nécessaire dérivé
(Num. m.) Les familles des lévites étaient de la nature des êtres, et par conséquent un
de la société, et les autres familles étaient développementnécessaire de la constitution
dans la société. Aussi Dieu défend expressé- religieuse et politique, puisque l'Etre su-
ment de comprendre les familles lévitiques prême, en créant l'homme, a rendu néces-
dans le dénombrement du reste de la na- saires la société et ses développements. En
tion Ne fuites point, dit le Seigneur à effet, si la religion a des ministres, elle doit
Moïse, le dénombrement de la tribu de Lévi, pourvoir à leur subsistance, au moyen de
et n'en marquez pas le nombre avec celui des ses propriétés. Mais ces ministres ont des
enfants d'Israël, mais établissez-les pour fonctions à remplir dans la société, et ils ne
avoir soin du tabernacle. Vous donnerez les peuvent cultiver les propriétés de la reli-
lévites à Aaron et ses fils comme un.don que gion il faut donc que d'autres les cultivent
leur font lès enfants d'Israël, mais vous éta- pour eux. Et qu'on ne dise pas que l'Etat
blirez Aaron et ses enfants pour les fonctionsî peut salarier le culte, expression aussi in-
du sacerdoce. (Ibid.) La société dévoue ces décente que l'idée est fausse et impie car
familles à sa défense; et dès ce moment, alors la religion n'est plus propriétaire, elle
distinguées par un engagement particulier, n'est plus indépendante, elle n'est plus so-
elle rie peuvent s'y soustraire, et leur servi- ciélé, puisque l'essence d'une société cons-
tude fait leur distinction, comme leur dis- tituée est d'être indépendante, et qu'une
tinction fait leur servitude. société qui n'a que des salaires et non des
Les lévites avaient donc la garde hérédi- propriétés est dépendante, comme un in-
taire du tabernacle ils étaient donc la forcee dividu qui a des, .gages et non des pro-
publique, conservatrice du pouvoir de laj priétés.
société, puisque le tabernacle était en quel- La dîme est nécessaire; et si les, hommes
que sorte le pouvoir extérieur de la société, ne la rétablissent pas, la nature de la société
-qu'on le consultait dans toutes les affairess la rétablira d'elle-même, ou la religion ces-
politiques, et que les réponses qui en éma- sera d'être publique mais les abus de la
«aient étaient des ordres pour la nation. Less perception, les abus de la distribution et les

( i)
Dieu punit David d'avoir voulu faire le dé- C'est une chose digne de remarque, que Jésus-Christ,
nombrement du peuple juif. Une société ne doit pass dans l'Evangile, tire toutes ses paraboles de la fa-
compter les hommes, mais tes familles propriétaires.
i. mille propriétaire.
.msJ. a.vamu uv m
abus de l'emploi, s'il yen a, sont purementt
vuivu». rmii.n.ruL'f. nr.l.,H>IEjUA. L.IY. 111. s!î>
contingents, et ils.doivent être réformés* Jei
1:

peints sous les couleurs les plus odieuses,


et quelquefois avec les expressions les plus
rentre dans mon sujet. indécentes ils ne connaissent pas l'homme.
2° J'ai distingué le sacrifice. L'homme ne commet pas le crime, parce
La religion est amour; l'amour est don de qu'il sait qu'il en obtiendra le pardon; il
)
soi-même; le don de soi-même est sacrifice. le commet, parce qu'il est faible, et que sa
La famille était un homme et passion J'emporte. 11 n'y aurait pas moins
une pro-
priété et l'on a vu que>daBsk religion d'infractions à la loi, quand l'homme serait
i
naturelle ou de la famille, l'hoœmes'afirailt sur de ne pouvoir les expier; mais il y au-
lui-même et sa propriété. rait. plus de scélérats, qui, n'ayant ni grâce
La société politique avait des hommes ett à demander, ni pardon à attendre, s'aban-
des propriétés elle offrait réellement l'hom- donneraient, avec la rage du désespoir, à la
me et la propriété. Ainsi, dans la société fougue de leurs passions. Des hommes per-
d'Abraham, l'homme fut offert, et dans les suadés qu'il n'existe point de Dieu qui pu-
i
autres sociétés politiques, l'homme était im- nisse les crimes, sont peut-être moins dan-
molé. La société des Juifs était plus qu'une
gereux pour la société que des hommes
société naturelle, et elle n'était pas une so- persuadés qu'il existe un Dieu qui ne les
ciété politique; elle était une société réelle- pardonne pas, et qui peuvent dire de ce Dieu
ment extérieure, puisqu'elle avait des hom- impitoyable
nies et des propriétés mais elle n'était
qu'en, apparence une société politique, Méritons son courroux!, justifions sa haine,
puisqu'il n'y avait pas de monarque, et Et que lé bruit du crime en précède Ja peine.
qu'elle était gouvernée par des ordres par- h' J'ai distingué le droit d'aînesse dans
ticuliers de la Divinité. Ainsi la société les familles. Les familles, ai-je dit, sont les
judaïque offrait en réalité le sacrifice de la éléments de la société politique. Cette, vé-
propriété, et en apparence seulement ou en rite se retrouve à chaque page de la consti-
figure, Je sacrifice de. l'homme, puisque tution judaïque. Moïse ne dénombre que les
l'homme était présenté et racheté aussitôt. familles; Dieu même ne parle que des aînés
Tout ce qui, est mâle ni1 appartient, dit le Sei-
de famille, parce qu'il prend le chef pour la
gneur mais vous rachèterezl'aîné de vos en- famille même. 11 veut qu'on les lui consacre,
fants. (Exod. xm, 2, 12, 13.) et ce n'est que les aînés qu'il veut qui soient
3° J'ai distingué les rites expiatoires. rachetés. Tous les aînés de vos enfants sont
L'homme ne peut enfreindre les préceptes à moi; vous rachèterez tous vos aînés.
que l'Etre suprême lui adonnés, sans crain- Mais ce n'était pas une loi parfaite que
dre d'en être puni. Mais s'il ccaint d'être celle des Juifs c'était une religion d'attente
puni par l'Etre suprême, sans espoir d'en et de crainte, c'est-à-dire de crainte tempé-
être pardonné, il le-craindra s*ans l'aimer; rée par un amour qui désire et non par un
il le haïra donc, et la haine produira une amour qui jouit. Le Juif était un peuple
religion atroce et cruelle. L'homme voudra tout charnel; Moïse n'avait pu le contenir
fléchir cette inflexible Divinité; dans sa
frayeur, il croira expier des crimes par des
qu'en le chargeant de chaînes il
ne l'avait
préservé de l'idolâtrie, qu'en lui interdisant
forfaits il versera le sang de l'homme pour toute représentation extérieure de la Divi-
se faire pardonner de l'avoir versé; ou il nité de l'homicide, que par la loi du talion
tombera dans le désespoir, comblera la me- de l'adultère, que par la loi du divorce; du
sure de ses crimes, et deviendra scélérat, vol, que par la tolérance de l'usure envers
parce qu'il ne peut cesser d'être coupable l'étranger; de la cupidité, qu'en ordonnant,
ou il rejettera l'idée de la Divinité, et il se
après un certain temps, la restitution des
plongera, tête baissée, dans l'abîme sans propriétés même t également aliénées « Moi-
fond de l'athéisme. « La religion païenne
se, dit Bossuet, était envoyé pour réveiller,
avait des crimes inexpiables, la véritable
par des récompenses temporelles, des hom-
religion ne peut en avoir. » Je citerai, en mes sensuels et abrutis. Puisqu'ils étaient
traitant de la religion chrétienne le passage devenus tout corps et tant- chair, H-, fallait
éloquent dans lequel Montesquieudéveloppe d'abord les prendre par lés- sens, leur in-
cette idée. culquer par ce moyen îa connaissance de
Lés philosophes modernes se sont déchaî- Dieu, et l'horreur dé -l'idolâtrie à laquelle
nés contre les rites expiatoires; ils les ont le genre humain avait une inclination si
prodigieuse. Le dogme de la vie future et où ceux qui dorment dans la poussière,
oi
de l'immortalité de t'âme ne fut pas aussi s'éveilleraient, lès uns pour la vie éternelle,
s'<
clairement confié au peuple juif que celui les autres pour une éternelleconfusion. (Dan.
les
de l'existence et de l'unité de Dieu. « Du- xm,2.)
xi Mais en même temps que ces choses
rant les temps d'ignorance, continue Bos- lu sont révélées, il lui est ordonné de scel-
lui
suet, c'est à-dire durant les temps qui ont ler le livre, et de le tenir fermé jusqu'au
le:
précédé Jésus-Christ, ce que l'âme connais- temps
te ordonnéde Dieu (Ibid.,k), afin de nous
sait de sa dignité et de son immortalité, faire
fa entendre que la pleine découverte de
l'induisait le plus souvent à erreur. Le culte ce vérités était d'une autre saison et
ces d'un
des hommes morts faisait presque tout le autre
al siècle. »
fond de l'idolâtrie; presque tous les hommes Mais lorsque, instruits par leurs prophè-
sacrifiaient aux mânes, c'est-à-dire aux âmes te et plus encore par leurs malheurs, les
tes
des morts. De si anciennes erreurs nous Juifs
JI se furent défaits de la pente qu'ils
font voir, à la vérité, combien était ancienne avaient
a' à l'idolâtrie alors il fut beaucoup
la croyance de l'immortalité de l'âme, et plus
p souvent parlé, parmi eux, du dogme de
nous montrent qu'elle doit élrc rangée parmi l'l'iawnortalité de l'âme. L'on voit, dans les
les premières traditions du genre humain; livres
li des Machabées, des prières publiques
mais l'homme qui gâtait tout en avait étran- ppour les morts; et la preuve que l'immorta-
gement abusé, puisqu'elle le portait à saeri-: lité de l'âme et la résurrection des corps
li
fier aux morts. » étaient des dogmes de la nation, est qu'on
&
Après avoir parlé des désordres que la y distinguait les sadducéens, secte de phi-
connaissance de ce dogme séparé de la con- 1(losophes qui les niaient.
naissance du vrai Dieu a produit chez cer- Il n'y avait donc de religion sociale ou
tains peuples, cet illustre auteur ajoute: constituée c< que chez le peuple juif; puisque
« Tant il est dangereux
d'enseigner aux ce c n'était que chez le peuple juif que l'ado-
hommes la vérité dans un autre ordre que ration r était fondée sur la nature de Dieu, et
celui que Dieu a' suivi, et d'expliquer clai- le 1< culte fondé sur la nature de l'homme;
religieuse de
rement à l'homme tout ce qu'il est, avant qque chez lui seulement la loi
qu'il ait connu Dieu parfaitement1. Et qu'il l'iwiité 1' de Dieu était un rapport nécessaire
était nécessaire de connaître Dieu, et les ddérivé de la nature d'une intelligence infi-
règles de sa sagesse, avant de connaître nnie, une conséquence nécessaire de la bi
l'âme et sa nature immortelle »– Ce n'est fifondamentale de son existence, et loi fon-
damentale elle-même; et que ce n'était que
pas assez, » dit Montesquieu, « pour une d
religion d'établir un dogme, il faut encore chez c le Juif, que la société offrait à l'Etre
qu'elle le dirige. » ssuprême le don pur et sans crime de l'hom-
Avec la pente prodigieuse que le peuple me r et de la propriété.
juif avait à l'idolâtrie, c'eût été lui en four- Le peuple juif était donc le dépositaire de
l'unité de Dieu il devait donc être
nir une nouvelle occasion, que d'insister la foi dequand, égaré
dogme les hommes se rappe-
châtié
c par les sens, il perdait
sur un que ne
quelque chose peut éton- lui-même de vue cette vérité fondamentale
laient que trop. Si était chargé de transmettre à l'univers.
peuple juif, c'est qu'il n'ait pas qu'il
(
ner dans le
J devait survivre au châtiment, pour pou-
rendu les honneurs divins à la mémoire de 11 voir conserver aux. autres nations le dépôt
Moïse et de Josué, lui qui prostituait son qu'il n'avait elles; il devait sub-
d'animaux, et qui, plus que pour
«?ncens à des figures, 5
sister aussi longtemps que l'univers, et sub-
d'une fois, adora les dieux infâmes de l'é-
sister
a sans se confondre avec aucun peuple,
tranger. afin que la vue du dépositaire rappelât sans
Le dogme de la vie future et celui de>5 ¡
le dépôt. Or, ce sont des faits incon-
l'immortalité de l'âme n'étaient donc pas .<cesse
peuple juif; « mais lestables, et dont nous sommes les témoins,
clairement développés au s
(
juif,
que les effroyables revers du peuple
1
Dieu, » dit Bossuet, « en avait répandu quel-
isolement total des autres peuples, et
ques étincelles dans les anciennes Ecritures. son indestructible existence.
Salomon avait dit que, comme le corps re- son
tourne à la terre d'où il est, sorti, l'espritt Les ténèbres les plus épaisses couvraient
si l'on peut conjee-
retourne à Dieu qui l'a donné. Les patriar- le reste de la terre et, qu'au milieu des
Job,
ches avaient vécu dans cette. espérance, ett turer de l'histoire de
familles avaient
Daniel avait prédit qu'il viendrait un tempss nations idolâtres quelques
conservé, par tradition, la connaissance du sentiment, un courage invincible, et sous la
vrai Dieu, le témoignage de toutes les his- conduite des Machabées, ils ont des succès
toires atteste qu'elle ne s'était maintenue prodigieux. Jamais ils n'avaient mieux dé-
dans aucune autre société que dans celle fendu ce trésor, qu'à la veille de s'en des-
des Juifs. saisir. Pour mieux le défendre, ils renoncent
Il faut cependant distinguer l'idolâtrie du
paganisme. L'idolâtrie, religion des sens, au gouvernement républicain dont la turbu-
lence divise leurs forces et favorise l'inter-
maintenait le sentiment de la Divinité, lors vention dangereuse de l'étranger au mo-
même qu'elle en défigurait l'idée. Le paga- ment de se dissoudre, cette société se re-
nisme, religion de l'imagination, la laissa, constitue elle fait plus, elle réunit, en
pour ainsi dire, évaporer. Chez les peuples quelque sorte, le gouvernement théocrati-
idolâtres, l'amour profane ou la haine,
sen-
timents, profonds et naturels, avaient fait
que, qu'elle avait eu à sa naissance, au gou-
vernement monarchique qui lui avait suc-
leurs dieux, si j'ose le dire, avec le Dieu cédé, et ses pontifes deviennent ses rois.
véritable; chez les Grecs, peuple frivole et
« Mais l'acte, » dit Bossuet, « par lequel le
sans caractère, la reconnaissance, l'admira- peuple de Dieu transporte à Simon (Macha-
tion, sentiments superficielsetfactices,jfirent bée) toute la puissance publique, et lui ac-
des dieux avec des hommes. Ils en firent de corde les'droits royaux, est remarquable. Le
divers ordres; ils en firent de grands et de décret porte qu'il en jouira, lui et toute sa
petits; ils les firent naître, ils les firent postérité, jusqu'à ce qu'il vienne un fidèle et
mourir; ils racontèrent leurs aventures; ils véritable prophète. » {I Mach. xiv, M.)
leur donnèrent les vertus de l'homme et Le lecteur n'a pas besoin que je lui ex-
surtout ses passions la religion ne fut plus plique ces dernières paroles il sait que le
sentiment; elle devint opinion, philosophie, peuple juif en société naturelle comme en
poésie, chansons. L'athéisme s'introduisit à société politique, sous ses juges comme sous
Athènes; et si l'idolâtrie y conserva des les rois, dans sa prospérité comme dans ses
temples, ce fut pour offrir à ses dieux Je sa-
crifice ordinaire de la prostitution, revers, exilé sur les bords de l'Euphrate
ou le comme possesseur paisible des rives du
sacrifice plus rare du meurtre. Je reviens
Jourdain, aux premiers jours de son enfance
aux Juifs.-
Ce peuple, longtemps heureux après sa comme dans les derniers temps de son exis-
captivité, protégé par les rois de Perse, tence politique, attendait un grand prophète,
res- un Messie,. un libérateur, enfant, comme
pecté par Alexandre, considéré par ses suc- lui, d'Abraham et. la preuve qu'il l'a tou-
cesseurs, voit sa religion attaquée par les jours attendu est qu'il l'attend encore.
rois de Syrie. Antiochus veut les forcer d'a-
dorer les dieux des Grecs, et fait placer la Je ne parle point des divisions qui trou-
blèrent le règne des derniers Asmonéens;
statue de Jupiter Olympien dans le temple je n'écris pas l'histoire des Juifs; il me suf-
du Dieu jaloux. Gardiens du dépôt sacré de
fit que ce peuple ait conservé sur Ja. terre la
l'unité de Dieu, usufruitiers de cette
succes- foi de l'unité de Dieu, et je me hâte d'arri-
sion, à laquelle, si j'ose le dire, l'univers
était substitué, les Juifs puisent, dans ver aux temps d'Auguste.
ce

LIVRE IV,
RELIGION CHRÉTIENNE OU CONSTITUÉE.

CHAPITRE PREMIER,
q, s'opéra dans l'univers à l'avènement
qui
LOIS DE LA SOCIÉTÉ
RELIGIEUSE
TUÉE (1J. ytCONSTI- d'Auguste à l'empire romain. Jusqu'à lui
d'
l'univers policé gouverné despotiquement
Ce

partie..
fut une grande révolution,
mièrJpnHif "éCeSSaire>
Ducre
-u que-t. – celle
v^i,ve j^n llome
par
p; ictmjjiiqut!, était
Hume république, eiaii soumis
soumis àa une
pour n"telliS«»<* de ce chapitre, de relire les premiers chapitres de la
pr*
foule de maîtres et adorait une multitude vation, c'est-à-dire, la perfection de l'homme
de dieux, c'est-à-dire, obéissait à une multi- intelligent, qui n'est autre chose que sa
tude de pouvoirs dans la société politique, liberté. Cette vérité sera démontrée en son
et à une multitude d'opinions dans la société lieu.
religieuse. Mais l'unité de pouvoir s'élève 2° Les moyens sont semblables car la
dans l'univers, et aussitôt l'unité de Dieu se société politique parvient à sa fin, c'est-à-
manifeste à tous les peuples. dire, à la conservation des êtres qui la com-
La religion judaïque n'étail que la reli- posent, par un amour général qui est le mo-
gion naturelle développée au point qu'il narque, principe de conservation des êtres
convenait aux besoins d'une société parti- sociaux, et pouvoir conservateur lorsqu'il
culière, au caractère d'un certain peuple, à agit par une force générale conservatrice
l'objet que le législateur se proposait pour qui est la noblesse; et la société religieuse
un temps donné. La religion chrétienne est parvient à sa fin par un amour général que
la religion judaïque développée, perfection- nous verrons tout à l'heure être Dieu même»
née, accomplie' au point qui convient à tou- principe de conservation des êtres, et pou-
tes Jescsociétés à tous les peuples, à tous voir conservateur lorsqu'il agit par une
les temps. force générale conservatrice,qui est le sacer-
La religion judaïque était une religion de doce car une société qui n'aurait pas les
crainte mêlée d'amour, mais d'un amour moyens, c'est-à-dire, le pouvoir de parvenir
qui désire la religion chrétienne est une 5à sa fin, n'y parviendrait pas.
religion d'amour mêlé de crainte mais dej La société civile, réunion de la société
l'amour qui jouit. Or la religion qui doitt religieuse et de la société politique, a donc
être sentiment de l'Etre suprême, ou amourr deux pouvoirs conservateurs, Dieu et le
mêlé de crainte; la religion judaïque étaitt monarque; deux forces conservatrices, le
donc dans un temps la véritable religion, ett sacerdoce et la noblesse mais elle n'a
la religion chrétienne est aujourd'hui laj qu'une volonté générale conservatrice, parce
véritable religion mais, comme l'amourr que deux volontés égales sur le même objet
qui désire n'est pas réellement l'amour, ne font qu'une même volonté. En effet,
Dieu est la volonté générale conservatrice
parce que l'amour veut jouir et non atten-
dre, il s'ensuit que la religion chrétienne3 de la société intérieure des intelligences,
est autant au-dessus de la religion judaïque,l dont il fait partie.
Dans la société politique, être général et
que t'amour qui jouit est au-dessus de
l'amour qui désire. La religion chrétienneg collectif, la volonté générale est cette volonté
est donc la sockHé religieuse constituée. ou cette tendance qu'a tout être de parvenir
'La société est une réunion d'êtres sembla- à la fin pour laquelle il a été créé; volonté
bles, réunion dont la fin est leur conserva- ou tendance qui, jointe aux moyens de par-
tion mutuelle. Cette définition convient à laa venir à la fin, constitue la nature de cet
société religieuse comme à la société politi- être.
que donc ces sociétés sont semblables. Mais cette volonté et ces moyens', qui
Si les sociétés religieuses et physiquess constituent la nature d'un être, lui ont été
sont semblables, il existera des rapports ouu donnés par le Créateur, qui a créé les êtres
lois semblables entre les êtres qui les com- pour une fin, et par conséquent avec la
posent car il peut exister des rapports sem- i-volonté et les moyens d'y parvenir. Donc la
blables entre des êtres différents. Donc cess volonté générale de la société a été donnée
sociétés ont une constitution semblable à la société par Dieu même cette volonté
puisque la constitution est l'ensemble dess est donc la volonté de Dieu. Donc la volonté
rapports ou lois qui existent dans la sociétéégénérale conservatrice de la société reli-
entre les êtres qui la composent. gieuse constituée, et celle de la volonté
Nous avons déterminé les caractères dee politique constituée, ne font qu'une volonté
la société politique constituée; nous devonsisgénérale qui est la volonté de Dieu. Ce sont
donc les retrouver tous dans la société reli- les effets de cette volonté générale conserva-
gieuse constituée. trice que les hommes qui croient à l'exis-
1° Leur fin est semblable car la fin 'de la tence de Dieu appellent Providence.
société politique est la conservation, c'est-
1- Si la volonté généràle conservatrice de la
à-dire, la liberté de l'homme physique; et jt société civile est Dieu < même, pourquoi,
la lin de la société religieuse est la conser- dira-t"On, y a-t-il des sociétés qui se détrui-
-
sent pu qui ne parviennent pas à leur fin? générale d'exister, le pouvoir général d'exis-
La société parvient nécessairement à sa fin, ter, la force générale d'exister, et qu'on rie
et la société ne se détruit pas. parce que, si pourra même la concevoir sans ces trois
l'homme nous paraît retarder, par le facultés, ces trois facultés seront les condi-
dérèglement de ses volontés particulières, tions nécessaires de son existence, et seront,
les progrès de la société et l'accomplisse- par conséquent, ses lois fondamentales.
ment de la volonté qu'elle a de parvenir à sa Ce même raisonnement'peut s'appliquer
fin, cette volonté n'en a pas moins un effet dans tous ses points à la société religieuse,
infaillible, nécessaire, qui, dans un temps en observant seulement que la société poli-
ou dans. un autre, triomphe toujours des tique a pour éléments des êtres physiques-
obstacles que lui oppose la volonté dépravée intelligents, et que la société religieuse,
de l'homme. Et comme sa fin est la conser- considérée dans l'état civil, a pour éléments
vation des êtres, et qu'elle ne peut assurer des êtres intelligents-physiques.
cette conservation qu'en se constituant, il Dans la société politique, les êtres qui la
s'ensuit que, malgré les efforts de l'homme, composent, ou les hommes physiques intel-
elle tend nécessairement invinciblement,à ligents, peuvent être considérés sous diffé-
se constituer. rents rapports. Considérés relativement au
La volonté générale de la société civile, pouvoir général, ils sont pouvoir, ou force
c'est-à-dire religieuse et politique, qui est publique action du pouvoir, monarque ou
la volonté de Dieu même, a donc infaillible- noblesse; des rapports sont des lois politi-
ment son effet car il n'y a. pas en l'Etre ques, qui, comme je l'ai prouvé, sont des
éternel de succession de temps, et s'il nous rapports nécessaires dérivés de la nature des
parait a nous, êtres finis et bornés, que sa êtres, des conséquencesnécessaires de la loi
volonté n'est pas exécutée dans le temps, fondamentale
1 du pouvoir général, et lois
elle l'est infailliblement dans l'éternité. Sui- fondamentales
] elles -mêmes. J'ai prouvé,
vons le parallèle des deux sociétés. dans
< la première partie de cet ouvrage, que,
Nul être collectif ne peut exister sans dans < une société politique constituée ou
lois car un être collectif, étant formé par monarchique,
i les autres lois politiques
la réunion de plusieurs êtres place néces- étaient ( égalementdesconséquences nécessai-
sairement, et par l'effet de cette réunion res, 1 quoique moins immédiates, des lois fon-
seule, ces êtres dans une certaine manière damentales,
( et lois fondamentaleselles-mê-
d'être, les uns à l'égard des autres, qu'on mes. t
appelle rapport. Dans la société religieuse du corps social
« Ces rapports sont des lois lorsqu'ils sont avec Dieu, c'est-à-dire, dans la société re-
nécessaires, c'est-à-dire, lorsqu'ils sont tels ligieuse
1 sociale, qu'on appelle religion pu-
qu'ils ne pourraient être autres qu'ils ne blique, 1 nous verrons la loi religieuse du
sont sans choquer la nature de ces êtres. » pouvoir1 général, je veux dire de Dieu même
Ces êtres qui, dans la société politique, rendu r présent et extérieur, être un rapport
sont les hommes physiques intelligents, nécessaire r dérivé de la nature des êtres, une
peuvent être considérés en eux-mêmes et conséquencec nécessaire de la loi fondamen-
dans leur nature d'êtres physiques intelli- tale t du pouvoir général, et loi fondamentale
gents. Ils ont, sous ce rapport, des facultés elle-même
e et nous verrons l'institution du
que j'appelle essentielles, naturelles, fonda- sacerdoce,
s force publique de la société reli-
mentales, parce qu'elles constituent néces- gieuse,8 être encore un rapport nécessaire
sairement l'homme naturel, et qu'il ne peut dérivé d de la nature des êtres, une consé-
exister sans elles c'est la faculté intelli- quence<3 nécessaire de la loi fondamentale de
gente ou voulante, la faculté aimante, la la lj force générale, et loi fondamentale elle-
faculté agissante. La société, être collectif même.n On verra également que les autres
ou général, réunion d'êtres physiques intel- lois I' religieuses sont des conséquences né-
ligents, aura donc la faculté générale de cessaires,
c quoique moins immédiates, des
vouloir, la faculté générale d'aimer, la lois 1( fondamentales, et lois fondamentalesel-
faculté générale d'agir; c'est-à-dire, qu'elle les-mêmes.
'<

aura une volonté générale, un pouvoir gé- Dans la société politique, les hommes phy-
néral, qui est un amour général agissant par sisiques intelligents peuvent être considérés
une force générale; et, comme la société ne. dans d leurs différentes manières d'être les
pourra exister ou se conserver sans la volonté unsu à l'égard des autres, comme parents,.
maS;rnc voisins,
maîtres, 1Tl\icln~ propriétaires;
f,rnn,·7l,Fn;r~e: les rapports cessaires des
l~c 'YOoy.nA.f~ t. -l':i~
iO un, m. ut, uuixAijI».
.J. lois politiques cette
qu'en ces différentes qualités ils ont entre ne parvient donc pas à sa fin; elle n'est donc
_·Ll
03*
.m_ société
Il~

eux, doivent être nécessaires et dérivés de pas constituée; elle n'est donc pas une véri-
leur nature de parents, de maîtres, de voi- table société politique elle n'est qu'une
sins, de propriétaires ces rapports sont. les forme de gouvernement.
lois civiles, et j'ai prouvé que, dans une so- Donc la société politique, qui a des lois
ciété constituée, les lois civiles doivent être fondamentales, mais dont les lois politiques
des conséquences nécessaires des lois poli- ne sont pas des conséquencesnécessaires des
tiques, et lois politiques elles-mêmes. lois fondamentales,est moins constituée que
Dans la société religieuse, les hommes -celle où les lois politiques sont dés consé-
intelligents-physiques peuvent être considé- quences nécessaires des lois fondamentales,
rés dans leurs différentes manières d'être et lois fondamentales elles-mêmes. Ainsi
les uns à l'égard des autres leurs rapports l'Espagne est moins constituée que la Fran-
entré eux, sous cet aspect, forment les lois ce, puisque, de la loi fondamentale de la
morales, qui doivent être des rapports néces- succession héréditaire, elle déduit la loi po-
saires dérivés de la nature des êtres. Elles litique qui appelle les femmes à succéder,
doivent donc être des conséquencesnécessai- conséquence que j'ai prouvé n'être pas un
res des lois religieuses, et lois religieuses rapport nécessaire dérivé de la nature des
elles-mêmes. Ainsi la loi de l'indissolubilité êtres. La Pologne est moins constituée que
du mariage est un rapport nécessaire dérivé l'Espagne, parce que, de la loi fondamentale
de la nature des êtres en société naturelle ou de l'unité de pouvoir, elle n'a
pas déduit la
de la famille, une loi morale, conséquence loi politique de la succession héréditaire.
nécessaire de la loi religieuse qui consacre 'foutes les sociétés, même monarchiques,
l'union des époux, et loi religieuse elle- d'Europe, sont moins constituées que la,
même. France, parce que, de la loi fondamentale
La société politique dans laquelle les lois du pouvoir général, agent de la volonté gé-
politiques, celles qui constituent la forme nérale, organe de sa parole qui est la loi,
extérieure de la société, ou Je gouverne- elles n'ont pas déduit, comme la France, la
ment, sont des conséquencesnécessaires des loi politique de la nécessité de corps chargés
lois fondamentales et lois fondamentales el- de vérifier si la parole du monarque est l'ex-
les-mêmes, et dans laquelle les lois civiles, pression de la volonté générale de la so-
celles qui règlent les devoirs des hommes ciété.
les uns à l'égard des autres, sont des consé- Donc une société politique, qui a des lois
quences nécessaires des lois politiques, et fondamentales
lois politiques elles-mêmes, a tout ce qu'il et des lois politiques, consé-
nécessaires des lois fondamenta-
faut pour parvenir à sa fin, qui est la conser- queuces
vation des êtres physiques intelligents dont
elle est composée; elle est donc constituée!
- les, et lois fondamentaieselles-mêmes, mais
dont les lois civiles ne sont pas des consé-
nécessaires des lois politiques, et
La société religieuse, dans laquelle les quences
lois politiques elles-mêmes, est moins cons-
lois religieuses, c'est-à-dire celles qui cons-
tituent la forme extérieure de la société, tituée que celledatis laquelle les lois civiles
des conséquences nécessaires des lois
sont des conséquences nécessaires des lois sont politiques. Ainsi la loi civile de la substitu-
fôndamendales, et lois fondamentales elles-
tion des fiefs pour la noblesse est une con-
mêmes, et dans laquelle les lois morales,
celles qui déterminent les devoirs des hom-
séquence nécessaire de la loi politique de
l'hérédité de la profession, et loi politique
mes les uns à l'égard' des autres, sont des
elle-même; et la France, qui, pour favori-
conséquences nécessaires des lois religieu- ser les
mutations de propriété,, a restreint
ses, et lois religieuses elles-mêmes, a tout cette loi, a altéré la constitution pour enri-
ce qu'il faut pour parvenir à sa fin, qui est chir le fisc.
la conservation des êtres intelligents physi-
ques dont elle est composée elle est donc Donc la société religieuse, qui n'a pas de
constituée. lois fondamentales,ne peut avoir aucune loi
Donc la société qui n'a pas de lois fonda- religieuse, conséquence nécessaire des lois
mentales ne peut avoir dé lois politiques, fondamentales, et loi fondamentale elle-
conséquences nécesaires des lois fondamen- même cette société ne parvient donc pas à
taies ni de lois civiles, conséquences né- sa fin; elle n'est donc pas constituée; eiie
a. m 1'C\I.J~u.
R'SS~ rnm .a~
n'est donc pas une véritable société reli- pendance, et par conséquent de conserva-
tion et de force qui en assure la durée, et qui
gieuse n'est qu'une secte.
Plle
Donc la société religieuse, qui a des lois se manifeste par un perfectionnement ou un
fondamentales, mais dans laquelle les lois développement progressif; et l'on verra que
religieuses ne sont pas des conséquences la société religieuse constituée a un prin-
nécessaires des lois fondamentales, et lois cipe intérieur de vie, d'indépendance, et par
fondamentales elles-mêmes, est moins cons- conséquent de conservation et de force qui
tituée et parvient moins à sa fin que celledans en assure la durée, et qui se manifeste par
laquelle les lois religieuses sont des consé- un perfectionnement ou un développement
quences nécessaires des lois fondamentales, progressif.
et lois fondamentales e'iles-mêmes. Ainsi, On a vu que les sociétés politiques non
en Allemagne, la loi religieuse, qui permet constituées ont un principe intérieur de fai-
a l'ordre épiscopal,premier grade de la force blesse, de dépendance, de détérioration et
publique de la société religieuse, d'occuper de mort; et l'on verra que les sociétés reli-
plusieurs sièges à la fois, et qui le détourne gieuses non constituées ont un principe in-
de ses fonctions naturelles et nécessaires térieur de faiblesse, de dépendance, de dé-
par l'exercice d'un pouvoir politique, n'est térioration et de mort; parce que l'on peut
pas une conséquence nécessaire de la loi fon- dire des unes comme des autres « Si le
damentale des distinctions sociales ou force législateur, se trompant dans son objet, éta-
publique; et par conséquent la religion blit un principe différent de celui qui naît
chrétienne y est, sous ce rapport, moins delà nature des choses, l'Etat ne cessera
constituée qu'elle ne l'est en France et en d'être agité jusqu'à ce que ce principe soit
Espagne, et l'imperfection de la constitution détruit ou changé, et que l'invincible na-
religieuse s'y manifeste par des effets très- ture ait repris son empire. » Ce qui veut
sensibles. Ainsi, dans l'Eglise grecque, la loi dire que les sociétés politiques, comme les
religieuse, qui soumet les ministres de la sociétés religieuses non constituées^ ne ces-
religion à un chef particulier, y est formel- seront d'être agitées et de se détériorer,
".ement en contradiction avec la loi fonda- jusqu'à ce qu'elles soient parvenues les
mentale du pouvoir général puisque cette unes et les autres à la véritable constitut on
société, reconnaissant le même pouvoir gé-
néral que le reste de la chrétienté, ne veut
pas reconnaître un chef général de la force
gieuse.
politique et à la véritable constitution reli-

On a vu que la société politique consti-


publique ou des ministres de la religion. tuée considérait l'homme physique intelli-
Aussi la religion y est-elle purement exté- gent en société, et ne le considérait qu'en
rieure, et dans l'Eglise russe les ministres société, tandis que la société politique non
sont d'une profonde ignorance. constituée considère l'homme hors de la so-
Je ne parlerai pas des lois morales, qui ciété et l'on verra que la société religieuse
sont les mêmes dans toutes les sociétés re- constituée considère l'hommeintelligentphy-
ligieuses mais je prouverai que le principe sique en société, et ne le considère qu'en
des lois morales, l'amour de Dieu et celui société, tandis que la société religieuse non
des hommes, ne peut exister dans les socié- constituée considère l'homme hors de la so-
tés non constituées. ciété.
Comme il ne peut y avoir entre deux Enfin l'on a vu que la société politique
êtres, sur un même objet, qu'un rapport né-• non constituée ne pouvait conserver l'homme:
cessaire, tandis qu'il peut y avoir sur le physique, dans la société, parce qu'elle n'a-
même objet, entre deux êtres, une infinité vait pas de pouvoir général conservateur,
de rapports non nécessaires, il s'ensuit évi-• qu'elle tombait nécessairement dans l'auar-
demment qu'il n'y a qu'une constitution re- chie et le despotisme et l'on verra que les
ligieuse et qu'une constitution politique de sociétés religieuses non constituées ou les.
société, et qu'il peut y avoir une infinité de sectes ne peuvent conserver l'homme intel-
sociétés politiques non constituées, ou de ligent dans sa perfection, et qu'elles tom-
formes différentes de gouvernement, et une> bent nécessairement dans l'athéisme et le
infinité de sociétés religieuses non consti-matérialisme.
tuées, ou de sectes. J'ai cherché dans l'histoire des sociétés po-
On a vu que la soeiélé politique consti- litiques la preuve de ces assertions sur les
tuée a un principe intérieur de vie, .d'indé- sociétés politiques, et je vais chercher dans
l'Histoire
l'Histoire des sociétés religieuses la preuve
des sociétés remplir Par quel
blime qu'il devait remplir? quel moyen,
moyen
de ces assertions sur les sociétés religieu- pouvait-il renverser la religion de l'univers,
ses. pour lui faire adopter la sienne ? Séparé de
Au nom des vérités les plus, importantes toutes les nations
par une langue particu-
qui puissent être l'objet des méditations de lière, méprisé des peuples policés
l'esprit de l'homme, au nom des intérêts les religion même, odieux à pour sa
voisins par des
plus chers qui puissent être l'obiet des affec- mœurs insociables et des ses
lois extraordinai-
tions de son cœur, au nom des devoirs les res, inconnu
au reste du genre humain,
plus sacrés dont la pratique puisse être l'ob- faible et pressé de tout le poids de l'empire
jet des actions de ses sens, je supplie le lec- romain, était-ce
par l'éloquence de ses
teur de suivre le développement du paral- écrits, par la réputation de sa sagesse ou par
lèle que je viens de tracer, avec l'attention la force de
ses armes, que l'obscur habitant
et l'impartialité que l'homme vertueux ne d'un coin de l'Asie devait répandre le dogme
peut refuser sans crime à la recherche des de l'unité de Dieu
vérités fondamentales, dont le développe- le plus accrédité?2 au sein du polythéisme
ment peut l'affermir dans ses principes, ou Ici un fait étonnant attire mon attention.
le délivrer de ses incertitudes. A toutes les époques de son histoire, dans
tous les événements de sa vie politique, le
CHAPITRE IL
peuple juif a attendu un libérateur.
NÉCESSITÉ VV MÉDIATEUR. Il s'attendait à le voir paraître vers les.
temps d'Auguste; et il était naturel eh effet
La république romaine, conquérante par que son libérateur parût
au moment où il
principes, destructive par besoin, porte jus- venait d'être asservi.
qu'au Rhin ses armes victorieuses; mais au Je parcours les livres qu'il conserve si
delà sont des nations que la volonté géné- religieusement, comme les monuments de
rale de la société, que Dieu même a excep- son histoire et le code de ses lois je cher-
tées de l'oppression générale, et qu'il ré- che quels seront les caractères de
ce libé-
serve à détruire Rome et à recommencer la. rateur, et à quel signe le Juif pourra le re-
société. Parvenue à cette borne fatale à tou- connaître, et je découvre des caractères
op-
tes les républiques qui méditent la conquête posés et des signes en apparence contradic-
universelle de l'Europe, Rome cesse d'être toires je remarque surtout, dans les trait"
conquérante, parce qu'elle cesse d'être ré- qui le désignent, des caractères d'universa-
publique. Auguste établit le pouvoir unique lité, qui conviennent bien moins
les débris au libéra-
sur d'une multitude de pouvoirs teur d'un petit peuple, qu'au Sauveur de
la passion de s'agrandir, le besoin de dé- toutes les nations.
truire, ne sont plus ni la passion ni le be- Ce libérateur promis au premier homme
soin de cette nouvelle société; Auguste lui- sous des emblèmes obscurs,
même recommande en mourant à son suc- d'une manière plus développée, aux patriarches
au peuple
cesseur de ne pas songer à étendre J'empire juif sous des figuresplus expresses, libé-
ce
par de nouvelles guerres; et Rome, en ces- rateur que les écrivains révérés du Juif
sant de conquérir, réduite à se défendre, comme inspirés de Dieu même, voient,
mon-
cesse bientôt de conserver. trent, signalent par des expressions moina
L'unité de pouvoir a paru dans l'univers, équivoques et des
le dogme de l'unité de Dieu va se manifes- mesure
marques plus certaines, à
que les temps de sa venue semblent
ter à tous les peuples. s'approcher; ce libérateur est, dans les li-
Puisque le peuple juif était le seul peuple vres des Juifs, tantôt le Roi de
gloire (Psal.
de l'univers qui professât la foi de l'u-
xxin, 7-9, 8-10), et tantôt l'homme de dou-
nité de Dieu, et qu'il était le dépositaire leurs (Isa.
de cette grande vérité, c'était lui, c'était par tions (Agg.un, 8),
3); tantôt le Désiré des na-
lui qu'elle devait se répandre dans l'uni- peuple (Psal. h, 7) dans et tantôt le rebut du
xxi, un endroit il est
vers. le précepteur des gentils (Isa. tv, 4), et dans
Mais ce peuple appelé à un si haut minis-
un autre l'opprobre des hommes (Psal. xxi, `
tère, ce peuple si instruit de sa propre his- 7); celui-ci le voit rassemblant ses sujets
toire et de l'histoire des premiers âges du des quatre parties du monde
(Isa. 12), ce-
monde, n'avait-il aucune connaissance de lui-là le voit les pieds et les xi, perces
mains
sa destination future et de la mission su- (Psal.
xxi, 17), abreuvé de fiel et d'amer-
tume{Psal. lxviii, 22) l'un le voit sur le nécessaire
«< dérivé de la nature des êtres, unu
trône, et l'autre sur la croix. S'il ne doit loi.
Je
être le libérateur que du peuple juif, pour- La société en général est une réunion d'ê-
quoi ces caractères qui ne peuvent convenir tr tres semblables, réunion dont la fin est leur
qu'au libérateur de tons les peuples? C'est production
pi et leur conservation mutuelle.
Le principe de production et de conser-
un signe donné aux nations, afin qu'elles vation des êtres est l'amour. Or je vois en-
l'invoquent; sous lui un peuple inconnu se Y.

joindra au peuple de Dieu, et il ne fera qu'un tr Dieu et tous les peuples de la terre, hors
tre
société dont le principe est la
peuple composé de. tous les peuples de l'uni- uun seul, une
vers les prêtres et les lévites qui ne sor- haine h ou la crainte sans amour.
taient que d'Aaron, sortiront dorénavant du Dieu et l'homme font donc une société d'ê-
milieu des peuples idoldtres le Juste descen- tres tl semblables réunis pour leur destruction
dra du ciel comme une rosée la terre pro- n mutuelle. Destruction de Dieu pour l'homme
et sera le Sauveur avec intelligent,
il par les idées fausses qu'il se fait
duira son germe, ce
lequel on verra renaître la justice. Tout ge- dde la
Divinité, et par les honneurs divins
fléchira devant lui, et tout reconnaîtra qu'il
q rendait à l'homme; destruction de Dieu
nou même l'homme physique, par les re-
sa souveraine puissance. Si les Livres saints » pour
royauté, ils parlent pas présentations
P impures ou affreuses, par les-
parlent de sa ne
moins de son sacerdoce, et j'y remarque à quelles q il le peint à ses sens; destruction de
intelligent, qui, en perdant la con-
la l'ois ce culte nouveau dont il doit être le l'homme »

pontife et la victime; cette alliance nouvelle naissance r de Dieu, perd l'idée de la per-
dont il doit être le médiateur et le garant, fection, f et par conséquent cesse lui-même
nouvelle société dont il doit être le de
c se «onserver dans la perfection conforme
cette
fondateur et le pouvoir. ài sa nature car la perfection de l'être intel-
profanes, et je lis ligent consiste à avoir l'idée de la perfec-
J'ouvre les histoires
dans Tacite et dans Suétone, que c'était une tion t qui est Dieu; destruction de l'homme
opinion constante et répandue dans tout l'O- physique, 1 et parle déchaînement de sa force,
la
rient, vers le temps d'Auguste, qu'on ne se- et < par l'oppression de sa faiblesse, et par
rait pas longtemps sans voir sortir de la Ju- barbarie 1 du culte, et par l'atrocité des guer-
la férocité des spectacles, et par
dée ceux qui régneraient sur toute la terre. res, et par
d'Auguste, lors- la prostitution, et par le divorce, et par
En effet, sous le règne l'exposition publique, et par les misères de
qu'une paix générale vient d'être donnée à
destruction de tout l'homme,
l'esclavage,etc.;
l'univers, et que la Judée a subi le joug des après cette vie, les châtiments nécessai-
Romains, naît chez les Juifs, et de la par
rement réservés au plus grand des crimes,
race
de leurs rois, un homme qui, dans les cir-
vie de la haine de l'Etre infiniment aimable.
la haine réciproque de..
constances de sa naissance, de sa et
qui Il faut donc que
sa mort, et surtout dans les événements Dieu et de l'homme se change en amour mu-
l'ont suivie, me paraît réunir tous les carac- Dieu et l'homme puissent
libérateur attendu des tuel, pour que
tères attribués ce à
faire ensemble une société véritable, c'est-à-
Juifs; un homme qui, dans l'établissement [.
dire, constituée, réunion d'êtres semblables,
et les progrès de la société religieuse dont
aussi réunir dont la fin soit leur production et leur con-
il est le fondateur, me paraît
conviennent chef, servation .mutuelle. Il est donc nécessaire
tous les caractères qui au 1 Dieu et l'homme soient réconciliés. Ce
ru pouvoir de la grande société religieuse, que sont là des rapports nécessaires dérivés de
de la religion sociale, c'est-à-dire univer-
humain, qui, la nature des êtres sociaux; donc ce sont
selle, au Sauveur du genre 5 des lois.
constituant la société civile par la société
assuré la conservation de Mais cette réconciliation de Dieu et de
religieuse, a l
3
s'opérer sans médiateur.
l'homme intelligent et physique, et fondé l'homme ne peut
toujours la liberté des enfants de Dieu, En effet, la haine de la Divinité, c'est-à-
pour
les arrachant à la fois à l'oppression reli-
1
dire de l'Etre infiniment bon, est le rapport
en
gieuse et à l'oppression politique. le moins nécessaire qui puisse exister entre
le plus contraire, c'est-
Je cherche si la raison peut me conduiree les êtres, le rapport contraire à la nature des
à reconnaître, pour le genre humain, la né- à-dire infiniment donc crime
cessité d'un médiateur, ou autrement, si laa êtres. La haine de Dieu estrapportun
infini, car un crime est un non ne-
ïMemplion {Ju genre humain est un rapport. •t.
555
55Ï5 OEUVRES COMPLETES tEjO DE
L')E, M.
lU. DE BONALD.
UE.m'MALU. g36
556
cesmire entre les êtres ou contraire à leurr tous
t< les hommes à la considération d'un
nature, homme
h détruit, et la justice humaine nous
L'homme qui hait Dieu le hait d'une donne d l'idée et J'exemple d'une pareille
î
baine infinie puisque cette haine
a pourr compensation.
c<
motif la crainte du mal le plus grand Cet homme détruit à la place de tous les
quei
l'homme puisse éprouver, d'un mal infini, hommes In et à la considération duquel tous
la crainte de sa destruction; et pour objet, les Je hommes devront leur pardon,
l'être le plus puissant qu'il puisse redou- l'homme sera donc
l'i universel, l'homme général, il sera
ter, un être infini. Dieu* qui hait l'homme 11 l'humanité même puisqu'il sera puni à la
coupable, le hait d'une haine infinie, parce place p! de tous les hommes, puisque tous les
que tous les sentiments en Dieu sont infinis, hommes ht seront pardonnés à cause de lui.
et que le sujet de sa haine est un crime in- Cet homme qui sera détruit à la place de
fini, et son objet un être infiniment cou- tous to les hommes sera donc infiniment haï
pable. d( Dieu, puisqu'il sera chargé du crime in-
de
L'homme ne peut se réconcilier avec fini firt de tous les hommes
Dieu s'il n'en est pardonné, ni Dieu se ré- mérites cet homme aux
m duquel tous les hommes devront
concilier avec l'homme s'il n'est satisfait. Je leur pardon sera infiniment aimé de Dieu,
Ce sont des rapports nécessaires dérivés de
puisqu'il méritera à tous les hommes le par-
pl
l'être infiniment juste et de l'être infiniment don de d'un crime infini.
bon.,Mais, pour que l'homme satisfasse à Or Dieu ne peut haïr infiniment que
Dieu, il faut qu'il l'aime et il le hait d'une l'é l'être infiniment haïssable, qu'un homme
haine infinie Pour que Dieu par- coupable, ni aimer infiniment qu'un
donne à l'homme, il faut qu'il l'aime, et il co infiniment aimable, que lui-même, que
in
être
le hait d'une haine infinie 1 Dieu et 1 homme Dieu. Di Cet homme sera donc Dieu il sera
ne peuvent donc se réconcilier l'un à l'au- ho homme-Dieu, Ce sont là, j'ose le dire, des
tre, puisqu'ils ne peuvent s'aimer. rapports
ra nécessaires, dérivés de la nature
Ce sont là des rapports nécessaires; donc des de êtres donc ce sont des lois.
ce sont des lois. Si l'homme ne peut se ré- L'Homme-Dieu sera donc détruit à la place
concilier avec Dieu sans satisfaire à sa jus- de tous les hommes
tice, ni Dieu pardonner à l'homme sans être tice pour satisfaire à la jus-
tic de Dieu et tous les hommes seront
satisfait, Dieu ne pourra jamais pardonner pardonnés conservés
pa et par les mérites et à
l'homme, puisque l'homme ne pourra ja- la considération de cet Homme-Dieu. Cet
mais satisfaire à Dieu. jjc
Homme-Dieu qui réconciliera les hommes
Donc un médiateur entre Dieu et l'homme, Dieu sera donc le médiateur d'une
avec
av<
qui satisfasse pour l'homme et qui lui mé- nouvelle alliance
rite son pardon de Dieu, est un être néces- no entre Dieu et les hommes;
le fondateur d'une société constituée
saire ou tel qu'il ne peut exister autrement. d'u ou
d'une société de conservation dont le prin-
Un crime infini suppose une justice in- cipe cip est l'amour, à la place d'une société
finie dans l'être qui punit, ou une bonté
non constituée d'une société de destruc-
noi
infinie dans l'être qui pardonne. Or, Dieu tio tion dont le principe est la crainte sans
est l'être infiniment juste et infiniment bon. am amour, ou la haine. 11 sera donc le Sauveur,
II punira donc l'homme infiniment
cou- le Rédempteur du genre humain et le fonda-
pable avec une rigueur infinie, il lui par- teur teu de la société religieuse constituée ou
donnera avec une infinie bonté. de la religion chrétienne.
Quel est l'acte de la justice infinie de Tous
1 ces rapports sont nécessaires, tous
Dieu, qui veut punir l'homme du crime in- dér dérivés de la nature des êtres sociaux donc
fini dont il s'est rendu coupable ? C'est l'acte ils sont des lois.
de le détruire.
f Homme-Dien a aimé les hommes d'un
Cet
Quel est l'acte d'une bonté infinie dont
infini puisqu'il s'est abaissé pour
Dieu peut user envers l'homme coupable amour am<
eus d'une manière infinie, et que, de Dieu
qu'il veut pardonner? C'est l'acte de le con- gu'
server.
Mais Dieu lui-même peut-il à la fois dé-
truire et conserver l'homme ?
f
eux
qu'il était, il est devenu homme et a pris la
forme d'un esclave; puisqu'il s'est volontai-
°^ chargé du crime infini dont ils s'é-
rement
taient rendus coupables, et que, pour l'ex-
taie
Oui: il peut détruire un homme à la piei pier à leur place et les conserver en apai-
place de lousjes hommes; il peut conserver sant la justice
sani de Dieu, il s'est dévoué à (a
haine infinie de Dieu et aux rigueurs infl- ià mesure que la société est plus constituée.

nies de sa justice. Cet amour a donc été le Ainsi, nécessité d'un médiateur, promesse
principe de conservation des hommes; cet d'un Sauveur, établissement d'une nouvelle
amour se produisant au dehors par la force alliance plus générale et plus parfaite, et
ou par le corps, puisque Dieu a pris un dans le même être, les infirmités de l'homme
corps et a souffert dans son corps, a donc et les grandeurs de Dieu, la naissance de
été le pouvoir conservateur des hommes l'homme et l'éternité de Dieu, la mortalité de
car on a vu dans la première partie de cet l'homme et l'immortalité de Dieu; tous ces
ouvrage, chap. 1", que l'amour des hommes caractères se présentent à moi dans tous les
était le principe de leur conservation, et que temps qui ont précédé l'état, présent de la
l'amour agissant par la 'force était, dans la religion chrétienne, et dans tons les écrits
société constituée, le, pouvoir conservateur que cette religion révère comme divins, et
des hommes. Jésus-Christ, ou l'Homme-Dieti, c'est le trait le plus marqué de sa perfection,
est donc le pouvoirgénéral conservateur, le de sa nécessité, de sa divinité.
monarque de la société religieuse constituée, « On peut, dit Bossuet, suivre
aisément
de cette société, réunion d'êtres semblables l'histoire des deux peuples juif et chrétien
pour leur conservation mutuelle, de la reli- et remarquer comment lHomme-Dieu fait
gion chrétienne. l'attente de l'un et de l'autre; puisque, at-
Tous ces rapports sont nécessaires; donc tendu ou donné, il a été, dans tous les
ils sont des lois. temps, la consolation et l'espérance des en-
Cet être extraordinaire, cet Homme-Dieu, fants de Dieu. »
s'il est homme, il doit naître et mourir Dans la religion naturelle, premier âge
comme un homme; s'il est Dieu, il ne peut du monothéisme ou de la religion de l'unité
naître ni mourir comme unhomme; il doit de Dieu, le Médiateur est promis à la pre-
précéder sa naissance et survivre à sa mort: mière famille après sa chute la promesse
et la religion chrétienne me montre en effet est obscure et enveloppée; c'est le germe
THomme-Dieu venant au monde par une gé- jeté en terre, et qui y reste longtemps en-
nération ineffable, et ressuscitant par sa pro- seveli.
pre vertu, le troisième jour après sa mort. Les familles s'unissent, la société reli-
Mais,si la religion chrétienne a Dieu même, gieuse se développe, le germe mûrit, et
Dieu fait homme pour fondateur et pour les promesses deviennent plus claires et plus
pouvoir, elle est donc la religion constituée, répétées.
le dernier état sur la terre, le dernier âge « Le peuple de Dieu, » dit Bossuet, « pris,
de la société religieuse de l'unité de Dieu. sous Abraham, une forme plus réglée. Dieu
Car quel être pourrait fonder une société fait une alliance particulière avec ce saint
plus parfaite que celle que Dieu a fondée et patriarche, et lui promet qu'en lui et en sa
qu'il conserve? Je dois donc retrouver dans semence toutes ces nations aveugles qui
ses différents âges et dans tous les états par oubliaient leur Créateur, seront bénies,
lesquels elle a passé, le germe de son état c'est-à-dire appelées à sa connaissance, où
présent, et par conséquent l'annonce de la se trouve la véritable bénédiction.
rédemption qui constitue son dernier état, « Par cette parole, Abraham est fait le père
la promesse, ou la figure de l'Homme-Dieu des croyants, et sa postérité est choisie pour
qui lui a donné sa dernière forme. Car la être la source d'où la bénédiction doit s'é-
société constituée, religieuse ou politique, a, tendre par toute la terre.
ainsi que l'homme, un principe intérieur de « En cette promesse estait renfermée la ve-
perfectionnement; et, dans les différents nue du Messie, toujours prédit comme celur
états par lesquels elle passe, on peut aper- qui devait être le Sauveur de tous les gen-
cevoir le germe de la perfection à laquellé tils et de tous les peuples du monde. Ainsi
elle doit parvenir, comme dans tous les âges ce germe béni, promis à Eve, devint aussi
de l'homme on peut apercevoir le germe de le germe et le rejeton d'Abraham.»
la perfection physique et morale à laquelle Le sacrifice de l'homme parfait est figuré
il doit s'élever. dans celui de l'homme juste et le sacrifice
L'on retrouve en effet, dans les différents volontaire d'Isaac était, selon le même au-
3ges de la religion, chrétienne ou constituée, teur, « une belle et vive image de l'oblation
le germe et l'annonce de ces grands événe- volontaire de Phomme divin. ),
ments. L'un et l'autre sont plus développés La distinction des tribus, qui forme la base
de l'état politique du peuple juif, commence même temps l'éternité de sa génération, la
aux enfants de Jacob la religion se déve- sainteté de sa vie, l'immortalité de son être.
loppe avec la société, et la promesse du Mé- Ce double caractère dedivinité etd'bumanité
diateur avec la. religion. Le sceptre (c'est-à- se développe à la fois; etjene vois jamais
dire l'autorité), dit Jacob mourant à ses en- l'homme que je n'aperçoive aussitôt Dieu.
fants, ne sortira point de Juda, et on verra Les temps sont accomplis. Cet homme pa-
toujours des capitaines et des magistrats,ou rait sur la terre; il vient. dit-il lui-même,
des juges nés de sa racejusqu'àce que vienne accomplir la loi et non la détruire (Matth.t
celui qui doit être envoyé, et qui sera l'at- v, 17), et perfectionner la religion en la con-
tente de tous les peuples. (Gen. xux, 10 )y duisant à son entier développement. L'a-
Le peuple de Dieu se forme, sous la con- mour parfait est substitué à l'amour impar-
duite de Moïse, en société extérieure en parfait chez les Juifs, à la haine chez les gen-
corps de nation la religion, jusqu'alors do- tils le don de l'homme parfait remplace le
mestique et renfermée dans l'enceinte de la don de l'homme coupable et l'offrande de
famille, devient publique et nationale. Moïse la propriété la plus pure, la sanglante des-
confirme au peuple hébreu la venue du grand truction des animaux. L'alliance de Dieu
prophète qui devait sortir d'Abraham, d'I- avec un seul peuple fait place à son alliance
saac et de Jacob.'Dîew, dit-il, vous suscitera, avec tous les peuples, et la religion en es-
du milieu de votre nation et du nombre de prit et en vérité termine la religion des fi-
vos frères, un prophète semblable à moi; gures et abolit la religion des passions. Tous
écoutez-le.. (Deut. xvm, 15.) « Ce prophète les crimes par lesquels l'homme social op-
semblable à Moïse, et législateur comme lui, primait son semblable, cessent dans l'uni-
qui peut-il être, » demande Bossuet, « sinon vers policé. x Sur ce principe, » dit Bossuet,
le Messie, dont la doctrine devait un jour « queDieu ne dédaignait pas de former société
régler et sanctifier l'univers. » avec l'homme, était bâtie toute la loi; loi
Dans la religion naturelle, le Médiateur a sainte juste, bienfaisante honnête, sage,
été promis; dans la religion judaïque, il est prévoyante et simple, qui liait la société des
montré, et son sacrifice est figuré. Tous les hommes entre eux par la sainte société de
ans l'agneau était immolé, était mangé, en l'homme avec Dieu » c'est-à-dire, qui liait la
mémoire de la délivrance d'Egypte. Tous société politique par la société religieuse,
les ans,dans le sacrifice expiatoire qu'offrait pour n'en former qu'une seule société, la so-
le grand prêtre au nom de toute la nation, ciété civile; société qui est la réunion des
deux animaux chargés de toutes les iniqui- hommes physiques intelligents par l'amour
tés du peuple étaient offerts l'un était sa- général des uns pour les autres, personnifié
crifié, l'autre était renvoyé libre. « Ces deux dans le monarque pouvoir général conserva-
animaux, dit un savant interprète, étaient teur de la société politique, et la réunion
visiblement la figure de l'Homme-Dieu; un des hommes intelligents physiques par leur
seul n'aurait pu marquer ses deux natures, amour pour Dieu et par l'amour de Dieu
l'une passible, l'autre impassible. Mais celui pour eux, personnifié dans l'Homme- Dieu»
qui était offert marquait très-bien l'humani- pouvoir général conservateurdelasociété re-
té 'sainte, qui étant mortelle, a pu souffrir ligieuse; société civile constituée, réunion de
et mourir; et l'autre qui, étant chargé de 'Dieu et des hommes, réunion d'êtres sembla-
tous les péchés du peuple, était renvoyélibre bles intelligents et physiquespourlafin de leur
dans le désert figurait la Divinité qui est production et de leur conservation mutuelle.
impassible et immortelle. » (Théodoret.) Nlais la raison humainepeut-elle atteindre
A mesure que les temps approchent, les à la hauteur de ce mystère, demandent les
caractères de l'Homme-Dieu, du Médiateur, esprits forts et les esprits faibles, et le chré-
du Messie, deviennent plus marqués, et la tien timide qui rougit de révérer ce que
promesse d'une nouvellealliance, ou d'une d'autres nient, et le philosophe,plus faible
nouvelle société, plus expresse. Ces carac- encore, qui s'enorgueillit de nier ce que
tères, ces promesses, sont rassemblés d'une d'autres révèrent? La raison humaine ne pé-
manière admirable dans l'éloquent Discours nétrera jamais le comment du mystère de
sur l'histoire universelle, par Bossuet. On y l'Incarnation divine, parce que l'intelligence
voit prédites par les prophètes toutes les humaine n'a pas la capacité de ccmprendre
circonstances de sa naissance, toute la suite la manière dont peut agir l'intelligence di-
de sa vie, tous les détails de sa mort, et en vine car deux intelligences qui se corn-
LIV. IV. 5i2
341 PART. 1. ECONOM. vua. PART.
SOC– THEORIE DU POUVOIR. rnm. m. rvv.. RELŒffiUX.
li. POUV.
lu ""I,¿LI''II:8'.I.JU~8-41.'l,.I-
nui a le libre usage de ses facultés intellec-
prendraient mutuellement seraient égales, qui
nmnHnii>nt
comme deux corps de même figure et de tuelles pense nécessairement à l'objet de son
même volume, dont les poids seraient en amour, et que l'homme qui a le libre usage
parfaitéquilibre. Mais, lorsque la religion me de ses facultés physiques produit nécessaire-
présente, lorsque la raison me confirme la ment son amour par faction de ses sens.
nécessitéde cette médiation auguste, de cette Dans Dieu, être simple, l'intelligence est
rédemption ineffable, si ma vue trop faible distinguée de l'amour, puisque Dieu pense
ne peut se fixer sur la manière dont cette au méchant sans l'aimer, et l'intelligence ou
action toute divine a pu se consommer, la la volonté est distinguée de la force, puis-
religion ne défend pas à ma raison de cher- que Dieu veut de toute éternité, et qu'il ne
cher à pénétrer les rapports avec ce qu'il fait que dans le temps.
m'est permis de connaitre de la nature de Dieu est amour, et l'amour le plus fort
Dieu, et ce que je connais de la nature de qui puisse exister, puisque son amour est
l'homme, rapports qui ne peuvent être que infini. L'amour, parce qu'il est amour,
nécessaires et dérivés de la nature des êtres cherche à se produire par la force ou par
soeiaux; et qui sait si, lorsque les lois que une action extérieure; car, si l'amour qui est
ce divin Législateur a données aux
hommes
3n Dieu n'était pas semblable, en lui-même
sont devenues un sujet de dérision et de et quant à son essence, à l'amour qui est
censure, et lui-même l'objet de l'outrage et dans l'homme, l'homme ne serait pas fait à
de la haine, il n'entre pas dans les vues de1 l'image et à la ressemblance de Dieu il ne
sa providence sur les hommes, de cette vo-
société, pourrait former avec Dieu, société d'intel-
lonté générale conservatrice de la ligence et d'amour il ne pourrait aimer
de laisser percer quelque lumière sur ses) Dieu ni même penser à lui.
opérations merveilleuses ? Et oserait-on sou-
Ainsi l'amour que Dieu avait pour lui-
tenir que l'homme, qui découvre sans cesse1 même s'est produit au dehors et par l'action
de nouveaux rapports entre les êtres maté-
extérieure de la création, parce que l'amour
tériels, ne peut pas en découvrir de nou-
de soi est le principe de la création des étres,
veaux entre les êtres intelligents? et qu'agissant par la force ou par une ac-
Revenons aux principes je supplie les
lecteur de redoubler d'attention sur les con- tion extérieure il est pouvoir créateur des
êtres (2).
séquences.
L'homme est intelligence, amour et force Mais l'amour des êtres est le principe de
et l'homme est fait à l'image et à la ressem- conservation des êtres; et lorsqu'il agit par
blance de Dieu. la force ou par une action extérieure, il est
Dieu est donc intelligence, amour, forcee pouvoir conservateur des êtres or, on vient
ou puissance (!)• ae voir que la conservation des êtres so-
Dans l'homme, être composé, l'intelli- ciaux demande nécessairement l'incarna-
gence est esprit, la force est corps l'amourr tion de Dieu ou que Dieu se fasse homme.
tient à à l'un et à l'autre, puisque l'hommee Donc l'amour des êtres se produira «u
( 1 ) Il est aisé, ce me semble, de justifier l'or-
thodoxie de cette proposition par un passage du u
- l'appuie par des considérations tirées du premier
chapitre de la Genèse, où il semble que l'eau ait
première Epitre de saint Jean, passagee été comme la matière première des êtres, puisqnVn
chap. v de la
qui a beaucoup exercé les interprètes, et qui s'ac- parlant de l'Esprit de Dieu, il est dit dans l'hébreu
corde singulièrement avec les principes que j'ai éta- qu'il était porté sur les eaux, comme une mère
blis. H y en a trois, dit saint Jean, qui rendent té- sur ses petits. (Incubabat.)
moignage dans le, Ciel, c'est-à-dire, dans Dieu le 'e Aussi lorsque, dans le verset précédent, saint
Père, le Verbe elle Saint-Esprit, et ces trois i.
sont un. Jean oit que le Fils de Dieu est venu, non-seulement
Le Père est volonté; le Verbe est force; le Sah>t-Es- avec l'eau, mais avec le sang, cela veut direforce que
s'est manifesté par sa
prit, amour qui lie l'un et l'autre, et procède de l'un n son amour pour nous
Ainsi la suite du si nous re-
et de l'autre. Il y en a aussi trois qui rendent té-
i- ou son corps. passage,
de
moignage sur la terre, c'est-à-dire, dans l'homme, > cevons le témoignage des hommes, le témoignage
J'esprit. l'eau et le sang, et ces trois reviennent à un.
Z Dieu est plus grand, signifierait que, quoique nous
L'esprit est volonté, le sang est force ou corps; trouvions dans nous-mêmes, dans l'homme, une
de
l'eau désigne le baptême qui est amour amour dee preuve, un témoignage de la certitude du dogme
l'a révélé
Dieu, amour de nous-mêmes, amour des autres, i, la Trinité, le témoignage de Dieu qui nous
principe de la société religieuse, de la société na- est encore plus croyable que le témoignage que nous
turelle, de la société politique. Car le baptême nouss trouvons en nous-mêmes. Ce passage n'est Testa-pas le
donné: 1° l'amour de Dieu, puisqu'il nous fait sess seul de l'Ancien, et plus encore du Nouveau!
enfants; 2° l'amour de nous-mêmes, puisqu'il nouss ment, dont mes principes sur les sociétés donnent
fait bons; 5° l'amour des autres, puisqu'il nous faitit une explication assez naturelle.
frères. On peut voir dans les commentateurs, quee liv.i,
(2) Foi/.part.i, chap. 1.
saint Augustin donne ce sens au mot aqua, et qu'il Il"'
3tj'K<m.i~t-~D~ 1 ~f~l'
dehors. par la force de Dieu, ou l'action ex les plus absurdes. Lorsque Sémélé, mère de
térieure de l'incarnation. Bacchus, qui, suivant tous les mythologis-
Dans l'homme, être fini, l'amour se pro- tes, a de grands rapports avec Moïse (t)
duit par une action finie. demande à voir Jupiter dans sa majesté, et
Dans Dieu, être infini, l'amour se produit la foudre à la main, elle en est consumée.
par une action infinie. Lorsque l'homme intelligent veut se com-
L'action de l'amour producteur ou con- muniquer à ]'bomrae intelligent qui existe
servateur des êtres est le don que l'objet ai- avec lui dans le même temps et dans le mé--
mant fait de soi-même à l'objet aimé. Per- me lieu, il emploie la parole verbale; mais
sonne, dit le divin fondateur de la religion s'il veut se communiquer à un grand nom-
chrétienne, ne peut donner un plus grand bre d'hommes intelligents, à une société
témoignage d'amour que de donner sa vie tout entière, et se communiquer aux hom-
pour ses amis, ou de se donner soi-même. mes qui existent dans d'autres temps et
(Joari. xv, 13.) dans d'autres lieux, il ne peut employer que
Donc dans Dieu,l'action de l'amourcréateur la parole écrite et, comme dit un poëte, il
et conservateur des êtres est le don que Dieu peint la parole, il parle aux yeux, et donne
fait de lui-même à l'homme qu'il aime. un corps à ses pensées.
Ainsi ['amour créateur s'est manifesté par Mais Dieu a aussi une parole, puisqu'il
le don que Dieu a fait à l'homme d'une por- est intelligence, et qu'il fait société avec des
tionde lui-même ou de son intelligence, en intelligences unies à des corps cette pa-
le créant semblable à lui et l'amour consèr- role est, suivant les Livres saints, sa puis-
vateur se manifestera par le don que Dieu sance ou sa force; car il n'est pas dit, en
fera à l'homme de tout lui-même, en se don- parlant de la création, il a voulu et tout a
nant tout entier à lui. été fait mais, il a dit et tout a été fait
Tous ces rapports sont des rapports néees- « dixit et factasunt (Psal..xxnr, 9); » etail-
saires dérivés de la nature des êtres donc leurs, les deux ont été faits par sa parole;
ils sont des lois. « verbo Domini cœli firmati sunt. » Ibid.,
Nous avons vu qu'une intelligence ne 1 ) Cette même expression, Dieu dit,
6. se
peut se donner elle-même ou se communi- trouve
< répétée dans la Genèse, à tous les
quer à une intelligenceunie à un corps, que actes
<
de la création.
par la parole soit verbale, soit écrite. Mais Dieu, pour parler à l'homme, a employé
Dieu ne peut parler ni écrire lui-même, des
< hommes qu'il a chargés du soin de par-
sans cesser d'être pure intelligence, sans ler
• sa parole, olim loquens Deus patribus in
cesser d'être uniquement Dieu. Lorsqu'il a prophetis
î ( Uebr. i, 1 ) pour parler à une
voulu parler à l'homme, il a donc employé société,
s et lorsqu'il est nécessaire que sa
le ministère des créatures; car Dieu, dit parole
1 soit plus générale il emploie sa pa-
dit saint Augustin, ne peut parler que par role
1 écrite dans les Livres saints, loquens in
des organes matériels, non nisi per creatu- Scripturis. Mais, lorsqu'il veut parler à la
ram visibile factum est. Ainsi nous voyons, société
s générale, à l'univers, il est néces-
dans les Livres sacrés de l'Ancien Testament, saire
E qu'il emploie la parole la plus géné-
que l'Ange du Seigneur apparaît, et jamais rale
î et la plus universelle la parole la plus
le Seigneur lui-même. Les fictions de la my- générale
£ et la plus universelle est la parole
thologie s'accordent avec les faits rapportés 1la plus extérieure; la parole la plus exté-

dans les Livres sacrés. Quand lesdieux,dans rieure


r est la parole qui se fait entendre au
l'âge d'or, se communiquent aux mortels, plus
f grand nombre de sens mais la parole
ils apparaissent sous divers déguisements. extérieure
e est corps ou matière; elle sera
Lorsque Dieu veut parler à la société des donc
c la matière la plus parfaite, puisqu'el le
Hébreux, il emploie l'organe imposant des représentera
r la parole de Dieu la plus géné-
éléments pour frapper leurs sens c'est rale,
r lapJus universelle; et en même temps
l'air et le feu, le tonnerre et les éclairs; elle
e sera la matière la plus extérieure, c'est-
aussi les Hébreux effrayés demandent que à-dire
à qui frappe à la fois le plus grand
le Seigneur ne leur parle pas lui-même, nombre
c de sens. Elle sera donc l'homme,
de peur qu'ils ne meurent. (Eocod. xx, 19. ) ccar l'homme est la matière la plus parfaite,
Kl remarquez encore ici l'accord de l'his- e celle qui frappe à la fois le plus grand
et
toire et de la fable, même dans ses fictions nombre
n de sens, ou la plus extérieure.
Î i) RI:H"hll~ nntrn !}lIl'r"u~: rnccn.i,t~·a-.v
Dieu
Difvn fera un -linmmo rla
donc un-homme
fflpa rlntïr» desa nnrnlo et
ca parole; t
vv v
nt force
av. w.a,
l'ai flil
farc.p.t( 1) J'ai nnft la force
dit que fnrp.p. était
s.. v · n
<5ta 1t1 action
flp.linn
tJ~U

,•
cette parole humanisée, devenue homme oua de l'amour producteur ou conservateur.;aus-
personne, sera le Fils de Dieu; parce que la a si
lorsque le Verbe veut se produire au de-
parole,est fille de celui qui parle, et l'actionn hors, c'est l'amour ou l'Esprit-Saint qui le
fille de celui qui.:agit. Elle sera Dieu même, rend extérieur en lui formant un corps.
comme la parole est l'homme qui parle, ett Ainsi je crois que Dieu a parlé au peuple
l'action l'homme qui agit.; mvissime diebuss hébreu par le ministère de Moïse et dés
MtM <OCM<MS e~'ttOM~ in ft~'O. (,@e6f. 1, 1.)) prophètes, lorsque je vois cette constitution

Cette parole devenue homme paraîtra auil religieuse que cinq mille ans n'ont pu dé-
milieu des hommes, # Verbum (qui signifieà truire, mi même altérer, vette .constitution du
parole) carofactum estj et habitavit in no- rable, à l'épreuve du temps, de la fortune et
bis. (Joan. i, ilA.) des conquérants.
Ce sont des rapports nécessaires dérivés Et je crois que Dieu a parlé lui-même â
delà nature des êtres donc ce sont des lois. l'univers, lorsque je vois cette constitution
Gomment .s'esit opéré ce prodige d'amourr religieuse, que dix-huit siècles n'ont fait
et de force ? Je l'ignore,, et ne cherche pas ài qu'affermir, cette constitution durable, à l'é-

-
le pénétrer; mais,, ;si l'Etre suprême a pu1 preuve du temps, des passions «t des uhijo-
former un corps qu'il a animé d'une portion1 sophes.
.de son intelligence., qui oserait nier qu'il1 CHAPITRE III.
ne puisse former un; corps qu'il animeral
JÉSUS-CHRIST.
de >t0ujte son intelligence ?
Je vais plus loin, et je ne crains pas dé C'est donc chez le peuple juif que naît,
dire qu'à méditer profondément sur les opé- "dans le .temps marqué par les Livres saints,*
rations.de l'esprit que suppose fart de lire et sous le règne d'Auguste, cet homme qui
et d'écrire, cet &ri que:, par un prodige au- se donne pour le Messie attendu des Juifs,
quel l'habitude seule nous. rend insensibles, et que la religion chrétienne nous montre
>
on apprend à l'enfant comme aux plus gros- comme le Médiateur promis aux Sommes;
siers etaux plus bornés des hommes, on doitt cet homme, signe de contradiction et de
regarder comme un mystère incompréhensi-• scandale, et dont la personne et la doctrine
ble, que l'homme.aussi puisse matérialiserdevaient être, dans toute la suite des temps,
<sa pensée et donner un corps à sa-parole. l'objet de l'adoration la plus profonde et de
J'oserai faire voir l'accord des principes l'amour le plus ardent,
ou l'objet des outra-
que je viens d'exposer, avec un dogme fan- ges les plus sanglants et de la.haine.la plus
(lamentai de la religion chrétienne,, en sou- déclarée (2). Du sein du plus furieux
ruettan,t cette explication et mes principes à fanatisme, la plus haute sagesse se fait enten-
l'infaillible décision de l'autorité de l'Eglise. âre(3.-r-J. ROUSSEAU); te) est l'hommage que
Dieu est intelligence ou volonté; il se pro- la vérité arrache à la philosophie, dans le
duit pu il agit par sa parole ou par son fer- même temps que l'inconséquent philosophe
be.Son Verbe est donc force ou puissance; ose traiter de fanatisme le zèle du peuple
omnia per ipsum fapta sùnt. ( Joan. î, 3. ) juif à défendre la foi de l'unité de Dieu,
Mais l'action de ;sa fonce ou de sa puissance dontTil était, le dépositaire.
a pour motif ["amour ,de soi et l'amour des Médiateur d'une nouvelle alliance, vic-
êtres qu'il veut créer et conserver. Uamour time d'un nouveau sacrifice, pontife d'un
est donc le lien de là volonté et de la puis*- nouveau culte,; fondateur d'une nouvelle
sance^ ir procède donc de Dieu et de son société, < Jésus-Christ réunit la plénitude de
Verbe, .comme Tamour dans Phomme tient ]la sagesse à "la plénitude delà puissance;
à J 'es prit et au corps, à la volonté
(1)
età la j mais de
Qu'on prenne garde que partout où ilexjste le
.a tous les prodiges par lesquels il
1 lient d'un témoin oculaire.
deux êtres, y y en a nécessairement un troisième On sait qu'unie nos plus fougueux.révolution-
qui procède de l'un et de d'autre, et qui est le rap- naires,
i Ajiacharsis Clootz, était si connu par sa
puri qui existe nécessairement entre eux. 1haine contre 1p. fondateur de la religion .chrétienne,
(.2) J'ajouterai de ta jalousie. On faisait devant qu'on
< l'appelait f ennemi personnel de Jésus-Christ.
Vultaire l'éloge philosophique de la sagesse des ré- On ( a vu, sous le tyran de la France, quelques chets
poiises de ilésuS'Christ, de la sublimité dé son es' d'un parti longtemps oppresseur et aloiîs .opprimé,
prit; et Voilaire, qui avait donné pendant cette con- ttraduits
vers
veisaiion des marques non équivoques d'impatience, sa
se tourne
l

Monsieur, lui <lit41-a-vecvivacité, Jésus-Christ avait- îdont


t
il plus d'esprit que moi? Le fait s'est passé à Paris, .Les
.1
devant le tribunal de sang, croire intéresser
s pitié, ou mériter son indulgence en ïaisani des
l'indiscret panégyriste: railleries impies sur la personne de iésus^Gtorist,
il n'était nullement question dans leur affaira.
malheureux! ils ont blasphéme, et ne se seat
chez
vue* Voltatre,
ruuarre, peu deae temps avant sa mort, et -ou
mort,' et ou pas sauvés.
()RI'1VnV~ ~tf ~Afl' n~– T
j
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établit ~t. 1~loe
¡.-1. sa mission,le
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la vérité
nant est lui-même.
plus éton-
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1» V&
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M.II
1~réprime
E «Ur«ALU.
r6nnimn la force particulièredel'homme
548
In Pnlr·nurvsniin"lirlnn~iln.l~l,~nmn,
een interdisant jusqu'à la défense la plus lé-
Sa vie a été écrite par quatre histo- gitime,
g parce qu'il veut que, dans la société
riens différents. La philosophie est forcée de civile,
c l'homme soit défendu par la force
convenir que jamais histoire ne présenta publique
p mais il honore la force publique
plus le caractère de la vérité, et elle va jus- ddans la personne du centenier, et déclare
qu'à dire que l'i1iventeur en serait plus qu'il
q n'a pas trouvé une plus grande foi
étonnant que le Héros, [i .-J.Rousseau.) dans
d Israël. Il protège la faiblesse de l'âge,
Dans le fondateur de la religion chré- et e accueille l'enfant avec une bonté toute
tienne, je vois extérieurement un homme; particulièrep la faiblesse du sexe, et il égale
mais, s'il a les besoins de l'homme physi- à l'adultère le simple désir de le commettre;
h faiblesse de la condition, et il témoigne
que, je n'aperçois pas en lui les faiblesses la
de l'homme moral. Egal à l'un, il paraît en .1;là plus grande sollicitude sur les misères
tout supérieur à l'autre. Dans sa.conduite, du d peuple, et il déploie sa puissance pour
1 nourrir; la faiblesse de l'esprit et du
comme dans ses discours, tout annonce une. le
intelligence un amour une force au- ccœur, et il souffre avec patience l'opiniâ1
dessus de l'humanité. ttreté de ses disciples, et avec indulgence
Les autres législateurs donnent des pré- les l fautes du pécheur repentant mais il est
ceptes, celui-ci donne des exemples. J'en- inflexible i pour l'orgueil l'avarice pou?
tends Numa, Solnn, Lyçurgue; je vois Jé- Tamoar 1 déréglé de soi ou la passion 'dé
sus-Christ, je le vois dans tous les états et ddominer, soit par l'autorité des places, soit
dans toutes les situations où l'homme poli- ypar l'influence des richesses, soit par la con-
tique puisse se trouver sur la terre, le mo- sidérations des vertus apparentes; pour la
dèle de tous les états et de toutes les situa- tpassion de dominer, principe de tous les
tions de la vie. Je le vois dans la société ccrimes de l'homme et de tous les désordres
naturelle, dans la société politique, dans la de c la société: et ce même homme qui ne
société religieuse;; homme privé, .homme pu- brise l pas le roseau à demi-cassé, qui n'éteint
bllci dans le repos et dans i'agitation, dans le pas i la mèche qut fume encore, dont on n'en-
commercé des hommes et dans les com- ttend.pas la voix dans les places publiques
rnunications avec Dieu, dans les occupa- chasse ( avec violence tes profanateurs qui-i
tiens extérieures et dans le recueillementt ifaisaient du temple une maison de trafic, et
et :là prière. Dans la famille il est fils, il1 ttonne contre
l'orgueil des pharisiens et
11 se tait, si Ton
est parent, il est ami; dans la société poli- 1l'hypocrisie des docteurs.
tique il est sujet, et même il est pouvoir; déchire ( sa personne, mais il repousse avec
dans la société religieuse il est pouvoir, force i les calomnies dirigées contre son mi-
et même il est sujet. Il partage la table3 nistère i il honore dans le prêtre le caractère
Fiche et il éprouve la misère du pauvre; du < sacerdoce et dans le juge l'autorité de la
iia des disciples qui l'écoutent et des ca- 1loi. Tout est grand en lui,prier, tout est saint/
ibmniatéurs qui le déchirent; il enseigne e s'il se retire à l'écart pour
c'est lors-
les docteurs et il est interrogé par les juges; qu'il a rempli tous ses devoirs extérieurs;
le- peuple veut le faire roi, et ses ennemis s s'il observe la lettre de ia loi, c'est iors-
le font mourir. Il ne représente pas unn qu'elle n'en contredit pas
l'esprit. Il ne
homme, car un homme ne peut pas êtree prêche àses disciples que l'humilité, et il
placé dans tous, les états ni se trouver danss leur donne
l'exemple de toutes lés vertus
c'est-à-
toutes les situations ni représ~fte Chu~rre,i- qui forment iss grands hommes,
nité tout entière, et c'est un des caractèress dire les hommes utiles à la société; le mé-
du Sauveur de tous les hommes. Il est filss pris des richesses des plaisirs et de la vie
respectueux envers ses parents, mais il pré- mêrae. Il ne parle à l'homme que de
sacri-
fère le devoir d'être utile aux hommes auu fices et jamais de jouissances, dé combats
devoir d'obéir à sa mère il paie le tribut à et jamais de repos. Il place toujours les
César, mais il concilie ce qui est dû àDjeu ef5' travaux ici-bas et le salaire ailleurs; aussi
ce qui est dû au prince, au pouvoir religieux x tout travail est fructueux, parce que
tout
ie travail est paye, et même un verre
d'eau
et au pouvoir politique. 11 est lui-même
pouvoir par l'autorité de ses miracles; mais is donné en son nom ne demeure pas .sans
il n'est pouvoir que pour répandre des bien^ i-> récompense. Il recommande sans cesse à
faits; pertransiit benefaciendo. (Act. x,38.)i.) l'homme d'employer à l'utilité publique les
talents qu'il a reçus le serviteur paresseux mains sont chargées de liens, son sceptre
qui a enfoui un seul talent est châtié avec une est un roseau, sa couronne un tissu d'épi-
extrême rigueur et il est de remarque qu'il nes, un manteau de pourpre cache des plaies
sort de la société naturelle, à trenie-deux douloureuses. Voilà l'homme, nie dis-je à
ans, pour commencer sa carrière publique, moi-même, et tous les hommes voilà l'hu-
et que dès lors on né le revoit plus dans sa manité. Maître de l'univers, l'homme n'est
famille, pour apprendre aux hommes que l'a- pas maître de lui-même; roide la nature; sa
mour des autres doit l'emporter sur l'amour royauté a la fragilité du roseau, et la pi-
de soi et la société générale sur la société qûre déchirante de l'épine l'extérieur im-
naturelle. Qu'il connaît bien la société 1 Si posant de la dignité humaine ne cache que
Jésus-Christ n'eût promis à l'homme que la les honteuses faiblesses dé l'humanité ou
reconnaissance de ses ihféfieurs,Ia bienveil- les infirmités de la nature. Oui. Voilà
lance de ses égaux, l'estime de ses maîtres, l'homme.
l'homme n'eût pas tardé à se désabuser d'une Et moi aussi j'ai vu un homme qu'un sa-
morale qu'il aurait trouvée en contradiction tellite aveugle et féroce montrait à une po-
continuelle avec ce qu'il aurait eu sous les pulace en délire, en lui disant 4 Voilà votre
yeux et avec ce qu'il aurait éprouvé lui-même; roi. J'ai vu des mains augustes chargées
mais, a la vue de l'ingratitude du peuple, de d'indignes liens j'ai vu un sceptre brisé
la jalousie dé ses égaux, de l'indifférence comme un roseau; j'ai vu une couronne qui
de ses supérieurs, l'homme est forcé de n'a été qu'un tissu d'épines cruelles; j'ai vu
convenir que le législateur des Chrétiens a sous la pompe et l'éclat du trône les chagrins
bien connu les hommes, et l'homme goûte les plus cuisants, les affronts les plus amers,
mieux sa morale sublime à mesure qu'r les traitements les plus barbares; et à
connaît mieux la société. ce rapprochement mes larmes coulent en
Que Jésus connaît bien l'homme 1 Ce n'est abondance.
qu'avec un profond étonnement que je ré- Ce n'est pas à des persécutions obscures,
fléchis au sens caché de ce mot simple et mais à la rage la plus déclarée que le divin
sublime que le gouverneur romain, igno- fondateur du christianisme prépare l'homme
rant également ce qu'il fait et ce qu'il veut vertueux il l'arme contre l'injustice des
dire, adresse au peuple égaré, en lui mon- hommes, et les révolutions de la société
trant Jésus Voilà l'Homme. [Joan.xis., 5.) (1). Il le dispose, par la leçon efficace de
Mes regards se fixent sur cet homme ses l'exemple; aux événements les plus extra-
(l) C'est sans doute pour donner .à l'homme politique tentation peut être forte, parce que le péril peut êtr-3
dès leçons sur la conduite qu'il doit tenir dans les circons- grand mais aussi Jésus-Christ prémunit homme contre
.tances les plus difficiles auxquelles il puisse être exposé, le péril, en l'avertissant de ne pas craindre ceux qui ne
c'est pour le prévenir du sort auquel il doit se préparer en tuent que le corps (Matlh. x, 28) et il lui donne le moyen
Servant les hommes, que Jésus Christ a voulu mourir dans de ne pas succomber à la tentation en lui conseil-
une révolution. En effet, une révolution est l'eut, d'une lant de s'enfuir sur les montagnes, et de ne pas même
société politique. dans laquelle un nombre plus ou moi s rentrer dans sa maison pôiir en emporter quelque chose.
grand d'individusétablitson pouvoir particulier, à la place (Matth. xxiv, 16, 17.)
du pouvoir général, dont il usurpe ou trouble les fonctions. L'attachement à la vie et à la propriété a fait en France
Or, une partie' plus ou moins considérable du peuple juif la révolution et en prolonge là durée. Combien de gens
troublaipour faire mourir Jésus-Christ, la fonction essen- en France, vertueux autrefois, qui, cherchant un asile
tielle de la souveraineté, celle de juger; puisqu'elle em- contre la persécutiondans des fonctions qu'ils abhorrent
pêcha le gouverneur romain, par ses clameursséditieuses en secret, ont ia force de tuer, parce qu'ils n'ont pas le
ou ses insinuations, perfides, d'écouter la voix de la justice .courage de mourir? Qu'on ne m'oppose pas que l'Iivangile
et 1b cri de sa conscience, et qu'elle le força à condamner, prescrit d'obéir à un maitre même factieux; car 1° l'aû-
malgré lui-mêmé, Jésus-Christ à mort rat il est égal que torilémêmèlégitime est lâcheuse à l'amour-propre 2° l'a
le peuple juge lui-mêmeou qu'il force l'opiniondes juges. pôtrene s'adresse, dans cet endroit, qu'aux esclaves qui
Reçu dans Jérusalem aux acclamations du peuple, etquel- ne sont, à proprement parler, membresque de la société
ques jours après victime de sa fureur; objet du zèle le naturelle 5° l'apôtre a dit dans le verset précédent d'ho-
rçlus empresse de ses disciples, et bientôt après, vendu par le roi, reçjem honori/icate. Or, l'expression tionori-
l'un, renié par l'autre, abandonné de tons, Jësus-Christ norer ficate qui signifie amour mêlé de crainte, ne peut convenir
apprend à l'homme de bien que la faveur populaire n'offre qu'au pouvoir général de la société politique. Les chré-
qu'un, appui trompeur, et que la reconnaisance est un port tiens, dit-on, ont obéi à Néron; je le ciois. L'autorité
peu sûr dans les grands orages de la Société. Sainère l'ac- des empereurs romains celle même d'Auguste n'élait
compagnejusqu'à la cr0ix, parce que l'amour est plusibrt pasusurpéepar lasociété, puisqu'avant lui il n'y avait pas
que la crainte,-et que:seul il triomphe des révolutions. de pouvoir général dans la société romaine. 11 faut se faire
Jésus-Christ comparait devant le gouverneurromain, des idées justes et précises. Lorsqu'il y a un pouvoir gé-
et il reconnaît sa légitimitéde son autorité en répondant néral dans une société, celui ou ceux qui le détruisent
à ses interrogations avec autant de dignité que de j .pour substituer à sa place son pouvoir particulier, sout
destie, mais il ne daigne pas répondre aux furieux mo- J
qui des usurpateurs. Ainsi le long parlement d'Angleterre
s'étaient érigés en tribunal, parce qu'ils n'avaient aucune ainsi l'assemblée nationale de. France ont été des usurpa-
autorité politiquedevant legouverueurromain, rit aucune .leurs. Celui qui établit son pouvoir particulier dans une
autorité religieuse devant lui. S'il rompt le silence, c'est république n'est pas un usurpateur, puisqu'il n'y a pasde
pour leur dédarercequ'Hest, et le sort qu'il leur prépare pouvi ii- général, il est un tyran. Pisistrate, Marius, Sylla,
grande leçon que Jésus-Christ donne aux hommes en so- César ont été des tyrans, CromwelletRobespierre ont été
cii':té politique, de ne jamais fléchir sous un pouvoir usur- à la fois usurpateurs et tyrans, parce que le pouvoir gé-
p' et de ne pas se permettre de démarche, qui soit une néral ou le monarque existait pour l'Angleterre. comme
reconnaissancemême tacite de l'usurpation. Sans doute la existe pour la France j et que l'Angleterre alors n'était
ordinaires, aux malheurs les plus inouïs. Il Depuis sa dernière catastrophe, le Juif est
ne voulait pas qu'une seule position de la dispersé dans tout l'univers, plus Nombreux
vie se trouvât sans modèle, et par consé- aujourd'hui qu'aux beaux jours de son exis-
quent qu'un seul homme se trouvât sans tence politique; signé élevé au milieu de
consolation (1). 11 meurt du supplice des toutes les nations, mêlé à tous les peuples,,
scélérats, pour apprendre à l'homme que la il ne peut se confondre avec aucun d'eux
vertu la plus pure, le rang le plus élevé, tes et lorsque le temps amène insensiblement
services les plus éclatants, ne le mettent l'uniformité de mœurs et d'habitude entro
pas toujours à l'abri de la fin la plus igno- les peuples, il reste toujours seul, toujours
minieuse et après avoir donné ce mémora- étranger, toujours empreint du caractère
ble exemple aux hommes, et cette dernière moral et physique dont sa religion et les
leçon aux rois après avoir fait voir à l'uni- événementsl'ont marqué; il semble toujours
vers le Dieu de l'intelligence. pour le désa- le voyageur qui arrive des pays éïoignés, et
buser des dieux des sens,, le Dieu d'amour il traverse les siècles et les nations sans
pour l'arracher aux dieux de haine, sa mis- pouvoir se fixer à aucun temps, ni à aucun
sion est remplie, et fI s'écrie Tout est con- lieu seul peuple à qui 1» considération,
sommé. (Joan. xix, 30.) propriété morale de l'homme, et la terre, sa
« Si la mort de Socrate, » s'écrie Rousseau, propriété physique, soient refusées; na-
« est la mort d'un sage, la mort de Jésus est tion sans territoire, peuple sans chef, so-
la mort d'un Dieu. » Rien ne doit plus éton- ciété sans pouvoir, seul esclave au milieu
ner l'homme vertueux il est préparé à tous de peuples libres, seul pauvre au milieu de
les événements de la vie, à tous les désor- nations propriétaires, sa religion fait son
dres des passions; et s'il voit sans étonne- malheur, et il l'observe son erreur fait son
ment le crime obtenir les récompenses de la crime, et il la chérit; il a fait mourir son
vertu, il pourra voir sans scandale la vertu libérateur, et il l'attend.
punie du supplice réservé au crime/ Non-seulement le peuple juif se conserve,.
Ce n'était pas sous ces dehors obscurs et mais il se multiplie; et ce fait avéré mérite
souffrants que le Juif charnel pouvait re- l'attention de l'observateur politique, com-
connaître son libérateur, objet de sa longue de l'observateur religieux. il se- multiplie,,
attente aigri par ses malheurs, il voulait la non-.seulement parce que des motifs reli-
puissance et non lasagesse. Si quelques-uns gieux lui font du mariage un devoir* et de
croient en Jésus, la nation entière demande la stérilité un opprobre; mais encore parces
sa- mort. Dans son aveugle fureur, elle se> que des motifs à la fois religieux et politi-
dévoue elle-même, pour la suite des temps, ques excluent les Juifs de toutes les profes-
à la malédiction attachée au meurtre de' sions périlleuses, et empêchent que leur
THomme-Dieu. Que son smg, s'écrië-t-elle, population ne se consomme. Ainsi, tandis
retombe sur nous et sur nos enfantsl (Matth. que mille causes s'opposent à l'accroisse-
xtvu, 25.) Et dès cet instant, rapproche- ment ou diminuent la population des autres
ment terrible I la nation entière est réprou- peuples, des causes opposées favorisent
vée j sa ruine effroyable, prédite par Jésus- l'extrême propagation du peuple juif, en
Christ dans tous ses détails, et arrivée peu sorte qu'il doit nécessairement arriver que
données après sa mort, la prise de sa capi-,; le peuple le plus opprimé et.le plus pauvre
tale, où périrent onze cent mille âmes, après deviendra le plus nombreux; et, ce qui
un siège sans exemple, la désolation de son étonne davantage l'observateur attentif, est
tempte, sont accompagnées de circonstancess de voir à quel misérablegenre de commerc&
surnaturelles, dont il faut lire le détail danss le très-grand nombre des Juifs doivent leur
Josèphe, et le rapprochement dans Bossuet. subsistance peuple aussi étonnant dans les
pas plus une république que la France ne Test aujourd'hui.. maine, depuis les Gracques. Néron tnême fat regretté
L'Angleterre était une monarchie en révolution, commeî par le peuple, par ce peuple à qui nos philosophes attn
la France l'est actuellement. buent la souveraineté. Un monarque dar ou faible est un
Auguste ne fut pas un usurpateur, puisque la sociétéi maître fâcheux,
(l)Jèius-Christavaitconcacré,parson exemple ou ses
romaine n'avait jamais eu de pouvoir général, au moins
depuis ses rois; il ne fut pas un lyran, puisque le pouvoirr préceptes, toutes les professions qui conservent la sa-
particulier du sénat ou l'aristocratie n'était plus rien, eti ciété; mais il y a des professions qui la détruisent, et
qu'il ne pouvait plus être rétabli. JI fut un despote, puis- l'Homme-Dieune voulait pas laisser un crime sans espoir,
qu'il devint le chef de l'armée seul pouvoir qui existâtt ni un devoir saris modèle. Il choisit un scéléïat condamné
dans ce désordre universel. Augustefut nécessaire. Post- pour ses forfaits, et il pardonne à son repentir, toutefois
qvtam. omnem potestalem ad unûm cenferri pacis interfuit, i, après qu'il a expie ses crimes envers la société. JI ap-
dit Tacite, et s'il ne se fùt pas élevé en homme au milieu ui prend par là aux hommes, que le pouvoir de Ja société
de cette anarchie qu'on appelle républiqueromaine, cette e religieusepeut pardonner, mais que le pouvoir de la so-
terre infortunée eût dévoré jusqu'au dernier de ses habi- î- eiété politique doit punir; que Dieu n'interdit 3 l'homme
tants. Quant Néron, Caligula, c'étaientdes fous, et en- la vengeance personnelle que parce qu'il charge le sou-
l-
verain^de la vindicte publique, comme il ne permet b
core Rome et l'univers étaient encore plus heureux souss
leur replie qu'ils ne l'avaient été sous la république ro- guerreaux sociétés que parcequ'illadéfend aux hommes..
moyens par lesquels il subsiste que par preuve qui devient plus sensibie, à mesure
son existence même (1) 1 que la religion s'éloigne de son origine.
Je sais par quelles petites causes la phi- Jésus-Christn'était pas venu pour détruire
îosophie, qui rapetisse tout à sa mesure, ex- 1 société politique, puisque la société po-
la
plique ces grands résultats. Qu'on me per- litique est nécessaire, et durera autant que
mette à ce sujet une réflexion Si le peuple 1 genre humain; il était venu pour la per-
le {
juif eût, comme tant dépeuples autrefois 1fectionner, en la réunissant à la société re-
célèbres, disparu de dessus la terre, il y a Jligieuse, pour en former la société civile.
dix siècles-, et que j'interrogeasse la philo- Il
1 dit, il est vrai, que son royaume n'est pas
sophiê sur les causes de l'anéantissement de
< ce monde {Joan. xvhï, 36), parce que tout
d'un peuple jadis si nombreux, elle ne dans
< ce monde, et la société politique elle-
manquerait pas de me répondre qu'au lieu même,
j est ordonné par Dieu même, pour le
de s'étonner qu'un peuple accablé sous une monde
i dans lequel vit l'être le plus parfait,
oppression aussi cruelle se soit détruit, il 1t'intelligence. Mais si, dans ce
sens, son
faut s'étonner qu'il ait pu subsister aussi royaume
1 n'est pas de ce monde, son royau-
longtemps; que la misère, l'oppression, le îme est dans ce monde; puisque le gouver-
découragement, ne peuplent pas que l'hom- nement
i de ce royaume, le pouvoir, les mi-
me ne peut se multiplier que sous le régime nistres
1 et les sujets, en sont extérieurs et
du bonheur et surtout de la liberté, etc., etc., sensibles.
î
«t toutes ces phrases vagues et insignifian- Si la société religieuse devait s'unir à la
tes, dont 'nous sommes assourdis depuis société
i politique, pour former la société ci-
quarante ans. Si j'interroge le philosophe vile
< constituée, la société religieuse devait
sur la cause de l'indestructible existence du donc
( convenir à la société politique et à tous
peuple juif II subsiste, me répond-il, parce 1les âges de la société politique, c'est-à-dire,
qu'il est opprimé (2) et remarquez que à« tous ses progrès puisque la société reli-
l'oppression politique finit par anéantir un gieuse
i et la société politique ont une cons-
peuple et que l'oppression religieuse main- titution
t semblable, constitution qui renferme
tient et perpétue une société religieuse; et par
I conséquent un principe intérieur et
que chez les Juifs, par un effet tout contrai- ssemblable de développement et de perfec-
re, la religion se maintient malgré la tolé- tionnement
t de même que l'homme physi-
rancè religieuse la plus entière (3), et le (que et moral tient lui-même de sa constitu-
peuple lui-même se conserve malgré l'op- ttion physique et intellectuelle, un principe
pression politique la plus cruelle. intérieur
i de développement par lequel ses
facultés physiques et morales se perfection-
1
CHAPITRE IV.
nent,
j et que le Créateur a dit à l'homme in-
DÉVELOPPEMENT' DE LA constitution
beli- ttelligent de croître, comme 'à l'homme phy-
GIEUSE, OU DE LA RELIGION. sique
s de multiplier.
La société religieuse, la société politique,
L'histoire du divin fondateur de la reli- doivent donc se développer, c'est-à-dire se
(
gion chrétienne ne contient qu'une petite perfectionner ensemble.
j
partie de ce qu'il a fait et de ce qu'il à dit Les législateurs de la société religieuse,
pendant le cours de sa vie mortelle. Les au- qu'on
< appelle des réformateurs, n'ont donc
teurs sacrés ont soin de nous en prévenir; été que des esprits faux et bornés, qui,
<
elle peu d'étendue des quatre Evangiles* ifermant les yeux à cette vérité, ont méconnu
qui contiennent tous presque les mêmes dé- 1les développements nécessaires de la consti-
tails, en est une preuve évidente. tution
t religieuse comme les législateurs
Jésus-Christ avait formé des disciples, des sociétés politiques, qui, en voulant
(
mais, puisqu'il les envoyait instruire toutes donner des lois aux sociétés, et établir leurs
(
les nations, il les avait instruits eux-mêmes
irapports à la place des rapports de la nature,
de ce qu'ils auraient à leur enseigner. ont
( troublé son ouvrage, et méconnu aussi
C'est ici, qu'il faut admirer le caractère ]les développemments nécessaires de la
essentiel et distinctif de la religion chré-
cconstitution politique.
tienne, la preuve manifeste de sa divinité, i Cette erreur, de la part des réformateurs
(1) On connaît la haine déclarée de Voltaire (3) On ne souffre pas partout les Juifs; mais
contre les Juifs, partout
r où ils sont reçus, ils ont des synagogueset
(2) -Traité de la félicité publique. jjouissent de la liberté de leur culte.
ou des législateurs des sociétés religieuses, quelles Jésus-Christ, suivant la remarque
devait nécessairement produire de grands du savant abbé Fleury, « n'a rien écrit, et
désordres dans la société civile, puisque, que les apôtres ont écrit si peu sur les céré-
de deux parties qui la composent et qui monies, la discipline; la police des Eglises,
doivent marcher ensemble et du même les dogmes mêmes de la religion. s Venons
pas, l'une avançait, pour ainsi parler, tandis aux exemples.
que l'autre demeurait ou revenait en ar- A mesure que la société politique se
rière. Aussi les changements dans les lois développe l'homme social devient plus
de la société religieuse extérieure (la seule intelligent; parce que le développement de
qui puisse en admettre), qui n'ont pas été la constitution de la société n'est que le
des développements nécessaires amenés in- développement de nouveaux rapports néces-
sensiblement par la volonté générale de la saires entre les êtres qui composent la
société, mais des innovations brusquement société, et que I'intelligenc3 n'est que la
produites par la volonté particulière de faculté d'apercevoir des rapports justes
l'homme, ont toujours occasionné de grands c'est-à-dire nécessaires, entre les objeis
troubles dans la société civile parce qu'a- or, là où il y a plus de rapports, l'homme
près avoir formé une nouvelle société reli- en aperçoit davantage; il est donc. plus
gieuse, les réformateurs ont été conduits intelligent. Donc la société intellectuelle
malgré eux-mêmes, et par la force des cho- doit devenir plus intellectuelle, ou la reli*
ses, à former une nouvelle société politique. gion plus spirituelle.
Le même effet a pu se remarquer dans les Ainsi les peines canoniques, le retran-
changements faits à la constitution politique chement extérieur de l'Eglise, par lesquelles
des sociétés; et c'est ce qui a fait naître on retenait à peine dans la pratique de la
tantôt la république au sein de la réforme, vertu des hommes dont les habitudes se
tantôt la réforme au sein de la république. ressentaient éncore de la licence du paga-
Ainsi, quand les deux célèbres réforma- nisme ou de la grossièreté judaïque et par
teurs du seizième siècle ont prétendu rame- lesquelles la religion chrétienne donnait
per la religion chrétienne à la pure doctrine aux païens une haute idée de la sévérité de
de son fondateur et de ses premiers disci- ses maximes, devaient nécessairement, je
ples, et qu'il leur a plu de regarder comme ne dis pas se changer, car il n'y a dans la,
des inventions humaines toutes les prati- religion ni changement ni vicissitude mais
ques ou les institutions qu'ils ne trouvaient se spiritualiser à mesure que ie Chrétien se
pas expressément et textuellement dans perfectionnerait, et devenir des peines plus
l'Evangile, ils se sont trompés et ils ont spirituelles et plus intérieures à l'égard
trompé la société; parce que Jésus-Christ d'hommes accoutumés aux mœurs sévères
avait posé les fondements de la religion et décentes du christianisme mais la peine
sociale pour tout le temps de la durée de la elle-même, c'est-à-dire le principe devait
société c'est-à-dire qu'il en avait établi, ou être conservé, parce que la loi qui ordonne
pour mieux dire, développé les lois fonda que toute faute sera punie, est un rapport
mentales; mais que, soit relativement aux nécessaire dérivé de la nature de l'Etre infi-
vérités dogmatiques, dont l'entier dévelop- niment juste. D'ailleurs, la pénitence publi-
pement ne pouvait convenir à de nouveaux que ne pouvait être pratiquée dans la
Chrétiens qu'on nourrissait encore avec le société politique, sans troubler l'exercice
lait, soit relativement aux lois de disciplina ou diminuer l'influence de l'autorité légiti-
qui devaient aussi se développer avec le me; puisqu'elle mettait l'homme en place,
temps, il avait mis dans son Eglise un prin- le juge, par exemple, dans le cas de ne pas
cipe intérieur et toujours agissant de per- exercer ses fonctions tout le temps, que
fectionnement qui devait se développer durerait sa pénitence^ ou qu'elle anéantis-
successivement et à mesure que la société sait la force de son ministère en l'exposant
politique constituée, laquelle la société lui-même, aux yeux du public, comme
religieuse constituée devait un jour se coupable des mêmes crimes que ceux qu'il
joindre se développerait elle-même et était chargé de punir. (1). Aussi l'Eglise,
c'est sans doute une des raisons pour les- selon la remarque de l'abbé Fleury, était

(1) Le concile Je. Trente ordonne de ne sou- tence ne peut rien apprendre au public, encore pet>
mettre aux p.eines canoniques que les pécheur; scan- nuH-il aux évoques d'en dispenser. (Sess. 24; De
daleux, c'est -à-dirc, lorsque la publicité de la péni- reforni., cap. 8.)
obligée, même dans les premiers temps, de de
<
la société politique ont rendu le Cnrétien
se relâcher de cette excessive rigueur, plus
] spirituel, et perfectionné l'une et l'au-
envers les personnes puissantes; et cet tre
1 société. Cette loi est un rapport néces-
historien remarque que saint Basile, loin saire qui dérive de la nature dés êtres en
d'excommunier l'empereur Valens, héréti- société
s politique constituée. En effet, Télé-
que et persécuteur, reçut son offrende à ment
i [de la société politique constituée est
l'autel. C'est ce qui fait que la pénitence la famille propriétaire donc il est contre la
publique a cessé dans l'Eglise à peu près nature
1 de cette société de créer des familles
lorsque la société politique constituée s'est qui
( ne soient pas propriétaires. Or, la fa-
réunie à la religion chrétienne. Non-seule- mille
t d'un prêtre serait nécessairement une
ment la société religieuse est devenue plus ifamille non propriétaire, puisque la pro-
spirituelle dans ses moyens de conserva- priété
] que le prêtre tiendrait de la société,
tion, mais la société physique elle-même passerait
1 nécessairementà son successeur, et
est devenue, si je puis parler ainsi, moins que
( sa profession ne lui permettrait pas d'ac-
physique dans les siens; puisque son pou-. quérir
( par son travail une autre propriété.
voir général emploie, pour la conserver, (Cette loi dérive nécessairement de la nature
plutôt la justice que la force; qu'il n'est pas des
c êtres en société religieuse; car les prêtres,
réduit, pour y maintenir la tranquillité, à fforce publiquetde la religion, destinés à répri-
recourir sans cesse à des exécutions mili- mer
i les faiblesses de l'homme,doiventdonner
taires, comme dans les premiers temps d'une l'exemple
1 de la tempérance or, il ne faut
nation; et que même il emploie pour la connaître
( ni l'homme, ni ses passions, pour
conserver plus la justice et moins la force, ignorer
i qu'il est plus aisé à l'homme d'être
à mesure qu'elle est plus constituée. De ce ichaste que d'être tempérant. ^Ministres de la
perfectionnement progressif et sensible, par société,
s pour offrir en son nom à: 'l'Etre
lequel la société civile se spiritualise tou- suprême
s le sacrifice de l'amour général et
jours davantage, on peut conclure que son mutuel
i de Dieu et des hommes, aucun
état de perfection absolue et de développe- amour
t humain et particulier ne doit occuper
ment parfait sera un état pur de spiritualité, leurs
1 pensées et partager leurs sentiments.
c'est-à-dire, lorsque la société politique sera ]Dévoués à la conservation de la société
confondue avec la société intellectuelle, par religieuse
i et à l'instruction de la société
la destruction des éléments terrestres qui la politique,
1 ils ne doivent plus appartenir à la
composent; ce qui appartient à un autre société
î naturelle, qui ne ferait que détour-
temps et à un autre ordre de choses. Les iner leur esprit, distraire leur cœur, et par-
réformateurs religieux, qui ont conclu que tager
t leurs sens et il est permis de penser
les rites expiatoires, dans une religion, que,
( si les prêtres français eussent été par-
étaient de l'invention des prêtres parce ttagés entre l'attachement à leurs devoirs et
qu'ils n'ont pas vu textuellement dans 1l'affection. pour
une famille, ils n'auraient
l'Evangile que Jésus-Christ ait fait aux apô- j 1pas montré cette fermeté invincible, ce mé-
tres une obligation de jeûner le Carême ou pris
| héroïque des privations, des tourments,
de se confesser à Pâques, ont raisonné pré- de
ç la mort même, cet abandon à la Provi-
cisément comme les réformateurs politiques dence
( qui a sauvé la France et consolé la
qui concluraient que la justice est de fin- religion.
i
vention des parlements, parce que Tacite, Le culte des images pouvait être dange-
en traitant des mœurs et de la constitution rreux dans les premiers temps du christia-
des Germains, n'a pas parlé du recours au nisme,
i à cause de l'abus qu'en faisaient les
conseil par requête civile, ni de la première païens;
1 mais il devait s'étendre avec le temps,
ou de la seconde chambre des enquêtes. parce
1 qu'il était un rapport dérivé de la na-
La loi du célibat des prêtres était moins ture
t de l'homme dont les sentiments ont be-
distinctement exprimée dans les premiers soin,
s dans l'homme même le plus intelli-
temps du christianisme, et chez des Chré- £gent, d'être avertis et soutenus par les sen-
tiens encore à demi-juifs ou païens; mais sations.
£
la nature de la société religieuse en intro- Le culte public était moins pompeux, lors-
duisait la pratique mais elle était recom- que la société politique était plus pauvre;
<
mandée par les apôtres, mais la loi enfin mais
i il est dans la nature des choses que les
en a été universellement adoptée, lorsque iarts se développent à mesure que la société
les progrès de la société religieuse et celu j se
< perfectionne. Or les arts ne peuvent se
559 OEUVRES COMPLETES DE M DE BONALD. £6°
développer qu'en créant de nouvelles pro-
priétés, par les nouveaux usages auxquels 1
ils emploient les matières premières, ou par
du surplis,
sur
trouver textuellement dans
trouve
tes apôtres
ap<
1 «. _I_
parce qu'effectivement on n'a pu
l'Evangile,
pu
que
célébrassent l'Office en chape et
la manière différente dont ils les emploient, bonnet carré.
en boi
Mais la société doit à l'Etre suprême l'of- Ains la coutume d'administrer le baptême
Ainsi
frande dé la propriété et c'est en employant par asaspersion a succédé insensiblement à
les arts à décorer le culte religieux, c'est-à- d le donner par immersion, lorsque
celle de
dire, ce qu'elle a dé plus auguste, que la religion chrétienne, née dans les pays
la reli;
société fait à l'Etre suprême l'offrande des chaud; où cette pratique était sans danger,
chauds
propriétés factices, comme elle fait dans le a été répandue
r dans des climats plus froids,
pain, l'eau et le vin, l'offrande des proprié- elle pouvait avoir des inconvénients.
où ell<

tés naturelles. Les réformateurs, qui ont Ain; la communion sous les deux espè-
Ainsi,
prétendu que le culte des images était une ces, pratiquée
pi dans les premiers siècles du
idolâtrie déguisée, et par conséquent une christianisme,
christi a été insensiblement réduite
pratique oppressive de l'homme intelligent, à une seule espèce, lorsque la multitude des
dont on ne trouve pas de traces dans les fidèles a pu faire craindre des accidents dans
fidèles
premiers siècles de l'Eglise, raisonnent à distribution du calice, et que la spiritua-
la dist
peu près comme des politiques qui préten- lisation de la société, si je puis me servir de
lisatio
draient que nos rois ont altéré là constitu- cette expression, a permis de se contenter
tion et opprimé leurs sujets, parce que leurs sei symbole qui les renferme tous.
du seul
habits sont plus riches et leurs palais mieux e essentiel, d'observer que ces lois,
Il est
ornés. comm celles de là société politique consti-
comme
Jésus-Christ dit à ses tlisciples de répon- tuée, sef sont introduites insensiblement, et
dre oui et non, lorsqu'ils seront traduits de- qu'on ne peut en nommer l'auteur, ni en as-
vant les tribunaux, parce qu'il était néces- signer l'époque.
saire alors de les distinguer des païens qui r m'étendrai pas davantage sur les
Je ne
juraient par leurs dieux; mais lorsque l'u- exemples
exemj que je pourrais citer du dévelop-
nivers est devenu chrétien, il n'y à plus eu pement successif des institutions religieu-
pemer
de raison pour que le Chrétien se distinguât ses de la religion chrétienne il serait le su-
du Chrétien et ce serait une impiété, si ce d'un ouvrage intéressant; mais j'en ai
jet d'u
n'était une folie, de prétendre que lé Chré- assez dit pour la manière dont j'envisage
tien, interrogé par la justice des hommes, mon sujet.
s
qui n'est autre chose qu'une émanation de
la justice de Dieu, ne peut pas, sans crime, CHAPITRE V.
|
prendre témoin qu'il dit la vérité, Dieu
LOIS RELIGIEUSES,
R CONSÉQUENCESNÉCESSAIRES
qui est l'auteur de toute vérité. C'est cepen-
DES LOIS FONDAMENTALES.
dant ce que pratique une secte d'orgueilleux
insensés, qui se croient meilleurs et plus j'ai dit que la religion chrétienne est la
J'ai
Chrétiens que les autres, parce qu'ils déso- religion constituée, celle dans laquelle les
religi<
béissent à la justice, en refusant le serment lois religieuses
ri sont une conséquence néces-
qu'elle à droit d'exiger des hommes; qui saire des lois fondamentales, et lois fonda-
manquent aux égards que les hommes se mentales
menu elles-mêmes comme j'ai appelé
doivent les uns aux autres, en ne se servant sociét politique constituée, celle dans la-
société
pas des signes extérieurs de bienveillance quelle les lois politiques sont des consé-
quellE
et d'estime convenus entre eux; qui ne ren- quem nécessaires des lois fondamentales,
quences
dent pas même au pouvoir de la société les loi fondamentaleselles-mêmes.
et lois
respects qui lui sont dus, lui refusent les La comparaison des lois religieuses aux
titres d'honneur que la société défère à la lois politiques
p est exacte; puisque les lois
dignité de ses fonctions, et affectent de trai- religi
religieuses sont celles qui déterminent la
ter avec la même familiarité et la même sim- forme extérieure de culte, comme les lois po-
plicité d'expression, le chef de la société et litiqu
litiques sont celles qui déterminent la forme
le dernier de ses membres. extérieure de gouvernement.
extéri
C'est avec la même réflexion que quelques La sociétéreligieuse estintérieure etexté-
sectes ont rejeté, comme des inventions dia- rieun elle est adoration et culte considé-
rieure
boliques, la liturgie et les habits sacerdo- d Dieu à l'homme intelligent, elle est
rée de
taux que l'Ecosse a été en feu pour l'usage adoration ou religion intérieure; considé-
adora
rée de Dieu à l'homme extérieur"ou social, lorsqu'il
lors agit par la force, il est pouvoir con-
elle est culte ou religion extérieure. La réu- servateur
sen des êtres or cette force est exté-
nion de la religion intérieure et extérieure, riei pu sociale, puisque le pouvoir dont
rieure
de l'adoration et du culte, constitue précisé- elle est l'action est lui-même extérieur et
ment la, religion sociale oa publique; parce social. Nous avons déjà vu que cette force
soci
extérieure,
extl sociale ou publique, est la pro-
que la réunion de l'homme intérieur et de fession sacerdotale, par l'action de laquelle
fess
l'homme extérieur,, de l'âme et du corps,
constitue l'homme social ou politique. Ce le
le pouvoir
x se rend extérieur et présent dans
n'est donc que par abstraction, qu'on peut le sacrifice.
s
séparer, dans la société, la religion intérieure Ainsi je vois, dans la société religieuse,
A
les distinctions sociales permanentes ou le
ou l'adoration, de la religion extérieure ou
du culte; comme ce n'est que par abstraction, sacerdoce,
sac, comme j'ai vu, dans la société po-
qu'on peut considérer sur la terre l'homme litique,
lit»' les distinctions permanentes ou la
intelligent séparé de l'homme physique. noblesse.
noli
Toute société, avons-nous dit en traitant Ainsi l'institution de la profession sacer-
dotale est une conséquence nécessaire de la
o0t
des principes des sociétés en général, existe
volonté générale, pouvoir gêné- loi fondamentale de l'unité de Dieu, pouvoir
par une un
ral, une force générale d'exister; car une cor conservateur de la société religieuse., et loi
fondamentale
*on elle-même comme l'institu-
société qui n'aurait pas la, volonté d'exister,
lepouvoir d'exister,qui n'au- tioi de la noblesse est une conséquence né-
tion
qui n'aurait pas cessaire de la loi fondamentale de l'unité de
rait pas la force d'exister, n'existeraitpas. ces
pouvoir politique, et loi fondamentale elle-
La volonté générale est, dans la société, $m
cette volonté de parvenir à sa fin qui se
me
même.
Le
1 sacerdoce est la force publique ou l'ac-
trouve dans tout être, et qui, les
son essence.
moyens d'y parvenir, forme sa
avec
nature
est tio du pouvoir religieux, comme la noblesse
tion
ou est la force publique
ou l'action du pouvotr
politique parce que tout pouvoir agit par
Le pouvoir général est l'amour réciproque po force, et
une
un qu'un pouvoir sans force n'est
de Dieu et de l'homme, principe de conser-
wHori des êtres qui composent la société, pou- pas un pouvoir. « Les peuples, dit Mon-
te
tesquieu,
voir conservateur, lorsqu'il agit par la force. dinairement
qui n'ont pas de prêtres, sont or-
du barbares. »
La force conservatrice de la société inté- «
laforce,
Puisque le pouvoir estpermanent,
rieure ou d'adoration est, dans Dieu, ce que qui est l'action du pouvoir, doit être perma-
les théologiens appellent la grâce; dans qu “
nente le même auteur le remarque « Le
l'homme, elle est la disposition à recevoir la culte des dieux, dit-il, demandant une atten-
grâce, et la fidélité à y correspondre. Cette eu tic continuelle, la plupart des peuples fu-
tion
définition est exacte, puisque la grâce est la
res portés à faire du clergé un corps sé-
rent
force ou le secours qu'a l'homme pour faire
paré.
le bien, c'est-à-dire, pour former société PaDonc» la succession perpétuelle du sacer-
avec Dieu; et quoique Dieu donne à l'hom- .doce,
c succession physiquement héréditaire,
me jusqu'aux premières dispositions néces- dans une religion charnelle comme la reli-
saires pour faire le bien, qu'il lui donne le gion
gi chrétienne, est un rapport nécessaire
vouloir et le faire, ces dispositions se trou- qui dérive de la nature des êtres, une con-
gI
vent dans l'homme, puisque Dieu les y a séquence nécessaire de la loi fondamentale,

mises (1). et loi fondamentale elle-même.
Dans la société de Dieu avec les hommes Une force extérieure suppose une direc-
extérieursou sociaux, qu'on appelle culte, le tion aussi extérieure direction suppose
ti<
pouvoir, général conservateur est l'amour commandement et obéissance donc la hié-
ce
réciproque de Dieu et des hommes person- rarchie
ra des ministres du culte est un rapport
nifié dans l'Homme-Dieu rendu extérieur et nécessaire
n, dérivé de la nature des êtres, une
présent dans le sacrifice, dont je parlerai conséquence
ce nécessaire de la loi fondamen-
tout à l'heure. Eu effet, l'amour est le priu- tale de la force publique, et loi fondamen-
ta
cipe de conservation des êtres sociaux; et tale
ta elle-même. « Lorsque la religion, dit
( 1 ) Je prie le lecteur de s'abstenir d'épiloguer religieuse,
re ou de l'Eglise, mes opinions ne s'écar-
sur cette définition de la grâce. Je ne tiens à aucun teront
te jamais de ses principes, et je réformerai mes
parti et si par hasard mes expressions pouvaient expressions,
e) s'il est nécessaire.
ue pas s'accorder avec les expressions de la société
Montesquieu, a beaucoup de ministres, il la société chrétienne, le pouvoir conserva-
est naturel (c'est-à-dire, nécessaire) qu'ils teur de cette société (1).
aient un chef, et que le pontificat y soit éta- Si l'infaillibité appartient an corps des
bli. » ministres, elle ne peut être attribuée à au-
Je prie le lecteur de donner une attention cun individu, ni à aucune fraction de la
particulière la démonstration suivante-: profession sacerdotale.
Une société constituée parvient nécessai- La force de la société religieuse intérieu-
rement à sa fin, qui est la conservation des re, ou de. l'adoration, est la grâce la force
êtres qui la composent. de là société religieuse extérieure, ou du
Mais la volonté générale, le pouvoir géné- culte, sont les ministres de la religion la
ral, la force générale constituent la société. société religieuse intérieure et la société
Donc la volonté générale de la société sera religieuse extérieure, c'est-à-dire, l'adora-
nécessairement conservatrice, son pouvoirr tion et le culte, s'unissent pour former la
général nécessairement conservateur sa religion publique ou sociale. Donc la force
force générale nécessairement conserva- conservatrice de l'une, uni est la grâce, s'u-
trice. niraà la force conservatrice de l'autre, qui
Les ministres du culte religieux, ou la sont les ministres de la religion donc les
profession sacerdotale, sont la force publi- ministres de la religion seront les dispensa-
que conservatrice de la société religieuse. teurs de la grâce donc la dispensation de
Donc .la profession sacerdotale, réunie la grâce par les ministres de. la religion,
pour exercer un acte de la force générale qu'on appelle l'administration des sacre-
conservatrice 'de la société religieuse, sera ments, est un rapport nécessaire qui dérive
nécessairement conservatrice donc l'Eglise, de la nature des êtres, une conséquence né-
ou les ministres de la religion, assemblée en cessaire des lois fondamentales, et loi fon-
concile, est infaillible. damentale elle-même.
Donc l'infaillibilité de l'Eglise est un rap- Les sacrements ont tous pour objet de.
port nécessaire qui dérive de la nature des consacrer des actes de l'homme social intel-
êtres, une conséquence nécessaire de la loi ligent et physique, et par conséquent ils
fondamentale du pouvoir général, et loi fon- sont tous des actes conservateurs de la so-
damentale elle-même. ciété civile.
On pent parvenir au même résultat par Je me permettrai une réflexion, relative-
une démonstration plus abrégée. ment au premier des sacrements, à celui qui
Une autorité irréformable est une autorité heureusement a été conservé dans toutes les
infaillible car une autorité ne peut être re- sectes chrétiennes quoiqu'une d'elles ait
connue faillible, qu'autant qu'une autorité commis le crime, même politique, d'en nier
supérieure peutlui faire apercevoirqu'elle a la nécessité.
failli or il n'y a aucune autorité supérieure On peut se rappeler qu'en traitant de la
à celle de la société, puisque la société com- coutume barbare d'exposer ou de tuer les
prend tous les êtres donc la société ne peut enfants, établie par les .ois, adoptée par les
être reconnue faillible, donc elle est irréfor- mœurs des peuples de l'antiquité les plus
mable, donc elle est infaillible. célèbres, coutume pratiquée encore à la
La force générale conservatrice de la so- Chine et au Japon, j'ai dit que, « quand l'en-
ciété ne peut être dirigée que par son pou- fant n'est pas. Un être sacré aux yeux de la
voir général conservateur dont elle est l'ac- religion, il est bientôt un être vil et nuisible
tion donc là où sera la force générale con- aux yeux de la politique. » La religion chré-
servatrice de la société religieuse assemblée tienne, essentiellement conservatrice de
pour sa conservation, là sera le pouvoir gé- l'homme physique comme de l'homme mo-
néral conservateur. Voilà que je suis avec ral, prend l'enfant sous sa protection, et le
vous tous les jours, jusqu'à la consommation marque d'un sceau particulier. Si la nature
des siècles. (Matth. xxvm, 20.) Là où deux en fait un homme, la religion, par l'inno-
ou trois personnes sont assemblées en mon ceace à laquelle elle l'élève, en fait plus
nom, je suis au milieu d'elles (Matth. xvm, qu'un homme la différence que l'on remar-
20), dit à ses apôtres, premiers ministres de que dans la discipline de J'Eglise, relative-

( i ) II mesemble que Jésus-Christ avant sa 26.) Après sa résurrection, il leur parle au présent
mort parle à ses apôtres au futur J'enverrai l'Es- Je suis tous les jours avec vous, etc.
prit consolateur. lorsqu'il sera venu, clc. (Joan.xv,
ment au baptême, que, dans les premiers L'homme intelligent a des volontés dé->
temps, on ne donnait qu'aux adultes, n'est pravéés ou des passions des volontés dé-
donc pas un changement, mais un dévelop- pravées sont des volontés de détruire la
pement nécessaire à la conservation des êtres; société naturelle, politique ou religieuse;
1° parce que l'âge le plus tendre trouve, C'est-à-dire la société civile qui comprend
dans la religion, une protection que trop toutes ces sociétés, hors desquelles on ne
souvent la politique lui refuse 2° parce peut concevoir l'homme. Si ces volontés
qu'en donnant le baptême aux enfants dans ^dépravées s'accomplissent par la force, il en
les premiers temps de l'Eglise, et lorsque résulte des actes ou actions dépravées qui
l'univers était encore païen, on s'exposait sont défendues. Si ceâ volontés ne peuvent
ad scandale de voir retourner à l'idolâtrie s'accomplir parla force, elles sont des dé-
des hommes marqués du sceau du christia- sirs dépravés; et il est dit Vous ne désirerez
nisme mais, lorsque ce danger a cessé par point (Exod. xx, 17), etc.
la conversion de l'univers idolâtre, il n'y a En effet, la raison démontre qu'un désir
plus eu d'inconvénient à administrer le bap- dépravé est coupable pai;ce qu'un désir
tême aux enfants la coutume s'en est in- étant une volonté sans force, devient un
sensiblement introduite, et a fini par amener acte, si la force se joint à la volonté or, la
la loi. Je n'ai parlé que d'un effet extérieur force tend nécessairement à se joindre à la
et politique du baptême; mais le fondateur volonté, et par conséquent le désir tend à
de la religion chrétienne et l'autorité infail- devenir acte.
lible de la société religieuse m'apprennent Les volontés dépravées sont donc défen-
que le baptême est sacrement ou grâce dis- dues, soit qu'elles se. manifestent par des
pensée par les ministres delà religion; grâce actes, ou qu'elles demeurent de simples
est force conservatrice force suppose un désirs..
sujet contre lequel cette force s'exerce Toute iransgressiond'une défense emporte.
c'est-à-dire que le baptêmedonne à l'homme nécessairement punition donc toutes les
la force de résister à ses penchants, c'est-à- volontés dépravées doivent être punies
dire à l'amour déréglé de soi, à la passion donc elles doivent être jugées donc elles
de dominer, naturelle à l'homme et à tous doivent être connues;doncelles doivent être
les hommes. Mais, si cette passion est natu- accusées tous ces rapports sont nécessaires
relle à l'homme, elle fait donc partie de la et dérivés, de la nature des êtres; donc ils
nature de l'homme, elle est donc indestruc- sont des lois.
tible dans l'homme on doit donc en aper- Mais l'homme est seul à connaître ses dé-
cevoir les traces dans l'homme, dans tous les sirs et les motifs de ses actions donc il doit
âges, dans tous les sexes, dans toutes les être seul à les accuser; donc la confession
conditions de l'homme; et les traces de la auriculaire est un rapport nécessaire qui dé-
passion me démontreront l'existence de la rive de la nature des êtres, une conséquence
passion elle-même. Effectivement je la re- nécessaire des lois fondamentales, et fonda-
connais, cette passion, dans l'enfant, à l'opi- mentale elle-même.
niâtreté; dans le jeune homme,. à l'indoci- Mais, disent les réformateurs, c'est à Dieu
lité dans l'homme faitj à l'ambition; dans seul, juge et témoin de nos actes' les plus
le vieillard, à l'inflexibilité; dans un sexe secrets, de nos désirs lesplus fugitifs, qu'il
cette passion s'exerce par la force, dans un faut s'en accuser la réponse est aisée et
autre par la faiblesse; dans l'homme policé, suit naturellement de mes principes. Un acte,
elle est intrigue dans le sauvage, elle est un désir destructif de la société religieuse
férocité; dans tous les hommes elle est doit être réprimé par la force générale con-
amour-propre, orgueil. servatrice de la société religieuse, qui est
11 n'est pas hors de propos de remarquer la grâce or, la force générale conservatrice
que la philosophie attaque, en même temps, de la société religieuse intérieure ne peut
la nécessité du baptême, cette du sacerdoce être appliquée à l'homme extérieur ou so-
et de la noblesse, le droit de propriété même; cial, que par les ministres de la religion qui
en sorte qu'elle veut détruire à la fois tout sont la force générale conservatrice de la
ce qu'il y a de transmissible dans la société société religieuse extérieure;
c'est-à-dirè
religieuse, et d'héréditaire dans la société que les forces conservatrices des deux so-
politique, tout ce qui imprime caractère, et ciétés sont inséparables, comme les, deux
suppose la spiritualité de l'homme. sociétés elles-mêmes; et les deux sociétés
sont inséparables, parce que l'homme intel- Dieu. L'amour comme la produi-
la. haine se produi-
ligent ne peut être; séparé de l'homme phy- sent dans un être libre par la force ou l'ac-
sique. tion extérieure des sens donc l'âme qui
Un sujet coupable d'un crime ne se con- n'est plus unie aux sens ne peut plus faire
tentera pas de l'intention même connue de, ni actes d'amour, si elle hait,, ni actes de
son souverain de lui pardonner; il voudra haine, si elle aime donc son état tfamour
en obtenir des lettres de grâce, et en faire ou de haine est immuable.,
sceller réexpédition.. Cette comparaison est 1° Le dogme des peines et des récompen-
parfaite* parce que les- sociétés religieuse et ses dérive nécessairement.de la. distinction
physique sont semblables, et qu'elles ont une du bien et du mal or, la distinction du bien
constitution semblable. Je parlerai ailleurs et du mal est nécessaire,,parce qu'elle est ua
de l'effet politique de la confession. rapport nécessaire dérivé de la nature des
Donc les peines expiatoires, la prière, êtres donc les peines et les récompenses
l'aumône, le jeûne, tout ce qui gêne l'esprit, futures sont un rapport, nécessaire,une loi
le cœur etlessens de l'homme, sont des rap- mais un rapport nécessaire est un rapport
ports nécessaires qui dérivent de la loi de la immuable, éternel donc les peines. et les
confession; car tout ce qui est pénible à récompenses de l'autre vie seront éternelles;
l'homme intelligent et à l'homme physique c'est-à-dire que la vertu sera récompensée,
peut être un sujet de peine. et le crime puni, tant que le bien sera dis-
Si l'homme intelligent a rempli tous ses tingué du mal.
devoirs envers la société religieuse dont il 2° Toutes les récompenses qu'accorde la
est membre (et remarquez que l'homme in- société politique, toutes les peines qu'elle
telligent ne peut remplir ses devoirs envers inflige, durent autant que l'homme politi-
la société religieuse, que l'homme physique que ou que la famille. L'henneur d'une ré-
ne remplisse les siens envers la société po- compense personnelle, et la honte d'une
litique dont il fait partie), il doit être récom-peine afflictive, s'étendent par le souvenir
pensé par le pouvoir conservateur de la so- au delà même de la durée de la famille. Des
ciété religieuse; il doit être récompensé, récompenses ou des peines pécuniaires ac-
tant qu'il ne cesse pas de mériter la récom- croissent ou diminuent pour toujours sa
pense donc la récompense doit être éter- propriété. Donc les récompenses ou les pei-
nelle, paree que l'homme intelligent, dégagé nes de la société religieuse dureront autant
des liens du corps, ne peut démériter. que l'homme intelligent; car, comme je l'ai
Donc, s'il n'a pas rempli tous ses devoirs dit ailleurs, s'il y a une autre vie, elle est
envers la société religieuse, ou s'il n'a pas nécessairement heureuse ou malheureuse.
expié ses fautes (car le pardon envers le 3° Si les peines et les récompenses de
pécheur repentant est un rapport nécessaire l'autre vie ne sont pas éternelles, il n'y a
dérivé de la nature d'un être infiniment plus de Dieu; puisqu'il n'y a plus de justice
bon), il doit être puni, tant qu'il ne pourra en Dieu, puisque le bien et le mal, néces-
cesser de démériter or, l'homme intelli- sairement et essentiellement distingués,-fi-
gent, dégagé des liens du corps, est dans un niront par être confondus et obtenir le même
état fixe et dans lequel il est toujours ce traitement il n'y a plus de société car il
qu'il est une fois donc le châtiment sera n'y a plus de frein pour le crime heureux,
éternel. plus de dédommagement pour la vertu per-
« L'idée d'un lieu de récompense, dit sécutée.
Montesquieu,entraîne nécessairement l'idée h° Je vais plus loin, et persuadé de ce
d'un séjour de peines et quand on espère principe, que tout ce qui est utile à la con-
l'un, sans craindre l'autre, les lois civiles servation de la société est nécessaire, c?est-à-
n'ont plus de force. » dire, est tel qu'il ne puisse être autrement,
11 n'est pas difficilede prouver que l'homme je dis Le dogme de l'éternité des peines et
intelligent, ou l'âme dégagée des sens, ne des récompenses est utile à la conservation
peut ni mériter ni démériter, c'est-à-dire de la société civile, puisqu'il est l'encoura-
qu'elle est fixée dans l'état dans lequel elle gement le plus puissant de la vertu qui la
se trouve au moment de sa séparation d'avec conserve, le frein le plus efficace du crime
Ii'S sens. L'âme juste est en société d'amour qui la détruit donc le dogme de l'éternité
avec Dieu; l'âme coupable est, si je puis des peines et des récompenses futures est
«l'exprimer ainsi, en société de haine avec vrai car, s'il n'était pas vrai, la société man-
querait d'un moyen de conservation donc tant sujet, Montesquieu « La religion
elle pourrait ne pas se conserver; donc elle païenne, qui ne défendait que quelques
ne serait pas nécessaire ce qui est absurde. crimes grossiers, qui arrêtait la main et
La philosophie rejette les peines éter- abandonnait le cœur pouvait avoir des
nelles, et elle voudrait des 'crimes inexpia- crimes inexpiables mais une religion qui
bles. 1° II y a contradiction entre des enveloppe toutes les passions qui n'est pas
crimes qui ne peuvent être expiés, et des plus jalouse des actions que des désirs et
peines i qui peuvent finir. 2' J'ai prouvé des pensées; qui ne nous tient point atta-
que là certitude que son crime ne peut être chés par quelques chaînes, mais par un nom-
expié, ferait d'un homme coupable par (fai- bre innombrable de fil*; qui laisse derrière
blesse, un scélérat par désespoir-, et H est elle la justice humaine, et commence une
aisé de sentir que la certitude que ses pei- autre justice; qui est faite pour mener sans
nes auront un terme, après lequel il jouira cesse du repentir à l'amour et de l'amour au
d'un bonheur sans fin, ferait, d'un homme repentir qui met entre le juge et le crimi-
faible par nature, un homme criminel par nel un grand médiateur, entre le juste et le
En effet, les objets qui affectent les médiateur un grand juge une tette religion
sens, ayant bien plus d'empire sur l'homme ne doit pas avoir de crimes inexpiables.
que ceux qui n'affectent que ses facultés Mais, quoiqu'elle donne -des craintes et des
.spirituelles,, l'homme ne trouverait pas un «espérancesà tous, elle fait assez sentir que,
motif suffisant pour se priver d'un plaisir s'il n'y a point de crime qui, par sa nature,
présent, et vers lequel son penchant l'en- soit inexpiable, toute une vie peut l'être;
tralne, dans ta crainte d'une peine éloignée, qu'il serait très-dangereux de tourmenter
d'un genre qu'il ne peut connaître, qui ne sans cesse la miséricordedivine par de nou-
se présente pas à son esprit avec la certi- veaux crimes et de nouvelles expiations;
tude d'un objet sensible et éprouvé; d'une qu'inquiets sur les anciennes dettes, jamais
peine qui, plus ou moins longue, aboutirait quittes envers le Seigneur, nous devons
toujours à une éternité de bonheur. Pour craindre d'en contracter de nouvelles, de
juger de l'effet que produirait, dans la so- combler la mesure, d'aller jusqu'au terme
ciété, le dogme des peines temporaires dans où la bonté paternelle finit. »
l'autre vie, il n'y a qu'à voir les dangers et Les philosophes ont commencé par nier
les fatigues qu'un homme, passionné pour l'éternité des peines, et pais ils ont déclamé
quelque objet, brave pour se satisfaire. contre les expiations. En effet, si les gou-
Philosophe, qui admets l'immortalité de vernements abolissent la peine de mort, i.
l'âme, et qui nies l'éternité des peines, mul- est évident qu'ils n'ont plus besoin de let-
tiplie les siècles par les siècles, élève le tres de grâces. `
temps à la pjxissame infinie de l'éternité:; et J'ai remarqué qVe les mêmes hommes qui
ose dire après combien de temps d'expia- attaquent le dogme de l'éternité des peines
tion, Robespierre, expirant avec le seul re- et des récompenses éternelles, abolissent,
gret d'avoir laissé vivre quatre cent mille dans la société politique, la peine de mort
têtes innocentes, jouira du même bonheur et la récompense héréditaire .de Ja noblesse.
,que la vertueuse Elisabeth, mourant &n par- Tout se tient dans la société.civile et il ne
donnant à ses bourreaux ( i), ss fait pas un changementdans une des deux
C'est: vous-même, me dira le philosophe, sociétés qui la composent, qu'il ne se fasse-
-qui ôtez tout frein au crime, en supposant bientôt dans l'autre un changement correç^
.qu'un instant de repenti-r peut expier une :pondant.
vie entière de forfaits. La religion, il est L'homme est essentiellement faible; mais
vrai, ;me dît qu!un acte d'amour peut tout Dieu est essentiellement bondonc le -par-
effacer, et j'en trouve la raison dans la na- don est dans la nature de Dieu, comme la
ture des êtres, en considérant qu'amour est i passion est dans la nature de l'homme. Mais
pouwir, et que rien n'est impassible au pow- Dieu est essentiellement juste, et touteiaute
voir mais la raison me dit aussi que le> est essentiellement punissable donc la
crime est haine de la Divinité, et ..qu'il estt peine, pour la faute commise, est dans la na-
comme impossible de passer subitement de> ture du Dieu juste, comme elle est dans la
.la haine, à l'amour. Ecoutez, sur cet impor- nature du délit. Le pardon aecordé suppose
11 ) Ce n'est
pas le dogme de l'éternité des pei- forfaits les passions peuvent conduire l'homme
,Des qu'il est pénible de croire, quand ou voit à quels c'est bien plutôt celui de la possibilité du pardon.
donc la peine infligée, et le délit effacé sup- L'amour et la erainte, dans l'homme so-
pose la peine accomplie donc le dogme d'un cial, ne peuvent être que l'amour de sa con-
lieu destiné-à à accomplir la peine infligée au servation et la crainte de sa destruction
délit pardonné est un rapport nécessaire qui puisque la société est une réunion d'êtres
dérive de la nature des êtres qui composent semblables, réunion dont la fin est leur con-
la société religieuse, aussi nécessairement servation mutuelle.
que la loi civile qui ordonne qu'un homme Si la religion, dans l'homme, est amour et
banni pour un temps doit garder son ban crainte, elle se produira au. dehors par l'ac-
avant; .de rentrer dans sa patrie, dérive de la tion des sens; car nous avons vu que l'homme
.nature des êtres qui composent la société ne peut avoir l'amour et la crainte d'un ob-
politique., jet, sans manifester, s'il est libre, par l'ac-
Le, dogme d'un lieu destiné aux expia- tion de ses sens, son amour ou sa crainte.
tions est donc un développement nécessaire Par quelle action de ses sens l'homme ma-
de la loi des expiations donc il est virtuel- nifestera-t-il l'amour de sa conservation ou
lement, implicitement compris dans l'Evan- la crainte de sa destruction?2
gile, qui établit la loi des expiations. Le Par le don car l'homme donne pour ob-
fond, dit Spanheim, ministre réformé, est tenir le bien qu'il aime, comme il donne
certain mais la manière et les circonstances pour éviter le mal qu'il craint.
ne le sont pas. Aussi le concile de Trente, Mais l'importance du don doit être pro-
en établissant la certitude du fait, a formé, portionnée à la force de l'amour
selon; Bossuet, son décret avec une eocpresr- crainte et de la
sion générale; car, dit cet illustre auteur, la eux-mêmes comme l'amour et la crainte sont
proportionnés à labonté de l'ob-
.nature des peines n'est pas expliqué de la jet
même sorte par les saints docteurs.
que l'on aime et à la puissance de l'ob-
jet que l'on craint.
CHAPITRE VI. Dans la société religieuse, l'objet de Y&-

-- SACRIFICE PERPÉTUEL DE LA RELIGION


CHRÉTIENNE.
mour et de la crainte de l'homme est la Di-
.vinité, c'est-à-dire l'Etre infiniment bon et
infiniment puissant.
Il est temps de parler du sâcrificeperpé- Donc l'amour et la crainte seront infinis
fuel, offert dans la société religieuse cons- ou les plus forts que l'homme puisse éprou-
tituée, ou la religion chrétienne. Je n'entre- ver donc l'action extérieure par laquelle
prends pas d'en expliquer le mystère; mais l'homme manifestera son araouretsa crainte,
j'ose en démontrer la nécessité, e'est-à-dire sera l'action la plus importante que l'homme
faire voir qu'ilest une' fo«Y un rapport né- ipuisse faire.
cessaire ou tel qu'il ne pourrait être autre- Donc le don que l'homme fera pour témoi-
ment qu'il ri est, sans choquer la nature des gner son amour et sa crainte, sera le don le
êtres qui composent la société religieuse. -plus 1 précieux qu'il puisse offrir.
J'emploierai, selon mon usage, la méthode Or quel est le don le plus précieux que
-la plus didactique et le raisonnement le l'homme puisse offrir, et -l'action la plus im-
moins orné. On veut nous ramener sans 1portante qu'il puisse faire?

que. je m'adresse on rejette l'autorité de la laquelle il se


théologie et la certitude de la foi; je n'in-
donne.
cesse à la pure raison; c'est à la seule raison C'est le don de lui-même, et l'action par
L'homme se donnera donc lui-même par
voque que l'autorité dé l'histoire et le lé- ;<amour et par crainte il se donnera lui-

conduit l'homme à la foi (1).


moignage de nos sens et la raison aussi ,même dans toutes les sociétés, soit religieu-
cises, soit politiques; car ces sociétés sont

J'ai considéré l'homme-Dieu comme mé- semblables,


-l et elles ont une constitution sem-
diateur de l'alliance ou de la société entre 1blable.
Dieu et l'homme;je vais le considérercomme Ainsi, dans la société naturelle ou la fa-
victime du sacrifice que la "société offre à mille, 1 l'homme dans l'union des sexes se
l'Etre suprême.. donne
c lui-même par amour de soi ou de sa
J'ai dit que la religion, dans l'homme so- (conservation. Ainsi, dans les sociétés politi-
cial ou la société, .était sentiment, c'est-à- (ques non constituées, l'homme se donnai?
dire, amour et crainte. 1lui-même dans l'esclavage
par crainte de
( i ) La raison, dans mesvers, ronduit l'homme àJafci
([Ucime, Poème de la Religion.)
sa destruction; ainsi, dans ies sociétés poli- S'il peut y avoir que deux religions, la
ne
tiques constituées, l'homme doit se donner religion constituée de l'unité de Dieu ou le
lui-même à la société, par amour des autres, monothéisme, et la religion non constituée
en se dévouant à leur défense dans les pro- de la pluralité des dieux ou le polythéisme,
fessions sociales. il ne peut y avoir que deux sacrifices, le sa-

crainte. *•.
L'homme se donnera donc lui-même à la
Divinité, objet de son amour et de sa
L'homme social ou la société est l'homme
et la propriété l'homme social ou la so-
crifice de la religion de l'unité de Dieu, et

dieux..
Je sacrifice de la religion de la pluralité des

Le sacrifice religieux est l'action par la-


quelle l'homme social se donne lui-même
ciété fera donc à la Divinité le don de et sa propriété à la Divinité, par amour et
l'homme et de la propriété, dans toutes les par crainte.
sociétés religieuses. Dans la religion de l'unité de Dieu, l'a-
Ce don s'appelle sacrifice. mour ne peut pas être séparé de la crainte;
Et j'aperçois dans toutes les sociétés reli- parce qu'un être infiniment bon est néces-
gieuses de l'univers le sacrifice social, c'est- sairement un être infiniment puissant ce
à-dire le don de l'homme et l'offrande de la sont des rapports nécessaires et fondés sur
propriété. la nature des êtres ce sont des lois.
Il ne peut y avoir que deux sociétés reli- Mais l'amour sera plus fort que la crainte,
gieuses, ou religions différentes: la religion parce que l'amour est un sentiment positif,
d'un Dieu ou le monothéisme, et la religion et la crainte un sentiment négatif; puisque
de plusieurs dieux ou le polythéisme. l'Etre suprême conserve par une action po-
Mais l'unité de Dieu est un rapport néces- sitive et sans cesse renouvelée, an lieu que
saire dérivé de la nature des êtres; car, pour détruire, il n'a qu'à suspendre son ac-
s'il y a un être infini, il ne peut y en avoir tion, ou ne pas conserver.
qu'un.
Donc l'unité de Dieu est une loi fonda-
1 Ainsi je dois retrouver dans le sacrifice
la société religieuse constituée
de duou mo-
mentale; donc la religion de l'unité de nothéisme, le sacrifice de l'amour mêlé de
Dieu est la religion véritable, ou consti- crainte.
tuée. Dans la religion de la pluralité des dieux,
La pluralité des dieux est par conséquent société non constituée, l'homme a perdu la
un rapport non nécessaire absurde, con- connaissance de Dieu, puisqu'il s'est écarté
traire à la nature des êtres. de Ja/oifondamentaleoudurapport nécessaire
Donc la société religieuse de la pluralité de l'unité do Dieu.
des dieux, ou du polythéisme, sera une so- Dieu avaitfait l'homme intelligent et à son
ciété religieuse non constituée. image, et lui avait donné une émanation de
Donc il ne pourra y avoir qu'une seule so- ses perfections. L'homme dépravé fait à son
ciété religieuse constituée, parce que sur un tour des dieux à son image, et leur attribue
même objet, il ne peut y avoir qu'un rapport ses passions; il les multiplie pour les oppo-
nécessaire. ser l'un à l'autre il les fait haïr, pour qu'ils
Donc il pourra y avoir un grand nom- puissent se combattre. Dans sa faiblesse, il
bre de sociétés religieuses non constituées, se regarde comme le sujet de leurs querel-
parce que sur un même objet, il y a un les et le jouet de leurs passions mais le
grand nombre de rapports non nécessaires. sentiment de la puissance infinie de la Divi-
Ainsi je suis ramené, dans la société reli- nité ne peut s'effacer du cœur de l'homme;
gieuse, aux mêmes résultats auxquels je l'homme réunit les attributs nécessaires do
suis parvenu en traitant des sociétés politi- la Divinité, avec les attributs arbitraires
ques, que j'ai divisées en sociétés consti- qu'il lui a donnés; il joint la puissance à la
tuées de l'unité de pouvoir monarchique, haine, et il en fait des dieux infiniment mér
et sociétés non constituées de la pluralité chanls.Dès lors, il ne peut plus les- aimer, il
des pouvoirs ou républiques. Car le despo- ne peut que les craindre; et la crainte sans
tisme, société non constituée, n'est autre amour est la haine. Ainsi remarquez que les
chose qu'une république en état de guerre peuples barbares représentent leurs dieux
comme la république n'est-elle même qu'unsous des figures monstrueuses et effroya-
despotisme dont le chef est absent, et va re- btes
1 que la haine et la peur ont pu seules
venir. iimaginer
Ainsi je dois retrouver dans le sacrifice La question se trouve donc réduite à des
des sociétés religieuses non constituées, ou- preuves de fait.
L'histoire les temps passés, le témoi-
pour
du polythéisme,le sacrifice de la crainte sans
amour ou de la haine. ignage
des sens dans les temps où nous vi-
Ainsi, dans les sociétés religieuses, il y a vons, doivent me montrer dans les deux
une société constituée dont le principe est sociétés religieuses du monothéisme et
Yammr, et une société npn constituée dont du polythéisme, 1° le sacrifice social, c'est-
le principe est la crainte comme dans les à-dire, le don, fait à la Divinité, de l'homme
sociétés politiques, il a y une société consti- et de la propriété
tuée dont Je principe est l'amour, et des so- 2' Le sacrifice, d'amour mêlé de crainte,
ciétés non eonstituéesdontle principe est la dàns la société religieuse constituée, ou le
crainte (1).' monothéisme le sacrifice de crainte sans
Ainsi l'on peut apercevoir le motif secret, amour, ou de haine, dans la société ,reli-
le principe intérieur de la conformité de la gieuse non constituée, ou le polythéisme.
société religieuse et de la .société politique
en général, et de la tendance particulière
s'unir qu'ont entre elles certaines sociétés
à 3° Le sacrifice doit être plus parfait dans
la société religieuse constituée, mesure
que la société elJe-Tmême est plus parfaite
religieuses et certaines sociétés politiques. ou plus constituée et le sacrifice doit Être
La société religieuse, comme la société plus imparfaitdans la société religieuse non
politique, ne parvient pas tout à coup à sa .constituée,
,i
à mesure que la société elle-mê-
perfection, de même que l'homme intelli- me est plus imparfaite et plus inconstituée.
gent et physique ne parvient pas tout,à coup 4." Dans la société religieuse la plus par-
à sa perfection, c'est-à-dire que ,tous les faite on la plus constituée, qui est la religion
rapports nécessaires ne se développent' pas chrétienne, le sacrifice sera le plus parfait
à la fois; et pane que la constitution est un c'est-à-dire que le sentiment ou l'amour sera
principe de perfectionnement et -de déve- le plus parfait, l'action par laquelle il. se ma-
loppement progressif pour l'une et pour nifeste, la plus parfaite; le don de l'homme
l'autre société, l'une et l'autre a ses diffé- et de la propriété sera le don de l'homme le
rents âges et ses différents états de perfec- plus parfait et de la propriété la plus pure
tion. Nous les avons remarqués dans la so- et dans la société religieuse la plus impar-
ciété politique, ils sont encore plus sensi- faite ou îa plus inconstituée, qui est l'idolâ-
bles dans la société religieuse. trie, le sacrifice sera le plus imparfait-,est-
Donc, moins la société religieuse sera par- à-dire que le sentiment ou la haine sera la
faite ou constituée, moins le sentiment ou plus forte, l'action par laquelle le sentiment
l'amour sera parfait, moins l'action par la- se manifeste, la plus destructive, et le don
quelle le sentiment se manifeste, sera par- de l'homme et celui de la propriété, le don
faite, moins le sacrifice sera parfait, c'est-à- de l'homme le plus imparfait et de la pro-
dire, moins le don de l'homme et celui de la priété la plus imparfaite.
propriété seront parfaits. Parcourons les différents âges de religion,
Donc, dans la société religieuse la plus par- et n'oublions pas que la religion est tou-
faite la plus constituée, le sacrifice sera le
ou jours sociale, parce que l'homme est tou-
plus parfait -qu\il est possible; c'est-à-dire, jours en société naturelle ou poUtiq.uë, en
q^ela société fera à la Divinité,de la manière société de production ou en société de con-
la plus parfaite, le don de l'homme le plus servation.
parfait, et de la propr.iété la plus pure et las Dans la religion de la première société,
plus parfaite. de la société naturelle ou de la famille, dans
Danc, dans la société la plus imparfaite ouL la religion naturelle, premier âge du mano-
la moins constituée, le sacrifice sera le plus théisme, telle que nous la connaissons par
imparfait qu'il «oit possible:; e'est-à dire, ,nos livres sacrés, l'homme social fait à la
que la société fera à la Divinité, de la ma- Divinité le don de lui-méme, ctest-à-dire
nière la plus imparfaite., le don de l'homme e> le don de l'homme et celui de la propriété;
le plus imparfait, et de la propriété la,plus•> mais l'homme est le prêtre et la victime du
imparfaite,. Ce sont des rapports nécessairesi sacrifice, il est tout, parce qu'il est seul;
dérivés de ta nature des êtres donc ce sontt ç'estrà-dire que l'homme extérieur fait à la
des lois. Divinité le don de l'homme intérieur ou le
(1) Voy. la première partie, liv. vJy chap. 1.
ST7 PART. J. ECOKOM. SOC– THEORIE DU POUVOIR.
POUVOIR. PART. H. POUV. RELIGIEUX.IJV.IV.S78
UV.IV.S78
sacrifice de
de sa volonté, 'et qa'il joint
'et cih'i'I l'of- le chef,
ioiiiï. àh l'of-
frande de sa propriété ou des prémices demoment et
chf>f. ne
na s'était
«'«ait pnnctïtn<iû
constituée que rw. “
nna pour un
pour une circonstance aussi le
ses troupeaux et de ses moissons, les dispo- prêtre et l'offrande disparaissent sans retour.
sitions d'tiirt coeur soumis et reconnaissant Cependant Dieu, qui veut apprendre à l'uni- `
et la raison seule, indépendamment dé l'au- vers que Je sacrifice sanglant de l'homme
torité des livres saints, me fait voir, dans lat juste entré dans ses desseins de miséricorde
religion naturelle, la première société reli- sur les nations, demande à ce saint patriar-
gieuse, comme ellô ifle montre, dans la fa- che le sacrifice de son fils mais ce Dieu
mille,, là première société extérieure ou qui a fait avec l'homme une société dont la
i
physique* fin êêt UuY conservation mutuelle, ne peut
A cette société religieuse constituée cor- être honoré par la destruction de l'homme
respond une société réligieusé non consti- satisfait de la volonté, il empêché l'acte; à
tuée au sacrifice de l'amour correspond le> là place du sacrifice de l'homme, il accepte
sacrifice de la haine. Dans la religion natu- le sacrifice de la propriété; et par là il con-
relle constituée, l'homme de la famille s'of-• damne à la fois les affreux sacrifices de
frait lui-même à la Divinité* en lui sacrifiantt humain, et il prépare lé peuple qu'il a choisi sang
sa volonté déréglée; dans la religion natu- au sacrifice de l'homme juste.
re!5e non constituée, l'homme de la familles Dans là société des Hébreux, la religion
s'oflie lui-même à ses affreuses divinités, eni judaïque, second état du monothéisme, offre
leur- sacrifiant ses propres enfants. Les pre- à l'Etre suprême le sacrifice social, le don
miers sacrifices du polythéisme sont les hor- de l'homme et celui de là propriété. Le
ribles sacrifices offerts à Moloch. Une crifice est imparfait, parce que là société des sa-
aveuglefrayeur, dit Bossuet, « poussait lés Juifs n'est qu'imparfaitement constituée, et
pères à immoler leurs enfants, et à les brû- que J'amour qui en est le principe est ini-
ler à leurs dieux au lieu d'encens. Ces sa- parfait, puisqu'il n'est que l'amour qui
crifices étaient communs du temps de Moïse es-
père, et non l'amour qui jouit, et qné là
et il n'y a point eu d'endroit sur la terre où Crainte même l'emporte sur l'amour. En ef-
l'on n'ait servi de ces tristes et affreuses di- fet, ouvrez les livres de cette religion, vous
vinités, dont la haine implacable pour le n'y voyez que promesses futures et chàti-
genre humain exigeait de1 telles victimes. » ments présents. Mais cette religion, toute
Que le philosophe demandé à présent si imparfaite qu'elle est, est à son second âge
le polythéisme a précédé le monothéisme, elle est plus développée que la religion na-
si la haine apféGédé l'amour, si le sentiment tùrôlle ce n'est plus une famille qui sacri-
négatif a précédé le sentiment positif, et si fie, c'est un peuple; ce n'est plus l'homme
le premier culte de l'épouse devenue mère intérieur qui s'offre, c'est l'homme tout
en-
a été de faire brûler vivant lé gage innocent tier qui doit s'offrir Dieu le demande mais
de sa tendresse dans les bras d'airain d'une il défend de consommer fè sacrifice, et il
horrible idole. Le premier sentiment de permet que le sang dé l'homme soit racheté
l'homme fut l'amour; et si, dans l'homme par lé sang de l'animal. Non-sëùlêmént la
physique, t'amour dé soi, s'éiiflatomant à la matière du saÊrilïce, mais l'action même du
vue dé l'objet qui pouvait lé partager et le sacrifice est imparfaite li présente des ca-
satisfairer produisit l'homme ;• dans l'homme ractères de destruction et dé tnôrt, et l'àiltel
intelligent, l'amour de Dieu, qui ne put être est ensangiantéi
excité que par le bienfait de la création* A mesure qUe là société édnstituée se per-
produisit la connaissance de Dieu. fectionne» la société îïo'ti constituée se dété*-
Dans là première société politique coas^ riofê; pài-eè que U Sôfeiété hon constituée
titu'ée, h société d'Abraham combattant a un principe intérieur de dégéfléfâtiOn;
contre des rois voisins, la société religieuse comme la société Constituée a un gëfme de
se distingue, pouf la première foisi de la perfëctiennerfiefiti Lèê pâèâidtis iinpUres
société politique. Datis là religion domesti- font des diéut comme ies passions féroces;
que on dé la famille, l'homme était à la fois «*le paganisme, religion dont le pfifiéipe
le pf être et la victime du sacrifice dans là éstl'smôufde sôû égal, ràfiQotitsaïJs craïrite,
religion publique, celle de s& société politi- ou l'amour profânef détruit dans son sacfi1
que, je vois un pontife, je vois l'offrande de fice l'homme moral par la prostitution,
la propriété là plus pure, du pain et du vin; comme l'idolâtrie où la religion dont fe prin-
mais«" la ouvictc politique,
« société puuH^ucjuumdont Abraham
jiwjauaui était cipe est la
eian cipe crainte sans amour, ou la
m crainie Ja haine,
naine,
ORcivriîs
OEUVRES rnupi. hk
COMPL. DE M.
VI. nu
DE linivAin
BONALD. l.
I
i ta
19
BONALD. S80
67'9
(.Iinq
détruit dans i)n 1iriii~
son sacrifice l'hommel'hat"m-
physique
par le meurtre. Mais, sous l'une et l'autre
r.nt~
ES DE M. DE BONALD.
OEUVRES COMPLETES
et.)').
589
peut être que riiommo-
ment en sacrifice, ne _nA
Dieu mort, il y a dix-huit siècles, pour ré-
forme, je retrouve toujours le don de l'hom- concilier avec Dieu le genre humain dont il
me avec l'offrande de la propriété. est le Sauveur, pour sceller l'alliance nou-
Le monothéisme, ou la religion consti- velle dont il est le médiateur, pour. former
tuée, parvient à son dernier état de perfec- la nouvelle société dont il est le pouvoir
tion sur la terre. Son sacrifice sera donc à conservateur; la victime offerte dans, le sa-
son dernier état de perfection elle offrira crifice non sanglant ou mystique des autels
donc le don de l'homme le plus parfait et de est donc la même que la victime offerte dans
la propriété la plus parfaite, et elle l'offrira le sacrifice sanglant et physique de la croix.
de la manière la plus parfaite. Les motifs sont les mêmes; et la raison peut
Ce sont là des rapports nécessaires dérivés aussi nous faire apercevoir les lois ou rap-
de la nature des choses; donc ils sont des ports nécessaires dérivés de la nature des
lois. Or la religion chrétienne m'apprend êtres sociaux, qui établissent la nécessité du
effectivement, autant que la faiblesse de ma sacrifice non sanglant de l'autel.
raison peut le comprendre, qu'elle offre à Ces rapports sont de trois espèces ? 1" rap-
l'Etre suprême, dans son sacrifice, le don de ports pris de la nature de l'homme intelli-
l'homme le plus parfait, en même temps, et gent ou intérieur;
sous les apparences de la propriété la plus 2° De la nature de l'homme physique ou
pure et la plus parfaite; et elle me fait voir, extérieur;
autant que la faiblesse de mes sens me per- 3° De lanature de l'Homme intelligent et
met de l'apercevoir, l'aclion même du sacri- physique à la fois, de l'homme social, de la
fice consommée de la manière la plus su- société. Reprenons par ordre ces différentes
blime et la plus parfaite. espèces de rapports. 1° Rapports dérivés de
La propriété la plus pure, ou la plus par- la nature de l'homme intérieur.
faite, est la propriété la plus naturelle et la J'ai prouvé que l'incarnation du Verbe ou
plus utile; c'est donc le pain, l'eau et le du Fils de Dieu avait été nécessaire pour
vin. qu'il pût exister entre Dieu et l'Homme une
L'homme ie plus parfait. est' l'Homme- société
véritable ou constituée, c'est-à-dire
Dieu car Dieu est la perfection même. dont la fin fût leur conservation mutuelle; ou
Je vois en effet, dans le sacrifice de la re- autrement, que la médiation de Dieu et la
ligion chrétienne, l'offrande du pain, de rédemption des hommes étaient des rapports
l'eau et du vin, et elle-même m'assure nécessaires dérivés de la nature des êtres
qu'elîe fait à l'Etre suprême le sacrifice de sociaux, Dieu et l'homme, que c'étaient des
]'Homme-Dieu. L'action du sacrifice n'est lois.
pas moins parfaite que la matière même du La mort de l'Homme-Dieu a donc été le
sacrifice; la religion chrétienne m'assure sacrifice social, universel, puisqu'il a eu
que, dans son sacrifice, l'homme est immolé pour objet la rédemption de toutes les so-
sans destruction, et je vois moi-même que ciétés de l'univers; et il a été offert pour
la propriété est détruite sans immolation. tous les hommes, puisqu'il a compris, dans
Ainsi, j'ai prouvé que la religion consti- son objet, toutes les sociétés. L'Homme-Dieu
tuée doit offrir l'Etre suprême, de la ma- est le rédempteur de tous les hommes, dans
nière la plus parfaite, le don de l'homme le ce sens que nul homme ne peut être sauvé
plus parfait et l'offrande de la propriété la que par lui. Mais Dieu, en arrachant l'homme
plus pure; parce que ce don et cette offrande intelligent à l'oppression de l'idolâtrie, l'a
sont des rapports nécessaires dérivés de la rétabli dans son libre arbitre, dans ce libre
nature des êtres, des lois et c'est un fait arbitre sans lequel l'homme intelligent ne
incontestable et dont tout le monde peut peut pas plus former société avec Dieu, que
s'assurer, en ouvrant les livres élémentaires l'homme physique ne peut, sans liberté phy-
de la religion chrétienne, que cette religion sique, former société avec les hommes.
assure qu'elle offre à l'Etre suprême de la L'homme est donc libre depuis la rédemp-
manière la plus parfaite, le don de l'homme tion, c'est-à-diro qu'il est libre de faire le
le plus parfait, et l'offrande de la propriété Lien, qu'il a des secours pour le faire; mais
la plus pure. il a toujours la force de faire le mal, ou,
Cet Homme-Dieu, que la religion chré- pour parler conformément aux principes sur
tienne m'assure qu'elle offre perpétuelle- la liberté que j'exposerai bientôt, l'homme
peut renoncei à sa liberté en s'écartant des dt profiter du bénéfice de la loi générale. La
de
lots ou rapports nécessaires dérivés de la comparaison
cc est exacte; car les sociétés phy-
nature des êtres. sique et religieuse sont semblables,et elles
si
Au sein des sociétés idolâtres, la croyance ont une constitution semblable. Ce ne sont
or
de l'unité de Dieu, la tradition de ses des- point
p( des idées ascétiques que j'offre à mon
seins sur les hommes, avaient pu se perpé- lecteur,
le mais des principes rigoureux, des
tuer dans quelques familles, comme il parait lois,
lo des rapports véritablement nécessaires
par l'histoire de Job; et au sein des sociétés et dérivés de la nature des êtres sociaux, et
chrétiennes l'idolâtrie et ses excès conti- dont
d( on ne peut révoquer en doute l'exi-
nuent dans le cœur d'un grand nombre stence et la nécessité qu'en niant qu'il
st
d'hommes, comme il n'est que trop aisé de existe
es dans l'univers d'autres êtres, que
l'apercevoir aux désordres qui règnent dans ceux que nous voyons et que nous tou-
ce
la société. L'amour déréglé de soi avait fait chons.
ch
des dieux dans la société l'amour déréglé Les sectes réformées, qui, en admettant la
de soi fait des dieux dans le cœurdel'hom- nécessité de la médiation générale, rejettent
n^
me c'est un commencement d'idolâtrie, et la nécessité du sacrifice non sanglant de la
elle n'eut pas un autre principe; l'ambition, religion
re chrétienne, ou de l'application par-
la volupté, l'avarice, auxquelles l'homme ticulière de la médiation générale, ont dû
ti(
offre trop souvent le don de l'homme et celui tomber dans deux absurdités opposées l'une
to
de la propriété, sont réellement ces mêmes dede supposer que certains hommes n'ont ja-
dieux auxquels la société offrait.sous le nom mais
rai besoin de médiation particulière et
de Mars, de Vénus et de Plutus, le don de par conséquent ne peuvent jamais devenir
pa
l'homme et celui de la propriété. L'homme, pécheurs
pé l'autre, de supposer que la mé-
esclave de ses passions, est donc avec Dieu diation générale a été entièrement inutile à
di
en société de haine; et tout ce que j'ai dit quelques
qiL hommes, et qu'ils ne peuvent ja-
de la nécessité ûxi médiateur entre Dieu et la mais
mi devenir justes c'est le fond de leur
société, peut s'appliquer rigoureusement doctrine sur la grâce et la prédestination
de
la nécessité d'une médiation entre Dieu et dogmes
do affreux, qui ne peuvent aboutir
l'homme vicieux; car l'homme est la société qu'à
qu ôter le remords au crime, ou l'es-
en abrégé, comme la société est l'homme poir
pc à la faiblesse. J'en parlerai ailleurs.
général. Si la destruction sanglante et phy- 2" J"ai dit que le sacrifice non sanglant de
sique de l'Homme-Dieufut nécessaire pour j'j
l'Homme-Dieu était un rapport nécessaire
racheter l'univers, en expiant la destruction dérivé de la nature de l'homme physique.

sanglante et physique de l'homme que la so- j;r1 effet la mort de l'Homme-Dieu est la
En
ciété idolâtre offrait en sacrifice à ses dieux seule circonstance de sa venue sur la terre
se
extérieurs et visibles la destruction mysti- dont il soit nécessaire de maintenir la mé-
do
que et non sanglante de l'Homme-Dieu est moire
ml( au milieu des hommes, puisque tou-
nécessaire pour racheter l'homme, en expiant tes les autres circonstancesdesa mission et de
la destruction de l'homme intérieur et mo-
sa vie se rapportent à celle-là, et qu'on peut
rai, que l'homme vicieux offre en sacrifice à dire qu'il n'a daigné naître et vivre que pour
dj.
ses dieux intérieurs et secrets. Le sacrifice pouvoir
po mourir. Or, les hommes ne peuvent
sanglant fut la rédemption générale de l'u- avoir
av( la mémoire que de ce qu'ils ont vu, ni
nivers, et par conséquent de tous les hom- la conserver que de ce qu'ils voient parco
mes; le sacrifice non sanglant est la rédemp- qu cause de l'union de leur esprit et de
qu'à
tion particulière de chaque homme, qui, par leur
]ei corps,et de t'influence qu'a celui-ci sur
son retour secret à l'idolâtrie, a rendu inu- les opérations de l'autre, les objets exté-
tile à soit égard la rédemption générale. rieurs
rie effaceraientbientôt, par leur impres-
C'est le même médiateur qui fait à l'homme, sio constante, l'idée d'un objet purement
sion
qui le demande, une application particulière extérieur,
ext et qui lui-même ne se reprodui-
de la médiation générale. rai par aucune sensation extérieure. Un
rait
Un souverain qui accorderaitàtous ses su- événement
év^ qui intéresse si éminemment tous
jets serfs un affranchissement général qu'il les hommes doit être figuré aux yeux de
attacherait à certaines conditions, ferait de la tous les hommes comme l'histoire doit en
tou
loi générale une application particulière à êtn rappelée à leur esprit mais ce signe
être
chaque individu, qui, en remplissant les extérieur
ext ne doit;.pas contraindre les sens.:
conditions prescrites, se serait mis en état l'Homme-Dieu doit être sensible à tous les
l'H<
V UUKJ 1 1UJU ^Wlllj: IjILi 1 JLlO
sens ne doit être perceptible à au-
"mais il Ce sont là des rapports nécessaires déri-
cun car s'il était visible ou palpable si vés de la nature dos êtres donc ce sont des
l'homme ne pouvait le méconnaître,l'homme lois,
n'aurait plus Je choix de méconnaître un « Ainsi, »ditBos?uet,«l'esprit et le corps se
Dieu qu'il ne pourrait toucher, il n'aurait joignent pour jouir de Dieu; mais, comme
plus fe libre arbitre, il ne Serait plus homme. l'union des corps est le fondement d'un si
ii est donc nécessaire pour l'homme que ses grand ouvrage, celle des esprits en est la
iems puissent méconnaître le Rédempteur, perfection. Et cette union a pour principe
et que son esprit puisse révoquer en doute l'amour, puisque Bossuet dit plus haut:
U nécessité de la rédemption. Dieu n'a don- « Qu'encore que la perfection, du corps et du
né à l'homme la facilité de se sauver, que sang dé l'Homme-Dieu ne soit que momen-
parce qu'il avait la possibilité de se perdre tanée, le droit que nous avons de le recevoir
autrement le malfaiteur que la société con- est perpétuel et semblable au- droit sacré
damne au dernier supplice, devrait se plain- qu'on a l'un sur l'autre par le mariage.»
dre qu'on ne l'ait pas enchainé toute sa vie, Mais l'Homme -Dieu s'est-il rendu exté-
pour 1 empêcher d'être coupable un ins- rieur et sensible pour se donner à l'homme?..
tant. Ecoutez.
3' Le sacrifice non sanglant est un rapport Cet homme qui se dit le Fils de Dieu, et
nécessaire dérivé de la nature de l'homme à Dieu lui-même le plus parfait des hommes,
la fois ii/telligent et physique, de l'homn.e puisqu'il défie ses ennemis de le convain-
social, de la société. cre d'aucun péché; cet homme qui repré-
La société religieuse chrétienne est une sente tous les hommes.. puisqu'il exprime
sociéié constituée, une réunion d'êtres sem- dans sa personne et dans les différentescir-
blables, réunion dont la fin est leur conserva- constances de sa vie, toutes les situations
tion mutuelle. Le principe de cette société de l'homme social, la veille du jour où il
est Poincur, puisque l'amour est principe de termina sa pénible carrière par une mort
conservation des éir 'es. ignominieuse, dans le dernier épanGheraent
Donc l'amour sera mutuel donc le don de son amour pour ses disciples, qu'il des-
de sowi.ême, qui est l'action de l'amour, tinait à ses grands desseins sur la société
sera réciproque.. humaine, leur donna à eux, et, dans leur
Mais Dieu demande à l'homme social le personne, à tous les membres de la société
ton de tout son être intérieur et extérieur, qu'il allait former, les leçons tes plus subli-
le don de sa volonté et de sa force, de son mes et les instructions .les plus touchan-
esprit et de ses actions extérieures. tes. (1). Il leur apprend les devoirs de tout
Dieu aussi se donnera tout entier à pouvuir qui s'exerce sur des Chrètiens,dans
Phomme, social et comme le don de l'homme ces paroles qui conviennent au pouvoir po-
à Dieu est un don fini comme l'homme qui litique comme au pouvoir religieux Les
donne» le don de Dieu à l'homme sera un rois des nations les maîtrisent; pour vous,
don infini comme Dieu qui donne. Si ce don vous ne devez pas en user de même. Que celui
est infini, il sera incompréhensible à l'hom- d'entre vous. qui est le premier ne soit que le
me car si l'homme pouvait comprendre tout serviteur des autres, (Matth- xx 25-27}
ee que Dieu peut faire, l'homme serait au- Définition exacte des rapports de Jésus-
tant que Dieu, ou Dieu ne serait pas plus Christ avec les hommes; puisqu'il a pris,
qu.e l'homme. pour les sauver, la forme d'un esclave (Phi-
Dieu se donnera donc à l'homme intérieur lipp. ii, i ) définition exacte de la royauté
et extérieur d'une manière incompréhensi- dans une société constituée dont elle est
ble et infinie,comme l'homme extérieur et une véritable propriété, puisque la famille
intérieur s'est donné lui-même à Dieu, afin qui l'exerce ne s'appartient plus à elle-mê-
que le don de Dieu à l'homme soit aussi en- me, et qu'elle appartient tout entière à la
tier que celui de l'homme à Dieu afin que société, constitution inconnue aux nations
l'amour soit mutuel, et.que Dieu et l'homme les plus policées de l'antiquité [C2). Il leur
forment ensemble une véritablesociété, réu- apprend les devoirs des sujets envers le

Jean.
nion d'êtres semblables réunion dont la fin pouvoir de la société, dans la comparaison
est leur conservation mutuelle. touchante des brebis et du pasteur; le de-
(ï) Je prie le lecteur, pour qui lit vérité n'est
(2)
pas indifférente, de lire avec attention le discours Les anciens, dit l'Esprit des lois, n'avaient.
île Jésus -Clnïsi après la Cène, rapporié dans saiut pas l'idée de la monarchie.
voir des hommes entre eux dans ces paroles: sique par les jeux barbares'du cirque ou tes
C'est là mon commandement que vous vous sacrifices abominables de sang humain, et
mmies les uns les autres, comme je vous ai l'oppression de l'homme moral par l'igno-
aimés. (Joan. xv, 12.) Il leur enseigne quelle rance el l'absurdité du polythéisme seule
est la mesure de cet amour, en leur disant religion constituée, puisqu'elle est la seule
que personne ne peut donner un plus grand dans laquelle les lois fondamentales soient
témoignage d'amour que de donnersa vie pour des rapports nécessaires qui dérivent de la
ses amis (lùid., 13) et il ajoute que, -s'il ne nature des êtres; les lois religieuses, des
souffre pas la mort ils ne peuveut}r?cevoir son conséquences nécessaires des lois fondamen-
esprit, jour l'accomplissementdu grand ou- tales et fondamentales elles-mêmes; cette
vrage auxquels ils sont appelés; mais que, religion dont la morale est si pure et les le-
lorsqu'une fois il sera élevé, il attirera tout à
çons si sublimés; cette religion qui a résisté
lui. (Joan, m, 32.) Tout à coup, s'adressant à tant de persécutions, et qui s va passer
à son Père, il se constitue lui-même l'homme tant de sectes cette religionqui montre une
universel, en réunissant tous les hommes en plus grande force de conservation, mesure
un seul homme, et les incorporant à lui qu'elle s'éloigne du temps de son berceau,
même r Mon Père, dit-il, que tous ensemble
et qui,. dans la première société del'ùnivers,
ils ne soient qu'un, comme vous et moi nous survit à sa destruction même, et ressuseitf
sommes un qu'ils soient un en nous, comme de son tombeau, comme son fondateur, en
vous êtes en moi, et moi en vous. (Joan. xvii, frappant d'aveugSemfinfet de terreur tes vils
H, 21-23). Et afin que nous ne croyions satellites qui l'y retiennent je vois, dis-je,
pas qu'il borne au petit nombre de ses dis- un sacrifice perpétuel, dans lequel les prê-
ciples lus prières qu'il adresse à son Père tres, visiblement successeurs des premiers
Ce n'est pas seulement) continue-t-il pour disciples de VHomme-DieU, tes prêtres,
eux que je prie, mais encore pour tous ceux force publique conservatrice de ïs sosiété
qui croiront en moi par leur parole qu'ils religieuse extérieure, et rnfmstre'S ou dis-
soient consommés dans1 l'unité, et que le monde pensateurs de la grâce, force conservatrice
connaisse que c'est vous qui m'avez envoyé, de la société intérieure, font en mémoire da
eb quevous les avez aimés comme vous m'avez cet Homme-Dieu ce qu'il leur a enseigné da
aimé. (Md., 20, 21,) faire ils prennent le pain et le vinv ils tes
Enfin, dans son dernier repas avecses dis- bénissent, ils rendent grâces à Dieu, ifs pto-
ciples, il prend du 'pain, le bénit, le rompt, noncetït tes mêmes paroles qoe leur Maître
le leur présente. et leur dit sans prépara- prononça, il* mangent le paio r ils boivent
tioaet sans commentaire Prenez et mangez: le vin, ils le distribuent. L'autorité infailli-
ceci est mon. corps qui est donné pour vous ble de la société religieuse m© moiïtref un
il prend le calice, il rend grâces à Dieu, et Homme -Dieu rendu extérieur et sensible
leur dit avec: ta même simplicité d'expres- sous ces apparences extérieures de la pro-
sion et la même force d'assertion Buvez en priété la plus pure et la plus générale j elle
tous, car ceci estmon sang, h sem§d& lanou* .] méfait voir,. dans sa mort* le sacrifice san-
vdle alliance qui sera répandit pour vous; fai- glant de rHoinme-Dieu &fert une fois par
tes ceci en mémoire de moi. {Luc. xxiï, t9, tous les hommes, et renouvelé: sur" nos au-
20.) Son corps en; effet est H viré, son sang tels d'une manière' ineompréhensi-Meetnon
est répandu, et la nouvel 1 e alHaBce est con- sanglante je vois le sacrifice que j'ai reraar-
sommée. <
qué dans toutes les religions^ lé sacrifice de
Depuis ce temps, c'est-à-dsire depuis dix- •.] ï'hoBSHi© et celui d'é la propriété je vois le
huit cents ans, je vois, dans- ta nouvelle al- (tende
< soi-ϐme que l'homme intelligent,
liance ou la nouvelle société des hommes et
< physique doit faiFe à Dieu, et le, éo« ée
avec Dieu, etprpe\é& Religion chvéHenne^&nle soi-même que Piev^ comme; Je Fai prouvé,
religion sociale, puisqu'elle a assuré la con- doit faire à l'bomme intéWigeat el physique.
servattort de Fhomrae; social' eu, faisant. ces- < Ge même sacrifice, cette ffiêm* erôyan-ee, je
set-. tous tes genres,, d'oppression qui le dé- ks-
] retrou've dwus- tes cÉeux grandes portrons
teuisent, et l'oppression de- fc'âge par- tfexpo- qui compose-nt U soctélé ebrétiienine- l'E-
sition publique,, et h'oppressioff dw sexe par
le divorce, la polygamie et la prostitution
j
glise latine et l'Eglise gi-'eferfii'e, iwcoricilw-
b'es
1 sur d'autres points, s'accordent sur ce-
publique, et l'oppression de la condition par- dogme
c fondaiaental-, et, en prouvent la vé-
l'esclavage, et l'oppression de l'homme phy- rité par l:euTs divisions comme psv leur" ae-
ford. Le raisonnement me démontre que la crois, est plutôt en nous un effort pour pro-
société est une réunion d'êtres semblables, duire un si grand acte, qu'une certitude ab-
Réunion dont la fin est leur conservation mu-solue de J avoir produit. » f Hist. des variât.)
tuelle; qu'il y a donc société entre Dieu et Jésus-Christ, fondateur de la religion
l'homme que le principe de conservation chrétienne, est donc le pouvoir qui la con-
des êtres est l'amour; qu'il y a donc amour serve effectivement, il dit lui-même qu'il
entre Dieu et l'homme; qne l'amour dans n'est point la volonté de cette société mais
un être intelligent et physique se manifeste qu'il en est le pouvoir Je ne fais point,
par les sens ou par le don de soi-même que dit-il, ma volonté, mais celle de mon Père qui
f objet aimant fait à l'objet aimé; que le m'a envoyé (Joan. v, 30) et il ajoute Le
corps social ou l'homme social doit donc Père ne juge personne, mais il a donné tout
s'offrir lui-même en don à l'Etre suprême, pouvoir au Fils. (Ibid., 22.) Or, le pouvoir
c'est-à-dire offrir l'homme et la propriété, de juger est essentiellement le caractère de
éléments de toute société, offrir un homme la royauté ( 2). Jésus-Christ n'est donc pas,
à la place de tous les hommes, et une es- selon lui-même, la volonté générale de la so-
pèce de propriété à la place de toutes les ciété religieuse; mais il en est le pouvoir
propriétés, c'est-à-dire offrir l'homme Je" général, et le raisonnement s'accorde avec la
plus universel et la propriété la plus uni- révélation.
verselle offrir l'homme intérieur et exté- Mais, si Jésus-Christ est le pouvoir conser-
rieur, parce que l'homme social est néces- vateur de la religion chrétienne, la religion
sairement intelligent et physique. Si l'homme chrétienne se conservera donc; et l'histoire
social, l'hommeintelligent et physique, se des temps passés et l'expérience des faits
donne lui-même à Dieu, il faut, pour que récents nous prouveront qu'elle est indes-
le don soit mutuel, pour que l'amour soit tructible donc les religions qui n'ont pas
réciproque et la société .parfaite ou consti- le sacrifice de la religion chrétienne, ou qui
tuée, que Dieu se donne lui-même à l'hom- n'ont aucun sacrifice, ne se conserveront
me sôcial c'est-à-dire à l'homme intelli- pas; et l'histoire des temps passés et l'expé-
gent et physique; et si l'homme a été im- rience des faits qui sont sous nos yeux,
molé à Dieu, il faut, autant qu'il est possi- nous prouveront que les religions qui n'ont
ble, que Dieu aussi soit immolé pour pas de sacrifices, ou qui n'ont pas celui de
l'homme. Ce sacrifice de l'homme et de la la religion chrétienne, ne sauraient se con-
propriété, l'histoire me le montre réel ou server. Ils nous prouveront même qu'elles
figuré dans tous les temps, chez tous les peu- ne sauraient conserver ou défendre les véri-
ples et chez tous les Etats de la société. Je tés primitives et fondamentales de toute
le retrouve dans la société naturelle et dans religion, l'existence de Dieu et l'immortalité
la société politique; je le retrouve chez les de l'âme; c'est-à-dire que les sociétés qui
Juifs et chez les Chrétiens, je le retrouve n'ont pas de Dieu-Homme, ou le Dieu pré-
chez les idolâtres et chez les païens, chez les sent au milieu d'elles-, sont des sociétés
Grecs, chez les Romains, chez les Germains, athées et matérialistes.
chez les Mexicains (1 ) partout je retrouve La société religieuse, qui a Dieu présent
le sacrifice de l'homme et l'offrande de lal et extérieur au milieu d'elle, se conserve
propriété et lorsque la raison avoue la né- donc elle est la société constituée donc elle
cessaté de la présence réelle de l'Homme- est la véritable religion.
Dieu au milieu de la société et la nécessitéi Les sociétés religieuses qui n'ont pas
du sacrifice mutuel, ou du don de soi-même, Dieu présent et extérieur au milieu d'elles
de l'homme à Dieu et de Dieu h l'homme, ne se conservent pas donc elles ne sont
elle appelle la foi à son aide contre les senss pas des sociétés constituées donc elles ne
qui s'obstinent à méconnaître un Dieu voiléi sont pas de véritables religions; donc elles
sous des espèces ou des apparences, et con- ne sont que des sectes.
tre les passions qui s'obstinent à rejeter unt J'ai exposé les principes; je vais en faire
frein qui les importune. Le cœur dit, Jee l'application à l'histoire. Dans tout ce qui a
crois, et la raison éperdue se rappelle cess rapport à l'homme et à la société, les faits
paroles consolantes de Bossuet « Dire Jee doivent prouver le raisonnement.

(i) Il semble, par un passage de Cook, qu'oùi


paganisme lai
( 2 ) Ecclctia est politia monarchica rations
Christi absoluti monarclice et capitis esscntialis Ec-
retrouve à Otahiti le sacrifice du
prvstitution publique. clesiae. (Richer )
LIVRE V.
HISTOIRE DE LA RELIGION.

CHAPITRE PREMIER. société


s( se perfectionne. Si le pouvoir géné-
È DE LA SOCIÉTÉ
PROGRÈS É RELIGIEUSE. rc de la société, la divinité du fondateur
rai
de la religion chrétienne, est attaqué par
di
La religion chrétienne faisait des progrès Arius,
A la force générale conservatrice de la
rapides; et cette religion, sans temples et société,
s< la profession sacerdotale s'assemble
presque sans autels, riche de vertus, heu- en corps les états généraux de l'Eglise
ei
reuse de souffrances, éloquente de prodi- (
(c'est de ce nom que s'appellera désormais
ges; cette religion qui prêchait une morale 1« société chrétienne) sont convoqués, et le
la
si sévère à des peuples si corrompus, qui premier
p concile s'ouvre à Nieée pour établir
faisait briller des vertus si pures au sein ei confirmer contre Arius la divinité de
et
d'une dépravation si générale cette religion Jésus-Christ. Ainsi en France, lorsque la
Ji
qui interdisait les désirs à des hommes à loi fondamentale de la succession masculine
1(
qui les lois permettaient jusqu'aux actes est
e attaquée à l'avènement de Philippe le
extérieurs, se répandait dans tout l'univers; Long
L à la couronne, et à celui de Philippe
et au scandale de la philosophie qui veut d Valois, une assemblée de notables en
de
que la religion soit une loi du climat, elle '1
'1316, les états généraux en 1328, confirment
établissait la tempérance dans les climats e 'défendent
et contre les prétentions de
glacés, la chasteté sous le ciel le plus brû- Jeanne, fille de Louis le Hutin, et contre
X
lant, et le modèle de la vie la plus austère celles
Ci d'Edouard, roi d'Angleterre, la loi du
chez le peuple le plus voluptueux. Elle royaume et celle de la nature (1).
ri
pénétrait jusque dans le palais des Césars, Les destinées de l'empire romam tou-
et les Césars s'obstinaient à la méconnaître, chaient
c leur fin; cette société politique
Elle arrive ainsi, entre une persécution nnon constituée s'affaiblissait par ses divi-
déclarée et une tolérance équivoque, jus- ssions, tandis que la société religieuse cons-
qu'au règne de Constantin. La foi chrétienne tituée, l'Eglise chrétienne, s'affermissait par
ti
était, à cette époque, celle du plus grand les hérésies. Toutes les erreurs qui s'éle-
li
nombre des membres de la société; mais il vaient
v lui donnaient occasion de développer
lui manquait d'être celle du corps social s dogmes, et de perfectionner sa disci-
ses
lui-même, ou de se réunir à la société poli- pline.
p La société religieuse se perfectionne,
tique. En vain le sénat de Rome veut sou- e perfectionne en même temps la société
elle
tenir les autels chancelants du paganisme politique;
p elle abolit tous les crimes sociaux,
le gouvernement est entraîné, et la religion le
1 divorce, l'exposition publique, l'escla-
chrétienne s'asseoit avec Constantin sur le vage,
v les combats de gladiateurs, l'imposture
trône des Césars. des oracles, l'apothéose de l'homme, etc. Ici
<i

Dès que la religion est devenue société les


I philosophes prennent leur microscope;
extérieure, elle doit avoir des propriétés: iils observent avec une minutieuse malignité
c'est un rapport nécessaire dérivé de la c vaste spectacle; ils aperçoivent les pas-
ce
nature des êtres, une loi dérivée de l'essence ssions de quelques empereurs, les intrigues
même de la société, puisqu'une société c quelques courtisans, les fautes de
de quel-
constituée doit être nécessairement indé- cques évêques les disputes de quelques
pendante, et qu'il ne peut exister d'indé- moines
r la naissance de quelques sectes
pendance sans propriété. De nouveaux rap- ils
i aperçoivent de petit effets, mais les
ports se développent, c'est-à-dire que la grandes causes, l'ordonnance générale du.

( 1 ) On élève quelquefois la question de savoir ture


t des êtres. Il est dit à la femme-, dans le code
si toutes les provinces de France, si la Navarre, des
c sociétés Sub viri poteslate eru. et ipse domina-
par exempte, est soumise à la loi salique c'est une birur
l tui. (Genes. m, t6.) La monarchie autrichienna
question oiseuse; toutes les provinces d'un royaume, a obéi elle-même à la loi salique,
lorsqu'elle a plac«
<ous les royaumes doivent y être soumis, parce que
cette loi est un rapport nécessaire dérivé de la na-
sur
¡ le trône la maison de Lonaine-Autikhe.
tableau, échappent leurs regards l'oeil La société religieuse, la société politique,
malade de l'envie ne peut se fixer que sur s'étendent et se développent de concert.
les détails. Je la laisse à ses observations, et Lasuccession héréditaire du pouvoir po-
je continue. litique, dans l'aîné des mâles, devient plus
La contiguïté des provinces dq l'empire fixe; l'hérédité spirituelle du Souverain
romain avait facilité les progrès de la reli- Pontife devient plus indépendante son élec-
gion chrétienne; elle s'était établie dans les tion, faite par le clergé de Rome, agréée par
Gaules ayant l'invasion des Francs, et elfe le peuple, était confirmée par J'empereur ou
avait contribué, plus, que les armes et la !e pouvoir de la société politique, tant qu'il
politique de dovis, à la fondation de son n'y eut, dans l'univers chrétien, qu'une so-
empire. La Société politique de l'empire ciété politique :-et cela devait être ainsi pour
romain avait reçu la société religieuse mais maintenir entre la société religieuse et la
ces deux sociétés, dont l'une était consti- société politique, une harmonie nécessaire
tuée et l'autrç ne l'était pas, n'avaient pu à la conservation de la société civile.
former une société civile; et leur union Les philosophes auraient épargné à leurs
imparfaite,cause féconde de dissension entre lecteurs les conséquences absurdes qu'ils
le sacerdoce et l'empire, amenait insensi- onf-tirées de l'approbation que les empe-
blement la ruine de l'Etat et la détérioration reurs, jusqu'à Louis le Débonnaire, ont
de la religion. Mais dans les Gaules, la reli- donnée à l'élection des Papes, s'ils eussent
gion constituée reçoit dans son sein une voulu considérer que le Pape n'est pas le
sociétés constituée ou qui a tous les germes pouvoirconservateur de la société religieu.se.,
de la constitution l'identité de leurs prin- mais le chef de sa force publique extérieure
cipes établit <e,n,tre elles une union parfaite. et le premier de ses ministres; et que lui-
Çt indissoluble; elles croissent, elles se même ne se qualifie que de lieutenant ou
développent ensemble. Désormais insépara- vicaire de Jésus-Christ, pouvoir conserva-
bles, eljes s'affaibliront, elles périront, teur de la société religieuse; et que, par
elles renaîtront ensemble. conséquent, il Hst dans la religion moins
L/Eglise avait résisté aux persécutions que le monarque dans la société politique.
sanguinaires des tyrans', aux persécutions En effet, le Pape a au-dessus de lui une au"
astucieuses d'un apostat,, à l'hérésie plus torité extérieure, celle du conoile géné-
cruelle, que D.èce plus astucieuse que du- rai ( t ) et le monarque n'en a et ne peut
lien. toujours attaquée et toujours triom- en avoir aucune, du moins humaine et ex-r
phan.te, çlle résiste à Tignorance des peuples térieure, au-dessus de la sienne.
et au,* yiçes de ses ministres. Le choix du Souverain-Pontife ne po.uv,ait
J'arrive au règne, de Charlemagne, le fon- pas être indifférent au pouvoir conservateur
dateur e$ le héros de la société civile. Il de la société politique, qui ne peut remplir
recule au nord les bornes de la civilisation son objet et assurer la conservation de laso^
en reculant lesjjmites d,u christianisme et ciété politique que par la perpétuité de la
d.9 ta monarchie. Bienfaiteur de l'Europe, il société religieuse. Ce choix intéressait donc
en est à juste titre proclamé le chef par t'or- le pouvoir politique, lorsqu'il n'jt avait
gane de la religion. Ainsi ta vocation des qu'une société politique chrétienne.
païens à la foi chrétienne est consommée en Mais, lorsque, après Charlemagne, l'Europe
Europe, comme la vocation des barbares à la chrétienne se divisa en plusieurs royaumes
société civile. indépendants les uns des autres, le choix du

(l) Je iu'érwnee eonfwmément aux sentiments du clergéde France de W% Vmj. le xii « DJgfiqytn
4fc l'figUse /gâtante, copsigeé? tton;s 1^ PéçJariHiqp <~ h'j~ury, sur <M~tM ecçl~~s,:gs4tqtce, {a).

(a) L'éditeur! de. 1,843 fdit, asse? mal k propos, à. l'osca- le concours du Pape, est au-dessus- d.ç l'aijlorUé, d,g Paj>e
sion dft cette note de M. de Donald, la réflexion suivante mais ce que nous devons remarquer', c'est que, sf M. de
t Les Catholiques ne reconnaissent paade concile œcu- Bonald peut èit& rangé parmi las gallicans, il était i'vp
ménique sans le Pape. Là où la pierre fondanjentaleman- gallicanismebien, mitigé. Cela, ressoçtde,tOMS ses. ouvrages,
((lie, l'édifice croulé. Mais il aurait dû en même temps fit notamment de ses ÏÏéflexions sur le mémoire à eonsmier
faire remarquer que M. de Bonald ne contredit en rien de M. le comte de Montloster. (Voy.we part., et sa Lettre
cette doctrine. Il n'avait pas d'ailleurs à la combatl re ni à M. de Fremillfi, ibid.) Dans cette lettre surtout, M. de
à la défendre, puisque les docteursgallijcajasdontH adopte Bonald reconnaît au Pape, une autorité souveraineet abso-
l'upinio» n'admettent pas plus que les. ultraraonlains de lue; car, e,0 parlant delà dé.mjssioo. exigée en 18Q1 de
:«ncile général ou oecuménique sans' le Pape. Ce. n'est t,put L'épiscQpa'jj français;, il dii, Les Callioliqnes, ewetn
pas ici le. lieu «l'examiner,à, l'occasion, d'une note, si l'o- t/eçoiQ die se rappeler cç Wûl. de Bosmet, que le Pape a une
pinion dés gallicans, reproduite ici par M. de Bonald., peut autorité ordhmïre pour les temps ordinaires, elun$ auto-
être théologiquement soutenue, et si l'on peut dire que
l'autorité d'un concile qui n'est pleine et entière qu'avec
lé extraordinaire pour les. temps extraordhmivs.
(LES epiteurs.)
chef de l'Eglise n'intéressait plus le pouvoir a l'exercice de la spirituelle mais, pourvux
d'une seule société, et le père commun des qu'il ne possède la première que chez lui,
Chrétiens dut être, même extérieurement, et qu'il n'exerce l'autre qu'avec les limites
indépendant de toute autorité séculière. qui lui sont prescrites. »
Ecoutons le plus sage de nos historiens et « On peut croire,» dit le
savantabbé Fleury
apprenons à distinguer la vérité de la fausse (1) « que c'est par un effet particulier de
sagesse. « L'Eglise, reçue dans l'Etat sous la Providence, que le Pape s'est trouvé in-
Constantin,» ditleprésidentHénault,«yavait dépendant, et maître d'un Etat assez puis*
apporté son culte qu'elle ne tenait que de sant pour n'être pas aisément opprimé par
Dieu seul, mais qu'elle ne pouvait exercer les autres souverains, afin Qu'il fût plus li-
publiquement que par la permission de bre dans l'exercice de sa puissance spiri-
l'empereur; c'était lui qui assemblait les tuelle. C'est la pensée d'un grand évoquede
conciles et quand la religion fut encore plus notre temps (2). »
répandue, les souverains, chacun dans leurs Cette puissance temporelle des Papes fut
Etats, exercèrent, dans les choses ecclésias- fondée par Pépin, qui donna au Saint-Siège
tiques, la même autorité que l'empereur. la dépouille des Lombards. Rome, étonnante
L'assemblée des conciles généraux iatéres- destinée! Rome, veuve de tant de rois, de-
sait trop l'autorité des princes séculiers, meure la reine et ia métropole du monde;
pour qu'il n'y eût point entre eux, par la et telle est la marche des choses, e.t ce déve-
suite des temps, de jalousie au, sujet de la loppement insensible, des sociétés, auquel
convocation. Il fallait, pour les accorder, un les hommes concourent sans le savoir, que
lien commun formé par la religion, qui tînt Pépin, en assurant l'indépendance politique
à tous et qui ne dépendît de personne. C'est du Saint-Siège de tout prince particulier,
ce qui rendit enfin les Papes, en qualité de fit, dans des vues personnelles, ce qui serait
pères communs des fidèles, maîtres de cette devenu indispensable, lors de la division 'de
convocation, mais avec le, eonewrs juste et l'Europe, chrétienne arrivée soixante-dix
nécessaire des souverains. Je ne dois pas ans après, sous son petit-fils.
émettre ici une réflexion,continue l'auteuf Louis le Débonnaire, sous lequel le vaste
«c'est que, bien loin d'être de l'avis de ceux empire de Charlemagne commença à se di-
qui ont déclamé contre la grandeur de la viser, fut aussi le premier à renoncer au
cour de Rome, et qui voudraient ramener droit de confirmer l'élection des Souverains
les Papes au temps où les chefs de l'Eglise Pontifes; et il n'aurait pu le conserver, sans
étaient réduits à la seule puissance spiri- s'arroger, sur les autres sociétés, une supé-
tuelle et à la seule autorité des clefs, je. riorité qui ne pouvait s'accorder avec, Jetir
pense qu'il était nécessaire pour le repos gé- indépendance. il était dans la nature des
néral de la chrétienté, que le Saint-Siègeac* choses qu'elles prissent toutes un égal inté*»
quît une puissance temporelle. Tout doit rêt au choix du chef de la force: publique
changer en méme temps dans le monde, si l'on conservatrice de la société religieuse et il
veut que la même harmonie et le même ordre était également nécessaire que ce choix fût
y subsistent. Le Pape n'est plus, comme dans- fait par des ministres de l'Eglise, c'est-à-
les commencements,un sujet de l'empereur. dire, par ceux qui pouvaient connaître les,
Depuis que l'Eglise s'est répandue dans tout besoins de l'Eglise, et juger du mérite du
l'univers, il a à répondre à tous ceux qui y sujet.
commandent, et par- conséquent aucun n& Toutes ces conditions se tronvcHt.au jouo.
doit lui commandes La religion ne suffit d'hui réunies dans l'élection des Papes,
pas pour imposer à tant de souverains, et choisis par des ministres de l'Eglise, assis-
Dieu a justement permis que le père- com- tants et conseil du Saint-Siège, nommés eux-
mun des fidèles entretint, par son indépen- mêmes, du moins en partie, sur la présea~
dance, le respect qui lui est dû. Ainsi dorto tation des couronnes;" en sorte que les pot**
il est bon que le Pape ait la propriété d'une voirs-des sociétés politiques concourent M6~-
puissance temporelle, en même temps qu'il dîatement à la B&mÈnation du SoavejaJa-
(• l ) ivq Discours sur t'hisi. ecclês., art. iO, Sedi apostolic», sede&aiatotiEeclesisegraluJaiiiw,,
( 2 ) Bossuet. Voici ces paroles, tirées de la Dé- volisqtie omnibus precamur sacrum principauim.
fense de la Déclaration du clergé de France s Sali omnibus modis salvum et incolumem esse, t (Lib. t,
apostolicœ, Romanae ùibis, aliarumijHe tewaraui sect. 1, cap. 16.) Quoique ce livre ne fût point en-
çoneessam diliouem, quo liberior ac tutior potesia- core imprimé, FJeury le connaissait, et en possé-
tem apostolicam toto orbe exerceat, non lantum dait même une copie.
Pontife. Mais si tous les pouvoirs des socié- CHAPITRE Il.
tés chrétiennes concourent ensemble à un
choix qui les intéresse toutes, aucun en par- DES CROISADES.
ticulier ne doit avoir d'influence stw la per- Vers les dernières années du x' siècle,
sonne et l'on doit regarder comme un dé- l'opinion s'était répandue dans la chrétienté
veloppement nécessaire de la société reli- que la fin du monde approchait; et cette
gieuse, amené par le temps et la nature des opinion, qui tenait en apparence à la révo-
choses, la coutume qui a acquis force de loi, lution millénaire qui finissait, avait disposé
de n'élever au souverain pontificat qu'unies esprits à recevoir des impressions ex-
sujet indépendant, par son origine, de toutes traordinaires.
les grandes puissances de l'Europe, Dans ces circonstances, les Turcomans,
Si Je pouvoir conservateur de la société vainqueurs des Sarrasins, envahirent les
politique défend la société religieuse des lieux honorés par la vie et la mort du divin
passions des hommes, et hâte ses dévelop- Fondateur de la religion chrétienne les
pements nécessaires, le pouvoir conserva- Chrétiens, qui les habitaient, furent surtout
teur de la société religieuse prolége à son l'objet de la fureur et des outrages de ces
tour, contre ces mêmes passions, la société peuples barbares et voluptueuxqu'échauffait
politique et favorise ses progrès. le zèle naissant d'une religion licencieuse
Lorsque, sous des rois faibles, les gou- et guerrière.
vernements des provinces et des villes, de- Les voyageurs qui revenaient de la Pa-
venus héréditaires, multiplient dans l'Etat lestine, dévotion commune dans ce siècle
les sociétés en multipliant les pouvoirs par- et conforme aux mœurs du temps, enflam-
ticuliers; lorsque ces sociétés se déchirent maient par leurs récits la compassion des
entre elles par les dissensions éternelles de peuples. On n'écoutait pas alors avec une
leurs pouvoirs, et déchirent ainsi la grande stérile curiosité le récit des malheurs que
société, la religion vient à son secours. des hommes, que des frères, membres de la
« En 1042,» dit Hénault, du
«s'établit la trêve même société religieuse et de la grande
Seigneur: c'était une loi qui défendait les société civile, souffraient sur une terre bar-
combats particuliers, depuis le mercredi soir bare. L'esprit n'opposait pas ses froides et
jusqu'au lundi matin, par le respect que fausses combinaisons aux élans sublimes
l'on doit à ces jours que Jésus-Christ a con-,de l'amour du prochain, aux vues profondes
sacrés par les derniers mystères de sa vie. » d'une vaste et saine politique; et lorsqu'il
Le pouvoir conservateur de la société reli- fallait maintenir l'exemple des grandes ver-
gieuse devient le pouvoir conservateur de la tus qui conservent les sociétés, on ne cal-
société politique, lorsque ce pouvoir affaibli, culait pas les hommes, encore moins l'ar-
divisé, anéanti, ne peut plus remplir ses fonc- gent qu'il pouvait en coûter. Un homme (la
tions. Qu'on y prenne garde la religion nature les produit où et quand ils sont né-
rappelle un sentiment au cœur de l'homme cessaires), un homme pouvoir, c'est-à-dire
féroce, et elle l'amollit. Dans ce partage de embrasé de l'amour de ses semblables, en-
jours entre la paix et la guerre, sur sept treprend seul de venger sur les infidèles le
jours, la religion^ en obtient cinq pour la sang et l'honneur des Chrétiens. Il fait parler
paix. 0 philosophie 1 lorsque le fer mois- la religion, et la religion donne à cette en-
sonnait les têtes les plus chères et les plus treprise ce grand caractère qu'elle commu-
innocentes, avec tes opinions et tes senten- nique à tous les événements dont elle est le
ces, sur diîf-huit mois, n'as-tu pu obtenir principe. Ce n'est pas un roi et un peuple,
unjour? « L'autorité royale et ecclésiastique,» ce sont tous les rois et tous les peuples,
dit Hénault, « ne pouvait faire davantage c'est l'Europe entièré qui s'arrache de ses
alors .pour empêcher tes sujets de se dé- fondements, pour tomber sur l'Asie. L'objet
truire; encore un siècle de guerres privées, était saint, il fut défiguré par les passions
et c'était fait de l'Europe. » Le mal était à des hommes et l'ambition médita des con-
son comble la religion emploie les remèdes quêtes dans ces mêmes lieux qui ne de-
extrêmes. Ici, sans vouloir justifier les dé- vaient rappeler aux Chrétiens que les humi-
sordres, je me borne à indiquer les causes, liations de leur Dieu. Le désir de visiter les
à observer les effets. saints lieux, dévotion en usage Jans un
temps où la foi, dépourvue des connaissan-
ces qui auraient pu la nourrir, avait plus
beso'n d'être soutenue par des objets sensi- CHAPITRE III.
bles, entraîna sur les pas des croisés une MAHOMÉTISME.
foule immense qui affama l'armée par ses
besoins, et déshonora l'entreprise par ses L'univers n'avait vu encore que des reli-
L'i
désordres. La religion inspira les motifs, et gion de sentiment, et par conséquent des
gions
ils furent dignes d'elle les hommes y mé- religions avec sacrifice il avait vu, chez
relig
Ièrent leurs passions, la société civile eu l'idolâtre, une religion de haine ou de vo-
l'ido
recueillit les fruits car la religion fait ser- lupté, et le sacrifice de la haine ou de la
lupti
vir les passions des hommes au perfection- volupté; chez le Juif, une religion d'amour
volu
ùement de la société. imparfait et d'attente, et un sacrifice impar-
imp<
Des guerres intestines et continuelles, fait; chez le Chrétien, une religion d'amour,
fait
que l'ardeur du pillage et la soif de la ven- et le sacrifice de l'amour le plus parfait. Six
geance entretenaient entre les différents siècles après l'établissement du christia-
siècl
pouvoirs qui s'étaient élevés au sein de la nisa
nisme, parut une religion sans sentiment,
société, et qui avaient changé tous les châ- sans sacrifice, une religion d'opinion, une
teaux en forteresses, et tous les cultivateurs phil
philosophie; et un imposteur, d'un génie
en soldats, auraient ramené l'Europe à l'état hardi et de mœurs voluptueuses, fit adopter
harc
de barbarie. Une guerre générale, entreprise au peuple
p le plus grossier les opinions reli-
pour la défense de la religion et de l'hu- gieuses
gieuu les plus absurdes
manité opprimées, éteignit cette ardeur in- A la croyance de l'unité de Dieu, à lapra-
sensée. L'Europe changea de face; et l'on tique
tiqui de la circoncision, aux prières mut-
peut dater de cette époque le développement tipli
tipliées, aux ablutions, aux abstinences qu'il
de la constitution politique et religieuse des prit des Juifs, voisins des Arabes, et comme
sociétés, le perfectionnement de leur admi- eux enfants d'Abraham, Mahomet ajouta le
nistration, l'établissement de la. marine, et dogi de la vie future, de l'éternité des pei-
dogme
les progrès du commerce. Un autre effet des nes et des récompenses, plus développéchez
nes
croisades, selon l'abbé Fleury, fut de mettre le Chrétien,
Cl mais qu'il accommoda à ses pro-
pour toujours l'Italie à couvert des insultes pres habitudes et aux mœurs sensuelles de
des Sarrasins, et de les affaiblir en Espagne, sessectateurs.
ses s Les récompenses promises à
où leur puissance en effet a toujours dimi- la vertu furent les plaisirs des sens les pei-
]a Ve
nue depuis cette époque. Cette noblesse, nes destinées au crime en furent la priva-
essentiellement conservatrice de la société tion et comme l'espoir de les goûter dans
tion
politique, tant qu'elle n'est que force, mais l'autt vie devait allumer le désir d'en jouir
l'autre
destructive de la société constituée dès dans celle-ci, le législateur fut obligé d'éta-
qu'elle est pouvoir, devint docile et polie, blir la polygamie, inconnue aux Juifs, aux
sans cesser d'être brave. Les croisades fu- Chrétiens, aux païens mêmes.
chn!
rent l'origine de la chevalerie, de cette reli- £j volupté eût suffi pour répandre cette
La
gion de l'honneur, qui produisit des vertus doctrine licencieuse elle s'étendit par la
doct
si héroïques et si naïves, et des hommes si terreur,
terrE elle se propagea par l'intérêt. Lee
francs et si courageux; institution que les cimeterre d'une main, l'Alkoran dans l'autre,
cimE
peuples ne virent qu'avec respect* et dont les enfants
]es < d'Ismaël accoutumés au brigan-
les écrivains du temps ne parlèrent qu'avec dage se répandirent chez leurs voisins, les
dage
enthousiasme. pillèrent, les convertirent, ou les exterminè-
pillé
Ainsi la volonté générale conservatrice de rent Ainsi la volupté, l'intérêt et la terreur,
rent.
la société civile guérit alors l'Europe de la
fureur des combats, par les calamités d'une
tout ce qu'il yde plus puissant sur l'esprit,
le cœur
c< et les sens de l'homme, propagèrent
guerre générale; comme elle veut aujour- ]e
le mahométisme
ni dans tout l'Orient, chez des
d'hui la guérir de la fureur de philosopher, peuples ardents et faibles destinés, ce sem-
peul
par les effets déplorablesd'un philosophisme ble, à être opprimés par leur gouvernement
universel. Et sans doute, dans les temps à par leur religion, et qui n'onKpu établir
et pi
venir,on pourra appliquer à l'Europe philo- encore
em..c un gouvernement modéré ni retenir
sophe ce que les historiens disent de l'Eu- une religion raisonnable. Nous verrons les
rope guerroyante Encore quelques années mêa
mêmes mobiles, la volupté, l'intérêt et la
de philosophie, et c'était fait de l'Europe. terreur,
(err, propager, dans tous les temps, les
Les croisades me conduisent naturelle- opir
opinions religieuses, ou les religions d'opi-
ment à parler du mahométisme. nion Je prie le lecteur de ne pas perdre
nion.
ce principe de vue. «C'est unmalheur pour ta impossible, puisque c'était comparer, à pju-
nature humaine," dit Montesquieu, « lorsque sieurs égards, l'original à sa copie. D'ail-
la religion est donnée par un conquérant leurs, pour comparer les législateurs, il faut
la religion mahométane,qui ne parle que de comparer les lois pour comparer les lois,
glaive, agit encore sur les hommes avec cet il faut comparer leurs effets. Je vois dans
esprit destructeur qui l'a fondée. » Les peu- le peuple juif, existant depuis 5,000 ans,
ples du nord de l'Europe avaient cessé d'être dispersé, opprimé depuis dix-huit siècles,
conquérants en devenant Chrétiens, les Ara- l'effet indestructible d'une législation dura
bes devinrent conquérants en devenant mu- ble, à l'épreuve du temps, de la fortune et des
sulmans. «Mahomet, continue Montesquieu, conquérants. Le mahométisme, qui compte
« trouva les Arabes guerriers il leur donna à peine onze siècles d'existence, fondé sur
de l'enthousiasme(c'est-à-dire des opinions), la conquête, ne subsiste qu'à l'aide de l'em-
et les voilà conquérants. » La religion chré- pire, comme le remarque très-bien le judi-
tienne trouve les peuples du Nord conqué- cieux abbé Fleury. Conquérante ou domi-
rants, elle leur inspire des sentiments, et les natrice, la nation musulmane n'a pas encore
voilà paisibles, « Harald, roi dé Norwége, » gémi sous l'oppression étrangère. Partout
dit Mallet, dans son Voyage de Norwége, « y où le musulman est soumis à des maîtres
forma dans le ix' siècle une monarchie près- chrétiens, il renonce aisément à sa religion;
que absolue, et transmit à ses successeurs tandis que le Grec, sous la domination ma-
'une assez grande puissance, dont ils aug- hométane, reste inébranlable dans la sienne.
mentèrent même l'éclat. Mais, dans les xii" On dit que la persécution accroît l'obstina-
et xhic siècles, cet éclat commença à dimi- tion d'une société religieuse il faut dittin-
nuer. (La Norwége devenait chrétienne.) In- guer la persécution religieuse de la persécu-
sensiblement la cour de Rome et le clergé tion politique, et une religion de sentiment
acquirent un ascendant sans bornes parmi d'une religion d'opinion. Une religion â'opi-
les grands et ie peuple. (Voilà les hommes nion résiste à la persécution religieuse, par
et leurs abus.) il semble aussi que dès lors la répugnance secrète que l'homme éprouve
l'énergie (c'est-à-dire la fureur guerrière) à soumettre ses opinions à celles d'autrui,
de.la nation ne fut plus la-même, elle cessa répugnance qui prend sa source dans la pas-
d^être redoutée (c'est-à-dire conquérante). » sion,
î de dominer naturelle à l'homme mais
Voilà la religion et ses bienfaits. Je reviens elle
< cède à la persécution politique, c'est-à,
à Mahomet. dire
< à la privation de certains avantages*
Après diverses révolutions qui ne sont politiques, parce qae, fondée par VintérêJ,
pasde mon sujet, les Turcs, peuples d'ori- elle ne peut résister à un intérêt pl»s gram».
gine tartsre, sectateurs de Mahomet, enva- Une religion de senêiment ou d'amour no
hirent l'empire d'Orient mal défendu par cède ni à la persécution politique, ni à la
les Grecs, qui savaient mieux disputer de persécution religieuse- (rl)f parce que l'a:-
la religion que combattre pour l'empire, mour, dans l'homme, estprraeipei.de con-
Leur schisme avait aliéné le cœur des La- servation, et que l'aafcaur est plus fort que
tins, et leurs malheurs n'inspirèrent pas tout. La crainte est sentiment ausst, et mous
l'iatérêt que les Chrétiens opprimés par les avons vu.des reMgions de crainte sansamour,
Sarrasins avaient, quelques siècles aupara- ou de haine mais, comme je l'ai fait ob-
vant^ trouvé en Europe. L'Occident, que les server, la crainte ou la haine n'est qu'un
Grecs eux-même^s avaient dégoûté par leurs sentiment négatif ou le néant de l'an]owrau
perfidies; de 'ces expéditions lointaines, ne lieu que l'amour est le sentiment positif; et
s'ébranla pas pour les secourir l'Europe cette différence en établit une très^reaiar-
vit, avec indifférence, s'établir, dans son quable enlre la force de résistance des di-
seiKj cette puissance a-lors si formidable et verses religions fondées sur les sentiments.
la Grèce, t>;à la religion chrétienne n'avait On peut prouver à na fo&mme qui craint!,
^u fonder ta constitution monarchique, fut que sa crainte n'est pas fo»dé«r et le con-
seumisej, pour plusieurs siècles,, à la reli- vaincre or, eonvaiacre- un homme qa-'W a
gion la plus oppressive et ai$ gouvernement tort 4e craindre, c'est t& rassurer, c'est foi
le plus destructeur. ôter sa crainte, est le délivrer tTua senti-
Orta voulu, comparer Moïse et Mahomet ment tyra-nnkjue, c'est lui rendre: sow libre
comme législateurs la comparaison était arbitre, et l'honafiae tend toujours œâ'eïîces-
( i) '• La perséculiori poiitifjuc la plus rigoureuse ne diminue pas îc nombre des Catbolïqiics d'Irlande,
1-1
saisir; mais on peut prouver à quelqu'un Quso regio ln terrisnostri non plena laboris?
qui aime, qu'il a tort d'aimer, sans le con- (Virg., Mneid. i, vers. 459.)
vaincre. La conviction est douloureuse, peut dire cette religion sainte, objet, depuis
parce qu'au sortir de l'amour, si je puis le tant de siècles, de la fureur la plus Opiniâ-
dire, l'âme tombe dans le néant du senti- tre, et destinée à d'éternels combats (1).
ment, ce qui est pour elle la situation la L'erreur a, dit-on, ses martyrs, comme la vé-
pins horrible, puisqu'elle est, par sa nature, nW;âussi ce n'est pas uniquement sur l'obs-
faite pour aimer; car, par sa nature, elle tination de ceux qui meurent pour une reli-
tend à sa conservation, dont l'amour est le gion, mais sur leurs motifs, qu'il faut la
principe. Ainsi, dire à quelqu'un qui aime
qu'il ne devrait pas aimer, c'est dire à une
j juger d'ailleurs, si Vopinioh fait des mar-
Ityrs à la naissance d'une secte, le sentiment
pierre qui tombe, qu'elle ne devrait pas tom- en
< fait dans tous les temps, parce que l'a-
ber. Il faut opposer à l'amour un amour su- mour est un principe et le seul principe (le
1
périeur, comme il faut opposer à la force de conservation.J'aurai
< occasion de développer*
a pierre qui tombe une force supérieure ces
( vérités elles sont aussi importantes en
qui l'empêche de tomber. Le païen, asservi morale
i qu'en politique. J'en fais l'applica-
à une religion de crainte sans amour ou de tion
t à Ja religion mahométane, et je ne crains
haine, embrasse volontiers le christianisme pas
] de dire que, s'il s'élevait en Orient une
qui est une religion d'amour; et c'est ce qui j puissance
1 chrétienne, l'islamisme n'y sub-
explique la facilité avec laquelle les peuples sisterait pas un siècle; parce que cette reli-
idolâtres se convertissent la religion chré-
s
gion,
£ purement d'opinion, n'a d'autre pou-
tienne; car des religions qui sont contre la voir
y conservateur que le pouvoir politique,
nature de l'homme doivent nécessairement < que tout y est contraire à là nature da
et
le céder à une religion qui est dans la na- ]Dieu et à la nature de l'homme. L'empire
ture de l'homme. Le Juif, soumis à une re- (ottoman, dépendant comme Je sont toutes
ligion d'amour, mais imparfait ou d'attente, les
] sociétés non constituées, ne se sou-
abandonne plus difficilement sa religion; ou tient
t que par le système général de l'Eu-
s'il y renonce, ce n'est pas pour devenir irope, qui déjà, n'est plus le même. Dans son
idolâtre ou musulman, mais pour embrasser état
i d'ignorance et de barbarie, il ne peut
le christianisme, religion d'amour parfait ou lutter
1 contre des nations civilisées, ni se
jouissant; car, dans tous les genres, ce qui civiliser
( sans renoncer à ses opinions reli-
est imparfait tend nécessairement à de- gieuses.
| Il sera donc détruit, et sa destruc-
venir parfait, parce que la nature des êtres ttion est dans la nature des choses, parce que
tend à établi des rapports nécessaires ou la
1 civilisation est dans la nature de la so-
parfaits ainsi, la future conversion des ciété
c un grand événement, dans la société
Juifs, qui est une vérité de foi, peut aussi religieuse,
r tient peut-être à cet événemenî
être démontrée par le raisonnement. de
c la société politique. Il me semble, dans
Le Chrétien, gui orofesse une religion 1l'ordre des choses et des événements,
que la
j'amour parfait ou jouissant, n'y renonce société
s chrétienne, attaquée avec fureur,
jamais que pour tomber dans le néant reli- réunisse
r toutes ses forces en faisant cesser
gieuioudans l'athéisme. Qu'on se rappelle l division qui sépare l'Eglise d'Orient de
la
l'effroyable quantité de Chrétiens qui ont celle
c d'Occident. Qui sait si les conquêtes
péri dans les persécutions des empereurs qque méditent de grandes puissances n'opé-
romains; en Perse, sous Sapor; en Afrique, reront
r pas un jour le rapprochement des Là-
par les Vandales; en Asie, par les sectateurs tins
t et des Grecs assez punis de leur schisme
ue Mahomet; de nos jours, au Japon, et, j une longue oppression? Qui sait si une
par
puisqu'il faut le dire, sous nos yeux, en princesse,
f qui a tant de grandeur dans l'es-
France; car il ne faut pas se dissimuler que prit
p et de justesse dans les vues, n'est pas
la persécution qui pèse sur une partie de destinée à préparer une réunion, dont le
d
l'Eglise chrétienne, et qui la menace tout génie
g de Pierre le Grand avait soupçonné
entière, est la persécution la plus dange- l'utilité,
l' et dont de petits motifs lui firent
reuse et la plus profonde dans ses moyens, abandonner
a le projet? Des politiques de
que la religion ait essuyée. Hélas 1 CQUlittoirs
c verraient, dans l'envahissement
(1) L'Eglise doit combattre jusqu'à la (in des ligion, l'exigence de Dieu et l'immortalité de l'âme.
!i
temps pour la défense de ses dogmes. Mais tous ses
dogmes ont été successivement attaqués, et enfin
Que
(j reste
combats
t- donc à attaquer, et à .quels. nouveau*
l'Eglise est-elle réservée?
Kiupiélé a attaqué les cléments mêmes de toute re-
c
de l'empire turc, ou, pour mieux dire, dans arbitre a t nomme, ei tout menie a mss ac-
la restauration de l'empire grec, la ruine de tions, en les faisant regarder comme inévita-
quelques nations qui font aujourd'hui le bles, est un de leurs dogmes fondamentaux.
commerce du Levant; mais quand ces na- Telle est cependant l'influence qu'a sur la
tions ne vendront plus leurs draps au Levant, société politique ce monstrueux mélange de
elles y porteront des vins, des eaux-de-vie, judaïsme et de christianisme, qu'il a em-
ou d'autres productions de leur sol. Si les pêché le despotisme des lois de s'établir en
habitants de ce nouvel empire font eux- Turquie, et qu'il y a borné le pouvoir du
mêmes un commerce dont ces nations ont souverain; mais il y a établi le despotisme
aujourd'hui le profit, il naîtra de leur civili- des mœurs, et cette société n'a jamais pu dé-
sation mômeîd'autresbesoins qu'une indus- fendre son pouvoir contre les caprices du
trie nouvelle s'empressera de satisfaire. peuple ou les violences de la soldatesque, ni
Cette réflexion est particulièrement appli- la faiblesse d'un sexe contre les passions ty-
cable à la France; mais si elle est moins ranniques de l'autre.
commerçante, elle n'en sera que plus forte CHAPITRE IV.
je dirai plus, et à méditer attentivement sur
l'état présent de l'Europe, sur les intérêts et ORDRES MONASTIQUES.
les vues probables de quelques puissances,
on est tenté de remonter jusqu'au règne de La religion chrétienne,conduisait insensi-
François 1", pour chercher dans nos liaisons blement à sa perfection l'édifice de la société
avec la Porte ottomane, commencées sous civile, en hâtant par ses développements les
ce prince, une des mille et une causes, sinon progrès de la société politique.
de l'origine, du moins de la durée de nos La société religieuse arrachait à la société
malheurs. naturelle des hommes qui lui étaient inuti-
Je ne m'arrêterai pas sur le parallèle que les, et elle en formait des corps dont les
quelques insensés ont voulu établir enirre membres se dévouaient tout entiers au ser-
la législation de Jésus-Christ et celle de Ma- vice de la société civile, en consacrant à son
homet. Qu'a de commun, en effet, le faible utilité leur esprit par le vœu d'obéissance,
empire de ces esclaves, qui n'a d'autres res- leur cœur par le vœu de pauvreté, leurs sens
sources que nos divisions, d'autre défense par le vœu de chasteté. C'étaient de petites
que la peste, avec la prospérité, les progrès, sociétés, qui, pour l'utilité de la société gé-
la force toujours croissante des sociétés fi- nérale, faisaient à Dieu le sacrifice de l'hom-
bres et chrétiennes? Et qu'on ne dise pas me et celui de la propriété.
que je compare les sociétés politiques plutôt Je l'ai dit ailleurs, la société, pourparvenir
que les sociétés religieuses; car il est aisé à sa fin, qui est la conservation des êtres qui
de voir que la religion mahométane ne pour- la composent, réprime la force de l'homme
rait pas plus s'unir à la constitution monar- ou sa passion de dominer, et protége sa fai-.
chique, que la religion chrétienne ne pour- blesse.
rait s'allier avec le gouvernementturc. « Sur Ainsi elle instituait les ordres militaires
le caractère de la religion chrétienne et et religieux destinés à défendre le commer-
celui de la mahométane on doit, sans autre çant et le voyageur des violences des peu-
examen, embrasser l'une et rejeter l'autre; ples barbares que leurs conquêtes avaient
car il nous est bien plus évident qu'une re- rapprochés de l'Europe. Elle instituait la
ligion doit adoucir les mœurs des hommes, chevalerie, destinée à protéger ta faiblesse
c est-à-dire, conserver l'homme moral, qu'il uu sexe, et faisait servir ainsi la force de
ne, l'est qu'une religion soit vraie. » (Esprit
1 homme à la conservation de la société. Elle
des loisj établissait des ordres Hospitaliers, pour pro-
La religion manométane n'est pas une re- téger la faiblesse de l'âge avancé et celle de
ligion.de sentiment elle n'a donc pas de la santé des ordres Prêcheurs, pour proté-
sacrifice, elle n'est donc pas une religion; ger la faiblesse de la condition, en répan-
elle ne défend donc pas l'existence de Dieu et clant dans le peuple, par l'instruction pu-
la foi de l'immortalité de l'âme, c'est-à-dire blique, la connaissance des vérités religieu-
qu'elle ne conserve pas plus l'homme moral ses et morales; des ordres savants pour
que le gouvernement ne conserve l'homme conserverau milieu du dénûmént absolu des
physique. Aussi l'athéisme se répand en connaissances, les richesses littéraire^ de
Turquie; et 'e fatalisme, qui ôte tout libre l'antiquité, et pour protéger la faiblesse a«
l'enfance, en lui donnant l'éducation publi- quesarrachent l'homme à sa famille, pour le
que des ordres contemplatifs, pour proté- dévouer à la conservation de la société ci-
ger la faiblesse du coeur, en ouvrant un asile vile, ils remplissent un autre objet moins
à ces âmes ardentes qu'une sensibilité ex- aperçu, et non moins important à sa conser-
cessive peut rendre dangereuses à la société, vation ils diminuent le nombre des famil-
ou malheureuses par la société. Certains or- les, et arrêtent ainsi, sans violence et sans
dres se vouaient à la sublimefonction de dé- crime, les progrès toujours croissants d'une
livrer des fers des barbares -les Chrétiens population dont l'excès dangereux a été dans
qui gémissaient dans l'esclavage, et d'autres tous les temps l'objet des craintes, et sou-
à l'héroïque mission d'étendre, au péril de vent des précautions les plus immorales des
leur vie, les bornes de la civilisation et de législateurs les plus vantés.
la religion chrétienne; et les uns, comme On n'étudie pas assez la marche des cho-
les autres, protégeaient la faiblesse, de la ses dans la conservation de la société ci-
condition dans le captif, comme la faiblesse vile.
de l'esprit dans le sauvage. Les ordres mo- Lorsque, par un mouvement général im-
nastiques qui subsistaient des dons offerts primé à tous les peuples du Nord, la Provi-
] ar la piété, plus rapprochés du peuple par dence conservatrice de la société eut détruit
leurs habitudes, et surtout par leurs besoins, le despotisme de l'empire romain, et établi
se consacraient, dans les campagnes, aux à sa place dans toute l'Europe la constitu-
fonctions du saint ministère. Enfants de la tion monarchique, il s'écoula un certain
Providence, ils étaient pour le peuple, qui temps avant que ces nations aventurières
s'élève difficilement aux idées spirituelles, eussent perdu le goût des émigrations et
une preuve vivante et visible que la religion des entreprises. Ainsi les eaux de la
prend soin de ceux qui se dévouent au ser- mer, soulevées par les vents, se balancent
vice de la société. Ils entretenaient dans l'ha- encore longtemps après que les vents ont
bitude précieuse de la bienfaisance, des cessé.
hommes trop attachés à leurs intérêts tem- Cependant l'Europe respirait des dévasta
porels. Dans des sociétés où il n'y aura per- tions effroyables des barbares, et des guerres
sonne à assister, tous les cœurs seront fermés cruelles qu'ils s'étaient faites entre eux. Elle
à la compassion, toutes les mains à la bien- se repeuplait; car la population s'accroît
faisance, toutes les- demeures à l'hospitalité. plus rapidement après les grandes agitations
Aussi le pouvoir conservateur de la société de la société, si une bonne administration
religieuse, et par conséquent de la société seconde la nature. Bientôt les grandes so-
civile, qui sait de quel prix sont, pour la ciétés de l'Europe se divisent en petites so-
conservation de la société, la pratique et ciétés, et les guerres privées commencent
l'exemple de la charité, nous dit lui-même
«, Encore un siècle de guerres privées, dit
quenous aurons toujours des pauvres au mi- Hénault,« et c'étaitfaitde l'Europe. »Un nou-
lieu de nous fait bien digne de remarque, veau mouvement est imprimé à cette popu-
que le moment où les gouvernements tra- lation immense l'Asie est punie, et l'Eu-
vaillaient avec le plus d'ardeur à bannir de rope est sauvée. La société religieuse prête
leurs états la pauvreté, ou plutôt la mendi- à se spiritualiser, parce que l'homme, par le
cité, ait été l'époque de l'expropriation la développement de la société, allait devenir
plus générale, et par conséquent de l'indi- plus intelligent, envoie les peuples ranimer
gence la plus universelle 1 leur foi pour la Divinité, par la vue du tom-
Les ordres de filles se vouaient à l'éduca- beau de ]'Homme-Dieu. Jl me semble voir
tion des jeunes personnes, à l'instruction de des enfants qui vont, pour la dernière fois,
l'enfance, au soin des malades, à la direction revoir les lieux de leur naissance, ces lieux
des hôpitaux, et faisaient servir ainsi à la dont ils vont être séparés par des espaces
conservation de la société les personnes du immenses, et avec lesquels ils n'entretien-
sexe, que leur goût et leur position ren- dront plus de communicationque par le sen-
daient inutiles et par conséquent dangereu- timent et la pensée. J'ai fait voir tout ce que
ses à la société naturelle. Ah que la philo- la société civile avait gagné à la fureur des
sophie acquitte les fondations de la religion, croisades mais, pour épargner à la société
ou qu'elle lui permette de les acquitter elle- ces terribles bouleversements, la volonté
même! générale conservatrice de la société civila
Eu même temps que les vœ x monasti- avait depuis longtemps jeté les fondements
607
de 1.. OEUVRES COMPLETES UI~
1 ces établissements qui. devaient prévenir

l'excès d'une population nuisible» et par le


M. DE
DE :1\1. 'UI~ BONALD.
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également
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pêcher.
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impossible de prévoir et d'etn-
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utru

i
célibat dont ils imposaient la loi, et par l'ex- Si l'invention des machines, s uMont celle
trême division des terres qu'ils prévenaient; ddes moulins à blé, dont, pour cette raison,
car, dans le même temps que des hommes .A Montesquieu révoque en doute PutitHé» si
consacraient leurs personnes à lâ.oonserva- l'art
K de l'imprimerie en économisant les
tion, de la société» et s'interdisaient, pour lui b
bras> laissent Un plus,grand nombre d'hom-
être utiles, jusqu'à la ,faculté de posséder n disponibles pour la guerre (car^l nefaut
mes
rien en propre, d'autres hommes consa- p oublier, que l'homme est toujours occupé
pas
craient, leurs propriétés à la subsistance de à conserver, la société ou à la détruire) si
ces pauvres volontaires, et la plus grande l'l'art militaire lui-même, perfectionné par la

.:.
charité se trouvait ainsi placée à côté du
plus extrême besoin*
On a vu que, dans toutes les sociétés an-
ddécouverte de la poudre à canon, consomme
plus
p
médecine
il
les choses et moins les hommes si la
perfectionnée, l'usage du linge
ciennes, l'exposition publique ou le meur- pplus répandu, des aliments plus sains, des
tre des enfants était autorisé par les lois, soins
s< mieux entendus dans les administra-
adopté par les mœurs,; et que la politique tions, rendont les famines ou les maladies
ti
imposait silence à la nature. Ces lois op- contagieuses
& plus rares et moins" meurtriè-
pressives, également contraires à la société res,
n la volonté générale de la société mon-
politique et à la société naturelle puis* tre à l'Europe l'Aniérique, vaste gouffre où
ti
qu'elles permettaient à l'homme d'attenter v s'engloutir l'excédaut de la population
va
aux jours de l'homme, et au père d'ôter la d l'Europe l'Amérique, qui consomme ies
de
vie à son propre fils, ne pouvaient subsis- hommes
h par les chances périlleuses de l'a*
ter dans des sociétés constituées, réunion varice,
v qui les consomme par les fruits ftfners
d'êtres semblablespour leur conservation na- dde la volupté 1
turelle, et dans lesquelles les lois doivent La. conservation des sociétés exige donc
être des rapports nécessaires; dérivés de la qu'elles
q aient toutes des moyens de con-
nature des êtres. La volonté générale cou- sommer un excédant de population, qui de-
si
servatrice de la société accordera la poli- vient
V infailliblement dangereux à leur pro-
tique et la nature elle maintiendra, dansla p tranquillité et à la tranquillité générale.
pre
société politique sans violence et sans 1L'Angleterre, l'Espagne, le Portugal, là Hol-
crime, une proportion nécessaire entre la lande, ont leurs colonies j l'Allemagne* lé
U
force qui doit réprimer et la force qui doit Suisse, l'Italie» l'émigration insensible et
S
être réprimée. Une maladie nouvelle, in- l'industrie
1' voyageuse de leurs habitant-s
connue dans les sociétés anciennes, se ma- 1< Nord a le célibat militaire, lé Midi le cé-
le
nifeste tout à coup dans nos. climats elle libat religieux la Russie a. ses déserts et
li
attaque l'homme dans l'âge le plus tendre, s armées; la. Turquie la pestset la guer-
ses
et si trop souvent elle coûte des larmes à la r la Chine les famines ^fréquentes et l'ex-
re
famille, elle épargne des crimes à la société position
p publique; le Japon l'avortement
et lorsque l'humanité gémit sur le sort de forcé.
fi La France avait les colonies, Je com*
tant d'innocentes victimes que ce fléau ter- merce, le célibat religieux et militaire}
fl
rible eulève au sein qui les nourrit, un sen- d tous ces moyens, grâce a la révolu-
de
timent consolateur apprend à l'homme que tion,il
ti né lui reste que le militaire i e'e&t
ces êtres intéressants ne sont arrachés à la fa du repos de l'Europe, et peut-êlre du
fait
société politique, que pour composer la so- bbonheur de l'espèce humaine, si la France
ciété religieuse. L'homme qui n'est ici-bas est
ei réduite à détruire les autres sociétés-
que pour perfectionner ses moyens de con- ppour se conserver elle-même, A la vérités
servation physique et morale, cherchera à l'affreusedépopulation causée par la guerre,
1'
se, préserver des ravages de cette cruelle et la consommation prodigieuse de jeunes
ei
maladie. y réussira peut-être, mais il ne g
gens, bien plus sensible dans quelques an-
parviendra pas à déranger un équilibre que nées,
n lorsque la génération qui précède ne
la volonté générale de la société tend à éta- sera
si plus, peuvent rassurer llEurope, pour
blir et lorsqu'il se flattera d'avoir conservé bbien des années mais lès années ne sont
à la société politique des générations en- qque des jours pour la société, et il n'est pas
tières, ces mêmes générations seront mois-, douteu-x
d, que la fertilité du sol, le bon mar-
sonnées par des événements qu'il lui, sera ché
cl des subsistances, l'abolition du célibat
religieux, la diminution des grandes fortu- vent à l'état des propriétés utiles, telles que
nes, un partage plus égal de terres, des pas- les forêts; et ils émploient l'excédant de
sions plus exaltées dans un gouvernement leurs richesses à faire à là propriété géné-
fondé sur toutes les passions n'eussent rale des améliorations, que l'individu le
bientôt rétabli dans la France république plus opulent n'a ni les moyens ni là vo-
tine population égale ou même supérieure lonté d'entreprendre, et qui demandent un
à eêlte qui y existait avant la révolution. esprit de suite et de perpétuité qui ne peu|f
Je ne puis terminer ce chapitre sur les se trouver que dans les corps.
ordres monastiques, sans faire quelques ré- 3" Leurs richesses peuvent et doivent être
flexions sur les dispositions dans lesquelles la dernière ressource de l'Etat dans ses ex<-
pourraient être quelques souverains catho- trêmes besoins c'est un trésor confié à la
liques à supprimer dans leurs Etats les garde de la religion, et que le gOuverne-
ordres religieuxj'examinerai cette mesure nement peut-être eût dissipé et jamais une
sous des rapports moraux et physiques, société catholique ne sera en danger d'être
double point de vue sous lequel il faut con^ détruite, ou envahie que la fèligiôû né
sidérer la société et tout ce qui lui appar- s'empresse d'employer à sa défense les tré-
tient. sors dont elle est dépositaire je dis à sa
Rapports moraux ou religieux 1° si les défense, car la religion ne doit pas servir
souverains mettent quelque intérêt à entre- les projets de t'ambition.
tenir leurs peuples dans la religion, c'est-à- On attribue la dépopulation de l'Espagne,
dire dans l'amour de Dieu et dans l'amour sa -faiblesse apparente et celle de quelques
des hommes ( 1 ), ils doivent sentir l'im- états d'Italie au nombre excessif des cou-
portance de laisser au milieu de la société vents mais on he fait pas attention que,
l'exemple d'hommes qui renoncent à leur lorsque l'Espagne donnait le ton à toute
fanmle et à leur propriété pour se consacrer l'Europe, et qu'elle produisait les prodi-
entièrement au service de Dieu et à celui gieux conquérants du nouveau monde, et
des hommes. les grands capitaines de ses guerres d'I^lie,
2° La religion chrétienne ne fait .à per- elle avait autant de couvents qu'aujourd'hui,
sonne en particulier un devoir de l'état mo- et bien plus de religieux^
nastique mais elle fait un devoir à la so* Depuis cette époque, sa population s'est'
eiété polititju« constituée, de conserver des extravasée en Amérique mais là faiblesse
modèles de l'état le plus parfait qui puisse d'une société constituée vient rarement de
exister pour l'homme intelligent, c'est-à- sa dépopulation, et s'il faut à un Etat une
dire de l'état où J'homme ne s'occupe, ex- grande population pour attaquer, il en faut
térieurement du moins, que de Dieu et des à une société constituée une bien moindre
hommes, et point du tout de soi. pour se défendre. La faiblesse intérieure de
Motifs politiques 1° l'administration peut l'Espagne, et celle de quelques Etats d'I-
employer aux usages religieux et politiques taliei viennent des imperfections de leurs
les plus utiles, des corps dont les membres, constitutions et des faux principes de leufs
dégagés de tout autre soin, ont consacré administrations quand l'Espagne et l'Italie
toutes leurs facultés physiques et morales voudront développer leur constitution et
au service de la société, par les motifs les perfectionner leurs administrations, el-les
plus puissants qui puissent agir sur l'hom- n'auront
] rien à désirer, rien à craindre des
me dés corps qui, par leur opulence ¡autres puissances. Le système dé l'allonge-
même, offrent à l'administration, dans les jment ou du raccourcissement des fibres, par
usages auxquels ib peuvent être employés, 1lequel Montesquieu veut prouver que l'hom-
de grands moyens d'économie. me
i du Nord est exclusivement propre à la
2° Les ordres monastiques, en prévenant j
guerre,
1 ne doit pas décourager les souve-
l'excès de la population, et par conséquent, rains
i du Midi. Deux des plus grands hommes
l'extrême division des propriétés, cûnser- de
( guerre des temps modernes, qui ont le
(1) Un peuple qui a le sentiment de Dieu peut sieurs
être un peuple vicieux, et c'est toujours la faute de s usages religieux, ou la permission donnée
au
s peuple de travailler le dimanche, en disant qu'il
l'administration mais un peuple athée deviendra vaut mieux que le peuple travaille le dimanche, que
un peuple abominable, et il faudra qu'une révolu- ti s'enivrer au cabaret
de cela est faux. Que le peuple
tion le' détruise pour le recommencer. Oii tentend jure,
i qu'il batte, qu'il s'enivre, mais qu'il ait de
se

uca
tles zélateurs peu éclairés de l'ordre publient des
niœûis, justitier la suppression indiscrète de plu-
OKuvBfcS coau'l, bis M. dis Bon Ai.D 1
11la religion car ou peut avoir de la religion avec
des
d passions.
~ra~mvn~
l'c.1.i:)i:)IVllo:t.
90
plus oDsërvé et manié l'homme, et dont que l'Europe pourra faire avant cent ans
par conséquent l'autorité est d'un autre II ne faut donc pas détruire les ordres
poids que les opinionsd'un bel esprit, Henri religieux, comme ont fait quelles souve-
de Rohan et le maréchal de Saxe pensaient rains, pour.établir à leur place des fabriques
que l'Italie était encore la pépinière des d'objets superflus qui font renchérir les
meilleurs soldats « Le courage y som- bras pour l'agriculture sans rendre moins
eille, dit le Plutarque français, et si l'on chères les productions mêmes de ces fabri-
changeait la constitution politique de ces ques des fabriques qui altèrent le moral de
anciens maîtres du monde, ce serait le ré- l'homme en réunissant les individus de tous
veil du lion (1).» les âges et de tous les sexes, en allumant
On relève les accroissements qu'ont pris dans son cœur le goût du luxe et des be-
la population et le commerce dans les so-, soins factices qui altèrent son physique en
ciétés qui ont aboli l'état monastique, c'est-; ^occupant à des travaux sédentaires pour
à-dire dans les:sociétés qui ont embrassé la: lesquels la nature ne l'a pasfait. Mais il faut
religion réformée. Mais 1° l'accroissement' rendre les ordres religieux' utiles à la so-'
de la population n'est pas toujours un bien; ciétd, en les maintenant dans la1 destination-
2° l'accroissement immodéré du commerce pour laquelle ils ont été fondés, ou en leur
est toujours un grand mal mal moral, car en donnant de nouvelles que les développe-
l'amour de la propriété éteint dans la société; ments de la société peuvent demander; il
tout amour de Dieu et de l'homme mal faut surtout maintenir dans leur sein la su-
physique, car, il ôte à la société toute force bordination, et ne pas permettre que tout
intérieure de résistance ou de conservation. religieux mécontent trouve auprès des tri-
Les souverains, qui placent la suprême fé- bunaux séculiers un recours assuré contre
licité de leurs peuples et la gloire de leur son supérieur cet abus, était commun en
règne dans l'extension du commerce, ne font France, et tenait plus qu'on ne pense aux
pas attention qu'il n'y a peut-être pas au- principes de liberté et d'égalité, qui s'avan-
jourd'hui en Europe une seule ville dont les çaient peu à peu dans la société. Cet abus-
habitants, pour conserver la fidélité qu'ils est destructif de tout ordre, de toute règle;
doivent à leur légitime souverain, fussent, il dissout les corps pour protéger les mem-
disposés à soutenir les périls et les incom- bres et encore le recours aux tribunaux
modités d'un siège, et que ces exemples de séculiers ne sert jamais qu'aux mauvais su-•
courage et de dévouement étaient extrême- jets, car un bon. religieux doit souffrir et se
ment communs dans les siècles précédents. taire. Les supérieurs immédiats et naturels'
C'est surtout dans les troubles intérieurs des corps religieux doiventêtre les évêques,
qu'on peut juger la force de conservation et je crois que l'exemption de la juridic-
des diverses. sociétés. On verra la France se tion de l'ordinaire est contraire à la saine
retirer de l'abîme le plus profond dans le-! i discipline de l'Eglise, à l'intérêt de l'Etat, à
quel une société puisse être-tombée, par la l'intérêt des ordres religieux eux-mêmes."
seule force, de son principe intérieur ou re- Il n'est pas hors de propos d'observer que
ligieux. D'autres sociétés, placées dans les ces grandes fondations sociales ont presque
mêmes circonstances n'auraient pas les toutes pris naissance en France, en Espa-
mêmes ressources, et c'est une comparaison gne, en Italie, dans les pays où l'homme est
(î) 'Les souverains qui veulent accroître les fréquents dans quelques Etats d'Italie; él parce
moyens de prospérité et de force défensive de leurs qu'un pouvoir sans force ne peut réprimerles actes, (
Etats, -établissent* des fabriques dans le genre an- une religion toute extérieure ne peut rép-inier les
glais, et donnent à leurs troupes la discipline alle- volontés. H n'y a demœurspubliques.qttelàoùilya
maude. n faut cela peut-être, mais ce n'est pas assez; des hommespublics; il n'yadeshommes publics, que
il faut remonter -an principe, et développer la cons- làoù il y a une profession sociale ou publique. La ré-
titution qui vivifie à soit tour toutes les parties de volution française prouvera cette grande vérité, que
l'administration. Des sociétés monarchiques, dans les prêtres sont la force conservatricedelà société re-
lesquelles,le peuple engourdi dans l'oisiveté laisse ligieuse, et les nobles, de la société politique; et
les terres en. friche pour demander l'aumône dans c'est en sacripant leurs vies et leurs propriétés pour
les villes, et où la noblesse endormie dans le luxe demeurer fidèles au pouvoir de l'une et de l'autre
et le goût des arts se dérobe par orgueil ou par mol- société, qu'ils les rétabliront en France. C'est la- vé-
lesse aux professions sociales, n'ont ni moyens réels ritable raison pour laquelle les prêtres et les no-
de prospérité,ni véritnble force conservatrice. Mais bles sont les premières victimes dans les révolu-
un pouvoir sans force n'est pas un pouvoir aussi ces tions religieuses ou politiques. Les factieux, qui
sociétés ne peuvent conserver l'homme intelligent veulent établir leur pouvoir particulier à la place
qu'elles laissent avilit- dans la corruption et la fouiv du pouvoir général, cherchent à anéantir sa force
berie, ni même l'homme physique qu'elles laissent ou son action, parce qu'un pouvoir sans force n'est
détruire par la mulilation ou l'assassinat, crimes si plus un pouvoir.
VU M. *i*t t Ut V» \J 1 IIULiIUILLA, L.L y V. 014
plus aimant, parce que la constitution poli-,?
-,f guérie» Leibtiitz, qui avait étudié l'histoire
tique et religieuse y est plus amour, ou pluss en philosophe et en politique, reconnaît que
constituée comme les premiers réforma- '<cette puissance des Papes a souvent épargné
leurs se sont élevés en Angleterre et eni T de grands maux. » Si cette question se déci-
Allemagne, c'est-à-dire dans les pays où laa dait par l'autorité des noms, on pourrait op-
constitution politique et religieuse est pluss poser le nom de Leibnitz à celui d'une foiilee
opinion et système. A voir l'état présent de3 d'écrivains inconsidérés .ou prévenus, qui
la France, on peut conjecturer, sans trop de3 ont déclamé à tort et à travers contre la puis-
témérité, qu'il s'y prépare l'établissement de3 sance des Papes, parce que les déclamations
quelque corps dont la destination soit à laï sont commodes, et qu'elles dispensent l'é-
fois religieuse et politique, tel que serait unî crivain de prouver, comme le lecteur de ré-
corps consacré à l'éducation publique, parce fléchir.
qu'un établissement de ce genre est néces- Ce n'était pas seulement des passions guer-
saire à la conservation de la société ci- rières de leurs chefs que la religion cher-
vile (i;. chait à préserver les peuples; elle cherchait
CHAPITRE V. encore à les défendre des passions volup-
tueuses de leurs rois. On voit fréquemment,
EFFETS DE L'AUTORITÉ DES PAPES. dans l'histoire des temps anciens, des rois
repris, pour avoir contracté des mariages
La société civile était arrivée à la fin du illégitimes,
pour ne pas renoncera à un com-
xv* siècle. Jusqu'alors l'Europe pouvait merce scandaleux, pour donner enfin à leurs
être considérée comme une seule famille, peuples des exemples aussi funestes à la
troublée quelquefois, il est vrai, par les pas- ciété politique so-
que contraires à la société
sions de ses membres, parce qu'il ne peut religieuse. La société était alors un enfant,
pas plus exister d'hommes sans passions, que que la religion, sa mère, corrigeait avec la
de sociétés sans, hommes, mais réunie
par verge; devenu plus grand et plus raisonna-
un intérêt commun, je veux dire, par lat ble, l'autorité est la môme mais les moyens
même religion publique et les mêmes senti- sont différents. Au reste, quels
que soient
ments de respect et de déférence pour un ceux que J'Eglise emploie, et qui doivent
chef commun, que sa dignité séculière ren- convenir
dait l'égal des rois, que son caractère spiri- chrétiens
aux temps et aux hommes, les rois
iuel et ses fonctions religieuses rendaient ront « ne doivent pas oublier qn'ils n'au-
i de puissance réelle sur leurs peuples,
supérieur à fous les Chrétiens. qu'autant que les peuples seront persuadés
Plus d'une fois le père commun des fid,è-
les avait interposé sa médiation, son auto-' doit que la religion en a sur eux l'homme ne
<

( pas dépendre de l'homme, mais du pou-


rite même, dans les sanglantes querelles de voir général de la société qui n'est lui-
ses enfants. Plus d'une fois la religion avait même i que l'agent de sa volonté générale.
fait parler l'humanité éplorée et quelque- Depuis 1
fois aussi la politique aux abois s'était cou- de la religion
que la philosophie a affaibli le frein
c et ébranlé le sentiment d'un
verte du manteau de la religion. « Les con- ]Etre suprême, c'est-à-dire depuis
que les
ciles' d'une certaineépoque,» dit l'auteur des peuples
J ne voient plus rien au-dessus des
Mémoires pour servir a l'histoire des égare- rois, ils s'y sont mis eux-mêmes
r et le prin-
ments de l'esprit humain, « sont pleins d'exhor- cipe
c monstrueux de la souveraineté du peu-
tations et de menaces faites aux souverains ple succédé à la doctrine
r a erronée de J'au-
qui troublaient la paix, qui abusaient de t,torité des Papes sur le temporel des rois.
Si
leur pouvoir et de leur autorité contre l'E- lés L rois ont fondé la puissance temporelle
glise, contre les fidèles, contre le bien pu- des d Papes, les Papes ont affermi la puis-
blic; on y rappelait les souverains .et les spirituelle des rois car si l'excommu-
sance
s
hommes puissants ail, moment de la mort. nication faisait
n trembler des rois injustes,
Les Papes rappelaient les souverains a la elle avait
e
paix, et tâchaient de tourner contre les usur- nrebelles.
encore plus d'effet sur les peuples
pateurs, les injustes, contre les oppresseurs Je n'ignore pas l'abus que les Papes ont
des peuples, contre les infidèles, cette
pas- fait
fc quelquefois de ces moyens, que l'abbé
sion générale pour les armes et pour la Fleury F prouve très-bien que les Papes n'em-
.(1) Les administrations catholiques
étoignees de soupçonner le parti, même sont bien
politique,
«
qu'elles peuvent tirer des ordres religieux.
ployaient jamais contre les souverains, dans la
h puissance de la religion; et la religion
les premiers temps de l'Eglise les Papes s'étend
s' insensiblement et se développe elle-
sont hommes, et ils ont leurs passions et même,
m par la seule force de son principe in-
leurs erreurs. ils ont quelquefois méconnu térieur
té les autres voulurent accroître leur
ce développement successif et simultané de propre
pi puissance, et leur puissance séculière
la société religieuse et de la société politi- doit être moins forte de ses propres moyens
à<

que, parce que ce n'est pas au Pape ,(i) qque de la considération et du respect des
iBais à l'Eglise en corps qu'appartient l'in- souverains,
S( qui tous ont le plus grand inté-
Iflillibilité. Cesotitlalesvrâisprincipes (2) rêt à maintenir l'Etat temporel du Saint-
ri
eji c'est la doctrine de i ugiise de France. Siége,
S et contre les troubles du dedans, et
Utissi il est essentiel d'observer que les jus- eontreles
e< attaques du dehors. Mais ces mê-
Ifs droits du Saint-Siège sont plus affermis mes
rr désordres tant reprochés aux Papes
êp France que dans aucun autre royaume éétaient presque toujours l'effet inévitable des
de la chrétienté, parce que son autorité y passions
p des princes chrétiens, qui, dans
est renfermée dans de justes bornes. Eni leurs
1< projets d'agrandissement ou de défense,
France, le pouvoir général de l'Eglise estt nne permettaient pas aux Papes de conserver
plus reconnu et plus respecté, parce que le» cette
c neutralité, qui convenait encore mieux
a caractère de Père commun
des Chrétiens
Pape ne peut pas, par les lois du royaume, au
y exercer de pouvoir particulier; au lieut
qu'à
q la médiocrité des forces du prince tem-
porel. La France, l'Espagne, l'Allemagne,
que dans les autres Etats chrétiens, et par- p
chacune un Pape français, espa-
ticulièrement en Allemagne, les justess voulaient
v
droits du Saint-Siège sont moins respectés, gnol,
g allemand, plutôt qu'un Pape chrétien;·,
elles voulaient moins un Pape général, si je
parce que le pouvoir particulier du Pape.yf e
m'exprimer ainsi, qu'un Pape parti eu
a des bornes moins précises et moins fixes.
puis
T
lier. De ià les intrigues de l'élection, et
Cette vérité importante doit être l'objet dess 1

considérations les plus sérieuses de la courr quelquefois


c l'inconvenance du choix, sujet
de Rome et de quelques Etats d'Allema- fécond
f de déclamations pour quelques sa-
gne(3). vants orgueilleux, de scandale pour quel-
Dans la lutte des puissances religieuses et,t quese âmes faibles, de révolte pour quelques
politiques, qui, pour le repos de la sociétéé esprits< pervers. Mais la vérité, qui blâme les
civile, auraient dû toujours rester unies vices
i sans ménagements, comme elle loue
des Papes qui avaient plus de vertus reli- les 1 vertus sans flatterie, oblige de dire que le
gieuses que de talents politiques, voulurent A premiersiége
1 de l'Eglise a été presque un-
j
étendre au delà de ses justes bornes l'auto- jours rempli par des Papes du mériteun eifet
le plus
« éminent;
Tité du Saint-Siège, et firent servir les armes (
et elle remarque comme
4e la religion à établir des prétentions désa-i- de (
la volonté générale conservatrice de la
vouées par la religion même. Dans d'autres !S
société
s
religieuse, de la volonté de Dieu
temps, des Papes qui avaient plus de talents s même,j
qu'un des plus grands hommes qui
politiques que de vertus religieuses, voulu- aient <
gouverné l'Eglise, lui ait été donné
crise la plus dangereuse qu'elle ait
rent étendre la puissance temporelle duu dans la prudence de Pie
Saint-Siège, et se mêler, avec des forces iné- essuyée. La sagesse et la
gales, aux sanglants débats des souverains. 5. VI, dans ces temps difficiles, sont au-dessus
Brefs, qui
Les uns voulurent étendre, pour ainsi dire, i, de tout éloge le recueil de ses
servi à
(1) Dans les principes de l'Eglise gallicane, e, a fait tant de bruit, ont merveilleusement,
l'Eglise, et aux
principes dont je crois avoir démontréla nécessité,
é, tous ceux qui ont voulu opprimer
magistrats jaloux du pouvoir du clergé, et à Bona-
le Souverain Pontife est dans la société religieuse ce ee
connétable était dans la société politique. Il
II parte, à cheval, » disait-il, « sur les quatre articles,
que le
était le chef né et naturel de toute la force pu- u- pour faire la guerre au Saint-Siège. Ces libertés,

blique de l'Etat; il était tribunal et avait une juri-


•i- si bien connues des magistrats, étaient ignorées des
diction la société pouvoir ne pouvait le fidèles; et l'abbé Fleury, qui en était le zélé' défen-
ou son un traité des servt-
priver de sa dignité ni lui interdire l'usage de ses
es seur, disait qu'on pourrait faire
traité de tiLeriés.
fonctions sans lui faire son procès. La suppression
)n tudes de l'Eglise, comme un ses
accoîtrè la force
ce (Réponse à M. de Frenilly, 1829 pag. 21, 22.)
de la dignité de connétable a pu
offensive de la société politique, mais co.' me lotitr-s.•ss (3) 'Quoique les parlements aient quelquefois
les suppressions du même genre, elle a diminué la été lrop loin dans les matières religieuses il est
force de résistance et de conservation. cependant vrai de dire qu'ils ont maiutenu en France
(2) Les opinions de l'auteur étaient bien chan- n- la religion dans toute sa pureté, c'est-à-dire, l'o-
gées, lorsqu'il écrivait à M. de Fienilly, pair de béissauce au pouvoir général de la religion, par leur
France « Les Hberlés de l'Eglise gallicane, qu'on on fermeté à repousser les entreprises du vouvoir par-
exhumées de la poussière des écoles, et dont on
on liculier.
a
dent de paraître, est un monument aussi puisqu'il est un rapport nécessaire dérivé de
konorable pour ce grand pontife, qu'il est la nature des êtres en société, une loi; mais
précieux pour la religion. L'Eglise et l'Etat il est contre la nature des indulgencesd'être
eussent été sauvés en France, si ses conseils matière de trafic, et ce fut l'abus qui produi-
eussent été suivis. sit de grands désordres.
La grande famille de l'Europe chrétienne Le chef de l'Eglise, en accordant des in-
avait donc un Père commun un même lien, dulgences, exerça donc le pouvoir général
et Je plus puissant de tous, unissait les peu- de la société religieuse mais Léon X ou ses
ples ce lien fut brisé il y à bientôt trois commissaires, en les baillant à ferme, exer-
siècles; la famille se divisa; ce majestueux cèrent un pouvoir particulier; et dès qu'il
édifice de la société civile, qui tendait à se s'élève un pouvoir particulier dans une so-
perfectionner sans cesse, sembla arrêté dans ciété, le pouvoir général est anéanti.
ses progrès. La république chrétienne, l'ob- Une querelle d'intérêt entre des ordres
jet des vœux de tous les vrais amis de la religieux, relative à la prédication des in-
seciété, ne fut plus, grâce à la philosophie, dulgences, fut la première étincelle de ce
que la chimère d'un grand roi et ce furent grand embrasement. Il trouva des matériaux
deux hommes entraînés par la fougue de préparés dans quelques événements anté-
leurs passions, ou égarés par le délire dé rieurs, religieux et politiques, et une dispo-
j'orgueil, deux hommes qu'une- partie de sition prochaine dans la constitution des
l'Europe semble regarder encore avec véné- Etats d'Allemagne. Je n'ai pas laissé passer
ration, qui tirent à la société civile cette une seule occasion de faire remarquer l'é-
plaie que le temps n'a pu fermer, et qui la troite liaison qu'il y a entre les principes
conduira peut-être au tombeau dans le déliré politiques; et lorsque j'aurai pu donner h
de l'athéisme et les convu Isions de l'anarchie. cette proposition tous les développements
dont elle est susceptible, on sera moins
CHAPITRE VI. étonné qu'une société sans constitution po-
litique de pouvoir général laissât altérer la
RELIGION RÉFORMÉE. constitution religieuse de l'unité de Dieu.
Montesquieu, qui explique presque toujours
C'est en politique, plutôt qu'en théolo- de grands événements par de petites causes,
gien, que je vais traiter de la célèbre réfor- dit que les peuples du Nord embrassèrent
me qui déchira l'Europe chrétienne, et divi- la religion réformée, « parce que les peuples
sa l'Europe politique au commencement du Nord ont et auront toujours un esprit
du xvi" siècle. J'ignore si, à titre d'écri- d'indépendance et de liberté que n'ont pas
vain politique, j'obtiendrai plus d'indulgen- les peuples du Midi et qu'une religion qui
ce, si j'aurai à combattre moins de préven- n'a point de chef visible, convient mieux à
tions décidé à dire la vérité et toutes les l'indépendance du climat, que celle qui en
vérités, j'examinerai, avec l'impartialité !a
plus froide et la plus sévère, des faits que
a un.»
II serait difficile d'entasser plus d'eppeiips-
la philosophie s'efforce en vain de déguiser.
dans moins de mots.
Le présent a levé tous les doutes qui pou-
vaient tester sur le passé en politique, le 1" Puisqu'il s'agit de religion, il ne peut
présent est souvent un texte obscur» dont être question ici que de liberté religieuse
l'avenir est toujours l'évident commentaire. et il est prouvé que les dogmes de la rei-
Il est dans la nature des êtres sociaux que gion réformée l'excluent absolument. Cette
tout délit soit puni par un châtiment forcé, vérité sera mise dans le plus grand jour.
ou expié par des peines volontaires. â" 11 est faux qu'il y ait dans le Nord un
Voilà le principe des indulgences réli- esprit d'indépendance et de liberté; il, y a
gieuses et le concile de Trente ne propose au contraire un esprit d'obéissance et de
autre chose a croire sur les indulgences, si- servilité, qui se manifeste par les institu-
non que la puissance de les accorder a été tions politiques,, par les manières, par la
donnée a V Eglise par Jésus-Christ, et que l'n- langue itiêmév Assepéaient il y a ptes d'es-
sage en est salutaire; mais qu'il doit être re- prit d'indépendance dans un Espagnol ou
tenu avec modération, de peur que la disci- dans un Français que dans un Allemand ou
pline ecclésiastique ne soit énervée par une dans un Russe; on peut même dire que les
excessive facilité. Le principe est certain '.peuples catholiques du Nord,. comme 1.9 Po-
tenais ou le Hongrois, ont montré en géné- tout il appelle antique.ce qui était néces-
rai plus .de goût pour l'indépendance que saire dans un temps; il rejette comme nmi-
les autres peuples. 11 en est de l'esprit d'in- veau.ce qui n'a été nécessaire que dans un
dépendance des peuples du Nord, comme de temps postérieur, et qui n'est que le déve-
la fierté républicaine que des écrivains phi- loppement de l'antique. Témoin des progrès
losophas, au grand étonnement du voyageur de la société politique, il ne voit pas que la
impartial, remarquent dans les citoyens des religion, toujours ancienne et toujours nou-
Etats populaires, comme le Hollandais, le velle, doit se développer avec elle. L'orgueil
Suisse et le Genevois. effréné du réformateur appelle à son aide
3° L'indépendance du climat est un mot les passions de ses disciples. La religion
vide de sens, et il est prouvé que la liberté mahométane, religion d'opinion, s'était ré-
politique ou religieuse de l'homme est dans pandue par l'intérêt, la volupté et la terreur ·,
la doctrine du nouvel apôtre se propage
jes institutions politiques ou religieuses
auxquelles il est soumis, et non dans les aussi par l'intérêt, par la volupté et par la
climats qu'il habite. terreur. Les grands favorisent les progrès
de la réforme pour s'approprierles biens du
k° Que fait à l'indépendance d'un peuple
clergé; le peuple, pour vivre dans la licence,
ou d'un climat, que les ministres da la reli- et user du divorce autorisé par ses nou-
gion aient un chef visible ou qu'ils n'en la
aient pas? L'Anglais, dont la religion a un veaux docteurs. Erasme lui-même, que
chef visible, se croit-il moins indépendant réforme compte au nombre de ses partisans
secrets, disait souvent que, de tant de gens
que le Suédois ou le Hollandais?Le citoyen qu'il voyait entrer dans la nouvelle réforme,
du canton catholique de Zug ou de Soleure
il n'en avait vu aucun qu'elle n'eût rendu
se croit-il moins libre que ses voisins de plus mauvais, loin de le rendre meilleur.
Berne ou de Zurich, parce que les ministres
Quelle race évangéliquè est ceci? disait-il;
de sa religion ont un chef à deux cents lieues
jamais on ne vit rien de plus licencieux, ni
de lui? Et les ministres de là religion réfor- •
de plus séditieux tout ensemble. J'aime misuX
mée sont-ils donc invisibles sont-ils de
avoir affaire avec ces papistes que vous dé-
pures intelligences? Je reviens à la querelle cries tant, écrivait-il aux chefs du parti. La
qui produisit la réforme.
Luther, homme d'un caractère fougueux, terreur vientse joindre à l'intérêt et à la
volupté pour étendre la bienheureuse ré-
monte en chaire, et prend la plume, pour
défendre les prétentions de son ordre. Il forme: des guerres sanglantes s'allument
tonne contre l'abus des indulgences, et bien- en Allemagne; des sectes fanatiques, nées
tôt il en attaque le principe. 11 déclame con- dé la réforme, y exercent les plus affreu*
tre les commissaires du Pape; bientôt il in- ravages, et trouvent, dans les thèses empor-
vective contre le Pape lui-même. Il s'élève] tées du réformateur, la justification de leurs
excès (1).
contre la cour de Rome, et bientôt il se sé-
pare de l'Eglise. Telle est la marche et less[ Luther et ses partisans prennent pour des
progrès de la révolte, soit religieuse, soit progrès miraculeux des succès dus à la vio-
politique; car les deux sociétés sont sembla- lence, à la cupidité, au divorce, véritable
bles, et elles ont une constitution semblable. polygamie plus funeste, plus destructive de
la société religieuse et de la société politi-
Ainsi en France, on n'a d'abord annoncé[
que, que celle de l'Orient.
que le projet de réformer les abus de l'ad-
ministration, et de borner le pouvoir parti- CHAPITRE VII,
culier du monarque bientôt on a attaquéS
les principes du gouvernement, on a détruitt DIVORCE.
le pouvoir général de la société, on a anéantii 1° La polygamie et le divorce sont essen-
la société même..
Luther, enhardi par des succès faciles, ne
tiellement la même chose car la polygamie
n'est pas illégitime en ce qu'elle permet à
tarde pas à prendre les saillies de son carac- un homme d'épouser plus d'une femme,
tère pour des inspirations. Dans ses décla- puisque l'Eglise, en autorisant les secondes
mations furieuses, il outre tout, il méconnaîtt noces, permet aussi d'épouser plus d'une

(1) Luther comparait le Pape à un loup enragés Pape doiventêtre traités, s:lon lui comme des chefs
contre tcquet tout lu monde s'arme, sans attendrei de briganrfs. ete.
l'ordre des magistrats. Tous Ceux qui défendent le
femme mais elle est criminelle en ce qu'elle « Ju dicainus id
secreto facïendum, nempe ut
permet de rompre le lien conjugal en épou- lantumvestrœ
u Celsitudini, Ulipersonœ,acpau-
sant une seconde femme du vivant de la icispersonis
,c fidelibus constetCelsitudinisvestrce
première, qu'elle opprime par conséquent, animus « et conscientia sub sigillo confessionis.»
puisqu'elle la détourne de sa fin naturelle S" Le divorce est plus destructif de la so-
et politique, qui est le mariage. ciété
ci naturelle ou de la famille que la poly-
2° De même le divorce n'est pas criminel gamie,
g' puisqu'il sépare nécessairement les
en ce qu'il autorise la séparation d'avec une enfants
ei du père ou de la mère ce que ne
femme qu'on a épousée, puisque cette sépa ff pas la polygamie.
fait
ration est permise par l'Eglise et par l'Ktai 6° II est plus destructif de la société poli-
dans certains cas où des empêchements diri- tique,
ti puisqu'il exalte dans les deux sexes
mants n'ont pas permis aux conjoints de J'. l'amour déréglé de soi ou la passion, en lui
-former un véritable lien conjugal; mais en offranto; des voies légales de se satisfaire; et
ce qu'elle autorise la dissolution du lieu qu'en q même temps qu'il ôte tout frein à la
conjugal formé sans aucun empêchement, et force fc de l'homme, il laisse sans défense la
avec toutes les conditions requises pour sa fa faiblesse de la femme qu'il opprime, en
validité. l'arrachant à la famille dans l'âge où la na-
1'
3° La polygamie n'est pas criminelle parce tl ture lui permet de remplir sa fin sociale, la
qu'elle permet d'avoir plusieurs femmes à propagation
P de l'espèce humaine, et plus en-
la fois car dans la polygamie comme avec core, c lorsqu'elle est dans l'âge auquel sa na-
le divorce, l'union actuelle des sexes n'est ture ll lui refuse cette faculté, et. qu'elle n'a de
jamais que l'union d'un homme et d'une protection 'P que dans son époux,ni d'existence
femme. qque par ses enfants.
7° 11 est plus destructif de la société reli-
k" II est si vrai que le divorce et la poly-
puisqu'il permet de désirer la femme
gamie ne sont qu'une même chose, que Lu- gieuse,
ther l'autorise expressément par ces paroles d'autrui, en donnant la facilité de l'obtenir:
8° II est plus funeste à la tranquillité pu-
célèbres Si la maîtresse ne veut pas venir,
blique, puisque la polygamie se praiique
b
due la servante approche; et que lui-même trouble, et que le divorce ne peut
et ses théologiens permirent au landgrave sans s
s'exercer sans division.
de Hesse d'épouser Marguerite de Saal, du s
vivant de la princesse Christine de Saxe, sa 9" Il est plus funeste pour les mesurs, car
première femme, dont il avait plusieurs en- ilr permet la polyandrie à la femme, en
temps qu'il permet à l'hommela, po-
fants, et avec laquelle il promet même de même 1]

continuer à vivre. Les pièces relatives à ce l,lygamie. Dans les pays où la polygamie est
mariage, soupçonné dans le temps, mais permise, les femmes sent dérobée-s à la vue
tenu fort secret, furent rendues publiques, des d hommes. «Rien n'égale, » dit Montes-
dans le siècle dernier, par l'électeur Palatin, quieu, « la modestie des
femmes turques,
chinoises et persanes » au. lieu que, dans
et produites dans la forme la plus authenti- c
les pays où le divorce est autorisé, par la re-
1
que. Rien de plus curieux que l'exposé sur ligion,
lequel le landgrave fonde sa demande en 1 et où- son usage n'est pas réprimé par
bigamie, et la consultation théologique l'influence
1 secrète de l'exemple d'une reli-
dans laquelle Luther et sept autres théolo- gion qui le défend, il
n'est pas rare de voir
poussé. au point
giens des plus célèbres du parti, après avoir 1l'oubli des mœurs publiques
doctement établi la sainteté du mariage, et- qu'une c femme ne rougisse pas de paraître,
donné au prince les avis les plus graves sur dans € un cercle, au milieu de trois ou quar
la chastetéconjugale et la tempérance chré- tre époux
anciens ou nouveaux.
tienne,'conclurenten permettant la.bigamie 10? La loi qui autorise le divorce, est es-
:a Son Altesse qui leur avait promis la dé- sentiellement
s mauvaise, puisque les mœurs
pouille des monastères, et les avait mena- sont. £ obligées d'en réprimer, l'usage; or. une
cés de se raccommoder avec l'empereur. 1loi, qui est en contradiction avec de bonnes
Les docteurs exigent du prince qu'il tienne Jmœurs, est essentiellement mauvaise, puis-
'le cas secret, qu'il n'y ait que la personne (que de bonnes mœurs sont elles-mêmes une
qu'il épousera, et un petit nombre de servi- bonne loi.
teurs fidèles qui le sachent, en les obligeant H" La tolérance du- divorce-a produit les
même au secret &ous le sceau de la confession. plus ]
affreux, désordres partout, où elle a ete
C23 OEUVRES COMPLETES DE JW. DE RONALD. 624
introduite. Stork, Muncer, Carlostadt, des échafauds. Ses divorces multipliés
multioliés furent
premiers et des plus célèbres sectateurs de une véritable polygamie U eut six femmes
Luther, lui reprochèrent hautement que sa il en répudia deux, et en lit périr deux du
réforme, n'avait abouti qu'à introduire une dernier supplice. « II n'y a point eu d'exem-
dissolution semblable à celle du mahamétisme. ple«n Angleterre, » dit le président Hénault,
Dans la France république, le divorce est «
d'un despotisme si outré, ni d'un abandon
devenu une véritable polygamie et le dé- si lâche des parlements, tant sur le spirituel
sordre a été poussé au point que, dans l'as- que sur le temporel, aux bizarreries d'un
semblage d'hommes le plus immoral qui ait prince, qui,, à force d'autorité, ne savait plus's
.existé sur la terre, la convention, il a été que faire de sa volonté, et parcourait tous
proposé d'en défendre ou d'eu restreindre les contraires. Mais on lui passait tout en
l'usage. Et si elle ne l'a pas fait, c'est sans faveur de sa haine pour le Sainf-Siége (1)<S
doute qu'il lui a été donné de détruire, et non
La réforme était alors à la mode; il n'é-
de rebâtir. tait pas de théologien qui ne voulût faire
Le di vorce, dira-t-on, est assez rare, et n'a une constitution religieuse, comme il V-'y a
aucun effet funeste dans les pays où il est pas aujourd'hui d'tewjrae de lettres qui ne
permis; cela doit être. Ainsi,, dans les pays veuille faire une constitution politique, Mais
eû.la religian n'est plus sentiment, mais si Luther avait, assez réformé, pourquoi ré-
opinion, le mariage lui-même n'y est plus formait-on d'une autre manière? et si sa
sentiment, mais opinion et convenance. Si réforme n'était pas suffisante, pourquoi y a-
l'homme dans ces. paysa encore urçsenUmeflt, t-il des peuples entiers qui s'en contentent?
ce n'est pas celui de l'amour. Là» l'homme Luther avait réformé la religion en Allema-
est éteint, il pense et calcule, Cette assertion, gne, Zwingle en Suisse, Henri VIII en An-
que je développerai ailleurs, ne paraîtra pas
hardie à ceux qui ont observe l'hommedans
j
gleterre il était réservé à la France de pro-
duire le second patriarche de la réforme. Ce
certains pays. fut
j Calvin, homme entier et atrabilaire, qui
L'exemple d'une religion sévère contient n'était que subtil, et qui se crut profond
ptus qu'on ne pense les désordres des opi- qui voulut être politique, et qui ne fut pas
nions Hcèneieuses et l'on verra tout à même
] théologien. Celui-ci s'écarta encore
l'heure que les sectes réformées sont des plus
1 de ta constitution religieuse. Luther,
religions dépendantes, qui ont hors d'elles- et
< même Henri VIII, avaient conservé, au
nxêmes, et dans leur apposition, avec la reli- moins
1 momentanément, la présence exté-
gion constituée, la cause de leur durée, rieure
] et réelle du pouvoir conservateur de
comme tes républiques ont hors d'elles-mê- 1la religion publique; Zwingle et Calvin
mes, et dans leur dépendance des moflar- l'anéantirent.
1

chies, la cause qui les conserve. Le sacrifice perpétuel fut, aboli ory le sat-
crifice,
( ou le, don de l'homme et celui. de la
CHAPITRE
CHAPtTME VIH,VHL propriété sont l'affile de l'amour, et il n'y a
}

KÉFORMJÎ I)E LA RELIGION EN ANGLETERRE, pas d'amour sans acte donc il n'y eut pas,
1
EN
dans les sociétés réformées,, d'amour ou de
SUISSE ET ES FRANCE.
sentiment de la Divinité; donc l'athéisme
Un moine fougueux et sensuel avait ré- social 5 ou public fut constitué. Calvin em-
formé la religion en Allemagne; un prince ploya, J pour propager sa doctrine et pour la
impudique et cruel la réforma en Angleterre. défendre,
( les; mêmes moyens que. ses pré-
Dans cette île célèbre, la réforme eut les (décesseurs dans la réformation, l'intérêt, la
mêmes causes, et le réformateur employa volupté, i la terreur; il donna des.biea&et des
les mêmes moyens, l'intérêt, la volupté et la femmes.
t Le clergé, fut dépouillé, et le di-
terreur. Henri VIII dépouilla l'Eglise de ses vorce permis. iii se servit de l'autorité qu'il
biens; il donna l'exemple des mœurs les avait e à Genève pour faire punir ses contra-
plus corrompues il fit couler le sang sur les dicteurs,
c même du dernier supplice,; ses
(1) Ni Luther ni Henri VIII n'auraient fait for- raisonneur
r méthodique, railleur amer, réformateur
tune en France; Luther l'eût révoltée par son, in décent, s'y fit des partisans. Il y a, ce semble,
d
tempérance, par l'emportement de ses discours et quelque
t\ chose de Luther dans 3.-J. Rousseau, et
les contradictions dç ses écrits Henri VHI par le d Calvin dans Vollaire
de aussi les écrits de celui-
despotisme de ses volontés et. la., barbarie, de ses ci
c ont-ils fait plus de mal en France, et les pa-
exécutions. Calvin bel esprit, écrivain élégant, radoxes-
i de Fa.utre en Allemagne.
sectateurs prirent les armes, et leurs géné- tistes
tis se divisèrent en quatorze sectes, les
raux, à la requête des consistoires, donné- sacramentaires
sai en neufbranches, les coffres-
rent des ordres pour contraindre les papistes su
sionnistes en vingt-quatre, les luthériens en
à embrasser la réforme par taxes, par loge- treize,
tre les calvinistes en six, sans compter
ment, par démolition de maisons et par dé- les
le; sociniens, les nouveaux ariens, les qua-
couverte de toits. Je ne dissimule pas que kers, etc. (1). Le cardinal BeJlarmîn comp-
ke
les Catholiques usèrent quelquefois de re- tait, de son temps, je ne sais combien d'in-
tai
présailles, et d'une façon cruelle. Mais si terprétations différentes données a ces pa-
tei
les réformés n'étaient pas toujours et par- roles
ro Ceci est mon corps. (Matth.xxvi,26.)
tout les agresseurs, la réforme eut nécessai- L'histoire
L* de toutes ces variations a fourni à
rement l'initiative dans les troubles. Luther Bossuet
Bc le sujet d'un de ses meilleurs ou-
s'était marié, Zwingle s'était marié, Bèze vrages, et le plus propre à faire impression
vr
s'était marié; Henri VIII n'avait fait sa ré- sur
su l'homme qui a conservé assez de droi-
ferme que pour se marier; Calvin se maria tu et de lumières pour croire que la vérité
ture
aussi, ce qui fit dire plaisamment à Erasme: es une, et que la religion est vérité.
est
« II semble que la réforme n'aboutisse qu'à On ne doit pas s'étonner du nombre infini
défroquer quelques moines et à marier quel- de sectes qui naquirent de la réforme et qui
quès prêtres, et que cette grande tragédie divisèrent
di et déchirèrent l'Europe. If n'y a
se termine enfin par un événement tout à qu'une
qu manière d'aimer le même objet; mais'
fait comique, puisque tout finit en se ma- il
il y a une infinité de manières de penser sur
riant, comme dans les comédies. n Une lele même objet. ïl nepeutdoncyavoirqu'une
chose digne de remarque est que la réforme religion de sentiment; il peut y avoir une
rel
fut accréditée en Allemagne par le landgrave infinité de religions d'opinion. Les lois reli-
ini
de Hesse, qui voulait du vivant de sa femme gieuses,
gii celles qui constituent la religion
épouser Marguerite de Saal en Angleterre, publique, doivent être un rapport nécessaire"
pu
par Henri VIII, qui voulait divorcer d'avec dérivé de la nature des êtres sociaux or

Catherine d'Aragon, pour épouser Anne de entre
en deux objets, il ne peut y avoir qu'un
Boulen, et en France par Marguerite de Na- rapport
ra; nécessaire; donc il ne peut y avoir
varre, princesse d'une vertu plus que sus- qu'une
qu religion constituée mais il y a, en-'
pecte. tre deux objets, une infinité de rapports non
tre
Ainsi l'Orient se perdit par fa polygamie, né
nécessaires; donc il y a un. nombre infini de
et t'Occident par le divorce. religions non constituées ou de sectes.
roi
On a vu le motif de la réforme; le pré- Ainsi, si l'on donne avec les Catholiques,
texte était les désordres des ministres de la à <ces paroles Ceci est mon corps, leur sens
religion catholique; mais eussent-ils été lit
littéral, on ne peut entendre que d'une ma-
plus monstrueux, c'était une raison pour nière la présence réeïte, et l'on croit Jésus-
ni<
réformer tes individus et non pour boule- Christ présent sous fes espèces qui le ca-
Ch
verser la société. Et d'ailleurs quelle réfor- chent, anssi longtemps que ces espèces sub-
ch
me que celle qui, pour réformer les hom- sistent sans altération et dans quelque lieu,
sis
mes, introduisait dans la société une disso- qu'elles
qu subsistent. On n*a qu'un rapport, et
lution semblable d celle du Ma~om~M~e ? et, il est nécessaire; car la présence de Jésus-
quelle que fût alors l'a dissolution des Christ sous les espèces est réelle ou elle ne
Cti
mœurs du clergé, prodigieusement exagérée Test
J*e pas, elle est continueHe ou elle ne l'est
par l'esprit de parti, Erasme lui-même, dont pa mais si Ton suppose, avec Luther, que
pas
la plume caustique n'épargne pas le clergé cei présence n'est qu'instantanée, on aura
cette
romain, trouve plus de piété dans. un bon un foule de rapports non nécessaires, puis-
une
évêque catholique que dans tous ces nouveaux que Jésus-Christ pourra être présent sous
qu
évangélistes. les espèces pendant un temps plus ou moins
les
Je ne parlerai pas du nombre infini de loi long, une minute, un quart d'heure, une
sectes qui pullulèrent de cette tige trop fé- heure,
he un jour, etc.; et dans la fixation du
conde. « Du sein de la réforme de Luther, tel temps pendant lequel on croira Jésus-Christ
de Zwingle et de Calvin naquirent mille sec- présent,
pri il n'y aura rien de nécessaire, ou
qu soit tel qu'il ne puisse être autrement. Si
tes aussi opposées entre elles qu'elles étaient qui
ennemies de l'Eglise romaine. Les anabap- l'on l'o suppose avec les sacramentaires, que la
(1} Piuquet, Mémoires pour servir à l'histoire des égarements de l'esprit humain, ou Diclionnultc
des hérésies.
présence de Jésus-Christ est purement figu- sonnement au dogme de l'autorité ensei-
rée ou intérieure, on pourra donner une in- gnante, et l'on trouverait que le seul point
finité de sens plus ou moins étendus à cette de réunion de toutes les sectes réformées
présence figurée et intérieure sens qui va- est qu'il ne faut point admettre d'autorité
rieront nécessairement avec le degré d'in- générale infaillible c'est-à-dire, de force
telligence, ou, si l'on me permet cette expres- publique ou sociale, force nécessairement
sion qui rend parfaitement ma pensée, avec conservatrice, puisqu'elle est dirigée par un
le degré d'intériorité de celui qui en rai- pouvoir général ou social conservateur;
sonne sens sur lequel deux personnes, bien rapport nécessaire et évidemment dérivé de
loin de pouvoir s'accorder, ne sont pas mê- la nature de la société ce sont ces rapports
me sûres de s'entendre, parce que la pré- non nécessaires, et leur infinité, qui ont
sence purement spirituelle de Jésus-Christ produit cette infinité de formes différentes
doit être plus ou moins spirituelle selon les de sectes divisées par leurs opinions, unies
par leur haine contre la religion consti-
dispositions plus ou moins parfaites, ou si
l'on veut, selon le plus ou moins de spi.ri-
tualité de celui qui le reçoit et tel était,
tuée.
C'est précisément parce qu'il n'y a sur ie
en effet, je nombre infini d'équivoques et même objet que deux rapports nécessaires
d'ambiguïtés auxquelles prêtait la doctrine un rapport positif et un rapport négatif, que
du sens figuré soutenue par Bucer, le plus Jésus-Christ est ou n'est pas sous les espèces
snbtil de tous les réformateurs, que Calvin eucharistiques, et que les réformés ne peu-
lui-même, son ami, et en quelque façon son vent s'arrêter à des rapports intermédiaires
disciple, « quand il voulait exprimer une et équivoques, qu'il n'y a pas de milieu
obscurité blâmable dans une profession de entre le catholicisme et l'athéisme comme
foi, disait qu'il n'y avait rien de si embar- d'ans les gouvernements, il n'y a pas, en
rassé, de si obscur, de si ambigu, de si tor- dernière analyse, de milieu entre la monar-
tueux dans Bucer même, et que Luther, zélé chie et l'anarchie.
défenseur du sens littéral qu'il se vantait On peut déjà apercevoir quelque chose de
même de défendre mieux que les Catholi- commun entre les sectes ou sociétés reli-
ques, traite avec une extrême dureté Zwin- gieuses non constituées, et les sociétés poli-
gle et ses sacramentaires, qu'il appelle une tiques non constituées. L'absence d'un pou-
faction à deux langues. » (Bosscet, Hist. des voir général conservateur multiplie à l'infini,
variations, liv. iv.) dans les unes et dans les autres les formes
Le fait vient à l'appui du raisonnement différentes de sectes, comme elle multiplie
les Chrétiens occidentaux comme les Chré- à l'infini les formes différentes de républi-
tiens orientaux, les Grecs comme les Latins, ques car on n'a pas oublié ce que dit Rous-
à la Chine comme à Rome, les Catholiques seau « que la démocratie peut embrasser
n'entendent que d'une manière les paroles tout un peuple ou se resserrerjusqu'à la
sacramentelles et la présenceréelle de Jésus- moitié. »
Christ sur les autels; mais les luthériens, Il est temps de développer cette liaison
les calvinistes, les ubiquistes, les sacramen- secrète et intime de la société religieuse et
taires, etc., entendent de différentes maniè- de la société politique, principe fondamental
res leur sens figuré ou leur présence mo- de la société civile et d'en faire l'applica-
mentanée et dans,.ehaque.. secte ;même ily tion aux gouvernements et aux religions
a des variations remarquables entre les doc- qui existent en Europe.
teurs. On pourrait appliquer le même rai-

LIVRE VI.
RAPPORTS DES SOCIÉTÉS RELIGIEUSES AUX SOCIÉTÉS POLITIQUES.

CHÀVITRE PREMIER. tre formes différentes de gouvernement, à


ANALOGIE DES SOCIÉTÉS RELIGIEUSES ET DES
chacune desquelles répond une religion
SOCIÉTÉS POLITIQUES. absolument semblable dans ses principes
Ou compte dans l'Europe chrétienne qua- constitutifs et dans ses formes extérieures.
i" Le gouvernement ou constitution mo- de
d distinctions héréditaires il n'y a qua
narchique, avec, son pouvoir général exté- des
d fonctionnaires viagers.
Heur, qui est le monarque,sa force publique A ce gouvernement répond te calvinisme,
permanente pu profession sociale, qui est la le Il puritanisme ou le presbytéranisme. Cette
noblesse, ses, corps chargés du dépôt et de religion
r n'a aucun pouvoir général, pas
l'interprétation des lois, ses états généraux même d momentanément; car elle n'admet
ou assemblées générales de la société. Tel aaucune présence réelle du pouvoir général
est le gouvernement de France; tel était cconservateur de la société chrétienne. Il n'y
autrefoiscelui de presque tous les royaumes a pas d'autorité enseignante qui ait le dépôt
de l'Europe. d la doctrine, et chacun y a lé droit de faire
de
A ce gouvernement répond la religion usage u de son esprit, pour interpréter les
catholique, avec son pouvoir général rendu Ecritures ou les lois de la société. Mais le
extérieur dans le sacrifice, sa force publique calvinisme
c pur est aussi impraticable que
Ii démocratie pure. Le gouvernement de la
ou profession sacerdotale son corps chargé la
du dépôt de la doctrine et de l'interpréta- sociétés' religieuse ne pourrait aller avec cette
tion des Ecritures, ses conciles généraux ou multitude
n indéfinie d'interprétations parti-
assemblées générales de la société. Aussi culières. On a forcément restreint le nombre
l'abbé Fleury donne à la religion chrétienne des d interprètes et des inspirés à un conseil
le nom de monarchie. (Voyez le xne Discours ou ° consistoire, qui décide, ou plutôt qui
sur l'histoire ecclésiastique.) conseille
c' en fait de dogmes ou dé discipline,
et qui donne ses interprétations particulières
2° Le gouvernement aristocratique héré- e la volon lé générale. Il n'y a aucune
ditaire, comme celui de Venise, de Gênes, pour p
succession spirituelle, aucun caractère. Les
SI
de Hollande, de quelques cantons suisses.
11 y a une représentation de pouvoir général
ministres
il ne sont que des fonctionnaires

l'
amovibles, sans aucune hiérarchie entre
dans le doge, l'avoyer et le stathouder; mais a
l'autorité est entre les mains d'un certain eux. e
nombre de familles, qui ont encore le dépôt 4° Le gouvernement mixte dé monarchie,
dd'aristocratie et de démocratie comme il
et l'interprétation des lois, et qui forment
distinction héréditaire. l'est en Angleterre, c'est-à-dire, mêlé de
luthéranisme pouvoir général et de pouvoirs particuliers.
A ce gouvernement répond le
conservé
il y a un pouvoir général, mais négatif, qui
pur. 11 a une représentation de,
peut empêcher, mais qui ne peut pas faire.
pouvoir général, puisqu'il admet momenta- pU n'est pouvoir général pour conserver,
nément la présence réelle de Jésus-Christ, mais pas empêcher qu'on
pouvoir conservateur de la société reli- il pour ne détruise. Le
pouvoirpositif ou le pouvoir de faire est le
gieuse; t'autorité ecclésiastique est entre pouvoir particulier des pairs et des com-
les mains de superintendants, et dans quel- munes ce pouvoir n'est pas pouvoir conser-
ques endroits entre les mains d'évêques qui
distinction mais qui vateur;
v car s'il était pouvoir conservateur,
sont permanente, ne il
< ne faudrait pas de pouvoir qui eût le veto
reconnaissent point de chef. il
absolu sur ses résolutions. Il y a une
3° Le gouvernement démocratique, tel noblesse n héréditaire ou des distinctions
que celui de Genève, de quelques cantons sociales si permanentes, qui ne sont pas force
suisses. Le pouvoir général >n'y existe pas ou o action du pouvoir, puisqu'elles sont
même en représentation. Dans les vrais elles-mêmese pouvoir. A ce gouvernement,
principes de ce gouvernement, le pouvoir unique u dans les sociétés politiques, répond
devrait être entre les mains de tous, ce qui une u religion unique dans les sociétés reli-
veut dire que chacun devrait exercer son gieuses g je veux parler de la religion angli-
pouvoir particulier mais comme la démo- a cane ou épiscopale, qui est évidemment
cratie pure, selon Rousseau lui-même est mixte a de catholicisme, de luthéranisme et
impossible, et qu'un gouvernement ne sau- de d calvinisme. Le dogme de la présence
rait aller avec tant de pouvoirs particuliers, réelle
n ou le pouvoir conservateur de la
on en a forcément restreint le nombre, et il religion
n chrétienne, y est purement négatif.
n'y a qu'un certain nombre de citoyens qui, Ecoutons
E Burnet, l'historien de la réforme
sous le nom de conseil, de sénat, etc., puis- dd'Angleterre « L'Eglise anglicane a une
sent exercer leur pouvoir et celui des telle te modération sur ce point (de la présence
autres. Il n'y a point dans ce gouvernement réelle),
f que n'y ayant aucune définition
positive de la manière dont le [corps de llupté et de la terreur, c'est-à-dire par tout ce
Jésus-Christ est présent dans le sacrement qqui peut entraîner l'esprit, le. cœur et les
les personnes de différent sentiment peuvent sens
s de t'homme; et le pillage, le divorce et
pratiquer le même culte sans être obligées I, guillotine, ont été les pieux artifices dont
la
de se déclarer, et sans qu'on puisse présu- 1les nouveaux apôtres se sont se.rvîs pour

mer qu'elles contredisent leur foi. » éétendre leur doctrine.


Si le pouvoir général conservateur de la On retrouve jusque chez les Turcs et les
société religieuse y est négatif et équivoque, 1Tartares cette conformitésecrète entre la re-
la force générale de cette société ou la pro- ligion
1 et le gouvernement.Le mu-pbti exerce
fession sacerdotale y est négative et équivo- cdans la religion son pouvoir particulier,
que comme le pouvoir; c'est-à-dire, qu'elle comme
c le sultan l'exerce dans le gouver-
n'a pas l'autorité en elle-même et qu'elle est nement,
r et le lama est absolu comme le
dépendante de l'autorité civile. En effet, le kan.
1
roi qui n'a pas la plénitude de l'autorité Montesquieu a senti cette conformité se-
politique, a, au moins par les termes, la plé- crète
c des religions et des gouvernements
nitude de l'autorité religieuse. Ainsi la pro- «« La religion catholique convient mieux, w
fession sacerdotale a un chef dans la religi on dit-il,
( « à une monarchie, et la protestante
anglicane, qu'elle n'a pas dans la religion s'accommode
s mieux d'ane république.» Mais,
luthérienne. Mais cette suprématie du roi, suivant
s son usage, il énonce et n'approfondit
dans les matières de religion, est un rapport Ipas. « Dans les pays, » continue cetauteur, «où
non nécessaire, et contraire à la nature des lare
1 ligion protestantes'établit, les révolutions
êtres, puisqu'il met la force d'une société se
s firent sur le plan de rétatpolitique. Luther,
religieuse sous la direction du pouvoir d'une ayant
£ pour lui de grands princes, n'aurait
société politique. La faculté d'interpréter pu
1 leur faire goûter une autorité ecclésias-
l'Ecriture n'est pas non plus laissée tout à tique
t qui n'aurait point eu de prééminence
fait sans restriction aux simples fidèles, extérieure
i ? et Calvin, ayant pour lui des
comme dans la religion calviniste, en sorte peuples
{ qui vivaient dans des républiques,
que le pouvoir particulier est borné dans la cou des bourgeois obscurcis dans des monar-
société religieuse, comme le pouvoir parti- chies,
c
pouvait fort bien ne pas établir des
culier est contre-balancé dans la société poli- prééminences
1 et des dignités. » On voit que
tique. Ainsi, sans entrer dans des discus- 1Montesquieu fait de Luther et de Calvin

sions théologiques étrangères au sujet que deux


c fourbes qui accommodèrentaux goûts
je traite, ou plutôt au rapport sous lequel je particuliers
1 de leurs sectateurs la religion
le considère, il est évident que la religion qu'ils
( se vantaient d'avoir ramenée à sa pu-
anglicane présente, sous un extérieur de reté primitive. Mais ce reproche manque de
culte catholique, les dogmes des Eglises
réformées, comme le gouvernement politi-
j r
justesse; car si Calvin, ou du moins Luther
savait plier la morale aux passions des grands
s
que d'Angleterre présente, sous 1 extérieur « au besoin des circonstances, comme il le
et
d'une constitution monarchique les princi- f dans l'affaire du landgrave de Hesse, ils
fit
pes des sociétés républicaines, étaient l'un et l'autre trop entêtés et trop
<

L'exemple de la France régénérée vient à orgueilleux


( pour faire fléchir le dogme
l'appui de mes principes. En même temps c'est-à-dire
( leurs opinions, sous les volon-
qu'elle établissait une constitution prélen- ttés de qui que ce fût et d'ailleurs lorsqu'ils
due monarchique qu'on a fort bien appelée commencèrent
( à débiter leur doctrine, ils
une démocratie royale, elle fondait une reli 1ne pouvaient savoir encore de quelle classe
gion bizarre qu'on pourrait appeler un catho- seraient
s leurs prosélytes. Il faut chercher
Hcisme presbytérien. Cette religion est de d'autres
( causes à cette différence dans les
venue un pur calvinisme,lorsque le gouver- i
institutions de ces deux célèbres réforma-
nement est devenu purement démocrati- teurs.
t
que; et enfin élle a dégénéré en athéisme V La conservation de prééminences exté-
public ou social, lorsque l'anarchie a été rieures,
r c'est-à-dire d'une hiérarchie ecclé-
constituée dans legouvernement révolution- siastique
« dans le luthéranisme, l'abolition
naire. Il ne faut pas oublier de remarquer c toute hiérarchie dans le calvinisme, résul-
de
que cette dernière religion s'est propagée tënt
t nécessairement des principes opposés,
comme toutes les religions d'opinion, par adoptés
f par Luther et Calvin, et. non des
les moyens ordinaires de l'intérêt, de'la.vo- goûts
$
particuliers de leurs sectateurs. Dès
que Luther conservait un pouvoir général religion correspond à une forme particu-
extérieur dans la présence réelle, il devait lière de gouvernement, il est évident que,
nécessairement conserver une force publique dans chaque société, le gouvernement doit
extérieure dans la profession épiscopale et faire un secret etfort pour établir la religion
sacerdotale Calvin ne pouvait conserver au- qui a le plus d'analogie avec ses principes,
cune force publique extérieure et visi- ou la religion tendre à établir le gouverne-
ble, puisqu'il abolissait tout pouvoir géné- ment qui lui correspond parce que la so-
ral extérieur. Il ne fallait pas de prêtres ciété civile étant la réunion de la société
dans une religion qui n'avait pas de Dieu, religieuse et de la société politique, ne
comme il ne faut pas de noblesse dans un peut, ce semble, être tranquille que lors-
Etat qui n'a pas de roi. qu'il règne un parfait équilibre entre les
2° Le luthéranisme ou la réforme en gé- deux parties qui la composent. Cet effet peut
néral n'a pas d'autorité ecclésiastiqueou de n'être pas sensible, au moins de longtemps,
prééminences extérieures, c'est-à-direqu'elle dans les sociétés politiques non constituées
n'est épiscopale qu'en Suède, en Danemark, qui n'existent pas par elles-mêmes, et qui
en Angleterre où elle se rapproche de la dépendent de fait ou de droit de quelque au-<
constitution monarchique et c'est une nou- tre société; mais il sera aisément remarqué
velle et forte preuve de la tendance qu'a la dans ies sociétés plus constituées et qui
religion à se constituer comme le gouverne- ont en elles-mêmes le principe de leur exis-
ment. Dans les autres Etats qui ont embras- tence.
sé la réforme de Luther, le luthéranisme ne
Il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à ouvrir
connaît d'autre prééminence extérieure que l'histoire et regarder autour de soi. Les Etats
celle des superintendants, qui, étant pas-
du Nord, qui formaient une confédération
teurs d'une église particulière, sont des aristocratique; la Bohême, la Pologne,où le
doyens et non des évêques, et sont distin-
poUvoir général n'était pas constitué, puis-
gués de leurs confrères par dés fonctions qu'il y était électif, adoptèrent une religion
plus générales, sans leur être supérieurs par où le pouvoir général n'était pas constitué;
une dignité plus éminente. puisque, ainsi que je l'ai remarqué, le lu-
Tantôt la; révolution politique se fit sur le théranisme n'admet qu'instantanément la
plan de la révolution religieuse,comme dans présence réelle de l'Homme-Dieu. Non-seu-
les Provinces-Unieset à Genève, où le cal- lement la société politique n'était pas consti-
vinism,e précéda la forme de république tuée en Allemagne,mais la société religieuse
qu'elles ont aujourd'hui; tantôt la révolution
religieuse se fit sur le plan de l'état politi- ou la religion chrétienne n'y avait jamais été
parfaitement constituée, puisque le corps
que, comme en Suisse, où la réforme politi- épiscopal, premier grade de la force publi-
que avait précédé la réforme religieuse que conservatrice de la société religieuse,
nouvelle preuve de l'attraction mutuelle dépositaire de l'enseignement de !a doctrine,
qu'exercent l'un sur l'autre le calvinisme ett
la démocratie, une société politique sans y était et y est encore détourné de son vé-
ritable objet, et qu'il était pouvoir de la so-
pouvoir général ou sans monarque, et une ciété politique, soit dans les sociétés par-
société religieuse sans pouvoir général ouL tielles où les évêques sont souverains, soit
sans Dieu. dans la société ou confédération générale,
Les seules monarchies dans lesquelles le représentée à la diète, où le clergé est pou,'
calvinisme à sa naissance eut des partisans voir comme les autres princes. Or, là où le
déclarés, sont la France et la Navarre (qu'on clergé est.pouvoir de la société politique, il
put regarder, même alors, comme une seule ne peut êtreforce publique conservatrice de
monarchie) et certainement il y avait d'au- la société religieuse. Et cela est si vrai, que
tres sectateurs que des bourgeois obscurs; les évêques, en Allemagne, ne peuvent exer-
puisqu'il comptait au nombre de ses pro-
sélytes un roi, des reines, des princes du cer dans leurs diocèses les fonctions spiri-
tuelles ou épiscopales, et sont obligés d'a-
sang, la plus haute noblesse, des magis- voir des suffragants. Mais une société reli-
trats, etc. gieuse sans force publique conservatrice,
CHAPITRE II.
EFFET DE L'ANALOGIEQU'ONT ENTRE ELLES LES ou dont la force publique ne peut pas rem-
SOCIÉTÉS RELIGIEUSES ET LES SOCIÉTÉS PO- plir ses fonctions, ne saurait se conserver.
LfriQUES. Là doctrine de Lutherse propageadonc avec
Si chaque religion ou secte différente, de plus de facilité dans l'Allemagne aristocra«!
6"5 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 635
JJVLl*»Ul/« Vit!,)
tique, et elle
t 1 en devint plus aristocratique.
» m-*v MJMJ4

'1
1T«.. MJIU

ligion catholique. Mais 1la société


L politique

La guerre de trente ans, allumée par dess tend à se constituer. Déjà l'on voit chance-
motifs de religion, se termina par un traitéi 1er cet antique édifice de la confédération
qu'on peut regarder comme la constitutiont germanique le clergé, la noblesse y seront
de l'aristocratie germanique parce que ramenés tôt ou tard à leur destination natu-
dans ce traité, les droits des membres de lai relle de force publique conservatrice de la
confédération et l'exercice des divers pou- société religieuse et de la société politique;
voirs qui la composent,furent définis et ga- les pouvoirs politiques se constitueront
rantis. La religion avait agi sur le gouver-
nement; le gouvernement, à son tour, at
• c'est-à-dire que les monarchies s'établiront
sur les ruines de l'aristocratie, et par con-
réagi sur la religion. A mesure que le gou- séquent le pouvoir religieux se constituera
vernement s'est écarté de l'unité monarchie• sur les ruines de la réforme; parce que la
que, la religion catholique s'est écartée de société religieuse, comme la société politi-
l'unité religieuse. C'est au sein de l'Alle- que, tend nécessairement, infailliblement à
magne catholique que, de nos jours, on a se constituer, et que la constitution est dans
demandé dans un ouvrage célèbre:Quid est la nature de la société, parce que la société
Papa (1) ? et le respect pour le Saint-Siège elle-même est dans la nature de l'homme.
s'y est extrêmement affaibli. L'observateur On peut même prévoir que la chule de la
remarque, dans le clergé catholique de plu-» Réforme, en Allemagne, sera accélérée par
sieurs parties de l'Allemagne, un secret pen- la Réforme elle-même, et le résultat néces-
chant pour les dogmes ou la discipline des saire des vues politiques dés chefs du corps
Eglises réformées penchant qui se trahit évangélique qui ne peuvent constituer
par l'admiration servile que le plus grand leur gouvernement sans détruire leur reli-
nombre de ses membres manifeste haute- gion. Je livre ces réflexions aux méditations
ment pour les écrits, les discours des mi- les plus profondesdu lecteur instruit il les
nistres rélVirmés, dont ils cherchent à imiter rapprochera dés événements présents et de
jusqu'au débit extérieur par l'altération de ceux qui peuvent en être la suite, des at-
la discipline et l'excessif relâchement de la teintes portées récemment à la constitution
loi de l'abstinence, de celle des habits germanique et des effets qu'elles peuvent
1
ecclésiastiques,l'introduction dans les égli- avoir.
ses du chant en languevulgaire, (2) et surtout La réforme de Calvin, qui abolissait tout
par l'improbation que, dans plusieurs lieux, pouvoir général, toute autorité unique dans
le clergé d'Allemagne a donnee au refus fait la société religieuse, tendit nécessairement
par celui de France, d'adhérer aux lois qui à établir la démocratie dans les sociétés
lui donnaient une constitution civile. Je vais constituées où elle pénétra, en y abolissant
plus loin; et fondé sur mes principes, j'ose tout pouvoir général et en y déchaînant tous
assurer que, si la société politique germa- les pouvoirs particuliers: Ce changement fut
nique ne se constitue pas, la société reli- projeté en France que les réformés voulaient
gieuse s'éloignera toujours davantage de sa diviser en républiques fédératives sous le nom
constitution naturelle, c'est-à-dire de la re- de cercles, subdivisés en cantons ( 3 ) il
(t) On assure que l'auteur de cet ouvrage est cher, la volupté du goût, le plaisir de la vie, la dou-
unévêquesun"ragant.[Eybel,qui l'a composé, était ceur du.repos, le bien-être, etc., etc., et je crois
professeurdedroit canon à Vienne, sous Joseph 11.J aussi de l'avoir t'ait conseillerantique.
(2) Quoique la connaissance de la langue la- J'ai lu un ouvrage manuscrit intitulé De l'état
tine suit, plus répandue peut-être en Allemagne de la religion en Allemagne, par un ecclésiastique
qu'elle ne l'est en France, il n'y est pas d'usage <
d'un grand talent et très-instruit, mort depuis peu,
(
que les laïques suivent les Oilices de l'Eglise, et supérieur
s d'uue congrégation en Allemagne; on y
l'on ne trouve pas même chez Ips libraires des li- ttrouve .des détails aussi curieux qu'ils sont affli-
vres allemands ou latins pareils à ceux connus en geants.
f
France sous le nom de Paroissiens. En général,
les laïques lisent les prières en langue vulgaire.
de ces ouvrages assez -récent et très-répandu en
Unvinistes,dans
Ce projet fut arrêté à J'assemblée des cal-
(5)
tenue à Privas enYivarais en 1621.
la révolution, le de fédéra-
a 11

Allemagne est intitulé Dieu est l'amour le plus pur. rreparu, sous nom
l
lisme. Plusieurs ministres réformés, membres des
C'est un recueil de prières sentimentales,où, dans d différ-entes assembléesqui ont opprimé la France,
une effusion de pur amour, l'auteur attaque le et
e Rabaut-Saint-Etienne, entre autres, en étaient
dogme des peines éternelles, et même le précepte les
L zélés promoteurs. La division de la France en
de la mortilicatiou chrétienne. Il t'ait Dieu si bon, départements
d devait conduire à ta diviser en répu-
si bon, qu'il lui Ole toute justice; il y a des litanies lbliques fédératives. Mais l'ambition atroce et ferme
du genre le plus épicurien et le plus bizarre, dans dde Robespierre a soufflé sur cesrêves politiques de
lesquelles l'auteur remercie Dieu de lui avoir donné lbeaux esprits et de pédants. Je ne crois pas que le
des organes Pour le. plaisir, le sens agréable du tou-
pprojet en soit abandonne'; il a toujours été la chi-
réussit à Genève, dont on se proposait de Si le calvinisme tend à établir la démocra-
faire le moule de ces républiques. Il réussit tie, si la démocratie tend à appeler le calvi-
dans les Provinces-Unies et sans doute.il nisme, un Etat calviniste et démocratique
eût réussi en Angleterre, sans l'opposition tout à la fois sera donc parfaitement tran-
qu'il éprouva de la part de la religion angli- quille, puisqu'il y aura un rapport parfait
cane, qui, plus constituée, puisqu'elle ne entre son gouvernement religieux et son
rejetait pas formellement le dogme de la gouvernement politique on se tromperait
présence réelle du pouvoir général de la so- de le croire. J'en appelle aux faits. 11 n'y
a
ciété religieuse, et qu'elle conservait dans qu'un seul Etat en Europe, celui de Genève,
l'ordre épiscopal une sorte de force publi- où le
pur calvinisme se trouve réuni à la
que, quoique dépendante du pouvoir politi- démocratie aussi pure qu'elle puisse exister;
que, lui opposa sa force de résistance. La et cependant l'exiguïté du territoire, le petit
société religieuse défendit en même temps nombre des sujets, les habitudes des ci-
la société politique, en sorte que le roi seul toyens, l'avantage de la position, la garantie
succomba, et la royauté fut sauvée. Point de trois puissances n'ont
< pu y maintenir
d'évéques, point de roi, disait Jacques 1" ce quinze
< ans de suite un état supportable de
qui était dire, en d'autres termes Point de tranquillité':
| et Rousseau appelle Calvin un
constitution religieuse, point de constitution profond
] politique 1 Je dis plus Dieu lui-
politique. même
j ne pourrait, sans un miracle toujours
Il se présente ici une réflexion importantesubsistant,
1 maintenir la paix dans une so^-
on a vu dans la première partie de cet ou- ciétéi sans pouvoir religieux et sans pouvoir
vrage, l'affinité qu'il y avait entre la démo- politique,
] et dans laquelle il n'existe aucun
cratie et le despotisme. Or le despotisme Jfrein, ni pour les volontés dépravées, ni.
n'est proprement que l'autorité militaire la pour
] les actes extérieurs de ces mêmes vo-
plus absolue. La démocratie s'alliera donc 1lontés.
naturellement à l'autorité militaire. Ecoutez J'ai dit que Genève était le seul Etat cal-
Montesquieu « Une règle assez générale est viniste et démocratique à la fois. En effet,
que le gouvernement militaire ( il parle du ttoutes les autres démocraties de l'Europe sont
despotisme des empereurs romains ) est, à catholiques,
< ou toutes les aristocraties sont
certains égards, plus républicain que mo- réformées.
i Et remarquez la différence même
narchique. » Mais si le cal vinismeappelle •politique des deux religions. Les républi-
la démocratie, si la démocratie s'allie natu- (ques catholiques, italiennes ou suisses,
rellement au despotisme ou à l'autorité mi- sont< plus tranquilles que les républiques
litaire, le calvinisme s'alliera donc à l'auto- réformées
i de la Suisse ou des Provinces-
rité militaire absolue. La preuve en est sous Unies.
1 La religion catholique se prêté à la
nos ypux. Les Etats monarchiquesd'Europe démocratie
( de Zug, comme à l'aristocratie
où le calvinisme est dominant, soit parce 1bourgeoise de Lucerne, comme à l'arislo
qu'il est la religion du prince, soit parce cratie
( patricienne de Venise, comme h l'a-
qu'il est celle de l'Etat ou du plus grand ristocratie
i royale de Pologne, comme à la
nombre de ses membres, sont les Etats de la jmonarchie autrichienne ou espagnole. Il est
maison de Brandebourget ceux de lamaison même i vrai de dire que la religion catholi-
de Hesse. Or le gouvernement, dans ces que ( convient bien mieux qu'une autre à un
deux Etats, est plus militaire que dans tous gouvernement
$ démocratique. « Moins la re-
les autres Etats de l'empire germanique, ou ]ligion sera réprimante, dit Montesquieu,
»
même de l'Europe chrétienne; il aurait «< plus les lois civiles doivent réprimer.»Donc
même une forte tendance au gouvernement moins les lois civiles ou le gouvernement
militaire le plus absolu, sil'autorité du chef
t
sera
< réprimant, plus la religion doit l'être.
n'y était tempérée par les vertus du prince, Le j calvinisme, inquiet et turbulent en Hol-
L'histoire donne des preuves bien plus dé- ]lande, à Zurich, à Genève, comme en Angle.,
cisives de la tendance du calvinisme à s'al- terre,
t comme en France, ne peut donc s'ac-
lier au gouvernement despotique en Angle-; corder
< avec aucun gouvernement moins
terre, le calvinisme a abouti au despotisme encore
< avec celui auquel il ressemble par la
de Cromwell en France, il a fini par la ty- conformité
( de ses principes et si la société
rannie de Robespierre. civile,
< celle qui assure le mieux la conser-

mère du parti religionnaire, et peut-être le vœu Abr/gé


À chronologique de l'histoire de France, à l'an-"
secret des ennemis de la France.' (Toi/. IIénault. née
i; i.&l.)
639 (JEU
Util VRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
w>!»
n~finwln
vation 1~l,.aw,n.1
de l'homme moral et .It_ de
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1'1-
a_ l'homme
physique, se compose de la société religieuse
ie
se
-1_
auriculaire. On peut remarquer dans- les
Etats du roi de Prusse la secrète tendance
640

constituée et de la société politique consti- i- qui entraîne la monarchie vers le catholi-


tuée,; l'espèce de société qui résultera de lala cisme, dans la protection déclarée que ce
réunion d'une société religieuse non consti- i- prince accorde aux Catholiques des terres
tuée, et d'une société politique non consti- de sa domination, protection dont le motif
tuée, ne pourra conserver ni l'homme moral,I, se trouve tout à la fois dans l'humanité éclai-
ni J'homme physique elle offrira, si j'ose lee rée de son caractère et dans les principes
dire, le maximum, Je nec plus ultra de laa constitutifs de son Etat (2). Dans les Etats
désorganisation religieuse et politique, dee monarchiques où le calvinisme est dominant
la destruction physique et morale des êtress et très-répandu, il y a donc une opposition
qui composent la société. La France calvi- secrète entre la religion réformée et le gou-
niste et démocratique ,en a offert la preuve.t. vernement monarchique; et cette opposition
Quoique le calvinisme ne puisse pas sym- n'existerait pas moins, lors même que tous
pathiser avec la démocratie, il ne tend pasi-s les calvinistes seraient des sujets fidèles,
moins sans cesse à l'établir. Il n'est per- attachés à leur prince et à leur constitution;
sonne qui ne remarque dans la secte calvi- parce qu'elle tient à la nature des choses, et
niste un penchant décidé pour la révolutionn qu'elle a sa racine dans les principes oppo-
française, et des dispositions non équivo- sés des deux sociétés religieuse et politique.
ques à en favoriser les progrès ( 1 ). Cettee <t Si le roi veut détruire la monarchie, disait
disposition n'est pas un mystère, et elle n'aa Strozzi à Coligny, « il n'a pas de meilleur
pas échappé aux chefs des gouvernements s moyen que de changer de religion. » Cette
même réformés. opposition entretient dans l'Etat une agita-
Si chaque religion tend à établir le gou- tion intestine, qui doit durer jusqu'à ce que
vernement qui lui est analogue, ou le gou- la religion soit constituée comme legouver-
vernement à introduire la "religion qui luii 'nement; car, si le gouvernement se déeofls-
convient, la religion catholique ou consti- tituait comme la religion, j'ai prouvé que le
tuée tend donc à établir le gouvernementt désordre irait toujours croissant, et que la
monarchique, et le gouvernement monarchi- tyrannie, comme en Angleterre et en France,
que à établir la religion catholique. Cettei s'élèverait infailliblement sur les ruines dé
observation, vraie en général, ne pourraitt la royauté.
recevoir son application que dans ies socié- 11 n'y a point d'Etats où cette agitation,
tés puissantes, et qui ont en elles-mêmes le) produite par le conflit des principes opposés
principe de leur existence, seules sociétés des deux sociétés politique et religieuse, se
qui en méritent le nom. soit manifestée pardes signes plus marqués
Si le catholicisme tend à établir la monar- et des effets plus semblables et plus funes-
chie, la monarchie à son tour tend à intro- tes qu'en Angleterre et en France; ce serait
duire la religion catholique, ou à s'en rap- un parallèle. bien intéressant que celui de
procher. Ainsi, la réforme est épiscopale eni leurs révolutions. En Angleterre, il y en à
Suède, en Angleterre et en Danemark, où eu deux » celle qui a renversé la religion
même elle a retenu plusieurs pratiques du sous
'• Henri VIII, Edouard VI et Elisabeth;
culte catholique, et jusqu'à la confession < celle qui, sous Charles I", a renversé là
et
L

(t) Une observation importante, et qui nion.


la nobtesse
prouve i un système, comme la physique en fait un
que est essentiellement force conserva- cdes tourbillons et de la matière sublile. Il
trice de la société politique, est qu'en général Je ne faut
iJ croire que les calvinistes aient un culte, parce
pas
peu de noblesse réformée qui existait en France, a qu'ils se réunissent pour chanter, ou pour écouler
montré le même zèle que la noblesse catholique à iun discoureur; c'est là
défendre la constitution monarchique, et a em- un concert spirituel. un
exercice
e omoire, mais ce n'est pas un cuite. C'est
brassé avec le même courage les privations et les tant
t bien que mal. de la musique et de l'éloquence,
dangers atlachés à là plus belle des On peut mais
dire que la révolution de France causes.
a été un piège
n ce n'est pas une religion, et des sons ne sont
des actes.
tendu à la Réforme pas
p
et auquel elle s'est laissé (2) S'il fallait en croire une assertion
prendre. Aussi la Réforme survivra peu à la révo- ddans un ouvrage d'un homme fameux par
contenue
tution française; et il n'est dans parti aucun heurs, nos mal-
homme éclairé et vertueux qui n'ait ce h mort à la fleur de son âge de la main du
aperçu le dan- parti
p auquel il s'était vendu, et qu'il commençait à
ger dont menace la société civile une secte qui ôte connaître
c et a démasquer (Mirabeau), le catholi-
la présence de Dieu à la société des hommes exté-
rieurs, et qui, ne fondant pas la croyance de son ccisme aurait, dans les pays réformés, des partisans
à qui leur rang et leurs fonctions lie permettent
existence sur le sentiment ou l'amour, puisqu'elle
ppas de se déclarer, et l'auteur va jusqu'à en nom*
ne lui décerne pas de culte, n'en fait qu'une opi- n nier quelques-uns.
jutoin. rau-i.n. rvu*. nnijiijii^UA. i.iv • m. V4Z
r@yaute. Iln'est pas douteux que la révolu- gion.
j est le principe caché de tous les évé-'¡
àion religieuse n'eût été immédiatement sui- nements
j de la société, parce qu'elle est
vie, en Angleterre, de la révolution pô.Iiti- 1l'âme de la société. En Angleterre, où les
que, si l'Angleterre, en abandonnant.la re- puritains
| sont nombreux,'on aperçoit des
ligion catholique, ne*?se fût arrêtée à unei dispositions
< non équivoques à une réforme
religion mixte, qui tient -encore quelque dans
< la représentation parlementaire, qui
chose de la catholique par ses dogmes, ett ne
] serait autre chose qu'un pas plus ou
benùcpup plus par sa, hiérarchie et par ses5 .1 moins grand vers la démocratie, et qui, sans
rites extérieurs. En France il n'y a eut doute,
<
serait le prétexte de bien d'autres
qu'une révolution, qui à renversé à la fois demandes,
( l'occasion de bien d'autres ré-
la religion et la royauté; elle a été plus vio- formes,
A et peut-être le premier coup de
.ente, parce qu'il lui a fallu une double in- 1tocsin d'une révolution. Les anglicans dé-
tensité pour opérer ce double effet. Elle a1 1fendent la constitution monarchique; les
,eu des conséquences plus générales sur lei Catholiques, nécessairement partisans de la
repos des autres sociétés, soit parce que lai monarchie,feront cause commune âvec^eux;
France est plus liée au système général de5 cette réunion politique, à laquelle rien
l'Europe que ne l'était l'Angleterre à Tépo- désormais ne pourra faire obstacle, détermi-
que de ses révolutions, soit parce que la po- nerait sans doute le gouvernement à effacer
sition insulaire de l'Angleterre ne permet
aux puissances
t jj
jusqu'aux dernières traces des lois rigou-
pas voisines de prendre lai reuses portées contre les Catholiques, s'il ne
Hiême part aux troubles qui l'agitent, soitt fallait
1 accorder les mêmes faveurs aux. pu-
enfin parce qu'aujourd'hui l'Europe fait un1 riiains dont il redoute le fanatisim» (2).
seul corps, ce qu'elle ne faisait pas alors. A On dira peut-être que le pays de la domi-
l
cela près, on a vu les mêmes scènes, et, nation anglaise le plus agité est 1 '?Irlande où
sous d'autres masques, on a pu reconnaître? ]les Catholiques sont le p!us nombreux.Ces
les mêmes acteurs. L'observateur a dû re- mouvements tiennent à l'extérieur, à la do-
marquer un caractère frappant d'identitéi mination un peu fâcheuse que l'Angleterre,
dans l'art avec lequel on a supposé des eons-
en qualité de république, exerce sur l'Ir-
pirations, pour les attribuer au parti qu'on1 lande; car on sait qu'une république ne peut
voulait perdre, et la facilité avec laquelle> gouverner ses Etats-sujets que despotique-
on a commis des crimes dont on l'a chargé, ment. Ces troubles ont leur principe secret
Hume lui-même laisse percer à cet égard1 dans l'expropriation forcée d'un grand nom-
une opinion peu favorable aux puritains; ett Jbre de familles faite par Cromwell, cause
ies événements dont nous ayons été les té- nécessaire et indestructible d'agitation et
Baoins, ne font que trop justifiée (1)./ id'inquiétude, juste châtiment d'un gouver-
L'Angleterre est toujours le théâtre de nemertt
i oppresseur. Dans une société politi-
celle agitation sourde, produite par l'oppo- que,
< une seule famille dépouillée injustement
sition secrète des principes presbytériensi de
< sa propriété est un élément perpétuel de
ou puritains et des principes monarchiques, désordre; parce que la famille légitimement
<
et par leur accord avec les éléments démo-propriétaire
i est l'élément de la société politi-
jcratiques qui entrent dans la, compositiont que < constituée. Ces causes de trouble reçoi-
politique de cette société singulière, dans» ivent en Irlande une nouvelle force du carac-
laquelle l'anglicanisme et la monarchie lut- Itère guerrier de la nation et des vices de sa
tent contre lepresbytéranisme et la républi- constitution
< politique; mais ils sont en con-
que. Lès whigs et les torys désignent autantt itradiction formelle avec la religion catholi-
des secies religieuses que des factions poli- (que, qui défend également de chercher les
tiques. Le philosophe croyait ou disait quei ihonneurs de la société et de se révolter con-
l'a -religion ^'entrait aujourd'hui
pour rient <tre un maître même fâcheux. (/ Petr. 11, 18;)
dans le gouverneiaent intérieur des Etats, Ce ( n'est pas que les sectes réformées ne prê-
parce qu'elle entre pour bien peu dans la clienti la même morale, mais elles ne don-
conduite de ceux qui les gouvernent. Le vé- inent à l'homme aucun moyen efficace de, la
ritable homme d'Etat sait bien que la reli- mettrei en pratique endomptam ses passions.

(1) Cette ruje n'est pas nouvelle M05 est Cal- reine
) d'Ecosse.
vinianorum àccusare falso, reosque criminum (2) L'observation en a déjà été faite par Mallet
agere
gruvis&imorum Caiholicos, dit Benoît XIV, en par-» Pan, dans le Mercure de France.
"aiil u~ ~a.a~
de la condamnation à jaori de Marie Stuart,
<?tTt. a ,m~t 4 GC marte &niar),
tj f~ t
du
(

21
Qu'il serait à désirer que la réunion reti- points, parce qu'on ne peut pas tes finir au-
gieuse des anglicans et des Catholiques pût trement
1 ce n'est pas avec des interjections,
opposer un contre-poids suffisant à la secrète des déclamations, des exclamations, des in-
tendance du presbytéranisme vers le gou- vocations sentimentales à f'Jïtrë suprême,
vernement populaire, et que dans les rétro- ài l'Etre des êtres, au grand Etrè, qu'on
lutions, que tant de causes peuvent produire produit
i l'amour de Dieu dans là société
en Angleterre, et dont sa constitution sera comme
< ce n'est pas avec des habits bien
le principe, bien loin d'en être le remède, le noirs,
i des rabats bien empesés, des perru-
peuple anglais pût arriver à la constitution ques
( bien poudrées, la démarche bien grave,
< la voix bien mielleuse, qu'on le conserve.
naturelle des sociétés, sans traverser les ma- et
rais fétides et sanglants de la démocratie 1 Il 1 faut un sacrifice, il faut une victime, il
Mais cette réunion, que la nature et le temps faut
i des prêtres. Ce n'est pas en criant
amèneront, parce que la nature et le tempsSeigneur,
i Seigneur, nous dit le pouvoir
travaillent sans interruption à constituer la <conservateur de la société religieuse, qu'on
société religieuse comme la société politi- est t membre de ma société et sujet de mou
que, cette réunion ne peut être l'ouvrage des royaume,
r mais en faisant la volonté de mon
hommes. Les puritains, profonds dans leurs JPère. [Malth, vn, 21.)
vues, irtdifférents sur les moyens, ont, pour
la rendre impossible, enivré le peuple de CHAPITRE III.
leurs déclamations fougueuses contre le pa-
pisme (1) et l'inflexibilité nécessaire de la LOIS
J RELIGIEUSES DES SOCIÉTÉS RELIGIEUSES
RÉFORMÉES
religion catholique, que les philosophes
traitent d'intolérance, ne lui permet aucune On a vu dans le cours de cet ouvrage, que
variation dans ses dogmes, et ne souffre toute t société existe par une volonté géné-
d'autres changements à sa discipline que les rale,
r nn pouvoir général, agissant par une
développements nécessaires, qu'amènent force
f générale.
sans les hommes ou malgré les hommes, le On en a conclu, comme des rapports né-
temps et la nature des choses. cessaires
< et dérivés de la nature même de
Les législateurs modernes, qui ont aperçu la 1 société, 1° la nécessité dans la société
cette opposition secrète entre certaines reli- politique
1 d'un pouvoir général conservateur
gions et certains gouvernements, ou bien extérieur,
< ou d'un monarque 2° la néces-
entre une seule religion dominante et des re- sité
i de distinctions sociales héréditaires,
1j
ligions rivales, opt "cru y remédier en per- force générale conservatrice, ou d'un corps
mettant le libre exercice de tous les cultes. de noblesse et ces deux lois, conséquen-
Ils ont fait comme des législateurs qui, pour
ces nécéssaires des lois fondamentales, sont
faire cesser les factions dans un Etat, y devenues elles-mêmes de véritables lois
permettraient l'exercice de tous les gouver-fondamentales de la société politique.
nements. Ils n'ont pas vu que l'opposition On en a conclu, comme des rapports né-
était nécessaire entre la constitution néces- cessaires et dérivés de la nature même de la
saire de la société religieuse, et les institu- société, "I" la nécessité, dans la société re-
tions religieuses absurdes, immorales, non ligieuse, d'un pouvoir général conservateur
nécessaires de l'homme comme elle l'est extérieur ou de Dieu même,' rendu sensi-
entre la constitution nécessaire de la société ble dans le sacrifice perpétuel 2° la né-
politique et les institutions politiques non cessité de distinctions sociales permanentes
nécessaires ou absurdes de l'homme. Ils ou spirituellement héréditaires, force géné-
n'ont pas vu que l'indifférentisme du citoyen rale conservatrice, qui sont le sacerdoce
était une suite nécessaire de l'indifféren- et ces deux lois, conséquences nécessaires
tisme du gouvernement, et que l'athéisme des lois fondamentales, sont devenues elles-
social devait produire l'athéisme individuel. mêmes de véritables lois fondamentales de
Ils ont cru la société tranquille, lorsqu'elle la société religieuse.
était morte, et ils n'y ont pas vu d'agitation, On a vu, dans la société politique consti-
lorsqu'il n'y a plus eu de ressort. Ce n'est tuée, les autres lois politiques, celles qui
plus avec des cantiques et du pathos, avec déterminent les rapports extérieurs du pou-
des phrases qu'on n'achève qu'avec des voir et des sujets, ou la forme extérieure
(1 ) J'ignore si l'on conserve encore à Londres, les ans publiquement, l'effigie du Pape. C'est. un
'usage, indigne d'un peuple policé, de brûler tous moyen dps puritains.
&S PART. I. ECONOM. SOC-THEORIE
de gouvernement, conséquences plus
ou
moins immédiates, mais toujours nécessaires
des lois fondamentales, devenir fondamen-
iu
es
v
DU POUVOIR. PART.
-y
est une société inf^A,,™ et “• '
Il. POUV. RELIGIEUX. UV. VI. US
-vv umvluVA..LIP. iL V/kt)
sociétéintérieure ,“.
m extérieure, les
Catholiques concluent qu'il lui faut néces-
sairement, pour se conserver, un pouvoir
tales elles-mêmes; et la forme de î-
gouverne-e- général intérieur et extérieur, qui est Dieu
ment se confondre, dans la société politique même rendu sensible dans le sacrifice qu'il
ie
constituée, avec la constitution même de lala lui faut une force générale intérieure qui
Société, est
la grâce, extérieure qui est le sacerdoce. J'ai
On a vu, dans la société religieuse,
les prouvé que ces rapports étaient nécessaires
autres lois religieuses, celles qui déterminents
les rapports extérieurs de Dieu, it ou dérivés de la nature des êtres donc les
la société religieuse, avec l'homme social, dee calvinistes, qui, en admettant la divinité de
pouvoir
la forme du culte extérieur, oui Jésus-Christ, rejettent sa présence réelle
plus ou moins immédiates, mais toujourss dans le sacrifice perpétuel, et qui, en ad-
conséquences
nécessaires des lois fondamentales, devenir5 mettant la nécessité de la grâce, rejettent
fondamentales elles-mêmes et le culte ° celle de la consécration sacerdotale ou de
térieur se confondre, dans la société reli- ex-• la succession spirituelle des ministres du
4sacrifice, établissent des
gieuse constituée, avec la constitution rapports non né-
mê- [cessaires, ou contraires à la
me de la société. nature des êtres
(en société. Aussi, nous
On a vu dans les sociétés politiques verrons que la so-
non ciété calvinisie, sans pouvoir conservateur
constituées, où l'on rejette) les lois fonda- [
mentales du pouvoir général conservateur et E sans force conservatrice, ne saurait con-
les êtres qui la composent, ni
ou du monarque, de la force générale con- server s
conséquent
par
servatrice ou de la noblesse, les lois poli-. c se conserver elle-même.
tiques, ouvrage de l'homme, Le sacerdoce est la force publique conser-
et non de la vatrice v de la société religieuse l'emploi de
nature de la société politique, n'avoir
aucun lla force en suppose la direction la direction
rapport avec la nature de l'homme social, et
être toutes absurdes, immorales, injustes, suppose s une distinction entre ceux qui di-
rigent et ceux qui sont dirigés, qu'on appelle
attentatoires à la liberté de l'homme physi- r
hiérarchie.
h Les Catholiques en concluent,
que et l'on verrait de même dansles socié-
tés religieuses non constituées, ccomme des rapports nécessaires et dérirés
ou les sectes de d la nature des êtres, la nécessité de
qui ont rejeté les lois fondamentales du pou- primauté la
voir général conservateur de la présence p du Pape et du caractère épiscopal.
ou Les réformés, qui rejettent la primauté du
L
réelle de la Divinité dans le sacrifice
pétuel, et de la force générale per- cl chef de l'Eglise et toute hiérarchie reli-
conservatrice gieuse, g établissent des rapports non néces-
ou du sacerdoce on verrait, dis-je, toutes saires, c'est-à-dire absurdes. Mais l'homme
les lois religieuses, ouvrage de l'homme «
et ni peut pas établir impunément dans Ja
non de la nature de la société religieuse, ne
n'avoir aucun rapport nécessaire société un rapport non nécessaire, ou
se
la
avec na- loi lo absurde à la place deslois parfaites
une
ture de l'homme social, et être toutes ab- et des
surdes, immorales, attentatoires, à la perfec- ra rapports nécessaires que la nature de la so-
tion ou à la liberté de l'homme intelligent. ci ciété tend à établir. Les suites funestes de
l'abolition
1'; de la juridiction ecclésiastique
Le détail en serait infini j'en prendrai
hasard quelques exemples, au et de la primauté du Saint-Siège, se firent
en me bornant sentir dans Je temps même de la Réforme.
même aux sectes réformées qui dominent se
aujourd'hui en Europe. J aurais trop d'avan- Ecoutons E< Capiton, ministre à Strasbourg,
tage si je voulais appliquer ces principes à ples m des premiers et des plus savants disci-
un
pi des réformateurs. 11 écrivait confidem.
toutes celles qui se sont élevées depuis l'o-
à Farel, autre homme célèbre dans la
rigine du christianisme, à cette multitude ment m<
Réforme, et précurseur de Calvin à Genève.
IU
innombrable d'opinions religieuses qui
pris naissance dans le ont « On a beaucoup nui aux âmes par la préci-
cerveau creux de pitation pil avec laquelle on s'est séparé du
quelque visionnaire.
Pape. La multitude a secoué le joug. Ils ont
Pa
Une religion publique
ou sociale est une la hardiesse de vous dire: Je suis
société d'hommes intelligents et physiques, assez
instruit
in* de l'Evangile, je sais lire par moi-
unis intérieurement par le sentiment des me-

même je n'ai pas besoin de vous. «Cette
mes vérités religieuses, et extérieurement par lettre let se trouve parmi celles de Calvin.
.e memeculte religieux. De ce
que la religion Mé Mélancbthon,
É le plus éclairé etle plus modéré
j _jfp t
647 '
des réformateurs écrivait
OEUVRES COMPLETES DE
i
-“: zi dans la
ferveur de la Réforme
,«“
i« première
^_«^>i?,«i-i
Plût à Dieu, plût
«
aru
M. DE BONALD.
f\n les
Or,

à Dieu que je pusse rétablir l'administration nérale,


\f\o mAuûnc
v.
moyens rlAnt
dont laln- société
!îî~

parvenir àsa fin, objet de sa volontégé-


pour
p<
n<
648
SG serî
Kfïftlftté se S6TV

sont son pouvoir conservateur, agis-


des évêques 1 car je vois quelle Eglise nous sant sa par sa force conservatrice donc
la force
allons avoir, si nous renversons la police conservatrice
c( de la société religieuse consti-
ecclésiastique je vois que la tyrannie sera tuée, tt dirigée par son pouvoir conservateur,
plus insupportable que jamais. » Et ailleurs obtiendra parfaitement et infailliblementson
o!

« Nos gens demeurent d'accord que la


police effet,
el qui est de conserver la société. C'est
prin-
ecclésiastique où !'on reconnaît des évè- sur st ces rapports nécessaires, sur ces
ques supérieurs de plusieurs Eglises et cipes ci évidents, incontestables, que les Ca-
l'évêque de Rome supérieur à tous les évê- tholiques tl fondent le dogme de l'infaillibilité
ques est permise. Car il faut à l'Eglise des de d l'Eglise ou de ses ministres assemblés
conducteurs pour maintenir l'ordre, pour ppour exercer un acte conservateur de la so-
avoir l'œil sur tous ceux qui sont appelés ciété ci assemblée qu'on appelle un concile,
e dans laquelle la force
conservatrice est,
au ministère ecclésiastique, et sur la doc- et dirigée par
trine des prêtres et s'il n'y avait point de par p cela même qu'elle est force,
tels évêques il en faudrait faire. La mo- le 1< pouvoir. « Là où deux ou trois person-

narchie du Pape servirait aussi beaucoup à nnes seront assemblées (convocati) en mon
conserver entre plusieurs nations l'unifor- nom, n je serai au milieu d'elles {Malth. xvm,
mité dans la doctrine. » Et il va jusqu'à 20), 2 dit Jésus-Christ. L'infaillibilité dedérivél'E-
dire « On s'accorderait facilement sur la glise g est donc un rapport nécessaire,
d la nature des êtres sociaux les
de réformés
supériorité du Pape. »
Le célèbre Grotius, un des hommes les qui q la combattent établissent donc un rap-
puis-
plus illustres du parti réformé, prétend port { non nécessaire, une absurdité
que l'évêque de Rome doit présider sur toute qu'ils c donnent à l'homme le droit de cor-
l'Eglise. L'expérience a, selon lui, confirmé riger r la société, et au membre le droit de
qu'un chef était nécessaire dans l'Eglise s'élever s contre le corps. Mais l'homme n'é-
lois absurdes à la
pour y conserver l'unité il assure que ttablit pas impunément ses
Mélanchthon et Jacques 1", roide la Grande- j place { des lois parfaites de la nature.: « Nos
Bretagne ont reconnu cette vérité. « Si on gens, | dit
Bèze, un des patriarches de la Ré-
avait fait attention à ce que nous venons de forme i (Epître 1"), « sont emportés par toutl
dire,»continue-t-il,«nousaurions une Eglise vent 1 de doctrine, tantôt d'un côté, tantôt
réformée unie. » II demande lui-même ce d'un < autre. Peut-être qu'on pourrait savoir
aujourd'hui, mais on
qu'il faut faire si le Pape abuse de son pou- quelle croyance ils ont
voir il répond qu'alors il ne faut pas lui ne saurait s'assurer
de celle qu'ils auront.
la religion ces
obéir. L'Eglise gallicane reconnaît la pri- demain. En quel, point de
mautédu Saint-Siège, sans croire que le Pape Eglises qui ont déclaré la guerre au Pape
ensemble (2)? Si vous
suit infaillible; et elle distingue l'obéis- s'accordent-elles
qui est due pouvoir général, se prenez la peine de parcourir tous les articles
sance au >

manifestant par le consentement général de depuis le premier jusqu'au dernier, vous


t
l'Eglise, de la déférencerespectueuse qui est n'en trouverez aucun
qui ne soit reconnu
comme de foi, et rejeté
due au chef de l'Eglise et au premier de ses5 par quelques-uns Mélanch-
ministres (1). par les autres comme impie. » Et
Une religion est une société religieuse. thon, en parlant des
Eglises luthériennes, d i-
y était ruinée, etqu'on
Une société est une réunion d'êtres semblables, sait que la discipline
réunion dont la fin est leur conservationn y doutait des plus grandes choses. estMé-
Il de
mutuelle. Une société constituée ou parfaite e grande importance,
écrivait Calvin à
est celle qui parvient parfaitement à sa fin lanchthon, qu'il ne passe aux siècles à venir
parmi
à la conservation des êtres qui la composent.t. aucun soupçon des divisions qui sont
delà de tout ce
Les moyens dont elle se sert pour y par- nous-; car il est ridicule au
venir sont donc parfaits ou infaillibles. qu'on peut imaginer, qu'après avoir rompu
yoit,disait-il,' « que par
(1) Voy., au liv. v, les notes des chap. 1 et 5 dcsiie d'un enfant. « On
ci-dessus. avec beau.
trop d'indépendance d'esprit, quoiquepiété,
(2) Ces mêmes réflexions frappèrent l'esprit it coup de bon sens et peut-être de la
chaque
on a si
fort défiguré la religion réformée, que per-
juste et droit de Turenne, et elles le convertirent,
t,
à mode. » (Histoire de Tu-
parce qu'il avait le coeur aussi bon
que l'esprit, et sonne fait une secte sa
<jue ce grand homme avait la simplicité et la mo-
o- renne, par Turpin.)
avec tout le monde nous nous accordions si indissoluble, pour que la conservation soit
il
peu entre nous dès le commencement de notre indépendante.
il De là les Catholiques con-
réforme (1). cluent, comme un rapport nécesssaire et dé-
cl
Une religion est une société extérieure. rivé de la nature des êtres, la nécessité de
ri
Toute société a des lois par lesquelles sa consacrer l'union des deux sexes par la re-
ci
volonté générale se manifeste aux membres ligion,
li 'c'est-à-dire d'élever le mariage à la
de la société. Les lois de la société reli- ddignité de sacrement; car il n'y a d'indis-
gieuse sont contenues explicitement ou im- soluble que ce que la religion défend de
si
plicitement dans un livre révéré par toutes ddissoudre, et que les hommes ne peuvent
les communions chrétiennes. Ces lois sont bbriser. Donc les réformés, qui n'ont pas ad-
faites contre les hommes, ou pour mieux a le sacrement du mariage, et qui ont au-
mis
dire, contre leurs passions. De là les Catho- torisé
t( sa dissolubilité ou le divorce, ont éta-
liques concluent, comme un rapport néces- b un rapport non nécessaire, et l'on en
bli a
saire et dérivé de la nature des êtres qui vvu les effets.
composent la société, la nécessité d'une au- On prouverait avec la même facilité, j'ose
torité pour fixer le vrai sens de la loi contre dire
d avec la même évidence, que les lois re-
les passions qui cherchent à l'obscurcir, et ligieuses
ij des sectes non réformées sont des
l'interpréter à ceux dont elle doit régler la rapports
ri non nécessaires contraires à la na-
conduite et corriger les actions. Les réfor- ture
ti des êtres, si l'on voulait faire de cet
mis attribuent le droit de juger du sens de ouvrage
o un ouvrage de controverse, et si
la loi, et de l'interpréter, à tout membre de r eh avait assez dit pour mettre sur la
l'on
la société contre qui elle est faite. En permet- voie
v de s'instruire eux-mêmes ceux qui
tant à tout membre de la société religieuse cherchent
c la vérité de bonne foi.
(l'interpréter l'Ecriture, ils donnentaucoupa-
ble le soin de se faireàlui-même l'application CHAPITRE IV.
de la loi. Ils établissent donc un rapport non
s
SUITE DU fllÊME SUJET. FORCE DE CONSER-
nécessaire et contraire à la nature des êtres,
VATION DES SOCIÉTÉS RELIGIEUSES CONSTI-
une absurdité; et c'est précisément cette ab- TUÉES ET NON CONSTITUÉES.
surdité quia produit et qui devait produire
ce nombre infini de sectes qui toutes ont Les lois religieuses des sociétés autres
trouvé, dans le même livre, le fondement que
q la société catholique ne sont donc pas
des opinions les plus contradictoires, ou le des
d conséquences nécessaires des lois fon-
motif des pratiques les plus opposées. Ainsi damentales,
d ni des rapports nécessaires dé-
les quakers y ont lu qu'il fallait ne pas ôter rivés
r de la nature des êtres elles ne sont
son chapeau à un autre homme, ne lui par- ddonc pas des sociétés constituées si elles ne
1er qu'en le tutoyant, ni s'appeler son très- sont
s pas constituées leur volonté générale
humble serviteur; ainsi quelques anabaptis- d'exister
d ne peut s'exercer par un pouvoir
tes y ont trouvé qu'il fallait toujours pieu- général,
g ni celui-ci agir par une force géné-
rer, tandis que d'autres y ont lu qu'il fallait rale.
r Une volonté sans force n'est pas une vo-
toujours rire Ils se criaient l'un à l'au- llonté, mais un désir c'est-à-dire que ces so-
tre, dit Bossuet « Tout est clair, et il n'y a ciétés
c ne peuvent exister, mais qu'elles vou-
qu'à ouvrir les yeux; et sur cette évidence ddraient exister; c'est-à-dire qu'elles ont un
de l'Ecriture, Luther ne trouvait rien de principe
f d'inquiétude, qui n'est autre chose
plus hardi ni de plus impie que de nier le sens qu'une
q tendance à exister, ou à se constituer.
littéral, et Zwingle ne trouvait rien de plus Elles n'existeront donc pas, ou si elles
absurde ni de plus grossier que de le suivre. » existent
e quelque temps, elles n'existeront
La société est la réunion d'êtres semblables, que dépendamment de quelque autre so-
Ç
réunion dont la fin est leur conservation mu- ciété,
c et elles auront hors d'elles-mêmes,
tuelle. De là suit évidemment l'indissolubi- « dans une autre
et société, la cause de leur
lité du mariage ou de la société naturelle. existence.
E
Elles seront donc dépendantes
En effet, si la conservation des êtres est un d'une
c autre société si elles sont dépendan-
affet de leur réunion, la réunion doit être ttes, elles seront faibles, et elles arriveront

(1) Toutes ces citations sont extraites de recueil


r de lettres familières des chefs de la Réforme,
[Histoire des variations des Eglises protestantes, par ddont l'extrait pourrait jeter un grand jour sur leurs
Bossuet, ou du Dictionnaire des hérésies, par Plu- projets,
f leurs caractères, et te degré de leur con-
quel. On conserve dans ràUt>aye de Saint-Gall un viction personnelle.
631 ISEUVRES COMPLETES
CS DE M. DE BONALD. 6S-2
65-2
dernier mnmfint.
su (ip.rnîp.r
au moment derlfi leur existence
fvxist'Rnr.n par
nar ranines. Et qu'oa
ffondes racines. ne. dise
nu'fuv ne Hisfi pas quefi la
nas on la
une détérioration progressive. révolution
r française a été une révolution
Si la société catholique est constituée, sa purement
f politique, il serait plus vrai de
volonté générale de conservation s'arcom- dire
d qu'elle a été purement religieuse, et
plira par un pouvoir général conservateur, qu'au
q moins dans ceux qui l'ont secrète-
et celui-ci agira par une force générale con- ment
in dirigée, et à l'insu même de ceux
servatrice. Donc elle aura en elle-même le qu'ils
q faisaient mouvoir, il y a eu encore
principe de son existence et les moyens de plus
p de fanatisme d'opinions religieuses que
sa conservation donc elle sera- indépen- d'ambition
d de pouvoir politique.
dante donc elle sera forte donc elle se Dans la première réforme de la religion
conservera donc elle s'élèvera progressi- en e Angleterre, sous Henri VIII, les évêques
vement à la perfection la preuve de ces souscrivirent
s presque tous à la suprématie
assertions est dans les faits, etdans des faits que
q s'arrogea ce prince dans les matières de
incontestables. religion
r et, peu de temps après, joignant
Depuis dix-huit cents ans que l'Eglise la 1< lâcheté à l'apostasie, les ecclésiastiques

chrétienne subsiste, il s'est élevé un nom- ddes deux chambres du parlement signèrent
bre infini de sectes dans son sein, et toutes 1<la sentence de cassation du troisième ma-
ces branches séparées ont séché, et Farbre riager du roi avec Anne de Clèves, sentence
est demeuré toujours vert, et les orages évidemment
é inique, et rendue sous les pré-
n'ont fait que l'affermir, et les retranche- textes
ti tes plus frivoles. Sous Edouard VI,
ments que- le rendre plus vigoureux. Les successeur
s immédiat de Henri VIII, tous les
branches actuellement séparées sécheront à éévêques prostituèrent leur ministère à l'au-
leur tour, et sans qu'on les ait vues dispa- torité civile, et reçurent des commissions
t<

raître, le temps viendra où elles ne seront d roi qui leur donnait pouvoir d'ordonner
du
plus. Non-seulement l'Eglise catholique a des
d prêtres, de les déposer, en un mot, de
un principe de conservation, mais elle a un faire tous les devoirs de la charge pastorale.
fi
principe de perfectionnement. Malgré les I le clergé inférieur, sur seize mille ec-
Dans
désordres tant reprochés à ses ministres,, et clésiastiques
c dont le clergé d'Angleterre
si étrangement exagérés par la haine, j'ose éétait composé, les trois quarts, selots Bur-
avancer, et d'après des faits connus de net,
n renoncèrent au célibat et embrassèrent
toute l'Europe, que l'Eglise de France a 1< Réforme. Lorsque, sous Elisabeth, l'ancien
la
donné dans cette persécution, la plus dan- cuite
c rétabli par Marie eut été de nouveau
gereuse que la- retigion ait essuyée des aboli,
a et qu'on eut poussé les choses aux
exemples de foi, de courage et de patience dernières
d extrémités, les évêques, réduits à
qu'on ne retrouve, au même degré d'unani- qquatorze, témoignèrent plus de fermeté mais
mité, à aucune époque de l'histoire de L'E- iils ne furent secondés que par cinquante ou
glise. Et ce ne sont pas seulement les mi- soixante
s ecclésiastiques. La noblesse ne fut
nistres de- la religion, force publique con- f plus ferme que le clergé dans la foi de
pas
servatrice de la société religieuse, qui se s pères; elle se laissa prendre à l'appât de
ses
sont dévoués à sa défense, on a pu aperce- l'intérêt,
1 comme le clergé s'était laissé ga-
voir dans les autres ordres de l'Etat, et jus- ggner à l'attrait de la licence, ou intimider par
que dans le peuple, un attachement à la foi la
1 terreur. Henri VIII, pour engager la no-
catholique, dont il n'y a eu d'exemple en blesse
t dans ses sentiments, vendit aux gen-
aucun temps, ni dans aucun lieu. Sans re- ttilshommes de chaque province les terres
monter jusqu'au temps de l'arànisme, du des
c couvents qu'il avait supprimés, et les
manichéisme, etc., on n'a qu'à comparer Ileur donna à fort bas prix. Elisabeth, à

l'Allemagne du temps de Luther, ou l'Ait- 1l'exemple de son père, et pour attacher la

gleterre sous Henri Vlll et ses successeurs, noblesse


r à sa réforme, et surtout à sa pri-
à ta France dans la révolution présente, mauté
i ecclésiastique,qui, dans une femme,
pour se convaincre que la religion inspire était
E un rapport infiniment peu nécessaire,
un plus vif attachement,à.proportion qu'elle-' leur
1 fit don d'une partie des biens des évê-
est plus connue, et que, si dans tous les ques,
( seuls biens qui jusqu'alors eussent
temps elle échappe aux âmes faibles et aux. été
E respectés. Enfin le peuple, entraîné par
1l'exemple de ses conducteurs dans toutes
cœurs corrompus, à mesure qu'elle avance
en âge, si je puis me servir de cette expres- les
1 variations religieuses dont l'Angleterre
sion,. elle jette dans la société de plus pro- ifut le théâtre, quitta L'ancienne religion sous
Henri VIII, s'en éloigna davantage sous d constance et d'unanimité, et chaque
de
Rdouard Yl, y revint sous Marie ,'1'aban- Sixte
S a eu ses Laurents. L'appel nominal du
donna de nouveau sous Elisabeth, avec une 4 janvier 1791 fera à jamais la gloire du
facilité si déplorable, et si peu d'attache- clergé
c de France et l'honneur de la religion.
ment à la nouvelle doctrine qu'on lui fai- C'est vraiment ce jour-là que ses ministres
C
sait embrasser, qu'il y a de l'apparence, dit furent
fi force conservatrice de la société reli-
Burnet, que, si le règne d'Elisabeth eût été gieuse.
g Ministres d'une religion de force,
court, et qu'un prince de l'opinion romaine pparce qu'elle est une religion d'amour,- lors-
fût pu parvenir à la couronne, on auraUvu qu'une
q histoire fidèle fera passer à la posté-
les Anglais changer avec autant de facilité rité r: le récit des persécutions inouïes dont
qu'ils l'avaient fait sous le règne de Marie. Ce vvous avez été l'objet, et de l'héroïsme reli-
fut précisément cette crainte qui coûta la gieux g avec lequel vous les avez supportées,
vie à l'infortunée Marie Stuart, héritière votre v conduite édifiante et résignée au mi-
présomptive d'Elisabeth, et très-attachée à lieu Ji des nations hospitalières qui vous ont
la religion catholique; et le temps, qui dé- accueillis,
a. leur rendra croyables la fureur
lie la langue de l'histoire, ne laisse plus de ddes bourreaux et la patience des victimes.
doute sur cette vérité (1). Mais, qu'il me soit permis de vous le dire, à
M
On ne peut nier que, dans la révolution le la persécution du glaive a succédé la persé-
française, tous les ordres de l'Etat n'aient cution du sophisme. Nos ennemis communs
ci
témoigné plus de fidélité à leur religion, vous
v> proposent deslexplications amiables
quoique le poison eût été préparé par des pour vous amollir, et des serments en appa-
p-
mains plus habiles, et que, dans l'art avec rence politiques pour vous diviser; oh vous
r<
lequel il était présenté, il y eût de quoi in- pprend par l'intérêt même de la religion, et
duire en erreur, s'il eût été possible jus- o: vous propose de rester catholiques en
on
qu'aux élus. (Marc. XIII, 22.) L'ordre épis- consentant
C( à vivre républicains. Etrangers,
copal, attaqué avec tout ce que le raisonne- la plupart, aux méditations politiques, vous
ment a de plus captieux, l'intérêt de plus ji;
jugez peut-être de la France comme de quel-
séduisant, et la terreur de plus formidable, ques petites sociétés qui conservent la foi
qi
n'a compté que quatre apostats; l'ordre infé- catholique
ci avec les institutions démocratie
rieur, plus exposé à la séduction de l'inté- qi
ques ces sociétés sont.dépendantes de plus
rêt par la médiocrité de sa fortune, à l'in- grandes
gr sociétés, et la France même y main-
fiuencedela crainte par la nature de ses tenait l'union forcée de la religion de
te
fonctions qui le rapprochaient de la classe l'homme social et des institutions politiques
l'i
obscure des scélérats, n'a pas montré moins d< l'homme naturel. La France indépen-
de
(1) Je crois qu'on pourrait mettre avec succès n'eût pas brisé le joug des prêtres, jamais on n'eût
n'<
cette reine infortunée sur la scène tragique. Ce brisé celui des tyrans l'un et l'autre pesaient en-
br
sujet serait plus national qu'on ne pense (on sait semble
se sur nos têtes, et se tenaient si étroitement,
qu'elle était reine douairière de France), et il pu- que le premier une fois secoué,' le second devait
qu
riflerait le théâtre des rapsodies fànatico-poliliques l'être
l'ë bientôt après. L'esprit humain ne s'arrête pas
dont un Racine réformé l'a souillé dans la révo- plus dans son indépendance que dans sa servitude;
pli
lution. et c'est Voltaire qui l'affranchit, en l'accoutumant
Les maisons royales et catholiques de Stuart, de à juger, sous tous les rapports, ceux qui l'asservis-
Bourbon, d'Autriche et de Savoie, ont déjà fourni saient. sa C'est lui qui a rendu la raison populaire;
des victimes à la rage et aux complots philosophi- et si le peuple n'eût pas appris à penser, jamais il
ques. Le même sort attend toutes les autres mai- ne se serait servi de sa force. C'est la pensée des,
sons régnantes, quelle que soit leur religion, parce sages sa; qui prépare les révolutions politiques; mais,
qu'on en veut à la constitution politique des so- c'est c't toujours le bras du peuple qui les exécute. H
ciétés comme à la constitution religieuse. Je prie est esi vrai que sa force peut ensuite devenir dange-
ceux qui en douteraient de méditer le passage sui- reuse pour lui-même, et après lui apoir appris à en
rei
vant de la Vie de Voltaire par Condorcet « Il me fai faire usage, il faut lui enseigner à la soumettre'à à la
semble du moins qu'il était possible de développer loi loi. Mais ce second ouvrage, quoique difficile en-
davantage les obligations éternelles que le genre core,
co n'est pourtant pas, à beaucoup près, si long
humain doit avoir à Voltaire. Les circonstances ni si pénible que le premier. Ce dernier aveu est
actuelles (la révolution française) en fournissaient précieux
pr< il signifie que quand les sages ont détruit
une belle occasion. Il n'a point vu tout ce qu'il a le pouvoir général qui gouvernait les peuples, ils
fait; mais il a fait tout ce que nous voyons. Les ve veulent mettre à sa place leur pouvoir particulier,
observateurs éclairés,ceux qui sanront écrire l'his- ce qu'ils appellent enseigner au peuple à se soumet-
toire, prouveront à ceux qui savent réfléchir, que Ire tre à la loi à la vérité, ce second ouvrage leur pa-
le premier auteur de cette grande révolution, qui rait rai difficile, mais ils ne désespèrent pas d'y réussir,
étonne l'Europe, et répand de tout côté l'espérance et il leur semble plus aisé d'établir teur pouvoir
chez les peuples et l'inquiétude dans les cours, c'est particulier,
pai qu'il ne l'a été de détruire lé pouvoir
sans contredit Voltaire. C'est lui qui a fait tomber général.
géJ On connaît la fin misérable et extraordi-
la psemière et la plus formidable barrière du des- naire na de Condorcet, qui à fait aussi tout cequenous
potisme, le pouvoir religieux et sacerdotal, S'il voyons, voi mais qui n'a pas pu voir tout ce qu'il a fait.
lün.J Li'WI)', vu ayv.>um v
danle voudrait en vain faire cemonstrueuxc fendent
f le gouvernement avec une fidélité'
1" ~«.
l'
alliage la nature des êtres s'y oppose ilt c qu'on ne retrouve
aussi intacte dans aucune
n-'en a résulté jusqu'ici? il n'en résultera ja- époque
é dê l'hi3toire de la .monarchie. Et
ma que l'athéisme et l'anarchie, et vouss lorsqu'on
1 Toit le dévouement généreux des
perdriez là religion par de chimériques pro- IBourbons à cette cause sacrée, la valeur hé-
jets de la conserver (1). roïque
r des Condé, il est consolant de penser'
Une honorable rivalité a animé tous less cque la renommée, en
publiant leur histoire,
ordres à la défense de la religion. Dans uni n'aura
t pas de /'eui~llets à dééhirer (2) en
temps où trop souvent l'homme du mondee sorte
s qu'il est vrai de dire que, si l'esprit
rougissait de sa foi, l'humme de la société, d'indépendance
c et de rébellion s'est propagé
le noble, l'a hautement confessée. L'appâtt dan-s
( quelques esprits, les principes conser-
des biens du clergé vendus à vil prix n'a puî vateurs des sociétés se sont épurés et atfer-
l'ébranler, et la noblesse a rejeté avec lier- mis
t dans les cœurs.
reur ces dons empoisonnés. Le troisièmee On ne manquera pas de dire que toutes
ordre l'a disputé aux deux autres de fidélitéé les
1 sociétés religieuses oht eu des mar-
et de courage; jusque dans les dernièress tyrs
t (3) je le sais,- et jamais l'erreur n'au-
classes du peuple, pour lequel la séduction n rait
i fait de prosélytes, si elle n'eût eu quel-
paraissait inévitable, parce qu'on n'avaitt ques
( caractères de la vérité. Ce ne sont pas
rien changé au matériel de la religion 1les hommes que je considère, mais
les so-
la religion catholique et la monarchie ontit ciéiés;
< et je demande, que sont devenues
eu leurs confesseurs et leurs martyrs; et>t ces
< sectes autrefois si célèbres et si répara-
l'on a déjà remarqué que l'autorité de laa dues,
< dont le berceau a été arrosé du sang
convention a échoué contre le projet d'abo- de leurs fauteurs? Elles ont disparu cette
lir la solennité du dirnanchet comme lapuis-s- semence stérile n'a point porté de fruits, C5
sance de l'exécrable tyran de la France aat sang a arrosé en vain une terre inféconde i
commencé à décliner du moment qu'il aa il ne reste plus de traces de l'orgueilleuse
osé faire délibérer sur l'existence de l'Etre
e science des docteurs, ni de l'invincible opi-
suprême. niâtreté des disciples; parce que les uns
On doit observer avec un extrême intérêt,f n'ont prêché que leurs propres pensées, et
que dans le même temps que les ministres js que les autres n'oiU souffert la mort que-
de la société religieuse défendent la reli- i- pour soutenir des opinions, et non pour
gion avec une fidélité que l'on ne retrouvere défendre des sentiments, ou pour attester
aussi pure, aussi entière, dans aucune épo-> des faits.
que de l'histoire de l'Eglise, les ministres
3S
Non-seulement l'Eglise catholique se per-
de la société politique, ou la noblesse, dé-
é- fectionne au dedans, mais elle s'étend au

fi) Lettre de l'archevêque de.Nkée (l'abbé lé romain passa sous une domination monarchique,
Rlaury) à
lité.
M. a- ï; malgré sept siècles d'habitudes-
sur le serment de liberté et d'éga-
républicaines, car
Rome ne fut jamais purement monarchique, on
On croit que la république va s'affermir en peut juger s'il est possible de faire passer la France
France au moindre événement politique nu mili-- li^ sous un gouvernement républicain, malgré quatorze
t'lire qui contrarie les vœux des vrais Français. is siècles d'habitudes monarchiques,
ïtais qu'on me montre cette république, qui sub- b- (2) Tout le monde connaît Tallégorieingénieuse
que présente un des tableaux de la galerie
de Charn-
siste, diMrn, depuis trois ou six ans. Je ne vois jis
pour maîtres, que des scélérats par bêtise. devenus
us
usla (.5)
tilly.
furieux par désespoir, qui ne se remplacent à la Je crois, dit Pascal, des témoins qui se font
mais Pascal n'a voulu
tribune que pour se succéder à léehafaud; pour ur égorger. Rien de plus vrai; premiers disciples,
sujets, qu'un peuple imbécile qui ne comprend pas as parler que des apôtres ou des
pourquoi le gouvernement éprouve tant de résis- is- seuls martyrs de la religion chrétienne, qui soient
d'un fait- (la résur.ree-
tance, lorsque lui-même en oppose si peu à ce qu'on on morts pour attester la vérité
exige de lui. Affermir la république! mais les puis-is- tion) dont ils avaient été les témoins. Rien de sem-
iH- blable ne s'est vu dans la
religion idolâtre, ni dans
sances qui là reconnaissent, ou plutôt qui la nom- chrétienne et
ment, ne veulent pas raffermir; mais les puissances:es aucune secte de la religion juive ou
las l'on n'a jamais entendu
<iui s'abaisseraientà la garantir, ne pourraient pas
dire que personne soit mort
l'affermir; mais tous les hommes ensemble, mais ais pour attester qu'il avait vu les métamorphoses de
Dieu même, sans un miracle toujours subsistant, ni, Jupiter, les conversations de Mahomet avec Fange
diable.
es. Gabriel, ou les disputes
des êtres. de Luther avec le
>»e peuvent rien affermir contre la nature conclu que le raisonnement de
On cherche justifier ses craintes par "la durée de de Ainsi, ceux qui ont
la république romaine, seule société qu'on puisse sse Pascal ne valait rien, parce que toutes les sectes
faux eux-mêmes,
comparer à la France; mais saus parler de la pro- ro- ont eu des martyrs, ont raisonné
digieuse différence d'une société chrétienne à une me en ce qu'aucune secte n'afait eu des témoins.
société idolàtre, la république française a com- m- Un savant Anglais a un ouvrage sous ce
mencé par ou là république romaine a fini, par titre La religion chrétienne prouvée par un seul (ati
ule (]a résurrection)».
l'anarchie et par la facilité avec Jaquelle le peuple
dehors, et elle fait des conquêtes sur l'ido- les 1( jeux de son berceau; la France, l'Alle-
îâtrié, en même temps que la civilisation en magne,ir l'Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse,.
fait sur l'état sauvage en sorte que, s'il la h Bohême, la Pologne, où elle s'était in-
était possible que la société catholique fût troduite,
tr furent en proie aux horreurs des
détruite, il n'y aurait plus pour les peuples discordes
d civiles; l'Espagne, l'Italie, le Por-
sauvages de moyens de parvenir au bienfait tugal, ti où elle n'avait pu pénétrer, furent
de la civilisation car les philosophes veu- tranquilles.
ti Ce sont des faits incontestables:
lent bien être les apôtres de leur doctrine, et e qu'on ne dise pas que les réformés ne
mais ce n'est que malgré eux qu'ils en sont furent fi pas toujours les agresseurs; car il-
quelquefois les martyrs. e évident que la secte qui s'élève est né-
est
J'ai dit que les sociétés religieuses non cessairement
c<
agressive, quoique ses fau-
constituées avaient un principe intérieur de teurs t< ne soient pas toujours et dans toutes
dépendance et de détérioration, qui les con- les h rencontres les premiers attaquants. La
duisait infailliblement à leur destruction:s Réforme
H a été la cause des troubles passés,
et j'ai remarqué ce même principe de dégé- puisqu'elle
p est la cause des troubles pré-
nération dans les sociétés politiques non sents si (2) et la guerre actuelle n'est, à le
constituées. «En effet, » ai-je dit, «les sociétés bien
b prendre, que J'effet du fanatisme des
politiques sont agitées jusqu'à ce que les opinionso qui ont pris naissance dans le sein
rapports contraires à la nature des êtres de d la Réforme, et qui suivent nécessairement:
soient détruits ou changés, et que l'invin- de d ses principes. Non-sëulement la Réforme
cible nature ait repris son empire. Ces so- a été et est encore cause de troublé, mais
ciétés seront donc faibles en elles-mêmes; elle e doit l'étre; elle le sera toujours néces-
donc elles seront dépendantes, et elles ne s,sairement, et malgré ses sectateurs eux-
pourront faire cesser l'agitation produite mêmes, n parce que l'on peut dire de la so-
par le conflit des volontés de la nature et ciété c religieuse, comme de la société poli-
des volontés de l'homme, que par une agi- tique ti « Si le
législateur, se trompant dans
tation plus forte ou un danger plus pres- son s objet, établit un principe différent de
sant, c'est-à-dire en portant sans cesse la celui c qui naît de la nature des chose*, la
guerre au dehors ou en la redoutant. Rome société s ne cessera d'être agitée, jusqu'à ce
ne put maintenir la tranquillité dans son que q le principe soit détruit ou changé, et
sain, qu'en portant la guerre dans tout l'u- que q l'invincible nature ait repris son em-
nivers; Athènes ne fut paisible que tant pire. p »
qu'elle eut à redouter ses voisins (1). » J'ai dit que la Réforme ne se soutenait,
Ces .principes sont exactement et entière- même n aujourd'hui, que par l'opposition,
ment applicables aux sociétés religieuses c'est-à-dire
c qu'elle ne pourrait subsister, si
non constituées ou aux sectes; nées dans la elle e n'avait une autre religion à attaquer, ou
guerre, elles ne se soutiennent que par l'op- si s elle ne craignait d'en être attaquée. Les
position. Le christianisme, qui ne prescri- sermons s des premiers prédicateurs de la
vai t. qu'humilité à l'esprit, désintéressement Réforme
1 et de toutes les réformes, leurs ou-
au cœur, mortification aux sens, n'excita au- vrages, les écrits et les discours de ceux qui
cun trouble dans l'empire, et. c'est une sont s venus après eux, lie sont que des dé-
louange que les païens eux-mêmes lui don- clamations
c virulentes contre l'Eglise ro-
naient. Il s'étendit par la seule force de son maine,
r les désordres réels ou supposés*
principe intérieur, semblable au grain de mais r toujours exagérés, de la cour de Rome,.
sénevé qui se développe, ou à la pâte qui fer- l'idolâtrie
1 et la superstition du culte catho-
mente (Malth. xm, 31, 33; Marc, iv, 31; lique. Encore aujourd'hui, les livres d'his-
Luc. xiii, 19, 21) mais la Réforme, qui per- ttoire, de morale, de littérature, et jusqu'aux
mettait l'orgueil à Vesprit, l'intérêt au cœur, almanachs
s qui grossissent, à l'insu du rester
les jouissances aux: sens, puisqu'elle àutori- de c l'Europe, le trésor de la littérature alle-
sait les inspirations particulières, le pillage mande,
i sont écrits dans le même esprit; et*
des propriétés religieuses et le divorce, mit parceJ que les réformés donnent le ton à,
d'abord l'Europe en feu. Des guerres de l'Allemagne1 savante, et y exercent comnifr
trente ans, des dévastations inouïes, furent ailleurs
( le despotisme littéraire le plus ah*
solu (1), tous ces ouvrages sont remplisï tous; et de là il a résulté différentes combi-
de fines plaisanteries, ou d'observations cri- naisons de républiques. De môme, dans la
tiques, sur le clergé séculier et régulier, ett société religieuse où l'on s'écartait du prin-
sur les pratiques de l'Eglise romaine. Ont cipe de l'autorité infaillible de l'Eglise en
voit même quelquefois, chez les ministres matière de foi et de discipline, il ne pou-
réformés, des caricatures de bon goût, oùl vait y avoir de raison pour borner le droit
les religieux des deux sexes sont représen-• de décider de ce qu'il fallait croire ou prati-
tés dans des attitudes grotesques, et ces quer, à quelques individus plutôt qu'à un
peintures réjouissantes et politiques sont, plus grand nombre, plutôt qu'à tous on
tout à la fois, un passe-temps pour l'homme l'étendit donc à tous, et de ce principe
et un moyen de la profession. naquirent et devaient naître en effet une
Dans les lieux où la protection accordée infinité de sectes différentes. Daillé, célèbre
au culte catholique impose aux ministres ministre calviniste convient naïvement,
réformés un silence rigoureuxsurlareligion dans l'exorde d'un de ses sermons, que
catholique, ses pratiques et ses ministres, jamais il n'y a eu de nouvelle religion
les sermons des pasteurs ne sont que des annoncée, qu'aussitôt il ne se soit trouvé
discours académiques où tout l'art de l'ora- plusieurs prophètes qui aient été sur le mar-
teur ne peut sauver la stérilité d'une reli- ché les uns des autres. Hénault cite ce pas-
gion qui ne porte que des sons aux oreilles, sage, en y ajoutant une réflexion un peu
et pas un sentiment au cœur. amère sur la Réforme.
Les sectes réformées ne paraissent tran- Ce serait un tableau intéressant que celui
quilles aujourd'hui, que parce que les opi- de la dégradation successive des vérités
nions auxquelles elles doivent leur nais- religieuses par les opinions de la Réforme
sance ne sont plus que le radotage de quel- on pourrait le regardercomme l'arbre généa-
ques anciens pasteurs ou de quelques vieilles logique de l'athéisme. Ainsi les Catholiques
femmes, et qu'elles ont dégénéré en d'autres croient àla présence réelle de l'Homme-Dieu,
opinions qui dans ce moment agitent l'Eu- pendant toute la durée des symboles qui le
rope, et qui suivent naturellement des opi- voilent; Luther l'admit au moment de la
nions qui ont fondé la Réforme. manducation; Calvin nia qu'il y eût aucune
présence réelle de Jésus-Christ Socin nia
CHAPITRE V. la divinité même du Fils de Dieu, et les
DEGENÉRATION DES OPINIONS DE LA RÉFORME. philosophes ont nié Dieu lui-même.
Les Catholiques croient sept sacrements;
Le principe que chacun est juge du sens Mélanchthon en admet quatre, Luther trois,
de la loi ou des saintes Ecritures, ou pour Calvin deux, les anabaptistes un et les
mieux dire, qu'il n'y a dans l'Eglise nulle philosophes ne veulent pas même de culte.
autorité extérieure et infaillible, qui ait le Les anglicans avaient conservé des céré-
droit de fixer le sens de la loi, devait ouvrir monies les puritaiens proscrivirent jusqu'à
la porte à une foule d'interprétations diffé- l'usage du surplis; et les philosophes ont
rentes. Il devait arriver dans la société reli- détruit jusqu'aux temples.
gieuse, ce qui arrive dans les sociétés poli- L'athéisme est une conséquence rigou-
tiques où l'on s'est écarté de la loi fonda- reuse du socinianisme, comme le socinia-
mentale du pouvoir général. Il n'y a pas de nisme est une application des principes de
raison pour que le dixième, le quart ou jle la Réforme. En effet, dès que chacun était
tiers des citoyens exercent leur pouvoir juge de sa foi et interprète du sens de l'E-
particulier, plutôt que la moitié, plutôt que criture, Socin, l'interprétant à sa guise, nia
(1) Le parti philosophiquedisposait, en France, vères dans le Palatinat, et on excusait aansCaiinat
de toutes les réputations. On donnait pour sujet de des expéditions aussi rigoureuses contre les Vau-
prix littéraires, l'éloge du chancelier de l'Hôpital, dois et les Barbets. Mais Turenne, qui avait refusé
accusé d'un secret penchant pour la Réforme; de de changer de religion pour être connétable, s'était
Fénelon pour l'opposer à Bossuet; de Catinat, converti ensuite sans intérêt et par conviction.
parce qu'on avait trouvé le moyen, je ne sais com-
ment, d'en faire un incrédule." D'Aguesseau, Bos-
Inde irœ Aussi l'on peut remarquer que Turenne,
le plus grand homme de la monarchie, est celui
piiet et Turenne ne pouvaient prétendre aux hon- sur lequel on a le moins écrit. Le tombeau même,
;neursdu panégyrique.) D'Aguesseau était un homme après plus d'un siècle, n'a pu le mettre à l'abri de
g ms caractère V a écrit sur l'bcriiure sainte, et la fureur philosophique, et son corps trouvé entier
il n'a jamais élé au spectacle); Bossuet, un fana-
dque; on reprochait à Turenne ses exécutions sé- a été l'objet de la haine et de l'outrage.

L'auteur ignorait que l'Académieeût proposé l'éioge de d'Aguesseau. (édit. de 18H.}


661 PART. J, ECONOM. SOC.-THEORIE DU POUVOIR. PART. H. POUY. RELIGIEUX. LIV. VI. 662
vv ~.vuyn Va>. >ua 1 1
la divinité de Jésus-Christ il fut nfirsér.nié
persécuté général
sAnéra] et
pi mutuel
mut noi de nia., «»
Aa Dieu jnr. hommes;
et des u~™
VVl1'

par les réformés, qui, en se séparant de ils ne conservent donc pas le sentiment de
l'Eglise romaine, s'étaient ôté le droit et les la Divinité dans le corps social; ils doivent
moyens de le combattre. <( Le temps, » dit donc tomber aussi dans l'athéisme social.
"'auteur du Dictionnaire des héré$ies,«.éteint Mais si les sociétés calvinistes n'ont
pas |le
sans cesse le principe du fanatisme dans les sentiment de la Divinité, elles n'ont donc
pays réformés il y a dans les Eglises sépa- pas le sentiment de l'intelligence, puisque
rées de l'Eglise catholique une force qui la Divinité est l'intelligence même; donc
pousse sourdement les esprits vers le soci- elles tombent dans le matérialisme.
nianisme. Le socinianisme, en retranchant Aussi les principes de la révolution fran-
du christianisme tout ce que la raison ne çaise, qu'on peut regarder comme la consti-
comprend pas, porte les esprits à regarder tution de l'athéisme et du matérialisme,
la raison comme la seule autorité à laquelle ont-ils été accueillis avec plus de faveur
on doive se soumettre. » Or ce principe est dans les pays calvinistes; et cet effet, qui
évidemment le même que celui de laRéforme tient aux principes mêmes de la secte, est
qui veut que chacun soit juge du sens de la absolument indépendant de l'opinion
loi. 11 est évidemment le même que celui du
per-
sonnelle des individus, parmi lesquels il
philosophe, qui en appelle à la raison de y
en a un grand nombre qui croient à l'exis-
tout ce qu'il ne peut comprendre, et qui, tence de Dieu et à l'immortalité de l'âme.
depuis longtemps lui érigeait dans son Mais le calvinisme n'ayant point depouvoir
cœur des autels, en attendant que la philo- conservateur, puisqu'il n'a pas d'amour de
sophie, disposant à son gré d'une grande Dieu, ne peut avoir de force conservatrice,
société, pût extérieurement lui dédier des et ne peut par conséquent pas se conserver;
temples. c'est-à-dire qu'il laisse anéantir les élémer.ts-
On se doutait, depuis longtemps, en Eu- de toute société religieuse, la croyance de
rope, de cette force secrète, qui pousse les la Divinité et de l'immortalité de l'âme; il
réformés vers le socinianisme. Les minis- prêche ces vérités à l'esprit, mais il ne les
tres de quelques Etats calvinistes en étaient place pas dans le cœur en sorte qu'il
en
hautement accusés, et le même auteur que fait une opinion et les expose à toute l'in-
je viens de citer pronostique que la secte certitude, à toutes les variations de l'opi-
réformée des arminiens absorbera vraisem- nion, au lieu d'en faire un sentiment, qui
blablement toutes les autres; et on sait que est le même dans tous les hommes, et le
les calvinistes accusaient les arminiens principe même de la conservation des êtres.
d'être tombés dans les erreurs de Socin. Il En effet, on ne peut jamais s'assurer que
n'était pas difficile de prévoir que le calvi- deux hommes pensent précisément de la
nisme se perdrait dans le socinianisme, même façon sur le même objet; mais
on
puisque le calvinisme et le socinianisme peut se convaincre, par les effets extérieurs,
partent du même principe et doivent aboutir qu'ils aiment tous le même objet de la même
au même résultat. En effet, Socin, en admet- manière.
tant l'existence de Dieu, et niant la divinité Cette dégénération de la Réforme, suite
de Jésus-Christ, niait que la Divinité eût nécessaire d'un premier pas au delà des
jamais été extérieurement présente au corps bornes marquées à la curiosité humaine,
social et les calvinistes, en admettant la n'échappait pas au plus sage et au plus sa-
divinité de Jésus-Christ et niant sa présence vant des réformateurs. « Bon Dieu 1 » s'écrie
réelle dans le sacrifice perpétuel nient que Mélanchthon accablé dedouleur,«quelles tra-
la Divinité soit aujourd'hui extérieurement gédies verra la postérité, si l'on vient un
présente dans le corps social. Socin, en niant jour à remuer les questions des mystères de
la divinité de Jésus-Christ, excluait tout la religion chrétienne 1 » « On commença,
culte c'est-à-dire tout acte de l'amour de son temps, » dit Bossuet, « à remuer
ces
général et mutuel de Dieu et des hommes; matières, mais il jugea que ce n'était qu'un
il ne conservait donc pas le ^sentiment de la faible commencement, car il voyait les es-
Divinité dans le corps social; il tombait prits s'enhardir insensiblement contre les
donc dans l'athéisme social et les calvi- doctrines établies et contre l'autorité des dé-
nistes, en niant la présence réelle de Jésus- cisions ecclésiastiques. Que serait-ce, s'il
Christ dans le corps social, excluent aussi avait vu les autres suites pernicieuses des
tout culte, c'est-à-dire, tout acte de l'amour doutes que la. Réforme avait excités?tout
l'ordre de la discipline renversé publique- aveca ceux sur lesquels j'ai établi la consti-
ment par les uns, et l'indépendance établie, tution
t des sociétés auxquelles l'homme in-
c'est-à-dire, sous un nom spécieux et qui telligent
t et physique appartient; et ce qui
flatte la liberté* l'anarchie avec tous ses achèvera,
a je crois, de porter la conviction
les esprits, sera la facilité avec laquelle
maux; là puissance spirituelle mise par Jes dansc
autres entre les mains des princes; la doc- ces c mêmes principes se prêteront, je ne dis
trine chrétienne combattue en tousses points; pas
f à la solution, mais à l'éclaircissement
des Chrétiens nier l'ouvrage de la création, des( questions les plus importantes que la
et celui de la rédemption du genre humain,véritable
ï philosophie puisse élever sur l'ac-
anéantir l'enfer, abolir l'immortalitéde l'âme, cord
( du libre arbitre de l'homme avec la
dépouiller le christianisme de tous ses mys- volonté de Dieu.
tères et ta changer en une secte de philoso- Tout être a une fin, qui est l'objet de sa
phie tout accommodée aux sens; de là naître volonté,
t s'il est intelligent, de sa tendance,
l'indifférence des religions, et ce qui suitt s'il
s est matériel.
naturellement, le fond même de la religiont Tout être a le moyen de parvenir à sa fin;
attaquée, l'Ecriture directement combattue, car < s'il n'avait pas le moyen de parvenir à
la voie ouverte au déisme, c'est-à-dire, à uni sa
i fin, il n'y parviendrait pas sa fin ne se-
athéisme déguisé; et les livres où seraientt rait1 pas sa fin, ce qui est absurde.
écrites ces doctrines prodigieuses sortir dui Dans l'être purement intelligent* le moyen
sein de la Réforme et des lieux où elle do- de la volonté est intelligent; il est la vo-
1lonté même.
mine? » (Hist. des var., liv. v, art. 32.)
J'ai fait remarquer la dégénération dess Dans l'être purement matériel, le moyen
sociétés non constituées, je ferai remarquerr de la tendance est matériel, il est la force.
la dégénération des peuples non constitués s (Voyez chapitre 1, partie i".)
eux-mêmes; mais je dois auparavant fixerr Dans l'être à la fois intelligent et maté-
l'attention du lecteur sur une question im- riel, le moyen tient à la fois à l'esprit et au
portante, et dont le développement indi- corps, à la volonté et à la force ce moyen
quera une des causes de cette dégénérafion. est l'amour, nœud de la volonté et de la
force, puisqu'il peut faire servir la force à
CHAPITRE VI. accomplir la volonté. L'amour est donc pou-
voir, lorsqu'il agit par la force ou par les
Ï>E LA LIBERTÉ DE L'HOMME, ETDE L'ACCORDD
VOLONTÉ
É sens (1).
DE SON LIBRE ARBITRE AVEC LA Dès que ['être a une fin, qui est l'objet de
DE DIEU.
sa volonté, la liberté de cet être. consUte à
J'ai dit, dans la première partie de cetst parvenir à sa fin, parce que la liberté d'un
ouvrage, qu'il n'existait de liberté pourr être consiste à accomplir sa volonté.
l'homme de la société politique, que danss Ainsi, l'on peut dire qu'une pierre est li-
]a société politique constituée, ou monar- bre lorsqu'elle obéit à sa force de pesan-
chie royale; et je dis qu'il n'existe de libertéé teur, et qu'elle n'éprouve aucun obstacle
pour l'homme de la société religieuse quee
qui l'empêche de parvenir au centre de la
dans la société religieuse constituée, ou laa terre.
religion chrétienne catholique. Ainsi, un animal est libre, lorsqu'il ac-
Pour mettre dans tout son jour une véritéè"complit, par l'action de ses sens ou sa force,
aussi importante, aussi décisive, aussi nou- la volonté ou la tendance qu'il a de vivre
i-
velle peut-être, il faut se faire une idéee avec les animaux de son espèce, dans l'in-
juste de ce qu'on doit entendre par ce mot dépendance de la société naturelle, ou de
it
de liberté. la société de production, seule société à la-
Je prie le lecteur de remarquer l'accordd quelle il appartienne.
pariait des principes que je vais développer
sr Ainsi, l'homme est libre, lorsqu'il accom-

(1) J'ai dit que l'amour était le seul sentiment


1t des effets sur les sens, ou l'homme physique. La
positif de l'homme, et que, dans l'homme libre, il crainte sans amour, ou la haine, sentiment néga-
était le nœud de la pensée et de l'action, de l'es-
i- tif, se produit aussi par des effets physiques ou in-
prit et du corps. L'homme n'a qu'à descendre enn volontaires, tels que la frayeur, l'horreur, etc., ef-
soi-même, pour y trouver la preuve de cette vérité.
é. fets négatifs, puisqu'ils ôtent souvent à t'homme le
Si l'homme naturel applique sa pensée à l'objet le
de libre usage de sa force, et jusqu'à la liberté de sa
son amour, il suivra de cette pensée seule, sans le pensée. Il ne peut y avoir de sentiment sans cola
concours de la volonté, et malgré la volonté mêiM,a, physique; motif de la nécessité du culte,
665 PART I. ECOÎSOM. SOC– THEORIE DU POUVOIR. PART. II. POUV. RELIGIEUX. LIV. YI. 66(i
plit sa
sa volontépar sm
snn pouvoir, ou ce qui est Donc l'homme en société politique est li- lî-
"a même cnose, lorsqu'il a le pouvoir d'ac- bre dans la societé monarchique, et l'homme
complir sa volonté. Je soumets cette défini- en société religieuse est libre dans ta reli-
tion au creuset de la logique la plus poin- gion chrétienne.
tilleuse. Donc l'homme en société politique n'est
L'homme doué de toutes ses facultés phy- libre que dans la société monarchique ou
siques et morales ne peut pas être considéré constituée, et l'homme en société religieuse
hors de la société; puisque, soit qu'il vive n'est libre que dans la religion chrétienne
en société naturelle ou en société publique, ou constituée; parce que ce n'est, comme
je veux dire générale, il appartient toujours on l'a vu, que dans la société monarchique
à la société des esprits et à celle des corps. et la religion chrétienne que la volonté so-
Ainsi, il ne peut être ici question que de ciale se manifeste par des lois ou rapports
l'homme social, ou membre de la société. nécessaires dérivés de la nature des êtres, et
L'homme, membre de la société, ne peut, qu'elle s'accomplit, par un pouvoir social,
ne doit avoir d'autre volonté que celle du c'est-à-dire, par l'amour de Dieu ou des
corps social, ou de la. société dont il est hommes dirigeant la force conservatrice.
membre donc la volonté de l'homme so- Donc l'homme politique n'est pas libre
cial, ou de l'homme en société, n'est que la (1) dans les sociétés politiques non cons-
volonté de la société, puisque la volonté gé- tituées ni l'homme religieux dans les so-
nérale de la société doit prédominer et dé- ciétés religieuses non constituées puisque,
truire toutes les volontés particulières de dans ces sociétés, il n'y a pas de volonté gé-
l'homme. nérale de conservation qui s'accomplisse par
L'objet de la volonté générale de la so- un pouvoir général conservateur, mais que
ciété, soit intellectuelle, soit physique, est l'homme y manifeste ses volontés particu-
la production et la conservation des êtres lières et destructives, par des lois ou rap-
qui la composent; et cette volonté se mani- ports non nécessaires, et contraires à la nature
feste par des lois, ou rapports nécessaires des êtres, et qu'il les accomplit par son pou-
dérivés de la nature des êtres. voir particulier, c'est-à-dire, par l'amour dé-
Donc la volonté de l'homme en société re- réglé de soi, dirigeant la force publique.
ligieuse et physique est la production et la Donc l'homme peut être libre comme
conservation des êtres qui composent l'une homme intelligent ou religieux, et libre
et l'autre société, et il manifeste sa volonté comme homme physique et politique donc
par des lois on rapports nécessaires dérivés il y a, pour l'homme, une liberté religieuse
de la nature des êtres. et une liberté physique. La réunion de ces
La société des hommes physiques intelli- deux états de liberté constitue la liberté ci-
gents, ou la société politique, accomplit sa vile comme la réunion de la société re-
volonté sociale ou générale, par son pouvoir ligieuse et de la société physique cons-
social cu général, qui est le monarque. La titue la société civile, comme la réunion de
société des hommes intelligents physiques, l'homme intelligent et de l'homme physique
ou la société religieuse, accomplit sa volonté constitue l'homme social ou civil.
sociale ou générale par son pouvoir social On me demandera, sans doute, si je n'ad-
ou général, qui est l'Homme-Dieu, présent mets pas pour l'homme une liberté natu-
dans le sacrifice perpétuel. relle. Comme je ne considère l'homme qu'en
Donc l'homme de la société politique ac- société, je ne puis entendre par liberté
complit sa volonté pae son pouvoir qui est naturelle, que celle dont l'homme jouirait
le monarque, et l'homme de ia société reli- dans la société naturelle de production phy-
gieuse accomplit sa volonté par son pouvoir sique, qu'on appelle famille. Or, on a vu,
qui est l'Homme-Dieu. dans la première partie de cet ouvrage, que

(1) En France, comme dans toute société cons- tout te monde actuellement, sans distinction de
tituée, la loi appelle un sujet quelconque à occuper prolétaires ou de propriétaires, parvient aux em-
le trône, en cas d'extinction totale des mâles de la plois c'est précisément ce qui fait que la France
maison régnante. Donc il est vrai de dire que, dans est un gouvernement anarchique et non un 'gouver-
la société constituée, la loi permet à tout sujet de nement républicain. Une république ne peut sub-
prétendre et de parvenir à la royauté. Dans les ré- sister sans exclure par une loi une grande partie de,
publiques, même helvétiques, il faut être ce qu'on ses sujets des fonctionspubliques, ni les en exclure
appelle des familles privilégiées ou de VElat pour sans les constituer en esclavage politique r donc
parvenir aux emplois publics, ou du moins il faut elle place nécesiairemeni tous ses membres entre
avoir une certaine propriété. On dira qu'en France l'anarchie et l'esclavage.
la famille ou la société de production, 3 ~u~
ne la société de production, est l'amour de soi,
peut assurer la conservation des êtres, ett puisque l'amour de soi est le principe de
qu'ainsi l'on ne doit pas considérer la production des êtres.
so-
ciété naturelle hors de la société politique, Le principe des actions de l'homme social
puisqu'on ne peut pas sépafer la production dans la société politique constituée, ou la
des êtres de leur conservation. Donc l'hommei
i société de conservation, est l'amour des au-
social ne doit jamais être considéré seule-
ment dans la société naturelle ou de produc-
tres, puisque l'amour des autres est le prin-
cipe de conservation des êtres. (Voyez i" par-
tion, mais il doit être toujours considéré tie, chap. 1".)
dans la société politique ou de conservation i Or les actions de l'esclave en société phy-
donc on ne peut séparer, dans l'homme sique, c'est-à-dire, le travail de la propriété,
so-
cial, la liberté naturelle de la liberté politi-
ne sont pas dirigées par l'amour de soi, ni
que. par l'amour des autres, mais par la crainte
Les sauvages et les animaux vivent en de sa destruction et par la crainte des au-
so-
ciété naturelle physique ou de production
tres, c'est-à-dire, par la haine de ceux qui
ils produisent et ne conservent pas; ils
peuvent le détruire. Donc les actions phy-
jouissent de l'indépendance, mais
non pas de siques de l'esclave ne sont pas des actions
la liberté, parce que la liberté de
se détruire libres; donc il n'a pas la liberté physique.
n est pas une liberté et l'on peut dire d'eux C'est donc avec raison que j'ai dit, dans la
ils sont indépendants, donc ils ne sont première partie de cet ouvrage, que, dans
pas
libres. les 'gouvernements anciens, le peuple se
Je vais faire comprendre au lecteur, par croyait libre, parce qu'il voyait des escla-
une application sensible, qu'on ne peut pas ves car il est évident que l'esclave domes-
séparer la société de production de la so- tique, ou l'esclave sujet de la famille, n'est
ciété de conservation, c'est-à-dire, la famille
pas autrement esclave que l'esclave politi-
de la société politique.
que ou le sujet de la république puisque
Si, dans l'union d'un homme et d'une celui-ci sera puni physiquement, et même de
femme pour former une société naturelle, il mort, s'il ose manifester, par des actions
y a erreur de personne, ou défaut de volonté, extérieures, la volonté d'exercer son pou-
comme dans le mariage de Jacob et de Lia; voir; comme l'esclave domestique sera puni
s'il y a contrainte extérieure, ou défaut d'a- physiquement, et même de mort, pour s'être
mour, la société politique romp ces nœuds révolté contre l'autorité de son maître; et
formés sans volonté et sans amour la seule différence qu'il y ait entre eux, est
parce
qu'elle ne considère pas cette société natu- que l'esclave domestique obéit à un pouvoir
relle comme une véritable société, quoique particulier dans la société naturelle, et que
cependant cette société, formée sans volonté l'esclave politique obéit à plusieurs pouvoirs
et sans amour, puisse parvenir à sa fin qui particuliers dans la société politique en
est la productionde l'homme. La société po- sorte que le sujet de la république, exclu
litique sépare les membres de cette associa- des emplois par sa naissance ou la médio-
tion, comme n'ayant pas été libres dans leur crité de sa fortune, accomplit, par sa force,
union puisque leur force ou l'action de la volonté et le pouvoir particulier de
leurs sens, n'était pas dirigée par l'amour ses
isouverains, sans espoir d'exercer jamais le
vers l'accomplissement de la volonté. Elle sien
i et l'esclave domestique cultive, par sa
les sépare également, lorsqu'il foree, la propriété de son maître, sans es-
y a impuis- i
sance physique ou défaut de force; et on poir
] de pouvoir jamais la partager.
peut en tirerlaeonclusion immédiate et bien Ainsi, l'homme n'est pas esclave, parce
conséquente à mes principes, que la société
(que sa volonté est assujettie à la volonté d'un
en général ne peut exister que par la vo- autre homme
lonté, l'amour et la force d'exister. i car toutes les volontés hu-
maines
i sont égales, et la volonté générale
Après avoir expliqué en quoi consiste la de la société, ou la volonté de Dieu même,
c
liberté de l'homme, il peut paraître intéres- dirige
c et ne contraint pas la volonté particu-
sant d'appliquer ces principes à l'esclavage lière
1 de l'homme l'homme n'est pas es-
proprement dit ou à l'esclavage domesti- cclave, parce que sa force est assujettie à la
que. fforce d'un autre homme car la force d'un
Le principe des actions libres de l'homme hhomme peut détruire, mais
social dans la société naturelle constituée non assujettir la
ou force d'un autre homme; et il est impossible
fi
à un homme, quelle que soit la supériorité Je ne parle pas de l'esclavage domestique
de sa force, d'appliquer la force d'un autre (1) qui existe dans les colonies européen-
homme à un travail que celui-ci aura la vo- nes d'Amérique; il tient à des causes parti-
lonté de ne pas faire mais l'homme est es- culières, et cependant il ajouterait une nou-
clave, parce que l'emploi de sa force, ou son velle force à mes principes car les habi-
action, est dirigée par la crainte, au lien de tants des colonies. appartiennent bien plus à
l'être par Y amour; or l'amour dirigeant la 1la société naturelle ou de production qu'à

force constitue le pouvoir donc l'homme celle


< de conservation, soit politique, soit re-
est esclave parce qu'il a une volonté et une ligieuse,
1 puisqu'ils ne reconnaissent pas,
force sans amour, on parce qu'il n'a pas de iau moins parmi eux, de noblesse ou de pro-
pouvoir. fession
f sociale politique, caractère distinc-
Donc l'esclavage ne peut pas exister dans tif
t de la société politique, et qu'il n'est que
les sociétés dont le principe est l'amour. trop
t vrai de dire que la religion y a peu de
Donc l'esclavage existe naturellement dans f
force car elle y a très-peu de ministres du
les sociétés dont le principe est la haine, ou second
s ordre et aucun du premier, au moins
la crainte sans amour. dans
c les colonies françaises.
Ainsi il existait dans les sociétés ancien- Dieu, comme l'homme, est libre en mani-
nes religieuses ou physiques non consti- f
festant sa volonté par les lois, qui sont des
tuées, ou dont la crainte était le principe. rapports
r nécessaires dérivés de la nature des
Ainsi il a dû cesser en Europe, lorsque le êtres,
ê et, en l'accomplissant par son pouvoir,
christianisme et la monarchie, société d'a- c'est-à-dire,
c par son amour pour lui-même
mour, y ont commencé. 0ou pour les êtres qu'il a créés; amour qui
Ainsi il existe encore aujourd'hui dans dirige
d sa force ou son Verbe dans l'accom-
les sociétés religieuses ou physiques non plissement de ses volontés Tout a été fait
p
constituées, et dont la crainte est le prin- p lui, et rien n'a été fait sans lui (2).
par
cipe et on le retrouve également dans la Mais
ft Dieu est plus libre que l'homme, parce
société naturelle non constituée ou la po- qu'il
q manifeste sa volonté par toutes les lois
lygamie, et dans les parties de l'univers
o rapports nécessaires qui existent entre
ou
soumises au mahométisme et à l'idolâtrie. tous les êtres, tandis que l'homme ne con-
t,
Ainsi on ne doit pas le retrouver dans les naît qu'une partie de ces lois ou de ces rap-
n
sociétés politiques non constituées qui pro- ports et il est encore plus libre que J'hom-
p
fessent la religion chrétienne.
me, puisqu'il accomplit sa volonté par son
IX
Donc l'esclavage renaîtrait en Europe, si pouvoir, qui n'est autre que lui-même; au
p
la monarchie et le christianisme y étaient lieu que l'homme social l'accomplit par un
li
abolis. Le fait vient à l'appui du raisonne- pouvoir
p étranger à lui, et qui est hors de
ment et lorsqu'on lit, dans le code révolu- lui,
Il par le monarque dans la société politi-
tionnaire d'une puissante société dans la- que, et par l'Homme-Dieu ou Jésus-Christ
ni
quelle le christianisme et la monarchie ont dans
di la société religieuse.
été détruits, ]a loi qui condamne à mort On peut déduire d'autres conséquences
l'ennemi pris les armes à la main, on n'a d< principes qui viennent d'être établis.
des
qu'à tourner la page pour y trouver la loi qui Si l'homme ne peut être libre qu'en ac-
le condamne à l'esclavage domestique et complissant
ce sa volonté, s'il ne peut l'accom-
l'esclavage n'a pas eu une autre origine dans plir
p| qu'en la manifestant, s'il ne peut la ma-
les sociétés anciennes. nifester
nj oue car les lois ou rapports néces-
(1) Une fatalité, qui a marqué bien d'autres dans
da le coeur des blancs pour empêcher le mélange
époques de notre révolution, est que la discussion des
de races, que les passions ne rapprochaient que
interminable qui a eu lieu en Angleterre dans la troptr< et il n'est pas inutile de remarquer, qu'en
chambre des communes, sur l'abolition de la traite périssant
pé par leshommes de couleur (vrais auteurs des
des nègres, a précipité les résolutions de l'assem- désastres
dé des colonies) les blancs ont péri par leurs
blée nationale qui a craint, assurément sans sujet, enfants. Que les nations à colonies écartem bien
que le parlement britannique ne lui enlevât l'lion- en
loi de l'Europe cette race de noirs, qui, quelle qu'en
loin
neur de cette œuvre philanthropique. L'abolition soitsoi la cause, semblent nés pour obéir, qui n'ont de
de l'esclavage dans nos colonies a été marquée au l'homme
l'h policé que les passions, et de, l'homme
coin de cette sauvage et féroce inepiie qui
a ca-
ractérisé toutes les opérations des usurpateurs sauvage
sa) que la force, t;l dont la meilleure et pres-
du que
qu la seule qualité morale est quelquefois une fi-
pouv,ir en France. En donnant l'indépendance aux délité
dél qui semble même tenir plus de l'instinct de
nègres, ils ont signé l'esclavage et la mort des l'ai
l'animal domestique que du sentiment de l'être in-
blancs. La philosophie s'élevait contre le préjugé telligent.
tell
qui séparait le blanc de l'homme de couleur. C'é- (2) Omnia per ipsum facta sh,»(, et sine ipse
tait un sentiment que la nature même avait placé faclum
futc. est nihit, dit saint Jean (i, 3j.
671
a. a.
Œ;UVKL;S COMPLETES
ai.~ DE
il s'en-
.J~ la nature des êtres, tt
_,e_c,. de
*mres dérivés
suit rigoureusement que l'homme religieux
~1--
vu M.
s.
DE DONALD.
na, uu mv.vrmv.
tre: s'il r~omn inc
~f respecte ,n;,rc' de
les jours*
1

dn son
c.nn
sans qu'aucune crainte détermine son choix,
672
m..
frère
fnrlrn

et politique n'est libre qu'en obéissant aux et par un motif réglé de Dieu, de lui-même
lois ou rapports nécessaires dérivés de la et de son prochain, il choisit le bien ou la
jiature des êtres mais nous avons vu que liberté; puisqu'il obéit à une loi ou rapport
la volonté générale conservatrice de la so- nécessaire
i entre les êtres et la volonté gé-
ciété, la nature de;la société, ou, ce qui est nérale
i de la société, à la volonté de Dieu
la même chose, la volonté de Dieu même, même. S'il se souille d'un meurtre, il choi-
meut les lois ou rapports nécessaires dérivés sit le mal il tombe dans l'esclavage, puis-
de la nature des êtres, puisqu'en créant les qu'il obéit à des lois ou rapports non né-
:êtres, il a produit des rapports qui existent cessaires,
<
à sa volonté particulière ou dé-
entre eux; donc il est rigoureusement vrai pravée,
i à ses passions.
de dire que l'homme religieux et politique Ainsi, tant que l'homme a le choix entre

volonté de Dieu.
n'est libre qu'en conformant sa volonté à la le bien et le mal, qu'on appelle libre arbitra,
il n'a pas encore la liberté (actuelle), puis-
Donc l'homme vertueux est libre comme que la liberté ne peut exister qu'après avoir
£tre intelligent, et plus libre à mesure qu'il choisi. Ainsi, la liberté (actuelle) n'existe
-est plus vertueux; je veux dire à mesure qu'au moment où le libre arbitre cesse. Car
qu'il obéit à un plus grand nombre de lois 1la liberté ne peut exister qu'avec la volonté;
ou rapports nécessaires. et la délibération, que suppose l'exercice du
Cette vérité a été dans tous les temps une libre arbitre, n'admet pas encore la volonté.
'vérité d'instinct pour le genre humain. Les L'homme n'a besoinde vouloir agir, c'est-à-
anciens philosophes disaient que le sage dire de volonté et de force, que quand il a
était le seul roi, le vrai roi, l'homme vraiment choisi ce à quoi il veut appliquer l'une et
libre; et c'est cette idée morale que le su- J'autre.
Mime auteur de l'élémaque fait développer à Dieu jouit donc de la liberté la. plus par-
son héros dans l'assembfée des vieillards de faite mais il n'a pas le libre arbitre, qui est
4'île de Crète. le choix entre le bien et le mal puisque sa
Donc l'homme vicieux, ou celui qui s'é- volonté est essentiellement droite, qu'elle
carte des lois parfaites ou rapports nécessai- se manifeste par des lois ou rapports né-
res qui lient entre eux les êtres sociaux, cessaires, et qu'elle ne peut pas se manifester
n'est pas libre; et il est moins libre, à me- par des lois absurdes ou par des rapports
sure qu'il s'écarte davantage des lois ou non nécessaires entre les êtres.
rapports nécessaires. On peut, à l'aide des principes que ji»
Donc les sociétés non constituées ne sont viens d'établir, donner une idée assez dis-
pas dans les vues du Créateur; puisque, tincte de l'accord de la volonté de Dieu avec
étant fondées sur des rapports non nécessai- le libre arbitre de l'homme.
res ou contraires à la nature des êtres, elles En effet, Dieu auteur de toutes les lois
séparent les êtres, au lieu de les réunir, et parfaites ou rapports nécessaires qui exis-
qu'elles ne parviennent pas a la fin de toute tent entre les êtres sociaux, et qui doivent
société, qui est la conservation de l'hommeconduire à sa perfection l'homme social in-
intelligent et physique dans l'état de liberté térieur ou intelligent, comme l'homme so-
intérieure et extérieure, religieuse et politi- cial extérieur ou physique (perfection qui
que, pour lequel le Créateur l'a placé sur la ne peut exister pour l'être intelligent que
terre; liberté par laquelle il est capable et dans un état où il sera purement intelli-
digne de former société avec lui. gent), Dieu, dis-je, influe sur le choix qu'a
La liberté dans l'homme n'est donc pas le l'homme de se conformer à ces lois ou rap-
iibre arbitre car le libre arbitre de l'homme ports nécessaires pour parvenir à sa fin so-
est le choix entre le bien et le mal, entre la ciale, ou de s'en écarter à peu près comme
liberté et l'esclavage. un prince,qui, pour conduire les voyageurs
Ainsi l'homme qui délibère s'il plongera à sa ville capitale, fait percer des routes à
le poignard dans lé sein de son semblable, travers les forêts, construire des chaussées
est dans son libre arbitre, sinon quant à la sur les marais, etdes ponts sur les rivières,
pensée, qui est déjà un crime, au moins influe sur le choix qu'a le voyageur de pas-
quant à l'acte extérieur. 11 est entre le bien ser les fleuves à la nage, de s'enfoncer dans
et le mal, et il a le choix de l'un ou de l'au- les marais, ou de s'égarer dans les bois et
675 pakt.t. ECOHOM. SOC-THEORIE DU POUVOIR. PART. II. POCV.
quoique le prince puisse prévoir avec
RELIGIEUX LIV VI
"U.l.a.U~ MmM.hW ses
r. w.mr~ m
cer- l'homme,
l'homme. se préférant
uréférant à ses semblables, &*
titude l'usage que le voyageur, maître de blit sur eux sa domination, amour que j'ai
î
lui-même dans ses facultés morales et phy- appelé
pouvoir particulier, lorsqu'il s'exerce
siques, fera de son libre arbitre, on peutt
dire qu'il ne gêne sa volonté par la force ou l'action des corps. Or cet
en aucunei déréglé de soi, ou ce pouvoir parti-
manière, qu'il dirige le choix du voyageur amour eulier, existe nécessairement dans les s'ocié-
sans le contraindre, et qu'il le connaît sans tés non constituées» puisqu'iln'y
le prévenir. Cette comparaison a pas d'au-
est exacte. tres pouvoirs que des pouvoirs particuliers.
dans tous ses points; car, si le
voyageur, en II ne doit pas exister dans les sociétés cons
s'écartant de la route qui lui est tracée et tituées, où le
qu'il ne peut méconnaître, se noie dans le et mutuel despouvoir est l'amour général
hommes entre eux, ou l'a-
fleuve, -ou s'égare dans les sentiers et tombe
mour du prochain, qui s'exerce par la force
entre les mains des voleurs, la faute ne peut générale. Ia société politique constituée
en être imputée au prince, qui lui a ménagé la monarchie est donc dans les ou
tous les secours nécessaires pour le faire religion, qui vues de la
arriver heureusement au terme de son voya- préfère à son semblable, ne veut pas que l'homme se
c'est-à-dire établisse
ge, et qui ne pouvait sans tyrannie employer sur lui
la force pour le contraindre à suivre les monarchique son pouvoir particulier; la société
réprime donc les actes, en
routes les plus sûres. même temps qu« la religion réprime les vo»
On m'opposera sans doute que tout solli- lontés. La
monarchie est donc l'instrument
cite le voyageur à suivre les chemins les de la religion.
Au contraire, les sociétés po-
plus fréquentés et les plus sûrs, au lieu
que litiqùes non constituées ou les républiques,
l'homme est entraîné par ses passions hors
en permettant à l'homme d'établir son pou-
des voies de la vérité et de la vertu; mais je voir particulier, favorisent le dérèglement
répondrai que l'homme, membre des socié-
de son amour; elles ne sont donc pas dans
tes. constituées religieuse et politique, est, les i vues de la religion, elles lui sont donc
extérieurement du moins, libre aussi par- opposées. Des faits vont prouver la vérité
faitement que l'homme puisse l'être
sur la du principe; et l'on voir que les sociétés,
terre puisqu'il obéit aux lois les plus par- qui mettent l'amour va
(
( de soi, ou le pouvoir
faites ou rapports les plus nécessaires qui particulier, à la place du pouvoir général ou
1
puissent exister entre les êtres dans chaque de
( l'amour de Dieu et de l'amour des hommes,
société. Il est donc dans l'état social le plus ne
i peuvent conserver ni Dieu ni l'homme,
parfait, soit à l'égard de Dieu, soit à l'égard
de lui-même, soit à l'égard de ses sembla- -CHAPITRE Vif.
bles puisqu'il appartient aux sociétés reli-
gieuses et physiques, naturelles et publi- CARACTÈRE c pES PEUPLES DANS LES SOCIÉTÉS
ques, dont l'amour de Dieu, l'amour de soi, NON CONSTITUÉES. DÉGÉnÉRATÎON PB
l'amour de ses semblables, sont le principes «EURS HABITUDES MORAJJES,
t
véritables sociétés dans lesquelles toutes les C'est parce que la Réforme sèche et dédair-
lois sont des rapports nécessaires dérivés de
la nature des êtres cet homme est donc pouvoir gneuse,
g comme l'appelle Bossuet, n'a pas de
dans la disposition la plus favorable à aimer «de conservateur dans l'amour mutuel
d Dieu et des hommes, rendu extérieur,et
Dieu, lui-même etson prochain, d'un amour présent dans le
sacrifice, qu'elle inspire à
réglé, c'est-à-dire dans la disposition la plus p
sectateurs ce fanatisme ardent et sombre
favorable à accomplir, avec le secours de ses &
qui
• Dieu, toute justice. Or je ne crains pas de f< q a été remarqué à sa naissance, et qui
forme le caractère distinctif de cette secte.
dire que cet homme se ferait la même vio- Ecoutez j? Erasme. témoin non suspect des
îence pour attenter] à la conservation de la effets
d'une doctrine dont il a vu les com-
société religieuse et de la société politique, e
n
mencements:* « Je les voyais, dit-il, « sortir
en opprimant l'homme moral ou l'homme d, leur prêches avec un air farouche et des
de
physique, que le voyageur pour passer tes regards
fleuves à la nage, s'enfoncer dans les marais, ri menaçants, comme des gens qui ve-
ou s'égarer dans bois,
les
naient
ni d'ouïr des invectives sanglantes et
des discours séditieux aussi, voyait-on ce

est l'amour
fijélé,>, est
OEUVRES
Of7.IT
--––•• •
Eri'effet,:Ie principe de tous les crimes de pi
t'homme et de tous les malheurs de la so- le
VU CC /TiTM
COMPL.nr nr*
DE M.
*•*<


j"
\li DE RONALD,
peuple évangélique toujours prêt à prendre
les
l'amour déréglé de soi/par lequel j«->^
armes,
disputer.
disputer. » Ce
di
}“

ci aussi
uiujto, et cuaiuaiuu qu'à
prupie àa combattre
aussi propre
Ce fanatisme s'est manifesté pas-
'G10
qu a
les scènes les plus sanglantes, dans les trou- ii- él par conséquent plus amour, était, de l'a-
ét
vi de toute l'Europe, le
peuple le plus ai-
bles des sociétés politiques chez lesquelles 3S veu
la Réforme s'est introduite, et ses fureurs a
rs mable et le peuple le plus aimant. Enfin, le
ont signalé les premières époques de la ré- é- lecteur
JeE se rappellera que le pouvoir conser-
vo'ution française. Il est contenu dans les 3S valeur
v; de la religion chrétienne reproche à
sociétés politiques où la force comprime les es si ses ennemis le même excès d'austérité exté-
passions; mais le physionomiste exercé peut ut rieure;
ri qu'il justifie ses disciples du repro-
différence frappante entre
te che
cl que les pharisiens leur faisaient de ne
remarquer une
p observer comme eux le jour du
sabbat;
l'habitude extérieure du peuple réformé as- s- pas
semblé dans ses temples, et celle du peuple le et e il leur défend expressément d'affecter,
catholique assistant aux pratiques de son m 1( lorsqu'ils jeûnent, une tristesse extérieure,
les hy-
culte. Il est aisé, au premier aspect, de dis- s- eet de décomposer leurs visages,comme
tinguer les disciples de la religion d'amour ur pocrites
p qui veulent paraître jeûner aux yeux
des hommes. {Matth. vi,16.)Jenédis rien qui
dont l'objet est sensible et présent, des sec- c- d
tateurs de la religion qui ne parle qu'à l'es- s- ne n soit public et connu; dans plusieurs pays
prit, et qui ne dit rien au cœur ni aux senss réformés,
r la parure du dimanche, pour les
èette différence est aussi sensible; et pour la femmes, fi est la couleur consacrée a exprimer
même raison; qu'elle l'est entre l'humeur et l'
l'affliction, et leurs temples mêmes, nus et sans
les habitudes d'un Français ou d'un Espa- la- ornements,
o ne présentent aux yeux que cette
gnol, et celles d'un Hollandais ou d'un Gé- é- couleur.
c C'est dans les cérémonies publiques
nevois. C'est parce que le catholicisme est ;st qu'il
q faut observer le caractère des peuples
le
le et des sociétés. La religion catholique pres--
amour et tout dans le cœur, que dans e
let crit, dans les funérailles, une pompe plutôt
pays où le mélange des religions permet c
d'en faire la comparaison, les voyageurs re- e- sérieuse
s que triste, des chants plutôt graves
marquent que le Catholique a l'humeur plus us que c lugubres, symboles d'une douleur que
enjouée, la société plus douce, les mœurs irs soulage
s l'espoir de l'immortalité aux funé-h
plus faciles que le réformé. Le baron de railles r des réformés, c'est la livrée de la
llisbeck en fait l'observation dans ses Lettres res mort,
r c'est le silence des tombeaux. A ces
l'Allemagne-: l'auteur du traité sur la regrets farouches, à cette douleur muette,
sur f.
dou-
Félicitépublique, qui a eu soin de se mettre tre iils semblent dire eux-mêmes que leur
à couvert du soupçon de prévention en fa- leur 1 est sans consolation, et leurs regrets
veur du catholicisme,reproche aux réformés les sans;
s espérance,
des Etats-Unis de passer les jours de diman- m- Cette différence dans le caractère général
ches dans un recueillement farouche, et la la du <
Catholique et du réformé a un principe,
)p. et il ne faut pas le
chercher ailleurs que
fuite des plaisirs les plus innocents; il op-
triste et pédantesque à la dans les dogmes des deux religions. La re-
pose cet usage tient toujours l'homme
gaîté, aux manières libres et enjouées du Jigion catholique
J'ai'remarqué ailleurs, dans entre l'amour et la crainte, et elle ne laissé
Catholique. que ins juste sans frayeur, ni le pécheur
là révolution d'Angleterre, les puritains aus- us- jamais le
tères faisaient un crime aux royalistes des jes sans consolation. Elle prévient, par là, le'
et le désespoir de l'au-
divertissements même les plus innocents, et relâchement de l'un,
ils proscrivaient jusqu'aux combats d'ours urs tre. Cette situation
est parfaitement con-
alors communs Londres, comme uné jouis- iis- forme à là nature de l'homme qui aime et"
trop voluptueuse. Hume observe que,
iue. qui craint, et à là nature des choses; parce
sance qu'il est, peut deve-
le caractère du peuple anglais est devenu >nu que l'homme, de juste
ses révolutions nir pécheur, ou dé pécheur peut devenir
inquietet sombre depuis re-
homme qui est dans une si-
ligieuses et politiques; ce qui veut dire que jUe juste. Or, un
lUjs tuation intérieure
conforme à sa nature et à
l'Anglais est devenu moins aimant, depuis
religion et gouvernement ont
sont, la nature des choses, à nécessairement un
que sa son, manifes-
moins amour. Dans la révolution française, ise, principe de satisfaction qui doit se
apercevoir la même teinte de ter au dehors, puisque le bonheur d'un
on a pu que
ion être consiste à être dans un état conforme
à
sévérité farouche se répandait sur la. nation
plus faciles nature. D'ailleurs il est sensible que la
la plus légère et de mœurs les es: sa
il essentiel d'observer que le Fran-
an- pratique de la confession doit rendre un
car est plus confiant, plus
çais, chez lequel la société politique, comme îme peuple généralement orgueilleux, puisque
la société religieuse, était plus constituée, lée, communicMif, moins
i'hjomme est obligé de s'accuser lui-même et les de l'Europe qui en offrent le plus
dej s'avouer coupable. Aussi, le caractère le d'exemples, Londres et Genève, sont situées
plijs marqué des sectes qui ont aboli
la pra- sous des climats différents. Il n'est pas l'ef-
tique de la confession a été un orgueil dé- fet du climat, puisqu'il n'était pas, je crois,
mejsuré et
une profonde dissimulation. La plus fréquent en Angleterre que dans tout
reljgion réformée, qui admet les dogmes
autre pays de l'Europe, avant le change-
absurdes de la grâce inamissible ou de la
ment de religion.
justice imputée, et qui suppose, avec Lu- L'effet de ces opinions désolantes, pour
ther, que l'homme est justifié dès qu'il la
me servir de l'expression de Rousseau, qui
cer|itude de l'être, quoi qu'il puisse êtrea de mènent infailliblement au matérialisme et à
sa contrition, et indépendamment même des l'athéisme, s'est fait remarquer dans le
borines œuvres, par la seule justice de ca-
Jésus- ractère particulier des révolutions dont el-
Christ; ou avec Calvin, que l'homme les ont été le principe, et qui toutes ont été
plus perdre la justice ne peut
une fois qu'il été spécialement dirigées contre le Dieu ot
justifié; cette religion qui, repoussantadans l'homme de la religion catholique, contre
le secret du cœur tout aveu du crime Jésus-Christ et ses ministres. On a
naisj, défend à l'homme le repentir,
eonv vu, dans
et le la révolution présente, 'comme dans celles
laisse seul avec le remords cette religion qui l'avaient précédée, l'athéisme, dans sa
ôtejà l'homme tout principe de véritable
sa- rage impuissante, s'acharner sur les objets
tisfaction, en lui ôtant tout motif raisonna- du culte les plus révérés, avec
ble ide sécurité, et une fureur
en le plaçant dans une qui semblait y chercher, y découvrir, y
situation forcée et contraire à poursuivre quelque chose de plus que ce
sa nature,
entre une opinion vague et sans motif qui qui paraissait aux sens; et le matérialisme,
lui !dit qu'il est juste, et qu'il doit être fer- épuisant sa férocité sur l'homme, même
merpent assuré de son salut, et conscience
sa après
< sa mort, attester, par sa barbarie
qui lui crie, avec sa voix puissante; qu'il est même,
pécheur, et que les vaines opinions d'un i que tout l'homme n'était pas dans ce
cadavre
« défiguré, et que le principe qui lui
réformateur ne doivent pas rassurer celui
ïsurvivait pouvait encore être sensible aux;
que, sa conscience condamne. Une religion outrages.
<
qui enseigne que Dieu a, de toute éternité, La religion réformée, qui ôte toute liberté
destiné une grande partie du genre humain àl l'homme religieux, tend donc nécessaire-
aux jflanirnes éternelles, puisqu'il les
y con- ment
r à établir la démocratie, qui ôte toute
duityparun enchaînement de causes înévita- 1liberté à l'homme politique;
bles devait jeter ses sectateurs dans Ta- et la religion
catholique,
c qui est lavraie liberté des enfants
théisme et'le matérialisme. En effet, il est é Dieu (Rom. VIII, 21), comme rappelle l'A-
de
plus] naturel de croire
que Dieu n'existe pôtre,
} s'allie naturellement avec la monar-
pas, que de se figurer un Dieu ennemi des chie,
c dans laquelle se trouve, comme on l'a
homïnes, et qui les conduit à leur perte vu, la vraie liberté politique. Aussi la reli-
éternelle; et il vaut mieux, v
pour un coupa- gion
g catholique permet au gouvernement
ble, !croire qu'il ne sera pas, que de croire d donner plus de liberté à l'homme exté-
de
qu'il; sera éternellement et nécessairement rieur,
malheureux et c'est aussi r: parce qu'elle veille de plus près sur
ce qui pouvait l'l'homme intérieur; elle est par excellence
arriver de plus heureux pour]a société; car lé loi qui fait les enfants, tandis que les
la
des matérialistes sans crainte de châtiment au-
sont; moins dangereux
tres
tt ne font que des esclaves, dont le gou-
pour elle que des vernement
v est obligé de gêner les actes les
Chrétiens sans espoir de pardon. plus indifférents, parce que la religion ne
p
C'est dans ces dogmes absurdes, qui ôtent réprime
r< pas efficacement les volontés les
à l'homme toute confiance raisonnable, plus
P criminelles. Je renvoie, à cet égard, à
pour
vouloir lui donner une certitude-absolue de e( que j'ai dit dans la première partie de cet
ce
son salut, dans ces dogmes également con- ouvrage.
Ol
trairas à la nature de l'homme, soit qu'ils Aussi le calvinisme ne convient-il pas à
lui inspirent une sécurité sans motif, ou des l'homme social, puisque, pour professer lo
l'j
terrejirs sans espoir, qu'il faut chercher la calvinisme,, l'homme n'a tout au plus besoin
ce
causé; du suicide si commun dans quelques
que de la Bible; au lieu que le catholi-
q<
pays^Ce crime n'est, pas l'effet du climat, cisme
ci est essentiellement la religion de la
comme on le prétend, puisque les deux vil-
société,
sc puisqu'on ne peut professer le ca-
Iholicisme qu'en société, et qu'il faut, pour l'homme intelligent et physique, consiste à
l'h
le sacrifice qui en forme l'essence, des mi- obéir aux lois ou rapports nécessaires déri-
ob
nistres et des assistants. J'en conclus que, vé de la nature des êtres. L'homme social
vés
sa amour de Dieu, sans amour
de ses sem-
dans la religion calviniste, tout est indivi- sans
duel ou intérieur, Dieu et l'homme il n'y blables, sans amour réglé de soi, sans liberté
bl.
a de Dieu que pour l'homme
intérieur; intérieure
in et extérieure, se détériorera dans
ses habitudes morales et même physiques,
l'homme intérieur est l'interprète de la loi
et le ministre de la religion au lieu que
se
loin de parvenir
lo la perfection intérieure
dans la religion catholique tout est général et extérieure à laquelle il doit tendre, parce
conforme à la na-
ou social, Dieu et l'homme; Dieu
présent qi la perfection est l'état
que
lecteur de
dans le sacrifice, l'homme ministre public ture tu de l'homme social. Je prie le
suspendre son jugement sur des assertions
ou social de la religion et c'est un nou- sr hardies en apparence, jusqu'à ce qu'il
trait de conformité qu'a le calvinisme aussiai
veau
la démocratie, où tout est individuel ei en ait vu le développement, et qu'il ait rap-
avec
particulier, le pouvoir, c'est-à-dire, l'a- proché
pi les preuves que je vais en donner
ou observations qu'il a pu faire lui-même
des
mour de soi, dirigeant la force de tous, et
d4

le catholicisme avec la monarchie, dans la- et el des connaissances qu'il a pu acquérir.


quelle tout est général ou social, le pouvoir, 1° L'homme, dans les sociétés religieuses
c'est-à-dire, l'amour des autres dirigeant la non n constituées, perd la connaissance de
force générale. Dieu.
D C'est, en effet, du sein de la Réforme
domine, dit Bossuet,
L'amour de Dieu n'est donc pas le prin- et e des pays où elle
cipe de conservation des sociétés religieuses qque sont sorties ces opinions monstrueu-
après l'autre, tous
non constituées, ou des sectes; parce que s,ses qui ont attaqué, l'un de
l'amour réciproque de Dieu et des hommes les j( motifs de crédibilité, tous les dogmes
se manifeste par le sacrifice, ou
par le don1la j. religion chrétienne, et qui ont conduit
mutuel de l'homme social à Dieu, et de DieuL l'Europe y au néant affreux de l'athéisme et du
à l'homme social, dans la personne de matérialisme. D
C'est aussi dans une républi»
l'Homme-Dieu. qque, qui doit sa
naissance au philosophisme,
L'amour des hommes les uns pour les au- résultat r inévitable de la Réforme, qu'une as-
tres n'est donc pas le principe de conserva- semblée s politique donnant des lois à une
tion des sociétés politiques non constituées >i grande société, a osé mettre en délibération


puisqu'il n'y a dans ces sociétés que des3 1l'existence de l'Etre suprême et si la crainte
pouvoirs particuliers, c'est-à-dire, l'amourr de {
déplaire au tyran, qui, dans son orgueil,
de soi, qui dirige la force de tous vers l'ob- voulait à toute force donner un Dieu à la
jet de la satisfaction personnelle dé quel- 1France, en attendant qu'il pût lui donner un
ques-uns, et non 1e pouvoir général ou lee maître, n'eût étouffé une discussion dont
monarque, c'est-à-dire, l'amour des autres, l'issue pouvait tromper ses projets, l'univers
de ]
qui dirige la force générale vers l'objet e aurait eu le scandale d'une assemblée de soi-
la conservation de tous. disant législateurs allant aux voix, par assis
11 n'y a donc dans ces sociétés aucun n et levé, sur l'existence de Dieu; et aux ap-
Dieu et!t plaudisséments que reçut, dans cette horde
amour, principe de conservation de
des hommes. Dieu et l'homme ne se conser- r- infâme, le vil scélérat qui se vanta d'être
veront donc pas; c'est-à-dire que la con- athée, il n'est que trop permis de présumer
naissance de Dieu s'effacera de l'esprit dele qu'il y eût été décrété qu'il n'existait pas
l'homme* et que l'amour de son semblable le de Dieu pour l'univers et l'on peut dire de
s'effacera de son cœur. L'homme mettra a ce jour à jamais funeste
donc l'amour de soi à la place de l'amour ir
Une éternelle nuit menaça l'univers.
de Dieu et de l'amour de ses semblables {Demlle, Géorg.)
l'amour de soi sera donc déréglé l'homme le
Montesquieu a remarqué dé son temps,
social n'obéira donc plus aux lois ou rap- )-
Catholiques étaient plus inviaci-
ports nécessaires qui dérivent de la nature
re « que les
dans lés sociétés
és blement attachés à leur religion que les pro-
des êtres il perdra donc,
religieuses non constituées, sa liberté inté- é- lestants, et plus zélés pour sa propagation »
morale, comme il perdra, dans
as et oh peut assurer, sur des observations
rieure et attention ou des aveux recueillis
sociétés constituées, sa liberté exté-
é- faites avec
les nôtre, la religion ré
rieure et physique puisque la liberté, pour ur avec soin, que dans le
Wnaée inspire fort peu d'attachement à
ses Dieu
1 avec la société humaine. Je sais aussi
sectateurs. Si l'on ne voit plus aujourd'hui qque la philosophie moderne, petite-fille de
de
disputes au sein de* la Réforme c'est I, Réforme, indulgente sur tout ce qu'elle
la
qu'ion n'y attache plus aucun intérêt aux aappelait nature faisait violemment soup-
questions qui lui ont donné naissance, et ççonner ses adeptes de porter dans leurs
que, depuis longtemps, tes opinions des ré- mœurs
n l'excessive tolérance de leurs opi-
formateurs ne sont plus les dogmes des ré- nions.
u Or, il ne faut jamais considérer les
forcés. La Réforme est la. maison bâtie sur commencements
c d'une secte, mais ses sui-
le iable, prête à céder au moindre effort des tes
i< comme il ne faut jamais en observer les
ver^ts ou des eaux. (Matth. vu, 26, 27.) Cette sectateurs, mais les dogmes.
s
vérjité deviendra tous les jours plus évi- Le même dérèglement dans l'amour
dente. principe de production des êtres, se remar-
};
2/" J'ai dit que, dans les sociétés politiques que,
q suivant Montesquieu, dans les pays
et religieuses non constituées, l'amour de soumis s à la religion musulmane, et, selon le
soi!, Cook, jusqu'à Otahiti, dans des as-
principe des sociétés de production ou célèbre c
des1 familles,
se dérègle et se détériore. En ssociations d'hommes et de femmes connues
effçt, c'est une observation digne de la plus ssous le nom d'Arreoy, dans lesquelles la li-
sérieuse considération, et qui me parait je- cence ç la plus effrénée autorise tous les excès
terjun grand jour sur la question que je et e ne punit qne la fécondité.
traite, que toutes les sectes qui se sont éle- Jusque dans les républiques qui professent
vées ont porté atteinte à la société naturelle la 1. religion catholiqne, on aperçoit quelque
oujau mariage, soit en profanant sa sainteté, chose c de cette détérioration de la faculté ai-
soit en niant sa nécessité, soit en détruisant manten dans l'homme. Montesquféu lui-même
sort indissolubilité, soit en outrant sa sévé- rremarque que la passion de l'amour, dans
rite. Les désordres infâmes, justifiés par les certaines
c sociétés, ne ressemble pas à cette
moeurs, autorisés même
par les lois dans les même
n passion dans d'autres sociétés, c'est-
républiques
institutions grecques, et transmis avec leurs à-dire à dans celles où l'homme social, obéis-
aux républiques italiennes du sisant à des rapports nécessaires, jouit de toute
moyen âge ces désordres, qui excluent le Si sa liberté. On voit assez fréquemment, dans
véritable amour, puisqu'ils sont contraires à certaines
c> parties de la Suisse, des amants
la fin de la société naturelle, la production vieillir
v sous le même toit sans passion
des êtres, se retrouvent dans le manichéisme, comme ci sans désir; on remarque entre les
verju en Occident de la Bulgarie, et continué jeunesj( gens des deux sexes une familiarité
en France par les albigeois, dont les réfor- ddont l'innocente simplicité n'a jamais été,
tnéà se font honneur de descendre. Les ma- même n au temps de l'âge d'or, dans la nature
nicjiéens comme les albigeois, cohdaM- de d l'homme. L'effet est louable, sans doute,
naient l'union des sexes; ils étaient univer- et e j'y applaudis; mais j'en approfondis la
seljement accusés de mœurs infâmes, et la .ci cause, et, bien loin d'admirer l'homme fort,
preuve irréfragable s'en conserve encore qqui lutte contre ses penchants, et qui las
daris la langue française. Les vaudois, que dompte, d je plains l'homme éteint qui n'a pas
tes ¡réformés confondent avec les albigeois, l'occasion
l' de combattre, parce qu'il n'a pas
et que Bossuet en distingue, n'avaient pas la \t force de sentir. L'amour, dans l'homme
sur le mariage des sentiments bien ortho- lilibre, se produit nécessairement par l'action
doxjes,et ils le détruisaient par une sévérité des d sens:la religion, qui ordonne à l'homme
outrée. Les réformés, je le sais, n'ont jamais de d réprimer ses passions, et qui lui interdit
été accusés de ces excès dans leurs mœurs jt
jusqu'aux désirs, suppose des passions et
mais il n'en est pas moins vrai que la Ré- des d désirs et en lui prescrivant la fuite des
forme a affaibli, par ses dogmes, le lien du occasions
d et l'empire sur ses sens, elle l'a-
mariage, en le rabaissant à une convention vertit yi assez que les occasions sont dange-
purement extérieure, dissoluble au gré des r< reuses et les sens rebelles à l'esprit.
parties, au lieu d'en faire, comme la religion 3° L'amour des hommes, principe de leur
catlioliquo
passions et de un lien indissoluble, frein des conservation,
c( ou, pour parler le langage de
la légèreté, en l'élevant à la la religion, l'amour du prochain, ne s'est
dighité de sacrement, et de grand sacrement, pas pi moins affaibli dans les sociétés non cons-
comme l'appelle l'Apôtre (Ephes. v, 32), tituées ti jamais vérité n'avait été démontrée
puisqu'il estle symbole de l'union dei'Homme- pi par une expérience plus décisive. La révo-
i.«
uuu
a,a lau manifestation
<•_ :““ a“ été
française
lution

consciences elle a mis à l'épreuve les ver-


des
m«nifû£rf,i:nn ,1aC ques endroits.- la prunence
qmies endroits, ou la
prunence ou la rancune à
la place de l'humanité, les particuliers
tus des sociétés comme celles des partisu- meilleurs
m que leur gouvernement et leur
liers; et dans ce creuset, la philanthropie, religion,
r( en ont souvent réparé les torts.
l'humanité, la bienfaisance universelle que Puisse
P le souvenir de l'hospitalité (1)
la philosophie osait substituer à la charité ddonnée et reçue se transmettre dans les
et à l'amour du prochain, se sont évanouies familles comme un précieux héritage qu'il
fi
)( unissent par ces nœuds qui,'chez les an-
les
comme une vapeur légère. Trop souvent
ciens, étaient plus sacrés que ceux de la pa-
une cruelle politique s'était fait un jeu de c:
qu'il présente au Français re-
détruire l'homme une politique épouvan- renté ri même
table s'est fait un système de détruire la so- connaissant
c un adoucissement aux maux
ciété. Puisse l'affreuse connaissance des qu'il q a soufferts, et à l'étranger généreux
moyens employés pour anéantir en France une u ressourceaux maux qu'il pourrait crain-
jusqu'aux principes de la vie, rester sous le dre; d et qu'ainsi s'accomplisse le vœu de la
voile qui les couvre, et que, pour l'honneur• religion,r qui prescrit l'amour entre les hom-:i
de l'espèce humaine, la postérité ignore. lei mes, n lors même que la politique commande
secret de cette effroyable conjuration de lat la 1 guerre aux sociétés!
philosophie et de la politique contre la so- Détournons les yeux de ce tableau pour
plus géné-
ciété 1 Les malheurs individuels, qui ont été5 1les fixer sur des considérations
Ja suite des désastres publics n'ont pas5 raies.
r Elles nous fourniront de nouvelles
excité, dans quelques sociétés, l'intérêtt |preuves que l'amour des hommes
s'estaffai-
sociétés à mesure que la consti-
que des revers aussi grands et aussi peuz 1bli dans les
mérités devaient trouver dans des Etatss ttution s'y est altérée.
chrétiens; et ce qui vient à l'appui de mess En Angleterre, le vol est une profession
principes, est que la différence qu'on a pui presque ]
publique et des attentats contre la
apercevoir dans les mesures de bienfaisance e propriété
]
commis par la populace, un évé-
fréquent et dont la police se con-
ou de, rigueur adoptées par les gouverne- neinent i

ments, a paru tenir, en général, à leurs prin-i- 1tente d'arrêter les suites peuple ou de prévenir
A Amsterdam le pille aussi
cipes constitutifs, soit religieux, soit politi- l'excès.
1

'
ques; puisque les mêmes infortunes ontit 1les maisons de ceux qui lui ont dépiu dans
publique les
éprouvé te même accueil dans les républi- l'exercice de quelque fonction
ques catholiques et dans les monarchies ré- lois autorisent des établissements
infâmes
it où de malheureuses victimes de
l'inconti-
formées, c'est-à-dire dans les Etats qui avaient
publique et de la cupidité particulière
une constitution religieuse ou politique. Jee nencevouées, pour leur vie, à un genre
sais que des mesures de prudence, absolu- t- sont
n d'esclavage tel qu'il n'en a
jamais existé de
ment indispensables dans une révolution (2) et la
dirigée particulièrement contre les rois ca- t- semblable dans aucune société
tholiques, ont éloigné des résidences roya- i- police souffre que des brigands,
agents du
les, des malheureux parmi lesquels il pou- i- gouvernement, enlèvent par toutes sortes
vait se glisser des traîtres; mais je sais aussisi de moyens, des jeunes gens qui vont,expier
possessions malsaines de l'Inde,
que des Etats, qui ne pouvaient avoir le dans îes
même motif, leur ont refusé l'hospitalité Far une mort prématurée, le malheur
d'avoir
lit dans les
qu'ils ont craint ou feint decraindre d'irriter sr mis le pied dans Amsterdam. On
ennemi puissant comme s'ils ignoraient
nt voyageurs les plus accrédités ( 3) des traits
un gouvernement
qu'un peuple qui veut être libre, doit s'ar- r- de barbarie de la part du
s'il le faut, pour faire respecter ses
îs hotlandais, révoltants dans un peuple chré-
mer,
vertus, plutôt encore que pour faire res- s- tien, et qui veut être plus Chrétien que
réformé.
pecter ses frontières. Mais, si les gouverne- e- d'autres, puisqu'il est Chrétien,
ments et les religions ont mis, dans quel- 1- Tout ce que ce peuple a fait pour s'assurer

il) ut
Hôte en français, hospes en latin, signifient lés musico s'enrichissent dans peu de temps, etleur par
police
fois
celui qui reçoit et celui qui est reçu. C'est à la )is toutes sortes d'escroqueries; alors léger
la
prétexte, elle
cherche querelle, et sur le plus
une preuve et un symbole de l'union intime que
ue
V hospitalité doit établir entre les hommes; et c'est 'st leur impose une amende qui absorbe presque tout
nt
la raison potiv laquelle 'l'hospitalité à prix d'argent leur profit, et elle répare ainsi une infamie par une
ou le métier d'aubergiste était vil chez les anciens.
~s· injustice. is
Il est beaucoup plus considéré en Suisse et en Al-
U- JI1J(U3) Vpy. les Voyages de,le Vaillant au cap
lemagne qu'il ne l'est en France. Bonne-Espérunce.
( 9 Lesdirecteurs dfr ces établissements appe-
io-
.6-
la possession exclusive de certaines bran- On peut remarquer les mêmes injustices
ches de commerce, est d'une cruauté qui dans toutes les républiques. Là-où les prin-
n'fst croyable que pour ceux qui connais- cipes sont les mêmes, les effets ne peuvent
sejit. à quel point l'amour de la propriété être différents. Le landamman du canton
étouffe, dans le. coeur de l'homme, l'amour d'Appenzell est décapité pour avoir perdu
dejson semblable. Le coeur se serre, en lisant un petit procès, par le même principe que le
le code de lois, que, pour la sûreté de général de la république de Carthage était
l'Etat la république de Venise a porté mis en croix pour avoir perdu une grande
coptre les chefs eux-mêmes du
gouverne- bataille et puisqu'il faut le dire, que
ment terribles maîtres, mais qui se sont l'amiral Byng était exécuté à Londres pour
en|lacés de leurs propres chaînes Dans les n'avoir pas ,été heureux. La société doit
caillons démocratiques de la Suisse, la sévir contre la trahison prouvée; mais elle
Sûreté des personnes et le droit de propriété doit plaindre le talent malheureux, et s'im-
ne, sont pas à l'abri de l'oppression popu- puter à elle-même les fautes de l'inexpé-
lajre. Personne, en Suisse n'ignore la fin, rience présomptueuse. Quand le sénat
tragique de Joseph Snltev, landamman ou romain remerciait l'indocile Varron de
premier magistrat de la partie catholique du n'avoir, pas désespéré du salut de l'Etut,
canton d'Appenzell,décapité en 1784. Accusé Rome était monarchique, et c'est alors que
pa'r la clameur populaire, c'est-à-dire,
preuves, de s'être laissé corrompre dans la
sans son sénat était jraiment une assemblée de
rois (2)
pojursuite d'un procès qu'il soutenait
au Mais la société en "général est Dieu,
nojm du canton, il fut destitué banni, l'homme et la propriété et par conséquent
déipouillé de ses biens, attiré, neuf ans l'homme social ne peut aimer que Dieu,
après, dans sa patrie par une indigne super- l'homme, ou la propriété. S'il perd l'amour
ehjerie, illégalement arrêté, forcé par les de Dieu et de l'homme, il aura donc néces-
tourments de s'avouer coupable, condamné sairementl'amour de lapropriétéj parce que
enlfin
au dernier supplice, avec un oubli de l'homme ne peut exister sans amour, ni son
tous les principes un mépris de toute loi, amour sans objet,. L'amopr de la propriété
de| toute pudeur, de toute justice, qui méri- remplace donc, dans l'homme des sociétés
tenait à cet infortuné une place distinguée religieuses ou politiques non constituées,
parmi les illustres victimes de la fureur et l'amour de Dieu et l'amour des hommes, et
dejla déraison populaires, si, plus touchés l'or sera le dieu, sera le roi de ces sociétés.
de! la réalité des malheurs que de la celé- Ce n'est point ici une métaohore, et le lec-
brjté des noms,. nous accordions aux infor- teur instruit me dispense sans doute de la
tuiies d'un landapiman d'Appenzell, notre preuve d'une vérité plus évidente que les
contemporain,, l'intérêt que nous donnons à vérités géométriques les plus élémentaires.
celles d'un proconsul romain ou d'un géné- Si l'imperfection des institutions agit sur
rai athénien (1). l'homme et le déprave, la dégéuér.ation ds
(1) Ces. détails sont tirés d'un recueil de pièces et la religion même défend de regarder la mort
relatives à cette affaire, et dont on assure qu'on a comme un mal, mais on doit lui rendre et à sa
défendu la publication, En France, le procès de famille l'honneur qu'ils ne doivent jamais, perdre par
M.lde Lally a été revu, la mémoire de Calas a été une condamnation injuste. Le pouvoir génér?!
l'habilitée,sa familledédommagée, et ses malheurs doit donc redresser les erreurs malheureuses,
chantés en vers et en prose, avec une affectation quelquefois inévitables, des tribunaux; et c'est
qui dénotait visiblement l'esprit du parti. On sait pour cela que l'appel a été établi mais il ne doit
que Calas était réformé. Les glaces éternelles de ]pas souffrir qu'on les avilisse, qu'on les livre au
la Suisse seront fondues avant que la mémoire du mépris public, et qu'un bel esprit fonde sur leur
malheureuxSütter soit. réhabilitée. Un tribunal diffamationl'espoir
< de SA renommée. On pouvait,
peiit errer! mais un peuple! Il n'est pas hors de en
t France, avant révolution, se donner à peu de
la
propos d'observer que l'usage s'introduisait en 1frais une réputation de courage en attaquant la re-
France de relever'appel de tous les jugements cri- 1ligion, le gouvernement, les lois, les tribunaux, les
ini'nels devant les philosophes. Il faut se faire des mœurs,
i que personne ne défendait.
idées justes des choses.. La condamnation d'un in- ( 2) Les monarchies punissent plus sévèrement
nocent est un malheurparticulier, qu'un juge-doit (que les républiques les crimes qui détruisent la*
payer de sa tête, s'il l'a condamné par passion société
s naturelle, comme le vol, l'assassinat, parée
qu'il doit réparer de toute sa fortune et pleurer t
que la monarchie conserve plus la famille qui est,
?vecdes larmes de sang, s'il l'a condamné par une sson élément: la république punit plus sévèrement
erreur qu'il fût en son pouvoir de connaître l'a- que
c la monarchie les crimes de l'honiThe qui 'atten-
vilissement d'un tribunal est une calamité publique, tent
t à la société politique, parce que la: république,
puisque le tribunal est force publique, ou action périt
j tôt ou tard par un homme, ce qui ne peu!
du! pouvoir général. L'on
ne peut rendre la vie arriver
s dans la monarchie.
à individu, mais i! devait la perdre tôt ou tard,
ï'homïfiê réagit sur le gouvernement, et le gné les vraies causes du caractère de ce
éorrompt. L'or, chez quelques peuples, est peuple estimable. Sa paresse, son orgueil et
devenu l'unique mobile du gouvernement, sa bonne foi, ont un principe commun, l'a-
comme il est Tunique passion de l'homme. mour de l'homme et le mépris de la pro-
« La Suisse, dit la Politique des cabinets, priété il travaille peu, parce qu'il n'a pas
« sans désirs, ou du moins sans espoir de
d'attachement à la propriété; il est juste et
conquêtes sans éclat sans activité au fidèle, parce qu'il aime l'homme il est fier,
dehors, ne forme" de prétentions, de projets, parce qu'il s'estime lui-même et qu'il a le
que pour J'argent, et l'argent est devenu noble sentiment de l'empire que l'homme
l'unique but, le grand objet de sa politi- doit exercer sur tout ce qui n'est pas lui,
» dit te même
que. » « Les Chinois, au contraire,
Cette passion du gain est cupidité dans auteur, « ont une activité prodigieuse, et un
une nation forte, avarice dans une nation désir si excessif du gain, qu'aucune nation
faible; et l' Anglais attaque à main armée Je commerçante ne peut se fier à eux. Cha-
commerce de toutes les nations, par le même que marchand chinois a trois balances, une
principe qui fait qu'un Hollandais vit de forte pour acheter, une légère pour vendre,
pain et de fromage, pour pouvoir l'empor- et une juste pour ceux qui sont sur leurs
ter sur les autres peuples commerçants, pargardes. »
Je bas prix du transport; que le Genevois II ne faut pas sortir de l'Europe pour trou-
ée tourmente de spéculations, calcule les ver des peuples excessivement actifs, avi-
probabilités de la vie et de la mort, pour des de gain, et peu délicats sur les moyens
pouvoir placer son argent au plus haut in- qu'ils emploient pour étendre, leur com-
Sérêt et que le Juif prête à usure, achète merce et grossir leurs richesses. Qu'un mar-
des haillons et des bouquins, pour soute- chand de Pékin me trompe avec une ba-
nir sa misérable existence. lance dont je ne puis vérifier le défaut, qu'un
La religion, qui ordonne le mépris des commerçant européen avilisse le papier que
richesses, même alors qu'on en use, place j'ai dans les mains, par un agiotage dont je
donc l'homme dans son véritable état de ne puis connaître le secret, je n'y vois d'au-
force et d'empire, qui consiste à user en tre différence que celle qu'établit entre les
maître de tout ce qui n'est pas lui et quii peuples le degré de leurs connaissances. Ces
n'est fait que pour lui* peuples avides sont bas et rampants, s'ils
Un peuple constitué ou perfectionné doit sont faibles insolents s'ils sont forts; parce
donc avoir l'amour de Dieu dans la société que les uns attaquent la propriété d'autrui
religieuse, l'amour de l'homme dans la so-• avec la ruse, et les autres avec la force, et
ciété politique, et le mépris de la propriété. que l'amour de la propriété avilit ceux-ci,
Observons dans les peuples les effets de ces comme l'excès des richesses enorgueillit
sentiments, effets que les écrivains politi- ceux-là. L'Espagnol est donc paresseux
ques ont aperçus, sans en connaitre lai juste et fier; et le principe de ses défauts,
cause. comme de ses vertus, est dans une consti- {
L'auteur de l'Esprit des lois accuse les tution religieuse et politique, qui lui donne
Espagnols d'orgueil et de paresse; mais ilI l'amour de Dieu et de l'homme, et le mépris
tend justice à leur extrême bonne foi danss de la propriété. D'autres peuples sont actifs,
le commerce, reconnue de toutes les na- injustes, bas ou insolents et le principe de
tions- de FEtfrope.« Cettequalité admirable,») ces qualités bonnes ou mauvaises est dans
dit-il, Il jointe à leur paresse, forme un mé- des constitutions religieuses et politiques,
lange dont il résulte des effets qui leur sontt qui; affaiblissant l'amour de Dieu et de
pernicieux les peuples de l'Europe fontt l'homme, accroissent dans la même propor-
sous leurs yeux tout le commerce de leurf tion l'amour de la propriété.
monarchie. » Cet auteur attribue la paresse Les étrangers, au milieu desquels la par-
de l'Espagnol à son orgueil, et son désin- tie de la nation française la plus empreinte
téressement à son climat. Il ne peut pas yr du caractère national, parce qu'elle tient
avoir d'excès dans le désintéressement et laï de plus près à la constitution, a été jetée
bonne foi d'un peuple, mais il y en a tou- par la tempête révolutionnaire, ont généra-
jours dans son indolence à ce^ égard, l'Es- lement trouvé aux jeunes Français trop d'a-
pagnol n'est pas exempt de reproche maiss mour pour un sexe, ou du moins des maniè-
il s'en faut bien que Montesquieu ait assi- res qui l'annoncent plus souvent peut-être
yi vma. r:au a u. a vau w.u.
qu'elles'ne l'expriment. Ils ont trouvé aux ffortunes n'a pas été le plus malheureux effet
Français d'un autre âge des manières dou- ddu système et de la régence. Une adminis-
ces et affectueuses ils ont admiré dans tous ttration sage aurait pu
rétablir les affaires;
une extrême sobriété pour le manger, et mais r les mœurs une fois dépravées ne se
plus encore pour le boire; de la tranquillité, rétablissent
r plus que par la révolution d'un
delà gaîté même au milieu des revers les JEtat, et je les ai vues s'altérer sensiblement.
plus accablants un désintéressement qui Dans I le siècle précédent, la noblesse et le
allait jusqu'à l'insouciance, quelquefois jus- militaire
t n'étaient animés que par l'honneur;
qu'à la prodigalité, au milieu du dénûment le 1 magistrat cherchait la considération;
le plus absolu; c'est-à-dire qu'ils ont ré- 1l'homme de lettres, l'homme à talent ambi-
marqué chez le Français l'amour de l'honi- tionnaient
t la réputation; le commerçant se
me et le mépris de la propriété. C'est là, glorifiait
§ de sa fortune, parce qu'elle était
j'ose le dire, le caractère d'un grand peuple, tune preuve d'intelligence, de vigilance,
de
d'un peuple constitué et il ne manque plus travail t et d'ordre. Les ecclésiastiques qui
qu'à régler dans t'individu l'amour de n'étaient i pas vertueux, étaient du moins
l'homme, et à mettre des bornes au mépris forcés i de le paraître. Toutes les classes de
objet, c'est
de la propriété. C'est ce que fait la religion, 1l'Etat n'ont aujourd'hui qu'un
subordonnant l'amour de l'homme aux d'être
< riches, sans que qui que ce soit tixe
en
lois qu'elle porte ou qu'elle sanctionne, et les 1 bornes de la fortune où il prétend. Cette
nobiesse,quisacrifiaitsigaiment sa vie à son
le mépris de la propriété à l'obligation du ]
travail qu'elle prescrit. honneur,
1 immole, sans scrupule,son hon-
C'est aussi chez les Français que se trou- neuri à sa fortune. Nous verrons dans la
cupidité gagner la
vait le plus d'amour de Dieu, puisque c'é-• suite la gangrène de la
dévouée par état à
tait en France que se trouvaient les ordres classe de la société,
religieux les plus austères, ceux qui de- l'honneur (le militaire). Si la régence des est
dépravation
mandaient de l'homme l'acte le plus fort de» une des époques de la
plus
l'amour de Dieu, je veux dire, le sacrifice» mœurs, le système en est encore une
le plus entier de lui-même et de sa pro- marquée de l'avilissement-des âmes. » L'au-
priété (1). Amour de Dieu, amour deî teur termine ce tableau par des détails fait, sur
avait
l'homme, mépris de la propriété voilà lei la finance dont le gouvernement sociale
secret de la grandeur de la France et de l'a- en France, une profession presque im-
mabilité du Français voilà le moyen de lai et publique, un état mesure fausse et
grandeur de tout peuple, et de la perfectioni morale, qui tend à détourner sur l'argent Is
fonc-
à laquelle il peut parvenir. Le Suédois, dontt considération qui n'est due qu'aux
la religion est moins imparfaite, puisqu'elleî tions. Une profession ne peut pas être à la
lorsque le lucre
est épiseopale, et dont le gouvernement ai fois honorable et lucrative, Duclos re-
été une monarchie très-prononcée, mêlée3 en est l'objet principal. Aussi
l'inconsidération où a
de quelques intervalles d'aristocratie, a t( marque avec raison
selon Coxe, des habitudes bien supérieuress été la finance en France, tant qu'il y a eu

à celles de quelques autres peuples dui des mœurs publiques, et la
faveur qu'elle a
Nord. Ce caractère national s'était détérioréé prise à mesure que les mœurs se sont cor-
dont les financiers
en France il commença à s'altérer dans laa rompues corruption progrès
révolution des propriétés, que le duc d'Or- eux-mêmes ont hâté les par le spec-
léans régent tit avec le secours d'un étran-1. tacle d'une fortune que quelques-uns ont
ger il avait toujours été en s'altérant de- dissipée avec
autant de. scandale qu'ils l'a-
puis cette époque jusqu'à la révolution dess vaient amassée avec facilité.
hommes et des propriétés, qu'a faite le ducc Amour de Dieu, amour de l'homme, prin-
d'Orléans, arrière petit-fils du régent maiss jj cipe de la religion et de la monarchie mé-
il peut se rétablir par cette révolution mé- £ pris
de la propriété, effet de l'un et de l'au-
é
me. « Le système deLaw,»ditDuclos,«aété tre. Aussi remarquez
leur influence sur la
siècle
et a dû être encore pernicieux pour laa société: le siècle de Louis XIV, le
France; cependant le bouleversement dess j.j. de la religion et de la monarchie, le sièc.e
I-
( 1 ) Les religieux de la Trappe ont été accueil- qu'aux privations que leur position nécessite,
la
Ha
clianW
lis en corps dans le canton de Fribourg, où ces is joignent les retranchements que demande
saints anachorètes mènent une vie plus austère en- pour les malheureux.
core que celle qu'ils menaient 'eu France, parce';e-
691
de Condé et de Turenne, de Tourville et de
aa.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
uu ~VJ.J,.a"IJ.
692
l'amour, principe de conservation des ôtros
ôtros
ViI4

Vauban, de Colbert et de Pontchartrain, de tient à la fois à l'homme moral et à l'homme


Bossuet et de Bourdaloue, de Malebranche physique. Celui-ci s'écartera donc, dans ses
et de Descartes, de Fénelon et de Pascal, de habitudes, des lois ou rapports nécessaires
Corneille et de Racine, de Molière et de La qui dérivent de la nature des êtres physi-
Fontaine, de Despréaux et de Labruyère, a ques comme celui-là s'écarte, dans ses de-
été le siècle de la force, du génie, de la voirs, des lois ou rapports nécessaires qui
gloire, du désintéressement, de la probité. dérivent de la nature des êtres intelligents.
Le siècle de la philosophie et de la républi- Car qu'on ne pense pas qu'on ne puisse
que, le siècle du Système de la nature, du soumettre les habitudes même physiques de
Christianisme dévoilé, du Contrat.social, de l'homme à des lois ou rapports nécessaires,
l'Encyclopédie, du poëme de la Pucelle, de c'est-à-dire, tels qu'ils nepuissent être autre-
la Déclaration des droits, a été le siècle de ment sans choquer la nature des êtres. Or,
la faiblesse de' la honte de l'agiotage, comme sur le même objet il ne peut y avoir
de l'égoïsme, des roués et des Jacobins. qu'un rapport nécessaire, si l'on concluait
Le siècle de Louis XIV était le siècle de de mes principes que la même constitution
l'intelligence; il fut le siècle d'une vraie politique et religieuse donnerait à tout peu-
et sublime philosophie, de l'éloquence et ple les mêmes habitudes, formerait en lui
de la poésie, des grandes pensées et des le même caractère, relèverait au même de-
grandes actions; notre siècle est le siècle gré de perfection morale et physique, j'a-
des sens; il a été le siècle de la musique dopterais cette conséquence dans toute son
( 1)., de l'histoire naturelle, de la physique, étendue.
des petites recherches, des petits calculs et Ainsi, l'usage reçu en France de nourrir
des actions infâmes. Et qu'on ne dise pas les enfants avec du lait de femme est plus
que la force et la gloire du siècle dernier naturel, c'est-à-dire, plus nécessaire, que la
ont coûté cher aux peuples car il serait ai- coutume reçue dans plusieurs parties de la
sé de répondre, et la preuve en est sous nos Suisse, de l'Allemagne, dans presque toute
yeux, que là faiblesse et là honte du nôtre la Hollande, de les nourrir avec une bouillie
leur coûtent bien davantage (2). épaisse et il est étonnant que J.-J. Rous-
CHAPITRE VIII. seau, qui s'est si fort échauffé à prouver aux
mères qu'elles devaient allaiter elles-mêmes
SUITE DU MÊME SUJET. DÉGÉNÉRATIONDANS
leurs enfants, n'ait pas commencé par per-
LES HABITUDES PHYSIQUESDES PEUPLES DANS suader à ces peuples qu'il était raisonnable
LES SOCIÉTÉS NON CONSTITUÉES.
et dans les vues de la nature de nourrir les
Si l'homme moral se détériore dans les so- enfants avec du lait de femme. D'ailleurs
ciétés religieuses non constituées, l'homme une femme qui allaite un enfant, lui parle,
physique se ressentira lui-même, dans ses le caresse, développe beaucoup plus tôt en
habitudes, de cette détérioration, parce que lui la faculté de parler et, de sentir, prend
( i ) La musique, qui enflamme les passions, I
toujours joué un grand rôle dans les républiques.a vers de cosmopolites comme l'effet nécessaire de
l'abolition de la.loi qui attachait le paysan à la
La France révolutionnaire s'en est servie avec glèbe, a été de dépeupler les campagnes de cultiva-
succès. teurs, pour peupler les villes d'indigents et de vau-
( 2). On fait honneur à notre siècle d'une foule
riens et quoique cette dernière loi ne nous con-
<ie changements que le gouvernement
se serait bien vienne peut-être plus, on ne peut s'empêcher de
gardé de faire dans le siècle dernier. J'en prendrai convenir qu'elle tendait à prévenir l'accroissement
au hasard un exemple. La suppression du droit excessif de ces cités immenses, cause prochaine de
d'aubaine sur les étrangers morts en France a été corruption pour les mœurs, de révolution pour les
célébrée comme une opération philosophique, ca- Etats. Dans les changements que les gouvernements
pable d'illustrer le siècle qui la voit éclore, le mi- ont faits dans ce siècle, ils n'ont consulté trop
nistre qui la conseille, le souverain qui l'exécute. souvent que le bien-être et la commodité de l'in-
Cette loi avait été introduite par la nature même dividu, et non la conservation des sociétés. Ils ont
de la société, pour empêcher le déplacement des persuadé aux peuples que l'argent était richesse,
hommes, et fixer chacun, autant qu'il est possible, que la richesse était vertu, que le plaisir était bon-
sur le sol qui l'a vu naître et qui doit le nourrir, heur, et le peuple à son tour a cru que l'indépen-
et dans le pays qui a été le berceau de sa famille, dance était liberté, et la confusion égalité; et
et dont il doit accroître la prospérité par son tra- l'homme n'a pas vu que, lorsqu'il ne dépend que
vail, et défendre l'indépendance par sa force. Dans de lui-même, il est esclave, parce qu'alors il dé-
les individus commechez les peuples, les plus voya- pend d'un tyran.
geurs sont toujours les plus corrompus. La sup- La société, pour être libre, doit être indépen-
pression du droit d'aubaine n'était bonne qu'à dé- dante l'homme, pour être libre, doit être dépen-
peupler les sociétés de sujets, 'pour peupler l'uni- dant.
pour lui des sentiments, de.la vivacité des- égal, beaucoup moins d'esprit de vin, et p.ar
quels une mère et une nourrice peuventt conséquent beaucoup plus d'eau que k'à
seules juger. Or toutes les habitudes, tou- vins du Midi; et c'est pour compenser ce
tes les institutions de l'homme en société, défaut de qualité de leurs vins, que les peu-
doivent tendre à augmenter le sentiment ou ples du Nord boivent beaucoup d'eau-de-
l'amour de l'homme pour l'homme, puisque vie. D'un faux principe cet auteur ne peut
l'amour est le principe de conservation des tirer que des conséquences erronées. « II
êtres en société politique et il est évident est naturel, dit-il, que là où le vin est con-
que, dans les sociétés ou les mères refusent traire au climat et par conséquent à la santé,
de donner leur lait, ou de se donner, pour l'excès en soit plus sévèrement puni que
ainsi dire, elles-mêmes à leurs enfants, el- dans les pays, où l'ivrognerie a peu de mau-
les s'aiment plus elles-mêmes qu'elles- n'ai- vais effets pour la personne, où elle en a
ment leurs enfants. Chez un peuple célèbre, peu pour la société, -où elle ne rend point
les femmes sont accusées d'aimer plus leurs les hommes furieux, mais seulement stupi-
petits que leurs enfants aussi l'on y prend des. »
plus de soin de l'éducation de l'homme phy- 1° La différence entre le caractère de
sique que de celle de l'homme moral. l'ivresse des différents peuples tient à l'es-
Le goût général et constant, disons mieux, pèce.de leur vin; et comme il est plus spi-
la fureur des peuples du Nord pour le tabac ritueux dans le Midi, l'ivresse y est plus
à fumer et les boissons enivrantes, ces ha- forte, et ses écarts y sont plus dangereux,
bitudes pernicieuses, dont la première oc- parce que l'homme y a plus de sentiment.
cupe l'homme intelligent sans exercer sa 2° Le gouvernement, qui doit conserver
pensée, et l'homme physique sans exercer l'homme intelligent comme l'homme physi-
sa force, et dont la seconde aliène la raison que, doit punir non-seulement l'homme
de l'homme, et souvent déprave sa force: ces physique qui devient furieux, mais l'homme
habitudes se retrouvent dans toutes les so- intelligent qui devient stupide.
ciétés non constituées, chez le Turc qui Tu · Il faut donc chercher une autre cause que
me et qui s'enivre avec de l'opium, et jus celle du climat à une coutume dégradante
que chez le sauvage, passionné pour la pipe qu'on aperçoit dans des climats si opposés
et les liqueurs fortes. «Le climat, » dit Mon- elle est donc l'effet des institutions politi-
tesquieu, « semble forcer les pays du Nord à ques, puisqu'elle est nationale, selon Mon-
une certaine ivrognerie de nation, bien dif- tesquieu lui-mêine, dans toutes les sociétés
férente de celle, de la personne. Un Alle- non constituées, ou dans celles qui ne con-
mand boit par coutume, un Espagnol par servent pas l'homme dans sa perfection, et
choix. j> Montesquieu a aperçu l'effet; et qu'elle n'est que personnelle dans les
parce qu'il ne peut en découvrir la cause, il autres.
l'attribue à l'influence du climat et pour La manière dont le Français et l'Espagnoi
justifier cette opinion, démentie par les faits, se nourrissent est certainement plus saine
il entasse des principes insoutenables en que la manière dont se nourrissent les An-
physique et en chimie, et il avance que l'eau glais, les Allemands, les Hollandais; parce
est d'un usage admirable dans les pays très- que les premiers mangent beaucoup de pair»
chauds, tandis qu'il est prouvé que c'est et peu de viande, et que les autres mangent
dans les pays chauds qu'on a le plus besoin beaucoup de viande et peu de pain, souvent
d'user de liqueurs spiritueuses, qui don- même la viande sans pain et à moitié crue,
nent du ressort à l'estomac débilité par l'ex- ou vivent de mauvais café, de beurre et de •

cessive transpiration et le relâchement gé- fromage, d'eau-de-vie, etc. Et qu'on ne dise


néral des solides. Tout le monde sait qu'il pas que la nature refuse à ces peuples le blé
est mortel dans nos colonies d'Amérique de nécessaire à leur subsistance; car, outre
faire usage de boissons délayantes, comme que ecux à qui le blé manque peuvent s'en
l'eau aussi la nature a,donné des vins spi- procurer par le commerce souvent à meil-
ritueux aux peuples du Midi, et des vins leur prix que ceux même qui le cultivent
froids et sans liqueur aux peuples du Nord. il est reconnu que certains peuples du Nord,
Il est même vrai de dire que, si l'habitant tels que les Suédois, en auraient. assez pour
du Nord ne buvait que du vin, il boirait plus leur consommation, s'ils en employaient
d'eau que l'habitant du Midi; puisque les moins dans la distillation des eaux-de-vie,
vins du Nord contiennent, sous un volume ou la fabrication de la bière. Il ne faut pas
crolre, sur la foi de Montesquieu, que les lourd pour le solide, la richesse pour l'or-
hommes du -Nord mangent beaucoup plus nement couime ils prennent dans les ma-
que ceux du Midi cet auteur paraît ignorer nières la pesanteur pour la gravité, la taci-
que les comestibles dans le Midi ont infini- turnité pour la réflexion, la brusquerie pour
ment plus de substance, sous le môme vo- la franchise, et l'apathie pour la bonté.
lume, qu'ils n'en ont dans le Nord. Le Enfin, et j'invoque sur cette dernière as-
Français ne mangerait pas, en Languedoc, sertion le témoignage de ceux qui ont été à
en pain de froment, le volume de pain qu'il portée d'en faire l'observation, la morale,
mange en Allemagne en pain d'épeautre. ou, pour mieux dire, les.moralistes ne sont
Les viandes sont plus grasses dans le Nord, pas aussi sévères dans d'autres pays, même
et par cela même elles contiennent moins catholiques, qu'ils le sont en France, chez
de parties nutritives. cette nation si frivole et si corrompue. Ainsi
L'usagé qu'a. le Français en général de ne les magistrats,il y a cinquante ans, les ec-
rien prendre après ses repas est plus sain clésiastiques encore aujourd'hui, s'interdi-
et plus naturel que celui des peuples du saient en France le spectacle; et c'était, dans
Nord, qui boivent à toute heure du vin, de les casuistes, une preuve de relâchement da
la bière, et souvent même des boissons le permettre aux laïques. En Allemagne, en
chaudes, comme l'Anglais et le Hollan- Italie, les spectacles sont fréquentés par les
dais. personnages les plus graves; le masque,
L'habitude qu'a le Français de se prome- que les moralistes les plus indulgents blâ-
ner, de faire de l'exercice, de se tenir l'hiver maient en France, est en Italie le plaisir
dans des appartements modérément échauf- ordinaire de tous les états, de tous les âges,
fés, est plus saine et plus naturelle que celle de tous les sexes. 11 serait aisé de prouver
de ces peuples sédentaires qui passent la l'extrême facilité, pour ne rien dire de plus,
plus grande partie de la journée assis et des moralistes en Allemagne sur des objets
dans une atmosphère brûlante. J'ai remar- bien autrement intéressants pour les mœurs;
qué, dans la première partie de cet ouvrage, aussi je ne crains pas d'avancerque, laissant
que les arts se perfectionnaient dans la so- à part les grandes villes, partout corrompues,
ciété, avec la constitution; et, sans entrer les mœurs, dans les campagnes et les petites
ici dans un détail qui serait le sujet d'un villes, étaient plus pures en France qu'elles
ouvrage très-intéressant, il me suffira de ne l'étaient en Allemagne, dans les mêmes
faire observer que, quelle que soit la pré- endroits (2).
vention de chaque nation pour ses écrivains, Qu'on ne m'accuse pas de partialité dans
ses artistes et ses usages, le goût dans les la comparaison que je viens de faire entre la
ouvrages d'esprit, dans les productions des France et les autres nations. Si, dans les
arts, dans les habitudes même de l'homme productions de l'esprit, dans celles des arts,
n'est pas arbitraire ( 1 ) mais qu'il doit être dans les mœurs, les manières, la langue
en tout un rapport nécessaire dérivé de la même, les autres peuples ne sont pas encore
nature des êtres sociaux ou perfectionnés; parvenus à la perfection, le Français l'avait
et qu'à en juger par cette règle immuable et dépassée; et depuis un demi-siècle, il y
indépendante des conventions humaines, avait trop d'esprit dans les productions de
certains peuples prennent, dans les ouvrages l'esprit, trop d'art et de recherche dans les
d'esprit, le trivial pour le simple, l'extraor- productions des arts; le naturel des manières
dinaire pour le beau, le gigantesque pour le avait dégénéré en frivolité, la facilité des
sublime; qu'ils prennent dans les Droduc- mœurs en mollesse, l'expression de la lan-
tions des arts le difficile pour le parfait, le gue en exagération, et sa délicatesse en
( 1 ) Je crois, pour en donner un exempte, que licence, de peur de gêner la liberté. Ce n'est pas
la manière de monter à cheval de certains peuples ainsi qu'on doit gouverner les hommes les gou-
n'est pas un rapport nécessaire dérivé de la nature vernements sont institués pour les forcer à être li-
de l'homme physique ni de cellede l'animal et que bre3, c'est-à-dire bons. Au reste", j administration
la mode actuelle de s'entourer le cou d'une im- ne doit prêter main forte à la religion que
mense quantité de mousseline est un rapport con- pour réprimer des désordres graves. 11 faut bien
traire à la santé de l'homme chez qui elle peut distinguer le conseil du précepte H est des choses
augmenter la disposition déjà trop commune à l'a- à l'abus desquelles la religion doit opposer des di-
poplexie du sang. gues, ma.is,que l'administrationpeut tolérer. L'Etat
(2) En France, depuis quelques années, les est alors comme une famille où le papa gronde bien
curés, dans les campagnes, ne trouvaient pas tou- fort, et où la maman plus indulgente se garde bien
jours dans l'administration assez de secours et d'approuver la faute, mais elle essuie les pleurs et
d'appui pour réprimer les désordres. On tolérait la donne du bonbon.
pruderie (i) 11 se faisait en France, dans dans
< lés caractèrès de certains peuples du
les hommes et dans les choses, une révolu- j
Midi; et cherchant toujours, dans les climats,
tiori insensible, dont les effets, sourdement 1la raison des exceptions, comme il a trouvé
destructeurs, n'ont pu être arrêtés que par 1le, motif des règles générales, il en vient à

une révolution subite et totale qui a mis à des


< absurdités qui ont fait abandonner le
découvert les plaies mortelles de la sociétés système, lors même que l'on prodigue en-
Ainsi, lorsque les excès des passions, ou core des éloges à son auteur.
<
un régime vicieux, ont corrompu les hu- C'est parce que les peuples des sociétés du
meurs dans le corps d'un homme robuste» il Nord non constituées n'ont plus d'amour ou
se sent affaiblir sans connaître la cause de de sentiment, qu'ils n'ont plus que des opi-
son affaiblissement, il a les mêmes facultés nions, que les opinions nouvelles y font une
sans avoir la même force; et un dépérisse- fortune si rapide et si brillante. Après Wi-
ment irisensible le conduit lentement au clef, Jean Hus, Jérôme de Prague, Luther,
tombeau, si la bienfaisante nature élaborant, Calvin et mille autres ont tour à tour établi
dans une nouvelle fermentation, les sucs leurs opinions avec la même facilité et dans
nourriciers et conservateurs, ne rétablit, par le moment où j'écris, un professeur de l'u-
une crise violente, ses humeurs altérées.. niversité de Kcenigsberg tourne toutes les
têtes, dans l'Allemagne littéraire, avec une
CHAPITRE IX. nouvelle philosophie; et si, las de n'être que
docteur, il lui prenait envie d'être apôtre,
SUITE DU MÊME SUJET. OBSERVATIONS GÉ- il ne tient qu'à lui d'établir en Allemagne
NÉRALES SUR LES RELIGIONS CONSTITUÉES
une nouvelle religion, et j'ose lui prédire
ET NON CONSTITUÉES.
une grande fortune.
j'ai avancé qu'il y avait moins d'amour [pse tibi jambrachia conlrahit ardens
des êtres sociaux, de Dieu et de l'homme, Lutherus (3). (Yino., Georg. i, 34.)
dans les sociétés religieuses non consti- J'ai fait remarquer, en traitant des socié-
tuées, et j'en ai attribué la cause à la dé- tés politiques, que la différence entre les
constitution de ces sociétés Montesquieu sociétés constituées et celles qui ne l'étaient
fait la même observation, quoique moins pas, était que les premières avaient des lois
générale, et, entêté de sa chimère, il en fondamentales positives, un pouvoir général
cherche là raison dans le climat. Le cha- qui est le monarque, une force générale qui
pitre 2 du livre xtv de l'Esprit des lois est sont les distinctions héréditaires et que les
un monument curieux de l'esprit de sys- autres n'avaient que des lois fondamentales
tème. On y voit, avec compassion, le phi- négatives, point de roi, point de distinctions
losophe fixé sur une langue de mouton qu'il héréditaires. On peut remarquer la même
avait fait geler, et qu'il observait au micros- chose dans les sociétés religieuses la reli-
cope ( 2 ) chercher dans ses houpes ner- gion catholique affirme la présence réelle de
veuses et leurs mamelons, ses pyramides et l'Homme-Dieudans le sacrifice, la nécessité
leurs gaines, lés grands motifs d'une diffé- delà consécration sacerdotale, l'infaillibilité
rence aussi remarquable, et disséquer l'hom- de l'Eglise; les sociétés réformées nient la
me physique, que dis«-je? disséquer l'ani- présence réelle, la succession spirituelle des
mal, pour expliquer l'homme intelligent. ministres du culte, l'autorité de l'Eglise or
Au reste l'observateur ne porte pas loin la un dogme négatif est à portée de tous les
peine de sa méprise, et il est forcé d'inti- esprits car, comme je l'ai déjà dit, il ne
tuler le chapitre suivant Contradictions faut pas de raisonnement à qui ne fait que

( 1 ) Dans le dernier siècle, on disait Cela est langue était couverte, disparaissaient dans la dété-
beau comme le Cid; aujourd'hui, en France, on di- rioration causée par la congélation, Montesquieu
rait d'un ruban II est divin, délicieux. Dans les en concluait que les hommes du Nord n'avaient
comédies de Molière on trouve des expressions point de sensibilité cette conclusion eût été sup-
qu'on a justement bannies de la conversation; mais portable, s'il n'eût aperçu au microscope, sur la
on a donné dans l'excès opposé, et on a poussé la langue, dans son état naturel, d'un mouton d'Ar-
crainte de l'équivoque à un point insupportable, changél, moins de Iwupes nerveuses que sur la langue
qui devient pédanterie et qui prouve moins la d'un mouton de Ségovie.
chasteté de la langue, que la corruption des esprits. ( 5 ) Les Allemands accusent les Français de
Cependant il est vrai de dire que, plus une langue légèreté le Français a été inconstant dans ses usa-
se perfectionne, plus elle exprime une seule chose ges tant qu'il les a perfectionnés; les peuples du
par un seul mot, moins il y a d'équivoques. Nord sont inconstants dans leurs opinions, parce
( 2 ) De ce que les houpes nerveuses dont cette qu'elles se détériorent.
.n.¡
nt c'est une
nier, et n",n des nn'h' ..1.
.-1. causes de la
avec laquelle se propagent les opinions re-
ligieuses.
r~
1. facilité

J'ai dit qu'on remarquait dans le Catholi-


que plus d'attachement à sa religion quei
dans le réformé, parce que la religion ça-
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attaché aux religions qui lui font adorer un


êtr spirituel cela veut dire qu'une reli-
être
spirituelle, sans être purement inté-
est dans la nature de l'homme; donc
la religion catholique, qui est extérieure
tholique est une religion d'amour, et que lal sai être idolâtre, et spirituelle sans être
sans
réforme n'est qu'une religion d'opinion, une) purement
pu intérieure, la religion catholique,
philosophie. Montesquieu fait la même re- qu divinise l'homme, et qui humanise Dieu,
qui
marque, mais il explique, selon sa coutume, esl dans la nature de l'homme et dans celle
est
un grand résultat par de petites causes, ett de Dieu donc l'homme doit être plus atta-
même par des causes impossibles «Une ch, à la religion catholique qu'à la religion
ché
religion, » dit-il, « chargée de beaucoup de protestante.
pr< « Aussi, » continue Montes-
pratiques attache plus à elle qu'une autre quieu,
qu « les Catholiques, qui ont plus de
qui l'est moins. On tient beaucoup aux culte sensible que les protestants, sont-ils
eu!
choses dont on.est continuellement occupé. » pli invinciblement attachés à leur religion
plus
Cela peut être vrai, lorsque ces choses ne qu les protestants ne le sont à la leur, et
que
sont que des habitudes physiques sans au- pli zélés pour sa propagation. »
plus
cune conséquence pour les mœurs mais il JJe ne réfuterai pas. ce que Rousseau dit
faut chercher une autre raison que celle ti- de la religion catholique, dans les derniers
rée de l'habitude, pour expliquer l'attache- chapitres du Contrat social; il n'y a rien
ch<
ment naturel de l'homme à des pratiques d'aussi faible dans tous ses ouvrages, et qui
d'a
qui tendent à réprimer ses penchants les poi plus l'empreinte de l'esprit de parti.
porte
plus violents. Au reste il résulterait de l'o- Ce que Bayle dit de la religion chrétienne
pinion de Montesquieu, que la religion ca- n'est
n'e ni plus sensé, ni moins parti3l. Je ne
tholique est préférable à la religion protes- puis mieux le réfuter qu'en lui opposant
pui
tante, puisqu'elle attache plus à elle; car la Montesquieu.
Mo «Bayle, » dit-il, « après avoir
religion étant nécessaire à l'homme, celle insulté
ins toutes les religions, flétrit la religion
qui attache le plus l'homme à elle, est par chrétienne, et ose avancer que de véritables
chr s
cela même préférable à celle qui l'attache Chrétiens ne formeraient pas un Etat qui
Chi
moins (1).# pûtsubsister.
pûl Pourquoi non? Ce seraient
Le même auteur fait dans le même cha- des citoyens infiniment éclairés sur leurs
pitre une observation bien remarquable ûe\
devoirs, et qui auraient un très-grand zèle
« Nous sommes, » dit-il, « extrêmement por- pour les remplir. Ils sentiraient très-bien
pot
tés à l'idolâtrie, et cependant nous ne som- les droits de la défense naturelle plus ils
mes. pas attachés aux religions idolâtres; croiraient devoir à la religion, plus ils pen-
cro
nous ne sommes guère portés aux idées seraient
ser devoir à la patrie, » Montesquieu,
spirituelles, et cependant nous sommes très- en cet endroit, si juste appréciateur de la
en
attachés aux religions qui nous font adorer religion chrétienne, se laisse entraîner un
reli
un Etre spirituel. » Je prie le lecteur de moment
mo après, par son système des climats,
méditer ce passage, où Montesquieu a énon- d conséquences insoutenables, tirées de
à des
ce, .sans. le savoir, toute la théorie de la re- la situation
s respective des Etats catholiques
ligion chrétienne ou constituée. L'homme est et des
( pays réformés. Il avance que les pays
extrêmement porté à l'idolâtrie, et cependant catholiques et les pays protestants sont si-
catl
il n'est pas attaché aux religions idolâtres tué de manière qu'on a moins besoin de
tués
cela veut dire qu'une religion extérieure, travail dans les premiers que dans les se-
tra^
sans être idolâtre, est dans la nature de conds,
con c'est-à-dire, comme il l'explique
l'homme. L'homme n'est guère porté aux dan une note, que t'homme a plus à tra-
dans

(1) Il est assez commun de voir chez les peu- vient de faire une perte qui rouvre toutes ses plaies.
vien
ples réformés des personnes d'un rang distingué, Mad
Madame Louise, princesse de Condé, qui réunis-
faire élever leurs filles dans des religions différen- sait tout ce que le monde désire dans ses partisans
tes, de peur que la croyance ne soit un obstacle, tout ce que la religion prescrit à ses disciples,
à toi
ou afin qu'elle soit une facilité de plus pour leur vient de se retirer dans la maison des Capucines de
vien
établissement Les sociétés catholiques donnent Turi ordre dont la règle est d'une sévérité ef-
Turin,
d'autres exemples, et l'on y voit des personnes de frayante. Maison de Bourbon! combien de fois, et
fray:
la naissance la plus illustre, préférer les austérités avec quelle étendue, vous faites à la société poii-
avec
du cloître aux avantages de l'élévation. La Fiance tique et religieuse le sacrifice de l'homme!
iiiju<
vailler dans le Nord que dans le Midi de là que j'indique, puisque les pays protes-
q'
il conclut que la religion réformée, qui su p- tants sont en général moins fertiles, et
ta
prime toutes les fêtes, a trouvé plus de fa- que, si le protestant est plus intéressé, le
qi
cilité à s'introduire dans le Nord que dans Catholique
Ci est aussi laborieux, remarquez
le Midi. C'est expliquer un grand effet par aussi
ai que le pouvoir conservateur de la re-
une raison fausse et petite. L'homme au ligion ne connaît que l'or qui puisse lui
li,
contraire a beaucoup plus à travailler dans disputer l'empire dans le cœur de l'homme,
di
le Midi, parce que dans les pays du Midi se puisqu'il
pi nous avertit lui-même qu'on ne
trouvent toutes les productions qui demaa- peut servir à la fois Dieu et les richesses
pi
dent la culture à bras, comme la vigne, l'o- (i);
( et il nous prévient, pour que nous
livier, le mûrier, les arbres à fruits, etc., n'en soyons pas étonnés, que les-enfants du
n'
au lieu que l'homme dans le Nord n'a que siècle
si sont plus habiles que ses disciples
.ses troupeaux qui n'occupent pas l'homme, dans
d< l'art de faire fortune (jLmc.xvi, 8), parce
et ses champs qui n'occupent que les a ni- qque sa religion n'a été fondée que sur le
maux. Aussi les goûts des hommes désoeu- désintéressement et le détachement des
d<
vrés, celui du tabac à fumer et des boissons bbiens de la terre. C'est dans les principes
enivrantes, sont-ils plus répandus dans le créateurs
ci des diverses religions et des divers
Nord. gouvernements, et non dans quelques jours
gi
S'il fallait chercher à la propagation de la d plus ou de moins consacrés au travail,
de
réforme dans le Nord une autre cause que qu'il
q faut chercher la cause d'un effet géné-
celle que j'ai puisée dans la constitutiondes ral
n et très-sensible. Mais le commerce n'est
Etats qui l'ont adoptée, on la trouverait dans si fort en faveur dans les sociétés non cons-
J'affranchissement du joug de l'abstinence et tituées ou les républiques, que parce qu'il
ti
du jeûne, plutôt que dans la suppression de place
p l'homme à l'égard de son semblable,
quelques fêtes. dans l'état sauvage, tel qu'il peut exister au
d.
On a déjà remarqué que la religion protes- sein
s< des sociétés policées, et qu'il s'allie
tante est plus favorable au commerce, parce naturellement
n avec des gouvernements où
qu'elle permet à l'homme de se transporter le lois ne sont que les volontés particuliè-
les
où son commerce l'appelle, et qu'un réformé, nres de l'homme dépravé. Cette assertion pa-
au moins calviniste, zélé sectateur de sa raît
r< un paradoxe venons à la preuve. Quel
croyance, peut en remplir seul les devoirs, e: le caractère de l'état sauvage? C'est de
est
ce qu'un Catholique ne peut pas faire. Aussi placer
p les hommes, les uns à l'égard des
tous les pays protestants sont-ils Irès-com- autres,
a dans un état de guerre ou d'envahis-
merçants; mais ce n'est là qu'une raison sement
si de la propriété or le commerce
secondaire, et il y en a une beaucoup plus ( 2 ) tel qu'il se pratique presque partout
profonde. Si, comme le dit l'Esprit des lois, e Europe, est un envahissement réel de la
en
le mahométisme agit sur les hommes avec cet propriété
p d'autrui; et lorsqu'on voit le mar-
esprit destructeur qui l'a fondé, on peut dire chand
ci n'avoir aucun prix réglé pour ses
que la réforme agit sur ses sectateurs avec marchandises,
n le commerçant spéculer sans
cet esprit d'intérêt qui l'a fondée. L'intérêt pudeur
p sur le papier empreint du sceau fu-
a fondé ces sectes, et il en est encore le pou- nneste de l'expropriation la plus odieuse, le
floir. négociant,
n quelquefois le plus accrédité,
L'or est devenu la divinité extérieure et faire
fi arriver en poste de la maison. voisine
sensible des sociétés commerçantes et répu- d courriers haletants de sueur et de fati-
des
blicaines, qui sont aussi plus riches en gé- ggue, pour répandre une nouvelle politique
néral que les sociétés catholiques et il ne qui
q puisse hausser le prix des effets qu'il
peut y en avoir d'autre motif que celui veut
v vendre, ou faire baisser le prix de ceux

(1) Non polestis Deo servire, et mammonce. ses profits, ont paru aux tyrans de la France di-
s<
{Malin, vi, 24; Luc. xvr, 15.) ggnes, par leurs vertus, d'être associés aux persé-
(2) Je ne parle que du commerce en général, cutions
e honorables qu'ils faisaient essuyer aux
et bien plus encore du commerce chez quelques membres
ir des professions sociales, de périr avec la
peuples étrangers, que du commerce de France et noblesse,
n ou de souffrir avec elle, victimes de leur
je dois à celui-ci la justice de reconnaître qu'un fidélité
fi à la religion et à la monarchie, et qui, ren-
grand nombre de commerçants qui exerçaient trés
ir en France, méritent d'être appelés par la no-,
avec autant de probité que d'intelligence cette pro- bblesse elle-même, à partager ses devoirs dans la so-
Session, utile lorsque de sages institutions empê- ciété
c constituée, comme ils ont partagé ses mai-
ehent l'extension illimitée de ses spéculations, et heurs
Il dans la société en révolution.
mettent des bornes à l'accumulation immodérée de
qu'il veut acheter, on a sous les yeux., réel- ter, qui les confondit au.lieu de les dis-
lement et sans métaphore, le spectacle hi- tinguer les uns des autres; la religion ju-
deux d'une bande de sauvages qui se glis- daïque ne pouvait donc pas convenir à l'u-
sent dans l'obscurité, pour aller enlever la nivers.
chasse de leur ennemi, ou incendier son L'objet de la religion judaïque avait été
habitation. Je dis plus, et sans recourir à de conserver, chez un peuple, la foi de
ces abus malheureusement trop communs, l'unité de Dieu; cet objet était rempli.
je soutiens que le commerce, même le plus L'objet de la religion universelle devait être
honnête, place nécessairement les hommes, de conserver la connaissance de Dieu dans
les uns à l'égard des autres, dans un état l'homme intelligent, et de conserver ou per-
continuel de guerre et de ruse, dans lequel fectionner l'homme intelligent par la con-
ils ne sont occupés qu'à se dérober mutuel- naissance de Dieu; car, comme je l'ai observé
lement le secret de leurs spéculations, pour ailleurs, la perfection de l'être intelligent
s'en enlever.le profit, et élever leur com- consiste à avoir l'idée de la perfection ou de
merce sur la ruine ou la diminution de celui la vérité, qui est Dieu même. La religion
des autres; au lieu que l'agriculture, dans devait mettre dans son esprit la connaissantee
laquelle tous les procédés sont publics et de Dieu en en plaçant l'amour dans sot)
toutes les spéculations sont communes,réu- cœur, et le culte dans ses sens ou sa force,
nit les hommes extérieurs dans une com- et en produisant au dehors l'effet et les fruits
munauté de travaux et de jouissances, sans de cet amour, par la vertu pour laquelle
diviser les hommes intérieurs par la crainte Dieu lui donnait les secours nécessaires,
de la concurrence ou la jalousie du succès. soit par la répression de sa force, soit par la
Aussi l'agriculture doit-elle être le fonde» protection de sa faiblesse; et comme la
ment de la prospérité publique dans une société religieuse allait devenir plus nom-
société constituée, comme elle y est la plus breuse, puisqu'elle devait être composée de
honorable et la plus utile des professions toutes les nations, il fallait que la vérité fût
qui ne sont pas sociales et le commerce mieux connue, la vertu mieux pratiquée,
est, dans une société non constituée, tafon- les moyens de répression ou de protection
dement de la fortune publique, comme il plus efficaces c'est-à-dire qu'il fallait à
est, dans ces mêmes sociétés, la source de l'esprit une morale plus sévère, au cœur
toute considération personnelle. une religion plus sensible, aux sens des
châtiments ou des récompenses plus capa-
CHAPITRE X. bles d'effrayer le méchant ou d'encourager
l'homme vertueux.
effets DE LA RELIGION CHRÉTIENNE SUR Mais comment faire goûter une morale
l'homme ET SUR LA société, PARALLÈLE
sévère à des peuples faibles, une religion
DE LA RELIGION ET DE LA PHILOSOPHIE.
d'amour à dis nations opprimées par una
Lorsque les passions des hommes eurent religion de haine, des châtiments et des
corrompu le sentiment et défiguré l'idée de récompenses de l'autre vie à des paens
la Divinité, le corps social eut besoin d'une plongés dans les jouissance* de celle-ci?
éducation sévère et retirée, pour conserver C'est là le miracle public, extérieur et social
le grand principe de l'unité de Dieu; et le de la religion chrétienne miracle qui se
peuple juif, choisi pour être le dépositaire renouvelle tous les jours, et sur les peuples
de ce trésor du genre humain,fut séparé des qu'elle fait passer de l'idolâtrie à la connais-
autres peuples par des institutions particu- sance de Dieu, et sur l'homme qu'elle ramène
lières, qui si longtemps firent sa gloire, et du vice à la vertu. Les hommes à préjugés
qui font aujourd'hui son malheur. Mais tous demandent si la religion chrétienne a rendu
les peuples devaient un jour être appelés à les hommes meilleurs. L'homme isolé, con-
jouir du bienfait de la religion constituée, sidéré en lui-même et indépendamment de
ou de la religion de l'unité de Dieu; parce la société dont il fait partie, est, et a été,
.que la religion constituée, fondée sur des toujours et partout le même, sujet aux mê-
rapports nécessaires, un principe néces- mes besoins, livré aux mêmes passions,
saire de développement. doué des mêmes facultés; mais l'homms
Si tous les peuples devaient être appelés social est incontestablement devenu plus
à la même religion, il fallait donc une reli- parfait, et l'on ne doit considérer rhomtng
gion qui les réunit au lieu de les sépa- que dans la société.
Or, la religion a détruit tous les crimes La religion constituée, ou véritable, règle
sociaux ou publics, ceux qui attaquaient à la fois l'homme moral et l'homme physi-
l'homme de la société religieuse, comme le que, q' l'homme tout entier. Elle règle l'hom-
sacrifice barbare du sang humain ou le me m moral en réglant toutes ses facultés;
sacrifice infâme de la pudeur, le trafic im- elleel règle l'homme physique en réglant tous
posteur des oracles et l'apothéose de l'hom- ses se actes extérieurs.
me ceux qui attaquaient l'homme de la L'homme exprime son amour par l'action
société politique en exaltant sa force ou sa de di ses sens, et il acquiert des idées par ses
passion, comme l'atrocité des spectacles, la' sensations
SE il faut donc que l'amour ne se
férocité des guerres, la dépravation de manifestem que par des actes graves et reli-
l'amour physique, ou en opprimant sa fai- gieux, gi pour que les sens ne transmettent à
blesse, celle de l'âge par l'exposition publi- l'âme
H que des impressions pures et capables
'que, celle du sexé par le divorce, celle de de d< porter l'homme à la vertu motif de la
la condition par l'esclavage et je ne parle sainteté
sa du culte et de la majesté des céré-
que des crimes qu'elle a fait cesser, et non monies.
m L'homme a un cœur qui aime et
des vertus qu'elle a fait éclore, de l'amour quiql craint il faut donc proposer un grand
de Dieu, de l'amour des hommes, du mépris objet °t à ses craintes et à ses espérances.
de la propriété, qui ont fondé, qui ont enri- Elle
El propose les récompenses et les châti-
chi, qui ont peuplé tant d'établissementsments m éternels, la jouissance éternelle de
religieux destinés à soulager toutes les fai- Di Dieu même ou sa privation.
blesses de l'humanité établissements que L'homme a un esprit qui examine, qui
la philosophie a pu calomnier et détruire, admet^d et qui rejette et cet esprit doit être
mais qu'elle ne remplacera jamais. Depuis da dans tous également soumis parce que,
que la religion chrétienne était mieux con- da dans tous, il ne peut être également éclairé,
nue, la guerre s'était faite, au moins jusqu'à et que dans aucun il ne peut jamais être
nos jours, jusqu'aux jours de la philosophie, parfaitement
Pa éclairé. Je m'explique la reli-
avec plus d'humanité :.«11 y avait dans les gi gion est la société de Dieu et de l'homoie
gQuverRewents,»d\il' Esprit des lois, «un cer- or,
or une société est une réunion d'êtres sem-
tnn droit politique, et dans la guerre un bi\ blables, réunion dont la fin est leur conserva-
certain droit des gens que la nature humaine tic tion mutuelle.
ne saurait assez reconnaître. Mais si la Toute société a des lois. Les lois sont des
société n'a plus les mêmes vices, l'homme a rapports
ra nécessaires qui dérivent de la nature
les mêmes passions; et ceux qui voudraient de des êtres qui composent la société.
que la religion chrétienne, destinée à sauver Les lois de la société de Dieu avec l'hom-
tous les hommes, comme à perfectionner m< me seront donc des rapports nécessaires
toutes les sociétés, eût frappé l'univers et dérivés
déé de la nature de Dieu et de celle de
frappât chaque homme d'un éclat irrésisti- l'homme.
l'h
ble, oublient que, si l'homme avait une cer- Dieu n'a pu donner une religion à l'hom-
titude physique et par les sens, de J'exis- me m< ou former société avec lui, sans l'ins-
tence de Dieu, de l'immortalité de l'âme, truire tri des lois de cette société.
des peines ou des récompenses de l'autre Si ces lois sont dans sa nature, il ne peut
vie, il n'y aurait plus de combats, plus de apprendre
ap aux hommes la raison et le motif
vertus, parce qu'il n'y aurait plus de choix. de ses lois, sans lui faire connaître sa nature
A la hauteur des dogmes qui confondent divine. dr
l'esprit, à l'austérité de la morale qui gêne Mais l'homme n'a pas la capacité de con-
le cœur, à la sévérité des préceptes qui mor- naître
na la nature de Dieu, et Dieu lui-même
tifient les sens, je reconnais la divinité du ne peut pas lui donner cette capacité
car
fondateur de la religion chrétienne, qui si l'esprit de l'homme pouvait comprendre
donne pour lois aux êtres sociaux les rap- la nature d« Dieu, l'homme intelligent
ports nécessaires dérivés de leur nature serait
sei égal à Dieu car deux intelligences
comme aux moyens que l'homme emploie, qui qu peuvent se comprendre mutuellement
à l'intérêt, à la volupté, à la terreur, je et également sont égales. Les mystères, ou
reconnais l'homme qui veut m'imposer les les choses que l'homme ne peut pas com-
lois qu'il a faites, c'est-à-dire m'assujettir à prendre
pr< dans la religion, sont donc néces-
ses opinions particulières, rapports absur- sai saires dans une religion divine ils sont un
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des et contraires à la nature des êtres.
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des êtres; et une religion divine, ou consti- son bornée et la passion violente, connaît
tuée, a ses mystères pour tous les hommes, la véritable source des désordres de la so-
par la même raison que les hautes sciences ciété, et pourvoit à sa conservation.
ont leurs obscurités pour les gens bornés. On peut dire de la philosophie, ou des
Si l'on essaye de persuader à un nomma sectes, ce que Montesquieu, dit des républi-
ignorant et borné qu'on a mesuré la distance ques « Dans une république l'abus du pou-
qu'il y a de la lune au soleil, ou la quantité voir est plus grand, parce que les lois qui
d'eau qui passe sous un pont dans un temps ne l'ont pas prévu n'ont rien fait pour l'ar-
donné, il le croira, s'il ne peut élever rêter. »
aucun doute sur la véracité et les lumières Enfin, et je prie le lecteur de peser cette
de celui qui lui parie mais il n'aura jamais observation, la philosophie veut contenir
de cette vérité une conviction d'intelligence la passion par l'intérêt, c'est-à-dire, régler
semblable à celle qu'en a le géomètre. l'homme intérieur par l'homme intérieur, et
Si la raison de l'homme n'était jamais elle cherche un-équilibre impossible entre
préoccupée par les passions, elle obéirait l'intérêt et la passion au lieu que la reli-
toujours aux lois de la religion, dont elle gion prend hors de l'homme, et dans Dieu
n'aurait aucun intérêt à révoquer en doute même, le moyen de contenir l'homme.
la sagesse; mais la raison de l'homme n'est Ainsi la philosophie constitue la religion
jamais sans incertitudes, parce que l'homme de l'homme, comme elle veut constituer son
n'est jamais sans passions. De là suit la gouvernement politique, par l'équilibre
nécessité d'une autorité qui puisse la fixer. des pouvoirs intérieurs, c'est à dire, des
Elle peut être fixée de deux manières, ou amours-propres, des passions au lieu que
en éclairant ses incertitudes, ou en répri- la nature constitue la religion, comme elle
mant sa curiosité; mais l'esprit de tous les constitue le gouvernement, par le pouvoir
hommes ne peut pas être également éclairé, général et la force générale.
et l'esprit d'aucun homme ne peut être
entièrement éclairé; au lieu que la curio- CHAPITRE XI.
,sité de tous les hommes peut être parfaite-
CONSÉQUENCESDES PRINCIPES SUR LA CONSTITU-
ment et également réprimée. Donc la répres-
sion de la curiosilé et la soumission de la TION DES SOCIÉTÉS.
raison par la foi, est un moyen plus efficace Je rapproche tout ce que j'ai dit sur les
et plus général de fixer l'esprit des hommes sociétés constituées extérieure et intérieure,
et de tous les hommes;" donc il convient politique et religieuse je le présente sous
mieux à la société; donc il est nécessaire. un seul point de vue, et comme l'analyse de
C'est ici le champ de bataille de la philoso- la théorie des deux sociétés.
phie et de la religion. La religion, pour Dieu et l'homme, les esprits et les corps,
rendre l'homme vertueux veut soumettre éléments de toute société.
la raison de l'homme par la foi la philoso- Donc la
société est intérieure et exté-
phie veut l'éclairer par l'intérêt. rieure, intelligente et matérielle, religieuse
L'intérêt dans l'homme est l'amour de soi, et physique.
on la passion de dominer, et cette passion La société extérieure ou physique est le
dans l'homme dépravé est essentiellement rapprochement des hommes physiques intel-
injuste. La raison dans l'homme est une lu- ligents.
mière qui lui sert à distinguer le bien du mal; La société intérieure ou religieuse est la
et cette lumière, dans l'homme passionné réunion des hommes intelligents physiques.
ou intéressé, est essentiellement bornée. L'homme intelligent ou intérieur ne peut
C'est donc un aveugle mené par un guide pas être séparé de l'homme physique ou ex-
corrompu. Donela religion, qui réprime l'in- térieur.
térêt et soumet la raison, convient mieux Donc la société religieuse ou intelligente
à l'homme que la philosophie, qui donne
ne peut pas être séparée de la société exté-
la raison à conduire à l'intérêt. rieure et physique; c'est à-dire, que la so-
La philosophie, qui suppose la passion ciété intérieure est nécessairement exté-
calme et la raison éclairée, ne peut conser- rieure, et que la société extérieure est né-
ver la société, puisqu'elle commence par cessairement intérieure. Donc la société
méconnaître la source des désordres qui la physique considère l'homme extérieur et
détruisent. La religion, qui suppose la rai- intérieur, physique et intelligent donc la
société religieuse considère l'homme inté- obéir aux lois parfaites ou rapports néces-
à
rieur et extérieur, intelligent et physique saires dérivés de la nature des 'êtres donc
donc il ne peut exister de gouvernementt la perfection des esprits et des corps est leur
sans religion, ni de religion sans gouverne- liberté; donc leur conservation ou leur
ment. existence, dans l'état le plus conforme à leur
Donc la société religieuse sera l'âme, lat nature, n'est autre chose que leur liberté.
société politique sera le corps. La liberté peut exister pour l'homme in-
La société religieuse est naturelle, c'est- telligent, comme pour l'homme physique;
à-dire particulière, ou elle est générale. Lat la liberté est donc spirituelle ou physique.
société physique est aussi naturelle ou par- Donc la fin de la société physique .est la
ticulière et générale. conservation ou la liberté de l'homme phy-
La société religieuse particulière est la1 sique parce que l'homme, égal à l'homm. e,
religion naturelle la société religieuse gé- ne doit être assujetti, dans ses actes exté-
nérale est la religion publique. rieurs et physiques, qu'au pouvoir général
La société physique particulière ou natu- de la société physique, qui est le monar-
relle est la famille; la société physique gé- que.
1
nérale est le gouvernement, ou, dans le lan- Donc la fin de la société religieuse est la
gage usité, la société politique. conservation ou la liberté de l'homme intel-
La réunion de la religion publique et de ligent; car l'homme intelligent, semblable à
la société politique forme un être collectiff Dieu, ne peut être assujetti, dans ses facul-
ou général, appelé société civile, comme la tés intellectuelles ou ses pensées, qu'au
réunion de l'âme et du corps forme un être pouvoir général de la société religieuse, qui
composé appelé homme. est Dieu même. Vous êtes appelés à la véri-
Tout être particulier a une fin particulière table liberté, écrit l'Apôtre aux Chrétiens,
à laquelle il veut parvenir, et qui est l'objet (Galat. v, 13.)
de sa volonté particulière. Donc la fin de la société civile est la con-
Donc la société, être collectif ou général, servation de tout l'homme, eu la liberté de
a une fin générale à laquelle elle veut parve- l'homme intelligent et physique.
nir, et qui est l'objet de sa volonté géné- La fin de la société est l'objet de sa vo-
rale. lonté, parce que Ja société veut, comme tout
La fin de la société naturelle religieuse ett être, parvenir à sa fin.
physique est la production ou la connais- La volonté qu'a la société de parvenir à sa
sance des esprits, et la reproduction des fin s'accomplit par le pouvoir d'y parvenir;
corps. car la société, qui n'aurait pas le pouvoir de
La ûn de la société générale religieuse ett parvenir à sa fin, n'y parviendrait pas.
physique, appelée société civile, est la con- Le pouvoir est l'amour dirigeant la force
servation des esprits et la conservation des vers l'objet de la volonté.
corps. Donc l'amour dirigeant la force, ou autre-
Donc la société particulière ou naturelle) ment le pouvoir, est le moyen de la vo-
doit être l'élément de la société générale, lonté.
parce que la production est l'élément de iai Dans la société naturelie ou particulière>
conservation. la fin est particulière; la volonté, nécessai-
Donc la famille sera l'élément de la so- rement proportionnée à la fin, est particu-
ciété politique, et la religion naturelle l'élé- Hère; les moyens, nécessairement propor-
ment de la religion publique. tionnés à la volonté, sont particuliers.
La conservationd'un être est son existence Ainsi la volonté particulière qu'a l'homme
dans un état conforme à sa nature. de la société religieuse naturelle ou de la
L'état conforme à la nature des esprits ett religion naturelle, de produire dans sa pen-
à celle des corps est la perfection, c'est-à- sée ia connaissance de Dieu, s'accomplit
dire, l'obéissance aux lois parfaites ou rap- par un pouvoir ou par un amour de Dieu,
ports, nécessaires dérivés de la nature dess qui dirige la force particulière, c'est-à-dire,
êtres sociaux, des esprits et des corps. l'action des corps dans le culte extérieur
Mais nous avons vu que la liberté consistea que l'homme seul rend à Dieu (1).
( 15) Les expressions que la religion consacre s amour et farce. La religion offre le sacrifice sodaî
dans le culte qu'elle rend à Dieu, ou dans les de- par Jésus-Christ avec Jésus-Christ, dans Jésus-
voirs qu'elle prescrit à l'homme, offrent des preu- Christ; peripsum, et in ipso, et cum ipso; per d£-
ves sensibles que Dieu et l'homme sont volonté, signe le commandement, c'est la volonté; in expri-
711 OEUVRES COMPLETES
TES DE M. DE BONALD. 712~')~
Ainsi la volonté Darticillièrp
Ainsi particulière (m'a
qu'a l'hommel
l'Vinmmul
de la société physique naturelle, ou de la
e'
a
Mais la .>«^ni:^«
H,fo;s lo ,“ ,».i,,
perfection d'un être
venir à sa fin.
ai consiste à par-
famille, de produire son semblable, s'accom- Donc les sociétés qui parviennent à leur
i-
plit par un pouvoir ou par un amour de soi,i, fin, sont des sociétés parfaites ou consti-
qui dirige la force ou l'action des sens verss tuées.
l'objet de la volonté. Donc les sociétés qui ne parviennent pas
Ainsi la volonté générale ou sociale qu'aa à leur fin, sont des sociétés imparfaites ou
l'homme de la société physique politique
ouu non constituées.
générale, appelée gouvernement ou sociétéé
politique, de conserver ses semblables, s'ac- Mais les sociétés politiques sans monar-
complit par un pouvoir général qui est l'a-
'" que et sans noblesse, et les sociétés reli-
gieuses sans l'Homme-Dieu et sans sacer-
mour général des autres ou du prochain per-' doce, c'estrà-dire, les sociétés sans pouvoir
sonnifié dans le monarque, qui dirige la forcee
générale vers l'objet de la volonté. conservateur et sans force conservatrice,
Ainsi la volonté générale qu'a l'homme de, ne peuvent parvenir à leur fin, la conserva-
la société religieuse politique, appelée reli-
e> tion des êtres.
gion publique, de conserver la connaissance Donc les sociétés politiques sans monar-
e que et sans noblesse, et les sociétés reli-
de Dieu, s'accomplit par un pouvoir général,
c'est-à-dire, par J'amour général des hom- gieuses sans la présence réelle de l'Homme-
mes pour Dieu et de Dieu pour les hommes,
Dieuet sans sacerdoce, sont des sociétés
personnifiés par l'Homme-Dieu présent dans imparfaites ou non constituées.
le sacrifice, et qui dirige la force générale' Donc les sociétés politiques qui ont un
o.u extérieure, c'est-à-dire, l'action de ses monarque et une noblesse, et la société re-
ministres dans le culte extérieur. ligieuse qui admet la présente réelle de
Donc les pouvoirs conservateurs de la so- l'Homme-Dieu et le sacerdoce, sont des so-
ciété civile sont Jésus-Christ et les rois, qui ciétés parfaites ou constituées.
dirigent la force générale de la société ci- Donc la société civile constituée est celle
vile, c'est-à-dire, le sacerdoce et la qui admet la présence /réelle de l'Homroe-
no-
blesse, vers l'objet de la. volonté générale Dieu et le sacerdoce, un monarque et une
de la société, la conservation des êtres intel- noblesse.
ligents et physiques dont elle est composée. Oa a vu que la volonté générale s'accom-
Donc il n'y a pas de pouvoir conservateurr plit par le pouvoir général, et le pouvoir
dans les sociétés politiques où il n'y a pas général agit par la force générale.
de monarque, ni de force conservatrice dans> La force, pour être utile ou conservatrice,
-es sociétés politiques où il n'y a pas de no- doit être dirigée par le pouvoir conserva-
blesse. teur car une force qui n'est pas dirigée,
Donc il n'y a pas de pouvoir conservateurr est une force aveugle, une fureur.
dans les sociélés religieuses où il n'y a pas5 La direction suppose des règles, ces rè-
de présence réelle de l'Homme-Dieu, ni de gles sont des lois. Les lois doivent être des
î
force générale conservatrice dans les socié- rapports nécessaires dérivés de la nature des
tés religieuses où il n'y a pas de sacerdoce. êtres.
Or, des sociétés politiques et religieuses, Les lois sont écrites ou non écrites.
qui n'ont ni pouvoir conservateur, ni force Ainsi la sociétépolitique a des lois écrites
conservatrice, ne peuvent se conserver nii et des coutumes, et la société religieuse a
parvenir à leur fin. des lois écrites et la tradition.
Donc les sociétés qui ont Je pouvoir con- Les lois écrites, qui sont des rapports né-
servateur et la force conservatrice,:ont le cessaires dérivés de la nature des êtres, sont
pouvoir et la force de parvenir à leur fin, qui bonnes, c'est-à-dire, conservatrices de la
est la conservation des êtres qui les compo- société, puisque, étant des rapports iiécessai-
sent. >1
res, elles ne pourraient être autres qu'elles ne
me l'union, c'est l'amour; cum indique le secours,
test la force. me rend à Dieu l'espérance règle l'amour que
Les trois devoirs généraux l'homme a pour lui-même, en fixant au désir qu'il
la religion prescrit
a 1 homme comme le principeque de toutes ses actions a d'être heureux le but auquel il doit tendre; la
charité règle la force de l'homme ou ses actes exté-
envers Dieu, envers soi-même, envers son prochain, rieurs, en lui prescrivantde rendre. son prochain
c est-a dire, en société religieuse, naturelle
tique, sont la foi, l'espérance et la charité. etLapoli-
foi
tous les services qui dépendent de lui car l'es-
«aie 1 esprit ou la volonté dans le culte que l'hom- sence de la charité est d'agir.
t-uu ïum. FAiti. n. l'Ol) V. RELIGIEUX. LIV. Vî 714
sont,
*rttiy sans
O/t*l /»Wrt
C ftiî £>/¥• la
choquer /Mïrt- nature
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*« v»

composent la société. Si elles sont conserva-


r?y>n Atiut a« sua .a
êtres.<iqui «t a> constituée
moins i • j•t
qu'il
*•! est possible. Mais
» _ la
.- société religieuse et politique ou la société
trices de la société, elles sont donc confor- civile est dans la nature de l'homme, et la
mes à la volonté générale conservatrice dee constitution est dans la nature de la société
la société. Donc elles sont l'expression de laa qui tend toujours à se constituer,
ou à éta-
volontégénérale. blir entre les êtres des lois parfaites ou des
Les lois non écrites, qui sont des rapportss rapports nécessaires dérivés de leur nature.
nécessaires dérivés de la nature des êtres, Donc, lorsque la société religieuse sera
de i»
sont également bonnesiou conservatrices e seule constituée, la société politique ten-
la société. Donc elles sont conformes à laa dra à se constituer; et réciproquement ,1a
volonté générale conservatrice, puisqu'elless société religieuse tendra à
se constituer,
sont devenues des coutumes, des tradi-
ne '- lorsque la société politique sera seule cons-
tions, que parce que la société a eu la vo- tituée. 1 °
lonté générale de les suivre. Donc elles sontt Donc la société politique et la société re-
aussi l'expression de la volonté générale. ligieuse,
1
ou autrement la société civile, ten-
Donc la société naturelle. physique ou laa dra < à se constituer chez le peuple qui n'aura
famille, formée par l'union d'un seul hommee iaucune constitution de société politique ou
avec une seule femme, qu'on appelle mono- ireligieuse.
garnie, est une société constituée ou qui par- Et cet effet sera indépendant des passions
vient à sa fin, la production de l'homme. et des volontés de l'homme, et il arrivera
<
Donc la société naturelle religieuse ou laa iinfailliblement, parce qu'il est nécessaire et
religion naturelle de l'unité de Dieu, appe- dans la nature des êtres.
(
lée monothéisme, est une société constituée3
.ou qui parvient à sa fin, la production ou
connaissance de Dieu dans la pensée de3
i j Donc une société constituée tendra tou-
jours à se constituer davantage, ou à établir
plus de rapports nécessaires entre les. êtres
l'homme. qui la composent; et comme il n'y a aucune
(
Donc la société politique physique ou le3 volonté,
i aucun pouvoir qui puisse faire ob-
gouvernement d'un seul, appelé monarchiee stacle
s à la volonté et au pouvoir qu'a la so~
politique, est la société politique constituée, cciétéde se constituer, elle se constituera tou-
ou celle qui parvient à sa fin, la conservation, j
jours davantage.
c'est-à-dire la liberté de l'homme physique. Donc il y aura dans la société constituée-
Donc la société politique religieuse ou lai
i principe de développement et de perfec-
un
religion publique, appelée christianisme out tionnement
t qui conduira la société civilo
monarchie religieuse de FHomme-Dieu, estt constituée
c au plus haut degré de perfection
une société constituée et qui parvient à sai qu'une
c société puisse atteindre.
fin, ta conservation, c'est-à-dire la connais- Mais les sociétés non constituéestendront
sance de Dieu et la liberté de l'homme intel- à8 se déconstituer davantage, parce que des
ligent; parce que toutes ces sociétés physi- sociétés qui ne peuvent pas parvenir à leur
s
ques et religieuses sont fondées, commeî f ni conserver les êtres qui les composent,
fin,
je l'ai prouvé, sur des lois ou rapports néces- peuvent empêcher leur destruetion.
ne
Tl
saires dérivés de la nature des êtres sociaux. Donc il y aura dans les sociétés non cons-
La société politique, chez le même peu- tituées
t un principe de dégénération, qui les
pie, peut être constituée, sans que la société conduira
c au terme extrême de la détériora-
religieuse soit constituée; ou la société re- ttion des êtres intelligents et physiques qui
ligieuse peut être constituée, sans que lat lles composent.
société politique le soit. Donc les agitations que l'on remarquera
Mais il n'y a de société civile parfaite ou dans
d les sociétés politiques ou religieuses
constituée, que là où la société politique ett constituées
c tendront à les constituer da-
la société religieuse sont constituées. vantage. Les hérésies ont toujours affermi
v
Donc la société civile, dans laquelle il n'yi 1< religion chrétienne
la et Montesquieu re-
a de constituée qu'une des deux sociétés marque,
n avec raison, que les troubles en
qui la composent, est imparfaite ou non France
F ont toujours affermi le pouvoir.
constituée. Donc les agitations qui se feront sentir
Donc la société civile, dans laquelle au- dans
d les sociétés non constituées, tendront à
cune des deux sociétés qui la composent les éloigner davantage de la constitution.
li
n'est constituée, est la plus imparfaite ou la l république dans laquelle les troubles
Une
715 OEUVRES COMPLETES
W 1~AJ W ua. r.
DE M. DE DONALD. 716

a
ont commencé, vai.™»*toujours en
™ se i- deux
oQ populari-
r^wniari, nins puissantes
Hp.nx plus massantes républiques de I'Eu-
sant davantage, c'est-à-dire qu'une fois que le rope, et par conséquent établi sa vraisem-
te pouvoir particulier a pris la place du pou- i- blance à l'égard des sectes.
voir général, le pouvoir va en se divisant, t, La république de Hollande, victime de sa
jusqu'à ce que chaque membre de la société té propre anarchie, et jouet de l'anarchie de la
exerce son pouvoir particulier. J'en appelle le France, ne sortira de la tyrannie révolu-
à t'histoire des républiques anciennes et tionnaire à laquelle elle est assujettie, ,que
modernes. pour passer sous un gouvernement monar-
Une société politique constituée, une fois is chique, ou qui tendra fortement et prochai-
écartée de Ja constitution, ira donc en s'é- é- nement à le devenir; et la république de
loiguant davantage, jusqu'au dernier terme le Pologne, dévorée par une anarchie invété-
de Ça dépravation politique, qui est l'exer- r- rée, a passé, au moins pour un temps, sous
cice de tous les pouvoirs particuliers ou l'a-a- la domination monarchique de trois puis-
narchie. sances fait digne de la plus sérieuse con-
Une société religieuse, une fois écartée §e sidération, que la philosophie, en voulant
de la constitution,ira donc en s'en éloignant nt établir de nouvelles républiques, a hâté la
toujours davantage, jusqu'au dernier terme ie chute de celles qui existaient déjà preuve
de la dépravation religieuse, qui est la des- s. de la vanité des projets des hommes, instru-
truction, ou plutôt l'oubli du pouvoir géné- é_ ments aveugles des vo-lontés irrésistibles
rai, par le débordement de toutes les opi- ,{. qui émanent de la nature des êtres, et qui
nions ou l'athéisme. ne sont elles-mêmes que la volonté éternelle
La France, dans sa déconstitutionpolitique ae et immuable de l'Etre qui les a produits.
et rel'igieuse, a donc atteint le dernier terme
oe CONCLUSION.
de Ja dépravationou de la déconstitutionpo- °" DE LA THÉORIE DU POUVOIR RELIGIEUX.
litique et religieuse. J'ai traité dans cet ouvrage les questions
Mais la société est dans la nature de l'hom- les plus délicates de la politique et de la re-
me, et la constitution dans la nature de la ligion; et s'il est difficile que je n'aie pas
société. aperçu quelque vérité intéressante, il est
Donc une société religieuse ou politique, e'
le, possible que je sois tombé dans quelque er-
parvenue au dernier terme de sa déconstitu- u" reur involontaire.
tion, tendra à se reconstituer comme ta Animé du seul motif de chercher la vé-
pierre qu'une force étrangère a lancée dans ns rité, du seul désir de la répandre, je n'ai
les airs, et éloignée de sa tendance natu- l1" point porté dans la recherche de la vérité les
relle au centre de la terre, tend à y revenir,
'f' préventions d'un homme de parti, ni dans sa
lorsque la force qui l'en éloignait est épui-u" publication l'orgueil d'un réformateur. Je
sée, et qu'elle est au plus haut point de sonon reconnais en politique une autorité inconr-
éloignement du centre. testable, qui est celle de l'histoire, et dans
Et les hommes ne peuvent empêcher la les matières religieuses une autorité in-
marche éternelle et nécessaire des choses? e fail lible, qui est celle de l'Eglise et je sou.-
« car si le législateur politique et
religieux,
IX> mets à l'autorité de l'Eglise la partie de
se.trompant dans son objet, établit un prin- n" mon ouvrage qui traite de la religion com-
cipe différent de celui qui naît de la nature
ire me j'en soumets la partie politique à l'auto-
des choses, la société ne cessera d'être agi- > rite des faits et ma soumission à l'Enlise
` tée jusqu'à ce que le principe soit détruit ou
on est entière, parce qu'elle n'est pas aveugle.
changé, et que l'invincible nature ait reprisns Ce n'est qu'avec une extrême défiance de
son empire. » moi-rtfèrae que je publie cette seconde par-
Donc les républiques tendent à revenir à tie de mon ouvrage. J'ai voulu consulter
la constitution politique ou.à la monarchie, ie, l'autorité la plus respectable qu'il puisse y
et les sectes à revenir à la constitution reli-
li- avoir dans l'Eglise, des lettres écrites dans
gieuse ou au catholicisme; et elles sont, les es ce dessein ne sont pas parvenues il n'exis-
unes et les autres, d'autant plus près de re-e- tait aucun corps en France, ou, pour mieux
venir à leur constitution naturelle, qu'elles es dire, aucun corps de Français dont la déci-
de
sont les unes plus voisines l'anarchie, les les sion pût être pour moi un garant de l'opi-
autres plus près de l'athéisme. nion générale et me répondre que je ne
Déjà des événements récents et publics ics m'étais pas écarté des vrais principes et il
©ut prouvé la vérité du principe à l'égard des
!es m'a paru que l'opinion générale, ou la sa-
pouvait seule être juge compétent du car le sentiment dans l'homme est amour
nouveau rapport sous lequel je considère• ou crainte l'amour ou la crainte se mani-
l'ordre social. Mes erreurs, après tout, ne testent nécessairement dans l'homme par un
sauraient être dangereuses ce ne sont pas> acte extérieur et matériel, ou par l'action de
celles que l'ignorance propage, mais cellesî ses sens; et comme l'amour est principe de
que l'orgueil défend, qui font le malheur production et de conservation, la crainte
des soeiélés. principe de destruction, l'amour se manifes-
Les uns trouveront peut-être que je mets> tera par un acte qui produit ou qui conserve,
trop.de politique dans la religion, et les» et la crainte par un acte qui détruit.
autres trop de religion dans la politique Cet acte extérieur et matériel du senti-
je répondrai aux premiers par ces paroles5 ment, cet acte de l'amour et cet acte 'de la
du divin fondateur de la religion chré- crainte,, cet acte qui produit ou qui conser-
tienne Toute puissance m'a été donnée dans ve, et cet acte qui détruit,, je Les relrouv-e,.
le ciel et sur la terre [Mat th. xxyni, 18) s sous le nom de sacrifice, dans les deux so-
et dans celles que nous lui adressons nous- ciétés religieuses qui comprennent tous les
mêmes « Que votre volonté soit faite surr hommes,, tous les temps et tous les lieux,
la terre comme dans les, cieux (Matth. vi, 10). dans la société religieuse de l'unité de Dieu,
Je répondrai aux seconds par ces paroles dui ou le monothéisme; et dans la société reli-
coryphée de la philosophie « Jamais Etat ne3 gieuse de la pluralité des dieux, ou le poly-
fut fondé, que la religion ne lui servît de base.»» théisme. Je retrouve ce sacrifice non-seule-
J'ai voulu prouver qu'en supposant l'exis- ment dans les deux sociétés religieuses,
tence des êtres sociaux, Dieu et l'homme in- mais dans tous les âges et tous les états de.
telligent physique, tel qu'il a été et tel qu'il1 ces deux sociétés religieuses et je conclus
est, le gouvernement monarchique royal ett que la société humaine ne peut pas plus
la religion chrétienne catholique, étaient né- exister sans l'un ou sans l'autre de ces sa-
cessaires, c'est-à-dire tels qu'ilsnepourraient t crifices, qu'elle ae peut exister sans l'une
être autres qu'ils ne sont, sans choquer la na- ou sans l'autre de ces religions. Et en effei-
ture des êtres sociaux, c'est-à-dire la nature3 je vois en France l'idolâtrie remplaçant le
de Dieu et celle de l'homme en société. christianisme; je vois le sàcrifice du poly-
Or l'existence de l'homme n'est pas uni théisme, la prostitution et le meurtre, rempla-
problème; et, pour connaître ce qu'il est dans çantlesacrificedumonothéisme^ouledonpui
la société, ce ne sont pas les systèmes dess et sans tache de l'homme et de la propriété.
philosophes qu'il faut consulter, mais le té- Du jour où cesserait en Europe le sacrifice
moignage de l'histoire et celui de nos sens, de l'hommeparfait, commenceraitle sacrifice
c'est-à-dire qu'il faut juger l'homme de la so-• (]r l'homme coupable.
ciété par ses oeuvres publiques et sociales. Je conclus donc qu'il y a eu dans toutes
Quant à l'existence de Dieu, elle se prouve les sociétés humaines le sentiment de Dieu
à l'homme physique par les œuvres exté- puisque je vois, dans toutes les sociétés hu-
rieures de Dieu, je veux dire par la créa- maines, l'acte extérieur matériel de ce senti.
tion elle se prouve à l'homme, intelligent ment or les hommes ne peuvent avoir le
par Je raisonnement, dont cette partie de sentiment que de ce qui est Donc Dieu est.
mon ouvrage a été le développement, et que Si Dieu est, si l'homme existe, il y a société
je réduis ici à sa plus simple expression, entre eux car entre deux êtres semblables
pour ta satisfaction de celui qui voudra le et coexistants il y a nécessairement un rap-
méditer, et même pour la commodité de ce- port la société est la réunion d'êtres sem;-
lui qui voudra le combattre. blables donc il y aura réunion entre Dieu
Les hommes pensent à Dieu donc Dieu et les hommes; donc il y aura parole de
peut être, car les hommes ne peuvent penser Dieu aux hommes, puisque la parole. est le
qu'à ce qui peut être. seul moyen de réunion, qui nous soit connu,.
Les hommes ont le sentiment de Dieu avec des intelligences unies à des corps;
donc Dieu est car les hommes ne peuvent donc il y aura écriture, qui n'est que la pa-
avoir le sentiment que de ce qui est. role fixée, transmissible à tous les temps et
Les hommes pensent à Dieu, puisqu'ils transportable dans tous les lieux, parce que
ne peuvent même nier son existence, sans les intelligences vivent dans tous les temps
penser à lai.| et dans tous les lieux.
Les hommes ont le sentiment de Dieu; La société est la réunion d'êtres semblables,
réunion dont la fin est leur conservation mu- Toutes les révolutions religieuses et politi-
tuelle. Donc il y aura, dans la société, un ques ont eu le même principe, l'orgueil et la
pouvoir conservateur qui agira par une force faiblesse, et les mêmes crimes contre
conservatrice; et comme la société est un l'homme et contre la propriété ont signalé
être générai ou extérieur, le pouvoir serat leurs commencements et leurs progrès. S'ils
extérieur et la force sera extérieure. Le pou- ont été plus publics dans la révolution de
voir qui est Dieu même sera extérieur, France, comme dans celle d'Angleterre, c'est
comme la force ou les ministres de son culte que, la révolution y ayant été à la fois poli-
sont extérieurs. Ici je soumets une réflexion tique et religieuse, les crimes qui l'ont si-
importante à ceux qui croient à l'existence gnalée ont été commandés par l'autorité des
d'un Etre suprême,justice, bonté et sainteté. opinions et par celle de la force, c'est-à-dire
On conçoit pourquoi Dieu a laissé mar- par l'autorité religieuse et l'autorité politi-
cher dans leurs voies les nations idolâtres; que à la fois; au lieu que, dans les révolu-
pourquoi il a permis que la connaissance tions purement religieuses on les réformes,.
de s-as perfections s'effaçât du milieu de ces les mêmes crimes ont été moins publics,
sociétés qui ne conservaient pas l'homme, parce qu'ils n'ont été commandés que par
puisque, par l'apothéose,, elles en faisaient l'autorité des opinions. J'énoncerais sur ce
un Dieu, et que, par l'esclavage, la prosti- sujet une vérité plus sévère encore et plus
tution et l'assassinat religieux, la férocité importante, vérité dont la révolution de
des guerres, l'atrocité des spectacles, l'expo- France me fournirait une trop juste applica-
sition pùbiique, etc., elles le rabaissaient tion, si elle ne présentait pas un caractère
au-dessous de la condition des animaux mê- moins général que toutes celles dont j'ai fait
mes. Mais que la société chrétienne, qui a la base de mes principes.
commencé par toutes les vertus particuliè- Telle est en peu de mots la marche et l'a-
res et qui continue par toutes les vertus nalyse de mes preuves de la nécessité, ou ce
publiques, soit depuis dix-huit cents ans qui est la même chose, de la divinité de la
dans une erreur aussi grossière que celle religion chrétienne, et la nécessité, oserais-
de prostituer ses adorations à des signes je dire, de la divinité du gouvernement mo-
sans réalité, c'est ce qui me paraît bien plus narchique. Qu'on ne. m'accuse pas de m'en-
diflicile à accorder avec la bonté de Dieu, fermer dans un cercle vicieux, et de suppo-
qu'il ne peut l'être d'accorder la présence ser ce qui est en question. Je ne supposa
réelle avec sa puissance. Je ne conçois pas, rien que deux faits incontestables, l'exis-
il est vrai, comment Dieu même peut être tence de Dieu et l'existence de l'homme.
présent sous des signes extérieurs lors Btëv EST, L'HOMME existe toute l'économie
même que la méditation me montre comme de la société religieuse et de la société poli-
un rapport nécessaire dérivé de la nature tique tient à ces deux faits, et c'est avec rai-
des êtres sociaux, qu'il doit être extérieur son que j'ai dit, dans la préface de cet ou-
sûus des signes présents et sensibles mais vrage, qu'on ne pouvait attaquer mes prin-
je conçois comme une injustice envers laL cipes sur les sociétés religieuses etpolili-
société, c'est-à-direr comme un rapport con- ques, sans nïer Dieu, sans nier l'homme.
traire à la nature de Dieu juste,, qu'il per- Je ne m'érige ni en législateur de l'Etat,
mette à des sociétés qui conservent l'homme, ni en réformateur de l'Eglise et bien loin
de détruire Dieu. de penser que ce soit à la raison de l'homme
Onnemanquera pas de m'objecter l'exem- à constituer la société politique et la société
ple des sociétés réformées,- qui ne croient religieuse, je suis convaincu, et je crois l'a-
pas à la présence réelle, et l'on croira rétor- voir démontré, que c'est à la société politi-
quer contre moi l'argument dont je me suis que et à la société religieuse à constituer
servi. Je répondrai, l'histoire à la main, que l'homme intelligent et physique; et je ne
je conçois, comme un rapport nécessaire, regarde les législateurs les plus célèbres et
que des sociétés, qui ont commencé par le les réformateurs les plus vantés, que comme
crime, continuent par l'erreur. Ortouies ces des insensés qui ont osé mettre leurs volon-
sociétés ont commencé par la volupté, l'inté- tés particulières à la place des volontés éter-
rêt et la terreur elles se sont écartées des nelles de la nature, ou des corrupteurs qui,
lois ou rapports nécessaires qui dérivent de donnant à la société pour lois leurs propres
ifl nature des êtres, et dès lors elles ont cessé passions, ont légalisé, si je puis le dire, les
«Je conserver Dieu, de conserver l'homme. passions de la société.
SUPPLEMENT.
1
iUXDECX PrrîîMIÈUES PARTIES DE LA THÉORIE DU POUVOIR.

OBSERVATIONS SUR UN OUVRAGE POSTHUME DE CONOORCET, INTITULE ESQUISSE


D'UN TARLEAU HISTORIQUE DES PROGRÈS DE L'ESPRIT HUMAIN (1793).

Au moment où mon ouvrage sortait de la leurs hordes dévastatrices la désolation et la


presse, il m'est parvenu un écrit posthume mort de leurs concitoyens,de leurs parents,
de Condorcet, intitulé Esquisse d'un tableau de leurs amis, par pur amour de la postéri-
historique des progrès de l'esprit humain. té annoncer le projet, même la nécessité de
Cet ouvrage, qui n'est que le sommaire réduire de moitié- la population de leur pa-
d'un ouvrage plus étendu, est divisé en dix trie et justifier peut-être à leurs propres
époques, ou périodes, dont les neuf premiè-
yeux ces horreurs inouïes dans les fastes de
res sont consacrées àretracer les révolutions la méchanceté humaine, par l'avantage d'as-
survenues dans l'état des sciences et des arts, surer aux générations futures, des lumières,
et les changements qu'elles ont produits des vertus, une félicité,- dont Condorcet dit
dans Je système religieux et politique des lui-même, qu'on nepeut pas se former une
nations, depuis l'établissement des premiè- idée.
res peuplades, jusqu'à la formation de la ré- Ce sage, qui ne veut pas que la philoso-
publique française. Dans la dixième, l'au- phie moderne soit aussi moderne au'on le
teur embouche la trompette prophétique, et pense, va parcourant les siècles et les na-
il dévoile à l'univers les grandes destinées tions, cherchant çà et là quelque penseur
de l'homme et des sociétés. isolé qui ait nié l'existence de Dieu, et atta-
En rapprochant cette dernière partie de qué la monarchie et la religion, pour en
l'Esquisse des progrès de l'esprit humain, des faire un des pères de la philosophie. Ce n'est
écrits philosophiques qui t'avaient précédée,
pas sans étonnement qu'on voit figurer dans
écrits dont la Déclaration des droits est l'a- cette généalogie l'ordre des Templiers, ac-
nal,yse, et la république française l'applica- cusés de mœurs dissolues, coupables sur-
tion, on peut regarder l'ouvrage de Condor- tout de grandes richesses, et dont l'auteurr
cet comme VApdcahjpse de ce nouvel Evan- veut que la destruction ait eu pour cause la
gile. En effet, l'auteur présage,
y non dans crainte qu'inspirait aux rois et aux prêtres
un style figuré, mais dans un langage scien- la hardiesse de leurs opinions philosophi-
tifique, le sort futur de la société philosophi-
ques.
que dont il se croit un des fondateurs et le Cette assertion ne paraît d'abord que ha-
tableau qu'il fait du bonheur réservé à sardée mais elle mérite une attention sé-
l'homme social, parvenu même à force de rieuse, lorsqu'on la rapproche de l'aveut
vertus et de connaissances à prolonger indé- prétendu fait par un adepte, au commence-
finiment son existence physique, ne peut ment de la révolution de France, que le de-
être comparé qu'à la magnifique description voir de venger la mort du grand-maître des
que fait l'écrivain sacré, dans son livre mys- Templiers et la destruction de son ordre,
térieux, de la Jérusalem céleste qu'éclairera était un des secrets engagements qu'impo-
un jour éternel, uù la mort ne sera plus, et sait au très-petit nombre d'initiés cette as-
où il n'y aura plus ni deuil, ni plainte, ni sociation occulte, présidée par ce prince qui
douleur. (Apoc. xxi, 4.) voulut s'élever jusqu'au trône, et qui, heu-
La fanatique peinture que fait ce philoso-
reusement pour l'espèce humaine, n'est pas
phe, de sa société hypothétique, peut nous allé plus loin que léchafaud; ces associa-
expliquer l'inconcevable phénomène qu'a tions, dans lesquelles les honnêtes gens ne
présenté la France révolutionnaire, où l'on voyaient que bienfaisance, les curieux
a vu des hommes commander froidement à qu'hiéroglyphes, les désœuvrés que plaisirs,
mais où d'habiles et profonds scélératss donnée à condition de défendre l'Etat, ou
voyaient peut-être un moyen de détruire unn sous l'obligation du service militaire, » etc.
jour, sous leurs marteaux maçonniques, lee J'y trouverais un aveu précieux du perfec-
trône et l'autel. tionnement successif de la constitution mo-
L'Esquisse des progrès de l'esprit humain, narchique, dans ces paroles remarquables
dernière production de son auteur, peutlt '< Nous exposerons en détail les causes qui
être regardée comme la dernière productionn ont produit en Europe ce genre de despo-
de la philosophie, dans le procès qu'elle a tisme, dont ni les siècles précédents, ni les
intenté à la société; procès que l'auteur lui- autres parties du monde n'out offert d'exem-
même appelle la guerre acharnée que la phi- ple, où l'autorité presque arbitraire, conte-
losophie a déclarée aux oppresseurs de l'hu- nue par l'opinion, réglée par les lumières,
manité, et qui durera, dit-il, tant qu'il resteraa adoucie par son propre intérêt, a souvent
sur la terre des prêtres et des rois. contribué aux progrès de la richesse, de l'in-
Sijj'eusse défendu la religion et la monar- dustrie, de l'instruction, et quelquefois mê-
chie, ces deux bases du bonheur de l'espècee me à ceux de la liberté civile. »
humaine, avec autant de talent que Condor- Je ferais observer dans cet ouvrage, qui
cet en emploie à es combattre, on pourraitt ne respire que le mépris de toutes les re-
avec quelque raisoc peut-être, en lisant son1 ligions et la rage contre la religion chrétien-
ouvrage et .1e,mien, dire que l'affaire estt ne, cet ouvrage, où l'auteur ne mesure les
suffisamment instruite, et qu'elle est en étatt progrès de l'esprit humain que par ceux
d'être jugée. qu'ont faits l'athéisme et le matérialisme je
Si le temps me le permettait; si, ausortirr ferais observer les aveux les plus conformes
de la longue et péniblecarrière que je vienss à mes principes sur la constitution de la so-
de parcourir, l'esprit ne se refusait à la mé- ciété religieuse, et le consentement unani-
ditation, et le corps même au travail, je3 me de tous les peuples à l'existence de la
puiserais dans l'ouvrage du philosophe, jus- Divinité.
que dans cet ouvrage qui respire la haine3 En effet, le philosophe remarque aussi
de la monarchie, et le mépris de tout gou- dans la société des êtres intelligents, la dis-
vernement qui n'est pas populaire, les preu- tinction de la force et de la faiblesse, la pas-
ves les plus décisives de la vérité de mes5 sion de dominer par les opinions et le besoin
principes sur la constitution des sociétésS de s'en défendre, « partout l'idée des puis-
politiques. sances surnaturelles, et partout, à côté de
En effet l'auteur remarque dans toutess ces opinions, s'élever ici des princes pon-
les sociétés politiques dont l'histoire a trans- tifes, là des familles ou des tribus sacerdo-
mis le souvenir, la distinction de la force ett tales, ailleurs des collèges de prêtres. » Cette
de la faiblesse, la passion de dominer par lai distinction de profession, o^dont à la fin du
force et le besoin de s'en défendre; et « dans xvme siècle, le clergé nous offre encore des
les gouvernements grossiers des sociétés restes, se retrouve chez les sauvages les
primitives, l'hérédité presque générale dess moins civilisés et elle est trop générale, on
chefs et des rois, etles prérogatives usurpéess la rencontre trop constamment à toutes les
par d'autres chefs inférieurs, de partager époques de la civilisation, pour qu'elle n'ait
seuls l'autorité politique, d'exercer les fonc- pas nnlondernentdans la nature même (1). »
tions du gouvernement et celles de la ma- L'auteur, remontant à l'origine des socié-
gistreture L'origine de la féodalité, quii tés politiques, en trouve, comme J.-J. Rous-
n'a pas été particulière à nos climats, mais seau, l'élément et le germe dans la famille
qui se retrouve presque sur tout le globe, (2). Je suis d'acccord avec eux; mais ce
aux mêmes époques de la civilisation, par- qui prouve la cohérence de mes principes et
tout la propriété ou l'usufruit de la propriété l'incohérence de leurs systèmes, est que je
(1 ) Cet aveu est inconcevable dans la bouche gouvernement d'un seul était le plus conforme à la
d'un écrivain qui veut ôter à l'homme toute idée nature. Mais l'exemple du pouvoir paternel ne
de divinité et de religion. Si le sentiment de la Di- prouve rien. Car, si le pouvoir du père a du rapport
vinité est dans la nature de l'homme, l'homme ne au gouvernement d'un seul, après la mort du père,
l'a pas reçu de l'homme. Ce sentimenl est donc vrai, le pouvoir des frères, ou après la mort des frères,
il est donc indestructible; donc le philosophe qui celui des cousins germains ont du rapport au gou-
vent le détruire est un insensé et un corrupteur. vernement de plusieurs. »
(2) Montesquieu fait, sur ce sujet, un singu- Où Montesquieu a-t-il vu une famille gouvernée
lier raisonnement. « Quelques-uns ont pensé que la collectivement par le pouvoir des cousins? Si les
nature, ayant établi le gouvernement paternel, le cnfants sont en bas âge, à la mort du père, la lot
donne à ma société politique la constitution la femme considérés en société naturelle.
monarchique, et par là je fais le corps de la avec la chaleur et là vérité qui caractérisent
même nature que les éléments dont il est les productions de cet écrivain, supérieur à
formé et que le germe dont il est le dévelop- tous ceux de son siècle lorsqu'il se laisse
pement, ce qui est parfaitement dans la na- inspirer au sentiment, mais au-dessous des
ture des choses et des idées au lieu que plus médiocres lorsqu'il débite ses opi-
Condorcet et J.-J. Rousseau veulent que l'é- nions.. C'est de lui sans doute que Condor-
lément ou le germe soit un, et que le corps cet veut parler, lorsqu'il dit qu'on a vaine-
soit plusieurs; ils veulent que le corps social ment essayé d'excuser, par des sophismes,
commence par la monarchie, et qu'il conti- l'inégalité entre les sexes.
nue par la polyarchie ou la démocratie Mais la nature conserve les éléments do
contradiction perpétuelle entre le corps et tous les corps elle met un terme aux dé-
ses élémenls constitutifs, cause nécessaire compositions philosophiques, comme elle
de discorde et de trouble, semence féconde pose des .bornes aux manipulations chimi-
de dissolution et de mort Condorcel, par ques et malgré les novateurs, le préjugé
une conséquence forcée, et dont il ne paraît de la supériorité de l'homme dans la famille
pas lui-même avoir démêlé le motif, veut-il se maintiendra autant que la famille même.
introduire la r4publique au sein de la fa- Et qu'on prenne garde que les philosophes
mille, et former l'élément pour le corps, au établissent la plus cruelle inégalité entre te
lieu de former le corps de l'élément? « Par- sort des deux sexes, en voulant établir entre
mi les progrès de l'esprit humain les plus eux une égalité de droits. En permettant le
importants pour le bonheur général, nous divorce aux époux, ils .mettent la femme
devons compter l'entière destruction des hors de la famille, à un âge auquel la na-
préjugés qui ont établi entre les deux sexes ture lui refuse la faculté de remplir la fin
uneinégalité de droits funestes à celui même de la société naturelle, et de former une
qu'elle favorise. On chercherait en vain des autre fami.le et comme la femme n'appar-
motifs de la justifier par les différences de tient à la société politique qu'autant qu'elle»
leur organisation physique, par celle qu'on fait partie de la société naturelle, il est évi-
voudrait trouver dans la force de leur intel- dent que, par le divorce, la femme peut se
ligence, dans leur sensibilité morale. 'Cette trouver hors de toute société, ce qui cons-
inégalité n'a d'autre origine que l'abus de titue, pour un être social, le plus haut de-
la force, et c'est vainement qu'on a essayé gré d'oppression au lieu que l'homme,
depuis de l'excuser par des sophismes. » bien plus longtemps propre à remplir la fin
Ce que le philosophe appelle une inéga- de la société naturelle, est toujours propre
lité de droits, entre les deux sexes, n'est au- à remplir la fin de la société politique.
tre chose que l'inégalité de leurs devoirs dans L'Esquisse .des progrès de l'esprit humain
la famille. Car on n'a pas -oublié que, dans n'est, d'un bout à l'autre, qu'un sophisme
la société, il n'y a pas de droits, il n'y a que déguisé, présenté avec un entourage d'éru-
des devoirs. dition et un appareil de science capable d'en
Or, la différence des devoirs dans les deux imposer au lecteur médiocrement instruit
sexes est marquée, par la nature même de ou peu sur ses gardes. Je ferai remarquer
l'homme, d'une manière qui ne permet pas l'art avec lequel ce sophisme est présenté,
de la méconnaître puisqu'elle a mis les après en avoir discuté le fond.
devoirs de la femme envers son époux sous Condorcet suppose qu'à mesure que les
la garde de la pudeur, c'est-à-dire, du sen- hommes deviennent plus éclairés, la société
timent, et les devoirs de l'homme envers devient plus parfaite et les hommes meil-
sa femme sous la garde de la raison; et elle leurs, ou, pour présenter la question sous
avertit ainsi la femme de l'importance de la forme la plus simple, que l'homme fait et
ses devoirs envers son époux par les obsta- perfectionne la société.
cles qu'elle trouve en elle-même lorsqu'elle Si cet auteur n'entendait par les sciences
veut les enfreindre. J:-J. Rousseau a déve- dont les progrès perfectionnentla société que
loppé la différence que mettent la nature et la scienr.ede la société politique et celle de la
la raison entre les devoirs de l'homme et de il
société religieuse, ne dirait que des mots vi-

lotir nomme un tuteur; c'est le régent lorsque les perpétue la famille; dans les autres, on partage la
enfants sont en âge du se marier, dans le pays où propriété, la famille se dissout, les frères se sépa-
le droit d'aînesse est é.ablï, l'ainé ea se mariant rent et vont fonder ailleurs de nouvelles familles..
des de sens; mais il entend par sciences les des corps,
-A~nécessaire, 0::0
est pour cemprimer
sciences mathématiques,les sciences de cal- toutes les forces particulières; parce que
cul, auxquelles il ramène ou pense qu'an là où tous veulent dominer avec des volon-
pourra ramener un jour toutes les connais* tés égales et des forces inégales, il faut
sanees qui sont l'objet de l'entendement hu- qu'un seul domine, ou que tous se détrui-
main. sent. »
Cette proposition est fausse, sous quel- 2° Si les sciences naturelles n'ajoutent
que rapport qu'on la considère. rien à la vertu de l'homme, elles ajoutent
Comment les progrès de l'homme, dans peu à son bonheur; soit à'son bonheur ex-
les sciences naturelles, rendraient-ils la so- térieur, qui consiste dans la jouissance des
ciété plus parfaite, puisqu'ils ne rendent pas dons de la nature et de la fortune, soit à
î'homme meilleur (1) 2? son bonheur intérieur, qui ne peut être que
Si une éducation plus soignée, l'habitude la vertu, ou l'amour de Dieu, de soi-même
d'une vie sédentaire, le goût de la retraite, et des autres hommes. Quant à la société,
une constitution physique presque toujours on a soutenu et l'on peut soutenir que les
faible, ou usée par l'étude, éloignent le sa- sciences et les arts peuvent orner et embel.
vant des passions orageuses qui trouble- lir la société, mais qu'ils na la eonscrvmt
raient sa tranquillité, il n'en est que plus pas, puisque l'utilité la plus immédiate des
disposé aux passions calmes et froides, qui sciences (de calcul) et des arts est de favo-
se fortifient dans la solitude, et se nourris- riser l'extension du commerce et les progrès
sent de la contemplation de soi-même et du du luxe, qui, en corrompant l'homme, dé-
mépris des autres aux passions de l'esprit, truisent la société.
l'orgueil, source de tous les désordres de Une objection se présente naturellement
à
la société et de tous les malheurs de l'es- à l'esprit du lecteur le moins attentif. S'il
pèce humaine. faut être savant pour être heureux et bon,
Les hommes ne deviennent pas meilleurs, si le plus haut degré de la vertu et du
ni plus maîtres de leurs passions, en deve- bonheur coïncide avec le développement le
nant plus savants, par la même raison qu'ils plus étendu des connaissances humaines,
ne deviennent pas meilleurs, ni plus mai- combien d'hommes que la faiblesse de leur
tres de leurs passions, en devenant plus condition, celle de leur intelligence, con-
forts. Au contraire, la passion de dominer damnent au vice et au malheur L'auteur a
s'accroît avec les moyens de la satisfaire et soin de prévenir cette difficulté, en assurant
cette passion dans le savant et l'homme fort que les méthodes des sciences seront si
est la même dans son objet, et ne diffère abrégées,
«
les formules si simples les
que par les moyens. Les savants ont la pas- moyens
i d'instruction si généraux et si faci-
sion de dominer par leurs opinions ou par les, et ceux de subsistances si aisés, que,
l'esprit, comme les forts ont la passion de «< par le choix heureux des connaissances
dominer par le corps ou par la force et elles-mêmes
< et des méthodes de les ensei-
c'est parce qu'il y a quelques savants qui {gner, on pourra instruire la masse entière
veulent dominer, par la supériorité de leur d'un
( peuple de tout ce que chaque homme
esprit, sur la faiblesse morale des autres at besoin de savoir pour l'économie domes-
hommes, qu'une intelligence, un esprit gé- tique,
t pour l'administration de ses affaires,
néral, pouvoir de la société des intelligen- 1pour le libre développement de son indus-
ces, est nécessaire, pour dominer tous les ttrie et de ses facultés pour connaître ses
esprits particuliers comme c'est parce qu'il cdroits, les défendre et les exercer pour
y a quelques hommes forts qui veulent do- éêtre instruit de ses devoirs, pour pouvoir
miner, par la supériorité de leur force, sur les
1 bien remplir pour juger ses actions et
la faiblesse physique des autres hommes, celles
c des autres, d'après ses propres lu-
qu'un homme général, pouvoir de la société rmières, et n'être étranger à aucun des sen-
(1) Le sage dont j'analyse l'ouvrage a prouvé par
een comité de supplices comme elle se formait en
son exemple,et publiquement, que les sciences ne ren- comité
c de finances ou de législation, pour discuter
dent pas l'homme meilleur. Ce savant, l'un des plus froidement jusqu'à quel point et comment on peut
fi
universels et des plus distingués de l'Europe, Juin de faire souffrir un homme sans le faire mourir; et le
fi
défendre l'innocent, condamna contre sa cons-
cience, le malheureux Louis XVI à la peine la plus
malheureux
n monarque eût été livré à tous les tour-
ioite après la peine de mort. Si cr raflinement ments,
n à tous les outrages que la rage pouvait sug-
gérer
g à l'imagination atroce et féconde d'un conseil
philosophique eût été adopté par la majorité de la d bourreaux.
de
convention, on aurait vu celle assemblée se former
matière, la vertu comme l'étendue, le bon- constitutions
ce absurdes et impraticables, dont
in-
heur comme la quantité. Pour distinguer le une foule de savants a tourmenté notre
ui
bien du mal, on n'aura qu'à choisir entre un fortunée patrie, la plus absurde sans doute,
fo
à la
nombre presque infini de combinaisons possi- e1 la moins praticable, celle qui prouve
et
oies, où les principes généraux des droits na- fois
fc le pius de calculs et le moins de bon
turels seront respectés, celles qui assureront sens, est celle que Condorcet en personne
s(
davantage la conservation de ces mêmes droits; a donnée à la France.
et parce que la conscience ne sera plus L'auteur, en avançant que l'homme fait la
qu'une équation, la morale ne sera plus société, si a été obligé de soutenir que l'homme
qu'un problème. fait
f< tout ce qui sert à la conservation de la
On peut se rappeler que, dans les pre- société. s<
Il veut que dans les premiers temps
miers jours de la révolution, l'auteur dai- 1< les hommes aient inventé d'eux-mêmes
la langue, par laquelle ils se commu-
gna faire une application de sa théorie des jusqu'àji
probabilités au résultat des votes des assem- niquent
n réciproquement leurs pensées, jus-
blées primaires mais pour parler son lan- qu'à q l'écriture par laquelle ils les fixent;
gage, dans la réduction en équation de laques- mais,n par cela seul que l'homme ne peut
tion proposée, l'auteur avait oublié ou né- vivre v en société naturelle sans parler, ni les
gligé une inconnue, les passions des hommes; famillesf en société politique et policée sans
fa-
aussi il ne parvint qu'à une solution néga- f.écrire, la parole et l'écriture sont des
Hve, et les choix de ces assemblées furent cultés c nécessaires, et non des arts dont la
presque partout dictés par l'intrigue, com- découverte
< ait pu être contingente; car, ce
mandés par la terreur, ou quelquefois ache- qui c est contingent, peut être ou n'être pas.
faculté
tés de l'avarice. Or,
d on ne peut pas supposer qu'une
Le calcul sera donc le moyen unique de ? nécessaire
1
à la conservation de la société soit
la perfection à laquelle doivent tendre et• contingente,
< sans supposer que la société
parvenir l'homme et la société le calcul elle-même ( est contingente, et peut être ou
sera donc le régulateur universel de tous n'être i pas. Aussi, l'explication que donne
les devoirs de l'homme et de tous les l'auteur 1 de Y Esquisse, de la manière dont
développements de la société; et Molière les 1 premiers hommes ont pu composer une
avait l'instinct et peut-être la connaissance langue et inventer l'écriture (1) est-elle
de ce grand principe, lorsqu'il faisait dire inintelligible; et c'est se moquer de ses leo
au maître de musique de M. Jourdain, quei teurs que de prétendre lui-même, que les premiers
des ani-
tous les désordres de l'a société ne venaientt hommes distingués, dit-il
idées morales
que d'un défaut d'harmonie, et à son maî- maux, seulement par quelquescommencement
tve à danser que toutes les fautes des mi-
plus
J
étendues, et un faible
nistres n'étaient que des faux pas. d'ordre social, se sont élevés, par la seule
II semble que Condorcet lui même fûtt force de leur raison, jusqu'à la prodigieuse
destiné à prouver par son exemple les er- invention de l'art de parler et
d'écrire;
qui
reurs de sa théorie, à faire voir qu'en poli- lorsqu'on voit aujourd'hui les sauvages étendues et
tique toute théorie est fausse, si elle> ont aussi des idées morales assez
ébahis à la
néglige de calculer les passions des hommes, un commencement d'ordre social,
de
et qu'elle est absurde, si elle ose en calculer• vue de l'eau qui bout dans un vase, ou
la résistance incalculable car de toutes less quelques grains de verre enfilés dans un

(1) L'auteur de l'ouvrage que j'analyse veutt reproduire, c'est-à-dire, en famille, a pu acquérir
que la formation d'une langue soit i'ouvrage de lai les premiers perfectionnements dont le dernier ter-
société politique; et quelques lignes plus haut il a me est une langue articulée, » et il avoue que
dit que la formation d'une langue a dû précéder « l'idée d'exprimer
les objets par des signes con-
(es institutions sociales, sans lesquelles il ne peutt ventionnels paraît au-dessus de ce qu'était l'intel-
exister de société politique parmi les hommes, ett ligence humaine dans cet état de civilisation, et ce-
qui ne sont elles-mêmes que le résultat nécessaire pendant on a retrouvé partout l'usage d'une langée
de la réunion des hommes en société politique; ett articulée mais aussi l'on ignore le nom et la patrie
il n'explique pas comment les hommes ont pu se des hommes de génie, des bienfaiteurs de l'huma-
réunir en société politique avant d'avoir une langue nité, qui ont fait des découvertes si merveilleuses.>
formée et commune et il dit lui-même, que
observé
i
l'es-
le En général, il règne, dans les premiers chapitres
de cet ouvrage, un désordre qu'on peut appeler me-
premier état de civilisation l'on
où ait
thodique, et qui est un eiïet de l'art l'auteur se

pèce humaine, est celui d'une société peu nom-•
breuse, d'hommes subsistants de la chasse et de la renferme dans un cercle d'idées vagues, d'expres-
pêche, mais ayant déjà une langue pour se coin- sions générales, et il se tourmente à organiser la
muniquerleurs besoins et ailleurs'il il avance que
borné à l'association nécessaire pour se
société, sans parler de Dieu, et sans explique*-
l'homme.
« l'homme
729 PART. 1. SOC. – THEORIE DU POUVOIR. PART. If. SUPPLEMENT.
ECONOM. 750
i»u ms\j 1^1 \j i v/'n. iai(i, j.1. OUI IlJlVUI^l.1 !• itJif
timents élevés
timents élevés ou
ou délicats qui honorent la vient, et c'est ce qui oui résulte
résnltn des
d«s proposé
nrrvnnsK
nature humaine, etc., etc. Les habitants duu tions abstraites et générales, de la hauteur
même pays ne seront plus distingués entre 'e desquelles il ne daigne jamais descendre.
eux par l'usage d'une langue plus grossière 'e « Si on passe maintenant, dit-il, à la
ou plus raffinée, et la différence des lumiè-
S- théorie qui doit diriger l'application de ces
res et des talents ne pourra plus élever unele principes et servir de base à l'artsocial ( 1 )
barrière entre des hommes à qui leurs sen- a- ne voit-on pas la nécessité d'atteindre à une
timents, leurs idées, leur langage, permet- précision dont ces vérités premières ne peu-
tent de s'entendre; dont les uns peuvent it vent être susceptibles, dans leur généralité
avoir le besoin d'être instruits par les au-
i- absolue ? Avons-nous fixé des règles préci-
tres, mais n'ont pas besoin d'être conduits ts ses pour choisir avec assurance entre le
par eux dont les uns peuvent vouloir con- nombre presque infini de combinaisons pos-
fier aux plus éclairés le soin de les gouver- v sibles, où les principes généraux de l'éga-
ner, mais non être forcés de le leur aban- lité et des droits naturels seraient respectés,
donner avec une aveugle confiance. e
croirais faire injure au lecteur raisonnable,
Je
i-
celles qui assurent davantage la conserva-
tion de ces droits, laissent à leur exercice, à
de penser qu'il puisse adopter ces visionss leur jouissance une plus grande étendue,
philosophiques l'auteur lui-même a soin n .assurent davantage le repos, le bien-être des
de les détruire, en supposant que les unss individus, la force, la paix, la prospérité
peuvent avoir le besoin d'être instruits parr des nations ?» »
de plus éclairés, et d'être gouvernés par dee Celui qui verrait dans ces phrases pom-
plus habiles. Il revient lui-même au prin- peuses autre chose que des mots, serait
cipe de toute société, à la distinction de laa bien loin de connaître les choses. Mais
force et de la faiblesse il revient au motif ,f continuons.
de toute société, la passion de dominer less « L'application du calcul des combinaisons
autres par la supériorité de son esprit ou dee et des probabilités à ces mômes sciences
sa force; et par conséquent je le ramènee promet des progrès d'autant plus importants,
lui-même à la nécessité d'un pouvoir géné- qu'elle est à la fois le seul moyen de don-
ral, qui comprime par une croyance com- ner àleur résultat une précision presque
mune toutes les opinions particulières dee mathématique, et d'en apprécier le degré de
ceux qui veulent instruire Jes autres, ett certitude et de vraisemblance. Les faits sur
d'un pouvoir général qui comprime par unee lesquels ces résultats sont appuyés peuvent
force générale toutes les forces particulièress bien, sans calcul, et d'après la seule obser-
de ceux qui veulent les gouverner. Il ne fautt vation, conduire quelquefois à des vérités
pas oublier de remarquer que le philosophe, générales, apprendre si l'effet produit par
en supposant que les uns qui auront besoini une telle cause a été favorable ou contraire
d'être instruits, ne se laisseront pas con- mais si ces faits n'ont pu être ni comptés, ni
duire, et que les autres, qui auront besoini pesés, si ces effets n'ont pu être soumis à
d'être gouvernés, ne s'abandonneront pas ài une mesure exacte, alors on ne pourra con-
leurs gouvernantsavec une aveugle confiance., naître celle du bien ou du mal qui résulte
établit en principe, dans la société, la ré- de cette cause et si l'un et l'autre se com-
volte contre l'autorité soit, religieuse, soitt pensent avec quelque égalité, si la différence
politique, le droit de juger ses maîtres, ett n'est pas très-grande, on ne pourra même
de désobéir à ses chefs et par là il consti- prononcer avec quelque certitude de quel
tue l'anarchie, soit dans les opinions, soitt côté penche la balance. Sans l'application du
dans les actions extérieures. calcul, souvent il serait impossible de choi-
L'auteur de l'Esquisse ne peut avancer que3 sir avec quelque sûreté entre deux combi-
les sciences mathématiques perfectionnentt naisons formées pour obtenir le même but. »
la société, et rendent l'homme meilleur, II viendra donc un temps où, selon Con-
qu'en supposant que tout ce qu'il importe à1 dorcet, tout, absolument tout ce qui a rap-
l'homme de savoir et de faire, pour être port aux facultés même intellectuelles de
heureux et bon, et perfectionner la société, l'homme, aux règles des mœurs et des <3e-
sera soumis au calcul et rigoureusementt voirs, aux principes de l'ordre social, sera
r aw aw. .1·rv uu.ua
démontré. C'est là aussi que l'auteur eni
j~V' mesuré,
pesé, a,uav~ calculé,
\.Ill1W
la
Il vérité
rcttcc comme
UJ. I!;J, ""Ull'.1li:r~
la ~Ci

( 1 ) Cette expression est remarquable la philosophie fait de la société un. an la nature en fait aa
être.
E DU POUVOIR. PART. il. SUPPLEMENT. 73J
cordon. L'auteur me fait bien comprendres l'homme doit être plus savant à mesure que
comment les hommes, dans les premierss la société est plus perfectionnée. Les faits
temps, purent représenter les substancess contredisent le système sous ce doub!e rap-
matérielles, les arbres, les animaux, etc., port; l'auteur avoue lui-même « qu'à la
par des traits grossiers qu'ils purent ensuitei Chine, chez ce peuple qui a précédé tous les
convertir en signes arbitraires et convenus; autres dans les sciences et dans les arts, les
mais jamais il n'expliquera comment ils pu- découvertes les plus importantes n'y ont pu
rent désigner, dans les verbes, l'action faite produire » aucun perfectionnement dans la
ou reçue, avec toutes les circonstances de> société; que l'invention de l'artillerie n'a
temps, de personne et de nombre qui la mo- rien ajouté à sa force, ni celle de l'impri-
difient; indiquer, dans le pronom, la subs-· merie même aux progrès de ses connais-
tance sans l'exprimer; séparer, dans l'ad- sances; et qu'enfin les honneurs, les digni-
jectif, l'accident du sujet, et dans l'ad- tés, exclusivement accordés aux savants,
verbe, l'action de toute circonstance acces- n'ont pu hâter le perfectionnement de
soire, etc., etc., c'est-à-dire, qu'il m'explique l'homme, ni le développementde la société.
comment les premiers hommes purent in- Tantôt l'auteur trouve l'homme le plus per-
venter Je dessin, mais non comment ils pu- fectionné dans la société la plus imparfaite,
rent former une langue (1) ni l'écrire. comme en France, « où la nation gémissait
Aujourd'hui, sans doute, nous pouvonss sous le despotisme religieux et politique, à
perfectionner une langue, et peut-être ent tel point, qu'excepté la France, la liberté de
inventer une nouvelle; mais nous avons lepenser existait pour tous les Chrétiens; »
moule, si j'ose le dire, et nous ne pouvons> tantôt il trouve l'homme le plus stupide dans
être qu'imitateurs. Aussi Condorcet est-il1 la société qui lui offre un mieux sensible
obligé de convenir que le nom et même lai «La religion de Mahomet, » dit-il,
patrie de ces hommes de génie, de ces bienfai- simple dans ses dogmes, la moins absurde
la
plus

teurs éternels de l'humanité, auxquels sontt dans ses pratiques, la plus tolérante dans ses
dues les inventions merveilleuses des lan- principes (voilà un perfectionnement), sem-
gues et de l'écriture, sont pour jamais ense- ble condamner à une incurable stupidité
velis dans l'oubli; et peu après, il reconnaîtt toute cette vaste portion de la terre où elle
lui-même que si l'invention de l'arc estt a étendu son empire; tandis que nous
l'ouvrage d'un homme de génie, la formationt voyons le génie des sciences et de la liberté
d'une langue fut l'ouvrage d'une société en- sous les superstitions les plus absurdes, et
tière. Il s'étonne, avec raison, que les au milieu de la plus barbare intolérance. »
hommes des sociétés primitives aient fait Tel est le sophisme dont l'ouvrage que
des découvertes si merveilleuses, et perfec- j'analyse est le long et adroitdéveloppement.
tionné à ce point la société, « et que quel- Ce sophisme, dans un homme qui a la cons-
ques peuples soient restés; depuis un temps cience de son savoir et une haute opinion
immémorial, dans la barbarie; que non-seu- de ses talents, est plutôt un calcul de t'amour-
lement ils ne se soient pas élevés d'eux- propre qu'une erreur de la prévention. En
mêmes à de nouveaux progrès, mais que les effet, si les sciences perfectionnent la so-
relations qu'ils ont eues avec des peuples> ciété, il est naturel que les savants la gou-
parvenus à un' très-haut degré de civilisa-· vernent le peuple, en Grèce, dit modeste-
tion, le commerce qu'ils ont avec eux, n'yr ment Condorcet, imposait un travail au phi-
aient pu produire cette révolution. » Com-· losophe (législateur) mais il ne lui confiait
ment les premiers hommes étaient-ils. si in- pas une autorité, et quoiqu'il obéît aux lois
ventifs avec si peu de secours, ou pourquoi1 qu'il avait reçues du sage, il exerçait seul et.
les hommes modernes sont-ils si stupides auL par lui-même ce que depuis nous avons ap-
milieu de tant de lumières? pelé le pouvoir législatif. Aussi, ce sophisme
Il veut que la société soit plus perfection- a-t-il fait une brillante fortune parmi la
née à mesure que l'homme est plus savant; foule des demi-savantsque les Dictionnaires,
donc, par une conséquence nécessaire, l'Encyclopédie, les journaux ont multipliés
(1 )J Les deux genres masculin et féminin, com- ter quelque chose à la preuve de la vérité du grand
muns à toutes les langues, et employés à distinguer principe de l'amour créateur et conservateicr des
des substances qui ne présentent à l'homme aucune êtres, principe que j'ai développé dans le premier
différence de sexes, sont, ce me semble, une preuve chapitre de la première partie, et particulièrement
que les langues ne sont pas de l'invention de dans la note 5, ci-dessus, que je prie le lecteur de
t'homme.; en" même temps qu'elles semblent ajou- relire.
en Europe ( 1 ) et qui, tous, se croient et il s'en faut bien qu'on puisse dire les
appelés à instruire les hommes et à gou- Grecs savaient plus de géométrie que les Ger-
verner les sociétés. mains, donc ils étaient plus humains envers
Le paralogisme, qui fait le fond de l'ou- leurs esclaves; ils étaient meilleurs astro-
vrage de Condorcet, est amené et présenté nomes, donc ils étaient plus hospitaliers;
avec beaucoup d'art. La méthode de cet au- ils dissertaient sur la morale, donc ils en
teur parait exacte et simple elle consiste à pratiquaient mieux les devoirs, donc ils
aller du connu à l'inconnu, et du vrai au étaient meilleurs époux, meilleurs pères,
vraisemblable; mais on ne s'aperçoit pas meilleurs voisins.
qu'il change perpétuellement d'objet, et qu'il L'homme intelligent n'est pas le seul qui
conclut sans cesse du physique au moral. 11 soit susceptible d'un progrès indéfini ;.l'hom-
étale avec complaisanceles grandes'et belles me physique lui-même participera à cette
découvertes.que l'homme a faites dans les brillante destinée, « et même, » dit l'auteur,
sciences naturelles et les arts, et il passe « comme les passions, les préjugés, les tra-
adroitement à des conjectures sur les pro- vaux pénibles, les excès en tout genre, ne
· grès qu'il fera dans la science des mœurs, seront plus connus parmi les hommes, serait-
dans les règles de ses devoirs, dans le per- il absurde de supposer que ce perfectionne
fectionnement de l'ordre soda) il entre- mentde l'espècehumaine doit être susceptible
mêle, il confond continuellement la certi- d'un progrès indéfini, qu'it doit arriver un
tude de ce qui est, et l'espérance de ce qui temps où la mort ire serait plus l'effet que
doit être. Il résulte de ce charlatanisme, d'accidents extraordinaires, ou de la des-
qu'un lecteur qui n'est pas sur ses gardes, truction de plus en plus lente des forces vi-
ne pouvant contester le vrai, n'ose pas révo- tales, et qu'enfin la durée de l'intervalle
quer en doute le vraisemblable; obligé d'ad- moyen entre la naissance et cette destruc-
mettre les faits, il glisse sur les conjectures; tion n'a elle-même aucun terme assignable.
et il reste de la lecture de l'ouvrage la sou- Sans doute, l'homme ne deviendra pas im-
venir vague d'un assentiment qu'on n'a mortel mais la distance entre le moment
donné qu'à quelques détails, et que la pré- où il commence à vivre, Pt l'époque com-
vention ou l'inattention peuvent étendre à mune où naturellement sans maladie, sans
l'ensemble. accident, il éprouve la difficulté d'être, ne
Cet ouvrage, réduit à sa plus simple ex- peut-elle pas s'accroître sans cesse? Ainsi
pression, présente les raisonnements sui- nous devons croire que la durée moyenne
vants. On a appliqué l'algèbre à la géomé- de la vie humaine doit croître sans cesse, si
trie, donc on l'appliquera à la politique; on des révolutions physiques ne s'y opposent
a calculé la résistance des fluides, donc on pas; mais nous ignorons quel est le tera*e
calculera la résistance des passions; on a qu'elle ne doit jamais passer, nous ignorons
déterminé, la figure de la terre, donc on dé- même si les lois générales de la nature esi
terminera avec précision l'organisation so- ont déterminé au delà duquel elle ne puisse
ciale on a trouvé le secret de déphlogisti- s'étendre. »
quer quelques substances, donc on trouvera Je ne sais si le lecteur partage ce senti-
le moyen de prévenir l'effervescence d'une ment mais il me semble que cette pers-
assemblée populaire; on fait de l'air pur et pective de vertu, de bonheur et d'immorta-
sans mélange de parties hétérogènes, donc lité, que la philosophie promet à la société,
on fera des sociétés sans passions et sans fait un contraste déchirant avec la corrup-
orages; on résout les équations du qua- tion, la misère et la mort qu'elle lui a don-
trième degré, donc on fera disparaître tous nées. Ah! que le sage se consule s'il veut,
les obstacles qui s'opposent au perfection- par ces chimériques espérances, des erreurs,
nement de l'homme social mais l'histoire des crimes, des injustices, dont la terre est
ne s'accorde pas avec cette brillante théorie, encore souillée, et même de celle dont il est

(1) Jadis, dans le siècle de la force, un preux et le Contrat social dans la tête,, s'imagine, dans
chevalier, monté sur son palefroi, l'armet en tête'et ses rêves philosophiques, qu'un peuple, gémissant
la lance à la main, se persuadait, dans ses rêves sous le despotisme, va, dans ses assemblées pri-
chevaleresques, qu'une belle princesse, enfermée maires, lui confier au moins le pouvoir législatif,
dans une tour, sous la garde d'un enchanteur, at- s'il parvient par ses écrits et ses discours à briser
lait lui offrir sa main et ses Etats, s'il pouvait par- ses fers. Ce sont les mêmes passions mais le che-
venir à la tirer de captivité. Aujourd'hui, dans le valier était un visionnaire généreux et brave; lettV-
siècle de l'esprit, un jeune littérateur, encore cou- térateur est un "fou enragé et dangereux.
vert de la poussière de l'école, la plume à la main
Ï37 PART. 1. ECONOM. SOC. THEORIE PART. H.
E DU POUVOIR. PART. 11. SUPPLEMENT. 7«
733
lui-méme la victime; mais qu'il s'abstienneî maineauraitnécessairementacquisun surcroît
de présenter ces consolations dérisoires ài de lumières, dont nous pouvons à peine nous
l'homme que ces funestes chimères ontt former une idée, qui oserait deviner ce que
plongé dans la misère et la douleur, et à lai l'art de convertir les éléments en substances
société que sa vanité et ses systèmes ontt propres à notre usage peut devenir un jour ?»
précipité dans l'abîme du malheur et de lai Effectivement le peuple de Paris, à dé-
corruption î faut de pain, s'est nourri d'aliments qui ne
Cependant quelques ombres viennent obs- valaient pas mieux que de la terré; et qui
curcir ce riant tableau. « II est possible, ») oserait répondre qu'il ne sera pas un jour
dit Condorcet, « que quelque nation sau- réduit à vivre d'air? Et si l'on ajoute à cette
vage des vastes contrées de l'Amérique sep- nourriture économique, qu'il ne peut boire
tentrionale, qui ne connaît de loi que lai que de l'eau, ne verra-t-on pas se réaliser là
force, et de métier que le brigandage, re- flatteuse promesse du philosophe, que les
poussera les douceurs de cette civilisationi éléments se convertiront un jour en substati~
perfectionnée mais réduits à un petit nom- ces propres à notre usage?
bre, repoussés eux-mêmes par les nationsi «2° Les progrès indéfinis de la population
civilisées, ces peuples finiront par dispa- et la masse même limitée des "substances ne
raître entièrement, ou se perdre dans leur• doivent avoir rien d'effrayant pour le bon-
sein. » II ne faut pas oublier le reproche heur de l'espèce humaine, ni pour sa për-
qu'a fait la philosophie aux nations euro- fectibilité indéfinie, si l'on suppose qu'a-
péennes, d'avoir réduit à un petit nombre, vant ce temps les progrès de la raison aient
repoussé et fait disparaître les naturels des marché de pair avec ceux des sciences et
pays qu'ils ont découverts dans le Nouveau- des arts, que les ridicules préjugés de la
Monde et j'oserai demander au philosophe) superstition aient cessé de répandre sur la
si la philosophie donne, plus que le clris- morale une austérité qui la corrompt et la
tianisme, le droit de réduire à un petit nom- dégrade, au lieu de l'épurer et de l'élever.
bre; et de faire disparaître les paisibles ha- Les hommes sauront alors que, s'ils ont des
bitants de ces terres éloignées. obligations à l'égard des êtres qui ne sont
Le sage résout d'une manière plus immo- pas encore, elles ne consistent pas à leur
rale la seconde difficulté, qui, selon lui, donner l'existence, mais le bonheur elles
-< naît de son système. Dans ce progrès indé- ont pour objet le bien-être général de Pes-
fini de l'industrie et dit bien-être; dans un pèce humaine, ou de la société dans laquelle
état de choses où tous les hommes serontL ils vivent, de la famille à laquelle ils sont
vertueux, toutes les femmes fécondes, tou- attachés, et non la puérile idée de charger
tes les familles riches, « chaque générationi la terre d'êtres inutiles et malheureux. »
est appelée à un accroissementdans le nom-· Le lecteur se méprendrait peut-être sur
bre des individus duquel il doit arriver que les intentions du philosophe, s'il ne savait
l'augmentation dans le nombre des hommess pas que, dans le même ouvrage, il déclame
surpassant celle de leurs moyens, il en ré- avec aigreur contre le célibat, et qu'ainsi,
• sulterait nécessairement, pour le bonheurr dans sa société philosophique, le mariage
de la société, une marche vraiment rétro- sera prescrit, et les progrès de la population
grade ou du moins une sorte d'oscillationi arrêtés. La philosophie nous ramène donc
entre le bien et le mal. » aux institutions des républiques anciennes
On a vu, dans la Théorie du pouvoir, que auxquelles le philosophe conseille de bor-
l'accroissement trop rapide de la populationi ner le nombre des enfants à naître, et le lé-
peut être à craindre pour la société que laï gislateur prescrit de borner, par l'exposi-
société politique y remédie par des colo- tion publique, le nombre de ceux qui sont
nies, la société religieuse par ses établisse- nés. Or, empêcher t'enfant de naître ou l'em-
ments que, si ces moyens sont négligés, lai pêcher de vivre est presque le même crime
nature même de la société supplée à leurr dans la société :naturelle dont la fin est la
défaut par des voies qu'il n'est pas donné ài production des êtres s'il y avait quelque

J.
l'homme de connaître ni de troubler. Mais5 différence entre ces deux forfaits, un philo-
le sage a des moyens inconnus au vulgaire, sophe nous prouverait qu'ils sont utiles l'un
et l'autre pour ne pas surcharger là terre

24
des moyens sûrs et directs de faire subsisterr
une population excessive, ou de la borner. d'êtres inutiles et malheureux. C'est donc
î î" Dans un temps, dit-il, « où l'espèce hu= avec raison que j'ai dit, dans la première
OEfJVBRs
OEUVRES rniupr M. nu
tïr M
COMPL. DE ttaivim Jt
DE BOiSALD, r 24
partie de cet ouvrage, que, lorsque l'enfant rapports nécessaires dont l'ensemble forme
n'est pas un être sacré aux yeux de la reli- la constitution, en voulant établir dans les
gion, il est bientôt un être vil et nuisible aux sociétés des rapports absurdes, ouvrage de
yeux de la politique. sa volonté destructive, et qu'il maintient par
Malgré la différence de mes principes sur une force déréglée, e'est-à-direque l'homme
les sociétés à ceux de l'auteur que je com- social se déprave et se déconstitue lui-même,
bats, on a.pu remarquer que nous nous ac- en voulant constituer la société, et que la
cordions sur un point important, sur la per- la société constitue l'homme ou le règle, en
fectibilité indéfinie de l'homme. Cette fa- se constituant elle-même.
culté, propre à l'homme et à l'homme seul, Le procès entre la philosophie et la so-
est, à mon' avis, une des plus fortes preuves ciété civile se trouve donc réduit à des ter-
que puisse offrir le raisonnement, de l'im- mes bien simples.
mortalité de l'homme intelligent. En effet, La société fait l'homme par sa constitu-
il est dans la nature d'un être essentielle- tion l'homme fait la société par ses décou-
ment et indéfiniment perfectible, de vouloir vertes telle est la question dont le juge-
essentiellement et indéfiniment perfection- ment est soumis au tribunal de l'opinion
ner or, vouloir, c'est exister. Mais Condor- publique éclairée par l'histoire des temps
cet veut que ce soit l'homme qui perfec- passés, par la connaissance des événements
tionne la société, et je soutiens au contraire présents, et par des conjectures probables
que ce n'est que la société qui perfectionne sur ceux qui en seront la suite, et dont l'ob-
l'homme intelligent et physique. L'histoire servateur attentif peut prévoir avec quelque
de l'homme et de la société s'accorde avec certitude la nature et la direction.
cette théorie; puisqu'on observe, dans tous Tout nous dit, pronostique l'auteur que
les temps et chez tous les peuples, la con- je combats, que nous touchons à l'époque
servation, c'est-à-dire la perfection de l'hom- d'une des grandes révolutions de V espèce hu-
me intelligent et physique, snivre 'les pro- maine. Je partage à cet égard l'opinion de
grès de la constitution de la société reli- Condorcet, mais je ne suis pas d'accord avec
gieuse et politique,, ou intelligente et phy- lui sur l'espèce et le caractère de cette ré-
sique, et la destruction, c'est-à-dire l'im- volution.
perfection de l'homme intelligent et phy- « L'état actuel des lumières,
»dit cet écri-
sique, suivre la déconstitution de la société vain, « nous promet qu'elle sera heureuse;
religieuse et politique; et qu'onobserve en- mais aussi n'est-ce pas à condition que nous
core que l'homme intelligent se perfectionne saurons nous servir de toutes nos forces?
davantage là où la société religieuse est plus C'est la pensée du sage qui prépare les ré-
constituée, et que l'homme physique se per- Volulions,» a dit ailleurs cet auteur,»et c'est
fectionne davantage là où la société politi- le bras du peuple qui les exécute. Nous
que est plus constituée. Je renvoie le lec- sommes à l'époque où l'influence des pro-
teur à ce que j'ai dit à cet égard dans les grès de la propagationdes lumières sur l'opi-
deux premières parties de cet ouvrage. nion, de l'opinion sur les nations et sur leurs
La raison de ce rapport entre la perfection chefs, cessant tout à coup d'être lente et in-
de l'homme et la constitution (Je la société sensible, a produit dans la masse entière
n'est pas difficile à apercevoir, si l'on fait de quelques peuples une révolution, gage
attention que la constitution étant l'en- certain de celle qui doit embrasser la géné-
semble des lois parfaites ou rapports néces- ralité de l'espèce humaine. Si nous jetons
saires qui existent entre les êtres, plus une un coup d'œil sur l'état actuel du globe,
société a de constitution, plus elle déve- nous verrons d'abord que, dans l'Europe,
loppe de rapportsnécessairesentre les êtres, les principesde la constitutionfrançaise sont
plus l'homme par conséquent peut aperce- déjàceux de tous les hommes éclairés. Nous
voir de rapports nécessaires; donc plus il les y verrons trop répandus et trop haute-
est intelligent, puisque l'intelligence n'est ment professés, pour que les efforts des ty-
que la faculté d'apercevoir des rapports jus- rans et des prêtres puissent les empêcher de
tes et nécessaires entre les objets. pénétrer peu à peu jusqu'aux cabanes de
Bien loin que l'homme perfectionne la so- leurs esclaves. Nous verrons dans chaque
ciété, il ne peut qu'empêcher que la sociétéi nation quels obstacles particuliers s'oppo-
se perfectionne, ou, pour mieux dire, il ne sent à cette révolution, ou quelles disposi-
peut que retarder le développement des tions la favorisent; nous distinguerons cet-
les elle doit être doucement amenée pài
où déjà aux chefs des vues ambitieuses; en
la sagesse, peut-être déjà tardive, de leurs Angleterre, des tribuns ont invoqué la force
gouvernements, et celles où, rendue plus du peuple, et des symptômes alarmants ont
violente par leur résistance, elle doit les en- dévoilé l'existence d'une disposition à la
trainer eux-mêmes dans ses mouvements démocratie qui amènerait, tôt ou tard, la
terribles et rapides. » chute de la constitution mixte de cette so-
La grande révolution à laquelle nous tou- ciété dans quelques Etats de la confédéra-
chons, selon Condorcet, est donc l'abolition tion helvétique, l'on a réclamé les Droits de
de la religion chrétienne (IJ.'et la conver- l'homme, et les gouvernements ont cédé; et
sion de toutes les monarchies en républi- cette condescendance, dans un Etat non
ques, c'est-à-dire J'athéisme et l'anarchie; constitué, est toujours un indice et un com-
et c'est ce que ce philosopheappelle le per- mencement de révolution; l'édifice de la
fectionnement de la société par le progrès confédération germanique chancelle sur ses
des lumières et des connaissances de l'hom- bases antiques; l'indépendance de la répu-
me. Pour moi, si je voulais faire des pro- blique de Gênes est fortement menacée.
phéties, fondé sur les principes développés Quelques petites républiques végéteront en-
dans cet ouvrage, sur l'histoire qui en est core à l'abri de leur faiblesse, entre la cor-
l'application, et sur les événements qui en ruption et la crainte; quelques sectes mé-
ont été et qui en seront la démonstration, prisées tralneront un reste d'existence dans
j'oserais hasarder des prédictions tout oppo- l'ignorance et l'obscurité les unes ne par-
sées, et annoncer le triomphe de la religion viendront peut-être à la constitution politi-
chrétienne et la destruction du gouverne- que qu'à travers le chaos de la démocratie;
ment républicain parce que, « si le légis- les autres passeront parle néant de l'athéis-
lateur, se trompant dans son objet, établit me avant de revivre à ia constitution reli-
un principe différent de celui qui naît delà gieuse mais, tôt ou tard, la nature des êtres
nature des choses, la société ne cessera d'ê- reprendra ses droits, dans la société politi-
tre agitée jusqu'à ce que le principe soit dé- que comme dans la société religieuse la
truit ou changé, et que l'invincible nature religion ramènera les vertus particulières
ait repris son empire. » En effet, il semble qui font le bonheur de l'homme; avec la
qu'on aperçoit dans toutes les républiques monarchie renaitront les vertus publiques
du'monde connu des signes non équivoques qui font la force des sociétés.
de destruction; je ne parle pas de la France, La grande question qui divise en Europe
qui n'a jamais été, qui ne sera jamais une les hommes et les sociétés, l'homme se fàit
république, et qui n'est qu'une monarchie lui-même et fait la société la société se fait
en révolution mais la république aristo- elle-même et fait l'homme, est donc réduite
cratique des Provinces-Unies n'est plus; la à des preuves de faits; et bientôt peut-être
Pologne a passé sous le gouvernement mo- les événements confirmeront les principes,
narchique dans les Etats-Unis, l'on suppose ou anéantiront les systèmes.
(1) Au milieu de tant d'erreurs, Condorcet peut plus espérer qu'Une agonie plus ou moins pro-
énonce une grande vérité: « Toute religion, » dit-, longée. » Avis aux gouvernants, qui veulent que les
il, qu'on se permet de défendre, comme une peuples aient de la religion, et qui ne veulent pas
croyance qu'il est utile de laisser au peuple, ne en avoir eux-mêmes.

TROISIÈME PARTIE. THÉORIE DE L'ÉDUCATION SOCIALE

EX DE L'ADMINISTRATION PUBLIQUE.

AVERTISSEMENT.

On ne doit pas s'attendre à trouver, dans5 eues, des plans, des systèmes sur l'éducatloa
tm<
ostte partie de la Théorie du pouvoir, dess sociale
sot ou l'administration publique. L'an»
743 ŒUVRES 'COMPLETES DE M. DE BON&LD.744
teur n'a garda de s'écarter des institutions raient pu se glisser', pres&he à son insu.,
glisser., presque insu*
anciennes, institutions nécessaires c'est-à- dans une matière plus susceptible qu&toûte
dire sociales, puisqu'elles étaient dans la autre des écarts de l'imagination et des illu-
nature de la société constituée 'et confor- sions de la vanité, l'auteur les abandonne à
mes à la volonté générale, qui a la conserva- la discussion 'la plus sévère. Ses opinions
tion des êtres pour objet. personnelles sont précisément celles aux-
L'auteur s'attachera à en développer l'es- quelles il tient le moins, et qu'il renonce
prit, à en expliquer les motifs, à en faire même formellement à défendre. Si elles
apercevoir la liaison !avec les principes de la sont utiles, ;elles seront approuvées de la
constitution. S'il en relève les avantages, il société; alors 'elles deviendront sociales, et
ne négligera pasde remarquer les abus que Ton ne doit défendre dans la société que les
'les passions avaient pu y introduire,et dont opinions générales, c'est-à-dire sociale».
il ne faut que les dégager pour les rappeler 'L'auteur, qui s'est élevé contre le pouvoir
à leur perfection naturelle. Quant au petit particulier, est bien éloigné de vouloir dans
'nombre d'idées neuves ou nouvelles qui au- aucim genre établir le sien.

LIVRE PREMIER.
,DE LtëDUCATJON DANS LA SOCIÉTÉ.

CHAPITRE PREMIER. J'entre sur-le-champ en matière. Si j'avtfis


DE L'ÉDUCATION EN générai.
à prouver la nécessité de l'éducation, ou à
e relever les avantages, je ioe garderais
en
Après avoir traité de la constitution de la bien
t d'écrire et sur la constitution et sur
société, il est dans l'ordre des choses et des l'éducation, et sur l'administration*
idées de traiter de l'administration de l'E- L'éducation domestique on particulière
tat. e celle que l'homme reçoit dans sa famille
est
Ainsi, dans l'homme moral, la connais- :eet pour sa famille.

ifiine.
sance du caractère doit précéder le choix des
moyens propres à le diriger ainsi dans que

La nature constitue la société; les hommes


administrentl'Etat.
q
L'éducation sociale ou publique est cerle
l'homme reçoit dans.la société et pour
;l'homme physique, la connaissance du Zéro- ];la société.
ipéramewt doit précéder Jie choix du ré1- Mais la société civile est à la fois sociétë
religieuse
r et politique.
Donc l'éducation ne peut être sociale,
sans 'être à la fois religieuse et politi-
sa
La nature, essentiellement parfaite, cons- qque.
titue parfaitement la société, ou veut la Û éducation doit-elle'être publique
ou par-
constituer parfaitement l'homme essen- tiealière,ti sociale ou domestique ?2
tiellement dépravé, corrompt l'administra- L'une et l'autre ri" selon là profession de
tion, ou tend sans cesse à la corrompre. Il l'homme
Y 2» selon son âge.
îaat donc perfectionner l'homme, avant de 1" Selon'la profession. Si l'homme est des-
lui permettre à administrer l'Etat il faut titiné par naissance, ou s'il destine,
sa se par
donc traiter de V éducation de rhomiae avant son propre choix, à remplit uttefôaetîgn ou
si
,de traiter de l'administration de l'Etat. profession publique ou sociale, il doit rece-
p
C'est le but que je me suis proposé. voir une éducation publique ou sociale car
v
Je traiterai ce sujet en logicien -et non en t(
tout ce qui est relatif à la société doit être
orateur je couperai le discours, pour lier socialsi ou public.
les idées. Si rb.om.me se destine à exercer une pro-
Cette manière n'offre rien de satisfaisant à fession
ît naturelle ou privée, il peut ne rece-
la vanité d'un auteur; mais elle repose l'es- voir
vi qu'une éducation domestique ou parti-
prit, elle soulage l'attention dn lecteur, culière*
ci
Je laisse le coloris à l'auteur (TKmile ses Cette distinction sera mise dans un phï$
paradoxes .en ont besoin. grand
g jour.
2° Selon son âge, l'homme est naturel il exposerait de la manière la plus simple
avant d'être politique il appartient à la fa- et la plus h portée de l'intelligence des
mille avant d'appartenir à la sociétéi mères de famille,. et de louées les mères de
L'éducation doit donc être domestique famille,
i j les vrais- principes sur cette rna>
avant d'être sociale ou particulière, avant tîère. Ce pet:t ouvrage aurait deux parties
d'être publique. l'une relative au physique de l'enfàh^ l'au-
L'éducation doit, être domestique ou par-, tre à son= moral. Ce serait rendre sociale et
ticulière, tant que l'homme est dans un publique^éducation
]
même domestiqae, que
âge à avoir besoin de la.farnille. de
< la rendre uniforme. Or, dans la société,
L'éducation doit. être sociale ou publique, iil faut, s'il est possible, tout éoçiaUser ou
des que l'homme est dans un âge auquel ta généraliser,.
<
société a, besoin. de lûi> Dans la partie de cet ouvrage relative au
La; nécessité de çéUe- double éducation ] physique ou aux. sens je proscrirais toutes
est évidente car la; société ne peut:pas plus les
1 nouveautés anglaises,, américaines, phi-
donner l'éducation domestique à l'âge au- 1losophiques, philanthropiques toutes les
quel l'homme a besoin de la famille,, que la nouveautés
i qui n'auraient que le mérite de
famille ne peut donner ^éducation sociale à la
1 nouveauté; point de pratiques imprati-
lfâge auquel la société a besoin de l'homme;^ cables,
( ou»qui ne sont praticables que pour
ç'est-à-dire que la. société ne peut soigner la
] classe oisive et opulente point de ces itn-
l'hommenaturel, ni la famille iûrmer l'hom-, mersions
t perpétuelles, point de ces lavages
me politique. de
f tête à l'eau froide, comme si l'homme
L'éducationdomestique doit commencer était
< un poisson ou une plante qu'il fallût
avec l'homme l'éducation sociale doits {arroser. L'air, au sein duquel l'hoxnme est
commencer: avec la raison, né
j et doit vivre, endurcit autant que l'eau,
CHAPITRE H. ( avec moins d'embarras pour les mères et
et
de
( danger pour les enfants des vêtements
ÉJ[*UC ATIO»< DOMESTIQUE OU PARTICULIERE, légers, la tête et le cou découverts, les che-
1

1veux
coupés,,une nourriture saine et réglée,
Trois sortes de personnes sont dans fa fort dur* voilà pour le physique..
xun lit
société plutôt que de la société la société Le cœur se développe après les sens, l'es-
doit les protéger mais elles ne sont pas prit » se développera après le cœur. L'homme
faites pour la'défendre; elles appartiennent à existe avant d'aimer, mais il aime avant de
e
la société naturelle plutôt qu'à la société po- raisonner.
t
litique, à leur.famille plutôt qu'à l'Etat* Ce La seconde partie de l'ouvrage élémen-
sont les enfants, les femmes et le peuple tair.&
t sur l'éducation domestique aurait donc
ou ceux qui exercent» une profession pure- ttrait à la partie morale de l'éducation puis-
ment mécanique c'est lafaiblesse-del'âge, cque l'enfant a un cœur,, il faut en diriger les
du sexe et de la condition. affections.
s Des sentiments plutôt que des
Je traiterai séparément de l'éducation des instructions,
i des habitudes plutôt que des
femmes, raisonnements,
r de bons exemples plutôt-? que
L'homme ai-je dit, est esprit, cœur et des c leçons, un grand respect pour les yeux
sens. Il faut en revenir sans cesse à ce prin- et
c les oreilles des enfants
cipe, toutes les fois qu'on veut traiter de Maxima dehetur puero reserentia;
l'homme ou naturel ou social. (Juven., Sal. XIV vers. IT:)
Ces trois facultés se développent succès- <; dit un poëte qui oublie souvent ceUe
sivement. Dans l'enfant très-jeune on n'a- maxime.
r
perçoit et l'on ne doit apercevoir que des Loin des pères et des mères, loin des en-
sens. Aussi les enfants qui dans un âge fants, f loin de la société, loin de l'espèce
très-tendre montrent un cour ou un es- ]humaine, les funestes principes de l'auteur,
prit, ne parviennent-ils presque jamais à (d'Emile, Si vous ne parlez aux hommes de
l'âge d'homme. j Divinité que lorsqu'ils pourront la com-
la
L'enfant doit manger, digérer, dormir, prendre,
{ vous ne leur en parlerez jamais;
marcher. Je ne traiterai pas de la partie phy- si
s vous ne leur parlez de leurs devoirs que
sique de l'éducation privée ou domestique. 1lorsque les passions leur auront parlé de
Un sujet aussi important mériterait que le 1leurs plaisirs, vos leçons seront perdues.
gouvernement répandit une instruction où L'éducation d'Emile, d'un homme faîbla
7^»
d'esprit et de 1
uiiU VUE.»
-1.J.
&iL~- froid,
lI~!a un être
corps, fait "E.n;W
tiUinri^riico
~IJ sot et exécutées
"< pour maintenir
ni" les mronnc du
Ine mœurs,
pédant; d'un homme fort d'esprit et de corps,1 vail pour maintenir l'aisance voilà ce qu'il
rlil tra-
frp~

fait un monstre, et nous lui devons tous les faut 1 au peuple.


coryphées de notre révolution. •
Les enfants destinés à recevoir réduca-
Le peuple, ou ceux que leurs occupations cation sociale, et le peuple qui peut se. bor-
purement mécaniques et continuelles re- ner à l'éducation domestique,doivent égale-
tiennent dans un état habituel d'enfance, ne ment apprendre les principes de. la religion
sont aussi que cœur et sens. Leur esprit ne et de leurs devoirs dans un livre élémentaire
peut pas s'exercer assez sur les objets des que j'appelle savamment du nom grec de
connaissances humaines, pour qu'il soit pos- Catéchisme; et à propos de Catéchisme, je ne
sible et utile de les leur donner. Car les puis m'empêcher d'exprimer le vœu qu'on
demi-connaissances, bien plus communes en adopte un, et un seul pour, tout Le royau-
qu'on ne pense, les lueurs fausses et obscu- me. Dnité, unité, unité.
res en tout genre, font la honte de l'homme Les livres élémentaires, destinés à Fédu.-
et le malheur de la société. La raison du cation. domestique ou sociale, devraient être
peuple doit être ses sentiments; il faut donc te sujet des prix. que donnerait le gouverne-.<
les diriger, et former son cœur et non son ment; prix honorable au citoyen, parce qu'il
esprit. Cependant comme il se trouve, même faut, dans une société constituée, que celui
dans cette classe, des esprits que la nature qui a fait. un travail utile àN la société soit,
élève au-dessus de leur sphère, et qu'elle honoré de la société; prix utile à l'homme,
destine à exercer quelque profession utile parce qu'il faut que celui qui a fait un tra-
à la société, il faut, pour qu'ils puissent travail utile aux hommes, jouisse des avan-
remplir cette destination, que la société leur tages de- l'homme,, c'est-à-dire de la pro-
donne les premiers éléments des connais- priété. On donnait en France, pour sujet de
sances, auxquelles la nature ni la raison ne prix, dans quelques académies, ou des élo-
peuvent suppléer c'est l'objet des petites ges bien philosophiques, ou des questions
écoles établies dans les villes et villages, o& bien-oiseuses à la vérité, le prix était mo-
l'on enseigne à lire, à écrire, les principes dique, et la gloire encore plus; mais l'effefe
de la religion et ceux de l'arithmétique. Je en était oudangereux, ou inutile. C'était avec
dois faire observer ici, qu'une erreur très- la même réflexion que l'on fondait, sous le
commune dans les personnes qui ont beau- nom. de Rosières,,des prix pour les filles qui
coup lu, peu médité, et encore moins ob- ne s'étaient pas déshonorées, et que l'oa
servé, est de croire au grand nombre de ta- aurait fini par en donner aux enfants qui
lents enfouis. Les philosophes croient aussi n'auraient, pas laissé mourir de faim leurs
à l'existence des esprits qu'ils ne voient pas. parents.
Beaucoup d'auteurs qui ont écrit sur l'édu-
i
Les enfants auront donc appris,, dans réé-
cation publique ont eu cette chimère dans ducation domestique, à lire, à écrire, les
la tête; et pour vouloir développer les ta- principes de leur religion. Je sais qu'il y a
lents cachés, ils n'ont pas cultivé ou formé de petits prodiges qui à neuf ans savent bien;
les dispositions connues et ordinaires de davantage, mais à trente ans ils ne savent

champs, pour y chercher des mines.


Au reste, qu'on ne pense pas qu'il soit
trente.
tous les hommes. Ils ont fait comme un rien et jp veux qu'ils ne sachent rien à.
propriétaire qui néglige la. culture de ses neuf ans, pour savoir quelque chose à
L'éducation domestique doit donc finir, et
nécessaire au bonheur physique ou moral l'éducation sociale ou publique commencer
du peuple qu'il sache lire et écrire; cela entre huit et onze ans. Je ne dispute pas sur
n'est pas même nécessaire à ses intérêts, et les nombres.
la société lui doit une garantie plus efficace CHAPITRE HI.
contre la friponnerie et la mauvaise foi.
Il faut laisser ces absurdités à ceux qui DE l'éducation SOCIALE OU publique.
n'ont observé le peuple que de leurs fenê-
tres, et qui ne l'ont étudié que dans leursî Je remonte au principe. L'homme est es-
livres. De la religion, des moeurs et une> prit, cœur et sens mais ses facultés ne se
aisance honnête, voilà ce qu'il faut à touss développent que l'une après l'autre.
les hommes des sentiments pour maintenirr L'enfant, dans son bas âge, n'a que des
la religion, de bons exemples et des lois sens. Il faut en régler ou en faciliter l'usage i
plus tard, le cœur se montre, il faut diriger âges, dans tous les états de l'homme; elle
ses affections. est dans tout l'homme c'est la volonté de
L'un et l'autre doivent être l'objet de l'é- dominer,,et l'amour déréglé de soi. Cette
ducation domestique, parce que l'homme volonté est dans son esprit; elle est dans
naturel ou l'homme de la famille n'a préci- son cœur, .et il veut l'exercer par ses
sens,
sèment besoin, dans sa famille, que de son ou sa, force..
cœur. et de ses sens. Former l'homme social, ou.former l'hom-
Plus tard Vesprit se développe, et l'étiu- me pour la sociétô,sera donc diriger,
vers
cation domestique a facilité ce développe- un but utile à la société, Ja volonté de domi-
ment par les connaissances élémentaires ner qui se. trouve, dans son esprit, et qu'il
qu'elle a -donnée-s. Alors commence l'homme veut exercer par. soa,cœur on par ses sens.
social. 11 a des volontés, des opinions; il Ainsi former l'esprit, sera diriger son am-
faut régler les unes, guiderles autrés,,paree bition vers un but utile: former le
cœur,
que l'esprit et la raison sont donnés à sera, diriger. ses affections vers des objets
l'homme pour la société. permis former les sens, sera diriger l'em-
Mais l'homme porte dans là soeiëté son ploi de leur force, d'une manière avanta-
cœu&et ses sens lasociété a droit de faire geuse à la société.
tourner à son usage toutes les facultés dé Or, l'éducation domestique ne peut diri-
fîïomme elle doit donc former pour l'utilité ger l'émulation, les affections, ni l'emploi
générale sa faculté voulante, sa faculté ai- de la force, parce que l'enfant est seul on
mante, sa faculté agissante, son esprit, son avec ses frères, etque l'émulation suppose
cœur et ses sens tel est l'objet de Téduca- rivalitéjes affections préférence, et l'emploi
tion sociale. de la .force supériorité et quelquefois com-
Toutes les facultés se forment ou se per- bat.
fëctionrient par l'exercice or. Téducation Elle ne peut donc pas former l'esprit, di-
domestique n'exerce aucune des facultés de riger le cœur, perfectionner les
sens pour
rhomme d'une manière utile à la société. il utilité de la société elle ne peut donc for-
Donc elle ne-peut perfectionner les fa^ul^ mer l'homme social; elle ne convient donc
tés de l'homme social donc elle ne convient pas à l'homme de la société.
pas sous ce rapport à la société. L'éducation domestique est. dangereuse,
Comment l'éducation publique exeree-t- parce que les enfants jugent leurs parents à
elle les facultés de l'homme social ? 1l'âge auquel,. ils
ne doivent que les aimer,
Quand l'homme veut employer un objet et < deviennent sévères avant que la raison
quelconque à son usage, leur
1 ait appris à être indulgents elle est dan-
1° Il commence par savoir à quelusage il gereuse, parce que les parents, exigeants
veut l'employer; s'ils
1
< sont éclairés, faibles. s'ils ne le sont
2° II considère- les qualités de son objet; pas, soient trop, ou ne voient pas assez les
il supprime celles qui sont contraires au but imperfections de leurs enfants, et contrac-
qu'il se propose, et-qui -peuvent être suppri- tent ainsi, pour toute leur vie, des préven-
mées il dirige vers ce même but celles qui tions injustes, ou une mollesse déplorable
s'en écartent; et-qu'il ne peut-détruire. cette observation. est extrêmement impor-
Qu'est-ce que la société veut faire de tante^
l'homme? un être qui lui soit utile. Com- Elle est dangereuse, parce que les enfants
ment et de quelle manière? de toutes lés y apprennent ou y devinent. tout ce qu'ils
manières dont un être qui a un esprit, un doivent < ignorer parce qu'elle place un en-
cœur et des sens, ou une faculté pensante, une ifant au milieu des femmes et des domesti-
faculté aimante.et une faculté agissante, peut ques
< que s'il y apprend à saluer avec grâce,
être utile à la société c'est-à-dire qu'elle iil y contracte l'habituda de penser avec pe-
veut que l'esprit soit cultivé, le cœur dirigé, titesse
t si on lui enseigne à manger propre-
et les sens perfectionnés pour son utilité, ment, i on le forme à la vanité sans motif, à
«-L'Egypte, »ditBossuet,«.n'oubliait/ienpour 1la curiosité sans objet, à l'humeur, à la médi-
polir l'esprit,.ennoblirle cœur,, et fortifier le sance,
s mettre un grand intérêt à de peti-
corps. La société considère l'homme elle ttes choses, à disserter gravement sur des
remarque en lui une qualité constante, in- riens; r on fait entrer, dans les moyens d'é-
destructible elle est dans l'homme, elle est ducation,
c des observations critiques sur les
dans tous les hommes,,elle est dans tous les personnes
] qu'il a accoutumé de voir, et an
lui donne ainsi le goût méprisable du per- temporains regardent ces principes comme
tei
sifflage; il s'accoutume à s'entretenir avec fri
frivoles, ils sont bien corrompus; s'ils en
des valets, à caqueter avec des femmes de regardent l'exécution comme impossible, ils
>ei
Chambre toutes choses qui rétrécissent le sont bien faibles.
so;
moral à un point qu'on ne saurait dire. Les établissements connus, en France,
L'éducationdomestique serait insuffisante sous le nom d'écoles militaires, sont donc
so
même quand on commencerait par faire l'é- inutiles?
in Entièrement; ils n'ont secvi qu'à
ducation de toute la maison, maîtres et va-
lets; aussi tous ceux qui ont écrit sur l'édu-
placer des états-majors,
p)j et consommer en
pure perte les finançeSjdç l'Etat, Car. que
pu
catioir, veulent qu'on élève les enfants à la pouvait-on
po apprendre dans une école mili-
campagne, et exigent la perfection dans tout taire ? la subordination ? Précisément parce
tai
ce qui les eatoure; eidans tous ceux qui

I
que l'école était militaire, il y avait très peu
qM
contribuent à leur éducation ils supposent ^e
de subordination,
qu'un père n'a aucune profession sociale à
exercer, nï une mère aucun devoir de bien-
séance à remplir; ils supposent que les pa- m,
rents auront une fortune assez considérable
pour choisir les personnes qui entoureront pas
mœurs..
q^
La décence des mœurs ? Précisément parce
que l'école était militaire, il y avait peu de
Les mathématiques? On ne les apprend
pS dans une école militaire autrement que
îes enfants, payer ceux qui les instruiront, dans fa un collège,
*t fournirla dépense des divers objets re- La tactique ? On ne l'apprend que dans les
latifs aux connaissances humaines qui en- grandes gr manœuvres.
treht dans- 3e plan de l'éducation sociale, et La science de l'artillerie? On ne l'apprend
qu'on trouve dans les établissements pu- qu'aux q, écoles d'artillerie.
blics ils supposent enfin ce qui ne peut se Les fortifications? aux écoles du génie,
trouver que chez un petit nombre d'indivi- dans les places fortes.
dus, et ils proposent par conséquent ce qui L'art nautique? dans les écoles marines et
fie convient à personne. sur
si les vaisseaux.
L'éducation sociale doit-elle être une édu- Le maniement des armes et l'exercice?î
cation particulière pour chaque profession1 C'est çr, un art de huit jours, et ce n'est pas la
sociale? Non, il ne s'agit pas de former des p( peine d'élever à grands frais des écoles mi-
gens d'église, des militaires, des magistrats, jj litaires, pour y apprendre, en dix ans, ce
mais ,des hommes qui puissent devenir mi- Q1 qu'on peut apprendre ailleurs en huit jours,
litairesy magistrats, etc. Il n'y a qu'un seul1 et
el pour y apprendre mal ce qu'on peut ap-
enfant, dans la société, qui doive être élevé prendre beaucoup mieux ailleurs. Les faits
p]
dans sa profession, et pour sa profession, viennentyj à l'appui du raisonnement. Je ne
parce qu'il ne peut pas en exercer d'autre, crois
C] pas que la France ait eu de plus grands
et qu'aucun autre ne peut exercer pour lui. hommes hi de guerre depuis qu'elle avait des
C'est l'erifant-roi. écoles
él militaires. Je tranche le mot parce
Mais où l'homme recevra-t-il l'éducation1 c'étaient des^écoles militaires, parce que
q
que
propre à sa profession? q enfants y avaient des fusils et des épées,
les
le
Dans sa profession même. qu'ils y faisaient l'exercice, parce que
parce
j,
Ainsi l'éducation de l'hommed'église
dans le séminaire, ou dans sa paroisse.. seraa l'on y enseignait tout, on n'y apprenait
rien.
j
L'éducation de l'homme de guerre danss II faut donc des colléges tout simplement,
son régiment. des colléges-pensions.
L'éducation du magistrat, au barreau;5
comme l'éducation du négociant est à son1 CHAPITRE IV,
comptoir, et celle de l'agriculteurà sa terre.
Mais si îe jeune militaire doit recevoirr DES COLLÈGES.
l'éducation militaire dans son régiment, il w 1

faut donc que le régiment soit constitué dee Je distingue 1* le nombre des colléges; 2°
telle sorte qu'il puisse y recevoir cette édu- 1'l'emplacement des colléges, 3° les maîtres;
cation, et que l'éducation du régiment nee h" k les élèves; 5° l'entretien physique; 6°
soit que l'application de l'éducation socialee l'entretien
]' moral ou l'instruction.
à la profession militaire. On peut en dire au- Je ne pose que les bases; les détails trou-
tant de toutes les professions. Si mes con- veraientv leur place dans des mémoires par-
tieuliers. c'est le plan de l'édiflce; mais ce perpétuel,
p universel, uniforme quant au
n'en est,pas le devis. temps,
t< aux lieux et aux personnes.
1° Combien y aura-t-il de collèges? Au- Ce corps, seul chargé de l'éducation publi-
tant qu'il en faudra pour recevoir les enfants que,
q doit-'il être corps laïque ou corps
de toutes les familles qui devront ou qui religieux?
r
pourront faire élever leurs enfants; de ma- 1° Il n'existe point de corps laïque qui
nière qu'il n'y en ait pas moins de 300, ni soit
s perpétuel car tout corps qui peut se
plus de 500 dans chaque collège. Je ne tiens dissoudre
d la volonté de ceux qui le com-
pas à ces nombres plus qu'à d'autres. Les posent,
p n'est pas un corps perpétuel, et s'il
collèges ne doivent être ni trop, ni trop peu n'est
E pas perpétuel, il ne peut être universel.
nombreux; il faut exciter l'émulation des ni
K uniforme.
enfants, celle. des maîtres, et ne pas rendre 2° Ces laïques auront, ou pourront avoir
impossible la surveillance des derniers. une
x. famille, puisqu'ils ne seront pas enga-
2° Où seront placés ces colléges A la gés
g irrévocablement à la société. Ils appar-
-campagne, si le besoin des classes externes, ttiendront, par le fait, ou par le désir, beau-
pour les enfants des iamilles moins riches ccoup plus à leur famille qu'à la société; car
n'obligeait pas de les placer dans les villes. 1l'homme naturel veut toujours l'emporter
Où qu'ils soient placés., ils seront disposés, sur
s l'homme social, et la famille sur la
dans le royaume, relativement au nombre société.
s
des familles q.ui devront, ou qui pourront Il faut donc un corps religieux, un ordre,
faire élever leurs enfants. Dans une partie car
c il n'existe pas plus de corps sans vœux,
riche et peuplée, les collèges seront! plus qu'il
c n'existe de société civile sans religion
rapprochés .que dans une partie pauvre et publique..
j
peu peuplée. Cependant, et j'en dirai tout Ici la philosophie me demande si les
à l'heure la raison, je désirerais qu'aucune voeux
A sont dans la nature de l'homme.
famille ne fût pas, s'il était possible, à plus Oui ils sont dans la nature de l'homme
de deux journées de distance du collège de social, car il est dans la nature de l'homme
sa province, ou de son arrondissement. `
social d'employer toutes ses facultés à l'uti-
Les maisons publiques, qui .peuvent j 1
lité de la société; il ne peut donc pas être
être employées à former des colléges la nature de l'homme social de s'en-
contre
(
existent partout, et le gouvernement ne
peut être embarrassé que du choix. gager envers la société, à employer à son
usage,
l et pour toujours, toutes ses facultés,
CHAPITRE V. c'est-à-dire,
( son esprit, son cour et ses sens,
(ou autrement, sa volonté par le voeu d'obéis-
DES MAITRES. sance,
f ses affections par le vœu de pauvreté,
Elever tous les hommes sociaux, ou tous ses sens par le vœu de chasteté. Ce qui n'est
les hommes qui doivent former la société, autre chose que préférer la société civile à
1 société naturelle, et les autres à soi.
la
c'est élever la société même. Or la société
est un être perpétuel donc il faut un insti- Vous voulez donc, me dira-t-on, rallumer >

tuteur perpétuel. toutes les passions, en rétablissant ce que


La société ne peut être élevée ni dans un les
¡ passions ont détruit. Je veux tout ce qui
même lieu, ni dans une seule personne il est ( utile à la société, lors même qu'il peut
faut donc un instituteur universel, qui blesser1 les passions des hommes mais jo
puisse élever à la fois des personnes diffé- veux
1 éviter d'offenser les préventions, même
rentes, et en divers lieux. injustes,
i des hommes, lorsqu'il n'en résulte
Mais la société est une, et elle doit rece- aucune
<
utilité pour la société. La société a
voir une éducation uniforme, malgré la besoin 1 de la chose même, les préventions
succession des temps, la diversité des lieux s'attachent au nom; on peut tout accorder.
et la multiplicité des personnes. Il faut Il faut l'apprendre à ceux qui l'ignorent,
donc un instituteur uniforme, qui puisse il i faut le dire, aujourd'hui qu'on n'a besoin,

donner la même éducation dans tous les ni pour penser ni pour parler, d'un brevet
temps, dans tous les lieux et à toutes les signé d'Alembert ou Condorcet. La destruc-
personnes. tion
1 d'un corps célèbre, chargé de l'ensei-
Dose il faut un corps, car un corps chargé gnement public, a été le fruit d'une manœu-
de l'éducation publique est un instituteur “ “ vre ténébreuse, dont les fils déliés échap-
-^v. > .?
paient à la vue de ceux qu'ils faisaient commencements seront imparfaits, comme
mouvoir; un coup mor-tel porté à la consti-- tous les commencements mais les corps ont
tution religieuse et politique des Etats, le bientôt perfectionné les hommes et les cho-
premier acte de la révolution qui a anéanti ses. Il existait en France un corps, chargé
la France», qui menace l'Europe, et peut-être de l'enseignement publie des enfants du-
l'univers, de la granderévolution du christia- peuple, connu- sous le nom de Frères des-
îrisme à l'athéisiïie!Qu';on n'accuse pas l'au- Ecoles chrétiennes corps excellent, qui
teur de prévention; car outre qu'il n'a pas présentait dans ses principes, son objet et
pu,juger ce corps célèbre il a- peut-être eu ses formes, plus d'une ressemblance avec le
.à se défendre de préjugés contraires de corps dont j'ai parlé, et dont l'institut, que.
famille et d'éducation. 11 y avait- des abus à. peu de personnes connaissent est un chef-
réformer dans le régime de cet ordre fameux.; d'œuvre de sagesse et de connaissance des-
mais on sait assez que ce n'était pas aux hommes. Ce corps a été formé, dans ce siè-
abus qu'en en voulait. cle, par l'abbé de- la Salle, simple chanoine.
« La cour de- Rome, dit
le comte d'Àlboa de Remis, qui n'avait, pour une- aussi
sur cet événement, alarmée du glaive, s'a- grande entreprise, d'autre moyen que sa>
vance pour. consommer un, sacrifice qui volonté; mais qui, avec une -volonté de fer,
étonne l'univers. Sur un autel élevé par des a surmonté. des obstacles insurmontables.
mains ennemies, elle immole des victimes J-'ignore s'il est un saint aux yeux de la reli-
dont elle n'ignore pas le prix, et qui n'au- gion, mais il est un héros aux yeux de la»
raient jamais dû, tomber sous- ses coups. saine politique.
11 faut donc un corps, un corps religieux., Les corps dégénèrent,- dira-ton voyez
un corps unique, chargé dans tout le royau- les corps en France-au moment de la révo-
me de l'éducation sociale et publique, parce lution t.
que l'éducation estperfectionnement et Les corps dégénèrent» quand ils ne sont;
qu'un corps seul peut perfectionner. pas occupés; et je veux les occuper.
Il faut un corps, parce qu'il faut dans Les corps dégénèrent, quand le gouverne-
j'éducation publique perpétuité, universa- ment cesse de les protéger et de les surveil-^
lité, uniformité, même vêtement, même 1er; et je veux que le gouvernement les sur-
nourriture, même instruction, même distri-• veille et les protège.
bution dans les heures du travail et du repos, Les corps dégénèrent, quand le gouver-
mêmes maîtres, mêmes livres, mêmes exer- nement met-le désordre dans leur sein, en
cices, uniformité en tout et pour tout, dans s'immisçant dans leur administration inté-
tous les temps et dans tous les lieux, depuis rieure; quand il établit des commissions
Brest jusqu'à Strasbourg, et depuis Dunker- pour changer leurs règles, au lieu de main-
que jusqu'à Perpignan le ministre de l'édu- tenir l'ancienne discipline; et je veux que le
cation publique n'aura pas d'ordonnance à gouvernement maintienne tout, et ne change.
faire, ses fonctions se borneront à empêcher pien.
que d'autres n'en fassent, et à prévenir tou- Les corps dégénèrent, parce que les horn->
tes les innovations, même les plus indiffé- mes dégénèrent;, et je veux former des.
rentes en apparence, qui pourraient se glis- corps pour empêcher les hommes de dégé-
ser dans des établissements nombreux et nérer.
éloignés les uns des autres. Ce corps peut devenir redoutable. Cette
H faut répondre aux objections. Comment objection sera faite par des sots et par des-
former un corps en France dans l'état où gens d'esprit. Les premiers la feront sérieu-
sont les choses ?`? sement, et les autres la feront sans rire.
t° II faut. vouloir c'est, en tout, ce Quand ces corps lèveront des troupes et for-
qu'il y a de plus difficile; car le gouverne- tifieront les collèges, le gouvernement fera
ment, ainsi que l'homme, prend souvent marcher contre eux la force militaire; et je
ses désirs pour des volontés. ne doute pas qu'il ne dissipe cette armée
2' 11 faut prendre dans tous les ordres scolastique, comme le gouvernement espa-
religieux tous ceux qui se sentiront de l'at- gnol dIssipa des armées de missionnaires
trait et des dispositions pour embrasser ce dans le Paraguay.
nouvel état; plier ensuite tous les esprits, Vous voulez donc des moines? Je veux
tous les cœurs, tous les corps, sous un ins- des religieux. J'en veux pour l'éducation
titut approuvé de l'Eglise et de l'Etat. Les publique; j'en veux pour d'autres objets),
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qui ne peuvent être confiés qu'à des corps; Les différents travaux qu'exige la. conser-
je veux conserver quelques maisons de cet vation
va de la société, forment les différentes
ordre austère, banni de France et accueilli professions.
pr
dans les cantons suisses, comme on con- La société des hommes extérieurs ou
serve d'antiques armures, dont nos corps physiques est naturelle ou politique; les
pi
affaiblis ne peuvent plus supporter le poids.. professions
pr seront donc naturelles ou poli-
Il n'est pas à craindre que ces maisons de- tiques, selon qu'elles seront nécessaires à la
tic
viennent trop nombreuses mais cîiez une conservation
co de rune ou de l'autre société.
nation vive et sensible, il faut un asile hors La société politique comprend les sociétés
de l'ordre- commun, à des malheurs, à des
fautes,, à des âmes hors de l'ordre commun.
Combien, après notre fatale révolution, de
malheureux ou de coupables, repoussés ou
dégoûtés du monde, iront ensevelir dans
relles..
naturelles
ns
litique
lit
re
ou familles .-donc la société po-
comprendra tes professions natu-

Les professions politiques ou sociales


so nécessairement distinguées des profes-
sont
ces saintes retraites leurs crimes ou leurs sions nécessaires à la conservation de la so-
si,
malheurs, et devenus Frères, offriront en- ciété
ci, naturelle ou des professions natu-
semble au'Dieu qui pardonne et au Dieu relles
re par la raison que la société politique
qui console les larmes de la douleur et cel- es nécessairement distinguée de la société
est
les du repentir?2 naturelle.
n
L'oppresseur, l'opprimé, n'ont plus qu'un même asile. Les professions politiques ou sociales
(LA Harpe )
sont les professions nécessaires à la conser-
Burke a jugé l'utilité des corps et le parti g- vation de la société politique c'est-à-dire
qu'un gouvernement qui gouverne pouvait va lesquelles saurait concevoir la
politique profond impartial sans
ga on ne
en tirer, en et politique.
(l).|Je regrette bien de ne pouvoir le ci- société so
Les professions royale, sacerdotale, no-
ter. Je le mettrais volontiers à ma place, et ble, c'est-à-dire militaires sénatoriales
le lecteur y gagnerait. ou
(qu'il faut distinguer de la profession judi-
(a
Les corps sont dans l'essence d'une so- Vj, ciaire) sont des professions politiques ou
eiété constituée. Elle tend à faire corps de sociales so immédiatement nécessaires à la
tous les hommes, de toutes les familles, de conservation de la société politique;
car on
toutes les professions. Elle ne voit l'homme co saurait concevoir la société politique
ne
ne
que dans la famille,, les familles que dans sans une profession qui la gouverne et sans
l'es professions, les professions que dans des sa ,e professions qui la défendent.
de
les corps. C'est là le secret, le mystère, le
principe intérieur de là monarchie.
CHAPITREVI.
f Les professions naturelles sont les pro-
fessions immédiatement nécessaires à la
conservation
co de la famille, c'est-à-dire sans

2 ~zi;.vES..
xaES ÉLÈVES.
DES

Qui est-ce qui sera admis dans les col-


lèges?
lesquelles on ne saurait concevoir la société
1-è;
naturelle
na

des
ou la famille.
Les arts ou professions mécaniques sont
de professions naturelles, ou nécessaires à
Les enfants de toutes les familles qui de- la conservation de la société naturelle
vront ou qui pourront leur faire donner l'é- pi puisqu'on ne saurait concevoir la société
ducation sociale ou publique. Ce texte de- naturelle na ou la famille, sans des arts ou
mande un commentaire; et je prie le lec- professions pr qui la vêtissent, qui la logent,
teur de remarquer comment le système gé- même eu' qui la nourrissent car l'agriculture
néral de l'éducation sociale me ramène sans n'i n'est que la première et la plus utile des
cesse aux principes de la constitution des professions pr naturelles mais elle n'est pas
sociétés et comment les principes dè la une uf profession sociale ou politique, puis-
constitution me ramènent au système gêné- qu'elle ql a existé avant la société politique
ral d'éducation. L'art tout seul ne produirait qu'elle qc peut exister sans la société politique,
jamais une concordance si parfaite. et qu'ainsi elle n'a pas un rapport direct et
Toute société suppose de la part de ses itr: immédiat à la conservation de la société
membres une réunion d'efforts et de travaux po politique.
dirigés vers sa fin, vers l'objet de sa volonté Il y a des professions qui n'onjt pas de
générale, la conservation des êtres sociaux, rapport ra nécessaire et immédiat à la conser-
QU la conservation de la société. vation
va de la société naturelle, ni à celle de
(i) Vovez ses réflexions sur la révol. de France.
13. société politique, et qu'on peut regarder J dans l'origine,, des collèges; et; c'est même
comme des professions mixtes. Elles tien- une des raisons pour lesquelles ils nous ont
nent à la société naturelle qu'elles enri- conservé les richesses littéraires, de l'anti-
chissentou qu'elles amusent, ,.et,à la société quité nos rois eux-mêmesy étaient élevés;
politique qu'elles embellissent; mais on et Louis le Gros,'entre autres, fut élevé au
peut concevoir J'une de ces sociétés sans monastère de Saint-Denis avec les jeunes
des professions qui l'enrichissent ou; qui gens des familles sociales, c'est-à-dire ayjec
l'amusent, et l'autre sans des professions la jeune noblesse du royaume..
qui l'embellissent. Ces professions sont le Alors on ne confiait pas ^éducation dûr
commerce les arts agréables car on peut mestique à des laquais
ou à des femmes d«t
concevoir la société, naturelle et la société: chambre, ni l'éducation sociale à des indi-
politique sans commerce extérieur, sans vidus qui ne se livrent à cette profession,
=
poètes, sans peintres, sans musiciens, mê> que parce qnlils n'ont, pu, ou parce qu'ils
me sans avocats ces professions sont utiles, espèrent en exercer une autre, et qui ne
mais elles ne sont pas nécessaires.;c'est le: peuyajttt.par conséquent remplir leur, devoiç.

`
luxe de la société il ne faut pas le itannir, qu'avec dégoût ou avec impatience,.
mais il faut le régler;et n'oubliez, pas de
Venons aux objections,
remarquer comme une démonstration ri- Si l'Etat est obligé de faine élever les enr-,
goureuse de-mes principes sur les profes- fants des familles, sociales qui n'auront pas,
sions sociales, naturelles et mixtes, que ce,
les moyens de les faire élever, elles-mêmes,
sont ces dernières, celles qui ne sont pas il résultera
immédiatementnécessaires à la conservation en
1° Une dépense considérable pour l'Etat.
de la société naturelle, ni à celle de la so-
2° Des fraudes de la part des familles,
ciété politique, qui ont troublé en France
3° Une. inégalité choquante entré les.
les deux sociétés et fait la révolution qui
les désole en soulevant les professions na- membres de la société..
turelles contre les professions sociales. Réponse. Cette dépense, est dans la nature
Mais la société constituée classe les fa- de la société; car c'est à la. société et non.
milles dans les professions respectives; il y aux familles qu'il importe qu'elles remplis-.
a donc des familles sociales ou politiques, et s<Mit leurs engagements envers la société
desfamilles naturelles.Les professionspoliti- donc cette dépense est nécessaire, donc elle.
possible; je dis plus, l'éducation doit
ques ou sociales sont nécessairement dis- est
tinguées des professions naturelles il y a être le premier objet de dépense de la so-
donc des familles distinguées des autres fa- ciété, comme il doit être le premier objet de
milles, parce que des familles qui exercent dépense
( de la famille.
des professions immédiatement nécessaires Veut-on un aperçu pour ceux qui aiment
à la conservation de la société politique à fixer leurs idées? Vingt mille enfants aux
sont nécessairement distinguées de celles frais i de l'Etat ne feraient que 10 millions,
quiexercent des professions immédiatement parce | que, vu la diminution du signe, les
nécessaires à la conservation de la société pensions en France ne seront pas au-dessus
naturelle. de
( 500 livres. Or, pour calculer en politique,
Les familles qui exercent une 'profession il i faut mettre dans la recette ce qu'épargnera
sociale ne peuvent se soustraire à cet enga- en ( frais de justice criminelle et de maisons
gement; il est donc nécessaire qu'elles se (de force, une bonne éducation donnée à la
mettent en état de le remplir, en faisant don- jeunesse.
J

ner à leurs enfants J'éducation sociale et, si 2° C'est pour que les hommes ne trompent
elles n'en ont pas les moyens, il est dans la ]pas l'Etat, que je veux former les hommes.
nature de la société, que la société, pour 1Les fraudes en ce.genre sont plus aisées à
son intérêt propre, vienne à leur secours. prévenir
j qu'on ne pense, et ne nuisent ja-
Je ne fais que revenir au premier étal des mais r à la société. Il est bien moins préjudi-
choses. L'éducation sociale était un des (ciable à la société qu'elle fasse les frais de
principaux et peut-être le seul objet d'un l'éducation
1 de mille enfants pour lesquels
grand nombre de fondations pieuses faites |t|elle ne devrait pas payer, qu'il ne l'est pour
par la noblesse dans les premiers siècles de elle
t que dix enfants ne reçoivent pas l'édu-
la monarchie, fondations contre lesquelles cation
c qu'ils devraient recevoir. S'il y avait
on a tant déclamé. Les monastères étaient, eu une bonne éducation publique, la France
/V11t~1v.y .8,1'1 \.lJ.1 ,A7VW-aaiuv;uamvavamvu
n'aurait pas eu de révolution, parce qu'elle )se
pos< à l'homme et à tous les hommes? Le
n'aurait pas eu de révolutionnaires. avàil. L'homme qui travaille le plus et qui
trav
3" Il résulte, dira-t-on, de cette disposi- availle le mieux, remplit donc le mieux le
trav
tion une inégalité choquante entre les divers ivoir que la nature lui impose s'il remplit
dev<
membres de la société. La réponse à cette m devoir mieux que tous les autres, il mé-
son
objection demande une discussion plus te d'être distingué d'eux.
rite
'étendue, et qui va faire l'objet du chapitre Comment connaitre dans la société celui
Ci
suivant. u travaille le plus et le mieux, ou qui
qui
^™ mplit le mieux son devoir? Par un moyen
CHAPITRE VII.
lr, infaillible, public, à l'abri de toute con-
silr,
station; par l'état de sa fortune. Qu'on ne
SOTTE BU MÊME SIÏJET. – ADMISSION DES FA- *es''i
irle pas de bonheur, c'est toujours l'excuse
pari
MILLES DANS LES PROFESSIONS SOCIALES.
de! . paresse ou de l'ineptie. Bonheur est
s 1la
La société doit veiller ce qne les enfants ibileté. Celui qui s'enrichit est donc celui
habi
de toutes les familles sociales reçoivent V-é- quiti travaille le plus et qui travaille le mieux,
-ducation publique ou sociale; parce que la quili remplit plus parfaitement ses devoirs
'volonté générale de la société-, qui a sa con- iturels,qui présente la meilleure caution
nàti
servation pour unique objet, doit prendre dei sson aptitude à remplir les devoirs politi-
'tous les moyens d'assurer cette conservations les, qui mérite d'être distingué, et sa fa-
que:
mais par le même principe, elle doit néces- ille d'être «neblie.
mill
mirement encourager toutes les familles ou Nécessité de l'anoblissement par charges.
Ni
•tous les individus qui veulent embrasserdes Ain;nsi, l'homme qui anoblit sa famille par
professions sociales; parce qu'une fainBte acqvquisition
i de charges ne fait autre chose
'ou un individu qui embrasse une profession quete prouver à la société qu'il a mérité que
sociale, se dévoue à la conservation de la famille fût admise à remplir les devoirs
sa f8
'-société. Il faut distinguer ici l'individu de flitiques, par son application et son apti-
poli
la famille l'individu peut ne dévouer que de à remplir les devoirs naturels.
tude
<sa personne à la conservation de la société, On0 ne peut rien opposer de solide à cette
en embrassant la profession sacerdotale, démmonstration mais les esprits subtils font
militaire ou sénatoriale; il peut y dévouer dess objections. Vous récompensez, me dira
sa postérité 'ou sa famille, en l'élevant au m, les voies malhonnêtes de s'enrichir. Je
t-on.
rang de famille sociale, ce qu'on appelle ne veux
v pas qu'il existe des voies malhon-
anoblir. Une famille peut s'élever au rang nêtetes de s'enrichir dans une société consti-
de famille sociale, par des services éclatants, tuéeée et l'on ne doit ni spéculer sur du faux
dans quelque genre que ce soit, par conti. papi pier, ni jouer à la hausse ou à la baisse,
nuité de services militaires, pu par acquisi- ni envoyer
e. son voisin à l'échafaud, ou en
tion de charges sénatoriales. Les occasions paysys étranger, ou supposer qu'il y est, parce
de rendre des services éclatants à la société qu'ol'on l'a forcé de se cacher, pour acheter
sont rares, et les hommes qui peuvent les sonn bien de ceux qui n'ont pas le droit de le
-rendre sont plus rares encore que les occa- ven(ndre.
sions. L'admission dans des grades militai- Vous établissez, me dira-t-on, la distinc-
V<
res assez élevés pour justifier la faveur de tionm des richesses. Non, j'établis la distinc-
l'anoblissement, en justifiant du mérite mi- tion
m du travail.
litaire du sujet, suppose une carrière pro- Vous
y< inspirez le désir de s'enrichir. Non,
longée dans un état périlleux, ou un mérite maUlis l'ardeur louable de travailler; car il n'y
extraordinaire. Il faut, pour l'intérêt de la
«as pour une famille de moyen plus assuré
a p3f
société, que les familles puissent s'élever au de s'appauvrir
s' que de s'anoblir; et cela doit
rang de familles sociales par des voies moins être
'e ainsi, parce que tout autre désir que ce-
difficiles et plus accessibles au plus grand lui de l'honneur, tout autre attachement
nombre des hommes; car la société consti- qu'à
'à la société, doit être inconnu dans une
tuée ne doit pas compter, pour sa conserva- fami
nille sociale, et qu'il est moralement et
tion, sur les hommes ni sur les occasions polit
litiquement utile qu'il y ait dans une so-
extraordinaires la nature fera naître, s'il en ité quelque chose que l'homme estime
ciété
est besoin, les grands hommes et les grands is que l'argent, et qu'il y ait aussi un
plus
événements. )yen de prévenir, sans violence, l'accrois-
moyi
Quelle est l'obligation que la nature im- nent démesuré des fortunes, que produit
sem«
7G5 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
h la longue dans la famille la profession hé-
réditaire du commerce. -1. 1QI
dans une société constituée, et pourquoi elle
ne l'est pas ou elle l'est moins dans une so-
On ne doit, dira-t-on, s'anoblir que par la ciété non constituée ou peu constituée, et
vertu, ou par des services distingués. Parla qui se rapproche par conséquent des socié-
vertu, non; car la vertu elle-mêmeest no- tés dans l'état sauvage. Il est dans la nature
blesse par des services distingués, d'ac- des choses que la profession qui détruit soit
cord mais alors il ne s'anoblira que deux x: moins odieuse dans une société qui ne con-
familles par siècle, et les besoins de la so- serve pas.
4 ciété
en exigent un peu plus. Toute famille C'est dans le même principe qu'il faut
n'exerçant pas une profession sociale, qui chercher la raison de la loi qui dans plu-
veut faire donner à ses enfants l'éducation sieurs Etats de l'Europe, soumet les juge-
sociale ou publique, annonce, par cela même ments à mort à la ratification du prince. Le
qu'elle a l'intention de rendre ses enfants motif est louable, mais l'effet est nul ou
utiles à la société, et peut-être de s'élever dangereux, et le principe faux. L'effet est
elle-même au rang de famille sociale ou nul, parce que le prince ni son conseil ne
distinguée. La société ne doit pas payer doivent ni ne peuvent être plus instruits
l'éducation de ces enfants, parce qu'elle que les tribunaux; l'effet est dangereux,
ignore s'ils voudront ou s'ils pourront em- parce que le prince, substituant son pouvoir
brasser une profession sociale, ou si cette particulier au pouvoir général, dont les tri-
famille aura les qualités nécessaires pour bunaux sont l'action, accordera le pardon des
s'élever elle-même au rang de famille so- crimes les plus graves, par la répugnance
ciale mais elle doit les admettre dans ses que l'homme social éprouve à contribuer à
établissements publics, et leur faciliter ainsi la mort de son semblable,lorsqu'il est maî-
les moyens de lui être utiles. tre de lui donner la vie. Le principe est
Ainsi la société admettra dans ses établisse- faux, parce que le prince, comme la Divini-
ments d'éducation publique tous les enfants té, ne doit agir que pour conserver. Dieu
sains de corps et d'esprit, dont les familles laissepérir, mais il ne détruit pas. Pierre 1"
auront l'intention et les moyens de leur faire exécutait lui-même à mort; et il est, pour
donner l'éducation sociale. un roi, à peu près égal d'en signer la sen-
La société admettra-t-elle les enfants des tence. La constitution de la société ne per-
Juifs ? Non car les Juifs sont hors de toute met pas au roi de signer un arrêt de mort,
société politique, parce qu'ils sont hors de même d'y assister, encore moins d'être pré-
toute société religieuse chrétienne. sent à l'exécution d'un criminel. Telles
Admettra-t-elle les enfants de l'exécuteur étaient les moeurs en France, c'est-à-dire la
des jugements publics, et n'exerce-t-il pas constitution et je crois même que, hors les
une profession sociale? On ne doit admettre, crimes dont le roi lui-même ne pouvait pas
dans les établissements publics d'éducation, accorder la grâce, la rencontre inopinée du
que les enfants nés dans les professions so- monarque dans le lieu où allait se faire une
ciales honorées et honorables, ou ceux qui exécution, aurait sauvé la vie au coupable.
se destinent à en exercer de pareilles. Une On voit quelquefois, chez les étrangers, des
profession sociale n'est honorable et ne doit malfaiteurs condamnés à la chaîne travailler
être honorée, que lorsque les devoirs qu'elle dans le palais et sous les yeux de leur sou-
prescrit se joignent à une idée de vertu verain. Nos moeurs défendaient au roi d'arrê-
c'est-à-dire de sacrifice et de danger or, ter ses regards sur le spectacle du malheur
dans la profession d'exécuteur des jugements et de la servitude ses yeux ne pouvaient
publics, il n'y a nul danger à craindre, et il rencontrer que le bonheur ou le produire.
n'y a d'autre sacrifice à faire que celui de la Et c'est contre la royauté, ce second bienfait
compassion naturelle à l'homme pour son de J'Etre suprême, que des furieux, qui, pour
semblable, sacrifice que l'homme ne peut fonder un gouvernement, ne savent que
faire sans crime ou sans infamie. haïr et juger, exhalentdes serments de haine!
aussi lui ont juré amour; et
Je prie mon lecteur de penser que je n'au- Mais d'autres
éternelle des êtres, l'amour
rais pas élevé une pareille question, si elle dans la nature l'être
n'eût été agitée dans l'Assemblée constituante, doit l'emporter sur la haine, comme
et s'il ne m'eût paru utile de lui faire ob- sur le néant.
server la raison pour laquelle la profession
d'«xécuteur des-jugements publics est infâme
CHAPITREVIII. yeux ae la nature et de la religion; les pro-
fessions seules sont distinguées.
SUITE pu MÊME SUJET. CONDITIONS DE
Raisons économiques 1° II y aura pour
L'ADMISSION DES ÉLÈVES. les parents ou la société moins de frais de
voyage et de retour.
Les enfants seront envoyés dans le collège 2° Le prix de la pension sera mieux pro-
de leur arrondissement ou de leur province, portionné aux fortunes dans chaque canton;
et cette condition sera absolue, de première car le prix des pensions et la quotité des
nécessité. fortunes sont, dans chaque partie du royau-
i" Il ne pe'ùt y avoir de motif au déplace- me, en proportion -égale et commune avec le
ment 2° ïl y a mille raisons contre ce dé- prix des denrées.
placement. 3° La proximité des parents peut permet-
Il n'y a nul motif au déplacement,puisque tre de laisser à leur compte certains objets,
la plus entière, la plus constante uniformi- comme gros entretien et renouvellement de
té doit régner, dans tous les colléges. J'ex- linge et de chaussure, objets peu dispen-
cepte le seul cas où il serait reconnu et dieux et faits avec soin dans une famille, tan-
constaté que la santé d'un enfant exige une dis qu'ils sont très-coiâteux et mal exécutés
température différente de celle du lieu où dans un établissement public.
est situé son collége naturel. Alors le minis- Raisons physiques 1° L'air natal est tou-
tre accorderait une dispense, parce que la jours plus analogue au tempérament d'un
société ne peut jamais demander à un enfant enfant.
le sacrifice de sa vie. 2° peut, en cas de maladie grave, être
11

Il y a mille raisons contre le déplacement soigné, hors du collége, par ses parents,t
raisons politiques raisons économiques e dont la société ne peut remplacer les soins,
raisons physiques, raisons morales. ou être renvoyé dans sa famille pour rétablir
Raisons politiques 1° Puisque les collé- sa santé.
ges sont placés dans le royaume relativement Raisons morales 1° La proximité des pa-
au nombre des sujets que chaque arrondisse- rents permet aux maîtres d'employer sur les
ment peut fournir, eu égard à sa richesse et enfants le motif d'encouragement ou de ré-
à sa population, c'est déranger cette propor- pression le pl*s naturel et le plus moral,
tion nécessaire que d'envoyer dans un col- la crainte de déplaire aux parents, ou le dé-
lège 'les enfants qui appartiennent à un sir de leur être agréable; motif sans force,t
autre. lorsque l'enfant ne peut voir ses parents, ni
2° L'Etat serait exposé à voir un collége le maître les faire venir, mais motif que l'é-
regorger de sujets, et un autre n'en avoir ducation sociale doit employer préférable-
pas assez; parce qu'il n'y a rien de plus ment à tout autre car il faut sans cesse
commun, dans les provinces; qu'un engoue- que la société reporte l'homme à sa fa-
ment sans raison pour un collége, ou une mille, et que sa famille le rende à la so-
prévention sans motif contre un autre. Les ciété.
2° On balancera moins à expulser un mau-
gens peu instruits jugent du mérite des
colléges par les talents des sujets qui en vais sujet d'un collège, lorsqu'on pourra le.
sortent comme si l'éducation pouvait don- renvoyer dans un ou deux jours chez ses
ner des talents à ceux à qui la nature les a parents, et l'on aura moins de sujets à chas-
refusés ou les ôter à ceux à qui la nature ser lorsqu'on pourra les renvoyer avec plus
les a donnés. de facilité d'ailleurs, les parents, instruits
3° L'éducation qui réunit les enfants d'une à temps et convaincus de la nécessité du
même ville, d'une même province, fortifie renvoi parle témoignage de leurs yeux, peu-
les liens puissants et précieux de parenté, vent le prévenir en retirant l'enfant, sous
d'amitié, de voisinage, de patrie commune; quelque prétexte.
elle dispose les familles à se lier par les 3° Des enfants élevés avec des camarades
sentiments, à s'entr'aider paries services, cde fortune à peu près égale» ne perdront pas
à s'unir par les alliances la société rap- de< vue leur famille, et ils ne rougiront pas
proche ainsi ceux que la nature a déjà rap- de
( la modestie de leurs parents, ou de la
proches; elle réunit les individus sans con- simplicité
i du toit paternel.
fondre les professions car les hommes sont Toutes ces raisons ne peuvent s'appli-
égaux aux yeux de la société comme aux quer
< avec la même justesse aux habitants de
la capitale, ou bien elles sont contre-balan- autres. Henri IV parlait gascon, et la cour à
cées à leur égard par des raisons supérieu- son exemple; mais comme il avait J'esprit
res. Il y a de grands inconvénients moraux droit, le cœur sensible et le corps robuste,
à faire élever à Paris lesenfants de province; il n'en gouvernait pas moins bien le royaume,
il y a des avantages moraux et physiques àl et même dans les circonstances les plus dif-
faire élever en province les enfants de Paris. ficiles. D'ailleurs on peut attendre des pro-
11 y a encore des considérations politiques. grès de l'éducation, que les accents particu-
1° Paris, par sa population et surtout par sai liers s'effaceront insensiblement. La fré-
'< richesse peut fournir un très-grand nom- quentation des maîtres étrangers à la pro-
bre de sujets qui alimenteront les collèges évince où ils seront placés, élevés dans la'ca-
de provinc.es permettront de les répandre pitale, peut hâter les progrès du bon langage;
un peu plus uniformément dans le royaume car si les enfants doivent être près de leur
et l'on ne sera pas obligé d'entasser vingtt famille, puisqu'ils lui appartiennent encore,
colléges dans une seule ville, tandis qu'il y et qu'ils lui seront rendus un jour, des reli-
en aurait à peine un dans deux provinces. gieux n'appartiennent plus qu'à leurs corps
2° 11 y a un avantage réel à lier ainsi et àt etàla société, et doiventêtre éloignés de leur
rapprocher les familles de la capitale de famille qui ne ferait que les distraire. Je
celles des provinces. vais plus Join, et je parle en politiqué et
3° Les personnes qui tiennent beaucoup ài non en académicien. On doit laisser chaque
la perfection du langage verront dans cette province sa langue particulière. C'est une
communicationentre les enfants de la capi- barrière que la sage nature met aux progrès
tale et ceux des provinces, un moyen de> des innovations et encore aujourd'hui
faire disparaître pen à peu l'accent et les lo- comme autrefois, la diversité des langues
cutions vicieuses des provinces. empêche que l'édifice de l'orgueil et de l'im-
Objections. La proximité des parents nei piété ne s'achève. C'est le moyen le plus effi-
permettra-t-elle pas des visites réciproquesï cace que la nature puisse employer pour la
ou des communications plus fréquentes que conservation de l'espèce humaine. La révo-
ce demanderait l'intérêt de l'éducation ?? lution a pénétré plus lentement et n'a jamais
Non; hors le cas de maladie grave, et l'avis> été bien affermie dans les provinces du midi
qui en sera donné par le supérieur aux pa- de la France, dans la Basse-Bretagne, dans
rents, ceux-ci ne pourront venir voir leurss le pays des Basques, dans l'Alsace, dans
enfants qu'un nombre de fois déterminé toutes les parties du royaume où l'on ne
dans l'année, à moins que, pour le bien de parlait pas la langue de la capitale. On dit
l'éducation, les maîtres ne jugent à proposs que l'empereur Joseph II voulait, dans une
de les faire venir extraordinairement. Toute5 partie de ses Etats, substituer la langue alle-
communication, hors des communicationss mande à la langue hongroise :une saine po-
ordinaires, tout envoi secret d'argent ou dei litique lui eût conseillé de laisser les diver-
comestibles seront sévèrement interdits sites' là où la nature les a placées. Dans mon
enfin les parents ne pourront jamais faireJ système d'éducation, je rie veux pas que les
venir l'enfant chez eux hors le cas de ma- enfants, même ceux des familles sociales,
ladie grave, reconnu et constaté, un enfantt oublient la langue du peuple avec lequel ils
ne sortira du collége que pour n'y plus ren- doivent traiter, que souvent ils doivent éclai-
trer. Le ministre lui-même ne pourra don- rer, et qui regarde comme une fierté dépla-
ner de dispenses de ces règlements, parcei cée qu'on ne lui parle pas sa langue natu-
que là où la nature des choses fait des lois, relle. La politique contraire est de la politi-
elle ne donne pas à l'homme le pouvoir d'en« que du bel esprit; ce n'est pas de la politique
faire de contraires. d'homme d'État.
Autre objection d'une grande force» Après ce que j'ai dit de l'uniformité ab-
Les enfants élevés dans leur province eni solue qui devait régner dans tous les collé-,
conserveront l'accent. C'est effectivementt ges, et pour tous les élèves, il est inutile
un défaut d'harmonie et d'ensemble dans lat d'ajouter que toute distinction dans l'éduca-
société, lorsque les uns prononcent l'e trop) tion pour un enfant, quel qu'il fût, serait
ouvert et les autres trop fermé; mais pour- sévèrement interdite, et qu'on en bannirait
vu qu'il n'y en ait pas d'autres, je penseî surtout le luxe des précepteurs particuliers,
que la société peut se maintenir, malgré lesî l'abus des domestiques.
gasconismes des uns et les normanismes-des5

1
CHAPITRE IX. Commençons par iw,^i
nnr les
1rs fannHiSo
facultés de
ria l'esprit.

cice..
ENTRETIEN PHYSÏQ.IJE DES EN*1 ANTS.
J'en distingue quatre la mémoire, le juge-
ment, l'imagination, le goût. îoutés les fa-
L'auteur s'est interdit les détails; ainsi, cultés, avons-nous dit, se forment patl'exer-
qui
sur tout ce a rapport à l'entretien phy-
sique des enfants et qui comprend le loge- Donc, pour former la mémoire, il faut ap-
ment, le vêtement, la nourriture, le soin dui prendre; car la mémoire est l'art de retenir
corps et de la santé, ies heures du travail ett (ce qu'on apprend.
du repos, les exercices du corps et les jeux, Pour former le jugement, il faut cômpa-
il renvoie au temps où l'on pourrait en avoir
f rer;
] car le jugement est comparaison.
besoin, à communiquer le résultat d'obser- Pour former l'imagination, il faut inven-
vations commencées de bonne heure et sui- ter
t ou composer; car l'imagination est in-
vies avec soin: on trouvera aussi dans Locke
€t dans J.-J. Rousseau d'excellentes choses
î vention.
i
Pour former le goût, il faut distinguer;
sur cet objet important et trop négligé.. tcar le goût est distinction.
Or je soutiens qu'il n'y a que l'étude
CHAPITRE X. d'une langue étrangère qui puisse àccoutu-
{

ENTRETIEN MORAL OU INSTRUCTION mer, dès l'enfance, l'esprit à retenir, à com-


DES ËNFÂKtS. parer,
ï à imaginer, à distinguer; qui puisse
€exercer dans l'enfant, la mémoire, le juge-
Je reviens à l'honime. rment, l'imagination, le goût, c'èsl-à-dire,
L'homme est esprit, cœur et sens, inielli- eexercer ses facultés spirituelles; son esprit.
gencé, amour, force. 1° L'étude d'une langue étrangère
La combinaison de tous ou de quelques- exerce
la
I; mémoire car qu'y a-t-il de plus difficile
uns de ces trois agents forme la mémoire, à apprendre, à retenir que dé donner aux
le jugement, l'imagination» le goût,: la idées des soas différents de ceux qu'on leur
sen- i<
dbilitéj le caractère ou l'humeur, le tempé- a donnés dès sa plus tendre enfance, et qu'on
rament, etc.* etc. La perfection ou l'impër- leur
h donne tous les jours et à tout instant?
fectioa de ces facultés, ta supériorité des Il est évident par cette raison, que se bor-
unes sur les autres dépend de la perfection nner à apprendre par coeur des morceaux de
respective et relative de ces agents, et de la vers
v ou de prose, dans sa langue naturelle,,
quantité dont chacun entre, si je puis m'ex- ppeut meubler, orner la mémoire, mais ne
primer ainsi» dans là composition de l'exerce
1' pas.
l'homme.. 2' L'étude d'une langue étrangère exerce
Cette analyse serait curieuse; mais elle le
h jugement; parce qu'il faut continuélle-
me mènerait trop loin. ment
n traduire sa langue naturelle dans cette
L'éducation doit développer et perfection-
aautre langue or traduire, c'est comparer.
ner dans l'homme toutes ces facultés, au- Il n'est pas moins évident qu'on ne peut
tant qu'elles en sont susceptibles; et lors- p exercer son jugement en se bornant à
pas
qu'elles sont développées et perfectionnées, l'étude de sa langue naturelle, parce que,
1'
l'homme est capable de s'acquitter des di-
pour
p comparer, il faut deux objets.
vers emplois que la société lui confié, et 3° L'éludé' d'une langue étrangère exerce
d'être, suivant son goût et les circonstances, l'l'imagination, puisqu'elle force à composer,
homme d'Eglise, d'épée, de robe, e'est-à- à imaginer, non-seulement la pensée, mais
dire, qu'alors l'homme social est formé et J'expression même de la pensée.
V<
que le but de l'éducation sociale est rempli. Il est évident qu'en composant dans sa
Peu d'hommes naissent avec une aptitude langue naturelle seulement, on n'exerce pas
la
particulière et déterminée à un seul objet, autant l'imagination
qu'on appelle talent c'est un bienfait de la
ai que- d'ailleurs on
nn'exerce que l'imagination seuie, au iieu
nature, si les circonstances: en secondent le qu'en*
qi composant dans une autre langue que
développement et l'emploi; c'est un mal- la sienne, on exerce en même temps la mé
heur, si elles le contrarient. Quoi qu'il en moire,
m le jugement, l'imagination et le goût,
soit, l'éducation doit développer le talent, c'
c'est-à-dire, on se rappelle, on traduit, o0
qui est l'aptitude à faire une chose, ou don- invente, on distingue; car it faut tout cela,
in
ner à l'homme des dispositions à faire in- même
m dans la plus plate amplification.
différemment plusieurs choses. 4° L'étude d'une langue étrangère exercé
ORrrvnrc r*niuDT tu? \f ni? Tir»»*»* I
le goût; car le goût est aussi jugement ju- 3° Celle qui a le"plus d'analogie avec la
gement rapide, de sentiment ou d'instinct langue
la naturelle et avec le plus grand nom-
plutdt que de réflexion distinction que br des langues vivantes.
bre
nous faisons, malgré nous-mêmes, des beau- Or là langue latine réunit tous ces ctvan»-
tés et des défauts d'un ouvrage, ou de plu- tages. ta
sieurs ouvrages;, et il résulte à.la fois, d'une 1° Elle est la racine des langues française,
mémoire exercée, d'un jugement perfec- italienne, it< espagnole; on ne peut connaître
tionné et d'une imagination vive. Car quelle les le beautés, les ressources, la force, l'ortho-
que soit la rapidité de ce sentiment qu'on graphe gi de ces langues, si l'on ne connaît la
appelle goût, lorsqu'il réprouve, par exem- langue la latine, et on en retrouve quelque
ple,.un défaut dans ufi.ouvrage, l.a mémoire chose et dans toutes les langues de l'Europe
présente ce qu'il faudrait y substituer, ou policée. p<
l'imagination l'invente, et dans les deux cas 2° Elle est universelle quant aux lieux;
le jugement le. compare. Je ne sais même car Ce dans toute l'Europe
policée il n'y aJ pas
s'il serait possible aux enfants de prêter la de di village où quelqu'un n'entende cette lan-
même; attention à. des études faites unique- gue g' et ne puisse la parler, et elle est presque
ment dans leur langue naturelle, à cause de langue la usuelle dans certaines parties de
l'extrême habitude dela parler, ou, si l'on 1': l'Europe.
ne courrai', pas le risque d'en faire des pé- Elle est universelle quant aux professions:
dants, qui analyseraienttoutes leurs paroles, elle e est la langue de la religion chrétienne
et comme M. Jourdain, seraient tout émer- ou o de la théologie, de la jurisprudence, de
veillés d'avoir fait, si longtemps, de la prose la 1; médecine, de la philosophie elle est ]&
sans le savoir. langue
lî de la politique et de ,1'aft militaire,
Apprendra-t-on une langue vivante ou puisqu'elle p est la langue de Tacite et do
une. langue morte ? César.
C

1° II n'y a pas de langue vivante dont l'u- C'est-à-dire que l'Europe religieuse et
tilité soit assez générale ni pour le lieu ni l'Europe l' savante ont une. langue commune,
pour les professions. e l'Europe politique des langues différentes,
et
Apprendra-t-on l'italien à Bayonne, ou et e cela doit être ainsi pour la
conservation
l'espagnol à Strasbourg? de
£ l'espèce, humaine; car il faut que las
Un enfant destiné à l'état ecclésiastique hommes 1 soient réunis par le lien de la reli-
apprendra-t-il l'anglais, et celui qui doit gion £ et des connaissances utiles et commu-
servir dans la marina apprendra-t-il l'aile- nes i à -tous, et queues sociétés soient sépa-
mand? rées par des gouvernements particuliers.
Apprendra-t-on toutes les langues? C'est 3° Aucune autre langue que la langue la-
le moyen d'oublier même la sienne. tine n'offre, dans tous les genres, des ouvra-
2° 11 n'y a pas de langue vivante qui soit ges | plus propres à développer, à faire éclore
d'un jeune homme, sans danger
entièrement fixée, parce qu'il n'y a pas de les talents
société parfaitement constituée; plus la so- peur ses moeurs.
ciété est constituée, plus la langue est fixée;
L'histoire du peuple célèbre qui l'a parlée,
beaux traits de courage,.de
plus elle est fixée, plus elle se répand, plus offre les plus de magnanimité, d'amour
elle approche d'être- universelle et nous désintéressement,
par cette raison, la langue française de la patrie; et.ces exemples, quoique pui-
voyons, sés dans l'histoire d'une république, seront
devenir la langue universelle de l'Europe.
n'y pas de langue vivante qu'un sans danger pour les sentiments politiques
3° 11 a d'un jeune homme, lorsqu'on aura soin de
jeune homme, dont la mémoire, lé jugement le principe de tout ce
lui faire
et l'imagination sont exercés, n'apprenne qu'on voitremarquer de beau, de grand, d'élevé, chez
fàcilement dans deux ans et cette étude
faire partie des études particulières de les Romains, dans la partie monarchique de
peut
la profession. leur constitution et le principe de tous les
Il faut donc apprendre une langue morte.
vices et de tous les désordres de leur gou-
sa partie démocratique.
Quelle langue morte doit-on apprendre ? vernement dans
1° La plus générale quant aux lieux et aux Les langues, particulièrement la langue
professions. française, ont des écrivains et des poètes,
2° Celle dans laquelleilyaleplusd'ouvra- entre autres,
comparables ou même supé-
ges capables de former le coeur et l'esprit: rieurs aux plus célèbres écrivains de l'anti-
quité; mais il faut observer qu'ils ne sau- naissance, il est le triste et chétif avorton de
raient convenir aussi bien que ceux-ci à l'é- l'éducation domestique.
ducation des enfants; parce que les anciens L'éducation publique dirige les affections
poêles qu'on peut mettre dans les mains des par la religion.
jeunes gens, chantent la gloire, l'émulation, On-peut instruire les enfants
la passion de dominer, passion de l'homme on ne peut les toucher qu'à l'Eglise
la
maison;
or
naturel, et la seule que le jeune homme c'est bien moins l'esprit des enfants qu'il
doive éprouver parce qu'il est encore homme faut éclairer, que leur cœur qu'il faut émou-
naturel, au lieu que les poëtes modernes voir. On ne peut entraîner que les hommes
peignent le sentiment de l'amour, qui ap- assemblés, parce qu'à cause de cette chaine
partient plus à l'homme social, et que Je II électrique et sympathique, qui lie entre eux
jeune homme ne doit pas connaître, parce des hommes réunis dans un même lieu, et
qu'il n'est pas encore homme social; en sorte qui les lie tous à l'homme qui leur parle, il
qu'on peut dire que les auteurs républicains suffit, pour les entraîner tous, d'en ébranler
conviennent, sous ce rapport, mieux que les quelques-uns; et l'on n'est pas capable de
monarchiques, à l'éducation publique, parce rapprocher deux idées, lorsqu'on ne sent
que les enfants au collége sont entre eux pas l'avantage étonnant qu'un homme élo-
dans un état républicain, puisque les dis- quent et sensible peut prendre
sur des en-
tinctions n'y sont pas permanentes, et qu'ils fants, pour leur inspirer le sentiment des
ne reconnaissent entre eux d'autre supério- grandes vérités de la religion, soit en inté-
rité que celle de l'esprit et du corps (1). ressant leur sensibilité, soit
en ébranlant
Et c'est précisément ce qui développe l'un leur imagination.
et l'autre. L'éducation publique n'est pas moins
L'homme, comme la société, commence propre à réprimer les saillies du caractère
donc par l'état sauvage. par la contradiction.
CHAPITRE XI Dans l'éducation domestique, même la
plus soignée, l'enfant voit tout le monde
SUITE DO MÊME SUJET. occupé de lui un précepteur pour le suivre,
L'éducation publique doit former le cœur des domestiques pour le servir, quelquefois
1" en excitant sa sensibilité par l'amitié; les enfants du voisin pour l'amuser, une
2° en dirigeanfrses affections par la religion maman pour le caresser, une tante pour ex-
3" en réprimant ses saillies par la contradic- cuser ses fautes; il aura éprouvé des résis-
lion. tances de la part de ses supérieurs, ou des
C'est le triomphe de l'éducation publique bassesses de la part de ses inférieurs, mais
et il ne dépend pas de l'habileté des maîtres, il n'aura pas essuyé de contradiction de la
comme les progrès de l'esprit; il est le ré- part de ses égaux; et parce qu'il ne J'aura
sultat nécessaire du rapprochement d'un pas essuyée, il ne pourra la souffrir.
grand nombre d'enfants. Cette contradiction si utile s'exerce par la
Dans la famille^ l'attachement est de de- collision
< des esprits, des caractères, et quel-
voir, et l'amitié est déplacée, parce qu'elle quefois
< des forces physiques. Elle abaisse
suppose exclusion, préférence mais dans le 1l'esprit le pius fier, assouplit le caractère le
collège, la conformité seule d'âge, d'humeur .plus
.1 roide, plie l'humeur la moins complai-
et de goûts, forme, dans ces âmes simples, sante.
f Et l'on sent à merveille que les graves
ces nœuds que l'intérêt n'a pas serrés, que reproches
î de M. l'abbé à un enfant qui a df;
l'intérêt ne peut briser, ces liaisons qu'on l'humeur,
1 les petites mines de la maman, et
entretient, ou qu'on renoue avec tant de les 1 sentences de la tante ne produisent pas,
plaisir dans un autre âge. Ce n'est pas dans ]pour l'en corriger, l'effet que produirait l'a-
l'éducation publique que l'égoïsme a pris charnement
( d'une demi-douzained'espiègles
(!) An collège tant que les enfants sont très- camarades,
( il faut, dans tous les âges, pour en être
jeunes et dans les classes inférieures, ils ne se aimé,
2 avoir un bon caractère. Voilà précisément la
considèrent entre eux que par les avantages du société
s dans son enfance elle n'estime que les ver-
corps, la force ou l'adresse, nécessaires à leur de- t
tus guerrières, par lesquelles elle s'étend au de--
veloppement physique à mesure qu'ils croissent hors.
1: A mesure qu'elle se civilise, elle honore da-
en âge et en connaissances,ils font plus de cas des vvantage les sciences, les arts utiles, les vertus pa-
qualités de l'esprit, nécessaires au perfectionne- ccifiques, par lesquelles elle se perfectionne au de-
ment de l'homme moral, et ils estiment davantage dans
d mais dans toutes ses périodes, le printipa
ceux nu'on appelle de bons écoliers. Mais si les dde sa conservation ne peut être que l'amour dea
plus forts ou les plus habiles sont admirés de leurs hhommes les uns pour les autres.
à contrarier le caractère bourru de' leur qa- Tl'éducation sociale n'a pas pour objet de
marade. rendre
r les jeunes gens savants; mais de les
Enfin, l'éducation publique exerce et dé- rendre
r bons et propres à recevoir l'éduca-
veloppe le physique des enfants; par l'em- tion
t; particulière de la profession à laquelle
ploi de la force; et à cet égard, en laissant i sont destinés, et qu'ils sont dans le col-
ils
au génie inventif des jeunes gens toute la lège,
1' bien moins pour s'instruire, que pour
latitude qui pourrait s'accorder avec les pré- s'occuper.
s
cautions que demandent la vivacité de leur Que saura donc le jeune homme en sor-
âge et la faiblesse de leur corps, il ne serait tant du collège? Rien, pas même ee qu'il y
i.

peut-être pas inutile d'établir des jeux où la aaura étudié, car on ne sait rien à dix-huit
force et l'adresse puissent obtenir des prix. àans. Mais il aura appris à retenir, appris à
Je veux donc qu'on apprenne le latin, comparer,
c appris à imaginer, appris à dis-
qu'on fasse tes classés, qu'un enfant fasse sa tinguer,
t appris à connaître l'amitié et à sa-
sixième, cinquième, quatrième, troisième, voit diriger ses affections naturelles et so-
humanités, rhétorique et philosophie, comme ciales,
c appris à réprimer son humeur, à
l'on faisait il y a cent ans. Je ne veux ce- modérer
r ses sailliés, appris à faire usage do
pendant pas qu'on se borné uniquement au ses
s forces, appris à occuper son esprit, son
latin; et de classe en classe, il y aura des ccsur et ses sens, appris à obéir surtout,
études analogues à l'âge et à la conception
<
appris
i ënfiti. tout apprendre.
des enfants, en petit nombre cependant, Le jtiune homme, élevé dans la maison,
pour ne pas surcharger leur esprit. Et comme sous
s
les yeux d'en instituteur vigilant et
l'éducation est sociale, et que les élèves sont ivertueux, comme on en trouve, et de pa-
destinés à exercer une profession sociale, rents
)
exemplaires, comme il'y en a tant,
ils n'apprendront Tien que de social; c'est- saura beaucoup plus il saura ce qu'on ne
à-dire qu'ils ne s'encombreront pas la mé* lui aura pas appris, et même ce qu'on n'aura
moire d'une foule de demi-connaissances pas voulu lui apprendre; il aura^eu toutes
auxquelles la philosophie moderne attachait sortes
j de maitres; il aura dans la tête beau-
un grand intérêt, parce que, disait-elle, elles, coup de jolis vers il saura déclamer quel-
rapprochaient l'homme de la nature, c'est- que
<
sçéne de Racine dont il comprendra
à-dire, de la nature brute et sauvage, et non YintettUon sans en sentir Ms beautés il aura
de la nature perfectionnéede la société con- collé des plantes et cloué dés papillons, et
naissances qui ne formaient ni l'esprit ni le se croira des connaissances de botanique et
cceur, connaissances qui peuvent trouver d'histoire naturel1e mais il n'aura ni juge-
leur place dans les études particulières aient ni imagination; il aura peut-être des
qu'exigent un art, une science, mais qui sont attaques d« nerfs, et n'aura pas de sensibi-
entièrement inutiles à celui qui se destine lité il aura des passions, et n'aura pas de
à exercer des fonctions sociales. sens.
Les enfants seront donc plusieurs années On ne manquera pas de me dire qu'il y a
dans les colléges, et je crains encore qu'ils des sujets qui ne réussissent pas dans l'é-
n'en sortent trop tôt. Je me méfie beaucoup ducàtion publique, et d'autres qui réussis-
de ces petits merveilleux, qui ont tout vu, sent dans l'éducation domestique. Qu'est-ce
tout appris, tout fini à quinze ans; qui en- que cela prouve?
trent dans la société avec une mémoire sans D'abord il faut savoir ce qu'on entend par
jugement, Une imagination sans goût, une réussir dans une éducation. Cô n'est pas y
sensibilité sans direction; et qui, mauvais devenir savant, car le plus habile écolier ne
sujets â seize ans, sont nuls à vingt. sait rien quand il sort du collège; c'est de-
Je voudrais, et pour cause, que l'édaea- venir capable de savoir; et j'oserai dire à
cet égard, qu'il n'est pas
impossible qu'un
tion se prolongeât jusqu'à la dix-septième
ou dix-huitième année, moins pour orner sujet ait été médiocre dans le cours de ses
l'esprit que pour forme.r le cœur et veiller études* et qu'il soit cependant très-capable
sur les sens, et que cette époque critique se d'apprendre, et qu'il parvienne même a ae-
passât dans la distraction, le mouvement et quérir les connaissances propres à son état.
la frugalité du collège, plutôt que dans l'oi- Il est, au moral comme au physique, des
siveté, les plaisirs et la bonne chère du êtres qui ne se dévéloppeat que fort tard* et
monde. seulement sur un objet particulier. Un jeune
Il faut que les parents se persuadent que homme a réussi dans son éducation lors-
777 PART. 1. ECONOM. JsUl:.– ÏHfcOHllï 1>U l'UUVOIU, PART. 111. EDUC. ET ADM1NIST.L. I. 778
qu!il y est devenu meilleur; s'il n'acquiertt de toutes mes forces ce ressort puissant, ir-
pas les connaissances qu'exige la professioni résistible, de l'émulation. Un héros vraiment
à laquelle il est appelé, il en aura les vertus; français, le maréchal de Villars, comparait
et les vertus sont; en tout genre, les premiè- le plaisir que lui avait causé le gain de la
res connaissances, comme les plusutiles. Si, première bataille, à celui qu'il avait éprouvé
sous ce dernier rapport, un sujet a réussidanss lorsqu'il avait remporté au collége le pre-
Féducalion<iomestique,jlauraitencpremieux i mier pris.
réussi dans l'édueation publique; s'il n'a pass Qu'on ne dise pas, avec un moraliste mo-
réussi dans l'éducation sociale, il aurait en- derne, qu'il faudrait étouffer dans l'homme
core plus mal tourné dans l'éducation particu- la passion de dominer, plutôt que de lui
lière. 11 en résulte qw'il y a des sujets pourr fournir un nouvel aliment, parce que cette
qui la nature a tout fait et que les hommess passion funeste est la cause de tous les mal-
ne peuvent détériorer, et d'autres pour quii heurs de l'humanité.
la nature n'a rien fait et que la société ne La volonté de dominer, ou l'amour déré-
peut rendre meilleurs il faut en conclure» glé de soi, naturel à l'homme, est indestruc-
qu'il y a des hommes que la nature destinei tible à l'éducation et à la religion même.
à être gouvernés, et d'autres qu'elle destine Quand cette volonté est satisfaite, qu'elle
s
à gouverner, si. ce n'est par l'autorité des n'a plus d'objets à son activité, l'homme est
places, au moins par celle de la raison et de> sans ressort, il est malheureux,et c'est la
l'exemple; ear la nature, pour l'intérêt de cause des ennuis et des peines,.que l'homme
la société, accorde toujours aux hommes éprouve aa faîte des grandeurs. C'est parce
instruits et vertueux l'autorité sur les autres, que je ne puis détruire cette passion, que je
que souvent le gouvernement leur refuse. cherche à la diriger celui qui ne veut pas
Au reste, il ne fout pas que l'administra- la diriger de peur d'en accroître la violence,
tion prenne des programmes de collège pour loin de l'éteindre, ne l'affaiblit môme pas;
ses listes de promotion. Ces réputations elle se cache seulement et se concentre, en
naissantes ont Jîesoin de l'épreuve de l'ex- attendant les occasions de paraître elle
périence et du temps. Ce sont des espé- éclate alors, et vous aurez peut-être des
rances et non des certitudes ce sont lee monstres, parce que vous n'aurez pas voulu
fleurs du- printemps qui promettent, mais faire des héros. Loin de l'éducation cette
qui ne dwnent pas toujours les fruits de idée fausse, que l'émulation et le désir de
l'automne. la gloire sont incompatibles avec la religion.
Ce penchant est dans l'homme, donc il est
CHAPITRE XII. compatible avec la religion il peut être
ÉDUCATION DE L'HÉRITIER DU POUVOIR utile à la société, donc la religion l'approuve
DE LA SOCIÉTÉ.
et le dirige.
La religion veut que J'homme social fasse
J'ai considéré jusqu'à présent l'éducation
son devoir dans le poste que la société lui
publique ou sociale,, relativement aux pro- assigne. Or, q,ùel le devoir de l'homme
fessions qui défendent la société |b vais la social? Le devoirest l'homme
de social, son
considérer sous un. point de vue plus so- devoir le plus simple*, le plus
indispensa-
cial encore, et relativement à la profession ble,
est d'employer, à l'utilité de la société,
qui gouverne la société* Je m'éloignerai des toutes Jes facultés
méthodes usitées,, mais je ne proposerai pas nées,: que la nature lui a don-
des méthodes impraticables; je développe- ducation,, que la société a développées par l'é-
et auxquelles elle fournit l'occa-
rai des idées nouvelles, plutôt que des idées sion de
se déployer par la profession dans
neuves ;et le projet aurait plus d'oppositions laquelle elle place l'homme. Si l'homme' so-
à essuyer que d'objections à,craindre. cial avait.une mesure fixe de devoir, il pour-
Dans tout le cours de l'éducation publi- rait s'enorgueillir lorsqu'il
outrepasserait
que, j'aurai de classe en. classe, et à mesure cette mesure; mais les facultés de l'homme
de l'âge et des progrès, tenu l'esprit, le sont la seule
mesure de ses devoirs envers
cœur et les sens de mes élèves dans une oc- ja société. Ainsi celui qui fait les actions les
cupation continuelle j'aurai excité le moral plus héroïques,
l'émulation ou se livre aux travaux les
par l'ardeur
et
-
de la gloire, et plus utiles, ne fait que son devoir, et
frappé- le physique par l'appareil des récom- pas plus ne fait
que son devoir, puisqu'il ne fait
penses et des distinctions-: j'aurai enfin tendu qu'employer à l'utilité de la société les fa-
IVij
cultés qu'il a reçues, et que la société a gueij, sans tout cet appareil qui forme ce
perfectionnées. L'homme n'a donc pas à qu'on appelle VéAueation des princes, l'en-
S'enorgueillir, puisqu'il ne fait que son de- fant de la société, l'espoir de la France, le
voir il peut donc être modeste au milieu rejeton de ses rois, l'héritier du pouvoir
de la gloire des plus grands succès, comme général de la société. Je n'ai pas besoin de
ii peut être pauvre au milieu des richesses, faire sentirles avantages d'une pareille édu-
et tempérant au milieu des plaisirs. Je re- cation il est en effet aisé de concevoir de
viens à mon sujet. quelle ressource serait entre les mains des
J'aurais donc préparé les esprits au der- maîtres profondément versés dans la con-
nier acte, à l'acte le plus solennel de l'édu- naissance du coeur humain, cette société de
cation sociale. Tous les ans, si le cours de jeunes gens sûrs et vertueux, pleins d'esprit
philosophie dure un an, tous les deux ans, et de connaissances, qui seraient réunis au-
si ce cours est de deux ans, on choisirait, tour de la personne du jeune prince quelles
on proclamerait dans chaque collège avec leçons
adroites et indirectes ils pourraient
J'appareille plus pompeux, en présence de lui donner, dans des conversations sans ap-
la société même, c'est-à-dire, de ceux qui prêt, dans des jeux sans dessein apparent;
représentent son pouvoir dans les fonctions quelles facilités pour lui inspirer le goût de
éminentes de l'autorité religieuse, civile et toutes les connaissancesqui doivent entrer
militaire qu'ils exercent dans la province, dans l'éducation d'un prince; quelles ins-
ingénieuses et touchantes il pour-
sous les yeux du concours le plus nom- tructions
breux, les deux sujets de la classe supé- rait recevoir dans des pièces composées par r
rieure, qui auraient montré dans le cours des gens d'esprit, représentées sur un théâ-
de leur éducation le plus de vertus et obte- tre, et dans lesquelles il jouerait lui-même
nu le plus de succès. Cet honneur serait la un
rôle; quelle assurance dans le maintien,
juste récompense des sacrifices qu'exige la quelle grâce extérieure y quelle facilité à
daris ta
vertu, et de l'application que supposent les s'énoncer en public, il acquerrait
succès ;scar tout sacrifice mérite récompense, société de ces jeunes gens à la place de-
tout succès mérite encouragement. Ce choix cette malheureuse timidité, si fu'ttester;dans.
serait impartial, parce qu'il serait l'expres- les princes, résultat nécessaire de;la solitude
sion de l'opinion infaillible, impartiale du de l'éducation particulière, où un enfant,
collège, formée par une expérience de dix toujours sous les yeux de ses instituteurs,
n'ose jamais se livrer aux saillies de son-
ans. Ces jeunes gens envoyés de toutes les
provinces seraient reçus, aux frais de l'Etat, imagination, et ne peut recevoir que des
dans une maison placée au centre du royau- leçons directes; timidité, habitude plus fu-
me, et ils y seraient remplacés,au bout d'un neste qu'on ne pense, et qui, même
dansun
hommages de
ou de deux ans, par un nombre égal de âge avancé, ne cède pas aux
sujets. Dans cet établissement, les jeunes tout ce qui vous entoure.
gens formeraient une société de gens ins- Cette éducation, d'un bon esprit, forme-
truits et qui veulent perfectionner leurs rait un esprit excellent; d'un esprit médio-
connaissances, plutôt qu'une réunion d'é- cre, formerait un bon esprit; d'un enfant né
lèves. Ils y trouveraient des maîtres habiles avec des vertus, elle ferait un grand homme;
dans tous les genres, et ils pourraient se d'un sujet né avec le penchant au vice, elle
livrer aux études particulières de la profes- pourrait faire un homme Vertueux. Elle
sion à laquelle ils seraient destinés, à l'étude aurait t'avantage inappréciable de n'offrir au
des arts agréables, à celle des langues, aux prince que des modèles, dans des jeunes
exercices du corps, etc. L'établissement se- gens plus âgés que lui, et avec lesquels il
rait magnifique, digne de l'objet auquel il ne pourrait rien apprendre que d'utile, rien
serait destiné. C'est au milieu de deux cents entendre que d'honnête, rien voir que de
jeunes gens d'un corps sain et d'un espritt décent. Craindrait-on le danger des amitiés
bien fait, distingués à dix-huit ans par dix ^particulières, des favoris? La succession
ans de vertus et de succès, l'élite de toute rapide déjeunes gens préviendrait les atta-
la jeunesse du royaume; c'est au centre det chements et puis, si un roi, comme un au-
l'empire, au milieu de son peuple, sous les tre homme, peut avoir des amis, il n'est pas
yeux des maîtres les plus habiles, loin des trop aisé de concevoir le danger qu'il y au-
tlatteries.de la cour et de la corruption du rait, même pour un roi, de former une liai.
Kiond.e, que serait éjevé sans faste, sans or-« son particulière avec un jeune homme qui
aurait fait à yingt ans preuve de dix ans par l'habitude de les voir tels qu'ils
vertus;et de talents.
1° Aurait-on pour la personne du prince
de-, mes,
sont, de tes comparer et de les juger.
Les princes apprennent mille choses, qu'il
des craintes imaginaires? Assurément il ne peut leur être agréable, mais qu'il leur est
pourrait: avoir de garde plus fidèle que deux presque inutile de savoir, parce que ne
cents- jeunes gens de dix-huit à vingt ans pouvant ni ne devant les cultiver, ils sont
d'une vertu éprouvée, et dans cet heureux nécessairement inférieurs à ceux qui les
âge qui, loin de connaître la trahison, ne la cultivent, et que le roi.ne doit être inférieur
soupçonne même pas. Des jeunes gens, nés à personne.
Français, seraient seuls admis dans l'établis- Ainsi en mathématiques, chimie, botani-
sement central, et toute. communicationau que, astronomie, etc., un roi ne doit pass
dehors, même avec les parents, serait in- avoir des connaissancestrès-étendues,parce
terdite^. qu'il ne pourrait faire un savant distingué,
:.
2°; Redouterait-on l'ambition des maîtres, sans être un roi médiocre; mais dans ta
et l'ascendant qu'ils pourraient prendre sur science de la profession royale qui com-
l'esprit de lenr auguste élève? 'iQut objet prend 1° l'histoire, ou la connaissance des
serait interdit à l'ambition, et les; sujets de hommes qui ont,yéeu, et des sociétés qu'ils
l'ordre employé à l'éducation publique ne ont gouvernées; 2° la politique, ou. la con-
pourraient occuper aucune place ecclésias- naissance du caractère des hommes qui vi-
tique ni civile, pas même celle de: confesseur vent actuellement, et des intérêts des socié-
des rois. Ils pourraient. les instruire dans la tés qu'ils gouvernent;; 3° la connaissance
chaire, mais non les diriger dans le secret. des lois religieuses et politiques, qui lient
3° Craindrait-on lafamiliarité qui pourrait les hommes entre eux, et qui les unissent
s'établir entre, le prince et les jeunes gens? tous à l'Etre suprême et au pouvoir de la
ah! qu'on s'en; fie au cœur humain pour société; k° la science de l'administration in-
éloigner ce danger, et qu'on s'attache à pré- térieure et extérieure, ou la con'naissa,nce
venir le danger plus réel et peut-être inévi- des moyens intérieurs et extérieurs qui as-
table d'une flatterie déguisée: sous la fran- surent laprôspérité d'un Etat au dedans, et
fehjse apparente delà jeunesse. qui font sa force au dehors; sur tous ces ob-
Un avantage de -cette éducation serait de jets, dis-je, le, roi doit être l'homme le plus
faire connaître aux rois )es familles des pro- instruit de son royaume, et il peut en être
vinces qu'ils ne connaissent aujourd'hui le politique le plus profond et l'administra-
que lorsqu'elles viennent intriguer à la cour,, teur le plus éclairé.
c'est-à-dire, lorsqu'elles se corrompent; car ,Le jeune prince pourrait se former aisé-
outre la connaissance que le roi en acquer- ment des habitudes militaires, absolument
rait par lui-même dans son éducation, il nécessaires pour un monarque, dans l'éta-
apprendrait à les connaître dans le travail blisse.mént proposé, auprès duquel on pour-
qu'il. ferait avec le ministre de l'éducation, rait faire camper quelques troupes pour son,
et qui aurait pour objet de s'instruire des instruction.
progrès de L'éducation publique. Je finirai par quelques observations parti-
Je n'ignore pas qu'il s'est formé de grands culières.
rois dans l'éducation particulière, parce que 1° Les jeunes gens nés dans les familles
des professions sociales seraient
ces mêmes rois se seraient élevés sans édu- exerçant
cation je ne parle pas d'u petit nombre des seuls admis dans rétablissement, central,
hommes que la nature forme toute seule, et parce qu'il est dans la nature de la société
encore le génie qui doit le plus à la nature, que l'enfant qui est appelé; à la gouverner,
peut-il- devoir beaucoup. à l'éducation; je soit élevé au milieu de aeus. qui sont desti-
défendre. Cette disposition nécessaire
ne considère ici que le grand nombre des nés à la
princes,; qui, comme la plupart des hommes, inspirerait aux familles une ardeur louable
Haïssent avec des dispositions que l'éduca- d'embrasser les professions sociales, ce qui
tion doit perfectionner, des défauts qu'elle serait d'un grand avantage pour la société.
doit corriger, des penchants qu'elle doit di- 2° Si l'on jugeait à propos d'admettre au
riger. En général, la partie la plus impor- concours, dans une certaine proportion, des
tante de l'éducation des princes est néces- jeunes :gens nés dans les familles qui ne se-
sairement manquée dans l'éducation domes- raient pas nobles, le jeune homme, par cela
tique je veux dire la connaissancedes hô-m-* seul qu'il serait élevé auprès de l'héritier du
trône, serait ennobli personnellement,c'est- que, si les parents étaient dignes et
capa-
îf-dire que ses parents contracteraient en- bles de remplir
ce devoir. En attendant ce
vers la société l'engagement de lui faire em^ moment encore éloigné, il faut des maisons
brasser une profession sociale politique. d'éducation, où un ordre et un seul ordre
3° Le seul héritier présomptif de la
cou- se voue à l'institution de cette portion de
ronne serait élevé dans cet établissement. l'espèce humaine, d'autant plus intéressante
L'exclusion de tout autre prince,. même de aux yeux de la société, qu'elle est
presque
ses frères, me paraît fondée sur des raisons exclusivement chargée de donner aux en-
politiques d'un grand poids. Il faut éviter fants la première éducation.
l'occasion des comparaisons et le partage des Les ordres de filles sont donc nécessaires,
affections. c'est-à-dire, dans la nature de la société
4' Je prie le lecteur de croire que je n'ai constituée religieuse et politique. Ils sont
proposé mes idées sur l'éducation de l'en- nécessaires au bonheur de l'individu, parce
fant royal, que parce que l'occasion de les que, dans
une société constituée il faut une
mettre à exécution ne peut pas se présenter place à tous les caractères, un secours à tou-
en France de bien longtemps, même en tes les faiblesses, un aliment à toutes les
supposant le retour prochain dé l'ordre les vertus. Il faut un asile au malheur, il faut
idées nouvelles doivent faire une rigoureuse un rempart à la faiblesse, il faut une soli-
quarantaine avant de s'introduire dans la so- tude à l'amour, il faut un abri à la misère/
ciété. La France doit la peste politique qui il faut un exercice à la charité, il faut une
la ravage à l'omission de cette mesure in- retraite au repentir, il en faut une au dégoû*
dispensable. du monde, aux infirmités de la nature etaux
5° Ce plan ést indépendant du système torts de la société. Les ordres religieux sont
général d'éducation publique; sur lequel je nécessaires à l'utilité de la société politique,
ne compose pas aussi aisément; parce que qui leur donne une destination sociale, en
je suis convaincu qu'il est nécessaire de les-faisant servir à l'éducation publique, au
former les hommes pour la soeiété, ou que soin des malades, au soulagement des pau-
bientôt il n'existera plus de société parmi
vres et la religion imprime à ces différents
les hommes. emplois ce caractère imposant de grandeur
6" II serait a propos de publier
tous les et, si j'ose le dire, de divinité qu'elle com-
ans le tableau général d'éducation publique, munique à tout ce dont elle est le principe.
à peu près comme on publiait un état mili- Uni seul ordre chargé de l'éducation, des
taire. Rien de plus utile pour inspirer aux maisons distribuées dans tout le royaume,
familles le désir de faire élever leurs
en- eu égard à la population de chaque arron-
fants dans les collèges de l'Etat, et aux jeu- dissement, une règle absolument uniforme,
nes gens l'émulation de s'y distinguer. On une nourriture saine et abondante, objet
a dit avec raison On en vaut mieux quand trop négligé dans les couvents, où les jeu^
on «st regardé. Ce tableau intéressant met- nes personnes contractent si fréquemment
trait tous les ans sous les yeux de la France des goûts particuliers pour des alimeats
Je Bulletin de l'éducation de l'héritier du pernicieux une piété aussi tendre, mais
trône, de cet enfant de toutes les familles. plus éclairée peut-être que celle qu'on ins-
Son portrait en ornerait le frontispice, et je pirait aux jeunes personnes dans plusieurs
pardonnerais au peintre de l'embellir. Le maisons religieuses, voilà ee qui doit être
roi doit se placer continuellement sous les commun à toutes les éducations publiques,
yeux et dans le cœur de ses sujets; et un ou particulier à l'éducation des personnes
peuple heureux rie manque jamais de re- du sexe.
trouver dans les traits de son souverain la J'ai obligé les familles sociales à faire
J>onté prévoyante et ferme qu'il bénit dans
donner aux jeunes gens l'éducatioB publi-
son administration.
que, parce que les hommes de ces familles
doivent tous exercer une profession sociale,
CHAPITRE XIII.
et qu'ils ne peuvent recevoir dans la f-amille
DE l'éducation DES FEMMES.
l'éducation qui convient à leurs fonctions
dans la société le même motif ne peut exis-
Les femmes appartiennent à la famille ter pour les personnes du sexe, ni par con-
plutôt qu'à la société politique leur éduca- séquent la même obligation pour leurs pa-
tion- pourrait donc être purement domesti- rents de leur faire donner l'éducation pu-
biique. C'est assez pour l'administration de ve vent adoucir, effacer, s"il se -peut» par l'af-
ics §r inviter par la modicité des pensions, fabilité,
fat la douceur de leurs manières, ce
Fa proximité des couvents, et surtout par le qu l'inégalité constitutionnelle des profes-
que
bon choix du système d'éducation. sions
si( peut mettre entre les hommes de dur
La femme a aussi l'amour déréglé de soi, et de choquant. I! me semble même que les
ou la passion, de dominer mais comme les femmesfei des conditions les plus inégales
moyens de la satisfaire, ou l'esprit et les mettent
m< entre elles plus d'égalité que ne font
sens, sont plus faibles dans la ,femme que tes ieï hommes.
dans l'homme, il résulte quelquefois de la On doit, dans l'éducation des jeunes per-
force de ta passion et de la faiblesse des so sonnes, parler beaucoup plus à leur cœur
moyens un effet assez ridicule qu'on ap- qu'à qu leur raison; parce que la raison chez
pelle vanité, effet également sensible dans lesles femmes est, pour ainsi dire, instinct, et
les hommes qui ont plus de passion de do- qu que la nature leur a donné en sentiment ce
miner, que de moyens de la satisfaire. qu'elle
qu a donné à l'homme en réflexion.
Dans l'homme, la passion de dominer, C'est C'< ce qui fait qu'elles ont le goût si déli-
baissée h elle-même, devient ruse, esprit cat, ci si juste, et les manières si .aimables.
Leurs sens doivent être exercés par des oc-
d'intrigue, ou violence, fierté, férocité même Le
cupations utiles car ij est égal de ne rien
selon que l'esprit ou les, sens domineat dans eu
l'individu dirigée vers un but utile, cette faifaire,
i ou de faire des riens. Je ne parle pas
passion devient désir de l'honneur, ardeiw des de cours publics de physique, d'histoire
pour la véritable gloire, qui n'est aubre naturelle,
na d'éloquence, de philosophie, de
choseque ta passion d'employer toutes ses J'artl'a de monter à cheval, etc,, qu'on faisait
facultés d'une manière utile pour la société, entrer,
en malgré la nature et la raison, dans
Dans la femme, la passion de dominer, l'éducation
l'é des femmes. On doit en bannir,
laissée à elle-même devient coquetterie ou comme
co dangereux ou ridicule, tout ce qui
galanterie, selon que l'esprit ou les sens peut pe en faire de beaux esprits, des savants,
dominent dans l'individu dirigée vers un ou^ ou des hommes.
but utile, cette passion devient désir de .L'éducation des femmes doit être unie,
plaire, qui H© doit être autre chose, dans modeste,
ni< simple, comme leur vie, leurs oc-
une femme, qne le désir de se rendre agréa- cupations
eu et leurs devoirs,
ble à sa'famille. Voyez la nature, et admirez comment elle
Dans la femme, chez laquelle la volonté di: distingue le sexe qu'elle appelle à exercer
de dominer ne peut être dirigée vers l'uti- des de fonctions publiques dans la société po-
lité de la société politique, il faut bien se lit
litique, de celui qu'elle destine aux soins
garder de l'exciter ainsi toutes les décora- do domestiques de la famille, Elle donne à l'un,
tions extérieures, toutes les distinctions par dès
dé l'âge le plus tendre, le goût des che-
lesquelles on cherche à faire naître l'ému- va vaux, des armes, des chapelles; elle donne
lation et le désir de la gloire parmi les jsu- à 1l'autre le goût des travaux domestiques,
nés gens, doivent être bannies de l'éduca- du ménage, des poupées.
tion des femmes. Toute distinction dans une Voilà les principes et le meilleur sys-
jeune personne, toute décoration gui ferait tèi tème d'éducation ne doit en être que l'ap-
parure, éveillerait la vanité, et dégénérerait pli
plication et le développement. Ainsi la na-
peut-être en fierté, vice contre nature dans tuiture inspire à l'enfant un goût qui deviendra
un être faible la fierté ou la hauteur est, un un devoir dans un âge plus avancé, comme
même dans les femmes, aussi opposée à elle el1 introduit chez un peuple naissant, une
J'intérêt de la société politique, qu'à l'in- coutume
co qui deviendra une loi de la société
îention de ta nature. Car les femmes doi- po politique.
LIVRE DEUXIÈME.

DE L'ADMINISTRATION PUBLIQUE.

ADMINISTRATIONGÉNÉRALE.

CHAPilKE PREMIER.. 3° L'homme est esprit, cœur et sens, in-


telligence ou volonté, amour ou pouvoir,
COMMENT SE DIVISE L'ADMINISTRATION
PUBLIQUE.
sens ou force la société, constituée comme
l'homme, est volonté générale, pouvoir gé-
La nature a constitué la société civile, en néral, force générale elle est religion pu-
lui donnant des lois fondamentales dont blique, royauté, professions sociales con-
toutes les autres lois doivent être médiate- servatrices de la société.
ment ou immédiatement des conséquences Donc l'administration intérieure se divise
nécessaires. en administration religieuse, administration
La société a formé l'homme* en lui don- civile, administration militaire.
nant l'éducation sociale, qui doit être la Avant d'entrer dans lé détail,, jetons un
base de sa conduite dans la société,. et là coup d'oeil sur l'ensemble de l'administra-
règle de ses devoirs envers elle. tion^ ou sur l'administration générale
L'homme doit administrer la société, en
appliquant à son gouvernement les princi- CHAPITRE H.
pes de la constitution qu'elle tient de la ADMINISTRATION GÉNÉRALE.
nature, et les règles de l'éducation qu'il a
lui-même reçues de la société c'est-à-dire, La société est l'homme et la propriété;
que l'homme doit administrer la société, en administrer la société, c'est donc adminis-
hommo instruit des lois fondamentales po- trer les hommes et les propriétés..
litiques et religieuses qui constituent la Administrer les hommes, administrer les
société civile, en homme instruit de ses propriétés, c'est faire servir les hommes e.t
devoirs envers l'Etre suprême et envers ses les propriétés à l'a conservation des êtres so-
semblables, en homme d'Etat et en homme ciaux ou de la société.
religieux. L'administration est donc autorité et con-
Les règles de l'administration doivent seil autorité pour administrer les hommes^
donc être conformes à la nature de l'homme conseil pour administrer les propriétés.
et à la nature de la société. L'administration' est, autorité pour admi-
i° L'homme a des devoirs généraux et des nistrer les hommes, parce qu'il y ,a des lois
devoirs particuliers; la société peut être positives auxquelles il faut forcer les hom-
considérée comme un tout, composé de plu- n>es de se soumetlre.
sieurs parties. L'administration est conseil pour adminis-
L'administration se divise donc en admi- trer les propriétés, parce qu'il n'y a point da
nistration générale et en administration par- lois positives auxquelles on puisse soumet-
ticulière. tre l'administrationdes propriétés.
2° L'homme a des devoirs à remplir en- Ainsi, il y a une loi positive qui défend
vers lui-même, et des relations nécessaires à l'homme d'attenter à la vie ou à l'honneur
avec les autres hommes; la société peut de son semblable il faut une autorité qui
être considérée dans son gouvernement in- force l'homme d'obéir à cette loi, ou qui le
térieur, ou dans ses rapports extérieurs avec punisse s'il s'en écarte.
les autres sociétés. Mais il ne peut y avoir de loi positive pour
Donc l'administration doit être divisée en l'établissement d'une branche de commerce,
administration intérieure et extérieure,com- ou l'ouverture d'un chemin public; il faut
me l'homme et comm'e la société. un conseil pour déterminer la branche de
comm-erce la plus utile, ou le chemin public Henri
1 IV, étaient sagesse, vigilance et fer-
le plus convenable. Autorité et-conseil se meté. i
trouvent dans toute société composée Y hom- Yoye-z ce gouvernement de quelques
mes et de propriétés. jours,
j actif comme ta pensée-, inflexible
Ainsi, dans la société naturelle ou la fa- comme
<
le destin; comme il se soutient,
mille, l'homme est autorité, pour être obéi comme il résiste aux haines du dedans, aux
de tous les membres de la famille; la famille attaques
i
du dehors, aux efforts de toute
est conseil, pour l'exploitation de la pro- l'Europe,
1 a ses propres crimes 1 tandis qu'un
priété commune. instant de sommeil et de faiblesse a perdu
siècles de du-
Ainsi, dans la société politique, le roi doit cet empiré assis sur quatorze
prospérité;
être pouvoir ou autorité; pour faire obéir rée et de
La philanthropie, qui gagne les gouverne-
l'homme social par l'emploi de la forée; et
il y aura un conseil, pour diriger l'adminis- ments, tient moins à une humanité éclairée
tration des propriétés publiques. Dans une qu'à la faiblesse des caractères, à la petitesse
à la moiliesse^des mœurs, Il est
société constituée, l'administration générale des esprits,
pénible d'être ferme il est doux d'être
est donc le roi en son conseil. –
La nature en constituant la société pose
lois
faible.
Il faut aimer les hommes comme si. tous
-
des lois fondamentales; et laisse les po- étaient bons; il faut les gouverner comme
litiques et civiles se développer d'elles- si
administrant la société, tous étaient méchants. Le souverain qui
mêmes l'homme, en
pardonne le crime, lorsqu'il peut le punir,
doit établir des règles générales, auxquelles
rend la condition des bons pire, que celle
puissent se ramener d'eux-mêmes tous les des méchants,
parce que les bons n'ont ja-
cas particuliers.
L'écueil de ceux qui gouvernent est de
mais besoin depardon.
On ne peut traiter de l'administration gé-
vouloir toujours gouverner, de vouloir tout nérale d'une. société monarchique, sans par-
gouverner, de vouloir gouverner avec os- ler de la cour, qui a une si grande influence
tentation. sur l'administration générale de l'Etat.
L'administration doit agir comme la na- Les rois 'de France ont toujours eu des
ture, par une action continuelle, mais ina- officiers et des domestiques; mais ce qu'on
perçue on doit sentir son influence, bien appelle la cour,.n'a guère commencé qu'à
plus qu'on ne doit apercevoir son action. Anne de Bretagne, sous Louis XII.
Ainsi Dieu gouverne le monde; nous jouis- La cour fut galante sous Anne de Breta-
sons de ses bienfaits, sans apercevoir la gne, voluptueuse sous la Médicis, supersti-
main qui les dispense. Veut-on une com- tieuse sous Henri III, polie et magnifique
paraison qui exprime parfaitement cette dif- sous Louis XIV, dévote sous la Maintenon,
férence? Je voyage dans certaines contrées débordée sous le régent, philosophe de nos
de l'Europe; j'aperçois d'autres voyageurs jours.
qui marchent sans précaution et sans dé- La cour peut donc devenir vertueuse, ou
fiance et qui portent leur argent suspendu du moins décente, sous un roi vertueux.
au bout de leur bâton, ou de toute autre Le monarque doit être d'une extrême sé-

loin.
manière aussi visible;. leur sécurité m'ins- vérité envers tout ce qui l'entoure. La
pire de la confiance ailleurs, j'aperçois des royauté est un sanctuaire d'où rien d'impur
gibets, je rencontre des patrouilles; ces pré- ne doit approcher. L'indécence sous les
cautions m'inspirent de la crainte, et je ne yeux du monarque fait éclorele crime au
marche qu'avec circonspection. Là, je sen-
tais l'influence de l'administration, ici j'a- Le roi a la juridiction souveraine et sans
perçois son action, appel sur sa cour. Le public est l'accusateur,
L'autorité est iermeté, le conseil est sa- le roi est le témoin et le juge. Un regard, un
gesse, la fermeté et la sagesse sont vigi- mot, le silence, sont un arrêt sévère et qui
lance sagesse, vigilance, fermeté; les sou- a toujours son exécution jamais de raille-
verains devraient faire graver ces trois mots, rie, elle a toujours coûté cher aux rois; c'est
en lettres d'or, sur tous les lieux où leurs alors un juge qui descend de son tribunal
regards pourraient se porter. pour prêter le collet à l'accusé.
Le génie de César et celui de Charlema- Louis XIV, élevé par une reine espagnole
gne, le génie de Charles le Sage et celui de et par un prélat italien, prit de l'une cette
gravité qui sied aux rois, et qui manques France ] des camps de paix c'était un spec-
souvent à la légèreté française;: il prit deî tacle t plutôt qu'un moyen, d'instruction il
l'autre cette réserve dont les rois ne sau- vaut mieux alors laisser le mililaiceà sa
raient se passer, et qui ne se trouve pas garnison { et l'argent dans les coffres.
toujours avec notre franchise et notre loyau- Charles V, dit Mêzersti,. était très- retenu,
té. Aussi, il jouait la royauté, comme on mais très-constant dans ses affections. Cet
joue un rale il rapprenait' par cœur, et sal éloge ( renferme un grand sens. On voit dans
mémoire fidèle ne lui permettait pas une? la circonspection à aimer,, la
sagesse, de
faute. 11 était en scène toute la journée. l'esprit; 1 dans la constance de l'affection, la
Après lui, les rois ont voulu se délasser» sensibilité du cœur,
i 5
quitter le cothurne, pour se mêler aux spec-' La bonté, d'un roi est la justice. C'est ainsi
tateurs et venir causer dans les loges ils que c Dieu est bon. Les courtisans-, dit Mon-
ont tout perdu. t
tesquieu, jouissent des favnws du prince, et
Louis XIV, seit qu'il fât sérieux, soit qu'il ls j peuple de ses refus. Bodin observe que les
fût affable,, soit qu'il fût sévère, était tou- affaires
a de France ne commencèrent à se
jours roi; il mettait aux plus grandes cho- rétablir, r sous la fin du règne de François J*>
ses comme aux plus petites une dignité e&*
lative. Il y a eu de plus grands rois, il y a 1'on
que
q
{
e
lorsque prince devint si chagrin, que-
n'osait pas lui demander de grâces
eu de meilleurs rois, aucun souverain n'a aussi a indiscrètement que l'on faisait aupa-
jamais été plus roi. ravant,
r
Louis XI méprisait rétiquette et la di-
Urue chose qut embarrasse assez ordinal
gnité il dédaignait le respect,. lui qui com-
rement les cois; est leur religion, S'ils sont
mandait la crainte; peut- être même son
excessive popularité- entrait-elle dans ses
dévots,.
d leur cour sera hypocrite ;s'Ms ne
sont
s pas religieux, leu^cour ser-a athée. Ce-
moyens de pénétrer les hommes. la religion doit s'allier avec tous les
Henri IV paraissait oublier, l'étiquette et dpeqdiint
1
appeler la familiarité; mais d'un mot, et il devoirs et toutes ]ps professions, puisque la
n'en était pas avare, il se remettait à- sa- religion r
E n'est que l'accomplissement de tous
place, et repoussait bien loin l'indiscrétion. nos devoirs dans toutes les professions.
Un
Sa bonté était celle d'un homme ferme-, et sa
roi daitêtre religieuxparçe qu'il est-homme,
franchise celle d'un homme fin. Lorsque, plus
P religieux papee. q^'U est .roi la reli-
dans un discours au parlement, où {'abandon gion $ n'étouffe pas les passions dans l'hom-
était une adresse oratoire, ce grand homme me^mais n elle interdit au roi toute faiblesse,
et les faiblesses religieuses comme les au-
se mettait en tutelle; Ventre saint gris, di- e
sait-il lui-même, c'est avec mon épéem cUé» tres. 1 La religion est essentiellement gran<-
L'étiquette doit être conservée s elle est deur et farce, et rien n'est plus opposé à son;
fille de la prudence et même du respect. vvéritable
y esprit que les petitesses et la mN-
Un roi de France a un double écueil à nutie, n
éviter, celui d'être trop militaire et celui de Duclps remarque- que les désordres de
ne l'être pas assez, Louis
L XIV ne corrompirent pas les mœurs
Un roi personnellement trop militaire d de la natiop, et que ceux du régent les per--
courrait le risque de jeter tout d'un côté ddirent. On n'imitait pas l'homme qui était
une nation naturellement guerrière et d'al*p tc tout roi, on imita le prince qui était tout
térer ainsi l'esprit de la constitution, qui homme.
Henri 111 avait une dévotion fausse et su-
est l'accord de la justice et de la force mais
s'il ne l'est pas assez, il devient étranger à perstitieuse
P' il avait des mignons, et faisait
l'armée; le soldat ne le connaît plus que des d' processions la corde au cou.
par une paye modique et une discipline sé- Louis XIV avait, malgré ses désordres,,
vère; il peut en résulter, et il en a résulté u; une piété sincère, mais peu éclairée il lais-
en France, les plus grands malheurs. Depuis sait, se sur la fin de sa vie, diriger le roi par,
que nos rois n'ont plus de connétable, ils a ceux qui ne devaient diriger que l'homme..
doivent, comme disait Charles IX, porter Le plus parfait modèle d'un roi, car saint
leur épée eux-mêmes, voir souvent le mili- Louis L est un modèle inimitable, est Char-
taire, s'occuper de la profession, et connaî- le les V, ditLeSage. Jamais prince, dit Hé-
tre les individus (chose très importante nault, n< ne se plut tant à demander conseil, et
pour un roi).À On formait quelquefois en ne ni se laissa moins gouverner que lui. Eprouvé-
par l'adversité, il succéda au règne le plus que l'administration n'éprouve aucun chan-
désastreux, et eut a réparer des désordres gement, un chef a le temps de songer à en
qui semblaient irréparables. perfectionner toutes les parties, -et le subal-
Louis XVIII, malheureux comme lui et pi us terne trouve les moyens d'abréger son tra-
que lui) a bien d'autres obstacles à vaincre, vail. L'expédition devient plus facile, parce
d'autres malheurs à réparer. Une plus grande que l'homme,toujours occupé des mêmes dé-
gloire lui est réservée et la postérité, en tails, devient plus expéditif, et que le même
rapprochant les temps, comparera les rois, homme peut être chargé d'un grand nombre
La France, selon un homme d'esprit, n'é- d'objets.
tait ni une aristocratie, ni une démocratie* Un autre moyen, et le plus efficace, de
mais une bureaucratie. On peut en dire au- simplifier l'administration, est d'en écarter
tant de tous les Etats modernes. Cette manie l'arbitraire. Quand celui qui demande ne
bureaucratique s'est glissée jusque dans le sait pas jusqu'où il peut demander, ni ce-
militaire: des commandants de corps, des lui qui accorde, jusqu'où il doit accorder,
officiers supérieurs ne sont occupés qu'à il en résulte une multitude de tâtonnements»
faire ou à signer des états de situation. de négociations et d'arrangements, qui pren-
Cette fonction absorbe l'homme, rétrécit nent beaucoup de temps à l'administrateur,
l'esprit, et l'extrême attention sur les cho- et tournent toujours au détriment de ia
ses n'en permet presque plus sur les hom- chose publique.
11 èsi difficile de tracer des
règles fixes
mes. Le petit esprit et la manie des détails
avaient gagné, en France, au point qu'un pour le choix de ceux qui doivent remplir
jeune militaire pouvait, sur la fabrica- les premières places de l'administration la
tion du pain, la coupe des chemises, et règle générale est de choisir le moins pos-
l'économie d'un ordinaire, faire des lèçdns sible, et de choisir sur le plus grand nom-
à la maîtresse de maison la plus habile. La bre possible. Trop souvent en France on
bureaucratie tenait d'un côté à la corrup- faisait le contraire on multipliait, par des
tion des hommes, parce qu'on ne croyait déplacements' fréquents, les occasions de
pas pouvoir prendre assez de précaution choisir, on choisissait toujours autour de
contre leur improbité réelle ou présumée soi, lorsqu'il eût été avantageux de cher-
de l'autre, elle tenait au goût pour le plaisir cher plus loin. Le gouvernement ne doit pas
et au petit esprit, symptômes infaillibles de oublier que, dans une société constituée,
la dissolution d'un État. Les hommes de un ministre, même sans talents, fera plus de
plaisir aiment (e grand nombre de sous- bien ou moins de mal eh quinze ans d'admi-
ordres qui favorisent leur paresse, et les nistration, que n'en feront dix hommes su-
petits esprits aiment les divisions minutieu- périeurs qui se succédèrent au ministère,
ses qui soulagent leur faiblesse. II y a long- da-ns le' même espace de temps. Quant aux
temps qu'on a dit que la minutie était h su- hommes sans vertus, ils né sont bons à rien,
blime de la médiocrité; les gens très-soi- absolument à rien, qu'à hâter les révolu-
gneux, qui sont assez souvent des gens très- tions. On a remarqué que Louis XlV ne
médiocres, mettent tout chez eux par petits prenait pour ministres que des gens de
tiroirs. robe. Les affaires n'en allaient pas plus mal
Je ne suis pas éloigné de croire que la parce que l'homme de robe est plus appli-
perfection de l'administration et le (aient de qué, plus étranger aux personnes par sa
l'administrateur sont en raison inverse du profession, plus constant dans les choses
nombre des bureaux et des sous-ordres. par ses habitudes. Un homme de robe chargé
Il faut de l'ordre sans doute, et il en faut de détails militaires suit à la lettre les or-
plus à mesure qu'une administration est donnances, mais il n'en fait pas, parce qu'il
plus étendue mais l'ordre est plutôt la réu- n'est pas du métier.
nion d'objets semblables, que la séparation D'ailleurs il est plus conforme à l'esprit
d'objets différents. L'ordre est la table des de la constitution que les fonctions admi-
matières mais si la table des matières est nistratives ne soient pas entre les mains d«
aussi volumineuse que l'ouvrage, le lecteur la noblesse militaire
n'y gagne rien. Le cardinal de Richelieu dit quelque part
Ge qui simplifie extrêmement l'adminis- qu'il ne faut pas se servir, dans les affaires,
tration est l'invariabilité. Il faut un nouvel de gens de bas lieu ils sont trop austères et
ordre pour des objets nouveaux mais lors- trop difficiles. Montesauieu, qui suppose
apparemment que ce fameux ministre n'aa vertu ne devait être confiée qu'à des gens
tien dit que de sage, et n'a rien fait que d'u- sans morale et sans principes. Si cela est
fait, sur ce texte immoral, un commen-
taire qui ['est bien davantage, et où l'onn
L-
ainsi, il y a certains Etats, en Europe, qui
doivent être parvenus à un haut degré de
'retrouve ses préjugés politiques. « S'il see prospérité; car on a-vu quelquefois, à la
trouve, dit-il, quelque malheureux honnêlee tête de leurs affaires, des gens 'qu'on ne
homme, le cardinal de Richelieu, dans soni peut. pas accuser d'être trop austères et trop
Testament politique, insinue qu'un monar- difficiles.
que doit se garder de s'en servir. Tant il estt On peut obtenir des succès par le crime
vrai que la vertu n'est pas le ressort de cee mais la prospérité d'un Etat comme le
qouvernement~l » De là beaucoup de gens ontt bonheur.de l'individu, ne peut être le fruit
conclu que les affaires publiques ne pou- que de la vertu; et il ne faut pas plus con-
.vaiènt pas, sans danger, être entre les.mains j
fondre les succès d'un ministre avec la pros-

'.
3 i
d'un honnête homme, et que l'administra- périté
] d'un Etat, qu'il ne faut :confondre
tion d'un Etat, c'est-à-dire la fonction dei le
] bonheur d'un homme avec sa fortune.
conduire les' hommes au bonheur par lai

ADMINISTRATION PARTICULIÈRE.

SECTION PREMIÈRE. – ADMINISTRATION INTÉRIEURE.

CHAPITRE PREMIER. arrêter ou prévenir les actes extérieure,


Comment le pouvoir politique peut-il ré-
ADMINISTRATION RELIGIEUSE.
primer, dans les ministres de la religion,
Revenons aux principes. les actes extérieurs nuisibles à la société
le religieuse? Par les lois dont il protège
Le pouvoir de la société religieuse, ou de
la religion, réprime les volontés dépravéeses l'exécution. Comment peut-il le prévenir?
de l'homme, comme le pouvoir de la société té Par le bon choix des ministres de la reli-
politique réprime les actes extérieurs de ces
es gion.
mêmes volontés. CHAPITRE Il.
Le pouvoir religieux réprime les volontésés
dépravées qui tendraient à détruire dans la DU CHOIX DES PREMIERS MINISTRES DE LA RE-
société le pouvoir politique. Le pouvoir po- j_ LIGION, OU DES ÉVÉQUES.
litique doit réprimer les actes extérieurs rs Pour garantir la bonté d'un choix, il faut
qui tendraient à anéantir dans la société le quatre conditions 1° l'éducation du sujet
pouvoir religieux. 2° la présentation 3°le choix 4° la confir-
Ainsi le gouvernement doit protéger la mation ou approbation c'est-à-dire qu'il
religion, parce que la religion, défend le faut que le sujet soit élevé pour la profes
gouvernement. sion qu'il doit exercer, présenté par ceux
La société religieuse, ou la religion pu- i- qui peuvent le connaître, choisi par celui
blique, est, comme la société politique 1 qui peut le distinguer, agréé, confirmé ou
comme toute société, composée d'hommes )S approuvé par celui duquel il dépend dans la
et de propriétés. hiérarchie de la profession à laquelle.il se
Le pouvoir politique doit donc protéger ir destine-
les hommes de la religion, ou ses ministres, s, Examinons les différents degrés par les-
et les propriétés de la religion, les
contre !S quels l'homme passe avant de parvenir à une
actes extérieurs qui tendraient à nuire aux x fonction sociale.
uns ou aux autres. » La famille présente l'homme à la société
Mais les ministres de la religion sont it la société le reçoit, s'il est sain de corps et
hommes, et ils ont, en cette qualité, des vo- d'esprit, et lui donne l'éducation générale
lontés dépravées que la religion doit répri- ou sociale.
mer, et dont le pouvoir politique doit.t La société, à son tour, le présente aux*
différentes professions une d'elles le re- L devoir de la compagnie, l'intérêt, du
Le
çoit et lui donne l'éducation particulière de souverain
s( Pontife, sont de céder à la volon-
ia profession. té générale exprimée dans les formes pres-
La profession présente tous les sujets crites
ci les droits les devoirs, les intérêts,
qu'elle a élevés, au pouvoir général de la tout
te s'accorder
sociétéou à ses délégués, pour choisir parmi Je reviens aux fonctions religieuses.
eux celui qui convient le mieux à l'emploi L'Etat ainsi que l'Eglise distingue deux or-
L
vacant. dres dans la hiérarchie ecclésiastiques l'or-
d
Lorsque toutes ces conditions sont rem- dre épiscopal et l'ordre sacerdotal,
d
plies, le monarque ne peut pas faire un Le choix des curés est moins important
mauvais choix, s'il choisit par un acte de la pour l'Etat et pour l'Eglise que celui des
p
volonté générale car le pouvoir conserva- é
évoques et le choix des évêques est le plus
teur de la société prend nécessairement les important de tous les choix, parce que la
il
moyens les plus propres à assurer la conser- religion
ri publique est la première et la plus
vation de la société. importante des lois fondamentales de la so-
il
Mais si l'éducation sociale est imparfaite, ciété
c civile.
ou s'il n'y a pas d'éducation sociale, si Cette vérité, démontrée par le raisonne-
l'homme pouvoir met sa velouté particulière nment, a été prouvée on France par
les faits.
h la place de la volonté générale dont il est Comme le choix d'un évêque est le plus
l'agent, les choix pourront être défectueux; iimportant de tous les choix, son élection est
ils doivent donc être soumis à une appro- soumise
s à un plus grand nombre de forma-
batiôn ou confirmation qui diffère comme lités.
1
les fonctions du sujet élu et les modifica- La société fait des hommes sociaux; la
tions du pouvoir élisant. religion
r fait des prêtres les évêques nom-
Dans l'administration religieuse, le mo- rment parmi eux des coopérateurs, sous le
Barque est pouvoir de protection il renvoie r
nom de vicaires généraux le ministre des
le sujet élu devant le chef des ministres de affaires-ecclésiastiques,
a qui est toujours un
la religion, dont la confirmation ou l'ap- éévêque, présente au roi plusieurs vicaires
probation est nécessaire, parce qu'il est dans généraux,
g pour choisir parmi eux celui
la nature des fonctions, que le chef con- qui
c doit remplir le siège vacant; le roi choi-
naisse et approuve le choix de ses subor- sit
s le Pape confirme. Assurément, s'il s&
donnés. 1.
f 'de mauvais choix, la faute en est aux
fait
Dans l'administration judiciaire, le mo- hommes
1 et non aux institutions.
narque est pouvoir d'exécution il renvoie Mais si les supérieurs de l'éducation ec-
le sujet élu devant le tribunal auprès du- clésiastique
c ne sont pas assez sévères, dans
quel il doit exercer ses fonctions car ce le 1 choix des sujets qu'ils admettent aux
tribunal est un corps qui doit connaître et ffonctions sacerdotales mais si les évêques
s décident dans je choix de leurs
coopéra-
approuver le choix de ses membres. se
Dans l'administration militaire, le mo- teurs
t par d'autres convenances que par des
narque estpouvoir de direction; il ne doit convenances
( d'Etat; mais si le ministre ec-
demander à aucun autre pouvoir l'approba- clésiastique
( n'est pas toujours libre dans le
tion des sujets qui sont l'objet de son choix. ehoix
E des sujets qu'il présente au monar-
Mais, comme dit Montesquieu il n'y a pas que, c alors le choix du monarque peut tom-
de pouvoir si absolu qui ne soit borné par ber t sur des sujets peu capables de remplir
quelque coin. L'opinion publique, à défaut avec£ fruit cette éminente fonction.
de tout autre pouvoir, approuve les choix Or, on pourrait citer des exemples de tous
militaires que fait la sagesse ou rejette ceux ces
t abus, et particulièrement du dernier. Le
que fait la faveur. ministre
r de la feuille ecclésiastique n'était
Le souverain Pontife peut-il refuser de pas 1 toujours libre dans les choix; et non-
confirmer le choix d'un évêque, ou une seulement
s il ne l'était pas, mais il ne pou-
compagnie d'enregistrer les provisions d'un vait
i pas l'être 10 parce qu'il était seul à ré-
magistrat nommé par le roi? Le droit et le sister
s aux passions de tous; 2° parce qu il
devoir de l'un et de l'autre sont de repré- était
( à la cour, c'est-à-dire là où il ne devait
senter l'inconvenance d'un mauvais choix pas être car il est dans la nature des fonc-
le devoir du roi est de déférer à des repré- tions
t épiscopalesqu'un évêque soit dans son
sentations fondées sur des motifs légitimes. diocèse
( et il est dans la nature des abus
qu'un abus en produise une infinité d'au-
i- n'y
i a aucune raison d'affaires, de santé, de
treSi famille,
i qui puisse dispenser de, cette loi;
II Serait, ce nie semble, avantageuxque le car
< un évêque n'a d'affaires que dans son
la présentation fût faite au rai par un conseil
:il diocèse*
( de santé que pour son diocèse, ni
d'évêques; et comme il ne faut pas déplacer er de c famille que ses diocésains.
les évêques1, ce conseil serait naturellement nt L'absence de l'évêque de son diocèse»
celui des évêques cosuffragants du siège va- a- hors
I les besoins de l'Eglise' en général,; ou
«an'l, présidés par leur métropolitain ou par îr duc clergé en particulier, est un acte exté-
le plus ancien de siège, d'âge ou d'épiscôpat.:t. rieur
r d'une voIoMé dépravée, que le pouvoir
Ce côaseil présenterait au roi un certain in politique
1 doit réprimer; elles lois civiles,
nombre dé candidats^ le roi choisirait, le eh e France, obligeaient, comme les lois ca-
Pape confirmerait le choix. noniques,
r lés évêques à résider dans leurs
Ainsi la présentation serait faite par ceux ix diocèses.
e
qui peuvent le mieux connaître les qualités 5s Mais si le pouvoir politique doit faire ob-
qu'exigent les fonctions -épiscopales et les ïs server
s la résidence, il ne doit pas la rendre
besoins du siège vacant. impossible,
i ea conférant à des évêques des
Je ne parle point des élections usitées au- t- fonctions
fi incompatibles avec la résidence.
trefois dans la nomination des évêques, for- ?- Unl évêque hors de son diocèse, ou hors de
me à laquelle les novateurs ont .essayé de s fonctions, est un homme déplacé c'est
le ses
revenir; on peut lire dans le président Hé- 5- unu commencement de révolution, puis-
nault les remarques judicieuses qu'il fait sur îr qu'une
q révolution est un déplacement d'hom-
la pragmatique et le concordat. Ce sage éèri* i- mes
n et de fonctions. Aucune raison d'Etat
vain prouve que, pour l'intérêt dé la religion ln nen peut, au moins dans |Ies temps ordinai-
et de l'Etat, le roi doit nommer aux évèçhés r justifier le déplacement caries services
es res,
et qu'il jouissait de ce droit, ou qu'ii éxer- v- d'un
d homme né peuvent compenser le.pré-
çait ce devoir sous les deux premières races* s. judice
ji que cause la société l'infraction
Il suffira, à la manière dont j'envisage .mon n d'une
d loi. Une société constituée ne peut
sujet, d'observer que les. peuples pouvaient it avoir besoin, pouf se conserver, d'enfrein-

.
a
élire leurs évêques lorsque les besoins de le dre
d une loi, puisqu'elle: ne peut périr que
la religion ne demandaient dans ses pre- par p1~ l'infraction des JoisI
miers ministres que la piété mais aujour- r--
d'hui là religion attaquée exige dans ses dé- § CHAPITRE III.
fenseurs la science jointe à la piété, il est st
dans la nature des choses que le pouvoir de CHOli
CHOIIÉ DES CUBÉS.It Éé.

'jj
e
l'Etat choisisse-* sur la présentation de ceuxx e JI faut, ayons-'nous dit, Pour garantir la
qui peuvent à la fois connaître la vertu duu bonté d'un choix, l'édueatfôri,- la présenta-
sujet et juger de sa science. tion, le choix, l'approbation. Toutes ces con-
li
A mérite égal, le foi doit choisir dans une e dditions s-e trouvent également remplies dans
famille sociale le
}( choix des seconds pasteurs.
i° Parce que le sujet a reçu nécessaire- " L'éducation ecclésiastique a fait dés pré-
ment l'édUGâtion sociale; tres
ti puisqu'ils sont prêtres, ils doivent
2° ParGê qu'il est da»s la nature qu'il se e être tous aptes à en remplir les fonctions
trouvé plus d'attachemeut à la société dans IS \( religion les présente ètt les consacrant le
la
une famille vouée spécialement sa défense prédécesseur
p choisit l'évêque approuve.
« 11 est, ditHénault, extrêmement important ll Le prédécesseur choisit 1° parce qu'il
pour la sûreté du royaume que les rois choi- connaît mieux que personne les besoins dee
Cl
sissent ceux dont la fidélité leur est connue, !>
Sj paroisse; â" parée qu'il peut mieux con-
sa
et dont les talents s'étendent non-seulement lt naître
n qu'un autre les qualités du sujet.
aux choses.de la religion, mais encore auu L'évêque approuve, parce qu'il doit con-
maintien de la pan et de l'ordre publie. » naître n ses coopéraleurs, et que les pasteurs
Dés que i'évêquë est nommé, il a des de- s- d second ordre ne peuvent tenir que du
du
voirs à remplir dans son diocèse; il n'a dee premier
p pasteur le droit d'exeréer leurs
devoirs à remplir que dans son diocèse, et }t fonctions.
fi
des devoirs qui ne peuvent être remplis quee Je maintiens donc la résignation ou la dé-
psfiui. mission
n en faveur d'un sujet désigné, comme
De là suit la nécessité de la résidence. Il11 Je li moyen le plus conforme à la Constitution
de l'Etat,, et par conséquent le plus propre à avilirait aux yeux des peuples les ministres
procurer de bons choix. En effet, ce moyen et la ministère.
assure, humainement parlant, la perpétuité Personne ne peut mieux connaître les be-
du rain-istère ecclésiastique, en faisant en soins de la paroisse que celui qui l'a longr
quelque sorte- des familles sacerdotales, temps gouvernée, ni les qualités du sujet
comme il y aune famille royale et des fa^- que celui qui lui a donné presque toujours
milles militaires et sénatoriales. la première éducation, et sous les yeux du-
Un bénéficier élève son neveu, son frère, quel il a souvent exercé ses premières fonc-
son parent dans l'état ecclésiastique; et la tions.
famille, à laquelle la religion ne défend pas Après tout, si un parent prévenu fait un
tous motifs temporels, voit avec plaisir un mauvais choix, la faute en est à l'évêque
enfant prendre un état qui lui assure la con- qui a fait le prêtre ou qui approuve le
sidération et la subsistance qu'on ne parle curé.
pas de vocation très-peu d'hommes nais- Si le curé doit choisir son successeur, à
sent avec une disposition particulière pour plus forte raison il doit choisir ses vi-
un état déterminé. caires.
ta plupart des hommes naissent indiffé- Il faut donc conserver ou établir la rési-
rents à tout ce que lasociété veut faire d'eux. gnation (l).
Les hommes à qui la nature a donné un bon Je dis établir; car, lorsque la collation est
esprit, un cœur sensible et un corps robuste, faite par des corps ou des individus ecclé-
sont capables de remplir, avec une égale dis- siastiques, pac des corps ou individus sécu-
tinction, les fonctions les plus opposées. liers, il y a nomination, mais il n'y a pas de
Peut-on croire que Bossuet eût été, dans la choix; parce que les premiers ne peuvent
carrière des armes, un homme médiocre, ou pas connaître les besoins de la paroisse, et
que Fénelon n'eût pas rempli avec succès que les seconds ne peuvent connaître ni les.
cella des négociations ? besoins de la paroisse, ni les qualités
Il se fait donc, dans les familles, des ha- qu'exige la profession.
bitudes de vocation ecclésiastique, qui ne On m'alléguera des droits j'opposerai
sont pas pour cela, dans l'individu, des vo- l'intérêt de la religion, celui de l'Etat, la
caHms d'habitude; et dans ces familles bour- constitution, la nature des choses et quel
geoises si respectable*, qui cultivent elles- est le laïque chrétien, qui puisse être jaloux
mêmes leur antique propriété dans la sim- du droit de conférer l'administration d'une
plicité de la vie chamoêtre, l'état ecclésias- paroisse?1
tique devient héréditaire comme les bonnes Si le prédécesseur n'a pu m voulu rési-
mœurs, l'économie, l'attachement à la reli- gner, alors les grands vicaires du diocèse
gion et au roi. se trouvent naturellement substitués à ses
Si l'on ne peut détruire dans l'homme, droits; ils choisissent, et l'éyêque ap-
même le plus modéré, le désir de dominer proute.
ou de s'élever au-dessus des autres, les dé- N'est-il pas dans la nature des choses que
marches faites dans cette vue, criminelles les paroissiens choisissent leur curé? Com-
peut-être aux yeux de Dieu, seront sans me il est dans la nature des choses que les
reproche aux yeux des hommes, lorsque enfants choisissent leur précepteur, les ae-
adressées à un oncle, à un frère, à un pa- cusés leur juge, et l'ennemi le général qui
rent, elles prendront l'apparence de la re- lui est opposé. Le curé ne peut être nommé
connaissance ou d'une affection naturelle ·. que par ses confrères ou par le peuple, par
au lieu que, si on laissait la présentation l'évêque ou par son prédécesseur. On vient
des curés aux cvirés de l'arrondissement, de voir l'inconvénient de la nomination par
comme j'ai laissé la présentation des évêques les curés, et l'absurdité de la nomination
à ceux de la province, il-serait à craindre faite par le peuple. Le choix fait par l'évo-
que le défaut d'éducation et de tact ne don- que n'aurait pas de moindres abus; et l'on
nât quelquefois à des démarches, peut-être verrait les mêmes intrigues pour obtenir les
désintéressées, un caractère de bassesse qui bénéfices à charge d'âmes, que celle qu'or.

{ 1 ) t La résignation, qui pouvait obvier à que.- aux progrès de leurs connaissances en administra-
ques amis, mais qui établissait pour un ministère tion. > (Législation primitioe. Traité Du minisl, pu-
fpirituel une succession un peu trop séculière, ne
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peut –*– *la
.-– convenir
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convenir
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voyait à !â cour pour obtenir des bénéfices dépouillée de ses propriétés, si elle n'oppo-
simples. Ces intrigues, plus aperçues dansi sait ses priviléges à l'activité .de l'intérêt
de petites villes, en seraient plus scandaleu- personnel.
ses. On peut voir dans les histoires les abusi 2° La régie: elle doit être laissée au clergé,
énormes des élections qui'se pratiquaientt parce qu'il est dans la nature que la régie
autrefois il ne reste donc que la nominationî soit mieux faite par le clergé que par tout
par résignation. autre. Le propriétaire est le plus intéressé
La résignation présentait des abus sont au succès de la régie donc il est le régis-
succès ne doit pas dépendre de l'activité5 seur le plus habile.
d'un banquier, ni de la diligence d'un cour- 3° La distribution: elle a quatre objets: 1*
rier. La nature de la société établit le prin- l'éducationecclésiastique; 2° subsistance des
cipe, l'homme y ajoute ses erreurs. ministres 3° frais et entretien du culte k°
Il y avait, ce semble, dans le gouverne- secours pour la faiblesse.
ment intérieur des diocèses, quelques abus 1° Il faut pour l'éducation ecclésiastique
qui venaient des hommes, et non des insti- un corps et un corps unique, comme pour
tutions. Par une disposition commune eni l'éducation sociale. Tout ce qui doit êtreper-
France à toutes les autorités, et dont je par- manent quant au temps, universel quant aux
lerai en son lieu, le supérieur cherchaitt lieux, uniforme quant aux personnes, ne
peut-être à abaisser l'inférieur, et celui-cii peut être confié qu'à un corps. Si l'éduca-
cherchait à se soustraire à son supérieur. Il1 tion ne peut être entièrement gratuite, elle
faut que le curé jouisse,chez son évêque de» doit être proportionnée aux facultés de la
la considération due à ses fonctions, et quej classe moyenne des citoyens.
l'évêque. jouisse, sur les ministres subor- 2° On s'occupait, en France, à augmenter
donnés, de l'autorité de son caractère et de3 la portion congrue des curés et vicaires.
sa place. Il ne faut pas qu'un curé soit un homme
L'éducation sociale et l'éducation ecclé- opulent mais il faut, bien moins, qu'il soit
siastique préviendront les abus. Il y a des au nombre des nécessiteux de sa paroisse.
tribunaux ecclésiastiques ou civils pour pu- Le respect pour soi-même et pour les bien-
nir les délits. séances de son état, la bienfaisance, l'hospi-
talité, tout ce qu'il y a de bon et d'utile
CHAPITREIV tient à une honnête aisance. On ne peut
rien fixer à cet égard les besoins varient
T)ES PROPRIÉTÉS RELIGIEUSES.
avec les paroisses, et le prix des denrées,
Je suppose qu'on rendra à la religion, eni avec les provinces. La portion congrue doit
France, ses propriétés et toutes ses proprié-i- être fixée en denrées, pour n'y plus revenir,
tés, et qu'on tie les usurpera pas dans lee et payée à la volonté du bénéficier en ar-
reste de l'Europe. gent ou en denrées. Au reste, quelque ma-
Il ne faut pas que la perpétuité de la re- nière que l'on adopte, il faut que.le minis-
ligion publique dépende, dans une société, tre chargé des intérêts spirituels de la
d'un arrêt du conseil, d'une insurrectioni paroisse ait le moins possible d'intérêts
populaire, ou de la générosité des particu- personnelset temporels à démêler avec ses
liers. C'est fait de la religion publique ena paroissiens. Il est surtout nécessaire d'assu-
Europe, si elle n'a plus de propriétés; c'est,t rer des pensions alimentaires aux ministres
fait do l'Europe, s'il n'y a plus de religioni <Sg£s ou infirmes car il ne faut pas réduire
publique. La religion publique est une so- à l'aumône le résignataire pour faire vivre
ciété constituée donc elle doit être indé- le résignant.
pendante, donc elle doit être propriétaire.i. 3° Un objet trop négligé, dans les cam-
Dans la propriété religieuse, je distinguee pagnes surtout, était l'entretien du culte.
trois choses la protection, la régie, l'em-i- Les yeux étaient révoltés de l'état de mi-
ploi 1° le pouvoir politique protége, et l'onn sère et de nudité d'un grand nombre d'égli-
aperçoit le motif des justes prérogatives ;s ses et il y avait au moins de J'inconve-
dont jouissent les propriétés ecclésiastiques;s nance qu'un décimateur opulent ne voulût
dans les affaires contentieuses. pas meubler,. avec décence, la maison de
Je sais, mieux que personne, que ces is Dieu, lorsqu'une paroisse pauvre faisait
priviléges sont onéreux au particulier; maisis construire, quelquefois avec luxe, la mai-
je sais aussi que la religion serait peu à peuu son du curé.
Simplicité pour le particulier, faste pour la plus atroce et aux tentations les plus sé-
le public; dans toutçe qui a rapport an culte duisantes.
religieux, on n'en fera jamais trop, parce 3° La religion protége la faiblesse de la
qu'on n'en fera jamais assez. condition elle, instruit le peuple, assiste
Le gouvernement doit surveiller eet objet l'indigent, soulage l'infirme, console ]e mal-

et
avec d'autant plus d'attention, qu'il ne lui heureux, et n'abandonne pas même le mal-
en coûte que de surveiller. fâiteur que la société politique rejette de
Pour une religion persécutée, une som- son sein. Elle va jusque chez les barbares
bre caverne est un tempie magnifique: la na- délivrer amener le sauvage au
ture renforce le sentiment à proportion des christianisme et par conséquent à la civili-
efforts que l'homme fait pour le détruire sation.
mais quand la religion est tranquille, la Tous ces emplois sont de l'essence de la
nature laisse aux choses leur cours ordi- religion, et l'objet de la donation des biens
naire, elle rend aux sens leur fonction na- qu'elle possède. Ces biens n'appartiennent
turelle, celle d'éveiller le sentiment. pas au clergé, bien moins encore à la nation;
1° Les biens de la religion sont destinés ils appartiennent à la religion, ils appartien-
à secourir la faiblesse. nent à la société civile, c'est-à-dire, à la
La faiblesse de l'homme est celle de l'âge, société religieuse et à la société politique
du sexe et de la condition. ensemble; c'est tout à la fois une profanation
1* La religion protége la faiblesse de l'en- sacrilège, et une interversion absurde, gue
fant, par l'éducation sociale et par consé- de les faire servir de gage à d'infâmes usu-
quent religieuse qu'elle lui donne. Je l'ai riers, ou d'hypothèque à d'avides capita-
déjà dit l'éducation publique a été, dans listes.
l'origine, le motif d'un grand nombre de Périssent tous les engagements de l'Etat,
fondations pieuses; et cette destination in- s'il faut, pour les maintenir, dépouiller la
téresse la religion comme l'Etat, puisqu'en religion 1 Préférer à l'intérêt de la religion
contribuant à l'éducation des enfants, la re- ce qu'on appelle le crédit de l'Etat, dans une
ligion se prépare des ministres. société qui ne devrait peut-être pas en con-
2° Elle protége la faiblesse du sexe, en naître le nom, est une spéculation de ban-
offrant des asiles aux jeunes personnes que quier, une combinaison d'athée, et non la
leur goût pour la retraite, la modicité de politique d'un homme d'Etat.
leur fortune, les torts de la nature et de la On ne manquera pas de me dire que tous
société, les fautes de conduite ou les défauts les ecclésiastiques ne faisaient pas de leurs
de caractère, éloignent du mariage. biens l'usage que la religion voulait qu'ils
La nature fait naître les deux
sexes en en fissent; et ceux qui le relèvent avec le
nombre égal; mais la société politique les plus d'amertume ne sont pas toujours ceux
consomme inégalement. Il faut donc pour le qui font de leur fortune l'usage le plus con-
bonheur et la perfection de la société civile forme à la morale, et le plus utile à la socié-
que la société religieuse rétablisse un équi- té. C'est un abus sans doute; mais si la re-
libre nécessaire aux mœurs, et qu'elle offre ligion ne peut pas réprimer, même dans ses
une retraite aux personnes du sexe qui ne ministres, toutes les volontés dépravées,
veulent pas du monde, ou dont le monde ne c'est à l'administration à en empêcher les
veut pas. Dans les pays où il n'y a point actes extérieurs, en faisant des biens ec-
d'asiles religieux pour les personnes du clésiastiques une distribution éclairée et
sexe, la loi, pour prévenir de plus grands surtout en en prévenant l'accumulation dans
désordres, consacre le libertinage en autori- les mêmes'mains.
sant le divorce ou là polygamie. Je n'ai point parlé des bénéfices simples,
Ces asiles deviennent utiles, sous d'autres
ou de ceux qui n'obligent celui qui en est
points de vue, à la société. Ils servent à pourvu à aucune fonction publique.
l'éducation des jeunes personnes, à la di- Je ne comprends donc pas, sous la dé-
rection des hôpitaux, au soulagement des nomination de bénéfices simples, les cano-
infirmes et des indigents il n'est point de
destination utile qu'on ne puisse donner à
nicats qui obligent à la prière publique.
1° La prière publique est de l'essence de
des corps qui font tout par esprit de religion, la religion chrétienne.
et dont la piété héroïque a résisté avec le 2° Les chanoines, conseil né de l'évêque,
rare courage de la patience à la persécution ajoutent, par leur présence et leurs fonc-
tions, à la majesté du culte dans les églises la femme adultère, réprouve le pharisien
épiscopales; et il est utile à la religion que superbe. L'histoire de la révolution deFranea
fournit de nouvelles preuves à une vérité
les cérémoniesreligieuses soient faites, avec
pompe, dans toutes les églises, et principa- dont la démonstration est fondée sur là con-
lement dans les anciennes basiliques, pre- naissance approfondiedu coeur humain. La
miers monuments de la piété de nos pères, religion a compté plus d'apostats parmi ceux.
preuves matérielles de leur croyance à l'exis- de ses ministres, qui, fiers d'une régularité
tence de Dieu et à l'immortalité de l'âme, et de mœurs peut-être peu pénible, se croyaient
près desquelles la jeunesse, qui se destine à d'une espèce supérieure aux autres, que
l'état ecclésiastique, est élevée sous les yeux parmi ceux qui, combattus, partagés entre
de son évoque. des penchants violents et des principes sé-
Les canonicats peuvent être des places de vères, joignaient, à la force que donne l'ha-
retraite pour les ecclésiastiques. D'ailleurs, bitude de combattre,la défiance de soi-même
tel prêtre éclairera l'Eglise par ses écrits, qui nait de l'expérience de sa faiblesse,
instruira les autres par ses discours, les édi- Les désordres particuliers pourraient être
fiera par ses exemples, les soulagera par corrigés par les conciles provinciaux, tou-
ses bienfaits, qui ne serait pas propre au jours demandés par les assemblées du cler-
gouvernement d'un diocèse ou d'une pa- gé, toujours éludés par le gouvernement,
roisse il faut, dans une société religieu- qui avait tort de les redouter; car tout ce
se, des ministres qui écrivent, qui prê- qui est utile à la religion est utile à l'Etat.
chent, qui s'adonnent au soulagement, des Au reste, qu'il soit utile ou non, après la
pauvres; je dis plus on ne peut pas sépa- révolution, d'assembler le clergé de France,
rer entièrement l'homme de toute affection le gouvernement ne saurait assez insister,
temporelle. Laissez un motif, quel qu'il soit, auprès des premiers pasteurs, sur ces deux
laissez un espoir vague et indéterminé à points fondamentaux du retour de l'ordre et
ceux qui se dévouent à une profession qui de la tranquillité. Discrétion dans le zèle,
commande tant de sacrifices. Dans de gran- uniformité dans la conduite qu'on suive la
des sociétés religieuses et politiques, dont maxime du grand Maître, de ne point briser
les besoins en tout genre sont très-multi- te roseau à demi casse, de ne point éteindre la
pliés, il faut, en quelque sorte, du superflu, mèche qui fume encore. Les esprits timides
si l'on veut ne manquer jamais du néces- laissent commencer les révolutions, les es-
saire (1). Les âmes faibles s'effrayent de prits extrêmes les empêchent de finir.
quelques désordres; il leur semble que la Le premier soin de l'administration de
religion va périr, parce qu'un bénéficier au- France doit être de rendre au Saint-Siége
ra fait de son temps ou de ses biens uni Avignon et le Comtat, et à l'ordre de Malte
usage peu conforme à son état 1 Ah! qu'ellesi ses propriétés. L'intérêt politique de la
se rassurent; la religion eût péri, dès sa nais- France s'accorde avec la justice.
sance, si les scandales eussent pu la détrui- La possession du Comtat, enclavé dans la
re. Un sentiment intérieur nous aceuse, France, fortifie les liens précieux qui unis-
lorsque les désordres de ceux que nous de- sent la France au Saint-Siège, ou facilite
Tons respecter semblentjustifier les nôtres. leur rapprochement en cas de division.Peut-
Maintenez les mœurs de la profession, ett être Avignon assure au Pape la tranquille
laissez les mœurs privées à celui qui voitt possession de Rome contre de vieilles pré-
les cœurs. Faut-il Je dire? Les sociétés reli- tentions. Quant aux propriétés de l'ordre de
gieuses ou politiques ont bien moins ài Malte, la France, d'accord avec l'ordre,
craindre les dérèglements du coeur que less pourrait venir au secours d'un, plus grand
égarements de l'esprit. Les vertus qui con- nombre d'individus de la noblesse pau-
servent la société tiennent de près aux fai- vre et militaire, sans qu'il en coûtât rien à
blesses du cœur les vices qui la détruisentt l'Etat.
sont enfants de l'orgueil; celui qui pardonneB
(1) Il n'en est pas des chapitres de France e nombre respectif des ordres, il y a beaucoup plus.
de
comme ceux d'Allemagne en France, il n'y a de chanoines du troisième ordre que du second.
que quatre chapitres nobles, y compris celui. de le Mais dans tous les chapitres, on est obligé à rési
Strasbourg dans tous les autres, les canonicats is denee, parce qu'on ne peut posséder qu'une pré-
sont possédés indifféremment par le second le
ou le bende, et qu'on ne peut être chanoine dans dcuS
troisième ordre, et par conséquent, à cause duu catlfédra-les à la fois.
SECTION II, ADMINISTRATION CIVILE.

I.e gouvernement divisait l'administration talents de leur barreau, qu'une division de


civile en justice, police et financés. Cette di- ressorts, opérée sous de vains prétextes de
vision est exacte, et comprend tous les ob- bien public, a plongés dans la langueur et
jets qui tiennent à l'administration publique. l'inconsidération. Qu'ont n'oppose pas sur-
tout l'intérêt des plaideurs; l'intérêt des
CHAPITRE PREMIER. plaideurs n'est pas celui de la société, puis-
que l'intérêt dé la société est qu'il n'y ait
JUSTICE.
point de plaideurs. Or, pour multiplier le
L'i nstitution de la magistrature en France nombre des plaideurs, il n'y a qu'à multi-
était excellente, parce qu'elle était l'ouvrage plier les tribunaux; comme pour multiplier
de la nature de la société, et le développe- les ferrailleurs, il n'y a qu'à établir partout
ment de sa constitution mais l'homme y des salles d'escrime. Une division de cha-
avait porté ses passions, et introduit des que ressort de cour souveraine en tribu-
abus. Une profession grave, austère, labo- naux inférieurs d'une juste étendue me pa-
rieuse, effrayait la légèreté de nos jeunes raît assez nécessaire, surtout dans les res-
gens; et tandis que les opinions philoso- sorts très-vastes, parce qu'on a moins sou-
phiques attaquaient jusqu'aux principes des vent recours à la voie dispendieuse de l'ap-
lois, le goût du luxe et des mœurs frivoles pel, lorsque le siége du parlement est plus
éloignait l'homme de la profession respec- éloigné. Il se termine donc plus d'affaires
table de magistrat. devant le bailliage; donc- ce tribunal doit
J'ai parlé ailleurs des lois; il ne sera être plus en état de les terminer par les lu-
question ici que de l'étendue des ressorts mières de ses juges ou les talents de ses
et de la composition des tribunaux. avocats donc son ressort doit être plus
Il n'y a aucune nécessité réelle à dimi- étendu, puisque les lumières des juges et
nuer le ressort de quelques parlements; il les talents des avocats sont toujours en pro-
serait peut-être plus nécessaire d'étendre le portion du nombre et de l'importance des af-
ressort de quelques autres, ou de créer des faires, et celles-ci en proportion de l'éten-
parlements dans les provinces qui ont des due du ressort. Je vais même plus loin, et
cours souveraines sous d'autres noms. Il la révolution a prouvé que, dans la classe
faut, dans un Etat, tenir aux mots autant des avocats, les vertus étaient en proportion
qu'aux choses car les mots rappellent des des talents; et partout les avocats médiocres
idées, et les idées sont des choses. Un tri- ont été les coryphées des nouveaux prin-
bunal suprême, appelé parlement, déposi- cipes.
taire des lois et chargé d'en faire l'applica- Cette observation est encore plus vraie à
tion, est, dans une province de France, le regardées justices inférieuresseigneuriales.
sceau de la constitution. Unité, et toujours J'ai dit ai fleurs que la manière dont la nature
unité 1 s'y prenait pour établir une loi nécessaire
C'est un mal auquel il est urgent de remé- était d'en introduire insensiblement la cou-
dier; que la trop grande multiplicité des tume. C'est ce qui arrivait à l'égard des jus-
cours bailliagères ou sénéchales ( 1 ) et tices seigneuriales. Leur ressort était trop
l'extrême division de leurs ressorts. On l'a peu étendu, et le même juge était contraint
dit depuis longtemps, les affaires font les d'en réunir plusieurs preuve certaine que
hommes, et l'on n'aura de grands magistrats la nature demandait qu'on réunît les res-
et d'habiles jurisconsultes que dans les res- sorts. Effectivement on pourrait conserver
sorts étendus où il y a beaucoup d'affaires les devoirs des seigneurs et les droits des
et de grandes affaires. On pourrait citer des justiciables, et distribuer les territoires en
tribunaux inférieurs, renommés autrefois arrondissements dont l'étendue serait cal-
par les lumières de leurs magistrats et les culée sur le nombre des justiciables.

(1) On appelle sénéchal dans le pays de la quelles le peuple ne pari© que la langue française,
tangue d'oc, ce qu'on appelle bailliage dans le pays' et dans l'aulre, la langue,particulière aux provinces
de la langue d'ogt on ôyoui. Cette division, ancienne méridionales de ce royaume
partage la France en deux parties, dans l'une des-
811 PES DE M. DE BONALD,
OEUVRES COMPLETES BONALD. 8ifc

CHAPITRE Il. t
pacité
F T'_1*-J«
àt remplir les devoirs ,l*V*rt»v»rrtA social,
_.«!«« d'homme cnninl
par son application et son aptitude à remplir
P
COMPOSITIONDES TRIBUNAUX. les devoirs d'homme naturel.
ïe suivrai, en traitant cette matière, l'or- Quand le roi a choisi, il renvoie l'élu à sa
dre naturel de la juridiction ascendante. compagnie,
c pour en être approuvé; et comme
Puisqu'il y a une place à remplir, il faut le roi n'a pas d'intérêt personnel à faire un
1<
élever, il faut présenter, il faut choisir, il faut mauvais
n choix la compagnie a un intérêt
approuver le sujet qui doit la remplir. particulier
p à la bonté du choix. Son devoir
Le sujet reçoit, dans les universités, l'é- e donc de le discuter et de faire au roi
est
ducation particulière de la profession à la- ddes représentations sur l'inconvenance d'un
quelle il se destine, et la profession présente cchoix fait par l'homme et non par le monar-
les gradués qu'elle a déclarés capables d'être que.
q Les chefs de ces tribunaux, nommés
promus aux fonctions de juge, après un également
é par le roi, sont soumis à l'appro-
cours d'études et une suite d'examens pré- bation
b des cours souveraines devant les-
paratoires. quelles
q ils prêtent serment.
A qui est-ce à choisir? Aux justiciables Les cours souveraines ou parlements
dit la philosophie; à ceux qui ne sont pas sont s composées sur les mêmes principes. La
justiciables dit le bon sens; car le juge professionr élève les sujets et les présente au
choisi par les justiciables dépendra d'eus pouvoir.
“ Le pouvoir nomme la compagnie
et dans les fonctions qui demandent l'im- approuve; a mais comme le choix est plus
partialité la plus sévère, il sera toujours important,
i puisque les cours souveraines re-
placé, au moins au dehors et dans l'opi- dressent les jugements de tous les tribunaux
nion, entre le ressentiment et la reconnais- inférieurs,
i qu'elles ont le plein .exercice de
sance. 1; juridiction criminelle, et qu'enfin elles
la
Quel est le seul individu du ressort qui sont sénat ou corps dépositaire des lois, et
s
ne soit pas justiciable du juge dans sa per- que, “ s\*us ce rapport, elles sont profession
sonne ni dans ses biens C'est le seigneur sociale;
s il est dans la nature des choses,
donc c'est au seigneur à choisir le juge car que “ celui qui aspire à exercer ces fonctions
le seigneur peut distinguer le mérite du su- augustes, fournisse au pouvoir de l'Etat
a
jet, et il n'a pas d'intérêt personnel au une x caution qu'il a rempli par son travail et
choix. Si l'on réunit les ressorts, comme je son s industrie le devoir imposé à l'homme
le propose, alors les seigneurs compris dans naturel,
r caution plus forte à proportion
l'arrondissement choisiront en commun un de d l'importance de la place. Cette somme,
juge; le devoir de chacun sera conservé, et comme c je l'ai dit ailleurs est en môme
le choix de tous sera plus éclairé. temps
t une propriété placée sur l'Etat, et au
A qui est-ce à approuver le choix? au tri- moyen
r de laquelle la profession sociale s'est
bunal qui reçoit l'appel, et qui a intérêt de élevée, suivant l'esprit de la constitution,
discuter le choix du juge, puisque sa fonc- au a rang de profession propriétaire, c'est-à-
tion est de redresser ses jugements. Aussi dire c indépendante.
les provisions de juge seigneurial sont enre- 11 faut observer ici, pour ne rien
laisser à
gistrées, et lui-même est reçu en la cour du dire c sur ce sujet important, que le roi est le
bailli ou du sénéchal. j
juge suprême, la source de toute justice,
Dans les bailliages ou sénéchaussées,le roi et E que c'est avec vérité que J.-J. Rousseau
choisit, puisqu'il est le seul individu du aa dit « Si le roi jugeait en personne, j'es-
ressort et de tous les ressorts (car le roi est timet qu'il aurait le droit de juger seul, en
l'homme universel), qui ne soit pas soumis, tout t état de cause son intérêt serait tou-
j
au moins dans sa personne, à la juridiction jours d'être juste. » Si le roi peut juger
des tribunaux. Puisque le roi choisit, il doit donc il peut choisir et déléguer ceux qui
j
(
connaître, il peut distinguer. Il connaît les jugent.
sujets, puisque la profession les lui pré- On peut remarquer, dans la composition
sente comme capables de remplir les fonc- des ( tribunaux, que la profession judiciaire
tions de juge par les études qu'ils ont faites qui c présente les sujets est la seule qui puisse
et les examens qu'ils ont subis il les dis- connaitre
( leur capacité, puisqu'elle leur a
tingue, puisqu'en offrant au roi d'acheter donné < l'éducation judiciaire qae le roi ou
une charge de judicature, le candidat fait 1le seigneur qui choisissent sont les seuls
l'rcuvo, comme je l'ai dit ailleurs, de sa ca- qui < soient dans l'état de non. intérêt et d'im-
partialité nécessaires pour garantir la bonté contraire, un rapport évident entre ceaur
d'un choix; que les compagnies qui agréent coup d'hommes simples, sans études et sans
ont un intérêt direct et particulier à discuter connaissance, et beaucoup d'ignorance, de
la bonté du choix, et que par conséquent le prévention et d'erreurs; entre l'identité des
mode de présentation de choix, d'approba- conditions, et la partialité de l'homme; entre
tion, est le plus parfait ou le plus dans la na- l'unanimité absolue que la loi exige pour la
ture de l'homme social, c'est-à-dire de la condamnation de l'accusé, et l'impossibilité
société. d'accorder beaucoup d'ignorance, d'erreurs
II me reste une observation à faire, et elle et de préventions c'est-à-dire que je vois
est décisive. La justice était mieux adminis- un rapport évident entre l'institution du jury
trée en France qu'en aucun autre pays de et l'impunité du criminel dans les temps or-
l'Europe. C'est un fait avoué par les étran- dinaires, et la condamnation de l'innocent
gers eux-mêmes. Or, cette perfection ne te- dans des temps de factions. Aussi cette ins-
nait pas aux hommes, car ils sont partout titution, conservée eu Angleterre, parce
les mêmes; elle ne tenait pas aux lois, puis- qu'elle y est ancienne, a été adoptée en
que l'Europe est régie presque partout par France,] parce qu'elle y est nouvelle; là, sa
les mêmes lois. Elle était donc l'effet de conservation est l'effet d'un respect louable
l'institution; donc elle était plus par- pour les anciennes habitudes; ici son intro-
faite, je veux dire plus dans la nature de duction provient de la manie funeste des in-
la société perfectionnée ou de la consti tu- novations. En Angleterre comme en France,
tion. elle n'a pu convenir que dans l'enfance de
Je ne puis me refusera à faire l'application la nation, et elle est l'ébauche informe et
des principes que j'ai posés, à l'institution grossière de la procédure criminelle. La na-
du jury; il est aisé de démontrer que, dans ture de la société perfectionnée la repousse;
cette institution sublime et bienfaisante, tout et depuis longtemps elle avertit l'Angleterre
est contre la nature de l'homme social, ou de la nécessité de la réformer, par le grand
contre la nature de la société. . nombre de malfaiteurs qu'elle soustrait au
Un accusé est prévenu d'assassinat, il faut supplice, comme elle a averti la France du
recueillir les preuves, peser les probabilités, danger de l'introduire par le grand nom-
entendre les témoins, discuter leur crédibi- bre d'innocents qu'elle a conduits à l'écha-
lité, confronter leurs dépositions, interroger faud.
i

l'accusé, former une opinion, juger enfin. Il La prévention de la nation anglaise pour
faut la connaissance des hommes, il faut ta toutes ses institutions, prévention qu'elle a
connaissance des lois, il faut surtout être eu l'adresse d'inspirer aux autres nations
sans intérêt. Toutes ces conditions sont réu- lui ferme les yeux sur les inconvénients de
nies dans un tribunal de juges. Leur ëduca- cette forme de procéder, qu'elle apprécie à
tion et leur choix garantissent à la société sa juste valeur lorsqu'elle la retrouve chez
la connaissance qu'ils ont des lois leurs ha- quelque
< autre peuple. «L'institutiondujun/
bitudes. garantissent la connaissance qu'ils en Suède, dit Coxe dans son Voyage de
ont des hommes leur état, leur nombre, Suède, n'est dans le fait qu'une pure forma-
leur fortune, garantissent l'impartialité de lité. Ces jurés sont si ignorants et si pau-
leurs jugements je vois ce rapport néces- vres, que la plupart suivent aveuglément
saire et dérivé de la nature des choses, entre l'avis du juge. D'ailleurs leur opinion n'est
des hommes choisis et des hommes éclai- comptée que quand ils sont unanimes, et ils
rés, entre des hommes occupés à juger les ne sont pas obligés de l'être comme en Angles-
hommes et des hommes qui les connaissent, terre leur négligence, leur nullité sont si
entre des hommes qui n'ont rien de com- notoires, i que c'est une comparaison usitée
mun avec l'accusé et des hommes sans pré- en i Suède que de dire Endormi comme un
vention. Mais s'il s'assemble un jury pourjure'. J »
prononcer sur le fait et l'intention de l'ac- Je reviens à la composition des tribunaux.
cusé, je me demande quel rapport il peut y On ( ne manquera pas de m'opposer que les
avoir entre des hommes souvent sans édu- étudiants
< en droit n'étudient pas, que les
cation et sans lettres, et la connaissance des <examinateurs n'examinent pas, que le roi
lois; des hommes simples et grossiers, et la et < les seigneurs nomment et ne choisissent
connaissance des hommes; des pairs de l'ac- pas
«usé, et l'impartialité du juge. Je vois, au ] que les compagnies agréent et ne dis-
jcutent pas; c'est la faute des hommes, dir
d'esprit ou de rang, de s'y soustraire. N'or-
rai-je, et non celle des institutions. Conser- dt
vez les institutions, redressez les hommes, donnez
do rien que de juste, mais aussi que
La révolution a fait en France le contraire, toi périsse pour que force demeure à justice.
tout
elle a corrompu les hommes et changé les La M est plus que l'homme, et la justice
institutions. plus que la société; car ia justice est Dieu
pli
Je n'ai pas parlé du conseil qui admet les mt
même.
requêtes en cassation d'arrêts des cours sou-
veraines. Le roi, chef suprême de Jaxj,us-
tiee, doit veiller à l'observation rigoureuse POLICE.
des lois et tout sujet doit pouvoir appeler
au juge suprême des fautes que ses dé- Je comprends sous ce titre 1° le régime
légués peuvent commettre contre le texte munipal
m' des communautés ou communes;
des lois. Mais si toutes les requêtes sont 2° le régime administratif des provinces
admises et tous les arrêts cassés, alors les 3° les mœurs r*° les lettres; 5° la bienfai-
corps se combattent, la justice s'avilit, les sance
sai publique.
affaires s'éternisent et la mauvaise foi
triomphe. CHAPITRE III.
On fait au roi un crime de ne pas faire de
RÉGIME MUNICIPAL DES COMMUNES.
meilleurs choix; mais à moins que la pro-
bité d'un homme ne soit déjà suspecte, ou Les officiers municipaux, ou administra-
ses talents connus, qui peut sonder l'abîme teurs
tel particuliers des communes, sont les
sans fond du eceut de l'homme, ou connaî- éléments
èh de l'administration, comme les fa-
tre la portée et la nature de son esprit?`r! milles
mi sont les éléments du corps social.
Parce qu'on voit peu de grands talents on Aussi,
Ai en qualité d'éléments, les corps mu-
suppose qu'il y en a beaucoup de cachés, nicipaux
ni sont indestructibles, et ils ont sur-
Rien de plus rare qu'un vrai talent, c'est-à- vécu en France, à peu près soùs leur forme

dire un bon esprit uni à un cœur sensible, ancienne,
an à la destruction etla recomposi-
un homme en qui le sentiment soit pensée, ti( de toutes les autorités. Us sont donc
tion
et la pensée soit sentiment. nécessaires,
né ils sont donc le dernier anneau
S'il y a quelques abus dans l'administra- de la chaîne dont ie souverain est le pre-
de
tion de la justice, ils tiennent à l'homme et mier.
m
non à l'institution. Une meilleure éducation, L'administration des communes doit-eHe
ou sociale, ou judiciaire, les fera dispa- être une ou collective?
et
raître. Mais un abus monstrueux parce Avant de répondre à cette question, il
qu'il serait contre la nature de la société, faut savoir ce que c'est qu'une commune.
fa
serait la loi souvent proposée, qui, fixant Ui commune est une grande famille, une
Une
au juge civil des honoraires, ferait payer petite
pt société, composée d'hommes de la
les frais de justice à celui qui a gagné le commune
ce et de propriétés de la commune.
procès que la mauvaise foi lui a intenté, et Donc les officiers municipaux sont les
même à celui qui ne plaide pas. La fonction pères de la famille, ou les pouvoirs de la

de juge civil regarde l'individu, et ne doit société,
se chargés ji'en gouverner les hommes,
pas être payée par la société mais la fonc- d' administrer les propriétés.
d'en
tion déjuge criminel-est sociale, parce que Donc les officiers municipauxdoivent t~tre
tous les crimes sont destructifs de la so- à la fois autorité et conseil; autorité pour
ci été. Sous ce rapport, le juge peut et doit gouverner tes hommes, conseil pour admi-
g(
même recevoir des honoraires; et il me nistrer
ni les propriétés.
semble avoir aperçu que le défaut de rétri- Donc t'administration municipaledoit être
bution, quelquefois même de rembourse- à la fois une et collective; c'est-à-dire qu'il
ment pour frais avancés, jetait de la lenteur d,
doit y aYoir un chef et tles membres. Le chef
dans 1a poursuite des délits de la part des est autorité, les membres sont conseil c'est
es
justices'royales inférieures. el petit l'administration de l'Etat, avec cette
en
Quand la loi a parlé, elle doit être obéie; différence
di que le roi est pouvoir, c'est-à-
ce qui distingue essentiellement un peuple dire, la source de l'autorité. Le chef de la
di
vertueux, c'est-à-dire, libre, est le respect municipalité
m ne peut rien sans ses membres,
pour la loi. Trop souvent on regardait en les membres ne doivent rien faire sans le
le
France comme une preuve de supériorité chef,
cl et le chef doit être plus fort de sa con
side'ratiqn personnelle que de l'autorité de l
bitants riches et considérés de la commune.
sa plaee. car
c les propriétaires riches et considérés
À ces motifs, tirés de la nature de cette sont
s ceux qui ont le plus de moyens de con-
société, on peut en ajouter un autre, pris rnaître et le plus d'intérêt à choisir des pro-
dans la nature de l'homme. Si dans les priétaires
1 riches et considérés, pour admi-
communes l'autorité était entre les mains nistrer
i les hommes et les propriétés de la
d'un seul, elle serait trop dure, parce qu'elle commune.
c
serait trop sentie, à cause que le moteur se- On me demandera peut-être, pourquoi je
rait trop près du mobile; elle finirait par fais
f nommer les officiers municipaux par les
devenir insupportable. ihabitants, tandis que je,refuse aux justicia-
Je n'ai pas besoin d'avertir que le nombre bles
1 le droit de nommer leurs juges. La rai-
des officiers municipaux doit être dans oha- son
ï de cette différence n'est pas difficile à
que commune,en raison du nombre d'horn- apercevoir.
i
mes à gouverner, et de la quantité de pro- 1° Les offices municipaux sont une simple
priétés à administrer. commissio.n,
( c'est-à-dire, un devoir auquel
Le choix des administrateurs de la corn- 1l'homme n'est soumis que pour un temps;

mune ne peut jamais être indifférent. Il de- 1les fonctions de juge, qui demandent une
longue éducation et des études préparatoi-

tion..
vient extrêmement intéressant, lorsque la 1

société échappe aux horreurs d'une révolu- Jres, sont un office, c'est-à-dire un devoir au-
quel l'homme est soumis pour toute sa vie.
Les habitants de la commune élisaient au- <

î Le juge prononce sur les plus grands in-
trefois leurs officiers municipaux. Les choix térêts
1 qui puissent occuper les hommes en
étaient généralement bons, parce que tous société les officiers municipaux ne pronon-
avaient intérêt de bien choisir, et que cha- cent
< que sur les intérêts les moins iinpor-
cun redoutait d'être choisi. Mais, lorsque tants. 3°-Personne n'est assuré qu'il ne sera
vers l'année 176. le gouvernement s'avisa ]pas traduit devant le juge comme partie ci-
de mettre les offices en vente, et que plus vile,
'< ou même comme accusé; mais tout
tard un sous-ordre choisit les officiers muni- honnête homme peut se répondre qu'il ne
cipaux, les honnêtes gens s'éloignèrent dès sera pas repris par l'officier de police comme
hôtels de ville, et ne voulurent pas ajouter délinquant.
aux peines sans nombre de la place, la sot- Ne craignez-vous pas, dira-t-on, la dureté
tise de l'acquisition ou le désagrément du du riche envers le pauvre? Non; car cette
.<
choix.. dureté est contraire à la nature de l'homme
Il faut revenir à la constitution, c'est-à- riche qui veut dominer par le bienfait
dire, à la nature des choses. mais je craindrais les. attentats du pauvre
Les fonctions d'officier municipal ne sont •< contre le riche, car ces attentats sont dans la
pas une profession, mais. une simple com- nature de l'homme pauvre, qui veut devenir
mission; il ne peut y avoir de familles mil- riche.
nicipales ni d'éducation municipale, comme Pour faire la nomination des ofliciersmu-
il y a des familles sénatoriales et une édu- nicipaux, il est de toute nécessité que les
cation judiciaire. habitants de la commune soient divisés en
Les officiers municipaux sont les pères de classes de gradués, bourgeois, marchands,.
]a «ommune, chargés d'en gouverner les artisans, comme ils l'étaient avant la révo-
hommes, d'en administrer les propriétés. Ils lution.
doivent donc être eux-mêmes habitants et Pour faire l'élection, 1° on prend sur le
propriétaires dans la commune, parce qu'il rôle des frais locaux de la commune les pre-
faut qu'ils en connaissent les hommes et les miers de toutes les classes pour électeurs
propriétés. 2° on peut prendre dans chacune des pre-
Ils doivent donc être choisis parmi les ha- mières classes un officier municipal. Au
bitants riches et considérés de la commune, moyen de cette disposition, personne n'flst
parce qu'une plus grande considération leur humilié; chaque élu est le premier de sa
donne plus d'autorité pour gouverner les classe; et ce n'est pas l'homme qui passe
hommes, une plus grande propriété leur après tel ou tel autre, mais la profession qui
donne plus d'intérêt et de moyens pour ad- passe après une autre profession.
ministrer les propriétés. Sans cette distribution de citoyens, abso-
Us doivent donc être choisis parmi les ha- lument néce&sairfi, les. électeurs ne pour-
819 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 820
raient fixer leurs choix, ni assortir les con- parce que le religieux et le civil se réunis-
venances d'âge, de parenté, d'amitié; et ils sent dans le but.
seraient exposés à choquer à tout moment 2° Elles sont incompatibles avec toute
l'amour-propre si exigeant dans les petites fonction qui demande l'absence actuelle
villes, si actif chez les petits esprits. Or, hors de la commune.
l'art de satisfaire tous les amours-propres 3° Toute autre excuse est non recevable
doit être la première étude de l'administra car on n'a pas droit à jouir des avantages de
tion. la commune, lorsqu'on ne veut pas en par-
Enfin, sans cette disposition qui fixe à tager les charges. Aucune fonction, hors les
chaque individu sa place, en assignant à fonctions ecclésiastiques, n'est incompatible
chaque profession son rang, la société n'est avetrla faculté d'élire, et tout habitant de la
plus qu'un lieu de confusion, et les villes commune peut et doit être contraint de la
un théâtre de discorde. remplir.
La nomination des officiers municipaux J'ai dit que les officiers municipaux doi-
doit être approuvée par le conseil, sur le vent gouverner les hommes de leur com-
rapport de l'administrateur suprême de la imune. La commune est une famille, dont
province, parce que l'administrateur et le les
1 officiers municipaux sont les pères. Ils
conseil doivent connaître et agréer leurs su- doivent
< former les mœurs du peuple, diri-
bordonnés dans la hiérarchie de l'adminis- ger ses habitudes, réprimer ses passions;
S
tration. donner l'exemple de l'attachement à la reli-
<
Les officiers municipaux doivent être re- gion,
i et de la fidélité au pouvoir de l'Etat;
nouvelés au bout d'un temps assez court, de maintenir
i la paix dans les familles, l'union
deux ou trois ans 1° parce que l'amour de entre les parents, l'obéissance envers les
<

la domination, qui se glisse si aisément dans maîtres, les égards envers les inférieurs, la
le cœur de l'homme, peut rendre l'autorité 1bienveillance réciproque entre les citoyens;

de l'homme même le plus modéré, fâcheuse, i doivent pourvoir à la santé, à la subsis-


ils
si elle se prolonge, à l'amour-propre de ses ttance, à la sûreté de leurs concitoyens, à
concitoyens; une commune est une petite 1l'éducation du peuple, au soulagement des

république, et elle en a les passions. pauvres:


1 il faut les entourer d'affection et
2° Des administrateurs nouvellement élus de
< resnect. II faut donc les délivrer des fonc-
ne manquent jamais, dans la première fer- ttions odieuses ae répartiteurs d'impôts pu-
1blics.
veur de leur autorité récente, de remonter
le ressort de la police, qui se détend si ai- Les officiers municipaux ne deviennent
sément dans de petites administrations où iamais odieux, lorsqu'ils reprennent avec
il faut tout exiger par l'affection, et peu par Jjustice, lorsqu'ils punissent avec sévérité
l'autorité. parce
I que l'homme même le plus corrompu
3° Si les fonctions municipales sont un avoue la nécessité du châtiment par le sen-
honneur, elles doivent être partagées'entre timent
t de sa faute mais comme lés règles
tous; si elles sont un fardeau, elles ne doi- ià suivre dans la répartition des charges pu-
vent pas peser exclusivement sur les mêmes bliques
1 sont moins fixes que celles qui font
1 distinction du juste et de l'injuste, I hom-
la
personnes.
4° Les fonctions municipales sont propres rme le plus honnête et le plus éclairé com-
à former des hommes capables des détails imet involontairement un grand nombre d'er-
d'administration: or, il est avantageux pour reurs, que le peuple, soupçonneux parce
la société, qu'il se forme des hommes capa- qu'il
i est ignorant, injuste parce qu'il est
bles, quand même le gouvernement ne dé- intéressé,
i ne manque pas d'attribuer à la
vrait pas les employer. passion
I de l'homme, et non à là préoccupa-
Les officiers municipaux ne doivent pas tion
t inévitable du magistrat.
avoird'honoraires; car des honoraires, quels Il est impossible que les officiers munici-
qu'ils soient, éveillent la cupidité et aifai- paux
r soient aimés, soient considérés, soient
blissenl la considération. utiles,
t tant qu'ils auront dés impôts à répar-
Les fonctions municipales sont incompa- tir.
t Ils doivent, à la vérilé, répartir les frais
tibles, 1° avec les fonctions ecclésiastiques. 1locaux, et il n'en résulte pas le même in-

Les ministres dé la religion ne peuvent élire convénient


c car outre que la .somnië en est
ni être élus.On ne saurait séparer avec assez j considérable, comparée à celle des con-
peu
de soin le religieux du civil dans les moyens^ tributions
t publiques, les frais locaux sont
une levée qui se fait en famille, pour des corrompu,
< parce qu'il est oisif; il a de l'es-
objets utiles à la famille entière, et dont prit i sans jugement, et de la politesse sans
tous les membres consentent ia répartition, vertus.
i L'habitant des campagnes a des prin-
parce qu'ils en voient l'emploi. cipes
c plus monarchiques, parce qu'il est lui-
Les officiers municipaux doivent adminis- même i pouvoir et chef de son petit Etat; il
trer les propriétés de la commune. J'entendssent s mieux le besoin d'une autorité tutélaire,
par propriétés communes, les édifices, lieux parce
1 qu'il est plus isolé; il est vertueux,
publics, ou établissements qui servent à parce 1 qu'il est occupé, et raisonnable parce
l'instruction, à l'agrément, à la commodité, qu'ilt est vertueux.
à l'utilité enfin de l'habitant, à la salubrité Les règles qui conviennent au régime
ou à l'ornement de la cité; tout ce qui a rap- imunicipal des communes, et dont je n'ai fait
port à ces objets intéressants doit être admi- cque développer les motifs, ne peuvent pas
nistré avec soin, construit avec solidité, je s'appliquer
s au gouvernement intérieur de
dirais presque avec une magnificence rela- ces c cités immenses dont l'administration par-
tive jusque dans les villages les plus igno- ticulière
t est intimement liée à l'administra-
rés. Partout le luxe doit être pour le public, ttion générale de l'Etat, parce que la tran-
la modestie pour le particulier. Quelques quillité
c générale de l'Etat dépend de leur
communes ont des propriétés foncières, ou ttranquillité particulière. Non-seulement les
des droits au moyen desquels elles acquit- principes
1 d'après lesquels les administra-
tent leurs frais locaux le plus grand nom- tions t des autres communes sont composées,
bre y surment par une imposition dont je ne r sont pas dans la nature de ces grandes
déterminerai les bases. communes,
c mais ils sont formellement con-
Quand on a parcouru l'intérieur des pro- ttre leur nature, parce que leurs habitants,
vinces éloignées, on ne peut s'empêcher trop t nombreux pour être assemblés, sont
d'être frappé d'un contraste qui se présente tropt étrangers les uns aux autres pour pou-
fréquemment. On voit des édifices publics, voir 'v se connaître. Dans les autres villes, il
comme ponts, églises, tours, aqued-ucs, cons- faut
f réunir, dans les mêmes mains, tous les
iruits anciennement, à grands frais et avec objetsc qui tiennent à l'administration de la
luxe, dans des communes qui ne peuvent commune, c pour augmenter la force, c'est-à-
aujourd'hui subvenir aux dépenses locales dire, c la considération de l'autorité munici-
de première nécessité, et réparer un hôtel pale dans celles-ci, il faut séparer ces mê-
de ville ou une fontaine publique qui tom- mes r objets, pour diminuer une influence qui
bent en ruine. Dans les mêmes lieux, on re- pourrait
f devenir un pouvoir, et qui le de-
marque quelquefois un luxe tout neuf de vient presque toujours dans les temps de
maisons particulières qui contraste avec le ttrouble. Cependant il est essentiel de con-
délabrement des édifices publics. On se dit sserver la modestie des noms et l'apparence
à soi-même, qu'autrefois l'Etat demandait des d formes car il ne faut pas qu'aucune cité
moins aux sujets, et que les communes pou- de d l'empire se croie autre chose qu'une cité.
vaient demander davantage à leurs habitants; On ( peut même remarquer que dans les deux
ou que les citoyens faisaient moins de dé- ïplus grandes villes de France, Paris et
penses personnelles, et subvenaient plus Lyon, 1 le chef de la municipalité s'appelait
volontiers, aux dépenses communes. Le luxe du d nom plus modeste de prévôt des mar-
a rendu l'Etat plus avide, et le particulier chands.
c
plus égoïste. Ces grandes cités sont dangereuses, sans
Un abus opposé, dont on trouve fréquent- ddoute, à la tranquillité de l'Etat mais quelle
ment des exemples, et quelquefois dans les rressource n'offrent-elles pas à un gouverne-
mêmes villes, est la profusion indiscrète ement qui gouverne pour diriger l'esprit pu-
d'embellissements, de théâtres, de prome- bblic! Ce serait se priver d'un puissant moyen
nades, qui, concentrant dans les villes tou- dd'influence générale, et ôter en même temps
tes les jouissances, fait déserter les campa- aaux grandes villes un moyen de prospérité
gnes et transforme une nation de cultiva- pparticulière, que de morceler leur adminis-
teurs en un peuple de citadins. La société tration
ti municipale en plusieurs petites ad-
ne gagne pas à ce changement les habitants ministrations,
n comme viennent de le faire
des villes ont nécessairement des habitudes les 1< tyrans de la France à l'égard des prin-
républicaines, qui naissent de leur réunion cipales
c villes du royaume. Ce 'n'esst qu'à une
habituelle et de leur vanité. Le citadin est autorité
a usurpée, au pouvoir particulier.
que peut convenir la maxime de diviser pourr naturel,
i celui de la famille, pour en gou-
régner. verner
1 les membres et en administrer les
Dans les provinces du midi de la France,>, propriétés.
1
les consuls ou syndics de village sont nom- i- Une commune est une société, elle en a
més par le seigneur sur la présentation dess le 1 caractère; elle a des hommes et des pro-

habitants. Cette forme doit être conservée priétés,


1 les hommes de la commune et
les électeurs sont en trop petit nombre dans.s des < propriétés communes; il faut un pouvoir
tes communes de campagne, les intérêts;s commun < ou municipal, un conseil commun
personnels trop rapprochés et trop actifs, ou < municipal pour gouverner les hommes
pour laisser aux habitants le choix définitif if et< administrer les propriétés.
de leurs officiers de police. Le seigneur ou u Le ressort d'une cour de justice est une
son juge peuvent connaître, peuvent distin- i- société
i elle a des hommes et des propriétés;
guer, et n'ont jamais d'intérêt à faire unn des < justiciables et un tribunal il faut un
mauvais choix. Un fief est une monarchie en n conseil pour exercer les fonctions du tribu-
petit. La perfection de ta constitution mo- y.
nal, un pouvoir pour soumettre les justicia-
narchique est d'être comme une- grande e bles à ses arrêts.
pièce de mécanique dont toutes les roues !S
Le royaume enfin est une société et la so-
s'engrènentles unes dans les autres, et eon- >.
ciété générale il en a le caractère; des
courent toutes à produire un seul et même ie
hommes et des propriétés, des sujets et des
effet. Ces roues ne sont pas égales, mais elles
;s propriétés publiques. Il faut un pouvoir gé-
sont semblables entre elles leurs vitesses ;s néral ou royal et un
conseil général ou royal
ne sont pas égales, mais uniformes, et leurs »s pour gouverner les hommes et administrer
mouvements simultanés. La famille, la com- ï- les propriétés.
muner le royaume, sont semblables sous le !e Une province n'est pas une société, car
rapport de l'administration; la famille, le le elle n'a ni hommes, ni propriétés particu-
fief, le bailliage, le parlement, sont sembla-j. lières. Elle n'a que les hommes et les pro-
bles sous le rapport de la justice. priétés de la famille, de ta commune, du
ressort, du royaume. Elle ne considère pas
CHAPITRE IV. les hommes ni les propriétés sous une mo-
dification qui lui soit'propre;jevois l'homme
ADMINISTRATION DES PROVINCES. de la famille ou l'homme naturel, l'homme
la commune on le citoyen, l'homme du
J'ose fronder une opinion assez générale, e de ressort ou le justiciable,l'homme du royaume
et m'élever contre le système des adminis-
sujet je ne vois nulle part l'homme
trations collectives, quelles que soient leurjr ou lale province. Je puis en dire autant des
composition, leur forme et leur dénomina- j_
de
tion. propriétés. La maison et le champ appar-
à la famille; les églises, l'hôtel de
Je lés regarde comme contraires à la cons-s. tiennent à la commune; le palais
titution, et par conséquent à la nature, à la ville, les fontaines
raison. de justice et les prisons au ressort; les che-
On n'a pas assez observé la marche des es
mins publics, les canaux, les ponts, les éta-
opinions en France. Les uns voulaient assi- i- blissement-s d'éducation, les propriétés na-
miler le régime des provinces au régime vales ou militaires au royaume: parce que
le
des communes, et établissaient, dans tes BS
toutes ces propriétés ont pour objet de faci-
communicationset le commerce des
provinces, des administrations collectives; s. liter les
les autres ont voulu assimiler le régime de le différentes parties du royaume entre elles
d'assurer Ja dé-
l'Etat au régime des provinces, et ont éta- a. ou avec les Etats voisins, et à
bli dans l'Etat le gouvernement républi- i- fense de l'Etat, en ajoutant ses moyens de
cain. force et de prospérité.
Qu'est-ce qu'une province? Ce n'est pas as La province n'est donc pas nœ société
o- particulière, et lorsqu'une province veut être

:••.
une société, ce n'est qu'une fraction de so-
ciété. Je m'explique. une société, l'Etat est en révolution. Les prê-
Une famille est une société elle en. a te l'e tentions de quelques provinces de France de
caractère; elle a des hommes et des pro- former ufië société particulière ont été,
priétés, des hommes naturels et des pro- o- malgré elles-mêmes, le signal de la révohi-
priétés naturelles. Il y existe urr pouvoir %r -tiotr..

naturel, le pouvoir de l'homme, tin- conseil til On me citera ïes pays d'états.
Les états particuliers des provinces n'e- vent
a détruire. Tous les pays .datais, en
taient, dans l'origine, que les états généraux I
F.rance, sont ou des provinces maritimes, ou
des grands fiefs; car chaque partie, en se des
c provinces naturellement fertiles.
séparant du grand tout, lorsque les gouver- Dans le régime des administrations col-
neurs des provinces se rendirent héréditai- lectives,
1 les hommes valaient mieux que
res, en retint la constitution.
l'institution;
1 dans le régime d'administra-
tion
t unique, l'institution quelquefois valait
Ces états généraux des grands fiefs avaient,
mieux que l'homme.
comme ceux du royaume, la faculté d'accor-
der l'impôt; et depuis que les fiefs furent Si les états particuliers de quelques pro-
réunis à la couronne, ils joignirent à cette vinces sont, comme on n'en peut douter, les
faculté, aujourd'hui purement nominale, la iétats généraux d'un grand fief, pourquoi
réalité des fonctions administratives à peu ont-ils
c les fonctions administratives? S'ils
près comme si les états généraux de France, ine sont qu'assemblée administrative, pour-
les cortès d'Espagne et le parlement britan- quoi
c délibèrent-ils sur l'impôt?
nique s'érigeaient, contre la nature de leurs S'ils sont états généraux, pourquoi ont-ils
fonctions, en assemblées administratives de député
( aux états généraux du royaume?
leurs Etats respectifs, devenus par le sort Ces provinces, dit-on, conservent leur
des armes, des provinces d'un vaste empire, institution, c'est pour cela même que celle
J
Or, je dis que les états particuliers des du( royaume allait en s'affaiblissant; je le
provinces ont acquis les fonctions adminis- prouve.
{
tratives contre la nature de la constitu- Dans les vrais principes de la constitution,
tion. l'impôt
j pour les besoins fixes. une fois ac-
1" Le premier ordre doit défendre la so cordé,
( la demande n'en doit plus être renou-
ciété religieuse, et non administrer la so velée,
i à moins qu'après un temps considé-
ciété générale. rable,
i une diminution de valeur dans le
2° Le second ordre doit défendre la so- signe ne rende nécessaire une augmenta-
ciété politique, et non administrer la société 1tion dans la quantité. Non-seulement la
générale. demande
< n'en doit pas être renouvelée,
3° Le troisième ordre doit enrichir l'Etat mais] elle ne peut pas l'être, puisque l'impôt
et s'enrichir lui-même par son travail, et n'est fixe qu'autant qu'on n'en renouvelle
ni la demande ni l'octroi. Si les états parti-
non administrer la société générale.
culiers des provinces n'eussent eu que leurs
Tous les ordres ou toutes les professions fonctions
j naturelles, celles d'éiats généraux,
sont donc déplacés dans une administration
comme eux ils ne se seraient assemblés que
collective. Or, une institution qui déplace lorsque
1 les besoins extraordinaires de l'Etat
les professions sociales dans une société auraient
nécessité, leur convocation. Mais
constituée, commence une révolution, puis- '(
comme ils avaient encore les fonctions ad-
qu'une révolution, dans une société consti- '}ministratives,
ils s'assemblaient tous les ans,
tuée, ne peut s'opérer que par le déplace- et donnaient ainsi
ment des professions sociales. au gouvernement la faci-
lité de demander et d'obtenir tous les ans
Les faits viennent à l'appui du raisonne- un accroissement d'impôt.
ment; et la manie d'administrer, que depuis L'impôt n'avait plus rien de fixe, parce
quelques années on avait inspirée à tous les la facilité de le demander tous les ans
ordres de l'Etat, n'a pas peu contribué à que fournissait l'occasion de l'accroître tous les
altérer leur esprit particulier, et à amener
la révolution. ans. Or, de l'accroissement annuel de l'im-
pôt sont venus l'accroissementdes dépenses,
Les pays, d'états, dira-t-on, prospèrent le déficit, les états généraux, etc. etc, Ces
sous ce régime. Cette prospérité ne prouve provinces, dit-on, avaient conservé une om-
rien pour la bonté de l'institution. Elle fait bre de liberté. C'est une erreur si dans une
honneur, si l'on veut, à la sagesse person-société monarchique les états généraux
nelle des administrateurs elle en fait en- s'assemblent tous les ans, et à époques fixes,
core plus à la nature, à la fertilité et à la si- ils finiront par renverser la constitution en
tuation de la province. Dans le bien que les établissant leur pouvoir particulier. Mais
hommes croient faire, il ne faut voir sou- comme les états d'une seule province
ne
vent que le bien que les hommes ne peu- pouvaient pas renverser le pouvoir généra!
de la société, ils étaient nécessairement as- d'exécuter les ordres du pouvoir, et d'éclai-
servis par ce pouvoir. rer les décisions du conseil; il sera le lien,
J'oserai dire, puisque l'occasion s'en pré- l'intermédiaire entre la grande société royale
sente, que la convocation périodique des et les sociétés municipales; il ne sera ni le
états généraux, demandée par les cahiers, centre ni la circonférence, mais le rayon qui
est formellement contraire à la constitution, unit le centre à la circonférence.
et doit finir par la renverser. Ce n'est qu'en Les partisans des administrations collec-
laissant à la nature de la société le soin d'a- tives se rejettent sur l'égale répartition des
mener, lorsqu'il est nécessaire, l'assemblée impôts, sur l'encouragement à accorder au

générale de la nation, que le monarque peut commerce, aux manufactures, à l'agricultu-
continuer d'être le pouvoir général de l'Etat, re, sur l'ouverture des communications par
ou, ceiqui est la même chose, que la nation terre ou par eau ils prétendent qu'une ad-
peut conserver sa liberté. Dans une société ministration collective porte, sur tous ces
constituée, des états généraux assemblés à objets, une surveillance plus éclairée mais
époques fixes s'assembleront souvent sans 1° l'administration générale n'a rien à faire,
nécessité; s'ils s'assemblent sans nécessité, en fait d'impôt, qu'à en dépenser te produit
l'Etat sera en révolution, parce qu'il est de et à en rendre compte. Les états généraux
l'essence de ces corps de faire, et qu'ils doivent l'accorder; les tribunaux institués
défont là où il n'y a rien à faire. On ne par la nation en éclairer la perception, en
manquera pas d'alléguer que, dans mes prin- recevoir le compte la répartition doit s'en
cipes, la convocation des derniers états gé- faire sur le produit des terres, ou le mon-
néraux de France était nécessaire, puisque tant des consommations et elle doit se faire
l'impôt ordinaire ne pouvait plus suffire aux toute seule, sans rôle, sans cadastres, par la
besoins de l'Etat, et que cependant ils ont seule décimation des produits du sol ou de
mis le royaume en révolution; mais je ré- ceux de l'industrie. 2° Le gouvernement doit
pondrai 1° que dans la constitution la forme se mêler le moins possible de commerce,
est aussi nécessaire que le fond, puisque parce qu'il le dérange; de manufactures,
toutes les lois politiques sont des consé- parce qu'il s'y ruine; il ne doit encourager
quences nécessaires des lois fondamentales, l'agriculture qu'en laissant, dans l'intérieur,
et lois fondamentales elles-mêmes or, en un cours libre à ses produits, qu'en modé-
France, on a violé les formes constitutives rant, et plus encore en asseyant les impôts
des états généraux; 2° que la nature saura sur les terres d'une manière éclairée,
ramener à ses vues les hommes et les cho- qu'en surveillant les mœurs du peuple,
ses, et se servir des passions des uns et du et l'arrachant à des distractions dangereu-
désordre des autres, pour perfectionner, en ses il faut, sur le reste, laisser faire l'in-
France, la constitution politique et reli- térêt personnel bien plus clairvoyant et
gieuse. bien plustactif que l'administrationgénérale
La province ne forme donc pas société la plus clairvoyante et la plus active. Si l'é-
particulière, puisqu'elle n'a ni hommes par- tablissement d'une branche de commerce
ticuliers, ni propriétés particulières; il ne ou d'une manufacture est lucratif, si l'in-
faut donc pas une autorité particulière dans troduction d'un nouveau procédé d'agricul-
la province; il n'y faut donc pas un conseil ture est avantageuse,l'intérêt personnel éta-
particulier. Elle est une fraction de la grande blira l'un introduira l'autre, et trouvera
société; elle n'a que les hommes et les pro- dans les profits les véritables encourage-
orîétés de la grande société donc elle doit ments. Le gouvernement n'établit jamais
être gouvernée par \ë pouvoir de la grande qu'à force d'argent des manufactures qu'il
société, et administrée par son conseil; c'est- ne soutient qu'à force d'argent, et qui enri-
à-dire par le roi et par le conseil royal et chissent des fripons en ruinant l'Etat.
comme le roi ni son conseil ne peuvent pas Pour les communications générales, il
gouverner immédiatement les hommes ni doit exister et il existe en France une ad-
administrer immédiatement les propriétés, ministration centrale, qui embrasse, d'un
il faut un délégué du roi et du conseil, un
coup d'œil, l'ensemble des besoins et des
commissaire de l'un et de l'autre. relations de l'Etat, et dirige les communi-
Ce commissaire ne sera pas pouvoir, mais cations d'une manière conforme à l'intérôt
délégué du pouvoir; il ne sera pas conseil, général. C'est précisément la partie qu'il ne
dais délégué du conseil sa fonction sera faudrait pas laisser aux administrations,
qui, trop souvent, demandent et obtiennent médiocres
m ne valent pas un homme supé-
des chemins pour leur province, sans con- ri rieur, et.que cinquante hommes supérieurs,
sulter et sans connaître le véritable intérêt nécessairement
ne jaloux et discords, valent
des provinces voisines ou de l'Etat en gêné- encore moins un homme médiocre.
ei
rai. D'ailleurs toute décision, à cet égard, Mais la nature ne perd pas ses droits; M
confiée aux administrations collectives, y où
oi tous veulent dominer, il faut qu'un seul
est presque toujours une pomme de discorde domine; et malgré les hommes, elle con-
de

et un aliment aux passions et aux intérêts centre dans le plus petit nombre possible,
ce
personnels. c'est-à-dire dans un seul, toute l'autorité de
c'i
Le caractère particulier et le défaut des 'rassemblée,
Te qu'il exerce alors au nom de
administrations collectives est de se laisser tous et sans responsabilité personnelle.
to
aller au vent des nouveautés et des systè- C'est
C' là le grand danger des administrations
mes, et d'être le bureau d'adresse de tous collectives.
co Car, puisque l'administration
les faiseurs de projets. Dès que les hommes est
es u-ne commission chargée d'exécuter les
sont-éunis, ils éprouvent le besoin d'agir ordres
or du pouvoir qui gouverne les hom-
par le sentiment qu'ils ont de leurs forces, mes,
m elle peut outre-passer les ordres du
et le besoin d'agir, lorsqu'il n'y a rien à pouvoir,
pc et opprimer les hommes. Si l'hom-
ftiire, n'est que le besoin de détruire ce qui m est opprimé par un seul homme délégué
me
est fait. Or, l'administration ne consiste pas du pouvoir, il s'en plaint au pouvoir qui l'a
di:
à faire, mais à conserver. délégué;
dé et l'homme social peut en obtenir
Une administration collective est une ré- ju
justice, par ce motif secret qu'il est possible
publique où chacun veut exercer son pou- à l'homme naturel d'en tirer vengeance
voir. Les moins imparfaites de tontes, celles mais
mi quand l'homme social est opprimé par
où les administrateurs étaient nommés par un corps délégué du pouvoir, ou au nom de
ur
le roi, comme dans les dernières adminis- ce corps, il ne peut en obtenir justice, parce
trations provinciales, avaient un inconvé- qu'il
qu est physiquement impossible que
nient moral très-grave. Elles brisaient, dans l'homme naturel en tire vengeance. Cette
Vh
les provinces, les liens de parenté, d'amitié, raison,
ra tirée de la nature de l'homme natu-
de cité; elles mettaient la hauteur et les re, et qui, par conséquent, ne peut recevoir
rel,
tons ministériels à la place de la bonhomie, aucune application dans la société consti-
au
et la jalousie à la place de la cordialité. La tuée, est la démonstration la plus évidente
tu
province était divisée sur-le-champ, et par que le gouvernement républicain est non-
qu
la nature des choses, en deux partis, celui seulement contraire à la nature de l'homme
se
des administrants et celui des administrés. social,
so mais même à celle de l'homme na-
Or, il n'y a plus de liaison possible entre turel.
tus
des pouvoirs et des sujets, et cet objet est Mais le régime des intendants n'avait-il
d'une autre importance que l'établissement pas de grands abus? Il en avait sans doute,
pa
d'un haras, l'ouverture d'un chemin, ou et cela ne pouvait pas être autrement,
même l'institution d'un cours public d'ac- 1° parce que l'homme s'était perverti avant
couchement. que
qu l'institution se fût perfectionnée
Le gouvernement peut rappeler un com- 2° parce qu'il avait un impôt à répartir.con-
missaire qui ne fait pas son devoir; mais il tre l'esprit et la lettre de la constitution. Il
tre
ne peut renouer, une fois qu'ils sont rom- fautdonc,
fai
pus, des liens précieux qui font la douceur 1 Former l'homme; 2° perfectionner l'ins-
et le charme de la vie. titution 3° lui ôter toutes fonctions relati-
titi
Si l'on m'objectait que les cahiers de ves à l'impôt.
quelques ordres ont demandé les assem-
blées provinciales, je dirais qu'à cette épo- CHAPITRE V.
que cela devait être ainsi, et j'en appren-
drais la raison. REGIME
RE( DES INTENDANTS OU COMMISSAIRES.
L'administration des provinces n'est donc Comment
< perfectionner le régime des in-
qu'une commission. La- question se réduit tendants
ter ou commissaires?
donc à savoir si cinquante commissaires va- ]L'éducation sociale a formé l'homme so-
lent mieux qu'un. Or, il ne faut connaître cia l'administrateur, délégué du conseil,
cial
ni lès hommes ni les choses, pour ignorer, se formera en faisant l'apprentissage de ses
qu'en administration cinquante hommes fonctions près du conseil d'Etat et c'est
for
g3t OEUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. 832
Drecisément dans cette classe de magistrats
precisément particu-
jamais que consulter des intérêts part4cu-
employés près du conseil, appelés maîtres ^liers; ils tiraient au sort les provinces, et
des requêtes, que fes intendants étaient quelles provinces î Dans une société consti-
choisis. tuée, les choses doivent faire aller tes hom
L'intendant a donc reçu l'éducation par- mes une province qui a besoin d'wi tel
ticulière de ses fonctions il a été nommé homme pour administrateur, est bien, à
magistrat près du conseil, et ordinairement plaindre; un Etat qui a besoin d'un tel homme
reçu en une cour souveraine. Le roi le pour ministre, travaille à entrer en révolu-
nomme son commissaireet celui du conseil tion ou à en sortir. Les exemples né sont
ce choix est agréé par le conseil, et d'ail- pas loin de nous.
leurs il peut toujours être révoqué, puis- Si un administrateur peut espérer de
qu'il ne donne qu'une commission, et ne changer une fois de province, et pour nti
confère pas un office: véritable raison pour motif, tous les administrateurs changeront,
laquelle cette place n'a jamais obtenu une et même sans motif.
considération proportionnée à l'importance Si un intendant ne se regarde pas irrévo-
de ses fonctions. Les commissionsrépugnent cablement fixé dans sa province, il ne rem-
au principe de la monarchie, qui tend à plira ses fonctions qu'avec dégoût ou impa-
rendre tout héréditaire. C'est pour s'en rap- tience, parce qu'il s'attendra, parce qu'il
procherjj le plus possible, et perfectionner désirera de passer à une autre. Plus d'habi-
par conséquent l'institution, qu'il faut ,fixer tudes, plus d'à fïe citons réciproques entre
le commissaire dans sa province. l'administrateur et les a'dminislrés plus de
Ainsi un règlement absolument nécessaire- connaissance approfondi* des hommes ni
est qu'un intendant ou commissaire ne des propriétés, connaissance sans laquelle
puisse pas quitter la province à laquelle il on ne peut gouverner les uns, ni adminis-
aura été nommé, pour passer à une autre. trer les autres; plus de projets utiles, dont
le II ne peut y avoir de motif ail change- il faut laisser à un successeur l'exécution
ment, tiré de l'intérêt de l'Etat, parce que et le mérite. L'intendant n'est plus qu'un
toutes les provinces doivent être également inspecteur en tournée. 11 passe, il prend des
chères au pouvoir de l'Etat, et qu'aucune n'est notes,,il verra.
faite pour servir de sujet aux expériences Le roi, ni son conseil, ne peuvent pas
d'un ministre, ni de théâtre aux coups d'es- tout voir par eux-mêmes dans le royaume;
sai d'un apprenti parce que l'administra- ils nomment des commissaires pour voir à
tion de toutes les provinces doit rouler sur leur place mais lejroi, ni son conseil, ne
l'es mômes objets, et que l'administration doivent rien faire par eux-mêmes, et leur
d'une province plus étendue ne demande commissaire n'a donc rien à faire par lui-
pas plus de talents dans l'administrateur,
même. Il y a des officiers publics chargés,
mais plus de secrétaires dans ses bu- chacun dans leur partie, de faire sous les
reaux. ordres du roi et du conseil, transmis par le
2° II ne peut y avoir de motif au cnange- commissaire. Ainsi les intendants ou com-
ment, pris de l'intérêt de la province, parce missaires sont les yeux, le roi et son con-
qu'un intendant qui ne convient pas à une seil sont la pensée ou la volonté, les offi-
province ne peut convenir à aucune autre ciers publics, chargés d'une partie quelcon-
parce que chaque intendant doit se former que d'administration, sont les mains. Ainsi,
dans la province à l'administration de la- dans les affaires des communes, l'intendant
quelle il a été nommé, et s'il' n.e peut pas voit et rend compte, le conseil prononce, les
s'y former, il faut le rappeler. officiers municipaux exécutent.
3° Il ne peut y avoir de motif tiré de l'in- Dans ce qui a rapport à la sûreté publi-
térêt de l'intendant, parce que si ses inté- que, l'intendant voit, le conseil ordonne,
rêts l'appellent ailleurs, il est libre, il n'a les officiers de police civils et militaires
qu'une commission, il peut la rendre. Je exécutent.
n'exclus cependant pas tout congé extraor- Dans ce qui a rapport aux communica-
dinaire et limité à un temps très-court. tions et aux autres ouvrages publics, l'in-
Les Romains, dont le gouvernement était tendant doit voir et rendre compte, le con-
mauvaiset l'admi nistration paifaite, ne cher- seil prononcer, les ingénieurs exécuter. ït
chaient pas, comme nous, à assortir les ta- faut cependant excepter de cette règle géné-
lents aux urovinces, ce qui n'est presque rale deux circonstances extraordinaire X
lorsque la sûreté publique est menacée par sans être tenu à observer aucune pluralité
une sédition ou un complot, et les subsis- de suffrages. Ce moyen, qui n'exige aucune,
tances générales compromises. Alors le com- assemblée générale d'électeurs, mais sim-
missaire a nécessairement une autorité exé- plement une assemblée partielle dans cha-
cutive il voit, il ordonne, et rend compte que commune des plus forts propriétaires,
des ordres qu'il a donnés et c'est cê qui dé- aurait l'avantage de mettre de temps en
montre encore mieux le vice des adminis- temps sous les yeux de l'administration gé-
trations collectives, qui, dans des circons- nérale, des hommes capables dans les pro-
tances semblables, seraient obligées de s'é- vinces, et dont elle pourrait se servir au
carter de leur forme constitutive, qui ne besoin.
pourrait s'accorder avec le secret et la célé- Le correspondant ne sera qu'un commis-
rité nécessaires, et de créer dans leur sein saire révocable puisque l'intendant lui-
«ne sorte de dictature. même n'est pas autre chose.
Dans les grandes communes, où le choix Il doit avoir une fortune honnête, et obli-
des habitants appelle aux fonctions munici- gé à se déplacerfréquemment, il recevra des
pales des sujets éclairés, considérés et ri- appointements décents. La société ne de-
ches, les officiers municipaux doivent agir mande à aucun de ses membres des sacriri-
sous lasurveillance du commissaire et leur ces sans compensation.
propre responsabilité mais il n'en est pas La fonction de correspondant ou sufed-é-
-de même dans les campagnes, où l'un n-e légué sera, comme elle était anciennement
pourrait, sans inconvénient, confier certai- et pour les mêmes raisons, incompatible
nes fonctions à des hommes sans lumières avec celle de juge; mais si tescours souve-
<et sans fortunesuffisantes. raines doivent lever l'incompatibilité comme
Ce serait un autre abus de croire remédier elles le faisaient trop souvent, il vauUmieux
à cet inconvénient, -en réunissant les com- ne pas l'ordonner sur deux abus, c'est en
munes de campagne dans des arrondisse- épargner un.
ments, pour n'en former que de grandes Il ne faut pas que l'intendant soit un po-
communes car outre que dans certains pays tentat, qui ne puisse se mouvoir sans qu'on
on pourrait réunir plusieurs villages et de sonne toutes les cloches, et que toute la
grands territoires, sans trouver des hommes jeunesse d'un pays prenne les armes; ni son
qui eussent les qualités requises pour être correspondant, un important, qui ne puisse
administrateurs de ces grandes communes, aller dans un village, sans se faire arnoncer,
il y aurait un danger réel à laisser des vii- un mois à l'avance, au plus riche habitant
tages écartés sans officier de police et sans du lieu, qui, pour le recevoir, met en réqui-
moyen de répression. sition toutes les volailles de la paroisse et
Il faut donc conserver des correspondants tout le gibier du canton. L'intendant, comme
ou subdéléguôs pour surveiller l'adminis- son correspondant, doivent être des hom-
tration des communes de campagne. mes actifs, laborieux, allants, affables pour
Par qui seront présentés ces correspon- les administrés, inflexibles pour leurs sous-
dants ? par ceux qui lés connaissent. Par ordres, cherchant à connaître les hommes
qui seront-t-ils choisis? par celui qui peut et à voir par eux-mêmes les choses, dignes
les distinguer. Par qui seront-ils approuvés? de représenter l'autorité suprême par la dé-
par le conseil dont ils sont les délégués mé- cence de leurs mœurs, l'austérité de leurs
diats. principes, la dignité relative de leur repré-
Ainsi ils seront présentés parles habitants sentation, et surtout par l'intégrité de leur
de l'arrondissement, choisis par l'intendant, conduite.
et approuvés par lé conseil c'est-à-dire que, Ces correspondants n'auront en cette qua-
dans chaque commune de la subdélégation, lité aucune fonction, au moins publique,
les dix, quinze ou vingt plus forts proprié-
taires présenteront à l'intendant trois sujets
dans les villes : ou bien il faut renoncer à
avoir dans les villes, pour officiers munici-
de l'âge, état et fortune requis, en observant paux, des hommes riches et considérés.
de spécifier leur âge, leur état, leur fortune. Ce que j'ai dit des officiers municipaux
Après trois mois, l'intendant, qui aura eu le doit s'appliquer aux intendants. Ce qui les
temps de prendre les informations nécessai- rendait odieux était l'impôt, parce que c'é-
res,fera passer au conseil toutes ceslistesavec
son avis particulier, et le conseil nommera
llc?_
OEUVRES COMPL. DE a,rDE BONALD. L
M.
de l'impôt.
tait malgr.é la constitution qu'ils s'oceupaient
272
Comme une société peut périr par l'impôt, dde taille réelle, où elle est distinguée de
la nature a redoublé de précautions pour l'imposition
l' territoriale, et où elle porte
éloigner ce danger. Elle a séparé les fonc- directement
d et uniquement sur la per-
tions entre la société et son pouvoir. sonne.
si
Le roi doit demander, la société accorder, Si l'on veut perfectionner le régime des
par les états généraux. intendants, il n'est pas inutile de changer la
ii
Le roi doit percevoir, la société éclairer ddénomination de cette fonction. La dénomi-
la perception, par les Cours des aides. nation
n d'intendant rappelle des fonctions de
Le roi doit employer, la société recevoir ddomesticité peu considérées que celle qu'on
le compte, par lesChambres des comptes. hlui substituera soit modeste, car la considé-
Mais il s'était établi un impôt sans la so- ration
n n'est pas dans l'orgueil; qu'elle en-
ciété, je veux dire la capitation personnelle; noblisse
n les fonctions sans enfler la per-
et parce que cet impôt était contre la consti- sonne
s< qu'elle soit, s'il est possible, sans
tution ou contre la nature de la société, il épithète,
é\ parce que notre langue, et c'est
était, et je le ferai voir en traitant de l'impôt, uune de ses beautés, tend à abréger, et la
contre la nature de l'homme. Comme le 010- supprime.
si Le titre de commissaire départi
marque seul avait établi l'impôt, seul il le n'a
n jamais été employé que dans les arrêts
répariissait, le percevait, en surveillait la d conseil, ou le style des parlements. La
du
répartition, et la perception. dénomination de subdélégué doit également
d<

Il ne le faisait pas par lui-même, il le fai- être changée,. et sur les mêmes principes.
&
sait par ses délégués, ce qui les rendait
odieux à ceux même qui ne connaissaient CHAPITRE VI.
pas la constitution. Un autre abus, qui te- MOEURS.
nait à la même cause, était l'abus des modé-
rations, des dégrèvements sur la capitation, Les mœurs sont privées ou publiques, de
des dons accordés pour grêle., incendie, l'homme
V. naturel on de l'homme politique.
mortalité de bestiaux, etc. Un des plus pré- Les mœurs privées se forment par l'édu-
L
cieux avantages de l'impôt en nature est cation
c* domestique les mœurs publiques
d'être toujours en proportion exacte avec par
p< l'éducation publique et l'éducation par-
les bienfaits de la nature, ou avec ses ri- ticulière
ti de la profession les unes comme
gueurs.Je dis plus: c'est une proportion les autres se perfectionnent par les bons
le
que l'homme ne peut jamais trouver; et il y exemples,
e: ou se détériorent par les mau-
a de quoi rire de la 1 résomptueuse igno- vais.
v<

rance d'un expert, qui affirme, et par ser- Le gouvernement peut donc former les
ment, que la gelée ou la grêle a diminué la mœurs privées et les mœurs publiques,
m
récolte juste d'un tiers, ou d'un quart, dans puisqu'il
pi peut veiller sur l'éducation do-
toute l'étendue d'une paroisse. Un proprié- mestique
m et sociale, et sur celle de la pro-
taire souffrait une perte de bestiaux évaluée fession, et procurer de bons exemples, ou
fe
quinze cents livres il obtenait de l'inten- réprimer
r< les mauvais.
dant une modération de dix écus, ou, si l'on Il est inutile de prouver qu'une bonne
veut, un don extraordinaire de soixante H- éducation domestique ou sociale forme les
é(
vres mais pour un don, dérisoire à force mœurs
m privées et les mœurs publiques. Une
d'être insuffisant, combien de dons injuste- bonne
bi éducation domestique ou sociale est
ment appliqués,.combien d'impostures dans uune éducation religieuse or la religion
l'exposition, de faussetés dans le rapport, commande
c( toutes les vertus, et elle réprouve
de démarches, de bassesses, de corruption tous
te les vices.
quelquefois de la part des sous-ordres? En vain le philosophisme, qui n'a ni cœur
Quand on trouverait de trop grandes diffî- n sens, parce qu'il n'a jamais rien refusé à
ni
cultes à établir l'impôt en nature, je ne re- l'un
1' ni aux autres (ainsi que l'homme phy-
garderais pas moins comme une mesure es- sique n'aurait pas l'idée de la force, s'il n'a-
si
sentielle, en morale comme en administra- vait
vf celle de la résistance), en vain le phi-
tion, de supprimer tout don particulier. Que losophisme
le veut-il tout faire avec l'esprit;
l'impôt soit modéré, et il n'y aura aucune ei vain appelle-t-il la raison pour dompter
en
injustice à cette disposition. le passions, et Yintérêt pour produire la
les
Au reste il faut faire observer que je n'ai vertu
vi il suppose ce qui est en question
considéré la capitation que dans les pays ci la raison n'est que la passion domptée,
car
et la vertu n'est que V intérêt connu. I! ap- tiellement
t la conservation de la société,
pelle, pour dompter la passion, la raison,, puisque
i les bonnes ou mauvaises habitudes
qui n'existe que quand la passion est domp- des d hommes en société ne sont que l'habi-
tée; il appelle, pour produire la vertu, Vin- tude
t de faire ce qui est utile ou nuisible à là
térël qui n'est connu parfaitement que société. s
quand la vertu est pratiquée; ainsi il ne Donc les moeurs privées ont plus d'in-
peut exister de raison sans religion, puis- fluence
fl sur les mœurs publiques, à propor-
que la religion dompte les passions qui tion ti que la profession est plus importante
s'opposent au développement de la raison; au a maintien de la société.
et il n'existe pas de connaissance de nos Donc les mœurs privées du monarque
vrais intéréts sans vertu, puisque la vertu sonts essentiellement conservatrices ou cor-
n'est que la connaissance parfaite et prati- ruptrices
r des mœurs publiques donc pluy
que de nos vrais intérêts. u société sera constituée, plus les mœur»,
une
L'éducation propre à la profession forme privées
p du monarque influeront sur les
aussi les mœurs publiques, ou les habitudes mœursn de ses sujets, parce qu'à mesure
de la profession. qu'une
q société est plus constituée, le mo-
Ainsi, c'est dans l'éducation particulière narque
n est plus pouvoir conservateur de la
de la profession royale, que l'homme des- société.
si
tiné à régner contracte l'habitude de toutes Pourquoi la France, héritière de la consti-
les vertus, de toutes les bienséances, de tution tl des Germains, n'a-t-elle pas hérité
tout l'empire sur son esprit, sur son cœur, de d la sévérité de leurs mœurs? « Personne, »
sur ses sens, que demande cette profession dit cl Tacite, « n'y faitdu vice un sujetde plai-
auguste, où l'homme est pouvoir par son santerie,s; et l'on n'y traite pas de mœurs du
exemple, plus encore que par ses ordres, je jour la séduction ou la faiblesse. » » Nemo
et où son exemple est plus pouvoir à mesure illicH vitia ridet nec corrumpere aut corrum-
que la société est plus constituée. pi
p sœculum vocatur. Des hommes, dont les
Ainsi, c'est par l'éducation particuliè e de RRomains ne considéraient qu'avec étonne-
leurs professions respectives, que le jeune ment m la force prodigieuse, se faisaient un
ecclésiastique formera son esprit par Tins- p< point d'honneur de s'interdire, avant l'âge
truction, son cour par la charité, ses sens de d' vingt ans, tout ce qui pouvait l'énerver;
par le recueillement; que le jeune militaire et les habitants amollis de nos villes corrup-
trices osent, à quinze ans, parler de leurs
pliera son esprit à la subordination,.dirigera tr
son cœur par t'amour de son roi, dévelop- besoins
&< I
pera ses sens ou ses forces par les exercices Si les individus exerçant des professions
de son état que le jeune magistrat appren- sociales
se peuvent corrompre les moeurs pu-
bliques par leurs exemples, l'administration
dra à cultiver son esprit par J'application, à bl
former son cœur par l'amour de ses sembla- peut P< les corrompre par ses institutions. Re-
blés, à commander à ses sens par l'habitude venons
v< aux principes.
de la gravité et de la décence. Et observez La fin de la société civile est la conserva-
ti'
qu'on ne peut considérer, comme mœurs tion de l'homme moral et de l'homme phy-
privées, les mœurs des individus dans les si sique, parce que la société civile est la réu-
professions sociales, je veux dire royales, ni nion de la société religieuse et de la société
sacerdotaleset nobles parce que, dans l'in- politique.
p<
dividu revêtu d'une de ces professions, la La société religieuse conserve l'homme
profession est inséparable de l'homme, puis- moral
m en réprimant sa passion de dominer;
qu'elle tient à un caractère indélébile, de elleel le conserve en protégeant sa fai-
consécration ou de naissance. Ainsi leurs blesse.
bl
moeurs privées forment ou corrompent les Mais si le gouvernement laisse affaiblir la
mœurs publiques par leur bon ou mauvais religion,
re ou s'il en détruit le sentiment par
exempte. des institutions dépravées, il exaite la pas-
d(
L'on peut même en démontrer la raison, si sion de dominer au lieu de la réprimer, il
en observant que le principe de tout ce qui Donc
opprime la faiblesse au lieu de la protéger.
intéresse la conservation de la société se 1 il nuit à la conservation de l'homme
moral, donc il le détruit.
trouve nécessairement dans les professions m
essentiellement conservatrices de la société. Entrons dans le détail
Or, les mœurs publiques intéressent essen- A la honte des nations chrétiennes les
839
anciens avaient, pour
aîîoions
(JEU
le culte
nnnr If»
VUES

nilff» public,
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u~
COMPLETES DE M, DE BOttALD.
Ta jeunesse
La vunf changer,
ipnnoecA veut
8i0
nim mi'nilo
phnniv'o' parce
~,E()
qu'elle
respect qui, même dans une religion essen- change elle-même la vieillesse résiste au
tiellement corruptrice, était utile, puisqu'il changement, parce qu'elle ne change plus;
entretenait les peuples dans la croyance de elle veut que tout reste en place autour
là Divinité. d'elle, parce qu'elle voudrait y rester elle-
A Rome, le gouvernement, au lieu de ré- même, et que les changementslui rappellent
primer la férocité naturelle de l'homme, une idée de destruction et de mort qu'elle
l'exaltait par ses institutions; sous ce point repousse. Cette inflexibilité de goûts et d'o-
de vue, les combats publics de gladiateurs, pinions, dans Je vieillard, qui le rend enne-
et les spectacles qu'on donnait au peuple, mi de toutes les innovations, est le plus
d'hommes dévorés par les animaux, étaient ferme rempart de la constitution des socié-
des institutions immorales. tés et jamais gouvernement n'a passé des
Dans la Grèce, la faiblesse du sexe ou de mains des vieillards dans celles des jeunes
fenfance était opprimée par la licence des gens, sans tomber dans la confusion et l'a-
institutions religieuses, institutions immo- narchie.
rales', puisqu'en corrompant la religion, J'ai dit que la licence opprimait la fai-
eJIes corrompaient les mœurs jusque dans blesse du sexe; et l'on me demandefapetit-
leur principe. être comment le sexe peut être opprimé lors-
Mais à Rome, ainsi que dans la Grèce, le qu'il jouit de la liberté la plus entière.
respect pour les vieillards était une institu- Tout être a une fin à laquelle il veut par-
tion morale, puisqu'elle protégeait la fai- venir. Sa liberté consiste dans sa faculté d'y
blesse de l'âge. parvenir, et sa perfection consiste à y par-
Chez les modernes, l'irréligion avait fait venir.
depuis un demi -siècle des progrès ef- Donc, tout ce qui détourne un être de sa
frayants et sans parler des ouvrages qui af- fin, lui ôte sa liberté, et s'oppose à sa per-
faiblissaient la croyance de la: religion dans fection donc il l'opprime.
l'esprit de ceux qui se croyaient éclairés, La fin naturelle et sociale de la femme est
de mauvais exemples en altéraient le senti- le mariage, ou l'accomplissement de ses de-
ment, dans le cœur de ceux pour qui les voirs, dans sa famille, envers son mari et
exemples sont des raisons, et qui doivent envers ses enfants.
avoir la; religion dans le cœur, parce que Or, la licence brise ou relâche les liens duIl
le défaut d'éducation et la nature de leurs mariage, et détourne la femme de ses de-
occupations ne leur permettent pas d'en ap- voirs envers safamille; donc la licence luii
profondir, les preuves. Ainsi c'était un usage ôte la faculté de parvenir à sa fin, donc elle
immopal, parce qu'il était très-irréligieux, lui ôte sa liberté naturelle et sociale, donc
que l'usageintroduit dansles.grande:s villes, elle l'opprime.
,de travailler publiquement les dimanches et Donc te divorce l'opprime, puisque le di-
les fêtes, sans nécessité, même sans motif, vorce rompt les liens du mariage, et empê-
aux travaux: les plus inutiles et c'était pré- che la femme de remplir ses devoirs envers
parer le peuple à voir sans regret abolir la son mari et envers ses enfants.
solennité du dimanche, que de faire cons- Donc les spectacles licencieux, les écrits
truire, sous ses yeux, une salle de specta- licencieux, les productions licencieuses de
cle, les jours particulièrement consacrés au l'imagination ou des arts oppriment la fem-
culte religieux. me, puisqu'ils détournent son esprit, son
C'était donc une institution immorale que cœur et ses sens, des devoirs que la nature
celle qui, dans le militaire, était à l'ancien- et la société lui imposent envers sa fa-
neté de service ses justes droits, ou l'ex- mille.
trême facilité avec laquelle on accordait des Il faut observer que, quoique l'homme soit
dispenses d'âge, parce que c'était affaiblir le destiné parla nature au mariage, il est aussi
respect dû à la vieillesse. Aussi les jeunes destiné par la nature à la conservation de la
gens gouvernaient la cour, donnaient le ton société civile ainsi la licence et le divorce
dans les cercles, dominaient dans les com- l'oppriment en ce qu'ils le détournent de su
pagnies de magistrature, parvenaient même tin naturelle; mais ils ne le détournent pas,
dans l'Eglise. De là venait l'instabilité de au moins directement, de sa fin civile an
nos modes, de nos mœurs,, de notrp aclmi- lieu que ta femme, n'ayant pas d'autre fia
nistration. même. naturelle et civile que le mariage, est oppri-
841 FAUT. 1. ECO:\ü:\I. S!JC.-TIŒORJE \)U pouvom. PART;
,“““.
III. EOUC.
m AB12i1V1ST~ G.Il 842
tnée par la licence et le divorce,
oaée divorce. dans
d»n« sa
«a fin
naturelle et civile l\ la fois. De là vient
3n- utilité
x tlllx. m. tuuL,. ET
i^inn
niii;i,<, pour les progrès–x- de h.
A1MHIJN1ST. L.II

j- l'art. Lev jeune
ne homme quittait une compagnie deuente
que
849-

les mêmes désordres sont plus criminels )ls pour la licence des coulisses le père de
dans la femme que dans l'homme. famille, au retour du spectacle, ne trouvait
Mais l'homme moral, qui n'a point de Je dans son ménage, que dégoût et ennui. Je
sexe, a une fin intellectuelle ou religieuse
se ne parle pas du choix des pièces. Elles
à laquelle il veut parvenir, et qui est supé-
é- étaient, depuis longtemps, toutes dirigées
rieure à sa En naturelle ou physique, com- n- vers un but unique, celui de faire une ré-
me ]'hoinme moral est supérieur à l'homme3e volution dans la religion et dans le gouver-
physique. Ainsi les institutions religieuses es nement, et de rendre odieuses ou ridicules
qui détournent librement l'homme ou la les professions sociales. Ce but paraît quel-
femme de leur fin naturelle ou sociale pour quefois à découvert
îr sous la morgue d'une
les amener à leur fin religieuse, protègent nt sentence plus souvent, il ne se montre
l'homme moral au lieu de t'opprimer. qu'à travers le transparent des allusions et
Si je donnais à ces vérités tous les déve-
)- comme s'il eût fallu des poisons pour tous
loppements dont elles sont susceptibles, je je les lieux et pour toutesles chsses de laso-
ferais un traité de religion ou de morale, et 3t ciété, des histrions munis de patentes par-
je ne fais qu'un traité d'administration.. couraient impunément les bourgs et les
Les mœurs publiques peuvent être cor- > campagnes, débitant à la fois, des drogues
rompues par le défaut d'instruction. C'est à nuisibles et des farces ordurières, et don-
la religion à instruire les peuples, et à l'au- naient
au villageois ébahi l'exemple de la
torité religieuse à veiller à ce que les peu-l- vie la plus licencieuse
pies soient instruits par les ministres de laa la et de l'escroquerie
] plus effrontée.
religion. Les mœurs publiques peuvent êtree 11 faut observer que les Romains ne met-
corrompues par de mauvais exemples; ainsi;i ttaient sur la scène comique
tout ce qui présente aux peuples une for- jpeuple qu'ils méprisaient, des marchands
que des Grecs,
tune faite par des voies injustes, une éléva- d'esclaves, des
t parasites, des courtisanes,
tion sans mérite, ou le mérite dans l'oubli, des £ esclaves, professions viles ou infâmes,
sans travail ou des servicess La
»
un salaire ] constitution des sociétés ne permet pas
sans récompense, la vertu opprimée, oui d'introduire
c dans la comédie les professions,
le vice triomphant, offre de mauvais exem- sociales,
s parce que l'homme ne. peut pas
pies et ne peut que corrompre les mœurss être ê séparé de la profession sociale dont il
publiques. e membre, et qu'ainsi, comme je l'ai déjà
est
«II y a, » dit Montesquieu, « de mauvais> dit, d les moeurs du roi, du prêtre, du noble,
exemples qui sont pires que des crimes; etL militairen ou sénateur, sont des moeurs pu-
plus d'Etats ont péri, parce qu'on a violéi bbliqnes, lesquelles
ne sont pas du ressort-
les mœurs, que parce qu'on a violé les de d la comédie, qui ne doit peindre
lois. » que les.
mœurs
n privées.
Assurément, l'exemple des succès de l'in- Les mœurs publiques appartiennent à la
trigue fait plus d'imitateurs que l'exemple (: tragédie; elle est l'école des professions
d'un assassin impuni. sociales. Elle honore dans Mithridate la
S(
Je dois le dire, parce que je ne veux rien profondeur
p des conseils; dans Auguste,
taire. La cause la plus féconde de l'extrême 1'l'empire de la clémence dans Achille, la
corruption des mœurs, en France, était hauteur h, du courage; dans Ulysse, l'ascen-
l'nistriomanie. Elle était devenue une mala- dant d, de la sagesse comme elle relève l'hé-
die épidémique, qui avait corrompu la ca- roïque
rc sainteté de Joad, la valeureuse fidélité
pitale, et infecté les provinces. Les petits d' d'Abner, la vertueuse fermeté de Burrhus,
spectacles de Paris étaient un établissement et le sublime attachement de Léontine
au
iuonstreux dans un Etat chrétien, et certai- sang se de ses rois; elle blâme la précipitation
nes pièces de théâtre un scandale dans une dansd; Thésée, l'orgueil dans Agamemnon,
société policée. La fureur avec laquelle on la vengeance dans Atrée, l'ambition dans
y courait aurait dû être, pour le gouverne- Agrippine
A comme elle flétrit la corruption
ment, la mesure de l'immoralité des spec- dans de Mathan, la flatterie dans OÉnone, et la
tateurs. Dans les provinces, des spectacles tr trahison dans Pharnace. Mais ce qui est re-
au-dessous du médiocre pervertissaient les m marquable, est qu'à mesure qu'une société
mœurs privées et publiques, sans aucune s'affermit s'< ense constituant,etqu'eltea moins
$ craindre des effets de l'ambition du sujet, CHAPITRE VIÏ.
ou du despotisme du monarque, la muse
tragique s'attache à décrire les funestes ef- DES GENS DE LETTRES.
fets de la volupté, seul danger qu'aient à Dans une société constituée, tout marcha
redouter les sociétés constituées; et soit àg sa perfection, parce que la constitution
qu'elle en montre les fureurs dans Oreste, n'est
}j que le développement de rapports
ou les faiblesses dans Titus, les impruden- nécessaires ou parfaits. Le progrès des let-
ces dans Britannicus, ou les indiscrétions tres
( est donc le résultat nécessaire de la
dans Bajazet, la honte dans Phèdre, ou les constitution; mais il est résultat, et non pas
1(
malheurs dans Ariane, elle cherche à prému- embellir
moyen. La culture des lettres peut
nir les rois contre cet écueil fatal à leur ta
j société,- mais elle ne peut la conserver;
gloire et au bonheur de leurs peuples. c'est-à-dire
( que les lettres en sont l'orne-
Dans ce siècle, par une suite de l'affai- 1ment,
le luxe; il faut donc en régler, ou,
blissement de la constitution dans toutes pré-
pour mieux dire, en diriger l'usage, en
ses parties, on avait donné des mœurs pri- venir l'abus.
vées aux professions publiques, pour pou- Les auteurs d'ouvrages de littérature, que
voir les introduire sur la scène* et l'on je distingue des gens de lettres, ne peuvent
représentait des hommes revêtus de pro-
former une profession, un corps
]

fessions sociales dans des attitudes naturel- 1° Parce que la société monarchique
tend
invinciblement à mettre les professions dans
les ou de famille. C'est ce qu'on appelle des
drames.. Le public applaudissait au talent les. familles, et qu'il ne peut y avoir des fa-
de l'auteur; il entrait dans la situation dumilles littéraires, comme il y a dés familles
personnage:- mais l'homme dégoût se re- militaires ou sénatoriales
prochait le. plaisir qu'il y prenait; un sen- 2° Parce qu'il ne peut y avoir
d'éducation
timent intérieur l'avertissait de l'inconve- particulière pour l'homme qui se destine ?t
nance du sujet, en le laissant jouir des beau-
la culture des lettres
tés de l'ouvrage. C'était la conscience de la 3° Parce qu'il faut être plusieurs ou corps
constitution qui s'élevait contre ces produc- militaires ou sé-
pour remplir les fonctions
tions bizarres, où l'on défigurait l'homme denatoriales, mais pour faire un ouvrage do
la société, pour nous peindre l'humme de littérature, il faut être seul. Une réunion
la famille. d'hommes de lettres ne peut faire en com-
Ce n'était pas assez, pour corrompre les compilations. En
mun que des recueils, des
mœurs, des spectacles publics, on y joignaitFrance, les beaux esprits réunis n'ont fait
la fureur des spectacles domestiques ( 1 ) de
que deux dictionnaires, et il y en a un
goût funeste, poison des moeurs privées, trop.
école de corruption et de persiflage, où l'on Les savants peuvent faire corps, parce que
apprend à être sans cesse un autre que soi, dans les sciences de calcul, un homme
à nouer des intrigues ou à avouer des pas- savoir
avec du sens et de l'application, peut
sions, à n'aimer que des amusements fu- su, et qu'ainsi tous
ce qu'un autre sait ou a
tiles, à n'estimer que des gens frivoles; oùpeuvent travailler avec les mêmes moyens
tous les âges, tous les sexes, toutes les pro-
et les mêmes données à perfectionner
tello
fessions viennent se confondre, oublier mémo
leurs devoirs, et changer la décence des ou telle partie d'une science. 11 est
nécessaire que les savants fassent corps
mœurs, la solidité des goûts, la dignité desparce qu'il n'y a que- les corps savants qui,
manières, contre l'afféterie et le jargon du puissent
théâtre. Ce sujet, sur lequel je me suis pour hâter les progrès des sciences,

(''
étendu, conduit tenter et suivre des entreprises qui surpas-
peut-être trop me na-
sent les moyens et la durée d'un individu,
tureHement parler des gens de lettres.
et que le gouvernement, pour en faciliter

(1) bans un Dialogue sur tes orateurs que dans un âge plus avancé, le goût des spectacles:
At nunc natus infans delegalur
Graculœ alicm un-
quelques critiques attribuent à Tacite, plutôt sur la» ciUw, cui adjungilur unns nul aller ex- omnibus ser-
pureté des principes qui y soin développes que surr Rorum fabulis -et erroribus teneri stalini et
aucune ressemblance du style, l'auteur, quel qu'il
ill vis
soit, met au nombre des causes de corruption deî rudes animi imbuunlur. Jam vero propria et pecu-
la jeunesse romaine, les leçons que lui donnaient t liaria hujus Vrbis vilia pêne in uter» m«lris conatr*
dans ses premières années des femmelettes grecquesi milii videntur, hhinanqïh favor, etc etc. (Cap. (as).}
W' fc* esclaves auxquels on en confiait le soin, et
le succès, peut foire en faveur d'un corps 1res, sans avoir fait ni histoire, ni discours,
des dépenses qu'il ne risquerait pas en ni pièce de théâtre, ni traduction, ni gram-
faveur d'un particulier. maire il suffisait d'avoir tu ce qu'ont fait les
Mais les beaux esprits ne peuvent faire autres, d'avoir retenu des anecdotes, des
corps; c'est à la fois contre la nature des traits; et si l'on joignait à ce mérite facile,
choses, et contre l'intérêt des lettres celui qui ne l'est guère moins, d'enrichir
1° Parce qu'il n'y a pas de raison pour l'Almanach des Muses de quelque épigramme
qu'il se trouve à toute époque de l'existen- bien précieuse, ou les journaux de quelque
ce d'une nation, un nombre déterminé de extrait bien philosophique, on pouvait har-
beaux esprits; il peut s'en trouver plus, il diment arborer l'enseigne du métier, et
peut s'en trouver moins, et la société est quelquefois sous le costume économique-
exposée à laisser le vrai talent sans récom- d'homme d'Eglise, plus souvent sous 1»,
pense, ou à honorer la médiocrité. dénomination insignifiante d'avocat, afficher-
2° Les lettres, lorsqu'elles font corps, sont 1l'indépendance de toute profession utile, le-
nécessairement asservies. Elles plieront sous mépris
] de toute autorité, et la haine de toute
Je parti dominant, parce
que le parti qui religion.
i Si les fonctions de ce nouvel état
domine sent l'avantage d'avoir pour soi les n'étaient
i pas pénibles, la morale n'en était
trompettes de la renommée, et qu'il s'attache pas
1 austère tout en frondant le gouverne-
à les séduire ou à les intimider. Des corps iment, on pouvait tendre la main pour en ob-
qui sont dans la nature de la société, et qui tenir
t une pension; en déclamant contre les
existent indépendamment des volontés du grands,
| on pouvait accepter leurs dîners; en-
gouvernement, peuvent braver ses menaces, iinsultant à la religion, on pouvait vivre de
ou mépriser ses caresses; mais une associa- ses
s biens,'et se parer de ses livrées.
tion qui existe malgré la nature des choses, Les bons ne font pas d'association particu-
et par la seule volonté du gouvernement, 1lière, et ils ne doivent pas en former, pare»
nne association qui veut exister, car tout ce qu'ilssont
c la société; mais les méchants, qui-
qui existe tend à perpétuer son existence, sont
s hors de la société, ne manquent pas de-
ne peut opposer aucune résistance,et appar- s réunir contre elle ce sont des gens sans
se
tient toujours, et tout entière, aux plus forts. aaveu, de divers pays,
que'le hasard a jetés-
Ainsi un corps littéraire louera, dans la s des côtes étrangères, et qui s'attroupent
sur
même administration, les mesures politiques
ppour en troubler les paisibles habitants. Les
les plus contradictoires; ainsi il sera dévot
ggens de lettres formaient donc'unecoalition;
dans un temps, et philosophe dans un autre 1, prétexte de leur réunion était le bonheur
le
Si l'Académie française eût subsisté sous des
d hommes; le but, la propagation du ré-
Robespierre, il eût fallu le louer ou périr; publicanisme et de l'athéisme les moyens.
p
et l'on peut appliquer à ce corps célèbre ces tous.
ti
belles paroles de Tacite, en parlant d'Agri- Les gens de lettres avaient usurpé un
cola « Heureux, » s'écrie-t-il, « et par l'éclat grand ascendant dans la société. Le gou-
g
de sa vie, et par l'à-propos de sa mort vernement, devenu plus timide à mesure-
v
(1).» » qu'il devenait plus faible, les redoutait par
q
J'ai distingué les auteurs d'ouvrages de instinct
ji du mal qu'ils pouvaient lui faire,
littérature, ou les beaux esprits, des gens de
ssans se mettre en devoir d'arrêter celui
lettres; et cette distinction n'est pas sans qu'ils
q lui faisaient. Ils avaient engoué les
^fondement. femmes en leur donnant de l'esprit, et les
j-(
1Le siècle de Louis XIV avu des historiens, hhommes en leur faisant des réputations;
des poëtes, des orateurs, des traducteurs,
pparce qu'ils s'étaient érigés en distributeurs
des critiques, des grammairiens, des hom- dde l'esprit et des réputations, et qu'ils dis-
mes distingués dans toutes les parties de la posaient
p exclusivement en leur faveur et
littérature notre siècle, qui a eu aussi, dans
e faveur de leurs amis, de je ne sais quello
en
tous.les genres, des écrivains célèbres, a opinion
0 publique dont ils étaient les souf-
produit une espèce d'hommes connus sous flfleurs et les échos. Cette société, tourmentée
le nom de gens de lettres. d la fureur des conquêtes et du besoin de
de
Ou pouvait, en France, être homme de let- s1
s'étendre, comme toutes les sociétés répu-

(1) lu verofelix. Agricola, non vitœ tantum claritate, sed eliani opportuniste mortis. (Tacit..
De mla Agric, cap. 43.)
blicaines (1 } avait fait de nombreux pro- à la société humaine ni constitution reli-
sélytes dans les classes les plus élevées, par gieuse, ni .constitution politique, et s'il a
ta licence de sa morale et la vanité du bel laissé aux passions le soin de faire des re-
esprit. C'étaient des intelligences qu' elle s'é- ligions, et au hasard le soin de faire des
tait ménagées dans le pays ennemi; et tout gouvernements les objets qui intéressent
était prêt pour un soulèvement général con- le plus sur la terre l'homme social, je veux
tre les principes conservateurs des sociétés, dire la religion et le gouvernement, ne sont
lorsque le tocsin des états généraux vint plus que des questions oiseuses et indiffé-
bâter l'explosion et donner le signal aux rentes, sur lesquelles la curiosité humaine
conjurés. Ce parti, vain et présomptueux, peut s'exercer à loisir semblables à ces
erut alors que son règne était arrivé; il s'a- systèmes sur le monde matériel, que Dieu,.
gita à la cour, intrigua à la ville, bouleversa comme dit le Sage, a livrés 4 nos vaines dis-
la composition des états généraux, confon- eussions. (Ecele. m, 11.)
dit l'antique et nécessaire- distinction des Mais s'il y a pour l'homme social une'
ordres, parvint à s'y introduire, et bientôt constitution religieuse et une constitution
à y dominer une fois maître du terrain, politique comme il y a dans l'homme natu-
tel qu'un usurpateur qui, en entrant dans rel une constitution intellectuelle et une
un pays dont il médite la conquête, rallie constitution physique, c'est-à-dire un es-
tous les mécontents, intimide les faibles, prit et un corps les actions qui tendent à
et séduit le peuple en lui accordant l'exemp-• détruire la constitution religieuse ou la cons-
tion de tous les impôts, le parti philosophe, titution politique de l'homme social, on de
précédé de la terreur, grossi par la foule la société, sont aussi criminelles que les
des ambitieux, souleva le peuple en luii actions qui tendent corrompre la constitu-1
accordant l'exemption de toute morale, ett tion intellectuelle de l'homme naturel, ou.
fit, dans la société civile, à la tête d'unes à détruire sa constitution physique.
armée de dupes et de scélérats, cette terri- Or il existe, pour Fhomme social, une et
ble et à jamais mémorable invasion dont lat une seule constitution religieuse,' une et
France la première a éprouvé les effets, ett une seule constitution politique je le ré-
dont l'Europe aveuglée a méconnu les sui- pète « Si je n'ai pas démontré cette vérité,
tes. d'autres la démontreront, parce que le temps
Les dogmes fondamentaux de cette sectei et les événements l'ont mûrie parce que
étaient la liberté indéfinie de la presse, lai son développement est nécessaire à la eon-
tolérance illimitée des opinions. C'étaientt servation de la société civile, et que l'agi-
ses armes offensives et défensives elle at- tation qu'on aperçoit dans la société n'est
taquait avec la liberté de la presse, elle ses autre chose que les efforts qu'elle fait pour
défendait avec la tolérance des opinions; enfanter cette vérité. »
principes de circonstance, et qu'elle a violéss Je permettrais donc la discussion ia plus.
sans pudeur, lorsqu'elle n'a plus eu rien à sérieuse et la plus solennelle de cette vérité,.
craindre que l'opinion, ni à immoler quee parce que je suis convaincu du triomphe de
la pensée 1 la religion chrétienne sur toutes les reli-
J'oserai émettre ici, sur la liberté de laa gions, et de la constitution monarchique sur
presse, une opinion qui ne satisfera peut- tous les gouvernements, comme je suis con-
être personne. C'est quelquefois le sort dess vaincu de l'égalité des diamètres d'un même
opinions modérées et raisonnables. cercle.
Si le- Créateur a mis dans le coeur dess Je dis la discussion la plus sérieuse et la
hommes le sentiment de son existence ettt plus solennelle, car si un écrivain se per-
celui de leur destination future, sans dai- mettait d'attaquer sourdement, de miner la
gner leur apprendre comment ils pourraientit religion et la constitution en paraissant pé-
conserver l'un et l'autre; si, les ayant faitss nétré de respect pour l'une et pour l'autre
pour vivre en société, il n'a pas daignéé je dirais Voilà un lâche à qui il ne manque
leur enseigner comment cette société pou- qu'un tyran pour être un esclave; il eût loué
vait subsister heureuse et indépendante, lors-s- la douceur de Marat et Y humanité de Robes-
-•
qu'il donne aux animaux mêmes qui for- pierre il n'ose ni attaquer l'erreur, ni dé-
ment société, des règles admirables qui en n fendre la vérité et je le punirais comme
assurent la durée; si Dieu enfin n'a donnéé un vil corrupteur de la morale publique.
W On dit avec raison, la république des lettves*
Si un écrivain se permettait d'attaquer la nature
n ne lui a pas encore appris, ou ré-
constitution religieuse et politique, par des véler
v à l'homme ce qu'elle n'a pas voulu
plaisanteries et par des sarcasmes; si dans lui
Il apprendre? C'est un écrivain irffârne qui
une discussion sérieuse il osait défigurer contrarie
c la nature en devançant ses leçons,
l'histoire, altérer les citations, tronquer les 0 qui l'outrage en dévoilant, ses mystères;
ou
passages, je dirais Voila un scélérat à qui e je le bannirais à jamais de la société.
et
il ne manque que du courage pour être un Ce que je dis des productions de l'esprit
assassin; il ne feint de vouloir éclairer le peut,
p avec bien plus de raison encore, s'ap-
peuple sur les abus de la religion et les pliquer
p aux productions des arts tous les
vices de la constitution, que pour lui inspi- esprits
e ne comprennent pas, mais tous les
rer le plus profond mépris pour toute re- yeux
y voient
ligion et pour tout gouvernement; il veut. Segn'ms irritant animos.
ôter tout frein aux passions il attaque la (HORAT. Ve arte poet., vers. 180.)
religion et la constitution par des raille- Gouvernements 1 voulez-vousaccroître la
ries et des impostures parce qu'il sait que f
force de l'homme? Gênez son cœur, contra-
ce n'est pas par des railleries et des impos- riez
r ses sens semblable à une eau qui se
tures qu'elles peuvent se défendre; il cher- perd
¡: dans le sable, si elle n'est arrêtée par
che à pervertir et non à corriger et j'ap- une
i digue, l'homme n'est fort qu'autant
pellerais sur sa tête toute la sévérité des qu'il
c est retenu.
lois. Si les lettres et les arts doivent corrompre
Si, pour avertir l'autorité des erreurs ou les
1 hommes et perdre la société, il faut anéan-
des fautes de ses délégués, un écrivain ex- t les lettres et les arts mais ils peuvent
tir
citait les peuples à la révolte; si au lieu porter
1 l'homme à la vertu, perfectionner ou
d'employer l'expression de la fidélité à l'E- embellir
E la société, il faut en encourager le
tat et de l'affection pour le monarque, il goût,
g en diriger l'emploi, en récpmpenser
embouchait la trompette il sonnait le toc- les
1 progrès, et ne pas oublier que la société
sin de la rébellion C'est un factieux, dirais- doit
c être sévère dans ses châtiments, mais
je; ce n'est pas le maintien de la constitu- magnifique
r dans ses récompenses, et qu'elle
tion mais sa subversion qu'il demande; il doit
c punir et récompenser en société,
ne veut pas avertir l'autorité, mais égarer J'ai dit ailleurs que l'art de l'imprimerie
le sujet; il est le vil fauteur .d'une faction était un développementnécessaire de la so-
désespérée, ou l'instrument mercenaire du ciété
c religieuse et politique; et ceux qui, à
jaloux étranger, et je le livrerais aux tribu- i vue des désordres qu'a produits dans la
la
naux. société,
s par la faute des administrations, l'a-
Je serais d'une extrême sévérité sur bus
1. de cet art précieux à l'humanité, regret-
les ouvrages qui offensent les mœurs. Un ttent le temps où l'on ignorait, dans les clas-
écrivain qui discute avec bonne foi et sans ses
s même les plus élevées, l'art de lire et
exagération, les principes de la religion et c d'écrire, semblent craindre qu'une discus-

ceux de la politique, peut, même en se sion


s trop approfondie ne fasse évanouir les
trompant alléguer pour sa défense qu'il a vérités
a conservatrices de t'homme et de la,
voulu éclairer les hommes et leur montrer société.
s Cette crainte est injurieuse à la Di*
ce que, dans sa science il croyait être la vinité,
a et les vérités qu'elle a daigné révéler
vérité. L'ouvrage peut être dangereux, sans caux hommes, ou celles qu'elle a permis que

que l'auteur soit coupable; et si le gouver- 1les hommes découvrissent, ne seront jamais

nement doit sévir contre les vices du cœur, assez


i approfondies par ceux que leur rang,
il ne saurait, sans une extrême sévérité, pu- c'est-à-dire
( leurs devoirs dans la société,
nir les erreurs de l'esprit. Mais quel motif obligent
( à les étudier et à les connaître, et
peut alléguer, pour sa justification, l'auteur qui
( sont faits pour gouverner, sinon par
d'un ouvrage obscène ? Dira-t-il qu'il a 1l'autorité des places, au moins par celle de

voulu amuser ses concitoyens? Mais s'il ne l'instruction


1 et de l'exemple, ceux à qui la
sait pas instruire les hommes sans les en- ifaiblesse de leur âge, de leur condition ou
nuyer, no peut-il les amuser sans les cor- de
< leur esprit ne permet pas de se livrer à
rompre ? mais l'homme est-il en société pour des
< études pénibles, ni d'acquérir des con-
s'amuser, ou pour devenir meilleur et ren- naissances
i étendues.
dre les autres plus heureux ? Quel est son Pourquoi l'administration ne ferait-elle
but? Veut-il apprendre à l'enfant ce que la pas faire des éditions châtiées des autours
151 OEUVRES COMPLETES
1E.O DE
UJB, M.
m. DE BONALD.
Ut, KUINALD. 832
célèbres
C6ièbreS?OUe)
quel est
les impiétés,
rf<n<~f fanatique
CP respect
PS~. ce fanalirrnn pour 1'0. l'administration,
prenait en France
nn"r nrr,no;F
les obscénités, les absurdités
1'nr1.v-f..n'w. pour at-
teindre un but aussi louable, devaient être
d'un écrivain ? Un sophisme est-il plus
res- • une des causes de la ruine générale, comme
pectable parce qu'il est de Rousseau, elles. en sont devenues un des instru-
ou une
raillerie impie moins déplacée
parce qu'elle ments.
est de Voltaire? Le jeune homme ne peut- La philosophie' qui gâtait tout, jusqu'au
il lire la tragédie de Mérope
ou l'Histoire de bien qu'elle faisait, avait, pour étaler sa fas-
Charles XII, sans trouver à côté des contes tueuse bienfaisance,imaginé d'attrouper les
philosophiques ou un poëme licencieux?
pauvres dans des ateliers de charité: mesure
Est-il absolument nécessaire d'essuyer la fausse et dangereuse, et qui prouvait dans
lecture des paradoxesde Rousseau, l'égoïsme
ses auteurs une ignorance profonde des rè-
de ses Confessions, le scandale de
sou Hé- gles d'une véritable charité, des principes de
loïse, pour connaître les beautés vraies et la constitution des sociétés, des règles d'une
touchantes qui sont répandues dans saine administration, du caractère des hom-
Emile! Et les Lettres persanes font-elles son
suite nécessaire à l'histoire de la Grandeur
une mes en général, et du pauvre en particulier.
Tout ce qui a rapport à 'l'homme et à la
et de la décadence des Romains? Est-ce de société doit être considéré sous des rap-
l'intérêt d'un auteur ou de l'intérêt de la ports moraux et sous des rapports phy-
so-
ciété que le gouvernement doit s'occuper? siques, parce que la société est intérieu-
DoiUil être lepartisanfanatique de J.- J.Rous-
re et extérieure, comme l'homme lui-même
seau, de Voltaire, etc., ou le défenseur des est intelligent et matériel. Examinons sous
vrais principes, et le tuteur de la société?
ce double point de vue cette mesure de
Tout ce qui serait de l'écrivain social serait bienfaisance publique qui a excité un si
conservé, tout ce qui serait de l'homme se- grand enthousiasme parmi ceux que leurs
rait supprimé, et si je ne pouvais faire le devoirs n'avaient jamais rapprochés de la
triage, je n'hésiterais pas à tout sacrifier. Je classe obscure et pauvre, ni familiarisé*
ne demanderais pas avec le géomètre avec les détails et la pratique de l'adminis-
Qu'est-ce que cela prouve? Mais je deman- tration.
derais avec la nature Quel avantage peu- Les ateliers de charité étaient dangereux
vent en retirer l'homme et la société? parce sous des rapports moraux 1° parce qu'en
que c'est uniquement sur cette règle que réunissant par nombreuses troupes, les pau-
l'administration doit juger le mérite de l'ou-
vres de tout âge et de tout sexe, c'est-à-dice*
vrage, et récompenser le talent de son au- la partie d'une nation que le défaut d'édu-
ieur. Il est temps de revenir à des vérités cation et l'urgence des besoins rendent mal-
simples, comme le sont toutes les vérités heureusement la plus corrompue et la plus
so-
ciales, à des vérités triviales, comme toutes corruptible, on dépravait lafaiblesse de l'âge•
les vérités sociales devraient l'être. Il n'y et celle du sexe; l'enfant et l'adolescent y
a
de beau que ce qui est bon il n'y de bon entendaient, y apprenaient ce qu'ils ne de-
a
que ce qui est utile à la société, et, dans la vaient ni entendre ni savoir, et ils en reve-
société constituée, celle dans laquelle tous naient avec quelques sous de plus dans leur
les êtres tendent à leur perfection, l'on poche, et le germe du vice dans l'esprit et
ne ]
doit conserver oue ce qu'il y a de bon et dans
< le cœur.
d'utile. 2° Les jeunes personnes, qui auraient
ttrouvé dans des occupations plus sédentai-
CHAPITRE VIII.
res des moyens de subsistance plus conve-
nables
I à leur sexe, préféraient ces nombreu-
BIENFAISANCE PUBLIQUE.
ses assemblées où régnait la joie grossière,,
J'ai remarqué, dans la seconde partie de c'est-à-dire
( la licence du pauvre qui a du
cet ouvrage, comme- une preuve de la vanité pain.
1
des projets de la sagesse humaine, que l'é- 3° Ces attroupements autorisés, soldés par
poque à laquelle les gouvernements travail- 1l'administration, enhardissaient le
pauvre et
iaientavec le plus d'ardeur à bannir de leurs 1lui ôtaient le frein de la honte, juste châti-
Etats la pauvreté, ou du moins la mendicité, ment
r de la pauvreté, qui, dans le pauvre
a été l'époque d'une indigence et d'une avalide, n'est jamais que le résultat de la pa-
expropriation presque universelle; et je ne rresse et du vice; et tel homme qui aurait
crains pas d'ajouter que les mesures que rougi
i de demander des secours à la charité
particulière, ou de les recevoir dans les té; or la nature de la société tend à faire
tE
maisons publiques, sollicitait, le front levé, d tous les hommes des hommes sociaux
de
une place dans l'atelier de charité il y avait donc
d elle appelle tous les hommes à la pro-
même une honteuse émulation pour s'y faire priété.
p Mais l'homme ne peut y parvenir que
inscrire; il fallait des protections pour en p, le travail, et nedoit y parvenir que par
par
obtenir la faveur; en sorte que, pour bannir u travail légitime donc tout homme doit
un
ia mendicité publique, on la provoquait, on s'occuper à un travail permis, pour deve-
s'
la créait, et cet abus était poussé si loin, n propriétaire et s'élever ainsi au rang
nir
qu'on voyait quelquefois des bourgeois aisés d'homme social; et comme l'homme ne peut
d
envoyer leurs domestiques travailler à l'ate- tr travailler sans acquérir quelque propriété,
lier de charité. on
01 peut dire de tout homme qui travaille,
Les ateliers de charité étaient nuisibles qu'ilq est homme social, et de celui qui ne
sous des rapports extérieurs et politiques; travaille
tr pas, qu'il est hors de la société.
1° ils nuisaient à l'agriculture, parée que le L'homme est donc propriétaire, ou il ne
pauvre préférait d'aller travailler, ou pour ]'l'est pas s'il n'est pas propriétaire, et qu'il
mieux dire, ne rien faire dans ces rassem- soit si privé des facultés physiques et morales
blements que l'on ne pouvaitsurveiller, où it indispensables pour le devenir en travail-
il se rendait plus tard, travaillait moins assi- hlant, la société civile, c'est-à-dire la société
dûment, que dans les travaux particuliers, et politique
p et la société religieuse, doivent
d'où il se retirait p'.us tôt; il y contractait sisuppléer au défaut de ses facultés et pour-
l'habitude de l'indolence et du travail sans voir v à sa subsistance, parce qu'elles doivent
activité. Qu'on ne dise pas qu'on n'occupait soulager
sc toutes les faiblesses physiques et
le pauvre que dans les saisons mortes car morales rr de l'homme. C'est là l'objet des hô-
les saisons mortes pour les travaux annuels pitauxp et autres fondationspieuses. La société
et ordinaires de l'agriculture sont les temps ppolitique envoie le pauvre dans ces établisse-
les plus propres aux travaux extraordinaires n ments, qu'on peut regarder comme les hôtel-
et d'amélioration. leries de la Providence sur la longue route
lE
2" Dans la plupart des lieux, on faisait des des
d misères humaines. La société religieuse
travaux sans objet utile, et uniquement pour l'y ]• reçoit; et si le gouvernement assure à son
avoir occasion de former un atelier de cha- corps Ci une subsistance qu'il est hors d'état
rité; en sorte que le pauvre, qui voyait dde se procurer par le travail, la religion
qu'on ne le faisait travailler que pour avoir ddonne à son esprit des leçons utiles à l'i-
un prétexte de lui donner, ne faisait de tra- ggnorance, et à son cœur des consolations
vail que ce qu'il en fallait pour avoir un pprécieuses à l'infortune. C'est par ces insti-
prétexte de recevoir, et qu'ainsi, au scandale tutions
tt sublimes, qu'au milieu d'un peuple
d'une distribution quelquefois sans besoin de d propriétaires, l'indigence même, grâce à
se joignait l'abus d'un travail souvent sans la la charité, est devenue le propriétaire le
utilité.. plus ancien et le plus opulent. Ces établis-
p
3" On admettait dans les ateliers de charité sements,
si dans lesquels toutes les faiblesses
des pauvres hors d'état, par leur âge ou leurs hhumaines, physiques et morales, trouvent
infirmités, de faire aucun travail; or il est un u asile et des secours, apprennent au peu-
contre la nature et la raison qu'on fasse tra- plep que le malheur est de tous les temps et
vailler celui qui ne peut pas travailler, ou la ]t religion de tous les siècles; que si la na-
qu'on paye celui qui ne travaille pas. ture ordonne le travail à l'homme, la religion
t.
Enfin les ateliers de charité sont devenus ddéfend au Chrétien l'inquiétude sur sa sub-
dangereux à la tranquillité publique, et les sistance,
s poison du cœur humain source
factieux s'en sont servis avec succès pour dd'attentats et d'injustices, et dans ses besoins
commencer la révolution. A leur voix les extrêmes, e lui offre des ressources qui ne
pauvres se sont métamorphosés en bri- ddoivent rien coûter à son amour- propre
gands, et les secours de la charité en solde puisqu'ils
p n'ôtent rien à son indépendance
de crimes. n à son semblable. Dans ces fondations pieu-
ni
Cherchons, dans la constitution religieuse ses,s à l'administration desquelles concou-
et politique des sociétés, les vrais principes r.raient, du moins en France, toutes les auto-
de la bienfaisance publique et des moyens rités r religieuses et politiques des villes où
efficaces de réprimer la mendicité. elles
e étaient placées, le pauvre voyait avec
L'aomme social est l'homme et la proprié- respect,
r< avec reconnaissance, les personnes
..élevées en dignité que dans son abaisse- e- L'homme qui n'est pas- propriétaire, et qui
ment, il croyait peut-être indifférentes à ses
es ne veut pas travailler pour le devenir, quoi-
maux, se réunir sous ses yeux, dans l'en-
n- qu'il ait le libre usage de ses facultés phy-
ceinte qui renfermait toutes les misères, s, siques et morales, doit être contraint au
pour s'occuper ensemble des moyens de les es travail par les pouvoirs réuni*de la société
soulager. C'est sous ce point de vue, c'est ist religieuse et de la société politique l'une
sous Je rapport de l'homme moral, qu'il fal- il- doit déterminer la volonté, et l'autre con-
lait considérer ces établissements. La philo- o- traindre le corps, s'il est nécessaire, parce
sophie les a considérés sous le rapport de ie que l'une et l'autre doivent faire, de tout
l'homme physique; et dans ceci, comme 1e homme valide, un membre de la société, un
dans tout le reste, elle a mis des opinions ns homme social un propriétaire. D'ailleurs
problématiques, exagérées, à la place de sen- 1- l'homme qui ne vit pas de sa propriété, vit
timents vrais et profonds. Je crois,je sais queîe nécessairement de celle d'autrui il fores
quelques abus se glissaient dans l'adminis- s- par conséquent quelqu'un à travailler pour
tration de ces riches établissements; que le le faire vivre ii opprime donc quelqu'un
goût des bâtiments et la, manie des spécula- a- dans la société; Je pouvoir de la société po-
tions en avaient plus d'une fois égaré les js litiqué, institué pour défendre la liberté de
administrateurs que des soins donnés à unn tous contre toute espèce d'oppression,. doit
aussi grand nombre d'individus n'étaient ni li donc contraindre le paresseux valide au.
aussi éclairés, ni aussi affectueux que ceuxx genre de travail auquel ses facultés physi-
que l'homme aisé reçoit dans le sein de sa ;a ques et morales le rendent propre. Quel qne-
famille le gouvernement devait perfection- i- soit Je genre de travail auquel il l'applique,
ner la manutention des hôpitaux, en sur- et les moyens qu'il emploie pour l'y con-
veiller la régie, interdire à leurs adminis-
»- traindre, le gouvernement ne doit jamais,
trateurs un faste déplacé ou des spéculations
is perdre de vue la dignité de l'homme moral
hasardées rien de plus utile et de plus aisé.
5. mais il ne doit pas craindre de gêner sa li-
La philosophie est venue avec ses projets, >, berté, puisqu'il le rétablit, au contraire, dans
la philanthropie avec ses calculs, la vanitéé sa véritable liberté, qui n'est, comme on Ta
avec son étalage de bienfaisance, le bel es- vu, que l'obéissance aux lois, ou rapports né-
prit avec ses phrases on a calculé ce quee cessaires dérivés de la nature des êtres en
coûteraient le lit et les bouillons, le ser-- société,etquelanécessité de travailler pour
vice et les remèdes dans des hôpitaux par- devenir membre utile de la société, est une.
ticuliers rien de moral, encore moins dee loi ou rapport nécessaire dérivé de la nature
religieux, n'est entré dans ces combinai- de l'homme intelligent et physique.
sons fausses ou perfides. On a jeté dans l'es- Il se présente deux questions impor-
prit du pauvre des soupçons sur la probité, tantes.
pu du moins sur la sagesse des administra- 1° Si le pauvre ne trouve pas du travail
teurs, et dans l'esprit du gouvernement dess l'administration générale ne doit-elle pas lui
doutes sur Futilité des établissements; et lee en donner? Non; car l'administration ne
gouvernement abusé, honteux lui-même dee peut lui en donner sans tomber dans tous les.
sa démarche n'osant pas ordonner, invitee inconvénients que j'ai relevés. en traitant
les hôpitaux à vendre une partie des pro- des ateliers de charité; mais elle doit faire
priétés foncières qui formaient leur dota- en sorte qu'il en trouve, c'est-à-dire qu'elle
tion, pour en placer le capital sur un Etatt doit influer par des dispositions générales
obéré; et il ne craint pas d'associer, par cette3 et non agir par des mesures particulières.
mesure, la charité publique au jeu coupablei Or cette facilité qu'a le pauvre de trouver
de l'agiotage et l'indigence publique aux du travail est le résultat nécessaire d'une
suites probables du déficit. Mais le fléau dess bonne administration, c'est-à-dire d'une ad-
calamités humaines s'est débordé sur lai ministration sage, attentive, prévoyante et
France; la philosophie a pu réaliser ses pro- économe; soit parce qu'une bonne adminis-
jets de destruction les biens, les maisons de? tration ouvre des travaux dans les ateliers
ces établissements ont été vendus ou ren- publics, employés à la confection ou à l'en-
versés, et la France sans hôpitaux est deve- tretien des propriétés de l'Etat, lesquels ate-
nue elle-même un vaste hôpital. Après cette liers, surveillés parl'intérêt personnel d'un
digression nécessaire, je reviens à mon su- entrepreneur, n'ont aucun des inconvénients
jet. moraux et physiques des ateliers de charité;
soit parce qu'une bonne administration, tun, mais il n'est pas dangereux; or, 'il n'y
permettant au propriétaire l'emploi libre et a qu'un danger imminent pour la société
décent du superflu que lui laissent des im- qui puisse autoriser le gouvernement à at-
pôts modérés, et dont ]a loi qui veille à la tenter à l'indépendance de l'homme. D'ail-
défense de la propriété lui assure la paisible leurs, il faut en revenir à la maxime du
jouissance, l'invite à employer une partie de grand Maître Vous aurez toujours des pau-
ses revenus à améliorer ses fonds genre de vres au milieu de vous (Matth. xxvi, 11;
luxe qu'il est très -aisé au gouvernement C Marc. xiv, 7; JoàH. xn,8); et il est plus
d'introduire, ou plutôt de favoriser, et qui, important qu'on ne pense de laisser sous les
à quelque excès qu'il soit poussé, ne pent yeux de l'homme heureux, le spectacle de
qu."être utile à la propriété publique, lors l'humanité souffrante, et sous les yeux du
même qu'il dérangerait la fortune du parti- pauvre, le spectacle de la richesse bienfai-
culier. Ce qui fait que les grands proprié- sante. L'administration aura beau faire, elle
taires sont nécessaires dans une grande so- ne soulagera jamais toutes les misères indi-
ciété parce qu'eux seuls peuvent cultiver viduelles les différentes assemblées qui ont
en grand cultiver avec intelligence, et se opprimé la France ont ruiné tous les riches
livrer à des essais qui donnent à vivre aux sans pouvoir nourrir tous les pauvres; et
pauvres et tournent toujours au perfection- dans l'impuissance de leur donner du tra-
nement de l'agriculture. C'est par un salaire vail et du pain, elles ont été réduites à les
payé à un travail utile, plutôt que par des envoyer périr dans les armées. Bien plus,
largesses faites à l'indigent oisif, que les quand l'administration pourrait soulager
riches remplissent leur destination reli- toutes les misères, elle devrait bien se gar-
gieuse et politique, et qu'ils sont, conformé- der d'ôter à la charité particulière un ali-
ment aux vues de la Providence et à l'inté- ment nécessaire un puissant moyen de
rêt de l'Etat, les économes et les dispensa- rapprochemententre les diverses conditions.
teurs des fruits que la nature fait naître pour Dans une société où il n'y aurait personne
tous les hommes. Ces grandes propriétés à soulager, il n'y aurait que des égoïstes,
viennent des substitutions, du droit d'aî- dont le cœur insensible aux malheurs des
nesse, etc.; car tout se tient dans une so- autres, ne: serait: dilaté que par la vue de
ciété constituée. Si le gouvernement doit l'or, ne palpiterait jamais que de la crainte
faire en sorte que l'homme trouve du travail, de le dépenser dans ces sociétés, on ne
il ne doit pas laisser la femme sans occupa- connaîtrait qu'une vertu, la richesse; qu'un
tion parce que c'est en l'occupant qu'il peut vice, la pauvreté. Voyez la fureur, la rage
soulager sa faiblesse physique et morale. Il d'acquérir, qui dévore, qui consume la na-
doit donc influer pour que les honwnes ne tion de l'Europe autrefois la plus désinté-
s'emparent pas exclusivement des métiers ressée, depuis que les institutions républi-
auxquels la nature, et je dirai même la bien- caines ont établi le pouvoir particulier, ou
séance, appellent les femmes; parce que là Yamour de soi, h la place du pouvoir géné-
nature et la bienséance ne permettent pas ral, ou de l'amour des autres. La religion
aux femmes de se livrer aux travaux qui rapproche la pauvreté et la richesse d'une
sont réservés aux hommes. manière admirable; en faisant un devoir
Cet abus existait en France; et tandis que du travail, et un bonheur de la médiocrité,
la-mollesse et le luxe multipliaient les mé- elle invite le pauvre à devenir riche par son
tiers sédentaires, un autre genre de luxe les travail, et le riche à devenir pauvre par ses
conuait exclusivement aux hommes, et dé- bienfaits, et elle prévient ainsi le danger de
plaçait un sexe, en opprimant l'autre. Les l'oisiveté dans le pauvre, et de la dureté
classes qui ont généralement fourni le plus dans le riche; elle console celui que sa con-
d'agents mercenaires de révolution et de dé- dition pourrait jeter dans le désespoir, elle
sordre, ont été celles des histrions, des la- fait craindre celui que sa fortune pourrait
quais, des filles publiques, c'est-à-dire cel- enfler d'orgueil si elle sanctifie, par le pré-
les où la force de l'homme était le plus dé- cepte de l'aumône, la richesse, résult-at né-
placée et la faiblesse de la femme le plus op- cessaire du travail qu'elle prescrit, elle dé-
primée. fend l'attachement aux richesses, qui dé-
2° Doit-on renfermer dans les hôpitaux et grade l'homme, en rendant esclave de la
les maisons de force les pauvres invalides? propriété celui qui. est fait pour user eu
Noi» car le pauvre invalide peut être impor- maître de la propriété, et elle rend l'homme
pauvre au milieu des richesses, comme elle jours trop fort ou trop faible, lorsqu'il plaide
le rend tempérant au milieu des plaisirs; contre un particulier.
car la religion permet qu'on use de tout, et Cette observation pourrait convenir aux
veut qu'on n'abuse de rien. domaines de la religion.
L'administration doit empêcher avec soin Je voudrais que le roi eût des domaines
le vagabondage des enfants, au moins hors dans chaque province ou division du royau-
de leur paroisse, parce que cette vie errante me, et que, dans chaque province, ces do-
les prive de tout moyen d'instruction, et les maines fussent contigus et réunis, autant
grands
expose à tous les genres de séduction on qu'il se pourrait, en un ou plusieurs
peut le permettre aux vieillards et aux in- corps d'exploitation.
firmes, qui d'ailleurs ne peuvent s'écarter 1° Il y aurait alors moins de prétextes et
bien loin de leur domicile. Il va sans dire, de facilité à des échanges frauduleux, à des
des
que l'Etat ne doit pas souffrir que ceux qui engagements ruineux, qui ne sont que
ont perdu à son service la faculté de travail- ventes à vil prix.
ler, aillent solliciter les secours de la charité 2° L'exploitation en serait plus facile et
particulière l'administration doit donner par conséquent plus avantageuse, et la régie
conséquent plus
aux sujets l'exemple de toutes les vertus; et en serait plus simple et par
si la première vertu sociale est la justice, la aisée à éclairer. Ces domaines exploités et
seconde est la reconnaissance. Il y avait en régis dans une forme particulière, qu'il est
France un établissement destiné aux soldats inutile de développer ici, et que je crois
invalides. Ce serait un grand abus que d'y réunir de grands avantages à de légers in-
admettre des soldats valides, et dont l'Etat convénients deviendraient, dans chaque
véritables écoles
ou la famille peuvent encore employer uti- province, de grandes et
lement les forces. d'économie rurale bien supérieures aux
académies ou sociétés d'agriculture et à
CHAPITRE IX. leurs journaux, parce qu'elles réuniraient
la pratique la plus étendue à la théorie la
DES FINANCES plus perfectionnée. Elles pourraient servir à
J'appelle finances de l'Etat tout ce qui sert introduire dans une province de nouvelles
à en solder les dépenses cultures, de nouveaux procédés d'agricul-
bestiaux, l'es-
J'ai considéré ces dépenses sous deux ture, à améliorer les races des
aspects dépenses personnelles du roi, dé- pèce des productions, etc., etc.
Cette réunion des domaines royaux dans
penses publiques de l'Etat. J'ai dit qu'elles plusieurs grands
devaient être soigneusement séparées,j'en chaque province en un ou
ai donné la raison. corps, ne peut être que l'ouvrage du temps,
La société fournit aux dépenses person- et le résultat d'un
plan uniforme et invaria-
nelles du roi, par les domaines qu'elle lui ble. Ce plan demande une grande suite et
assigne. des précautions infinies dans son exécution;
Elle fournit aux dépenses publiques de mais il résulterait naturellement
du mode
l'Etat, par les contributions qu'elle lève sur d'exploitation et de régie dont j'ai parlé.
les peuples. Une fois l'opération consommée, il fau-
échanges, fussent-
Il faut au roi des propriétés, parce que le drait briser le moule des
Majesté,
pouvoir doit être indépendant; il doit être ils extrêmement avantageux pour Sa
lui proposât-on, en contre-échange des ob-
je plus grand propriétaire de l'Etat, parce et
qu'il doit être le plus indépendant de tous jets situés dans son parc de Versailles car on
les membres de la société. avait quelquefois recours à ces misérables
Il faut que ces propriétés soient répan- subtilités,
3

dues dans tout le royaume, pour mille rai- Je viens aux impôts.
sons politiques et principalement pour La société emploie à sa conservation les
rendre impossible, dans une guerre civile, hommes et les propriétés; puisque la fin de
ou une révolte partielle, l'envahissement de la société est la conservation des hommes et
toutes les propriétés royales à la fois. des propriétés, et que la société elle-mêtne
Il serait à désirer que le roi eût, dans ses n'est qu'hommes et propriétés.
domaines, peu de droits litigieux, afin qu'il L'homme doit être employé par le servie
eût le moins possible d'intérêts particuliers personnel la propriété doit être employée
à démêler avec les sujets. Le roi est tou- par l'impôt, parce que le service personnel
SG1 PART. 1. ECONO.U. SOC-THEORIE DU POUVOIR.
DU VOIR. PART.
PA1U. III. AUA1IMST.L. II.
KUU^. ET ADMINIST.L.
111. EDUC. H. 862
8R2
ÙCl dans
est W l nature
O n C?la if J"l l'homme,
de.
*1 *1 I *V\ /\>-vl vis* «et l'impôt
11MA Ê. 1 -T -«.^ 4A comme
– ont fait j I i*
11 les Solons
1 modernes;
v puis-
dans la nature de la propriété. que c'est imposer Je malheur des circons-
L'homme et la propriété appartiennent à tances, le travers de l'esprit, les intirmités
la famille avant d'appartenir à la société du corps, les vices du caractère, qui ne sont
II suit de là 1° que la société doit em- pas des propriétés; puisque c'est dénaturer
ployer, plus ou moins, l'homme et la pro- l'idée de l'impôt, que de le faire regarder
priété, à mesure que l'homme et la pro- comme une peine, et que c'est consacrer le
priété sont plus ou moins nécessaires à la célibat que de l'imposer. En effet, un hom-
famille; me que la société impose, parce qu'il vit
2° Que les exemptions dont jouissent par- dans le célibat, achète de la société même,
tout, relativement au service militaire, les par l'impôt qu'il lui paye, le droit de rester
pères et les aînés de famille, sont dans la célibataire.
nature de la société; Un gouvernement réduit à faire de pa-
3° Qu'un emploi uniforme de la propriété, reilles lois pour encourager les mariages,
sous le nom d'impôt unique, est contre la est bien ignorant ou bien oppresseur.
nature de la société. Imposer une propriété, est en prendre une
Si l'homme ne doit être employé que par partie.
le service personnel, l'impôt sur l'homme Il y a des propriétés dont on peut prendre
connu dans le pays de taille réelle sous le une partie en nature, parce qu'elles ne font
nom de capitation, est contre la nature de pas un tout indivisible.
l'homme. -Ainsi l'on peut prendre une partie d'une
Si la propriété doit être moins employée quantité de blé ou d'une quantité de vin.
ou moins imposée, à mesure qu'elle est plus J'ai donné ailleurs la raison politique qui
nécessaire à la famille, le blé doit être im- doit faire préférer la perception en nature.
posé, à proportion, moins que l'amidon, II y a des propriétés dont on ne peut
Le vin moins que les liqueurs, prendre une partie en nature, soit parce
Le sel moins que le sucre, qu'elles font un tout indivisible, comme la
La viande moins que le café, plupart des productions des arts on ne peut
Les toiles moins que les mousselines, pas prendre un panneau d'une voiture, ni
Les draps moins que les velours, une pièce d'un service de porcelaine; soit
Les cuirs moins que 1 es cartes à jouer, etc.; parce qu'on ne pourrait conserver ou em-
c'est-à-dire, qu'il faut imposer beaucoup sur ployer la partie que l'on prendrait ainsi
le superflu, peu sur l'utile, rien sur le né- l'on ne pourrait prendre un morceau de
cessaire. viande, ni une aune de toile ou de drap sur
Tous les hommes, tous les animaux do- une pièce de toile, ou sur une pièce de drap.
mestiques sont destinés à travailler pour la Alors la société se sert de l'évaluation que
société, et l'homme doit tout son temps à la le commerce a faite, pour la facilité des
société. échanges, en un signe commun et convenu,
Donc celui qui occupe, pour le service et elle vend, sur-le-champ, au propriétaires
seul de sa personne, des hommes ou des la partie de sa propriété qu'elle a droit
animaux qui pourraient être employés à d'exiger, mais qu'elle ne peut percevoir en
l'utilité de la société, et celui qui emploie à nature sans se nuire à elle-même ou sans
ses plaisirs un temps qu'il doit à la société, nuire au propriétaire.
doivent un dédommagementà la société. Distinction nécessaire de l'impôt en. na-
Donc l'impôt sur les domestiques ou sur ture et de l'impôt en argent.
les chevaux de luxe, et celui sur les cartes Certaines propriétés sont imposables di-
à jouer, les dés, etc., sont dans la nature rectement et en elles-mêmes,soit en nature,
des choses et dans la nature de la société. soit en argent, comme le blé, le vin, le sel,
La société doit employer, pour sa conser- parce qu'elles peuvent être employées
vation, toutes les propriétés, parce qu'elle comme la nature les a faites; mais il y en
défend et qu'elle conserve toutes les
priétés.
pro- a d'autres qui ne sont imposables qu'indi-
rectement, et lorsque l'art leur a donné une
Ainsi toutes les productions du sol et
l'industrie sont imposables, parce qu'elles
de autre forme ou une nouvelle destination.
Ainsi le chanvre, les bêtes à laine, les vers
sont une propriété. à soie ne peuvent pas être imposés directe-
Mais on ne peut pas imposer le célibat, ment, parce que, pour faire servir le chan-
8C)5i ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 864
ou la soie à l'usage de l'homme,
vre, là laine ou
Tre. ppays riches en blé et en vin n'ont ordinaire-
il faut des procédés et une industrie qui est nment que cette denrée, et par conséquent
elle-méme une nouvelle propriété, et qui, payent
p. tout à l'Etat en impôt direct, sans
l'impôt qu'ils payent à la nature par
en cette qualité, doit sa part de l'impôt. compter
ci
Ainsi, j'impose, à la fois, la matière du hla casualiié de ces productions.
chanvre, l'industrie du tisserand et celle du Le blé ne peut être soumis qu'à l'impôt
blanchisseur, en percevant un droit sur la direct,
d tant qu'il ne sert qu'à la subsistance
tMIe; la matière de la laine, celle de la soie, dde l'homme; mais si le luxe le dénature, et
et l'industrie des différents ouvriers qui les e fait de l'amidon, alors il doit être soumis
en
à un autre impôt, et ce n'est pas le.blé que
mettent en œuvre, en percevant un droit
je taxe, mais l'industrie et le gain de l'ami-
sur le drap et sur l'étoffe de soie. Les droits
j<
donnier.
d
sur la toile et sur le drap seront plus forts Certains vins reçoivent du luxe une va-
a mesure que l'industrie sera plus grande,
leur
J( très-disproportionnée à celle des autres
et l'ouvrage plus précieux car à mesure
vins il est donc juste qu'ils payent davan-
que l'industrie est plus grande et l'ouvrage v
plus précieux, le drap ou la toile sont moins tage, parce qu'ils forment une plus grande
U
nécessaires pour vêtir t'homme. propriété.
P Ainsi ils peuvent être soumis à
Distinction nécessaire de l'impôt direct l'impôt
1 en argent, quoiqu'ils aient payé
et de l'impôt indirect. l'impôt en nature.
C'est une grande question de savoir si le Les mêmes matières peuvent payer deux
blé et le vin doivent, dans l'imposition en fois
f< l'impôt indirect, lorsqu'elles sont deve-
nature, être décimés dans une proportion nues
n par les procédés de l'industrie une
relative aux avances qu'exigent la culture matière
n différente. Ainsi la toile a payé des
du sol et le produit qu'il donne. 11 semble ddroits, et le papier fait de morceaux de toile
d'abord que les plaines fertiles de la Beauce ddoit en payer aussi 'et ce n'est pas la ma-

ou les coteaux de la Limagne doivent payer


tière
t que je taxe, mais l'industrie du pa-
dans une proportion supérieure h celles des petier.
F
sables de la Sologne ou des montagnes5 Les foins ne doivent pas d'impôt, parce
arides du Gévaudan mais il faut observer qu'ils
Ç servent à la nourriture des bêtes de
1labour qui servent elles-mêmes à la produc-
que, si l'on prend le parti de classer les fonds5
suivant leur degré de fertilité, on se jette tion
t du blé; mais les fourrages employés à
dans un labyrinthe d'opérations et d'estima- nourrir
r les chevaux de luxe payeront un
tions qui seront incertaines et fautives à pro- droit
c par la taxe imposée sur les chevaux
portion de l'ignorance présomptueuse d'un de
c luxe.
expert; opérations pour trancher le mot,1 Si, dans un canton, il n'y avait pas de che-
impossibles à faire avec exactitude; au lieu vaux de luxe, l'Etat n'y perdrait rien; parce
A

qu'en laissant aux propriétaires eux-mêmes5 qu'il


f y aurait plus d'animaux utiles, plus
le soin de rétablir l'équilibre entre l'impôtt cd'engrais, plus de blé, plus
d'impôt.
et le produit, cette même opération se ferat Les chevaux de labour et les bœufs ne
avec la plus grande facilité, avec la plus5
doivent
c rien, puisqu'ils ne sont que l'ins-
parfaite exactitude, sans aucuns frais pourr t
trument d'une production qui paye l'impôt;
l'Etat, par la seule estimation faite entre mais
l les bœufs sont soumis à l'impôt, lors-
particuliers dans les ventes, les partages ett qu'ils
c servent à un autre usage, et qu'ils
les échanges; et comme tous les fonds, dans5 sont
f employés à la subsistance de l'homme;
]ils forment alors une nouvelle propriété..
un temps donné, sont vendus, échangés ou
partagés, la proportion de l'impôt avec laj Les bêtes à laine peuvent être l'occasion ou
valeur productive du fonds sera, dans unj la matière d'un double droit, puisqu'elles
temps donné, rétablie à l'égard du pro- Jservent au vêtement
et à la nourriture de
prié taire. l'homme.
2° Il faut observer que la nature a établii Ce droit sur lés matières de première
nécessité doit être assez modique, pour ôter
une balance de productions et de valeur à ]

peu près égale partout. Ainsi les pays où laa l'envie de le frauder, et il vaut toujours
dîme sur le blé serait onéreuse à raison dee mieux
] négliger un droit que créer la con-
la stérilité du sol, sont riches en pâturagess trebande.
t

qui ne payent qu'un impôt très-indirect ett Quoique les animaux aient payé sous un
peu sensible au propriétaire; tandis que less rapport leur dépouille ou leurs cuirs doi-
vent payer, parce qu'ils représentent l'in- étendue? Oui, car il y a clés maisons qui ne
dustrie du lanneur et du mégissier. servent qu'à loger la famille, et des maisons
D'ailleurs, il y a une raison plus forte qui servent à la loger et à la nourrir ainsi
pour faire payer aux différentes matières une hôtellerie, un magasin, une maison
extraites des animaux, comme cuirs, laines, baillée à loyer, des usines, doivent payer à
poil, graisses, un droit particulier; car outre la commune comme habitation, et peuvent
que ce droit est l'impôt sur la propriété payer à l'Etat comme propriété.
industrielle des différents ouvriers en cuirs, Comment les capitalistes seront-ils sou-
laines, suifs, etc., c'est la seule manière mis à l'impôt?
dont on puisse atteindre la partie considé- Tant que l'argent reste dans le coffre, il
rable de la propriété territoriale, qui sert ne doit pas d'impôt, car puisqu'il n'est pas
uniquement à la subsistance des bestiaux. propriété utile pour le maître, il nç peut
Les maisons doivent-elles payer un impôt? pas être propriété utile pour l'Etat; mais
Qui; mais à la commune seulement; elles dès qu'il en sort pour être placé à intérêt
doivent être la matière de la contribution et devenir ainsi propriété utile pour le maî-
pour les frais locaux, parce qu'elles sont, tre, il doit être propriété utile pour l'Etat 4
ainsi que la famille, l'occasion des frais donc il faut que l'Etat la connaisse, donc il
locaux. faut qu'un acte public en constate la quoti-
Les maisons sont les véritables propriétés té comment l'Etat pourrait-il imposer une
de la commune, car sans maisons ii n'y a propriété qu'il ne connaîtrait pas ? Donc la
point de communes; donc elles doivent loi ne doit à l'homme aucun moyen de dé-
payer les frais locaux, qui sont l'impôt de fendre ou de réclamer en justice une pro-
la commune. priété mobilière, qui n'aura rien payé à la
Les propriétés territoriales sont les pro- société; comment l'Etat pourrait-it protéger
priétés de. l'Etat, car sans terres il n'y a une propriété qui ne payerait pas le prix de
point d'Etat; donc elles doivent payer les la protection que l'Etat lui accorde.
contributions de l'Etat. Donc les droits de contrôle ou de timbre,
La famille et la maison sont l'occasion des les droits aux mutations de propriétés immo-
frais locaux car s'il n'y avait pas d'habi- bilières, mobilières, ou d'offices, sont fon-
tants, il rie faudrait ni églises, ni hôtels da dés en raison; parce que l'Etat, protecteur
ville, ni fontaines, ni lieux publics; s'il n'y de toutes les propriétés et de tous les hom-
avait pas de maisons, il ne faudrait ni ré- mes, doit connaître tout déplacement qui
verbères, ni pavés des rues, ni précautions survient dans'les hommes et dans les pro-
contre les incendies; donc les maisons doi- priétés.
vent être la matière et la base des contri- Mais la publicité des emprunts et des pla-
butions locales des communes. cements n'a-t-elle pas des inconvénients 9.
L'homme, chef de la famille, ne doit pas Aucun. Relativement à l'Etat, la publicité
de service personnel à la société, sauf les dés propriétés mobilières n'a pas plus d'in-
circonstances extraordinaires ou un enga- convénient que la publicitédespropriétésim-
gement particulier; car si la société emploie mobilïères ou territoriales, relativement au
le chef de la famille, la famille sera en dan- particulier; le mystèrenefavorise que la mau-
ger de périr, mais le chef de la famille doit vaise foi oula mauvaise économie. Si l'intérêt
un service particulier à la commune, lors- de quelques marcbands est que tout soit secret t
qu'il en est requis. Ainsi cette espèce de dansieursaffaires,l'intérêtdu commerce hon-
propriété qu'on appelle maison, ne doit pas nête et loyal est que toutsoit public; or FintértHt
de contribution à la société; mais elle en de la société n'est pas l'intérêt des marchands,
doit une particulière à la commune, parce mais l'intéretdu commerce. Quantaux capita-
que la commune ne considère que l'homme listes, ceuxquicherchaientàjeter un voile im-
et la propriété de la famille. Or, la maison pénétrable sur les affaires n'étaient presque
est la véritable propriété de la famille car jamais quedes gens peu délicats, qui voulaient
la famille peut subsister sans avoir aucune
rejeter sur les autres I e fardeau des charges pu-
propriété territoriale mais elle ne peut être bliques,ouléserdes légitimairesdans des par-
membre de la commune, si elle n'y a une
tages de familles.Aureste.ilneserait pasim-
habitation.
possible deconcilierle secretdes affaires avec
Les maisons doivent elles être taxées l'intérêt de la société.
*i«ns une proportion autre que celle de leur Les denrées exportées hors du royaume,t
OEUVRES COMPL. UG M. DE RftKllri I
les denrées importées dans lé royaume point
p de précision et de connaissance, que
doivent des droits, parce que le particulier l' estime à la seule vue et avec une grande
l'on
doit' un dédommagement à l'Etat pour les exactitude
ë combien un arbre donne de livres
dépenses en chemins, ports, vaisseaux, etc., pesant ile'feuilles.

portation.
que lui occasionnent l'exportation et l'im-
Les droits sur les denrées exportées et quelles
p
Au
sur
s
q
reste, quelque système que l'on adopte
l'impôt, il y a des bases générales des-
on ne doit jamais s'écarter.
importées sont les impôts que paye le com- fil- ne faut pas, dans un Etat agricole,
merce. que;
q l'impôt écrase et décourage l'agricul-
Quel principe doit-on suivre dans la taxe ture'ril
t ne faut pas oublier que l'habitant
des droits1 sur l'exportation ou sur l'impor- des d campagnes est pauvre, parce qu'il cul-
tatiôn? t mal, et qu'il cultive mal, parce qu'il est
tive
Là règle générale sur les droits à l'expor- pauvre.
p
talion des denrées est que les droits doivent1 2° 11 ne faut pas, dans un Etat commer-
être plus forts sur les denrées de première c çant, que l'impôt écrase et décourage le
nécessité pour les retenir dans le royaume,> c
et moins forts sur les objets de luxe pour les5
commerce.
3° 11 ne faut pas, dans une société opu-

en faire sortir. C'est absolument le con- ]lente, que l'impôt étouffe tout luxe relatif,
traire sur les droits à l'importation. Il faut1 c'est-à-dire,
( tout emploi décent du superflu
mettre des droits modiques aux objets de3 de { son opulence.
première nécessité, pour les attirer danss 4MI ne faut pas, dans une société civile,
le royaume, et des droits plus forts sur less c'est-à-dire
( religieuse et politique, que l'im-
objets du luxe pour les en éloigner. Au1 pôt 1 soit une occasion de corruption et de
reste, ce principe général est susceptible dee désordre.
(
modifications infinies, parce que la denrée9 Ainsi il est nécessaire d'abolir'ou de rec-
de première nécessité peut devenir objet dee tifier ( les lotéries, qui inspirent le goût de
inxe, si elle est trop abondante, et l'objett gagner sans travail, et par conséquent de
de luxe devenir, jusqu'à un certain point,'> dépenser sans utilité; les emprunts viagers
objet de première nécessité, s'il est tropP qui inspirent le dégoût de la propriété fon-
rare. Les matières brutes que demandent rt cière et l'insouciance de la postérité; les
les manufactures d'un pays peuvent êtree droits de contrôle, qui présentent des pièges
un objet de première nécessité, quoique less à la simplicité et des ressources à la mau-
productions décès manufacturés ne soient It vaise foi les droits excessifs et inégaux sur
que des objets de luxe. Une nation qui a des's les denrées de première nécessité, qui exci-
colonies peut encore modifier ce principe,5» tent la contrebande, et entretiennentdans le
qui ne peut être considéré comme général jl royaume une guerre intestine entre le pou-
que sOus ce rapport, qu'il faut que tout ce e voir et les sujets.
qui est nécessaire la société resté ou en- Si toutes les propriétés doivent payer un
tre dans le royaume et tout ce qui est inu- impôt, les propriétés de tous, ou les pro-
tile ou dangereux pour la société en sorte,5> priétés communes en doivent aussi leur
ou n'y entre que difficilement. part. Ainsi il est urgent de rétablir en France
Il me reste une réflexion à faire sur l'im-î- un impôt sur le sel, ressource précieuse, abusé. Le
pôt en nature. Je connais toutes les objec- c- mais dont l'administratiori avait
tions qu'on peut faire contre la perception )n sel doit payer, à son extraction seulement,
en nature, ruais il n'est aucune difficulté quini un droit uniforme, pour ne léser aucune
disparût l'habitude de percevoir et province, ni exciter la contrebande un droit
ne par denrée
lorsque certaines productions présenteraient nt modique, parce que le sel est une
lit nécessaire, et que l'administration ne
doit
une décimation trop difficile, il s'établirait
nécessairement et par la force Jes choses, en- n- ôter à personne ce que
la nature donne à
tre l'intérêt éclairé du fermier et l'intérêt du
lu tous.
propriétaire, une taxe en argent ou abonne- e- L'Etat peut se réserver la culture ou la fa-
ment de gré à gré, bien plus exact que tou- u- brication exclusive de
certaines productions
telles que le tabac,
tes les estimations des experts et que tou- a- du sol ou de l'industrie,
Mais 1° il ne faut pas
tes les évaluations des cadastres. Dans les es les cartes a jouer, etc. nécessi-
Cévennes, où la feuille de mûrier forme un m que ce soient des objets de premièrepremière
revenu considérable, on en est venu à ce té, parce que, pour les besoins
de
nécessité, l'homme. ne doit dépendre que de serve une somme destinée à faire face à des
lui-même. D'ailleurs l'administration s'ex- besoins urgents et extraordinaires, et qui la
poserait à des murmures continuels, et peut- dispense de recourir aux emprunts ou aux
être à use révolte générale, si la fourniture impôts elle doit étendre sa propriété non
des objets, dont elle se serait réservé la fa-par des acquisitions, mais par des amélio-
brication ou la culture exclusive, venait à rations, des constructions de chemins, de
manquer par la faute des éléments ou par canaux, de ports, etc., par des avances faites
celle des hommes. 2° II faut que l'Etat les à l'agriculture et à l'industrie elle doit
vende à peu près au môme prix que ferait l'embellir par des encouragements donnés
le commerce, et qu'il les fournisse d'une aux sciences, à la culture des lettres et des
meilleure qualité parce que l'Etat ne peut arts agréables elle peut, elle doit secourir
gêner en rien le particulier, ni borner l'es- un Etat voisin ou éloigné, que sa position
sor de son industrie, que pour rendre la rend un allié précieux, et à qui ses ressour-
condition du public meilleure. ces intérieures ne permettent pas d'être ob
Ce n'est pas assez que l'impôt soit modéré,allié utile.
réparti avec intelligence, perçu avec écono- L'homme sans conduite et sans raison veut
faire des dépenses au-dessus de son état et
mie il faut encore, il faut surtout, qu'il soit
sagement administré; et, loin de chercher de sa fortune; il emprunte pour intenter un
les règles d'une bonne administration dans procès injuste à son voisin, ou pour donner
les exemples ou les systèmes des financiers un repas à ses amis; les emprunts s'accu-
modernes, je les trouve dans le livre de rai- mulent il ne peut suffire aux dépenses in-

sage. r;
son d'un particulier aisé, intelligent et
• dispensables les intérêts le ruinent; il
tombe, pour vivre dans la dépendance de
Un particulier sage, intelligentet aisé se ceux qui lui prêtent. Ses revenus ne peu-
nourrit, se loge, se meuble, conformément vent suffire à ses engagements, ses capitaux
à sa fortune et à son état; il entretient sa sont aliénés, ses terres saisies, et sa fortune
famille avec décence; il fait élever ses en- anéantie.
fants avec soin; ses domestiques sont bien Telle est au naturel la position d'une so-
vêtus, ses chevaux bien nourris, ses métai- ciété mal administrée économie vicieuse,
ries bien entretenues; il a dans sa repré- profusions insensées, emprunts ruineux,
sentation la dignité que son état demande, dépenses frivoles, besoins sanscesse renais-
et que sa fortune comporte il défend, quand sants, emprunts .continuels elle tombe dans
il le faut, sa propriété contre un voisin in- la dépendance des capitalistes et des ban-
juste, il secourt un ami malheureux; il met quiers elle tombe dans la dépendance des
une somme en réserve, pour faire face à des peuples, en leur demandant sans mesure
besoins imprévus; il étend sa propriété par des subsides qu'elle prodigue sans utilité-;
des acquisitions et des améliorations; il elle est forcée de manqueraux engagements
l'orne, il l'embellit; et, moyennant un inté- les plus sacrés ;'et en consommant à l'avance
rêt légitime, il peut aider son voisin à ses revenus, elle se met dans l'impossibilité
améliorer ses biens et à se relever de ses de se livrer à aucun système général d'amé-
pertes. lioration au dedans, et de soutenir au-de-
II doit en être de même dans une société hors aucun système de politique.
bien administrée. Son pouvoir général doit Il faut donc que la recette surpasse la dé-
être représenté avec la dignité qui convient pense dans l'administration des finances
à ses fonctions, ses armées de terre et de d'un Etat, comme dans la conduite des af-
mer bien entretenues, ses arsenaux bien faires d'un particulier. Le crédit personnel
fournis, ses places fortes en bon état; elle d'un ministre des finances, et son habileté à
doit faire avec grandeur, avec magnificence, faire de l'argent, sont donc également inu-
toutes les dépenses qui ont pour objet l'é- tiles l'esprit d'ordre doit être son génie, et
ducation et l'instruction publiques, la com- la probité son talent.
modité, la santé, l'utilité, l'agrément même Quel royaume que la France, s'écrie le
du citoyen, la sûreté de l'Etat au dedans, sa président Hénault, en parlant du duc de
défense et sa considération au dehors; elle Sully, quand elle produit un ministre égal à
doitsouteniravec une inflexible fermeté des ses ressources 1 « Ce ministre appr-it aux
droits légitimes, permettre à son opulence Français que pour gouverner les finances, la
un faste convenable; elle doit mettre en ré- première qualité est un sens droit. 11 paya
deux cents millions de dettes en dix ans, amassa
a trente millions qui se trouvèrent à
sur trente-cinq millions de revenus, et le Bastille quand il partit. »
la

SECTION III. ADMINISTRATION MILITAIRE.

J'ai distingué deux corps militaires l'un vinssent héréditaires dans les familles, puis-
vi
héréditaire, défensif, constitutionnel, que que q l'obligation de servir la société y était
j'appelle noblesse l'autre amovible, acci- d< devenue héréditaire. La possession du fief
dentel, offensif, que j'appelle armée. caractérisa
e; donc le noble et le de, qui,
dans
d une grande partie de l'Europe, distin-
CHAPITRE PREMIER. ggue et désigne le noble, ne signifie autre
chose
c que le domicile dans le fief, un tel de
NOBLESSE. tf endroit. Plus tard, on ajouta au nom de
tel
de baptême, et l'on dit Ber-
Sous la première race de nos rois, la no-l t¡terre son nom Olivier de Clisson; après
blesse était ce qu'elle doit être dans une trand Du Guesclin,
des troupes réglées, on se
société constituée, ce qu'elle était chez les* 1l'établissement
grade, le capitaine Montluc,
Germains, profession sociale ou défensive ddistingua par son
maréchal de Trivulce.
de la société mais comme la société s'était le
Mais le seul titre qu'on retrouve dans les
agrandie, les diverses fonctions s'étaientt
établies et distinguées, et l'on voyait dess temps t' anciens, pour la noblesse qui ne
des possédait
f pas de fief en souveraineté, est
gouverneurs de provinces, ou duces, s
de villes, comites, des celui
c de baron ou d'homme libre, qui dési-
gouverneurs ou com-
la noblesse restée profession sociale et
mandants sur les frontières ou marches,l gnait 8
pouvoir. C'est, en effet, le
qu'on appelait marchiones. Ceux qui n'a- qui n'était pas
vaient pas des fonctionsparticulières étaient |t seul
s titre qu'ait porté jusqu'à ces derniers
désignés par lé nom de seigneur ou homme ttemps, et que porte encore l'ainé d'une des
e premières maisons du royaume, qui n'a
libre, expression qui, dans la langue germa-
jamais
J possédé de fief en souveraineté.
nique, signifie encore un noble sans fonc- u Quand nos rois se furent ressaisis de tous
tions particulières, et répond exactement au
titre de baron, dont elle est la traduction lit- 1
t les pouvoirs particuliers sur les familles qui
libre les
1 avaient usurpés,, ou en faveur desquels
térale. Ainsi, cette expression d'homme le
qu'on retrouve à tout moment dans les écrits Ls nos rois eux-mêmes les avaient rétablis,
de ceux qui ont traité de l'état des premiers ,s ¡
alors les titres reparurent ils ne désignè-
le rent plus, comme autrefois, des fonctions,
Francs, ne désignait qu'un noble, libre de ]
capacité de les remplir, ou ilsfurent
fonctions particulières, et tenu seulement mais la
généraux de profession, une présomptionqu'on descendait des famil-
des engagements sa n
qui étaient de défendre la société. les qui avaient autrefois exercé ces fonctions
pouvoirs. Quelquefois ils ne
Sous la seconde race, les duces ou dues, ,s ou usurpé des la fortune d'un
comites ou comtes, marchiones ou marquis,
prouvèrent que parvenu, ou
L'abus des
profitant de l'affaiblissement de l'autorité té l'effronterie d'un aventurier.
a. érections des terres en fallut titres honorifiques
royale, rendirent héréditaires dans leurs fa- décider, con-
milles le gouvernement des provinces et des es
fut poussé si loin, qu'il
des frontières formément à la constitution, que le roi pou-
villes, et le commandement es
titres, jusque-là viagers vait faire quelqu'un comte ou marquis sans
ou marches; les )u
ou
révocables comme les fonctions, devinrent le faire noble, décision qui prouve que la
,nt qu'elle
Voilà les noblesse n'est distinction que parce
héréditaires comme elles. ce que es
prévenus appellent la féodalité, et qui
lui est profession distinguée.
gens
en était l'abus et la corruption. L'usage de Dans ces derniers temps, les puînés de la
de
porter des noms de terre s'introduisità cette tte noblesse, au lieu de prendre des noms
époque parmi les nobles, parce qu'il était ait fief, adoptaient l'usage de se désigner par le
de famille;
dans la nature des choses, que les terres -es nom de baptême, joint au nom
possédées à charge de service militaire de- le- rien de moins conforme à la constitution.
1° Les princes du sang de France et l'héritier immémorial d'une profession distinguée.
même du trône ne sont désignés que par Si la noblesse doit être fonction, elle ne
des noms de fief. Cet usage n'a lieu que doit pas être pouvoir encore moins doit-
dans quelques cours étrangères, et par con- elle être métier donc elle ne doit pas com-
séquent ne nous convient pas. 1' 11 sépare mercer. Lp désir d'acquérir des richesses
la noblesse de la profession du fief, qui est est le désir d'en jouir; le désir de jouir est
le caractère distinctif de la noblesse. 3" La le désir de vivre; et le désir de vivre s'ac-
désignation par des noms de terre fait revi- corde mal avec une profession qui ordonne
vre les noms de familles qui ne sont plus; de compter la vie pour rien, et son devoir
et c'est un avantage pour la société, qui, pour tout. Des lois qui permettraient, en
consommant les individus, doit, autant qu'el- France, le commerce à la noblesse, dit Mon-
le peut, éterniser les familles en conservant tesquieu, y détruiraient la noblesse sans
les noms. Dans un temps éloigné, une fa- aucune utilité pour le commerce. Il est
mille entée sur le tronc d'une maison illus- contre l'esprit de la monarchie que la no-
tre anciennement éteinte se confond avec blesse y fasse le commerce. L'usage qui a
elle par la possession du même fief, et quel- permis, en Angleterre, le commerce à la
quefois par la pratique des mêmes vertus. noblesse, est une des choses qui ont le plus
UJ) nom qui rappelle de grandes actions peut contribué à y affaiblir le gouvernement
souvent en produire de nouvelles; le men- monarchique. » Le même auteur, après avoir
songe ne nuit à personne, et il a pour la remarqué l'esprit de désintéressement de
société le 'même effet que la réalité. Cette cette noblesse militaire, « qui sert toujours
immortalité de noms et de souvenirs est par- avec le capital de son bien; qui, quand elle
faitement dans l'esprit de la constitution. est ruinée* donne sa place à un autre, qui
4° Cette coutume populaire, de se dési- servira avec son capital encore; qui, quand
gner par des noms de baptême, tenait, je elle ne peut espérer les richesses, espère les
crois, à la pente que tout prenait, en France, honneurs, et lorsqu'elle ne les obtient pas,
vers les institutions de l'homme naturel. se console parce qu'elle a acquis de l'hon-
Je ne sais si l'usage des présentations à la- neur ), après avoir considéré « cet état de
cour est bien conforme à la constitution, à la robe qui, sans avoir le brillant de la
l'intérêt de la noblesse, à celui de la société noblesse guerrière, en tous les priviléges;
il se forme ainsi un ordre dans un ordre. cet état qui laisse les particuliers dans la
La noblesse de la cour se distingue de la médiocrité,tandis que le corps dépositaire des
noblesse de province; elle se divise, lors- lois est dans la gloire cet état encore dans
qu'il faut combattre en masse et à rangs lequel on n'a de moyen de se distinguer
serrés. Les présentations se multiplient, que par la suffisance et la vertu, profession
la faveur et l'intrigue s'en mêlent, et l'on honorable, mais qui en laisse toujours voir
est présenté malgré le généalogiste, et quel- une plus distinguée » après avoir observé
quefois malgré la généalogie. que la pratique du royaume de France est
La noblesse est une aux yeux de la cons- « très-sage en ce que les négociants n'y sont
titution dans les états généraux, le noble pas nobles, mais qu'ils peuvent le devenir, »
le plus récent a siégé à côté de chefs de nos ajoute ces paroles remarquables, et qui peu-
plus anciennes maisons. Mais c'est à l'opi- vent être regardées comme le texte démon
nion à distinguer les familles, et à l'admi- ouvrage « et si depuis plusieurs siècles, la
nistration à distinguer les services. La dis- France a augmenté sans cesse sa puissance,
tinction que l'opinion publique,c'est-à-dire il faut attribuer cela à la bonté de ses lois,
la société, met entre les familles à raison de nun pas à la fortune, qui n'a pas ces sortes
leur ancienneté, est autant dans la nature de constance. » (Esprit des lois, liv. xx,
des choses, que celle que l'administration ch. 21 et 22.)
met entre les individus, à raison de leurs On peut remarquer dans la contradiction
services peçsonn.els. Plus il y a de temps qui existait, en France, entre les lois et les
qu'une famille est consacrée ^à la défense moeurs, relativement à la noblesse commer-
de la société, plus elle doit être considé- çante, une preuve évidente de ce que j'ai
rée par la société; et lorsque la date de avancé dans la première partie de cet ouvra-
son admission dans la profession, sociale ge que c'est à la nature seule à faire des
n'est pas connue, elle doit jouir de la lois dans une société constituée, parce que.
considérationjustement attachée à l'exercice c'est elle seule qui établit des rapports né-

v
cessaires entre les êtres, et que, lorsque que de. voir la noblesse pauvre offrir ses
l'homme veut y substituer ses opinions, il services aux grands' envers et contre tous.
ne peut établir que des rapports contraires On lit dans les mémoires du temps que la
à la nature des êtres, des lois absurdes, que duc d'Epernon, brouillé avec le duc de
la nature repousse, ou en les laissant tomber Sully, n'osa pas 'sortir de son hôtel, parce
en désuétude, ou par les troubles qui en qu'il n'avait autour de lui que six cents
a compagnent Kexécution. Une loi permet- gentilshommes et que Sully en avait' huit
tait en France à la noblesse de faire le com- cents. La Fronde a fourni des exemples re-
merce en gros; les mœurs, c'est-à-dire, la marquables de ces dévouements des gen-
nature, plus sage que l'homme, ne le lui per- tilshommes à des causes particulières. Au-
mettait pas; en revanche, la nature avait jourd'hui la noblesse sent mieux sa dignité.
introduit la loi des substitutions,parce que La constitution qui perfectionne d'un côté,
la loi qui rendait héréditaires les moyens de quand l'homme altère d'un autre, l'a rendue
remplir une fonction héréditaire, était un plus indépendante des pouvoirs particuliers,
rapport nécessaire et dérivé «le la nature des et par conséquent plus dépendante du pou-
êtres l'homme avait restreint, c'est-à-dire, voir général.
avait abrogé cette loi et remarquez la diffé- « Henri VIII, » ditMontesquieu, « voulant
rence des lois nécessaires, c'est-à-dire, par- réformer l'Eglise d'Angleterre, détruisit les
faites, qu'introduit la nature, aux lois ab- moines, nation paresseuse par elle-même,
surdes, immorales que l'homme établit. La et qui entretenait la paresse des autres,
nature en prescrivant à la noblesse les subs- parce que, pratiquant l'hospitalité, une in-
titutions et lui défendant le commerce, lui finité de gens oisifs, gentilshommes et bour-
inspirait le soin de sa postérité et le mépris geois, passaient leur vie à courir de cou-
du luxe et des jouissances personnelles; venten couvent; il ôta encore leshôpitaux, où
elle mettait l'amour des autres à la place de le bas peuple trouvait sa subsistance, comme
l'amour de soi l'homme, en restreignantla les gentilshommes trouvaient la leur dans les
faculté de substituer et permettant le com- monastères: depuis ce temps l'esprit de com-
merce au noble, détâchait le noble de sa merce etd'industrie s'établit en Angleterre."
postérité, pourjui donner le goût de l'ar- On vient de voir tout à l'heure, que. le
gent et d'un genre de propriété plus dispo- même auteur a dit formellement « que la
nible pour le luxe et l'égoïsme, et il mettait loi qui avait permis en Angleterre le com-
ainsi l'amour de soi à la place de l'amour merce à la noblesse était une des choses qui
des autres. Il en devait résulter, il en a avaient le plus contribué à y affaiblir le gou-
résulté en effet une fureur universelle de vernement monarchique. » Par conséquent
changer ses terres contre des capitaux et les moiîïistères, qui, selon l'auteur lui-
l'on' a vu à la fois, quelques années avant la même, empêchaient l'esprit de commerce de
révolution, chez les notaires de Paris, jus- se répandre parmi la noblesse comme dans
qu'à neiif mille terres en vente. L'adminis- les autres classes, étaient une des choses qui
tration s'applaudissait, peut-être, de voir le maintenaient, en Angleterre, le gouverne-
fisc se grossir par des droits sur les muta- ment monarchique.
tions de propriété, elle aurait dû gémir de On ferait un gros livre sur le passage que
voir de nouvelles familles s'élever sur les je viens de, citer, dans lequel le philosophe
débris des anciennes familles, de nouvelles décide, bien légèrement des questions qui
propriétés inspirer le dégoût des anciennes pourraient embarrasser le politique. Qnpour-
propriétés, de nouveaux principes prendre rait demander à l'auteur ce qu'il appelle
la place des anciens principes. La mutation une occupation utile à.la société, et si des
fréquente des propriétés est une plaie mor- corps, qui, tout dégénérés qu'ils pouvaient
telle à la constitution; et c'est pour la ren- être de leur institution primitive, étaient
dre plus difficile que la nature même de comme des médailles antiques dans l'his-
là société a établi la loi des droits des toire de la religion. et de la société, et des
lods et ventes: La noblesse ne doit donc pas preuves matérielles et sensibles de la foi
commercer, encore moins agioter si elle des anciens temps à l'existence de Dieu et
doit périr, qu'elle se détruise sans s'avilir, à l'immortalitéde l'âme, n'étaient pas, même
puisqu'aussi bien elle ne pourrait s'avilir politiquement, aussi utiles à la société que
?ans se détruire. ces clubs littéraires où l'on prêche l'athéisme,
|Uen de plus commun autrefois en France et ces çlub.s politiques où l'on professe le v$-
publicanisme on demanderait si ces tran- tre avec fracas, que l'étranger pauvre n ose
quilles retraites n'offraient pas à l'homme aborder, où l'or trouve un accueil si gra-
une ressource plus consolante dans le mal- cieux, et l'homme une hospitalité si rui-
heur, un refuge plus religeux et par con- neuse, et quelquefois si insolente. Je con-
séquent plus social contre l'injustice de ses çois que la paresse est un crime dans celui
semblables ou de ses propres passions, que que sa profession et ses talents appellent
lé suicide; le sucide qui bientôt ne lais- à servir la société; mais combien d'hom-
sera plus à la justice humaine de scélérat à mes qui ne la serviraient utilement qu'en
punir, ni à la bonté divine de coupable à ensevelissant dans la paresse et le silence,
pardonner. L'Angleterre est plus. indus- du cloître leur funeste industrie et leur
trieuse et plus riche depuis qu'il n'y a plus dévorante activité 1 L'Europe serait heu-
de monastères; je le veux mais y a-t-il reuse et tranquille, si J.-J.. Rousseau s'était
plus de bonheur depuis qu'il y a plus de fait Chartreux et qui oserait. assurer que
richesses, plus de moeurs depuis qu'il y a les changements faits en France, il y a
plus de commerce, plus de vertus depuis quelques années, dans le régime des ordres
qu'il y a plus d'industrie ? Il y a plus d'ar- monastiques, n'aient pas rendu à la société
gent j'en conviens mais y a-t-il plus de une foule d'esprits inquiets et turbulents, qui
force ? S'il est question de force extérieure, n'ont d'activité que pour nuire, et de force
il y a moins de soldats dans un Etat, à me- que pour renverser? C'est depuis ce chan-
sure qu'il y a plus de commerce s'il est gement, dit Montesquieu, que l'esprit de
question de force intérieure, qui consiste commerce et d'industrie s'établit en Angle-
dans l'amour des sujets les uns pour les au- terre mais il ajoute aussi que c'est depuis
tres, et dans l'amour de tous pour le sou- ce changement que l'esprit d'athéisme, de
verain, il y a moins d'amour,de l'homme, à matérialisme, de républicanisme s'y est in-
mesure qu'il y a plus d'amour de la pro- troduit, et de l'Angleterre dans toute l'Eu-*
priété et 1 auri sacra fames, qui met tant rope. Je reviens à la noblesse.
d'activité et d'industrie dans la société, n'est Cette noblesse anglaise passait donc sa vie
pas plus, aux yeux du véritable homme, à courir de couvent en couvent, à vivre des
d'Etat, une vertu conservatrice de la société fondations de ses ancêtres qui avaientdonné
politique, qu'elle n'est, aux yeux du mo- à garder à la religion des biens qu'ils ne
raliste, une vertu conservatrice de la so- savaient pas garder eux-mêmes elle s'eni-
ciété religieuse. On pourrait demander à. vrait peut-être dans un réfectoire, au lieu
Montesquieu, s'il est vrai qu'il y ait moins de porter des toasts dans une taverne; elle
de pauvres depuis qu'il n'y a plus d'hôpi- allait peut-être à l'office, au lieu d'aller à
taux, et si, après tout, il ne vaut pas mieux l'opéra, et partageait la collation des bons
être importuné par un pauvre, que d'être religieux, au lieu de faire des petits sou-
dévalisé en plein jour, à Londres même, par pers avec des courtisanes. La société, les
un brigand. On demanderait si ces fonda- mœurs, la noblesse n'ont rien gagné au
tions pieuses, monuments de la piété et de changement. Il valait autant courir de cou-
la charité. publiques, où le pauvre trouve, vent en couvent, que de Suisse en Italie, de
une discipline et des instructions qui lui. France en Allemagne, pour finir loin de sa
sont plus nécessaires que la subsistance terre natale par la consomption ou le sui-
même, ne sont pas plus utiles aux yeux cide, après avoir traîné dans toute l'Europe
de la religion et de la politique, que ces le dégoût de son pays et le mépris pour les
secours obscurs et privés qui arrachent, si autres nations. C'était cependant de cette
l'on veut, l'indigent à la misère, mais qui noblesse paresseuse qu'étaient les Talbot,
le laissent à la corruption. On demanderait les Chandos, les Mauny; c'était de cette
si ces monastères où le riche trouvait, noblesse que descendaient le généreux Mont-
comme le pauvre, une asile gratuit, et s'as- rose, et ce brave et loyal Anglais, qui, en
seyait comme lui à la table d'une religion mourant pour son roi, disait à ses enfants
hospitalière, ne rappelaient pas cette anti- Mes enfants, tenez à la couronne, quand elle
que et loyale hospitalité, ce premier devoir pendrait d'un buisson.
de l'homme envers son semblable, cette C'était dans un temps voisin encore de
première vertu des sociétés naissantes, d'une celui où la noblesse courait de couvent en
manière plus touchante et plus vraie que couvent, que ces francs et généreux roya-
ces. hôteHeries fastueuses, où le riche en- listes, opprimés sans être abattus, mêlant au
util uuiidLjUt
l*j«* ljiu m. uu v
malheur de leur cause la gaieté d'une âme de la vanité, et elle a succombé sous le poids
pure, et quelquefois un got^t excessif pour? de leurs haines réunies.
le plaisir, répondaient à leurs sombres ad- Les progrès de la société ont dû nécessai-
versaires, les têtes rondes, les Jacobins de ce rement développer une autre profession so-
temps, les assassins de Charles I", qui leur ciale, agrégée à la noblesse, et noblesse elle-
reprochaient pieusement leur vie licen- même, puisqu'elle est défensive de la so-
cieuse Oui, nous avons les faiblésses des ciété dans son objet, indépendante dans son
hommes; mais vous,,voits avez les vices des existence, inamovible dans ses fonctions,
démons. (Hume.) C'étaient enfin les enfants propriétaire, et par conséquent héréditaire
de ces nobles, sans goût pour le commerce, dans son titre; je veux parler de la noblesse
sans industrie, qui, selon Montesquieu lui- sénatoriale. A mesure que la société se cons-
même, s'ensevelirent avec Charles I" sous les titue, la justice fait plus, et la force fait
débris' du trône; et pour juger jusqu'à quel moins, ou pour mieux dire, la justice de-
point l'institution de la noblesse s'est per- vient la force. C'était ainsi en France, où les
fectionnée en Angleterre par l'esprit de com- deux professions de la robe et de l'épée se
merce et d'industrie, il convient peut-être rapprochaient insensiblement. Leur point
d'ajourner jusqu'à la première révolution. de eontact était dans la royauté et dans la
En attendant, je ne crains pas d'avancer que, pairie, premier grade de la noblesse, offices
si la nation anglaise est devenue plus in- constitutionnelsqui rapprochent la noblesse
dus,trieuse depuis les réformes faites par de la royauté, puisque ceux qui en sont re-
Henri VIII, elle n'est pas devenue plus mi- vêtus en sont les pairs; magistrature mili-
litaire, quoiqu'elle n'ait pas cessé d'être taire, et appartenant même plus au sénat
aussi hraye que, sans parler de la guerre qu'à l'armée. En effet, les pairs laïques peu-
présente, qui ne ressemble à aucune autre, vent ne pas servir l'Etat dans la carrière des
les Anglais dans leurs combats contre les armes, mais ils ne peuvent pas n'être pas
Français n'ont pas conservé, sur terre, membres de la cour des pairs. Cependant la
l'égalité, la supériorité peut-être, qu'ils ont profession sénatoriale restera toujours dans
eue autrefois; et que, même dans les com- l'opinion un peu au-dessous de la profession
trnts de mer, les succès, à forces égales, ont actuelle des armes, parce qu'il est dans la
toujours été balancés; mais aussi, car il faut nature de l'homme qu'une profession qui
être juste, chez cette nation vraiment indus- demande à l'homme le sacrifice de sa vie,
trieuse, la politique est devenue beaucoup soit plus considérée que celle qui ne lui de-
plus savante, et ses moyens beaucoup plus mande que le sacrifice de son temps; mais
profonds, s'il existe entre elles cette différence dans
Ce temps où la noblesse courait les châ- les temps ordinaires, et lorsque l'Etat n'a h
teaux et les couvents était celui de l'an- craindre que les ennemis extérieurs, elle
cienne chevalerie institution sublime, dont disparaît, lorsque la société politique, en
le souvenir est venu jusqu'à nous à travers proie aux troubles intérieurs, appelle à son
les exagérations de l'enthousiasme, comme aide les professions conservatrices, vérita-
la noblesse de ce temps parviendra à la pos- ble force publique, défensive de la consti-
térité à travers les exagérations de la haine. tution alors toutes les professions sociales
La raison de cette différence est aisée à aper- sont également exposées; le dépositaire des
cevoir. lois, le défenseur du trône, tombent éale-
Quand la noblesse n'était opulente que ment sous le fer des scélérats. La noblesse
de vertus, avide que de périls, distinguée est une quand il faut périr.
que par des sacrifices, elle était un objet Dans la société politique, il n'y a de force
d'admiration plutôt que d'envie; on lui de conservation que dans la profession es-
laissait ses dangereux honneurs, ses péni- sentiellement conservatrice, c'est-à-dire la
bles distinctions qu'on n'était pas tenté de noblesse. L'histoire s'accorde avec cette
partager mais lorsqu'elle a voulu entrer théorie, puisqu'il n'y a que les sociétés re-
en concurrence de richesses avec le com- ligieuses ou politiques qui avaient un corps
merçant, de gloire littéraire avec le bel es- de noblesse héréditaire, religieuse ou poli-
prit, et réserver, en même temps, pour elle tique, qui se soient conservées, et aient
peule, l'honneur de servir l'Etat, et la juste laissé de grands monuments de leur exis-
considération qui en est la suite, il s'est tence religieuse ou politique comme ies
formé contre elle une ligue de la jalousie et Juifs, les Egyptiens et même les Romain.?,
001 nmi, ii ijuunuji. oui. – iUL'juuiLj î^u -x\j
Car j'ai prouvé, dans la seconde partie de CHAPITRE II
cet ouvrage que les lévites étaient un ARMÉE.
corps de noblesse religieuse, comme il est Comment se faisait-il qu'en France cha-
vrai de dire que dans la société monarc.hi-
que ministre de la guerre fît une ordon-
que, la noblesse est un sacerdoce militaire. nance militaire, et que chacun de ceux qui
Les républicains ne manqueront pas de étaient chargés de la faire exécuter y chan-
nfalléguer l'exemple de la France répu- geât quelque chose? Quand la nature amène
blique, qui a proscrit la noblesse, et dont des développements nécessaires dans les
les armées ont eu de si grands succès. usages politiques ou militaires d'une na-
Je n'examinerai point ici, si ces succès tion, elle a soin d'en indiquer le motif.
prodigieux sont dus uniquement à la valeur Ainsi, il était dans la nature des choses,
des troupes françaises; mais je répondrai qu'une troupe à cheval acquît, dans ses
qu'il ne faut pas confondre la force d'agres- évolutions, toute la rapidité dont le cheval
sion avec la force de conservation, et que
est susceptible que l'artilleur fût, dans cer-
ces mêmes armées, après avoir dévasté, sub- taines circonstances, mis à cheval, pour ar-
jugué les Etats voisins deviendraient river aussitôt que la pièce qu'il sert; que le
comme les armées romaines, le fléau de soldat fût habillé uniformément, d'une cou-
leur propre patrie. Il y aurait cette diffé- leur difficile à salir et aisée à nettoyer; que
rence entre la république romaine et la dé- son habit le défendît du froid sans l'embar-
mocratie française que Rome n'eut des
rasser dans sa marche; qu'il fût coiffé de
troupes réglées et assemblées en temps de manière à garantir sa tête des injures de
paix, que dans les derniers temps de la ré- l'air, chaussé de manière à préserver ses
publique au lieu que la France serait pieds de l'humidité, armé de la manière la
obligée, à cause du système présent de plus propre à tirer le meilleur parti de sa
l'Europe, d'avoir en tout temps une force force et de son adresse; mais ces objets une
imposante et qu'on a proposé dans fois remplis, l'homme et les saisons restent
les débats de la Convention, de porter, les mêmes. Pourquoi fatiguer le soldat et
dès aujourd'hui à cinq cent mille ruiner l'officier par des changements conti-
hommes. nuels dans le nombre des boutons, la cou-
J'ai remarqué au chap. 5 dû liv. iv de la leur des revers, la coupe de l'habit, la forme
première partie de cet ouvrage, que depuis du chapeau? Peut-on justifier ces change-
longtemps un changement progressif dans ments et mille autres aussi inutiles, par au-
nos mœurs, dans nos arts, dans notre lan- cun motif tiré de la nature des boutons, des
gue, dans notre littérature même, annonçait couleurs, des habits ou des chapeaux? La
la chute accélérée par laquelle la France manie de faire est essentiellement celle des
descendait de la constitution de la nature petits esprits, le goût de conserver est le
de la société, ou de l'homme perfectionné, caractère des.bons esprits. Jfc
aux institutions de l'homme sauvage; j'en L'homme n'aime de changements que j^H
citerai un nouvel exemple relatif à la no- ceux qu'il fait lui-même, parce qu'ils lui _^PI
blesse. L'usage s'introduisait de se servir, présentent une idée de création qui le flatte &
dans les combats singuliers, de l'arme la hors de là, il aime à contracter des habitudes,
plus destructive et qui suppose le courage et ces habitudes lui sont aussi chères que
passif qu'on retrouve au plus haut degré savie.
chez l'homme sauvage, plutôt que le cou- Ce qui est nécessaire en France, et dont
rage actif qui doit être celui de l'homme on pourrait justifier la nécessité par des
perfectionné, et qui avait toujours été celui motifs puisés dans la nature de la constitu-
du Français. Je n'entre pas dans le fond de tion monarchique, est
la question; mais je ne crains pas de dire 1" De rétablir les compagnies d'ordonnance
que ce changement prouvait, plus qu'on de la maison du roi, "où la noblesse puisse
ne pense, la détérioration de l'esprit de la1 faire un service qui lui tienne lieu d'éduca-
nation. Ce n'étaient plus des rivaux géné- tion militaire, au lieu de demander des bre-
reux, qui oublient un instant l'amitié qui vets à la suite, et de courir après des grades
les unit, pour ne s'occuper que de leur sans fonctions.
gloire, mais des ennemis implacables qui 2* De rétablir les grenadiers à cheval,
veulent se détruire. élite des troupes françaises et récompensa
pour le soldat brave et fidèle.
3" De rétablir la gendarmerie, corps plus raux. Louis XIV avait laissé ou forme des
important qu'on ne pense aux yeux de la corps à quatre bataillons. L'arméeautrichien-
constitution, parce qu'il était le point de ral- ne, l'armée prussienne, ont des régiments
liement militaire de la noblesse et de la beaucoupplus forts que les nôtres pourquoi
bourgeoisie, avantage qui compenserait les ce morcellement deTarméefrançaiseen petits
inconvénientsparticuliers à ce corps. Ces in- corps de deux bataillons? moins on a de
convénientsmême disparaîtraient en partie, corps, plus il est aisé d'entretenir entre eux
sitl'on ne plaçait que de vieux officiers à la une parfaite uniformité moins de régiments,
tête de ce corps, comme à la tête de tous les moins d'états-majors, moins de places, plus
corps composés de jeunes gens de famille. Il de sujets. Prenez garde que, pour bien gou-
est aisé d'en sentir les raisons verner les hommes, il faut beaucoup d'appe-
1° Ce n'est pas assez de l'autorité dugra- lés et peu d'élus; ne décourager personne,
de pour contenir cette jeunesse fougueuse, et ne pas satisfaire tout le monde, tenir
si l'on n'y joint celle de l'âge, qu'aucune l'émulation en haleine, et ne pas rassasier
institution humaine ne peut remplacer. l'ambition, c'est une coquetterie indispen-
'2° Le commandement de la part d'un supé- sable en administration: attachez les hommes
rieur, égal en tout à l'inférieur, révolte et par l'espoir, contenez les par la crainte,
l'affection et encore moins
prend le caractère de la force, à laquellë la comptez peu sur
la reconnaissance.
nature oppose toujours une secrète résistan- sur
11 faut rendre aux régiments les noms de
ce, plutôt que celui de l'autorité. L'homme
aime à trouver le motif de son obéissance dans province. Ces noms présentent une idée à
l'âge ou la naissance ae celui qui commande, l'esprit et un point d'appui à la mémoire. On
et non dans son grade seul, c'est-à-dire n'oubliera jamais les actions valeureuses
dans la nature ou la constitution, et non dans des régiments de Navarre et de Champagne
une préférence arbitraire et que chacun mais qui jamais se rappellera que le 35' ou
croit mériter. le 57e régiment se sont distingués, et quelle
idée fixera l'esprit, et l'empêchera de les
3° Il est dans la nature de I'homme, que
confondre avec le 34' ou le 58'?
les vieillards qui commandent, sympathisentt
avec les jeunes gens qui leur sont soumis, et Ce qui est nécessaire, et plus nécessaire
leur rendent l'obéissance plus douce, ou par que tout le reste, est de rétablir dans l'ar-
l'affection qu'ils ont pour eux, ou par le res- mée le respect pour la religion et les mœurs.
pect qu'ils leur inspirent. La famille offre l'enfant à la société mais la
4° Jamais le jeune homme qui obéit ne société ne peut-elle le former à son service
qu'il soit perdu pour la famille, ou que
manquera au vieillard qui commande, parce sans
qu'il est contre la nature de l'homme et les la famille soit perdue à cause de lui ?Que le
lois mêmes de l'honneur qu'il puisse lui en fruit de vingt ans de bons exemples donnés
donner raison. par la famille, et de dix ans d'éducation
donnée par la société ne soit pas perdu dans
Ce qui est nécessaire est de rétablir la con- trois mois d'éducation militaire, et que le
sidération;des grades et de tous les grades. jeune homme ne devienne pas l'opprobre de
Déjà en France on était honteux de n'être sa famille en devenant le fléau de lasociété.
que capitaine, et l'on aurait bientôt rougi Cette surveillance sur les
premiers pas d'un
de n'être que, colonel? Voulez-vous dimi- jeune homme dans la carrière des armes
nuer de moitié la valeur de votre mon- sera le résultat nécessaire du respect des jeu-
naie? augmentez-en du double la quantité nes militaires pour les anciens officiers, et
circulante; voulez-vous doubler en quel- de l'affection de ceux-ci pour les jeunes
que sorte la considération de vos grades. gens. Ces sentiments réciproques ne sau-
militaires? diminuez-en le nombre de moi- raient exister si le jeune homme aspire à
tié. Pourquoi doublerlesgrades dans le. mê- commander son ancien, ou si celui-ci peut
me corps, dans la même compagnie? Unité c,rai.ndre d'être commandé par le jeune hom-
en tout, unité. L'unité est indivisible, la me si un.corps n'est plus qu'un théâtre
division commence à 2. Quand il sera plus d'intrigue, d'ambition, de jalousie, d'artifi-
difficile-; d'être officier supérieur, ou officier ces, au lieu d'être une école de loyauté, de
générai, vous aurez de meilleurs officiers fraternité, de politesse et d'honneur.
supérieurs et de meilleurs ofliciers géné- Il est possible de concilier dejustes égards
pour 1 âge et les services, avec Teneourage- du du maréchal de Turenne, que ce grand nom
ment que l'on doit au zèle, et avec les me, à la veille d'attaquer les lignes d'Arias,
moyens de parvenir, qu'il faut laisser aux fit avertir f son armée de se préparer à une
talents. expédition
exp périlleuse. Le duc d'York rap-
D'ailleurs, si, danstous les temps, on peut porte Por! qu'on ne vit jamais dans l'armée autant
montrer de l'application à son devoir, on ne
"e de confessions ni de communions que les
jours qui précédèrent l'attaque. Quelques
peut en général montrer qu'à la guerre des JOU1 après,
talents militaires; et peut-être faudrait-il jours |OU1 les lignes furent forcées. On en-
réserver à s'écarter de l'ordre du tableau au tend tera des militaires dire que ces préparatifs
intimident
*ntl le soldat; les soldats de Turenne
moment où les occasions développent le ta- étaient étai donc plus fermes, ou. ce générai
lent, et où les succèsjustifient l'avancement.
moins prudent.

.
Rarementla discipline a péri dans un corps, mo_ Adolphe veillait avec le plus
les officiers étaient trop âgés Gustave
(;
parce que en grand soin sur la religion du soldat; et le
mais plus d'une fois le désordre s'y est mis, 8ra
ana
fameux Scanderberg avait une attention par-
parce qu'ils étaient trop jeunes. Qu'on n'ou- ticulière
blie pas surtout qu'une société telle que la
Xltyi sur ses: mœurs. :[",
On
C ne manquera pas de dire que les sol-
France ne peut périr que par elle-même, et
dat; de la république française se battent
qu'elle se défendra toujours moins, même dats
ave courage, quoiqu'il n'y:ait dans leur
au dehors, par la perfection de sa tactique, avec

.1.
la fidélité de guerriers et l'im- armée
arIÏ aucun signe extérieur de religion;
que par ses précisément ;ce qui
•>1Gf conviens, et c'est
j'en
mutabilité de ses principes.
fa 1t qu'ils sont les soldats de la république
fait
Non-seulement
N 1 il est nécessaire que l'es-
1,
française.
frai
prit de religion renaisse dans l'armée; mais, L'esprit de matérialisme matérialisait tout,
1
à moins que la France ne soit destinée à
semblable à ces eaux qui pétrifient tout ce
périr sans retour, il est impossible que la se" qu'elles touchent. Dans t'homme, on ne
religion ne s'y rétablisse pas parce que la 1U
religion est dans la nature de l'homme so- voyait v0^ plus qu'un corps, et dans le soldat
qu'une machine qu'on ne pouvait mouvoir
oial, ou de la société, et qu'il faut que la so- qu
ciété périsse ou que les principes conserva- que qui par des moyens physiques. On oubliait
?u< l'homme est intelligence, et même plus
que
teurs de la société renaissent. intelligence
inti à mesure que la société est plus
La religion renaîtra dans l'armée par le constituée. C'est une vérité que les factieux
cor
bon exemple des officiers, et c'est une rai- on( ont sentie et dont iis ont tiré un prodigieux
son puissante, pour mettre à la tête des ayJ
avantage. Les faiseurs, genre d'hommesqui
corps, des officiers moins jeunes elle y re- fourmille dans une société en dissolution,
Il
naîtra par un meilleur choix d'aumôniers, voyaient de bons soldats que chez quel-
ne
car il faut absolument un séminaire particu- ques nations dont le soldat ne fait pas de
lier pour cette profession. Que l'administra- chansons et ne dit pas de bons mots mais
tion ne perde pas de vue que ce qui est ils ne s'arrêtaient qu'à l'écorce ils ne
philosophie dans l'officier, devient scéléra- voyaient v0, de cause que la-canne du caporal, et
tesse dans le soldat; qu'il n'y a que des d'effet que l'immobilité du soldat. S'ils eus-
gens sans esprit et sans principes qui ne sent geI cherché à le voir ailleurs qu'à la pa-
puissent trouver un juste milieu entre la bi- rac
rade et à la manœuvre, ils auraient appris
gotterie et l'irréligion, et qui ne compren- qu'une qu
pa~ administration prudente ne néglige
nent pas que, sans faire de chaque soldat un pas le moral de l'homme,. et qu'une adminis-
homme religieux, on peut introduire dans tpg tration ferme commande, tout aux hommes,
l'armée un respect général pour la religion, et même la religion. L'exemple,, l'habitude,
et
comme il y a un respect général pour l'hon- le tempérament, peuvent rendre le soldat
neur, quoique tous les soldats ne soient pas brave la religion seule le rendra fidèle, et
des Césars. Aprèstout, la religion s'accorde les ]e^ gouvernements auront à l'avenir besoin
mieux, dans son principe, avec la profession de la fidélité du soldat plus encore que de
militaire qu'avec toute autre; puisque la re- sa valeur. Au reste, les principes religieux
ligion, comme la profession des armes, n'est tiennent à la première éducation, et ce n'est
qu'obéissance, combat et privations.. tie
pas au régiment qu'il faut pour la première
On lit dans les Mémoires du duc d'York fois foi en parler au soldat. Ce que j'ai dit de
( depuis Jacques 11 ), volontaire dans l'armée l'a l'armée de terre peut s'appliquer à l'armés
887
00i ui^uniu^o COMPLETES
OEUVRES uumriJiL lia»; DE M. DE BONALD. 888
navale. Même immutabilité dans les princi- bleau, suivi à la rigueur, peut empêcher les
pes, même
A p
respect pour les formes, amême
surveillance sur la jeunesse, mêmes égards
')talents de naître, et dans ce cas, on ne peut
regretter des talents qu'on ne connaît pas;
pour l'ancienneté, même soin d'inspirer à mais les choix de faveur étouffent les talents
l'officier comme au soldat du respect pour développés et connus. Il est dans fa nature
la religion et des mœurs décentes. des choses, que l'homme à talents conseille,
Dans le service de terre, on peut, dans gouverne l'homme médiocre que l'ancien-
tous les temps, montrer du zèle et de l'apti- neté place avant lui mais il est dans la na-
tude mais ce n'est proprement qu'à la guer- ture du cœur humain qu'il s'éloigne du sot
re qu'on peut.faire preuve de talents. Dans présomptueux que la faveur lui préfère et
le service de mer, dont la théorie est calcu- peut-être qu'il voie ses fautes avec un secret
lée, et la pratique journalière, on peut, dans plaisir; car l'homme à talents peut se sou-
l'une et dans l'autre, développer, même pen- mettre à être commandé par un homme mé-
dant la paix, des talents distingués que l'ad- diocre, mais il ne peut souffrir d'être bal-
ministration doit encourager. Ainsi elle doit lotté avec un sot.
avancer les élèves de la marine, suivant leur Il s'était fait, en France, plusieurs chan-
application et leurs connaissances, et sans gements dans l'organisation de la marine.
avoir égard à la date de leur admission; tan- J'ignore s'ils étaient nécessaires. Je lis dans
dis que, dans le service de terre, les cadets, le plus judirieux de nos historiens, Hénault,
à sagesse égale de conduite doivent être à l'année 1681 « Ordonnance de la marine,
avancés suivant leur rang d'ancienneté. que les Anglais ont regardée comme un
Dans l'armée de terre, on ne peut pas, dans chef-d'œuvre, et qu'ils ont copiée.» Il serait
l'officier en activité de service, séparer le intéressant de savoir quel est celui des âev$
grade des fonctions; dans l'armée navale, peuples qui y a fait le plus de changements,
on peut être capitaine de vaisseau sans avoir du Français pour qui elle a été faite, ou de
de v&isseau à commander. La raison de cette l'Anglais qui n'a fait que l'adopter. Il serait
différence est sensible. Dans le service de singulier, mais il serait possible, que ce fût
terre, un commandant de corps est subor- le Français qui s'en fût le plus écarté.
donné à des mouvements généraux qu'il est Au reste, je ne sais si le corps de la ma-
toujours forcé de suivre, parce qu'il ne peut rine avait quelque chose à gagner du côté
ignorer les ordres qui lui en transmettent de l'esprit particulier de sa profession,après
la direction, ni éprouver, pour s'y confor- la manière distinguée dont il a générale-
mer, que des obstacles prévus et possibles à ment servi pendant la dernière guerre mais
vaincre. du côté de l'esprit public, il est au-dessus
Mais le capitaine de vaisseau, moins dé- de tout éloge. Il est difficile de méconnaître,
pendant des hommes parce qu'il est plus dans la pureté de ses principes et l'unani-
dépendant des. éléments, n'a souvent de mité de sa conduite dans les circonstances
conseil à prendre que de lui-même, ni d'or^ présentes, l'influence de l'exemple qu'ont
dres à recevoir que de sa volonté. Or, un donné les anciens officiers et du respect
vaisseau est par lui-même et par les hom- qu'ils inspiraient à la jeunesse; et c'est un
mes et les choses qu'il contient, une pro- avertissement pour l'administration.
priété précieuse de l'Etat, que l'administra- Dans ce moment l'affreuse nouvelle des
tion ne doit confier qu'à des talents connus désastres de Quiberon parvient dans ma re-
dans la théorie et éprouvés dans la pratique. traite. La plume tombe des mains, l'ex-
Ainsi, si l'ancienneté donne les grades, le pression manque au sentiment et plus en-
mérite doit distribuer les commandements core à la pensée un seul jour voit périr l'é-
ruais si la faveur les distribue, comme il ar- lite de la marine française; six cents héros
rive trop souvent, alors l'administration est sont égorgés à la vue de leurs foyers, contre
responsable envers la société des fautes de la foi d'une capitulation que, dans leurs
ses protégés, et il vaudrait mieux alors sui- guerres furieuses, des sauvages eussent res-
vre, même pour les commandements, l'ordre pectée. Le ciel et'l'enfer semblent s'être
du tableau. Les choix seraient meilleurs réunis sur ce petit coin de terre pour éton-
car les gens de mérite parviendraient à leur ner l'univers par le spectacle de tous les
tour; l'administration, en cas d'insuccès, forfaits et de toutes les vertus. Clergé de
aurait une excuse, et la préférence ne dé- France, noblesse française, professions so-
couragerait pas le mérite. L'ordre du ta- ciaies,. conservatricesde ia société religieuse
889 PART. I. ECONOM. SOC– THEORIE DU POUVOIR. PART. III. KDDC. ET ADM1N1ST. L.Tl 890
politique, je vous reconnais voyait-il
et de la société politique vôyait-il généralement avec horreur? C'était
à la résignation héroïque du ministre de la la faute de l'administration.
religion, comme à l'intrépidité magnanime 1°h~uisque la milice était une fonction mili-
du guerrier Sans doute, des revers ordi- taire, il était contré la nature des choses de
daires n'étaient pas dignes de vous; et pour charger de sa levée des officiers civils elle
que l'Europe pût vous apprécier, i! vous eût infiniment moins révolté lajeunesse,na-
fallait des malheurs aussi grands que vos turellement guerrière, si elle eût été accom-
vertus î Mais quelle fatalité semble poursuis pagnée de formes plus militaires, et confiée
vre la marine française! Si les libérateurs de à des officiers respectables par leur âge, dis-
ia France s'emparent d'un de ses ports, il tingués par leur décoration, moins suscepti-
est détruit dans leurs mains; s'ils emnloient bles par leur état et leurs habitudes des re-
ses officiers de mer, ils périssent sous leurs proches que le peuple, toujoursinjuste, fai-
yeux; si la guerre civile s'allume en France, sait à ceux qui en étaient chargés.
son théâtre est précisément dans ces mêmes 2° L'administration, en faisant dépendre
provinces, d'où elle tirait ses meilleurs ma' la nécessité de servir l'Etat d'un billet noir,
telots; et, cette guerre remarquable, même semblait regarder les miliciens comme des
entre les guerres civiles par les cruautés coupables qu'il fallait décimer, et que le sort
dont elle est accompagnée consomme dans dévouait au supplice. Ce n'est point ainsi
ces malheureuses contrées jusqu'à l'espoir qu'on gouverne les hommes. C'est une in-
de la population et ces républicains si heu- signe maladresse à l'administration, de ren-
reux et si braves, leur courage et leur for- dre révoltante, par les formes, une chose
tune les abandonnent sur un élément sur honorable en elle-même, mais qui présente
lequel toutes les républiques se sont distin- des côlés fâcheux. Toutes les fois qu'on pré-
guées et victorieux sur terre de tous leurs sentera quelque chose aux hommes sous la
ennemis, sur mer ils ne peuvent même se forme de punition ou de contrainte, on est sûr,
défendre contre leurs rivaux 1 quoi que ce puisse être, de le leur rendre
I! me reste à parler des milices. On a vu odieux. Ce,n'est pas une peine, mais un hon-
que la société emploie moins l'homme à me- neur de servir sa patrie donc il ne faut pas
sure qu'il est plus nécessaire à sa famille; en faire un châtiment; donc il faut en faire
on doit enjconclure, 1° que les exemptions un honneur; donc il ne faut pas préférer les
demilice dont jouissaient en France les pères mauvais sujets pour en faire des miliciens,
et les aînés de famille étaient dans la nature comme on le faisait quelquefois. Les îiiau-
de la société vais sujets ne sont bons à rien, et ne sont
2° Que la levée de la milice, parmi les propres à aucun état c'est contre eux que
puînés des familles qui n'étaient pas enga- la société a établi des lois, des peines et
gées au service de la société ou sociales, une force publique. D'ailleurs un mauvais
était dans la nature de ia société car tous sujet milicien en est beaucoup plus mau-
les hommes, toutes les propriétés doivent vais sujet, parce qu'il se regarde comme in-
un service quelconque à la société; dépendant de sa famille et de toute police,
3° Que les prêtres, les nobles, les magis- et qu'il est plus insolent et plus dangereux.
trats, les jeunes gens qui se destinent à une Il est donc nécessaire que l'administration
profession sociale ou à l'étude des arts uti- change ses formes, si elle veut changer les
les, ne doivent pas être soumis à la milice; idées du peuple. La milice est regardé»
parce qu'on ne peut pas servir la société de comme une
peine, il faut en faire une ré-
deux manières à la fois, ou dans deux pro- compense elle est odieuse, elle deviendra
fessions honorable elle est occasion de violences et
4* Que les domestiques attachés au service de querelles, elle peut devenir moyen d'ins-
personnel ou de luxe doivent être exempts truction et de répression.
de service militaire, parce que leurs maî- 1° Il faut que le peuple soit bien convain-
tres payant pour eux un impôt, achètent cu qu'on n'admettra que de bons sujets
leur affranchissement, et qu'ils ne doivent dans la milice; et pour cela, tous ceux qui
rien à la société comme hommes, puisqu'elle seront admis à concourir seront assistés par
les emploie comme propriété par l'impôt leurs parents ou curateurs, qui attesteront
qu'elle en retire. les vertus domestiques du sujet, je veux
Mais si la levée de la milice était dans la dire son respect à leur égard.
nature de la société, pourquoi le peuple la 2° 11 serait porteur d'un certificat des ofli-
ciers municipaux, visé dans les campagnes Lorsque toutes, les conditions que j'ai
par le correspondant de l'intendant, qui at- exigées seraient remplies, on pourrait faire
testerait ses vertus publiques, je veux dire tirer au sort et ce serait moins des crimi-
son amour pour le travail et sa bonne con- nels qui mettent, en tremblant, la main
duite dans la commune. dans l'urne fatale, que des joueurs qui
3° 11 produirait un certificat du curé, qui attendent que la roue de fortune leur donne
attesterait uniquement ses vertus religieu-• un billet gagnant. Peut-être conviendrait-il
ses, c'est-à-dire qu'il a fait sa première com- que le milicien portât une marque distinc-
munion et qu'il est assidu aux Offices de tive pendant tout le temps de son service,
l'Eglise les dimanches et fêtes. Si vous vou- marque peu dispendieuse, dont l'Etat ferait
lez répandre partout unesprit de religion, il les frais peut-être encore serait-il possible
faut mettre la religion à tout. de combiner l'institution de la milice
Ces cerLificats de bonne conduite domes- en France avec celle qui est établie dans
tique, politique et religieuse dans la jeu- quelques Etats d'Allemagne pour la ca-
nesse, seraient nécessaires pour pouvoir• valerie, et d'avoir des régiments effectifs
occuper des fonctions publiques dans sat de cavalerie qui seraient fournis par les
commune le jeune homme les présenterait, communes, qui, au lieu de donner tous les
comme le soldat montre une bonne cartou- ans un milicien, fourniraient tous les huit
che et pour peu que l'administration y mîtt ans un cavalier équipé, avec son cheval,
de la suite et de l'adresse, celui qui ne pour- dont elles répondraient. Au bout de huitans,
rait pas présenter ces attestations trouveraitt ce cavalier serait fidèlement renvoyé à sa
difficilement à se marier. Si l'on demande commune,même lorsqu'il voudraitcontinuer
pour le tirage de la milice des conditions de servir mais rien n'empêcherait que la
morales, il faut supprimer toute autre qua- commune, par un nouveau choix, ne le ren-
lité physique qu'un corps sain. On peut exi- voyât au régiment.
ger une taille déterminée de celui qui s'en- Le service de la cavalerie est plus du
gage volontairement il ne remplit pas unt goût de la nation, parce qu'il est plus cons-
devoir, il embrasse la profession des armes titutionnel; il est plus. constitutionnel,
comme il aurait embrassé toute autre pro- parce qu'il est plus défensif qu'offensif.
cession mais le milicien remplit un devoir, Un État ne se défend contre l'invasion
et il est contre la nature des choses que3 qu'avec de la cavalerie, il ne fait des con-
l'homme, dont le devoir est de servir l'Etat, quêtes durables qu'avec de l'infanterie.
Aussi remarquez que, dans les: révolutions
en soit empêché, parce qu'il n'a pas cinqj
pieds deux pouces. La milice, si l'on veut, des -Etats monarchiques, la cavalerie est la
dernière séduite.
sera un peu moins élevée, mais l'institutioni
sera excellente, et il en résultera, à la lon- On a longtemps agité la question de
gue, dans la nation, un esprit général de dé- savoir si les compagnies de cavalerie devaient
vouement à l'Etat, d'estime pour la profes- ou non appartenir au capitaine en propriété.
sion militaire, de respect pour la religion ett Les faiseurs décident d'une manière, et la
les mœurs. constitution d'une autre. Ceux-là mettent
Je n'envisage cette institution que sous lee au-dessus de tout la tenue du cavalier et la
rapport du perfectionnement de l'hommee perfection de la manœuvre. Mais la consti-
moral. Ce n'est pas qu'il n'y ait pour unee tution estime l'homme plus que l'habit, et
administration habile et vigilante dess les sentiments plus que les évolutions. Or il
les cavaliers étaient mieux
moyens de perfectionner l'homme mêmea est certain que
physique ces moyens sont 1* la répression n choisis et plus surveillés, lorsque l'officier
du libertinage, que les petites villes com- avait intérêt à les choisir et à les surveiller.
merçantes et fabricantes répandent dans less On voyait alors dans la cavalerie des jeunes
d'une espèce qui y est beaucoup
campagnes; 2° la modicité des dots dess gens
femmes, qui fait qu'on s'attache plus aux x plus rare aujourd'hui et que les parents
oflicier voisin et connu.
avantages extérieurs; 3' le soin de la pre- avaient confiés à un
mière éducation physique des enfants; Des cavaliers ainsi choisis officiers. n'auraient ni
k° l'emploi des jeunes gens pour les travaux x trahi, ni livré, ni tué leurs Cette
champêtres, plutôt que pour les occupations5 formation était d'autant plus conforme à la
sédentaires. constitution, qu'elle rappelait le temps où
Je reviens à la levée de la milice. .la noblesse marchait au combat avec se»
vassaux. Elle n'avait en soi aucun inconvé- aujourd'hui, nuisait au bien du service, en
nient, mais l'administration ne la surveillait ce que le cavalier craignait toujours d'excé-
pas, et les abus s'y étaient glissés. Alors on der son cheval, et que l'officier craignait par
la détruisit car en France on ne savait que la même raison de l'envoyer trop souvent en
détruire, et l'on ne savait ni maintenir ni course. Il ne faut pas donner à forfait le
corriger. L'administration faisait comme un maintien de l'ordre public, ou bien il faut
homme qui rebâtirait sa maison, parce qu'il créer une chambre d'assurance contre les
y a des gouttières. La guerre se fait mieux, révolutions.
dit-on, lorsque les compagnies appartien- 3° Les cavaliers étaient trop jeunes. Us
nent à l'Etat. Ne. se désabusera-t-on jamais avaient quelquefois toutes les passions de
de regarder la France comme un Etat la jeunesse avec toute la fierté du métier, et
conquérant? La France est plus constituée ils pouvaient être cause ou occasion de
qu'aucune autre nation donc elle est plus désordre, eux qui étaient faits pour le ré-
qu'aucune autre nation dans les bornes que primer.
la nature lui a marquées donc elle a plus 4° Par cette même raison, ils
se mariaient
à conserver qu'à acquérir; donc ses insti- presque tous, et le mariage était plus con-
tutions militaires doivent ;être plus défensi- traire à leurs fonctions qu'à la profession
ves qu'offensives.Mais parce qu'elle a moins de soldat de ligne. Une fois mariés, on ne
à craindre du dehors, elle a plus à craindre pouvait, sans dureté, les éloigner de leiw
du dedans. Je l'ai déjà dit: une société cons- famille, ni éloigner leur famille, en dépla-
tituée ne peut périr que par elle-même çant son chef des lieux où étaient ses pa-
donc la France doit perfectionner son admi- rents, ses habitudes, quelquefois ses moyens
nistration intérieure; donc l'administration de subsistance. Le soin de sa famille dis-
doit diriger toute son attention vers le moral trayait le cavalier de son état, et faisait qu'il
de l'homme, parce que le moral de l'homme, cherchait à faire des épargnes aux dépens
surtout après une révolution, est à la fois de sa tenue, de sa nourriture et de celle de
l'ennemi le plus dangereux de 'la société son cheval, ou des profits aux dépens de
et le moyen le plus puissant de l'adminis- son devoir. Le cavalier marié contractait
tration. avec les habitants des liaisons de parenté et
Je dois, pour ne rien omettre, parler des d'amitié, nuisibles au besoin du service.
maréchaussées. Cette institution excellente, Il faudrait qu'un cavalier eût servi au
particulière à la France,,à ce que je crois moins seize ans, et qu'il fût âgé au moins
y maintenait l'ordre et la tranquillité. On de trente-cinq ans, parce que cette fonction
me dira peut-être qu'il n'en existe pas en demande à la fois de la force et de la pru-
Allemagne; mais on ne fait pas attention dence, et que, si le cavalier tire sa force de
que le grand nombre de souverainetés y ses armes et de ses habitudes, son âge seul
multiplie, d'une autre manière, la force pu- peut lui donner la prudence nécessaire.
blique. La paye du cavalier doit être avantageuse.
L'administration avait très-bien fait de parce que cette place doit être récompensée.
mettre cette troupe sur un pied militaire; On ne devrait recruter la maréchaussée que
car, puisqu'elle est force publique, elle doit dans les troupes à cheval. Le soin des che-
en avoir tous les caractères; et ce n'est que vaux, la nature du service le demande.
par la rigueur de la discipline militaire la D'ailleurs il me semble qu'on peut trouver
plus sévère, qu'on peut retenir dans l'es- plus aisément dans le cavalier les qualités
prit et lès habitudes de leur profession des physiques ou les talents acquis que deman-
soldats casaniers, dispersés dans les cam- dent des fonctions pour lesquelles il faut
pagnes par petites troupes et sans réunion savoir au moins lire et écrire.
habituelle. Mais, 1° parce qu'elle était sur On a proposé de créer une maréchaussée
un pied militaire, elle se croyait quelque- à pied, uniquement parce qu'il y en avait
fois dispensée d'obéir, ou n'obéissait qu'à une à cheval, et pour faire quelque chose.
regret aux réquisitions des officiers civils; L'institution serait détestable, parce qu'el-
et elle alléguait ou attendait des ordres tar- le ne serait point considérée aux yeux du11
difs de chefs souvent éloignés. peuple ces soldats de police à pied ne paraî-
2° L'arrangement par lequel le cavalier traient que des recors. Le paysan ôte son
était chargé du remplacement de son che- chapeau au cavalier il ne regarderait pas
val au moyen d'une somme trop modique l'autre.
895
II
ïi nV
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
dp raison nrmr
na« de
n'y àn pas l'oraa-
iVhançrer l'orga-
pour changer
nisation de la maréchaussée mais il y en a
&
parce
p
v.lV
consacrer des forfaits par leur présence;
présence:
que, dans la république, elles n'ont
89G

mille pour l'occuperbeaucoup. Les cavaliers plus


p été que le signe du pouvoir particulier
oisifs deviennent libertins dans les villes, d quelques hommes.
de
et chasseurs dans les campagnes. Occupez Quel doit être l'objet des marques dis-
le cavalier, usez les chevaux l'administra- titinctives ?
tion ne doit jamais craindre de consommer 1° Elles doivent désigner le pouvoir.
les hommes ni les choses pour l'intérêt de 2° Elles doivent distinguer les fonc-
la société. tions.
fi
L'administration accordait quelquefois un Ainsi il faut une marque distinctive gé-
peu légèrement des ordres de désarmement nnérale pour distinguer, dans la société, ceux
général dans tout un canton. Il faut être qui q commandent de ceux qui obéissent;
très-circonspect pour solliciter comme pour Et une marque particulière qui désigne
accorder de pareils ordres. Tout proprié- quelleq espèce de commandement ou de su-
taire â le droit d'avoir une arme chez lui, périorité
p l'on exerce.
pour défendre sa maison des voleurs, ou Toutes les fonctions publiques ont cela de
ses propriétés des animaux malfaisants. ccommun, qu'elles imposent le devoir de
Mais s'il en fait un autre usage, il en doit commander,
c et supposent le devoir d'obéir,
compte à la loi et il 'vaut mieux employer, car c dans une société constituée il n'existe
pour l'en punir, la justice que la force. Dans pas
p de droits, il n'y a que des devoirs (1).
une société constituée, la justice doit faire Dans le militaire, le général commande,
beaucoup, et la force peu. e le dernier officier commande, et l'un doit
et
être
è obéi comme l'autre.
CHAPITRE III.. Dans l'ordre judiciaire, le parlement ou
ecour du roi juge souverainement et le pre-
MARQUES DISTINCTIVES.
mier
I juge ou cour, du seigneur juge aussi
Dans les républiques, surtout démocrati- souverainement,
s puisqu'il juge en demie*
ques, où les gens en place exercent leur ressort r jusqu'à une somme déterminée, et
pouvoir particulier, il ne faut pas de mar- 1les sentences de la cour du seigneur doi-
quës distinctives, qui éveilleraient dans le vent être exécutées comme les arrêts de ia
citoyen l'envie d'exercer aussi son pouvoir, courc du roi.
en lui en montrant le symbole; et l'on appelle Si toutes les fonctions publiques imposent
simplicité et modestie ce qui est prudence et le 1 devoir de commander et supposent le de-
necessité. A Rome, cependant, les marques voir x d'obéir, il faut une marque distinctive
extérieures des fonctions publiques étaient. commune
c à toutes les fonctions publiques,
extrêmement multipliées; parce que Rome, qui c annonce le devoir de commander, et
constituée originairement en monarchie, en {prescrive par conséquent le devoir d'obéir.
avait retenu l'esprit et les institutions et Cette marque distinctive générale doit
c'est ce qui fut une des causes de ses pro- têtre égale pour toutes les fonctions, puisque
grès. t
toutes les fonctions imposent le même de-
Dans une société constituée, où le pouvoir voir de commander, et supposent le même
est le pouvoir général, il faut qu'il paraisse devoir
c d'obéir.
à l'extérieur, parce que tous doivent jouir de Cette marque doit être précieuse sans être
ce qui appartient à tous. L'empire que ces chère,c et visible sans être embarrassante; elle
signes extérieurs du pouvoir ont sur les doit c être emblématique, parce qu'il faut, en
hommes est irrésistible, et cela doit être ·, parlant
j aux sens, dire quelque chose à l'es-
car, lorsque le pouvoir général se montre prit et surtout au cœur.
Cette marque distinctïve serait l'annenn
aux yeux, on le suppose accompagné de la
force, puisqu'un pouvoir sans force n'est c1
pas.un pouvoir. >d'or pour toutes les fonctions militaires bre-
vetées du roi, et qui supposent un comman-
Ces marques extérieures du pouvoir, qui àdement militaire, et pour toutes les fonc-
avaient tant d'effet en France, lorsqu'elles tions
t judiciaires qui ont un exercice quel-
étaient le symbole du pouvoir général de la conque
c de souveraineté ou de dernier res-
société, n'ont servi, dans la révolution, qu'à sort.
s
(1) n'est que pour me conformer aux ma-
Ce fois le mot droits il est partout, dans cet ouvrage,
fi
nièrés de parler usitées que j'ai employé quelque- synonyme
s de devoirs.
Ainsi je ne le donnerais pas à ceux qui Le don de l'anneau serait l'investiture de
remplissent, auprès des armées, en quelque la fonction la perte de l'anneau en serait
degré que ce soit, des fonctions adminis- la dégradation; l'investiture comme la dé-
tratives ou économiques, ni à ceux qui exer- gradation pourraient être accompagnées de
cent, auprès, des tribunaux, des fonctions quelques-unes de ces cérémonies religieu-
subalternes, quelle que puisse être leur im-
ses que nos pères, qui croyaient une âme à
portance et la finance de leurs charges. l'homme et un Dieu à l'univers, avaient si fprt
Le roi, source de toute autorité militaire mullipiiées dans la réception des chevaliers
et judiciaire, porterait le double anneau en- et dans leur dégradation.
trelacé. Ce serait la marque distinctive de Il me semble que cette marque distinctive,
la royauté, parce que ce serait le symbole
que le bas officier porterait comme l'officier
de J'accord de la force et de la justice, ac- supérieur, l'officier particulier comme l'of-
cord qui constitue le pouvoir royal de la ficier général, l'officier général comme le
société. roi; que le juge inférieur porterait comme
Personne ne 'pourrait pàrtager cette mar- le magistrat en cour souveraine, et celui-ci
que avec le monarque parce que toute au- comme le roi, serait bien propre à donner à
tre personne, un pair, par exemple, n'est .l'homme une haute idée de ses fonctions,
pas militaire au parlement ni juge à l'ar-
mée mais le roi est toujours et partout le
et lui inspirer ce respect pour soi-même
et pour son état, qui ne manque jamais d'en
chef de la force armée et la source de la imposer à l'inférieur, et qui, mieux que les
justice. châtiments ou la morgue, maintient la su-
La marque distinctive de l'anneau d'or est bordination et dispose à l'obéissance.
précieuse sans être chère, et visible sans Cette distinction s'étendrait à toutes les
être embarrassante; elle est emblématique, fonctions publiques quiimprimentcaractère;
puisque, portée immédiatement sur le corps, car un ministre d'Etat, un ambassadeur,
elle présente à l'esprit, et plus encore au sont toujours ou magistrats ou militaires,
eœur, l'idée de l'union inséparable de la per- et l'administrateursuprême d'une province
sonne et des fonctions, des 'fonctions et du est toujours un magistrat.
pouvoir dont elles émanent; et c'est pour J.-J. Rousseau, dans son Gouvernement d*i
cette raison que l'anneau est, chez toutes Pologne, propose une hiérarchie de grades
les nations, le symbole de l'union la plus qu'il distingue par des plaques de métal,
intime qui puisse exister sur la terre, celle dont la valeur spécifique décroît à mesure
de l'homme et de la femme. que le grade s'élève, en sorte que la plaque
L'anneau d'or était chez les Romains la d'or répond au grade inférieur, et la plaque
marque distinctive de cet ordre qui exerçait de fer au grade supérieur. C'est une sottise
à la fois des fonctions militaires et judiciai- philosophique, qui est contre la nature des
res. Or, dans tout ce qui a rapport à la par- êtres, et par conséquent contre la raison.
tie extérieure et symbolique des fonctions Ne
i dirait-on pas que la valeur de l'or, com-
publiques, les Romains n'ont rien laissé à parée
] à celle des autres métaux, est pure-
imaginer. ment
j aibitraire, et qu'elle ne tient pas à la
Il y a des troupes en Europe, chez les- solidité,
s à la ductilité, à l'homogénéité de
quelles le général a la canne, et le caporal ses parties? Ah 1 c'est par de moins petits
a la canne aussi; mais cette marque, dan- imoyens qu'on doit inspirer aux hommes le
gereuse avec la vivacité française, contraire mépris
t des richesses il faut que l'homme
aux mœurs d'une société constituée, c'est-à- connaisse
( le prix de l'or, et qu'ii lui préfère
dire contraire à la constitution, présente la
1 vertu.
plutôt l'idée de la force que l'emblème du Non-seulement il faut une marque dis-
pouvoir. ttinctive générale pour désigner le pouvoir,
Le noble porterait l'anneau d'or, parce i faut encore une marque distinctive parti-
il
qu'en sa qualité de noble, et par sa seule culière
c pour distinguer les fonctions; car il
existence, il est toujours en fonctions. est
c dans la nature du pouvoir d'être connu,
Les bas officiers porteraient l'anneau d'ar- et
€ dans la nature des fonctions d'être dis-
gent, parce qu'ils sont autorité militaire, et Linguées
L entre elles.
que leur autorité n'émane pas directement Cette distinction doit être très-visible, et
du pouvoir général, puisqu'ils ne sont pas rne peut par conséquent être que dans les vê-
breveté; ttements. Elle existe en France pour toutes
~~rivtïi7e rnacnr. NI ns ~tnmer" 11 an~l
les professions sociales, et doit être soigneu-
aian 111.

officiers
o
L1i UVrICILV.
d'un même corps ce qu'ils sont danss
sement maintenue. le corps, ou de t'apprendre à leurs soldats
li
II faut observer qu'il ne doit jamais être officiers
o et soidats du même corps, tous doi-
permis à l'homme d'Eglise ni au magistrat vent v se connaître entre eux cette connais-
de quitter le costume de leur état, parce, sance s est même un des principaux devoirs
que ia religion et la justice doivent être de d l'officier. Dans toute administration, il
toujours présentes, et qu'il faut que le peu- est e plus important qu'on ne croit que le su-
pie contracte, en les ayant sans cesse sous périeur I puisse appeler l'inférieur pmr son
les yeux, l'habitude de les aimer mais il nom. r 11 acquiert dès lors sur lui un grand
n'est peut-être pas également nécessaire que ascendant,
s parce que tout homme est flatté
le militaire porte continuellement le sien, d'être c connu, surtout de ses supérieurs,
.parce que la force ne doit se montrer qu'au > dont c la connaissance semble lui répondre
besoin, et qu'en se familiarisant avec elle-, de ( l'intérêt qu'ils prennent à sa personne
le peuple peut cesser de la craindre. i( 1.
Le roi, dans les cérémonies publiques, Le but de cette distinction est-il de classer

porte un costume qui tient à la fois du mi- entre i eux des militaires inconnus tes uns
litaire et du magistrat, et pius du magistrat aux i autres, que le hasard assemble à u-neta^
que du militaire; parce que le pouvoir gé- ble 1 d'hôte, et d'établir entre eux des rangs
nérâl est, relativement au sujet, plus justice et < une préséance? Dans ce cas, il ne peut y
que. force: peut-être devrait-il porter cons- en < avoir d'autre que celle de l'âge et de la
tamment un habit qui rappelât cette double Jécoration qui l'exprime. C'est un grand in-
fonction. ^onvénient politique de ces distinctions mi-
Faut-il une marque particulière pour nutieuses, qu'elles ne laissent pas même
distinguer les différents grades dans la à 'l'ancienneté d'âge la ressource d'une mé-
même profession ? ,» orise.
Est-ce d'apprendre au soldat qu'il doit un
Cette distinction existe "en France dans le
tnilitaire, où des épaulettes ou autres mar- sutre respect et une autre obéissance au
ques caractérisent les différents grades avec lieutenant qu'au sdus-lieutenant, au capi-
une précision bien minutieuse et, je ne crains taine qu'au colonel, etc.? Mais s'il avait
pas de le dire, bien inutile, pour ne rien des nuances à marquer, aux yeux du soldat»
dire de plus. k
dans la subordination, la différence serait à
Dans les grades militaires, on doit distin-; l'avantage du supérieur immédiat; et dans
guer les classes et non les grades. Je m'ex-' la hiérarchie des grades, l'inférieur doit
plique:on distingue deux classes d'officiers reconnaître, avant tout, les ordres d'e celui
officiers particuliers d'un corps, officiers gé- qui les lui transmet sans intermédiaire.
néraux de l'af mée. &r. Est-ce enfin d'avertir les gens du monde
Il est dans la nature de l'organisation mi- de mesurer leurs égards sur les soies de
litaire de distinguer les officiers particuliers l'épaulette? L'âge, les décorations dont je
des corps, des officiers généraux de l'armée, parlerai tout à l'heure, l'éducation doivent
parce que le service et la constitution même marquer les nuances. On doit
souhaiter,
mettent entre eux cette différence, que les plus qu'on ne doit les craindre, les quipro-
officiers particuliers n'appartiennent qu'à un quo de ce genre. Il serait heureux qu'à l'ins-
à la sé-
corps, et les officiers généraux à toute l'ar- truction, à la décence des manières,
mée. vérité des principes, on se méprît sur les
Toute autre distinction me paraît fausse grades. Le jeune officier; qui s'aperçoit que
et puérile; elle ne peut avoir été imaginée son grade est peu considéré, ne le respecte
que parle petit esprit et parl'orgueil; et elle pas lui-même et trop souvent les gens du
est en effet une nouveauté dans le militaire monde, et particulièrement las femmes, se
français. Entrons dans le. détail. Quel est le permettaient de distinguer les épaul.e.ltes
but de cette distinction entre les officiers d'une manière peu obligeante. Tous les gra-
particuliers d'un même corps?2 des doivent être considérés par les gens du
Ce n'est uas sans doute d'apprendre aux monde, parce que tous les grades sont utiles
(1)} Le cardinal de Retz, terrassé dans une tout confus et 'en lui demandant pardon. C'est nn
«meule populaire, par un homme qu'il ne connais- des traits de la vie du coadjuteur, qui prouve le
sait pas, et au moment d'cn être poignardé, lui plus sa profonde connaissancedes hommes, et son
cria Ah! malheureux, si ton père te voyait! Cet extrême présence d'esprit.
homme crut être connu du cardinal, et se retira
à la société. Quant à la considération per- loir civiliser la religion, ce qui est bien loin
sonnelle, elle n'est pas attachée au grade, de ma pensée. Je l'ai dit ailleurs, la société
et le brevet du roi ne la donne pas. religieuse et la société politique doivent dif-
Dans la profession sénatoriale, les dis-. férer par les moyens, parce qu'eHes s'accor-
tinctions entre les offices ne sont marquées> dent dans le but. Au reste, la distinction de
qu'à l'audience. Il n'y en a de particulières l'anneau est connue dans les fonctions émi-
>
que pour le chef de la compagnie, ou pour nentes du ministère de la religion, et c'est
celui qui remplit les fonctions éminentes dut
une raison de plus au gouvernement civil
ministère public. pour l'adopter. Dans l'administration ecelé-
En même temps que l'on s'attachait ent siastique, tout ce que la nature de la société
France à distinguer les grades avec une pré- a établi est parfait. En Egypte, qui nous a
cision si scrupuleuse, le petit esprit s'exer- offert le type de la constitution politique des
çait à faire disparaître toute distinction ex-
térieure dans le costume entre l'officier et le
sociétés, « les prêtres et les soldats, dit
Bossuet, «avaient des marques d'honneur
soldat. Des idées étroites d'uniformité l'em- particulières. »
portaient sur des considérations moralesl
bien autrement importantes, sur la nécessité CHAPITRE IV.
de relever le supérieur aux yeux de l'infé- CHATIMENTS, RÉCOMPENSES.
rieur par tous les moyens qui peuvent parler La société emploie pour sa conservation
à l'esprit et frapper les sens. Frédéric don- les peines et les récompenses, et elles sont
nait à l'officier prussien le chapeau bordé et dans la nature de la société, parce qu'elles
l'écharpe tissue d'argent et en France, on sont dans la nature de l'homme.
Jeurôtait le jabot et les manchettes. Il faut L'homme a des affections il faut donc so
quelque chose de solide et de riche qui re- servir de ses affections pour le gouverner. Il
lève celui que son physique ne relève pas s'aime lui-même donc il veut sa conaervâ-
toujours. Le soldat estimera plus l'officier tion ou ce qui lui est utile; donc il craint
qui lui paraîtra opulent, et cette estime pour sa destruction, ou ce qui peut lui nuire;
la richessen'est pas immorale en elle-même, donc il faut le porter au bien par J'espoir de
puisqu'elle est dans la nature de la société. la récompense, et le détourner du mal par
L'homme plus propriétaire est en quelque la crainte du châtiment.
sorte plus social. Il ne faut pas alléguer des Quelles sont les actions que la société doit
motifs d'économie; il n'y a de cher que ce punir, quelles sont celles qu'elle doit ré-
qui est inutile. compenser'"
Il y a d'autres distinctions, qui ne doivent 11 faut revenir à la distinction de famille
être.qu'accidentelles ce sont celles des of- et de société, d'homme naturel et d'homme,
ficiers de police ou municipaux. Une com- politique ou social (1).
mune est une grande famille; l'autorité, Un principe vrai est toujours un principe
toujours représentée et extérieure, y devien- fécond.
drait insupportable, si les yeux ne s'y ac- La société politique ne peut punir ou ré-
coutumaient pas; ou vaine et sans effet, s'ils compenser que l'homme qui lui appartient,
s'y accoutumaient trop. Les officiers muni- l'homme politique ou social c'est-à-dire
cipaux ne sont que conseil dans l'exercice qu'elle ne peut punir ou récompenserque
ordinaire de leurs fonctions ils ne devien- les actions qui viennent à sa connaissance,
nent autorité que lorsqu'ils ont besoin d'exi-
ou par la plainte 'd'une partie intéressée,
ger l'obéissance alors le signe extérieur du ou par la dénonciation d'un tiers, ou parce
pouvoir est efficace, parce qu'il annonce la que l'action s'est passée dans un lieu public.
présence de la force. La fourberie, l'avarice, l'orgueil sont des
J'aurais proposé, comme très-convenable, vices mais tant que ces vices ne sortent
de donner l'anneau d'or aux fonctions reli- pas de l'intérieur de la famille
ou de l'hom-
gieuses qui donnent charge d'âmes, si je me naturel, la société les ignore, elle n'a
n'eusse craint qu'on ne m'accusât de vou- aucune peine à décerner; mais si la four-
(i) Je me sers indifféremment de l'expression L'homme de la société naturelle est homme social
d'homme social ou politique, en parlant de l'homme
de la sociélé politique par opposition à l'homme comme l'homme de la société politique; et pour
parler très-correctement,il faudrait dire l'homme
naturel ou à l'homme -de la famille ou société na- social naturel, l'homme social politique, l'homme
turelle; parce que, dans le langage ordinaire, on social religieux.
B'iiiiienil par le mot sociélé que ta société politique.
._•
JVV
berie .,““
*n. m»(/5n;oi
se manifeste par un faux
matériel,
l'avarice par le vol l'orgueil par l'on-
trage, alors ces vices devenus sociaux, si je
l'ose dire, ou publics, ne peuvent plus être
enfant
onfani
er nni nourrit son
qui son père, mais elle ré-
compense un homme qui expose sa vie pour
ce
sauver
sa celle de son semblable. La société
ne punit pas les vices de l'homme
ne
ré»

dans sa fa-
ignorés de la société, qui les punit suivant mille,
m parce qu'elle ne les connaît pas mais
la gravité du délit. elle ne récompense pas les vertus domesti-
el
Un homme est brutal et violent, des en- ques q; ou de famille, même lorsqu'elle pour-
r; les connaître parce que
l'homme vi-
fants sont peu respectueux envers leurs pa- rait
rents-; tant que ces actions se passent dans cieux ci est ce qu'il ne doit pas être: il
le sein de la famille, la société les ignore, s'écarte s' de la règle et il doit en être punii
elle ne peut les punir. Mais si une femme mais n l'homme vertueux dans sa famille est
vient se plaindre des déportements de son ce c> qu'il
doit être sa conduite est conforme
lieu à récompense
mari, ou un père de mauvais traitements de à l'ordre; il n'y a pas
la part de ses enfants si un voisin dénonce de d la part de la société.
à la police les «xcès qui se commettent
dans C'est à la religion à punir ou à récompen-
maison, ou si un mari maltraite sa ser s les vices ou les vertus domestiques,
une seule peut connaître les uns,
femme, ou des enfants leur père dans un lieu jparce qu'elle
motif des autres.
public; ces étions deviennent extérieures «ou apprécier le
publiques, îa société les connaît, elle doit Ainsi les institutions connues sous le nom
et multipliées de nos jours si
les punir. c rosières, si
de
Si la société attendait que les actions cri- vantées ï par nos beaux esprits qui récom-
connaissance par la pensaient la vertu domestique dans là fem-
minelles vinssent, à sa 1

d'une partie intéiessée, la déuon- me, c'est-à-dire dans un sexe qui n'appar-
plainte r

ciation d'un tiers, ou le flagrant délit, elle ttient


qu'à la famille tous ces prix fondés
ignorerait presque tout ce qu'elle a intérêt dans <
quelques académies pour récompenser
la plainte est dan- les actions vertueuses, étaient des institu-
de connaître parce que
la délation odieuse ou immorale, tions i fausses ou corruptrices, parce qu'elles
gereuse, 11 était érigeaient, contre la nature
de la société,
et que le crime fuit le grand jour.
de la société d'ôter tout les vertus domestiques en vertus sociales, et
donc de la nature
plainte, tout odieux à la déla- les devoirs d'homme naturel en fonctions
danger à la
forcer crime à produire, d'homme politique qu'elles mettaient l'in-
tion, et de le se vanité à
établissant des officiers chargés de la re- térêt à la place de la religion, et la
en
dénonciation et de la pour- la place de la conscience, qu'elles tendaient
cherche, de la •

crimes. C'est qu'elle a fait par à affaiblir le respect dû à l'autorité suprême,


suite des ce
la nature de la société
l'institution du ministère public, qui existe3 puisqu'il est contre
près de tous les tribu- que le pouvoir général chargé de punir le
sous divers noms qui crime, laisse à quelques particuliers le soin
naux suprêmes ou subalternes et
dans les cours souveraines et les justicess de récompenser de l'homme de la famille;
la vertu.
royales porte le nom de procureur généralI Je n'ai parlé que
l'homme de la société, celui qui exerce
du roi, ou procureur du.roi, pour marquerr maisproiession fonction sociale a ses de-
qu'il est spécialement établi pour l'intérêt dee une ou
particuliers à remplir, et il doit être
la société et par son pouvoir institutionn vairs récompensé, selon qu'il les remplit
sublime, véritable censure publique, à l'au---> puni ou
néglige.
torité de laquelle il faut ajouter toute laa ou qu'il les
choix le plus sévère, le plus s Comme il y a des devoirs plus ou moins
force qui naît du
éclairé des personnes. importants, il y a des infractions plus ou
moins graves, et par iConséquent des peines
La société flétrit le vice, mais elle ne pu- l-
l'action publique du vice, qu'on ap-). plus ou mois sévères.
nit que
pelle crime de même la société honore la la Tout homme revêtu d'une fonction publi-
société lui retirât sa
vertu,'mais elle ne doit récompenser que ée que qui a mérité que la
de la vertu. Elle punit it confiance et lui ôtât ses fonctions doit être
l'action oublique
qui l'oubli ou le mépris is dépouillé de la distinction générale qui mar-
je crime suppose supériorité, et renvoyé à l'état d'où
de tous les devoirs de l'homme social; I quait sa
qui la société l'a tiré. Il y a ici une distinction
elle récompense la vertu suppose un n
l'homme importante à faire. Si un bas oflicier, dans
sacrifice au-dessus des devoirs de ie
récompense un le militaire, ne remplit pas ses devoirs, la
naturel ainsi elle ne pas m
société lui retire sa confiance; mais elle le que de jardinier ou de cuisinier qu'il était,
qi
laisse dans la profession et le renvoie à l'étatil
il a plu au maître, 11 qui rien ne résiste,
de simple soldat.C'est elle qui s'est trompée d' faire Je grand visir ou l'aga des janis-
d'en
en l'appelant à une fonction qu'il;n'étaitpas saires.
sa On voit donc la raison pour laquelle
en état de remplir; mais un officier manque le
le monarque ne doit pas s'écarter sans né-
d'honneur, c'est-à-dire de vertu, dans l'exer- cessité
ce des règles qui lui sont tracées par la
cice des fonctions qui lui sont confiées, la constitution
cc dans la distribution des em-
société ne le fait pas descendre à un grade plois.
pi il se rend garant envers la société
inférieur, parce que l'homme quin'a pas eu des choix qu'il fait, lorsqu'il s'en écarte;
de
assez.de vertu pour être officier n'en aura-, et c'est bien plus pour le monarque que
pas assez pour être soldat. Elle le dégrade, pour le sujet, qu'est établi l'ordre du ta-
pc
c'est-à-dire qu'elle lui ôte tout grade, et ne bleau,
h! auquel peut-être il ne doit jamais
le souffre pas même dans la profession. Elle déroger sans de puissants motifs.
d(
lui ôte la marque distinctive générale- qui Pour le noble, Je militaire et le magistrat,
désigne l'autorité, et la marque distinctive la dégradation consisterait à les dépouiller
particulière qui distingue la fonction et le dt la distinction générale et de la distinc-
de
renvoie a sa famille. Dans le premier cas, tion
ti< particulière; et si l'on se rappelle tout
la. société s'est trompée, en faisant d'un sim-
ce que la religion accumulait de malédic-
pie soldat un bas officier, et l'individu ne tions sur la tête du chevalier dégradé, on
ti<
doit pas souffrir. de l'erreur de la société; sentira
se combien la consécration religieuse
dans le second, c'est la famille qui a trompé dt chevalier ou son excommunication so-
du
la société, en lui proposant. un sujet indigné ciale,
ci, s'il était parjure à ses serments, devait
de sa confiance" et la société ne doit pas- imprimer
in dans les esprits de considération
souffrir de la faute de la famille. De même pour les fonctions de- respect pour la per-
pc
un noble dégradé(et cette expression prouve sonne ,ou d'horreur pour la félonie et de
so
bien que la noblesse est une profession) mépris
m pour le traître.
n'est pas renvoyé dans le troisième ordre Dans nos institutions modernes, il semble
ou tiers état,, ;puisque. tout individu du qi nous rougissions de faire entrer le mo-
que
tiers état a lacapacité d'entrer dans le se-- ral
ra pour quelque chose. Nous paraissons,
cond ordre, et que le noble dégradé ne Fa douter si Ehamme n'est, pas uniquement.
de
pas il est mis hors de la société et renvoyé- matière;
m, et en attendant que nous ayons dé-
à sa f a m i 11 e ses propriétés doivent une con-couvert
co s'il est esprit, nous croyons pljis sûr,
tribution à l'Etat, parce qu'elles font partie elsans
et doute plus utile de n'en faire qu'une
des propriétés sociales et qu'elles sont pro- machine
mi que nous remuons avec un levier.
tégées par. le pouvoir; de la société mais Dans l'homme naturel, la, société ne ré-
lui-même n'est plus de la société et ne lui compense
co que les actions vertueuses qui
doit. aucun service personnel. supposent un sacrifice au-dessus de la na-
su
Cette observation est importante, en ce tu ture de l'homme et dans l'iiornme social,.|a
qu'elle explique la raison pour laquelle un société
soIJ ne récompense que les actions de
des caractères de l'autorité despotique est vertuve qui supposent un sacrifice au-dessus,
de renvoyer un supérieur, qu'elle veut pu- de de ses devoirs.
nir, à un, grade inférieur. Ainsi Pierre re- Un militaire défend opiniâtrement, un
.<
faisait d'un général un simple soldat poste
ainsi Pc contre des forces extrêmement supé-
le Grand Seigneur fait d'un commandant de rieures,
ri< la société lui doit une récompense,
janissaires, qui a encouru sa disgrâce, la même m' lorsqu'il succombe, parce qu'il a fait
dernier officier du corps, quelquefois un ce que son devoir ne l'obligeait pas de faire;
chef de chambrée^ parce qu'il avait, fait.d'un,, mais
m" s'il avait ordre de tenir dans son poste,
chef de chambrée, qui avaitgagné ses bonnes. la la société ne lui doit pas de récompense,
grâces, le commandantdu corps; parce que,, elle e" lui doit un encouragement.
comme il ne suit d'autre règle que sa vo- Uagénéral attaque, sans ordre, l'ennemi
lonté ou son caprice dans la distribution des avec
av des forces très-inférieures, la' société
emplois, c'est lui seul qui se trompe lors- lu lui doit une récompense, s'il est vain-
qu'il élève un sujet à une place qu'il n'est- queur,parce
qu qu'il a fait plus que son devoir;
s'i est battu, la société peut le punir de sa
pas en état d'occuper et il serait contre la. s'il
justice ot contre la rais.on qu'un homme fût témérité
té] mais s'il a ordre d'attaquer, la
déshonoré et mis hors de la société, parce société
so ne lui doit aucune récompense s'il
Â
La croix de Saint-Louis'peut être dorfnée
est vainqueur, aucune peine s'il est vaineu

(h moins qu'il ne soit prouvé qu'il a négligé,, comme


com récompense ou encouragement pour
des actions extraordinaires de valeur, et
de dessein prémédité, les moyens de s'as-
fait que san: avoir égard aux années de service.
surer la victoire), parce qu'il n'a société sans
E doit être donnée avant vingt-cinq ans
Elle
succès, la
son devoir; mais en cas de de service à l'officier supérieur en voici la
lui doit un encouragement, parce qu'elle s
rais
raison c'est un hommage que la société rend
doit encourager tous ceux qui montrent des
talents, à les employer d'une manière utile l'ancienneté d'âge. Les officiers supérieurs
à, \'i

à ses intérêts. devraient être les officiers les plus âgés, si


dev
Il n'est permis qu'à très-peu de personnes lMntérêt
lMni d'un grand Etat n'exigeait de déro-
de faire des actions de vertu extraordinaires, ger à cette règle mais en y dérogeant, il ne
et de développer de grands talents; et ce- faut pas choquer les convenances et puis-
fa,ut
témoi-
pendant toutes les professions sociales sup- que la croix de Saint-Louis est un
récom- gna d'ancienneté de service, il est
néces-
posent des sacrifices qui méritent gnage
saire que celui qui commande l'ait plutôt
sair
pense, et des talents qui méritent encoura-,
gement. C'est un grand sacrifice, quel qu'en que les autres, afin que le supérieur ne pa-
soit le motif, que la société ne peut juger, raisse pas, même sous le rapport de l'ancien-
rais
l'indépen- neté, trop inférieur à ses subordonnés. Mais
net
que celui qui fait renoncer à il Sfaut éviter, 1° que les officiers supérieurs
dance, au repos, aux douceurs de la
vie privée pour la dépendance, les pé- soient trop jeunes; 2" qu'il y ait une trop
soii
disproportion entre le nombre d'an-
i ils et les fatigues de la profession mi- grande
gra
litaire. Si c'est un sacrifice, il mérite ré- nées nécessaire à l'officier supérieur pourt'
née
obtenir la décoration militaire, et celui au-
obt
compense, et la récompense doit être pro- quel l'officier inférieur y parvient..
portionnée à la durée du sacrifice. Cette qu<
récompense est d'autant plus dans la na-
L'administration
1 ne doit pas oublier que
tore de la société, qu'en même temps qu'elle tout ce qu'il y a d'inutile et d'excessif dans
tou
les distinctions est décourageant pour l'hom-
est récompense puur le sacrifice, elle est en- semble que,
couragement pour le talent me et funeste à la société. Il
me,
sau les actions
sauf extraordinaires, l'officier
D'où je conclus rigoureusement l'excel-
tence, la perfection de l'institution connue supérieur
su{ ne devrait pas avoir la croix de
d'ordre de Saint- Saint-Louis avant dix-huit ans de service.
Sai
en France sous le nom Doit-on donner au simple soldat, distin-
Louis, décoration qui était la récompense ]
brillante- de valeur, une
de l'ancienneté de services militaires
et gu< par une action
gué
médaille
wé ou autre marque particulières,
qui était donnée, sans distinction de nais-
9

de comme dans l'armée autrichienne? Cette


rance, à tout officier qui avait le temps coi
question est plus difficile à résoudre qu'on
service fixé pour l'obtenir. 9.11
ne pense.
La condition de vinghcipqans de service,
paraît Je crois cette distinction contraire à la
pour l'obtention de cette décoration, constitution. Un soldat en France, qui se
sagement fixée, parce qu'en supposant qu'on co
distingue par une action d'éclat, doit être
commence de servir à dix-huit ans, on lai
dis
reçoit à quarante-trois ans, et qu'à cet âge, fai officier, s'il est capable de l'être devenu
fait
elle est tout à la fois récompense pour lei officier,
ofl il doit recevoir la croix de Saint-
sacrifice que l'homme a fait à la société des Louis
Le au bout d'un temps déterminé de ser-
vice. Voilà la constitution; mais il est contre
années les plus agréables de sa vie, et eucou- vii
ragement' pour employer à son service less la constitution de tracer cette ligne de dé-
années les plus utiles, marcation
m) entre l'oflicier et le soldat « La
constitution du royaume de France est si
On se corrigera sans doute en France de co
excellente, qu'elle n'a jamais exclu et qu'elle
l'abus de faire inscrire un enfant de dix àl es;
n'exclura
n'' jamais les citoyens nés dans le
douze ans sur l'état militaire, pour lui faireî
avoir la croix de Saint-Louis quelques an- plus ba's étage, des fonctions les plus rele-
pl
vées. » (Hénatjlt.) Or, ce serait exclure le
nées plus tôt car il est risible qu'up homme3 vé
fasse preuve par écrit devant la société qu'ill so.ldat
se des distinctions de l'officier, que de
n'a pu recevoir l'éducation sociale à l'âgee lui en donner de particulières que l'officier
lu
auquel il devait la recevoir, ou qu'il a reçu j. m partage pas; ce serait
ne
dure
peut-être aussi ex-
du militaire la jeune bourgeoisie. Les
J'éducation militaire à l'âge auquel il nee el
pouvait pas en profiter, récompenses qu'on peut établir dans un Etat

où le service est torce, peuvent ne pas con~m* coups-de plat de sabre, no sont pas tout à
venir dans un Etat où le service est volon- >n- fait arbitraires, et que cette punition pré-
taire. C'est une chose extrêmement délicate,te, sente plutôt l'apparence offensante d'une
et il faut surtout éviter d'établir des décora-
ra- vengeance personnelle, que les formes sé-
tions qui puissent être refusées.^ C'est sur•ur vères, mais impartiales,.de la loi, Je l'ai déjà
les mêmes principes qu'il faut juger la dé- lé- dit; on partait secrètementde cette, suppo-
coration accordée aux vétérans dans l'armée iée sition que l'homme n'est qu'une machine,
française. et l'on voulait automatiser le soldat français:
S'il y a une décoration pour l'ancienneté eté on n'y serait. jamais parvenu. Plus une so-
de services militaires, pourquoi n'y en a-t- -t- ciété est constituée plus il s'y développe de
il pas une pour l'ancienneté de fonctions sé- rapports parfaits ou conformes à la nature
natoriales et judiciaires? En voici la raison:m: des êtres, puisque la constitution n'est autre
1° Le militaire peut faire, au moins, exté- té- chose que le développement des rapports
rieurement, plus que son devoir; le magis- is- nécessaires et dérivés de la nature de l'hom-
trat, le juge ne peuvent jamais faire que ue me social. Donc l'homme.a plus de rapports
leur, devoir ;.2°- le militaire chargé d'un com-
mandementest personnel) ementj-esponsable;
m-
le;
à embrasser dans une société constituée;
donc il est plus intelligent, puisque Yesprik
·
îe magistrat n'est soumis, dans le for exté- té- n'est que l'art de saisir des rapports justes.
rieur, à aucune responsabilité personnelle le entre les objets ou les êtres donc l'homme
3' l'officier, en faisant, son devoir, peut voir
oir est moins machine h mesure que la société
son honneur et sa tête compromis par la est plus constituée. Aujourd'hui que la
faute deses subalternes le magistrat,forcé de de- France n'a plus de constitution, le soldat
cédera l'opinion du plus grand, nombre, voit oit français est véritablement une machine, ins-
ses erreurs ou ses fautes couvertes ou répa- >a- trument aveugle et passif de. l'autorité .la
rées par sa compagnie. plus tyrannique qui fut jamais-; périssant
J'oserai dire que les coups de plat de sa- ;a- par' la guerre, la misère et la faim, pour
bre infligés au soldat comme châtiment, it prolonger l'impunité de quelques assassins,
étaient en France une institution dange- ;e- ou pour protéger les jouissances de quel-
reuse. Une nation chez laquelle des soldats
ats ques scélérats; et l'on se trompe peut-être
se tuaient de désespoir d'avoir été le sujet ou ou aujourd'hui de fonder l'espoir d'un retour
l'instrument d'une peine, ne. pouvait y être tre sur des sentiments qu'il n'a plus, comme on
soumise sa,n,s. danger, ni accoutumée sans ms se trompait alors de fonder un système de
un bouleversement total dans ses opinions.
ns. punitions sur. l'absence de sentiments qu'il
On voulait, malgré la nature, rendre le, le. avait encore.
Français Allemand au militaire, et Anglais, ais, Je reviens aux châtiments militaires. For-
au civil; et le Français doit être. Français en.
eu naez l'homme par Féducation, maintenez
tout. Dans un pays, les coups de bâton sont )nt l'homme par la religion, et vous aurez dans
un châtiment; mais. si, chez ce même peu- :u- tous les Etats de bonnes mœurs, et dans
ple, un faiseur, trouvant que les coups nui- ni- tous les hommes de l'affection à leurs de-
sent auisoldat, ordonnait.la prison pour les voirs. On se plaignait beaucoup en France,
fautes contre la discipline le soldat, quel- el- depuis quelque temps, de l'insuffisance, da
que machine qu'on.le suppose, s'en trouve- re~ l'imperfection des châtiments'militaires. On
rait offensé,, parce que la prison, dans ce cherchait un remède à un mal incurable
pays., est réservée pour les malfaiteurs. rs. quand l'homme est corrompu, les lois ne
Toute peine qui n'est pas châtiment est né- lé- peuvent pas le corriger- quand le malade
cessairement outrage et remarquez, qu'il i'U" est désespéré, les remèdes se changent en
est contre la constitution de,- tracer entré tre poisons. Tous les peuples ont éprouvé, dans
l'officier» et le soldat une ligne de démarca-2a- leur décadence, l'extrême difficulté, l'impos-
tion aussi bien dans les peines que dans les sibilité même d'imaginer des peines militais
récompenses. Ces sentiments ne peuvent ;nt resquine soient ni avilissantes, nLnuisi-
être changés, parce qu'ils ont leur source 'ce bles, ni puériles et les Romains eus-mê-
dans la constitution même de la société, qui lui mes, ne sachant plus quel châtiment infli-
n'est autre chose que la nature perfection- m- ger à leurs soldats, finirent par ordonner
née de l'homme. En effet on ne peut >ut comme peine. la saignée- (Grandeur des
s'empêcher de convenir que les sentiments nts Romains, ch.-2.)
de la nation française- relativement, aux ux Rien de plus utile que d'occuper le fa&-
tassin à des travaux publics, pourvu que le ï ordre on décoration particulière pour les
un
travail soit payé car s'il fait un service aartistes célèbres. Il faudrait peut-être qu'il
extraordinaire l'Etat lui doit un salaire embrassât
e moins de sujets et plus de genres.
extraordinaire; mais il faut que le travail Mais
A surtout que l'administration se garde
soit modéré, parce qu'on doit entretenir les d multiplier les décorations sans utilité.
de
forces du soldat, et non les user. Les Ro- oou de les prodiguer sans motif. Il en est des
mains occupaient leurs seldats, et c'est en décorations
d comme des monnaies, qui n'ont
employant à la fois un nombre immense de d valeur que celle que la loi leur donne.
de
bras, qu'ils ont exécuté ces entreprises qui f
Plus vous en émettez dans le public, plus
étonnent notre faiblesse. L'empereur Pro- elles
e décroissent dans l'opinion, et jamais
bus fit plantera ses soldats les vignes de la elles
e ne peuvent se relever du décri où les
Bourgogne. plonge
F une émission indiscrète.
II y a plusieurs avantages à cette disposi- Les hommes réfléchis voyaient avec une
tion 1° La société conserve l'homme phy- extrême
e douleur les progrès de cette apa-
sique et l'homme moral, en occupant l'un et thie
t universelle, de ce dégoût général des
distrayant l'autre. 2" La société, qui doit professions
r sociales, qui gagnait en France
user l'homme jusqu'au bout, peut employer t
tous les individus. On voyait des militaires
à mille usages utiles le soldat de ligne re- de
c vingt ans, étrangers même aux illusions
tiré du service, qu'elle a entretenu dans de
( leur âge, déclamer contre leur profes-
J'habitude du travail, et lui faire trouver, sion,
g et annoncer hautement le dessein de
dans un salaire mérité, des moyens de sub- i
la quitter aussitôt qu'ils en auraient obtenu
sistance pour l'avenir, et une juste récom- la
1 décoration on voyait, dans plusieurs
pense de ses services passés. 3° Elle con- parlements,
l vaquer les premières charges
serve la famille, en conservant le goût du de
f magistrature, et des cours inférieures à
travail dans l'homme qu'elle lui rendra un moitié
t désertes chacun était mécontent de
jour; 4° Elle met en honneur la profession tsa profession ou de son grade, et n'aspirait
militaire, que le peuple des campagnes n'es- qu'après
( une vie indépendante, après des
time pas, parce qu'il voit que le jeune jouissances qu'il ne voulait pas acheter par
homme y prend le goût de la licence, et y des sacrifices. Tout le monde voulait être
(
perd celui des travaux utiles. 11 en est de la à> soi, et personne à la société. Tout avocat
profession militaire comme des ordres reli- (
voulait être homme de lettres; tout prêtre
1
gieux les plus relâchés étaient toujours voulait un bénéfice simple tout militaire,
Jes moins nombreux. Un Etat comme la tout
{ magistrat voulait être dans ses terres,
France ne manquera jamais desoldats, lors- ou
( sur ses livres. Chaque profession se
que la profession militaire sera pour la croyaitun
(
abus. Ce n'était plus à force d'hon-
jeunesse, une école de subordination et de neur,
} mais à force d'argent que l'Etat pou-
travail. vait se faire servir semblable à ces maî-
Le mérite du militaire ou du sénateur ne tres décriés qui ne peuvent trouver de do-
doit pas être le seul honoré. Les travaux mestiques
]} qu'en donnant de plus forts ga-
importants, les découvertes utiles, l'étude
ges. Cette disposition générale avait plus
des sciences, la culture des lettres, la pra- d'une cause; mais la plus prochaine, peut-
tique éclairée et heureuse des arts utiles à être, était cette tendance qu'on pouvait re-
l'humanité, doivent être récompensés ou en-
marquer dans les supérieurs de toutes les
couragés. La société doit en récompenser professions à abaisser leurs inférieurs. La
les progrès, en encourager le talent d'une
cour voulait abaisser le clergéet lanoblesse;
manière digne d'elle, Elle doit accorder des le grand conseil cassait, sous le plus léger
récompenses ou des encouragements pécu- prétexte, les arrêts des cours souveraines,
niaires, parce qu'il faut que l'homme utile qui humiliaient à Jeur tour les cours in-
aux autres hommes jouisse des droits de férieures,
l'homme social, je veux dire de la propriété,
lorsque cet avantage ne résulte pas nécessai- Lesintendants,et plus encore leurs sous-or-
rement de sa découverte ou de son talent dres, traitaient avec hauteur les officiers mu-
elle doit accorder des récompenses ou en- nicipaux, et les administrations provincia-
couragements honorifiques, parce qu'il faut les cherchaient à contrarier les intendants
que le bienfaiteur de la société soit connu dans le civil, dans le militaire, peut-être
d'honoré de la société. 11 existait en France jusque dans l'Eglise, on pouvait apercevoir
015 PART. L ECONOM. SOC. -THEORIE BU POCVOIK.
v.7<m. PART. IH.CULISj.
i.ini. m. tl
EDUC.ET ADMïmax. L. II.
ADMESIST. II. 'nt
OU
dans les
les autorités
autorités siinérif»nw»s nns
supérieures une disposi-
rUsimsi- rïïAPITTî'R V.
CHAPITRE V
tion générale à déprimer les autorités qui AGE AUQUEL ON DOIT PARVENIR AUX EMPLOIS;
leur étaient subordonnées. HONORAIRES DES FONCTIONS PCBUQ0ES.
De iette dépression générale, il devait ré- Chez les Romains, on ne parvenait que
sulter nécessairement un écrasement géné- fort tard a;ix emplois, et il fallait, je crois,
ral; car si tous les corps tendent à se pré- trente-huit ans pour exercer la première
cipiter, tous descendront infailliblement. fonction publique. Il ne faut pas s'en éton-
On ne sentait pas que, pour se rehausser, ner. Dans une république, l'homme, doit
il faut exhausser la base sur laquelle on est être plus formé, parce que les institutions
placé, et que la considération du supérieur sont plus imparfaites. Dans unesociété cons-
s'accroît de toute celle qu'il accorde lui- tituée, on peut se servir de l'homme beau-
même à l'inférieur.Legouvernement, témoin coup plus tôt, parce que les institutions,
de cette disposition générale, entraîné par toujours plus parfaites que les hommes, les
le torrent des opinions modernes, attribuait forment ou les contiennent. L'âge doit être,
aux choses l'imperfection qui n'était que en général., proportionné à l'importance des
dans les hommes; il voulait tout changer, fonctions. Ainsi, sans donner dans l'exagé-
parce qu'il voyait que tout allait mal il ration à cet égard, on peut dire qu'il faut
voulait faire les choses pour les hommes, attendre, pour conférer des fonctions im-
sans penser que, lorsque les hommes sont portantes, l'âge auquel J'esprit est mûr, le
corrompus, il faut refaire, les hommes, et cœur fixé, et l'homme plus maître de ses
non pas corrompre les institutions. Mais sens. Il faudrait peut-être, dans les cours
"les institutions en France étaient parfaites, souveraines, pour délibérer sur les affaires
et le gouvernement ne savait que mettre à publiques, un âge plus avancé que pour
leur place. Il procédait par des essais il décider des affaires entre particuliers parce
essayait de mettre des grands bailliages à qu'il est dans la nature des choses, qu'un
!a place des parlements, et une cour plé- homme soit instruit sur les affaires particu-
nière à la place des états généraux. Il es- lières qui se présentent tous les jours et quii
sayait dans les provinces des administra- sont plus particulièrement l'objet de ses
liens collectives à la place de l'unité d'ad- études, avant de l'être sur les affaires pu-
ministration. Il essaya de se servir desnota- bliques, sur lesquelles il a plus rarement
bles pour établir des impôts et enfin il es- occasion de délibérer. Effectivement, on
saya de changer la proportion de la repré* trouvait en France, dans les cours souve-
sentation des ordres. La France n'était raines, plus de jurisconsultes que de publi-
plus qu'un vaste théâtre de politique expé- cistes. Il faut, pour être administrateur su-
rimentale; sa constitution n'était plus que prême d'une province, un âge plus avancé
provisoire, et elle-même n'existait que par
que pour être membre d'un tribunal, parce
intérim. qu'il faut plus de prudence à l'homme à me-
Au milieu de ces essais funestes, les an- sure qu'il a des fonctions plus étendues,
ciennes habitudes se perdaient, et il ne s'en des règles moins tixes, et qu'il est plus di-
formait pas de nouvelles. L'administration rectement soumis à une responsabilité per-
essayait, le peuple voulait essayer aussi sonnelle il faut, pour régir un diocèse,
il essaya d'abord de mettre des jugeurs à un âge plus avancé que pour commander
la place des magistrats, des soldats à Ja un régiment, et l'on peut être mis à la tête
place des nobles, des prêtres à la place d'une armée à un âge auquel, sans choquer
des ministres de la religion, des phrases à les convenances, on ne pourrait pas être
la place de la constitution. Bientôt après, fait chancelier.
il essaya de mettre Ja loi à la place du Au reste, quel que soit l'âge auquel on
pouvoir, la police à la place de la religion, doive parvenir aux fonctions publiques, et
la raison à la place de Dieu. Enfin, accablé qui ne doit pas être au-dessous de trente
aujourd'hui de la honte de tant de forfaits à trente-deux ans, pour les emplois les moins
et de sottises, rebut de l'Europe, opprobre importants, toute Joi à cet égard est inu-
de l'univers, vil esclave prostitué à l'incon- tile et dérisoire, si l'on peut y déroger par
tinence politique [de ses maîtres, il essaye des dispenses, à tel point que la dispense
de se passer de religion, de vertu, d'hon- soit la loi, que la loi soit l'exception, et que
neur, de liberté, de pain. ces dispenses fassent une branche lucrative
de revenus publics..
il faudrait un âge mûr pour approcher des avec peu d'argent etabeauçoup d'honneur;
rois et faire partie de leur société ou de leur celles qui ne le sont pas ou qui le sont
cour. Si la cour se compose de jeunes gens moins, le soldent avec beaucoup d'argent et.
et de jeunes femmes, l'administration ne peu de considération.
tardera pas à s'en ressentir, et l'on verra On a vu des militaires étrangers s'étonjaer
bientôt de petites passions exciter de grands de ce que les officiers français avaient refusé
désordres. de souscrire aux changements faits à ta
Les honoraires des fonctions publiques ne constitution du royaume, lorsqu'on, aug-?
doivent pas ruiner l'Etat mais les fonctions méritait leurs appointements,
publiques ne doivent- pas ruiner la famille En général,, les grandes places avaient en
ces deux points sont la base sur laquelle l'ad- France des honoraires excessifs. On avait
ministrationdoit tracer avec l'attention la plus fait je ne sais quelle nécessité, aux fonctionss
réfléchie l'échelle importante des traitements éminentes, d'un luxe de représentation, qui
à accorder aux fonctions publiques. Leshono- de l'hôtel d'un homme en place faisait la
raires ne s'élèvent avec le grade, que parce maison d'un restaurateur usage tyranni-
qu'ils doivent s'élever avec l'âge. Il faut, que, qui ne permet jamais à l'homme de r.e-
dans les différentes professions, accoutumer eueillir, dans la solitude, son âme évaporée
le jeune homme à vivre de peu; c'est dans par la distraction des affaires, ni d'oublier,
les professions, mais ce n'est que dans les dans la douceur de. la vie privée, l'ennui et
professions, qu'on peut établir des lois l'amertume des soins publics; et qui, sépa-
somptua-ires; encore doivent-elles s'établir rant sans cesse l'homme de sa famille., fait
par ^'exemple plutôt que par l'autorité. trop souvent, d'un ministre considéré, un
Une société constituée solde son militaire père ou un époux malheureux.!

IL ADMINISTRATION EXTÉRIEURE,.

L'administration extérieure comprend Ja geaient, l'exploitation de ses terres et ia


commerce, les colonies et le système politi- construction de son habitation, quelquefois
que- extérieur. Je ne présenterai sur chacun contre des secours ou des services. Mais cet
de ces objets que des vues générales. échange entre des denrées- d'espèces et de
qualités différentes, de poids ou de volumes
CHAPITRE PREMIER. inégaux; cet échange de denrées contre des
COMMERCE.
travaux ou des services ne pouvait se faire
qu'avec une extrême difficulté. La nature
Je n'envisage pas le commerce en négo- inspira aux premières sociétés l'idée d'un
ciant, moins encore en agioteur je le con- signe fictif, représentatif de toutes les va-
sidère en politique, et dans ses rapports leurs.
généraux avec la société propriétaire et Dès que chaque objet ou* chaque partie-
agricole, seule société politique qui soit d'objet était évalué en ce signe ou e»
dans la nature, et qui mérite le nom de parties de ce signe, il n'y avait plus qu'à
société, comme l'homme propriétaire de comparer le signe à lui-même; c'est-à-dire
fonds est proprement le seul qui soit mem- comparer entre elles des quantités de même
bre de la société politique. Remontons à espèce. Or, cette comparaison, et par consé-
l'origine du commerce. quent l'échange dont elle était l'intermé-
Un propriétaire avait une certaine quan- diaire, se faisait avec facilité. Il existe
tité de blé, de laine, de vin, produit de ses encore dans toutes les sociétés un signe ou
terres ou de ses troupeaux, fruit de son tra- monnaie purement fictive, comme la livre
vail et de son industrie; il en gardait une tournois en France, La livre sterling en
partie, nécessaire à sa consommation et à. Angleterre, le florin en Allemagne et il y a
celle de sa famille; il en échangeait une quelques contrées de l'Afrique où il n'y en
autre contre des productions d'un autre sol a pas d'autre.
ou d'une autre industrie qui lui étaient éga- La nature a mis dans les denrées de pre-
lement utiles, contre des travaux qu'exi- mière nécessité un principe de dépérisse-
aient qui trompe l'avidité de l'homme, et intrinsèque,
in puisqu'ils représentaient une
qui lui défend de réserver pour des besoins grande gr sommé de travail que demandaient
éloignés, et peut-être chimériques, des pro- leur le extraction et leur fabrication ils étaien1
ductions qui lui sont données pour satisfaire susceptibles
st: d'une grande valeur d'indus-
h des besoins présents et continuels. Le blé, tr puisqu'ils servaient à une infinité d'usa-
trie,
les'l'égHines, les fruits, la laine, ne peuvent gesg( précieux à l'homme; leur solidité ies
se conserver longtemps; le vin, moins utile rendaitre impérissables leur ductilité l;es ren-
5 l'homme, ne se conserve plus longtemps dait de divisibles au point que pouvaient le
qu'avec des frais considérables, des précau- demander
d< l'échelle des valeurs pt la facilita
tions pénibles et le danger de le perdre. des
d( échanges leur malléabilité ( 1 ) les
Le propriétaire était donc obligé de se rendaitre susceptibles.de toutes les emprein-
défaire de l'excédant de ses denrées. Ces tes te extérieures qui pouvaient désigner leur
denrées étaient une propriété légitime, valeur v; et en empêcher la contrefaction. Plus
puisqu'elles étaient le fruit d'un travail na- un u métal avait de ces qualités, plus il éiail
turel, c'est-à-dire de l'emploi légitime des précieux;
pi c'est-à-dire plus il avait de valeu;
forces naturelles de l'homme; elles avaient intrinsèque,
ir et moins il en fallait pour re-
une valeur réelle, puisqu'elles servaient présenter
pi la môme valeur en productions de
aux besoins de l'homme; et il n'était pas sol s( et d'industrie. Les difficultés innombra-
juste que le propriétaire se dessaisît sans bles bl qu'éprouvaient les premiers échanges,
compensation d'une propriété légitime et soit s( qu'ils se fissent immédiatement par le
qui avait une valeur réelle. Mais comment troc tr des denrées ou par l'intermédiaire d'un
conserver la valeur en se dessaisissant de signe si fictif, bornaient le commerce, dans les
Sa propriété? L'homme, dans ses premiers premiers
pi temps, aux objets d'absolue néces-
échanges, représentait la valeur de sa pro- sité si et aux lieux les plus voisins; l'invention
priété par un signe fictif la nature lui ins- des di métaux, partout reçus, partout transpor-
fiira de donner un corps au signe lui-même, tables,
ta facilita les relations commerciales
Dès lors la valeur fut matériellement repré- entreei les sociétés les plus éloignées, et fit
sealée, et elle put être gardée en retenant le servir
s( aux usages d'un climat toutes les
signe matériel en sorte que ce signe qui, productions
pi du climat le plus opposé. Alors
étant fictif-, ne représentait que la valeur de onoi put regarder le commerce comme social,
la propriété, devenu matériel, représenta la parce pi qu'on put regarder les sociétés comme
propriété de la valeur. Ce signe, que nous de d< grands commerçants. Les sociétés consi-

appelons monnaie, pouvait, quelle qu'en fût déréesdi comme des propriétaires employèrent
la matière, suffire aux besoins des hommes une u partie de leurs productions pour leur
qui étaient convenus de s'en servir ou qui consommation,
c< et elles en échangèrent une
étaient obligés d'en faire usage, en vertu de autre
ai partie contre d'autres productions uti-
leur soumission à l'autorité qui l'avait éta- les le que leur sol ou leur industrie leur refu-
b|i; mais il était sans valeur représentative sait.si Elles exportèrent les unes au dehors,
à l'égard des hommes qui ne reconnaissaient elles el importèrent les autres du dehors cette
pas la même autorité ou qui n'avaient pas importation
if et cette exportation s'appelèrent
£ait la même convention. «
commerce, comme les échanges entre parti-
II fallait, un signe qui pût servir h tous les culiers
ci dans la même société s'appelaient
hommes et à toutes les sociétés, indépendant trafic.
tr Elles échangèrent contre des métaux
des caprices de l'autorité et des variations de le superflu de leurs productions territoriales
l'opinion il fallait donc un signe qui eût et-industrielles;
el et comme elles avaient tous
le ans, à peu près, les mêmes produits et
«ne valeur propre, réelle, intrinsèque la les
nature offritles métaux. le mêmes besoins, elles eurent tous les ans,
les
Les métaux réunissaient toutes les condi- à peu près, le même excédant par consé-
tions qui pouvaient en faire le signe social, quent,
qi la quantité de leurs métaux s'accrut
c'est-à-dire universel et représentatif des tous to les ans, et la circulation du numéraire
valeurs de toutes les propriétés du sol ou devint di plus rapide, parce que le numéraire
de l'industrie, l'intermédiaire de tous les devintdi plus abondant.
échanges entre tous les hommes et entre Une nation qui, par la faute de son admi-
toutes les sociétés. Ils avaient une valeur ri; riistration ou le malheur des circonstances,

(1), La conservation de la société exige que le donc


d( il ne le sera pas. Cette démonstration mo
$.ôYea de faire de l'or ne soit iamais découvert semble
se évidente.
en vint au point de n'avoir pas assez dej mère, qui connaît les passions de ses en-
produits territoriaux ou industriels à échan-fants et la facilité que peut leur donner,
ger contre les produits étrangers dont elle pour les satisfaire, un signe qui exprime
eut besoin, c'est-à-dire qui eut plus de be- toutes les valeurs, refuse à Kavidité de
soins que de ressources, fut obligée de sol- l'homme le moyen physique d'en porter à la
der le surplus avec son numéraire. §onri fois et sans danger une grande quantité, et.
numéraire s'écoula donc annuellement. Ce- de la matière la plus précieuse elle fait le.
pendant, lorsqu'elle n'eut plus de signei corps le plus pesant. L'homme déconcerte
métallique, ou qu'elle n'en eut pas assez., d'aussi sages préraulions.. La nature avait
elle fut forcée de s'en faire un autre qui ne donné le métal comme signe représentatif
fût pas un métal, ou du moins un métalI des valeurs le commerce le regarde comme
universellement précieux. valeur lui-même et. l'exprime par un autre
Ce signe, vil en lui-même et presque sanss signe. Le papier, de banque est à l'or ce que
valeur intrinsèque, n'eut de cours que pourr l'or est aux produits du, sol ou de l'in-
la force de l'autorité* qui l'avait établi et dans5 dustrie.
la société par laquelle il avait été établi Chez, les Inations qui: n'ont pas- assez de
il fut rebute dans les marchés des autres numéraire ou de signe métallique, le pa-
nations et presque toujours il s'avilit dans pier- monnaie supplée à l'argent comme
l'opinion de la société- même pour laquelle signe d'échange: mais, outre quïil est en
il avait été créé. fractions assez; petites pour faciliter les
Dans la société-, au contraire,,qui eut plusi échanges, il n'a de valeur que celle que lui
de produits que de besoins, fa quantité de donne l'autorité et. que lui conserve l'opi-
numéraire circulant s'accrut progressive- nion et cette valeur décroît rapidement dès
ment par l'accumulation annuelle de l'excé- que la quantité s'en multiplie. Mais, chez
dant de ces produits; mais, si la quantité les nations opulentes, le papier de banque,
du signe représentatifde la denrée augmentai représentant l'argent comme valeur ou den-
sans que la quantité de la denrée augmentâtt, rée, peut en exprimer à la fois des quanti-
en même temps, le prix des denrées dutté tés immenses, et un faible enfant peut tenir
nécessairement augmenter, parce qu'il yr dans sa main le prix, et le sort de tout un
eut plus de signe pour représenter la même royaume. Alors il n'y a plus de borne à !'a,m-
valeur, et qu'il est de la nature du signe de bition, parce qu'il n'y a plus de terme à la
se mettre en rapport avec la chose signifiée. possibilité du succès; alors il n'yaplusde
Le signe perdit donc insensiblement cette»• frein au crime, parce qu'il n'y a plus de me-
qualité précieuse qu'il avait de pouvoir être sure au salaire alors on peut payer-, avec
transporté commodément et sans frais, pour deux lignes d'impression sur, un chilïon de
servir de moyen universel et commun à papier,.la perfidie d'un ministre, la trahi-
l'échange de toutes les productions. 11 de-
son d'un général,, la corruption d'une favo-
vint presque aussi embarrassant que l'objet rite, l'éloquence d'un factieux,. l'audace
même qu'il représentait; et dans peu, à
Londres, à Amsterdam et dans quelques d'un assassin, la subversion de tout. un,
autres lieux de l'Europe, l'accroissement royaume et le sang même des rois. Alors- la.
excessif du numéraire fera de la monnaie société se dissoudra, ou la nature met-
d'argent et d'or ce que la prudence du lé- tra en œuvre, pour la rétablir, des moyens-
gislateur avait fait, à Sparte, de la monnaie inconnus et nouveaux: elle la détruira peut-
de fer, un poids incommode à porter. Alors être pour la.
recommencer. Cette facilité fu-
il fallut un autre signe pour représenter le neste de réduire les plus grandes valeurs
signe lui-même, et les billets de banque, sous le plus petit volume, puissant moyen
les assignats exprimèrent l'or et l'argent. de révolutions résulte nécessairement de
Remarquez la marche de la nature et celle l'accroissement du numéraire l'accroisse-
des passions. La nature donne des produc- ment du numéraire résulte nécessairement
tions et lie les hommes entre eux par l'é- de l'extension du commerce donc l'exten-
change respectif qu'ils en font. L'homme sion du commerce est un principe néces-
sent le besoin d'étendre ses relations, c'est- saire de révolution dans les sociétés.
à-dire de former des sociétés la nature lui J(i prie mon lecteur de faire une attention
donne les métaux et lie les sociétés entre sérieuse à ce double rapport sous lequel on
elles par ce signe universel. Mais cette sage w>t envisager l'argent, ou comme signe re-
présentatif de toutes les valeurs, ou'comme est
e démontré qu'ils ne pourraient hausser
valeur lui-même représentée par un signe. de
c valeur qu'autant que le numéraire étant
11 voudra ne pas perdre de vue la diffé- rétabli
r en France dans la quantité qu'il exis-
rence qui existe entre un papier-monnaie t avant la révolution, les assignatsseraient
tait
-et un papier de banque.
papier
î de banque et non papier-monnaie etj °

Une nation pauvre peut créer un papier- si le numéraire reparaissait en France tel
'monnaie pour suppléer à la disette du signe qu'il
< existait avant la révolution, les assi-
-métallique; mais ce papier, uniquement gnais
{ seraient inutiles.
•établi pour les besoins du commerce inté- L'argent est donc utile, tant qu'il n'est
rieur, doit être en fractions semblables à (que signe représentatif de
la valeur des den-
celle de la monnaie métallique. Dès lors il rées il est funeste lorsqu'il devient denrée
est aussi embarrassant que le métal lui- lui-même, dont la valeur est représentée par
même, beaucoup plus périssable et, comme ]un signe. Cette
différence est le vrai motif
il est la ressource de la pauvreté et un signal de la sévérité des lois de la religion chré-
de détresse, il n'obtient jamais qu'un cours tienne sur l'usure et le prêt à jour, ou sans
forcé et une confiance équivoque. aliénation du capital. Plus attentive, à la
conservation de la société qu'à l'intérêt mer-
Une nation riche établit un papier de cantile de l'individu, elle a condamné l'u-
banque, pour réduire, sous un signe por-
tatif, un métal devenu chez elle trop abon-
sure en généra! parce qu'elle a toujours
répugné à considérer l'argent comme une
dant dès lors il n'y a d'autre terme à la va- denrée, et qu'elle a cherché à prévenir les
leur numérique du billet que la volonté de effets destructeurs d'une circulation trop
l'administration. Ce papier a la même va- facile.
>

leur que l'argent lui-même, et il est beau- A mesure que le numéraire augmente
coup plus transportable et, comme il est le chez une nation, et qu'il en faut une plus
résultat et le signe d'une excessive opu- grande quantité pour représenter la valeur
lence il obtient partout le même cours et des choses nécessaires à la vie et se les pro-
la même faveur. On a peine à se procurer
curer, le désir d'avoir de ce signe ou la
dans les Etats-Unis un mauvais dîner avec cupidité devient plus active. L'on remarque
le papier-monnaie de l'Etat; vingt mille
en effet bien plus d'avidité pour l'argent
francs en assignats peuvent à peine aujour- dans les pays où il y a le plus de numéraire,
d'hui payer, à Paris, une place au parterre et dans les conditions qui en gagnent le
de la comédie. Avec le papier de banque de plus. Du désir d'en acquérir, naît la crainte
Londres, d'Amsterdam, et les assignats de de le dépenser et l'on remarque aussi, en
France (pendant les premières années de la général, des vertus moins généreuses dans
révolution) on a pu payer un forfait dans certains pays et dans certaines conditions,
tout l'univers. que dans d'autres pays et dans d'autres
Les variations qu'ont éprouvées dans leur conditions. Ce désir du gain est plus actif
valeur les assignats viennent à l'appui de dans certains gouvernements ou poar
mon principe, ils ont été reçus à peu près mieux dire; avec certaines opinions reli-
au pair de leur valeur numérique, tant qu'ils gieuses et j'ai expliqué dans la seconde
ont été papier de banque et qu'ils ont été le partie de cet ouvrage le phénomène que
signe d'une grande abondance de numé- l'on remarque en plusieurs lieux de l'Eu-
raire ils ont baissé à mesure que le numé- rope, du travail sans passion à côté de l'in-
raire s'écoulait, et sont venus à rien, lors- dustrie la plus ardente, de l'insouciante et
que, par la disparition des espèces, ils n'ont tranquille médiocrité à côté de la richesse
fait l'ofrice que de papier-monnaie. Et qu'on insatiable et de la cupidité la plus inquiète.
ne dise pas que leur baisse progressive est La cause de l'accroissement simultané de
produite par les événements car il serait la cupidité et de la richesse métallique est
aisé de prouver qu'à juger les probabilités dans fa nature physique de l'homme dont
des événements, les assignats devaient, à les sens s'enflamment à la vue des objets
leur création, perdre ce qu'ils perdent au- qui peuvent satisfaire leurs appétits; et dans
jourd'hui. Les efforts que l'on fait en France la nature morale de l'homme, qui, à la vue de
pour les faire remonter sont donc inutiles l'augmentation rapide et successive du prix,
en laissant à part le vice de leur naissance des choses utiles ou agréables, craint de ne
et le peu de solidité de leur hypothèque, il nas pouvoir suivre une progression dont il
ne peut apercevoir le terme. La cupidité tre en œuvre. Voilà du travail, c'est-à-dire
erifante les crimes au défaut de moyens des moyens de subsistance. Les hommes se
légitimes d'acquérir, on emploie les moyens mu!tiplient;«arpartout les hommes se mul-
criminels; les mœurs se corrompent, tes tiplient en raison des subsistances.
passions achètent tout au poids de l'or; Si l'on suppose que les communications
l'homme leur vend sa force, la femme sa soient tout à coup interceptées, ou qu'elles
faiblesse; et le commerce, effet et cause deviennent très -difficiles par l'effet d'une
de la cupidité, perd l'homme et bientôt la
guerre ou d'une. épidémie générale» il se
société. trouve, dans le pays des matières premières,
Une cause qui contre-balance dans la so- une population extraordinaire qui manqué
ciété l'effet inévitabledel'accroissementdunu- de subsistances, et dans le pays de l'indus-
méraire, est l'emploi qui se fait des mé- trie et des arts, une population extraordi-
taux. précieux, comme matière; et, sous ce naire qui n'a plus de travail. L'inquiétudé
rapport, la religion, qui en emploie beau- se manifeste; les uns s'en prennent à leur
coup pour ses usages, vient en cela même gouvernement de la disette de subsistances,
au secours de la société. les autres s'en prennent à leur administra-
Si le commerce ne se faisait qu'avec les tion du défaut de travail.
produits du sol ou de l'industrie nécessaires Alors, si dans cette société il se trouve
à l'homme, il ne serait qu'utile à la société, des philosophesqui veuillent faire une const-
parce qu'il ne pourrait jamais s'étendre au- titution religieuse, pour y faire entrer leurs
delà de la somme des productions naturelles, opinions, et des ambitieux qui veuillent
ou de la quantité des besoins réels. Mais le faire une constitution politique, pour y éta-
commerce s'est étendu bien au delà des blir leur pouvoir particulier, il se fera une
bornes que la nature lui avait prescrites révolution. Mais une révolution ne peut oc-
il a fait naître à l'homme des besoins qu'il cuper, encore moins nourrir une population
ne connaissait pas, dans les fragiles ou- extraordinaire; on fait donc la guerre, parce
vrages d'une industrie recherchée et dans que la guerre est nécessaire pour occuper
ies productions étrangères que la nature les uns et pour donner des subsistancesaux
peut-être ne destinait pas à être un aliment autres, en les réduisant au nombre que leur
usuel pour l'homme, parce qu'elles ne crois- pays peut nourrir. Ces désordres ne sont
sent qu'à force d'hommes. pas l'intérêt du commerce; mais ils sont
L'homme se croit plus heureux, parce l'intérêt des commerçants. Avides de chan-
qu'il satisfait des besoins qu'il n'éprouvait ces et de hasards, qui offrent aux désirs cet
pas comme il se croit plus riche parce qu'il espoir indéterminé qui forme, pour ainsi
a p! us d'or pourla même quanti té de denrées; dire, le fond de l'homme, parce qu'il est
et le commerce abuse l'homme sur son bon- dans sa nature immortelle, les commerçants
heur comme il le trompe sur ses besoins. fournissent à grands frais, parce qu'ils four-
Cependant l'habitude rend ce bonheur né- nissent à gros risques des armes et des
cessaire; ces besoins factices, elle les rend subsistances. Dix s'y ruinent, un seul s'en-
réels. Le commerce s'empresse de prolonger richit et l'aveugle cupidité, fille de l'espoir
l'un de satisfaire les autres. Il apporte à et de la crainte, s'accroît également des
l'homme les denrées dont il ne peut plus se malheurs des uns et du succès de l'autre.
passer; il apporte à l'industrie la matière Tout intérêt de patrie, tous devoirs envers
première de ses ouvrages. S'il faut une plus le souverain disparaissent devant l'intérêt
grande quantité de ces denrées, il faut plus des commerçants.
d'hommes pour les faire naître s'il faut plus Dans une guerre entre la France et l'An-
de ces matières premières, il faut plus gleterre, on assure, à Londres, les vaisseaux
d'hommes pour les extraire ou leur donner français. Dans cette guerre, les armées fran-
la première façon. Là où il faut plus d'hom- çaises avaient des fournisseurs dans les
mes, il faut plus de subsistances; le com- pays mêmes dont elles méditaient la con-
merce les apporte; c'est une récolte annuelle quête elles y ont trouvé des entrepreneurs
sur laquelle l'homme compte, et il se multi- après les avoir conquis. Quelquefoisl'admi-
plie en conséquence. D'un autre côté, l'im- nistration ferme les yeux, parce qu'elle cal-
portation des matières premières des ou- cule que les armées trouveront toujours des
vrages de l'industrie et des arts suppose une fournisseurs, et qu'il vaut mieux que son
quantité considérable de bras pour les met- pays en gagne le bénéfice; mais l'homme
qui sait ce que vaut l'or et ce que valent les son véritable état de force et de prospérité
vertus, gémit de douleur de voir une admi- parce qu'alors l'argent, conformément à l'in-
nistration aveugle se trahir elle-même, et tention de la nature, y est signe représen-
tolérer, dans un sujet, le scandaleux exem- tatif et moyen d'échange et non valeur re-
ple d'une intelligence avec l'ennemi de son présentée et objet lui-même d'échange et
pays.- que cette société est comme ces familles
Ce n'est qu'en général qu'on doit considé- propriétaires qui ont avec abondance le né-
rer l'effet dangereux pour la société qui peut cesssaire, l'utile et l'agréable, mais qui n'ont
résulter de la multiplication forcée des hom- pas le superflu, aliment des passions et écueil
mes produite par le déplacement des sub- de la vertu.
sistances, ou l'effet à la longue aussi dange- II n'y a pas une seule société qui ne puisse
reux de certaines habitudes que le com- trouver, dans le superflu de ses produits
merce, et non la nature, a données aux na- territoriaux ou industriels, de quoi se pro-
tions. Il -est rare qu'on puisse en faire une
application particulière à telle ou telle con- curer le nécessaire car la société qui ne,
pourrait pas se procurer ce qui est néces-
trée l'effet est sensible dans toutes, sans saire à sa conservation, ne pourrait pas se
être entièrement développé dans aucune en conserver. Mais à la fin du xv'siècle, je veux
particulier. Cependant on peut juger que, si dire lors de la découverte de l'Amérique, la
quelque événement, qui est dans l'ordre des soif de l'or s'alluma au sein des sociétés,
possibles, rendait extrêmement rares en Eu- dans le même temps qu'un événement non
rope le café et le tabac, la tranquillité des moins remarquable en altérait la constitu-
.petipkss du Nord -en serait peut-être altérée;
tion politique et la constitution religieuse
que si le .goût des marchandises de l'Inde en introduisant dans la société politique les
venait à,passer,il s'écoulerait du temps avant principes démocratiques, et dans la société
que le commerce de l'Angleterre prît une religieuse les dogmes de la réforme; c'est-
autre direction par la même raison qu'une à-dire que les passions des sociétés se dé-
grande partie du peuple de Genève ne sau- chaînèrent par l'affaiblissement du double
rait comment subsister, s'il était possible frein qui les réprimait. Alors les sociétés fu-
qu'on pût se passer dé montres. rent tourmentées de la fureur d'avoir un ex-
Je.ne puis me résoudre à quitter cette ma- cédent de superflu, d'avoir, pour ainsi dire,
nière intéressante, sans avoir fait remarquer le superflu du superflu même; et de cette
à mes lecteurs quelques autres effets du cupidité universelle naquit un nouveau su-
commerce sur la société. jet de guerre entre les sociétés, pour la pos-
fee commeree exporte d'une société agri-
session exclusive de ces contrées, qui four-
cole le blé, la laine, le vin, l'huile, le sel nissaient à leurs heureux propriétaires une
qu'elle a de trop; il y importe des métaux,
matière d'exportation d'autant pi tii S' pré-
des cuirs, des chanvres,des résines, des bois cieuse, qu'elle renfermait une grande râleur
de construction qui lui manquent. Quelque-
fois, il est vrai, il exporte du blé d'un côté, sous un petit volume.
et il en importe de l'autre; mais cette ex- Examinons ce qui se passait en France à
portation et cette importation se détruisent cet égard. La France soldait les denrées de
mutuellement et se réduisent à zéro pour la ses colonies avec les produits de son sol et
société; il en résulte seulement un bénéfice de son industrie, et elle achetait des autres
pour le particulier. nations ce qui lui manquait, avec le double
Une société exporte donc ce qu'elle a ae superflu de ses productions colouiales et de
trop, elle importe donc ce qui lui manque ses productions territoriales et industrielles.
c'est-à-dire qu'avec son superflu, elle achète Ses commerçants faisaient de gros bénéfices
le nécessaire. Aucune société ne peut se sur ces exportations et sur ces importations;
passer entièrement des autres toutes les et tandis que le luxe augmentait le besoin
sociétés doivent donc tendre à avoir un su- des importations, le commerce augmentait le
perflu dans leurs produits territoriaux ou superflu exportable des productions indus-
industriels pour se procurer les produits trielles et même des productions territoria-
nécessaires d'un autre sol et d'une autre in- les. Ceci a besoin d'explication.
dustrie. Je crois qu'une société dans la- Je l'ai déjà dit en multipliant le travail,
quelle il n'y a de superflu que ce qu'il en on multiplie les moyens de subsistance, on
faut pour se procurer le nécessaire, est dans multiplie les hommes; les hom-mes à leur
928
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muitinlient le travail, et le
tour multiplient travail mul-
le-travail mal- rovaurae
royaume
r mais l'argent n'est pas
nas ou ne doit
tiplie lés moyens de subsister. pas
} être richesse, il n'en est que le signe,
Les grandes villes sont les grands atelierss cet la nation la plus riche et la plus indépen-
de cette industrie manufacturière, plus utile3 dantesera
< toujours celle qui aura le plus de
aux commerçants qui veulent accroître !ai productions
ï territoriales. Le joueur qui a le
somme des produits exportables,qu'à la so- plus
I de jetons devant lui n'est pas pour cela
1le plus riche; tant
ciété qui veut conserver l'homme physiques que le jeu dure, ces je-
et l'homme moral. ttons appartiennent au jeu et non au joueur;
Les manufactures entassent, dans les vil- il ne sait ce qu'il gagne que lorsque la par-
les, une population immense d'ouvriers, t finit, et entre les nations le jeu ne finit
tie
dépourvus des vertus qu'inspirent le goût ett pas. Si vous considérez le propriétaire, est-
la culture des propriétés champêtres, livréss i plus riche lorsqu'il véïidra son blé le dou-
il
1ble de ce qu'il le vendait, si le renchérisse-
à tous les vices qu'enfante la corruption dess
cités qui offrent des jouissances à la dé- rment des étoffes lui fait payer le drap lé
bauche et des ressources à la fainéantise. double
c de ce qu'il le payait, et que les pro-
La moindre diminution dans leur travail, la grès du luxe l'obligent de faire deux habits
• moindre variation dans le goût des objetss au lieu d'un?2
&

qu'il produit, livrent à la faim et au déses- Le particulier est plus riche s'il a plus de
poir cette multitude imprévoyante, qui tra- vin, de laine, de blé et l'Etat devient pins
vaille peu pour consommer beaucoup; ett riche, parce qu'il a aussi plus de denrées à
ees alternatives fréquentes. d'aisance et 3
misère, ce passage subit de l'intempérance 3
de 3
r
imposer.
la
1
C'est donc, dans un Etat agricole,
grande manufacture qu'il faut encoura-
à l'afaim, la rend, suivant que l'Etat estt ger,
i la fabrique des productions territo-
tranquille ou agité, cause de désordre ouj riales,
1 le grand atelier de la nature qui
instrument de révolution. Nos villes fabri- laisse l'homme à la terre et la famille à la
cantes et manufacturières ont donné auxt propriété.
I Or tandis que les villes fabrican-
ttes regorgeaient d'ouvriers, ies charrues
campagnes le signal de la révolte; et mômeB
aujourd'hui que leurs crimes ont été expiéss manquaient
I de bras; et les filatures de co-
par des crimes plus grands elles ne leurr tton, multipliées outre mesure, faisaient
donnent pas encore l'exemple d'un franc ett vaquer des fabriques de lainage.
sincère repentir. On dit sans cesse qu'unee II y a des manufactures dont la nature a
nation industrieuse rend les autres nationss donné,
c pour ainsi dire, le privilége ex-
tributaires de son industrie mais on ne voitt clusif
c à certains lieux, par quelques pro-
pas que lorsque cette industrie s'exerce surr priétés
} particulières de l'air ou des eaux,
des objets de luxe, la nation industrieusee ou
( par l'abondance de certaines matières
est elle-même tributaire des nations con- qui
c ne peuvent pas être fabriquées ailleurs.
sommatrices. La fortune, l'existence mêmea 'jTelles sont les manufactures d'armes df>
de Lyon tenait à des goûts dont un souve- Saint-Etienne en Forez, celles de mégisse-
S
rain peut, quand il veut, proscrire l'usage rie
i ou de draps près de quelques rivières
pourvu qu'il ne les défende pas; ce goûtef- dont
i les eaux sont propres à l'apprêt des
fréné pour les modes était un mal mêmei peaux,
J au lavage des laines ou à la teinture
politique il accoutumait la nation à une3 des
c draps telles sont encore les fabriques
instabilité perpétuelle; il corrompait less de
( fromages dans certaines caves ou dans
deux sexes, qu'il rendait vains et frivoles; quelques
c terroirs; et l'on peut ranger dans
il dérangeait lcs fortunes, divisait les époux, cette
c classe les eaux minérales, les mines,
indisposait les pères, perdait les enfants; il1 les
1 pêcheries, les salines, etc., etc. La nature,
était les moyens de subvenir à des dépenses5 comme
c on le voit, n'établit des fabriques
plus utiles, ou de fournir à des plaisirs quii que
c pour des objets de première nécessite,
sont le lien des hommes et des familles et
e elle en rend l'établissement indépen-
plaisirs que le luxe rendait plus rares en eni dant
c des hommes et des événements. Il faut,
augmentant l'apprêt et la dépense; il étalaitt rpour les détruire, une révolution générale
beaucoup trop aux yeux du peuple le spec- cdans la société; encore reparaîtront-elles
tacle d'une opulence qui prodigué à des fri- aaprès la crise. Il n'en est pas ainsi des ma-
volités un argent dont l'indigent fait tacite- nufactures
r que j'homme établit malgré la
ment un autre emploi. Mais, dit-on, cette in- rnature ou sans la nature; je veux di^e,
dustrie faisait entrer de l'argent dans lej sais
s aucune raison prise de la nature des
choses, qui en fixe l'établissement dans un exemptions ou des taxes sur les célibataires
lieu plutôt que dans un autre, ou quelque- qu'on encourage les mariages. C'est là que
fois malgré des raisons naturelles qui en l'administration doit influer plutôt qu'agir.
combattent l'établissement. Ces fabriques Les progrès de l'agriculture et de la popu-
peuvent se soutenir quelque temps; elles lation doivent être résultat et non effet.
rendront une 'ville florissante pendant un Pour pouvoir décerner avec justice et con-
siècle, si l'on veut cette ville se peuplera, naissance de cause un prix au meilleur
eest-à-dire, que les campagnes voisines se cultivateur d'un canton, il faudrait 1° que
dépeupleront chaque maison qu'on y toutes les terres exigeassent les mêmes
bâtira en fera déserter deux dans un village. avances et rendissent les mêmes produits;
Mais, s'il survient quelque révolution dans 2" que tous les cultivateurs fussent égale-
l'Etat ou seulement dans le commerce, si ment riches car personne n'ignore qu'à
une industrie nouvelle, plus heureuse et égalité de travail et d'intelligence dans
plus activi1, forme ailleurs un établissement la culture, celui qui donne le plus à la
du même genre, la manufacture tombe, les terre en retire le plus. Les véritables encou-
ouvriers s'éloignent, la ville reste avec des ragements de l'agriculture sont l'exemple
maisons sans habitants, et les campagnes des grands propriétaires qui exploitent leurs
voisines avec des terres sans cultivateurs. biens avecdnlelligence, le respect pour la
Rien de plus commun, en Europe, que des religion qui commande le travailles bon-
villes jadis florissantes par un commerce res moeurs qui en éloignent les distractions
d'industrie, et qui de leur antique prospé- dangereuses, la nature des impôts sur les
rité n'ont conservé qu'une vaste enceinte et terres, plutôt encore que leur modicité.
des places solitaires. Les produits exportables de l'agriculture
L'administration doit donc consulter la peuvent augmenter de deux manières; ou
nature dans les privilèges, les encourage- en perfectionnant 1'agji.cijlture, ce qui veut
ments, les secours qu'elle accorde à des dire, en obtenant un plus grand produit
établissements d'industrie. Si elle peut éta- avec une mise moins forte; ou en conver-
blir malgré la nature, elle ne saurait main- tissant en culture de produits exportables
tenir sans elle; et tous ses efforts n'aboutis- des terrains destinés à des produits qui ne
sent, tôt ou tard, qu'à des déplacements sans le sont pas, ou qui le sont moins.
objet et à des dépenses sans utilité. On voit La première manière est utile, car tout
donc que toutes les fabriques d'objets de doit tendre sa perfection; la seconde est
luxe sont des établissements qui doivent funeste. On me permettra quelques ré-
tout à l'homme, et rien à la nature; car flexions sur un abus devenu très-commun.
quelle raison, prise dans la nature, tixe dans Dans la disposition des terres pour les
un lieu plutôt que dans un autre une fabri- besoins de l'homme, les unes sont des-
que de gaze ou une manufacture de velours?i tinées à produire les fruits nécessaires à
Un genre de fabriques extrêmement utiles, sa subsistance, les autres le bois néces-
et que l'administration doit soigneusement saire pour le chauffer, apprêter ses ali-
encourager, sont ces petites fabriques do- ments, construire son habitation, servir à
mestiques de grosses toiles, de gros draps, ° la culture de ses terres ou au transport
de bas de laine, de fit, de soie, qui ne dépla- de ses denrées la troisième partie est des-
cent pas l'homme, et qui occupent toute la tinée à la nourriture des animaux qui
famille dans les saisons mortes. Elles s'ac- aident l'homme dans son travail, le vêtis-
cordent avec l'agriculture, dont elles manu- sent de leur dépouille, fournissent un ali-
facturent les premiers et les plus utiles ment à son corps et des engrais à ses terres;
produits elles s'accordent avec les moeurs car un peuple agricole est nécessairement
et la santé; elles n'obligent pas les jeunes un peuple pasteur.
tilles d'aller compter avec un maître fabri- Cette dernière destination a toujours paru
cant elles n'obligent pas l'homme de se de la plus haute importance
aux hommes
moisir dans des caves, ou de se morfondre d'Etat
comme aux agriculteurs. Sully mettait
dans des galetas. la conservation des pâturages au nombre
Je revrensà l'agriculture, des moyens les plus puissants de prospérité
Ce n'est pas avec des médailles, ni des nationale; et il est bon d'apprendre à des
mentions honorables, qu'on peut encourager législateurs qui croient, peut-être, qu'il n'y
l'agriculture
agriculture comme ce nn'estest pas avec des a deue raison en Europe que depuis
depuis qu'it
qu'il yy s
OEjjvp.es compl. DE M. de Bosald. 1. 30
nn.
«tes académies, et des vues politiques que partage les terres entre les enfants, chaque
depuis qu'il y a des gazettes, que dans le xn'` partie sera trop petite pour pouvoir nourrir
et le xin" siècle, presque toutes les transac- des bestiaux, parce qu'il faut pour les trou-
tions entre les seigneurs et les hommes de peaux de grands espaces; mais si elle est
leurs terres, toutes les lois prohibitives, trop petite pour nourrir les bestiaux, elle
proposées par ceux-là, acceptées par ceux-ci, est assez grande pour occuper un homme.
avaient pour objet la conservation des bois> Elle sera donc défrichée, et l'homme qui a
et des pâturages. une petite propriété veut devenir aussi chef
Le cultivateur, pressé de jouir, ne consi- d'une famille. Cependant la partie qui pou-
• d ère, dans sa courte existence; que les pro- vait occuper et nourrir un homme ne peut
duits qui lui sont immédiatementet prochai- pas occuper et nourrir une famille on force
nement utiles, et pour accroître ses jouis- la culture; la terre s'épuise, elle est aban-
sances personnelles, il n'est que trop porté5 donnée (1) et la famille, forcée de traîner
à changer à un usage présent les terres des- ailleurs sa misère, contracte bientôt tous les
tinées à des produits d'un usage plus éloi- vices qui naissent du vagabondage. Le phi-
gné, .surtout lorsque cette disposition seî losophe vous prouvera, par de doctes rai-
trouve augmentée en lui et par le haut prix sonnements, qu'il faut que tous les enfants
que le commerce met au blé et au vin, den- partagent également le bien de la famille;
rées que l'homme peut faire croître annuel- la nature vous prouvera, par de grands mal-
lement et avec le seul travail de ses bras, ett heurs, qu'il faut, pour que le corps soeial
par l'imprudence de l'administration, qui, subsiste, conserver les familles et consom-
en augmentant les impôts outre mesure, mer les individus. L'économiste tressaillira
oblige le propriétaire à forcer sa culture3 d'allégresse, lorsqu'il verra beaucoup d'hom-
pour pouvoir, à la fois, nourrir sa familleî mes, et il attendra son produit net; l'homme
et s'acquitter envers l'Etat. d'Etat tremblera, parce qu'il verra beaucoup
H peut donc arriver qu'une grande partieî de passions; et il prévoira des révolutions.
des terres destinées aux bois et aux pâ- Je reviens à l'Amérique. La nature l'avait
turages, dans les pays où les propriétés donnée à l'Europe pour y verser l'excédant
sont divisées, se défricheront et se change- de sa population, plutôt que pour y verser
ront en champs et en vignes. Ces défriche-, la population de l'Afrique; et peut-être
ments immodérés' ont des conséquences bien se sert-elle aujourd'hui des passions des
funestes, dans les pays montueux où le bois3 hommes pour ramener à ses vues les hommes
et les herbes croissent très-lentement, parce5 et les institutions. C'était surtout la France
que les orages emportent les terres- récem- qui avait plus besoin de colonies à hommes,
ment remuées. C'est peut-être un des dé- si je puis m'exprimer ainsi, que de colonies
sordres politiques les plus graves qui puis- à sucre. 11 fallait à une nation comme la
sent résulter en France de la suppression i France, à un peuple comme, le Français,
des corps ecclésiastiques ou séculiers, dui pour son repos, et surtout pour le repos de
partage des terres, de la division des com- l'Europe, les vastes forêts de la Louisiane ou
munaux, opération désastreuse et depuis' 5' du Canada, des terrains sans bornes pour la
longtemps sollicitée par la philosophie. Il1 vue comme pour l'espoir, où pussent se
n'y avait en France, du moins dans sa partie3 déporter eux-mêmes ceux que le besoin de
méridionale, de forêts et de grands pâtu- changer de place, si impérieux à un âge, le
rages que dans les domaines du roi de3 désir de faire fortune, si pressant à un au-
l'Eglise et des communes. Les corps seulss tre, l'inquiétude naturelle à tous les âges,
s'occupent de l'avenir, parce que les corpss quelquefois des écarts de caractère entraî-
ne meurent point, et que ce n'est que chez1 nent loin de-leur patrie.
eux que s'introduit cet esprit de propriété§ Car c'est par des émigrations volontaires,
perpétuelle qui inspire le goût de la conser- et non par des déportements forcés de mal-
vation et de l'amélioration. Une famille estt faiteurs et d'assassins, qu'il convient à une
un petit corps qui souge aussi à l'avenir, ett nation puissante de former des établisse-
qui a sa part de cet esprit de propriété per- ments; et c'est ainsi qu'en ont formé jadis
pétuelle ou de conservation. Mais si la fa- les peuples les plus célèbres. Lorsqu'une
mille finit à chaque génération, et qu'elle3 nation a fondé au loin des colonies et qu'elles
(t) On trouve fréquemment dans les ivres fer- que les ruines; une famille y a vécu, et aujour-
riers des noms de hameaux dont* n'existe pluss d'hui il ne peut y croître un arbre.
sont devenues florissantes et populeuses, les 1 vingt millions d'excédant de son expor-
les liens de leur dépendance de la mère- tation t ne seront pas soldés en denrées, puis-
patrie se relâchent peu à peu. C'est un en- que ( tous ses besoins de fer, de cuivre et de
fant qui grandit il n'a déjà plus la docilité bois
1 de construction sont satisfaits ils ne
du premier âge, et bientôt il pourra se pas- pourront
1 donc être soldés que par vingt mil-
ser de ses parents. Un jour, il quittera la lions1 de numéraire. Ces vingt millions de
maison paternelle, et ira fonder une nouvelle numéraire
i n'auront pas été signe et'moyen
famille; mais il conservera avec la sienne d'échange
( entre des productions ou des den-
des relations de respect et d'amitié, pourvu réesi différentes; mais ils auront été eux-
que leur séparation n'ait pas été accompa- mêmes i production et denrée, puisqu'ils au-
gnée de discussions fâcheuses. Ainsi, une ront i été échangés directement contre des
colonie éloignée, devenue puissante, se dé- denrées
( et des productions. C'est cet excé-
tache de la métropole et cette séparation dant < à solder en numéraire, qui est la ma-
est dans la nature de la société, comme elle tière
t et l'objet de commerce de banque. En
est dans la nature de l'homme. Cette coloniesupposant
i que la société ait pendant long-
indépendante n'en est pas moins utile à la 1temps les mêmes produits et les mêmes be-
mère-patrie; elle fournit un aliment à son soins,i cet excédant s'accumule; la quantité
commerce maritime elle attire également de « numéraire en circulation augmente; il en
le superflu de sa population l'homme que ifaut une plus grande quantité pour repré-
son goût et les circonstancesentraînent dans senter la même valeur; et cet effet nécessaire,
ces climats éloignés, y retrouve sa patrie en imperceptible d'une année à l'autre, devient
en retrouvant la langue, la religion et les très-sensible au bout d'un nombre quelcon-•
moeurs. Ce sont des vérités que la France et que d'années. Lorsque la valeur des den-
l'Angleterre ont méconnues. L'une aurait rées a augmenté considérablement dans une
évité de précipiter, ou n'aurait pas cherché nation, il ne faut pas toujours en conclure
à empêcher une scission devenue nécessaire; que cette nation soit plus riche, c'est-à-dire
l'autre, consultant à la fois ses intérêts et la qu'elle ait plus de denrées mais elle est
justice, aurait laissé à elles-mêmes les colo- plus pécunieuse et il n'est personne qui
nies anglaises. L'Angleterre se serait épuisée ignore qu'une famille n'est pas aujourd'hui
sans les soumettre, ou les aurait épuisées plus riche, en France, avec 12,000 livres de
pour les soumettre; et elles lui devenaient rentes, qu'elle ne l'était avec 8,000, il y a
à charge, soit qu'il fallût les contenir ou les quinze à vingt ans. Mais si la société, ainsi
rétablir une colonie lointaine, révoltée que le particulier, n'en est pas plus riche
contre la métropole, ne se réconcilie jamais pour avoir plus de numéraire, ce numéraire
sincèrement avec elle, et de nouveaux trou- lui est donc inutile; s'il est inutile, il est
bles naissent des mesures mêmes qu'on est dangereux, car rien ne peut être indifférent
forcé de prendre pour les prévenir. La dans la société. Il faut donc du numéraire
France, pendant cette lutte, aurait réparé dans une société, pour que les échanges de
ses forces, et, si elle avait eu une guerre, denrées superflues contre des productions
elle n'aurait pas eu de révolution. nécessaires puissent se faire avec facilité
Je reviens encore sur la cause et les effets dans l'intérieur entre particuliers. Le nu-
de l'accroissement du numéraire dans une méraire fait alors l'office de jetons entre des
société. joueurs, qui seraient obligés de quitter la
Si, dans une société, les exportations an- partie, s'ils ne pouvaient pas représenter les
nuelles s'élèvent à cent millions, et les iiu-- fractions idéales des espèces d'or ou d'ar-
portations à quatre-vingts, il y aura un ex- gent mais, dès que le numéraire a rempli
cédant d'exportation de vingt millions ou cette fonction, si sa quantité s'accroît par
d'un cinquième c'est ce qu'on appelle la l'excédant des exportations, il devient valeur,
balance du commerce. Cet excédant ne -peut denrée; et, sous ce nouveau rapport, il
être soldé qu'en métaux, puisque les quatre- est instrument de forfaits et agent de dé-
vingts millions d'exportations ont rempli sordre.
tous les besoins de productions étrangères Heureusement pour l'Europe, tous les
que la société pouvait avoir. En effet, sup- métaux qui y entrent n'y restent pas. En
posons que cette société n'ait à exporter que même temps que les Européens décou-
du blé et du vin, et qu'elle n'ait besoin que vraient lo pays de l'or, la nature leur mon:
de fer, de cuivre et de bois de construction, trait un chemin plus court pour arriver dans
te pays où for devait s'engloutir sans re- pourvu qu'elle ne gêne pas la circulation et
tour. L'Europe tire lror de l'Amérique, et y qu'elle laisse assez de jetons au jeu. Mais
porte les produits de son sol et de. son in- une société qui n'a pas de guerre à crain-
dustrie mais elle porte l'or aux Indes pour dre, et dont le numéraire s'accroit annuel-
e» tirer tes produits du sol indien et de l'in- lement, prête son argent à une autre nation;
dustrie de. ses habitants. L'Indien n'a pas et tombe, par conséauent, dans sa dépen-
besoin de nos blés, de nos vins, de nos dance, comme Gênes, la Suisse, et même ta
draps, eb nous ne pouvons nous passer de Hollande à l'égard de la France et de l'An-
ses perles, de ses pierreries, de ses cotons, gleterre. Si elle laisse l'argent dans ses cof-
tte ses mousselines, ete. Nous n'avons d'au- fres, il peut tenter la cupidité et devenir
tre valeur à lui offrir que de l'or; et. comme une cause de révolution et un instrument
la religion en> Europe le met en dépôt dans tout prêt pour l'ambition, surtout dans des
ses temptes, pour la rendre un jour à la so- sociétés qui, par la nature de leur gouver-
ciété dansses extrêmes.besoins,lefanatisme nement sans pouvoir général, sont toujours
rux Indes, le jette dans les eaux du Gange, à la veille ou. au lendemain d'une révolu-
ou le despotisme t'enfouit dans tes souter- tion. Ainsi,un riche capitaliste place son ar-
rairis de Dtelhi. L'or entré en Europe par gent sur les autres particuliers ou sur l'E-
{'Espagne, qui possède presque exclusive- tat, et devient dépendant de la bonne foi des
ment ies pays qui le produisent, en sort par uns, ou de la solvabilité de l'autre ou s'it
l'Angleterre qui commerce presque exclusi- le garde dans son coffre, il finit par être la
vement. avec les pays qui l'engloutissent. Ce proie d'un domestique infidèle ou d'un en-
n'est donc proprement qu'en Espagne et en fant dissipateur.
Angleterre que l'argent peut être denrée, L'administration ne doit pas confondre
puisque la première, pour le répandre en l'intérêt du commerce et l'intérêt des com-
Europe, est obligée de le changer contre merçants. Le véritable, intérêt, l'intérêt
des denrées qui lui manquent, et que la se- éclairé du commerce s'accorde avec l'intérêt
eonde le porte aux Indes où elle l'échange de la société, puisque son objet unique esi
contre des denrées du soi ou des produc- de procurer à la société les denrées néces-
tions.de l'industrie qu'elle répand ensuite saires que son sol ou son industrie lui refu-
en Europe. Mais l'argent ne peut s'aceumu- sent, en les échangeant contre le superflu
ler en Espagne, qui peut en borner l'extrac- des productions de: son sol et de son indus-
tion et la mesurer sur ses besoins, et qui trie. L'intérêt des commerçants, souvent op-
d'ailleurs est pressée de l'échanger contre posé aux vrais intérêts du commerce, aux
des denrées de première nécessité. Au fond intérêts de la société, à l'intention de la na-
/'Espagne n'est pas la seule puissance qui ture, est d'accroître, sans- mesure, les ex-
fournisse les métaux précieux, au lieu que portations et les importations, en multi-
("'Angleterre sera bientôt la seule puissance pliant, dans les objets de luxe, la matière-
qui commerce dans l'Iade e» sorte que l'or des unes et des autres, et enfin de considé-
et l'argent entrés en Europe par plusieurs rer l'argent lui-même comme denr*ée, pour
portes, n'en sortent que par une, à laquelle en faire, par l'agiotage, un vaste et nouvel
ils s'accumulent avant de s'écouler. C'est objet de ses avides spéculations.
î'extrôme abondance de, ce moyen si actif et L'Europe a sous les yeux une preuve évi-
en même temps si secret de nuire aux au- dente que Tinlérêides commerçantsest sou-
tres sociétés, qui rendrait l'Angleterre ex- vent opposé à l'intérêt du commerce et à
trêmement dangereuse pour le repos de celui de la société. L'intérêt de la société en
l'Europe,.si la modération de son cabinet et général, l'intérêt du commerce, l'intérêt de
les vertus de ses ministres ne devaient la l'Europe était de repousser les assignats
rassurer contre un emploi si funeste deses comme le fruit et le gage d'un vol manifeste,
trésors, et si cette même1 abondance exces- du. renversement de tous les principes sur
sive de numéraire n'était, pour elle, une lesquels repose. la société. Car l'intérêt du
cause prochaine de révolution. commerce ne peut pas être opposé à l'inté-
Dans une société indépendante, qui peut, rêt de la société. L'intérêt des commerçants
qui doit combattre pour maintenir son indé- a été de les accueillir, de les répandre, do
pendance, le gouvernement doit mettre en spéculer 'sur les différentes variations de
réserve une partie quelconque de nucaé- leur valeur, et même sur la probabilité dt.
raire et cette mesure est extrêmementutile, leur contrefaçon. Le plus grand nombre l'a
fait sans remords, comme sans pudeur, et dérivé de la- nature des choseset par con-
tandis qu'on égorgeait les malheureux pro- séquent le système politique de la société
priétaires des biens qui servaient d'hypo- tend invinciblement à prédominer Je sys-
thèque à cet infâme papier, ils s'associaient tème politique de ses administrateurs.
«ux-mêmes à leurs bourreaux, et ils asso- C'est ce qui rend les traités entre les sou-
ciaient toute l'Europe au partage honteux de verains -et les alliances entre les peuples des
«es sanglantes dépouilles. nœuds si fragiles et des conventions si in-
certaines. Quand la nature n'a pas doiiné
CHAPITRE II.
ses pouvoirs aux négociateurs, elle ne rati-
SYSTÈME POLITIQUE. fie pas les traités.
Appliquons ces principes à la France.
Je me contenterai d'établir des principes; La France et l'Espagne sotit séparées par
les circonstances interdisent les détails. des bornes immuables, au delà desquelles
Le système politique d'une société ne doit chaque nation trouve un autre peuple. Cons-
<Ure que la connaissance parfaite de ses in- tituées toutes les deux, elles ont à pea près
térêls extérieurs, appliquée à ses relations Je
l même principe' de conservation: leur
avec les autres sociétés. système politique habituel est la paix, lôrs
Une société n'a qu'un intérêt intérieur et même
j que le système momentanéde leurs
extérieur, celui de sa conservation. iadministrations serait la guerre. C'est un
Donc l'intérêt d'une société est dans la irapport fondé sur la nature des choses it
constitution monarchique, puisqu'on a vu est < indépendant de la parenté des souverains,
que la constitution monarchique est un et
< ce rapport peut-être, autant que les 'trai-
principe de conservation. tés,
t mit la couronne d'Espagne sur k télé-
Donc plus un Etat est constitué, plus son de
< Philippe V.
système de politique est fixe et invariable II y a donc une alliance naturelle et né-
parce que plus il a de constitution, plus il a cessaire
< entre la France (monarchie) et 'l'Es-
de principe de conservation.
Donc un Etat naissant ne peut avoir
système politique fixe et déterminé, parce
de jpagne. Mais il faut que dans cette alliance
nécessairement
l défensive, chaque allié se
mette
t on état de fournir son .contingent.
que l'intérêt d'un Etat naissant est de s'a- C'est
( un principe que l'Espagne a trop per-
grandirplutôt que de se conserver. On aper- du
c de vue. La France monarchie lui dirait
çoit le motif de la politique versatile de cer- depuis
( longtemps de perfectionner son ad-
taines cours :de l'Europe. Ce sont des Etats ministration,
i en mettant en œuvre les nom-
qui croissent, semblables à un enfant en qui 1breux moyens do force et de prospérité
que
l'on n'aperçoit que des développementsphy- peuvent
1 lui fournir son sol, sa position, ses
siques et cette action de force expansive possessions,
1 sa constitution, et surtout leca-
dont la nature lui fait un besoin. ractère
i national la France république le lui a
Donc les républiques n'ont pas de système dit
( encore mieux; que son gouvernement y
politique, puisqu'elles n'ont pas de principe 1prenne garde. Quand la nature estlasse d'ins-
de conservation. Une république, à quelque truire
t une société par des revers, elle la corri-
degré de puissance qu'elle soit parvenue, ge
$ par des révolutions.Perfectionner l'admi-
a'est jamais qu'un Etat naissant. Rome n'eut nistration
i d'une société constituée n'est autre
qu'un système politique, celui de s'agran- (chose que de laisser la nature développer les
dir; et elle cessa de conserver, dès l'instant rapports
i nécessaires qu'elle tend sans cesse h
qu'elle cessa de s'agrandir. substituer
s aux rapports imparfaits que l'hom-
Une société a presque toujours deux sys- me
i établit. Ce n'est pas détruire les choses
tèmes politiques, celui de ses administra- mais
i améliorer les hommes. 11 ne faut pas
leurs, et le sien propre, Ou celui de la na- un
i bel esprit pour ce grand ouvrage,
ture. mais
i un homme qui pense juste et qui
Le système politique de ses administra- sente
ï vivement. Ce n'est pas la philoso-
teurs se compose trop souvent de leurs er- phie,
j c'est la religion qu'il faut consulter
reurs et de leurs passions. mais
i une religion grande et éclairée, qui
Le système 'politique de la société est le contient
c l'homme par l'amour de Dieu, plu-
résultat de sa constitution et de sa position, t que par la crainte de l'inquisition; qui,
tôt
combinées avec la constitution et la position 1pour former de bonnes moeurs, ordonne aux
de ses voisins. C'est un rapport nécessaire peuples
1 le travail plutôt que les pèlerina-
ges, et 'aux rois, de bons exemples plutôt leine les forces respectives. Peut-être est-il
que des ordonnances. Que le gouvernement vrai de dire que la France, pour son intérêt,
espagnol maintienne surtout le caractère doit tendre sans cesse à reculer ses limites
national, je veux dire, qu'il empêcbeqme les et n'y parvenir jamais.
opinions ne prennent chez ce peuple la place Cette même tendance l'entrainait au delà
des sentiments. L'exemple des maax qu'ont de la limite artificielle que Louis XIV avait
causés à la France les nouvelles opinions, et posée lui-même à ses Etats du côté des
de la force que, malgré ses malheurs, elle Pays-Bas, par une triple enceinte de places
puise dans ses anciens sentiments,doit être fortes. La maison d'Autriche, obéissant ou
une grande leçon pour tous les peuples. feignant d'obéir à d'autres intérêts que les
La France et les Etats de la maison de Sa- siens, cherchait à se maintenir dans ces bel-
voie sont séparés aussi par des bornes na- les provinces il en résultait encore, en-
tvreHes. Ainsi la France constituée cherche tre ces deux Etats, un système politique
à se conserver de ce côté, et non à s'étendre. d'opposition réciproque, qui concourait à
;Mais la Savoie et le Piémont sont un Etat fortifier le système politique de protection
naissant, et qui tend à s'agrandir c'est un et de garantie, qui existait entre la France
ruisseau descendu des Alpes, qui dirige et la confédération germanique, système
vers le Midi et l'Orient ses progrès imper- dont le traité de Westphalie est la base et le
ceptibles, mais continus. Le Piémont ne régulateur. Ces anciens rapports entre la
peut s'agrandir sur la France, mais il peut France et la maison d'Autriche, entre la
s'agrandir par la France; soit que la France France et l'empire, ont fait place à de nou-
soit le moyen ou l'occasion de son agrandis- veaux rapports. La France, obéissant à sa
sement. Il n'a donc pas de système .politique tendance naturelle, favorisée par des com-
déterminé à l'égard de la France, et la binaisons politiques, a envahi les Pays-Bas;
France par conséquent ne peut en avoir à et la maison d'Autriche, lasse de s'épuiser
son égard. d'hommes et d'argent pour des peuples dont
La France, séparée de la Suisse par des les institutions enchaînaient les bras et les
limites naturelles, ne peut avoir d'autre moyens, certaine de l'intérêt qu'a son allié
système politique à. son égard qa un sys- de la remettre en possession de ces provin-
tème de protection et d'amitié. La Suisse ces, les a abandonnées à la France. On pense
république ne peut être considérée, et moins communémentque ces possessions éloignées
encore aujourd'hui, comme un Etat indé- ne peuvent qu'affaiblir la maison d'Autri-
pendant. Elle était protégée par la Franco che, comme elles ont autrefois affaibli l'Es-
monarchique, elle est opprimée parla France pagne. Mais si elles lui sont onéreuses ou
république l'une avait pour elle les égards du moins inutiles sous le rapport de sa puis-
qu'on doit à un ami l'autre lui a prodigué sance patrimoniale, elles lui sont utiles, et
les outrages qu'on épargne même à un es- j'oserai dire nécessaires, sous le rapport de
clave. Désormais humble satellite, la Suisse chef de la confédération germanique, parce
suivra les mouvements irréguliers de cette qu'elles l'établissent à l'extrémité occiden-
planète, ou sera absorbée dans son tour- tale de l'empire d'Allemagne, comme elle
billon. l'est déjà à son extrémité orientale par la
Dans la partie de ses frontières, qui s'é- possession du Brisgau et de l'Autriche an-
tend depuis l'extrémité de la Suisse jusqu'ài térieure, et que, l'obligeant ainsi d'entrete-
l'Océan, la France n'a pour voisins que nir des troupes sur ces deux points, elles la
l'empire germanique et la maison d'Autri- mettent en mesure de se porter sur telle
che sa tendance naturelle est d'aller jus- partie des frontières de l'empire qui serait
qu'au Rhin, borne que la nature semble attaquée par la France. Or il n'est pas dou-
avoir posée entre la Gaule et la Germanie teux que le chef constant et quasi hérédi-
et l'on peut remarquer en effet que les peu- taire de la confédération germanique sera
ples allemands, qui sont en deçà du Rhin à la puissance qui sera le plus à portée d'en
l'égard de la France, deviennent tous less défendre le territoire. Aussi' je crois qu'on
jours plus Français d'inclination, de langageî pourrait, sans trop de témérité, conjecturer
et de mœurs. Les Etats limitrophes de laî que la séparation des Pays-Bas des Etats pa-
France tendent aussi à se maintenir, et cette3 trimoniaux de la maison d'Autriche serait,
tendanee opposée est utile à la France et à si elle avait lieu, liée à un changement
l'empire germanique, dont elle tient en ha- dans la constitution germanique, change-
ment que de puissantes Faisons, que j'ai comme reniant ne voit, dans son aipnacet,
indiquées dans la seconde partie de cet ou- que des lettres sans liaison entre elles }, mais
vrage, rendent nécessaire et peut-être peu l'observateur qui rapproche les événements
éloigné, et auquel l'Allemagne ne peut que et les temps, na manquera pas de remar-
gagner en force réelle, c'est-à-dire en force quer que la Hollande, ce berceau de la phi-
de constitution. losophie, périt par l'effet d'une révolution
D'un autre côté, l'Angleterre a le plus faite par la philosophie que les patriotes
grand intérêt que les provinces beigiques, bataves détruisent, avec le secours de la
véritable pomme de discorde, n'appartien- France, cette puissance que le patriotisme
nent pas à la France dont elles accroîtraient batave a fondée avec le secours de la Fran-
ies forces maritimes. Elle redouterait égale- ce qu'un stathouder de Hollande a débar-
ment de les voir, réunies à la Hollande, qué en fugitif sur cette même. Ile,, où, cent
former avec elle une souveraineté particu- ans auparavant, un stathouder débarqua en
lière, parce que la puissance maritime qui conquérant; et peut-être aussi remarquera-
résulterait de cette union et des richesses t-on un jour que la France, à la protection
de la Hollande serait nécessairement, et par secrète ou déclarée de laquelle toutes les
la nature des choses, alliée .de la France. républiques ont dû leur existence, n'aura
L'intérêt et les vues de l'Angleterre sont elle-même existé un instant en république
donc que les Pavs-Bas reviennent à la mai- que pour les entraîner toutes dans sa chute.
son d'Autriche, dont la concurrence sur mer Continuons le tour de la France. L'An-
n'est pas à redouter, et qui est assez puis- gleterre, monarchie comme société politi-
sante pour s'y maintenir contre la France. que, république comme société eommer-
L'intérêt de la Hollande est que la maison çante, a, sous ce dernier rapport, un principe
d'Autriche ne les reprenne qu'avec les en- d'agression et une tendance à entreprendre
traves que les traités ont mises à la libre sur le commerce des autres nations ten-
navigation de l'Escaut. Or la maison d'Au-• dance qui forme le fond de son système po-
triche tend à ôter ces entraves au commerce litique à leur égard, et particulièrement à
de ses sujets, comme la nature, plus puis- l'égard de la France, son ancienne rivale.
sante que les conventions humaines, tend à1 Deux puissances territoriales ne se battent
faire jouir les pays qu'elle a placés au bord
que sur l'espace étroit de leurs frontières;
des mers des avantages commerciaux que5 mais deux puissances maritimes se batterU
cette position leur présente. dans tout, l'univers; l'Océan n'est plus,
Ainsi la Hollande, qui a déjà des concur- grâce aux progrès de la navigation, qu'une
rents redoutables dans son commerce du1 vaste plaine sur laquelle la France et l'An-
nord, et qui vient de perdre ses possessions3 gleterre se prolongent et se combattent. La
dans les Indes orientales, est à la veille d'à-, politique essayerait en vain de poser entre
voir, à ses portes, dans les Belges, des ri- elles des bornes que les vents et les eaux
vaux non moins à craindre. déplacent toujours. La position actuelle de
La Hollande est donc menacée de retom- l'Angleterre et de la France, l'une à l'égard
ber dans sa nullité primitive et de fournirr de l'autre, est telle qu'il n'en a jamais existé
à l'univers une nouvelle preuve du peu de3 de semblable entre deux puissances; et sans
solidité d'une puissance que l'industrie hu- doute il n'appartient qu'à la nature de dé-
maine élève malgré la nature des sociétéss
nouer le nœud formé par tant d'intérêts et de
religieuse et politique, sur la base fragilee passions (1).
des opinions religieuses et des propriétéss La France avait un système politique pat>
mobilières, et non sur le fondement iné- ticulier à l'égard de plusieurs autres puis-
branlable des sentiments religieux et des pro-
sances éloignées de ses frontières et ce
priétés foncières. système, à la conservation duquel elle a.vait
L'homme qui ne fait qu'épeler dans lee quelquefois dépensé trop d'argent et pas as-
livre des sociétés, n'y voit que des événe- sez d'hommes, était plus avantageux pour
ments indépendants les uns des autres ces puissances que pour elle-même,. dont le
(1) L'Europeserait bien plus fondée à craindre
e qu'une république qui puisse établir le despotisme
aujourd'hui la monarchie universelle de l'Angle- universel; V- parce que l'empire universel de la
terre, qu'elle ne l'était dans le siècle dernier à terre est impossible; mais. l'empire universel de la
craindre la monarchie universelle de la France très-prochain;
mer est très-possible, très-probable, ùe
î° parce que la monarchie universelle n'est que lec or, quicsimaine
qui est maltrc ùe
de ta nuàire du la lel'œ,
la mer, est uwîJ.re terre.
despotisme universel et i'ai prouvé qu'il n'y a.
premier allié devait être une bonne admi- décélaient la corruption profonde de son
nistration. Au reste, je ne crains pas de dire cœur t
que la France a souvent méconnu ses forces, Une nation, parvenue au point de n'avoir
et qu'égarée par des craintes indignes d'elle, plus
j de guerre à redouter, au moins de ta
elle a trop souvent cherché, dans des al- part
] d'une puissance son égale en forcés,
liances onéreuses bu inutiles, des secours doit
< veiller avec le plus grand soin à ne pas
qu'elle ne devait attendre que de ses res- laisser engourdir sa force militaire, et à la
sources mises en oeuvre par une adminis- tenir
1 en haleine par tous les moyens que la
tration sage et prévoyante. Pour maintenir paix peut permettre et que le génie peut
eflicacement l'équilibre en Europe, les gran- imaginer.
i Si elle est puissance maritime, et
des puissances doivent s'isoler les unes des qu'elle
< n'ait que peu ou point à craindre
autres, d'une main tenir la balance, et de du
< côté de la terre, elle doit changer
l'autre, mettre leur épée du côté le plus alors
i son système militaire, et tourner ses
léger. vues
i du côté de la mer. Cette réflexion est
Je n'ai considéré le système politique que particulièrement
] applicable à l'Espagne.
de Ja France monarchique ou constituée la D'ailleurs
J la puissance qui peut le plus se
France république ou non Constituée ne reposer
i sur le système pacifique des so-
peut enavoird'autrequeceluidelarépublique ciétés
< voisines, ne doit pas s'endormir sur
romaine,etde toute république puissante; I système de leur administration:système,
le
détruire ses voisins pour ne pas se détruire (comme je l'ai dit, qui n'est pas toujours ce-
elle*môme. Le principe d'agression naturel lui
1 de la nature et quand enSn elle n'au-
à ce gouvernement, serait prodigieusement rait
i rien à appréhender du dehors, elle
actif en France, et proportionné à sa popu- doit
c craindre sans cesse l'explosion dés pas-
lation, à sa position et à Ses moyens. Ce sions
s intérieures, qui sont toujours et par-
principe d'agression se déploierait plus tôt tout
t les mêmes, et qui ne sont jamais plus
contre les nations qui sont en opposition dangereuses
< que lorsque, débarrassée de
naturelle avec la France, plus tard contre toute
t crainte au dehors, une administration
les autres; mais il se déploierait tôt ou tard imprévoyante
i a laissé détendre le ressort de
contre toute l'Europe une république puis- 1la force publique.

sante ne peut avoir autour d'elle que des Ii y a six ans (1) que l'Espagne ne parais-
ennemis ou des Sujets. sait
£ pas avoir plus à craindre une guerre de
Déjà l'on aperçoit que ce principe d'agres- 1 part de la France, que laFrance elle-même
la
sion se dirigerait principalementcontrè l'An- nei semblait avoir à redouter une révolution;
gleterre. Cette puissance a lutté avec succès ett cependant la France a- essuyé une ré-
contreiaFrance monarchie;elle se défendraitvolution qui l'a anéantie, et TEspagne.a es-
à peine contre la France république, qui suyé s de la part de la France une guerre qui
serait tourmentée comme elle, et plus qu'elle 1l'a réduite aux abois.
du besoin de s'étendre et de la fureur de Un homme peut faire le sacrifice de ses
commercer. Quels que soient aujourd'hui ressentiments
r une nation ne doit jamais
l'épuisement de l'une et la supériorité mari- faire celui de sa dignité. La propriété d'une
time de l'autre, et quoique à l'avenir la po- nation
r est son indépendance et sa considé-
litique du cabinet dé Saint-James, ou plu- ration.
J Si elle vient à les perdre, elle peut
tôt du parlement d'Angleterre, soit d'-em- iêtre encore un peuple, mais elle n'est plus
pêcher, par des guerres fréquentes, la ma- une l puissance. Elle doit consulter, pour
rine française de sortir de l'état de faiblesse rrepousser une injure, moins ses forces que
auquel les circonstances l'ont réduite, la son s honneur, et ne pas oublier que, pour
nature déjoue quelquefois ces combinaisons; une l nation, c'est combattre avec succès que
et le moment peut arriver où l'Angleterre ( combattre avec gloire. Venise ne serait
de
occupée chez elle laissera respirer ses plus [ depuis longtemps au rang des puis-
voisins. Les vertueux républicains français ssances, si elle n'eût lutté avec le courage
connaissent aussi l'art de semer la division de d la justice et les ressources du génie1, ja-
et l'esprit de révolte chez leurs voisins art dis
à contre les premières puissances de l'Eu-
funeste, dont les progrès honoreraient la rope, r et tout récemment contre toute la
profondeur de l'esprit de l'homme, s'ils ne puissance
1 ottomane. Une société doit faire

(i) Le lecteur se rappellera que le livre a été écrit en 1795. édit.


ta guerre lorsqu'elle a épuisé tous Ces moyens plus permis de faire passer des armées sous
d'obtenir justice et elle doit craindre beau- le joug, ni d'emmener un peuple en escla-
coup plus l'affaiblissement de l'esprit pu- vage, aucune nation n'avait reçu d'une na-
blic que la conquête de quelque partie de tion ennemie, dans les fureurs de la guerre
son territoire. La philosophie, qui ne voit la plus acharnée, les outrages que la Suisse
dans l'homme que son corps, et qui n'ac- a reçus, en pleine paix, de la Frànce, son
corde à ses espérances que la terre, déclame alliée. Ce n'était pas à des particuliers qu'ils
contre la guerre. et décore son matérialisme s'adressaient, puisque les corps militaires,
du nom d'humanité mais en même temps, sur lesquels on a épuisé tout ce que là
comme elle ne fait de l'homme qu'un ani- cruauté à de plus barbare, et l'affront de
mal, jouet des événements etd'un sort aveu- plus amer, étaient engagés à la France, en
gle, elle inspire à l'homme un mépris pour vertu de capitulations solennelles. A la pre-
son semblable qui aggrave les horreurs de mière nouvelle de ces attentats inouïs dans
la guerre car il est à remarquer que la l'histoire, les Suisses du xv* siècle, les Suis-
guerre n'a jamais été faite, chez les nations ses pauvres et religieux se seraient réunis
modernes, avec une plus effroyable profu- en diète générale, auraient ordonné un deuil
sion de l'espèce humaine, que par un roi universel tous leurs sujets, imposé tous
philosophe et un peuple philosophe. La re- leurs citoyens, ràppe!é tous leurs soldats,
ligion, au contraires qui ne voit dans l'hom- armé toute leur jeunesse, et demandé, les
me que la plus noble partie de lai-même armes à la main, la plus prompte punition
son âme, et qui place ailleurs sa destination de tant de forfaits, là réparation la plus
et son bonheur, cherche à lui inspirer le éclatante de tant d'outrages. La Suisse riche
mépris de la vie principe de toutes les ac- et réformée, la Suisse qui vend des soldats
tions utiles à la société. Elle fait aux rois à toutes les puissances, et qui prête de l'ar-
un crime d'une guerre injuste, mais elle gent à toutes les banques, n'a eu ni hommes
leur fait un devoir d'une guerre légitime ni argent pour venger ses enfants et son
mais au milieu des combats, elle avertit honneur. Cependant ses gouvernements
l'homme que l'homme est l'image de la Di- étaient trop éclairés pour ne pas sentir qu'il
vinité, et elle veille aux intérêts de l'Hu- importait peut-être à leur sûreté de saisir
manité, par les sentiments qu'elle inspire à cette occasion de soutenir cette réputation
l'homme pour son semblable, et par les d'énergie républicaine, de hauteur, de cou-
idées qu'elle lui en donne. Il est aisé de rage, que les anciens faits des Suisses leur
sentir quelle est la différence, pour la so- avaient méritée, que des voyageurs enthou-
ciété, des opinions du matérialisme aux siastes leur conservaient, et qui, reçue dans
sentiments de la religion. Le matérialisme toute l'Europe sans examen, formait au fond
donne à l'homme l'amour de soi et le mépris leur meilleure défense. Que la France re-
de ses semblables la religion, au contraire, devînt monarchie ou qu'elle restât républi-
lui inspire le mépris de lui-même et l'amour que, il était intéressant pour les cantons de
des autres. Il est utile de faire observer mériter la reconnaissance de l'une, ou d'ins-
quelle est, pour un peuple, la différence pirer du respect à l'autre; et peut être les
des opinions philosophiques aux senti- liens de la subordination, secrètement re-
ments religieux. Un peuple philosophe, lâchée dans le sujet, pouvaient-ils être raf-
c'est-à-dire dont là religion est opinion et fermis parle déploiement d'une force pu-
non sentiment; un peuple commerçant, blique imposante. On ne peut douter que
c'est-à-dire qui met l'amour de la propriété les cantons n'aient senti qu'en dissimulant
à la place de l'amour de Yhomrne,n'a plus de une injure aussi grave, ils s'effaçaient eux-
vertus publiques, plus de caractère, plus de mêmes de la liste des puissances; qu'ils don-
force, c'est un peuple éteint." Les circons- naient à l'Europe la mesure dé l'affaiblisse-
tances présentes en ont offert l'exemple, et ment de l'esprit public en Suisse; qu'ils
la Suisse en a fourni la preuve. Car il ne révélaient à leurs voisins le secret de leur
faut considérer la Suisse comme puissance, faiblesse et aux mal intentionnés celui de
que dans les deux cantons réformés de Berne leur frayeur. Je n'ignore pas que des raisons
'et de Zurich. politiques, qu'il n'est pas impossible do
Depuis que le droit barbare des guerres a pénétrer, paraissent justifier le parti qu'ont
été aboli par le christianisme, comme l'ob- pris les cantons dans cette circonstance dé-
serve très-bien Montesquieu, et qu'il n'est licate. Il n'est pas ici question d'apprécier
1.
847
leurs motifs; .1: ŒUVRES
tJN-~tmj~ COMPLETES
-1- L__I qu'il
en faut de bien puissants pour obliger un
~f·~ l'l _1_ 't
4vmra.uau~ DE M. DE BONALD.
~,r..f. on peut dire, en général, en faisant abstraction de
.J- tout intérêt
948
~t.1_AL parti-
culier, que je me permettrai une réflexion
·
gouvernement à faire le sacrifice de sa di- sur les circonstancès présentes.
gnité, et à comprimerl'essor de l'esprit pu- La France a attaqué la société générale
blic au lieu de l'exciter il arrive quelque- avec de puissantes armées et des opinions
fois qu'une politique, bonne pour un temps plus puissantes encore. le but de la société
et- pour une circonstance, peut porter des devait donc être de détruire les armées, de
fruits amers dans d'autres temps et dans détruire les opinions, parce que les opinions
d'autres circonstances je ne parle pas des recrutaient les armées, et que les armées
administrateurs, mais des peuples, et je puis défendaient les opinions. Or, en laissant à
admirer la prescience des uns, en gémissant part les bévues politiques, les fautes mili-
sur l'apathie et l'insensibilité des autres. taires, les intrigues des cours, les passions
L'homme qui veut voir les nations, et non des hommes, il est aisé de voir que ce dou-
pas seulement les lire; l'homme qui place ble objet a été rempli, et que, dans une
la force de résistance d'un peuple dans son république réduite à se procurer des soldats
caractère, et non dans les mesures évasives par des réquisitions forcées, de l'argent
ou les finesses diplomatiques de son admi- par des emprunts forcés, et à commander
nistration, eût préféré de voir en Suisse la des serments de haine à la royauté, parce
nation entraîner le gouvernement hors de qu'elle ne peut inspirer l'amour pour son
ses mesures de prudence, plutôt que le gouvernement, il n'y a plus ni armées ni
gouvernement contenir le ressentiment de opinions. Ces hordes de volontaires, sou-
la nation mais, bien loin que les gouver- tiens de l'athéisme et de l'anarchie, ont péri
nements suisses aient été obligés de mo- par le glaive et les maladies; ces opinions
dérer l'indignation de leurs sujets, il n'est exaltées, filles de l'orgueil et de la cupidité,
que trop prouvé qu'ils auraient en vain ont disparu devant la famine et l'esclavage
-voulu provoquer leur ardeur; leurs peuples aujourd'hui, en France, on apprécie leur
auraient refusé de les seconder, ou se se- juste valeur les mots constitutionnelet pa-
raient peut-être révoltés contre leur auto- triote; et bientôt, en Europe, l'un ne dési-
rité. Or, je le demande, quel gouvernement
gnera plus qu'une erreur de l'esprit, et
que celui qui ne peut être ferme sans se l'autre que des vices du cœur. Dans cette
compromettre? quel peuple que celui qu'un fermentation générale, la lie est montée à la
acte de vertu publique peut soulever contre surface, et les gouvernements ont pu voir
l'autorité qui l'ordonne ? C'est fait de la distinctement quels étaient, parmi leurs
Suisse, si son pouvoir conservateur, le roi sujets, leurs amis et leurs ennemis; ils ont
de France, n'est pas bientôt rétabli sur son
trône déjà il s'est manifesté, d'ans plusieurs
aperçu la liaison intime et secrète des opi-
nions religieuses et des opinions politiques,
endroits, des germes de mécontentement; et ils se dirigeront désormais sur cette con-
déjà l'on a réclamé les droits de l'homme or, naissance. Je n'ignore pas à quelles causes
dans une république, des troubles qui ont une
fois commencé ne finissent que par une révo- gineon attribue l'excès, la durée, peut-être l'ori-
des maux de la France; je détourne
lution.
mes pensées d'un soupçon aussi affligeant
Les anciens faisaient aller leurs républi-
et que pourrait ajouter à la prospérité pré-
ques avec de la religion et du désintéresse- sente-ou future des autres nations, la désola-
ment les modernes veulent soutenir les tion physique morale d'une nation
et autre-
leurs avec de la philosophie, des fabriques, fois aussi heureuse? Les succès de la poli-
du commerce et des banques c'est vouloir tique
l'impossible. ne peuvent-ils se composer que des
malheurs de l'humanité? A des événements
J'ai considéré le système politique des d'un intérêt aussi général que la destruction
sociétés sous un point de vue trop général, d'une société, je cherche des causes plus
pour qu'on puisse attendre de moi que je générales que les passions de quelques
cherche dans le système particulier des ca- hommes et à la vue de la déconslitution
binets les raisons des chances variées et politique et religieuse de la France, il m'est
imprévues des événements actuels, ou des impossible de ne pas rappeler que toutes les
conjectures sur l'issue que peut avoir cet sociétés non constituées de l'Europe, reli-
imbroglio politique. C'est sous le même rap- gieuses et politiques, ont trouvé dans le
nort d'intérêt çéiiral de la société civile, et gouvernement français un protecteur déclaré
ou un secret instigateur, et que, cédant à répandu dans toute l'Europe, la philosophie
des craintes indignes de la puissance de la de l'athéisme et de l'anarchie.
France, abaissé à des moyens indignes de Mais ce n'est pas assez pour la France
sa loyauté, il a reconnu l'usurpation de d'instruire l'Europe par ses malheurs, elle
Cromwe!l,*favorisé l'établissement de la ré- doit la ramener par l'exemple de ses vertus
publique en Suisse, en Hollande, en Amé- aux principes conservateurs des sociétés.
rique, comme il a créé et garanti, en Alle- C'est à ce but digne d'elle que je consacre
magne, l'existence politique de la religion le chapitre suivant Conclusion naturelle de
réformée, et par une indulgence criminelle la Théorie du pouvoirpolitique et religieux,
pour des écrivains plus fameux encore par dans la société civile.
leurs écarts que célèbres par leurs talents,

CONCLUSION DE TOUT L'OUVRAGE.

` AUX FRANÇAIS QUI ONT L'ESPRIT ÉLEVÉ ET LE COEUR SENSIBLE.

L'effet inévitable des grands événements dans son enfance, 1 nomme sociai monu-
et des malheurs extraordinaires est d'exal- mentimpérissablede la puissanceetdu génie
ter les idées et d'émousser les sentiments. H de ce peuple célèbre gage immortel de sa
faut des pensées plus vastes à des esprits vénération pour ses rois; demeures éternelles
agrandis par l'importance-et la majesté des des morts (Discourssur l'hisl. univ., par
événements; il faut des impressions plus BOSSUET, m' part., ch.3), dont l'indestructible
fortes à des cœurs endurcis par l'excès et solidité devait transmettre à tous les âges la
la continuité des ma'heurs. Cette disposition preuve que le sentiment consolateur de t'im-
est commune à tous mes lecteurs et il n'en mortalité de l'âme a existé dans tous les
est aucun qui soit étranger aux grands évé- temps.
nements dont l'Europe est le théâtre, aucun Je vois dans la première société religieuse
que ses propres malheurs ou la compassion ` de l'univers, chez le peuple hébreu, ce tem-
pour les maKieurs des autres n'ait associé ple célèbre, le plus magnifique que le soleil
aux calamités inouïes qui accablent la pre- ait éclairé, seul asile que les dieux des sens
mière nation de l'univers. Cette disposition eussent laissé sur la terre au Dieu de l'in-
est plus particulièrement celle des Français, telligence et du cœur, retranchement où l'u-
acteurs dans ces scènesmémorables,victimes nité de Dieu s'était retirée, et d'où elle devait
de ces déplorables infortunes. C'est aux Fran- un jour reconquérir l'univers sur l'idolâtrie.
çais que je m'adresse, à ceux du moins dont Les pyramides de Memphis étaient le monu-
l'esprit peut me comprendre et dont le ment de la royauté, le temple de Jérusalem
cœur peut me répondre. Quand la corde était le monument de la Divinité: dansl'un,
d'un instrument est tendue, c'est le moment la puissance des rois se rendait sensible.
d'en tirer des sons. dans l'autre, lamajestéde Dieuse rendait visi-
J'observe avec attention tous les peuples blé.Un jugement sévère a détruit le templeet
qui ont paru avec éclat sur la scène du monde; dispersé les adorateurs; et des extrémités de
et je remarque que ceux qui ne sont pas la terre où il est errant, le Juif dans sa misère
morts tout entiers, et qui ont laissé des traces jette an regard de douleur vers ce lieu sa-
ineffaçables de leur existence politique ou cré il jure par son temple qui n'est plus; et,
religieuse, avaient attaché, si j'ose le dire, contre toute espérance, il ose encore espé-
leur durée à quelque grand monument à la rer d'en voir relever les ruines.
fois religieux et politique. ° Jusque dans cette société célèbre soumise
Je vois dans la première société politique à tous les pouvoirs, hors au pouvoir géné-
de l'univers, chez l'antique Egyptien, ces ral, à tous les dieux, hors au Dieu véritable,
vastes pyramides, contemporaines de la so- chez te Romain, dont l'empire réunit un
ciété élevées comme une limite sur les con- instant tout l'univers, lorsque l'univers ido-
fins' de l'état social et de l'état sauvage lâtre dut devenir chrétien, et qui se divisa
destinées à montrer ce que peut, même bientôt, lorsque t'univers chrétien dut deve-
051 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
gg2
nir monarchique; je vois cet édifice impo- malheurs moins
moins éclatants.
éclatants, mais que
nu» la gran-
<rr»n.
sant, dont le nom seul annonçait les desti- deur de votre courage a associés par cette
nées, ce Capitole fondé sous les meilleursf fin honorable aux défenseurs de la société
auspices, éternel comme Rome, sacré comme vous tous enfin, parents, amis, concitoyens,
son fondateur(Grandeuret décadence des Ro- martyrs de votre foi en votre Dieu, de votre
mains), ce Capitole, la demeure des dieuxJ fidélité à votre roi 1
protecteurs de l'empire, et le gage éternel de Ce temple serait l'objet des vœux et des
sa durée. (CORN. Tacit., Hist.) hommages de la nation tout Français ac-
Chez tous ces peuples, ces monuments, courrait des extrémités du
royaume pour
que la philosophie traite de superstitieux et( adorer le Dieu de la France, et s'en retour-
de frivoles, mais dont si peu de gens sentent? nerait meilleur et plus heureux.
la force et l'effet, réunirent tous les citoyens Sous les portiques de ce temple auguste
en un corps indissoluble, les attachèrent lesr s'assemblerait la nation en états généraux
uns aux autres, et tous àleur sol. (J.-J. Rous- et le Dieu qui punit les parjures recevrait
seau, Gouv. de Pologne.) des serments qui ne seraient pas violés.
Le Français est un peuple aussi, et il est
Sous ces voûtes sacrées, le roi serait dé-
un grand peuple; il est grand par son intel- voué
ligence, par ses sentiments, par ses actions. par l'onction sainte à la défense de la
Hélas il est grand. jusque par ses crimes. société religieuse et au gouvernement de la
société politique. II jurerait protection et
Au centre de la France, et dans la posi- à la religion, justice et force à la
tion la plus embellie par les vastes décora- respect
société; la religion promettrait de le défen-
tions do la nature, j'élèverais aussi un dre,
la société de lui obéir Jes échos du
monument qui réunirait aux proportions temple répéteraient
imposantes des pyramides égyptiennes la ces serments solennels,
et Dieu qui les entendrait en serait le garant
majesté sainte et sublime du temple de l'an-
et le vengeur,
tique Sion, l'intérêt national du Capitole
romain. Sous ses parvis majestueux, la dépouille
Je lé consacrerais au Dieu de l'univers, au mortelle du monarque recevrait Us der-
Dieu de la France- A la Providence; à niers honneurs que la religion rend ce
qui fut homme, et que la société doit à ce
ce Dieu de tous les hommes, môme de ceux qui fut roi;
qui le nient; de toutes les nations, même et dans les premiers états géné-
de celles qui l'outragent; de toutes les raux qui suivraient l'intervalle d'un siècle,
religions, même de celles qui le défigurent lorsque l'amour et la haine, le ressentiment
à ce Dieu qui si longtemps a protégé la et la reconnaissanceseraient descendus dans
France, et qui la punit parce qu'il la protège le tombeau, l'impartiale postérité dicterait
à la nation
encore; à ce Dieu qui ne l'a livrée un ins- niserait assemblée,l'inscription qui éter-
tant à la fureur de l'athéisme, que pour la sa mémoire, ou la condamnerait à
préserver du malheur affreux de devenir un éternel oubli.
athée; à ce Dieu qui a versé tant de consola- Dans le péristyle du temple seraient
tions au sein de tant de douleurs, tant do placées les statues,seraient inscritsles noms
secours au sein de tant de misères, tant d'es- de ceux qui auraient employé leurs talents
poir au sein de tant de malheurs; à ce Dieu à défendre la société on à l'embellir. Là le
qui a fait briller tant de foi au milieu de prélat serait à côté du guerrier, le savant à
tant d'impiété, tant de force au milieu de côté du magistrat, l'écrivain ingénieux et dé-
tant de faiblesse, tant de vertus au milieu de cent à côté de l'homme d'Etat éclairé et
tant de crimes à ce Dieu qui a permis tant de vertueux.
forfaits, et qui exerce tant de vengeances C'est au milieu de ces grands objets que
à ce Dieu, qui au moment où il livrait vos Je jeune roi serait élevé ( 1 )
comme Joas
corps à la rage des bourreaux, vous recevàit a l'omhre du sanctuaire il ne verrait dès
ses
dans son sein, Ô mes rois! ô mes maîtres! ô plus jeunes années que des objets capables
vous ministres de la religion et de la so- d'élever son esprit, d'ennoblir son cœur, de
ciété 1 prêtres fidèles, militaires intrépides, perfectionnermême ses sens, de diriger toutes
magistrats vertueux et vous que la faiblesse ses pensées, toutes ses affections, toutes
ses
de votre sexe ou de votre âge et l'obscu- actions, vers les notions sublimes, le
rité de votre condition réservaient à des sentiment profond, le culte respectueux do
(1.
il rr.
Voy Z*.
i*r_ i:
part., liv. i De
r\ t* u » • dans
l'éducation j 1 ch.
la société, L 12.
cette Providence éternelle qui punit les discordes civiles, à effacer par un spectacle
peuples et qui juge les rois. auguste et religieux, l'impression qu'ont
Qu'il serait imposant et religieux, j'allais faite sur les sens tant de spectacles licen-
dire, qu'il serait politique, le vœu solennel cieux et barbares 1
que feraient la France, son roi, la société Français, qui que vous soyez, malheureux
entière, d'élever, dans les jours de l'ordre ou coupables, parce que des opinions,
et de la paix, un temple -A LA Providence!l mensongères ont pris la place de sentiments
qu'il recevrait d'intérêt des circonstances 1 vrais et profonds, que ce vœu retentisse au
qu'il emprunterait de grandeur de son objet fond de vos cœurs, qu'il soit répété par
et d'utilité de.ses effets 1 qu'il serait propre chacun de vous, et il sera exaucé! et Dieu
à raffermir dans les espnïs la foi de la Divinité sera rendu à la société. et le roi à la
ébranlée pard'aflïeux désordres, à bannir des France, et la paix à l'univers.
cœurs ces haines furieuses allumées par les

ESSAI ANALYTIQUE
SUR LES LOIS NATURELLES DE L'ORDRE SOCIAL
ou
DU POUVOIR, DU MINISTRE ET DU SUJET DANS LA SOCIÉTÉ.

DISCOURS PRELIMINAIRE.

Toute société estcomposée de troisperson- que le pouvoir et le ministère, appelés alors


nes distinctesl'une de l'autre, qu'on peut ap- en France et encore aujourd'hui dans d'au-
peler personnes sOciales, POUVOIR, ministre, tres Etats royauté et noblesse? Et
comme la
sujet, qui reçoivent différents noms des di- question proposée par cet écrivain annon-
vers états de société père, mère, enfants, çait qu'une révolution allait commencer, 1»
dans la société domestique Dieu, prêtres, question que je traite
annonce qu'une ré-
fidèles, dans la société religieuse rois oui volution va finir, car le sujet
commence toute
chefs suprêmes, nobles ou fonctionnaires pu- révolution, et le pouvoir la termine et c'est
blics, féaux ou peuple, dans la société po- là la pensée de Montesquieu, lorsqu'il dit
s
litique raison métaphysique de la pre- « Les troubles France ont toujours af-
en
mière, seconde et troisième personne de) fermi'le pouvoir.»
tous les temps du verbe dans toutes les lan- L'auteur de la question qu'est-que le tiers 7
gues :de ce mot, disent les grammairiens, parlait du peuple, et devant le peuple iî
appelé verbe ou parole par excellence, parce calculait le nombre des hommes plutôt qu'il
qu'il exprime l'action, c'est-à-dire l'être in- n'observait leurs rapports respectifs: dans la
telligent, seul être qui agisse puisqu'il est société. Les passions entendirent ce qu'il
le seul qui fasse sa propre volonté. Or l'ê- disait pas, et même ne
ce qu'il ne voulait pas
tre intelligent étant l'être social, il est na- dire. Son ouvrage eut une vogue rapide, et
turel qu'on trouve dans la société la raison accrut l'effervescence. Je parle du petit
des règles fondamentales de son expression nombre et j'en parle au petit nombre. Jo
ou du discours, comme, l'on y trouve la rai- considère les rapports sociaux, et non les
son essentielle de son être. proportions arithmétiques j'attends le suc-
Un homme qui n'a écrit et parlé que dans cès de mes idées, de la raison et du temps.
des circonstances remarquables, demandait « II faudra du temps, » dit quelque part Du-
en 1789 Qu'est-ce que le tiers expression clos, « parce que cela est raisonnable. »
qui désignait alors en France la personne Je -considère donc le pouvoir dans la so-
du sujet. Je demande aujourd'hui :.Qu est-ce ciété comme l'être qui a le
vouloir et le
u a wN am ~1J. uvlW aW VJV

pmre nniip la conservation


th.ikd pour rnnsfrvalion de
rlfl société:
jet,
iet. c'est-à-dire
la société
é c'est-h-dirfi nu'à
qu'à nrt &\aI de
un certain état rlft so-
sn-
être public dont la volonté publique s'ap-
p- ciété.
c Mais pouvoir, ministère, sujet con-
is, viennent
pelle loi, quand elle est connue de tous, v à toutes les espèces, à tous les
èétats, à tous les âges de la société, depuis
et dont l'action publique, exécution de cette
tte
volonté, s'appelle cdlte dans la religion, 1l'état natif ou sauvage, où les plus âgés sont
>n,
GOUVERNEMENT dans l'Etat, quand elle est i
ministres pour juger, et les plus jeunes mi-
exercée sur tous (1). nistres
1 pour combattre, jusqu'à l'état civilisé
Cette action sociale s'accomplit par deux ux ou ( naturel, dans lequel, à cause du nombre
devoirs ou fonctions celle de juger et des ( hommes, de l'étendue du territoire, de
1 diversité des intérêts et de la multiplicité
celle de combattre fonctions publiques ou la
générales sous lesquelles sont comprises ses des ( professions, le devoir de juger et de
toutes les fonctions particulières, puisque lue combattre
< forme une profession distincte,
tout se réduit, pour la société, à découvrir rir et < l'occupation habituelle ou la fonction
ce que veut la loi, ce que j'appelle JUGER, et et spéciale de certains individus, ou même de
à écarter les obstacles qui s'opposent, au certaines familles. Car, dans toute société
de
dçdans comme au dehors, à l'exécution de sauvage ou civilisée, religieuse ou politi-
la loi connue ce que j'appelle com- •m- que, domestique même ou publique, il y a
BATTRE. une première personne sociale qui veut l'ac-
Ces fonctions, étant générales et devant ant tion productive ou conservatrice des êtres
être exercées sur un grand nombre d'indi- idi- qui forment société, et qui la fait par le mi-
vidus, et dans une infinit6 de lieux et de nislère d'une seconde personne pour l'avan-
circonstances, ne peuvent être remplies que jue vtage d'une troisième, terme ou sujet de
par un nombre proportionné d'agents, fonc- ne- l'action; en sorte que sans cette hiérarchie
tionnaires publics ministres du pouvoir, ir de pouvoir qui veut, de ministre qui fait par
c'est-à-dire serviteurs, suivant la force du les ordres du pouvoir, de sujet qui reçoit,et
mot latin ministrare. qui est le terme de la volonté et de l'action,
Je n'entends donc pas par ministres, les sans cette trinité de personnes (qu'on me
hommes chargés de diriger une partie quel- ici- permette cette expression nécessaire), on ne
conque de l'administration publique, guer- 1er- peut pas même concevoir une société.
re, police, finance, etc. ce ne sont, à pro- '1'0- Si je me sers des mots pouvoir, ministre,
prement parler, que des secrétaires d'Etat,
ea sujet, là où il semble que j'aurais dû em-
et c'est ce titre qu'ils portaient en France Je et ployer les mots royauté, noblesse, tiers état,
qu'ils portent encore dans d'autres Etats. Jee c'est parce que ces expressions générales
n'entends pas non plus, comme dans les an- conviennent naturellement à la manière gé-
ciennes cours de justice, par ministère pu- Pu~ nérale dont j'envisage la société, et non
par
blic les fonctions censoriales, exercées près )r s
aucune crainte injurieuse à une autorité
les tribunaux par les procureurs généraux,
lux, forte qui ne s'alarme pas d'un mot usité, et
solliciteurs généraux, et encore par les ac- indigne d'un écrivain indépendant qui ne
cusateurs publics mais j'entends l'ensem- 'm~. redoute
pas d'employer,un mot nécessaire.
ble, le corps des hommes qui jugent ét qui Ainsi, je me servirai des mots anciens et
combattent par les ordres du pouvoir, pour
°.ur particuliers pour exprimer l'étal précédent
accomplir sur le sujet l'action conservatrice
l'on
et particulier de la France et d'expres-
de la société et c'est dans ce sens que ?n
l'on sions générales lorsque je traiterai de la so-
dit les ministres de la religion ministère
nent ciété en général, et de cet ordre de choses
public, institution ou plutôt établissement
*fr!s lequel l'homme, tôt ou tard, finit par
diffé- sur
naturel, puisqu'on le retrouve sous s'accorder avec la nature.
rents noms dans toute société, et à toute
)ute
époque de la société; établissement néces- ces- Et remarquez ici la supériorité réelle et
saire, parce que le pouvoir dans la société iiélé en quelque sorte intrinsèque des expres-
ne peut pas plus exister sans ministres que sions générales sur les expressions particu-
la société sans pouvoir. lières. Royauté ne signifie étymologique-
Royauté, noblesse, tiers état, mots pros- ros- ment que direction, à regere, et cette direc-
crits en France, ne s'appliquent qu'à un tion peut être fausse et nulle par consé-
certain état de pouvoir, de ministère, dei su- su- quent noblesse, à notabilis, signifie des pw-

(I) On dit d ins le langage ordinaire la volonté de la loi, faction du gouvernement»


sonnes qui doivent se faire remarquer par possibles, et ses quantités négatives ou im-
leurs vertus, et elles peuvent n'être remar- possibles
1 elle opère sur les unes comme sur
quables que par des vices peuple a sa ra- les
1 autres par des procédés absolument sem-
cine dans le mot populare, ravager, dévaster; blables
L dont l'analyste aperçoit l'impossibi-
et de là vient que dans le grec, multitude est lité
I par le signe de négation dont ils sont
synonyme de mauvais de méchant ( i ). affectés.
a De même dans le monde social ou
Mais pouvoir dit à l'homme qui en est re- moral,
n ou tout est bien ou mal, on trouve
vêtu qu'il ne peut que pour vouloir et pour ddes rapports vrais qui les unissent. On
faire le bien, puisque le mal est l'action des ttrouve, par exemple, des tyrans à la place
passions, c'est-à-dire du défaut du pouvoir, ddu pouvoir, des satellites à la place du mi-
de l'impuissance, impotentia, irœ, amoris, nistère,
r des esclaves à la place des sujets;
impotens, comme disent-les Latins, et qu'il eet l'on a en dernier résultat, une société
cesse réellement de pouvoir quand il cesse négative,
m si l'on peut le dire, constituée pour
de vouloir et de faire le bien. Ministre ou le
1 désordre et la destruction à la place
serviteur dit à ceux qui sont dévoués à l'être, cd'une société positive, constituée pour l'or-
qu'ils ne sont que pour le service de leurs ddre et la conservation, et l'on prouve la né-
semblables; que le caractère dont ils sont cessité
c de celle-ci par l'impossibilité de
revêtus est un engagement et non une pré- celle-là.
c
rogative, et qu'ils se méprennent étrange- Qu'on ne s'étonne donc pas du point de
ment sur leur destination dans la société, vvue, nouveau peut-être, sous lequel j'envi-
lorsqu'ils se regardent comme élevés au- sage
s les objets; après tant de siècles de
dessus des autres par la supérioritédu rang, f religieux et politiques, et tant d'obser-
faits
tandis qu'ils n'en sont distingués que par vations
v sur les religions et les gouverne-
l'importance des devoirs. Sujet enfin dit à ments
n particuliers, il devient nécessaire
tous qu'ils sont le terme d'une action so- pour
p les intérêts les plus chers de l'huma-
ciale et conservatrice, dont le but est de dé- nité,
» de s'élever jusqu'à la contemplation
fendre l'homme des erreurs de sa volonté et des
d lois mêmes de l'ordre, et de considérer
de !a tyrannie de ses passions, pour le faire 1. société en général,
la par le même procédé
jouir de sa véritable liberté, et le conduire d l'esprit humain et la même raison, qu'a-
de
à sa nature, qui n'est autre chose que la près
p avoir longtemps marché dans les scien-
perfection dont son être est susceptible, et c exactes, à l'aide de la géométrie linéaire
ces
que sous ce rapport, l'homme ne pouvant e de l'arithmétique il est devenu néces-
et
être bon sans être éclairé dans sa volonté et ssaire pour aller plus loin, de considérer la
dirigé dans son action, il est vrai de dire quantité
q en général, et d'inventer l'analyse.
qu'il ne peut être libre sans être sujet. De cette théorie simple, et dont l'histoire
Je traite donc de la société qui est la offre
o à toutes les pages une, juste et vaste
science des rapports d'ordre entre les êtres application,
a on déduira comme des formules
moraux, comme les analystes traitent des algébriques,
a des maximes générales par les-
rapports de quantité (numérique ou éten- quelles
q on résoudra les problèmes que pré-
due) entre les êtres physiques. A, b, c, y, x, ssentent les événements de la société, passés
leur servent à exprimer la collection même e même futurs. Car le monde -moral est
et
indéfinie des proportions de nombre et d'é- gouverné
g comme le monde sensible, par des
tendue, et sont pour cela même propres à lois générales et constantes, qui, dans un
1'
recevoir et à représenter toutes les dénomi- temps donné, reproduisent des effets sem-
t<

nations de quantités partielles et finies, blables,


b parce qu'elles agissent par des cau-
Pouvoir, ministère, sujet expriment aussi la sses et avec des moyens semblables et
généralité, même l'infini, dans les rapports l'homme
1' moral qui, de la pleine, puissance
possibles entre les êtres qui forment société, dde sou libre arbitre, et par des volontés par-
et sont susceptibles de dénominations parti- ticulières
ti et trop souvent désordonnées
culières, différentes suivant le génie des contrarie,
c
dans son cours passager, un or-
langues, l'espèce et l'état de chaque société. dre
d général dont il ne saurait troubler l'im-
On peut pousser plus loin le parallèle. muable
n durée, est semblable à l'homme
Comme tout dans l'univers est être ou physique
p qùi se meut à tout instant d'un
néant, l'algèbre a ses quantités positives ou mouvement
n particulier, contraire au mou-
Ci) Yoy. dans les notes sur Aristote, traduction de Champagne, les autres synonymes du mot
0
miltitudc.
vement général de la planète qu'il habite, générales de sa conservation, comme les co-
géi
sans l'arrêter ni même la déranger, et qu'elle mètes, malgré l'excentricité de leur orbite,

emporte dans l'espace, même lorsqu'il se l'a|
l'apparente irrégularité de leurs mouvements,
fixe dans un lieu. et le long intervalle de leurs apparitions,
11, suit naturellement de cette manière gé- soumises
soi à l'observation et au calcul, ren-
nérale de considérer le pouvoir et le minis- tre dans les lois générales du système pla-
trent
ière dans la société, que je cherche la meil- nétaire.

leure constitution possible de l'un et de Ce
< sont donc ces lois générales du monde
l'autre sans avoir égard aux dispositions moral
me que j'ai cherché à déterminer dans
personnelles des hommes, pouvoir, minis- un autre ouvrage dont celui-ci n'est à quel-
tres ou sujets, dispositions que l'adminis- ques égards que l'extrait et l'abrégé, comme
qu
tration seule doit prendre en considération. Képler et Newton ont cherché à découvrir

Ainsi la théorie des lois mécaniques calcule et à calculer tes lois générales du monde
d'une manière absolue et générale les mou- physique,
ph lois générales de l'ordre entre les
yements, les forces et les résistances, et êtres moraux auxquelles la société obéit,
êtl
laisse à la pratique de l'artiste à tenir compte nii lorsque les passions de l'homme sem-
même
de l'imperfection des instruments et des blent contrarier sa marche et suspendre ses
bl<
qualités relatives des corps, progrès.
pr< Ainsi, un corps lancé conserve la
Je regarde donc comme erronée l'opinion, tendance
tel à aller en ligne droite, même sous
que les lois doivent être accommodées à l'o
l'obstacle qui le détourne, et reprend sa di-
l'imperfection des hommes et condescendre rection
re< lorsque l'obstacle vient à cesser. Je
à leur faiblesse; tandis au contraire que la n'indique
n'i doue pas à l'autorité ce qu'elle
loi, règle suprême et inflexible de nos vo- doit faire, la nature fait assez; mais plutôt
do
lont.és et de nos actions, nous est donnée ce qu'elle doit empêcher, car l'homme fait
pour soutenir par sa force notre faiblesse, toujours trop, et j'aurai, ce me semble, bien
to'
et redresser nos penchants par sa rectitude. mérité
m' de la société, si montrant au pouvoir
Je crois que les lois faibles ne conviennent le but auquel il doit tendre invariablement,
qu'aux peuples naissants, et qu'elles doivent j'é
j'épargne au sujet les hésitations, les tâton-
être plus sévères à mesure que la société est nements de l'homme qui cherche sa route,
ne
plus avancée, parce que pour la société, la rencontre quelquefois, et faute de la con-
comme pour l'homme, les rapports s'éten- naître,
na l'abandonne aussitôt et s'égare le
dent.et les devoirs se multiplient à mesure plus souvent.
pi
que l'âge augmente. Je pense enfin, que Je n'ignore pas l'éloignement qu'inspire à
l'homme de la société domestique ne peut de personnes estimables pour tout ce qu'el-
des
parvenir à la perfection dans les mœurs, le appellent métaphysique, l'abus qu'on en
les
qu'autant que l'homme de la société publi- aa:fait de nos jours, et qui a produit tant
que parvient à la perfection dans les lois, d'erreurs
d' et de crimes.Peut-être aussi qu'une
perfecti estote, et que les révolutions, ces pente secrète au matérialisme, particulière
pe
grands scandales du monde social, résultat à ce siècle, arrête l'esprit à la considération
nécessaire (1) des passions humaines que de effets sensibles, et le détourne, même à
des
le pouvoir néglige de réprimer, deviennent son insu, de s'élever à la recherche des cau-
se
entre les mains de l'Ordonnateur suprême, se
ses car la métaphysique bien entendue
des moyens de perfectionner la constitution n'est
n' que la science des causes et la con-
ie la société, et rentrent ainsi dans les lois naissance
m des- lois de leur action (1). Ce-

(1). Necesse est ul ventant scandala. (Mallh. nous jugerons que les idées générales ou simples
nf
xvm, 7.) qu'on
qu peut appeler sociales, parce qu'elles sont les
(2) Les métaphysiciens modernes qui, dans éléments de toute société, raison, justice, bonté,
éli
l'univers moral, -ne voient d'autre être intelligent beauté, etc., etc., se voient en Dieu, puisqu'elles
be
que l'homme, ont mis toute la métaphysique ilans sont l'idée de Dieu même, considéré sous ces di-
so
la science de ses idées, qui n'en est qu un chapitre vers attributs, et que les idées collectives et com-
ve
assez court, et l'ont nommée idéologie; science des posées,
po que j'appelle individuelles, parce qu'elles
idées plus bornée qu'on ne pense, et sur laquelle so image, ou naissent, dans chacun, de ses sen-
sont
nous saurons tout ce qu'on peut savoir, lorsque sations,
sa viennent à notre imagination parles sens
réunissant les deux systèmes extrêmes de Male- et cependant que nos idées même simples doivent
branche et de Locke élèndu par Condillac, de l'un beaucoup aux sens, puisqu'elles leur doivent le
be
qui veut que nous voyions en Dieu toutes nos idées, signe qui les exprime et les réveille, le signe ou
sij
des autres qui veulent que nous les recevions toutes mot, sans lequel nous ne pourrions en entretenir
m*
par le canal de la matière ou des sens; et ôiant à lei autres, ni même nous en entretenir avec nous-
les
chacun ce qu'il a d'exclusif et de trop absolu, mêmes
m et que les idées ies plus composées dYii-
Ht'! Y:ltir.
pendant, je dirai au philosophe chrétien,l,
'\J,'bresCUUni AimUl
J. ~LOiJ:°i111f. ~VJ~. ll^IULK
leurs vertus' autant que
par put' l'éten-

que la religion qu'il professe est le plus vastee due de leurs connaissances et la profortdeiïr
système de métaphysique, puisque le fon- de leur esprit, qui d'âge en âge ont soulenù
dement eh est Fa croyance d'une cause uni- i- l'existence d'une cause première, rimmor*
verselle, et quelle métaphysique plus haute e talité de notre être, et la nécessité de la
que celle de ses premiers interprètes, saintit société de Dieu pour fonder la société de
Jean et saint Paul? Je dirai au philosophe e l'homme, seront estimés comme lës seuls et
qui rejette le christianisme pour ne suivree les vrais sages et l'on s'apercevra enfin qu6
que sa raison particulière que tous less les vers passionnés de Zaïre et la prose
hommes à conceptions, depuis Platon jus- brillante iïlle'loïst; ont fait auprès des ima-
qu'à Ch. Bonnet, ont aimé et cultivé la mé- ginations faibles et crédules tout le succès
taphysique. Or ce sont les hommes à con- des sarcasmes irréligieux et des discussions
ceptions qui ont éclairé le monde, et ce sontit sophistiques de leurs auteurs.
les hommes à imagination qui l'égarent et't J'ai traité à la fois de la société religieuse
le troublent. Au fond, il y a de la- métaphy- et de la société politique* parce que i je crois
sique dans tous les ouvrages d'esprit, depuiss leur union aussi nécessaire pour constituer
les méditations de Bescartes jusqu'aux poé- le corps civil ou social, que la simultanéité
sies de Dorât, comme il y a .de la mécanique e de la volonté et dé l'action -eïl nécessaire
dans tous les ouvrages d'art, depuis les an- pour constituer le moi humain. Jusqu'à
cres de vaisseaux jusqu'aux mailles imper- présent on a considéré la religion sous un
ceptibles des chaînes de montres. Mais si laa point de vue particulier, et relativement à
métaphysique ne doit pas. se montrer danss l'individu dont elle doit régler les mœurs;
les ouvrages d'îtnaginatio% doit-on pourr a^ l'avenir, on la considérera encore sous un
cela trouver inutile ou dangereux le travail1 point de vue plus étendu, et relativement à
de ceux qui, rappelant la société à ses élé- la société, dont elle doit régler et sanction-
ments, lorsqu'ils sont oubliés ou méconnus, ner les lois, en donnant ce qu'on ne petit
remontent jusqu'au principe de son exis- trouver ailleurs une raison au pouvoir de
tence, et indiquent les moyens de sa conser- commander, et un motif au devoir d'obéir.
vation ? Notre malheur est d'avoir voului Et non-seulement la religion (je parle de
constituer la. société avec de la métaphysi-
-t
la religion chrétienne ) afférmit la constitua
que des hommes à imagination, de Bayle» tion des Etats, mais elle facilité l'administra-
de Voltaire, de Jean-Jacques, d'Helvétius,. tion des peuples, parce que présentant à
de Diderot, etc., etc., au, lieu d'en cliercherr tous de grandes craintes, et de grandes espé*
les bases dans celle de Descartes, de Male- rances, et réunissant, par les liens d'une
branche, de LeibtiHz, de Bossuet, de f'éne- charité fraternelle, des hommes que sépa-
lon, etc. semblables en; cela à un proprié- rent des inégalités personnelles et des dis-
taire qui appellerait son vernisseur pour.r. tinctions sociales, elle rend le commande-
construire la charpente d'un édifiée* ment plus débonnaire et la dépendance
J'ai supposé l'existence d'une cause pre- moins chagrine semblable à ces matières
mière et intelligente contre l'athéisme, opH-< onctueuses qui dans les machines compli*-
nion absurde, mais surtout opinion déso- quées produisent la force sans effort, le
Imute., qui ne naît jamais que chez t'homme mouvement sans bruit» et diminuent les.
î
enivré par la prospérité,et ne se répand quesï résistances en adoucissant les frottements'.
chez les peuples abrutis par l'oppression.. C'est là l'incontestable avantage de la reli-
J'ai défendu la néeessité de la religion, ett gion sur laphilogophie, pour régler r.homRïe.
cependant je connais la défaveuc attachées et gouverner la société, et le véritable oao-
à cette noble causé, et .les- efforts que faitt tif de l'insuffisance de l'une et de ta néces-
depuis longtemps la démocratie de la mé- &ité de l'autre, La philosophie, voisin offi-
diocrité pour éteânler le trône de la raison,. cieux, qui sans autorité vient s'immiscer
si glorieusement occupé par le génie. En- dans les affaires de la famille, n'a que des
core un peu de temps, et ces hommes célè-, conseils à donner, et se retire s'ils. ne sont.

d'appui
vent aussi beaucoup au par intellect, puisqu'il les5 et peut-être est-il impossible à l'esprit de .s'espli-
reçoit et combine leur rapport avec les niées quer lui-même, tout 'seul. et sans recourir un
simples. Là, j'ose le dire, est toute l'idéologie; tout•t anlpe être que lui, comme- il l'est à notre corps de
le resie sur le développement des idées et des opé- s'enlever lui-même sans prendre au dehors unpo-int
rations de J'eiitendeineiU humain si longuementt
Irailé par Condillac,
traité est sans
Coitdillac, est sans intérêt, sans utilité
utilité;
OKcvbes
OEUVRES r.ninpi
COMPL. DE iik M,
M. tir Roaiait» TL
DE BONALD. 31
pas suivis. La religion, comme un père vertu est un comhat et le vice une lâcheté
sévère, souveraine dans la maison, y dicte elle place donc hors de nous et dans un
des lois, parce qu'à elle appartient la sanc- ordre de choses définitif et inaccessible a
tion de toutes les lois, le pouvoir de punir nos passions, le prix du vainqueur et la.
et de récompenser. La philosophie, qui sent peine du vaincu; idées analogues à nos
l'insuffisance de ses préceptes avide de jugements ordinaires, puisqu'elles sont la
domination, met, comme les gens faibles, règle de notre conduite habituelle envers
J'exagération à la place de l'autorité, et nous nos enfants nos élèves nos domestiques,
crie que la vertu porte avec elle sa récom- nos subordonnés, dont nous punissons les
pense et le crime son châtiment elle fait fautes, dont nous récompensons le zèle et la
ainsi de la vertu un plaisir, et du vice une fidélité; idées raisonnables, donc utiles,
fatigue, un malaise, rêves subtils du stoï- donc vraies, et vraies d'une vérité néces-
cien, dont s'accommode si bien l'heureux saire, indépendante des faux raisonnements
méchant, et q-ui ne sont qu'une dérision que nous suggère un fol orgueil; idées
cruetle pour l'homme juste qu'il opprime. générales, qui sont le fondement de la mo-
La religion, qui n'outre rien, parce qu'elle rale universelle et dont les conséquences
peut tout, nous apprend ce que nous ne plus ou moins développées, et trop souvent.
sentons que trop en nous-mêmes, que la altérées, font la religion de tous les peuples.

DE LA SOUVERAINETÉ. DU POUVOIR, DES LOIS,

ET DE LEURS MINISTRES.

CHAPITRE PREMIER. même, et durera autant que lui, est deve-


nue extérieure et physique; et que la France,
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR L'ÉTAT PRÉ-
où cet état infernal s'est un moment rendu
SENT ET FUTUR DE LA SOCIÉTÉ. visible, enivrée d'un vin de prostitution
Il s'est élevé de nos jours au milieu dee (Apoc. xvii, 2) et comme transportée d'une
l'Europe .chrétienne, au sein même de laa fureur surhumaine, a envoyé ses principes,
civilisation, un Etat indépendant, qui dee ses soldats et ses exemples à l'extinction de
l'athéisme a fait sa religion, et de l'anarchiee toute vérité, au renversement de tout or-
son gouvernement. Armé contre la société,5, dre, et menace de l'état sauvage l'univers
cet Etat monstrueux a présenté tous les !S civilisé.
é
caractères d'une société; son souverain a été Le pouvoir de l'anarchie est détrôné, et
un esprit prodigieux d'erreur et de men- les armées de l'athéisme ne sont plus mais
songe sa loi fondamentale, la haine de tout it les exemples survivent aux succès et les
ordre il a eu pour sujets tous les hommesis principes aux exemples. Une génération a
tourmentés de passions haineuses et cupi- commencé dans la haine du pouvoir et dans
des pour pouvoir et pour ministres des 'S l'ignorance des devoirs; elle transmettra'
êtres profondément corrompus, ou miséra- aux âges suivants la tradition funeste de'
blement séduits, qui, sous des dénomina- i- tant d'erreurs accréditées, le souvenir con-
tions, ou des noms à jamais fameux, unis is tagieux de tant de crimes impunis et les
par les mêmes serments, et plus encore par ir causes de désordre, toujours subsistantes
les mêmes forfaits, ont commandé cette ter- au milieu de la société, y reproduiront tôt
rible action avec les moyens du génie, l'ontit ou tard leurs terribles effets, si les pou-
exécutée avec le dévouement aveugle du fa-i- voirs des sociétés n'opposent à ce profond
natisme. système de destruction leur force infinie de
A peine cette société de ténèbres a-t-ellee conservation; si pour rendre à leur action
été formée, et pour ainsi dire constituée, ï, sociale son efficace toute-puissante, ils ne
que-4'opposition nécessaire et métaphysique e reviennent à la constitution naturelle des
entre la vérité et l'erreur, entre le bien etet sociétés; si enfin ils ne déploient toute la
le mal, qui a commencé avec. l'être lui- i- force des institutions publiques, pour com-
96.%
> PART.
'?" rtittl. I. ECONOMj
~LU1'lU ;\1. SOC.
~UL.. ESSAt ANALYTIQUE. 000
battre,
battre; pour arrêter les funestes effets
les flinttSt.f»S lifî
nfTW.« des îs agents, ut quelquefoisexagéré
flf7Anf« ot l'action. « Les
n'n»lminfV»caY9[r£f-in?àr>tmn Inc
institutions occultes (1). troubles ont toujours affermi le pouvoir, »
C'est surtout en France qu'il est possible;
e*- dit Montesquieu, qui observe te fait sans re-
qu'il est nécessaire de ramener le pouvoir et monter au principe. Ainsi, la révolution ra-
ses ministres à leur constitution naturelfe;
e,- mènera l'Europe à l'unité religi'euse et po-
c'est -à -dire de constituer ja société. La la litique, constitution naturéHe du pouvoir de
France a toujours servi de modèle en bienn la religion, et du pouvoir de l'Etat,- dont l'a
comme en mal aux autres nations et seule le écartée le traité de Westphalie. C'est en ef-
peut-être en Europe, elJe est dans la situâ- t- fet dans ce traité à jamais célèbre, que futt
tion où doit être une société pour se consti- i- posé, pour la première fois, et en quelque
tuer définitivement ou parfaitement, parce:e sorte consacré le dogme athée de la souve-
qu'elle est, je crois, la seule qui soit parve- raineté religieuse et politique de l'homme,
i-
nue aux limites que nature a marquées à principe de toutes les révolutions, germe
la
son territoire. Une nation arrivée à ce point tt de tous les maux qui affligent la société,
ne doit plus. ne peut plus même avoir d'am- )- abomination de la désolation dans le lieu
bition que celle de s'y maintenir, ni se cons- saint. (Dan.
ix, 27 Marc. xin, 14) c'est-à-
tituer qu'en état défensif contre l'ennemi duu dire dans la société, soumise à la souverai-
dehors, et plus encore contre l'ennemi in- neté de Dieu. Ce fut alors
que tes chefs des
térieur, l'esprit d'orgueil et de révolte qui,i, nations, réunis dans l'acte lé plus solennel
enchaîné; mais jamais détruit, toujours pré-i- qu'il y ait eu- depuis la fondation de la
so-
sent à la société, parce qu'il est toujours vi- ciété chrétienne reconnurent l'existence
vant dans l'homme, entretiendra jusqu'à laa publique et sociale de la démocratie politi-
fin, dans le sein de la société, comme dans que dans l'indépendance illusoire de la
le cœur de l'homme, une guerre intestine et!ts Suisse et des Provinces-Unies, et celle de la
opiniâtre. Car, qu'on ne s'y trompe pas démocratie religieuse dans l'établissement
la société. est. un vérilable état de
guerre dee public de la religion réformée et du corps
la vérité contre l'erreur, du bien contre le évangélique (2), et légalisèrent ainsi
e en
mal* de la nature qui veut la société de tous, Europe des usurpations de pouvoir reli-
i,
contre l'homme qui tend à s'isoler de la so- gieux et politique qui n'avaient jusque-là
ciété, ou plutôt à se faire à lui seul sa so-
reçu qu'une sanction provisoire et précaire
ciété, et le nom de Dieu des armées que prendi dans les Etats partiels.
l'Etre créateur et conservateur du genre Les traités qui, tôt ou tard, mettront fin
e
humain, ne signifie que le Dieu des socié- à la
guerre présente seront, qu'elle qu'en
tés. soit l'époque, rédigés dans des principes
Nous touchons à une grande époque du tout opposés. On préparera l'abolition de
l y
monde social. La révolution religieuse et po- tous les gouvernementspopulaciers, la
litique à la fois, comme l'ont été toutes les titution de l'Europe cons-
s
révolutions, est une suite des lois générales être même le en grands Etats, peut-
s renversement du mur de sé-
de la conservation des sociétés, et comme
une3 paration, qu'une politique égarée par des
crise terrible et salutaire par laquelle la
na- haines de parti avait élevé entre certains
ture rejette du corps social les principes vi- peuples et l'ancienne
cieux que la faiblesse de l'autorité y avaitt chrétienne. Déjà croyance de l'Europe
laissé introduire, et lui rend sa santé et nous voyons en Angleterre
sai l'opposition à l'unité religieuse s'affaiblir,
vigneur première.
en même temps que l'accession de l'ir-
Ainsi, la révolution rendra au pouvoir ent lande, et peut-être par
France la force nécessaire pour conserver la qui préparent, elle par d'autres événements
i se devient plus monar-
société, cette force qu'il avait perdue à me- chique. La Russie, lasse du jdespotisme
qui,
sure qu'il en avait méconnu les véritables dit Montesquieu, lui
comme plus est pesant
(1) Lisez les Mémoires servir à l'histoire
au jacobinisme, par Barruel.pour d'Africain pour avoir soumis l'Afrique.
(2) On appelle ainsi dans la constitution ger- sait qu'innocent X, par sa bulle du 26 no-
On
manique la ligue des princes protestants. vembre 1648, déclara nul tout ce qui s'était fait à
M. Davaux, un de nos plus habiles négociateurs Munster et à Osnabruck au préjudice de la Teligion
à la paix de Munster, quoique chargé catholique. Le temps, ce révélateur de toute vérité,
de détendre les intérêts des protestantspar sa cour a déjà justifié la sagesse de la cour de Rome, ou
d'Allenta- plutôt la prévision de la religion; et la chute des
gfle, ne voulut jamais leur donner le titre d'évangé- démocraties politiques annonce celle des démocra-
liques, à moins, disait-il, que ce
détruit l'Evangile, comme on donne ne soit pour avoir ties religieuses.
à Scipion le titre
qiCaux peuples mêmes, s'élève à la constitu- vais effets commencent à être visibles, les
va
titan une et naturelle du pouvoir politique maux seront peut-être prévenus; mais si elle
m<
par la loi de la succession récemment pro- va croissant, la Providence corrigera les
Hiulguéé Ton aperçoit en même temps dans hommes
ho par la révolution même qui m doit,
son gouvernement des dispositions non naître:
na car quoi qu'il puisse arriver, tout
équivoques à se réunir & Pnnité religieuse tournera
toi toujours pour le mieux en génétal*
à entraîner peut-être l'Orient dans son re- au bout du compte.» [Eïsp, de heikn.)
tour; enfin, dans la France même, le pou- C'est-à-dire pour le perfectionnementdu gé-
G'<
voir plus m» cesse de persécuter la religion néral ou d& la société, opinion conforme au

pîusw»e, en attendant qu'il puisse lui pré- système
sy général de ce grand homme,, à cet
ter son appui et chaque événement de cette optimisme
op religieux et philosophique que
époque à jamais mémorable hâte la révéla- Voltaire n'a pas comprises qu'il a ridicnlisé;.
V(
tion universelle de cette vérité fondamen- et que d'autres ont soutenu et n'ont pas
taie de la science de la société que h&rsde expliqué.
es
l'unité religieuse et politique, il n'y a pas de C'est là, et là seulement cette perfeetibi--
vérité pour l'homme, ni de salut pour la sa- lit sociale que nous annoncent, sans la
lité
eiét.é.. connaître,
co des hommes dont tes opinions
Le génie le plus vaste, peut-être, qui ait fo rétrograder la société, au moins pan
font
paru parmi les. hommes, Leibnitz, qui vivait, leurs
le conséquences, jusqu'à l'état d'igno^
au commeacementdecesiècle, etquï, plac6. ranee
ra et de férocité, et que repoussent, sans.
emtco les; revers qui affligèrent la vieillesse ]'exa*niner,
l'€ des écrivains q>ui, hâtent les pro-
(te ï.oa;is XIV et les troubles qu'annonçait gr de la société, en défendant contre Tir*
grès
la minorité de son successeur osait au, raption
rip des barbares les. principes de la
temps du plus grand épuisement de la morale,
m de la raison et du goût î contradic-
France, prédire sa grandeur futuçe, et écrire ti.o(\
ti.< remarquable, et qui prouve quel'er-
à son ami Liidolphe ces paroles remarqua* re et lA vérité ne sont souvent que le-
reur
blés « Voulez-vous que je vous dis» plus même
m objet, vu de deus points différents.
clairement ce que ja crains.? C'e&t que la Q
Ceptes, les adversaires de la perfectibilité
France réduisant sous sa domination; tout le sont
se excusables de la mécoanaltré, lors-
Rhin, ne retranche d'un seul coup. te moitié. qu'elle
qt Jeur est présentée par des hommes
du collége des électeurs, et que les fonde- qui,
ql en morale, en politîqae, en littérature
niants de l'empire étant détruits,, le corps prennent
pi le nj«>nstF«ettx et Yinom pour.
lui-même ne tombe en ruine, » Leibnitz le nouvenù, qui croient avancer,, lorsqu'ils
trahit dans Ses Nouveaux lissais sur Ven,* ne font que tourner dans un cercle d'er-
ni
tendemmi kuwain ( 1) ces lignes non moinss reurs
r( et de folies renouvelées des Grecs,
e.f ne voient de bonheur pur les
prophétiques, C&u^ qui se croient dé- et. peuples
eh^rgés. de J'importune crainte d'une provi- qque les richesses, et de prwgrès dans ta
dence sUirveillante et à'x\n avenir menaçant, société
s< que les arts.
lâchent la bride à leurs passions brunies et Je me hâte de passer à l'exposition des
tournent leur esprit, à, séduire et. à eorrom- principes,
p sur lesquels la société est fondée.
prèles aulre,&; et s'ils sont ambitieux et d'un Ils sont abstraits comme les prirtoipes de
II
caractère «n, peu, dut, ils seront, capables toute science s'ils^ n'étaient pas abstraits,

pour leur plaisir ou leur avance taçnldj met- il ne seraient, pas généraux t s'ils, n' étaient
ifs
tre It feu qux quatre coins de la (erre, et j'ea p généraux, ils ne seraient p&s principes
pas
ai connu, de cette trempe. Je trouve même, njais
n rapplicfttion sera toujours; à oôtêdela
que des opinions approchantes s'insinuant théorie,
t] et lea faits parltesUers, $ms cesse
peu a, p^u dans!' esprit des hommes du grand raoienés,
r, rendront sensibles, tes -«ues, géné-
monde qui çèglent les autres, et d'où dé- rales. r
pendent les affaires, et se glissant dans les CHAPITRE U.
livres à la mode,, disposent, toutes choses à
la révolution générale dont l'Europe est me- DU
B EOiUVOUl SUPRÊME OU DE LA
SODVERAI^ETÉ.
newée. Si l'on se corrige, ençore de cette
maladie d'esprit épidémique dont les mau- J'appelle podyoir sur la société l'être,

L'auteur écrivait ceci la dernière année du eaç


i de la métaphysique de Locke, qu'il trom'aK;
très-mince sur i'a nature fie l'âi»e.
svni* siècle. Ed t..
( 1 ) Ce profond .philosophe faisait
très-peu de
quoiqu'il soit, qui veut la conservation de de tous les êtres visibles, dans la main de
la société, et qui fait pour sa conservation; son conseil ce pouvoir^ égal chez tous les
l'être qui manifeste une volonté, «t coin- hommes, et par lequel tous les hommes,
mande une action conservatrice de la so- quand ils ne le laissenl pas usurper à leurs
ciété; l'être, en un mot, qui a» dans la passions, sont véritablement libres et égaux;
société et pour la seciété, le VOULOIR et ce pouvoir sur soi, insurmontable à tuut
;le FAIKE» autre qu'à Dieu qui lui laisse sa liberté,
Cette définition convient à toutes les opi- même en triomphant de -sa résistance ce
nions, et elle est reçue par tous les publi- pouvoir constitue la dignité humaine, et
«istes qui distinguent le pouvoir en lé- rend l'homme semblable à Dieu et supérieur
.gislatif ou qui veut, et en exécutif ou
-fait.
qui
à la matière.
Il est à remarquer que l'homme désire
Cette définition convient à tous les états plus vivement le pouvoir sur les autres,
de la société; depuis la création elle-même,à mesure qu'il en a moins sur lui-même.
où un être appelé Dieu a, selon les théistes, De là les troubles que les méchants excitent
voulu et fait toutes choses mandavit et dans la société.
creata sunt (Psal, xxxii, 9), jusqu'à la sim- J'ai parlé de Dieu, et ce mot, signe de
pie famille1 où un être appelé homme, veut contradiction, divise les hommes en deux
ai fait pour la production et la conservation classes, de théistes, qui admettent l'exis-
de sa famine. tence de Dieu, et d'athées qui la nient
Dans ce sens, pouvoir n'est pas différent car où le théiste affirme, l'athée ne fait que
de cause. De là vient, sans doute, que ceux nier c'est un conquérant aui
ne laisse
qui nient l'existence de toute cause première, après lui que des ruines.
ont une secrète disposition à se sous- Ces deux opinions ont une liaison trop
j
Jraire à la dépendance de tout pouvoir immédiate avec les questions qui nous
pubtic. occupent, pour qu'il nous soit permis de
Comme l'être qui pense et qui agit seul les
passer sous silence.
Je vouloir et le faire, seul il a, ou plutôt seul Les théistes sentent que l'homme est
J\ est pouvoir, seul il est cause. Les êtres volonté et action. lis observent en eux-
que nous appelons matériels, même ceux
mêmes toute volonté suivie d'une action
,é« qui nous apercevons un instinct sans
volonté, et des mouvements sans action, <commeactionson
de effet, et hors d'eux-mêmes
toute déterminée par une volonté
n'ont que des facultés, et ne sont qu'oeca-
comme par sa cause les effets sont sensi-
sion des effets qui arrivent (1). bles, locaux, successifs, etdisposés,suivant
Non-seulement l'être qui pense et qui certaines lois, vers
seul une fin qui est produc-
a;it est pouvoir, mais il est toujours ition et conservation. La cause pu volonté

lui.
pouvoir, par cela seul qu'il est pensant et n'est ni sensible, ni locale, ni successive;
on
agissant. Ainsi, l'homme est toujours et idée (2) la cause, on imagine l'effet, c'est-
partout pouvoir sur lui-même et pour sa à-dire, qu'il fait image dans notre esprit, ou
propre conservation, même lorsqu'il n'est qu'il excite
en nous une sensation car
pas pouvoir sur des êtres semblables à imaginer
j ne veut dire qu'imager. Les Ihéis-
|tes considèrent autour d'eux, et ils perçoi-
Ce pouvoir sur soi-même, le premier et le vent
i par tous les sens un nombre immense
plus rare de tous, qui place l'homme, seul d'effets sensibles, imaginables
< par consé-

(1) Condillac donne aux animaux des idées par- s affaires* Son frère, autre esprit faux, a rempli
ses
Ûcuhères et des idées abstraites, à la vérité en petit d'envius
nombre. 11 ne peut pas refuser à plusieurs d'entre
d sa Politique hypothétique.
(2) Le mot idéer nous manquait. Nous le de-
eux la fa culte d'articuler. Je demande ce que vvons in célèbre sourd-muet et professeur de sourds-
l'homme a reçu de plus. Ce sophiste, sans imagi- muets
u Massieu, ou plutôt à son illustre maître.
nation comme sans génie, ne sait embellir ni la vé- Les physiologistes modernes nous disent « La
• rite ni l'erreur sec et triste, parce que sa doc- j jjustesse de nos opinions dépend de l'état de noué
trine conduit à l'athéisme, et qu'il confond sous la (cerveau. Donc le cerveau est la raison de la pen-
dénomination commune d'idées abstraites. les idées Ce
sée,
5 raisonnementest de la même force que
générales, comme celles d'ordre, de sagesse, etc., celui-ci
t t La justesse du tir d'une arme à feu dé-
et lès idées collectives de blancheur, d'acidité. C'est pend
j de la rectitude du canon. Donc le canon est
la le venin de sa métaphysique, digne du succès 1 raison de l'explosion. » Le cerveau est le moyen
la
qu'elle obtient dans les écoles modernes. H a de la actuel de la pensée, comme le canon le moyen <1«
s
clarté et de la-méthode dans les idées, par la même 1 poutlre.
la
raison qu'un homme sans fortune a de l'ordre dans
quent, locaux, successifs, ordonnés aussi b;bien) Pascal, « qui font les entendus ce sont
vers une fin de production et de reproduc- ceux-là qui troublent le monde, » parce que
tion. Ils aperçoivent donc tous les carac- J«
ci
la vérité n'est pas dans le milieu comme la ..J

tères d'une action immense, universelle, vertu.


v
appelée univers, et y idéent par conséquent Les hommes, demande l'athée, ont-ils
}a raison d'une volonté puissante, univer- 1' l'idée d'infini, d'immense, d'éternel? Oui,
selle, cause première de tant d'effets. Car
C ces mots n'auraient pas cours dans
Cette conséquence est raisonnable, puis- leII commerce des hommes instruits, et com-

,que la raison n'est que la perception du me n ces monnaies étrangères qu'on ne prend
rapport des causes aux effets et des effets queq pour la matière, ils ne vaudraient que
.aux causes, et qu'elle est bon sen*ou génie, par
P le son, si les hommes qui se les trans-
selon que les rapports qu'elle perçoit sont mettent
n habituellement n'y attachaient une
vastes, importants et nouveaux. idée;
i< et si ces mots éternité, immense, infi-
Cet être, volonté universelle, cause pre-nité, cause première et leurs semblables ne
iDière, a été connu de tous les peuples, et signifiaient
s pas ce qu'ils doivent signifier,
exprimé chez presque tous par un signe il n'y aurait aucune différence à les pro-
monosyllabique, signe le plus simple de noncern devantdes hommes sensés, ou à dire
3'idée la plus générale, c'est-à-dire la plus comme
c le Médecin malgré lui, quand il
simple. veut
v parler latin, ossabundus, potarinuni,
Les athées reçoivent aussi par tous les quipsa
g milus. Mais les hommes ont-ils
sens l'action des objets extérieurs; mais toutes
t< les idées, ou plutôt l'idée de tous les
ils ne la supposent point fait ou effet, ne attributs
a de l'infini, de l'éternel etc. I?f
savent même pas si elle n'est pas cause, et Non,
I* sans doute; comme le paysan qui
n'y croient point de volonté ils ne pensent, sait
s; ce qu'est un cercle aussi bien qu'un
pour ainsi dire, que négativement, ce qui géomètre,
g et qui en connaît même quelques
appauvrit leurs facultés intellectuelles, au propriétés,
p n'en connaît pas, comme le sa-
point que jamais découverte utile à la vant, v toutes les propriétés; comme les
société ou vaste conception n'est sortie du géomètres
g eux-mêmes connaissaient le tri-
cerveau d'un athée; ils croient concevoir angle
a et ne connaissaient pas tout Je trianT
une action universelle sans volonté qui la gleg avant que l'on eût trouvé la propriété du
détermine, parce que, dans le vague de la rectangle
ri connue sous le nom du carré de
l'
rêverie, ils imaginent un mouvement indé- l'hypolhénuse.
fini sans impulsion qui le commence; mais On voit encore qu'on pourrait classer les
comme. la raison humaine, toujours raison, athées
ai et les théistes, en hommes à imagi-
ou conséquente jusque dans ses erreurs, nationn qui ne veulent admettre que ce dont
il peuvent avoir la sensation ou l'image, et
ne saurait se fier à une opinion qui contre- ils
dit le principe fondamental de toute raison, en
e: hommes à conceptions qui admettent tout
l'éternelle et nécessaire correspondance de ceci dqnt ils peuvent idéer la. raison.
l'effet et de la cause, de l'action et de la Les athées prétendent donc que l'homme
volonlé? les athées, non pas ceux qui affi- a inventé Dieu comme un épouvantai! pour
chent leur athéisme, mais ceux qui le rai- asservir
a: les peuples. On leur a répondu par
sonnent, tombent inévitablement dans le des d preuves tirées de la nécessité de l'être,
pyrrhonisme, nient l'effet après avoir nié la qui
q ne sont pas à la portée de tous les es-
cause, nient l'action après avoir nié la prits,
p ou par la considération de l'univers
volonté, nient l'univers, nient Dieu, se dont d les philosophes ne veulent pas se con-
nient eux-mêmes. Là finit la raison hu- |u tenter. On pourrait, ce me semble, aller plrçs
niai ne. loin
It et prouver, 1° que l'homme n'a pas pu
Les athées tiennent donc l'opinion moyen- inventer
il la Divinité, parce que l'esprit de
ne entre les théistes qui admettent effet et )'l'homme ne peut combiner que des rapports
cause, et Jes pyrrhoniens qui nient l'un et entre
ei des êtres déjà connus, comme son in-
l'autre, ou plutôt qui doutent s'ils nient; ddustrie se borne à varier les formes d'une
et l'on peut remarquer dans plus d'un matière ne déjà existante qu'inventer un être
genre que les opinions moyennes, qu'op serait s< le créer, et qu'ainsi que l'artiste le
décore quelquefois du nom de modérées, plus p habile ne diffère plus du mal3droit
germent naturellement dans les esprits qu'en q ce qu'il donne à la matière des formes
pioyens < Esprits denlre-d'eux, » dit très- plus
p heureuses, le philosophe le plus pro-
!"3
:>'<> TAIV1. I.
PART. fcLULWM. SOC–
I. ECONOM. SUt. ESSAI ANALYTIQUE. 97{
fond ne diffère
ÏOIKi tif r!f» l'homme
ni HP TA de l'l'n-»n'»mo le plus
la ni ne borné pue hautes
hÀrn^ ces IiquIak f..Xn.Iniin«r-.
spéculations Bonnet,
ïi^ ^» Hugues
qu'en ce que l'un saisit des rapports justes. Blair, et Sicard, conviennent « que les phi-
tt._
entre les êtres, et que l'autre les ignore. Et losophes n'ont fait encore que balbutier sur
de là vient qu'on a trouvé à la fois chez les l'objet important de la formation du lan-
sauvages les plus abrutis la connaissancede gage, » et pensent, ou que le Créateur a
quelque être bon ou méchant supérieur à communiqué à l'homme les éléments du
l'homme, et l'ignorance des rapports de langage, laissant à la société le soin de les
l'homme avec la Divinité. développer, ou, ce qui revient au même,
2° Qu'un homme ne peut pas parler aux que le Créateur fait l'homme parlant (2)
a
hommes d'un être qui ne peut pas être, et: Je reviens à la société. Les théistes la con-
être entendu d'eux de manière à régler leurs sidèrent aussi comme une grande action,
volontés et leurs actions car on ne peut puisqu'elle est sensible, locale, successive,
parler aux hommes que de ce qu'ils con- ordonnée, suivant certaines lois, vers une
naissent l'homme qui instruit développeles fin qui est la conservation des êtres. Tou-
rapports et ne donne pas des idées, et l'on jours conséquents, ils voient une volonté
ne peut pas plus faire idéer l'impossible, que sociale qui dirige cette action sociale, une
faire imaginer l'inexistant (.1). cause qui produit cet effet.
3° Une autre preuve de l'existence d'un Cette cause, nous l'avons appelée pouvoir
être intelligent supérieurà t'homme, preuve suprême ou souveraineté et. ici naît le dog-
plus sensible et dont le développement, of- me de la souveraineté de Dieu, selon les
frirait un grand intérêt, est tirée du langage uns, potestas ex Deo est, et celui de la sou-
des hommes. La métaphysique moderne a veraineté de l'homme on du peuple, selon
fait un grand pas en prouvant que l'homme les autres opinions célèbres, exclusives
a besoin de signes ou mots pour penser l'une de l'autre, puisque la raison dit qu'on
comme pour parler; c'est-à-dire, que l'hom- ne peut pas supposer une cause première
me pense sa. parole avant de parler sa pen- sans lui attribuer un pouvoir souverain, et
sée, et c'est ce qui fait qu'il s'énonce avec que les faits prouvent que l'opinion de la
peine toutes les fois qu'il veut rendre dans souveraineté du peuple a toujours suivi ou
une langue étrangère ce qu'il pense dans sa précédé, dans un Etat, Ia propagation de l'a-
langue maternelle. 11 en résulte que l'hom- théisme..
me n'a pas pu inventer les signes, puisqu'il S'il y a des athées qui rejettent la souve-
lie peut inventer sans penser, ni penser sans raineté du peuple, et des théistes qui l'ad-
signes. Ici l'expérience confirme le raison- mettent, c'est que les hommes, rarement
nement, puisque nous voyons constamment conséquents, sont presque toujoursmeilleurs
la faculté de parler sans exercice, lorsque la ou pires que leurs opinions.
faculté d'ouïr est sans activité. I! faut donc Les théistes qui ne placent pas la souve-
recourir à un autre être que l'homme, pour raineté dans Dieu, sont les déistes, qui ont
expliquer, non la faculté d'articuler, dont un
nom commun avec les théistes, et des
les animaux mêmes ne. sont pas totalement principes communs avec les athées; sembla-
privés, mais l'art de parler sa pensée, parti- bles à ces petits princes qui, placés entre
culier à l'homme seul et commun à tous les des puissances belligérantes sont tantôt
hommes; cette vérité sera tôt ou tard mise pour l'une, tantôt pour l'autre, et périssent
dans le jour qui lui convient. Depuis long- par toutes deux. Les déistes admettent le
temps Jean-JacquesRousseau y a été conduit Dieu créateur, et rejettent le Dieu conser-
en discutant le roman absurde de Condillac. vateur et législateur. C'est encore là une
« La parole,».dit-il, «me paraît avoir été fort opinion moyenne.
nécessaire pour inventer la parole; » et de Les théistes, ou plutôt le théisme, place
-meilleursesprits, plus exercés que le sien à donc le pouvoir suprême sur tes hommes

( 1 ) S'il n'y
a en nous aucune vérité antérieure soient individuelles ou collectives, car le collectif
aux leçons de nos maîtres, pourquoi ne puis-je pas n'est pas le général.
<iire à un enfant que la ligne droite est la plus lon- (2) L'institution des sourds-muets consiste à
gue entre deux points, et bâtir sur cet axiome une leur l'aire entrer par les yeux les signes que nous
géométrie inverse et négatiuë? L'expérience redres- recevons par les oreilles: jusque-là les sourds-
sera l'enfant, dira-t-on. Vous admettez donc l'idée muets ne pensent que par images c'est ce qui fait
générale d'un ordre immuabte; car cette idée est le qu'on les instruit perpétuellement par le dessin.
sou fondement de la certitude générale que nous
tirons d'expériences particulières soit qu'elles
d tous, ils se refusent àce sacrifice, relien-
de
en 6ociété hors des hommes dont il doit it
régler la volonté et diriger les actions tel ï\ nent,
n chacun à part soi, cette. mise com-
semblables à des associés infidèles,
que ce célèbre mathématicien qui, pour ir mune,
v
soulever la terre, demandait un point d'ap- )- profitent,
p pour se nuire les uns aux autres,
pui placé hors de la terre et l'athéisme place
;e ddes affaires qui les rapprochent, et s'oppri-
le pouvoir suprême sur les hommes dans is ment
n réciproquement partout où ils ne por-
les hommes mômes qu'il doit contenir, et tent
t< dans la, communauté que ce qu'ilsont
veut ainsi que la digue naisse du torrent. chacun
c de raison et de bonté.
Le germe de cette dernière opinion est st Ces deux systèmes sur la souveraineté
dans une idée fausse sur la société idée, e, dans
d la société correspondent parfaitementà
ou reste, qui devait naître dans un siècle le deux
d systèmes sur la souveraineté de
d'agio, et chez des esprits que la cupidité a l'
l'homme sur lui-même ou sur sa raison
dirigés tous vers les spéculations mercan- i- h uns ne donnent d'autres règles à sa rai-
les
tiles. On ajoué sur les mots, et comparé la
la sson que sa raison môme; les autres lui don-
société politique, société nécessaire, à une
ie nent,
n dans une loi divine, une règle supé-
société de commerce, qui n'est qu'une asso-o- fuieure à sa raison.
ciation contingente et volontaire et l'on a De là suivent, pour l'homme et pour la
prétendu que les hommes avaient mis en 'n société, deux effets entièrement semblables
commun leurs intérêts sorÀauXy comme ils y y j $
l'impossibilité
1 de redresser la raison hu-
mettent leurs intérêts pécuniaires, leur être
re maine
n si elle s'égare, et le peuple souverain
eomme leur avoir. Mais ces politiques de ie s'il
s abuse de son pouvoir et parce que tout
comptoir, qui abondent en Europe, n'ont nt i irréformableest nécessairementinfailli-
être
pas fait attention que, dans une association
>n ble,
£ puisqtfaucun être ne peut lui faire ùper-
commerçante, les hommes mettent en com- 3' cevoir
c qu'il a failli les mêmes philosophes
mun de la cupidité, pour la satisfaire, et de
le ont
c été entraînés à soutenir là rectitude
l'argent, pour en gagner,, au lieu que dansus naturelle
r de la raison humaine, et l'infailli-
é,
la société, ils mettent chacun leur cupidité, bililé
1 du peuple, et en sont venus jusqu'à
leur orgueil, leur ambition leurs passionsas ces
c deux principes, l'un religieux, l'autre
enfin, et qu'il doit en résulter un désinté-
&- politique,
y
textuellement avancés et haute-
ressèment général, une obéissance générale, e, ment
r soutenus par les réformateurs reli-
une modération générale, une raison gêné- é- gieux
g du xv' siècle et par les législa-
rale enfin qui comprime toutes les passions; :£' teurs
t révolutionnaires du nôtre; ces deux
et les passions, de tous. principes
j semblables dans le sens et même
Et qu'ion ne dise pas que si les hommes es dans
c les termes, et dont je prie le lecteur de
portent dans la société leurs passions, ils y Jméditer le parallélisme l'un,
portent aussi leur raison et leur bonté car ar Que la raison des hommes n'a pas besoin
s'ils avaient seulement autant de raison que Je d'autorité
t visible pour 'régler sa croyance
dé passion, c'est-à-iiire autant de force qu'ils
ils religieuse,
7
ont de faiblesse, ils n'auraient besoin d'au- a~ Principe de la révolution religieuse de
cun culte, d'aucun gouvernement, d'aueun\nj Luther
1 et de Calvin, qui abolit l'autorité
état publie de société. Mais la société publi- visible de l'Eglise, et consacre le sens privé
que est le moyen nécessaire de la conserva- t l'inspiration particulière;, l'autre
et
tion du genre humain, puisqu'en elle est le
Que l'autorité des hommes Va pas besoin
pouvoir qui réprime les passions destructi- ti-
d'avoir
l raison pour valider leurs actes poli-
ves des hommes. La société est donc réglée aq
ltiques,
et ordonnée par la raison de l'Etre suprême, e
qui est dans la société, ou plutôt en qui est>st Principe de la révolution politique ..avancé
la société, comme dans le créateur des êtres es jpar Jurieu contre Bossuet, et répété dans
1les mêmes termes à l'assemblée constituante
et l'auteur des moyens nécessaires de leur ur
conservation et, bien.loin que les hommes es par
1 des orateurs qui ont péri victimes de
livrés à eux-mêmes eussent consenti à se ses
£ conséquences.
placer dans un état qui exige le sacrifice de Les théistes croient au contraire que l'in-
leurs passions personnelles,, placés forcé- é- ttelligence souveraine donne des préceptes
ment dans cet ordre social, toujours anté- ;é- ài la raison humaine, et la redresse si elle
rieur à l'existence de chacun, puisqu'il 'il s'en écarte; qu'elle donne des lois aux
rdsulte nécessairement de la multiplication an sociétés,
i et les y ramène, si elles les vio-
lent, par les malheurs mêmes qui naissent sont aussi ses volontés, et il n'y aurait plus
do leur désobéissance. de société possible entre Dieu et l'homme,
si Dieu agissait par des lois étrangères à laa
CHAPITRE III. nature de l'homme, et à son état présent ou
APPELÉ PROPRE-
.futur. Dieu fera donc parler ou écrire des
DU POUVOIR SCBORDONKÉ hommes pour instruire les hommes, et de
MENT POUVOIR.
quels autres moyens, en effet, proportionnés's
Quoi qu'il en soit des deux systèmes que à la nature humaine, l'Etre suprême pour-
nous venons d'exposer sur le pouvoir sou- rait-il se servir? Car qu'on y prenne garde,
verain de vouloir et faire pour la conserva- l'homme ne peut pas imaginer le moyen du
tion de la société, il est vrai, et dans toutes l'action de la suprême puissance, parce que
les opinions, que les hommes ne connaissent les sens corporels qui lui transmettent des
une volonté que par le signe qui l'exprime, images et des sensations, n'ont rien de com-
et que les sens transmettent à leur esprit, mun avec l'être simple. Mais la raison de
et qu'ils ne reçoivent une actiun que par l'homme peut concevoir la raison des volon-
ses effets sur leurs sens. tés de la suprême sagesse, parce que la rai-
Ce sont là les conditions ou lois générales sou humaine, qui n'est que la perception de
de l'union des deux substances, êtres ou la raison des êtres, est non égale, mais sem-
facultés qui constituent l'homme, la, pensée blable à la suprême raison, et faite d sa
et le mouvement, la volonté et l'action, ressemblance. Dieu ne pourrait donc ins-
l'âme et le corps; et si cet ordre était dé- truire les hommes par lui-même, et sans la
.rangé, tous les rapports entre les hommes médiation d'êtres semblables à l'homme.,
seraient renversés, toutes les lois illusoires qu'en parlant lui-même à toute la société;
et toute société impossible. ou en éclairant chaque individu par une
En effet, Dieu exécute sa volonté; il agit inspiration particulière. 1° Mais Dieu ne
donc par leslois.générales qui sont l'expres- pourrait se faire entendre lui-même et im-
sion de sa volonté, comme étant le résultatt médiatement de tout un peuple à la fois,
des rapports entre les êtres créés; et tant sans changer les lois ordinaires des sensa-
.que cette volonté subsiste, il ne peut rien tions humaines, détruire tout libre arbitre
contre ces lois, parce qu'il ne peut rien par cette action humaine, puisqu'elle s'exer-
contre sa volonté. Il y a des lois générales cerait sensiblement sur. des hommes, et
qui gouvernent le monde sensible, ou des surhumaine tout à la fois, puisqu'elle serait
corps,' et des lois générales qui gouvernent constamment contre le système de l'homme;
le monde social, le monde des intelligences. car, comme un peuple s'éteint et se renou-
Ces lois ne peuvent pas être opposées les velle continuellement,, il faudrait supposer,
unes aux autres, car alors Dieu se contredi- à tout instant et en tout lieu, cette instruc-
rait lui-même; il n'y aurait plus ni ordre tion immédiate perpétuellement subsistante
'matériel, ni ordre social; il n'y aurait plus dans la société pour l'instruction successive
rien car tes êtres ne sont que dans un cer- de toutes les générations; supposition évi-
tain ordre, et en vertu de certaines lois. demment inadmissible, qui, contrariant
C'est une loi générale de l'ordre social ou également la nature de l'homme physique
moral, que l'homme tel que nous le con- et l'ordre constant des communications
naissons (et nous ne pouvons pas connaître sociales, place l'homme hors de la société
un homme autre que nous, ni raisonner ou la société hors du temps.
dans cette hypothèse), que l'homme, dis-je, « Cette intervention extraordinaire, dit
connaisse la pensée par la parole qui l'ex- Ch. Bonnet, «ne serait-elle pas un miracle
prime et c'est une loi générale de l'ordre perpétuel ? et un miracle perpétuel serait-il
physique et du monde des corps, que cette bien un miracle? et une pareille invention
parole soit manifestée par des signes que le serait-elle bien dans l'ordre de la sagesse?»
son transmet à l'ouïe, ou que des figures 2° La supposition que Dieu fasse con-
tracées présentent aux yeux, et que cette naître ses volontés sociales ou générales à
parole soit parlée ou écrite par des êtres chaque individu par une inspiration parti-
semblables à l'homme qui parle ou qui culière, laisse la société sans garantie contre
écrit. l'enthousiasme qui raconte des visions ou
Dieu, pour faire connaître à l'homme ses la fourberie qui en invente et ce moyen
volontés, ne peut donc renverser les lois qui individuel et privé ne peut, sans contradic-
tion, être proposé pour règle à la société. sion publique de la volonté du souverain,
C'est ce qui a perdu les sectes protestantes, manifestée à la société.
qui, à la place d'une autorité visible par- Celte théorie des lois générales de l'ordre
tante et écrivante qu'elles ont rejetée, ont moral de l'univers sur lequel je me suis
érigé le sens privé et l'inspiration particu- •étendu à dessein est la considération la
lière en loi générale et constante de la so- plus vaste que la méditation puisse offrir
ciété fanatisme insensé qui peut consacrer aux pensées de l'homme. Le sentiment de
toutes les visions et légaliser tous les for- la constante régularité de cet ordre général
faits!1 est le fondement de tout ordre particulier
dont l'homme ici-bas est l'instrument,quand
Les deux moyens de communication im- il n'en est pas le ministre, et qui fait que
médiate de Dieu aux hommes que nous l'homme domestique travaille avec la certi-
venons d'exposer, ou d'une pensée sans pa- tude de recueillir le fruit de son labeur, et
i\)le et par inspiration à chaque homme, ou que l'homme public agit avec la certitude
d'une parole de l'être incorporel, entendue qu'il résultera du bien de son action. Je sais
immédiatement par des êtres corporels, sont que des Chrétiens plus pieux qu'éclairés
donc également contraires aux lois géné- craignent d'ôter quelque chose à ,1a puis-
rales de l'ordre présent et dans lequel nous sance divine, s'ils ne lui accordent que d'ê-
vivons. Ils ne sont donc pas; et c'est pro- tre souverainement absolue, et qu'ils vou-
prement du fanatisme que de supposer entre draient encore qu'elle fût perpétuellement
les êtres, comme le fait Jean-JacquesRous- arbitraire ils s'indignent dans l'amertume
seau, des moyens de communication hors de de leur zèle ou dans l'impatience de leur
l'ordre naturel et constant. « Ce que Dieu humeur, de voir luire le soleil sur les mé-
veut qu'un homme fasse, dit-il, il ne le lui chnnts comme sur les bons ils voudraient
fait pas dire par un autre, il le lui dit lui- faire descendre le feu. du ciel sur les villes
même et l'écrit au fond de son cœur » II coupables, et qu'une catastrophe générale
y a dans ce passage autant d'erreurs que de punît des désordres particuliers; mais le
mots. Où sera donc la règle publique et so- vrai philosophe franchit par la pensée le
ciale des actions humaines ? Chaque homme court espace des lieux et des temps il voit
sera donc juge.de ce qui est écrit au fond de l'ordre éternel, universel, nécessaire, domi-
son cœur, puisque seul il y peut lire. Et sur nant tout ce qui est temporaire et local, et
quelle loi la société pourra-t-el!e juger celui l'homme rebelle à ces lois constantes, ra-
à qui Dieu a parlé lui-même, on condamner
mené à l'ordre par le châtiment, s'il n'y est
des actions dont l'homme assurera avoir lu
l'ordre écrit au fond de son cœur? Comment pas parvenu par le repentir.
Les sophistes qui abusent de tout ont dit
dans un Etat; les tribunaux jugeraient-ils
les coupables, si le prince n'eût intimé à et sous toutes les formes, que la prière que
l'homme adressait à la Divinité était inutile
ses sujets les lois qu'en parlant à l'oreille
• de chacun d'eux ? ou même absurde, puisqu'elle ne pouvait
changer les lois générales de l'univers. Sans
Les sophistes, comme Toussaint et Hèl- doute, l'homme religieux ne demande pas à
vétius, qui ont nié lé pouvoir du père et les
l'Etre suprême de suspendre la marche des
devoirs des enfants,etJean-Jacqueslui-même lois générales, mais d'arrêter les effets db
qui a étouffé les sentiments paternels, n'a- ses passions et de celles des autres qui
vaient donc sur ce premier objet des affec- l'empêchent d'être en harmonie avec ces
tions de l'homme et de ses obligations, rien mêmes lois générales qui vont à. la vérité,é
d'écrit au fond de leur cœur? Cette écriture sans lui, mais hors desquelles il ne peut vi-
peut faire image dans une déclamation et ar- vre bon et heureux. Or cette demande est
rondir une phrase mais on ne fonde pas la raisonnable parce que les passions humai-
société sur une métaphore, et le christia- nes peuvent être changées ou comprimées,
nisme, qui entend bien mieux les intérêts puisqu'elles ne sont réglées par aucune loi,
de ia société et l'ordre des relations des et qu'elles agissent même contre toutes lés
êtres entre eux, loin de nous livrer chacun lois. Dieu, dira-t-on, connaît nos besoins.
à. notre sens privé et à nos inspirations per- Sans doute, mais il veut que nous les con-
sonnelles, nous défend d'écouter les révéla- naissions nous-mêmes,puisque c'est la pië-
tions même d'un ange, si elles étaient con- mière condition nécessaire pour être sou-
traires à la parole ou à l'écriture, expres- lagé il veut surtout, que nous implorions
son secours et ce rapport du sujet au pou-
~a~ .a"&
dans l'ordre des communications établies,
voir est lui-même une loi générale de l'or- qu'un homme parle pour que tous enten-
dre -social, comme 'le rapport du pouvoir au dent, qu'un homme commande pour que
sujet. Au reste, il est conséquent que ceux tous obéissent; et il est naturel encore et
qui nient que Dieu ait parlé aux hommes, conforme aux perceptions de notre raison,
iip veuillent pas que l'homme parle à la Di- que cet homme envoyé de Dieu pour ins-
vinité, et qu'ils ne connaissent plus de truire ses semblables, accréditeauprès d'eux
devoir, là où ils ne voient pas de pouvoir. sa mission divine, et que toujours confor-
Dieu emploie donc des moyens dans l'or- mément à la nécessité de la correspondance
dre de la nature humaine, pour intimer aux entre la volonté et l'action, il paraisse le
sociétés humaines ses volontés suprêmes; ministre d'une action divine, puisqu'ils'an-
il se sert d'un être humain pour parler aux nonce comme l'organe des volontés divi-
hommes, parce qu'il est naturel, c'est-à-dire nés .(]).
(I) La question particulière de l'action divine vent ici une succession d'hommes et de choses,
ou des niiracles, signe auquel on contredit, ne peut bien loin d'y idéer un rapport avec l'effet produit,
pas en être une entre les théistes et les alliées, toutes mes idées se confondent; je ne vois plus
puisqu'elle rentre dans la question générale des même des rapports, et je me perds dans le vague
'existence de Dieu. Elle est donc uniquement agi- des probabilités, lorsque j'observe que les mêmes
tée entre les théistes; mais elle serait aujourd'huii hommes et les mêmes choses produisent, dans des
.[lus éelaircie, peut-être, si l'on eût proportionné» cas quime paraissent semblables, des effets opposés
Sa défense à l'attaque, si l'on eût senti que rien entre eux, comme la vie et la mort, et que les ma-
n'était plus propre à établir la vérité des faiis de> lades meurent plus souvent qu'ils ne guérissent, effet
ce genre que d'en prouver la nécessité, je veux dire> dont l'un est aussi inexplicable que l'autre. Que le
la conformité aux rapports naturels des êtres eni médecin guérisse seul à l'instant et d'un mot, ou
société, et aux lois générales de Tordre qui lesi avec une ordonnance, et le secours du temps, des
régit et qu'en même temps que les uns soutenaientt hommes et des drogues, la raison humaine n'idée
par l'histoire
armes de la
que
critique,
les autres attaquaient avec les
ils eussent aussi défendu par
rien, absolument rien du rapport ou raison parti-
culière du moyen qu'il emploie; et toutes choses éga-
des raisons métaphysiques ce que l'on combattaitt les sous cet aspect, elle a de plus pour croire ce lait
par des arguties de dialectique. surhumain,dans la circonstance donnée, une rauon
Cette discussion eût prouvé qu'il y a une raisont générule qu'elle ne peut avoir pour le fait humain,
plus générale, plus de raison par conséquent, pourr parce qu'il est évident que le législateur dé la so-
croire, dans une hypothèse donnée, un fait-surliu- ciété a, pour opérer la guérison d'un matade, une
main, que pour croire un fait purement humain; raison surhumaine et bien autrement importante
et c'est uniquement et précisément ce qui lait que» que celle du médecin pour traiter ses pratiques.
les mêmes hommes, des hommes sages, qui ontt Le témoignage de mes sens ou des sensd'autrui,
versé leur sang pour la croyance de l'un, n'au- qui peuvent avec certaines conditions, remplacer les
raient mis assurément aucun intérêt à soutenir miens (et la société et la vie entière roulent sur
l'autre. cette compensation), me rapportent donc des mys-
lui effet, étant donnée la raison la plus générale> tères d'un côté ou d'autre, même des prodiges,
possible, la raison de l'établissement de la société» c'est-à-dire des effets dont le rapport est inconnu
religieuse universelle (et elle existe sous nos yeux), avec le moyen qui les opère et s'il y à miracle
je conçois la raison d'une guérison instantanéeque d'une part, c'est-à-dire action faite pour une cause
le législateur donne en preuve de la vérité de sai divine, générale, sociale, action où l'Etre éternel
doctrine, et j'idée un rapport juste et naturel entre> agit sans succession de temps, l'Etre simple sans
action forte et volonté sage. A la vérité je ne vois composition de parties, l'Etre infini sans disposition
rien, pas même de succession de temps, entre lai de lieu, il y a, pour croire ce fait hors de l'ordre
volonté et l'action, entre le commandement du mé- commun des faits, mais non contre l'ordre général
decin et la guérison du malade; là ou je conçois des possibilités, une raison hors de l'ordre commun
par ma raison une raison générale, et là plus géné- des motifs contingents et particuliers, mais non
rale possible à Cette volonté, je n'imagine pas, parr contre l'ordre des idées générales et nécessaires, et
aucune entremise de mes sens, le moyen particulier r la raison stiflisante de croire s'y trouve abondam-
tie cette action. ment, car il y a plus de raison pour croire le géné-
Dans la guérison successive de la même maladie rai que -le particulier, le nécessaire quelecontin-
parles voies ordinaires,je conçois une raison, celle gent, l'être de Dieu que J'existence de l'homme.
<Je rétablir un homme d'une infirmité physique, rai- Au reste, il est singulier que les détracteurs les
son individuelle et particulière, si je la conpare à plus acharnés des mystères et des miracles soient
civile du rétablissement de l'humanité même de l'état tes médecins, de tous les hommes ceux qui propo-
d'ignorance et d'erreur. Je vois, il est vrai, entre la sent à notre simplicité le plus de mystères, et qui,
volonté et l'action, le médecin et le patient, uni à la lettre, opèrent sous nos yeux le plus de prodi-
milieu ou moyen ce sont des paroles, des opérations, ges, puisqu'ils ôtent et donnentla vie par les mêmes
des remèdes, du temps enfin pour tout cela; mais moyens en apparence, et sans qu'ils puissent plus
ce serait une grande erreur de croire que j'en con- que nous connaître le rapport du moyen employé à
çoive davantage la raison de tant de parlage, d'ins- l'effet produit; et c'est ce qui a lait leur réputation
truments «l de matières c'est-à-dire leur rapport de sorcellerie dans un temps, et de science dans
avec l'effet produit, et Ja cessation plus ou moins un autre.
prompte de cet état de mon corps appelé fièvre, inac- La résurrection d'un mort appartient à un autre
cessible même aux conjectures ni que les chimistes ordre de possibilités, et au système des lois généra-
et les botanistes aient au fond une autre raison à les de l'ordre iïuur, état qui n'est pas étranger à
donner que celle de Molière de la question Pourquoi l'homme, puisque tous les peuples en ont eu l'idée,
'l'opium (ait dormir? Et quoique mes sens perçoi- et qui n'est p'it être pas impénétrable à la raison
Ainsi nécessité (on sait que ce terme ne l'action-
1 souveraine, s'appellent proprement
signifie en philosophie que la conformité pouvoir,
3 puisqu'ils ont le vouloir et le faire
aux rapports -naturels des êtres) <nécessité; ï la société et l'on dit effectivement le
sur
1" que le souverain donne la mission; 2° pouvoir
3 en parlant des chefs visibles de toute
que lie pouvoir parle en son nom ;3° que les société pouvoir paternel ecclésiastique,
sujets enftmctaw ses ordres trois lois géné^• politique,
] etc, mais ce pouvoir est subor-
raies, résultat des rapports de là nature donné
r au pouvoir suprême du souverain,
physique et morale des êtres donc trois JDieu ou peuple, puisqu'il ne fait, après tout,
vérités nécessaires, relatives l'une à l'autre, •< que manifester sa volonté suprême, et exé-
et absolument inséparables, que lie plus pro- i«uter en son nom son action suprême.
fond interprète de la science de la sociétéî Or je vais plus loin, et j'avertis ici le
renferme toutes sous cette conclusioncourtei Jlecteur de chicaner opiniâtrement le prin-

et pressante La croyance vient de* Tpuïe <cipe, de peur d'être forcé d'admettre la con-
comment entendront-ils, si on ne leur parle ?f séquence'.
tomment leur parlera-t-on, si l'on n'est en- Le pouvoir existe donc, sous un nom ou
voyé?(Jo«m.x, 17, 14,- 15.) sous un autre, dans toute société; màis j'a-
;•

Le peuple aussi, quand il exerce sa pré- vance comme un fait Que l'unité même phy-
tendue souveraineté, envoie des hommes3 sique de pouvoir existe toujours dans toute
qui.se prétendent organes de ses volontéss société, c'est-à-dire, qu'il n'y a jamais qu'un
et ministres de son action, des hommes ài seul homme à la fois qui, énonce une volonté,
qui il permet de vouloir, et surtout de fairé. et commande une action. dans la société.
l»ieu, à cause de l'incorporai et de la sim- Ainsi le fait prouve l'unlié physique, comme
plicité de son être, n'agit pas immédiatementt la raison démontre ]a nécessité de l'unité
et sans médiateur, sur l'homme sensible le3 morale; car elle dit, que s'il y avait à là fois
peuple» par la raison contraire et à cause de3 dans la société deux volontés et deux ac-
sa (multiplicité même, ne peut être entendu1 tions, il y aurait bientôt deux sociétés.
quand il parle, ni faire quand il se meut; Je n'ignore pas que les apparences et le
et si les Hébreux persuadés de la dispropor- langage usuel sont contraires à cette asser-
tioh de l'action immédiate de la Divinité à tion mais il faut dans les sciences morales,
la faiblessedes organes humains, craignaient, comme dans les sciences physiques, corriger
nous dit leur historien, que Dieu leur par- le témoignagedes sens, expliquer les appa-
lât, lui-même de peur qu'ils ne mourussent t ronces» et remonter aux éléments du lan-
{Exod. xx, 19), nous savons» par une expé- gs. L'homme sage, dit le prophète, ne ju-
'.rience récente, que la volonté du peuplee gera pas toujours sur le rapport de ses yeux
souverain prononcée aussi du haut de laa ou de ses oreilles (§),
montagneyavec le bruit du tonnerre et lee 1" A commencer par la société domestique
fracas de 1'ôfage, donne infailliblement laa ou la famille, il est évident qu'un homme
mort à la société où elle se fait entendre. unique est pouvoir, et qu'il ne peut y en
Les livres révérés des Chrétiens confir- avoir deux. Les lois de là nature physique
ment par leurs récils, et le paganisme parr établissent la nécessité de cette unité phy-
ses fables, cette croyance de l'univers, quee sique, et les lois de la nature sociale qu'on
la Divinité incorporelle manifeste sa pré- appelle les lois politiques et civiles, surtout
les lois romaines, la confirment et l'éten-
sence à la société des êtres corporels, parr
l'entremise d'êtres semblables à eux, et lee dent. Quelques sophistes ont méconnu le
raisonnement en établit la nécessité (1),|, pouvoir domestique et paternel, et des lois
je veux dire la conformité à l'ordre cons- rédigées sur leurs systèmes ont porté at-
tant et aux lois générales de notre nature. teinte à ce pouvoir, le premier dans l'ordre
Ces êtres humains, organes des volontéss du temps, de tous les pouvoirs humains, et
souveraines dans la société, et ministres dee supposant égaux entre eux des êtres qui ne

humaine; etCh. Bonnet «prouvé qu'elle peut aller ;r son existence.


loin sur ce sujet. Au reste, les sophistes eux-mêmes :s (1) Nécessaire, en métaphysique, ne veut pus
n'ont pas cru que la durée indéfinie de la vie de
ie dire obligé, mais tel qu'il ne peut être autrement
l'homme, prodige à peu près du même ordre quee sans choquer La nature des êtres. Ainsi, l'amour
contraire lois générales de d'un fils pour sou père est nécessaire ou conforme.
sa résurrection, fût puisque Condorcet
aux
espère et
e
;t à la nature de ces èires main il n'est pas obligé,
la nature humaine,
posthume, qu'on décou- puisque plusieurs enfants se refusent à cet amour,
annonce. dans un ouvrage [-
(2) Non secundnm visionem ocvloruin judicabil,
quelque jour !e secret, il n'ose pas diree
vrira
de ne pas mourir, nmis dç orolotme.r indéfiniment Il neqxte sccundum audiium aurium nryuel, (Isa. XI, 5.)
sont que semblables, ont brisé le pouvoir J'ai honte d'énoncer une vérité aussi sim-
marital, et affaibli, anéanti même le pouvoir mais travers toutes les formes dont
ple
paternel. Les mêmes hommes, entraînés par se compose la législation dans un Etat po-
les mêmes principes, ont méconnu la nature pulaire, le nombre de
ses députés et le par-
du pouvoir public, et comme ifs avaient tage de ses orateurs, je
ne vois qu'un hom-
soustrait les enfants dès l'âge des passions me qui propose une loi et des hommes qui
à l'autorité domestique, ils ont soustrait les l'acceptent; car si deux voulaient la
propo-
peuples à l'autorité publique dansJa crise ser à la fois, il faudrait, de nécessité physi-
des révolutions, en leur permettant de s'în- que, < donner la parole à l'un et l'ôter à t'au-
snrger contre le pouvoir, et même de le dé- tre. 1 Une assemblée législative n'est donc à
poser; et ifs ont ainsi légalisé la révolte la 1 lettre et physiquement qu'une loterie de
dans la société domestique, et la révolte pouvoir1 où on le tire à chaque délibération.'
dans fa société publique, état affreux impos- JL'avis qui prévaut qui
et passe en loi, est
sible même de société, et le nec plus ullra une i volonté qui dirige l'action du gouverne-
du désordresocial (1). ment. Celui qui l'a émis a donc eu réelle-
2° L'unité physique de pouvoir est évi- ment, i dans ce moment et pour cette cir-
dente dans la monarchie, puisque monar- (constance, le vouloir et \é faire. Il donc
chie n& veut dire qu'unité de pouvoir. Il est cété le pouvoir du jour et du moment;a
et que.
intéressant de remarquer que la nature de 1le vote ait été public
ou secret, qu'on ait
Thomme-pouvoir est exprimée à découvert voté par appel nominal
ou par assis et levé,.
dans les langues des peuples du nord de il i a prononcé entre les votants, comme le
notre continent, qui, seuls dans l'univers roi i en son conseil. Quand un homme pro-
connu, forts de la nature et de ses lois, {pose une loi et qu'un autre la combat, le'

langue antique et la sagesse de leur consti- modifie,


|
conservèrent la simplicité native de leur pouvoir est incertain entre
eux; et sil la
i et que la loi passe avec la niodifi-
tiition primitive, contre l'artifice de fa lan- câtion,
c ce sont deux pouvoirs qui se sont,
gue des Romains, et les combinaisonslabo- rapidement
r succédé, puisque ce sont deux
rieuses de teurs institutions démocratiques. volontés qui sont chacune devenues loi.
Dans toutes les langues d'origine scythi^ Voilà pourquoi toute assemblée doit être
que, celtique, germanique, teutonne, etc., een nombre impair, ou avoir la faculté de s'y
et depuis la Moselte jusqu'au Kamtschalka, réduire
r en cas de partage, et qu'on suppose;
J'homme revêtu du pouvoir public s'appelle même n ce nombre impair là où il n'est pas,
Sœnig, King, Kan, Chagan, Kien, mots qui en e supposant un votant qui n'existe point,
ont tous pourracine le verbe Eœnnen, qui; ce c qu'on appelle donner à quelqu'un la voix
dans leur langue, signifié pouvoir, et que ces prépondérante,
p car le nombre impair est ce-
peuples disent familièrement l'homme qui lui li où l'unité excède, domine sans cela, cent
peut, comme nous disons emphatiquement, mille n opinions pourraient ne jamais devenir
potentat. Il n'est pas inutile d'observer que une
u volonté', cent mille bras ne jamais faire
ces langues paraissent n'être que les divers uneu action, et cent millions d'hommes ne
directes d'une langue extrêmement ancien- jamaisjl former une société. C'est ce que dit
ne de la haute Asie berceau des hommes ou o veut dire Montesquieu « Le peuple est
et des sociétés, L'étymologie et la remarque monarque
n par ses suffrages, qui sont ses
sont de Leibnitz. volontés.
v Ce monarque a toujours trop ou
3" L'unité physique de pouvoir est cer- trop peu d'action quelquefois avec mille
ti
taine même dans les Etats populaires, aris- bbras, il renverse tout; quelquefois avec mille
tocratiques- ou démocratiques; car c'est au pieds,
p il ne va que comme un insecte. »
fond le même gouvernement. Lé nombre des On voit la raison des troubles éternels
hommes qui prétendent au pouvoir ou l'exer- ddont les Etats populaires sont agités. Là où
cent, peut importer beaucoup à la tranquil- chacun
c) peut à son tour être pouvoir, il est
lité d'un Etat; mais il ne change rien à- la h
inipossible que plusieurs à la fois ne vexi.il-'
nature de sa constitution. lent
le être pouvoir (2)•
(1) On sait que les Romains renforcèrent le (2) Si l'on me reprochait de donner dans, des
pouvoir domestique à l'instant où,par leur révolu- abstraciïonsjerépondraisqu'il n'y a rien de motit»
al
lion politique,ils affaiblissaient le pouvoir public. abstrait
al que l'unité physique. Ce reproche serai»
Nous avons fait toitt le 'contraire. Aussi les Ro- beaucoup mieux adressé aux partisans de la sauvo-
bf
mains conservèrent longtemps teins mœurs, et raineté
ra du peuple. Je me rappelle qu'il parut, quel-
bous avons achevé de perdre les noues. m
eues jours avant le 18 fructidor, un petit ouvrage
987.. OEUVRES COMPLETES DE M.
CO UJ, m. DE BONALD, GSS
98»
1HV JBUWALiLfi -
w .'et même
V L'unité A physique
__1 _• -1_ de pouvoir J 1-le souverain et le
tre 1 i
_•_«_ I _•
sujet; I_Jl_ 1*
lien de l'un à
existe nécessairement dans la société reli- l'autre, il doit participer de l'un, et de l'au-
gieuse, ou la société de Dieu et de l'homme; tre il doit être l'un et l'autre, pour les unir
cai en admettant l'existence de l'une et de tous deux et comme la raison conçoit qu'un
l'autre, il y a entre l'être volonté et action corps peut seul être moyen de continuité,
infinies, similitude, donc rapports; inéga- entre deux corps, elle dit avec la même
lité, donc dépendance; rapports et dépen- clarté qu'un être esprit et corps peut seul
dance, donc société. être moyen d'union. entre un esprit et des
Il est évident que toutes les religions pu- êtres esprit et corps. Ici le souverain est,
bliques, et même les sectes qui ont paru sur Dieu, le sujet est homme; le pouvoir sera
la terre, soit avant, soit depuis la religion donc Dieu-homme rapport du souverain au
chrétienne, les sectateurs de Moïse, de Zo- sujet, non pas forcé, mais nécessaire, c'est-à-
roastre, de Confucius, de Mahomet, de Ma- dire conforme aux rapports naturels entre.
nès, d'Arius, d'Eutychès, de Montan, de Jean les êtres dans la société, et aux lois géné-
Huss, de Luther, de Calvin, etc., reconnais- rales de leur union. Mais si la raison de
sent tous un homme pour fondateur, législa- l'homme semblable à la raison suprême
teur, réformateur; car tous ces mots ont iui conçoit la raison de cet Etre divin, ses sens,
Je même sens, soit qu'il se soit dit inspiré trop disproportionnés à la puissance infinie,
de Dieu, soit que ses disciples lui aient cru ne rapportent rien à sa pensée qui puisse
des lumières supérieures à celles des autres lui faire imaginer le moyen de cette prodi-
hommes et même nos philosophes sont les gieuse opération.
échos de Spinosa, de Bayle, de Voltaire, de Tel est l'être Dieu-homme, quo les Chré-
J.-J, Rousseau, d'Helvétius, etc. Partout tiens reconnaissent et révèrent comme le
enfin, l'homme qui soumet la volonté des législateur et le pouvoir de la société géné-
autres hommes à ses opinions religieuses ou rale ou catholique, suivant la force du mot
politiques, et leur action religieuse ou poli- grec (226), être-lien, ou médiateur entre deuxx
tique au culte ou au gouvernement qu'il éta- êtres, mediator unius non est; entre deux
blit cet homme, dis-je, a le vouloir et le êtres semblables, mais inégaux, qui puisse
faire sur d'autres hommes et quel que soit les unifier en quelque sorte en divinisant
son nom, son rang et son titre, il rend les l'homme et humanisant Dieu même, c'est-à-
autres hommes sujets de son pouvoir. dire en rendant les volontés humaines con-
Cette unité physique de pouvoir, cet être formes à la volonté divine, et l'action divine
humain existe dans la religion chrétienne, ou le culte, semblable en quelque sorte a
que ses fidèlesregardent comme le développe- l'action humaine sensible et extérieure
ment et la perfectiondu théisme; et ils ont, à comme elle, in similitudinem hominum fa-
ce sujet, une croyance fort ancienne et fort ctus et habitu inventus ut homo (Philipp. n,
répandue. Cette croyance a une raison car 7), qui fasse ainsi, que l'homme connaisse
rien n'est sans une raison d'être, et voici Dieu ou répare le crime de l'avoir méconnu,
celle qu'ils en donnent. empêche que Dieu, par l'opposition néces-
Le pouvoir existe comme un rapport en- saire, invincible qu'il a à toute imperfection,
tre le souverain et le sujet, pour les unir ne détruise l'homme, et conserve ainsi, re-
tous deux, les rendre uns de volonté et d'ac- dempteur, réparateur, libérateur de t'homme,
tion, en conformant la volonté faible, im- Dieu à l'homme et l'homme à Dieu.
parfaite, variable, contingente du sujet, à la Les chrétiens soutiennent que cette
volonté parfaite, générale, nécessaire du croyance, inimaginahle dans ses moyens,
souverain, et rendre l'action conservatrice est non-seulement compréhensible ou rai-
du souverain réellement présente et sensi- sonnable dans ses motifs, rationabile obse-
ble au sujet. (1) quium (Rom. xn, 1), mais qu'elle est même
Le pouvoir est donc milieu, moyen, média- profondément philosophique, parce qu'elle
leur, car tous ces mots sont synonymes en- est parfaitement conforme aux rapports na-.

laiis lequel un homme d'esprit disait Le chef- rale, même lorsque l'erreur est commune. La reli-
d'œuvre du gouvernement représentatif est </ue le gion chrétienne n'en est pas moins la religini
pvnvair y est abstrait. Ce pouvoir abstrait a retenu générale ou universelle, même s'il était possiltlc
<:el écrivain en prison réelle pendant deux ans. qu'il n'y eût pas de chrétiens. Ainsi tes vérités
(4 ) Général ou universel ne veut pas dire coin- malliéMiâtiqncs étaient des vérités générales, mémo
mun, mais nécessaire ou conforme aux rapports na- avant qu'elles fussent connues des géomètres.
turels des êtres. Ainsi la vérité est toujours géné-
S8!) PAIIT. 1, ECON(JM. SOC. ESSAI ANALYTIQUE.
tnrl'Is. on
turels, ou 11à JI}'
la r¡¡i~"n
raison des êtres, dont
clac A)nc.t. 1--& la
1-
:y
!ffl\¡

perception claire ou obscure, bornée ce que nous avons Il dït de l'origine du pou-
oul voir, organe des volontés du souverain, et
infinie, forme, ou plutôt est la raison hu- ministre de
maine et même la raison divine. • son action, puisque l'Homme-
Dieu, que les Chrétiens révèrent comme le
Il y a donc (je ne parle encore que de ia législateur
société religieuse) un pouvoir divin et des et le pouvoir de leur société, dit
en mille endroits, en parlant de lui-même,
pouvoirs humains, comme il y a une souve- qu'il n'enseigne
raineté de Dieu et une souveraineté de rien que ce qu'il a appris de
l'homme. son Père (Joan. vm, 28) qu'il ne fait pas sa
volonté', mais la volonté de celui qui l'a en-
La société soumise au pouvoir divin sera voyé (Joan.
forte et durable: celle soumise au pouvoir v, 30; vi, 38); et ailleurs, que.
tout pouvoir lui a été donné au ciel et sur
de l'homme sera faible et variable là, selon la
les Chrétiens, est la raison de l'impertur- miers terre (Matth. xxvm, 18) et que les pre-
bable fixité de la religion chrétienne, de doctrine, et les plus savants interprètes de sa
ministres de son pouvoir, disent
son insurmontable et tranquille résistance de lui en mille manières que toute pater-
à toutes lés persécutions et à la plus destruc- (
nité (c'est ainsi qu'ils appellent le pouvoir)
tive de toutes, celle du temps, du dévelop- 9tire
pement successif des vertus qu'elle ensei- la terre;
t son nom et son titre de lui au ciel et sur
c'est-à-dire qu'il est la source et
gne, et du perfectionnement de tous les le 1 type de tout pouvoir divin et humain.
peuples qu'elle éclaire, et la raison des Ici se présente d'elle-même une ré-
éternelles variations des sectes et de leur flexion f d'une haute importance.
disparition insensible. En effet, la société La raison ne peut pas admettre le système
doit être impérissable là où le pouvoir est des d Chrétiens, et supposer au milieu de la
immortel, et elle doit être changeante et société
des êtres
périssable là où le pouvoir peut finir et n'est pareil à celui d'un pensants, un pouvoir
s
p Homme-Dieu parlant et
que celui des hommes. Celle-ci est à peine agissant
dans la société au nom de Dieu
formée, qu'elle est en proie à la rivalité des a: même, sans observer des effets généraux,
hommes qui aspirent au pouvoir, et qui, n
pproportionnés à fa grandeur et à la perfec-
avec un droit égal à vouloir et à faire, se ti tion d'une aussi générale. Si ce pou-
croient tous des talents supérieurs pour voir n'a cause
vouloir et pour faire, et ne reconnaissent àv< la société, pas toujours été réellement présent
aucun arbitre public de leurs droits, aucun gné se manifester
son influence,depuis qu'il a dai-
gi aux hommes, a dû être sen-
juge légal de leurs talents, aucun régula- si sible sur le perfectionnement de la société
teur certain de leurs opinions, puisque le et le sort de l'humanité même. La question
sens privé et l'inspiration particulière sont ai ainsi posée se réduit à des faits sociaux ou
des dogmes fondamentaux de leur société. e( généraux, c'est-à-dire, extérieurs et visi-
Ces secrets peuvent se prolonger, mais elles bl bles. Or, on peut avancer comme un fait
ne sauraient s'affermir l'imperfection de é\ évident de nos jours, après la longue expé-
ces pouvoirs humains entraîne nécessaire- rience
ment vers le néant la société qu'ils ontfon- m
rj, que l'univers a faite du christianis-
dée. Avec le temps, on juge le législateur; me, démonstration comme un fait dont la certitude est
historique de la vérité de
l'enthousiasme se refroidit, l'illusion se dis- une ur
la religion chrétienne, qu'à considérer les
sipe, l'homme seul reste et paraît, et com-
temps
tej anciens et modernes, il y a oppression
me fait dire Voltaire au plus célèbre de ces de l'humanité dans toute société politique, et
fondateurs de religions humaines religieuse où il n'y a pas connaissance, ado-
re,
Mon empire est détruit si l'homme est reconnu. ration
ra et culte de l'Homme-Dieu.
Qu'on y prenne garde je dis l'humanité,
Or, ce sont des faits; et déjà l'Europe et
non pas l'homme; c'est-à-dire, que l'op-
voit la religion chrétienne renaître, pour pression est dans les lois, même lorsqu'elle
pr,
ainsi dire, de ses cendres, et les sectes ri- n'est
n't pas dans les mœurs; qu'elle est dans
vales descendre lentement au tombeau. L'in- l'état
]'é public (religieux ou politique) de la
dirTéreniisme introduit par la philosophie société, même lorsqu'elle n'est
soi pas dans sou
ne tuera que l'erreur. état domestique ou dans la famille ce qui
étc
IL nous reste quelques réflexions à faire
ve dire que l'oppression de toutes les fai-
veut
surle système social des Chrétiens. bit
blesses de l'humanité, de la faiblesse du
Ce système s'accorde parfaitement avec
sexe par le divorce, la polygamie, la prosti-
se?
LJ vu m. 1J1~ LVL\L1LV.
.J

tntion religieuse; de la faiblesse de l'âge régie r par les lois, doit protéger, défendre et
par l'exposition publique ou le meurtre des conserver
c l'état domestique ou la société
enfants, les-amoùrs infâmes, etc. de la fai- régie r par les mœurs; et si tes moeurs ne
blesse de la condition, par l'esclavage, les ssont pas meilleures dans les Etats chrétiens,
jeux sanglants de l'arène, la mutilation, les c'est é uniquement la faute des hommes dépo-
sacrifices de sang humain, l'antropophagie; sitairess des lois, règle inflexible des mœurs;
l'oppression morale, par lés absurdités de eet les révolutions sont, à la fois, le résultat
l'idolâtrie, du mahométisme, de la divina- nécessaire
ri et le châtiment exemplaire do
tion, des sortilèges (car les peuples toujours leur l< négligence. Ainsi, l'enfant chrétien ne
deviennent crédules en cessant d'être naît r pas avec plus de lumières que l'enfant
croyants); que toutes ces oppressions, dis- ïidolâtre l'homme chrétien ne vit pas avec
je, ont pesé légalement et sans réclamation,' rmoins de passion que l'homme païen ou rna-
qu'un plus grand
et pèsent encore sur l'humanité, toutes à' la1i: thométan. Peut-être même
fois ou seulement quelques-unes, dans tou- développement
c de son intelligence et un
tes les nations qui n'ont pas été ou qui ne frein f plus présent et plus sévère à ses ac-
sont pas chrétiennes, et même se re.trouvent lions, t rendent ses passions plus ind'ustrîeu-
augmentent ainsi la'
et s'aperçoivent encore aujourd'hui, quoique sses et plus irritées, et
sotis des formes pltts adoucies chez tous les force f de son âme en ajoutant à l'activité de
peuples qu'une fausse philosophie a écartés sses désirs; mais la société chrétienne est
de ta pureté et de la perfection du cltristia- meilleure
ï que la société qui ne !'est pas,
iiisme. et l'enfant naît, et l'homme vit au milieu
Les ignorants qui vont sans cesse exagé- d'un ( état de choses où il trouve lé pouvoir,
rant les désordres des Chrétiens et tes ver- c'est-à-dire
< la volonté qui fait vouloir lu
ius des sages du, paganisme, ne s'aperçoiventt bien,1 et la force qui lefait accomplir. S'il y a
pas qu'ils ne remarquent des vices chez less des ( désordres dans les mariages entre Ctïrè-
Chrétiens, que parce que la société chré- tiens, 1 il n'y a pas d'adultère légal ou dé di-
Henné est essentiellement vertueuse, comme i vorce
1 s'il y a dés enfants abandonnés, on
ils ne remarquent des vertus ailleurs, que> même i
victimes inconnues de l'incontinence,
d'exposition' publique et d'fn-
parce que les autres sociétés sont essentiel- iil n'y a plus
lement vicieuses. En effet, chez les Chré- fanticide légal (1). S'il y a des hommes
tiens, si le désordre est dans les mœurs, For- opprimés par la violence, il n'y a plus d'es-
dre est dans la loi sur laquelle l'autoritéé claves par la loi (2) s'il y a des rivalité»
peut et doit toujours redresser les mœurs entre les peuples, il n'y plus, comme Tob-
au lieu que chez les peuples idolâtres i serve ou Montesquieu de droit barbare de
passions violen-
non chrétiens, lors même que les mœurss guerre enfin, s'il y a des
sont réglées, le dérèglement est dans la loii tes sur la terre, il n'y a plus dans les
Etats
,a laquelle les mœurs finissent toujours parr chrétiens de lois injustes et oppressives,
où les doctrines pMFosO|rhi-
se conformer car ta loi corrompt, par cee hors dans ceux
qu'elle ne défend pas, comme par ce qu'elle- & ques les ont' introduites, malgré la religion
ordonne. C'est ce qui fait que chez les Ro- chréEienne.
mains ta lot qui permettait le divorce, triom- Je me résume la souveraineté sur ta so-
pha enfin des moeurs qui le repoussaient,ir ciété est dans Dieu selon les uns, dans ie
Les anciens disaient Quid leges- sine mari- peuple selon lesautres. Le
pouvoir religieux
bus vanœ projîciunt ? parce que dans leurr ou politique sur la société est dans un être
état imparfait de société, de mœurs de- humain, organe de la volonté du souverain,
vaient corriger tes lois vaines, puisqu'elles s et ministre de son action. Ici, Jean-Jacques
étaie»! corruptrices; et nous devons dire Rousseau est tombé dans une contradiction
Quid mores sine legibus.? parce que danss manifeste. « Pour que le gouvernementsoit
notre état parfait de- société, des lois sagess- légitime, dit-il, il ne faut pas que îe go&~
sont et doivent être la règle de mœurs cor-•- vernement (c'est-à-dire le pouvoir) se •eon-
souverain, mais qu'il en soit
rompues, puisque l'étal; public, ou îa sociétéé fonde avec le

{ l ) On a vu récemment une atteinte portée à laa IJ) Les maîtres en Amérique n'ont point droit
loi qui punit de mort ce crime invisible e
presque do vie et de mort sur leurs esclaves, différence <jhî
toujours- à l'œil de la justice: car ce n'est que laa ne permet pas de comparaisen avec l'esclavage
religion du baptême qui a fait, cesser dans les Etats
s ancien.
cette horrible coutume.
le ministre. Alors la monarchie elle-même la dépendance. Les sujets doivent au pou-
est république. » Rien de plus vrai. Mais voir, mais le, pouvoir doit au souverain
cet écrivain, en faisant du peuple ou des pour l'intérêt des sujets. La raison des de-
hommes le souverain, et encore de l'homme voirs ne se trouve que dans le pouvoir; et
le pouvoir ou le gouvernement, confond vi- c'est parce que les pères ne doivent di-
siblement le pouvoir et le souverain, et dé- rectement rien à leurs enfants, que les en-
truit ainsi la légitimité du gouvernementt fants
i ne peuvent directement rien sur leurs
qu'il veut établir, au lieu que ceux qui re- pères, et que Dieu s'est réservé la punition
gardent Dieu comme le souverain, et un être des pouvoirs; et je l'exercerai, dit-il lui-
humain comme le pouvoir, mettent évidem- même. Même dans un contrat entre parties
ment entre le souverain et le pouvoir cette égales, les hommes ne se doivent les uns
distinction qui constitue, selon Rousseau et' aux autres que parce qu'ils doivent tous
la raison, la légitimité de la société. également au pouvoir qui a reçu leurs en-
Ici se présenté une haute question Le gagements et ôtez Dieu de ce monde, il
pouvoir est-il institué par les sujets, et y, n'y a plus d'autre raison au devoir que
a-t-il entre les sujets et le pouvoir un pacte ,?Ja,J violence, parce qu'il n'y a plus d'autre
ou contrat social ? Non. 1" 11 n'y a pas de titre
1 au pouvoir.
pacte social dans la famille entre le père et Enfin, si l'on prétend que le peuple peut
les enfants qui ne naissent pas volontaire- choisir un homme pour le revêtir du pou-
ment de tel homme plutôt que de tel voir, il est aisé de répondre que jamais
autre. peuple n'a choisi sans une raison qui est
2° 11 n'y a pas de contrat social dans la elle-même une loi, et presque toujours la
société religieuse, ni dans la religion chré- plus impérieuse de toutes, là loi des évé-
tienne où le pouvoir Homme-ïHeu est d'une nements. Mais, même dans 'ce cas, ou le
nature supérieure aux hommes, ni dans les peuple propose des lois conformes à la
autres religions où l'acquiescement aux opi- nature de la société, et alors ce sont les
nions d'un hommeest involontaire puisqu'il volontés de l'Etre suprême qu'il exprime
est l'effet d'une conviction quelconque, cou* ou il propose des lois contre la nature des
pable sans doute, lorsqu'elle est le fruit sociétés, des lois qui sont sa volonté pro-
d'une ignorance volontaire dans les uns, pre, comme le serait celle de faire passer
ou d'une indocilité présomptueuse dans les le pouvoir aux femmes, ou d'en revêtir une
autres. partie des sujets, et alors la nature ne ra-
31* II n'y a pas de contrat social dans la tifierait pas le contrat, et les troubles qui
société politique. 1" II n'y a pas lieu au naîtraient de ces lois mêmes viendraient,
contrat avant l'institution du pouvoir car tôt ou tard, punir le peuple qui les aurait
il faudrait pour cela que l'institution du proposées,i et le pouvoir qui les aurait
pouvoir fut arbitraire. Or le pouvoir est acceptées.
k
nécessaire il ne dépend pas de la société Le pouvoir est donc préexistant à toute
de l'admettre ou de le rejeter, puisqu'une société, puisque le pouvoir constitue la
j
société ne peut exister sans pouvoir. Bien société, et qu'une société sans aucunpou-
plus, une loi, ne fût-ce que celle qui régle- voir, sans aucune loi, ne pourrait jamais
rait les formes à suivre pour faire la loi se constituer. 11 est donc vrai de dire que
un homme, ne fut-ce que celui qui l'aurait ]le pouvoir est primitivement de Dieu
proposée, aurait toujours précédé cette pré- potestas ex Deo est, qui en a mis la né-
tendue institution du pouvoir, et le peuple cessité dans la nature des êtres, et la rè-
aurait obéi avant de se donner un maître.. gle ou la loi dans leurs rapports. Mais
Bien loin, dit Bossuet, que.le peuple en cet comme il y a une souveraineté de Dieu et
état (sans loi et sans pouvoir) pût faire une souveraineté de l'homme, il y a un
un souverain, il n'y aurait pas même de exercice divin ou légitime du pouvoir, et
peuple. un exercice humain, vicieux et purement
'¥'
2° II n'y a pas lieu au contrat après Jlégal, selon que les lois que le pouvoir
l'institution du pouvoir, puisqu'il. n'y a porte comme la volonté du souverain, et
plus alors entre les parties cette égalité qui dirigent l'action sociale, sont justes ou
nécessaire pour la validité du contrat 9 iinjustes, conformes ou non à l'ordre et aux
et qu'il n'y a plus entre le pouvoir et le rapports naturels des êtres dans la société;
sujet d'autre rapport naturel que celui de car une société sans aucune loi serait une
L 32
39
J)E M. DE BtSNALD.
OEUVRES COMPL. DE 1
contradiction aans les-.termes, parce qu'il y entre ces êtres, ni par conséquent de so-
aurait impossibilité dans l'idée. ciété
Nous traiterons donc des lois dans le Ces rapports sont donc parfaits,puisqu'ils
chapitre suivant. sont ce qu'ils doivent être pour assurer la
reproduction des êtres physiques et l'ordre
CHAPITRE IV. entre les êtres moraux.
Ces rapports naturels, nécessaires, par-
DES LOIS.
faits, sont l'ouvrage de la volonté de Dieu
( Legem bonam a mala nulla alia nisi naturali même, qui en créant librement les êtres a
norma dividere uossumus. (Cic. De leg.) produit les rapports nécessaires ( 1 ) qui
La loi est l'expression de la volonté du existent entre eux. Ainsi, le potier ne peut
souverain, promulguée par le pouvoir, pour former un vase sans lui donner une figure
être la règle du sujet. et un poids quelconque; et en le plaçant
Elle est donc la volonté de Dieu selon les dans son atelier, il le met en rapport néces-
uns, la volonté des hommes ou du peuple saire de distance avec tout ce qui l'entoure.
selon les autres, et tous ont raison, en quel- Cette réflexion sert à concilier en Dieu la
que sorte, puisqu'elle est (j'entends la loi" volonté indépendante qui crée, avec l'action
juste) la volonté de Dieu parlée par l'hom- nécessaire qui conserve tant que la volonté
me, pour être entendue des hommes mais la a résolu de conserver.
loi a des éléments ou sa raison, et c'est ce Les rapports entre les êtres sont en eux-
qu'il faut considérer. mêmes et indépendamment de la connais-
Il existe des rapports entre les êtres phy- saace que nous en avons, mais ils n'exis-
siques, et des rapports entre les êtres mo- tent pour nous que lorsqu'ils sont exprimés
raux ou sociaux, et ces rapports résultent de et connus. Alors ils s'appellent lois. Et,
leur similitude et de leur coexistence. comme il y a des rapports entre les êtres
Entre les êtres physiques, il existe des physiques, et des rapports entre les êtres
rapports de distance, d'étendue, de mouve- moraux, il y a des lois pour les uns comme
ments dont l'ensemble forme le système gé- pour les autres et l'on dit, les lois du mou-
néral du monde physique, assure sa conser- vement, comme l'on dit, les lois de la société.
vation, et s'appelle aussi la nature des êtres Nous ne parlerons ici que de ces dernières;
physiques. mais il y a peut-être de grandes analogies
Entre les êtres moraux, il existe des rap- entre les unes et les autres.
ports d'amour, de volonté et d'action, dont S'il y a une vérité générale universelle-
l'ensemble forme le système général du ment convenue entre les hommes, une vérité
monde moral et social, et maintient l'ordre qui fasse établissement, comme dit Leibnitz,
qui doit régner entre les êtres qui le com- c'est que les lois sont le résultat des rap-
posent « Cet ordre,»dit Malebranche, « qui ports naturels entre les êtres. Lex est ratio
est la loi inviolable des esprits, » et qui pro fecta a natura rerum, ditCicéron.
s'appelle la nature des êtres moraux; « l'or- « Les lois sent des rapports nécessaires
dre de la nature, » dit Ch. Bonnet, « est le ré- qui dérivent de la nature des êtres, » dit
sultat général des rapports que j'aperçois Montesquieu. « Les rapports naturels et les
entre les êtres. » lois doivent tomber toujours de concert sur
Ces rapports sont naturels, puisqu'ils sont les mêmes points, » dit J. J. Rousseau.
par cela seul que les êtres sont ils sont né- « Les lois de la nature résultent essentiel-
cessaires, puisque les êtres ne peuvent sans lement des rapports qui sont entre les
eux être conservés dans l'état propre à leur êtres, » dit Ch. Bonnet. Tous les publicistes,
nature physique et morale. absolument tous, tiennent le même langage;
Ainsi, sans le mouvement qui vivifie, ani- et cette uniformité est un signe certain de
me et féconde toutes les parties de l'univers la vérité. La loi n'est donc pas uniquement
matériel, il n'y aurait plus bientôt ni végé- le rapport, mais le résultat et la manifesta-
tation, ni reproduction, ni vie et sans les tion des rapports. Ainsi c'est un rapport na-
rapports d'amour, qui unissent entre eux les turel que le fils hérite' de son père, et il de-
êtres intelligents, il n'y aurait plus d'ordre vient loi, lorsqu'il résulte, qu'il sort au de-
(1) Il est très-différent de dire qu Dieu a pro- sairement, adverbe, veut dire forcément, inévitable-
duit nécessairement les rapports, ou de dire que ment et nécessaire, adjectif, n'est, dans la langue
Dieu a produit des rapports nécessaires; car néces- métaphysique, que le superlatif de naturel.
997 PART. I. ECONOM. SOC – ESSAI ANALYTIQUE. S93
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Ail manifesté fi-
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I lieux,
tous les 1 t
*i les.
tous
un testament. De là vient que l'homme n'est >st temps et tous les hommes.
pas coupable uniquement pour manquer à « 11 doit donc y avoir, continue le théiste,
un rapport naturel, mais qu'il faut encorere une parole divine pour l'instruction de
qu'il ait eu connaissance de la loi qui ma-
a- l'homme, fixée par une Ecriture divine qui
nifeste ce rapport. In lege cognitio peccati.
tï. puisse conserver et transmettre cette parole
(Rom. III, 20.) pour l'instruction des sociétés. Et comme la
Donc les lois sont, selon les théistes, l'ex-
x- raison me démontre la nécessité de cette
pression de la volonté de Dieu, auteur des es parole et de cette écriture, les faits m'en
rapports qui sont entre les êtres comme le apprennent l'existence. »
créateur des êtres eux-mêmes. Effectivement les théistes conservent avec
L'état de société est celui où les rapports ts une grande vénération un livre où ilscroient
entre les êtres sont manifestés dans les lois,s, lire la parole divine, ce qu'ils appellent
expression de la volonté du souverain. l'Ecriture par excellence, parce qu'ils y
« Si les lois sont le résultat des rapports ts trouvent écrites, à ce qu'ils croient, les lois,
parfaits entre les êtres, et l'expression de la]a résultat des rapports les plus naturels, et
volonté de l'être infiniment parfait; l'être qui, outre sa prodigieuse antiquité, à la-
imparfait et fini, l'homme, quand même re il quelle aucune écriture humaine ne peut at-
pourrait dans son imperfection découvrir ce ;e teindre, présente des caractères frappants
rapport, n'a point en lui la raison de son ex- c-
d'une intelligence sublime, et d'une con-
pression ou de la loi, c'est-à-dire qu'il n'y a naissance profonde des devoirs de l'homme
pas de raison pour qu'il donne sa volonté lé et des fois de la société.
pour loi à des êtres égaux à lui, » dit le vrai ji Tel le a été, dans tous les temps et chez
théiste, qui, toujours conséquent à lui- j. tous les peuples, la foi de l'univers aux
même, voit le législateur suprême dansée [e communications divines faites à l'homme
souverain pouvoir, comme il a vu le souve- par la parole, parlée ou écrite, que tous les
rain pouvoir dans la cause première. « 11 est 5t anciens législateurs ont assuré que la Divi-
donc nécessaire que Dieu daigne révéler à nité leur avait parlé pour les instruire de
l'homme la connaissance de ces rapports enn ses volontés, et que, dans tous'les temps,
les manifestant par des lois, expression de les peuples les plus célèbres ont révéré des
e
sa volonté. Mais, entre des êtres intelligents,;> livres ou des écritures, comme dépositaires
il existe un rapport naturel qu'une expé-
rience journalière et constante nous décou-
l de la parole divine.
Certes, elles avaient de nobles senti ment.s
vre c'est que l'Homme, s'il a des idées, nee de la dignité de t'homme, ces nations qui
les connaît, n'en a la conscience que par less voulaient et croyaient n'obéir qu'à Dieu; et
signes qui les revêtent, et que les sens quii ils en ont une idée bien abjecte, ces hommes
les reçoivent transmettent à son esprit, et!t qui veulent absolument n'obéir qu'à l'hom-
principalement par la parole, signe exclusif
des idées générales du sociales et le Créa-
f me, et qui s'appellent libres, quand ils re-
çoivent les lois de leur égal, et égaux, quand
teur lui-même, législateur suprême de laa ils lui en imposent; comme si l'homme et
société, ne déroge pas aux lois dont il a miss tous les hommes ensemble avaient sur
la nécessité dans la'nature physique et mo- l'homme un pouvoir dont la raison fût
rale de l'homme, et qu'il a posées comme le3 en
eux-mêmes, et non dans la Divinité souve-
fondement de toute société. raine de tous les hommes, et que l'homme
« Dieu fera donc entendre une parole ài eût une raison d'obéir à un pouvoir qu'il
l'homme (1) ;.et comme cette parole en- ne regarde, ni comme l'organe, ni comme
tendue d'un homme ou d'une famille, danss le ministre, pas même comme l'instrument
un lieu et dans un temps déterminé, doitt du souverain universel. C'est en vain
être, sans altération, entendue de tous lesi que
ces hommes si dociles nous disent qu'ils ne
hommes, dans tous les lieux et tous less se soumettent à une loi, que parce qu'ils
temps, puisque cette parole leur enseigne cei ]l'approuvent; car outre qu'ils obéissent
qu'il leur importe le plus à tous de savoir, souvent à des lois qui ont été portées sans
leurs rapports avec les êtres semblables, eux, ou même contre leur volonté exprimée,
<
Dieu rendra cette parole fixe, universelle et ils
i ne font pas attention que l'adhésion à
perpétuelle par l'Ecriture, qui n'est qu'une iune loi est toujours forcée. En effet, que
(1) Voy.chap. 5.
i00°
m ŒUVRES COMPLETESJ DEL/lil H.
DE BONALD.•

cette adhésion
11 /• :i
ou les lumières, un
ait pour principe l'ignorance
esprit convaincu est,
lfl« U1U UVI/W»Ji*f

i>!Mn,.nM aa renfermé
rpnfprmA dans un
les
1 combinaisons
oetii nombre de signes
petit
infinies de la voix humai-
suivant la force même de l'expression, un ne r Ex hacne tibi terrena mortalique natura
is videtur qui sonos vocis, qui in-
esprit soumis, vaincu, asservi. Or, ce joug concretus

n'a lui-même
c
imposé à l'homme pensant, indifférent dans finiti videbantur, paucis
les sciences physiques lit'rées à nos vaines minàvit Z
Puisque
(1)? »
les rapports
1
littcrarum notis ter-
naturels entre les
disputes, l'homme en aucune
dans les êtres
i sociaux sont manifestés aux hommes
raison de le reeevoir de l'homme divines, et
sciences morales d'où dépend le règlement par I une parole et une écriture s'appelle loi,
actions que le résultat de ces rapports
des volontés et .la direction des so- <
qu'en qualité d'homme, il il
i y a donc deux modes de loi; lois parlées
ciales, parce sa
n'a pas une volonté inférieure à celle d'un ou <
traditionnelles, lois écrites ou publiques
homme, et il n'en trouve pas davantage et de là suivent deux états de société.
autre fait extérieur, visible
la raison dans l'homme de qui il fait la vo- La société est un
naît d'autres be- par certains caractères qui la constituent
lonté, et qui ne pas avec effectivement dans l'uni-
soins, et ne vit pas avec d'autres passions. société; et je vois
nouvelles vers deux espèces de société, et daos cha-
On voit la raison pour laquelle les
morale excitent, entre les que espèce, deux états successifs de société
doctrines en correspondants Fun à l'autre
hommes, bien d'autres débats que les non- parfaitement
chaque espèce.
veaux systèmes en physique et, comme l'a dans 1° une société entrel hom-
dit un philosophe, les hommes disputeraient Je vois partout,
géométriques les plus évidentes me et l'homme, c'est-à-dire entre des êtres
des vérités
de leur démonstration il naissait des de- semblables, mais non égaux société rendue
si
voirs dans la société. sensible par une action soumise à certaines
A la nétBSsité des communicationsfaites lois, résultat de
certains rapports entre les
parole divine, parlée êtres, et dirigée vers une fin, qui est la pro-
aux hommes par une et la conservation d'êtres semblables;
et tente, est inséparablement liée la néces- duction
sité que l'homme ait reçude la Divinité l'art et je retrouve danscaractéristiques cette société les trois
de toute
de parler, et même l'art aussi prodigieux de personnes sociales le sujet.
l'écriture, non de l'écriture des images, ap- société, le pouvoir, le ministre et seconde,
pelée hiéroglyphique, symbolique, etc., 2» Une société de l'homme, cause
l'Etre suprême, cause
etc., qui n'est que le dessin des objets, et être subordonné, avec conséquent semblables,
qui a été connue de tous les peuples-en- première êtres par
société rendue sensible
fants mais J'écriture des idées, l'écriture mais non égaux;
à certaines lois, ré-
phénicienne ou plutôt hébraïque, et qui est par une action soumise
peuples civilisés écriture qui fixe sultat de certains rapports entre les êtres, et
celle des
le son, qui parle aux yeux et donne uncorps dirigée vers une
fin, qui est de produireet
fini laconnaissance
à la pensée; « art divin, » s'écrie Gicéron,qui de conserver dans l'être
(1) II serait aisé de prouver, 1» que l'art de réflexion à croire que les peuples à leur enfance
faire voir l'idée par l'écriture est aussi incompré- aient inventé d'eux-mêmescet art prodigieux, qu en-
core les peuples-enfants, Chinois et autres, peuples
hensible en lui-même que l'art de la faire ouïr par
la parole. Je dis l'idée, car il faut bien distinguer' àà sensations, qui tous écrivent leurs images, n in-
cette écriture de l'écriture hiéroglyphique ou des ventent pas, même aujourd'hui .et après nous, et
images, avec laquelle, comme l'observe très-bien Condorcet en a fait ta remarque. Je me contenterai
Duclos, elle n'a aucun rapport. %• Que l'origine de de rapporter une observation bien naïve de Duclos
sur ce sujet, t L'écriture, progression lente
» dit-il, « n est pas née
cette écriture a été attribuée par les anciens aux et
peuples de la Palestine, qu'ils appelaient générale- comme le langage, par une
elle a été bien des siècles avant que de
ment Phéniciens, et qui sont les Hébreux. Phœmees insensible; elle née tout à coup et comme la
primum, etc. 5° Que les fables débitées sous mille naître, mais est tonne
formes, par les Grecs, sur le Mercure Trismégiste, lumiëre une fois conçu, cet art dut être
des Egyptiens, Thuut, Thau, etc., presque en même temps. » Ce passage, qui fait de
sur l'Hermès sur Fart d'écrire un prodige plus éton-
prétendu ministre d'un roi d'Egypte, l'un ou autre, l'invention de l'invention même de l'art de parler, est
selon les Grecs, inventeurs de l'art d'écrire, ne nant que de l'opinion de ceux qui attribuentcette
sont évidemment que la tradition défigurée de 1 in- décisif contre condamné par sa perfectibi-
tervention de la divinité dans l'invention des arts découverte à l'homme,lentement dans la route de la
nécessaires à la société; car Mercure, Hernies, lité même à avancer même temps que 1 éenture,
Thaut, Theuiatès desGaulois, et Gott des Germains, perfection. 11 prouve société
en
publique, a du naître posté-
ne sont que le nom de Dieu Ainsi, on
retrouve le moyen de la
à la parole, moyen de la
peuple de Dieu à la tête de toutes les sociétés, de rieurement de beaucoup
toutes les traditions, de toutes les histoires, même société domestique; les faits sont ici d*accord_ avee
chaque
de touies les fables, dp toutes les instructions né- le raisonnement,parole et la société, ainsi que
avant d'avoir l'écriture.
cessaires, à la tête de tout. Certes il y a peu de homme, a eu la
de l'être infini et je retrouve encore dans l'Homme-Dieus'est rendu extérieur, et rend
cette société le caractère distinctif de toute encore sa présence réelle sous des signes ou
société le pouvoir, le ministre, le sujet; so- espèces sensibles. Les ministres sont des
ciété divine, société humaine, deux espèces hommes distingués des autres par une pro-
société.
de
Chacune de ces deux espèces présente
fession publique; les sujets fidèles ou féaux,
sont le corps même de la nation.
deux états parfaitement correspondants dans Or, aussi haut que l'on remonte, à l'aide
chaque espèce, l'état domestique et l'état de l'histoire, dans les temps passés, ou aussi
public de religion ou société divine, l'état loin que conduisent les voyages chez les
domestique et l'état public de société hu- peuples modernes, on retrouve un culte do-
maine. mestique dans la famille, un culte extérieur
Dans l'un, état naissant, primitif, originel, dans l'Etat. « Jamais Etat ne fut fondé que
élémentaire, la société divine ou humaine la religion ne lui servît de base, » dit Jean-
est purement domestique, et s'appelle fa- Jacques-Rousseau.
mille et' religion naturelle, et mieux, peut- C'est ici qu'il faut remarquer l'influence
être, native ou patriarcale. Dans cet état des'roots sur les idées. De ce que la religion
de société, la loi, volonté du souverain, se domestique est exclusivement appelée natu-
transmettait par une tradition domestique; relle, on en a conclu que la religion révélée
l'action sociale (appelée culte dans la reli- n'était pas naturelle; et de ce que la religion
gion) était domestique, ou renfermée dans chrétienne s'appelle exclusivement te reli-
i'intérieur de la famille; les personnes so- gion révélée, on en a conclu que la religion
ciales étaient inférieures Ou domestiques. domestique n'était pas révélée. Toutes les
Dieu même, pouvoir de cette société, ne deux religions, ou plutôt ces deux états de
permettait aucune représentation extérieure religion, sont naturels, l'un à l'état de fa-
de son Être divin, comme on peut le remar- mille isolée, l'autre à l'état public ou poli-
quer dans les livres saints. Le ministre ou tique, et tous les deux sont révélés, l'un par
le prêtre était le père de famille; les sujets, la parole, l'autre par l'écriture.
les personnes dé la maison. La religion naturelle, ou domestique,pro-
On voit la raison pour laquelle, dans les duit au dehors la connaissance qu'a l'homme
premiers âges de la société, et lorsqu'une de la Divinité, en faisant de son culte une
nation n'était encore qu'une famille nom- action extérieure et sensible. La famille pro-
breuse, le sacerdoce était toujours uni à la duit l'homme, et lui donne l'existence. Ce
royauté usagé qui se retrouvait même à sont des sociétés de production. La religion
Rome, où un membre du collége des pon- révélée maintient et étend la' connaissance
tifes portait le titre de roi, pour pouvoir of- de Dieu; l'état politique conserve la famille,
frir un sacrifice national, usage qui s'aper- et perfectionne tout ce qui a rapport à
çoit encore dans les Etats les mieux consti- l'homme. Ce sont des sociétés de conserva-
tués, et que je crois la secrète raison de la tion.
cérémonie du sacre des rois. « Car tout ce Aussi nulle part on ne voit des familles
qui est, » dit un auteur, « tient toujours de ce subsister rapprochées sans former, d'abord
qui a été. » momentanément, et bientôt d'une manière
Dans l'autre, état subséquent, développé, permanente, un état public, comme on ne
accompli, la société divine ou humaine est voit encore la religion naturelle se conser-
publique, et s'appelle religion révélée, ou ver dans aucune société que dans la société
manifestée, et état politique ou gouverne- publique du christianisme.
ment. Dans cet état de société, la loi, voloaté Donc Fétat domestique est l'état faible,
du souverain, est presque toujours exté- puisqu'il a besoin d'être Conservé, et l'état
rieure ou écrite; car dans toute société pu- public est l'état fort, puisqu'il conserve.
blique, le pouvoir finit par écrire la tradi- L'un est l'état natif, originel; l'autre, l'état
tion et rédiger les coutumes. L'action so- accompli, naturel; car la force, l'a bouté, la
ciale (appelée culte dans la société religieuse) perfection sont la vraie nature de l'être per-
est extérieure, les personnes publiques sen- fectible.
sibles même dans la religion; et l'on peut Ce sont là des faits qui prouvent des rai-
remarquer que dans la société judaïque, sonnements, et des raisonnements qui ex-
Dieu rendait sa présence sensible dans le pliquent des foits mais l'art des sophistes
tabernacle; et que, dans ia sociétéchrétienne, consiste à combattre des vues générales par
des faits isolés et obscurs, ft des faits gêné- port
{ de la religion, de la politique, de la
raux et publics par de petites raisons. littérature
1 même, et fait voir, par exemple,
La religion naturelle ou primitive est donc pourquoi
p les anciens réussissaient mieux
à la famille considérée hors de tout gouver- que
q les modernes dans le genre familier,
nement, et antérieurement à tout établisse- dont
d ils transportaient les détails naï fs ( 2}
ment public de société, ce que la religion même
n dans les genres les plus relevés, et
révélée ou publique est à l'état politique. La pourquoi
j: les modernes réussissent mieux
raison saisit avec une irrésistible évidence dans
d le genre public ou noble, dont ils
le rapport de cette proportion sociale, et ont
c porté la dignité jusque dans les sujets
c'est ce qui lui démontre le contre-sens des 1les plus familiers; et c'est ce qui fait qu'on
réformateurs religieux calvinistes, théophi- trouvet des détails si ignobles dans YJliade,
Janthropes, philosophes, qui, aujourd'hui eet tant de dignité et d'élévation dans certai-
que la famille ne peut plus être considé- i;nes fables de la Fontaine.
rée hors de l'état politique, puisque, à quel- Il y a donc eu, selon les théistes et la rai-
que époque qu'elle remonte, elle trouve son, s une parole de Die^u aux hommes, fixée,
toujours cet état antérieur à elle, veulent confirmée,
c développée peut-être par l'Ecri-
rétablir la religion naturelle (car on sait que ture.
t Cette parole doit convenir à tous les
les calvinistes mettent le sacerdoce dans le hommes[ et à toutes les sociétés, à tous les
père de famille) comme si une religion do- besoins l des uns, à tous les états des autres
mestique était naturelle à un état public de eet de même que l'état domestique et primi-
société discordance impossible, comme il tif t de société est le germe de l'état public,
le serait à une famille isolée dans une île 1les lois simples et primitivesseront le germe
déserte d'offrir sans ministres le sacrifice de <jdes lois subséquentes et développées de la
la religion chrétienne, et d'en exercer toute société perfectionnée.
s
geule le culte public.
Tu adoreras ton Dieu, et tu le serviras lui
La religion judaïque, passage nécessaire seul. (Matth. iv, 10.)
de la religion patriarcale à la religion révé- S
lée, ne convient pas davantage à l'état pré- Loi fondamentale de la souveraineté de
sent de la société. Les habitudes imparfai- Dieu I sur les hommes, et qui exprime les
généraux de la créature intelligente
tes de l'adolescence ne s'accommodent plus rapportsr
et corporelle avec son Créateur, rapports
avec la dignité et les lumières de l'âge viril. egénéraux qui consistent à l'adorer par son
Ce culte grossier et, local a fait place au culte
et universel; et sectateurs dispersés esprit,
{ à le servir par ses sens, à l'aimer par
pur ses
conséquent; car l'amour est le principe de
ne retrouveront plus ses ministres, et ne
relèveront jamais ses autels (1). l volontés et de nos actionssociales.
nos
Telle est la simplicité des voies de l'au- L'amour est donc le principe, du pouvoir,
teur de la nature, législateur de toute so- ou < plutôt il est le pouvoir lui-même, puis-
ciété, et la fécondité de son plan, que la qu'il i donne à l'esprit et au corps le vouloir
société domestique ou de production est le et t le faire; et comme
l'amour de soi est le
germe et l'état primitif de la société publi- principe
g j du pouvoir dans la société de soi ou
domestique, l'amour des êtres sem-
que ou de conservation, et la société de con- société
s
servation, le développement, l'accomplisse- 1blables à soi est le principe dupouvoir dans la
ment, 'a perfection de la société de produc- sociétéi des êtres semblables à soi, ou la so-
tion.Ainsi, la famille partouta précédé le gou- ciété
( publique. Cette proposition fondamen-
vernement politique, et dans la religion, ce tale t de la science de la société renferme des
qu'on appelle l'état de grâce a suivi, accom- conséquences
<
très-étendues, et elle contre-
pli, perfectionné l'état de nature. dit
< directement le principe de la philosophie
Cette distinction d'état domestique ou fa- moderne, qui fait de l'intérêt privé, ou de
milier et d'état public, explique le monde l'amour de soi, la base de la société des au-
ancien et le monde moderne, sous le rap- tres, 1 et qui veut ainsi unir les hommes en-

(i) II y a Je quoi s'étonner de l'acharnement mais il n'est pas de foi que le fait rapporté par
j
ridic.ulfs que Voltaire a mis à engager quelques Ammien Marcellin se répétât toutes les fois qu'il
puissa:iîesà faive rebâtir le Leinple de Jérusalem, plairait à un prince d'essayer, à Jérusalem, de
comme si la religion judaïque, figurée par son remettre une pierre sur une autre.
peuple, pouvait être rétablie aussi facilement qu'un (2 ) Naïf n'est que le mot natif contracte, et
édifice peut être reconstruit. La for et la raison cette observation n'est pas indifférente au sujet que
attestent que le culte mosaïque ne renaîtra pas, je traite,
™os
tre eux, précisément par
PART.
ce qui
parce
intarissable de leurs divisions.
1. ECONOM.

aui est la source


La loi du service que l'homme corporel
snnrr.o
SOC.
etESSAI ANALYTIQUE.
Dieu et de la h,,™» ;iil est
en^Jtj humaine,
in société
i006
^t a*ia«**
évident
que cette expression n'en est que la consé-
doit à l'Etre suprême, est développée par la quence naturelle et le développement.
Dieu ne parle à l'homme que de dépen-
loi qui suit, loi fondamentale du culte dance, et point de liberté, parce que sa vé-
pu-
blic, puisqu'elle y consacre chaque septième ritable liberté n'est que sa dépendance.
jour. On retrouve des traces de cette loi Tu ne tueras pas.
dans toutes les sociétés. Elle est aujourd'hui Tu ne commettras point d'adultère,
tolérée en France; mais on n'y parle plus l'u ne déroberas point.
d'adoration ni de culte public envers la Di- Tu ne porteras point de faux témoignage
vinité, depuis que J.-J. Rousseau, reconnu
fou par ses plus zélés partisans (1), dit
contre ton prochain.
a t Tu ne désireras rien qui soit à lui, etc., et
« Qu'à quinze ans son Emile ne savait pas s'il les autres. (Deut. v, 17, 21.)
avait une âme, et que peut-être à dix-huit
Ces lois expriment les rapports des hom-
ans il n'était pas encore temps qu'il l'ap- mes entre eux, soit comme êtres intelligents
prît. » et en rapports de pensée, soit comme êtres
2 m honoreras ton père et ta mère afin
physiques et en relation de propriétés.
que tu vives longtemps sur la terre. (Deut. Ces lois; ces rapports, les hommes ne les
v, 16.) auraientjamais
( découverts; car relativement
La première loi était la loi du souverain, à¡ Dieu,
celle-ci est la loi du pouvoir car le pouvoir, avoir l'idée, pour l'adorer et le servir, il faut en
donc le signe qui l'exprime
domestique, politique et religieux, n'est i les signes servent à penser comme à
car
(
que paternitéd'une famille ou domestique parler.
la
1 Or, sans communication point de si-
ou publique, ou particulière ou générale ignes, point de parole, point d'idée par con-
le raisonnement le prouve et le langage séquent. Relativement à l'homme, il n'au.
usuel y est conforme. II appelle Dieu le père srait
<ie l'univers, et les chefs des nations les pè-
] pas découvert de lui-même la loi qui dé-
fend
f de nuire à son prochain, parce que
res de leurs peuples. Les livres sacrés auto- cette loi est en contradiction formelle et
t
risent cette interprétation, puisqu'ils nom- continuelle
ment expressément le pouvoir une paternité
c avec le principe même de l'hom-
(2) et Bossuet lui-même trouve dans qu'aujourd'hui t l'amour de soi et son intérêt propre, et
me,
q même qu'il la connaît cette
cette loi le motif de l'obéissance que nous loi, j, il n'a pas assez de raison, ni la société
devons au pouvoir politique et à ses minis-
assez
a de force pour obtenir de lui qu'il la
tres.
Ce précepte ne s'adresse donc pas seule-
mette
n en pratique.
L'homme, il faut le dire, a horreur de sa
ment à l'homme individu qui, chez les Juifs, ddestruction, bien plus
que de la destruction
comme chez les Chrétiens, ne vit pas tou- des d autres. Même chez les peuples adoucis
jours plus longtemps sur la terre, quoiqu'il la civilisation, une exécution à mort est
honore ses parents mais il doit s'entendre ppar ], spectacle qui attire le plus de curieux
le
surtout de l'homme social ou de la société le et
]( métier delà guerre est, comme l'a dit Vol-
domestique ou publique, qui subsiste plus tetaire, le plus naturel l'homme,
à et celui
longtemps heureuse et forte, à mesure qu'elle
aauquel il s'accoutume le plus aisément.
honore son pouvoir, ce qui même ne peut On confond beaucoup trup, et surtout les
subsister du tout si elle ne lui rend l'hon- femmes,
fe la faiblesse de ses nerfs avec la
neur et l'obéissance qui lui sont dus. Cette tendresse
tt de son âme. La sensibilité à ses
interprétation est autorisée par les livres
propres
p maux ne part pas, il s'en faut bien,
sacrés qui se servent de la même expression de d la même source que la compassion
d'honorer en parlant des rois, r,-gem honori- peines d'autrui; aux
p, c'est de l'amour de -soi,
ficate elle n'est donc pas nouvelle ou diffé- de d< l'égoïsme, le mortel ennemi de l'amour
rente de celle qu'on donne ordinairement à des d< autres; et de là vient qu'on est toujours
ce passage, elle est seulement plus générale moins
m sensible aux malheurs d'autrui, à me-
et puisque le Décalogue renferme, selon qu'on l'est davantage à ses propres
si
sure,
Bossuet, les premiers principes du culte de souffrances.
sc
(1) Voyezsur demeii.ee réelle,
sa et même héré- (2) Ex quu omnis palernitas in cœlis et in terrç
ditaire dans su famille, les écrits contradictoiresde (Eplies. m, 15.)
deux de ses amis, Dussaux et Corancez. nominatur.
no
1007 OEUVRES COMPLETES
IES DE M. DE BONALD.
M. DE BONALD. 1038
1W8
Tin homme,
Un bnmmi>. nnnnn
connu par W grâces
n»r les crrâv>p<5 de
<\& son mot. elles énoncent le vouloir, mais
en un mot,
esprit, définit la vertu, dans un ouvrage qui elles n'apprennent pés et ne donnent pas le
vient de paraître, une disposition naturelle, faire.
inhérente à tous, les hommes, à faire du bien De là suit la nécessité de lois pafticuHè-
aux autres, et il en trouve la source dans la res, religieuses et politiques, morales et
sensibilitéphysique. Si cela était, il n'y au- civiles, et explicatives des lois générales,
rait pas plus de mérite à pratiquer la vertu qui en fassent l'application- aux différents
qu'à cultiver la musique, ni plus de faute rapports de l'homme dans la société, et qui,
met-
à être vicieux qu'à avoir l'adorât obtus ou pour établir Vunion entre les hommes,
l'oreille fausse. La vertu n'est pas une dis- tent l'uniformité dans les devoirs, comme la
position, mais une action. L'homme a une nature elle-même met Vuniié dans le pou-
disposition à se faire du bien à lui-même, voir.
du bien aux autres par des motifs naturels Ces lois particulières, la raison dit qu'elles
à l'homme social. La sensibilité physique,
ne doivent pas être en contradiction avec les
qui est plutôt faiblesse que force de tempé- lois générales qu'elles doivent, au contraire,
rament, fait les cœurs tendres; la raison en être les conséquences plus ou moins
éclairée fait seule les hommes vertueux ou éloignées, mais toujours justes, et être,
forts, et l'on peut assurer en général, qu'à comme les lois générales elles-mêmes, 1«
commencer par Caton, la sensibilité physique résultat des rapports naturels entre les êtres
h 'est jamais la mesure de la vertu, de la
et l'expression de la volonté de leur auteur.
force d'ârete, virtus. Je reviens aux lois. » dit Mably, « lors-
« Les lois seront bonnes,
Ces lois sont la base de toute législation qu'elles seront le rejeton des lois natu-
morale, civile et criminelle chez tous les relies. » « Les lois politiques, » dit Jean-Jac-
peuples, et on les appelle exclusivement ques, « seront fondamentales elles-mêmes, si
naturelles,, quoique toutes les lois doivent elles sont sages. » Et il appelle ailleurs une
être naturelles. Ce sont les lois fondamenta- loi sage, une loi conforme à la nature. « Ce
les du genre humain, le titre primordial de n'est que dans la nature, » dit Cïcéron,« qu'on
la fondation de la société, et les moyens gé-• peut trouver la règle qui sert à distinguer
» Tous
néraux de sa conservation; « lois, » dit Cicé-• une loi sage de celle qui ne l'est pas.
ron, « aussi anciennes que la Divinité» et quit les publicistes, absolument tous, tiennent
ont précédé la naissance des villes et des le même langage tous s'accordent à recon-
empires; » « idées du bien et du mal, » dit1 naître la nature, qui -n'est que l'ensemble
Mably, « qui ont précédé l'établissement de, des rapports entre les êtres et des lois qui
la société, ); comme le rocher sur lequel oni en résultent, comme la seule
régulatrice des
a bâti la maison en précède la première3 lois. Mais lorsqu'il faut déterminer le sens
pierre. qu'ils attachent chacun à ce mot nature, ils
A cette source ont puisé taus les peuples,> se divisent, et ne s'entendent plus. Les uns,
absolument tous, même les peuples souve- comme Mably et J.-J. Rousseau, suivis par
rains, et il n'en est aucun dans l'univers quii fa foule des sophistes modernes, ne voient
ait ignoré ce. principe de toutes les lois,> la nature de l'homme que dans l'état impar-
dont une tradition obscure a conservé laa fait et purement domestique de société;
trace partout où l'Ecriture n'en a pas con- philosophie vaine et trompeuse qui veut ra-
servé le texte. mener le monde à ses éléments, dit saint Paul
la
Ces lois fondamentales, germe de toutee aux Colossiens («, 8), et faire rétrograder
législation, renferment les premiers princi- religion révélée à la religion naturelle, et
famille. De là viennent
pes du culte. de Dieu et de la société humaine,(“ l'état politique à la
mais elles n'en développent pas les consé- les éloges extravagants que J.-J. Rousseau
quences; elles prescrivent, il est vrai, maiss donne à l'homme des boisjouit et à la société
elles n'enseignent pas comment il faut obéir; sauvage, et la faveur dont la religion
philoso-
elles disent qu'il faut adorer le souverain n naturelle, auprès de nos modernes
dit très-bien
et honorer le pouvoir, mais elles se taisentit phes. « Ils voient la nature, »
sur la manière dont l'un veut être adoré et. îit. Leibnitz, « dans l'état qui a le moins d'art
l'autre honoré; elles défendent de tuer et dee (c'est-à-dire de développement), ne faisant
voler, mais elles n'expliquent pas si lee pas attention que la perfection emporte tou-
l'état
meurtre est toujours illégitime, et toute dis- jours l'art avec elle. » C'est aussi dans
position de la propriété d'autrui criminelle i; accompli et parfait qui demande le plus
quwdam.
d'art que ce grand philosophe, après Aristote des traits à demi effacés, extrema tradi-
et la raison, place la nature de l'homme hé lineamenta,
Imi dit saint Augustin; une
tioi altérée, de la première parole dont la
tion
pour se perfectionner, parce.qu'il est per-
fectible. Et c'est parce que cet état naturel et mémoire
mé; ne peut entièrement se perdre dans
distinctif
accompli opposé à l'état natif ou originel une un< société, et forme le caractère
le fil impercep-
est, pour l'homme moral comme pour l'hom- de la sociabilité, et comme
tibl qui guide chaque peuple à son tour
tible
me physique, un état d'effort, d'art et d'ac-
tion, qu'on dit communément, et avec une dans dar la route de la civilisation.
grande vérité, qu'il n'y a rien de si difficile Tous ces peuples ont reçu des lois qui
.1
n'é
à atteindre que le naturel, soit dans les ou- n'étaient pas des rejetons dés lois naturelles,
vrages d'esprit, soit dans les manières. Te- des lois
qui n'étaient ni sages, ni fondamen-
tah elles-mêmes, parce qu'elles ne déri-
rum, dit Quintilien, id est maxime naturale tales
quod natura fieri optime patitur. vaient pas naturellement des luis fondamen-
vai
Chez tout peuple où les lois particulières, talitales. Ces sociétés, ou plutôt ces peuples,
on1 tremblé devant des pouvoirs
humains,
religieuses ou politiques seront, comme dit ont
Mably, un rejeton des lois naturelles,, où elles et etn'ont pas honoré des pouvoirs naturels;
la terre,
seront sages, donc fondamentales elles-mêmes, ils n'ont donc pas vécu longtemps sur à
fait qu'y passer, funestes eux-
comme dit J.-J. Rousseau, là le pouvoir ou et n'ont
le père sera honoré; car les lois particuliè- mêmes mé et terribles à leurs voisins.
.3° Tout peuple, je parle des peuples mo-
res, religieuses ou politiques ne sont au >
qui ayant connaissance de la pre-
fond que la constitution du pou voir l'homme dernes,
de
social vivra longtemps sur la terre, c'est-à- mi mière parole, par la première écriture, en a
dire que la société politique ou religieuse fait fai la base de sa législation, a vécu long-
subsistera; «mais, » dit J.-J. Rousseau,que temps ter. sur la terre, et a vécu plus fort et plus
je ramène ici par force à mes principes, perfectionné,
pe plus naturel en tout, à mesure
si le législateur se tram pant dans son objet, quque ses lois particulières ont été des consé-
établit un principe différent de celui qui quences qu plus naturelles des lois générales,
naît de la nature des choses, l'Etat (religieux des de rejetons plus semblables à leur tige, des
politique) ne cessera d'être agité, jusqu'à loi par conséquent plus sages et plus fonda-
lois
ou
mentales elles-mêmes d'une société, comme
ce qu'il soit détruit ou changé, et que l'in- ml
vincible nature ait repris son empire. » les lois primitives sont fondamentales du
les
Voilà la théorie, et voici l'application genre
ge hnmain et pour comparer ici l'une
1° Le seul peuple de l'univers habité qui, avec av l'autre les deux sociétés qui partagent
ayant conservé par l'Ecriture la connais- l'univers, l't la société chrétienne et la société
sance de la parole divine, a fait l'application mahométane
m; ou idolâtre, qu'on rapproche
des lois générales aux circonstances parti- le développement toujours croissant, la force,
culières de son état social ce peuple, dis-je, expansive,
ex les lumières, et j'ose même dire,
a honoré le pouvoir puisqu'il l'a attendu, et le les vertus du monde chrétien, malgré quel-
il a vécu longtemps sur la terre; mais lors- qi ques éclipses partielles et des désordres
qu'il a cessé de V honorer en refusant de W individuels,
in de l'état d'abrutissement, da
reconnaître, il a cessé de vivre en société, et tw barbarie et. d'oppression du monde antiebré-
s'il vit encore, il vit sans aucun pouvoir, tien, ti< et l'on verra l'un destiné à vivre long
esclave de tous les pouvoirs, étranger à tous temps te sur la terre, parcé qu'il honore celui
les lieux, suspect à tous les Etats, distingué qui qi en est lepouvoir universel, s'y fortifier
de tous les peuples il vit ce peuple « que et s'y étendre, et l'on verra l'autre, maho-
cinq mille ans n'ont pu détruire, ni même métan m ou idolâtre, qui ne le connaît pas, ou
altérer, et qui est à l'épreuve du temps, de m ne lui rend pas l'honneur qui lui est dû,
la fortune et des conquérants » condamné
ce à disparaître de la terre, se dimi-
2° Tous les peuples, sans en excepter un nuer n et s'affaiblir; et puisqu'on ne peut
seul, qui n'ont pas connu la première écri- s's'empêcher d'attribuer l'état faible et chan-
ture, n'ont conservé qu'un souvenir confus, celant e<
de la société mahométane ( 1 ) à

(1) Tous nos efforts pour changer les habitudes la civilisation, et que la constitution seule en est
politiques et militaires des Turcs ont été inutiles, le moyen. Il n'y a jamais eu chez les peuples an-
et cela devait être. C'était s'obstinera soutenir un ciens
<:i que les Macédoniens, les Romains et les Spar-
édifice sans fondements, où l'on ne voulait pas voir tiales
ti qui aient su l'art de la guerre, parce qu'ils,
que les connaissances (soi laies) sont le résultat de étaient
éi plus constitués que les autres.
J'absurdité de son théisme, qu'on ait la qu'elles n'étaient ni sages, ni fondamentales,
bonne foi d'attribuer la force et les progrès et que loin de les faire vivre longtemps sur
des nations chrétiennes à la perfection de la terre, elles ne pouvaient que hâter leur
leur religion, de cette religion élevée qui, dégénération et consommer leur ruine.
éclairant immédiatement l'intelligence bu- C'est ici que paraît avec la dernière évi-
maine sur les rapports les plus vastes et les dence la vérité de ce que nous avons avancé,
plus importants, ceux de l'homme avec l'être que l'homme imparfait et borné ne se serait
inlini, y produit un foyer de lumière qui jamais élevé de lui-même à la connaissance
J'éclaire sur ses rapports secondaires avec des rapports fondamentaux, des rapports
les autres êtres (1). Et qu'on n'allègue pas parfaits qui existent entre les êtres, et sur
les connaissancesrelevées de quelques sages -lesquels repose la société, et que, moins en-
du paganisme; car outre qu'ils ne savaient core il aurait pu les faire passer en lois, et
rien, puisqu'au fond ils doutaient de tout, y assujettir les autres hommes, puisqu'il
je demanderais quelle influence leurs sys- n'en a pas même su tirer des conséquences
tèmes ou leurs doctrines ont eue sur le bon- justes et naturelles lorsqu'ils lui ont été ré-
heur du peuple et l'état de la société? vélés, et qu'il a détruit les lois générales
Si l'on m'opposait la prodigieuse durée par ses lois particulières.
1
de l'empire de la Chine, je répondrais que Ainsi de cette loi fondamentale, dont
la Chine n'est encore qu'une société nais- une tradition ineffaçable avait conservé le
sante, puisque toutes les faiblesses de l'hu- souvenir, tu adoreras ton Dieu, et tu le ser-
manité y sont opprimées; ce qui fait que cet viras lui seul, tous les peuples anciens', hors
empire, malgré son énorme population, est un seul, et même des peuples modernes,
le plus faible des Etats, sans cesse ravagé ont tiré la conséquence qu'il fallait adorer
par les révolutions, ou asservi par la con- et servir une multitude de dieux, ou servir
quête. La vie d'une société est sa civilisa- Dieu en opprimant l'homme; et de là J'ido*-
tion et non sa durée. lâtrie avec ses extravagances, et lemahomé-
Je vais plus loin, et à comparer entre elles tisme avec sa barbarie; et même sous nos
les sociétés chrétiennes, je remarque plus yeux, des hommes se croyant éclairés, en
de force, et une existence plus longue et tirent la conséquence, les uns, qu'il y a un
plus glorieuse sur la terre dans la nation où Dieu, mais qu'indifférent à nos actions et
le pouvoir public et religieux était le plus aux événements de ce monde, il demande
honoré, je veux dire la France, où la consti- de nous une adoration purement spirituelle,
tution politique était plus naturelle que sans culte extérieur et commun; les autres,
partout ailleurs, et la religion mieux en- qu'il n'y a point de Dieu, et que toute ado-
tendue et plus sévère; et Condorcet lui- ration est un préjugé, et tout culte une su-
même s'en plaint; et je vois les sectes ré- perstition.
formées et les Etats populaires, ces sociétés Ainsi de cette loi, tu honoreras ton père et
qui cessent d'honorer le pouvoir public, ta mère, certains peuples sauvages en ont
puisqu'elles ne le connaissent plus que de conclu qu'il fallait tuer et manger leurs pa-
nom, et que gouvernées par des pouvoirs rents parvenus à une grande vieillesse, pour
particuliers, elles substituent ainsi le pou- les délivrer des misères de la caducité; et
voir de l'homme à celui de la nature et de même au milieu des peuples policés, des
son auteur, je les vois, dis-je, livrés en nais- philosophes plus sauvages encore ont avancé
sant à l'esprit de contention et de révolte, que l'enfant ne devait plus rien à son père
vivre ou plutôt végéter dans la haine et la et à sa mère une fois qu'il était parvenu à
guerre, pour finir-bientôt dans l'anarchie et l'âge de raison et de force, précisément à
dans l'athéisme, et annoncer par là que les l'âge où il peut les honorer et les secourir;
lois récentes qu'elles avaient reçues n'é- tandis que dans ia société politique d'autres
taient pas des rejetons des lois naturelles, insensés, raisonnant sur les mêmes princi-
(1) La religion dit aux hommes » Il existe tes mais n'allez pas plus loin il n'existe aucune
des effets, vous pouvez en user; mais il existe une cause, et s'il en existe «ne, vous ne la trouverez
cause première, et vous devez la connaître voilà pas. «Je le demande, quelle tst, de la religion ou
les données dont il faut partir pour la chercher, et de la philosophie celle qui s'oppose le plus aux
la route que vous devez suivre; ne vous détournez progrès de l'esprit humain? Aujourd'hui dans les
ni à droite ni à gauche, vous vous égareriez infail- écoles on défend de parler de Dieu, d'âme, d'esprit,
liblement. ) La philosophie moderne leur dit < II et les hypocrites accusaient la religion de nous in-
existe des effets, jouissez-en, manipulez, décompo- terdire les recherches, lorsqu'elle ne faisait que les
sez, combinez, soyez chimistes, géomètres, artis- guider.
pes, concluaient qu'une nation parvenue à religieuse, nous donne comme le signe au-
sa maturité ne doit plus honorer d'autre lé- quel nous reconnaîtrons la société qu'il a
gislateur qu'elle-même, et faisaient de tou- fondée; cette société de laquelle il dit lui-
tes ces erreurs la base de leur législation re- même que les portes de l'enfer ne prévaudront
ligieuse et politique, domestique et pu- jamais contre elle, parce qu'il est avec elle
blique. tous les jours jusqu'àla consommation(Matth.
Ainsi, lorsqu'il était dit aux hommes, tu xvih, 20); cette société qu'il compare à l'édi-
ne tueras point, de3 peuples entiers, et des fice bâti sur le rocher que les vents impétueux
plus célèbres, obéissaient, obéissent encore des nouveautés humaines, les efforts des pas^
à la loi du meurtre légal des enfants, ou de sions, et la rage môme de l'orgueil ne sau-
l'exposition publique. Ceux-ci établissent raient renverser. Cette subsistance, au mi-
le divorce pour enlever à leur prochain la lieu des combats, malgré la variation conti-
femme qu'il n'est pas même permis de dési- nuelle des choses humaines, cette vie de
rer ceux-là entin qui n'ont pas ignoré cette force, plus encore que de durée (car le ma-
loi fondamentale, tu ne déroberas à ton pro- hbméfisme dure et ne vit pas), ne pouvait
chain rien qui soit à lui, ont porté des lois pas être un signe pour les contemporains
pour le dérober lui-même, et réduire sous de la naissance même de la société. Il est
le plus dur esclavage des familles, des na- de nécessité absolue qu'ils en aient vu d'au-
tions entières. tres et, au défaut même de l'histoire, la
C'est donc en tirant des conséquencesjus- raison nous dirait que l'être, dépositaire des
tes des lois primitives et fondamentales, que volontés divines, devait participer à l'action
l'être humain, pouvoir dans toute société, divine, et faire ce que les hommes ne pou-
porte des lois sages et fondamentales elles- vaient pas faire pour accréditer auprès d'eux
mémes, des lois rejetons des lois naturelles, des vérités hautes et sévères qu'ils ne vou-
et qui font vivre longtemps l'homme sur la laient pas croire, et que si la religion chré-
terre; des lois enfin qui sont l'expression tienne a perfectionné la société, et résisté
de la volonté générale du souverain législa- aux hommes et au temps, elle est divine;
tour de l'univers. « Ces lois, » dit Charles si elle est divine, son souverain est Dieu
Bonnet, « sont en quelque sorte le langage même son pouvoir est de Dieu, et que cela
de l'auteur de la nature, et l'expression posé, la raison aperçoit la nécessité des œu-
physique de sa volonté. » vres extraordinaires du fondateur, même
Ici, le croirait-on? je me trouve d'accord avant que l'histoire en établisse la certitude.
avec la fameuse déclaration des droits. « La Mais si les œuvres merveilleuses du fonda-
loi, » dit-elle, c( est l'expression libre et so- teur de la religion chrétienne font moins
lennelle de la volonté générale. » d'impression sur nous par l'habitude d'en
Mais les auteurs de cette mémorable dé- entendre parler ou par la distance des
claration entendaient par la volonté géné- temps qui, à cause de l'imperfection de no-
rale la volonté collective de plusieurs indi- tre esprit, affaiblit, non la certitude, mais
vidus, ou la volonté populaire, imparfaite la croyance des faits comme l'éloignement
comme l'homme, et plus imparfaite quand des lieus, à cause de la faiblesse de nos or-
elle sort du choc des intérêts et des passions ganes, rend plus obscure, non la lumière,
entre plusieurs hommes; et j'entends par mais la vision de la lumière, l'âge du monde
volonté générale la volonté de l'être le plus où nous vivons, et l'expérience bientôt de
général pour la conservation de la généralité deux mille ans, nous donne des motifs de
des êtres, volonté parfaite, seule capable de crédibilité plus forts encore, parce qu'ils
régler des volontés imparfaites (1). sont plus généraux, des motifs qui, par un
La.force vitale d'une société, qu'on me effet contraire, deviennent tous les jours
permette cette expression, est donc le carac- plus convaincants, et que la révolution qui
tère auquel nous pouvons reconnaître la sa- s'est faite en France, et qui se prépare en
gesse de ses lois et la constitution naturelle Europe, portera à un degré d'évidence irr4-
de son pouvoir; et c'est aussi ce caractère sistible; en sorte que si les contemporains
que l'Homme-Dieu, pouvoir de la société de l'homme avaient, pour croire, les œuvres

U) La grande erreur politique de J.-J. Rous- les idées générales et simples, et les idées collectilll's
seau est d'avoir confondu la volonté générale et la on composées sous le nom d'idées abstraites mé-
volonté collective ou popinaire, et la grande erreur prise qui conduit à l'athéisme, comme celte <&
idéologique de Coiidillac est aussi d'avoir confondu Jean Jacques conduit à l'anarchie.
surhumaines du législateur, les sujets du adorer le souverain et honorer le pouvoii
pouvoir ont, pour croire, les effets divins de et qui empêchent d'attenter à l'homme dans
la législation. sa personne et dans sa propriété, c'est-à-
C'est donc l'Homme-Dieu, selon les Chré- dire, pour réduire les lois à leurs principes,
tiens, qui est venu promulguer par une et la société à ses éléments, lois qui répri-
nouvelle parole, fixée dans une nouvelle ment l'action des passions, destructives de
écriture, une nouvelle loi, l'amour de Dieu la connaissance de Dieu et de l'existence de
et du prochain; loi fondamentale d'une l'homme car ce ne sont pas des lois, mais
nouvelle société divine et humaine; loi, des règlements passagers et toujours provi-
développement. naturel de la loi primitive, soires, des arrangements locaux et de cir-
puisqu'il dit lui-même qu'il n'est pas venu constances, que toutes ces lois de fiscalité
la détruire, mais l'accomplir ( MatEh. v, 17) et de commerce qui encombrent le code des
loi primitive à laquelle il remonte directe- Etats et la tête des administrateurs, et qui,
ment, lorsque changeant d'autres lois, con- trop souvent opposés aux vrais intérêts de
séquences peu naturelles ou imparfaites la société, ne sont qu'un compromis entre
données passagèrement à un peuple enfant la cupidité du prince et la cupidité des
et qui ne conviennent plus au peuple d'hom- sujets.,
mes qu'il veut former, il dit a été dit à Le pouvoir doit donc attendre, pour porter
vos pères Vous ne tuerez pas, et moi, je la loi, que la nature ou l'ensemble des rap-
vous dis Vous aimerez jusqu'à vos enne- ports naturels entre les. êtres qui, môme à
mis, etc. (Ibid., 43, kk. ) l'insu de l'homme, dirigent les événements
Ces rapports, si Dieu les pouvait entre- lui en indique la nécessité. La nature, qui,
voir, aucun autre législateur que Dieu ne dans ce sens n'est autre chose que la
pouvait leur donner force de loi. La légis- volonté du Créateur des êtres, auteur de
lation des nations chrétiennes n'en est que tous les rapports qui existent entre eux,
t'application plus ou moins développée; la prend donc, pour ainsi parler,' l'initiative
société politique n'existe que pour les faire des lois nécessaires, comme l'homme prend
observer, et telle est l'influence du christia- l'initiative des lois qui ne le sont pas.
nisme sur la législation des Etats et le sort Àinsij.les mœurs, ou lois naturelles à l'état
de l'humanité, .que dans toutes les sociétés, domestique de société, insensiblement déve-
même politiques, à commencer par celle des loppées, deviennent naturellement les lois
Juifs, il a resté, et il reste encore jusqu'au politiques naturelles à l'état public, telles
parfait établissement du christianisme, des que sont l'unité et la masculinité du pouvoir,
lois imparfaites,conséquencesfausses, quel- le droit de primogéniture et l'inaliénabilité
quefois absurdes, des lois fondamentales; des domaines, lois fondamentales de ['Etat,
et ce fait au-dessus de toute contradiction comme elles le sont de la famille; lois dont
est la preuve de l'assertion que j'ai présen- les autres lois, moins importantes, ou plus
tée comme un axiome de la science de la tard importantes, sont les conséquences
société, que l'humanité a été opprimée dans plus ou moins éloignées. Ainsi, à partir des
tout état public de société où l'Homme-Dieu Germains, dont les mecurs ont été si bien
(représentant la société tout entière) n'a décrites par Tacite, et qui offrent les pre-
pas été reconnu. miers pas d'une société hors de l'état domes-
L'homme chef de l'Etat politique, minis- tique, et pour ainsi dire, son entrée dans le
tre de la Divinité pour faire le bien et punir monde civilisé, on peut, en venant jusqu'à
le mal, minister Dei in bonum, si autemt nous, suivre les progrès de la société et le
malum feceris, time, mais pouvoir visible à développement de nos lois politiques. Mais,
l'égard des hommes sensibles, tant qu'il ne lorsque l'homme a porté quelque loi qui
contredit pas formellement le pouvoir (1) n'est pas le résultat d'un rapport naturel,
supérieur dont il est le ministre, ne doit la société tombe dans un état de langueur
donc promulguer de lois que celles qui sont et de trouble qui avertit naturéllement le
les conséquences naturelles de rapports pouvoir de la nécessité de retirer une loi
naturels qui existent entre les personnes qui introduit dans l'Etat un usage vicieux
sociales constitutives de toute société, pou- et si le pouvoir, averti par ces symptômes
voir, ministre, sujet, des lois qui fassent fâcheux de l'état de souffrance du corps
(1) Nec possumus, nec debemus, disait au roi le à une toi majeure relative à l'état public de la
parlement de Paris, refusant son enregistrement religion.
1U;Wi ran 1 i. 1. ^uunufli. ow. –
social, néglige d'y porter remède, la nature Ainsi, plusieurs lois portées en France sui
Je ramène à son devoir par des révolutions, l'ordre
l' des ministres du pouvoir, depuis la
comme elle punit par les maladies, ou même loi 1, qui leur permit, il y a plusieurs siècles,
par la mort, l'homme physique à qui elle d'aliéner
d leurs terres, jusqu'à celle qui, de
annonçait depuis longtemps, par le déran- nos r, jours, en bornant les degrés de substi-
gement de ses fonctions, la présence de tution,t leur a défendu de perpétuer les
quelque levain vicieux, parce que l'homme bienst dans leurs familles, et par là a défendu
et la société, écartés des voies de la nature, aux
a familles elles-mêmes de se perpétuer,
« ne cessent d'être agités jusqu'à ce que t
toutes ces lois, dis-je, n'étaient ni nécessai-
,l'invincible nature ait repris son empire. » res,
r ni naturelles elles ont été portées
La nature est donc le premier et devrait être contre
c les ministres, et par conséquent contre
l'unique législateur dès sociétés. Delà vient le
1 pouvoir, contre la société.
que prësqu'aucune des lois politiques cons- Mais si le pouvoir ne doit porter que des
titutives de l'Europe monarchique, et parti- lois
1 dont la nature elle-même indique la
culièrement de la France, n'a de date cer- nécessité,
r que penser- de la profonde igno-
taine ni (t). d'auteur connu, et que l'his- rance
r ou de la téméraire présomption de ces
toire ne nous montre de législateur que hommes 1 qui disent Assemblons-nous, et in-
dans les Etats populaires, dont les lois ou ventons
t une société; comme des ouvriers
ce qu'ils appellent ainsi, portent souvent, diraient
c Défrichons ce terrain inculte, ou
comme à Rome, le nom de leur auteur construisonsc un édi fice et qui, faisant des
Lex f alerta, Opimia, etc. C'est l'instinct de lois
1 par cela seul qu'ils sont assemblés pour
cette vérité qui faisait dire à Mably « Je en t faire, font des lois sur tout, font des lois
crois avoir remarqué que les Etats qui se contre( tous, et les font nécessairement dé-
sont formés avec le plus de lenteur ont acquis sastreuses
s par cela seul qu'elles n'étaient
plus de consistance alors chaque établisse- pas 1 nécessaires ?
ment trouve tous les esprits disposés à le Après les détails dans lesquels nous ve-
recevoir, » parce que chaque loi a été précé- nons
î d'entrer, il en coûte à l'homme qui a
dée par quelque chose qui l'a rendue néces- quelque
( justesse dans les idées, de discuter
saire, et qui en faisait prévoir et désirer la l'opinion
1 de la souveraineté du peuple,
promulgation; et malheur à la société où il néant,
1 c'est-à-dire abstraction sans réalité,
se fait des lois inattendues 1 système
i où Dieu n'est pas, où l'homme seul
On voit la raison du peu de consistance est < tout, et même les extrêmes, pouvoir et
qu'ont pris en Europe certains Etats qui se sujet
j
faux puisqu'il est impraticable de
sont formés rapidement, comme ces fruits l'aveu même de ses défenseurs, et où l'on
mûris à force de chaleur artificielle, qui est < toujours placé entre une inconséquence
n'ont ni couleur ni saveur; et sans parler de et un blasphème. En effet, si l'on fait crain-
la France démocratique, qui a eu une crois- dre aux apologistes de cette souveraineté
sance si rapide et une mort si subite voyez que l'ignorance et les passions humaines
la Hollande, formée en peu d'armées et n'égarent la faculté législative de l'homme
détruite en peu d'instants!1 ou du peuple, ils vous répondent, tantôt
Le pouvoir qui promulgue une loi néces- avec Jurieu Que le peuple est la seule auto-
saire, résultat d'un rapport naturel entre les rité qui n'ait pas besoin d'avoir raison pour
êtres, comme par exemple celui de la suc- valider ses actes, tantôt que le peuple est
cession maseul i ne, expri me donc une volontéjuste et bon et qu'il ne saurait faillir) et par
du souverain, conservatrice des êtres qu'il cela seul ils reconnaissent urre justice et une
a créés; et celui qui promulgue une loi non bonté au-dessus du peuple, puisqu'il y con-
naturelle, une loi destructive de la société, forme ses pensées, et une règle antérieure
comme serait la loi qui appelle les femmesau peuple, dont il ne peut s'écarter dans ses
au pouvoir, cause interminable de troubles actions et ils sont ainsi ramenés à la sou-
civils et de guerres étrangères, désobéit à veraineté de Dieu, justice, vérité, bonté es-
l'auteur de la nature, ou plutôt obéit à un sentielles, auteur nécessaire de tout ordre.
autre souverain, à l'homme et à ses D'autres, plus conséquents, soutiennent
caprices, <
qu'il n'y à de juste que ce que le peuple per-
(1) L'histoire d'un état populaire est l'histoire laquelle nous avons de bonnes histoires des Grecs et
de l'homme et de ses actions bonnes ou mauvaises. des Romains, et que nous n'avons pas une bonne
L'histoire d'un l'Etat un est celle de la nature et histoire de France.
tie ses insensibles développements; raison pour
met, d'injuste que ce qu'il défend et comme laires, soit pour porter des lois, soit pour,
Jaas un pareil système il faut tout accorder élire des hommes.
ou tout rejeter, ils sont, malgré eux-mêmes, Mais l'être infini, général, ou Dieu, et l'ê-
poussés jusqu'à soutenir que la loi de Sparte, tre collectif appelé peuple, se servent d'un
qui permettait au jeune citoyen, comme un être intermédiaire pour faire entendre leur
exercice l'assassinat de son esclave, est volonté à l'être fini, particulier, individu,
aussi juste que celle qui prescrit à un père et lui appliquer leur action, et faire ainsi
de donner des aliments à ses enfants et s'il de cette volonté et de cette action générales
objectait qu'il y a dans l'homme un senti- ou collectives, une volonté et une action
ment naturel qui l'avertit de la barbarie de spéciales et déterminées.
cette loi, on lui répondrait que les Spartia- Le pouvoir subordonné, appelé dans les
tes n'éprouvaient pas sans doute ce senti- deux systèmes, chef, autorité, et dans cet
ment naturel, lorsqu'ils la recevaient de ouvrage, le pouvoir, est cet être intermé-
leur législateur, et la mettaient à exécution; diaire entre Dieu et les hommes, ou entr^
ou que s'ils l'éprouvaient, il y a donc un cer- le peuple et l'individu, c'est-à-dire entre
tain ordre naturel, différent de la volonté l'être général et infini et l'être particulier
de l'homme, puisqu'il est antérieur à ses et fini, ou bien dans le système populaire,
actions, indépendant de l'homme par con- entre les hommes collectifs et l'individu et
séquent, et dont un sentiment intime lui il est l'organe de la volonté du souverain,
révèle l'existence, ce qui ramènerait encore et le ministre de son action envers-le svjet.
la souveraineté de l'Etre suprême on lui La volonté, acte de l'être simple sur des
répondrait par l'opinion qu'ont eue sur la êtres simples ou intelligents, est indivisi-
souveraineté du peuple, quand il en exerce ble, et l'on ne peut distinguer, dans la vo-
les actes, les philosophes anciens, Cicéron lonté, de commencement, de milieu ni de
surtout (i), et même les modernes, tels fin. La volonté n'est bornée ni par la dis-
que J.-J. Rousseau et Mahly, lorsqu'ils dai- tance des lieux, ni par l'éloignement des
gnent descendre des régions éthérées de temps ni par le nombre des hommes.
leur théorie sociale on lui répondrait en- L'homme veut partout, et même là où il
core mieux par l'exemple de l'Angleterre et n'est pas; toujours, et même après lui sur
de la France, où les lois les plus oppressi- tous, et.le même acte de ma volonté qui fait
ves ont été portées, au nom du peuple, con- mouvoir mon bras, fait agir une armée. La
tre Dieu et contre l'homme, par ceux qui se volonté embrasse donc la généralité dans
disaient ses mandataires; leçon terrible, sa simplicité, et à cause de sa simplicité
événement à jamais mémorable, où l'on a même, elle comprend le présent et l'avenir,
vu, dans les deux siècles qui viennent de l'objet prochain et l'objet éloigné, le tout et
s'écouler, deux puissantes nations ravagées la partie; et la volonté qui fit sortir du néant
par leurs propres lois comme une tempête, et exister au dehors l'univers sensible, n'est
résister à leurs ennemis, et succomber sous pas plus composée que la volonté qui tire
leurs législateurs. mon corps du repos et le transporte dans un
CHAPITRE V. autre lieu.
L'action exercée sur les corps, sur l'être
DES MINISTRES ET DE LEURS FONCTIONS. composé, est par cela même composée et
divisible. Elle commence, elle continue, elle
JI faut ici rappeler les principes pour en finit; elle est circonscrite à une portion de
suivre l'enchaînement. Le pouvoir suprême, la durée, exercée sur une portion de la ma-
infini ou général dans Dieu, collectifdans tière une action se fait dans un certain lieu,
les hommes, appelé, dans l'un ou l'autre pendant un certain temps, sur un certain
système, le souverain, veut et agit d'une ma- sujet et l'action de lancer une pierre, de-
nière générale ou collective relative à la gé- mande bien moins de lieux, de temps et de
néralité des êtres, ou à une collection quel- matière que celle de construire un édifice.
conque d'êtres. De la simplicité et de l'indivisibilité de la
Ainsi, les hommes, là où le peuple se dit volonté, il suit qu'elle est incommunicable
souverain, veulent et agissent d'une ma- l'homme pensant ne charge jamais quelqu'un
nière t-u^cvni'c uaus leurs
u.vic collectivedans icuis assemblées
ttsaeiuujee*popu-
yupu- ae vouloir
de puisqu il peut toujours
vouloir pour lui, puisqu'il
lisau!lé-iTuseiîc!iSlUll0 S/mUm est '"Ud existimare omnia justa esse
tis aut legibus. (Cic., De leg. 1uœ scita sint in-populorum instilu-
1021 PART. 1. ECONOM.
vouloir lui-même. C'est la pensée de J.-J.
Rousseau, « la volonté ne peut jamais être
représentée. »
-––
SOC. – ESSAI ANALYTIQUE.
rieur de l'Etat, et le combattent mr
1a r.nmhn.itP.nt. par
de la loi, ou repoussent par les armes l'en-
nemi étranger.
«^
nnz
\» glaive
le <,u\™

De ce que l'action est divisible et Les ministres sont donc nécessaires dans
compo-
sée, il suit que l'homme agissant peut char- toute société,
comme un rapport naturel en-
ger quelqu'un de faire pour lui, parce qu'ill tre le pouvoir et le sujet. Aussi ils ont existé
ne peut pas toujours faire lui-même. sous une forme au sous une autre, sous un
Ainsi, l'on ne donne jamais de procura- nom
ou sous un autre, dans toutes les so-
tion à quelqu'un pour vouloir, mais
pour• ciétés religieuses et politiques. Ainsi, les
faire puisqu'on veut d'avance ce qu'il tyrans ont des satellites
fera. pour contraindre
leurs esclaves, comme le pouvoir a des mi-
Ainsi, la volonté peut avoir des conseil- nistres
lers qui l'éclairent, mais l'action doit avoir Moloch avait pour gouverner ses sujets. Ainsi
ses prêtres qui lui immolaient
des ministres ou serviteurs qui l'accomplis- physiquement des victimes humaines,
com-
sent. me le Dieu des Chrétiens a son sacerdoce
Nous avons vu que l'action publique du qui lui immole d'une manière mystique
pouvoir s'appelait gouvernement dans l'état victime humaine, seule digne de lui etune
i
les
politique, culte dans l'état religieux. sectateurs purs de la religion naturelle, qui
Cette action, parce qu'elle est publique, traitent de scélérat l'homme qui
excède l'action ou les forces d'un homme poser entre l'homme et la Divinité, ose s'inter-
n'ont-ils
seul, et ne peut être exécutée que par plu- pas eux-mêmes, dans le culte théophilanthro*
sieurs hommes publics, comme le pouvoir pique, des hommes distingués des
autres
dont ils sont les ministres. hommes par leur costume, leur place, leurs
Ces ministres exercent donc par les ordres fonctions et leur solde; des hommes
inter-
du pouvoir public la fonction de faire pour prètes des volontés de leur dieu-nature
accomplir la volonté publique exprimée par les hommes, puisqu'ils les instruisent dans sur
la loi. la connaissance d'une loi qui doit éclairer
Deux choses sont nécessaires pour l'exé- leurs volontés et régler leurs actions,
et mi-
cution de la loi 1" la connaissance de ce nistres du culte des hommes leur Di-
qu'elle prescrit, et que j'appelle jugement; vinité, puisqu'ils lui offrent, envers des
2° la destruction des obstacles qui s'oppo- sistants,
au nom as-
avec l'hommage des cœurs, les pré-
sent à l'exécution de la loi connue, et que mices des fleurs et des fruits; car le sacrifice
j'appelle combat. de l'homme intérieur et extérieur, et l'of-
Ainsi, juger et COMBATTRE parle com- frande de propriété, sont l'action sociale
sa et
mandement du pouvoir, sont la fonction es- nécessaire de toute religion, l'hommage
sentielle de ses ministres. que
l'homme fait de lui-même et de ses biens au
Cette division comprend, comme on voit, Créateur de l'homme et de l'univers,
et qui,
les deux branches principales de tout gou- raisonnable ou non, mais rendu partout où
vernement, l'état judiciaire et l'état mili- il y a des hommes et des nations, prouve à
taire. La fonction de combattre doit être la fois l'ancienneté de la tradition, et l'uni-
précédée et réglée par celle de juger, comme versalité de la croyance.
le corps doit être gouverné par l'esprit, et Le pouvoir domestique lui-même a ses
c'est ce que signifie cet axiome de jurispru- ministres, soit dans la mère, ministre de l'ac-
dence, que force doit demeurer à justice. tion productive, soit dans les serviteurs ou
Ainsi, les ministres de la religion jugent domestiques, ministresde l'action
dans leurs décisions l'homme qui répand trice de la famille, qui travaillentconserva-
fausse pour la
une doctrine, et le combattent par nourrir; car le travail est aussi effort et corn-
leurs censures et même à l'égard de cha- bat In sudore vultus tui comedes
panem
que homme fidèle ou sujet du pouvoir reli- tuum. (Gen. m, 19.)
gieux, le prêtre juge le coupable dans le tri- Pouvoir, ministre, sujet, trois personnes
bunal secret, et le combat ou le punit par la constitutives de
( toute société, même domes-
peine qu'il lui impose. tique,
t et essentiellement distinguées l'une
Les ministres politiques, appelés juges, de ( l'autre; mais ces trois personnes ne
guerriers, magistrats, fonctionnairespublics, tituent cons-
t qu'un corps social, proposition dans
jadis noblesse, etc., et considérés dans leurs laquelle
1
un lecteur attentif apercevra une
fonctions publiques, jugent l'ennemi inté- des ( grandes analogies qui lient le système
or OEUVRES COMPLETES DE M.
:S 1~l!~ »E
1\1. 1Il\,
SONALD. 1024
UU1-.I\LoIJ.
.1
général des effets à la nature infinie de la Europe
Eu ~t~mfmfMlicri<n-!f<t)f<nnn-
contre le pouvoir religieux et le pou-
voir politique.
vo:
cause. Ainsi, les abus qui s'étaient introduits
C'est parce que les ministres sont une per- clergé, et qui depuis longtemps de-
qu'autrefois les dans
dai le
sonne et les sujets une autre, mandaient une réforme dans le chef et dans
états généraux ont voté par ordre, et qu'on mi
membres, suivant l'expression des con-
n'imaginait pas de compter plusieurs têtes là les
ciles,
cil furent la première cause des progrès
où il n'y a qu'une personne. de Wiclef, de Jean Huss de
qu'on de la révolte
C'est ici le lieu d'observer que ce
les états généraux Luther et de Calvin, père de la philosophie
appelait en France com-
posés de trois ordres, n'était que la réunion moderne; o>< et dans l'ordre politique, les jouis-
religieuse politique et sances
sa domestiques préférées aux fonctions
des trois sociétés plutôt recherchées unique-
domestique, dont se compose l'état civil de publiques,
pu ou
nation. ment
m dans les fonctions publiques, et la va-
toute souvent avant
C'est parce que le ministère social est la nité ni de la naissance, mise trop
de combat- les
le: devoirs de la noblesse, ont été une des
fonction perpétuelle de juger et
appelé ordre or- causes
ca de la révolution, et peut-être la plus
tre, qu'il est ou personnes
prochaine, excitant la jalousie des sujets
données, disposées pour une fonction qui pr en
les vo- contre les ministres car les hommes n'en-
demande de la subordination dans cc
jouissances, et jamais les de-
ordonnance dispo- vient
vi que les
lùntés, et une certaine ou
sition dans les actions. Il s'appelleaussi mi- voirs. vc
dévouées, de me lito, je Le ministre n'est donc plus élevé que
lice, ou personnes mieux aperçu, et il doit également
dévoue d'où l'on a fait milito, je com- pour
P< être
me défendre l'Etat son action politique et
seul changement d'e dl par
bats, je sers, par
i ordinaire dans toutes
le
les langues. Onsait en
édifier (1) la famille par son exemple per-
qu'en France les hautes charges de la magis- sonnel. se
doit donc rappeler le minis-
de miles cheva- Le pouvoir
trature donnaient le titre gravité de ses fonctions, s'il veut
lier, et qu'encore les fonctions militaires tre
tr à la
s'appellent service. maintenir le sujet dans l'obéissance, comme
qui fait l'artiste
1 perfectionne ses instruments quand
Ce dévouement dans les ordres,
serviteurs il vent perfectionner son ouvrage.Un peuple
de leurs membres autant de ou r de-
corrige que par
ministres de la société, donne le mot de l'é- ne n se déprave ou ne se
nigme que Rousseau se propose et l
qu'il l'exemple
l' de ses chefs c'est une colonne
change de route lorsque la tête
n'ose résoudre. « Quoi donc la liberté (de dd'armée qui
tous) ne se maintient qu'à l'appui '-de la ser- change c' de direction, et jamais la société ne
quelques-uns ), peut-être. Si le périt
p que par la faute du pouvoir chargé de
vitude (de
ministère public est nécessaire dans toute 1;la conserver.
société, le respect des peuples pour ceuxz De là viennent les noms de nobles, nota'
qui l'exercent n'est donc pas un préjugé sanss btes, b noblesse, mobilité, notabilité, de notare,
raison, puisqu'il est le sentiment naturel de mto, î n qui doivent se faire remarquer gen-
gentis hommes, gentlemen, hom-
la nécessité du ministère; et dans les révo- tilshommes,
t
société, qui sont qu'un dé- mes de la nation, parce qu'ils sont spécia-
lutions de la ne e
sociales sa haine3 lement dévoués à son service, qu'ils doi-
placement de personnes 1

pourrait n'être une vent à la société le sacrifice de leurs passions


contre le ministère pas e v
motif, si elle n'était que lee comme celui de leurs personnes, et que leur,
prévention sans c
de la dégénératiôn du ministre; vie privée doit être son modèle comme
sentiment
le pouvoir n'est présent à la so- leur
1 vie publique est sa propriété.
et comme
ciété que par son action, et qu'il n'agit queee lessujets Les ministres sont donc plus sujets que
sujets pour le 1 eux-mêmes, puisque, sujets comme
par ses ministres, l'amour des
pouvoir ou leur hâine suivent inévitablement it <eux à toutes les lois' communes aux mem-
de leur respect ou de leur haine pour lesis bres 1 d'une même société., ils sont de plus
pouvoir, c'est à cetteseule sujets aux lois particulières à leur profes-
ministres du et e a

qu'il faut attribuer les progrès' ef- sion et certes, il pourrait se prolonger,
cause n mais saurait s'affermir, le gouvernè-
frayants de l'esprit de révolte répandu en î
il ne
édifier, l'édifice social. Cette belle doctrine est adririrabte-
(1) L'acception morale donnée au mot r,
édification, offre un sens profond et signifie que tout
ut ment développéedans saint Paul.
la consommation de
le
ce qui est vrai et bon avance
m%
W nnt qui
ment
PART. I. ECONOM. SOC.
m.,Snn~Ct.a la nécessité
rtni méconnaîtrait r_ _6" 1 1Lûoai
ESSAI ANALYTIQUE.
AHAiil ll^UEi.
de mi- lorsqu'il est constitué ou établi sur [es lois
nistres dévoués corps et biens, au soutien naturelles;
i026
luit»

car il n'y a d'établi que ce qui


du pouvoir et au service des sujets. est conforme à la nature.
Le caractère le plus marqué qui distin-
CHAPITRE VI.
gue le pouvoir 'naturel du pouvoir qui ne
DE L'ÉTAT VARIABLE DE SOCIÉTÉ, OU · l'est pas, du pouvoir humain ou populaire,
DU SYS-
TÈME DES INDIVIDUS, SYSTÈME
DE L HO MME;
est, je ne dis pas la durée, mais la fixité de
ET DE L'ÉTAT FIXE, OU DU SYSTÈME DES FA- l'un la variation de l'autre; car il y a fixité
MILLES, SYSTÈME DE LA NATURE. dans la nature et variation dans l'homme.
Le pouvoir est fixe par la perpétuité de
La souveraineté, soit qu'on la voie Dieu, l'homme qui l'exerce
en car, puisque le pou-
ou qu'on la suppose dans l'homme, se
ma- voir doit toujours être exercé par un homme,
nifeste dans la société par un pouvoir éma- il y a un rapport évident entre la fixité de
né de Dieu ou délégué par l'homme, et
ce l'homme et la fixité du pouvoir, comme il y
pouvoir, institué suivant certaines lois,
ex- en a un entre la fixité du pouvoir et l'iià-
pression de la volonté du souverain et diri- mutabilité du souverain, de Dieu même.
gé. par elles, agit au dehors Mais, lorsque le pouvoir est fixe, la vo-
par des minis-
tres qui participent eux-mêmes de la nature lonté qu'il promulgue ou la loi, j'entends la
du pouvoir, comme le pouvoir lui-même loi politique, la loi du pouvoir, est fixe ou
participe de la nature de la souverai- fondamentale et Montesquieu appelle les
neté. lois fondamentales des lois fixes si la volonté
Le pouvoir, avons-nous dit, est toujours publique ou la volonté est fixe, l'action pu-
exercé par un être humain et par un être blique de cette volonté (gouvernement ou
unique. Mais si ce caractère est commun à culte) est fixe; donc la société est fixe ou
toutes les sociétés, à quel signe pourra-t-on stable, donc la volonté de l'être immuable
distinguer le pouvoir émané dé la souverai- est accomplie, puisque cette volonté à pour
neté de Dieu, ou le pouvoir prétendu délé- objet la conservation des êtres dont la société
gué par la souveraineté de l'homme ? est le moyen.
Je dois répéter ici que j'entends La perpétuité des hommes-ministres est
par pou-
voir émané de la souveraineté de Dieu et donc une conséquence, non forcée, mais
conforme à sa volonté, le pouvoir constitué naturelle
ou nécessaire, de la perpétuité de
sur ou par des lois politiques ou religieuses l'homme-pouvoir, parce qu'il est naturel que
(seules constitutives de l'un
ou de l'autre le moyen participe de l'agent qui l'emploie.
pouvoir), lois qui sont le résultat des La perpétuité de l'homme s'appelle héré-
rap-
ports naturels entre les êtres dans l'une ou dité, et il y a ainsi une famille pouvoir, des
l'autre société, par conséquent l'expression familles ministres, des familles sujettes la
des volontés de l'Etre créateur des êtres, et société est tout entière dans les familles, et
auteur dés rapports naturels qui les conser- l'on trouve dans les trois personnes qui la
vent. Car la société humaine est naturelle à composent ce caractère d'analogie qui est le

.
l'homme, comme la société divine
on reli- type constant, et comme le cachet dont la
gieuse elle est donc dans la volonté de nature
l'Auteur de toute la nature, et marque tous ses ouvrages.
par consé- Dans la société, «où le peuple en corps,» »
quent il y a en Dieu des volontés politiques, dit Montesquieu, « ou seulement partie
une
comme il y a des volontés religieuses
et du peuple, a la souveraine puissance, » il
même des volontés physiques,
parce qu'il y n'y a nulle fixité dans la volonté de ce sou-
a entre l'homme et l'homme des rapports verain, « puisqu'un peuple, » dit J.-J. Rous-
politiques, comme il y a entre Dieu et seau, peut toujours changer ses lois, même
«
l'homme des rapports religieux,
comme il y les meilleures car s'il lui plaît de se faire
a entre les êtres matériels des rapports phy- mal à lui-même, qu'est-ce qui a le droit de
siques. J
l'en empêcher? »
Laissons cependant l'épithète de divin Et comment y aurait-il de la fixité dans
exclusivement au pouvoir de la société
re- la volonté du souverain, puisqu'il n'y en a
ligieuse, puisqu'il est réellement, c'est-à-dire
srnsiblèment Djeil même ( car le pas dans le souverain lui-même, puisqu'un
sensible, peuple, même souverain, peut être conquis
comme dit Malebranche, n'est pas le solide),
ou asservi, et que cette souveraineté, sem-
..w. .w.rr"
«it appelons le pouvoir politique,
-].#,naturel,
..w.,V".
blable à une ombre vaine, lui échappe tou-
~N."
GEUVBES COMPL. DE M.
OEUVRES Rnviin
BoiVALD, 11. 33
HE
DE
jours au moment qu'il croit la saisir? ministère
n ou les fonctions publiques sont
Si le souverain n'est pas fixe, le pouvoir amovibles
a comme le pouvoir, et nême plus
ne l'est pas davantage, et passe avec rapi- variables
v à mesure que le pouvoir passe
dite d'un homme et d'un parti à un autre plus
p rapidement d'un homme ou d'une
homme et à un autre parti si la volonté f
faction, à un autre homme et à- une autre
ou la loi n'est pas fixe, l'action n'est pas plus faction.
fi
fixe que la volonté, les ministres ne sont Lorsque le pouvoir se profonde sur une
pas plus fixes que l'action nulle fixité i
même tête, et qu'il devient viager, il cons-
dans les choses, nulle hérédité dans les titue une espèce de monarchie viagère,
t;
personnes, nulle perpétuité. Il y a des fa- vvulgairement appelée despotisme expres-
milles sujettes, mais il n'y a que des indi- sion
s qui ne désigne pas par elle-même un
vidus pouvoir ou ministres, discordance vice
v d'administration, mais une forme de
dans lés éléments mêmes de la société dont gouvernement;
g et Titus, Trajan et Marc-
elle ne tarde pas à ressentir les funestes Aurèle n'étaient que des despotes. Alors,
effets. les
1' fonctions publiques se prolongent dans
La fixité est une, et si elle n'était pas lles mêmes mains, et même elle eviennent
toujours ce qu'elle est une fois, elle ne viagères,
« comme le pouvoir.
serait pas fixité la variation est infinie: la Lorsque le pouvoir devient fixî par l'hé-
fixité est donc force, stabilité', conservation: rédité,
r les professions sociales u les mi-
la variation est faiblesse, mutabilité, des- nistres
r deviennent aussi hérédita xes, c'est-
truction. Ainsi, il y aura plus de force dans àà-dire, que les ministres se const tuent avec
une société, j'entends de force de stabilité, j pouvoir; et dans cet état ils 'appellent
le
à mesure qu'elle s'approchera plus de l'état noblesse, et forment ordre ou milice éta-
fixe, naturel, ou du système des familles; blissement
i public, propriété de l'Etat, qui
et il y aura moins de force de conserva- fcorrespond parfaitement à l'ordre du sacer-
tion, à mesure qu'elle s'éloignera de cette doce,
c ministère du pouvoir rel gieux fixe
fixité, et que l'état variable ou le système e perpétuel par la
et consécration, comme la
des individus y sera dans un mouvement noblesse
r l'est par l'hérédité.
plus rapide. On voit à présent la raison pour laquelle
Ces principes expliquent la force pro- les fonctions de juger et de co.nballre, et
gressive de certains Etats, la faiblesse ei la ]les propriétés ou bénéfices qui y étaient at-
détérioration progressive de quelques au- ttachés, étaient simplement via ères sous
tres; et sans sortir du même peuple et du 1les deux premières races des rois de France,
même territoire, on y voit également la {et pourquoi elles sont devenues
héréditai-
raison de la prépondérance de la monarchie Ires sous le nom de noblesse, ainsi que
les
française, et la raison de l'extravagance et bénéfices
j sous le nom de fief: au com-
de la faiblesse de la démocratie. de Danton Imencement de la troisième, par qu'alors
et de Marat. seulement
< le pouvoir électif dans une fa-
Ces mêmes principes peuvent s'appliquer mille
i devient fixément héréditaire dans
S la force de la religion catholique, dont on l'aîné
] des mâles.
trouve la raison dans la fixité du pouvoir et Dans les premiers temps d'un nation, et
,dans la perpétuité du ministère, et à la ]lorsqu'elle travaille à étendre soi territoire

faiblesse des sectes qui s'en sont séparées, plutôt qu'à se constituer en société, le pou-
dont on aperçoit le motif dans les varia- voir n'est presque jamais héréditaire, ou ne
tions de leur doctrine, et l'amovibilité de l'est qu'entre les individus d'une même
leur ministère. race, sans distinction d'âge, de degré, quel-
Les principes que nous venons d'expo- quefois de sexe. La raison en est simple. Un
ser expliquent plusieurs accidents de la Etat naissant a besoin de talent et le ré-,
société. gime variable ou le système de individus
Nous avons dit, par exemple, que les est plus favorable à leur développement,
ministres devaient participer de la nature comme nous le verrons bientôt. D'ailleurs
du pouvoir; et parce que ce rapport est l'incapacité d'un chef ou sa minorité étouf-
naturel, on le retrouve dans le plus grand ferait cette société encore au berceau va&is
nombre des sociétés. dès qu'une nation est étendue, tablie, for-
Lorsque le pouvoir est amovible ou va- mée enfin, et qu'elle est assez forte pour
riable, comme dans les Etats populaires, le supporter la constitution, alors elle se cons-
titue, devient société, et la fixité l'héré- w
jusqu'à sa destruction tf=H1
1
ou réelle opérée de nus
dité s'établit partout, parce que l'Etat be- jours,
a et qui duré encore; et cette malheu-
soin de vertus, et que le régime ou le
sys- reuse société, récemment élective au milieu
tème des familles est plus favorable d'antiques Etats héréditaires, n'a fait.
auxt que
vertus publiques qui se transmettent par l'é- languir, et a péri enfin comme un jeune
ducation et par l'exemple. Alors l'Etat, bre planté dans une vieille forêt. ar-
gou-
verné par des lois fixes et fondamentales, Quoique la nature du ministère participe
résiste aux troubles d'une minorité, et à la ordinairement de celle du pouvoir, et
t que
longueur d'un règne faible; et cela même doive naturellement
pourvu que3 se trouver
cette faiblesse dans l'autorité ne soit ainsi, cependant il arrive quelquefois
que que
passive, et qu'elle ne veuille pas faire, la l'un des deux est fixe, et non pas l'autre,
t
cour sera agitée par des intrigues, mais> soit que cette discordance soit le produit
l'Elatne sera pas renversé par des révolu- d'une révolution, comme en Pologne, ou
tions. l'effet de l'habitude chez un peuple à demi-
C'est par la même raison naturelle que le constitué, comme en Turquie. Alors l'Etat
).
pouvoir, variable jusqu'à un certain point, souffre, parce qu'il n'y a point de fixité, ni
et électif dans les deux premières races des
rois de France, ne devint fixe et héréditaire par conséquent de force réelle dans un gou-
vernement dont l'action est dirigée par un
que sous la troisième qu'en Russie, pouvoir variable, comme en Pologne, ou
Pierre I", par instinct do génie, ou plutôt exécutée par des ministres variables, comme
par la nécessité des choses, abolit, en 1722, chez les Turcs et c'est ce qui produit cette
la succession héréditaire, dont les chances action déréglée qui écrase le sujet, et ne
auraient pu arrêter les développements de
peut défendre l'Etat. Ainsi, en Pologne, le
cette société naissante la civilisation, et pouvoir est trop faible contre des ministres
que Paul I" la trouvant formée, s'est hâté qui ne sont que de vils esclaves et ces
de la constituer en rétablissant, par
une loi deux effets, si opposés en apparence, au-
.récemment promulguée, la succession héré- raient dans l'une et l'autre, à la fois, les
ditaire, retour à l'ordre naturel, qui a mêmes effets, l'oppression de l'homme et la
accru
dans cette société la force de stabilité, dissolution de l'Etat si l'oppression de
en
ôtant à sa force d'expansion, et sans le-! l'homme n'était tempérée en Pologne
quel ce vaste empire serait, au premier re- par
l'influence de la religion chrétienne, et la
vers, tombé peut-être dans une effroyable
dissolution.. dissolution de l'Etat, retardée en Turquie
par l'influence de la religion mahométane
La Pologne a suivi une marche inverse,
elle car Je culte même le moins raisonnable, par
et a dû déchoir à proportion que la Rus- cela seul qu'il consacre dans la société
sie s'est élevée. La succession au pouvoir idée quelconque une
de souveraineté divine,
avait été dès l'origine élective en Pologne donne toujours
de la force pouvoir poli-
comme dans les autres Etats de l'Europe; et tique, selon la judicieuse au
par la même raison. Elle y était ensuite de- suet, en parlant du paganisme. remarque de Bos-
venue héréditaire, et sous cette forme, la Le ministère politique héréditaire s'ap-
Pologne marchait à la civilisation à
peu près pelle patriciat, lorsqu'au lieu d'être unique-
du même pas que les autres nations catholi-
ment ministère du pouvoir, ou fonction pu-
ques, et surtout plus vite que la Russie. blique, il est pouvoir
Mais à l'extinction de la dernière au paternilé (car pa-
race de triciat et paternité ont la" même racine), et
ses rois, cette société retomba dans l'enfance qu'il participe à la législation,
et revint au système électif, non par aucune les Romains, comme chez
raison naturelle, mais par des raisons encore en Angleterre en
pure- Suède, en Pologné, à Venise, dans le corps
ment humaines, l'ambition de ses grands et germanique,
la jalousie de ses voisins. Alors commença etc. Ces sociétés ne sont pas
constituées ou naturelles, parce que les trois
pour la Pologne une série de malheurs-qui personnes sociales n'y sont pas entre elles'
ont toujours été croissant depuis les nou- dans leurs
veautés religieuses qui s'y introduisirent à rapports naturels, et que les mê-
la faveur de la déconstitution de mes personnes y sont à la fois pouvoir et
son pouvoir, fonction du pouvoir ouministres (1). Aussi
(i) On voit par cet exemple les expres-
sions générales pouvoir, ministre, que
# ralilé même, plus propres à résoudre lesproblè-
à des expressions algébriques, sujet, semblables mes semblables que présente Télat de la société.
sont par leur gént On a dit La souveraineté réside dans kveuvle; ni
ces Etats, qui tous ont eu plus ou moins.de t
e tituer, et à constituer ses ministres, ce qui
i-
force d'agression, n'ont montré presque au- vent dire que la société tend d'elle-même à
cune force de résistance. s fixer. J.-J. Rousseau avoue cette vérité,
se
et
La variation du pouvoir, restreinte à unn e la marche progressive du pouvoir vers la
petit nombre de familles, s'appelle propre- i- fixité,
f lorsqu'il dit Le gouvernementpasse
ment aristocratie; étendue à un plus grand d -dec la démocratie à' l'aristocratie, de l'aristo-
..nombre d'individus, elle forme la démo- »- -cratie
.c à la royauté; c'est là son inclinaison
cratie. naturelle,
? Je progrès inverse est impossi-
J. -J.Rousseau prétend que. la démocra-i- ble
.
1 » et ilja méconnaît, lorsqu'il s'étonne
res-
tie peut embrasser, tout un peuple ou se s- « du-pencbant qu'ont toujours eu les Polo-
serrer jusqu'à la, moitié.», On ne sait trop ip nais
t à faire passer la' couronne du père au
pourquoi, ;à moins que ce ne soit pour évi- i- fils,
f ou au plus proche parent. »
ter l'absurdité-qu'il y -auraitcompter dans )s 11 est intéressant d'observerchez1 les deux
un Etat populaire plus de pouvoirs et de mi-
i- peuples
] anciens les plus célèbres, les effets
nistres que de sujets. • -(i opposés des deux
systèmes opposés de so-
•*
Il est reconnu aujourd'hui que çes gou- i- .ciété.
.< •
L'effet le plus constant et le plus sensi-
vernements de plusieurs ou populaires, ?,
sont l'état le plus fâcheux de. société, et ble; ] est que toutes les sociétés qui ont
même qu'une, société ne peut subsister dansis connu quelque fixité, où dans le pouvoir,
cet, état.. Les gouvernements populaires ou >u. •<ou dans les ministres, ont, laissé
des monu-
polyçratiquesrque, l'on voyait de, nos jours,s, .]tnénts immortels de -leur existence, et que
étaient des municipalités de l'Europe monar-. r- les autres n'ontfait que passer et n'ont laissé
chique, plutôt que des sociétés indépendan- n- <d'elles que des souvenirs, c'est-à-dire que
tes. La. Suisse, et même la Hollande, avaient nt celles-là ont eu de la force, et que lés autres
en France et erb Allemagne le pouvoir qui ui n'ont eu que des passions.
l'es conservait, et, la «hute de ces gouverne-
e- Chez les Grecs démocratiques, il n'y eut
ments a entraîné leur dissolution. Mais tellele de fixité ni dans le pouvoir, ni dans les mi-
est différenced'une société. constituée ou
îu nistres aussi ces peuples-enfants,habites
.naturelle à .celle, qui ne l'est pas, que la imitateurs de la nature physique dans leurs

<
gouvernement précédent. •
.plus fixds de. société» donc le plus durable,
donc le plus fort, le plus naturel, le plus
3n arts (1); mais violateurs de la nature so-
France ne peut s,&, rétablir. de sa révolution
no ciale parleurs moeurs infâmes et par leurs
qu'en, ramenant le pouvoir, à l'unité, et que
la Suisse et la Hollande ne peuvent renaître
qu'en s'écàrtant du système variable de leur
re lois atroces, vécurent avec bruit plutôt qu'à-
ur vec honneur, succombèrent sans gloire, et
périrent tout entiers et cé qui prouve ce
La fixité dans le pouvoir est donc l'état le que j'ai avancé sur les effets de la fixité du
le, pouvoir, est que parmi tant de peuples la
us raison ne compte que deux nations, les Ma-
.conforme,par. conséquent à la volonté de cédonieris et les Spartiates, sociétés mieux
moitié
l'Etre créateur et conservateur des êtres et constituées, dont l'une subjugua la
comme par les lois immuables, nécessaires 'es du monde, et domina la Grèce elle-même
de la conservation des êtres, expression de par la fqrce qu'elle tirait,de ses
lois poli ti-
la- ques, et dont l'autre en fut J'hontieur et le
la volonté' divine, les êtres tendent à se pla-
par la gravité de ses mœurs,
cer dans Kétat le plus naturel, l'état qui les modèle
fait être, c'est-à-dire qui les conserve, ettaà A Romé, la jouissance du pouvoir, bornée
accomplir ainsi la volonté de leur auteur, le à quelques familles, ne tarda pas à s'étendre
pouvoir de la- société tend nécessairement, nt, à toutes, et cela devait arriver ainsi. Mais à
établissement
et indépendamment des hommes, à se cons- is- Rome, il y eutconstamment un
cela doit
tette proposition a excité de vifs débats. Si elleelle cial et l'imitation de l'homme physique, et
eût être. L'exposition publique de l'hommeétat purement
eût été traduite ainsi Le sujet est pouvoir, elle eût etaKte
de nu-
paru absurde, même à un enfant. De là vient que sauvage, c'est-à-dire
dcmeOMMe ou sauvage,
lue domestique
c'est-à-dire en
dans les idées qui pro-
tes dite, est une contradiction actions.
dans la démocratie française on a remplacé toutes Le moyen, dit
»x- duit un désordre dans
les qualifications sociales par ceUe de citoyen, ex- les
Dupaty, d'avoir des mœurs et des statues! L école
pression vague et indéterminée qui, devant conve-
ve- Té-
nir comme epitlièle à tous les membres de la so- de peinture flamande ou allemande, 1 école defran-
niers, exprime l'homme domestique; l'école
ciété, ne désigne précisément aucune personne so- exprime i'homine puWic
ciale. çaise, l'école de le Brun, l
(1 ) L'histoire nous montre un rapport de l'école actuelle, renouvelée des Grecs, peint homme
•f mps et de lieux entre l'oppression de l'homme so- sauvage.
Î05Î PAHT. I, ECONOM. SOC. ESSAI ANALYTIQUE. j^ix\£<j x^
ou héréditaire, tantôt pouvoir, tantôt mi-
fixe oii mi- tique,
tiaue. aa connu l'hérédité des professions so-
connu l'hérédité
nistre du pouvoir,dans l'ordre des patricienss ciales; car les familles lévitiques, diffétentes j
i
et dans, celui des chevaliers; et même il y eut des familles sacerdotales, étaient chargées
de temps en temps, et dans les besoins extrê- du ministère public, et exerçaient la double

plutôt pour un temps fixé, sous le nom dee


i
mes, un. homme revêtu d'un pouvoir fixe, ou, fonction déjuger et de combattre.
L'Europe est trop avancée en âge, si j'ose
dictature (1), « faculté; précieuse, dit Mon- le dire elle a fait une trop longue expé-
tesquieu, «qu'avait le sénat d'ôter la républi- rience des avantages et des inconvénients
que des mains du peuple; » et il aurait pu 1 des deux systèmes généraux de société qui
ajouter: « de se l'ôter à lui-même, «puisque, comprennent toutes les constitutions parti-
sous le .pouvoir du dictateur, les sénateurss culières, pour qu'il soit possible d'y rétablir
notaient p| usque de simples ministreSjComme e au moins pour longtemps et
dans les grands
t
sous le pouvoir dû sénat, les ministres étaient Etats, le système variable en y rendant le
des chevaliers, chargés même de la gardes pouvoir électif état funeste qui livre né-
du sénat, puisqu'ils entouraient en armes le3 cessairement une société à l'influence cons-
lieu de ses séances,; et qu'ils exercèrent t, tante des puissances voisines, et au retour
souvent la fonction de juger, et, toujourss périodique des troubles civils fait d'une
celle de combattre., L'établissement hérédi- nation un vaste marché où l'on met un prix
taire cessa à Rome par l'extinction des fa- à toutes les ambitions,et un taux à toutes les
milles elles-mêmes, dans les troubles quii consciences, et conduit ainsi un peuple par
remplirent les derniers temps de la dé- la corruption à l'asservissement Il n'y avait
mocratie populaire, et les cruautés qui si- pas de pays en Europe où régnât une véna-
gnalèrent les premiers temps de la démo- lité plus scandaleuse, que celui dont les
cratie militaire qui lui succéda mais ilI grands excitaient le vif enthousiasme de J.-J.
avait fait, toute la, force.de Rome, et il avait étéi Rousseau pour avoir dit en latin: Maloperi-
le principe de sa grandeur. mlosamlibertatemquamtranquïllamsjzrvitv,-
« L'usage des noms héréditaires,, dit lai tem. Ce sophiste ne savait pas que la liberté,
président Desbrosses dans son Traité duj au contraire,esttoujours tranquille, et la ser-
mécanisme des langues,^ prodigieusementt vitude toujours orageuse et lui-même n'a-
influé sur la façon de penser et sur les t-il pas vécu malheureux et agité, pour avoir
mœurs; on sait quel admirable effet il a1 préféré sa sauvage indépt ndance à l'accom-
produit chez les Romains. Rien n'a contri- plissement des devoirs que la société im-
bué davantage à la grandeur de la républiques pose à tous les hommes? On objecte contre
que cette méthode de succession nominale, le système fixe les hasards de l'hérédité ces
qui, incorporant, pour ainsi dire, à la gloires chances, quelquefois fâcheuses pour un Etat
de l'Etat, la gloire des noms héréditaires, particulier, conservent l'équilibre général,
joignit le patriotisme de race au patriotisme en préservant la société universelle du dou-
national. » Aussi les Romains nous ont lais- ble danger de la continuité des règnes trop
sé leurs lois; les Grecs né nous ont laissé forts, et de la continuité des règnes trop
que leurs arts les uns commandent encore faibles. On peut même assurer que l'élection,
aux citoyens, les autres servent de modèles si elle pouvait être libre, donnerait au total
aux artistes. plus d'hommes faibles que l'hérédité; car
l'aurais pu fortifier cette preuve par l'exem- les hommesforts /ravissent le pouvoir bien
ple des Egyptiens, qui, les premiers, ont plus souvent qu'ils ne l'obtiennent.
rendu fixes dans l'Etat le pouvoir et les de- Le système héréditaire ou fixe- est dans la
voirs, ou les fonctions, en les rendant héré- nature de la société publique, parce qu'il
ditaires dans les familles, et qui sont venus est dans la nature de la société domestique.
jusqu'à nous par des. restes si imposants de J'ignoresiBabœufoulepèreDuchesne,dans
leur grandeur et de leurs connaissances; et le délire de l'égalité démocratique, ont sou-
plus encore par l'exemple du peuple juif, tenuqu'il est aussi honorable d'être charbon-
contemporainde tous les peuples, et même nier ou tisserand que d'être magistrat ou guer- |
le nôtre, qui, dans sa constitution théocra- rier (2); mais je sais que le peuple, plus f
(1) II y avait même une ombre de royauté tou- (2) Lorsque sous-la constituante il fut ordonné
jours subsistante dans le sénat. Le prince du sénat, à tous les citoyens de quitter.les marques distinc- J
nommé vie par les censeurs, opinait le premier, tives de leur' état, on vit les commis de la munici- j,
ci avait ainsi une sorte d'initiative dans la législa- palké -recevoir affectueusement les charbonniers J
tion.
a. qui venaient déposer leur médaille, et avec hauteur •'
ï
1053 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1036

vrai ans
(fans sessentiments que les sophistes Illes efforts héroïques de courage et les succès
succès
dans leurs opinions, juge bien différemment d'une d éloquence populaire que l'on remar-
q dans l'histoire de tous les Etats démo-
de cette prétendue égalité. Il fait à l'artisan que
un mérite d'avoir fait élever son fils dans cratiques.
c Les vertus guerrières, » dit Mon-
les arts de la paix et dans ceux de la guerre, tesquieu
ti parlant de Rome, « restèrent après
et il mépriserait le magistrat ou le guerrier qu'on
q eut perdu toutes les autres. »
qui aurait fait de son fils un artisan. Telle est Mais ces mêmes talents perdent l'Etat
la force de cette disposition naturelle aux qu'ils
q ont créé,- parce qu'ils en font une
hommes, moyen le plus puissant des pro- arène
a sanglante ouverte à tous les combat-
grès de la société, que la famille sujette tend tants, qui, en s'arrachant mutuellement le
t,
naturellement à sortir de l'état purement pouvoir,
p l'empêchent de parvenir à cette
domestique pour passer dans l'état public de fixité
f sans laquelle il n'est pas de repos pour
société (1). Dans une société constituée, 1 société publique, ni même d'existence
la
une famille une fois parvenue à ce but s'y aassurée pour la famille.
fixe, parce qu'elle trouve dans l'inamovibi- Heureusement pour l'espèce humaine, au
Zité du pouvoir un obstacle insurmontable système
s variable, au système de l'homme
à toute ambition ultérieure. L'on voit en qui
c crée par les talents, succède inévitable-
effet dans les Etats constitués, des familles ment
i le système fixe, le système de la na-
s'élever l'une après l'autre jusqu'au minis- ture
t qui conserve par les vertus, système
tèrepublicde la société, et très-peu retomber quic s'établit naturellement et par la dispo-
dans l'état privé ou domestique. Elles péris- sition
s naturelle de tout homme à laisser à
sent plutôt qu'elles ne descendent. Tous les ses s enfants les avantages qu'il a acquis, et à
raisonnements des niveleurs ou des esprits les 1 mettre sur la voie d'en acquérir de nou-
chagrins ne prévaudront jamais contre cette iveaux, et par la tendance nécessaire de la
raison naturelle et supérieurequi dit à l'hom-société
s vers sa constitution naturelle, l'ina-
me, qu'il est plus digne de lui, plus ïon- movibilité
t du pouvoir, et la fixité de scn
forme à sa destination d'agir sur l'homme action.< Or, ce système est, comme nous l'a-
pour le service de la société publique, que vons •> dit, plus propre à produire la vertu
de travailler sur la matière pour le service dans< les hommes sociaux, pouvoir, minis-
de la société domestique et c'est la raison itres, sujets.
pour laquelle les hommes en état de domes- La vertu, prise dans le sens le plus étendu,
ticité ne jouissent nulle part de tous les Ti'esti que la fidélité aux lois de la société do-
droits des autres citoyens. mestique
i ou publique, politique ou reli-
Le lecteur n'a pas oublié, sans doute,
proposition que nous n'avons fait qu'énon- et
une
gieuse. Il y a donc des vertus domestiques
des vertus publiques; et toutes les vertus
i
souve-
cer et qui demande des développements, sont divines, parce que Dieu est le
C'est que le système amovible ou variable rain 1 législateur de toutes les sociétés cons-
de société est plus favorable aux talents qui tituées. Mais pour ne nous occuper ici que
créent les empires, et le système fixe plus des sociétés des hommes entre eux, la fa-
propre à produire les vertus qui les conser- mille et l'Etat, les vertus domestiques sont
v ent et c'est ce qui fait que l'un convient très-distinguées des vertus
publiques. Ainsi,
du guerrier
aux Etats naissants, et l'autre aux Etats l'intégrité du juge et le courage
formés, puisque .même l'Etat ne se forme qui conservent l'Etat, ne sont pas les vertus
qu'à mesure que la constitution se fixe. propres d'une femme; et la chasteté qui
'Cette explosion de talents militaires ou conserve la famille n'est pas la vertu pro-
oratoires, les seuls dont il s'agisse ici, est pre du guerrier ou du magistrat, et c'est
l'effet naturel de l'amour de soi, et de la même ce qui fait que dans certaines condi-
passion de dominer, dont aucun obstacle ne tions on se dispense trop aisément de cer-
comprime l'essor dans une société sans tains devoirs. Dans les sociétés politiques
constitution fixe de pouvoir, puisque le pou- ou religieuses, qui n'ont laissé de pouvoir
voir pouvant être exercé par chacun, y est fixe ou constitué que là où elles n'ont pu le
comme un prix offert à tous. De là viennent détruire entièrement,que dans la
famille, et

et morgue ae vieux militaires qui venaient dépo- zélés partisans de ses principes, élevés par la ré-
ser leur croix de Saint-Louis.On appelait cela de volution, font donner à leurs enfants une éduca-
l'égalité tion libérala, et se gardent bien d'en faire des char-
(1) Malgré les exemples de tant d'illustres re- pentiers.
vers, et les conseils de l'auteur & Emile, les plus
qui, ramenant le monde ses éléments, comme Le pouvoir fixé ou constitué, va tout seul,
nous l'avons dit ailleurs, ne nous parlent dit Bossuet, et avec la nature. Comme il est
que de religion naturelle ou domestique, et transmis sans effort, il s'exerce sans vio-
de l'homme domestique ou même sauvage, lence car le pouvoir qui doit toujours être
on ne parle aussi que de mœurs, de moralité, fort, est dans t'Etat comme dans la famille,
ou de vertus domestiques, et il règne en quelquefois violent dans le premier âge de
général un grand étalage, pour ne rien dire là société, et lorsque le sujet encore enfant
de plus, de tendresse conjugale, paternelle, refuse de se soumettre au joug de l'obéis-
filiale, de sensibilité pour ses amis et ses sance. Jamais, avec le pouvoir constitué, de
amies, de bienfaisance envers les malheu- ces interrègnes qui remettent périodique-
reux. C'est encore par le même principe que ment la société en problème elle n'a pas à
dans les mêmes sociétés on compense les redouter ces furieux accès d'ambition et de
fonctions publiques par des jouissances do- vengeance qui détruisent les familles en
mestiques, et que le sujet est plus nourpi et troublant la paix des Etats: heureuse si elle
surtout plus amusé, dans les gouvernements pouvait se défendre des attraits delà volupté,
qui lui interdisent toute participation aux de cette philosophie faible et sensuelle, de
fonctions du pouvoir. Dans plusieurs de ces cette morale d'ope'ra qui lui présente le
sociétés politiques,et religieuses, non-seu- plaisir sous toutes les formes, et fait entrer
lement on recommande presque exclusive- par toutes les portes ce dangereux ennemi
ment la pratique des vertus domestiques, qui sape sans bruit les fondements même de
mais on la pousse jusqu'au rigorisme le plus la société, et endort les sentinelles, pouvoirs
dur, et souvent le plus risible (1) dans le et ministres, pour les livrersans défense aux
même temps que l'on détruit toute vertu passions des sujets.
publique en consacrant l'oppression par les La fidélité dans les ministres est encore
lois. Ainsi, les dévots puritains interdisaient une suite nécessaire de la perpétuité du
toutes sortes d'amusements le dimanche, et pouvoir, parce que la fixité de l'attachement
défendaient, comme des vanités païennes, les dépend de la fixité de son objet. En effet, si
petits pâtés qui se mangeaient à Noël ils l'on remarque dans les ministres des Etats
fatiguaient dé leur morale farouche et de populaires plus de ces qualités brillantes
leurs éternelles prédications la jeunesse fa- qui produisent de grands événements, on
cile de Charles II, dans le même temps qu'ils trouve dans les ministres héréditaires des
légalisaient l'oppression du sexe faible par pouvoirs constitués, plus de cette fidélité
la faculté du divorce, et qu'ils exhalaient con- inébranlable qui résiste aux révolutions. On
tre des hommes, leurs compatriotes, cet hor- peut en trouver la raison dans la nature
rible covenant, « composé, » dit Hume, « des même de la société. La vertu n'est que l'ha-
plus furieuses et des plus virulentes invec- bitude du bien, et l'habitude se forme par
tives que jamais les êtres humains aient em- les mœurs ou les'coutumes qui, transmises
ployées pour enflammer leurs cœurs d'une d'âge en âge, perpétuent dans la famille la
haine sans relâche contre des créatures de tradition des leçons et le souvenir des
leur espèce. » La France révolutionnaire n'a exemples; car les mœurs ne sont que les
pas été exempte de ces atroces et ridicules lois domestiques conservées parla tradition.
inconséquences, et elles nous ramènent in- Les vertus publiques deviennent donc ainsi
volontairementaux usages de ces républi- des vertus domestiques, surtout lorsqu'elles
ques anciennes où l'homme, respectant son sont fortifiées par le respect pour le corps
egal, et opprimant son semblable, autorisait, ou l'ordre auquel la famille appartient; ce
par ses lois, le meurtre de l'enfant, du gla- qui produit la double force de l'esprit de fa-
diateur, de l'esclave, punissait d'un sup- mille et de l'esprit de corps, pour retenir
plice affreux la faiblesse d'une vestale, lors l'homme dans le devoir; esprit de corps,
même que pour de grands crimes, il n'infli- ressort puissant, mais ressort terrible, qui
geait qu'à regret une légère peine au ci- réagit infailliblement contre la main faible,
toyen (2). inhabile à le diriger.
(1) Telle est l'inconséquencede l'homme, que (2) Je recommande à l'attention du lecteur
dans des sociétés mieux constituées, il tombe quel- celte distinction entre les hommes égaux et les
quefois* dans l'excès opposé, et qu'il ne remplit hommes' semblables. Les lois des Etats païens ten-
avec la plus scrupuleuse fidélité ses devoirs publics daient à protéger les hommes égaux et les lois des
que pour s'affranchir plus impunément des devoirs étatsclirétieustendent toutes à protéger les hommes
domestiques. Mais ici c'est la faute de l'homme, là semblables ou le prochain or entre les êtres il n'y
c'èst le crime de ta toi. a point d'égalité, il n'y a que des similitudes.
Enfin la fixité dans le pouvoir et dans les dont les vertus employéescomme les talents
ministres produit une fidélité, une affection à soutenir un mode de choses essentielle-
générale envers le gouvernement dans tou- ment vicieux, n'ont servi qu'à ordonner le
tes les classes sujettes, et particulièrement désordre, faire mépriser, les talents, et ca-
dans celles qu'une antique hérédité d'occu- lomnier jusqu'à la vertu 1
pations honorables ou utiles, et une fortune Un des grands avantages des ordres et des
légitimement et lentement acquise, rappro- corporations est de donner au pouvoir de
ohent de l'ordre politique, et qu'elles dis- grandes facilités pour régler les familles en
posent à y entrer à leur tour, lorsqu'il vient réglant le corps auquel elles appartiennent,
h perdre de ses membres parles professions et de régler l'individu en réglant la famille
mêmes auxquelles ils sont dévoués. dont il est membre. Le pouvoir n'a, lorsqu'il
Mais un effet très -remarquable de l'héré- faut régler, de prise que sur les corps et
dité des professions publiques, est de ren- voilà pourquoi l'on voit des corps parfaite-
dre aussi héréditaires les professions domes- ment disciplinés composés d'individus qui
tiques ou arts mécaniques, et de mettre ain- ne le sont guère.
si les familles qui exercent le même métier Le pouvoirdoit donc donner aux corps, et
dans un corps ou corporation, comme la na- surtout aux corps chargés du ministère pu-
ture elle-même continue le même métier blic, des constitutions particulières, des
dans la même famille; institution parfaite constitutions, qui règlent les devoirs des
connue dans la monarchie égyptienne ( 1 ), corps envers l'Etat, ceux de la famille en-.
et adoptée sous le nom de maîtrises ou ju- vers le corps, ceux de l'individu envers la.
randes dans tous les Etats chrétiens. Cette famille le pouvoir doit régler les corps,
:oi est le moyen le plus efficace que l'admi- surtout celui du ministère public, parce qu'il
nistration puisse employer pour surveiller doit tout régler dans, des hommes qui. doivent
jt contenir par le pouvoir un peu dur des être la règle de tous. Le pouvoir le peut,
maîtres, une jeunesse agreste et grossière, parce qu'il ne serait pas pouvoir, s'il ne, pou-1-
que la nécessité d'apprendre un métier vait pas tout ce que demande la conservation
soustrait de bonne heure au pouvoir pater- et là perfection de la société (2).
nel. On peut regarder la suppression des Il a existé en Europe une constitutionpar-
maîtrises comme un coup mortel porté à la ticulière, de l'ordre politique, connue sous
société par ce philosophisme ignorant et le nom de chevalerie, qui n'a cessé qu'à l'é-
perfide qui, depuis longtemps, en voulait à tablissement-des troupes soldées, et de la
toute fixité pour pouvoir plus aisément dé- magistrature acquise à prix d'argent; insti-
truire toute perpétuité, tout ordre. tutions récentes qui ont séparé deux fonc-
C'est donc avec raison que Montesquieu, tions naturellement inséparables et jadis
disant plus vrai qu'il ne pensait, a donné réunies, et qui ont soldé aux dépens du fisc
l'honneur pour mobile au gouvernement ce qui était, et qui doit être attaché à la pro-
constitué. L'honneur bien entendu n'est en priété de la glèbe. Les princes ont vaine-
effet que la fidélité à ses devoirs publics où ment tenté, dans? toute l'Europe, de rem-
privés et l'on dit également l'honneur placer cette institution sublime à laquelle la
d'une femme, l'honneur d'un magistrat ou France doit la considération dont elle a
d'un guerrier, et l'honneur même d'un ar- joui depuis, par une chevalerie de cour,
tisan. C'est, donc très-mal à propos qu'il a sorte de confréries politico-religieuses, qui
distingué l'honneur de la vertu, unique mo- n'obligent qu'à porter des marques distinc-
bile, selon cet auteur, du gouvernement po- tives, et à paraître à des cérémonies publi-
pulaire. Cette erreur, relevée par Mably et ques, motifs dont la convenance ne com-
J.-J. Rousseau, qui remarque avec raison pense peut-être pas le danger politique qu'il
que la vertu doit avoir lieu dans tout Etat, a y a à diviser un ordre essentiellement indi-
eu des suites graves, et a égaré, dans notre visible, et à affaiblir ainsi la force de l'Etat
révolution, bien des hommes vertueux, et l'action de son pouvoir. Car, là où la dis-
(1) Le patriarche Joseph, dit un ancien au- (2) Cet ouvrage devait traiter de l'antique M
faible naturelle constitution du ministère public, mais
leur cité par Eusèbe, défendit
fort, c'est-à-dire qu'il constitua la
le
Cet contre le
car cette seconde partie, avec nos mœurs et nos lois,
la constitution n'est pas autre chose. Cet auteur • paraîtrait un roman austère, et le public n'en veut
entre ensuite dans quelques détails sur Jes lois que de licencieux ou d'effroyables l'auteur l'a sup
«ju'il donna à t'Egypte, et qui sont les lois politi- primée. ]
ques
ijites de nos Etats
tiais constitués.
consumes.
Il auestion ici de la Théorie du pouvoir
II est question vouvoir que
VEmoire. et surtout du second livre de la uie partie.
l'autel avait été forcé de supprimer pendant le Directoire et
aue l'auteur
tinction n'est pas rigoureusement nécessaire fréquemment des dispenses d,'âge, coutume
fr
la divisio n est inévitable. immorale
i* qui fait à la longue plus de mal à
Mais, si le système fixe, ou celui des fa- l'Etat en affa.iblissantle respect dû à l'an-
Y.
milles, doit être le système de la constitu- cienneté d'âge, que le sujet dispensé ne
ci
tion qui se maintient par les vertus, le sys- peut,
p quel qu'il soit, lui être utile par ses
tème variable, ou le système des individus, talents.
ta
doit être celui de l'administration, qui, avec La perpétuité d'emplois importants, dans
des vertus, demande encore des talents. Je U mêmes familles, a encore l'inconvénient
les
m'explique le ministère déjuger et de corn- d diviser l'ordre du ministère; public en
de
battre pour la conservation de la société est d
deux classes nécessairement opposées, l'une
la fonction générale de l'ordre. qui y est dé- ddes familles qui obtiennent toujours, et
voué, et la destination naturelle de chacun l'autre
l' des familles qui méritent quelque-
-des membresqui le composent. Cette desti- fois. L'ordre du ministère publie se change
f;
nation, qu'ils tiennent de leur naissance, W ainsi
a en une véritable oligarchie, et il n'y a
où cette hérédité est une loi de l'Etat, forme qu'un
q pas à faire pour que l'Etat entier
leur caractère politique, et uti noble naît' ti tombe dans la démocratie, dont les oligar-
dans ces sociétés avec le caractère de dévoué qques les
plus favorisés deviennent assez
au service de l'Etat, par la seule et même souvent
s les plus ardents instigateurs. Tout
raison que dans une famille où une maîtrise c qui divise, détruit c'est
ce l'oracle du fon-
d'architecte serait substituée à perpétuité,w dateur
<j de toute société et si la devise de
l'enfant naîtrait avec le caractère de maître l'Etat
1 populaire est diviser pour. régner, la
architecte. devise
c de la société constituée est régner
Ce caractère ou, devoir de servir l'Etat îpour réunir.
dans la fonction de juger, et de combattre, ne L'ordre dévoué au ministère public est
demande pour les rangs inférieurs de cette,i^ donc,
c là où il est dans sa nature, un corps
milice, que des vertus, celle de l'obéissance ( familles chargées des fonctions
de publiques
surtout, la première et la plus facile de tou-, ( juger et de combattre, et un
de séminaire
tes, puisqu'elle s'accommode à tous les ca- d'hommes
< propres à remplir les grades émi-
ractères, comme à tous les tempéraments j^ents
J de ces fonctions, d'hommes qui doi-
mais les-, grades supérieurs demandent des5 vent
i trouver dans leurs familles des leçons
talents, et ne doivent pas plus être hérédi- de
< fidélité à l'Etat, dans leurs corps des
taires que ne le sont les talents. Un Etat po- exemples
< d'honneur, et dont l'éducation et
pulaire ne connaît aucune fixité,, pas mêmeî les habitudes doivent développer les talents
et fortifier les vertus. Je ne dis pas que cela

..
dans le devoir; et comme il a fait un légis-
lateur d'un maître à danser, il renvoie i
général au métier de comédien ou à celui dei
un soit toujours ainsi; mais je dis que cela
doit être, que cela peut être, que cela même
brasseur de bière; mais l'Etat monarchique3 a été, et qu'il n'est pas impossible que cela
donne souvent dans l'excès opposé et rend,ï soit encore. Je ne répéterai jamais assez
héréditaires des grades de fonctions qui nee que je m'occupe de la société et du général,
doivent être que viagers. Cet abus s'intro- et point du tout de l'homme et du particu-
duisait en France, non dans les lois qui,» fipr-
même pour une place inférieure de la fonc- Ici se présente une réflexion importante.
tion de juger, voulaient que le fils qui suc- L'état populaire appelle au pouvoir tous les
cédait à son père, reçût l'approbation de laa individus, et il l'expose, comme un prix, a
compagnie, et dé nouvelles provisions duu là vue de toutes les ambitions. L'Etat cons-
gouvernement, mais dans les usages, et à titué appelle aux fonctions du pouvoir toutes
dater de la vieillesse de Louis XIV, il sem- les familles, et il les propose comme un
ble qu'il s'établissait peu à peu une succes-i-
devoir à celles qui demandent à être.admi-
sion presque régulière à des places impor- ses dans l'ordre chargé du ministère public;
tantes de l'administration de l'Eglise ou dee De cette 'différence, prise dans les principes
l'Etat, qui auraient fini par devenirpatrimo- mêmes de deux systèmes le système des
niales, et entrer, comme autrefois, dans de&s: individus et le système des familles il
partages de famille; et comme on neconsul-- [• résulte naturellement qu'il y a plus d'agita-
tait pas toujours les intérêts de la sociétéé tion dans l'Etat populaire, et un mouvement
dans cette hérédité, on ne respectait pass de progression plus lent, mais plus uniforme
mieux les lois do la nature, et l'on accordait
it et plus réglé, dans un Etat constitué, et que
dans celui-ci il arrive moins: fréquemmentt
que dans l'autre que l'individu s'élève dess
derniers rangs de la société aux premièress
places du gouvernement. Il faut, dans unri
Etat constitué, que la famille, après avoirr
acquis, dans l'état domestique, assez de for-
.v. ~1V-t~
dait une famille politique qui prenait l'es-
prit de l'ordre à la première génération, et
les manières à la seconde. « C'est, » dit Mon-
tesquieu,«unepolitique très-sage en France,
que les négociants n'y soient pas nobles,
mais qu'ils puissent le devenir. » S'il y avait
tune pour n'y plus songer dans l'état public, un abus, c'est que la famille-sujette deve-
entre dans l'ordre chargé du ministère pu- nait souvent famille-ministre avant d'avoir
blic, et qu'elle y fasse, pour ainsi dire, soni fait une fortune assez considérable, je ne
séminaire et ses exercices avant que quel- dirai pas pour soutenir son rang, mais pour
qu'nn de ses membres mérite d'occuper less en remplir efficacement les devoirs. Car,
premiers grades de la milice institution dans une société opulente, telle que le sera
naturelle assurément, et qui, pour former le3 toujours notre France, il n'y a pas de condi-
vrai citoyen, réunit les vertus que donnee tion plus dure et plus douloureuse, que
l'esprit de famille et de corps aux talentss celle d'un noble indigent, sur qui pèsent
que l'homme tient de la nature. C'est préci- toutes les charges de l'état public de société,
sément ce qui fait que si l'on remarque dess sans qu'il puisse jouir des facilités que pré-
qualités plus brillantes dans les héros dess sente pour s'enrichir la vie domestique et
Etats populaires, on trouve plus de fidélité, privée.
de désintéressement et de modération danss On a déclamé contre l'usage des ennoblis-
les grands hommes des sociétés constituées; sements prix. d'argent; mais on n'a pas
car les vertus rendent les talents plus utiless fait attention qu'il est raisonnable et natu-
en les rendant plus modestes. L'Etat doitt rel de faire preuve de fortune pour être
donc favoriser cette tendance qu'ont .toutess admis dans un corps où tout moyen de faire
les familles à passer de l'état purement do-· fortune, où le désir même de la fortune
mestique à l'état publie, tendance louable» doit être interdit, et que l'homme en société
en elle-même, puisque l'état domestique de étant essentiellement propriétaire, toute
société n'est que la société de soi, et que3 profession nécessaire à la société doit sup-
l'état public est la société des autres, et quii poser la fortune ou la donner.
ne cesse pas d'être louable, même quand1 Ce qui prouve combien se sont trompés
les motifs personnels de l'homme seraientt et ont trompé les autres ceux qui ne voyaient
vicieux. L'ennoblissement a un autre effett en France ni liberté, ni égalité, et qui ne'
plus général, plus moral, et par conséquentt voyaient que liberté et qu'égalité dans les
plus politique; carie politique et le morall Etats populaires, est que c'était précisément
sont une même chose il empêche l'accu-• dans les Etats où le pouvoir n'est pas consti-
mulation excessive des richesses dans les> tué en Suisse particulièrement, que les fa-
mêmes familles et établissant un autrei milles sujettes, fixées dans la dépendance, ne
moyen de considération que l'argent, il pouvaient parvenir à être familles de l'Etat,
donne aux sentiments, aux opinions, à l'es- c'est-à-dire, à y gouverner à leur tour. Cette
prit public enfin, une direction plus noble, servitude, il est vrai, était compensée, dans
plus digne de l'homme, et par là même plus ces petites démocraties, avec de l'aisance et
utile à la société. .des jouissances domestiques; comme elle
Or, assurément on ne pouvait se plaindre l'était dans les démocraties anciennes avec
en France que de l'excessive facilité de du pain et des spectacles; et ces peuples'
l'ennoblissement; et tandis qu'un meunier s'en contentaient Ainsi, tandis qu'il eût
hollandais, ou un aubergiste suisse sans fallu faire une révolution dans la constitu-
activité, comme sans désirs, bornés à servir tiori de Zurich, pour qu'un riche proprié-
l'homme pour de l'argent, ne voyaient dans taire de la campagne pût devenir bourgeois
l'avenir, pour eux et leur postérité, que le et membre du sénat, en France où la dignité
moulin et l'enseigne de leurs aïeux, un de l'homme était connue et respectée bien
négociantfrançais, riche de deux cent mille avant qu'on en eût proclamé les droits, les
écus, entrait au service de l'Etat, achetait lois politiques favorisaient la juste émula-
une charge et une terre, plaçait un fils dans tion qui portait les familles à s'élever de
la robe et un autre dans l'épée, voyait déjà l'état purement domestique de société jus-
en perspective la place de président à mor- qu'à l'état public ou au ministère politique.
tier et celle de maréchal de France, et fon- Une fois qu'elles y étaient parvenues, la
carrière était ouverte'à leurs désirs, et tou- encore mille ans après lui; grand pour les
contemporains,témoinsde ses exploits, mais
tes les places étaient dues à leurs services.
La première -de toutes les décorations, qu'on bien plus grand pour les âges suivants, qui
appelait les ordres du roi, ne demandait que recueillent le fruit de ses vastes pensées
cent ans d'admission dans le ministère pu- telles que ces tours antiques dont l'œil ne
blic et bien loin qu'aucune loi exclût même peut qu'en s'éloignant embrasser les pro.
du rang suprême un individu, une famille portions et mesurer la hauteur.
ou'une classe dé Français, la constitution Les succès prodigieux des guerriers fran-
les y appelait tous, sans aucune distinction, çais rendront à l'ordre politique des mem-
bres que la révolution lui a enlevés; car
en cas d'extinction de la famille qui l'occu- c'est ainsi que finissent toutes les révolu-
pait, et déclarait le pouvoir lui-même une
substitution à laquelle tout Français était tions. Alors les haines étant éteintes, et
appelé. On dira peut-être que les occasions peut-être les préventions dissipées, on ren-
de s'élever du rang obscur au faîte des hon- dra à chacun selon ses œuvres, et l'on re-
neurs sont extrêmement rares dans les marquera que la noblesse française, consi-
Etats constitués; et je répondrai sans balan- dérée en ordre et dans ses fonctions publi-
cer que les hommes dignes de cette éléva- ques, ou individuellement et dans sa con-
tion sont toujours plus rares que les occa- duite privée, a retenu le caractère distinctif
sions. de sa profession, la fidélité au pouvoir cons-
titué, soit qu'elle en ait défendu l'unité' aux
états généraux, ou que, laissée à elle-même,
Ce que nous avons dit de la nécessité de elle ait montré pour les principes démocra-
ne pas rendre héréditaires dans les familles tiques un éloignement trop prouvé par ses
les places éminentes de l'administration à longs et irréparables malheurs; tandis que
cause des talents qu'elles exigent, ne saurait le militaire français s'opposait, avec des ef-
être appliqué à la plus éminente de toutes, forts surhumains de courage, de discipline
au pouvoir, qui, dans un Etat formé, ne et de talent, au démembrement de l'Etat, et
demande que la vertu, ou le respect pour la1 même en reculait les bornes par ses con-
constitution et les lois domestiques politi- quêtes. Les nations voisines observeront,
ques et religieuses. Les grands talents sans comme un trait caractéristique de l'esprit
une extrême sagesse qui en dirige l'usage, national qui régnait en France, et qui n'a pu
y sont même plutôt dangereux qu'utiles; y être étouffé même sous les ruines révolu-
car les talents veulent faire, et dans un Etatt tionnaires, que les uns aient vu avec un se-
formé et constitué, il ne faut que mainte- cret orgueil les succès de la France, lors
nir, et faire est synonyme de révolutionner. même qu'ils semblaient leur fermer à eux-
mêmes le retour dans leur patrie, et que les
Le pouvoir constitué est dans la société5 autres aient détesté la tyrannie, alors qu'en-
comme la clef de la voûte contre laquelle3 traînés par la force irrésistible dés circons-
toutes les parties viennent s'appuyer, ett tances, ils obéissaient aux tyrans également
qui soutient leur effort, et les maintient en1 braves contre l'étranger, et généreux lorsqu'il
place par sa position seule. En général, il1 leur était permis de l'être, envers d'infortu-
suffit d'un grand homme qui donne la pre- nés compatriotes que la tourmente révolu-
mière impulsion à la machine de l'Etat, ett tionnaire jetait entre leurs mains; et rétablie
ses successeurs ont toujours assez de talentss enfin de cette crise violente, passage néces-
lorsqu'ils savent en régler et entretenir lee saire peut-être de l'adolescence de l'homme
•aouvement. social à sa virilité, la France, telle que le
père de famille, réunira tous ses enfants et
Ainsi, Charlemagne a donné à l'Europee sous les yeux de la religion, invitée à cet
chrétienne l'impulsion qu'elle conserve en- auguste banquet, elle distribuera entre tous
core, et chacune des sociétés qui la compo- les consolations et l'indulgence; elle ordon-
sent a fait d'autant plus de progrès vers laa nera d'oublier les fautes; elle fera plus, elle
perfection sociale, qu'elle a été plus fidèlee fera pardonner les vertus; mais non con-
à la direction reçue de ce puissant moteur;» tente d'effacer au dedans les traces du dé-
génie étonnant, qui connut ces lois fonda- sordre, elle en réparera au dehors Je scan-
mentales de la société, que nous cherchonss dale; et devenue le modèle des nations, et
1047 «DJW COMPLETES i,BONAUX
u– DE M. DE
la pierre angulaire de la société,
société, après
après en
en
iiunaijUi iM
1048
avoir été le fléau, elle poursuivra à route de i, civilisation,
d« la ri^,»»,,M forte de sesh- ancien-
travers nes vertus, plus forte peut-être par ses der-
tes siècles,' sa marche majestueuse dans la
niers égarements.
LÉGISLATION PRIMITIVE

CONSIDÉRÉE DANS LES DERNIERS TEMPS PAR LES


SEULES LUMIÈRES DE LA RAISON.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

L'ouvrage que je donne eïsïir la


au public est dî- société, France en particulier, èbw
visé en quatre parties dont la première est mise, depuis peu d'années, à la plus grande
purement rationnelle ou de théorie les expérience qui jamais ait été faite en légis-
trois autres sont expérimentales et d'appli- lation.
cation., La partie théorique de cet ouvrage est di-
La première partie, qui fait exclusivement visée en chapitres, et les chapitres en pro-
ta matière de ce discours préliminaire là positions ou articles. Rien né fait dieux
partie rationnelle, e*st divisée éri deux livres,
sentir la liaison des idées que de détacher
dont le premier traite des êtres, objet dé l'es propositions. Le lecteur Voit alors où là
tout ordre en général, et des matières d'être chaîne des idées ,est intërrôinpilë, et où elle
relatives ou des personnes, dont les relations est continué. Un èefivâift peut revenir au
ou rapports sont l'objet de Tordre social en point où son pfédëcesseùï à commencé à
particulier. Le second traite en. détail de s'égarer, et suivre une ineilleure direction
t'ordre social et de la législation qui eh il n'y a rien de perdu pour les progrès de là
coordonne et en maintient à leur placé les vérité, parôe que l'un la reprend ïà où l'au-
diverses personnes. Le discours prélimi- tre l'à laissée. Le style continu, plus agréa-
naire à aussi deux parties qui correspondent ble pour le lecteur, est aussi plus aisé pour
une à une aux deux livres de là première l'écrivain et surtout plus propre à éh impo-
partie. L'une considère, non lâs opinions ser à l'attention sur le désordre des idées
i
des philosophes (car qui pourrait compter mais il est moins' favorable à i'éxpôsifjôn
lès pensées quis'élèvent dam le cœur de l'hom- de là vérité, et c'est
ce qui a fàit;?dbptèr,par
me ?) mais les doctrines généralesd philoso- lès géomètres là division en prôpôsiïîôris.
phie qui ont partagé les hommes .et enfanté La seconde partie traite de l'état ancien
les diverses opinions l'autre traite de la lé- du ministère public
ea France ? et par cette
gislation en général et de ses effets sur la expression à la fois religieuse et politique
;'entends, pour la société -politique, le corps uniquement,soumis aux caprices Ides hom-
de la magistrature civile et militaire, vrai
Ministère au service de l'Etat, au même sens
qu'on appelle l'ordre du sacerdoce le mi-
sions. :–
mes, et n'ayant.d'autre règle que leurs pas-
•'
Peut-être quelques lecteurs trouveront
nistère de la religion. Dans cette partie, que ces quatre parties n'ont pas entre elles
l'auteur ne peut être qu'historien, et un his- un rapport assez immédiat; mais, avec plus
torien qui, placé entre le passé et l'avenir, d'attention, il est aisé de remarquer qu'elles
sans aucune intention sur le présent, ra- se prêtent toutes un secours mutuel. En ef-
conte les générations qui ne sont plus, pour fet, il y a un rapport nécessaire entre les lois
l'instruction de celles qui re sontjpas encore. de la société, le ministère public, qui exécute
La troisième partie d'application traite de les lois de la société; l'éducation, qui dispose
l'éducationipublique,objet dont tous les gou- l'homme au ministère public enfin les évé-
vernements, et celui de la France en parti- nements de la société qui tiennent à la fois
culier, sentent toute l'importance. Ce plan de la nature des lois et de l'état des person-
d'éducation dont j'indique les bases, écrit et nes. Après tout, les différentes parties de
même imprimé il y a longtemps (1), ne s'est l'ordre social se rattachent à un centre com-
pas rencontré avec celui que le gouverne- mun, et eUes sont toutes liées entre elles
ment a récemment adopté, et je n'ai pas cru par un but uniforme, comme tous les hom-
pour cela devoir le supprimer. Il faut mon- mes, sans être parents entre eux ni alliés,
trer le bien aux hommes, même lorsqu'ils sont unis par le lien général de l'huma-
ne peuvent pas le faire le mal ne vient pas nité.
de ce que les gouvernements font fausse Je dois, avant d'entrer en matière, me
route, mais de ce qu'ils marchent au hasard justifier du reproche qui m'a été fait, d'é-
et sans se proposer de point fixe d'arrivée, noncer mes idées sur la société d'une ma-
qui ne peut être que le.bien absolu, et au- nière trop absolue. Il faut s'entendre. Tou-
quel il faut toujours tendre, même quand tes les fois qu'on traite du général, la vérité
on devrait n'y jamais parvenir. est absolue; car absolu et général sont sy-
La quatrième partie traite de l'état politi- nonymes. Elle n'est que relative, lorsqu'on
que de l'Europe chrétienne et mahométane traite du particulier. Et pour appliquer cette
c'est un essai, dont la moitié à peu près a distinction à la société, la vérité est absolue
paru par articles au Mercure de France de quand on traite de la constitution, règle gé-
cette année (1802), jusqu'à ladisculion de la. nérale de la société et elle est relative dans
constitution proposée à la Pologne par Ma- les détails d'administration, règle parlicu-
bly, après laquelle l'auteur n'a plus rien in- lière des individus. Ainsi le pouvoir, consi-
séré dans ce journal de relatifà la politique. déré en général est bon d'une bonté ahso-
En donnant cet essai tel qu'il a été compo- lue, et l'homme qui l'exerce, être particu-
sé, on obéit au vœu d'un grand nombre lier, n'est bon que d'une bonté relative. De
d'abonnés, qui ont témoigné le désir que là suivent et la fixité nécessaire dans la
l'on réunit en un corps ces différents arti- constitution du pouvoir, et les modifications
cles, et que l'on en complétât la suite. On y nécessaires dans les lois d'administration. Do
a joint un morceau sur le traité de Westpha- là la différence du pouvoir absolu en cons-
lie, qui avait paru beaucoup plus tôt. Le but titution, au pouvoir nécessairement moins
de ces considérationspolitiques est de faire absolu en administration, et par là plus ar-
voir l'influencede la législationpolitique et bitraire. Le pouvoir absolu est constitué
religieuse des Etats sur les événements de sur des lois fixes et fondamentales,« contre
leur histoire, et surtout d'agrandirl'étude de lesquelles,» dit Bossuet, « tout ce qu'on fait
l'histoire moderne, en présentant, ainsi que est nul de soi, » et l'homme qui l'exerce
Bossuet l'a fait pour l'histoire ancienne ,-la doit administrer avec douceur et égard pour
raison générale, ou plutôt divine, des évé- la faiblesse humaine (1). Ainsi, dans les
nements de ce monde, que nous épelons, sciences mathématiques, on suppose toutes'
pour ainsi dire, un à un sans en considé- les lignes en général absolument droites,
rer l'ensemble et la liaison secrète, et que toutes les surfaces en général absolument
nous nous accoutumons0à regarder comme planes, tous les solides en général absolu-

(1 Dans la théorie du pouvoir.


) l'administration et c'est ce qui rend si dure la con-
(2) Le pouvoir despotique, au contraire, ne connaît dition des' sujets, soumis à toutes les volontés d'ua
ni fixité dans la constitution, ni tempérament dans maître qui n'est soumis lui-même à aucune loi.
ment compactes,tous les corps en général y, 21.) Ces dernières considérations nous
absolument durs, le mouvement en général conduisent à traiter de la philosophie.
absolument libre mais J'artiste, qui met en
œuvre les corps particuliers, ne trouve § I. DE LA philosophie.
rien de tout cela et il est obligé de tenir
La philosophie, qui signifiait chez les
compte des déviations des lignes des as-
païens l'amour de la sagesse, et qui ne signi-
pérités des surfaces, de la mollesse des fie pour nous que la recherche de la vérité,
corps, de la résistance des milieux., etc., etc. a
La comparaison est parfaitement exacte, et commencé pour l'homme avec la parole, et
je l'emploie d'autant plus volontiers, que je pour T'univers avec l'écriture.
Comme la vérité n'est autre chose que la
regarde comme une haute importance de
science des êtres et de leurs rapports, et que
faire remarquer au lecteur les harmonies
les êtres sont tous compris sous les
du monde intellectuel et du monde maté- ex-
pressions générales de cause et d'effets la
riel, du monde de la cause et du monde des philosophie, considérée en général, suivit
effets.
d'abord cette division.
La vérité relative doit être dite avec pru- La plus ancienne philosophie écrite qui
dence et circonspection, parce qu'elle est
nous soit connue, celle des Hébreux s,atta-
incertaine par cela seul qu'elle n'est pas ab- cha à jaire connaître la cause suprême, in-
solue raison pour laquelle il faut être telligente, éternelle de l'univers et sa vo-
d'une extrême réserve pour prononcer sur lonté générale, dont les lois fondamentales
les individus et les faits particuliers. Mais des êtres sont l'expression elle
pour la vérité en général, ou sur le géné- en tira la
connaissance des devoirs de l'homme, et elle
ral, il est toujours temps de la révéler, et parla de cette cause suprême et de l'homme,
c'est toujours le temps qui la révèle veritas
filia temporis. son plus noble effet, et celui qui soumet tous
les autres à sa pensée ou à son action,
Je m'attends à ce que la manière générale aver
une hauteur d'intelligence, une force de sen-
dont j'ai considéré les objets au commence- timent, une magnificence de style propor-
ment de cet ouvrage déplaira à deux sortes tionnée à la majesté des objets auxquels
d'esprits, même droits et justes. Elle dé- le langage des autres peuples ne peut at-
plaira à ces esprits plus agréables que forts, teindre.
qui ne peuvent sortir de la sphère du parti- Les effets même purement matériels, la
culier, ne reconnaissent plus un pouvoir, si philosophie des Hébreux ne les considéra
l'on ne l'appelle le roi d'Espagne ou le czar
pas en eux-mêmes: ils ne lui parurent pas
de Russie; un ministre, si on ne l'appelle dignes de ses recherches; elle les considéra
un chef de bataillon, ou un conseiller d'E- comme l'action merveilleuse de la cause sou.
tat des sujets, si on ne les appelle Pierre ou verainement puissante, et, franchissant
Paul, sans réfléchir à l'énorme distance lois générales du mouvement et de la ces
qu'il-peut y avoir entre l'homme, souvent tière dont nous sommes si péniblementma.
imparfait, chef de tel ou tel Etat, et le pou- cupés,, elle vit dans les cieux lê pavillonoc-
voir en général absolument bon entre les qu'étendait sur l'univers la main du Très-
hommes qui servent, souvent vicieux, et Haut, dans les nuées son vêtement, dans la
l'ordre du ministère social qui est absolument terre son marchepied, dans les foudres et les
bon, et qu'on ne peut pas affirmer du parti- tempêtes ses messagers et ses hérauts. Si
culier tout ce qu'on peut affirmer du géné- elle admira la puissance infinie du Créateur
ral. La manière générale ou métaphysique dans les grands phénomènesde la-nature, elle
ne trouvera pas plus de grâce aux yeux de bénit son inépuisable bonté dans les plus
ceux qui tiennent à la philosophie de leur petits effets de la création. Les productions
école, comme les professeurs au temps de de la terre furent le repas préparé
Descartes tenaientà celle d'Aristote: esprits pour
l'homme, et lesanimaux furent les serviteurs
propres à retenir la vérité acquise, mais destinés à l'aider dans ses travaux. De là
incapables de l'acquérir, parce que, dans hymnes à la gloire de l'Etre tout-puissantces
leur improbation précipitée et de préven- e1
tout bon, ces cantiques de reconnaissanceet
tion, ils oublient, tout Chrétiens qu'ils sont, d'amour, qui font de la plus haute philoso-
cette, maxime de l'Apôtre: « Ne méprisez phie la poésie tantôt la plus sublime et tan-
aucune doctrine, éprouvez-les toutes, et tôt la plus gracieuse et qui traduisent des
retenez celles qui sont bonnes. » (1 Thess. pensées divines en langage divin.
1055 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1056
ivvv
Les neunles nerdirent
autres peuples
T.ps antres perdirent de vue cette prirent
nrirent
j à ne rien affirmer, né rien
affirmer. ceux-là à ne
haute philosophie, transmise d'abord dans croire.
c
toutes les familles par une tradition orale, et Cette confusionde doctrines passa chez les
depuis maintenue pure et entière chez le seul IRomains, mais assez tard. La philosophiedes
peuple hébreu par une transmission écrite. Grecs,
C vain luxe de l'esprit, ne pénétra à
lis s^arrètèrënt à la contemplationdes effets, Rome
1 qu'avec tous les autres genres de luxe
'y cherchèrent tout, et même la cause intel- qui
q devaient venger l'univers de sa défaite
Jigente et multiplièrent la causé à pro- (3)
(• et faire expier à Rome ses succès. Mais
portion du nombre et de la vérité des les Romains, sévères et occupés de grandes
]<

effets. choses
c choisirent ce qu'il y avait de plus
Les Chaldéens virent leurs dieux dans les ssage ou de moins déraisonnable dans la phi-
astres, et servirent là milice du ciel; 1< les
losophié des Grecs, comme ils avaient rete-
Egyptiens sur la terre dans les plantes et nu n ce qu'il y avait de plus grave dans leur
les animaux les Grecs, dans les hommes, et culte;
c et de toutes les sectes de philosophie,
surtout dans leurs passions. Toutes les eau- liles plus considérées à Rome furent celle des
ses secondes l'air, le feu, l'eau, la terre et stoïciens,qui
s parlaient de la vertu, et celle de
ses atomes, leur parurent tour à tour la cause 1'l'Académie, qui cherchait de tous côtés, ne se
"première dé l'univers. Dans leurs vaines fifixait que dans son incertitude, et n'affirmait
Imaginations ces philosophes corpuscu- ppas de vérité, de peur de soutenir une erreur.
laires voulurent peindre aux sens ce qui ne Les opinionsd'un homme forment sa philo-
doit être exprimé qu'à la pensée ils ne sophie, s mais la philosophie d'un peuple est
s législation raison pour laquelle les hom-
virent dans l'univers que des images de corps, sa
au lieu d'y voir, comme lés Hébreux, des fi- nmes avides de domination imposent au peu-
gures de vérités. Lès philosophes hébreux, p ple,
FI comme des lois, leurs propres opinions,
s'appelaient avéc raison les voyants.' Les et e veulent faire une doctrine générale de
philosophes grecs se décorèrent du nom de Lleurs sentiments particuliers. Chez les Hé-
sages (i) mais ils cherchèrent la sagesse breux,fc une doctrine intellectuelle avait pro-
hors des voies de là vérité et ils ne rencon- duit
d une législation raisonnable, ou plutôt
(2). " aujourd'hui,
trèrent que la corruption et le mensonge s'étaits confondue avec elle; mais chez les
païens,
F une philosophie sensuelle enfanta
11y eut alors, comme deux des législations absurdes: funeste exemple,
d
philosophies ou deux doctrines: une philo- e depuis trop souvent répété 1
et
sophie divine, qui se confondit avec la reli- L'univers périssait sous ces opinions in-
gion et une philosophie humaine, que sensées
s et ces législations corrompues. La
l'homme associa à la morale car les philo- ddoctrine mystérieuse et toute en expectative
losophes grecs dissertaient beaucoup sur des
d Hébreux ne pouvait pas plus convenir à
l'homme, sur sa nature et sur sa fin. l'homme,
1 devenu en grandissant avide de
Cependant la doctrine des Hébreux se ré- connaître
c la vérité et d'en jouir, que leur
pandait avec leurs livres dans les parties 1législation, purementlocale, ne pouvait con-
d'Asie et d'Europe voisines de la Palestine. venir à la société étendue sous l'empire ro-
Elle ne fut pas inconnue aux Grecs. et donna main.
i Ce fut alors qu'il parut chez les Juifs,
sans douté à la philosophie de Platon ce ca- e qu'il sortit en quelque sorte de leurs doc-
et
ractèrë- d'élévation et de vérité qui la dis- trines
t et de leur législation une doctrineplus
tingne des autres doctrines de ses compa- développée
c et une législation plus générale.
trïôtès. Platon fit de la philosophie avec sa La
1 doctrine des Hébreux avait révélé la
raison, ou du moins avec son intelligence cause,
c la philosophie des païens s'était arrê-
les autres en tirent avec leurs passions les tée
t aux effets; le christianisme vint révéler
stoïciens; avec l'orgueil ;les épicuriens, avec aau monde la connaissance du moyen univer-
là volupté le sceptique douta, les pyrrho- sel,
s medius, ou médiateur, de l'être qui unit,
niens nièrent, les éclectiques cherchèrent; lacause
1 universelle à l'universalité des effets,
les uns dirent à l'homme jouis; les autres ou
c
àl'univers, et qui forme le rapport eh-,
lui crièrent: Abstiens-toi; ceux-ci lui ap- ttre le Créateur et la créature.

(1) Oh s'appelait alors sage, comme dans notre 22.)


2
révotulioft on s'est appelé vertueux.
(2) ,Grœei sapienliain quœruni. (I Cor. i, 22)', ( 3 ) Luxuria incubuit victumelue ulciscitiir orbeas.
.dkenles se esse sopientes, stttlii facti sunt. (Rom. i, (JurEN.,sàt. vi, vers. 292.)
ï
«*7
s~E,vr..a~
Alors
PART. F.
t\J.
ECONOM. SOC.
tout fut connu, êtres et rapports,
-.IL
ce qui est, et même tout ce qui peut être
tout
it
•e
·
LEGISLATION PRIMfT.
noumiun rnmu. – DISC.
des dogmes de
DISU. PRELIM
FKt-LlM
la religion hébraïque, et
même crurent y démêler quelque connais-
J058

dans t'ordre des êtres, tels que notre raison n sance des plus hautes vérités du christia-
les perçoit car, ou la raison humaine n'est >t nisme. A mesure qu'il s'étendait, ennemi
qu'une tueur vaine et trompeuse ou tout,t, de toutes les erreurs, il était combattu
êtres et rapports, existants et même pos- par
tous les esprits. Les Grecs, disputeurs sub-
sibles, est compris dans cette catégorie gé-i- tils comme tous les esprits faibles, commen-
nérale, et la plus générale possible, cause cèrent ces controverses épineuses qui durent
moyen, éffet ( 1 ). Et comme le moyen est;t1t encore, où l'on met l'adresse de la dialectique
en rapport à la fois et avec la cause de la- à la place de la force des raisons et la reli-
quelle il est, et avec l'effet pour lequel il est, gion permit à ses défenseurs ces armes fra- y
la philosophie des Chrétiens, ou la connais- giles, mais acérées, avec lesquelles l'erreur
sance du moyen universel du médiateur, adroite et composée ne manque presque
par qui tout a été fait ou réparé dans J'ordre3 jamais de surprendre la vérité simple et
moral, fit connaître la cause et l'effet, DieuLi con-
fiante. De la dialectique des Grecs, unie
et l'homme, autant qu'ifs peuvent être con- aux
idées chrétiennes, naquit la scolastique du
nus ici-bas par la raison humaine. Cettei moyen âge, qui, pour traduire les idées
doctrine, scandale fiénr les Hébreux, qui se3 justes et précises du christianisme dans les
croyaient les seuls voyants folie pour les5 langues fausses ou transpositivesdes païens,
Grecs, qui se croyaient les seuls sages, con- donna au langage des Romains une cons-
vainquit d'insuffisance la doctrine des uns, truction naturelle ou analogue contraire à
et d'absurdité !a philosophie des autres ett son génie. De là ce latin moderne, connu
parla rectitude qu'elle mit dans les pensées, sous le nom de latin de l'école, qui subsis-
el-le prépara les hommes à la perfection des tait encore à peu près sous la même forme
i
moeurs et des lois, et même au progrès desi dans nos études de théologie, de philoso-
lumières dans tous les arts de l'intelligence. phie, de jurisprudence car il est des langues
La doctrine des Hébreux faisait connaître dans lesquelles on ne peut penser juste
sans
,a puissance de Dieu et ses desseins sur parier mal.
l'homme; la doctrine du christianisme fit Avec la dialectique des Grecs, on étudia
connaître les rapports ou là société de Dieu leur philosophie de mots, leur politique da
et de l'homme, et des hommes entre eux, crimes,
< leur physique de préjugés et tout,
totalement ignorés des païens dans la spécu- dans
< le moyen âge, fut admiré de ce peuple
tion et horriblement défigurés dans la prati- enfant,
< hors la seule partie dans laquelle il
que. La grande énigmede l'univers fut réso- eût
< excellé, la poétique et la rhétorique,
lue. Il n'y eut plus rien à révéler à l'homme, (trop fortes pour nos langues encore inciiltes
rien à prescrire à la société, hors de cette ( pour des esprits encore peu exercés.
et
doctrine et de ses lois; et le fondateur de Ce fut ainsi que l'Europe parvint
cette sublime doctrine, mourant pour la au xv°
siècle.
î Vers cette époque, un débordement
propager, put dire, sous l'expression la plus de
( Grecs dans notre Occident, de sublibilités
simple, cette vérité profonde Tout est côn- dignes
c des Grecs dans l'examen de nos dog-
sommé. (Joan. xxi, 30.) mes,
ï d'idées renouvelées des Grecs dans nos
La philosophie des Chrétiens leur aurait £gouvernements, de modèles grecs dans
suffi sans doute, et le plus savant de nos
arts,
« produisit cette philosophie d'abord re-
leurs docteurs ne voulait. pas en connaître 1ligieuse
ou plutôt théologique, depuis si
d'autre mais, forcés dè combattreles païens, irréligieuse,
i amie des arts des-Grècs; admi-
les premiers défenseurs du christianisme ratrice
r de leurs fêtes, de leurs institutions
étudièrent la philosophie des Grecs, dont politiques,
p même de leur culte théâtral et
une nombreuse partie de l'Église chrétienne voluptueux,
v et que l'Europe a signalée aux
parlait la langue, et dont les écoles avaient siècles
s à venir sous le nom de philosophie
fourni à la religion plusieurs de ses plus moderne,
n nom de réprobation et d'Injures,
savants interprètes. car,
c en morale, toute doctrine moderne, et
Platon. avec sa doctrine intellectuelle et q n'est pas aussi ancienne que l'homme,
qui
ses nobles conceptions, devait plaire aux pre- est
e une erreur
miers docteurs chrétiens, qui y retrouvèrent Cependant cette philosophie n'est pas
( t) te rapport de cette proposition purement
r,““
philosophique, mais fondamentale, de la philoso-
,l,«i,, “““ luuuauiMiwit, uc M puiiuftu-
OEUVRES compl. i>k M. ni? Rn»iin t
phie,
p
nisme,
a.vec les dogmes fondamentaux du christia-
nnisme, devieudra
ueviendra évident.
5i
51h
aussi moderne qu'on le îpense. Déisme ou .que la volonté 'du peuple peut dissoudre;
athéisme, on la retrouve chez les Grecs, où semblab!e à la tente que le berger dresse
de beaux esprits avaient nié la Providence, pour une nuit, et qu'il enlève au point du
et nié la Divinité mais au moins les païens jour.
ne méconnaissaient la Divinité qu'après Ainsi la philosophie moderne confond,
•'avoir défigurée, et en avoir fait des hom- dans l'homme, l'espritavec les organes dans
nes impurs ou des animaux sans raison; au la société, le souverain avec les sujets dans
lieu que nos sages, éclairés par une doctrine l'univers, Dieu môme avec la nature, par-
qui leur montre en Dieu une intelligence tout la cause avec ses effets, et elle détruit
infinie, un amour immense, une action tout ordre général et particulier, en ôtant
toute-puissante, sans aucun mélange d'im- tout pouvoir réel à l'homme sur lui-même,
perfections, le méconnaissent même dans sa aux chefs des Etats sur le peuple, à Dieu
beauté. Chose étonnante 1 des hommes à même sur l'univers.
qui leurs progrès dans l'art de décomposer Cependant il s'était élevé vers le milieu
les corps, de les classer, de calculer les lois de l'autre siècle, non une autre philosophie
de leurs mouvements, ont ouvert le labora- que celle des Chrétiens, mais une autre mé-
toire de la Divinité, s'obstinent à la mécon- thode de philosopher que celle des anciens,
naître ( 1 ) pareils à des enfants introduits c'est-à-dire de procéder à la recherche de la
dans un cabinet, qui n'en considèrent que vérité aussi l'ouvrage de philosophie le
les raretés et ne saluent pas le maître, leur plus célèbre qui parut alors, fait d'après
doctrine corpusculaire s'arrête aux causes cette nouvelle méthode, fut intitulé avec
fécondes, jie voit que des éléments et des raison De la Recherche de la vérité.
germes, et elle prend les moyens de la con- Au milieu de cet asservissement général
servation pour les agents ue la création. des esprits à la méthode d'Aristote, l'esprit
Comme celle des Grecs, elle est vaine dans indépendant de Descartes osa discuter tes
ses pensées et superbe dans ses discours. titres de ce sage à la domination tyran nique
Elle a pris des stoïciens l'orgueil, et des épi- qu'il s'était arrogée sur l'enseignement pu-
'curiens la licence. Elle a ses sceptiques, ses blic. Les écoles le combattirent, et elles
pyrrhoniens, ses éclectiques, et la seule doc- doivent toujours sonner l'alarme.. Les délais'
trine qu'elle n'ait pas embrassée est celle des qu'apporte leur résistanceau triomphe de la
privations. vérité, sont un ubstacleaux progrès de l'er-
Cette philosophie moderne ignore Dieu reur, ou une protestation tôt ou tard efficace
plus que celle des païens, et ne connaît pas contre ses succès c'est la quarantaine que
mieux l'homme; encore moins connaît-elle l'on fait subir aux marchandises qui arrivent
la société. L'homme, cette intelligence servie des pays suspects. La doctrine de Descartes
par des organes, est pour nos sophistes, l'emporta (2). « Le raisonnement humain,
comme pour le sophiste grec, un coq à deux en matière littéraire, a dit Terràsson, n'est,
pieds, sans plumes, un animal débruti, une pour. ainsi dire, sorti de l'enfance que de-
masse organisée, dit un écrivain encore vi- puis Descartes, et la philosophie n'est autre
vant, qui reçoit l'esprit de tout ce qui l'envi- chose que l'esprit de ce grand homme. a
ronne et deses besoins doctrine abjecte et Et ailleurs « Le système de Descartes est un
funeste, aujourd'hui paisiblement et univer- système philosophique; le système de New-
sellement enseignée dans les écoles, où l'on ton est un système géométrique ou physi-
s'occupebien moins de prolonger la vie de que aussi l'éloquence anglaise ne s'est pas
l'homme physique, que d'étouffer toute con- perfectionnéedepuis Newton, comme l'élo-
naissance de l'homme moral.La société n'est, quence française s'est perfectionnée depuis'
pour les sages modernes, qu'un lien de con- Descartes. »
vention, que la volonté du peuple a formé* Cependant il y a deux principes dans la,

{ 1) Les anciens jugeaient la présence des dieux déjà elle commence à pàlir; Descartes n'a point
au désordre de la nature, et pour eux chaque évé- joui de la sienne, mais elle s'est accrue après lui,
nement remarquable était annoncé par une mons- parce que les grands génies, pareils aux édilices
truosité physique les modernes à force de voir élevés, veulent être vus à une juste distance. Tous
l'.immutabilité de l'ordre physique, en méconnais- les deux ont été accueillis par des rois qui aimaient
sent l'auteur. C'est la même disposition. la vérité, ou ce qu'ils prenaient pour elle. Aujoiir-;
( 2) Descartes, j'entends le moraliste, et non le d'hui, les rois, honteux d'avoir été trompés par nos
physicien, a fait une révolution dans les pensées. charlatans, n'accueillerontplus que des artistes; et
Voltaire a excité une révolte dans la société; Vol- le munde même, détrompé de ses erreurs,, n'aura
taire a joui, de son vivant, de toute sa gloire, et plus de goût pour la vérité.
*0W PART. i. ÉCONOM. SOC,
philosophie de Dèseartes
Descartes qui ont besoin de
LBGlSCiTlOS PfillilT.
ua:a~7lJ --7~"
le si si toutefois
DISC fK&fjtM. t0~
maw. PREUM
,,m..1,
touf^k il yv a» quelque
m'

vérité dans ce
développement, et qui, présentés
sans res-
triction peuvent être, et même ont été sujet s- monde d'images qui passent, livré à
et disputes comme une énigme nos
ou occasion, d'erreur je veux parler du que J'on pro-
fu pose à un cercle de
doute et des idées innées. Les réflexions gens oisifs. Mais pour
aux-x- les sciences morales
quelles ces deux principes vont donner lieu, naissance ou sociales, et la con-
utiles en elles-mêmes compléteront l'his- u, du pouvoir et des devoirs, par cela
toire des opinions philosophiques. s- seul qu'on est né et qu'on vit au milieu
d'une société quelconque, on obéit à quel-
Le doute réel ou feint, par lequel Descar-Il
tes a commencé, et qu'il conseille comme le r- que ordre d'actions qui suppose invincible-
le ment quelque vérité dans les
plus sûr moyen de parvenir à. la connais- l'erreur opinions; car
i- et le désordre sont inséparables
sance de la vérité, doit être} pour un esprit it L idolâtrie elle-même, la plus absurde
sage, autre dans les sciences physiques que des
dans les sciences morales. Dans les sciences croyances donne quelque connaissance du
ift
is poitvoir dé la Divinité et des devoirs de
purementphysiques, on peut rejeter comme ie 1 homme, et cette connaissance, toute con-
taux ce qui est même le plus généralement it fuse qu'elle est a maintenu
adopté, et chercher ensuite la vérité; dans ou maintient
is encore chez les païens quelque ordre de so-
les sciences morales, au contraire, qui trai- i- ciété, selon la remarque de Bossuet,
tent du pouvoir et des devoirs il faut parce
res-i- qu'une notion même imparfaite de l'auteur
pecter ce que l'on trouve généralement éta- de tout ordra
bli, pour ne pas recommencer tous les jours hommes lie peut se trouver parmi les
ja société, sauf à examiner ensuite s'il n'y s sans y produire de l'ordre. On
a ne
a peut donc pas rejeter, sous prétexte d'erreur,
point d'erreur. La raison de cette différencee toute
est sensible et Descartes n'a eu garde dee pas croyance morale (car l'athéisme n'est
s'y tromper, lui qui distingue si nettementtcroyance), une croyance, mais l'absence de toute
ce qu'il faut commencer par croire, de a dans l'homme sans faire cesser en même temps
qu'on peut commencer par révoquer ce1motifou la et dans la société ( 1 ) Jo
doute. Que la théorie des lois de l'ordre en, pratique des actions morales; et
physique soit ou ne soit î alors il est à craindre que les passions
pas connue, less fois déchaînées ne veuillent plus reprendre une
lois physiques n'en sont pas moins obser- le joug,
vées dans ce qu'elles ont de général c'est- chemin et ne conduisent l'homme par le
facile du doute à l'abîme
à-dire de nécessaire et l'homme, qui sans fond
peutt du pyrrhonisme absolu. L'homme qui
découvrir, et qui même a découvert tant de mencerait com-
choses utiles en physique, ne peut déranger F'jsiques sont par supposer que ses. théories
rien de nécessaire. Les mouvements plané-• pour Jes vraies n'aurait aucun motif
examiner de près car la société
taires et le cours régulier des saisons ne
ont va ni mieux ni plus mal avec des opinions
précédé les calculs de Kepler et de Newton.. vraies
Quelles que soient la nature des fluides ou fausses sur la physique mais
et l'homme
] qui commence par supposer
la constitution de leurs parties élémentaires, doctrine que sa
< en morale est bonne, a toujours
ils ne tendent pas moins à
se mettre en raison. J suffisante pqjir en approfondir la une vé-
équilibre. On saignait avant de connaître la, rité
i parce qu'on ne la connaît jamais
circulation du sang, et les as-
pompes ont été sez, s et qu'il y a désordre dans la société,
en usage bien avant les expériences sur la tant t qu'on n'a pas la connaissance pleine
pesanteur de l'air. On peut donc supposer entière la vérité. et
E de En un mot, et pour. me
sans danger qu'il y a erreur dans l'explica- résumer,
lion de ces phénomènes, on doit même le r on peut préjuger en physique des
erreurs
e particulières on doit préjuger
en
supposer; car, si on les suppose connus, on nmorale des vérités générales
me trouvera plus de raison suffisante d'y et c'est pour
re- a avoir fait le contraire, pour avoir préjugé la
chercher l'erreur, s'il y en a, et les sciences
vérité en physique, que le genre humain
physiques resteront dans une éternelle en- v
lance. Après tout, il importe a cru si longtemps aux absurdités de la phy-
peu de se sique si ancienne, comme c'est pour avoir
-romper en physique, et d'abandonner, jugé h l'erreur dans la morale générale pré- des
même par préjugé et avant tout nations,
examen, n que plusieurs ont, de jours,
une doctrine, fût-elle vraie en elle-même, fait ? naufrage sur les. côtes arides etnosdésertes
( i ) Ainsi les actions d'humanité
ont cessé chez bée lu dans l'erreur, et que les institutionspublimies
Jeaucoup de Français, lorsque la société est tom- d" de cjianie ont été abolies en France.
.1
1O63
i)- .–- ~a.
de l'athéisme, d'où, comme les sirènes, ils
attirent, par la facilité de leur doctrine lir
cenoieuse., les malheureux navigateurs qui
parcourent les mers orageuses de la science.
:1~
y.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
vaient
.f~onf
i

dogme
t
tion
t
n'min rla
garde rejeter l'opinion
de t-fttftfr
iinnées, qui s'accordent si bien- avec leur
favori du sens pfrtWet de YiHumirui-
particulière; v\ les théologtens catholi-
1064
(~E9- idées
Îf~1I11'111011 des i(.EB

On ne, le dirai jamais assez ce que nous savons cques respectaient,


d'après- l'éGole une; opi-
le moins, ce sont les vérités de l'ordre pbysi- j pion qui leur paraissait purement philoso-
que; ce que nous savons le mieux ce sont les phiq.ue,
j et qui leur semblait mettre .l'homme
vérités de l'ordre moral nous disputons en dans
( une communicationplus intime et plus
physique, sur les raisons, de phénomènes que détachée,
( des sens avec l'intelligence suprê-
Malebranche, le plus profond des disci-
nous, voudrionscqnnaître; mais nous, contes- ime,

tons enmorale suc les règles de nos devoirs ples


i de Descartes, la rejeta son génie mé-?
que nous voudrions ignorer. Descartes aurait ditait
( de plus hautes pensées, et il avait va
pu feindre un moment de nier l'existence de au
i delà de l'homme. LeibniU y revint, mais
là sa manière. (l>, même après
qu'elles
la Divinité,dont il ayaitdans l'esprit la preuve dout il
qu'il en a donnée et que Condillac n'a pas eurent
< été combattues par Locke,
comprise. Jamais homme de génie n'a nié. trouvait
I la doctrinp très-mince sur la nature
sérieusement ta. Divinité, dont il est l'ex-, de
( Pâme,, et qu'il; a. réfutée dans de nouveaux
pression la plus vraie et l'émanation laplus. Essais
i sur f entendement humain. Cependant,
sensible. Mais ce doute est mortel pour les j ne crains pas de le dire-, on ne s'était ja-
je
esprits vulgaires. La connaissance d'un être imais
entendu dans cette dispute,, et Male^
infini est un poids dont on a chargé teur branche
] l'avait bien senti. Qit'étaiUce que
faible raison et qu'elle porte avec facilité;, ces, idées innées, présentes-
à notre es-
mais elle n'a plus la, force de le reprendre, prii, et qui y précédaient toute, iustru-i
toute seule, si, égarée par l'imagination,, ction:?. Si Dieu les y gravait, lui-même,
comment l'homme, parvenait-il; à les, effacée ?
elle vient à s'en débarrasser un. moment
L'autre observation regarde Y origine de Si l'enfant idolâtre Baissait-, comme l'enfant
nos idées; .question d'une haute, importance, chrétien,, avec des notions distinctes $wt»
surtout aujourd'hui qu'on a faitide cette. re-. Dieu unique, com menUses parents pouvaient^
cherche une science particulière sous le nom, ils le, faire. croire; à. une multitude de di&u^H
d'idéologie: preuve certaine que le temps est D?où vient qu'il y a* des matérialistes et
apportons en naissant
venu de l'approfondir, et j'oserai dire, de la.l des athées, si, nous
décider» des idées innées de. I'exist6n«e de- Dieu et de-
L'opinion des idées mnées vient de très- l'immortalité de l'âme? Si les hommes ap-
loin. Platon, les. Pères de FEglise, l'école dui portent tous Qn naissant, les mêmes idées,
i
moyen âge, l'avaient soutenue; Descartes-pourquoi tant de
variété dans les opinions*
des idée*
l'adopta. Nos philosophes modernes.s'en sont,t. Il y a donc des idées, innées et'
moqués; et cependant J.-L Rousseau y re-• acquises,
et commentlesidées acquises foHt-,
vient sans s'en douter, lorsquHl. dit « Cej elles.oublier les idées innées ?îcar, enfin oiv
qu'on peut acquérir»
que Dieu. veut, que l'homme fosse, il ne le,5 ne peut perdre que ce
il
lui fait pas dire par un autre homme, leî comme on. ne peut acquérir que ce qu'on-
lui dit lui-même, et l'écrit; au fond de sont peut perdre; et, ici l'homme conserve les
coeur. » Doctrine au reste prise des païens, idées fausses qu'il a
acquises, et- perd les
et qu'on retrouve dans. Lucain idées vraies nées avec lui, et qu'il tient-de
Ncc vocibus ullis sa nature. Ces idées antérieures et toute ins-
Nume,,n eget, di^itque semel; nascenubus auctor. truction, il fallut en faire quelque chose, et
Quidquid sçire licet. les placer quelque part. On en fit des êtres,
{Phars., lib. ix, vers. 575 seq=.); et on en, peupla la, pensée1. Uexpérience, qui"
Et. dans. Cicéron (Pra Milone) Est, nonn est dans la route de la vérité comme le
bâ-
scripta., sed nata lex, quam non didicimus, ton de l'aveugle, venait
contrarier ce sys-
d'êtres humains
accepipiiis legimus, verum ex natura ipsa a tème, et le petit nombre
arripuimns, Jeausimus, expressimus. trouvés dans les forêts, hors de tout com-
Les théologiens de la réformation n'a- merce avec les hommes, dès
qu'ils avaient

• (1) Leibnitz croit que les idées sont en nous is faut ôter ce qu'il y a de trop, et que, pour faire
comme une statue est dans le bloc de marbre d'où
ù un homme raisonnable d'un homme. ignorant i»
elle doit être tirée. Cependant il y a cette différence, faut lui donner ce qui lui manque.
que, pour faire un Apollon d'uu bloc de marbre, il
pu parler, interrogés sur leur premier état,
.m.mu..m.
bien, même à aider à celui qu'on
·vvv
veut lui
n'avaient pu, à la grande humiliation des faire; et les philosophes modernes voient la
théologiens et à*la satisfaction de leurs ad- véritable nature de l'homme social dans
versaires* Tien apprendre, sur leurs idées l'état faible, misérable, ignorant, barbare,
innées de Dieu de l'âme d'une autre vie, de la vie sauvage. Je reviens à l'origine des
etc. Cependant il était aussi ridicule de leur idées.. Malebranche, par excès de christià-
demander ce qu'ils pensaient avant d'avoir nisme, si je puis le dire, dépassa la solution
aucune expression de leur pensée qu'il le du problème, et fut la chercher dans des
serait de demander à un enfant ce qu'il gen- communications directes avec l'éternelle
sait dans le sein de sa mère, ou'd'interroger raison; opinion excessive et peu dévelop-
un homme qui ne se serait jamais vu au mi- pée, qui supprimé trop d'idées intermé-
roir, sur les traits de son visage. ou la cou- diaires. Condillac pécha par le défaut op-
leurde ses yeux. Un système aus^i incomplet posé, et resta en arrière de la solution, dont
ne pouvait se soutenir; attaqué avec avan- ses recherches sur les signes des pensées
tage, il était défendu d'une manière faible et l'approchent sans cesse, au point qu'il semble
embarrassée. On cherchait la solution du quelquefois y toucher, mais dont ses pré-
problème des idées dans les hauteurs inac- jugés déistes l'éloignent toujours. Il ne leur
cessibles du pur intellect et la religion la manqua à l'un et à l'autre que de faire à
mettait, pour ainsi dire, sous la main de l'homme intellectuel une application réelle
tout le monde et dans la bouche des enfants. et positive d'un dogme fondamental de la
On voulait une explication philosophique société intellectuelle ou religieuse, de con-
et naturelle et comment se persuader que clure de Dieu à l'homme, son image et sa
la religion fût une philosophie, c'est-à-dire, ressemblance, et de dire Qu'ainsi que Dieu,
une connaissance de la vérité, et encore intelligence suprême, n'est connu que par
qu'elle fût naturelle. et la plus naturelle de son Verbe, expression et image de sa subs-
toutes les doctrines, lorsque les éléments tance de même l'homme, intelligence finie,
de notre croyance nous enseignent qu'elle n'est connu que par sa parole, expression de
,est surnaturelle? Ici revenait l'équivoque son esprit, ce qui veut dire que l'être pen*-
de ce mot nature et naturel, qui a produit de sant s'explique par l'être parlant. Alors le
si grandes erreurs, et, par une suite inévi- mystère de nos idées leur eût été dévoilé
table, de si grands désordres. La religion, ils auraient vu que la connaissance des vé-
sans doute, est,surnaturelle, si l'on appelle rités morales, qui sont nos idées, est inne'e,
la nature de l'homme son ignorance et sa non dans l'homme, mais dans la société;
corruption natives, dont ii ne1 peut se tirer dans ce sens qu'elle peut ne pas se trouver
par ses seules forces et; dans ce sens, toute dans tous les hommes, et qu'au contraire
connaissance de vérité morale lui est surna- elle ne peut pas ne pas se trouver plus ou
turelle mais la religion est ce qu'il y a de moins dans toutes les sociétés, puisqu'il ne
plus naturel à l'homme pour former sa rai- peut même y avoir aucune forme de société
son et régler ses actions, si l'on voit la na- sans connaissance de quelque vérité morale.
ture de l'être là où elle est, c'est-à-dire dans Ainsi l'homme entrant dans la société, y
la plénitude de l'être, dans l'état de l'être trouve cette connaissance comme une subs-
accompli et parfait; état de virilité de titution toujours ouverte à son profit, sous
l'homme physique, opposé à l'état d'enfance; la seule condition de l'acquisition de la pa-
état de lumière pour l'homme moral, opposé role, perpétuellement subsistante dans la
à l'état d'ignorance; état de civilisation, op- société. De là vient qu'on trouve dans toutes
posé à l'état de barbarie. Là religion est ce qu'il les sociétés, avec une langue articulée', une
y a de plus naturel, parce qu'elle est ce qu'il connaissance plus ou moins distincte de
y a de plus parfait, et même on peut dire divinité, d'esprits, d'un état futur, etc., qu'on
qu'elle n'est surnaturelle à l'hommeignorant peut ne pas la trouver chez tous les hom-
et corrompu, que parce qu'elle est naturelle mes, et qu'on ne l'a même jamais trouvée
à l'homme éclairé et perfectionné. Ici je chez ceux que des accidents avaient séques«
prie le lecteur de faire un rapprochement très de tout commerce avec les hommes, et
important. Un parti de théologiens, qui privés de la révélation de la parole.
date de l'autre siècle, ne voit dans l'homme Il faut donc apprendre aux hommes ces
que sa nature corrompue, dégradée, origi- vérités, si l'on veut qu'ils les connaissent,
nelle, inerte, selon eux, impuissante à tout et leur parler la parole de Dieu, pour qu'ils
aient la pensée à Dieu; il faut même less mais mt pour en avoir soi-même la connais*
instruire dès les premiers jours de leurr sanee sai intime, ce qu'on appelle avoir la côm-r
existence, former leur raison avant leurss ciènee cié de ses pensées. Ainsi, l'image que
sens, parce que ce qui est destiné à corn- m'offrem' le miroir m'est indispensablement
mander doit, sous peine de désordre, pré- nécessaire
né pour connaître la couleur de mes
céder dans ses développements ce qui estt yeux ye et les traits de mon visage ainsi la
destiné à obéir, et réserver les études phy- lumière
lui m'est nécessaire pour voir mon
siques, qui amusent l'esprit et occupent le3 propre
prl corps.
corps, pour l'âge où les passions font irrup- La pensée se manifeste donc à l'homme ou
tion dans le cœur de l'homme, et mettent, se révèle avec l'expression et par l'expres-
pour ainsi dire, à leur-disposition toutes sess sion,
sic comme le soleil se montre à nous par
facultés physiques et morales. Grâces à l'au- la lumière et avec la lumière. Mais si je ne
teur d'Emile, on suit, dans l'éducation ac- puis pu connaître ma pensée sans une expres-
tuelle, une méthode absolument inverse; sion sic qui la rende sensible, je ne puis en-
nous avons des naturalistes de huit ans, ett tendre
des athées de vingt on donne aux sens a à revêtir
raison à former, comme dans la société on n'a
ter
la
r
i
une expression qu'autant qu'elle sert
une pensée, et une expression qui
n'« pas de sens ou de pensée est un son, un
br aux oreilles (1). La solution du pro-
attribue au peuple le droit de faire son sou- bruit
verain, et nous savons tout de la nature, blème bl< de l'intelligence peut donc être pré^
hors par qui elle a été faite et ce que nouss sentée
sei sous cette formule « II est nécessaire
devons y faire. On dira peut-être que dess que qu l'homme pense sa parole avant de parler
hommes élevés sans connaissance de la Di- sa pensée. » Ce qui veut dire qu'i: est néces-
vinité formeront une société où cette con- saire sai que l'homme sache la parole avant de
naissance ne se trouvera pas; mais une so- parler; pa proposition évidente, et qui exclut
ciété sans connaissance de Dieu, si elle étaitt toute
toi idée d'invention de la parole par
possihle, serait un rapprochement sans réu- l'homme.
l'h Cette impossibilité physique et
nion, un ordre sans règle indépendante; il1 ro< morale que l'homme ait inventé sa parole,
y aurait des forces, et point d'autorité; dess peutpe être rigoureusement démontrée par la
volontés, et point de raison plante dessé- considération
*o: des opérations de notre esprit,
«liée dans son germe qui ne saurait se re- combinée
co avec le jeu de nos organes (2)
produire; et la question de Bayle sur la pos- et le mystère même de cette parole inté-
sibilité d'une société d'athées est plus ineptee rieure,
TU dont la parole extérieure n'est que
encore en philosophie,qu'elle n'est scanda- la répétition, et, pour ainsi dire, l'écho,
leuse en morale. certain
ce; aux yeux de la raison, se montre
Gette proposition rationnelle « La pensée e dadans la doctrine religieuse, et l'on y lit ces
ne peut être connue que par son expression a paroles
Pa qui le prouvent Si orem lingua,
e spiritus
ou ia parole, ), renferme donc toute la science sp meus orat « Mon esprit parle quand
de l'homme, comme la maxime chrétienne, ma mi langue prononce. » (/ Cor. xiv, 14.)
« Dieu n'est connu que par son Verbe, »
II faut donc des paroles pour penser ses
renferme toute la science de Dieu, et par laa id< idées, comme il faut des idées pour parler
même raison. et être entendu (3). La faculté de penser
La-parole est l'expression naturelle de laa est esl native en nous puisqu'elle est nous-
pensée; nécessaire non-seulement pour ena mêmes mi et qu'on ne peut concevoir un
communiquer aux autres la connaissance, homme n0 sans faculté de penser; mais l'art de:
( 1 ) Un enfant qui a l'esprit plutôt développé é ganes relativement à l'âme. Ainsi, dans la science
gai
que l'organe vocal, ce qui se voit fréquemment, de la société, les uns ont traité de la religion, les
de
entend le sens des paroles qu'il ne peut répéter, , autres
aui de la politique il faut, pour bien faire, trai-
et donne des signes non équivoques d'intelligence. ter de la politique dans la religion, et de la religion
Le perroquet, en qui l'organe vocal est développé et:t dans la politique.
da)
qui n'a pas d'intelligence, répète des paroles dont ( 5) Les muets parlent par gestes, parce qu'ils
il n'entend pas le sens, et rie donne aucune marque
>t
e pensent
pei par images, et le geste est l'expression de
qu'il les comprenne l'enfant a la parole intérieure e l'image, tomme la parole l'est de l'idée. Justice est
l'ii
ou l'inlelligence; la bruie a la parole extérieure ou
u une idée; arbre est une image. Cette distinction
uni
l'aniculaiion; l'un rend des pensées, l'autre rendd fondamentale sera expliquée. Au reste, les sourds-
for
des sons qui expriment nos pensées èt non pas less muets
mu peuvent recevoir la parole par l'écriture; ils
siennes. la voient et ne l'ouïssent pas, et c'est là l'objet djs
( 2) Les uns ont traiié de l'âme, les autres desg l'éducation qu'on leur donne. Cette note a paru né-
l'é<
Organes; il nous manque des ouvrages où l'on[i cessaire
ces pour éclaircir l'objection tirée des sourds?
traite de t'âmo relativement aux organes, et des or- muets,
nu qui aurait pu arrêter le lecteur.
Wo 1.~1V1.J.juv~v~u. VVV. L.7VWUCa
parler est acquis, et nous vient des autres, corde avec la doctrine des Hébreux, qui
puisqu'on voit des hommes qui ne parlent nous montre l'Etre suprême conversant avec'f
pas, parce qu'ils n'entendent pas parler, et ile premier homme, et donnant des lois écri-!
qu'on voit parler tous les hommes qui en- tes 1 au premier peuple, parole qui se retrouve
tendent parler les autres. L'un et l'autre sont avec
f mille modifications différentes dans les
inséparables dans leur opération mutuelle, familles
i les plus barbares; lois qui, à tra-
et s'exercent simultanément. On ne peut
ivers mille altérations, s'aperçoivent
donc penser sans se parler à soi-même, au 3les peuples les plus sauvages; et la mytho-
chez

moins pour les idées dont l'objet ne peut logie 1 païenne nous montre aussi les dieux
être figuré par le dessin de là cette expres- conversant
< avec les mortels, et les législa-
sion de l'Ec-iture, en parlant de la sagesse teurs
t païens font aussi venir du ciel les lois
«Dites-moi son nom, si vous le savez;» qu'ils < donnent à la terre.
car l'esprit ne cherchejamais que des noms: Les théologiens, partisans des idées innées,
de là ces passages de J.-J. Rousseau « L'es- entendues
t dans le sens absolu, insistaient
prit ne marche qu'à l'aide du discours. sur s le fait historiquement certain de la révé-
et la parole me paraît avoir été fort néces- 1lation écrite de la doctrine; mais ils ne con-
saire pour inventer la parole. Preuve de rnurent pas le fait physiquement nécessaire
l'opinion où était cet écrivain, que la parole de à la révélation parlée qui avait précédé. La
est venue à l'homme par transmission, et vérité historique peut toujours être com-
que les langues sont un don. De là enfin ce 1battue, parce que, quoique certaine pour
mot de Condillac lui-même, qui de temps en ttous les hommes, tous les temps et tous les
temps tombe dans la vérité, comme un 1:lieux, elle n'est évidente que pour le lieu qui
homme qui va à tâtons trouve quelquefois en e a été le théâtre, le temps qui en a été
une porte pour sortir « Une méthode de Yl'époque, les hommes qui en ont été les
science n'est qu'une langue bien faite. » Ce Vtémoins, et même cette certitude paraît s'af-
qui veut dire qu'on a toutes les pensées fifaiblir à ,mesure que les faits s'enfoncent
d'une science quand on en a tous les mots. davantage
d dans la nuit des âges, et dans ces
L'hommej à quelque instant qu'on sup- titemps où l'Histoire est contemporaine de la
pose de la durée a donc reçu la parole, et Fable; ï mais la nécessité physique est vraie»
n'a pu l'inventer, comme il la reçoit aujour- eest évidente toujours, partout et pour tous
d'hui, et ne J'invente pas ( 1 ). Et admirez si s l'homme aujourd'hui ne peut recevoir la
la fécondité, et, pour ainsi parler, le bon parolep que par transmission,, il n'a. jamais
sens nature) de ce principe. Soit que l'Être
ppu l'acquérir par invention; parce que, si
suprême ait créé l'homme parlant, soit que, l'on, l' peut supposer un. affaiblissement dans
par des moyens qui nous sont inconnus, et ses S' forces, on ne peut supposer une révolu-
qu'il nous est inutile de connaître, il lui ait tition dans sa nature.
donné la parole après J'avoir créé ( 2 ) il Ainsi la preuve de l'existence d'un être
est certain, c'est-à-dire, conforme à toutes supérieur
si à l'homme, et d'une loi antérieure
les notions de la raison, que cet être infini- à sa raison, est toujours également forte, si
ment sage, puisqu'il est infiniment puissant, l'onl' démontre que, posé les opérations de
n'a pu mettre dans les organes de l'homme i'l'intelligence humaine, et le concours n4ces-
que des paroles de raison, comme il n'a mis saire si de ses organes, il est impossible à
dans son intelligence que des idées de vérité. ]'l'homme de découvrir la parole et d'en faire
Il lui a donc donné avec la parole des maxi- un u langage-, et que, loin d'avoir inventé la
mes de croyance et des règles de conduite, parole,p l'homme n'aurait pu, sans la parole,
des lois pour ses pensées et des lois pour avoir a la pensée même de l'invention ( 3).
ses actions; et sur ce point, la raison s'ac- La distinction de religion naturelle et de

(1) Un, enfant sourd ne reçoit pas la parole et ( 3 ) Tous ceux qui supposent que l'homme a
ne.l'invente pas; mais un enfaut doué de l'organe inventé la parole font mouvoir à leur gré leurs
ii
de l'ouïe, devant lequel, s'il était possible, on di- personnages,
p et leur prêtent leurs propres opéra-
rait toujours des paroles forgées, sans, liaison et tions.
ti Ces enfants (supposés nés et élevés dans les
sans aucun sens, n'inventerait pas plus que le bbois, et. hors de tout commerce avec les hommes),
sourd à parler raisonnablement et de manière a être disent-ils,
d pensèrent. réfléchirent. comprirent.
entendu. jugèrent.
ji ils se dirent à eux mêmes. et tout cela
( 2) La version des Septante,chap. xxxviu, f U, a
avant la parole, moyen de pensée, de réflexion, de
porte Est-ce uo«s, dit Dieu à Job, qui avez pris de compréhension,
c< <le jugement, expression du dis-
la terre d'argile, et qui. en ayant formé rêtre animé, cours
c, même intérieur. Cependant on ne voit pas
tui avez donné la parole, et l'avez mis sur la terre?' autre
a chose dans Condiliae et ses disciples, et ils
4071 OEUVRES COMPLETE
t
religion révélée ne contribuait pas peu à éloi- blés. Sans doute l'intelligence absolument
gner les esprits de ces recherches. On re- incorporelle
i peut avoir des idées de cette
gardait la religion naturelle comme une reli- ssorte; mais l'intelligence organisée n'a un
gion innée, et cette opinion se liait à celle .esprit
x qu'à la charge de se servi" d'un corps,:
des idées innées; car ce n'est pas pour laisser si s die est pensée, ellft fin a ou, en
acquiert
son Emilc dans l'ignorance de toute religion, l'expression,
1 et Dieu» soumis luirmêoie., et
mais afin qu'il ne suive que la religion na- plus 1 que l'hofflme, aux (ois générales, qu'il
rellet que J.-J, Rousseau ne veut pas qu'on ai établies, a donné Ja phases à condition, de
l'instruise dans la religion, parce qu'il sup- la 1 parole, comme il p donné, la vision 4 cou-

pose que l'enfant peut connaître sans in- dition ( de la vue, et l'audUion à condition de
strnction la religion naturelle. Mais la reli- l'ouïe
1 (1).
gion même naturelle, la connaissance de Les sophistes, plus; éclairés sur leurs inté-
Dieu, de notre âme et de ses rapports avec rêts, s'emparèrent du poste
que leur laissait
Dieu, veut être apprise ou révélée, comme la
la religion appelée révélée, fides ex auditu
1
j
I négligence de leurs adversaires, et pour
ruiner la certitude de la révélation écrite, il&
et la religion révélée est aussi naturelle que cherchèrent à établir l'inutilité de la révé-
(
Ja religion dite naturelle; mais l'une a été lation orale,
en supposant possible que
révélée par la parole; et elle est naturelle aux l'homme
1 eût inventé la parole. Ils commen-
hommes en société de famille primitive, cèrent par séparer J'une de l'autre, et relé-
l(
isolée de tout autre société et l'autre est guer chacune aux deux pôles du monde mo-
révélée par l'Écriture, et elle est naturelleral la révélation et la raison; comme si la
aux hommes réunis en corps de nation. révélation 5 ne devait pas être raisonnable, ou
Sans doute la religion naturelle est un rayon que la raison ne fût pas acquise par une ins-
(
que Dieu fait luire dans nos âmes; mais la truction, qui n'est autre chose qu'une révé-
parole est la lumière distincte du soleil, et ]lation divine ou humaine. Ils furent aidés
sans laquelle il ne pourrait frapper mes re- en cela par beaucoup de chrétiens, qui, à
-gards. La parole est la lumière qui éclaire toutforce
1 de vouloir déprimer 'l'orgueil de la
homme venant en ce monde, et qui luit dans raison pour relever le bienfait de la révéla-
le lieu obscur de notre intelligence, pour tion, faisaient presque douter si l'homme
1
j
nous y faire voir nos propres pensées, fait à l'image de Dieu avait une raison sufll-
comme la lumière physique, pénétrant dans sante pour recevoir la révélation; et qui,
un lieu obscur, me fait voir même mon d'un autre côté, faibles théologiens, pour
propre corps. Les chrétiens disaient, comme parter avec Bossuet, croyaient, ce semble, la
Cicéron en parlant de la loi naturelle, nata raison assez pénétrante pour ruiner par ses
lex quam non didicimus, cette loi innée que recherches, ou du moins affaiblir la certi-
nous n'avons pas apprise; et comme Lucain, tude de la révélation, et qui ignoraiert que
ils disaient de la Divinité la foi n'est jamais plus simple que lorsque
Née vocihus ullis la raison est plus éclairée.
Numen eget. “
IPkars., lib. ix, 575-761.)
Quoiqu'il en soit, les sophistes, débarras-
sés de la révélation, et quelquefois avee des
La Divinité n'emploie aucun langage pour protestations de respect, comme déjeunes li-
instruire l'homme. Il semble qu'on crut plus bertins se débarrassent de la présence d'un
digne de la grandeur de Dieu, de supposer vieillard incommode, et. restés seuls avec
qu'il nous donne des pensées immédiate- leur raison qu'ils appelaient, naturelle,, cher-
ment, et sans l'intermédiaire d'aucun moyen chèrent au'plus étonnant de. tous lesi'phéno-'
ou milieu qui les réalise et les rende sen5;- mènes, celui de la paroje.» une explication

jfontraisonner l'homme sans voix articulée, et par on peut articuler sans rien dire, ouïr
sans enten-
conséquent au dernier état de brutalité, précisément dre, voir sans regarder, comme on regarde- sans
voir, on entend ouïr, s,'expsim& même. sans
comme raisonnait en lui-même Leibnitz, qui, avec sans on
les connaissances de toutes les langues de l'Europe parler, sans gesticuler. et même par le silence. Rien
ancienne et moderne, cherchait à inventer une lan- ne prouve mieux la distinction de l'esprit et dont des
gue universelle. organes et ce qu'on appelle la pltysiwwmie,
(1) Parole, vision, audition, sont l'aciion de les yeux dans la ligure humaine sont le trait te plus
l'âme; articulation, vue, ouïe, sont le jeu des or- marqué, n'est autre chose que ce regard: de l'âme et
ganes. Ainsi l'âme entend, quand l'oreille ouït; elle cette expression générale. de nos sentiments habi-
regardé ce que l'œil voit; elle dit ce que la langue tuels, qui se manifeste même dans le repos de nos
arsicule. Si orem tîngua, sviritus meus oral. Ainsi organes.
naturelle, et voici ce qu'ils trouvèrent de dire « Pour moi, convaincu de l'impossibi-
pi as naturel. ` lité,
1 presque démontrée, que les langues aient
<
Les un§> sans être retenus par m respect pu naître et se'former par des moyens pure-
-qu'un écrivain doit toujours conserver pour ment
i humains,je laisse à qui voudra l'entré-
ses lecteurs, doutèrent si l'homme n'avait prendre
| la discussion de ce difficile pro-
pas pu naître sans père fli mère -de son es- 1blème. »
pèee, ou sans l'intervention d'un être supé- Et remarquez quelles cotséquences im-
rieur à lui, et parla seule énergie de la ma- ]portantes et opposées naissent en
foule de
tière. Les autres se contentèrent de supposer .<ces opinions contradictoires. Si le genre
hu-
qu'il avait été, dès sa naissance, séparé de main a primitivement reçu la parole, comme
ses parents, et que cet être faible, indéfendu anous l'avons dit plus haut, il est de toute
par la nature, avait pu, seul et sans art, se nécessité qu'il ait reçu, avec la parole, la
défendre contre les accidents extérieurs et
contre ses propres besoins. Cette dernière
i
connaissance
(
uneloi
y
de la vérité morale. 11
primitive,fondamentale, souveraine,
a donc
i
hypothèse, tout aussi impossible que l'autre, une
i loi-principe, lex-princeps, comme l'ap-
mais un peu moins absurde, fut celle sur la- pelle
] Cicéron, une loi que l'homme n'a pas
quelle Condillac éleva, à grands frais d'ima- ifaite, et qu'il ne 'peut abroger. 11 y a donc
fgina!ion, l'édifice de son roman sur l'inven- une
i société nécessaire, un ordre nécessaire
tion de la parole. 11 avait supposé l'homme xde vérités et de devoirs. Mais si l'homme,
«ne statue, pour nous apprendre comment iau contraire, a fait lui-même sa parole, il a
il pensait; il en fit une brute, pour nous ap- fait
i sa loi, il a fait la société,, il a tout fait,
prendre comment il avait inventé l'art de par- i peut tout détruire, et c'est avec raison
.il
(que, dans le môme parti qui soutient que
îer. Pour mieux prouver que des enfants aban- la
donnés avaient pu inventer la parole, il s'ap- parole
1 est d'institution humaine, on regarde
puya très, à propos de l'exemple de quelques 1la société comme une convention arbitraire.
?êires à figure humaine, trouvés dans les bois, et
< qu'on a dit: «Un peuple a toujours le
;mêmedeuxensemble,dontaucun ne faisait en- droit
t de changer ses lois, même les meil-
rendre un mot, un seul mot articulé, et dont 1leures car, s'il veut se faire mal à lui-
quelques-uns poussaient des cris semblables même, qui est-ce qui a le droit de l'en em-
a ceux des animaux au milieu desquels ils
i
1pêcher? et que Jurieu, allant plus loin
vivaient nouvelle preuve que l'homme ap- encore, et déchirant le voile officieux qui
<
prend plutôt l'accent de la brute, qu'il ne couvre ( la souveraineté du peuple, a osé
peut se faire lui-wême sa parole. dire:
( «Le peuple est la seule autorité qui
Jamais plus de rêves extravagants, de sup- ,n'ait
,ir pas besoin, d'avoir raison. » Et effecli-
.positions gratuites, de prodiges en un mot, vèment
i la raison et l'autorité populaire ne
ou plutôt de monstruosités pour donner une s trouvent que bien rarement ensemble.
se
explication naturelle, et jamais on ne s'éleva Si le langago est d'institution humaine,
avec plus d'impudence contre l'expérience, comme
( l'imprimerie et la boussole, la pa-
aussi ancienne et aussi universelle que le role
r n'est pas nécessaire à l'homme en so-
genre, humain, de la transmission nécessaire ciété
t ( 1 ) car rien de ce que l'homme in-
de la parole, que l'homme reçoit, si elle lui vente
a n'est nécessaire à la société, puisque
est transmise ignore, si elle ne l'est pas ou 1 société existait avant l'invention. La so-
la
ue peut, pas, l'êtrei reçoit telle qu'on la lui ciété,
c même domestique, n'est plus néces-
transmet, modifiée dans ses lois suivant les saire
s à l'homme; car l'accord libre du père
nations^dans sesaccents suivant les contrées, e de la mère pour la conservation de l'en-
et
.souvent dans ses habitudes suivant les fa- f
fant, suppose volonté, pensée, expression
milles.. Aussi J.-J. Rousseau, frappé de la [par conséquent, et si l'homme a inventé la
contradiction qu'il y a à supposer que les parole,
1 l'homme a inventé, je ne dis pas fa
h,oo).m.es soient convenus, sans se parler, de rmariage, mais la famille. Et quand je dis la
tel ou, tel langage, et de ses règles gêné- parole,
i il faut entendre l'expression de la
raies, partout; les mêmes, après avoir dis- pensée,
p même par gestes, parole de ceux
cuté cet amas de rêves incohérents, finit par qui
q n'en ont pas d'autre, des sourds et
(f) On veut (j«e l'hotome sans parole sait un n'est
in point un pur animal, même' sous le rapport
animât. Il n'est rien, jurée que l'autmal muet est d
de ta reproductio»,c'est que l'animât est pins ai*
dans sa nature, et que l'homme sans expression dent
d à mesure qu'H est plus sauvage, et l'homme
n'est plus dans la sienne, ei. qu'un être qui est hors plus
p froid à mesure qu'il est moins civilisé.
ée sa liàture n?est pas. Ce qui prouve que t'homme
muets, mais parole transmise, comme l'au- cl usions ont été tirées par les sophistes mo-
tre, par le commerce des hommes car les dernes, parce qu'à cause de la liaison né-
animaux n'ont point de gestes, quoiqu'ils cessaire de nos idées, l'esprit de l'homme
aient des mouvements, et des aveugles n'ont est conséquent dans l'erreur comme dans la
point de gestes, quoiqu'ils aient la parole. vérité. La même école qui a soutenu l'in-
Des enfants abandonnés hors de toute com- vention arbitraire de la parole, a ruiné le
munication avec des hommes parlants, ne fondement de toutes les vérités morales et
feraient point de gestes imitatifs, quoiqu'ils historiques, et n'a fait grâce qu'aux vérités
eussent des mouvements animaux, et qu'ils physiques et géométriques, «vaine pâture
donnassent des signes involontaires de plai- des esprits curieux et faibles, » dit Bossuet,
sir, de douleur ou de besoin. Mais pour parce qu'eUes nourrissent l'orgueil à peu de
faire des gestes imitatifs délibérés et frais pour l'esprit, et qu'elles ne demandent
avec intention; il faut avoir vu des actions aux passions aucun sacrifice.
à imiter, avoir observé que tel geste corres- Qu'on cesse donc de s'étonner si nous
pond à telle action, et avoir vécu par con- avons mis une si haute importance à la
séquent en société avec des êtres qui pensent question de la révélation de la parole. Toute
et qui s'expriment. la dispute entre les deux partis qui divisent
Si la parole est d'invention humaine, il l'Europe savante, les théistes et les athées,
n y a plus de vérités nécessaires puisque les chrétiens et les sophistes, se réduit à ce
toutes les vérités nécessaires ou générales fait, à ce seul fait là est la preuve de l'exis-
'ne nous sont connues que par la parole, et tence de Dieu, le motif des devoirs de l'hom-
que nos sensations ne nous transmettent me, la nécessité des lois et de la société; là
que des vérités relatives et particulières. est la raison du pouvoir religieux, du pou-
Il n'y a plus de vérités géométriques, car voir civil, du pouvoir domestique, en un
comment sais-je autrement que par la parole mot la raison du monde moral ou social,
e,t le raisonnement qu'il y a des lignes ab- que l'art de la parole a tiré du néant de
solument et nécessairement droites, des cer- l'ignorance et du chaos de l'erreur. Je le dis
cles absolumenjt ronds, des triangles absolu- aux amis et aux ennemis cette question
ment rectangles, lorsque mes sens ne me rap- est, dans le grand combat de la vérité mo-
portent jamais que des lignes relativement rale contre l'erreur, comme ces postes im-
droites, et des cercles relativementronds, etc. portants dont la possession ;décide le suc-
11 n'y a plus de véritésarithmétiques, car mes cès d'une campagne, et que deux armées se
sens ne voientqu'un, un, un, etc'est ma parole disputent avec opiniâtreté. Les esprits ob-
qui compte trois,;quatre, cent, mille, etc., et servateurs qui voient poindre le jour de la
qui combine des valeurs qui ne sont jamais vérité dans les dernières ombres de l'er-
tombées et quine tomberontjamais sous mes reur, peuvent déjà s'apercevoir que l'idéolo-
sens. Il n'y a plus de vérités morales, car gie moderne, occupée depuis longtemps des
toutes ces vérités ne nous sont connues que signes et de leur influence sur la pensée, pro-
par des formes de langage que l'inventeur, voque elle-méme, sans le vouloir, la déci-
libre dans ses inventions, a pu', ne pas in- sion de la question du langage inventé ou
venter, ou inventer toutes différentes de ce reçu, et, sous ce rapport, on peut assurer
qu'elles sont aujourd'hui, ou différentes en- que l'idéologie tuera la philosophie moderne.
cure chez les différents peuples car pour- Avant de traiter de l'idéologie, qui a rem-
quoi n'y aurait-il eu qu'un inventeur? 11 n'y placé dans le langage et dans les études la
a plus de vérités historiques, et l'homme métaphysique, parce que la philosophie mo-
ne sait que ce qu'il voit et ce qu'il touche, derne ne voit dans l'univers d'autres "idées
et encore, s'il saisit les êtres, ne peuUil que celle de l'homme, nous nous arrêterons
combiner leurs rapports, puisqu'il' ne les un moment pour faire remarquer au lecteur
combine qu'à l'aide de la pensée exprimée uno conséquence bien vaste des principes
par la parole (1). que nous venons d'exposer. Nous sommes
Et remarquez que presque toutes ces con- au haut d'une montagne d'où l'on peut dé-
(l) L'uniformité des langages, dans le sens temps et les hommes; comme un même maître à
qu'ils se traduisent tous les uns les autres, et font écrire donne à.cent élèves une écriture différente,
entendre la même pensée chez les divers peuples, selon la construction de l'organe et la vivacité de
dépose contre l'invention attribuée à l'homme. Il y l'esprit, et comme cent idiomes différents rendent
a un instituteur général qui a donné une langue une même pensée, cent écritures différentes rendent
générale, oui s'est modifiée suivant les lieux, les une même parole.
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1077

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PART. I. ECONOM. SOC. ^LEGISLATION PillMIT.
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les
les
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anciens
anciens se rapprenaient
rapproenaient
1078
1 U7'8

roles sont l'expression naturelle nos pa- beaucoup plus que les philosophes moder-
de nos nes des traditions hébraïques sur l'origine
pensées une révolution dans le langage du langage. Leur mythologie attribuait à
sera ou fera une révolution dans les pen- .des dieux descendus
sées et remarquez aussi que l'Ecriture, au milieu des hommes,
livre où tout se trouve, assigne la confusion ce et conversant avec eux, l'invention des arts
même mécaniques. Ciceron dit que J'écriture
des langues pour date et pour à la n'a pu être inventée par un simple mortel,
révolution que produisit dans lacause doctrine et effectivement Mercure- Trismégiste
morale la dispersion des peuples, d'où sui- Hermès, ou
à qui les Egyptiens en faisaient hon-
vit l'oubli des traditions primitives. Le plus
des noms de divinités. 11 semble
profond de nos grammairiens l'abbé Gi- neur, sont
même que les anciens connussent cette vé-
rard, pense, et, je crois, avec raison,
révolution qui s'opéra dans le langage, que la rité, que toufes nos pensées sont dans nos
et paroles, lorsqu'ils comprenaient presque
que rien n'oblige à croire instantanée, pas toutes les sciences
plus que la création, fut la division sous le nom de gram-
en lan- maire, qui est proprement l'art de parler, et
gage analogue, ou conforme à l'ordre naturel lorsque les Grecs
dss Êtres, langage vrai, conservé, dans l'an- logos la parole et appelaient du même nom
tiquité, chez le peuple où la pensée.
se conserva le dé-
pôt de toutes les vérités ( 1 ) et Nous terminerons l'histoire de la philo-
en langage sophie par quelaues
transpositif, ou contraire à l'ordre naturel observations sur Y idéo-
des êtres; langage faux, et logie.
par cela plus
propre aux passions, comme le remarque Chez le peuple le plus éclairé de l'Europe
Diderot, et que l'on retrouve chez toutes les dans ses pensées, le plus naturel dans
son
nations païennes. On peut faire langage, et le mieux ordonné dans ses lois
vation semblable sur les peuples une obser-
chrétiens religieuses, politiques et civiles, Descartes
en général, beaucoup plus vrais ou plus ana- Malebranche et leurs nombreux disciples
logues dans leur langage que les Grecs les avaient spiritualisé la question de l'origine
et
Latins, mais plus ou moins analogues
entre des idées, au point (Malebranche surtout) de
eux dans leur idiome particulier, selon qu'ils n'y faire entrer que le pur intellect, pres-
obéissent à des lois plus ou moins naturelles que sans mélange de sensations. Locke,
(le société politique; et
pour en citer un sous l'influence d'une autre religion, d'un
seul exemple, Leibnitz remarque
langue allemande, la plus transpositive que la autre gouvernement, d'une autre langue,
des chez un peuple exclusivement livré aux
langues modernes, a suivi toutes les phases soins terrestres; Locke, esprit patient et
de la constitution germanique, la plus irré- subtil, propre à suivre une route tracée ( 2 ),
gulière des constitutions chrétiennes, mal- voulut s'en frayer une nouvelle, et matéria-
gré le laborieux arrangement de ses parties; lisa la question des idées, dont il vit l'ori-
et l'on peut assurer que, dans ce moment gine uniquement dans 'nos sensatiops, re-
où il se prépare des changements importants gardant même comme incertain si l'on
ne
à cette constitution, les beaux esprits du pouvait pas l'attribuera la pure matière (3).
nord essaient d'introduire dans leur langue ° Condillac,
qui a été à Locke ce que Maie-
une construction plus naturelle. Ces consi- branche fut à Descartes, enchérit sur la doc-
dérations, vraies en général, demanderaient
trine de son maître, porta à l'excès la ma-
un traité particulier qui paraîtra peut-être nière aride et glacée qui caractérise
l'école
un jour il suffit aujourd'hui à l'objet qui de métaphysique matérialiste, fit
de l'homme
nous occupe, de les avoir indiqués à la sa- tantôt une statue, tantôt
gacité du lecteur. un animal sauvage,
ôta à l'être infini les idées générales comme
( I ) Les deux langues les plus vraies les plus conditionnelou du contrat entre le souverain et les
analogues du monde sont l'hébraïque, etoula fran- sujets.
çaise, ce qui rend peut-être cetle-ii extrêmement ( 3)

K
Bayle demande si république d'athées
propre à traduire l'autre, et qui fait que les plus peut subsister Locke, si laune matière est suscepti-
beaux morceaux de notre poésie sont traduits ble de la faculté de penser? Les hommes superti-
imites de l'hébreu. Si la France n'avait ou
pas eu Eu- ciels prennent ces questions pour un doute savant;
rope le dépôt des vérités, il semble qu'elle en eut la elles ne sont (lue l'irrésolution de l'ignorance;
gardu puisse-t-elle ne pas perdre cette noble pré- Descartes Leibnitz
rogative 1 et ne font pas des questions
pareilles qui ruinent par leurs fondements I'Iioib-
(2) H a donné aussi Oans l'erreur du pouvoir mc- et la société.
ïndignes'de lui, et les attribùa à; la brute; à Malebranche tiû crime, ott peu s'en iaut,
toute forme humaine, tout esprit de vie, dl parler un langage conforme à de hautes
de
tout caractère d'intelligence disparu rent sous pensées,
pi et de donner à la vérité une expres-
le scalpel de cette dissection idéologique, et si dîgnë <ie sa beauté^ il semblait qu'on
sion
résumant en deux mets son triste système', ni pût enchanter le lecteur par lé
ne style saris
Condillac appela nos pensées des sensations faire illusion à son esprit. Fohtenëllè, es-
fa
transformées. pi brillant, mais sans chaleur, qtai
prit écrivait
Ce sytème a prévalu dans les éeôles mo- avec
â1 grâce des dissertations mathématiques,
dernes, où l'on s'est imaginé 1« comprendre et avec froideur des pastorales Fonténèlle
e1
on y jure par Çondillac, comme on jurait décida d< qu'il y avait beaucoup d'imagination
jadis par Aristote et sa doctrine des sensa- dans & là philosophie de Màlebfànché parce
tions y est si bien établi*, que dans le der- qu'il q trouvait beaucoup d'images dans son
nier ouvrage sorti de cette école qui ait paruL style,
si et il fit sur cette imagination dont
sur ces matières, intitulé ï Des signes, et de Malebranche
1 se servait en se cachant d'elle,
leur influence sur l'art de penser { 1 ) Van- cette a jolie phrase que tout le monde connaît.
teur, membre de l'Institut ne craint pâs de Le I. plus sévère méditatif quMl y ait. jamais
dire :« Je pars ici du principe recônnu au- eeu, qui ne met d'images que dans son style,
jourd'hui par tous les philosophes, que Vu- qui q pense le plus rationnellement, et s'élève
rigine de toutes nos connaissances est dans1 ppar la seule intelligence aux vérités les plus
nos sensations, et c'est par l'analyse de la générales*
g passa pour un homme à imagi-
seiiSâtrofl que je commence. » Gette opinion nation,n tandis que Locke et Condillac, qui,
cependant a été combattue par les plus ddans un style continuellement abstrait et
grands philosophes des siècles passés. Pla- sans s; figures, ne pensent qu'images dé corps,
ton, saint Augustin, Descartes, Màlebr anche, 0organes dans t'homme, sensations et sens
Fénêlon et Leibnitz, et elle est encore for- dans d ses pensées, passèrent pour des hàin-
nieilement combattue par fiant, le philoso- mes n à conceptions. La vérité est précisé-
phe le plus accrédité de notre temps, ument dans les assertions contraires. Dëscar-
Le crôifait^oti ? c'est une malheureuse tes t( et Malebranche sont des hommes à
équivoque qui a, plus qu'on né pense, con- conceptions,
c Locke et Condillac des hotnùles
tribué à dêcréaitér" lé génie éminent des àa imaginations, parce que l'imagination est
•philosophes de l'autre siècle et entre au- en e nous la faculté qui image ou imaginé, et
très de Maiebfâttehe. L'école dé Port-Royal, que q l'on ne peut imaginer que des choses
supérieure eu littérature, outrée en morale,le solides;
s des corps, des sens, dés organes, et
aigre et orgueilleuse dans là dispute, com- de d là vient que l'imagination domine chez

mença le combat (car" alors on mettait à lai les 1 artistes occupés de l'imitation des choses
vérité ésset d'intérêt pouf la combattre parr physiques.
1 Au contraire, Descartes et Male-
lorsqu'ils
le raisonnement) contre la philosophie deB 1branche ne se sont trompés que
Malebranche contraire à ces opinions étrari- (ont voulu imaginer, l'un ses
tourbillons,
gères» séduisantes d'austérité, qui se sontt 1l'autre son étendue intelligible encore cette
naturalisées parmi nous, et y ont fait tantt dernière
< opinion, qui met en Dieu le type
dé bruit et tant de taâl. Elle opposa sa mo- des < vérités générales de l'ordre physique,
“ raie chagrine et son style froidementcorrect, i, manque-t-elle
i plus de développement que
_à cette doctrine vivifiante et généreuse, quiii de < vérité. Si l'on voulait comparer ces qua-
s'énonce ou plutôt qui se colore dans unn 1tre esprits; oh pourrait dire que Descartes et
style animé, plein de force et de grâces,i, Malebranche
] avaient le génie qui généralise,
comme une lumière brillante à travers unn et qui souvent Se trompe dans les particula-
cristal. rités, et que Locke et Condillac avaient l'es-
Dans un siècle qui sortait à peine des ,s prit qui particularise, et qui se trompe tou-
vaines et barbares arguties d'Aristote, on fitit jours quand il veut généraliser; et l'on peut

(. 1) Peut-on appeler du même nom ne si-


1° i- et penser est-il un art? Bien penser sur telle ou
ta joie où de
te (eile chose, est un art, et toute science n'est que
gnes le rire ef les larmes, accents de l'art de bien objet; mais penser,
la douleur je puis contrefaire quoique je ne
ie penser sur' un
les éprouve<|.ue
pas, et que ceux qui me voient n'é-
e- pris d'uné manière absolue,. n'est pas plus un art
L'art du mouve-
prouvent pas comme moi et la parole et te geste, e, que se mouvoir. On ne dit pas
exuressisn toujours vraie d'une pensée actuelle, c, ment, et l'on dit L'art de la danse, qui fin:
est une
qui réxeille dans l'esprit des autres une pensée je suite de mouvements ordonnés pour une
tout© semblable? t Peut -ou dire L'art de penser,
assurer que, même en métaphysique,
style continuellement sec et diffus, sans
untejligence,
organes pour les opérations de son ifi-
ses
t pense par te ministère d» cer-
couleur et sans chaleur, où fabstraetion des> veau, parle par le ministère de Porgane vo-
mots est mise à la place de la généralité des cal,
c voit par te moyen de ses yeux, saisi*
idées, est l'expression infaillible d'un esprit par
I le ministère de ses mains, etc. Et c'ësfî
indigent, et, la preuve certaine d'un système cet c assujettissement à des organes don!
mal conçu l'imperfection
1 retarde et entrave l'intelli-
Mais si la solution de la question sur l'ori-. gence,
£ qui fait le désespoir des hommes qui
gine des idées ne se trouve pas dans le sys- aiment a la vérité et soupirent aurès sa posses-
tème trop purement spiritualiste des idées, sion. s
innées ni dans le système, purement maté- La parole est donc, dans le commerce des
rialiste des sensations transformées, ne pour- pensées,
r ce que Fargent est dans le com-
rait-elle pas se, trouver dans les deux sysr merce e des. marchandises, expression réelle
tèmes à la fois? L'erreur sépare et la vérité des d valeurs, parce qu'elle est valeur elle-
réunit elle est rapport, entre les objets, et si même.
t Ut nos sophistes veulent en faire un;
la vertu consiste à éviter tous, les extrêmes, ssigne de convention, à peu près comme le,
la vérité consiste à embrasser tous les.rap- papier-monnaie.,
p signe sans valeur,. qui dé-
ports. C'est, ce qui paraîtra évident à tout signe s tout ce qu'on. veut; et qui n'exprime
bon esprit qui jugera qu'il y à dans les idées rien, r qu'autanlqu'i! peut être échâng.é con-
quelque chose de fondamental qui ne vient ttre l'argent, expression réejle de toutes les
pas des sens, puisque nous avons tous sur vvaleurs.
beaucoup d'objets une pensée uniforme avec Cependant il est extrêmement remar-
des sens extrêmement variés en force et en quable q que les mêmes philosophes qui, pla-
perfection que nous pensons à ce que nous, çant ç l'homme tout. entier hors de lui-même,
n'avons jamais perçu par les sens, comme et e dans ses sensations extérieures et ses or-
lorsque nous, pensons à la couleur en géné- gganes matériels, devraient se borner à en
rai, quoiqu'il n'y ait de sensible que des, cos-.étudier,
é l'anatomie et en disséquer le tissq »
leurs particulières; que nous. pensons le aient a iù trodu.it cette doctrine idéologique
contraire de ce que nos sens nous, rappor-. qqui ne s'occupe que de l'entendement et qui
tent, puisque nous redressons même par la Je Ji décompose, comme une substance chi-
pensée les erreurs de nos sens; enfin parce mique, n La métaphysique ancienne étudiait
que nous pensons le général, et que nos Dieu I et, l'homme en euxrmêm.es, et sans
sens., ne nous rapportent que le- particulier s'occuper
s asse,z. de. leurs rapports. I/idéo-
mais aussi il y a dans la pensée son expr.es- logie,1< moderne ne voit que l'homme et son
sion, parole ou image, qui vient, par les pur p intellect. qu'elle place dans, ses sensa-
sens, qui no.us rend sensible notre pensée, et, tip.ns,
ti science, inçomplètedans son objet et
sans laquelle, nous ne pourrions connaître, fi fausse dans, sa. méthode qui conduit au ma-
nous-mêmes, ni faire connaître aux autres,. térialisme,
t< en,, doctrine, à l'ëgoïsme en mo-
notre pensée expression qui nous est ,tr,ans- rale^àJ'isoJeineot
r, en politique ;,nji s'occupe
mise par le, sens de la. vue, si elle est. la fi- queq 4'abstra,c.tions.s.ans,ré.a,Li.téet. sans appli-
gure d'un obje,t figurabje ou une. image, et, cation,,
c, et dans. laquelle l'hora.me, étudiant.
par le s,ens de riouïe,. si elle, est parole, ou, sonsi intelligence g.y,ec,son.inJEe)ligeoc,e,, et pen-
l'expression d'un objetintelleçtuel, /îdes ex saflt s. e,n quelque, sorte. s»- peasée, ressembJe
auditu., Ainsi ce qu'il y a de général, de fpn- à celui, qu.ivosUjd^ait.sJenleversans prendre.
daqaenta]dans:ridée3et qui ne vient, point au., a dehors aucun p.oint.d.ap nul^ou: qui. s'efp
d es sens “ es t lç mêmchez tous, les peuples;, forcerait de v.oiii s,Qn,œil, sa^is. roiroir,.e.t de,,
fc
ce qu'il y a, de particulier, et qui vient dés conaaitre.
c< son taç^en. lutniÊsme,, et. §stos,,raipr.
sens, varie chez, tous, les peuples,c'es,t l'ex- pliquer-
p h uq corps.
pression au moyen. de,la.qu.elle,rnille idjomes Il.ftut diviser saris d,ç>,u,te, lof sq^'on?étu:di&
différjerrts rendent une. même pensée., Ainsi le. le corps, humain,, sjibstancei comf) exp,, coœ-
l'idée n'est point une sensation transformée,, poséepi d'un» n,QmJ)Fe infini, de par.ties,et d'été-,
comme l'appelle Condillac; mais l'expression m^rits m ;t. il .favitj. réunir, généraliser,; voir des-
nécessaire et naturelle de notre idée est une rapports,
ra lorsqu'on traite de l'être simple
sensation de la vue ou le l'ouïe transformés et; et j'avoue. que cette dissection; de la faculté
en image;ou en parole,: parce que;; l'homme, pensante,,
p( k laquelle, o:n attache. tant. d!im-
foreé de se servir du moyen ou ministère de p( portance dans l'écoie de Locke et de Cou*.
1085,. ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALP*
ayv.n aru w.. uu .lJV.1'U1. 1084
2Vt~~é.
dillac ((1),
1 } cette décomposition
en pensée,
nensée. narques.
narnnes. » Ces systèmes, où tout est vérité,
vàriiA.
perception, attention, compréhension, ré- honorent l'intelligence humaine; mais parce
flexion, etc., etc., etc., ces distinctions mi- qu'il n'y a pas toute la vérité, ils sont in-
nutieuses entre des opérations indivisibless complets, et ne peuvent être appliqués dans
et instantanées, me paraissent aussi peu pro- le détail à la société, et ils montrent plutôt
pres à apprendre l'art de penser, si penserr comment, la société humaine est en Dieu,
est un art, que l'analyse pédantesque desï qu'ils ne montrent comment Dieu est pré-
sons par le maître de langues de Molière estt sent à la société humaine, et la gouverne par
propre à apprendre l'art de parler. Le prin- les lois de l'ordre social.
cipe de la liaison des idées, dont Condillac. En voilà assez sur la philosophie. Nous
fait tant de bruit, peut-il même être regardé5 l'avons toute comprise sous trois systèmes
eomme une découverte et recommandéS généraux, auxquels toutes les opinions par-
comme un précepte? Penser est-il autre5 ticulières se rapportent système de la
chose que lier des idées? N'y a-t-il pas une) cause, doctrine de Dieu qui fut celle des
liaison dans nos idées même les plus invo- Hébreux; système des effets, doctrine toutt
lontaires, et jusque dans les rêves lés plus humaine qui fut l'objet de la philosophie
fantastiques? Ce principe n'est-il pas puéril païenne, et qui est encore l'objet exclusif de
à force d'être vrai, et n'est-il pas aussi inu- la philosophie moderne; doctrine du moyen
tile pour former et diriger la pensée, qu'il ou médiateur, doctrine de Dieu et de
le serait de poser en principe, lorsqu'on l'homme, de la cause et de l'effet par la
veut apprendre à un enfant à marcher, connaissance qu'elle donne du rapport qui
que la marche est la liaison des mouvements? les unit,'et qui, mettant la rectitude dans les
Il est temps de le dire, le but de la philo- pensées de l'homme, a dirigé son intelli-
sophie morale est moins d'apprendre aux gence dans la recherche de tout ce qui est
hommes ce qu'ils ignorent, que de les faire fait pour lui, et qui est mieux connu depuiss
convenir de ce qu'ils savent, et surtout de le le christianisme.
leur faire pratiquer. Elle ne consiste pas à Nous allons nous occuper de la société, à
entretenir l'homme de lui-même, et des laquelle toute philosophie, toute connais-
mystères impénétrables de sapropre intelli-• "sance, toute doctrine se rapportent, et où les
gence, pour en faire un idéologue arrêté à la êtres se trouvent dans leurs rapports mu-
contemplation de soi-même, et qui s'éva- tuels société correspondant chez les divers
nouit dans ses propres pensées; mais elle peuples aux divers systèmes de leurs con-
consiste à le rappeler sans cesse à la connais- naissances. société judaïque où l'on ne voit
sance de ses rapports avec les êtres sembla- que Dieu et son empire souverain; société
bles, et à en faire un être moral et social, païenne où l'on ne voit que l'homme et sa
une personne, une personne dans la famille, corruption; société chrétienne où l'on voit
une personne dans l'Etat, une personne dans ensemble et en rapport Dieu et l'homme, et
la religion, une personne pensante et par- là faiblesse relevée et mise sur le chemin de
lante, dont il faut étudier la pensée dans la la perfection;, société chrétienne meilleure.
parole, et la volonté dans les actions. C'est, que la société judaïque parce que l'homme
j'ose le dire, ce qu'on n'a pas encore fait, et y est plus libre; meilleure surtout que la
sur quoi je ne me flatte pas moi-même d'a- société païenne, parce que l'homme y est
voir rempli toutes mes pensées mieux réglé doctrine des Hébreux, éduca•
DescartesprouvaDieu, et expliqual'homme e tion de l'enfanee; doctrine des Chrétiens,
et ses passions; Malebranche fit un pas de institution de l'âge mûr philosophie du
plus sur la même route il étudia leurs commencementdes temps, philosophie de la
rapports, mais des rapports trop purement fin, et qui, considérées l'une et l'autre dans
ititellectuels, et les communications ineffa- leur origine semblable leur dépendance
bles de la raison humaine avec l'éternelle mutuelle et leur destination différente, sont
raison. Leibnitz entrevit an delà, et connut véritablement la législation primitive, consi-
la nécessité de la société extérieure de Dieu dérée dans les états de la société, et dans
et des hommes, société qu'il appelle « l'Etat ses institutions fondamentales (2).
le plus parfait sous le plus parfait des mo-
( 1 ) Un physiologiste allemand a récemment çais ont trouvé qu'il allait trop loin, et l'ont sérieu-
trouve dans le cerveau la loge du courage, la loge sement réfuté.
de la sensibilité, la loge de la mémoire, la loge du ( 2 ) Il n'y a d'institutions publique£ que le mi_
jugement» etc; Cette fois nos physiologistes fran- nistère publie, et l'éducation qui y prépare. Les h».
1085 PART. i. ECONOM, SOC. LEGISLATION PRIMIT. DISC. PRELIM lOSï!
S U. – LIE LA SOCIÉTÉ. mais encore Dar
-r législation a pris chez tous les
La par principe
nrincino ria
de conscience.
i>nnu>iûn<.a »
peu-
eu-
ples, un caractère différent, et relatif à la
Telles furent les premières maximes politi-
diversité des doctrines. ques que publia le plus profond interprète
du christianisme, qui posa alors comme le
Les Juifs, qui ne voyaient dans l'univers
ers fondement du droit public des nations chrê-
que la cause suprême, la placèrent à la tête'de de tiennes, l'obéissance active pour le bien, et
la société, ou plutôt elle s'y plaça elle-même.
ne. la résistance passive au mal.
C'estpar moi, dit-elle dans les livrés hé- ié-
breux, que lesrois régnent, et les législateurs En môme temps que le christianisme
urs éclaira les hommes sur la constitution du
ne publient des lois justes qu'en se confor-
or- pouvoir les devoirs des; sujets, il leur ap-
mant à mes volontés. (Prov. vin, 15.) Non- prit la et
seulement les Juifs virent en Dieu le »n- nature et les fonctions du ministère
ve- social dans ces paroles, qui n'avaient pas
souve-
rain de leur société, mais ils virent en lui leur
chef immédiat et en même temps sur être encore été entendues « Que celui qui veut
le plus grand entre les hommes
l'Etat fut constitué par ses lois, la nationque
[ue ne
se soit que leur serviteur. » Mot sublime, de-
crut gouvernée par ses ordres. venu usuel dans les langues chrétiennes,
Chez les païens, la législation fut de où il été
a appliqué au ministère politique
l'homme non que leurs plus anciens légis- is- comme au ministère religieux, puisque les
lateurs n'eussent retenu et même placé
en fonctions les plus élevées s'y nomment un
de
tête de leurs codes le dogme fondamental de service,
l'existence de la Divinité, et de l'honneur servir. et que
juger et combattre s'appellent
qui lui est dû; il fallait des milliers d'annéesur
es La société vécut, pour ainsi dire, sur cette
et de grands progrès dans la philosophie lie doctrine jusqu'au xv° siècle, où les opinions
humaine pour en venir à disputer à l'Etre de Wiclef
re et de Jean Hus, commentées par
suprême une place dans lecode constitution- Luther, étendues par Calvin, et poussées
n- J
nel d'un grand peuple, et à regarder plus extrêmes conséquences par
commene aux i
nos
une conquête d'avoir pu en séculariser la philosophes, 1 vinrent commencer en Europe
législation. Mais chez les Juifs, Dieu parlait lit cette
< sanglante tragédie qui dure encore, et
de lui-même,- h l'homme et lui donnait des dont la révolution présente est une catastro-
lois « Je suis le Seigneur ton Dieu.» Chez es c
les païens, l'homme parla à l'homme de ez
plie,
i et peut-être sera le dénoûment.
la Jusqu'à cetteépoque, les Chrétiens avaient
Divinité, et lui imposa le culte des dieux professé
ix I que le pouvoir est de Dieu, toujours
comme une loi. Et certes, tout était de le respectable
r par conséquent, quelle que soit
l'homme, et de l'homme seul, dans' i- la
çes lé- 1 bonté particulière de l'homme qui l'exerce,
bïs'ations religieuses ou politiques, dont les auquel
3s a on doit se soumettre quand il n'est
phifosophes grecs tentèrent la patience des que q fâcheux, et opposer, s'il est injuste,
3S
peuplesou amusèrent leur crédulité. i refus insurmontable d'obéir pouvoir
un
La souveraineté de l'homme fut donc le légitime, 1 non dans ce sens que l'homme
dogme au moins pratique de la législation qui l'exerce soit
n q
païenne. Si Numa supposa comme venues visiblement y nommé par un ordre
;s v émané de la Divinité, mais
du ciel quelques pratiques de culte, la légis- qu'il est constitué sur les lois naturel-
s- parce
p
lation politique de Rome fut tout entière li et fondamentales de l'ordre social, dont
les
•e
l'ouvrage discordant et compliqué de J'hom- Dieu
t- I est l'auteur; lois contre lesquelles
me, et Cicéron en développe le principe ie « tout ce qu'on a fait, » dit Bossuet, « est
dans ces paroles Populùs romanus penes nul
quem est potestas omnium rerum; au peuple
;s n de soi,
e tion,
1i
et auxquelles, en cas d'infrac-
l'homme est ramené par la force irré-
romain appartient le souverain pouvoir surr si sistible des événements.
tontes choses. Wiclef, dans le pouvoir, ne vit que l'hom-
Les Chrétiens héritèrent des croyances s rr me; il soutint que le pouvoir même politi-
politiques des Juifs comme de leurs dogmes que s q n'est bon que lorsque l'homme qui
religieux.« Le pouvoir est de Dieu; obéissezzl'exerce 1'1 est bon lui-même, et qu'une fem-
à ce qui est juste, non-selilement par crainte, melette en état de
m grâce a plus de droit à
pitaux, institution à la fois religieuse et politique, des
d< établissements purement particuliers, même
i,
n'ont pour objet que de soulager les maux person- quand l'autorité les sanctionne et les protège, dont
nels. Aujourd'hui l'on regarde l'opéra, les messa- qi le uns sont utiles aux particuliers, les autres funes-
les
geries, une fabrique, une ecole de musique ou du tes te à la société, et dont aucun n'e»l nécessaire.
peinture, comme des institutions publiques. Ce sont«t
gouverner qu'un prince déréglé dès lors ilH e français cette année par M. Ef. Dumont,
en
attribuait aux sujets le droit de censure* >p d Genève, on
de lit
« qu'il faut toujours tfeedn-

l'autorité publique, de la juger et de s'élever


ir naître
c en politique une autorité supérieur;»
contre elle par les armes. De là suivirent»
t» à toutes les autres, qui ne reçoit pas ]<* loi,,
comme des conséquences -forcées,, les doc- mais
e qui la donne, et qui demeure maîtresse
trines du Pouvoir conventionnel et condi,Î-" des
C règles même qu'elle s'impose dan» sa œa-
tio/inel de T. Hobbes et de Locke, le Contrat.
it nière
n d'agir. » Maxime fausse et servil©
social de J.-J. Rousseau* la Sauteraineté po-
i- qu'une
q philosophie éclairée ne, pourrait ap-
pulaire de Jurieu, etc., etc. Le pouvoir, naie, pliquer
F à Dieu lui-même, dont la volonté!
fut que de l'homme; il dut, pour être légi-l- e réglée par les lois immuables de
est l'éterr
time, être constitué et s'exercer suivantcer-
r- l1elle
r raison; mais maxime, après- tout, qui-
taines conditions imposées par l'homme, ou u n'est,
r à l'examinerde près, que celle de ïu~
certaines çonventions faites entre les hom- rieu,
r présentéed'unemanièreplusgénéraia
mes, auxquelles il pût, en cas d'infraction,
vr
V. que
c. le peuple. est la seule autorité qui-
être ramené par la force de l'homme car tr n'ait
r pas besoin d'avoir raison pour valider
c'est là Le fond de toutes les opinions des pu- i- s actes politiques (1 ). » Combien ces
ses doc-
blicistes du xvi" sièçle et des siècles sui-
i- ttrines abjectes sont éloignées de la doctrine
Vants, développées alors et depuis, quelque- î-. généreuse.
g de Bossuet, lorsqu'il dit que « le-;
fois modifié'es, dans de nombreux écrits, et, pouvoir
1 le plus absolu est réglé par des lois
appuyées même de nos jours par de grands is. ffondamentales qui réclament sans cesse, et
et terribles exemples. contre
f lesquelles tout ce qu'on fait est nul de
Tel est cependant le désordre des idées ;s soi.»
s Et ailleurs « On peut dire que Dieu
1lui-même a besoin, d'avoir raison. »
que la sagesse n'ordonne pas*, que de. la mê- J-
me école qui professait la légitimité de la Ainsi, et c'est le résultat de tout ce qu'on*
résistance active aux vojootés arbitrai ces- le de vient
i de lire, la doctrine de l'Eglise chré-
l'homme revêtu d'un pouvoir légUime,,soi> r- ttienne sur le pouvoir enseigne l'obéissance
tit la doctrine illimitée de V.ahéissan&e. p«w- s- active
t et la résistance passive; et les doctri-
sive. Cette doctrine, célèbre, chez lesanglir- i- nes
i philosophiques enseignent l'obéissance
èans, fut non-seujement soutenue dans J-es as passive
I et la résistance active,, et elles pla-
écrits, mais mise en pratique avec. une pa*- a»- cent
( l'homme perpétuellement entre la. ser-
tjenee sans exemple chez, les peuples. chcé- i- vitude et l'insurrection.
tiens,; à l'égard du tjran Je. plus cruel et le L'étude du droit public et des constitutions
plusonpresseurqui aitdéshonoré le pouvoir ir des
< Etats. commença en Europe avec les
dans. les temps modernes, d.e cet Henri V1H,I,) nouvelles
t doctrines sur la société. Ce fut
«Iqui jamais ne refusa le sang d'un homme ie sous
s le règne de Sigismond de Luxembourg,.
à sa haine.ni l'honneur d'une femme à ses d'Allemagne, et sous ses. auspices,
es <empereur
dësïrs; » qui ne put maîtriser aucune de le qu'on
< vit paraître les. premières lueurs de
ses passions, et à qui, .les Anglais permirent nt la
1 politique (2). Mais parmi. les écrivains
de réformer leur foi. qui
( voulurent s'opposer à ce torrent. d'éru»
C'était, un. étrange démenti, donné à la dites < erreurs,. les uns, par ignorance,
doctrine de Wiolef, qui enseignait que le iindifférents sur la politique, se conten-
pouvoir? N'est respectable que lorsqu'il est st 1tèrent de combattre en faveur de l'auto-
entre lés. mains d'un homme vertueux, le rité que
i religieuse que les novateurs attaquaient.
de voir un. peuple entier eu souffrir de la plus ] directement les autres s'attachèrent,
part d,'un monstre de cruauté et d'impudi- i- ài défendre les gouvernements, quels qu'ils
cité, l'abus le. plus révoltant. ifussent, et par la seule raison de la posses.
Encore aujourd*hui,dflns rQU,yrage.de p.ô- 6- sian,
< et ils repoussèrent les atteintes pot-
litique le plus, récemment, snrti de- l'école le tées
1 à l'autorité des chefs, plutôt que les
anglicane, les Traits de législation, ûq Jéré- é- coups
< dirigés contre ta' constitution natur
mie Bentbam, jurisconsulte anglais, publiés 5s irelle des Etats. Bossuet lui-même,, dans ses

( 1 ).. Les Çtals d'Eurape, où Ic^ouvoircly prince


ce ( partisans- de la liberté ont professé l"obéïs$ance>
de
es moins réglé par des lois fondamentales, sont les
es passive
] à tout ce qui portait le nom de loi!
Etats réformés ce sont des princes protestants d|Al-W- (2) Wiclef était mort en 1584. J. tluss. corn-
lemagne qui donnent Texemplè dé l'usage le plus
us mwiça
i à dogmatiser en W07. Sigismond fat élu em^-
éténdu de l'autorité, pour ne pas dire le plus ex- x- pereur
1 en 1410. Luther naquit' cent ans après la
cessif, l'usagede trafiquer de- leurs sujets avec des
es 1mort de VViçtef.
puissances étrangères et mêtne en France, combien en
Avertissements s'élev3 avec force contre la ciété et des lois qui la gouvernent. « J'ai
souveraineté populaire et le pouvoir condi- remarqué, » dit-il dans une lettre anonyme,
tionnel, donr il démontra l'absurdité mais publiée à la fin de l'ouvrage de Pufendorff
il n'entra pas dans la discussion des Jois sur- les devoirs de l'homme et du citoyen;
constitutives de la société, qu'il supposa « j'ai remarqué de grands défauts dans les
bonnes, ou du moins suffisantes, lorsqu'elles principes de Samuel Pufendorff. Cet auteur
sont reconnues. Il soutint que l'unité de pou- pénètre rarement jusqu'au fond de la ma-
voir est une loi bonne et sage mais il ne tière, et ce qu'il dit sur l'origine des vérités
fut pas jusqu'à direqû'elle est la seule bonne morales, qu'il soutient arbitraires, est très-
loi, c'est-à-dire la loi naturelle des sociétés, faux. Il parait, continue-t-il, par ce
que
et content de repousser l'ennemi, il ne le nous avons dit, combien il importe à la jeu-
poursuivit pas sur son propre terrain, et il nesse, et rcême à l'Etat, d'établir de meil-
respecta le gouvernement populaire partout leurs principes de la science,du droit que
où le peuple était on plutôt se croyait en ceux que donne cet auteur. Et-il va jusqu'à
»
possessiondu pouvoir. L'heure de discuter dire « Il est très-étonnant qu'un sujet aussi
les titres du peuple n'était pas encore venue. commun que la nature de la souveraineté
La vérité ne se développe jamais qu'au be- n'ait presque été touché par personne; mais
soin c'est le temps, et non l'homme qui la la raison en est (ces paroles sont
remarqua-
découvre, et il n'est devenu indispensable bles) que la plupart des écrivains sont tra-
de prouver que l'unité de pouvoir est la loi vaillés d'une maladie qui, leur ùtcml tout
naturelle des sociétés, que lorsqu'on a goût pour le moderne, fait "qu:ils ne sont cu-
avancé que la démocratie en est la condi- rieux que de l'antiquité. Aussi, quand ils
tion essentielle et primitive, et que tout parlent du droit public et du droit des gens,
autre constitution est un-attentat à !a liberté ils disent quelquefois des choses pitoyables.
de l'homme, et une offense à sa dignité. On apprendra plus dans un recueil de ga-
Cependant Bossuet, le meilleur esprit dans zette de dix années, que dans cent auteurs
la. science de la société qui eût paru jus- classiques. »
qu'alors, sentait le faux et le faible des ins- Les connaissancespolitiquesn'avaient pas
titutions populaires. Dans son éloquent pris dans notre siècle une meilleure direc-
Discours sur- l'histoire universelle, après tion, et nos philosophes, héritiers immédiats
avoir parlé avec quelque détail des institu- de toutes les erreurs qui avaient précédé,
tions poli tiques des Grecs, il ajoute :«Il n'est s'étaient empressés d'accueillir et de
pro-
pàs question d'examiner si ces idées sont pager des maximes favorables à la licence
aussi solides que spécieuses; enfin, la Grèce de tout penser, de tout dire et de tout faire.
en était charmée»Ce qui prouve que ces Deux hommes, que leurs contemporains ont
idées ne charmaient pas l'excellent juge- nommés des hommes de génie, parce qu'ils
ment de ce grand homme, et qu'il les trou- ont juge leurs écrits surleur style, et leur doc-
vait plus spécieuses que solides. trine sur le bruit qu'elle a fait, mais que la
Lèibnitz lui-même, lalumière du Nord et postérité, qui juge les écrits par leurs résul-
le Platon de l'Allemagne, quoique né dans tats et les opinions par les événements,
ap-
le sein de la réforme, ne partageait pas plus pellera des hommes de beaucoup d'esprit
ses opinions politiques qu'il -n'approuvait (car on erre avec esprit, et non avec génie)
au fond ses opinions religieuses (1). Il (2), Montesquieu et Jean-Jacques Rous-
n'avait pas une haute estime pour le volu- seau, écrivirent tous deux sur la politique
mineux Pufendorff, et ce publiciste, dont avec un succès égal, parce que les talents
on a fait, faute de mieux, un auteur classique, étaient semblables, et que les intentions
ne remplissait pas l'idée que Leibnitz, dans n'étaient pas très-différentes. Tous deux ad-
ses vastes études et ses profondes médita- mirent comme base de la science de la so-
tions, s'était formée de la science dé la so- ciété ou du moins établirent, dès l'entrée, la

(1) Les ministres luthériens lui reprochaient lence, parce qu'il n'y a ni bien ni mal dans les sys-
un défaut d'assiduité à leurs prédications; et rimant tèmes physiques, et qu'un siècle détruit trop souvent
îvec son nom Lëibnitz, ils disaient en allemand les opinions d'un autre siècle. La société marche
Er glaub nichts, il ne croit rien. On sait qu'il a avec les tourbillons de Descartes, comme avec Tal-
voulu reunir les luiliériens aux catholiques, et qu'il traction de son rival. Mais en morale, et dans la
y a travaillé avec Bossuet. science de la société, là où cesse la vérité nait Ja
(( *J.) i entends dansles sciences morales, car ce
2) J'entends
n'est proprement que là qu'est la vérité par exccU
désordre.
{\17rl'1''In. ~T f
.a LL:m: uL. bvW tm.u. 1~
bonté native dé l'homme, et un prétendu sophes
s de collège ou de comptoir; et comme
état humain de pure nature (1) antérieur h écoles tiennent toujours quelque chose
les
à la société, et meilleur que la société. d tour d'esprit du caractère de leurs fonda-
du
dit J.-J. Rousseau, teurs,
t les adeptes de J.-J. Rousseau, tran-
« L'hooin?e est né bon,
et la société le déprave. Tout ce qui n'est chants
c comme leur maître, attaquèrent à
pas dans la nature a des inconvénients, et fforce ouverte les principes de l'ordre social,
la société civileplus que tout 1er este. »– '< Dans que
c les partisans de Montesquieu ne défen-
l'état de pure nature, dit Montesquieu, les dirent
c qu'avec la faiblesse et l'irrésolution
hommes ne chercheraient pas à s'attaquer, que
c donnent une doctrine équivoque et un
et la paix serait leur première loi natu- maître
i timide et indécis. Il

relie ( 2 ). » Montesquieu, partisan de l'u- C'était assez, c'était même trop de théo-
nité de pouvoir par état et par préjugé, et du ries
] il était temps que l'Europe fît un
gouvernement populaire par affection phi- cours
( pratique de gouvernement populaire,
losophique favorable aux sociétés unitaires et la France, destinée à êtreunexemple pour
par ses aveux, et aux sociétés opposées par les
1 autres nations quand elle renonce à en
ses principes, sans plan et sans système, être le modèle, fut choisie pour cette terri-
<

écrivit l'Esprit des lois avec le même esprit, ble


1 expérience.
et, dans quelques endroits, avec la même Elle n'a pas été favorable aux partisans
manière qu'il avait écrit les Lettres per- des
<
principes populaires, et leurs assertions
sannes et cherchant sans-cesse l'esprit de ce précipitées
] et fastueuses sur la force et la
qui est, et jamais la règle de ce qui doit durée dès Etats populaires, surtout des Etats
être, il trouva la raison des lois les plus fédératifs, sur la liberté dont on y jouit, sur
contradictoires, et même des lois qui sont les vertus qui en sont le principe et qui
contre toute raison. L'auteur du Contrat s'y développent, ont été cruellement dé-
social dans la société ne vit que l'individu, menties par des événements trop publics et
et dans l'Europe ne vit que Genève; il con- trop récents, pour qu'il soit nécessaire d'en
fondit dans l'homme la domination avec la retracer ici l'ineffaçablesouvenir (3).
liberté, dans la société la turbulence avec L'erreur de ces écrivains politiques vient
la force, l'agitation avec le mouvement, l'in- de la même cause que celle qui a égaré les
quiétude avec l'indépendance, et il voulut inventeurs de tant de' systèmes physiques.
réduire en théorie le gouvernement popu- Ils se sont hâtés de faire des théories, avantt
laire, c'est-à-dire fixer l'inconstance et or- que le temps leur eût révélé un assez grand
donner le désordre. L'instruction politique nombre de faits et des faits assez décisifs.
de la génération présente fut toute renfermée Il a surtout manqué à leur instruction le
dans ces deux ouvrages l'un, conséquent à plus décisif de tous les événements, la révo-
ses principes, appelant tout le monde à Ja lution française, réservée, ce semble, pour
domination, est fait pour séduire des hom- la dernière instruction de l'univers. Mais
aujourd'hui que nous avons vu la nation
mes orgueilleux et avides de pouvoir; l'autre,
heureusement inconséquent, rachetant l'er- la plus forte et la plus éclairée du globe tom-
reur des principes par de grandes vérités ber, dans sa constitution politique de l'u-
dans les détails, est fait pour en imposer à nité de pouvoir le plus concentré dans la
des esprits inattentifs, et à des cœurs hon- démagogie la plus effrénée et la plus ab-
nêtes l'un et l'autre soutenus par un style jecte, et, dans sa constitution religieuse,
qui éblouit par son éclat, ou qui étonne par du théisme le plus parfait à l'idolâtrie la
sa précision, accrédités par des noms fa-
plus infâme aujourd'hui que nous avons
meux, et, ce qui est plus décisif, appuyés vu cette même nation revenir, dans son état
politique de cette étonnante dissipation de
par km parti puissant. V Esprit des lois fut
l'oracle des philosophes du grand monde, pouvoir à un usage plus sobre et mieux ré-
le Contrat social fut l'évangile des philo- glé de l'autorité, et, dans son état religieux,

(1) C'est le paradis terrestre des philosophes. teurs, des jouets qu'il faut laisser à des enfants. »il
(2) La paix est un -état et non une toi. oie même l'homme sa bonté native que J.-J; Kous-
( 5 ) Les événements ont éclairé même les philo- seau lui attribue, et il avance que l'homme, anté-
sophes, sur le vice des théories populaires; et dans rieurement à la sociélé, serait sans lois, sans obli-
l'ouvrage de M. Bentham, que nous avons cité tout gutions, sans délits, sans droits, etc. L'auteur va
à l'heure, la doctrine du pouvoir conventionnel et plus loin encore il nie tout autre loi natUrelle que
conditionnel de llobbes et de Locke et le Contrat so- celte du plaisir et de la douleur, et en général il est
cialde J.-J. Rousseau, sont appelés de apures fictious moins heureux à édifier qu'à à détruire.
qui n'existent que dans l'imagination de teurs au-
passer de l'absence de tout culte au respect, vie par des organes pour agir sur uii objet
et bientôt à la pratique de son ancienne re- intelligence, organes objet qui ont entre
ligion, tous les accidents de la société sont eux les mêmes rapports que pouvoir, mi-
connus, le tour du monde social est fait; nistre et sujet dans la -société, que cause,
nous avons voyagé sous les deux pôles: il moyen effet dans l'univers.
ne reste plus de terre à découvrir, et le mo- Ces,trois personnes sont séparables l'une
ment est venu d'offrir à l'homme la carte de de l'autre, c'est-à-dire amovibles, ou elles
l'univers moral et la théorie de la société. sont fixes et indissolubles elles sont amo-
Mais qu'est-ce que la société? La société, vibles dans la famille par la faculté du di-
dans un sens général ou métaphysique, est vorce, amovibles dans la religion par le
la réunion des êtres semblables pour la fin de presbytérianisme, qui n'imprime aucun ca-
leur reproduction et de leur conservation ractère de consécration à ses ministres
et cette définition, qui ne paraît d'abord amovibles dans l'Etat par les institutions
convenir qu'à la société des corps, s'appli- populaires, qui font du pouvoir et du minis-
que également à la société morale ou des es- tère des fonctions perpétuellement révoca-
prits, parce que leur production est l'ins- bles et éligibles. Elles sont, au contraire,
truction, et î£ur conservation la connais- fixes et inamoviblesdans la famille par l'in-
sance de la vérité ou la raison. Mais la so- dissolubilité du lien conjugal dans la reli-
ciété dans un sens plus restreint et mieux gion par la consécration qui lie irrévoca-
agproprié au sujet particulier que nous trai- blement le ministre à la Divinité et au fi-
tons, est le rapport des personnes sociales dèle, et par conséquent les lie entre eux;
entre elles, c'est-à-dire le rapport du pou- dans l'Etat, par la fixité ou l'hérédité du
voir et du ministre pour le bien et l'avan- ministère politique. Là seulement est la
tage des sujets. raison de tous les phénomènes que présen-
Cette définition est vraie de la société do- tent les sociétés anciennes et modernes. Plus
mestique, où l'union du père .et de la. mère il y a d'amovibilité dans les rapports des
se rapporte à la reproduction et à la conser- personnes entre elles, plus il ya d'instabilité,
vation des enfants. Cette définition est vraie de désordre, de faiblesse dans la société;
de la société religieuse, où les rapports de plus il y a de fixité dans les rapports, plus
la Divinité et de .ses ministres ont pour ob- il y a de force, de raison et de durée. Ainsi,
jei la perfection et le salut des hommes. les sociétés les plus fortes de l'antiquité ont
Cette définition est vraie de la société poli- été la-société égyptienne la société hébraï-
tique, où le service public que les officiers que et la société romaine, où le ministère
civils et militaires doivent au chef de l'Etat politique, patriciat chez les Romains, mi-
a pour unique objet l'ordre public, fonde- nistère lévitique chez les Juifs, guerrier
ment du bonheur des peuples et de lapros-' chez les Egyptiens, était fixe héréditaire et
petite des empires. propriétaire. Ainsi, les sociétés les plus fai-
Il y a donc trois personnes dans toute so- bles, les plus désordonnées de l'antiquité,
ciété le chef ou le pouvoir, les officiers ou le ont été les empires despotiques de l'Asie,
ministère, et les sujets ou le peuple la réu- et les Etats populaires de la Grèce où il ré-
nion de ces trois personnes s'appelle la so- gnait une perpétuelle mobilité dans le pou-
ciété et ces personnes sont domestiques voir et ses fonctions; et
remarquez qu'il n'y
ou publiques religieuses ou politiques a eu en Grèce dé force réelle que chez les
comme la société. Le lecteur qui lira avec at- Spartiates et les Macédoniens, où il y avait
tention la première partie de cet ouvrage, plus de fixité dans les fonctions, et même
remarquera que ces trois modes d'existence quelque hérédité dans lus personnes.
des êtres dans la société se lient, d'un côté Ainsi, les sociétés les plus fortes des temps
à l'ordre le plus général de l'univers, où modernes sont celles où se trouve la fixité
nous retrouvons tous les êtres et leurs rap- des personnes, comme dans les monarchies
ports compris sous ces trois idées générales, chrétiennes et chez le Tartare, société à son
et les plus générales possibles, de cause de second âge, et qui a son Khan et ses Mir-
moyens d'effet, qui ont entre elles les mê- zas, comme le Germain de Tacite, auquel il
mes relations que pouvoir, ministre, et su- ressemble, avait, sous d'autres noms, ses
jet; et de l'autre, qu'ils se lient au système chefs et leurs compagnons. Ainsi, les socié-
particulier, intellectuel et corporel de l'hom- tés les plus faibles des temps madernes sont
me, qui est une intelligence ou nolonté ser- celles où l'on retrouve l'amovibilité dans les
109S
i^Tk^i
personnes, la
ŒUVRES COMPLETESa DE
« i Turquie,
Pologne, la
am
« nn ~–*i lai nChine,
/^liiHA
u~w.
M. DE BONALD.

gions nnocKtrtiîi'îûiinAC aïetIaS


rv\s\-r\c* presbytériennes,
1096
mi i IfiS disso-
lesTa familles (llSSO"

et les Etats populaires de Suisse et de Hol- lubies Dar le divorce, se retrouvent généra-
lande, etc. lement chez les mêmes peuples et quel-
Rien ne prouve la vérité de ces principes, quefois malgré des apparences contraires;
comme de voir la Pologne, où le pouvoir comme le lien indissoluble, ou l'inamovibilité
était électif et le ministère héréditaire, et la des personnes dans l'Etat, dans la religion,
Turquie, où, comme à la Chine, le pouvoir dans la famille, s'aperçoit généralementdans
est héréditaire, et le ministère électif, tom- les mêmes sociétés.
bées l'une et l'autre dans les mêmes faibles- Mais les effets de ces lois générales des
ses et les mêmes désordres, par une cause Sociétés ne peuvent être aperçus que dans
en apparence opposée, et malgré la prodi- les Etats dont aucune force extérieure ne
gieuse différence de leurs institutions do- comprime l'action intérieure, qui ont en
mestiques, civiles et religieuses. eux-mêmesle principe de leur indépendance,
Lorsque le ministère ou la magistrature et qui ne demandent pas à leurs voisins la
s'empare du pouvoir et l'exerce en corps, garantie de leurs propres lois. Ainsi, l'on ne
comme en Pologne, a Berne, en Suède à peut apercevoir l'effet des lois morales que
Venise ce ministère ne sert pas, il gou- chez un homme qui a son franc arbitre.»
verne il n'est plus ministère, il est pouvoir; Ce serait une autre erreur de vouloir assi-
*t sous cette forme, il se nomme patriciat, gner avec la précision d'un chronologiste un
et l'Etat, toujours populaire, reçoit diffé- commencement è certaines lois même fon-
rents noms, selon les différentes formes du damentales, que l'on voit en usage dans la
pouvoir aristocratique, si les patriciens société. Les mauvaises lois commencent;
sont héréditaires, et oligarchique, s'ils sont mais les bonnes, émanées du bien suprême,
en petit nombre; démocratique, si les patri- sont éternelles comme lui. A quelque ins-
ciens sont électifs, et démagogique, si. tous tant que les hommes les écrivent, elles
ou la plus grande partie des citoyens sont viennent toujours de plus loin, et comme
appelés au pouvoir; car môme dans la dé- l'homme lui-même, elles étaient avant de
mocratie la plus illimitée, il y a des condi- naître.
tions d'âge, de sexe, d'état et de propriété, Ainsi en France, le ministère, d'abord
qui restreignent la capacité du pouvoir. électif, ou amovible comme le pouvoir,
Ainsi le patriciatexiste partout où plusieurs sous la première race, ou même la seconde,
citoyens, quels que soient leur nombre, est devenu héréditaire et propriétaire sous
leur naissance, leur fortune, leur professioni la dernière race et avec le pouvoir lui-même.
habituelle, ont, par les institutions politi- Mais cette observation n'est vraie que géné-
ques, le pouvoir le plus éminentde tous, le> ralement et les exceptions qu'on peut y
pouvoir par excellence,celui de faire la loi, trouver, et que certains esprits saisissent
soit qu'ils l'exercent temporairement,via- toujours beaucoup mieux que les vérités
gèrement ou héréditairement. C'est ce quei générales ne sauraient en affaiblir la force.
J.-J. Rousseau fait observer avec beaucoup) II est vrai que généralement le pouvoir n'a
de sagacité. « 11 est certain qu'ôtant l'extrê- été définitivement héréditaire, et le minis-
me disparité des deux républiques, la bour-• tère généralement fixe et propriétaire, que
geoisie de Genève représente exactement le3 depuis la fin de la seconde race quoique
patriciat vénitien abstraction faite de lai avant cette époque, il y eût des familles
grandeur, son gouvernement n'est pas pluss distinguées par leurs richesses et la con-
aristocratique que le nôtre. » II y a doncî sidération dont elles jouissaient et des
aujourd'hui en France un véritable patriciatt princes qui avaient succédé à leurs pères.
électif; mais il n'y a pas de noblesse, parcei C'est ici le lieu d'appliquer ce passage re-
qu'à la place d'une classe destinée exclusi- marquable du président Hénault « On
vement à servir, il y a une classe exclusive- veut, » dit-il « que l'on vous dise que telle
ment destinée à régir ou à faire des lois. année, à tel jour, il y eut un édit pour ren-
Comme les sociétés sont semblables danss dre, par exemple, vénales les charges qui
leur constitution, elles sont semblables danss étaient électives. Or il n'en va pas ainsi de
leurs accidents; et l'on peut regarder commee tous les changements qui sont arrivés par
un axiome de la science de la société, axio- rapport aux mœurs, aux usages, à la disci-
me dont l'histoire offre une continuelle ap- pline; des circonstancesont précédé, les faits
plication, que les Etats populaires, les reli- particuliers se sont multipliés, et ont donné,
par succession de temps naissance à ïa loi oi à l'entrée de l'Italie, et qu'on appelait alors
générale sous laquelle on a vécu.» le roi de Sardaigne. L'auteur, en '1794. osait
Mais la nature ou l'ensemble des lois gé- é- ne pas désespérer de la France; il découvrait
nérales de la reproduction et de la conser- r- dans son antique constitution un principe
vation des êtres, tend nécessairement à les es de restauration, et dans les circonstances de
placer dans l'Etat le plus fort, c'est-à-dire le sa position une raison d'accroissement mê-
plus fixe et le plus durable celui où les es me dans le nouveau continent, etdéjàil aété
êtres'font effort pour arriver ou pour reve- 3- question de lui rendre la Louisiane. Ces
nir. L'état d'amovibilité ou d'instabilité est st mêmes principes, appliqués aux sociétés
donc pour les êtres un état de passage. Il religieuses, donnaient lieu à des conjectu-
est par conséquent un état de faiblesse, s res semblables sur la force indestructible des
d'inquiétude et de trouble c'est pour la so- )- croyances religieuses qu'on a voulu détruire
ciété, pour l'homme, l'enfance qui prépare 'e et la faiblesse des opinions soi-disant reli-
et conduit à la virilité. Les sociétés où il n'y
'y gieuses qu'on a voulu établir. Cet ouvrage,
aura que peu ou point de fixité dans les ïs qui traite non-seulement de la constitution
personnes seront donc dans un état de fai- i- des sociétés, mais de l'administration des
blesse tant qu'elles ne seront pas encore par- Etals, obtint des suffrageshonorables, mal-
>
venues à l'état fixe ou dans un état de dés- gré ses nombreuses imperfections; mais il
ordre si elles s'en sont écartées et qu'elles ;s fut proscrit par l'inquisition directoriale, et
ît
travaillent à y revenir. De là la faiblesse et très-peu d'exemplaires échappèrent à
le désordre de certains gouvernements et de recherches. ses
e
certaines religions anciennes ou modernes; Ces mêmes principes ont été reproduits
de là la force toujours croissante et la durée sous une forme abrégée
e et trop abrégée peut-
indestructible de quelques autres; de là en- être, et dégagés de toute application histori-
fin des principes surs pour juger l'état passéé que dans
un Essai analytique sur les lois natu-
et présent des sociétés, et conjecturer leurr relles de l'ordre social, et plus récemment en-
état futur. core, quoique plus brièvement, dans l'appli-
Ce fut avec ces principes et avec ces don- cation
que l'auteur en a faite à la question la
nées, que.l'auteur de cet écrit entreprit de3 .plus fondamentale de la société la question
traiter de la théorie du pouvoir politique ett du divorce, dans l'ouvrage qui
religieux dans la société civile. Cet ouvrage5 Le divorce considéré a pour titre
au xixe siècle relative^
se ressentit moins peut-être des tâtonnementss ment à l'état domestique et à l'état public de
inséparables de toute théorie nouvelle,
que> société.
des circonstancespénibles au milieu desquel- Après avoir fait la '.Théorie du pouvoir, il
les il fut composé.Les événementspolitiquesi était dans l'ordre des idées
et des vérités de
ne tardèrent pas à justifier les conjectures de traiter des lois et du ministère public consi-
i
l'auteur, lly annonçait(dès 17%) les malheurs dérés général, et c'est l'objet
en
dont la politique évasive de quelques can- première et de la seconde partie de
spécial de la
tons ne garantirait pas la Suisse, et la fai- vrage la troisième
cet ou-
a un rapport immé-
blesse réélledeceltesociété,raalgré la réputa- diat
aux deux premières, et la quatrième est
tion;de force que quelques antiques faits d'ar- relative à toutes les autres.
mes et les philosophes modernes lui avaient Le pouvoir est l'être qui veut et qui agit
faite; le peu de fonds que les Provinces-
pour la conservation de la société. Sa volonté
Unies devaient faire sur leur puissance, même s'appelle loi,
et son action gouvernement. Il
fédérative; l'inconsidération où Venise était veut
par lui-méme, il agit par ses ministres,
tombée, et te danger qui pouvait la suivre qui servent (ministrant) à éclairer la volonté
les changements prochains et inévitables du pouvoir, à exécuter
dans la constitution germanique; lès embar- sujet son action envers le
pour l'avantage général, qui doit être le
ras intérieurs de l'Angleterre, que la paix ne terme de la volonté du pouvoir, et du ser-
fera peut-être qu'accroitre; la chute dont la vice du ministère.
Turquie est menacée le principe de dis- Ainsi le ministère, dans la société est le
corde que les Etats-Unis portent dans leur <coopérateur subordonné mais
naturel et
sein, et dont les symptômes se sont déjà nécessaire i du pouvoir, et c'est dans l'état
manifestés; la séparation des Pays-Bas de la politique] dont il est ici question plus parti-
maison d'Autriche, et jusqu'à l'accroisse- culièrement,
< ce qu'on a appelé de nos jours
ment probable de la puissance qui se trouve fonctionnairespublics, civils
ou militaires,
lU!)9
» 1
OEUVRES COMPLETES
1 il
:.IV

Ces ministres sont les exécuteurs de.l'action


du pouvoir, et de là vient que, sous lès pre-
mières races, les commissions qui conféraient
des offices publics portaient Tibi actionem
adagendumregendumquecommiltimus.)
1-
DE M. DE BONALD.
de
t quelques familles, "11,,
tterme des efforts de
toutes
t
dire,
(
parce
}
MAit l'n-hif't
elle était
HOP
l'objet etpt le
toutes les familles, qui
devraient tendre s'anoblir, c'est-à-
lA

à passer de l'état privé à l'état public


qu'il est raisonnable et même chrétien
L'action suprême du pouvoir consiste à de c passer d'un état où l'on n'est occupé qu'à
porter la loi et à la faire exécuter, parce. 1travailler pour
soi, à un état où, débarrassé
le pouvoir suprême est essentiellément du soin d'acquérir une fortune, puisqu'on
que <
servir
1 suppose faite, l'homme est destiné à
justice et force. L'action subordonnée du mi- la
nistre consiste à juger et à combattre, à les 1 autres en servant l'Etat. Une famille, en
connaître la loi et à la faire observer par France, 1 sortie de l'état d'enfance et de ce
ceux, qui au dedans et au dehors de la so- temps • où elle dépend des autres familles
ciété, voudraient troubler l'ordre social (1). pour
1 ses premiers besoins, se proposait l'a-
noblissement pour but ultérieur à ses pro-
Ainsi juger et combattre sont les fonctions
grès. Une fois qu'elle y était parvenue elle
naturelles et essentielles duministèrepublic, i
religieux; car le ministère s'y fixait. L'individu, sans doute, 'pouvait
politique, et même v
grade, de lieutenant devenir ma-
religieux, milice spirituelle, juge et combat, 1avancer en
ministère politique, milice séculière, est réchal de France et de conseiller devenir
et le
chancelier; mais ces grades, s'ils n'étaient
aussi institué pour juger et^our combattre.
de suite la raison la- pas égaux, étaient semblables les fonctions,
On voit tout pour
être plus étendues n'étaient pas diffé-
quelle il était défendu en France, au moins pour
l'opinion, à certaines personnes de se rentes la famille ne pouvait en [recevoir un
par autre caractère, et une fois reçu, elle ne
livrer à des professions mercantiles, ou de
engagements pécuniaires qui pouvait le perdre que par forfaiture. Dans
contracter des
les gouvernements populaires une famille
les soumissent à la contrainte personnelle
des personnes engagées âmes et corps, au
ne peut aspirer qu'à s'enrichir, et à sVnri-
chir davantage, même lorsqu'elle est opu-
service exclusif de la société, ne pouvaient
lente. Jamais elle ne reçoit de caractère qui
disposer de leurs facullés'intellectuellespour
spécialementau service de l'Etat,- et
leur utilité personnelle, de leur corps pour la voueles fonctions publiques auxquelles le
même
des engagementsparticuliers, ni même quel-
leurs biens, des substitu- citoyen riche est passagèremént élevé no
quefois de que qu'un moyen pour la famille
tions domestiquesou la loi générale de l'ina- sont souvent plus d'avantage pour sa
liénabilité conservaient dans les familles ett de spéculer avec
dans les corps.
fortune. On n'est pas capable de rapprocher
voilà cet ouvrage. II ne me deux idées, lorsqu'on ne sent pas Textrêmo
En assez sur
plus quelques réflexions à faire différence qui doit résulter pour le caractère
reste que, peuple les sentiments qui sont la
partie. d'un et
sur la seconde force ou la faiblesse des nations de cette
1" L'institution du ministère public, qu'oni
dans leurs institutions.
appelait noblesse, n'est en elle-même, ni une3 disparité totale
décoration pour l'Etat, ni un lustre pourr Un commerçant peut faire uri excellent
très-bon soldat; mais
l'individu. Ces figures oratoires peuvent em- juge, et un artisan un
bellir une harangue, mais elles ne rendentt la profession du commerce n'en est pas
raison de cette institution. La décorationi moins incompatible avec la profession de la
pas magistrature, et la pratique des arts méca-
de l'Etat est sa force, et le lustre de l'homme,
vertu. 11 n'y aurait jamais eu de noblessee niques avec le métier de soldat.
sa 2" On ne règle un peuple que parTexem-
dans aucun Etat chrétien ou civilisé, les seulss
qui sont dans la société
où l'homme ait des idées justes du pouvoir ett ple de quelques-uns
les corps d'élite sont dans une armée.
des devoirs, si elle n'eût été qu'une décora- ce que
n'aurait été parce qu'elle Or on peut régler quelques citoyens les
tion et elle pas e
plus aisément qu'on
n'aurait rien été. La noblesse est une fonc- soumettre, et beaucoup
à des lois particulières. Nous en
tion générale, et le séminaire des fonctionss ne pense,
avons la preuve sous nos yeux dans les corps
spéciales. Elle est un devoir, et loin qu'ellee réglé jusqu'aux plus
fût, même en France, le|patrimoine exclusiff militaires, où tout est
( 1 ) Le pouvoir est plus considéré à mesure qu'il
il d'un régiment, le capitaine à tous ceux d'une conv-
a plus de ministres ou dé pouvoirs subordonnes.i. pagnie, eic, eic.
Ainsi le colonel est supérieur à tous les officiers
petits détails, avec une précision rigoureuse démembré par les peuples duNord, et cette
et l'on doit tout régler chez les hommes quii société
< à jamais fameuse, qui avait triomphé
doivent être la règle de tous. de
< la puissance des monarques de l'Orient
3° Rien n'est impossible de ce qui a été • ne put résister à la constitution que les Ger-
pratiqué; tout est possible, lorsque tout estt mains tenaient de la nature; quippe dit
à faire, et lorsqu'ils'agit d'institutionsnéces- Tacite, regno Arsacis acrior est Germanorum
saires à la société ce que les hommes ne» libertas. Dans la société religieuse, les sec-
veulent pas, et souvent ne peuvent pas faire tesou sociétés particulières séparées de la
avec des règlements, le conservateur suprê- 'isociété générale après avoir vécu dans le
me de la société le fait avec des événements trouble et la guerre, ont fini par disparaître
dont l'irrésistible ascendantcourbe les hom- et se confondre daus la grande société; et la
mes et leurs passions sous la loi de fer deî société politique de Pologne longtemps agi-
la nécessité. tée a fini, partagée entre les États voisins.
Nous avons cherché connaître les princi- Mais il est d'autres sociétés dont l'adminis-
pes et les lois de l'ordre qui constitue les5 tration| peut être troublée passagèrement par
sociétés; nous allons examiner la cause ett ]le désordre
que les passions y ont introduit,
la marche du désordre qui les renverse. jsans que leur constitution
soit pour toujours
Lorsqu'une société religieuse ou politique, renversée
i parce qu'elle repose'sur la base
détournée de la constitution naturelle dess indestructible
i des lois naturelles de la so-
sociétés, a comblé la mesure de l'erreur ett ciété, < « de ces lois, dit Bossuet, contre les-
de la licence, les fonctions naturelles dut quelles < tout ce qu'on fait est nul de soi; »
corps social se troublent et cessent, les rap- c'est < la maison bâtie -sur la roche que le
ports naturels des personnes entre ellesi vent 1 et les flots battent en vain, tandis qu'ils
font place à des rapports arbitraires le> emportent < jusqu'à la dernière pierre de l'édi-
pouvoir conservateur de la société se change« fice i bâti sur le sable.
en une tyrannie faible on violente, la subor- Ces sociétés ne peuvent, périr mais elles
dination et le service du ministre en une'i deviennent
< le théatre d'une guerre intestine
servitude aveugle ou intéressée, l'obéissancei entre
( l'ordre et le désordre guerre d'autant
du sujet en un esclavage vil ou sédi- plus 1 animée que les désordres sont plus
tieux(l). jgraves, et les lois fondamentales plus natu-
Cet état, appelé désordre, est toujours passa- relles
i et mieux connues ;en sorte que les
ger, quelque prolongé d'ailleurs qu'il puisse crises< seront au plus haut point de violence,
être parce qu'il est contre la nature des lorsque .1 les passions, toujours les mêmes
êtres, et que l'ordre est la loi inviolable (ouL imais mises en œuvre par des .esprits parve-
plutôt essentielle) des êtres intelligents. i'nus au plus haut degré de connaissances
(Malebranche.) et de pénétration auront à combattre les
<

Une société tombée dans cet état fait donc principes


1 de l'ordre portés par le temps et
nécessairement effort pour en sortir: l'action les lumières au terme extrême de leur déve-
(si elle mérite ce nom) qui l'a écartée. de loppementj.etparconséquentdeleur
1 stabilité,
l'ordre a été lente et presque insensible La société en général, considérée sous ce
l'action qui l'y ramène, ou qui la dispose àl double
( aspect, peut être comparée à l'homme
y revenir tôt ou tard, est pressée et violente, d'uni tempérament faible qu'une maladie de
et ressemble à une tempête. |langueurjette dans le dépérissement et con-
Une société trop faiblement constituée duit c lentement au tombeau ou à l'homme
pour se tirer par ses propres forces du désor- d'une f constitution robuste qui résiste aux
dre où elle est tombée, finit, confondue avec• excès < d'une maladie aiguë, et qui, débarrassé
d'autres sociétés et rentre ainsi dans des ( mauvais levains qu'un régime vicieux
un état de société qui n'est pas le sien. Le avait ¡ introduits dans les organes de la vie,
paganisme, à Rome périt en vain par le puise 1 dans son rétablissement de nouvelles
christianisme, qui ne put sauver l'empire de iforces, et parvient à l'âge le plus avancé.
sa ruine l'empire romain périt lui-même On pourrait faire l'application de ces pro-

(1) Les hommes ne peuvent exister ensemblei commandent


c et les autres obéissent; mais leur re-
dans la même société sans être entre eux dans des si'.ltat
s est inverse ce sont, exactement les qiiai)(ii&
rapports quelconques. Ces rapports, vrais ou faux, fpositives et néyaiim-s de L'aitaly-o..
sont extérieurement les mêriies toujours les uns
lt,S Ut/ M, UC DUL1ALU. ilU*4
positions àtoute
toute constitution de société, l'explo-
parlements,i qui annonçaient l'explo--
et des parlements,j
religieuse ou politique, considérée en géné- sion générale dont nous avons été les té-
ral, et comparée à une autre constitution, moins, comme une épaisse fumée annonce
comme, par exemple, au catholicisme com- l'éruption prochaine d'un grand incendie.
paré au presbytérianisme,et au monarchisme e L'explosionse fit en 1789. La plupart cru-
comparé au popularisme mais pour nouss rent que la révolution commençait alors
arrêter à une application locale et particu- seulement j parce qu'ils aperçurent des
lière, et parla même plus sensible, nous nea hommes nouveaux à la tête des affaires, et
sortirons pas de la France, l'aînée et la pluss des formes nouvelles d'administration. La
constituée des sociétés religieuses et politi- révolution, sans doute, vint au monde à cette
flues de l'Europe. époque mais elle était bien auparavant
Il est impossible d'assigner une époquei conçuedans le sein de la société, et depuis
précise à certains changementsqui arriventt longtemps elle y était prévue et annoncée
dans les Etats, soit en bien, soit en mal, (2). Le grand nombre en attribua la cause
parce que les erreurs des hommes sont des à des fautes qui n'en furent que l'occasion.
la mêm& date que leurs passions, ou leurr Telle est en effet la nécessité des lois géné-
raison aussi ancienne que la vérité maiss raies quirèglentlésévénementsdecemonde,
depuis un temps déjà loin de nous, il s'étaitt que, lorsque certains effets préparés par des
introduit des désordres dans l'administrationî causes éloignées, sont devenus inévitables
religieuse et politique de la France, et telle? par de nouvelles opinions introduites dans
est la similitude des deux sociétés et le nœudi les esprits et de nouveaux arrangements
mystérieux qui les unit, que. des désordres> dans les choses, les démarches même les
exactement correspondants et pour ainsii plus indifférentes, et quelquefois les plus
dire parallèles s'étaient manifestés à la foiss louables, donnent aux événements la der-
dans l'une et dans l'autre société (1). nière et fatale impulsion.
Ainsi, pour en donner un exemple, lors-· Ainsi, lorsque le temps a miné dans un
que les fiefs militaires avaient passé dans3 antique édifice le principe de la durée, le
les propriétés dé l'Eglise les dîmes ecclé- plus faible moteur, l'air, un son, peut-être
siastiques avaient passé, par l'inféodation, :es travaux souterrains d'un faible animal,
dans les propriétés séculières et lorsqu'ilt déterminent l'instant de son entière ruine,
s'était introduit dans l'ordre du clergé dess « II n'arrive jamais de révolution subite, »
titres sans fonctions, et souvent sans pro- dit Mably, « parce que nous ne changeons
priétés, il s'est introduit dans l'ordre politi- point en un jour notre manière de voir, da
que ou la noblesse des décorations sans de- penser et de sentir. Si un peuple paraît
voirs et des titres sans fonctions, en sorte changer brusquement de mœurs, de génie
que l'un et l'autre ordre étaient, si l'on peutt et de lois, soyez sûr que cette révolution a
le dire, tombés à la fois en commende. Lai été précédée par une longue suite d'événe-
révolution, qui n'est que l'effort que fait une ments et par une longue fermentation de
société pour revenir à l'ordre, était donc passions. »
commencée depuis longtemps la maladie Rien ne prouve mieux à l'hommeattentif
avait eu des crises, et la génération encorei l'existence de cette intelligence suprême,
vivante a vu les déplorables querelles reli- législatrice souveraine de l'ordre moral
gieuses et poétiques sur les affaires du temps» comme de l'ordre physique, que l'exécution

Cl) Voy. la il' partie. etàquiledélireépidémiquen'apas encore fait tour-


(2) Voy. les Sermons du P. NEUVILLE et lesï ner la tête, de recueillir bien précisément les lu-
aernières remontrances du clergé; mais voici cei mières de leur bon sens, et d'écrire comme quel-
qu'on lit dans un ouvrage intitulé Variétés d'uni que chose de fort rare, ce que du premier coup
philosophe provincial, par M. Ch. Lejeune, 4767 d'œil leur esprit décidera juste et convenable. Sur-
i Toutes les idées sont sirenversées aujourd'hui, tout qu'ils prennentgarde de se rebuter par la rai-
on est si loin des notions les plus claires, les véri- son que cela leur paraîtra trop évident. En 1797
tés qu'on a toujours regardées comme le rudiment ou 98 au plus tard, il sera temps de faire imprimer
des moeurs et la source de l'honnêteté publique le recueil alors on trouvera neuf ce qu'il y a de
ont tellement dégénéré en problèmes et en para-« plus simple; et je craindrais même, vu les progrès
doxes on a tellement oublié les maximes fonda- de la déraison, que ce livre ne parût encore trop
mentales du patriotisme même et de la saine philo- extraordinaire.Cependant je pense que peu à peu
sophie, qu'avant trente ans, supposé que cela con- on s'y accoutumera. Ainsi un malheureux tout à
tinue, on n'entendra raison sur rien. Le brouillard coup sorti du noir cachot où il languissait depuis
gagne et s'étend sur toute l'Europe, au point qu'on bien des années, souffre de la première vue du so-
n'y verra plus en plein midi. leil mais il ne tarde pas à s'y faire. • (Pag. 237.)
Je conseillerais à tous ceux qui espèrent vivre,
1105 PART. I. ECO.XOM. SOC. LEGISLATION PRIMIT. DISC. PREL1M. 1106
maaaa. n. L..¡VY,'V.11'.I. vV4.
.LICJ\JfI~
infaillible
infaillibledede cette loi générale qui veutt portance des fonctions, et pour ainsi dire,
qu'une cause, même contingente, étant po- de la magistrature qu'elle exerçait sur l'Eu-
sée, il s'ensuive un effet nécessaire; carr rope.
elle ne serait pas cause, si elle ne produi- Aussi la révolution française présenta,
i
sait un effet, et s'il n'y avait ni cause ni dès les premiers instants, des caractères par-
effet, il n'y aurait rien, rien ne serait. ticuliers et extraordinaires aperçus depuis
Cette intelligence, suprême législatrice dee longtemps par l'auteur des célèbres Consi-
l'ordre éternel, les philosophes anciens nee dérations sur la France, mais aujourd'hui
la connaissaient pas, et les philosophes mo- plus développés, et par là môme plus remar-
dernes la méconnaissaient. Ceux-là ne3 quables.
voyaient que le destin, et la main de ferr Aussitôtque la révolution éclata en France,
i
d'une aveugle et inflexible nécessité ceux-ci tout pouvoir civil, c'est-à-dire conservateur
i
ne voient que leur nature, qu'ils font aussi des hommes et des propriétés,, cessa dans
rigide que le fatum, sans la supposer plus3 l'Etat; ce qui n'est jamais arrivé au même
intelligente les Chrétiens seuls ont la cleff degré dans une autre société, pas même en
de la science, et le secret de la nature et de) Angleterre, où il y eut autant de violences
la nécessité. Ils savent que la création libre individuelles, et peut-être même plus de
t
des êtres est naturelle à l'Etre nécessaire et désordres particuliers, mais où il n'y eut
nécessairement tout-puissant; que de cettei pas cette constitution inverse et négative, si
création libre et naturelle des êtres, il suitt j'ose le dire, qui contrefit l'ordre public et
t
entre eux des ( 1 ) rapports nécessaires distribua l'injustice, comme un gouverne-
exprimés dans les lois naturelles, et que c'estl ment régulier distribue la justice entre les
par l'observation de ces lois naturelles que le citoyens et il s'éleva sur toute la France
Créateur conduit les êtres à leur fin néces- un pouvoir essentiellement destructeur,
saire. sous le nom de gouvernementrévolutionnaire,
La France à laquelle je reviens, considérée qui soumit le désordre à des règles, consti-
dans le long cours de sa vie sociale et dans tua l'oppression, et détruisit légalement les
ses relations avec les autres Etats, semble hommes et les choses.
être, dans la societé générale de l'Europe Alors la France passa tout entière de l'état
civilisée ou de la chrétienté, ce qu'est un civilisé ou de conservation à l'état
sauvage
premier ministre dans le gouvernement d'un ou de destruction, comme dans la société le
Etat. Née de la nature même, mais élevée méchant qui trouble l'ordre public est mis
par Charlemagne, elle a agi ou concouru hors des lois civiles, et tombe sous l'action
dans tout ce qui s'est fait d'important en des lois criminelles. « Il peut en être de
Europe depuis cet homme prodigieux et il quelques nations, » dit le célèbre Bacon,
semble même, qu'à considérer l'Europe « comme de ces hommes que
nous appelons
chrétienne comme une grande famille, la 1hors les lois, exleges, parce qu'ils sont
pros-
prééminence dont la France jouissait entre crits < par les lois civiles de tous les pays
ses enfants fut exprimée dans le titre de (2).
Fils aîné de l'Eglise et de très-chrétien, de- Dans cette mémorable catastrophe, les
puis longtemps attaché au pouvoir suprême hommes 1 furent instruments plutôt que mi-
de cette société.. nistres d'un pouvoir irrésistible, qui, se-
i
j
La France, forte de seize siècles de cons- jouant de leurs volontés et de leurs passions*
titution religieuse et politique, tombée de- se s servit d'eux, et ne voulut pas qu'ils le ser-
puis longtemps dans desdésordresjd'adminis- vissent, a encore moins qu'ils se servissent
tration qui s'étaient successivement accrus, de c lui pour leurs fins personnelles et qui re-
et qui avaient, comme il arrive toujours, poussa j également, et souvent punit
altéré les mœurs avant de renverser les lois, plairement l'homme fort qui voulutexem-
f com-
ne pouvait être ramenée à l'ordre que par Lbattre la révolution et l'homme faible qui
des efforts proportionnés à la force de sa voulut v la tromper; l'ambitieux qui crut
constitution, à la gravité du mal et à l'im- la h diriger, et le scélérat qui osa la dé-
r
(i) Un potier fait librement des vases mais
si à faire comprendre comment la création libre
sert
par cela seul qu'ils sont faits et qu'ils existent en- dl êtres produit entre eux des rapports nécessaires.
des
semble, ils se trouvent nécessairement en rapport (2) Quemadmodum enim homines quidam sui.t
entre eux de forme, de capacité, de distance; je quos
q exleges appcllamus, proscripti scilicet per le-
me sers d'autant.plus volontiers de la comparaison ges
gl civiles diversarum regionum, ita etiam nationes
du potier, que l'Ecriture l'emploie souvent,
et elle quaedam
q l'eperiuntur. (BAC., De bello sacro.)
passer et en quelque sorte la dérégler. .de1conjecturer
de que cet enfant prodigue, après
Dès lors la France fut, à l'égard dés puis- avoir
av dissipé dans la débauche son antique et
sances étrangères, comme un homme con- br
brillàn t pairi moirie, tomberai t dansles derniè-
damné à une peine afflictivè, et qui, sous la re extrémités du malheur et de 1 opprobre,
res
main de la justice, n'a plus rien à craindre mais
m que, rentré en lui-même, il jetterait
de la vengeance ou comme ces célèbres enfin
en les yeux sur l'abjection de son état, et
coupables dont l'antiquité fabuleuse nous a voudrait remonter au rang dont il était
va
transcrit le crime* et les châtiments, et que déchu.,

les païens regardaient avec une religieuse La révolution française a passé, et de bien
terreur, tels que des victimes dévouées aux loin, toutes les craintes et toutes les. espé-
loi
dieux, diis sacer. Aussi la France ne triom- rances.
ra Assembl-agé inouï dé faiblesse et de
pha pas au commencementdes puissances force,
foi d'opprobre et de grandeur, dé délire
coalisées contre elle, par la supériorité de et dé raison, de crimes et même de vertus,
sa tactique,l'habileté de ses généraux ou la la tête dans les cieux et les pieds dans les
sagesse de ses conseils; mais elle répandit enfers, elle a atteint les deux points extrê-
en
en Europe la terreur qui a toujours précédé mes de la ligne qu'il a été donné à l'homme de
m<
ses armées,, par l'indiscipline même si re- parcourir,
pa et elle a offert à l'Europe, dans
doutable de ses soldats, la fougueuse témé- toi les genres, des scandales ou des mo-

.
tous
rité de ses généraux, le délire surnaturel de dé qui ne seront jamais surpassés.
dèles
ses administrateurs. Comme la France n'a- Aujourd'hui que la France cherche à ren-
vait reçu la force que pour sa conservation, trc dans le sentier étroit de la sagesse, et
trer
elle fit toujours la guerre près de ses fron- qu'après
qu avoir dicté des lois à l'Europe, elle
tières, non avec plus de gloire, mais avec veut s'en donner à elle-même, le moment
ve
plus de fruit que la guerre au loin, et elle est venu d'offrir à sa raison incertaine ces
esl
est la seule de tous les Etats populaires, an- principes qui jadis firent sa force, et hors
pri
ciens et modernes, qui ait fait avec un désa- desquels
de: elle chercherait en vain Je bon-
vantage constantia guerre maritime toujours heur. C'est la tâche que j'ai entreprise. An-
he
offensive de la part d'une puissance conti- ciee habitant de cette contrée dévastée, j'in-
cien
nentale différence totale entre la républi- dique à ceux qui sont nés après les jours
dic
que française et la république romaine, de désolation les .antiques limités de notre
qu'on veut toujours comparer ensemble. Car commun
coi héritage,
les Romains faisaient la guerre. au loin ]Déjà des codes de lois civiles et criminel-

beaucoup plus heureusement qu'à leurs les médités par dès hommes versés dans
les,
portés, et, quoique sans expérience de la l'étude
l'él dé la jurisprudence, ont été ou se-
marine, ils triomphèrent de la puissance roi bientôt l'objet d'une discussion solen-
ront
navale de Cartilage comme des armées de nelle devant nos nombreux législateurs
ne]
Pyrrhus, de Persée et de Mithridate. L'intention de ceux qui gouvernent, de s'en-
L'i
Cependant ceux qui avaient fàit des lois tourer
tôt de toutes les observations, et de ne
de la société et des leçons de l'histoire l'ob- repousser
rel aucunes lumières permet à tous
jet de leurs méditations, jugeaient l'impor- les citoyens, impose même à quelques-uns
tance de la cause par la gravité des effets et le devoir d'offrir à leur patrie le tribut de
calculaient la durée de la maladie sur la leurs connaissances, au hasard qu'il n'eu soit
lei
violence des accès ils cherchaient estimer pai favorablement accueilli.
pas
jusqu'à quel point un siècle entier d'erreur L'auteur de ces principes de législation a
dans les leçons et de licence dans les exem- déjà fait entendre sa réclamation sur la plus
dé;
pies, depuis la régence jusqu'à nos jours, à fondamentale
for de toutes les questions civiles,
ne pas remonter plus haut, avait affaibli la sùi la question du divorce et de l'indissolu-
sur
croyance des vérités fondamentales de l'or- bii du lien conjugale sa. voix, favorable-
bilité
dre social et accru la fougue des passions uit écoutée du public, partie dans ce grand
ment
et ce que dix siècles d'instruction et de dis- procès,
pn n'a pas encore pu fléchir l'opinion
cipline, dépuis Chârlemagne jusqu'à Bos- des juges et, jusqu'à présent, des motifs du
dei
suet, pouvaientavoir mis de force dans la rai- moment
m( l'ont emporté. sur.des raisons d'é-
son et de solidité dans les vertus. Dès lors ternelle
ter vérité. Cependant tous seront-ils
ils purent tout craindre des Français, et ils malheureux,
ms parce que quelques-uns sont
durent tout en espérer et il fut raisonnable corrompus
coi tous seront-ils dépravés parce
que quelques-uns ont été coupables? et la reht, de maximes indéterminées (2) placées
France, riche autrefois de tant de lois de en têle de la constitution, comme dans Vir-
raison et de vertu, recevra-t-elle, au quinziè- gile les ombres vaines et les songes légers à
me siècle de son âge, une loi faible et fausse l'entrée des enfers propositions vagues, où
qu'elle a rejetée dans son enfance? la logique des passions trouve seule un sens
11 est vrai que, dans la discussion sur Je dair et précis, et que les gens simples pri-
mode de divorcer, la raison s'est vengée du rent pour les principes de la science, uni»
mépris que les novateurs avaient fait d'elle quement parce qu'elles étaient le commen-
dans la déclaration du principe. On voit dans cement du livre préambule digne de cette
les discussions sur le divorce qui ont eu lieu capitulation entre les opinions, de cette
aux diverses époques, les opinants, pénible- composition entre toutes les passions et tous
ment occupés à régler le désordre, chercher les intérêts, qu'on décora du nom de consti-
une route entre deux écueils d'un côté, tution de 89 et dont les auteurs en finis-
craindre que le divorce soit trop facile, si sant, recommandèrent le maintien aux pères,
l'on divorce sans motifs jugés; de l'autre, aux mères,; aux instituteurs, aux sujets enfin,
craindre qu'il soit trop public, si l'on divorce parce qu'ils sentaient trop bien qu'ils avaientt
avec des motifs jugés; e't comme dit l'Evangile, ôté au pouvoir public tous les moyens de la
rejetant le moucheron lorsqu'ils avalent le çha- maintenir.
meau(Matfh. 5.xm, 24), se décider pour une lé- A peiné ces oracles à double sens, comme
gislation hypocrite qui redoute le scandale, ceux des sibylles, et comme eux proférés au
et non pas le désordre, comme si dans la so- milieu des convulsions et des frayeurs, eu-
ciété il pouvait y avoir un plus grand scan- rent été entendus, que la France entière se
dale que celui du désordre permis par la réveilla comme d'un long sommeil éblouie
loi. par le jour nouveau qui luisait sur elle. Ge
Quoi qu'il en soit, ce n'est'plus sur un fut à cette lueur trompeuse que tous exami-
article isolé du code civil, mais sur le code nèrent leur position dans la société, et que
civil lui-même et tout entier, que l'auteur chacun fut mécontent de soi ou des autres.
de cet essai vient proposer quelques ré- L'homme en place fut honteux d'avoir usur-
flexions, non assurément pour en nier l'uti- pé l'autorité, et l'inférieur d'avoir prostitué
lité, ou même en contester la sagesse, mais son obéissance. La richesse parut un tort,
pour en faire sentir l'insuffisance, et établir même au propriétaire la pauvreté une in-
la nécessité de faire précéder le code des fa- justice, même à l'homme oisif ou dissipa-
cultés par te code des devoirs, et les règle- teur. Il n'y eut pas jusqu'à la médiocrité qui
ments variables d'une discipline humaine, ne méconnût son bonheur, et les deux par-
par les lois immuables de l'éternelle raison. .ties de la société, et de toute société, les
Je dois, pour expliquer toute ma pensée, forts et les faibles, ou plutôt les aînés et les
jeter un coup d'oeil général sur notre légis- plus jeunes, qui avaient marché jusque-là
lation depuis 1789. entre la religion et le gouvernement, sur la
La législation que la France reçut à cette ligne commune où les plaçaient des services
époque mémorable commença par là Décla- réciproques (car les premiers servaient, et
ration solennelle des droits de 'l'homme (1)). étaient même faits pour servir), se séparè-
et du citoyen. C'est une série, non de maxi- rent avec éclat, firent front l'un à l'autre
mes générales], mais, ce qui est bien diffé- comme deux armées en présence, et com-

(i ) Droit, an singulier, veut dire règle, ûè-di- elle a été funeste.


rigere, direcium. Droit civil ou règle du citoyen sont ( 2 ) Il n'y a pas d'effet sans cause, est une maxime
la même chose; mais droits, au pluriel, a pris une absolue, et d'une vérité nécessaire à jamais. Honore
tout autre acception. Ce mot, employé pour ex- ton père et ta mère est une maxime générale, parce
primer indistinctement tous les rapports, et même que pèrëjsignifie le pouvoir en général, et qu'honore
les plus opposés, n'cu désigne aucun avec précision. exprime tout ce qui lui est dû. Fais Vaumôneà à
insi l'on dit également les droits du père et les Paul est une maxime particulière, parcequ'elle par-
droits du fils, les droits dn mari et les droits de la licularise Y honinte; elle est d'une vérité locale et
femme, les droits du maître et les droits du servi- conditionnelle. La maxime, les hommes naisserit et
teur, les droits de l'homme et les droits de Dieu. demeurent libres et égaux en dra(s,;n'est:rien de tout
Quelquefois il désigne la propriété, et c'est dans ce cela c'est du vague et de l'indéterminé, que le vo-
sens qu'on dit J'ai des droits sur cette terre, sur luptueux explique de la liberté des jouissances,
cet héritage. Cette expression à plusieurs sens est l'ambitieux de la supériorité de domination, l'avare
commode dans la conversation familière comme de l'acquisition des richesses. On a accusé de méta-
ces meubles à plusieurs usages quand on voyage physique les auteurs de cette Déclaration. Si c'est là
sr.ais'en politique elle n'exprime rien de juste, et un reproche, il n'y en eut jamais de mcius mérité.
tlH *EUVH ES COMPLETES DE M. DE BONALD. M 12
mencèrent
mencerent cette lutte insensée, impie, où le ddroits de l'homme et
droits et du citoyen n'était,
n'était.
succès ne pouvait être qu'une calamité et comme
r< tout ce que les hommes appellent
qui n'a pas fait un seul homme heureux, erreur,
ei qu'une vérité incomplète, et elle avait
même du malheur de tous les autres. si raison dans une grande pensée.
sa
La victoire ne fut pas longtemps indécise. Dans l'ordre des Vérités morales, le géné-
Le pouvoir avait douté, il fut vaincu. Les ri ou le simple (1) renferme le particu-
ral
vainqueurs, à leur tour, se divisèrent. Le lier et le composé, comme dans l'ordre phy-
Ii
nouvel ordre de choses avait ses premiers sique le germe contient le corps organisé
si
et ses seconds comme l'ancien, comme tout qui doit en sortir.
qi
ordre quelconque car l'ordre entre les hom- Le développementtout entier d'une partie
mes n'est autre chose que l'art de faire pas- des connaissances humaines, qu'on appelle
d<
ser les uns avant les autres, afin que tous art
m ou science, commence par un petit nom-
puissent arriver à temps. Les plus diligents bi de principes ou d'axiomes où sont im-
bre
ou les plus heureux, comblés d'honneurs et plicitement comprises, et d'où sortent l'une
p]
de biens, ne manquaient pas de proclamer d< l'autre, et chacune à son rang, toutes les
de
à haute voix pour ja conservation de leurs conséquences, jusqu'aux plus éloignées,
Cc
avantages, ou même d'écrire jusque sur les comme
cc les plus petites feuilles du dernier
murs l'article dernier des droits de l'homme rameau de la plus haute branche de l'arbre
ra
a La propriété est un droit inviolable et sa- sortent
so de proche en proche de la graine qui
cré; mais les derniers venus à la distri- le produit. C'est ce qui fait sans doute qu'on
bution leur répondaient par l'article pre- dit une branche des connaissances humaines,
di
mier « Les hommes naissent et demeurent et que l'on représente quelquefois sous la
libres et égaux en droits. » Si la propriété forme
fo d'un arbre généalogique, un système
était un droit selon le dernier article, l'éga- entierde
er connaissances,ou même un système
lité de droit, consacrée dans le premier, em- dE générationshumaines, nées les unes des'au-
de
portait l'égalité de propriété. Ce n'est pas tr et que l'on appelle une famille. C'é-
tres,
qu'on ne pût répondre avec des distinctions; tait donc raisonner conséquemment que de
ta
mais les passions raisonnent à moins de penser que la première de toutes les sciences,

frais, et emploient d'autres arguments. La la science de la législation, avait comme une
révolution eut ses promotions, elle eut aussi autre,
at et plus qu'une autre, ses principes
ses disgrâces, et la tribune aux haran- qt précèdent, ses conséquences qui suivent,
qui
gués fut souvent le marchepiedde l'échafaud. ett sa partie générale ou simple, d'où doit
Cependant l'affreux commentaire que les sortir
so la partie composée et particulière et
passions firent bientôt de la Déclaration des qi ces axiomesdoivent renfermer le sens le
que
droits de l'homme ne tarda pas à en décrier pi usétendu, mais en même tempsle mieux dé-
pl
le texte, et si cette Déclaration fut compro- terminé, sous l'expression la plus abrégée et
te
mise pour avoir été placée à la tête de la la plus précise, comme la graine contient un
constitution de 1789, mise pour préliminaire arbre entier sous le plus petit volume.
ar
à la constitution de 1793, elle fut à jamais Ceux qui raisonnent ainsi formellement,
déshonorée. or par quelque sentiment confus de la vé-
ou
Enfin, après de longues et sanglantes er- rité,
ri avaient sous les yeux le texte du code
reurs, fallait parler à l'hom-
on comprit qu'il le plus ancien qui nous soit connu, et que
me un peu moins de ses droits, un peu plus nous présente le livre qui le contient, et
n<
de ses devoirs. Les droits de l'homme tombè- mieux
m encore le peuple qui l'a reçu, « ce
rent en désuétude, et furent abandonnés aux peuple,
p< » dit J.-J. Rousseau, « que cinq mille
démagogues de province; ce ne fut que de ar n'ont pu détruire, ni même altérer, et
ans
loin en loin, et à la veille des crises révolu- qi est à l'épreuve du temps, de la fortune
qui
tionnaires, qu'on entendit retentir dans l'a- et des conquérants.» A la têtede la législation
rêne législative ces mots effrayants, les droits mosaïque, [incontestablement la plus forte
m
de l'homme, signal de désolation et de mort, d< toutes les législations
de puisqu'elle a pro-
tels que ces coups de canon qui partent à duit le plus stable de tous les peuples, ils
di
longs intervalles d'un vaisseau en perdi- lisaient une exposition solennelle' de ma-
li
tion. ximes
xi simples claires et en petit nombre
Cependant l'invention de la Déclaration des lélégislation primitive, déclaration de prin-
( 1 ) Le général ou le plus simple est irès-dif- et J.-J. Rousseau les ont confondus c'est là leur
St-rcai du collectif, qui est le plus composé. CondillaC grande
gi erreur en idéologie et en politique.
iî!3 PART. I. ECONOM SOC. – DISC. PHEL1M.
GISLATIION PRIMIT.
LEGISLATION HU
11U
cipes de toute législation, qui précède tous is venue ait été préparée, et comme annoncée
_1_- et particulièrement le Lévitique,
les codes, te, par toutle cortége des vérités antécédentes et
code civil, c'est-à-dire particulier et local al intermediaires entre cette vérité nouvelle et
des Juifs, qui contient leurs lois rituelles, s, les vérités anciennes dont les hommes sont
cérémonielles et de police. déjà en possession. Cette vérité ainsi isolée»
Les auteurs de la Déclaration des droits de qui vient au milieu des siens (Joan. 11),
i
l'homme et du citoyen retrouvaient ce même le c'est-à-dire milieu des hommes qui sont
au
Décalogue mis en rimes, et, pour ainsi dire, e, faits pour elle, et qu'ils ne reçoivent pas, par-
en proverbes, dans toutes les langues de ie -ce qu'ils la voient sans la connaître, est
l'Europe civilisée sous le nom de comman- n- comme ces hommes sans aveu qui se pré-
dements de Dieu; mais quelque éclairés és sentent dans ïa société, et que tout le monde
qu'ils fussent d'ailleurs, il parait qu'ils n'é-
i- suspecte par cela seul qu'ils ne peuvent se
taient pas assez persuadés que ces dix axio- o- réclamer de qui que ce soit, et qu'ils- n'ont
mes de législation sont le germe unique de le de liaisons avec aucune personne connue.
tout ce qu'il y a jamais eu de législation an m Mais cette connaissance préparatoire ne peut
monde et de civilisation en Europe, et ils ne )e être nécessaire que pour les vérités subsé-
se doutaient pas que le christianisme met et quentes qui naissentde quelque autre vérité,
plus de vérités distinctes dans l'esprit de le et non pour les vérités primordiales ou abso-
l'enfant qui sait et comprend ces dix pré- é- lues, qui, formant le premier anneau de la
ccptes que toute la secte académique ne îe chaîne, et ne découlantd'aucune autre vérité,
mettait de doutes dans la tête de ses philo- )- sont elles-mêmes la source d'où découlent
sophes. Enfin ils voyaient la législation par- r- les autres vérités, et ne peuvent être corisi-
ticulière et de discipline du christianisme, e, dérées comme la raison divine, en tant
et en quelque sorte le code civil de la sociétété qu'elle éclaire immédiatement la raison hu-
chrétienne, réduite aussi à un petit nombre •e maine. D'autres s'imaginèrent qu'il! n'existe
de lois rimées, sous le nom de commande- e- aucun ordre, aucun principe, pas plus pour
ments de l'Eglise, et ils conçurent la pensée se la société que pour l'homme que l'homme
de publier à peu près sous cette forme les js marche en aveugle au gré de ses passions,
maximes de la législation civile, et'd'en faire'e et le monde au hasard par l'arbitraire de sa
fin quelque sorte les commandements de l'Etat U force, parce' qu'eux-mêmes, vils esclaves de
(t) idée vaste et profonde, mais dont l'exé- §- leurs passions et des passions des autres, ne
cution fut confiée l'ignorance présomp- 1- connaissaient d'autres principes que l'ambi-
tueuse, à qui, sous le nom de philosophie, il tion, la volupté, l'intérêt ou la crainte; d'au-
avait été donné de tromper les peuples, après js tres enfin pensèrentfqu'ily avait des princi-
s'être trompée elle-même, et de prévaloir ir pes de législationqui n'étaient pas ceuxde la
contre toute autorité, sans pouvoir affermir ir Déclaration des droits de l'homme, mais qu'il
la sienne. fallaitrenoncer mêrne à les chercher, puisque
Cependant les désordres qui étaient résul- 1- d'aussi grands philosophes ne les avaient pas
tés dans les opinions, et par une conséquence ie trouvés et ils se persuadèrent peut-être que
nécessaire dans les actions, de la Déclaration n le père des humains, dont ils ne niaient pas
des droits de l'homme, éloignèrent toute idéee d'ailleurs l'existence], avait mis les hommes;
d'une déclaration semblable des différentes !S sur la terre pour penser et pour agir, sans
législations, par lesquelles on sortit insen- i- placer dans la société ni une lumière pour
siblement de la législation révolutionnaire.i. leurs pensées, ni une règle pour leurs ac-
Les uns crurent avec une étonnante simpli- tions.
cité, et peut-être croient encore que la Dé- Quoi qu'il en soit ces différents motifs,.
claration desdroits de l'homme renfermait less agissant simultanément sur divers esprits,
vrais principes de toute législation, maiss ont con'ribué à faire disparaître dés codes.
qu'il fallait les cacher soigneusement auxx constitutionnels et civils toute déclaration*
hommes qui n'étaient pas capables de less préliminaire de principe de législation, et
recevoir. Ils ne savaient pas qu'une véritéé dans un temps où l'on a révélé au peuple
n'est dangereuse, ou même funeste (car unee qu'il n'y a point de Dieu, on lui a donné une
vérité n'est jamais indifférente), que lors- législation où il ne peut apercevoir que
qu'elle apparaît aux hommes sans que saa
"1' l'homme.
( i) Je crois même que la Déclaration des droits de, l'homme a été mise en rimes.
11est vrai que le code civil, discuté au unique
ui de toute législation, cette raison na-
conseil d'Etat avant de l'être au Corps légis- turelle
tu qui nous prescrit à nous de recueil-
latif, commence par cette maxime lit l'enfance, même abandonnée, et qui per-
lir
ART. ter Il existe un droit universel et
«
mettait
m aux Romains, à ces Romains si rai-
immuable, source de toutes les lois positives, sonnables,
se d'exposer h leur naissance même
II n'est que la raison naturelle, en tant qu'elle leurs propres enfants qui nous défend de
le
gouverne tous les hommes. » laisser périr sans le défendre un homme
la
Mais cette proposition abstraite et indéter- exposé
e: aux coups d'un assassin, et qui per-
minée, il existe un droit ou urie règle, don- mettait
m aux Romains d'élever, de former des
née comme fondement de toute la législa- hommes
b< à s'entretuer sur l'arène pour l'a-
tion à un peuple à qui l'on apprend depuis musement
m des citoyens qui nous prescrit
cinquante ans qu'il n'existe point de régula- d< veiller sur les mœurs de nos enfants, ei
de
teur, ne peut lui présenter aucun sens, ou qi permettait aux Grecs, à ces Grecs si po-
qui
ne lui présente qu'un sens incomplet. Lors- li et si ingénieux, de prostituer leurs filles
lis
qu'on commence par dire aux hommes qu'il dans
dl les temples en un mot, qui ne nous
existe une règle, source de toutes les règles permet
pi à nous que des plaisirs légitimes, et
qu'on impose à leurs passions, ils doivent, q permettait à ces peuples si vantés des
qui
quand ils sont éclainés, demander où est cette amours
ai abominables?
règle, d'où elle vient, et qu'on lajeiir mon- Mais sans vouloir ici justifier en détail les
tre, pour comparer les' règles que le légiste- principes.de
P la législation dont je présente
teur humain leur donne, àla règle donnée au une esquisse, je prie le lecteur de réfléchir
ui
législateur lui-même; voir si elles sont con- à cet axiome par lequel elle commence, et
formes, et s'il Y a pour lui une raison suffi- qu'on
q' peut regarder comme le fondement de
sante de prescrire, et pour eux une raison l'ordre social: « La souveraineté est en Dieu.
l'<
suffisante d'obéir. Après une révolution de L pouvoir est de Dieu. » II trouvera à la
Le
législateurs et de lois, où l'on a vu paraître fois
f( dans cette proposition le principe de la
et disparaître tant de lois très-positives, qu'il souveraineté,
si la source du pouvoir, l'origine
est assurément difficile d'attribuer au droit des
d lois. Elle donne à l'homme une haute
immuable universel, n'est-on pas fondé à con- idée
i< de sa dignité, en lui rappelant qu'il est
dure qu'il existe un droit contradictoire, par sa nature indépendant de l'homme et
P
variable et local, et par conséquent qu'il ssujet de Dieu seul; elle donne au pouvoir
n'en existe aucun? Mais si ce droit immua- uune idée sévère de ses devoirs, en lui
ble est la raison naturelle, et si cette raison apprenant
a qu'il tient son autorité de Dieu
n'est naturelle qu'autant ou en tant qu'elle même,
n et qu'il lui doit compte de l'usage
gouverne tous les hommes (car ici il y a qu'il
q en fait; elle lui dit que, s'il néglige de
équivoque dans l'expression, parce qu'il y a légitimer
l< sa puissance, en l'employant à
obscurité dans l'idée), les hommes qui ne faire
£ régner les lois naturelles ou divines
peuvent entendre par ces mots, raison natu- des
d sociétés, il cesse d'être le ministre de la
relle, que leur propre raison ne sont-ils pas l
bonté de Dieu sur les hommes, et il n'est
en droit de conclure qu'il n'existe point
plus
F que l'instrument de sa justice.
dans ce sens de raison naturelle (1) puis- Cette proposition « La loi est la volonté
de Dieu et la règle des hommes, pour le
que certainement elle ne gouverne pas tous
d

les hommes, et par conséquent point de droit maintien


r de la société, » accompagnée de la
immuable et universel ? Et comment peut-on déclaration
c textuelle des lois fondamentales
donner aux hommes, comme fondement de
c toute législation subséquente et locale,

(1) Dans un ouvrage de législation d'un juris- dit-il,


d dans quel cercle on se jette. Je dois tenir
rma promesse. Pourquoi ? Parce que ma
conscience
consulte anglais, M. Bentham, rédigé et publié par obéir à votre
M. Dumont, citoyen de Genève, l'auteur rejette le r le prescrit. Pourquoi devez-vous
me
principe de la règle immuable et éternelle de droit conscience?
c
Parce que Dieu est l'auteur de ma na-
le premier de tous les .pulilicistes depuis Hobbes, il ture,
t et qu'obéir à ma conscience, c'est obéir à
s'élève contre la multitude des professeurs, des ju- I
Dieu. Pourquoi devez-vous obéir à Dieu? Parce que
ristes, des magistrats, des philosophes, qui font re- c'est
c mon premier devoir. Comment le savez-vous?
tentir à vos oreilles la loi de lanature droit na- Parce
I que ma conscience me- le prescrit, etc. Voilà,
turel, équité naturelle, droits de l'homme et il va dit-il,
c le cercle éternel d'où l'on ne sort jamais. » On
chercher la raison de toutes les lois dans les sen- een sort cependant, ou
l'on peut en sortir, en s'ap-
salions de plaisir et de peine. Ce n'est pas ici le puyant
1 sur une révélation positive, et en en démon-
lieu de discuter ce système: mais l'auteur prouve la trant
t la nécessité physique et morale et c'est l'objet
nécessité d'un fondement plus solide que ceux sur i cet essai.
de
lesquels on a bâti l'édifice de la société. « Voyez, >
porte sur des êtres connus Dieu, l'homme, cesse si l'image s'efface, » c'est-à-dire si le
la société; non-seulement connus, mais, pouvoir n'agit pas conformémentà la raison
même sensibles Dieu, dans les lois géné- divine. « Et c'est ce que dit, parlant de Dieu,
rales et primitives, qui sont, dit Ch. Bonnet, le prophète Osée (vm, h) Ils ont régné,
l'expression même physique de sa volonté; mais je ne les ai pas envoyés ils ont établi
l'homme et la société, directement et en desprinces, et je ne les ai pas connus ,(l). »
eux-mêmes. Elle présente également trois Quoi qu'il en soit de cette maxime abs-
idées distinctes volonté, règle et conserva.- traite, et même suspecte de naturalisme,
tion. Ces êtres et ces idées se rapportent un placée en tête du code civil, et qui peut en
à un avec une parfaite justesse volonté à être regardée contre le texte, si je passe au
Dieu, règle à l'homme, conservation à la commentaire qui la suit, et que j'ouvre au
société, qui est le rapport de Dieu et de hasard le code pour y chercher ces lois, qui,
l'homme, et la dépositaire de toutes les selon l'article 1", ont leur source dans le
volontés de Dieu et de toutes les règles droit immuable et naturel, qui n'est lui-même
nécessaires à l'homme. Ces définitions par que la raison naturelle; ces lois, est-il ditt
conséquent, parlent au cœur et à l'esprit, en article 7, « qui ne statuent point sur des faits
donnant au cœur des êtres à aimer, à l'esprit individuels, et qui sont présumées disposer.
des idées qui l'éclairent; elles montrent à la non sur des cas rares et singuliers, mais sur
fois le principe, l'objet et la hn des lois, par ce qui se passe dans Je cours ordinaire des
qui, pour qui et pourquoi elles sont faites; choses, » j'y trouve, époux mécontent et
elles disent au plus grand, nombre des hom- volage, et même dans le plus grand détail,
mes tout ce qu'ils peuvent apprendre et tout comment je dois m'y prendre pour me sépa-
ce qu'ils doivent savoir sur les lois car il rer de ma femme et épouser celle de mon
n'y en a aucun qui ne comprenne parfaite- ami; enfant irrespectueux ou dénaturé, que
ment qu'une loi qui dérègle l'honime et je peux disposer de moi sans le consente-
trouble la société ne saurait être la volonté ment de ceux qui m'ont donné le jour, et
de Dieu. Si l'on juge important à l'éducation former contre leur gré des liens indissolu-
de l'enfant de lui donner des idées justes bles, et même que je ne dois à mes parents
sur les différents objets de ses études, croit- des aliments qu'à proportion de leurs be-
on qu'il soit indifférent à la raison du peu- soins. Voisin inquiet et usurpateur, je
ple de lui donner des idées justes sur ces trouve dans Je code, comment
on commence
grands objets qui forment sa première et des procès et comment on Jes prolonge,
même sa seule éducation morale? Et quelle comment on
se défend de ses semblables et
différence, par exemple, entre les sentiments comment on les attaque, dans combien
et de
de dépendance noble et fière qu'inspire aux temps on prescrit contre celui qu'on
hommes la pensée qu'ils n'ont de souverain pouillé. Mais si j'y cherche les a dé-
chefs
rapports des
que Dieu, et que leurs ne sont que ses hommes avec l'Auteur de l'ordre général de
ministres, et cet assujettissement à l'homme, l'univers, d'où suivent leurs rapports entre
séditieux à la fois et servile, qui résulte de eux dans l'ordre particulier de la société
l'opinion que la souveraineté réside en eux- domestique et de la société publique; si je
mêmes, et.qu'ils peuvent en disposer à leur cherche les rapports des hommes entre
eux
volonté 1 dans Ja famille, des familles entre elles dans
C'est cette doctrine vraiment divine que le l'Etat, des Etats entre eux dans le monde,
célèbre Bacon développe, lorsqu'il dit que en un mot les rapports et les lois des êtres
« le pouvoir que l'homme exerce n'est fondé intelligents, connaissance qu'une société peu
que sur ce qu'il, est fait à l'image de Dieu. avancée peut recevoir, et qu'il est nécessaire
Faisons l'homme à notre image, dit Dieu de rendre ou de donner à une société déré-
dans la Genèse, et qu'il commande. (Gen. l, glée, je ne trouve rien, absolument rien,
sur
26.) C'est là le titre et la charte primordiale ces grands objets. Je me rappelle,
au con-
lie la donation de tout pouvoir, et le pouvoir traire, avoir lu dans la Déclaration des droits

(1 ) Non fundaturdominiumnisï in imagine Dêi.i. Si l'images'efface, le pouvoir cesse, est une propo-
Faciamus hominem ad imaginem noslrâm, el do- sition vraie dans ce sens que le pouvoir ne do^tpas
rninelur. Verissimum et plane divinum aptaorismum être obéi, quand il commande des choses mani-
hic habemus charlam donationisomnisdomïiiit. Ima- festement contraires aux lois divines; mais on sait
ginem si deleas, jus una cessai. Unde Osea propheta l'extension erronée que Wicief a donnée à cette
Jpsi regnaverunti, et non ex me; principes maxime, qu'il a entendue dans un sens absolu.
consn-
liierunt, et non cognôvi. (De bello sacro.)
1 1&
de l'homme cette maxime sous-entendue dans législation civile, il faut leur incu.quer les
tous les codes qu'on nous a donnés depuis principes éternels, naturels, nécessaires, de
« Tout ce qui n'est pas défendu par la
loi toute législation sociale; il faut leur tracer
ne peut être empêché, et nul ne peut être lés règles de ce qu'ils se doivent les uns aux
contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. » autres, avant de leur donner la mesure de ce
Maxime d'esclaves, qui soustrait l'homme qu'ils peuvent les uns contre les autres.
aux liens de sa conscience pour le jeter dans Et qu'on ne dise pas que les anciennes
les chaînes des lois pénales; qui dispense ordonnances civiles n'étaient, en France, et
l'homme des vertus héroïques, ou oblige le ne sont encore, chez les autres peuples, que
législateur à régler jusqu'aux actions indivi- desordonnancesde formes, et ne prescrivent
duelles. Ainsi j'apprends dans ce code que rien de plus que les nouvelles sur lès rap-
je peux briser les nœuds les plus sacrés, me ports des hommes entre eux et sur leurs de-
soustraire aux devoirs les plus respectables, voirs dans la société; car il y a une extrême
me permettre envers mes semblables les différence dans les temps et dans les hom-
procédés les plus fâcheux, sans avoir appris mes. La législation civile reposait autrefois
de la même loi que je dois respecter ces tout entière sur le fondement inébranlable
nœuds, pratiquer ces devoirs, aimer et ser- (on le croyait du moins) des lois morales, de
vir mes semblables. Que dis-je? lorsque j'ai la loi naturelle, de la !oi divine, car ces ex-
appris dans les écrits les plus artificieux et pressions sont synonymes; et le Décalogue
par les exemples les plus accrédités que je se trouvait à la première page de tous. les
ne dois aimer ni servir que moi-même, ou codes civils et criminels des peuples chré-
ne servir les autres que par rapport à moi tiens, comme il formait la première instruc-
et sans aucun motif pris hors de moi et tion de tous les hommes.
supérieur à moi, à mes motifs comme à ma L'empereur Justinien dont les lois se
raison, pour me former aux bonnes actions, ressentent encore des erreurs du paganisme
le législateur me place entre deux codes, (1 ) définit cependant la jurisprudence la
le code civil et le code criminel, dont l'uni connaissance des choses divines et humaines;
m'apprend ce qu'il faut que je fasse pourr et son code commence, au nom de la sainte
n'être pas trompé, et l'autre, ce qu'il fautt Trinité et de la foi chrétienne, par la décla-
que j'évite pour n'être pas puni. ration la plus solennelle et la plus expresse
Le code civil est donc un code de facultés, de la souveraineté de la religion, de la pri-
souvent tristes et fâcheuses, et non un code« mauté de l'Eglise romaine, et par une invi-
de devoirs sacrés et indispensables. Il peutt tation à tous ses sujets d'embrasser la doc-
former des juges, des avocats et des plai- trine du christianisme et de prendre le nom
deurs, servir aux époux mécontents, aux de Chrétiens, cunctos populos, etc. Pour aller
fils rebelles, aux voisins inquiets; mais il nei du premier législateur politique de l'ère
saurait faire des hommes vertueux et dess chrétienne à nos jurisconsultes modernes,
citoyens estimables. Il donne les règles dut le célèbre Domat, qui est à nos philosophes
combat entre les hommes et non less récents les plus vantés ce que la raison est à
moyens de la paix; et le législateur quii l'esprit, dans l'introduction de son immortel
le ',promulgue comme l'unique règle de ouvrage sur les lois civiles, s'énonce ainsi
l'homme, et sans parler d'aucune autre, res- « La religion
chrétienne nous découvre
semble à un médecin qui, consulté sur les quels sont les premiers principes que Dieu
régime propre à conserver la santé, au lieui a établis pour le fondement de l'ordre de la
de donner les grands préceptes de la tempé- société des hommes, et qui sont les sources
rance, de la sobriété, du travail, prescriraitt de toutes les règles de la justice et de l'é-
des remèdes propres à arrêter la fièvre ou àk quité. » Et plus loin « Ainsi, la première
apaiser les douleurs. loi de l'homme, qui lui commande l'amour
Ces lois, ou plutôt ces ordonnances, sontt et la recherche du souverain bien (de Dieu,
malheureusementnécessaires; mais elles neb comme il l'a dit plus haut), est le fondement
le sont que subsidiairement, et à défautt et le principe de toutes les autres lois. »
d'autres qu'elles supposent. Avant d'appren-i- Je vais plus loin. Les lois civiles qu'on pro-
dre aux hommes les formes arbitraires de laa pose aujourd'hui à tous les citoyens cm'on
( i ) Le droit naturel, dit-il, est celui que taa évidemment la loi physique pour la loi naturelle
nature enseigne à tous les animaux. » (Titre n.).) cette erreur nous vient des païens, et elle s'est per-
dustinien avance !à une erreur grossière, et prer.dd pétuée dans nos-opinions.
discute devant tous les citoyens, sur iesquel- aavec un prophète de nouveaux cieux et une
les on consulte tous lescitoyens devenus tous nouvelle
« terré. (Isa. lxv, 17.) Et c'est lors-
juges les uns des autres, au civil et même que
q tant d'erreurs, de crimes et de folies's
ail- criminel, ces lois n'étaient alors con- oont fait perdre à une nation toute idée de
nues que de ceux qui se dévouaient par de droit;
d de raison, de nature, d'immutabilité
longues études à une pratique de toute la dans
d les principes, d'universalité dans là
vie, et qni regardaient la fonction de juger morale,
n de spiritualité même dans l'homme,
lés autres comme une profession pénible à d'existence
d enfin de toute autre chose que de
laquelle quelques-uns étaient condamnés matière
n et de formes, et que ce bouleverse-
pour l'utilité de tous et non comme une ment
n total a été fait au nom de la loi et par
jouissance que tous fussent appelés à parta- l'l'autorité publique. c'est alors que l'au-
ger. Alors la loi humaine ne rendait ses torité
b publique s'éhonçantdans une loi nou-
oracles que dans les tribunaux mais Ja loi velle,
v pour rendre au peuple quelque recti-
morale ou divine, promulguée et interpré- tude dans les idées, donner un frein à ses
ti
tée par la religion, faisait partout entendre passions,
p une règle ses vertus, un motif à
sa voix sévère, au foyer domestique et ses
s> devoirs, lui apprend qu'il existe un droit
sur les places publiques, dans les cités ett iiimmuable, source de toutes les lois, une raison
dans les campagnes dans les temples j,
même dans les camps. Chacun que'les
et naturelle qui gouverne tous les hommes. Hé-
las! comment croira-t-il à un droit immua-
que fût sa profession, trouvait la sagesse ble,
b source des lois, ce peuple qui a vu passer
assise à sa porte; elle se montrait à l'homme dans
d quelques années, el comme ces-repré-
dans toutessesvoies (Sap. yi, 15, 17), etsi par- sentations
si fugitives dont on amuse l'enfance,
tout elle n'était pas écoutée, nulle part elle cinq
c à six constitutions toutes fondamenta-
n'était contredite. L'édifice social reposait les,
1< e't quarante mille lois toutes d'urgence?
alors sur ses fondements éternels; une Quelle
Q idée se fera-t-il de cette raison natu-
secte insensée n'avait pas fait de la société, relle
r qui gouverne les hommes lui qui a
avec ses vains systèmes de pouvoir qui se été
é gouverné, si longtemps par un délire
combattent, de forces qui se pondèrent, de ppresque surnaturel, source de tant de maux ?
devoirs qui se discutent, un ballon aérosta- O lui donne le Traité des obligations, et il
On
tique balancé dans les airs, porté sur lefe^u, a perdu toute connaissance positive de. ses
poussé par le vent, où les peuples sont ap- ddevoirs; on prescrit avec la dernière exac-
pendus et flottants dans la région des brouil- titude les clauses du contrât de mariage, et
ti
lards et des tempêtes et une horde accou- o lui permet d'attenter à l'indissolubilité
on
rue des confins les plus reculés de l'espèce d lien conjugal; il a besoin enfin du code
du
humaine n'avait pas fait irruption dans le d la morale oublié et foulé aux pieds, et
de
domaine de la justice, de la morale et de la o lui donne le code des hypothèques! Que
on
raison. C'est à nos jours qu'il était réservé ddis-je? on semble craindre qu'il n'ait trop de
de voir la religion de l'athéisme et le règne respect
r1 pour les lois, ce peuple qui, à force
de la terreur, la justice dans des tribunaux d lois et de législateurs, en est venu au
de
révolutionnaires la force publique dans des point
p de voir tout passer, législateurs et
armées révolutionnaires l'administration lois,
le avec une égale indifférence, et qu'une
dans des comités révolutionnaires, l'Etat tout nouveauté
n au théâtre intéresse bien pius
entier sous un gouvernement révolutionnaire, qu'un
q code nouveau. A un peuple qui fait
et jusque dans les.lieux les plus ignorés, des venir
Vi à grands frais des bouffonsdes contrées
institutions publiques pour nier tout ce qui lointaines, il fant plus que jamais une légis-
Ic
est vrai, pour profaner tout ce qui est saint, lation qui vienne du ciel, et l'on s'applau-
le
pour proscrire tout ce qui est juste pour ddit comme d'un succès d'avoir pu enfin sé-
dépouiller jusqu'à l'indigence pour acca- culariser la législation (1), c'est-à-dire
c1
bler jusqu'à la faiblesse; d'autres dieux, séparer
s< les lois civiles des lois religieuses
d'autres hommes, une autre société, d'au- l'ordre particulier de l'ordre général
F.
tres mœurs d'autres lois, d'autres cri- l'homme enfin de la Divinité 1 Les doctrines
]'
mes, enfin d'autres vertus et, pour parler ppopulaires menacent encore l'Europe de leur

(1) Expression employée dans un rapport fait s'est faite et a dû se faire; car la sanction divine

.1"=.,v
s'<
au Corps législatif. Les lois religieuses ne sont pas m pouvait pas être employée à consacrer l'imper-
ne
les lois ecclésiastiques. Ce n'est que depuis qu'il se fection
fe des lois qui n'avaient rien que d'humain.
fait eu Europe des lois fausses que cette séparation -°-- ~-`" 7>li
OEijVees cqhpjl.
ft~t'trn~c. .r1n.nF DE M,
T1.T1' 1\ DE Bunalo.
n.)"-1 AT" I.
1
pernicieuse influence le vent soufflera a communication avec un autre être intelli-
longtemps de la région des tempêtes, et auu gent, sont des lois nécessaires, comme les
lien d'élever des digues insurmontables au-i- lois de la digestion et du sommeil, que l'hom-
tour de ce sol naguère couvert par les eaux, me connaît sans instruction, et qu'il ne
et de' creuser, jusqu'au rocher pour en as-i- peut enfreindre parce qu'il ne peut les
seoir les fondements, nous nous contentons s ignorer ce sont des lois innées; et remar-
d'amonceler du sable sur les bords du fleu- quez que les partisans des lois innées sontt
ve, et tels que de malheureux naufragés, les plus grands adversaires des idées innées,
nous nous construisons à la hâte de frêles s comme si les lois n'étaient pas des idées.
abris, comme si nous n'avions pris terre quee Mais les lois mêmes de notre organisation
pour quelques instants. physique ne sont pas nécessaires absolu-
Mais, dit-on, ces lois fondamentales dee ment, et indépendamment de toute volonté
toute société par lesquelles vous voudriez z de notre part, comme chez les brutes. Il
commencer tout code particulier de lois ci- n'est pas jusqu'à la circulation de notre sang
viles, sont gravées par la nature au fond duu et à la digestion de nos aliments, les plus
cœur de tous les hommes, et c'est les affai- i- involontaires de nos fonctions vitales, qui
blir que de les promulguer. « Ce que Dieuu ne supposent la volonté de manger et même
veut que l'homme fasse, dit J.-J. Rousseauu de respirer. La mort est sans doute uéces-
(1), il ne le lui fait pas dire par un autree saire pour l'homme, mais la vie ne dure
homme, il le lui dit lui-même, et l'écrit auu qu'autant qu'il le veut; et ce n'est pas la
fond de son cœur (2). » Si ce sophiste avait it faculté de vivre et de jouir qui le distingue
dit « Ce que Dieu veut que la brute fasse de la brute, mais le pouvoir de s'abstenir de
il ne le lui fait pas dire, mais il le lui dit lui-
i- tout avec volonté, et même de la vie; car si
même, et l'écrit au fond de sa nature, » je je l'homme sensuel, l'homme physique trouve
le croirais et je lirais dans ces paroles ia ia du plaisir à vivre, et se plaint de la néces-
raison de l'instinct invariable de la brute et ?t sité de mourir, l'homme moral, l'homme
de l'aveugle nécessité do ses mouvements. dont la raison est éclairée gémit de la né-
Mais les hommes 1 les lois gravées au fond d cessité de vivre, et souvent reconnaît le de-
de leur cœur sans qu'il soit besoin qu'onn voir de mourir pouvoir de vie et de mort
les leur fasse lire, eux dont les volontés Ss sur soi-même, jus supremum vilœ et necis,
sont si variées et les actions si diverses, Je le dont l'homme abuse sans doute comme de
vois des pères tendres et des pères dénatu- i- toutes ses facultés, mais qui n'en est pas
rés, des enfants soumis et des enfants rebel-I- moins Je titre primitif à la domination uni-
les, des époux unis et des époux divisés, des es verselle qu'il exerce, même sur ses sembla-
bienfaiteurs de leurs semblables et des as- s- bles, et le caractère essentiel de sa dignité.
sassins de leurs frères; laquelle de ces lois is Si les lois fondamentales, qu'on appelle na-
est gravée au fond de leur coeur? ou les uns is turelles, sont gravées dans le cœur de tous les
ont-ils des lois gravées et non pas les au- i- hommes, pourquoi pas les lois civiles, qui
tres ? Je vois ce même homme vertueux au- i- sont tout aussi naturelles et même tout
jourd'hui jusqu'à l'héroïsme demain vi- i- aussi nécessaires ? car la société humaine ne
îieux jusqu'à la bassesse a-t-il des lois is peut pas plus subsister sans lois civiles
diverses tour à tour gravées au fond de son >n que le genre humain sans lois fondamenta-
cœur? car enfin, des lois gravées au fond du. u. les. L'ordre particulier de la société est aussi
cœur, que l'homme connaît sans aucune te naturel, aussi nécessaire que l'ordre général

(1) Lorsque les Chrétiens défendaient leur ur un principe semblable, avec cette différence que les
croyance par l'autorité, les philosophes leur oppo-o- purs déistes, comme Jean Jacques, pensent qu'il n'a
saient sans cesse la raison aujourd'hui que les es jamais existé de révélation extérieure de Dieu à la
Chrétiens, devenus plus forts, môme par le combat, it, société humaine, et que l'homme trouve toutes les
et plus instruits, non sur leurs devoirs, mais sur ur lois au fond de son coeur, au lieu que Luther admet
les principes de l'ordre, cherchent dans la raison 3n l'existence d'une révélation primitive mais il pense
éclairée par leur croyance, la raison même de leur ni' que l'homme trouve dans sa raison les lumières né-
croyance, les philosophes leur opposent sans cesse se cessaires pour l'expliquer; c'est-à-dire que les uns
l'autorité de quelques écrivains, et ils ciletH J.-J.
J. veulent que l'homme soit sa loi à lui-même, et les
Rousseau, Yoliaire, Helvélius, comme nous citions lis autres veulent que l'homme soit à lui-mêiiie son
l'autorité de la société religieuse; car il faut bien
su magistral. La doctrine de K:uit. née au sein de
prendre garde que saint Augustin, saint Léon, i) l'école luthérienne, ne me paraît pas être autre
Bossuet, l'évangile même, n'ont sur les Ghréliens us chose, autant qu'on peut juger la pensée à travers
que l'autorité qua leur donne l'Eglise. le voile mvstérieux de l'expression,
(2) La doeuine du luthéranisme est fondée sur ur
de l'univers, et les conséquences aussi na- ment de notre existence, en forme de pro-
turelles, aussi nécessaires que les principes. positions distinctes et, actuellement présen-
Laissons donc cette expression lois natu- tes à l'entendement mais elle est connue de
relles ( 1 ) gravées au fond des cœurs, dans chacun naturellement ou, comme s'expri-
ce sens qu'il ne soit besoin d'aucune auto- ment les écrivains sacrés, gravée dans les
rité visible pour nous les faire connaître (2) cœurs des hommes en tant qu'elle peut être
et nous les faire observer, ces lois que l'on découverte par les seules lumières de sa
croit gravées au fond des cœurs parce raison. » 11 n'est pas vrai que l'homme ait
qu'on ne peut se rendre compte du moment pu découvrir la loi naturelle par la seule
où l'instruction des leçons et des exemples lumière de sa raison, puisque les plus beaux
en a développé l'idée, et qu'on croit avoir génies et les philosophes de l'antiquité
toujours sues, parce qu'on ne se rappelle pas païenne, les plus appliqués à la recherche
les avoir jamais apprises. Ces lois expriment des devoirs de l'homme et du pouvoir de la
ce que Dieu veut que l'homme fasse, mais Divinité, n'ont eu sur ces grands objets que
Dieu a voulu que l'être intelligent les reçût des notions très-imparfaites, et qu'elles
d'un autre être semblable à lui, par une n'ont été sûres et distinctes, ces, notions des
transmission orale ou écrite en sorte que lois naturelles, que chez le peuple qni en a
ces lois sont un fonds commun, et comme le conservé le texte écrit dans ses livres sacrés.
patrimoine de la société, que son auteur, A bien le prendre, Pufendorff parle comme
père des hommes, a substitué à ses enfants J.-J. Rousseau, quoiqu'il paraisse combattre
de génération en génération, et que le pou- son opinion; aussi il se corrige lui-même,
voir domestique dans la société domestique, en ajoutant à ce que nous venons de lire
le pouvoir public dans là société publique, « D'ailleurs, les maximes les plus générales
font valoir, et doivent même accroître au et les plus importantes de cette loi sont si
profit de leurs subordonnés. claires et si manifestes, que ceux à qui on
Ainsi, loin de dire avec les déistes « Ce les propose les approuvent aussitôt, et que,
que Dieu veut que l'homme fasse, il ne lui quand on .les a une fois connues, elles ne
fait pas dire, par un autre homme, il le lui sauraient plus être effacées de nos esprits ;»
dit lui-même et l'écrit au fond de son où l'on voit deux choses, l'une, que nous
cœur, » il faut dire avec la raison et l'expé- ne connaissons ces lois qu'autant qu'on
rience « Ce que Dieu veut que l'homme nous les propose l'autre que leur natu-
fasse, il le lui fait dire par un autre homme, ralité, pour ainsi parler, consiste dans leur
et il lui parle ainsi lui-même par le moyen correspondance avec la nature de notre
de la parole qu'il lui fait entendre, ou de raison.
l'écriture qu'il lui fait lire. » Ainsi la parole Ici, l'on me permettra une digression sur
et l'écriture, ou plutôt la pensée exprimée le mot nature et naturel, et sur l'abus "qu'on
par des signes sensibles à l'oreille ou aux en a fait (3).
yeux, sont le moyen unique de communica- Nature vient de naître, natura, de nascî.•
tion entre les intelligences et par consé- un être naît pour une fin, et avec les moyens
quent d'instruction. d'y parvenir; cette fin et ces moyens com-
Ici Pufendorff réfute l'erreur de J.-J. posent sa nature. La nature suppose donc
Rousseau, et tombe lui-même dans une au- l'être créé, et elle est la condition et non la
tre erreur. cause de son existence.
« On dit ordinairement, » dit cet écrivain, Un être qui n'aurait point les moyens de
au traité des Devoirs de l'homme et du ci- parvenir à sa fin serait hors de sa nature, et
toyen, liv. i, ch. 3; « que cette loi (naturelle) un être qui ne se servirait pas de ses moyens
est naturellement connue à tout le monde pour parvenir à sa fin, serait encore hors de sa
ce qui ne doit pas s'entendre comme si elle nature.
était née, pour ainsi dire, avec nous, et im- Ceque nous venons de dire convient à
primée dans nos esprits dès le premier mo- la société comme à l'homme, à l'être social
(1)Je ne doute pas que cette erreur snr les lois natu- truction précédente, nous aurions tous un langage
relles n'ait pris naissance dans l'article 1", déjà cité, uniforme et inné pour les exprimer, et ce qui prouve
des lnsthutes de Justinien Jus nalurale est quod na- que nous ne les connaissons que par transmission,
lura omnia animalia docuit « Le droit naturel est c'est que nous les expliquons chacun dans la langue
celui que la nature enseigne à tous les animaux. que nous avons apprise.
»
<
(2) Si les lois naturelles étaient gravées au fond (5) Voyez OEuvres philosophiques, Dissertation
des cœurs, et que nous les connussions sans ins- sur L'état natif, etc.
J.l"J

comme àV l'être
l*Sl_^ Ju J!î J.«.i puisque
individuel, 1 – iZ r* lalrtsociété
r* n rtrtï A.
Ai société,
Ci,\rt\ Ai ou
si nil'fl l'homme
/Ml que
A
1 l"l f\tV\ YV\ pût
A 11
A t HOît PO et
naître vivre
toi UJUTB

commence, et qu el le a une fin et des moyens sans s< famille, on opposa l'état de pure nature
d'y parvenir. à tout état de société.
L'homme vécut d'abord en société dômes- < C'est là la grande erreur de J.-J. Rousseau,
tique ou de famille; il dut donc arrêter ses et e même de l'Esprit des lois et l'on est
premiers regards sur la nature domestique, affligé ai de voir Montesquieu rêveraussiun état'
puisqu'il n'en connaissait pas d'autre aussi de d pure nature antérieur à la société où
il appela exclusivement société naturelle la la h paix serait la première toi naturelle et,
société de la famille, religion naturelle la re- comme ci Jean-Jacques, attribuer les désordres
ligion de la famille, lois naturelles les lois de d l'homme à la société qui en est le frein et
de l'une et de l'autre société. If remède, etsans laquelle même il n'y aurait
le
La société grandit; elle sorti t de la société, bientôt
b plus d'homme.
domestique, mais sans passer encore à la Cependant l'état naturel de l'homme et de
société publique: je veux dire qu'il n'y eut la k société n'était plus depuis longtemps l'é-
de constitution véritablementparfaite et na- titat domestique. Un état où l'être ne peut pas
turelle que dans la famille, car les Etats an- demeurer d n'est pas sa fin, son état naturel,
ciens, tous despotiques ou démagogiques, eet la société ne pouvait pas plus stationner
n'avaient point de constitution politique, et ddans l'état domestique que l'homme ne peut
Montesquieu en convient. Ainsi la qualité rester ri enfant.
exclusive da naturel resta à la famille, et à Aussi nulle part les familles n'avaient pu
tout ce qui semblait lui appartenir et parce- subsister si sans se donner un gouvernement
que les brutes: sont entre elles, à quelques public, p la religion naturelle seconserversans
égards, en rapports: domestiques, Justinien s'appuyer s; sur la religion révélée, ni la loi na-
lui-même commença ses Institutes par cette turelle ti se maintenir sans des lois subséquen-
définition impie, si elle était autre chose t<tes et positives.
qu'une ignorance grossière « Le droit na- La véritable nature de la société est donc
turel est celui que la nature enseigne à tous l.< le dernier état de société ou la société pu-
les animaux. » blique,
b comme la vraie nature de l'homme
Le droit, naturel, la loi naturelle, la so- et e son état nécessaire est la société en gé-
ciété. naturelle, la religion naturelle, furent néral.
n
donc le droit, la loi, la société, la religion de Ainsi la société publique est la perfection
l'Etat naissant, domestique, familier de d la société domestique, et la société en gé-
de.
l'homme, et ce langage devenu faux, parce néral
n la perfection de l'homme.
qu'il était exclusif, se perpétua dans les éco- Ainsi. comme. dans les premiers temps l'é-
les, dans le discours, et produisit des juge- t. naissant était l'état-naturel ou plutôt l'é-
tat
ments erronés, et par une suite nécessaire, ti natif, dans les derniers temps l'état natu-
tat
des actions perverses. r est l'état fini accompli.
rel
Les philosophes partant de cette idée C'est faute d'avoir fait cette observation,
très-juste, que la nature d'un être est sa qu'on
q a jeté de l'odieux sur les lois et les
perfection, puisqu'elle est l'être fini, accom- institutions
il les plus nécessaires, parce que,
pli, attribuèrent toute perfection à cet état ddisait-on., elles; n'étaient pas naturelles, et
naissant, natif, originel, de l'homme et de la que
q l'on a présenté à la croyance des hom-
société qu'ils appelaient l'état naturel. nmes les opinions les plus absurdes et quel-
Ainsi ils mirent l'état domestique bien au- quefois
q les plus funestes, sous, prétexte
dessus de L'état public de société, et dès lors qu'elles
q étaient nature!les.
le sauvage au-dessus de l'homme civilisé. Ainsi le célibat religieux, a, été attaqué
Les classes inféri.eures de la. société, plus ccomme une institution contraire à la nature,
voisines de l'état domestique, furent plus e une violation manifeste de ses lois les plus
et
estimables que les classes supérieures, et nécessaires,
e et l'on a oublié de distinguer
les enfants furent plus naturels que les hom- eentre la nature de l'homme domestique,
dont
mes faits. la fin est sa production dans un autre soi-
Ainsi il n'y eut rien de parfait en: législa- même,
e et la nature de l'homme public, dont
1. fin est le service des autres,, auquel le cé-
la
tion que la loi naturelle, en religion que la
religion naturelle, en droit que le droit na- libat
1: rend l'homme plus propre, en le déga-
turel,, en société que la société naturelle geant
g de tous les liens personnels, et c'est ce
et même, comme si la famille n'était pas une qui
q fait que le célibat s'introduit (au le fait
.(111V1a aaalaaa. Yar.m.
dans le militaire comme dans le sacerdoce. Il de
est vrai que la profession militaire a été recevoir
r
sav.
c la première éducation, que l'homme doit
la connaissance des lois primitives,
comprise dans l'anathème philosophique, et ffondamentales-de toute morale et de toute
traitée aussi d'institution contraire à la na- société, et non en aucune manière du pou-
ture, comme s'il y avait quelque chose de s
voir public. Mais où en est la société, si,
instruire les enfants, elle compte sur
plus naturel au monde, que de se consa- 1pour

crer corps et biens à la défense de ses frères les


1 parents ? Les parents sont pervertis, et
et au maintien de la société. les
1 législateurs les ont corrompus. Vous
Ainsi, il ne faut employer aujourd'hui; parlez
j de la famille, quand l'homme n'en a
dans la législation, qu'avec une extrême cir- plus,
} et que le lien sacré et indissoluble du
conspection, le mot naturel, lois naturelles mariage
t est devenu la conventiontemporaire,
1 bail à terme de l'intérêt et de la volupté,
le
droit naturel, qui semblent exclure du natu-
rel, c'est-à-dire du raisonnable et du juste, qui
( finit pour le faible à la fantaisie du plus
tout droit positif et toutes lois subséquen- fort.
i L'éducation I est-ce l'éducation que le
tes, tandis qu'il est vrai de dire que les lois pauvre
] peut donner à ses enfants, lui qui,
constitutives et réglementaires de la société devenu
< plus corrompu sans en être plus aisé,
sont toutes des lois naturelles, lorqu'elles ne connaît d'autre dieu que son intérêt, et
]par conséquent d'autre
culte que celui de
sont bonnes. Ainsi la loi qui institue des
tribunaux pour punir les crimes, et la loi lui-même lui qui, tourmenté par notre luxe,
qui dispose de la succession au pouvoir en plus encore que par ses-besoins, sort dès le
faveur des mâles, sont des lois naturelles, et matin pour aller chercher le pain que lui
toutes aussi naturelles que celles qui ordon- vend le/ riche, rentre au soir quand sa faim
nent d'honorer le père et la mère, et qui dé- est assouvie, et ne peut donner à ses enfants
.<

fendent de tuer et de voler. d'autres leçons que l'exemple d'une vie


Le baron de Pufendorff flotte ici entre agitée par la cupidité, quand elle n'est pas
J'erreur et la vérité; il distingue trois états avilie par la misère? Est-ce l'éducation que
de nature le premier est la condition de l'enfant du riche reçoit dans la maison pa-
l'homme, considéré en tant que Dieu l'a fait ternelle ? Hélas! dans ces temps déjà loin
le plus excellent de tous les animaux (1). de nous, où l'on ne renfermait pas tout
Le second état de nature est la triste con- l'homme dans ses organes, et ses destinées
dition où l'on conçoit que serait réduit immortelles entre les deux termes si rap-
l'homme fait comme il l'est, s'il était aban- prochés d'une enfance ignorante ou d'une
donné à lui-même en naissant, et destitué de vieillesse débile; lorsqu'il y avait dans le
tout secours de ses semblables. monde un autre dieu que le dieu des riches,
Le troisième est celui où l'on conçoit les un autre culte que celui des voluptés, d'au-
hommes totalement étrangers les uns aux tres affaires que des intrigues d'ambition ou
autres, et qui n'ont de liaison que celle de la de plaisir, on voyait fréquemment des hom-
condition humaine, commune à tous les mes puissants, même des chefs des nations,
hommes comme si des hommes qui ne sont égarés un moment par l'ivresse du' pouvoir
pas membres de la même
société domesti- et de la vengeance, revenus à eux-mêmes,
que ou politique ne faisaient pas tous par- se reprocher amèrement des exemples per-
tie de la même société religieuse, et n'é- nicieux, des actions injustes, même une
taient pas tous frères comme enfant du guerre légitime, s'ils avaient excédé la me-
même père, quoique quelquefois de mères sure du mal qu'elle permet de faire à ses en-
ou d'églises différentes. nemis fonder des établissements pieux 'avec
Je n'ai pas besoin de faire observer au les deniers de l'iniquité, offrir à la justice
lecteur combien peu il y a de précision et éternelle des institutions d'une utilité dura-
d'exactitude, combien de vague et d'incor- ble pour la société, en expiation des maux
rect il y a dans toutes ces définitions de passagers faits à quelques hommes, et laisser
l'auteur classique le plus estimé. des monuments publics de leur foi à la Divi-
Je reprends le fil du discours préliminaire. nité, de leur espérance aune meilleure vie,.
C'est, dira-t-on, du pouvoir domestique et do leur charité envers leurs semblables; des
Le déve-
(\) Les hommes véritablement instruits sen- est une intelligence servie par des' ùtgams.
tiront que l'a définition qui fait de l'homme un loppement de cette définition fera quelque jour m
«îitoiai même raisonnable, ne convient plus à nos traité intéressant de psychologie ou de physiologie*
nos
lumières, et, j'ose le dire, erreurs. L'homme
monuments qui attestassent leur repentir, tous ceux qui ont rompu sans retour avec
môme après que l'histoire aurait oublié la religion, et qui élèvent leurs enfants dans
leurs fautes. Mais aujourd'hui que l'univers l'éloignement de ses instructions et la haine
plus éclairé s'est débarrassé de cette cen- de son culte. La religion, autrefois considé-
sure incommode, et que l'homme a rejeté rée comme le plus riche propriétaire, dé-
ce frein importun, on hoit dans des coupes pouillée aujourd'hui de ses biens, partagera
dorées l'oubli des maux que l'on a faits on le mépris qui suit la pauvreté dans une so-
fonde des lieux de volupté, pour expier d'a- ciété de propriétaires;elle donnait des leçons
troces barbaries; l'artiste inutile ou la cour- au riche et du pain au pauvre quand elle
tisane effrontée sont les nouveaux dieux n'aura plus que des leçons à donner au pau-
auxquels on consacre ces dépouilles opimes, vre, et qu'elle demandera du pain à tout le
enlevées sur de malheureux orphelins ou monde, toute autorité s'élevèra contre la
des veuves désolées; et si l'excès des plaisirs sienne. Le bel esprit du quartier lui dispu-
en amène la satiété, si ces fronts rayonnants tira sa mission, et l'homme puissant son
de joies insensées se couvrent de sombres intluence. Que pourrait-elle faire pour affer-
nuages, l'amitié même la plus intime ne mir l'Etat, lorsqu'elle ne pourra plus assu-
peut percer au fond de ces abîmes, et y dis- rer la famille, et qu'au mépris de son
tinguer les remords de la vertu des regrets enseignement le plus formel et de sa prati-
de l'ambition trompée, ou d'une haine que que la plus constante, la loi civile permettra
rien ne peut assouvir. peut-être la dissolution du lien conjugal, -et
Ce n'est plus même aujourd'hui de la reli- l'homme séparera ce que Dieu a joint ? (Mallh.
gion toute seule qu'il faut attendre le retour xix, 6.)
aux idées conservatrices et aux vérités fon- Les gouvernements révolutionnaires ( et
damentales de l'ordre social. Sans doute, la ils le sont dans beaucoup d'Etats), instru-
religion remplissait cette honorable fonc- ments aveugles d'une philosophie insenséef
tion, lorsqu'à elle seule étaient confiés l'en- ont détruit la souveraineté de la religion
seignement public dans la société et l'édu- l'autorité de la morale, l'influence d'une
cation domestique de l'homme; lorsqu'elle bonne éducation, le principe de tout pou-
scellait toutes les alliances des' familles, voir, le motif de tout devoir; c'est à une
sanctionnait toutes les lois de l'Etat, inter- meilleure philosophie et à des gouverne-
venait même aux traités solennels des na- ments plus éclairés, à la rétablir. Les sophis-
tions, et que, toujours combattue par les tes ont dit que les lois éternelles de la mo-
passions et toujours respectée par l'autorité, rale étaient gravées au fond des coeurs, et ils
elle marquait du même sceau, elle instrui- ont jugé superflu d'instruire l'enfant à con-
sait par les mêmes leçons, elle recevait naître l'auteur de toute morale. Une meil-
à la même table toutes les grandeurs et leure philosophie mettra toutes ces vérités
toutes les faiblesses, et les bergers comme sous les sens, et elle en fera à la fois le laitt
les rois. Mais aujourd'hui qu'elle partage de l'enfance et le pain des forts. L'enseigne-
avec les sophistes l'éducation de la jeu- ment en était circonscrit dans les temples,
nesse, e^ avec des histrions l'enseignement et ces lois éternelles ne se lisaient que dans
public aujourd'hui que l'on s'abonne à des le livre élémentaire du premier âge des
cours de morale où le prédicateur sans mis- gouvernements éclairés les feront retentir
sion et les auditeurs sans devoir n'ont d'au- dans les tribunaux, et les placeront dans le
tre rapport entre eux que celui de quelque livre même de la nation et le code de ses
argent à gagner et de quelques moments à lois, et ils en feront le complémentet comme
perdre; aujourd'hui que, récemment échap- le couronnement de l'éducation publique,
pée à ces temps déplorables où, timide et de cette éducation jusqu'à présent si déplo-
honteuse comme une prostituée qui attend rablement négligée, ou si faussement diri-
les passants dansdes lieux écartés pour les in- gée, qui menaçait également la société de
viter voix basse, elle était objet de scandale, tout ce qu'elle enseignait aux jeunes gens,
si elle laissait hors des temples apercevoir et de tout ce qu'elle leur faisait ignorer.
son existence, elle portera longtemps la C'est principalement à cette partie intéres-
marque des fers dont elle a été flétrie lui sante de la nation ou plutôt à cette nation
confier exclusivement la restauration de la qui nous succède, que je consacre cet ou-
morale, ce serait décréditer la morale même, vrage. On lui apprend beaucoup de choses
ou, du moins en interdire la connaissance à utiles seulement à l'homme; qu'elle s'ins-
géométrie, et qui lui était si supérieur sur
truise de la seule science nécessaire à la gt
«Il serait aussi fort utile, dit
société, et qu'à tant de connaissances qui tout
to le reste.
de l'esprit, elle joigne la L
Leibnitz de faire entrer dans un système de
ne donnent que naturel les lois parallèles de droit civil
seule étude qui forme la raison de l'homme droit
*i\
pouvoir des
d. Romains, et même celles de droit divin.
social en lui donnant la raison du et
célèbre donné L
Les théologiens et les jurisconsultes pour-
des devoirs. Un auteur a
aisément faire usage du droit,
lois; il e^t temps de donner ou raient
n plus
YEsprit des
de chercher au lieu que de la manière dont ils ensei-
de rappeler la raison des lois, et ai
science, elle consiste plus en
moins l'esprit de ce qui est que la raison gnent
g' cette
théorie qu'en pratique et an ne l'applique
de ce qui doit être. affaires de la vie. >«
gouvernements éclairés par guère
9 aux
Un jour, les
les erreurs, et sages de leurs fautes, procla- II s'élève contre les auteurs qui séparaient
leurs lois la
l« jurisprudence de la religion, et il accuse
meront hautement à la tête de ces
la politique de Pufendorff pour
lois éternelles dans leur principe, primitives d'athéisme
d
leur promulgation, fonda- avoir
a dit que la fin de la science du droit na-
dans la date de
renfermée dans les bornes de celle
mentales de tout l'ordre moral et social, t\turel est
fécond de toutes les lois subséquen- vie.
v « Pour avoir, « reprend Leibnitz^rongue
germe la
h fin du droit naturel il s'est ainsi mani.
tes, '< où se trouvent, « dit Bossuet, » les pre-
principes du culte de Dieu et de la festement
fi engagé à resserrer trop son objet.
miers
la considération, d'une autre vie,
société humaine; » ces lois, première pa- Négliger IN

rôle de Dieu, première pensée de l'homme, qui q (par ses peines et ses récompenses) a
inséparable avec la Providence
éternel entretien de la société, et qui seront uune liaison
l'avenir l'inébranlable fondement de l'édi- divine,
d et se contenter d'un plus bas,degréd@
à
frontispice auguste du temple de droit
d naturel, qui peut avoir lieu même
fice, et le
la législation. Des gouvernements insensés par p rapport à un athée, comme je l'ai fait
ont dit à l'homme « La loi que nous te voir v ailleurs, c'est priver la science dit droit
« sa plus belle partie, et détruire en même
donnons sera ta seule morale, » et des gou- de
lui diront La morale temps
t plusieurs devoirs de la vie. La phi-
vernements sages «
Dieu t'a donnée sera ta seule loi. losophie
1 païenne est ici plus sage, plus sé-
que »
sublime que celle de Pufendorff.r
Une vaine philosophie a cru, depuis qua- vère, plus malgré toutes les lumiè-
E je m'étonne que,
rante ans, révéler à ses adeptes une vérité et
leur disant dans le Contrat res
i de notre siècle, cet homme célèbre ait
inconnue, en
social « Si le législateur, se trompant dans pu 1 laisser échapper des paradoxes aussi ab-
objet, établit un principe différent de surdes.
s Les platoniciens, les stoïciens, les
son mêmes enseignent qu'il faut imiter
celui qui naît de la nature des choses, l'Etat poëtes 1

d'être agité, jusqu'à ce qu'il soit les


1 dieux, qu'on doit leur offrir un coeur
ne cessera des sentiments de justice et d'hon-
détruit ou changé, et que l'invincible nature pénétré 1
Les. Chrétiens laisseront-ils si fort
ait repris son empire » et la religion de- nêteté. i
la philosophie, qui a été si sainte
puis quatre mille ans, faisait chanter aux dégénérer <
les mains de quelques
plus simples de ses enfants ces paroles dontt et si noble entre
La justice, dit-il ailleurs, suit
le passage qu'on vient de lire n'est que le» païens?.
qui ne sont pas moins fon-
fastueux commentaire Si Dieu ne bâtit lai certaines règles immuable des choses et
maison, ceux qui la bâtissent travaillent eni dées sur la nature
vain. (Psal. cxxvi, l.)i dans les idées de l'entendement divin que
l'arithmétique et de la géo-
Il faut donc placer le souverain législateurr les principes de
dans l'attente de la
à la tête de la législation et se pénétrer de3 métrie. C'est surtout
cette vérité philosophique et la plus philo- justice
divine qu'on trouve la nécessité
de la force
sophique des vérités que la révolution ai pleine et entière et qui aitd'observer les par rè-
commencé par la déclaration des droits dee rapport à tous les hommes,
de l'équité. » Et telle
t'homme, et qu'elle ne finira que par la décla- gles de la justice et
ration des droits de Dieu. était la foi de ce grand homme à la ^nécessité
Ecoutez, sur la nécessité de commencerr de ces vérités fondamentales du bonheur
de
la jurisprudence par la religion et la morale,!( la société, dont il
annonçait dès lors la sub-
qu'après avoir donné dans
et de fonder la justice humaine sur la jus- version prochaine,
lice divine, le premier publiciste de sonn une de ses lettres les moyens d'étendre
temps, et peut-être le plus grand philosophe e l'empire de la religion et de la charité uni-
(le tous les temps, le rival de Newton en n verselle il finit par ces paroles remarqua
blés « nous étions assez heureux pour
Si prolongerait le scandale donné, il y a trois
qu'un grand monarque voulût un jour pren- siècles, par le luthéranisme, d'urre société
dre à cœur ces moyens, on avancerait plus qui, parvenue au terme extrême de la civi-
en dix ans pour la gloire de Dieu et Je bon- lisation, revient d'elle-même en arrière, re-
heur du genre humain, qu'on ne fera au- nonce au bien qu'elle connaît, se dégoûte
trement en plusieurs siècles (1). » de la perfection même, et retombe dans l'é-
Mais il ne suffit pas de reconnaître en tat faible et corrompu dont elle a eu tant de
principe, de proclamer même que « la loi doit peine à sortir. Les législateurs anciens ne
être la volonté de Dieu et la règle de l'hom- pouvaient pas donner à leurs peuples des
me » il faut que les lois soient empreintes lois parfaites, dont ceux-ci n'avaient pas
du sacré caractère de la Divinité. Des peu- même d'idée. Les philosophes d'alors s'é-
ples ignorants ont pu, sur la foi de leurs levaient contre les abus du divorce; mais
chefs, recevoir, comme inspirées par les nous ne voyons nulle part qu'ils se soient
dieux, des lois fausses et absurdes et croire élevés contre le divorce même, comme le
à la nymphe de Numa ou aux extases de Ma- plus grand des abus, et les plus graves per-
homet mais un peuple- raisonnable veut sonnages de l'antiquité obéissaient à toutes
voir briller sur le front du législateur qui les extravagances du culte idolâtre, et à tou-
descend de la montagne sainte avec les ta- tes les barbaries de la politique païenne Il
bles de la loi, l'auréole mystérieuse qui lu'i fallait un autre législateur pour dire aux
garantit la vérité de ses communications hommes, au temps de la plus effroyable cor-
avec la Divinité, et il ne reconnaît pas ce si- ruption Soyez parfaits ( Matth, v, 48), et
gn,e auguste dans une législation faible et pour leur donner la force de le devenir,
déréglée, complice de ses passions, ou même en rejetant de la société toutes ces lois im-
instigatrice de ses désordres. L'erreur la plus parfaites, atroces, infâmes, qui déshono-
grave des législateurs sophistes, et des so- raient la législation païenne. Aussi ce légis-
phistes législateurs de notre siècle, est d'a- lateur donnait pour preuve de sa mission à
voir été chercher leursmodèles dansunautre ceux qui l'interrogeaient, qu'il avait redressé
monde tout à fait étranger à celui que nous les boiteux, fait entendre les sourds, et voir
habitons, dans le monde païen; de n'avoir les aveugles; et ces législateurs qui, prenantt
pas vu que l'imperfection, le désordre di- pour guide la faiblesse incurable de nos
sons mieux, la barbarie de la législation penchants, plutôt que la force toujours
grecque et romaine ne pouvaitconvenir à des croissante de notre raison et de nos lumières,
peuples parvenus à l'âge de raison et de veulent ramener des nations qui ont goûté
n'avoir pris eiraucune considération tout ce le don céleste (Hebr. vi, 4), à l'ignorance et à
pourront un jour
que vingt siècles d'enseignement de la mo- l'infirmité du premier âge,
vaie épurée du christianisme et la pratique répondre à la postérité, qui leur demandera
des vertus qu'elle prescrit, avaient mis, compte de l'usage qu'ils ont fait de leur pou-
liiëme à l'insu des peuples, de justesse dans voir, qu'ils ont ôté la lumière à des peuples
leurs idées, de tempérance dans leurs habi- qui l'avaient reçue, rendu sourds à la vérité
tudes, de force enfin et de fixité dans leurs des hommes qui l'avaient entendue, et fait
principes. boiter dans les voies de la sagesse des na-
Quelques personnes, même éclairées et tions qui depuis longtemps y marchaient
vertueuses, conviennent de la perfection des d'un pas sûr. Au lieu donc de prendre pour
j'ois civiles qui prennent pour base la mo- règle de la législation cet adage, que le mieux
rale religieuse; mais elles désespèrent de est l'ennemi. du bien, fondé sur un sophisme
notre raison, et elles ont sanf cesse à la qui consiste à appeler mieux en lui-même
bouche ces mots de Soion « Je n'ai pas ce qui paraît mieux à l'homme, et qui sou-
donné aux Athéniens de bonnes lois, mais vent est mal, il faut appliquer à l'art des
les meilleures qu'ils pussent recevoir, » lois ce. qui a été dit de l'art des vers:
Cette erreur serait de la plus dangereuse
Qui ne vole au sommet, tombe au plus bas degré*
conséquence, et si elle pouvait être adoptée
comme une règle de législation, elle renou- parce qu'à la plus extrême corruption des
vellerait dans le monde chrétien, ou. elle mœurs, il faut opposer, la plus grande per-

(f) Monita ad Pufeiulvrffi principia, efnt. ad Plaaimn, Bierlingium ad P. Grimaldum, Prit.i-


eipia plittoaophiœ.
1137
fection
PART. I. ECONOM. SOC.
fectîon des lois, et placer la rectitude abso-
ahsn- ne peut
.a.
contenir le
u.u.
LEGISLATION PRLMIT. – DiSC. PRELIM.
i.m.v,m.
brieandaee
brigandage qu'avec
H38
aaaii
au'avec Hdes
«s
lue dans la règle universelle. tribunaux de commission les plus redouta-
Et qu'on ne dise pas qu'il faut des lois bles, et l'autorité est forcée d'employer,
différentes selon les différents climats, car• pour lrt sûreté publique, ces formes extra-
c'est en vain qu'on voudrait réchauffer une» ordinaires dont la tyrannie a si souvent
erreur décréditée du vivant même [de ses abusé. On n'a parlé au citoyen que de sa di-
plus zélés partisans. Le climat peut influer• gnité et même de sa souveraineté, et la po-
sur les habitudes physiques ou les manières; lice intérieure est une guerre savante que le
les moeurs ne sont jamais que le résultat des gouvernement, pour l'intérêt du citoyen, est
lois, comme les lois deviennent le résultatt obligé de lui faire avec une armée de sol-
des mœurs. Ce n'est pas parce que les hom- dats et d'éclair eurs. En même temps que l'on
mes sont blancs ou noirs, qu'ils se nourris- pose en principe la dissolubilité du lien
sent de fruits ou des produits de leur chasse, conjugal, les discussions qui ont eu lieu au
qu'ils habitent sous terre ou qu'ils couchentt conseil d'Etat annoncent des peines plus
à l'air,qu'illeurfautdes lois, mais parce qu'ils sévères contre l'adultère. Ces lois, quelque
sont ambitieux, avares, voluptueux, féroces: dures qu'elles paraissent sont absolument
or ces passions, partout originellement les nécessaires, parce qu'il faut que la loi civile
mêmes, vivent sous les glaces du pôle) atteigne toutes, les actions, lorsque ]a loi
comme sous Jes.feux de l'équateur. Le Co- morale ou religieuse ne peut plus diriger
saque Pugatschew était ambitieux comme les volontés. Dans le rapport sur le nouveau
l'italien Masaniello; le Lapon qui vend ses Code de commerce, la commission,s'excusant
peaux de renne est cupide comme l'Asiati- d'avoir ajouté à. la rigueur et à la précision
que qui pèse ses perles, et la fièvre d'amour des ordonnances de 1673 et de 1681 sur le
consume le Kamtsebadale comme l'Africain. fait du commerce, est forcée de convenir
Mais si l'homme naît avec les mêmes pas- que « les circonstances exigeaient la révi-
sions, la société accroît leur violence en sion de ces belles ordonnances. Le temps
proposant plus d'objets à leurs d&sirs. Ainsi i avait amené de nouveaux abus, et la révô-
il y aura plus d'ambition là où il y auraL lution précipita la ruine du commerce par
moins de fixité dans le pouvoir, plus de celle du crédit et des mœurs. Les banque-
cupidité là où il y aura plus de commerce, routes furent une spéculation, et le crime
plus de volupté là où les arts seront moins une science. Des lois sévères en tout genre
retenu.?; et il y a de quoi trembler de. voir doivent plus que jamais être opposées aux
tous les gouvernements chrétiens, livrés au passions, comme des digues plus fortes à des
même esprit de vertige, favoriser à la fois, torrents plus rapides. »
et même exclusivement, les doelrines popu- Déjà l'on est obligé de prolonger la peine
laires en politique, la fureur du commerce, de mort; le gouvernement a senti la néces-
le luxe des arts, et augmenter ainsi lai sité de rétablir celle de la marque encore
somme des passious,des maux et des forfaits, quelques années, et peut-être on sera forcé
en même temps qu'ils laissent détendre le de revenir à la question après condamnation
ressort de la religion, et qu'ils affaiblissent à inort. Naguère nous avons vu, dans des
eux-mêmesleurs lois civiles et politiques. rapports d'autorités supérieures, des termes
Et voyez ce qui résulte de cette législation inouïs pour exprimer de nouveaux attentats,
faible, et propre tout au plus à un peuple une horrible conspiration attaquer l'homme
enfant. On porte dans la morale l'indulgence qui n'est pas encore, et la mort devancer
de Solon, et bientôt il faut porter la rigueur même la vie. Et lorsqu'une législation mo-
de Dracon dans la police. On a fait d'une li- rale plus forte et plus austère permettrait
berté illimitée et jamais définie l'attributt d'alléger un jour le joug 'de la législation
primitif de l'homme et la première loi de la civile ( car c'est l'esprit de l'Evangile qui
société, et l'on ne peut aujourd'hui répri- avait en Europe fait tomber en désuétude
mer le vagabondage qu'avec les lois les plus les peines trop cruelles, et particulièrement
sévères, et puisqu'il faut le dire, les plus celles contre l'adultère, si rigoureusement
dures sur les passe-ports. L'homme n'est plus puni chez les peuples naissants), on s'expo-
attaché à la glèbe, et il est, ou peu s'en faut, serait, en affaiblissant Je frein puissant de
attaché à sa commune. On a fait de l'éga- la morale, à être forcé d'aggraver de plus en
litl. l'essence même de l'homme et la plus nos chaînes, et l'on ferait d'un peuple
pierre angulaire de i'éJifice social. s et l'on chrétien un peuple à la fois craintif et licen^
cieux, tout semblable an peuple juif, qui mage rendu à la loi qui défend de désirer la
fi
lirait dans la loi, et non dans sa conscience, fifemme de son prochain. Jusque dans les sa-
pour ne faire que ce qui est positivement crifices c de sang humain offerts chez tous les
ordonné, et n'éviter que ce qui est expres- peuplesP idolâtres, dans le sacrifice de la pu-
sément défendu; un peuple chez qui les tri- deur d de leurs filles que les Grecs vouaient
bunaux de l'Etat seraient occupés à propor- à Vénus, on retrouve la loi du culte ou do
tion que les tribunaux de la religion seraient lila sanctification et le sacrifice de l'homme,
déserts, et qui, délivré de la croyance des l'l'acte le plus solennel de la religion et le
peines d'une autre vie, ne pourrait être premier F devoir de la société. Mais tous ces
contenu que par la crainte toujours présente peuples
l corrompus ou imparfaits, anciens
des supplices de celle-ci. cou modernes, dont l'éducation ne fut jamais
Mais où se trouvent, demandent les philo- achevée,
« ou dont les connaissances sont en-
sophes modernes, ces lois éternelles, fonda- (core si peu avancées, tantôt comme les Grecs
mentales de toute législation civile et crimi- <et les Romains, ont passé d'une jeunesse
nelle, dont vous demandez la solennelle orageuse < et brillante à la décrépitude de la
promulgation? Elles se trouvent partout,( vieil!esse, sans parvenir à l'âge de la raison
partout où l'on aperçoit quelque. vestige de et < de la virilité, et ont fini dans la servitude
société, et des traditions immémoriales,f <ou l'anarchie tantôt comme les infidèles
transmises de génération en génération, eni modernes,
] idolâtres ou musulmans, ne sor-
ont conservé quelques traces là où un texte3 tent de leur longue enfance qu'à la même voix de
écrit n'en a pas préservé le souvenir d'alté- la raison qui leur apprend tout, et à
ration (1). C'est un livre dont on trouve3 vivre. Je ne vois dans l'univers que deux
chez les peuples même les plus barbares dess peuples, ou plutôt deux sociétés, l'une an-
feuillets épars et à demi déchirés. Ainsi, cienne, et qui, à juger de l'avenir car le
chez les païens qui adorent une multitudee passé et même par le présent, subsistera
de dieux, et chez le nègre qui se prosterne e jusqu'à la fin des temps, « et
dont les mœurs,
devant son fétiche, on retrouve une connais- les lois elles rites, dit J.-J. Rousseau,»dure-
sance confuse de cet article de la loi Tuit ront autant que le monde, malgré la haine
adoreras un seul Dieu. La loi du culte, ou dee et la persécution du genre humain » l'au-
la sanctification du jour de repos, s'aperçoitit tre, plus moderne, et dont la législation re-
dans tous les Etats, et tous, la France révo- monte nécessairement à la naissance de l'u-
lutionnaire exceptée, l'ont fixé au septième e ni vers, car les rapports naturels des êtres
jour. L'homme croit honorer son père làà qui en sont la base ont existé aussitôt que
même où il le tue par compassion pour saa les êtres eux-mêmes; l'une esclave chez tous
vieillesse, et pour le délivrer des misères dee les peuples, et portant des marques visibles
la caducité (2). Les Romains, qui rédui- d'une grande et mémorable infortune l'au-
saient des peuples entiers en esclavage, quiii tre souveraine de tous les peuples, étendant
dévastaient d'immenses contrées et permet- sur eux la domination de sa force, de ses
taient.le meurtre de l'enfant et de l'esclave; arts, de sa politique de sa religion, et an-
les Romains, chez qui l'homicide était mêmee nonçant dans la force de sa raison et dans
l'amusement public et légal des personnages !S l'éclat de ses lumières l'incontestable gran-
les plus graves, du sexe le plus faible, dee deur de ses destinées; l'une arrêtée dans sa
l'âge le plus innocent; les Romains interdi- i- marche, et telle aujourd'hui qu'elle était il y
ît a cinq mille ans; l'autre illimitée dans ses
saient le vol et l'assassinat, et ils poussaient
leur orgueilleuse humanité jusqu'à défendree progrès, et plus forte aujourd'hui qu'elle ne
de battre de verges un citoyen. Chez les îs l'a jamais été (3); l'une douée de la plus
Grecs eux-mêmes, les plus licencieux des ïs grande force de résistance, l'autre de
la plus
peuples, la loi qui soumettait le divorce mu-t- grande force d'expansion le Juif enfin et le
tuel à des formes judiciaires, était un hom- i- Chrétien, frères divisés sur la
possession de

( I) Les rechercher de la Société littéraire que


le sauvages, selon nos voyageurs. Voyez un détail de
les Anglais ont formée à Calcutta, dans le Bengale, e, ces horribles lois dans un discours de Barbeyrac,
laissent doute sur l'identité des traditions
îs sur la permission des lois, imprimé à la suite des
ne aucun
indiennes et des traditions juives, tandis que les ;s Devoirs de l'homme et du citoyen, de Sam. Pufendoiff.
découvertes faites dans les antiquités mythologiques es (5) On peul en juger, en s'imaginant ce que
des peuples septentrionaux établissent la même le serait de nos jours une croisade de Chrétiens contre
vérité pour l'autre extrémité de l'univers. les Turcs, faite avec le zèle religieux dit xné sièclç
( 2) Dans la Taprobane, selon Diodore à Sardes, s, et les moyens militaires du nôtre.
ci) Lydie, selon E.licu; et che? plusieurs races des
;s
l'héritage paternel, et qui, tous deux, invo- célèbre missionnaire écrivait « qu'un Chi-
quent en leur faveur un testament du père nois n'était pas capable de suivre dans un
commun. mois ce qu'un Français pouvait lui dire dans
Or, où se trouve la force', là se trouve la une heure » )1
raison; car la raison est, dans la société Mais vous, qui vous croyez dégagés de
comme dans l'homme, le seul principe de préjugés, quand vous n'êtes que vides d'idées
la force durable et continue, bien différente et de connaissances, qui pensez physique et
de cette violence passagère, commune à tous qui parlez morale, vous dont quelques faits
les peuples enfants. Mais la raison d'une consignés dans ces augustes archives de la
société est dans sa législation la société la société épouvantent la foi, et qui rejetez ce
plus forte a donc nécessairement la meil- que vous n'avez pas la force de porter, fai-
leure et la plus parfaite législation, et je re-bles
1 esprits, élevez plus haut vos pensées,
trouve chez le Juif et chez le Chrétien le texteélargissez l'étroite enceinte où quelques so-
entier de cette législation primitive et géné- phistes ont circonscrit votre raison, et em-
rale où tous les peuples ont puisé leur lé- brassez le système entier du peuple juif, de
gislation locale et subséquente ces axiomes ce peuple figure, modèle, exemple, prophète
de législation révélés par Dieu, entendus par pour tous les peuplesj'égislateurdelasociété
l'homme, développés dans la société, je les dans son code, historien de la société dans
trouve dans le livre célèbre que les Juifs et ses annales. Voyez dans les faits racontés par
les Chrétiens gardent chacun de leur côté, ce peuple les faits prédits et prévus des au-
et dans des motifs bien différents ce livre, tres nations observez dans sa sortie d'E-
matériellement le plus ancien qui nous soit gypte, de la maison de servitude (Exod. xm,
connu, modèle le plus parfait de vérité dans
3), et dans ses efforts pour arriver à la Terre
la pensée, d'élévation dans le sentiment de promise, le passage de tout peuple de l'état
sublimité dans l'expression. servile et précaire de la barbarie, à la dignité
Que sont auprès de ces grands motifs, de de la civilisation comme la religion nous
ces preuves sociales de la vérité des Livres enseigne à y voir le passage de tout homme
sacrés, les éiucubrations de la critique sur de l'esclavage du vice à la liberté de la vertu.
leur authenticité matérielle? Qu'on me mon- Vous ne voulez pas des figures religieuses
tre des sociétés aussi fortes en tout genre que les siècles passés y ont révérées; croyez
que la judaïque et la chrétienne, et je croi- au moins aux figures politiques que la mar-
rai à la divinité de leur législation. Sera-ce che des âges et l'état présent de la société
le Chinois, le plus nombreux et le plus fai- vous révèlent. Vous refusez d'ajouter foi à
ble des peuples, qui se multiplie par la po- ce que ces livres mystérieux vous disent de
lygamie, et .se consomme par l'infanticide, l'histoire du commencementdes temps ad-
dont les troupes innombrables n'ont pu ré- mirez, la prescience divine qui y a caché
sister, môme avec de l'artillerie, à quelques l'histoire de la fin des temps et dans la via
hordes armées de flèches; qui, même avec domestique, politique et religieuse d'une
l'imprimerie et quatre-vingt mille caractè- seule société, lisez les traits divers et épars
res, n'a pu encore se faire une langue com- dans toutes les histoires de la vie sociale de
mune que la nation puisse parler, et que tous les peuples (1). Et cependant, de peur
l'étranger puisse apprendre qui, avec quel- que vous ne soyez tentés de regarder ce peu-
que connaissance de nos arts, et la vue ha- pie figuratif avec son histoire merveilleuse
bituelle de notre industrie, n'a pas fait un comme une pure allégorie, admirez-le pré-
pas hors du cercle étroit d'une routine de sent partout, et sous vos yeux, dans un état
plusieurs mille ans; peuple endormi dans de société bien plus merveilleux que son
les ombres de la mort (Luc. i, 79), où le ger- histoire ( 2).
me de la vie, déposé depuis quelques siè- Voyez le peuple hébreu commencer par
cles, n'a pu encore porter des fruits cupide, l'état de pasteur, nomade, quelquefois poly->
vil, corrompu, et d'un esprit si tardif, qu'un game de la société patriarcale, hospitalière

(1) Je suppose l'histoire sacrée familière à mes milieu de Jérusalem des actions extraordinaires,
dit
lecteurs. « Il est impossible, Leibnilz, «de con- étaient pour les Juifs une figure vivante des événe-
vaincre de la vérité de la religion des hommes à qui ments qui devaient leur arriver. Il y a des allégories
notre llistoire sacrée et profane n'est pas assez de mots ou des apologues, et des allégories d'action,
connue. > ou des figures. Tarquin^en abattant des têtes de
(2) Le peuple juif était la figure vivante des pavol pour ap prendre à son tils ce qu'il devait l'aire,,
autres peuples, comme Isaïe et Ezéchicl, faisant au faisait une figure, ou une allégorie d'acùotf.
lti5
envers l'étranger et le voyageur, étrangère
.m.
ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
~mn. liU
i
sang des révolutions et des guerres civiles
sang des des civiles
i·r:~
s guerres
elle-même et voyageuse sur la terre qu'elle ou
c étrangères? Et n'est-ce pas encore des
parcourt, et vous reconnaîtrez encore au- hommes t hrûlant de zèle, pleins de science
jourd'hni à ces traits la famille du Tartafe, et e de courage, qui tous les jours, vont à
errante dans ses vastes pâturages, avec ses travers
t les mers instruire les peuples bar-
femmes, ses enfants et ses troupeaux. Les bares l qui se mettent en,marche sous leur
familles se multiplient et deviennent un conduite,
c laissant derrière eux l'ignorance
peuple; elles tombent sous la dépendance et e les erreurs de leur premier état, quittent
d'une nation voisine, et sont condamnées la l maison de servitude, et avancent vers la
aux durs travaux de la servitude, à ces tra- terre
t de lumière et de raison promise à tous
vaux qu'attestent encore, selon l'opinion de les 1 peuples? C'est dans cette terre que tout
quelques savants, les monuments gigan- se s perfectionne, même les arts, et surtout le
tesques épars dans la haute Egypte. Ouvrez premier
f de tous, l'agriculture, et jusqu'aux
l'histoire, et voyez tout un peuple devenu productions
p de la nature (2) c'est là pour
nombreux tomber sous la domination de ses un i peuple l'ère du passage, du passage de
voisins, tant qu'il s'obstine à rester dans 1l'état barbare à l'état civilisé; ère la plus
l'état domestique, et qu'il ne se constitue remarquable
r de l'histoire de toutes les na-
pas un gouvernement public qui soit à lui tions,
t comme le passage du vice à la vertu
et voyez le joug s'aggraver, si trop diffé- est e l'époque la plus heureuse de la vie de
rent de moeurs et de religion, il ne peut se 1l'homme. Mais un peuple échappé à la bar-
confondre avec ses maîtres par des alliances, barie,
fc aux fléaux sans nombre qu'elle pro-
et vous reconnaîtrez à ces traits ces peuples dduit, et aux obstacles qu'elle oppose, erre
de Grèce esclaves d'autres peuples, Ilotes, longtemps
1' dans le désert, dans cet état in-
Periéciens, Pénestes; vous y retrouverez les ccertain et inquiet d'une raison faible et
Gabaonites chez les Hébreux, les Nègres naissante,
r. qui succède à une longue enfance,
dans nos colonies, les Indiens au Mexique, et e aux désordres produits par une ignorance
les Grecs chez les Turcs, les Juifs modernes invùtérée.
i 11 avance cependant,toujours plus
partout. Poursuivez, et dans ces malheureux voisin
v de la licence que de la liberté, terrible
Hébreux, qui fatiguent leurs oppresseurs de àà ses chefs, incommode à lui-même, indo-
leur population toujours croissante, et qui cilec au frein, sans force contre les revers et,
sont condamnés à exposer leurs enfants, vous dans
C les travaux de la civilisation, regrettant
retrouvez l'horrible dégénération à laquelle les1 jouissances de l'esclavage il s'élève, il
sont condamnés eux-mêmes tous les peuples se s forme sous la tente, où « commencent ou
païens, anciens et modernes, qui ont permis recommencent
r toutes les nations, et même
l'infanticide comme un remède à un accrois- celles
c qui ont fini dans les boudoirs et sur
sement excessif (1). C'est le dernier degré les 1 théâtres; » toujours armé et toujours
de l'oppression, et une société ne sauraitt combattant,
< marchant entre ses nouvelles
descendre plus bas. Mais elle ne peut s'y 1lumières et les ténèbres de son ancienne
fixer. Le mal n'est pour la société comme iignorance, subsistant d'une manière pré-
pour l'homme, qu'un état depassage, où un caire, < et comme nourri de la manne qui
peuple tout entier, toujours ceint et toujours tombe
t 3), sans aucun de ces moyens ou
debout, n'attend que le signal pour avancer. de ( ces ressources qu'emploie la sagesse
I! le reçoit d'un homme sauvé lui-même de d'une ( administration éclairée pour prévenir
l'oppression et de l'ignorance qui pèse sur ou t satisfaire les besoins d'un grand peuple.
sa nation, instruit dans la science de Dieu et Mais à l'état d'une nation qui commence
dans celle des rois, dans l'art de la religion £sous les ordres de l'homme qui la conduit,
et du gouvernement, et revêtu de l'auguste doit c succéder l'état légal, celui où une na-
ministère de former une société. Et n'est-ce tiont se constitue, et où tous, chefs et sujets,
pas des hommes d'un grand caractèrede po- reconnaissent
i des lois. Le peuple est établi
litique et de religion, qui, dans tous les sur t le territoire qu'il a conquis; il a posé les
temps, ont arraché les peuples à l'ignorance, iarmes, les maux de la guerre se sont éloi-
à l'erreur, à l'oppression, à travers la mer de gnés
{ mais les maux de la paix commencent,
( I ) Les Chinois noient leurs entants et les sa- sol,
f que les Hébreux envoyés par Josué rapportèrent
cniïenl, selon lord Macartney, à l'esprit du fleuve. < la Terre promise.
de
Ce sont à la lettre des victimes immolées à la Di- (5) De là. les famines si fréquentes dans les
viniié. premiers
I âges des nations.
(2) On se rappelle ces belles productions du
/g culte des faux dieux, des dieux de ]a vo- que, et fastueux, le suit; et avec lui corn--
lupté et de la cupidité, de ces dieux que fait laa mencent les dépenses immodérées, les
corruption de l'esprit et du cœur. Ce peuple, impôts excessifs, l'empire des femmes, le
miraculeusement échappé à l'état le pluss .culte des dieux étrangers, peut-être l'abus
malheureux, a déjà oublié ce qu'il a vu ett des sciences humaines. Roboam, le roi qui
ce qu'il à souffert. Livré à la mollesse, eni lâche le peuple, le roi faible, lui succède. 11
attendant des lois sévères, il s'asseoit pour,r, recueille l'héritage de l'adultère et de l'im-
manger et pour boire, et se lève pour jouerr piété, et il est puni des fautes de son père
(Exod. xxxn, 6) (1). Et même, lorsque le3 et de celles de son aïeul. Des conseillers
législateur descend de la montagne saintei sans expérience égarent sa jeunesse, le
avec les tables de la loi, il entend retentirr peuple se révolle, les dix dernières tribus se
dans le camp les chants de la débauche, ett séparent des deux premières; la révolution
il voit tout un peuple prosterné devant le? est consommée L'Hébreu sera mené en
veau d'or. Ici les applications se présententt captivité. Ainsi tout peuple divisé déchoit
en foule; mais continuons. La religion se> de l'indépendance, asservi par ses voisins
constitue comme le gouvernement néei ou dominé par des tyrans. L'Hébreu cepen-
aussitôt que l'homme, elle avait voyagé avec dant revient d'esclavage, et relève, malgré
la. famille' au milieu de ses enfants et de ses les ennemis de son culte, le temple du vrai
troupeaux, et séjourné, comme elle, dans Dieu sur ses antiques fondements. Ici le
la cabane du pasteur; elle avait erré dans le rideau se tire, les rois et les peuples en
désert avec la nation, et comme elle habité savent assez sur leurs destinées. Le peuple
sous la tente du combat. Elle se pose avec hébreu rentre dans l'ordre général des so-
l'Etat; les personnes publiques, chefs, mi- ciétés, et son histoire cesse d'être; extraordi-
nistres, sujets, les propriétés publiques de naire, à l'instant qu'elle cesse d'être prophé-
l'une et de l'autre société se distinguent et tique.
s'établissent; le pouvoir religieux s'unit Que sont, j'ose le demander, auprès de
inséparablement au pouvoir politique, et ces mémorables leçons, de ces sublimes con-
Moïse est frère d'Aaron. Les arts empruntés sidérations, qui vivifient la pensée comme
d'Egypte, parce qu'un peuple barbare! dans l'imagination que sont ces tristes objections
ses lois peut être poli dans ses arts, sont contre la révélation mosaïque, ces difficultés
consacrés à la religion. Des chefs sous divers que l'on croit sérieuses parce qu'elles sont
noms, et même du sexe le plus faible, pré- étranges, et savantes, parce qu'elles forment
cèdent l'hérédité du pouvoir, dont les chances de gros livres; ces objections que les uns
quelquefois fâcheuses conviennent moins à vont chercher dans les entrailles de la terre,
une société naissante et encore mal affermie. les autres dans la région des étoiles ? Que
L'hérédité vient à son tour, dernier état, sont tous ces calculs astronomiques dont on
état le plus fixe de toute nation. Alors la nous menace, faits à Paris et importés d'E-
religion s'asseoit dans un temple, et la gypte (4)? N'avons-nous pas vu les anti-
royauté dans un palais. C'est là l'histoire de quités chinoises réduites de quelques mil'le
tous les peuples qui se civilisent mais ad- ¡ans, et ce, peuple rentrer dans la chronologie
mirez ce dernier trait, et voyez dans l'his- de tous les peuples? Ignorons-nous donc ee
<
toire des trois premiers règnes de la pre- que
< les géologues peuvent faire avec leurs
mière race des rois hébreux (2), l'histoire couches de terre, les chronologistes avec
c
entière des races les plus longues des rois 1leurs dynasties, les astronomes
avec leurs
de tous les peuples. David (!3), le roi digne périodes? Et n'y a-t-il pas des géologues,
j
d'être aimé, le roi religieux, éloquent et va- des historiens et des astronomes qui tirent
(
leureux, commence; Salomon, le roi pacifi- des
c mêmes observations des inductions tout
(1) Besoins et plaisirs, c'est le panem et cir- rmon, pacifique, Roboam, qui lâchele peuple. On sait
cetises des républiques païennes, et le seul soin de qque Salomon était très-instruit dans les sciences
tout peuple qui n'a pas encore de lois. humaines,
1 et son nom, comme celui d'iiiram, son
(2) Saül (en hébreu, qui est demandé), mort sans aami, joue encore un grand rôle dans les sciences
postérité, n'appartient à aucune race. Le gouver- cabalistiques
c et les sociétés oceulles.
nement des Hébreux a toujours été monarchique, (&) On a vu aujourd'hui à quoi se sont réduites
s'il n'a pas toujours été royal ou héréditaire. C'est
c menaces. L'arrivée du fameux zodiaque de ben-
ces
ce qui fait qu'il est dit à la fin du Livre des Juges, dderah à Paris a dérangé tous les petits calculs de
pour exprimer le désordre En ce temps-là, il n'y l'incrédulité, et la Genèse a triomphé de toutes les
il
avait point de chef en Israël, et chacun faisait ce espérances fondées sur les prétendues antiquités
e;
qui lui semblait bon. (Jiulic. xxu, 24.) égyptiennes.
£,
( S) David, en hébreu, veut dire aimable; Salo-
H/,77 OEUVRES COMPLETES
ni.» DE
uSj M. ijSj BONALD.
ai. DE uwiaLtF. t*U8
>•*>!
opposées (1) ? Les philosophes ne veulent naturelles
n sont les plus
des lois générales, sont
Dieu ait parlé
mm T>inii
i>nsque
pas narlrî aux. hnmm«. afin de
aux hommes, H«i fortes
fortfis rlflS
ft Cette force de conser-
des sociétés, de cette COnser-
leur parler eux-mêmes, on le sait mais nej vation
v ou de restauration qui tire une so-
leur ont-ils pas assez parlé? et, après tout cej ciété
c même des plus extrêmes malheurs
que nous avons vu et entendu, leur reste-t-ilI li seulement est la raison de l'incontes-

encore quelque chose à nous apprendre? Le table
ti supériorité de certaines sociétés reli-
livre des Ruines doit-il être l'unique fonde- gieuses
g et politiques sur toutes les autres
ment de toutes nos connaissancesmorales?> e sorte que la société la plus
en éclairée, et
le roman de J.-J. Rousseau, ou le poëme de conséquemment
c la plus forte, sera, toutes
Voltaire la seule règle de nos mœurs? N'est- choses
c égales, celle dont la législation parti-
on pas las de combattre une religion quii culière
c sera le plus et le mieux en harmo-
renaît même de la révolution française, deî n avec la législation générale, comme
nie
frapper une enclume qui a usé tant de mar- l'
l'homme le plus vertueux est celui dont les
teaux, et même ceux du temps et du bel actions
a individuelles sont les plus confor-
esprit? Revenons aux lois générales, dontt mes
n aux principes de l'ordre général, com-
cette digression nous a écartés (2). n le savant le plus instruit en
me géométrie
Mais ces lois générales, axiomes de lat eest celui qui a porté le plus loin les consé-
science de la législation, ont besoin d'être qquences des premiers principes de cette
développées dans les lois .particulières qui[ science.
s
en sont les conséquences. Les sociétésjui- Ces conséquences sont prochaines ou éloi-
ves et chrétiennes qui ont le mieux connut
gnées,
g morales ou physiques, comme les
toutes les lois générales, sont les plus fortesu personnes et leurs rapports. Les hommes
P
des sociétés du monde; mais, parmi, les so- ssont dans la société père ou fils, époux ou
ciétés chrétiennes, celles chez qui les lois éépouse, chef, ministre, sujet: ce sont là les
particulières sont les conséquences les plus £personnes sociales ou morales, avec
leurs

(1) M de Luc, célèbre professeur de Gottingue, suivant


s c«ls nouveaux interprètes; les apôtres sont
qui a donné dans ses Lettres géologiques un com- les
1< signes du zodiaque, la sainte Vierge est la cons-
mentair« physique des'livres de la Genèse: l'abbéé tdlation
tl de la vierge, Adam celle du bouvier, la
Guérin du Rocher, qui, dansson ingénieuse Histoiree fête
fi de Paques l'entrée du soleil au signe du bé-
véritable des temps fabuleux, a réduit à leur justee lier,
li etc., etc. Sans doute il y a des analogies entre
valeur les prétendues dynasties des rois d'Egypte, li monde moral et le monde physique, qui sont le
le
Quant à l'astronomie, voici une note curieuse, quii .principe
_jp de tout style figuré et métaphorique (et
se trouve dans les Recherches sur le christianisme e ttout style est figuré) c'est un des grands mystères
de Ch. Bonnet, de Genêve « On sait que les pro- d l'univers, et sur lequel y a le plus à découvrir.
de
phéties de Daniel sont celles qui exercent le plus laa Mais
S je tremble qu'il ne s'élève un jour un historien
sagacité et le savoir des plus habiles interprètes, jee qui,
q rapprochant des allributs du soleil tout ce que
pourrais ajouter des plus profonds astronomes; 1les contemporains ont dit de l'éclat, de la force, de
car j'en connais un dont je regretterai toujours laa la
1 vigueur du règne de Charlemagne, de cette puis-
inorl prématurée, qui avait fait dans ces admirabless ssance éclairée qui dicta des lois au monde policé,
prophéties des découvertes astronomiques qui avaient Il ine soutienne que Charlemagne n'est que le soleil de
étonné deux des premiers astronomes de notree 1la fable; il verra dans les courses rapides de ce
siècle, MM. de Mairan et Cassini. Je parle de feuu prince d'un bout de l'Europe à l'autre, la marche du
M. de Cheseaux, mort à trente-trois ans, en 1751, I, soleil
s autour du globp, le temple du soleil dans le
et dont les nombreuses connaissances 1beau palais d'Aix-la-Chapelle, son éloigneraient des
rares et :s
étaient relevées par une modestie, une candeur et :t peuples
I polaires dans la guerre que Chai lemagne
une piété plus rares encore. Voyez l'avertissementit i aux peuples du Nord, les douze signes du zo-
fit
de ses Mémoires posthumes sur divers sujets d'asiro- diaque
( dans les douze pairs de la table ronde, l'en-
nomie et de mathématiques, Lausanne, 1754, in-4°; liée
t du soleil au quatre saisons de l'année dans les
ouvrage profond, très-peu connu et digne de l'être, parlements
] solennels tenus aux quatre grandes
mais qui ne saurait être entendu que des savants ts l'êtes.
i Louis le Débonnaire, qui ruine l'empire
les plus initiés dans les secrets de la 'haute astro-
)- de son père, sera Phaéton, qui veut conduire le
char de Phœbus, et qui embrase l'univers. tes
<
nomie. Il n'y a pas moyen de disconvenir des vérités :s
et des découvertes qui sont prouvées dans dis-
votre i- évêques
< rebelles seront les clievstux fougueux;
serlalion, écrivait l'illustre Mairan au jeune astro- >- quelque
(
érudit ne manquera pas de trouver entre
nome mais je ne puis comprendre pourquoi et coin- i- leurs noms des rapprochements péremptoires: même
ment elles sont aussi reitfermées dans l'Ecriture '« dans quelque mille ans les distances disparaîtront,
sainte.» et l'on mettra sur le compte de Charlemagne le
(2) Aujourd'hui la grande objection contre la la soleil, emblème de Louis XIV, et, pourvu que l'au-
religion chrétienne est que les hommes n'ont jamais is teur de ce système ait soin de le faire un peu moins
rendu de culte qu'au soleil. Mais. si les hommes :s long que le système in-folio dont je veux parler, il
a "taraient le soleil, ils croyaient donc quelque chose se paraitra beaucoup plus vraisemblable. L'Histoire
digne d'être adoré, comme un enfant qui a peur ir de France tout entière ne sera plus alors qu'un tissu
d'un masque croit qu'il y a quelque chose qu'on n de fables renouvelées de la mythologie païenne,
peut craindre. Les hommes avaient donc une idée
ie imaginées par des imposteurs, et adoptées par des
de la Divinité, dont ils faisaient une fausse appli- i- imbéciles et nous aurons l'Origine des gouverne-
cation car une idée est toujours vraie, et ne pèche
le ments, qui fera le pendant de l'Origine des cultes.
que faute d'être complète. Dieu est donc le soleil,
rapports et leurs lois. Les hommes sont en-
core propriétaires de leurs biens meubles ett
immeubles; ils habitent la ville ou les cam-
pagnes ils sont plaideurs ou soldats, labou-
reurs ou commerçants, bons même ou mé-
'I.V. i mcoa.
législation de la
a 1 1

raison éternelle et celle do


nos petites passions, la doctrine du chris-
tianisme et celie du philosophisme, et nous
sommes capables de tout recevoir, puisque
nous sommes capables de tout endurer.
ilu

chants, comme ils sont poëtes ou peintres, C'est cet essai de législation morale que
maçons ou tailleurs, etc. et comme chacuni je présente au public, non comme un mo-
de ces arts a ses règles spéciales, chacunea dèle à suivre et un plan achevé, mais comme
de ces professions ou de ces états a ses rè- une esquisse de ce grand ouvrage,.et des ja-
gles particulières, que l'on appelle ordon- lons sur une route que d'autres parcourront
nances. De là les ordonnances judiciaires ett avec plus de talent, de connaissances et de
militaires, civiles et criminelles, municipa- bonheur. Ce sont moins les connaissances
les et coloniales, rurales et commercia- qui nous manquent, que le courage d'en
les, etc. faire usage. Depuis si longtemps, nous sorn-
Si tous les citoyens sont père ou fils, mes accoutumés à ne penser qu'en foule, à
époux ou épouse, ministres ou sujets, c'est- ne parler qu'en public, à ne rédiger des lois
à-dire si tous les citoyens sont entre euxt qu'en comité, à ne les discuter qu'à la tri-
dans des rapports moraux, ils doivent donc bune, à ne les porter qu'à la pluralité des
tous connaître les lois morales qui fixent less voix; que les hommes qui ont le plus de
rapports des hommes entre eux commeî talent et de connaissances ont peur dès
membres de la famille, des familles entrej qu'ils sont seuls, et n'osent faire un pas sans
elles comme membres des Etats, des Etats > je ne sais quel bruit souvent imaginaire,
entre eux comme membres de la société uni- qu'ils appellent l'opinion publique, comme
verselle du christianisme, qui comprend le s'il pouvait y avoir une autre opinion pu-
genre hnmain; car toutes les nations appar- blique que la vérité, seule opinion pu-
tiennent actuellement ou éventuellement au blique, puisqu'elle seule embrasse tous les
christianisme. Mais chaque citoyen exerce temps et tous les lieux, et qu'elle doit régler
une profession particulière il doit donc ap-• tous les hommes.
prendre encore les ordonnancesparticulières Qu'on ne s'étonne pas si j'ai parlé dans
à sa profession et il en sera alors de la lé- ce projet, des pères, des mères, des enfants,
gislation comme il en est du langage qui a des domestiques des compagnons, etc.
des règles générales communes à la syn- Ceux qui ont détruit en France les mœurs,
j
taxe de tous les peuples, et des "règles spécia- par le motif qu'elle n'avait pas de lois écri-
les, particulières à la grammaire de chaque tes, nous ont imposé la nécessité de tout
peuple; et il y a aussi dans chaque société écrire, et même les mœurs. Dans les com-
une langue courante commune à tous les mencements de la société, les lois de la fa-
citoyens et une langue technique particu- mille forment, en se développant, les lois
lière à chaque profession car la langue du de l'Etat qui sort de la famille comme un
peintre n'est pas celle du matelot, et la arbre du germe qui le recèle sur la fin de
langue du jurisconsulte n'est pas celle du la société, l'Etat doit former par ses lois
guerrier. les
1 mœurs ou les lois de la famille, parce
G'est, j'ose le dire, sous cet aspect général (que les familles ne peuvent plus
se conser-
qu'il faut considérer la législation d'un grand -ver sans l'Etat ni hors de l'Etat. Ainsi le
peuple. Ces lois générales, développées dans gland
g produit le chêne, et ie chêne à son
leur application,doivent être le livre de tous ttour produit des glands.
les citoyens, le premier entretien de la L'Europe a cessé de nous combattre, et
raison de l'homme, et le complément de son elle E va nous juger. Jusqu'à présent, occupée
éducation. C'est à la France à en offrir à de c ses propres revers, elle a à peine arrêté ses
l'Europe le modèle, puisqu'elle est la seule regards r sur le prodige d'une nation où une
qui trouve dans des circonstances, inouïes partie p nombreuse des citoyens est constam-
jusqu'à nos jours, la nécessité de se créer tment assemblée depuis tant d'années
entier pour
un système de lois, et les moyens de donner
d des lois à l'autre partie, où ces lé-
le perfectionner. Nous avons vu toutes les gislateurs
g se remplaçant les uns les autres
erreurs de législation, et nous en connaissons p par des renouvellements périodiques, ou
tous les principes. Nous avons vu la législa- se s déplaçant par des secousses irrégulières,
tion de Dieu et la législation de l'homme, la entretiennent
e sans interruption cette légia-
lation permanente, comme ces machines exposent
e leurs guerriers à la mort sans au-
destinées à élever de l'eau pour les besoins cune
c arme défensive qui les en sépare, et
de nos cités. L'Europe admirera comment même
Il sans qu'ils puissent se défendre» far
après tant der temps, de législateurs et de leur
1 valeur, de J'effet terrible de ces ma-
lois, la nation la plus avancée dans les arts chines
c que le génie a inventées. On ne par-
de l'esprit, une nation de trente mil- ddonne plus à un historien ces détails de com-
lions d'hommes et de Français, renouvelés tbats si intéressants pour les acteurs, et dans
comme les hommes de Deucalion et de les
1 journaux contemporains on aime mieux
Gadmus, comment, après douze ans, cette rencontrer
r un acte d'humanité au milieu des
nation a pu attendre encore un code civil, combats,
( et les sentiments de la paix ne
un code criminel, un code même religieux, plaisent
1 jamais plus à nos cœurs que Jors-
n'avoir des peines capitales que provisoire- cque nous
les trouvons au sein des fureurs
ment, ignorer encore si le bien même de de
c la guerre.
la famille sera respecté; moins avancée dans Non, ce ne sera pas avec des victoires,
sa législation, au xive siècle de son âge, et mais
i avec des vertus, que la France répon-
après tant de législatures, qu'une peuplade dra
( à la postérité, lorsque, citée.à ce tribu-
qui sort de ses forêts, et qui a des usages nal
i dont aucune considération ne fait chan-
fixes et des coutumes qu'il ne faut que ré- celer
< l'équité, elle rendra compte, comme
diger. l'aînée
1 de la grande famille de tout ce
N'en doutons pas, les peuples étrangers, qu'elle
<
avait reçu pour la prospérité com-
qui ne connaissent encore que l'histoire mune,
i et de l'usage qu'elle a fait de tant de
de nos expéditions militaires, reliront dans talents
I naturels, de tant d'instruction et de
le loisir de la paix, et sans doute avec lu tant de gloire.
malignité de la haine, l'histoire de nos ex- Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
péditions législatives, et le mépris que nos Et des crimes peut-être inconnus aux enfers.
folies passées leur inspireront, les payera • (Racne, Phèdre.)
de ce qu'il leur en a coûté d'admiration pourr
la France devra offrir des journées de sa-
nos succès. Nous opposerons en vain à leur
juste censure ces faits d'armes brillants, ces gesse plutôt que des journées de gloire, en
prodiges de valeur et d'habileté qui ont fait expiation de quelques journées d'inexpiables
leur désespoir et notre gloire. Soit que la horreurs; et si ces crimes inouïs n'ont pu
être effacés par le supplice de leurs auteurs,
guerre ne paraisse qu'une vivacité de jeu-
nesse aux nations parvenues à la virilité, que peuvent-ils avoir de commun avec la
et qu'elle semble les rapprocher un peu trop mort honorable de nos guerriers?
Ce serait en vain que nous voudrions jeter
des hordes conquérantes avant d'être civili-
le voile brillant des arts et des sciences phy-
sées soit que, regardée par les peuples rai-
sonnables comme une triste nécessité, elle siques sur les plaies épouvantables que
soit mise par eux au rang des malheurs nous avons faites à l'humanité. La France
qu'on- évite de rappeler soit enfin que, (et elle n'en était pas moins la première des
dans l'art de la guerre comme dans tous les
nations), la France a été égalée ou surpas-
sée par les autres peuples dans l'invention
autres, les hommes fassent plus de cas du des arts physiques, comme elle les a sur-
génie, à cette époque de la société où l'hom-
passés tous dans les arts de la pensée.
tne ne l'étudié pas dans les livres, alors
qu'il est une illumination soudaine, comme Newton et Képler, Linnée et Bergmann,
l'appelle Bossuet, ou que le génie guerrier Boerhaave et Galilée, Winslow et Haller,
ait perdu quelque chose de son éclat depuis étaient étrangers à la France. Nos peintres
qu'on en a fait une profession, un corps, et le cèdent à ceux des écoles étrangères, et nos
sculpteurs désespèrent d'égaler les statuai-
que la guerre est devenue un art qui s'exerce même les arts
avec des ingénieurs et des machines
ingé- res de la Grèce antique
niettses, il est certain qu'à mesure que la d'imitation se ressentent aujourd'hui de la
raison générale fera des progrès, la gloire dégénération de nos pensées, et d'une révu-
des armes ne brillera qu'au second rang lution qui nous a ramenés à l'enfance, car les
chez les peuples chrétiens quoique cepen- arts n'imitent que ce qu ils ontsous les yeux.
dant ils soient, de tous les peuples anciens Nos grands peintres du dernier siècle hono-
et modernes, ceux qui font la guerre avec raient leur art par les imitations des scènes
plus d'art et même de courage, puisqu'ils mémorables, et des personnages célèbres
"53 PART. I. KCONOM. SOC. LEGISLATIONPRIMIT. DISC. PRELIM.
de la société politique et religieuse les
de
tistes de nos jours présentent surtout à
nn» imitation
ar- une ja puérilités
imUatinn de
t
lm
n,,&^iuiAa > et i«la iragédio
une représentation gigantesque
notre admiration les scènes voluptueuses d'extravagances. Quelquefois ou un tissu
.“
elle est une
uu puériles de l'homme privé et de la vie machine où l'on supplée
domestique; ils cherchent moins à imiter d'optique; les prestiges par des illusions
les vertus que les passions, l'homme moral des décorations, ou
même le jeu des animaux:, à là stérilité du
moins que l'homme physique, ou les effets poëte ou à l'épuisement de son art. La satires
de la nature matérielle leurs expositions n'est plus qu'un libelle diffamatoire} l'é-
n'offrent presque jamais qu'animaux, fleurs, glôgue, la fable l'idylle sont renvoyées à
individus, hommes,femmes, enfants,souvent l'enfance et peut-être dans notre situation
inconnus, même quand ils seraient présente, ne pouvons-nous plus prétendre
nom-
més. Nous revenons aux imitations de la vie qu'au funeste honneur de fournir à poëte,
sauvage et à la nudité des sexes, qui est le un
dans quelques siècles, le sujet d'une épopée
caractère de l'extrême barbarie (1). Hélas! et où il chanterait la société menacée de retom-
les arts de la pensée eux-mêmes, ces arts
que ber dans la barbarie, luttant avec des efforts
nous avons portés à une si haute perfec- surnaturels contre cette épouvantable révo-
tion, semblent tendre à leur fin; en serait-il lution, comme Milton a chanté le combat des
de ces plaisirs de l'esprit dans
une société bons et des mauvais anges, et le Tasse, la
qui avance, comme de ces amusements de lutte sanglante des Chrétiens contre les in-
î'enfance, ou même de ces illusions plus fidèles.
douces de la jeunesse que l'homme laisse
Les législateurs de collège qui nous ont
derrière lui dans le voyage de la vie et qui régentés ont voulu en vain
ne lui paraissent plus dignes de la gravité de nous ramener
aux dieux, aux jeux, aux fêtes du paganisme,
l'âge viril ? l'art dramatique périt
sous la comme ils en avaient ramené parmi nous les
multitude de nouveautés, comme la considé-
ration usurpée un moment par les comé- mœurs et les lois. C'est surtout ce ridicule
qui a flétri la révolution française, et la rai-
diens a péri sous la hauteur de leurs préten-
son y a eu plus de part que la force. Le
tioas. Quand toutes les règles de l'art sont temps est venu où nous jugerons les héros
connues, toutes les combinaisons de la lan- du paganisme, comme nous jugeons
gue -employées, et peut-être l'imitation de dieux. Nous apprécierons dans ses
toutes les scènes de la vie publique et do- ces sociétés
trop vantées ces vertus privées qu'on
mestique épuisées alors sans doute la car- nous
rière de J'art est parcourue, Les pièces de oppose sans cesse, et ces crimes publics dont
on n'a garde de nous parler nous y retrou-
Jodelle et celles de Racine en sont les deux verons là tempérance dans la pauvreté, et le
extrêmes; il n'est plus donné à aucun écri- luxe le plus effréné dans la richesse; des lois
vain de descendre aussi bas, ni de s'élever faites par le père contre l'enfant,
plus haut, et même avec des succès égaux par le mari
contrel'épouse, par le maître contre J'esclave,
on ne peut plus prétendre à la mémé gloire. par le créancier contré le débiteur, par le ci-
A la naissance de J'art, il fallait, toyen contre J'homme un amour
pour se pour la
distinguer, en atteindre les limites il faut ]patrie qui n'était que la haine des
à son déolin les dépasser pour être remar- autres
peuples,
1 l'assemblage de !a volupté et de la
qué. Les anciens ont atteint le sublimé du barbarie,
1 et un peuple tout entier passant
naïf, et les modernes le sublimé du grand des jeux obscènes de Flore aux jeux sanglants
(
on vent aller plus loin et l'on outre le naïf des
t gladiateurs. Et au milieu de ces em-
jusqu'au puéril, et le grand jusqu'au mons- pires qui ont brillé un moment sur la scène
1
trueux. Ainsi un homme veut toujours pa- du
( monde, et qui sont tombés, dit Bossuet,
raître jeune, et finit par être ridicule. Alors les
1 uns sur les autres avec un fracas effroyable,
ia comédie devient une farce licencieuse ou et
E tombés d'une chute éternelle, deux
peu-

(1) On â voa'.u nous faire croire


que les chefs dde même. On sait que
ce ne fut que plus tard qu'un
de deux armées d'hommes armés de pied pn cap se dde leurs rois se mit
niellaient nus poirr combattre avec des boucliers, n'était nu pour lutter, et la nudité
permisé qu'à ceux -qui
Cola rappelle ces chanoines d'Ethiopie dont parte n
tacle, se donnaient en spec-
t; C'est un reste d'extravagance
madame de Sévigné, qui chantaientl'office tout nus, l jour ces tableaux recevront des révolutionnaire.
Un draperies ou ne
avec leur anmusse sur le bras. La nudité était hon- paraîtront
p pas en public. Il n'y a en tout genre que
letise chez les Romains pour les hommes libres, et le bon et le décent qui doivent subsister, Nous souf-
It
l'on peat en voir la preuve dans le Trimalcion de frons
fi la nudué des statues
Pétrone. Les Grecs des temps héroïques pensaient la pardonnons aux enfants grecques comme nous
1:
iip;>
pies l'un commencé

l'autre consommé, (Matth. xvih, 28) devant qui tout genou doit
mais tous les deux le peuple de Dieu, parce fléchir (Philipp. u, 10), et qui doit réunir
que !'un a été conduit par ses ordres, que toutes les nationsdans une même législation,
l'autre doit être gouverné par ses lois deux comme le pasteur réunit ses troupeaux dans
peuples resteront debout au milieu des ruines le même bercail. C'est à la France à y entrer
du monde ancien, et s'élèveront au-dessus la première, et toutes les-nations y entreront
de tous les peuples modernes, et leurs deux après elle. Alors, laissant l'Europe s'entre-
iégis!ateursau dessusdetoustestëgistatenrs: tenir de l'éclat de ses victoires, et admirer la
l'un objet de la vénération du {peuplejiif; perfection de ses arts, elle ne s'enorgueillira
l'autre, ov>jel de l'adoration des Chrétiens, que de la dignité de ses mœurs, et de la sa-
à qui tout pouvoir a été donné sur le monde gesse de ses lois.
des intelligences et sur le monde des corps

LEGISLATION PRIMITIVE
CONSIDÉltÉE PAR LA RAISON.

PREMIÈRE PARTIE.

LIVRE I.
DES ÊTRES ET DE LEURS RAPPORTS.

CHAPITRE PREMIER. ss'appelle imagination l'être exprimé s'ap-


pelle
p corps ou matière.
SB LA PENSÉE ET DE SON EXPRESSION. 2° La pensée est exprimée par une parole
i. qui
q la nomme, ou par une
écriture qui fixe
connaissance des la parole. Ainsi exprimée, elle s'appelle pro-
1° L'homme n'a la idée; la faculté qui s'exprime en
présentes à prement
P
êtres que par les pensées son s'appelle intelligence, l'être exprimé
nous
11
esprit. s'appelle être intellectuel, esprit.
s
2° L'homme n'a ta connaissance de ses
IV.
propres pensées que par leur expression,
qui lui est transmise par ses sens. Ainsi 1° j'imagine, j'image, je me figure
De ces deux principes découle la science (mots tous synonymes) en moi-même un
des êtres et de leurs rapports (t). arbre,
c un animal je le figure au dehors par
Il. le geste; je fixe ce geste par le dessin (2).
de 2° J'idée ou je conçois, je nomme en moi-
L'homme a deux sortes d'expressions
de même justice, raison; je nomme au dehors,
ses pensées donc l'homme a deux sortes
I
ou je prononce raison, justice, et je fixe
pensées, donc deux sortes d'ares sont. (
parole l'écriture.
cette
( par
III.
V.
1° La pensée est exprimée par des gestes
qui la figurent, ou par le dessin qui fixe le Ainsi on peut regarder comme un axiome
geste. Ainsi exprimée, elle s'appelle image de la science de l'être intelligent, que le geste
est la parole de l'imagination, et que le dessin
ou figure; la faculté qui s'exprime en nous

(1) Le premier de ces deux principes est plus dont l'une fait connaître Dieu, l'autre fait connaître
convenu que le second, et bien des gens s'imaginent l'homme.
CDiwaîire leur pensée en elle-même et sans le se-
Ci) De là vient que les enfants appellent tous
cours d'aucune expression. La pensée n'est connue les dessins des images; ils pensent et parlent eu
n'est cela parfaitement vrai.
que par la, parole Dieu, intelligence suprême,
semblables
connu que var son Verbe. Propositions
1157 PART. I. ECONOM. SOC.
eh est l'écriture. Les muets manquent
en
-N.
mannuont de
l'expression de la parole et ont éminem-
Haa
LEGISL.
hw
"ujui
i ,-u».
'»"• PR1MIT I.-LIV.
“:“
I.
j..
i. DES ETRES.
in-m» signes de mes sensations
les larmes,
plaisir
p
d
ou de peine ne produisent pas sur
MS8
*1S8
de
ment celle du geste les aveugles manquentt ceux qui en sont témoins la même peine ou
c<
tout à fait.de t'expression du geste, et parlentt ïeE même plaisir que j'éprouve mais
beaucoup (i).. mon
geste
& ou ma parole, expression de ma pen-
Vi.
VI.
sée,
SE éveillent en eux la même pensée qui
m'occupe
m ils n'ont pas senti ma joie ou
Tantôt l'image emprunte l'expression douleur, ma
ae d< mais ils pensent ma pensée. Si je
l'idée ou la parole, et je dis ou j'écris arbre, conviens
ce avec quelqu'un que je lui ferai
,animal, au lieu de les figurer par le geste signe
«! que j'ai rencontré telle personne, en
le dessin; tantôt l'idée revêt l'expression oude
l
portant
P< la main à mon chapeau,
l'image, et au lieu de dire ou d'écrire justice, ce mouve-
ment
m est un signe de ma pensée, qui sup-
je la figure sous la forme d'une femme voilée pose une parole qui a précédé et se confond
Pc
qui tient un glaive et des balances. J'assi- av elle; c'est une sorte d'écriture
avec chif-
mile l'être intellectuel au matériel;
ou l'être fri dont celuiqui je parle la clef.en
fres
matériel à l'intellectuel, et je dis: Une pen- a En un
mot,
m je désigne mes affections, j'exprime mes
sée prompte comme l'éclair, pensées; et telle est la différence des signes
un éclair rapide Pe
comme la pensée. On voit la raison de toute de affections aux expressions des
des
métaphore, comparaison, parabo!e, hiéro- pensées,
qu'une
qu expression juste ne peut rendre
glyphe, symboles, et la source qu'une
qu pensée, au lieu qu'un signe dénote
commune des
figures dans le style, des allégories dans le de affections quelquefois opposées,
des
discours, des emblèmes dans les arts qui les larmes, signe de douleur qui comme
les
consistent généralement à spiritualiser les désignent
aussi
au l'excès de la joie.
images des corps ou â matérialiser les idées Cette distinction entre les expressions
d'êtres intellectuels, c'est-à-dire à figurer les les signes n'a pas été et
idées, et à idéer les figures. assez observe par l'i-

déologie moderne.
VII. IX.
Les images et les mots sont donc plus f l'homme ne connaît les êtres
Si
tes signes de nos pensées; ils que que par
en sont l'ex- ses pensées, s'il ne connaît ses pensées
pression, et de là vient que les mots s'ap- que
par leur expression, il ne connaît donc les
pellent des expressions, et que l'on dit, êtr' matériels que par les images qui les
êtres
raison, d'un homme qui parle avec
s'exprime figurent à son esprit, comme il
bien ou mal.
11
ne les fait
connaître
con aux autres que par les images sous
lesquels
les( il les lui figure; il
VIII. ne connaît les
êtres intellectuels que par les paroles:qui
êtrE
L'homme a deux expressions de les nomment à sa propre pensée, et il
ses pen- ne les
sées, parce qu'il a deux pensées principales fait
faitt connaître aux autres
auxquelles toutes ses pensées se rapportent, que par les paro-
les qu'il leur dit; et si
pensée aux corps pensée aux esprits. une image rend pré-
sent ou représente un objet matériel,
senl
L'homme a deux signes de
ses sensations, parole rend présent aussi ou représenteune
parc
joie ou tristesse parce qu'il n'a être intellectuel. un
que deux
sensations principales auxquelles toutes
ses
sensations se rapportent, sensation de plaisir, X.
sensation de peine, et deux sentiments Donc
aux- Di tout être matériel qui ne peut pasêtre
quels tous ses sentiments se rapportent, figuré ne peut pas être
figm
amour et haine. Ici la différence est sensible dans connu il n'est
dan; les pensées de l'homme, il n'est pas
entre les signes et les expressions. Le rire et donc
donc tout être intellectuel qui pas •
ne peut pas
(1) Les deux facultés d'idéer
très-distinctes l'une de l'autre. Laet d'imaginer sont des hommes
1 à imagination. Leur pensée
voit
source de beau- qu?i*
qu'images ou figures, et cependant leur stylene
coup d'erreurs est de les confondre et de vouloir triste sec et
triste en est totalement dépourvu. L'intellecluei
qu~
'ens~'e~
tmaymer là où l'on ne peut qu'idéer, r lie
ou idéer peut s'imaginer que lorsqu'il prend un corps qu'il'
1u'on. ne peut Je connais ou j'idée ce
la
Deu
réalise, qu'il se rend présent à nos sens,
se ré~
sagesse je ne l'imagine pas; j'imagine le méca- en UII
usine de mon propre je ne le conçois pas. mot,qu'il
mot,
On ..nagu.e le solide corps,le et solide car, comme dit très-bien Malebranchc,
pas s<
sans
l iutellecluet sans l'imaginer. concevoir, onctnâtt ?
Les matérialistes sont
le l
( le sensible Il'est pas le solide.
k
CËUVRE5
Stro nommé n'est pas dans les
i'homme, il n'est pa9, Il faut nier ce prin-
cipe* Ou se résoudre à admettre une longue
série de conséquences. “
COMPLETES
pensées 1de
1 ~o Ur,
met de
ments
m.
M M. DE BONALU.
Il-l'i.&
-9 1-~et If'Iol"
magination
de l'intelligence,
1
les faux
';hÔ"(\n1"nt~

I*iià,n"lente
4'0 II. Y jugements
HGO

entre la fiction et l'erreur,


que l'erreur manque de vérité, et n'existe
seulement
seu de réalité. Une sirène:
la fiction

impossible qu'elle
pas mais il n'est pas
pas
.*•' existe,
exi puisque je ne la figurerais pas, si
Donc tout être matériel qui est ou peut elle elle était impossible, et que je conçois dis-
être figuré, existe ou peut exister. Donc totit tinctement tim que la même puissance qui a fait
poissons, peut faire un être
Être intellectuel qui est ou peut être nommé, les femmes et les
peut être, et l'on peut défier tous less qui
qui soit l'un et l'autre à la fois (1), Au lieu
est ou
philosophes de l'univers de figurer ou dei qu'une qu' força préférable à la sagesse ne pi.- ut
un être impossible; car comment cei pas
pas être, puisqu'elle cesse d'être force à l'ins*
nommer
qui n'est ni ne peut être pourrait-il êlre re- tant tan qu'elle se préfère à la sagesse» et parce
présenté ou rendu présent par la nom eu- par que r qu cette force; préférable .&
la sagesse ne
ia figure?
Xll.
»o'fic (cuites les pensées de l'homme sontt la
' peut
P?1
comme
co'
de mot
pas être, je ne puis pas la nommer,
j'ai nommé sirène; je ne connais pas
qui exprime une force préférable àè
représentatives de l'êli'e. sagesse, et pour en faire mieux sentir
tfâiôè ou l'impossibilité, on n'a qu'à traduire sagesse
XIÏI. l'il
par ce qui doit
pa ce qui doit diriger, et foret estimpossible
par
Mais avec des pehséeâ vraies, l'hommee être êti dirigé, et l'on verra qu'il
des jugements faux, et suppose entre e ou contradictoire que ce qui doit obéir soit
porte
u oréférable à ce qui doit commander.
les êtres des relations qui ne sont pas ou or
qui ne peuvent pas être; et comme il
8 deux x XVII.
sôf tes de pensées, il tombe dans deux sortes un faux jugémè&t d'imagination

erreur. qu'on Ainsi


de jugements faux, l'un d'imagination de réalité, un faux jugement dans
appelle fiction, l'autre d'idée qu'on appelle le manque
m
les idées pèche contre la vérité; l'un con-
le
erreur. w
i\ à l'inexistence actuelle, l'autre aboutit
duit
la
à
la contradiction, et c'est malà propos
XIV.
*1V- que
J'aî l'imagé dTube femme, d'un poisson, a, Conduise
Ci élève des difficultés suf cette
dé Chants»daïoehers, ces pessées sont vraies
et représentatives de ce qui existe. Je forme
un jugement de toutes ces pensées* et
j'ima-
lé -gl
a-
gemefits.
es épreuve
é] infaillible de l'erreur dans nos ju*

XVIII
gine une femme-poissoft qui habité des eS
Ainsi les hommes n'inventent pas les
s
écueils.où elle attire )es navigateurs par ses êtres, ils les déplacent» et supposent entre
chants ? je forme un jugement d'imagination eS
311
des rapports. Ils peuvent se tromper
sirène eux
e
qui est faux, parce que cet être a ppelé nnC
dans leurs jugements, mats leurs pensées ne-
n'existe past ce jugement s'appelle fiction. les
.v- ï •
préfé-
If trompent pas.
XIX.
J'ai l'idée, de sagesse, de force, de
II faut revenir sur une assertion à laquelle
rence ces pensées sont vraies ou représen-
n
le lecteur peut-être n'a pas donné toute
l'at-
tatives de ce qui est. J'en forme un juge- est tenlion qu'elle mérité. Non-seulement la Iï-
tl
ment, et je pense ou jâ dis que la force est gure et la parole sont l'expression aécessaire
préférable àla sagesse ce jugement estfaux, ix fj
dde nos pensées 5 l'égard de ceux à qui nous
1X>

parce qu'une force qui l'emporte sur la sa- voulons les communiquer mais elles ph sont
gesse n'est plus force, mais faiblesse; ce ju-
U
u- l'expression
1 nécessaire pour nous entretenir
gement s'appelle une erreur.
avec nôus'mirnes ou pour penser. Ainsi
XVI. rnous ne pouvons tracer au dehors
la figure
Il y a cette différence entre lès faux juge-
je- d'un
c corps par le geste ou le dessin, sans en

(1) II y a des refeiîoiis de voyageurs anciens,


is > courte
c entre deux points, et où la famille est cou-
qui partent de quelque animal mafiik de ce genre re cernée par tes enfants; et ce n'est pas SansTaisOn
qu'ils' prétendent avoir aperçu. Ils se trompent sans
ans ce roi indien* me Voulait pas
cfoiré un Hollan-
que
c
doute; mais leur récit faux n'est pas absurde, de dai«
( qui lui disait que-, da«s son pays, le peuple
eotnme le Serait celui d'un voyageur qui assurerait
rait était
( soavera-in.
la
avoir vu. un pays où la ligne droite n'est pas plus-
Lus-
s~
110.'1 rtam, 'J.i uy.rmvm.
avoir en nous-mêmes la représentation ou et qui explique le mystère de l'être intelli-
l'image, car l'image est une figure inté- gent.
rieure, et la figure est une image rendue ex XX,.
térieure, Et de même nopsi^e pouvonsémet*- Ainsi t'être intelligent eonçoit sa parole
tre su dehors «ne parois ou. la fixer par l'é- avant de produire sa pensée, ainsi il y a eon^-
criture, sans en avoir en nou5,T,mêineg la pro- ception et Production de ThomnaB moral,
nonciation intérieure. Ainsi penser, c'est se
parler à soi-même d'une parole intérieure, comme il y & conception et production d@
l'homme physique car ëest fie la fimiHlucls
et parler, c'est penser tout haut et devant les des idées que mît la similitude det ewpreç-f
autres. Ainsi l'on peut regarder comme, une sions, autre axiome de la science de l'êtffl
vérité générale, qu'il est nécessaire d'avoir intelligent (1).
l'expression de sa pensée pour pouvoir ex-
primer sa pensée, ou bien, <;omm§ je l'ai dit XXI..
ailleurs, que l'homme pense sa parole ayant Donc la parole n'est pas une invention de
de parler sa pensée proposition certaine., l'homme, puisqu'il ne p,ei}t y ^ivoir même

(1) Que cherche notre esprit quand il cherche banque, qui, pour traduire la monnaie étrangère
nue pensée? Le mot qui l'exprime, et pas aulrç en monnaie nationale, observa les différences ,èt eu
chose. Je veux représenter une certaine disposition
de t'esprit dans la recherche de la vérité; habileté,
tient compte.
Je reviens à la supposition i@ ms sophistes. La
curiosité, pénétration, finesse, se présentenj à nioj; nature fait naître l'homme en société et ses vices
la pensée qu'ils exprinient n'est pas celle que je l'isolent. Nos philosophes, au contraire, commen-
cherche, parce qu'elle ne s'accorde pas avec ce qui cent par isoler l'homme, et lui font inventer la
précède et avec ce qui doit suivre je les rejette. SPciétéi II faudrait s.'ex$|jquernetiemenj ^lur c<sll$
Sagacité s'nffre mop esprit; ma pensée est trouvée, question. Çroif-on que dans aucun temps rhommç
elle n'attendait que son expression. 146 et 2S7 me ait pu naître de lii seule énergie de la matière en
présentent deux idées du nombre très-distinctes, fermentation,et qu'il en ait reçu l'admirable méeaT
j'en veux former une seule idée, ou. une idée col- nisme de l'organisation de son corps et le prpdige
lective. Que fais-je pour la trouver, et pourquoi ne de son intelligence? Si les partisans de Condilla.c
l'ai-je pas aussitôt que je le veux? C'est que son repoussent cette hypothèse, pourquoi en font-ils la
expression me manque; je la cherche, je la trouve, base de leur système? S'ils adrouitent un ,l}je,u
et j'ai l'idée «lemaiidée £53. Tous les exemples cjéateiir, pourquoi refuser rte reconnaît un Diçu
peuvent être réduits '.à ceux-là, et je fais alors législateur ou ''conservateur?
comme un peintre qui, voulant représenter la figure Pourquoi recourir à des absurdités pouf expli-
d'un ami absent, retouche son dessin jusqu'à ce quer l'exercice nécessaire de. facultés néçessaji-e^
qu'il ait trouvé l'expression du visage qu'il recon- à l'homme? Peut-on admettre qu'une intelligence
naît aussitôt. Cette vérité que la parole n'est pas irih'nie ait créé l'homme, et supposer que, telle
d'invention humaine, et que les langues sont un don, qu'une marâtre crueile, elle ait abandonne son exis-
est la dernière peut-être qui reste à prouver pour la tence socialc au hasard de ses inventions, en sorte
connaissance des êtres et raffermissementde la so- que si un homme ji'eût pas eu assez d'esprit pour
ciété. Gondillaç et autres supposent 1'homme seul inventer la parole, le genre humain tout entier se-
ilans les forêts, et l'homme ne peut naître, et de rait aujourd'hui dans un état bien au-dessous de
longtemps vivre qu'en nombre trois. Or entre trois celui des plus vils animaux? Le sauvage <le TAvejN
êtres formant une famille, il y a par toute la terre ron a certainement la faculté de penser et d'arti-
un langage articulé et même un langage complet, culer, Depuis deux ans on l'instruit avec zèle et
semblable dans ses parties (l'oraison et dans leurs intelligence, et il n?a pas même de gestes imitatifs
modes essentiels^ diffèrent seulement dans le voca- d'aucune pensée, quoiqu'il montre du doig.l quel-
bulaire et le nombre des mots. ques objets présents relatifs à ses besoins.
Or cette unité dans le langage, puisque toutes Sans doute, le moyen de la première transmissioii-
les langues ne sont qu'une expression de li même de la parole faite à l'homme nous est inconnu, et
pensée,' et qu'elles se traduisent toutes réciproque- l'imagination n'en fournit aucune image mais la
ment, prouve un instituteur un, une institution raison conçoit et peut démontrer qu'if est iuipos-
unique, et même une famille une; car les langues sible, c'est-à-dire contre la constitution physique et
ne se transmettent que par la famille et passé les morale de l'homme, qu'il puisse inventer l'expres-
premières années, où les organes sont lèà-flexibles, sion de ses pensées, car ce serait inventer sou pr(v
il serait presque impossible d'apprendre à parler. pre être intellectuel. Cette démonstraiion purement
Les plus âgés transmettent le langage aux plus rationnelle est suffisante, puisque l'homme ne reçoit
jeunes, comme ils leur ont transmis la vie, et ils de certitude infaillible que de sa raison et non de
leur donnent, en quelque sorte, de leur intelligence, ses sens, et que l'imagination elle-même ne méi'itu
çpmme ils leur ont donné de leur corps. L'enfant aucune créance sans l'attestation et le i~isa de la
expr ime par le geste et. même par le dessin les objets raison. Et prenez garde que dans la question qui
qu'il a vus, comme il exprime par la parole les nous occupe, si la raison parle l'imagination se
idées qu'ii a entendues mais il ne parle pas plus tait il n'y a pas entre elles contlit de juridiction
sans avoir entendu qu'il ne figure sans avoir vu. et l'imagination ne fournit pas d'images contraires
La parole est la monnaie du commerce des intelli- aux perceptions de ma raison au lieu que dans la
gences entre elles, représentative de toutes les-idées, démonstration des asymptotes, que personne ne ré-
comme la monnaie est représentative de toutes les voque en doute, la raison et l'imagination sont en
valeurs, Un inconnu dans un pays est une
monnaie qui n'a pas de cours, et qui n'est pas mar-
opposition formelle car la raison se démontre à
èlie-mème par le calcul que deux lignes prolongées
quée au coin du prince. L'interprétation des langues à l'infini et s'approchanttoujours lie peuvent jamais
étrangères, est une opération semblable à celle de la se rencontrer. L'imagination, au. contraire, se figure
ravv
.1.e
d'inventer' sans une parole qui ex-•
prime cette pensée. Donc les ris et les lar-
abbé
..1.1..L.d.l~G~d~, na .an1'&QnfA quelque
de J'Epée, qui ne représente ffllPÎltllP
chose, il n'est aussi aucune chose, quelque
mes, par lesquels nous manifestons nos af- indépendante qu'elle soit de nos sens, qui
fections, vraies ou feintes, de plaisir ou deî ne puisse être expliquée clairement par une
peine, sont des signes natifs (1) au lieuî analyse composée de mots simples, et qui,
que la parole et même le geste sont des ex- en dernier ressort, n'ait besoin d'aucune
pressions acquises, adventitiœ. Donc elless explication. w
sont naturelles, c'est-à-dire conformes à lat XXIII.
nature de l'être car il n'y a rien de pluss
naturel à l'être qui doit acquérir que l'étatt L'expression de nos pensées nous est
acquis, et la perfection est l'état le plus na- transmise par les sens de la vue ou de l'ouïe
turel de l'être perfectible (2). mais la pensée elle-même est distincte de
son expression et la précède c'est la con-
XXII. ception qui précédera naissance. L'homme
Ainsi l'homme connaît les êtres par sesi a la pensée en lui-même, puisqu'elle se ré-
pensées, et ses propres pensées par leur ex- veille à l'occasion de la parole orale ou
pression. Ainsi, au lieu d'étudier la penséej écrite qu'il entend car si l'oreille ouït, si les
de l'hommedans le sanctuaire impénétrable yeux lisent, c'est l'esprit qui entend. La
du pur intellect, comme on le fait aujour- pensée est native, la parole est acquise; mais
d'hui, il faut l'étudier, pour ainsi dire, danss la pensée n'est pas visible sans une expres-
le vestibule de la parole, et expliquer l'être) sion qui la réalise, et l'expression n'est pas
pensant par l'être parlant, comme on connaîtt intelligible sans une pensée qui l'anime.
l'homme conçu dans le sein de sa mère, par• Une expression sans pensée est un son une
l'homme produit au monde. pensée sans expression n'est rien Nihil sine
La pensée de l'homme est la représentationt voce est (I Cor. xiv, 10) a dit saint Paul.
des êtres, fondement de "ontologie, ou de lat Là est le moyen de conciliation entre les par-
science des êtres la pvrole de l'homme estt tisans des idées spirituelles et les partisans
la représentation de ses pensées, fondementt des sensations transformées, entre les disci-
de l'idéologie, ou de la science des idées. ples de Descartes et de Malebranche, et
« Comme il n'est aucun mot, dit le célèbre» ceux de Locke et de Condillac (3). •
nettement que deux lignes, s'approchant continuel- geste ne petit être d'aucune manière l'élément d'un
lement, doivent finir par se rencontrer en un point, son, et il y a entre eux l'infini. C'est, au contraire,
et la raison elle-même murmure contre le calcul1 parce que les hommes s'entendent par le moyen du
qui la subjugue, et trouve malgré elle de la con- geste, que jamais ils n'auraient songé à inventer la
tradiction à admettre deux lignes infinies qui s'ap- parole, si la parole pouvait être une invention car
prochent toujours et s'évitent sans cesse. là où il y aurait un moyen suffisant de s'exprimer,
il faut faire ici une observation importante sur lai il n'y aurait jamais de motif nécessaire ou de rai-
rectitude de nos jugements. La rectitude des juge- son suffisanted'en inventer un autre.
ments sur les objets purement physiques tient à lat (1) L'homme seul peut rire, parce que le rire
force de nos passions un homme intempérant juge naît d'un contraste ou rapport que l'homme seul
en général tres-bien des jouissancesphysiques, ett peut saisir par la pensée, et voilà pourquoi l'intelli-
un homme intéressé, de la bonté d'un marché mais gence se peint principalement dans le sourire.
la rectitude du jugement en morale tient à la ré- (2) Les hommes ont des images avant d'avoir
pression de nos passions, et voilà pourquoi l'habi- des idées; ils voient-les corps avant de connaître
leté dans certaines affaires va rarement avec l'ha- les esprits. De là vient que les enfants et les peu-
bitude de certains devoirs. Les enfants du siècle, ples naissants gesticulent beaucoup, et même dessi-
dit le grand Maître sont plus prudents en affaires nent volontiers. 11 est évident que le dessin est un
queles enfants de lumière. (Luc xvt, 8.) geste fixé, car le geste significatifd'une chose n'en
Quand nous disons que la parole est nécessaire exprime que les contours, et les premiers dessins
pour penser, il faut entendre la parole des images des peuples et des enfants ne sont aussi que des
comme celle des sons. Les sourds-muets pensentt contours et des linéaments sans ombres et sans re-
par images et parlent par gestes. Les mots qu'on lief. Le premier progrès est de colorer les objets, le
leur transmet arrivent à leur esprit par les yeux, dernier d'y mettre les ombres, et l'on peut dire qu'il
1
comme aux nôtres par les oreilles, et sont pour faut être fort éclairé pour apercevoir les effets de la
eux une image, et pour nous un son. Et pour nous- lumière sur les corps. Les hiéroglyphesétaient une
mêmes, quand nous ne faisons que penser, les motsi écriture de contours, un dessin des objets. Aussi les
ne sont pas un son, ils ne sont qu'une image. Le hommes ou les peuples qui pensent beaucoup par
mot cause réveille dans un homme instruit l'idée de images, s'expriment beaucoup par gestes, et aiment
cause, et il porte avec lui sa signification je crois les arts d'imitation.
que, pour un sourd-muet, il ne marche jamais sans (5) Le lecteur le moins attentif remarquera
l'image de l'effet qu'on lui a donné pour exemple, et combien ces locutions-familières, la parole, expres-
ils sont comme des enfants qu'on instruit perpé- sion de notre intelligence, et son image fille de la
tuellement avec des tableaux et des comparaisons peusée, et par laquelle la pensée se produit; ne fai-
sensibles. Les partisans de l'invention du langage sant qu'un avec la pensée, et cependant en étant dis-
veulent que le geste ait conduit à la parole. Le tinguée; née de la pensée et son égale, etc., etc.;
CHAPITRE Il. d'être
«
moi et d'être lui. Non seulement
l'homme dit Je suis, mais il dit J'ai été,
DES ÊTRES ET DES MANIÈRES D'ÊTRE. je
J serai, j'aime ou je suis aimant, je suis
I.
aimé, et dans les diverses modifications du
verbe, il exprime l'idée de la distinction des
L'homme même le plus borné dit Je suis, personnes, de la différence des temps, des
de l'action reçue,
lu es, il est, nous sommes, ils sont, et chezi progrès de l'action faite etsont les racines du
les peuples les plus abrutis on retrouve3 de l'actif et du passif. La
l'expression de ces pensées. En parlan t ainsi, langage, et la raison pour laquelle verbe et
les hommes s'entendent eux-mêmes et sont
t parole sont synonymes. En effet, le verbe
t
entendus de leurs semblables ils agissent est la parole par excellence, parce qu'il est
les uns envers les autres à l'occasion dee l'expression exacte de l'être intelligent, et
cette intelligencemutuelle de leurs pensées de toutes ses manières d'être, de pensée, de
donc ces paroles sont des expressions dea sentiment et d'action, et que nul autre que
pensées; donc l'homme partout a des idéess l'être intelligent ne peut dire Je veux,
d'être, d'être singulier et d'être pluriel, j'aime, j'agis,je suis (1).

combien, dis-je, toutes ces locutions, qui dévelop- i- des verbes avec leurs temps et leurs modes, des
le mystère de l'homme,s'accordent avec celles noms de nombre, des noms appellatifs, des substan-
pent ;s
que la religion emploie pour mettre à notre portéee tifs et des adjectifs, des langues qui nomment le
le mystère de la nature divine, en qui elle nous s ciel, la terre, le grand esprit, chez des peuples qui
montre aussi une parole éternelle ou verbe, exprès* n'ont pas la première notion de nos arts et des
sion de l 'intelligence suprême et image de sa sub- i- choses les plus nécessaires à la vie, pas même quel-
stance Fils de Dieu, et cependant égal à son Père, quefois l'art de faire du feu. Explique qui voudra
par lequel il se produit et se manifeste, etc., etc., etc.3. comment toutes les combinaisons merveilleuses de
Je laisse ici le lecteur à ses réflexions mais qu'il il la parole ont été inventées chez des peuples qui
s'effraye de rapprochement. Ce n'est pas les plus simples de
ne connaissent pas les moyenscouvrir,
ne
une vaine
pas
parole, que
ce
l'homme a été fait à l'image
is
ettt rendre la vie commode, de se
mais vérité,
de préparer
j'admire
à la ressemblance de la Divinité; et Bossuet lui- i- leurs aliments, etc. en
difficiles les
com-
de la.
même, traitant ces hauts sujets, dit « Et nous- i- ment des hommes si sur preuves
mêmes, n'avons-nous pas en nous une intelligence ce vérité, admettent sans preuves cette étrange as-
dont notre parole est le fruit? » sertion.
Ces deux propositions l'intelligence divine n'est H Les langues ont un rapport évident à l'état des
connue que par son verbe, l'intelligence humaine le peuples dont elles sont l'expression, transpositives,
n'est connue que par sa parole, peuvent servir à bruyantes, hardies, dérégléeschez les peuples à pas-
instruire le Chrétien dans la science de l'homme, î, sions, les peuples païens: plus analogues, mieux
et celui qui croirait n'être que philosophe dans la la réglées et d'une harmonie plus douce et plus (a)
science de Dieu. En effet, le Chrétien, persuadé lé vraie chez les peuples chrétit ns. C'est parce que les
par la foi de la première; proposition, se prouverait it langues transpositives confondent la place des êtres,
à lui-même par la raison la vérité de- la seconde,ï, que l'on a été forcé, pour se. reconnaître, d'inventer
et irait ainsi de Dieu à l'homme: te philosophe, les déclinaisons, qui ne sont que le signe du rang
après s'être prouvé à lui-même par la raison la que le mot devrait naturellement occuper dans la
vérité de la seconde proposition, pourrait en con- i- phrase. Ainsi une langue analogue dit « Dieu com-
clu ie la première, et verrait en nous-mêmes la rai- i- mande aux. princes de conduire leurs sujets à la
son des locutions !es plus étonnantes de religion, la i, vertu. > Et dans cette phrase Dieu souverain, les
et irait ainsi de l'homme à Dieu car, encore une ie princes ses ministres, les peuples qui sont les su-
fois, on peut démontrer à ta raison que notre pen- 1- jels, le verbe commander qui exprime la relation du
see n'est exprimée à l'esprit des autres, n'est con-
1- pouvoir au ministre, le verbe conduire qui exprime
nue à notre propre esprit que par la parole. la relation du ministre au sujet, la vertu enfin, lin
(1) Les mots n'ont par eux-mêmes aucune vertu, i, de toute volonté de Dieu et de toute action de
quoiqu'il soit vrai de dire qu'ils lie sont pas purement litt l'homme, sont placés dans la phrase comme ils le
arbitraires; mais la parole a la vertu d'exprimer la sont en eux-mêmes et dans la pensée. Les Grecs et
(lensée. Ici les partisansde l'invention du langage tom- n- les Latins tourmenteraient cette phrase de mille
lienl dans une grande absurdité; il faut qu'ils sou- i- manières, toutes à pen près dans le génie de leur
tiennent que t'invention la pins merveilleuse, et qui
ni langue, hors la manière naturelle,
ne peulêtrele produild'un événement fortuit, comme lie Quant à l'invention du langage, l'auteur du Monde
ie sont toutes les découvertes des arts, mais ii
qui primitif, pense que le langage est de Dieu, qui a
aurait été le fruit des plus profondes combinaisons, i, donné les signes radicaux, que l'homme a étendus
si elle avait été combinée; une invention qui n'est
st par dérivation, ou qui se sont modifiés par sueces-
pas nécessaire à f homme au premier âge de la so- >- sion de temps et variétés dans les organes. Leih-
ciété, puisqu'alors, selon eux, uniquement occupé >é nilz écrivait « 11 ne faut pas s'imaginer que les
d'actions physiques, il peut agir sans parler; que Lie langues soient d'une institution arbitraire, et se
celle invention, dis-je, remonte au temps d un
ii soient formées par des conventions réfléchie».
]«uple le moins fertile en inventions, puisqu'on >n C'est une chose digne de remarque dans une grande
voit des langues avec toutes leurs combinaisons, s, partie de notre continent, les langues modernes

(a) On pourrait soutenir que notre langue est plus har- r- lange de sons forts et de sons faibles, de bruits, si j'ose le
monieuse, quoique moins éclatante que la langue laline, e, dire, masculins et féminins, caractère distinctifde la lait»
parce que la langue latine n'a que des sons pleins et forts,
s, gue française.
et qu'il n'y a pas d'harmonie dans la nature sans un mé- é-
II. VI.
Les êtres sont, et ils sont tous d'une cer- La perfection de la volonté s'appelle la
taine manière propre à chacun car, s'il n'y raison, la perfection de l'action est la vertu,
avflit qu'une manière d'être, on ne distin- virtus, action forte car la vertu est force
guerait aucun être il n'y aurait qu'un être. même avec la faiblesse physique, virtus in
Je ne distinguerais pas mon esprit de mon infirmitate perficitur, comme le crime est
corps, mon esprit d'un autre esprit, mon faiblesse même avec la force physique, im-
corps d'un autre corps, je ne distinguerais potentia, et c'est ce qui fait dire à Hobbes
rien (1). que le méchant est un enfant robuste.
IH. La vertu est donc une action commandée
L'homme EST une intelligence capable de par une volonté raisonnable (2).
pensée, et il a un corps ou des organes ca- Vil.
pables dé mouvements; organes qui trans-
Ainsi, intelligence, pensée, volonté, consti-
mettent à l'esprit l'expression de ses pen-
sées, et en reçoivent la détermination de ses tuent l'être intellectuel.
Organes, mouvements, action, constituent
mouvements. La manière d'être propre de l'être organisé.
l'hommeest doncd'être une intelligence servie
Intelligence et organes, constituent î'hom-
par des organes. ine.
IV. Volonté et action, constituent l'homme
La pensée qui détermine le mouvement fait.
s'appelle volonté, le mouvement qui est dé- Raison et vertu constituent l'homme par-
terminé par la pensée s'appelle action. fait, l'hommemoral ou social (3).
V. VIII.
La pensée a un objet de ses déterminations, L'homme passe par deux états très-dis-
un terme, et la mot même de détermination tincts. Dans le premier? il a une intelligence
indique un terme. Ce terme est l'objet de la sans connaissance de ses pensées, sans vo-
` volonté, le sujet de l'action, qui conduit à la lonté, et des mouvements sans action. C'est
fin que l'être se propose. Cette fin est d'être; l'état nati f de l'homme, état originel, état
le bien-être, ou plutôt le mieux-être, la per- imparfait, et dont il fait effort pour se tirer.
fection ou la plénitude de l'être car quelle Au sortir de cet état, trop souvent il tombe
autre fin que d'être, J'être libre de vouloir dans un-état vicieux et dégénéré, celui où sa
et d'agir, pourrait-il se proposer dans sa vo- volonté est sans raison et son action sans
lonté et dans son action?'1 force ou sans vertu; ou bien il passe à l'état
nous fournissent la trace d'une langue ancienne de l'Epée tout ce qu'il faut écrire de mots pour
extrêmement répandue. d'une langue commune, faire comprendre aux sourds-muets ce mot croire
et cette conclusion s'accorde mieux avec les saintes avec ses modificalions personnelles, temporelles et
Ecritures. » M. Hugues Blair, encore vivant, cé- successives. Disons donc que le verbe a été du com-
lèbre professeur à Edimbourg, dans son Cours de mencement, et qu'il est le moyen de toute instruc-
rhétorique, énonce le même sentiment sur l'instruc- tion car le substantifprésent peut être montré par
tion du langage. M. Sicard pense que le Créateur le geste, et absent il peut être figuré par le des-
a fait l'homme parlant, J.-J. Rousseau combat le sin (a).
système de l'invention humaine, en sorte que l'on (1) L'égalité absolue est confusion, au physique
peut regarder cette opinion comme dominante: et comme au moral.
M. de Gérando, qui a préféré le sentiment de Con- (2) Dans ce siècle, on a défini la vertu une dis-
dillac, convient lui-même qu'elle est fort commune. position à {aire du bien. La vertu, chez les païens,
La difficulté est du plus au moins des mots donnés; pouvait être une disposition; chez les Chrétiens,
mais l'on peut croire que le mot principal, le verbe, elle est une action, parce que !'amour, qui en est
dont le geste ne saurait figurer les modifications in- le principe, veut agir. Âmor ubi est, operatur; ubi
tellectuelles, est un signe radical, mais qui n'a eu non est amor, non operatur, dit un Père de l'Eglise.
dans le principe (et l'on en juge par l'hébreu) que (3) Ainsi l'esprit répond à organe, pensée à
les temps et les modes nécessaires. Sans doute, on mouvement, volonté à action, raison à vertu. Ce
peut figurer par le geste l'action de manger; mais sont là des relations, et l'attention à les observer
comment en figurer les temps et les modes? Com- toutes dans le discours est la première condition
ment figurer le croire, dans ses modifications di- d'un bon style, d'un style vrai, expression d'une
verses, aux yeux de celui qui n'en aurait pas eu pensée iuste.
l'idée dans l'esprit? Il n'y a qu'à voir dans M. l'abbé

(à) Il n'est pas inutile de remarquer que l'éducation ac- truction qu'elles donnent est sur les rapports qui les unis-
tuelle ne met dans la tête des enfants que des nomencla- sent. Les sciences physiques exercent la mémoire, les
tur,es de substantifs.La religion, comme la métaphysique, antres forment la raison.
ne nomme que deux êtres, Dieu et l'homme, et toute l'ins-
perfectionné, celui où sa volonté est éclairée
1. Y. '11 lU
e écrire, d'une charrue pour labourer. Dans
par la raison, et son action forte et ver- ces différentes opérations il y a trois choses
tueuse c'est l'état naturel de. l'homme,r- tnés-distirtçtes 1° La pensée qui détermine
état bon, état accompli, état de la fin de les organes 2° les organes qui sont détermi-
l'être, bien différent de cet état natif pu im-:e nés $> le sujet de la détermination, sur le-
parfait qui est l'état M commencement, et ouù1- quel les organes s'exercent, ou autrement la
J.-J. Rousseau et ceux de son école ontlt volonté, l'action, l'objet,
placé l'état naturel de l'homme, erreurfon-
damentale qui infecte leurs écrits, et qui, XIII.
1
malgré les couleurs brillantes de leur style, Ces manières d'être sont relatives l'une à
les rendra inutiles, même alors qu'ils aurontit l'autre la volonté sans action n'est pas une
cessé, d'être dangereux (1). volonté, mais un désir action sans volonté
IX. n'est pas une action, mais un mouvement c
un effet sans action et sans volonté. serait un
Nous avons vu, § I" de ça chapitre, hasard, et le hasard n'est pas. Le hasard, dit
l'homme fsf une intelligence, et qu'il
quee
a Leibnitz, n'est que « l'ignorance des lois na-
des organes, l'avoir, est donc une manière turellfis.»
e
de l'être, eMa plus générale possible, puis*
qu'elle comprend toutes les autres. Etre est XIV.
absolu, Têtre est ou n'est pas. Avoir est re- Ces manières d'être relatives l'une à l'au-
latif, et susceptible d'augmentation ou de dir
i- tre s'appellent des rapports. L'ensemble des
minution et, comme tes organes peuvent ,t rapports ordonnés pour la fin de l'être, c'est-
être plus ou moins disposés à servir la pen- à-dire pour son bien-être ou sa perfection,
sée, les connaissances dont ils transmettent(; s'appelle l'ordre.
l'expression sont plus ou moins étendues.
Et même tout ce que l'homme peut acquérir, XV.
il peut le perdre, et cesser d'avoir sans ces- Dans le système de l'homme, les organes
ser d'être. sont le moyen, le milieu, medius (car moyen
vient de medius), de la volonté, comme
X.
cause, pour obtenir un effet. Ils sont donc
Ainsi avoir est accessoire d'être être estt interposés entre la volonté et son objet.
substance avoir est accident, modification, C'est ce qui fait qu'on appelle milieu certai-
manière d'être. Etre est invariable; manière? nés substances interposées en une chose et
d'être ou avoir est variable. On ne peut pass une autre, comme l'air et l'eau. La volonté
être plus ou moins, mais on peut avoir plus détermine les organes à agir, comme les or-
ou moins ganes déterminent par leur action l'effet
XI. à naître ainsi l'homme voulant et agissant
Nous avons considéré l'intelligence et ses est tout entier exprimé dans celte proportion
organes; il est temps de considérer la vo- continue.
lonté et l'action c'est ici que s'éclaircit Je « La volonté est à l'action des organes
mystère de l'être.. comme l'action est à l'effet qui en résulte. »
L'extrême fécondité de ce principe se déve-
XII.
loppera peu à peu.
L'homme, capable de, pensée et de mou-
vement, veut (2) parler, écrire, labourer XVI.
ses organes obéissent; il agit, soit immédia- Ainsi, en métaphysique comme en géo-
tement par lui-même et ses seuls organes, métrie, îes proportions sont formées do
ou médiatement en ajoutant à ses organes la rapports, et.dans l'une et dans l'autre science
force auxiliaire d'instruments', comme d'un
ces rapports s'appeUentaussîrason.C'estdans
porte-voix pour parler, d'une plume pour est, ratio pro-
ce sens que Çicéron a dit Le$

11), Nous retrouvons les mêmes états dans la tion, à sa raison, et au bon usage de ses facultés,
société, l'état sauvage ou natif, l'état idolâtre ou prises dans leur point de maturité ut de perfection. »
corrompu l'état chrétien ou civilisé, état naturel (Voy. part. III, Dissert. sur L'état natif et iêtat na-
de la société. Dans le premier, ignorance et fai- tiw.el-)
blesse; dans le second, et violence dans le (ï?) C'est l'amour de soi ou des êtres semblables
dernier, raison et force. erreur
« L'état naturel de l'homme, qui détermine la pensée à être une volonté, et le
dit très-bien Burlamaqui, est, à parler général, mouvement à être une notion.
celui qui est conforme à sa nature, a saenconstiiu-
n"
11*71 ŒUVRES
1 mu y itr~a COMPLETES X.~ DE
t~Vâlt'Lb 1L LikJ M. DE BONALD.
UM-t Ut» J-'JJ l/VUXlLIl'i
1172
i
X AA
fecta a natura rerum; c( la loi est un rapport due, due.
d de mouvement, objet obiet des sciences phy-
t>bv-
qui dérive de la nature des choses;» et. siques si ou ces êtres sont intelligents et or-
Leibnitz, avec une si noble énergie « Dieu g? ganisés, et leurs rapports sont des rap-
est la suprême raison des choses » parce ports P( de volonté et d'action, de pouvoir et de
qu'en Dieu est le rapport général de tous devoir, objets des sciences morales nous ne
les êtres c'est-à-dire celui auquel tous les parlons
pl que des derniers rapports.
êtres se rapportent, comme tous les points
de la circonférence au centre, et qu'il est la IV.
raison générale de leur existence. Si la connaissance de la vérité forme la
raison
re de l'homme, l'homme n'a donc pas
XVII. d< raison avant de connaître la vérité; il ne
de
découvre donc pas la vérité par sa raison
La volonté est donc active par elle-même,
Il reçoit donc de la raison d'un autre être la
il
elle se détermine; l'effet ou sujet est passif,
connaissance de la première vérité, ou la
il est déterminé les organes sont passifs et cc
première connaissancede la vérité qui for-
actifs à la fois, passifs à l'égard de la volonté pl
qui détermine leur action, actifs à l'égard du se me les premières lueurs de sa raison, et qui
développe avec elle. Ainsi loin que
sujet ou objet sur lequel ils exécutent leur se l'homme découvre la vérité par la seule
action. fo
force de sa raison, il n'a de la raison que
XVIII. lorqu'il
lo a connu la vérité. D'ailleurs, l'hom-
Etre et avoir, idées fondamentales de i ê~
me ne connaît ses propres pensées que par
m
leur
le expression or il a reçu ses premières
tre actif et passif, rapports fondamentaux expressions, donc il
es a reçu la première con-
des êtres; être et avoir, actif et passif, fon- naissance de
ses pensées.
dements de toutes les langues qui sont l'ex- C
pression des êtres et de leurs rapports (1). V.
CHAPITRE III. Cette raison qui éclaire l'esprit de l'hom-
me est la raison de celui qui lui a donné ses
m
DE LA VÉRITÉ ET DE LA RAISON (2). premières
pr expressions et par conséquent la
connaissance
co de ses premières pensées, et
1. qui
ql est à son égard une autorité, puisqu'il
La vérité est la connaissance des êtres et est es J'auteur de la raison ( 3 ) qui dirige et
de leurs rapports; la raison est la connais- ordonne
or ses actions. Cet enseignement né-
sance de la vérité, elle est J'esorit éclairé par cessaire
ce de la vérité s'appelle révélation,
la vérité. manifestation
m faite par l'être qui sait à l'être
<.JI ignore; et quoique cette expression ne
qui
II' S
s'applique qu'à la connaissance des vérités
La raison est donc active ou adventive, ad- primitives
pi donnée par Dieu même aux pre-
ventitia. L'homme naît esprit, et il apprend miersm hommes, il est vrai de dire que l'hom-
à raisonner; il est intelligence, il a de la me, m même aujourd'hui, ne reçoit ses pre-
raison. mières connaissances que par révélation,
m
c'est-à-dire par la transmission que ses ins-
c'<
III. tituteurs lui font de l'art de la parole, moyen
ti.
Ou les êtres sont corporeiS, et leurs rap- de dE toute connaissance de la vérité; parole
ports sont des rapports de nombre, d'éten- qu'il qt ignore, si on ne la lui transmet pas,

(1) Les mots être et avoir sont implicitement entière


en est l'expression des pensées d'un peuple,
exprimés dans les langues anciennes; ils le sont qu sont ses lois, ses coutumes, ses habitudes. Les
qui
à découvert dans les nôtres, où ils se joignent, raisous
ra des règles du langage humain peuvent n'être
sans se confondre à plusieurs temps du verbe, dont pas
pa celles que je donne; mais il faut les chercher
ils sont les auxiliaires nécessaires. Les motifs de ça l'homme doit travailler sans cesse à étendre sa
car
ces diversités ne sont pas arbitraires; ils sont peut- raison
ra or, la raison de l'homme consiste à con-
être dans la différence des idées modernes ou chré- naître
na les raisons de tout, ou la vérité, surtout dans
tiennes sur Vêtre el l'avoir, aux idées des païens, les objets qui tiennent à son intelligence d'aussi
les
qui ne connaissaient pas plus l'être qu'ils ne res- prés
pr que sa parole.
peetaieut l'avoir ou la propriété. Mais ce n'est pas (2) Il y a un livre intitulé De la Raison et de
ici le lieu de développer ces vérités il suffit de la Vérké. Ce titre est défectueux, parce aue la vérité
«lire que l'homme raisonnable ne croit point au précède
pi la raison pour la former
hasard; que plus l*effôt est général, plus il lui sup- (3) Auctorilas, synonyme d'auetoramenlum, si-
pose une raison importante que si 1 parole est cnilie
en sûreté, sanction, garantie, etc.
l'expression de la pensée d'un homme, une langue
qu'il n'invente pas quand il l'ignore et qui
Ii

aurions presque toujours besoin, avant de
11 it
seul remplit l'intervalle immense qu'il y a juger, d'un plus ample informé.
entre un enfant stupide trouvé dans les bois
ls
et un homme civilisé. VIII.
Ainsi, plus un être intelligent a ae con-
" vi. naissance de la vérité, ou de science des
Ainsi le premier moyen de toute connais- êtres et de leurs rapports, plus il a de raison,
sance est la parole reçue de foi et sans exa-(_
en sorte que la souveraine raison l'omni-
men, et le premier moyen d'instruction est
5t
science et la suprême vérité ne sont qu'une
l'autorité. Discentem oporlet credere, dit Ba-
(.
seu'le et même manière d'être.
con, doctum expendere. C'est à celui qui ap-
t- IX.
prend à croire, à celui qui sait à examiner. Si l'homme acquiert de la raison, la rai-
«L'autorité,» dit saint Augustin, au traitéé.
De la vraie religion, t «demande la docilité, son, et par conséquent la connaissance de la
et conduit l'homme à la raison (1). »
t vérité, commencent pour l'homme (.2 )-:
elles se développent ensemble, et l'une par
VII. l'autre, faibles d'abord et obscures à cause
de l'imperfection des organes qui transmet-
L'absence de toute vérité est l'ignorance e tent à l'esprit l'expression de ses pensées
absolue, le défaut de développement de laa et qui sont le moyen de la connaissance de
vérité est l'erreur car l'erreur, comme lee la vérité; plus fortes, plus étendues à
mal n'est qu'un défaut une privation, unee me-
négation, et l'on se rappelle que nous avonss sure que les organes acquièrent leur matu-
rité. Ainsi la raison doit s'affaiblir, et la
dit, au chapitre 1er, que la vérité était tou- connaissance de la vérité s'altérer à mesure
jours dans nos pensées, et trop souventt
l'erreur dans nos jugements, Darce aue nouss que les organes eux-mêmes s'affaiblissent,
et penchent vers leur dissolution (3).
(1) L'enseignement de tout art, de toute science,
le moyen, le pouvoir et son ministre. Les ins-
commence par voie d'autorité, et ne pen-1 commen-'> truits les distinguent. et ne sont pas plusgens
cer autrement. Quel est l'élève qui ne reçoive de étonnés
de voir la raison s'affaiblir par le dessèchement
cette manière les éléments de la grammaire, deee
la géométrie, de l'analyse, et qui ne suppose sans ou tout autre état du cerveau, que la vue baisser
s par l'obscurcissement des yeux, et l'ouïe devenir plus
examen les notions préliminaires de l'étendue, dess dure par le racornissement de l'organe auditif.
nombres, de la quantité, du mouvement, etc., surr Ce qui est essentiel au corps d'uu homme, 1 dit Ma.»
lesquelles les savants disputent depuis des siècles?•
Je dis plus, et il serait impossible d'instruire des lebranche après Descartes, » est une certaine partie
hommes qui commenceraient par disputer de ces vé-s du cerveau à laquelle l'âme est immédiatement
rités. Un enfant passe à son maitre, sans contester, unie. > L'âme est une lumière enfermée dans un
des points sans étendue qui font de l'étendue, des verre, qu'elle use par son activité. Les matérialistes
lignes sans largeur qui font des surfaces, des n'y voient qu'un verre lumineux. « Brisez le verre, »
3
faces sans épaisseur qui font des solides il lui sur- disent-ils, « et vous n'y verrez plus rien; brisez le
plus par moins qui donne moins, moins passe5 verre, disent les Chrétiens, et vous y verrez beau-
par moinss coup mieux. > On sera charmé de trouver ici on
qui donne plus. Si l'on disputait, sur les bancs,
<fes mathématiques comme on dispute de la théolo- passade de Fénelon dans son traité de l'Education
gie et de la philosophie, on désolerait les géomè-• des filles, qui s'exprime ainsi sur le ministère du
tres (a). Où en serait le genre humain, si l'enfant ett•cerveau dans l'opération de l'esprit. Le tempé-
rament du cerveau des enfants leur donne une ad-
le sujet ne voulaient obéir que lorsqu'ilsauraientt
compris la raison de l'obéissance? mirable faculté pour l'expression de toutes les ima-
( 2 ) L'histoire de toutes Jes sciences, ges. La substance de leur cerveau est molle, et elle
et parti-•se durcit tous les jours. Pour leur esprit, il ne sait
culièrement de la science ;de la société, n'est
ques
l'histoire des développementsde la vérité, et consc- rien, et tout lui est nouveau. Cette mollesse du cer-
quemment des progrès de la raison. veau fait que tout s'y empreint facilement, et la

(5) L'âme pense par le moyen du surprise de la nouveauté fait qu'ils admirent aisé-
parle par le mi.yen de la voix, comme elle cerveau, et ment, et qu'ils sont fort curieux. Il est vrai aussi
regarde que cette mollesse et cette humidité du cerveau,
par les yeux, écoute par les oreilles, agit par les jointes à une très-grande chaleur, leur donnent
mains il ne faut pas dire qu'elle digère un
par l'esto- mouvement facile et continuel. »
mac, parce qu'elle n'est pas maîtresse de cette fonc- Dans ce passage, il faut distinguer l'idée générale
tion, ou du moins elle ne l'est pas immédiatement
Ce sont là les lois de l'union de l'âme et.du du ministère du cerveau dans l'opération de la pensée,
corps,
matière importante, et qui n'a pas été traitée comme de l'explication particulière qu'imagine Fénelon,
elle peut et doit l'être. L'inaction de d'après !a mauvaise physiologie de Descartes. On
nos organes
enchaîne l'activité de notre âme, plus active peut bien imaginer, mais on ne conçoit certaine-
que le
corps n'est agissant, et c'ett ce qui faisait désirer ment pas le rapport qu'il y a entre la mollesse
l'humidité
et
du cerveau, et l'ignorance, la curiosité, <
à saint Paul la dissolution de ses organes,
pour
jouir à découvert de l'éternelle vérité. Cupio dissolvi la légèreté de l'enfance; et puis que veulent dire
et esse cum Chrisio. (Philip. 1, 25.) Les matéria- ces impressions faites sur notre cerveau ? Y a-t-il
listes confondent la pensée et le cerveau, la cause rien d'empreint sur le cerveau de l'homme le plus
et savant, et aperçoit-on à cet égard, même au micro»-
(a) C'est l'opinion du célèbre Kant.
~t3 UI~j m. 1~~ üV11t11LV. ~q lü
CHAPITRE IV, parlent
pi un langage articulé, on -doit donc
t)E L'ÊTRE général
ET suprême DE
l être lrtrouver la connaissance de quelque être su-
PARTICULIER ET SUBORDONNÉ, OU DE DIEU périeur
P1 à l'homme, le nom do cet être, objet
ET DE L'HOMME. di l'amour ou de la crainte de l'homme, et
de
le actions extérieures qui sont l'expression
les
î d~ cet amour et de cette crainte (1).
de
Si l'homme ne peut inventer la parole, le
III.
genre humain son origine a reçu d'un être
supérieur à l'homme la parole, par le moyen Or partout où les hommes ont rencontré
de laquelle il connaît ses propres pensées. dl leurs semblahles, ils ont trouvé un lan-
de
Donc la première connaissance de l'homme gage articulé, et ta parole qui exprime l'être

pensant a été la connaissance d'un être su- supérieur
si à l'ho"mme., objet «lé sonanjôùrou
périeur à l'homme. De cette connaissance de sa crainte ils ont trouvé soVs des formes
dl
ont dû suivre nécessairement des sentiments d
différentes la connaissance, l'adoration et la
d'amour pour le bienfait, de crainte de lé culte
et de quelque divinité: croyance de tous
puissance, la volonté de lés témoigner, l'ac- le peuples, que Ciçéron appelle « la voix
les
tion qui les témoigne; l'adoration a été la de la nature et la preuve de la vérité, » vox
dl
première pensée, et la première parole a été nalurœ
n< et argumentùm peritatis.
un culte. -iv.:
H. Cet être, les hommes l'appellent Dieu, ou
L'homme, cause seconde de tous les effets, de tout autre mot correspondant (presque
di
a transmis la parole, comme il transmet la toujours
te monosyllabique universellement
vie, et avec la parole la connaissance de ses entendu
el de tous les hommes qui pariaient
pensées. Partout où il existe des hommes qui la même langue (2).
la

cope, ,a plus légère différence entre le cerveau de car cï il n'attache à ce mot aucune signification. Or
l'homme instruit et celui d'un imbécile? Et comment je le demande, qu'on suppose, avec Côiidillac, une
un si petit espace peut-il recevoir l'empreinte du troupe tr d'êtres pareils, et qu'on les mette ensénïble
passé., du présent, de l'avenir, de l'eyislantel même pourpi inventer un verbe et les autres parties d'oraison,
du possible ? La vérité générale est connue par une et el en faire des phrases. La parole, venue par le
expérience générale, et par ces locutions communes commerce
c< des êtres parlants, se conserve par le
à toutes les langues, qui toutes prennent le cerveau même ni moyen, et on lit dans l'Histoire des voyages
ou la tête pour l'esprit même avoir de la tête, q]que Selkirck, Ecossais, avait oublié sa langue et
une bonne tète, une tète sans cervelle, etc., et qui même ra perdu la faculté de parler, pour avoir passé
nomment ainsi le ministre pour le pouvoir; mais cinq c ans tout seul dans l'île de Juan Fernandès.
quand on veut en expliquer le comment, on tombe AI. M Pinel, médecin de l'hospice de Bicêtre, daiis-uii
dans le particularisme de l'imagination, qui ne pré- ui ouvrage sur l'aliénation mentale, rempli d'obser-
sente que sous de vaines figures les relations cer- vations
v: profondes et de vues utiles, a remarquéque
taines entre des qualités physiques et des opérations l'idiotisme
l'i ôte à l'homme la parole, et le conduit
ai mutisme et une preuve frappante de la corres-
Intellectuelles.. Dans tous les'cas pareils, la réponse au
la plus sage est celle du docteur dans Molière :Quare pondance
p< nécessaire de la pensée et de la parole,
c que l'homme, qui n'a reçu aucune parole ni
opium facit il.orrzziré? Quia halret virtut~tzi doxnüti- c'est
vam. Toutes nos connaissances sur la manière dont orale o\ ni de -geste,' soit un idiot, et que lorsqu'il est
la pensée et l'organe agissent l'un sur l'autre ne ic idiot, il perde la parole qu'il avait reçue; également
é
vont pas plus loin, et nous, qui nous croyons si ha- .dégradé de l'humanité, soit qu'il ignore l'art de
J)iles en physique, nous ne savons réelfement.que parler,p soit que la faculté de penser lui manque.
les généralités, et ce que nous connaissons le mieux (1) II n'est pas d'absurdités que lés philosophes
est |a métaphysique. modernes
n n'aient dévorées, plutôt que de supposer
Je finirai, par une dernière observation sur l'or- l'homme
1' sorti primitivement des mains du Crcaieur,
gane vocal. La lésion <le l'oeil empêche,de voir, la f<formé dans, son corps terre, d'éléments terrestres, puis
lésion de l'organe, vocal de parler, la lésion de t'or- son
S' corps se résout en animé d'un esprit non
gane olfactif A'oUorçr, etc.; mais la lésion de l'ouïe égal,
é mais semblable à l'esprit divin, puisque son
empêche de parler: on est muet dès qu'on naît esprit e pense l'esprit diviu. Mais comment et par
sourd, quoiqu'on puisse être muet sans être sourd. quels q moyens celle création s'est-elle opérée, de-
Cet effet, particulier ces deux organes, prouve nmande l'imagination? Là s'arrête la pensée, car
mieux que de longs raisonnements que la parole ne l'homme1' a plus d'idées que d'images, puisque l'idée
peut venir que par transmission. Le sauvage de est c générale, et que les images sont locales et par-
l'Aveyron, actuellement à Paris, n'est ni imbécile, titiculières. Ainsi l'idée conçoit généralement le temps
ni sourd, ni muet mais telle est l'extrême diiiicuiié ei£ l'espace; l'imagination compte une à une l'heure,
de parler, quand on n'a pas appris à le faire dès et e mesure le corps.
ses premières années, que cet enfant, âgé de qua- ( 2 ) Dieu, venu du latin Deus, du grec Tlieôs, se
torze à quinze ans, entouré depuis deux ans de rretrouve dans le Thaul égyptien et le Theutalès
leçons continuelles, et sans cesse avec des hommes gaulois,
g comme le Jéhova hébreu se trouve dans le
qui lui parlent, ne peut faire entendre de parole, Jou J grec, dont on 'a fait ioupater ou Jupiter, qui
quoiqu'il entende celle des autres, et que lui-même fifait aux cas suivants Jovis, Jovi, Jovetn. La re-
articule lait, mais par exclamation seulement et en marque
n est de Leibnitz, car il faut rendre à chacun
signe de joie, à la vue du mets qu'il aime le plus c qui lui appartient. Ce grand homme attache
ce bc;iu-
v. VII.
Mais par cela seul que 's
hommes s en- La connaissancede la Divinitédonnée aux
tendaient en parlant de Dieu* ils avaient peuples en état natif ou naissant, conservée
tous une même idée de Dieu* et de ce qu'é- chez les peuples en état naturel ou perfec-
tait Dieu à leuf égard. En effet, comme tionné, s'altéra donc chez les peuples en état
l'homme n'a dé connaissance des êtres que corrompu, et les Grecs, peuple dégénéré et
par ses pensées, il s'ensuit que l'homme cause première de la dégénéralion des peu-
voit Ses pensées, et par conséquent se voit ples, peuple mauvais, accusé par toute l'an-
lai-même dans tous les êtres. Ainsi l'hom- tiquité d'avoir altéré les traditions primiti-
me conçut avec facilité la pensée d'une vo- ves, parce qu'amoureux de fables et d'allé-
lonté qui a produit la généralité des êtres, gories, il mit la vérité en vaines images,
et du pouvoir qui les conserve, comme il les Grecs défigurèrent l'idée de la Divinité,
concevait en lui-même la pensée de sa au point que leurs sages, ne la reconnais-
propre volonté qui reproduit les êtres parti- sant plus, préférèrent d'en nier l'existence.
caliers, et de sou pouvoir particulier sur les
êtres subordonnés. Là aurait dû s'arrêter la Primum Graius homo mortales tollere contra

(1). ' '"••


raison, et Dieu était ediinu de l'homme

"
Est oculos ausus.
(Lucret., De iiat. rerum., i, vers. 67, 68.)

-'
Mais l'imagination voulut aller plus loin. CHAPITRE V.
L'homme avait l'idée claire et distincte de
la volonté Ae Dieu il voulut se faire l'image DES RAPPORTS DE DIEU ET DE L'HOMME.
de {'action de Dieu dans la production des
créatures, et comme il
voyait ses propres V
1.
organes être l'instrument dé son action par-
ticulière, il attribua des organes la
Divini- Tous les peuples ont donc connu la cause
té, pour expliquer son action, et il s'en fit la plus universelle ou Dieu, l'effet le plus
des images taillées. En lui attribuant ses universel ou l'homme universel puisqu'il
sens, il lui attribua ses sexes, ses passions, renferme en soi l'esprit et la matière, hors
ses faiblesses; de là les absurdités de l'ido- desquels il. n'y a rien dans l'univers uni-
iâtrie, et les abominations de son culte, qui versel encore, parce que tout se rapporte à
commença par faire un homme de Dieu, et lui, comme objet de ses pensées ou sujet de
qui finit par faire ses dieux des hommes. son action.

coup d'importance à ces antiques étymologieSt et à la nécessité de l'ordre particulier. Le plus simple
les regarde comme les dépositaires des premières bon sens s'accorde parfaitement.dansces conclu-
vérités. • -i sions avec le génie ce sont les deux extrêmes de
Eternel serait-il l'adjectif formé dn mot être, l'homme, et ils- se touchent. Ils sont tous les deux
comme temporel l'est de temps, annuel d'an, etc. ? de la famille de la raison mais te bon sens. plus
Car être, étymologiquement si différent de l'esse modeste dans ses goûts, s'occupe d'alï'aii es domes-
latin, semble présenter dans sa dernière syllabe ire, tiques le génie, pliis entreprenant^ se laoce dans
qui est là même chose que ter, l'expression des la carrière publi(jue. « Un homme est plus grand
trois temps de la durée qui composent l'éternité génie, dit Terrasson,à mesure qu'il est plus homme
teiniefàus bit tèiéhïui. d'Etat, et qu'il- voit -mieux ce qui va au bien de la
« Dieu est possible, dit Descartes donc il est; car sociélé civile. » Le bon sens conçoit que le Tout-
s'il n'était pas, il ne serait pas possible qu'il fût,n Puissant a pu tout faire, et le génie démontre la né-
puisque nul autre être ne pourrait réaliser cette cessité de cet être tout-puissaiH niais combieiï
possibilité, et le faire êtïe. H faut, .pour ruiner cette d'iinagiiiatioli ne: faut41 pas pour se ligùfef on monde*
preuve, soulenir que Dieu est impossible, et c'est ce <|ui se ftiit tout seul avec des atomes ronds et cro»
q.u'on n'a pas essayé. Condillacn'a pas eompris cette chus, à force de mouvements sans impulsion, d'ordre-
preuve de Desearîes. Ma preuve est plus simple saiïs loi, d'effets sans cause, l'homme né d'un pois-
« Les hermines nomment 'Dieu donc il est; » car, son et de la chaleur du soleil! Quand ma raison
s'il n'était pas, if ne serait pas nommé. Donc Dieu me dit qu'il existe un être nécessaire, que cet être
est cause universelle, moteur suprême, pouvoir sou- est nécessairement tout-puissant, que le Tout-Puis-
verain, attributs conséquents à l'idée de Dieu, et sant a tout fait, qu'ai-je besoin d'iHiagimei1 coniment
dont aucun n'implique contradiction, comme 'rond- ila fait ta moindre chose? car la difficulté est h
carré, p.Êuple-souverain, ftls-père, sùjet'pouvoir;; même pour le plus petit ge.ruve qui renferme un
dans le même Etat. Aussi Condillac a attaqué le monde de germes, comme pour le monde qui ren-
principe de la côtitradiotioi), qui est l'épreuve de la fermé tous les germes,, it m'est aussi difficile d&
fausseté de nos jugements. concevoir pourquoi l'homine, avec toute la ïnaiière
(1) Partout où la raison de l'homme ne sera pas à sa disposition et son étonnante industrie, ne peut
égarée par l'imagination, l'homme tirera sans effort pas faire une graine, lui qui fait des navires et dès
".es conséquences si naturelles, conclura de l'ordre palais, que d'imaginer comment Dieu a fait les*
particulier à 1'ordre général, et de l'ordre général germes sans une matière picexisianie.
..uv
n. employées en parlant de Dieu et de l'hom-
Mais ces deux termes extrêmes de tout le me, et de leurs rapports, mais elles sont
usitées et dans quel ouvrage sur ces ma-
système des ê:res, la cause et J'effet, partout tières ne trouve-t-on pas ces locutions
pensés, partout nommés, ces deux termes
« Dieu a proportionné sa grandeur à la fai-
en rapport nécessaire, puisque le mot d'ef- blesse de sa créature, les rapports de Dieu
fet exprime par lui-même un rapport à la à l'homme, et de l'homme à Dieu.? » Et
cause, et le mot de cause un rapport à l'effet; la religion chrétienne tout entière, qu'est-
ces deux termes, dis-je, ne donnaient pas elte autre chose que la connaissance du
aux hommes des lumières sur la nature de rapport entre l'extrême puissance de Dieu
leurs rapports avec Dieu. Quel était le moyen et l'extrême infirmité de l'homme et du
de leurs relations avec l'Etre suprême, ou
moyen de leurs relations? et n'est-ce pas
plutôt, par le moyen de quel être la grandeur dans cette connaissance qu'est la raison de
de Dieu, être général, se proportionnait-elle toute société?
à la faiblesse de l'homme, être particulier et
local, et l'infirmité de l'effet à la perfection V.
de la cause ? C'était là la grande énigme de Mais ces mêmes expressions, proportions,
l'univers, dont la solution a été un scandale rapports ou raison, extrêmes, moyen, etc., se
aux Juifs et une folie aux gentils. (I Cor. t, retrouvent dans la science des êtres physi-
23.) Ici, l'importance des objets, et, j'ose ques, et de leurs rapports de nombre et d'é-
dire, la nouveauté des raisons, sollicitent tendue ces expressions sont donc commu-
l'attention des esprits, même les plus préve- nes à l'ordre moral et à l'ordre physique.
nus, contre le fond des croyances religieu- Elles sont donc générales ou mathématiques,
ses, ou contre toute nouvelle forme de les car mathématique veut dire doctrine en gé-
présenter car, si les uns ne lisent pas, parce néral, la science par excellence, et sous cette
qu'ils ne veulent pas apprendre, les autres acception étendue, elle peut embrasser les
condamnent, parce qu'ils croient ne rien sciences morales comme les sciences physi-
ignorer, et qu'ils ne peuvent pas se persua- ques.
der cette vérité fondamentale, que pour l'in- VI.
térêt de la société, la vérité se développe à
mesure que l'erreur s'aggrave et s'étend, Or, ou le langage humain n'est qu'un vain
et qu'il n'est aucune vérité, absolument au- bruit,
1 ou l'identité des expressionsdésigne la
cune, qui soit positivement interdite à l'in- similitude des pensées, et l'unité des véri-
telligence humaine. tés car si la pensée ne nous est connue que
par la parole, comment les mômes paroles
III. exprimeraient-elles des pensées différentes't
L'homme avait donc, dès son origine, une Il faut contester ce principe, ou en admettre
connaissance des deux termes extrêmes de toutes les conséquences.
l'univers, Dieu et l'homme, la causeet l'effet. VII.
Mais pour établir entre eux une proportion
qui fût le fondement de l'ordre général et Ici les faits s'accordent avec le raisonne-
particulier, il fallait un terme moyen, rap- ment, et nous montront un être moyen ou
port ou raison entre les deux autres, un médiateur,
¡ connu des nations du monde les
être medius ou médiateur car il n'y a, en plus
1 éclairées dans la science des choses
général, de rapports connus, et de propor- morales, comme le rapport nécessaire et le
moyen d'union entre Dieu et l'homme nous

.1\
tion déterminée, que lorsque les trois ter-
1 voyons dans les livres hébreux promis
le
mes de toute proportion extrêmes et moyen, au
sont connus (1). 1genre humain, et cette promesse toujours
subsistante
1 dans la société où Dieu et l'hom-
IV.
me étaient le mieux connus, former le dog-
Proportion,rapports ou raison, êtres ou ter- me
i fondamental et constitutif de ce peuple
mes extrêmes de la société, être moyen, ou mé- qui
( attendait le médiateur sous le nom de
diateur (car ces mots sont synonymes), toutes Messie
i ou d'envoyé, et qui l'attend encore
ces expressions, non-seulement peuvent être après
l qu'il est venu.
(1) Ici je suppose au lecteur quelque connaissance des proportions, une des plus belles et des
premières parties des mathématiques.
VIII. voirs
} de l'homme, moins d'absurdité, de dé-
sordre,
S d'atrocité, de féracité, de peur de
L'être moyen ou médiateur est donc l'être jDieu, de haine de l'homme, de barbarie, en
qui unit l'homme à Dieu, et qui est le rap- tun mot, chez les mahométans, qui ont une
port entre eux. Mais les êtres ne nous sont connaissance
t confuse du médiateur. Ainsi
pas connus en eux-mêmes, et ne le sont ili y a eu connaissance de la nature de Dieu
que par leurs rapports. La connaissancedu et e des besoins de l'homme, raison dans le
médiateur entre Dieu et l'homme fait donc ddogme, sagesse dans le eulte, bonté dans les
connaître Dieu et l'homme. Ainsi il y aura lois, 1 vertus dans les mœurs, amour de Dieu
connaissance de Dieu et de l'homme partout eet de l'homme, ordre enfin ou civilisation
où le médiateur sera connu, et ignorance de commencée
c chez les Juifs qui ont une con-
Dieu et de l'homme partout où le média- naissance r certaine du médiateur promis
teur sera ignoré. Là où il y a connaissance et e il y a toute connaissance de la nature
de Dieu, de t'homme et de leurs rapports de d Dieu et des besoins de l'homme, du pou-
naturels, il y a nécessairement des lois par- voir t de l'un et des devoirs de l'autre, toute
faites qui sont l'expression des rapports na- raison,
r toute sagesse, toute bonté, toute
turels; il y a civilisation, qui est la perfec- vertu,
y amour parfait de Dieu et de l'hom-
tion des lois religieuses et politiques, divi- nme, ordre parfait ou civilisation consommée
nes et humaines et là où il y a ignorance de ddans la société chrétienne, qui a une con-
Dieu, de l'homme et de leurs rapports na- naissanceE pleine et entière du médiateur
turels, il y a des lois fausses qui sont l'ex- venu (1).
pression des rapports contre nature il y IX.
a barbarie, qui est la dépravation des lois.
Ainsi, il y a eu oubli de Dieu et oppres-
La civilisation suivra donc de la connais-
sion
f de l'homme, partout où il y a eu igno-
sance du médiateur, et la barbarie de Pigno-
rance
r du médiateur entre l'homme et Dieu.
rance du médiateur; et il y aura plus de
civilisation là où il y aura une connaissance X
plus développée du 'médiateur, et plus de Pour résumer en peu de mots la série des
barbarie là où il y aura plus d'ignorance. propositions
[ énoncées dans les chapitres
La question est donc réduite à des faits. Or précédents,
i qu'on peut regarder comme une
il y a eu ignorance profonde de la nature de introduction
i à toute science morale
Dieu et des besoins de l'homme, absurdité 1" La raison est une pensée conforme à la
dans le dogme, abomination dans le culte, vérité; la vertu est une action conforme à
atrocité dans les lois, férocité dans les 1la raison.
mœurs, peur de Dieu, haine de l'homme, 2° La vérité est la science des êtres et de
barbarie enfin chez les idolâtres qui ont leurs 1 rapports.
ignoré le médiateur et il y a plus de con- 3° La généralité des êtres est comprise
naissance de la nature de Dieu et des de- ssous ces expressions abstraites (2) cause,

(1) Les expressions proportion, rapport, moyen, matique


fi ou de la science en général, et représente
extrêmes, et autres semblables, désignent des géué- une u idée générale qui appartient à l'ordre général
rjlitës, et par conséquent conviennent à toute ddesde l'homme; vérités, et on ne dit pas racine carrée de Dieu
science des êtres en général; raison carrée ou eu- et e parce que le mot concret racine
bique désigne des particularités,et ne convient qu'à ccarrée ou cubique est de la langue arithmétique, ou
l'ordre particulier ou physique; la langue même de u la science des nombres en particulier, et repré-
avertit du point où l'on peut aller, et de celui où ssente une idée particulière qui ne convient qu'à nu
l'on doit s'arrêter, et elle se refuse à exprimer ce ordre c particulier de vérités. Le mot puissance est
qu'on ne doit pas penser. On <l vertu superficielle, eencore l'expression abstraite d'une idée générale,
superficie des corps, solidité, étendue, légèreté, force et e peut s'appliquer à l'ordre moral comme à l'ordre
de ("esprit solidité, étendue, légèreté, force des corps
physique,
V et il serait français de dire que dans cette
cVst là la langue des généralités, qui, connue la ssublime expression:Je suis celui qui suis (Exod. m,
semble, par cette multiplicationdans l'ex-
monnaie d'un grand Etat, a cours partout; au lieu 114), Dieu de
physique, <!e ppression son être, s'élever lui-même à la plus
que la langue de l'ordre particulier ou de t'être.
même que la monnaie d'un petit Etat, n'a pas de Ithaute puissance
considérations, ex- (â) Les idées générales ou simples sont exprimées
cours hors de ses limites. Ces détails,
trêmement belles dans leurs ï (les mots abstraits. L'abstractioa C'est
favorisentt par est dans les
l'opinion de Malebranche sur l'étendue intelligible mots, n la généralité dans les idées. ce que
Dieu, ré- i
Condillac à confondu perpétuellement, comme il
que nous voyons, selon ce philosophe, en
confond le général et le collectif, c'est-à-dire l'espi
gion éternelle des essences ou des généralités, comme c la matière. Voici
l'appelle Leibnitz, et dont l'univers physique n'est et c un exemple sensible de la dif-
que l'action. férence du général au collectif. Arntée est l'expres-
On dit donc les rapports de l'homme Dieu, paree sion s particulière d'une idée composée ou collective
qui comprend tout le matériel de l'armée. Générai
que le mot abstrait rapports est de la langue nuitlié- <
M8S OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD,
-– ygj
net
molieil. effet hors
moyen, effets desquelles iïu!
< llOrS dflSrmèlIfiS être n'est
fin! êtTft st naissance
naissan<>fi rlps
des êtres
Aires et Ha Ipiit-o
r>f de leurs rapports
wmnnrlo de
rls
hi ne peut- elfe» puisque ces expressions is raison, qui est connaissance de la vérité; de
comprennent tous les états même possibles ;s vertu, qui est conformité des volontés et
de lêlr'e, et que la pensée ne peut en idéer
ou eh concevoir d'autres.
t des actions à la raison de civilisation en-
fin, qui est raison et vertu dans là Société,
k' Si les états possibles de l'être sont tous is que là où les termes de la proportion et la
compris sous Ces trois expressions, cause, i, proportion elle-même ont été connus (2)>
moyen effet les rapports des êtres entre e
eux sont tous compris dans cette proportion
n CHAPITRE VL
Continue La cause est au moyen Ce que lee
moyen est d l'effet ou l'effet est au moyen n «ELOHfollE GÉNÉB.AL ET PARTICUtlEn

ce que le. moyen est à la cause j cetqui veut It 1.


dire que là cause agit sur le moyen pour lee
déterminer, comme le moyen agit sur l'effet et La cause, hmoyen, l'effet, comprennent lotis
pour Je produire (1). Ainsi le chef com-
tnande à ses officiers, et les officiers aux su-
i les êtres cetvd proportion, la cause est aumoyen
ce que le moyen est à l'effet, comprend tous
t-
jets. Ainsi le père a autorité sur la mère, et îi les rapports, les rapports universels, l'ordre
la mère sur l'enfant, etc., etc. en un mot de l'univers car l'ordre est l'en-
5° Donc il n'y a de vérité, qui est la con-
i- semble des rapports des êtres (3).
(dux) est l'expression abstraite d'uneldée générale lé fermait la mer dang ses bornes, affermissait la terre
qni comprend toute la pensée ou la volonté de l'armée.e. sur ses: fondements, balançait lesouverain
les architecte universel de ce
globe sur ses pô-
proprié-
Les idées générales sont toutes simples et indécom- i-
posables; les idées particulières sont toutes edm- i- taire des mondes, se jouant dans ses ouvrages, et
posées ou de parties, comme un arbre, nn animal, il, faisant ses délices d'être avec les enfanU des hotii-
ou d'individus, comme armée, multitude, genre, mes (Prov. "vnl, Zi) description sublime,étonnante
espèce, el ces dernières idées s'appellent collectives.
s. de pompe et de magnificence, et à laquelle on ne
Justice, raison, sagesse sont des idées simples ou iu connaît rien qui puisse être comparé. « H semble
générales, des idées unes, et voilà pourquoi on ne lie que quelques Pères, dit Leibnitz, aient conçu deux
dit pas au plurielles prudences, les sagesses, etc., filiations dans le Verbe de Dieu, avant qu'il se soit
comme on dit des armées, des genres, etc. Toutes ;s incarné celle qui le fait fils unique, en tant qu'il
les idées unes ne sont au fond que l'idée d'un seul ni est éternel dans la Divinité, et celle qui le rend
et même être, de Dieu. Idée3 particulières ou com-i- l'aîné des créatures, distinguant et séparant le fils
posées, idées simples ou générales toute autre di- i- unique du premier-né et concevant que, dès le
vision rentre dans celle-là. II faut peu diviser en sn commencement des choses, le Verbe éternel a été
métaphysique. revêtu d'une nature créée, la -plut noble de toutes,
([) L'expression est à, caractéristiquede toute
te qui le rendait l'instrument de la Divinité dans les
proportion parce qu'elle exprime tout rapport enm productions des autres natures, » elc. L'aulorité re-
général, se traduit autrement dans la langue dé la ligiuusé n'a pas prononcé sur cette opinion inutile
i
jîéomëli'iK. Dans celle-ci,- est à veut dire contient; 4 ail salut des hommes, et je n'ai moi-même voulu
contient ~i, comme 8 contient i. Dans l'autre,. est à autre chose que faire voir que le philosophe pou-
veut dire agir sur, détermine, produit. vait aller sur ces matières aussi loin que le doc-
(â) La philosophie tout entière n'est que la ieùr.
sck'iioe do la cause, du moyen et de l'effet, Elle est
st ( 5 ) La science du moyen explique tout. L'hom-
purement rationnelle, si elle s'élève aux' causes; me, par exemple, ne fait rien sans moyen ou in-
empirique ou7 expérimentate, si elle se borne aux x lermédiaire, et l'intelligence dans l'emploi et la re-
effets. Le matérialisme ne connaît que des effets, des
es Çlierché des moyens est ce qui le distingue des bru-

même.
l'ails, et l'athéisme nié la cause; ce qui revient au
Le déisme, qui est la doctrine des pliis sages es
lu tes. Jl exprime ses pensées par le moyen ou le mi-
fii.aèi-e (a) de la parole et il accomplit sa volonté
car le moyen ou le ministère de son action. Il
des anciens et des moins sages des modernes, ne le étend et multiplie son action physique par le moyen
connaît qae la cause et les,effets, et nie le moyen
In d'instruments; il apprend par le moyen d'un maî-
ou médiateur, xb <5v, dit Platon, tb ysv6y.svov Ce le tre; il enseigne par le moyen d'une méthodei Les
qui est, ce qui est fait. La philosophie chrétienne lie sciences et lés arts ne sont que des moyens. La
connaît seule la cause, le moyen et l'elfet; seule le médecine est le moyen de guérir, là jurisprudence
«Ile connaît Dieu, l'homme, leur nature et leur rap-i- le moyen de concilier les différends, l'architecture
port. C'est avec raison que saint Paul dit qu'il ne te est le moyen de construire une arme est uu moyen
veut connaître d'autre science que celle du médiateur,
r, d'aiiaque ou de défense; la charrue est un moyen
puisque toute science en morale est renfermée e entre l'homme ëtf là ferre qu'il cultive. L'intelligence
dans la connaissance de l'être par qui tout a été ,é humaine consiste à connaître la nécessiié de moyens,
lait ou réparé dans l'ordre moral, et il semblerait it sa curiosité à les chercher, sa sagacité à les dé-
même, dans l'ordre matériel. En effet, on voit dans is couvrir, son industrie à les mettre en œuvre. Cette
les livres qui contiennent ces hautes vérités, la sa-
i- intelligence est refusée à la brute, qui n'emploie
gesse de Dieu, que la religion chrétienne regarde
le guère d'autres moyens extérieurs que ses aliments
comme la personne du Verbe ou du médiateur,
•, et son nid, moyens dont l'invariable uniformité
« assistant la cause suprême de l'univers, lors- dans chaque individu dé la Même espèce annonce
qu'elle étendait les cieux, creusait les aW.mes, ren-
i- qu'une intelligence autre que celle; des brutes tes a
(d) Ce qui prouve l'identité de ces deux expressions,
s, moyen d'un ministre, la cause agit par le minUlère dit
est qu'on peut dire également Le prince juge pur lee moyen.
IL comme cause, moyen, effet, comprennent
Cet ordre général se subdivise et se parti- tous les êtres de l'univers.
cularise en deux ordres moins généraux, ap- VI.
pelés aussi mondes le monde physique et lee
Ainsi les rapports des êtres en société
monde social.
sont tous compris sous cette proportion Le
III. pouvoir est au ministre ce que le ministre
Dans chacun de ces ordres particuliers (re- est au sujet, comme les rapports des êtres
lativement à l'ordre général) les expres- qui composent l'univers sont tous compris
sions, cause, moyen, effet, prennent des sous cette proportion La cause est au
noms particuliers, et par la même raison la moyen ce que le moyen est à l'effet et
proportion, de générale qu'elle était de- l'homme lui-même constitué comme la so-
vient particulière. ciété et comme l'univers, l'homme considéré
dans le système particulier de ses facultés
IV. morales et physiques, est tout compris sous
La cause conservatrice du monae physi- cette proportion: La volonté agit sur les
que s'appelle premier moteur le moyen gé- organes, et les organes agissent sur unn
nérât de conservation est le Mouvement les objet.
effets sont les corps. Cet ordre du monde
physique se subdivise encore en systèmes VII.
particuliers, où le moyen ou même l'effet, Le ministre est le moyen terme, je moyen
dans un système supérieur, devient cause proportionnel entre le pouvoir et le sujet.
dans un système inférieur; ce qui a fait Cette proposition nous ramènera à l'ordre
donner au moyen et à l'effet le nom de cau- dela société, lorsque nous aurons considéré
le moyen universel, médiateur, ministre uni-
ses secondes. Ainsi le soleil qui est un effet
de la création et le moyen général de repro- versel, pontife Sanctorum minister, media-
duction, devierit cause seconde de féconda- tor, mediator unius non est, dit saint Paui
tion lorsqu'on considère les vapeurs qu'il (Galat. III, 20), pontifex, etc. car les Livres
élève, et qui se résolvent en pluie comme saints lui donnent tous ces noms.
un moyen de fécondité. L'homme physique,
qui est effet du mouvement général, devient CHAPITRE VII.
moteur ou cause, et emploie des moyens ou
DU MOYEN UNIVERSEL, ET DU MÉDIATEUR.
instruments par lesquels il applique le
mouvement général à un système particu- I.
lier car tous les arts mécaniques ne sont Le langage universellemententendunom-
que le mouvement 0/îi^rarappliqué à une me le moyen la raison en conçoit la néces-
fin particulière (1),

V. •
Dans le, monde social ou moral, le senl
sité, les faits en- prouvent l'existence.
IL -•
Quel est ce moyen universel placé entre
dont il soit question ici et qui est l'ordre la cause universelle et l'effet universel? ou
des êtres intelligents et organisés, des êtres plutôt comment se nomme ce moyen en-
qui veulent et qui agissent, qu'on appelle tre la cause nommée Dieu et l'effet nommé
société, la cause prend le nom particulier de homme? Les hautes considérations dans les-
pouvoir, le moyen celui de ministre, l'effet quelles nous allons entrer sont une consé-
celui de sujet; pouvoir, ministre, sujet, qui quence naturelle de ces principes déjà énon-
comprennent tous les êtres de la société, cés, que là où il a identité d'expressions,

-a.
renfermées dans les limites de l'étroit nécessaire pensée à ses muscles, ou celle de ses organes h sa
1
qu'elles n'ont jamais tenté de dépasser. Le seul art pensée?
1 car les nerfs sont le moyen de transmission
de faire du feu par te moyen de l'air et de matières àj la pensée et les muscles le moyen d'exécution de
combustibles, met entre l'homme le plus stupide et ] volonté. La vue, l'ouïe, le tact, qui comprend le
la
la brute la plus intelligente l'intervalle de l'être au goût et l'odorat, transmettent à la pensée la pré-
iiéant. sence et les qualités des corps, les organes de la
( 1) L'homme ne peut imaginer ou se figurer, locomotion
} exécutent les volontés qui naissent à
sous aucune image particulière, la première im- 1l'occasion de ces transmissions; mais les relations

et
pulsion, mais il en conçoit la nécessité générale, et
œla suffit; et lui-même, lorsqu'il donne le mouve-
ment à son bras, imagine-t-il comment sa volonté
ecute, et peut-il
s'exécute, i-ilpeu celte relation de sa
se figurer cette
se
OEUVRKS CO51PL. DE M. DE BOSALD. I.
u
de
( la pensée aux organes comme moyen de trans-
mission,
1
iJUV"~II
et celles de la volonté aux organes comme
d'exécution,
moyen u UAUUULIVIM, IWUa sont
nous
cav'l:uLlvW,livub bulit également inconnues.
redjuilic.st
:UlJ.t'1~dJr.:HJCIIt, siluviii.u~,
III\;UlIllU~'
i! y a similitude de pensées et unité dans parce qu'elle est une vérité générale. Ainsi
les vérités; que s'il y a rapport de Dieu ài la raison nous dit que l'être qui doit être
l'homme, il y a entre eux proportion possi- moyen ou médiateur entre le fini et l'infini,
ble à déterminer, puisqu'une proportion [
il'intellectuel et le physique, Dieu et l'hom-
h'est qu'un ensemble de rapports; que si no-• me, doit être lui-même nécessairement in-
tre esprit connaît des proportions entre desï fini sous un rapport, et fini sous un autre
êtres différents,il ne connaît pas deux gen- intelligence et corps, Dieu et l'homme.
res différents de proportions et déjà nous V.
avons remarqué dans les locutions les plus
familières de l'a langue, les rapports géné- Mais si nous cherchons à nous rendre une
raux ou les harmonies de l'intellectuel et du1 raison plus générale encore de la justesse de
physique (1). ces pensées sur la nature du moyen et que
III. nous rappelions les expressions générales
Nous nommons Dieu et l'homme, termesi de proportion et de rapport que nous
extrêmes entre • lesquels nous cherchons àt avons employées, nous trouverons dans les
connaître, c'est-à-dire à nommer un rapportt lois générales de la formation des propor-
qui les unisse, et par le moyen ou ministère tions, lois générales dont nous faisons une
de qui Dieu et l'homme, la perfection et lai application particulière à la science de
IV-
faiblesse, puissent se proportionner l'un àl tendue linéaire et numérique, nous trouve-
•l'autre et se rapprocher. rons, dis-je, des manières générales aussi
de résoudre le problème cherché, et de
IV. trouver le nom du moyen, puisque nous
Mais avant de tirer de ces expressions connaissons le nom'des extrêmes.
-rapport ou proportion, les démonstrations VI.
qu'elles peuvent nous fournir, il faut re-
marquer que notre raison consent à cette3 Or rien ne s'oppose à ce que nous con-
*vérité: qu'un être par le moyen ou minis- sultions ces lois générales, des proportions
tère de qui deux êtres s'unissent, doit être,3. et des rapports, même pour l'ordre moral,
nécessairement d'une nature commune à puisque l'dentité d'expression nous est un
J'un et à l'autre, sans quoi il ne pourraitt sûr garant de l'unité des vérités. Et d'ailleurs
être moyen proportionnel ou d'union entrea le raisonnement que nous allons faire sera
eux. Ainsi il doit être corps entre deuxt soumisà l'expérience du langage universel,
corps, ligne entre deux lignes, nombre entree et l'être que nous cherchons par cette voie
deux nombres esprit même entre deux es- ne sera pas, s'il n'est pas déja nommé ou
prits. Cette vérité est de tous les systèmes, connu par son nom (2).
(1) Vo#. la note de la col. 1481auchap. S; qu'il estit développées sur ces objets importants, et sa doc-
utile de relire ici. trine petite et erronée. Malebranche dit t Ainsi
(2) Je ne peux m'empêcher de revenir encoree que l'Auteur de la nature est la cause universelle.
sur la vérité de ces expressions générales, rapport't de tous les mouvements qui se trouvent dans la
et proportion, moyen, etc., propres à l'ordre géné-i- matière, c'est aussi lui qui est la cause de toutes
rai, et sur le transport, pour ainsi dire, que j'en aini les inclinations naturelles qui se trouvent dans les
fait à l'ordre de la société. Vertu superficielle, es- esprits, et de même que tous les mouvements se
prit étendu, caractère solide, sont les expressionss foiït en ligne droite, s'ils ne trouvent quelques cau-
usuelles, et partout entendues, de pensées vraies.i. ses étrangères et particulièresqui les déterminent
Pourquoi cela? Parce que ces mots solide, superfi- et les changent en dignes courbes par leur opposi-
ciel, étendu, et d'uu autre côté, caractère, vertu, es-
>- tion, ainsi toutes les inclinations que nous recevons
prit, sont tous des expressions abstraites des pen-i- de Dieu sont droites, et elles ne pourraient avoir
sées générales de l'ordre physique et de l'ordre ino- d'autre fin que la possession du bien et de la vé-
ral, et qu'il y a accord parfait entre toutes les pen-i- rité, s'il n'y avait une cause étrangère qui détermi-
sées qui sont générales, et leurs expressions qui Ii nât l'impression de la nature vers de mauvaises
sont abstraites. Mais si je dis vertu carrée, esprit
il fins. a Qu'auraitfait Matebranche, s'écrie Coudillac,
long, ou bien carré vertueux, surface ingénieuse, elc. si cette expression, inclinationsdroites, -n'eût pas été
;je ne suis pas entendu, quoique je me serve de mots ;s française? Sur cette exclamation seule, un homme
usités. Il y a ridicule dans l'expression, parce qu'il il instruit pourrait fermer le livre, assuré qu'il«peut
.y a fausseté dans les pensées, défaut d'accord et
ît être de n'y trouver qu'erreur dans les principes,
d'harmonie et que j'unis des pensées de l'ordre e puisque c'est là le principe de toute erreur car en
général ou moral, esprit, vertu, etc., à des pensées is métaphysique comme en géométrie, tout est vrai
de l'ordre particulier ou physique, long, carré ces :s ou tout est faux dans les principes je ne dis pas
deux mots n'expriment rien, parce qu'ils n'expri- i- d'un même livre, mais d'un même ordre car un
ment pas d'idée une. Je cirerai ici un exemple re- livre contient toujours des vérités de plusieurs or-
marquable de cette correspondance de généralités is dres. Comment Condiliac n'a-t-il pas vu que l'ex-
de mots et de pensées méconnue par Condillac à pression, inclinations droites, n'est pas permise,
ttn point qui prouve combien peu ses idées étaient It parce qu'elle est dans la langue; mais ou'elle est
!iS9 PART. I. ECONOM. SOC. LEGISLATION PRIMIT. I.
i. – L1V. II. DES ETRES.
LI'.1'IIJ yyu lvlSA7..
HOO
liiv
T711
VII. Yt_.Al~
t _c "1
Epitres de
W W
..1- saint Paul, se réduit
_I 1 àv cette pro-
Ainsi en consultant la règle générale, ett portion
P développée sous mille formes et
la plus générale des proportions le moyen traduite
tt de mille manières dans la langue
égal aux extrêmes, et construisant ainsi la particulière
P du christianisme ( 1). ) a
proportion générale ou métaphysique Dieu
IX.
est au moyen cherché ce que ce moyen est
à l'homme, ou bien en renversant la propor- Ainsi, depuis dix-huit siècles, la religion
tion commençant par l'homme et finissant chrétienne
cl
CI entretient avec simplicité les
par Dieu, nous trouverons toujours le nom, plus P' petits de ses enfants de ces vérités
et par conséquent l'être Dieu-Homme ou que 91 la méditation la plus sévère du philoso-
Homme-Dieu comme moyen ou médiateur phe P' lassé de contradictions n'aborde qu'en
entre Dieu et l'homme. Cet être prodigieux, tremblant
tr et comme ces terres inconnues
s'il existe, aura un nom, et ce nom ne sera où °' le navigateur est jeté après une longue
pas inconnu aux hommes: je le demande te tempête. Ainsi il se trouve même dans la
aux peuples modernes civilisés, et même les philosophie
P1 ce médiateur ineffable entre
seuls civilisés qu'il y ait et ils me répon- DieuD et l'homme ce ministre universel du
dent qu'il est parmi eux depuis dix-huit pouvoir P' de Dieu sur les hommes, moyen
P* qui tout a été fait et réparé, et la raison
siècles, un signe de contradiction, sujet à la par
lois d'adoration et de scandale je le de- montre m la nécessité de l'être dont la religion
mande au seul peuple de l'antiquité qui ait enseigne
ei l'existence. Qui n'admirerait cette
été civilisé, au peuple le plus ancien dès dt doctrine sublime quihumanise Dieu, qui di-
peuples, au Juif, et il me répond qu'il le vi vinise l'homme qui fait connaître comme
connaît dès les premiers jours du monde D Dieu qui rend présent réellement comme
sous le nom de Messie qu'il l'a attendu et homme (2) cet être auguste fils de Dieu
qu'il l'attend encore dans les derniers temps. et
et fils de l'homme, envoyé par l'un
venu
jx l'autre faisant, dit-il lui-même, la vo-
pour
.VIII. lonté de celui qui l'a envoyé (Joan.
lo
vi, 38) et
Si l'Hômme-Dieu est le moyen ou média- à qui tout pouvoir a été donné
sur le monde
teur cherché entre Dieu et l'homme, on dE des esprits et sur le monde des corps [Matth.
peut donc dire « Dieu est au Dieu-Homme xxnii, xi 18) réunissant dans sa seule
person-
ce que Je Dieu-Homme est à l'homme, » ou ne DE la nature divine et la nature humaine,
bien, l'homme est à l'Homme-Dieu ce que toutes to les grandeurs de la divinité, et toute
l'Homme-Dieu est à Dieu; » comme on dit t l'infirmité
l'i corporelle de l'humanité? Mais
« La cause est au moyen ce que le moyen l'admiration
l'a n'est-elle pas à son comble, lors-
est à l'effet, » ou, « l'effet est au moyen ce qu'on
qi voit cette substance des forts mise
en
que le moyen est à la cause. » Non-seule- lait la; pour nourrir les faibles, et la religion
ment on peut le dire, mais on le dit, quoi- chrétienne
ch déduire de-ces hautes vérités les
qu'en d'autres termes. Tout l'enseignement conséquences
co usuelles les plus utiles au
du christianisme, principalement dans les bonheur
bc de l'homme, à la prospérité des

dans la langue, et permise à ceux qui la parlent, cipes. Elle est générale comme le sont les vérités
cit
parce qu'elle est juste et qu'elle est l'expression géométriques, qui ne cesseraient pas d'être des vé-
gé<
d'une idée vraie? Il croit que le mot a produit l'i- rit générales, même quand il n'y aurait pas un
rités
dée, au lieu de sentir qu'il ne fait que l'exprimer, géomètre au monde, et la religion mahométane,
g&
et l'on dirait qu'il pense qu'il n'eût dépendu que des fût
fût-eile répandue dans tout l'univers, ne serait
inventeurs du langage de dire toat autrement, pour qu'une religion particulière, une opinion de. particu-
qu
que lès hommes dussent penser le contraire de la lier,
lie appelée en grec hérésie.
vérité profonde que Malebranche développe dans ( 1 ) Tout ce qu'il y a de plus mystique, de plus
le passage que nous venons de citer. Je ne cesserai ascétique dans l'enseignement du christianisme,
as(
de répéter combien les expressions, bien ou mal comme tout ce qu'il y a de plus familier dans ses
coi
entendues, influent sur nos jugements. En voici un pratiques, n'est que la traduction en différentes
pr:
autre exemple. Aujourd'hui tous nos sages veulent langues, pour ainsi dire, de cette proportion
lati
être de la religion naturelle, et aucun de la religion L'I
L'homme est à l'Homme-Dieu ce que l'Homme-
catholique. Si. l'on traduisait cette expression de Dieu
Di( est à Dieu.
naturelle par primitive, et l'expression grecque de ( 2 ) i Le sensible, » dit très-bien Maieoranche,
catholique par l'expression française de générale,
qui lui correspond, personne ne pourrait se refuser t« n'est
u pas le solide. «La parole est sensible et n'est
pas solide. L'âme est sensible et n'est pas solide.
pas
sans absurdité à être de la religion générale,ni s'obs- Assurément, dans des moments de passions fortes,
As!
t'iner aujourd'hui à être de la religion du premier quand l'âme parle, et, pour ainsi dire, sort tout
âge. Or la religion chrétienne catholique veut dire qu;
entière
ent par les yeux, et quelquefoismême par toute
la religion générale, non pas à cause de l'universa- l'habitude
l'h; du corps, l'âme est sensible et n'est pas
lité des lieux, mais à cause de la nécessité des pria- solide.
sol
ES Ut, M. Ufi UW«illjU. 11SJ
familles, à là puissance des Etats, les plus êtres semblables de volonté et d'action, mais
êtr
propres à porteries hommes à la vertu à non égaux de volonté et d'action, sont tous,
noi
les détourner du vice, à leur inspirer la mo- pai le fait seul de cette similitude et de cette
par
dération dans la bonne fortune la patience inégalité, dans un système ou ordre néces-
iné
dans l'adversité, la fermeté dans le malheur, sai de volontés et d'actions, appelésociété;
saire
à leur enseigner les devoirs domestiques et carsi l'on supposeégalité de volonté et d'action
car
les devoirs publics, l'amour de Dieu et dans tes êtres, il n'y aura plus de société, tout
dat
l'amour de leurs frères ? Et cependant on ser fort ou tout sera faible et la société n'est
sera
voit des hommes livrés à l'étude de quelques que le rapport de la force à la faiblesse.
qui
sciences particulières, et qui se disent amis IL
de la sagesse, nier hardiment ces vérités sur
lesquelles ils n'ont arrêté que le regard du La société est religieuse ou politique et
mépris et de la haine, et blasphémer ce qu'ils chacune d'elles, peut être considérée en état
c"!
ignorent, détournés, comme dit Bacon, par domestique
doi ou en état public.
un peu de science du but et de l'objet de III
toute philosophie La
1 société est religieuse lorsqu'elle em-
Certes, lorsqu'on méconnaît d'un bout de brasse les rapports de Dieu et de l'homme
l'Europe à l'autre ces vérités nécessaires et elle est politique lorsqu'elle embrasse les
fondamentales de tout ordre social, lorsqu'il des hommes entre eux sous la souve-
rapports
ral
n'y a plus de foi sur la terre, c'est-à-dire de rai
raineté de Dieu. L'état purement domestique
foi extérieure dans les sociétés, dont le plus de la société religieuse s'appelle reîigionna-
grand nombre des gouvernements font de la turelle, et l'état public de cette société est
religion leur moyen, au lieu de ,se regarder chez nous la religion révélée l'état pure-
eux-mêmes comme ses ministres serait-il ment domestique de la société politique s'ap-
rnt
fn(
besoin de se justifier devant des esprits ti- pellefamille,l'état public de la société politi-
mides et des âmes timorées, d'oser soulever pe
qu s'appelle Etat ou gouvernement.
que
un coin du voile qui dérobe ces vérités aux
regards inattentifs? Et y aurait-il des Chré- IV.
tiens d'une foi assez faible pour penser Ainsi la religion naturelle a été la religion
qu'elles seront moins respectées à mesure de la famille primitive considérée avant
.qu'elles seront plus connues (1). tout gouvernement, et la religion révélée
toi
CHAPITRE VIII. est la religion de l'Etat (2).
esi
ûe)
V.
tÇE LA SOCIÉTÉ ET DE SES PROGRÈS.
La connaissance de Dieu venue primiti-
vement
ve par la parole de Dieu même à l'hom-
Dieu«t l'homme, les hommes entre eux, rk et transmise par l'homme à ses descen-
me,
( 1 Il y aurait une égale faiblesse d'esprit à Les
Le e preuves historiques s'affaiblissent, en s'éloi-
rejeter ces démonstrations générales, et à vouloir gnant
gn: des époques qu'elles racontent, comme l'ob-
•les particulariser. Je le répète, ces vérités sont in- jet diminue, à mesure qu'il s'éloigne de notre oeil;
contestables dans la généralité, mais lorsqu'on veut mais les preuves rationnelles augmentent de force,
ma
particulariser, en passant du système moral au sys- parce que la raison s'éclaire davantage, même par
pai
tème physique, la langue manque, et on ne peut plus les erreurs. Ainsi le graiu destiné à la nourriture de
exprimer ce qu'on ne peut pas penser. rh.
l'homme se mûrit également par les glaces de l'hi-
Os considérations sur la religion ne parlent pas vei et par les chaleurs de l'été; ainsi la vérité, pre-
ver
au cœur, me diront les âmes tendres, je le sais mi aliment de- l'homme moral, est, comme les
mier
mais qu'on y prenne garde, il faut commencer par aliments qui servent à la nourriture de son corps,
ali
le coeur l'instruction des enfants, du peuple, des toujours
tôt proportionnée à son âge, lanlôt lait et
sociétés naissantes, où il y a plus d'affection que tantôt
tan pain ainsi les bornes de l'horizon moral, sem-
de raison; mais il faut continuer et achever par blables à celles de l'horizon physique, reculent
bla
la raison l'instruction des hommes éclairés dans les sai cesse devant nos pas.
sans
sociétés avancées, parce qu'à mesure que l'homme Les personnes qui aiment les preuves de senti-
et la société avancent en âge, la raison devient plus ment en trouveront en abondance, ornées de toute;
me
forte et les affections moins vives. Aussi remar- la pompe et de toutes les grâces du style, dans le
quez que saint Paul, en parlant des progrès futurs Génie
(lé. du christianisme. La vérité daus les ouvrages
de l'homme, ne parle que de ceux de l'intelligence, de raisonnement, est un roi à la tête de son armée
lorsqu'il dit que nous verrons la vérité face à face, au jour du combat dans les ouvrages d'imagina-
et que nous connaîtrons, comme nous serons nous- tion, elle est comme une reine au jour de son cou-
lio
mêmes connus. (1 Cor. xui, 12.) Les preuves de sen- ronnement,
roi au milieu de la pompe des fêtes, de
timent s'émoussent chez presque tous les hommes, l'éclat de sa cour, des acclamations des peuples,
l"é<
à mesure qu'ils ont plus vécu, et les désordres des décorations et des parfums, entourée de tout ce
particuliers, fruits de leurs passions, les éloignent qu' y a de magnifique et de gracieux.
qu'il
peut-être de croire à l'auteur de l'ordre général. (( 2 ) Voyez ce que j'ai dit sur le mot nature dans
dants parla parole et avec la parole, produisit le paganisme, religion de plusieursaieux on
dans les premières familles un culte ou ac- plutôt des dieux de plusieurs familles
tion domestique d'adoration de la Divinité qu'elles adorèrent en commun, et la religion1
appelée religion, de religare, ou lien univer-
sel des êtres intelligents. La religion est en-
jjudaïque, religion publique ou plutôt natio-
nale, religion du vrai Dieu, du Dieu un, uni-
core domestique dans les peuplades qui vi- formément
i adoré dans toutes les familles de
vent en familles, et c'est ce qui a été cause cette nation, que l'oppression de maîtres
que quelques voyàgeurs, n'apercevant pas idolâtres et la foi inébranlable aux mêmes
chez elles de culte public, ont conclu qu'elles promesses préservèrent dans un temps de
n'avaient aucune religion. Mais les familles l'idolâtrie, malgré les nombreux exemples
se multiplièrent, se dispersèrent se divisé- qu'elle en avait sous les yeux, et que l'écri-
rent. La connaissance de Dieu, comme nous ture
1 du dogme, moyen merveilleux particu-
l'avons vu, se chargea de vaines imagina- lier au peuple hébreu, en préserva dans la
tions le culte de pratiques bizarres ou suite,
' malgré sa pente prodigieuse à adorer
cruelles, et ces pratiques varièrent dans les 1plusieurs dieux (1).
familles, selon le bonheur ou le malheur des
événements, la reconnaissance ou la crainte VL
des hommes. Cependant les familles qui ha-
bitaient un même territoire ayant des si lareligion patriarcale, si ia.religion
besoins communs à satisfaire ou des dan- jjudaïque
Mais
sont des religions vérité, comme
de
gers communs à éviter, se réunirent en corps soutiennent les
le
1 Chrétiens la vérité fon-
d'Etat pour se défendre ou même pour atta- damentale
( de toute religion véritable, la
quer tout devint public dans ces familles vérité
1 nécessaire à la connaissance de Dieu,
devenues publiques, les fonctions, les évé- de
c l'homme et de leurs rapports, je veux
nements, et les sentiments qu'ils faisaient dire
c le dogme du moyen ou médiateur doit
naître. Alors la religion passa des familles 3y avoir été connu. Or nous voyons dans les
entre lesquelles elle était sujet de division 1livres qui contiennent l'histoire des premiè-

par sa diversité dans l'Etat où elle devint res


r familles et du peuple juif, le médiateur
moyen puissant d'union par son uniformité; annoncé
a et promis; cette promesse toujours
car il n'y a d'union qu'avec l'unité. Ses sen- ssubsistante dans ces sociétés patriarcales
timents étaient publics comme les événe- plus
1 développée chez les Juifs, et toujours
ments; le culte devint public comme les plus
f expresse à mesure que les temps de là
sentiments: c'était la même religion, comme venue du médiateur (2) approchent; ac-
les familles réunies en corps d'Etat étaient conjplie
c enfin dans la personne du divin
les mêmes familles et comme les hommes ffondateur du christianisme foi constante au
devenus publics étaient les mêmes hommes. médiateur,
r qui est prouvée également par
Le culte fut plus sensible, et 'cela devait i Chrétiens qui ne l'attendent plus, et par
les
être pour qu'il fût public. De là naquirent les
h Juifs qui l'attendent encore.
le discours préliminaire, et part. III, Dissert. sur les hommes le désireraient, semblables à ces pyra-
1(
L'état natif et l'état naturel. mides
u que la seule intention de tous les hommes
ensemble
Ci ne pourrait faire tenir sur la pointe.
(1) Les sectes qui, dans ces derniers temps, On. peut remarquer que ces mêmes sectes, qui
ont méconnu l'autorité dé l'ordre sacerdotal, vrai veulent
y ramener le monde à ses éléments, comme
ministère de la religion publique, attribuent, comme ddit saint Paul (Coloss. n, 8), et retourner à la reli-
au temps des patriarches, le sacerdoce au père de gion
g naturelle, repassent en rétrogradant par le
famille; ce qui est le caractère essen iel de la reli- jijudaïsme, et en prennent l'esprit dur, craintif et
gion domestique ou naturelle. Elles donnent ainsi if
intéressé. Elles adoptent de préférence pour pré-
une religion domestique pour base à un état public noms
n des noms hébreux, et en général elles s'occu-
de société. Il est sensible qu'il y a dans cette dis- p
pent beaucoup de l'état futur des Juifs dans leurs
position discordance ou défaut d'harmonie,et de là croyances
ci religieuses. C'est à cet esprit qu'il faut
sont venus les troubles qui ont agité tous les Etats attribuer
al la contradiction qu'on a pu remarquer,
où ces opinions ont péuétré. Les hommes se per- dans
d; notre révolution, entre le mal effroyable que la
suadent que ces troubles viennent du zèle religieux, philosophie
pl moderne dit des Juifs, et les faveurs
de l'ambition ou de l'intérêt, et que s'il n'y avait dont
d( ils ont été comblés par nos législateurs.
ni enthousiastes, ni orgueilleux, ni hommes avides (2) Tacite et Suétone disent tous les deux que
de domination ou de richesses, cet ordre de choses vers
ve ces temps, qui sont pour nous ceux de l'ère
pourrait s'affermir. Ils se trompent de ne pas voir chrétienne,
et l'univers attendait un grand homme, qui
que les passions des hommes'sont indestructibles, dt
devait sortir de la Judée; et comme ils se servent
et que le vice de tout ordre de choses purement to deux précisément des mêmes expressions, on
tous
humain est de ne pouvoir les réprimer. Les lois fai- serait
se tenté de croire que ce sont celles qui étaient
bles ou vicieuses, celles qui ne supposent pas les dans
da la bouche de tout le monde, et les propres
passions, ne sauraient s'affermir, même quand tous termes
te. de la prédiction qui courait.
VII. ggenre familier et naïf, et en quelque sorte
Ainsi le progrès, le développement, lac- ddomestique, au genre d'un naturel plus no-
complissement de la société religieuse a été ble, et qu'on peut appeler public (3).
de faire passer le genre humain de la reli- X.
gion domestique des premiers hommes à la
Ainsi la famille elle-même, qui, dans l'é-
religion nationale des Juifs, et de celle-ci à
t' civilisé, s'élève d'une condition privée
tat
la religion générale du christianisme (1),
qui doit réunir tous les hommes dans la a emplois publics, avance dans la vie so-
aux
ciale, et passe de l'état privé l'état pu-
croyance des mêmes dogmes, et la pratique
c
blic (4).
de la même action religieuse ou du même
culte (2) société la plus parfaite ou la XI.
plus civilisée, parce qu'elle est la plus éclai- La société passe donc, ainsi que l'homme,
rée, la pms forte et la plus stable des socié- ppar plusieurs états différents et que l'on
tés, même à ne la considérer que politique- ppeut comparer entre eux la société a
ment. comme
c l'individu, son enfance, son adoles-
VJII. cence
c et sa virilité.
1° L'homme naît imparfait, avec une pen-
Ainsi le progrès, le perfectionnement de
la société- politique en Europe a été de faire sées sans volonté, et des mouvements sans
société politique ( 5 )
passer les hommes de l'état domestique, er- tbut déterminé la
commence
c aussi dans l'état d'ignorance des
rant et grossier des peuplades scythique d'action, état imparfait
germaines ou teutones, dont l'état social lois et de faiblesse
d la société naissante.
de
se retrouve encore chez les Tartares de.la 2* L'homme se corrompt et passe à un état
haute Asie, ou chez les sauvages du nouveau
dé volonté sans raison, d'action sans force
monde, à l'état public et fixe des peuples de
civilisés qui composent la chrétienté; car et € sans vertu à l'état d'enfant robuste,
les peuples naissants sont des nations divi- comme c l'appelle Hobbes la société se cor-
et passe à l'état d'erreur et de pas*
sées par familles, et les peuples civilisés rompt, r
sion des peuples païens oa mahométans,
sont des familles réunies en corps de nation. speuples qui avaient
Familiœ gentium, dit l'Ecriture. (Psal. xxi, J ou qui ont encore tous
les
1 défauts de l'enfance, sans avoir aucune
28.
des
cc vertus de 1'homme fait; peuples sans
IX. raison,
r au milieu de l'éclat de leurs con-
Ainsi, à observer, depuis Homère jusqu'à quêtes, c et quelquefois des progrès de leurs,
nos jours, les progrès de la littérature, qu'on arts.
t
peut regarder comme l'expression de la so- 3° L'homme se perfectionne et parvient à
ciété, on la voit passer graduellement du son s état naturel, à l'état de raison dans sa

( 1 )
Toutes les expressions de l'Evangile présen- mille
i renonçait à exercer des professions domesti-
lent ce sens partout c'est la loi primitive que le tques, arts ou métiers, pour se dévouer exclusive-
grand législateur vient, non détruire, mais accomplir ment
i à ta profession publique de juger et de com-
(Matth. v, 17); partout c'est Dieu, c'est son fils, battre.
t
c'est sa religion qui doivent être glorifiés, manifes- ( 5 ) Je parle ici des divers états de société pu-
tés, rendus public, annoncés sur les toits, etc. blique,
t tels qu'ils ont existé ou qu'ils existent en-
Pater, clarifica Filium luum,ut Filius clarijicet core
< dans l'univers. Les familles patriarcales étaient
te; manifestavi nomen tuum hominibus (Joan. xvh, en
c état purement domestique, et professaient la re-
i 6), etc.; partout la doctrine de l'Evangile est pré- 1ligion naturelle dans toute sa pureté. Ce passage
sentée sous des idées d'universalité. de généralité, necessaire
i de l'état domestique de société à l'état
et non de localité et de temporalité. Bientôt, dit public
1 est marqué chez tous les peuples par l'agi-
Jésus-Christ, on n'adorera plus ni sur cette montagne ttation et le désordre. La société n'est plus dans
ni à Jérusalem. (Joan. iv, Zl.) Allez par tout l'uni- la
1 famille, et l'état n'est pas encore formé. C'est
vers, dit-il à ses apôtres. enseignez toutes les nations la
1 fièvre des passions qui consume l'homme dans
(Marc, xvi, 15.) La religion chrétienne doit avoir 1 dangereux passage de l'enfance à la virilité. Cette
le
pour lieu l'espace, pour temps la durée, pour dis- époque,
{ que les Hébreux passèrent dans le désert
ciplt'.s la société. ssous la conduite de
Moïse, fut-remplie par des mur-
( i ) Dans la liturgie de la religion chrétienne, imures, des révoltes et un penchant extrême à l'ido-
le sacrifice qui fait la base du culte est appelé ac- lâtrie.
1 Dieu lui-même leur en fait des reproches
tfon par excellence, actio. Quarante
| ans, dit-il, j'ai marché dans le désert avec
(5) Voyez sur la littérature des anciens et des cette génération indocile là où leurs pères m'ont tenté,
modernes, part. V, nn article intitulé Du mérite
<
t j'ai dit Leur cœur s'égare sans cesse.
et i Quadra-
de la littérature. andenne et moderne. tginta annis proximus fui generationi huic, et drxi
(A) Ce qu'on appelait jadis en France Yenno- iSempet lii errant corde, in deserto, ubi tenlàvemtit
bassement n'était pour une famille que le passage me
i vatres vestri. t(Psul. xm, 9, 40.)
de là condition privée à l'état public, puisque la ta-
volonté, de vertu dans son action la société
se civilise et parvient à son état naturel, à
• XV.
Ainsi toute société qui tomne ou reste
l'état de sagesse dans ses lois, de farce et de dans des erreurs graves, déchoit de la civi-
vertu dans ses institutions état de la fin et lisation ou ne peut y parvenir; et telle est
de l'accomplissement, état bon, qui a cons- la correspondance nécessaire de la volonté
titué au moins juqu'à nos jours' la société et des actions qu'il y a de grands désor-
des peuples chrétiens, dres partout où il y a de grandes erreurs, et
XII. de grandes erreurs partout où i I y a de grands
Le progrès de la civilisation et celui de la désordres (2).
raison de l'homme ne sont donc que le dé- XVI.
veloppement de la vérité morale, comme la La connaissance de la vérité dans la so-
politesse dans un peuple est le développe- ciété est proportionnée à l'état de la société,
ment des véritésphysiques. Ainsi une société
comme la connaissance de la vérité dans
peut être policée sans être civilisée, comme l'homme est relative à son âge. Ainsi la re-
l'homme peut être très-habile dans les arts ligion naturelle a dû être connue avant la
sens en être plus raisonnable (1). religion révélée ainsi le pouvoir domesti-
XIII. que a été connu avant le pouvoir public, et
Ainsi ce n'est pas le progrès de la civili- le devoir d'obéir a été prescrit aux enfants
sation qui développe la connaissance de la avant de l'être aux sujets.
vérité mais c'est la connaissance de la vé- XVII.
rité qui hâte le progrès de la civilisation.
Ainsi tout peuple chez lequel le pouvoir
XIV. domestique est plus développé que le pou-
L'absence de toute vérité constitue l'igno- voir public, est un peuple encore dans l'état
rance de l'homme et la barbarie de la so- d'enfance ou voisin de cet état; et par la.
ciété. Le défaut de développement de la vé- raison contraire, on doit regarder comme e
rité produit l'erreur dans l'homme et le très-avancé, et peut-être trop avancé dans
désordre dans la société. la vie sociale, tout peuple chez lequel le
(1 ) L'histoire de toutes les sciences n'est que Esprit n'avait marquéquecelle-là,etilscnsonl rendu
l'histoire de leurs progrès. Le christianisme,, qui a des raisons lelk&qu'ils rontpuen leur temps.* {Hitf.
donné la pleine et parfaite connaissance des per- des variât.)
sonnes sociales et de leurs rapports, n'est lui- ^2) Cette réflexion est applicable à l'état pré-
m'ême, depuis la publication du livre qui contient sent de l'Europe. Les désordres effroyables qu'il y
le germe de toutes les vérités morales ou sociales., a eu. en France, produit inévitable des erreurs
jusqu'aux actes de ses dernières assemblées, et aux monstrueusesde la philosophie moderne, sont à la
écrits de ses derniers docteurs, qu'un long déve- porte de tous les Etats. L'Europe, avec ses prin-
loppement de la vérité, semblable, dit son fonda- cipes sur la souveraine:é, son goût exclusif pour le
teur, au grain qui mûrit on à la pâte qui fermente. commerce et l'argent, la prééminence donnée aux
( Luc. xui, 19, 2t.) C'est là l'écueil où l'orgueil et sciences physiques sur les sciences morales, et aux
l'ignorance des novateursont fait un triste naufrage. plaisirs sur les devoirs, et surtout la haine qui se
Faute d'avoir connu ce développement nécessaire, manifeste de tous côtés contre la religion chré-
ils ont taxé d'inventions modernes des institutions tienne que l'on bannit, ou peu s'en faut, de l'édu-
moins aperçues dans les premiers temps, et plus cation; l'Europe, pour un observateur attentif, est
publiques dans le nôtre. Ainsi les athées ont re- dans un état contre nature, où elle ne saurait res-
gardé comme d'antiques inventions les dogmes de ter. Elle en sortira, et s'il le faut, par des mal-
l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme, des heurs. Leibnitz, après avoir annoncé, au commen-
peines et des récompenses de l'autre vie, parce cement du siècle dernier, la révolution qui en me-
qu'ils ne les voient pas aussi distinctement mar- naçait la fin, dit « Tout à la fin doit tourner pour
qués dans les livres saints au temps de la religion le mieux. » Pensée profondément vraie, parce que
patriarcale, que sous le christianismeet dans les le bien est la fin des êtres. Voltaire a ridiculisé cet
ouvrages de saint Augustin et de Leibnitz. Ces vé- optimisme qu'il [n'a pas compris, parce qu'il a ap-
rités fondamentales, publiées depuis sur les toits, pliqué à l'homme ce qu'il ne faut. entendre que de
étaient, sous le règne de la religion patriarcale, la société. Cette doctrine se trouve tout entière dans
conservées dans la famille même sous le christia- ces paroles de l'Evangile: H est nécessaire que le
nisme, Ja vérité a eu ses progrès et son développe- scandale arrive [Mailh. xviii, 7) ce qui veut dire
ment. Ses premiers docteurs connaissaient toutes que lés révolutions, qui sont les grands scandales
les vérités que nous connaissons mais ils ne con- de la société, ramènent au bien, car il n'y a que le
naissaient de ces vérités que ce qui était nécessaire bien de nécessaire. Dans une révolution, les hom-
au temps où ils vivaient, et nous connaissons de mes, fatigués de marcher, voudraient s'arrêter au
p'us ce qui est devenu nécessaire au nôtre. Les moins mal qu'ils prennent pour le bien, et qu'ils
vérités dogmatiques sont plus et non pas mieux ex- regardent comme un lieu de repos; marche, leur
pliquées oans le concile de Trente que dans les crie la nature, qui ne tient pas compte de leurs fa-
premiers conciles, et Bossuet lui-même dit en par- tigues, et qui n'a placé le repos qu'au terme, à la
tant des premiers Pères de l'Eglise « Ils se sont perfection.
élonnés pourquoi parmi tant d'hérésies, le Sainte
pouvoir public s'est développé aux dépens t mencement, toujours nouvelledans ses dé-
i
du pouvoir domestique (1).. veloppements
•*
successifs.
'XV1H. XX.
L'autorité dans l'homme forme la raison,
en éclairant l'esprit par la connaissance de
– Ainsi toute opinion qui se lie à une vérité
la vérité; l'autorité a mis dans la société le antérieurement
1 connue, peut être une er-
germe de la civilisation, en fixant et rendant reur
r ou une vérité mal ou peu développée
publique la connaissance de la vérité vérité mais une opinion qui ne se lie à aucune vé-
révélée à la première famille, et transmise rité] est un monstre, n'est rien. L'idolâtrie
au commencement par la parole de généra- doration
est
f une fausse application du dogme de l'a-
tion en génération; vérité fixée plus tard et ( due à la Divinité, et se lie ainsi à
transmise par l'écriture, lorsque les familles une
] vérité fondamentale de la société mais
lie l'opinion de
ont passé à l'état public, et se sont formées à` quelle vérité antérieure se
1l'athéisme, ou celle qu'il ne faut point par-
en corps de nation. En effet, l'analogie est
sensible ici entre le moyen et son effet. L'é- 1ler de religion à un enfant avant quinze ou
criture est le moyen public de transmission, dix-huit
( ans, qu'il faut séparer avec soin
dans un Etat, le religieux^ du civil, ou enfin
comme la parole est le moyen domestique, (
les enfants ne doivent plus rien à leurs
parce que la parole n'est entendue que d'un (que
petit nombre d'hommes présents, parmi les- parents, dès qu'ils peuvent se passer de leurs
quels e.le s'altère aisément lorsqu'elle est soins
* (4)?.
confiée à la tradition, au lieu que l'écriture XXI.
fixe la parole pour tous les hommes absents Si le temps amène le développement de la
ou présents, pour tous les temps et pour vérité, i l'homme qui la développe aujour-
tous les lieux, et- fait même converser les d'hui< n'a pas plus d'intelligence que celui
vivants avec les morts ( 2 ). C'est parce que qui( l'a développée hier; mais il a l'intelli-
les lois ont une origine commune, et que gence { de plus de vérités, parce que venu
les hommes en ont altéré la tradition plus
j tard, il trouve plus de vérités connues,
qu'on retrouve partout des principes con- et <
même on pourrait penser qu'à mesure que
formes et des applications différentes (3). la
1 société avance et que la vérité se déve-
XIX. 1loppe, il faut à l'homme moins d'intelligence

Ainsi la vérité est, comme l'homme et pour 1 faire faire à la vérité de nouveaux pro-
comme la société, un germe qui se déve- grès, S parce qu'on y voit mieux pour avancer
loppe par la succession des temps et des 1lorsqu'on est éclairé par plus de lumière.
hommes, toujours ancienne dans son com-
Ainsi la vitesse des corps tombants est accé-
(1) On peut remarquer un grand étalage d'af- L'homme ne peut s'instruire lui-même; je veux
fections domestiques dans toutes les sectes et chez dire< inventer ses pensées et les paroles qui les ex-
tous les peuples qui veulent ramener la religion 1 priment donc il a été instruit et a reçu la parole
domestique dans la société publique, et en même <d'un être plus sage que lui.
temps une grande indifférence pour les devoirs pu- Or, cetêtre puissant n'a pu le créer que pour le
blics. Chez ces peuples, la profession du commerce <conserver, cet être sage n'a pu l'instruire que pour
est plus honorée que celle des armes, et même le 1 perfectionner; donc il lui a appris des .paroles
que celle du magistrat. de
< vérité et de raison, etc. Voilà la révélation et sa
(2) Lorsque Jésus-Christ, dans l'Evangile, veut nécessité.
] Elle roule sur un fait que la raison dé-
rappeler les hommes à quelque devoir important, montre, et que l'expérience confirme, savoir, qu<î
il ne leur dit pas II est juste, il est naturel, etc., 1l'homme est toujours passif dans son instruction
mais II est écrit, scriptum est. première
] comme il l'a été dans la production de son
(3) Il n'y a tout à la fois rien de plus aisé à1 corps,
<
qu'il est enseigné et produit. Ainsi, comme
établir par le raisonnement, que la nécessité de la l'homme le plus foit et le plus adroit est celui
révélation, rien de plus impossible à se figurer qui développe le mieux les organes qu'il a reçus
pour l'imagination, que les moyens de la révéla- avec la vie, le plus grand génie est celui qui tire le
tion car comment imaginer, ou se figurer les plus de conséquences des premières instructions
moyens de la première transmission de la parole, qu'il a reçues. Quant au fait de la transmission
lorsque nous ne pouvons nous mêmes rien com- nécessaire- de la parole, moyen de toute instruction,,
prendre aux moyens par lesquels notre parole, il peut être physiquement ou plutôt physiologique-
transmise à l'enfant, réveille ou fait naître dans ment démontré que l'homme a besoin de parole,
son esprit des pensées correspondantesà nos peu- même pour penser; ce qui exclut même la possibi-
sées? Et cette faculté prodigieuse de la mémoire, lité de l'invention de la parole.
ce dépôt immense de mots et de faits, est-il plus (4-) Hérésie veut dire opinion particulière et
aisé à comprendre pour ceux qui ne veulent croire locale; vérité, une opinion générale ou naturelle.
que ce qu'ils comprennent? Quant à la nécessité de Gicérôn les distingue très-bien, lorsqu'il dit Opi-
la révélation, elle est évidente pour la raison. nionum commenta delet dûs, nalurœ judicia confir~
L'homme ne peut se faire lui-même, donc il a été mat « Le temps fait disparaître les vaines erreurs
fait, donc il a reçu l'être d'un être plus puissant des opinions humaines, et confirme les jugement*
que lui. de la nature, t
léréeen raison croissante de la durée de 1° Cette proportion générale, traduite dans
leur chute (1). la langue particulière de la société religieu-
XXII. se, devient celle-ci « Dieu a envoyé son
Si la perfection est la fin des êtres l'hom- Fils, nomme son Fils envoie ses ministres: »
me tend invinciblement à la raison et la Sicut me misit Pater, et ego mitto vos. (Joan
société à la civilisation. L'inquiétude 'dans xx, 21) et cette autre qui en est le complé-
l'homme, le trouble dans la société, sont les ment « Jésus-Christ est à ses ministres ce
symptômes infaillibles de cette tendance né- que ses ministres sont aux fidèles » pro-
cessaire vers leur fin naturelle. L'homme portion que l'on retrouve aussi dans ces pa-
est malheureux par ses passions qui l'écar- roles de l'Evangile Enseignez aux homrres
tent de la saine raison; la société esttrou- ce que vous avez appris de moi et donnez
blée par les erreurs et les désordres qui comme. vous avez reçu. et ailleurs Nous
l'éloignent de la parfaite civilisation « Car remplissons à votre égard le ministère de
si le législateur, se trompant dans son objet, » Jésus-Christ « Pro Christo legatione fungi-
dit très-bien J.-J. Rousseau, « établit un mur. » (Il Cor. v, 20.) Ces deux propor-
principe différent de celui qui naît de la tions constituent les personnes de la société
nature des choses, l'Etat ne cessera d'être religieuse, et l'ordre de leurs rapports.
agité jusqu'à ce qu'il soit détruit ou changé, 2° La proportion générale, « le pouvoir est
et que l'invincible nature ait repris son em- au ministre ce que le ministre est au su- h
pire. » Mais tous les principes naturels s'é- jet,
j » traduite dans la langue particulière
tablissent, parce que toutes les vérités se dé- de la société domestique devient celle-ci
couvrent; « car les vérités morales, » dit Ch. « Le père est à la mère ce que la mère est à
Bonnet,«sonttoutesenveloppéeslesunes dans l'enfant; » proportionqui constitue les per-
les autres et la méditation parvient tôt ou sonnes
1 domestiques et l'ordre de leurs
tard à les en extraire. » jrapports (2),
Enfin la proportion de la société en gé-

CHAPITRE IX.
néral, « le pouvoir est au ministre, » etc.,
DES DIVERS ÉTATS DE SOCIÉTÉ. traduite
( dans la langue particulière do la
I. société
s politique, devient celle-ci « Le chef,
prince, empereur, roi, kan etc., est à ses
La société en général c'est-à-dire l'ordre magistrats
général des êtres sociaux et de leurs rapports, j ou officiers ce que ceux-ci sont
aux
a sujets; » proportion qui constitue les
est exprimé dans cette proportion générale publiques-politiques, et l'ordre
Le pouvoirest au ministre comme le ministre personnes
1
de leurs rapports ( 3 ). Dans ces trois pro-
estau sujet; proportion qui n'est, comme nous Eportions particulières, qui ne sont chacune
l'avons vu, que la traduction, en langage. 1
la traduction différente de la proportion
particulier à la société, de cette autre pro- que E
générale du pouvoir, traduite elle-même de
portion générale exprimée dans le langage le t[ proportion universelle
la de la cause, est toutt
plus abstrait ou le plus analytique La cause
l'ordre
1 des êtres en société.
est au moyen ce que le moyen est à l'effet.
~he- pouvoir, le ministre, le sujet s'appellent, III.“
les personnes de la société. Ainsi cette proportion générale, « la cause
estau
( moyen ce que le moyeu est à l'effet »
II. peut
1 être considérée comme une expression
Cette proportion, qui exprime l'ordre gé- algébrique,
s a b B c dont on fait l'ap-
néral, se traduiten un langage particulieraux plicalion
} à toutes sortes de valeurs particu-
divers états ou ordres de la société. lières.
1

(i ) Ainsi, dans les arts, le sléréoiypage a été être


ê est-ce ce que les livres saints ont voulu dire
plus facile à découvrir que l'imprirnerie, et l'inven- ppar ces paroles du même chapitre Celle-ci (la
tion du baromètre a suivi naturellement ta décou- f
femme) s'appellera d'un nom qui marque l'homme.
verte de la pesanteur de l'air. Ce sont des consé- î de Saey
M. dit que ce nom tiré de vir, ne peut se
quences qui suivent du principe avec plus ou moins rendre
r en français et qu'il est l'équivalent de celui
de facilité. d virago, et effectivement en hébreu, ais, homme
de
{2) Les personnes qui s'étonneraient du nom aise,
a femme, sont comme vir et vira, si on pouvait
masculin de ministre donné à la femme, peuvent b dire.
le
remarquer q.ue nous avons appelé minisire dans la (3) Les mots kan, koniy, king, etc., qui expri-
société, l'être par lequel le pouvoir rep oduit et cou- ment,
n dans les langues du nord, la personne dii
serve les êtres, ce qui convient entièrement à la chef
c de l'Etat, sont des dérivés du verbe konnen>.
femme. Aussi elle est appelée aide dans la Genèse, qui
c signifie pouvoir.. Icli kan», je peux. La remarque
expression synonyme de celle-dc ministre,. et peut- test LeiMilz.
de
IV. rale des trois personnes de toutes les lan-
la langue familière de
Dans tous ces ordres particuliers de so- gues, exprimées dans
singulière par je,
ciété, la première personne, ou le pouvoir, la société domestique ou
veut la société, c'est-à-dire sa conservation; tu,
il, et dans la langue plus noble de la so-
la seconde personne, ou le ministre, agit en ciété publique ou
plurielle, par nous, vous,
exécution de la volonté du pouvoir la troi- eux. Je et nous, premières personnes ex-
servent'à exprimer,
sième personne ou le sujet, est l'objet de pression de supériorité,
la volonté du pouvoir, et le terme de l'ac- l'un le pouvoir domestique, l'autre le pou-
tion des ministres. Le pouvoir veut, il doitt voir public, auquel il est spécialement af-
être un; les ministres agissent, ils doiventt fecté tu et vous secondes personnes
être plusieurs, car la volonté est nécessaire- s'emploient pour commander directement à
dont on exige le service; il et eux, troi-
ment simple, et l'action nécessairementcom- ceux
posée. sièmes personnes, expriment la dépendance,
et même quelquefois sont interdites par la
V. civilité comme expressions de mépris
Là est la raison métaphysique ou géné- (1).
( i ) On voit la raison pour laquelle la civilité, qu'il a dit Que eeluxAa entre vous qui veut être le-
qui n'est que l'application de la civilisation aux re- plus grand soit le serviteur des autres. (Mattli. sx,
lations domestiques, ne permet pas de dire trop) .26.)
souvent je, parce que c'est affecter une sorte deï Non-seulement on retrouve dans les personnes de
supériorité sur les autres que de les forcer à s'en- la société la raison des appellations personnelles,
tretenir ainsi de vous; de dire tu en public et hors mais ou retrouve dans la constitution de la société
de sa famille, parce que c'est un terme de familia- la raison de la constitution du discours, ou de sa
rité qu'on emploie à l'égard de sa femme, de sess construction appelée aussi syntaxe. Dans la cons-
enfants, de ses domestiques, de ceux qui dépen- truction analogue, le régissant de la phrase. ou le
dent dè vous; dé dire il en parlant d'une personnej nominatif, qui en régit toutes les parties le régime,
présente parce que c'est une expression de hau- appelé aussi attribut, qui est régi par le nominatif;
teur, et même de mépris. Les pouvoirs des Etats le verbe, mot-lien ou copule, qui sert à fixer le rap-
modernes, dont la constitution est faite pour réunirr port du régissant au régime, et à lier l'un à l'autre,
tous les hommes, disent nous dans les actes publics, moyen aussi entre deux extrêmes, sont placés dans
pour exprimer cette ^réunion de tous les hommes la phrase analogue (au mode actif), comme les êtres
de l'Etat dans un seul. Auguste disait ego et sii le sont en eux-mêmes et dans la société l'un à la
Cicéron dit quelquefois nostra dignilas c'est qu'il1 tête, l'autre au dernier rang, le troisième entre eux.
se regarde comme membre d'un corps, dépositaire» Dieu a créé l'homme et réglé la société, je commande
collectif de l'autorité. Le roi d'Espagne est peut- à Pierre qu'il m'apporte ce livre, tous les mots sont
être le seul roi de l'Europe qui dise Moi le roi; placés dans ces phrases, comme tout ce qu'ils ex-
mais aussi le pouvoir y vise à l'arbitraire et n'estt priment est placé au dehors et en réalité. Dans
contenu par aucune constitution politique. S'il n'yf cette phrase, l'homme aime Dieu, l'homme est mis
avait plus de religion en Espagne, il y aurait moinss avant Dieu, parce que l'homme est actif, et que
d'obstacle au despotisme qu'en Turquie, et alors le» Dieu est considéré sous nu rapport passif, puis-
dogme de la souveraineté du peuple y ferait néces- qu'on peut la tourner ainsi Dieu est aimé de
sairement éruption. Ainsi,. s'il y>a plus de religioni l'homme. Cet ordre de construction est éminem-
en Espagne qu'ailleurs, c'est que le pouvoir y ai ment celui des langues française, hébraïque, tar-
plus besoin qu'ailleurs de ce frein, et la nation deî tare, des langues de tous les peuples qui obéissent
ce recours. à des lois naturelles, domestiques, religieuses ou
Les hommes entre eux se parlent plus au plu- politiques, et chez lesquelles les personnes sociales
riel, à mesure qu'ils se rapprochent des conditionss sont dans leurs vrais rapports. La construction, au
élevées et qui participent en quelque chose de3 contraire, est transpositivelà où les peuples, comme
l'autorité publique, par leur âge, leurs emplois, out chez les païens, ont vécu ou vivent encore dans un
leur considération. Ce sont cependant les languess état de société contraire à la nature, et où les per-
de peuples appelés barbares par les Grecs et less sonnes sociales ne sont pas assez distinguées les
Romains, qui ont introduit dans le commerce dess unes dés autres, ou sont dans une mobilité conti-
hommes ces expressionssi nobles, si décentes sii nuelle, et n'ont pas plus de place fixe dans la so-
expressives des vrais rapports des hommes. Nous3 ciété, que les mots n'en ont d:ins les phrases. Le
leur devons encore ces locutions sublimes d'amourr caractère dominant des langues païennes est donc
des autres, et de préférence à donner au prochaini la transposition, et celui des langues chrétiennes
sur soi-même lui et moi, toi et moi, vous et moi, l'analogie. M;iis entre les langues chrétiennes il y
eux et nous, etc. Galba dit à Pison en plein sénat eu a de plus ou de moins analogues selon que les
Ego ac tu hodie simplicusime inter nos loqui- peuples sont plus ou moins constitués. En général,
mur, etc., etc. Les langues païennes sont l'expres- la langue allemande et ses dialectes sont beaucoup
sion des peuples égoïstes; nos langues sont l'ex- plus transpositifs que les langues du Midi, et Ton
pression de peuples charitables et humains. On ne peut en remarquer la raison dans la constitution
saurait assez le dire, avant le christianisme, la so- polyeratique ou populaire de cette société, vraie
ciété était dans l'état d'enfance corrompue, l'état dut démocratie de princes, de villes, de nobles, d'ab-
je et du tu; .et remarquez que nous y sommes re- bés, elc' là seulement est la véritable raison d'une
tombés en France, lorsque le christianisme y ai domination qu'une langue exerce sur les autres.
cessé, et que le tutoiement y est devenu usuel. Ce> L'empire d'Allemagne gouvernerait toute l'Europe,
sont encore des langues barbares qui ont appelé> que la langue germanique ne serait parlée qu'en
service, servir, toute fonction publique; et l'Evan- Allemagne. La langue espagnole s'est répandue dans
gile a introduit cette locution oans là société, lors- un temps où elle était plus fixée que la langue fran-
VI.
.U-I.L.
mes sont les effets de
~N .LJ..a.
la cause universelle,
"='
Dans tous les différents ordres de société, tous appelés à jouir du moyen de la rédemp-
le ministre, interpose entre la volonté du tion, et les Chrétiens seuls sont les sujets,
pouvoir etladépendancedusujet,esUe moyen et les disciples, les enfants de Dieu fait
terme entre les deux extrêmes le prêtre, homme
moyen entre Dieu et les hommes, participe VII!.
par sa consécration du pouvoir de la Divi- Ainsi l'Homme-Dieu est envoyé de Dieu,
nité, et par ses besoins, de la dépendancedu utissus a Deo pour conserver la vérité et le
fidèle; le magistrat, moyen entre le prince et bien parmi les hommes, et comme juge su-
le sujet, participe de la dépendance du sujet prême de tous les bons et de tous les mé-
et de l'autorité du pouvoir, et la mère elle- chants l'homme-roi est envoyé de Dieu pour
même, vrai ministre de la société domesti- le bien de l'Etat, pour y maintenir l'ordre,
que, moyen entre le père et l'enfant, pour minister Dei in bonum, « y récompenser les
recevoir de l'un ce qu'elle transmet à l'autre, bons et y punir les méchants, » ad vindictam
participe, dans sa constitution physique et malefactorum, laudemverobonorum(I Pelr.u,p
même morale, de la force de l'un, et de la ik); l'homme-père est envoyé de Dieu pour
faiblesse de l'autre. le bien de sa famille, pour y maintenir l'or-
dre, y récompenser, y punir; et les livres
vil sacrés dépositaires de toutes les vérités »
Dans cette hiérarchie de rapports, ceux de recommandent
i aux pères et aux rois d'user
cause, de moyen, d'effet, embrassent tous de leur pouvoir comme étant émané de Dieu,
les autres dans leur universalité. Ainsi c'est et aux enfants et aux sujets d'y obéir, comme
considérer Dieu sous un rapport plus gêné- représentant
i à leur égard le pouvoir divin. Ici
rai, de le considérer comme cause univer- la plus saine philosophie est en accord parfait
selle de tous les êtres, que de le considérer avec la religion qui a appelé les hommes à
comme pouvoir suprême de la société. Ainsi la liberté des enfants de Dieu (Rom. ym, 21)
Jésus-Christ est le moyen universel de ré- en leur apprenant que l'homme ne peut rien
demption de tous les hommes et en parti- sur l'homme qu'en qualité de ministre de
culier le pontife suprême de la société rèli- Dieu, et pour la portion qu'il exerce du
gieuse du christianisme. Ainsi tous les hom- pouvoir général de la Divinité (1).
çaise, car une langue vivante n'est jamais fixe tant pour exprimer les idées morales. Une langue est un
qu'elle est transpositive et il en est de même de instrument de commerce comme les métaux mon-
l'Etat tant qu'il n'est pas constitué. Alors la langue nayés or, la perfection d'un instrument ne cou
française employait beaucoup d'inversions, et peut- siste pas dans son volume, mais dans son rapport
être cette ressemblance avec les langues anciennes juste à son objet. C'est un peu d'or qui a plus de
la rendait-elle plus propre à en saisir dans la tra- valeur que beaucoup de cuivre.
duction le génie et le caractère. Serait-ce la raison (1) Une preuve bien sensible de la similitude
du plaisir que fait encore le vieux Amyot? La lan- de toutes les sociétés, religieuse, domestique et po-
gué française s'est fixée plus analogue que l'espa- litique, c'est que Dieu est appelé indistinctement
giïole elle a étendu et affermi en Europe sa domi- roi et père des hommes, que le chef de l'Etat est
nation mais en s'éloignant du génie des langues appelé père de son peuple, et même il est dit aux
anciennes, elle est devenue plus originale et moinsrois dans l'Ecriture, par emphase Vous êtes les
imitative, et de là vient peut-être que la littérature dieux de la terre. (Ps«/.lxxxi, 6.) En hébreu, ab veut,
française est plus riche en excellents ouvrages ori- dire père, roi, maître, auteur, docteur. Le nom de
ginaux, qu'en bonnes traductions d'ouvrages an- maître est commun à tous les pouvoirs, et Dieu
ciens. Ainsi la langue française ne doit sa dorai- semble affecter la supériorité même de l'âge ré-
nation en Europe qu'au naturel de sa construction servée au pouvoir domestique, lorsqu'il s'appelle
elle parle comme on doit penser, elle exprime ce l'Ancien des jours. (Dan. vu, 9, 15, 22.) Enfin tout
qui doit être. Des causes accidentelles peuvent pouvoir dans l'Ecriture est appelé une paternité,
donner à d'autres.languesune vogue passagère la comme la paternité est appelée un pouvoir.
langue française régnera éternellement, parce qu'elle Le mot enfant se dit des fidèles et des sujets,
est naturelle, et qu'elle ne peut périr, même quand comme des fils par naissance. Il semble même que
le peuple qui la parle périrait lui-même; car les les mots fils, /î^èles féaux qui autrefois dési-
langues écrites survivent aux peuples qui les par- gnaient les sujets ou fidèles, aient une racine com-
lent, pour attester aux siècles futurs ce qu'ils ont mune car ils oui les mêmes caractéristiquesf, l, s.
été. Il est plus important qu'on ne pense de main- On sait que l'e et l'i se mettent l'un pour l'autre.
tenir la domination de la langue française, et pour Enfin l'Eglise enseignante, ou l'ordre du sacer-
cela il serait temps de faire, dans un dictionnaire, doce, ministère public de la religion, est appelée la
l'inventaire raisonné de ses richesses dont nous mère des chrétiens, qui les conçoit et les en fante à la
n'avons encore que des nomenclatures. La langue vie de la grâce dans la constitution ancienne de
française n'est pas la plus abondante, mais elle est la France, l'ordre chargé du ministère politique
la plus riche des langues. L'abondance consiste était regardé comme uni au chef par une sorte de
dans le nombre des mois, la richesse dans la faci- mariage indissoluble, dont l'anneau d'or que por-
lité de tout exprimer; et la langue allemande, si taient les membres était le symbole. On doit même
surcharge de mots, manque des plus nécessaires remarquer, pour ne rien laisser à dire sur cette
IX. supérieur
s à celui des rois, princeps regum
Ainsi le pouvoir souverain, que nous ap- terrœ celui des rois supérieur au pouvoir
pelons souveraineté est en Dieu « Je suisis domestique,
c non pas pour l'affaiblir ou même
le Seigneur ton Dieu; » et le pouvoir im- le
1 partager, car sous ce rapport le pouvoir
médiatement subordonné à Dieu, que nous is domestique
c est indépendant de tout pouvoir
appelleronssimplementPODVoiR, est de Dieu: humain,
ï mais pour en maintenir et en pro-
« Potestas ex Deo est (Rom. xm, 1) (1).»
téger
t l'exercice. Ainsi comme le pouvoir
public seul peut, par la force dont il dis-
X. E

pose, ôter à une famille un père coupable,


Ainsi Dieu pouvoir souverain sur tous 1S le chef dé tout pouvoir, celui à qui tout pou-
les êtres; l'Hoiurne-Dieu, pouvoir sur l'hu-l" voir
t a été donné même sur la terre (Malth.
inanité tout entière qu'il représente dans sa
ia xxvm, 18), peut seul, par les événements
1
personne divine; l'homme chef de l'Etat,a qu'il0 permet ou qu'il dirige, changer dans
pouvoir sur les hommes de l'Etat qu'il re- l'on peut
vun Elat un chef prévaricateur; et
3"
présente tous dans sa personne publique; regarder
r comme une preuve de cette der-
l'homme-père, pouvoir sur les hommes de le nière proposition
r que l'affaiblissementdu
la famille qu'il représente tous dans sa per-
r- christianisme
c que les chefs des nations ces-
sonne domestique, forment la chaîne et la sent de protéger, a été en Europe le prin-
s
hiérarchie des pouvoirs sociaux (2). cipe de ces terribles révolutions dans les-
XI. c
qquelles les nations ont été entraînées, et où
chefs ont péri par les mains des peu-
Dans cette hiérarchie de pouvoirs concen- leurs
'
5. pies
triques si l'on peut parler ainsi, le plus gé- 1 que l'irréligion avait pervertis (3).
néral embrasse celui qui lui est immédiate- 3" XII.
ment subordonné. Ainsi le pouvoir de Dieuu
est supérieur à celui de l'Homme -Dieu, Dans la religion primitive ou patriarcale,
puisqu'îï l'a envoyé; celui de l'Homme-Dieuu qqui formait le culte des premières familles,

parité entre toutes les personnes des diverses so-


»- ssens physique et charnel, comme le iègne du Iles-
ciétés, qu'en général tout ce qui sert à produire ouiu s l'était par les Juifs, a produit l'erreur des mille-
sie
à conserver, qui tninistrat se met, dans la langue le noires,
n qui attendent un règne de Christ visible, et
française, au féminin religion, église royauté, <; personne, pendant mille ans.
en Cette opinion in-
noblesse, justice, magistrature, armée, force, fa- »- cconnue toute à l'antiquité, dit Bossuet, s'est répan-
mille, maternité, société, loi, etc. ddue en Angleterre au temps de sa révolution et
( 1 ) Le pouvoir est de Dieu, ou comme ministre re elle
e n'a pas été étrangère à la nôtre, 'par ta raison
de bonté, s'il est naturellement constitué, ou comme>e que les extrêmes malheurs ramènent sinon tous les
q
instrument de justice, s'il ne l'est pas; car les ver-
r- hhommes, du moins toutes les sociéiés à l'idée de la
tus ou les vices d'un chef de nation font bien le £Divinité, et sans doute aussi parce que les révolu-
bonheur ou le malheur d'une génération mais la lions hâtent les progrès de la vérité et le retour de
ti
constitution, bonne ou mauvaise, du pouvoir, fait lit 1; société à l'ordre le plus naturel des lois, et que
la
le sort heureux on funeste de la société. h lois de Jésus-Christ sont ce qu'il y a de plus
les
( 2 ) Jésus-Christ représente l'humanité tout en-î- naturel
n ou de plus parfait. C'est dans ce sens qu'il
tière, et la religion chrétienne nous enseigne cettete a été dit Oportet hœreses esse (I Cor. xi, 9) il n'y
vérité de mille manières. In vie unum sint. (Joan. n. a pas de vérité exprimée plus à découvert dans
xvn, H.) « Ce n'est qu'avec un profond étonne- e- l'l'Evangile que la royaulé de Jésus-Christ sur la so-
ment, dit la Théorie du pouvoir, que je réfléchis aum ciété
c même politique. Le passage mon royaume
sens caché de ce mot simple et sublime que le nn'est pas de ce monde (Joan. xvm 36) par lequel
gouverneur romain, ignorant également ce qu'il fait it o a voulu lui en contester, pour ainsi dire, l'e.xer-
on
et ce qu'il dit, adresse au peuple égaré en lui mon-
i- cice,
c ne peut et ne doit s'entendre que du monde
trant Jésus Voilà l'homme. (Joan. xix, S.) Mes es idolâtre et corrompu au milieu duquel il parlait, et
i<
regards se fixent sur cet homme. Ses mains sont nt qui
q avait pour roi le prince des ténèbres. Et quand
chargées de liens; il a pour sceptre un roseau, i, Jésus-Christ
J dit à ses apôtres Allez par tout le
pour couronne un tissu d'épines un manteau de de monde
n enseignez, etc. (Marc. xvi 15) que fait-il
pourpre cache des plaies douloureuses là
Voilà autre
a chose qu'une fonction éminente de son pou-
l'homme, me dis-je à. moi-même, et tous les hom- i- voir
v sur ce monde? Mais dans des siècles peu éclai
mes !.voilà l'humanité! Roi de l'univers, l'hom ne e r on a cru que cette domination de Jésus- Christ
rés,
n'est pas maître de lui-même; sa royauté a la fra- a- devait
d être exercée par ses ministres, dans l'ordre
giliié du roseau, et la piqûre déchirante de l'épine,
e, ttemporel, et de là leurs querelles avec l'autorité
l'extérieur imposant de la dignité humaine, l'or- r- politique.
p Cette domination n'appartient qu'aux lois
gueil de la domination, l'éclat de la gloire, cachent
nt du
d christianisme qui doivent régler toutes les au-
de honteuses faiblesses et de cruelles infirmités. ttres lois et affermir tous les autres pouvoirs. II n'est
Oui voilà l'homme » pas besoin d'avertir que les lois religieuses sont
3) Le règne de Jésus-Christn'est autre chose se
p
ddifférentes des lois ecclésiastiques la loi de l'in-
que la propagation du christianisme, dont les lois
iss ddissolubililé du lien conjugal est une loi religieuse,
doivent, tôt ou tard, régler les lois de tous les Etats
ts ]i pouvoir politique doit la maintenir; la loi du
le
et de toutes les familles, et qui même actuellement ntt jeûne
ji est une loi ecclésiastique, le pouvoir politique
en règlent la plus grande et la meilleure partie. Ce Je n peut la porter.
ne
règne entendu par des chrétiens fanatiques dans un. m.
tout était domestiqué le ministère ou sa- ministres ont reçu une mission générale
cerdoce était uni à la paternité; les fidèles pour instruire l'univers Ite, docete omnes
étaient la famille, et Dieu lui-même, pouvoir gentés {Matth. xxvm, 19), et les sujets ont
suprême, ne voulait pas être rendu public dû être actuellement ou éventuellement le
au dehors, et représenté sous des figures ou genre humain, et fiet unum ovile et unus pas-
images taillées, comme il le dit lui-même tor. (Joan. x, 16.) L'ordre public politique
dans le Décalogue. Aussi, lorsque par la s'est également distingué de l'ordre domes-
multiplication des familles la paternité de- tique l'Etat a eu son chef, ses ministres,
vint une royauté, le sacerdoce s'unit natu- ses sujets autres que ceux de la famille.
rellement à la dignité politique, et cet usage L'homme de la religion, l'homme de l'Etat,
se retrouve chez tous les premiers peuples, l'homme de la famille, ont été distingués l'un
les Hébreux exceptés, et s'apercevait même de l'autre, au point que le ministre de la
chez les Romains (1). religion, et quelquefois celui de l'Etat; n'ont
XIII. plus été des hommes de la famille. C'est là
la raison générale du célibat, si justement
Mais à mesure que la religion devint pu- prescrit aux prêtres, et dont nos lois même
blique, tout dut y devenir public. lois et militaires font à la plus grande partie des
personnes. Ainsi, Dieu donna aux Hébreux guerriers une nécessité. Là est la raison de
des lois écrites, et lui-même manifesta sa la défense du mariage faite aux membres
présence d'une manière extérieure dans le des ordres religieux et politiques, véritables
tabernacle. Le sacerdoce se distingua du reste familles, les plus anciennes, les plus puis-
de la nation juive, comme la nation elle- santes de toutes, et dont le célibat des mem-
même, revêtue dans l'univers d'une sorte
de sacerdoce, se distinguait des autres peu-
ples. Enfin, lorsque la religion' nationale
des Juifs n'a plus convenu à l'état avancé
-•
bres a fait la fécondité, la force et la durée.
xiv.
Enfin, à considérer la société dans sps dif-
du genre humain, et qu'elle a dû devenir férents états, et à les comparerentre eux, on
non-seulement publique, mais générale, le pourrait dire que la religion est le pouvoir,
pouvoir divin s'est manifesté d'une manière et que la famille et l'Etat sont ses ministres,
plus générale, et la plus générale possible et les moyens qu'elle emploie pour conser-
pour les hommes, puisqu'il s'est fait homme ver l'espèce humaine par la reproduction
il a publié les lois de l'amour de Dieu et de des individus, la connaissance de la vérité,
J'amour du prochain: lois les plus générales, la répression du mal; minister Dei inbonum.
puisqu'elles comprennent la loi, et même les Malheur aux gouvernements qui renversent
prophètes « In his dwobus mandatis universa cet ordre, et regardent la religion comme
fax pendetetprophetœ.» {Matth. xxn, kO.) Ses leur moyen 1
(1) Quelquefois le sacerdoce était uni même à sanclum aliquid et providum putant, dit Tacite en
la maternité, sans doute à la mort du père de la parlant des Germains.
les prêtresses de l'antiquité, et t'opinion des peu- Les Romains avaient dans le collège des prêtres
ples naissants, qui attribuent aux femmes quel- le roi des sacrifices, pour offrir un sacritice natio-
que chose de divin et de prophétique. Inesse feminis nal.

UVRE IL
DE LA LOI GÉNÉRALE ET DE SON APPLICATION AUX ÉTATS PARTICULIERS
DE LA SOCIÉTÉ.

CHAPITRE PREMIER. cipes


c dont il est important de suivre l'en-
chaînement.
DE LA LOI GÉNÉRALE, PRIMITIVE ET FONDA-
1° L'ordre de la société est l'ensemble des
MENTALE,
rapports,
ri vrais ou naturels, qui existent en-
I tre les êtres moraux, c'est-à-dire entre les
tr
Je répète pour la dernièra fois des prin- p
personnes de la société (2).
\%) il ne faut jamais perdre de vue que la vé- et
corps, et la vérité morale la science des rapports
rite physique est la science des rapports entre les entre
er les personnes.
2° La science des êtres de la société et de par lesquels l'homme participe au bienfait
leurs rapports naturels est la vérité morale de celte lumière en acquérant l'expression
ou sociale. La connaissance de la vérité de ses pensées, et dont l'intelligence soli-
morale forme la raison la raison est la per- taire serait condamnée à une éternelle vi-
fection de la volonté la volonté est la déter- duité(2).
mination de la pensée la pensée n'est con- III.
nue de l'homme que par son expression.
3° Ainsi l'homme pri-vé d'expression eût Mais la parole ne peut être venue à l'homme
été privé de pensée, de volonté, de raison, que par transmission ou révélation donc
de connaissance de la vérité; il eût vécu la science des personnes et de leurs rapports
dans l'ignoranca des personnes et de leurs lui est venue, comme nous l'avons fait
rapports, étrangère à toute société (1). voir, par voie d'autorité.
II. IV.
Pensée, connaissance de la vérité, science La connaissance des rapports vrais des
des êtres, raison, société enfin, tout naquit êtres, révélée ou transmise par l'autorité,
pour l'homme, comme tout naît encore pour s'appelle loi, de legere, lire, parce que cette
lui avec l'expression des idées ou la parole transmission, faite d'abord avec la parole à
voix puissante, qui tire du néant le monde la première société domestique, a plus tard
de l'intelligence, et qui fait luire au milieu été fixée par l'écriture pour la première so-
des ténèbres cette lumière qui éclaire tout ciété publique (3).
homme venant en ce monde (Luc. i, 9) car il
V,
ne viendrait pas dans ce monde, et il serait
horsde la société, l'être malheureux qui naî- La nécessité de l'écriture, qui fixe et étend
trait privé des sens de la vue et de l'ouïe, la parole, est évidente (4) puisque nulles

( 1 ) Il a été, de tout temps, si généralement re- mis quelques souvenirs confus de ce qu'ils appel-
connu que le caractère essentiel de l'homme, celui lent l'invention de l'écriture des sons, qu'il faut
qui le distingue des animaux, est la parole, expres- bien distinguer de l'écriture des hiéroglyphes, qui
sion de son intelligence, que l'enfant n'est désigné est un dessin.de contours. Deux écritures, dont
que par la privation de la parole, infans, d'in, pri- l'une dessine les formes, l'autre exprime les sons,
vatif, et de fart, parler. Les anciens disaient muta sont séparées l'une de l'autre par l'infini, et l'une
animalia, les animaux muets, pour dire des ani- par conséquent n'a jamais pu naître de l'autre; çar
maux sans raison. Deus, ille princeps parensque on ne peut pas plus faire ouïr une figure que figu-
reruni, nulla mugis liominem distinxit a cœleris rer un >-on, et la musique elle-même ne figure pas
animalibus quant dicendi facultate. i La faculté de les sans, mais ne fait que noter les tons, ou l'in-
parler est la différence essentielle par laquelle le tervalle entre les sons.
Créateur et li Souverain des êtres a distingué Thaut, Hermès., Mercure Trismégiste, à qui les
l'homme des autres êtres, dit Quintilien. Grecs faisaient honneur de l'invention de l'écriture,
( 2) Cette comparaison est parfaitement exacte, ne sont que des noms de la Divinité, et les Phéni-
et la parole, entrant dans notre esprit, y distingue ciens, les premiers chez qui cet art a été répandu,
toutes nos pensées, et nous les rend présentes à ne sont que les Hébreux. L'art de l'écriture, pour
nous-mêmes, cqmme la lumière, en entrant dans qui le médite, est plus merveilleux que l'art de la
un lieu obscur, y colore tous les corps, et nous parole, puisqu'il a une merveille de plus. Aussi, dit
les représente tous, et même notre propre corps. Duclos, t l'écriture n'est pas née comme le langa-
De là viennent ces locutions communes à toutes ge, par une progression lente et insensible, elle a
les langues, être éclairé, avoir des lumières, esprit été bien des siècles avant que de naître mais elle
lumineux, et ..colle,comparaison perpétuelle de l'es- est est née tout à coup, et comme ta lumière. Une
prit à la lumière. Voy. part. III, OEuv. phil. visser- fois conçu, cet art dut être formé en même temps. »
tation intitulée Sur la vensée de l'homme. Le philosophe a raison, et cela même prouve que
( 3 ) La parote est le moyen familier ou domes- l'homme, condamné à inventer lentement, n'a pas
tique de communication des pensées, puisqu'il plus inventé l'écriture que la parole. En un mot,
suppose des hommes en petit nombre, et habituel- deux arts, l'art rie parler et l'art d'écrire, sans les-
lement rapprochés. L'écriture est le moyen public quels la société ne saurait naître et se perfection-
qui transmet les pensées à la généralité des hom- ner, ne peuvent pas avoir été laissés à l'invention
mes, et qui fait même parier ceux qui ne sont plus contingente de l'homme; car, si l'homme les a in-
pour l'instruction de ceux qui ne sont pas encore. ventés de lui-même, il pouvait ne pas les inventer;
La parole avait dit au meurtrier domestique, à la société pouvait donc ne pas exister or la so-
l'assassin de son frère Qu'as-tu fait? Tu seras er- ciété est nécessaire donc, etc. Ce raisonnement
rant et vagabond (Gen. tv, 10, 12), avant que l'é- peut s'appliquer au petit nombre des arts nécessai-
criture eût fixé et rendu publique la loi Tu ne tueras res, à prendre ce mot dans une acception rigou-
pas.(Exod: xx, 13.)C'eslune vérité fondamentale que reuse. Aussi les anciens attribuaient-ils aux dieux
la révélation de la loi a d'aburdété orale dans la fa l'invention de l'art de l'agriculture, et celui qu'elle
mille, plus tard écrite pour les nations,et encore sous suppose nécessairement, l'art de fondre les métaux;
nos yeux, t'homme n'est-it pas instruit par la pa- car, quoiqu'un peuple naissant puisse vivre de
role avant de l'être par l'écriture? chasse et de pêche, un peuple avancé ne saurait
( & ) Comme l'écriture est plus récente dans le subsister sans agriculture de même un peuple ne
monde que la parole, les anciens nous ont trans- saurait à la longue se passer dé lois écrites, qtioi-
autres sociétés au monde n'ont retenu toute chrétienne, qui s'étend partout, et règne
la loi orale, que celles qui ont connu la loi sur toutes les autres sociétés par la force de
écrite (1). son industrie, de ses lumières, de sa raison,
VI. de ses armes, de sa religion et de sa politi-
Cette loi, transmise à l'homme au moyen que, sont les sociétés où nous devons trou-
de la parole, fixée au moyen de l'écriture, ver la révélation de la loi écrite, ou autre-
de par l'autorité de l'Etre tout-puissant et ment l'écriture de la loi générale, dont tous
les autres peuples nous offrent dans leurs
tout sage souverain de la société, cette loi lois locales une connaissance imparfaite.
est vraie, naturelle, parfaite comme son au-
teur. Or, la perfection étant la fin des êtres, IX.
l'état auquel ils tendent invinciblement, et le
Effectivement les Juifs et les Chrétiens
seul par conséquent où ils puissent trouver
le repos et la stabilité, nous devons trouver nous montrent un livre, le plus ancien qui
soit connu, sublime dans les pensées, dans
la connaissance entière et I'écriture de cette
les sentiments, dans le style, qui nous fait

.'
loi (s'il existe une loi semblable) dans les
sociétés les plus stables et les plus fortes.
connaître Dieu et l'homme et qui nous
instruit dans un petit nombre d'axiomes des
vu. rapports naturels et généraux des personnes
La question se réduit donc à des preuves sociales entre elles, et de ces lois fondamen-
de fait, et pour trouver la vérité (et la vérité tales, dont nous retrouvons des vestiges plus
existe dans le monde, puisque le mot vérité ou moins altérés jusque dans les sociétés les
existe dans la langue), pour trouver la vérité, plus ignorantes et les plus corrompues.
il faut chercher la force. Je dis la force et x
non la violence, car là violence se trouve
Ainsi c'est un fait que le Pentateuque est
avec la faiblesse; mais la force n'existe le livre
qu'avec la raison. le plus ancien qui nous soit connu,
celui où J'on trouve le plus de hautes pensées
VIII. exprimées dans le style le plus simple, et les
Or la société judaïc]ue,«quecinq mille ans,» plus grandes images rendues dans le style
dit J.-J. Rousseau, « n'ont pu détruire ni le plus magnifique. C'est un fait qu'il n'existe
roêïnealtérer, et qui est à l'épreuve du temps, que chez les Juifs et chez les Chrétiens; c'est
de la fortune et des conquérants. dont les un fait qu'il contient dix lois énonciatives
lois et les mœurs (c'est-à-dire, les lois de des rapports fondamentaux de la société,
famille et d'état) subsistent encore, et dure- lois dont on aperçoit des traces chez tous les
ront autant que le monde, et
la société peuples de la terre c'est un fait qu'il n'y a

qu'il ait vécu dans son enfance avec des lois orales nations, assises dans l'ombre de la mort, ne peu-
ou des coutumes. L'imprimerie est devenue néces- vent plus marcher. qu'à sa lumière. (Luc. i, 79.) Et
saire à l'état des hommes et aux progrès de la so- remarquez l'étonnante justesse de ces expressions
ciété on peut en dire autant de la boussole; mais des livres saints les nations barbares sont assises,
l'une et l'autre ne sont que des conséquences aisées et les nations civilisées marchent. La paresse et
à déduire, l'une de l'art d'écrire, l'autre de la pro- l'indolence sont le caractère dominant des peuples
priété connue de l'aimant. sauvages, l'activité soutenue celui des peuples ci-
( 1) Les peuple les plus célèbres de 1' .(iniquité, vilisés. Résumons-nous la révélation de la loi est
et les hommes les plus savants chez les païens, ont naturelle à l'homme qui ne peut connaître la vérité
vécu dans une ignorance déplorable, non de l'exi que par la parole, et elle est nécessaire à la société
tence d'une loi, mais des dispositions,de la loi na- qui ne peut se civiliser que par la connaissance de
turelle, dont une tradition obscure avait conservé la loi.
parmi eux un souvenir défiguré par des applications ,Les Juifs ont eu des lois dures, des Etats chré-
vicieuses. Ainsi ils avaient retenu le dogme de tiens ont eu des lois imparfaites mais ni les uns
l'existence de l.i Divinité, et ils en avaient fait l'i- ui les autres n'ont eu de lois contre nature, im-
dolâtrie le dogme du s crifice, et ils en avaient pies, atroces, abominables comme les Grecs et les
fait l'homicide; le dogme du pouvoir paternel, et Romains, et encore comme les Chinois et les Japo-
ils en avaient fait le despotisme, et le droit sur la nais. L'esclavage toléré dans les colonies chrétien-
vie même de ses enf.mls; le dogme du pouvoir po- nes ne ressemble que de nom à l'esclavage pratiqué
litique, et ils en avaient fait l'esclavage la défense chez les païens. Là, l'esclave était hors de la loi
de l'adultère, et il en avaient t'ait le divorce, etc., commune à tous les citoyens, hors de la société
etc. Or, cette expérience est décisive, parée qu'elle par conséquent, et il ne trouvait pas dans le pou-
a été faite sur les peuples les plus éclairés de l'anti- voir public d'asile contre l'oppression du pouvoir
quité païenne, et qu'elle ne peut plus être répétée, domestique auquel il était soumis. Ici, l'esclave
aujourd'hui que la religion chrétienne ayant éclairé fait moins que chez les anciens partie de la famille;
de proche en proche tous les peuples, toute con- mais il est beaucoup plus sujet de l'Etat,-puisqu'il
naissance pleine et entière de la loi primitive ne est protégé dans sa personne et dans ses propriétés
peut désormais venir que d'elle. et que- toutes les par les mêmes lois qui protègent les citoyens
jamais eu de civilisation au monde, c'est-à- taillée,
ta ni aucune figure de choses qui sont
dire de raison ( 1 ) dans les lois, et de force so le ciel, sur la terre et dans les eaux,
sous
dans les institutions, que dans les sociétés pc les adorer et pour les servir (3).
pour
juive et chrétienne, les senles de toutes gui 2° Tu ne prendras point le nom du Sei-
n'aient pas eu de lois fausses, absurdes, gneur
gn ton Dieu en vain le Seigneur ne tien-
atroces, contraires à la nature des êtres et de dr pas pour innocent celui qui aura pris
dra
leurs rapports, et tous ces faits, si l'on y en vain le nom du Seigneur son Dieu.
en
prend garde, et si l'on a bien suivi la chaîne 3° Souviens-toi de sanctifier le jour du
des raisonnements, tiennent au fait, au seul sabbat;
sa tu travailleras et feras tous tes ouvra-
fait de la nécessité physique de la transmis- ge pendant six jours. Le septième est le
ges
sion ou de la révélation de la parole, et de jour
jo du repos du Seigneur. Tu ne feras au-
l'impossibilité de son invention. cune œuvre en ce jour, ni toi, ni ton fils, ni
cv
ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni
xi
)(1 te .,bestiaux, ni. l'étranger qui est parmi
tes
Voici cette loi primitive et générale, cette vous (4).
vc
loi naturelle, parfaite, divine (tous mots 4° Honore ton père et ta mère, afin que tu
synonymes), telle qu'elle se trouve au livre vi
vives longtemps sur la terre que le Seigneur
des révélations divines, conservé chez les ton Dieu t'a donnée.
to
Juifs et chez les: Chrétiens avec une re- 5° Tu ne tueras pas.
ligieuse fidélité, quoique dans des vues 6° Tu ne commettras point d'adultère.
différentes et même opposées, et porté par 7° Tune déroberas pas.
les uns et par les autres dans tout l'uni- 8° Tu ne porteras point faux témoignage
vers (2). contre
c( ton prochain.
1° Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai 9" Tu. ne désireras point la femme de ton
tiré de la maison de servitude et de la terre p,
prochain.
£ Egypte. Tu n'auras point d'autre Dieu de- 10° Tu ne désireraspoint sa maison, m son
vant ma face tu ne te feras point, d'image servitetcr,
st ni sa servante, ni son bœuf, ni son
\l) Je dis raison des lois, et non pas esprit des les le adorer et de les servir, et que le christianisme
lois car y y a de l'esprit, même aux lois les plus fait fa la même défense. La loi des Juifs multipliait les
contraires à loute raison. fr
freins pour retenir un peuple-enfant entouré d'idô-
( 2 ) L'existence des Juifs a quelque chose de si lâtres,
la et toujours enclin à demander qu'on lui fit
extraordinaire, qu'elle ne peut être expliquée que des
dl dieux qui marchassentdevant lui. Le législateur
par la nécessité d'attester à tous les peuples de prenait pi des précautions contre la contagion de l'i-
l'univers, et dans tous les temps de sa durée, Tau- dolâtrie,
di comme On en prend, dans nos gouverne-
llienlicité d'une toi écrite pour tous les peuples et ments m modernes, contre la contagion de la peste.
pour tous les temps. C'est, la branche aînée de la (4) La religion chrétienne, loi de grâce et de
grande famille, et elle a le dépôt des titres origi- liberté,
li! développe d'une manière moins servile l'o-
naux. Cela a été dit cent fois et toujours avec raison bligation
bl du repos hebdomadaire. Elle défend de
mais, comme l'observe un homme d'esprit, les travailler
tr pour soi, ou le travail domestique; mais
pensées -vieillissent par t'usage, et les mots par le elle el ordonne ou permet l'action pour le général ou
non-'usagc.» le service public (car l'homme travaille pour la fa-
[ 3 ) Je. suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai tiré de mille m et agit pour l'Etat), dans les fonctions reli-
la maison de servitude. Lps Hébreux avaient été gieuses, g! et même, s'il le faut, dans les fonctions po-
tirés de la servitude sous laquelle ils vivaient litiques
li de juger et de combattre. Cependant elle
en Egypte; mais tout peuple qui se civilise est permet
p. tout travail domestique nécessaire à la
aussi tiré de la maison de servitude, c'est-à-dire subsistance
si de l'homme, et quelquefois même à la
de l'état domestique, état faible et précaire conservation ci de ses biens. La religion juive faisait
des sociétés naissantes, pour passer à la liberté, à vaquer
y, les mains, la religion chrétienne veut occu-
la dignité, à la force, à l'état public et fixe d'un per p le cœur. Les Juifs, retombés dans la servitude
peuple civilisé. Ainsi tout peuple qui déchoit de la religieuse
ri et politique, ont ajouté le ridicule rigo-
civilisation en perdant la connaissance des lois. de risme ri des observances pharisaïques à la rigueur de
t'ordre naturel des sociétés religieuses ou politi- la U loi; mais nos administrations soi-disant chré-
ques, retombe dans la servitude de ses passions, et tiennes ti s'en écartent trop souvent sans nécessité.
quelquefois sous la domination de ses voisins. Ainsi 11 11 vaut mieux, disent quelques hommes peu éclai-
la Pologne déchue de la fixité du pouvoir, loi ton- rés ri que t'homme travaille que de s'enivrer, à peu
damentale de la société, a vécu dans le trouble, et près p comme on dit en Angleterre, pour excuser
fini, comme l'empire romain, par le démembrement. l'imperfection
1' des lois contre le vol, qu'il vaut
Ainsi les sociétés religieuses écartées de la loi fou- mieux n que l'on vole que d'assassiner. L'adminis-
damentale de l'unité, après avoir vécu dans la dis- tration ti n'existe que pour empêcher tous les désor-
pute et la guerre; se partagent en diverses opinions, dres, d et les plus grands et ceux qui le sont moins.
et finissent par disparaître.. 0
On ue s'enivre pas en Espagne, et après tout, s'il
11 y a aujourd'hui si peu d'instruction religieuse, faut
f: choisir, Un peuple d'ivrognes vaut mieux qu'un
qu'il doit être permis de remarquer que la religion peuple p d'athées. Des administrations faibles, inha-
chrétienne ne contredit pas la loi mosaïque, quoi- biles b à gouvernerles hommes, veulent les distraire,
qu'eue permette des représentations matérielles de et e ne font que les corrompre.
la Divinité, parée que la loi mosaïque défendait de "'
âne. ni aucune autre chose qui lui appartienne
( 1 ). [Exod. xx, 2 seqq.)
ï de la société. Declaratio sermonum tuorum
/'' •' XII.
iltuminat, et intèlléctum dat parvulis. (Psal,
cxvnr, 130.) Et comme l'écriture donne ufï
corps la parole, en la mettant sous les sens,
Ces paroles, déclaration écrite des per- on peut,
sonnes sociales et de leurs rapports naturels,
avec Ch. Bonnet, appeler la loi
écrite « l'expression même physique de la
sont la promulgation de la vérité, l'institu- volonté de Dieu, » de
la volonté du plus
tion de la raison humaine et le fondement général des êtres (2). On
peut donc définir
(1) L'existence d'urse loi primitive, donnée par qui régnent encore chez quelques peuples. Certes.
Dieu même, n'a pas élé inconnue aux philosophes
même païens. Les familles, en se séparant, avaient ce sont là des voies naturelles, puisqu'elles sontt
encore les seuls moyens qui nous soient connus,
emporté leur part de l'héritage paternel, donjt elles par lesquels les hommes se transmettent les
ont, retenu quelque chose dans l'état du peuple. aux autres leurs connaissances, et assurémentuns
ést,: dit Cicéron dans il
'< 11
ce heaù passage que est naturel de penser que l'être qui a formé l'hom-
Lactancè nous a conservé du Traité sur les lois,
me n'a pas laissé les moyens de le conserver au ha-
< il est une loi véritable qui est le rapport vrai des sard de ses inventions. Et comment
êtres, loi conforme à la nature, partout répandue main eût-il été jusqu'à la le genre hu-
et partout la même, éternelle, immuable, qui nous première n'eût seconde génération, si la
eu tous les moyens nécessaires de
porte au bien parses injonctions, qui nous détourne conservation, entre lesquels l'art de la
du mat par ses prohibitions. Il n'est permis ni de donne la connaissance de la parole, qui
règle, est le premier?
la changer pour une meilleure, ni de t'abroger l
en Car homme, dit la souveraine raison, ne vit pas
entier, ni même d'y déroger en la moindre chose. seulement de pain, mais de
Ni le sénat, ni le peuple n'ont le pouvoir de toute parole qui vient de
nous Dieu. (Matih. iv, 4.) Ce qui veut dire
délier des obligations qu'elle nous impose. L'au- sont aussi nécessaires que les lois
que les aliments pour per-
teur, le promulgateur, l'interprète de cette loi est pétuer le genre humain» Or, la raison
Dieu même, maître. universel et souverain du toute connaissance repousse
humain. i: Est quidem vera lex, ratio genre de la loi qui serait innée, comme
congtuens, diffusa in omnes, conslans,recta, naturœ l'est le besoin de manger et de boire; car si la con-
sempitema, naissance de la loi était ainsi innée gravée
quœ vocet ad officium jubendo, veiando a fraude de- yy fond des cœurs, nous saurions on au
terreal. Huic legi nec abrogari fus est, neque dero- nous savons manger et boire; tousloin la loi, comme
gari ex hac aliquidlicet neque Iota abrogari potest. nous faire violence et qu'il fallût
Née' veto aul per senalum aul pour l'observer, ce ne serait
per populum solvi hac qu'avec de grands efforts sur nous-mêmes que nous
lege possumus. Unusque est communis quasi ma- pourrions l'enfreindre,
gisier et imperator omnium Deus Me, legis hujus faisant comme ce n'est qu'en nous
violence que nous nous abstenons de toute
inventor, disceptator, lalor, etc. nourriture. Une autre preuve que la connaissance
Mais Gicérpn, qui a des idées si relevées delà loi de la loi est acquise comme toute autre, est
<
divine, n'en avait pas vu le texte; il la croyait, que
inous l'exprimons chacun dans la langue qui
comme nos 'philosophes, écrite seulement au fond inous a été enseignée. Des philosophes qui,
des coeurs, et ne soupçonnait pas que ce qu'il en rie, en théo-
savait n'était venu jusqu'à lui que par cette tradi- i ne nient pas la Divinité, ne croient pas néces-
ssaire son intervention dans la société, et attribuent
tion oralequi a précédé l'écriture chez tous les peu- la
1 souveraineté à l'homme pris collectivement,
pies, et qui défigurée à la longue par la négligence ou
aau peuple. Mais ont-ils réfléchi aux conséquences
des hommes, le malheur des temps, les variations de
du langage, la dispersion des familles, a produit les
d ces principes? Si le peuple est souverain légi-
time,
t toutes les lois faites par le peuple ou au nom
lois absurdes des Grecs et des, Romains, comme d peuple sont bonnes, et la loi de l'infanticide,
du
celle de la Chine et du Japon; car il faut une loi à pporte ou que souffre un peuple pour borner l'excès:
que
l'homme, puisqu'il lui faut une société. Là où la d sa population, est aussi bonne que celle qu'il
de
loi vraie sera oubliée, il naîtra nécessairement des porte
lois fausses et contre nature. Ainsi, si la loi reli- p pour encourager les mariages. Si l'on dit
qu'il
q y y a une loi naturelle à laquelle le peuple doit
gieuse et politique qui consacre l'enfant à Dieu par conformer
c ses.lois, ce- souverain reçoit des lois, et
le baplême. venait à être abolie, on verrait naître, nnous remontons à la Divinité, souveraine du peuple
même en Europe, l'horrible coutume de l'iiiCantici- souverain.
s Si l'on soutient que cette loi naturelle
de, et déjà nous avons vu port atteinte à la loi qui est gravée, dans le cœur de lous les hommes
e>
le punit, comme utihomicide, et des juges ont dis- on se
Cingué l'énfuit de l'homme dans la protection
n dans l'impossibilité d'expliquer pourquoi les
met
que hommes
h lisent cette loi sous des versions si diffé-
la lui doit à tous. Qu'on y prenne garde, tes lois hu- rentes,
mainés sont faites pour les hommes égaux, les lois
r< que ce qui est permis ou ordonné par les
uuns est regardé avec horreur par les autres, et que
chrétiennes pour les hommes semblables, et elles les
le coutumes abominables, pratiquées
protégent la lemme, l'eufant, l'indigent, le simple, diction chez les peuples païens anciens et
di
sans contra-
modernes,
partout le faible contre le fort. nous paraissent des crimes attentatoires à la loi
ni
(2) La souveraineté est en Dieu, ou elle est suprême
st de la conservation. Il n'y a, j'ose le dire,
dans l'homme, poiin de milieu. Les croyances des qu'une issue
Juifs et des Chrétiens placent la souveraineté en qi pour sortir de ce labyrinthe, et Ju-
ri l'a trouvée c'est de séparer
neu la loi populaire de
Dieu et parce que l'homme ne sait rien en morale la raison générale, et de soutenir que le peuple est
qu'il ne t'ait entendu, par les oreilles ou par les yeux, la seule autorité qui n'ait pas besoin d'avoir raison;
c est-à-dire qu'il ne l'ait appris par la parole orale proposition
pr répétée dans les mêmes termes à l'As-
ou écrite, elles lui montrent cette loi divine reçue semblée
se constiluanle,et qui sera éternellement re-
avec ta parole, alors comme aujourd'hui conservée produite
pr par tous les raisonneurs conséquents qui
de génération en génération par une tradition orale, admettront
ad comme un dogme la souveraineté popu-
que les pères transmettaientet qu'ils transmettent laire
lai proposition que Cicéron lui-même n'eût pu
encore aux enfants, et plus tard fixée par l'écriture, ni sans inconséquence, s'il eût entendu dans un
nier
lorsqu'elle commençait à s'effacer parmi les nom- se absolu ces paroles d'un de ses discours Po
sens
mesies et àa être remplacée par les erreurs grossiè; es pulus
pu Romanus
pulus Romanus penes
QEllVRES
OEUVRES milPI
penes quemm est potestas omnium r*
ol?,Iiiujl?. rfr
re-
COMPL. DEnir M.
M DE R^w.t» J.r
na BONALD. 39
OEUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. 1220
im j.i^M»> «a,a.
l'expression d'une volonté générale, et
ot naturelle
na médiatement dans les lois parti-
mérîiatement
la loi
culières, secondaires, locales, qu'on appelle
la déclaration des rapports [dérivés de l'état eu
naturel des êtres définition philosophique, quelquefois
qu lois positives, et qu'on pourrait
donnée par tous les publicistes, absolument appeler
ap lois conséquences parce qu'elles
doivent être la conséquence naturelle des
tous, depuis, Cicéron qui appelle là loi « unn do
loi fondamentales. C'est ce que veut dire
lois
rapport, dérivé de la nature des choses, »
Mably.: « Les lois sont bonnes si elles sont
ratio profecla a natura rerum jusqu'à Mi

J.-J. Rousseau qui appelle la loi « l'exprès- le rejeton des lois naturelles » et J.-J. Rous-
seau « Les lois politiques sont
fondamen-
sion de la volonté générale, » et qu'il con- se
fond avec la volonté populaire; définition ta elles-mêmes, si elles sont sages. »
tales
enfin qui, traduite du langage philosophique III.
en langage familier, veut
dire que la loi est La loi est une volonté; elle est donc la
la volonté de Dieu, et la règle de l'homme. pensée de l'être qui veut, du pouvoir. L'ex-
XIII. pression
Pl de cette pensée, la déclaration de
cette volonté est donc la parole du pouvoir
Cette loi paraît, dans son énoncé, plutôt ainsi
ai la loi générale est la parole du pouvoir
relative à l'état domestique qu'à l'état public
un souverain, de Dieu même, et la loi locale
de société, parce' qu'elle à été donnée à est la parole de l'homme, pouvoir subor-
peuple naissant, et qui sortait de l'état do- donné
R à Dieu dans le lieu et dans le temps
mestique. En elle est le germe de toutes les Homme-Diéu dans la religion, homme-prince
lois subséquentes, parce que le germe de dans l'Etat, homme-père dans la famille; et

,
tout état ultérieur de société est dans la de là vient que la langue hébraïque donne
famille, et c'est de cette fécondité de la loi àb, père et roi, pour racine d'aba, je
primitive que parle le Psalmiste, quand il
veux (1).
v'
dit à Dieu Latum mandatum luum nimis, IV.
{Psal. cxvm,,96.)
Les lois sont la règle de l'homme, soit
CHAPITRE II. qu'elles
q prescrivent, soit qu'elles prohibent.

.•.
ORS LOIS
PARTICULIÈRES

I.
ET SUBSEQUENTES. L loi générale est la règle de la généralité,
La
e les lois particulières sont
et la règle de la
klocalité. Les lois religieuses sont la règle de
dans ses rapports avec la Divinité,
La loi est donc la volonté de Dieu et la l'homme
l'
règle de l'homme
règle de l'homme. e les lois politiques sont la
et
ddans ses rapports avec les hommes. Les lois
II. dde la morale sont les règles de ses volontés,
( 2 ) sont la règle de
La loi est la volonté de Dieu, immédiate- et e les lois de la police
dans la loi primitive, générale, fonda- ses
s actions. Les lois civiles sont la règle qui
ment
mentale primitive quant au temps, générale conduit
c l'homme à l'ordre; les lois crimi-
quant aux êtres, fondamentale quant à la minellesn sont la règle qui le ramène à l'or-
société; loi-principe, lex-princeps, dit Cicé- dre
d les lois domestiques sont la règle de la
f les lois publiques la règle de l'Etat,
ron, et que l'on appelle communément la loi famille,
le peuple romain qui a le pouvoir
sur toutes supplée
s toutes les lois civiles, de même que la loi
rum, d l'amour de Dieu renferme tous nos devoirs en-
clioses j assertion insensée, contre laquelle s'élève de
fac quod vis. Dans nos sociétés
Bossuet avec son énergie foudroyante et c Dieu vvers Dieu. Ama, et
les lois civiles tiennent de l'esprit des
lui-même, si l'on peut le dire, a besoin d'avoir rai- politiques,
p
faire contre la raison. )> hlois judaïques, et se contentent de défendre et de
son, puisqu'il ne peut rien punir le mal; mais les institutions politiques dans
fl) Les lois subséquentes ou locales, pour être p
des hommes se dévouent au service des
bonnes, doivent être, jusqu'aux moins importan- l
lesquelles
moins prochaines, autres, tiennent de l'esprit du christianisme. L'E-
tes, des conséquences plus ou lois fondamentales.
a
vangile dislingue d'une manière admirable l'obéis-
mais toujours naturelles, des
Ce principe se lie à celui que nous avons énoncé sance
s due aux lois principales et aux lois secondai-
ailleurs, qu'aucune vérité ne commence dans la so- res.
r Il faut, dit-il, observer les unes, et ne pas né.
ciélé, qu'elle se développeet ne s'invente pas. Ainsi, gliger
{ les autres.
de conséquence en conséquence, on descendrait de (2) J'entends par police toute règle des actions
Ihumames. C'est dans ce sens que les Grecs
le pre-
la loi qui défend de tuer à la plus petite loi de po- Ils tiraient le mot police du mot polis, ville,
lice qui défend d'incommoder ses voisins. La reli- naieut.
i
gion chrétienne va plus loin elle ordonne de le parce que la cité chez ces petits peuples était toute
servir, et porte une loi plus générale encore que 1la société. De là vient que chez nous la police est
ceHe duDécalogue(parce que la religion chre- la loi politique de la ville, et la loi politique est là
tionne est elle-même plus générale ique la religion police de l'Etat.
judaïque), la loi de l'amour du prochain, la loi qui
.
tions, etc, (î),

.
les lois du droit des gens )a règle des

• y-
na-

Les lois générales et particulières, reli-


gieuses et politiques, civiles et criminelles,
privées et publiques, impératives et prohi-
raison de l'homme, là volonté de Dieu pour
diriger les actions de l'homme elle suppose
en Dieu l'intelligence qui peut enseigner,
parce que cette intelligence sait tout d'elle-
même, et dans l'homme l'intelligence qui
doit apprendre, parce que cette intelligence
ne sait rien d'elle-même en Dieu le pou-
bitives, semblables dans leur cause première}
ou pouvoir souverain qui est Dieu, dans leurrp voir de commander, dans l'homme le devoir
moyen ou organe, ministre, cause seconde, d'obéir, et par conséquent la faculté de ne
pouvoir subordonné qui est l'homme, dans pas obéir, ou le libre arbitre (3).
leur effet, ou leur sujet qui. est le peuple,
VII.
semblables dans leur principe qui est la rai-
son suprême, dans leur fin qui est le bien La légitimité' des actions humaines consiste
absolu, ne peuvent être contraires les uness dans leur conformité aux lois locales. Légi-
aux autres dans leurs dispositions, parce limité est perfection, bonté absolue, nécessi-
qu'il ne peut y avoir en Dieu des volontés té;%atoe'est convenance bonté relative,
contradictoires,et que l'homme ne peut dansj utilité. L'état le meilleur de société est celui
le même état de société, obéir à la fois à des où l'état légitime est légal et où l'état lé-
règles opposées (2). gal est légitime, c'est-à-dire celui où les
lois locales sont des conséquences naturelles
VI. de la loi générale, où tout ce qui est bon est
La loi est la règle de l'homme, puisqu'elle
le conduit par Je chemin le plus court au une loi et où toute loi est bonne. C'est ce
i
bien où il tend, en lui apprenant ce qu'il doitt que veut dire J.-J. Rousseau dans ce passage
déjà cité, où distinguant les lois fondamen-
faire et ce qu'il doit éviter. Elle est la tales des lois politiques, il dit «Les lois
pen-
sée de Dieu pour former la. pensée de politiques sont fondamentales elles-mêmes,
l'homme la raison de Dieu pour éclairer la si elles sont sages (4). »
(1) Les lois mêmes de l'ordre physique
volonté de celui qui a créé les corps avec les sont la de la faculté de choisir le mal, comme en devenant
nécessaires de leur conservation, et la règle moyens yieieux, il perd de sa liberté, à mesure qu'il perd eu
1 homme dans l'usage qu'il fait de ses de faculté de choisir le bien.
L homme ne pourrait faire croître du blé moyens La liberté pour un être consiste dans la faculté
en con- de parvenir à sa fin naturelle; elle est donc pour
irai tant leslois de la végétation, bâtir e» contrariant l'être intelligent dans la raison et dans la vertu.
celles de la pesanteur, marcher en contrariant celles (4) Cette distinction de légitime et de légal est
du mouvement, etc. dune
(2) La loi qui permet le célibat n'est point ( haute importance, et résout de grandes diffi-
posée à la loi qui régie le mariage. La fin du op- <gitime La cultés. loi générale et fondamentale est l'état lé-
les lois locales et particulières sont l'éîat
riage est de conserver Je genre humain par la ma- re-
s
1légal. La
loi générale est éternelle, immuable, et ne
production la fin du célibat social est de donner
à la société des ministres uniquement occupés de peut 1 admettre de dispense, parce qu'elle est d'une
lcurs fonctions, et qui conservent les hommes, les raires, absolue. Les lois particulières, sont tempo-
bonté
I

uns, en leur communiquant la force morale de î sont locales et susceptibles de dispense,


vivre en paix avec leurs semblables, les autres, parce
1 qu'elles sont d'une bonté relative. La loi gé-
les empêchant, par la force physique, de troubler en nérale
r participe de l'immutabilité de Dieu, les lois
la paix. Ce sont des lois de conservation des fa- particulières
r de la mutabilité de l'iioni-ne qui les
milles, et la société se perpétue et s'accroît bien p père, promulgue. Ainsi, la loi d adorer Dieu, d'honorer
plus par la perpétuité des familles que son
s de respecter la femme d'autrui, est géné-
par la fré- ralement
r obligatoire et ne peut admettre de dispen-
quence des mariages. s
se et la loi qui prescrit la manière d'adorer Dieu
Plus un peuple est constitué, plus il fait de
lois politiques des lois religieuses, ses e
en entendant la Messe le dimanche, en solennisant
et de ses lois les
I< fêtes, ou même de n'avoir qu'une femme, est
religieuses des lois politiques,,non pas civilisant
en
la religion, mais en consacrant la politique. Ceux conditionnellement
c obligatoire, suppose certaines
qui veulent sans cesse séparer l'une de l'autre circonstances
c de temps, de lieu et de position, et
nom jamais compris t'homme ni la société ils permise elle
e est susceptible de dispense; car ta polygamie,
aux premières familles, est plus contraire
peuvent être des savants ou de beaux esprits, mais pà la nature de l'état public de société, qu'à celle de
ils ne sont pas des philosophes. l'état
J' domestique.
f Le franc °" libre arbitre, qui consiste dans purement Uu mariage contracté
la
t faculté de choisir avec
a- pleine puissance morale et physique est légiti-
entre le bien ou le mal, ne peut me mais s'il est contracté sans les formes établies
pas être en Dieu, souverainement libre, c'est-à-dire m les règles locales, il n'est pas légal. L autorité
nécessairement parfait et déterminé ou
oi
par sa nature
a ne vouloir et à ne faire que le bien. C'est le sens ne lii
m peut légitimer un mariage forcé; elle peut léga-
de cet axiome des thomistes que Malebranche liser un mariage clandestin. Dans les sociétés bien
cite constituées,
cc le légitime se confond avec le légal, eV
avec complaisance Moins la volonté est suspendue, la loi locale
plus elle est libre. Ainsi l'homme, à avec la loi générale. De là ces expres-
mesure qu'il sions
si. qui appelaient indifféremment itlégitime ou
est plus vertueux, et qu'il conforme plus sa volonté naturel un enfant né hors
à t* volonté divine, gagne en liberté m du mariage, comme s'il y
ce qu'il perd avait
av quelque chose de plus naturel que le légiiïinu.
IXX~ ––
VIII. il avait connu l'identité de leur constitution,
il.

dont les lois particulières ou lorsqu'il avait dit « Jésus-Christ, en for-


1(
Tout peuple
locales, loin d'être des conséquences natu- mant n son Eglise, en établit l'unité sur ce
fondement,
il et nous montre auels sont les
relies de la loi générale et fondamentale,
l'infraction de cette même loi, principes
P de la société humaine.^
permettent
comme l'idolâtrie, le culte barbare ou licen- CHAPITRE III.
cieux, le droit illimité de la guerre, la poly-
gamie, n'est pas un peuple civilisé, quelque>
poli qu'il soit d'ailleurs par ses progrès dans
les arts et dans le commerce (1). La civi-
j SOCIÉTÉ.
CONSTITUTION ET ADMINISTRATION DE

L
LA

lisation n'a donc commencé que chez les Juifs;


elle n'a été consommée que chez les Chré- La société définie en général «est la
réunion
r des êtres semblables pour leur ro-
tiens, et l'on peut avancer, comme un faitt
attesté par l'histoire de tous les temps, qu'àt production
P et leur conservation. »
considérer l'univers ancien ou moderne, II-
IL Y A OUBLI DE DIEU ET OPPRESSION DE
L'HOMME PARTOUT OU il
n'y A PAS connais- La société définie d'une manière moins
l'HOMME-DIEO générale
g est « l'ordre des rapports naturels
SANCE, ADORATION ET CULTE DE les personnes sociales (2). »
Toute la science de la société, toute l'histoire entre
e
de l'homme, toute religion et toute poli- III.
tique sont dans ce passage sérieusementt
médité. Les personnes sociales peuvent être consi-
dérées
d sous deux rapports: de volonté et

'
IX. d'action.
d Le pouvoir veut avec le conseil des
Il est temps de passer à l'application dui ministres
t le ministère agit sous la direc-
Décalogue aux divers états de société, et de3 tion
t du pouvoir. La volonté et l'action ont
suivre le développement de la loi généralei pourp terme le bien du sujet.
par les lois locales et subséquentes,
puisquel
IV-
le germe de toutes les lois particulières se
trouve dans le Décalogue, et qu'il renferme, De là deux espèces de lois ou de déclara-
tions de rapports.
selon Bossuet, « les premiers principes dui t
1° Lois constitutives qui fixent la manière
culte de Dieu et de la société humaine. » Ce3
des personnes ou leur état 2° lois, ad-
n'est pas sans raison que ce grand homme, d'êtred
ministratives ou /-élémentaires, quirèglent^
profond dans la science de la société, réunitt i
1 manière d'agir des
personnes ou leur ac-
ici le culte de Dieu et la société des hommes; la
le raturel. Un enfantt l'état légitime,
lles lois naturelles des sociétés, sontserait
ou de plus légitime que' tUne société parfaitement civilisée celle, ou
né de personnes libres, quoique non mariées, estt Ile légitime se confondra)t avec le légal, c'esUà-dire,
naturel sous le rapport domestique, puisque le pèree
où locales seraient des conséquences
à s'unir; c toutes }es lois,
et la mère n'ont point d'empêchement naturelles des loi générales. Ainsi l'homme panai-
mais il .n'est pas naturel sous rapport public,
le r
vertueux serait celui dont la volonté parti-
puisque la loi publique n'a pas élevé ce commerce
purement physique à la dignité de lien
fantnéd'un commerce entre personnes, libres
moral.

s'unir par un lien subséquent, est plutôt illégal


L en-
e
dee
,1
tement
t
cu!ière
(
rate
r de l'auteur de toutordre..
serait en tout conforme à la volonté gene-
(1) ,La loi locale qui permet à la femme de ré-
sepa- pndier sou mari et de lui arracher ses enfants, est
qu'illégitime mais l'enfant né de personnes 1
manifestement contraire à la loi générale, qui a dit
rément engagéesdans le mariage est adultérin, ou de
u r
à la femme comme aux enfants Honore le père de
la
absolument illégitime, illégal, et contre nature e '<
1la société; car te mari est père, c'est-à-dire pouvoir,
la société domestique et publique. De là vient quee
l'égard dela femme. La loi locale
le bâtard peut être reconnu par le pouvoir public c » chef même à
ou
l'adultérin ne peut pas t être. qui permet la dissolubilité du lien conjugal, et qui
ou légitimé, et que (
sépare les enfants de leur mère, porte atteinte à la
La loi générale veut que le mariage, pour être va- i
à*la loi générale, qui dit à l'enfapt Honore la
lide, soit contracté sans nul empêchement depo- i- fois
1
locales ajoutent, comme. mère, et à ceil* qui défend de désirer la femme.de
loniè et d'action; des lois
conditions Obligatoires, le consentement
pasteur. Si 1
des son
pa-
indisso-
e
i-
1
s
lois
1
prochain, puisqu'elle permet de t'obtenir. Ces
font déchoir un peuple de la»" civilisation.
rents et la présence du proprela loi générale et prj- i- (2) Ces deux définitions ont été précédemment
lubilité du lien conjugal est expliquées.' L'être physique se conserve par la rç-
native, il est évident que ehez les peuples tormée qui ad-1- <
société domestique, production, l'être moral par la connaissance de la
mettent le divorce, la puisqu'il
;e ]
vérité, et l'on peut dire que Dieu lui-même ces-se
mariage, n'est qu'un état légal, ,t
est
par le
contraire à la loi générale de 1,'indissolubilne du u d'èire conservé pour l'homme, lorsque } homme
religions, les perd la connaissance <lo Dieu.
Voyez sur la seconde. définition, le discours pr^
Les fausses gouverne- i-
lien conjugal.
un état légal
taents mal constitués sont religions de société j
constitues sur
i..liminaire..
les gouvernements et les ir
12~5
lion.
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PART.
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a"
1. ECONOM. SOC.
nn"cf:f,:f:
LEGISLATIO~
constitution donne la mesure
o_ »
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uyawu~illVv PR11i1T. f. –– LIV.
1
~,).
.1
Il.
m. DE
vu, LA
mn LOI
nvt GEN.
~Etii.
ure du tituéé devrait avoir toutes les lois néees-
pouvoir (car le pouvoir étant réglé, règle saires à conservation,
sa
12'ZG
I~Gû

et toutes naturelles,
toutes les autres personnes) t'administra-
inistra- Là il n'y aurait plus de lois porter, et il
tion est la rftgle des devoirs (1). suffirait de les maintenir, par l'action conti-
Ainsi la question si un enfant est légitime
Sgitime nuelle de l'administration contre l'action
est une question d'état; car s'il ne l'est
ist pas,
pas, continuelle du temps et des hommes, qui
le père et la mère n'étaient;pas époux, et il n'j tendent à les détruire. Ainsi dans cette so-
stiln'y
ni
a pouvoir, ni ministre, ni sujet, ni société;
ociété oiété le pouvoir législatif devrait être tou-^
la question si un enfant a manqué ou1 non non à jours en repos, et les fonctions exécutives
la révérence filiale, intéresse l'administra-
nistra- toujours en action.
tion de la famille et a rapport aux devoirs.
oirs.
V.
"II.
VIL
La société est mieux ordonnée à mesure
La constitution est l'ordre intrinsèque et
ue que la constitution y est plus en harmonie
comme l'âme de la société; l'administration
tration avec t'administration, et le pouvoir législa-
en est l'ordre extrinsèque et. peut en
iii être tif avec la fonction exécutrice ainsi l'homme
regardée comme le corps. est plus vertueux à mesure qu'il y a plus
Quelquefois', on prend gouvernement t pour d'accord et d'harmonie entre sa raison et
constitution souvent pour administration, •ation, actions (2). ses
presque toujours pour les deux ensemble. smble.
VI.
"III.
VIII.
Il y a constitutionet administration, ordre
Une société, pour être parfaitement
cons-. intérieur, ordre extérieur, lois, en un mot, et
-S^- Les lois de l'unité de pouvoir,
sibihte au '.MC
de la sucees-
pouvoir, de la fixité du pouvoir, iW
lorsqu'il ne fallait vanter que la sagesse de leur ad-
manation du pouvoir aux ministres, de la dépen-
Jn
de l'é- ministration (telle que la Hollande et la Suisse,
dance ou les ministres doivent être du pouvoir fontes(luieu croyait éternelles), trop faibles que
de grands événements, ressemblent à pour
de 1 indépendance où ils doivent être des voir sujets
sujets,
et ces hommes
qui se portent bien tant qu'ils ne sortent
sont des lois constitutives ou constitutionnelles ues de pas de chez
toute société les lois de discipline ecclésiastique, eux, ou qu'ils ne vont ni trop loin ni trop vite, ou
> ique,
militaires, judiciaires, civiles, rurales, municipa- mieux
encore elles ressemblent à ces honnêtes gens
les, sont les lois administratives 21"
ou rédemenlaires
maires
dont la vertu,
sans Principes fixes, a fait naufrage
dans les orages de la révolution.
le la religion, de TËtat, dé la famille. CesJ deux
deux La perfection de la société est la force de la constî-
sortes de lois étaient parfaitement distincts es en lutioir unie à la sagesse de l'administration, comme
France, ou elles étaient appelées iois et ordonnan-
ces. La constitution; est le tempérament de tl'Eut,
1 administration en est le régime, effectivement
et
on dit indifféremment, en parlant de l'homme
constitution et tempérament- L'homme est dd'une
vu'f!]'
Mat,
sment,
'ïwlune
tempérament sain et fort, conservé
tempérant. ,'•»
la perfection de l'homme physique consisté dans
par un a
Là où les sujets confèrent périodiquement
le pouvoir, comme dans lés démocraties; là où les
un
régime

constitution forte, et il use d'un mauvais ré»ime- ministres le coiifèrent à toutes les vacances,
oime
ou bien il est d'une constitution faible, et il usee d'un en Pot?^»e là où ils en jouissent en commun, comme
r-égime sage de même Etat peut être fortement
constitue, et avoir uneunadministration vicieuse •emeni comme a Venise, les rapports des
fondent, et il n'y a, à piopreméntpersonnes se con-
ou être dune constitution vicieuse, et avoirreuse une
parler, ni pou-
voir, m ministres, ni sujets distiruts. La loi poli-
administration sage; car la constitution est e- l'être7
de la société, et l'adihiuisiration tique qui déclare inaliénables les domaines du chef
son avoir. Ainsi
nsi la de 1 Liât lorsqu'il: est perpétuel, est
France, la plus fortement constituée loi d'admis
l'Europe, a été trop souvent administrée
des sociétés
-tes de uistration en harmonie parfaite avecune la loi consli-
avec mot-
esse et imprévoyance.Ainsi la Suisse, l'Allemagne, mol- tulive du pouvoir. La loi qui ordonne
lagne, au père de
la Hollande, même l'Angleterre,faibles de partager par égale part entre tous ses enfants ses
cmistiiu-
non, ont été administrées presque toujoursistilu- biens immeubles, est une loi d'administration des-
tructive de la constitution de la famille agricole.
sagesse. C'était la force de la France au: milieu avec
fautes de son administration, qui faisait dire ,u des Montesquieu a méconnu la vérité fondamentale de
uenoit \IV que « la France était gouvernée !ire laà l'union
] intime et nécessaire du pouvoir législatif et
par
)ar de la fonction exécutrice', et il a même consacré,
Providence. Ce sont en effet les hommes robus-
obus-
<
comme
< un dogme, l'erreur opposée, la division et
tes qui se permettent des excès, et les faibles
aimes l'équilibre
gens ï des pouvoirs. C'est pour cette raison
qui vivent de régime. Une société se préserve de fait de la fonction exécutrice qu il
troubles intérieurs avec une administration ve f
un pouvoir à part, le
sage;
mais elle ne peut se tirer d'une révolution, et resis- tpouvoir exécutif. J.-J. Rousseau, au contraire, au-
résis- quel il n'a a manqué, pour être le premier publiciste
ter à des* crises violentes que par la force de <
de
constitution. La Suisse aurait vécu tranquilleavec sa c son temps, que de n'avoir pas l'esprit fausse par
avec les
1 principes religieux et politiques qu'il avait sucés
son administration économe et vigilante; mais aissasa avec
s lai,î«, a aperçu la védlé que j'énonce ici.
constitution faible et factice ne pouvait résister
l orage, et elle y a péri. La France, au contraire,
tombée en révolution par des désordres d'adminis-
ster à
raire,
«< Pour quel-Etat soit légitime,> dit-il,
cque le gouvernement se confonde
«
ne faut pas
avec souverain
le
iinis-, mais
r qu'il en soit le ministre. Alors
tration, s en relèvera par la force de sa constitution, la monarchie
Ainsi un homme sage éloigne les maladies, moi». mais
eelle-même est république, Cet écrivain, qui
ne re-
cconnaît d'autre souverain que l'homme, appelle
uh homme robuste supporte de grands travaux Ces souverain
sjcietes sans constitution, dont ou vantait la force, s ce que nous avons appelé pouvoir et gou-
orce, vernement
v ce que nous avons appelé ministre. II a
• i r reli-
1
j.J vcn m: uu
point le
A.JI'VJ.Ln"
i 7 nom du Et ailleurs:
Seigneur
Caiavi lui _rt*l vain.
en A4S1 ^*» T7 1 OlMoilPG*
exécution des lois dans toute société i“ J.

gieuse ou politique, domestique ou publique, Tu


5 aimeras le Seigneur ton Dieu de toute
où les personnes sociales sont distinguées ton
t âme, de tout ton cœur et de toutes tes
les unes des-autres, et sont toutes à la place forces.
que la nature de la société leur assigne. III.
11 y a donc constitution et administration Les lois de tout culte et de toute-disci-
dans la religion, dans la famille, dans l'Etat: pline
{ religieuse ne sont que l'application
et les lois constitutives et administratives de vraie ou fausse de cet autre article de la loi
toutes ces sociétés pour être naturelles, générale Souviens-toi de sanctifier' le jour
doivent être des applications plus ou moins du
t repos (1).
étendues de la loi générale IV.
CHAPITRE IV. La religion la plus parfaite et la mieux
est celle où le dogme et le culte

:
ordonnée
C
CONSTITUTION ET ADMINISTRATION DE LA l'application la plus naturelle et la plus
sont
S
RELIGION CHRÉTIENNE.
étendue
E de la loi générale, c'est-à-dire celle
L où
< Dieu est le mieux adoré, et le jour.de
La constitution de la religion s'appelle le repos
i le plus sanctifié.
dogme, son administration s'appelle culte et V.
discipline.
Ces caractères conviennent éminemment
n. seule religion des
à la religion chrétienne
premier
Les lois dogmatiquesde la religion, et de peuples civilisés, puisqu'elle est le
unique-
toute religion, ne sont que l'applicationvraie moyen de toute civilisation et c'est
ou fausse de cet article de la loi générale Je ment à sa perfection, qui est vérité dans ses
suis le Seigneur ton Dieu: tu n'auras point dogmes et sainteté dans son culte, qu'il faut
d'autre Dieu devant ma face tu ne te feras attribuer la raison de sa force c'est-à-dire
point d'image ni de figure taillée pour les «Je la durée de ses croyances et des progrès
adorer et pour- les servir; tu ne prendras de son culte (2).
professé la même doctrine dans le gouvernement (le l'homme reparaître en France en 1 793, à l'instant
Pologne où il veut que le pouvoir exécutif soit tou- que le sacrifice mystique du christianisme a été
jours aux ordres du pouvoir législatif, quil en soit aboli? et n'étaient-ce pas de véritables iamolatians
le ministre, et il s'applaudit de celte idée. 1I en était à la déesse de la liberté que ces sanglantes exécu-
ainsi en France, où le législateur était éclairé par tions qui se faisaient journellement au pied de sa
les remontrances des magistrats, et où les magis- statue? Le mahométisme, pur déisme,, ne sacrifie
trats jugeaient et les guerriers combattaient an nom pas l'homme sur les autels; mais il le détruit par
et sous la direction du législateur. Ainsi dans la re- la mutilation, par la polygamie, par la barbarie dont
ligion le pouvoir dit à ses ministres Allez, ensei- cette religion est la cause, car elle opprime l'homme
gnez baptisez, et je suis tous les jours avec vous plus encore qu'elle ne déshonore Dieu. Si.le maho-
jusqu'à la fin des temps. métisme ne sacrifie pas l'homme sur les autels, la
({) L'idolâtrie est l'application fausse, et contre haine religieuse qu'il inspire à ses sectateurscontre
la nature des "êtres, du dogme de l'existence de la les Chrétiens les idolâtres les Juifs, n'est-elle
Divinité, comme l'immolatioudes victimes humaines- pas une disposition constante à les sacrifier,
pratiquée chez tous les peuples, le juif excepté, était qui très-souventa été jusqu'aux plus cruelles exé-
de la cutions ?
une application fausse de la loi du culte ou (2) Le mahométisme a de la durée sans pro-
sanctification. L'auteur a fait voir, dans sa Théorie
du pouvoir, que le sacrifiée sanglant ou mystique, grès les sectes séparées du christianisme ont eu
intérieur ou extérieur de l'homme coupable ou de des progrès sans durée. Le mahomélisaie cependantt
l'homme parfait, est le caractère essentiel de toute fait des progrès sur l'idolâtrie, plus fausse que le
religion vraie ou fausse, parce que le don de soi est mahométisme, en ce qu'elle n'a pas conservé,
la condition nécessaire de toute société. 1I est cer- comme lui, le dogme de l'unité de Dieu, et qu'elle
tain que le sacrifice de l'homme a été connu dans n'a aucune connaissance du- médiateur; mais il
toutes les religions, ou réel comme chez les païens n'en fait pas sur le christianisme, malgré la dure"
et les Chrétiens, ou figuré comme chez les Juifs, à condition où se trouvent les Chrétiens soumis à sa
qui il était ordonné de racheter le sang de l'homme domination. Les Grecs restent fidèles au christia-
nisme, quoique séparés de la chrétienté. Si • les
par le sang de l'animal. cessé Turcs étaient soumis à la domination d'une puis-
Le sacrifice figuratif a dans l'univers, et il
se retrouvé tout au plus dans la religion maliomé- sance chrétienne, les missionnaires les gagneraient
tane, imitation grossière de la religion judaïque, et aisément au christianisme. La force de la religion
qui immole aussi annuellement l'animal à la Divi- chrétienne est de triompher de l'erreur orgueilleuse
liité. Mais le sacrifice réel de l'homme est pratiqué comme de l'ignorance stupide, du glaive des tyrans
partout ailleurs, mystique chef les Chrétiens, réel et des sophismes des faux sages, du mépris et de la
à Chine, pauvreté comme des honneurs et des richesses, de
ou sanglant dans les sociétés idolâtres, la la corruption de ses enfants et même de celle de
au Japon, aux Indes, à Olaïli, et chez tout peuple
en société politique dont le culte est public ou poli- ses ministres, des hommes enfin, et même du temps;
îtque. INVt-on pas vu le sacrifice même sanglant de et parce qu'elle honore le père et la mère, le pouvoir
VI.

tré qu'èWe a, comme toute société


'
La nature de cet ouvrage ne permet pas
d'entrer dans le détail du dogme et du culte
de la religion chrétienne. Nous avons mon-
as

constituée,
un pouvoir envoyé par le souverain qui est
Dieu, des ministres envoyés par le pouvoir,
des fidèles ou sujets qui doivent être un avec
les ministres et même avec le pouvoir.
te
lm
e
,s[

ec
Ce
-

r
]e
sert
si
plit
P

41

b,
(ministrat) au pouvoir dont il accom-
l'action dans le sacrifice, sert aux hona-
mes, en leur rendant propre et fructueuse
n
l'action
1'
double
du pouvoir, et exerçant sur eux la
fonction de juger l'erreur et de corn-

censures publiques (1).


c<

VII .•
battre le vice, soit dans l'homme par la cen-
sure secrète, soit dans les sociétés par les
SI

ministère, appelé sacerdoce, ordonné pour arr


la fin de la gloire de Dieu et de la sanctifica-
i- Le culte de la religion chrétienne est une
tion des hommes, suivant une hiérarchie ie conséquence
c< nécessaire et naturelle de ses
déterminée de grades et de fonctions, sous us didogmes, caractère d'une religion bien ordon-
un chef vicaire, vices gerens, du pouvoir, r, née;
n car la fin d'une religion véritable étant

et le ministre, elle vit longtemps sur la terré que Dieu


eu mœurs
m étaient dignes de pareilles croyances, et les
lui a donnée. moeurs
m des Grecs dans tous les temps, et des Ro-
La religion chrétienne a fini l'homme et la société,té, mains
m dans leurs derniers temps, passent en abo-
virum perfeçtum in mensuràm œtalis plenitudinis lis mination
m tout ce qu'il est possible d'imaginer. `
Chrisii (Ëphes.ix, 13) elle a tout consommé, con- n- Les païens ne connaissaient pas la société ni la
summaium est, a dit en mourant son fondateur. La La société
se religieuse, dont les dogmes n'étaient qu'ab-
parole de Dieu, faite homme pour les hommes, a surdité,
si et le culte qu'horreur, licence ou sottise
exprime les idées de tout ce que les Juifs ne pen- n- ni la société politique, où l'on ne voyait que lois
ni
saient qu'en images et n'exprimaient qu'en figure, -e, des
d< pères contre les enfants, des maris contre les
et la raison de l'âge mur a remplacé l'imagination on femmes,
fe des maîtres contre les esclaves, des ci-
faible et mobile de l'enfance. toyens
tc contre les citoyens, lutte éternelle du peuple
Pour les païens, ils ne connaissaient ni Dieu, ni contre
c< les grands, arène sanglante où toutes les
l'homme, ni la société, ni même la nature; ils ne passions
P! se disputaient tous les pouvoirs.
connaissaient que les passions. Enfin, ils ne connaissaient pas même la nature
Leur Dieu, opiimus maximus, ou même sa sa- ia- physique
P' qu'ils peuplaient d'une infiniié det dieux
gesse, fille de sa pensée, et sortie tout armée de son
on chevres,
c' serpents, poissons, pierres, plantes, fleu-
cerveau; cette Minerve, raison et force tout à la ves, etc. populace de divinités qu'il a fallu chas-
v<
fois, offrent des emblèmes assez justes de quelques les ser de la nature pour pouvoir étudier la divinité
s<
dogmes de la religion chrétienne mais ce D. opt. pt. même
ni de la nature; je veux dire les merveilles de
trouvait lé frontispice de leurs ',a végétation, de la fécondation, les propriétés des
la
max. ne se que sur irs
temples les dieux réels, les dieux de ta société, les éléments, le cours des astres, les lois générales du
él
dieux proposés à l'imitation de l'humme, en un un nmonde matériel, sur lesquels les plus graves des
anciens nous ont transmis tant de puérilités et d'ex-
mot, les dieux faits chair, pour rendre toute ma na~l ai
pensée, étaient des brigands, des prostituées, des les li
travagances. Et sans parler de Tite-Live, qui pour
hommes de mauvaise compagnie ou des femmes de tout
t( événement a un prodige, Tacite lui-même, le
mauvaise vie. grave Tacite, ne rapporte-t-il pas sérieusement
qu'au
Oiq delà de la Germanie est une mer immobile
Det vilam, det opes, animum sequura mi ipse parabo. où le soleil va se plonger, que, lorsqu'il en sort, on
(HonnT.) entend
ei le bruit de son lever, et on voit la têie du
dieu couronnée de rayons? C'est là, dit-il, que finit
di
dit Horace (I. 1 Epist. ep. 18, vers. 112) e que lu- lu- la nature, et il s'abstient d'affirmer, comme n'en
la
piter medoiinela santé et les richesses, je me char- étant
él pas bien sûr, que certains peuples, situés sur
gd tout seul d'acquérir la Le
vertu. christianisme
ai"-
ne les
le rivages de cet océan merveilleux, ont des têtes
dit tout le contraire Cherchez la vertu et lerestevous «s d'hommes
d' sur des corps d'animaux.
sera donné par surcroît, d'abord parce que la vertu est
îst La religion chrétienne nous fait connaître DieuIl
la substance, le nécessaire de l'homme et que le le el
et l'homme, et parce qu'elle nous ré\èle la con-
'reste n'est qu'accident et surcroît; ensuite parce 'ce n;naissance de te cause de tout et du moyen de tout,
la
que vertu de la tempérance, par une suite de lois
)is elle
el nous prépare à la connaissance de tous less
naturelles, donne la santé, et la vertu du travail la effets, el et c'est à cette généralité qu'elle a mise dans
propriété. Leur vertu n'était qu'une froide égalité ité runos idées qu'est dû ce génie de méthodes générales,
d'âme, comme celle de nos modernes sophistes, îs, à l'aide desquelles nous avons fait tant de progrès,
animas œquus; elle consistait en retranchementset d: dans la connaissance des lois générales des corps.
et non en actions, et ils craignaient beaucoup E nous fait connaître de Dieu tout ce qui suffit à
us Elle
plus.
de s'incommoder eux-mêmes que de nuire aux ux ninotre raison, ou plutôt tout ce à quoi notre r.iisou
autres. Ces philosophes impassibles qui décla-a- suffit,
si et de l'homme tout ce qui suffit à son bon-
maient contre la colère qui leur échauffait le sang, g, heur.
lu Elle ne retranche rien dans nous; elle y
allaient, pour se le rafraîchir, voir couler celui des es règle
ré tout, et même les affections les plus impé-
gladiateurs, ou défendaient à leurs enfants de vivre, tueuses. Corpus non domandnm, sed regendum, dit
"e, tu
lorsqu'ils en craignaient le nombre pour leur repos os saint
si Jérôme, et elle met en action tout ce qui y est
ou leur aisance. Ce qu'il y a d'extraordinaire, est ist passion.
pl Elle règle la société présente par la so-
que ces mêmes hommes qui rejetaient le secoursrs ciéié
ci future; elle punit ou récompense tout ce que
des dieux pour obtenir la vertu, les faisaient au-
u- les
le hommes, par ignorance ou par faiblesse, lais-
teurs de leurs vices, et ne présentaient sur la scène ne sesent ici-bas sans récompense ou sans châtiment, et
que des malheureux conduits aux plus grands for-
r- elle
el est, en un mot, vraie dans ses croyances comme
faits par une invincible nécessité dogme affreux tix Dieu,
D réelle dans son culte comme l'homme.
qu'on voit reparaître sous des formes plus ou moins lis (1) Tout ministère, religieux ou politique, s'ap-
atSoucies dans toutes les fausses doctrines. Les es pelle
pt milice, de milito, ou melilo, je me dévoue.
d'adorer Dieu autant que le mérite un être manière proportionnée à la grandeur infinie
infiniment parfait, et de sanctifier l'homme de l'un et aux besoins immenses de, l'autre,
autant qu'un être imparfait et borné en a puisqu'il réunit tous les hommes dans un
besoin, un culte qui adore Dieu et qui sanc- homme pour l'adoration de Dieu, et qu'il
tifiel'homme par le ministère, le moyen, la fait servir Dieu lui-même à la sanctification
médiation d'un Homme-Dieu, est le seul qui de l'homme: Là est tout le christianisme {1).
honore Dieu et qui sanctifie l'homme d'une
(1) L'analogie est évidente entre cette vérité proportion, harmonie. Ainsi l'homme est contenu
de raisonnement que cause, moyen, effet embras- dans la famille, la famille dans l'Etat, l'Etat dans la.
sent l'ordre universel des êtres et de leurs rapports, religion, la religion dans l'univers, l'univers et tout
et cette vérité de foi, que les dogmes de la Trinité ce qu'il rerifernie dans l'immensité dé Dieu, centre
de l'Incarnation, de la Rédemption, embrassentl'é- unique auquel tout se rapporte, circonférenc'eirifinie
conomie entière de la société religieuse. En effet, la qui embrasse tout. principe et fin, a~p/M, orn~a des
Divinité dans ses trois personnes est cause créatrice. êtres. Ainsi mille cercles inscrits, semblables en
Faisons, l'homme, dit-elle au livre des révélations. nombre de parties, inégaux en grandeur, identique*
L'incarnation est le moyen de salut ou de conser-' en propriétés ou rapports de parties, ont tous un
vation, puisque le médiateur est venu pour éclairer centre commun, et sont tous compris dans une
et sauver les hoivaies; la rédemption des hommes même circonférence.
en est l'effet puisque tes hommes sont conservés, C'est dans ces considérations générales, dont le
c'est-à-dire éclairés: et sauvés par lui.
Arrêtons-nous ici un moment, pour présenter au
langage nous présente la pensée et nous afflrrneja
vérité, que nous avons, trouve la nécessité du média-
lecteur une vue générale du système de vérités que teur, moyen universel entre les deux extrêmes de la
je viens d'exposer à son intelligence. J'établis comme société, Dieu et l'homme; et appliquant à ces hautes
une vérité philosophiqueincontestable que ces trois recherches les réglés des proportionsgénérales ou
idées générales cause, moyen, effet, comprennent mutliématiqy.es, comme le langage nous y autorise,
l'ordre universel des êtres et de leurs rapports, et nous en avons conclu la nécessité métaphysique de
l'on peut délier tous les savants, de trouver ou même cet être ineffable dont la religion nous enseigne
d'inventer un être qui soit hors de cette catégorie l'existence, et de qui l'on peut dire L'homme est
fondamentale. J'établis ensuite que ces trois idées au médiateur ce que le médiateur est à Dieu.
générales, pouvoir, ministre, sujet comprennent l'or- Mais il y a encore des considérations importantes
dre général des personnes et de leurs rapports à tirer du langage lui-même, car si l'art de la parole
appelé société, et il ne saurait exister un homme, n'est pas inné dans l'homme, comme une expérience
un S'ul homme, hors de cette catégorie sociale., Ces continuelle nous le fait voir; s'il' ne peut être in-
personnes, pouvoir, ministre, sujet, qui prennent venté par l'homme, comme' on peut le prouver en
divers noms, selon l'ordre de société auquel ils.ap- considérant le rapport de notre" pensée et de nos
partiennent, correspondent une à une, aux idées organes, l'art de la parole est nëcèssaireinent acquis,
universelles, cause, moyen, effet, et cela doit être, il est reçu, reçu d'un être qui est intelligent par lui-
pour qu'il y ait de L'harmonie dans l'univers; car même, puisqu'il a par lui-même l'expression de la
l'harmonie générale n'est autre chose que l'accord pensée. Un être qui est et qui a par lui-même est un
entre tous les systèmes de vérités. être nécessaire, donc infini, puissant, bon, etc., etc.
Cet ordre ou système universel des êtres compris De là la nécessité rigoureuse de la révélation ou de
sous ces trois idées universelles,cause, moyen, effet la transmission que Dieu a faite à l'homme des con-
ce système général de la société compris sous ces naissances bonnes et nécessaires transmission
trois idées moins générales, pouvoir, ministre, sujet, connue ou soupçonnée de tous les peuples; révélation
nous les avons retrouvés dans le système individuel d'abord orale, plus tard écrite ou lixée. pour la con-
de l'homme considéré en lui-même. Son opération server dans la mémoire des hommes, «parce que,»à
intellectuelle et physique nous présente aussi dans dit Varron, 1 le peuple n'est pas maitre de l'écriture
sa volonté une cause ou pouvoir. dans ses organes comme de la parole; » révélation enfin source de
un moyen ou ministre, et un effet ou sujet dans les toutes nos connaissances morales, et fondement des
objets soumis à son action, et qu'elle modifie suivant lois de tous les peuples.
l'ordre de la volqnté. Cette vérité est renfermée dans Ainsi jen'ai pasprouvél'existence d& la révélation,
la belle déu'niiion que le célèbre Sthal donne de mais la nécessité de la révélation,, qui emporte ta
notre âme, eus activum, movens, intelligent acli- certitude de son existence; je n'ai pas prouvé l'au-
vum pour déterminer la volonté, movens pour mou- thenticité matérielle des Livres saints, mais la néces*
voir les organes, iniellige.ns pour diriger leur action. site des Livres saints qui emporte la certitude de leur
Ainsi la raison philosophique du christianismese authenticité; jen'ai pas prouvé la divinité delà
trouve dans les perceptions de notre raison, telles mission du médiateur, mais, la nécessité même du
que le langage, expression fidèle d'idées vraies, médiateur qui emporte la certitude de sa divinité et
nous le présente, et qu'il renferme dans la catégorie de son humanité nécessité qu'il ne faut pas en-
la plus générale et la plus simple; catégorie, mot tendre d'aucune contrainte mais d'une confoi;mité
célèbre, idée vaste, connue du plus fameux sage de parfaite à la nature des êtres qui sont en rapport de
l'antiquité païenne, mais dont, faute d'avoir entendu société et en proportion de similitude. Ces, preuves
la parole de vie, il a fait un usage si arbitraire, si sont nouvelles peut-être mais si les nuages ré-
obscur et si inutile. pandus sur la religion les demandent, les progrès
Ainsi l'homme, la famille, l'Etat, la religion, de notre raison les permettent, et surtout les plus
l'univers, Dieu même, nous présentent, chacun dans grands intérêts de la société les réclament.
l'ordre de son être et le système de ses relations, On peut voir à présent à quels termes simples si,
trois personnes, trois opérations ou trois rapports, réduit la célèbre question si la raison fournit des
partout la trinité dans l'unité (a), partout similitude, preuves sullisantes. de l'existence de Dieu de Tim-

fa) Ou voit la raison de l'importance que tous les peu- ses poêles. Trois est le nombre nécessaire de toute pro-
ples ont attachée au nombre trois, et dont on trouve la portion entre les êtres, et ia société n'est qu'un enseiiK
preuve dans. les philosophes de l'antiquité comme dans ble de proportions et de rapports.

V
. VIII.
'foutes les croyances propres au christia-
nisme, et toutes les pratiques de son culte,
-II.
Cette société, qu'on Appelle politique, pour
] distinguer de la soeiété religieuse, est plus
la

..
dérivant de la connaissance du médiateur, (ou moins étendue; elle est domestique ou
étaient implicitement contenues dans la re- publique, famille ou Etat.

tendu..
j
ligion patriarcale, où le médiateur était an- m.
noncé, et elles étaient figurées dans la reli-
Ces deux états, domestique ou public de
gion judaïque, où le médiateur était at-
société,
J ont une constitution semblable, for-
• imée de trois personnes domestiques ou pu-
bliques
|t d'un pouvoir émané de la souve-
CHAPITRE V. raineté de Dieu; d'une autorité subordon-

;
née, outi'un ministère par le moyen de qui
DE LA SOCIÉTÉ POLITIQUE EN GÉNURAL. le pouvoir, dans la famille, reproduit et'con-
L serve l'individu, et dans l'Etat, conserve et
même
]
multiplie et fait prospérer les famil-
La société de Dieu et des hommes, ou la les; enfin d'un sujet qui, dans la famille et
religion, est universelle; elle peut et doit"[
comprendre les hommes de tous les tempsS5
et de tous les lieux, parce que des rapportss
]

"iv;
dans l'Etat, est conservé par le pouvoir (2).

Ces deux états, domestique ou public de


d'intelligence, ou des intelligences en rap-
port, n'occupant ni lieu ni temps (1) peu- société, ont une administration semblable,
vent toutes se réunir dans une pensée gêné- domestiqueaussi ou publique, et qui con-
rale et une affection semblable. Mais 'la so- siste, pour l'une et pour l'autre, dans la di-
ciété des hommes entre eux, en considérantt
les êtres sous des rapports physiques, neB
peut être que locale où temporaire, parcee-'
qu'à cause des lois des corps l'action physi-
tés. (3).-
•• -'• T.. .<
rection des personnes et le soin des proprié-
L.s- k,v.
Ainsi là société politique (domestique ou
publique) a ses lois constitutives qui fixent
que est nécessairement limitée à un temps,
à un lieu et à un nombre déterminé. î'étatioù la manière d'être des personnes/et
mortalité de l'âme, des peines ou des récompensess distance d'une heure ou d'une lieue, l'espace d'un
de l'autre vie, ou si ces vérités 'fondamentales* né e jour ou de dix toises. Espace est contiguïté, temps
peuvent être prouvées que par la révélation; car r est continuité; l'un et l'autre sont succession.
&) Ceux qui ne voient dans l'Etat que ce qu'on
comme il n'y a que deux espèces d'êtres, les êlress
intellectuels et les êlres solides, et deux manièress appelle 'communément les ministres, c'est-à-dire les
de les connaître, les idées et les images, tout ce quili secrétaires d'Etat, amovibles à la volonté du pou-
ne peut pas être connu par une image ne peut êtree voir, transportent cette idée dans la famille, et. en
connu que par une idée, et vice versa. Or, l'exis-i- concluent que, -d'après ces principes, la femme est
tence de Dieu, l'immortalité de l'âme, ne peuvent it amovible. lis ne font pas attention que, dans un
être l'objet d'aucune ligure ou image donc elles nee Etat constitué sur les lois naturelles, il y a, comme
sont perceptibles que par leur idée. Mais l'idée elle-
i- dans la religion, un ord re de citoyens attachés au
même n'est perceptible que par son expression ou laa service public, et dont le caractère est inamovible.
parole, et nous avons prouvé que la parole étaitit En France, quand le chef de l'Etat disgraciait Un
révélée, donc toutes les vérités morales ne nouss ministre secrétaire d'Etat, celui-ci conservait toujours
sont connues que par la révélation orale ou écrite,>, le caractère de ministre; c'était comme la femme
comme t'existence des corps ne nous est connue que e séparée de corps et de biens, qui conserve le titre
par leur image. Et même remarquezque l'existencee d'épouse. Le caractère de la noblesse ou du minis-
des corps absents, et qui né nous transmettentpoint it tère politique était indélébile, sauf quand on dégra-
d'image directe, ne nous est connue que par l'au- dait la famille.
torité d'une révélation car comment sais-je autre- s- (3)- La société est établie pour l'avantage gé-
ment que par voie d'autorité, et par le rapport qu'onn néral, et non pour le bien particulier, puisqu'il faut1
m'en a fait, que César et Babylone ont existé, au contraire que le particulier souffre pour le bien
qu'Alexandre a vaincu Darius, et qu'il y a des sau- i- général. Les sophistes qui ont traité de la sociéié
vages dans les forêt* de l'Amérique? -C'est ce quiii n'y voient que l'individu, et. Pufendorff lui-même
fait qu'on se sert de i'expression croirepouv rendre e dit que les lois sont faites pour l'avantage du chef:
cette connaissance, et qu'on dit Je crois qu'Alexan-i- erreur grossière puisque le chef doit le premier
dre a existé, comme on dit Je crois que Dieu existe. • s'immoler pour le salut des membres. Toute société,
Ainsi demander si l'existence de Dieu l'immor- dans ce sens, est une république, res publica, la
talité de l'âme nous sont connues par la simple e chose de tous, et non la chose de chacun, et alors,
raison ou par la révélation ce n'est pas proposer ;r dit J.-J. Rousseau, « la monarchie elle-même est ré-
d'alternative parce que la connaissance des vérités is publique. Dans le siècle dernier, les bons auteurs s
morales, qui forme notre raison, est une révélation n appelaient toute forme d'Etat tépublique; ce n'est
orale, et que la révélation proprement dite est laa que dans ce siècle qu'on a donné exclusivement
raison écrite. cette dénomination au gouvernement populaire, de
(1) Espace et temps sont des idées de même
le tous les Etats celui où chacun est le plus occupé de
aaiure; de là vient qu'on dit indifféremment à laa soi, et ou tous sont le moins occupés du public.
ses lois réglementaires ou d'administrationa et dans ceux qui le représentent, et la société
qui règlent leur action; les unes qui fixentt la mieux administrée est celle où la vie et
le pouvoir, les autres qui règlent les devoirs. les propriétés de l'homme sont les mieux
VI.
défendues contre J'oppression. La société
dont la constitution est la plus naturelle, et
Les lois constitutives de la société politi- qui l'administration la plus sage, est la
que ne sont toutes que le développement deB plus civilisée (2) et alors elle vit longtemps
cette loi fondamentale; de toute constitution1 sur la terre, ,parce que ladurée d'une société,
de pouvoir et de ministère Honore ton pèree qui est sui juris, est proportionnée à la force
et ta mère, parce que père et mère désignent1 de sa constitution et à la sagesse de son ad-
tout pouvoir et toute autorité qui en découle, ministration.
et que la fin de toute constitution est de faire3l
honorer le pouvoir dans lui-même et dans ses CHAPITRE VI.
ministres (1). DE LA FORMATION DE LA
SOCIÉTÉ DOMESTIQUE,

vil. OC DU MARIAGE

Les lois réglementaires ou d'administra- I.


tion, c'est-à-dire les lois civiles et crimi- La société domestique ne peut être formée
nelles, qui fixent les devoirs ou la faculté dess que par le mariage.
hommes, des familles, et même des nations IL
entre'elles, ne doivent être que le dévelop-
pement plus ou moins généralisé de ces lois Le mariage, dans l'état civilisé, est l'en-
fondamentales de tout gouvernement de so- gaiement deformer une société domestique,
ciété Tu ne tueras point, tu ne déroberasï que contractent librement et volontairement,
point; tu ne commettraspoint cTadultère; tui et sous l'obligation mutuelle de leurs per-
de leurs biens, un homme et une
ne porteras point de faux témoignage contre sonnes et suffisantes
ton prochain, etc., parce que la fin de toutt femme qui jouissent des facultés
gouvernement et de tout ordre parmi les( de l'esprit et du corps.
hommes, les,familles. et les peuples, est de> III.
garantir à l'homme social sa vie et ses pro-
II n'y a point de mariage, et par conséquent
priétés morales et physiques.
pointé de société, si le.lien est formé, 1" sans
VIII. facultés suffisantes d'esprit et de corps dans
La société la mieux constituée est celle oùt les personnes 2° sans volonté dans l'enga-
Je pouvoir est le plus honoré en lui-même, gèment; 3° sans liberté dans le choix.
(1) Bossuet donne, comme tous les interprètes, plus civilisés, malgré leur état inculte et grossier.
ce sens à ce passage, et dans toutes les langues, La perfection des lois amène nécessairement la po-
père et roi sont synonymes, ou dans le mot commes litesse des manières, et le peuple de l'Europe qui
en hébreu, ou dans l'idée. En effet, si tout pouvoir avait les meilleures lois avait les manières les plus
est une paternité (et il est appelé ainsi dans lesi aimables et le caractèrele plus aimant. La différence
Livres saints, et dans le langage usuel des peuples),des nations anciennes aux peuples modernes, sous
toute autorité subordonnée ou ministère est une ma- ce rapport, est que les anciens commencèrent par
ternité, ou le moyen par lequel le pouvoir domes- les arts, et furent polis sans être civilisés, et que
tique, religieux, politique, reproduit ou conservei les peuples modernes ont commencé par les lois, et
les êtres; car reproduction et conservation sont desi ont été civilisés avant d'être polis. Les anciens
idées semblables, la conservation n'étant, selon tous furent comme ces fruits qui se corrompent sans
les philosophes, qu'une; création. continuée. Aussi, mûri,1', et ne laissent point après eux de germe qui
si le ministère public ou la magistrature est une ma- puisse tes reproduire, et les modernes, au contraire,
ternité, la maternité a toujours été regardée comme sont comme les fruits qui ne se corrompent qu'après
une magistrature, et chez les Romains, le maier- leur maturité, et qui renferment dans leur seindes
familias avait une grande dignité, même à côté dui germes de reproduction. En un mot, les révolutions
père de famille. On ne peut assez le dire, la société des sociétés païennes avaient pour terme leur anéan-
des êtres moraux n'est formée que de rapports dei tissement et l'établissement du christianisme les
personnes, et non de rapports d'animalité. 11 y a des révolutions des sociétés chrétiennes ont pour terme
rapprochements entre les corps, mais il n'y a de 3- leur perfection par les progrès du christianisme;
réunion, et par conséquent de société, qu'entre les5 où l'on voit combien est insensé te reproche que
êtres intelligents. Les brutes se rapprochent, et ne Gibbon fait à la religion chrétienne d'avoir détruit
sont pas en société. l'empire romain, comme si un culte contre la nature
(2) La civilisation d'un peuple est la perfection1 des êtres pouvait et devait subsister, et n'entraînait
de ses lois, sa politesse est la perfection de ses arts. pas à une perte inévitable les gouvernements qui le
Les Homainset les Grecs, avec leurs lois atroces oui professent, ou que le genre humain dût regretter
licencieuses, étaient de vrais barbares, malgré tô"uie3 ce grand scandale de la domination romaine, qui,
leur politesse, leur urbanité, leur atticisme; et less sous quelque forme qu'elle ait par'i dans l'univers,
Germains (s'ils étaient tels que nous les peint Ta- et quelque éclat: qu'elle ait répandu, n'a jamais été
cite), avec leurs lois naturelles, étaient des peunless que licence au centre et tyrannie aux extrémités.
iv.
La religion légitime le mariage, en consa-
crant le lien l'Etat le légalise, en y apposant
N PUIMIT. I. – LIV. II. Ut. LA
II.
L.U1
-
bEi.

Ces rapports, et les lois qui les declarent,


forment la constitution de la société domes-
'
1Ï.ÏS

certaines conditions nécessaires pour cons- tique.


tater la volonté des parties, et garantir leur III.
liberté morale et physique de surprise, de
Le pouvoir est un, indépendant, immua*
séduction et de violence unique motif des ble,
et même il peut survivre à l'homme
lois sur les empêchements dirimants, portées jusqu'à être perpétuel dans
ses dernières
par l'Eglise et reconnues par l'Etat.
volontés et ses dispositions testamentaires
V. (2). ,:=
IV.
Le lien du mariage légitimement et léga-
lement contracté est indissoluble, parce que Le père de famille a le pouvoir de mani-
les parties, réunies en un corps social, inté- fester sa volonté par des lois ou. ordres, et
rieurement uni par la religion, extérieure- de les faire exécuter; mais comme n'est il
ment lié par l'Etat, ont perdu leur individua- que le ministre immédiat de la Divinité,
lité, et n'ont plus de volonté particulière, qui pour là reproduction et la conservation des
sépare, à opposer à la volonté 'sociale qui êtres, il ne peut porterdes lois que comme
réunit. Tous les motifs contre le divorce des conséquences naturelles des lois fonda-
peuvent se réduire à cette raison; le divorce mentales, ni employer les personnes et les
propriétés de la famille que pour des fins
suppose des individus, et le mariage fait, il
et de conservation.
n'y en a plus; et erunt duo in carne una.
(Matth. xix, 5,; Marc. x, 8. ) (1). '
de reproduction-

V.
CHAPITRE Vil. Le père de famille sera honoré, c'est-à-dire
aimé et respecté, et ses volontés obéies com-
CONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ DOMESTIQUE.
me celles de Dieu, dont son pouvoir émane,
I. lorsqu'elles' ne sont pas évidemment contrai-
res à des lois d'un ordre supérieur à l'ordre
La société domestique est formée néces- domestique.
sairement de trois personnes domestiques
VI.
présentes ou supposées, actuelles ou éven-
tuelles, rapprochées par les manières d'être) La mère de famille participe du pouvoir
physiques et individuelles de père, de mère, domestique, dont elle est l'agent nécessaire
d'enfants, unis par les rapports sociaux out ou le moyen naturel. Son autorité est non
généraux de pouvoir, de ministre et de sujet, égale, mais semblable à celle de son époux,
qui sont les mêmes que les relations uni- et lui est subordonnée elle est inamovible,
verselles ou rationnelles de cause, de moyeni parce que le lien conjugal est indissoluble.
et d'effet. La séparation de corps et de biens, qui sus-

(1) On trouvera dans l'ouvrage du même au- presque partout les prérogatives de la primogéniture.
teur, le Divorce considéré au xm' siècle, tout ce qu'oni Autrefois en France, la mère, à la mort du père,
aurait pu ajouter à ce chapitre de notes explicatives. allait saluer Faîne et lui présenter les clefs, et les
(2) Cocceciji, rédacteur du code Frédéric, fonde» enfants alors étaient plus soumis à leurs mères.
sur trois raisons le droit d'un père sur ses enfants Encore aujourd'hui, dans les provinces soumises à
1° les enfants sont procréés dans une maison dontt la loi romaine, l'aîné avait une part plus forte dans
le père est le maître 2° ils naissent dans une fa- le patrimoine, et même dans le respect des frères.
mille dont il est le chef; 5° ils sont une partie dee Cette loi et celle des substitutions étaient pratiquées
son corps. Bentham prouve que ces trois raisons s dans les familles nobles, et étaient la raison de leur
sont fausses ou insuffisantes, et que le droit du pèree perpétuité. Sans inégalité de partage, point de fa-
est une expression qui manque de justesse. mett Il milles agricoles. Le gouvernement a rendu hom-
à la place Je principe de l'utilité générale. Il a raison, mage à ce principe méconnu aux jours de délire et
s'il l'entend de la conservation des êtres; mais,il il1 de déraison.
s'arrête tà, et ne sent pas qu'il y a une raison néces- Dans l'état de famille qui précède l'état public,
saire de cette conservation, autre que notre plaisirr à la mort du père et de la mère, lorsque les enfants
ou notre peine, et que toutes les nécessités ne see étaient en bas âge, le pouvoir revenait à la parenté
trouvent que dans l'être nécessaire auteur de laa qui nommait un tuteur ou régent;. dans l'état pu-
création et par conséquent législateur de la con- blic de société, à la mort du père et de la mère, te
servation. pouvoir domestique remonte au pouvoir public qui
Les peuples les plus fortement constitués ontt nomme le tuteur sur la présentation des parents,
donné à l'aîné des mâles la survivance el l'expecta- car celui qui confirme nomme, et même le pouvoir
tive du pouvoir domestique. ile là la consécrationii public seul nomme d'office, s'il n'y a point de pa-
leligicuse de l'aîné des mâles chez les Hébreux, ett rente.
IKS DE..JJI. UE BUISALU. 12*0
pend l'exercice de son autorité, ne peut lui toute paternité et dépendance, bien plus que
en ôter le- caractère fraternité &l égalité..
VIL' ' '- :,:. XIIL

'
••
La mère de famille sera honorée comme îe Les hommes, quels qu'ils soient, ayant
père, et ses ordres respectés comme ceux tous la même origine et la même fin, quel-

"
de son époux. ques-uns dans la même famille, plusieurs

'
viir. ;< dans Je mèrrié Etat, tous dans la religion, pè-
Les enfants n'ont dans là famille que des res et frères les uns des au très, et sujets aux
devoirs' à remplir, et ils' sont toujours' mi~ mêmes besoins, sont, les uns à 'l'égard des
neurs ou sujets dans la famille, même alors autres, dans un état de société mutuelle qui
qu'ils sont majeurs dans l'Etat (2). met entre eux tous des rapports de service,
d'affection, dé dépendance unique raison,
I3L. non-seulement de Tassisfaiice féciprôque
Les devoirs des. enfants s'ont tfhonoret mais même d es1 signes extérieursd'honnê-
leurs parents ou ceux qui les' représentent, teté et de bienyeiifàftce que les hommes se
et de leur obéir en tout ce qui n'est pas évi- doivent les uns atit autres dans le commerce
demment contraire à des lois d'un ordre
supérieur.
de la vie (3). J
•i

Les
..= i.i-
patents
; :X. CHAPITRE VIII.
ascendants, à raison de leur ADMIMSTBATIOM DE ,LA SOCIÉTÉ DOMESTIQUE.
proximité du père et de la mère, participent
du pouvoir domestique, et les enfants leur
.-•. I.-
Au pouvoir domestique du père et' de la
doivent à tous dans la même droportion, mère appartient exclusivement l'administra-
honneur et déférence. tion domestiqué, qu'ifs exercent conjointe-
,4', .Xi. ment dans la proportion de leurs facultés,
Les vieillards; participent de la- paternité t'ordre de leurs rapports, et selon la nature
à raison de teur âge, et les plus jeunes leur des objets à régir (4).
doivent, en cette qualité, de la déférence et R
du respect.
Lès enfants doivent obéir au. père et a la

III.
XII.
pour la direction de leurs personnes,
Lés hommes faibles d'esprit ou de corps, mère
et l'administration des biens communs.
deséxé, d'âge, de condition ou de conduite,
participent tous des i infirmités de l'enfance, m.
et .ont besoin dé protection. Les hommes La fàïniïle peut avoir besoin dit service
pliJsjfbrls de moyens nâtûfe'Is" ou acquis dbi- extraordinaire de personnes à g^ages, servi-
venV être pour eiix comme des pères de fa- teurs, apprentis, compagnons dé métier,
mille, ministres de la Providence pour leur personnes domestiques, mais accidentelles-,
faire du bien Unicuique Deus mandavit de et dont les rapports avec la famille sont pu-
prozimo Suo. (Eccïi. xvn, 12.) La société est rement temporaires.

(1) Des -époux qui divorcent brisent de leurs


crimes. Il est révoltant devoir montrer des hommes
propres mains le sceau ;du pouvoir domestique, et pêle-mêle avec des animaux. On ne devrait pas non
leurs enfants sont des orphelins, qui, ne retrouvant plus permettre d'aller voir les loges des fous, ni les
plus la::famille qui leur a donné le jour, devraient laisser vaguer dans les rues, comme un objet de
tomber sous l'empire du pouvoir public. Sur la- fin risée et un sujet de malignité pour les enfants.
d?uhe nation, c'est avec des lois fortes qu'on fait (i)
Au père appartient la direction des affaires
de bonnes moeurs, comme dans ses commencements, extérieures, à la mère celle des soins intérieurs.
c'est avec de bonnes mœurs qu'on a fait des lois Plus les enfants sont jeunes, plus le soin en appar-
fortes. tient à la- mère. L'agriculture, le premier besoin et
(2) Un enfant n'est jamais émancipé que pour la première occupation de l'homme, distribue ses
jouir de facultés civiles, et jamais pour acquérir travaux en trois parts, dont chacune appartient à
l'indépendance des devoirs domestiques, indépen- une personne de la famille. L'homme cultive la
dance qui serait contrairela loi fondamentale terre; la femme veille au soin de l'intérieur, et ma-
d'honorer l^père et la mère. nufacture les- productions nécessaires à la subsis-
(5) Rien n'est plus contraire à la morale et à tance et au vêlement; l'enfânt garde les troupeaux.
l'humanité, que de faire servir l'homme de spec- De là vient que, dans la hiérarchie lie la domesti-
tacle à l'homme dans ses difformités morales et cité, les valets de labour sont les premiers, et les
physiques. Gel usage barbare peut conduire à des bergers les derniers.
IV. appelle à son secours la force publique de
Les serviteurs et hommes à gages, les ap- 1l'Etat,

prentis et compagnons de métier, et géné- CHAPITRE IX.


ralement tous ceux qui engagent librement,
et pour un temps déterminé, leur travail au -FORMATION
-i DE LA SOCIÉTÉ PUBLIQUE, OU OK
;•
service déjà famille, sous la stipulation d'un
avantage quelconque, font partie de la fa-
mille pendant le temps de leur engagement.
•-•.
;i: .•
l/ÉTAT.
'[^ i.
Ils n'ont dans la famille que des devoirs à Toute famille propriétaire forme à elle
remplir et un service à faire, et comme, sous sseule une société domestique,naturellement
ce rapport, ils participent de la dépendance iiindépendante de toute autre famille dans ses
des enfants, ils doivent participer aux soins, ppersonnes et dans ses propriétés.
à la sollicitude et à la protection du père et
de la mère. n
V. Telles sont les passions des hommes et la
Les personnes de la famille sont naturel- f(force des circonstances,que cette indépen-
lement justiciables du pouvoir domestique rldance naturelle de la famille est souvent
troublée par quelque autre famille. Ces fa-
pour les délits domestiques ou leurs diffé- tt J
rends particuliers mais si l'autorité dômes- milles
n ainsi divisées sont constituées en état
tique est insuffisante,si. les délits sont pu- d'opposition
d réciproque état légitime dès
blics, si l'homme qui exerce le pouvoir do- qu'il est nécessaire à leur conservation et
mestique est lui-même coupable ou partie, que q l'on appelle l'état de guerre.
la société domestique est justiciable de la "ï-'
société publique.
Cet étatde. guerre entre les familles, dont
VI.- aucune
a force ne pourrait limiter la durée ou
Si la paix entre les ,familles est troublée la
u violence (si l'on suppose qu'il n'y eût pas
par des discussions relatives aux personnes d'autre
d force que celle delà famille), amène-
ou aux biens, la famille lésée en état pure- rait
ri inévitablement la destruction de toutes
ment domestique, et antérieurement à tout les U familles, s'il ne s'élevait au-dessus d'el-
état public aurait le pouvoir et même le les, lE en vertu des lois générales et nécessai-
devoir de veiller elle-même à sa conserva- rires de la conservation du genre humain, un
tion, en repoussant par la force l'agression être
ê qui eût le pouvoir de soumettre à un
injuste; mais une fois que la société civile ordre
o général de devoirs, c'est-à-dire aux
est formée par le passage de l'état purement lois
k d'une constitution et à l'action d'une
domestique à l'état public, tout exercice de administration,
ai ces sociétés partielles et di-
la force privée est suspendu, et la famille visées
v (1).

(1) /Les familles trouvent dans l'Etat la force ciélé, puisqu'il ne trouve que dans la. société la lu-
ci
qui empêche leurs dissensions t'homme trouve mière qui éclaire son ignorance, et la règle qui re-
-•--
ni
dans la religion la force qui comprime ses passions, dresse ses penchants. Ils veulent que la société soit
di
et que Ton appelle la grâce: volontaire
yt et le proiiuu d'un, contrat, et la société
Ce chapitre est presque entièrement opposé aux est
e1
obligée, et le résultat, d'une force, soit de la
opinions philosophiques de ce siècle, opinions qui force de la persuasion^ soit de la force des armes
fc
ne sont que des conséquences de principes posés c: Orphée était un conquérant comme Alexandre,
car
dans des siècles antérieurs. lis veulent que le pouvoir ait reçu la loi du peuple,
II
Nos philosophes veulent que l'homme naisse bon et il n'existe pas même de peuplé avant un pouvoir,
fil
et que la société se forme par intérêt et pour ac- et des hommes qui délibèrent sur une proposition
et
croître la somme de ses jouissances; et f homme
nait avec des penchants mauvais, et la société se
0ont déjà reconnu le pouvoir au moins d'un orateur,
et en ont reçu la loi. Ils veulent que le pouvoir soit
forme par nécessité et pour, empêcher la destruc- conditionnel, et le pouvoir n'est conditionnel qu'à
ce
tion de l'homme: De là suit, pour le dire en pas- l'égard de Dieu dont il ënjàiié^ car, s'il était condi-
l'i
sant, que la fin de tout gouvernement doit être tionnel à l'égard des hommes, il ne serait plus leur
il
plutôt d'empêcher le désordre que de hâter la po- pouvoir,
pc mais leur sujet, ou tout au plus lent mi-
pulation, et que c'est moins d'hommes en général nistre,
ni leur instrument. Ils veulent que les hommes
que d'hommes bons et heureux qu'il faut peupler aient
ai cédé une portion fié leur liberté, de teur pou-
Ja société. La philosophie moderne professe le prin- voir,
v( etc., et les hommes n'ont rien cédé que la fa-
cipe contraire, et les gouvernements modernes le culté de se détruire, qui n'est pas une liberté, et la
ci
pratiquent; et quand ils ont forcé la population, ils puissance de se nuire, q.ui.iï,'esi pas un pouvoir. La
pi
cherchent comment ils, pourront la faire subsister, liberté est même njieuï assurée, parce qu'elle est
lil
ét la mettent à la soupe économique. Les publicistes mieux réglée, et le pouvoir. pLH&àbs.0lUn pa'"ce qti'ii
in
modernes veulent que la société déprave l'homme, est moins arbitraire.
es
et rbomme ne trouve sa perfection que dans la so*
4.
J243
.; iv.iir
c~u~nr.aCOMPLETES
CEUVRES 4vmrLme DE M. DE BONALD.

Cet état est appelé l'état général ou pu-


blic de société, qui est formé de plusieurs
s
Les
V«r
ministres, dans un Etat constitué,
participent des fonctions, et par conséquent
iUi

sociétés particulières ou domestiques et >t de la nature du pouvoir, et pour être indé-


ces familles ainsi réunies en un corps for-
r- pendants des hommes et ne dépendre que
ment une nation sous Le rapport de la com-
i- ïdu pouvoir, ils doivent, comme le pouvoir
munauté d'origine, un peuple sous le rap-i-

v,
lui-même, être du sexe fort, être uns, c'est-

,
port de la communauté de territoire, unn à-dire former un corps perpétuel et pro-
loiS.
•Etat sous le rapport de la communauté dee

CIIAPITRE X.
-W;
priétaire.
-• yl
Leurs fonctions se réduisent à deux, à la
fonction de juger les infractions faites aux
CONSTITUTIONDE LA SOCIÉTÉ PUBLIQUE.
lois, et à la fonction de combattre ou punir
L les infracteurs. (Voy. Ja constitution de laso-
a un pouvoir public, il y a dess
Puisqu'il, y y
sujets publics et des ministres publics il yy
a une société publique, parce que les ma-
nières d'être sent essentiellement relatives,
.m '=:
ciété religieuse.)
¡,

Les sujets publics, ou le peuple, est le


..
et tes personnes sociales nécessairementho terme de la volonté du pouvoir et de l'ac-
mogènes entre elles (lj. tion du ministère, et c'est à son utilité que
tout se rapporte dans la société, constitution
II. et administration.
Les rapports des personnes publiques en-
Ire elles, exprimés dans les lois, forment laa VIII.
constitution de l'Etat ou de la société pu-
Le pouvoir et ses ministres doivent être
blique.
honorés, et tout ce que nous avons dit du
III. pouvoir domestique doit être appliqué au
Le pouvoir public doit être, comme le
e pouvoir public (2j.
pouvoir domestique, soumis à Dieu seul et
indépendant des hommes, c'est-à-dire qu'il CHAPITRE Xi.
doit être un, masculin, propriétaire, perpé- ADMINISTRATION DE LA SOCIÉTÉ POLITIQUE,
tuel car sans unité, sans masculinité, sansS RELATIVEMENT AUX PERSONNES.
propriété, sans perpétuité, il n'y a pas de vé-
ritable indépendance.
:<. -
:: IV. Les rapports d'état ou de pouvoir entre les
Le pouvoir public porte les lois, et less
personnes forment la, constitution de l'Etat
les rapports d'action et de devoir entre les
fait exécuter par ses ministres. Ces lois doi-
personnes forment l'administration dont


vent être aussi l'expression de là volonté' gé- rexerciceappartient.au pouvoir public, et
nérale, c'est-à-dire qu'elles doivent être dess
conséquencesplus ou moins éloignées, maiss aux ministres sous ses ordres et par sa di-
rection.
toujours naturelles, des lois fondamentales,
t
qui sont la volonté de l'Etre suprême, dont
le pouvoir est l'organe et le ministre immé- Le pouvoir public, nécessaire pour con-
diat, et qui assurent la conservation de l'or- server les familles, et constitué à cette fin,
dre public comme de l'ord-redomestique.' remplit cette destination en les défendant au
(1) Dans les démocraties, la personne domes- des idées justes sur des objets qu'ils ne peuvent
tique, devenue momentanément homme public. re- ignorer sans lïônte, et sur lesquels ils ne peuvent
vient à la société domestique l'artisan devient juge, se tromper sans danger. Qu'on ne s'exagère pas la
et le juge redevient artisan. L'homme n'y a jamaiss difficulté de la méthode analytique que j'ai suivie;
Ifesprit ni de li famille ni de l'État; le peuple y elle ne pénètre diflicilemeut que dans des esprits
aime là domination, et le magistrat la vie privée. obstrués d'erreurs, ou qui ont accoutumé leur es-
(2) Je ne fais qu'indiquer les principaux objetss prit à ne saisir la vérité que dans un certain ordre
dont le dévèloppenient serait un traité complet dee et d'une certaine manière. Mais les jeunes gens,
tous les rapports et de toutes lès lois. Je ne pré- dont l'esprit s'ouvre a ta vérité, orit plus de facilité
sente que le plan d'un édifice, ou, si l'on veut, unee qu'on ne pense à la saisir telle qu'elle leur est pré-
table des matières. Mon seul but a élé de donnerr sentée, et même sous des formes qui rebutent
aux jeunes gens, non des notions complètes, maiss quelquefois des esprits plus exercés..
dedans contre les passions de leurs mem- VII. ;V.
bres, et y maintenant l'exercice du pouvoir Les voies de fait dirigées contre ra fa-
et l'observation des devoirs et en les dé- mille
r peuvent attaquer les hommes ou les
fendant au dehors de toute violence de la propriétés
j de la famille. Elles peuvent être
part des autres familles, et réglant entre elles portées
{ contre les propriétés jusqu'à leur
leurs 'intérêts respectifs. soustraction
s parie vol, ou leur destruction
UI- Ipar bris, par incendie, etc. Les voies de fait
peuvent être portées contre l'homme jus-
Les lois par lesquelles le pouvoir public qu'à c l'homicide, contre l'époux jusqu'à l'a-
assure la constitution des familles, en dultère, c contre le père jusqu'au rapt ou à
maintient le gouvernement, et y règle les JJa séduction de ses enfants, contre la fem-
intérêts, sont les: lois sur les personnes et me r jusqu'au. viol contre l'enfant jusqu'à
sur les biens, sur la possession etlatransr l'abandon,
1 etc. (2).
mission des propriétés ordonnances civiles, VIII.
commerciales, rurales, municipales, etc.,
dont il fait l'application par ses ministres. Les voies de fait contre les hommes et les

. IV.
1propriétés de la famille s'appellent des cri-
mes
r, ou des délits; les voies de fait contre les
Si le pouvoir public n'a pu prévenir la 1hommes et les
propriétés de l'Etat sont des
les familles, il leur permet le crimes d'Etat, tels que la rébellion, la tra-
guerre entre
combat devant ses tribunaux, et il en fixe
hison,
1 le faux monnayage, etc
les règles dans les ordonnances sur la plai- IX.
doirie car un procès est un débat légal et Les voies de fait contre les hommes ou

de fait (1).
--V. ..
judiciaire, où les parties belligérantes

L'homme ou la famille qui a recours ciennes


met-
.les propriétés de la religion reçoivent un
tent les voies de droit à la place des voies degré c
portance
j
de
<
(
de gravité de la généralité et de l'im-
de l'ordre auquel elles attentent
là vient qu'elles portent dans nos an-
lois le nom de sacrilége. Elles doi-
vent être empêchées par le pouvoir public,
sans nécessité aux voies de fait, tend à faire 1gardien de tout l'ordre extérieur de la
redescendre la société dans l'état natif et so-
imparfait, et à la faire déchoir de la civili- ciété,
( comme dépositaire de toute sa force
extérieure (3).
sation, puisque la société n'a passé à l'état e
public de société civile que lorsque les voies X.
de droit ont pris la place des voies de fait, La connaissance et la poursuite des délits
et que la vindicte publique a remplacé la (contre l'ordre domestique, public ou reli-
vengeance personnelle. gieux,
§ et leur punition afflictive ou infa-
mante,
| personnelle jusqu'à être capitale
VI.
pécuniaire
1 jusqu'à confiscation entière
Les voies de fait peuvent être dirigées jsont l'objet des lois criminelles, appliquées
contre la famille, contre l'Etat, contre la jpar le pouvoir public, représenté par ses
religion. ministres
i (4).
(1) Puisque l'Etat est institué pour préserver d'une
c manière visible, l'ordre intellectuel serait
les familles de leur destruction, il ne doit pas lui- transporté
t dans l'ordre ;visible, l'homme n'aurait
même les détruire par des frais de justice exorbi- j de libre arbitre, il ne serait plus l'homme, le
plus
lants, des impôts ou un service excessifs. monde
i présent ne serait plus. Le grand mal de l'im-
(2) C'est une voie de fait contre les enfants de fpunité dans la société, est de faire douter au peuple
la part du père et de la mère, que leur séparation de la Providence. C'est aux gouvernements une im-
«j
volontaire, et plus encore leur divorce, qui prive i délits.*
piété de ne pas punir; mais ils ne doivent pas créer
les enfants de la double assistance sur la foi de la- ildes Les criminalistes modernes se sont éle-
quelle ils ont reçu le jour, et qui les livre sans né- vés
* contre la distinction que faisaient nos anciennes
cessité naturelle à des soins étrangers, et même, 1lois des attentats contre les choses religieuses, ap-
en cas de secondes noces, à des soins ennemis. pelés
p sacriléges. Ils n'ont pas vu que, plus l'ordre
(3) Les philosophes modernes n'ont cessé de auquel
a on attente est général, plus on est coupable.
nous dire que c'est à Dieu à venger les injures s Ainsi
A le faux monnayage est un plus grand crime
faites à son culte qu'il faut souffrir tout ce qu'il aoue le simple vol.
souffre; On pourrait en dire autant,du parricide. (•£) La peine de mort, .contre laquelle les philo-
Dieu ne souffre rien de mal, et il ordonne au pou- ssophes s'élèvent, n'est pas une compensation pour
voir humain de tout punir, comme ma pensée or- l'ordre
V social que le coupable a troublé car il n'y
donne à mon bras de me défendre; c'est à cette fin a nulle proportion entre la mort d'un homme qui
que le pouvoir est armé. Si Dieu punissait toujours 'd doit mourir tôt ou tard, et l'ordre social qui ne doit
CHAPITRE XII. charité ou de correction, -où ils puissent
AUSilNlSTHATIONJ>E LA SOCIÉTÉ PUBLIQUE trouver la, discipline, r.instruçtfon, le tra-

'
E
HELATIVEMENT AUX CHOSES, vail et la subsistance. »;;
•'V' " '••• m '"'t.1:
L'adminisiration rapport
a non-seule-
e_
L'Etat, remplissant à l'égard çjes pérson-
ment, à la direction des personnes publi-ji_ nes faibles et délaissées les devoirs d'un
j. père, les


en acquiert sur elles le pouvoir, et
.ques, mais,encore au soin des choses pu-
bliques (1).
>. :ù.

Toute ehose
•: :• H.
,i..'
.;.
abandonnée, tout homme ie
, peut faire servir à ses besoins, suivant
leur force et leur capacité (2).
.
:: ::V.
qui n'appartient pas une famille, délaissé,
'» L'Etat permettra, facilitera^1 même dans
sans propriétés, sans moyens ou sans vo- a- tous les sujets le développementde l'indus^
lonté d'en acquérir au moins par un travail iil trie honnête, propre à chaquësexéj et Fem-
légitime, appartient à toutes les familles, ou
>uploi de tous' les moyenS'flaturelS' et acquis
à l'Etat, qui doit prendre soin des hommes, s,par lesquels tout homme puisse- i s'occuper
et jouir des choses pbur l'avantagé com- a-et toute famille acquérir quelque propriété.
mun. L'Elat, à cet effet, fondera des établisse-
m. ments publics d'éducation, de police, d'arts,
Ainsi, les enfants exposés, les mendiants,
s, de communication par terre et .par eau; il
les vagabonds et gens sans aveu etc. et veillera à la sûreté des personnes, h la salu^
généralement tous ceux qui n'ont aucune ie -brité des lieux, à, l'abondance des subsistan-
famille, .ou qui troublent celle des autres,
's, ces; et, pour renfermer ses. devoirs en peu
appartiennentjà ]a;grande fainille de l'État,
tt, -de: mots,: >i\- fera peu pour les plaisirs des
et doivent être reçus temporairement ou >u
le
viagèrement dans Jes maisons publiques de
jamais être troublé. Cette compensation ne peut
hommes, assez pour leurs besoins, tout
pour leurs vertus (3].. '
ut jugé par ses pairs, parcequ'il était question d'un fait
•se faire qu'avec l'àme immortelle de l'homme, et que des pairs seuls pouvaient connaître. Mais les
par tes peines de l'autre vie, auxquelles elle peut ut pairs d'un voleur, d'ùh assassin!
être condamnée par le juge souverain, devant le- e- (i) Dans les Etats modernes, l'adininistration
quel le pouvoir humain renvoie le coupable. Mais la des choses s'est perfectioniiée aux dépens de celle
peine de mort est le moyen qu'emploie la société ilé des hommes, et l'on s'occupe en général,beaucoup
pour empêcher un homme, convaincu par ses ac-
tions de vouloir troubler l'ordre, de persister dans
c- plus du matériel que du moral. Il y peu de gou-
ris vernements qui mettent à faire fleurir la religion
ses tentatives criminelles. Or, comme la société est îst et la morale l'attention qu'ils portent à faire pros-
un être nécessaire, elle, ne peut employer pour se pérer le commerce; ouvrir des. communications,
conserver que des moyens-infaillibles. surveiller la comptabilité, procurer au peuple des
Il n'y a pas aujourd'hui en Europe d'homme ne plaisirs, etc. On s'attache surtout beaucoupin-
éclairé qui ne regarde l'institution du jury en ma- a- venter des machines, et l'on ne prend. p^s gardé que
tière criminelle comme une institution de l'enfance ce plus il y a dans un Etat de machines pour soulager
de là société, et qui necçnvient pas plus auxpi-Of- Of- l'industrie de l'homme, plus il y a d'hommes qui ne
grès de la corruption de l'homme qu'aux; progrès es sont que des machines, et, à cet égard, la diffé-
de sa raison. Quand le crime est devenu un art, la rence est sensible entre l'intelligence o'uu monta-
fonction de le juger est mie élude' qui 'suppose se gnard; qui fait tout lui-méme dans sa maison, et
l'instruction de plusieurs. années, et la pratique de de celle d'un actisani de ville qui tourne toute la vie
toute la vie, et qui demande des hommes retirés es une manivelle, ou fait courir une navette, Smith,
comme dans un sanctuaire, loin dé l'influence es lui. même en convient. Son ouvrage est la bifile de
des
intérêts et de la séduction des passions. L'esprit rit cette doctrine matérielle et matérialiste.
de l'ancienne jurisprudence était de venger la so- o- (2) Les gouvernements modernes veulent bfiau-
ciété l'esprit de la nouvelle est de sauver l'accusé. é.coup de commerce, dé fabriques, de luxé, de plai-
Le jury, sorte de machine intermédiaire entre le juge ge sirsj de population surtout, et' ils cherchent à ban-
et le coupable, et qu'il faut taire jouer, ne peut que ie nir la mendicité. Ils veulent la cause, et rejettent
condamner sur des faits consommés, ou absoudre re 'l'effèt. Le pays de l'Europe où il a le plus de for-
sur des intentions présumées. Le juge, instriilhëiit ut tunes colossales, est celui où il y a le plus de pau-
de la loi et non pas son ministre; s'attachë'servile- e- vrés. Qu'on prenne garde qu'au milieu de noire- ri-
ment à une lettre qui lueou qui absout, il n'y a que ue chesse, de notre luxe de table surtout," de notre moi-
des évidences1 physiques et point de motifs moraux. x. lesse, de l'abondance de nos cfenrées, :et de la per-
Selon les matérialistes, le coupable est une ma- a- fection de notre agriculture, l'Europe à dressé des
chine, et le jury, le juge, l'instrument' même du lu autels à l'homme qui a enseigné au peuplé à se cori-
supplice, ne sont aussi que des machines dont le tenter, d'une soupe -maigre à un sou, et qu'on pro-
coupable ne peut, quoi qu'il fasse^ être atteint, tt, pose de lui faire manger des-os bouillis. On ne fe-
pourvu qu'il ne se meuve pas dans leur direction.
n. rait pas mieux après un siége de trois ans. On n y
Nous connaissions en France le jugement, par jury, y, pense pas la société en Europe est dans i<n état
lorsqu'il fallait prononcer sur laj façon et sur le violent;
prix d'un ouvrage ou travail mécanique. Alors les es (3) Jadis en France, chez cette nation si fri-
juges appelaient des experts jurés, et l'ouvrierétait lit vole, on pensait que les plaisirs publics ne con-
vi. ception et l'emploi de l'impôt, sont l'objet
Pans une société constituée, toutes les de règlements ou d'ordonnances militaires
familles, en travaillant à accroître leur for- et fiscales, etc.
tune par des voies légitimes, doivent se CHAPITRE XIII.
proposer, pour terme à leur industrie, de
sortir de l'état purement privé, pour se DE LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DES NATIONS CIVI-
LISÉES, OU DE LA CHRÉTIENTÉ.
consacrer au service de l'Etat dans l'exer-
cice des fonctions publiques; et l'État doit y I.
admettre toutes les familles qu'une fortune
suffisante et une conduite irréprochable Le genre humain peut être considéré tout
rendent dignes de cette honorable promo- entier comme réuni en une société univer-
tion. C'étaient l'esprit et le motif de ce selle, sous le pouvoir suprême de Dieu et
qu'on appelait autrefois en France l'ano- les lois générales de l'humanité: mais les
blissement. nations chrétiennes ou civilisées forment
VIt. une société spéciale sous lès lois particuliè-
res du christianisme, appliquées aux rela-
Le pouvoir public conserve l'Etat comme tions
ou rapports des nations entre elles.
il conserve les familles; il y empêche les
dissensions intestines en suspendant l'action II.
des forces privées, etille défend contrel'inva- Les relations que l'humanité en général,
sion étrangère en rendant une et régulière
et la religion chrétienne en particulier, éta-
l'action de la force publique. blissent entre les nations, sont exprimées
VIII. dans les lois appelées lots du droit des gens,
Ainsi, l'Etat se réserve les voies de fait, et jus gentium (2).
laisse les voies de droit à la famille; et par III.
cette disposition, les familles peuvent vider
leurs débats sans que J'JEtat en soit agité, et Ainsi, les rapports entre les nations sont
les nations se combattre sans que les familles l'objet du droit des gens, comme les rap-
ports entre les familles sont l'objet du droit
en soient troublées (1). civil.
ix: IV.
Le pouvoir public emploie à la défense de
l'Etat une partie seulement des hommes et La société générale des nations chrétien-
des propriétés de la famille. nes, régie par les lois du droit des gens,
s'appelle la chrétienté, ou la république,
X. chrétienne.
Quelquefois il y dévoue des familles V.
entières, dont H forme un ordre particulier
Les nations, comme les familles, sont en-
soumis à des lois spéciales; mais partout il a
tre elles dans des rapports de guerre ou des
recours à un service extraordinaire d'hom- rapports de paix. Il
choses, dont y a donc les lois de la
mes et de la levée gratuite ou guerre et les lois de la paix (3).
exigée s'appelle conscription ou engagement
pour les hommes, don gratuit, contribution, CHAPITRE XIV.
subvention, impôt pour les choses.
DE L'ÉTAT DE GUERRE.
XI. I.
La levée et le service des hommes, la per- Tout ce qui a été dit de l'indépendance
viennent qu'aux hommes privés, et que les hom- Bacon, «dépenser qu'il n'y a entre leS nations d'autre
mes publics doivent se contenter de plaisirs domes- lien que celui d'un même gouvernement ou d'un
tiques. Les magistrats et les gens d'église n'al- territoire commun. Il y a entre elles une confédé-
laient pas au spectacle. ration implicite et tacite, qui dérive dé 1 état de
( i ) Au contraire chez tous les peuples non société. (De ~e//OMcro.)
civilisés du peu civilisés, les guerres d'Etat à Etat (3) Le droit de guerre ou de paix entre les fa-
entraînent la désolation de la famille, et il suffit de milles formait le droit des petites nations ou des
la querelle de deux familles puissantes pour trou- familles, jus minorum genlium. Le droit de guerre
bler l'Eiat. On peut remarquer que les voies de fait ou de paix entre les nations- forme le droit des
sont aux deux extrêmes de la société, dans l'état pu- grandes familles on des gens, jus majorum genthc.n
rement de famille et l'état de nation, celles qui ou jus genlium. (Voyez Filakghieri De la légis-
n'ont l'une et l'autre que Dieu pour juge d'appel. lation.)
(2) i C'est une erreur blâmable,» dit le célèbre 1.{'1
~X3t1
réciproque et des rapports
vr.u ;7
W vvnaruuai~,n
des familles entre légitime,
1 s'il est nécessaire pour maintenir
elles peut s'appliquer à l'indépendance et 1l'ordre .général de la société; légal, s'il est

aux rapports des nations entre elles, avec réglé


i par les lois propres à cette circonstance
cette différence, toutefois, que les familles de
c la société (3).
en état civil ont'au-dessusd'elles le pouvoir VI.
public, qui les ramène à l'ordre par la forpe
des lois, et que les nations n'ont au-dessus Les conquêtes qu'une nation peut faire
d'elles que le pouvoir universel ou divin, dans
c une guerre commencée par des motifs
qui les ramène à l'ordre par la force des légitimes
1 et soutenue par des voies légales,
événements. et
( les indemnités qu'elle peut exiger, sont
légitimement
1 acquises, comme les domma-
IL ges et les dépens que les tribunaux accor-
Chaque nation forme donc une société dent
( à une partie contre l'autre dans les
naturellement indépendante de toute autre affaires
t civiles.
nation, à moins que, détournée de la cons-
titution naturelle des sociétés, et soumise à VII
des lois faibles et variables, elle ne soitt Les manifestes justificatifs de leurs griefs,
obligée de demander à d'autres nations lai que publient les puissances à la veille de
garantie de sa propre existence (1). commencer la guerre, sont un hommage
m. rendu à la Justice éternelle, souveraine des
nations; et les déclarations de guerre, qui
Telles sont les passions des hommes et la1 avertissent les sujets respectifs de prendre
force. des circonstances, que cette indépen- des précautions
nation pour la sûreté de leurs per-
dance de droit de chaque est souventt sonnes et de leurs biens, sont
une mesure
troublée de fait par une agression à force3
que prescrit l'humanité (4J.
ouverte de la part de quelque autre nation.
VIII.
IV.
Comme le pouvoir public ne défend pas La première loi du droit de guerre entre
le débat entre des familles, mais qu'il en fixej les Etats, et la plus sacrée, est que l'État ne
les règles, ainsi le pouvoir suprême de DieuL fait la guerre qu'à l'Etat, et non à la famille.
ne défend pas le combat entre les nations, Ainsi, l'Etat belligérant doit respecter l'hon-
mais il en fixe les lois (2). neur et la vie des personnes de la famille
V. ne point en exiger de service personnel
militaire, préserver ses propriétés de des-
La guerre que se font entre elles (ess truction et d'enlèvement gratuit, sauf le cas
nations pour maintenir l'honneur de leurr d'absolue nécessité. Il doit conserver les
indépendance ou l'intégrité de leur terri- familles dans la jouissance des propriétés
toire, même celle qu'une nation peut faire àà communes, morales et physiques, établisse-
une autre pour étendre la civilisation, sont, ments de religion, d'éducation, de police, de
romme les procès entre les familles, un étatt subsistance, de salubrité, etc. (5).
(1) Onpeut voir ce que sont devenues les ga- de guerre celui d'étendre la civilisation, et de tirer
ranties accordées par le traité de Westphalie, ett un peuple de la barbarie, et il a fait un traité ex-
par les traités subséquents. L'auteur a considéré lee
traité de Westphalie sous ce point de vue («).
près pour le soutenir. C'est un dialogue entre des
interlocuteurs de différentesreligions, et il fait l'hon-
(2) Ceux qui ont voulu établir un tribunal1 neur au Catholique de lui donner à défendre la
pour juger les querelles des nations, et établirr cause de la civilisation.
ainsi entre elles une paix perpétuelle, ont proposéé (4) Les déclarations de guerre sont la premièie
nue chose contre nature car un tribunal suppose e assignation dans un procès. Les gouvernements se
une force supérieure à celle des parties, qui puisseé dispersent sans aucune raison de ce procédé d'hu-
les soumettre au jugement prononcé contre elles, etit manité, de générosité, de religion même, comme
ce tribunal composé de nations n'aurait aucunee s'ils ignoraient l'influence de tout ce qui est de mo-
force contre les nations. Ce serait la constitution n raie publique sur la morale privée.
germanique appliquée à l'Europe en général cons- i- (5) .Chez les mahométans et les sauvages, com-
titution forte contre les faibles, et faible contre less me autrefois chez les païens, la guerre se fait à ta
forts. Les philosophes modernes ont beaucoup dé- famille autant ou plus qu'à l'Etat. On la réduit
clamé contre la guerre, jusqu'au moment où ellee en esclavage, on détruit ou 1 on enlève ses pruprié-
s'est faite pour leur compte, et pour étendre leurs s tés. De là vient que les guerres que se font entre
opinions. etles les nations chrétiennes sont bientôt oubliées,
(3) Bacon met au nombre des motifs légitimess et leurs désastres bientôt réparés. Je ne sais quel
{a) Du iraitéde Westphalie et de celuide Camoo-Formio.
i.
S PKIMU. I. – IjIV. II. JJt. L.A L.U1 UBr». 1254
IX.
1Y humer
liuivian les
ht loe morts de l'ennemi
rvi/\r>te /Iii rma le
Vonnûmî que sort de
lu CArf Ha

La famille, par conséquent, ne doit pas, la guerre a fait tomber entre ses mains. De
sous des peines graves établies dans le droit là enfin ces procédés en pleine guerre, et
public et l'usage des nations chrétiennes, même
m au milieu des combats, qui n'ont été
prendre part à la guerre que se font entre connus
co que des peuples chrétiens, et où la
elles des armées campées sur son territoire, &
générosité va souvent plus loin que les lois
ni directement, ni indirectement, par l'es- mêmes
m de l'humanité (2).
pioniiage, l'embauchage, etc. XIII.
La loi d'empêcher les maux inutiles et ex-
X- cessifs
ce ne permet pas de pousser l'opiniâ-
La course sur mer contre les bâtiments de treté de la défense plus loin que la probabi-
tri
commerce n'est point une violation du droit lit du salut, à moins que le plus grand
lité
des gens, parce que le commerce, quel que bi de la société ne rende nécessaire et exi-
bien
soit son objet, public autant que domesti- gible
gi le sacrifice de quelques hommes, et
que, ajoute aux moyens que l'Etat a de con- ce don de soi, que tout homme doit à !a
tinuer la guerre, et peut être regardé comme société.
so
une propriété nationale (1). XI V.
XI. La puissance belligérante qui se permet
Le vainqueur étranger peut exiger, des de manquer -la première aux lois de la
peuples qu'il a soumis, des contributions guerre autorise de justes représailles que
et même des serments de fidélité à son gou- l'humanité
* permet, et quelquefois prescrit,
vernement comme le prix de la protection pour
Pc empêcher la continuation ou le retour
qu'il accorde aux personnes et aux biens des mêmes excès.
de
protection que le vaincu accepte par cela CHAPITRE XV.
seul qu'il en jouit; domination de la force,
DE L'ÉTAT DE PAIX.
que le traité subséquent peut convertir «H 1.
pouvoir légal. La guerre ne pouvant avoir d'autre terme
XII qu la paix, l'humanité commande de l'accé-
que
Les lois de la guerre, qui ne sont que les lérer,
léi et il doit être permis, même au fort de
lois naturelles de l'humanité appliquées à la guerre, à tous envoyés ou messagers de
cet état particulier des nations, interdisent paix
pa de passer et repasser librement à tra-
de faire aucun mal aux hommes dont il ne ve les pays occupés par les armées
vers et
puisse pas résulter un plus grand avantage toute cessation d'hostilités par armistice,
to
pour la nation que le droit de la guerre au- trêve ou capitulation, cartel d'échange, con-
tn
torise à le faire elles défendent d'aggra- vention préliminaire ou définitive, doit être
ve
ver lès maux de la nature, et de détruire religieusement
re exécutée.
l'homme lorsqu'on l'a mis hors d'état de II.
nuire. Ainsi elles défendent de faire mourir La cessation de la guerre entre deux na-
le prisonnier de guerre, de se servir d'ar- tions les fait rentrer dans l'ordre général des
tic
mes inusitées et cruelles, d'empoisonner les relations
re pacifiques, qui avait été suspendu
sources, de bombarder une ville affligée de par les hostilités réciproques, et quelquefois
pa
la peste, de tirer en mer sur un vaisseau qui dans un ordre particulier d'alliance offensive
da
brûle, ou de refuser des secours à un navire et défensive.
en péril. De là l'obligation à toute puis- III.
sance en état de guerre de nourrir les pri- Les ambassadeurs et envoyés des puis-
sonniers, de faire panser les blessés et in- sa
sances étrangères doivent, en se conformant
auteur dit qu'il y a des pays en Europe qui ne sont que le citoyen dans la sienne, la prison sera l'asile
qui
pas remis des ravages des Romains, et l'on peut de la fainéantise et de la mauvaise foi. Il n'y a pas de
voir, dans les provinces qui confinent à l'empire ter
terme à la vérité, il y en a un à la vertu.
turc, des traces de dévastation irréparable. (2) Les guerriers d'Homère se prodiguentl'in-
( 1 ) Si le commerce ne perdait
pas à la guerre, sulte
sut avant le combat, et l'injure après la victoire.
il y gagnerait. Si les commerçants y gagnaient, la Les Romains faisaient passer au fil de l'épée des
Le
guerre serait interminable, et l'humanité peut-être villes et des armées entières. Le christianisme a
vil]
demande que, dans une guerre entre deux nations, fait disparaître toutes ces horreurs de l'état de
faii
la course sur mer soit autorisée. Rien de plus hu- guerre,
gui car ce ne sont pas des guerriers qui ont dé-
main que de bien traiter les prévenus de crimes truit
tru à la Nouvelle-Espagne les malheureux Indiens,
détenus en prison; mais si les prisonniers sont ce sont des marchands.
aussi commodément dans la maison de détention
eux lois, jouir auprès de la nation où ils ré- reste
r auprès des parents qui lui ont donné
sident, des honneurs attachés au caractère 1(le jour, et sur le sol qui l'a vu naître, que la
public dont ils sont revêtus, et auquel môme qualité
q d'étranger est regardée chez tous les
la guerre ne peut porter atteinte (1). peuples,
P ou comme une présomption de
IV. ffuite qui autorise un gouvernement à. de-
Ce caractère, étant essentiellement pacifi- mander
n à l'étranger des preuves légales de
hbonne conduite, ou comme un malheur
que, leur interdit, comme une violation du mérite de sa part une protection parti-
droit des gens toute démarche hostile contre qui q
la nation qui les reçoit, et toute infraction à culière
c (3).
ses lois. Il
CHAPITRE XVI. De là à la fois lé droit d'hospitalité sacré
DES TRAITÉS ENTRE LES NATIONS. chez
c tous les peuples, et les violences exer-
I. cées
c autrefois ou la surveillance exercée
Cette partie de la législation du droit des aujourd'hui,
a non-seulement envers l'homme
éétranger à la nation chez la quelle il voyage,
gens, soumise à l'influence de circonstances
particulières, ne peut être réglée par des mais
v même, dans certains cas, envers le
considérations générales. Elle est toute com- citoyen
c étranger à la commune où il se
prise dans les traités eux-mêmes, véritables trouve.t
lois entre les nations jusqu'à révocation ex- III.
presse lois passagères et variables, si elles
ont été imposées par la violence contre l'or- Lorsque le gouvernement s est assuré dé
dre naturel, politique et religieux de socié- la 1 probité d'un étranger, il doit lui accorder

tâs; lois durables, si cet ordre naturel a été protection


I et assistance, e't se regardercomme
respecté par la modération au'on peut appe- replaçant
r a son égard son gouvernement
1er la sagesse de la force (2). naturel, et même sa famille; mais comme
II. i ne peut pas l'assujettir à tous les devoirs
il
( citoyen, il ne doit pas lui en permettre
de
Les puissances chrétiennes commencent
toutes
t les facultés.
leurs traités d'alliance et de paix par une
formule religieuse qui les met sous la pro- IV,
tection de l'Etre trois fois saint, présent
Les facultés de citoyen appartiennent aux
aux conventions solennelles des peuples, ifamilles indigènes, et particulièrementla fa-
comme aux pensées intimes des hommes culté de posséder exclusivement, et
usage vénérable aveu de foi et hommage leur patrimoine, le sol natal qu'elles comme
t
ont fé-
envers la Divinité, et Je seul acte public de condé
religion que puissentfaire les peuples réunis ( par leurs sueurs dans la vie. domes-
tique,
1 et défendu par leurs soins, et souvent
en un corps. de leur sang, dans la vie publique.
t

CHAPITRE XVII. V.
SURVEILLANCE ET BIENVEILLANCE ENVERS LES
ÉTRANGERS.
L'étranger qui a rendu ou qui peut ren-
dre
( à l'Etat des services distingués, par une
1.
industrie productive, ou dans des fonctions
Tel est le vœu de la nature, que l'hommepubliques,
1 partage les devoirs de citoyen, et
(2) Les Turcs seuls, en Europe, renferment pouvaient s'affermir, rien s'affermit
jusqu'à la paix les envoyés des puissances avec les- i parce que ne
quelles ils soin en guerre. L'usage, qui s'est intro- contre
< la nature.
(3). Chez les anciens, étranger était synonyme
duit un peu tard dans leur politique, d'envoyer des d'ennemi. Hoslis apud .majores nostros is dicebuiur
ambassadeurs résider dans les cours étrangères, doit
mettre fin à cette coutume barbare; au reste les quem nunc peregrinus dicimus, dit Cicéron. II faut
puissances chrétiennes n'usaient jamais de repré- remarquer que, cbe« les anciens, la famille était
sailles. hospitalière et TEtat inhospitalier. C'est tout le
contraire chez les peuples modernes. L'hospitalité
( ) On
1 peut voir, dans l'écrit déjà cité sur la ancienne de la famille s'est partagée entre les hôpi-
paix de Westphalie, (Voy. part..11, tome h) taux et les hôtelleries, et l'on peut assurer en géné-
que ce traité célèbre renfermait le germe des guer ral
i que là où les auberges sont les meilleures, et 1;
res qui depuis ont désolé l'Europe, parce qu'il y métier
i d'aubergiste plus considéfé, l'homme est
fondait la démocratie politique et religieuse, qui moins hospitalier envers l'étranger.
sont contre l'ordre naturel des sociétés, et qui ne
U"'JI™ rmivni. k –Liv. Il. DE LA LOI GEN. AT6S
l'Etat doit
doit lui accorder faculté par
en les facultés n»r ttv, ““
-i» Un
1" codej domestique ou code 1 des famil-
des lettres de naturalisation (1). les qui compose le corps de droit civil
VI. ou
privé, et qui comprend les lois domestiques
L'étranger prévenu d'un délit dans q.ui fixent le rapport des personnes domes-
pays, et reclamé par son gouvernement, son
son
îent, tiques dans la famille, et les lois civiles qui
doit lui être rendu, mais seulement dans des fixent i les rapports des familles entre elles
s
cas spécifiés d'avance, et pour des faits ma- dans ( l'Etat. La connaissance de ces lois est
nifestement attentatoires aux lois fonda- nda- 1l'objet de la jurisprudence.
mentales des sociétés, et punis chez tous 2° Un code public ou des nations, qui
les peuples civilisés de peines capitales: les compose
( le corps de droit public, et qui
l'extradition ne doit pas être accordée com-
pour
)our prend
l les lois politiques ou publiques qui
des délits locaux et politiques, et si le droit
Iroit fixent
f les rapports des personnes publiques
d'asile n'est pas attaché aux temples, l'uni-
uni- dans à l'Etat et les lois du droit des gens qui
vers entier est un temple pour l'homme itl. in- règlent
r les rapports des nations entre elles
fortuné. dans
d la chrétienté. La connaissance de
lois ces
VII. J< est l'objet de la science du publiciste.
oute introduction d'étrangers qui, par 3° Un code religieux, appelé
leur constitution morale ou physique, peu- corps du droit
,-eu.clcanonique (2) qui comprend les vérités
vent détériorer les moeurs d'une nation, ddogmatiques, loi ou règle de la
ou pensée de
même en altérer la race, doit être LI
r
l'homme dans ce qu'il peut connaître de
rée dans d'étroites limites, si elle
ier.
resser-
peut
ne eut Dieu et des personnes divines les vérités
être entièrement empêchée. De là venaient de
ent d' culte et dé discipline, règle des rapports
les difficultés que les- gouvernements des
d( hommes entre eux à
appor-
l0r. cause de Dieu. La
taient à l'admission des races d'une couleur cc connaissance de ces lois est l'objet de la
différente de la couleur européenne eur science se du théologien.
de religions ennemies de la religion chré- ou
ré- IL
tienne. On voit, en comparant
ces diverses lois,
que
qt les lois dogmatiques, les lois domesti-
CHAPITRE XVIII. tiques,lesloispolitiquesfixeutlaconstitution
tic
DES CODES DES LOIS OU CORPS DE du
du pouvoir, et que les lois de discipline,
DROIT. les
lois
Io: civiles et les lois du droit
des gens rè-
1. glent
§l<
1514 J'exercice des devoirs (3).
II résulte de tout ce qu'on vient de dire,
que toute la législation est renfermée dans
re» III.
ins Ainsi les lois du droit des
aux trois états de société.
trois codes de lois, ou corps de droit, relatifs

(1 ) II faut craindre plus qu'il


ifs nations
na
mj
milles (4).
ce que les lois
gens sont aux
civiles sont aux fa-

1 afflnence des étrangers ne rant la désirer


rer ( 3) Les lois domestiques et les lois
en France. Tout esprit m-
tional, première défense d'un Etat, per/par Ce
contact des moeurs étrangères, et cesesont les An-
la-
ce
&CÏ
plupart.
France, n'étaient pas écrites politi-
nles Les lois domestiques
m, pour la
écrites
glais voyageurs autant que les Français mî les [mœUr5' l6S lois Poliii<l«es non écrites s'appellent
armés quilui des usages, des non s'appellent
ont perdu la Su.sse. Le dirai-je ? il y a des choses coutumes. Dieu parle à la
en Europe qui périssent par leurs propre excès, ;es mu famille, il écrit pour le premier
m>erfc ZT
~s, etet les lois domestiques deviennent des lois publi- peuple,
comme la philosophie, les Spectacles, le
peu -être, et ce cosmopolite, qui rendait les
commet
1

que lorsque la famille devient l'Etat. Le même


ce ques,
de l'univers étrangers à toute religion à citoyens
«• ord
ordre de choses se renouvelle
et toute te peu naissants n'ont rien d'écrit
pa- peuples sous nos yeux; les
trie, n'a-t-il pas influé sur des déments sur la société do-
résultat sera d'isoler les peuples les dont le mesmestique, ni sur la société publique.
Ne voyons-nous pas déjà les e
uns des autres?» qu'ils
au'l avancent, ils écrivent, leurs lois A mesure
gouvernements se plus
montrer plus difficiles sur l'admission plus tard ils écrivent jusqu'aux lois politiques;
gtre, et la qualité seule de voyageur soumettre e IL
des étran- ou ou aux moeurs. C'est là que nous
re Ainsi le vieillard ne se raPPel|eràit rien,
domestiques
en sommes.
partout un homme à des formalités rigoureuses? s'il n'é-
L'Europe revient, sans s'e" douter' à beaucoup crna
criv tout. Malheur peut-être à une nation ôbii-
vieilles idées dont le temps démontré la de
de gée
gée ri écrire et de faire des lois même de ses mœurs»
ùdroit
Nous croyons mal à propos a justesse.
•s ] Il faut ",ou,8 arrêter
nos pères peu habiles droit.
droi, Droit un moment sur le mot
à gouverner les hommes, qu'ils s'entendaient es vient de dm gère, direclum,
et désigne
beaucoup moins bien queparce à administrer 's une
les une rectitude absolue. Eu hébreu, droit et
choses. Nous nous trompons, nous il sont synonymes, sans doute parce que la coutume
et les gouvernements ts était
était droite et bonne. Mais coutume
modernes ont perdu toute connaissance
qu.valent du mot latin jus, qui vient de fait l'é.
jïjasasB!
des hom-
mes par une attention exclusive sur les choses »-
( 2) Ce mot droit canonique a
souvent un sens
règle, « convient t
.s
S
«uiv

par le mot jussiorr. Les


nous

anciens
en avons
£r.maild?r: et qui eût été beaucoup mieux jubere,
!h rendu
ne connaissaient
par excellence à la religion. it quedes conzrraandemencs ou des volontés
que
arbitrai-
res de 1 homme. Les modernes ne doivent connai-
IV.
TV des gens, lois de la religion et de la morale;
ae!
morale

la paix lois
loi criminelles dans la famille, dans l'Etat,
Les lois civiles sont les règles de d«
dans la religion, forment la société en géné-
les hommes; les
que la société met entre la rai ou l'ordre moral de l'univers.
ral,
lois criminelles sont les règles de guerre
le pouvoir déclare aux ennemis de l'or-
que
dre social. CHAPITRE XIX.
V. l'ÉTAT,
ACCORD DE LA RELIGION ET DE
Les lois criminelles sont domestiques I.
politiques, religieuses, comme la société;
elles ont un effet passager ou irrévocable, La religion est la raison de toute société,
le délit. puisque
pu hors d'elle on ne peut trouver la
comme d'aucuns devoirs.
VI. raison
ra d'aucun pouvoir, ni
in- La
Le religion est donc la constitution fonda-
Les châtiments que le père de
famille
légères, mentale
m de tout état de société,
flige à ses enfants pour des fautes
do- II.
sont les peines passagères de la société de
mestique l'exhérédation, et autrefois la La société civile est donc composée
malédiction en sont les peines irrévoca- religion re et d'Etat, comme l'homme raison-
bles (1). nable
n« est composé d'intelligence et d'or-
VII ganes.
&
inflige suivant la III.
La société politique
gravité et l'espèce des délits, des peines pas- L'homme est une intelligence qui doit
sagères, afflictives ou pécuniaires, telles que fa faire servir ses organes à la fin de son bon-
prison, l'exil l'exposition l'amende et heur h, et de sa perfection. La société civilisée
la
des peines irrévocables, afflictives et pécu- n'est n autre chose que la religion qui fait ser-
perfection et au
niaires telles que la peine de mort et la vir T la société politique à la
confiscation. bbonheur du genre humain.
VIII. IV.
Il y a dans la société religieuse, suivant Si la constitution du pouvoir politique a
la gravité et l'espèce des délits, des peines sa s raison dans la religion,
qui nous la re-
passagères, appelées satisfactions, péniten- flprésentep comme le ministre de la Divinité,
irrévocables, qui[ minister Dei in bonum, l'administration po-
ces, censures, et des peines
sont les peines de l'autre vie, connues chez'• rlitique a sa règle dans la morale.
tous les peuples (2). V.
IX. Ainsi la société la plus parfaite est celle
Ainsi rapports des individus entre euxc où £ la constitution est la plus religieuse, et
dans la famille, des familles entre elles dans3 1l'administration la plus morale.
la nation, des nations entre elles dans le VI.
monde, des hommes, des familles, des na-
tions entre elles, du genre humain tout en- La religion doit donc constituer l'Etat, et
la nature des choses que l'Etat
tier avec Dieu dans la religion lois domes- il est contrereligion
la
tiques et civiles, lois publiques et du droitt constitue
(3).

maudire, et la société politique ne lui permet plus


tre que des règles, ou lois naturelles de l'ordre. Et
it 1 ordre
voilà pourquoi les uns disaient jus, et les autres i-di- la peine de mort. Mais tout crime contremaledic»
toujours le domestique, qui eût encouru autrefois la
sent droit ou règle; car le jus n'est pas n'était puni par le.pou-
tion paternelle, serait aujourd'hui religion,
droit, et le jus belli, chez les anciens, pas
is
assurément le droit naturel de l'état de guerre î-
en- voir public du dernier supplice. La comme
volontés hu- les peines.
on voit, a adoucipourquoi
tre les hommes. C'est parce que les i-
( 2) On voit toutes les lois criminelles
maines doivent être conformes aux volontés divi- i-
la plus juste
te de la famille, de l'Etat, de la religion, sont ébran-
nes, que le mot ordre dans la langue lées à la fois, et pourquoi, dans le même temps
de l'Europe, exprime également les deux idées, et abolir la
du général, et les qu'on nie l'éternité de peines, on veutfamille
que l'on dit l'ordre ou les ordresi", 5, a fait
es
peine de mort, et introduire dans la une
lois de l'ordre. Burlamaqui, p. .cl». une
îe France
observation à peu près semblable sur le mot jus.
s. éducation sans vigueur. Les lois rendues en
Jura, selon Festus, se disait autrefois jusa ou
lu pendant la révolution ne permettaient pas au père
de déshériter son ftls.
jussa.
H) La religion chrétienne repousse du cœur ir (3) faut laisser dire les esprits superficiels
11
enneuv
CI des lèvres du père de famille le terrible droit de
le et les publicistes anglicans le plus grand
VIL blique, sont, non égales, mais semblables
Mais afin que l'Etat soit constitué par la dans leur constitution, ou dans le nombre
religion, il est nécessaire qu'il en règle les
es et le rapport des personnes; semblables
ministres, dont les passions pourraient alté-é- dans leur gouvernement, qui est la direction
rer la religion, et ébranler ainsi la constitu-
J- des personnes et l'administration des pro-
tion de l'Etat. priétés, pour l'utilité commune semblables
VIII. dans leur principe, qui est la raison dans
Ainsi l'Etat doit obéir à la religion et les
3S
leur moyen, qui est l'ordre; dans leur fin
ministres de la religion doivent obéir à l'E-î- qui est le bien, alpha et oméga des êtres
tat dans tout ce qu'il ordonne de conforme le mais elles sont différentes d'étendue et telles
aux lois de la religion, et la religion elle-3- que des cercles concentriques,' qui ont Je
même n'ordonne rien que de conforme aux même nombre de parties, et également dis-
x
meilleures lois de l'Etat. posées, et qui ne diffèrent que de grandeur;
IX. elles ont toutes le pouvoir au centre, lé su-
jet à la circonférence, le ministre, sembla-
Par cet ordre de relations, la religion dé-
ble au rayon qui joint le centre à cha-
fend le pouvoir de l'Etat, et l'Etat défend le6
pouvoir de la religion (1). que point de la circonférence, placé entre
le pouvoir et le sujet, pour lier la volonté
de l'un à l'obéissance de l'autre. Telles sont
CHAPITRE XX. les lois générales de toute société, et les
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES, harmonies du monde moral. Tout y est
Société domestique ou famille, société pu- vrai dans les principes, tout y est réel dans
blique ou Etat, société universelle ou reli- les personnes. Les lois n'y sont pas écrites
gion chrétienne, à la fois domestique et pu-
au fond du cœur des hommes, comme le veu-
du pouvoir politique du roi d'Angleterre est sa su- vriront en histoire et en politique. On est confondu,
prématie religieuse, parce qu'il n'y pas dans lorsqu'on pense aux livres qu'il faut refaire, surtout
Etat de moyen de destruction plus aefficace unn
qu'unee
institution contre nature. en histoire, et même en histoire de France, où
( 1 ) La religion n'abandonnejamais la première nous n'avons presque que Daniel, et Hénault qui
rend au P. Daniel la justice qu'on a refusée à la
l'Etat mais si elle en est abandonnée, elle laissee robe du Jésuite. L'Europe depuis longtemps fait
périr le gouvernement assez insensé pour la regar-e fausse route, et malheur aux gouvernements que
der, non pas comme la souveraine nécessaire la révolution n'aura pas remis dans le bon chemin
même comme une alliée utile, mais comme oui il est vrai que tout le mal fait depuis un siècle ne
ennemie cachée, un maj inévitable, qu'il faut une cir-
e
peut pas être réparé dans dix ans, comme il y a des
conscrire ainsi que la peste, de peur qu'il ne gagne, maux faits dans l'espace de dix ans qui ne peuvent
ou tolérer, comme les jeux publics et les prosti- pas être réparés dans un siècle mais quand le
tuées, de peur qu'on ne fasse pis. Les Etats oùi pouvoir commence bien le temps achève car le
cette opinion est répandue et mise en pratique neî temps est le premier ministre de tout pouvoir qui
sauraient subsister, et il n'est pas douteux que la veut le bien.
tolérance, pour ne pas dire la protection accordéei Tous les gouvernements anciens donnaient ou
depuis cinquante ans en France à des hommes et à laissaient donner des biens à la religion. Les gou-
des opinions impies, n'ait, même politiquement, i
vernements modernes tendent tous a la dépouiller
été la première cause de ses malheurs. 11 y a des de toute propriété, et à la réduire à l'éiat précaire
i
désordes impunis ailleurs, que la France ne peut et avilissant de mercenaire. De grands désordres,
<
pas se permettre, et elle n'est pas dans le monde dont
( le premier sera l'asservissementde la religion
une société sans conséquence. Si Dieu est le pouvoir fet l'avilissement de la morale, seront la suite de
suprême de la chrétienté, la France est son premier théories où les gouvernements sacrifient tout
(ces
ministre elle a été le grand moyen de la civilisa- £aux systèmes de quelques beaux esprits, et à l'avi-
tion en Europe, et elle peut encore y rétablir les cdité de quelques courtisans. La religion
vraies maximes. On a toujours devant est un
les yeux rempart
r que les gouvernements en Europe cherchent
quelques entreprises surannées de la cour de Rome, àà abattre, parce qu'il borne l'envie qu'ils ont de
et 1 on ne sait pas que les progrès, la force, la ci- s'étendre.
s Quand ils l'auront renversé ils seront
vilisation l'existence même des Etats de l'Europe étonnés de trouver au delà l'abîme sans fond
t
tout
est due à l'intervention perpétuelle de la cour de dde la souveraineté populaire qu'il leur cachait. Ils
Rome, et même à ses écarts, et qu'elle été la voudront le relever il ne sera plus temps. Hélas
mère qui a allaité, élevé et souvent corrigéa ses v
serait-ce des'peuples qu'il faudrait entendre cette
fants à demi [sauvages. Quand on écrira l'histoire en- s
pparole terrible de saint Paul, qu'on ne peut à la
avec cette pensée, au lieu de se traîner sur les pas lettre entendre de l'homme Il est impossible, une
i
1<
de nos historiens soi-disant philosophes, qui
sont traînés eux-mêmes sur les pas dé Wiclef et de
Luther, et qui ont rappelé, exagéré, commenté
se
r
fois
/< qu'on a goûté lé don céleste de l'a vérité, et qu'on
l' a rejeté, d'y revenir (Hebr. vi
p chrétien une fois corrompu le serait-il sans
ple
,6); et an peu-
jusqu au dégoût les vices de quelques Papes (a), retour?
on rc
sera étonné des nouveaux points de vue qui s'ou-

(a) Leibnitz, toat luthérien qu'il est,


avance qu'aucun éminemment
él vertueux, savants et polis
trône n'a été occupé par un plus grand nombre d'hommes papal. que le trône
p:
lent t.._i_4 i»t •i
^– l'homme pourrait les
les sophistes, car
méconnaître ou les nier; elles ne sont pas
uniquement confiées à la tradition
l'homme pourrait les oublier mais une fois
car

révélées à l'homme par la parole, moyen uni-


ES DE M. DE BONALD.

hau
r?»<?« Leibnitz,
Enfin,
E

nais
T rt-îK^-îtr» dans ce.
rlono passage d'une
i>O Ï1flçfi?ï£rp

haute philosophie et d'une profonde con-


naissance des principes de l'ordre, passage
qui n'est que l'expression généralisée ou
analytique
ana de celui de Bossuet « La collec-
1264
n 11 fin

que et nécessaire de toutes ses connaissan- tion de tous les esprits constitue la citéde
ces morales, elles sont fixées par l'Ecriture Bie\ et le monde moral dans le monde phy-
Dieu,
pour les nations, et elles deviennent ainsi siqi Rien dans les œuvres de Dieu de plus
sique.
une règle universelle, publique, invariable, sublime
sub et de plus divin C'est la monar-
extérieure une loi qu'en aucun temps et en chit vraiment universelle, et l'Etat le plus
chie
aucun lieu personne ne peut ignorer, ou- par sous le plus parfait des monarques. »
parfait
blier, dissimuler, altérer; et pour me ser- Nous sommes parvenus au terme.de notre
fi
vir des expressions de Bossuet et de Leib- carrière.
car) Nous avons considéré, par les
législation
nitz, deux des plus beaux génies qui aient seu lumières de la raison, la
seules
honoré l'intelligence humaine, différents de générale de l'ordre social nous en avons
gén
nations, divisées peut-être (1) de croyance fait l'application aux lois particulières des
sur certains points, mais se réunissant à sociétés
soc: nous en avons trouvé la raison
proclamer, à défendre les vérités fondamen- dans l'homme et le principe dans Dieu; car
dan
laies de l'ordre social « Pans cette parole de la société, si l'on s'obstine à n'y voir que
Dieu (le Décalogue), » dit Bossuet, « sont les l'homme, n'est qu'un long supplice, un lieu
l'bc
premiers principes du culte de Dieu et de la de confusion et d'horreur; et, certes, ils
société humaine; » et dans sa Politique sacrée, sont conséquents à eux-mêmes les publi-
son
expliquant ces paroles, il fonde sur cinq mo- cistes
cist modernes qui, ne voulant pas ad-
tifs tous les devoirs de la société. « 1° Les mettre
mel Dieu dans la société humaine, la re-
hommes n'ont tous qu'une même fin qui est gardent
gar comme un état contraire à la nature
Dieu: Tu aimeras le Seigneur de tout ton de l'homme, -et celui où il est le plus mal-
cœur, de toute ton âme, etc. 2° Cet amour de heureux
hel et le plus dépravé.
Dieu oblige tous les hommes à s'aimer les Nous
1 ne pouvions parler de Dieu
et de
uns les autres. Dieu est notre père commun, l'homme, sans considérer leurs rapports,
l'h(
et son unité est notre lien. Il est ^naturel dont l'ensemble et l'ordre s'appellent la so-
doi
que celui qui aime Dieu, aime aussi, pour ciél religieuse, rapports qui sont la règle
ciété
l'amour de lui, tout ce qui est fait à son 1 mesure de ceux des hommes entre eux
et la
image. 3° Tous les hommes sont frères en- dai la société politique car les hommes,
dans
fants d'un môme Dieu. Ils naissent tous d'un s'il n'existe pas de Dieu, ne peuvent légiti-
même homme, qui est le père commun, et mement rien les uns sur les. autres, ne se
me
qui porte en lui-même l'image de la paternité doivent rigoureusement rien les uns aux
doi
de Dieu. 4° Chaque homme doit avoir soin autres, et tout devoir cesse entre les êtres,
aut
des. autres hommes; car si nous sommes là où cesse le pouvoir sur tous les êtres.
reli-
tous faits à l'image de Dieu, et également Mais
I en considérant la société, même
ses enfants; si nous sommes tous une même gieuse, semblable en tout à la société poli-
gie
race et un même sang nous devons prendre tique,
tiq et composée de personnes semblables
soin les uns des autres Unicuigue Deus dai leur nombre et dans leurs rapports,
dans
yéri-
mandavit deproximo suo. (Eccli. -xvii, 12.) nous avons dû considérer l'accord des
no
5° Les hommes oht.besoinles uns des autres. tés fondamentales que la religion propose à
Dieu veut que chacun trouve son bien dans> notre
no foi, avec les conceptions les plus gé-
la société c'est pourquoi il a donné aux né
nérales de la raison, cparçe que le temps
hommes divers talents, par cette diversité dei est venu de considérer ainsi la vérité, que
que nos-lu-
dons, le fort a besoin du faible, le grand dut nos erreurs le demandent, et
no
petit, chacun de celui qui paraît te.plus éloi- mières le permettent.» Ici nous avons à
mi
gné de lui, parce que le besoin rapprochei craindre
cm que les mêmes hommes qui ont
tout et rend tout nécessaire. Jésus-Christ, jusqu'à,
jus présent accusé la foi des Chrétiens
en formant son Eglise, en établit les principes? d'être
d'é trop simple et trop crédule, ne l'accu-
sur ce fondement et nous montre quels sontf sent aujourd'hui d'être trop |baute et trop
sei
les principes de la société humaine. » raisonnée. Cette inconséquence ne devraitt
rai
(1) Je dis peut-être, car Leibnitz fait à tout moment les aveux et avance les assertionsles plus
favorables à la doctrine de l'Eglise romaine.
pas surprendre. On nous a contesté la rai- Les hommes exercés à la méditation me
son, lorsque nous n'opposions que la foi pardonneront
] la forme dialectique que j'ai
on nous contestera peut-être la foi, lorsque .suivie
i dans quelques endroits de la pre-
nous opposerons la raison, parce qu'on ne mière i partie. C'est sous cette forme que la
sait pas que pour toute connaissance, même vérité, ou ce que j'ai pris pour elle, s'est
profane, LA FOI précède LA RAISON POUR LA développée
( dans mon esprit, et je l'ai expri-
FORMER, ET QUE LA RAISON SUIT LA FOI POUR mée 1 dans le même ordre, pour la faire
L'AFFERMIR. Il serait temps cependant de mieux i entrer dans l'esprit des autres. Peut-
fa re cesser cette guerre civile, et même iêtre aussi que, me défiant de moi-même,
domestique, entre la foi et la raison, où <car l'homme ne doit jamais accorder à se3
tout pérît, raison et foi, et ce combat opi- jjugements une confiance sans réserve, j'ai
niâtre entre les esprits, qui ne laisse sur le laissé
1 au raisonnement cette forme rigou-
champ de bataille que des morts. ireuse, comme un appui nécessaire à la rai-
C'est parce que la foi commence la raison, £son, ainsi qu'un architecte qui a construit
et que la raison achève la foi, qu'il a paru lune voûte d'un trait hardi, laisse les cintres
de siècle en siècle des écrits solides et lu- pour
I s'assurer contre les accidents. Il me
mineux, dans lesquels les motifs de la foi sserait possible, sans doute, d'écrire d'une
ont été prouvés par la raison de l'autorité, manière
r plus oratoire; mais j'ai toujours
et qu'il en paraîtra à l'avenir où ces motifs pensé
l qu'il ne faut chercher à entraîner le
seront prouvés par l'autorité de la raison et lecteur que lorsque la conviction a aplani
il n_e faut pas regarder cette expression op- 1les voies dans lesquelles on veut le faire
posée en apparence, raison de l'autorité, marcher,l parce qu'alors on l'entraîne à bien
autorité de la raison, comme une vaine an- moins B de frais, et qu'il se précipite de lui-
tithèse, car il est vrai de dire que la seule même
E là où vous voulez le mener. A la vé-
autorité qui ait pouvoir sur l'être raison- rité, r il est beaucoup] d'hommes qui se pi-
nable, est la raison. Ces discussions, il est qquent de raison, et même d'instruction sur
vrai, n'éclairent la raison que des hommes d'autres
d objets, qui ne veulent être ni con-
instruits mais cela suffit pour le bon ordre vaincus
v de certaines vérités, ni entraînée
de la société, parce que l'exempte des gens ddans de certaines voies, et qui prennent le
instruits est la seule raison de ceux qui ne parti
P très-peu raisonnable de nier ce qu'ils
peuvent pas l'être. n'osent
n pas approfondir. Ces personnes ont
Que les analogies que j'ai cru apercevoir Ppu se donner le titre d'esprits forts dans un
entre les idées générales de la raison, et les t(temps où ceux qui voulaient se délivrer
dogmes fondamentaux de la religion, et qu'il d'une règle fâcheuse à l'amour-propre, et
serait aisé de porter plus loin, soient ou ne incommode
ll aux passions, se contentaient de
soient pas justes, toujours est-il certain qu'il qquelque chose qui ressemble à des raison-
y a dans ce genre des vérités à. découvrir, nements
n mais aujourd'hui que ces matières.
parce qu'il y a des erreurs à combattre, et sont S( plus approfondies, et rendues sensibles
qu'il y a des explications à donner, tant Ppar des expériences, le titre de philosophes
qu'il y a des obscurités à dissiper. Que si SI sera à plus haut prix on ne t'obtiendra pas.
les explications que j'ai données ne sont pas en ei répétant les sophismes de J.-J. Rousseau,,
les extravagances d'Helvétius, les logogry-
suffisantes, d'autres iront plus loin, mais, si le
je ne me trompe, en suivant la même route, pl phes du baron d'Holbach, ou les sarcasmes.
et profiterontmême des erreurs de" ceux qui de Voltaire (1). Et les Chrétiens aussi ont.
les auront précédés car rien n'est perdu ét étudié l'homme et son esprit, la société et
pour les progrès de la vérité, et dans la son sc contrat, la nature et son système, et ils.
science des rapports moraux comme dans sa savent sur. quelles voies se trouve la lumière^
celle des rapports numériques, on parvient et et quel est le lieu où habitent les ténèbres. (Job
à des résultats vrais, même par de fausses x: xxxyiii, 19.)
positions.

d
I 11 J.-J.
(1) Rousseau, auteur
J_-J- Rnl1~~('I~tI ~l1t'\I!~ du <<
r~·~r soda1, RI
~lu Contrat
lluibach, auteur du Sys:ème de la nature.
Helvétius, auteur du livre do l'Esprit; le Laron
LÉGISLATION PRIMITIVE.
DEUXIÈME PARTIE.

TRAITÉ DU MINISTÈRE PUBLIC.

AVERTISSEMENT.

Nous avons considéré, dans la première dant une révolution qui occupé trop forte-
partie de cet ouvrage, par les seules lumiè- ment le cœur et l'esprit aux intérêts privés,
res de la raison, la législation fondamentale pour qu'il y reste quelque place aux affec-
de la société, qu'on peut regarder comme la tions publiques; mais si la semence ne reste
cause de son existence. Nous allons traiter pas aux lieux où elle est jetée, elle ne tombe
historiquement, dans cette seconde partie, pas en vain, et va féconder d'autres con-
du moyen nécessaire et naturel de sa conser- trées. Il est vrai cependant que jamais la
vation, ou du ministère pmblie que l'on vérité ne rencontra autant et de si puissants
appelle sacerdocedans l'Eglise, et service ci- obstacles. L'erreur, toujours en sentinelle,
vil et militaire dans l'Etat. fait une garde sévère autour du poste qu'elle
Nous le considérerons en France seule- a surpris. Les gouvernements, occupés ex-
ment, parce que l'histoire en est plus fami- clusiment de connaissances physiques, et
lière à nos lecteurs, et aussi parce que les qui voient plutôt dans les hommes des ma-
ordres ou classes de citoyens dévoués au chines à multiplier que des êtres moraux à
service public avaient retenu en France plus former, traitent certaines vérités avec déri-
que partout ailleurs l'esprit et les devoirs sion, et les renvoient aux peuples couvertes
de leur profession. Mais il ne peut être de leurs mépris. Honteux d'avoir été trom-
question ici que de la France ancienne, pés par des charlatans qu'ils ont accueillis
et l'auteur n'est que l'historien des temps avec tant de faveur, et d'avoir payé des so-
passés, ou, si l'on veut, l'antiquaire qui étu- phistes pour ruiner leur autorité, ils se con-
die les ruines des monuments anciens. tentent aujourd'hui de demeurer neutres
Lorsqu'on traite de la société, du pouvoir entre les ennemis de l'ordre et ses défen-
et de ses fonctions d'une manière aussi gé- seurs, et ils ne savent pas que, s'il est né-
nérale, aussi abstractive des hommes et desi cessaire que le scandale arrive, comme l'a dit
circonstances que je l'ai fait dans mes écrits la suprême raison (et quel plus grand scan-
politiques, on ne peut, sans une extrême dale que les révolutions l), ce ne peut être
injustice, être taxé d'intentions et d'allu- que parce que les grands désordres dans la
sions. Sans doute, il faut dire la vérité; société mettent à découvert les erreurs qui
mais il n'est nécessaire de publier que les la travaillent, et bâtent le développement de
vérités nécessaires ou générales, celles quii la vérité qui l'affermit; car la vérité, tou-
donnent la connaissance des êtres et de leurs> jours ancienne et toujours nouvelle, semée
rapports. Les vérités sur les individus, tou- au commencementdes temps, se développe
jours mêlées d'erreur et de précipitation, et se mûrit tous les jours.
toujours suspectes d'affection, de haine ou Un homme a rempli la première et la plus
d'intérêt, peuvent amuser la malignité dul noble destination de l'être intelligent et rai-
cœur humain; mais les vérités générales, sonnable, lorsqu'il a appliqué son esprit à
certaines et pures comme Dieu même dont connaître la vérité et à la faire connaîtreaux
elles émanent, instruisent les hommes, et autres; c'est aussi une fonction publique, et
redressent leurs actions en éclairant leur une sorte de ministère qu'il ne paye pas trop
volonté. Je n'ignore pas que c'est semer cher de sa fortune, de son repos, et même
avec le vent que de oublier la vérité pen- de sa vie.
TRAITÉ DU MINISTERE PUBLIC.

CHAPITRE PREMIER. L'idolâtrie, chassée du plus grand nom-


bre des familles, vivait encore dans ce gou-
ÉTABLISSEMENT DE L'ÉGLISE ET DE l/ÈTAT.
vernement célèbre, qui, né dans son sein et
La religion chrétienne, en paraissant au soutenu par elle, la défendait de toute la
monde, appela à son berceau des bergers et majesté attachée au nom et à la fortune de
des rois, et leurs hommages, les premiers l'empire romain. La religion chrétienne osa
qu'elle ait reçus, annoncèrent à l'univers attaquer sur son trône ce colosse d'erreur et
qu'elle venait régler les familles et les Etats, de vice la lutte fut terrible et sanglante, et
l'homme privé et l'homme public. dans cette guerre, qui dura depuis Néron
La constitution de la société, même poli- jusqu'à Julien, dignes tous les deux d'être,
que, commença avec la constitution de la l'un le premier et l'autre le dernier de ses
société religieuse, paree que les vrais rap- persécuteurs (1), la religion perdit les
ports des, personnes qui composent la so- plus généreux de ses athlètes; mais plus fé-
ciété humaine (à la fois intellectuelle et conde par la mort de ses enfants, plus forte
physique), furent établis et déclarés. La dans son apparente faiblesse, après trois
souverainté absolue,sur l'univers fut attri- siècles de combats et de victoires, elle triom-
buée à. celui dont la volonté doit dire faite pha enfin sous Constantin, et convoquant à
sur la terre comme aux cieux (Matth. vt, 10) Nicée les chefs de sa milice, elle se fit re-
le pouvoir général dans la société fut donné connaître comme législatrice souveraine de
à celui qui dit de lui-même l'out pouvoir l'univers, en fixant à l'homme ce qu'il devait
m'a été donné au ciel et sur la terre (Matth. croire et ce qu'il devait faire; et elle arbora
XXVIII, 18), et qui appelle les chefs des na- sur les ruines du paganisme son étendard sa-
tions ses premiers ministres pour faire le cré, ce signe dans lequel elle devait vaincre,
bien, minister in bonum; le ministère fut et devant qui tous les rois de la terre de-
consacré par ces paroles, qui conviennent vaient un jour se prosterner.
aux ministres de toute société Que celui Tant que la religion vécut, pour ainsi
qui voudra dire le plus grand d'entre vous ne dire, dans les familles, elle ne subsista que
soit que le ministre des autres, et que celui des libéralités des fidèles, comme e!le sub-
qui voudra être le premier entre les autres siste aujourd'hui en France; et partout où
ne soit que leur serviteur. (Matth. xx, 26,27.) elle n'est pas ou n'est plus de l'Etat, et pour
Enfin, l'état de sujet, qui est l'enfant ou la les mêmes raisons mais à mesure qu'elle
personne faible de la société, fut ennobli par passa de la société domestique dont elle
ces paroles de la vérité éternelle Laissez les avait réglé les mœurs, dans la société publi-
petits s'approcher de moi (Marc. x, 14), parce que et politique dont elle devait changer les
que tout, dans la société, pouvoir et minis- lois, elle devint publique dans l'existence
tres, même politiques, n'est établi que pour de ses ministres et dans l'entretien de son
conduire les hommes le plus près possible culte; je veux dire qu'elle devint proprié-
de la vérité et du bonheur. taire, parce qu'il fallait qu'appelée à vivre au
Les commencementsdu christianisme fu- milieu des hommes et des événements, elle
rent faibles en apparence, comme les com- fût indépendante des uns et des autres.
mencements de tout ce qui est destiné à une La protection divine s'était assez montrée
longue durée. Ses progrès, quoique rapides, dans les progrès du christianisme une fois
furent longtemps obscurs, et ce germe ché- établi, il rentrait dans les lois générales de
tif et imperceptible étendait de profondes l'ordre social, où tout ce qui n'est pas pro-
racines, avant de jeter au loin ces rameaux priétaire du sol est, pour sa subsistance,
qui devaient couvrir la terre de leur om- nécessairement dépendant de l'homme.
bre. Et qu'on ne dise pas avec quelques sec-

( 1 ) Julien l'Apostat fut le dernier persécuteur idolâtre car Valens, qui persécuta après tut les
Catholiques, était arien.
tes qui veulent toujours ramener le chris- rent dans les Gaules, où la religion chré-
tianisme à son berceau, parce qu'elles n'ontt tienne les avait précédés. Leurs moeurs du-
pas la force d'en suivre les progrès, que soni res s'accommodèrent de sa doctrine sévère,
fondateur et ses premiers disciples n'avaientt comme leurs lois monarchiques s'accordè-
pas de propriétés, comme si un être vivantt rent avec sa constitution. Les Francs se fi-
pouvait subsister sans être propriétaire. Ils3 xèrent au milieu des Gaulois et des Romains.
étaient propriétaires de ce qu'on leur don- La religion, qui fait habiter ensemble les lions
.nait pour vivre, comme leurs successeursî et les agneaux (Isa. xi, 6), de trois (1) peuples
sont propriétaires,de ce qu'on leur a donnés ne forma qu'une société. L'Eglise et l'Etat
pour subsister. La seule différence est que< distincts, parce que l'une règle les volontés
les uns avaient une portion dans les fruits, de l'homme et que -l'autre règle ses actions,
et que les autres ont une portion dans le mais semblables, parce qu'ils sont tous deux
fonds. Ainsi Je christianisme à son origine société.seréunirent dans uneconstitutionho-
ressembla à toute société naissante qui quête mogène. L'Eglise avait son chef ou son pou-
une subsistance précaire par la chasse ou la voir, ses ministres, ses fidèles; l'Etat eut
pêche, avant de passer à l'état fixe et assuré ses chefs, ses ministres, ses féaulx ou su-
d'un peuple agricole. jets c'est-à-dire que l'Eglise et l'Etat eurent
Dès que la religion fut établissement pu- chaeun leurs
personnes publiques et leurs
blic, il n'est plus question dans ses annales propriétés publiques, qui formèrent dans
des petites Eglises d'Ephèse, de Tessaloni- l'une et dans l'autre société l'institution du
que ou de Corinthe, mais des grandes Egli- ministère public.
ses des Gaules, de la Germanie, d'Espagne,
de l'Eglise d'Orient et de l'Eglise d'Occident, ^CHAPITRE II.
etc.; et c'est aussi la marche de la politique,
qui ne connaît dans son dernier âge que les CONSTITUTION SEMBLABLEDU MINISTÈRE RELI-
grands Etats, et cette réflexion est applica- GIEUX ET DU MINISTÈRE POLITIQUE.
ble au temps présent. Division de juridiction, hiérarchie dans
La monarchie des Francs avait commencé les fonctions, nature des propriétés,
tout,
dans les forêts de la Germanie; et, comme jusqu'aux dénominations, devint
peu à peu
dans toute société, son chef constitué pour semblable dans le ministère religieux et le
juger et pour combattre, avait des ministres ministère politique.
nécessaires de cette double fonction conser- « Tout, » dit M. de La Curne de Sainte-
vatrice de la société; et Tacite le remarque Palaye, dans ses excellents Mémoires
sur la
expressément. chevalerie, auxquels je renvoie le lecteur,
Ces ministres, qu'il appelle nobiles, comi- « tout confirme l'idée que nos anciens
au-
tés, notables, nobles, compagnons, et plus teurs ont eue de faire un parallèle assez exact
tard convives du prince, n'eurent pas non entre le sacerdoce et la chevalerie. Pres-
plus, tant que la société nefut pas fixée, des que tous les auteurs se réunissent à
recon-
propriétés immobilières affectées à leur pro- naître, dans l'investiture de la chevalerie,
fession. Ils subsistaient aussi de présents les rapports sensibles avec les cérémonies
qu'ils recevaient de leur chef, comme leur employées par l'Eglise dans l'administra-
chef lui-même subsistait de. ceux qu'ils lui tion des sacrements. Les plus anciens pané-
faisaient. C'est encore la même chose dans gyristes de la chevalerie parlent de ses
les peuplades sauvages mais le en-
sauvage, gagements, comme de ceux dé l'ordre mo-
peuple a son premier âge, n'a d'autres ri-,m nastique et du sacerdoce. Le privilège atta-
chesses que les prod actions du sol et les ché à l'habillement ecclésiastique était éga-
Germains, plus avancés d'un- degré dans la lement affecté à l'habillement du cheva-
civilisation, et qui connaissaient déjà les arts, lier, et pour qu'il ne manquât rien au paral-
et après eux les Francs, même sous la se- lèle entre les deux états de clergie et de che-
conde race de nus rois, donnaient et rece- valerie, nos anciens auteurs voulaient éten-
vaient des productions de l'industrie, des dre sur les chevaliers l'obligation du céli-
armes, des chevaux, des vases précieux.
Ce fut avec ces lois, ou plutôt avec ces
bat. » •
L'Eglise était divisée en métropoles, en
coutumes politiques, que les Francs entrè- diocèses, en paroisses l'Etat en gouverne-

(I) Les évoques étaient des Romains, et les officiers politiques furent des Francs
ments ou duchés, districts ou comtés (de- 3- les dépenses militaires aient cessé d'être ac-
puis bailliages ou sénéchaussées), en fiefs.
s. quittées par cette énorme quantité de fiefs
L'une avait ses ministres gouvernés par un in fondés en France, en faveur d'un corps na-
chef, vicaire de Jésus-Christ, pouvoir su- la- tional militaire qui n'existe plus. On ne me
prême de la religion; l'autre, ses nobles es fera jamais accroire que cette manière d'as-
commandés par un chef appelé maire du pa- a- surer LES DEUX GRANDS services pdblics de
lais, grand sénéchal, enfin connétable, lieu-
i- la société fût plus onéreuse au peuple que
tenant né du pouvoir suprême pour la force, e, l'impôt dont il est presque partout accablé. »
comme le référendaire ou le chancelier le Ce passage extrêmement remarquable est
fut ensuite pour la justice. La religion avait
it textuellement extrait des Observations soin-
ses ordres religieux et politiques, engagés
5s maires sur les biens ecclésiastiques, publiées
par des vœux, chargés, même alors, de l'é- S- en 1789.
ducation publique et du dépôt des connais- s- Les contributions pour la subsistance des
sances sociales; • la politique avait fait ses
;s ministres de la religion et de ceux de l'Etat
ordres militaires et religieux, engagés aussi,i, sont naturelles, sont nécessaires, ce qui fait
et par les mêmes vœux, à défendre la reli- i- qu'elles ont été connues dans toute société
gion contre les infidèles tous les deux ix et à toute époque de la société, et qu'on ne
avaient leurs tribunaux spéciaux et leurs >s peut pas même concevoir une société sans
assemblées générales, conciles, cours plé- ministres, ni des ministres sans moyens as-
nières, parlements, états généraux. Les deuxx sures de subsistance. Ainsi, quelle qu'eût
ministères s'appelaient ordres ou personnes s été l'origine des biens de l'ordre ecclésias--
ordonnées pour une fonction qui demande e tique et de ceux de l'ordre politique, origine
subordinationdans les volontés et hiérarchiee sur laquelle des écrivains prétendus phi-
dans les grades. Ils s'appelaient tous less losophes, ont débité tant d'inepties
ou tant
deux milice ou personnes dévouées, de mee d'impostures, ces biens donnés ou acquis
lito, je me dévoue, qui, par le changement It mais non usurpés, avaient été réglés par
d'e en i, commun à toutes les'langues, mêmee l'autorité publique à mesure
que la société
vivantes, a fait milito, je combats (1). s'était constituée, et ils étaient devenus éta-
t
La nature des propriétés était absolument blissement public, nécessaire pour perpé-
la mêmé, et elles portaient le même nom. tuer le corps ecclésiastique ou les familles
Le ministère de la religion possédait dess nobles. Les progrès de la civilisation com-
dîmes et des fonds de terre; le ministèree mencèrent en Europe avec l'état fixe et
pro-
politique possédait des fonds de terre et dess priétaire du ministère public, et les désor-
champarts(campipars), dîme ou las que (2), dres de l'état sauvage y ont recommencé
rentes ou censives, etc., c'est-à-dire unes lorsque le ministère public y est devenu
contribution en nature de denrées. Les3 amovible et salarié.
propriétés1 de l'un et' de l'autre s'appelaient
également bénéfices ou biens employés à
ti dans
Tout était
la
parfaitement
donc
destination et dans
sociale
semblable (3)
la consti-
faire le bien de la société. Les propriétés de tution extérieure des deux ordres, dont l'un
3
l'ordre ecclésiastique ont retenu le nom de devait juger la doctrine et combattre les vi-
bénéfices, celles de la noblesse ou de l'ordre ces, et l'autre juger les actions et punir les
s
politique ont pris le nom de fiefs. Ecoutons crimes. Et si la raison et l'histoire ne nous
Sieyes « Plus je réfléchis à cette alternative> disaient pas qu'ils sont parfaitement sem-
(de doter le clergé en propriétés, blables entre eux, leurs malheurs communs
ou de le
salarier en argent), et moins je peux trouver et la haine désespérée dont ils ont été à la
mauvais que le service ecclésiastique ait fois l'objet suffiraient pour nous l'apprendre.
continué d'être à la charge des terres cédées Ainsi selon la remarque de l'auteur des
au clergé, et même j'oserai regretter
que Etudes de la nature, l'Etat partout s'élevait

(i) Cette identité s'étend jusqu'au pouvoir


fisquf au lieu de fixe, et sesque au lieu de sexe.
même des sociétés. Les rois, dans l'Ecriture
appelés Christ, et Jésus-Christ est appelé roi;sont dres (3]] Cette correspondance édite lies deux .-or-t
jusqu'au nom de fils de l'homme, qui est spéciale- et était telle, que dans ia suite le grade de doc-
teur était le grade pair de celui de chevalier, et que
ment réservé à Jésus-Christ, l'Eglise, dans sa li- l'hermine était la décoration distinctive de l'un et
turgie, le donne aux rois, et super filium hontinis de
l'autre. Licence répondait à écuyer,ei bachelier
quem confirmasti lihi.
( 2 ) Tasque est le mot taxe, défiguré ne veut dire que bas chevalier. Cette partie est évi-
par le peu- dente dans les compositions
pie, (lui dit lasque au lieu de taxe, pour le meurtre; éta-
comme il dit blies dans les premiers temps.
*276
i275 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.

».M vp»ii.«.
l'Eglise, Hnninn à côté du clocher, le
le donjon
1A
droit
d de subsistance sur le fonds double
avec attribut du ministère public; car il ne faut
seigneur ou le magistrat à côté du prêtre, et a
étaient tous, dans
dans cette double institution, qui réglait les p oublier que les nobles
pas
leur institution naturelle et particulière-
volontés et les actions religieuses et fidèles, li
guerriers
les volontés et les actions civiles du féal ou ment
n en France, magistrats et
(2). On interdisait aux nobles coupables
du sujet, était le moyen de tout ordre public
(i
d quelque crime les fonctions
de judiciaires
et de toute perfection sociale, qui consiste militaire neque in palatio
dans ces deux mots Gloire à Dieu et paix ccomme le service
licen-
bon- militiam, neque agendarum causarum
aux hommes dont les volontés sont r,
tiam habeant. « Les premiers siècles de la
nes (Luc. n, Ht)
c'est-à-dire qui prennent t
monarchie virent les grands seigneurs les
l'ordre général pour unique règle de leurs r
destinés à défendre également
volontés particulières. courtisans,
(
par
1 les armes le droit de la nation, et
CHAPITRE M. jpar
1 leur éloquence le droit des particuliers
(3).
( »
ALTERATION DANS LES ORDRES CHARGES DU MI- La vie commune convenait aux fonctions
NISTÈRE PUBLIC. religieuses
j
des ministres de la religion, car
des soins
A côté de la nature, qui édifie avec ses en rejetant sur le corps l'embarras
domestiques elle laissait à l'individu plus
lois, l'homme, agent libre d'un ordre néces-
de liberté d'esprit et de corps pour remplir
saire. détruit ou plutôt contrarie avec ses
passions. les devoirs publics. Elle mettait dans un ac-
cord parfait les leçons de la religion et les
Les ministres de la religion vivaient en
exemples de ses ministres, et elle montrait
France, dans les premiers temps beaucoup des hommes personriellement détachés de
plus que de nos jours, en communautés sé-
culières ou régulières, véritables familles toute propriété à des hommes en qui il fal-
religieuses, dont l'évêque ou tout autre su-
lait, pour l'intérêt de la société, modérer
l'excessif attachement aux richesses, source
périeur était le. père et là même où il ne féconde d'injustices et de forfaits.
pouvait y avoir-communauté de résidence
dans* tout un D'un autre côté, la vie isolée et champé-
pour les personnes comme tre convenait aux fonctions du ministre po-
diocèse, il y avait administration commune litique, qu'elle plaçait au milieu de ceux
de biens ecclésiastiques comme l'observe dont il devait être le juge, le défenseur et
l'abbé Fleury. La vie commune existe en- le modèle. Elle exerçait, ses forces par le
core dans les monastères et les
lieux régu-
goût de la chasse et la pratique de l'agricul-
liers les cloîtres ou chapitres, antiques de-
ture. Elle fortifiait son âme par l'habitude
meures des chanoines, dont on retrouve d'une vie simple et uniforme, qui amortit
dans toute l'Europe le nom et les vestiges spectacle
cathédrales, les- passions en en éloignant le
autour de toutes les anciennes contagieux, et dispose l'homme à remplir
attestent la vie jadis commune des prêtres,i ses devoirs en-
même séculiers; et l'on peut remarquer à avec courage et dévouement
Paris, auprès de plusieurs paroisses, uni vers la société.
Mais dans la lutte éternelle de l'homme
quartier appelé. la rue des Prdtres, preuvee privé et personnel contre l'homme public
d'une ancienne communauté d'habitation.
Pendant longtemps, les nobles (sauf ceuxs de l'homme de soi contre l'homme des au-
retenaientit tres, des passions enfin contre la raison, la
que des fonctions particulièresexerçaient dess fureur des jouissances, quand l'autorité ne
dans les villes, où les Francs
emplois civils et ecclésiastiques) (1 ), vé- sait plus la contenir, ne tarde pas à l'em-
curent à la campagne et sur leurs terres. IlII porter sur le sentiment des devoirs.
re- La vie commune parut au ministre de la
y avait peu de villages, dans ces temps religion austère et gênante, comme plus
culés, qui ne fussent la résidence d'un sei-
public ayant
lt tard la vie champêtreparut aux nobles triste
gneur, c'est-à-dire d'un. homme et ennuyeuse car j'observe ici la
marche
devoir de juridiction sur les personnes, et ;t

(2) Vou. l'ouvrage du Pouvoir législatif sous

cités..
(i) Francs, dit Agatnias, voit kapenl magislratus is
urbibm l'on par les plus an- Charlemagne, par M. Bonnaire de Pronville. mi-
et sacerdotes, et primé à Brunswick, 1800, et les Mémoires sur lu
in ri-
ciennes lois que le comte présidait les échevins ou
,u
allemand), conseil-
1- Chevalerie, déjà
rachiiiibourgs (rath im bttrg en (3) Mémoires sitr l'ancienne Chevalerie,
lers de la ville.
des passions plus que je ne consulte la date naturel de tous les établissements religieux
des événements. Les grands changements et politiques, consentit à ces arrangements,
qui arrivent, en bien comme en mal dans ou même les favorisa il s'occupa du bien-
les institutions sociales, n'ont jamais de être de chacun, plutôt que de l'intérêt de
date certaine ils existent déjà quand les tous. 11 ne vit pas qu'en fait de devoirs, il
hommes les déclarent, et même les hommes n'y a jamais de motif pour épargner de la
ne les déclarent et ne les sanctionnent par peine à l'homme, et qu'il y en a toujours
leurs lois que parce qu'ils existent depuis
pour lui en donner, parce que l'accomplis-
longtemps. C'est une vérité importante, sement de tous les devoirs, ou la vertu
aperçue par le président Hénaut dans ses n'est qu'un continuel combat. Les
Observations générales sur l'Histoire de gouver-
nements cherchèrent même à tirer parti de
France.
ces innovations pour accroître leur crédit
Il s'était formé des bourgs et des villes personnel, en conférant les bénéfices comme
autour des monastères et des chapitres. A une faveur à des ecclésiastiques de leur
mesure que la population augmentait, et choix, et quelquefois même à des laïques
qu'il s'élevait de nouvelles habitations on qui les possédèrent comme un patrimoine,
construisait de nouvelles églises pour la et en trafiquèrent comme d'un héritage.
commodité des habitants. Les prêtres des Ce fut une insensible, mais véritable ré-
monastères voisins allaient, les jours consa- volution. Jusque-là le prêtre avait eu sa part
crés au culte religieux, desservir ces cha- de la considération dont jouissait le
pelles éloignées (1) ou bien sans cesser corps
auquel il appartenait, et qui se compose de
d'appartenir à leur communauté, ils y fai- toutes les idées d'antiquité, de perpétuité
saient momentanément leur résidence. Il en de propriété de discipline même et de ré-
était de nos jours à peu près de même en gularité, qui rendent un corps puissant et
Suisse en Allemagne, et partout où les cu- respectable car il ne peut exister de règle
res sont entre les mains des réguliers la que pour les corps, parce que l'autorité qui
nécessitéles y conduisait, le goût les y fixa, l'établit n'a de prise que sur les masses, et de
loin de la surveillance du, supérieur et de là vient qu'on voit des corps politiques si bien
la gène de la vie claustrale. Les supérieurs réglés, composés d'individus qui ne le sont
]
n'aperçurent pas, ou dissimulèrent les in-
3guère. Le prêtre réduit à sa personne, quel-
convénients de ces changements qui les quefois peu digne de considération; à sa
délivraient du soin de surveiller et adou-
cissaient pour eux-mêmes l'austérité de la
j <
1fortune, toujours modique oisif et trop sou-
vent
i intéressé, fit tort au ministère et le
règle toujours plus relâchée dans les mai- ministère
i à la religion qui, abaissée jus-
sons moins nombreuses. Quelquefois même qu'au
( peuple, plutôt que rapprochée de lui,
la maison y,, gagna sous le rapport de l'ad-
jpauvre dans son culte et sans dignité, fut
ministration doses biens puisqu'elle ac- moins publique que populaire, et ne pré-
quit pour de modiqueshonoraires un homme senta plus au peuple ces formes augustes
<
d'affaires résidant sur les lieux, et intéressé
E impusantes qui conviennent à la divinité
et
à la fortune de la communauté, et ce motif de la religion, et soutiennent la faiblesse de
(
fut quelquefois la seule raison de l'établis- jl'homme. Ce fut là une des
causes et un des
sement des cures. Il arriva encore que des effets
« de la dépopulation, et par conséquent
décimateurs, las de la campagne et de leurs
( ladestruction des monastères,«principaux
de
fonctions, payèrent un desservant, en se
imoyens, dit l'abbé Fleury, dont la Provi-
réservant la dime, et donnèrent naissance dence s'est servie pour conserver la reli-
c
aux bénéfices simples. Souvent aussi il se gion
c dans les temps les plus misérables.
forma des paroisses, beaucoup tcup éloi- j Mais
]
»
à cette cause de dégénération, tirée de
gnées des monastères, où le desser-vant ne 1 vie indépendante et isolée de l'homme, il
la
put plus faire sa résidence habituelle et s'en
s joignit une plus puissante, tirée d'un
ainsi, soit nécessité, soit dégoût de la vie 1bouleversement dans les propriétés.
claustrale, les prêtres isolés dans les cam- Le concours de plusieurs causes, dont les
pagnes cessèrent d'appartenir à une maison plus
l actives furent les donations multipliées,
commune. la
1 faiblesse de l'administration, les change-
Le gouvernement, défenseur et gardien ments de la race régnante, les invasions des
r
daisîe SetSteieTinjuSù.teTpf les PrécaUti°"S
mutions aue
que le desservant était nhiîms nwmin
Ha prendre
obligé de
dans le trajet contre les iujllres du, temps.
Normands, les croisades, les guerres des le second canon condamne les laïques qui
prennent les dîmes à leur profit.
rois contre leurs vassaux, avaient fait pas- pi
grand nom- La proportion des richesses, et par con-
ser dans les mains duclergé un exclusive séquent de force qui devait exister entre les
se
bre de fiefs, propriété naturelle et
de l'ordre politique et dans les mains des deux ordres chargés du ministère public sur
d<

nobles des dîmes ecclésiastiques, propriété le même territoire, en fut dérangée. Le


le-
naturelle et exclusive de l'ordre clérical. clergé devint opulent, et la noblesse indi-
el
Les devoirs suivirent naturellement les pro- gente,
g. et il en résulta, dans: l'un, le dégoût
priétés auxquelles ils étaient attachés. Le chez
cl les plus riches de leurs fonctions; dans
l'autre, l'impossibilité aux plus pauvres de
noble nomma à des bénéfices, et quelquefois ]'
les rendit héréditaires dans sa
famille le remplir
r<
les leurs. Ces deux motifs s'a-
prêtre institua dés juges et leva des soldats, perçurent
p bien distinctement dans le remède
et l'autorité politi-
ou même jugeael combattit
lui-même et qque l'autorité religieuse
q cherchèrent,
que presquédans le même es-
l'esprit'de chaque ordre fut altéré en même
temps que les propriétés furent confondues^ pace
p de cent ans, à porter au mal remède,
o plutôt palliatif, qui;
parfaitement sem-
Le clergé acquit aussi des vassaux par ou
l'inféodatiori de ses biens, comme la no^ blable
b dans l'urie et dans l'autre société, ne
blesse acquit des droits de collation en fon- pprouve que.mieux
le lien qui les unit et
l iniitue analogie je veuxpropriétaire parler de
dant des bénéfices mais ces propriétés n'en leur
étaient pas moins abusives en elles-mêmes, l'institution
]' d'une milice non
quelque respectable^ qu'en fût l'origine et dans
d l'Eglise et dans l'Etat, où des religieux
de même que les laïques n'étaient pas com- mendiants
r et des troupes soldées.
pétents pour conférer des droits à des fonc- CHAPITRE ÏYv
tions religieuses, les prêtres ne l'étaient pas
davantage pour instituerdes officiers politi- RELIGIEUX
1Y
MENDIANTS, TROUPES SOLDEES.
ques, parce que les devoirs de la milice spi-
rituelle sont incompatibles avec ceux de la Avant de parler de la révolution faite au
milice séculière Nemo militant Deo, impli- xV siècle dans l'état du ministère public,
eut se negôtiis sœcularibus, dit saint Paul à jje dois, pour faire
è
sentir là différence des
conséquent des institutions,
un évêque (// Tim.ii, &) et le divin fonda- temps, et par
teur de la religion refuse lui-même déjugerj avant et 'après cette époque, placer ici un
dans la société politique, et défend à ses j morceau tiré du Catêchistne universel de
apôtres d'y combattre avec les armes sécu- M. de Saïrit-Lambert, ouvrage que je m'abs-
lièfes. • tiendrai dé caractériser, par égard paiif un
homme vivant, mai qui se ressent autant
Mais le clergé, immortel, sédentaire, n'a- delà caducité iîe ta philosophie que de colle
de rauteur.'Lb lecteur remarquera peut-être
liénant jamais, acquit! beaucoup plus de fiefs,
que la noblesse; bien moins constituée que
que l'époque1 dont parle cet écrivain fut
préciséffiérif celle des innovations; mais il
le clergé (et c'était la faute de l'autorité),
n'acquit de dîmes ecclésiastiques. 11 y avait tdoit observer que l'effet bon ou mauvais
des grands changements n'est sensible qu'au
peu dé grands bénéfices en France et mêmei
Li

ailleurs, qui n'eussent 'des fiefs dans leur bout d'un intervalle dé temps souvent con-
t
dotation; et dû moins en France il y avait sidérable, et que pour une nation en so-
mouvement,
peu de dîmes inféodées dans les provinces3 ciélé, comme pour un corps en
encore, même
du Midi. Cette interversion de propriétés ett l'impulsion donnée subsiste
changée.
de devoirs existait encore en France mais3 après que la direction est dernière évidence
l'abus était senti c'est ce qui faisait que lei Ce qui prouve avec la
innovations faites
clergé vendait de préférence Tes fiefs, lors- les funestes effets des I'époque^ont
qu'il lui était permis d'aliéner de ses pro- d'ans l'Etat et dans TÉgUse, àépoque même*
i
priétés, ou qu'iil y était forcé j comme lors du nous parlons,
est qu'à cette
avec beaucoup de raîso'a
rachat de François F% et qde les tribunauxs « La France, » dit
été le pays où la
civils ne maintenaient les laïques dans laa M. de Saint-Lamberti « a
jouissance des dîmes ecclésiastiques, qu'au- justice a été le mieux
administrée, et dans
le plus l'es-
tant que leur possession remontait à unee lequel les magistrats ont euqu'ils devaient
époque reculée, et qui était, je crois, cellee prit, le caractère,.les mœurs il “
du second concile de Latran, en 1139, dontit avoir. Leur pouvoir n'offensait personne;
la sécurité de tous; il donnait lai
ajoutait à la en soit,
soit, les. Papes favorisèrent l'établisse-
l'Ai«hli«-.
force de situation. Les nobles jouissaientt
meait des religieux mendiants (2), Mais
comme propriétaires protégés par les lois tro.|i" frappés peut-être des abus qu'entral-
leurs droits, et non leur puissance, assu- naient les richesses de l'ancien clergé, ils
raient leur tranquillité. La nation prenaitt ne firent pas assez d'attention aux suites
toutes ces habitudes qui, dans une monar- probables de la pauvreté laquelle le
chie, deviennent des vertus. Dans ces mo- nou-.
veau se condamnait, et en voulant réprimer
ments, les mœurs des Français ont été peut- le luxe, ils ouvrirent la porte à l'avarice,
être comparables aux plus belles mœurs des> qui se nourrit de désirs bien plus que de
nations les plus illustres de l'antiquité5 jouissances. La réforme dans le chef et dans
(beaucoup meilleures-). La religion, tellet ses membres, appelée par tant de conciles,
qu'elle était peu près en France, était eni selon Bossuet, et après laquelle l'Eglise
général soumise aux rois, soumise aux ma- soupirait depuis longtemps, cette réforme,
gistrats (1) et favorable à l'ordre et aux à laquelle la réforme prétendue de Luther
moeurs. Les troubles religieux qui s'élevè-• et de Calvin apporta le plus grand obstacle,
rent forcèrent le gouvernement à suspendres ne pouvait être que la correction des hom-
l'exécution de ses desseins utiles, et à s'op- mes, J'amélioration des institutions, et non
poser aux opinions nouvelles. Ces opinionss l'altération des principes; et des
prirent naissance dans ce siècle où plusieurs corps qui
ne devaient subsister que de dons volon-
Papes eurent des vertus. On ne souffrait pas taires comme dans l'état naissant de société,
beaucoup alors des excès de la papauté, établis tout à coup au milieu d'une société
mais on en craignait le retour; Les maux âgée, où tout, et la religion elle-même, était
étaient diminues, et l'impatience était aug- assis sur la propriété, devaient y produire
mentée. Luther n'était pas un homme de de ta discordance dans les formes, et don-
génie, et il changea le monde. Le livre de ner aux idées une direction nouvelle, et
Calvin parut, et le chrétien de Calvin est peut-être même opposée aux anciennes
nécessairement démocrate. Tous les sec- idées. Aussi lorsqu'on réfléchit aux progrès
taires plus ou moins tendaient à l'indépen- des opinions, et à l'inïluënce lente, mais ir-
dance. ), Je reviens à mon sujet. résistible, qu'elles exercent sur les actions
« Le concile de Latran,» dit F.leu.ry, «avaii humaines, on n'oserait peut-être pas soute-
très-sagement défendu d'instituer de nou- nir que ces maximes de détachement uni-
veaux corps religieux. » Mais la cour de versel de toute propriété, de pauvreté apos-
Rome crut que les maux de l'Eglise et Jes tolique, de perfection évangélique, prêchées,
besoins de la religion demandaient des se- et même pratiquées par les ordres men-
cours extrord inaires, et peut-être aussi que diants à leur naissance que l'indépendance
quelques Papes, irrités des obstaeles que le qu'ils affectèrent plus tard des évêques, et
clergé et les universités avaient opposes à des même la facilité que quelques-uns introdui-
prétentions qui n'avaient jamais été parfai- sirent dans la morale, n'aient pas disposé les
tement éclaircies regardaient comme né- peuples à voir peu apres, avec moins d'é-
cessaire l'institution d'une milice plus dis- tonnement, les prétendus réformateurs, al-
ponible en quelque sorte pour les fonctions liant aussi le rigorisme des formes au relâ-
ecclésiastiques, et plus dévouée à leurs vo- chement des principes, déclamer çontre les
lontés. « 11 eût, ce semble, été plus utile,» richesses ecclésiastiques, le luxe et la mol-
reprend Fleury, «que les évèques etles Pa- lesse du clergé, abolir même l'autorité des
pes se fussènt appliqués sérieusement à ré- évêqueset celle des prêtres, renverser de
former le clergé séculier, sans appeler au j fond
J en comble toute la doctrine de l'Eglise
secours ces troupes étrangères. » Quoi qu'il sur les satisfactions et les indulgences, et se

(1) Et un peu plus que les magistrats n'étaient


soumis à la religion. reurs,
i ou 'même des vices de quelques Papes, et
(2)_-ll faut dire cependant que le Pape Inno- comme des enfants bien nés parlent des torts de
leur
1 père. Depuis un demi-siècle, les écrivains,
cent III faisait difficulté d'approuver le nouvel ins- même
i catholiques, se permettaient sur la- cour de
titut de saint François; mais le cardinal de Saint- Rome
1 ta censure la plus aigre, et souvent la plus
Paul, évêque de Sabine, le détermina par des rai- iinjuste. Il est intéressant de remarquer, dans les
sons qui font honneur à sa piété plus qu'à son ju. relations,
i quelquefois épineuses des parlements
gement. Il demanda au Pape s'il voulait condarn- avec
e les Papes, les égards et le respect que les ma-
ner l'Evangile. Ce n'est, au reste qu'avec les gistrats
s alliaient avec les procédés même sévères.
égards dus à la papauté qu'on peut parler des er- C'est
( ce qu'on ne doit jamais oublier.
vanter.de ramener le christianisme à ses l'esprit.
l'i « Rien n'était plus sage que la sta-
premiers -temps, et les Chrétien* à leur fer- bi bilité des anciens, s» dit Fleury en parlant
veur primitive. Et n'était-ce pas une sem- de dl ce changement continuel de supérieurs.
blable disposition d'esprit qui faisait que le C'est
C l'esprit démocratique de leurs institu-
pieux fondateur des Frères mineurs prenait tions ti qui leur donnait cette tendance habi-
à la lettre, comme l'observe Fleury, ce pas- tuelleti à former dans l'Eglise une hiérarchie
particulière, indépendante de la discipline
sage de l'Evangile « Ne possédez ni or, ni p.
argent, et voyagez sans sac et sans chaus- oi ordinaire,, et à se soustraire à la juridiction
su r-e {Mat th. x, 9, 10),et instituait son or- épiscopale
é| par ces exemptions multipliées
tir-e sur ce modèle et que les fanatiques queq les Papes accordaient à leurs importu-
auteurs de quelques hérésies encore sub- nités, n et contre lesquelles de grands per-
sistant.es prennent à la lettre la défense de sonnages
s< se sont élevés avec tant de force.
saluer en chemin, ou de répondre autre- Mais M ce n'était pas là leur seule discordance
principes
ment que oui ou non, et refusent en consé- nni la plus importante, avec les
constitutifs, de toute société.
quence de prêter serment à la justice, et ci
d'accorder aucune marque extérieure de dé- Le clergé séculier et régulier avait été
ji
férence, même aux hommes revêtus du poti- jusqu'alors propriétaire; et sans propriété,
voir public (1).. point
P d'indépendance des hommes;, sans in-
des hommes, point de minis-
Quoi qu'il en soit, les nouveaux corps re- dépendance
d
ligieux, plus détachés en apparence des tère ti public. Les nouveaux corps religieux,
choses temporelles, parce qu'ils ne possé- qui q vécurent d'aumônes de la part des peu-
daient rien; plus fervents, parce qu'ils étaient ples,
p de dons de la part des rois, de privi-
plus récents; plus studieux, parce qu'ils léges h de la part des Papes, dépendant de
étaient moins distraits par les soins tempo- tout ti le monde, et surtout de leurs besoins,
n trouvaient pas, dans leur constitution,
rels,, tirés d'ailleurs de la classe du peuple, ne
la
acquirent, dans son esprit, une haute répu- force fi nécessaire pour exercer le ministère
talion de sainteté, et surtout de doctrine: avec a une entière liberté, ni peut-être avec
mais leur habit, qui était celui du -bas peu- une t autorité suffisante; car on sait de quelle
pie, leur science petite et.pointilleuse, leurs complaisance,
c pour ne rien dire de plus,
manières d'une popularité qui allait jus- étaient
é accusés certains corps religieux dans
qu'à la bassesse., furent, au moins en France, les 1 fonctions les plus sévères du ministère,
et chez une nation spirituelle et élégante, où c leur extrême facilité avait passé en pro-
la
l'objet des sarcasmes des savants et de la verbe et l'on n'a pas oublié l'origine de
critique des gens du monde. « Les Frères révolte r de Luther, et qu'une dispute sur-
à l'occasion
mineurs, » dit Fleury, s'exerçaient conti- venue entre des corps pauvres,
nuellement aux disputes scolastiques. On des c
distributions lucratives, avait été l'étin-
traitait tous les jours de nouvelles questions, celle
( qui produisit ce long et funeste embra-
et on y employait toute la chicane et toutes sement.
s Mais aussi accourut au secours de
1 religion et de la vie monastique, « tom-
les subtilités possibles. » « Ce fut dans la
» dit Fleury, « dans un grand mépris
ce temps, » dit Leibnitz, que son luthé- bée, 1

ranisme très-équivoque ne'doit pas rendre depuis l'introduction des mendiants, » cette
mendiants n'â-
suspect, même dans cette matière, « que milice, dont les religieux
l'ébauche et comme la pre-
tous tes bons écrivains disparurent, les re- vaie.nt été que devenu néces-
ligieux mendiants tirant tout à eux; en mière épreuve; ce renfort
où l'Eglise, attaquée avec
sorte que le droit civil et canonique et toutesî saire à l'instant esprits et des
les subtilités de l'école devinrent presque i fureur au dedans par de beaux
l'unique objet de toutes les études. » savants, au dehors par des princes, obligée
Ces nouveaux corps ne furent pas noni de se
défendre contre ses propres enfants,
monde récemment dé-
plus assez en harmonie avec les principess avait, dans un autre combattre,
monarchiques de la religion et de l'Etat, couvert, de nouveaux ennemis à
à conquérir. On voit
à cause des éléments démocratiques dontt de nouveaux Etats
l'ordre des Jé-
leurs élections perpétuelles et leurs autori- assez que je veux parler de
tés triennales, objet éternel d'ambition et dee suites, institution la
plus parfaite qu'ait pro-
christianisme, née pour le
brigues, présentaient les formes et recélaientt duite l'esprit du
produisit dans l'ordre des Frères mineurs la quest:on
deiaproprieié..
(1) On connait les célèbres divisions que
combat, et cependant propre à la paix, cons- tentions indiscrètes
de la cour de Rome;
tituée pour tous les temps, tous- les lieux et
car, » dit Fleury, « ce furent les Frères
teus les emplois corps puissant et riche, où «mendiants qui poussèrent aux plus grands
le particulier était pauvre et soumis, consi- excès les
prétentions de l'autorité des Papes
déré des grands et respecté des peuples, ( 1 ). De même les
réunissant à un égal degré l'esprit et la pendantes » troupes soldées, dé-
de ceux qui payaient, avaient mis
piété, la politesse et l'austérité, la dignité et
un principe démocratique dans l'Etat; prêtes
la modestie, la science, de Dieu et celle des à servir,
suivant le temps et les occurrences,
hommes. Je passe au ministère politique. les faiblesses du peuple et les abus du pou-
Les guerres intestines et les expéditions voir. Une armée de soldats
d'outre-mer avaient porté un coup mortel à armé, véritable démocratie est un peuple
l'ordre politique. Les families qui avaient militaire, ob-
serve Montesquieu, en parlant de l'empire
survécu s'étaient enrichies de l'héritage des romain, l'empereur n'était qu'un premier
ou
familles éteintes; d'autres s'étaient appau- magistrat toujours amovible.
vries par le pillage et la dévastation de leurs dit Robertson dans « Charles VII, »

biens. L'égalité entre les familles du même toire de Charles-Quint, son Introduction à i'Jïw-
ordre en fut altérée, ou les inégalités s'ac- mière armée-sur pied qu'on en établissant la pre-
eût connue en
crurent. Les plus pauvres vendirent leurs Europe, prépara une révolution importante
fiefs, comme plus anciennement elles les dans les affaires
et la politique des peuples
avaient donnés au clergé, et l'ordre poli- divers. Il ôta
aux nobles la direction de la
tique s'affaiblit par l'extinction des famille?, force militaire de l'Etat.
»
et plus encore par l'aliénation ou l'aggloiné^ Je n'ai pas besoin d'avertir que je ne parle
ration des fiefs. ici que des corps en général, et non du par-
Cet affaiblissementde l'ordre politique, la ticulier. Les troupes soldées
ont produit de
nécessité de repousser les Anglais, qui, les grands capitaines, et les religieux mendiants
premiers en Europe, avaient placé la force des hommes distingués leur science et
de leurs armées dans les troupes soldées; leurs vertus. Les pieuxpar fondateurs de ces
Ja fureur des conquêtes en Italie, qui saisit ordres convenaient
même par leur simpli-
nos rois à cette époque déterminèrent cité aux siècles où ils parurent, et, comme
Charles VU à faire un établissement fixe de l'observe Machiavel, l'exemple do leurs
ver-
ce qui n'avait été jusqu'à lui qu'une levée tus ranima la dévotion et la foi languis-
accidentelle et passagère. Les troupes sol- santes. Ils étendirent l'Eglise des mis-
dées n'avaient été jusqu'alors que la partie sions, et les troupes soldéespar agrandi
ont
la moins nombreuse et la moins estimée des l'Etat
par des conquêtes. Mais ces institu-
armées françaises; elles en devinrent la tions, trop dépendantes du peuple qui donne
force et la partie principale différence im- et du peuple qui
paye, ue sont pas assez
portante, qui, dans une nation monarchique, liées à la constitution d'une société, où tout
place la force de l'Etat dans l'infanterie qui doit reposer
sur la base immuable de la
a toujours fait la force des Etats populaires propriété foncière; et c'est tout ce que j'exa-
ou despotiques; armé j plussoumise que fi- mine ici. Aussi depuis longtemps des symp-
dèle, plus propre à l'agression qu'à Ja dé- tômes non équivoques indiquaient
un prin-
fense (et c'est aussi l'esprit de la démocra- cipe de maladie dans cette partie du
corps
tie), et qui, plus.portée au mécontentement social. Il s'était élevé même dans l'Eglise
que la cavalerie, par la nature de sa compo- des plaintes contre l'excessive multiplication
sition, ou parce que l'homme y est moins des ordres religieux, et plus récemment des
occupé, a partout été, et même en France, écrivains politiques avaient fait sentir le
le premier et le plus puissant instrument danger de l'accroissement démesuré des
de révolutions. Les religieux mendiants, dé- troupes soldées danger extrême, toujours
pendant de ceux qui donnaient, avaient mis imminent dans les Etats idolâtres, maho-
un principe démocratique dans l'Eglise, et naétans et philosophiques, et dont quelques
condescendu trop souvent aux faiblesses autres Etats ne sont préservés,
que par la
des fidèles, ou quelquefois appuyé les pré- force de la religion chrétienne, et les prin-
(1) Le Pape a une autorité ordinaire pour les temps ordinaires, c'est-à-dire une autorité inutile,
temps ordinaires, une autorité extraordinaire pour et dont l'Eglise n'a pas actuellement besoin; de mê-
les temps extraordinaires.Et la doctrine des parti- me que les partisans fougueux des maximes galli-
sans outrés des maximes italiennes consiste à lui canes laissent à peine au Pape une autorité ordi-
attribuer une autorité extraordinaire pour les naire même pour les temps extraordinaires.
cipes de fidélité dont elle fait un devoir. CHAPITRE V
Les-ordres religieux non -propriétaires ont RÉVOLUTION DANS LE MINISTÈRE POLITIQUE
rendu de grands services à la chrétienté, en
arrêtant dans quelques contrée* les progrès Les causes de dégénération avaient agi sur
du luthéranisme; mais aujourd'hui qu'un l'ordre politique avec beaucoup plus d'in-
ennemi plus dangereux, la philosophie mo- tensité que sur l'ordre ecclésiastique, et cela
devait être, parce que l'ordre laïque ou po-
derne, attaque les principes conservateurs
litique vivait beaucoup plus au milieu des
des sociétés,, il faut à l'Europe une milice
plus régulière et des défenseurs mieux ar- hommes et des événements.
La noblesse devait suivre les variations
més. Certains ordres religieux subiront
du pouvoir, et participer de sa nature, com-
donc une réforme, soit que la force des cho-
me les moyens participent de la nature de
ses l'amène peu à peu et sans désordre à la cause, et se modifient comme elle et
mesure du besoin, et en remplaçant des
étais vieillis par des appuis nouveaux, soit avec elle. Lorsque les derniers rois des deux
premières races, ces rois que l'histoire a
que l'homme, rival imprudent de la nature, flétris du nom de fainéants, juvenis qui ni-
dans son opération violente, intempestive,
Ml fecit, livrés à la mollesse et aux plaisirs,
détruise avec fracas, et servant, sans le vou-
.oir, les desseins des impies, et peut-être eurent abandonné les rênes du gouverne-
ment, la noblesse, plus près du trône, s'en
.es projets de voisins ambitieux, ébranle sàisit,-comme en 1789 le peuple s'en est
la foi des peuples, altère leur fidélité, leur saisi à défaut de la noblesse; et alors s'éle-
rende les abus plus chers, et le bien même
vèrent de toutes parts des souverains sous
odieux. Les gouvernements d'Europe réfor-
le titre de ducs et de comtes, comme il s'en
ment tout chez eux hors eux-mêmes;
il faut beaucoup de religion, et de reli- est élevé dans là révolution sous celui de
députés et de commissaires. C'est un axiome
gion très-éclairée, dans les princes, pour
de la science sociale, que là où le pouvoir
entreprendre des réformes dans la reli-
général s'affaiblit ou périt, chacun veut éta-
gion.
blir son pouvoir particulier car il faut que
Les grands Etats, placés par l'effet de la le pouvoir soit toujours en quelques mains.
guerre présente dans des limites plus na- Les usurpateurs guerroyèrent les uns con-
turelles, et par là plus fixes, tous d'une
force à peu près semblable, furent à l'ave- tre les autres, et tous contre l'autorité roya-
le, dont ils avaient, heureusement pour la
nir beaucoup moins de cette inquiétude qui France, conservé le fantôme.
leur mettait sans cesse les armes à la main,
Les nobles qui n'étaient que nobles, et
£t qui n'est presque jamais qu'un indice de qui n'étaient point souverains, partagés en-
la fausse position dans laquelle un Etat est
placé et la prépondérance décidée des pre-
tre ces puissances belligérantes, furent en-
richis ou dépouillés, suivant la fortune de
mières puissances empêchera les puissances leur parti. Ces petites guerres produisirent
du second ordre de troubler la paix géné- de grands désordres, et, par un retour na-
rale. Cet effet, sans doute, ne sera pas sen- turel à l'homme, qui alors était plus em-
sible peut-être de longues années après
porté que corrompu, amenèrent de grandes
une grande guerre, comme après un grand expiations. Des nobles rendirent à la reli-
procès, il reste beaucoup d'incidents à ré- gion les biens qu'ils avaient usurpés sur
gler mais l'Europe prendra une tendance
elle, ou même ils donnèrent au -clergé des
générale au repos, et l'on peut assurer qu'il
propriétés d'où dépendait la perpétuité des
y aura moins de grandes guerres, lorsqu'il fonctions politiques qu'ils exerçaient, et ils
y aura moins de-petits Etats. Les grandes ruinèrent l'institution pour expier les fautes
puissances pourront donc un jour diminuer
leurs troupes soldées, pour augmenter la de l'homme.
force publique que l'on ne solde point, Les croisades, qui eurent de si grands ré-
cette force qui, liée intimement à la cons- sultats pour la civilisation, et qui sauvè-
titution, peut seule la défendre des révo- rent l'Europe de la barbarie ottomane, fu-
lutions, plus à craindre désormais que la rent, comme je l'ai déjà observé, une nou-
conquête, et contre lesquelles un Etat se velle cause d'affaiblissement pour l'ordre
défend avec la fidélité de ses ministres, plu- chargé des fonctions politiques. Les nobles
tôt qu'avec la bravoure de ses soldats. croisées vendirent léurs fiefs. D'autres no-
bles, des ecclésiastiques, les rois eux-mé-
mes les achetèrent, les confisquèrent les !S l'Eglise concourut, et dans le même temps,
usurpèrent quelquefois pendant l'absencee avec ces innovations dans l'Etat. Les simples
des propriétaires, ou en héritèrent par leur citoyens avaient pris la placé
r des magistrats
mort. L'ordre ne perdait qu'un de ses mem- constitués dans les fonctions politiques les
bres, lorsqu'un noble réunissait à son fiefif simples fidèles usurpèrent
Sur les prêtres
celui d'une autre famille; mais il perdait;t les fonctions religieuses. Luther
de plus, et sans retour, une partie de
attenta au
sa do-i- sacerdoce public; Calvin le replaça dans la
tation, lorsqu'un fief allait accroître les pro- famille. Le popularisme
entra dans l'Etat,
priétés de l'ordre du clergé ou le domaines et le presbytérianisme dans l'Eglise
le
royal. ministère public passa au simple peuple,
Les rois, irrités de l'esprit indocile et re- en attendant qu'il s'arrogeât le
souverain
muant des nobles puissants, quelquefoiss pouvoir, et alors furent proclamés les deux
jaloux de leurs services, virent avec trop> dogmes parallèles
et correspondants de la
d'indifférence l'appauvrissement d'un ordrei démocratie religieuse
et de la démocratie
détruire,
t
qu'il fallait constituer, mais qu'il ne fallait politique l'un,
que J'autorité religieuse
pas puisqu'il était l'action réglée est dans le corps des fidèles; l'autre,
et ordonnée du pouvoir sur les sujets, et la souveraineté politique que
est dans l'assem-
que sans lui il n'eût alors existé en France, blée des citoyens.
comme chez les peuples d'Orient, qu'un Dès que le pouvoir eut mis en
despote et des esclaves. Souvent même la offices suprêmes de judicature, vente lès
la noblesse
cour accrut les inégalités de fortune entre dédaigna les fonctions de
judicature infé-
les familles par des profusions indiscrètes rieure, dont elle donna où vendit les offices
nouvelle source de désordres; car il faut à des clercs; mais
elle ignora les véritables
observer que l'Etat penche vers l'aristoora- intérêts et le point
essentiel de
tie nobiliaire partout où quelques nobles comme le lui reproche dans sa grandeur
Mémoires
ont d'immenses propriétés territoriales, Je maréchal de Montluc. Elleses
ne fit pas ré-
comme en Pologne, en Hongrie, en Russie, flexion que rendre la justice était remplir
etc., et que là où le sujet a d'immenses ri- une des fonctions essentielles de l'antique
chesses en capitaux, l'Etat penche vers l'a- chevalerie, et
ristocratie populaire ou la démocratie, que les magistrats combat-
com- taient sans cesse les plus dangereux enne-
me en Hollande, en Angleterre. Et l'on doit mis de l'Etat (1). » Et parce qu'elle était
remarquer ici que la noblesse française, la trop pauvre
moins opulente de l'Europe, était celle qui tion à ses enfants, pour faire donner une éduca-
et qu'ils ne pouvaient
avait le mieux retenu l'esprit de sa profes- plus la recevoir,
sion. comme autrefois, à la cour
des grands vassaux qui n'existaient plus,,
La force militaire, sous Charles VII, avait elle devint ignorante lorsque
l'Europe s'é-
passé au peuple armé, ou aux troupes sol- clairait, et elle
se jeta exclusivement dans.
dées. La force judiciaire, sous François
peuple lettré,
!• le métier des armes. Nos rois eux-mêmes,
passa au par la vénalité des entrainés par le torrent des innovations, al-
offices de judicature, et par les innovations térèrent l'antique
et vénérable esprit de la
que la diminution de l'ordre et l'appauvris- constitution française, qui fait dans les
prin-
sement des familles rendirent peut-être iné- cipes et dans les formes dominer la justice
vitables. A cette époque, le devoir (officium) sur la force caractère
essentiel qui la dis-
déjuger et de combattre, imposé à la pos- tingue des constitutions moins
avancées.
session des fiefs, devint la propriété du (2j., La avait été jusque-là le sanc-
ca- cour
pitaliste, ou l'engagement du prolétaire. tuaire du pouvoir; elle devint
Nous verrons cependant que la nature, qui la licence et la frivolité, lesun camp pour
rétablit d'un côté quand ['homme détruit de et mœurs gra-
ves et austères du roi firent place aux mœurs
l'autre, tendait à rattacher les devoirs
pu- dissolues du soldat. La force intérieure de
blics à la propriété foncière, seule propriété ]l'Etat
en fut affaiblie sans que la force exté-
véritablement sociale. La réformation dans rieure gagnât,
i y car nos rois, depuis cette
(1) Mémoires sur l'ancienne Chevalerie.
(2) En France, l'épée était dans les cercles chait
( une nation vive et guerrière de retomber
plus cdans la constitution purement militaire, constitu-
considérée que la robe; mais dans la constitution, tion de l'enfance, et avec laquell'e une société ne
les corps de magistrature pesaient plus t
awe que l'ar-
admirable disposition de choses, qui saurait
s avancer.
eropè-
^™ wnrvmn moins gner-
*«in»nt beaucoup
époque, devinrent ciété qui compte des ordres de personnes,
ener- ci<!
non des têtes d'individus; erreur funeste
riers qu'ils ne l'avaient été précédemment, et mal-
excepté Henri IV, qui fit la guerre par qui
qu fut la cause immédiate de nos
et
nécessité, ils ne la firent plus que par goût, heurs. he
François I" appela le premier tous les plai- CHAPITRE VI.
sirs au centre de tous les devoirs, et quel-
ques années après Charles IX le premier CHANGEMENTS e DANS LES MOEBKS PUBLIQUES.
consé-
cessa de signer ses dépêches, et par Dès que les propriétaires des fiefs ne fu-
quent de les lire.
Ce fut au siècle de François I", à ce rè- rent re plus retenus dans leurs terres ou em-
des des jeux, des favoris, ployés
pi dans les fonctions politiques, ils son-
gne brillant arts, jouissances personnelles, et ils
des gèrent
g* à des
des maîtresses, des fautes et revers que
la distinction de ntfblesse d'épée quittèrent
qi leurs manoirs champêtres pour se
commença réunir dans les villes, comme, à d'autres
et de noblesse de robe; distinction inconnue rÉ

contraire à la époques,
SI et quelquefois par le même motif,
jadis, et essentiellement na-
et à combat- les prêtres avaient quitté leurs monastères
ture d'un ordre destin-é à juger '«
s'isoler dans les campagnes.
tre mais distinction néanmoins plus raison- pour p
la fureur du jeu et des plaisirs
nable à son origine, parce qu'elle n'était Le luxe,
chose la distinction des proprié- sédentaires,
si le goût des arts frivoles,toutes
autre que
taires et des capitalistes. Aussi tendait-elle,, les 1< passions qui s'emflamment par le con-
s'effacer, aujourd'hui que la tact, s'allumèrent au sein de ces réunions.
et fortement, à U

noblesse de robe était devenue propriétaire Les I villes s'embellirent par le séjour des
propriétaires, et à mesure qu'elles
de fonds comme nous le verrons tout à grands g
plus agréables, les habitations
'l'heure. devenaient
d
Depuis Charles VII et François I" jusqu'à champêtres c perdaient leurs charmes. La
l'infortuné Louis XVI, les atteintes portées philosophie, i qui peu à peu s'introduisait en
à l'ordre du ministère politique, ou dans Europe, I eut beaucoup de part à ce change-
Jes personnes, ou dans les propriétés» nous ment.. r La religion retient l'homme dans les
conduisent, de règpe en règne, jusqu'à l'a- campagnes, ( en lui inspirante goût de la re-
bolition du pouvoir lui-même, et dans la traite, t l'habitude de mœurs simples, de d.é-
et dans la dignité. Ainsi Henri inL sirs bornés, d'une vie sobre et laborieuse
personne, s

et Henri IV (1) (et Hénaut s'en


'étonne le 1 goût du plaisir, l'orgueil du bel esprit, la
raison) déclarèrent que la possession i curiosité, toutes les passionspoussent et en-
avec <

d'un fief même de dignité n'ennoblirait tassent t 1 les hommes dans les villes, en leur
démangeaisonde jouir, de savoir
plus; Louis XIII ôta à l'ordre son chef im- inspirant la nobles acquirent de l'ur-
t
médiat, en ôtant à la royauté un lieutenant et. de parler. Les
abolit charge de conné- banité ( 2 ). aux dépens de la franchise et
nécessaire, et il la.
s
table. Louis XIV soumit la personne des du bon sens. Un
peuple de citadins rem-
nation agricole. Les
nobles et leurs biens à des impôts, qu'ils ne3 plaça en France une
devaient acquitter, et qu'ils t
n'acquittaient arts y gagnèrent mais la famille, l'Etat, la
t
autrefois que par le service personnel et religion, la société
enfin y perdit.
c'est ce qui fait dire à Montesquieu que « less En même temps que de nouvelles lois
du ministère doivent avoir des privi- remplaçaient les lois antiques de la monar-
terres de nouvelles mœurs rem-
lèges comme les personnes. » Louis XV, enn chie française
anciennes de la famille.
ilimitant les substitutions, ordonna aux fa- plaçaient les mœurs t Charles VII et Fran-
:milles de s'éteindre, et Louis XVI enfin n Chose remarquable
l'ordre, et à tous les ordres, de e çois I", du règne desquels date communé-
commanda à
s'anéantir, lorsqu'il les invita à voter par vr ment la révolution politique dont nous
innovation contre la nature de la so-)- avons parlé, firent aussi une révolution do-
tête
(2) Urbanité, de urbs, signifie une qualité qu'on
(1)' Henri IV s'appelait volontiers le premier er en grec, si-
dans le même temps
os
prend à la ville. Astuce, de astu, ville,l'urbanité
gentilhomme de son royaume, mine la même chose effectivement et
disait qu'un gentilhom-n!
que le calviniste Montbrun cul la selle
He l'astuce ne sont pas incompatibles, et leur eombi-
poing
me qui avait l'épée a» nouvelleset le sur naison forme l'intrigue. Les Romains, qui tous
était égal au roi. Les doctrines avaientnt grand bruit de celte
trône, et étaient dans une ville, faisaient
introduit des idées d'égalité jusque sur le le minis- urbanité.
des idées d'indépendance même chez s-
tre.
mestique, et ils furent les premiers rois dé nation,
nal et de petites intrigues ( 1) sur les
!a troisième race qui entretinrent publique- affaires
aff; publiques. La domination des jeunes
ment une maîtresse du vivant de la légitime ger sur qui les femmes se reposent volon-
gens,
épouse: exemple funeste, trop fidèlement tiers
tiêi du soin de l'empire commença
imité depuis, et qui a eu une si grande in- en
France
Fr« à la même époque» Alors les femmes
fluence sur nos malheurs. Le désordre, de- distribuèrent
dis des brevets au lieu d'inspirer
puis cette époque, a toujours été croissant; des vertus; les jeunes gens aspirèrent à leur
les mœurs se sont dépravées en même temps plaire plutôt qu'à mériter de l'Etat, et trop
pla
et à mesure que les lois se sont altérées et souvent les caprices d'une maîtresse déci-
sou
sans doute l'explosion s'est faite, et la ré- dèrent
dèr de leur fidélité politique. Alors le
volution générale a éclalé, lorsque la dépra- go
gouvernement,
t~ qui doit récompenser et pu-
vation des moeurs a été aussi loin que nir instrument de petites passions, ne sut
nir,
Faltération des lois; moment terrible où la plus que prodiguer des faveurs ou exercer
plu
nature donne le signal des révolutions, et des vengeances. Mais l'effet Je plus funeste
que l'homme ne connaît qu-e lorsqu'il ne de cette domination féminine fut de donner
peut plus le prévenir. aux ennemis de l'Etat de grandes facultés
La cour avait été galante sous Anne de pour influer sur ses conseils déplorable
pou
Bretagne; elle fut dissolue sous la Médicis. ascendant
asci de l'étranger, qui depuis long-
Cette reine, de famille marchande et d'un temps
tem n'a cessé de tourmenter, d'avilir, de-
pays démocratique, porta en France le goût déchirer la France (2).
déc
de l'argent, des plaisirs et de l'intrigue, in- 1 pouvoirpublicdoit surtout s'abstenirde
Le
connus jusqu'alors à la loyauté et à la sim- mel l'autorité publique en contradiction
mettre
plicité françaises. Elle fit révolution dans ave l'autorité domestique de ['âge etdu sexe,
avec
l'esprit religieux de la France, parce qu'u- en conférant à des jeunes gens l'autorité des
uiquement occupée à maintenir son autorité grades,
grai ou laissant usurper aux femmes
faible et précaire, elle était au fond assez cell de l'influence et du crédit. H- résulte de
celle
indifférente à ce qu'on priât Dieu en fran- cett infraction aux lois de la nature un
cette
çais, et qu'elle s'appuyait, au besoin, même double désordre, qui existait en France
dou
des chefs du parti réformé. Elle fit révolu- depuis longtemps, et qui a été un des pre-
dep
lution dans les habitudes des nobles, en ti- miers motifs et des plus puissants véhi-
mie
rant leurs femmes de la famille, où elles cules
cule de notre révolution. Les jeunes
gens
avaient vécu jusqu'alors livrées aux soins et les
li femmes s'enorgueillissent de l'auto-
domestiques, pour les attirer àla cour, leur rité,
rite parce qu'on ne s'enorgueillit jamais que
inspirer le goût des plaisirs et des affaires, d'uii pouvoir usurpé ils veulent revêtir
d'un
et en faire des instruments de politique et la gravité
g et la dignité, et ils tombent dans
des moyens de séduction. « On fixe ordinai- la ffatuité ou l'impertinence et l'indigna-
rement, » dit le savant P. Griffet, « l'époque tion,
tion ou même la haine qu'ils inspirent
(de cette irruption des femmes dans l'Etat) aux subordonnés, passe toujours de la per-
au règne de François 1"; mais on peut dire sonne à la place. L'obéissance est si fâ-
son)
que la reine Catherine de Médicis, par poli- cheuse
chei à l'amour-propre, elle est même si
tique, ou par goût pour la représentation, ou contraire
conl aux secrets penchants de l'hom-
pour les plaisirs, et peut-être par tous ces me, que ce n'est pas trop de tous les genres
motifs ensemble, rendit le nombre des da- d'autorité
d'au à la fois pour vaincre les répu-
mes de la cou? beaucoup plus grand qu'il gnances de notre cœur, et triompher de son
gnai
ne l'avait été jusqu'alors. » C'est précisé- opposition.
oppi C'est dans les chefs des nations
ment du règne de Catherine de Médicis et une grande erreur d'ôter au pouvoir qu'ils
de l'existence politique que les femmes pri- confèrent l'appui de l'autorité la plus res-
coni
rent à la cour, que date l'influence que les pectable, celle que la nature donne à l'âge
pect
mœurs de la cour prirent sur celles de la avar et au sexe fort. Il n'y a que le pour-
avancé

(1) Le cardinal Ma/;arin redoutait le pouvoir ments que la nature ne les appelle pas à diriger les
ment
des femmes en France il disait à don Louis de Haro, affaires publiques. Il y a de quoi s'étonner de l'u-
affair
ministre d'Espagne « Vous ne connaissez guère sage de nos voisins, qui en tout, au rebours de la
nos femmes. Les vôtres s'occupent d'amour; mais natui renvoient les femmes au dessert, ekles-pla-
nature,
en France elles osent et peuvent tout. s cent sur le trône. En France, les femmes d'un cer-
(2) Les femmes en général entendent mieux tain rang voulaient nommer des généraux,, des mi-
que les hommes la. conduite des affaires domesti- nistre des évêques, et dédaignaient d'être épouses
nistres,
ques; ce qui prouve mieux que de longs raisonne- et mères.

voir plaeé dans la famille qui puisse être gistratures
g intermédiaires entre le noble juge
d fief et le roi juge du royaume, portaient
du
aux mains de la jeunesse sans être un objet
de haine ou de mépris, parce qu'un pou- différents
d noms. Ainsi, division de ressorts
voir héréditaire ne meurt pas, et qu'il est e hiérarchie de fonetions, voilà le principe,
et
toujours âgé, même sur la tête de l'enfant. parce
p qu'il est dans la nature et la raison;
Jamais vérité politique ne fut mieux établie ddivisions intermédiairesplus ou moins éten-
par la raison et l'histoire que le danger ddues, selon que l'autorité royale avait plus
de la promotion des jeunes gens aux grades o moins de latitude; dignités plus ou
ou
supérieurs du ministère publie, hors d'une moins
n éminentes à raison de l'étendue
nécessité extraordinaire dans l'Etat et le d ressorts différences dans les dénomina-
des
gouvernement doit tenir pour maxime gé- tions, quelquefois peut-être incertitude dans
ti
nérale que les dispenses d'&ge accordées h compétence (2)
la voilà les modifications
aux supérieurs sont pour les inférieurs une variables
v parce qu'elles tiennent aux hom-
il
dispense de respect. 1
Les mœurs devinrent féroces en devenant
nmes et aux circonstances. Ainsi, comme y
avait
a des comtes noB&més par le roi pour
licencieuses, et la fureur des combats sin- rendre
r la justice dans les villes, il y eut des
guliers (1) bien différents des combats commissaires
c envoyés annueltemeat ou ex-
judiciaires ^d'autrefois, commença avec la traordinairement
t dans les provinces,. miss*
débauche, l'intrigue, le jeu, l'amour de l'ar- dominici,
c pour y rendre la justice du roi,
gent, et l'affaiblissement du frein religieux. ou des ducs résidents et remplissant l'office

C'est sous les Valois qu'ont commencé ( gouverneurs. Lorsque ces premiers, offi,-
de
toutes les infractions à la constitution do- ciers
( eurent rendu leurs commissions hé-
mestique et politique de la France, l'excès réditaires,
r devenus 'rois en quelque sorte,,
des impôts,, l'aliénation des domaines de la i constituèrent leur petit Etat comme le
ils
couronne, les changements dans la constitu- royaume,
i et se nommèrent un lieutenant,
tion du ministère public, le déplacement de, appelé
t sénéchal ou bailli, comme les rois
la justice et de la force, l'introduction des avaient
{ eux-mêmes un grand sénéchal, de-
femmes à la cour, la finance, etc. « Choses, » puis
] remplacé par le connétable, dans l'im-
dit le judicieux Mézerai,, « dont il faut lais- portante
] fonction de commander les armées.
ser aux sages le jugement, si elles sont plus Plus
] tard (tels sont les progrès du mal et la
dommageables qu'utiles. ». dégénération des institutions) le sénéchal se
nomma,un lieutenant, qui porta :et qui por-
CHAPITRE VIT. tait
1 encore le titre de lieutenant général du
bailli, comme le connétable avait lui-même-
CHANGEMENTSDANS fcES FONCTIONS PUBLIQUES^ des lieutenants" généraux dans les armées..
Mais le sénéchal en voulant abandonner la
Comme le ministère politique n'était que fonction déjuger^ ne retint plus même celle
la fonction de juger et de combattre, le ter- de combattre, et ne conserva plus qu'un titre
ritoire était aussi divisé en ressorts ou ju- sans autres onctions que celle de présider les
ridictions, et l'ordre en grades. Le ressort assemblées de noblesse élémentaires des
inférieur était le fief ou la ville royale (fief états-généraux de la nation. Ainsi toutes les.
du roi, gouverné par un comte), et le juge disputes qui se sont élevées sur les attribu-
inférieur était le Seigneur. Le ressort su-, tions et le titre même de nos plus anciens,
prême était le royaume. et le juge suprême officiers et magistrats, sur la composition des
était le roi. Entre ces deux points fixes, et tribunaux et les formes de l'administration
convenus de tous.les historiens, était pla- de la justice, se réduisent toutes à ce point,
cée une juridiction d'appel ou intermédiaire qu'il y avait trois degrés de juridiction as-
qui changeait de dénomination suivant les cendante 1° Celle du fief ou du comté;
pays; et par conséquent, les offices ou ma- 2°celle du duché (3)> bailliage ou sénéchaus-

(1) On croyait alors que la justice du roi pou- devinrent pifemiers magistrats de provinces, et il y
vait permettre ou ordonner le combat entre deux eut des comtés aussi étendus et plus même que des
particuliers, comme elle l'ordonne entre deux na- duchés, comme les comtés de Toulouse, de Cham-
tions. Le clergé lui-même partageait cette opinion, pagne et de Flandre.
puisqu'il consacrait le duel par des cérémonies re- (3) Placuit nobis cuncti ut duces, comités,
ligieuses. sive arti quicunetis prseesse debent, in noslram
comtes, qui dans l'origine
(2)Paréxemple,lès "praesentiam conveniant. ( Capilul. Carol.)
étaient les premiers magistrats des villes royales,
sée 3" celle du
royaume enfin, gouverné, autres officiers civils ou militaires, dans la
disent nos anciens jurisconsultes, comme un circonstance où tous les ordres de l'Etat
grand fief; en sorte que chaque partie étant jouissaient de la plénitude de leur existence
semblable au tout le tout semblable à cha- politique, je veux dire aux états-généraux,
que partie, il en résultait cette homogénéité dont les sénéchaux et les baillis prési-
parfaite qui a fait de la France ce corps com- daient par eux-mêmes ou leurs lieutenants
pacte et indivisible, enraciné par les siècles, généraux les assemblées élémentaires. Ils y
endurci par les événements, et dont aucune présidaient même les ducs et pairs actuels,
force humaine n'a pu retarder ni empocher qui n'y étaient que de simples seigneurs de
l'achèvement. fiefs et même en cette qualité les princes
Le noble, dans son fief ou dans sa.ville, du sang qui y ont assisté. Môme 'avant la
était assisté en jugement et en combat par révolution, dans la marche ordinaire de l'ad-
les hommes de son ressort, ses pairs, puis- ministration, la justice se rendait, dans les
qu'ils jugeaient et combattaient avec lui le fiefs, au nom du seigneur; dans la province,
duc, dans sa province, et à sa place son séné- au nom du sénéchal ou du bailli dans le
chal (1), ou bailli, était assisté en jugement et royaume au nom du roi. 11 n'y avait rien
en combat par les nobles de son ressort, vice- de changé à cet égard mais telle était la
domirtt ou vidâmes, vice-comités ou vicomtes, dégénération des vrais et anciens principes,
juniores castaldii ou châtelains, xncarii, etc., que l'office de sénéchal le seul qui fût re-
ses pairs, c'est-à-dire ses semblables et non connu par la constitution, était tombé en dé-
ses égaux puisqu'ils jugeaient et combat- suétude, et qu'il était à peine connu de cette
taient avec lui, comme lui et sous lui; le roi opinion prétendue publique qu'une admi-
enfin, dans ses plaids ou parlements, était nistration inattentive avait laissé germer dans
assisté en jugement, comme il l'était en com- la nation.
bat, par les premiers magistrats ducs, séné- J'ai dit que les magistrats, chefs du juge-
chaux, -baillis, ses barons, son baronnage, ment et du combat dans les différents res'
seniores, seigneurs, ses pairs ou ses sem- sorts des provinces, étaient dans l'origine
blables, puisqu'ils jugeaient et combattaient les pairs du roi, chef de la justice et de la
sous lui, comme lui et avec lui, et qu'ils force dans l'Etat; et ce qui le prouve, c'est
exerçaient, dans une partie considérable du 1° que postérieurement, et lorsque les ma-
royaume, la fonction suprême de juger et gistrats eurent rendu leurs commissions.
d-e combattre, qu'il exerçait et dirigeait dans héréditaires, et qu'ils en eurent fait de
toute sa plénitude dans le royaume entier. grands fiefs, ils continuèrent sous leur nou- •*

Là, et non ailleurs, est la véritable et antique velle forme d'être les pairs du roi, à l'exclu-
origine de la pairie et certes, il est temps sion même des princes ou seignéurs du sang;
enfin d'en chercher la nature, plutôt dans la qui n'étaient pas feudataires :et même on
constitution de la société que dans les opi- vit des femmes héritières de grands fiefs,
nions des hommes. Je puis citer, sur ce que assister en jugementle roi comme ses pairsj.
j'ai dit des baillis ou sénéchaux, le célèbre 2" que les baillis, ou chefs de la noblesse
Du Cange (2) et mieux encore, les faits dans les provinces, étaient à cet ordre pré~
et ces formes antiques qui s'étaient conser- ciséinent ce que les évêques étaient à l'ordre.
vées dans nos anciens usages. Les chefs du du clergé; et que le roi n'avait, même au-
jugement et du combat, dans les provinces, jourd'hui, de pairs ecclésiastiques que parmi
les sénéchaux ou baillis, comme représen- les évêques raison d'analogie qui est ex-
tant les anciens ducs ou comtes et dont ils trêmement forte quand on traite des anti-
étaient les lieutenants, tenaient encore au- ques usages de la monarchie française; où
jourd'hui lieu de ces officiers, puisqu'ils l'on voit dans toutes les assemblées politi-
étaient même aujourd'hui de tous les ma- ques siéger à la fois les grands ou officiers
gistrats les seuls qui fussent distingués des du clergé, et les grands ou officiers de la
(1) On appelait sénéchal dans la langue d'oc,
mates qui placitis etjudicïis regiis inlererant acces-
ce qu'on appelait bàilli dans le pays d'eh-deçà la senmr senescalli. Senescallus idem dicit
Loire, ou langue d'oui. L'ofiicier du "bailliage, qu'on ini-
nister doinini vicarins; senescaili munus in acrébus
appelait -lieutenant-général, s'appelait juge-mage bellicis piiecipuum fuit. Senescalloruin denique
(judex-major) dans la sénéchaussée. A Paris, la
sénéchaussée ou bailliage s'appelait Châleiet; le erat jus reddere principis subdilis eo quo nomine
bailli ou sénéchal, prévôt ae Paris, et ses lieutenants- c«terjs judiciis pracerat. Senescaili appellantur in iis
généraux, le lieutenant chil et criminel. provinciisquœaiilequamcoronœ Franeiœ unirentur
pnneipibus suis paruerant, cum ballivos habere
(2) Sub prima regum stirpe inter regni opti- solius régis est.
i.
noblesse. «Les plus anciens auteurs, dit châtelain, usage conservé encore en France
M. de La Curne-Sainte-Palaye, « semblent pour les grandes places, et en Allemagne
vouloir mettre la chevalerie au niveau de la pour toutes les places. Avant que la noblesse
prélature. » Ce sont ces derniers pairs, se décorât ainsi de titres sans fonctions, les
grands feudataires, qui, de nos jours, à la rois lui en avaient conféré qui n'étaient
cérémonie du sacre de nos rois, et à celle de guère plus réels. Dès que les grands magis-
leurs obsèques, étaient représentés par les trats des provinces, pairs antiques de la
princes du sang, sous les titres de ducs de royauté, furent devenus les rivaux de l'au-
Bourgogne, de Normandie (1) d'Aquitaine, torité royale, en rendant héréditaires des
de comte de Flandre, etc. commissions temporaires ou viagères, prin-
Ainsi, et c'est la conclusion à laquelle je ces eux-mêmes, sous le titre modeste de
voulais en venir, tout concourt à établir que vassaux, et quelquefois du sang des rois, ils
dans les premiers temps il n'y avait que des continuèrent à être les pairs du roi les
fonctions publiques, et point de titres pure- princes du sang, pairs du roi comme grands
ment personnels; et la raison dit en effet feudataires, continuèrent à l'être même après
que, si les titres amusent l'amour-propre de que, par la réunion des grands fiefs à la
l'homme, les fonctions seules importent au couronne, ils ne furent plus que sujets dans
maintien de la société. leurs personnes, ministres par commission,
Mais aussitôt que des jugeurs et des sol- rois par expectative. Mais après que Char-
dats eurent pris en France la place, des/ma- les VII et François L" eurent fait descendre
gistrats et des guerriers, et que les rois Tordre politique des fonctions que la consti-
eurent mis les institutions vénales et soldées tution lui attribuait, Henri II, fils de Fran-
du pouvoir arbitraire à la place des établis- çois Ier, chercha à en relever les membres
sements propriétaires et fixes du pouvoir les plus apparents, en leur conférant le titre
absolu, l'ordre perdit de son existence po- de duc et pair (3) qu'il plaça sur un
litique, et alors l'individu chercha à relever simple fief. Ces pairs de fief n'étaient ni les
sa considération personnelle par des titres anciens magistratssuprêmes, ducs ou comtes
de duc, de marquis, de comte, etc. (2) des provinces, présidant le jugement et le
qui rappelaient des fonctions qu'ils n'a- combat, ni les grands feudataires qui succé-
vaient plus, ou l'usurpation de ces petites dèrent à ces premiers magistrats, lorsqu'ils
souverainetés, formées en France des débris rendirent leurs dignités héréditaires, ni les
de l'autorité royale, et, qui, loin d'être, sénéchaux dont les offices, les seuls consti-
comme on l'a dit, la féodalité ou la fidélité, tutionnels, représentaient les anciens magis-
en avaient relâché les liens, et même rompu trats, et remplaçaient les grands feudataires.
les nœuds. Ces titres étaient inconnus aux Ces pairs ne tenaient à l'antique constitution
sires de Joinville, Duguesclin,- Clisson,. que par un titre antique,, et loin de jouir de
Bayard, etc., qui ne se distinguaient entre la prérogative même des derniers pairs
eux dans la vie privée que par la dénomina- grands feudalaires,. de précéder au parle-
tion religieuse reçue au baptême, usage ment les princes du sang non feudataires,
pieux auquel on revient depuis quelque ils furent présidés aux assemblées de no-
temps, quoique sans une intention pieuse; blesse, comme les autres seigneurs de fiefs,
et dans la vie publique, par la dénomination par les sénéchaux ou baillis, ou leurs lieu-
politique de connétable, de sénéchal, de tenants-généraux.

(1) La fameuse table ronde des douze pairs (2) Le titre de baron était anciennement col-
de Charlemagne, sur laquelle on a fait tant de lectif plutôt qu'individuel. On appelait la réunion
romans, ne désignait donc qu'un conseil d'Etat où des premiers magistrats formant la table ronde, ou
le roi présidait ses premiers officiers. Une des le conseil du roi H barons, li baronage. Baron et
grandes erreurs de nos historiens est de s'être obs- baronie sont, dans l'acception que nous leur don-
tinés à ne voir que des guerriers là où il fallait sur- nons, d'institution plus récente. Baron est un mot
tout voir des magistrats et toutes ces disputes sur celtique venu du grec, qui s'ignifie grave, fort c'est-
la pairie, inépuisable aliment de tant d'ennuyeuses à-dire ce que doit être un homme public. Baromè-
dissertations, viennent de ce qu'on n'a pas songé tre en vient, et en allemand bar signilie pesant.
que les pairs naturels du grand juge et du grand (5) La première pairie fut érigée en 1551, mai&
guerrier de la nation ne pouvaient être dans l'orgi- la première enregistrée est de 1572. (Voy. le P.
ne que les premiers juges et les premiersguerriers, Griffet.) Le titre de duc et pair prouve évidem-
et que le corps des ministres du pouvoir, dans les ment que les anciens pairs étaient magistrats
premiers grades, comme dans les inférieurs, servait suprêmes des provinces, appelés ducs presque
à la fois à la justice et à la force. (Voy. dit Pouvoir partout, remplacés depuis par les sénéchaux ou
législatif suus Chartemagne.) baillis.
Les nouveaux ducs et pairs eurent, il est mais
m ils ne savaient qu'élever et tirerde pair
vrai. quelques fonctions judiciaires mais quelques
qi individus, et ne faisaient par là
seulement comme membres d'une compa- que s'éloigner davantage de la constitution
qi
gnie et non comme chefs du jugement, puis- et rendre plus difficile le rétablissement de
el
qu'ils n'avaient chacun que leur voix re- l'ordre
1'1 lui-même. La noblesse, qui conserve
quise seulement dans les jugements des l'
l'Etat, se changeait peu à peu en une aris-
pairs que, loin de rendre justice dans une tocratie
te qui le détruit, et l'ordre s'éclipsait
province, ils ne la rendaient pas même dâns di plus en plus, à mesure que quelques-
de
leur pairie, où, comme les autres seigneurs, uuns de ses membres attiraient sur eux seuls
ils avaient un juge; et qu'enfin même au tous les regards et toute la considération.
tc
parlement, au lieu de présider, ils étaient Les rois se rappelaient l'éclat prodigieux
présidés eux-mêmes par les présidents or- qu'avait
q jeté dans le monde politique la
dinaires, qui n'étaient jamais ducs et pairs. chevalerie,
c. à laquelle la France a dû la su-
Bientôt après s'introduisirent les titres de périorité
p morale dont elle a joui en Europe;
duc à brevet, duc héréditaire, homme de e comme si la chevalerie, constitution na-
et
qualité (1) qui formèrent plusieurs or- turelle de la noblesse, et qui imposait aux
tt
dres dans un ordre essentiellement un et nrois eux-mêmes, eût été l'ouvrage de l'art,
indivisible et partagèrent en deux grandes il créèrent des ordres de chevalerie qui
ils
époques l'histoire du ministère politique n'étaient
n pas plus le ministère politique,
l'époque des fonctions et celle des titres. qu'uue
q confrérie pieuse n'est le ministère
L'ordre perdait en fonctions et en force, à sacerdotal
s. il fallait un lien à cet engage-
mesure que l'homme gagnait en titres ho- ment-,
n on le chercha dans la religion, lien
norifiques, et la même époque séculaire vit universel
u de toutes les personnes de la so-
la pairie conférée à quelques membres de ciété,
c et,garantie de tous leurs rapports. Le
la noblesse et l'office de connétable' ôté ddevoir naturel et essentiel de l'ordre entier,
à l'ordre. d défendre la religion et l'Etat, devint donc
de
Il n'est pas hors de propos de remarquer l'l'engagement spécial et volontaire de quel-
que le même prince qui supprima l'office de qques individus; et la naissance, qui n'est
connétable, abolit l'ancien usage d'envoyer aautre chose que l'engagement héréditaire de
des hérauts d'armes pour déclarer la guerre h famille a remplir des devoirs publics, fut
la
noble et digne hommage rendu aux droits exclusivement
e favorisée, et plus considérés
de l'humanité. Ainsi la loi de la nation était que
q le devoir même.
violée en même temps que les lois des na- Quand la personne fut distinguée à l'o-
tions et la. France prenait les formes agres- reille
r par un titre pompeux, elle voulut être
sives en même temps qu'elle affaiblissait sa àdistinguée aux yeux par des marques exté-
milice défensive en lui ôtant son chef immé- rieures
r non par des costumes propres aux
diat. On doit remarquer aussi que les rois ffonctions publiques qui commandent le res-
chrétiens ont été moins à la guerre de leurs pect,
f parce qu'ils annoncent un devoir, mais
personnes, depuis qu'ils n'ont plus eu nulle par des croix et des cordons, pure dééora-
F

part de lieutenant chargé par son office d'y ttion de la personne, qui blessent l'amour-
commander sous eux et à leur place. Peut- 1propre, parce qu'ils n'ont rapport à aucune

être, en effet, que les minorités auxquelles ffonction, et altèrent ainsi l'égajité native
des hommes sans un motif assez social. A
un roi guerrier expose la nation sont de- c

venues plus dangereuses lorsqu'il n'y a plus lmesure que le goût de ces symboles exté-
rieurs de la faveur et du crédit gagnait, le
eu d'homme toujours majeur qui survécût i
mépris pour les costumes propres aux fonc-
sans contestation au roi lui-même, pour as-
tions
t publiques s'introduisait; chacun vou-
surer ses dernières volontés sur la régence
et commander la force publique. lait être décoré d'un cordon, et il était in-
Cependant, depuis Charles VII et Fran- décent
c de porter, hors du service, son habit
çois 1", les rois sentaient la nécessité de ré- militaire.
l Enfin le gouvernement s'était, à
tablir l'ordre chargé du ministère public; cet
( égard, écarté de la constitution à tel

(1) L'acception du mot homme de qualité est bout de leur dessein, ils font une partie (un parti)
récente. Le duc de Rohan qui se connaissait en dans
c. la ville, à laquelle ils attirent quelques jeunes
titres de personnes et en acception de mots, dit étourdis,
c même de qualité, comme le (ils de Clerc,
dans ses Mémoires i AMontauban, trois soldais avocat,
s et de Larose, conseiller. >
conspirent contre le gouvernement, et pour venir à
point, que le roi pouvait faire même un duc:c tout un signe de l'affaiblissement dans les
et ua chevalier de ses ordres, d'un individuu âmes, et d'altération dans les lois. On peut
sans propriété dans le sol, et que d'un autree même avancer, comme un principe qui ré-
côté il pouvait titrer la propriété, sans même
e sulte de l'histoire des temps modernes, que
ennoblir la personne. dans toute société constituée, menacée de
L'abus des titres purement honorifiques s révolution, ja défection commencera par ia
fut porté à l'excès dans toute l'Europe, parr partie de ses ministres à qui des institutions “
l'indiscrète multiplication des chevaleriesdee étrangères à leurs fonctions sociales ont
cour, dont la plus récente faisait toujourss donné une existence placée en quelque sorte
passer de mode celle qui l'avait précédée; hors de la constitution. Ainsi dans la mai-
et l'histoire de ces institutions ne présentee son, le bruit et le désordre viennent com-
que des décorations honorables à leur nais- jnunément des enfants gâtés.
sance, et dont cent ans après un noble se3 En effet, dans une société constituéecomme
serait cru déshonoré. l'était la France, tout ce qui n'avait pas dans
Bientôt les titres et les cordons ne suffi- la constitution des motifs naturels était fu-
rent plus à la fureur universelle des distinc- neste en administration, et destructif de la
tions. Dans les temps anciens, les membress constitution même. Ces institutions factices
de l'ordre politique mangeaient avec le roi, et purement humaines affaiblirent l'homme,
et ils étaient appelés conviva regis, parcei en offrant des hochets à sa vanité, lorsqu'il
que l'hospitalité de la table a été chez touss fallait ne proposer des motifs qu'à sa cons-
les peuples naissants, et dans toutes les re- cience. Elles hâtèrent la ruine du ministère
ligions, un symbole sacré d'union commu- public, qui est un ordre composé, dit Hinc-
ne, ou de communion. Dans ce siècle fertilei mar, contemporain de Charlemagne, d'an-
en inventions, on imagina, pour se distin- ciens pour juger, et de jeunes pour combat-
guer, de monter dans un des carrosses dut ire Senior es ad consilium ordinandum, et
roi, mais sans le roi; et cet honneur, extrê- minores ad idem consilium suscipiendum
mement multiplié de nos jours, fut attachéi un ordre où les familles sont vouées à une
à une date fixe d'ancienneté. destination générale, et les individus seule-
Ces institutions, toutes en dehors de la ment soumis à des fonctions spéciales, et
constitution française et de la nature des qui, par ces nouvellesinstitutions, se trouva..
sociétés, n'étaient pas reconnues dans la divisé en plusieurs classes, de grands, de
convocation générale de tous ies ordres de gens de qualité, les uns titrés, les autres
l'Etat. Là régnait l'égalité du vote entre les présentés ceux-ci décorés, ceux-là gentils-
ordres, et dans chaque ordre l'égalité du hommes, distingués en noblesse de cour,
vote entre les membres qui Je composent noblesse dé province, noblesse d'épée, no-
véritable égalité constitutionnelle et légale, blesse de robe. Heureuse la société, si ceux
compatible avec les inégalités natives entre que l'autorité distinguait ainsi des autres
les individus, et avec les distinctions so- eussent toujours autant respecté le public
ciales dans les grades. Là, le noble le plus qu'ils en 'exigeaient de respect pour eux-
récemment agrégé à l'ordre siégeait à côté mêmes 1 Quant aux décorations extérieures,
du chef de la plus ancienne famille, et s'y un peu plus tôt, un peu plus tard prodiguées
montrait plus noble que lui, s'il s'y mon- à tous, et pour toutes sortes de motifs, elles
trait plus féal. Là, toute distinction de cour ne distinguent plus rien, pas même la nais-
et d'armée, même celle de duc et pair, était sance semblables à ces monnaies de papier
éclipsée par la qualité de simple noble, ou indiscrètement émises, qui ne représentent
membre du ministère politique. Là enfin plus aucune valeur.
on pouvait juger, par une grande expérien- Le clergé s'était mieux défendu de cet es-
ce, si les décorations sont l'exacte mesure prit innovateur. Les chefs de l'ordre, politi-
de la fidélité, et si les engagements de l'or- que, autrefois ducs, comtes, depuis séné-
dre même du Saint-Esprit avaient, pour dé- chaux ou baillis; n'étaient plus de
nos jours
fendre la société, la force des devoirs de dans leurs ressorts,
ce qu'ils avaient été et
l'ordre de la noblesse. ce qu'ils devaient être mais les évolues,
On a remarqué que la multiplication des chefs de l'ordre ecclésiastique, avaient au-
titres d'honneur précéda la chute de l'em- jourd'hui dans leurs diocèses l'autorité qu'ils
pire grec. Ce même abus a annoncé et hâté y avaient toujours exercée. Cependant l'or-
la chute de l'empire français, et il est par- dre ecclésiastiquelui-même avait ses titres
honorifiques assez récents, et des titres saris
sans trop souvent l'instrument. Dans les troubles
fonctions, qui donnaient des salaires sans suscités par la Réforme, les gentilshommes
travail c'étaient les bénéfices simpless et protestants s'attachèrent aux princes rebel-
les abbayes en commande et même, depuis puis les ou à l'amiral de Coligny, et même au
quelque temps, il y avait dans le corps épis-
îpis- temps de la ligue, les gentilshommes catho.
copal lui-même une trop forte disposition 3ii à liques servirent moins Henri III que les
mêler l'administration civile aux fonctionstons, Guises. On lit dans les mémoires du temps
ecclésiastiques. Les administrations provin-
vin- que, sous Henri IV, lé duc d'Epernon,
ciales, qui avaient introduit ce changementlent brouillé avec Sully, n'osa point sortir de son
dans le régime politique et religieux, ont hôtel, parce qu'il n'avait que six cents gen-
été un des moyens les plus puissants qu'on l'on tilshommes autour de lui, et que Sully en
ait pu employer, quoique peut-être sanss in-
in- avait huit cents. Lors de la fronde, on les
tention perfide, pour affaiblir la constitution
tion vit offrir leurs services au prince de Condé,
de l'Eglise et de l'Etat. au parlement, à Mazarin, même au coadju-
A la suite de la vanité venait le luxe, non teur. Ces dévouements étaient publics et
le luxe de la profession, les chevaux, les
connus même sous Louis XIV, et l'on en
armes, les fondations religieuses ou civi- ivi- trouve un exemple remarquable dans le
ies, l'hospitalité grande et généreuse des journal de son règne, que le P. Daniel a in-
premiers temps, mais le luxe de la- per- >er- séréàlasuite de son Histoire, « M. le prince,»
sonne, les meubles, le jeu, les bijoux, les dit le journal, « ayant fait demander justice
parures, les théâtres et les femmes entre- tre- au
1 roi par M. Le Tellier contre Je comte de
tenùes. Coligny, qu'il accusait de dire partout qu'il
Le pouvoir déclinait avec le ministère, *re, |tuerait M. le prince, le roi répondit qu'avant
comme il s'était élevé avec lui et par lui. de
( prendre un parti, il fallait entendre ce
Les officiers domestiques des princes deve- ve- (que Coligny avait à dire pour se justifier;
naient plus nombreux que les officiers po- qu'il avait appris que Coligny disait partout
(
litiques. Des secrétaires du cabinet avaient
ent cque M. le prince ne le haïssait après l'avoir
pris la place des grands officiers, et danss le itant aimé, et avoir dit tant de bien de lui,
même temps qu'on érigeait en titre d'office fice cque parce qu'il s'était attaché uniquement au
inamovible le métier de valet de chambre, Ire, service du roi et que si ce propos avait
s
ou même les emplois domestiques les plus lus quelque
c fondement, il (le roi) se croirai
bas, l'office inamovible ou la dignité de déshonoré, s'il abandonnait Coligny à la co-
a
chancelier se changeait insensiblement eni la la [ère
|, de M. le prince. » La noblesse aujour-
commission de garde des sceaux. Dans l'E- 'E- d'hui
d ne servait plus que l'Etat, et si uno
glise comme dans l'Etat, les commissions ms fois,
f, alarmée des dangers que courait la
que l'homme distribue prenaient la place
ace ppersonne royale, elle a manqué, pour sauver
des offices ou devoirs qu'impose la constitu-
tu- |< roi, à la loi fondamentalede la constitution,
le
tion; et, pour en donner un exemple, less qui
q lui ordonnait de rester distinguée, ou
dignités d'archidiacres, vicaires-nés de l'é-'é- plutôt distincte des deux autres ordres, en
p
piscopat, étaient remplacés par des grands lds s, rappelant les temps et les lieux, qui ose-
se
vicaires nommés par des lettres de J'évê- pê- rait
r; lui en faire un crime?
que, comme des généraux par commission on
avaient remplacé dans le commandement int CHAPITRE VIII
des armées le connétable, commandant-né né
des forces de l'Etat, et lieutenant naturel def} ci
CHANGEMENTSSURVENUS DANS LES PROPRIÉTÉS.
C! É
la royauté. C'était là une véritable révolu- lu- J'ai, remarqué ailleurs que partout où il y
tion, et elle annonçait que la dignité su- u- a une société, un pouvoir, des ministres, il
prême, et de laquelle émanent toutes les es faut des propriétés en fruits ou en fonds,
fa
autres dignités, allait elle-même tomber en en pour la subsistance des uns et des autres.
p(
commission, et devenir amovible (1). Dans
D. une société naissante ou sauvage, le
Dès que la noblesse ne fut pas le minis- s- et fait et reçoit des présents en comesti-
chef
tère public et l'action conservatrice du pou-u- bles.
bl Chez les Germains, plus avancés, le
voir général, il s'éleva dans l'Etat des pou-u- chef
ch recevait de ses ministres, et leur faisait
voirs particuliers, dont les nobles furent nt à son tour des présents en chevaux, en ar-
(1) JusqueJà la France s'était agrandie par des
es et les commissions amovibles y sont plus propres.
réunions elle allait s'agrandir par des conquêtes,
!S,
1508
'«""
iS07 OEUVRES COMPLETES

mes, en meubles précieux, et il en était L en- !1't~n!t


DE BONALD.
;S DE M. DE BONALO.
J'envie de
propriétés
:
l'obtenir hà l~nr préjudice. Ces
leur nrbinr~ittP_
publiques ou bénéfices furent
rES

core de même sous la seconde race de nos ]


négligés, et dès l'an 809, Charlemagne
rois. Chez les sauvages, la subsistance était donc
<

précaire comme la société. Chez les Ger- se plaint de ce que les hommes
négligent
mains, elle était fondée sur des propriétés leurs bénéfices, pour ne s'occuper que de
mobilières, parce que leur société, naguère leurs propriétés personnelles ou alleux
nomade, était encore dans un état de mobi- Auditum habemus quod aliqui homines illo-
lité mais lorsqu'elle fut parvenue, par son rum bénéficia habentdeserta, et allodes eorum
établissementdans les Gaules, à son dernier restauratos. Ce fut donc un développement
état, à l'état fixe et propriétaire, le pouvoir nécessaire que celui qui confondit la pro-
priété-domestique et la propriété publique,
et ses ministres acquirent des propriétés
foncières et fixes, aussi possédées en nature et imposa à la famille la loi de vivre pour
de fonds, ou représentées par la propriété perpétuer le ministère.
des fruits, appelée dîme ou champart. Tel Cette dotation du ministère public en fonds
était le dernier état, en sorte que le grand appelés plus anciennement terres saliques,
et'en fruits, s'était conservée plus ou moins
principe de toute société avait été consacré
ledans toute la France. Elle se retrouve en-
en France: savoir, que pour constituer n'est
corps social, les pouvoirs des trois sociétés, core dans tous les Etats chrétiens, et
domestique, religieuse et politique, proprié- pas même inconnue en Turquie, qui a ses
taires indivis du sol et de ses fruits, passent timars ou fiefs à vie pour l'entretien des spa-
his, corps de cavalerie propriétaire. Elle
entre eux tous un contrat tacite, mais véri- existait dans chaque fief comme elle existait
tablement social, par lequel la famille s'en-
dans le royaume, qui se gouvernait comme
gage à servir l'Eglise et l'Etat de ses per-
sonnes et de ses propriétés et l'Eglise et un grand fief, où le roi avait des domaines
l'Etat, formant la société publique, s'enga- personnels, et percevait, pour le service pu-
gent à la protéger de toute la force publi- blic, l'impôt représentatif des fruits sur les
domaines des sujets. Et dans la famille royale'
que dans ses personnes et dans ses pro- propriété
priétés contrat sacré, qui lie entre eux, noni comme dans les familles nobles, la
des hommes, mais des pouvoirs et des so- personnelle était confondue avec la propriété
ciétés contrat indissoluble, puisque la fa-
publique, au point que le roi ne pouvait
mille, l'Eglise et l'Etat ne se perpétuent que rien acquérir ou rien posséder, qui ne fut
réuni au domaine royal après dix ans de
sur la fox et par l'effet de cet engagement; possession.
plus sacré encore et plus indissoluble, si iai
famille s'est engagée à l'Etat d'une manière3 Dans les parties montagneuses de la
spéciale, et si elle a rempli cet engagementt France, la noblesse possédait moins de
autant que l'Etat l'a voulu et le lui a permis.•fonds et plus de dîmes ou de rentes, qui en
Si la famille ne peut rompre le contrat, parceb tiennent lieu, et par conséquent le peuple
qu'elle est faible, l'Etat doit encore moins yY était plus propriétaire que dans les provin-
manquer, parce qu'il est fort. La famille op- ces fertiles, où il n'est que fermier ou loca-
primée par l'Etat en appelle à la religion, taire amovible. Delà vient que les droits
et l'oppression de la famille est une causee personnels étaient plus communs, et même
perpétuelle de troubles et de malheurs danss plus bizarres dans je nord de la Franco que
'Etat. dans le midi parce que là où le seigneur
imposer des droits
Le ministère politique, divisé par famil- retint le sol, il ne put
les le ministère religieux, divisé par com- que sur
les personnes; et il est à remarquer
munautés, possédaient donc des propriétés :s que les propriétaires des fiefs les plus oial-
nouvelles lois portant sup-
à ia fois domestiques et personnelles, né- traités par les
féodaux, ont été ceux
cessaires à la subsistance de l'homme et dee pression des droits
la famille, et des propriétés religieuses et
3t dont les ancêtres ou eux-mêmes avaient dis-
politiques, solde des devoirs auxquels le le tribué au peuple plus de propriétés.
la I.a famille même de tout ordre était, dans
corps était tenu envers l'Etat. Tant que
la
ie le midi de la France,
plus constituée que
propriété politiqué fut révocable, ou même
viagère, l'homme ou la famille ne pouvaientIt dans le nord, non-seulement parce que les
ut nobles y avaientplus de propriétés seigneu-
s'attacher à une propriété qu'ils cultivaient
d'autres, et qu'ils ne pouvaient mêmeie riales, et que le peuple y avait plus de pro-
pour
améliorer sans exciter dans leurs voisins is priétés privées on de fonds de terre, et que
1539 PART. I. ECONOM. SOC.-LEGISLATION PR1MIT. II. DU MINISTERE PUBLIC. 1510
par cette disposition la famille de celui-ci h véritable Ini
li agraire, nn*
loi affrair*. ,.uwha
était mieux défendue de la misère et du que l'on
l'nn cherche
vainement dans toute autre combinaison so-
vagabondage, et que la famille de l'autre ciale, et la seule qui s'accorde avec les lois
était moins retenue à la glèbe, et plus dis- de la religion et le repos de la société. Toute
ponible pour le service de l'Etat mais autre manière d'appeler le peuple à la
aussi parce qu'elles étaient soumises l'une propriété est fausse et coupable. Le gouver-
et l'autre à la loi romaine, qui constitue nement français, je m'enorgueillis de le
plus fortement là société domestique efle
penser, sera plus sage que le gouvernement
pouvoir du père de famille. anglais, qui, faute d'avoir pris de sages me-
C'est dans ces principes constitutifs de sures pour réparer les effets funestes des
l'esprit d'une nation qu'il faut chercher la grands déplacements de propriétés en Ir-
véritable raison de l'attachement que les lande, voit encore après un siècle et demi,
provinces du midi de la France ont montré et verra toujours le territoire de l'Irlande
dans tous les temps pour ta constitution déprécié d'un tiers de sa valeur, et l'Ir-
monarchique de l'Eglise et de l'Etat (1), landais lui-même dans un état de haine et
et dont il y a eu, même dès le temps de1 presque sauvage, qui distingue ce peuple
Raoul, un exempte remarquable, rapporté estimable des peuples policés. Au nom de
dans le P. Daniel (2). la patrie commune, et de l'honneur'qu'il
Nous avons vu que les ministres avaient y avait à être Français, qu'on permette aux
usurpé le pouvoir pendant le sommeil de Français de s'aimer, et Dienlôt ils oublie-
ceux qui l'exerçaient. Ils en usèrent quel- ront qu'ils se sont haïs.
quefois avec violence et déraison, et ils
établirent sur les biens du sujet, ou même CHAPITRE IX.
sur sa personne, des droits au fond plus
ridicules qu'oppressifs, et qui tenaient à RETOUR VERS L'ÉTAT NATUREL DU MINISTÈRE
la féodalité comme des tumeurs tiennent PUBLIC.
au corps humain. Nous avons vu que l'établissement des
Ces droits, depuis longtemps tombés en troupes soldées, et l'introduction de la vé-
désuétude, étaient enterrés dans des char-, nalité dans les offices de judicature, avaient
tres poudreuses, d'où la haine les a exhu- affaibli la constitution du ministère public,
niées "pour rendre odieux les propriétaires
en plaçant sur une propriété mobilière et
les plus bienfaisants, et détruire les
[iriétés les plus nécessaires au bon ordre
pro- artificielle un devoir établi jadis sur une
propriété
] foncière et riaturelle. L'Etat faisait
de la société.
comme
( un particulier qui change ses terres
Je ferai quelquesréflexions sur le bail à fief. contre des rentes sur le grand livre. Cette
<
Le bail temporaire, bail à ferme ou lo- jinnovation venait peut-être des changements
cation le bail héréditaire, bail à fief ou
que l'accroissement prodigieux du numé-
<
emphytbéose, sont deux contrats de même raire, depuis la découverte récente du Nou-
i
nature au fond, puisque la propriété n'est veau-Monde, avait produits en Europe dans
aliénée ni dans l'un ni dans l'autre, et que 1les idées, dans les valeurs et dans les
même dans le bail à fief, le propriétaire rap-
ports.
j
primitif pouvait rentrer dans le fonds par Mais si ce changement altéra la constitu-
le retrait, en cas de vente, et devait en tion,
t il ne put la détruire l'ordre politique
empêcher la détérioration. Ces deux con- continua
( à servir dans les armées, et même
trats se retrouvent partout où il y a des comme
( propriétaire; car, outre qu'il était,
hommes et des propriétés, mais avec cette encore de nos jours, propriétaire de compa-
t
différence que dans les pays infertiles le gnies et de régiments, les appointements de
bail héréditaire est bien plus favorable à ttous les grades étaient insuffisants, et il fal-
la bonne exploitation des terres, et par lait
1 suppléer à leur modicité par une fortune
conséquent à la prospérité de la famille et de patrimoniale
r même les pensions de retraite
l'Etat. L'inféodation et les communaux sont
cque l'Etat accordait aux militaires, après un

(1) On ne peut s'empêcher de remarquer la (2) Les philosophes de


justesse de cette observation,si bien confirmée par nos ours ont décrié
r
l'Hisloire de France du P. Daniel. Le P. Hénault lui
la Restauration, et l'auteur de cet ouvrage écrit rend plus de justice, et dit qu'il est plus savant et
au commencement du jtix." siècle, ne pouvait se r
plus
r impartial qu'on lie croit.
douter que sa remarque .Hait une prédiction, Éi it
15H ;TES DE M. DE BONALD.
OEUVRES COMPLETES ^12
*512

long temps de service, représentaient à quelques


< pariements, au mépris des édits
peine l'intérêt de ce qu'il en avait coûté pour
ir qui
<
attribuaient l'ennoblissement aux fonc-
s'y soutenir. tions
< suprêmes de magistrature, avaient ar-
Mais c'était surtout dans la magistrature e rêtéi de ne recevoir que des sujets déjà no-
le 1blés. Une ordonnance militaire, à peu
près
que l'influence puissante, et en quelque
sorte constitutionnelle de la propriété ion- a- de < la même époque, exigeait de même des
cière se faisait le plus sentir. preuves de noblesse pour les emplois mili-
e- taires, toujours au mépris de la loi
La vénalité des offices avait attaché le de- qui attri-
le privilège
voir de juger à une propriété mobilière pla- î- buait aux fonctions militairesque-les hom-
cée sur le fisc, et dépendante des hommes et de l'ennoblissement: en sorte
noble pour
des événements. Cette disposition, même ie mes décidaient qu'il fallait être
avec cet inconvénient, valait beaucoup jp juger et pour combattre, parce que la nature
mieux que le choix prétendu du mérite et leur disait que juger et combattre sont des
des talents, qui, dans une société formée, ie, professions
nobles, et les plus nobles de
ia- toutes les
professions.
ne peut être que le voile sous lequel se ca-
11 faut observer, pour avoir des idées jus-
che la corruption, et ne fait que substituer er
vénalité secrète, scandaleuse et sans
ns tes sur cette matière, que le droit de confé-
une les charges de magistra-
bornes, à une taxe publique, et dès lors irs rer la noblesse par
la dispensation de
légale et déterminée car, lorsque les moyens ns ture ne résidait pas dans
d'intrigue sont perfectionnés au point qu'ils ils la justice civile ou distributive cette jus-
parler, qu'un arbi-
le sont en Europe,. on peut dire que, même ne tice n'est, à proprement
elle n'est exclusivement une
sons le gouvernement le plus honnête, la trage, et du pouvoirpas public, puisque les af-
faveur vend toujours ce qu'on croit qu'elle lle fonction
donne, et ce qu'elle croit elle-même donner. er. faires civiles peuvent se
terminer et se ter-
les parties elles-mê-
Ce ministère judiciaire de nouvelle création on minent souvent entre
devait être, et fut effectivementdans l'origi-o-i- mes par une médiation amiable, et sans
l'in-
ne moins considéré que le ministère établi bli tervention, ni même la connaissance de l'au-
fil torité suprême. Mais la nobilité résidait
sur la propriété foncière, par cela seul qu'il
était plus dépendant des hommes et des évé- vé- dans l'exercice de la justice-criminelle, dans
nements. Ce qui le prouve sans réplique, ne, la juridiction sur
l'homme, le jus supremum
est que la noblesse de robe est devenue plus lus vitœ et necis, attribut essentiel et exclusif
à lui délégué par Dieu
considérable, à mesure qu'elle est devenue lue du pouvoir suprême,
plus propriétaire, et par là plus indépen- >n- même comme
souverain de tous les hom-
dit-il lui-même, et ego
dante. Je m'explique. A mesure que, par mes Mihi vindicta,
Hebr. x, 30 )
l'accroissement du numéraire, l'intérêt de la retribuam ( Deul. xxxn, 35;
finance donnée pour l'acquisition d'un officefice devoir essentiel dans les ministres, sur le-
de judicature perdit de sa proportion avec vec quel il ne dépend pas
de l'homme de tran-
vre siger de son chef avec la
le capital primitif, le magistrat ne put vivre
société, de même
jue qu-'il ne peut juger sans l'autorisation de
la
décemment avec un revenu si modique, que
criminelle, qui frappe
les gages mêmes des premiers offices dans ans société. Cette justice
glaive de la loi,
les cours inférieures ou souveraines de jus- us- l'homme coupable par le
fonction de juger et celle
tice ordinaire rapportaient à peine un pour our renferme à la fois la
cent.de leur finance. Le magistrat, obligé igé de .combattre ou de punir et ce qui faisait
emplois administratifs,
aux dépenses que demandent un état hono- no- que, hors quelques
fiscales,
rable et le séjour d'une grande ville, dut auxquels, par des vues purement
posséder une fortune considérable, et indé- dé- les rois avaient mal à propos attribué le pri-
charges-
pendante de sa charge. Cette fortune fut vilége d'ennoblissement, les seules
presque toujours en terres, principalement lent de magistrature qui conférassentla noblesse
depuis un siècle, et dans les provinces, où étaient et devaient être les magistratures en
iles cours souveraines, celles en qui résidait
les placements de capitaux étaient difficiles
et en dernier ressort des
sur les particuliers, et regardés comme pé- l'autorité suprême royale, ou
rilleux sur l'Etat. La fonction de juger• se se condamnations capitales, et la
îent plutôt la divine fonction de conserver la so-
rattachait donc ainsi, presque indirectement
qui la trou-
à la propriété des fiefs, et peu à peu aussiii la ciété par la répression de ceux
fonction de juger rentrait exclusivement lent blent. Soyez soumis au roi, à cause de Dieu,
pour (a
dans l'ordre politique. C'est ce qui fait que dit l'Apôtre, et à ceux qu'il commet
1313
Bunition
PART. J. ECONOM. SOC.
punition des méchants.
MMM)7M<<

le glaive. (Rom. xni, 14.)


I(fP/'f~-
LEGISLATION PR1MIT.
Petr. Tt
m, 13,
-m riviiuii. ^– Il.
<f. ))1 tiens,
42 14.
Et ailleurs Ce n'est pas en vain qu'il p&rie
e
ti"n" mais
vu- MINISTERE
». DU-
.t
»iiui9iE,n& PUBLiC.
6, 151i.
rVliLW. 1314
~o;<- aussi bien que pouvait le lui
permettre son état actuel, et mieux qu'en
i
1.
aucun autre pays de l'Europe. Dans la révo-
Il est utile d'observer ici, comme une3 lution même, cette grande épreuve des
preuve de la supériorité de la constitution1 hommes et des institutions, la noblesse
française sur les constitutions des autress française en général a montré, soit en eorpsr,
Etats, que presque partout ailleurs le princes soit individuellement, une religieuse fidéli-
doit ratifier et peut annuler les condamna- té aux lois monarchiques, ou du moins une
tions à mort portées dans les tribunaux or- grande répugnance aux institutions démo-
dinaires. Là le prince n'est qu'un magistratt cratiques; et ce n'est que dans les premiers
et même le seul magistrat, puisque lui seul, temps que quelques-uns, égarés par les
à proprement parler, condamne à mort, ett nouvelles doctrines, ont manqué de foi à la
qu'il confond dans sa personne le pouvoirr perfection de nos lois fondamentales, et
et le ministère,qui étaient séparés en France i peut-être ontregardé la monarchie anglaise
comme ils sont distincts en eux-mêmes. comme le chef-d'œuvre de l'art, au lieu
C'est ce qui fait que partout il y a des juges, d'admirer dans la monarchie française te
mais qu'il n'y avait des magistrats qu'eni chef-d'œuvre de la nature.
France,, lesquels, à la noble fonction de ju- Je ne parle pas de l'émigration, et cepeti-
ger les actions de l'homme, et de le rame- dant le plus grand nombre de ceux quecette
ner à la règle par le châtiment,joignaient lai grande tempête a submergés pourraient dire
fonction auguste d'éclairer, et non d'arrêter
«e que disait Cicéron rendant compte à Au-
les volontés du pouvoir, et -de les faire con- lus Torquatus des motifs qui l'avaient en-
naître au sujet. L'abus que les tribunaux•l gagé à quitter l'Italie pour aller se réunir à
ont pu faire dans ces derniers temps du de-
voir -naturel de remontrer n'empêche pasï
Pompée « Ce n'est pas, dit ce vertueux
Romain, « dans le dessein de mettre à profit
que cette fonction ne fût ce qu'il y avait de» la victoire que j'ai abandonné ma patrie,
plus excellent dans la constitution française, mes enfants et mes biens; mais dans la per-
et le principe de tout ce qu'il y avait de suasion que je m'acquittais d'un devoir juste,
grand et d'élevé dans le caractère français. sacré, indispensable, que la profession ho-
L'abus même qu'on en a fait a quelquefois norabie que je remplissais m'imposait en-
garanti des excès du pouvoir.A l'avenir,des vers l'Etat. » Nec enim nos arbitror vUtoriœ
connaissances politiques plus étendues et prœmiis duetos patriam otim et liberos et
plus certaines donneront aux sociétés une fortunas reliquisse, sed quoddam Vbobis of/î-
meilleure garantie contre les abus du com- cium justum et piutn -et debitum reipubïcœ,
mandement que les désordres de la résis- nostroeque dignitati tièebamur sèqui. (Epist.
tance. Qc. )
La noblesse, en France, exerçait donc en- Jesais combien les écarts d'une jeunesse
core aujourd'hui la fonction naturelle de livrée à elle-même, les fautes de l'inexpé-
servir à )a ~~c~et à la force, et le corps des
officiers français et celui desmagistrats fran-
rience et les conseils du désespoir ont dé-
gradé dans quelques-uns ce premier mouve-
çais étaient l'un et l'autre, même au milieu
de la dëgénératioû universelle, connus et ment d'un cœur français mais je sais aussi
quelle fermeté inaltérable, quelle sublime
cités en Europe comme le modèle le plus
résignation, quel courageux support de tou-
parfait des vertus publiques.
tes les privations, quelles vertus célestes
La noblesse, en France, remplissait donc connues de Dieu seul, et dont les hommes
encore sa destination sociale; et même, mal- n'étaient pas dignes, ont honoré les plus ex-
gré la vénalité des institutions actuelles, elle trêmes malheurs dont puissent être frappées
la remplissait à ses propres frais bien plus les familles accoutumées depuis longtemps
qu'aux dépens du fisc « partie 'de la nation,» à la considération, et des hommes entourés
dit Montesquieu, « qui sert toujoursavec le ca- en naissant des douceurs de la fortune. La
pital de son bien; qui, quand elle est ruinée, postérité, qui reçoit l'appel des malheureux,
donne sa place à un autre, qui servira avec prononcera entre toutes les parties; mais,
son capital encore. Sans doute, la noblesse ne quelque jugement qu'elle porte sur cetta
remplissait pas sa destination aussi parfaite- mémorable époque de l'histoire de la soeié-
ment, ni surtout aussi généralement qu'elle té, elle ne pourra s'empêcher d'admirer, au
aurait pu le faire avecde meilleures institu-
““.“». £,“ .y, ,“« UÏO(jUC meilleures iusuui- milieu
milieu de ceue lie
ue cette ues siècles,
ne des siecies, un esprit
espni de
nlHmvnne
OEUVRES r'O:1..t'n"
COMPL. DE D,
M. non
r,c 0.~f DE BoNALD. I.
c 42
lOI
Cb
c
b
vie et de force cliez une nation où de si lation et tes distances, une on plusieurs Suc-
Il
grands sacrifices, défendus sous les peines cursales,
c où des prêtres de la communauté
les plus graves par l'autorité la plus redou- iraient les jours consacrés au culte célébrer
ii
1< offices, et instruire les fidèles; car pour
table (1), ont pu même un instant être les
commandés par l'opinion. Puissent les chefs les baptêmes, les mariages, les premières
1<

des nations avoir à l'avenir des serviteurs communions,


c et généralement tous les actes
plus heureux 1 ils n'en auront pas de dus religieux
r qui peuvent intéresser l'état même
fidèles. civil
c des hommes, et qui demandent une
grande
ç publicité, pour laisser l'homme de
lnfel lx utcunque ferent ea facta minores,
Vmcet amor palriœ, laudumque immensa cupido. longs
li souvenirs, ils ne doivent être faits
(Virgil., jEneid., lib. n, vers. 823, 824.) qu'à
q l'église-mère, et il en était à peu près
ainsi
J dans les premiers temps. J'ai proposé
CHAPITRE X. de grandes paroisses, comme de grands dio-
RÉTABLISSEMENT DU MINISTÈRE PUBLIC DE LA cèses,
C de grandes métropoles, parce que
RELIGION DANS SON ÉTAT EXTÉRIEUR.
tout est petit et mesquin dans les petits éta-
blissements ils n'ont aucune dignité, et
Dans ce moment, le rétablissement du quelquefois q même manquent du nécessaire.
culte de la religion catholique en France, et jIl y avait en France des paroisses si petites,
par conséquent de l'état extérieur du minis- qu'il q était impossible d'y faire l'office publie
1ère ecclésiastique, paraît décidé.Leconcor- et e même des diocèses
qui ne pouvaient avoir
dat entre les chefs de l'Eglise et de l'Etat, de d séminaire.
qui doit être un concordat entre les deux La division en grandes paroisses, qui s'o-
sociétés elles-mêmes, n'est pas encore con- pérera 1 nécessairement dans les villes, pour-
nu, et il serait aussi inutile qu'indiscret de rait r avoir lieu, quoique sous une autre for-
chercher à prévenir sa publicité. Quand on me, r dans les campagnes, où il semble qu'elle
est persuadé que l'ordre seul, c'est-à-dire jfût depuis longtemps comme indiquée par
les rapports naturels des hommes et des les j arrondissements des paroisses champê-
choses, peut s'affermir dans la société, et ttres, connus sous le nom de doyen.nés ru-
que tout ce qui le .contrarie, plus ou moinsraux. } Mais partout le nombre des paroisses
passager, ne saurait être durable, l'homme doit ( être proportionné à celui des fidèles, et
qui ne renferme pas toute son existence 1l'emplacement des églises à la situation des
dans un point, ni toutes ses espérances dans lieux 1 les églises champêtres et isolées of-
un instant, voit avec plus de tranquillité les jfraient des inconvénients; mais chaque vi-
opérations de l'autorité publique, certain site à l'église était un pèlerinage, et il y avait
que les lumières qui se répandent sur les à( la fois moins de commodité pour l'homme,
'vrais principes de la société aideront ses ef- et plus de sentiments pour son cœur. w
forts vers le bien, ou redresseront ses er- Sans doute, il ne sera pas possible de réu-
ireurs car les révolutions n'arrivent que nir constamment les prêtres de toutes les
jaour développer des vérités et dissiper des campagnes par maisons communes mais il
erreurs, et c'est dans ce sens qu'il a été dit y aurait peut-être possibilité et utilité ex-
que le scandale est nécessaire ( 2 ) Ainsi trême qu'ils fussent affiliés à un établisse-
il
peut-être pourrait arriver que l'autorité1 ment commun, dont le curé principal serait
compétente divisât Paris en un nombre suf-] le supérieur, et où les vicaires desservant ;t
fisant de grandes paroisses, dans lesquelles les succursales pourraient aller de temps en
le clergé desservant vivrait en communautésî
l'autorité curé, il temps reprendre l'esprit de leur état, que
séculières sous du comme dissipe la vie privée, et rompre ainsi les
faisait à Paris dans quelques paroisses. Cette>
habitudes quelquefois déplacées qu'y con-
nouvelle circonscription de paroisses in-[
tracte l'homme isolé.
complétement décrétée par l'assemblée
constituante, a été consommée en beaucoup3 Ce serait un grand mal que les églises fus-
d'endroits par la démolition d'un grandil sent trop rares, et trop éloignées du plus
devoirs jour-
nombre d'églises. Dans chacune de ces gran- grand nombre des fidèles. Si les
des paroisses, on établirait, suivant lapopu- naliers ne peuvent pas s'accomolir sans quel-
( 1 ) Ce n'est pas qu'un certain parti ne provo- bien avant les derniers événements et si l'au-
quât ce qu'il paraissait défendre; mais les malheu-
i. teur. parait les avoir prévus en' partie, c'est
qu'il y a des circonstances ou il n'y a pas à
reux n"élaient pas dans le secret. choisir.
i%)J Matth. xvm, 7. –Ceci a été/compose
,q
1317 PART. I. ECONOM. SOC. LEGISLATION PRIMIT. – Il. DU MINlSTIïKK PUBLIC. 1518
que peine, du moins ils doivent être -sans une i métropole par province (j'appelle ainsi
danger, et il y en aurait pour les hommes et la 1 réunion de plusieurs préfectures en un
les propriétés dans les lieux écartés, si la ressort
i de tribunal suprême), partout régu-
famille, avec le mauvais temps et les che- larité,1 simplicité, unité; unité dans la cons-
mins difficiles, était obligée d'aller chercher titution,
t uniformité dans l'administration,
'l'église trop loin de ses foyers. union
i entre les hommes voilà où il faut
Mais ce serait un autre abus, et plus grave tendre,
t parce que c'est là que tôt ou tard
qu'on ne pense, de diviser ce qui peut être on ( doit aboutir.
réuni, et de mettre deux paroisses là où une Avec le temps, les églises devraient être
seule peut suffire raisonnablement. L'ins- ornées,( et le culte pompeux. Architecture,
truction plus commode fait moins de bien peinture,1 sculpture, musique, éloquence,
que l'union plus assurée. Il faut bien se toutes t les matières, tous les arts, tous les
garder, dans des vues de commodité per- talents t doivent être employés à honorer
sonnelle, de mettre, pour ainsi dire, sous la l'Etre
1 infini dans son intelligence, dans son
main de chacun, la religion qui appartient amour, « dans son action, autant qu'il est
à tous en général, et de rendre populaire ce possible
ï à l'être fini qu'il a créé pour le
qui doit être public. Le culte, dans les ora- connaître,
« l'aimer et le servir. D'ailleurs ces
toires privés, nourrit. la piété de quelques richesses,
r dont l'accumulation entre les
âmes ferventes, mais il introduit à la Ion- mains r de l'homme est si funeste, et la pos-
gue autant de disciplines particulières qu'il session
s si précaire, confiées à celles de la
y a de lieux et.de ministres il affaiblit, par religion,
r d'où elles ne peuvent sortir que
sa familiarité même, le respect pour la reli- pour1 de grands besoins, seraient pour l'Etat
gion dans le cœur des peuples; ils finissent une ï ressource assurée dans les extrêmes
par penser que le culte et ses ministres sont dangers.
d Etait-ce par instinct de cette dis-
faits uniquement pour l'usage de l'homme, positionï très-naturelle, parce qu'elle est
au lieu de penser que l'homme est fait pour très-utile
t à la société, que les Romains et
rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Je se- mêmeE les Grecs, mettaient dans les temples
rai entendu par ceux qui connaissent les le 1' trésor public?
hommes, et qui les ont gouvernés. S'il n'y Ceux qui étudient les rapports qu'ont en-
avait dans un village qu'une seule fontaine tre ii eux, chez les divers peuples, les princi-
où tous les habitants pussent aller puiser de pes P de la religion et la conduite de la vie
l'eau, môme avec quelque incommodité, ce civile c ne manqueront pas d'observer que les
serait se priver d'un moyen continuelle- peuples P dont la religion demande de la ma-
ment agissant de rapprochement entre les gnificence
g dans ses temples et de la pompe
individus, et de liaison entre les familles, dans d son culte, sont beaucoup moins avides
que de la détruire pour en diviser les eaux de d richesses, et plus généreux dans l'em-
dans chaque maison.. p qu'ils en font, que ceux qui sont sévè-
ploi
Ce changement dans l'ordre des choses res ri partisans d'un culte pauvre et dénué de
actuel, ou plutôt ce retour à l'ancienne dis- tout 4< ornement. Une société bien ordonnée
cipline, serait attaqué par toutes les petites doitd tendre à mettre la magnificence Je
raisons de l'homme, et pourrait être défendu 1'luxe même dans les établissements publics,
par tous les grands motifs de la société. Dans la simplicité et la modération dans ta vie do-
ces établissementspublics, l'enfance du pré- mestique.
n
tre, si je puis me servir de cette expression, Privatus illis census erat brevis,
serait élevée, sa jeunesse surveillée, et sur- Commune, magnum
(Carm., 1. n, od. 13, vers. 15, 14.)
tout occupée, sa vieillesse honorée et sou- dit d Horace en parlant des premiers Ro-
lagée; et partout ailleurs ses premières an- mainsn (1).
nées sont trop souvent négligées, les sui- Je n'ai parlé que des corps ecclésiastiques
vantes dissipées et oisives, les dernières dé- s( séculiers, auxquels appartiennent exclusi-
laissées. Plus d'avarice où il n'y aurait plus v< vement, cous l'autorité immédiate des pre-
de propriété personnelle, plus de monda- miers m pasteurs, les fonctions du ministère
nité où il n'y aura plus d'oisiveté. public
pi de la religion. A d'autres corps, mais
Ainsi un presbytère, ou communauté de to toujours propriétaires, devrait appartenir
prêtres par canton, un diocèse par préfecture, le soulagement des faiblesses de l'huma-

{ 1 ) On pouvait dire la même chose des Fran- l'é


l'église était plus belle que le. château. Assez géné-
çais jusqu'au xv« siècle; dans les campagnes, ralement,
ra c'est le contraire aujourd'hui.
nité :C3t la société n'est que la protec- t
tions et quand les tribunaux ecclésiastiques
tion des faibles; elle ne subsiste que pour t jugé un membre de l'ordre digne de
ont
eux, elle ne peut subsister sans eux mort,
i ils dégradent le ministre, et renvoient
I citoyen devant le pouvoir séculier,
le seul
et c'est pour cela qu'il a été dit aux hom-
mes: Vous aurez toujours des faibles avec dépositaire
i du glaive, et qui a le devoir de
s'en servir. La limite des deux puissances
vous. (Matth. xxvi, 11.) Ainsi il faut des s
aujourd'hui connue, et peut être fixée
corps, et peut-être un seul corps pour Vê-» est
<

dueation des enfants., les missions étrange- tavec précision et désormais on ne verrait
plus les autorités civiles mises sous l'inter-
Tes, le rachat des captifs (si les princes chré- I

stiens souffrent encore le brigandage des dit


< par l'autorité ecclésiastique, ni les sa-
barbaresques), et le soulagement des infir- crements
<
administrés par un arrêt des tri-
1bunaux civils.
mes. Ce corps célèbre, qu'on ne remplacera L'institution canonique des évêques ne
jamais que par lui-même, embrassait pres-
tous objets, et suffisait. Les com- peut pas être Ôtée au Saint-Siège, et tes
que ces y
munautés de filles auront également une places inférieures seront à la nomination de
qui pouvait obvier
destination analogue à celle de leur sexe et l'évêque. La résignation, établissait
à quelques abus, mais qui pour
aux besoins de la société. On conservera, ministère spirituel une sucession un
comme précieuses à la religion et utiles à un plus convenir à
J'Etat, quelques maisons des deux sexe» peu trop séculière, ne peut
ni aux progrès
dont l'austérité plus qu'humaine, et le re la corruption des hommes, administration.
noncement absolu à soi-même et au monde, de leurs connaissances en
conviennent si bien à quelques âmes et à CHAPITRE XI.
quelques circonstances. Ces corps offrent
l'exemple des plus héroïques vertus au mi- PROMOTION DES FAMILLES AU MINISTÈRE POLI-
lieu des scandales des plus grands crimes, TIQUE.
et dans le relâchement introduit à la longue
par les passions des hommes, remontent, Il pst nécessaire, avant d'aller plus avant,
l'ordre chargé
pour ainsi dire, le ressort de la société. Il est de considérer la manière dont
digne de remarque que la révolution fran- du ministère politique se recrutait, à me-
çaise a répandu ces règles austères chez plu- sure que les familles qui le composaientve-
sieurs peuples de l'Europe, même presby- naient à s'éteindre.
tériens. Ce sont des germes qui fructifieront Il faut d'abord reconnaître qu'il y a dans
qui
avec le temps, et déjà l'on a fait au parle- toute société des hommes qui jugent et
mentd'Angleterre, contre l'esprit du prosély- combattent, ministres bu serviteurs de la
tisme des prêtres français, des plaintes bien société, fonctionnaires publics, nobles ou
honorables à la religion et à ses ministres. notables, c'est-à-dire distingués de ceux qui
Comme jadis le clergé empiétait sur la ju- n'exercent pas les mêmes
fonctions.
ridiction laïque, sous prétexte du péché Chez les sauvages, les vieillards qui ju-
qu'il y avait dans tous les délits contre les gent et les jeunes hommes qui combattent, ils sont
lois civiles, plus tard les tribunaux civils exercentjune fonction distinguée;
naissantes. Aussi,
ont usurpé la juridiction ecclésiastique, les nobles de ces sociétés
chez ces peuples enfants, l'homme qui ne
sous prétexte du délit qu'il, y avait dans regarde comme dé-
toutes les fautes contre la discipline ecclé- peut plus combattre se peuplades
siastique et de là sont venus les plus grands gradé, et même dans quelques
désordres, la lutte d'une autorité contre sauvages, on tue les vieillards parvenus à
l'autre, et la ruine de toutes Jes deux. Il fau- une extrême caducité, et devenus inhabiles
drait revenir à la raison et à la nature. L'au- à toute fonction. Mais dans cet état de so-
torité civile doit punir comme des délits pu- ciété, s'il y a des ministres ou serviteurs,
blics tous les attentats à l'ordre extérieur il n'y a pas de ministère permanent ou de
de la religion, puisque la religion défend corps public, parce que les familles, n'étant
momentanément
comme des crimes même des pensées con- elles-mêmes réunies que
tre l'ordre public de l'État. Quand l'autorité pour combattre les hommes ou les animaux,
civile a condamné à mort le citoyen, elle ne forment pas habituellement de société
renvoie le fidèle au tribunal secret de l'E- publique ou de corps de nation, et que les
glise pour y avouer sa faute et en obtenir le> ministres y sont passagers comme le pou-
jardon du Juge suprême de toutes nos ac- voir
Mais à mesure que les familles se multi- électif était servi par un ministère hérédi-
plient et se rapprochent, les passions fer- taire, et qu'en Turquie le chef héréditaire
mentent davantage par le contact plus fré- est servi par des ministres perpétuellement
quent et plus intime des individus, et le amovibles. Au reste, il est aisé de voir la
besoin de frein, que l'homme ne trouve que raison de cette nécessité sociale dans la né-
dans le pouvoir, se fait plus sentir. Alors il cessité générale ou métaphysique, qui veut
est nécessaire que la société se constitue que-le moyen soit de même nature que la
en état public, c'est-à-dire que le pouvoir cause.
et ses ministres soient perpétuellement en Cette marche des institutions, nécessaire,
action, et par conséquent perpétuellement
oarce qu'elle est naturelle, a été sensible,
distingués de ceux qui n'exercent pas la dans la révolution qu'a essuyée la France,
même fonction. On peut appliquer ici, avec destinée à dévorer la vie de plusieurs siè-
une parfaite justesse, le grand principe d'A- cles dans l'espace de peu d'années. Sous le
dam Smith dans son ouvrage de la Richesse règne orageux et perpétuellement variable
des nations, et qui, au reste, était du pouvoir conventionnel, les fonctions pu-
connu
du dernier des cultivateurs, le principe de bliques ont été mobiles et presque instanta-
la division du travail. Ainsi dans l'Etat, il nées, et elles se sont prolongées, et sont
faut des hommes qui se destinent exelusi- même devenues viagères, à mesure que le
vement à la fonction de juger et à celle de pouvoir s'est fixé, et qu'il est devenu viager.
combattre, par la même raison qu'il faut, Lorsque l'engagement au service public
pour l'utilité de la famille, des hommes qui se transmet par voie d'hérédité, et qu'il
>
se destinent exclusivement au métier debâ- 1forme caractère dans les familles, ces famil-
tir, de voiturer, de moudre le blé, d'en faire 1les soumises aux mêmes devoirs, et quel-
du pain, etc., etc. quefois à des lois ou à des coutumes spé-
(
Le pouvoir et ses ministres, qui sont dans ciales,
< forment un corps qui s'appelait en
la société la cause et le moyen, deviennent 1France ordre, c'est-à-dire ensemble d'hom-

donc successivement, et à mesure des pro- mes


r ordonnés pour une fin particulière.
grès de la société, temporaires, viagers, hé- Cette
( institution, dont il n'est pas question
réditaires enfin, dernier état, et le plus fixe ici
i d'examiner les inconvénients ou les
de la constitution des sociétés. Ces effets ar- 8avantages, existait et existe encore dans une
rivent d'une manière insensible, et souvent grande
î partie de l'Europe civilisée mais
dans l'espace d'un grand nombre d'années, partout
l elle était déchue de sa constitution
ou même de siècles, comme tous les chan- nature-lle,
r et avait perdu dans l'opinion, de-
gements qui s'opèrent dans la société; mais puis
F les innovations qui, au xvi* siècle,
ils arrivent infailliblement, et toujours le avaient
a aboli le ministère religieux ou la
pouvoir précède le ministre dans ses déve- caractère
c du sacerdoce tant est intime l'u-
loppements. Ainsi eu France, le pouvoir a rnion des deux sociétés politique et reli-
été plutôt définitivement héréditaire, que le gieuse,
8 et tant leur fortune est sembla-
ministère ou la noblesse; et encore en Tur- tble (1)11
quie le pouvoir est héréditaire, et il n'y a Ces familles vouées au ministère politi-
pas de corps héréditaires destinés aux fonc- qque s'éteignaient comme les autres,,et même
tions publiques. Quelle que soit la nature plus
p que les autres, par la nature même de
du pouvoir et celle du ministère, il est né- leurs
], fonctions. Il fallait les remplacer. Deux
cessaire, pour qu'il y ait ordre, ou du moins voies
v se présentaient le choix arbitraire-dû
ensemble dans la société, qu'ils soient de prince,
p ou l'industrie de la famille. Toutes
même nature ou homogènes, tous deux tem- les deux furent en usage en France, et même
]<
poraires ou tous deux fixes; c'est, comme ddès les premiers temps. Louis le Hutin, le
je l'ai observé dans te Discours préliminaire, premier,
p anoblit Raoul, en le faisant, comme
ce défaut d'homogénéité entre le pouvoir et o disait, argentier du roi. Jusque-là la pos-
on
ses ministres qui a perdu la Pologne et la session
s du fief avait déterminé ou marqué la.
Turquie, quoique dans l'une et dans l'autre nobilité
n de la personne. Les nobles, ruinés
le défaut d'homogénéité fût différent et
ppar des guerres fréquentes ou par le luxe,
même opposé, puisqu'en Pologne le chef toujours excessif dans les temps malheu-
t<

( i ) On peut dire Plus de Dieu, plus de pou- sujelsjet l'Europe ne peut pas cesser d'être chré-
gi
vnirs des nations; plus de ministère religieux, plus tienne sans cesser d'être un corps politique.
de ministère politique; plus de fidèles, plus 'le
.lUVV v.v.
reux, et cause lui-même du malheur des t93, la volonté suprême du peupie, Q un maî-
temps, voulaient avoir la faculté de vendre t à danser faisait un législateur principe
tre
leurs fiefs aux autres citoyens mais peut- £assuré de
corruption et de désordre, qui
être que, par une inconséquence remarqua- allume
t toutes les passions, et ne laisse dor-
ble, ils n'auraient pas voulu leur transmet- mir
i aucun talent qui déplace tous les hom-
tre la nobilité personnelle. Le fisc profitait mes
i et réalise toutes les chimères, et qui
de cette disposition, et soumettait au franc- dans
t l'homme comme dans la société, met
fief ( 1 ) les nouveaux acquéreurs. Les no- une
i agitation dévorante que suivent l'abat-
bles, alors nombreux, ne sentaient pas assez ttement et la langueur, à la place du mouve-
qu'il était de toute nécessité politique que ment
ï régulier, principe de la vie>ie l'homme
l'ordre du ministère public eût un moyen < de la force de
et la société.
régulier, ordinaire et continu de se recru- C'est pour cette raison que, dans les gou-
ter; que le choix arbitraire du prince ne vernements
1
réguliers et bien constitués, le
pouvait être qu'un moyen extraordinaire, pouvoir
]
s'interdit à lui-même la facilité de
dès lors insuffisant, et que la possession dui placer
i et de déplacer les hommes, sans règle
fief était au fond le plus naturel. Aussi lai et sans motif, et qu'il suit, pour les promo-
nécessité des choses, plus forte que les vo-• tions militaires et civiles un ordre de ta-
lontés humaines, recrutait la noblesse avec bleau, d'ancienneté d'âge ou de grades.
les possesseurs de fiefs, égaux devant la loii Cette coutume est extrêmement sage mais
aux nobles les plus anciens, inégaux s dans
il est sage aussi de pouvoir y déroger lors-
l'opinion qui accorde aux vieillards une que de grands intérêts et des services émi-
plus grande considération. Lorsque ie fieff nents en amènent la nécessité.
cessa d'ennoblir l'homme s'ennoblit parr Tous les désordres qui naissent du choix
l'acquisition d'une charge; moyen moins5 arbitraire de la part du chef, comme moyen
utile politiquement que l'acquisition du fief, unique et régulier d'élévation, se retrouvent
mais qui offrait une meilleure garantie per- dans le choix arbitraire de la part du peuple
sonnelle, parce que l'homme qui demandaitt souverain; mais ils y sont plus graves, par-
à être admis dans un corps respectable de3 ce que ce souverain lui-même se compose
magistrature, était soumis, du moins pourr d'une multitude de volontés souvent oppo-
la forme, à un examen qui n'appelait pass sées, et qu'il exerce sa souveraineté élisante
les talents (parce que les talents, sans les- dans un grand nombre de lieux à la fois. Je
quels une société ne saurait se former, nee ne crains pas d'assurer que les élections po-
sont pas également nécessaires à une sociétéé pulaires, comme moyen régulier et légal de
toute formée), mais qui excluait les vicess promotion, sont le plus puissant véhicule de
connus et les irrégularités publiques de con-i- corruption publique et privée. Une nation
duite. qui est une réunion de familles indépen-
J'ai dit qu'on ne pouvait faire du choixx dantes les unes des autres, mais liées entre
arbitraire de la part du chef un moyen ré- elles par les mêmes devoirs religieux et
gulier de promotion des familles au minis- politiques, devient, grâce aux élections, un
tère politique, parce que l'élévation desis vaste marché où l'ambition achète ce que
familles, qui, hors les temps et les hommes!S l'intrigue vend, où l'homme, tour à tourflat-
extraordinaires, doit être lente et succes- teur et insolent, s'humilie et se fait recher-
sive, comme toutes les opérations de la na-i- cher; où l'éloge effronté de soi, la détraction
ture, n'a alors d'autre règle que des capri-i- contre les autres, et souvent la calomnie, la
ces, d'autre motif que la faveur, souvent it vénalité, la captation', etc., sont des voies
d'autre durée que celle de l'homme, sem- i- ordinaires de fortune, toutes choses incom-
i,
blable à ces plantes qui fleurissent au matin, patibles avec l'honneur, la vertu, la religion,
et .que le soir voit sécher. Ces métamorpho-)- l'humanité, et subversives de tout ordre so-
ses subites, qui font passer un homme des 3S niai. C'est là cependant qu'on en est en An-
derniers rangs de la société aux premiers rs gleterre. Les désordres des élections y vont
emplois, et par la seule volonté du chef, f, toujours croissant l'argent, devenu plus
forment le caractère spécial du despotisme je commun, les places plus honorables ou plus
d'un ou de tous. Ainsi en Turquie, la vo- )- lucratives, l'intrigue plus raffinée, y produi-
lonté suprême du sultan fait un ministre re sent, dans quelques semaines, des violences
d'Etat d'un jardinier, et dans la France de le et des folies inconnues à une nation sau-
( 1 ) C'était une taxe que payait un citoyen non noble pour acquérir ou posséder un fief.
pie.
vage ( 1 ) et dont la vie la plus longue d'une
société civilisée ne doit pas fournir d'exem-

Telle est cependant la situation où les tion


toyens,
ti
phoses
p
niers
nd
t
la société a à redouter les métamor-
subites qui tirent un homme des der-
rangs et le font passer, sans prépara-
et sans noviciat, aux premières fonc-
vices de cette constitution ont mis l'Angle- t:tions du pouvoir. Il se trouve rarement des
capables de résister à cette intem-
terre qu'il est impossible qu'elle y reste hommes h
sans tomber dans la plus grande confusion, pérance i de fortune, si l'on peut parler ainsi:i
ou qu'elle en sorte sans révolution. Puisse- aau moral comme au physique, la tête tourne
t-elle, éclairée par ses malheurs anciens, et à une trop grande hauteur, à laquelle on
surtout par nos malheurs présents, faire ou n'a r pas accoutumé son cœur et ses yeux
préparer avec sagesse cette révolution iné- 1l'homme ébloui tombe dans une démence
viiable, et. suivre d'elle-même la nature dans réelle,
r et c'était une véritable aliénation phy-
les voies où elle conduit la société:(?MO vergit sique
s et morale, produite par l'ivresse du
natura, eo ducenda, dit Hippocrate en parlant Ipouvoir, que les folies atroces ou ridicules
des maladies du corps humain; et cet aphoris- de c tant de misérables que la révolution avait
meconvient également auxmaladies du corps surpris s dans les conditions obscures et
social. Mais telle est la condition delasociété, cqu'elle avait élevés au faîte du.pouvoir ( 2 ).
que, si elle peut lutter quelque temps, à force Elle
1 était donc sage et conforme à la nature
de sagesse dans l'administration, contre les de c l'homme et de la société;, elle laissait un
vices de sa constitution, une constitution 1libre cours à l'industrie, et des chances fa-
vicieuse pervertit à la longue l'administra- vorables
a au mérite elle accordait le moins
tion la plus sage tout s'y corrompt, les hom- possible
1 aux passions humaines, cette insti-*
mes et les choses, et il n'y a plus ni assez ttution connue en France, qui invitait toutes
de raison dans les hommes, ni même assez les 1 familles à sortir tour à tour de l'état pri-
de consistance dans les choses pour pou- vé pour arriver à l'état public, qui, faisant
voir entreprendre encore moins exécuter ]passer par degrés la famille, de la charrue
une réforme ces terres trop remuées, deve- <ou du comptoir, à la profession des armes
nues incapables de consistance, tombent de ou < à celle des affaires, la préparait peu à peu
toutes parts, dit Bossuet, et ne font voir que ài remplir les plus hauts grades de la magis-
d'effroyables précipices. Là commence le ter- ttrature civile ou guerrière,accoutumaitainsi
rible drame d'une révolution, dont l'exposi- les 1 uns à l'élévation, et disposait les autres
tion suppose aussi beaucoup d'événements àî la voir sans trop d'envie; cette institution
antérieurs, que les passions compliquent, qui < faisait croître la fortune avec les hon-
et qu'elles conduisent jusqu'au dénouaient, ineurs et l'émulation avec les moyens qui
La tragédie finit par le triomphe du bien; donnait < aux choses, aux hommes, à la société
mais les personnages principaux ont dispa- 1tout entière une marcha progressive, et lui
ru de la scène, et la catastrophe a été san- évitait ces secousses irrégulières et brus-
glante car ce n'est qu'à ce prix que l'ordre ques qui la rejettent si souvent en arrière;
se rétablit dans la société, et sine sanguinis cette institution qui faisait que l'élévation
effusione non fit remissio. Je reviens aux d'une seule famille se composait de sa propre
électiens. Dans une société naissante, où les industrie, de la considération publique de
emplois publics ne sont que des charges l'approbation d'un corps, de la sanction du
l'élection peut y appeler le plus digne dans pouvoir. L'homme, qui sème toujours l'i-
une société avancée, où les charges sont des vraie dans le champ de la nature, avait cor-
honneurs, l'élection n'appellera en général rompu cette institution, je le sais, et l'éléva-
que le plus riche, le plus redouté, le plus i
tion était devenue trop facile; mais les abus
intrigant. Ainsi, là où la richesse est une
s sont aisés à extirper, lorsqu'ils ont germé
condition nécessaire de l'élection commes dans une institution utile, au lieu que les
en Angleterre, la société souffre des désor- meilleurs règlements sont impossibles à
dres d'une scandaleuse vénalité mais là où maintenir lorsqu'ils sont employés à cor-
le choix, affranchi de toute condition peutt riger ou à soutenir une institution vi-
se porter indifféremment sur tous les ci- cieuse.

( 1 ) II eût élé curieux


de savoir ce qu un cheff ( 2 )On a remarqué que l'état de cordonnier avait
de sauvages grave et sensé, transporté à Londresi fourni un très-grand nombre de membres desinstir
dans le temps des élections, aurait pensé d'un peu- tutions révolutionnaires.
ple civilisé.
CHAPITRE XII. e sévères; alors il naît infailliblement des
et
hhommes qui l'y ramènent, et i'on peut re-
NÉCESSITÉ DU MINISTÈRE POLITIQUE.
marquer que les institutions les plus aus-
Il n'a jamais existé, il ne peut même exis-
>- tères,
ti à commencer par le christianisme,
ter de société' sans pouvoir, ni de pouvoir r sont
si nées dans les temps les plus corrom-
sans ministre. Le ministère est le moyen, i» pus.
p
l'instrument du pouvoir; et comme la per- Il est vrai que là société en France paraît
fection de l'effet dépend autant de la perfec- a plus loin possible d'adopter rien de sem-
> au
tion du moyen que de celle de la cause, ilil blable
b dans ses institutions mais il faut
est évident que la perfection du ministèree prendre
p garde que le jour de toutes les
public est le premier et le seul moyen dee grandes
g époques, de toutes les époques né-
perfection de la société. La perfection, siii cessaires
ç, dans la société en bien ou même
l'on veut, est une chimère pour l'individuu en e mal, car te scanitale, a dit la Vérité elle-
qui,-dans le court espace de sa vie, ne peutit même,
n est quelquefois nécessaire {Matth.
apercevoirde progrès sensible vers le mieux; x xviii, 7), arrive toujours comme m voleur
mais elle est réelle et sensible pour la so- (Apoc.
(,, m, 3), et sans être attendu. Quoi de
ciété, qui embrasse une longue durée dee moins n prévu sous le règne d'Auguste que
siècles et une longue suite d'événements. fc naissance du christianisme; sous Dèce et
la
La vérité consiste dans la connaissance de
cette perfection, et le devoir de l'écrivain
'•
j
e Dioclétien que son triomphe, et son inau-
n guration
g au trône des Césars? Quoi de moins
est de la présenter à la société comme lee probable
p au v* siècle que le mahométisme,,
terme auquel elle doit tendre sans cesse,!» oé t1 au commencement du vit et de plus im-
même quand elle devrait n'y parvenir ja-i- pprévu au commencement du xie siècle, que tes
mais. Comment les gouvernements ne se croisades qui en ont signalé la fin? On peut
e C]
proposeraient-ils pas les lois les plus par- een dire autant du luthéranisme, et nous-
faites de la constitution morale des hom n mêmes, qui vivons depuis douze ans au mi-
mes, lorsqu'ils sont perpétuellement occu- lieu des prodiges, comme les Hébreux dans
pés à favoriser l'invention et l'exécution dess le i, désert, pouvions-nous prévoir, en 1789,
lois les plus commodes de leur existence e rl'expropriation du clergé, l'émigration de la
physique, je veux dire les meilleures. ma-l" noblesse,
n la.chute du trône, tous les hom-
nières de loger l'homme, de le nourrir, dee mes n qui ont paru aux époques mémorables
le vêtir, de le guérir dans ses maladies, dee dde la révolution, tous les événements qui
le transporter par terre ou par mer, etc. ? If ont remplies, et le nouvel ordre d'évé-
les
L.'hommequi croit à la nécessité de l'ordre
'e nements
n qui a commencé depuis deux ans?'1
dans la société doit donc, s'il est conséquent,
'» Cette
C réflexion doit rendre les hommes, non
croire à la nécessité des moyens de cet ordre,'y pas
p plus disposés à croire, mais moins
d'onc à la nécessité du ministère public et prompts à rejeter sans examen la probabi-
!t p
de sa meilleure constitution car il faut lité d'événements nécessaires car la raison
it li
prendre garde que ce moyen n'est bon quee consiste
ci à juger la nécessité des événe-
lorsqu'il est parfait, et que tout ce qu'il y nnements, et l'imagination à vouloir en assi-
reste d'imparfait et de vicieux, loin d'êtree ggner le jour et l'heure (Matth. xxi\, 36), dont
un moyen d'ordre, est un principe de des- l'l'Etre suprême s'est réservé la connaissance.
truction. Non-seulement il est conséquent à Cependant
C il y a même des indices certains
certaines opinions de croire au retour dee d'une d nécessité plus ou moins prochaine
l'ordre dans la société, mais il est extrême- dans
d les événements. Par un effet des lois
ment utile d'en indiquer les moyens, quel-I- générales
g de l'ordre conservateur des so-
que éloignés même qu'ils paraissent dess ciétés c: les grands remèdes suivent les
idées dominantes, parce qu'il n'y a rien dee grands
g maux, et de nouveaux besoins de-
plus faible et de plus variable que des idéess mandent
a de nouvelles ressources. Ainsi la
dominantes, quand elles sont fausses onu bboussole et les lunettes astronomiques fu-
ne doit pas même taxer ces moyens de sévé- rentr<
rité et de dureté, car lorsque la société a étéé veau-Monde
inventées pour la découverte du Nou-
v et l'imprimerie naquit pour
1 livrée longtemps des précepteurs corrom- i- fl'instruction de la société, lorsque, fixée
pus qui lui ont prêché une doctrine fâche ett dans
d son système politique, elle eut plus
faible, parvenue à l'extrémité du cercle dess besoin
b de se perfectionner que de s'éten-
idées morales, elle touché aux idées fortess dre d ainsi le quinquina a été trouvé contre
la fièvre, et, si l'on veut, l'inoculation con- esprit à séduire et à corrompre les autres,
tre la petite vérole. et s'ils sont ambitieux, et d'un caractère un
Or il n'est que trop aisé d'apercevoir la peu d-ur, ils seront capables, pour leur plai-
raison nécessaire de l'établissement pro- sir ou leur avancement, de mettre le feu aux
chain d'un grand moyen, d'un moyen public quatre coins de la terre, et j'en ai connu de
d'ordre et de conservation, lorsqu'on voit, cette trempe. Je trouve même que des opi-
d'un bout à l'autre de l'Europe, une conju- nions approchantes, s'insinuant peu à peu
ration ouvertement tramée ( 1 ) contre la dans l'esprit des hommes du grand monde
société, dont le but et les efforts tendent vi.. qui règlent les autres, et d'où dépendent les
siblement et constamment à pervertir les affaires, et se glissant dans les livres à la
esprits, en y effaçant toute idée d'ordre pré- mode, disposent toutes choses d la révolu-
sent et futur, d'existence de Dieu, d'immor- tion générale dont l'Europe est menacée. Si
talité de l'âme, de peines et de récompen- l'on se corrige encore de cette maladie épi-
ses à venir, et ne donnant à l'homme ni une démique, dont les mauvais effets commen-
autre origine, ni une autre nature, ni une cent à être visibles, les maux seront peut-
autre fin qu'aux plus vils animaux. Non- être prévenus mais si elle va croissant, la
seulement ces doctrines sont répandues Providence corrigera les hommes par la ré-
dans tous les écrits et professées dans tou- volution même qui en doit naître; car, quoi
tes les écoles, mais elles ont été un mo- qu'il puisse arriver, tout au bout du compte
ment soutenues par les armes, et elles le tournera toujours pour le mieux en géné-
sont encore par tous les moyens d'intrigue, ral. » (Nouveaux essais sur l'entendentent hu-
de séduction, et même de violence, que l'on main.)
peut employer à l'ombre du mystère. Et Cet auteur venait de perler de la singu-
certes-, sans rappeler ici ce que nous avons lière force d'âme que montrent les sauvages
vu depuis longtemps en France et ailleurs, au milieu des privations et des tortures, et
sans citer de trop fameuses correspondan- il ajoute ces paroles remarquables « Tout
ces, il sufrira, pour juger des progrès de ce qu'une merveilleuse vigueur de corps et
cette doctrine et des succès déplorables de d'esprit fait dans les sauvages entêtés d'un
ses adeptes, de remarquer que toutes les point d'honneur des plus singuliers, pour-
grandes vérités du christianisme sont hau- rait être acquis parmi nous par l'éducation
tement attaquées, et son culte publiquement et des privations bien réglées. Je ne m'at-
méprisé, au point que nous venons de voir tends pas qu'on fonde sitôt un ordre dont le
le roi de Prusse ordonner par un édit, aux but soit d'élever l'homme à un haut point
classes élevées de ses Etats, de faire don- de perfection. Comme il est rare qu'on
ner à leurs enfants le signe et le sceau du soit exposé aux extrémités où l'on aurait
christianisme sur lequel l'autorité du con- besoin d'une si grande force d'âme, on ne
sistoire lui-même avait montré une coupa- s'avisera guère d'en faire provision aux dé-
ble indifférence. pens de ses commodités ordinaires, quoi-
Ces conjectures, au reste, sont, appuyées qu'on y gagnerait incomparablement plus
sur une autorité bien respectable. Le génie qu'on n'y perdrait, et cependant cela même
philosophique le plus étendu qui ait paru est une preuve que le bien surpasse le mal;
parmi les hommes, Leibnitz, qui pénétrait puisqu'on n'a pas besoin d'un si grand re-
dans les profondeurs de la société comme mède. » (Théodicée.)
dans les abîmes de l'infini mathématique, Au point où est parvenue aujourd'hui la
prévoyait, dès le commencementde ce siè- société, et aux dangers qui la menacent
cle, les malheurs dont la société était mena- même au milieu de sa prospérité apparente,
cée, et en indiquait le remède. Le passage et peut-être par cette apparence môme de
est trop curieux pour qu'on ne me permette prospérité, Leibnitz jugerait qu'eile est
pas de le transcrire. « exposée à des extrémités où elle a.besoin
« Ceux qui se croient déchargés de l'im- dans ses défenseurs dlune grande force
portune crainte d'une Providence surveil- d'âme, et que le mai surpasse assez le bien
lante et d'unavenirmenaçant, lâchentla bride pour qu'elle ait besoin d'un si grand re-
à leurs passions brutales, et tournent leur mède. »

(1) Des hommes qui, en 1780, ne voyaient en doctrines sur nos malheurs. Cette opinion fait plus
France que de bons citoyens et de bonnes inten- d'honneur à leurs vertus qu'à leurs lumières,
tions, nient aujourd'hui l'influence de toutes ces
Enfin l'expérience vient montrer la possi- dence mais ils n'ont pas fait assez d'atten-
bilité de ces institutions dont le génie pré- tion qu'en laissant à part les événements
voit, dont le raisonnement établit la néces- politiques qui en ont précipité la ruine, et
sité. dont nous avons fait connaître les plus re-
En effet, l'institution du ministère politi- marquables, la chevalerie car il faut la
que dans les Etats chrétiens n'est pas nommer, a péri, parce qu'elle était unique-
comme la République de Platon, ou l'Utopie nient dans les mœurs, et qu'elle n'était pas
de Thomas Morus, un rêve que l'imagina- constituée par les lois. La force des choses
tion enfante, et que la raison n'a jamais réa- lui avait donné naissance l'Etat n'en avait
lisé. Cette institution a existé en Europe, pas assuré la durée et les progrès car si
même dans une haute. perfection (.1) et c'est aux mœurs à inspirer les lois, c'est
dans des temps qu'on peut regarder comme aux lois à fixer et à maintenir les mœurs.
voisins du nôtre, la chrétienté a vu un or- C'était encore un principe de désordre, et
dre entier d'hommes dévoués, corps et biens, par conséquent de ruine, que le défaut ab-
à la d'éfense, et même à l'ornement de la so- solu de connaissances administratives ou
ciété. L'Europe a admiré ce mélange singu- même économiques, dans ces temps où l'art
lier de vertus publiques et privées, reli- d'écrire et celui de l'imprimerie, moyens
gieuses et politiques, de hauteur dans les indispensables de tout ordre parmi les hom-
sentiments et de simplicité dans les maniè- mes, et de toute administration des choses,
res, de courage contre J'ennemi et de res- étaient ignorés ou peu connus même dans
pect pour ia faiblesse. Que dis-je? non- les conditions les plus élevées que nos
seulement l'Europe a vu cette institution, mal heureuses guerres saus les Valois avaient
mais elle a vécu jusqu'à présent sur le exclusivement jetées dans le métier des ar-
fonds de vertu, de décence, de loyauté mes, contre l'esprit et jes habitudes primi-
qu'elle en avait reçu feu sacré dont les tives de leur institution. Un corps de ci-
faibles étincelles, conservées sous les rui- toyens destinés à des fonctions publiques
nes du temps et des passions, se seraient les doit remplir, non-seulement avec fidé-
ral'umées parmi nous, si un souffle puis- lité, mais avec ordre et intelligence et faute
sant avait su les ranimer. d'une sage discipline dans les hommes, et
Je sais que les hommes, qui concourent d une administration attentive des choses, il
tout par leur action, qui altèrent tout par peut arriver qu'il périsse malgré les vertus,
leurs vices, mêlèrent trop souvent leurs même de ses membres, et qu'il succombe à
passions à la perfection de cette institution, des vices intérieurs au moment qu'il jette au
et se firent des vertus qui n'étaient pas tou- dehors Jé plus grand éclat. La chevalerie se
jours des devoirs mais quand même on distinguait par sa valeur dans les combats,
pourrait ne pas ajouter une foi entière à mais elle laissait échapper la victoire par
tout ce que les historiens contemporains son indiscipline, comme elle rendait dans
nous ont transmis de cette antique constitu- les tribunaux des jugements iniques avec
tion des ministres politiques, dont on exa- une probité scrupuleuse il lui manquait
gérait alors les vertus, comme de nos jours une règle à laquelle on ne savait pas la
on en a exagéré les vices, il ne serait pas plier, et des connaissances qu'on ne savait
meins étonnant qu'on eût dès lors des no- pas lui donner, car on obtient des hommes
tions si justes, si élevées sur les devoirs de tout ce qu'on sait leur demander ou leur
l'homme public, sur les besoins de la so- commander.
ciété, sur la perfection, en un mot, à la- Les moyens mécaniques d'ordre public et
quelle l'homme peut être élevé par le moyen d'administration ont été portés dans les Etats
des institutions, et la société par le minis- modernes au plus haut point de perfection.
tère de l'homme. Il ne leur manque plus que d'y joindre les
Les écrivains ont rechérché l'origine de moyens moraux, sans lesquels les autres ne
cet établissement et les causes de sa déca- sont rien, c'est-à-dire qu'il leur manque
ti) La chevalerie a existé en France, en Espa- des engagements particuliersau-dessus des devoirs
gne, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, dans publics souvent elle employa trop de force à ren-
tous les Etats chrétiens et monarchiques le Nord dre la justice, et ses idées exagérées, même sur la
était encore idolâtre, et la Grèce soumise à des vertu, donnèrent, comme toute exagération, prise
despotes dont la succession rapide, ouvrage de la au ridicule. Un homme de génie le saisit, et de là
violence, ne pouvait compatir avec une institution ce roman de Don Quichotte, le premier de tous les
dont le caractère était la féodalité ou la fidélité. La romans, et qui partage avec un petit nombre de
chevalerie eut ses abus elle mit presoue toujours livres l'honneur d'avoir fait révolution.
des hommes formés à la perfection sociale sortit une puissance qui eut toujours les
pour perfectionner la société elle-même, en armes à la main, et qui, devenue le boule-
y portant les vertus au même degré que les vard de la chrétienté,' lorsqu'il n'y en avait
connaissances. pas d'autre, a vu trois fois toutes les forces
Cependant on aurait tort de croire qu'il ottomanes se briser contre ]erocher qui for-
soit laissé uniquement à la volonté et aul mait son territoire, et a donné le temps à la
choix de l'homme d'établir ou de relever de> maison d'Autriche de s'étendre, et à l'empire
si hautes institutions. L'homme peut en[ russe dé se former.
concevoir la pensée, ou même en imaginerr Il y a trois siècles qu'à l'époque de l'inva-
l'organisation; mais l'exécution dépend[ sion du luthéranisme et de la découverte du
d'une disposition secrète dans les esprits, ett Nouveau-Monde, quatre ou cinq étudiants
d'un arrangement de circonstances exté- de l'université de Paris s'engagèrent dans
rieures qui ne peuvent se trouver qu'après l'église de Montmartre à changer l'univers,
de grands événements, et trop souvent, hé- c'est-à-dire à instruire le monde chrétien,
las 1 après de grands malheurs. Ce sont des et à convertir le monde idolâtre; et vingt
remèdes qui ne naissent jamais que de l'ex-“ ans après, ils occupaient le monde entier,
cès des maux; ce sont des troupes qu'oni catéchisaient les enfants en Europe, et bap-
lève pour la guerre, et qui ne se formentt tisaient les rois dans les Indes.
qu'au milieu des combats; et pareils auxc Quoi qu'il en soit, l'homme qui s'est fait
ouvriers du second temple, leurs fondateurs une juste idée de la beauté de l'ordre et de
ont le marteau d'une main pour bâtir, ett sa nécessité, doit hâter par ses vœux, et,
l'épée de l'autre pour combattre. C'est là s'il le faut, par ses démarches, l'élablisse-
surtout ce qui distingue les institutions na- ment d'une classe d'hommes fondée par la
turelles et nécessaires de la société des ins- religion, et ordonnée par la politique pour
titutions arbitraires et factices que l'homme> la défense de la société religieuse et poli-
fonde même avec les intentions les plus tique, comme le seul et le plus puissant
Jouables, mais sans aucune nécessité. moyen de la conservation de l'ordre parmi
Ji y a trois siècles à peu près que danss les hommes, et à qui toute autre occupation
toutes les cours de l'Europe les princes soit interdite que celle de servir la société
créent de nouveaux ordres de chevalerie» sous les ordres de son pouvoir, dans les
pour les hommes, et quelquefois même pourr fonctions de juger et de combattre, qui coin-
les femmes, dans les vues politiques, ett prennent tout le service que l'homme peut
même religieuses les plus innocentes. Ces rendre à la société par son esprit ou par son
ordres sont à leur naissance l'objet de la1 corps. Ces fonctions sublimes rendent ceux
faveur la plus déclarée et de l'ambition laj qui y sont consacrés, les hommes, non de la
plus active, enrichis, décorés par les princes famille, mais de la nation (gentis homines),
qui s'honorent d'en porter les marques, ett et elles les donnent en spectacle aux autres
cependant leur existence, ou du moins leur pour en être remarqués par leurs vertus
considération est de courte durée. Il n'est t [nobiles, qui vient de notare, remarquer).
pas même possible d'assigner aucun bieni Ils doivent donc se rendre capables, par une
véritablement public et durable qui en soitt éducation particulière et un genre de vie
résulté, et il est au contraire aisé d'aperce- convenable, de cet important ministère. Ces
voir la révolution qu'ont dû produire dans3 hommes, ou plutôt ces familles, sont les
les idées et dans les mœurs des institutions ministres, c'est-à-dire les serviteurs de la
qui mettent, chez les uns la vanité à la place société, distingués par conséquent de ceux
de la conscience, et chez les autres, la ja- qui sont servis, et de là vient que le mot de
lousie à la place du respect, parce qu'elless service est affecté dans toutes les langues
distinguent l'homme par des marques exté- chrétiennes aux fonctions militaires et judi-
rieures, sans l'obliger à des devoirs plus ciaires, et le mot d'officier, ab officio, à la
rigoureux. Voilà les institutions humaines, personne qui les remplit.
voici celles de la nature. Il y a huit siècles qu'ài « Esclaves de ce maître dur et injuste »
l'époque du développement de la puissanceî (du public), est-il dit dans la Théorie du
mahométane,et du danger imminent dont elle3 Pouvoir, « obligés de souffrir ses caprices,
menaçait l'Europe, quelques pèlerins de lat souvent d'éprouver son ingratitude, quel-
terre sainte disposèrent sous des tentes uni quefois d'essuyer ses fureurs, ils, assurent sa
hospice pour les malades, et de cet hospice liberté aux dépens de la leur, et ils payent
leur distinction de leur servitude. C'est la familles nobles, et la clause de la réversion
solution du problème que J.-J. Rousseau se des fiefs titrés à la couronne., faute d'hoirs
propose, et qu'il ne sait comment résoudre, ë, mâles, élaientdes traces de ces usagesanciens.
Quoi 1 dit-il, la liberté (de tous) ne se main-
n-
tient qu'à l'appui de la servitude (de quel- CHAPITRE XIII.
ques-uns) Peut-être. »
L'imagination,je le sais, ne voit qu'éclat CONSTITUTION DOMESTIQUE DU MINISTÈRE PU-
at
et honneurs là où la raison et la religion ne, BUC DANS LES PREMIERS TEMPS.
lie,
voient que devoirs. Elle se récrie sur cette te Il est sans doute intéressant de connaître
prétendue servitude et sur ces fonctions is par quels moyens l'institution singulière du
brillantes qu'il est si doux de remplir. Elle le(j ministère public, connue sous le nom de
juge ce qui devrait être par ce qui était trop >P chevalerie, s'était formée en Europe mais
souvent; et cependant tels sont les devoirs rs il faut se rappeler, ce que nous avons déjà
auxquels la société, pour ses besoins, de- observé, que cette institution était dans les
vrait soumettre les familles consacrées auu mœurs plutôt que dans les lois; que tout y
ministère public, que le dévouement de- était en traditions, et rien en lois écrites;
viendrait pour les autres un sujet de frayeur ir qu'elle n'était dans plusieurs points, même
plutôt qu'un objet d'envie. Si l'on veut it essentiels, qu'indiquée, et non développée
même détourner les yeux de cette opulence e en un mot, que cette institution si perfec-
que quelques familles nobles partagent enn tionnée quant aux sentiments, et même aux
Europe avec un nombre bien plus grand deo vertus qu'elle a produites, n'était encore que
familles commerçantes, et qui n'était pluss dans l'enfance sous le rapport des règle-
remarquée que parce qu'elles en faisaient it ments de disciplina qui pouvaiert la per-
un, emploi plus généreux, quelle condition n pétuer.
plus dure que celle d'une multitude de fa- Comme il est de l'essence du ministère
milles que l'opihion de leur dignité retenaitt politique d'être propriétaire de terres, c'était
dans une pauvreté héréditaire, que cepen- une nécessité aux familles nobles d'habiter
dant elles devaient faire honorer, et qui, nee les campagnes, et leur séjour y était* utile
pouvant exercer aucun genre d'industriee pour elles et pour le peuple, par mille rai-
lucrative, étaient obligées, pour sortir dee sons domestiques et politiques. S'il est une
l'indigence, de produire un cardinal ou un1 vérité d'administration généralement re-
maréchal de France? Quant à la dépendance, connue, c'est que les campagnes ont tout
le ministère dans l'Etat est plus sujet que3 perdu par l'éloignement des grands proprié-
les sujets eux-mêmes,puisque ses membres, tai res, et. l'on peut, sans entrer dans d'autres
sujets comme les simples citoyens à toutess détails, regarder comme un axiome de ia
les lois religieuses, domestiques et politi- science de l'économie publique, que tout ce
ques, sont de plus soumis aux lois particu- qu'il y a de bon, de nécessaire à apprendre
lières à leur profession. « L'infériorité, »ditt ou à inspirer au peuple en agriculture, en
Terrasson, « semble plus marquée dans le3 habitudes domestiques, même en morale
second rang que dans le dernier, » et il estt pratique, tient à la constitution domestique
vrai de dire que le pouvoir a sur ses mi- des familles vouées au ministère public, à
nistres une autorité particulière et presquee leur résidence habituelle sur leurs proprié-
arbitraire qu'il n'a pas sur les sujets. Danss tés. « Les bois et les champs, » dit un ancien
les premiers temps, les familles vouées aui auteur, « forment plus la noblesse. que les
ministère politique dépendaient du pouvoirr villes ( 1 ). » On ne manquera pas de m'op-
de l'Etat, au point qu'elles ne pouvaientt poser les désordres de la féodalité, et toutes
marier leurs filles sans sa permission. Il1 les déclamations que des esprits chagrins ou
avait la tutelle de leurs enfants, souvent lai prévenus se sont permises contre cette ins-
jouissance des biens pendant les minorités, titution plus naturelle qu'on ne pense, puis-
et même quelquefois il héritait de leur mo- que, selon Condorcet, « on la retrouve à la
bilier. Les familles nobles lui donnaientt même époque chez tous les peuples.» La
leurs enfants comme otages de leur fidélité. féodalité signifie la fidélité, et si les abus en
La coutume chez les princes do faire élever étaient devenus odieux, l'origine assurément
auprès d'eux, comme pages, des enfants des> en était respectable, et la nature essentielle-

le
1
(r D).
APlus rura et
droit public au
_6

xv siècle.
-f~
nemus conferunt ad
-,t consequendam
_1 nobUitatem quam urbes, dit Pogge, qui écrivait sur
ment bonne. Les abus de la féodalité te- sinage des villes, les autres se sont appau-
naient moins à la disposition des hommes, vries
i et dépeuplées.
toujours et partout les mêmes, qu'au mal- Il faut le dire, puisque la force de la vé-
heur des temps et à la faiblesse de l'autoritéé rité
i en -arrache l'aveu à l'inconséquent écri-
publique. Les vices de la politesse ont suc- vain que nous venons de citer, le régime
cédé aux désordres de la violence mais, si,i féodal
i a peuplé les campagnes Je régime
l'on prenait le tableau des jugements crimi- fiscal
1 commercial, philosophique, a agrandi
nels pour mesure de la bonté d'une nation à les villes l'un appelle Je peuple à la pro-
ses diverses époques, je crois qu'on trouve- priété par des démembrements et des inféo-
rait aujourd'hui des forfaits plus odieux ett dations de terres; l'autre le fait subsister
plus fréquents qu'ils ne l'étaient dans cess par des fabriques, en attendant de t'enrichir
temps décriés, et du moins on remarqueraitit par des pillages. Celui-ci procure à l'homme
que les grandes expiations et les sentimentss une subsistance précaire et variable, comme
de repentir sont beaucoup plus rares de noss les chances du commerce, et, qu'il reçoit
jours, parce que l'homme alors était empor- tous les jours, sous la forme d'une aumône,
té, et qu'aujourd'hui il est corrompu. Mais, du fabricant qui l'occupe celui-là donne à
en laissant à part ces récriminations, et lee la famille un établissement indépendant de
parallèle qu'on pourrait établir entre less l'homme et fixe comme la nature l'un, en
siècles de la religion et les siècles de laa un mot, donne des citoyens à l'Etat, l'autre
philosophie, entre les temps de la féodalité é élève des prolétaires pour les révolutions
et ceux de la fiscalité, nous nous contenté- et quelle que soit la manie de la déclama-
rons de citer un passage extrêmement re- tion, comme il faut toujours en revenir aux
marquable du plus grand ennemi de la féo- »- faits, il est à remarquer que l'établissement
dalité, et de tout ce qui s'y rapporte. « Lee des manoirs champêtresdate presquetoujours
gouvernement féodal, » dit Mably, « étaitit des temps de la féodalité, et que la destruc-
sans doute ce que la licence a imaginé dee tion des nombreux hameaux dont on re-
plus contraire à la fin que les hommes see trouve les vestiges dans les campagnes et le
sont proposée en se réunissant en société. >. nom dans les chartes, a concouru avec les
Cependant, malgré ses pillages, son anar- progrès du commerce et l'accroissement des
chie, ses violences et ses guerres privées, cités.
nos campagnes n'étaient pas dévastées com- i- II paraît que,.dans _les premiers âges des
me elles Je sont aujourd'hui. L'espèce dee monarchies de l'Europe, il régnait plus d'é-
point d'honneur qu'on se faisait de compter !«" galité dans la fortune des diverses familles
beaucoup de vassaux dans sa terre servait it de l'ordre politique, puisque chaque terre
de contre-poids à la tyrannie des fiefs. Loinn avait son seigneur particulier, et que l'éten-
de dévorer tout ce qui l'entourait, le sei- due respective des fiefs était moins inégale
gueur principal faisait des démembrements ;s qu'elle ne l'est devenue depuis par leur ag-
de ses terres pour se faire des vassaux, et't glomération, surtout depuis leur érection en
les familles se multipliaient sous sa pro- titres d'honneur. Alors peut-être, si chaque
tection. » famille n'avait pas une fortune considérable,
Je le demande à tout homme sensé et im- i- toutes avaient une fortune suffisante, et cela
partial, si le régime qui multiplie les hom- devait être ainsi car l'indigence et l'ex-
mes, protège les familles, les appelle à laa trême opulence aboutissent également à la
propriété et préserve les campagnes de laa corruption.
dévastation, est contraire à lu fin de la so- Le moyen par lequel cette égalité s'était
ciété, quelle est donc la fin de la société ? et;t introduite avait été lent, mais sûr, comme
quel est le régime qui lui convient? Si c'est ;t tous les moyens que la nature emploie pour
]à de l'anarchie ou de la tyrannie, quel nom n former et pour maintenir son ouvrage. Il
donnerons-nous à l'anarchie et à la tyranniee consistait dans des substitutions en faveur
dont nous avons été les témoins et les vic- des aînés, et par conséquent dans l'innlié-
times ? A des seigneurs guerroyants ont suc- nabilité perpétuelle des propriétés féodales.
cédé des gens d'affaires avides, des procèss Cette loi existait encore en France et plus
ruineux à des incursions passagères, et dess ou moins dans toute l'Europe, quoique très-
impôts excessifs à des redevances ridicules. affaiblie pardes administrationsimprudentes
Les campagnes n'y ont pas gagné, et à part ,t qui se réjouissaient de voir grossir le fisc
celles que vivifie, en les corrompant, le voi- par la fréquence des mutations de propriété,
lorsqu'elles auraient dû gémir sur les causes veiller à l'éducation de tous, et non à l'édu-
de ce déplacement.Sans doute, si les moyens cation de quelques-uns; et il était assuré-
d'administration eussent été aussi connus ment contraire aux intérêts de l'Etat de pro-
dans ces temps reculés qu'ils le sont de nos curer aux enfants des familles nobles tom-

au
jours, les formes de la comptabilité aussi per-
fectionnées, et les hommes même aussi as-
souplis joug des lois politiques,
l'ordre politique aurait établi, comme celui
du clergé, une administration centrale de
bées dans l'indigence, une éducation reli-
gieuse et politique, et de laisser les enfants
des familles les plus opulentes recevoir une
éducation philosophique.
Mais ce qui, surtout, maintenait, dans les
contributions communes pour fournir à l'é- temps anciens, les fortunes des familles du
ducation des enfants, à l'acquit des charges ministère politique dans un équilibre plus
communes, à l'amélioration même des biens. voisin de l'égalité, et qui prévenait, dans
C'eût été un moyen puissant et le plus puis- quelques familles, un accroissementexcessif
sant de tous,.de rapprocher les fortunes par- de richesses, qui n'arrive jamais sans que
ticulières de l'égalité, de vivifier les cam- d'autres familles ne tombent dans l'indi-
pagnes, de perfectionner l'agriculture par gence, était la modicité ou même la nullité
des prêts faits à tout propriétaire de fonds des dots des femmes; coutume antique et
ruraux indistinctement, sous caution mais respectable, que les Francs avaient,apportée
sans intérêt et uniquement pour des tra- avec leur constitution des forêts de Germa-
vaux d'amélioration; enfin d'offrir à l'Etat, nie. Cette loi si éloignée de nos mœurs peut
dans ses extrêmes nécessilés, des ressources être regardée comme le moyen le plus effi-
immenses et "pareilles à celles qu'il trouvait cace, et le garant le plus assuré de tout
au besoin dans les richesses de la religion. bonheur dans la famille et de toute force
L'Etat aujourd'hui n'a partout qu'un fisc, dans l'Etat, de tout bien domestique et po-
aliment de prodigalités et de luxe, et tou- litique, physique et moral mais, comme
jours vide au moment du besoin; il auraitt toutes les bonnes lois marchent ensemble,
eu alors dans les richesses des deux ordres ainsi que tous les abus, cette loi peut-être
chargés du ministère public, deux trésors en nécessiteraitd'autres sur le consentement
uniquement disponibles pour les extrêmes du père au mariage de ses enfants, et de-
dangers car il n'y a pas d'Etat plus malaisé vrait rendre beaucoup moins facile la voie
à défendre que celui où il n'y a de riche des sommations respectueuses. Les nobles,
que des individus, comme en Hollande et en en Allemagne, perdent certains avantages
Suisse, parce qu'alors il faut tout faire avec en s'alliant hors de leur ordre; en France,
des impôts tôt ou tard onéreux, et qu'on ne les mésalliances n'étaient pas connues de la
peut défendre le territoire sans ruiner ou loi, parce que les femmes n'avaient pas
indisposer les habitants. d'existence politique toute femme prenait
Cette administration intérieure de biens de droit, dans la société, le rang de son
communs n'était pas totalement ignorée en mari, comme elle en prenait le nom, et elle
France dans les temps anciens; il paraît transmettait l'un et l'autre à ses enfants. On
même par les fondations de monastères ne sait pas assez combien en France toutes
qu'ont faites, à ces époques reculées, des les idées étaient justes, et toutes les lois na-
souverains ou des membres de l'ordre, pour turelles.
l'éducation des enfants des nobles, ou l'éta- Au reste, j'ai moins besoin de m'étendre
blissement de leurs ûlles, qu'il y avait dès sur les effets salutaires de la coutume an-
lors des idées de communauté d'intérêts; et cienne de ne point doter les femmes, que de
même, de nos jours, la noblesse de Bretagne justifier ma témérité à en rappeler le sou-
avait fondé un établissement où les enfants venir au milieu d'une nation possédée de
des deux sexes des familles les plus paiï- l'auri sacra fames, et où marchent du même
'rres recevaient une éducation gratuite. Je pas la soif inextinguible de s'enrichir par
'le parle pas des maisons que les rois avaient toute sorte de voies, et la fureur prodigieuse
fondées dans les mêmes vues puisque l'au- de consommer par toute sorte de- folies. Je ·
torité s'occupait d'éducation, elle aurait dû n'ai qu'un mot à dire; telle loi est chimé-

( 1 ) L'homme alors était plus docile aux lois de sa docilité religieuse, et, moins soumis à Dieu,
religieuses qu'aux lois politiques; aujourd'hui il a il est plus dépendant de l'homme.
perdu de sa fierté politique. à mesure qu'il a-perdu
-J~.I.a.A.I.a. a..v.u.mv.v. < ML'il:1
'l'lU1\IlT. Il. DU
rique dans un système, qui devient naturelle raux était réservée aux ministres de
ri
MU.. 1"1J15LIt., 1£14;
la so-
dans un autre. Il est impossible de fixer en cciété. »
l'air, à trois cents pieds de terre, un globe Dans toute société naissante, et qui tra-
de vingt pieds de diamètre mais si l'on en vaille
v à s'étendre, comme pour l'homme en-
fait le couronnement d'un .édifice, ce globe fant,
fi le corps domine l'esprit, et les exerci-
se trouve placé naturellement à la hauteur ces
c de l'un sont plus estimés que les con-
donnée. C'est ainsi que les lois somptuaires, naissances
n de l'autre dans la société per-
impraticables pour l'individu, sont partout fectionnée, ainsi que datas l'homme fait,
f<
pratiquées sur les corps, même militaires, l'esprit
l' doit prendre le pas sur le corps, et
qu'on soumet à la plus rigoureuse unifor- l'instruction
l' régler la force et la guider.
mité de tenue et de vêtements. Au reste, Cependant,
C dans ces derniers temps, on
dans tout ce qui me reste à dire, le lecteur négligeait
n peut-être trop les exercices du
ne doit jamais perdre de vue que je fais un corps
c pour les arts frivoles et sédentaires.
rêve politique, sans allusion, sans intention Les études qui conviennent à des hommes
pour le temps présent. On souffre tant de publics
p devraient être sévères comme leurs
romans de frivolité ou même de licence, fonctions, et graves comme leurs devoirs;
fi
qu'on peut bien pardonner un roman de t devrait s'y rapporter au bien de la
tout
perfection; cette fiction n'est pas dange- société,
s peu à la satisfaction personnelle de
reuse. l'individu.
1 Il faut laisser à l'homme la
qui enfle c'est assez pour le mi-

•"
science
s
CHAPITRE XIV. nistre de celle qui édifie. Ainsi l'homme
r
dévoué
c au ministère politique devrait être
CONSTITUTION POLITIQUE DU MINISTERE DANS instruit dans l'art de l'agriculture, le pre-
1
LES PREMIERS TEMPS, CONSIDÉRÉ RELATI- mier
( et le plus noble des arts domestiques,
VEMENT AUX PERSONNES. dans la science de la guerre et dans celle de
G

Puisque la fonction de l'ordre politique la paix il doit connaître l'histoire, la poli-


est de juger et de combattre, le devoir de ttique, la jurisprudence, la littérature même,
chaque membre de l'ordre était de rendre instrument
i universel des sciences morales.
son esprit et son corps capables de remplir Au reste, les opinions des Romains sur la
les fonctions morales et physiques auxquel- culture
c des arts frivoles, qu'ils abandon-
les il était appelé. De là suivait la nécessité naient
r aux esclaves et aux affranchis, ne
d'une éducation physique à-la fois et mo- rnous étaient pas totalement étrangères, et
raie, religieuse et politique, domestique peut-être
1 ne s'étaient-elles que trop affaiblies
pour chacun dans sa famille, et dès ses chez
c nous. La culture de certains arts n'est
premières années; publique pour tous dans qu'un
( plaisir elle est un ridicule, si elle
les établissements publics, et pour un Age devient
( passion; et. quoique les arts agréa-
plus avancé; et cette éducation obligée pour bles
1 soient un délassement honnête oumême
chacun aurait dû être uniforme pour tous, une
l parure utile, qui ajoute la perfection
parce que l'Etat doit l'éducation à tous ses des
( manières à celle des mœurs, il ne faut
ministres, comme il doit des armes à tous pas
1 perdre de vue qu'il n'y a de noble que
les devoirs. Je ne crains pas de dire que la
ses soldats.
jeunesse aujourd'hui,cultive jusqu'à l'excès
Dans les temps anciens, les enfants des certaines sciences qui dessèchent le cœur,
premières familles recevaient une longue (
rendent le corps inhabile à l'exercice, et
éducation dans les monastères fondés par
l'esprit à la méditation des vérités morales.
!eurs pères, et ceux d'un rang inférieur
]Bossuet estimait peu ces sciences exactes,
étaient élevés comme pages dans les mai- et faibles,
« vaine pâture des esprits curieux
sons et à la cour des premiers. « Aussi, » qui croient savoir quelque chose, parce
disent les Mémoires déjà cités, sur l'ancienne t
qu'ils savent les propriétés des grandeurs
chevalerie, « la chevalerie avait recom-
mandé à ses premiers disciples de s'appli- et des petitesses. » Fénelon redoutait la sa-
tisfaction attachée à l'évidence de leurs pro-
quer également aux lettres et aux armes positions, et Descartes lui-même en faisait
et un ancien poëte, dans une ballade dont
chaque couplet se termine par ce refrain assez peu de cas. Elles ne redressent pas un
esprit faux, et n'apprennent pas à raisonner
Ces chevaliers ont honte d'être cieres, en morale à un esprit naturellement droit;
regrette le temps où l'étude des arts libé- et pour quelques génies qu'elles n'étendent
que parce queux-mêmes en reculent less 1ère public,n'était, commeje l'aidéjàobservé,
bornes, elles étouffent un grand nombre des que le jugement des actions deThomme, ou
bons esprits qui se forcent, et peut-être quii la justice criminelle; car il n'y a que ce jn-
< s'épuisent dans ces pénibles et ingrates con- gernent qui appartienne essentiellement et
templations. Au reste, il est à remarquer exclusivement au pouvoir public., puisque
qu'on n'a jamais débité plus d'erreurs sur• la justice civile ou le règlement des intérêts
les principes de la société, ni fait plus de personnels peut-être, et même est très-sou-
fautes dans la conduite des affaires publi- vent suppléé par l'accord des parties elles-
ques, que depuis qu'on a découvert plus de mêmes, ou décidé par des arbitres dont elles
vérités dans les sciences physiques, et qu'on conviennent. J'ai même fait observer, à l'ap-
en a fait des applications plus heureuses pui de cette assertion, que l'anoblissement
ce qui prouve qu'on peut savoir tout ce que en France, pour les charges de magistra-
Newton et Lavoisier savaient en géométrie ture, n'était, dans l'origine et selon la cons-
et en chimie, sans connaître un mot de ce titution, attaché qu'à la fonction de juger en
que savait Bossuet sur la politique, et Sully dernier ressort en matière criminelle, et
sur l'administration. d'infliger des peines capitales.
Quoi qu'il en soit, les ministres de la On pourrait peut-être en conclure qu'il
société politique ne doivent pas laisser à eût été conforme à l'esprit des lois politiques
d'autres la supériorité des connaissancesné- de la France, d'attribuer au troisième ordre
cessaires à la société, qui peuvent donner de exclusivement la connaissance des causes
la considération à leurs personnes, et une civiles, en faisant de cette fonction la con-
direction plus juste et plus certaine à leur dition préparatoire et comme le vestibule de
action. La noblesse, en France, ne s'était l'anoblissement et d'attribuer exclusive-
pas, même sous ce rapport, trop écartée de ment aussi au ministère publie l'exercice de
la justice criminels on sait effectivement
sa destination. Les discussions éloquentes et
lumineuses qui ont eu lieu aux états généraux que ce fut pour juger au civil que les clercs
dans cette assemblée, la première du monde furent introduits dans les tribunaux. Ainsi
pour les talents, et jamais fameuse par l'u- les membres du troisième ordre auraient
jugé au civil ceux du second, et ceux-ci les
sage qu'elle en a fait, ont prouvé qu'il y avait
dans la noblesse, malgré le progrès des autres au criminel, ce qui peut-être eût
fausses doctrines, une instruction politique rendu plus rares les procès criminels et
aussi étendue que solide. Mais cette ins- civils, et établi entre tous les ordres une
truction n'était pas assez généralement ré- égalité politique, comme il y a une égalité
pandue, parce que, depuis l'abolition de native entre tous les hommes.
l'ordre des Jésuites, il n'y avait plus en H n'est pas hors de propos de, remarquer
France d'établissement nationald'éducation, que, dans le nouveau système judiciaire
et que tous ces colléges dispersés çà et là, établi en France, an a séparé les tribunaux
sans uniformité de régime, d'enseignement, criminels des tribunaux civils et même la
quelquefois même de principes, nie formaient procédure par j-ury., tout imparfaite et dan-
pas une institution publique Partout la reli- gereuse qu'est cette subUme institution, offre
gion présidait à l'éducation. Les gouverne- cependant une image de l'usage ancien,
ments, en laissant périr la religion, ont lorsque les seigneurs étaient assistés par les
succédé à ses charges succession onéreuse, hommes de leurs terres; les ducs, depuis
et dont iîs ne rempliront jamais sans elle sénéchaux, par les nobles de leur ressort;
toutes les conditions. le roi lui-même par son baronnage, ou pre-
miers juges des provinces trois degrés de
CHAPITRE XV. juridiction, dans lesquels le premier juge
ou le seigneur, le juge d'appel ou le séné-
CONSTITUTION DU MINISTÈRE POLITIQUE DANS chal, duc ou comte, le juge suprême ou le
LES PREMIERS TEMPS, CONSIDÉRÉ RELATI- roi, jugeaient chacun entourés de leurs pairs;
VEMENT A SES FONCTIONS. pairs entre eux, comme soumis aux mêmes
devoirs pairs del'accusé par leur condition
Nous avons considéré le ministère dans pairs d u juge, commepartageant ses fonctions
les personnes, nous aJionsle considérer dans et jugeant avec lui et comme lui. La cour du
ses fonctions. roi était d'abord unique; mais chaque feuda-
La fonction déjuger, quiconslitue le minis- taire ayant dans la suite usurpé la souverai-
1545 PART. ECONOM. SOC.

_•'
LEGISLATION PRIMIT. Il. DU M1N1STEUE PUBLIC. 154g
neté, et voulant en
neté.
en imiter les
pn
formes,
r«m»ii'v
remplir i»
les fonctions
f^«/i»;^«« “
ou
Du
établit dans ses Etats une
rigueurs que nécessite l'exercice de la jus-
~c.I.¡.a

ne tice.
cour suprême, devenue depuis un parle- le- C'était autrefois une belle et salutaire
ment particulier. C'est là l'origine des cours institution que celle qui réglait la hiérar.
de Normandie, de Dauphiné, de Bretagne, irs de chie politique fonctions publiques sur
Toulouse; etc., que l'étendue de la France la hiérarchie des
força depuis de conserver, et même de mul- ce domestique de. l'âge. Seniores,
il- dit Hincmar, ad consilium ordinandum, mino'
tiplier, et qui n'étaient que la justice publi- li- res ad idem consilium suscipiendurrï;les plus
que rendue en divers lieux. C'est pour ur anciens jugent, les plus jeunes exécutent ou.
mettre de l'uniformité dans des jugements its combattent. De là vient que les expressions,
rendus par des tribunaux et sans communi- i- majores natu, proceres, principes, duces,
cation entre eux, qu'avait été établi le ma-
n- gnates, primores, leudes, fidèles, seniores, dont
con-
seil ou le tribunal de cassation des jugements ts nous avons fait monseigneur, et par abrévia-
rendus contre les formes de la loi. La
du roi dans les temps anciens,
ir tion, monsieur, sont synonymes,|et expriment
cour
ne tenait, t, à la fois, dans les capitulaires et les anciennes
ses assises que dans une certaine saison de le chartes, la supériorité de l'âge et celle de l«
l'année, et elle était ambulante dignité, comme les expressions de junio-
comme les es
rois eux-mêmes mais les grands
vassauxix res, minores, vicarii vice comites, vice do-
dans leurs petits Etats, ou même,
nos rois
is mini castaldii (châtelains) ministeriales
réduits à la Picardie et à l'île de France,
ie (ministres), aussi synonymes entre elles,
ne
pouvaient voyager comme Charlemagne désignent à la fois l'autorité
dans son vaste empire. Peu à peu le de l'Age et celle
on s'ac-
> du grade.
coutuma à assembler les cours suprêmes dee
justice dans le même lieu, et pendant plus Non-seulemement l'ordre chargé du mi-
un ^s nistère public combattait l'ennemi inté-
long temps, et elles devinrent sédentaires.
Avec les tribunaux sédentaires commença rieur par le glaive de la loi, mais il était
'•
la profession de la plaidoirie, qui
a encore le bouclier de l'Etat contre l'ennemi
ne devrait
it
être qu'un accident, et comme une maladie étranger, et il s'était dans tous les temps
e
du corps social. Nos anciens jurisconsultes acquitté avec zèle et fidélité de cette hono»
attribuent l'introduction de la chicane ens rable et périlleuse fonction. Le service mi-
n litaire qui lui convenait le mieux était le
France au séjourdes étrangers à Avignon. Un
Q service à cheval parcé qu'il est plus dé-
autre abus naquit de la résidence des tribu-
naux dans les mêmes lieux; la présencee nécessaire
fensif qu'offensif, et qu'il. est toujours plus
continuelle de ces grands corps qui réunirentt pour une société de conserver ce
à perpétuité dans un même lieu qu'elle a acquis que de l'étendre. Les Ro-
un grand mains,
nombre de citoyens aisés, et qui en dépla- avec leur infanterie invincible, en-
cère.nt annuellement beaucoup d'autres, vahirent toutes les nations qui n'eurent à
attirés par leurs affaires, produisit la plu-» leur opposer que de l'infanterie, et ils
part de nos grandes villes, et une grande, .trouvèrent uns bmière insurmontable £
ville est un grand désordre. leurs progrès dans la nombreuse cavalerie
des Parthes, Cette vérité historique acquiert
11 ne faut pas croire
que l'institution des un nouveau degré de certitude lorsqu'on J'ap*
la justice fût défectueuse, précisément
plique à une nation qui,, comme la France
qu'elle était ambulante. La société, parcei
l'homme, voyage sans cesse
comme i actuelle, placée dans des limites naturelles,
si elle s'y repose, ce doit être
sur la terre fini son accroissement continental, et ne
la
sous tente; peut s'occuper, moins pour elle, que de
et si la justice n'est pas toujours en mar- défensive. C'est au
]

che, elle doit être toujours debout. La jus- <Rousseau pour cette raison que J.-J.
tice est comme ambulante en Angleterre,
1 conseille à la Pologne d'entrete-
et nir i une cavalerie nombreuse, si elle veut
i! se tient annuellement, dans les divers empêcher l'envahissement de son territoire
comtés, des assises pour le criminel. Mais < les
1par armées russes. Notre langue offre,
cette action suprême de la justice, qui de- dans
vrait être entourée de recueillement et do de c ses nombreuses locutions, la preuve
c la considération dont le service de la
respect, comme le sacrifice de la religion ca-
valerie
v jouissait autrefois en France et
auquel elle ressemble, est une occasion de même
plaisirs et de fêtes, qui font n de nos jours, la propriété des coai-"
un contraste pagnies
™UI
fâcheux nour tes
GEPVBES COMPL
mœUPS publiques
'Pb mœurs Publiaues avec les ou
OEPVBESCOMPL. DEM. DE BoîUtD. J,
nu M nu ,,“
p
c cranté
de cavalerie, supprimée il y a trente
quarante ans, conservait quelque chpjg
R™ t 43
de l'ancien usage où était le ministère poli- les
1 autres changeassent de place ou quittas-
tique d'aller au combat avec les hommes de sent
s la plume qu'ils avaient à la main.
(Cette armée était telle, qu'il
n'est pas au
ses terres. On peut même assurer que le
seul moyen d'avoir en France beaucoup de pouvoir
1 de tous les rois du monde d'en com-
chevaux, et de beaux chevaux, première ri- poser
1 une semblable, parce que le temps et
chesse mobilière d'une nation militaire, la
1 discipline l'avaient formée et qu'ils
appris, sous le grand Gustave, à
comme les bestiaux sont la première ri- avaient
<

chesse mobilière d'une nation agricole, est commander et à obéir. Si l'autorité des chefs
la résidence des uropriétaires sur leurs ter- était absolue dans l'armée, celle des minis-
res, et leur service à cheval,
aujourd'hui tres de la religion ne l'était pas moins n'é-
surtout ,,qu'on a mis à cheval jusqu'à l'ar- taient des censeurs sévèresqui ne souffraient
tillerie (1). ni le blasphème ni le scandale, en sorte que
et de la
Ces institutions s'accommodent à tous les le continuel exercice de la guerre
temps comme à tous les lieux, parce qu'elles discipline
rendait cette armée invincible. »
sont naturelles. Cette pospolite (on appelle Qu'on ne s'étonne pas de la préférence
la force proprié-
ainsi en Pologne la cavalerie propriétaire) que nos pères donnaient à
auraient trem-
n'était que brave dans un temps, elle serait taire sur la force soldée. Ils dé-
disciplinée dans un autre. On obtient tout blé de voir la société opposer pour sa ils
peuple indigent;
dés hommes, lorsqu'au lieu de leur répéter fense le peuple armé au
la loi doit plier sa force à distinguaient avec trop de soin les person-
sans cesse que publiques, et
leur faiblesse, on leur dit que leur faiblesse nes sociales et les fonctions simplicité, ils auraient
doit être soutenue par la force de la loi et sans doute, dans leur
qu'un gouvernement
leurs déréglements redressés par sa recti- eu peine à concevoir
tude lorsqu'au lieu de leur parler sans pût être tranquille, lorsque sa sûreté,solde son
de plaisirs et de jouissances qui font existence même, pouvaientteniraune
cesse quelques semaines, ou à
aimer la vie, on ne les entretient que de arriérée pendant quelques sous.
devoirs et de sacrifices qui la font suppor- une subsistance trop chère de autrefois
ter lorsqu'on leur dit enfin que la per- Le ministère public avait un
le de con-
fection étant la vraie nature de l'homme, et chef immédiat, connu sous nom
penchants sa nature corrompue, les lois nétable. Cette dignité, qui a sauvé l'Etat
ses l'Eglise sous Anne de
les plus contraires à ses penchants sont les sous du Guesclin, et
plus naturelles à sa raison. Montmorency, appartenait exclusivement à
été dangereuse, lors-
On trouve dans le journal de Louis XIV la noblesse, et elle a
de peut la force de la qu'elle a été confiée à des mains plus puis-
une preuve ce que t
discipline sur les hommes, preuveà laquelle santes. Les rois, en France, n'ont pas assez
officier était né-
rien ne peut être comparé dans l'histoire senti combien ce premier était le vicaire,
ancienne ou moderne, et qui offre de gran- cessairê au pouvoir dont il
des leçons aux chefs, et de grands exem- et tropalarmés sur
les trames ambitieuses de
fermé les yeux
ples aux subalternes. « Les Suédois, com- quelques hommes, ils ont
populaires à la
mandés par Gustave-Adolphe, avaient en Al- sur le danger des révoltes commis-
lemagne l'armée la mieux disciplinée quii place des dignités, ils ont créé des
courtisans,
ait jamais été. Tous les enfants qu'ils avaientt sions le prince a été entouré de
serviteurs.
eus depuis l'entrée de Gustave en Alle- et l'Etat n'a plus eu de
magne étaient 'accoutumés aux mousque- Ce premier officier du pouvoir existait
nobilitate, du-
tades. Quoique l'armée ne soit pas un lieui chez les Germains Reges ex
chez
fort propre pour élever la jeunesse, néan- ces ex virtute sumunt; il existait même
constituaient en
moins on prenait un soin très-exact de leurr les Romains, lorsqu'ils se
éducation, leur faisant apprendre à lire ett monarchie, et le maître de la cavalerie,
lieu-
à écrire dans de petites écoles portatives,i, tenant du dictateur, véritable monarque,
mêmes fonctions et presque le mé-
que l'on tenait dans le quartier ou dans lee avait les
camp. Les ennemis étaient quelquefoiss me titrepréposé que le connétable, cornes stabuli,
campés si proche, que le canon portait sur Ir comte à la cavalerie. Une dignité,
la petite école, où l'on a vu trois ou quatree qui était en quelque sorte le bras du pou-
enfants emportés d'un seul coup, sans quee voir, et qui soutenait un roi faible sans alar-
(1) Les Anglais richeshabitent beaucoup la aussi les chevaux sont-ils extrêmement multipliés en
campagne, et servent dans leur mitice achevai;
I; Angleterre.
i.wr. imam.– n. du jmiMsriiKE PUBLIC. 1350
fïrer un roi fort,
fort. a toujours evîcts on France
trminnr<s existé ».,“«“
je femmes fnmmnr des »“ de
/i/>r rois i>r..1..
j. l'Inde
jusqu'à Leuis X1I1, sous un nom en le bûcher de
qui périssent sur
leurs époux, la noblesse fran-
ou sous in
autre. Je dis jusqu'à Louis XIII, car il estun àà çaise a cessé d'exister lorsque le trône a été
remarquer que cet office, conservé, agrandi ji renversé. Elle n'est plus, mais la postérité
parlesTois les plus forts, a élé aboli parle roi
n dira peut-être que si elle n'a pas fait trem-
le plus faible. Ce fut saint Louis qui donna bler l'Europe, elle a défendu la France,
connétable les attributions militaires de la au
u et
la associé son nom et ses services à tous les
charge de grand sénéchal, devenue hérédi- événements
i- mémorables qui ont illustré la
taire dans la maison d'Anjou, et entrée
les autres biens de cette maison dans celle c monarchie; que si elle n'a jamais fait des
avec
lois, elle les a défendues avec
e
d'Angleterre. Les offices ne peuvent être vant les rois, courage de-
et interprétées avec intégrité
dangereux que lorsqu'ils deviennent héré-e
en faveur des peuples; que si elle n'a pu se
ditaires contre la nature des offices, qui doi- préserver
d'un siècle entier de faux savoir
vent être électifs, duces ex virtute. Les sur- et de licence, elle répandu
vivances pour les grandes places étaient n puis dix a en Europe, de-
siècles,
des grands abus des derniers temps. On un désintéressement, un esprit d'honneur, de
trouvait encore quelque vestige de la juri- re- de loyauté et de dévoue-
diction personnelle de connétable dans le
corps de la connétablie,
la ment, qui tempérait le pouvoir, ennoblissait
dépendance, et formait encore en Europe,
et même de la di- la défense et l'ornement de la société. Sans
gnité elle-même dans le tribunal des maré- doute, quelques
familles ont vécu trop d'une
chaux de France, présidé par le plus ancien j génération,
d'entre eux. Les maréchaux de Francei jour; mais et j c'est
quelques hommes trop d'un
étaient autrefois les lieutenants du conné- dérer la société en général qu'il faut consi-
table, qui avait en eux ses lieutenants gêné-• et j'ai et tout ce qui s'y rapporte,
< voulu justifier les institutions, et
raux pour l'ordre militaire, comme il y en i
avait dans l'ordre judiciaire. Mais les lieu- la
non faire l'apologie des hommes passés,
1 satire des hommes présents.
ou
tenants généraux étant devenus, sous le ti- titutions Dans les ins-
t qui sont l'ouvrage des hommes, les
tre de maréchaux de France, les premiers .1 hommes sont
officiers militaires, il s'éleva à leur place luis souvent meilleurs que leurs
1 mais dans les institutions qui sont l'ou-
d'autres lieutenants généraux des armées,
vrage de la nature, les lois sont toujours
qui existaient encore de nos jours,
comme plus p parfaites que les hommes (1). Nos
dans les bailliages, le lieutenant général
nneveux diront la part que les deux ordres
ayant conservé seul l'exercice de ses fonc- cchargés des fonctions publiques
lions, eut au-dessous de lui des lieutenants la ont eue à
h conservation de la société civilisée,
particuliers civils et criminels. en
faisant connaître dans toute l'Europe, par le
f;
La valeur guerrière, les talents politiques, scandale de la
s persécution dont ils ont été
l'industrie honnête et heureuse, rendront l'objet, l' les terribles et inévitables effets des
au ministère politique les membres que la ddoctrines populaires,
révolution lui a enlevés c'est ainsi du France, ou en entretenant en
F par leur exemple, une opposition
moins qu'ont fini jusqu'à présent toutes les salutaire à
Si ces maximes désastreuses, de-
révolutions, et ceux qui seront venus sur ppuis si solennellement désavouées
la fin de la journée, iecevront.la même ré- marqueront ils re-
n que si deux ordres de citoyens
compense que ceux qui ont supporté le poids n'ont n pas contribué de leurs personnes à
du jour et de la chaleur. Les souvenirs s'ef- 1'l'agrandissement de l'Etat,
toujours destinés
facent, les passions se calment, les hommes à !e servir, même involontairement,
ils y
disparaissent, et la société survit aux hom- ont oi contribué de leurs biens, devenus à la
mes et aux événements, plus éclairée par foisfc pour le. fisc, par l'invention prodigieuse
ses erreurs, plus sage denses fautes, et quel- des di assignats, dont ils supportaient l'hypo-
quefois plus forte même de ses revers. thèque, la matière, l'instrument et le prix
tfc
Le voile sombre de avenir couvre les de dl leur propre vente (2)
destinées de la société; mais telle que ces plus et peut-être la
pi malheureuse de ces deux classes, parce
(J) C'est ce qu'on ne doit jamais perdre de sont tantôt meilleurs que leur doctrine, et tantôt
so
vue, quand on compare certaines institutions reli- pins mauvais.
pli
gieuses ou politiques avec d'autres institutions, C2) L'intention première de l'Assemblée cons-
.certains hommes avec d'autres hommes, et qu'on tit
tituante fut d'abolir sans rachat Jes droits féodaux
cjiarche à s expliquer pourquoi tes hommes sont honorifiques,
m uremeul d'attord surieurs principes, ou
ou et avec rachat les droits fonciers.
et qu'ils ou utiles. Celte distinction ét.alt conséquente a«
qu'elle est composée, non d'individus, mais rilleuse
rill< fonction de défendre le pouvoir des
de familles, en se rappelant ce qu'elle a fait che contre la souveraineté des peuples
chefs
pour son pays, et le prix qu'elle en a reçu, Disce. virtutem ex me verumque laborein,
pourrait-elle adresser ces paroles à ceux Fortunam exaliis. (298).
qui, à l'avenir, lui succéderont dans la pé- (Virgil., Eneid., lib. xu, vers. 455, 430.)

projet de détruire le nohle et de respecter le pro- qu'en le chargeant des délits de ses enfants, ou les
qu'e
priétaire, parce que tes droits seigneuriaux, ou enfants qu'en leur imputant les délits du père;
enfî
simplement féodaux, représentaient on étaient, si fais
faisant entrer la nation dans toutes les familles,
Ton veut, la propriété polUique'du noble, et que les tant comme père, tantôt comme fils, là comme
tantôt
rentes foncières étaient évidemment la propriété époux, ici comme débiteur; et lorsque la nature,
épo
qui ne veut pas que le fils dépouille le
qui père vivant,
domestique de la famille, et formaient pour cette
raison, dans les pays à inféodation, une partie con- s'opposait
s'o[ à ces partages, faisant anticiper la loi surr
sidérahle du patrimoine des familles riches de tou- la nature,
n établissant la présuccession, et donnant à
tes les conditions; car le paysan avait quelquefois des malheureux la confiscation en avancement
dans une terre plus de rentes foncières que le d'hoirie. Nulle part les proscriptions n'ont offert
a'A.
de
seigneur. La cupidité trouva cette distinction trop un ordre semblable et tant de règles avec tant
subtile, et s'étonna que le mêmepouvoir qui abolis- violence.
vio
(298) 11 ne faut pas cesser de le répéter, il n'y y
sait sans rachat des droits simplement honorili- ('
familles,
lucratifs, avait point d'inégalité en France entre les
.jues, ou purement éventuels, s'ils étaient qui
ava
pui
puisque toutes pouvaient parvenir à la propriété,
l'abolit qu'après rachat des rentes annuelles,
paient bien autrement onéreuses. Le principe était et passer ensuite dans l'ordre du ministère politi-
que Ainsi, dit très-bien
M. Garnier, membre de
posé de secrètes instigations, des déclamations que.
l'Institut,
l'In dans les notes judicieuses et savantes de
publiques, la haine et l'avarice, tirèrent les consé- ainsi cette égalité qui
.lùencés, les droits du seigneur furent abolis, et les sa traduction d'Adam Smith, «quand
Jroils du propriétaire cessèrent d'être payés, et ne paraît
pai si fortement violée, on se borne a
lurent pas rachetés. Bientôt les événements politi- considérer
coi l'âge contemporain, se retrouve parfai-
tement maintenue, si l'on embrasse dans ses obser-
.lues amenèrent d'autres développements, et alors ten
vations les divers âges de la vie des nations, et la
commença le code sur .les biens d'émigrés, inouï en
terrible,
vat
suite
sui des générations dont elle se compose. » Ce
morale comme en politique. Ce fut un
.nais un singulier spectacle que celui du long com- serait
ser à l'avenir qu'il y aurait de l'inégalité, si cer-
tai
taines familles de propriétairesindépendants,comme
oat qu'il y eut en France entre les principes d'or-
ire, de justice, de respect pour les lois, profondé- les appelle M. Garnier, étaient privés du droit de
dans la puissance publique, c'est-à-dire
.nent enracinés dans l'esprit de la nation, et les
.louveaux principes de morale et de politique où les apartager
pa\
d'entrer
« dans le ministère politique, seule voie
légitime de partager la puissance publique, qui ne
événementsentraînaient les hommes; de voir les les
action, qui est
•fforts que faisaient les législateurs pour conserver pe1 être partagée que dans son qui
peut
multiple, et jamais dans sa volonté, est simple
les formes légales dans ce bouleversement de la nu
égislation ordinaire, n'osant dépouiller le père et indivisible

TROISIÈME PARTIE.

DE L'ÉDUCATION DANS LA
SOCIÉTÉ.

< J'ai toujours pensé qu'on réformerait le genre hu-


main,
t si l'on réformaitl'éducation de la jeunesse, >
(LEIBNITZ, Epist. ad Placàwn.)

CHAPITRE PREMIER. tion, ou plutôt de pourvoir au premier be-


soin de l'Etat.
DE l'éducation EN GÉNÉRAL. Les vrais amis de leur pays ne doivent
La nation française, effrayée du vide im- pas
i laisser échapper cette occasion d'entou-
mense que d'anciennes fautes et des désor- rer l'administration de toutes les lumières
dres récents ont laissé dans l'instructionpu-que l'expérience et l'observation ont pu
blique, soupiré depuis longtemps après un fournir sur cet objet important; car, si c'est
établissement public d'éducation, et le gou- un devoir de dire la vérité aux gouverne-
vernement, pour qui le désordre est plus pe- ments, même lorsqu'ils la repoussent, c'est
sant qu'aux peuples mêmes, pour me servir un bonheur de la leur offrir, lorsqu'ils la
de l'expression de Montesquieu, a interrogé chercnent.
les autorités locales sur les anciens moyens J'entre sur-le-champ en matière je me
d'éducation qui existaient en France et il garderais bien d'écrire sur l'éducation, si
annonce l'intention prochaine d'acquitter j'avais.à en prouver la nécessité. « J'ai tou-
« qu'on ré-
enfin cette première dette de l'administra- jours pensé, » écrivait Leibnitz,
:l.HJ.) t'Am. 1. E.!L.U~U~f. OU~.–JL.ti.ta~AJH
formerait le genre humain, si l'on réformait it connaissances que l'éducation doit donner
l'éducation de la jeunesse. » à notre faculté de penser, et à quelles ac-
On a confondu, dans notre révolution, les es tions elle doit nous apprendre à appliquer
différentes sociétés auxquelles l'homme ap- p- notre faculté d'agir.
partient, et ses divers rapports dans chaque îe L'homme appartient par son esprit et par
société. On n'a pas distingué l'homme de la son corps, sous le rapport religieux, comme
famille de l'homme d'Etat, l'homme privé ré sous le rapport politique, à une société do.
de l'homme public, et il est résulté de cette te mestique et à une société publique. L'édu-
confusion un système d'éducation qui n'est st cation, qui doit former l'homme pour la so-
pas plus propre à former l'homme pour la ciété, en lui apprenant à connaître des lois
société domestique, qu'à le former pour la et à pratiquer des devoirs, doit donc être
société publique. domestique et publique, religieuse et poli-
II faut donc remonter aux éléments de la tique.
société, pour établir les principes de l'édu- 1- Ainsi l'on peut distinguer deux systèmes
cation qui convient à l'homme. L'homme et d'éducation éducation domestique, éducar
la société sont aujourd'hui comme un pays /s tion publique, qui doivent toutes les deux
hérissé, faute de culture, de halliers épais is former l'homme pour la société avec Dieu,
qui en dérobent la vue et en défendent l'ap-
proche. II faut, pour s'y reconnaître et en
> et pour la société avec les hommes. L'édu-
:n cation domestique est celle que l'enfant,
tracer la carte, se placer sur le point le plus is dans la maison paternelle, reçoit des parents
élevé. ou des personnes préposées par eux, et qui
L'homme naît ignorant et faible, mais ca- j- a pour but de former l'homme pour la fa-
pable d'apprendre, par le secours d'autres is mille, et de l'instruire des éléments de la
êtres intelligents, à connaître et à agir; bienn religion/L'éducalion publique est celle que
différent de la brute qui naît avec un ins- s- les enfants reçoivent de l'Etat dans des éta-
tinct qui, sans aucune instruction, suffit à blissements publics, c'est-à-dire perpétuels
ses besoins. En un mot, l'homme naît per- quant au temps, généraux quant aux lieux,
fectible, l'animal naît parfait. uniformes quant à la discipline et à l'instrue-
L'art de faire passer l'homme, educere, ?, tion, dépendants par conséquent de l'auto-
educare, de l'état d'ignorance et de faiblesse e rité publique, et dont le but est de former
à l'état de connaissance et d'action, s'appelle e l'homme pour la société publique, et les de-
éducation. voirs religieux et politiques qu'elle com-
Quelle éducationfaut-il donner à l'homme, !» mande.
c'est-à-dire, à quelles connaissances faut-il il Ainsi il ne suffit pas que l'éducation soit
appliquer sa capacité de connaître, ou sonn commune pour être publique, puisqu'un
t
esprit, et à quelle action faut-il appliquer pensionnat, tenu à volonté par un particu-
sa force d'agir, ou son corps? A la connais- i- lier, n'est pas un établissement public d'édu-
sance et à la pratique de tout ce qui est bon, cation, et ne fait que remplacer, pour plu^-
c'est-à-dire nécessaire à la conservation dess sieurs enfants à la fois, l'éducation domes-
êtres, qui comprend aussi leur perfection tique; et de même, un enfant élevé par un
conservation conforme, par conséquent, à homme seul peut ne pas recevoir une édu-
la volonté de l'être qui les a créés, puisque e catton purement domestique, s'il est instruit
la conservation des êtres n'est que la con- dans les connaissances qui forment l'homme
tinuation de son ouvrage, et l'accomplisse- public mais il faut, pour que l'éducation
ment de ses desseins. soit publique, réunir la perpétuité de l'éta-
Le moyen général de cette conservationl blissement, l'indépendance des maîtres, la
est la société, ou l'ensemble des rapportss communauté d'enseignement, le genre des
qui unissent entre eux les êtres intelligents s connaissances.
et physiques capables de connaître ett Ainsi des écoles communes, ouvertes par
d'agir. le. gouvernement pour enseigner des arts
Les rapports connus et exprimés s'appet- mécaniques, ou même la peinture, J'archi-
lent des lois. Les lois sout des volontés, tecture, la musique, ne seraient point un
d'où suivent des actions qui s'appellent dess établissementd'éducation publique, puisque
devoirs. Il faut, pour vivre en société, con- l'enfant n'y apprendrait que des professions
naître les lois et pratiquer les devoirs. purement domestiques.
Ainsi, nous commençoHS à découvrir les Ainsi une .raison sensible d'analogie nous
iS DE M. Ut, UUAAL>Ur. to«h>
conduit déjà à penser que l'éducation do- éducation
.1
à recevoir. Les principes ne celte
mestique doit former l'homme privé, et que éducation générale se trouvent dans les Com-
l'éducation publique doi.t former l'homme mandements dé Dieu, comme les principes

public, parce que la société publique, qui a de l'éducation particulière des Chrétiens r
besoin de ses services, doit veiller à ce qu'il dans les Commandements de l'Eglise. En ef-
reçoive une éducation analogue à ses de- fet, les Commandements de Dieu « renfer-
voirs, et qu'elle ne peut étendre sa surveil ment », selon Bossuet, « les premiers prin-
lance sur l'intérieur de la famille. cipes du culte de'Dieu et de la société hu-
L'éducation privée ou publique doit don- maine, et l'instruction qu'on en retire
et qu'on ne croit que religieuse, est tout
ner la connaissance des lois qui règlent
-l'une ou J'autre société; mais la pratique aussi politique.
des devoirs est-elle une suite nécessaire de Cette éducation élémentaire, générale pour
la connaissance des lois? Oui, dit une tous, suffisante pour le plus grand nombrer
fausse philosophie, qui ne parle jamais que et qui consiste en exemples autant qu'en le-
d'éclairer la raison de l'homme Non, dit la çons, et en habitudes. plutôt qu'en raisonne-
religion, qui veut surtout échauffer son ments, n'est que préparatoire à l'éducation»
spéciale que chacun doit recevoir, suivant
oœur, et qui regarde l'amour comme la fa-
culté Souveraine des deux autres facultés: la profession à laquelle il se destine lui-
véritable pouvoir dans l'homme, puisqu'il même, ou à laquelle il est destiné par la
donne la volonté à sa pensée, et l'action à société. Ces derniers mots demandent una
explication plus étendue.
ses organes.
Ce n'est pas que la philosophie ne recon- CHAPITRE II.
naisse aussi dans l'homme des affections et
un amour, mais c'est t'amour de soi dont DES PROFESSIONS DOMESTIQUES ET
^PUBLIQUES.
elle fait le mobile de toutes nos actions,
même sociales, et elle veut que la bienveil- Trois sortes de personnes appartiennent
lance universelle ne soit qu'un égoïsme exclusivementà l'état domestique de société,
éclairé. La religion, au contraire, commande, et ces trois personnes, livrées aux soins do-
inspire l'amour des autres, et en fait le fon- mestiques, ne peuvent exercer de fonctions
dement de la société. Ainsi une fausse phi- publiques. Ce sont les femmes, les enfants
losophie commence par isoler les hommes, te peuple, tant qu'il est occupé de travaux
et les concentre en eux-mêmes pour mieux mécaniques; c'est ce qu'on appelle la fai-
les porter au dehors et les réunir dans une blesse du sexe, de l'âge et de la condi-
réciprocité de secours et de services, et la tion.
véritable sagesse nous dit que, pour servir1 La famille a des besoins pour son entre-
les autres comme on se sert soi-même, il tien et sa subsistance, et tant qu'elle est iso-
faut les aimer comme on s'aime soi-même. lée de toute autre famille, elle est forcée d'y
Résumons. Le but général de l'éducation pourvoir ellermême. Elle construit son ha-
est de donner à l'homme la connaissancedes bitation, prépare sa nourriture et ses vête-
lois qu'il1 doit suivre, de lui inspirer de l'af- ments, fabrique ses ustensiles et ses armes,
fection pour les! objets qu'il doit aimer, de et même, dans l'état le plus civilisé, l'homme
diriger son action vers les devoirs qu'il doit champêtre est plus industrieux à mesure
pratiquer. Connaître, aimer, agir, voilà tout que son habitation est plus écartée des au-
l'homme et toute la société. « L'Egypte n'ou- tres habitations, et qu'il peut moins compter
bliait rien pour polir l'esprit, ennoblir le sur le secours de ses semblables. C'est ce
cœur et fortifier le corps, disait Bossuet,J qu'on peut remarquer surtout dans tes habi-
qui admettait cette distinction. tants des montagnes. Les administrations
Les êtres moraux ou sociaux sont tous modernes, occupées à provoquer l'invention
compris dans les manières d'être généralesi de mécaniques qui puissent multiplier le
de pouvoir, de ministre et de sujet. Mais lesî travail de l'homme et le rendre plus facile,
hommes naissent et vivent tous sujets su- ne voient peut-être pas assez que plus il y a
iets, au moins dans la famille, d'un pouvoir• de machines qui remplacent les hommes,
humain, sujet partout, et pour jamais, dui plus, dans la société, il y a des hommes qui
pouvoir divin. Tous les hommes ont donc ne sont que des machines.
sous ce rapport, les mêmes lois à connaître, Mais la division du travail s'introduit avec
les mêmes devoirs à pratiquer, cloac la mêmeî !.a multiplication de? familles. Chacun se li-
vre exclusivement à un genre particulier publique, et l'on ne peut pas plus 'conce-
d'occupations d'abord nécessaires, ensuite voir l'existence de la famille sans des pro-
utiles, plus tard agréables à la famille, et il fessions de maçon, de tailleur, etc., qui la
fait plus vite et mieux ce qu'il fait unique- défendent des injures des saisons, que
ment et habituellement. Il en résulte des J'existence de l'Etat et de la religion sans
professions domestiques, appelées aussi arts des professions de magistrats et de prêJres,
mécaniques. L'agriculture n'est pas une pro- qui les défendent contre les passions des
fession, c'est la condition naturelle et né- hommes.
cessaire de la société domestique, lorsqu'elle Mais il y a des professions qui ne sont
est fixée, comme la chasse ^st sa condition nécessaires ni à la famille, puisqu'elles ne
naturelle tant qu'elle est errante; et c'est ce naissent que longtemps après elle, ni à la
qui fait que l'agriculture et la chasse sont société publique, puisqu'elles hâtent sou-
également honorables. La famille nomade, vent sa dégénération. Ce sont les arts agréa-
qui tient le milieu entre la famille civilisée bles, et le commerce qui trafique de leurs
ou fixée sur le sol, et la famille en» état sau- produits. Il est vrai que ces occupations
vage, vit du produit de ses troupeaux sub- enrichissent, amusent la famille, et que
sistance moins précaire que celle que four- leurs produits donnent à un Etat un grand
nit la chasse, mais moins assurée que celle éclat; cependant, quelque haute considéra-
que l'hommetire de l'agriculture. tion que la réyolutipn présente ait donnée
Ceux donc qui se livrent exclusivement aux arts et au commerce, il est vrai de dire
aux professions domestiques sont dans un que des forgerons sont plus nécessaires à la
état général de dépendance domestique société domestique que des peintres, et des

soins.
puisqu'ils sont au service de la famille, et
qu'ils vivent de leur travail et de ses be-

La société publique a aussi des besoins.


Elle a besoin d'une action publique conti-
magistrats plus nécessaires à la société po-
litique que des banquiers. C'est précisément
parce que ces professions n'étaient au fond
nécessaires, dans toute la rigueur du mot,
ni à l'une ni à l'autre société, qu'elles ont
nuellement exercée sur un grand nombre été funestes à toutes les deux, et qu'après,
d'hommes, pour régler leurs volontés et les avoir dépravées par la corruption et la
leurs actions personnelles cette action pu- cupidité, elles les ont précipitées dans une
blique s'appelle culte, discipline, dans la révolution, en soulevant les professions do-
religion; gouvernement, administration, dans mestiques contre les professions publiques,
J'Etat. Elle est, dans l'une et dans l'autre et les hommes privés contre les hommes
société, la fonction de connaître les lois, et publics.
de contraindre les sujets à les observer; ce Ce que je dis du commerce et des arts
qu'on appellejuger et combattre. Ceux qui peut s'appliquer aux sciences autres que
servent à cette occasion s'appellent minis- les sciences sociales, qui sont, pour la re-
tres, du moxministrare, qui veut dire servir. ligion, la théologie et la morale, et pour
Ce sont les prêtres dans la religion, les ma- l'Etat, la politique et la jurisprudence, c'estr
gistrats ou guerriers dans l'Etat; et leur em- à-dire la science du pouvoir et celle des
ploi ou fonction s'appelle devoir ou office, devoirs, qui instruit les hommes de leurs
officium, ou même service. Ceux-là sont les rapports avec le pouvoir, soit religieux,
serviteurs de la société, et trop souvent soit politique, et des rapports qu'ils ont
elle les traite comme des esclaves. Ils ju- entre eux, comme fidèles et comme citoyens.
gent, ils combattent, ils périssent pour elle, Les sciences physiques, qui traitent des
et quelquefois par elle. Ce sont les hommes rapports des corps, ces sciences si favori-
publics, et leur distinction, par un étrange sées de nos jours, changeront, si l'on n'y
renversement de toutes les idées, passait, et prend garde, une nation de Français en un
même à leurs propres yeux, pour une pré- peuple de géomètres et de naturalistes, et à
rogative, lorsqu'elle n'était qu'une servi- la place de hautes pensées, de sentiments
tude. « Que celui d'entre vous qui veut être généreux, de brillantes images, mettront
« être le premier, soit le serviteur des au- de secs axiomes et des raisonnements froids
« tres, » dit Je pouvoir universel à ses pre- et abstraits « vaine pâture des esprits cu-
miers ministres. rieux et faibles,» dit le grand Bossuet, «qui,
Ces professionsdomestiques ou publiques après tout, ne mène rien qui existe, »
sont nécessaires la société domestique ou parce qu'occupant' sans cesse l'homme à des
objet* purement matériels, elles le détour- gence, et qui ne voient dans l'homme qu'une
nent de la considération de sa propre intel- masse organisée et sensible.
ligeflce qui gouverne l'univers, raison de De même, dans les professions publiques,
ses devoirs et motif de ses vertus. Aussi ces le grade est d'autant plus honorable que
connaissances, dont quelques-unes ne sont l'homme intelligent est plus occupé, et
que des nomenclatures arides^ ou des ma- c'est ce qui fait que l'état d'officier est plus
nipulations amusantes, font disparaître les considéré que celui de soldat, et celui de
plus nobles des arts, les arts de la pensée juge plus que celui d'huissier, quoique le
et du sentiment, l'éloquence et la poésie, soldat et l'huissier concourent directement
instruments de l'instruction la plus relevée, aussi, et même avec plus d'effort etde péril,
et qui* plus Que nos conquêtes, avaient éta- à l'action du pouvoir public.
bli en Europe l'incontestable domination de Mais (et je prie d'observer ici comment
la nation française. les opinions raisonnables se forment sans
Le gouvernement doit donc remettre et les hommes, et se maintiennent même mal-
tenir à leur place les sciences physiques gré les hommes) les professions domestiques
ou naturelles, en rendre les résultats utiles et publiques s'étaient classées dans la so-
à la société, en récompenser la pratique, en ciété sans qu'on eût fait toutes
ces réflexions,
empêcher l'abus, et ne pas oublier surtout et par la seule raison naturelle du plus
considération ou
que la publique doit être me- moins de spiritualité, si je puis parler ainsi,
surée sur l'utilité publique, et qu'après tout, de chacune, et aussi du service plus ou
si les sciences physiques policent ure na- moins direct qu'en retirait la société. Ainsi,
tion, les seules sciences morales la. civili- dès les premiers temps où les savants firent
sent Je connais le prix des arts, et l'utilité corps dans les universités, on donna !e pas
qu'un gouvernement sage peut en retirer; à la théologie, à l'étude du droit sur la mé-
je ne parle ici que de l'abus qu'on en fait, decine et les humanités, comme dans le
et de la nécessité qu'il y a d'en fixer la place monde on considéra un architecte plus qu'un
et d'en régler l'usage. boulanger, et un peintre plus qu'un maçon.
Distinguons donc l'hommeprivé de l'hom- Mais lorsqu'on a voulu dans ce siècle éle-
me public^ comme la nature elle-même dis- ver les comédiens au rang d'hommes pu-
tingue la société domestique de la société blics, parce qu'ils jouaient devant le public,
publique. l'opinion s'est soulevée contre cette absur-
Les hommes- publics sont ceux qui con- dité. La profession même s'est avilie à
pro-
courent à l'action du pouvoir de la société portion des efforts qu'on a faits pour la ren-
publique, sacerdoce dans l'Eglise, magistra dre honorable, et l'on peut assurer que le
ture civile et militaire dans l'Etat. jugement qui la flétrissait subsiste dans
Tous les autres, travaillant pour la fa- toute sa force. En effet, la révolution ayant
mille ou dans la famille, sont des hommesdéveloppé les vérités sociales, on jugera
privés; mais telle a été, dans tous les temps, plus distinctement qu'on ne le faisait, qu'il
l'opinion des hommes civilisés sur la partie est noble de se dévouer à l'utilité publique,
spirituelle, de leur être, qu'ils n'ont pas et ignoble de se vendre aux plaisirs du pu-
mesuré le degré de considération due aux blic, et c'est ce qui fait que le titre d'homme
différentes professions, même privées, sur public est un honneur, et celui de femme
leur utilité réelle» mais' sur le plus ou le publique
1 un outrage.
moins de part qu'à l'esprit aux études qu'el^ On doit observer ici que l'enseignement
les exigent; et aux produits qui en résul- public] de la théologie a toujours été entre
tent. C'est ce qui fait qti'ils ont donné le pas 1les mains des ministres de la religion, et
aux physiciens, aux architectes, aux pein- peut-être
] un jour sera-t-il permis de remar-
tres, sur les charpentiers, les boulangers, (quer que ceux qui ont traité avec plus d'é-
les tailleurs» incomparablement plus utiles. clat
( du droit public des nations, bien diffé-
Rien ne prouve mieux le sentiment qu'ont 1rent de ja jurisprudence, qui n'est que le
tous les hommes de la spiritualité de leur droit
( privé des familles, ont été des hommes
être, que cette opinion générale sur l'arran- attachés
i au ministère public de l'Etat, tels
gement des diverses professions dans la so- que
( Grotius, Pufendorff et Montesquieu.
ciété et c'est une étrange inconséquence Ce qui constitue le dernier état de domes-
que celle des savants occupés de sciences ticité,
t est la solde qui met l'homme pour sa
qui supposent de grands efforts d'intelli- subsistance sous la dépendance dei'bommc;
la culture des arts même libéraux, lorsqu'on Cependant une secte de penseurs qui se
en retire un gain, participe en quelque chose disent libres, et que, dans le siècle dernier,
de ce défaut de considération, et même on appelait libertins, dernière variation de
J'homme public est moins public si l'on quelques doctrines sans règles fixes de
peut s'exprimer ainsi, lorsqu'il n'est pas croyance, minait sourdement ces principes
propriétaire, et qu'il a une solde journalière, conservateurs, et troublait le genre humain
précaire et variable comme la volonté de dans la possession immémoriale de cet an-
l'homme, et les chances des événements. tique patrimoine. La licence de penser et.
C'est ce qui ennoblissait l'état de proprié- d'agir, parée de tous les attraits du bel es-
taire-cultivateur, et qui le rendait compati- prit, et quelquefois des dehors de la vertu
ble même avec les professions publiques d'intelligence avec les passions, pénétrait
car jadis en France une classe d'homme ser- au sein de la société domestique, y corrom-
vait l'Etat, soit dans les cours de justice, pait les moeurs, en affaiblissant les lois; et
soit aux armées, avec le capital de son bien, l'attaque à force ouverte que cette audacieuse
comme l'observe très-bien Montesquieu, philosophie méditait contre la société pu-
liv. xx. D'autres institutions produisent blique, n'était retardée que par la force d'i-
d'autres effets, et là même où il ne manque nertie de gouvernements partout impré-
rien à la puissance, il peut manquer quelque voyants, et qui s'endormaient au bord des
chose à la dignité. abîmes.
CHAPITRE III. Dès que le gouvernement eut péri en
France, la religion disparut de l'Etat et so
DE L'ÉDUCATION RELIGIEUSE. réfugia dans quelques familles, et l'anar-
chie, appuyée sur l'athéisme et lui prêtant
Depuis l'Hébreu, adorateur d'un seul Dieu, de nouvelles forces, se composa un trône
jusqu'au sauvage prosterné devant son féti- sanglant des débris de l'édifice qu'elle avait
che, toutes les familles ont fait de la con- renversé. Tout fut employé contre la famille
naissance de quelque divinité, et par con-
pour la détruire, contre l'Etat et plus en-
séquent de quelques institutions religieuses,
core contre la religion, pour les anéantir
Ja base de leurs institutions domestiques la ruse et la violence, le mépris et la haine,
tous les Etats en ont fait la base de leur éta- la persécution et même la tolérance. Enfin,
blissement public, et le sacrifice sanglant ou
mystique, réel ou représentatifde l'homme,
j pour
J en consommer la perte, et rendre les
générations
< futures complices des crimes de
et l'offrande de la "propriété, ont été jusqu'à la
J génération présente, et victimes de ses
nous l'action publique ou le culte de toutes erreurs,
< on bannit des écoles publiques
les nations qui ont aduré un Dieu, ou qui |toute connaissance des lois divines, toute
en ont adoré plusieurs. pratique de devoirs religieux, et l'on éleva
L'homme, autrefois, même avec lesinsti--
jpour les révolutions cette jeunesse née dans-
tutions religieuses les plus parfaites, cédait la
1 révolution aux jours de confusion et de
trop souvent à des passions nées avec lui, 1licence, non
et que la religion ne pourrait détruire sans pas dans l'absence de l'époux
< hors du mariage, comme les soldats de
et
dénaturer l'homme, et ôter tout exercice à 1Phalante, mais dans l'absence de
tout pou-
ses vertus; mais, s'il était faible, il n'était voir domestique et public. Il y a à peine dix
pas corrompu les cris tumultueux des pas- ans
t de ce renversement total de la raison de
sions n'étouffaient pas la voix sévère de la tous
t les siècles, et déjà les terribles effets
morale, qui le ramenait, lassé des désordres, s'en font sentir. Il faut que le gouvernement
j
au devoir par la crainte, à la vertu par l'a- dépense
c en procédures criminelles ce qu'il
mour; souvent même d'éclatantes expiations iépargne en instructions religieuses, et qu'il
rendaient utiles à la société les fautes de punisse des actions, puisqu'il a renoncé à
1
l'homme. Les fondations les plus célèbres, diriger
c les volontés. On vient de voir M.
destinées au soulagement des misères hu- Scipion
« Bexon, vice-président du tribunal
maines, n'ont pas eu un autre motif; et du de
c première instance du département de la-
moins à une jeunesse orageuse succédait gSeine, révéler au public
une vieillesse grave et décente, qui, revenue que dans le cours
d cinq mois de la présente année, il
de
le la périlleuse navigation de la vie, a été
en tra- j
jugé à la police correctionnelle de ce dé-
,çait la route. à l'inexpérience, et lui
en in- partement,
j soixante-quinze. enfants au-des-
diquait lesécueilg. de seize ans, pour larcins, vols et ai-
sous
s
teintes aux mœurs; et il ajoute qu'on ne doit qquel se meut le monde des intelligences, et
pas calculer le nombre d'enfants coupables il sont coupables d'une étrange présomp-
ils
par le nombre de ceux qui ont été jugés, tion, s'ils ne l'étaient pas d'une insigne fo-
ti
puisque plus de la moitié des vols qui se lie, ces écrivains qui, nouveau-venus dans
li
commettent dans Paris sont commis par des l'univers,
l' et seuls contre le genre humain,
enfants effrayante perspective que celle ccherchent dans les affections de l'homme le
que présente une époque de la société où la 'contre-poids de ses passions, ôtent ainsi tout
,'c

faiblesse de l'Age ne défend plus l'homme 'fondement


f< à la morale (1) toute sanction
de la force des passions?'1 aaux lois, et ne laissent à la raison de l'homme
Des jeunes gens élevés dans de pareils d'autre
d direction que sa raison même, tou-
principes seraient préservés des tentations ji
jours si faible contre ses penchants. Ils pla-
de l'indigence par leur fortune, ou des vices ccent dans l'égoïsme le principe de la justice,
de l'obscurité par leur condition, je le veux; f
parce qu'ils sont égoïstes, et qu'ils veulent
mais ne peut-on nuire à son semblable qu'en paraître
p justes, et dans la sensibilité physi-
l'égorgeant, ou le dépouiller que par le vol qque le principe de l'humanité, parce qu'ils
avec effraction? Quelle garantie publique de ont
c les nerfs faibles, et qu'ils veulent qu'on
leur probité offriraient à la société ces nom- les
1 croie humains. Ils ne voient pas que
mes élevés à l'école d'Helvétius, justes par 1l'égoïsme même le plus éclairé n'enseigne

sensation, bons par égoïsme ces hommes qu'à


c éviter l'éclat dans le mal que l'on fait
qui n'auraient entendu qu'une instruction aux
a autres, et la sensibilité physique la plus
purement humaine, et pour qui, à trente exquise,
E qu'à ne pas les voir souffrir; etde
1 vient que des hommes qui ont commandé
ans, la conscience serait une découverte, et là
Dieu même une nouveauté ? Seraient- ils nos l'incendie et la dévastation de royaumes en-
1

juges ceux qui n'en reconnaîtraient aucun?2 tiers


t n'auraient paspeut-êtrevudesang-froid
et mettrait-on la force publique aux mains (égorger un animal (2).

de ceux qui pourraient regarder toute mo- L'éducation doit donc être religieuse,
dération comme une faiblesse, puisqu'ils re- comme
< elle est domestique et politique,
garderaient toute vertu comme une conven- parce
i que la religion, lien universel des
tion? iêtres intelligents, consacre à la fois la famille

IIfaut le dire avec le premier philosophe < l'Etat.


et
de l'antiquité, ou plutôt avec la raison éter- Nos pères, qui regardaient la Divinité
neile Otez Dieu de ce monde l'homme ne comme le principe et la fin de toutes cho-
doit rien à l'homme, la société n'est plus ses, élevaient leurs enfants dans la connais-
possible, et tout devoir cesse là où il n'y a sance de ses lois, fondement de toute mora-
plus de pouvoir. Pielate adversus deos su- lité des actions humaines; dans son amour,
blata, dit Cicéron, fides etiam et societas hu- règle de toutes les affections légitimes, et
mani generis, et excellentissima virtus ju- dans les pratiques de son culte, qui sont les
stitia lollitur. actions de cet amour et le témoignage de
Archimède ne demandait, pour soulever notre obéissance. Lorsqu'ils parlaient à un
le monde, qu'un point d'appui, placé hors enfant de pouvoir et d'obéissance, de bonté
de la terre. Dieu est le point d'appui sur le- et d'amour, de bien et de mal, l'enfant, ins-
(1) M. Deluc, célèbre profVsseur de Gollingue, ments: mais plus je cherchais à persuader mes •
disciples, et moins j'avais moi-même de confiance
encore vivant, célèbre par ses écrits, et entre autres
par ses Lettres géologiques, magnifiquecommentaire en ce que je leur enseignais, tellement qu'enfin je
du récit de Moïse sur la création, et le plus beau changeai de vocation et repris la médecine, qui
monument que la physique ait consacré à la reli- avait été l'objet de mes premières études. J'ai
gion M. Deluc crut" longtemps aux devoirs de néanmoins continué pendant quelque temps d'eia-
l'homme, puisés dans ses affections et dans les miner tout ce qui paraissait sur ce sujet, où je ne
relations naturelles mais il en fut dissuadé par m'étais pas senti en état d'enseigner avec conviction
les réflexions que lui suggéra l'anecdote que nos mais enfin j'ai lâché prise, reconnaissant bien
lecteurs nous sauront gré de leur rapporter^ Un profondément que, sans une sanction divine immé-
célèbre professeur de philosophie morale, à Edini- diate des lois morales, sans des lois positives,
bourg (.le chevalier Pringle, médecin de la reine accompagnées de motifs précis et pressants, les
d^Ansçleterre, et président de la société royale de> hommes ne sauraient être convaincus qu'ils
Londres avant le chevalier Banks), s'entretenait doivent se soumettre à aucun code pareil, ni
avec M. Deluc, et celui-ci lui ayant offert le livres en convenir entre eux. Depuis ce temps-là, je ne lis
intitulé Morale universelle, ou les Devoirs de l'homme aucun ouvrage de morale que la Bible, et je le fais
foi dés sur sa nature, ce vieillard refusa l'offre, ett toujours avec un nouveau plaisir. >
dit t J'ai été pendant plusieurs années professeur (2) On assure que la sensibilité du faraeui
de cette prétendue science j'avais épuisé les biblio- Coulhon allait jusque-là.
thèques et mon cerveau pour en trouver les fonde-
1365 PART. I. ECONOM. SOC. LEGISLATION PRIM1T. – III. DE L'ÉDUCATION. 1366
iruit connaître la volonté de son père, à tants objets dont puisse s'occuper i'intelli-
à i'intelfi-
sentir la bonté de sa mère, à obéiret à aimer, gence humaine. « Mon Emile », dit-il, « ne
à faire et à éviter, ne faisait que généraliser saura pas à quinze ans s'il a une âme, et il
ses idées et ses sentiments, et concevait, est peut-être trop tôt à dix-huit ans pour le
imaginait, si l'on veut, un être qu'on lui di- lui apprendre, »
sait puissant plus que son père, bon plus Le monde civilisé aurait dû se soulever
que sa mère, et dont on lui montrait les ma- d'indignation contre un écrivain atteint d'une
gnifiques ouvrages dans le spectacle de l'u- folie aussi dangereuse. Funeste puissance
nivers car on appelait l'imagination au se- des phrases ce prodige d'erreur fut accueilli
cours de la raison. L'enfant, qui a de si par des hommes corrompus ou distraits, par
bonne heure des notions de plus et de moins, des femmes beaux esprits, et une éduca-
concluait naturellement qu'il y avait plus tion nouvelle fut dirigée sur ces principes
de puissance là où il voyait des effets plus inouïs. L'éducation chrétienne des effets
merveilleux, qu'il fallait plus de soumission remontait à la cause, et faisait voir dans l'u-
là où il y avait plus de puissance, plus de re- nivers physique l'action d'une volonté toute-
connaissance envers une pins grande bonté, puissante et si cette discussion ne m'en-
et il se développait naturellement dans son traînait trop loin je ferais voir combien le
esprit des idées -de pouvoir et de devoir, fon- livre le plus (2) élémentaire de la religion
dement de toutes les vérités sociales, moins donnait aux enfants de principes féconds
explicites sans doute, mais aussi justes que d'idées fixes, de hautes connaissances,et ce-
celles que peuvent se former les plus grands pendant faciles à la raison, parce qu'elles
génies. En effet, les uns ont plus d'idées sont naturelles à notre être. L'éducation phi-
que les autres, c'est-à-dire saisissent plus losophique commence aussi par les effets,
de rapports d'un même objet; mais ils n'ont mais elle ne va pas plus loin. Elle encombre
pas des idées différentes les uns des autres, la mémoire des enfants de vaines et stériles
lorsqu'ils considèrent l'objet sous le même nomenclatures de minéraux, d'animaux, de
rapport Bossuet avait plus d'idées sur Dieu plantes, qui rétrécissent leur intelligence
qu'un enfant qui sait les premiers éléments qui dessèchent leur cœur qui énervent
de sa religion; mais il ne pouvaitavoir une même leurs forces, en les appliquant à de
autre idée de Dieu, car une autre idée de petites manipulations; et un enfant croit sa-
Dieu serait l'idée d'un autre Dieu. voir quelque chose, parce qu'il cloue des
Ces vérités, j'ose le dire, avaientété com- papillons, colle des plantes, ou arrange de
prises par les hommes raisonnables de tous petits morceaux de substances métalliques.
ies temps et de tous les lieux. L'enfant des Croirait-on que l'erreur de Rousseau est
cabanes et celui des rois, l'enfant sauvage et fondée sur une croyance fanatique des idées
Descartes enfant avaient tous été élevés innées, contre lesquelles les philosophes se
dans ces croyances générales, et toute édu- sont élevés avec tant de mépris? Jl ne veut
cation reposait sur ce fondement.J.-J. Rous- pas qu'on parle à un enfant de Dieu et de
seau parut, et confondant, comme tous les son âme, parce qu'il suppose, s'il existe un
métaphysiciens de ce siècle, les idées et les Dieu et une âme, que l'homme doit en avoir
images, parce qu'ils ont tous eu, et lui sur- une connaissance d'inspiration, une con-
tout, plus d'imagination que de force d'in- naissance naturelle, c'est-à-dire innée et
telligence, il nia que l'enfant pût avoir l'i- indépendante de toute instruction de la part
dée de ce qui ne tombe pas sous ses sens. de ses semblables; ou il semble qu'il veuille
L'enfant ne pouvait avoir toutes les idées de éprouver ce qu'un enfant saurait de Dieu et
la Divinité, de son âme, des êtres intelli- de son âme, si on ne lui en disait rien. La
gents; Rousseau en conclut qu'il fallait ne réponse est aisée. Telle est la condition de
lui en donner aucune idée, comme si une la sociabilité, et la loi générale sur laquelle-
idée pouvait être fausse en elle-même (1) repose la société, que les hommes reçoive&t
et que l'erreur de nos jugements vînt les uns des autres l'existence physique par
d'ailleurs que du défaut de développement la génération l'existence morale par la pa-
de nos idées. Il défendit donc qu'on pariât role, et que les connaissances même reli-
à l'enfant des premiers et des plus impor- gieuses leur viennent par communication,
(1). Votj. les premiers chapitres de la Législa- voir un seul catéchisme pour toute la France. Uniié,.
tion primitive, loin, 1er. uniformité, union, uniié dans la constitution, mu for-
(->') 11 serait plus important qu'on ne pense iVa- malité dans l'administration,union entre les hojuuu»*
selon cette parole de l'Apôtre: Fides ex au- l'a
l'animal ou au sauvage. De là toutes ces
ditu. (Rom. x, 17.) pratiques
pri anglaises, américaines, philoso-
Loin donc des pères et des mères, loin n phiques,
ph impraticables au moins pour le
des enfants, loin de la société, les funestes plus grand nombre des mères et des enfants;
pli
principes de l'auteur d'Emile Si vous ne par- ce: immersions perpétuelles, ces lavages de
ces
lez aux enfants du pouvoir divin que lors- tête à l'eau froide, comme si l'homme était
têt
que leur raison sera assez forte pour déve- un animal destiné à vivre dans l'eau, ou une
lopper toutes les idées que ce mot renferme, plante
pli qu'il fallût arroser. On commence à
la plupart n'en entendront jamais parler; si revenir de tous ces systèmes inventés par
re
vous ne leur parlez de devoirs que lorsque
l'amour du paradoxe, accueillis par le goût
l'a
les passions leur auront parlé de plaisirs, de la nouveauté. De meilleurs esprits sou-
tiennent à présent qu'une chaleur modérée
lie
vos leçons seront perdues.
es nécessaire à la santé des enfants et au
est
CHAPITREIV. développement de leurs organes. Les petits

animaux
an eux-mêmes sont longtemps ré-
PARTICULIÈRE OU DÔMESTIQU E chauffés par leurs mères, et l'air, dans le-
DE l/ÉDU C ATION
ql l'homme est né et doit vivre, endurcit
quel
L'éducation particulière ou domestique le corps autant que l'eau, et avec moins
est celle que l'enfant reçoit dans la famille, d'embarras pour les mères et de dangers
d'<

et elle commence avec la vie. pour les enfants. Des vêtements légers, la
pc
L'homme a un esprit, un corps, des affec- tête découverte, un lit dur, sobriété et exer-
te
tions, trois facultés dépendantes l'une de cice,
ci, des privations plutôt que des jouissan-
l'autre, en vertu des lois de leur union. Ces ces,
ce en un mot, presque toujours ce qui
trois facultésdoiventse développer enseaa- coûte
cc le moins est en tout ce qui convient le
ble, et l'on remarque que les enfants chez mieux,
m et la nature n'emploie ni tant de
qui le développement des connaissances ou frais,
fr, ni tant de soins pour élever ce frêle
même des affections précède de trop loin édifice
é( qui ne doit durer que quelques ins-
l'accroissement physique, qui montrent de tants, et qu'un souffle peut renverser.
ta
trop bonne heure, ou un esprit extrême- Comme l'auteur des êtres a placé l'homme
ment cultivé, ou un cœur extrêmement sen- ai
dans tout l'univers, tel qu'un propriétaire
sible, ne parviennent presque jamais à l'âge dans son domaine la nature le fait naître
di
d'homme, et en général aussi ceux dont les croître
cr et vivre sous les latitudes les-plus
développements physiques sont trop rapi- différentes,et dans les climats même les plus
di
des s'élèvent rarement à un haut degré d'ins- opposés
o| seulement on remarque que les
truction et de connaissances, peuples
pi civilisés sont plus nombreux, vivent
L'éducation de l'homme, à quelque Age plus
p longtemps que les peuples sauvages, et
qu'il soit, doit être à la fois celle de son es- qque les hommes tempérants, toutes choses
prit et celle de son corps mais comme il ne égales,
é| conservent leurs facultés plus long-
faut pas surcharger son esprit de trop de le- temps
tE que les autres hommes; ce qui prouve
il
$ons, ne faut pas accabler son corps de deux vérités contestées, ou du moins affai-
d
trop de soins. bblies par nos sophistes l'une que la civi-
Les sophistes, qui ont tout dénaturé en lisation est dans la nature de la société l'au-
li
parlant sans cesse de nature, J.-J. Rousseau tre, que la tempérance est dans la nature de
t[
surtout, n'ont vu dans l'enfant que des sens, l'homme.
l'
«t comme dans leurs systèmes métaphysi- J.-J. Rousseau, le romancier de l'état sau-
ques ils ne trouvaient l'origine de toutes vage,
v le détracteur de l'état civilisé, à force
nos connaissances que dans les sens con- dd'exalter la vigueur du corps la perfection
séquents à leurs idées ils ne se sont occu- des
d s<*ns et même les vertus de l'homme
pés qu'à perfectionner dans l'enfant les or- ssauvage, mit l'étal sauvage à la mode et
ganes de l'action, sans songer du tout à diri- aussitôt
a les femmes, que leur faiblesse dis-
ge.r sa raison vers des objets plus capables pose
y à prêter l'oreille aux nouveautés, et
•d'étendre et d'ennoblir l'intelligence. Mais leur
1 vanité à les répandre, élevèrent leurs
même pour les soins physiques qui con- enfants
t comme de petits Esquimaux, ne s'oc-
viennent au premier âge, ces sophistes se ccupèrent que du développement de leurs

«ont écartés de la nature de l'homme civi- organes, et point du tout de celui de leur
<
Usé* ixmr se jeter dans la nature brute de intelligence.
i
Mais le sophiste génevois, qui regrette la quent, d'expressions de leurs idées, ils de-
vue perçante, la course rapide, la force mus- viennent plus capables de les lier entre
culaire des Iroquois, comme il en exalte les elles, et de recevoir les éléments d'un sys-
prétendues vertus, ne voit pas que ces hom- tème quelconqué de connaissances,qui n'est
mes si forts sont les plus faibles des peu- autre chose qu'un ensemble d'idées sur un
ples, que ces pères si tendres sont les plus même objet. Alors doit commencer l'instruc-
féroces des guerriers, que ces hommes si tion de la religion publique, car dans son
hospitaliers pour les voyageurs sont impi- premier âge et avant l'âge de raison l'en-
toyables pour leurs ennemis, et que la so- fant n'est chrétien en quelque sorte que par
ciété civilisée, au contraire, composée d'hom- la foi de ses parents; mais lorsqu'il a acquis
mes si égoïstes, fonde des établissements une force suffisante de raison, il passe au
où toutes les misères de l'humanité sont nombre des fidèles ou des croyants, et avant
soulagées, et que la guerre même y respecte d'être initié aux mystères du christianisme,
l'ennemi désarmé, comme la famille sans il reçoit l'instruction publique des ministres
armes. 11 ne voit pas que cette société, for- de la religion.
mée d'hommes si faibles et si amollis Il y avait en France une institution excel-
chasse devant elle la société sauvage, comme lente, connue sous le nom de Frères des
le vent chasse la poussière, et repousse aux écoles chrétiennes; il faut les rétablir, s'il
extrémités du globe ces peuplades livrées est possible et se pénétrer de cette vérité
aux passions les plus violentes, et qui se dé- qu'une éducation commune pour les enfants
truisent par leurs guerres impitoyables et n'est pas possible sans une institution com-
leur intempérance effrénée. mune de maîtres.
Comme le premier instrument de nos con- On a souvent agité la question s'il con-
naissances est le langage, la nature donne vient de donner au peuple les éléments des
aux enfants, et à tous les enfants, une sin- connaissances qu'il ne peut pas perfection-
gulière aptitude à apprendre et à retenir les ner, et dans cette question, comme dans
mots, expressions des idées, et qui, en en- toutes celles qui tiennent à de grands inté-
trant dans la pensée, donnent à l'esprit la rêts et à des vérités importantes, on ses!
conscience ou la perception de lui-même et jeté dans les extrêmes. Les uns ont vouluu
de ses propres idées, comme la lumière, pé- faire de tous les hommes des philosophes
nétrant dans un lieu obscur, donne à nos conduits par la pure raison; les autres en
yeux la vue de notre propre corps et des ont voulu faire des machines qui ne vont
corps environnants (1). qu'avec des poids et des ressorts, ou des
L'enfant profite, pour s'instruire, à peu animaux qu'on ne gouverne que par le bâ-
près également de ce qu'on dit et fait de- ton. Ces deux excès d'opinions prennent
vant lui, comme de ce qu'on dit et fait pour leur source dans des erreurs opposées. Les.
lui. Il faut donc un grand respect pour les philosophes qui ont beaucoup lu et peu
yeux et les oreilles des enfants observé, croient volontiers à l'existence des
Maxima debetur puero reverentia. esprits, et au grand nombre de talents en-
(JcvEN.,siit. xiv, vers. 47.) fouis ils pensent qu'il suflit d'éveiller par
La première instruction de l'enfant, cette l'instruction la raison du peuple pour faire
instruction dont il n'est pas donné à l'homme éclore de toutes parts et même dans la
d'apprécier l'étendue ni d'évaluer l'in- classe la plus obscure des Descartes et des
fluence, consiste donc en habitudes plutôt Bossuet. Les hommes supérieurs aux autres
qu'en raisonnements, en exemples bien plus en connaissances ne peuvent être que des
qu'en leçons directes, c'est-à-dire dans ce hommes souverainement utiles, et ils sont
qu'il entend plutôt que dans ce qu'il écoute; rares, parce qu'ils sont plus rarement qu'on
et il est également funeste pour l'éducation ne pense nécessaires à la société, et qu'elle
des enfants de ne pas s'observer devant eux, vit habituellement sur un fonds héréditaire
et de leur laisser apercevoir qu'on craint d'anciennes vérités, qui ne reçoivent de
trop d'être observé. nouveaux développements que successive-
A mesure que les enfants font, pour ainsi ment et à mesure que de nouveaux besoins
dire, leur provision de mots, et, par consé- les rendent nécessaires; car les hommes

(1) Le lecteur trouvera peut-être quelque répé- préjugés si enracinés, qu'on me permettra d'insister
tition des mêmes idées mais j'ai à combattre des sur ces mêmes vérités.
n'inventent pas les vérités, ils ne font que religion chrétienne, qu'on accuse de perpé'
tirer des conséquences et trouver les rap- tuer l'ignorance, a été cause que Tari de lire
ports des vérités connues. Les hommes vé- s'est répandu dans le peuple, qu'elle invite
ritablement supérieurs aux autres hommes à s'unir aux prières publiques et au chant
s'élèvent d'eux-mêmes, quand il le faut, for- des ministres de la religion; et sous ce rap-
cent tous les obstacles, et tirent d'une édu- port les petites écoles sont convenables;.
cation commune à tous des connaissances Les gouvernements, si attentifs à propa-
particulières à eux seuls car s ils avaient, ger la connaissance de nouveaux procédés
autant que les autres hommes besoin pour d'agriculture, ou les découvertes des arts,
s'élever de la faveur des circonstances ou l'étaient beaucoup moins ? répandre des ou-
des secours d'une instruction particulière, vrages propres à l'instruction familière des
ils ne leur seraient pas supérieurs. Mais enfants du peuple. La philosophie s'était
comme la société ne peut les connaître, ni chargée de ce soin, et elle y travaillait avec
prévoir le moment de leur apparition elle ardeur et persévérance, tandis que les mi-
donne à tous, autant qu'elle le peut, les pre- nistres de la religion ne sentaient pas assez,
miers éléments des connaissances humai- ou du moins assez généralement, que la
nes, dont le plus grand nombre ne tire au- sèche répétition d'un catéchisme extrême-
cun profit, mais qui ouvrent aux génies su- ment abrégé ne suffisait peat-être plus à la
périeurs la carrière qu'il leur est donné de vivacité, à la pénétration même de la nation
parcourir. française. Lorsque les vérités sociales, fon-
Ceux, au contraire, qui, sur de fausses damentales de pouvoir et de devoir, étaient
apparences, pensent que les révolutions hautement attaquées avec tout l'art du so-
naissent du progrès des lumières, confon- phisme, il était nécessaire de fournir aux
dent les lueurs du mensongeavecla lumière fidèles des moyens de défense et des motifs
de la vérité. La vérité ne peut pas être de crédibilité et cette instruction, toute re-
nuisible aux hommes, puisqu'elle n'est vérité levée qu'elle paraît être, est d'autant plus à
la portée de tous les hommes, qu'elle est
que parce qu'elle leur est utile les hommes
mêmes ne sont malheureux que faute, de la plus naturelle à leur esprit, et qu'ils en
connaître, d'une connaissance aussi dis- trouvent la raison dans leurs propres rela-
tincte que le sentiment de leurs passions tions domestiques, où tout, comme dans la
est vif et pressant. Les grands désordres des société religieuse, comme dans la société
sociétés ne sont jamais- venus que de l'igno- politique, n'est que pouvoir et devoir.
rance des hommes et de la faute des gou- Au reste, qu'on ne pense pas qu'il soit
vernements, qui ne connaissaient pas plus absolument nécessaire au bonheur et au bien-
leur pouvoir que les sujets ne connaissaient être du peuple qu'il sache lire et écrire;
leurs devoirs; et en particulier, la révolu- cette connaissance n'est pas même néces-
tion présente de l'Europe ne peut être at- saire à ses intérêts, et la société lui doitt
tribuée qu'à la crédulité des gouvernements une garantie plus efficace contre la mauvaise
dans toute l'Europe, à la doctrine des droits foi de ceux avec qui il a à traiter. De bon-
de l'homme, et au dogme impie et insensé nes lois, et un gouvernement ferme et vi-
de la souveraineté du peuple. gilant, voilà ce qu'il faut à tous les hommes,
leur donné comme par
Mais, et c'est une vérité sur laquelle on et tout reste vi, est
le
surcroît. (Matth. 33.)
ne saurait assez insister, tout est relatif
dans la société, puisque la société elle- Les enfants, en s'élevant au sein de la fa-
même n'est qu'un ensemble de relations et mille, se forment insensiblement à l'esprit
de rapports. Si les gouvernements établis- et à la pratique de la profession paternelle,
sent des écoles où les enfants du peuple pour laquelle ils prennent ce goût si puis-
puissent apprendre à lire, et devenir ainsi sant qui nait des premiers objets, des pre-
susceptibles de recevoir les erreurs les plus miers exemples, des premières habitudes.
funestes comme les vérités les plus utiles, Cette vérité, si féconde en administration,
ils doivent ne permettre que la circulation s'applique également à la famille livrée aux
de bons livres, qui sont, toujours en petit travaux domestiques, et même à la famille
nombre sur chaque sujet, et se pénétrer de occupée des soins plus nobles du ministère
ce principe, qu'il faut peu de livres à des public. C'est dans cette disposition natu-
peuples qui lisent beaucoup. relle à l'homme à contracter dans son en-
Il n'est pas inutile de remarquer que la fance des habitudes qu'il conserve toute la
.t -1- mt.ac..tdes
1. raison de l'hérédité
vie, qu'est la
LAHUIM F1UMI1.
a__ pro-
fessions, sans laquelle une société ne peut
subsister longtemps, et qui assure la perpé-
)-
ut
é-
tuité des métiers les plus vils et les plus pé-
é-
progrès1J-
III.
des arts,
IMi.

-~&nt
lV&UUt>ATIUi.V
1--t la
et dont "'Mn.)" loi
t., première,
était d'assister ses frères, et d'assommei
les autres. Lorsque les gouvernements se
pénétreront de cette vérité, qu'ils ne sont
iôï*
1.

ril.leux, comme celle des fonctions les plus is investis delà force publique que pour em-
honorables. Cette hérédité était connue des 3S pêcher l'action des forces particulières, que
peuples qui ont laissé après eux le plus de le leur bonté ne doit pas être de la sensibilité,
monuments de leur passage sur la terre, e, mais un sentiment profond de justice, qui,
des Hébreux, des Egyptiens et des Ra- )- tel que la bonté de Dieu, ne s'apaise qu'a-
mains de ces Romains dont nous avons tout nt près la punition lorsqu'ils voudront enfin,
pris, hors ce qu'il y avait de sévère dans is car il est rare qu'ils aient une volonté, de
leurs mœurs et de sage dans leurs lois. concert avec l'autorité de la- religion, plus
Comme la nature classe les hommes par iv efficace que l'autorité politique contre les
familles, la société doit classer les familles
3S institutions occultes (et il y en a de bien
par corps ou corporations, et l'on ne saurait it plus dangereuses), ils feront rentrer dans la
croire avec quelle force les familles des 3s bienveillance générale ces affections parti-
mêmes professions tendent à faire corps. s. culières et désordonnées. Avec la fermeté
Cet esprit de corps s'aperçoit même dans is et le temps, le temps qu'on peut appeler le
les métiers les plus vils. De là les corpora-i- premier ministre de toute autorité légitime
tions de professions mécaniques, connues îs et l'irrésistible moyen de toute institution
sous le nom dejurandes ou maîtrises, reçues 3S utile, les gouvernements feraient des prodi-
dans tous les Etats chrétiens, et dont la ges. « Si nous étions assez heureux, » dit
philosophie, ce dissolvant universel, n'avait it Leibnitz, « pour qu'un grand monarque
cessé de poursuivre la destruction, sous de le voulût un jour prendre à cœur les moyens
vains prétextes d'une concurrence qui n'a 'a d'augmenter en nous la connaissance du
tourné au profit, ni du commerçant honnête, e, bien, et la lumière naturelle de la Divinité,
ni des arts, ni des acheteurs. Ces corpora- i- on avancerait plus en dix ans, pour le bon-
tions, où la religion fortifiait par ses prati-i- heur du genre humain, qu'on ne fera au-
ques les règlements de l'autorité civile, trement en plusieurs siècles. »
avaient, entre autres avantages, celui de 'e Les corporations ont encore cet avantage
contenir, par le pouvoir un peu dur des as de réunir ies hommes que leur fortune et
maîtres, une jeunesse grossière, que le be- leur état condamnent a l'obscurité, et de
soin de vivre soustrait de bonne heure au u leur donner, par leur réunion, de la consi-
pouvoir paternel, et que son obscurité dé- dération et de l'importance. Je crois
robe au pouvoir politique. Un enfant dugrands seigneurs, que les
en Flandre, s'honoraient
peuple qui parcourait la France pour s'ins- '" de se faire recevoir chacun dans une cor-
truire de son métier, muni d'un certificat dee poration de marchands ou d'artisans, et je
son maître, trouvait partout du travail, et
et
ne sais s'il n'y avait pas, pour les patrons
ce qui est plus précieux, la surveillance)
\'>
comme pour les clients, de grands avantages
et je le dis avec connaissance de cause, i' il à cette coutume. Ce
que nous avons dit des
n'existe pas une institution politique dont ?' corporations civiles peut s'appliquer aux
une administration attentive puisse se servir ir corporations religieuses ou aux confréries,
avec plus d'avantage pour former les mœurs rs qu'on peut maintenir quand elles ont un
du peuple, et ajouter même à son aisance. objet utile, mais qu'il faut assujettir à des
L'homme ennemi, qui sème toujoursl'ivraie ie règles sages, de peur qu'elles ne s'en don-
sur le bon grain, avait opposé les unes aux tx nent à elles-mêmes qui ne le soient pas.
autres ces corporations,quelquefoismême les :s Le gouvernement doit regarder le compa-
ouvriers les uns aux autres dans la même cor- r- gnonnage commel'éducationdomestique des
poration,où deux associations maçonniquesî, enfants du peuple il faut donc, pour lin-
connues sous le nom de gaveaux et de compa- a- térêt même des jeunes gens, donner une
gnons du devoir, formaient comme deux peu- î- grande autorité aux maîtres, pour qu'ils eu
plades continuellement en guerre, et plus is abusent moins, ou plutôt il faut faire exécu-
ennemies l'une de l'autre que les Hurons et ter les lois portées en France, et qui étaient
les Algonquins. L'administration, qui se ré- 5- parfaites sur ce point, comme sur tous les
veillait quelquefois, avait fait de vains efforts
ts autres. Mais si la force était dans les lois,
pour extirper ces associations, inutiles auxx la faiblesse était dans les hommes. La reli-
gion tonnait en vain aux oreilles des rois; d'utile
d et qu'on ne lui donne pas des leçons
en vain, pour exciter leur vigilance, elle di matérialisme pour des cours de méde-
de
leur montrait l'homme porté, en naissant, cine,
ci et des leçons de volupté avec des mo-
au désordre et à la révolte. Une philoso- dèles
di de peinture.
phie molle et sans vigueur les invitait au
sommeil, en leur répétant sans cesse que CHAPITRE V.
les hommes sont naturellement bons: et ce-
DE L ÉDUCATION COMMUNE ET POBUQUB.
pendant ces hommes si bons n'estiment l'au-
torité qu'autant qu'elle se fait craindre, et le Ce n'est pas, comme on l'a dit, un droit à
mépris du peuple pour les autorités subor- tous
tc les hommes d'avoir part au pouvoir,
données, qu'il voyait bien plus occupées à mais
tr c'est un devoir au moins politique à
répartir des taxes, à ordonner des travaux toutes les familles de se mettre en état, par
te
publics, qu'à prévenir ou corriger les dé- le résultat naturel d'une industrie honnête,
le
sordres, amenait insensiblement J'avilis- d passer de l'état purement domestique de
de
sement et la chute des autorités les plus émi- société,
s< celui où l'on ne s'occupe que de
nentes. si et de ses propres intérêts, à
soi l'état public
Un abus intolérable est le vagabondage d société, celui où J'on s'occupe du service
de
des enfants, véritable école de corruption des
d autres, et où, débarrassé du soin d'ac-
et de brigandage. Des mendiants de pro- quérir,
q l'homme, ou plutôt la famille, n'a
fession, et presque toujours des aveugles, plus
p qu'à vaquer à la profession honorable
pour exciter la commisération publique, ddu ministère public. De là venait en France,
traînent de ville en ville des enfants des plus
p constituée que toute autre société
deux sexes, qui s'élèvent ainsi sans frein, chrétienne, cette tendance de toutes les fa-
ci
sans instruction, n'ayant sous les yeux que milles
n à s'anoblir, c'est-à-dire à passer à
l'exemple de la fainéantise, dans le cœur l'état public de société, à cet état qui inter-
1'

que les appétits du besoin, dans la bouche ddisait aux individus tout métier lucratif, et
que les supplications de la bassesse, et sou- consacrait
c< tes familles elles-mêmes au ser»
vent les ruses de l'imposture. Le premier vice
v de la société.
devoir du gouvernement est d'empêcher ce La nature, qui ordonne tout avec sagesse,
désordre par tous les moyens de secours, nne voulait pas qu'un homme passât de plain-
et, s'il le faut, de vigueur dont il dispose, pied,
p pour ainsi dire, et sans préparation,
il doit une protection plus vigilante à la fa- d derniers emplois de la société domesti-
des
mille la plus pauvre, et s'il ne peut empé- que aux plus nobles fonctions de l'Etat, et
q
cherque les vieillards et les estropiés ne de- qu'il
q courût juger en venant de bêcher la
mandent, il ne doit permettre le vagabon- terre. Il y a même peu d'hommes dont la
ti
dage à personne. Le vagabondage est dans raison
r puisse, sans en être ébranlée, sup-
l'Etatcomme ces humeurs errantes dans le pporter une élévation aussi subite, et de là
corps humain, qui jettent le trouble tians sont
s venues toutes les extravagances du rè-
toutes ses fonctions, et qu'il faut fixer dans gne
g de la terreur. Tout ce qui doit durer
une partie, lorsqu'on ne peut s'en délivrer est
e lent à croître, et la constitution en
entièrement. Si le gouvernement doit inter- France, d'accord avec la nature, faisait pas-
F
dire le vagabondage aux enfants, même sser la famille successivement par des profes*
lorsqu'ils demandent pour leurs parents, sions
s plus relevées, qui occupaient l'esprit
encore moins doit-il permettre que des pa- plus
p que le corps, tels que le commerce et
rents avides fassent servir les difformités L pratique des affaires, et elle la disposait
la
de leurs enfants d'objet à la curiosité pu- ainsi
a à l'anoblissement, qui était Jepremier
blique. L'humanité, les mœurs, les égards grade
g de l'ordre du ministère public, et le
dus aux imaginations faibles et aux femmes caractère
c qu'il fallait recevoir, pour être ca-
enceintes, tout réclame contre cet usage in- pable
p d'en exercer toutes les fonctions et
digne de peuples chrétiens et t'administra- cd'en posséder tous les grades car c'est dans
tion doit veiller à ce qu'il ne s'établisse ja- ses
s principes, et non dans ses abus, qu'il
mais de spéculation lucrative sur le malheur, ffaut considérer cette institution.
Je n'ai pas parlé de l'éducation propre à Le gouvernement, revenu de ces théories
certains arts, que les élèves reçoivent dans insensées,
i renouvelées des Grecs, qui fai-
des cours publics. L'autorité doit veiller à saient
s de la boutique le vestibule du palais
#e que la jeunesse n'y apprenne rien que de
<
justice, reconnaît enfin la nécessitéd'une
éducation spéciale qui dispose l'homme aux il arrive souvent, l'instituteur ne peut em-
fonctions publiques, différente de celle qui ployer le ressort de l'émulation. S'ils sont
le prépare aux travaux domestiques. plusieurs enfants, il est forcé de le briser;
Ainsi il faut une éducation pour l'homme car l'émulation entre frères dégénérerait en
public, permise à tous ceux qui aspirent à rivalité, produirait des divisions, et affaibli-
remplir un jour des fonctions publiques, rait le respect que les plus jeunes doivent
religieuses ou politiques, et même obligée porter à l'aîné d'ailleurs il ne peut y avoir
pour les enfants dés familles qui y sont par- de concurrence, ni par conséquent d'ému-
venues, dans les gouvernements où il y a lation entre frères, toujours inégaux en âge,
des familles revêtues du périlleux honneur et par là plus ou moins avancés dans leurs
d'une destination spéciale au service de la études.
société. Un gouvernement sage, qui veut L'éducation particulière rétrécit l'esprit,
élever l'instructionpublique au rang qu'elle parce qu'elle élève un enfant au milieu des
mérite d'occuper entre les objetsd'adminis- soins domestiques et des affaires personnel-
tration, et donner aux établissements pu- les elle concentre les affections, parce que
blics d'éducation une direction uniforme et l'enfant ne voit que sa famille et ses parents;
parfaitement appropriée à leur but, doit, elle n'exerce pas assez le corps, parce que
avant tout, faire un ministère de l'instruc- l'enfant, toujours seul, se promène plus
tion publique, séparé de tout autre détail, qu'il ne se sert de ses forces.
et auquel ressortiront naturellementles pro- Non-seulement l'éducation particulière est
ductions de l'esprit et de l'imagination. insuffisante pour former l'homme public,
Honneur au gouvernement qui, le premier, mais elle est dangereuse, parce que les pa-
en Europe, donnera à l'éducation dé l'hom- rents exigeants, s'ils sont éclairés, admira-
me des soins aussi actifs, aussi constants que teurs aveugles, s'ils ne le sont pas, voient
ceux que donnent toutes les administrations trop, ou ne voient pas assez les imperfec-
modernes à l'élève des bestiaux, au perfec- tions de leurs enfants, et contractent ainsi,
tionnement de leur race, de leurs lai- pour toute la vie, des préventions injustes,
nes, etc. 1 ou une mollesse déplorable.
Si l'éducation domestique commence avec Elle est dangereuse, parce que les enfants
la vie, l'éducation publique doit commen- y apprennent ou y devinent tout ce qu'ils
cer avecla raison, c'est-à-dire que lafamille doivent ignorer, parce qu'elle place un en-
doit commencer l'homme, et que la société fant au milieu de petits intérêts et de peti-
publique doit l'achever. L'éducation privée tes passions que s'il apprend à saluer avec
doit donc finir, et l'éducation publique grâce, à manger proprement, on le forme
commencer à peu près entre huit et onze trop souvent à la vanité, à la curiosité, à
ans. l'humeur on fait entrer dans les moyens
La société veut former l'homme pour son d'éducation des observations critiques sur
service, et tout l'homme, c'est-à-dire sa fa- les personnes qu'il a accoutumé de voir, et
culté pensante, sa faculté aimante, sa faculté on lui donne ainsi le goût de la médisance
agissante. « L'Egypte, » dit Bossuet, « n'ou- et du persiffiage, toutes choses qui rétrécis-
bliait rien de ce qui peut polir l'esprit, en- sent le moral, ou même le dépravent à un
noblir le cœur, et fortifier le corps. » point qu'on ne saurait dire.
Mais l'hommen'a pas seulement des facul- L'éducation particulière serait insuffisante
tés, il a des passions, ou plutôt une passion, et dangereuse, même quand on commence-
la source de toutes les autres c'est la pas- rait par faire l'éducation de toute la maison,
sion de dominer et selon que l'homme est maîtres et valets. Aussi ceux qui ont écrit
fort d'esprit ou de corps, il cherche à domi- sur l'éducation particulière veulent qu'on
ner les autres par l'ascendant de son esprit élève les enfants loin des villes, et exigent
ou par celui de ses forces. la perfection dans tous ceux qui les entou-
Cette passion est un ressort puissant, que rent et qui sont employés à leur instruction.
l'éducation doit mettre en jeu, pour rendre Mais en conseillant aux parents de vaquer
l'homme capable de grands devoirs, en at- eux-mêmes à l'éducation de leurs enfants,
tendant que la religion puisse proposer un ils supposent que les pères n'ont aucune
motif plus désintéressé à ses vertus. fonction publique à exercer, et ils ne sen-
Ici parait toute l'insuffisance de l'éduca- tent pas que, si cette méthode était univer-
tion domestiaue.Si l'enfant est seul, comme sellement répandue, enianis seraient
ies enfants
repanaue, les
OEUVRES rniviDr
OK.TTvnirc DE M.
COMPL. tmt M DE Br\v»r L
t»t7 BONALD. 1 44
toujours eieves, et la société ne serait jamais moeurs préservées de la contagion des villes,
servie ils supposent encore que les parents instruction défendue contre les distractions
auront une fortune assez considérable pour des visites, habitude des objets champêtres,
payer à grands frais d'habiles instituteurs, si précieuses à conserver, sont des avanta-
et fournir à la dépense des divers objets re- ges qu'on ne trouve qu'à la campagne, et
latifs aux connaissances humaines, qui en- qu'aucun autre particulier aux villes ne
trent dans le plan de l'éducation publique, peut compenser.
et qu'on ne trouve que dans les grands éta- Les anciens monastères, spacieux, isolés,
blissements ils supposent enfin ce qui ne sont très-propres à former des colléges ils
peut convenir qu'au particulier opulent, et existent partout dans les campagnes, et la
ils proposent par conséquent ce qui ne peut société, première propriétaire de tout ce qui
être pratiqué que par un très-petit nombre lui est nécessaire, peut rembourser aux
de personnes. possesseurs actuels le prix de l'acquisi-
Il faut donc une éducation publique pour tion. L'administration arrêterait un plan de
disposer les hommes aux fonctions publi- distribution intérieure et extérieure le
ques, c'est-à-dire qu'il faut des lieux pu- même pour tous les édifices, plan auquel
blics, des maîtres publics, et une instruction chaque maison serait tenue de se conformer
publique, pour instituer des hommes pu- à mesure qu'elle serait rebâtie. L'uniformité
blics. Essayons de présenter quelques vues des distributions suit naturellement de l'u-
générales sur ces différents objets. niformité dès exercices. De là vient que dans
certains ordres religieux, comme les Capu-
CHAPITRE VI. cins, les maisons étaient parfaitement sem-
blables dans les divers pays. Rien n'est à
négliger lorsqu'il est question d'établir l'u-
DES LIEUX PROPRES A DONNER L'ÉDUCATION
nité, et c'est ce qui fait qu'un corps militaire,
PUBLIQUE.
modèle le. plus parfait de la société, comme
Les lieux publics destinés à l'éducation il en est le plus puissant agent, est soumis à
commune des enfants doivent être en nom- une uniformité rigoureuse de vêtements,
x bre proportionné aux besoins de la société d'habitudes, de mouvements, et qu'on y rè-
publique; il est moins difficile qu'on ne gle des hommes faits mieux qu'on ne peùt
pense de déterminer la quantité des besoins, régler des enfants.
lorsque l'étendue déterminée du territoire, Les colléges doivent être répartis à peu
dans une sociétéqui a fini son accroissement, près également dans les diverses provinces
permet de fixer à peu près la proportion du ou divisions de l'Etat, et peut-être la capitale
ministère publie à la population totale. est de tous les endroits celui où il faudrait
Quel q-ie soit le nombre total des mai- le moins réunir les établissements de pre-
sons d'éducation publique ou des colléges, mière éducation.
chaque collège contiendra de quatre à cinq Lors de la fondation des anciens colléges,
cents enfants. Je ne tiens pas à ces nombres J'Etat, pauvre et affairé, laissait à la libéra-
plutôt qu'à d'autres mais les grands éta- lité des particuliers cette partie importante
blissements sont toujours le mieux réglés, de l'ordre public; des princes, des cardi-
parce que la règle y est plus nécessaire, et naux, des évêques, des maisons puissantes,
que l'expérience a appris qu'il n'y a pas de des particuliers riches, léguaient des colléges
petite confusion dans un grand ensemble. à l'Etat, et les fondaient presque toujours à
Les collèges doivent, je crois, être placés Paris, lieu de leur séjour. Aujourd'hui que
à la campagne, parce qu'il faut supprimer les l'Etat veut tout faire, et tout faire seul, et
classes externes, et que tous les colléges qu'en s'appropriant tous les dons, il s'est
soient pensions. Il y a trop de corruption chargé de toutes les intentions, il doit dis-
dans les villes, pour qu'on puisse permettre tribuer partout et à peu près uniformément
la fréquentation des élèves du dehors et des les établissementspublics, parce que la pre-
pensionnaires; les externes reçoivent l'ins- mière intention des fondateurs a été de faire
truction, mais les seuls pensionnaires re- du bien, que le bien public demande cette
çoivent l'éducation, et ce n'est pas assez distribution égale, et que l'exacte division
d'instruire des enfants, il faut surtout for- du territoire la rend possible.
mer des hommes.
Salubrité assurée par l'air des champs,
ment à l'intérêt personnel et qui lui a an
CHAPITRE VII. Renonce-toi toi-même.
n
DES MAÎTRES. Si les instituteurs publics sont céliba-
taires,
té quoique séculiers, ils ne pourront
Le ministère public, qui accomplit, ou
u fi
faire corps entre eux leur agrégation for-
plutôt qui est lui-même l'action légitime et't tuite
tl ne sera qu'une succession continuelle
légale du pouvoir dans les fonctions publi- d'individus,
d entrés pour vivre et sortis pour
ques déjuger et de combattre, doit être per- s'établir et quel père de famille osera con-
s>
pétuel, général, uniforme car s'il y avait ib fier ses enfants à des célibataires dont une
g
interruptionde ministère pendant un temps, 3> discipline religieuse ne garantira pas les
défaut de ministère dans un lieu, variation n mœurs?
n S'ils sont mariés, comment l'Etat
de ministère dans l'action, il yaurait désor- r- pourrait-il
p assurer à des hommes chargés
dre dans la société, c'est-à-dire cessation de le d'une
<$ famille animés d'une juste ambition
société. dde fortune, et plus capables que d'autres de
Ainsi l'on peut dire que l'homme public ic s livrer avec succès, un établissement
s'y qui
est un homme perpétuel, général, uniforme, e> puisse les détourner d'une spéculation plus
et de là vient cette maxime, que le roi ne 2e lucrative? Si par des vues d'économie on
meurt pas, reçue autrefois en France, pour ir les
1 réunit sous le même toit avec leurs fem-
Jbomme éminemment public, directeur et mes t et leurs enfants, la concorde est impos-
conservatèur de tout l'ordre social. sible
£ si on leur permet de vivre séparément,
II faut donc une éducation perpétuelle, e» les
1 frais sont incalculables. Des hommes ins-
universelle, uniforme, et par conséquent uninj truits
t ne voudront pas soumettre leur esprit
instituteur perpétuel universel, uniforme35 à des règlements devenus routiniers, à des
il faut donc un corps, car hors d'un corps, s. méthodes
j d'enseignement qui leur paraîtront
il ne peut y avoir ni perpétuité, ni généra- a~ défectueuses;
(
des hommes avides et accablés
ïitê, ni uniformité. de
< besoins voudront s'enrichir, des pères de
Ce corps, car il n'en faut qu'un, chargé de famille
i oublieront les soins publics pour
l'éducation publique, ne peut pas être un in les affections domestiques. L'Etat peut être
dans les établisse-
corps purement séculier car où serait le assuré de ne conserver qui ne
Sien qui en assurerait la perpétuité et par iar ments d'éducation que les hommes
conséquent l'uniformité ? Serait-ce l'intérêt •et seront propres à aucune autre profession
personnel ? Mais des séculiers auront ou de mauvais sujets; et l'on peut se convaincre
pourront avoir une famille. Ils appartien- n- aisément que les instruments les plus actifs
dront donc à leur famille plus qu'à l'Etat, àà de nos désordres ont été, à Paris, cette classe
colléges,
leurs enfants plus qu'aux enfants des autres, js, d'instituteurs laïques attachés aux
>u- qni dans
à leur intérêt personnel plus qu'à l'intérêt pu- leurs idées classiques ont vu Je
blic car l'amour de soi, dont on veut faire ire forum de Rome à l'assemblée de leurs sec-
chargés
le lien universel des hommes, est et sera îra tions et se sont crus des orateurslorsqu'ils
toujours le mortel ennemi de l'amour des les des destinées de la république,
bouffis d'or-
autres. Nous avons vu en France, dès le n'étaient que des brouillons
commencement de la révolution, les autori- ri_ gueil et impatients de sortir de leur état. Il
tés, même les moins religieuses, persuadées Ses faut donc un corps qui ne puisse se
dissou-
nts dre, un corps où des hommes fassent, à une
que les seuls motifs humains sont insuffisants
le sacrifice de leurs opi-
pour former un seul corps de plusieurs in- règle commune, personnelles; à une richesse com-
dividus, au point qu'elles exigeaient sans ans nions
cesse des serments pour garantie de la fidé- ié- mune, le sacrifice de leurs cupidités per-
me sonnelles à
lité des citoyens. Or, le serment n'est qu'une la famille commune de l'Etat,
nté le sacrifice de leurs familles personnelles.
vaine formule, s'il n'est pas fait à la Divinité
Mais quelle autre force que celle de la reli-
que les hommes appellent à leurs engage- re_
ments, pour en assurer par sa présence la]a gion, quels autres engagements que ceux
lier des hommes
res qu'elle consacre, peuvent
stabilité et loin de s'offrir les uns aux autres
leur intérêt personnel comme une garantie ,tie à des devoirs aussi austères .et leur com-
suffisante de la solidité de leurs promesseses, mander des sacrifices aussi pénibles ?2
f
ils n'accordent une confiance réciproque lue Les philosophes pourraient-ils trouver ex-
qu'en leur foi mutuelle en celui qui a mis nis traordinaire que l'Etat confiât l'éducation pu-
te perfection de l'homme dans le renonce- ce- blique à des corps de célibataires, lorsque
,r:
1583
l°l
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OEUVRES
unuvwi» UUMFLETES
COMPLETES DE M. DE BONALD
tout homme sensé, pour faire donner à
enfants l'éducation privée, préfère
tuteur libre de soins domestiques ?
Il faut donc un corps religieux-,
un
ses
insti-
.u
uvWnWl.
sans raison que l'Etat a fait àk quelques-uns
m,,W-,m.
un devoir de combattre sans passion, et il y
aurait bien plus de guerres, s'il n'y avait
im
1384

réuni par des vœux car il ne peut un corps plus


pas de guerriers.« La politique et la guerre, »
dit quelque part Voltaire, « sont malheureu-
exister des corps sans vœux, que pas des so-
ciétés sans religion. sement les professions les plus naturelles
Rien n'est plus conforme à la nature de aux hommes. » La vraie nature de l'homme
l'homme public que les voeux est la société, et le célibat, utile ou né-
par lesquels, cessaire à la société, est par cela seul dans
renonçant à lui-même, il se consacre tout la nature de l'homme. Les célibataires reli-
entier au service des autres son esprit gieux, en élevant la jeunesse dans les prin-
le vœu d'obéissance, son
par
cœur par le vœu cipes de respect pour les moeurs et pour les
de pauvreté; ses sens par le
vœu de célibat; lois, perpétuent les familles et font fleurir l'E-
ce qui ne veut dire autre chose que re- tat ;-les célibataires militaires, en défendant
noncer à la société domestique pour servir l'Etat, empêchent les désordres intérieurs
la société publique, et à soi,
pour l'utilité et même les invasions étrangères, qui rui-
des autres.
nent et dévastent les familles. Ce célibat so-
Et comment,après tout, l'homme ne pour- cial donne des enfants à l'Etat, puisqu'il
rait-il pas se dévouer librement conserve les familles mais le célibat véri-
au service
de ses semblables, en obligeant tablement stérile et nuisible à la population
son esprit
à se soumettre et son corps à s'abstenir, est le célibat de débauche, d'égoïsme, d'in-
lorsque la loi l'emploie malgré lui dans la dépendance, le célibat philosophique et sans
profession militaire, et qu'elle le soumet à aucun motif social, qui corrompt l'homme,
l'obéissance la plus passive, empêche la famille et dissout l'Etat.
aux privations
les plus dures, à la perte de ses membres et Il faut donc un corps, un corps religieux,
môme à la mort? Si des formes différentes chargé, dans toute l'étendue de l'Etat, de
en imposent à l'imagination, le principe ou l'éducation commune des enfants qui se
l'engagement n'est-il pas le même? et le sol- destinent aux fonctions publiques.
dat ne fait-il pas un vœu d'obéissance plus Il faut un corps, parce qu'il faut dans
ponctuelle et même de pauvreté plus 1l'éducation publique, perpétuité,
en- généralité,
tière que le religieux, puisqu'il a au fond uniformité; même vêtement, même nourri-
i
moins à dépenser par jour qu'un cénobite ture,
t même instruction, même distribution
de l'ordre le plus austère, et qu'il ne lui est dans les heures de l'étude et du repos,
<
pas plus possible qu'à un reclus d'exercer mêmes
i maîtres, mêmes livres, mêmes exer-
de profession lucrative? Ne fait-il pas le cices, uniformité en tout et pour tout, dans
<
vœu de célibat, puisque la plupart des gou- ttous les temps et dans tous les lieux. Une
vernements lui interdisent la liberté in- fois
i l'organisation faite par les hommes,
définie du mariage, et que son état même (éprouvée par le temps, corrigée par l'expé-
ne le lui permet pas ? Que manque-t-il à ces rience,
r le ministre de l'éducation publique
vœux pour les rendre en tout semblables à n'aura
r pas d'ordonnance à faire; ses fonc-
ceux des religieux, même dans leur perpé- ttions se borneront à empêcher que personne
tuité? et ne sont-ils pas aussi pour la vie, n'en
r fasse,- à prévenir toutes les innovations,
puisqu'ils conduisent le plus grand nombre même
r les plus indifférentes en apparence,
à la mort, et à une mort violente et préma- qui
c pourraient se glisser dans des établisse-
turée? La liberté serait-elle plus blessée ments
t nombreux et éloignés les uns des
d'un dévouement volontaire que d'un enga-
gement forcé? et serait-il moins noble et
moins utile d'élever Je citoyen que de dé-
fendre le territoire? Dira-t-on que la pro-
autres.
s
Le conseiller d'Etat, qui fit, en l'an
rrapport au conseil, du projet d'éducation
le
publique
f (Rapport sur l'instruction publique,
fession de soldat n'est pas naturelle? A qui ? f au conseil d'Etat, par M. Chaptal), con-
fait
à'ï'homme? C'est dans le métier des armes vint des avantages d'une corporation; il les
v
que se développent les plus grandes qualités développa
d et les considéra même sous
de l'esprit et du cœur. A la société? Il n'y a pas dd'autres aspects, mais il fit à
ces institutions
assurément de profession plus naturelle à la des
d reproches, qui sont les mêmes que ceux
société que celle qui la défend. C'est pour dont
d on se sert généralement pour les com-
cemprimer dans tous la passion de se battre 1battre, et que, pour cette raison, il est
nécessaire de discuter ici avec quelque corporations,
cc c'est celui d'enseigner com-
étendue. m vérités, des opinions consacrées par
me
« Si les corporations, » dit le rapporteur, ui longue tradition dans l'école. »
une
« possédaientl'artde transmettre les connais- Aujourd'hui une opinion est vraie, parce
sances acquises, rarement elles s'élevaient qu'elle
qi est nouvelle; jadis elle était vraie,
au mérite de l'invention. Mais outre qu'on parce
pé qu'elle était ancienne, et à tout pren-
pourrait citer d'heureuses découvertes en dre, la présomption de vérité, comme la
dl
géométrie, d'ingénieuses inventions en mé- présomption
pi de justice, est en faveur de l'an-
canique, des développements en morale, cienneté
ci de possession. Ce respect même
marqués au coin du génie, et sortis du superstitieux
si des corps pour les anciennes
recueillement des cloîtres, témoins des dé- opinions,
01 qui r.end plus difficile l'introduc-
couvertes physiques et morales de Schwarts, tion des opinions nouvelles, est cette quaran-
tii
de Kircher, de Sébastien, de Castel, de taine rigoureuse qu'on fait subir aux mar-
ta
Bourdaloue, de Malebranche et de tant chandises qui viennent d'un pays suspect,
el
d'autres, des maîtres qui n'inventent pas, et telle est la force nécessaire de la vérité,
forment des élèves qui inventent, parce que qi toute opinion qui, à la longue, ne triom-
que
c'est la méthode d'enseignement, bien plus phe
p] pas de la résistance des hommes, ou
que le génie du maître, qui'développe dans qui succombe, malgré leur ^protection, est
qi
l'élève l'esprit d'invention. Certainement les une erreur. Ainsi il est aisé déjuger que la
Ui
maîtres de nos plus grands inventeurs, des législation sévère du christianisme l'empor-

Pascal, des Descartes, des Malherbe, des tera, malgré les hommes, sur la législation
te
Corneille, des Molière, des la Fontaine, des faible de la philosophie moderne.
fa
la Bruyère, des Bossuet, étaient fort infé-
« Un troisième vice, et peut-être le plus
rieurs à leurs élèves. A-t-on plus et mieux grand
gi de tous, est celui de commander des-
inventé en France, depuis que l'éducation potiquement la croyance des élèves dans les
p<
n'est plus confiée à des corps? D'ailleurs il sciences
sc comme dans la morale, de ne jamais
n'est pas question, dans l'éducation publi- proposer
pi lé doute, qui seul excite et déve-
que, de former des artistes, et les corpora- loppe les facultés de l'entendement. Ainsi,
lo
tions religieuses ne s'en occupaient pas, ai lieu de laisser à l'entendement humain
au
mais de former des hommes publics, des cette
ce extension de liberté qui le porte sans
hommes qui connaissent des lois, et qui cesse vers le perfectionnement, et le rend
ce
pratiquent des devoirs; et malheur au peu- capable des plus grands efforts, les institu-
ça
ple chez lequel on invente sur les lois et teurs
te éloignaient avec soin, ou condamnaient
sur les devoirs!I avec humeur les élans de l'imagination, les

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