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de
Bonald,.... Tome deuxième /
publiées par M. l'abbé
Migne,...
DE
M DE BONALD.
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ŒUVRES COMPLÈTES
DE
M. DE BONALD,
PAIR DE FRANCE ET MEMBRE DE L'ACADÉMIE
FRANÇAISE,
TOME DEUXIÈME.
/~P~
3 volumes, prix 24 FRANCS.
\^l^
^S'IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P.
MIGNE ÉDITEUR
iinïïïoiiS?DGK
AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D'AMBOISE,
AU
JBARRIÈRE D'ENFER
DE PABIS.
1859
SOMMAIRE
OEUVRES
DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME DEUXIÈME DES
COMPLÈTES DE M. DE BONALD.
M. DE BONALD. DE
P«mtè«r< partie.
ECONOMIE SOCIALE,
(Suite.)
DU DIVORCE,
CONSIDÉRÉ AC XIX* SIÈCLE
DISCOURS PRELIMINAIRE.
C'estune source fécoiMe/ d'erreurs, lors- voir domestique, qui réunit les hommes 5
qu'on traite une question ieMWvb $*la so- dans la famille, la raison du pouvoir public,
ciété, de la considérer seule, et sans rapport qui réunit les familles en corps d'Etat, ne
aux autres questions, parce que la société se trouvent au fond ni dans l'homme ni dans
elle-même n'est qu'un ensemble de rela- la famille car l'homme est par lui-même
tions et de rapports, et que, dans le corps indépendant de tout autre homme, et la fa-
social comme dans tout corps organisé, mille de toute autre famille. 11 faut donc re-
c'est-à-dire dont les parties sont disposées monter au pouvoir suprême universel sur
dans de certains rapports entre elles relatifs les êtres; je veux dire à la connaissance
à une fin déterminée, la cessation des fonc- d'un être supérieur à l'homme, et préexis-
tions vitales ne vierit pas de l'anéantissement tant à la société humaine, dont la volonté
des parties, mais de leur déplacement et du conservatrice des êtres créés se manifeste
dérangement de leurs rapports. dans un ordre déterminé de rapports, les-
Comment, en effet, traiter du divorce, quels, exprimés par des lois, constituent le
qui désunit le père, la mère, l'enfant, sans pouvoir humain, et par conséquent la so-
parler dela société, qui les réunit? Com- ciété pouvoir universel de Dieu sur les
(
ment traiter de l'êtat domestique de société 1hommes, devoirs des hommes
envers Dieu,
ou de la famille, sans considérer l'état pu- qui
( expliquent l'inexplicable pouvoir de
blic ou politique qui intervient à sa for- ]l'homme sur l'homme et les devoirs qui
mation, pour en garantir la stabilité et en en
découlent;
( pouvoir divin, dont la connais-
assurer les effets?
.««ic.
Œuvrescompju pou-
la raison du
Mais ia1<U»UII uu pou- ssanceeue
sance et le culte
culte sont l 'objet
sontl'objet dedelareligion
la religion
deM.DEBoiuld.II, 1
ou de la société qui unit, qui lie, de religare, répandus sur la terre par l'imprudence
parce qu'elle est le lien et la raison des au- d'une femme, chef-d'œuvre d'une Divinité
tres sociétés. l'espérance seule d'un meilleur avenir, lais-
C'est là la marche de la raison, mais ce sée au genre humain les hommes corrom-
n'est pas celle de la philosophie moderne pus, en guerre les uns contre les autres la
et puisque la question qui nous occupe, la faiblesse sans protection contre la force, tan-
première et la plus fondamentale de toutes tumque haberent, dit Cicéron, quantum manu
les questions sociales, est le champ de ba- et viribusper cœdem acvulnera aut eriperemct
taille où cette philosophie combat depuis si retinerepotuissent; eiiûQ des hommes inspirés
longtemps contre la -raison, on me permet- par les dieux, pour tirer les hommes de cet
tra d'exposer ici avec quelque détail le sujet état de férocité et de destruction, en donnant
de leur querelle, et ses effets sur la so- des lois aux sociétés fictions brillantes qui
ciété enveloppent d'antiques vérités anciennes
Une raison exercée comprend tous les traditions qui ressemblent à des souvenirs
êtres et leurs rapports existants et même à demi effacés.
.possibles, sous ces trois idées générales, et La philosophiepaïenne avait retenu l'em-
les plus générales que l'esprit puisse con- preinte d'une autre vérité, primitive. La rai-
cevoir cause, moyen. effet (1), dont la per- son disait aux hommes que la volonté de
ception est la base de tout jugement, et dont l'Etre suprême, étant souverainement éclai-
la réalité au dehors est le fondement de rée,doit être parfaitement fixe et immuable.
tout ordre social; et pour appliquer la so- Les anciens crurent cette volonté immuable,
ciété ce principe, un peu abstrait peut-être, mais ils ne la jugèrent pas éclairée; ils la
la raison voit, dans Dieu qui veut, la cause supposèrent même aveugle, parce qu'elle
première; dans l'homme, quel qu'il soit, qui était uniforme, et ils en firent le destin, qui
agit en exécution de cette volonté, la cause était supérieur aux hommes et même aux
seconde, ou le moyen, le ministre, le média- dieux et il est vrai, dans un sens, que
teur; et l'effet, dans cet ordre de choses ap- Dîeij même obéit à sa volonté, et qu'étant
pelé société, qui résulte de la volosté de Dieu souverainement libre, il ne peut rien faire
,et de l'action,de l'homme. contre sa volonté.
Ainsi le pouvoir-suprême est dans l'intel- Ainsi le paganisme séparait dans Dieu la
ligence suprême ou dans Dieu 'le pouvoir volonté de l'intelligence, ce qui est absurde,
subordonné est dans l'intelligence suber- et personnifiait la volonté sous le nom de
•donnée ou dans un homme; et cet étre chu- destin, supérieur à l'intelligence même et
main, pouvoir lui-même, dans l'ordre do- le christianisme distingue enDieu la volon-
mestique de société comme dans l'ordre pu- té de l'action, et il fait l'action procédantde
blic, a sous lui des ministres et des sujets; la volonté, ce qui est conforme à- la raison
en sorte que l'ordre
particulier, constitué en sorte qu'il distingue Dieu qui veut par sa
comme l'ordre général, est un enchaînement seule pensée, de Dieu.ou plutôt de l'Homme-
de causes premières, de moyens ou causes Dieu qui agit au dehors, et par qui tout a
secondes, et d'effets, ordre croyable à la rai- été fait. Mais revenons.
son de l'homme, puisqu'il est existant, et La philosophie moderne, née en Grèce de
même sensible dans son action particulière. ce peuple éternellement enfant, qui chercha
La philosophie ancienne admettait ces toujours la sagesse hors des voies de la rai-
principes fondamentaux de tout ordre et de son, commence par ôter Dieu de l'univers,
tout jugement mais, faible pédagogue de soit qu'avec les athées elle refuse à Dieu
peuples enfants, elle défigurait la vérité par toute volonté, en lui refusant même l'exis-
les imaginations bizarres sous lesquelles tence, soit. qu'avec les déistes elle admette
elle la leur présentait. Elle chantait, dans la volonté créatrice, et rejette l'action con-
ses riantes poésies, le chaos et le temps, servatrice ou la Providence et pour expli-
plus
l'homme animé par un rayon dérobé à la Di- quer la société, elle ne remonte pas
vinité, les dieux conversant avec les hom- haut que l'homme car je fais grâce au lec-
mes., l'âge d'or, les hommes, dans
l'origine, teur de tout ce qu'elle a imaginé pour ren-
heureux et innocents; bientôt tous les maux dre raison de la formation de l'univers phy-
(1) Voy. la Législation primitive, du même auteur, où ces idées sont développées et appliquées à la
.société, ·
sique, et même de homme, sans recourir à bonté native, en avaient retenu la doci*
un être intelligent supérieur à l'homme et lité.
à l'univers. Elle a dit sur ce sujet des cho- Quoi qu'il en soit, on ne pouvait attribuer
ses si inouïes, elle a donné à l'existence de à l'homme le pouvoir de faire des lois et de
l'homme, de ce chef-d'œuvre de la création, former la société, sans lui attribuer le pou-
merveille lui-même au milieu de tant de voir de les abolir et de dissoudre fa société
merveilles, des causes si absurdes agissant aussi J.-J. Rousseau avança solennellement
par des moyens si ridicules, qu'elle-même « qu'un peuple a toujours le droit de chan-
aujourd'hui, mieux avisée, impose silence à ger ses lois, -même les meilleures car s'il
ses adeptes sur ces systèmes insensés, que veut se faire mal à lui-même, qui est-ce qui
pour l'honneur du temps où nous avons a le droit de l'en empêcher (2)?» Nos phi-
vécu il faut oublier, s'il est possible, etsur- losophes avaient senti que l'homme étant
tout ne pas transmettre à la postérité. Nec originellement indépendant de l'homme,
postera credant sœcula. tout homme qui faisait des lois devait être
Nos philosophes, Hobbes excepté, étaient envoye pour en faire et dès qu'ils rejetaient
loin de supposer que les hommes, antérieu- toute mission divine, c'était une consé-
rement à la société, fussent en guerre les quence nécessaire qu'ils eussent recours à
uns contre les autres. ( L'homme est ijé une mission humaine, etqu'ils cherchassent
bon, » dit J.-J. Rousseau. « Dans l'état de dans une agrégation d'hommes, la raison
pure nature, » dit Montesquieu, « les du pouvoir ou'ils ne trouvaient pas dans un
hommes ne chercheraient pas à s'attaquer, seul.
et la paix serait leur première (t) loi natu- Mais le peuple lui-même n'était qu'une
relle. Dès lors l'état de société n'était' plus collection d'hommes, et c'étaient des hom-
nécessaire; il n'était tout au plus que conve- mes qui envoyaient des hommes pour don-
nable l'homme n'entrait pas en société ner des lois aux hommes. D'ailleurs, en dé-
pour conserver son existence, mais pour férant à la raison d'un seul homme pour
ajouter à ses plaisirs; et avec ce principe, l'acte le plus important de la société, l'ins-
quand les sophistes auraient admis la titution des lois, le peuple reconnaissait
croyance de la Divinité, il ne leur était plus l'insuffisance de sa raison pour se gouver-
nécessaire de la faire intervenir pour don- ner. il n'agissait donc qu'en vertu de sa
ner des lois aux hommes, parce que la Di- masse, ou de la supériorité de son nombre
vinité ne peut jamais intervenir sans néces- c'était donc la masse qui envoyait la raison
sité et l'homme, né bon, ou n'avait pas be- aussi Jurieu, l'apôtre de la souveraineté po-
soin de lois, ou était assez bon pour donner pulaire, ne put se tirer de cette inextricable
des lois aux hommes. difficulté qu'en affirmant naïvement, « que
le peuple est la seule autorité qui n'ait pas
Et en effet, ces mêmes philosophes qui besoin d'avoir raison pour valider ses ac-
avaient rêvé à leur manière un prétendu tes. » Ce qui prévenait toute objection, et
état de pure nature antérieur à toute socié- terminait toute dispute.
té, où les hommes étaient heureux et bons, Ces législateurs, envoyés par le peuple,
nous font tout à coup apparaître des sages, ou, sans être envoyés, agissant en son nom,
des hommes de génie, philosophes, institu- furent, en Grèce, Solon ou Lycurgue; à
teurs et bienfaiteurs des peuples, qui d'eux- Rome, des rois, des décemvirs, des trium-
mêmes donnent des lois au genre humain, virs ou des tribuns et dans des temps pos-
docile à les recevoir, sans daigner nous ap- térieurs, furent Mahomet, Luther, et mille
prendre pourquoi il avait fallu des loisàdes autres. En Grèce même, véritablepatrimoine
hommes qui avaient, sans lois, le bonheur des législateurs, les sages n'attendaient pas
et la vertu par quel événement des êtres la mission; ils la prévenaient, et parcou-
bons de leur nature étaient devenus mau- raient le pays, cherchant partout des lois à
vais ou enfin, si les hommes étaient deve- refaire et des cités à policer. La législation
nus mauvais, par quel privilége quelques- ne fut pas cette médecine amère qu'un ma-
uns s'étaient préservés de la corruption gé- lade en délire rejette, loin de la demander,
nérale, et tous les autres, déchus de leur et qu'il ne prend que lorsque le médecin
(1) Nous avons vu proposer de faire des ustensi- peu d'années, à une mère de faire brûler le corps
les de verre ou de porcelaine de la cendre de ses par de sa fille, et de recueillir ses cendres, à la manièree
rents; et une ordonnance de police a permis, il y a des païens.
bourgeoise, les vaudevilles, les opéras bouf- décisive, des institutions politiques et reli-
fons, sont des inventions de notre temps; gieuses, qui modifient l'homme, et peuvent
et déjà nous avons vu la comédie, attaquant changer jusqu'à sa constitution physique;
non plus les ridicules ou les vices, mais les et l'on ne vit pas que les connaissancesqui
personnes mêmes, revenir à la licence sati- suivent la civilisation, nées en Orient avec
rique des pièces d'Aristophane. Dans les la religion et avec l'homme lui-même, s'é-
arts d'imagination, le même caractère s'est taient répandues de proche en proche, par
fait remarquer l'architecture du siècle de les Juifs dans l'ancien monde, par les Chré-
Louis XIV s'occupait davantage de la déco- tiens dans le monde moderne, et toujours
ration extérieure, celle de notre siècle des par le peuple de Dieu; et que les grandes
distributions intérieures et domestiques; la conquêtes qui précèdent la civilisation ont
nature agreste et brute des jardins anglais a indiiféremment ravagé le Nord et le Midi,
remplacé la magnifique symétrie des dessins partout où des peuples amollis tfnt offert une
de Le Nôtre l'éeole de Le Brun peignait proie facile à des nations simples et pau-
l'homme publie occupé d'actions religieuses vres.
ou politiques; l'école modernepeint l'homme sont d'autres pensées que la religion
Ce
domestique, même en état sauvage ou de inspire à l'homme, un autre caractère qu'elle
nudité; et en tout une extrême facilité de donne à la société. La religion met l'ordre
mœurs, si dangereusechez un peuple avancé, dans l'esprit de l'homme, en lui enseignant
a chassé la contrainte austère et gênante des une cause universelle aux effets universels
mœurs de nos pères. C'est surtout dans les ou à l'univers, cause essentiellement par-
romans, expression nécessaire des temps faite, puisqu'elle est souverainement puis-
auxquels ils sont écrits, qu'on remarque la sante, tandis que l'homme est originelle-
différence des deux époques. Dans un temps, ment imparfait; et elle ne nous dit rien
c'étaient de grands personnages et de beaux qu'une raison éclairée n'avoue de Dieu, et
sentiments; dans le nôtre, ce sont des per- qu'une expérience funeste et journalière ne
sonnages obscurs et de petites passions. Les nous apprenne de l'homme.
uns ne parlent que de tendresse à immoler Si Dieu est bon, si l'homme est enclin au
au devoir; les autres, que de plaisirs à pré- mal (car Dieu lui-même ne pouvait pas faire
férer à tout ceux-là racontent des entre- l'ouvrage aussi parfait que l'ouvrier), c'est
prises, des aventures;ceux-ci, des intrigues; une nécessité que Dieu ait donné à l'homme
et même lorsqu'ils ne parlent que d'amour, des moyens de se préserver de l'effet de sa
dans les premiers, c'est le cœur d'une dame malice, et j'aperçois le motif des lois et la
à obtenir; dans les derniers, c'est, tout à dé- raison de la société. Mais quand ma raison
couvert,, une femme à séduire; et Clarisse saisit avec évidence le pourquoi des lois que
ne passe, avec raison, pour le meilleur ro- Dieu a données aux hommes, mon imagina-
man de notre temps, que parce qu'il est tion, qui s'égare, veut pénétrer le comment
l'expression fidèle de nos moeurs; car un de cette transmission, et elle cherche des
livre suffit pour peindre un siècle. images là où il ne faut que des idées. Ces
De ces opinions qui font de l'homme un lois divines sont des lois fondamentales,
végétal pour la vie, un animal pour les fonc- primitives, dont toutes les lois humaines et
tions, suivait, comme une conséquence iné- subséquentes doivent être des conséquences
vitable, la doctrine célèbre de l'influence plus ou moins immédiates (2), mais toujours
des climats sur nos habitudes et sur nos naturelles; et le législateur humain doit dé-
devoirs. On voulut tout expliquer dans clarer ou promulguer les lois, et non en in-
j'homme et dans la société avec cette in- venter. Cette législation divine et naturelle,
fluence des climats, combattue même par hors de laquelle il n'y a que malheur pour
des philosophes modernes, entre autres par l'homme et désordre pour la société, ne se
D. Hume, et démentie par la raison et par développe jamais mieux que là où les hom-
l'histoire (t). On n'eut aucun égard à l'in- mes, se livrant à la marche du temps et au
fluence bien autrement puissante, et la seule cours irrésistible des choses, ne la troublent
(1)Les anciens rhéteurs avaient laii les loci com- etc. et puis les croisades, l'expulsion des Maures
munes de l'éloquence on pourrait faire les lieux d'Espagne, les entreprises des Papes, et tant d'au-
communs de la philosophie, à l'usage des jeunes tres choses dont on ferait un gros livre qui servi-
philosophes. L'influence des climats, la prodigieuse rait merveilleusement à en faire de petits.
antiquité du monde, l'état de pure nature, la ba- (2) Foy. la Législation primitive.
lance des pouvoirs, les bienfaits du commerce, etc.,
31 OEUVRES COMPLETES DE M. DE
point par leur opération préeipitée; et c'est
BONALD.
Richelieu et même l'on peut remarquer
32
ce qui fait que, parmi: les nations chrétien- que les plus forts ont été ceux qui avaient
nes, celle qui n avait presque aucune loi po- puisé dans les institutions monastiques l'ha-
litique écrite et aucun législateur connu, bitude d'une règle austère et d'une obéis-
était la plus forte, la plus spirituelle, la sance ponctuelle.
meilleure enfin, et la mieux constituée de Je sais que la philosophie oppose â ces
l'Europe. grands noms un roi philosophe de ces der-
La religion met l'ordre dans la société* niers temps. Je ne conteste pas ses talents
parce qu'elle donne aux hommes la raison militaires et l'éclat qu'il a répandu sur son
du pouvoir et des devoirs. Le chef de la so- règne; mais le peuple qu'il a formé n'a
ciété, qui connaît la source de son pouvoir, pas encore passé par l'épreuve du temps
l'exerce avec confiance et par conséquent et du malheur. C'est aux événements à nous
avec force, et comme Dieu, dont il procède, apprendre si la force d'un Etat est dans ses
il ne connaît de bonlé que la justice; et le armées ou dans ses principes, et si, à talents
sujet, certain du motif de ses devoirs, obéit égaux dans le chef, il y aurait autant de
sans murmure et même avec joie. Mais cette force conservatrice et défensive dans cette
religion qu'on accuse de favoriser la tyran- monarchie que dans quelques autres Etats
nie, et qui est le principe de toute véritable de l'Europe.
liberté, met des bornes au pouvoir en en Tout, dans le système de là religion chré-
mettant aLx devoirs. Elle apprend aux chefs tienne, est naturel à la pensée de l'homme,
qu'ils ne peuvent pas tout, parce que les parce que tout y est semblable à son action.
sujets ne leur doivent pas tout; et en même Si l'homme voit dans l'univers une càiise
temps qu'elle ordonne l'obéissance active, suprême ou pouvoir universel qui a voulu
que If. société politique exige également de tout ce qui existe, un ministre, moyen ou
tous ses ministres, elle commande la résis- médiateur universel par qui tout a été fait,'
tance passive et par conséquent insurmon- et des effets universels sujets à cette grande
table, toutes les fois que le pouvoir humain action que l'on appelle l'univers; s'il aperçoit
est en contradiction évidente avec le pou- des lois générales, et un ordre universel,
voir divin, parce qu'alors il n'est plus pou- général, immuable, de peines et de récom-
voir, mais passion ou impuissance, impo- penses, il se voit lui-même cause de beau-
tentia; au lieu que ta philosophie, qui coup d'effets, et pouvoir (domestique ou
commande une obéissance passive à ses lois, public) agissant par ses ministres, sur ses
ou plutôt à ses ordres, fait un devoir de la sujets et pour ses sujets; il voit un ordre
résistance active ou de l'insurrection. particulier, des lois, des peines, des récom-
Aussi la religion, qui place Dieu à la tête penses, etc. Si sa raison lui dit que Dieu
de la société, donne à l'homme une haute est bon, sa conscience lui dit qu'il peut le
idée de la dignité humaine, et un profond devenir, et il en trouve le moyen, pour sa
sentiment d'indépendance des hommes et volonté, dans les leçons que la religion lui
la philosophie, qui va cherchant partout des donne pour son action, dans les exemples
hommes qui s'élèvent au-dessus des autres qu'elle met sous ses yeux car, lorsque de
pour leur donner des lois, rampe toujours grands devoirs lui commandent les plus
aux pieds de quelque idole en Asie, aux grands sacrifices, et même celui delà vie,
pieds de Mahomet; en Europe, aux pieds de écoule, lui dit la philosophie, regarde, lui dit
Luther, de Jean-Jacques Rousseau, de Vol- la religion. Aspice et fac secundûm exemplar.
taire et rejetant le Dieu de l'univers, se fait C'est parce que la religion chrétienne est
des dieux de tous les hommes en qui elle conforme à l'ordre des rapports naturels en-
reconnaît des talents et retrouve ses opi- tre les êtres, et par conséquent aussi natu-
nions. relle à notre raison, qu'elle est opposée à
C'est parce que la religion renferme es- nos penchants, qu'elle s'établit avec facilité
sentiellement les principes de tout ordre, chez les peuples dont elle commence l'édu-
que, lorsque des hommes nés avec de grands cation, et qui, encore dans leur ignorance
talents pour le gouvernement, que la re- native, n'opposent pas à la doctrine un esprit
ligion ne donne pas, ont été animés de son préoccupé par l'erreur. Ces peuples entrent
esprit ou accoutumés à ses pratiques, ils naturellement dans la route de la civilisa-
ont administré les Etats avec force et sa- tion qu'elle leur ouvre, et leur bon sens
gesse témoins, Suger, Ximetiès, Sixte V, leur fait trouver entre l'ordre invisible dont
on leur parle, et l'ordre visible dont ils sont L'autre, qui croit l'homme originellement
les agents, cette parfaite analogie ( 1 ) qui bon, ne sort pas de l'homme pour trouver
est le sceau des ouvrages d'une intelligence la règle de ses devoirs, qu'elle place dans
infinie, agissant par une puissance infinie, ses sensations ( 2 ) et par conséquent
la règle la plus certaine de nos jugements, elle fait de la vertu un bien-être physique,
et le principe le plus fixe de nos actions; et du vice un malaise, une douleur; et elle
en sorte qu'on peut dire avec une entière n'a ni consolation à offrir au juste qui souf-
vérité, qu'il n'y a rien de plus surnaturel fre, ni frein à opposer au méchant dans la
à l'homme, et de plus naturel tout ensemble, prospérité (3).
que la religion.
Au contraire, la philosophie moderne, qui Mais la religion triomphera, « parce que
suppose tant d'effets sans cause, et de sujets l'ordre,» comme dit Màlebranche, « est la loi
sans pouvoir, ou même en Dieu une volonté inviolable dés esprits, » et que les êtres', dans
sans action, l'homme naturellement bon, et l'ordre intellectuel comme dans l'ordre sen-
cependant se donnant des lois pour le de- sible, tôt ou tard obéissent à leurs' lois.
venir, la femme égale au mari, l'enfant au Déjà nous voyons en Europe tous les hom-
père, le sujet au pouvoir, bouleverse l'ordre mes de lettres justement célèbres par leur
dans nos pensées comme dans nos actions, esprit et leurs connaissances, avouer ou dé-
dérègle l'homme, trouble la société, et fait fendre la nécessité de la religion chrétienne,
des hommes sans raison, même avec beau- et marquer leurs ouvrages du sceau de son
coup d'esprit, comme elle fait des sociétés immortalité; car, que les écrivains y pren-
sans stabilité, même avec beaucoup de forces nent garde tous les ouvrages où les princi-
extérieures. pes de l'ordre seront niés ou combattus
Ainsi toutes les doctrines relatives à la disparaîtront de la mémoire des hommes,
société se partagent en deux opinions dia- quelque bruit qu'ils aient pu faire parmi
métralement opposées. les contemporains et il n'y aura que ceux
La religion chrétienne nous enseigne que où ils seront défendus ou respectés qui
l'homme naît enclin au mal, et qu'il trouve, passeront avec gloire à la postérité, et quel-
dans la société, la loi qui redresse ses pen- quefois mériteront l'honneur, le plus grand
chants. de tous, d'être comptés parmi les livres
La philosophie moderne nous enseigne classiques qui servent à former l'homme
« que l'homme est né bon, et que la société pour la société. C'est une belle remarque
le déprave. ». du Quintilien de notre siècle, que, de tous
L'une, qui juge nos penchants déréglés, les ouvrages de notre littérature, les plus
naus donne des lois qui les combattent. distingués, par un grand caractère d'inven-
L'autre, qui juge nos inclinations bonnes, tion et de style sont, dans tous les genres,
nous donne des lois qui les favorisent. ceux que la religion a marqués de son em-
L'une, qui croit l'homme originellement preinte: parce que, la parole étant l'expres-
déréglé, prend hors de l'homme la,règle de sion et l'image de la pensée, la plus grande
ses penchants, et, par conséquent, le motif vérité dans les idées produit naturellement
de ses devoirs et le prix de ses vertus. la plus haute perfection dans le discours.
(4) Condillaç eu veut beaucoup aux preuves qui Luther a fait l'homme mauvais, mais si mauvais,
ce déduisent de l'analogie. qu'il n'a même pas la faculté de devenir bon, et
(2) Cette doctrine des sensations n'est.pas de ce qu'il est bon de la seule bonté de Dieu, et sans
siècle, et déjà Jurieu avait dit, Syst., pag. 455: aucune action de sa part. Mais s'il n'a pas, la force
« qu'on sent la vérité dans les livres divins, comme d'acquérir, il n'a pas la capacité de perdre, et le
on sent la lumière quand on la voit, la chaleur dogme de la justice imputative a nécessité celui de
quand on est auprès du feu, le doux et l'amer la justice inamissible. En sorte que les uns veulent
i
quand on mange, Ce principe conduit à toute sorte que l'homme naisse bon, et les autres, qu'une fois
de fanatisme. bon il ne puisse devenir mauvais. Je remarque avec
(3) Th. Hobbes a jugé l'homme originellement plaisir que M. Kant, dont la philosophie fait tant
mauvais, et il a cherché, dans les passions des de bruit en Allemagne, se rapproche des dogmes du
hommes, le motif de la société; mais il s'est é^aré, christianisme, et qu'il reconnaît « une sujétion de
lorsqu'il a cru trouver le remède au mal dans le mal la loi morale au principe de t'amour-propre, qui est
même, la raison des lois dans la violence, et par l'antique péché de l'homme, duquel dérive la tota
conséquent le juste ou l'injuste dans la permission lité de ses mauvaises actions subséquentes. mal
ou la défense faite par les hommes. C'est ce qui qui doit être exprimé sous le nom de faute origi-
fait dire à Leibnilz Il y a dans Hobbes, et en
abondance, des vérités d'une grande profondeur,
nelle. » (Notice littéraire .sur M. Emmanuel Kant,
tirée du Spectateur du Nord.)
|
mêlées à des erreurs de la plus dangereuse consé-
quence.i
Je hnirai par d:re un mot du sujet par- mestique 'ou publique que me fournissait
ticulier de cet ouvrage, et sans doute on ma cause, et exposer toutes les vérités qui
ne trouvera pas que je m'en suis écarté pouvaient la faire triompher. La vérité est
dans ce discours préliminaire; car j'ai dû toujours utile à la société, quoi qu'aient pu
prouver que la religion est conforme à la dire des sophistes qui voient la vérité dans
raison, puisqu'en discutant la loi du divorce, leurs imaginations, puisque la société ne
j'établis qu'il n'est contraire à la religion que périt jamais que faute de la connaître; et
parce qu'il est opposé à la raison. c'est ce qui fait que le crime de la retenir
Dans le cours de cet écrit, j'ai raisonné captive est aussi grand peut-être que celui
dans la supposition que la démocratie, qui de la persécuter. Mais la vérité, qui n'est
peut convenir à une municipalité qui existe que la connaissance des rapports naturels
sous la protection d'un grand Etat, à Pon- entre les êtres, est vraie généralement, et
toise comme au canton de Zug, ne peut indépendamment des temps, des hommes
subsister dans une grande société. Cette et des circonstances; et la raison, qui ne
vérité n'est plus combattue, même par l'or- peut se proposer que d'être utile à la société,
gueil, et ne l'est tout au plus que par en faisant connaître aux hommes la vérité,
l'intérêt. Je dis la démocratie, et je n'ai pas se tient, le plus qu'elle peut, dans les hau-
besoin d'expliquer cette expression; car le teurs des généralités, où la vérité absolue,
mot République, dont j'a4 souvent fait usage, essentielle, est pure et sans mélange comme
ne désigne par lui-même aucune forme par- le principe d'où elle émane; car elle ne
ticulière de gouvernement, et il est syno- pourrait en descendre sans entrer dans la
nyme d'Etat public et de société politique. moyenne région des considérationsparticu-
C'est dans ce sens général que les bons lières, où les passions des hommes forment
auteurs du siècle dernier l'ont'employé les nuages qui l'obscurcissent et les foudres
Bossuet, en mille endroits, et la Fontaine, qui l'écrasent.
lorsqu'il dit J'espère donc qu'on retrouvera, dans ce
Dans les emploisde Mars, servant la république. petit écrit sur un sujet important, un ardent
J.-J. Rousseau lui-même, dans le Contrat amour pour la vérité joint à J'attention
social, applique, et à dessein, cette déno- qu'elle-même commande de ne pas lui susci-
mination, indifféremment à toutes les for- ter des obstacles pour aucun motif personnel
mes de gouvernement, et il dit quelque d'intérêt ou de vanité. Ceux qui souffrent
part «que la monarchie elle-même peut être par la société ne doivent souffrir que pour
une république. » elle maîtresse jalouse, elle ne tient aucun
Fortement persuade que le divorce, dé- compte à ses amis des peines les plus ex-
crété en France, ferait son malheur et celui trêmes qu'ils n'endurent que pour eux, ou
de l'Europe, parce que la France a reçu de des travaux même les plus glorieux dont
mille circonstances natives ou acquises le elle n'est pas l'unique objet et la raison
pouvoir de gouverner l'Europe par sa force elle-même condamne ces hommes dont parle
et par ses lumières, et par conséquent le Tacite, « qui, ne travaillant que pour leur
devoir de l'édifier par ses exemples; et cer- renommée, ont cherché une mort ambitieuse
tain que le divorce nous est venu de la dans d'audacieuses entreprises, sans utilité
même inspiration étrangère qui, à la même pour la chose publique; » Qui plerique per
époque, dicta à la France tant d'autres lois abrupta, sed in nullum reipublicai usum, am~
désastreuses, j'ai dû en combattre le projet bitiosa morte inclaruerunt.
par tous les moyens tirés de la société do-
DU DIVORCE,
CONSIDÉRÉ AU X1X« SIÈCLE
(i ) Les hommes des deux sexes, hors de toute Tous les hommes trouvés dans des bois ont montré
TI
sociéié, sans langage, el par conséquent sans raison, de l'éloiguement pour les femmes, et réciproque-
se fuiraient, se battraient, et ne s'uniraient pas. ment.
m
Ce qui Je prouve, est que la passion de l'amour est (2) Tanium abest ut corpus ifùoquo modo tutjït-
plus faible dans l'homme à mesure qu'il est plus ris lit, dit le célèbre Stha.l, .ut. poilus qlterius sit
ri:
voisin de l'état barbare, et plus forte dans la brute ju animœ, inq'uam, et inlellfgeridi ac volèndi aclut
juris,
à mesure qu'elle se rapproche de la vie sauvage. ministret..
m,
87 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 43
relatifs comme père, mère, enfant; expres- est
est formée, on s'occupe plus
formée, on de la dignité
sion des rapports moraux qui ne convien- du mariage que de sa fin. »
nent qu'à l'être intelligent; mais qui con- La malice de l'homme monte toujours; c'est-
viennent à tous les êtres intelligents, em- à-dire que l'homme tend, par un penchant
brassent la généralité, l'immensité de leurs né avec lui, à exagérer son pouvoir, la
rapports, et ouvrent à la méditation les por- femme à l'usurper, l'enfant à s'y soustraire.
tes mêmes de l'infini. Cette disposition, quelle qu'en soit la cause,
Père, mère, enfant, étaient les personnes est un fait à l'abri de contestation.
physiques leurs rapports étaient physiques, La religion ne fait donc que nous racon-
et formaient la famille animale pouvoir, ter un fait, lorsqu'elle nous enseigne que
ministre, sujet, sont les personnes morales nous naissons tous avec un penchant origi-
ou sociales, ou simplementlespersonnes (1) nel ou natif à la domination, appelé orgueil;
leurs rapports sont moraux ou sociaux, et penchantqui trahit notre grandeur naturelle,
forment la famille morale, ou société appelée et dont la société est le frein, puisque la so-
domestique, a domo, parce que la commu- ciété renferme les institutions qui maintien-
nauté d'habitation en est une condition né- nent, contre les passions des hommes, le
cessaire. pouvoir légitime, conservateur des êtres,
J'insiste à dessein sur ces expressions et qu'elle n'est que la protection de la fai-
morales qui désignent les personnes domes- blesse contre l'abus de la force et la philo-
tiques 1° parce que celles de père, de sophie moderne nie la vérité et la raison,
mère, d'enfant, ne présentant que des rap- lorsqu'elle nous dit, par l'organe de J. -J.
ports de sexe et d'âge, les sophistes moder- Rousseau « L'homme est né bon et la so-
nes en ont abusé, pour ne nous considérer ciété le déprave. »
que comme des mâles, des femelles et des La force physique du père ne pourrait con-
petits, et qu'il faut en quelque sorte spiri- tenir ce penchant à l'indépendancedans les
tualiser l'homme et ses rapports, à propor- autres membres de la famille; car plusieurs
tion des efforts qu'on fait pour les matéria- enfants sont plus forts qu'un père, et la vie
liser. même de l'homme est à tout instant à la dis-
â° Parce que les expressions de pouvoir, position de sa femme.
de ministre, de sujet, portent avec elles l'é- Quel sera donc le lien qui retiendra les
noncé des fonctions et des devoirs de chaque personnes domestiques à la place que leurs
membre de la société. devoirs leur assignent ? Les affections natu-
3° Parce que ces expressions générales relles, disent les sophistes, qui ne manquent
usitées dans la société publique, montrent à pas de citer en preuve les affections des bru-
découvert sa similitude avec la société do- tes la sympathie, disent les romanciers; te
mestique, et simplifient le développement de sentiment, disent les âmes sensibles. Mais
leurs principes communs. si ces affections sont naturelles en nous,
La religion chrétienne elle-même, que je comme le besoin de digérer et de dormir,
ne citerai jamais dans le cours de cet ou- pourauoi des pères injustes, des enfants in-
vrage que pour en faire voir la conformité grats, des femmes infidèles, des frères en-
avec la raison, appelle l'homme la raison, le nemis ? Pourquoi des lois, lorsqu'il y a des
chef, le pouvoir de la femme Vir caput est nécessités? Cette ,affection prétendue natu-
mulieris, dit saint Paul. ( Ephes. y, 23.) Elle relle des autres, n'est-elle pas trop souvent
appelle la femme l'aide ou le ministre de prête à céder à l'affection de soi? Et bien
l'homme Faisons à l'homme, dit la Genèse loin qu'elle soit naturelle ne faut-il jamais
(h, 18), un aide semblable à lui. Elle appelle d'efforts sur eux-mêmes, aux époux, pour
l'enfant sujet puisqu'elle lui dit, en mille demeurer unis et aux enfants pour leur
endroits, d'obéir à ses parents. rester soumis? Ces affections naturelles ne
La famille a donc pris un caractère de sont donc que des affections raisonnables t
moralité, et c'est ce que dit en d'autres ter- que l'habitude, la reconnaissance, surtout
mes l'auteur du discours préliminaire du l'amour de soi, rendent chères,faciles, aveu-
projet de code civil « Quand une nation gles quelquefois; et si elles sont des affec-
(1) Personne vient de persesonat, qui exprime c'est-à-dire qu'ils expriment par eux-mêmes, per
par lui-même une relation sociale. Paul est un mot se sonant, des rapports, et ne désignent point .d'In-
qui désigne un individu, et n'énoncé aucune quali- dividu.
té. Pouvoir,' ministre, sujet, sont des personnes;
), –t- 't .t- < r~
PART. 1. ECOiNO~~i. SOC. DU DIVORCE. SO-
dV
tiens
lions raisonnables,
ra!Sf)tinahtf: elles
allae sont ~X~1~ les rapports,il change les formes:
raisonnées ou développe
ennt t"]!e~Mn~ac
apprises. Car l'homme nait capable de rai- là se bornent et
son invention et son action;
son mais il apprend à raisonner, et ne rai- l'on peut défier tous les philosophes ensem
sonne pas, s'iJ n'a pas appris à le faire. Ainsi ble d'inventer quelque chose dont les hom-
l'on peut dire que la raison de toutes
nos af- mes n'aient pas l'idée précédente, comme de
fections raisonnables, ou de tous nos devoirs, tracer
une figure qui ne soit pas dans des
ne se trouve que dans la-raison. dimensions déjà connues.
L'enfant reçoit de ses parents la raison Dans Dieu est donc la raison de la créa-
par la communication de la parole, comme tion dans Dieu est la raison de la conser-
ilen reçu l'être par la communicationde vation, qui est une création continuée.
la vie. Ses parents ont
reçu l'un et l'autre Si Dieu a créé l'homme, il y a dans Dieu,
de ceux qui les ont précédés.La progression
comme dans l'homme, intelligence qui a
sensible de la population, partout où des voulu, action qui exécuté. 11
a y a donc si-
causes accidentelles ou locales ne la con- militude, et l'homme est fait à
trarient pas, prouve, comme toute son image et
sion géométrique, un premier terme progres- à sa ressemblance. Il y a donc des rapports,
géné- une société; et je vois dans tout l'univers la
rateur. Tout peuple, et le genre humain lui- religion aussitôt
même, est né d'une famille puisque que la famille, la société
en- de l'homme avec Dieu aussitôt que la so-
core il pourrait recommencer par une fa- ciété de l'homme l'homme cette re-
mille, si elle restait seule dans l'univers. ligion primitive avec
Aussi, dans l'enfance du monde, les peuples mestique. se nomme naturelle ou do-
ne s'appelaient que du nom d'une famille Mais si l'nomme d'aujourd'hui reçoit la,
enfants d'Héber, de Moab, d'Edom, Darda- parole
nidoe, Pelasgi, etc. comme l'être; s'il ne parle qu'autant
qu'il entend parler, et que le langage qu'il
Cette première famille est-elle née de la entend parler;
si même il est physiquement
terre ou de la mer, du soleil ou de la lune? impossible
On l'a dit dans ce siècle, où l'on a renouvelé que l'homme invente de lui-mê^
les fables de Prométhée et de Deucalion. invente me à parler, comme il est impossible qu'il
de lui-même à être (ce qui peut être
Mais pourquoi les éléments, aujourd'hui,
ne démontré par la considérationdes opérations
produisentils rien de semblable? Qu'on de la pensée et de j'organe vocal), il est né-
nous montre un insecte né sans père ni cessaire que l'homme du commencementait
mère, d'une matière en fermentation, et
reçu, ensemble, l'être et la parole. Or, cette
nous pourrons croire à la formation de vérité, qui serait une démonstration, même
l'homme par la matière. Disons donc,
avec physique, de l'existence d'un premier être,
la raison et l'histoire, qu'un être intelligent combattue,
ou plutôt méconnue par des so-
a produit l'être intelligent. Que si nous phistes, s'établit peu à peu dans la société ·,
ignorons le mystère de cette génération di- et déjà J. -J. Rousseau avait dit Effrayé
vine, nous ne connaissons pas davantage le des difficultés qui se multiplient «(dans la
mystère de la génération humaine, parce discussion du
roman de Cundillac, sur Yin-
que tout dans l'univers, et l'homme lui- vention du langage), et convaincu de Tim-
même, est un mystère pour l'homme. Ainsi possibilité
presque démontrée que les lan-
nous imaginons les effets, tels que la fluidi- gues aient pu naître et s'établir par aes
té, la force du vent, la gravitation, l'adhé- moyens purement humains, je laisse à qui
sion, etc., sans les concevoir; et nous con- voudra l'entreprendre la discussion de
ce
cevons la chose sans l'imaginer. Car cette pro- difficile problème. et je crois que la parole
position Il n'y a pas d'effet sans cause, est
a été fort nécessaire pour inventer la pa-
aussi évi'dente à la raison que celle-ci II role.
»
n'y a pas de corps sans étendue, est certaine
à l'imagination.
C'est, en effet, dans ces derniers mots qu'est
Cet être, auteur de l'homme, supérieur la raison de l'impossibilit(ide l'invention du
par conséquent à l'homme, comme la cause langage par les hommes car inventer est
l'est à l'effet, nous l'appelons Dieu, et c'est
penser, et penser est parler intérieurement.
même une absurdité de dire que l'homme Il faut des signes
ait inventé Dieu car inventer un être, ce se- pour penser, parce qu'il
en faut pour parler; et l'on peut dire, en se
rait le créer, et l'homme ne peut pas plus résumant, Vhornme pense sa parole avant
créer les êtres qu'il ne peut les détruire. Il de parler que
sa pensée, et exprime sa pensée
El OEUVRES COMPLETES DE M. DR BONALD. 52
pour lui-même avant de l'exprimer pour les qu'il a créés, et qui peut seul les révéler
autres. aux hommes.
Dans la parole divine est la raison humai- Cette parole, qui apprend les rapports na-
ne, comme dans la parole du père est la rai- turels, s'appelle loi. La loi est donc l'énoncé
son de l'enfant. De là vient qu'en grec, pa- des rapports naturels entre les personnes
role et raison s'expriment par le même mot, vérité universellement convenue depuis Ci-
logos; et l'homme n'aurait pu de lui-même céron, qui a dit Lex est ratio profecta a
raisonner, puisque de lui-même il n'aurait natura rerum, jusque J.-J. Rousseau, qui a
même pu parler; et si je ne connais pas dit « Les rapports naturels et les lois doi-
l'incompréhensible mystère de la parole vent tomber toujours de concert sur les
humaine, pourquoi voudrais-je pénétrer le mêmes points. »
mystère de la parole divine? C'est par le sentiment de cette vérité que
La société, entre Dieu€t l'homme primi- les législateurs anciens ont appelé les lois
tif, a tous les caractères généraux de la so- la pensée de Dieu mentem Dei, dit Cicéron;
ciété que nous avons remarquée entre les que J.-J. Rousseau a appelé les lois la pa-
hommes, et j'y vois les personnes morales role de Dieu « Ce que Dieu veut qu'un
le pouvoir, qui est Dieu; les sujets, qui sont homme fasse, » dit-il, « il ne le lui fait pas dira
les personnes domestiques le ministre par un autre homme, il le lui dit lui-même,
qui est le père de famille; moyen aussi en- et l'écrit au fond de son cœur. » Et le vrai
tre les deux extrêmes de cette proportioncon- philosophe qui sent que cette opinion (1 )
tinue, « Dieu est au père, comme le père est fanatique est la théorie de toutes les extra-
à l'enfant. »Le père est passif, actif à la fois, vagances et l'arsenal de tous les forfaits, met
participant de la dépendance de l'enfant et la réalité à la place de la métaphore, com-
du pouvoir de Dieu même, recevant des or- plète la pensée de Cicéron, redresse celle
dres pour les transmettre, et obéissant à l'un de J.-J. Rousseau; croit, avec l'un, à une
pour commander à J'autre, pensée divine; avec l'autre, à une parole
Et je ne vois nulle part de vérité histori- divine, mais parole donnée à un homme
que mieux prouvée que la religion des pre- pour les. hommes, parole réelle, et que
mières familles et le sacerdoce des premiers l'homme puisse entendre quand il veut bien
patriarches. lécouter. C'est ce qui fait dire à Ch. Bonnet:
Dans ce culte domestiquede la Divinité, la « La loi (révélée) est
l'expression même
mère avait une place distinguée, ou peut- physique de la volonté de Dieu. »
être quelque fonction particulière relative à Ainsi, adore Dieu, honore ton père et ta
son rang dans la famille. De là les prêtresses mère, dut être la première parole dite à la
de la religion païenne,, et cette disposition famille, comme, plus tard, elle fut la pre-
ordinaire aux peuples anciens, dont on aper- mière écrite pour un peuple; et alors Dieu,
çoit encore des traces dans les temps mo- le pouvoir, les fonctions, les devoirs, tout
dernes, à attribuer aux femmes quelque fut révélé à l'homme, et le père de famille
chose de surhumain, et particulièrement la n'eut qu'à en transmettre la connaissance et
connaissance de l'avenir. Inesse quin etiam à en ordonner l'exécution.
feminis sqnctum atiquid et providum putant, « C'est surtout par les rapports
des pa-
dit Tacite en parlant des Germains,. triarches avec la société, dit l'estimable au-
Ainsi l'existence de l'homme prouve la teur de l'Essai historique sur la puissance
création des êtres, et l'existence de la fa- paternelle (2) que la puissance du père
mille prouve la conservation de l'homme s'accrut dans les premiers Ages. On confon-
donc elle prouve la connaissance des rap- dit peu à peu ses volontés avec celles dont
ports naturels des hommes en famille, seuls le culte religieux le rendait l'organe. Ainsi
moyens de conservation l'instruction, seul se forma cette opinion générale des siècles
moyen de connaissance;, la parole, seul héroïques, qui leur attribuait une influence
moyen d'instruction; Dieu enfin, qui seul surnaturelle sur les éléments et sur la des-
connatt par !ui-m$me les rapports des êtres tinée. Cette influence plaçait dans ses mains
(1) Le fanatisme consiste à croire .pie Dieu agit Dieu agit toujours par des moyens sans rapport à
perpétuellement sans moyens, comme un prince leur fin, vertu, herbas, lupidibus, disait Cagiiçsi.-o^
qui, s'en remettant à Dieu du soin de le défendre L'enthousiasme ou zèle est bon ou mauvais, selon
par une opération surnaturelle,négligerait de lever sa fin et ses moyens.
des troupes, La superstition consiste î» croire que (2) M. A. Nougar.ède_.
?5 PART. ECONOM. SOC. 5*
DU DIVORCE.
tous les attributs de la justice divine. » De Ainsi la religion
r^lis-inn est In lien
Pst le li™ des
Hp« personnes
là, suivant le même auteur, la malédiction domestiques, nersnnnns
le lien de Dieu et des hom-
paternelle, ou l'excommunication domesti- mes, le lien des êtres intelligents, a re/s*
que, qui-imprima une terreur si profonde, gare, lier doublement (1).
qu'elle s'est prolongée au travers des siècles
jusqu'à nos jours. CHAPITRE III.
Aussi c'est uniquement dans le pouvoir
divin que la religion chrétienne trouvera DE LA SOCIÉTÉ PUBLIQUE.
raison des lois domestiques. Maris, dit-elle, Les hommes se multiplient et les familles
aimez vos femmes comme le Seigneur a aimé se rapprochent. Des besoins communs les
son Eglise, et jusqu'à se livrer à la mort pour rassemblent, mais plus souvent des passions
elle femmes, soyez soumises à vos maris égales les désunissent. Les femmes, les en-
comme ou Seigneur; enfants, obéissez à vos fants, les troupeaux, les territoires, la chasse,
parents dans le Seigneur. (Ephes. v, 25; Col. la pêche, tout devient sujet de querelle en-
m, 19, 20.) tre les familles dans toute société, et mê-
Ainsi l'homme ne doit rien à l'homme, me à tout âge de la société, on voit des
que pour Dieu et en vue de Dieu là est la guerres privées aussitôt-qu'on aperçoit des
vraie égalité et la vraie liberté des enfants familles rapprochées et des voisins qui
de Dieu, à laquelle le christianisme nous plaident aujourd'hui, auraient pris les
ar-
élève, et tout devoir humain cesse là où l'on mes il y a quelques siècles.
ne reconnait plus de pouvoir divin. L'état domestique est nécessaire pour re-
Ainsi les lois physiques domestiques sont produire et conserver l'homme il se forme
l'énoncé des relations ou rapports du père, un, état public ou gouvernement politique,
de la mère, de l'enfant; et les lois morales pour multiplier et conserver les familles.
domestiques que l'on appelle aussi mœurs, J'aperçois, en effet, dans tous les temps et
sont l'énoncé des relations ou rapports des chez tous les peuples, un homme qui parle
personnes morales, du pouvoir, du minis- et qui ordonne, et des hommes qui écoutent
tre, du sujet. et qui obéissent, c'est-à-dire des hommes
Ainsi toute famille où le père ne pourra pas en état actif et des hommes en état passif:
cesser d'être pouvoir, la mère d'être subor- j'aperçois d'autres hommes (magistrats ou
donnée,lefilsd'êtredépendant,aura de bonnes guerriers), moyen entre les deux extrêmes,
lois ou de bonnes mœurs et la famille aura placés à égale distance du pouvoir et de»
(ie mauvaises lois ou.de mauvaises .mœurs, sujets, recevant les ordres qu'ils transmet-
lorsque les personnes morales pourront ces- tent, et obéissant pour commander
ser d'être dans leurs rapports respectifs. Non-seulement j'aperçois cet ordre dans
Ainsi les moeurs domestiques sont diffé- l'univers, mais la raison me dit que cet or-
rentes des mœurs individuelles, ou de la dre est naturel, qu'il ne peut pas exister
conduite de l'individu; car l'homme peut, autrement pour la conservationdes familles;
être déréglé dans une société bien réglée, ou qu'il faut une volonté générale pour donner
réglé lui-même dans une société qui ne l'est à toutes les volontés
une direction com-
pas. Ici, l'homme est meilleur que la société mune, et une action générale pour empê-
là, la société est meilleure que l'homme. cher le choc des actions particulières et s'il
Ainsi, adore Dieu, honore ton père et est prouvé que cet ordre est nécessaire, je
ta mère, est la loi fondamentale de la fa- m'inquiète peu si dans son principe il est
mille, dont les lois domestiques subsé- volontaire ou forcé (2) et je ne vois pas d&
quentes ooivent être la conséquence con- contrat là où je vois une nécessité.
séquence naturelle ou vraie, là où Dieu J'aperçois donc un pouvoir humain, des.
sera servi et le père obéi; fausse et contre ministres, des sujets, qui ne sont pas des
nature, là où Dieu sera outragé par un culte pères, des mères, des enfants, considérés
faux, et le pouvoir domestique anéanti par sous le rapport physique mais qui, ayant,
des lois insensées. pour fin de leurs relations la multiplication.,
(\ ) Voy. la Législation primitive, du même au- que le moyen intérieur ou extérieur de conservation
teur, où ces vérités sont développées. de la société. A cette distinction des personnes so-
02) Platon, dans sa République, considère aussi ciales.correspond celle desvertus cardinales. La pru-
(rois ordres de citoyens, les juges, les guerriers, les dence appartient au chef, la force au ministre, las
artisans mais les juges et les guerriers ne sont, tempérance ou la modestie au sujet, la justice à,
dans la société, qu'une personne, puisqu'ils ne sont tous car elle conserve tous les rapports,
53 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 56
des familles et leur conservation, présentent père est sujet dans l'Etat, quoiqu'il ait le
une fin semblable à celle de la famille, qui a pouvoir dans la famille. Une fois l'Etat pu-
pour objet la reproduction et la conservation blic formé, le pouvoir domestique est bien
de l'homme, et ont ainsi une fin générale distingué delà paternité physique; 1" puis-
ou publique, comme la famille en a une par- que le pouvoir existe même là où la pater-
ticulière et domestique. nité n'est que présumée, suivant cet axiome
De cette similitude dans les moyens et de droit Pater est is quemjustœ nuptice de-
dans la fin naît une similitude dans les ap- monslrant 2° parce que, même lorsque le
pellations. Le pouvoir, dans toute société père a cessé d'être, le pouvoir continue
religieuse et politique est appelé pater- dans ses dernières volontés, et même à per-
nité', et les sujets sont appelés des enfants; pétuité dans les substitutions 3° le pouvoir
et c'est ce qui fait dire à l'auteur du dis- se trouve même là où la paternité n'était
cours préliminaire « Les magistrats sont des pas, comme lorsque l'aïeul succède au pou-
pères partout où les pères sont des magis- voir du père mort, sur les enfants de celui-
trats. » ci 4° le pouvoir est transmissible, et la pa-
Dans la société domestique ou la famille, ternité ne l'est pas, comme lorsqu'un père
le pouvoir est homme, il est un; et dans la nomme un tuteur à ses fils en bas âge. Le
société publique ou générale appelée Etat, pouvoir public, qu'on appelle aussi politi-
le pouvoir doit être homme, et il est tou- que quand il administre l'Etat, et civil quand
jours un, malgré des apparences contraires; il règle les familles, regarde la mère seule-
car un homme seul propose la loi que tous ment comme une personne domestique et le
acceptent; souvent même un seul décide ministre du mari, puisqu'elle doit en être
quand plusieurs délibèrent. Dans toute as- autorisée pour tous les actes civils auxquels
semblée législative, un vide le partage et elle intervient.
la seule différence à cet égard, entre la dé- Les passions qui troublent la famille ont
mocratie la plus illimitée et la royauté hé- bien plus de violence dans l'Etat, parce
réditaire, est que l'unité est fixe dans celle- qu'en même temps qu'elles sont allumées
ci, et perpétuellement mobile dans celle-là. par l'ambition du pouvoir public, elles ne
Dans la famille, société d'individus, le sont pas amorties par l'influence des affec-
pouvoir, le ministère, le sujet, sont dans tions domestiques.
l'individu dans l'Etat, société de familles, Le pouvoir humain ne peut retenir par
le pouvoir, le ministère, le sujet, sont sou- lui-même les ministres et les sujets à leur
vent dans la famille. Les familles du minis- place, puisqu'il est seul contre tous, et que
tère public sont appelées notables ou nobles. les armes qu'il leur donne pour sa défense
Quelquefois le pouvoir seul est dans la fa- peuvent être tournées contre lui.
mille, comme en Turquie; quelquefois le Ici le lien universel de toute société, la
ministère seul, comme en Pologne; ici, le religion, vient encore serrer les noeuds de la
pouvoir et le ministère sont dans les mêmes société politique, et le mot même de reli-
familles, appelées patriciennes, comme dans gion, de religare, annonce assez qu'elle est
les aristocraties et les oligarchies; là, tout le lien naturel et nécessaire des sociétés hu-
est dans les individus, comme dans les dé- maines, des familles et des Etats. La reli-
mocraties. gion, de domestique qu'elle -était devient
Dans la famille, lès personnes les lois, publique, ou révélée; commé la société, de
les fonctions, les devoirs, les vertus, sont domestique est devenue Etat public ou
domestiques ou privées; dans l'Etat, tout gouvernement; et si nulle part, dans les
est public personne,s; lois, fonctions, de- premiers temps, on ne vit de famille sans
voirs et vertus. une religion domestique, on n'a pas encore
La société publique n'a pas détruit ni vu d'Etat public de société, sans une reli-
même altéré les rapports de la société do- gion publique ou révélée; car la religion
mestique, puisque l'enfant est mineur ou musulmane est une religion révélée ou en-
sujet dans la famille, même alors qu'il est seignée par Mahomet, comme la religion
majeur ou autorité dans l'Etat; et que le chrétienne est révélée par Jésus-Christ (1).
(i) Ccne expression, religion revélée, ne s'entend, veut direenseigner, découvrir, revelare, et Ton
chez les Chrétiens, que d'une révélation divine, ou sent assez que c'est sous. ce seul rapport que je
de la manifestation de la verité mais dans l'accep- rapproche Mahomet de Jésus-Christ, ou l'erreur de
UtHi propresous laquelle je l'emploie ici, révéler Ur vérité.
57 PART. I. ECONOM. SOC.- DU DIVORCE. 53
Les personnes de la religion domestique
personnes de milles et la perpétuité des empires. Montes-
ou naturelle, étaient intérieures ou domes- quieu attribue à la religion chrétienne la
tiques le ministre, les sujets le pouvoir tranquillité des Etats modernes; et l'his-
lui-même. C'est ce qui est attesté par l'Ecri- toire, plus instructive dans ses leçons que
ture, unique, monument des premiers âges le philosophe dans sa science, nous montre
du monde, où nous voyons les chefs des fa- les sociétés non chrétiennes décliner à me-
milles sacrificateurs, pontifes; en>. un mot, sure qu'elles s'éloignent de leur origine, et
ministres d'un Dieu qui protégeait leur fa- tendre à leur décadence, même lorsqu'elles
mille, et qui avait voulu s'appeler lui-même reculent leurs frontières et la société chré-
le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu tienne en général devenir d'âge en âge
de Jacob. plus éclairée et plus forte, et même puiser
Dans la religion publique ou révélée. les dans les révolutions de nouvelles lumières
personnes deviennent publiques. Les sujets et de nouvelles forces.
sont la nation, les ministres sont le corps du Ainsi la raison du pouvoir politique est
sacerdoce, moyen entre les deux extrêmes, dans le pouvoir divin, et ne peut se trouver
en communication avec Dieu et avec l'hom- ailleurs. L'homme ne peut naturellement
me, recevant pour transmettre, et obéissant rien sur l'homme, l'homme ne doit rien à
à l'un pour prescrire aux autres. La Divi- l'homme; tout pouvoir constitué sur des
nité elle-même se rend extérieure en quel- lois naturelles ou divinès vient de Dieu,
que sorte et présente d'une manière sen- omnis poteslas ex Deo (Rom. xm, 1), et ce
sible, dans le tabernacle judaïque d'où elle passage n'a jamais été. entendu autrement.
rendait ses oracles; d'une manière réelle, Ainsi, le pouvoir politique est le moyen
sur les autels de ta religion chrétienne;, et ou le ministre du pouvoir divin, pour la
même les païens la représentent d'une ma- conservation du genre humain, inséparable-
nière matérielle ou figurée dans les idoles ment liée à l'existence de la société; mini-
de leurs dieux. La grande action du culte ster Dei in bonum (Rom. xm, &), dit saint
religieux, le don de l'homme ou le sacri- Paul moyen aussi entre deux extrêmes, Dieu
lice, intérieur dans la religion domestique, et l'homme; trouvant dans la loi de Dieu le
est public aussi dans la société publique, et fondement -des lois secondaires qu'il publie
même sanglant dans la religion païenne. pour régler les hommes, et obéissant à l'un
Les'lois sont devenues publiques, comme pour commander aux autres. Car dès qu'on
les personnes dont elles énoncent les rap- ne nie pas l'existence de la Divinité, il faut
ports. La loi d'honorer le père et la mère, renoncer à raisonner, ou admettre cette sé-
fondamentale de la société domestique, de- rie de conséquences.
vient fondamentale de la société publique; Ainsi, dès que le pouvoir légitime vient
et c'est le sentiment de Bossuet, que l'obli- l'
de Dieu, l'autorité est justifiée et obéissance
gation d'obéir au pouvoir politique et à ses ennoblie, et l'homme doit également crain-
agents, se trouve dans ce précepte., dre de commander et s'honorer d'obéir.
La religion seule peut donc empêcher le On voit la raison pour laquelle, chez les
déplacement des personnes publiques premiers peuples, le sacerdoce était uni à la
comme elle empêche le déplacement des royauté pourquoi, chez les Romains un
personnes domestiques. C'est une vérité que membre du collége des prêtres, chargé d'of-
les sages de l'antiquité ont connue quand ils frir le sacrifice national portait le nom de
ont voulu former des sociétés, et nos sages roi; et pourquoi enfin, chez les nations mo-
modernes,- lorsqu'ils ont voulu les détruire, dernes, les princes chrétiens reçoivent,
puisque les uns ont commencé par régler le comme les rois hébreux, une consécration
culte de la Divinité, et les autres par l'abo- particulière, et ont même été appelés les
lir. évéques du dehors.
Et remarquez que la conséquence se Le langage, expression de l'homme social,
trouve ici à côté du principe, et qu'à la a commencé avec l'homme et s'est perfec-
suite de la loi qui ordonne à l'homme d'ho- tionné avec la société. La différence des
norer le pouvoir et ses ministres, le législa- sexes est exprimée dans les substantifs; la
teur ajoute Afin que tu vives longt'emps sur distinction des personnes, dans les verbes;
la terre (Exod. xx, 12), parce que la consti- l'espèce de société domestique ou publique,
tution naturelle du pouvoir domestique et dans le nombre singulier on pluriel,je, tu,
du pouvoir public assure la durée des fa-> ou nous, réservés, l'un au langage de la fa-
S9 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 60
.a;v..a: ~.a_ de
constitution même 1- société
.J~ la .J'
mille, l'autre à celui du pouvoirpublic; et la
_ef.t formée
.Æ'1- d'un
pouvoir, d'un sujet, d'un ministre, lien de
-l.
endort sa caducité avec des écrits licencieux
_L_J_- qui
.]-~ systèmes absurdes,
et des _a~a.7.v 1.
_a.: retardent
progrès de la raison de l'homme, de tout ce
les
toutes les formes de mariage se réduisent et la famille une société actuelle. La nature
donc à unité d'union ou pluralité d'unions. n'a pas fixé le terme de cette éventualité: et
mariage n'atteindrait pas
Ainsi, comme la promiscuité est l'union lors même que le
dos êtres animés les plus imparfaits, des son but
social, et que les enfants ne sur-
de raison suffisante
brutes, il semble que l'union indissoluble, viennent pas, il n'y a pas
de rompre le premier engagement pour en
qui est l'autre extrême, doit être l'union des
former un autre, puisque la fécondité du
êtres animés les plus parfaits, des hommes;
second mariage est tout aussi éventuelle que
et que les états intermédiaires entre ces Dès que l'enfant est sur-
Jeux états seront plus ou moins parfaits, celle du premier.
le but est rempli, et la société, d'éven-
selon qu'ils se rapprocheront de l'un ou de ven u,
l'autre vérité universellement convenue, tuelle, est devenue actuelle.
puisque les adversaires de l'indissolubilité Ainsi, tant que le mari et la femme n'ont
ne lui reprochent que sa perfection. point d'enfants, il peut en survenir; et le
mariage n'étant formé que pour les enfants
Si le mariage humain est une union avec
à venir, il n'y a pas de raison de rompre le
engagement de former société, il diffère es- mariage. Lorsque les enfants sont survenus,
sentiellement du concubinage, qui est une
union sans engagement de former société,
le mariage a atteint sa tin, et ily raison de
pas le rompre car il est à remarquer que
et plus encore du libertinage vague, qui est ne l'impuissance ne se prouve pas contre la
une union avec dessein de ne point former femme, même dans le cas d'infécondité.
de société.
En un mot, la raison du mariage est la
La fin du mariage n'est donc pas le bon-
production des enfants. Or, en rompant un
heur des époux, si pa'r bonheur on entend,
premier mariage pour en contracter un se-
comme dans une idylle, le plaisir du cœur cond, la production devient impossible dans
et des. sens, que l'homme amoureux de le premier,' sans devenir plus assurée dans
l'indépendance trouve bien plutôt dans des
l'autre. Donc il n'y a pas de raison de rom-
unions sans engagement.
pre le mariage et après tout, quelque dis-
La religion et l'Etat n'envisagent dans le position qu'aient nos philosophes modernes
mariage, que les devoirs qu'il impose; et à assimiler l'homme aux brutes, et quelque
ils ne le regardent que comme l'acte de fon- importance qu'attachent à la population ces
dation d'une société, puisque cette société grands dépopulateurs de l'univers, ils n'o-
à venir est, dans le sacrement, l'objet des seraient sans doute soutenir que, dans les
bénédictions de la religion, et dans Je con- mariages humains, on doive, comme dans
trat civil, l'objet des Clauses que ratifie et les haras, procéder par essais.
garantit i'Etat. 2° Les raisons contre le divorce, tirées de
Tout engagement entre des êtres intelli- la société publique, sont encore plus fortes
gents et sensibles qui ont la faculté de vou- que celles qui sont prises de la société do-
loir et d'agir, suppose liberté dans la vo- mestique.
lonté, puissance dans l'action. Ainsi, là où il Le pouvoir politique ne peut garantir 1»
y a contrainte reconnue ou impuissance stabilité des personnes domestiques sans les
prouvée, il n'y a pas de mariage, parce qu'il connaître; de là la nécessité de l'acte civil,
n'y a pas d'engagement, et qu'il ne peut en qui fait connaître l'engagement de l'homme
«aîtfe de société. Ce sont deux empêche-- et de ia femme, et de l'acte de a-aissaiieé»
qui fait connaître le père, la mère et ]• en- Le mariage est donc indissoluble, sons le
fant. rapport domestique et public de société. 11 est
Mais, et je prie le lecteur de faire atten- donc naturellement indissoluble; car le na.
tion à ce raisonnement, le pouvoir politi- turel ou la nature de l'homme se compose à
que n'intervient par ses officiers dans le la fois de l'état domestique et de l'état pu-'
contrat d'union des époux, que parce qu'il blic, et il y a de quoi s'étonner, sans doute,
y représente l'enfant à naître, seul objet d'entendre les rédacteurs du projet de code
social du mariage, et qu'il accepte l'engage- civil, dire que le mariage n'est ni un acte
ment qu'ils prennent en sa présence et sous civil, ni un acte religieux, mais un acte na-
sa garantie, de lui donner l'être. Il y stipule turel: car si on entend par un acte naturel
les intérêts de l'enfant, puisque la plupart un acte physique, le mariage n'est qu'une
des clauses matrimoniales sont relatives à la rencontre d'animaux; et si on entend autre
survenance des enfants, et que même il ac- » chose, il n'est pas possible de deviner ce
cepte quelquefois certains avantages parti- qu'on veut dire.
culiers, stipulés d'avance en faveur d'un en- Le divorce est donc contraire au principe
fant à naître dans un certain ordre de nais- de la société
et du lien qui doit nous prouverons, dans la
sance ou du sexe; témoin suite de ce traité, qu'il est funeste dans ses
lui donner l'existence, il en garantit la sta- effets la société.
bilité qui doit assurer sa conservation. L'en- sur
gagement conjugal est donc réellement for-
mé entre trois personnes présentes ou re- CHAPITRE V.
présentées car le pouvoir public, qui pré-
SOCIÉTÉ
cède la famille et qui lui survit, représente CE TROIS ÉTATS DE IMPARFAIT,
toujours, dans la famille, la personne ab- PARFAIT OU NATUREL, CORROMPU OU CONTRIt
senté, soit l'enfant avant sa naissance, soit NATURE.
Je père après sa mort.
L'engagement formé entre trois ne peut Les êtres organisés qui ont une fin et des
donc être rompu par deux au préjudice du moyens extérieurs d'y parvenir, naissent
tiers, puisque cette troisième personne est, dans un état de faiblesse de moyens qui les
sinon la première, du moins la plus impor- empêche de parvenir à leur fin. Ainsi com-
l'homme et la société. C'est la l'état
tante que c'est à eile seule que tout se rap- mencent
imparfait, puisqu'il tend
porte, et qu'elle est la raison de l'union so- imparfait; et il est
ciale des deux autres,,qui ne sont pas plus à un autre état meilleur et. plus fort, et que
père ou mère sans l'enfant, que lui n'est fils l'être périt s'il n'y parvient.
sans elles. « Dans les societés ordinaires, » Le temps et les acquisitions développent
disent les rédacteurs du projet, «on stipule ses moyens, et font successivement passer
pour soi; dans le mariage, on stipule pour l'être à un état plus avancé. Ainsi la graine
autrui. » Le père et la mère qui font di- devient plante, le fœtus devient homme, et
vorce, sont donc réellement deux forts qui un peuple sauvage devient civilisé
s'arrangent pour dépouiller un faible et Les uns font de leurs moyens développés
l'Etat qui y consent est complice de leur l'usage le plus conforme à la tin pour la-
brigandage. Cette troisième personne ne quelle ils sont, et parviennent à cet état
peut, même pré-sente, consentir jamais à la qu'on appelle, dans la plante, maturité
dissolution de la société qui lui a donné dans l'homme, virilité et raison; dans la
l'être, puisqu'elle est toujours mineure dans société, civilisation c'est l'état parfait ou
la famille, même alors qu'elle est majeure naturel des êtres. Les autres tombent dans
dans J'Etat; par conséquent, toujours hors un état mauvais, ou parce que leurs moyens
d'état de consentir rien à son préjudice et ne sont pas assez développés,. ou qu'ils ont
le pouvoir politique, qui l'a représentée pour dévié dans leurs développements, ou enfin,
former le lien de la société, ne peut plus la parce qu'ils n'en font pas un usage conformee
représenter pour le dissoudre, parce que le à leur fin. C'est pour l'homme, l'état d'in-
tuteur est donné au pupille, moins pour ac- firmité corporel et de faiblesse morale, qui,
cepter ce qui lui est utile, que pour l'em- l'un ou l'autre, font de l'homme un grand
pêcher de consentir à ce qui lui nuit; ce enfant ou l'étal de force de corps et de
qui fait qu'il peut acheter valablement au désordre de volonté, qui fait de l'homme un
tiom du pupille, et qu'il ne peut pas rendre. méchant ou un enfant robuste, couimej'ap-
pelleHobbes; c'est dans la société, l'état état, » dit très-bien YEsprit des lois, «a a
opposé à la civilisation. Cet état est mau- toujours trop ou trop peu d'action tantôt
vais, corrompu, contre nature. avec cent mille bras il renverse tout, tantôt
Etat parfait, ou état naturel état mau- avec cent mille pieds il ne va que comme
vais, ou état contre nature. Nous y revien- un insecte. » Ce peuple détruit les autres
drons tout à l'heure. peuples, il finit par se détruire lui-même
L'homme individu a, pour parvenir à sa « Car
s'if veut se faire mal à lui-même, dit
conservation individuelle, qui est sa fin, le Contrat social, « qui est-ce qui a le droit
une volonté et des organes physiques, mi- de Ven empêcher? » A ces traits on recon-
nistres ou moyen de sa volonté dans l'exé- nait la démocratie, et c'est Montesquieu et
cution de ses actions individuelles. ]Rousseau qui l'ont nommée.
La société a pour parvenir Il sa fin, qui Dans l'état bon ou parfait de société, la
est sa conservation, des Jois, qui sont sa volonté ou les lois sont parfaites, et l'ac-
volonté, et des personnes, moyens ou mi- 1tion réglée par la volonté. Le pouvoir est
nistres des lois dans l'exécution de l'action iabsolu, et non pas arbitraire les ministres
sociale. subordonnés, les sujets soumis. Cet état de
L'homme, dans l'état d'enfance ou impar- société
i tient aux lois, et non aux personnes;
fait, a une volonté faible comme ses moyens: < le
et faible Louis XIII, faisant juger à mort
tantôt il emploie beaucoup de force pour Montmorency,
1 et refusant sa grâce aux lar-
faire peu, tantôt il veut faire beaucoup avec mes
i de toute la France, avait un pouvoir
peu de force. moins
i arbitraire et plus absolu que le fort
L'homme, méchant ou fou, a une volonté
faible ou désordonnée, servie par des moyens
forts il détruit les autres êtres, il se dé-
j Clovis,
( lorsqu'à Soissons il faisait lui-même
justice d'un de ses soldats.
Ces trois états de société sont bien dis-
truit lui même c'est l'état corrompu et tincts
t dans la société religieuse. L'action du
mauvais. culte
c ou le sacrifice était imparfait dans la
L'homme, perfectionné ou bon, a une religion
r judaïque, et la brute était immoiéo
volonté éclairée, et une action réglée par Ipour racheter l'homme..
sa volonté.La loi des membres ne s'élève pas Dans la religion chrétienne, l'action ou le
contre celle de l'esprit (Rom. vu, 23), et le sacrifice
s est parfait, puisque, selon les Chré-
corps est soumis à la raison, comme le tiens,
t la victime est le plus parfait des êtres,
ministre au pouvoir, et lé moyen à la cause, « que, selon l'histoire, la société chrétienne
et
La société naissante et dans l'état impar- est
e la plus éclairée, et par conséquent la
fait a des lois faibles et une action faible ou plus
f forte des sociétés.
violente, car violence est faiblesse c'est Dans la religion païenne, état de société
dans la famille la répudiation ou la poly- mauvais
n et contre nature, l'homme même
garnie, véritable despotisme domestique était
é immolé à la Divinité, et les dieux mê-
c'est dans l'Etat le despotisme politique qui mes
n n'étaient que corruption et licence.
Il èntraine tout par sa volonté et par ses ca- Ainsi, réduire en esclavage perpétuel son
prices, dit Montesquieu. Tantôt il agit ennemi
e pris àla guerre, le tuer, lui rendre
sans ministres comme Clovis, qui fendait li liberté, forment la distinction de l'état
la
lui-même la tête à un soldat, ou Pierre 1", imparfait, de l'état corrompu, de l'état par-
il
qui décimait lui-même ses strélitz tantôt fait du droit des gens chez les Chrétiens, et
fi
le pouvoir est usurpé par ses ministres chez
c les peuples qui ne le sont pas.
par les maires du palais, sous les rois de La perfection des lois domestiques et pu-
la première race; ou par les évêques bbliques s'appelle civilisation.
sous Louis le Débonnaire par les patri- Ainsi la civilisation est la perfection des
ciens, comme en Pologne. lois
1( et des mœurs, comme la politesse est la
La. société corrompue a une volonté dé- perfection des arts et des manières car les
P
sordonnée, ou des lois contre nature, et manières
n sont un art, et les moeurs une
une action déréglée. Dans la famille, c'est loi.
le divorce qui dépose le père et lui arrache Ainsi ces Grecs, qui avaient des sculp-
ses enfants c'est l'infanticide qui fait périr teurs
tE si habiles, des sages si diserts, des
les enfants par le père; ce sont les amours courtisanes
c( si maniérées, mais dont les lois
infâmes dans l'Etat, c'est le peuple qui permettaient
pi la prostitution à la femme, le
se déclare souverain. « Le peuple dans cet meurtre de l'enfant, l'assassinat de l'escfkve,
rr
les amours abominables, étaient un peuple ccomme dans les manières, le faux, le mau-
poli sans être civilisé et les Germains, avec vais,
v l'innaturel, se présente de lui-même à
leurs arts grossiers et leurs moeurs naturel- notre
n esprit, ferum, dit Quintilien id est
les, telles que nous les décrit Tacite, avaient maxime
n naturale quod natura fieri optime
un commencement de civilisation, sans po- patitur;
p reconnaissant ainsi que l'état natu-
litesse. fois acquis et parfait, fieri
r est un état à la
rel
L'état parfait d'un être est son état natu- optime.
o
rel, puisque l'état naturel d'un être est ce- Ainsi la raison place aussi l'état imoar-
lui où son être est fini, accompli et que, à fait
f< dans l'état originel ou natif.
proprement parler, il n'est pas, tant qu'il La nature et l'art ne sont donc pas oppo-
n'y est pas parvenu, et qu'il cesse d'être, s l'un à l'autre, et cette figure oratoire,
sés
s'il n'y parvient. transportée
ti dans la législation, y a produit
Ainsi, l'état naturel ou parfait de la graine dde déplorables erreurs.
est de devenir plante, du fœtus de devenir On a cru qu'il y avait des lois naturelles,
homme, du, peuple sauvage de devenir ci- comme
c il y a des besoins naturels; et J.-J.
vilisé et la graine, le fœtus et le peuple I
Rousseau a été jusqu'à dire « Ce que Dieu
périssent, s'ils ne parviennent point à cet veut
v que l'homme fasse, il ne le lui fait pas
état parfait. dire
d par un autre homme, il le lui dit lui-
L'état imparfait d'un être n'en est donc nmême, et l'écrit au fond de son cœur; » et
pas l'état naturel, mais l'état natif ou origi- l'on
1 n'a pas vu que si les lois même les plus
nel; et cette distinction est fondamentale. naturelles
ri étaient naturelles dans ce sens,
Ainsi la nature, en général, est l'ensem- l'l'homme ne manquerait pas plus aux lois
r>!e des lois parfaites des êtres, comme la dde la société qu'aux lois de la digestion. De
écrites par Dieu
nature particulière d'un être est l'ensemble ccette idée de lois naturelles
de ses lois particulières et c'est une absur- même t1 au fond de nos cœurs, on a conclu des
dité d'avoir fait de la nature le législateur 1lois artificielles, écrites par des hommes sur
de l'univers, lorsqu'elle n'en est que la lé- 1le marbre et l'airain, qu'on a appeléesposi-
gislation. tives,
t et l'on a regardé celles-ci comme
C'est ici la grande querelle de la philo- moinsr obligatoires que celles-là. Ainsi, ho-
sophie moderne contre la raison. J.-J. Rous- nore ton père a été une loi naturelle et ho-
seau place l'état naturel de l'homme indi- tnore le pouvoir politique a été une loi
posi-
vidu ou social, dans l'état natif ou impar- tive t et souvent l'on a vanté les vertus tia-
fait. De là sa prédilection affectée pour les turelles
t d'hommes ou de sectes qui man-
enfants, au moins pour ceux d'autrui, et son quaient
c aux devoirs publics, et qui, dans
admiration insensée pour l'état sauvage. De 1la mariage, par exemple, faisaient un crime
là ces propositionsdignes des Petites-Mai- d'une c
infidélité, et du divorce un devoir ou
sons « L'homme qui pense est un animal du c moins une bonne action.
dépravé. l'homme est né bon, et la so- D'un autre côté, comme on a appelé ex-
ciété le déprave. » clusivement
<
naturelle la religion des famil-
révé-
Ainsi l'état imparfait de l'être est un état 1les primitives, et exclusivement aussi
natif ou originel, mais l'état parfait ou na- lée, l la religion de l'Etat, on en a conclu que
turel est un état acquis ou adventif, adven- 1la religion patriarcale ou primitive était
titius, qui veut dire survenu. seule
î naturelle et que la religion de l'E-
« Certains philosophes, » dit très-bien le ttat était artificielle, et la religion des prê-
grand Leibnitz, « mettent la nature dans l'é- tres. i
tat qui a le moins d'art, ne faisant pas at- Osons donc, sinon réformer, du moins
tention que la perfection comporte toujours éclaircir ce langage équivoque, et disons
l'art avec elle. » que
(
la religion naturelle ou domestique était
Ainsi l'homme fait est plus naturel que inaturelle à l'hommedes familles primitives,
l'enfant, l'homme savant plus que l'igno- considérées
<
avant tout état public de société,
rant, l'homme vertueux plus que l'homme et < que la religion révélée ou publique est
vicieux, l'homme civilisé plus que l'homme naturellei
à l'homme de la famille considé-
la reli-
sauvage. De là vient qu'il n'y a rien qui rée dans l'état public. Disons que
donne plus de peine à acquérir que le natu- gion domestique a été révélée par la parole,
ret dans, les ouvrages d'esprit et que, dans et la religion publique révélée par l'Ecri-
les lois comme dans les arts, dans les moeurs ture parce.que tout ce que l'homme sait
surses devoirs, même religieux, lui vient mesliques et en lois publiques; en lois rf;-
par révélation, c'est-à-dire par la parole qui ligieuses et en lois politiques, en lois bon-
lui transmet l'expression de ses propres nes ou naturelles, et en lois mauvaises et
idées. C'est là la sublime doctrine de saint contre nature et l'on dirait avec Cicéron
Paul, véritable apôtre des nations, puisqu'il « Ce n'est que dans la nature que se trouve
enseigne la science de la société. 11 dit bien, la règle qui sert à distinguer une loi bonne
comme J.-J. Rousseau que nous portons de celle qui ne l'est pas, ), legem bonam a
une loi écrite au fond de nos coeurs, lex mala, nulla alia nisi naturali norma, divi-
scripla in cordibus nostris (Il Cor, m, 2) dere possumus.
mais loin de dire comme lui, « ce que Dieu Les lois naturelles sont celles du commen-
veut que l'homme fasse, il ne le lui fait pas cement, puisque les rapports entre les êtres
dire par un autre homme, saint Paul dit dont elles sont l'énoncé sont aussi anciens
expressément que la connaissance vient de que les êtres eux-mêmes elles sont encore
l'ouïe; et que l'homme ne peut pas enten- les lois de la fin, puisque les êtres ne peu-
dre si on ne lui parle i.Fldes ex auditu; vent parvenir à leur fin, qu'en s'y confor-
quomodo audient sine prœdicante ? (Rom. x, mant elles sont l'alpha et l'omega des êtres
17, 18 Ce qui veut dire que nous avons en
nous, comme naturelles, les connaissances
nécessaires à notre bonheur; mais que,
pour être perceptibles à notre propre esprit,
elles ont besoin d'être revêtues d'expres-
sions, comme les corps, pour être visibles,
ont besoin de lumière sensible à nos yeux;
fuit sic.
et c'est dans ce sens que Jésus-Christ ap-
pelle la loi de l'indissolubilité conjugale.
« la loi du commencement » Ab initio non
état plus qu'imparfait, et rejetant le chris- dans l'état parfait de société; là seulement
tianisme, se préserver également de l'a- est sa véritable force, parce que la force est
théisme et de l'idolâtrie état extraordinaire, dans la stabilité, et que la stabilité ne peut
surnaturel même aux yeux d'une raison se trouver que dans l'état fini et quoique au-
accompli.
éclairée, puisqu'il est opposé à la nature ou cune société ne soit dans cet état
aux lois des êtres en société. non plus qu'aucun homme, on peut remar-
Le passage de l'état imparfait de société b quer dans le monde social, plus de lumières,
l'état parfait, est praticable, puisqu'il a été de vertus, de force et ae fixité chez les Chré-
pratiqué; et il est naturel à l'homme, puis tiens que chez les autres peuples, et même
de
que les peuples du Nord, de qui descendent en Europe, plus de désintéressement,
-es peuples modernes, ont tous passé de grandeur et de sobriété, plus de progrès
l'état imparfait et grossier de leur religion dans les arts de la pensée, de véritable force
naturelle, et de leur société polygame ou enfin, et de fixité chez certains peuples que
aespotique, au christianisme, à la monoga- chez quelques autres.
mie et à la monarchie. Le passage de l'état imparfait à l'état par-
Mais lorsqu'une nation est parvenue à fait se fait sans effort, parce qu'il est naturel.
l'état parfait, et qu'elle a goûté le don céleste Le christianisme, objet de persécution dans
des lois naturelles, elle ne peut en déchoir l'empire romain, n'y fut point sujet de trou-
ble. La conversion des Francs ne produisit
sans tomber dans le dernier degré de misère mil-
et d'avilissement, parce que cette marche pas de guerre civile. Celle de plusieurs
rétrograde est contraire à toutes les lois de liers de Chinois n'en a point suscité à la
Chine; mais le retour d'un état meilleur à
j& nature des êtres, et à toutes les percep- trouble
tions de la raison. Ainsi la Pologne, à l'ex- un état moins bon ne se fait pas sans
tinction de la race des Jagellons, retombée et sans déchirement, parce qu'il est contre
dans l'état imparfait de société politique, et la loi de la nature.
bientôt après de société religieuse et même Là, et seulement là est la véritable raison
domestique, après trois siècles de langueur de la décadence des nations ou*de leur élé-
et de convuisions, a été, du moins pour un. vation. La vicissitude des choses humaines,
temps, effacée du rang des nations.LaFrance, sur laquelle an débite des lieux communs
tombée dans la démocratie royale de 1789, depuis tant de siècles, est une idée vraie,
la tendance
est descendue jusqu'à la démagogie vile et sans doute, si on l'entend de
sanglante de 1793; et qui oserait arrêter sa naturelle et nécessaire qu'ont tous les êtres
pensée sur les suites probables de ce délire créés à parvenir à cet ordre naturel après
révolutionnaire, si lé principe de vie que lequel ils soupirent, et dans qui seul ils
73 PART. I. ECONOM. SOC. DU DIVORCE. 74
peuvent trouver le le repos
repos :Omnis
:Omnis creatura état purement domestique de société,, qu' qui1
ingemiscit (Rom, vin, 22) mais idée fausse précède tout établissement public, et qu'on
et même impie, si on l'entend d'une néces- a appelé l'état patriarcal- ou lorsque récem-
sité de changement aveugle et inévitable, mentsorties de cet état, elles en ont retenu
ferrea nécessitas qu'on offre quelquefois les habitudes parce que la multiplication
comme une consolation aux malheureux de l'espèce, que la polygamie favorise seu-
qu'on a faits comme si quelque événement lement à cet âge de la société^ peut convenir
pouvait, sous la loi de la raison suprême, à une peuplade qui tend à s'élever à la
n'être subordonné à. aucune loi, et n'avoir force et à la dignité d'une nation.
aucune raison; et que l'instabilité pût être Cette loi n'est pas contre la nature physi-
nécessaire dans la créature, lorsque la vo- que, puisqu'elle n'empêche pas la Keproduc-
lonté du créateur est immuable. tioni des êtres, et que plusieurs enfants peu-
Les Assyriens, les Mèdes, les Romains,, les vent naître d'un seul père et de plusieurs
Grecs, ont péri, parce qu'ils ont passé de mères mais cette loi est imparfaite sous les
l'état imparfait des peuples naissants à l'état rapports moraux, parce qu'elle rompt l'unité
corrompu des peuples dégénérés* Les peu- morale: ou l'union des cœurs * en mettant
ples du Nord, subsistent encore en Europe* plusieurs; sociétés dans une famille, et plu-
plus fonts qu'à leur établissement, parce sieurs intérêts dans une maison.
qu'ils ont passé de l'état imparfait de société Cependant la polygamie, qui n'est qu'im-
à l'état parfait; ei la plus extrême faiblesse parfaite dans l'état naissant de société* de-
n'a succédé chez le» Turcs à cet accès de vient mauvaise dans l'état avancé parce
délire qui les rendit un moment l'effroi de qu'à cet âge d'une nation, la communication
3a chrétienté, que parce qu'ils n'ont pas pu des deux; sexes, devenue plus fréquente par
sortir de l'état imparfait de la polygamie, dit le rapprochement; des familles, et mains in-
despotisme et du déisme nocente par le goût des plaisirs et le pro-
1 Ces grandes leçons de l'histoire doivent grès des arts, qui suit ceux des richesses,
être mieux comprises aujourd'hui laFrance1 allume 1» passion de l'amour; passion sans
les a en quelque sorte résumées dans la danger chez un peuple naissant,parce qu'elle'
dernière expérience qu'elle a faite sur elle- y suit l'union des: sexes; mais passion ter-
mêïne et il serait. affreux pour une nation rible lorsqu'elle la précède, comme chez
de périr quand elle a, en mangeant U fruit un peuple avancé', Où elle changé la faculté
défendu, acquis la science du bien et du mal, de la répudiation en- trafic, d'adultères, et là
et que le choix en est dans les mains de polygamie en une geêle barbarëoû; l'on mu-
ceux qui la gouvernent. tile les hommes pour veiller sur les femmes;
Les principes. des deux sociétés, domesti« état alors contre la. nature dé l'être, aiêûie
que et publique, sont semblables les effets 'physique, qui produit l'oppression de 1?M-
seront semblables dans l'une et dans l'au- manité (l'abandon de l'enfance et même
tre. Nous avons cherché les principes dans comme l'observe l'auteur dé-l'Esprit des lois,
la constitution des sociétés, nous allons ob- les amours contre nature, et il en cite des
server les effets dans leur histoire; Elle est. exemples remarquables; étàtpar conséquent
liée inséparablement à celle du divorce, et opposé à la nature; et les Turcs ne périssent
doit jaier le plus grand jour sur cette ques que parce qu'ils s'obstinent à retenir, dans
tion. l'état de nation, une loi qui n'es* supportable
CHAPITRE VI.
que dans Fétat de famille, considéré avant
toute nation.
DE tA SOCIÉTÉ CHEZ Dans cet état originel, de société, ou voi-
LES JUIFS.
sin de l'état originel, comme la population
La pluralité d'unions ou la polygamie (1), est un besoin, la stérilité est un flëau; elle
soit éventuelle, par la faculté de la répudia- y est même un opprobre, ettout ce qui peut
tion, comme chez les Juifs, soit actuelle, altérer l'union y est- un tort. L'homme ren-
par la cohabitation, comme chez les Turcs, voie la femme pour causé de stérilité et
peut être tolérée pour des familles dans cet même pour cause de déplaisance Propter
(i ) Polygamie, monogamie,ne signifient pas plu- de mariage, et, dans ce sens, une femme peut èirs
ralité de femmes, unité de femmes, quoique l'usage polygame.
leur donne cette acception; mais pluralité ou unité
fœdilatem. (Deut, xxiv, 1.) C'est la loi des tre 11, que les lois ne permettent pas même
Juifs (1), loi évidemment dirigée toute vers aux femmes répudiées de se remarier sans
Ja multiplication du peuple loi convenable, le consentementde leurs maris. Mais cette
par conséquent, à l'enfance d'une nation; et discussion n'est ici d'aucun intérêt.
ce qui le prouve est qu'encore aujourd'hui, Chez un peuple naissant, la loi de la répu-
chez les sauvages, comme autrefois chez les diation, purement facultative, n'a pas de
Juifs, et pour la môme raison, le frère épouse dangereuses conséquences parce qu'on en
la veuve de son frère. Arrêtons-nous un mo- use peu, et que la famille, menant une vie
ment sur la loi de la répudiation, dont les champêtre, isolée des autres familles, occu-
novateurs se sont autorisés pour établir le pée de travaux plus sains, et nourrie d'aii-
divorce. ments plus salubres,il yadans les deux sexes,
La loi qui permet la répudiation est une moins de ces désirs qui provoquent la répu-
loi imparfaite, qui considère le mariage diation, ou de ces infirmités qui la justifient.
plutôt comme le rapprochement des corps A cet âge de la société, la passion dominante
que comme le lien des cœurs, puisqu'elle de l'homme n'est pas la volupté, et le mari
Je dissout pour des infirmités corporelles. considère sa femme par les services qu'il
Elle est même une loi dure, puisqu'elle pu- en retire, plutôt que par ses avantages ex-
nit' une femme des torts de la nature; qu'elle térieurs. Cette observation se vérifie à nos
lui ôte son existence sociale, dans l'espoir yeux dans les classes inférieures, où Je peu-
incertain d'une union plus féconde ou en- ple est toujours au premier âge de la société.
fin parce qu'elle. rejette sur elle seule le Généralement, plus un peuple vit dans l'état
malheur d'une union stérile, dont la faute domestique, plus les femmes y sont dépen-
peut être imputée à son époux, et n'est dantes et même asservies. Le sauvage laisse
même jamais prouvée contre la femme. à sa femme tous les travaux pénibles. 11 en
Mais cette loi n'est pas contre la nature était de même chez les Germains et encore
des êtres en société,. c'est-à-dire qu'elle dans quelques provinces méridionales de la
n'est pas destructive des rapports naturels France, soumises à la loi romaine, où les
du pouvoir et des subordonnés, puisqu'elle rapports des personnes domestiques sont
laisse exclusivementdans l'homme l'attribut plus marqués, le même paysan qui ne voit
essentiel du pouvoir, le droit de discuter les le divorce qu'avec horreur, croirait manquer
actions de la femme et de les juger, et qu'elle à l'étranger qu'il honore et qu'il reçoit chez
ne sépare pas les enfants de leur père. Ce lui, s'il faisait asseoir sa femme à la même
pouvoirdans l'homme est même excessif, et table.
porté jusqu'au despotisme; et l'on peut ob- Mais à mesure que la société judaïque
server ici qu'à la naissance de la société passa de l'état domestique à l'état public, la
domestique, comme à celle de la société pu- loi de la répudiation lui convirt moins, parce
blique, le pouvoir est toujours moins réglé qu'on en usa davantage. Peu à peu cette con-
et plus violent. descendance du législateur produisit un
On voit donc le motif de la répudiation libertinage effréné. « On jlit dans le Synapse
chez les Juifs, loi imparfaite, et qui n'était des critiques, » dit l'abbé de Rastignac, « que
que pour un temps, comme tout ce qui est ira- Naaman fit publier par un héraut Quelle
parfait, mais loi qui n'était pas mauvaise ou femme
t
aurai-je chaque jour, ou pendant mon
contre nature; et même l'on est porté à séjour ici? » L'école du rabbin Hillel en-
croire, avec un grand nombre d'interprètes, seigna qu'un homme pouvait répudier sa
que la répudiation, chh les Juifs, n'était femme pour avoir laissé brûler son Bouil-
qu'une séparation a mensa et a toro, qui lon et le rabbin Akiba, qui eut jusqu'à
permettait à l'homme, et non à la femme, de quatre-vingt mille disciples, enseigna que le
contracter une autre union, puisque la loi mari pouvait renvoyer sa femme, unique-
du Deutéronome (xxiv, 4.) appelle la femme ment parce qu'il en trouvait une plus belle,
renvoyée, qui a passé à de secondes noces, ou même sans aucun prétexte. Mais dans la
souillée et abominable devant le Seigneur. famille
1 comme dans l'Etat, l'abus du pouvoir
Josèphe dit expressément, livre xv, chapi- en prépare la chute l'excès de la répudia-
(î) Caton assistait aux jeux infâmes de la vertueux Romains assistaient an* combats de gla-
déesse Flore sa présence gênait te peuple. Catim s'en diateurs, aux sacrifices de sang humain, lorsqu'il y
aporçut, et sortit pour lui laisser toute licence. Telle en a eu; souffraient l'exposition des enfants,' etc.,
éiait la vertu du magistrat romain la, plus vertueux. etc.
SUrtiaJ en a fait le sujet d'une éj igramme. Ces
89 PART. 1. ECONOM. SOC. DU DIVORCE. 9*
châtiments et de récompenses convient à gieuse, disparurent tes premiers de la so-
les premiers
l'âge viril dft
l'âsrfi Viril de la
la société, r\îï Vhnmmae,a
â»o oùl'homme,
pot âge
snf>iiU<Sàh cet ciété; maie la superstition,
l'affolavacromais
mais l'esclavage,
f\&iA> miic siTOOrstitinn.
en liberté dans la vaste enceinte que la so- D- la divination, le divorce surtout, opposèrent
ciété trace autour de lui, contenu dans ses îs à l'influence du christianisme une plus lon-
passions par les lois, ne prend conseil, pour ir gue résistance, et ne se retirèrent que len-
ses devoirs, que de son cœur. L'une formait it tement devant les progrès de la civilisation!
l'homme pour l'état domestique de société, é, religieuse. Les empereurs d'Orient, avec
la société de soi l'autre forme l'homme le leur autorité précaire et disputée, n'osèrent
pour l'état public de société, la société des
3S en délivrer la société, et ils se bornèrent à
autres. Pour empêcher le Juif de nuire à en restreindre ou à en régler l'usage. Les
son semblable,. Moise lui défend de mettre re rois francs, et jusque dans la troisième race,
une pierre d'achoppement devant l'aveugle,
e> usèrent encore de la répudiation, qu'on re-
lui prescrit de montrer le chemin à Fétran 1- trouve dans l'enfance de toutes les sociétés.
ger et desecourir même l'animal tombé sous is Ils en furent repris par le Père commun des-
le faix. Jésus-Christ va plus loin dans un in Chrétiens, qui instruisait les peuples en rap-
seul mot il dit à l'homme Tu aimeras ton m pelant des rois à demi-barbares à la sévérité
prochain. [Matth: rai, 39.) Il fait de ce
ce du christianisme, et faisant baisser la tête à
précepte un commandement égal à celui de le ces fiers Sicambres; et même de nos jours,
l'amour pour Dieu même et il laisse au m les dispenses de certains degrés de parenté
cœur à en diriger les actes et c'est ce qui ai pour les mariages, quelquefois légèrement
faisait dire à saint Augustin Ama, et fac ic accordées (et qui ont été cause que le projet
quod vis « Aime, et fais ce que tu vou- i- de code civil en a aboli.la loi), étaient un
dras.» reste de condescendance pour la faiblesse
Il me semble voir un enfant que sa mère, », humaine, que l'état avancé de la société au-
pour la première fois, conduit dans un.cer- c_
rait dû peut-être faire disparaître, surtout
cle, et à qui elle donne auparavant tous les ÎS en France, où la loi, excluant les femmes de
petits préceptes de la Civilité puérile, sous iS la succession au trône, ne rendait jamais.
l'espoir de récompense oujla menace de châtia j. des dispenses de ce genre politiquement né-
ments proportionnés à son âge; et un homme le cessaires. Je ne crains pas d'assurer que la
fait que le sentiment des bienséances avertit it loi, en France, deviendra sévère à propor-
de tout ce qu'il doit aux autres de politesse et tion que la licence a été excessive, et que
d'égards, et à quoi il ne pourrait manquer 3r cette maxime de Montesquieu « Les trou-
sans se couvrir de honte. Aussi Moïse a formé lé bles, en France, ont toujours affermi le pou-
un peuple borné, craintif, intéressé, sans 1S
voir, » recevra, tôt ou tard, dans l'Eglise
vices, mais surtout sans vertus et Jésus- s_ comme dans l'Etat, l'application la plus éten-
Christ a formé des nations éclairées et for- r_
due. Et l'Europe n'a-t-elle pas déjà vu la
tes, des peuples, comme dit l'Apôtre, agréa- a. discipline ecclésiastique rétablie dans le
bles à Dieu et sectateurs des bonnes œuvres monde chrétien par le concile de Trente,
Populum acceptabilem, sectatorem bonorum m
après la licence introduite par la Réforme,
operum ( TU. n, Ik), où les esprits cha- a_ et dans tous les Etats, les lois de police de-
grins ne remarquent que les vices, parce ;e venir plus sévères au sortir. des troubles ci-
que les vertus y sont l'état ordinaire et le vils ? parce que l'ordre, dans la société sous
seul autorisé, comme des enthousiastes ne le
le nom de civilisation, dans l'homme sous
remarquent chez les païens que les vertus, le nom de raison, est l'état naturel des êtres
s
e[
parce que le vice y était l'état commun et « L'ordre,»dit le P.
Malebranche, «est la lot
permis par les lois, inviolable des esprits.»
Mais la religion chrétienne fut, dans la so-
o-
ciété, comme la yérité et la vertu sont dans CHAPITRE IX.
le cœur de l'homme, un germe que le temps *S RÉVOLUTION DANS LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE.
conduisit peu à peu à sa maturité. La con- n-
valescence du monde, si j'ose le dire, guéri ri Depuis plus de dix siècles, le mariage, en
avec tant de peines de l'idolâtrie, fut lenie ie Europe, était constitué sur la loi naturelle
et laborieuse, et longtemps il porta les cica-a- de l'indissolubilité la paternité ou ie pou-
trices de cette grande plaie de l'humanité. é. voir était honoré dans la famille comme dans
L'infanticide, les combats de gladiateurs, s, l'Etat, comme dans la religion. La société
les sacrifices sanglants, la prostitution reli-i- avançait, à l'aide du christianisme, dans la
91 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
~Ttt~iujT~iJU
connaissance de la vérité et la pratique du de justes qui
92
bien. «« La
u ne peuvent faillir,
faillir,, l'autre
l'autre de
France. »» dit
La France, dit M. do Saint-Lam-
M. de Saint-Tarn. mMank
méchants qui
nni na c'bm^n/ion.ils
peuvent s'àmender;
ne ncnmint tic por-
i- t»i>.
bert, qu'on ne soupçonnera pas de partialité
é taient la confusion dans la société en met-
en faveur du christianisme, « la France, à tant partout la pluralité ou la démocratie b
cette époque, a été le pays o,ù la justice a la place de l'unité; la démocratie dans la
été le mieux administrée, et dans lequel les famille, par la faculté du divorce accordée
s
magistrats ont eu l'esprit, le caractère et les
s aux femmes; la démocratie dans l'Etat, par-
mœurs qu'ils devaient avoir. Leur pouvoirr le pouvoir souverain attribué au peuple; la
n'offensait personne; il ajoutait à la sécurité& démocratie dans la religion par l'autorité
de tous. La nation prenait toutes
ces habi- transportée fidèles pour l'élection des
ludes, qui, dans une société, deviennentt ministres, etauxmôme dans chaque homme,.
des vertus ou l'appui des vertus. Dans
cess pour l'interprétation des Ecritures « Car, »
moments, les moeurs des Français ont peut- dit naïvement M. de Saint-Lambert, le-
«
être été comparables aux plus belles chrétien de Calvin
des nations illustres de l'antiquité
La religion était favorable à l'ordre et
(1)
mœurss est nécessairement dé-
mocrate. » Et alors commença, pour l'Eu-
auxs rope, la révolution des lois naturelles ou.
mœurs les troubles religieux qui s'élevè- divines, aux lois vicieuses et' contre la na-
rent, forcèrent le gouvernement à suspen- ture, ouvrage de l'homme et de
dre l'exécution de ses desseins utiles, et à sions; révolution qui alluma,, à son ses pas-
t origine^
s'opposer aux opinions nouvelles. des guerres si sanglantes, qui a enfanté des
»
Tel était en France, et à beaucoup d'é-
erreurs si monstrueuses et des crimes si
gards dans l'Europe chrétienne, l'état de la inouïs; qui, combinée
société, lorsque le grand scandate de la ré-
t avec les progrès dtt
commerce et des arts, c'est-à-dire
formation vint arrêter, ou plutôt suspendre soif d'acquérir la fureur de jouir, avec
la
t et a sou.-
le développement naturel de la société dans levé, dans le l'homme,
cœur de lés mêmes
le perfectionnementde ses lois, et
ramener tempêtes qu'elle a excitées dans la société;
la religion à l'état imparfait, à l'esprit dur,
et y a produit le dégoût de vivre pour là
intéressé, craintif de la religion judaïque, vertu dans ceux qui ne peuvent plus vivre:
et la société domestique et politique, aux
institutions vicieuses des Grecs, dont tes si pour les jouissances car le suicide, devenus
commun parmi nous, et qui bientôt ne-
arts, portés en Europe à cette époque, ne laissera plus à la justice humaine de crimi-
contribuèrent pas peu à faire admirer et nel à punir, ni à la bonté' divine de
coupa--
adopter les lois. ble à pardonner, le suicid'e ne date, en Eu-
« Luther, » dit l'auteur que je citais tout rope, que des temps dont je parle et ce sont
à l'heure, «n'était pas un homme de génie, et les mêmes doctrines qui
ont donné à l'homme
il changea le monde; » c'est-à-dire qu'il le pouvoir de détruire lui-même. et qui
altéra l'homme et bouleversa la société. Par ont enseigné, se l'organe du philosophe de
par
une contradiction remarquable, la Réforma- Genève, que « le peuple a toujours le droit
tion mit le relâchement dans les principes de changer
ses lois, même les meilleures:
de la société et le rigorisme dans les mœurs
car, s'il veut faire mal à lui-même, qui
de l'homme car ces mêmes docteurs qui est-ce qui le se droit de l'en empêcher? »
a
permettaient la dissolution du lien conjugal, Mais le plus puissant véhicule de la li-
condamnaientavec une austérité farouche la
cence et du désordre, fut la faculté du di-
plus innocente récréation, le jour de diman-'
vorce, que Luther crut trouver dans l'Evan-
che, qui était pour eux le jour de sabbat; gile
car à cette époque <le la société, on
et les troubles religieux de l'Angleterre et cherchait encore dans la religion la raison-
de l'Ecosse en offrent de risibles exemples. des lois politiques. Les seules lumières du.
Ainsi, tandis que Luther, et plus encore bon
sens auraient dû lui apprendre que celui
Calvin, enseignaient les dogmes désespé- qui était
venu accomplir la loi des Juifs, et
rants ou corrupteurs de la prédestination dire aux hommes Soyez parfaits comme
absolue au malheur éternel, ou de la jus- votre Père céleste est parfait (Matth. 48),
v,
tice inamissible; que, niant à la fois la fai- n'avait
pas entendu les laisser la loi
blesse humaine et la grâce divine, ils distin- imparfaite des Juifs et même sous
sous une loi-
guaient Jes hommes en deux classes, l'une' bien plus imparfaite
que celle des Juifs;
(1) On sent qu'un philosophe qui voit la perfec- V
il voit la perfection des arts, ne pouvait en dire d&-
tion ues moeurs chez les Grecs et les Romains, où
vantage.
S3 PART. I. ECONOM. SOC. DU DIVORCE. M
w m m. m. •%j^ b wm,9 m- w
»»^
puisque, comme nous t'avons déjà observé, nous voyons Stork, Muncer, Carlostadt, des
îa répudiation est une loi dure, et le divorcee premiers et des plus zélés disciples de Lu-
mutuel une loi mauvaise; et que, dans lee ther, lui reprocher d'avoir introduit une
même entretien où, opposant les élémentss dissolution semblable à celle du mahométisme
imparfaits d'une loi donnée à des enfants, et en effet, le divorce se changeait même
à la perfection de cette même loi dévelop- dès lors en polygamie. Luther lui-mêmo
pée et accomplie pour des hommes faits, avait sans cesse à la bouche ce mot fameux:
Jésus-Christ dit aux Juifs Il vous a été dit .• Si nolit uxor, ancilla venito. Ce patriarche
Vous ne tuerez pas, et moi je vous dis de ne. e de la Réformation, assisté de ses docteurs,
pas proférer même une parole injurieuse con- permit au landgrave de Hesse, par sa con-
tre votre frère. Il vous a été dit Vous nee sultation du mois de décembre 1539, d'é-
commettrez point d'adultère, et moi je vouss pouser une seconde femme, en retenant la
dis de ne pas même regarder une femme avecc première et même, de nos jours, le feu roi
de mauvais désirs. Il vous a été dit de ne pass de Prusse, Frédéric-Guillaume H, a répu-
haïr vos ennemis, et moi je vous dis d'aimerr dié Elisabeth de Brunswick, épousé la prin-
vos ennemis, et de faire du bien à ceux quii cesse de Hesse, épousé la comtesse d'EnhoKV
vous haïssent (Ibid., 21, 27, 28, 43, kk) queî sans répudier la reine, toujours avec l'ap-
dans ce même entretien, dis-je, il est souve- probation des docteurs calvinistes; ,et lors-
rainement absurde de supposer que ce maî- qu'avec ces trois femmes vivantes il voulait
tre de toute perfection ait voulu dire auxt encore épouser mademoiselle de Voss, il
Juifs « Moïse a permis aux maris de répu- trouva ses pasteurs disposés à le lui per-
dier leurs femmes, et moi je permets auxc mettre, alléguant qu'îl valait mieux contrac-
femmes de répudier leurs maris. » II auraitt ter un mariage illégitime que de courir
dû apprendre de cet Evangilequi le démentt sans cesse d'erreurs en erreurs décision
autant de fois qu'il l'invoque, que Jésus- dérisoire et honteuse, qui « dégrade autant
Christ, interrogé par les Juifs sur le sens de3 ceux qui la donnent que celui qui la solli-
Ja loi de Moïse, relative à Ja dissolution dui cite, » dit avec raison M. de Ségur, histo-
lien conjugal, ne pouvait leur parler que de3 rien récent de cette époque mémorable da
l'espèce de dissolution tolérée par Moïse, notre temps.
c'est-à-dire de la répudiation exercée par le3
mari seul et effectivement le divin législateurr CHAPITRE X.
n'emploie que les expressions dimitlere uxo-
DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.
rem,uxorem dimissam, pour exprimer la dis-
solution dulien conjugal, et. la femme séparéeî Avant la révolution actuelle, le divorce
de son époux; que saint Paul, qui ne parle} en France, permis à quelques-uns par leur
qu'à des Chrétiens, et qui, sans doute, en- loi religieuse, était défendu à tous par lai
tendait le sens de l'Evangile, dit Si, unes loi civile; mais la loi civile permettait aux
femme épouse un autre homme pendant la vies époux la séparation, dont les exemples,,
de son mari, elle sera tenue pour adultère; inouïs autrefois, devenaient plus fréquents
mais si son mari vient à mourir, elle est af- à mesure que les moeurs devenaient plus
franchie de cette loi, et elle peut en épouser faibles. Cette condescendancedu législateur,
un, autre sans adultère (Rom. vu, 3); ett ou plutôt des magistrats qui n'était pas
qu'enfin, si ce passage de l'Evangile s'a- restreinte par certaines conditions nécessai-
dresse aux Chrétiens, il ne signifie que lai res pour en prévenir l'abus, avait porté des
séparation a mensa et a toro, pour cause3 fruits amers depuis cinquante ans, et les
d'adultère séparation que l'honneur com- séparations légales, ou seulement de fait,
mande comme la raison le permet. Au reste, légèrement prononcées par les tribunaux,
ie ne discuterai point ce dernier passage de ou indiscrètement tolérées par la police
TEvangile, puisque ceux que je combats neî avaient disposé les esprits à recevoir comme
nous l'opposent point; et que d'ailleurs ilsî un remède nécessaire la faculté du divorce,
ont été bien au delà des bornes que, seloni tandis que' d'autres principes, répandus
Luther et Calvin, le législateur des Chré- dans toutes les classes de la société, avaient
tiens a assignées à la faculté de dissoudre lei préparé les citoyens à recevoir sans effroi,
lien matrimonial. et comme des conceptions philosophiques,
Quoi qu'il en soit, le divorce mutuel n'é- les institutions populaires. Mais le divorce
tait pratiqué que depuis quelques années et la démocratie,introduits après un si long
usage de constitution naturelle de famille et pres débris. On chercha, pour me servir do
d'Etat, dans la société la plus éclairée et l'expression de Montesquieu, en parlant de
même la plus forte de l'Europe par une ha- Rome, à ôter la république des tnaihs du peu*
bitude de plusieurs siècles de raison et de ple, et l'on chercha en même temps à ôter la
nature, y supposaient un prodigieux obs- famille des mains des femmes et des enfants.
curcissement dans les lumières, une ex- La constitution directoriale resserra la dé-
trême faiblesse dans les âmes, et devaient y mocratie trop étendue on posa quelques
produire des elfets bien plus funestes que limites à la licence du divorce le père ob-
ceux qu'ils avaient produits à une époque tint la permission de disposer de quelque
plus reculée chez des peuples beaucoup partie de ses biens et même le Directoire
moini constitués. C'est ce qui est arrivé et rendit, à des conditions onéreuses, une om-
sans parler ici des désordres publics dans bre de tolérance au culte religieux.
les lois et dans les mœurs, à une certaine Le 18 brumaire arrive, et la constitution
époque de notre révolution, qui passent tout politique qui résulte des événements de ce
ce qu'on peut imaginer, le nombre des di- jour mémorable porte dans l'Etat un prin-
svorces dans les trois premiers mois de cipe d'unité, rend plus de liberté aux minis-
1793, fut à Paris seulement, au tiers des ma- tres du culte religieux!, et même le code ci-
riages. Le divorce est peut-être aujourd'hui vil, qui est l'objet de cette discussion, cher-
moins fréquent sur un seul point, mais il che à reconstituer le pouvoir domestique en
est plus répandu, et déjà il gagne les cam- rendant le pouvoir marital mieux défendu
pagnes. Il y a été d'abord un objet d'hor* contre le divorce, et le pouvoir paternel plus
reur, bientôt il «e sera plus même un sujet libre dans la disposition des propriétés do-
d'attention. Il ne faut pas oublier de remar- mestiques.
quer que le plus grand nombre des divorcés Je ne m'étendrai pas davantage sur les
est provoqué par les femmes ce qui prouve suites des événements du 18 brumaire, mais
qu'elles sont plus faibles Ou plus passion- Je lecteur eut maintenant en état d'apprécier
nées, et non pas qu'elles soient plus malheu- ces deux assertions de l'auteur de VEsprit
reuses. des lois l'une, que le divorce à Ordinaire-
C'est surtout dans la révolution opérée ment unegrande utilité politique; l'autre, que
en France qu'ont paru, avec tous leurs ca- l'état publie de société n'a pas de rapport avec
ractères, l'union intime et la parfaite analo- lrétât domestique.
gie des deux sociétés, domestique et publi- Nous finirons par quelques Considérations
que. En effet, l'assemblée constituante posa générales sur le divorce.
pn principe la souveraineté populaire dans
l'Etat, et même dans l'Eglise, par la consti- CHAPITRE XI.
tution déraoeraticoTûyale de 1789, et la
constitution civile ou presbytérienne du CONSIDÉRATIONSGÉNÉRALES SUR LE DIVORCE.
clergé, et par là elle prépara les voies au La répudiation, tolérée chez les Juifs,
divorce, qui permet à la femme d'usurper était ( une loi dure, tout à J'avantage du mari
le pouvoir sur son époux en sorte que l'as- contre ( la femme et qui faisait de l'un un
semblée législative qui suivit en décré- despote, < de l'autre une esclave. Elle né peut
tant le divorce, n'eut qu'une conséquence à donc
( pas convenir à des peuples chrétiens,
déduire. A peine les rapports naturels furent dont ( la charité est la première loi, et chez
irtteryerlis, que ta dégénération s'accrut qui le mariage, ramené à l'institution du
avec une grande rapidité. L'année 1793 vit, commencement,
t fait de la femme, non un être
dans l'Etat, la démagogie la plus effrénée {égal à l'homme, mais un aide (on ministre)
dans la famille, la dissolution du lien con- semblable
5 à lui.
jugal la plus illimitée dans le culte même, Le divorce est une loi duré et fausse à la
l'impiété la plus exécrable. Le pouvoir pa- fois, f puisqu'elle permet non-seulement au
ternel périt avec l'autorité maritale la mi- mari
r la faculté de répudier sa femme
norité des enfants fut abrégée, et le père mais r qu'elle l'accorde à la femme contre son
perdit, par l'égalité forcée des partages, la éépoux.
sauvegarde de l'autorité, le moyen de punir Le divorce est aujourd'hui plus que ja-
et de récompenser. mais une loi faible ou oppressive pour les
D
Cependant l'excès du désordre ramène à deux d sexes, parce qu'elle les livre à la dé-
la règle, et l'édifice se recompose de ses pro- pravation
p de leurs penchants, précisément
97 ^RT. 1. ECONOM, SOC. -DU DIVORCE.
98
bà l'époque où les passions, exaltées par lele ciété. » Ainsi la loi elle-même reconnait
progrès des arts, ont le. plus besoin d'être reconnut' si
'e peu la liberté à cette chose naturellement si
contenues par la sévérité des lois. libre, et si peu de pouvoir aux parties de
Le divorce n'est toléré, chez des dissoudre, même de leur consentement,une
ples commerçants, que parce qu'ils se -
peu-
re-i- union formée de leur consentement,
présentent la société domestique, et même que la
la société politique, comme une associatione preuve de leur accord mutuel à dissoudre
de commerce, un contrat social. Ce n'est
nleur union est une cause qui en empêche la
qu'un jeu de mots, dont la plus légère at-
t dissolution, et que leur collusion sur
ce
point est un délit que la toi punit par
tention suffit pour dissiper l'illusion. une
amende en sorte que, pour former l'asso-
La société domestique n'est point
u«e as- dation, il a été nécessaire de prouver te con-
sociation de commerce, où les associés
en- sentement mutuel des deuxparties, etpourla
trent avec des mises égales, et d'où ils
puissent se retirer avec des résultats égaux.s rompre, il faut prouver que les deux parties
C'est une société où l'homme met la >
n'y consentent pas; comme si leur concert
protec- à vouloir se séparer n'était pas la plus forte
tion de la force, la femme les besoins de la
preuve: que la loi puisse désirer del'absence
faiblesse; l'un le pouvoir, l'autre le devoir;i
de toute affection, et de la nécessité d'une
société où l'homme se place avec autorité, séparation.
la femme avec dignité; d'où l'homme
sort Le
avec toute son autorité, mais d'où la femme quelques
divorce, qui peut être favorable dans
cas à la perpétuité- d'une famille,
ne peut sortir avec toute sa dignité car de est contraire
à fa conservation del'espècehu-
tout ce qu'elle a porté dans la société elle maine
ne peut, en cas de dissolution reprendre divorcerparce que des époux qui voudront
n'auront point d'enfants, pour ae-
que son argent. Et n'est-il pas souveraine- quérir
ment injuste que la femme, entrée dans la oeil laisse un motif de divorce, et que l'abandon
famille avec la jeunesse et la fécondité trop souvent les enfants, nuit à
leur
] conservation même quand u» second
puisse en sorti;r avec la stérilité et la vieil-
les.se, et que, n'appartenant qu'à l'état do- imariage n'exposerait pas: leur vie; et comme
société se fora» de ce qui subsiste, et
taestique, elle soit mise hors de. la famille à une i
de ce qui naît, si la: polygamie fait naî-
qui elle a donné l'existence à l'âge auquel non 1
le
ble à aucune autre; le consentement
et la volupté opprime un sexe, comme la
mu- guerre détruisait l'autre. Les progrès de la
tuel ne peut dissoudre le mariage M), gU
civilisation
ci, éveillent fe goût: du plaisir, et
quoiqu'il; puisse dissoudre toute autre
so- les]e< arts se
"co w w ae rembeilir
soin de i emoej,
(i)
( .1 Le
1". code
1 civil permet dissolution du mariage par
19
le consentement mntuel des épou*.
tout devient art, et même la nature et les il ne faut pas plus de lois pour dérégler que
nécessités mêmes de l'humanité ne sont plus d plan pour détruire)
de c'est placer la fa-
que des jouissances factices que l'homme mille
n et t'Etat dans une situation fausse et
poursuit avec ardeur et souvent aux dépens contre
c nature, puisqu'il faut que la famille
de ses semblables. A cet âge de la société, oppose
o la force de ses moeurs à la faiblesse
permettre la dissolubilité du lien conjugal d la loi, au lieu de trouver dans la force de
de
c'est en commander la dissolution. Alors la h loi un appui contre la faiblesse de ses
la
loi ne peut autoriser le divorce sans intro- dmœurs. Mais là où la loi est
faible, la règle
duire une polygamie illimitée pour les deux des
d mœurs est faussée, et il n'y a plus de
remède à leur corruption inévitable et là où
sexes. A une nation qui a des plaisirs pu- r
blics, et jusqu'à des femmes publiques, il 1 loi est forte, l'autorité publique a une rè-
la
faut un frein public aussi et des lois publi- gle
g fixe, immuable, sur laquelle elle peut
ques, toutes générales, toutes impératives toujours
t maintenir les mœurs ou \es redres-
qui maintiennent l'ordre général entre tous, ser.
s
et non des lois privées, en quelque sorte Si la dissolution du lien conjugal est per-
qui ne statuent que sur un ordre particu- mise,
i même pour cause d'adultère, toutes
lier de circonstances des lois de dispense, les
1 femmes qui voudront divorcer se ren-
facul tatives pour les passions et les faiblesses dront
< coupables d'adultère. Les femmes
de quelques-uns. seront
s une marchandise en circulation, et
Ainsi, du côté que l'homme penche, la loi l'accusation
1 d'adultère sera la monnaie cou-
le redresse;etelle doit interdire aujourd'hui 1rante et
le moyen convenu de tous les
la dissolution à des hommes dissol us, comme échanges:
< car c'est à ce point de corruption
elle interdit, il y a quelques siècles, la ven- que l'homme est parvenu en Angleterre. Et
geance privée à des hommes féroces et vin- dans les débats qui ont eu lieu il n'y a pas
dicatifs, et c'est uniquement dans cette amé- longtemps, au parlement, sur la nécessitéde
lioration des lois et. non dans les progrès restreindre la faculté de divorcer, l'évêque
des arts, que consiste cette perfectibilité de de Rochester, répondant à lord Mulgrave,
l'espèce humaine, sur laquelle on ne discute avança que sur dix demandes en divorce
que faute de s'entendre. pour cause d'adultère, car on ne divorce pas
D'ailleurs, s'il y avait des motifs de di- en Angleterre pour d'autres motifs, il y en
vorce, ce seraient ceux qui viennent de la avait neuf où le séducteur était convenu
nature même, comme les infirmités corpo- d'avance, avec le mari, de lui donner des
relles qui sont hors du domaine des volon- preuves de l'infidélité de sa femme (1).
tés humaines, et que l'homme n'a aucun C'est ici le lieu d'observer que, dans une
moyen de faire cesser; et c'est pour cette cause d'adultère entre des personnes du
raison que la loi des Juifs en faisait des mo- plus haut rang, plaidée récemment en An-
tifsde répudiation.Mais permettre aux époux gleterre (2), lord Kenyon, l'oracle de la loi.
de se quitter lorsque, livrés, par l'espoir qui présidait au jugement, dans le résumé
même du divorce, à l'inconstance de leurs de l'affaire qu'il présenta aux juges, atténua
goûts et à la violence de leurs penchants les torts de la femme et même ceux de son
ils ont formé ailleurs des amours adultères; séducteur, par la considération de torts du
dissoudre leur union, parce qu'ils ne veu- même genre de la part du mari; et, par
lent pas commander à leur humeur, ou par- forme de compensation, réduisit la demandé
ce que la loi ne veut pas veiller sur leur
en dommages que celui-ci avait formée cotir
conduite; leur permettre de rompre le lien, tre le séducteur à 100 livres sterling..
lorsqu'ils l'ont relâché par une absence vo- Rien ne prouve mieux qu'un pareil juge-
lontaire c'est affaiblir la volonté, c'est dé- ment à quel point les idées sociales de jus-
praver les actions, c'est dérégler l'homme (et tice, et
même d'honneur, sont perverties chez
(1 ) Le même orateur avança que les hommes les arrêter ensuite.
qui s'étaient montrés,en Angleterre, les plus indul- (2) M. Sturt, membre du parlement d'Angleier-
gents pour le divorce, s'y étaient montrés les parti- re, contre le marquis de Blanford, fils aîné du duc
sans les plus outrés de la démagogie française. Le de Mariborough, pour adultère commis avec Anne
code civil interdit à la femme divorcée pour cause Sturt, fille du comte de Schafftesbury. Dans le
d'adultère de se remarier avec son complice. Cette même temps, autre procès intenté par l'honorable
restriction compromet la vie du mari rien de plus M. Windhaiii, ministre de S. M. B. à Flurtmce, con-
dangereux que de composer ainsi avec les passions, tre le comte Wycombe, fils aîné du marquis de
de les laisser aller jusqu'à un certain point pour Lansdown.
101 PART. I. ECONOM. SOC.
DU DIVORCE. M.
C.1,Lte nationmercantile.
ceue nation En effet,
mercantile. En effet, il suppose ses succès; niais son
succès; mais son,embonpoint 1 hysique
embonpoint [hjsiquo
entre le
le mari
mari et la femme l'égalité naturelle
de torts, et par conséquent de devoirs. Mais
cacha ~tp~
cache des âmes "I;
jarnaz avilies et
"E des
n"~ mœurs abjec-
tes c'est un peuple tout matériel, et il sera
_1-
l'infidélité de la femme dissout le lien do-
tôt ou tard asservi par un peuple moral. En
mestique, puisqu'elle met dans la famille France, la fureur du commerce était conte-
des enfants étrangers; au lieu e
que les désor- nue par des institutions qui en interdisaient
dres du mari, quelque graves' qu'ils puis-
la pratique à certaines classes de la
sent être, sont sans conséquence pour -la so-
ciété (3) et maintenaient l'esprit de déta-
famille, et ne peuvent affliger
que le cœur chement des richesses et la disposition à
de l'épouse (1).
tout quitter pour remplir ses devoirs. Là
Le jugement dont je parle
prouve l'ex- était la force de la France; et si la révolu-
trême avilissement des moeurs
en Angle- tion en avait anéanti le principe, les Français
terre, où un mari, même dans les rangs les
plus élevés et les conditions Jes plus seraient assez puhis et leurs ennemis assez
lentes, ne rougit pas de recevoir le prixopu- de
vengés.
De même qu'en Angleterre, l'adultère est
son déshonneur, et peut à l'avance spéculer
le seul moyen de divorce l'incompatibilité
sur l'infidélité de sa femme et composer d'humeur, décrétée comme cause de divorce
avec la fortune de son séducteur (2). C'est
par la loi existante, et redemandée par le
par le même principe qu'en cas d'intention tribunal de cassation, serait, en France, lé
de duel, la loi, en Angleterre, fait donner
moyen banal de ceux qui n'en auraient pas
aux deux parties caution pécuniaire qu'elles d'autre; et déjà l'on voit cette incompatibi-
n'en viendront pas au combat; et l'on
en a lité alléguée par tous les époux qui veulentt
un exemple récent. On avait, en France, des
idées plus justes, et surtout des se séparer, et alléguée par ceux mêmes à
moeurs plus qui le publie n'a à reprocher que l'excessive
relevées le particulier prévenu d'intention
de duel donnait caution d'honneur de compatibilité de leurs goûts et une infâme
déférence à la loi; sa complaisance pour leurs mutuels désordres.
et un époux outragé, 11 faut observer
même dans les dernières classes du peuple, que les rédacteurs du
eût été noté d'infamie s'il avait poursuivi projet de code civil qui s'élèvent avec rai-
devant les tribunaux une réparation pécu- son contre le motif d'incompatibilité d'hu-
niaire. meur, suffisant aujourd'hui pour opérer la
dissolution du lien conjugal, la permettent
Le commerce est, dans la société,
ce
dans l'homme la nécessité naturelle de
qu'est
(
lorsque
i la conduite habituelle de l'un dés
man- époux envers l'autre rend'à celui-ci la vie in-
ger et de boire. L'homme <
ne peut faire, du supportable; motif qui ressemble fort à celuii
manger et du boire, sa principale affaire, de &
l'incompatibilité, et que des époux peu-
c
sans tomber dans le plus profond avilisse-
ment et dans un oubli total de ses devoirs, vent y toujours alléguer, parce que personne
Un peuple qui met le commerce n peut les contrèdire
ne
au rang des Et remarquez ici l'inconvenance,
institutions sociales, qui y voit pour ne
un devoir et rien
ri dire de plus, de la loi, qui permet
non un besoin, qui lui donne par tous les f( de
former de nouveaux nœuds à la femme
moyens possibles une extension illimitée, vaincue con-
vi d'avoir violé par l'adultère
au lieu de le renfermer dans les bornes de miers ses pre-
l'indispensable nécessaire, peut éblouir m engagements, et qui réco» pense ainsi
par 'oubli des ;devoirs et l'infraction des lois
l'<
l'éclat de ses entreprises et la grandeur
de ca :ar, dans un Etat bien réglé, le mariage,•
(i)i Nous dit l'abbé de Rastiénac fortes, le goût de la viande
dans un canonvoyons,
de la seconde lettre de saint Basile l'imperfection demi-crue et sans pain,
dès lois, -etc.,
à Amphiloqne, « qm* dans les peines canoniques la dans l'adolescence, dit ïkssai
a
etc.surUn lafilspuissance
à ce né
coutume était moins sévère envers les hommes
qu envers les femmes, dans le paternelle" « a été appelé en témoignage
cas même où les père; depos.tion a complété la preuve, contre SOIÎ
k'IIHmes et les femmes étaient sa d'un rri
coupables du même me capital, et l'arrêt de
mort de son père est pres-
nP,mi; e" 6St^ peu près de même cIleï que sorti de sa bouche. Ce jugement a été pronom
peuples sauvages, où le roari fait plusieurs aux dernières assises de Carrik-Fergus l'accuséé
ro» à iamjnt surpris avec femme, payer un cochon se nommait William Mowens. 8
avec eux. ^PiP^est lesamême, là et le mange
monnaie
(5) Delà vient
que certaines
du ne pouvait, sans déshonneur,personnes
»
en France
Sïïï e!Vly ^"«"On retrouve chez les;Àiiglais, signer des engage-
-sous les dehors brillants de la politesse des^ro! ments qui pussent les soumettre à la eonlraimf
grès dans les arts, beaucoup de caractères et corps, parce que leur personne, déjà engagéepar
pies sauvages. Le vol, la passion des peu- pTrtfcSliï. société, au
pour les liqueurs particulier. ne pouvait être aliénée au
M. DE BONALD.
m
m ŒUVRES COMPLETES DE
“•“ ,«ne les
permis à tous hnm™ devrait être inter-
u* hommes, tassent elles aux deux extrémitésd'un d'un parc
de plusieurs lieues d'étendue, si elles 1. étaient&.
dit aux époux divorcés, par la même raison
dans la même clôture, parce que, dans ce,
que la carrière de l'administration publique, l'abandon, quoique
accessible a tous les citoyens, est fermée cas, la diffamation ni les
négligents ou réels, ne seraient pas publics. Mais pour
sans retour à ceux qui ont été trois autres causes, les plus communes et les
prévaricateurs dans l'exercice de leurs fonc- habi-
plus graves de toutes i° la conduite
tions.
1 mterdic- • tuelle qui rend la vie commune insupporta-
Ainsi, dans les premiers temps, •
était nombre des peines ble 2» l'attentat à la vie d'un époux par
tion du mariage au » demande
infligeait à l'assassin l'autre; 3° l'adultère « où est,
canoniques que l'Eglise raison, dans son avis, le tribunal de
peine pourrait avec
et à l'incestueux; et, cette cassation, qui, conséquent à ses principes,
succès par une
encore être employée avec veut si la loi permet le divorce, la
administration vigilante. Quand même on que
peine, volonté d'une partie suffise pour l'obtenir;
considérerait le célibat comme une qu'un mari, qu'une femme,
éloigné de lui une femme où est le fait
l'époux qui aurait «
poser? où est celui qu'ils puissent
coupable,, empêché d'en épouser une autre, puissent
toujours injustement puni, prouver? où est celui qu'on puisse juger? »
ne serait. pas trop Une femme aura prouvé victorieusement son
parce que les torts de la femme sont
accusent presque innocence devant les tribunaux, qu'elle sera
souvent ceux du mari, et condamnée par son époux, et
d'intérêt de légèreté, sans retour
toujours son choix ou
Je public. Les juges n'auront
tyrannie, sa conduite de fai- souvent par
son humeur de pas acquis la preuve ,de l'humeur fâcheuse
blesse ou de mauvais exemple. d'un époux, tandis que sa femme aura la
Le projet de code civil retire, il est vrai,
conviction qu'elle est insupportable; ils ne
d'une main ce qu'il donne de l'autre eu i
qu'il permet la faculté du l verront quelquefois que douceur et soumis-
même temps sion,; là où il y aura dessein et tentative
c'est icii
divorce, il en. gêne l'exercice. Mais
la loi paraît défectueuse, et lea d'homicide le sacré caractère de la vertu
surtout que brillera. sur le front d'un profane
remède insuffisant et dérisoire. pour eux
déclare le mariage dissolu- adultère. Et certes il n'y a pas de tyrannie
Le législateur moins raisonnable à la fois et plus risible,
ble • là unit, son action. C'est aux personnes s
à faire l'une à l'autre l'ap-i- que, celle d'un magistrat qui, s'interposant
domestiques se la femme,, mécontents l'un
plication de la- loi. Seules elles peuvent êtree entre le mari et
domestiques, parce que seu- i- de l'autre, vient. interrogerleurs dispositions
ju^es des délils mutuelles, juger. froidement du degré
connaissance, pour
les elles peuvent en avoir la S
leur éloignement réciproque., conseille à
intime qui naît pour ir de
ot que la conviction de la haine d'aimer et à la fureur de s'adoucir,
chacune d'elfes, même de ses soupçons et le
équivaut, un délit domes- i- prescrit des délais à. l'impatience et des len-
ses craintes, pour
la conviction que le magistrat chargé ;é leurs à la passion, nie à la jalousie ses soup-
tique, à sa blessure,, et
de poursuivre les délits publics doit chercher ;r çons (1) et au cœur même qui s'accusent
extérieurs. semble dire à des époux
dans des témoignages de
le réciproquement d'assassinat et d'adultère
des cinq causes que le projet
En effet, « Attendez, vous n'êtes pas encore assez
code civil assigne au divorce, deux seule->
e- divisés pour que je, vous
sépare. »
ment,.la diffamation publique et l'abandonne- voulu gêner la faculté du divorce par
partie par l'autre, peuvent être
re On a
ment d'une formes longues et dispendieuses qui en
publique, parce que ces
es les
l'objet d'une preuve accompagnent la demande et en. retardent la
délits sortent l'un et. l'autre de l'enceinte te
si vrai, a-
diffa- décision' Mais a^t-oiv bien refléchi aux in-
domestique et cela est que 1»
d'une loi facultative, qui, à cause
domestiques seulement, it, conv.énients
mation, devant des. difficultés de; son exécution, ne. sera fa-
qui aurait, lieu entre; deux ix. des,
ou l'abandon cultative que pour les passions,et les faibles-
époux qui resteraient dans l'a même n-
en-
séparés et sans .communication entri
tre ses, des gens riches, c'est-à-dire, de ceux
ceinte, général les passions moins vio-
possible et même fréquent ati qui ont en
eux, ce qui est motifs d'uni lentes et les humeurs plus compatibles
ne seraient pas admis comme ne l'éducation et les bienséancesleur
demande endivoree. les deux parties: habvsa- parce que
scène Pernelle s'obstine. à nier ce qu'Orgon assure si plai-
(1) Molière a mis deux fois ce sujet en- M™
ne,
V" sammeiit avoir vu.
dans le Tartufe, où
dans Georges Dandin et
103 PAftï. 1. EtïONOJÏ.SO&i-'DU DIVORCÉ. 1(jé
ont appris à les contraindre? La faculté du religion permettait la la dissolution du lien
divorce sera-t-elle comme ces spectacles, ri
où conjugal;
srmrtar-lps. m'i nr.r.;i,™Qi Ainsi la >“ “«(: ^\t
police ne tolérerait pas
le riche entre à grands frais, et place
se com- que des Orientaux, établis en France, y pr?^
modément, et où le pauvre, qui veut voir tiquassent
publiquement la polygamie; mais
aussi, assiège les fenêtres et les toits; et les lois ne les puniraient
n'est-il pas évident que là où les uns divor- fait pas pour en avoir
usage, et n'y verraient qu'une €Onsé*
ceront à force d'argent, les autres divorce- quence de leurs
moeurs et de leurs lois.
ront à force de crimes? Mais si la polygamie des Orientaux est
J'ai fréquemment comparé, dansle
cours de aussi funeste à la famille que le divorce, le
cet ouvrage, le divorce tel qu'il est pratiqué divorce est général plus dangereux pour
chez les Chrétiens! la polygamie pratiquée l'Etat. En en
effet, la polygamie laisse les en-
en Orient, parce qu'effectivement le divorce fants auprès
de ceux qui leur ont donné lé
est une véritable polygamie. Les auteurs jour, le divorce les sépare forcément de l'un
protestants eux-mêmes ne le considèrent ou de l'autre. La polygamie, renfermée
dans
pas autrement; et Théodore de Bèze com- le secret de la famille, pratique
se sânà trou*
mence ainsi son traité De la polygamie et du ble et sans scandale; le divorce fait
divorce, imprimé à Deventer retentir
les tribunaux de ses plaintes, et amuse l'oi-
« J'appelle polygamie Ja pluralité des ma- siveté des cercles de ses révélations indis-
riages il y en a de deux espèces
ou un crètes. Les Turcs achètent la fille de leut
nomme, épouse à la fois plusieurs femmes, voisin;
ou le mariaga précédent dissous» il épouse nous, avec le divorce, nous enlevons
la femme de notre ami. En Orient les fem-
une autre femme (1). »
Dans les premiers temps de la Réforme, Montesquieu, mes sont réservées «Rien n'égale, » dit
i* la modestie des femmes tur*
les tribunaux considérèrent le divorce
comme ques et persanes. Partout où la faculté du
une tolérance tacite de la polygamie. On divorce permet à une femme
trouve dans un recueil d'arrêts le fait sui- tout homme de voir dans
vant, cité en abrégé dans. le Journal de juris- sont sans pudeur, un mari possible; les femmes
prudence de le Brun « T. Gautier et Jac- ou du moins sans délica-
tesse, parce la pluralité des hommes
quette Pourceau, mari et femme, après une qui est la suiteque du divorce, est plus contraire
séparation de fait, se marièrent chacun de à la
leur côté. Le gouverneur de la Rochelle les pluralité nature et aux moeurs publiques, que la
des femmes que permet aux hom-
condamna à être exposés pendant deux heu-
mes la polygamie d'Orient. « Si on laisse, »
res devant le palais, attaché chacun à un. dit Mme Necker,
collier» ['homme avec deux quenouilles, la berté aux femmes mariées la l.i<-
de faire un nouveau choix, bientôt
femme avec deux chapeaux. Il leur fut
en- leurs regards erreront sur tous les hommes
joint de retourner ensemble 'et défendu
et bientôt le seul privilège du parjure les dis.
d'habiter, ni de se remarier avec d'autres tinguera
des actrices, qui ont Je droit des
sous peine de la vie. Cette sentence fut con- préférences et le goût des changements.
firmée par arrêt donné à la chambre de l'édit,, Que sont auprès de ces raisons naturelles
»
le 23 novembre 1606. » Et ce jugement,,
ajoute l'arrêtiste, fut ainsi modéré, attendu gai, en faveur de l'indissolubilité du lien conju-*
tous les motifs humains qu'on peut al-
que les accusés étaient delà religion prétendue léguer pour justifier la faculté de le dissou-
réformée. Le journal de le Brun rapporte dre ? Qu'importe,
après tout, que quelques
ainsi ce fait, ou un autre semblable « Au individus souffrent
dans le cours de cette
rapport d'un ancien arrêtiste, dit-il,, « N. et vie passagère,
pourvu que la raison, la na-
sa femme, convaincus de bigamie, au par- ture, la société, ne soient
lement de Paris; furent condamnés seule- Et si l'homme pas en souffrance^ :j
porte quelquefois avec regret
ment à l'exposition, attendu qu'ils étaient une chaîne qu'il ne peut
calvinistes, et que leur loi permet le di- t-il rompre, ne souffre-
pas à tous les moments de sa vie, de ses
vorce » ce qui veut dire que la bigamie ou passions qu'il
la polygamie, que nos lois, punissaient d'une ne peut dompter, de son in*
constance qu'il ne peut fixer, et la vie entière
peine capitale, parurent aux tribunaux plus de l'hommede bien
est^elle autre chose qu'un
dignes d'excuse chez des hommes à qui leur combatcontinuel II
contre ses penchants ? C'est
(1) Polygamiam voco conjugii multip'icationem,
«ujus du» sunt species. Vêt enim uno eodemque iuonio,alla Uxdr dueituf. *(Beze, Tractaûô (14
tempore plures uxores
pore plu.es
,0.
ducuiitur,aiil
uxoresducuntur, autsoluto
solutomalri-
malri- r-y* »••/
îwlygamia et dîvoriiis.)
(JEL'VRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1Ô8
im
à l'homme a assortir dans le mariage les hu- conde
c union ne saurait lui rendre, et avec
meurs et les caractères, et à prévenir les laquelle,
1. comme dit Tacite, on transige une
désordres dans la famille, par l'égalité de ffois et pour la vie, cum spe votoque uxoris
son humeur et la sagesse de sa conduite, semel s transigitur, elle la livre sans défense à
Mais, lorsqu'il s'est décidé dans un choix ttoute l'inconstance de ses penchants mais
contre toutes les lois,de la raison, et unique- la1 doctrine de celui qui a pardonné à la
la
ment par des motifs de caprice ou d'intérêt, ffemme adultère plus indulgente pour
lorsqu'il a fondé le bonheur de sa vie sur ce ffaiblesse humaine, conserve à la partie infi-
qui ne fait que le plaisir de quelques ins- dèle ( le nom de son époux, au moment où,
tants, lorsqu'il a empoisonné lui-même les par ] la séparation, les hommes lui oient les
douceurs d'une union raisonnable, par une droits i
d'une femme, et veille encore sur
conduite faible ou injuste; malheureux par l'honneur1 de celle qui n'a pas eu soin de son
sa faute, a-t-il le droit de demander à la so- bonheur.
1
ciété compte de ses erreurs ou de ses torts ? C'est à la loi civile à faire le reste et les
Faut-il dissoudre la famille, pour ménager séparations, devenues si communes depuis
de nouveaux plaisirs à ses passions, ou de quelque temps, seraient bien moins fréquen-
nouvelles chances à son inconstance et tes, 1 si la loi imposait aux époux séparés
peine pour
corrompre tout un peuple, parce que quel- des conditions qui en fissent une
ques-uns sont corrompus?2 tous, et non une complaisance pour aucun
Combien pms sage est la religion chré- d'eux.
tienne Elle interdit aux hommes l'amour Et, par exemple, toute femme séparée de
des.richesses et des plaisirs, cause féconde son époux, même pour violences et mau-
de mariages mal assortis; elle ordonne aux vais traitements, devrait, à l'avenir," se re-
enfants de suivre les conseils de leurs pa- tirer dans le sein de la société religieuse,
rents, dans cette action la plus importante seule société à laquelle elle appartienne la
en-
fai-
de leur vie. Une fois l'union formée, elle core. Cet asile, ouvert au repentir, à
commande le support au plus. fort, la douceur• blesse, au malheur, lui offrirait, dans une
intime avec la Divinité, les seu-
au plus faible, la vertu à tous. Elle s'inter- u-nion plus
consolations que doive chercher et que
pose sans cesse pour prévenir les méconten- les délais-
tements, ou terminer les discussions. Maiss puisse goûter une femme vertueuse
si, malgré ses exhortations, les défauts et les> sée par un mari injuste; ou ferait disparaî-
vices changent le lien de toute la vie en uni tre de la société le scandale d'un être qui
malheur de tous les jours, elle le relâche, est hors de sa place naturelle, d'une épouse
mais sans le, rompre. Elle sépare les corps, qui n'est plus sous la dépendance de son
mais sans dissoudre la société; et laissantt époux, et d'une mère qui n'exerce plus
dont la con-
aux humeurs aigries le temps de s'adoucir, d'autorité sur ses enfants, et
elle ménage aux cœurs l'espoir et la facilitéê duite, trop souvent équivoque, comme
de se réunir: et cette religion, qui défendi l'existence, porte dans la famille des autres
tout aux passions, et pardonne tout à la fra- le trouble qu'elle a mis dans la sienne.
11
gilité cette religion, qui ordonne à l'hommee serait également nécessaire et extrêmement
coupable d'espérer en la bonté de son Créa- utile pour les mœurs publiques, que tout
teur, ne veut pas que la femme imprudentee homme séparé de sa femme fût obligé' de
prohibé d'aspirer à toute fonc-
ou légère désespère de la tendresse de soni renoncer, et
époux. La philosophie élève le divorce entree tion publique, parce qu'il est indispensa-
des époux comme un mur impénétrable laa ble pour la famille que le chef y exerce l'au-
religion place entreeux la séparation commee torité par lui-même, lorsqu'il n'a plus de
place; et siw-
un voile officieux. La philosophie, qui re- ministre pour l'exercer sa
à
jette de la société humaine comme de la re- tout parce qu'il est important d'apprendre
ligion tous les moyens de grâce (1) et dee aux hommes que les fonctions publiques ne
rémission, flétrit sans retour une femme pluss les dispensent pas des vertus domestiqu&s.
faible que coupable, par le sceau ineffaça- Cette loi, très-naturelle, serait plus efficace
ble du divorce qu'elle imprime sur son front contre l'abus des séparations que la faculté
et lui ôtant .a dignité d'épouse qu'une se- du divorce.
(*) V6y- à la fin les Pièces justificatives. de son parti, fut publiée en 1679, en forme auiheB*
de
(2) La consultation extrêmement curieuse dit
tique, par le prince palatin, avec l'instrument u
ii<
landgrave de Messes, et la décision
non moins eu- second
se mariage. On les trouve dans Y Histoire de,}
rieuse de Luther et de sept autres fameux docteurs variations.
va
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 412
fil,
{\) Les sectateurs de Luther regardaient les volcan, et qui entraînent tout comme des torrents;
progrès rapides de sa doctrine comme un miracle grossis par l'orage; il est des doctrinesqui gagnent
qui prouvait sa mission; et certes, il est vrai que peu à peu, et par des progrès insensibles; qui
comme,
prend,
es opinions de Luther firent à leur naissance bien la pâte qui fermente, ou comme la graille
lus de bruit que la doctrine même de l'Evangile, racine avant de s'élever et de devenir un grand
est des opinions qui font explosion comme un. a/bre*
121 FAUT. I. ECONOM. SOC. DU DIVORCE. 122
Jourd'hui par les progrès des temps et dès.
temps et des Ici même les inconséquences
jnconséauences se multi-
mnlti.
lumières, et plus forts par les moyens dont plient le code civil propose le divorce, à
vous disposez, osez (1 ) réformer les réfor- cause des luthériens et des protestants, et
mateurs eux-mêmes tant d'autres l'ont fait il ne le propose, ni comme Luther, ni comme
depuis qu'ils ont paru. Ne parlez pas au nom Calvin. En effet, Luther, dans son premier
de l'Eglise catholique, on ne vous croirait ouvrage de la Captivité de Babylone, désire
pas; parlez au nom de la nature et de la que le lien conjugal puisse se dissoudre
raison, et l'on vous écoutera. Que dis-je! les pour cause d'adultère ou de désertion mali-
réformateurs eux-mêmes réformeraient au- cieuse mais, encore timide, il n'ose le dé-
jourd'hui leurs principes, et ils jugeraient clarer dissous. Trois ans après, devenu sans
qu'au x«e siècle, au siècle des richesses et doute plus habile ou moins retenu, il permet
des arts, le divorce doit produire des effets le divorce pour ces deux motifs, et même
bien plus funestes qu'il n'en a produits
au pour quelques autres. Mélanchthon,le plus
xvi' siècle lorsqu'il n'y avait encore ni savant de ses disciples, réduit les causes a
grandes'villes, ni commerce, ni théâtres, ni deux, l'adultère et l'abandon. Calvin dissout
promenades publiques, ni statues, ni ro- le lien conjugal pour cause d'adultère, on
mans, que les époux ne connaissaient que lorsqu'une des deux parties, étant chré-
leurs foyers, et les citoyens d'autres lieux tienne, veut se séparer de la partie idolâtre;
publics que l'hôtel de ville et l'église; et en sorte que, laissant à part les variations
déjà ne voyons-nous pas leurs descendants, des chefs et les extravagances de quelques
fatigués du joug intolérable de la licence, disciples, entre autres de Bucer, qui per-
s'élever contre la faculté du divorce, et le mettait le divorce pour le plus léger mé-
parlement d'Angleterre délibérer sur son contentement, les réformés de toutes les
insuffisance? Entendez Mme Necker, tout sectes conviennent dans ce seul point, que
attachée qu'elle est à la religion calviniste, le lien conjugal est dissous pour cause d'a-
approuver sur ce point la doctrine de l'Eglise dultère et d'abandon.
catholique. « Avant de blâmer, » dit-elle, Les législateurs de 92 viennent à leur
« les Pères de l'Eglise, qui ont élevé le tour; ils enchérissent sur ceux qui les ont
riage au rang des sacrements, il fallait ma- précédés, en décrétant le divorce pour in-
con-
naître le principe de cette décision. Un peu compatibilité d'humeur; et même les rédac-
de réflexion nous persuadera que rien «V- teurs du projet de code civil déclarent la
tait plus conforme à l'indication, aux lois et demande en divorce admissible, pour délits
aux droits de la nature car faire du ma- et crimes de l'un des époux envers l'autre,
riage un contrat simplement civil, c'est c'est-à-dire, comme t'explique le projet,
prendre, pour base de cette institution, la 1" pour sévices et mauvais traitements', et la
circonstance la moins importante. Et conduite habituelle de l'un des époux envers
en
effet, la fortune, l'état, toutes les convenan- l'autre, qui rend à celui-ci la vie insuppor-
ces du ressort civil, sont de simples acces- table 2" par la diffamation publique; ii° par
soires dans un engagement destiné à l'asso- Vabandonnement du mari pàr la femme, ou
ciation des cœurs, des sentiments, des répud- de la femme par le mari; k" par l'attentai
tations et des vies; et puisque toutes les d'un époux à la vie de Vautre; 5° enfin, et
grandes affections ont été constamment comme par post-scriptum, par l'adultère de
jointes à des idées religieuses, puisque, la femme, accompagné d'un scandale public,
dans la société, les serments cimentent tous et prouvé par des écrits émanés d'elle et par
les engagements que la loi ne peut surveil- celui du mari qui tient sa concubine dans la
ler, pourquoi excepter le mariage de cette maison commune. En sorte que de toutes les
règle générale, le mariage, dont la parfaite causes de divorce, la plus commune à la fois
pureté ne saurait avoir de juge et de témoin et la plus. légitime, la seule autorisée dans
que notre propre conscience? L'exclusion l'Evangile, selon les protestants, et qui donne
de la polygamie et du divorce, dit M. Hume lieu, selon les Catholiques, à la demande en
(dix-huitième Essai), fait suffisamment con- séparation, l'adultère, est précisément eelle
naître l'utilité des maximes de l'Europe, par qu'il deviendra désormais impossible de
rapport aux mariages. » prouver car les femmes sont bien averties
(1) La délibération seule. pour savoir si Ton religion catholique; car si l'on a pu admettre le
i
doit admettre le divorce ou le rejeter, est un coup divorce contre les principes de l'une, on pouvait le
<
WPfà porté à la religion protestante comme à la rejeter
i contre les opinions de l'autre.
Î25 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 124
par
par cette loi, qu'elles peuvent tout permet- aussi retardés dans l'ascension qu'ils sont
tre à leur faiblesse, hors d'écrire à leursaccélérés dans la chute.
1 (t -1 1 1
amants; les hommes, tout permettre à leurs En effet, avant Luther et Calvin, il y avait
passions, hors de loger la concubine sous le des passions parmi les hommes, comme il y
même toit que l'épouse; et à moins d'une en a eu depuis, comme il y en aura tou-
solennelle prostitution sur les places publi- jours mais il n'y avait, dans le monde
ques, comment prouver aucun scandale pti- chrétien ni divorces, ni séparations, et
blic là où l'extrême facilité des mœurs per- même on n'était pas loin du temps où les
met toutes les légèretés et ne connaît pres- Papes contenaient les peuples, encore gros^
que plus d'inconséquences? Et certes, on siers et peu éclairés, par de,grands exem-
ne peut s'empêcher de remarquer quelle ples, et frappaient de leurs censures les rois
terrible oppression pèsera sur la femme, qui contractaient des noeuds illégitimes, ou
dont l'état et l'honneur tiendront désormais qui brisaient des nœuds solennels. A peine
à un écrit, dans un temps où l'art d'altérer, la réformation a ouvert aux passions la
de contrefaire les écritures, b été porté à une porte du divorce, qu'elles s'y précipitent en
si déplorable perfection ;1). foule, qua data porta ruuntet lorsque les
Admirez cependant le progrès de certai- divorces commencent parmi les protestants,
nes doctrines, et comment l'hômme, une l'usage, er bientôt l'abus des séparations,
fois écarté du sentier étroit de la vérité, s'é- s'introduit chez les Catholiques, et va tou-
gare à mesure qu'il avance dans les routes jours croissant. La philosophie paraît à la
infinies de l'erreur, et ne peut trouver le fin des temps, et non-seulement elle per-
repos qu'en revenant au point fixe d'où il met, comme les chefs de la Réforme, la dis-
est parti. Grâce à la force de nos lois, et solution du lien conjugal, mais elle le per-
malgré la frivolité de nos moeurs, les formes met avec toutes les variantes de leurs disci-
du mariage étaient, en France, plus sévères, ples elle y ajoute les siennes, et le permet
et ses effets beaucoup mieux assurés de nos pour toutes sortes de motifs, et même pour
jours qu'ils ne l'étaient autrefois. La néces- incompatibilité d'humeur; ou, ce qui revient
sité de la présence du propre pasteur, pour à peu près au même, pour conduite habi-
la validité des mariages prévenait les tuelle qui rend la.vie commune insupporta-
unions clandestines la nécessité du con- ble. Car que ne peut-on pas comprendre sous-i
sentement des parents empêchait les enga- le vague de cette expression, aujourd'hui
gements imprudents et la bâtardise même, qu'avec le dégoût des plaisirs domestiques,
en dépit de la philosophie; devenait de jour causé par la profusion des plaisirs publics,
en jour plus déshonorante. Et même, dans ou par l'excès des plaisirs clandestins, tant
les hautes classes de la société, le divorce, d'hommes et de femmes, consumés de dé-
toléré par les constitutions des empereurs goûts et d'ennui, loin de pouvoir se support
grecs, la répudiation quelquefois pratiquée ter mutuellement, blasés sur toutes les jouis*
chez les Francs; avaient disparu de nos lois sances, et même sur la vie, ne peuvent plus
et de nos mœurs, et le christianisme travail-• se supporter eux-mêmes? Le divorce est
lait depuis quinze siècles à conduire l'hom- permis pour des motifs tels que nul contrat,
me à la perfection de l'âge viril, en lui don- dans la vie civile, ne serait possible s'il pou-
nant sur ses devoirs des idées plus justes, vait être résilié sur des prétextes aussi va-
rendues sensibles par une expression plus gues. Encore une législature, et nous toirn
déeente dans le discours et voilà que dansï bons dans la communauté des femmes et la
moins de trois siècles, une sagesse pure- promiscuité des brutes; car la faiblesse de
ment humaine, tantôt sous un nom, tantôtt l'autorité maritale ne permettrait pas de s'ar-
sous un autre, a fait rétrograder la société5 rêter à la polygamie des Orientaux. Les lé-
gislateurs futurs auraient, pour justifier la
r
jusqu'aux habitudes imparfaites du premierr
âge, et l'a même rejetée au delà de la bar- communauté des sexes, les motifs que les
barie de l'état le plus sauvage; comme sii législateurs passés et présents ont eus pour
les êtres moraux étaient, dans leurs pro- proposer une faculté de divorce aussi éten-
grès, soumis à des lois semblables à celless due; et si les uns y ont été déterminés par
des corps graves dans leurs mouvements, la fréquence des séparations, les autres s'ex^
(1) Le tribunal de Mayence vient de prononcerr fants, pour une lettre injurieuseëe* île par le mari à
le divorce entre le comte et la comtesse de Linan- la femme.
ge Gunlersblum.,qui ont eu ensemble plusieurs en,'t'
caseraient sur la multitude des concubina- qu'un exemple au bout de plusieurs siècles,
ges. Car, n'en doutez pas, législateurs, déjài la législation française en est-elle moins
l'on contracte moins, et bientôt déshonorée dans son principe, et la nation
on ne con-
tractera plus des liens avilis par l'extrêmei française moins affaiblie dans ses lois? La,
facilité de les rompre. « Du temps loi n'ordonne pas le divorce. Législateurs,
que less
divorces étaient en vogue chez les Ro- chez un peuple peu avancé dans les arts, la-
mains, » dit Hume dans ses Essais, les tolérance du divorce est sans danger, parce
« i
mariages étaient rares, au point qu'Auguste qu'elle est sans exemple. A cet âge de la
se vit obligé de forcer les citoyens à se ma- société, l'homme ne voit dans la femme que-
rier. » Etqueljntérêt pourrait faire suppor- la mère de ses enfants et la gouvernante de
ter à l'homme les soins et les embarras do- sa maison. Son amour pour elle est de l'es-;
mestiques, dans un pays où l'homme, avec time, et l'amour de la femme pour sou
une femme et des enfants, n'est pas sûr, époux est du respect. La virginité, la chas-
grâce à la faculté du divorce, d'avoir jamais teté sont en honneur; et tous ces raffine-
une famille? ments de sensibilité, qui présentent un
Ainsi, depuis trois siècles qu'une philo- sexe à l'autre sous des rapports de jouis-
sophie humaine dicte des lois à l'Europe,, sance personnelle et d'affections sentimen-
elle lui a donné le divorce, la démagogie, tales, sont inconnues à leur simplicité. Mais
l'indifférentisme pour toute religion. La lorsqu'une société en est venue à ce point,
France, sa dernière conquête, a supporté le que les folles amours de la jeunesse, ali-
poids de ses mépris et de son orgueil vil ment inépuisable des arts, sont devenues,
sujet de toutes les expériences, et jouet de sous mille formes, l'entretien de tous les
tous ses caprices, elle en a reçu le temps de âges; lorsque l'autorité maritale y est une
la terreur, le règne des sans-culottes, la doc- dérision, et l'autorité paternelle une tyran-
trine de Chaumette et de Marat, la tyrannie nie lorsque des livres obscènes, partout
de Robespierre, le culte de la déesse Rai- étalés, vendus ou loués à si vil prix, qu'on
son, et elle a pu s'appliquer ce que Tacite pourrait croire qu'on les donne, révèlent à
dit avec tant d'énergie des Bretons, derniers l'enfant ce que la nature n'apprend pas mê-
venus sous la domination romaine In hoc me à l'homme fait, et que tout l'étalage de
orhis terrarum vetere fairtulatu novi nos et l'érudition et toute la perfection de l'art sont
viles in excidium petimur. employés à nous transmettre l'histoire des
Ainsi les mœurs de l'homme se sont cor- vices de la Grèce (1), après nous avoir en-
rompues à mesure que les lois de la société tretenus si souvent du roman de ses vertus,
se sont affaiblies, et les lois se sont affai- pour nous corrompre à la fois par les mœurs
blies à mesure que les moeurs se sont cor- de ses prostituées, et par les lois de ses sa-
rompues ainsi les lois ont servi d'aiguillon ges lorsque la nudité de l'homme, carac-
aux désirs, lorsqu'elles n'ont plus servi de tère distinctif de l'extrême barbarie,, s'offre
frein aux passions. Et qu'on ne donne partout à nos regards dans les lieux publics,
pas
comme une preuve de la nécessité du di- et que la femme elle-même, vêtue sans être
vorce la fréquence des séparations. Législa- voilée, a trouvé l'art d'insulter à la-pudeur,
teurs, connaissez la nature humaine et ses sans choquer les bienséances; lorsqu'il n'y
penchants si vous décrétiez aujourd'hui
qu'il est permis aux enfants de repousser a entre les hommes que des différences phy-
siques, et non des distinctions sociales, et
par la force les vivacités de leurs pères, de- qu'à la place de ces dénominations respec-
main vous seriez entourés de parricides. tueuses qui faisaient disparaître les sexes
La loi, direz-vous, permet le divorce;
sous la dignité des expressions, nous ne
mais, loin de l'ordonner, elle en gêne la
sommes tous, le dirai-je? que des mâles et
faculté. Mais s'agit-il de rendre le divorce des femelles lorsque Ja religion a perdu
difficile, ou de rendre le mariage honorable? toutes ses terreurs, et que des époux philo-
Les passions qui luttent aujourd'hui contre sophes ne voient dans leurs infidélités réci-
h loi de l'indissolubilité, respecteront-elles proques qu'un secret à se taire mutuelle-
les barrières dont on entoure le divorce? et ment, ou peut-être une confidence à se
n'y en' eût-il, comme chez les Romains, faire tolérer le divorce, c'est Commander
(1) « On ne croit point,dit Racine dans la pré-i- empruntées, de ses locutions vicieuses, que de-
face d 'Andromaque, « qu'elle doive aimer un autree puis qu'il a été reconnu souverain. Ces uemiu-
corriger le bas
îttavi qu'Hector, ni d'autres enfants que ceux qu'elle
e res gâtent les gens bien élevés, sans do-
$ eus de lui. » peuple, dont il faut respecter la simplessepoli-
(U2) Jamais on ne s'est tant moqué, sur le théâ- [-
mestique, et iie pas exagérer les droits
Jre, des idées bornées du peuple, de ses manièress tiques.
•^ PART. 1. ECONOM. SOC– DU DIVORCE. tw
terneldes
ternel des larmes du désespoir, et reprocher
er trouve l'homme trop bornépour
borné pour qu'on
qu'on puisse,
à ses parents le choix d'un perfide ou que,e, avant l'âge de quinze ans, lui apprendre
peut-être, devenue elle-même coupable par ar qu'il a une âme; les législateurs modernes
la séduction de la loi, elle chercherait dans
ns trouvent l'homme trop imparfait pour qu'ils-
la honte un abri contre le malheur, et n'é-é- puissent lui donner des lois fortes et ce-
chapperait à l'opprobre que par l'impu- l- pendant ils font de l'homme, ils font du peu-
dence. ple le législateur infaillible, le souverain
On parle de population que le divorce 3e universel; et de tant d'imperfections dans^
favorise, et l'on ignore que si l'union des 3S les éléments ils composent la perfection
sexes peuple un pays inhabité la seule so- >- même dans l'ensemble. La loi de Tindisso-
ciété des époux maintient et accroît la po- )- lubilité trop parfaite 1 Eh quoi 1 le législa-
pulation chez une nation formée, et que le teur des Chrétiens au milieu de toutes les
divorce là où le législateur a l'imprudence :e voluptés païennes et de toutes les grossiè-
d'en introduire ou d'en'conserver la faculté,è, retés judaïques, a dit aux hommes Soyex
tue plus de familles qu'il ne fait naître d'en-
3- parfaits (Matth. v, 48), et aussitôt ils ont
fants. Les peuplades sauvages où tous les 3S rejeté de la société toutes ces lois impar-
individus se marient sont faibles et miséra- i- faites ou corrompues de leur enfance; l'escla-
bles et chez les peuples civilisés, où les vage, la polygamie, les spectacles atroces et
3s
besoins de la société condamnent au célibat 1t licencieux, la divination, le sacrifice des vic-
une grande partie de la nation, l'Etat est po-
)- times humaines, l'immolation des animaux,
puleux et florissant. On plaint les épouxx etc., etc. Encore aujourd'hui, des hommes,
que la simple séparation condamne à une ie se disant envoyés par lui, plantent une croix
austère vidui té mais est-ce au législateur ir de bois dans le désert, et, ministres de cette
à soigner les plaisirs de l'individu aux dé- S- autorité nouvelle, ils changent en un jour
pens de la société ? Pense-t-on, avec la fa- i- les usages des temps anciens, commandent
culté du divorce, remédier à tous les désor-- à l'homme nu de se vêtir, à l'homme errant
dres de l'incontinence ? et ne sait-on pas is de se fixer, à l'homme chasseur de cultiver
qu'une chasteté absolue est moins pénible à la terre, au polygame de s'unir à son sem-
l'homme qu'une tempérance sévère ?2 blable d'un lien indissoluble, à J'idolâtre
« Le divorce pour infidélité, »ditMme Nec- d'adorer un seul Dieu, créateur et conser-
ker, « est une flétrissure pour le coupablee vateur et ils sont obéis, et Ja politesse
et un malheur pour l'offensé; mais il nee commence avec le christianisme; et les don-
peut pas être plus permis au parjure de for- - ceurs de la vie, en même temps que les de-
mer de nouveaux liens, qu'à un homme miss voirs de la société et la culture des arts
hors de la loi de rentrer dans le pays où ilil utiles, en même temps que le culte de Dieu
a été condamné; et quant à l'époux ou l'é- et telle est la force de cette doctrine sévère,
pouse outragés le sort est tombé sur euxs d'autant plus naturelle à la raison de l'hom-
pour donner un grand exemple de délica- me, qu'eJle est plus opposée à ses pen-
tesse. Ils pleureront dans le désert commee chants, que des milliers de Chrétiens, donb
la fille de Jephté mais ils vivront solitai- l'esprit était aussi juste que le cœur était
res comme elle, par respect pour des vceuxs droit, ont souffert pour rester fidèles à ses
prononcés en présence du ciel. Beaucoup des croyances selon vous incroyables, à ses
gens se sont destinés au célibat qui n'ontt pratiques que-vous taxez d'impraticables
pas eu des motifs si purs et si respectables. »9 des maux et des tourments que le philoso-
Vous reprochez à la loi de l'indissolubilitéi phe n'endurerait pas pour soutenir sa facile
sa perfection, et il n'est question que de no- doctrine, et conserver ses mœuFs lioencieu-
tre perfectibilité; vous taxez cette loi d'im- ses. Et vous, législateurs,après que l'homme»
praticable, et elle est presque partout prati- sorti de la faiblesse et de l'enfance, aatteint^.
quée, au moins de fait car là même où le à l'aide du christianisme, la mesure de l'âge
divorce est permis, il est toujours plus rare> viril, et la plénitude de la perfections socialè,
que le mariage non dissous. Mais voyez virum perfectum in mensuram œlaiis pleni-
aussi les sophistes, qui accusent de sévérité tudinis Christi [Ephes. iv, 13) vous voulez
ia loi qui punit de mort l'homicide. Etrange le faire redescendre aux puérilités du pre-
inconséquence1 les déistes trouvent l'homme mier âge, et remettre au lait de l'enfance
trop vil pour que L'Etre suprême daigne s'a-• des hommes accoutumés l'aliment subs-
baisser jusqu'à lui. Jean-Jacques Rousseau tantiel de la religion chrétienne. « Vaine »!
I5i OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 152
fausse philosophie,» s'écrie saint Paul, ««qui
qui qu'en revenant à l'ordre qu'elles ont aban-
veut ramener le monde aux éléments de son donné. Car, vous dit votre oracle, si le lé-
enfance, et le faire déchoir de la dignitédu gislateur, se trompant dans son objet, établit
christianisme 1 » Videte ne quis vos decipiat un principe différent de celui qui naît de la
per philosophiam, et inanem fallaciam, se- nature des choses l'Etat ne cessera d'être
cundum elementa mundi et non secundum agité, jusqu'à ce qu'il soit détruit ou changé,
Christum. (Col. n, 8.) et que l'invincible nature ait repris son em-
Le monde verra donc ce qu'il n'avait pas pire. (Contrat social.)
encore vu des législateurs proposer des lois Profitons de cette sage leçon; osons pen-
faibles à un peuple accoutumé à des lois ser comme des êtres raisonnables, et dire
fortes, et qui les réclame comme sa pro- comme des hommes libres que l'Etat n'a
priété il verra des sages, moins sages que de pouvoir sur la famille que pour en affer-
le vulgaire, le forum plus grave que le sénat, mir les liens, et non pour les dissoudre; et
et le théâtre plus austère que le Portique. que si l'Etat détruit la famille, la famille, à
Car le peuple français, même dans les clas- son tour, se venge et mine sourdement l'E-
ses les plus obscures, repousse avec horreur tat. Hélas nous ne disputons pas au gouver-
la faculté du divorce, dont son bon sens, nement le pouvoir terrible, mais nécessaire,
que n'ont point altéré les doctrines philoso- d'anéantir nos familles, en sacrifiant à sa
phiques, lui fait apercevoir l'injustice et le défense ceux que la nature destinait à les
danger. perpétuer et que nous avions élevés dans
« Législateurs,» vous dit-il, « pourquoi les une autre espérance; mais nous lui dispu-
hommes seraient-ils aujourd'hui au-dessous tons le droit-de les corrompre, en y détrui-
de la perfection dans les lois, puisqu'ils la sant l'autoritédans le mari, la subordination
connaissent mieux que jamais, et qu'ils en dans la femme, la dépendance dans l'enfant,
ont fait si longtemps la règle de leur con- et en ne nous laissant pas contre la dépra-
duite ? S'est-il opéré quelque changement vation publique, l'asile des vertus domesti-
dans la nature humaine ? Le Français est-il ques et puisqu'il faut le dire, on n'a que
moins éclairé après un siècle de lumières trop entretenu les peuples du devoir qu'ils
ou moins fort après les jours de ses con- ont de réclamer leurs droits, et on ne leur a
quêtes ? Vous voulez nous rendre meilleurs, jamais parlé peut-être du- devoir qu'ils ont
et vous commencez pas nous permettre d'ê- de défendre leurs vertus.
tre mauvais; vous nous tracez des règles, et Législateurs, vous avez vu le divorce pro-
elles sont moins droites que nos penchants. duire la démagogie, et la déconstitution de
Que voulez-vous que nous fassions d'un la famille précéder celle de l'Etat. Que cette
appui qui ne saurait nous soutenir ? Vous expérience ne soit perdue ni pour votre
nous dites que vous avez consulté nos instruction ni pour notre bonheur. La fa-
moeurs, et vous n'avez pris conseil que de mille demande des mœurs, et l'Etat demande
nos passions; vous avez fait des lois pour la des lois. Renforcez le pouvoir domestique,
volupté et pour l'inconstance vous avez élément naturel du pouvoir public, et con-
obscurci l'œil qui doit éclairer le reste du sacrez l'entière dépendance des enfants, gage
corps, et faussé là règle, pour rendre im- de la constante obéissance des peuples. Gar-
possible le redressement.» dez-vous de créer des pouvoirs, là où la na-
Les rédacteurs du projet ont vu, disent- ture n'a mis que des aevoirs, en décrétant
ils, l'action du temps et la marche des événe- l'égalité civile de personnes distinguées en-
ments, et ils n'ont vu que l'action de l'homme tre elles par des inégalités domestiques.
et la marche de ses passions. L'homme dé- Condamnés à rebâtir l'édifice, puisque vous
tériore, mais le temps perfectionne, parce avez hérité de ceux qui l'ont détruit, et
que le temps découvre la vérité; et au lieu maîtres d'en coordonner toutes les parties
d'enchaîner l'action du temps, comme ils à un plan régulier, n'y laissez ripn de vi-
l'ont dit, il faut aider l'action du temps et cieux, si vous ne pouvez pas en bannir toute
enchaîner celle de l'homme. Ils ont vu quel- imperfection. Un gouvernementsage dispose
ques hommes pratiquer le divorce et ils tout pour le bien même lorsqu'il ne peut
n'ont pas vu la société qui le repousse des pas tout faire pour le mieux; et ce n'est pas
nations même où il est depuis longtemps en un vide à combler que le divorce, comme
usage, et qui, travailléesintérieurement de dit le projet, c'est un chancre à extirper.
ce principe de mort, ne trouveront la paix Depuis dix ans passés, les hommes, en
France, fabriquent des lois faibles et passa- fait de la France la grande nation par ses
gères comme eux déclarez enfin ces lois exploits, faites-en la bonne nation par ses
éternelles, que les hommes ne font pas (1), mœurs et par ses lois. C'est assez de gloire,
et qui font les hommes. Ce n'est pas sur les c'est trop de plaisirs il est temps de nous
fois fondamentales principes de toutes les donner des vertus., Songez que l'âge auquel
lois subséquentes et régfementaires, qu'il la société est parvenue ne permet plus les
est absurde de se livr~r d des idées absolues lois faibles et les molles complaisances qui
de perfection, parce que la bonté de ces lois ne conviennent qu'à son enfance malheur
est absolue, et qu'elles sont immédiatement et honte au gouvernement qui voudrait faire
émanées de la suprême raison de la raison rétrograder l'homme social vers l'imperfec-
universelle,, essentiellement parfaite. Com- tion du premier âge il élèverait l'édifice de
mandez-nousd'être bons; et nous le serons. la société sur le sable mouvant des passions
Faites oublier à l'Europe nos désordres à humaines et il sèmerait le désordre, pour
force de, sagesse comme vous avez effacé laisser aux générations suivantes des révo-
notre honte à force de succès. Vous avez lutions à recueillir.
(1) Biseourspréliminaire du projet de code civil, d'où est également tiré
lignes suivantes. ce qui est souligné dans les
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
' '''
ce, ou directement à Rome, pour obtenir deux sen- nes, que les Polonais ne se font pas scrupule de se
tences conformes, sans lesquelles on ne déclare permettre le divorce. Il est vrai que, pendant plu-
jamais la nullité du mariage-' On a coutume d'allé- sieurs siècles, tadisciptine ecclésiastique <a éléibrtt
guer surtout' deux empêchements, savoir, le dé- relâchée sur cet article en Pologne, etc: {Voy.
faut de la présence'dù curé, et le défaut de consen- ci-dessus,' col. 134- et sùiv..) '
tement, empêché parla crainte révérencielle ce Après; avoir exposé l'abus; Benoît XIV en indique
qui fournit te prétexte au premier empêchement, les causes. {Voy. ci-dessuS, là Bulle de Beneît:.X.tV,
est que les nobles et tés grands possédant dès biens
dans divers lieux, dans ^différents diocèses; objec-
'côK 13iet âuiv.j ;i-•• '' -'
Dé là M.de Ràstignac conclut très-judicieusement
tent que les contractants n'oht pas demeuré dans le que lès dissolutions1 de mariage* ne sont-pas fon-
lieu où le mariage a été contracté,, le temps prescrit 'dées'en Pologne sur Wfacultê du divorce, mai» sur
pour acquérir domicile, ou' quasi domicile. Lians le des raisons de nullité, et sur dès empêchemems
second cas, quelquefois les parents jurent et pro- diiiniants.
duisent dés témoins qui jurent qu'on a fait violen-
ce à la partie. Ges choses alléguées et prouvées, on
prononce la sentence qui déclare que le contrat a
Code matrimonial, to I, page 448.
été nul. Si ces allégations sont fondées sur la vé- L'auteur se propose cette objection « Le divor-
rité, Cest ce qu'il est difficile de croire cependant ce a lieu en Pologne; là preuve en est qu'on y dis-
elles ont coutume d'avoir leur effet dans le for sout tous les mariages formés par contrainte; et
extérieur 'de là, dans notre. Pologne, touchant les comme apparemment on n'est pas -,difficile
principes, te sentiment est lé même que partout ail- sur la
l- preuve de cette contrainte, beaucoup de gens avant
leurs, mais la pratique n'est pas quelquefois la de se marier, font dès protestations qu'ils ne con-
même, à cause des corruptions qui se sont introdui- tractent que dans l'impossibilité de résister à la
tes, jt • ">') violence. » 11 répond « L'usage delà, Pologne, loin
,On s!est donc étrangement trompé dans YJEnçy- d'établir le divorce y est autorisé,' démontré te
dopédie méthodique, Economie politique, tome .II, contraire,que » etc. (Voy ci-dessus, col. 135.)
1" part., mot Divorce, pag. 12], en alléguant la Po-
togne comme « un éxetnp'le toujours subsistant d'un Consultatinn
sur le divorce, demandée en P<flogne
royaumeoù le divorce est compris dans je Code des en '1791.' "•
lois nationales, et s'exerce sans sortir de l'ordre.> J
Avertissement. .Nous Jerminpns par,, ce troi- .Quelles sont les causes pour iesauelles lé divorce
sièaie vol.Hine un long et péiublé travail, que son s'accorde?
RÉPONSE.
RÉPONSE.
La demande de divorce se fait comme les autres
Les raisons pour lesquelles ou peut demander ddemandes judiciaires, en exposant, dass la requêle
le divorce sont ahsolument les mêmes que celles le libelle, les raisons que l'on a de regarder le
eccle- ou
qui rendent nuis les mariages par le droitAempe- e
comme illégitime et de nulle valeur, et
siastique, et qui sont connues sous le nom mariage
i
compris dans cinq vers latins, en
t se présentant pour en donner les preuves. On
ckemenis dirimants, la bulle de Benoît XIV, Dei miseralione,
observe
l
dont voici la traduction
L'erreur, la condition, la profession religieuse, de c
1741.
les ordres sacrés, la différence de religion, un CONSULTATION.
premier mariage subsistant, la parenté, le crime,
l'honnêteté, l'impuissance, la violence. Quels sont les premiers juges du divorce
La Pologne ne connaît point d'autres empêche-
a
La faculté de divorcer est-elle égale pour le mari Le divorce polonais est, comine on l'a dit, une
et pour la femme ? nullité qui diffère cependant en plusieurs points de
RÉPONSE. la nullité réelle ici, par exempt, en considéra-
tion de la bonne foi dans laquelle les époux divor-
Comme le contrat de mariage est commun au cés ont vécu ensemble pendant le mariage, l'usage
mari et à la femme, de même les moyens de de- a établi que la femme, après le divorce, porte le
loi
mander le divorce sont communs à l'un et à l'autre. nom du mari qu'elle quitte. Il n'y a point dedans
pour cela mais devant tous les tribunaux et
CONSULTATION. tous les actes juridiques elle est reconnue sous ce
nom.
Comment se forme une demande en divorce par
le mari ?
Ces raisons ont toutes été réfutées dans le cours
Depuis la première édition de cet ouvrage, le de cet ouvrage, celle surtout sur laquelle on insiste
divorce, a été décrété, et sans doute on devrait l'autorisation
s'interdire de revenir sur cette discussion, si une avec le p'us de complaisance, que déplacéechez
du divorce est inutile, dangereuse,
loi contraire à la nature de la société était jamais qu'elle est utile et né-
définitive, et si., jusqu'à décision contraire, la un peuple naissant, tandis
cessaire chez un peuple avaix é. »
«ause n'était pas toujours pendante au tribunal de Cette assertion est démentie à chaque page de
ta raison. l'histoire, où l'on voit la polygamie ou le divorce
Lorsque, chez une nation éclairée, le législateur tolérés par les lois des peuples naissants s>ans
se résout à porter une loi mauvaise ou imparfaite, danger pour les mœurs, tant qu'une population
il faut soigneusement distinguer les motifs de l'ad- travaux champê-
ministration des raisons de la loi. Les motifs peu- rare et dispersée, l'habitude des l'absence des arts
tres, la médiocrité des fortunes,
vent être puissants, mais les raisons sont toujours agréables, laissent dormir au fond des cœurs la
hausses et si la politique ne permet pas de iié- passion de la volupté, et ne permettent l'usage du
voiler les motifs, la prudence devrait interdire
divorce que comme une ressource contre la sté-
d'exposer leé raisons. rilité, qui n'est un malheur que chez un peuple
Heureusement le législateur ne prend pas à ses naissant mais cette même faculté porte les fruits
périls et risques les discours de l'orateur, et l'on les plus amers, et dégénère bientôt en une corrup-
peut relever les erreurs de l'un sans manquer au tion universelle, là où la multiplication des hom-
respect que l'on doit à l'autre. mes, le rapprochement des sexes, 1 inégalité né-
11 faut en convenir, depuis qu'on écrit pour ou
cessaire des et des richesses, le goût des arts,
contre l'indissolubilité du lien conjugal, on n'avait l'oisiveté et larangs
mollesse, éveillent toutes les passions,
pas donné des raisons aussi' faibles en faveur du appellent tons les plaisirs, font du mariage un
divorce, que celles qui ont précédé le décret qui essai et du divorce un jeu. Un a tous les yeux un
en autorise la ficu'.lé.
exemple frappant Ai cette vérilé, même chez les pourquoi courir après des chimères de perfection,
nations avancées. Le divorce n'est guère pratiqué lorsqu'on a dans les mains les moyens d'ordie tes
que dans les classer aisées de la société, qui sunt plus réels et les plus puissants? L'espèce humaine
aux classes inférieures précisément ce qu'un peuple ne peut pas plus être changée que toutes les autres,
avancé est à un peuple naissant. et l'homme ne serait pas ce qu'il est, s'il n'était
L'assertion du rapporteur est fausse sous un au- pas comme il est. La.loi n'est pas faite pour épurrr
tre aspect encore plus important elle suppose un l'espèce, mais pour réprimer les penchants et pour
peuple chrétien un peuple corrompu, et un peuple les diriger au bien; et que peut désirer d9 plus
n'est jamais corrompu que de la corruption de ses un législateur pour réprimer et diriger les peu
lois, et non des mauvaises mœurs de quelques indi- chants des hommes, et leur imposer des lois fortes
vidus. Lorsque le divorce, condamné par les lois et sévères, que de trouver un peuplé dès longtemps
religieuses du plus grand nombre, est repoussé par accoutumé à leur joug, et où les moeurs du plus
.es mœurs de presque tous, et que les exemples en grand nombre sont en harmonie avec les lois? Chose
sont assez rares pour être remarqués, un peuple est étonnante! on a pu tout à coup soumettre un peu-
bon, et le législateur lui-même rend hommage à ple à la loi de la conscription militaire, qui coûte
sa bonté, et par la répugnance avec laquelle il lui tant de larmes aux familles, et Ton n'ose le laisser
propose la faculté de lu dissolution, et par les dif- sous la loi de l'indissolubilité que presque toutes les
iicultés dont il en entoure l'exercice. Ne dirait-on familles réclament; et il serait plus aisé d'ordon-
pas, à entendre ceux qui ont écrit ou parlé en ner à toute une jeunesse de voler aux combats,
faveur du divorce, que la France est un pays d'a- que de forcer quelques époux à rester unis! Mal-
bomination, où le mariage est une chaîne que tous heureusement ou ne voit que les vices de quelques-
les époux brûlent de rompre; et n'est-il pas sin- uns, et l'on ferme les yeux aux vertus de tous
gulier que l'on donne en France, pour autoriser le vice, qui sort de la règle, est plus aperçu que la
le divorce, dont si peu de personnes encore récla- vertu, qui reste dans l'ordre; par la même raison
ment la faculté, la môme raison que l'on donnerait que, dans une marche, l'on ne remarque que ceux
en Turquie pour ne pas abolir la polygamie qui qui quittent leurs rangs. Osons le dire, après une
est de droit commun, et pratiquée généralement 1 longue et funeste expérience il faudrait faire dans
c Ah sans doute, i s'écrie le rapporteur, « si l'on les grandes villes des lois pour la police, et au mi-
pouvait, par quelque loi salutaire, -épurer tout à lieu des campagnes, des lois pour les niœurs; et
coup l'espèce humaine, la faculté du divorce ne- il est aussi inconséquent de prendre dans la capil,;tle
serait pas nécessaire! s Pourquoi former des des motifs pour les lois, que de chercher dans les
vœux, lorsqu'on peut intimer des ordres? ou plutôt, provinces des modèles pour les arts.
Le divorce, demandé en 1789 par un seul comme ces p récisde moyens de défense que,
cahier, celui dont le duc d'Orléans était dans les grandes affaires, les parties publient
porteur, fut décrété en 1792, vers les jours à la veille du jugement.
funestes des 2 et 3 septembre. Ce fut un M. Malleville, président au tribunal de
grand procès que la nation perdit, comme cassation, et l'un des rédacteurs du Code
tant d'autres, et sans être entendue, contre civil, a rempli cet objet important dans son
ceux qui se disaient ses mandataires. Les écriri)w divorce et de la séparation de corps;
événements en ont relevé appel devant des et si l'on se permet d'ajouter quelques ob-
juges plus éclairés; la question est soumise servations aux raisons sages, fortes et lumi-
à révision dans des circonstances plus heu- neuses qu'il a données contre la faculté du
reuses, et la raison peut comparaître pour la divorce, elles tiennent à la manière générale
défendre. Déjà cette belle cause a été plaidée dont l'auteur de ce Résumé a considéré les
à la section de législation du Conseil d'Etat, questions relatives à la société, dans un ou-
dans plus d'un avis éloquent le tribunal vrage trop récent (Du divorce, considéré au
d'appel de Montpellier (J) s'est honoré à la xixe siècle) pour être connu de ceux qui
défendre, et les dernières réflexions qu'on sont appelés à prononcer sur la question du
émet ici ne peuvent être regardées que divorce. On trouvera dans cet ouvrage le
(i ) On doit remarquer que les tribunaux d'ap- ont le mieux fait sentir les dangers du divorce. Le
pel de Montpellier et de Nîmes, placés au centre. tribunal d'appel de Rome l'a aussi rejeté.
des départements où il y a te plus de protestants
développement îles raisonnements et des faits L'effet du mariage est done la perpétuité
qu'on ne peut qu'indiquer ici. du genire humain; car le genre humain se
Qu'on ne s'étonne pas de fint'érêt o,û'un compose, non des enfants produits, mais
citoyen inconnu, mais ami sincère de sa des hommes qui sont conservés.
patrie, met à défendre l'indissolubilité du Donc le mariage est une bonne loiv car
lien conjugal, il voudrait épargner, s'il est tout ce qui conserve les êtres est bon «u
possible, au gouvernement, une grande bien.
La famille, composée du père, delà mère,
erreur, et'à son pays, une grande calamité.
des enfants, est une société actuelle formée
p-, 'Dés lois et de l'a société.
§ de trois personnes'pouvoir, agent ou mi-
La société est la réunion des êtres sem- nistre, sujet, comme toute société.
blables pour la fin de leur reproduction et Le mariage qui précède la famille et qui
de leur conservation. la produit, formé de l'homme et de la femme,
Les Ibis sont les moyens dont Ta société est une société éventuelle.
se sert pour parvenir à sa fin, en
réprimant La nature n'a pas fixé le terme de cette
les passions des hommes. éventualité, ou fa survenance des enfants.
Les lois sont donc un bien opposé un Ainsi, la'non-survenance des enfants n'est
mal, et une règle établie contre un dérègle- pas une raison de rompre le mariage, puis-
ment. qu'il peut eh survenir (car, s'iî y avait eu
La société est domestique, politique, reli- impuissance, il n'y aurait pas eu de ma-
gieuse; elle est famille, Etat, religion. riage), encore moins d'en cbnlracterunau-
'Les lois, moyen de la société, sont donc tre, dont la fécondité est tout aussi éven-
domestiques, politiques, religieuses. tuelle. Une fois que les enfants sont surve-
La société- domestique réunit les hommes nus, la société, d'éventuelle, est devenue
en corps de famille; la société politique actuelle; s'il y a des enfants produits, il y a
réunit les familles en corps d'Etat; la so- des hommes à conserver ou à former, et il
ciété religieuse, lien universel, a religare, y a raison de ne pas rompre le mariage
réunit, ou devrait réunir en un corps, les car il faut parlerVatson!aties: législateurs.
hommes, les familles et les Etats. Si le mariage est une société éventuelle,
'La loi du mariage est une loi domestique; si cette société est composée de trois per-
la loi de ia succession au trône est une loi sonnes, le père, la mère et l'enfant, le ma-
politique'; 'la loi 'dû culte public est une loi riage est donc réellement un contrat entre
religieuse. trois personnes, deux présentes, une (l'en-
Toutes ces lois sont naturelles, mais d'une fant) absente, mais représentée par le pou-
nature différente; car la famille est naturelle voir public, garant des engagements que
à l'homme l'état politique est naturel aux prennent les époux de former une société;
familles; la religion est naturelle aux hom- car l'autorité publique toujours,
mes, aux familles et aux Etats. dans la famille, la' personne absente, l'en-
§ II. Du mariage. 1
fant avant sa naissance, le père apurés sa
mort Le contrat formé entre trois per-
Le marîagë'èst une loi portée contre l'in- sonnes rie peut être rompu par deux, au
constance de l'homme, un moyen de ré- préjudice de la troisième, la plus faible de
primer l'intempérance de ses désirs. la société et cette troisième personne ne
La! fin d u mariage n'est pas les plai sk-s de peut jamais consentir à une rupture tout à
l'hoWmè,' puisqu'il 'les "goûte hors du ma- son préjudice, parce 'qu'elle est toujours
riage. mineure dans la famille, même alors quelle
•La fin du mariage 'n'est pas seulement est majeure dans l'Etat.
la reproduction 'de!i'ht)mme,! puisque cette Le mariage est une société naturelle, et
reproduction peut avoir Këu sans le ffia- non une association commerciale. Les mises
riage.
Mais là findfu mariage est la réproduHtion, la protection de la force la femme, les be-
y
'ne sont pas égalés, puisque l'homme met
et surtout la con'servàfidnde l'homme, puis- soins de la faiblesse lés Tésùltàts, en cas
que cette conservation ne peut, en général, de séparation, ne sont pas égaux, puisque
avoir lieu hors du mariage, ni sans le ma- i'homrné eri sort avec toute son autorité, et
riage. que la femme n'en sort pas avec touJêSa di-
•
gn'ité,-et que, de tout ce qu'elle. y a. porté, quelque sorte, et, sus pouvaient, uen ren-
pureté virginale, jeunesse, beauté, fécon- dre impossible l'exécution.
dité, considération, fortun,e, elle ne peut, Les partisans du divorce diront-ils que
en cas de dissolution, reprendre que. son c'est un dérèglement opposé à un dérègle-
acgent. ment plus grand? Quel plus grand dérégle-
Le mariage est donc naturellement indis- ment, dans la société, que la dissolution
soluble. même de la société?
Les anciens Font ainsi pensé. voyez Vir- Diront-ils que le divorce est un remède
gile plutôt qu'une loi? C'eçt le mariage qui est
Connabio juDgam stabili, propriamquedicabo. un remède contre l'inconstance de nos dé-
(Mne^ p. i, vers. 73.) sirs et le divorce qui rompt le mariage,
Voyez Tacite, dans les Mœurs des Ger- détruit le remède, rend l'homme à son 'in-
mains « Plus heureuses et plus sages sont constance, et est par conséquent un mal.
Mais ayant de discuter les raisonnements
les cités où les vierges seules peuvent for-
mer les nœuds d'hymenée, et une fois seu- que l'on fait pour la faculté du divorce, et
lement, ouvrir leur cœur aux désirs et aux les faits que l'on allègue en sa faveur, il
espérances de l'épouse elles reçoivent un faut examiner les deux opinions entre les-
époux, comme on reçoit un corps et une quelles se partagent ses oartisàns.
âme, etc. § IV. Dm divorce libre et du divorce légal.
Voyez Denys d'Halicarnasse « Il-donne
les plus grands éloges à ces lois plus an- Rien ne prouve mieux combien le prin-
ciennes de Rome, » dit M. Malleville, « qui cipe du divorce est vicieux, que de voir
interdisaient le divorce; il régnait, » dit-il, ceux qui l'admettent, cherchant un remède
« une harmonie admirable entre les époux, au remède lui-même, y apporter des restric-
produite par l'union inséparable des inté- tions que la raison ne saurait avouer, ou le
rêts. » faire dépendre de conditions impossibles.
L'indissolubilité naturelle du lien conju- Il y a, en effet, deux opinions sur le di-
gal a été reconnue, jusqu'en 1792, par tous vorce les uns le veulent, ou plutôt le vou-
l'es modernes, môme par ceux qui en ont draient aussi libre, aussi facile que le ma-
permis la dissolution. Les rédacteurs du riage même, et n'exigent pour sa pronon-
projet de Code civil avouent en termes for- ciation aucune cause légale et prouvée les
mels cette indissolubilité naturelle le rap- autres le borrrent certains cas spécifiés
d'avance, et soumis, lors de l'événement, à
porteur du tribunal de cassation, lors même
qu'il demande la dissolution du lien conju- une preuve légale.
gai, va jusqu'à dire « Le mariage est une Les deux ay'is ont été discutés au tribunal
de cassation, et sans doute ils n'ont pu s'ac-
société perpétuelle dans son vœu. » Et quels
corder, puisqu'ils ont été soutenus l'un et
sont les vœux de perfection que l'homme, à
l'aide des lois, ne puisse pas accomplir? l'autre dans deux rapports opposés.
Le système du divorce libre est, il faut
§ III. De la séparation et dju divorce. en convenir, plus conséquent que celui du
divorce légal, et, par cela seul, il est tout
Si l'union des époux est un lien naturel, bon ou tout mauvais; car la conséquence*
leur séparation peut devenir un malheur dans le raisonnement est une preuve cer-
nécessaire. taine qu'il y a toute vérité ou toute erreur
La .séparation (qu'on appellea mensfi p a dans la pensée. C'est une équation qui abou-
toro) de corps .et de biens, sans dissolution tit à un résultat également juste, soit qu'il
du lien, remédie à tous les désordres de la donne une quantité positive ou une quan-
désunion des coeurs la raison s'en con- tité négative. « Si le divorce est un mal, »
teHte, mais les passions vont plus loin, et disent les défenseurs du premier système,
elles demandent la dissolution du mariage « il faut le rejeter; s'il est un remède, pour-
.etîa faculté de pouvoir former de nouveau.x quoi le différer ou le mettre à si haut prix ?
noeuds c'est ce qu'on appelle le divorce. Mais ici le malade seul connaît son mal', et
Le premier soin des législateurs est de juge la nécessité du remède. Les délits qui
prescrire, de faciliter res,écutiQn des lois; troublent la paix domestique et rendent le
et le premier soin des législateurs qui por- divorce nécessaire sont purement domesti-
tent la loi du divorce est d'en défendre, .en ques, et ne peuvent être connus, sentis et
jugés que par ies personnes domestiques elles permettent d'épouser plus d'une
comme les crimes qui troublent l'ordre pu- femme 1
blic ne peuvent être connus et jugés que On voit la raison qui fixe la majorité de
par les personnes publiques. L'officier civil vingt-un à vingt-cinq ans, parce qu'il est
est obligé d'unir les époux, sur la notifica- naturel que l'esprit ait acquis toute sa fprce,
tion qu'ils lui font de leur volonté de s'unir; lorsque les organes destinés à le servir ont
pourquoi demanderait-il, pour les disjoin- pris tout leur accroissement on voit en-
dre, autre chose que la connaissance qu'ils core la raison de la loi qui met pour terme
consentir au
lui donnent de leur volonté de se quitter? » au refus que font les pères de
C'est ce que le rapporteur du divorce libre mariage de leurs enfants, l'âge de vingt-
prouve le mieux. « Réduire à des faits pré- cinq ans pour les filles, et de trente pour les
de
cis, » dit-il, « les causes du divorce, c'est garçons, parce que cet âge est déjà celui
le plus souvent ne rien faire, c'est proposer la sagesse, et que, plus avancé, il ne serait
un remède1 aux malheurs, à condition qu'il plus celui du.mariage. Après tout, les en-
ne pourra guérir les malheurs les plus ordi- fants ne souffrent que de ne pas obéir, et la
naires, les plus cruels, les plus intoléra- loi a dû reculer l'époque de la désobéissance
bles. Car où est dans l'action en divorce jusqu'au terme même de la jeunesse. Mais
le fait qu'un mari, qu'une femme puissent où est la raison qui fait que le divorce, né-
poser? où est celui qu'ils puissent prouver? cessaire et permis à une certaine époque du
où est celui qu'on peut juger? » (Voy. l'Avis mariage et à un certain âge de la vie, n'est
dit tribunal de cassation.) plus permis un mois plus tôt ou un mois
Ces raisons sont embarrassantes; les parti- plus tard, quoiqu'il soit aussi nécessaire?
sans du divorce légal ne peuvent y répondre Pourquoi interdire le remède quand on ne
sans attaquer le principe lui-même; et en peut empêcher le désordre ? Pourquoi tant
effet, l'intervention de l'autorité publique de liberté dans un temps, et si peu de li-
dans des querel'es domestiques est aussi berté dans un autre? Pourquoi, le divorce
déplacée que l'intervention du peuple aux jugé, soumettre la partie qui veut former de
jugements publics peut devsnir dange- nouveaux nœuds à un noviciat de deux ans,
reuse. après que la loi lui a permis de rompre un
Mais quelque conséquente que soit cette mariage de vingt années? Mais ce n'est pas
théorie, l'exécution en est impraticable: et tout, le rapporteur du divorce libre veut
c'est ce qui en démontre la fausseté. Aussi, qu'on le vende aux époux au prix de ce qu'ils
après avoir établi à grands frais, dans un ont de plus précieux. Est-ce la justice
long discours, la nécessité du divorce libre, qui vendra le divorce ? Est-ce la partie cou-
le rapporteur conclut par y proposer de pable qui en payera le prix? Et lorsqu'elles
nombreuses limitations; et il est vraiment le seront toutes les deux. Sera-ce en faveur
curieux de voir les efforts qu'il fait pour des enfants? Et quand il n'y en aura pas.
enfanter un mode qui puisse concilier la Sera-ce le demandeur qui supportera le
chimère d'une liberté idéale avec la possi- prix de la vente? Mais si c'est une femme
bilité d'une exécution pratique. vertueuse qui a déjà supporté les mauvais
divorce qu'après cinq traitements d'un époux, le divorce sera-t-il
« Il ne permet le feu où
ans de mariage et avant vingt années. pour elle comme l'épreuve par lé
l'accuséétait obligé de se brûler les mains
« II exige que le mari ait au moins trente Lorsqu'on
pour se justifier du crime de vol?
ans, et au plus cinquante; et que la femme voit le rapporteur chercher, avec ses petites
ait au moins vingt-cinq ans, et au plus qua- lois, à réparer les grands désordres de son
rante-cinq. système, on se représente des ouvriers qui
« Il veut que le demandeur ne puisse multiplient ies étais autour d'un édifice qui
contracter un nouveau mariage que deux ans tombe en ruine, ou un charpentier occupé
après la prononciation du divorce. à fermer les voies d'eau qui s'ouvrent de
couler
« Enfin {et c'est la défense dont il est le tous côtés dans un vaisseau prêt à
plus difficile de pénétrer la raison), il ne bas. Aussi les rédacteurs du Code civil se
ainsi
veut pas qu'on puisse divorcer deux fois'de sont rangés à l'avis du divorce légal,
tribunal de
la même manièredans le cours de sa vie; » que le second rapporteur du
com'mesi les lois pouvaient empêcher d'être cassation. Ils ont même spécifié cinq cau-
s'il en ad-
malheureux plus d'une fois l'homme à qui ses de divorce. Le conseil d'Etat,
met la îaculté, quod du avertant, se déci- quelles affections humaines peuvent égaler
dera pour le divorce légal, motivé sur des l'amitié de la nature1 pour me. servir
causes précises, dont les deux dernières, de l'expression de Bernardin de Saint-
l'assassinat et l'adultère, méritent seules Pierre, et l'ineffable uni-on de l'époux. et,dQ.
l'honneur d'une discussion. l'épouse?
§ V. De l'accusatton d'assassinat. § VI. De Vaduttère^
Ici se présentent des difficultés inextri- Le projet de Code civil distingue l'adui*
cables. N'y a-t-il qu'intention d'assassinat ? tère du mari de l'adultère de Ja femme, et la
il n'y a pas lieu même à accusation. Y a-t-il raison avoue cette distinction. La pluralité des
acte et tentative d'assassinat ? il y a lieu à femmes peut concourir au but de Ja nature;
peine capitale, car sans doute, on ne veut la pluralité des hommes s'en éloigne. L'a-
pas interdire au ministère public le devoirr dultère de la femme détruit la famille,t
de poursuivre la partie coupable d'un aussi l'adultère du mari afflige le cœur de l'épouse.
grand forfait, ni donner aux époux un pri- L'adultère du mari ne donne lieu au di-
vilége d'homicide. Abolira-t-on la peine de vorce qu'autant que le mari loge la concu-
mort précisément pour le conjugicide? il bine sous le même toit que l'épouse; et dans
faut l'abolir pour tous les crimes. Commue- cette disposition, le projet de loi, considère
ra-t-on la peine? où en serait le motif? moins l'adultère en lui-même que l'outrage
Toute la peine ou aucune peine; et la raison, fait à la femme. Mais quel vaste champ n'ou-
dans ce cas, ne connaît pas de milieu entre ivre pas à la licence et aux mauvaises mœurs
t'échafaud et les secondes noces. Mais qu'&r- une pareille disposition? Un époux livré à
rivera-.t-il, si l'on permet à la partie publi- des amours étrangers, n'aura donc qu'à en
que la poursuite de l'époux assassin? C'est placer l'objet près de lui et dans sa maison,
qu'en France, où un sentiment délicat de pour se ménager à la fois l'avantage de se
générosité et même d'humanité ne permet- débarrasser de sa femme et d'épouser sa
tait pas à un maître de se porter pour dé- concubine? Cette loi, oppressive au plus
nonciateur d'un domestique infidèle, un haut degré, punit la femme de ses propres
sentiment encore mieux fondé ne permettra malheurs, et couronne d'un plein succès les.
jamais à un époux de livrer au bourreau désordres de son. éponx. Et quelle est l'au-
l'amie de sa jeunesse et la mère de ses en- dacieuse rivale qui n'obtienne d'un amant
fants. Il ne pourra s'en séparer sans divor- fasciné de l'introduire dans sa maison, cer-
cer, ni divorcer d'avec elle, sans compro- taine, à ce prix, d'y remplacer légalementla.
mettre sa vie; il préférera de la laisser au- légitime épouse?
près de lui, s'il ne peut s'éloigner d'elle ill Et combien, sous un autre rapport, est
redoutera pour la famille le triste bonheur attentatoire à l'autorité maritale, et par con-
de figurer dans les causes célèbres, et il ne séquent à la paix domestique et
aux bonnes
voudra pas marquer ses enfants du sceau de ce moyen ouvert à une femme vio-
l'ignominie. mœurs,
lente et jalouse, d'interpréter les affections
Le crime d'une mère est un pesant fardeau. de son époux envers toutes les femmes que
Et, j'ose le dire, l'esprit français, ce prin- la même maison peut réunir, de tourmenter
cipe actif de mœurs si décentes, de procé- son cœur par des soupçons éternels- et des
dés si généreux, d'actions si glorieuses, se- menaces continuelles d'accusation, de le
rait totalement anéanti, si l'on pouvait nous traîner peut-être devant les tribunaux pour
accoutumer à voir des époux s'arracher l'un y discuter ses actions, y divulguer ses dé-
l'autre du lit nuptial pour se traîner à l'é- sordres, ou y diffamer ses vertus ?
chafaud. Et puis, comment prouver un as- L'adultère de la femme doit être prouvé
sassinat domestique, cette trahison précé- par un scandale public ou par des écrits
dée du baiser, ce poison offert dans la coupe émanés d'elle. Mais d'abord, il ne peut y
de l'union, ce lacet fatal serré dans les ténè- avoir de scandale public lorsque l'usage
bres par des mains fraternelles ce meurtre permet à une femme d'aller de jour ou de
enfin, à qui, dans ce malheureux temps, il nuit, seule ou en compagnie, à déjeûner
serait si facile de donner les couleurs du comme au bal, avec tout homme, pourvu
suicide? Les lois romaines ne supposaient qu'il ne soit pas le sien. Quant à la preuve
pas le parricide les nôtres iraient au-de- par écrit, seul témoignage extérieur que la
vant d'un crime p, us grand encore; car, loi admette, .il est souverainement dange-
reui de faire dépendre la preuve d'un crimee leur, en croyant raconter ce qui est, n'a fait
capotât de certaines conditionsintrinsèques, qu'annoncer ce qui sera.
qui excluent toutes lés autres. Enfin, lorsque deux époux, s'accusant ré-
SI îa toi n'admettait la preuve d'assassinat
it ciprôquëment d'assassinat et d'adultère,
qu'autant que les témoins l'auraient vuu auront succombé à la preuve, les juges-
commettre la clarté
la
du soleil, il suffirait,t,
ne pas
les renverront en paix chez eux; et
l'intervention de l'autorité publique, qui
pour échapper à loi, de le com-i-
mettre avant ou après une certaine heure.>. n'aura pas garanti la vie de la femme, ni ré-
Il y a des lois en Angleterre si précises surr tabJi l'honneur du mari, n'aura abouti qu'à
certaines circonstances du crime, qu'on peutLt entretenir le public de scandales et d'irifa-
encourir une peine afflictive pour avoir bat- mies, à diviser les familles, à rendre une
tu un homme, et n'être pas légalement cou- épouse infâme, ou un époux ridicule.
pable pour l'avoir tué. Ici les amants adul- 1. Toutes ces limitations à la faculté du di-
tères correspondront sans s'écrire, commee vorce, tous les obstacles qu'on y oppose,
ils s'entendéntsans se parler. Alors tout cee peuvent rendre le divorce difficile, mais
qu'un père peut faire de mieux pour le bon-i- l'indissolubilité seule rend le mariage ho-
heur de sa fille, est de ne pas lui donner dëë norable. Et qu'importe que les divorces
notion de cet art funeste car, grâce à laa soient rares, si les époux ne peuvent jamais
chimie moderne et à ses découvertes danss être indissolublementunis? Ce ne sont pas
l'art d'enlever lés écritures, une lettree dés difficultés qu'il. faut présenter aux désirs
qu'une femme aura écrite, même à souu de l'homme, car elles ne font que les entlam-
époux, dans l'intimité conjugale; peut, à mer; c'est l'impossibilité de se satisfaire.
l'aide de circonstances qu'il est facile defairee L'homme, dans ses passions, ne s'arrête qué
naître et d'une suscription qu'il est aiséé devant la barrière qui arrête le Tout-Puis-
de changer, devenir, dans des mains perfi- sant lui-même, devant l'impossible.
des, l'instrument de sa perte, le texte et laa Tout ce qui n'est que fâcheux dans le ma-
preuve d'une accusation d'adultère. riage indissoluble, devient insupportable
Ktqu'on ne dise pas que je suppose lesis dans lé mariage qui peut être dissous. Des
hommes plus méchants qu'ils né sont car ir époux alors sont comme de malheureux
je n'aurais qu'à renvoyer au premier rap- i-
captifs, qui ont entr'ouvert la porte de leur
port du tribunal de cassation. A entendre e prison, et qui sont occupés sans relâche à
le rapporteur, la France est le Ténare, et ?t l'élargir, pour s'y pratiquer une issue. Dans
elle n'est habitée que par des démons. Le,e Je' mariage indissoluble, la femme est de
nombre des époux malheureux et des ma- i- l'homme; dans le mariage dissoluble, la
riages qui offrent le spectacle de victimes at-
{. femme est à l'homme (1) et, l'homme, fort
tachées à leursbourreaux, est incalculable quand elleest faible,'jeùnéquand elle ne l'pst
car il est extrêmement remarquable que les is plus, a, pour la renvoyer, autant de moyens
mêmes doctrines qui nient la corruption n que de désirs. 'Ce sont là des lois pour des
native où originelle de l'homme, exagèrentIt esclaves, et non des lois pour les enfants;
toujours sa corruption sociale. Pour moi,i des lois de crainte, et non des lois d'amour
je suis loin de penser que les mœurs en n "et il vaut mieux toléret l'adultère et même
France soient aussi dépravées qu'il plaît auu l'homicide, que de détruire la société pour
rapporteur de le supposer. 11 est des esprits ,s les punir.
malades qui, pour juger sainement des cho- vïl. Motifs allégués eh faveur dit divorce.
§
ses, auraient besoin de changer d'air; ils neG
voient que Paris, et ils devraient considérer r faut répondre aux objections.
11
ce;
ques,
et, même dans les questions dogmati-
la religion réformée s'est
0
soumise au
le
toire
t(
traire
-1-
If nota d'un village? Cherchons
dans l'his-
.ro'; con-
la preuve' de cette assertion, aussi
aux principes de la raison qu'aux
faits
gouvernement civil, et c'est ce qui fait son ti
d la société Le divorce des premiers mo-
de
erreur et la faiblesse réelle des Etats qui y
Cherchent un appui. ments
w n'est pas le divorce devenu habituel
dans
d un Etat paisible.
S VIII. Faits allégués en faveur du divorce. Le divorce permis chez les Juifs n'était pas
i< nôtre. La répudiation que leur
le loi accor-
Il faut, avant d'entrer dans la discussion
des faits allégués en faveur du divorce, s'ar- ddait au mari seul était un acte de juridiétion,
réter sur une allégation d'un des rapporteurs même
n lorsqu'elle n'était pas un acte de justice;
e le divorce, permis chez les Grecs
et et chez
du tribunal de cassation, M. Target; alléga-
nnous à la femme contre son époux, est un
acte
tion contredite par la raison et par l'histoire,
mais qui a fait quelque fortune auprès des d révolte, même lorsqu'il est excusé par des
de
personnes qui ne consultent ni l'une ni motifs.
» Je sais bien que les doctrines philo-
l'autre. sophiques
s veulent établir l'égalité entre le
dit ce rapporteur, « ont dû se
« Plusieurs, »
mari
n et la femme mais lorsqu'on en vient à
dire que le divorce n'était pas bon à la so- ! pratique, on trouve la nature qui oppose
la
ciété civile, et que l'épreuve en était faite. son
s ordre éternel au désordre passager des
Je crois que c'est là une erreur. Non, le di- théories
t humaines, et qui force le législa-
teur de reconnaître, de déclarer que la femme
vorce des premiers moments n'est pas le t1
mœurs rendaient les adultères et les divor- tion, qui a détruit des réputations de plus
ces si fréquents, qu'en 1779, ils excitèrent la d'un genre, la France, qu'on me permette
sollicitude du parlement, et il y eut des avis, cette expression, a fait sa philosophie sor-
particulièrement celui du duc de.Richmond, tie de ses classes, elle peut juger ses maî-
jour abolir entièrement le divorce. On se tres, et elle doit, dans les matières politi-
contenta cependant d'y mettre de nouvelles ques, consulter sa raison, éclairée aujour-
459 (OUVRES COMPLETES D.E M, DE BO-NALD. m
quelle ne
d'hui par les faits bien mieux qu'elle faire adjuger lete montant dire
montant, à dire d'experts.
d'experts,
dîw les livres.
l'était o»f 3° Une petite partie de la nation regarde,le
~A_
| IX. Observations générales sur le
1 divorce.
divorcei comme toléré, et elle n'usait même
pas de cette tolérance; tout le reste. l;e re-
garde comme un crime, el^ s'il y a quelques
1" Le parlement d'Angteterre a voulu abo- personnes qui la regardent comme, un bien,
lir le divorce, et il l'abolira; car, lorsqu'une on ne. fait pas cïes lois p,o,u.r elles. Permettre
nation a senti le vice d'une loi, elle n'a pas le divorce à tous, ce serait perpétuer gra-
de repos qu'elle ne 1'ait changée. Il est en tuitement les différences, religieuses, source
Europe quelques peuples qui, sortis depuis féconde de dissensions politiques; l'inter-
quelques siècles de l'état parfait des lois na- dire à tous, comme il a été proposé pour
turelles de la société, et tombés depuis ce l'Angleterre, dans son parlement, ce serait
temps dans la corruption, disent, comme remplir un devoir envers la plus grande
l'enfant prodigue « Je reviendrai au lieu partie de la nation, sans faire aucun tort à
d'où je suis parti (1). » l'autre; ce serait surtout préparer les voies
II serait déshonorant pour la France de à l'unité religieuse premier but de tout
descendre à un état imparfait d'où sa rivale gouvernementsage, mais qu'il ne doit jamais
serait la première à sortir, et nous ne som- attendre que de J'instruetion et du temps.
mes pas accoutumés à recevoir de pareils Car l'opinion qu'il faut séparer avec soin
exemples.
2° L'oppressionque le gouvernementexer-
-le religieux du civil n'a pas encore presérit
dans la société,quoique répandue sous mille
cerait sur les trente-neuf quarantièmes de la
formes depuis un siècle. Le gouvernement,
nation, qui regardent le divorce comme un
crime, serait la plus dure que la nation eût sans doute, ne doit pas ordonner tout ce que
la religion prescrit de personnel à l'homme
soufferte depuis dix ans, puisque ce serait
mais il ne doit rien permettre de ce qu'elle
une oppression morale et la corruption des défend de fondamental dans la société, en-
mœurs par les lois. Le gouvernement, pour
la défense de l'Etat, a le pouvoir d'anéantir core moins rien défendre de ce qu'elle or-
donne quelquefois même il peut ia précé-
la famille il n'a, pour aucun motif, il ne
der, et interdire ce qu'elle n'a toléré que
peut avoir le droit de la corrompre.
Et non-seulement il corromprait la famille pour un temps. La religion dirige les vo-
lontés les lois civiles répriment les actions.
par la licence qu'il permettrait aux désirs de Séparer dans la société la direction des vo-
l'homme, mais il en bannirait le bonheur et lontés de la répression desactions, c'est sé-
la paix, par les haines que le divorce ne
manquerait pas d'allumer entre les familles. parer dans l'homme l'âme du corps c'est
matérialiser la société, c'est l'anéantir, en y
En effet, quels profonds ressentiments n'ex- détruisant le principe de sa force et de ses
citerait pas chez ce peuple sensible, juste progrès. La force indestructible, la préémi-
appréciateur du bienfait et de l'offense; que
de larmes, que de sang ne ferait pas couler nence incontestable de la France, consis-
taient dans cet accord du religieux et du ci-
l'affront d'une fille, souvent innocente, ren- vil, plus juste, plus parfait en France peut-
voyée sans honneur et sans nom dans cette
maison paternelle et au sein de ces pa-
être que dans aucune autre nation, et qui,
donnant à sa constitution cet élément théo-
rents qu'elle avait quittés, naguère heureuse eratique qui la distinguait, faisait que l'Etat
et lière de la beauté d'une vierge et de la très-chrétien était l'Etat très-puissant.
dignité d'une épouse 1 Et si le Français dé-
générait au point d'y être insensible, il en i° .personnes qui déplorentla faiblesse
Des
viendrait sans doute bientôt à cet excès d'a- de nos penchants mieux qu'elles :ne jugent
vilissement où est tombé un peuple voisin, les progrès de notre raison, voudraient nous
môme dans les conditions les plus opulen- ramener à de meilleures mœurs par un di-
tes, à évaluer en livres, sous et deniers la vorce sagement restreint. Elles veulent faire
faiblesse d'une femme, le crime d'un sé- de bonnes mœurs pourfaire.de bonnes lois;
ducteur, la honte d'un mari,, et s'en elles. ci.tent à tout propos cet adage- célèbre
(1) Dansée même temps, le parlement d'Angle- première question, ;le décret- qu'il n'av;;ii .pas envie
terre délibérait 'sur l'abolition de l'esclavage des de rendre, et qu'on ne proposait que pour nous ten-
noirs, et sur l'abolition du divorce. Noiis nous hâ- te divorce, qui n'était ni
ter. et nous décrétâmes nos
làmes,pour notre malheur, de prévenir, sur la dans nos mœurs. ni dans lois.
1611 PART. Ï.ECON0M. «OC. DU DIVORCE. RESUME. 162
d'un de leiïrs poëte's rQuiâ
leiïrs'poëte's legës sine mori-
:'Quid 'legt* ipolygamie sont
polygamie sont les plus faibles de toutes .les
de..toutes :les
bus vance proficiunt?
i"o. Les temps anciens ne nations «urqpéennes elles ont moins de a..
ressemblent en rien aux temps modernes. On force d'agression,moinsde force de stabilité et
rfemârqUeaes mœurs 'chez ;les anciens, c'ëât- de vcoDservation. La France, qui rejette le
à-dire l'observation des 'lois domestiques divorce, était la plus forte des nations chré-
plutôt que des lois politiques, et icela doit tiennes, iparce qu'elle était la, plus raisonna
être, parce que tes àbriens, placés plus près ;bîe,ia:plus naturelle dans -ses lois. Si elle
du commencement, se rapprochaient davan- décrète la dissolubilité du lien conjugal, avec
tage du; temps où la famille avait précédé quelques 'restrictions d'ailleurs qu'elle en
l'fiiat. Leurs lois politiques, s'ils en avaient, permette la dissolution, elle posera solen-
étaientextrêmementimparfaites, et Montes- nellement, au six' siècle, après trois siècles
quieu va jusqu'à dire que lés anciens n'«- •de discussions, de connaissances et de.lu-
vaient pas même l'idée d'un gouvernement mières, à la face de l'univers et en présence
établi sur des Jbis fondamentales. Dans'cet de tous les, grands esprits qu'elle a;prod,uïts,
état de choses, les mœurs, loin de trouver •deDeseartes, de Bossuet,deEénelon,de Do-
un appui dans les lois politiques ou reli- mat, de d'Aguesseau, élle posera comme nn
gieuses, n'y trouvaient qu'inconsistance, !principe QUE LES lois DOIVENT .êthè^ius
absurdité, licence et désordre. !Et, par exem- 'FAIBLES A iJHESUK'E QUE 'LES MOECKSISONTïI'LUS
ple, quelle humanité ne ''fallait-il pas dans coRR'oiMPUEs, et que lorsque Jeshommes ne
les^œùrs, là où l'Etat'et même la religion fvoient dans lenaariage qu'une jouissance et
présentaient au peuple le spectacle de Pno-.se'font delà licence un jeu, le divorce' doit
micide comme un passe-tempsou comme un être la peine de l'adultère; le Changement,
sacrifice agréable à la Divinité? Que de tem- le remède de l'inconstance les plaisirs, le
pérance ne fallait-il pas là où la prostitution frein de ta volupté. Xe divorcerfutpermis il
faisait une partie du culte public, là où le y a trois siècles, parce qu'on crut en trouver
divorce le plus illimité' était permis set «es la tolérance d-ans les oracles divins; aujour-
amours infâmes autorisées? Certes, 'des lois d'hui, On le décrétera"utîiquement comme
pareilles ne pouvaient attendre leur correc- une condescendance pour les passions hu-
tif que des mœurs, qui même ne résistèrent maines. Cette toi portée, en 1792, comme la
que peu de temps chez les Romains, et en- conséquence nécessaire d'un système de des-
core moins chez les Grecs, a l'influence truction, et aux cris des victimes égorgées,
puissante de ces lois corruptrices. Mais, on la placera, dix ans après, comme une
depuis que la plus haute sagesse s'est fait base, un principe, dans un système de réé-
entendre aux hommes, comme dit J.J. dification, et au milieu des chants de triom-
Rousseau, et que la connaissance des rap- phe et de paix. A l'époque où les Anglais,
ports naturels dé l'hotûmeavecses sembla- fatigués de sa licence, annoncent le noblp
bles sa servi- 'de base aux-codes-des sociétés, dessein d'en secouer le joug,' les Français la
la raison est de vônae», publique, les lois ont recevront, et bien' plus licencieuse encore
atteint la< perfeetioa, etalors les mœurs, loin la faiblesse honteuse de leurs lois vengeiaa
de servirde correctif- a. des lois faibles, les peuples vaincus du succès de leurs ar-
déserdomiëes et variables, ont trouvé' leurs mes, et, comme chez les Romains
règles dans!des>Iois> fortes et immuables;
alors on; a pu- renverser !a maximedes an- LMuria^incubuit, wctnmque ulcisciliir oibem.
cifins, et dire Quidmôr^ssinelegîbusfeic, (Jcven., Sat. vi, 292.)
et l'on n'a' pias 'dû -attendre la restauration
des mœurs que de labbnté des lois. Ainsi, il
serait 'insensé de' penser -que les: passions ^Mais, s'il suffit d'une seule idée fausse
i:des .hommes éveillées; par la licence des pour dépraver uri'homme, quel serait, pour
arts,! seront 'ptus-modérées lorsqu'elles au- une nation, l'effet d'un principe absurde
ront> plus "de» moyens-de- se -satisfaire, ou dont elle aurait fait !la base 'de sa législa-
qu'après cinquante ans- de ;divôrce il: sera tion ? La raison publique, dont la France, eii
plus aiséde revenir à l'indissolubilité. Europe, était l'organe, en serait obscurcie;
la législation commune des' nations chré-
5oîiJe; finirai -par une réflexion' digne de
tiennes en serait ébranlée, et il serait d»5-
'û'iMV Fàttënti^tfâes'hommes (f Elèt
montré à l'homme, qui voit dans 'la supé-
Les nationsfqui admettentle divorce ou la riorité des lumières le seul titre de prééuïi-
165 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
M
n*nr.e entre les peuples
cence neuules civilisés, que
aue lai le sceptre de l'Europe va passer en d'autres
France est déchue de sa prérogative, et que mains (60).
(60) Le Résumé sur la question du divorce fut loi, en nommant à leurs enfants un tuteur, s'ils
publié au. moment où le conseil d'Etat discutaitL~ avaient des propriétés, ou, s'ils n'en avaient pas,
cette question. L'auteur terminait son Résumé par s'en chargeant elle-même dans ses établissements
cette note, qu'on ne trouve pas dans les éditions publics, les arracherait au malheur affreux de se
suivantes elle mérite cependant d'être conser- voir partagés entre des parents désunis, pour être
vée. élevés dans la haine d'un père ou le mépris d'une
mère, héritiers de leurs ressentiments naturels, et
N. B. Si la loi consacre l'indissolubilité du lien condamnés à les perpétuer dans des haines frater-
conjugal, elle ne doit pas prévoir la séparation des nelles. Cette loi est dure, dira-t-on, mais la loi qui
époux, mais elle doit y remédier quand elle a lieu. impose le montagnard des Pyrénées au quart ou au
On ne règle pas à l'avance comment arriveront les cinquième du produit de ses labeurs, pour creuser
accidents; mais on y porte remède, quand ils sont un canal à Anvers, ou dpnner, à Paris, un feu
d'ar-
arrivés. Lorsque des époux désunis auraient résis- tifice la loi qui fait payer une patente au décrot-
té aux conseils de leur famille, aux larmes de leurs teur, pour fournir des diamants à une actrice, sont-
enfants, au soin de leur propre honneur, et qu'ils elles des lois douces? Est-ce une loi douce que
se seraient séparés, la police, qui est l'administra- celle qui soumet les familles au classement des gens
lion des hommes, trouvant dans la société une de mer, et presque partout aujourd'hui à la cons-
veuve dont l'époux serait vivant, une mère dont les cription militaire? C'est avec des lois fortes qu'on
enfants seraient orphelins, une femme, en un mot, conserve l'Etat, et avec les lois fortes qu'on conser-
hors de toute famille, placerait cet être déplacé, et après tout, la restauration des
ve les familles et,
par conséquent dangereux ou inutile, au sein de la bonnes mœurs, qu'on n'obtiendra que par ces
religion, asile sacré de tous les malheurs ou des que le progrès
moyens, est d'un autre prix conservation
des arts, ou même que la des
toutes tes fautes. Quant aux enfants, premier objett
.de la sollicitude publique, des parents séparés se- frontières.
raient, aux yeux de la loi, des parents morts; et lat
SUR LE DIVORCE.
(ExtraiL du Rénovateur, 25 mai, 1835.}
Puisqu'on ne se lasse pas d'attaquer l'in- pairs; et, en la lui présentant de nouveau,
dissolubilité du lien conjugal, cette pierre veut-elle lui tendre un piège, pour l'accuser
angulaire de la société, il ne faut point se de légèreté et de faiblesse, si elle rétracte sa
lasser de la défendre. première décision, ou d'intentions contre-ré-
C'est pour la seconde fois que dans le volutionnaires si elle y persiste ?
court espace de quelques mois, la chambre Le procédé ne serait ni fraternel, ni
des députés a pris en considération, et voté, même constitutionnel car, en rompant ainsi
sans oser le discuter le rétablissement du l'harmonie qui doit régner entre les pou-
divorce. voirs, il porterait une atteinte grave k la
Elle n'a pas daigné prendre en considéra- constitution
tion le rejet de cette loi par la chambre des Il ne faut pas s'étonner de l'acharnement
que le parti libéral met à emporter la loi duii vert la faiblesse de ceux de ses membres
divorce. Le divorce est le seul point sur le- qui auraient voulu réfuter M. Hennequin
quel la révolution ait reculé car, quoiqu'a- et quelques autres défenseurs de l'iridisso-
près toutes les républiques civiles ou mili- lubilité.
taires, la restauration ait rétabli une monar- Mais la chambre des députés
chie, la révolution n'y a rien perdu, et n'aï a pris sa
revanche de ce silence, et elle a été d'une
fait en attendant mieux, que changer uneJ fécondité remarquable sur les
démocratie populaire en une démocratiei sucres, la
morue, l'huile de baleine, les fers, les ta-
royale. bacs, etc., etc., qui l'ont occupée pendant je
D'ailleurs l'indissolubilité du lien conjugal ne sais combien de mortelles séances; on
est la loi fondamentale et la paix fondamentale eût dit d'une chambre d'épiciers plutôt
de la société et de toutes les sociétés domesti- que
d'une assemblée de législateurs.
ques, religieuses et civiles. Elle est le type dei Ainsi cette chambre qui prend
toute légitimité, et en en permettant la disso- ration tout qu'on lui propose, en considé-
lution le parti libéral trouble tout à la fois, ce n'a pris en
aucune considération ni l'intérêt des enfants
et par un seul acte, la famille, la religion qui, selon J.-J. Rousseau,
rendait. le divorce
et l'Etat. impossible,
D'autres lois peuvent satisfaire des intérêts contrat entreparce que le, mariage étant un
trois
particuliers; celle-ci ouvre une large carrière mère et les enfants, personnes, le père la
ne peut être résilié par
aux passions. Les premiersréformateurs, tous deux des parties au préjudice de la troisième,
prêtres ou religieux, abolirent le célibat du ni l'intérêt des femmes
clergé pour prendre femme, et Erasme le divorce, même lorsqu'elles toujours victimes du
leur reproche le provoquaient,
et plus d'un fauteur du m l'intérêt général de la société
divorce y voit dans un avenir plus ou moins qui domestique
éloigné, l'espoir de changer la sienne con- se trouve rabaissée par la faculté du di-
vorce à la condition faible et vulgaire d'une
tre celle de son voisin. association purement temporaire.
Ainsi les révolutionnaires n'ont jamais Les premiers réformateurs, trouvant le di-
perdu l'espoir du rétablissementdu divorce, défendu par la loi religieuse, le permi-
et l'auteur de cet article avait écrit depuis vorce rent haine de la religion catholique. Si elle
longtemps, que le premier usage qu'ils fe- l'eût en
raient de leur pouvoir, s'ils parvenaient
s'en ressaisir, serait d'en provoquer le retour.
Un intérêt de politique s'attache aussi
à permis, Luther l'eût certainement dé-
fendu. Nos législateurs tombent dans la même
erreur et pour le même motif.
au Ils ont pris l'indissolubilitédu lien conjugal
rétablissement du divorce. On cherche des
non pour un commandement de Dieu, mais
complices et on les trouvera dans les nom-
pour
i un commandement de l'Eglise, comme
mes faibles ou corrompus pour qui l'indisso- l'abstinence
lubilité du lien conjugal est un frein insup-
] et le jeûne. Ils ignorent sans
doute que la répudiation était permise et
portable, dignes auxiliaires des pouvoirs qui (
doivent leur origine à la révolution.
même
i la polygamie, qui n'est qu'un divorce
continu, tolérée chez les Juifs qui n'étaient
Le rapport'sur cette loi a été fait à la {
qu'une
< société imparfaite; mais que depuis
chambre des députés, qui avait dit
en plein que la plus haute sagesse, comme dit J.-J.
tribunal que la loi était et devait être athée c
( maxime la plus coupable qui soit sortie Rousseau, I s'est fait entendre, des mœurs plus
douces, un commerce innocent entre les deux
d'une bouche humaine), et qui, dès lors, c
l'esprit faussé sur ce dogme fondamental de ssexes, progrès de la population, des lu-
le
la société et de l'existence même'du rmières, des arts et des richesses, une dispo-
genre sition universelle plus aimante, tous fruits de
's
humain, ne peut plus avoir s
une idée juste en 1la civilisation chrétienne,
législation morale et politique. ont rendu néces-
ssaire de revenir à la loi du commencement et
Après ce rapport, que la chambre, suivant dde fortifier l'indissolubilité du lien
conjugal
son usage, n'a pas entendu, ni même écouté par F la défense expresse et absolue de Je
elle s'est hâtée de clore les discussions qu'a- r rompre.
vaient commencées MM. Larochefouchaud,
Mais ce qu'on a peine à concevoir, c'est
Thouvenel et Merlin opposés divorce!
au qque nos législateurs n'aient pas pris en consi-
La chambre n'a pas voulu
en entendre dération
d le désordre des mœurs dont ils sont
davantage, soit qu'elle en ait
eu honte, soit les1( témoins et qui est
en partie l'ouvrage do
par prudence, pour ne pas mettre à décou- >1leurs ( lois, et que quand le mépris de la reii-
180
179 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
gion, l'absence,detoute morale, la licence ef- mari i et une femme mécontents l'un de Vau- l'au-
frénée des écrits,
frénfe t vienne interroger leurs dispositions mu-
écrits. des gravures, des représen- tre,
pour juger froidement de leur
1 éloigne-
Il
tations scéniques où l'adultère, l'inceste sont tuelles
t
les principauxressorts de l'action dramatique, ment i réciproque, conses'adoucir,lier à la haine d'ai-
livrent les esprits et les cœurs à toutes les sé- mer, à la fureur de prescrire des
r
ductions et à tous les désirs de jeter la faculté délais
( à l'impatience et des lenteurs à la pas-
du divorce dans la société, c'est une absence sion £ contester à la jalousie ses soupçons et
coeur même sa blessure, et
semble dire à
totale du jugement, de raison, de vertu, un au £
oubli de toute pudeur, une dissolution de des ( époux qui s'accusent réciproquementdes
tous les liens domestiques, une source fé- torts i les plus graves « Attendez, vous n'êtes
conde de crimes, de haines et de malheurs. pas ] encore assez divisés pour que je vous sé-
Et-c'est pour séparer quelques époux mal- pare ] (1). »
heureux ou mécontents, qui auraient trouvé Il n'y a dans cette matière de conséquent
dans la séparation légale un remède licite et que le divorce aussi libre que le mariage, et
fut faite au conseil d'Etat
sans scandale, que l'on met entre tous les ma- la proposition en l'impossibilité de cette loi
riages comme une pomme de discorde, la de Bonaparte; mais
terrible faculté du divorce; car, qu'on ne s'y démontre toute seule l'inconséquence et les
trompe pas, ce mot de divorce adressé dansdangers du divorce.
un moment d'humeur, d'emportement et de On me permettra une comparaison.
jalousie par un des conjoints à l'autre, -laisse Sans doute le besoin de vivre est plus im-
dans le cœur de celui-ci un trait que rien ne périeux que le besoin de divorcer; si le légis-
considération le dernier
pourra en arracher, et l'on peut dire qu'uni lateur, prenant en
divorce seulement pensé sera tôt ou tard uni degré d'indigence d'un malheureux qui ne
divorce consommé. trouve ni travail, ni pain, ni secours d'aucun
de
A la première invasion du divorce, oni genre, portait une loi pour lui permettre
compta un divorce sur cinq mariages je crois> prendre où il pourrait ce qui serait
absolu-
qu'aujourd'hui et dans l'état actuel des mœursi ment nécessaire à sa subsistance et à celle de
on pourrait en compter autant des uns que sa famille, il aurait beau multipner
autour ae
des autres; et quel est dans de telles cir- cette dangereuse faculté les conditions et les
constances celui qui, comptant pour quelqueî restrictions, bientôt le besoin et la cupidité,
la
chose le repos de la conscience et le bonheurr autorisés par loi, éluderaienttoutes les dé-
de la vie, oserait affronter la chance si péril- fenses; la société serait livrée à un brigan-
leuse du mariage? N'est-ce pas dans des con- dage universel, et le droit- de propriété, cette
jonctures semblables qu'Auguste fut obligéé première base de la société, serait anéanti.
d'ordonner le mariage aux citoyens? « Si ona Appliquez cela au divorce, et croyez que
laisse, a dit Mme Necker, aux femmes ma- de quelques difficultés que vous en entoure-
riées la liberté de faire un nouveau choix, rez l'exercice, les passions s'en tiendront au
bientôt leurs regards erreront sur tous less texte de la loi et rejetteront ou éluderont des
hommes, et le seul privilége du parjure less restrictions qui ne leur paraîtront que des
distinguera des actrices, qui ont le droit dess volontés particulièresou des caprices.
préférences et le goût des changements. » C'est ce qui arrive en Angleterre, c'est ce
Je sais que les partisans du divorce, lors- qui arriverait en France; et pourtant, chose
qu'il sera question d'en régulariser l'usage,i, remarquable, l'Angleterre protestante gémit
effrayés de leur propre ouvrage, ne mande- depuis longtemps de la tyrannie du divorce,
ront pas de l'entourer de conditions, de res- 5- et cherche à en restreindre la faculté; dans la
i- .Francecatholique, on veut l'introduire comme
trictions, de difficultés mais toutes ces dilïi-
cultes et tous ces délais, regardés comme des >s une loi de liberté.
conséquences de la loi et qui ne font qu'irri-i- Au reste, rien ne prouve mieux la force de
ter les passions, ne sont au fond que de véri- i- la religion catholique que la résistance que
tables inconséquences. Si le divorce est unn ses sectateurs opposent à la loi du divorce, si
remède, qui peut, mieux que celui qui enn chère aux plus redoutables passions du cœur
souffre, en juger l'urgence et l'opportunité ? humain et dont le calvinisme leur offre, si
Et n'est-il pas, par exemple, tout à fait n- près' d'eux, la permission et l'exemple.
ëibie qu'un magistrat, s'interposant entre unn
(1) Divorce considère au xi\' siècle.
DE LA SOCIÉTÉ ET DE SES DEVELOPPEMENTS.
«une.
d'agression, particulier à la démocratie.
maes hommes, étaient devenues des profes-
(i) Les Romains appelaient magister equkum
mai re de la cavalerie, te premier lieutenant naint né de la repiué h&éditawe, portait ci)«j
roi temporaire, le dictateur; le connéiablo, d™ no)us un nom semblable, comen ftabuli, comte
je
lieuY'- Vè
181 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD, *88
savantes, qui avaient leur noviciat,
sions savantes, tant
1 sont pas rois, goûtent
d'autres, qui ne sont
leurs cours d'études, leurs degrés d'avance- toute
I la réalité, et sans doute avec moins de
ments, des carrières distinctes, un état enfin contrainte;
<
laissons ce faste importun au-
qui occupait l'homme tout le temps de sa quel
<
les rois sont condamnés, et qui, deve-
vie, et l'occupait tout entier. inus pour eux et
dès leur enfance une habi-
Le pouvoir, presque partout, était devenu 1tude, ne peut pas plus occuper
leur coeur
définitivement et complètement héréditaire, qu'amuser
<
leurs yeux; et cherchons dans la
passant de mâle en mâle à l'aîné de la fa- nature
i
intime de la condition royale ce
mille, à l'exclusion des femmes; institution qu'elle a perdu ou conservé des droits natu-
sublime qui couronne la société par l'élé- rels de la condition humaine.
ment qui la commence, et confondant en- La liberté, la liberté d'aller et de venir,
semble la famille et i'Etat, fait, pour la per- de prendre un état ou un autre, de quitter
pétuité de la société, de l'homme qui la gou- les grandeurs ou de les posséder, de se li-
verne, un homme immortel, et ne laisse vrer à l'agitation des affaires ou de vivre
pas, même un instant, vacant ce trône que dans la retraite et dans l'obscurité, de subir
tant d'ambitions, nationales ou étrangères les engagements du mariage ou de s'y refu-
aspirent à occuper. ser la disposition de soi, le premier et le
Dès que le pouvoir était devenu hérédi- plus noble attribut de la nature humaine, et
taire, ses fonctions essentielles, parune ana- dont la privation constitue l'esclavage, le
logie irrésistible et une conséquence néces- dernier degré du malheur et de l'abjection
saire, devaient tendre à devenir héréditai- la liberté enfin n'existe pas pour une famille
res développement naturel, qui faisait de royale elle ne peut descendre du trône, il
l'esprit public un esprit de famille, et des faut qu'elle en soit précipitée; elle ne peut
vertus publiques des vertus domestiques, et quitter les grandeurs, il faut qu'on les lui
conservait ainsi dans les foyers paternels arrache. La politique l'a saisie de sa main
ces traditions d'attachement à ses devoirs, de fer, et l'a enlevée à la nature; et vou-
de respect pour soi-même et pour sa profes- lût-elle terminer enfin une carrière se-
sion, de dévouement au roi et à l'Etat ces mée d'amertumes, de dégoûts et de dangers,
traditions, bien plus précieuses que les con- il faut qu'elle se perpétue par le mariage, et
naissances qui s'acquièrent paroles livres, alors même elle ne peut se laisser aller aux
et qui avaient fait de la magistrature fran- plus doux penchants du cœur, et elle n'est
çaise l'honneur et le modèle de toutes les pas plus libre dans ses choix que dans sa vo-
magistratures du monde. lonté.
C'était le dernier état de la société, l'état La propriété, cette disposition absolue de
le plus avancé, et comme il n'était pas pos- 2e que l'on possède; cette
faculté pleine et
sible de rien instituer de plus parfait, en entière d'user et d'abuser de ce qui est à soi,
voulant améliorer, on ne pouvait que des- qui constitue l'homme vraiment libre, et le
cendre; et. revenir aux institutions de l'en- citoyen n'existait pas pour le'roi de France,
fance. même alors que son pouvoir était absolu.
Mais c'est surtout l'hérédité du pouvoir, et Simple usufruitier, il ne possédait rien qui
la légitimité de succession, cette pierre-an- n'appartînt à l'Etat ? il ne pouvait rien ac-
gulaire de la société, garantie de toutes les quérir en propre qui ne fût réuni au do-
hérédités et sauvegarde de toutes les légi- maine public, après dix ans de possession.
timités, qu'il convient de considérer avec Il ne pouvait rien donner ni vendre sans
une religieuse attention, et dont il faut pé- liberté, sans propriété, seul esclave au mi-
nétrer le secret. lieu d'hommes libres, seul pauvre au milieu
Les esprits superficiels qui ne voient dans de propriétaires, il était tout à tous, et rien
le pouvoir qrfe les jouissances qu'il procure n'était à lui, pas lui-mémé. Aujourd'hui, les
et l'éclat dont il est entouré, veulent à toute rois sont descendus du rang d'usufruitiers
force le considérer comme le maître absolu de la propriété territoriale; ils sont pension-
d'une nation, et s'indignent que trente mil- naires et salariés de la nation, et la majesté
lions d'hommes soient ainsi la propriété royale, le pouvoir suprême de la société, a
d'un seul tandis, au contraire, qu'aux yeux été réduit à un état précaire et dépendant,
d'une raison éclairée, c'est la propriété ina- qui flétrirait l'âme d'un père de famille d'un
liénable de trente millions d'hommes. caractère élevé, lui ôterait toute considéra-
Ecartons ces vaines images d'un luxe dont tion publique, et ne lui permettrait pas
i89
cur
PART
citoyen.
1.,
L ECONOM. SOC.
des droit'
l'exercice des
e
ET
servir), et
vouement et
Même les illusions qui charment tant de de la fidélité deses
1
SES DEVELOPPEMENTS.
1'. nation qui an accepté
n' la
190
son dé-
riM>n"( hn.>. .j~
services ? Et si l'on doute
cette famille royale à rem-
aux rois. A l'eniréee plir ses engagements, ne serait-elle pas en
comme à cette des enfers, il fautt droit de dire à cette nation « Compar6z l'Etat
laisser l'espérance; et, tandis que
pour nous, de la France ;ilya a dix siècles, lorsque l'au-
particuliers obscurs, l'espoir d'une condition teur de ma race monta sur le trône, à celui
meilleure anime toutes nos pensées et sou-i dans lequel je l'ai laissée lorsque les fac-
tient notre courage dans la longue carrière de tieux m'ont
5 forcé d'en descendre; compa-
la vie, les rois, pour qui tout
i
est réalité, rien rez l'étendue, la population, les lumières,
n'est songe, parvenus avant de naître au les richesses, le
dernier terme de tous les désirs et de toutesi arts de la France,commerce,
l'industrie, les
> réduite alors à quelques
les ambitions, ne peuvent, dans les
moments provinces de l'intérieur, à celte même France,
de rêverie où ils se livrent à des chimèress telle
qu'elle était il y a trente ans et si vous
de bonheur, bercer leur esprit
que de l'idée voulez juger sur cette même règle; si les
des plaisirs que goûte la médiocrité,
et plus nouveaux maîtres que vous vous êtes don-
souvent peut-être Jes rois ont envié le sort nés, ont rempli les
des bergers, que les bergers n'ont envié le avaient faites, promesses qu'ils vous
comparez l'état intérieur et
sort des rois. extérieur de la France il y a trente ans, et la
Et je n'ai parlé que de la conaition exté- France telle qu'elle est aujourd'hui, et
rieure de la royauté. Que serait-ce si je pro-
par- noncez. »
Jais de la responsabilité
que lui imposent Et, sans doute, les chances de l'hérédité por-
envers Dieu et les hommes tant de pouvoir tent à la lêtedes Etats comme à celles des famil-
quileur fut transmis, tant de devoirs qui les privées des hommes forts et des hommes
leur sont imposés? Assaillis
par toutes les faibles; foute famillenouvelleque l'usurpation
ambitions,en butte à toutes les plaintes, ils
ne élèverait au trône, n'aurait pas à cet égard
peuvent faire un heureux sansfaire dix mé- de privilège, et très-souvent les rois
les plus
contents, ni accorder une faveur sans risque forts on eu pour successeurs les plus faibles
de commettre une injustice. Trompés des princes. C'est autant pour contenir les
les hommes, trompés sur les choses,
par
ne pou- forts que pour soutenir les faibles, que la
vant démêler la vertu peu empressée à se. nature a donné aux Etats des lois fondamen-
produire, ni se dérober au vice toujours tales, contre lesquelles tout ce qui
se fait
habile à se cacher, toujours en scène
au mi- par violence ou par faiblesse est nul de soi,
lieu de la foule qui épie toutes les faiblesses, dit Bossuet; et les Etats constitués
comme
interprète toutes les paroles, cherche à pé- là France aùraient peut-être plutôt péri par
nétrer tous les secrets, ils se voient continuité de rois forts que par une conti-
Sans cesse assiégés de témoins, nuité de rois faibles. De ces derniers, la
El les plus malheureux osent pleurer le moins. ,France en a eu plus qu'aucune autre société,
et plus qu'aucune autre aussi elle s'est ac-
Mais lorsque l'intérêt d'une nation, le crue en population et agrandie
en territoire,
grand intérêt de sa perpétuité et de sa même sous les plus faibles de ses rois. C'est
tranquillité a dévoué une famille aux périls que la force de la France n'était pas dans
et aux charges du trône, et que pour le salut les hommes, mais dans les institutions et
d'un grand peuple, cette fa:nille a été cru- que le roi, fort ou faible était toujours assez
cifiée à la royauté, pense-t-on que cette na- bon, pourvu qu'il voulût rester à
sa place:
tion n'ait contracté envers elle aucun enga- semblable à la clef d'une voûte qui
en main-
gement, et que ces engagements ne soient tient toutes les parties sans effort, même
pas, pour cette nation, plus rigoureux et sans action, et par sa seule position. La jus-
plus sacrés, à mesure que cette famille a tice du roi de France était force
sa sa force
plus longtemps rempli les siens, et que de- était dans la justice elle n'était
puis plus de temps elle en a porté tout le nelle, fcette force, mais publique etperson-
pas
exté-
poids et subi tous les dangers ? N'est-ce pas rieure, parce qu'elle n'était
pas en lui, mais
là véritablementun contrat social, ou plutôt hors de lui et dans des institutions. Aussi,
un contrat naturel entre la famille qui se toutes les fois que dans des temps de fac-
dévoue ou est dévouée par les événements tion vous entendez accuser la faiblesse, l'in-
flu service d'une nation (car gouverner est capacité des familles régnantes, ne voyez
192
191 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
que des intérêts per- substitué?
substitué ? Usufruitière elle-même dans son
dans ftM inculnatiuns
H*n< ces inculpations aue si
soonels ce sont des architectesqui allèguent existence
e passagère, de ce patrimoineina-
liénable, à quel titre en a-t-elle usurpé la
le mauvais état d'un bâtiment, pour avoir li
l'entreprise de la reconstruction. pleine
P propriété pour le dissiper d'abord en
institutions
il impuissantes, et bientôt en hon-
Sans doute le régent avait plus d'esprit
que Charles V, Choiseul plus que Sully, teuses et cruelles extravagances, et pour of-
t<
Necker plus que le cardinal de Fleury; mais fi à l'Europe, dans un petit nombre d'an-
frir
nées, à la place des leçons de sagesse et de
lorsque les choses sont ce qu'elles étaient en n
France, l'homme médiocre qui maintient est vertu
v que la France lui avait, données pen-
plus habile que l'homme d'esprit qui veut dant
d tant de siècles, l'exemple de toutes les
folies, de tous les crimes, de tout ce qu'il y
faire. les plus dépravés,
Oui, sans doute, la nation française avait a de plus vil dans les coeurs
dde plus féroce dans les penchants les
plus
contracté des engagements envers la maison
abrutis, de plus absurde dans les esprits les
régnante, et tant qu'elles subsistaient l'une a
plus
ï égarés, et pour tout renfermer en un
et l'autre, ces engagements entre toutes les
générations de cette famille et les généra- mot, pour lui donner le spectacle d'une con-
tions corespondantesde cette nation, ratifiés
ventionf
par dix siècles d'existence et de prospérité, Comment s'est opéré ce grand scandàle'.î
ne pouvaient être rompus. au
a sein d'une capitale perdue de luxe et de
Quelle, est la génération insensée qui, au mauvaises
J mœurs, des grands, vaniteux de
mépris de la sagesse ide ses pères et des bel
1 esprit, ont accueilli des sophistes, jaloux
droits de ses enfants, est venue déchirer ce de
( toutes les supériorités de fausses doc-
contrat sacré, briser de ses mains la chaine trines
| ont pénétré dans les conseils des
mystérieuse qui unit- le passé à l'avenir, rois,
i les anciennes maximes de gouverne-
précipiter nos rois du trône, et finir la na- ment ont été mises en oubli on a douté de
tion elle-même, cette nation si grande et si la perfection de nos lois, et la révolution a
majestueuse, véritable reine de l'Europe parIr été faite. Usée par ses propres excès, après
la force, la sagesse et la dignité de ses ins- avoir fait le tour de l'Europe elle a attiré
titutions politiques, autant que par sa lan- l'Europe au foyer même de l'incendie et
gue, sa littérature et son goût pour les arts, l'Europe pour son propre salut, a reporté
de toute
pour commencer une nation nouvelle, dans en France le principe héréditaire
tous les vices et toutes les imperfections de 'société; mais en le replaçant sur sa base,
l'enfance, l'indocilité, l'ignorance, l'engoue- elle a oublié les attaches qui devaient l'y
ment pour les plaisirs et les frivolités, le fixer et aujourd'hui, après trente ans de
mépris de tout ce qui est grand et sévère de révolution, et cinq ans bientôt de restaura-
morale, l'impuissance du repos, le besoin de tion, des inquiétudes, des dénonciations de
l'agitation: une nation qui a voulu être la complots, de séditieuses motions épouvan-
terreurdes peuples dont elle était le modèle, tent la France;encore incertaine^© sa desti-
qui a mis sa gloire à régner par droit de née. Le gouvernement signale le danger, e'
conquête sur cette Europe où jadis elle ré- n'a encore que des paroles pour le préve-
gnait par droit d'aînesse? Que n'a-t-elle pas nir. La France s'étonne de son inaction, et
détruit, cette nation nouvelle, et qu'a-t-elle l'Europe nous contemple en silence état
fondé? Une royauté sans pouvoir, une no- inouï, et dont la honte étalée. aux yeux du
blesse sans devoirs, un clergé sans influence, monde entier, frappe les bons esprits plus
une magistrature sans autorité, une adminis- encore que le danger; et cependant il y a en
tration sans considérationet sans responsa- France plus de vraies lumières et autant de
bilité, des institutions sans dignité, un peu- vertus qu'il y en ait eu à aucune époque de
< pie sans frein et sans morale, jouet de tous sa vie: il y a plus de forces
qu'il n'en fau-
drait pour nous sauver, et tous les jours
les intrigants, dupe de toutes les impos-
tures. quelque nouveau scandale, quelque atteinte
Comment cette génération, qui eût été nouvelle à la sainteté des lois, à la majesté
maudite par nos pères, et qui le sera par des jugements, à la morale publique, à l'au-
nos enfants, a-t-elle pu s'arroger le droit de torité de la religion, à la dignité royale,
réprouver le passé, de déshériter l'avenir, vient flétrir le cœur et attrister jusqu'à l'es-
de le priver de cette succession de bonheur pérance. La France se voit, pour ainsi dire,
privé et d'ordre public, à laquelle il était descendre toute vivante au tombeau* et,
~Er~
t95 PART. J. ECONOM. SOC.
rompre. Qui nous révélera le secret d'une3 gent de tout changer, ou de tout renforcer,
situation sans exemple? sont-ce les institu-
tions qui ne peuvent triompher de la fai- et en vérité il ne faut pour cela ni grands
talents ni grand courage il ne faut
blesse des hommes? sont-ce les hommes que de
la probité, de ee.tte probité sévère qui fait
qui ne peuvent surmonter la faiblesse>
des institutions? l'un et l'autre s abnégation de soi, ne connaîtd'amis et d'en-
sans doute. nemis que les amis ou les ennemis ae l'or-
Les institutions fortes sont les institutions
dre public, prête à tous les sacrifices et
monarchiques les institutions démocrati-
à celui de son repos, et à celui de ses
ques sont les plus faibles de toutes, et les em-
opinions démocratiques elles-mêmes plois.
sont Qu'on veuille enfin, car jusqu'ici on n'a
une faiblesse de l'esprit, si elles sont sincè- eu
res, et une faiblesse de caractère si elles que des velléités d'ordre, et pas une volonté,
qu'on veuille et l'on éprouvera que la
ne le sont pas. France est une terre' si bien préparée
Avec des institutions monarchiques pour
on les bonnes semences, et depuis longtemps
aurait pu, sans trop de danger, employer
des hommes d'opinions différentes par des mains si habiles., qu'il est aussi fa-
et la cile d'y faire germer Je bien, qu'il est im-
force de l'institution aurait triomphé
de la possible que le mal s'y enracine. Le mal
faiblesse et de la mauvaise volonté en
de France ne sera jamais qu'à la surface, et
l'homme.
Mais avec fdes institutions démocratiques comme ces plantes parasites que produit-
il eût fallu de toute nécessité, une terre fertile, qui étouffent un moment
appeler des le bon grain et qu'il suffit d'arracher
royalistes, et seuls ils auraient lutté avec' pour
qu'il pousse des jets plus vigoureux, le
avantage contre la faiblesse des institu- bien retenu dans ses progrès
tions et je n'ai pas besoin dédire par l'exubé-
n'entends pas attribuer aux royalistes que je rance du mal reprendrait de nouvelles fof-
de ces mais on a peur du bien, on a peur du
plus grands talents, mais seulement des
opi- mal, on a peur des hommes, on a peur des
nions plus saines, et par conséquent
plus choses, on a peur de tout; on veut
fortes. On fait tout le contraire les institu- un peu
tions sont beaucoup trop démocratiques de religion, un peu de royauté,
un peu de
et justice, un peu de fidélité, pas trop de toutt
on a écarté les royalistes, et l'on a appelé
des hommes à opinions démocratiques, cela, et partout où il faut de l'amour, là où
ou, il n'y en a pas trop,
ce qui est pire peut-être, des hommes sans on peut dire qu'il n'y
opinion, et la faiblesse des institutions en a pas assez, et quand on le mesure, tou-
jours il en manque. On
s'est accrue de toute la faiblesse de leurs se compose un petit
système, bon, si j'ose le dire,
agents. au coin de
Ainsi toutes nos institutions politiques, son feu, qu'on appelle de la modération,
qui n'est que de l'indifférence, ce
morales et civiles sont faibles comme in- i
avec lequel
fectées de démocratie. Il fallait on
< perd tout, et on se perd soi-même, faute
pour en. d'avoir
( connu-la force irrésistible du bien
corriger la faiblesse les confier
aux admi- ( la faiblesse intrinsèque du
et
nistrateurs les plus religieux, mal Mal-
aux législa- heur, disent les Livres saints,
teurs les plus monarchiques, aux magistrats et cet anathè-
les plus dévoués, aux m ditaires de la fidé- i s'adresse à la politique comme à la
me
litéiaplus éprouvée l'a-t-on fait ? Un ad- rale,
r malheur à vous qui vous balancez mo-
ddeux partis
entre
joint de village s'oppose de son chef « Vœ vobis qui claudkatis in
aux ac-
tes les plus solennels du culte religieux;
duas
« partesl (7~ Reg. xyni, 21.) La
ssagesse humaine en dit autant
un législateur fera entendre au nom de J'ar- « Ce n'est
mée des réclamations menaçantes; les tri- pas
p marcher que marcher entre deux
tis,
t\ c'est attendre l'événement
par-
bunaux retentiront des plaidoyers les plus pour pren-
d conseil du
dre hasard » ea non media, sed
séditieux, des écoliers donneront, leur avis
nulla
n via est velut eventum exspectantium,
sur la législation de l'Etat, des écrivains ci fortunœ consilia sua applkent..(Sijvit-
quo
ébranleront tous les jours les fondements
QUE.)
Q
de la société; la_ royauté
sera comme une
DU PERFECTIONNEMENT DE L'HOMME.
(9 juin 1810.)
19 octobre 18K).
régler. ger
$ toutes; alors il se forme une famille
familles
Chez les peuples enfants, où la famille estt
générale
l ou une nation, de toutes ces
qui, particulières et tous ces hommes particu-
encore la seule société constituée, et 1
tiers, sans lien commun, isolés les uns des
dans l'absence des lois positives, ont mieux
la tradition des lois naturelles, les autres par leurs besoins et plus encore par
retenu leurs passions, sont tôt ou tard, et quelque-
mœurs domestiques sont généralement bon-
l'étaient la famille ne» fois après des déviations plus ou moins lon-
nes si elles ne pas,
l'ordre naturel, personnifiés dans un
pourrait subsister, ou du moins former uni gues de
seul homme, homme général en quelque
peuple. De là, dans les anciennes histoires, un
de là vient, dans les langues mo-
J'innocencedes mœurs patriarcales; et, danss sorte; et
l'innocence des sdernes et les seules exactes, le nom de par-
les antiques fables, mœurs
étaient bonnes chezz ticulier donné à l'individu, iet celui de gé-
de l'âge d'or. Les mœurs donné à celui qui exerce la première
les nérm
les Germains. Elles étaient bonnes chez s la plus importante fonction du pouvoir pu-
Romains des premiers temps, encore aussi,1 et
blic.
peu policés que les Germains et c'est en- sCepassage de l'état
domestique à l'état
core la raison pour laquelle, même dans les
les do- public, constitue l'état politique de la société,
sociétés les plus avancées, mœurs alors tout devient
général, meilleures dans ou simplement l'Etat;
mestiques sont, en s
domestique qu'il était pouvoir,
qui sont toujours au public, de
les classes inférieures, Il
âge la société, et qui appartien- ministres, sujets, lois, mœurs, esprit, admi-
premier de
religion, hommes enfin; et il y a
famille. Mais dess nistration,
nent moins à l'Etat qu'à la des hommes publics, et même, plus tard,
familles, quel que soit leur nombre, nee
forment pas une nation et si elles ont it des familles publiques.
en elles-mêmes les moyens de se
dé- La société,
changé
qu'on y prenne garde, n'aa
de nature; elle n'a fait que se
fendre des passions, et les moyens e de pas
milieu développer et s'étendre. La société publique
subsister, elles n'ont pas encore au u
société domestique ne sont pas égales,
et la
d'elles la cause puissante qui réunit, dis- !g semblables et comme la fa-
défense mais elles sont
posé et met en œuvre les moyens de j_
mille était Etat en petit, un petit Etat,
appelle le un
et de subsistance, et que l'on pou-
l'Etat lui-même n'est qu'une famille eu
voir public. C'est effectivement à la faiblesse
l'absence du grand, une grande famille; familiœ gen-
de l'état domestique et à pou- des nations, dit l'écrivain
tium, les familles
voir public qu'il faut attribuer Je succès de le
jx sacré.
ces expéditions moitié historiques, moitié Ce passage dangereux est la grande crise
fabuleuses, si célèbres dans l'antiquité, qui
ui
lit des
peuples, et décide pour toujours de leur x.
formaient au loin des colonies en déplaçant faiblesse. Il n'a jamais été
force ou de leur
des familles indigènes. C'est à la même cau- u- franchi les Juifs et .par j¡
pleinement que par
se qu'on doit rapporter encore ces famines es
des peuples chrétiens c'est même là la rai-
fréquentes qui désolaient les premiers âges; s;
partisans des lois son de leur force infinie de conservation
car il faut l'apprendre aux le manque infailliblement,
et tout le peuple
agraires, à ces niveleurs des propriétés comme II
203 PART. I. ECONOM. SOC.
s'il trouble l'opération insensible du tempsIS
--
DES LOIS ET DES MOEURS.
Quid
*-tv IV
moressine
Quidmores
M-t l^JJl^ Ul \JJLJ\J IlkJ
sine legibus
legibus bbonisproficiunt?
»
206
'ijïï
onis proficiunt ? Les
ou r7ne 6.,iSnn.t.>>a
nn des événements, c'est-à-dire
a at__ de
..J~ la
1- na- mœurs^même les meilleures, ne peuvent
L-
ture ou plutôt de son auteur, en voulant,t, -ongtemps se conserver sans des lois, par la
avant ou après le temps, faire ou refaire saa raison que la famille elle-même ne peut se
constitution. De nos jours, les Etats-Unis 's conserver ni rien conserver de ce qui lui
d'Amérique y ont échoué, et déjà ils en por- appartient, sans la force et la protection de
-
tent la peine. La France, dans sa révolution, i, la société publique.
n'a pas été plus heureuse, et elle en a long- Aussi, quand les Romains, épouvantés de
temps souffert. la licence toujours croissante de leurs mœurs,
Ce passage est,
pour un peuple, ce qu'estit voulaient en arrêter les progrès, ils invo-
pour un homme le passage de l'enfance oud quaient, et toujours en vain, la sévérité des
de l'adolescence à la virilité passage que mœurs antiques, dont ils n'avaient conservé
e
l'homme ne peut de lui-même et par sess que le souvenir. Quand les Juifs, tombés
propres forces avancer ni retarder, sans con- dans tous les désordres, voulaient revenir à
trarier ou arrêter le développement naturell de meilleures mœurs, ils ouvraient le Livre.
de ses organes. de la loi, et y trouvaient la règle toujours
Il est donc naturel que l'Etat vienne de la vivante de leurs mœurs.
famille, que la constitution politique soit le
i
3 C'est donc avec raison qu'un écrivain de
développement de la constitution élémen- notre temps a dit « Quand un peuple a per-
taire ou domestique et qu'une société, en uni du ses mœurs en voulant se donner des lois
mot, commence comme le monde lui-mêmej écrites, il est obligé de tout écrire, et même
a commencé, et pourrait même commencer les mœurs » et de faire ainsi des lois publi-
encore, par une famille. ques et positives, même des mœurs domes-
Jusqu'à ce passage de l'état domestique àt tiques. Et qui oserait dire tout ce que l'au-
l'état public, les mœurs domestiques avaientt torité publique, chez ce peuple, serait obli-
été à la garde des lois domestiques, comme gée, pour conserver la famille, d'ordonner
la famille elle-même était sous la protection par des lois écrites? Il luifaudrait peut-être,
du pouvoir domestique. Mais une fois l'Etatt tôt ou tard, écrire la fidélité conjugale, le
formé, c'est aux lois publiques ou politiques respect filial, l'obéissance et la probité do-
à maintenir tes mœurs même domestiques, mestiques, surtout la religion et çomman-
parce que c'est au pouvoir public, à conser- der ainsi toutes les vertus, comme elle a dé-
ver et protéger tout, et même la famille. fendu tous les crimes.
C'est ce que les anciens n'ont Nous avons développé les principes im-
pas com-
pris. A la vue des désordres effroyables de portants sur lesquels reposent les lois
leurs mœurs et de l'inutilité de leurs lois, les et les mœurs des sociétés policées il
plus sages s'écriaient peut être intéressant et instructif de faira
l'application de ces principes à l'état politi-
Quid leges sine moribus
Vanae proficiunt. que des Romains, de ce peuple dont l'his-
Que peuvent les lois sans les mœurs ? toire n'est tout entière qu'un cours complet
(Horat., 1. m Carm., od. 18, vers. 3S, 56.) et une grande étude de politique.
Et certes, ils avaient raison d'appeler vaines, L'Etat, chez les Romains, ne vint pas de la
ces lois faites par l'homme, et qui même en famille et ils furent une armée étrangère,
portaient le nom ces lois qui n'avaient, ou plutôt une horde d'aventuriers, avant
sur
les esprits et sur les cœurs, d'autre autorité d'être un peuple. Il leur fallut enlever des
que celle qu'avaient pu leur donner des femmes pour être des familles; s'adjoindre,
hommes réunis dans un sénat
ou attroupés de gré ou de force, des nations entières,
sur la place publique ces lois souvent avi- pour être un peuple; conquérir un territoire,
lies, même avant d'avoir été promulguées, pour être un Etat. Cette origine contre na-
par les motifs connus du législateur, la ture, ce principe de guerre et de violence
ou
lutte publique des pouvoirs. S'ils eussent déposé dans le germe même du corps
été instruits à une autre école s'ils avaient social, et qu'aucune institution ne put cor-
connu l'origine divine de cette législation riger, fut à la fois la cause de la grandeur
élémentaire et naturelle dont toute législa- des Romains et la cause de leur décadence.
tion positive etsubséquente doit être l'appli- Nés pour la gloire bien plus que pour le
cation et Je développement, ils auraient bonheur, disciplinés pour l'agression, plutôt
tourné leur maxime, et ils auraient dire re-
pu que constitués pour la conservation, les Ro-
mains furent toujours plus heureux à s'é- Le pouvoir public laissa au pouvoir do-
tendre qu'à se conserver, et cessèrent de mestique,
n et presque exclusivement, le
plus s'é- droit de glaive, premier attribut, attribut na-
se conserver dès qu'ils ne purent d
du pouvoir même domestique, tant que
tendre. Toujours ils furent grands, jamais- turelt
indépendante, mais qui y est
ils ne furent forts de la force de la stabilité. la
[, famille est
lorsque la fa-
Cet arbre immense étouffa tout ce qui iinutile ou même monstrueux,
croissait sous ses rameaux mais les peu- mille r est sujette de l'Etat.
ples ne purent jamais se réjouir à s,ou Bientôt le pouvoir royal fut aboli. La
ombre. lutte entre trois pouvoirs finit toujours
La constitution politique ne put donc pas d'une t manière ou d'une autre par la réunion
être, chez les Romains, le développement nécessaire i de deux pouvoirs contre un seul
simple et naturel de la constitution domes- et e
c'est là l'unique sauvegarde de la consti-
tique. tution
1
d'Angleterre. Mais la lutte entre deux
Le pouvoir domestiqueest un dansRome, pouvoirs 1
seulement est interminable, ou ne
le pouvoir public fut partagé entre le roi, le peut ]
finir que par l'extermination d'un pou-
sénat et le peuple. La nature constitue, voir, i et quelquefois de tous les deux c'est
divisions
l'homme ne sait qu'organiser. L'opération ce qui arriva à Rome et même les
de la nature est simple et aisée l'opération éternelles et quelquefois
sanglantes du sé-
des tribuns,
:de l'homme est travail, effort, et affliction nat et du peuple, des consuls et
d'esprit, dit le sage; et encore aujourd'hui auraient étouffé la république dans son ber-
l'institution éminemment con-
avec tant de monuments et après tant de re- ceau, sans
cherches historiques, nous pouvons à peinei servatrice de la dictature, véritable monar-
saisir les laborieuses combinaisons de la» chie qui faisait taire toutes les rivalités en
constitution romaine, et cette organisationï réunissant tous les pouvoirs. Ce grand pou-
si savante et si compliquée, de tribus., de3 voir ne paraissait pas toujours dans
l'Etat,
comices, de centuries, d'où naissaient dess mais il était toujours au fond de la
constitu-
Il
rapports politiques si déliés entre les diverss tion, d'où il sortait au besoin et comme
ordres d'Etat. ,n'éiait confié que pour un temps limité, et
Mais si la constitution politique fut faibkt ordinairement dans de grands dangers, il eut
chez les Romains, la constitution de la reli- 'longtemps toute la vigueur
d'une insti-
gion fut forte, et aussi forte que pouvait lec tution récente, et le dictateur
fut presque
caractère, et
permettre la religion païenne. La religion, toujours un homme d'un grand
même idolâtre, et c'est une remarque dee quelquefois d'une grande habileté.
Bossuet, supplée à la faiblesse des lois po-, Il y eut longtemps à Rome des mœurs
litiques. « Elle réunit, » dit J.-J. Rousseau,domestiques. Le terrible droit de vie et de
ces brigands en un corps indissoluble. » port, laissé au père de famille, y maintenait
«
« Elle fut, » dit
Montesquieu, « l'ancre quiIi 'la chasteté dans les femmes, la soumission
retint ce vaisseau dans la tempête. » Car, sisi dans les enfants et les esclaves; et !a pau-
la sim-
l'on y prend garde, la constitution romaine, j, vreté y conservait la tempérance et
comme tout établissement politique qui ri plicité. Il y eut des mœurs publiques, c'est-
n'est pas fait par des insensés, était plus is à-dire du courage et
de l'amour de la patrie,
theocralique qu'on ne pense. au moins tant que Rome eut à craindre
L'autorité des pontifes et des augures per- pour sa sûreté « car il faut, » comme dit
mettait ou arrêtait les délibérations publi- i- Montesquieu, « qu'une république ait tou-
ques, et décidait les opérations même mili- i- jours quelque chose à redouter. » Au fond,
taires. Les Juifs consultaient la volonté de le cet amour de la patrie n'était, chez les peu-
Dieu dans son tabernacle, les Romains inter- r- ples de l'antiquité, qu'une haine
féroce de
rogeaient leurs divinités dans lé vol des oi- i- tous les, autres peuples; et même, dans la
les entrailles des victimes, l'appétit
it langue des premiers Romains, lernotdYmro-if
seaux,
des poulets sacrés ridicules errreurs qui 1i ger était synonyme de celui d'ennemi. Hostie'^
n'étaient quelle travestissement de gran- il- apud majores nostros is dicebutnr, quem\
des vérités! nunc peregrimvm dicimus, dit Cicéron. D'ail-
Le pouvoir, dans l'Etat, était faible par:ir: leurs l'état de guerre est plus favorable que
défaut; le pouvoir, dans la famille, fut Ht: contraire aux moeurs, tant que la guerre ne
i- s'éloigne pas des foyers domestiques, parce
faible par excès car tout excès aussi est fai-
blesse. que des dangers plus présents font taire les
£C9 PART. I. ECÛNOM, SOC. DES LOIS ET PES MŒURS. 210
passions et rendent les affections plus vives attachent pius d'importance
auacneuE plus a importance que les hommes
»3
'entre les membres d'une famille et entre ei- i- d'Etat, toujours et partout assez bonnes
'toyens, et Rome combattit longtemps à quand elles sont fixes, étaient en général
ses
;s
portes; mais en laissant à part les qualités is assez bonnes à Rome, mais n'y furent pas
guerrières, « qui restèrent, » dit Montes- s- plus fixes que les tribunaux, que les Ro-
quieu, « après qu'on eut perdu toutes !es ;s mains ne surent trop où placer dans leur
vertus, quelles étaient les moeurs pu- i- constitution et ce sont le lois politiques,
bliques dons un Etat populaire -et aristocra- et non les lois civiles, qui conservent les
i-
tique, où le peuple même, dès les premiers mœurs on les rétablissent.
-s
temps, se retirait de l'Etat et se séparait duu Il n'était plus temps. Les dernières et hor-
gouvernement pour se soustraire aux usuresis ribles convulsions de Rome expirante y
excessives des-patriciens; où les tribunaux avaient détruit le peu de mœurs qui avaient
s
ne retentissaient que des accusations dess résisté à l'influence des lois et à la dissolu-
provinces contre leurs proconsuls, qui, avec tion de l'Etat.
c
les fruits de leurs exactions, en achetaient Auguste parut enfin. Il aurait conservé ou
it
l'impunité,et où un citoyen était réduit à rétabli, s'il y eût eu à Rome quelque chose
poignarder sa fille de sa propre main devant it à conserver, ou s'il eût été possible de rien
le peuple assemblé, pour la soustraire rétablir de cette société décomposée jusque
auxs
violences d'un premier magistrat?2 dans ses derniers éléments. « Ces terres
Cependant ce qu'il y avait encore de
mœurs sans consistance, » pour me servir d'une
dans la famille et dans l'Etat croulait des belle expression de Bossuet, « croulaient de
e
toutes parts. Rome était devenue l'univers toutes parts, et ne laissaient voir que d'ef-
entier. Des richesses monstrueuses, s froyables précipices. » La famille était dis-
luxe effréné, des arts de toute espèce, una soute par l'égoïsme, qui réduit la société au
unee
jalousie furieuse entre les chefs de Ja répu- moi individuel, son premier et indestructible
blique car elle avait des chefs, cette répu- élément. Les anciennes familles, qui fai-
blique, comme toutes les républiques du saient autrefois l'honneur et la force de
i
monde, en attendant qu'elle eût un maître l'Etat, avaient péri; l'esprit religieux des
une ambition insatiable, une corruption ef- vieux Romains avait été remplacé par un
froyable dans les jugements, fruits inévi- épicuréisme universel, que des malheureux
tables d'une constitution populaire, ven- ou des coupables embrassaient pour étouffer
geaient l'univers de sa défaite et de .l'or- des remords o,u adoucir des regrets, comme
gueil de ses vainqueurs et cette Rome sii ces breuvages assoupissants que l'on prend
forte, surtout contre les faibles, si faible pour calmer des douleurs.
3
elle-même au milieu de toute sa force, étaitt Auguste voulut rétablir la famille, et il ne
bouleversée par les phrases de quelques dé- put qu'ordonner, par des édits, le mariage
magogues elle fut ébranlée par l'audace de3 aux citoyens. Il voulut rétablir le sénat, et
quelques gladiateurs, et presque renverséeî ne put y faire entrer que des affranchis. 11
par une conspiration de quelques débau- voulut rétablir la religion, et ne put rétablir
chés, qui ne serait dans nos sociétés qu'une que ses temples. Il n'y avait plus Rome
intrigue ridicule. que des beaux esprits, et tout ce qu'Auguste
La découverte d'une conjuration tramée aurait pu y instituer, eût été une académie.
î
par une femme de mauvaises mœurs et par En vain pour réussir, il s'était armé de tous,
un jeune dissipateur sans considération ett les titres de la puissance, et avait réuni sur
sans crédit, immortalisa un grand homme; sa téte Ia puissance dictatoriale, la puissance
et il fallut toute l'éloquence de Cicéron, ett consulaire, la puissance tribunitienne, la
plus même que les lois, pour sauver puissance même pontificale. Il était à lui seul
ces
maîtres du monde des fureurs d'un insensé le peuple et le sénat; il était tout, il fui
qui ne méditait la ruine de sa patrie que même un dieu; et avec tant de puissance il
>
pour échapper aux poursuites de ses créan- n'eut pas le pouvoir de créer une société; et
ciers. il lui fut plus aisé de se faire adorer que de
A mesure que les mœurs se perdaient, les. se faire obéir. Ses successeurs ne forent pas
lois se multipliaient. C'étaient des étais à plus heureux, et ils eurent tous la même
un
édifice qui tombe en ruines. Les lois civiles, puissance, et jusqu'aux honneurs divins;car,
j'entends celles qui statuent sur la posses- bons ou'mauvais, le sénat se hâtait de les
sion, ces lois auxquelles les jurisconsultes mettre au rang des dieux, pour n'avoir plus
211 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 212
princes ou même
mmue dépravation des moeurs publiques et
privées,
«Vaiit comme minces
n.ri»r d'eux
ài parler élevés,
de même dans les rangs les plus que
comme hommes, et échapper au danger des tyrans, la
maudire leur mémoire devant un successeur, si le choix des armées donna
au danger plus grand- de la louer. Mais succession héréditaire donna des monstres.
ou Cependant toutes les richesses de l'empire
tel était l'état de ce peuple, que les vices des
suffisaient plus à ces soldats qui, jadis,
plus mauvais maîtres ne pouvaient pas plus ne
hâter sa ruine que les vertus des meilleurs avaient servi sansprodigieusespaye. Ils se faisaient payer
pouvaient la retarder. par des largesses une fidélité de
ne quelques mois et même de quelques jours.
Rome n'était quelque chose dans le monde
l'empire, même lors-
politique que par ses légions; mais ces lé- Ils se faisaient payer
gions, cantonnées aux extrémités dé l'em- qu'ils ne le vendaient pas; et à la fin ils le
découvert le dangereux secret vendirent; et ces généraux qui avaient
pire,, avaient acheté l'empire de leurs soldats, le reven-
de faire des empereurs ailleurs qu'à Rome i
détail à des hordes étrangères
Evulgato imperii arcano posse principem daient en
qu'ils n'avaient plus la force de repousser.
alibi quam Ramas fieri. Devenues étrangères
La société était finie dans l'univers policé,
à leur propre patrie, elles y accouraient de fallut, pour la recommencer, cet Esprit
l'Occident, comme des tem- et il
l'Orient et de
peuple romain un maître à qui renouvelle la face de la terre. ( Psal. gui,
pêtes, portant au 30.) Il fallut recevoir une nouvelle religion
reconnaître, et bientôt à égorger et ellés
de ces Chrétiens qu'on était las d'égorger, et
s'en retournaient dans leurs camps éloignés, nouveaux gouvernements de ces nations
d'en autre, que de
méditant déjà nommer un lointaines qu'on avait cent fois exterminées
quelquefois elles faisaient en chemin. Il ne
cette Rome, qui avait fait peser sur l'uni-
fallait que deux soldats pour donner un maî- et le joug de lois et le scandale de ses
fallait qu'un pour ou- vers ses
tre à l'univers il n'en finit par demander des lois à des.
vrir à toutes les ambitions cette succession mœurs,
proscrits, et des mœurs à des barbares.
ensanglantée et encore. telle était l'horrible
Si l'on voulait donnerune idée juste, com- même d'entreprendre des travaux utiles à
plète et pourtant familière de ce qu'on en- moi et aux autres.
tend dans les divers Etats par gouverne- Un gouvernement, attentif à tout et vigi-
ment, on pourrait dire que c'est une grande tant sur tout, me donne la sécurité même
compagnie d'assurance pour tous les intérêts sur des accidents personnels; il veille, par
légitimes. ses lois et ses moyens de police, à la sûreté
11 faut bien prendre garde des routes, à la salubrité de l'air; et comme
que l'objet de
cette compagnie d'assurance politique n'est je sais que des règlements de voirie ordon-
pas plus que celui des compagnies d'assu- nent de démolir, sur la voie publique, les
rances maritimes ou urbaines, la sûreté des édifices qui menacent ruine, je vais dans les
choses assurées, mais la sécurité de leurs rues sans craindre d'être écrasé par la chute
possesseurs. d'une maison.
En effet, l'assurance maritime n'empêche Cette sécurité qui vient, sans qu'on
pas le bâtiment assuré de couler à fond ou y
pense, d'un ensemblede lois et de mesures,
«fêtée capturé par les pirates, pas plus qui, même sans être aperçues, préviennent
que
l'assurance contre les inceudies ne garantit les désordres publics et particuliers, est tout
les maisons du feu mais le propriétaire sait à fait semblable à celle que
qu'au moyen d'une prime convenue la com- nous inspire la
régularité constante des lois de la nature,
pagnie lui rendra, en cas de perte, le prix de qui fait que j'attends pour l'année suivante
son bâtiment, de ses marchandises, de sn la récolte du blé et du vin qui doit me nour-
maison, de ses meubles, et cette certitude rir, l'eau qui doit arroser mes champs, et
suffit à sa sécurité. la succession annuelle des saisons, néces-
L'assurance politique que nous deman- saire à la santé des corps et à la fertilité de
dons au gouvernement est tout à fait du la terre.
même genre. Le gouvernement
ne peut pas Et remarquez que l'assurance politique
me mettre en sûreté contre une injuste agres- est entièrement semblable à l'assuranco
sion à mon honneur, à mes.biens, à ma vie, commerciale.Dans celle-ci, les assurés don-
à mon pays, la première de mes propriétés; nént à la compagnied'assurance une prime
mais je sais qu'il maintient dans l'Etat une plus ou moins forte, suivant les circonstan-
religion, une morale, un système d'éduca-
tion qui prévient l'injustice et le crime; je ces, prime qui est à la fois un dédommage-
ment pour les risques qu'elle court, et un
sais qu'il à institué des tribunaux pour les sacrifice que font les assurés pour acheter
juger et Jes punir,- et qu'il lève des troupes leur sécurité. Les peuples donnent aussi aux
pour la défense intérieure et extérieure de gouvernements des impôts et des hommes,
l'Etat; et je vis dans une sécurité qui
laisse la libre disposition de me comme une prime destinée à payer les
mon esprit et moyens de tout geîire employés pour main-
de mon corps, me permet de vaquera mes.
devoirs, à mes affaires, à mes plaisirs, et tenir l'ordre, et par conséquent la sécurité
générale.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 3M :(
223
n
La compagnie d'assurance i:»i “.<
politique, où bien bWon rin cultivé; c'est
mal rnltiviS»
ou mal fi'fiSt l'affaire
Pflfïàifé de
'de la fa-'
l'a-
j
t
temps
perdu
1
faisaient le
les hommes qui fniculant
228
qu'il n'a su quelle route prendre. Il
la mal,
mni
faisaient les
lhommes mauvais et cette erreur, trop long-
prolongée, a perdu la France et l'a
lui-même car on n'est pas impuné-
même. ment
r chargé d'un pareil fardeau il faut le
Cependant jamais les principes religieux porter
1 ou en être écrasé.
et politiques de la société n'ont été mieux Partout où il existe un homme que les
connus et plus hautement proclamés jamais circonstances
( semblent appeler à une si
une expérience plus vaste et plus décisive jbelle destinée, il manque à cette sublime
n'a confirmé sur ce point la vérité ou l'er.. vocation,
1
s'il se laisse aigrir pi* de petits
reur des doctrines et les gouvernements, ressentiments,
1
intimider par de petites
qui ferment l'oreille à la raison et les yeux craintes,
i, détourner par de petites intrigues,
j
à l'expérience, cherchant à tâtons des hom- imposer par de petits hommes, éblouir par
mes qui fassent aller un système, au lieu de de petits systèmes, égarer par de petits in-
rétablir les principes qui puissent gouver- térêts car que sont toutes ces petitesses
ner les hommes, compromettent leur exis- près de cette haute mission dont l'honneur
tence et le repos de la société, en exposant ne serait pas trop payé même du sacrifice de
les hommes qu'ils emploient à la mobilité la vie ?
au système, ou le système qu'ils suivent à A toutes les époques de notre révolution,
la faiblesse des hommes. il a paru des écrits sous ce titre Où allons-
C'est une remarque singulière qu'à toutes nous ? On se le demande encore, et cette
les époques de notre histoire révolution- question, si souvent répétée, accuse le gou-
naire, à commencerdès l'Assemblée consti- vernement on ne risque rien de répondre:
tuante, il y a eu en France un homme qui, à la monarchie, car tous les peuples y vont,
par la seule force de sa position et des cir- même ceux qui passent par la république.
<onstances, très -indépendamment de ses Mais si l'on insistait, et qu'on demandât
moyens personnels, a pu sauver l'Etat et ne quel chemin prenons-nous?il serait difficile
l'a pas Voulu. Ce. n'est pas que le courage de répondre car sans décider si nous sui-
ou l'intention lui aient manqué mais il n'a- vons le plus long ou le plus court, il est cer-
vait pas de principes fixes de conduite il tain du moins que nous avons pris le plus
savait ce qu'il ne voulait pas, et ne savait périlleux.
pas ce qu'il voulait; et il est resté immobile
CIVILISÉES.
DES. NATIONS POLIES ET DES NATIONS
“« • !>
250
Ainsi, dans un individu, la politesse est1
ne bâille pas à une farce de la foire, comme
l'agrément
1 agrément des
des manièrps
manières, qui sont aussi un
«ni «nnt nn1 les autres aux meilleures -comédies et la >
art; et la vertu, c'est la bonté des mœurs, >
d'un pâtre
cornemuse plus de gaieté
mettra
qui sont la pratique des lois. et de mouvement dans une danse de villa-
On a pu, sans trop d'inconvénient, em- geois, que tout l'orchestre de nos opéras,
ployer l'une pour l'autre, politesse et civili- dans une réunion d'élégantes et de petits-
sation, tant que les arts et les lois ont été5 maîtres. On peut même soutenir qu'il n'y a
mis, dans l'opinion publique, à la placeî point de progrès dans une progression qui
qu'ils doivent occuper, et traités chacun) n'a point de terme, et le voyageur n'avance-
avec une importance relative à leur objet; rait jamais, s'il ne devait jamais arriver. Les
mais il devient indispensable de les distin- arts changent plutôt qu'ils n'avancent, et
guer, aujourd'hui que certains esprits se3 leur progrès est nul ou du moins insensible,
font, ou peu s'en faut, une religion des arts, parce que leur marche est continuelle. J'en
et que l'on a fait pendant dix ans un jeu dess excepte toutefois les arts de la pensée, dont
lois, même les plus importantes. l'objet est moral, et dont la perfection tient à
Le rapprochement des hommes les politt la bonté des lois et au caractère moral de la
et finit par les corrompre, comme le frotte- société, et qui, pour cette raison, naissent
ment des corps durs, les uns contre les au- tôt ou tard de la civilisation. Mais les lois
tres, les polit aussi, et finit par les user et ont un point fixe de départ, et un terme fixé
les détruire; et c'est sans doute cette iden- à leur développement. Tous les peuples sont
tité dans les 'idées qui a introduit cette partis des lois naturelles ou primitives, tous
identité d'expressions au moral et au physi- doivent y revenir; et la perfection de l'or-
que. dre social ou de la civilisation consiste à
Ainsi la politesse peut avoir son excès déduire de la loi primitive, générale, fonda-
et cet excès est le luxe pris dans un sens mentale, qu'on appelle aussi loi naturelle,
général. La civilisation a son extrême, et les lois secondaires, particulières et d'ap-
cet extrême est la perfection, comme l'ex- plication, qu'on appelle lois positives
trême de la vertu bien différent de son comme des conséquences nécessaires ou
excès, est l'héroïsme. naturelles renfermées dans un principe.
Ainsi la politesse tend au luxe ou au dé-
Ainsi, si l'on place la civilisation' dans les
sordre, la civilisation à la perfection de lois, on a une règle fixe et certaine sur la-
l'ordre et par conséquent la politesse n'est
quelle on peut juger le degré de civilisation
pas toujours le moyen de la civilisation. des peuples, et évaluer, en quelque sorte
Ainsi un peuple poli est un peuple chez
la quantité dont chacun approche ou s'éloi-
qui les arts et les manières sont dans un
état continuel de recherche et de raffine- gne de la perfection. Mais si on la place
dans les arts, on n'a plus de mesure com-
ment. Un peuple civilisé est un peuple qui a
de bonnes lois, peuple bon par conséquent; mune. Chaque peuple sera porté à ne voir
la civilisation que dans l'art qu'il cultivé
car si l'individu est bon par ses moeurs, un a
peuple est bon par ses lois. avec plus de succès. Les Grecs la placeront
dans l'art de la statuaire et de l'architecture
Ainsi un théâtre, une académie, sont des les Romains, dans l'art de la guerre;.les
institutions d'un peuple poli par les arts Anglais, dans l'art du commerce; d'autres
les établissements destinés au soulagement peuples dans d'autres arts. On trouvera,
de toutes les faiblesses de l'humanité sont beaucoup plus de civilisation dans les capi-
les monuments d'un peuple civilisé. tales où les arts sont en honneur,
Il y a cette différence entre les arts et les que dans
es provinces, où il y a de meilleures moeurs,
lois, que les progrès des arts sont relatifs, beaucoup
et moins chez quelques peupless
et la perfection des lois absolue. Lesauvage, chrétiens peu avancés dans les arts,
chez qui les arts nécessaires à la vie sont que chez
au les Grecs et les Romains, où
premier état de simplicité, vit cependant se trouvaient
les lois les plus fausses et les plus
comme l'homme policé, et même plus indé- corrom-
pues. Chaque homme même prendra pour
pendant des besoins physiques et moins règle de son opinion à cet égard, l'art qu'il
sujet aux infirmités corporelles. Même pour cultive, et même le plus frivole; et je doute
les arts d'agrément, lej peuple, dans les so- qu'un 'poëte d'athénée consentît à regarder
ciétés les plus avancées, s'amuse à moins de
comme tfès-civilisé tout peuple qui n'aurais
frais que les classes polies et instruites. Il point de réunions littéraires.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALÇ.
«*
251
Cependant, si un homme appelé par sa arrive
Pendant, ar toujours à la longue, il n'y n'y a pas
pas de
de
de les changer. Une loi civile, par
naissance, son éducation et sa fortune, à raison ra
remplir des fonctions publiques dans la so- exemple, ex permetde retirer,après un certain
ciété, ne peut, passé trente ans, sans se ren- temps, te un fond engagé. La loi serait égale-
ridicule même coupable, faire une ment
w bonne, quand le délai fixé serait plus
dre ou
occupation sérieuse de la culture des arts ou oc moins long, ou même qu'elle ne permet-
qui ne se rapportent pas immédiatement à trait tri que l'aliénation et point l'engagement,
l'objet de ses devoirs, pense-t-on qu'un parce ps que les habitudes des peuples se-se-
l peuple indépendant, un peuple avancé dans raient ra formées sur ce mode de loi comme sur
la carrière sociale, et qui est appelé aussi à l'autre l'a et qu'il n'y aurait dans l'État, ni
remplir des fonctions publiques dans le moins m d'ordre public ou domestique, ni
monde social, doive attacher une si grande moins m de familles, ni moins de propriétés,
progrès des arts qui ont ni moins de productions térritoriales ou in-
importance aux
amusé la société dans son enfance, et qu'il dustrielles di on peut dire la même chose de
doive plutôt employer tout ce qu'il a presque
pi toutes les lois proprement civiles,
ne pas parleur
acquis de force et de lumières, au q> ne peuvent être dangereuses que
qui
reçu ou général, et non par leurs dispositions
perfectionnement de ses lois; et prendre esprit e1
par exemple, si elles
règle de opinions, et pour but de particulières;
pi comme
pour ses général trop populaires, et qu'elles
efforts, la maxime qu'il y a toujours as- étaient
et en
ses à favoriser la classe indigente et
sez de politesse dans toute société où il y a tendissent te
mercenaire aux dépens de la classe proprié-
beaucoup de civilisation ? m
qui supporte à' elle seule, dans la so-
>
II est vrai que les politiques, ou ceux qui taire, ta
croient l'être trop frappés des désordres ciété, ci le poids du jour et de la chaleur, et les
locaux qu'entraîne toujours le accidents
ai des saisons, et les erreurs des ad-
passagers et et les crimes des révolutions,
changement des lois, prétendent qu'un peu- ministrations, n
bien-
pie ne doit jamais changer ses lois bonnes et ei le poids des fonctions, et le joug des
mauvaises, et qu'il suffit à son bonheur séances, et jusqu'aux chaînes que lui impo-
si
ou sent vertus.
et à sa gloire de travailler au perfectionne- s» ses propres
de Cette opinion de circons- Mais les lois domestiques de l'unité et de
ment ses arts. l'indissolubilité
l' du lien conjugal, de l'auto-
tance, plutôt que de raisonnement, est
même aujourd'hui assez générale. Mais le r
rité paternelle, de la primogéniture, de la
constitution dotale, des substitutions, etc.,
conseil serait fort sage, s'il pouvait être c
suivi, et si une société pouvait conserver des etc. e mais les lois publiques de l'unité de
de la nécessité du ministère, de la
lois qui ne la conservent pas. Ces politiques pouvoir, p
succession héréditaire et masculine, del'ina-
sont à peu près comme un médecin qui, sliénabilitésalu- du domaine public, etc., etc., et
pour épargnerson malade une crise 1
taire, mais douloureuse, lui prescrirait de les l autres de ce genre, qui fixent le rapport
soin ulcère poumon, des
d personnes sociales, pouvoir, ministres,
conserver avec un au
vice notable de constitution, sujets,s dans la famille et dans l'Etat, sont
ou tout autre
des lois politiques, qui doivent être
Toute loi fausse dans la constitution d'un toutes
t
c'est-à-dire parfaites, sous peine de
individu est toujours un germe de maladie bonnes, 1
après de longs ne
r conserver ni la société domestique ni la
et un principe de mort; et,
avertissements, la force des choses, et les société S publique; et l'habitude de ces lois,
lois générales de laa conservation, détruisent,' lorsqu'elles 1 sont fausses ou imparfaites,n'est
et souvent avec violence, ce que les hom- c
qu'une prolongation de désordre, et une ex-
pectative assurée de révolutions.
mes n'ont pas su corriger. 1
Les Grecs et les Romains, qui n'avaient
11 fout cependant distinguer les lois pure-
ment civiles, des lois poli tiques c'est-à-dire que < des arts, parce que tout était art chez ces
des lois de régime, des lois de çonstitu- ]
peuples, et même leurs gouvernements et
lion. leurs lois, appelaient Barbares les peuples
celles qui ne connaissaient pas le luxe de leurs
Les lois purement civiles, qui sta- (
possession (car les lois la arts, ou qui avaient des lois domestiques et
tuent sur la sur même publiques plus naturelles que les
propriété sont des lois politiques), sont à ]
Lorsqu'on remarque le grand intérêt, l'in- couvertes des arts mécaniques, grandes ou
térêt presque exclusif que nos philosophes petites on ne peut s'empêcher d'admirer
libéraux portent au commerce, à l'industrie, les changements que les opinions philoso-
aux progrès des fabriques, à toutes les dé- phiques ont subis, et il ne manquerait pas
(i) Retenu loin de la Chambre à laquelle il a lui payer ainsi ce tribut de ses faibles lumières,
l'honneur d'appartenir, l'auteur de cet écrit a cru comme un témoignage de son profond respect
lie son devoir de prendre part, quoique absent, à pour la Chambre, de sa haute considération pour
ses délibérations, en lui soumettant quelques obser- ses illustres collègues, et de ses regrets d'en être
vations sur les lois qui lui sont présentées, et de séparé.
Ï3T PART. I. ECONOM. SOC. DE LA FAMILLE ET DU DROIT D'AINESSE. 258
de matière à un nouveau Bossuet qui vou- Essayons cependant de distinguer, par
drait écrire l'histoire de leurs variations. leur caractère et leurs effets, par leur in-
J.-J. Rousseau n'admirait que la nature fluence différente sur l'esprit et les habitu-
qu'il ne voyait que dans l'état sauvage il des des hommes, sur la constitution même
nous aurait volontiers ramenés à manger la des Etats,1 deux choses que l'on veut con-
chair crue, à nous vêtir de peaux de bêles, fondre aujourd'hui et placer au même rang
et à dormir à l'abri des arbres ou dans des dans la société, l'agriculture et l'industrie.
antres et la nature sauvage, et l'indépen- Cette question n'est pas étrangère à la pro-
dance du sauvage des hommes et des be- position de loi soumise aux Chambres sur
soins, et sa bonté naturelle, et sa vigueur le droit d'aînesse, puisque ceux qui veulent
corporelle, furent alors le texte de toutes l'établir ou le permettre à la famille proprié-
ces déclamations contre la société où l'on ne taire, n'ont jamais entendu l'étendre à la fa-
voyait que servitude, faiblesse, crimes et mille industrielle.
malheurs, L'agriculture nourrit ceux qu'elle a fait
Ces durs Spartiates sont devenus d'effé- naître l'industrie a fait naître ceux qu'elle
minés Sybarites; ils ne parlent plus que ne peut pas toujours nourrir.
d'arts et d'industrie qui multiplient les be- L'enfant qui vient au monde dans une fa-
soins et les jouissances, et ils voudraient mille agricole trouve sa subsistance assurée
nous voir tous dans des palais filer des jours d'avance, et la terre que ses parents culti-
d'or et de soie. De frugalité, de tempérance, vent et qu'il cultivera à son tour, l'attendait
de modération dans les désirs, il n'en est pour lui donner du pain.
plus question tout se réduit pour l'homme L'enfant qui naît dans une famille indus-
en société à produire pour consommer et à trielle attend sa subsistance du salaire
consommerpour produire; etla société tout qu'il gagnera si un maître l'emploie, et si
entière est à leurs yeux divisée en deux son industrie n'est pas traversée par les évé-
classes, de producteurs et de consomma- nements qui peuvent la faire languir ou
teurs. Les philosophes des derniers siècles chômer, et empêcher la vente de ses pro-
déclamaient aussi, et avec amertume et ar- duits.
rogance, contre la guerre, les conquêtes et L'agriculteur vit de ses denrées lors même
les conquérants et lorsqu'ils ont cru que qu'il ne les vend pas l'industriel ne peut
les conquêtes se faisaient au profit de leurs vivre s'il ne vend les produits de son tra-
drctrines, ils ont embouché la trompette en vail.
l'honneur du conquérant, et même leur phi- Ainsi la famille agricole est, pour son
lanthropie; leur bienfaisance et leur huma- existence, indépendante des hommes et des
nité lui ont pardonné ces guerres effroya- événements; et la famille industrielle est,
bles où le plus puissant moyen de succès a pour la sienne, dépendante des uns et des
été un profond mépris de l'espèce humaine autres.
sacrifiée sans pitié aux rêves de l'ambition Une exploitation agricole est vraiment
la plus extravagante, une famille dont le chef est le père pro-
Mais c'est surtout de l'industrie, la plus priétaire ou fermier, il s'occupe des mêmes
dépendante des professions, qu'ils procla- travaux que ses serviteurs, se nourrit du
ment aujourd'hui l'indépendance. C'est le même pain et souvent à la même table.
commerce qu'ils regardent comme le lien des Cette exploitation nourrit tous ceux qu'elle
peuples et le garant de la paix du monde, a fait naître. Elle a des occupations pour
quoique djes jalousies de commerce aient tous les âges et pour tous les sexes, et les
été le sujet de toutes les guerres qui se sont vieillards qui ne peuvent se livrer à des tra-
faites depuis longtemps, comme elles le se- vaux pénibles, finissent leur carrière comme
ront de toutes celles qui se feront à l'avenir. ils l'ont commencée, et gardent autour do
C'est au commerce qu'ils attribuent l'espritt la maison les enfants et les troupeaux.
de liberté qui s'est répandu en Europe, quoi- Rien de semblable dans la famille indus-
que tous les commerçants, et même les plus trielle dont les membres travaillent isolé-
riches engagent tous les jours, à toute ment et souvent dans différentes industries;
heure, leur -libertépersonnelle en la sou- et sans connaître le maître autrement que
mettant à la contrainte par corps, pour les par l'exigence de ses commandes et la mo-
plus petites sommes comme pour les plus dicité de leurs salaires. L'industrie ne nour-
grandes. rit ni tous les âges ni tous las sexes; elle
emploie, il est vrai, l'enfant et souvent tro, rait amèrement la dégénération de la belle
jeune pour qu'il ait pu acquérir de la force population du pays, depuis qu'on y avait
et de la santé, et recevoir quelque instruc- établi des fabriques et des manufactures.
tion, mais elle l'abandonne dans l'âge avanr.é Aussi, je ne crains pas d'avancer qu'il n'y
et quand il ne peut plus travailler: il n'a de a nulle part plus de mendiants que dans les
pain que celui qu'il prend sur le salaire de villes manufacturières et les pays à grande
ses enfants ou qu'il reçoit de la charité pu- industrie. L'Angleterre en est la preuve,
blique. puisque, malgré ses immenses fortunes et
L'agriculteur travaille du lever au cou- son industrie si étendue et si perfectionnée,
cher du soleil, jamais la nuit. 11 se repose une grande partie de ses habitants est à la
le dimanche et reprend ses travaux le lundi. charge des propriétaires. La taxe des pau-
L'industriel travaille même la nuit pour ga- vres y est un impôt accablant; qu'importe
gner de plus forts salaires, surtout quand il que ses pauvres soient mieux vêtus et mieux
travaille chez lui et hpièees; et qu'il se re- nourris que les nôtres, s'ils ne sont vêtus
pose ou non le dimanche, échauffé par un et nourris que par la charité publique et les
travail forcé, il fait débauche le lundi. bureaux de leurs paroisses?
L'un travaille debout, à l'air libre il se Cette taxe des pauvres, si l'on n'y prend
fortifie par les travaux durs et pénibles des garde, s'introduit en France sous d'autres
champs, exerce son intelligence par les dé- formes, et s'étend et s'aggrave à mesure des
tails nombreux et variés de la culture des progrès de l'industrie. N'est-ce pas une taxe
terres, des arbres, et l'éducation des bes- des pauvres que ce nombre toujours crois-
tiaux. Il dompte les animaux et force une sant d'enfants trouvés ou abandonnés, de
nature rebelle à reconnaître ses soins; l'au- détenus, de forçats, dont l'entretien est pris
tre travaille accroupi et sédentaire, tourne sur les impôts, et par conséquent supporté
une manivelle, fait courir une navette, ral- par les particuliers; et ceux qui s'occupent
lie dès fils il passe sa vie dans des caves de statistique pourraient se convaincre que
ou des galetas; et devenu machine lui- ces pauvres publics, ces pauvres de l'Etat
même, il exerce ses doigts, jamais son es- dont il faut mettre les uns même en nour-
prit, et l'on peut dire qu'il n'y a en général rice, et tous entretenir, garder et surveiller,
rien de moins industrieux que l'indus- viennent rtes ateliers de l'industrie en plus
triel. grand nombre que des exploitations agri-
Tout développe l'intelligence de l'agrïcul- coles R?
.eur et élève sa pensée vers celui qui donne Je ne parle point de cette industrie locale
a fécondité à la terre, dispense les saisons, ou, si l'on veut, nationale, compagne de l'a-
fait mûrir les fruits tout rabaisse l'intelli- griculture, qui met en œuvre les produits
gence de l'industriel, qui ne voit pas au du sol pour les besoins de ceux qui le cul-
delà du maître qui J'emploie ou tout au tivent. De celle-là, il y en a toujours, il y en
plus, de l'inventeur de la machine à laquelle a partout; et toujours et partout on a bâti
il est attaché. des maisons, filé le lin et la laine, forgé des
Ainsi, l'on peut dire que l'un attend tout armes et des ustensiles, et exercé, en un
de Dieu, et que l'autre reçoit tout de mot, tous les arts nécessaires à la subsis-
l'homme. tance des hommes. Je parle de cette indus-
L'agriculteur communique à ses voisins trie cosmopolite qui voudrait fournir le
monde entier des produits dont elle va cher-
ses découvertes et les procédés nouveaux
qu'il peut inventer, pour améliorer sa cul- cher la matière première dans les quatre
ture l'industriel et le commerçant font un parties du monde. Cette fureur«i'induslrié
secret de leurs spéculations; et l'on peut fait que la politique ne considère plus dans
dire que l'agriculture qui disperse les hom- les nations étrangères ni amis ni alliés, mais
mes dans les campagnes, les unit sans les
n'y voit que des pratiques.
rapprocher; et que le commerce qui les en- L'industrie locale est au service de l'agri-
tasse dans les villes, les rapproche sans les culture qui lui commande de l'ouvrage, lui
unir. en fournit la matière et lui en paye la façon
La population agricole est forte et vigou- la grande industrie est au service de toute
la terre, et la nation qui produit le plus
reuse la population industrielle, chétive et
débile et il y a peu de temps que Je ma- pour l'étranger est celle qui est le plus au
gistrat d'un petit canton de la Suisse déplo- service des nations qui consomment ses pro-
duits, et par conséquent la pJus dépendante consommation et par conséquent de travail;,
de leurs besoins ou de leurs caprices. les infirmités et la vieillesse laissent à la
Mais comme il y a à peu près dans tou? charge de la charité publique et privée; tout
les pays les matières premières des indus- ce que le défaut d'instruction de tant d'en-
tries ou des arts nécessaires à la subsistance fants des deux sexes entassés dans des ate-
de l'espèce humaine; aujourd'hui que le liers, le libertinage qui en est la suite, et
goût des arts est très-répandu, et les ou- dont nous avons lu dans quelques écrivains
vriers faciles à déplacer; aujourd'hui qu'une anglais les enrayants détails, et l'intempé-
mécanique file ou fait tout autre ouvrage, rance, à laquelle ils sont de bonne heure.
aussi bien en Russie qu'en France ou en adonnés, laissent à ses frais dans les bagnes,
Angleterre, il n'est peut-être pas d'une poli- les maisons de détention et de correction
tique sage et prévoyante de trop compter les dépenses de surveillance et de police,,
pour la prospérité d'un pays sur les con- qu'exigent dans les villes manufacturières
sommations étrangères. ces armées de compagnons toujours prêtes
Le nécessaire se trouve et se fabrique à en venir aux mains, peur je ne sais quelles,
partout, et le superflu peut être repoussé ridicules associations, et ce qu'il peut lui
par les gouvernements. L'exemple donné en coûter en frais de répression et de jus-
par le duc de Saxe-Meinungen,cité dans le tice, pour prévenir Ou punir ces révoltes
Journal des Débats, du 23 février de cette an- d'ateliers si communes en Angleterre, et
née, pourrait avoir des imitateurs. dans ce moment si alarmantes, et dont nous
Ainsi, par une contradiction singulière, avons eu en France des exemples récents:
en même temps.que tous les gouvernements peut-être l'Etat trouverait-i) que tout n'est
favorisent les progrès de l'industrie destinée pas profit dans cette industrie si étendue
à approvisionner les autres Etats, et cher- qui accroît sans mesure et sans terme la po-
chent à étendre outre mesure leurs relations pulation, et dont on ne peut procurer la
commerciales, tous les Etats aussi bornent, subsistance précaire qu'en étendant sans
par des lois prohibitives et empêchent, par cesse l'industrie, et par conséquent qu'en
des armées de douaniers,. la concurrence accroissant encore la population. Car la po-
des produits étrangers avec les produits in- pulation agricole a des bornes dans l'éten-
digènes; en sorte que tous veulent vendre due et la fertilité du sol qu'elle cultive;
et aucun ne voudrait acheter. On pourrait, mais la population industrielle n'en a pas
peut-être espérer aussi que les principes et elle peut produire sans fin, jusqu'à ce que
les sentiments républicains si répandus en le défaut de matières premières ou de con-
Europe, finiraient par nous inspirer un peu sommation de ses produits la force de ,se
de cet esprit de frugalité, de tempérance, de replier sur elle-même et de fermer ses ate-
modération, même d'économie, vertus si liers.
fort en honneur dans les anciennes répu- Je reviens sur la proposition par laquelle
bliques. Car ce seraient d'étranges républi- j'ai
j commencé cet écrit, que l'agriculture.
ques et qui ne tarderaient pas à subir le nourrissait
i ceux qu'elle avait fait naître, et
joug d'un maître, que celles qui commen- que
( l'industrie avait fait naître ceux qu'elle
ceraient comme les monarchies ont fini, par nourrissait
i ou ne pouvait pas toujours.,
le luxe; et encore dans nos monarchies le nourrir.
i
luxe était une bienséance et presque un de- En effet, si l'on suppose une contrée agri-
voir do position; au lieu que dans nos répu- cole (et cet exemple peut être étendu à un
t
bliques il ne serait qu'un goût privé et per- rroyaume tout entier) où il n'y ait que fin-
sonnel. dustrie
( nécessaire pour mettre en œuvre les.
Sans doute il est prouvé qu'il y a uivgrand produits
j: du soi et les matières premières
bénéfice à tirer des matières premières de qu'il
q fournit, cette industrie locale, néces-
de tous les points du monde connu, pour sairement
s bornée, emploiera Fexcédant de
les travailler chez soi et les réexporter par I. population agricole, dont la culture des
la
toute la terre. L'ouvrier y gagne sa façon terres n'a pas besoin. Tous ceux qui pour-
li
le navigateur, son fret; le banquier, sacom- ront
r ou voudront teuv-ailler trouveront de
mission l'Etat, des droits à l'entrée et à la l'l'ouvrage, soit aux travaux des champs, soit
sortie, etc., etc. mais si, par un autre cal- à ceux de l'industrie; il y aura une propor-
cul plus politique que fiscal, l'Etat comptait tion naturelle entre ces deux parties de la
ti
tous ceux que la parèsse, le manque de population
p occupées à l'une ou à l'autre 3
il n'y aura ni trop, ni trop peu de travail et sans
s travail et bientôt des maisons sans ha-
de bras, et personne ne souffrira. t
bitants, et l'on en trouverait en Europe de
Mais si l'on suppose qu'il s'y élève tout nombreux
r exemples
à coup de grands établissements d'industrie Qu'on ne m'accuse pas de révoquer en
destinés à produire pour l'étranger, la po- cdoute l'utilité de l'industrie ou plutôt la né-
pulation qui fournissait des bras à l'agrictil- cessité
c puisque c'est à l'industrie que nous
mre du pays et à sa propre industrie, ne devons
c l'usage et la jouissance de tous les
suflira plus; de nouveaux moyens de travail biens
1 que le Créateur a mis à la portée de
demanderont une nouvelle population; elle l'homme,
1 pour soutenir, conserver, em-
se formera rapidement; un métier à faire du bellir
t même son existence passagère; mais
drap ou de la toile sera une dot, et des ou- j j
j'avertis les gouvernements du danger que
tils un patrimoine; il se fera des mariages; peut
f avoir pour leur tranquillité une indus-
il se bâtira des maisons, il naîtra des en- ttrie trop étendue, qui, pour servir tous ses
fants, un village deviendra un bourg, un voisins
i et, si elle pouvait, jusqu'aux peuples
bourg une ville, et nous ne sortirons pas de les
1 plus éloignés, fait naître plus de popu-
la France pour trouver des exemples de ces lation
1 que la religion ne peut en instruire
rapides accroissements. que
c l'autorité ne peut en contenir, plus quel-
Ainsi, si la fabrication des étoffes de co- quefois
c que l'industrie ne peut en nourrir.
ton jadis prohibée en France, lorsque le Ce.n'est
( pas dans les prospérités qu'il faut
gouvernement jugeait que nous avions as- 1 considérer; les gouvernementsalors n'ont
la
sez pour nous vêtir des matières indigènes, irien à faire, et le pilote peut dormir quand
la laine, le lin et la soie, occupent aujour- tun bon vent enfle ses voiles c'est dans ses
d'hui quelques milliers de bras, c'est à peu irevers et les chances de malheurs auxquel-
près comme si, au temps que la prohibition les elle peut être exposée, lorsqu'une mul-
fut levée, nous avions importé en France ttitude affamée demande au gouvernement
quelques milliers d'Indiens. Tant que ces le
1 pain du lendemain qui a fini avec le tra-
industries prospèrent, il s'élève de grande; vail
i de la veille.
fortunes privées c'est ce qu'on appelle au- L'agriculture, qui tient tout de Dieu, ne
jourd'hui la richesse nationale, quoiqu'il s'emporte pas contre l'auteur de la nature,
soit difficile de concevoir d'une manière si si
s la gréle ou la gelée ont ravagé ses mois-
abstraite la richesse d'une nation où se sons mais l'industrie, qui tient tout de
trouvent à côté de quelques millionnaires l'homme, se prend de ses malheurs à tout le
quelques millions d'indigents qui travail- monde, aux maîtres, aux gens riches, au
lent beaucoup, gagnent peu, n'économisent gouvernement qu'il accuse de sa détresse, et
rien, vivent dans les cabarets et meurent ce gouvernement-estforcé d'user de rigueur
dans les hôpitaux. C'est là cependant l'état pour maintenir la tranquillité publique contre
intérieur des nations qu'on appelle riches, ces désespérés que le besoin peut porterà tous
etdans celles qu'on regarde comme pauvres, les excès, et dont trop souvent la malveil-
parce qu'il y a peu de grandes fortunes, lance échauffe1 et attise les mécontentements.
comme par exemple la Suède et laNorwége, Déplorable situation que celle de l'autorité
il y a, proportion gardée, moins d'indigents forcée de répondre par des coups de fusil aux
qu'en France et en Angleterre. plaintes de malheureux qui ne demandent
Mais si ces grands établissementsd'indus-
qu'à vivre dans la carrièreoù !e gouvernement
les a poussés et en vérité, un siècle d'in-
trie viennentà déchoir, soit faute de matières
premières tirées du dehors et de loin, et dans dustrie prospère ne compense pas une heure
de ce terrible mais nécessaire emploi de la
des circonstances politiques ou des déran-
force.
gements de saison, peuvent hausser ou dimi-
nuer l'importation soit par des changements C'est cependant ce qu'on a vu fréquem-
et des caprices de mode, ou par des lois prohi- ment en Angleterre, et dans ce moment Li-
bitives des Etats voisins; soit parl'établisse- verpool et d'autres villes manufacturières
ment ailleurs d'une industrie du même sollicitent des emprunts du gouvernement
genre, plus heureuse ou plus perfectionnée; pour nourrir cent cinquante mille ouvriers
soit enfin par la retraite ou la mort de l'hom- sans travail et sans pain; nouveau danger
me riche et industrieux, fondateur de l'éta- pour les gouvernements d'accoutumer ainsi
blissement, alors une ville longtemps flo- une population oisive à vivre aux dépens du
rissante se dépeuple, il y a des hommes public.
2i5 PAHT. I. ECONOM. SOC. DE LA FAMILLE ET DU DROIT D'AINESSE. 2iG
Et même à cet égard la situation de la la ont tout à l'heure éclaté sur toutes les places
France est plus dangereuse que celle de de l'Europe commerçante?
l'Angleterre. L'Anglais est encore un peuple Ces réflexions sur l'agriculture et l'indus-
nomade et le gouvernement peut disperser trie m'ont été suggérées par un article d'un
la population dont il ne sait que faire dans journal très-répandu, qui élève des doutes
ses nombreuses colonies, dans ses comp- sur la possibilité et l'utilité de la mesure
toirs, dans ses exploitations de mines ou annoncée dans le discours de S. M. à l'ou-
d'autres entreprises qu'il a formées sur tous verture de ja session, et convertie depuis.
les points du globe, devenu tout entier tri- en proposition de loi, pour reconstituer "la,
butaire de l'Angleterre. C'est ainsi, et dans famille propriétaire et prévenir, s'il est temps
des vues très-politiques, qu'il favorise l'é- encore l'extrême division des propriétés
migration de la population riche qui va ré- foncières.
pandre partout les goûts et les mœurs de Depuis, ce même journal, dans la feuille
son pays, sans jamais prendre les goûts et du 25 février, a annoncé avec éloge un traité
les moeurs des autres peuples. Mais la France sur le droit d'ainesse par le célèbre avocat.
n'a pas cette ressource, elle n'a plus de co- M.IDupin, qui combat la proposition de. loi..
lonies le Francais est plus attaché à son C'est sur ce que j'en ai lu dans le jpurnal
pays nul moyen au gouvernement de pous- que je vais hasarder quelques observations.
ser au dehors une population oisive et in- Ce n'est, j'ose le dire, ni la politique de
quiète, et le vase en ébullition éclate s'il ne barreau ni celle de comptoir, qu'jl faut con-
peut verser sulter sur cette grave question. Ces deux
professions par habitude par intérêt et par
Cest, qu'on n'en doute pas, dans l'espoir devoir, sont exclusivement occupées d'inté-.
de prendre quelque jour à sa solde cette po-, rêts privés, et ici ce sont des intérêts privés
pulation surabondante, qu'un parti en Eu- et des affections personnelles qu'il faut sa?
rope nous pousse à l'exagération de l'indus- erifier aux intérêts généraux de la société et
trie et n'en trouve jamais assez, assuré qu'il à des affections publiques.
est de donner du travail à ces bras oisifs Ce n'est pas non plus à Paris où l'on prend
quel que soit leur nombre, dans l'immense
une rue pour une patrie, un loyer d'appac-
atelier de l'industrie révolutionnaire. tement de trois, six ou neuf ans, pour une
Dans le parallèle que j'ai présenté de l'a- maison paternelle, et des rentes sur le grand
griculture et de l'industrie, j'ai dû. réserver livre pour un patrimoine,-que les motifs
|iour la fin le dernier trait, et le plus carac- profonds de la loi proposée peuvent être
téristique de cette différence. appréciés.
L'agriculteur, forcé d'être modéré dans ses La lettre de M. Dupin à ses frères rap-
goûts, économe dans ses dépenses, et dont portée dans le journal est un chef-d'œuvre
tout l'avoir est, comme on dit, au soleil, ne de tendresse fraternelle et de sensibilité et
peut compromettre la fortune de ses créan- l'on aime à en retrouver la touchante ex-
ciers qui peuvent, en consultant le registre pression dans ce temps malheureux où i'on
des hypothèques et en estimant les biens n'entend parler que de crimes domestiques,
qu'ils ont sous les yeux, juger avec certitude de femmes qui empoisonnent leurs maris,,
jusqu'où il est prudent d'engager leurs fonds de maris qui assassinent leurs femmes de
dans l'exploitation agricole mais l'indus- fils qui égorgent leurs pères ou leurs frères,
triel et le commerçant dont l'actif et le pas- et chose inouïe et réservée à notre époque t
sif sont également inconnus, et qui aujour- de mères, de mères légitimes qui détruisent
d'hui rivalisent de dépenses et de luxe avec les enfants auxquels elles ont donnéJe jour.
les conditions les plus élevées, ne présen- Sans doute, elle est respectable, cette sen-
tent à leurs créanciers, pour gage de leurs sibilité des pères et des mères, des frères et
créances, que des spéculations hardies et des sœurs qui plaignent le sort de leurs
exagérées, dont le mauvais succès dépouille frères puînés traités par la loi avec moins de
le créancier, et ne ruine pas toujours le dé- faveur que leurs aînés, dn,moins en appa-
biteur qui, même dans l'hypothèse pour lui rence, puisque l'aîné avec une part plus
la plus malheureuse, s'acquitte envers ses considérable dans la, succession paternelle,
créanciers avec un bilan et un suicide. Et attaché à la glèbe, a la charge souvent très-
qui pourrait savoir combien de familles ont pesan.te des affaires de la famille mais il y
étéruinées par les nombreuses faillites qui a.une sensibilité plus mâle, une sensibilité
2iï OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 248
toute morale, celle de l'homme d'Etat pour Jes procès pour supplément de légitime,, Vé-
les Vê-
le sort des familles sans perpétuité et sans ritable mine d'or pour les praticiens et les
avenir, où des frères n'attendent que la mort experts de campagne, désolent et ruinent
de leur père pour s'éloigner des lieux qui les plus petites familles de propriétaires, où
les virent naître, et commencer un partage des cadets, toujours entêtés à croire que
qui bientôt ne leur laissera rien de commun .eur père a fait à leur aîné des avantages
qu'un procès ruineux dans lequel disparaî- secrets, et qui n'ont plus ni pour tes volon-
tront leurs affections et trop souvent leur tés de leur père ni pour leur frère aîné, le
patrimoine. respect et la déférence que lés lois anciennes
Demander si le droit d'aînesse est de droit leur inspiraient, bouleverseront dix fois la
divin ou de droit naturel, est une absurdité. maison et feront estimer jusqu'au! cendres
Car ce n'est pas pour les aînés, qui, ne sont du foyer, pour y découvrir si quelque de-
pas plus aux yeux de Dieu et de la nature nier n'a pas été soustrait de la masse des
que leurs cadets, même dans les familles biens communs.
royales, que la loi est faite c'est pour là Que nous font les exemples des Hébreux
conservation et la perpétuité de la famille et des Romains allégués par le célèbre ju-
propriétaire. Or les familles qui cultivent la risconsulte auquel je réponds ? La monar-
terre, que le Père du genre humain lui a chie des Hébreux n'était pas notre monar-
donnée pour sa demeure sont assurément chie, ni la république romaine notre répu-
de droit divin et naturel. C'est ainsi que la blique. « Les anciens, «dit M. de Montes-
loi de l'hérédité de mille en mâle, par ordre quieu, « n'ont pas connu la monarchie
de primogéniture, est faite pour la perpé- tempérée, » et l'on peut dire que leurs mo-
tuité des Etats; et c'est la nature qui, par narchies ne valaient pas tes nôtres, mais que
les mêmes motifs et pour les mêmes fins, leurs démocraties valaient peut-être mieux
l'a établie dans lasociété domestique, comme que nos démocraties, au moins celle de la
dans la société publique, dont la famille est Convention parce que la nature veut que
l'élément et le type, les bonnes institutions s'améliorent, et qne
Disons donc que ce qu'on appelle droit les mauvaises se corrompent tous les jours
d'aînesse n'est qu'une locution abrégée davantage.
pour exprimer le premier et seul moyen Mais les Hébreux, puisqu'on lés cite,
de la perpétuité des familles, et il est si vrai connurent le droit d'aînesse la loi de
que le droit d'aînesse n'est pas un droit de Moïse attribuait sur tous les biens du père
l'aîné qu'il ne dépend que du père de trans- deux parts à l'ainé. Jacob mourant appelle
porter le droit d'aînesse au plus jeune de Ruben, son fils ainé, sa force, le premier
dans ses dons, le plus grand en autorité
ses enfants.
Les individus ne voient que dés individus Ruben fortitudo mea, priorindonis, major in
3.) Si un homme a
comme eux, dans ce temps surtout où l'on imperio. (Genes. xlix,
a tout individualisé dans la société l'Etat eu deux femmes, une femme chérie et une
femme odieuse, Moïse ne veut pas que le
ne voit et ne doit voir l'homme que dans la
famille, comme il ne voit la famille que dans fils de la femme chérie soit préféré à celui
l'Etat et à ses yeux, il n'y a pas d'autre in- de la femme
odieuse, si celui-ci est l'aîné,
dividu que la famille. et il lui donne les deux parts de tous lés
Quand M. Dupin félicite nos nouvelles biens qui étaient l'apanage du premier-né.
lois d'avoir aboli lessubstitutions et le droit {Deut. xxi, 17.)
d'aînesse, ces deux immenses rameaux de Mais quand les Hébreux n'auraient pas
notre ancienne législatiun, source inépuisable connu le droit d'aînesse tel que nous l'en-
de longs et dispendieux procès, j'ose lui as- tendons, ils avaient bien mieux que notre
surer que ces deux sources de procès ont droit d'aînesse pour la conservationdu nom
ëtë remplacées, du moins dans les pays agri- et des propriétés de la famille, unique but
coles, par une source de procès plus féconde du droit d'aînesse. La loi voulut, pour per-
encore et plus inépuisable, qui a son ori- pétuer le nom, que le frère épousât la veuve
gine dans l'égalité des partages je veux de son frère mort sans enfants, ut suscitaret
parler des procès pour supplément de légi- semen fratri suo, et, pour conserver la pro-
time, avec cette différence que les procès priété, elle voulait que dans l'année du Ju-
les
pour substitutions n'avaient lieu en général bilé, c'est-à-dire tous les cinquante ans,
qu'entre des familles opulentes, au lieu que biens aliénés rentrassert dans les familles
d'où ils étaient sortis :Anno Mbilwi redietit et lorsqu'elle eût été détruite par la démo-
omnes ad possessiones suas. ( Levit. xxv, cratie et les désordres qu'elle avait intrc-
13.) duits dans les familles comme dans l'Etal,
téftés c'étaient là des lois autrement Auguste essaya de la rétablir et institua le
fortes que les nôtres, et bien plus efficaces droit d'aînesse dans les familles, en même
pour perpétuer le nom et les possessions temps qu'il établissait la monarchie dans
dans lés familles. M. Dupin appelle ces lois l'Etat.
des lois dures. Elles étaient sévères ces Lefles, quand le-pere ae îamille avait droit
lois qui, pour préserver les Hébreux du de vie et de mort sur ses enfants, croit-on
contact des peuples idolâtres, et conserver qu'il n'eût pas Je pouvoir de régler sa suc-
sur la terre la foi à l'unité de Dieu, les sé- cession comme il le voulait, et du pourvoir
paraient des étrangers; mais elles étaient ainsi à la perpétuité de sa famille? Mais,
admirables pour faire un peuplé de frères, quand on cite Montesquieu, il faut le citer
un peuple indestructible j à l'épreuve du en entier, et opposer son autorité à toutes
temps, de la fortune et des conquérants, dit
ces lois prétendues naturelles sur l'égalité
J.-J. Rousseau. des partages. « La loi naturelle, » 'dit-il,
Que les Romains aient ou non connu,
« ordonne aux pères de nourrir leurs en-
avant Auguste, le droit d'aînesse et les pré- fants mais elle n'oblige pas de les faire hé-
rogàtives de la primogéniture, mêttaient-ils ritiers et le partage des biens, les lois sur
assez de prix à la perpétuité de la famille et ce partage, la succession après la mort de
à la conservation de ses biens, eux chez qui celui qui eu ce partage, tout cela ne peut
la loi vocôniènne défendait au père d'insti- avoir été réglé que parla société, et, par
tuer sa femme héritière, même sa fille uni- conséquent, par des lois politiques ou ci-
que, dé peur qu'elle fie portât les bieds dans viles.»
une autre famille; eux qui 'ne parlent que II semble qu'après l'exemple des Hé-
des ancêtres, de leurs leçons et de leurs breuxme des Romains,
exemples chez qui le more majorum était,
et nos aînés en religion
peut dire, Vultima ratio des lois, des ou nos maîtres en législation, après les
on constitutions des législateurs du Bas-Em-
coutumes et des mœurs, et qui conservaient pire, -M. Dupin n'avait
pas besoin de recou-
avec tant de soin les images de leurs aïeux, rir
noble décoration de leurs pompes funèbres? aux invasions des barbares pour expli-
l'établissement en ;Europe du droit
Dira-t-oD que cet attachement à leurs famil- quer
les ne se montrait que dans les races patri-
d'aînesse; mais on voulait le faire venir des
ciennes ? Mais c'étaient les seules où il y
lois féodales, et l'on a cru le flétrir par cette
eût un nom et des propriétés à perpétuer. origine.
Le peuple vivait de sa clientèle auprès des Ce sont cependant ces barbares dont
grands, des distributions du gouvernement, Montesquieu a dit « qu'iis ont établi la
des fruits de la conquête et ses tribuns ne meilleure forme de gouvernement que les
lui parlaient sans cesse du partage des ter- hommes aient pu imaginer; » et s'il est vrai,
res que parce qu'il n'en avait pas. comme on l'a avancé, que le gouvernement
«Je me sens fort ,» dit Montesquieu, représentatif soit l'ancien gouvernement de
«
quand j'ai pour moi les Romains. Eh bienl fa France, c'est à ces barbares que nous le
devrions, et c'est de celui, quel qu'il soit,
ces Romains si grands en république, si qu'ils
forts en aristocratie, nos maîtres en législa- avaient établi, que Montesquieu
tion, accordèrent un pouvoir immense au dit encore « Et ce beau gouvernement a
père de famille.» Et qu'avait besoin la loi des été trouvé dans les bois, » et c'est dans nos
Douze Tables, ou toute autre loi, d'instituer salons que nous l'aurions retrouvé.
formellement le droit d'aînesse, pour con- On peut voir dans le sublime traité de
server le bien dans les familles, lorsqu'elles Tacite des Mœurs des Germains, quels étaient
établissaient le pouvoirbien autrement con- aux yeux d'une raison et d'une philosophie
servateur du père de famille, en lui don- purement humaines, les vrais barbares, de
nant une autorité absolue sur ses enfants, ces Grecs et de ces Romains si polis et si
autorité respectée après sa mort comme de vantés, ou de ces peuples qui ne parlaient
son vivant; monarchie domestique qui fut, ni grec ni latin, qui n'avaient ni les arts ni
pendant les plus beaux sièc!es-de la répu- le luxe des nations policées, mais qui, dans
blique, le correctif deladémocfatie politique leur simplicité native, avaient retenu les.
traditions primitives de la loi naturelle, dé- du supplice était la seule décoration de nos
figurées partout ailleurs par une fausse po- places publiques? ».
litique et quand il serait vrai que Tacite L'ignorance des barbares était celle de
aurait voulu faire la satire des mœurs de l'enfance, l'ignorance de ces vaines sciences
son temps en leur opposant la peinture em- dont nous sommes si fiers et qui ne rendentt
bellie des mœurs des Germains, il s'ensui- l'homme ni meilleur ni plus heureux; leurs
vrait seulement que cet illustre historien, violences étaient celles des passions et do
mieux qu'aucun philosophe de. son temps, l'irréflexion
1 de la jeunesse; leurs crimes,
aurait connu ou deviné les règles des lois des < crimes de premier mouvement.
et des moeurs, et les vrais principes de la Et cependant quelles expiations, quels
société; et sans doute le christianisme, qui sacrifices n'attestaient pas au monde le re-
s'était déjà levé sur l'univers, n'était pas mords et le repentir des coupables! ils par-
i
étranger à cette direction nouvelle des idées taient
1 pour la Terre-Sainte, faisaient des
morales et politiques. fondations
i pieuses, et souvent allaient loin
Je n'ai pas besoin de dire que sur les lois du
( monde et dans l'obscurité et le silence
féodales, M. Dupin est peu d'accord avec des cloîtres pleurer leurs fautes et édifier la
Montesquieu. « Mais ce fut, » conti- société qu'ils avaient scandalisée. Notre
ignorance a été celle d'une société vieillie
nue le jurisconsulte, « pendant près de cinq ]
siècles, au temps de l'ignorance la plus pro- dans
( la corruption et égarée par de fausses
fonde, de la barbarie la plus crasse, des doctrines, et nos violences, des actes réflé-
chis et légalisés par une exécrable parodie
guerres privées, des vols de grands chemins, (
des violences de toute espèce, c'est au mi- de ( ce qu'il y a de plus saint et de plus sacré,
lieu de ces ténèbres et de ces voies de fait la J justice. Les remords 1 Dieu seul les dé-
n'ont vu le plus sou-
que s'établirent ce qu'on a appelé alors et couvre. les hommes
depuis les droits féodaux. » Il aurait pu se vent que des regrets, et pour toute expia-
contenter de dire les abus des droits féo- tion, on s'est jeté. dans les emplois.
daux, car il faudrait remonter plus haut C'est au jurisconsulte éclairé, au mora-
pour trouver l'origine et la raison du lien liste profond, à l'homme sensible, à l'orateur
féodal qui prit naissance avec la monarchieaccoutumé
< à défendre les droits sacrés du
réglée pour la servir féodalement, c'est-à- malheur et de l'humanité, et à invoquer en
dire fidèlement. Mais auand les lois féodales leur
1 faveur les lois divines et humaines
et le droit d'aînesse, que M. Dupin enve- c'est à M. Dupin lui-même que je demande
loppe dans la même proscription, dateraient si, en considérant l'âge et le degré de civi-
de ces temps déplorables, M. Dupin ne lisation auxquels notre société était parve-
craint-il pas qu'on rétorque contre lui son nue, les progrès qu'elle avait faits dans la
argument et qu'on ne lui dise « Ce fut au science des mœurs et des lois, les leçons
temps de-la Constituante et de la Conven- qu'elle avait reçues, les grands exemples de
tion, que ces droits furent abolis avec le vertus publiques et privées qui lui avaient
droit d'aînesse et avec tant d'autres insti- été donnés, je lui demande, dis-je, si quel
tutions, c'est-à-dire au temps de l'ignorance ques années de la Convention ne sont pas
la plus profonde des principes de la société une époque plus honteuse pour la raison
monarchique, de la barbarie la plus atroce, humaine, que des siècles entiers de la bar-
de l'impiété la plus effrontée, des guerres, barie du moyen âge. Nous avons vu les Hé-
non privées, mais générales et les plus san- breux,
1 les Romains, Jes peuples du Nord,
glantes dont l'histoire des temps chrétien.4 c'est-à-dire le peuple de Dieu et les peuples
ait conservé le souvenir; des vols, non de de < l'homme, tes "peuples de l'art et ceux de
grands chemins, mais dans les foyers do- la 1 nature; nous voyons encore les Anglais
mestiques, d'une fabrique en permanence si f souvent proposés à notre admiration
de quarante ou cinquante mille lois d'ur- les 1 Allemands, les Espagnols, qui consti-
gence, toujours plus insensées les unes que Ituent en majorat jusqu'aux outils d'un art
les autres, au temps enfin de la déesse Rai- mécanique;
i jo ne parle pas de nous, nous
son, de la loi des suspects, du codp des émi- vons depuis longtemps désavoué nos pro-
grés, des noyades, des fusillades, de l'exil, pres
| exemples et répudié notre antique sa-
de la déportation ou de la proscription de gesse
{ nous les voyons dis-je, s'accorder
tous les talents, de toutes les vertus, de sur J le grand principe de la perpétuité des
toutes les fortunes, et lorsque l'instrument familles
i et de la conservationde ses proprié-
O PART. I. ECONOM. SOC.
in cultiver
ne leur permettent plus de W ~nm·
bien. Ils lé vendent pièce à pièce à mesure
de leurs besoins, ou le laissent dépérir; et
254
âge, et bientôt.la vieillesse ou les infirmités
n,o#aann leur
priété, à l'Etat. Il faudrait n'avoir aucune dès qu'ils ne sont plus, les enfants viennent
notion des choses de ce monde, du vif atta- partager ce qui reste, maudissent quelque-
chement qu'inspire à l'homme la propriété fois leur père de ce qu'il a ébréché leur pa-
qu'il cultive et qui le nourrit, et des habi- trimoine, ou trop souvent plaident entre eux
tudes qu'elle fait naître, pour croire que le pour ce partage; et les cœurs restent encore
père de famille met plus d'intérêt à donner plus divisés que les propriétés ne sont mor-
quelque chose dé plus à ses puînés, qu'à celées.
conserver dans sa maison et transmettre à La quotité disponible du quart ne remédie
ses descendants les propriétés qu'il a re- pas entièrement à ce malheur; parce que ce-
çues de ses pères, et qu'il a passé sa vie à lui des frères, et plus souvent l'aîné, qui,
cultiver,à améliorer, à embellir.Ce n'est pas par vanité ou tout autre motif, veut garder
sans un profond sentiment de douleur et les bâtiments de l'exploitation n'acquiert
d'amertume qu'il prévoit que l'égalité des qu'une valeur improductive aux dépens de
partages va, dès qu'il ne sera plus, dissiper propriétés plus utiles, une propriété d'un
son ouvrage et faire passer ses biens en entretien ruineux, et même inutile en par-
mains étrangères peut-être en celles d'un tie, parce que les bâtiments, ordinairement
voisin jaloux, peut-être d'un ennemi il contigus et indivisibles avaient été cons-
se dit à lui-même, comme le berger de Vir- truits pour une exploitation plus considéra-
gile (Bucolic., eglog. 1, vers. 72) ble que celle qui reste après le partage.
et le
Barbarushas segetes 1. Ces bâtiments ne tardent pas a tomber en
ruines, le sol se couvre de masures, les frè-
veterBs migrate culotii. res vendent leur portion à des voisins, et la
(Ibid., eglog. 9, vers. 4.)
lui revient souvent à la pensée. Un riche famille périt sans retour.
cultivateur, que l'auteur de cet écrit félici- Et la mère, si elle survit à son époux, la
tait sur le bon état de ses belles propriétés, mère, seule autorité que reconnaissel'en-
lui répondit avec un accent de douleur diffi- fance et que respecte encore la jeunesse, que
cile à rendre « 11 est vrai, elJe est belle et deviendra-t-elle? veuve de son mari, veuve
bien cultivée, ma propriété; mes pères de- de ses enfantsqui, sans point de ral liement,
puis plusieurs siècles, et moi depuis cin- s'en vont chacun de leur côté, elle voit ven-
quante ans, nous avons travaillé à l'éten- dre la couche nuptiale, le berceau où elle
dre, à l'améliorer, à l'embellir; mais vous avait allaité ses enfants, la maison pour la-
voyez ma nombreuse famille, et avec leurs quelle elle avait quitté la maison paternelle
lois sur le partage, mes enfants seront un et où elle avait cru finir ses jours elle reste
jour valets, là où ils sont maîtres. » Mais le isolée, sans considération et sans dignité,
père a un intérêt plus puissant encore que abandonnée à la fois et de sa famille à qui
celui de ses affections et de ses habitudes elle avait donné le jour, et de celle où elle
surtout les petits propriétaires, si communs l'avait reçu.
en France, et qui sont quelque chose dans Et les puînés ont-ils à se féliciter, autant
l'Etat, quoiqu'ils ne soient ni électeurs ni qu'on le croit, de l'égalité des partages? Sans
éligibles. doute dans quelques familles opulentes et
Si le père de famille, dans une petite ex- peu nombreuses, les premières parts sont
ploitation agricole, doit partager également fortes; mais chaque enfant veut faire une
son bien entre tous ses enfants, aucun n'a famille; et ce bien, divisé d'abord en petit
intérêt à rester auprès de ses parents pour nombre, se divise de nouveau entre un plus
travailler gratuitement à améliorer un bien grand, et tôt ou tard ce morcellement croît
dont les frères, à la mort du père, retireront en raison géométrique. Chez les petits pro-
autant que lui. Les enfants, à mesure qu'ils priétaires, ce mal se fait sentir à la première
sont en âge de travailler, quittent donc la génération chacun cependant reste attaché
maison paternelle pour aller chercher de à sa petite fraction de propriété, se tour-
forts salaires dans d'autres exploitations mente et s'exténue lui-même pour en tirer
agricoles ou dans les établissements d'in une chétive subsistance qu'il aurait gagnée
dustrie. Les parents cependant avancent en avec moins de peine et plus de profit dans
255 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 6
2î>6
une autre profession ;il meurt jeune, ou ne fendu son pays. On forge des armes avec le
pouvant vivre lui et ses enfants de sa pro- soc des charrues; avec des métiers on fait de
priété, il ravage celle de ses voisins. Il faut la toile et des draps,. et même pour habiller
habiter un pays où tout le monde est pro- l'ennemi.
priétaire pour se faire une idée juste des L'égalité des partages porte un coup mor-
inconvénients et du malheur du morcelle- tel à la propriété. Quel intérêt peut mettre
ment infini des biens territoriaux. le propriétaire à l'acquisition et à l'amélio-
L'égalité du partagea eu un autre effet, ration d'une propriété qui lui donne tant
un effet politique et d'une grande consé- d'embarras pendant sa vie, et qui doit, à sa
quence il a fait tomber le service volon- mort, disparaître en fractions impercepti-
taire, et a forcé le gouvernement d'établir bles, et aller grossir le patrimoine d'une fa-
et de généraliser la conscription, déplorable mille étrangère? Comment oserait-il se li-
nécessité qui pèse sur tous et plus encore vrer à des spéculations d'améliorationqu'il
sur les plus pauvres et les plus malheureux peut ne pas achever et que personne après
qui n'ont d'autre richesse que leurs enfants, lui ne continuera? Qui avancera les fonds
ni d'affection que pour eux service forcé nécessaires, au risque de se voir ballotté
que les libéraux ont regardé comme l'ac- entre de nombreux héritiers? Les enfants ne
compagnement obligé, et le soutien de ta li- diront plus comme leur père lui-même a
berté. Là où les affections domestiques dit « Ce sont les arbres que mon père a
étaient les plus vives, les familles proprié- plantés, les champs qu'il a défrichés, la fon-
taires même les moins aisées ont fait d'é- taine qu'il a creusée; » il ne restera plus de
normes sacrifices pour soustraire leurs en- monument de l'intelligence et des labeurs
fants au recrutement, et par tendresse, de leur père; ces souvenirs si touchants
quelques uns aussi par vanité et pour ne .qu'ils font naître et qui inspirent le désir
pas paraître plus pauvres que leurs voisins, d'en laisser de semblables à ses enfants,
elles ont donné, pour remplacer un puîné, s'effaeent entièrement, et des enfants ne sa-
plus quelquefois que ne lui eût valu le droit vent plus où a été leur berceau, ni ou re-
d'aînesse, s'il eût été le premier- né de la pose la cendre de leurs pères.
famille, et cette cause de ruine a hâté encore Le droit d'aînesse, dans la société domes-
dans les provinces agricoles le ruorcellement tique, a les mêmes effets que l'hérédité par
des propriétés. ordre de primogéniture dans la société po-
Une jeunesse qui serait dans nos troupes, litique et si la monarchie du père de fa-
mieux vêtue, mieux nourrie et mieux logée mille arrêta si longtemps la république
que chez elle, redoute le service militaire romaine sur les bords du précipice où
qu'elle embrassaitjadis avec ardeur et allé- l'entraînait la démocratie, et fut avec la
gresse, et le dégoût de cette noble profes- religion l'ancre qui retint ce vaisseau pen-
sion gagne de proche en proche ceux qui dant la tempête, quelle force de stabilité et
donnaient au peuple l'exemple d'en courir de conservation ne donnera le pas à
les hasards; surtout depuis qu'il y a en l'Etat monarchique lorsque le pouvoir
France des emplois et des dignités civiles domestique et le pouvoir public, le pouvoir
qui, par l'éclat et l'importance de leurs des moeurs et celui des lois, constitués
fonctions, ont pris le pas sur la profession l'un comme l'autre, se prêteront un mu-
des armes. tuel appui ?
Je ne pense pas qu'on puisse voir avec in- Je n'ai pas parlé d'un des inconvénients
différence dans un Etat continental, un chan- politiques les plus sensibles de l'égalité des
gement de mœurs et d'esprit qui a sa source partages, c'est la diminution progressive du
dans les opinions républicaines.L'esprit mi- nombre des1 électeurs et des éligibles. Le
litaire est le foyer de toutes les vertus qui parti libéral ne paraît pas en être touché,
conservent et défendent les sociétés, du mé- parce que sans doute il veut remplacer
pris de la vie, du courage, du désintéresse- les électeurs propriétaires par les électeurs
ment, de la générosité, de la résignation aux patentés.
sacrifices. C'est chez un peuple agricole et On ne veut aujourd'hui que des mouve-
guerrier, comme la Vendée, les petits can- ments mouvements dans les personnes,
tons delà Suisse, l'Espagne, que la révolu- mouvements dans les fortunes, mouvemenst
tion a trouvé le plus de résistance. Jamais dans les esprits, mouvements partout c'est
peuple industrieux et commerçant n'a dé- l'agitation de la lièvre qui exalte les hu-
257 PART. I. ECONOM. SOC. RE LA FAMILLE ET, DU DROIT D'AINESSE. 258
meurs et use les forces c'est au repos en nés habitudes
nes nabitudes et de ces"
ces anciennes mœurs
mmnr*
tout qu'il faut tendre car la force qui sera reçu avec satisfaction, et au commen-
conserve est dans le repos. cement de la révolution, le peuple des
Sans doute, comme l'a dit un journal, la campagnes ne me parut jamais plus alarmé
terre n'est pas plus monarchique que démo- que lorsque l'Assemblée constituante an-
cratique qui en doute ? mais qui peut douter nonça la loi de l'égalité absolue des par-
aussi que les hommes ne tiennent d'un tages. Quand la loi proposée serait reçue
genre de vie différent ou de la diiférente avec moins d'empressement dans le nord de
constitution de leur existence sociale, des la France, il ne faudrait pas s'en étonner.
habitudes, des sentiments, un esprit dif- Le nord était régi par d'autres coutumes.
férent.? Ainsi la famille monarchiquemènt Le peuple y était moins propriélaire, et
constituée, où l'autorité du père de famille plus occupé de travaux industriels.
respectée de ses enfants passe après sa Les fortunes mobilières du- commerce et
mort l'aîné d'entre eux, sans que la paix de l'industrie. se partageront par-part égale
en soit troublée entre les frères qui voient entre tes enfants. Ces familles ne sont pas,
dans leur aîné le soutien dé leurnoin, le à proprement parler, des famines politi-
représentant de leur père, souvent la der- ques il leur manque pour cela la pro-
nière ressource de leur vieillesse, s'unit priété de la terre. Lés familles propriétai-
naturellement au gouvernement monarchi- tes sont plantées dans le sol les autres ne
que de l'Etat, et la stabilité, la régularité, la sont que posées sur le sol, prêtes à l'abondon-
tranquillité, l'espoir de perpétuité et de ner, si elles trouvent ailleurs une industrie
conservation de ce gouvernement, convient plus fructueuse. Ainsi, la famille agricole
aux habitudes paisibles, uniformes et la- est fixe; la famille industrielle est mobile,
borieuses de la vie des champs tandis au mais elle tend à se fixer et à passer de
contraire, que tes familles industrielles et l'état purement civil à l'état politique. JI
commerçantes avec leur esprit d'acquisi- est, pour ce motif, dans l'intérêt de l'Etat,
tions et d'entreprises hasardeuses, avides de comme dans celui des familles, que la
nouveautés et qui prospèrent dans les révo- •propriété foncière se concentre, et que la
Jutions, s'accommod-ent beaucoup mieux de propriété mobilière se divise, pour laisser
la turbulence et de la mobilité des gouver- à un plus grand nombre la facilité d'obéir
nements républicains. Il n'y a qu'à jeter à leur tendance naturelle et de se planter
les yeux sur l'Europe et v.oir où se trou- dans le sol. Le contraire arrive aujourd'hui,
vent les sentiments monarchiques et les il se fait d'immenses fortunes en capitaux,
opinions républicaines. et les grandes fortunes en terre se fondent
L'identité de constitution de la société et s'évanouissent. On file-avec des machi-
domestique et de la société publique, et
nes à vapeur de la force de 50 chevaux,
l'harmonie de leurs principes sont donc le et bientôt on ne labourera plus qu'avec la
plus puissant moyen de force et de véri- bêche et le hoyau.
table prospérité pour l'un et pour l'autre J'ai parlé du principe du droit d'aînesse,
et c'est parce qu'un parti en Europe est et ne me suis pas occupé des conséquences
persuadé de cette vérité, qu'il s'attache à que le gouvernement en a déduites dans
déconstituer la famille pour arriver plus sa proposition de loi aux Chambres. Il ne
promptement à la désorganisation de l'Etat. faut pas oublier que ce n'est qu'une pro-
D'ailleurs, la loi proposée ne peut être position de loi, et que les Chambres peu-
que facultative. Elle laisse au père toute vent la modifier et l'étendre. Il y a peut-
liberté de faire un partage égal entre
ses iêtre des lois sur lesquelles il convient do
enfants, ou, ce qui -revient au même, de laisser aux Chambres une sorte d'initiative,
n'en pas faire du tout. Dans le midi de
la France, longtemps soumis aux lois ro- en ne leur présentant qu'un principe, aban-
donnant à leur sagesse le soin d'en dé-
maines, et où les familles étaient plus velopper et d'en appliquer les conséquences,
propriétaires et plus monarchiques, tout je crois que celle sur les partages des fa-
et
«
ta qui rapproche le peuple de ces ancien- milles est une de ces lois.
CONSIDÉRATIONS POLITIQUES SUR L'ARGENT ET LE PRÊT A INTÉRÊT.
/Septembre 1806.)
La question du prêt à intérêt était, comme par la force des circonstances, était échue
tant d'autres questions, décidée en France la tâche effrayante de faire de bonnes lois
depuis longtemps, par la religion et par la avec de mauvaises mœurs, pour sortir do
politique. Si la cupidité se permettait d'en- tant d'incertitudes, fut obligé de laisser unee
freindre la loi, les tribunaux veillaient pour liberté entière à l'intérêt conventionnel, en
la réprimer; l'opinion publique pour la flé- même temps qu'il fixait le taux de l'intérêt
trir et tandis que des crimes plus directe- légal.
ment attentatoires à l'ordre public n'étaient Cependant, il faut le dire peut-être la
punis que par dessupplices, et conservaient, sévérité de la doctrine chrétienne sur le
jusque sur l'écbafaud, une sorte de gran- prêt à intérêt n'avait pas toujours été jus-
deur qui tenait au principe qui les avait tifiée par des motifs assez satisfaisants;
produits, le délit de l'usure, fruit d'une mais la tolérance philosophique de l'usure
vile et lâche passion, soumis quelquefois à amena des désordres intolérables. Si dans
des peines afilictives, était encore, chez la un temps on s'est plaint de la rigueur de la
nation de l'Europe la plus désintéressée, loi, un cri général s'élève aujourd'hui con-
puni par l'infamie, et livré sur les théâtres à tre son indulgence. Le gouvernement l'a
un ridicule inefl'açable. Autre temps, autre entendu, et y répond. Les discussions se
esprit 1 Nos pères n'avaient ,connu ni l'hom- réveillent preuve non équivoque qu'il
me ni la société leur sagesse était folie; reste encore, sur cette matière, quelque
leur vertu, simplicité leurs lumières, igno- chose à éclaircir; car, lorsque la vérité est
rance leur expérience, préjugé. Tout en développée
sous tous ses aspects, le com-
France, préceptes religieux et maximes po- bat entre les opinions cesse, le procès est
litiques, lois et mœurs, honneur même et terminé, et la dispute rayée dulong tableau
probité, fut remis en problème. L'homme des disputes humaines.
parut commencer, et la société tout entière C'est avec beaucoup de raison que l'au-
fut l'inconnue que des algébristes politiques teur d'un ouvrage récent (1) sur le prêt à
poursuivirent à travers de funestes abstrac- intérêt, a comparé la tolérance de l'usure à
tions. Les questions sur la nature de l'ar- la tolérance du divorce.
gent et sur son usage devinrent l'objet des La religion, qui connaît ses enfants et le
discussions les plus animées; et bientôt en- fonds inépuisable d'inconstance et de cupi-
fin, lorsque les honnêtes gens furent pros- dité que renferme le cœur de l'homme,
crits comme une faction dangereuse, l'usure avait confié le bonheur de l'homme à la
fut regardée comme une pratique légitime. force répressive de la société, et posé au-
Le torrent des nouvelles opinions entraî- devant de ses passions, comme une barrière
na tout. Des hommes d'Etat, des écrivains insurmontable, la défense du divorce et la
politiques, avaient méconnu la raison poli- défense du prêt à intérêt sans motifs légi-
que des maximes religieuses de faibles times. Une philosophie superficielle, qui re-
théologiens méconnurent à leur tour les garde la société comme un frivole théâtre
motifs religieux des lois civiles, et flottè- .où les hommes se rassemblent pour leur
rent,entre les anciens principes et la nou- plaisir, ou comme une maison de commerce
velle doctrine; et le gouvernement à qui, où ils s'associent pour des spéculations de
(1) Considérations si.? le prêt à intérêt, par un sévérité des anciens principes; mais l'auteur le
jurisconsulte. Je saisis cette occasion pour remer- justifie par l'ordre, la clarté l'érudition et le
cier l'auteur, qui m'est inconnu, du présent qu'il a mérite de style avec lesquels il le développe peut-
l>len voulu me faire de son ouvrage. Il fallait du être n'est-il pas assez publiciste pour un juriscon-
courage pour nous rappeler aujourd'hui à toute la sulte.
l
261 PART. 11. ECONOM. SOC. SUR LE PRET A INTERET. 2C2
fortune, permit le divorce à la volupté, ett tions
l'usure
1 iliQlirn à Ifl
que la
la passion
raison
richesses.
des -w*î
nïiceinn rloo *»V* ne* Elle
<> n.r<crutt rt ses
T?ll
naturelle de l'homme le re- la loi n'ose prononcer.
_•
fions car on ne peut les laisser indéci-
i passions tranchent
et^l les ± t_ partout où
j\.
(t ) Les sujets dans un même Etat ne considèrent d'Espagne, qui a cours en Italie et daiis le Levant
l'argent que comme un signe mais les étrangers, comme signe, est encore partout, comme matière,
qui ne le reconnaissent pas comme un signe, !e objet de commerce.
considèrent comme matière. Ainsi, la monnaie
comme signe de valeurs mortes, et qui na- Je prête à un autre du blé pour sa con-
turellement ne produisent aucun revenu. sommation,
s ou de l'argent pour en acheter;
Dans cette distinction fondée sur la nature c blé ne lui produit aucun accroissement
ce
et la nécessité même des choses, est la I
Donc, mon argent ne doit me produire au-
raison de nos anciennes maximes religieuses cun
c intérêt; je ne puis exiger que la même
sur l'usure, et de nos anciennes lois civiles somme
s d'argent, ou ia même quantité de
sur le prêt à intérêt. ï
blé.
La terre est une valeur naturellement Ce sont là les principes généraux nous
productive, soit qu'elle produise spontané- n nous occupons pas encore des excep-
ne
ment ce qui est nécessaire à la subsistance tions.
ti
de l'homme en état sauvage, et à celle Ici, j'oserai, même en fait de commerce
des animaux dont se nourrissent les peuples d'argent
d être d'un autre avis que M..
pasteurs, pêcheurs et chasseurs soit qu'elle Necker.
F « Le premier, » dit ce
célèbre ad-
produise, partie spontanément, partie avec ministrateur,
n chap. 21, t. III, De l'adminis-
le concours de l'homme, ce qui est néces- t
tration des finances, « qui, par prudence ou
saire à la subsistance de l'homme agricole, ppar avarice, voulut échanger une partie des
et à celle des animaux qui l'aident dans productions
F de sa terre ou de son travail,
ses travaux.
contre
c une petite augmentation future de
Les productions de la terre, soit sponta- revenu,
r donna l'idée de ce qu'on appelle
nées, soit obtenues par la culture, sont des aujourd'hui
a l'intérêt de l'argent. Ces transac-
valeurs naturellement mortes, des valeurs tions
t auraient pu précéder l'introduction
qui doivent être consommées, et qui, loin même
c des monnaies car le cultivateur qui
de s'accroître, dépérissent en quantité ou en eut
e besoin de cent setiers de blé pour semer
qualité, lorsqu'elles sont gardées trop au son
s champ, dut les demander à celui qui
delà du temps fixé à leur maturité, ou peu- en
e avait une quantité superflue et dans le
vent être détruites par des accidents. nombre
1 des conventions auxquelles ces ser-
Ainsi j'emploie du signe à me procurer vices mutuels donnèrent naissance, l'idée
un fonds de terre ou, pour parler un lan- de
c payer une redevance annuelle en échan-
gage ordinaire, j'achète une terre elle me î des avances qu'on sollicitait, se présenta
ge
produit annuellement une quantité fixe de naturellement.
r Cette manière si simple de
denrées, ou un revenu. Donc mon argent lier
1 ensemble la convenance des prêteurs
et celle des emprunteurs, a multiplié les
m'a produit un accroissement réel en den- E
peut me produire légitimement un intérêt, ayant i une quantité superflue' de blé qu'il
la terre produit naturellement un voyait dépérir malgré ses soins, la prêta
parce que
à son voisin pour ensemencer ses terres,
revenu.
J'emploie le signe à acheter du blé pour ne stipula pas assurément qu'il lui en ren-
doute,
ma subsistance.
Cette production est une drait une plus grande quantité. Sans
valeur morte qui dépérit,- bien loin de s'ac- au besoin, de
il demanda à son voisin une
réciprocité
croître. Donc, dans ce cas, mon argent ne me qu'it secours et de services mais
.produit aucun dntérêt. en eût, à l'avance, fait une condition,
oest ce qui est contraire toutes les idéess destinées à satisfaire de nouveaux besoins.
que l'histoire nous a transmises des premierss C'est ce qu'on appelle trafic, ou commerce
hommes, et à toutes celles que donnent, proprement dit trafic,
entre des hommes
de leur caractère et de leurs relations, less rapprochés,et
avec les denrées de leur pays;
peuples en état sauvage que nous avonss commerce, entre des hommes éloignés les
encore sous les yeux. Les hommes danss uns des autres, ou des peuples différents,
l'innocence, ou, si l'on veut, la grossièretéî et
avec des marchandises étrangères au pays
de leurs premières mœurs, et la simplicité i qu'ils habitent.
de leurs premières idées, bo nés dans leurr Le travail des hommes pour achever, faire
commerce au troc des denrées contre des5 venir, emmagasiner, conserver, mettre
denrées, ou des services contre des services> œuvre, et transporter des denrées, mérite en
(puisque M. Necker suppose que l'usages un salaire. Le dépérissement naturel, la
des monnaies pouvait n'avoir pas été en- perte accidentelle et éventuelle des denrées,
core introduit), ne s avisèrent pas de faire ou le déchet inévitable qu'elles souffrent à
fructifier un produit nécessairement im- leur transformation
en valeurs d'industrie,
productif, ni de mettre un impôt à leur exigent un dédommagement.
profit sur l'industrie de leur semblable, ou Ce salaire légitime d'un côté, ce dédom-
sur la terre de leur voisin; et sans doute magement naturel de l'autre, sont la raison
ils ne firent pas alors ce qu'un homme dé- naturelle des profits légitimes du
commerce
licat ne se permettrait pas aujourd'hui, au des denrées même improductives.
milieu de tous les besoins du luxe et de Ainsi l'argent employé en fonds de terre,
toutes les combinaisons de la cupidité et ou aux fonds de terre, produit légitimement
ce que les lois et les mœurs défendaient un intérêt, parce que la terre produit natu-
il y a peu d'années. Cette manière de lier rellement
un revenu.
ensemble la convenance des préteurs et celle Et l'argent employé au commerce produit
,des emprunteurs, n'est pas à beaucoup près légitimement
un bénéfice, parce que le com-
aussi simple, et ne se présente pas à l'esprit merte se compose de travaux de l'homme
aussi naturellementque le pensé M. Necker. qui méritent un salaire, employés à des
va-
Elle est même très-composée, et suppose leurs dont le dépérissement exige
beaucoup de raisonnements très-déliés, ou dommagement. un dé-
plutôt beaucoup de sophismes. Et quant à L'intérêt annuel de l'argent employé à la
cette activité générale qu'elle a répandue terre peut être fixe et fixé, parce que la terre
dans toutes les sociétés, je crois que M. produit constamment, annuellement et même
Necker l'aurait considérée sous un autre régulièrement, dans
un temps donné.
point de vue, et qu'il aurait distingué cette
Le. bénéfice de l'argent employé au com-
activité de l'esprit qui est un principe de
vie, de l'agitation des passions, qui est un merce ne peut être fixe ni fixé, parce que les
produits du commerce sont variables, in-
avant-coureurde la mort, si, au lieu de traiter certains, éventuels,
de l'administration des finances d'une nation, souvent absolument
il eût traité de sa morale et de ses vertus. nuls, ou même parce que le commerce n'oc-
casionne quelquefois que des pertes.
Mais si le principe du commerce de l'ar-
La distinction
gent avancé par M. Necker est faux, que fixes bénéfices entre intérêts qui sont
et qui sont variables, est réelle
penser de la théorie fondée tout entière sur et importante. Ces deux
mots expriment des
ce principe? idées différentes, et la confusion des mots
L'argent peut donc produire légitimement et des idées
sur cette matière a été lasource
un intérêt, lorsqu'il est employé comme si- de faux raisonnements en morale et de
gne à acquérir des valeurs naturellement fausses opérations en politique.
productives. C'est là tout le mystère de ces deux axiomes
L'argent ne doit pas produire d'intérêt célèbres dans l'école, lucrum
lorsqu'il est employé à acquérir des valeurs cessans et dam-
num emergens, qui renferment toute la doc-
naturellement improductives. trine de la religion sur l'usage, de l'argent,
Mais il y a des hommes qui achètent des et les conditions auxquelles
nos lois an-
valeurs improductives pour les revendre à ciennes permettaient de le prêter à profit.
ceux qui en manquent, soit en nature et Car si je ne retire pas un intérêt d'un argent
telles qu'ils les ont achetées, soit transfor- prêté pour acquisition d'un fonds qui
pro-
njées par l'industrie en-de nouvelles valeurs duit naturellement
un revenu, il y a lucrum
tessrins, absence d'un profit naturel; et si sert
si de base ordinaire aux acquisitions de
je ne retire pas un juste'dédommagement g à gré; et elle semble reconnue
gré du gou-
d'un argent placé dans un commerce qui se vernement,
v qui prend en impôt foncier, à
ppeu près dans la même
proportion que les
compose de salaires et de pertes, il y a dam-
num emergms, c'est-à-dire dommage immi- fonds
f( produisent en revenu.
nent. Si les fonds cultivés par des fermiers rap-
Quel doit être le taux et l'intérêt annuel? portent
p un peu moins au propriétaire, les
A peu près, et autant qu'il est possible, le fonds
f( exploités par le propriétaire lui-même
même que la quotité du revenu annuel des hlui produisent un peu plus ce qui rétablit
terres. l'équilibre entre les produits de toutes les
Cette proposition suit nécessairement des terres.
tl
principes que nous avons développés. Je ne sais pas même si les bénéfices légi-
En effet, si l'argent est signe de valeurs times
ti d'un commerce honnête et réglé s'élè-
productives, l'intérêt, ou l'accroissement de vent
v plus haut de cinq pour cent de sa mise,
l'argent, doit être signe de la production ou een considérant l'universalité de ses opéra-
de l'accroissement de ces valeurs. tions dans un pays tel que la France, et
ti
Cette base est prise dans la nature des a
avec tous ses profits et toutes ses pertes. Il
choses: donc elle est raisonnable. Elle est faudrait, pour décider cette question, savoir
f*
fixe donc elle peut être légale; je veux s une compagnie d'assurance, prenant à
si
dire l'objet d'une loi. s compte tous les profits, toutes les pertes
son
e toutes les dépenses, voudrait
doubler au
Par la raison contraire, l'intérêt de l'ar- et
gent ne peut être fixé d'après les bénéfices tbout de vingt ans, la mise première de
du commerce, parce que ces bénéfices ne f
fonds d'un certain nombre de commerçants,
sont pas naturellement fixes; que souvent qui
c auraient fait séparément un commerce
ils se changent en pertes réelles, et qu'on quelconque
c pendant cet espace de temps. Je
dis le commerce, et non un brigandage, où,
ne peut asseoir une détermination positive c
dix fois par an, on joue à croix ou pile sa
sur une valeur éventuellement négative. c
des cultures dans quelques pays, par la serait d'une sage administration de les ra-
cherté des cultures dans d'autres pays, la 1mener à l'égalité;
soit en favorisant de tous
casualité de quelques productions par la ré- ses moyens la culture des terres, soit en
gularité de quelques autres, et les mauvaises contenant
<
les spéculations du commerce
années par les bonnes, on peut évaluer à peu dans
< les bornes de l'utilité générale. Autre-
près, et en général, de quatre à cinq Ifour ment
i le commerce prendrait le pas sur la
propriété foncière, et le commerçant serait
cent, ou du vingtième au vingt-cinquième ]
du capital, la quotité du produit des fonds politiquement plus considéré que le pro-
(tous produits estimés), déduction faite, au- priétaire des terres; les terresseraientaban-
tant qu'elle peut se faire, des avances, des données pour le comptoir; et l'argent ex-
clusivement réservé pour les entreprises
travaux, des charges, des accidents, des non-
mercantiles, ne vivifierait plus l'agriculture,
valeurs, etc. Je dis autant qu'elle peut se
faire, car les agriculteurs savent qu'il est première et noble occupation de l'homme.
impossible de fixer au juste le produit net mère nourricière du genre humain, et le
de la plus petite exploitation. fondement de toutes les ressources, de
Cette quotité du revenu territorial est toutes les forces, de toutes les vertus de la
avouée par les propriétaires, puisqu'elle société (1).
(1) Jésus-Christ, dans l'Evangile, tire pregque supporte sans désespoir des pertes dont il voit la
toutes ses comparaisons de la famille propriétaire, cause dans une force supérieure à ses moyens et
et de la culture de la terre. je lie crois pas qu'on trouve des suicides, même
(2} C'est, je crois, à cette cause qu'il faut attri. chez les malheureux échappés au désastre épouvan-
buer les suicides si fréquents dans les villes de table qui a affligé la Suisse, et qui ont vu disparat-
commerce. L'homme qui ne peut attribuer qu'à lui- tre en un instant leurs familles, leurs biens, et jus*
même ses succès, n'accuse qus lui de ses revers, et qu'aux lieux qu'ils habitaient.
il se pjînit lui même de ses fautes. L'agriculteur
iilé toujours croissante, résultat nécessaire targent à l'acquéreur, il soit subrogé aux
des succès du négoce, et même de ses re- droits
c du vendeur, parce que, dans ce der-
vers, ils ont inventé le luxe, comme un nier
r cas, il achète réellement, sous le nom
moyen d'égaliser les fortunes, et ils n'ont d'autrui,
c et au prorata de l'argent prêté, et
su enrichir les uns qu'en corrompant les i retient jusqu'au remboursement, qui n'est
il
autres. Les riches n'ont plus été des dispen- às proprement parler, qu'un rachat de la part
sateurs, mais des consommateurs; les pau- de
c l'emprunteur. La mise de fonds dans lo
vres n'ont plus été des frères qu'il faut ad- cautionnement
c d'un office, la subrogation
mettre au partage, mais des affamés qu'il aaux droits d'un légitimaire dont la portion
faut apaiser, ou de.s ennemis avec qui l'on produit
1 naturellement un revenu, si elle
doit capituler et ces idées abjectes, mises est
6 en fonds de terre, ou un intérêt légi-
à la place d'idées morales, ont ôté toute di- time,
t si elle est en argent, offrent encore au
gnité à la richesse, et toute retenue à la prêteur
1 un motif suffisant d'exiger un inté-
pauvreté. L'emploi des richesses le plus ex- rêt
r de ses fonds.
travagant a allumé la cupidité la plus effré- Point de difficulté non plus pour l'argent
née, et fait naître les spéculations de fortune mis
r en société de commerce, et en partage
les plus criminelles. Tous les désirs étaient de
c profits et de,pertes car la question n'est
sous les armes, et n'attendaient que le si- pas
} de savoir, comme le dit le Publiciste du
gnal il a été donné; et jamais les peuples 113'septembre 1806, si l'argent peut produire
n'avaient paru plus faibles contre leurs pro- 6( pour 100, lorsqu'il est employéà faire va-
pres passions et contre les passions de leurs lloir une manufacture qui rapporte 15 pour
voisins; et partout des hommes indifférents 100
1 de bénéfice, puisque, dans ce cas, on
à tout, hors à l'argent, n'ont vu, dans la ré- jpeut prendre même 15 pour 100 de profit;
volution de leur pays, que des confiscations mais
r de savoir si l'argent doit produire 15
à acheter; dans la guerre, que des fourni- )]lorsqu'il est employé à faire valoir une ma-
tures à faire comme ils ne verraient, dans nufacture
i qui ne rapporte que 6, ou même
la famine, que du blé à vendre; et dans la qui
( ne rapporte rien.
peste, que des héritages à recueillir. Ainsi l'argent prêté pour acquisition d'im-
C'est dans ces considérations générales meubles
i produit légitimement un intérêt
qu'il faut chercher la raison première de la, légal
1 qui doit être calculé sur le revenu gé-
sévérité des lois religieuses sur le prêt, et néral
r et présumé des immeubles; et l'argent
du relâchement des lois civiles; et cepen- j placé
1 en société de commerce produit légi-
dant il s'établit, à la faveur de cette diffé- timement
t un bénéfice qui doit être calculé
rence entre l'intérêt de chacun et sa cons- sur
s le profit particulier de tel ou de tel genre
cience, une luite dont la fortune souffre, et de
c commerce, et qui se compose, comme
où, le plus souvent, la probité succombe, rnous l'avons dit, de la quantité de travail
Les hommes timorés se ruinent par délica- de
c l'homme, et de dépérissement, déchets ou
lesse, les hommes plus tranchants sur la non-valeurs
i de la marchandise.
morale, abusent contre les autres même de Reste le prêt simple, ou prêt à jour, ce-
leur honnêteté. L'union entre citoyens, qui 1lui qui, n'étant causé ni pour aucun objet
terdisent. motif;
r et c'est peut-être la définition la plus
Je viens à la question du prêt à intérêt. j
juste et même la plus complète qu'on puisse
il n'y a point de difficulté lorsque l'ar- en
( donner.
t
gent est employé à l'acquisition d'un fonds L'auteur d'un article signé P. N., inséré
de terre ou autre immeuble, comme mai- iau Publiciste, du 12 septembre 1806, assi-
son, charge, ou même effets publics, qui gne
£ trois motifs à la faculté d'exigw l'inté-
portent naturellement ou légitimement un rêt
r de tout argent prêté.
revenu, soit que le capitaliste acquière iui- 1° L'utilité que le préteur pourrait retirer
même l'objet productif, soit que, prêtant son de
( ce capital, s'il ne le prêtait pas. U faut
2&5 PART. I. ECONOM. SOC. SUR LE PRET A INTERET. 236
ajouter et s'il le plaçait en acquisition de frirais, que comme le salaire de la cnaritô
valeurs productives ou en société de 1A com- dont
1 1 ont usé envers moi. Ainsi, c'est la
ils
merce car l'argent laissé dans le coffre ne perte que souffre le prêteur, et non l'avan-
produit rien à son possesseur. Avec cette tage que retire l'emprunteur, qui est pro-
explication, ce motif est légitime c'est le prement le motif de l'intérêt que le prêteur
lucrum cessans des théologiens. Mais il faut peut exiger.
que le prêteur ait la volonté et même l'oc- 3° L'assurance contre le danger du retard
casion de retirer un profit réel et légitime et les pertes possibles. Cette assurance, sui-
de son argent, et qu'il puisse dire avec vé- vant J'auteur, doit être en raison des cir-
rité à son emprunteur « Vous me payerez constances politiques plus ou moins heureu-
un intérêt convenu, parce que je me prive ses, des lois civiles plus ou moins bonnes,
pour vous d'un profit assuré. » des ressources de la chicane plus ou moins
2° L'avantage qu'y trouve l'emprunteur, si grandes, de la nature des affaires de l'em-
on le lui prête. prunteur, et de sa moralité.
Ce motif suppose que l'emprunteur reti- Ce dernier motif demande une discussion
rera un avantage du prêt car, s'il n'était particulière car si, comme dit très-bien
pour lui qu'une occasion de perte, ce motif l'auteur que je cite, les mendiants ne doi-
porterait à faux; et il serait absurde et inhu- vent pas être les seuls rois de la terre, les
main à la fois, de dire à un emprunteur, usuriers ne doivent pas tout à fait être les
ruiné par les opérations qu'il a faites avec seuls arbitres des affaires.
votre argent « Payez-moi l'intérêt de mon « Vous cherchez, » dirais-je au prêteur àà.
argent, pour l'avantage que vous en avez re- jour, dans l'intérêt que vous exigez, « une
tiré. » Au fond, il y a ici un sophisme. Ce assurance contre le danger du retard dans le
n'est pas l'avantage que l'emprunteur retire; remboursement et les pertes possibles. Je vous
de l'argent que je lui prête, qui est le motif entends vous regardez le simple prêt com-
de l'intérêt que je peux en exiger, à moins me un contrat aléatoire, où l'on convient de
que je ne me soumette à partager les pertes part et d'autre de compenser des pertes pos-
qu'il pourra faire sur ce même argent; c'est; sibles par des gains assurés. A la bonne
la perte qu'il me cause, damnum emergens, heure mais d'abord il n'y a d'assurance que
en me privant d'un argent que j'aurais pu pour vous et loin de garantir votre em-
réellement faire fructifier de toute autre ma-' prunteur contre aucune perte, vous ajoutez,
nière. En effet, la charité ne m'oblige pas, en cas de malheur, à ses pertes, l'intérêt que
dans le cours ordinaire des choses, à m'in- vous exigez de lui; et même en calculant
commoder moi-même pour faire plaisir à l'assurance que vous demandez sur les évé-
mon semblable mais elle m'oblige à lui nements politiques, les lois civiles, les res-
rendre tous les services qui dépendent de sources de la chicane. les affaires de l'emprun-
moi, et surtout à ne pas voir d'un oeil d'en- teur, et sa moralité, toutes' choses vagues,
vie les avantages que je peux lui procurer, arbitraires, incertaines, que l'imagination et
lorsqu'il n'en résulte pour moi aucun dom- la cupidité peuvent étendre ou restreindre à
mage. Il faut distinguer ici la charité de leur gré, vous faites payer à votre emprun-
l'utilité; et le service que l'on rend, des se- teur les dangers les plus hypothétiques, et
cours que l'on donne. Si ma voiture verse vous ne lui tenez aucun compte des revers
dans le chemin, et que des hommes de peine, les plus communs. Mais dans le contrat
des journaliers m'aident à la relever, l'ar- aléatoire le plus usité, l'assurance maritime,
gent dont je les gratifie est le prix, non du la chance de perte est présumée elle est
service qu'ils m'ont rendu, car la charité ne même prévue par la loi, qui ne vous permet
se paye pas, mais du temps qu'ils ont mis à de retirer un bénéfice du succès, qu'en vous
me secourir, et qu'ils auraient employé ou soumettant à supporter votre part de la perte.
dû employer, suivant leur condition, à un Aussi, si la cargaison assurée vient à périr,
autre travail. Cela est si vrai, que si des la loi, qui vous oblige à payer'l'assurance,
hommes d'un rang plus élevé viennent à ne vous donne pas plus de recours contre Je
mon secours, je les offenserais en leur pro- corsaire qui a capturé le navire, que contre
posant de l'argent, parce que, ne pouvant la mer qui l'a englouti, ou le feu qui l'a
exiger le prix d'un temps qu'ils n'emploient consumé. Dans le simple prêt, au contraire,
pas à un travail manuel et lucratif, ils ne vous pouvez, il est vrai, craindre la perte,
pourraient considérerl'argent que je leur of- comme on craint vaguement tout malheur
possible mais vous ne la présumez pas car ttes, et tous les moyens de dédommageront
vous vous garderiez bien de prêter votre permis.
argent. La loi ne la présume pas pour vous, Et c'est ici le lieu de s'élever à des consi-
puisqu'elle vous donne tous les moyens de dérations
c générales, et d'observer en politi-
la prévenir, de l'empêcher ou de la réparer, cque le changement qui s'est opéré dans les
Elle vous accorde, en cas de retard, l'intérêt ttransactions sur le fait du prêt à intérêt.
d'un prêt, même gratuit, du jour que vous Autrefois les diverses classes de citoyens
faites en justice la demande du capital. Vous possédaient des genres différents de pro-
1
pouvez retenir en prison votre débiteur, priétés,
1 tous relatifs à la diversité de leurs
saisir et faire vendre ses biens, jusqu'à ce devoirs
c et de leurs fonctions dans la société.
que vous soyez satisfait. Vous vous faites Les familles et les corps dévoués au service
payer le danger de la perte, et vous avez public
1 possédaient des rentes foncières ou
soin de la rendre impossible, tantôt en pre- des
c propriétés territoriales, assez considéra-
nant en nantissement des effets d'une va- bles
1 pour être exploitées par des fermiers
leur supérieure à celle de l'argent prêté, ( des régisseurs, et presque toujours ina-
ou
ou en prêtant à des termes si rapprochés, 1liénables ou substituées. Les bourgeois des
laissé
1n';C"( à la volonté de Il- OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
duits de l'industrie. Le remboursement, choses.
1.i.a~ .1. l'emprunteur, 1_lui don-
choses. Il
_a__ A.
Il est même probable qu'on y re-
.1_ viendra, et peut-être avec des ,.t_aeC"w:
nait le temps nécessaire-de faire profiterses qui rendront plus égale la condition des
fonds, d'accroître et de consolider sa for- deux partis.
292
modifications
tune, jusqu'au temps où, devenu maître de Il n'est pas inutile de rappeler ici la série
ses affaires, il croyait pouvoir dégager son des questions que nous nous sommes pro-
bien de toute hypothèque en remboursant; posées au commencement de, cette discus-
mais il en est bien autrement aujourd'hui. sion
Le commerçant se voit à la merci des agio- L'argent n'est ni valeur ni marchandise,
teurs, et il succombe, forcé d'en subir les mais le signe public de toutes les valeurs,
lois. » et le moyen légal d'échange entre toutes les
Je finirai ce que j'avais à dire sur les cons- marchandises.
titutions de rentes, par deux réflexions im- L'argent produit légitimement un intérêt,
portantes lorsqu'il est employé à acquérir des valeurs
L'une que les constitutions de rentes qui portent naturellement ou légitimement
étaient entièrement dans l'esprit d'une cons- un revenu.
titution monarchique de société, où tout, et L'argent produit légitimementun bénéfice,
même la fortune, tend à la fixité, à la per- lorsqu'il est employé en société de gain et
pétuité, à la modération et que le prêt à de perte dans le commerce.
jour et sans motif, introduit en Europe de- L'intérêt doit être fixé sur le revenu pré-
puis la réforme, est tout à fait dans l'esprit sumé du fonds territorial, source de tous
du gouvernement populaire où tend à la les produits, et régulateur de toutes les va-
mobilité, au changement, à un usage exagé- leurs.
ré de toutes choses, où tout pour mieux Le bénéfice doit varier comme les profits
dire, est à jour, l'ordi'e, le repos, la fortune, du commerce.
la vie, les mœurs, les lois, la société. L'argent peut produire un intérêt, lorsque
Aussi, c'est depuis que la société en Eu- le prêteur renonce à un profit assuré, ou
rope penchait sur l'abtme de la démocratie, qu'il souffre un dommage réel, comme dans
que le prêt à jour, plus universellement le prêt de commerçant à commerçant; et
usité, et une circulation forcée de numé- même, dans ce cas, l'intérêt peut être le
raire, ont fait tomber en désuétude les cons- juste équivalent du profit cessant, ou du
titutions de rentes en argent, et même, à la dommage souffert.
fin, rendu odieuses les constitutions de ren- Le prêt à constitution de rente produit lé-
tes foncières, le plus libre, le plus utile, le gitimement un intérêt; parce que le capital
plus moral, et surtout le vlus politique de étant aliéné pour un temps indéfini, il est
tous les contrats. impossible que dans un temps ou dans un
L'autre réflexion est que le capital placé à autre, le prêteur n'en eût pas retiré un pro-
constitution de rente, étant, comme le capi- fit, ou qu'il n'en souffre pas un dommage.
tal placé en fonds de terre, aliéné pour un Le prêt à jour, qui n'est causé, ni pour
temps indéfini, et dont le terme était à la acquisition de valeurs productives, ni pour
seule volonté de l'emprunteur, il était rai- société de commerce, et dans lequel le prê-
sonnable de supposer que l'emprunteur, teur, disposant à tout moment de son capi-
tant qu'il gardait la somme, en retirait un tal, ne peut alléguer, ni un profit auquel il
avantage; et que le prêteur, tant qu'il en doive renoncer, ni un dommage qu'il puisse
était privé, en souffrait un dommage, parce souffrir, produit un intérêt sans motif suffi-
qu'il était probable que s'il l'avait eu à sai sant et légal. Il a été considéré, jusqu'à ces
disposition, il en aurait fait, dans un temps derniers temps, comme un prêt de consom-
ou dans un autre, un emploi utile; et il yr mation essentièllement gratuit, et la raison
avait ainsi, pour motif légitimed'exiger l'in- en est évidente. En effet l'argent n'étant que
térêt, l'avantagequ'y trouvait l'emprunteur, le signe de valeurs productives ou de va-
joint au dommage qu'en pouvait souffrir le) leurs improductives,le prêt à jour, qui n'est
prêteur. pas causé pour valeurs productives, ne peut
Quoi qu'il en soit, il n'est pas impossiblei donc être le signe que de valeurs improduc-
de rétablir l'usage des contrats à constitu- tives .en denrées ou en travail. Mais si cent
tion de rente, et de constituer le prêt à in- francs prêtés à jour sont le signe de dix me-
térêt, comme on a constitué tant d'autres5 sures de blé ou de cinquante journées de
295 PART. I. ECONOM. SOC. SUR LE PRET A INTERET.
t9it
travail, de quel droit exigerais-je
que l'em- nations sont fortes
nations fortes; et comme l'opulence •MV**
l'opalence
prunteur meme rendît onze mesures de blé,
blé. oua fait la force
for™ ™>liHnn«
politique d'un nSfum,i; on
H'n particulier,
cinquante'cinq journées de travail? peut dire que la force est la. seule richesse
L'assurance contre le danger d'une perte d'une nation. Il faudrait donc traiter de la
possible n'est pas un motif suffisant d'exigere richesse des particuliers et de la force des
l'intérêt, parce que cette assurance se trouver nations mais est-il nécessaire de se livrer
dans les précautions que la loi permet e à de pénibles recherches sur la nature et les
aux
prêteur pour prévenir la perte, ou dans les
s causes des richesses; et les enfants du siècle,
moyens qu'elle lui fournit pour l'empê- nous dit l'Evangile, n'en savent-ils pas, sur
cher. les moyens de faire fortune, bien plus
Le service rendu à l'emprunteur n'est que
pass les enfants de lumière (Luc.
un motif suffisant, parce que ce service, que2 xvi, 8.) Et l'art
de s'enrichir n'est-il pas beaucoup mieux
je rends sans m'incommoder moi-même, estt
connu des ignorants que des savants et des
une charité que je dois à mes frères, qu'ilss gens d'esprit? A considérer même la ri-
me doivent à leur tour, et qui ne peut s'éva- chesse dans les nations, l'extrême misère
luer ni se payer. ne
touche-t-elle pas à l'extrême opulence; et la
Je rappelle les lois jadis usitées enFrance nation qui compte le plus de millionnaires
î
et leurs motifs ces lois, à la faveur des- n'est-elle pas toujours celle qui renferme le
quelles la société a prospéré, et les mœurs plus d'indigents ? Qu'on lise les Recherches
s
s'étaient élevées au plus haut point de dé- sur la mendicité en Angleterre, par Morton
cence et de dignité. Je ne me dissimule pass Eden, et l'on y verra des villes, même
que ces lois sont sévères, comme toutes les con-
sidérables, où la moitié des habitants est â
lois dont l'objet est de subordonner l'intérêtt la charge du bureau de charité. Tout peuple
privé à l'intérêt public. Sans doute la dé- qui est content de son sort est toujours as-
fense du prêt à jour apporte une gêne quel-
sez riche et, sous ce rapport, la stérile
quefois fâcheuse dans les affaires de la fa- Suède était aussi riche que la pécunieuse
mille mais la tolérance du prêt à jour pro- Hollande, et eût été beaucoupplus forte. La
duit un désordre intolérable dans les affai- richesse d'une nation n'est pas les impôts
res de l'Etat. En vain dirait-on que la loi qui qu'elle paye; car les impôts sont des be-
le défendrait ne serait pas obéie je répon- soins, et non un produit et l'excès des be-
drais que si l'administration doit quelque- soins est plutôt un signe de détresse que la
fois empêcher ce qu'elle ne saurait défen-
mesure de la richesse. Je le répète la ri-
dre, la morale doit toujours défendre même chesse d'une nation est sa force, et sa force
ce qu'elle ne peut empêcher. est dans sa constitution, dans ses moeurs,
J'ai rencontré la raison des lois religieu- dans ses lois, et non dans son argent. On
ses sur le prêt, en ne cherchant que les mo- peut même assurer qu'à égalité de territoire
tifs des lois politiques. C'est une nouvelle et de population, la nation la, plus opulenu»
preuve de la vérité de la doctrine chrétienne: c'est-à-dire la plus commerçante, sera la
je veux dire de sa parfaite conformité plus faible, parce qu'elle sera la plus cor-
sur
tous les objets de la morale aux rapports les rompue, et de la pire de toutes les corrup-
plus naturels des choses. Ceux qui s'obsti- tions, la corruption de la cupidité.
nent à la combattre peuvent remarquer que
je n'ai traité la question du prêt qu'en On peut ledire aujourd'hui,non commeun
po- reproche pour le passé mais comme une
litique et non en théologien; et ce n'est pas leçon pour l'avenir: c'est moins le fanatisme
ma faute si la vraie philosophie est en tout politique, qui n'égarait qu'un petit nombre
d'accord avec la religion.
d'esprits, que la cupidité universelle pro-
On a fait de longs traités sur la richesse duite par les nouveaux systèmes sur l'ar-
des nations, des traités où l'on a voulu doc- gent, et par le relâchement de tous les prin-
tement enseigner ce que tout le monde sait, cipes de morale, qui a fait descendre la so-
et quelquefois ce que personne ne peut con- ciété' chrétienne, chez le peuple, le piu.s
naître. Je doute qu'il y ait des livres plus généreux et le plus éclairé, au-dessous
abstraits, et, qui pis est, plus inutiles. Mais même de ces ignobles et délirantes démago-
au fond, ces mots, richesse des nations, pré- gies païennes, qui ne jugeaient que sur des
sentent-ils uneidée assez juste pouren faire délations, ne gouvernaient que par des sup-
le sujet d'un traité, et même le titre d'un plices, ne vivaient que de confiscations; et
ouvrage ? Les particuliers sont riches, et les où l'exil et la mort étaient le prix inévitable
de la vertu, et la proscription, la condition plaudis à ces découverte^ et j'en admira les
nécessaire de la propriété. auteurs mais peut-être faut-il s'aflliger de
Nous nous croyons riches, et nous les la cause qui rend ces découvertes nécessai-
sommes effectivement de biens artificiels. res, et les hommes si inventifs. A mesure
Mais les vrais biens s'épuisent, et la naturei que le luxe gagne la société, les premières
semble s'appauvrir. Il y a peu de villes ent nécessités 'manqueraient-elles à i'homme?
France où il ne soit bientôt plus aisé de ses Ces premiers dons de la nature, que la Pro-
procurer un meuble de bois d'acajou qu'unei vidence avait départis d'une main libérale à
poutre de bois de chêne pour soutenir lei tous ses enfants, et dont les peuples nais-
toit de sa maison. Le bois à brûler coûte sants sont si abondamment pourvus, com-
presque aussi cher que les aliments qu'ilI menceraient-ils 'à s'épuiser dans une société
sert à préparer; et les toiles des Indes sontt avancée, et comme des dissipateurs, après
à meilleur compte que les draps faits de lat avoir consommé notre patrimoine, serions-
laine de nos troupeaux. Comment se fait-il1 nous réduits à chercher notre vie, dans les
que les inventions modernes des arts se di- moyens précaires de l'industrie (l)?Nous
rigent à la fois vers les jouissances du luxe3 faudra-t-il désormais apprendre, dans les sa-
les plus raffinées, et vers l'économie la pluss vantes décompositionsde la chimie, ou dans
austère sur les premiers besoins? La soupe3 lesinventions ingénieuses de la mécanique,
du pauvre, dans les grandes villes coûte l'art si facile de vivre, hélas 1 et la vie phy-
moins que la pâtée d'un serin et le malheu- sique deviemira-t-elle aussi pénible que la
reux aurait une idée bien basse de ce qu'ill vie politique? Je ne sais; mais nos grandes
vaut, s'il ne s'estimait que par ce qu'il1 villes d'Europe ne ressemblent pas mal à-
coûte. une place assiégée depuis plusieurs années,
On peut laver le linge avec de la fumée, où, après avoir épuisé les magasins, on a
éclairer ses appartements avec de la fumée, recours aux moyens les moins naturels. On
se chauffer avec de la vapeur, etc. Les ma- se chauffe avec les meubles, on fait de l'ar-
chines remplacent l'homme; et même less gent avec du papier, des aliments detout, et
éléments, s'il faut en croire M. de Condor- l'on prolonge, à force de privations, la dnn-
cet, se convertiront un jour en substances s loureuse existence d'une garnison exté-
propres à notre nourriture. Partout on pro- nuée.
digue l'art pour économiser la nature. J'ap-i-
F.rance le
(1) En 1777, l'Académie Je Marseille proposa mes d'économie politique ont régné en
au concours cette question Quelle a été dans
is système de Sully, système agricole, et par consé-
tous les temps l'influence du commerce sur l'esprit
it quent producteur et conservateur des richesses
et sur les mœurs des peuples ? ) Le sujet fut traité,
î, naturelles le système de Colbert, système commer-
et le prix remporté par un compatriote de l'auteur, r, ciat et manufacturier, consommateur des richesses
M. Liquier(fl), négociant de Marseille, universelle-
e- naturelles, et producteur des richesses artificielles.
ment considéré pour ses vertus et ses talents, rt
jmort Le premier est plus favorable aux mœurs, à la for-
à l'ai-
en l^O, à l'assemblée constituante, où il avait été
lé ce politique d'un état continental, et ajoute petites
nommé député. Il osa se décider contre le commer- r- sance générale, parce qu'il alimente les tralic
ce, et prouva que le commerce extérieur ne tend id manufactures de produits 'indigènes, et le
qu'à accroître sans mesure lesdeuxmaux extrêmes îs intérieur qui sert à les faire circuler. Le second
de la société, l'opulence et la misère, à
et consom- i- est plus favorable aux arts, à la force maritime d'un
mer les richesses naturelles pour les remplacer ir
par Etat insulaire; et il élève de grandes fortunes par
des richesses artilicielles. C'est principalement au
iu les fabriques d'objets de luxe et de productions
commerce et ses
à innombrables besoins qu'il attri-
i- étrangères, que le commerce extérieur importe
bue le dépérissement des bois, premier besoin des
as brutes, et exporte manufacturées. La France ne
hommes civilisés. En effet, le défaut de combusti- i- peut pas balancer entre ces deux systèmes car les
ble est une cause bien plus prochaine de dépopu- u- comme il lé serait
mener de front paraît impossible,grande
lation, que la rareté même de comestibles, parce ce à un particulier d'exploiter une métairie, et
de loin, et non pas l'autre. de suivre en même temps de grandes opérations &z
que l'un se transporte e.
La révolution a fait, dans ce genre, des maux in- n- commerce
calculables, et peut-être sans remède. Deux systè-
è-
SUR L'ÉCONOMIE
L'ECONOIMIE POLITIQUE.
POLITIQUE*
(1810)
le' d'économie politique, qui nee pect p, des classes inférieures envers les clas-
sous nom de liberté, enfin,
rend ceux qui l'étudient ni plus économes nili ses St supérieures, pas assez
plus politiques, et avec laquelle, quand onn et
el pas assez d'égalité De si grands
les écrits qu'elle fait naître, on,n désordres
di ne pouvaient venir d'un défaut
lu
a tous a
plus les hommes qu'on ,n d'administration
d il y avait tant d'adminis-
ne sait pas gouverner
sait faire les poëmes quand on a lu toutes îs trations
tr et d'administrateurs! Ils ne pou-
ne donc venir que d'un défaut de cons-
les poétiques science, ce me semble, d au- i- vaient
v,
plus inutile, dans l'esprit même des pro- 0- titution.
ti Ce n'était pas le régime qui man-
tant
fesseurs, qu'elle aboutit selon eux à ce ré- 5- quait
q au malade, c'était un bon tempérament,
tempéraments au
sultat, laissez faire et laissez passer, ce qui ui ete on s'est mis à faire des
faire étude et sans livres. malade,
n je veux dire des constitutions, et
peut se sans
recherches laborieusesont nt tantôt
ti les rois les ont octroyées, tantôt les
Cependant, ces
égaré les gouverne- e- peuples
F les ont imposées, el, à force de
plus qu'on ne pense données ou reçues, l'Europe
persuadant à ceux qui étaient à la constitutions
c
ments. en trouvée dans un désordre moral et po-
tête des affaires qu'ils savaient quelque ue s'est
s
grand art de la so- litique
1 tel qu'il ne s'est rien vu de senibla-
-chose dans le gouverner :o-
quand ils avaient étudié les systèmes t depuis le commencement du monde dans
es ble
ciété,
divers et souvent contradictoires qui en les 1 Etats civilisés, désordre contre lequel
systèmes, jetant ex-
1- toute
t l'économie politique d'Adam Smith et
étaient résultés. Ces en
clusivement les gouvernements dans le ma- ta- autres est certainement impuissante.
£
à
tériel de la société, qui heureusement vai à On dirait que nous assistons à un vaste
boire etlele mélodrame, dans lequel la civilisation
peu près de lui-même, comme le famille
Ile comme belle princesse, est en proie à
manger, et qui est plutôt affaire de ( une
qu'affaire d'Etat, les ont distraits du moral rai de vils ravisseurs, et n'est jamais sauvée des
de la société, qui ne va pas tout seul,» à derniers malheurs que par des
hasards ou
sans
beaucoup près, et qui, rencontrant jns des miracles. Rien n'y manque de tous
les
non des besoins qui éclairent les accidents ou des personnages obligés. Il y a
cesse
hommes sur les moyens de les satisfaire, re, des tyrans féroces, de farouches satellites,
mais des passions qui les aveuglent sur leurs urs des niais surtout, des scènes de fureur et de
devoirs, ne saurait se passer de l'action con-on- carnage, mille catastrophes, pas de dénoû-
tinuelle des gouvernements. L'administra- *a- ment, et nous attendons encore le dénoû-
la
tion des choses a donc fait perdre de vue la ment obligé de tous les mélodrames, le
châ-
direction des hommes, et, lorsqu'à force de timent du crime et le triomphe de la vertu.
vouloir tout régler, et tout régler d'un cen- en- Cette digression m'a éloigné de l'écrit
qui me pa-
tre unique et d'une manière uniforme, les de M. de Saint-Chàmans
gouvernements ont été perdus, noyés dans ans raît avoir toujours raison contre Adam Smith
les détails, quand ils ont remarqué que plus )lus et ses disciples. Il n'est pas aussi heureux,
il y avait d'arrangement dans les choses, ses, ce rne semble, contre M. Malthus, auteur de
moins il y avait d'ordre et de discipline line. \'Essai sur le principe de population, et j'ai
parmi les hommes, toujours préoccupés d'é- regretté, je l'avoue, de voir M. de Saint-
vait chamans appuyer l'observation ridicule d'un
conomie politique, ils ont cru qu'il n'y avait
fût de nos modernes écrivains en économie po-
pas assez d'agriculteurs, quoique tout
cultivé, et même ce qui ne devait pas l'être;
tre litique, qui, pour réfuier. l'assertion du cé-
qu'il n'y avait pas assez de commercece lèbre professeur de Cambridge, que la po-
quoique peut-être il y en eût trop pas assezssez pulation, en général, se proportionne par-
d'impôts, quoique tout fût imposé, jusqu'aux'aux tout à la quantité des subsistances, prétend
portes et fenêtres; pas assez de population,ion, que dans ce cas, une famille qu'il nomme
quoi qu'ils eussent tous, et même les plus contemporaine du berceau de notre monar-
petits, plus d'hommes qu'ils ne pouvaient it en chie, et qui a toujours vécu dans l'opulence,
elle- seule peupler la
«conduire pas assez d'argent comme s'il devrait aujourd'hui à
501 PART. L EQ.ONOM. SOC. ±- SUR L'ECGNOMïE POLITIQUE. 50? -.)
France entière entière; ne faisant pas attention perflu perflu; et cc'est
est dans les arts, et non dans les
qu'ici
fi
au
f 1 t Cl on
fit) ne
général,
peut pas
HA TlDllt fAnclnnn rln
nac conclure natif inn lionchoses
du particulier ^l,^ morales, que 1 leï mieux
que rien de ce qui a trait à la l'ennemi du bien. Le luxe, considéré e»
t
.»- est souventi
™
population d'un Etat ne peut s'appliquer à la morale, amollit l'homme, le rend dépendant
population d'une famille, qui a ses chances de mille besoins factices, avide et égoïste.
de morts prématurées, de viduité, de stéri- En politique, et considéré dans le particu-
lité, de célibat, d'infirmités, de minorités, lier, le luxe fait trop sentir l'inégalité iné-
surtout dans les rangs élevés et voués à la vitable,des conditions et des fortunes, et, là.
profession des armes. Et d'ailleurs, peu- surtout où l'on fait de la liberté et de l'éga-
sonne, ne meurt de faim, même là où la po- lité des principes vagues, et que chacun ap-
pulation diminue par défaut de subsistan- plique à sa guise et selon ses passions le
ces; mais la difficulté de vivre arrête les luxe des uns, qui contraste trop fortement
mariages ou la survenance des enfants, ou avec la gêne des autres, rend ceux-ci en-
bien la misère les fait abandonner de bonne vieux et jaloux' des richesses qui procurent
heure, et c'est tout ce qu'a voulu dire tant de jouissances. En finance, et c'est sous
M. Malthus, dont l'ouvrage est, en science ce point de
vue que le considèrent les
d'administration et d'administration non écrivains économistes, le luxe, en multi-
«les choses, mais des hommes, l'ouvrage le pliant le travail, favorise la circulation de
plus utile qui ait paru depuis longtemps. l'argent et iait vivre les classes laborieuses.
Mais il y a, dans l'ouvrage de M. de Saint- Rien de plus vrai; mais il
ne faut jamais
Cuamans, deux points sur lesquels on au- perdre de vue qu'il a commencé par les
rait pu désirer plus.de développements, at- faire naître, et qu'une nouvelle industrie in-
tendu le rôlequ'ils jouent dans tous les sys- troduite dans un pays y ruine toute an-
tèmes d'économie politique, je veux dire le cienne industrie du même genre, et y aura
inxe proprement dit, et un autre luxe bien bientôt, élevé une population nouvelle, tou-
commun aujourd'hui, celui des machines, jours au moment de mourir de faim si le
qui multiplient les produits de l'industrie en genre d'industrie auquel elle doit son exis-
économisant le travail de l'homme. Un au- tence politique vient à être arrêté ou par des
teur déjà ancien, Melon, avait écrit en fa- événements politiques, ou parle caprice de la
veur du luxe; un économiste moderne, cité mode, qui se portera vers une industrie plus
par M. de Saint-Chamans, réprouve le luxe. nouvelle et plus heureuse. L'auteur de cet
M. de Saint-Chamans n'a pas de peine à lui article a dit quelque part
que, s'il y a aujour-
prouver qu'il est inconséquent à son propre d'hui en France un million d'hommes em-
système, et prend lui-même parti pour Me- ployés aux fabriques de coton qui
nous
lon. Le luxe n'est pas facile à définir on ne vient des Indes, c'est à peu près comme si
peut guère en donner une idée que par des l'on avait importé en France une nation
exemples, et comme, en général, U va tou- d'Indiens, en môme temps qu'on a levé
j`ours en croissant, le luxe d'un temps et la défense de travailler le coton
ou même
d'une condition aurait été simplicité et mo- de vendre des indiennes. Je sais que cet effet
destie dans un autre temps et une autre con- peut n'être pas de longtemps aperçu dans
dition. On pourrait dire, en général, que le un vaste pays; mais le moment arrive plus
luxe est toute dépense excessive pour la tôt pour un peuple, plus tard pour
un au-
condition de l'homme ou pour la destina- tre, où il sa manifeste avec tous ses résul-
tion de l'objet. Ainsi il y aurait du luxe dans tats. Il est déjà, depuis longtemps, errivé
le particulier, fût-il opulent comme un roi, pour l'Angleterre, où il y a, disent des écrits
qui voudrait être logé et servi comme un récents, six cent mille hommes de popula-
souverain, et, vu la destination de cet édi- tion industrielle qui manquent de travail,
fice, il y a du luxe aussi, à ce que je crois, et par conséquent de moyens d'existence
dans la construction de la Bourse que l'on et qui, retombant à la charge de l'Etat, y
bâtit à Paris, et qui sera plus ornée à l'ex- causent de grands troubles et de continuel-
térieur que la plus belle église de la capi- les alarmes. Cet effet dangereux se mani-
tale ou que les palais de nos rois. feste de temps en temps sur quelques points
Le luxe tient à un noble principe de no- de la France; et, comme partout, à la faveur
tre nature, et n'est qu'une recherche in- de l'industrie, les classes laborieuses ten-
quiète de perfection. On a le bien, on veut dent à augmenter en nombre d'individus,
le mieux, et.l'on rencontre l'inutile et le su- et que les classes supérieures, occupées do
0.1,'UVÉES COMPLETES DE M. DE UUMLU. 3Q~
31)3
travail, a chargé
charge
service public, restent plus stationnaires en condamnant l'homme au r", rln moins
ou même diminuent, la proportion entre la
t la 1.
société11de lui en fournir, ou.du rnninc
_1
partie ignorante d'une nation et la partie de lui laisser toute liberté de s'en procurer.
éclairée, entre celle qui sait contenir par Ainsi, dans toute société, il y a la somme
industriel néces-
l'influence de ses lumières et par l'ascendan'^ de travail agricole ou
société, et à
du respect et de la considération dont elle saire à la subsistance de la
jouit, et celle qui doit être contenue c'est- tout ce dont cette subsistance se compose;
à-dire la proportion entre la force physique et il faut, sous peine d'indigenceproduction ou même
de la société et sa force morale, est tout àfait de ruine, qu'il y ait assez
de
de consom-
dérangée au préjudice de la dernière, et alors pour la consommation, et assez ·
fabricant qui
arrivent inévitablementlesrévolutions, dont mation pour la production. Le
moment, inconnu aux gouvernements, établit une machine quinze au moyen de laquelle
doit être. pour cette raison, l'objet de leur il fait, avec dix ou hommes, et sou-
constante surveillance et de leurs continuel- vent femmes ou enfants, le travail qui ne
hommes
les précautions. Autrefois le luxe des gou- se faisait auparavant qu'avec cent
proportion
vernements,ou même des particuliers opu- et plus, dérange tout à fait cette diminué et
lents, consistait à fonder des établissements naturelle. Les producteurs ont
.publics de religion de charité, d'éducation la production s'est accrue; les consomma-
consommation
publique, etc. Ceux-là n'augmentaient pas teurs sont restés, et même la
la population, mais servaient à assister et à a diminué, puisque les
machines enlèvent
.secourir, dans toutes les faiblesses de l'âge, à un grand nombre d'hommes des moyens
lu sexe, de la condition, la population exis- d'existence et par conséquent de consom-
production que
tante. Aujourd'hui les richesses ont pris mation il y a donc plus de
c'est même, en ce mo-
une autre direction publique, et se portent de consommation; et
principalement à des objets d'utilité pure- ment, une des causes delà stagnation dû com-
ment matérielle; à des établissements d'in- merce intérieur, et dont le commerce ne peut
dustrie et de commerce qui appellent une accuser que lui-même. 11 faudrait, pour réta-
nouvelle population, et la font naître en at- blir l'équilibre, établir des machines à con-
produc-
tendant de la faire vivre vous ouvrez un sommation à côté des machines à
canal destiné au transport plus facile et moins tion, et cependant les hommes seuls peu-
coûteux des denrées nécessaires à l'appro- vent consommer ce que les machines peuvent
visionnement d'une grande cité soyez as- produire. On dira peut-être que les hom-
suré que vous la rendrez encore plus grande mes laissés oisifs par
l'établissement des
en donnant de nouvelles facilités pour y machines se
livreront à un autre genre
vivre pluscommodémentetmêmeplus agréa- d'industrie, ou à une nouvelle industrie.
blement, si vous y multipliez en même M. de Saint-Chamans remarque avec beau-
nombre,
temps les lieux destinés aux plaisirs pu- coup de raison que, pour un grand
blics et vous faites des villes plus difficiles le changement d'occupation est à peu près
à gouverner que des royaumes entiers, et impossible, et qu'aujourd'hui que les arts
qui, de capitales des Etats, deviennent les ont fait dans tous les genres de si grands
capitales des révolutions. progrès il n'y a guère de nouvelles indus-
A tous les genres de luxe introduits en tries à espérer. Or, croit-on qu'il
soit
Europe par la révolution, car les désordres permis à quelques hommes, pour leur
politiques amènent à leur suite ces désas- intérêt particulier, de troubler à ce point
la so-
tres de mœurs et de fortunes, s'est joint plus l'ordre établi par la nature même de
tôt en Angleterre-,plus tard sur le continent, ciété, et la proportion des producteurs aux
le luxe des machinés destinées à multiplier consommateurs et de la production à la
les produits de l'industrie en économisant consommation, sur laquelle reposenttant de
le travail de l'homme. Ainsi, par une dispo- besoins et des relations si diverses et si va-
sition assez bizarre, l'industrie, qui accroît riées ? je ne le crois pas et la liberté la plus
outre mesure la population a imaginé des illimitée ne consiste qu'à faire ce qui ne
injustice, si c'en est
moyens de se passer des hommes mais je nuit pas à autrui. Cette
peuple et l'on peut
ne sais si même aux yeux de la liberté et une, est aperçue par le
de l'égalité, ces deux .divinités des temps même remarquer qu'elle est un peu trop
modernes, on peut justifieri'établissement vivement sentie chez nos voisins, où- les
inconsidéré dé ces mécaniques. La nature, premières violences, dans les moments de
désordre, se dirigent contre ces machines et-l les mécaniques à filer font abandonner la
leurs possesseurs. Montesquieu, par cettee quenouille le
et rouet tandis qu'en agri-
raison, élève des doutes sur l'utilité de l'in culture les petites machines remplacent les
vention même des moulins à blé, et cepen- grandes, la bêche
et et la hotte prennent la
dant, pour cette denrée de première et ab place de la charrue et de lacharrette; qu'ain-
solue nécessité, de tous les jours et poui1 si tout le
pays se couvre de grandes fabri-
tous, il n'y a nulle proportion entre les pro- ques et de petites cultures, qui, suffisant à
I
ducteurs et les consommateurs, puisqu'il peine à nourrir la populationagricole,
n'ont
faut nourrir les femmes, les enfants, less plus d'excédant
vieillards, les infirmes, les étrangers, less industrielle; pour nourrir la population
et portant ses vues plus haut et
prisonniers, etc. Le travail des hommes oua
au delà du matérie! il- remarque encore que
même celui des animaux, lent et imparfait, et II l'industrieentasseles hommes dansles villes
qui ne rendrait pas à beaucoup près autant!t et les l'agriculture, au con-
corrompt;
de substance alimentaire qu'en donnent less traire, lesdisperseque dans les campagnes, et les
moulins à eau ou à vent, ne suffirait pas, jee préserve de la corruption l'isolement et
crois, à' la consommation journalière; et1 un travail plus régulier etpar plus assidu; et
dans cette partie, la mécanique a dû, je crois, peut-être alors admirera-t-il
venir au secours de l'homme. Je n'ignoree> utile leçon d'économie, même politique, comme la plus
cette ·
pas qu'on donne pour motif légitime à maxime du grand Maître en morale, maxime
l'établissement des mécanictues la nécessité aussi vraie, aussi applicable
au gouverne-
de soutenir dans les marchés la concurrence e ment des sociétés qu'à la conduite de l'hom-
avec les nations voisines qui les ont intro- me privé
duites chez elles, et qu'on veut en mêmes justiee, et de
• Cherchez avant tout l'ordre et la
reste vous sera donné comme
temps que les consommateurs étrangerss par surcroît. {Matth, vi, 33.)
nous débarrassent du surplus de nos pro- Mais c'est vain que dans notre folle-
duits. Mais du moins aujourd'hui les hommess sagesse nousen
d'Etat doivent être assez pe». frappés de cess nature et voulons nous écartons des plans d.e la
leur substituerlesnôtres
motifs mercantiles, qui s'affaiblissent cha- la nature reprend
ses droits et nous ramène
que jour davantage depuis que tous less à ses lois par les désordres qu'entraîne leur
peuples établissent chez eux des fabriques, infraction. L'établissement des machines
et
et que tous les gouvernements hérissent»1 le morcellement du sol doivent à la longue
t
-eurs frontières de bureaux de douanes, et produire un effet diamétralement contraire
se défendent contre les produits étrangerss à celui qu'en ont attendu leurs fanatiques
comme contre une invasion l'avantage de3 partisans, qui, faisant du peuple le souve-
filer pour son propre pays un peu plus fin, rain, ont voulu le rendre nombreux
qui émerveille les fabricants, ou même ce-> qu'il fût plus fort que les freins pour
le gou-
lui d'habiller les nations voisines, fait sou-vernement pouvait opposer à quecaprices.
ses
rire nu véritable politique et il est, je3 Le morceau de terre qui à la première gé-
pense, beaucoup plus attentif aux désordress nération fournit à la subsistance d'une fa-
qui naissent dans un Etat de ces alternatives3 mille, divisé et subdivisé entre les enfants,
d'aisance et de misère auxquelles est expo-
ne pourra plus en nourrir aucune à la troi-
sée la population industrielle, qui, fabri- sième génération et ces fractions du. sol
quant lesobjets d'industrie sans pouvoir les5 infiniment petites, vendues ou abandonnées,
consommer, n'en est pas moins obligée de3 iront grossir le patrimoine de quelque au-
consommer les fruits du sol sans pouvoirr tre famille, qui, plus tôt ou.plus tard, subira.-
les produire ni même les acheter; et qui, le même sort; et l'on reconnaîtra alors
» que
se trouvant ainsi sans travail et sans pain,» les familles, dans un pays agricole, ne peu-
est un instrument tout prêt pour les révo- vent subsister sans droit d'aînesse et inéga-
lutions. L'homme d'Etat remarque qu'en1 lité de partages. D'un autre côté, l'indus-
même temps que t'invention des machines> trie, depuis Rétablissement des grandes -tué–
tend à accumuler dans un petit nombre dei caniques, occupant
un moindre nombre de
mains les capitaux de l'industrie, d'autresJ bras, etdes hommes,
sans propriété fonciè-
causes tendent à disséminer dans un plus> re, ne trouvant plus les mêmes moyens
gran<i nombre de mains le capital de l'agri- d'existence, il se fera moins de mariages, et
culture ou le sol qu'en industrie les gran- la proportion se rétablira insensiblement
eu-
des machines remplacent les petites, et que> tre la population propriétaire
et la. popiùa-
a08
5077 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
leurs complots nous lais-
tais-
tion industrielle,
tinn industrielle, et par une suite nécessaire, leurs doctrines et
Darune
société.
entre la force physique et la force morale, sent encore une
de la société. si toutefois 'es libéraux,
politique.
elle périrait, c'est-à-dire que la nation tom- roulait toute sa
berait dans la dépendance d'une nation voi- A l'époque dont je veux parler, et qui. dé-
sine, et deviendrait.province; et la famille, jà est éloignée de nous de deux siècles, les
selon le gouvernement, serait réduite à l'é- premières nations, la France, l'Espagne,
tat de domesticité ou d'esclavage. Le pria en l'Allemagne, la Pologne, etc., s'inquiétaient
argent des choses nécessaires à la vie, indi- assez peu de savoir si ce qu'on a appelé de-
o
autant l'état de la population que la puis ta balance dit commerce, était ou non en
quantité de subsistances. Abstraction faite !eui faveur; si elles avaient chez elles toutes
des autres circonstances;elles sont à un bas les manufactures nécessaires à leurs besoins,
prix si la population est faible; ellessontàun ou plutôt à leur luxe, et si les nations se-
prix excessif partout où la population est ex- condaires gagnaient sur elles en important
cessive, parce que le grand nombre des con- ou en exportant sur leurs propres vaisseaux
sommateuismetles subsistances à l'enchère. les productions étrangères Ou indigènes du
Ce dernier état, s'il est général et longtemps sol et de l'industrie. Elles étaient un peu
prolongé, menace un Etat de trouble, et les comme de grands seigneurs qui regardent
individus de misère; et alors une nation est de leur dignité d'entretenir à leur service
réellement pauvre, même au milieu de l'a- une foule d'ouvriers de toute espèce, et qui,
bondance des métaux. occupés des soins importants de la société
Il faut pour observer les changements
publique, se reposent sur des'mercenaires
de la direction de leurs affaires domestiques,
survenus dans l'esprit général des gouver-
relativement l'écono-. et ne pensent pas à gagner sur leurs four-
nements européens, à
nisseurs ou sur leurs fermiers, en employant
mie politique et à leur opinion sur les riches-
choses d'un leurs gens et leurs chevaux à transporter au
ses des nations, reprendre les
marché les denrées qui croissent sur leurs
peu plus haut. ou aller quérir les objets nécessai-
L'Europe chrétienne, qu'on peut considé- terres,
rer comme les états générauxdu monde ci- resavait
la consommation de leurs maisons. Il
vilisé, était composée de divers ordres de y sans doute moins de numéraire en
circulation mais il y avait moins de cupi-
nations comme les états généraux d'une
qui veille sur nos
société particulière sont composés de divers dité, parce que nature,
la
ordres de citoyens. vertus comme sur notre subsistance,ne nous
permet pas de garder longtemps ses produits,
Il y avait des nations que l'on pouvait ap- et que l'avarice
ne peut serrer dans les cof-
peler nobles, propriétaires d'un grand do- fres que le signe qui les représente. Il avait
y
maine, chez lesquelles les sentiments étaient moins d'activité dans les hommes; mais il
y
élevés, les caractères généreux, les habitu- avait moins d'agitation et d'inquiétude dans
des guerrières, mais qui faisaient la guerre la société. Il avait enfin moins d'événe-
y
pour exercer leurs forces et soutenir leur ments dans la société publique; mais je crois,
dignité, plutôt que pour agrandir leurs pos- de fortes apparences, qu'il y avait plus
sessions et les plus puissantes d'entre sur
de bonheur, d'aisance, et même de vertus
elles se sont accrues par les lois bien plus dans la famille. L'histoire était moins bril-
que par les armes. lante et la vie plus commode.
Il y avait des nations mercantiles, manu- Des idées nouvelles se répandirent en Eu-
facturières, purement agricoles, même voi- rope vers le commencement du xv* siècle,
turières, qu'on pouvait appeler le tiers état et il se fit insensiblement, dans la politique
des nations riches de leurs capitaux et de générale du monde civilisé, et dans la poli-
leur industrie, et exclusivement occupées du tique particulière de chaque Etat, une révo-
soin de les accroître par toutes sortes de lution à peu près semblable, dans son prin-
moyens. cipe et dans ses effets, à la révolution fran-
Ce n'est pas qu'il n'y eût, dans toutes les çaise, et qui même n'a pas été sans influence
nations, des individus nobles, commerçants, sur ce dernier événement. Tous les grands
artisans membres d'un clergé, etc.; mais Etats rougirent, comme nos premiers pa-
je ne veux parler que de l'esprit dominant rents, de leur nudité qu'ils n'avaient pas
dans chacune d'elles, des habitudes les plus soupçonnée dans l'âge d'innocence, et s'em-
constantes des individus, et de la profession pressèrent de la couvrir. Ils furent tout à
coup possédés de la fureur du commerce et n\ fitsur ce texte des livres et même des
de Yauri sacra famés, et voulurent à tout prix lois, pour permettre à Ja noblesse de trafi-
avoir chacun leur part des richesses du Nou- quer sans déroger à sa dignité et à ses de-
veau-Monde, récemment découvert. Alors il voirs. Heureusement les mœurs repoussè-
s'établit naturellement, entre tous ces Etats, rent ces lois et ce qui arrive 'presque tou-
grands par leur territoire ou par leur com- jours dans les innovations qui ont rapportà
merce, un système d'égalité qu'on décora du la morale, le peuple, dont le bon sens natu-
nom d'équilibre politique, et dans lequel les rel n'était pas faus&é par des systèmes spé-
voix, si l'on peut le dire, furent/comptées cieux, se 'iaontra plus sensé que ceux qui le
par tête plutôt que par ordre. gouvernaient. On parlait toujours du com-
L'Angleterre, jusque-là puissance du se- merce comme du lien universel des peu-
cond ordre, devait, par sa position et ses ha- ples et jamais il n'y eut de cause plus
bitudes, tenir le premier rang dans ce nou- active de guerres plus opiniâtres et plus
veau système. La France qui n'eut et qui sanglantes; et le but constant des gouverne-
n'aura jamais l'esprit commercial, y perdit ments était d'isoler les Etats les uns des au-
de sa supériorité relative et même plus tres, par des systèmes combinés de prohibi-
tard, et sous le plus puissant de ses monar- tions réciproques, et surtout en cherchant
ques, elle déchut au point d'être réduite à à naturaliser chacun chez eux ies produits
essuyer les hauteurs de la Hollande, nou- du,sol ou de l'inaustrie qui croissaient ou
veau parvenu,fier de son opulence et du rang se fabriquaient chez les autres.
qu'il avait usurpé. Alors il était naturel qu'on parlât beau-
Insensiblement l'administration passa,
même en France, aux mains du second'or-
coup de richesses nationales, et qu'on pla-
çât dans l'argent et le commerce ces moyens
dre des citoyens, qui y porta son esprit et de force et de conservation, que nos pères
ses habitudes. Il ne fut plus question que ne voyaient que dans la religion, la
d'arts, de manufactures, de commerce de chie monar-
et l'esprit public, et qui tout seuls
circulation d'argent. On inventa, dans un avaient, depuis tant de siècles et à travers
temps ou dans un autre, les banques, les pa- toutes les crises politiques, conduit les na-
piers d'Etat, les emprunts, les loteries. Les tions continentales, chacune leur tour,
à à
gouvernements firent même des banquerou- un haut degré de gloire
et de prépondé-
tes. C'était le sceau de la profession, et en rance.
quelque sorte le moyen de se légitimer dans le
monde politique, en qualité de commerçants.. Les lois religieuses et politiques, qui jus-
La politique, les yeux constamment fixés sur que-là avaient gouverné les Etats d'Europe
la balance du commere et sur la balance ou et formé l'esprit public, parurent peu favo-
l'équilibre politique, mettait tous ses soins rables au commerce et à la circulation ra-
à en fixer en sa faveur les oscillations cou- pide de l'argent; et si la lettre subsista en-
tinuelles, et cherchait le repos dans le mou- core, l'esprit tomba en désuétude, et la force
vement perpétuel. La science de l'adminis- de conservation en fut affaiblie dans tous les
tration en devint plus compliquée, sans être Etats. Il n'y a pas, il ne peut même y avoir
pour cela plus ferme et plus éclairée. On d'esprit public, ni même d'énergie soute-
parla de crédit public, et la force des Etats nue, chez un peuple commerçant et manu-
fut, comme les fonds publics, jouée à la facturier, livré aux calculs de l'intérêt per-
hausse et la baisse; et toutes ces balances sonnel; moins encore aujourd'hui, que le
et tous ces équilibres, et tous ces jeux de droit de la guerre laisse au vaincu toutes ses
hasard, ne produisirentdanslesEtatsque des propriétés personneHes et même par un
balancements et des fluctuations, ôtèrent à sentiment d'humanité, fait un crime au ci-
la société toute assiette fixe, aux fortunes' toyen qui n'est pas soldé de se mêler de la
particulières touie sécurité, et sapèrent par défense de son pays.
ses fondements la morale publique et pri- Lord Feldkirk, après avoir parlé de l'es-
vée. prit guerrier, des habitudes généreuses, du
Quand les Etats, que j'ai appelés nobles caractère exalté et romanesque des monta-
furent devenus commerçants, c'est-à-dire gnards d'Ecosse, se plaint de la disposition
fort occupés du commerce des particuliers, qu'ils ont à émigrer enAmérique, depuis /es
ou proposa, comme une conséquence né- changements survenus dans leur Etat au
cessaire, de rendre \a.noblesse comme.rçunte; milieu du dernier siècle, et après la bataille
515 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 316
de Culloden; et il ajoute « S'il y a quel- plus avoir besoin d'esprit et d'énergie dans
que moyen de retenir ces hommes dans leurs la masse de la nation, depuis qu'ils en ont
foyers, ce ne peut être que l'introduction de exclusivement confié la défense aux troupes
quelque nouvelle branche d'industrie. Si soldées. Cependant on voit dans l'histoire
l'on y réussit, ces hommes prendront le que, les peuples ont toujours opposé une
genre de vie et les habitudes des ouvriers résistance plus opiniâtre que les armées et
de fabrique. Ils pourront, comme d'autres, même on a pu se convaincre, par l'histoire
fournir quelques recrues, mais ils ne res- de notre temps, que les armées ont paru, en
sembleront plus à leurs ancêtres. » L'An- général, fortes pour attaquer et faibles pour
gleterreest la plus puissante et même la plus défendre.
guerrière aes nations commerçantes; et ce- Ainsi, conseiller une nation de chercher
pendant, malgré ce qu'on dit de son esprit les richesses que procurent les arts, les
public, qui n'a jamais été mis aux dernières manufactures, le commerce, c'est, en d'au-
épreuves, et qui n'est au fond que détiance tres termes, l'exhorter à renoncer à tout
de son gouvernement et jalousie des autres esprit public, même à tous sentiments pu-
peuples, il n'y a pas un homme sensé en blics d'élévation, de générosité, de désinté-
Europe, peut-être pas en Angleterre, qui ressement et vouloir la corriger de ce no-
pense que le peuple anglais trouvât dans ble mépris des richesses qui a toujours
son esprit public et dans son énergie les caractérisé les grands hommes et les grands
moyens de repousser une invasion. peuples, pour la jeter dans une activité in-
Cet esprit commercial ces nouveaux quiète, dont l'argent est le seul mobile et
moyens de travail et de richesse, partout où l'unique but, et qui tourmente la vie bien
ils furent introduits, firent déserter les ate- plus qu'elle ne sert à en jouir, c'est lui ôter
liers de l'agriculture pour les comptoirs du sa première et sa plus précieuse richesse, et
commerce, les campagnes pour les villes; son moyen le plus puissant de force et de
celles-ci s'agrandirent, se peuplèrent, s'em- durée. A cet égard on s'est quelquefois
bellirent aux dépens des autres; et les plus trompé. On a pris des peuples indifférents
grandsintérêts des Etats et les premiersbiens aux richesses, pour des peuples indolents,
des hommes, l'esprit public, les moeurs et et l'on a oublié qu'il y a, dans une nation,
la santé. ne gagnèrent pas à ce change- plus d'esprit public, à mesure qu'il y a moins
ment. d'intérêt personnel.
Et ce ne sont pas ici les maximes ouir4es La richesse des particuliers n'est donc pas
d'une philosophie stoïque sur le mépris des la richesse des nations, si par richesse on
richesses ce sont les leçons de l'histoire, entend ta force d'existence et de conserva-
et des vérités politiques confirmées par l'ex- tion d'une société; et loin que l'opulence
périence. Dans tous les temps, les nations des individus fasse la force d'une nation, on
pauvres ont subjugué les nations opulentes, peut, au contraire, soutenir qu'il n'y aurait
lors même qu'elles avaient dans leurs ri-
chesses et dans le droit ancien de la guerre, pas de nation plus faible que celle dont tous
les citoyens seraient opulents.
les plus puissants motifs de se défendre, et
que la victoire mettait à la disposition du Mais si l'on s obstinait à considérer la
vainqueur, le vaincu et tout ce qu'il possé- richesse des particuliers comme formant la
dait « biens, femmes, enfants, temples et richesse d'une nation, il faudrait au moins
sépultures mêmes, » comme dit Montes- que tous les individus participassent à cette
quieu. Les prodigieux succès des armées richesse, comme ils contribuent tous, sans
révolutionnaires de la France ne contredi- exception, à former le corps de la nation.
'sent point cette grande expérience, puisque Si les partisans rigides de la démocratie pure,
c'était la partie la plus pauvre de la nation conséquents à leurs principes, pensent qu'il
française que le fanatisme de la liberté et n'y aurait pas de volonté générale là où un
surtout de l'égalité précipitait sur les peu- seul citoyen serait privé du droit de mani-
pies voisins, et que ces armées elles-mêmes fester sa volonté particulière il est encore
étaient les plus dénuées qu'on eût encore plus vrai qu'il ne saurait y avoir de richesse
vues, de tout l'attirail et de tout le luxe que nationale partout où une partie nombreuse
les armées des puissances européennes traî- de la nation est dans un état d'extrême in-
nent à leur suite. digence. Or il n'y a nulle part plus de pau-
Je sais que les gouvernements ne croient vres ni de plus grands besoins que chez les
517 PART. I. ECONOM. SOC– DE LA RICHESSE DES NATION F. 313
peuples opulents par
par le commerce, les arts, Je m'arrête à regret sur ce spectacle
.s_"E"
les manufactures, qui presque toujours élè-
.11-
a
«
mais je dois appeler votre attention sur les
vent la. population beaucoup au-dessus de suites immédiates de cet état de choses; jo
la quantité de subsistances que le sol peut
veux parler de l'accroissement de la popu-
fournir. L'Angleterre, la plus riche, ou du lation, de la nécessité de pourvoir à son en-
moins la plus pécunieuse de toutes les na- tretien, de la fréquentation plus facile des
tions, et celle qui offre le plus de travail, et personnes de différents sexes, decettefacilité
à un plus haut prix, peut nous servir de vivre que donnent (momentanément) les
d'exemple. La moitié des citoyens y est à la manufactures, de ces mariages précoces con-
charge de l'autre moitié. La taxe des pauvres tractés par des enfants qui auraient encore
est devenue le plus onéreux des impôts, le plus grand besoin de la surveillance pa-
même pour les riches et l'on voit, par des ternelle. »
écrits récemment publiés en Angleterre sur Ainsi, faites par tous les moyens prospé-
cette matière, que depuis longtemps la na-
tion cherche les moyens de se soustraire à rer dans un pays le commerce extérieur;
couvrez-le d'ateliers, de fabriques, de ma-
nn fardeau qu'elle ne peut plus supporter. nufactures rendez plus active la circulation
Nous en trouvons un autre exemple, et de l'argent, et forcez à tout prix la popula-
plus décisif encore, dans un des petits can- tion à s'accroître au delà de la quantité de
tons helvétiques renommés dans tous les subsistances que le sol peut produire ou que
temps pour le bien-être de leurs habitants, il le commerce peut importer, et tenez-vous
esttiré d'un discours prononcé par M. Hehr, pour assuré qu'il vous faudra bientôt entas-
landamman du canton de Glaris, à la société ser une partie de cette population factice
économique de cette ville dans les prisons, dans les hôpitaux, dans les
L'art de travailler le coton,disait ce ma- dépôts de mendicité, même dans les cime-
«
gistrat, x avait été transplanté dans cette val- tières, et mettre l'autre au régime; alors
lée la facilité de l'ouvrage et le prix élevé l'ordre naturel est interverti. L'homme doit
du travail ne pouvaient manquer d'attirer trouver sa subsistance dans la famille qui l'a
des ouvriers à ce genre de fabrique. Un rouet produit; et lorsqu'il la demande à l'Etat qui
était une dot; un tisserand était un homme ne laboure (1) ni ne file, le gouvernement
dans l'aisance; on se livrait à cette espèce ne peut la donner aux uns sans l'ôter aux
d'occupation avec empressement. On jouis- autres, nourrir des familles indigentes sans
sait du présent sans s'inquiéter de l'avenir. appauvrir les familles propriétaires, ni se-
Qu'est devenue cette richesse? Le quart de courir les pauvres sans faire des malaisés.
notre population reçoit ou demande Vaumône, La charité particulière devient un subside,
D'honnêtes pères de famille, leurs femmes, et la bienfaisance publique ressemble à l'op-
leurs enfants luttent péniblement contre la pression.'Lorsqu'il n'y avait dans nos socié-
misère et la faim, supportant leur sort avec tés d'Europe ni commerce ni argent, la
fermeté, mais vivant dans l'angoisse et la bienfaisance songeait à donner an pauvre
souffrance: De nouvelles habitudes ont en- la poule au pot. Aujourd'hui que les nations
gendré de nouveaux besoins. Les doux tra- regorgent d'argent, qu'elles couvrent les
vaux de nos ancêtres nous sont devenus mers de leurs bâtiments et les marchés de
étrangers. La vie sédentaire, une mauvaise leurs denrées, la philanthropie, obligée de
nourriture, et un séjour habituel dans des vivre d'industrie, le met à la soupe écono-
lieux humides et malsains, ont ravi h notre mique.
peuple sa santé et sa vigueur naturelle.
La mendicité et les enfants trouvés sontt depuis la restauration, agir avec un redou-
deux plaies qui rongent la France. Elle eni blement d'énergie, et contribuer, les unes
a bien assez d'autres; mais celles-là tendentt plu*, les autres moins, a l'accroissementde
toujours à s'accroître, sans qu'il soit possi- la population, surtout de la population <u-
ble d'apercevoir le terme de leurs progrès, vrière et prolétaire, dont l'accroissement,
et encore moins d'en espérer la guérison, toujours plus rapide à raison de son nom-
tant qu'on ne pourra faire autre chose qu'enri bre, est favorisé par les travaux plus nom-
pallier les effets, et qu'on ne cherchera pass breux que le luxe et le besoin commandent
à en connaître les causes et à en combattre 3 à l'indigence.
le principe. Car, qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas,
Le médecin qui traite un chancre vif ett comme on le croit communément ou comme
rongeur ne se contente pas d'ordonner dess on le dit, le haut prix des subsistances ou
applications extérieures et des liniments, la rareté du travail qui produisent le mal
mais il défend sévèrement tout ce quii dont on se plaint ces deux causes passa.
échauffe et irrite les humeurs, et cherche3 gères font dans quelques lieux des pauvres
par un régime tempérant à adoucir et puri- et des nécessiteux; mais c'est plutôt le bas
fier la masse du sang. prix des subsistances et l'abondance du tra-
Le gouvernement vient toutefois de pren- vail qui sont la source du fléau général de
dre, contre ces deux fléaux de la société, la mendicité. En effet, les travaux d'art et
des mesures qui honorent sa bienfaisance; d'industrie font naître plus d'hommes qu'ils
mais si ces mesures, qu'on peut appelerr ne peuvent en nourrir, bien différents des
provisoires, soulagent momentanément le2 travaux agricoles qui nourrissent tous ceux
malade, il en faudrait de plus puissantess qu'ils font naître.
pour diminuer l'intensité du mal. Nous ne3 Les produits de l'agriculture, quelque
nous occupons dans ce moment que de laJ perfectionnéequ'on la suppose, sont cepen-
mendicité. dant bornés par l'étendue et la fertilité du
•C'est donc sans étonnement, mais avecj sol; les productions de l'industrie sont sans
une douloureuse prévision, qu'on a vu M. lea bornes comme la multiplication de l'espèce
préfet de police, digne de tous les respects humaine, et c'est avec raison que M. Mal-
et de toute la reconnaissance du public, thus, célèbre professeur de Cambridge, a dit
faire un appel solennel à la charité pari- que les produits de l'agriculture croissaient
sienne pour venir au secours des mendiantss en raison arithmétique, 1, 2, 3, 4, 5, etc.,
dont les dernières lois sur la mendicité> et l'espèce humaine, en raison géométrique,
n'ont pu que bien imparfaitement soulager 2, h, 8, 16, etc.
les besoins ou diminuer le nombre. On ne peut donc pas dire d'une manière
présent que les grandes scènes 'de lai absolue que les produits de la terre augmen-
révolution et les longues guerres qui l'ont tent avec le nombre des hommes employés
suivie n'occupent plus les esprits, qu'une à la cultiver, et l'on peut le dire de la ma-
longue paix et une plus grande sécurité ont nière la plus absolue des produits de l'in-
permis à l'industrie de déployer toutes ses dustrie, de celle surtout qui, non contente
voiles, qu'une agriculture mieux entendue de mettre en œuvre les produits du sol in-
a été payée de ses travaux par des récoltes digène pour les besoins de ses habitants.
toujours suffisantes, quelquefois abondantes; travaille les matières premières des quatre
enfin, à présent que l'égalité du partage at parties du globe pour Jes besoins du monde
déjà morcelé la propriété foncière, et mul- entier.
tiplié les familles agricoles, dont la propriété On me permettra ici un court parallèle
diminue à chaque génération, et finira par entre l'agriculteur et l'industriel.
s'évanouir, toutes ces causes, momentané- L'agriculteur ne vit peut-être pas plus
ment suspendues par la révolution, ont dû, longtemps que l'industriel, mais il conserve
plus longtemps ses forces, exercées
par des le lundi, et payé par semaine, tandis que le
travaux plus pénibles et plus sains, faits à valet agriculteur n'est payé qu'à l'année, il
l'air libre et toujours de jour; il est aussi dispose de son argent bien plus facilement
plus sobre et plus tempérant que l'indus-
que celui-ci pour le jeu ou le cabaret; il ne
triel, sa nourriture est plus réglée et plus fait presque jamais de réserve ni pour ses
saine; s'il se repose le dimanche, il travaille vieux ans, ni pour sa famille, car les ou-
le lundi. L'agriculture a des travaux vriers des fabriques sont presque tous ma-
pour
tous les âges, et .le vieillard, parvenu au riés. La réunion des deux sexes dans les
terme de sa carrière, la finit comme il l'a ateliers de l'industrie les dispose au ma
commencée, et garde autour de la maison riage, qui, contracté (le trop bonne heure,
les enfants et les troupeaux.
ne les sauve même pas du libertinage; et
Je ne parle pas de l'intelligence du labou- lorsque l'âge et les infirmités ont épuisé
reur, bien autrement exercée par la variété leurs forces, n'ayant rien amassé ni pour
des'travaux, la conduite, la réflexion, les
eux ni pour leurs enfants, ils n'ont, les uns
connaissances qu'exigent la culture de la et les autres, de ressource que dans la men-
terre et le soin des animaux, que celle de dicité ou les hôpitaux.
l'industriel, occupé toute sa vie à tourner Aussi c'est dans les villes manufacturières
une manivelle, faire courir une navette, ou que se trouvent le plus de mendiants, et
mouvoir un balancier. M. Malthus, que je citais tout à l'heure, re-
Je ne parle pas non plus de la différence
marque qu'en Suisse c'est dans le voisinage
que met entre le caractère et les habitudes des plus riches communes qu'il en a trouvé
de J'agriculteur, et le caractère et les habi- davantage.
tudes de l'indtistriel, l'indépendance du pre- L'industrie occupe la jeunesse, et peut-
mier, qui ne demande qu'àla nature et n'at- être même un peu trop dans un pays qui a
tend que d'elle le succès de ses travaux, et besoin de soldats, et ne peut assurément
la dépendance de, l'autre, qui attend tout de leur donner la solde que leur donne l'in-
l'homme, et ne demande qu'à lui. dustrie. C'est là ce qui s'oppose le plus au
Aussi lord Feldkirk, après avoir parlé de recrutement volontaire, et qui nous a valu
l'esprit guerrier, des habitudes généreuses, la conscription. Mais l'industrie abandonne
du caractère exalté des montagnards d'E- aussi la vieillesse et l'infirmité. Le gouver-
cosse, se plaint de la disposition qu'ils ont à nement aurait trouvé autrefois de puissants
émigrer en Amérique (1), depuis les chan-
moyens de les assister, dans l'institution eu-
gements survenus dans leur état au milieu ropéenne des corporations des arts et mé-
du dernier siècle, et après ia bataille de Cul- tiers, qu'il pouvait obliger à faire des fonds
ioden, et il ajoute « S'il ya quelque
moyen pour leur soulagement, et qui même en fai-
de retenir ces hommes dans leurs foyers, saient souvent.
ce
ne peut être que par l'introduction de quel- Ecoutons ce que disait, il y a quelques
que nouvelle branche d'industrie. Si l'on y années, le premier magistrat du canton de-
réussit, ces hommes prendront le genre de Glaris, le landammam Hehr, dans un dis-
vie et les habitudes des ouvriers de fabri-
cours prononcé à la Société économique de
ques. Ils pourront, comme d'autres, fournir
ce canton. « L'art de travailler le coton avait
quelques recrues, mais ils ne ressembleront été transplanté dans cette vallée; la facilité
pliis à leurs ancêtres. » ie l'ouvrage, le prix élevé du travail, ne
L'industriel, appliqué à des travaux sé- (mouvaient
dentaires, dans des lieux fermés, obligé sou- ] manquer d'attirer des ouvriers à
(;e genre de fabrique. Un rouet était une dot,
vent de travailler la nuit pour suppléer, par
iin tisserand était un homme dans l'aisance
ce travail extraordinaire, à la modicité de ()n se livrait à cette espèce d'occupation
son salaire, est beaucoup' plus tôt infirme
{ivec empressement, on jouissait du présent
que l'agriculteur. Echauffé par la continuité ssans s'inquiéter de l'avenir. Qu'est devenue
et l'uniformité de son travail, par les veilles :ette richesse? Le
forcées, il, se fait un besoin de l'intempé- (lemande quart de notre population
l'aumône, d'honnêtes pères de fa-
ran'ce; s'il se repose le dimanche, il s'enivre cnille,
i leurs femmes, leurs enfants, luttent
(1) C'est cette émigration en Amérique,
suite de tous ics changements amenés par frolcismilb, dont l'abbé Delille a si heureusement
par t'indus- t raduit plusieurs morceaux dans son Homme dus
trie, qui (ail le sujet rt'mi des poèmes les plus par-
faits de l'Angleterre, le Ydfoge abandonné, '•hampe.
par
pareillement contre la misère et la faim, francs. Voilà un grave sujet de réflexion
supportant leur sort avec résignation, mais pour nos économistes industriels
vivant dans l'angoisse et la souffrance. De L'industrie est donc .une cause extrême-
nouvelles habitudes ont engendré de nou- ment active et continuellement agissante de
veaux besoins; les doux travaux de nos an- population, et plus active à mesure que îe
cêtres nous sont devenus étrangers. La vie bas prix des subsistances et l'abondance du
sédentaire, une mauvaise nourriture et un sé- travail en hâtent et favorisent le développe-
jour habituel dans des lieux humides et mal- ment car lorsque, suivant la remarque du
sains ont ravi à notre peuple sa santé et sa landamman Hehr, un rouet est une dot, un
vigueur naturelle. tisserand un homme dans l'aisance, et un
« Je m'arrête à regret sur ce spectacle métier à tisser une métairie, il se fait plus
mais je dois appeler votre, attention sur les de mariages, il naît plus d'enfants il y a
suites immédiates de cet état de choses je plus par conséquent d'êtres que l'industrie
veux parler de l'accroissement de la popu- ne peut pas occuper encore, d'autres que
lation, de la nécessité de pourvoir à son entre- plus tard elle ne pourra plus occuper du
tien, de la fréquentationplus facile des per- tout, et par conséquent plus de misère et de
sonnes de différent sexe, de ces mariages pré- mendicité.
coces contractés par des en fants qui auraient Il est si bien reconnu que l'industrie est la
encore le plus grand besoin de la surveillance mère féconde de cette populationindigente,
paternelle. » que Malthus désirerait forcer une grande
Ecoutons aussi ce que nous rapporte la partie de la classe ouvrière à s'abstenir du'
Revue d'Edimbourg de 1828, qui certes ne mariage, et que Scarlett, autre membre des
doit pas être suspecte, sur la misère tou- communes, et, je crois, écrivain économiste,
jours croissante de l'Angleterre qui suc- propose au parlement d'Angleterre un bill
eombe sous l'insupportable fardeau de la tendant au même but chose remarquable
taxe des pauvres. -assurément, que les écrivains protestants,qui
« La population » dit ce journal ont tant déclamé contre le célibat volontaire
«s'accroît outre mesure, et il n'y a ja- de la religion catholique, en soient venus à
mais d'égalité entre le travail demandé recommander le célibat forcé, qu'à la vérité,
et le travail à faire. Des paroisses sont pour sauver un peu les apparences ils n'ap-
surchargées de trente, quarante, cinquante pellent que contrainte morale.
laboureurs pour lesquels elles n'ont au- Et certes, pour se convaincre des progrès
cun emploi. Bientôt les effets ont corres- immenses de l'industrie, dont on ne montre
pondu aux causes des hommes capables de que le côté brillant, on n'a qu'à jeter les
travailler se livrent à la débauche; le père yeux sur la France et sur l'Europe, pour y
néglige ses enfants, et les enfants ne son- voir des villages devenus des bourgs à la
gent pas à nourrir leurs pères; les maîtres faveur de l'industrie, des bourgs devenus
et les serviteurs sont perpétuellement en des villes, et en même temps les maisons de
querelle; le crime se montre avec une har- détention, les hôpitaux, les bagnes, les lieux
diesse toujours croissante, et l'Angleterre, où l'on renferme les grands et les petits va-
malgré ses prisons et ses châtiments, est in- gabonds, et qu'il faut sans cesse agrandir,
festée de vagabonds et de voleurs. Les occupant les derniers plans de ce vaste et
ouvriers vont se dégradant de plus en plus; séduisant tableau.
leur nombre dépasse déjà tous les besoins, Et qu'on ne pense pas que ce soit dans
et si l'on permet que la mesure porte ses l'intérêt de l'humanité qu'un certain parti
fruits (la nouvelle taxe des pauvres), elle peusse de toutes ses forces au développe-
couvrira le pays de la pauvreté et de la mi- ment excessif de l'industrie, etse plaint sang
sère la plus abjecte. et toutes les classes cesse que le gouvernement n'en favorise
industrielles dela société vivront désormais pas assez les progrès, même lorsqu'elle es'
d'aumônes. au plus haut point de prospérité. Ce parti
« La taxe des pauvres en 1748, 1749 et tient pour elle en réserve l'immense atelier
1750, s'élevait, pour chacune de ces années, des révolutions, qui donne de l'occupation à
à 730,155 liv. sterl. toute la population industrielle, à tous les
« En 1817 et 1818, elle s'est élevée jus- âges, à tous les sexes; car, pour détruire.
que la somme énorme de 9,320,440 liv. tout le monde est bon, et si l'on donnaitè
sterl., » c'est-à-dire, plus de 242 millions de une Dopulalion d'enfants le château des
Tuileries à démolir, les pius petits casse- rir les pauvres, et elle s'acquittait généreu-
raient les vitres, les plus grands mettraient sement de ce pieux devoir; il n'y avait
le feu aux combles, et tous ensemble ne point de ville qui ne renfermât plusieurs
construiraient pas une cabane de berger. couvents, point de campagnes qui n'eus-
Une autre cause extrêmement active de sent dans leur voisinage quelque riche mo-
population indigente est le morcellement nastère les pauvres allaient de l'un à l'au-
toujours croissant, et à chaque génération, tre, et n'aflluaient pas, comme aujourd'hui,
de la propriété foncière, qui résout le pro- dans les mêmes lieux (1). Ces grandes pro-
blème de physique de la divisibilité de la priétés, bien cultivées, bien bâties, dont les
matière à l'infini. En effet, si vous supposez fermiers, moins pressés par des maîtres
qu'unefamille vit aujourd'huidans l'aisance moins avides et tranquilles sur leur avenir,
avec une propriété foncière d'une valeur faisaient souvent de grandes fortunes ces
quelconque, obligée de la partager entre grandes propriétés étaient de véritables gre-
tous les enfants, qui tous, une fois proprié- niers d'abondance, les seuls même qu'on
taires, veulent faire une famille, au premier puisse établir et surveiller; et si l'on se
partage, cette propriété sera à peu près ré- plaignait que les distributions abondantes
duite à la moitié au second, au troisième, qui s'y faisaient favorisaient l'oisiveté, au
la propriété de chacun se réduira de plus en moins, en faisant, si l'on veut, des pauvres,
plus, jusqu'à ce qu'elle tombe dans les infi- la religion les nourrissait, tandis que l'in-
niment petits, et alors l'homme possesseur dustrie en fait, et ne les nourrit pas.
d'un lambeau de propriété épuise le sol et Les acquéreurs des biens du clergé n'ont
s'épuise lui-même pour en tirer la subsis- pas hérité de ces charges, et le gouverne-
tance de sa famille; il meurt souvent de ment est aujourd'hui le seul et grand dis-
bonne heure, et laisse une famille dans la tributeur dés secours publics. Mais le pau-
misère. vre recevait l'aumône des mains de la reli-
Ainsi remarquez bien qu'aujourd'hui l'in- gion comme un bienfait; il la reçoit des
dustrie emploie les grandes machines, et mains du gouvernement comme une dette,
l'agriculture les petites. On file avec des parce qu'il sait que le gouvernement peut
machines de la force de cent, de deux cents au besoin exiger comme un impôt ce qu'il
chevaux, et l'on cultive avec la bêche et le demande aujourd'hui comme un don gra-
hoyau et quoiqu'il y ait de grands proprié- tuit, et que, s'il nourrit à ses frais, loge,
taires qui cultivent avec des moyens puis- habille et garde dans ses maisons de déten-
sants, tel riche cultivateur qui emploie au- tion et de correction des troupes de malfai-
jourd'hui les procédés de la ferme de Ro- teurs et de vagabonds, il doit donner du
ville et la charrue belge, peut voir dans l'a- pain à des hommes qui ne sont que malheu-
venir le temps où ses enfants seront forcés reux.
de cultiver à la bêche, et, comme le disait Cet appel solennel fait à la bienfaisance
un grand propriétaire à l'auteur de cet écrit, publique, lorsque la charité particulière est
seront peut-être un jour valets là où ils sont mise par des quêtes de toute espèce si sou-
maîtres. •
Sans doute,'cette culture à bras peut pro-
vent à contribution; cette mesure, prise une
fois, et, je l'espère, avec succès, sera répé-
duire sur le même sol un peu plus de blé tée toutes les fois que la même cause la
ou de pommes de terre dans un temps don- rendra nécessaire et, comme le nombre des
né mais convient-elle à une grande nationi indigents doit, comme nous l'avons prouvé,
propriétaire cette pauvre et chétive cul- croître avec les progrès de l'industrie, et
ture qui ne peut avoir d'excédant, ne faitt aussi bien avec ses succès qu'avec ses re-
jamais de réserve, et, après avoir, si l'on vers et croître encore avec l'égalité des
veut nourri péniblement quelque temps• partages continuellement répétés, la conti-
une grande population, peut, aux premiè- nuité des besoins doit amener, plus tôt ou
res rigueurs des saisons contraires, la lais- plus tard, la continuité des mesures propres
ser tout entière exposée aux peines et aux à les soulager. Et qu'est-ce que cette conti-
embarras de la disette et du besoin ? nuité de bienfaisance, qu'une nouvelle taxe
Autrefois la religion était chargée de nour- des pauvres et n'est-ce pas déjà une taxe
(1) Les huit maisons des Jésuites supprimées, et la seule maison de Saint-Acheul donnait plus de
quoique sans revenus ascurés, donnaient tous les 50,600 IV. par an aux pauvres de la ville d'Amiens
jours le vain et la soupe à plus de mille pauvres, ou des environs.
-277 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 3288
des pauvres que cet entretien forcé des hos- douteà ce'sujet, et que,
peut pas y avoir de doute
pices et des maisons de correction et de dé- si l'on veut en chercher les causes, on les
tention ? trouvera, non dans la rareté des vivres ou le
Nous devons même, en France, arriver à défaut de travail, mais dans le relâche-
cette taxe des pauvres beaucoup plus tôt ment de la discipline et la corruption des
qu'on y est arrivé en Angleterre, qui, après mœurs, etc.
la destruction de ses établissements se Sous la reine Anne, Defoë, autre écrivain
trouva dans une situation tout à fait sembla- économiste, voulait qu'on n'accordât aucun
ble à celle où nous nous trouvons aujour- secours aux pauvres, dont il attribuait la
d'hui mais qui, pour empêcher la mendi- pauvreté à leurs crimes et à leurs excès,
cité, qui aussitôt après devint effrayante, sans que ni lui ni Locke se fussent demandé
prit alors des mesures que l'humanité et la d'où venait une corruption de mœurs ou des
religion catholique ne permettraient pas de excès inconnus en Angleterre avant la ré-
prendre contre des malfaiteurs. forme.
Laissons en parler les historiens. Il y a beaucoup trop de raison et d'huma-
On trouve le commencement des lois sur nité en France pou.r qu'on se porte jamais
les pauvres dans un acte de la vingt-sep- coritre les mendiants à de telles extrémités,
tième année du règne de Henri VIII. Cet et c'est ce qui m'a fait dire qu'après avoir
acte autorisait les schériffs, les magistrats et épuisé les moyens de persuasion et les dons
les marguilliers à faire lever des aumdnes pour soulager la classe indigente. «' nous
volontaires, et en même temps il punissait sommes jamais forcés d'en venir à des me-
les mendiants qui persévéraient dans leur sures obligatoires, nous les prendrons beau-
état, en leur faisant couper une partie de l'o- coup plus tôt qu'on ne les a prises en An-
reille, et même en les mettant à mort comme gleterre.
des malfaiteurs, s'ils y retombaient. Et cependant l'Angleterre, avec une po-
Le jeune Edouard commença son règne pulation près de moitié moindre que la nô-
par un acte qui, pour punir les mendiants, tre, trouve dans ses vastes colonies, dans un
les faisait marquer avec un fer rouge et les commerce qui embrasse le globe tout en-
faisait réduire en esclavage pendant deux tier, dans ses grandes et indivisibles pro-
ans, donnant à leurs maîtres le droit de leur priétés, l'humeur un peu nomade de ses ha-
faire porter un collier de fer, et de les nour- bitants, et la grande consommation d'hom-
rir au pain et à l'eau. mes que fait sa navigation l'Angleterre,
Elisabeth, après avoir tenté en vain trois dis-je, trouve des moyens d'occuper ou de
fois de suite de faire soulager les pauvres nourrir la partie indigente de la nation,
par des aumônes, fit l'acte obligatoire qui moyens qui n'existent pas à beaucoup près
est en vigueur aujourd'hui, qu'on appelle la en France au même degré.
taxe des pauvres, adopté la quarante-sep- L'étendue et la multiplicité des entrepri-
tième année de son règne, et qui est devenu la
ses industrielles qui élèvent an profit de
une charge si pesante pour les propriétai- démocratie d'immenses fortunes en capi-
res, comme nous l'avons vu. taux, la division toujours croissante de la
Pendant ce règne et les règnes précé- propriété foncière, qui ruine et détruit au
dents, on avait accordé des licences pour détriment de la monarchie les grandes for-
mendier; mais à la fin il fallut en venir a la tunes en propriétés foncières, sont deux
taxe obligatoire. fléaux patents et incontestables et, comme
Après l'avènement de Guillaume, et lors- si ce n'était pas assez pour morceler la pro-
qu'on eut créé une banque et une dette pu- priété foncière, des partages continuels dé
blique, le nombre des pauvres augmenta famille, ou même des spéculations particu-
dans une proportion s-i démesurée, que le lières qui tirent un meilleur parti des ven-
parlement renvoya devant une commission, tes faites par petits lots, des bandes noires
à l'effet de chercher et d'indiquer uu remède d'acquéreurs parcourent la France, et achè-
à leur importunité. tent en gros, pour les revendre en détail,
Locke était membre de cette commission, les grandes propriétés, genre de commerce
et il dit dans son rapport que la multipli- où les spéculateurs trouvent sans doute un
cité des pauvres et la nécessité de l'augmen- grand profit, mais qui semble avoir été ins-
tation de la taxe pour les soulager sont tel- piré de plus haut, comme un appendice de
lement avouées de tout le monde, qu'il ne la révolution, et une sorte de loi agraire
qui fut le rêve de tous les Etats populaires. propriété à nourrir l'industrie, soit
Il semble cependant que l'industrie creusee sommant ses produits, soit en con-
en soulageant
à elle-même son tombeau, lorsqu'on voitt ses besoins, si la consommation
ne suffît
tous les gouvernements, possédés de la1 pas à la production, et qu'elle soit forcée
même fureur d'industrie, vouloir toujourss alors de s'arrêter et de réduire le
nombre ou
vendre et en même temps acheter le moinss le salaire de ses ouvriers. Or, le
possible, favoriser les exportations, res- ment est en quelque sorte le canal gouverne-
treindre les importations, s'entourer d'unei la propriété vient au par lequel
secours de l'industrie.
armée de douaniers pour repousser de leurss II remplit ce devoir cette nécessité de
frontières l'industrie étrangère, et aujour- deux manières, soit ou
en imposant directement
d'hui que les machines en ont partout éga- la propri été pour soulager l'indigence,commee
lisé les procédés, chercher à se créer une) il a fait en Angleterre
par la taxe des pau-
industrie purement nationale. vres soit en donnant à ses agents, dans
Les machines, que tous les jours la sciencei toutes les places d'administration, des
trai-
de la mécanique invente ou perfectionne, tements qui, d'un côté,
sont la rétribution
ne sont pas en usage depuis assez de temps légitime de leurs services et le juste dédom-
pour qu'on ait pu encore juger avec certi- magement des occupations lucratives aux-
tude l'effet qu'elles doivent produire sur la quelles ils ont renoncé
société mais s'il est permis de le conjectu- professions publiques,
en embrassant les
et de l'autre, leur
rer, d'après ce que nous en connaissons, on donnent les moyens de vivre avec hon-
peut croire que l'immense quantité de bras neur et décence, et de faire ainsi honorer le
qu'elles économisent, tandis qu'elles multi- gouvernement dont ils
sont les agents. Je ne
plient à l'infini la production, doit, en dimi- suis
pas, à beaucoup près, pour l'augmen-
nuant le travail, diminuer en même temps tation des subsides je voudrais même, et
la population, et par conséquent la consom. je le crois possible, qu'on
supprimât les im-
mation et n'est-ce pas déjà à cette cause pôts qui
se lèvent par contrainte, comme
qu'il faut attribuer l'incroyable vilité de l'impôt foncier, supprimé à peu près en An-
prix de certains produits de fabrique, qui gleterre, et
que Je citoyen ne payât que des
autrefois se vendaient à un prix bien plus impôts volontaires, les impôts indi-
élevé, lorsqu'il fallait, pour les produire, un rects. Je tiens mêmecomme chez
plus grand nombre d'hommes, et d'hommes franche, que, une nation
comme étaient les Francs, nos an-
mieux payés? cêtres, sauf les dangers extraordinaires do
Il y a, ce semble, quelque contradiction l'Etat, qui
peuvent demander des mesures
à ne se servir que de machines pour pro- extraordinaires il
duire, et à demander beaucoup d'hommes trainte ne doit y avoir de con-
que contre les méchants, et quo
pour consommer, en réduisant en même l'homme, l'homme delà famille, l'homme
temps au plus bas prix possible le salaire domestique,
ne devrait être employé à des
du petit nombre de ceux que les machines services publics
emploient. Aussi l'on a vu, particulièrement c'est là que de son plein gré; et
que je vois uniquement les libertés
en Angleterre, des populations entières publiques.
d'ouvriers se porter avec fureur contre ces
machines, et demander en même temps une
Ainsi, dans une grande nation proprié-
taire, où l'industrie a pris un si prodigieux
augmentationde salaire.
essor, et où il s'est formé une immense po-
Il est assez remarquable que, dans le même pulation qui
ne peut vivre que de travaux
temps où l'on se plaint de la multitude et industriels, ce n'est qu'avec
de l'importunité des pauvres, qui ne peu- circonspection qu'il faut une religieuse
se lancer dans le
vent vivre que du salaire de l'industrie, et où système des réductions
l'on est forcé de prendre des mesures extraor- le luxe même et des économies
et je n'en suis pas le par-
ainaires pour les soulager, nos assembléeslé- tisan, le luxe
sert à l'industrie, et lors-
gislatives ne s'occupent que d'économieset de qu'on l'a laissé
réductions de traitements. II faut cependant France, gagner au point où il est en
ce n'est qu'insensiBlement qu'un
prendre garde que, s'il s'établit un immense peut détruire
atelier de travaux industriels chez une ou arrêter le cours de ce fleuve
na- qui fertilise une si vaste campagne. Une ré-
tion continentale, propriétaire d'un vaste duction d'impôts fonciers, à peine sensible
territoire, et par conséquent forcément et
sur une propriété aussi morcelée qu'elle
presque
-l_~^wx^
exclusivement agricole, c'est à la l'est France,
.r.
ll7ir"crnr.c
OEUVRES compl. r._
ogiiunc, v e»i a i« est en rrance, ou
de M.
J1.7
DE n
BoNALD. Il.
S3
ou d'impôts
a impôts indirects, moins
111
531 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 532
sensible encore sur une immense consom- l'a produit, et lorsqu'il la demande à l'Etat.
mation, peut être infiniment préjudiciable à qui ne laboure ni ne file, le gouvernement
l'industrie et contrarier les mesures du gon- ne peut la donner aux uns sans l'ôter aux
vernement pour en soulager les besoins il autres, nourrir les familles indigentes qu'aux
faut même penser que ce qui est fait par lai dépens des familles propriétaires, ni se-
bienfaisance publique retombe à la charge courir les pauvres sans faire des malaisés.
de la charité privée, et c'est encore un nou-• La charité particulière devient alors un suh-
vel impôt. side, et la bienfaisance publique ressemble
>Et cependant, que sont, pour soulager• à l'oppression. Lorsqu'il n'y avait dans nos
tant et de si pressants besoins, tous les ef- sociétés d'Europe ni commerce ni argent,
forts de la charité privée ou de la bienfai- la bienfaisance songeait à donner au pauvre
sance publique? Que sont même 200,000 fr., la poule au pot aujourd'hui que les nations
somme à laquelle les journaux nous disentt regorgent d'argent, qu'elles couvrent les
que se monte déjà la souscription proposée?? mers de leurs vaisseaux et les marchés de
Ainsi faites par tous les moyens prospé- leurs denrées la philosophie le met à la
rer dans un pays le commerce extérieur;j soupe économique.
couvrez-le d'ateliers, de fabriques, de ma-
nufactures rendez plus active la circula- Qu'on ne croie pas cependant, d'après tout
tion de l'argent, et forcez à tout prix la po- ce que j'ai dit sur l'industrie, que j'en sois
pulation à s'accroître au delà de ce que laï le détracteur et l'ennemi. Je ne suis l'en-
religion peut en instruire, de ce que le gou- nemi de rien de ce qui contribue à l'orne-
vernement peut en contenir, quelquefois de» 'ment et au bien-être de la société j'honore
ce que l'agriculture ou le commerce peuventt au contraire une sage industrie, et m'élève
en. nourrir, et tenez-vous pour assuré qu'il1 seulement contre son indiscret et excessif
vous faudra bientôt entasser une partie dee accroissement,qui trop souvent lui fait trou-
cette population factice dans les prisons, ver en elle-même sa propre ruine; et, en
dans les hôpitaux dans les dépôts de men- cela, j'ai pour moi le témoignage des hom-
dicité, et mettre l'autre au régime. Alorss mes habiles de l'Angleterre, qui, sous le
l'ordre nature) est interverti. L'homme doitit rapport de l'industrie et de son influence sur
trouver sa subsistance dans la famille quili la société, peuvent être juges sans appel.
La Convention, de hideuse mémoire, dé- Ainsi, dans un temps, les lois ont encou•
créta des récompenses pour les filles-mères, ragé les naissances illégitimes, et dans un
fa-
et l'auteur de cet écrit en a vu encore long- autre, elles ont donné les plus grandes
temps après, venir, leur enfant au bras, à la cilités pourl'exposition publique des enfants
porte du ministère de l'intérieur, réclamer On a cru, par cette dernière mesure, pré-
la prime promise à leur honteuse fécondité. venir les infanticides; et l'on peut se con-
Assurément rien de semblable ne s'était en- vaincre, en compulsant les registres des tri-
core vu dans la législation d'aucun peuple. bunaux, qu'ils n'ontjamais été plus fréquents
les
On eût dit que les naissances illégitimes que de nos jours, et malheureusement
étaient destinées à remplacer tant de morts infanticides connus peuvent en faire suppo-
injustes ordonnées par les bourreaux légis- ser beaucoup de secrets.
lateurs, et que la débauche devait servir de L'enfant n'est un être sacré qu'aux yeux
compensation à l'assassinat. de la religion; il est incommode et sans va-
Après avoir fait naître des enfants, il fal- leur aux yeux de la politique, qui ne peut
De là l'exposition
lait pourvoir à leur subsistance, et plus tard se servir de sa faibiesse.
il fut enjoint aux hospices de placer à leur publique des enfants en usage.chez les peu-
porte un tour, qu'il suffit d'ouvrir et de re-• ples idolâtres, comme les Chinois qui les
fermer pour mettre un enfant à la charge de) sacrifient par centaines à l'esprit du fleuv«,
l'État. dit lord Màrcartney. et autrefois pratiquée
«“
333 PART. ,L ECONOM. SOC. SUR LES ENFANTS TROUVES. 354
chez
cnez les
les peuples de l'antiquité les plus po- Henri II,
licés, les Juifs exceptés, qui,
IL sur
sur les .UpU^™* de
ta* déclarations h» grossesse;
par circon- le gouvernement a pris deux mesures, non
la
cision, les marquaient du sceau de la religion
pas pour diminuer l'accroissement de cette
comme Je font encore les mahométans qui malheureuse population, ce qui est hors de
l'ont prise des Juifs. On sait
que chez les sa puissance, mais pour soulager ses finan-
Romains, l'enfant naissant était déposé ces et celles des hospices et des départements.
aux
pieds du père qui ne lui permettait de vivre Il a donc ordonné qu'on mît aux enfants
qu'en le levant de terre; d'où nous est
ve- en nourrice un collier ou cordonnet de soie,
nue l'expression élever un enfant. dont les deux bouts sont scellés dans un
La religion seule protège la faiblesse de plomb,
et qu'il se fît une transmigration ou
l'âge comme celle du sexe et de la condi-
versement d'un département dans un autre,
tion, et l'on ne, sait pas tout ce que sauvait d'enfants
d'enfants, même illégitimes, la nécessité du inspecteurs
au-dessus de dix à douze ans. Des
particuliers ont parcouru les
baptême lorsqu'il y avait plus de religion départements
pour surveiller l'exécution de
chez les peuples, et tout ce qu'en
sauve en- ces mesures, et ont muni les hospices, aux
core même de légitimes la défense publique- frais de ces établissements, des colliers
ment faite par l'Eglise aux mères et aux presses nécessaires. et
nourrices, sous peine d'excommunication, Ces deux mesures prouvent, ce me
de placer dans leur lit avec elles, avant sem-
un ble, les bonnes intentions de ceux qui les
certain âge, leur enfant au berceau, qu'elles
risqueraient d'étouffer pendant qu'elles dor- des conçues, plutôt que leurs connaissances
ont
mœurs, des préjugés, des sentiments,
ment. des habitudes du peuple, que la plupart de
Les mesures dont nous venons de parler,
ceux qui, par devoir, s'occupent de lui, n'ont
pour encourager les unions illégitimes, ont guère vu
porté leurs fruits, et ces deux fléaux de la que de leurs fenêtres.
Le gouvernement a été guidé dans l'adop-
société ont franchi toutes les bornes. tion de
On n'a qu'à consulter les registres des plus de ces mesures par
deux idées où il yaa
philanthropie que de vérité.
hospices pour se convaincre de l'accroisse-
Il qu'il y avait dans les hospices un
ment prodigieux du nombre des enfants granda cru nombre d'enfants légitimes, clandes-
trouvés. On l'a vu, dans les statistiques de tinement exposés
la ville de Paris, s'élever au tiers du nombre par leurs parents. L'ex-
position
] au moyen des tours est si facile et
total des naissances, et j'ai vérifié moi-même si secrète, qu'on ne peut pas savoir si ceux
i
que des hospices de petites villes, qui n'en qu'on < expose sont légitimes, et qu'on ne
avaient jamais eu à nourrir que dix-huit
ou doit
vingt, en comptent aujourd'hui près de trois <cela pas
croire qu'ils le soient. Toutefois, si
( était, on ne pourrait en accuser que
cents. cette
c extrême facilité d'exposer les enfants,
On peut croire que le nombre s'est élevé donnée à
tous ceux qui veulent se débar-
dans tous les départements, Paris excepté, à i
rrasser des leurs.
un nombre à peu près égal, eu égard à leur Le gouvernement s'est donc persuadéque
population respective, et si l'on en compte |
la tendresse des parents se réveillerait lors-
un plus grand nombre dans quelques dé- qu'ils verraient leurs enfants
partements moins peuplés et moins riches àq être légitimes prêts
que d'autres, c'est sans doute que dans
i marqués par le collier d'un sceau in-
ces dJélébile de bâtardise (et cela même est un
départements la religion a plus de force,
nal), ou à être transportés loin de leurs fa-
moins peut-être pour empêcher les faibles- n
nilles, dans un département étranger. Mais
ses que pour prévenir surlout les crimes qui c,nîomme
attentent à la vie de t'enfant avant ou après ce ne peut être que l'extrême misère
sa naissance. qlui a forcé les parents à exposer leurs en-
f8ants, et presque toujours
Enfin le gouvernement, averti par sans se ménager
son aiucnn moyen de les reconnaître un jour,
budget de l'excessive multiplication des
en- q[u'y gagneront ces malheureux enfants, que
fants trouvés, averti par les réclamations des dle mourir de faim
et de froid dans une fa-
conseils généraux, obligés d'appliquer à maille qui
ne sera peut-être pas Ja leur, ou
leur entretien tout ce qu'ils ont de plus dis- d''aller de porte
en porte mendier un faible
ponible pour les besoins de leurs départe-
seecours, au lieu d'être nourris, vêtus et le-
ments, et dont un grand nombre ont, de g^és à l'hospice? Si l'on
désespoir, demandé qu'on revînt à la loi de tri'aire, suppose, au con-
que des parents dénaturés les auraient
les garder chez
exposés par avarice, et quoiqu'ils eussent lee que celles qui ne pouvaient
de les nourrir, il résulterait pour euxx elles gratuitement les ont soumis au collier,
moyen
telle honte lorsque les enfants rappelés•s et ce n'est qu'avec une extrême douleur que
une elles les verraient éloi-
chez eux, et qu'on avait peut-être crus is beaucoup d'entre
morts, dévoileraient leur crime aux yeux du u gnés de leur pays, sans espoir de les revoit
aimés
public, qu'ils n'oseraient jamais s'exposera à jamais. Ces êtres malheureux ne sont hô-
l'infamie de cette révélation, et sûrs de-n'ê- i- que des bonnes Sœurs qui dirigent les
s- pitaux, et de leurs
nourrices. On en voit
tre jamais découverts, préféreraient les lais-
ser à l'hospice où ils les ont déjà abandonnés. même s. plusieurs gardés par les pères nour-
dans la mai-
L'autre idée qui a trompé et séduit le gou- i- riciers après le sevrage, rester s'y marier
vernement, est que Jes malheureuses qui Ji son qui les a adoptés, quelquefois
c'est peut-
ont donné le jour à des enfants illégitimes îs avec des enfants de la maison et
les retireraient chez elles, plutôt que de les ys être à cette porte qu'il faut frapper, si l'on
-voir marqués du fatal collier et éloignés §s veut assurer un peu mieux le bien-être mo-
d'elles et de leurs pays. ral et physique de ces enfants.
Ce n'est guère que dans les romans et les 3S Au reste, je ne peux guère regarder l'or-
enfants
mélodrames que l'on voit de ces bèauxsen- i- dre du déplacement général des départe-
d'un
'timents des filles-mères pour leurs enfants, s, trouvés, et de leur versement
encore y finissent-elles ordinairement par ar ment dans un autre, que comme une mesure
conçoit même pas
épouser leur séducteur. Ces malheureuses es comminatoire, et l'on ne
sont presque toujours de pauvres filles de je comment elle serait exécutée. Si elle pouvait
toutes de la condition le
de l'être, ces enfants, ainsi transplantés dans
campagne, presque ni aimés de
servantes, séduites par leurs maîtres mariés, ;s, des lieux où ils ne sont connus
rs qui que ce soit, où personne ne les réclame
ou par des valets. Renvoyés de chez leurs accueillis avec le
maîtres, chassées de-chez leurs parents pour ur et ne s'intéresse à eux,l'indifférence qu'on
leur mauvaise conduite, n'ayant ni feu ni mépris ou du moins avec
lieu, que veut-on qu'elles deviennent avec ec témoigne pour
des étrangers marqués du
qui ne peuvent être
leur enfant qu'elles seront obligées de nour- tr- sceau de la bâtardise, et
le pays qui les reçoit;
rir elles-mêmes, ou de mettre en nourrice, ;e, qu'une charge pour
plus exposés
et qui, par les soins qu'il demande, ou même ne ces enfants n'en seraient que
;a- au vagabondage par
lequel presque tous fl-
par sa seule présence, les empêchera de ga-
leur vie, de mettre en condition, ou nissent, et à tous les désordres qui en sont
gner se
de trouver un mari? Le plus grand nombre, re, la suite.
et presque toutes, seront fort aises qu'on ies les Ces mesures, je le repète, peuvent mo-
de plus entendre
ire mentanément alléger un peu le fardeau qui
en débarrasse, et ne en
parler; et certes ce serait un grand aie pèse sur l'Etat, les hospices et les départe-
scandale
dans les villes où la licence des mœurs n'est est ments; mais elles peuvent aussi compro-
trop commune, et un plus grand dans
ms mettre l'existence physique et morale de ces
que
les campagnes où les bonnes moeurs se sont ont êtres infortunés.
mieux conservées, que le spectacle de ces C'est donc une grande plaie que cette nom-
malheureuses filles étalant aux yeux des ies breuse population d'enfants exposés mais
jeunes personnes leurs compagnes et leurs urs c'est de plus une plaie incurable dans l'étal
amies, les fruits de leurs faiblesses, finissant ant présent de notre société, et, comme celle de
s'accroître
trop souvent parfaire, pour vivre, métier de la mendicité, elle ne peut que
la prostitution, et portant ainsi au sein.des des Autrefois les enfants exposés étaient nour-
familles et dans les mariages le désordre et ris aux frais des seigneurs de la terre où
la division. ils étaient trouvés, soit que la seigneurie ap-
Peut-être la nouveauté de ces mesures ires partînt au roi ou à
des seigneurs particu-
fait, premier moment, reti-
*ti- liers, et les procureurs du roi dans les jus-
imprévues a au
des hospices quelques enfants qui ont
seront tices royales, et les procureurs fiscaux. dans
rer soin, chacun dans
bientôt remplacés par d'autres, et sans doute >ute les autres, avaient grand
filles enceintes
aussi que les inspecteurs ne manqueront pas son ressort, d'exiger des Henri II, des dé.
de faire valoir les succès qu'ils ont obtenus. lus. conformément à la
loi de
la
Mais ce sont les nourrices qui ont témoigné gné clarations de grossesse qui plaçaient sous
pauvres enfants une tendresse rai-
vrai- protection de la loi la vie de l'enfant à naî-
pour ces
à laquelle attachait alors plus d im-
ment maternelle; ce n'est qu'en pleurant
rant tre, on
557 MRT. I.ECONOM. SOC." -SUR. LES ENFANTS TROUVES. 358
portance qu'à l'honneur
portance l'honneur de la mère déjà si pression de leurs collèges.
colléges.LeLegouvernement,
gouvernement,
compromis. Je connais des terres où les an- en cédant à cette exigence, consterné bien
ciens seigneurs refuseraient de reprendre des familles respectables a scandalisé les
et
tout ce qu'ils ont perdu, par les lois de la Catholiques. Il a obéi peut-être des
révolution, d'honneurs et des revenus, s'ils par mo-
tifs toutlpolitiques à des volontés toutes irré-
ne pouvaient les reprendre qu'à la charge ligieuses. Dans tous les établissements d'é-
de nourrir les enfants exposés. ducation publique ou particulière, la religion
Au reste, la mesure sévère des déclara- -est un cours comme le grec ou les mathé-
tions de grossesse avait puissamment con- matiques un collége de religieux est une
tribué à diminuer le nombre de naissances paroisse, et si l'on peut instruire les enfants
illégitimes, et à prévenir l'infanticide; plu- sur la religion dans une classe, on ne peut
sieurs départements ont demandé qu'on y les toucher qu'à l'Eglise; car la religion est
revînt, et si les mesures prises par le gou- pour les enfants plutôt sentiment que con-
vernement n'ont aucun succès, tous, avant naissance, et autant l'un que l'autre pour les
peu, le demanderont; et c'est, je crois, un hommes les plus éclairés.
des vœux des conseils généraux qui leur a C'est avec étonnement que j'ai lu dans un
le plus mérité le courroux des libéraux, ria-
journal du ministère du 4 janvier, qui par-
turellement opposés à tout ce qui est favo- lait des Jésuites, que ces Omars dévots-
rable à l'ordre et au bien-être de la société. avaient déclaré la guerre à l'esprit humain.
Le gouvernement, qui a hérité de toutes Mais ont-ils, comme Omar, brûlé les biblio-
les justices seigneuriales du royaume, est thèques et déclaré la guerre à l'esprit hu-
donc aujourd'hui chargé de l'entretien de main, ces religieux qui ont élevé tous nos
tous les enfanta exposés, et la partie de cet grands hommes, même tous nos grands
entretien qu'il laisse à la charge des hospi- poëtes, jusqu'à Voltaire et Delille? et je ne
ces et des départements retombe en der- parle pas de leurs propres travaux littéraires.
nière analyse sur le public. Ont-ils, comme Omar, fait des conquêtes
J'ai vu encore le temps où la faiblesse
d'une, villageoise produisait dans les cam- avec le sabre, ces législateurs pacifiques du*
Paraguay, qui y ont fondé avec la croix et
pagnes presque la même consternation
qu'un assassinat, et y était aussi rare mais au prix de leur sang, cette belle civilisation-'
si justement admirée de Montesquieu et de
alors ij y avait de meilleures moeurs, parce
tant d'autres? Les Jésuites des Omars i Qu'on-
qu'il y avait plus de respect pour la religion, lise donc ce que disait d'eux l'auteur du
car c'est avec la religion qu'on fait de bon- Génie du Christianisme, lorsqu'il défendait
nes moeurs, et non avec de la police correc- la religion, et les nobles institutions qu'elle
tionnelle et des gendarmes.
avait produites. « Les Jésuites connaissaient
Si quelque chose cependant peut étonner la science et le monde, les Bénédictins
aujourd'hui, c'est qu'il reste encore quel- étaient des savants, et les Jésuites des gens
ques sentiments religieux après tout ce de lettres. L'Europe savante a fait une perte
qu'on a fait pour les arracher du cœur des irréparable dans les Jésuites l'éducation no
peuples, après les exemples d'impiété et s'est jamais bien relevée depuis leur chute.
d'immoralité donnés par la révolution et la On ne peut s'empêcher de regretter les corps
licence des mœurs, et le libertinage d'esprit enseignants uniquement occupés de re-
que la jeunesse a rapporté des camps après cherches littéraires et de l'éducation de la
surtout la contagion des doctrines d'irréli- jeunesse. Après une révolution qui a relâ-
gion et de désordre répandues à dessein jus- ché les liens de la morale et interrompu le
que dans les chaumières par cette incroyable cours des études, une société à la fois reli-
profusion d'écrits corrupteurs donnés ou gieuse et savante porteraitun remède assuré
vendus à vil prix. à la source de nos maux. Il est temps enfin
De vertueux instituteurs faisaient naguère de s'effrayer sur l'étal, où nous avons vécu
d'heureux efforts pour arrêter cette déso- depuis, quelques années, Qu'on songe à la
lante contagion d'impiété mais ils nous ont race qui s'élève dans nos villes et dans nos
été enlevés, et ils ont emporté avec eux campagnes, à tous ces enfants qui, nés pen-
tous les regrets des pères de famille. dant fa révolution, n'ont jamais entendu
Les libéraux étaient en concurrenceavec parler ni de Dieu, ni de l'immortalité de
les Jésuites pour l'éducation de la jeunesse, leur âme, ni des peines ou des récompenses
et ils ont, pour cette raison, exigé la sup- qui les attendent dans une autre vie qu'on*
539 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 540
grand nombre d'attentats à la pudeur dont nédiction i pour leur mariage et ceux de leurs
les tribunaux retentissent en est la preuve. enfants,
< et ils ne s'y refuseraient pas sous
On ne comprend pas surtout quelle licence peine 1 de déshonneur.
a porté dans les esprits et dans les mœurs, Tout semblerait donc disposé pour le ré-
plus lentement peut-être, mais aussi plus tablissement
1 de cette loi proposée à la
profondément l'inconcevable mépris que Chambre de 1815, par M. de la Cheze-M urel,
les gouvernements qui se sont succédé en député du Lot, et dont le rapport, fait au
France depuis quarante ans, ont montré nom de la commission par l'auteur de cet
pour la sainteté du mariage, lorsqu'ils ont écrit, et depuis imprimé, ne put pas être
banni de leur ordre légal la nécessité dessoumis à la Chambre avant sa séparation;
cérémonies religieuses qui consacrent le mais un certain parti voit dans cette lacune
lien conjugal, et qu'ils en ont confié la paro- de notre législation une pierre d'attente
die à la légèreté quelquefois libertine d'un pour le rétablissement du divorce, seule
municipal de ville, ou à l'ignorante.gros- position que la révolution ait perdue, et la
sièreté d'un maire de village qui unit les première aussi qu'elle chercherait à re-
époux au nom de la loi avec la même indiffé- prendre, si jamais elle ressaisissait les rênes
rence qu'il signe un passe-port ou un billet du pouvoir (2).
(1 ) DEpolygamie OU DU divorce, De polyga-
LA.
(2) C'est à la demande de M. Portalis père que
miaseu divortiis; c'est le litre d'un traité du fameux l'auteur de cet écrit traita Du divorce considéré au
Théodore de Bèze sur le mariage. dix-neuvième siècle, dont plus tard il fil, comme
341 PART. 1. ECONOM. SOC. SUR LES ENFANTS TROUVES.
beaucoup d'unions
L'exemple de beaucoup d'unions formées tence politique et reconnue par la ia loi
101 est
seulement par la loi civile, lorsque la France constituée par l'acte civil et la puissance de
avait cessé d'être catholique et chrétienne, la loi qui garantissent l'association des in-
a plus qu'on ne pense affaibli le respect térêts.
pour la sainteté du mariage. S'il n'était pas La société conjugale ou l'union indisso-
dans les conditions privées un moyen de luble des esprits et des cœurs, est consa-
fortune, beaucoup de jeunes gens finiraient crée par le sceau que la religion y appose.
par se passer de l'acte civil, comme ils se Ainsi, et je prie le lecteur de faire une
passent de l'acte religieux, et goûteraient attention sérieuse à ce développement,ainsi,
ainsi les douceurs du mariage sans en avoir dans l'union des sexes, faite sans le consen-
la gêne et l'embarras. C'est ainsi que se pro- tement des parties ou celui de leurs pa-
pagent les unions illégitimes si communes rents, que ce défaut de consentement soit
aujourd'hui, et dont les fruits trop nombreux l'ouvrage de la séduction ou de l'ignorance,
ont provoqué la sollicitude du gouverne- il n'y a ni mariage, ni famille, ni société,
ment. On sait que, sur la fin de la républi- et pas plus aux yeux de la religion qu'à ceux
que romaine, l'indifférence pour lareligion, de la politique.
qui, quoique païenne, avait aussi ses céré- Si ce défaut de consentement des parties
monies pour consacrer l'union conjugale, et est porté jusqu'à produire la violence phy-
le dégoût des liens du mariage avaient fait sique, il y a viol, crime énorme, surtout le
de si grands progrès qu'Auguste se vit viol de l'enfance parce qu'il est l'extrême
obligé de l'ordonner par une loi, et ne fut oppression (1) de l'extrême faiblesse; crime
pas obéi. le plus grand peut-être quej'homme puisse
Le gouvernement a donc tort de se plain- commettre contre son semblable dans l'état
dre du prodigieux accroissement des fruits de civilisation, où, comme nous l'avons dit,
des unions illégitimes lorsqu'il néglige de l'homme fait la guerre à la femme, et crime
donner aux unions légitimes le seul carac- que la faiblesse, sur ce point, de nos lois
tère qui puisse en faire respecter la sainteté criminelles a rendu si fréquent.
et en assurer la durée. Ainsi l'union volontaire des parties, sans
acte civil ni benédiction religieuse est le
concubinage réprouvé par les lois divine?
Ce n'est pas s'écarter du sujet qui nous
et humaines, mariage illégal et illégitime
occupe que de placer à la suite de cet écrit, quoique naturel, qui, même avec la surve-
comme pièce justificative, un court exposé
des principes religieux et politiques sur le nance des enfants, ne constitue pas plus une
famille aux yeux de l'Etat, qu'une société
mariage, qu'ont obscurcis peut-être des dis-
putes philosophiques, politiques et même aux yeux de la religion.
Ainsi, dans l'union volontaire des parties
théologiques.
consacrée par la religion seulement, et non
Le mariage, la famille, la société (domes-
légalisée par l'acte civil, il y a mariage, i! y
tique ou conjugale) sont trois choses dis-
tinctes, et que l'on a trop souvent confon- a société; mais dans le système actuel de
dues. notre législation, l'Etal n'y reconnaît pas'
une famille.
C'est aux individus à contracter le ma-
riage, à l'Etat à constituer la famille, à la Ainsi, dans ['union volontaire des parties
religion à lier la société. légalisée par l'acte civil, mais non consacrée
Le mariage est l'union des sexes formée par la religion, il y a mariage, il y a famille;
par le consentement des parties, et la loi ci- mais la religion n'y reconnaît pas une so-
vile y a ajouté, du moins en France, et avec ciété. Aussi, partout où de faibles et de faus-
raison, le consentement des parents, en lais- ses doctrines ont rejeté la nécessité légale
sant toutefois aux enfants majeurs, et à cer- de la bénédiction religieuse, il y a, la France
taines conditions, la faculté de passer outre, exceptée, faculté légale de divorce, et par
si le consentement des parents leur est opi- conséquent, association temporaire plutôt
niâtrement refusé. que véritable société, dont le premier carac-
La famille, comme corps, ayant une exis- tère est l'indissolubilité et, quoiqu'il y ait
rapporteur d'une commission, décider l'abrogation. gieiise. La proposition seule lui ferait honneur ;.el
Il serait digne de M. le garde des sceaux, son fils, il est toujours glorieux de combattre, ncêiue Urs-
de proposer, comme complément de l'abolition du qu'on n'est pas assuré de ta victoire.
divorce, la nécessité légale de la bénédiction reli- (1 ) Les Latins disent opprimere virgwem.
famille reconnue par le pouvoir civil le l'état politique, que tel et telle se proposent
voeu même de la loi pour l'existence et le de former une nouvelle famille, et, par con-
bonheur de la famille est trompé, puisqu'en séquent, d'entrer en partage avec les ancien-
cas de divorce les enfants sont abandonnés nes des avantages que la loi leur assure et
de l'un ou de l'autre de ceux qui leur ont il leur demande s'il n'en résulte pas pour
donné le jour, et que, par conséquent, leur elles quelque dommage, soit à cause d'en-
éducation et leur bien-être moral ou physi- gagements antérieurs qu'une des parties
que sont compromis. pourrait avoir contractés envers elles, soit
Il est facile de répondre à ceux qui accu- par le préjudice que causerait à des créan-
sent la religion d'avoir dans notre ancienne ciers plus anciensl'hypothèque que la femme
législation, usurpé à elle seule la juridiction prend_pour sa dot sur les biens de son mari,
du pouvoir civil sur le mariage. débiteur envers eux. Et ici remarquez que
La publication des bans maintenue par la le prêtre n'était que le ministre du pouvoir
révolution même à l'église, même avec l'ex- civil, et que ce pouvoir civil prenait le pas
communicationprononcée contre les décla- sur l'autorité ecclésiastique, puisque le prê-
rations mensongères ou malicieuses, la pu- tre ne pouvait pas procéder à la bénédiction
blication des bans était et est encore l'acte du mariage avant de s'être assuré qu'il n'y
par lequel le pouvoir civil, se servant, pour avait pas opposition, ou d'avoir dénoncé au
plus de solennité des ministres du culte le procureur du roi, pour les faire lever, celles
jour qui lui est plus spécialement consacré, qui lui étaient signifiées.
dénonce aux familles déjà en possession de
Les derniers événements d'Espagne et de l'Europe dans ses détestables projets, et mal-
Naples, rapprochés de tout ce qui s'est passé heureusement est parvenu, dans quelques
en France depuis trois ans relativement à parties, à leur donner un commencement
l'armée, et des lois qui ont été portées, et d'exécution.
des mesures qui ont été prises, doivent ouvrir Les factions n'ont pas tardé à s'apercevoir
les yeux à ceux qui les tiennent volontaire- que le peuple des boutiques était las des ré-
ment fermés et justifier la prévoyance et la volutions, et elles ont mis toutes leurs espé-
sagesse du côté droit de la chambre des dépu- rances dans le peuple des casernes.
tés, dans son opposition constante à des actes Elles ont commencé par lui donner une
législatifs dont on peut voir à présent la ten- existence politique. Jadis en France on disait
dance et le danger. les troupes; dans la révolution et sous Bo-s
On ne doute plus aujourd'hui qu'à l'instant naparte les armées; nos libéraux ont dit l'ar-
même du retour de nos princes en France, mée; ils ont dit la force comme on disait la
un parti, ou plutôt différents partis réunis justice, et ils ont fait de l'armée un corps,
dans le même but, mais mis en mouvement pour en faire un jour un corps délibérant.
par autant d'opinions différentes qu'il y a Il leur fallait, pour se rendre maîtres de
dans leur commune livrée de couleurs diver- l'armée et la faire servir à leurs desseins, deux
ses, n'aient conspiré pour faire tourner au choses le nombre, qui donne plus de chan-
profit de la révolution tout entière la restau- ces de succès la composition, qui offre plus
ration qu'ils n'avaient pu empêcher, que quel- de moyens de séduction.
ques-uns, peut-être dans cette vue, avaient Ce n'était assurément qu'aux habitants des
favorisée, et que le gouvernement public n'ait petites maisons qu'on pouvait persuader que
été, à son insu et sur beaucoup de points, la coalition européennequi s'était formée avec
inspiré et égaré par un autre gouvernement tant de peine, à la dernière extrémité et pour
le
véritablement occulte, qui embrasse toute sauver des peuples réduits au désespoir
345 PART. I. ECONÔM. SOC. –SUR LES INSTITUTIONS MILITAIRES. 346
plus violent, deux fois retirée de la France
retirée de tieri, si elle n'était couverte de forteresses et
après en avoir deux fois expulsé Bonaparte de soldats.
'1 "1..
et y avoir deux fois relevé le trône des Bour- Cependant que lui fallait-ilpour défense
sa
bons, se réunirait une troisième fois pour at- intérieure et extérieure ? Une bonne et belle
taquer la France et envahir ses provinces, et garde royale comme celle que nous
avons,
que cette coalition de souverains qui avait res- pour défendre son pouvoir bien plus
pecté l'intégrité de son territoire, lorsqu'avec, menacé par l'ennemi intérieur que ses fron-
six cent mille hommes elle en occupait la ca- tières ne l'étaient par l'étranger;
une forte
pitale et les principales forteresses, cette coa- gendarmerie pour appuyer les arrêts de la
lition qui n'avait pu être détournée dk ses dis- justice et veiller à la tranquillité intérieure,
positions pacifiques ni par le souvenir d'inju- et tout ce que le goût du militaire, chez
une
res récentes, ni par l'orgueil des succès, ni nation guerrière, aurait pu fournir de soldats
par les dispositions moins généreuses de ses volontaires pour le service des places fortes.
peuples, pas même par la funeste invasion du Mais des volontaires, on n'en voulait
20 mars, reviendrait- exiger à main armée des rien ne doit se faire volontairement danspas
un
cessions de territoire, après avoir, par un pays libre, et pour aspirer à l'honneur de
traité solennel, accepté des indemnités pécu- servir son pays, il fallait y être forcé.
niaires. Nos faiseurs militaires, peut-être de tous les
On essaya cependant de persuader de si faiseurs ceux qui entendent le moins la poli-
énormes absurdités on.sema des-craintes, on tique, ne savaient pas que si les républiques
en fit venir même de l'étranger, pour justifier anciennes n'avaient point d'armées ejti temps
l'établissement d'une armée nombreuse, de paix, et si les républiques modernes, for-
ou
plutôt de quatre armées, armée active, cées d'entretenir des troupes permanentes,
armée inactive ou à demi-solde, armée de ont préféré les étrangers aux nationaux, et
vétérans, armée de gardes nationales. fait assez peu de cas de la profession des
Cependant la France, si forte par ia conti- armes, il faut en chercher la véritable raison
guïté de ses provinces, par la disposition de dans la contradictionformelle de cette profes-
ses frontières, et par l'infériorité relative de sion avec l'état de citoyen dans une républi-
ses voisins,était devenue plus forte encore par que. En effet, lorsque les principes d'égalité
les nouveaux arrangements politiques qui et de liberté, chimère des démocraties, sont
avaient éloigné de sa frontière du Nord la proclamés sur les toits, et inculqués aux en-
seule puissance qui pût se mesurer avec fants même avant la connaissance de leurs
elle. devoirs, lorsque tout citoyen peut faire tout
Les Pays-Bas avaient été cédés par la mai- ce que la loi défend pas, et même à cause
ne
son d'Autriche au souverain de la Hollande, de la faiblesse des lois criminelles, fait souvent
et ce changement compensait avantageuse- impunément ce qu'elle défend; assurément il
ment la perte ou la démolition de quelques est étrange que la-jeunesse la plus florissante
forteresses exigée par les mêmes traités. d'une nation seule déshéritée de si beaux
Les hommes qui rêvaient les invasions droits, soit malgré elle comme incarcérée
parce qu'ils craignaient, pour leurs étemels dans une profession qui
ne lui permet pas
projets de révolution, les puissances alliées, les actes les plus légitimes ou les plus indiffé-
allèrent jusqu'à inspirer le projet de rétablir rents de la vie, d'aller ou de venir où bon lui
dàn» l'intérieur et presque semble, d'agir ou de se Teposer de marier
au centre de la se
France, d'anciennes places fortes, depuis ou de prendre telle ou telle profession, et
longtemps abandonnées et il fut dit-on, le soldat soumis à celui qui que
a été soldat
sérieusement question de fortifier Amiens, comme lui, en soit puni.parcfc qu'il manquera
Laon, Langres, etc., sans doute pour mieux un bouton à sa guêtre, ou qu'il y aura une
fermer aux curieux l'entrée de l'atelier où tache à son habit. Une discipline si sévère
se préparaient ces infernales machines. dans: des pays si libres, n'était pas. même
Ceux qui s'opposaient à ces. vastes projets adoucie par les leçons de ces orgueilleux
.<
étaient traités de partisans des étrangers, sénateurs ou de ces opulentscommerçants
d'hommes ennemis de leur patrie, et l'on eût qui, dans les républiques anciennes ou
dit que la puissance la plus forte par posi- mo-
dernes, en possession des prééminences et
tion et la contiguïté de ses parties, la sa
France, des douceurs du gouvernementcivil, criaient
<
où l'Europe conjurée s'étonnait de
encore d'avoir < leurs palais à la jeunesse qu'ils poussaient
pu pénétrer, allait être la proie d'un Condot- £aux armes: II est beau de mourir pour sa
elle. •
patrie, et se réservaient, eux, de vivre pour
-
dat plus accessible aux séductions et aux juste àl'an dernier de l'empire, et quelanation
mécontentements.L'homme volontairement ne pouvait payer trop cher.
engagé n'a, s'il est trompé dans son attente, Cependant si l'on distingue l'armée de la
de plainte à former. que contre lui-même; il nation, si l'on en fait une institution, un corps,
n'a pas même d'indemnité à demander,puis- une puissance qui ait une existence propre et
qu'il a mis en balance les chances de bonheur des'droits particuliers, il faut aussi lui recon-
et de malheur que le- service peut offrir. Le naître des devoirs envers la nation car dans
conscrit, au contraire, a vu, malgré lui et par les rapports qu'elles ont ensemble, tous les
le fait d'une loi spéciale, portée contre lui[ devoirs ne peuvent pas être d'un côté, et tous
(1) II y avait véritablement moins de patriotismee forcé à Rome, et le soldat (soldé depuis le siège
fi^ns ces anciennes républiques si vantées que danss de Voies) mieux payé que chez nous.
»?«s monarchies. Le service, encore temporaire étaitt
349 PART. I. ECONOM. SOC. SUR LES INSTITUTIONS MILITAIRES 55ft
les droits
les droits de Ur, si la nation doit à
ce l'autre. Or, le siège de Sagonte, s'arrête avec plus de com-
n'armée de lui fournir en matériel et en per- plaisance sur le courage des assiégés que sur
,'sonnel tout ce qui est nécessaire à sa forma- la valeur des assiégeants.
tion et à son entretien, si elle lui doit surtout Mais ce n'était pas là de la gloire nationale,
ï l'honneur, la considération et de justes récom- qui consiste uniquement à agrandir le terri-
penses, l'armée aussi doit la nation non pas toire national dans une guerre offensive et
des constitutions, comme à Madrid et à Naples, dans une guerre défensive, à le conserver
pas même d'agrandir son territoire, mais de dans son intégrité. Cette gloire est aux yeux
la conserver, de la préserver d'invasion, et de de l'homme d'Etat tout entière dans le der-
garantir son indépendance, de respecter sur- nier résultat des opérations militaires, et le
tout ce que la nation respecte, et d'obéir à plus heureux (quand la guerre est légitime),
ceux à qui la nation obéit. Peut-être qu'en estaussi le plus glorieux. Or il en coûte de le
réglant ainsi le compte de la nation et de dire: de toutes nos conquêtes, nous n'avons
l'armée, puisqu'on veut les distinguer l'une conservé que celle qui a été faite sur le Pape
de l'autre, on trouvera que la nation a large- par la constituante, et Bonaparte lui-même
ment rempli son engagement,et qu'il y a eu après avûirprodigué des millions d'hommes et
pendant trente ans assez de levées en masse, desmillions d'argent, après avoir fait couler
de conscriptions, de réquisitionset d'imposi- plus de sang et plus de larmes qu'aucun autre
tions. Quel a été le dernier et inévitable résul- ravageur du monde, et mis le feu
aux qua-
tat de tant de sacrifices?. L'univers le sait. treï coins de l'Europe, a fini par perdre la
Et ces rois si calomniés, même les plus ambi- ]Belgique, que dix fois il a pu garder, et vendre
tieux, ont-ils jamais attiré sur la nation plus la Louisiane commeun effet de
peu de valeur.
d'ennemis que l'armée ne pouvait en repous- Cette exaltation militaire, inspirée par des
ser, comme l'a fait celui dont l'histoire, hommes qui auraient voulu en faire un ins-
quelque brillante qu'elle ait été pendant dix trument de révolutions nouvelles, était parta-
ans, finira toujours par les campagnes, ou gée de bonne foi par tous ceux qui, ayant
plutôt par les longs convois funèbres de Mos- passé leur vie dans les
camps, témoins de- la
cou et de Dresde, la bataille de Waterloo, la valeur de nos conscrits, acteurs eux-mêmes
prise de Paris et deux milliards de contribu- dans ces mémorables faits d'armes, s'étaient
tions, payés à l'étranger? Si ce n'est pas la accoutumés à voir la patrie là où elle avait
faute,de l'armée, ce n'est pas non plus celle été si longtemps,
sous la tente du combat,
de la nation mais enfin danscetriste résultat plus glorieuse et moins cruelle
de tant de courage et de tant de sacrifices, il prétoire du gouvernement,
que dans le
ou même le pa-
n'y a pas de quoi accuser la nation d'ingrati- jlais de la justice; elle était partagée
par une
tude envers l'armée, lui faire payer des gloi- foule de jeunes gens qui, étrangers
par leur
res qui lui ont coùté déjà si cher, et moinsâge aux crimes de la révolution, comme
aux
encore de quoi regretter celui qui lui a fait t riomphes de nos armées, étrangers aussi à
de si profondes blessures. toute connaissance politique, ne voyaient que
Car puisqu'il faut le dire,'de gloire indivi- la
]- noble profession des
armes, et sa brillante
duelle qui consiste à braver les dangers, à livrée,1 et ses flatteuses espérances.
recevoir la mort avec courage, à conçluire Mais les hommes appelés à prononcer sur
avec habileté de grandes entreprises militai- les destinées de leur patrie, devaient être oc-
res, il y en avait plus qu'il n'y en avait jamais cupés d'autres soins. Ils devaient réfléchir,
et
eu en France, parce qu'il s'était fait des guer- sur l'effet-politique et moral du recrutement
res plus longues et plus meurtrières qu'à forcé, et sur le danger de soustraire les em-
aucune autre époque de notre histoire, et plois militaires au choix libre du souverain, et
avec des armées plus nombreuses; et jamais d'introduire dans l'armée des fidélités
suspec-
on ne s'était battu sur autant de points à la tes et des mécontentements avérés; et surtout
fois, et on n'avait montré plus de valeur et
sur les charges énormes qui résultaient d'un
une plus audacieuse habileté. C'était là, je le état militaire immense, actif ou inactif, lors-
répète, de la gloire individuelle; de cette qu'il eût fallu, surtout à l'avénement du roi,
gloire qui est la même pour le vaincu et p.our consoler les familles de leurs longues douleurs
*e vainqueur, quelquefois même plus écla- et faire oublier aux peuples les exactions et
tante dansune résistance opiniâtre et malheu- les réquisitions de toute espèce qui avait
reuse, que dans le plus heureux succès; et si longtemps pesé sur les petites fortunes. Ce
certainementl'histoire romaine, en racontant système de crédit moral fondé
sur l'aneetion
351 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 5.r2
et la reconnaissance des peuples et la liqui- ployait des moyens secrets, et en même temps
~7~, la
de 4.l'1.,
dation, si j'ose le dire, de
7.
de la dette sacrée
ln bienfaisance royale envers les su-
jets, pressait un peu plus que le vaste systè-
qu'il poursuivait avec fureur les missions re-
hrrin"on, 7~fi'4"
~A.,l.+ l'affection pour 7..la
ligieuses qui prêchaient
personne du roi, l'obéissance aux lois et la
me de crédit fiscal, bien plus républicain que paix entre les citoyens, il se faisait de mille
monarchique, et que la liquidation des dettes manières des missions secrètes auprès des
oubliées de fournisseurs de toutes les épo- soldats pour les détourner de la fidélité qu'ils
ques, même de celle des cent jours. devaient au roi et de l'obéissance qu'ils de-
La discussion élevée dans la chambre des vaient à leurs chefs.
députés et dans celle des pairs mit ces véri- Heureusement l'armée française, quoique
tés dans le plus grand jour; l'auteur de cet constituée d'après les principes républicains,
article et ses amis firent les derniers efforts, a conservé l'esprit monarchique; et cet es-
pour faire prévaloir le système monarchique prit, qui s'était formé dans un temps où le
du recrutement volontaire, et maintenir les soldat était volontaire et l'officier forcé (par
justes droits de la couronne dans la nomina- des préjugés de famille), a prévalu jusqu'à
tion aux emplois. Aucune objection ne resta présent sur cet autre esprit que peut former à
sans réponse, et surtout celle que l'on tirait la longue une constitution militaire tout op-
de l'exemple de quelques autres Etats, Etats posée à celle où le soldat est forcé et l'officier
où, par des raisons particulièreset des dangers est volontaire, puisque, commençant par être
qui leur sont propres, la nature avait établi la simple soldat, et n'étant retenu par aucun
conscriptionbien plus que la politique. Tout préjugé, il peut toujours borner lui-même
futinutile dans tous les Etats en péril, de- son avancement à la durée de son engage-
puis les siéges de Troie et de Jérusalem,jus- ment, ou se dispenser de tout service, en
qu'à celui que soutient en ce moment la so- achetant un remplaçant; car, ce qu'il y a de-
ciété, il a paru des prophètes qui n'ont pas plus étrange, on préférerait pour la compo-
été écoutés. « Les gens sages l'avaient prédit,» sition de l'armée des volontaires achetés que
dit Bossuet en parlant des révolutions d'An- des volontaires gratuits.
gleterre « mais les gens sages sont-ils écou- donneur à la garde royale qui a montré
tés? » dans ces derniers temps autant de fidélité
Ainsi nous voulions être libres, et pour for- que de courage et de discipline honneur im-
muler les deux grandes institutions défensives mortel à ces officiers que des dégoûts ou des
du corps social, le jury et l'armée, nous com- séductions de toute espèce n'ont pu détermi-
mencions par exclure toute liberté, et nous ner à céder à d'autres le poste qui leur était
forcions, par les peines les plus sévères, le confié; honneur enfin à tous les corps de l'ar-
père à aller juger et le fils à aller combattre. mée qui ont su repousser de coupables sug-
Nous croyions être égaux, et sans parler des gestions et conserver intact l'honneur de leurs
grandes inégalités établies par le système drapeaux contre ceux qui voulaient le flé-
électoral, notre égalité était une égalité de trir 1
contrainte pour les fonctionsles plus redou- Mais l'effet le plus sensible et le plus mal-
tables, celles pour lesquelles les esprits et les heureux de cette nouvelle organisation a été
corps sont le plus inégalement partagés, la de dégoûter les jeunes gens d'une carrière
fonction déjuger à mort, et celle d'exposer sa pénible et périlleuse, flétrie à son début par
propre vie dans les combats. ce qu'il y a de plus insupportable pour des
Ainsi tout ce qui pouvait détacher les peu- âmes élevées et de plus contraire aux prin-
ples de l'affection due à la maison régnante, cipes d'un gouvernement libre la contrainte
et lui rendre la restauration indifférente ou exercée non pour un délit, mais pour com-
odieuse, le recrutement forcé- et- les impôts mander une fonction.
furent décrétés sans nécessité ou sans mesure, Cependant ces conquêtes que Bonaparte
malgré les observations des royalistes, et n'avait pas su faire ou garder au profit de la
pour trouver un motif à ces actes qui pou- France, la révolution les a faites à son profil,
vaient avoir des résultats si funestes, ou sup- et àï'aide des armées, elle s'est établie en Es-
poser des ennemis qui ne songeaient pas à pagne et à Naples.
nous attaquer, et on fit revivre des créan- Nous avions parcouru dans quelques années
ciers qui ne s'attendaient plus à être payés. toutes les phases politiques que Rome, seul
Il n'est plus permis d'en douter, outre les Etatqu'on puisse dans ses révolutionscomparer
moyens publics et avoués, le parti factieux em- à la France, n'a parcouruesque dans quelque?
335 PART. I. ECONOM. SOC. SUR LES INSTITUTIONS MILITAIRES. ZU.
sièges. Comme Rome, nous avions commencé
siècies. et
e quand ceux que la société a institués ses
par -des rois, et nous avions eu sénats, con- défenseurs
c deviennent ses oppresseurs et ses
suis, tribuns, dictateurs, décemvirs, triumvirs, tyrans;
t quand il suffit d'un colonel, d-'un
proscriptions, exils, confiscations, guerres ci- régiment,
r et de quelques heures pour détruire
viles, usurpations, empereur enfin. Voilà tou- iune royauté, une religion et une nation da
tes ces révolutions arrivées à la dernière tant
i de siècles, quand les hommes dont on
phase, à celle dont parle Tacite, lorsqu'il dit sait le nom et la demeure, et des écrits avec
Suscepere duo manipulares imperium roma- noms d'auteurs et d'imprimeurs, peuvent im-
nunz transferendum, et transtulerunt; des sol- punément
i
applaudir à de pareils excès, et
dats se sont faits entrepreneurs de révolutions, sans doute, en conseiller et en diriger les
et il a suffi de deux jeunes gens tirés des der- auteurs l'Europe ne peut plus que se dé-
niers rangs de l'arméepourprendrela royauté ]battre dans les horreurs d'une longue agonie,
à détruire comme on prend un édifice à dé- et si se n'est la fin du monde qui approche,
molir, et ils ont réussi et ces coupables
ces, vainement tentés à Paris, ont eu jus-
ex- c'est la fin de la société. Et si l'imagina-
tion vivement excitée par un si grand et si
qu'a présent quelques succès àMadrid
Naples.
et àaffreux spectacle, l'imagination qui aime à
s'élancer dans les profondeurs de l'avenir,
C'est donc à ce triste résultat que devaient demandait à la société, si elle n'a pas eu le
aboutir l'esprit du siècle, le progrès des lumiè- pressentiment.de sa fin et à la religion dé-
res, la perfectibilité de la raison, et tous ces positaire des destins du monde, si elle n'en
bienfaits que la philosophie, en possession du n'a pas averti ses enfants, peut-être dans ces
pouvoir, devait verser à pleines mains sur prédictions mystérieuses où a été consignée,
l'humanité Des soldats attentent au pouvoirdu il y a dix-huit siècles l'histoire des temps qui
chef detoute laforce publique Des sujetsdétrô- devaient suivre, trouverait-ellel'histoire sym-
nent leur souverain Des enfants veulent main bolique des temps qui sont arrivés. Ce soleil
arméedonnerdes lois àleurs pères 1 et le traî- qui refuse sa lumière, ces astres éclipsés qui,
tre qui les excitala révolte, roi du jour qui a sortis de leur orbite, errent dans l'espace,
remplacé celui de la veille, sera lui-même ces tremblements de terre, ces guerres, ces
chassé par celui du lendemain. De vils hypo- famines, ces maladies, tous ces phénomènes
crites qui n'ont de force que la faiblesse des avant-coureursdes derniers jours du monde,
lois qu'ils ont faites, applaudissentà ces scan- pris dans un sens moral, seraient à ses yeux
dales, encouragent ces horribles orgies de la la religion prête à retirer le flambeau qui
licence militaire, et déjà renversent leur idole, éclaire l'univers les chefs des nations, ces
la souveraineté du peuple, pour élever à sa astres du monde politique qui ont perdu la
place un audacieux centenier disposant d'une route qui leur était tracée et qui errent dans
poignée de mutinés, qui crée aujourd'hui, le vague des théories humaines; le boule-
pour les détruire demain, des assemblées soi- versement du monde social; les guerres de
disant politiques, vains fantômes de pouvoir, doctrines qui tuent les esprits; la famine de
qui se croient souveraines lorsqu'elles obéis- la vérité, seule nourriture des intelligences,
sent au roi Quiroga ou au roi Pépé. la contagion de l'erreur, véritable peste qui
En Espagne on copie la révolution de désole la société. et sans doute, après ces
France à Naples on copie la. révolution grandes catastrophes morales; plus effrayan-
d'Espagne; en France des misérables veultnt tes pour les esprits qui réfléchissent, que ne
se copier eux-mêmes, et renouveler 93, pour le seraient pour les sens, les désordres phy-
en montrer la route aux autres peuples. siques; l'Europe en silence attendrait. un
L'Europeaujourd'huifait pitié aux hommes dernier jugement sur les peuples et sur les
d'esprit et horreur aux hommes vertueux; rois.
DE LA LOI SUR L'ORGANISATION DES CORPS ADMINISTRATIFS
On annonce une nouvelle loi sur la com- la société à l'homme.sont justes, parce que
position des corps administratifs des com- la société est le corps dont l'homme est l'é-
munes et des départements. lément), les hommes faibles de tempéra-
Cette composition, jusqu'à présent, a été ment ou de constitution doivent, comme on
monarchique ou formée par le roi le parti dit, vivre de régime; et ceux dont la consti-
libéral veut qu'elle soit désormais populaire tution est vigoureuse peuvent quelquefois
ou formée par le peuple. impunément se permettre des écarts de ré-
C'est dans cette hypothèse que je viens gime et même des excès. Cependant des vi-
discuter cette mesure, non assurément par ces de régime peuvent à la longue entraî-
esprit d'opposition, si elle peut être utile, ner la ruine de la constitution la plus forte
mais pour en prévenir les suites, si elle est dans les individus ou les États, et nous n'i-
imprudente ou dangereuse. rions pas loin pour en trouver la preuve.
Je ne m'adresse pas aux provocateurs li- Ainsi, dans l'ancienne France, dont la
béraux de cette loi qu'ils appellent vitale, et constitution était monarchique, les corps
qui peut être mortelle; les libéraux, soit administratifs de commune ou de province.
ignorance, soit prévention, déclament,inju- les pays d'États, même avec leurs comtes,
rient, et ne discutent pas. Je m'adresse aux et leurs barons, les assemblées provincia-
ministres. les, etc., étaient de véritables assemblées
Dans tout État, il y a un principe monar- populaires; elles en avaient l'esprit et trop
chique et un principe populaire, parce qu'il souvent la turbulence et les orages mais
y a partout gouvernants et gouvernés, pou- la force de la constitution monarchique en
voir et sujet. prévenait ou en réprimait les écarts, et re-
Le principe monarchique peut être plus tenait dans le vase cette liqueur en ébulli-
ou moins développé; le principe populaire tion toujours prête à déborder.
l'est toujours assez, si même il ne l'est pas Cette administration populaire laissait
trop. même un peu trop, flotter les rênes; et c'est
Dans tout Etat aussi, il y a deux parties, ce qui faisait dire à un grand Pape, qui s'é-
moyens nécessaires de toute stabilité et de tonnait de la force de la France malgré le
tout ordre constitution et administration, laisser-aller de son administration, « que la
deux parties que l'on confond tropsouvent, France était gouvernée par la Providence. »
et qui sont nettement distinctes l'une de La France, sans doute, eût été trop forte,
l'autre. si son administration eût été aussi vigilante
La constitution est le tempérament de l'E- que sa constitution était forte.
tat, l'administration en est le régime. La distinction entre la constitution et
Les locutions les plus usuelles confirment l'administration était si bien marquée, que
cette distinction on dit indifféremment en les hommes qui tenaient de plus près à Ja
pariant de l'homme, constitution et tempé- constitution, je veux dire la noblesse mili-
rament, et en parlant de l'Etat, administra-. taire, n'occupaient pas des emplois admi-
tion et régime. nistratifs (1) pas même le premier de tous,
Si la constitution de l'Etat est forte ou les intendances de provin,ce et que la no-
monarchique, l'administration, peut sans blesse de robe, qui tenait cependant beau-
danger être faible ou populaire; si la cons- coup plus à l'administration, je veux dire
titution est faible ou populaire, l'adminis- les parlements, faisaient volontiers sentir
tration doit être forte ou monarchique. leur autorité aux intendants, qu'ils n'appe-
Ainsi, pour revenir à la comparaison prise laient jamais que du nom peu recommanda-
de l'homme (et toutes les comparaisons de ble en France, de commissaire départi.
^57 PART. I. ECONOtf. SOC. I)ES CORPS ADMINISTRATIFS 538
On a beaucoup parlé de l'ancienne aristo- démocratie civile est le despotisme dans
cratie pour lui opposer la démocratie. II n'y la cité.
avait point dans l'ancienne France d'aristo- En Angleterre, où nous allons chercher
cratie politique, puisque la noblesse, quelles des modèles de constitution, si la constitu-
que fussent ses richesses, son ancienneté et tion est populaire, l'administration est très-
son illustration, n'y était qu'un service; et monarchique et confiée aux hommes les plus
ce «'est que depuis qu'elle est devenue un monarchiques.
pouvoir par la pairie, qu'il y a une aristo- Aussi, à l'instant que la charte a placé
cratie, aristocratie politique placée dans le dans la constitution un principe populaire,
corps qui est constitutionnellement revêtu elle a aussitôt proclamé, comme un correc-
du pouvoir de faire ou d'empêcher la loi. tif nécessaire, le monarchisme de l'adminis-
Que cette aristocratie soit noble ou bour- tration, en déclarant textuellement, art. 14
geoise, c est-à-dire, héréditaire ou viagère, « que le roi nomme à tous les emplois d'ad-
elle est toujours de l'aristocratie; et c'est ministration publique. »
avec raison que J.-J. Rousseau ne met au- Heureusement pour nous et pour la Fran-
cune différence entre l'aristocratie bour- ce, l'administration, depuis l'octroi de la
geoise de Genève et l'aristocratie noble de charte, a été monarchique; et nous serions
Venise, ou les magnifiques seigneurs de l'une aujourd'hui au plus loin de nos institutions
et de l'autre (car c'est ainsi que tous s'ap- et de toute sécurité, si l'administration eût
pellent) et si l'aristocratie de Venise était été aussi populaire que la constitution, et le
héréditaire de droit, celle de Genève tend à régime aussi faible que le tempérament
le devenir au moins de fait, et à faire passer Ces mêmes principes sur la nécessité que
â ses descendants ses honneurs et ses em- l'administration soit monarchique, lorsqu'il
plois.
y a élément populaire dans la constitution,
Ce que nous avons dit de l'administration se retrouvent dans le journal ministériel le
qui doit être monarchique, quand la cons- Messager des chambres, du.3 janvier, quoi-
titution est populaire; s'est à tel point véri-
que exprimés d'une manière moins franche
fié en France, que toutes les fois qu'il y a
et plus composée; car, après avoir distingué
eu dans l'Etat des mouvements populaires, les deux époques de l'ancienne et de la nou-
qui ne sont jamais que l'effort que fait la velle forme de gouvernement, il ajoute
démocratie pour s'introduire dans la cons-
« Lorsqu'en 1789 il s'agit de
faire une loi
titution de l'Etat, l'administration, par la municipale, les esprits étaient préoccupés
seule force des choses, est devenue plus d'idées abstraites et d'innovations théori-
monarchique, et alors les gouverneurs de
ques. C'était avec le Contrat social, les uto-
provinces, et jusqu'aux maires, ont pris une pies de l'état de nature et de la souverai-,
plus grande autorité. C'est pour cette raison neté populaire, que l'on tendait à reconsti-
que la démocratie de la Constituante ou de tuer la société française. Le système muni-
la Convention, fidèle à la maxime de diviser cipal et toute l'organisation administrative
pour régner, et redoutant le pouvoir et l'in- dut se ressentir de cette frénésie idéologi-
fluence de la commune.de Paris, a fait douze
municipalités de la prévôté des marchands,
que. En partant de ces abstractions on con-
fond.it toutes les idées, on plaça les élections
nom qu'on donnait alors à la mairie unique dans les multitudes, comme conséquence de
de cette grande cité. leur souveraineté légale et de leurs droits
Sous la démocratiede la Convention et du proclamés. L'époque actuelle ne ressem-
Directoire, l'administration était horrible- ble en rien à cette ère de 1789. On ne com-
ment monarchique ou plutôt despotique; et prendrait pas un orateur qui, comme les lé-
l'on sait comment administraient les pachas gistes de l'assemblée constituante, ferait dé-
ou commissaires envoyés dans les départe- couler un système municipal ou une orga-
ments par le Comité de salut public, admi- nisationadministrative des droits de l'homme
nistrateur suprême de la fortune et de la vie et de la souveraineté populaire. il n'y a
de tous les citoyens. qu'un mot à répondre. Lorsque la liberté est
Sous Bonaparte, l'administration était absente des formes générales de la société
aussi despotique que le gouvernement; (cela veut dire en langage du jour, lorsque
mais ce gouvernement même était aussi une la constitution est monarchique), elle se ré-
démocratie militaire, car le despotisme est fugie dans les localités, dans les petites ré-
!a démocratie dans le camp, comme la sistances, oui ri'offrent dès lors aucun dan-
ger. L'action toute-puissante du pouvoirr que sa nullité, et l'impuissance de faire mal
central corrige cette incertitude, qui jetteraitt dont on le gratifie n'est que l'excuse déri-
dans les rapports administratifs un systèmeî soire de la neutralité où on le place; car, si
de franchise trop fortement démocratique Je roi ne peut rien faire, bien certainement
mais lorsque la liberté est déjà empreinte3 il ne peut faire mal. Cette neutralité du roi
dans les formes générales du gouvernementt ne peut produire que la plus entière indif-
(ce qui veut dire, lorsqu'il y a dans la cons- férence pour la royauté, et c'est ce qu'on a
titution un élément populaire), et qu'ellei voulu.
règne au sommet par des discussions publi- La constitution est donc populaire en
ques, par la loi de la presse et des élections, grande partie, les libéraux voudraient même
alors les franchises locales ne sauraient être3 en faire tout au plus une démocratie royale,
ni si étendues, ni si indépendantes. » et il n'y a qu'à consulter le bon sens et l'ex-
C'est ce monarchismede l'administration1 périence pour se convaincre que le peuple
que des deux côtés on a attaqué, sous le nomi ne peut être quelque chose dans la consti-
de centralisation, mais dans des intentions> tution d'un État sans y être tout, et qu'élevé
différentesj: les uns, pour Ôler au roi la no- dans l'État à la dignité d'un pouvoir il en
mination des emplois administratifs les au- sera bientôt l'unique souverain.
populaire, l'adminis-
tres, pour ôter à la bureaucratie de Paris> la constitution
Si est
l'expédition très-peu expéditive de beau- tration doit être monarchique, et voilà pour-
coup d'affaires qui peuvent se traiter sur lesï quoi la charte a textuellement déclaré « que
lieux, pourvu toutefois qu'on prenne en sé- le roi nomme à tous les emplois adminis-
rieuse considération la surveillance indis- tratifs. »
pensable que le gouvernement doit exercer Le roi peut nommer à ces emplois de
sur des affaires presque toutes affairess deux manières: ou directement, ou parpré-
d'argent, traitées dans vingt-cinq ou trente sentation.
mille communes qui, grâce à la révolution, Il peut nommer directement les chefs des
n'ont plus guère d'autre bien commun quei corps et leurs conseils, ou nommer seule-
le cimetière et traitées sous la direction de$ ment les chefs, et laisser au peuple la nomi-
trois à quatre cents admi-nistrations supé-• nation ou seulement la présentation des
rieures dont la plus importante fonction estt membres des conseils.
de répartir sur quelques routes le produitt La Charte cependant ne distingue pas en-
de quelques centimes. tre les divers emplois, et elle dit d'une ma-
Il faut donc, avant de porter la loi qu'ont nière absolue « Le roi nomme à tous les
annonce, décider si c'est le principe monar- emplois d'administration publique; » et c'est
chique qui domine dans notre constitution, ainsi que jusqu'ici la Charte a été entendue
ou le principe populaire. Une lettre signée et exécutée.
Benjamin Constant, insérée au Courrier du Que le peuple nomme directement ou par
31 décembre dernier, et qui ressemble toutl présentation aux emplois administratifs
à fait à un manifeste adressé aux ministres, l'effet est le même; c'est nommer réelle-
peut servir à lever toute incertitude à cetl ment que de présenter à celui qui ne peut
égard. « Le pouvoir royal, dit cet ultimatumj refuser sa nomination à un de ceux qui sont
du pouvoir populaire, doit être soigneuse- présentés le roi, dans ce cas, ne fait que
ment distingué de toute autorité secondaire. choisir sur quelques-uns, lorsque la charte
La neutralité du roi est la plus sûre garantie> lui donne le droit de choisir sur tous, et de
de son inviolabilité. » Si cela ne veut pas5 nommer celui qu'il a choisi.
dire que le roi ne doit pas même nommer Ainsi, dans le cas de présentation par le
les autorités secondaires, cela ne signifie peuple, le peuple nomme, et le roi institut
rien, car le roi ne peut participer aux auto- ceux que le peuple a nommés
rités secondaires que par la nomination auxl Si le roi nomme directement les chefs des
emplois administratifs, puisqu'il ne délibèrei corps, préfets, sous-préfets, maires, adjoints,
ni personnelle ment ni même par ses minis- présidents, etc., et que le peuple nomme di>
tres, avec les corps administratifs, munici- rectement ou seulement par présentation
paux ou départementaux les membres des conseils, il y aura les gens
Le genre neutre n'est pas plus dans notre du roi et les gens du peuple; et, outre que
politique que dans notre grammaire, et laj la charte n'autorise pas cette distinction,
neutralité du roi ne signifie, en bon français, comme les gens nommés par le peuple se-
ront incomparablementplus nombreux que mêmes et qu'il faudrait écarter.
Le? élus du
ceux nommés par le roi, ils seront les maî- peuple seront-ils plus respectés
tres des délibérations, et les agents du roi par le roi? que les élus
Non encore, car, comme le peu-
verbaux..
n'y assisteront que pour signer les procès- ple
et se, retrouvent à chaque pas. Là où il éclairée é< par les lumières du christianisme,
n'y a- pas de plaisirs, on demande au moins ci croyez-en un philosophe élevé à l'école du
le bonheur, et /le bonheur n'est que dans paganisme,
pi et le premier des philosophes
l'union des familles et la bienveillance mu- païensP' «Gardez-vous,» » dit-il, «de regarder
tuelle entre les concitoyens. comme
C( des lois tout ce qui, dans la légis-
Une fois cependant que la loi que nous lation le des divers peuples, porte le nom d'é-
décrétée, la voilà, dans l'or- dits
d ou d'ordonnances. » Neve putes legem
discutons, sera scitum
dre légal et l'on sait tout le parti qu'on et esse omne quod in institutis populorum
a tiré de l'ordre légal! Mais ce qu'il y est.
et (Cic.)
la charte Et le même philosophe, distinguant avec
a ici de remarquable, est que
n'y sera plus, puisque le complément de précision
p ce qui n'est que légal de ce qui
e légitime (1), donne le moyen
est de le
la charte (car c'est ainsi que le parti li-
béral appelle cette loi) sera de l'avoir vio- discerner.
d « Ce n'est, » dit-il, «que dans la
lée dans l'article fondamental qui donne au nature
n qu'on peut trouver la règle qui sert à
roi la nomination aux emplois, et à tous les ddistinguer une loi bonne d'une mauvaise; »
emplois administratifs. Il est honteux assu- legem
l> bonam a mala nulla alla nisi naturali
rément, dans uosiècle qui se dit aussi avancé norma
« dividere possumus.
et ci- il serait assez difficile de décider à quelle
en politique, et chez un peuple chrétien appartiennent bien des choses faites
vilisé, il est honteux, de voir invoquerl'or,dre nature
r
légal d'une manière absolue par un parti qui a nom de l'ordre légal, et qui ne sont cer-
au
s'appelle fastueusement libéral, lorsqu'on a tainement
t ni dans la nature politique, ni
vu l'ordre légal dans les erreurs de la cons-
dans
d la nature religieuse
tituante, dans les fureurs de la convention, Tout ce qu'on peut dire sur cette matière
e que la perfection de la
législation consiste
dans le despotisme de Bonaparte, dans cin- est
quante mille lois toutes d'urgence, et plus à rendre légal tout ce qui est légitiment légi-
insensées les unes que les autres; lorsqu'on time
t tout ce qui est légal, c'est-à-dire à faire
c bonnes lois et à
de n'en pas faire d'autres.
le voit encore en Angleterre, dans l'oppres-
«ion des Catholiques d'Irlande; en Turquie, Nous avons fait, en bien peu de temps,
dans la polygamie et l'esclavage en Chine, de
c grands pas dans un nouveau système
libéraux et les impies triomphent; les
dans le meurtre des enfants sacrifiés à l'es- las
1
M. DE BONALD. 1
iBmxihm partie
ŒUVRES POLITIQUES.
J DISCOURS POLITIQUES.
SUR L'ÉTAT ACTUEL DE L'EUROPE (1).
.L:Iil
.v..
POLITIQUE.
vec leur fureur épidémique du commerce,
ne pou-
rannie a de différent.
-/SUR L'ETAT ACTUEL DE L'EUROPE,
ti ns ont de semblable, et ce que chaque ty- longue et forte résistance.
et les fidèles, les nobles et le peuple, les
Depuis bien des siècles, en Suède, les gé- hommes et les femmes attachés à leur
nérations se transmettaient fidèlement l'une tienne
à l'autre une haine désespérée contre les Da- culte qui lie
croyance, surtout à cette partie du
MO
résistance.. On vit les prêtres
an-
les vivants aux morts, et des
no;s, plus encore que l'amour de leur pro- souvenirs si touchants à des pratiques si in-
pre indépendance l'attentat horrible de nocentes et si pieuses se retirer dans les
Cnristiern ymit le comble, et un homme fut montagnes inaccessiblesde la Dalécarlie,
et
appelée recueillir cet héritage national. Gus- demander la liberté religieuse
mêmes
tave Wasa, issu d'une maison qui avait régné lieux d'où était sortie la libertéaux politique.
sur la Suède, échappé lui-même au massacre Les Dalécarliens, constants dans leurs usa-
de Stockholm, parut, comme tous les hom- ges
comme tous les peuples pauvres et iso-
mes extraordinaires au moment précis de lés, prirent même lès armes,mais sans chef
la maturité des événements; un peu plus et sans discipline.
Tout plia le vain-
tôt il eût échoué, comme son successeur, queur, et même, la pensée. Ce sous
plus grand que lui, échoua quelques années dant qu'en ne fut cepen-
conservant les dehors du catho-
après dans de plus vastes, desseins. Wasa licisme
que le luthéranisme put s'introduire
appelle à lui, dufond des forêts et des mines en Suède, et l'on retint Tépiscopat, quel-
de la Daléearlie, quelques paysans occupés y
que chose de la liturgie, et jusqu'à un reste
de leurs travaux il exalte leur haine, il de confession auriculaire (1).
Ce luthéra-
leur inspire son courage, il discipline leur nisme ainsi déguisé, qui adaptait les formes
ardeur, et, combattant à leur tête, il chasse pompeuses, et même la hiérarchie de la re-
les Danois, qui n'ont pu, depuis cette épo- ligion catholique
aux principes faciles de la
que, s'établir en Suède. Gustave rendit le pou- Réforme, estdans l'Eglise absolument ce que
voir héréditaire dans sa famille, et mourut sont dans la société politique les
comblé d'ans et de gloire, adoré du peuple, ments aristocratiques,
gouverne-
révéré de la noblesse, dit l'abbé de Ver-
comme ceux de Po~
logne ou d'Angleterre (2j qui conservent
U)L D'antres historiens prétendent qu'il lesformesaugustes de la monarchie, mômp
et
parut au-dessous de sa gloire, et qu'il fit la dénomination de royauté avec les princi-
moins aimer aux Suédois sa domination,
pes des Etats populaires; et comme J.-J.
qu'il ne leur fit haïr la tyrannie étrangère; Rousseau dit quelque
pari, pour cette rai-
car un prince qui fait une révolution est ,son que le Luthéranisme est la plus inconsé-
presque toujours un objet de contradiction .quente des opinions religieuses, on peu*,
pour ses contemporains, et souvent un pro- regarder l'aristocratie comme le plus incon-
blème pour la poïtérité. .séquent des gouvernements.
Gustave fit une révolution, non-seulement Telle est l'influence irrésistible que la re-
dans le gouvernement, mais encore dans la ligion
exerce sur l'Etat, que la Suède, de-
religion. Frappé de quelques désordres dans puis la Réforme,
le clergé, jaloux de son crédit, et surtout blement à l'aristocratie
commença à incliner sensi-
à cet état de gou-
de ses richesses, il méconnut les bienfaits vernement toujours dans les extrêmes de la
de la religion catholique, le frein le plus servitude
ou de la licence, et la noblesse
puissant des hommes et des peuples, et il suédoise, écartée, dans
ses rapports avecses.
voulut faire adopter en Suède les nouveautés rois, de cette juste
mesure que si peu de
que les prédications de Luther avaient in- nations en Europe ont su garder, fut con-
troduites en Allemagne. De libérateur de damnée à tout endurer des rois forts, et à
ses peuples, il en devint le persécuteur. La tout oser contre les rois faibles. On vit sous
Suède, assez récemment convertie au chris- Eric, le fils insensé de Gustave Wasa,
un
tianisme, avait été souvent troublée par la noble Suédois, poignardé par ce prijice,
lutte des pouvoirs politiques et religieux, tirer, à genoux le poignard de sa blessure»
non encore exactement définis chez lés peu- le baiser, le lui rendre et mourir; et de nos
ples naissants, où le pouvoir religieux se jours, on a
vu de nobles Suédois assassiner
trouve toujours plus avancé dans sa consti- Gustave III. L'histoire de la Suède nous
tution que le pouvoir politique. Cependant montre la noblesse, sous Gustave-Adolphe,
elle opposa aux innovations religieuses une et plus encore sous Charles XII, entraînée
(I ) Dans les
Etats qui ne sont pas 'monarchiques, superintenclants.
le luthéranisme n'a point ti'évcques, et n'a d'autres.
que des ('2) Et de
(2) tl(,~ bieli
bien (I'~lutres.
iH OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 412
loin de son pays, au fond de l'Allemagne et alliés de la France, avaient en Allemagne
de la Russie, dans des guerres sans fin et l'armée la mieux disciplinée qui ait jamais
sans objet, et à la diète de 1755, cette même été depuis les légions de César. Ils étaient
noblesse traiter avec indignité un roi mo- presque toujours sûrs, dit un auteur du
déré, lui disputer le droit d'apposer son temps, ou de battre ceux qui s'opposaient à
sceau aux actes publics, et lui ôter jusqu'à leur valeur, ou de faire périr par leur pa-
l'éducation de son fils. tience ceux qui voudraient éviter le combat.
Les Suédois, en sortant de l'esclavage sous Ils faisaient la guerre dans toutes les saisons
l'étranger, s'arrêtèrent à la plus extrême de l'année, et ils subsistaient trois mois dans
obéissance enversleurs rois mais combien, les quartiers où l'armée impériale n'aurait
il faut le dire, cette dépendance un peu ser- pas pu vivre huit jours. Tous les enfants
vile fut ennoblie par de dignes maîtres 1 qu'ils avaient eus depuis I entrée de Gustave-
Quel homme et quel roi que 'Gustave- Adolphe en Allemagne, étaient accoutumés
Adolphe, petit-fils de Gustave Wasa 1 Ce aux mousquetades, et portaient, dès l'âgo
prince, qu'on peut regarder comme le héros de six ans, de quoi manger à leurs pères
de la Réforme, montra la force de caractère dans les tranchées et dans la faction. Quoi-
et les vertus qui font les grands hommes, les que l'armée ne soit pas un lieu fort propre
connaissances qui font les hommes utiles, pour élever la jeunesse, néanmoins on pre-
et même les qualités qui font les hommes nait un soin très-exact de leur éducation,
aimables. Bon et populaire pour les hom- leur faisantapprendre à lire et à écrire dans
mes les plus obscurs, il avait coutume de de petites écoles portatives, que l'on tenait
dire que les rois n'avaient de rang entre dans le quartier ou dans le camp, lorsqu'on
eux que celui de leurs vertus. Eloigné pen- était en campagne. Les ennemis étaiei.t
dant sa jeunesse de la reine son épouse, et quelquefois campés si proche, que leur ca-
au milieu de la licence des camps, il s'ho- non portait jusque sur la petite école, où
norait de lui avoir toujours été fidèle. Il fut l'on a vu trois ou quatre enfants emportés
le créateur de l'art militaire en Europe, le d'un seul coup sans que les autres chan-
fondateur de l'école où se forma notre Tu- geassent de place, ou quittassent la plume
renne. Sorti de son pays avec moins de qu'ils avaient la main.
trente mille Suédois, faiulement secouru, « Les recrues de l'infanterie ne se fai-
ou même à la fin contrarié par les princes saient plus que parmi les enfants nés dans
protestants, jeté au milieu de la populeuse le camp. A l'âge de seize ans, ils prenaient
et belliqueuse Allemagne, au siècle des lu- le mousquet, et n'avaient garde de déserter
mières politiques et des connaissancesmili- jamais, parce qu'ils ne connaissaient plus
taires, en présence de la monarchie autri- d'autre vie, ni d'autre vocation. Pour la ca-
chienne, de Valstein et de Tilly, il éleva, il valerie, c'étaient les valets de leurs retires
soutint même, tant qu'il vécut, cette puis- qu'ils mettaient à cheval après qu'ils
sance formidable qui n'avait qu'un camp avaient servi sept ou huit ans dans l'armée.
pour territoire,et pour peuple qu'une armée, Ils étaient aguerris avant que d'être enrôlés,
cette puissance à qui les réformés, toujours de sorte qu'ils pouvaient dire qu'ils avaient
pressés de prédire, appliquaient déjà les autant de capitaines que de soldats, ce qui
oracles des Livres saints et toutes les pro- a paru dans toutes les batailles et rencon-
phéties de Y Apocalypse, et qui sans doute tres principales, où les officiers d'une com-
aurait pu les justifier à force d'enthousiasme pagnie ayant été tués, le premier reître se
religieux et de génie, si l'ordonnateur su- mettait à la tête, et la commandait aussi bien
prême des événements n'avait, depuis l'éta- que le plus bra^e et le plus sage capitaine
blissement du christianisme, retiré la force du monde. Les charges se donnaient au ser-
à l'homme pour la donner à la société (1). vice, et au mérite, sans faveur, et l'on v
Le lecteur nous saura gré peut-être de voyait plusieurs colonels qui avaient été
lui citer ici en entier un morceau dont nous simples soldats dans le régiment qu'ils com-
lui avons déjà donné un fragment, et qui mandaient. Cette armée était telle, qu'il n'est
fera mieux connaître ce grand roi que tout pas au pouvoir de tous les rois du monde
ce que l'on pourrait en dire. « Les Suédois, d'en composer jamais une semblable, parce
(1) On lit quelque part que la Norvvége ne s'est Fr:nwe, et qu'elle doit à la révolution.
jamais remise de la peste (in xive siècle, qui com- (5) Cette prédiction de l'auteur s'esiarer>n>p!ie:
mença, dit on, au Gatliai, près du J.ipon, et la Finlande a élé réunie à la Russie, et ia Narwége
parcourut toute l'Europe. à la Suèle.
(2) C'est un goût aujourd'hui très-répandu en
4 19 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 420
servie des autres. L'orgueil hu-
ties anciennement plutôt que naturellement 1 un et Qu servree
réunies, continental à la fois et maritime, et main peut se révolter contre cette doctrine,
partageant moins les avantages que les in- mais la nature l'établit ou la rétablit par-
convénients de cette double situation, il offre tout elle s'aperçoit, cette loi de l'unité de
à l'ambition de la puissance qui grandit au pouvoir, jusque dans les Etats qui s'en sont
nord de l'Allemagne le fertile pays du le plus écartés, elle paraît même dans les
Jutland et du Sleswick, et la Norwége à l'am- corps législatifs, où un seul propose la loi
bition de la Suède. Les deux belles îlesd'O- et vide le partage; dans les corps exécutifs
densée et de Fionie recevraient la loi de ou les armées, où un seul commande, en
deux parties voisines du continent et l'on sorte que le gouvernement populaire n'est
peut dire aussi, en parlant du Danemark, qu'un Etat où l'on cherche à qui restera le
qu'il n'est pas assez commerçant pour faire pouvoir; et si je voulais faire entendre à un
avec succès la guerre de mer, et qu'il l'est enfant toute ma pensée par une comparai-
trop pour faire avec succès la guerre de son familière, je lui représenterais le pou-
terre car les grandes entreprises ne con- voir dans ces gouvernements, comme ces
viennentqu'aux nations extrêmement opu- royautés de festin qu'on tire au sort.
lentes, ou extrêmement pauvres. « Un Etat Ces trois personnes sociales, le chef, le
commerçant, » dit J.-J. Rousseau, « ne peut ministère, le sujet, doivent être homogènes
se conserver libre qu'à force de petitesse ou ou de même nature, comme la cause, le
de grandeur. » moyen et l'effet. Elles ont deux manières
d'être; elles sont, au moins les deux pre-
§ VII. DE LA POLOGNE. mières, mobiles ou fixes, c'est-à-dire élec-
Nous continuerons le tour de l'Europe tives ou héréditaires. Si le chef est électif,
par la Pologne et la Turquie l'une, enfant le ministère ledoit être électif; si le chef est
déshérité; l'autre, enfant bâtard de la grande héréditaire, ministère doit l'être aussi, et
famille européenne. Ces deux Etats, si op- sous cette forme, il s'appelle noblesse. Nous
posés dans leurs mœurs et leur religion, ne prononçons point ici entre ces formes de
sont, plus qu'on ne pense, semblables dans gouvernement et nous nous contentons
leur constitution de là la faiblesse de l'un d'exposer des principes et d'observer des
et de l'autre, l'anéantissement de la P0I9- faits.
gne déjà effectué, l'anéantissement inévita- Or, en Pologne et en Turquie, l'homogé-
ble de la Turquie, retardé par son éloigno- néité des personnes sociales, ou n'a jamais
ment et par des intérêts particuliers. D'au- existé, ou n'existait plus depuis longtemps;
tres Etats ont péri par des abus d'adminis- et quoique la manière fût ditTérente dans
tration la Pologne et la Turquie périssent l'un et dans l'autre Etat, le résultat a été le
par des vices de constitution toutes deux même pour tous les deux. Je m'explique.
peuvent offrir aux publicistes un coutrs de Le pouvoir ou le chef, en Pologne, était de-
politique pratique, à peu près comme ces venu électif, et la noblesse ou le ministère
cours de médecine clinique que l'on fait sur était resté héréditaire. En Turquie, au con-
les malades eux-mêmes. Mais le lecteur nous traire, le pouvoir était héréditaire, et le mi-
permettra de lui rappeler ici des principes nistère électif, et de là ces élévations subi-
contenus dans quelques ouvrages politiques tes et fréquentes d'un jardinier du sérail ou
assez récents ( 1') pour lui faire mieux d'un icoglan, aux premiers postes de l'Etat;
sentir la vérité des principes dans la jus- de là un double désordre. Le chef électif,
tesse de l'application. en Pologne, était devenu trop faible pour
La loi fondamentale de toute société est contenir dans de justes bornes le ministère
celle de l'unité de pouvoir, et la seconde, héréditaire, qui, écarté de sa destination
aussi nécessaire, aussi fondamentale que la naturelle, faisait des lois, au lieu de servir
première, est celle de la nécessité du minis- à leur exécution; et le roi n'était plus lui-
tère qui agit pour exécuter à l'égard du su- même qu'un ministre ou plutôt qu'un es-
ji>t la volonté conservatricedu pouvoir. Ainsi clave. En Turquie, le chef héréditaire n'a-
il y a dans chaque société un chef ou pou- vait trouvé aucune limite à ses caprices dans
voir, un ministère qui sert au die*, et des la mobilité perpétuelle de tout ce qui exis-
sujets qui sont le terme de la volonté de tait autour de lui, et dans ses volontés ar-
bitraires plutôt qu'absolues, il n'avait été Les Jésuites s'y étaient introduit?:, et, soit
servi que par des esclaves où des satellites. l'extrême richesse des premières maisons
De là le despotisme du chef en Turquie, et de Pologne, qui leur permettait de, faire
le despotisme du patriciat en Pologne; de donner à leurs enfants une éducation soi-
là le gouvernement tumultuaire des Turcs, et gnée, soit l'habitude commune à presque
le gouvernement orageux des Polonais; de tous les Polonais de parler latin, qui les
là, en Turquie, ces soldats qui se révoltent disposait à l'étude de la littérature ancienne
et qui déplacent le pouvoir, et en Pologne, et à celle des lois, soit enfin leur gouverne-
ces luttes éternelles du chef et des grands ment, où le talent de la parole et la prati-
qu'il voulait soumettre; de là, dans ces. que des affaires donnaient de l'influence, il
deux Etats, l'anarchie, la misère, la dépo- est certain qu'il, y avait de l'instruction en
pulation, la faiblesse, l'avilissement, la des- Pologne, autant que de la valeur et de la
truction. L'influence réciproque des lois sur générosité, et plus d'instruction peut-être
les mœurs, c'est-à-dire de la société publi- chez les grands que partout ailleurs; qu'elle
que sur la société domestique, s'était fait a fourni à la littérature du Nord des hom-
sent-ir dans ces deux Etats, et de la môme mes distingués dans tous les genres de con-
manière. Le despotisme avait passé, en naissances utiles et agréables, dans tous les
Turquie, de la famille dans l'Etat, et la po- arts de la guerre et de la paix. La Pologne
lygamie, qui est le despotisme domestique, avait donc en elle-même, et dans le carac-
avait produit le despotisme politique; mais tère et l'esprit de ses habitants, tous les
en Pologne, le despotisme était descendu moyens de civilisation et de politesse, s'ils
de l'Etat dans la famille, et malgré le catho- n'eussent pas tous été rendus inutiles, ou
licisme dominant en Pologne, les dissolu- même funestes au bien du pays par une
tions de mariage, pour empêchements diri- constitution vicieuse; c'était un homme
mants, étaient devenues chez les grands une qu'un tempérament faible empêche de met-
véritable polygamie car, quoique les fem- tre à profit, pour son utilité personnelle,
mes les provoquent, et même plus souvent ses moyens naturels ou acquis. II faut re-
que les hommes, elles n'en sont que plus monter aux causes de ce désordre, et c'est
esclaves, puisqu'elles le sont à la fois des ici surtout que l'histoire, qui est la leçon
passions des hommes et de leurs propres des hommes, est encore plus la leçon des
passions. Ce sont ces abus sur les sentences sociétés.
en nullité de mariage qui ont fait croire Le pouvoir, en Pologne, fut de bonne
'que le divorce était permis en Pologne. En
heure héréditaire. A mesure que l'on
Pologne, comme ailleurs, la religion ava:t re-
maintenu le principe général de l'indisso- monte vers l'enfance des peuples, la société
lubilité du lien conjugal; mais les passions ressemble à la famille, au point de n'être
plus qu'une famille, et c'est ce qui fait
des hommes, qui n'étaient pas contenues
qu'on retrouve la loi de l'hérédité en usage
par une autorité suffisante faisaient du dans les temps bdroïques de la Grèce, les
principe une application vicieuse.
plus anciens gouvernements politiques dont
Nous reviendrons ailleurs à la Turquie,
et nous ne nous occuperons ici que de la nous ayons connaissance. A cet âge de la
Pologne. société, ces théories de gouvernement sub.
tiles et composées, ce jeu de pouvoir, où
La Pologne, convertie au christianisme on le tire à chaque délibération comme uue
dès le x' siècle, et entourée, même encore loterie, où chacun la cherche et le poursuit
aujourd'hui, de nations barbares ou de voi^ continuellement, et quelquefois sans pou-
sins inquiets, s'était rapidement formée, à voir l'atteindre, ne pouvaient pas se présen-
l'aide de l'influence des deux causes les ter à l'esprit d'hommes simples, accoutumés
plus efficaces qui puissent agir sur une so- à respecter le pouvoir domestique dans le
ciété, la religion et la guerre l'une, je père de famille, et d'hommes violents qui,
parle de la religion chrétienne, qui perfec- dans la simplicité native de leur bon sens,
tionne les mœurs, l'autre, qui fortifie les sentaient que cette pomme de discorde jetée
âmes et les corps. Elle était parvenue à un
au milieu d'eux y produirait des troubles
haut degré de considération parmi les peu- effroyables, y anéantirait toute union, et
ples du Nord, et avait laissé bien loin der- conséquemment toute force publique, et
rière elle les Borusses, devenus depuis les qu'après avoir été la risée de leurs voisins,
Prussiens et les Moscovites ou les Russes. ils finiraient par en devenir la proie. Les
Î^Ionais vécurent donc, depuis ie ix* siècle diocres, s'ils étaient choisis parmi les Polo-
jusqu'en 1572, et presque sans interruption, nais et presque la seule circonstance où ils
sous le gouvernement héréditaire des deux aient nommé d'eux-mêmes un grand hom-
races vénérées des Piast et des Jagellons (cette me, c'est lorsque le danger commun réunit
dernière était passée de là Lithuanie en Polo- tous les esprits en faveur de Sobieski.
gne). Ge fut sous leur conduite que la Po- L'état de faiblesse toujours croissant où
logne combattit, et souvent avec avantage, cette forme de gouvernementretenait la Po-
les chevaliers Teutons, les Borusses, les logne, n'était pas indifférent à des voisins
Moscovites et les Tartares; car elle se trou- longtemps balancés, et souvent humiliés par
vait aux postes avancés dans cette guerre ses succès. Il était dans l'ordre de cette po-
longue et terrible que la doctrine armée du litique qui s'est établie depuis quelques
rnahomélisme a déclarée à la chrétienté siècles en Europe, que ces mêmes voisins,
aussitôt que la guerre contre le christianis- loin d'aider cette malheureuse nation à sor-
me a eu cessé par la destruction de l'empire tir de l'état d'enfance où elle était retombée,
romain. On n'a pas assez remarqué cette cherchassent à l'y retenir entreprise d'au-
lutte sanglante de la barbarie contre la ci- tant plus facile, que la liberté en était le
vilisation, qui a été marquée par des acci- prétexte, et l'argent le moyen l'argent, dont
dents extraordinaires, et par le plus ex- ces seigneurs fastueux étaient avides pour
traordinaire de tous, les croisades. La Tur- le dépenser, plus que les avares ne le sont
cmie nous fournira à ce sujet des réflexions* pour l'entasser. C'était toujours pour main-
intéressantes. Lorsque la race des Jagellons tenir la liberté dans les diètes, et conserver
5>6teignit les opinions des Hussites de à la nation son indépendance, que les étran-
Bohême, renouvelées et étendues par Lu- gers faisaient entrer en Pologne les troupes
ther, avaient ébranlé partout,et surtout au qui l'asservissaient, et y commandaient la
nord de l'Europe,-les principes de l'obéis- liberté des suffrages. Il s'élevait un parti
sance, et fait perdre de vue la nature du opposé, et des confédérations sans unité ne
pouvoir. politique, là môme où elles n'a- manquaient jamais de se former, appuvees
vaient pas changé le culte public par des troupes sans discipline. Le principe
Les nobles polonais, déjà puissants par était le même de part et d'autre. Tous vou-
leurs-richesses, profitèrent de l'extinction laient élire le chef: ils ne différaient que
de la famille régnante pour envahir l'exer- sur la personne, et cette personne, quello
cice du pouvoir.. Ils cessèrent d'être nobles, qu'elle fût, nommée par ceux-ci ou par ceux-
ministres, c'est-à-dire serviteurs, et devinrent là, sous la condition qu'elle serait l'esclave
patriciens, ou pouvoir eux-mêmes, puis- d'un parti et l'ennemie de l'autre, revêtu1; de
qu'ils en disposèrent par l'élection, et y la pourpre royale, mais chargée d'une cou-
nommèrent, pour la forme, quelques prin- ronne d'épines, et tenant un roseau pour
ces étrangers, ou même quelques-uns d'entre sceptre, montait sur ce trône chancelant au-
eux; mais ils crurent le donner, et ne firent dessus des abîmes, ety traînait dans 'e* dé-
jamais que le céder ou le vendre. Les mai- goûts et les douleurs une vie inutile à sa
sons souveraines voisines de la Pologne la gloire, fatale à son repos, et toujours sans
regardaient, ou peu s'en faut, comme un fruit pour le bonheur de la Pologne.
apanage pour leurs puînés. La Suède, la L'anarchie religieuse précéda à la fois et
Saxe, la Russie, la Transylvanie, et même la suivit l'anarchie politique. La l'Otogne était
France, donnèrent, à force d'argent et d'in- sincèrement attachée au culte dominant en
trigues, ou voulurent donner des dictateurs Europe, et même la religion chrétienne était
à cette turbulente république. A Rome, ces' chargée de la tutelle de cette société dans
magistrats, nommés seulement pour les dan- ses minorités périodiques. L'archevêque de
gers pressants, étaient toujours des hommos Gnesne, primat du royaume, prenait, à la
d'un grand talent, et souvent des hommes mort du roi, les rênes dé l'Etat, et gouver-
d'un grand génie, que faisait éclore un gou- nait pendant l'interrègne institution subli-
vernement toujours armé où toutes les me, qui mettait la nation sous la garde du
grandes passions étaient sans cesse en ha- pouvoir général de la chrétienté, lorsque
leine au lieu qu'en Pologne ute fermenta- son pouvoir particulier était suspendu, ainsi
tion intérieure, fruit de la corruption des que dans une famille le pouvoir domesti-
diètes et de l'intrigue des cours étrangères, que, à la mort du père, retourne à l'aïeul;
ne pouvait produire que des hommes mé- institution très-politique, puisqu'elle atlri-
425 PART. IL .PGUÎIQUE. SUR L^ETST ACTUEL DE L'EUROPE. &%
buait l'exerdce du pouvoir à des fonctions
buait l'exercice faire nn
na. tempérament, au lieu de le con-
qui n'avaient d'autre force que celle que leur sulter sur le régime qu'ils doivent suivre.
donnait le respect des peuples, et qu'elle en Ils n'avaient qu'à jeter les yeux sur l'Euro-,
empêchait ainsi l'usurpation violente, si fa- pé, et voir où il y avait plus de force, de
cile dans un temps d'mterrègneet de faction. paix, de lumière, d'amabilité; où était le
Mais toutes les sectes, rivales entre elles et -clergé le plus instruit, la magistrature la
ennemies du culte dominant, grecs non unis, plus grave, le militaire le plus dévoué; où
ariens 3t sociniens, sous le nom de frères il y avait plus de freins à la violence, plus
polonais, anabaptistes, latthériens, d'autres de secours pour lafaiblesse; et, s'ils ne vou-
sectes occultes et plus dangereuses, avaient laient pas chercher des modèles au loin, ils
germé en Pologne, et y formaient le parti n'avaient qu'à lire leur propre histoire, et
nombreux des dissidents. Pour combler les se rappeler le temps où ils se soutenaient
maux de ce malheureux pays, une immense à forces égales contre leurs voisins, malgré
population de Juifs s'y étaient emparée de des vices nombreux d'administration, et
meutes les branches du commerce et de tous même quelques défauts de constitution qui
tes débouchés de l'industrie. Les plus riches tenaient à l'âge de leur société, une des plus
d'entre eux ruinaient les grands seigneurs récemmentcivilisées de l'Earope par sa con-
far leurs avances; les plus pauvres, à l'affûtt version au chistianisme. Mais les idées phi-
de tous les moyens de gagner, étaient au losophiques avaient germé en Pologne, et
peuple le travail, et par conséquent la sub- même, plus que partout :ailleurs, chez ces
sistance, et ils mettaient sous ses yeus le magnats opulents et oisifs, qui ne voyaient
•spectacle corrupteur de cette activité prodi- i& .liberté de :la nation que dans leur propre
gieuse pour acquérir de l'argent, de cette indépendance, et la prospérité publique que
Industrie usuraire et cruelle qui spécule dans Leur puissance personnelle. Quoi qu'il
sur la détresse *partieiïlàèi>e ^coiïiaae ss«r les en soit, nos deux philosophes, érigés tout à
malhears publics, sur ries hailJans de l'indi- eoupeu législateurs, se regardèrent .comme
gence comme sur les revenus de l'Etat, ne «es sages:de l'antiquité .à qui les peuples
coniïatt -aueun sentiment de générosité, et demandaient des institutions, ;ou qui par-
étouffe ainsi tantes les vertus privées et pu- couraient le pays, distribuant des lois sur
&liques. leur passage, et ils écrivirent l'un et llaatie
Cet 'état de choses ae pouvait durer. Le sur le gouvernement qui convenaitla Po-
• cègnesi agité du*dernier rai, Je plus aima-, log:Qe, quoique J.-J. fioussea» déclarât mo-
bte et le plus instruit des .hommes, annon- desteinent « que,, dans toute la vigueur de
>çsit assez que la, maladie tirait à sa fin, et sastête, il .n'aurait pu saisi? rensemble de
-que le moment fetal était arrivé où une na- cesigrands rapports., et .qu'au moment qu'il
iionr<depuis longtemps avertie par ses trou- écrivait il lui restait à peine la -facul;té de
bles intérieurs, et toujours inutilement, de lier deux idées. »
revenir à l'ordre dont elle s'est écartée,, II y apeu de lectures ..plus amusantes pour
tombedans la crise inévitable qui l'y ramène. w.n observateur que celle de ces deux écrits,
Cependant :la :Pole.gne, la veille de sa lorsqu'un les rapproche des événements qui
perte, cherc-Bâit un *ermède h ses maux. se sont passés en Europe depuis qu'ils ont
En Wii, ile -côEate Wisllnorski demanda à paru. Nous croyons entrer dans l'esprit d'un
J.-J. Rousseau an plan de constitution, et, o.uv.rage consacré à répandre l'instruction,
dans.le même temps, sd!auires Polonais ou en comparant entre elles, et avec l'état pré-
ipeùt-être le même seigneur, s'adressèrent à sent des choses, ces deux législations philo-
J'abbé de Mabljy. Cette demande prouvait ,plus sophiques, semblables dans les principes,
d'amour de la patrie que de lumières poli- différentes dans les formes, selon la diver-
tiques. ïOn peut demander à l'homme un sité d'état et de caractère 4e leurs auteurs.
pian id^dmJHistration, mais on ne doit de- Ce rapprochement est d'autaot plus instruc-
wander une constitution de société qu'à la tif, qu'on y retrouve la théorie de nos deux
nature et ces Polonais faisaient comme des révolutions législatives, celle de 1789 ( 1 )
malades qui prieraient un médecin de Leur et celle de 1593 la première faite, d'après
(1)
<
J'ai sous les l'édition 'm-& de Mably, l'édition, que les disciples de J'auleuc en Franco
faite à Londres, 1789,yeux
tomeYIll. Ce que j'ai à en ont aliëré son texte, à l'instant qu'ils voulaient .en
citer paraîtra si dépourvu de raison, que l'on est faire usage, et qu'ils nous ont donné leurs projets
quelquefois tenté de supposer, en lisant la date de pour les opinions de leur maître.
les principes de Mably la seconde, d'après plus raisonnable que Mably, il ajoute que
« ce mal n'est pas tellement
inhérent à cette
ceux de J.-J. Rousseau, pris à la rigueur. Si
les bornes d'un discours nous permettaient place, qu'on ne puisse l'en détacher; » car
de donner à cette discussion tout lé déve- J.-J. Rousseau pense juste toutes les fois.que
loppement dont elle est susceptible, il n'y son imagination, ce qui est assez rare, n'é-
aurait pas, nous osons l'assurer, de meilleur gare pas sa raison.
traité de'droit politique que la comparaison Ce principe posé, la législation, faite pour
et la réfutation de ces deux systèmes sur le rendre unes les volontés et les actions, pour
gouvernement de Pologne l'un, celui de réunir tous les hommes dans la société, sui-
Jean-Jacques, composé avec chaleur, écrit vant cette maxime du grand maître, que tout
avec force, et où brillent quelquefois des royaume divisécontre lui-même sera détruit,
lueurs de raison et même de génie l'autre, ne pouvait plus être que l'art d'organiser la
diffus et froid, ouvrage d'un auteur chagrin division et de régulariser le désordre, et des
et pédantesque, dont l'esprit est étroit, mais philosophes ne faisaient que mettre en pra-
dont l'orgueil est sans bornes. Mably ne tique l'axiome favori des tyrans Divide et
saurait faire un pas, s'il n'a d'un côté les impera. Dès lors Mably et Rousseau, s'ils
Grecs et les Romains pour en admirer tout, différaient entre eux, ne pouvaient différer
et de l'autre les modernes pour y tout cen- que dans les moyens, plus décidés et plus
surer. expéditifs chez le Génevois, plus lents, plus
Ces deux écrits sont d'autant plus intéres- timides chez l'ecclésiastique, mais tout aussi
sants à lire, qu'ils sont l'un et l'autre l'ap- eflicaces
plication /les théories politiques de leurs Mably, par lequel je commence parce
prin-
auteurs à un gouvernement particulier, et qu'on a commencé en France par ses
c'est ce qui fait qu'elles nous paraissent cipes, Mably, avant tout, conseille fort sa-
aujourd'hui si ridicules car l'expérience gement aux Polonais, divisés, battus, qui
de leur
est la pierre de touche de toutes ces théo- n'ont ni argent ni troupes, de chasser
ries, et une législation est comme un vête- territoire les armées russes, et, dans tout le
les
ment mal coupé ( 1 ) dont les défauts ne cours de son ouvrage, il leur donne
paraissent jamais plus que lorsqu'on l'a re- moyens les plus sûrs d'éterniser chez eux
vêtu. l'influence de la Russie. Dans ses idées de
Les deux législateurs partent également collége, il veut faire de la
diète de Pologne
de ce principe, que le chef d'une nation est le sénat romain, et l'on
dirait qu'il prend la
nécessairement l'ennemi de sa liberté et de puissance de la Russie, de l'Autriche et de
lois. Tout législateur, dit Mably, la Prusse, comparée à celle de la Pologne,
ses « »
doit partir de ce principe, que la puissance pour les forces de Tigrane, de Persée ou
«
exécutrice a été, est et sera éternellement d'Antiochus comparées à celles des Ro-
l'ennemie de là puissance législative; » pro- mains.
position aussi raisonnable que si l'on disait Le premier soin du législateur doit être,
formation d'une puissance
que l'action dans l'homme a été, est et sera selon Mably, la l'anéantissement, » dit-i!,
éternellement l'ennemie de sa volonté. J.-J. législative, « dont
la répu-
Rousseau s'était moqué, dans le Contrat so- « est la cause de tous les maux dont
cial, de cette division de pouvoirs iniroduite blique se plaint; » comme si la
Pologne
qui a un chef et des mi-
par Montesquieu, qu'il compare, sans res- comme si un Etat qu'il faut pour
pect pour sa réputation, à ces charlatans du nistres n'avait pas tout ce
1 H éta-
Japon qui dépècent un enfant et le font re- porter des lois et les faire exécuter
paraître vivant. 11 n'avait donc garde d'em- blit donc une puissance législative, mais une
« d'une
ployer, au moins sans correctif, les expres- puissance « armée, » dit-il lui-même,
sions de puissance législative et de puissance force à laquelle rien ne puisse résister. » Et
exécutrice dont Mably se sert; mais il pré- même, craignant qu'elle n'étrangle les lois
devrait
sente au fond la même idée en d'autres ter- (c'est son expression), lorsqu'il
nation il re-
mes. « C'est un grand mal que le chef d'une craindre qu'elle n'étouffe la
nation soit l'ennemi né de sa liberté, dont garde comme un reste de l'ancienne barbarie
il devrait être le défenseur. » Cependant, des Sarmates le terme fixé à la diète pour sa
polonaises, à celles si
(1) Ne pourrait-on pas appliquer ce que dit ici M. de Bonald des çonstitul.onssiècle. Toutes
nombreuses dont on a fait l'essai en France pendant la première moitié de notre
dans
ces cons-
sol Edit.
titutions, plus ou moins modelas sur celles d'autres peuples, n'ont pu prendre racine notre
^9 PART, IL POLITIQUE. SUR L'ETAT ACTUEL DE L'EUROPE. 430
~uv
session; ce qui prouve seulement que les
session qu'il est aussi aisé à l'homme
l'homme de dire aux
Sawaaies s'entendaient mieux en législatioa passions humaines, lancées dans la carrière
que nos philosophes. Nous avons vu en de l'ambition « Vous respecterez cette li-
France, en 1789, cette puissance législative « mite, » qu'il l'a été au Créateur de dire à
infinie dans sa puissance et illimitée dans sa la mer Tu viendras jusqu'ici, et tu n'iras pas
durée. plus loin. » (Job xxxvm, 11.)
Cette puissance législative, Mably la place Avant d'opposer des freins à l'abus de ce
dans l'ordre équestre assemblé en diète gé- pouvoi"1, Mably commence par ôter tous les
nérale, qu'il rend très-nombreuse. Nous ver- obstacles qui pourraient en gêner l'exer-
rons plus basqu'il attribue aussi à un corps cice. U s'élève contre le liberum veto qu'un
la direction de la puissance exécutrice et seul noble, noace à la diète, pourrait oppo-
qu'il ôte ainsi toute unité la législation, et ser aux résolutions de l'assemblée entière:
tout ensemble à l'administration. L'objet per- droit assez récent remède désespéré ati
pétuel de ses craintes est que cette puis- danger toujours imminent d'une diète fac-
sance législative, placée dans un corps opu- tieuse, et qui peut-être en avait Jusque-là
lent et nombreux, ne soit entravée dans le préservé la Pologne; droit enfin dont l'abus
développementde son énorme pouvoir. «Je de la part d'un seul n'était guère à craindre
voudrais, » dit-il, « qu'on déclarât, de la ma- en présence d'une assemblée où tous sié-
nière la plus solennelle, que le roi, les séna- geaient le sabre au côté. C'est encore dans
teurs et les ministres n'ont aucun droit de les mêmes vues qu il proscrit l'usage des
s'opposer aux résolutions de la diète géné- confédérationsarmées, autre veto plus effi-
rale, et que Y espèce d'hommage qu'elle leur cace, mais qui, pareille à l'insurrection de
rend, avant de se séparer, n'est dans le fond Crète, ne défendait la nation de l'extrême
qu'une façon polie de leur communiquer les oppression que par. l'extrême désordre. C'est
iois de la nation et tes lois qu'ils doivent ob- pour contre-balancer ces moyens terribles
server eux-mêmes, en veillant à leur exé- d'opposition moins forts encore que la
cution dans les palatinats de la république. » puissance qu'ils avaient à combattre, que
Tout ceci est écrit en 1771, et l'on voit que Mably prescrit gravement que tous les non-
Mably, dans sa constitution philosophique, ces (dont il a eu la précaution de rendre la
n'oubliait rien de ce que nous avons vu de- personne inviolable, et même sacrée) «te-
puis, pas même les politesses dérisoires que nant la main sur l'Evangile, prêteront ser-
des sujets devenus maîtres prodiguent à un ment d'observer les lois fondamentales,
»
pouvoir humilié. même celles qu'ils doivent faire, et qui ne
Mably a investi ia puissance législative sont pas encore connues que si
« un nonce
d'une force prodigieuse, d'un pouvoir mons- porte l'oubli de ses devoirsjusqu'à mettre le
trueux. Il songe un peu tard à l'abus quelle sabre à la main, il doit être déclaré coupa-
peut en faire, et les freins qu'il lui oppose ble de lèse-majesté, parce qu'il a porté at-
sont capables de le prévenir comme quel- teinte lamajesté de la nation. » Cependanl
ques gouttes d'eau d'empêcher l'éruption telle est la force de cette législation, que, si
d'un volcan. une diétine (i) intraitable s'obstinait à re-
« Mais,» continue-t-il, «après avoir donné jeter une loi émanée de cette puissance à
à la diète générale tous les droits de la sou- laquelle rien ne doit résister, « il vaudrait
veraineté, c'est-à-dire le pouvoir de faire de mieux ne pas l'y soumettre; » en sorte que
nouvelles lois, de changer, modifier et an- le même législateur qui ne veut pas de con-
nuler les anciennes, il faut songer, autant fédérations contre les lois, autorise des ré-
que le permet la dépravation actuelle des sistances. Il n'est pas hors de propos de re-
mœurs, à disposer d-e telle manière la po- marquer que nos athées de 1793 ne savaient
lice, le régime et tous les mouvements de la aussi nous lier que par des serments, qui ne
diète, qu'elle ne puisse se servir de sa sou- sont rien s'ils ne sont faits à la Divinité, et
veraineté que pour le plus grand bonheur que Mably, fortement soupçonné de déisme,
de la nation. » C'est avec cette simplicité ne trouvait pas de plus sûr garant des -enga-
vraimentenfantine que Mably veut contenir, gements publics que l'Evangile. Mais con-
par des règlements de police, un corps léga- tinuons.
lement investi de la puissance de faire des C'est principalement dans l'organisation
lois même constitutionnelles et qu'il croit de la puissance exécutrice
que paraissent à
( 1 ) Assembléeparticulière d'une province.
la fois et les petites craintes du législateur, Non-seulement le roi n'aura pas l'influence
et le petit esprit du philosophe. Mably la que donne la richesse, mais il n'aura pas
place dans un sénat dont la composition, celle que 'donne :la nomination aux emplois.
très-indifférente en elle-même., ne mérite « ©ignités ecclésiastiques, civiles et militai-
pas de nous arrêter. Le roi ne doit en "être res, starosties,. biens royaux, tout doit être
que le président première inconséquence. conféré, si vous voulez, au nom du prince,
Car, s'il ne fallait qu'un président, tout mem- et donné véritablement par la diète et le sé-
bre du sénat était bon pour cette fonction. nat, qui doivent présenter iroi-s candidats
Mai's, eé qui est plus inconséquent encore, pour les places inférieures comme pour les
c'est que Mably le veut héréditaire. J'ose supérieures, entre lesquels le roi choisira.
avancer, » dit-il, que dans la situation ac- Mais, comme il pourrait arriver que le prin-
tuelle des choses, il importe de rendre, en ce eût l'esprit gaache et le cœur dépravé, il
Pologne, la couronne héréditaire, et, quel- serait à propos de statuer que, quand un
que révoltante que paraisse d'abord cette candidat serait recommandé pour la troisiè-
proposition, je prie M. le comte et ses amis me fois par la diète ou le sénat, il serait -du
de suspendre leur colère, et d'avoir -la pa- bon plaisirdu roi de le préférer à ses con-
tience d'écouter et de discuter mes raisons. » currents. »
En effet, il les déduit fort au long, comme Bassiné par toutes ces précautions, aux-
s'il était besoin de prouver le danger de l'é- quelles certainement on n'aurait pu rien
lection ou les maux de la 'Pologne. Mais on ajouter, s'il eût été question d« conférer la
peut se reposer sur l'écrivain du soin de royauté de la 'Pologne au kan des Tartares,
rendre la r&yaùté nulle et l'hérédité même -Mably dit gravement « Là royauté, même
illusoire, Mably, qui s'en rapporte avec tant héréditaire, bornée -à représenter la majesté
d'abandon au sermetrt civique d'une multi- de l'Etat, comme un roi de Suède (1 ) ou
tude de nonces, "n'a pas la même confiance à un doge de Venise, recevra des hommages
celui qu'un seul homme doit prêter, en pré- -respectueux, :et w'awra f u'wne ombre d'auto-
sence de toute la îiatkm, d'observerles. pacte rite. » 11 répète ailleurs la même expres-
conventa, et il entrave de toutes les maniè- sion, et ne veut jatoais d'autorité qu'en on-
res ce malheureux 'être royal, plate en ap- bre. C'est alors que-, ^conterai de lui-Rtême -et
parence à Ia*ête, fet réellement a;ux pieds de> admirant son ouvrage, il s'écrie avec une
la nation. •naïveté ridicule « fi me semble que l'héré-
« D'abord, » dit-il, «il faut bien se garder!• dite, accompagnée de toutes les précautions
d'imiter l'exemple des Anglais, qui ont miss que je propose, ne peut inspirer aucune
entre les mains de leur prince de grandess alarme. » Insensé, «jui me voit pas que ce
richesses. Plus la liste civile serapetite, rphvst qui doit inspirer les -plus justes alarmes à
In loi qui l'aura réglée approchera de la per- l'homme vertueux est -une ombre $ 'autorité
fection. Ce qui pourrait aller, comme oni :pubKqweqai laisse 'usurpertoutes les :pas-
le voit, jusqu'à la pauvreté absolue. Non- sions paTticulièresutie autorité réelle Mais
seulement la liste civile sera petite, mais, dea :noms avons entendu les rêveries d'un bel es-
peuv qu'elle ne s'accrohsv inisinsibtement,lee prit, écoutons les oracles du génie « C'ea
retenu royal ne sera pas établi sur des fondss une grande erreur, » dit Bossuet, « de croire,
'de terre. Tout est prévu. «Surtout, ajoute3 avec M. Jurieu, qu'on ne puisse donner ào
le sévère législateur, «défense absolue d'ac- bornes à la puissance souveraine qu'en se
quitter les dettes du roi, sous quelque pré- réservant sur elle un droit souverain; ce
texte ni raison que ce puisse être. » La ré- 'que vous voulez faire faible à vous faire du
publique doit hériter de tout l'argent qu'il1 mal, par la condition des choses humaines,
pourra laisser ( un roi qui laisse une fa- le devient autant à proportion à vous faire
mille) «On sent aisément l'esprit de ces s du bien, et, sans -borner la puissance par la
lois, et l'on ne vent pas que le prince puissee force que vous vous pouviez réserver contre
se servir de ses richesses pour débaucherr elle, le moyen le plus naturel pour l'eaipê-
les citoyens et les attacher à ses intérêts. »» cher de vous opprimer,«'est de l'intéresser
Et à ce propos il cite le gouvernement an- à votre salut. »
glais avec aussi peu de raison que de con- Mably redoute jusqu'à la pitiéqu'un'e ma-
naissance. jesté ainsi" dégradée, car il se sert quelque
,r.
la chrétienté est l'état public ou politique du de la religion mahométane, sortie des dé-
christianisme (1). serts de l'Arabie et ennemie de toutes les
« L'empire d'Occidentn'en pouvait
plus,» autres religions.
pour me servir de l'expression énergique Mélange grossier de vérités chrétiennes
de pratiques judaïques, de superstitions sa-
de
uo Bossuet,
yv~~ucy «H et wc pamu corps
cv ce cwv tombé
grand \I1JIJ: était wu.u.. ~1..i .t-'J.l.lU.\I'1u"
(1) Les Romains étaient des païens; les
1- Tounguses
m_uu ou Ramschadalcs sont des idolâtres.
béennes, de licence païenne, la doctrine
e les prières fréquentes, et défendit l'usage
du législateur arabe parlait avec respect auxx du vin à ces mêmes hommes à qui il per-
Juifs de Moïse et de sa loi, aux Chrétienss mettait la pluralité des femmes.
de Jésus-Christ et de son Evangile elle nee La religion chrétienne avait trouvé les
persécutait que les idolâtres odieux aux x peuples du Nord conquérants elle leur avait
Chrétiens et aux Juifs doctrine facile oùù inspiré des sentiments, et les avait rendus
l'esprit trouve quelques idées raisonnabless paisibles. Mahomet trouva les Arabes tran-
sur la Divinité, le cœur des tolérances ouu quilles: <t il leur donna ses opinions, dit
des promesses favorables aux passions et'l Montesquieu, « et les voilà conquérants. »
qui s'annonça à la fois dans l'univers avecc On peut à cela seul juger les deux reli-
le dogme de l'unité de Dieu, et, si l'onn gions, « car-, » ajoute le même auteur, « il est
peut le dire, avec le dogme des plaisirs dee encore plus évident que la religion doit
l'homme. adoucir les mœurs des hommes, qu'il ne
Mahomet, dupe peut-être de l'illusionn l'est que telle ou telle religion est vraie. »
qu'il répandait, avait débité des opinions; Le mahométisme sortit donc tout armé du
de fanatiques disciples en firent une reli- cerveau de son fondateur, comme la Minerve
gion car ce n'est que dans la vérité ouu des païens, comme toute opinion de la sa-
dans ce qu'il prend pour elle que l'homme e gesse humaine. Le christianisme, pareil au
puise cette force morale, cet empire irrésis- grain qui se développe ou à la pâte, qui fer-
tible qu'il exerce sur les esprits lorsqu'il il mente, avait crû insensiblement et com-
est lui-même maîtrisé par une forte pensée. mencé par convertir la famille avant de
Il y a dans le monde plus d'erreur que d'im- >-
changer l'Etat; le mahométisme, semblable
posture, ou, s'il y a imposture, elle est pres-
s- à une tempête, commença avec violence,
que toujours dans les moyens que l'homme e et renversa les Etats pour pervertir les fa-
emploie pour faire triompner Terreur. milles.
Des dogmes écrits perpétuent l'empire des
•s La doctrine du prophète de la Mecque sa
opinions et établissent en quelque sorte sur
ir propagea d'abord avec rapidité chez les
les esprits un pouvoir héréditaire. La doc-s- Arabes, peuple d'une imagination vive et
trine de Mahomet, recueillie et commentée \e mobile, mêlé de Juifs, de Chrétiens, de sa-
par ses disciples, composa le Coran ( 1 ) béens, d'idolâtres, tous à peu près aussi
code religieux politique et même civil des îs ignorants les uns que les autres. Bientôt de
mahométans. C'est là la raison de la durée e l'Arabie, où était son berceau, le mahomé-
de leur religion et de leur empire. Les peu- i- tisme étendit une main sur l'Orient et l'ail-
ples dont l'existence présente le plus de le tre surl'Occident il séduisit par la volupté,
force et de stabilité sont ceux qui ont écrit,t, il intimida parla terreur; s'il trouva partout
non-seulement leur morale, mais leurs dog- des Chrétiens qui pratiquaient leur religion,
mes, qui ont fait des lois politiques de leurs•s nulle part il ne trouva de gouvernement qui
lois religieuses, et des lois religieuses de le- ladéfendît, et l'Afrique, comme l'Asie recon-
leurs lois politiques comme les Juifs les >s nut la loi du nouveau prophète.
Chrétiens, les mahométans et peut-être 'e Alors la chrétienté d'Europe put être con-
quelques peuples de l'Inde. sidérée comme une place forte dont le ma-
Mahomet méconnut sans doute la raison, i, hométismefaisait le siège dans les formes et
lorsqu'il proposa des puérilités ou des ab- )- par des approches régulières. Déjà les aehors
surdités à la croyance de ses sectateurs; avaient été insultés. La Palestine avait été
mais il connut l'homme lorsqu'à défaut
it envahie en 636, la Sicile même ravagée en
d'une morale sévère il lui imposa des pra- i- 663, et presque tous ses habitants emtn'e-
tiques gênantes. L'homme convient de la la nés captifs; enfin, en 713, c'est-à-dire moins
nécessité de la règle, quoiqu'il se révolte e d'un siècle après la célèbre hégire, les ma-
contre elle, et il reste plus fortement atta- botnétans d'Afrique, connus sous le nom de
ché à ce qui lui coûte davantage. Mahomet ;t Maures, passèrent le détroit qui les séparait
affaiblit le frein des préceptes en môme le de l'Europe, livrèrent l'assaut au corps de
temps qu'il outrait la rigueur des conseils, s, la place, et s'emparèrent de l'Espagne, où la
et il prescrivit les ablutions perpétuelles,
s, vengeance, l'ambition, la volupté, ces éter-
nefs ennemis des empires, leur avaient mé- à leurs efforts, le courage du fanatisme plus
nagé des intelligences. tard, énervés par les plaisirs, ils ne résisté--
De terribles combats; signalèrent le cou- rent plus que par la force 'l'inertie d'une \>&-
rage et la foi des Chrétiens dans ces mal-• pulatioa nombreuse établie sur un vaste
heureuses contrées. Les chefs du peuple, et,t territoire, sous un gouvernement défendu-
tous ceux qui préférèrent leur liberté;la
dures par une longue possession.
condition de servir sous de tels maîtres, se Cependant lachrétienÊéétaitmenacée- à son-
retirèrent devant Je vainqueur dans less extrémité opposée. Un détroit aussi aisé à
monts escarpés dés Asturies, emportant avec franchir que celui de Gibraltar la séparait
eux, comme tes Troyens, les dieux de l'em- des mahométans d'Asie, et l'empire grec,
pire, la religion et la royauté. Ce fut dansî chargé de la défense de ce poste, ne pouvait
ces rochers arides que Pelage et ses braves leur opposer la même résistance que leurs
compagnons déposèrent le germe précieux frères d'Afrique avaient trouvée dans les
de cette plante alors si faible, qui devait je- Goths, maîtres de l'Espagne.
ter de si profondes racines, s'étendre un Le gouvernement, grec n'avait été depuis
jour sur toutes les Espagnesr et même cour son origine, à quelques intervalles, près,
vrir de ses rameaux de nouveaux mondes. qu'une démocratie militaire, sanguinaire et
L'héroïque résistance de cette poignée de turbulente, « où l'empereur n'était, v comme
Chrétiens sauva du joug des infidèles les dit Montesquieu, «qu'un premier magistrat, »
contrées qu'ils occupaient mais elle ne amovible au gré des soldats; et c'est tout ce
pouvait en préserver l'Europe. Du haut des que l'empire d'Orient avait de commun avec
Pyrénées, les Maures, alors appelés Sarrau l'empire romain.
sins, fondirent sur les plaines fertiles- de lat L'Eglise avait suivi le sort de l'Etat. De-
France méridionale et les inondèrent. Lat puis qu'elle était déchue de l'autorité par le,
France allait devenir, comme l'Espagne, une schisme, les factions qui la divisaient se
province de l'empire des calife?, et l'Europe disputaient la domination. C'étaient dans
entière, ouverte alors et sans défense, aurait l'Eglise comme dans l'Etat les mêmes désor-
subi le joug des musulmans, si la F,ranee, dres, la même anarchie, souvent les mêmes
destinée à faire dans tes occasions périlleu- violences, là par ta mutineriedes soldats, ici'
ses l'avant-garde de la chrétienté, et à la par l'indiscipline des moines.
sauver, tantôt par l'exemple de son courage, Dans cet état de délire, une société a quel-
tantôt par la leçon de ses malheurs, u'eût quefois de la force pour attaquer, parce
élevé dans son sein' cette race de héros, qu'on attaque avec des passions; mais elle
dans laquelle tous les talents de la guerre n'a absolument aucune force pour se défun-
et de la paix se transmirent pendant quatre dre, parce qu'on se défend avec l'union et la
générations, comme un héritage où le fils fut discipline, et l'empire grec, hors d'état d'at-
toujours plus grand que son père, etle dernier taquer, ne pouvait être que sur la défensive
même le plus grand des rois. Charles Martel à l'égard d'un empire naissant, qui avait
écrasa les hordes innombrables des Sarra- pris le croissant pour emblème de ses pro-
sins Pepin ranima la royauté languissante; grès, et qui son prophète avait promis
Charlemagne constitua la chrétienté, en unis- l'empire du monie.
sant, sans les confondre, l'Eglise et l'Etat, Déjà les Turcs Selgiucides, accourus des
qu'après lui on a confondus sans les unir, environs du mont Caucase, et nouvellement
en voulant ne donner qu'un chef à tous les convertis de l'idolâtrie, étaient venus ré-
deux, tantôt le Pape, et tantôt le magistrat chauffer de leur fanatisme récent le zèle lan-
politique génie prodigieux qui apparut à guissant de l'islamisme, et ils en avaient
l'Europe pour guider ses premiers pas dans ranimé les forces en chassant de leurs trônes
la route de la civilisation, et lui donner ces califes divisés, et plus dévots à la loi duu
cette impulsion qui subsiste encore mille prophète qu'ardents à la propager. En 914,
ans après lui. ils fondèrent un empire à Konieh (Iconium),
Les Sarrasins, rebutés du mauvais succès dans l'Anatolie, et de là ils étendirent leurs
'ie leurs entreprises, ne tentèrent plus de conquêtes sur quelques parties de l'Asie,
pénétrer en France; ils s'affermirent en Es- qui obéissaient encore aux empereurs grecs.
pagne, et y prolongèrent pendant huit siè- L'empire grec ne pouvait tarder à être
cles leur domination, toujours en guerre attaqué en Europe et dans le centre de sa
contre les Chrétiens. D'abord ils opposèrent puissance. Hors d'état de se défendre par ses
449 PART. II. POLITIQUE. SUR L'ETAT ACTUEL DE L'ECHOPE. 4'JO
propres forces, il aurait en vain appelé àà ner
ser une
une faible idée, et qui, peu d'années
qui, peu
son secours les Latins, opprimés en Espa- avant la première croisade^ œût paru aussi
gne par les Maures, divises, affaiblis en incroyable que les événements dont js veux
France, en Allemagne, en Italie, par les parler étaient peu probables en 1788 (2).
guerres intestines des petits souverains On a vu dans tous les temps, et particu-
entre eux et contre les rois, partout irrités lièrement dans le nôtre, des peuples sou-
contre les Grecs, dont te schisme récent avait levés par les passions, par l'orgueil d'une
rempu l'unité -chrétienne et affligé leur nièttî -égalïtë chimérique ou le délire d'une liberté
eômïnune. mal entendue, quelquefois par la haine
Ce fut alors cependant que commencèrent d'une religion dominante ou la crainte d'un
ces expéditions 'à jamais mémorables, con- gouvernement sévère, et, depuis trois siè-
nues sous te nom de croisades, véritables cles, les troubles d'Europe n'ont pas un
sorties que fît -la chrétienté pour regagner autre principe; mais les croisades aie pré-
tes dehors de la forteresse, et forcer les as- sentaient aucun des objets qui peuvent les
siégeants & en élargir le blocus événements calmer. Les croisés faisaient le sacrifice de
te pl<us eîstraordinaiî'e de l'histoire moderne, leurs biens, et même un grand nombre ven
et celui que l'ignorance et la prévention ont daient leurs terres la
subordination des
le plus défiguré. rangs était observée parmi eux il y eut de
Les lieux saints avaient été envahis en la licence' sans doute dans les armées des
9SS, et les Chrétiens d'Asie, d'Afrique, et croisés, mais ils étaient bien éloignés de se
même de-quelques parities d'Europe, avaient la proposer pour but en se croisant. -La -v-en-
été l'objet des outrages et des cruauté-s des geance même, si chère à ces hommes indo-
infidètes sons que les Chrétiens d'occident ciles encore au joug des lois, se tut devant
y eussent pava sensibles. Mais à la fin du le zèle religieux qui inspirait la croisade^
sï", siècle, et après mille ans révolue, la « Ge qu'il y a de plus avantageux et de plus
chrétierïté twït entière reçut l'ordrede mar- surprenant, » dit le P. Daniel, « fut gue,
cher cowtre l'Asie, et selle -marcha. L'impul*- dans toutes les provinces de la France,, les
sion vint du icentr-e de la chrétienté et du ;guerres particulières, qui étaient très-ail a-
chef meure de la société chrétienne (1 ). mées, cessèrent tout à coup, et que les plus
©bu?x d'e ses ministres, sans autorité politi- mortels ennemis se ré(«n ci lièrent -entr-e
que, 'êkrrel "Ermite etsmint Serward, furentt «ux. •» Après tout, les souffrances des Chré-
tes hérauts de cette convocation solennelle, tiens d'Asie n'étaient ,pas senties par ceux.
•et., si l'on ne veuly voir que deux hommes, d'Europe, -et assupémentle danger était -éloi-
On peut leur appliquer cette belle parole ée igné". La religion ne faisait pas de la croisade
Tacite, en parlant des deux soldats d'O- un précepte; le gouvernement n'en faisait
thon -Sttsteperv du*) witmipulares ïmperium pas un devoir, puisqu'un très-grand nombre
Romanwrfi irunsferendum, -et tmnstuhrunt. de personnes, même dans les rangs les plus
La .France reçut -la première le mouvement -élevés, s'en dispensèrent, on même blâ-
qu'elle communiqua au reste de la ehré- mèrent hautement ces entreprises,.
tienté, et -elle eut la plusgrande part à l'en- Il est vrai qu'à cette époque quelques
treprise. ipersonnes allaient :par dévotion visiter les
Politique des Etats., intérêts des familles, lieux saints; mais cette expiation ;n.e parais-
faiblesse de âge, timidité du sexe, obsou- -sait si méritoire, .ou cet effort de ;piété si
rité -de la condition, sakateté de la profes- héroïque, que parce que les hommes étaient
sion, tous les motifs humains disparurent en général toès-sédentaire-s. Les voyages
devant cette force irrésistible, qui, suivantt alors étaient rares, et les communications
l'expression d'An ne Comn ène, arracha, VEu- même si difficiles, que le trajet d'uae ;pro-
rope'ée s'es fondements pour la précipiter sur «vince ;à 4'àùtpe passait pour suae «atreprise,
•l'Asie; impulsion extraordinaire dont quel- et .l'histoire des .inceurs de Ces temps ve-
ques événements récents ont ^pu nous don- culé» en offre des exemples remarqua-
plus grande force d'opinion à une très lemagne, il s'était fait une révolution dans
grande force réelle, fit un moment de la mo- la politique de la France et tout avait été
narchie autrichienne le plus vaste empire perdu, et même l'honneur non cet honneur de
que le soleil ait éclairé puissance énorme l'homme qui consiste à se battre avec cou-
qui, pour surcroît de bonheur, fut dirigée par rage, qu'on retrouve chez lés peuples sau-
un prince profondément habile dans l'art de vages comme dans les nations les plus civi-
gouverner les hommes et les affaires. lisées, et que l'homme partage même avec
Cette direction extraordinaire d'événe- la brute, mais cet honneur d'un gouverne-
ments préserva l'Europe des derniers mal- ment qui consiste à n'être pas forcé, même
heurs. Les mahométans, de quelque côté par les derniers revers, à des démarches
qu'ils l'attaquassent, trouvaient sur tous les déshonorantes ( 1 ). Il éfaii honteux assu-
points des armées autrichiennes et dans rément pour le roi très chrétien lorsque
tous les parages des Sottes espagnoles ou l'Europe résistait A peine aax efforts rjesB-ar-
italiennes. Us trouvaient en Hongrie lesChré- bares, et que tours armées fmfliënajenf en
{i ) C"est ce que les alliés proposaient à à Paris, et conduire hors de France, le pïéiéndàûl.
Louis XIV, lorsqu'ils voulaient qu'il aidât fui-même La nation sentit la honte qui en rejaillissait &vt
à détrôner son petit-fils c'est ce que fît le gouver- elle.
français sous Louis XV, lorsqu'il fit arrêter
iS9 OEUVKESCOMPLETES DE M. DE DONALD. '*61
esclavage des milliers de Chrétiens, de les met
i (2). C'est à cette identitéprincipes,
de.
appeler au sein de la chrétienté, et de join- autant
s peut-être qu'à l'envie de susciter des
dre ses armes aux leurs, comme au siège de embarras
e à la maison d'Autriche, qu'il faut
Nice, en 1543, que le duc d'Enghien assié- vaattribuer l'avis de Luther, qui ne voulait'
geait par terre, et que Barberousse pressait t qu'on résistât à la volonté de Dieu, qui
pas
par mer. Cette conduite de François 1" était nous
y visitait par les Turcs. Encore dans l'au-
de la politique de ressentiment, qui, avec ttre siècle, en 1683, au temps du dernier
la politique d'amour, tout aussi funeste et siège
s devienne par les Turcs, Jurieu trou-
plus faible, gouverna sous son règne toutes vait
a beaucoup d'apparence à ce que les con-
les affaires. Cette alliance fut l'objet des plus (quêtes des Turcs n'eussent, » dit-il, « été
violentes déclamations ( 1 ) de la part des poussées
1 si loin en Europe que pour leur
ennemis de la France elle donna à la mai- donner
c le moyen de servir, avec les réfor-
son d'Autriche dans l'opinion de l'Europe, més,
i au grand œuvre de Dieu, Il qui est, se-
une supériorité de considération quj heu- lon ] lui, la ruine de l'empire papal. Enfin,
reusement pour la France, était affaiblie par ]lorsqu'en 1685 il eut vu la levée du siège de
le scandale de la prise de Rome et des vio- Vienne et la révocation de l'édit de Nantes
lences exercées sur le Pape par les généraux persistant
1 à faire cause commune avec les
de Charles-Quint. Turcs « Je regarde, » dit-il, « cette année
Henri IV et .Louis XIV, qui avaient dans comme critique en cette affaire. Dieu n'y a
la tête et dans le cœur quelque chose
l'esprit des croisades, réparèrent laîaute de 'les
de<
abaissé les réformés et les Turcs que pour
1 relever en même temps, et en faire les
François I". Henri IV permit au duc de Mer- iinstruments de sa vengeance contre l'empire
cœur d'emmener en Hongrie quelques com- j papal x prédiction remarquable assurément
pagnies de gens de guerre au secours de après ce que nous avons vu des secours
l'empereur; Louis XIV y envoya l'élite de donnés au Pape par les Anglais et par les
sa noblesse, sous tes ordres du comte de Co- Turcs (3).
ligny, et l'on sait la part qu'eurent les Fi an- Jùifin, la puissance ottomane a passe
çais à la défaite des Turcs au passage au comme un torrent: son dernier effort a été,
îtaab en 1683 (4), le siége de Vienne, que les
Cependant le luthéranisme avait com- Turcs assiégèrent avec deux cent mi!ls
mencé en Allemagne, au fort de la guerre hommes, et qui fut délivré par Sobieski, roi
avec les Turcs, et dès sa naissance il s'était de Pologne (5)-
montré d'intelligence avec les ennemis du Depuis cette époque, ils ont presque tou-
nom chrétien. Il ne faut pas en être surpris. jours été battus par les armées autrichien-
C'est, dé part et d'autre, une religion sans nes, et ils ont perdu de leurs conquêtes en
sacrifice, un vrai déisme, absurde et grossier Hongrie mais un autre ennemi, et plus re-
chez les asiatiques, subtil et poli chez les doutable peut-être, les menace de plus près
Européens. Le fatalisme des uns ressemble et leur a déjà porté les coups les plus sen-
à la prédestination des autres, et le divorce sibles.
permis par Luther ne diffère pas au fond de Nous avons vu ce que la chrétienté a eu à
la polygamie consacrée par la loi de Maho- souffrir ou à craindre des Turcs; nous al-
( 1 ) On frappa des médailles où on lisait avaient eus pendant leur séjour en Hongrie, et
ce mots Nicea a Turcis et Gallis obsessa, qu'ils abandonnaient à la merci du vainqueur. Ce
anno 1545. spectacle désarma le soldat sur-le-champl'arche-
4
C2) faut avouer, dit Leibnitz, que les so-
»
ciniens (sortis la réformation) ressemblent beau-
vêque de Vienne se rendit au camp, et recueillit
de ces malheureux orphelins. C'est dans des traits
coup aux mahométans. Je me souviens d'avoir lu semblables qu'il faut admirer l'influence du chris-
dans Comenius qu'un seigneur turc, ayant entendu tianisme sur un peuple. La sort le plus doux qui
ce que lui disait un socinien polonais, s'étonna attende les enfouis chrétiens enlevés par les
qu'il ne se fît point circoncire. »
(5) Rien ne prouve mieux combien le déisme
Turcs est un dur esclavage, souvent l'outrage et la
mutilation..
des Turcs se rapproche du déisme européen, malgré (S)* A l'instant que Sobieski montait à cheval
la différence des formes, que de voir les comparai- pour aller secourir Vienne, la reine, qui était Fran-
sons que nos déistes font sans cesse des lois, des çaise, l'embrassa en pleurant, et, tenant en ses
moeurs, de la personne du fondateur du mahomé- bras le plus jeune de ses enfants ( Qu'avez-vous à
tisine, avec les lois, les mœurs et le divin Fondateur pleurer, Madame, lui dit le roi? Je pleure, dit-
du christianisme, et toujours à l'avantage des maho- elle, de ce que cet enfant n'est pas en état de vous
métans. suivre comme les autres. Si cette réponse eût été
(4) Le camp des Turcs fut forcé par les Chre- faite par une femme grecque ou romaine, on nom
tiens, et, à l'instant qu'ils y entraient, ils trouvèrent l'eût donnée dans les collèges à mettre en prose et
un grand nombre de petits enfants que les Turcs en vers.
Ions examiner ce que les Turcs, leur tour, absurdes et d'une déraison plus complète.
ont aujourd'hui à redouter des nations chré- •Tout peuple doit être considéré sous le
tiennes. rapport de sa constitution et de son admi-
Il faut observer d'abord que les Turcs nistration. Les nations chrétiennes ont tou-
sont déchus de leur état, surtout par com- tes plus ou moins des constitutions fortes ou
paraison. Ils sont restés au point où ils des administrations sages. Ainsi la Suisse,
étaient, et les Chrétiens ont avancé et il ne la Hollande, l'Allemagne, faibles de consti-
s'agit que d'examiner la raison de la posi- tution, avaient des administrations atten-
tion stationnaire des uns et de la marche tives et économes; ainsi la France, forte de
progressive des autres. constitution était souvent administrée avec
Onmepermettradeciterici un passage re- mollesse et prodigalité. Elle eût été trop forte,
marquable de Condoicet, dans son Es- sans doute, si son administration eût été
quisse des progrès de Vesprit humain. « .l'expo- aussi vigilante que sa constitution était
serai, » dit-il, «commentla religion de Maho- parfaite.
met, la pins simple dans ses dogmes, la moins Chez les Turcs comme chez tous les peù-
absurde dans ses pratiques, la plus tolérante pIes mahométans, tout est vicieux, absurde,
dans ses principes, semble condamner à oppressif, constitution et administration
une incurable stupidité toute cette vaste constitution de religion, constitution de fa-
portion de la terre où elle a étendu son em- mille, constitution d'Etat, administration de
pire, tandis que nous allons voir briller le la paix, administration de la guerre, poli-
génie des arts et des sciences sous les su- tique extérieure et régime intérieur.
perstitions les plus absurdes et au milieu La religion du prophète de la Mecque
de la plus barbare intolérance. n'est, comme nous l'avons vu, qu'un pur
»
Il n'y a qu'à lire le Coran, observer les déisme, qui conserve, si l'on veut, l'idée,
peuples mahométans et parcourir leur his- mais non le sentiment de la Divinité reli-
toire, pour savoir ce qu'on doit penser de la gion sans culte, amour sans action, qui ne
simplicité de leurs croyances, de la sagesse saurait produire. Aussi le mahométisme
de leur culte, de la tolérance de leurs prin- chez les moins ignorants d'entre les Turcs,
cipes mais il est fâcheux pour les progrès n'est que l'athéisme, et pour le peuplé il
de l'esprit humain que Condorcet n'ait n'est que le culte de Mahomet; car, au fond,
pas eu le temps de nous donner l'explication le Dieu des êtres pensants est l'être, quel
du phénomène qu'il a si bien observé. Que qu'il soit, dont les volontés sont leur loi
d'esprit, en effet, n'aurait-il pas employé morale. 11 suffit, pour juger les Turcs, d'ou-
pour nous faire comprendre comment la re- vrir le Coran, et de voir les extravagances
ligion de Mahomet, cette religion si simple, qui y sont mêlées à quelques principes de
si sage, si tolérante, peut se conserver dans morale universelle, dont la tradition immé-
sa perfection contre l'intolérable barbarie de moriale ne s'est entièrement perdue chez
ses sectateurs ou comment la barbarie des aucun peuple, et d'observer dans les Turcs
sectateurs de Mahomet ne le cède pas à la eux-mêmes quelles pratiques ridicules iis
perfection de sa doctrine 1 Le philosophe mêlent même à leurs bonnes oeuvres. Ainsi
aurait opposé la religion douce et éclairée il y a en Turquie un grand respect, et
de Mahomet à la religion de Jésus-Christ, même des fondations pieuses, pour les ani-
si absurde dans ses superstitions, si bar- maux, et nulle part l'homme n'est plus mé-
bare dans son intolérance, comme il oppose prisé, plus avili, plus opprimé. Ainsi ils
le génie brillant et les connaissancesdes peu- font quelques aumônes, et jamais on n'a vu
ples chrétiens à l'incurable stupidité des une cupidité plus universelle; ils s'abstien-
mahométans; et avec ces données il aurait nent de vin, et s'enivrent avec de l'opium.
sans doute résolu le problème qu'offre, chez Leur constitution domestique est la poly-
les uns, tant de barbarie civile malgré tant de gamie, destructive de tout ordre domestique
perfection religieuse, et chez les autres tant et public dans une nation formée, où elle
de barbarie religieuse au milieu de tant de produit l'esclavage d'un sexe, la mutilation
perfection politique. Je ne sais si je m'abuse, d'un autre, l'abandon et souvent l'exposition
mais le seul énoncé du problème indique as- des enfants, le trafic de l'homme à prix d'ar-
sez où l'on peut en trouver la solution, et gent. Ce n'est pas que la polygamie, quoi-
j'ose dire qu'on chercherait en vain un au- que permise, soit commun%çhez les Turcs
tre exemple de préjugés philosophiques plus on peut dire qu'elle deviendrait impratica-
ble si elle était pratiquée. Ils épousent une des
c jeux de la main redoutable du maître.
seule femme, et lui reconnaissent même, 1Mais aussi le maître lui-même est quelque-
tout contraire à celui que le législateur en aau maître, que la loi de l'Etat entoure d'un
attendait. Les femmes, mises comme une nnombre prodigieux de femmes (2), ali-
denrée dans une circulation trop abondante, rment éternel d'intrigues, cause féconde de
ont perdu de leur valeur. Encore une fois, -en mobilité
n dans les places, d'agitation dans
Grèce, des lois .contre la nature de l'homme 1l'Etat, de vénalité dans les affaires. Dans
social ont introduit des mœurs contre la uun Etat ainsi ordonné, toute police est im-
nature de l'homme pbysique, et le désordre possible,
p et le peuple do Constantinople est
est porté au point d'influer sensiblement continuellement
c placé entre la îamine, la
sur la population. peste
f et les incendies, sans que l'admi-
Les habitudes des Turcs se ressentent du anistration sache ou puisse prendre les
vice de leur constitutionreligieuse et dômes-' moyens
n de les prévenir, de les arrêter Ou
tique. Ils végètent dans la paresse, chère à d'en
d réparer les ravages. La justice civile
tous les peuples barbares, qui ne connais- e un brigandage, la justice criminelle res-
est
sent que l'inaction ou une violente agitation, semblée
s des expéditions; les pachalics sont
et n'ont pas mèmed'idée de cette activité tran- des
d fermes, les pachas des traitants, le divan
quille et, continue qui est une des qualités e un encan, le gouvernement lui-même un
est
dominantes de l'homme civilisé. vaste
v marché, où tous ont une avidité d'ac-
La constitution politique des Turcs est quérir
q proportionnéeà l'incertitude de con-
assez connue. Elle est despotique, comme server.
s
leur constitution domestique, comme leur Je ne parle pas de leur politique exté-
constitution même religieuse; car les Turcs rieure,
r parce qu'ils n'en ont plus d'autre,
sont esclaves de leur religion comme de leur ddepuis longtemps, que celle qu'il est de
gouvernement ( 1 ). Le pouvoir de leur chef l'intérêt
1 des autres puissances de leur ins-
est défendu des caprices de la multitude par pirer.
p Elles sont toujours à peu près cer-
le respect que la nation conserve pour la taines
t, de les diriger dans telle ou telle voie,
famille des Ottomans, qui occupe le fcrône pourvu
f qu'elles sachent ménager leur or-
mais, et c'est ce qui constitue le despotisme, gueil
g ou satisfaireleur avarice. Les Turcs
la nation elle-même n'est défendue des n'entretenaient
n pas autrefois d'ambassadeurs
caprices de son chef par aucune fixité d'exis- ordinaires
c dans les cours étrangères et ilsn'en
tence indépendante du despote, ou plutôt avaient
a pas besoin; leurs alliés les instrui-
n'est pas assez défendue car il n'y a pas saient
s assez des desseins de leurs ennemis.
de pouvoir qui ne soit borné par quelque i
Aujourd'hui ils semblent vouloir former
endroit. Semblable en quelque chose à la avec
a les nations chrétiennes des relations
Divinité, le sultan des Turcs voit tout au- plus
p suivies; il n'est plus temps; l'adresse de
tour de lui dans une mobilité continuelle; lui leurs négociateursne fera pas ce que ne peut
li
seul est immobile. Les familles passent sans j faire la force de leurs armées. Un am-
plus
cesse de l'obscurité à l'élévation, et retour- hbassadeur turc dans nos cours, étranger à
nent à la condition-privée. Rarement la for- h langue, aux usages, aux lois, aux mœurs
la
tune, plus rarement les dignités jamais d l'Europe, dupe de l'intrigue, ou jouet de
de
l'extrême opulence, ne passent du père aux Ii politique, humilie l'orgueil de sa cour,
la
enfants, et l'élévation ou l'abaissement sont sans
s utilité pour son gouvernement.
( 1 Une des Causes qui entretiennentla révolte
de Passwan-Ogiou est la défense que fait leCoran
quées.
q
(•2) Le sultan actuel n'a point d'enfants.
de tirer sur une place où il y a des mos-
465 PART: tI: PULIT1QUE. SUR-:L'ETAT ACTUEL
DE L'EUROPE.
La
*>a ilans laquelle
guerre, dans les Turcs
laquelle les Turcs ont les 466'
les arts
artsqu'autant
qu'autant qu'on
-assuresa.
qu'on assure
assure sa-
S& marche
marche en
paru jadis avec éclat,
paru écll1L ne
na se 0'(\1H'n'
~p gouverne
chez eux mieux que ia paix. Tant que pas
nn~ fixant ce qu'on a déjà découvert. Nous fai-
les sons aujourd'hui mouvoir de grandes
peuples n'ont fait la guerre qu'à force de. mées ar-
avec plus de facilité qu'on ne faisait
bras, les Turcs l'ont,faite avec avantage,
par- autrefois mouvoir des corps peu nembreux,
ce qu'ils employaient tous leurs bras, et et
même ceux dont l'intérêt de l'Etat, l'huma- nous avons, ce semble, atteint les bornes
de l'art* en donnant des ailes à la force,
nité et Ie-droit<des gens ne permettent et
de disposer. Mais alors on livrait des pas mettant l'artillerie môme à cheval.
bats aujourd'hui on fait< la
com- Non-seulement.la guerre aujourd'hui ne
guerre et elle peut plus être faite avec succès que par un
est devenue un art qui s'apprend
par l'é- peuple lettré, mais elle ne peut être soute-
tude, se perfectionne par l'observation,
et que les différents peuples cultivent avec nue longtemps que par un peuple humain.
Un peuple qui ravage tout autour de lui,
un succès proportionné au degré de leurs et qui fait la guerre au cultivateur paisible
lumières et de leurs connaissances. Les
Turcs sontjdoBc demeurés bieikloin.en comme à l'ennemi armé, ne peut ni aller en
ar- avant, parce que l'ennemi le prévient et ra-
rière de tous les peuples. Ce n'est pas
pendant qu'ils aient ignoré totalement
ce- vage lui-même, ni subsister dans un pays
nos dévasté, ni se retirer avec ordre à travers
arts,. même militaires. Quand les Chrétiens un pays désert. C'est ce qui fait que les ar-
fondaient des canons de vingt-quatre livre? mées turques n'ont jamais pu résister à un
de balle, les Turcs en fondaient de deux,
échec, et que le point de ralliement d'une
eçnts et* quand nous donnions vingt pieds armée battue sur les bords du Danube est
d'épaisseur, nos murs defortification, ils
donnaient quarante, et élevaient, des tours en presque toujours sous les murs d'Andri-
nople.
comme des montagnes. Mais rien n'a pu se Mais, si leurs armées ne peuvent résister,
perfectionner chez ce- peuple, parce qu'il n'a à la perte d'une bataille, leur Etat peut, en-
pas même dans sa langue un instrument suf- moins soutenir les désastres répétés,
fisant de connaissance,, que l'impression core d'une guerre-malheureuse. La force de cons-
ebez lui n'est pas usuelle,, ai l'écriture titutiofcdes Etats chrétiens paraît surtout
ex-=r
péditive fl) car, si les combats se livrent dans les malheurs publics, où l'intérêt
i de
avec l'épée, on peut dire que la réunit toutes les volontés, toutes les
guerre se L'Etat
1
fait avec laplume, parce que l'écriture est le aflfections,,tout.es les
) forces,, et c'est dans
grand moyen de l'ordre, en guerre comme les 1 revers que se montrerait- à découvert.
en paii. L'art d'ordonner, de faire subsister l'incurable
1 faiblesse de l'empire turc. L'in-
et mouvoirde concert et à temps les diffé- subordination
s des pachas éclaterait de tous
œnts- rouages de cette immense machines côtés,
parce que leur obéissance n'a jamais
qu'on appelle une armée, d'en surveiller le écété commandée
service dans toutes ses parties; cet art, Je que par la crainte. Même
en pleine paix, on n'entend parler que de
E
premier, de tous, de mettre l'ordre dans un révoltes dans l'empire, et la
r guerre civile y,
vaste ensemble, est entièrement étranger, à eest comme ta peste,, tantôt en-Europe et tan-
des barbares et ne peut être coonuque d'un t,tôt Asie. Jamais les Turcs n'ont
en pu sou-
peuple lettré: Les Turcs, ignorants et gros- mettre les beys d'Egypte,
et même il est
«ers, en sont encore aux routines de leurs dniouteux encore
(2).
que le grand vizir puisse-
aïeux Le génie de MahometII, de Soliman, s'y soutenir contre les débris des
de Kouprogli, a péri avec eux; mais nous, sliuks les Turcs mame-
ont perdu contre les Chré-
nous avons su fixer et perpétuer, en le ré- tiiens jusqu'à l'avantage du nombre,, et le
duisant en système, le génie de Condé, de C3rand Seigneur, pourrait
à peine retenir
Turenne,_du prince Eugène, deDuquesnejde ious les drapeaux une
s, armée de cent mille
Ruyter, de Vauban, de Coehorn. Nous
y hsommes. Enfin leurarmée navale, indispen-
avons même ajouté, car on n'avance dans s;iable pour leur, défense depuis les* progrès
(1) Les Romains eux-mêmes faisaient peut-être
k guerre avec moins d'art que les peuples moder- seont assez semblables.
(2) En vain les Turcs se sent4îs Ironvés en con-
nes; car, outre qu'fls ravageaient tout, ils n'avaient ta»ci, dans la guerre de Crimée, avec les armées de
à.combattreque des peuples moins avancés qu'ils
tétaient eux-mêmes. Ils faisaient aux autres ne la«France et de l'Angleterre, ils n'en sont pas moins
pies 1 espèce de guerre que les Russes font peu-
Turcs reestes barbares; et leur existence comme nation
cLaux Persans, et lescirconstancesde part aux era toujours une honte et un fléau pour l'Europe.,
et d'autre F; m
des Russes sur la mer Noire, est restée bien qu'il
( tient de sa première éducation et d une
du-dessous de leur armée de terre, parce croyance de plusieurs siècles, et il en con-
que les forces navales se forment et se di- serve l'esprit, même après qu'il en a oublié
rigent avec encore plus d'art, d'étude et de les leçons et cessé les pratiques. D'ailleurs
réflexion, et que d'ailleurs un Etat ne peut une nation ne doit pas campter-pour sa dé-
avoir une marine puissante tant qu'il n'a pas fense sur cette force agressive et d'expan-
de colonie, ni une marine exercée lorsqu'il sion, qu.i n'est que la force de la fièvre ou
ne navigue pas sur l'Océan. du délire, et c'est dans les revers, et non
Le fatalisme reçu chez les Turcs, et au- dans les succès, que paraît la véritable force
quel on a attribué leur courage et leur suc- de l'iomme et la société..
de-
cès, ôte à un peuple tout sentiment d'hon- Tout annonce donc la fin prochaine de
neur, en lui ôtant toute idée de liberté, et l'empire turc, car un Etat dont la constitu-
il favorise également la lâcheté et le cou- tion et l'administration ont été faites pour
rage, en faisant de l'une et de l'autre une l'attaque est perdù-lorsqu'il est réduit à se
affaire de prédestination. Ce fatalisme, dont défendre, et depuis longtemps les Turcs ne-
ils ont été longtemps imbus, et qui consiste sont plus que sur la défensive à l'égard des
à attendre dans le danger l'assistance mira- puissances chrétiennes.
culeuse de leur prophète, n'est utile que Mais combien cette défensive est- elle de-
lorsque l'Etat est heureux, parce qu'alors venue plus périlleuse et plus difficile de-
toutes les opinions sont bonnes mais, au puis les progrès de la Russie vers les pro-
premier revers, un peuple fataliste doit tom- vinces turques et le prodigieux accroisse-
ber dans le découragement, et il est difficile ment de ses forces t Nous avons vu dans un-
de persuader l'efficacité- de moyens humains temps la chrétienté tout entière assiégée par
à des hommes qui se croient abandonnés de les Turcs; on peut, observeraujourd'huique
la Divinité, et qui pensent, comme disait l'empire turc est bloqué lui-mêffie par les
Luther, que Dieu veut lesvisUer.'l\n'y a- de puissances chrétiennes, et il est permis de
doctrine raisonnable et véritablement utile croire que le blocus sera incessamment
que celle des Chrétiens, qui ont aussi leur converti en siège. Les Russes approchent
fatalisme,que Leibnitz appelle fatum Chri- et investissent la place; déjà ils ont poussé'
stianum. Ce fatalisme chrétien consiste à se leurs tranchées jusqu'à la mer Noire par
proposer un motif légitime, à employer, l'occupation de ta Crimée, et jusque dans
pour réussir, tous les moyens que suggère l'Archipel par la protection accordée à l'Etat
l'intelligence et que perfectionne la raison, des Sept-Iles, dont la turbulente anarchie,
et à s'en reposer, pour le succès, sur l'Or- garantie par les deux empires, est entre eux
donnateur suprême des événements, qui un moyen de rupture prêt à volonté. L'Au-
fait sortir le bien général même des mal- triche, sur les bords du- Danube, l'Angle-
heurs particuliers. Les peuples chrétiens terre, en Egypte, peut-être ailleurs d'au-
sont, de tous les peuples anciens et moder- tres puissances, couvriront le siége avec
nes, ceux qui font la guerre avec le plus leurs armées (2). Cet empire est une suc-
d'art et même de valeur. Ce fait incontesta- cession sur laquelle les héritiers s'arrange-
ble répondmieux encore que les raisonne- ront à l'amiable; car aujourd'hui, si l'on sait
ments à tout ce que J.-J. Rousseau avance mieux combattre on sait aussi mieux négo-
de faux et d'inconséquent sur ce sujet à la cier on est plus actif dans le camp, plus pa-
fin du Contrat social, et qui peut-être est tient dans le. cabinet, et l'on a perfectionné
l'endroit le plus faible et le moins pensé de à la fois les moyens de la paix et les instru-
ses ouvrages ( 1 ). Je sais qu'on pourrait ments de la guerre.
m'opposer des armées livrées à l'esprit d'ir- La France, consultant plutôt les intérêts
réligion, et qui ont fait récemment des pro- d'un commerce local que ceux d'une vaste
diges de valeur mais un peuple ne perd politique, a voulu longtemps étayer l'empire
pas en quelques instants les dispositions ottoman tombant de vétusté. Le gouverne-
(1) Il soutient aussi comme Luther, qu'unk avant de touffrir.
Chrétien conséquent doit être indifférent aux mal- (2) La guerre de Crimée, qura refoulé les Russes
heurs publics, parce qu'il doit penser que Dieu veut pour un temps, n'a pas apporté de de changements
l'empire otto-
le visiter, et il ne voit pas que cette résignation est essentiels à la future succession
la patience dans le malheur, et non l'inaction dansi man. Ne serait-ce pas dans la prévision duunies,
partage
a
te danger, et que par un effet des lois générales de1 que l'Angleterre et l'Autriche se sont
f ordre, l'homme, ici-bas moyen universel, doit «gifr l'exclusion de la France. Ediï,
nient français attribuait avec raison la fai- et de tranquillité. » Il est même permis de
blesse des Turcs à leur ignorance, et leur penser que cet événement désirable, et sans
j* expédiait des connaissances, comme on ex- lequel la religion grecque ne serait bientôt
pédie des munitions; mais il n'en va pas plus qu'un culte vide de morale et d'esprit,
ainsi des progrès de l'esprit dans une nation. n'est retardé en Russie que par la crainte
Ces progrès sont le résultat de la civilisation, d'indisposer les Grecs dont elle a besoin,
Loin d'en être le principe. Le mahométisme et qui ont-de fortes préventions contre les
condamne les Turcs à une incurable stupi- Latins car le gouvernement russe lui-
dité, et c'est par la religion, et non par la même montre depuis longtemps des dispo-
géométrie, que commence la civilisation. sitions à cette réunion (1).
Les Anglais ont paru, depuis quelques Les Turcs, retirés en Asie, et contemplant
années, vouloir se charger de leur éduca- avec douleur du rivage ce beau pays de
tion mais, trop clairvoyants, et surtout pas la Grèce qu'ils ont si longtemps occupé,
assez généreux pour en faire gratuitement tenteront sans doute de s'en ressaisir, et
les frais, ils en abandonneront le projet à peut-être nos descendants sont-ils destinés
l'instant qu'ils pourront s'arranger comme à voir, au grand scandale de ta philosophie-
les autres des dépouilles de la Turquie. La moderne, de nouvelles croisades de- Chré-
France, son ancienne amie, lui a porté le tiens, soit pour attaquer les mahomé-
c-.up mortel, en montrant en Egypte com- tans, soit pour défendre contre eux l'empire
bien les Turcs cachaient de faiblesse réelle grec, le plus exposé à leur insulte. Cepen-
sous une force apparente, et en apprenant, dant la nullité absolue des moyens maritimes
par son exemple, aux autres puissances des Turcs mettra, ce me semble, un obstacle.
qu'on peut braver jusqu'à la peste, cette éternel à toute nouvelle invasion de leur-
fidèle et. redoutable alliée de l'empire otto- part. Alors, ne pouvant être des conqué-
man. rants, i îs deviendront des pirates comme leurs-
Le dernier moment du règne des musul- frères d'Alger et de Maroc, et ils se borne-
mans en Europe ne saurait donc être éloigné; ront à troubler une mer sur laquelle ils ne.
les murs de Constantinople tomberont au pourront pius dominer. L'empire grec, uns
bruit des tambours chrétiens l'empire grec fois affermi dans sa nouvelle conquête, borné
sera rétabli» et alors commencera pour l'Eu- vers l'Europe par. les monarchies russe et
rope un nouveau système de politique. autrichienne, s'étendra du côté qui lui of-
Selon toutes les apparences, l'expulsion frira à la fois le plus: de motifs d'agression
des Turcs produira un grand événement et le moins de: moyens de résistance. Ii
dans l'Eglise chrétienne, je veux parler de portera ses armes au delà du détroit, et
la réunion à l'Eglise latine de l'Eglise grec- les Chrétiens,, pour être tranquilles en Eu-
que, assez punie de son schisme- par une rope, repousseront, les Turcs des côtes de
longue oppression, mais digne de renaître l'Asie. Obligés de se retirer dans l'intérieur,
à la liberté par la, constante fidélité à ses les Turcs s'y trouveront en présence des
dogmes, avec laquelle elle l'a supportée. fiersans,.musulmanscomme eux, mais d'une
Les chefs des nations civilisées doivent sen- autre secte, et leurs ennemis irréconcilia-.
tir qu'il n'y a pas plus de religion sans au- bles de religion et d'Etat. JI n'est pas dou-
torité que de société sans pouvoir; et l'au- teux, que les haines de ces. deux peuples,,
torité, j'entends l'autorité définitive, celle d'autant plus furieuses que l'objet- en est-,
qui termine les querelles, décide la conduite, interminable (2) ne se raniment par leur
et commande même aux. consciences, ne se proximité, et la Russie, déjà maîtresse des
trouve que dans l'Eglise romaine, comme bords de la mer Caspienne et des portes da
le pouvoir politique. ne se trouve que dans l'Asie, profitera de ces divisions, qui por-
l'Etat monarchique. «La religion romaine, » teront un coup mortel à la religion, maho-
dit Terrasson, « est, une religion d'autorité, métane (3)..
et par conséquent une religion de certitude L'empire turc n'a pas}_pour se tirer de cet
(1) Jl y- a plus d'un demi-siècle que l'auteur- commencer les ablutions par le coude, les sectateurs
parlait ainsi de la réunion de l'Eglise grecque à d'Omar par le bout des. doigts. Les mahométans
l'Eglise latine. Aujourd'hui il serait encore plus disputent entre eux des pratiqués, les Chrétiens
affirmatif. Aux yeux des hommes sérieux la Pro- du dogme.
vidence ménage cette grande réconciliation pour (5) Si les Européens s'établissent aux environs
un temps qui ne parait plus éloigné. de ta mer Iîougu, un jocr quelques aventuriers iront
Edit. piller les immenses richesses du tombeau du
(!) Les sectateurs d'Ali prétendent qu'il faut prophète, qui n'est qu'à vingt-cinq lieues de la mer,
état fâçheu-t, la ressource d'un grand homme, recommenceraient par l'Europe. Si cet évé-
et ce n'est pas au despotisme que convient nement était possible, il ne pourrait être
celte excellente réflexion de J,-J. Rousseau: amené qiiiepaP: le désespoir des Turcs, suze-
« Quand par hasard il s'élève un de ces rains des petits Tartares et alliés des grands*
hommes nés pour gouverner l'es empires et qui chassés d'Europe, feraient un appel
dans une monarchie presque abîmée, on général à toutes les nations mahomélanes
est tout surpris des ressources qu'il trouve, (2) ou ennemies des Chrétiens en général,
et cela fait époque (1)- »• Cette ressource et en particulier, des Russes, et les croise-
n'existe que pour un Elat fondé sur des rodent toutes, si l'on peut employer cette
principes naturels de société qu'il s'agit expression, contre les puissances. européen-
<|e rappeler, et non pour un état de société nes. La. Pologne, dont les hordes tartares
qui n'a d'autre principe que les passions et connaissent le chemin, serait la première
l'ignorance. Qu'on y prenne garde, la puis- exposée à leurs attaques, et offrirait, dan*
sance ottomane n'est pas encore entamée, ses plaines vastes et fertiles de grandes
et cependant sa chute est inévitable,, parée facilités pour la marche et la subsistance do
qu'elle périt par les vices de sa constitu- leur nombreuse cavalerie. Alors il serait.
tion. Elle finit avec toutes ses provinces, heureux pour l'Europe que cette partie, la
comme un paralytique qui perd le mouve-- plus faible naguère de la chrétienté par sa
ment, en conservant tous tes organes, et constitution, eût acquis,, par son partage*
sa fin obscure et sans honneur, après tant entre les trois monarchies d'Europe les phis-.
d'agitation et de frénésie, ressemble à ces militaires, ]&. plus grande 'fonce de résis-
léthargies mortelles qui suivent- de violentes tance.
convulsions. CEoirait-on que les conjectures du ph^o-.
Nous terminerons cette- dissertation par sophe génevois semblent s'accorder avec des.
nne observation sur les Tartares. On ne prédictions du même genre consignées dans»
peut s'empêcher d'être frappé de ce mot de le livre mystérieux de la société chrétienne ?2'
Jean-Jacques « Les Tartares deviendront un On y voit aussi les nations scythiques ou
jour nos maîtres; cette révolution est in- tartares, accourues de l'Orient sous leurs
faillible, tous les rois de l'Europe travaillent chefs, venir assiéger, mais sans succès, le
de concert à S'accélérer ?»et il peut être in- camp des saints, qui ne signifie autre chose
téressant de rechercher sur quels motifs cet que la société chrétienne. Quoi qu'il en soit
écrivain, souvent aussi sage dans ses vues de ces passages, qui peut-être n'ont rapport,
qu'il est erroné dans ses principes, appuie qu'à des événehieuis déjà passés, et, si l'on
cette étonnante assertion. · veut,, au siège de la chrétienté par le ma-.
° Le Tartare, le plus singulier des peuples, homélîsme,. dont.nous avons marqué l'épo--
dit Montesquieu, et qui semble efïeetivement q«e et suivi les progrès, la pensée aime à
destiné à renouveler tous les autres,, errant s'enfoncer dans ces sombres profondeurs
dans les plaines immenses de la. haute Asie» qui ont occupé dans teas les temps les
vingt fois aussi grandes que la France, n'a génies supérieurs et les esprits faibles, Bos--
quo trois issues à ses éruptions, vers les- suetet Newton, comme Joseph Mède et mille,
quelles il s'est 'successivement dirigé. La autres visionnaires.
première se fit vers l'Eurape,. au m* siècle
de notre ère, et y détruisit la puissance ro- IX. | Vues générales SUR LA politique:
maine la seconde, au xm" siècle, se dirigea de LA France.
vers l'Inde, où les Tartares fondèrent l'emr- Après avoir parcouru les principaux Etats
pire du Mongol et renversèrent l'empire de l'Europe et avoir examiné leur position
des califes la troisième et dernière éruption particulière, et ce que chacun peut en crain-
eut lieu vers le milieu de l'autre siècle, dre pour l'avenir ou en espérer, nous pré-
lorsque les Tartarespénétrèrent dans la Chine senterons ici un résumé général de leurs
et la subjuguèrent. J.-J. Rousseau a pensé rapports avec les deux puissances de l'Eu-
sans doute aue ces éruptions périodiques rope qui entraînent toutes les autres dans
et jetèrent par là un grand trouble dans tout l'isla- (2) Les Tarfarés du ThibeS ne sont précisément ni
tnisme. idolâtres ni mahométans; ils adorentcomme un dieu,
(t) L'on pourrait dire que la monarchie turque a sous le nom de Lama, nn homme vivant et immortel,
disparu, puisque le souverain n'est plus obéi par les. qui, dans ce moment, est un enfant. Cette croyance,
pacbas, comme on le voit par l'inexécution du décret dont on ne trouve pas d'autre exemple, semble les,
de 1856 en faveur des Chrétiens. Edit. disposer aux dogmes du christianisme..
475 PART. 11. POLITIQUE. SUh L'ETAT ACTUEL DE L'EUROPE., 471
4
leur tourbillon, la France et l'Angleterre.
l'Angleterre, d'où la retraite peut être fermée, et pour un,
un.
Nous parlerons plutôt des- anciens rapports gouvernement posé sur une banque.
que des nouveaux qu'ont pu établir des évé- L'Autriche, amie constante, opiniâtre en-
nements dont le résultat n'est pas encore nemie, redoutant autant que l'Angleterre
faé et ne le sera peut-être pas de long- l'accroissement de la France, alliée à la fois
temps. de la nation anglaise et de l'électeur de Ha-
La France et l'Angleterre occupaient les novre, avait plus d'une fois fait cause com-
deux continents d& leurs jalousies, les trou- mune avec les Anglais, et échangé ses hom-
blaient de leurs querelles, les pacifiaient par mes contre leurs subsides. Elle entrait dans
leur accorda Mais la. paix n'était en quelque la querelle avec tout le poids que lui don-
sorte pour elles que l'état accidentel et d'ex- nent une antique domination, un vaste ter-
ception. Leur état habituel était la guerre ritoire, une population nombreuse que le
ou sourde ou déclarée; et l'opposition réci- commerce et les arts ne détournent point
proque des êtres n'est-elle pas la loi géné- trop de la guerre, une politique invariable,
rale de l'univers ? Dès que la guerre éclatait une administration modeste qui n'a pas en-
entre ces deux puissances, chacune d'elles tretenu l'Europe de ses théories, mais qui
cherchait, près ou loin, des alliés dont elle est sage dans ses principes, uniforme dans
pût faire des ennemis à sa rivale. sa pratique, et qui, un moment égarée dé
L'Espagne, associée à la France d'intérêts sa route par l'inquiétude de caractère et
et de dangers seule base constante d'une d'ambition philosophique d'un de ses der-
alliance durable, entrait naturellement dans niers empereurs, veut revenir, s'il en est
la querelle; mais elle y entrait seule, et temps encore, à ces antiques principes qui
d,ails ce duel la France comptait plus de té- ont fait sa force en Allemagne et sa consi-
moins que de seconds. Au fond, elle n'avait dération dans la chrétienté.
besoin d'allié que sur mer,. et l'Espagne est, Avec des bijoux distribués à des favorites
après la France et l'Angleterre, la troisième et de l'or somé dans le divan, la France
et presque la seule puissance navale. persuadait aisément les Turcs de la néces-
Les Etats d'Italie, la Hollande, le Portu- sité où ils étaient d'entrer dans toutes les
gal, les couronnes du Nord faisaient des guerres- qu'elle avait contre la maison d'Au-
vœux pour la France ou pour l'Angleterre, triche, et depuis François I" elle ne man-
selon leurs intérêts ou leurs affections; mais quait jamais de donner quelque impulsion
alliés timides de l'une ou de l'autre, ils ne à cette masse inerte,- mais où le mouvement
voulaient pas, ne pouvaient même pas ex- cessait aussitôt, parce que la vigueur qui
poser au choc de ces deux grandes masses distingue la jeunesse de tous les corps y
leur frêle marine, faible en nombre, plus était refroidie, et qu'elle était dépourvue-
faible par la qualité des bâtiments; ou, si des connaissances et des lumières qui font
quelqu'un de ces Etats, poussé par l'une des la force de l'âge mur. Aussi n'offrait-elle à
deux puissances, sortait de sa neutralité, la tactique de l'Autriche, perfectionnée de-
cemme fit la Hollande dans la guerre d'Amé- puis cinquante ans, qu'une proie facile et un
rique, il ne faisait qu'embarrasser son allié exercice utile à ses armées. Depuis long-
du soin de le défendre, et.aider l'ennemi de temps la Turquie eût infailliblement suc-
sa lenteur. combé sous les coups de ses redoutables voi-
De petits Etats qui se mêlent aux querel- sins, si les autres puissances chrétiennes
les des grandes puissances multiplient pour n'eussent étayéde teur médiation ou de leurs
celles-ci les chances défavorables de la intrigues ce vaste édifice tombant de tous
paix, parce qu'il faut combattre et négocier côtés, en attendant qu'elles pussent toutes
pour elles, et qu'un Etat puissant ne peut s'àrranger sur la place qu'il occupe en Eu-
presque jamais défendre des alliés faibles rope, et comme dans un combat, serrer,
sans désavantage, ni faire valoir leurs pré- sans se heurter, leurs rangs éclaircis.
tentions sans compromettre ses intérêts. L'alliance du corps germanique ne pré-
L'Angleterre,, qui n'avait pas besoin d'al- sentait pas à la France un fond plus sûr.
lié sur. mer, en cherchait sur le continent.; L'opposer à l'Autriche, c'était exposer sa
elle provoquait de tous côtés, elle payait à frêle existence, et puis, dans une guerre oà
grands frais de puissantes diversions contre l'Angleterre était intéressée, les affinités do-
le danger d'une descente possible, dont les mestiques, nées des conformités religieuses,
suites seraient incalculables dans un pays influaient chez quelques-uns sur les liai-
175 ŒOVIŒS COMPLETES DE M. DE DONALD. 476
sons politiques; et, si les bras étaient pourr terro devrait en quelque dépendre -de
quelque- sorte dtfyeadre do
nous, et même les vœux contre l'Autriche, la.Russie, parce qu'elle en tire des moyens
les cœurs étaient pour l'Angleterre ce sys- de puissance navale, dont la Russie pourrait
tème politique était usé, et ta France, pourr lui interdire l'exportation et cependant des
s'être trop reposée sur les alliés du dernierr événements récents ont prouvé l'influence
siècle, avait négligé l'allié de tous les temps, qu'exerçait l'Angleterre sur la détermina-
une administration forte et.vigilante, qui va- tion de la Russie, etil'impossibilité d'échap-
r.ie de moyens, et jamais de but. per à cette dépendance dont la cupidité pri-
La Prusse même, qui, dans ses craintess vée s'accommode, alors que le premier de
de la maison d'Autriche, semblait offrir auxc tous les intérêts, ta dignité de l'Etat, en-ré-
vues de la Fran,ce une adhésionplus intime, clame le sacrifice. Quand un Etat en est à ce
et dans ses nombreux soldats un secourss point, il n'y a plus d'intérêts. ni d'esprit pur
plus efficace; la Prusse n'était plus laPrusse.
3 Mes. Alors le gouvernement est louùàla*
du grand Frédéric, parce que la force d'uni bourse, et la.guerre. et la- paix sont des ef-
Etat se compose d'autres éléments que dui fets qu'on, joue à la hausse et à la baisse..
génie d'un homme. La Prusse a une armée, Puisse cetexemple n'être pas perdu.pour la.
et même un trésor; mais l'Autriche, qui a- i- France, menacée à la paix d'une descentede
des armées et des moyens de prospérité, maisons anglaises, de manufacturesanglai-
trouve, dans. sa forte population, la facilitéé ses, de mœurs anglaises, etc. etc. Puisse»
de les recruter et de, les solder. D'ailleurs, t-elle se persuader que le poli de l'acier, la,
l'Angleterre était encore interposée entre la=i= finesse du coton, la solidité de la poterie, ne
Prusse et nous mille liens religieux et du- constituent pas essentiellement la force d'un.
mestiques, qui seront toujours plus forts à ïitalella bonlé-d'un peuple, et qu'à une na-
mesure que les princes seront plus faibles,. tion qui a des mœurs et des lois, tout le reste;
retenaient l'effusion de son zèle pour laa est donné comme par surcroît. Je reviens à.
France.: le système politique de la Prussee la Russie. Amie de l'A/igleterre elle ne
était si peu. arrêté, qu'on la vit, il y a quel' pouvait pas l'être de la France, ni par con-.
ques années, prendre les armes pour soute-- séquent être à un certain, point ennemie de
nir contre nous le parti anglais dominant à i'Autriche, d'autant que ces deux empires
la Haye et même, puisqu'il faut le directes. s ( et les événements l'ont prouvé ) avaient*
Allemands, qui nous jalousent, rendent unee alors dans la Pologne et ont encore aujour-
espèce de culte à la nation anglaise. d'hui dans la Turquie un but commun sur
La Russie se- mouvait encore dans une or- lequel leurs intérêts et leur ambition pou-
bite éloignée; mais, à mesure qu'elle s'ap- vaient s'accorder.
prochait de notre sphère, et qu'on pouvaitfr
Je n'ai pas parlé de la Suède, devenue un.
en considérer la direction, on apercevait sa1 moment, comme la Prusse et aussi par le-
tendance vers l'Angleterre, et la France ac-
génie d'un homme, un centre d'activité,, aiir
quérait la certitude qu'elle devait, en cas de3
malheur, compter sur la neutralité de la1 tour duquel tourna pendant un demi-siècle
l'Allemagne, et même l'Europe état contre
Russie, et, en cas de succès, sur sa média-
tion. 11 est facile d'en donner le motif. nature, et que la paix de Westphalie vou-
lut en vain fixer. La France en avait con-
Le commerce de l'Angieterre est un tissu1 servé le souvenir, et son cabinet, fidèle à
dans lequel elle enlace habilement tous les ces traditions diplomatiques,envoyait cons-.
>
Etats, grands et petits, la Russie comme le taminent de l'argent en Suède pour y rele-
Portugal, quand, plus avides d'argent que ver le parti du roi contre l'aristocratie du
jaloux de force, ils se font des besoins de ses sénat, tandis que la Russie, protectrice in-
productions, des habitudes de ses mœurs téressée, en Suède comme en Pologne, do ce
des modèles de ses lois, et qu'ils laissent les qu'elle appelait les libertés de ses voisins, y
maisons anglaises, leurs factoreries, leurs entretenait, par ses intrigues, un foyer ha-
agents partout répandus, partout d'intelli- bituel d'opposition au parti royal. Ce n'estt
gence, former dans leur sein un Etat parti- pas que la Suède pût quelque chose pour la
culjer, et même indépendant. Le Portugal France ^contre l'Angleterre mais la France
dépend de l'Angleterre pour le débit de ses en espérait une diversion contre la Russie
vins, dont un ordre de l'administration pour- si le Turc se trouvait attaqué par elle car
rait prohiber l'introduction; mais l'Angle- la France croyait encore qu'on pouvait faire
AU PART. il. POLITIQUE. SCR L'ETAT ACTUEL DE /EUROPE. 47g-
subsister ce grand corps, où l'ignorance des
grand corps, en légitimer le but, et peut-être en assurer
<
chefs te dispute à l'indocilité des peuples. 1le succès.
daient leurs hommes à la France, àl'Espagne, plaudir de nos succès, qui dût s'affliger de
aaPiémont, l'argent, l'argentsicherauxSuis-]nos pertes; mais cette Espagne, toujours
ses, les cantons protestants les seuls qui traînante, au-dessous de sa réputation an-
en eussent, le plaçaient dans les fonds d'An- cienne,
t et même de' ses moyens présents
gleterre. L'Angleterre, qui mettait tout à cette
( Espagne où dorment tous les germes
grandeur et même d'héroïsme, entraînée
profit, se servait même de la Suisse comme de (
d'un canal, pour faire filtrer en France des quelquefois à de fausses démarches par le
opinions qu'il était utile à ses intérêts de philosophisrne,paraissait disposée à s'égarer
réjandre ou d'entretenir; et soit hasard, dans ( ces théories si funestes à la France, et
soit dessein, ses voyageurs, avec leur ad- (qui élèvent sur les débris de tout esprit pu-
miration fanatique pour le bonheur et l'ai- blie, de tout sentiment généreux, de toute
sance dont on jouissait en Suisse, et leurs rreligion et de toute morale, la suprématie
éternelles déclamations sur la misère des (des sciences physiques et l'a domination des.
habitants de la France, n'ont pas été sans artistes
f et du commerce. 11 n'est pas inutile
quelque influence sur les événements qui d'observer
( que le parti philosophique, qui
ont bouleversé la France, et par contre- dispensait en Europe la considération, en
coup la Suisse, et prouvé que la force des attendant
` qu'il y usurpât la domination
Etats se compose^d'autres éléments que de avait ` pris à tâche,depuis que la France avait
l'ODulence des particuliers. donné des rois à l'Espagne, et que ces deux
1puissancess'étaient unies d'un lien indisso-
La France, à défaut d'alliés étrangers luble, de déprimer l'Espagne et de mettre
cherchait à l'Angleterre des ennemis jusquel'Angleterre
au premier rang des nations
dans son sein politique plus commune j et cela même n'était pas
sans conséquence.
qu'elle n'est sûre, et que les Etats chrétiens
devraient s'interdire, comme on s'interdit à Les politiques ont pu croire que dans cette
la guerre des inventions meurtrières bientôt guerre la France enlèverait à son ennemi le
communes aux deux partis. Elle trouvait des Portugal pour le donner à son allié. Ils se
amis chez les Catholiques d'Irlande, ména- sont trompés; mais cette réunion, que la
gés par l'administration, mais opprimés par nature commande, arrivera infailliblement
la constitution, et elle en aurait trouvé dans lorsque l'Espagne ou le Portugal per-
les vieux amis desStuarls, si elle n'avait pas dront leurs colonies qui affaiblissent les
fait la faute grave en politique de laisser moyens d'attaque de l'Espagne, et donnent
éteindre, dans le célibat ecclésiastique, cette au Portugal des moyens de défense^Alors,
race infortunée, et ôté ainsi à ses intelligen- si les révolutions des siècles et les besoins
ces avec leurs partisans tout ce qui pouvait de la société amènent en Espagne, à la tête
des affaires et' des armées, des Ximenès et
des Gonzalve, la France et l'Espagne, favo-
risées du climat et du sol, fortes de leur po-
-yuw.
donneront des, lois à l'Europe,
Nous aurons occasion de développer, .dans»
les réflexions suivantes sur la paix de West-,
sition, et plus encore du caractère de leurs phalie, des considérations ultérieures sur la,
habitants, unies inséparablement d'intérêts, politique de la.France.-
t
r-'T– iT. y. i– njLi.'cgÇj>
DU TBAITÉ DE WESTPHAHE
ET DE CELUI DE CAMPO-FORMIO,
ÇT DE LEUR RAPPORT AA'EC LE SYSTÈME POLITIQUE DES PUISSANCES EUROPÉENNES, ET
PARTICULIÈREMENT DE L.A FRANCE.
AVERTISSEMENT.
DU TRAITÉ DE WESTPBALIK
ET DE CELUI DE CAMP0-F0RM10.
Tout corps sociai que sa constitution et des appellent à l'existence, passe, ainsi que le
raisons prises dans la nature des choses ( 1 ) corps humain, par un état d'enfance et d'ac--
(t) Je sais combien on abuse de ce mot nature, ports et des lois des êtres, et elle suppose un au-
dont on fait un être, comme les anciens en faisaient teur, comme toi suppose un législateur^
un de leur fatum. La nature est i'ensemble des rap-
croissement pour arriver à l'état de conser- tre tous les peuples; mais les autres peu-
vation et de virilité. Son système de conduite ples, trop inférieurs en connaissances ne
politique doit être rélatif à chacun de ces réagissaient pas contre elle, Ou ne réagirent
états de sa vie sociale, comme dans l'homme quelorsque son action fut épuisée ;et, comme
le régime doit être relatif aux différents âges leur résistance était purement passive, elle
de sa vie physique. fut toujours surmontée, au lieu que les na-
Cette tendance à s'étendre est commune, tions chrétiennes modernes, semblables en
il est vrai, à toutesles sociétés; mais dans la lumières et en civilisation, agissent et réa-
collision universelle qui en résulte, les peu- gissent les unes contre les autres avec des
ples institués par l'homme disparaissent: forces qui tendent à devenir égales.
les nations constituées par la nature, je Une nation parvenue au terme marqué à
veux dire celles qui obéissent aux lois na- ses progrès s'y fixe, surtout lorsqu'il est dé-
turelles des sociétés, se maintiennent, et les terminé par des limites naturelles; elle est
Etats grandissent jusqu'à ce qu'ils soient pour ainsi dire, au repos; elle cesse d'être
parvenus à un point d'étendue et de popula- dangereuse pour Jes autres nations, parce
tion qui lui donne assez de force propre et qu'elle cesse d'être inquiète; elle n'a plus
intrinsèque pour avoir en eux-mêmes le à attaquer, parce qu'elle n'a plusàacquérir;
principe de leur conservation, quand une et, si elle est encore exercée par la guerre
administration ferme et éclairée sait en dé- ou agitée par des dissensions intestines,
vdopper les moyens. effet inévitable des passions humaines, elle
Aujourd'hui que les connaissances militai- n'a plus à craindre d'être effacée, par la con-
ressontégalementrépandues chez les nations quête, du rang des nations, à moins qu'elle
civilisées, et que la manière de faire la guerre ne recèle, comme la Pologne, dans des vi-
est uniforme, une nation trouve un terme ces de constitution un principe d'anéantis-
à ses progrès dans les progrès des nations sement.
voisines; quelques-unes même ont, à leur Ainsi la nation espagnole, obéissant à un
extension, des limites fixées par la nature; principe naturel d'expansion, a formé sa so-
mers, fleuves, montagnes, langues même, ciété de l'agrégation de plusieurs royaumes;
limites que l'ambition de leurs chefs dépasse la Grande-Bretagne, de l'accession de trois
quelquefois, mais au delà desquelles elles pays; la France, de la réunion de plusieurs
ne font jamais d'établissements durables. souverainetés féodales l'Allemagne et l'I-
II faut bien se garder de chercher ici une talie tendent à réunir, la première plutôt que
précision mathématique et de demander, la seconde, en un ou plusieurs grands corps
par exemple, où est la limite juste de l'Au- leurs membres morcelés et le Portugal,
triche et de la Prusse; car, outre que cette quand il perdra ses colonies, rentrera dans
précision n'est pas applicable aux vérités l'Espagne, comme la Navarre, détachée de
sociales comme aux vérités géométriques, la France et de l'Espagne, s'est rejointe à
il suffit, pour établir la proposition que j'a- l'une et à l'autre comme la Hollande, sépa-
vance, que les grandes conquêtes soient dé- rée de la Gaule et de la Germanie, se par-
sormais impossibles, et que les grands Etats tagera tôt au tard entre toutes les deux.
se balancent réciproquementjusqu'à cequ'ils Entre les nations chrétiennes qui sont sé-
soient parvenusun certaindegré d'étendue, parées des autres par des limites naturelles
comme tes gouvernements s'agitent jusqu'à et des langues particulières, il faut distinguer
te qu'ils soient parvenus à un état de cons- la- France, l'Espagne, l'Italie, qui peut-être
titution, sans que les hommes puissent fixer seraient en Europe, aujourd'hui que les na-
davantage le lieu où s'arrêteront les progrès tions qui l'habitent ont fait de l'art de la
que le temps où se fixera la constitution. Or guerre leplus savant des arts, comme unecita-
es balancementréciproque de force entre les delleoù lacivilisation se retrancherait entre
Etats chrétiens, qui a commencé^en Europe à les mers et les montagnes, si jamais elle était
Charlemagne, est surtout sensible depuis menacée par un débordement de Tartares
Charles-Quint. Il peut arriver encore qu'un et qui sait si la France en particulier, depuis
Etat compense ce qui lui manque en éten- si longtemps le modèle des autres nations,
due pour balancer la force d'un Etat voisin, fixée par la disposition des lieux à une
avec d'autres avantages naturels ou acquis. quantité déterminée de force territoriale,
C'est ici la différence de l'état ancien du n'est pas en Europe, pour ainsi dire, comme
monde h l'état moderne. Rome agissait con- une mesure publique et commune, sur V
4Sr> œfiVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 481
quelle, pour FFéquilibie général de l'Europe rés, et la France avança lenlement
équilibie général Icnlement et pro-
ot lela repos
-et ronne du mnnrlo doit
Hn monde, se r£s-W
finit sb insfin- gressivement
régler insen- srfissi vfiment du midi an nord,
mirli au nord. comme
r.nmme ella
oîifl
siblement la force territoriale des plus avait, à l'origine de l'établissement, couru
grands Etats. du nord au midi en sorte qu'elle a fini par
La distinction des sociétés par nations, la Belgique où elle avait pris naissance, et
et des nations par la démarcationdes terri- qu'après une révolution de quatorze siècles
toires et la différence des langues, terme le terme de la course a été le point de dé-
îù s'arrêtent les grandes conquêtes et les part.
grandes révolutions, entre dans les vues du Louis XIV, que les étrangers accusèrent
pouvoir suprême, conservateur du genre d'aspirer à la monarchie universelle, plutôt,
humain; car, outre que les progrès de dit Montesquieu, sur leurs craintes que sur
l'homme social sont généralement en raison leurs raisons, voulut, ce semble, poser lui-
de laforce des Etats, et que tout s'agrandit même une borne à l'accroissement ultérieur
dans les grandes sociétés, plus lesEtats sont de la France par la triple enceinte de places
puissants, moins dans leurs guerres, il y fortes dont il l'entoura du côté du Rhin;
a d'opposition entre les hommes, et plus mais la disposition à s'étendre au nord, na-
ils respectent les droits des gens et de l'hu- turelle à la France, a renversé cette barrière
manité. La guerre entre grandes puissances artificielle, ou même s'en est servie comme
est un exercice nécessaire à leurs forces; d'un point d'appui pour s'élancer en avant,
elle est, entre de petits Etats, un duel à ou- et l'on dirait que la France n'est tombée
trance entre des passions là elle se fait à dans cet accès de délire, qu'on peut appeler
force d'art, ici à force d'hommes. Les Fran- surhumain, que pour y puiser cette force
çais et les Russes s'aiment réciproquement, prodigieuse devant qui l'univers s'est tu, et
même en se faisant la guerre; les Floren- consommer en peu d'années l'ouvrage de
tins, et les Pisans, les Vénitiens et les Gé- son agrandissement.
nois, se haïssent même en pleine paix, et la C'est là que nous en sommes la fièvre
guerre, qui estaujourd'hui un accident entre révolutionnaire s'est calmée quand elle n'a
grandes nations était l'état habituel de plus eu d'objet, et aux pouvoirs populaires
la société dans ces temps déplorables où qui détruisent a succédé le pouvoir, un qui
toute cité était une république et toute con- rétablit ou qui conserve, quand on sait en
trée un royaume. connaître la force et s'en servir avec sa-
Aucune Société en Europe n'était douée gesse.
d'une plus grande force d'expansion que la Après ce court exposé, examinons que!
France, parce qu'aucune n'avait, dans des était avant la révolution, et quel duit être
lois plus naturelles, des principes de vie plus depuis la révolution, le système politique
forts, ni dans sa position géographique des do la France, et cherchons-en la raison dans
limites plus fixes. la nature des choses, et non dans les dispo-
La France, née dans la Belgique et sur les sitions variables et passagères des hommes.
bords du Rhin, avait rapidement occupé tout La nation française, depuis son établis-
le pays où elle devait s'établir, comme un sement dans les Gaules, s'agitait pour s'é-
habile ingénieur embrasse d'un coup d'œil tendre d'un côté jusqu'aux Alpes, de l'autre
tout le terrain qu'il veut défendre. Mais, jusqu'à l'Océan, au midi jusqu'à la mer Mé-
dans cette société naissànte et peu accoutu- diterranée et aux Pyrénées, an nord jusqu'au
mée à tant d'étendue, la loi naturelle de la Rhin, borne ancienne des Gaules et de la
succession indivisible ne s'était pas déve- Germanie borne naturelle, puisqu'elle em-
loppée aussitôt que la loi de la succession brasse la Gaule entière (et même la Suisse,
masculine. La France fut donc partagée en toujours partie des Gaules, sous une forme
plusieurs Etats; et même ces belles provinces ou sous une autre), en s'appuyant d'une
septentrionales, qui avaient été le berceau extrémité à la partie la plus inaccessible des
de son enfance, et d'où comme un géant, Alpes, et de l'autre à l'Océan, et que dans ce
elle avait commencé sa course, furent pos- long cours elle reçoit d'un côté toutes les
térieurement portées en dot dans la maison rivières de la partie adjacente des Gaules, et
d'Autriche, et passèrent à la branche alle- de l'autre toutes celles de la partie adjacente
mande, qui voulut même les incorporer à de la Germanie.
l'empire germanique. Ce n'était pas une vaine ambition dans ses
11 fallut réunir au tronc ces rameaux sépa- chefs qui donnait à la France cette tendance
Ï83 PART. 11. POLITIQUE. u TRAITE
DU mu WESTPIIAL1E,
aunsai DE tTj-t'j~iit~M~ti'j, ETC.
i:t~u', 486
4M(t
fi
à s'accroître la nature même lui en faisaitt dire la Russie, coBamençait
commençait à s'éi>ranler
s'ébranler du
une loi, comme elle fait à tout être une loii Nord, et à peser sur l'Europe.
d'acquérir la plus grande force possiblee La France, depuis trois siècles, ne pou-
ù'étre, parce que la France ainsi limitée see vait donc plus s'accroître qu'aux dépens des
trouvait au plus haut point de la force dé- Etats de l'Empire, et des pays héréditaires
Yensive-ou conservatrice d'un Etat, celui oiei de la maison d'Autriche.
il le plus de population disponible avec lee
moins de, frontières attuquables.
La France était donc par fa nature même
des choses, en état permanent, nécessaire
Depuis que la France touchait aux Alpes, même, d'opposition avec l'empire et l'Au-
aux Pyrénées, aux deux mers, elle avait dû triche, unique raison des longues et san-
diriger tous ses efforts vers la conquête oui glantes rivalités des deux maisons, quêtant
l'incorporation des provinces situées au nordI d'écrivains, échos les uns des autres, ont
et sur le Rhin, et ses acquisitions sous ses attribuées à la jalousie personnelle et pas-
deux derniers rois., Louis XIV et Louis XV, sagère de François I" et de Charles-Quint;
l'Alsace, la Flandre, la Franche-Comte, lai motif frivole assurément, etsans aucune pro-
Lorraine, lui en avaient préparé les voies ett portion avec son effet. D'ailleurs, la politi-
-facilité les moyens. que de François I" était si peu la politique
-La limite du Rhin n'est pas indifférente ài de la France, que François I" voulait se faire
la défense de la France du côté de l'Alle- empereur et s'établir en Italie, lorsque le
magne, non que le passage d'un fleuve pré- système naturel de la France voulait qu'il
sente à la tactique moderne des difficultéss ne fût roi que de la France, et qu'il ne s'é-
insurmontables, mais*parce qu'un fleure, tendît que vers l'Allemagne.
qui borde une ligne de défense dans toute Cette discordance, plus commune autrefois
sa longueur, donne de grandes facilités pourr qu'aujourd'hui, entre le système politique
«n faire parcourir aux troupes les différentes des cabinets et le système des sociétés, c'est
parties, et aussi parce que l'inclinaison desi à-dire entre le système de l'homme et celui
rivières du nord et du nord-est de la France, de la nature, est la ruine d'un Etat quand
qui toutes se rendent au Rhin, favorise le» elle se prolonge. La France en a fait une fu-
transport des hommes et des choses sur les neste expérience dans les guerres d'Italie,
points attaqués, en même temps que cettei contraires à son système naturel, lorsque son
disposition des eaux ajoute aux difficultés gouvernement voulait y former un établisse-
d'une invasion de la part de J'ennemi, obligé, ment, comme sous les Valois; mais qui sont
pour pénétrer dans les terres, d'en remonter rentrées dans ce système, lorsque les con-
le cours (1).. quêtes faites au delà des Alpes ont servi
Cet accroissement naturel de la France d'objets d'échange contre des provinces con-
était prévu depuis longtemps par de bons tiguës à la France, comme il est arrivé sous
esprits, même en Allemagne, et Leiïbnitz Louis XV et dans la guerre actuelle.
écrivait, il y a un siècle, à Ludolphe: « Je L'Etat le mieux gouverné dans ses rela-
crains que la France, réduisant sous sa do- tions extérieures, et qui à la longue a les
mination tout le Rhin, ne retranche d'un seul succès les plus soutenus, est donc celui dans
coup la moitié du collège des électeurs, et lequel le système du cabinet est le plus
que, les fondements de l'empire étant dé- constamment d'accord avec le système de
truits, le corps lui-mêmene tombe en ruine.» l'Etat. On a cru longtemps que le cabinet de
Peut-être aussi était-il nécessaire, pour le l'Europe qui, depuis longtemps, avait le
maintien de la balance de l'Europe, que la moins dévié de son système naturel était ce-
société la plus forte par les avantages de sa lui de Turin car il faut prendre gardequ'une
position, par la juste proportion de ses par- politique habile doit varier quelquefois dans
ties et leur parfaite correspondance,achevât son système accidentel pour rester toujours
de se constituer au Midi, à l'instant que la fidèle au système fondamental de l'Etat. Au
société la plus puissante parl'étenduede ses reste, on ne doit jamais perdre de vue que,
Etats, forte à la fois de sa civilisation ré- pour juger de la sagesse d'un système poli-
cente et de son ancienne barbarie, je veux tique, il ne faut pas considérer l'Etat pendant
(!) Celle dernière réflexion est tirée des Consi- re d'une manière aussi large que les Français
dérations sur la guerre actuelle, par le générai Mat- l'ont faite.
thieu JWias, qui le premier a écrit sur la gtar-
mi "OEUVRES COMPLETES DE M. DE B0NALD. 4SS
la guerre, mais après la guerre, et quelque- que comme en religion, et qu'il était hors
~M~o..r.All,.
fois même après un intervalle de
~Te temps ~fc~
/~i~~< assez ..1-0. toute proportion
de truite r~Dn~.rt~Tl avec
avar ses
cnc moyens n~f~
111()\Tl':1Ï~ natu-
long pour que les 'événements prépares dans rels.
un temps aient pu se développer dans un Cette alliance-de la France avec les enne-
autre et parvenir à leur maturité (1). Cette mis de la maison d^Autriche, alliance qui se
réflexion est particulrèrement applicable à composait à la fois de sa propre force et de
un temps de révolution générale, pendant la faiblesse de ses alliés, les uns faibles par
lequei on ne peut pas toujours juger le sys- la position de leurs Etats, l'autre faible par
tème des cabinets, ni même reconnaître ce- son ignorance; celui-là acculé à la mer Bal-
lui des Etats, parce qu'une révolution trou- tique, et voisin du pôle; celui-ci enfoncé
ble momentanément la politique ordinaire, dans la mer Noire, et à moitié hors de l'Eu-
pour y établir ou y affermir les rapports tta- rope, cette alliance, dis-je, devait à la lon-
turels. gue porter des fruits amers pour !a France
Le gouvernementfrançais, rentré, depuis elle-même, mettre tous ses alliés, l'un après
François I" et vers le temps de Henri IV, l'autre, sous le joug autrichien, et donner
dans le système naturel de la France, ï'a- ainsi à la maison d'Autriche ui?e prépondé-
grandissement sur les terres de la maison rance de forces incompatible avec l'indé-
d'Autriche et de l'Empire, croyait donc de- pendance de ses voisins. Mais, à la place de
voir naturellement s'allier avec les puissan- la Suède, déchue de la puissance pour avoir
ces qui désiraient l'affaiblissement de cette abusé de sa force, et trop occupée à se dé-
maison, et par cette raison, plutôt avec les fendre elle-même de sa propre constitution
princes protestants de la !igue germanique pour s'occuper de celle du corps germani-
qu'avec les princes catholiques. D'ailleurs, que, il s'éleva dans le sein même de l'Em-
l'accroissement de la France devait princi- pire, à la faveur des craintes réciproques de
palement se faire aux dépens des Etats ca- France et de l'empereur, une puissance
la
tholiques placés sur la rive gauche du Rhin. que fonda l'esprit militaire du père, que
Depuis Henri IV, la France a donc dirigé hâta le génie guerrier du fils, et qui opposa
toutes ses démarches conformément à ce sys- avec succès sa jeunesse audacieuse à la ro-
tème d'opposition à la maison d'Autriche et buste vieillesse de la monarchie autri-
l'Empire. chienne.
Ce fut dans cette vue que François 1", Le traité de Westphalie, garant en appa-
Henri IV, Richelieu, Mazarin, firent alliance rence de la constitution germanique, y avait
avec les princes allemands contre l'empe- mis un germe de mort en y détruisant l'u-
reur, et avec la Porte-Ottomane contre la nité, sans laquelle il n'existe point de cons-
maison d'Autriche. H fallait- un lien à ce titution, puisqu'il avait opposé la puissance
faisceau de petits princes germaniques. La des membres au pouvoir du chef, et la ligua
France effrayait ses propres alliés de son protestante ou le corps évangélique à l'u-
ambitieuse protection; catholique, et non nion des princes catholiques, dont le mo-
possessionnée en Allemagne, elle était sans narque autrichien était le protecteur.
intérêt aux yeux des uns et sans qualité aux Mais, dès que la puissance prussienne se
l'Empire, plus forte que la
yeux de tous, pour s'immiscer dans leurs fut élevée dans
affaires politiques. Elle fut au fond du Nord Suède, et même à cette époque, à cause de
chercher la Suède, puissance protestante et sa constitution toute militaire et des talents
co-Etat de l'Empire, qu'un zèle de secte et de son chef, militairement plus forte que la
un homme, le plus grand roi de ces der- France, il n'y eut plus en Allemagne que
niers temps, avait jeté un moment hors de les formes extérieures d'une constitution
sa politique comme de ses limites, et qui, et, si les publicistes de Ratisbonne la cher-
à l'époque du traité de Westphalie, encore chèrent encore dans la Bulle d'or et les pro-
toute brillante de ses suc«ès dans la guerre tocoles de leurs chancelleries, les hommes
de trente ans, s'était élevée à un degré de d'Etat de tous les pays ne virent plus une
force, ou plutôt de considération, qu'elle n'a constitution là où ifs voyaient deux pou-
pu soutenir, parce qu'il portait sur :a base voirs égaux et bientôt rivaux, et
ils purent
ruineuse de principes populaires en polifi- prévoir dès lors qu'un jour la Prusse VOu-
({) II a été souvent militairement utile d'oc- avait jamais été réuni, quoiqu'il eût été souvent
cuper le Piémont; mais ce pays ne fait point natu- occupé.
rellement partie de !a France. De là vient qu'il n'y
«9 PART. II. POLITIQUE. BU TRAITE DE WESÏPHAUE, ETC.
drait balancer la maison d'Autriche et parta-
parla- la France déshonorées Rosbach à Rosbach par un
ger i
l'empire,
empire,
cette guerre
et c'est ce qui est arrivé dans membre de cetié
où l'on a vu la Prusse
mÀm* confédération
cfitlé même “»..
^nfts.f^n™ qu'elle
com- avait élevée et soutenue à grands frais pour
prendre dans sa ligne do neutralité la moi- lui servir de rempart
tié de l'Allemagne, la détacher de la mai- triche. Alors la confédération contre la maison d'Au-
d'Autriche et !a couvrir de sa protection. eut dans germanique
son sein un autre garant, ou plu-
Cependant un intérêt commun, le désir tôt
un autre chef puissant et présent, et la
d'abaisser la puissance de la maison d'Au- France devint aussi étrangère au corps ger-
triche, unit l'une à l'autre la France et la manique la Suède, parce qu'elle lui de-
Prusse, qui, plus forte contre sa rivale que vint aussiqueinutile.
Le développement du
tout 'la corps germanique ensemble, et voi- système naturel de
la France, je veux dire
sine de ses Etats héréditaires, lui porta les son achèvement Nord,
au en fut contrarié
coups les plus sensibles, lui enleva même car la Prusse, qui,
pour s'emparer de là Si-
une de ses plus belles provinces, et donna lésie, s'était servie de l'alliance
pendant trente ans à l'Europe le brillant, la Prusse, co-Etat l'Empire,de là France,
de n'aurait pas
mais trompeur spectacle d'un hémmequîlutté alors
plus aidé la France a s'emparer des
avec son génie contre une puissante société. pays allemands que le roi très-chréliefi n'au-
Cependant, les rapports de la France avec rait, quoique allié des Turcs,
l'Empire et l'Autriche n'étaient plus les mê- soumissent l'Autriche permis qu'ils
à teur dominatioti.
mes. Son' influence sur l'Allemagne avait Mais c'était surtout la tendance delà France
baissé depuis l'élévation de la Prusse
sur à s'étendre sur la Belgique qui était arrêtée
l'horizon politique, et la facilité de dévelop-
ou suspendue par la Prusse.
per son système naturel d'accroissement sur Cette puissance, que des liens religieux,
la Belgique et l'Allemagae cisrhénaue n'était politiques domestiques
et unissaient à l'An-
plus aussi grande. gleterre, et surtout à la Hollande, n'avait
La France déterminée, trompée peut-être garde de permettre la réunion de la Belgique
par une crainte héréditaire de la maison à la France, réunion que ces deux puissan-
d'Autriche, et qui croyait toujours voir le ces redoutaient plus que tout autre événe-
fantôme de Charles-Quint dans ses succes- ment. D'ailleurs la Hollande, où il n'y avait
seurs affaiblis, s'était couverte, au traité de plus que de l'argent, ne pouvait se passer
Westphalie, des princes allemands, des pro- de la protection continuelle d'une grande
testants surtout, coutre la maison d'Au- puissance continentale, et la Prusse, en éloi-
triche. Mais ces princes, protestants ou gnant la France des Pays-Bas hollandais, se
catholiques, ne voulaient pas plus l'agran- réservait exclusivement Je droit de protégef
dissement de la France que celui de un Etat qui a toujours si bien payé ses pro-
sa rivale; et, placés par la France elle- tecteurs. Enfin la Prusse voyait sans peine,
même entre elle et l'Autriche, ils fai- au moins jusqu'à une autre disposition dé
saient aussi équilibre à l'ambition de toutes choses, les Pays-Bas entre les mains du chef
deux. Cet équilibre de volonté, plutôt que de l'Empire et de la maison d'Autriche,
de force, cause de toutes nos guerres et de qu'ils affaiblissaient par leur éloignetnent,
tous leurs malheurs, n'avait pas arrêté les qu'ils exposaient, en cas de guerre, à une
progrès de la France sous Louis XIV, tant invasion prompte et facile; et ce ne fut que
qu'il n'y avait eu dans la balance que des lorsque Joseph II annonça le projet de les
Etats sans force, comme les éleciorats ou abandonner, et qu'il en proposa au duc des
même la Hollande mais, lorsque la confé- Deux-Ponts l'échange contre la Bavière, que
dération germanique compta au nombre de la Prusse conçut peut-être le projet de les
ses membres une puissance telle que la éunir aux Provinces-Unies, pour en former
Prusse, et surtout un roi tel que Frédéric, la an Etat à la maison d'Orange: du jnoins ii
France, affaiblie en même temps par une serait difficile de donner un motif plus po-
administration vacillante qui laissait crou- itique aux troubles qui se manifestèrent
ler sous elle la base des anciennes moeursians les pays de Liège et de Brabant, et
et des anciennes lois, ne joua plus en Aile- auxquels il fut public en Europe que la
magne, et par conséquent en Europe, qu'un ;our de Berlin n'était pas étrangère.
rôle secondaire. L'Europe vit avec étonne- Quoi qu'il en soit de ces mystères politi-
ment le marquis de Brandebourg déclarer ( lues, qui ne peuvent être rendus sensibles
la guerre au roi de France, et les armes de
<lue par leurs effets, l'atlention de la Prusse
à ôter à la France toute influence sur les core
c, moins de la pnuosopnie et quau
déterminations de la Hollande ne fut pas lieu
li de leur envoyer des géomètres, il eût
équivoque, et dans la guerre d'Amérique, missionnaires. mieux
n valu sans doute leur envoyer des
La France était partout par
où la partialité du conseil siathoudérien, en n
faveur de l'Angleterre, fut marquée d'une ses s intrigues, elle n'était nulle part par sa
manière si fâcheuse pour les projets mari- force; f et l'Autriche, qu'elle voulait abaisser.
times de la France, la Prusse se déclara devenait d toujours plus forte en Allemagne
hautement contre le parti français, et étouffa par I l'affaiblissement de ses ennemis.
prévint les effets du ressentiment de la Dans cette alliance de la France avec les
6u
de Versailles par une invasion à force princes germaniques, les puissances du
cour 1
(1) Le même parti qui soutenait en Angleterree sans cesse a sans doute sa raison dans une grande
la souveraineté du peuple attendait le règne visiblee pensée. Seraïl-Ce qu'il est naturel que les nations
de Christ pendant mille ans. Celle opinion inconnuee qui voient périr leur pouvoir particulier et local re-
à l'antiquité, dit Bossnet, fondée sur quelques pas- courent au pouvoir général des hommes et des na-
sages de l'Apocalypse interprétés à la manière char- tions? Il a été un temps, sous la seconde race, où,
Uelle des Juifs, a reparu même dans notre révolu- dans* le midi de la France, on datait les actes du
tion, et en général on peut dire qu'elle est le rêvee règne de Jésus-Christ.
«les sociétés malades. Une opinion qui se reproduitt
m PART. II. POLITIQUE. Dti TRAITE DE WESTfPHAlIE, ETC. ®i
En Angleterre, ta constitution religieuse cherait peut-être qu'elle
au'elle n'eût, au besoin,
hfisoin
est mixte de catholicisme et de calvinisme, autant de force de conservation et de résis-
comme la constitution politique est mixte tance qu'elle a montré de force d'agression.
de royauté et d'Etat populaire. En Prusse, Cet Etat, où les opinions philosophiques de
Etat calviniste, si les formes sont monarchi- son plus grand roi, accréditées par ses suc-
ques, lie principe tout militaire de la consti- cès militaires, ont répandu un extrême li-
tution vise au despotisme, et le despotisme bertinage d'esprit, manque de ce principe
n'est au fond que la démocratie dans le de vie que la religion seule communique
camp, comme la démocratie proprement dite aux sociétés, en donnant la raison du pou-
est le despotisme dans la cité. Aussi Mon- voir et le motif des devoirs. « Jamais Etat
tesquieu remarque avec raison que le des- ne fut fondé, » dit Jean-Jacques, « que la
potisme des empereurs romains ressemblait religion ne lui servit de base. » La Prusse
fort à la démocratie des tribuns. est encore un camp plutôt qu'une société:
Cette opposition du protestantisme à l'u- sa population est toute en soldats comme
nité de pouvoir fut d'abord moins sensible, son territoire est tout en frontières, et jus»
parce que les peuples retinrent l'esprit de qu'à présent ses amis ont pu lui désirer
l'ancienne religion qu'ils venaient d'aban- cette disposition dans les hommes qu'on ap-
donner mais peu à, peu le protestantisme pelle esprit publie ressort puissant qui
dégénéra en un philosophisme indocile et peut rétablir une nation des crises les plus
hautain (1), qui porta cet esprit d'opposi- désespérées, et qu'on retrouveraitau besoin
tiorïjusqu'à la haine la plus furieuse. L'An- dans plusieurs Etats, et cette disposition de
gleterre, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Bo- territoire qui permet de défendre les points
hême, la France, en éprouvèrent les terri- attaqués, sans trop s'éloigner de ceux qui
bles effets. La révolution française n'a pas peuvent l'être.
eu un autre principe; il s'aperçoit dans les Je reviens à la France et à l'Allemagne.
troubles qui agitent sourdement la Grande- Le traité de Westphalie avait donc constitué,
Bretagne, et qui y produiront tôt ou tard ou plutôt reconnu en Europe les Etats popu-
une explosion violente la Prusse en est in- laires, et l'on peut douter qu'il eût été si-
térieurement plus travaillée peut-être qu'au- gné par saint Louis et par Charlemagne.
cun autre pays, et l'on ne peut douter que A ne 1« considérer ici que sous un point
le gouvernement qui a pesé sur la France de vue politique, il garantissait la constitu-
jusqu'au 18 brumaire n'eût trouvé dans cette tion germanique, véritable démocratie do
disposition bien connue des esprits de puis- princes, de nobles, de villes, de chapitres et
sants moyens d'inquiéter la Prusse, s'il n'eût de monastères. li garantissait encore la dé-
jugé de son intérêt de ne pas troubler une mocratie de la Suisse (2) et de la Hollande,
puissance dont la neutralité lui était ou lui et la nature qui ne fait nulle partde démocra-
paraissait utile. tie, parce quela démocratie estcontraire aux
Cette discordance de formes unes du gou- lois naturelles des sociétés, repoussait de l'Al
vernement prussien avec l'esprit populaire lemagne cette constitution bizarre, si forte
de son culte affaiblit cette société, et empê- contre les faibles, mais si faible contre les
(1) U a même si fort dégénéré depuis les villes capitales des cantons s'étaient arrogés sur
que cet
ouvrage est écrit, que dans la métropole du protes- les campagnes, au moins dans les cantons aristocra-
tantisme il n'est plus permis de parler dans les tiques, on peut dire de la Suisse «e que Montesquieu
temples sur la divinité de Jésus-Christ. Dans plu- dit de la république romaine, « que la liberté était
sieurs contrées de l'Allemagne le protestantisme
n'est plus une religion; il u'a plus ni dogme, ni an centre et la tyrannie aux extrémités. D On ne
le saura jamais assez, il n'y avait pas de peuple
r.ulle; c'est tout au plus une secte philosophique plus libre que le peuple Français, soit de la liberté
où l'on n'enseigne plus qu'une morale qui n'effraye domestique qui consiste à ce que chaque individu
pas trop les passions, et dont on prend ce que puisse exercer tel genre d'industrie honnête qu*il
1 on veut. Du reste il
y a autant de sectes diffé- lui plaît; soit de la liberté politique, qui consiste à
rentes qu'il y a de maîtres qui se mêlent d'en- ce que chaque famille puisse s'élever par ses seules
seigner. Edit» forces, et parvenir à l'état public. Il y avait cepen-
dant en France des individus à qui la loi ou l'opinion
(2) Ce traité reconnut aux Suisses une quasi interdisait toute industrie uniquement lucrative, et
pleine liberté; expression parfaitement vraie, si on des familles qui ne pouvaient revenir à l'état pure-
l'entend de la liberté extérieure de la Suisse, trop ment privé. C'est ce qu'on appelait les nobles et la
faible pour jouir au milieu de grandes puissances noblesse, véritable servitude publique, nécessaire
d'une indépendanceréelle et entière, et soumise à pour assurer la liberté pub!ique, et dont la condi-
toutes les influences politiques; expression plus tion naturelle (de laquelle la vanité avait faa un pri-
vraie encore, si on l'entend de la liberté intérieure vilège) était de servir.
ou politique; car, si l'on observe les priviléges que
49§. OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. #6
forts. Letraité de Westphalie garantissait rope des*
ro
rope Etats, comme celle d'aujour-
petits Etats,
des*petits d'aujour-
Franc» l'intégrité
MnFra la France
contre iln territoire al-
Vini6irri\.& du d'hui
d'I est l'Europe des grandes
arandes puissances,
ouissances.
lemand, et y incorporait même la Belgique, et ces changements dans la force respective
comme enclave du cercle de Bourgogne, dé- des Etats avaient mis nécessairement de la
de
claré être et demeurer membre de l'Empire, et contradiction entre les rapports garantis au
co
il y avait dans les choses une disposition traité
tri de Westphalie, et ceux établis par la
naturelle qui tendait à réunir à la France nature
m même de la société.
une partie du territoire' allemand. Le traité L'Europe se trouvait donc insensiblement
de Westphalie garantissait donc les volontés placée
pl dans un ordre de choses et un système
de l'homme contre les volontés de la nature. d( rapports généraux et particuliers que le
de
C'était assurer un monceau de sable sur les traité de Westphalie n'avait pas prévus,qu'il
tr
bords d'un fleuve. Aussi la constitution ger- n'avait
n' pas pu prévoir, et pour lesquels il
manique n'a jamais été plus observée, même n'avait
n' pas été fait.
L'Europeétait donc réellementdepuis long-
en Allemagne, que le territoire allemand
n'a été respecté par la France, et le traité temps,
te et particulièrement depuis le traité de
tions.
lui-même a souffert de nombreuses déroga-
(1) Les petits princes d'Allemagne avaient en religieux par lesquels la France attirait à elle la
France des biens et des régiments; plusieurs par- partie voisine de l'Allemagne, et ils étaient alors
ties de ta France étaient situées dans des diocèses précieux à maintenir. Aujourd'hui ces liens se rom-
allemands c'étaient autant de liens politiques et pent; la France ne souffre rien sur son territoire
4)7 PART. 11. POLITIQUE. bfj TRAITE DE WESTPHALIE, ETC. 49S
France et cherchait à s'y rejoindre. Les avaient déjà jeté les fondements de cette
la Franee
publicistes feraient valoir ici les droits de su- union en 1756. Ce traité étonna l'Europe,
zeraineté, de mouvances, de possession la parce qu'il fut une déviation formelle de
nature ne connaît que des nécessités, ou l'esprit du traité de Westphalie, et de la
desrapports naturels, et ils étaient évidents. route politique suivie depuis cette époque;
Mais si la France tendait à se fortifier et la France même fit la faute de laisser
jw l'incorporation de la Belgique, la maison l'Autriche en recueillir seule le fruit par le
d'Autriche, obéissant aussi à ce principe de co-partage de la Pologne mais si, dans cet
conservation qui a si puissamment agi dans acte mémorable, les hommes eurent leurs
cette société, tendait à se fortifier aussi en vues personnelles, on peut y apercevoir au-
détachant d'elle ces mêmes provinces, colo- jourd'hui des motifs secrets et naturels, des
nie territoriale qui a perdu l'Espagne et qui motifs dont l'intluence lente, mais irrésisti-
perdra tout possesseur éloigné; elle les of- ble, préparait longtemps à l'avance l'alliance
frait en échange de la Bavière et cherchait à plus étroite qui devait unir un jour à Campo-
étendre ses possessions d'Allemagne et son Formio et ailleurs ces deux puissants Etats.
royaume de Hongrie. Rien ne prouve mieux Kn même temps que la France se rapprocha
combien les gouvernements sont, indépen- de l'Autriche, elle se détacha de ses alliances
damment des hommes, entraînés par une du Nord et de l'Orient, alliances devenues
disposition naturelle des choses, que de voir onéreuses ou impuissantes, et où, trop long-
l'empereur et l'Empire rendre eux-mêmes temps affaiblie par là frivolité de ses mœurs
plus facile la séparation de la Belgique de la et la variation de ses lois, elle avait fondé
monarchie autrichienne, par l'inobservation un appui qu'un grand Etat ne doit chercher
de cet article du traité de Westphalie qui et ne peut trouver que dans une administra-
déclare que le cercle de Bourgogne est et tion sage et forte, alliée naturelle de tout
demeure membre de l'Empire et de voir bon gouvernement, et le seul ami qui ne lui
qu'en même temps que Joseph II s'agran- soit jamais infidèle.
dissait en Pologne, il faisait tout ce qu'il Le système politique ancien était donc,
fallait pour livrer à la France les Pays-Bas, bien ou mal, le système provisoire, relatif
«.est-à-dire qu'il en démolissait les forte- à l'état d'adolescence et d'accroissement du
resses et qu'il en indisposait les peuples; car, corps social. Le traité de Càmpo-Formio a
quoique l'intention de la maison d'Autriche préparé là France et l'Europe à passer à
ne fût pas de céder les Pays-Bas à sa rivale, l'âge viril et à l'état de conservation et de
les Pays-Bas, quand l'Autriche s'en déta- stabilité; de nouveaux rapports se sont dé-
êachait, ne pouvaient naturellement appar- veloppés, et un nouveau système com-
tenir qu'à la France. mence.
Mais ni l'Autriche ni la France n'étaient L'Autriche, par ce traité, a cédé la BeU
d'accord là-dessus avec leurs alliés et ici gique à la France, et semble ne pas s'opposer
surtout se faisaient sentir la faiblesse et la à son agrandissement jusqu'au Rhin. Elle a
contradictiondu système des cabinets. L'An- reçu un dédommagementprécieux et ines-
gleterre et la Hollande ennemies de la péré de ces concessions forcées ou volon-
France, voulaient forcer l'Autriche à garder taires, et elle peut en obtenir d'autres. Se-.
les Pays-Bas, dont, pour leur propre inté- parées désormais par le Rhin, au delà duquel
rêt, elles lui rendaient la possession oné- elles ne feront plus d'établissement, ces
reuse et la défense impossible et la Prusse, deux puissances reviendront à cette bonne
alliée de la France, ne voulait pas que la intelligence qui existe naturellement entre
France les occupât, et même elle empêchait des sociétés dont les intérêts ne sont pas
Joseph II de conclure avec le duc des Deux- opposés', et dont les principes constitutifs
Ponts, héritier éventuel de la Bavière, l'é- sont les mêmes, telles que des voisins unis
change dont nous avons parlé. par la sympathie de leur caractère, et qui
Un intérêt semblable, si ce n'était encore ne sont pas divisés par des discussions de
un intérêt' commun, formait donc, même à propriétés. Cependant l'Autriche est moins
leur insu, un point de contact entre la France fixée, moins au repos que la France, et la
et l'Autriche, et les disposait à s'unir. Elles paix entre elles peut encore être troublée
qui appartienne à l'Allemagne, comme elle ne veut liens, jadis utiles à la France, pourraientaujourd'hui
rif conserver sur le territoire allemand. Tout est n'être pas sans inconvénient,
fiai de ce côté pour l'une et pour l'autre, et ces
pour les intérêts généraux de l'Europe, dont là plus fixes que les circonstancesn'ont per"
Ja France doit retenir, envers et contre tous, mis d'en prendre jusqu'à présent.
la suprême direction. La France, l'Espagne, l'Autriche (2) 1
La maison d'Autriche est actuellement l'Italie, peuvent donc être unies un jour par
dans la crise dangereuse du passage d'un les liens les plus naturels, et par conséquent
système ancien de politique à un système les plus durables qui puissent rapprocher
nouveau. Elle a dévié un moment du sys- des nations parentes qui seront égales en ci-
tème naturel de son Etat, lorsqu'elle a voulu, vilisation, en constitution, en richesses, et
en 1793, à son invasion en France, conqué- où les inégalités mêmes seront compensées
rir pour elle'la Flandre et l'Alsace, peut-êtrepar des avantages équivalents. Elles forme-
la Lorraine. Cette tentative n'a pas été heu- ront entre elles un pacte d'Etat, bien autre*
reuse. Elle s'exposerait peut-être à des dé- ment fort qu'un pacte de famille, dont l'ex-
sastres plus grands, et s'enfoncerait dans un périence a démontré la faiblesse; et, s'il faut
labyrinthe d'où elle ne se tirerait qu'avec encore parler d'équilibre sur le continent,
peine et danger, si d'elle-même elle s'obsti- ces quatre puissances d'un côté, les puis-
nait à soutenir, ou plutôt à reconstruire sances du Nord de l'autre, balanceront leurs
l'édifice ruineux de la constitution germani- forces, et partageront l'Europe et l'univers.
que (1), et si, sans y être contrainte par L'Europe avait été placée, par le traité de-
une force majeure, ou déterminée par des Westphalie. dans un véritable état d'équiTi-^
vues politiques auxquelles il n'est peut-être bre, que de petites parties, passant fréquem-.
pas temps de renoncer, elle s'embarrassait ment d'un côté de la balance à l'autre, en-
dans ce système faible et compliqué, où tout tretenaient, par leur mobilité, dans un mou-
est contre les lois naturelles des sociétés, etvement continuel; l'Europe,,quand l'édifie©
qui lui donne des rivaux si dangereux et commencé à Campo-Formio sera achevé, re-·
des alliés si faibles, pour un titre précaire posera sur deux bases inébranlables, formées
qu'une guerre malheureuse ou une minorité par de grandes masses à peu. près du même
peuvent faire sortir de ses mains car l'Em- poids car,, il est temps de le dire, les petits
pire aujourd'hui n'a plus besoin de la mai- Etats, surtout les Etats populaires, au mU
son d'Autriche pour le défendre contre la lieu de grandes puissances, sont une cause
Turquie, assez vaincue par sa propre fai- éternelle d'agitation et de guerre, parce que,
blesse, ni contre la France, qui n'a plus rien condamnés à. la dépendance par leur fai-
à prétendre sur l'Allemagne; et le nouveau blesse, chaque puissance veut y exercer sa
Il
collége électoral qui va se former, moins domination, ou, ce qui revient au même, y
dépendant que l'ancien de la maison d'Au- faire prévaloir son influence; pareils à ces
triche, peut se livrer à des affections enne- terrains vagues, occasion continuelle de
mies. procès entre des possesseurs voisins. Il n'y
L'Espagne est à la France et à l'Autriche a de repos pour les Etats, comme pour les,
dans les mêmes rapports; même constitu- hommes, que dans la décision,, et la dépen-
tion, intérêts semblables. La France et l'Es- dance des petits Etats est toujours indé-.
pagne ont des motifs particuliers d'union cise,
dans la nécessité de s'opposer à l'Angleterre, Ce balancement de forces, entre le Nord e~
et ces motifs seuls ont mis fin à la guerre le Midi, se raccorde, ce semble, avec le plan
que la France avait déclarée à l'Espagne. de fauteur de la nature, ordonnateur su-
Ces rapports d'amitié peuvent être les mê- prême et législateur des sociétés, qui, lui-
mes entre ces trois puissances et l'Italie, si même, dans tes merveilleuses harmonies du
longtemps le théâtre de leurs querelles et monde social, a placé au Nord le nombre
J'appoint de leurs marchés, si l'on prend, à des hommes et la fabrique du genre humain,
l'égard de cette belle partie de l'Europe, des officina generis humani, et au Midi, l'ascen-
arrangements politiques plus naturels, et par dant des lumières et la force de la civilisa-
(1) Malgré la chute de cette constitution, l'Au- tie qu'elle exerçait, a une très-grande force réelle.
triche n'est toujours qu'une agglomération de peu- Il était dans la nature des choses que la France.
ples sans adhésion de là sa faiblesse. Edjt. gagnât à proportion que la Suède perdait de sa
(2) Les circonstances qui ont amené te paix de puissance factice, et qu'elle devint seule arbitre des.
Westphalie sont très-différentes de celles" où se affaires d'Allemagne; la Russie, au contraire, ne
trouve aujourd'hui l'Europe. La France était plus peut que croitre, alliée impérieuse et peut-être in-
faible que l'Autriche, et aujourd'hui elle est commode à la France, si 1 Angleterre conservait de
plus forte. La Suède n'avait qu'une force d'opinion, l'inQuence sur ses. conseils,
A la Russie, qui parait être substiiuée à là gara»-
SOI PART. ». POLITIQUE. DU TRAITE DE WESTPHALIE, ETC. S02
liommes et dompte les
tion, qui soumet les hommes La France n'aura donc plus à l'avenir l'avenir au-
conquérants eux-mêmes. •I
A <s-* Si la liberté• /
'1*
poli- a t Ai à s'épuiser
cun intérêt <J1Kn *A^ wi nrt et
-v-^t^n^ d'hommes d'argent
A d'nv* i-v A Yfc
4
tique est venue du Nord avec l'unité de pour soutenir, contre leur propre faiblesse,
pouvoir, selon la remarque de Montesquieu, leur plus dangereux ennemi, la confédéra-
!a véritable liberté religieuse est venue du tion germanique et la Porte-Ottomane.Lasé-
Midi avec le christianisme. Au moral comme cularisation de quelques principautés ecclé-
au physique, c'est du Midi que vient la lu- siastiques deviendra sans doute nécessaire,
mière, et l'Europe n'a été plongée dans les et bien loin que l'intérêt de la religion s'op-
ténèbres épaisses qu'elle travaille avec tant pose à la sécularisation des dignités politi-
d'effort à dissiper, que par les erreurs ré- ques possédées par des ecclésiastiques, ce
pandues sur la nature de la société par des même intérêt, le premier de tous les inté-
sophistes du Nord, Wiclef, Jean Huss et rêts sociaux, réclame cette mesure, parce que
Luther. l'autorité religieuse de l'évêque-prince est
Le traité qui fixera le mouvement actuel sans force là où l'autorité politiquedu prince-
de l'Europe sera donc, quelle qu'en soit l'é- é-vêque n'en a aucune, et qu'il n'y a rien de
poque, rédigé dans des motifs plus naturels plus faible que ce pouvoir temporel des ec-
et posé sur des,bases plus solides que le clésiastiques, dont la puissance législative
traité de Westphalie, parce que tout traité est un sujet de contestation dans leurs pro-
fondé sur les mômes bases ne le fixerait pas. pres Etats, et la puissance militaire un sujet
Alors, comme nous l'avons dit, on constitua de dérision dans toute l'Europe. Le minis-
les Etats populaciers, ceux où sont les pas- tère politique doit être distinct du minis-
sions le traité que les événements amène- tère de la religion, comme dans l'homme
ront, et dont celui de Campo-Formio peut l'action est distinguée de la volonté. Il est
être regardé comme le premier article, cons- également contre la nature de la société que
tituera les Etats uns, ceux où est la raison, l'évêque soit chefpolitique comme en Alle-
et où par conséquent se développent les magne, ou que le chef politique soit revêtv
moyens de perfection, sous l'influence toute- de la suprématie religieuse comme en An-
puissante d'un pouvoir indépendant (t). gleterre.
II en résultera, à la longue, et par l'effett C'est précisément à cause de cette confu
des lois naturelles de l'ordre social, le re- sion des deux ministères que l'Eglise d'Al-
tour de l'Europe à l'unité religieuse; car! lemagne a toujours été le côté faible de la
l'étal de la religion tient beaucoup plus à lat société chrétienne, et celui par où l'homme
nature des sociétés qu'aux dispositions desi ennemi a pénétré, parce qu'il a trouvé dans
hommes, et déjà l'observateur attentif re- la vie nécessairement séculière et mondaine
marque, dans quelques Etats dissidents, une3 des princesTévêques, des princes-chanoines,
secrète disposition à s'en rapprocher. Lej des "princesrabbés, un prétexte à ses attaques,
protestantisme, né avec ou dans tes petitss et dans la faiblesse de leur autorité, une rai-
son à ses progrès. Si, dans le temps
de la
Etats, et constitué au traité de Westphalie3
en religion nationale et publique, ne peutt révolte de Luther, les princes ecclésiasti-
impériale, dé-
subsister longtemps dans les grands Etats, ques, forts de la puissance
parce que les grands Etats ne sauraient sub-h. fendirent mieux leurs sujets contre l'in-
sister avec lui. C'est ce qui donne à la reli- vasion de la nouvelle doctrine, une funeste
gion réformée, partout où elle s'est établie,i, expérience a prouvé qu'ils n'avaient pu se
une disposition particulière à morceler less défendre eux-mêmes de l'influence de son
grands Etats en gouvernements fédératifs's esprit nulle part les liens des premiers pas-
si né-
( 2) gouvernements éternels -s'écriait Mon- teurs avec le centre d'unité, ces liens
politi-
tesquieu, è la veille de la dissolution dess cessaires au corps de l'Europe même
Provinces-Unies et de k ligue helvétique, et:t que, ne se sont plus relâchés, ou même n'ont
réellement les plus faibles de tous, parcee été plus ouvertement méconnus qu'en
Alle-^
qu'ils sont les plus divisés, puisque la divi-i- magne. On peut assurer que le philoso-
sion est la loi fondamentale de leur consti- phisme y avait fait, dans quelques Etats ec-
tution. clésiastiques, plus de progrès même qu'en
(1 Les changements qui se font en Allemagne,
) 3, (2) Le duc de Rohan dit, dans ses Mémoires,
derniers, ruineront la que, de son temps on calomniait les religionnaires
et qui ne seront pas les déjoindre de 1 Mat, a
démocratie des villes impériales, et affaibli- i- de vouloir, par leur ordre, se
ront l'arUiocratie des Etats dans les pays élec-
c- l'imitation des Suisses et des Pays-Bas. »
toraux.
France, où la religion était mieux connue, et que l'Europe doit toute
sa civilisation S
et même mieux observée que partout aij- la prédication de-l'Evangile et à l'influence
leurs (et Condorcet s'en plaint), perce que les du christianisme. Le grand Henri voulait
évoques n'y étaient-pas détournés des fonc- rétablir cette république chrétienne,
et l'il-
tions religieuses pardes fonctions politiques. lustre Leibnitz, tout luthérien qu'il était,
C'est peut-être ce qui fait qu'en Languedoc, avoue la nécessité de cette prééminence
où les évêques exerçaient des offices politi- d'honneur du Saint-Siège, prééminence qui
ques, les erreurs se sont de tout temps in- à l'avenir n'aurait plus d'abus, parce que les
troduites avec plus de facilité. vérités sociales sont plus développées, et à
Mais il ne faut rendre au siècle que le pou- laquelle il n'a manqué,
pour être universel-
voir politique usurpé par le clergé dans des lement reconnue,
que d'avoir été exacte-
temps; d'anarchie, comme il le fut par les offi- ment définie.
ciers laïques, et non les fonctions ecclésias- La civilisation et le christianisme, qui
tiques, et les propriétés qui entretiennent sont une même chose, ne peuvent
que ga-
ceux qui les exercent, ce que firent pour- gner à l'expulsion des Turcs hors oe l'Eu-
tant au traité de Westphalie des princes rope, et certes il est temps de repousser aux
chrétiens, successeurs de Charlemagne,qui lieux d'où elle est venue cette horde de bar-
détruisirent son ouvrage, ou plutôt celui de bares, qui souille la plus belle partie de la
la nature même des sociétés en donnant chrétienté, < de la brutalité de ses mœurs et
une existence publique à la démocratie re- de < l'absurdité de ses lois.
ïigieuse et politique, et constituant dans Il faut surtout se garder d'écouter cette
l'une et l'autre société l'Etat populaire à la politique
1 de comptoir, qui verrait la ruines
place de l'Etat un (i). de
( la France et l'asservissement de l'Europe
Ce que nous avons dit des évêques ne peut, dans ( la chute de l'empire ottoman, à cause
sous aucun rapport, s'appliquer au chef de de ( la facilité que l'indolence des Turcsdonne
FEglise, dont le patrjmoine ne doit dépendre saux Français pour faire le
commerce du Le-
d'aucune nation, parce que le Saint-Siége vant, a et de l'accroissement de forces qu'ac-
lui-même appartient à toutes les nations, querrait c la puissance chrétienne qui régne-
eomme le centre à tous les points de la cir- rait r à Constantinople car, outre qu'il n'est
c&nférence. Les Etats du Pape ne pourraient plus p temps d'agiter la question des avanta-
être soumis à l'autorité d'un prince, sans ges g ou des inconvénients de l'établissement
que sa personne et sa dignité ne devinssent des d Turcs en Europe, puisque leur puis-
odieuses ou suspectes à tous les autres, rai- sance s est finie et ne peut plus être sauvée
son pour laquelle la ville de Rome, sujette de d sa propre faiblesse, on peut assurer que
de l'empereur d'Orient, tant que cet empe- de d nouveaux peuples auront,,au moins pen-
renrfut à peu près le seul prince chrétien dant
d longtemps, de nouveaux besoinsqu'une
tl« l'Europe, devint indépendante de tout nouvelle n industrie s'empressera de satisfaire,
princeséculierà l'époque de l'a fondation de et e l'on doit croire que, dans la concurrence
l'Europe politique, et lorsque le grand tout qu'elleq fera naître, l'activité française ne
formé par Charlemagne fut distingué dans restera n pas en arrière. Il y a plus Paris et
ses diverses parties et forma différents Etats Lyon
L pourraient fournir au -Levant un peu
(2). moins de dorures et Carcassonne un peu
n
Les philosophes modernes, échos des no- moins fi de draps, sans que la constitution po-
vateurs du xvt« siècle, ont raisonné comme Iilitique et religieuse de la France
des insensés sur la prééminence temporelle él en fût
ébranlée; et c'est la constitution et non le
ou plutôt politique du chef de l'Eglise, re- commerce
c< qui est le premier intérêt de la
gardé autrefois comme le modérateur su- société. s( D'ailleurs l'expulsion des Turcs hors
prême de la république chrétienne. Ils n'ont de di la Grèce profiterait à plus d'une puis-
pas vu que, quelques Papes ont abusé de sance,
si s* et la France pourrait y gagner l'E-
teur pouvoir, tous les Etats en ont profité, gypte, dût-elle l'échanger contre le Canada
g:
(1> J.-J. Rousseau était pensionné par l'Angle- tirait de l'étranger les principes de la philosophie
terre, et l'habile Voltaire, qui s'entendait an com- ,qu'il mettait en œuvre et débitait ensuite dans
nerce. et même au commerce de réputations, toute l'Europe.
515 PART. II. POLITIQUE. DU TRAITE DE WESTPHÂL1E, ETC. 3*4
(1) Des prédicants anglais sont venus en 1816 (2) L'anglomanie a beaucoup diminué en France
dans le midi de la France, en qualité de 'commis- bien que les deux gouvernements soient politi-
saires, pour y vérifier l'état politique [et privé de quement alliés depuis la guerre de Crimée, la na-
quelques sujets français, et recevoir leurs plaintes tion française est loin d'eprouver encore l'engoue-
tu plutôt leurs calomnies, qui ont retenti après ment dont parle l'auteur pour les institutions et
dans les journaux anglais. On les a laissé faire, les mœurs britanniques. Une antipathie assez
tt ce scandale a été assez public dans ces pro-
\inccs. (Einr. de 1829.) nations.Emr..
prononcée s'est même déclarée entre les deux
Les ennemis de la France ont voulu la leurs progrès.
détruire par la révolution, et la France de- Une société fondée sur cette triple base
viendra plus puissante par la révolution, si n'est plus la chose de l'individu, mais la
la révolution établit l'unité dans sa consti- chose du public Non res privata, sed res
tution, l'uniformité dans son administration, publica; et alors, comme dit J.-J. Rousseau
l'union entre toutes ses parties, triple unité, au Contrat social, « la monarchie elle-même
ciment indestructible des sociétés, moyen le est république. »
plus puissant de leur développement et de
RÉFLEXIONS
SUR L'INÎÉliÈT GÉNÉRAL DE L'EUROPE.
C'est pour la seconae fois que les Etatss tituer le corps germanique, c'est-à-dire le
généraux de l'Europe sont assemblés, et queî diviser pour opposer la ligue protestante à la
cette grande famille réunit ses nobles en- maison d'Autriche. Aujourd'hui il est ques-
fants dans le dessein et l'espoir d'une paci- tion aussi de constituer l'empire germani-
fication générale. que, mais de le composer de membres plus
Le drame s'est compliqué, la scène s'estt puissants et plus indépendants, qu'on veut
agrandie; mais le sujet est à peu près les sans doute opposer à l'ambition présumée
même. Seulement quelques acteurs ont étéS de la France. La Russie occupe au congrès
remplaces par de nouveaux personnages, ett i,de Vienne la place que la Suède avait usur-
quelques autres ont changé de rôle. pée à Munster, et offrira une garantie plus
La paix de Westphalie avait été précédée3 puissante et plus sûre. L'Angleterre, qui ne
par un siècle et demi de guerres sanglantes. parut pas au traité de Munster, remplace la
rarement interrompues, et dont la dernière Pologne qui ne figure encore à Vienne
avait duré trente ans; et le congrès de Vien- que. pour mémoire. Les maisons d'Espa-
ne, à dater de la paix de Westphalie, a été5 gne et de Sicile, alors Autriche, aujourd'hui
précédé aussi par plus de cinquante ans da3 Bourbon, d'ennemies de la France qu'elles
haines cachées, ou de divisions ouvertes, étaient alors, sont devenues ses alliées. La
terminées par une guerre de vingt ans, oui Suisse et la Hollande, reconnues en 1648
plutôt de vingt siècles, si l'on considère lai comme républiques indépendantes |(2),
multitude et la gravité des événements quii seront peut-être élevées à la dignité de mo-
l'ont remplie, et l'étendue des maux qu'ellee narchies constitutionnelles. A Munster la
politique solda ses comptes avec les biens
a produits.
du cleigé catholique. A Vienne on disposera
La guerre que termina ou qu'interrompitt
le traité de Westphalie, avait été une guerreg en faveur de princes séculiers des électo-
de religion allumée par la réformation. Laî rats et principautés ecclésiastiques; et,
guerre qui vient de finir a été une guerre3 comme on peut le voir en comparant les
d'irréligion, excitée par des doctrines pré- deux époques, il y a plus de variétés dans
tendues philosophiques, qui ne sont elles- la forme que de changements dans le fond.
mêmes qu'une dégénération de la réforme, Quoi qu'il en soit, l'Europe a les yeux
et la dernière Conséquence de ses dogmes. ouverts sur le congrès de Vienne elle en
A Munster (1), la France voulait cons- attend des résultats dignes de la sagesse des
et y met en quelque sorte le dernier eu que trop d'influence sur nos desti-
sceau, nées. i 11 a été aisé d'apercevoir
des intrigues
est l'universalité i
de sa langue, devenue la étrangères,
langue des cabinets et des ( même dès les premiers jours de
cours, et par nos i désordres. L'inconcevable tyrannie
conséquent la langue de la politique sorle 1laquelle, à la fin, l'Europe
sous
de domination la plus douce à la fois entière a été cour-
et là 1bée, a trouvé des fauteurs et des appuis
plus forte qu'un peuple puisse
exercer sur ailleurs
a qu'en France et elle peut, sans
d'autres peuples, puisqu'en imposant
langue, un peuple impose, quelque sa crainte,
c dire aux autres gouvernements
en sorte, « Que celui d'entre vous qui est sans péché
son caractère, son esprit et ses pensées,
n jette la première pierre.
me
dont la langue est la fidèle expression. »
Ce serait, dans le moment présent,
La France a donc toujours exercé
sorte ggrande erreur, et pour l'avenir, une
une
de magistrature dans la chrétienté
tou- danger, un grand
jours elle fut destinée à instruire l'Europe,
d si la politique, chargée de prônon-
ccer sur les grands intérêts de l'Europe,
tantôt par l'exemple de ses vertus, tantôt laissait h se
conduire par des souvenirs, plutôt
par la leçon de ses malheurs; et, s'il est que des prévoyances.
permis de chercher de grands motifs à de q Cette par
politique est, depuis longtemps,
grands événements, toutes les nations étaient en
possession
p d'égarer l'Europe. Les yeux tour-
coupables, toutes les nations ont été punies
nés le
n vers passé, elle ne songe pas assez à
et la France, la plus coupable de toutes,·, l'avenir; r,
parce qu'elle avait plus reçu, a trouvé un des
et, en voulant se prémunir contre
châtiment épouvantable dans la te,rrible.ven-
d! périls imaginaires, elle s'expose, sans
défense, à des dangers réels.
di
geance dont elle a été l'instrument. Parce que la maison d'Autriche avait réuni
Mais le plus éclatant hommage rendu à
ui moment sous sa domination les plus
un
l'importance sociale de la France et à sa né. belles b< parties de l'ancien et du nouveau
cessité politique, ce sont ces événements monde, m la France, qui jamais n'a dû la crain-
prodigieux dont nous avons été les témoins, di dre, a toujours vu l'Autriche prête à l'englou-
Aucune autre société, j'ose le dire, til et leur division sous Charles-Quint
ne pou- tir et
vait exciter le même intérêt ni demander Fi François I" a perdu l'Europe, en favorisant
les mêmes efforts. Il a fallu
que les peuples les le progrès du luthéranisme. Richelieu ré-
a
de YAquilon et de l'Aurore réunissent leurs duit di les nobles à n'être que des courtisans
forces pour rendre à la France
son pouvoir et des salariés, parce qu'il redoutait encore
légitime, ce pouvoir sur elle-même qu'elle l'c l'ombre des grands vassaux, depuis long-
perdu, lorsqu'ils
avait perdu, lorsqu'ils ne croyaient, lors- temps te anéantis et jusque dans -r »1
derniers
ces dern
f"\U.
OEUVRES COMPL. DE M.
DE BoNALD. IL 1n
Il
treprises maritimes et commerciales n'ont
temps ta -France n'a fait des conquêtes
de bornes qae celles du monde, sont tou-
si rapides que parce que de grandes puis-
jours dans un état hostile avec tous les peu-
sances du nord, qui n'ont pu oublierqu'elles ples. Cette disposition agressive, qu'on re-
avaient été longtemps ennemies, ont cru
qu'elles ne devaient pas cesser d'être rivales. marque chez des peuples qui ne sont pas
plus belliqueux que d'autres, vient en géné-
Sans doute, la France a montré une force
ral, de ce que la force d'expansion qui agit
prodigieuse et causé à l'Europe des maux
dans la société, comme dans tous les êtres,
infinis; mais cette force était la force de la
fièvre et une véritable frénésie. La révolu- pour l'amener à son développement naturel
n'est pas épuisée.
tion, comme un moteur surnaturel, appli- L'Espagnol, sur le continent, est fort, et
quée à une nation puissante, en a fait tout n'est pas agresseur, parce que sou accrois-
à coup, à force de terreur, un instrument
aveugle et muet, qui n'avait d'action que sement est fini, et qu'il n'a rien à craindre
de ses voisins, ni rien à leur demander ( 1 ).
pour détruire, et de mouvement que pour La France, double de l'Espagne en popu-
courir à sa perte. Cette incroyable combi-
lation, plus heureusement située, pour in-
naison d'événements, inouïs jusqu'à nos fluersurles affaires générales de l'Europe,
.jours, ne peut plus se reproduire. Ce serait
dont elle occupe le centre et la plus belle
se créer des fantômes pour les combattre
partie, la France est, à l'égard de ses voi-
que de se précautionner, aux dépens de la sins, dans une disposition plus hostile que
-France, contre une pareille chance et ce ne
l'Espagne, bien moins cependant que d'au-
sont plus les armées de la révolution fran-
.çaise que les autres Etats ont à redouter tres puissances, parce que sa force d'expan-
mais plutôt les principes de 'licence et d'in- sion agit sur un seul point, et qu'elle est
subordination qu'elle a déposés en Europe, finie sur tous les autres.
Cette force d'expansion a agi en France
•et qui y ont peut-être plus de partisans que
dans la France elle-même. pendant une longue suite de siècles et pres-
Il ne faut donc pas se reprocher mutuelle- que avec la même intensité, sous des rois
ment des fautes ou des erreurs, mais se faibles et sous des rois forts, aux jours les
prémunir ensemble contre le danger le seul plus malheureux, comme dans les temps
à craindre pour des peuples parvenus à un les plus prospères. Elle s'est arrêtée aux
haut degré de civilisation et de connais- Pyrénées, aux Alpes, aux deux mers, limi-
sances, contre le danger des fausses doc- tes anciennes de la Gaule, et limites natu-
trines qui minent à petit bruit les lois, les relies de la France, son héritière.
sortir On peut même remarquer qu'au<;un Etat,
mœurs, les institutions. L'Europe, au
de cette crise violente, ne peut périr que de en Europe, n'a été plus fort et plus heureux
consomption; -et le jour que le dogme athéei que la France, pour réunir à son territoire
de la souveraineté du peuple aura remplacé, des provinces contiguës, et qui entraient
•dans la politique,le dogme sacré de la sou- dans le plan de son accroissement naturel
veraineté de Dieu le jour que l'Europe qu'aucun n'a été plus faible et plus malheu-
reux pour conserver des possessions
loin-
aura cessé d'être chrétienne et monar-
ohique., elle ne sera plus, et le sceptre du taines et, sans parler de nos dernières inva-
monde passera en d'autres mains. sions en Egypte, en Allemagne, en Pologne,
coûté
Mais ce n'est pas seulementdans des con- en Russie, on sait tout ce qu'il en a
sidérations morales qu'il faut chercher la à la France, sous les Valois, non pour retenir,
raison de la prépondérance morale de lat mais pour perdre ses conquêtes en Italie.
France on doit surtout avoir égard aux cir- Cet accroissement insensible et progres-
constances extérieures dans lesquelles elle sif de la France s'est opéré bien moins par
est placée. la force des armes, que par des donations,
Un peuple est fort de ce qu'il est, plus des successions, des acquisitions, dés échati.-
encore que de ce qu'il a il est inquiet ett ges, des droits matrimoniaux, ou en vertu
faible de ce qui lui manque et c'est ce quii des lois féodales, alors universellement en
fait que les peuples insulaires, dont les en- vigueur; et elle a presque toujours trouvé,
{ 1 ) Des liaisons de famille autant que des venait à les perdre. D'ailleurs ces deux peuple!.
ont un intérêt commun Ips derniers événe-
alliances étrangères contrebalancent en Espagne la ments l'ont prouvé, et n'en ont fait pour ainsi dire
tendance à se réunir an Portugal, qui se défend1 qu'un peuple.
avec ses colonies, et rentrerait dans l'Espagne s'il
52> PART. Il. POLITIQUE. SUR L1NTERE1 GEN. DE L'EUROPE. 523
dans les dispositions des lois civiles, lee effort pour se porter sur le Rhin,
Rhin; et il y a
motif de son agrandissement politique.
politiaue. dans l'avenir mille chances pour
nour qu'elle
mi'elle yv
Depuis que l'accroissementde la France e parvienne; aujourd'hui surtout que les élec-
est fini sur tous les points, hors un seul,I, torats ecclésiastiques en deçà du Rhin,
elle a cherché à s'étendre vers ce point, ett maintenant sécularisés, ne seront plus défen-
bur la frontière du Rhin, dernière limite des dus par des considérations religieuses, tou-
s
Gaules, berceau de la monarchie française, jours puissantes sur le gouvernement fran-
t
mouvance ancienne de sa couronne ett Çais.
même autrefois partie de son territoire. Au commencement du dernier siècle,
Toutes les guerres que la France a fattess Leibnitz, un des plus profonds publicistes
ou soutenues depuis un siècle (1), toutess qui aient paru, avait très-bien jugé cette
celles qu'elle fera à l'avenir, n'ont pas eui tendance de la France, et en avait pronosti-
et n'auront pas un autre principe principeî qué l'issue.
secret qui agit malgré les hommes et les C'est précisément ce seul et dernier inté-
gouvernements; et lorsque Louis XIV posa rêt de la France qui a empêché qu'elle ne
lui-même des bornes à l'agrandissement dei fût aussi utile qu'elle aurait pu J'étre au
la France vers le nord, en la ceignant de3
repos de la chrétienté, parce que dans les
ce côté, d'un triple rang de places fortes, il1 affaires générales de l'Europe, elle n'était
ne fit que lui préparer de nouvelles facilités
pas tout à fait désintéressée, quoiqu'elle le
et un point d'appui pour s'élancer au delà. fût beaucoup plus que d'autres puissances
On prend les hommes dans la société, qui ont autant d'ennemis que de voisins, et
pour des agents tandis qu'ils n'y sont que peuvent s'étendre à la fois sur toutes leurs
des instruments; et l'on ne voit pas cette frontières.
force conservatrice, dont les lois sont la na- On dira peut-être que si la France a fran-
ture, qui, en laissant à l'homme la liberté chi l'Escaut et la Meuse, elle peut aussi faci-
de ses actions, se réserve la conduite des lement franchir la limite du Rhin. Sans
événements. doute la France peut passer le Rhin, si
Ce principe d'expansion et de développe- l'intérêt de l'Europe le demande; mais jamais
ment, qu'on ne veut pas reconnaître, agit elle ne fera au delà d'établissement. L'opi-
cependant avec plus ou moins de force et nion, ou plutôt la raison publique si puissan-
de succès dans toutes les sociétés. C'est cette te en France hors les temps de révolution,
tendance aux limites naturelles qui a donné repousserait comme un accroissementmons-
la Norwége à la Suède, et l'Ecosse à l'Angle- trueux et contre nature tout agrandissement
terre, qui a réuni en un royaume toutes les qui donnerait à la France pour ennemis
Espagnes, et qui lui assure, malgré les tous ses voisins,.et n'offrirait à une ambition
droits de la France, la Haute-Navarre. Le insensée d'autres bornes que les sables de la
même principe a réuni la Finlande à la Pologne,ou les glaces de la Russie. Jusqu'au
Russie; mais il a eu une cause accidentelle. Rhin la France est dans ses eaux; au delà
Le jour que Pierre le Grand plaça sa nou- c'est un autre ciel, une autre terre, d'autres
velle capitale à l'extrême frontière de ses hommes, d'autres mœurs, une autre langue.
Etats, il donna à la Suède un juste motif Tout est français en deçà du Rhin, et le
d'alarme, et même de guerre, parce qu'un devient tous les jours davantage: tout est
.Etat tend nécessairement à éloigner l'ennemi allemand au delà C'est la Gaule et la Ger-
du siége de son administration, et à placer manie et peut-être dans aucune autre partie
sa capitale au centre de ses provinces et de la terre habitable; on ne voit des !imites
pour cette raison, la Suède devait détruire naturelles, mers, fleuves ou montagnes,
Saint-Pétersbourg (qui effectivement a couru séparer des peuples qui soient plus diffé-
des dangers dans la dernière guerre des rents entre eux, que les Français le sont
Suédois et des Russes), ou la Russie s'empa- des Italiens, des Espagnols, des Allemands
rer de la Finlande, et porter sa frontière ou des Anglais.
jusqu'au golfé de Bothnie. Et qu'on prenne garde que la Belgique, et
Ainsi la France fera par ta seule force du la plus grande partie des provinces cisrhéna-
principe intérieur qui l'agite, un continuel
nes, au moins depuis leur sécularisation*
_r
ln 11 f.s de"laXFranc«leS
les(intérê^s <
guerres de la révolution faites pour les intérêts de la révolution, et non pour
les intérêts de la France.
527 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. U23
proprementah aucune famille
n'appartiennent proprement mise à deux doigts de ja perte, pour s'être
régnante. L'Autriche ne veut pas des Belges obstinée à les retenir l'Autriche a inutile-
le cercle de Bourgogne, nommé au traité de ment prodigué, pour les défendre, ses tré*
Westphalie, n'a jamais été reconnu par sors et ses armées et à la fin, mieux con-
l'Empire germanique; et si le ycbu des peu- seillée, elle a voulu, même avant la révolu-
ples était écouté, la Belgique appartiendrait tion, les échanger contre des provinces con-
à la France. tiguës à son territoire, et depuis elle a avec
Certes, ce n'est pas de la part des Belges empressement accepté comme indemnité les
une haine aveugle de leurs voisins les Hol- Etats vénitiens. Il pourrait arriver que la
landais, ni une affection irréfléchie pour la Belgique, garantie à la Hollande par l'An-
France c'est le sentiment bien naturel des gleterre, perdit un jour l'Angleterre et la
Hollande, qui doivent rester ce que la na-
maux qu'ils ont seufferts, depuis plus de
trois siècles que leur fertile pays est, tous ture et l'art les ont faites, l'une maîtresse
vingt ans, le théâtre de toutes les guerres de la mer et maison de commerce du monde;
l'autre, entrepôt de ses colonies et maison
qui s'élèvent sur le continent ( 1 ) c'est la
crainte bien légitime des maux auxquels ils de commission de l'Europe.
seront encore exposés, tant que la politique II serait aisé, je crois, de prouver, l'his-
s'obstinera à contrarier le vœu de la nature toire à la main, que tous les malheurs de
crainte d'autant mieux fondée, maux d'au- l'Europe, depuis quatre siècles, peut-être
tant plus imminents, qu'il y a toujours eu toutes ses révolutions politiques, sont ve-
moins de chances de guerre entre la France nus de près ou de loin, de cette succession
et l'Autriche, maîtresse des Pays-Bas,qu'en- litigieuse de la maison de Bourgogne, vé-
tre la France et l'Angleterre,engagée désor- ritable pomme de discorde entre la France
mais à conserver à la Hollande ces belles et l'Autriche, ces deux aînées de la chré-
provinces (2). tienté, qui avaient tant d'intérêt à rester à
Que fera-t-on eh retardant le moment de jamais unies et cause constante de cette
cette réunion naturelle, que prolonger l'in- rivalité qui, tantôt à force ouverte, tantôt
quiétude de la France et celle de l'Europe, par de sourdes intrigues, a entretenu en Eu-
et condamner ces belles contrées déjà en- rope une division intestine, et y a allumé
graissées de tant de sang, à servir encore un feu que rien n'a pu éteindre. Les pre-
d'arène aux jeux cruels de la guerre ? mières guerres de religion des Pays-Bas ont
Que sera, je le demande ce royaume eu une grande influence sur les destinées de
de la Belgique placé à la porte de la l'Europe et leurs derniers troubles sous
France et sous le canon de ses forteres- Joseph II n'ont pas été étrangers à notre ré-
ses, qu'une union forcée, un mariage mal volution, et semblent en avoir donné le si-
assorti entre deux peuples que divisent les gnal.
souvenirs, les habitudes, la religion, les in- Sans doute si toutes les puissances, trop
térêts ? la Belgique en sera plus malheu- heureuses d'avoir échappé à la honte et au
reuse, la Hollande n'en sera ni plus riche malheur d'une tyrannie sans exemple; con-
ni plus forte et l'Angleterre, obligée de la venaient d'en revenir au statu quo ante bel-
défendre contre la France, l'Angleterre, déjà lum, et de se -remettre dans l'état où la ré-
occupée de son royaume de Hanovre, et de- volution les a trouvées, la France n'aurait
venue, malgré la nature, puissance de terre rien à demander; quoique même dans ce
ferme, n'a-t-elle pas à redouter pour sa cas elle eût à souffrir pour longtemps, pour
constitution ces connexiorts continentales toujours peut-être, de la perte de ses plus
si suspectes aux vieux et francs Anglais, et belles colonies. Mais, si l'Angleterre, l'Au-
qui l'exposent à des revers qu'elle est moins triche, la Russie, déjà si fortes, si la Prusse
que toute autre puissance en état de sup- même, s'agrandissent, l'une par la posses-
porter ? sion des points du globe les plus précieux
Les provinces des Pays-Bas ont toujours pour son immense commerce du Levant et
fait le malheur de leurs possesseurs, parce des Indes orientales les autres sur leurs
que la politique a toujours contrarié la mar- voisins, ou même un jour aux dépens des
chenalurelle des événements.L'Espagne s'est Turcs, qui leur offrent à la fois une proie
(i) On a remarqué que dans les trois cents der- sur les provinces belgiques.
p.irres années il y a eu à peine quarante-cinq ans (2) Voy. une lettre d'un Russe dans le Moni-
de naix, et une grande partie de. ces guerres a pesé leur du 20 décembre.
329 PART. Il. POLITIQUE. SUR L'INTERET GEN. DE L'EUROPE. 5ôO
si riche et une si facile conquête mais si
tes les passions.
et
teur, un arbitre à tous les intérêts et ààtou-
tou-
VEspagne, alliée naturelle de la France,
déjà épuisée par son héroïque résistance, La France serait au repos comme une
voit ses riches possessions de l'Amérique arme défendue, et toute l'Europe y serait
niéridionale échapper à sa domination mais avec elle et par elle et ce ressort qu'on
si le royaume des Deux-Siciles, autre allié voudrait en vain comprimer, aurait perdu,
de la France, reste divisé, par quelle injus- en s'éteridant, son élasticité.
tice, ou par quelle imprudence les partisans C'est alors que la France pourrait donner
de l'équilibre politique entre le Nord et le l'exemple unique au monde d'une société
Midi, jetteraient-ils tout le poids dans la ba- qui, parvenue à ses derniers développe-
lance du Nord, et refuseraient-ils à la France ments, n'ayant rien à craindre, rien à dési-
seule un accroissement de territoire que la rer, rien à acquérir et rien à perdre, en paix
nature lui donne, et que, pour l'intérêt de avec tous ses voisins, tranquille sur toutes
l'Europe, la politique devrait lui donner? ses frontières, peut agir sur elle-méme, et
Et qu'on veuille bien remarquer que pour employer ses talents naturels et ses con-
quelques Etats, un accroissement de terri- naissances acquises à perfectionner ses lois,
toire n'est souvent qu'un moyen d'agran- ses mœurs, son administration, sa constitu-
dissement nouveau ainsi la Moldavie et la tion, à tout réparer et à tout maintenir dans
Valaehie pour la Russie la Servie ou la l'ordre; à fermer les plaies faites à la reli-
Bulgarie pour l'Autriche, ne font qu'ouvrir gion, à la justice, à la morale, à la propriété,
à ces deux puissances le chemin de la Grèce ces bases fondamentales de l'ordre social
et de la Turquie d'Europe; ainsi Malte, et qu'on daigne nous en croire, c'est un pa-
l'Ile Je France, le cap de Bonne-Espérance, reil modèle qu'il faut à l'Europe pour apai-
Héligoland, ont pour l'Angleterre. une im- ser ce lion irrité d'un long combat, et prêt
portanee bien supérieure à leur valeur ter- à ta recommencer, et la France peut-être
ritoriale, et lui assurent a volonté le corn- peut seule conserver cette Europe que seule
merce exclusif de la Baltique, du Levant et elle a pu bouleverser.
des Indes. Pour la France, au contraire, jes La France alors pourrait désarmer, ré-
provinces belgiques ne sont qu'un complé- duire ses impôt et ses troupes soldées à ce
ment; elle ne fait par cette acquisition, qui < est nécessaire pour la sûreté de ses
qu'atteindre sa dernière limite, limite à son ifrontières et sa tranquillité intérieure, et
ambition comme à son territoire. Tout ce 1faire cesser ainsi cette guerre intestine et
qu'elle envahirait au delà serait colonie, et fiscale
1 entre l'Etat et la famille qui trouble
de ces colonies continentales, qui ont tou- ttous les Etats européens, et qui ôte à la fa-,
jours fini par ruiner leur métropole et en mille i le nécessaire, sans pouvoir même suf-
s'étendant ainsi hors de ces justes et natu-3re aux besoins des gouvernements.
relies proportions la France perdrait le Dans cette situation où jamais nation no
premier de tous ses avantages, la force s'est s trouvée, tout bien intérieur est possi-
qu'elle tirede la composition, une, compacte ble 1 il appartient, ce semble, à la France
et pour ainsi dire, tout d'une pièce de son qui ( a ouvert à tous les peuples la route de
territoire, la
I civilisation, d'être la première à en at-
Non ce n'est pas à la, France qu'il im- tteindre le terme et, en réduisant la perfec-
porte d'aller jusqu'au Rhin. Les habitants ttion possible d'une société à ses justes bor-
de l'ancienne France n'en seront ni plus ni ines et à la mesure de la faiblesse humaine.
j
moins heureux son gouvernement n'en j'ose avancer, comme un axiome de haute
sera ni plus ni moins stable et fort. C'est politique
j et de véritable philosophie, qu'il'
pour l'Europe que cette mesure politique n'y r a qu'une société finie. qui puisse devenir
est nécessaire, parce qu'alors, et seulement vune société parfaite.
alors, la France sera utile à tous les Etats, Je le répète on ne connaît pas assez
et ne sera dangereuse pour aucun. cquel moyen d'ordre et de paix serait pour
La France alors serait une société fixée, ll'Europe une puissance telle
que la France
une société finie, et la première société in- aîBsolument et personnellement désintéres-
dépendante et monarchique qui se soit trou- ssée dans toutes les querelles du continent,
vée dans cet état, où une nation désormais e3t à qui, par sa position même, la crainte
sans intérêt, et par conséquent sans pas- sserait interdite et l'ambition impossible.
sions,. peut offrir un protecteur, un média- IL'Europe un jour le sentira, 1^ regrettera
ŒUVRES COMPLETES DEM. DE BONALD. 53â
jlm
S51
lorsque,faisant
peut-être, wcrnie. lé dénombrement
faisant le
de ses enfants, et s'étonnant de se trouver
et au'enfin c'est précisément pour prévenir
e qu'enfin
l'excessif
i< accroissement de ces Etats sans li-
"si peuplée, elle redemandera en vain h h mites
E
déterminées, et qui peuvent à la fois
religion ces institutions et ces mœurs qui s'étendre
s sur tous les points, qu'il est né-
imposaient d'autres engagements, et inspi- cessaire
c que dans la grande confédération
raient d'autres goûts que ceux du mariage, chrétienne,
c où tout bien doit avoir sa raison
mal son remède, une puissance telle
et à la politique ces grandes propriétés, vé- e tout
et
ritables greniers d'abondance, qui nourris- cque la
France parvienne à son complément.
saient la classe indigente, et en prévenaient et
f que
placée pour tout surveiller et assez
l'accroissement. forte pour tout empêcher, elle soit la limite
On pourrait plutôt craindre pour les for- naturelle
i des Etats qui n'en ont point, et une
habituel de paix et borne à l'ambition de ceux qui n'en ont point
ces de la France cet état
1
eût-il que la France
d'inertie, si l'on ne savait aujourd'hui par à leur territoire. N'y
l'exemple de l'Espagne pour laquelle on re- assez i
favorisée de la nature pour trouver à
insurmontables à son ac-
doutait !e même danger après la paix des la fois des bornes indéfini et dans la modération
Pyrénées, qu'un Etat bien constitué gagne croissement
force de résistance ce qu'il perd en force de ses rois, et dans le caractère national plus
en de conquêtes, et
d'agression; qu'on peut par de bonnes vain de gloire qu'avide il fau-
institutions et une administration vigilante, dans la disposition de son territoire,
économe, former un esprit public drait se hâter de la fixer et de la finir, afin
et surtout dans cet état elle fût la seule désinté-
qui est la meilleure défense des Etats et que milieu de tant d'intérêts opposés,
qu'après tout, si les troupes soldées sont ressée au
les peuples sont forts la seule tranquille au milieu de toutes les
fortes pour attaquer,
défendre, parce qu'un peuple se agitations; la seule enfin sans passion au mi-
pour se peuples qui seront longtemps agités
défend avec des sentiments, et qu'une ar- lieu de
les passions. La France, parvenue
mée n'attaque qu'avec de l'obéissance et de de toutes
discipline. à son dernier terme, peut en quelque sorte
la
les Etats, un régulateur, et
On croit faire une objection contre le être, pour tous de grandeur
système des limites naturelles, en disant comme une mesure commune assiette iné-
si l'on prend bornes à l'agrandis- et de force. Elle seule, par son
que pour
d'un Etat des limites prétendues branlable, peut désormais préserver l'Eu-
sement ébranlement général, et, au-
naturelles, il n'y a plus de bornes à l'ambi- rope de tout
aisé de ré- jourd'hui que la puissance ottomane n'est
tion des conquêtes; mais est il
la chrétienté et dispa-
chercher des limites plus à craindre pour
pondre qu'il faut na-
bientôt de l'Europe, il peut
turelles, là seulement où la nature en a posé j raîtra sans doute
qu'elles sont distinctement être sage de porter-ses regards d'un autre
de semblables; t
et de prévoir les résultats éloignés et pos-
marquées pour quelques parties du conti- côté,
européen, particulièrement pour lat sibles de ces événements prodigieux, qui ont
nent et
péninsule d'Espagne et pour la France attiré, au centre de l'Europe et au milieu de
nations
défaut de limites naturelles dans de3 toutes les délices de nos sociétés, ces
que ce hyperboréennes que la nature semble tenir
grandes parties du continent asiatique y an
cette facilité d'inva- en réserve dans leurs immenses déserts, et
toujours entretenu
n'attendent qu'un signal pour lever leurs
sions et de révolutions qui l'ont cons- qui marcher partout où il y a des peu-
tamment désolé; que si quelques Etatss 'tentes et des sociétés à renouveler.
européens n'en ont point de telles dans less ples à punir et
dispositions des lieux, ils en trouventt 11 faut bien le dire ce sont de petites ja-
de commerce qui s'opposent au der-
d'autres dans les dispositions des esprits, lousies de la France sur des pro-
religion, de nier accroissement
dans des différences de mœurs,
maritimes. Mais ici il faut sortir de
d'origine dans des haines nationales vinces
leur grandeur, et, chez cette politique de comptoir et s'élever à de
même dans propre 2
peuples chrétiens, dans sentiment dee plus hautes considérations..
les un peuple bien moins adonné au com-
christianisme inspire Un est
modération que le auxx position insulaire ou maritime
les plus ambitieux; qu'a- merce par sa
souverains même l que par ses institutions politiques ou reli-
près tout, si quelques
cet avantage, ce n'est pas une
Etats sont
raison
privés
pour e
de
le gieuses. la
Rome, fin, avait plus de côtes
Carthage n'en avaient
et de ports aue Tyr ou
méconnaître ou le contester là où il existe,
eu, et Rome ne fut jamais commerçante, ports, n'a pas été commerçante. Ce n'est pas.
parce qu'avec des formes républicaines, elle en resserraut la France dans des limites plus.
retint longtemps l'esprit monarchique qui étroites ( ).
que l'Angleterre bornera le
l'avait fondée. L'Espagne et le Portugal sont commerce français, mais en maintenant en
tout en côtes; Ja France en possède sur les France les institutions qui donnent aux es-.
deux mers, et cependant aucun de ces peu- prits et aux habitudes une direction oppo?
ples n'a proprement l'esprit du commerce sée, et j'ose avancer que si les institutions
parce que, d'un côté, l'esprit de la monar- populaires et presbytériennes venaient à ga-
chie inspire plutôt le goût des professions gner les grands Etats d'Europe, les guerres
publiques que des professions privées, et tant reprochées à la religion, et dont le prin-
que, de l'autre, les maximes de la religion cipe avait au moins quelque chose de noble
catholique sur le mépris et le danger des ri- et d'élevé, n'auraient pas été plus cruelles
chesses, et les exemples de pauvreté volon- et plus opiniâtres que ne le seraient à l'ave-
taire que donnent les institutions particu- nir des guerres viles et honteuses pour du
lières à cette religion, ont à la longue une sucre, du café, du coton et du poisson
influence plus étendue qu'on ne pense sui salé.
les esprits et sur la conduite, et retiennent Et que l'Angleterre veuille bien considé-
les peuples catholiques dans des habitudes rer ce qu'elle a gagné, même sous le rapport
de modération et de désintéressement peu du commerce, à la conversion momentanée
compatibles avec l'esprit du commerce. de la France en république. Je ne parle pas
L'indolence tant repro bée aux Espagnols du commerce extérieur, dont le dernier gou-
et aux Portugais, si ardents cependant et si vernement ne voulait pas, et qu'il détrui-
actifs pour les grands intérêts de la société, sait en France pour le ruiner partout; mais
et reprochée par des peuples qui n'ont d'ac- les fabriques d'objets autrefois presque ex-
tivité que pour des intérêts personnels, cette clusivement travaillés et perfectionnés en
indolence n'avait pas un autre principe, Pt, Angleterre, ont pris en France des accrois-
considérée sous ce point de vue, elle était le sements dont les Anglais eux-mêmes sont.
plus beau trait du caractère national et le étonnés. Les produits de nos manufactures,
principe des plus héroïques sacrifices. En peuvent, sur beaucoup de points, rivaliser,
France même, on ne se livrait au commerce avec ceux des manufactures,anglaises; et
que pour le quitter, et l'on n'attendait pas tout annonce que si les Français, jetées hors
toujours d'avoir fait une fortune suffisante de leurs habitudes et de leur. esprit national
pour passer, par l'acquisition d'une charge, par l'altération des institutions monarchi-
au service de l'Etat et dans des professions ques et religieuses, appliquaient jamais aux,
où les mœurs, malgré les lois, interdisaient entreprises commerciales cette fécondité
tout métier lucratif et toute occupationmer- d'invention, cette promptitude de résolu-
cantile. tion, cette hardiesse d'exécution qui les dis-
Les républiques d'Italie, du moyen âge, tinguent entre tous les peuples favorisés
ne s'étendaient que sur les côtes qui bor- comme ils le sont par l'abondance des pro-
daient leur territoire la Suisse et Genève ductions territoriales et industrielles la
n'en ont pas; les côtes de la Hollande sont France ne passât-elle pas la Loire, il n'est
peu accessibles aux gros vaisseaux, et ce- peut-être aucune nation commerçante qui
pendant tous ces Etats étaient ou sont encore pût soutenir leur concurrence.
exclusivement occupés de commerce et d'af- Sur mer, l'Angleterre peut défier, toute
faires d'argent. La Flandre même était plus l'Europe. Elle n'a rien à redouter. de la
commerçante que l'Angleterre avant ses der- France, qui pourrait même lui offrir- des
niers troubles parce qu'elle était de compensations pour un accroissement, de
fait plus républicaine, et Robertson re- territoire. Elle ne doit redouter qu'elle-
marque avec raison que, jusqu'au xv° siè- même, « et cette constitution turbulente, »
cle, et tant qu'elle a été, malgré sa constitu- dit Hume, toujours flottante entre la préro-
«
tion, gouvernéed'une manière toute mônar- gative et le privilége. » Le malheur d'un
chique, l'Angleterre, avec ses côtes et ses Etat commerçant es^d'être condamnéeà faire
(i) Qui pourrait dire ce qu'aurait épargné à la fortune, et instruments, de révolution, des chances-
France de troubles et de malheurs la possession du indéterminées «minje leurs désirs, et les espaces,
Canada, qui aurait offert à ces esprits inquiets, à ces vagues comme leurs espérances?
caractères turbulents, à tous ces hommes avides de
la guerre. Le commerce, que la philosophie apaise la violence de nos humeurs il charme
a proclamé comme le lien universel des jusqu'aux douleurs dont il ne peut encore
peuples, est par sa nature un état nécessaire tarir la source. Cette puissance miraculeuse,
d'hostilité, puisqu'il est, même entre deux de guérir les malades en les touchant, que
marchands établis dans la même ville, un la religieuse vénération de nos pères pour la
état habituel de concurrence.Quand la guerre royauté attribuait aux rois de France une
est heureuse, toutes les constitutions sont fois en leur vie, notre roi l'exerce tous les
bonnes mais il n'y a que les monarchies jours sur les maux les plus invétérés et les
qui puissent résister à de grands revers sans malades les plus rebelles. Sa force est sans
en être ébranlées et c'est trop peut-être effort, sa prudence est sans mystère, et l'au-
pour l'Angleterre et sa constitution de s'ex- torité de son caractère précède le pouvoir de
poser à la fois, sur terre et sur mer, à tant là loi. L'ordre renaît ou s'affermit avant
de chances de guerre. Sans doute. l'Angle- qu'on en aperçoive les moyens ou les appuis.
terre compterait, au besoin, pour défendre Ainsi se calme la tempête, et l'on n'entend
la Belgique, sur les forces de ses alliés plus que quelques bruits lointains qui vien-
mais qui sait sur quelles alliances la France nent expirer sur le rivage.
aussi pourrait compter? Qui oserait dire Quel que soit, au reste, le sort qui est ré-
quelle sera, seulement dans vingt ans, la servé à la France, dans la pacificationgénérale
politique de l'Europe, et les nouveaux in- de l'Europe; qu'elle reçoive comme d'au-
térêts, les nouvelles amitiés les nouvelles tres Etats un accroissement de territoire,
haines qu'auront produites, dans ce court ou qu'elle l'attende du temps ou des évé-
espace de temps, des événements qu'il ne nements, il est une autre puissance dont
serait peut-être pas impossible de prévoir? une haute politique demande plus impérieu-
Que l'Europe reconnaisse enfin, et sans en sement que jamais l'affermissement; je veux
être alarmée, le destin de la France, tou- parler de la puissance du Saint-Siège. C'est
jours sauvée des derniers malheurs, tantôt de là qu'est venue la lumière; c'est delà
par l'héroïsme d'une jeune fille, tantôt par encore que viendront l'ordre et la paix des
le concert, plus étonnant peut-être, de tous esprits et des cœurs. Que tous les gouverne-
les souverains. Qu'elle admire surtout ce ments travaillent de concert à replacer
bienfait signalé de la Providence, « qui ne sur ses bases antiques cette colonne qui
permet pas, » comme- dit Bossuet, « que les porte les destins de l'Europe, à resserrer ce
Etats soient battus d'une éternelle tempête, » lien mystérieux de la société chrétienne qui
et qui a toujours donné à la France l'homme unit entre eux tous ses enfants, et même
qu'il lui fallait pour en empêcher la ruine, ceux qui, en reconnaissant pour père com-
en affermir la puissance ou en réparer les mun le divin Fondateur du christianisme,
malheurs. Jamais ce bienfait ne fut plus né- sont nés de mères différentes. Les paiens
cessaire que dans ce moment, et jamais aussi avaient fait du territoire du temple de Del-
il ne fut plus sensible. Un roi de cette race phes, un lieu d'asile et de paix; que les
antique et vénérée qui remonte au berceau peuples chrétiens respectent à jamais dans
de la monarchie, trouve une nation malheu- leurs querelles cette terre sacrée, d'où sont
reuse aussi, et, si on peut le dire, exilée sorties de si hautes leçons, de si héroïques
d'elle-même; il monte sur un trône entouré expéditions pour la civilisation des peuples,
de précipices, et que rien en apparence ne et où sont venues se consoler de si gran-
défend, contre les désordres du passé, les des infortunes. Que les étendards chrétiens
embarras du présent, les dangers de l'ave- s'inclinent, que les armes passent baissées
nir il, monte, et son imperturbable sécu- devant ce dôme majestueux, sanctuaire de
rité nous révèle le secret de sa force. A la vérité, boulevard de l'ordre social, qui a
peine y est-il assis, qu'il imprime à ses dé- résisté à tant d'attaques et triomphé de tant
marches le caractère de ses vertus et le sceau d'ennemis, et que la religion chrétienne ait
de sa sagesse. Quel roi eut jamais plus de au moins un droit d'asile dans la chrétienté.
désastres à réparer, plus de plaies àcicatri. La politique se fortifie de tout ce qu'elle
ser, plus de haines à éteindre, plus d'inté- accorde à la religion; elle s'appauvrit de
rêts à concilier? De deux peuples opposés il tout ce qu'elle lui refuse. c'est sur ce grand
faut faire une société, et cependant tout se et noble principe que Charlemagne avait
répare, se calme, s'unit il condescend à la constitué la chrétienté et malheur à la so-
faiblesse orgueilleuse de nos esprits; il ciété, si, jamais égarés par des opinions
fausses et étroites, ou de perfides intentions, la religion, son chef et ses ministres, qui,
les gouvernements oubliaient que, chez les plus que jamais, ont besoin de dignité et de
nations indépendanteset propriétaires, il n'y considération, doivent être indépendants des
a de dignité que dans l'indépendance, ni erreurs des gouvernements, des besoins des
d'indépendance qu'aveu la propriété; et que administrations et des passions des hommes.
Il est permis sans doute à un écrivain poli- d'une nation qui vivait depuis quatorze cents
tique de rappeler, en 1806, ce qu'il publiait ans sur ses propres lois, de siècle en siècle
sur la France et sui'I'Angleterreenl796 ( 1 ) plus forte de puissance territoriale, et plus
c'est-à-dire à l'époque des plus grands désor- avancée dans tous les arts de l'intelligence.
dres de la France, et de l'état le plus florissant U est peut-être des hommes que l'expé-
de l'Angleterre. rience n'a pas détrompés de cette prédilec-
Loin de sa pensée le désir de faire une vaine tion peu réfléchie pour les lois anglaises, et
montre de prévoyance; plus loin encorele des- qui s'obstinent à accuser des dangers, où
sein coupable d'exciter des haines ou de flatter l'Angleterre se précipite, l'ambition inquiète
des passions li ne veut qu'établir des vérités de son gouvernement, ou les passions de ses
utiles, même à nos ennemis; des vérités peu ministres; ils ne voient pas que le grand, le
connues, et dont la France et l'Angleterre seul danger peut-être qui menace ce pays,
offrent la plus vaste application. est sa constitution même cette constitution
L'art de l'administration,qui se compose da qui fait, en Angleterre, comme autrefois à
détails, a fait quelques progrès dans un siècle Rome et à Carthage, de l'esprit d'agression et
exclusivement occupé de détails et d'objets d'envahissement, une nécessité pour le gou-
physiques. Mais la politique qui est une vernement, et la passion dominante du peu-
science de vues générales et de lois morales, ple parce que l'inquiétude et l'ambition
a resté en arrière des autres connaissances. lorsqu'elles tiennent au caractère général
En théorie, détournée de sa véritable route par d'une nation, sont le résultat inévitable d'une
quelques doctrines sophistiques,elle s'est éga- situation politique fausse et contre nature,
rée dans des systèmes populaires; et dans la comme l'humeur constamment chagrine et
pratique, elle a été confondue avec l'admi- querelleuse est, dans un individu, l'indice
nistration qui n'est qu'une application locale certain d'un vice de tempérament. * Chose
de la politique, ou avec la diplomatie qui en singulière, » s'écrie Montesquieu, pms heu-
est le moyen et l'instrument. Et de là tant de reux à observer qu'à expliquer, « chose
fausses mesures en politique dans des pays singulière! plus ces Etats (populaires) ont
d'ailleurs sagement administrés, et par des de sûreté, plus ils sont sujets à se corrom-
hommes d'Etat d'une grande réputation. pre II faut qu'ils aient toujours quelque chose
La-première et la plus funeste erreur poli- à redouter. » C'est-à-dire, à haïr et à com-
tique où soit tombée la France, livrée un mo- battre.
ment à toutes les erreurs, a été l'anglomanie, Et voilà toute l'histoire des causes de
mise à la mode par Voltaire et d'autres écri- l'éternelle rivalitéde la France et de l'Angle-
vains de l'école duxviu" siècle. terre la France était à la tête du système
Cette fureur d'imitation qui a passé des monarchique de l'Europe; l'Angleterre, avec
livres dans les mœurs, et des mœurs dans les sa constitutionmixte, étaitàlatête du système
Vois, a fait croire à quelques esprits appelés, populaire. Cesont comme les deux pôles
par le malheur des temps, à régénérer la opposés du monde politique; les deux prin-
France, qu'une constitution anglaise, ou plu- cipes antagonistes, et toujours en guerre, du
tôt à l'anglaise, était le plus pressant besoin monde moral.
L'opposition entre ces deux Etats, néces- l'état monarchique comme la loi générale et
saire, inévitable dans son principe, était con- naturelle des sociétés, c'est-à-dire, comme
tinuelle dans ses effets, parce qu'elle était à l'état seul où elles peuvent se fixer, et auquel
peuprès égale dans ses moyens, et que de toutes reviennent, quand elles s'en sont écar-
ces deux peuples, l'un, le plus puissant des tées, ou tendent à arriver, tant qu'ellesn'y sont
peuples du continent, l'autre, des peuples in- pas parvenues. Ce principe,dont l'application
sulaires, la nature a confié le plus faible à la n'est et ne doit être sensible que dans les
garde de l'Océan, et l'a mis sous la protec- sociétés indépendantes, et qui trouvent en
tion des tempêtes. elles-mêmes la raison de leur existence, ce
Et comme il n'est plus permis aujourd'hui principe est à peu près convenu aujourd'hui.
à des hommes éclairés de séparer la religion L'auteur de cet article l'a le premier établi
de la politique, après ce qu'ils ont vu de leur dans la Théorie du pouvoir, et l'a rappelé
intime et constante correspondance, dans les depuis dans d'autres ouvrages.
révolutions dont l'Angleterre et la France ont C'est dès leur naissance, et pendant tout le
été le théâtre, il faut remarquer qu'en même cours de leur vie politique, que la France et
temps que ces deux nations occupaient le l'Angleterre ont marché dans des voies oppo-
premier rang, l'une dans l'Europe monarchi- sées, et suivi des systèmes différents dé
que, l'autre dans l'Europe populaire ou répu- société.
blicaine, elles s'étaient partagé le domaine des Elles commencèrent, il est vrai, l'une et
principes religieux, et étaient aussi, la France l'autre, par la polyarchie ou la multiplicité
à ia iôte du système catholique, et sa rivale,à des rois. Il y en eut, à la fois, quatre ou même
la tête du système presbytérien: nouvelle et plus en France, et un plus grand nombre en
puissante cause d'opposition réciproque, et Angleterre; et ce temps est, dans ses annales,
t)n peut
moyen actif de se nuire l'une à l'autre, em- celui qu'on nomme l'heptarchie.
ployé quelquefois par la France, et plus cons- remarquer en passant, que les nations scythi-
tamment par l'Angleterre. ques ou teutoniques, célèbres par leurs expé-
L'effet de cette anglomanie dont j'ai parlé, ditions et aïeules des nations modernes,
a donc été de tromper la France sur les vrais obéirent chacune à un chef
unique, tant que
principes des choses, et sur sa propre et na- ces nations n'eurent d'autre territoire que le
turelle tendance. Dans ce partage du monde camp qui les renfermait; parce que destinées
politique, elle régnait, comme Jupiter, aux à combattre, et sorties de leurs déserts pour
régions supérieures,et dans le monde de l'or- conquérir des établissements, elles ne pou-
dre elle voulut dominerauxlieuxinférieurs,et vaient faire la guerre avec succès que sous
peuples une
sur le chaos, et follement jalouse, elle envia à les ordres d'un général. Mais ces
sa rivale la première place dans le système fois fixés sur les territoires qu'ils
avaient en-
populaire, et prodigua, pour la lui ravir, tous vahis, la royauté les partagea, et par des
les moyens de conquête que la nation la plus, idées prises de l'ordre de succession domes-
forte et la plus éclairée pouvait offrir aux tique, naturelles à des peuples enfants ( 1 )
profusionsinsensées d'une administrationen et aussi, parce que la difficulté des communi-
délire. De là tous nos crimes et tous nos mal- cations et la rareté des habitations isolaient,
heurs. Mais s'il était vrai qu'on pût accuser les uns des autres, les territoires et leurs ha-
l'Angleterre elle-même d'avoir pris sur les bitants car il y avait plus loin, dans ces prê-
nouveaux conseils de la France, une aussi miers temps, d'une extrémité de la Grande-
déplorable influence, il faudrait plaindre ses Bretagne à l'autre, ou de l'Aquitaine à
hommes d'Etat de n'avoir pas prévu qu'on l'Austrasie, qu'il n'y a aujourd'hui de Londres
n'inspire pas à un peuple de grandes passions à Vienne, ou de Paris àBerlin. LaProvidence,
sans exposer ses voisins à de grands dangers; conservatrice des sociétés, multipliait les rois
et les rappeler à l'avis du vicomte de Boling- chez ces peuples naissants, pour leur faire
broke dans ses Lettres politiques, qui regarde connaître et chérir le bienfait de cette puis-
comme insensé et chimérique, le projet de sance tutélaire, par la même raison que le
changer, en France, la forme du gouverne- pouvoirsuprême chez un peuple nombreux
ment. et civilisé, multiplie ses gouverneurs et ses
Dans ce que je viens de dire, j'ai considéré officiers pour faire respecter son autorité.
(1) Aussi dans les petits Etats d'Allemagne, le sorte plus domestique et il est appelé le père du
prince .plus rapproché de ses sujets, en est aussi pays, Landesvater.
désigné par une expression familière, et en quelque
Peu à peu les peuples se multiplièrent, et la Créci à chercher l'hospitalité dans dés lieux
contiguïté des habitations rapprochant pour écartés; «ouvrez, c'estlafortunedelà France.»
ainsi dire les territoires, il n'y eut plus qu'un Motsublime dans un roi malheureux, et plus
roi unique en Angleterre comme en France vrai que le mot célèbre de César Tu portes
mais son autorité fut,dès les premiers temps, César, et sa fortune.
généralement plus absolue en France, et plus Aussi la royauté avait toujours été en
arbitraire en Angleterre, où elle ressemblait France, un objet de vénération et d'amour,
assez souvent au despotisme, toujours voisin même dans ses extrêmes abaissements. Enn
de la démocratie, souvent son prédécesseur, Angleterre, elle a toujoursété un objet de sus-
et tôt ou tard son héritier. picion et d'inquiétude, même sous les meil-
Au vice politique de ces royautés multi- leurs princes; et longtemps avant que Mably
pliées, succéda, en France, comme en An- et J.-J. Rousseau eussent avancé cette insi-
gleterre, un autre ordre de choses, ou plutôt gne sottise que le roi est l'ennemi le plus dan-
un autre désordre; et il prit, en France et en gereux de la liberté du peuple les Anglais en
Angleterre, un caractère différent. avaient paru persuadés, et avaient fait de cette
En France, de grands et de petits vassaux maxime sacrilége la règle de leur conduite
usurpèrent le territoire de l'Etat. En Angle- politique. Et cependant, tel est le désordre où
terre, de fiers barons limitèrent la juridiction tombe nécessairement tout peuple qui n'a pas,
du roi. dans sa constitution, de principe fixe et régu-
En France, pendant plusieurs siècles, le roi lateur de ses idées, que les Anglais, en même
ne fut possesseur immédiat que de domaines temps qu'ils déployaient la résistance la plus
peu étendus. En Angleterre, le roi n'exerça active aux volontés de leur souverain, consa-
jamais qu'une autorité contestée et la craient,
comme un dogme, l'obéissance pas-
royauté consiste dans l'indépendance de la sive à ses ordres
juridiction, bien plus « doctrine fausse et inverse
que dans l'étendue du des vrais rapports des sujets avec le pouvoir,
territoire. En France, l'autorité royale était auquel ils doivent, dans
un Etat bien consti-
respectée là même où elle n'était pas toujours tué, une obéissance active., quand il
gouverne
obéie, et d'orgueilleux vassaux venaient hu- suivant la loi, et une résistance passive
milier sur les marches du trône une puissance quand il veut les contraindre à
ce que la loi
redoutableau trône même, bien moins dociles défend.
»
aux lois de la religion qui prescrit l'obéis- Quelle qu'ait été, dans l'origine, la cause
sance envers le pouvoir, que retenus par les de cette différence dans l'esprit public des
liens de la féodalité qui engageait la foi et deux nations; qu'elle vienne de leur première
hommage au suzerain. En Angleterre, des éducation,
ou de la position continentale de
barons séditieux sans souveraineté et sans l'une et insulaire de l'autre; qu'elle dérive
pouvoir, forts de leur nombre et de chartes du caractère et des habitudes des premières
arrachées à la faiblesse du monarque, osaient peuplades qui en ont occupé le territoire il
lui dicter des lois jusque dans son palais. est certain qu'il
y a toujours eu, en France,
Aussi, si la couronne en Angleterre eut quel- un principe dominant d'unité de pouvoir et
quefois plus de puissance, elle euttoujours en en Angleterre, des germes très-développésdu
France plus de majesté et plus d'une fois système populaire et démocratique; et la lan-
les rois d'Angleterre eux-mêmes, feudatai- gue même, fidèle dépositaire des pensées et
res de France pour quelques provinces qu'ils des sentiments des peuples, appelle, en An-
y possédaient, s'abaissèrent devant son chef gleterre, du terme comparatif de prérogative
même au milieu de leurs triomphes.Car, telle royale, ce que nous désignons en France, par
était dans ces temps que nous taxons de l'expression absolue d'autorité du roi.
barbarie, la différence des idées sociales de D'ailleurs, la royauté, dès son établissement
cette antique féodalité, à celles de la philo- en France, y avait reçu son complémentnéces-
sophie moderne, qu'alors les rois s'hono- saire dans la loi noble, naturelle, et la plus natu-
raient de rendre hommage à.la royautémême relle de toutes les lois, la masculinité du pou-
dans les fers; et que de nos jours; nous avons voir principeunique delà stabilité et des pro-
entendu des sophistes insulter aux rois, même grès de la France; au lieu que l'Angleterre s'étaitt
sur le trône. Et les rois eux-mêmes avaient soumise de bonne heure à la loi bourgeoise et
le sentiment le plus noble et le plus juste de contrenature, de la succession féminine cause
leur dignité. « Ouvrez, » disait notre Philippe prochaine ou éloignée de tant de successions
de Valois réduit après la fatale journée de disputées,, de minorités orageuses,' de régen-
ces tyranniques, de sanguinaires protectorats, Ce fut surtout dans les troubles du xa" siè-
de troubles enfin qui ont agité l'Angleterre, cle que les vices de la constitutionanglaise pa-
et par elle le continent. rurent à découvert. A cette époque mémora-
Cependant à mesure que la France avançait ble de grandes découvertes dans le monde
en âge, la royauté s'y fortifiait. Présente en physique, et de grandes erreurs dans le monde
Bourgogne et en Champagne qui avaient.leurs moral, les principes démocratiquesfirent ir-
princes particuliers, comme dans ses propres ruption en France, et prirent de nouvelles
domaines présente comme la Divinité là forces en Angleterre, d'autant plus redouta-
même où elle n'était pas, elle attirait à elle bles qu'ils s'appuyaient, enFrance comme en
les territoires des grands fiefs, par le lien dé-
Angleterre, sur des principes que l'on croyait
lié, mais puissant de la suzeraineté. En Angle-
religieux. Si les causes des troubles furent les
terre, au contraire, la royauté perdait tous mêmes chez les deux nations, lesmoyensfurent
les jours de son indépendance, et par les
différents, et les résultats opposés. En Angle-
usurpations du peuple sur le roi, et quel-
quefois par les entreprisesdu roi sur le pou-
terre, la révolution religieuse se fit par le roi
malgré le peuple, et elle fut bientôt suivie de
voirpopulaire le principedémocratique s'éten-
la révolution politique que le peuple fit con-
dait, se fortifiait, à mesure que la succession au
tre le roi. Le terrible Henri VIII, l'opprobre
trône était plus incertaine et plus disputée; et de l'Angleterre elle scandale des temps chré-
comme il arrive toujours dans ces sortes d'E- tiens, avait, à l'aide du parlement, asservi ce
tats, chaque compétiteur alla couronne traitait peuple libre, ce peuple même souverain sous
du pouvoir avec les sujets, e.t pour jouir des
le plus violent et le plus insensé despotisme-
titres et des honneurs, il cédait au peuple la
qui fut jamais. Ce prince, aussi emporté dans:'
réalité, qu'il travaillait toute sa vie, et souvent
son goût pour la controverse que dans sa
en vain, à lui reprendre. passion pour les femmes, voulut que le peu-
Mais si le pouvoir du roi s'était constitué en
ple changeât de "eligion, pour pouvoir lui-
France par l'abaissementde pouvoirs rivaux, même changer d'épouse; et il fut obéi, parce
le pouvoir du peuple s'était, en Angleterre,
depuis longtemps constitué dans le parle- que le peuple anglais, fort contre les rois fai*
bles, plus faible contre les rois forts, n'avait
ment, véritable roi, et la tête du corps dont jamais su, grâce à sa constitution indécise,
l'autre roi ne devait être que le bras. « En
ni résister avec mesure, ni obéir avec dignité,
France, » dit Bolingbroke, « les seigneurs per-
dirent, et il n'yeutque le roi qui gagna. EnAn- pas plus en religion qu'en politique tantôt
tyran de ses rois, tantôt leur esclave, dans un
gleterre, le peuplegagnaaussibienqueleprince
temps, vassal de Saint-Pierre; dans un autre
( 1 ) » et la richesse des
communes s'étant révolté contre le Saint-Siège. « Il n'y avait
augmentéepar l'acquisition des biens d'Eglise point eu d'exemple en Angleterre, » dit le
que vendit Henri VIII, la puissance du peu- plus célèbre de nos annalistes, le président
ple s'accrut en même temps par ce chaude- Hénaut, « d'un despustisme si outré, ni d'un
ment en une nouvelle constitution dont ia abandon si lâche des parlements tant sur le
forme lui fut favorable. » Constitution vantée spirituel que sur le temporel, aux bizarreries
pai des sophistes, parce qu'elle n'est elle- d'un prince qui, à force d'autorité,nesavait-plus
même qu'un sophisme politique qui déguise
que faire de sa volonté, et parcourait tous les
une grande erreur sous des dehors spécieux; contraires; mais on lui passait tout en faveur
car cette constitution a, comme les corps cé- de sa haine pour le Saint-Siège. »
lestes, deux mouvements opposés: une mar- Henri VIII ne légua pas à tous les succes-
che apparente vers la liberté, une marche
seurs de son nom, la vigueur de son esprit et
vraie vers le désordre; constitution inutile, et la violence de son caractère; mais l'impulsion
quelquefois ridicule dans les tempstranquilles, était donnée; et le peuple anglais obéit, après
où l'Etat va à l'aide de la seule administration lui, à des enfants, à des femmes, avec la mê.
funeste dans les temps orageux, où un Etat
me docilité. « Il avait quitté l'ancienne reli-
ne peut se sauver que par la force de sa cons- gion sous Henri VIII dit l'auteur de cet ar-
titution parce que la constitution anglaise, ticle dans la Théorie dupouvoir, « il s'en éloi-
arène toujours ouverte à la lutte éternelle de
gna davantage sous Edouard VI, y revint sous
l'anarchie populaire et du despotisme royal, Marie, l'abandonna de nouveau sous Elisa-
ne fait alors avec ses formes et ses bills, que beth avec une faiblesse si déplorableet si peu
légaliser l'oppression du peuple par le roi. d'attachement même à la nouvelle doctrine
qu'on lui faisait embrasser, qu'il y a de l'appa- seur. Les doctrines populaires, répandues
rence, dit Burnet, historien delà Réforme, que par des sophistes accrédités, avaient égaré les
si le règne d'Elisabeth eût été court, et qu'un esprits déchaîné l'ambition au fond des
prince de la communion romaine eût pu cœurs rendu la dépendance importune et
parvenir à la couronne, on aurait vu les An- l'autorité même faible et incertaine. Alors la
glais changer encore avec autant de facilité démocratie a fait explosion, et nous avons eu
qu'ils l'avaient fait sous le règne de Marie. » d'abord une monarchie à l'anglaiseavec toute
II n'y a, j'ose le dire, qu'un peuple souve- sa nullité et bientôt après une république à
rain qui puisse descendreà un si vil esclavage l'ancienne avec toutes ses extravagances. Ce-
c'est un roi chassé du trône, et à qui il ne pendant cette république n'a jamais paru plus
reste d'autre asile que les fers. impossible en France que lorsqu'elle y a
Et il faut remarquer ici que l'oppression existé ni moins affermie que lorsqu'elle a
que l'autorité exerce en publiant ou en com- renversé tous les obstacles. Le véritable es-
mandantl'erreur, est bien plus funeste et plus prit public qu'avait formé depuis longtemps,
honteuse pour des êtres intelligents que en France, une constitution de société, toute
l'oppression de l'impôt ou même des lettres naturelle, a triomphé de l'esprit populaire,
de cachet, qui ne s'exerce que sur les corps; et l'ouvrage a passé avec les ouvriers. On se
et les mêmes principes qui refusent à un peu- défend aujourd'hui des idées démocratiques
ple le droit de défendre son argent, seraient comme d'un crime ou d'un ridicule. La divi-
peut-être insuffisants à prouver qu'il n'a pas nité s'est éclipsée d'adorateurs zélés, à peine
le droit ou le devoir de défendre sa raison un petit nombre ose lui rendre en secret de
et ses vertus. timides hommages. Le temple est fermé; les
Après Elisabeth, la démocratie violem- sacrificateurs ont disparu, et l'on n'aperçoit
ment comprimée par les Tudors, réagit con- plus que les victimes. Les démocrates ont
tre les Stuarts. Il y eut alors des anglicans triomphé; mais la démocratie a péri et si les
qui voulaient une monarchie populaire, com- royalistes ont succombé, l'unité de pouvoir a
me elle l'avait toujours été des puritains qui reparu.,
voulaient un peuple souverain; des indépen- Il n'en fut pas tout à fait ainsi en Angle-
dants, des fanatiques de toute espèce, qui ne terre. L'esprit démocratique qui avait fait le
voulaient rien de tout; et du choc de tous ces malheur des premiers Stuarts, contrarié plu-
partis résultèrent les folies les plus ridicules, tôt que combattu par les derniers, appela à
les crimes les plus atroces, et toute cette san- son secours un prince étranger mais il lui
glante tragédie où l'on vit figurer Henri VIII fit payer cher ses services « Guillaume, dit
et Cromwell, et qui, féconde en catastrophes, Goldsmith, ne fut pas plus tôt monté sur le
attend peut-être un dénoûment. trône, qu'il éprouva combien il est difficile
En Angleterre, comme nous l'avons ob- de gouverner un peuple disposé à examiner
servé, la révolution religieuse du xv' siècle se .les droits de ses souverains, bien plus qu'à
fit par le roi, malgré le peuple en JFrance, à leur obéir. » Et ce prince, mécontent toute sa
la même époque, assez au goût du peuple, vie de ses partisans républicains, plus même
elle fut empêchée par le roi, indeirœ; et la que de ses ennemis royalistes, dégoûté du
.utte commença entre les factions populaires peuple anglais et de sa constitution, ne fut
ou presbytériennes, et l'autorité royale. Mais jamais comme on l'a dit, roi qu'en Hollande,
si les principes démocratiques étaient dans et que stathouder en Angleterre
quelques écrits et dans quelques têtes, nulle Après lui, le parti populaire a gagné ou per-
part ils n'étaient dans les cours; et ils ne trou- du du terrain, selon le caractère des rois ou
vaient pas à quoi se prendre dans la constitu- de leurs ministres. En France, la force de la
tion. C'était un combat entre frères de mères royauté a toujours été dans les lois qui la
différentes, à qui obtiendrait les faveurs du constituent. Mais en Angleterre elle dépend
père commun Ces deux partis voulaient un de la vigueur et de l'habileté du prince qui
roi; les uns calviniste, les autres catholique exerce l'autorité ou de ceuxquil'exercenten
et ils s'accordèrent tous à recevoir le succes- son nom et voilà pourquoi la mort d'un
seur légitime, qui, né dans un parti, passa dans seul homme peut y devenir une calamité pu-
l'autre, et les contint tous deux. L'édifice qu'il blique aussi l'on peut
remarquer que le
avait relevé, achevé sous le règne de son fils, chef éternel d'accusation qui, Angleterre,
fut affermi par Louis XIV, ébranlé sous Louis a conduit à l'échafaud, en exil, en
ou en prison,
XV, et renve«sé sons son infortuné succes- tant d'hommes d'Etat distingués, est le
repro-
che d'avoir cherché à étendre la prérogative choquant d'une populace féroce et grossière
royale; accusation au reste souvent fondée, et d'une noblesse polie et éclairée de géné-
parce que la première pensée de tout homme rosité dans les cœurs et de rudesse dans les
sage le premier sentiment de tout homme' manières; de popularité quelquefois ignoble,
fort, est l'indépendancede cette autoritétuté- et de dignité souvent hautaine de senti-
laire. ments élevés et d'habitudes crapuleuses. »
Le combat des deux principes,je veux dire, C'est-à-dire que tout, chez le peuple anglais,
ia lutte de la démocratie et de la royauté, et mœurs, manières, caractère, lois, langage,
l'éternelle réaction de l'une contre l'autre, littérature, est mêlé de fort et de faible, de na-
sont donc le fonds de la constitution anglaise, turel etde faux, d'ordre etde désordre, comme
ou plutôt sont toute la constitution elle-même toute sa constitution, et à cause de sa consti-
car cette lutte qui existe de fait partout où il y tution parce que la constitution d'une na-
a des hommes et des passions, n'est aujour- tion est son âme, sa volonté, sa pensée, et
d'hui légale et constitutionnelle qu'en Angle- la raison de tout ce qu'il y a de public et de
terre où les deux partis sont constamment national dans les mœurs comme dans les lois,
en présence, et toujours représentéspar leurs dans les pensées comme dans les actions.
chefs, le parlementet le roi. Avant que d'aller plus loin et pour tempérer
Et qu'on y prenne garde, cette constitution un peu la sécheresse des discussions politi-
sans unité, qui fait l'a faiblesse intérieure et ques, j'arrêterai un moment le lecteur sur un
domestique de l'Angleterre, nuit en même problème littéraire qui tient de très-près à la
temps à sa force extérieure et politique. politique, et dont la solutibn se trouve dans
Comme dans ces sortes d'Etats, les passions la constitution différente des monarchies et
».
populaires prennent souvent la place des in- des Etats populaires.
térêts publics, des alliés ne peuvent pas comp- On remarque généralement dans les histoi-
ter avec une entière assurance sur une nation res grecques et romaines, plus d'intérêt que
qui n'est pas maîtresse d'elle-même et des dans les histoires modernes, et même dans
ennemis, à quelque extrémité qu'ils soient ré- l'histoire d'Angleterre plus que dans l'histoire
duits, peuvent toujours attendre un change- de France. On en a conclu la supériorité des
ment inespéré dans ses dispositions. C'est ce historiens anciens sur les modernes, et des
qui sauva la France dans la guerre pour la suc- écrivains anglais sur les nôtres. On dirait, à
cession d'Espagne. Des Etats populaires ne entendre les partisans de ce système, que le
peuvent jamais former entre eux une alliance génie de l'histoire ait été le partage exclusif
intime et durable ce sont des enfants qui se des Grecs, des Romains, ou même des An-
divisent ou se raccommodent suivantle caprice glais. On voudrait nous persuader que l'his-
du moment. Mais pour la même raison les toire manque à notre littérature, abest histo-
monarchies ne peuvent sans danger faire cause ria litteris nostris ( 1 ), et que la nation
commune avec des Etats populaires. Il ne française, la plus riche en chefs-d'œuvredans
peut y avoir d'union solide qu'entre des Etats toutes les autres productions de l'esprit, a
tous monarchiques et c'est ce que les puis- resté beaucoup au-dessous d'elle-même dans
sances du continent ont trop souvent perdu un genre qui ne demande ni discussions pro-
Hf vue. fondes à la raison, ni fleurs à l'imagination,
La constitution religieuse d'Angleterre, toute ni invention au génie, et pour lequel il suffit
semblable à sa constitution politique, est for- d'une distribution de faits claire et judicieuse,
mée aussi de principes opposés et le rite an- d'une narration rapide, et d'un choix d'orne-
glican se compose des formes extérieures du ments simples et sévères. Les admirateurs des
culte catholique et de dogmes presbytériens. historiensanciens ou étrangers, ne s'aperçoi-
C'est cette lutte entre des principes opposés, çoivent pas qu'ils font honneur au talent de
soit en religion, soit en politique, qui produit l'écrivain, d'un intérêt historique qui est tout
et qui explique, a dit l'auteur de cet article entier dans son sujet.
dans la Théoriedu pouvoir, « ce mélange bi- En effet, les historiens de l'antiquité racon-
zarre d'imitations d'une nature noble et sou- 1tent les événements de sociétés orageuses,
vent sublime, et d'une nature sauvage et quel- 1turbulentes, livrées à tous les désordres de la
quefois horrible, triviale et quelquefois ab- démocratie
< et du paganisme, et au combat in-
jecte; qu'on remarque chez les Anglais dans térieur
1 de toutes lés passions car les anciens,
leurs poëtes les plus célèbres; ce contraste selon
s Montesquieu, n'eurent jamais d'idée de
U) Ciceiu( De legibus.
5W PART. Il. POLITIQUE. SUR LA FRANCE ET SUR L'ANGLETERRE. 5;i0
la monarchie réglée par des des lois
lois et les mo- et les empêche de parvenir à leur fin. « Si le
demes historiens des Etats chrétiens et mo- législateur, « dit très-bien J.-J. Rousseau,»
se
narchiques font l'histoire des peuples soumis trompant dans son objet, établit un principe
à l'ordre naturel des sociétés. Or des so-, différent de celui qui naît de la nature des
ciétés qui sont hors de l'ordre doivent offrir vhoses, l'Etat ne cessera d'être agité, jusqu'à
beaucoup plus d'hommes et d'événements ex- ce qu'il soit détruit ou changé, et que l'invin-
traordinaires, que des sociétés dont les lois cible nature ait repris son empire. » Ainsi la
sont conformes à l'ordre par la même raison Pologne, longtemps agitée, a été détruite et
qu'il y a plus d'aventures dans la vie d'un changée, non pas assurément par défaut d'é-
homme livré à toutesles passions. C'est ce que tendue de territoire, de nombre ou de courage
J.-J. Rousseau a voulu dire dans ces paroles dans ses habitants, mais par le désordre de
« Un peuple ne devient célèbre que lorsque son aristocratie, qui est une démocratie no-
sa législation commence à décliner. » Ces his- ble. Ainsi la France plus puissante que la Po-
toires anciennes ont tout l'intérêt du roman, togne et plus violemment agitée eût été dé-
quelquefois tout le merveilleux, souvent tout truite par les désordres de sa démocratie po-
l'invraisemblable, parce qu'on ne fait aussi des pulaire, si elle n'eût été changée en une meil-
romans qu'avec des passions. leure forme de gouvernement. Ainsi la Tur-
L'histoire d'Angleterre, est pour les mêmes quie; plus étendue que la France ou la Polo-
causes, plus intéressante que la nôtre; et gne, et toujours agitée, sera infailliblement
c'est avec la même rectitude de jugement que détruite par les désordres de sa démocratie
•nos philosophes ont mis les historiens anglais militaire ou de son despotisme, si elle n'est
beaucoup au-dessus des historiens de leur pas changée par la conquête. Ainsi l'Angle-
nation; mais notre histoire elle-même a pris terre périra "tôt ou tard par les désordres de
plus de cet intérêt dramatique et romanesque sa démocratie royale, ou sera changée en une
depuis François Ier, parce que à cette époque monarchie indépendante car dans tous ces
de violentes passions se déchaînèrent dans la Etats, les principes de désordre sont les
société et y produisirentde'grands désordres. mêmes; les formes seules sont différentes.
Cet intérêt historique a atteint le plus haut Mais quand et comment l'Angleterre rejette-
degré dans le récit des événements de notre ra-t-elle de son sein ces éléments de désordre,
révolution, sujet d'histoire unique au monde, et parviendra-t-elleà la constitution naturelle
et devant lequel pâlissent et s'effacent toutes des sociétés? « II n'est pas donné aux hom-
les histoires anciennes et modernes; par-
mes de connaître les temps et les moments
ce qu'on y voit, dans quelques années de la des révolutions, » dit le livre dépositaire de
vie d'un peuple, la société tout entière avec
toutes les vérités. (Act. i, 1.) Mais il est des
tous ses accidents le combat du bien ou du raisons plausibles de conjecturer que l'épo-
mal la lutte de l'homme contre la nature et
la monarchie triomphant, par la seule force de que d'un changement dans la constitution
d'Angleterre ne saurait être très-éloignée. Il
ses principes, de la démocratie armée de tout faut observer d'abord que tous les gouver-
l'esprit, de toutes les forces et de toutes les
nements où le pouvoir est multiple et divisé,
passions du plus avancé de tous les peuples. et qu'on appelle républiques, ont fini sur le
En revenant sur ce qui a précédé cette di- continent européen et la France même ne
gression, on est conduit à deux questions im- semble s'être constituée un moment en ré-
portantes et qui sont comme le résultat de publique, que pour les entraîner toutes dans
toutes les réflexions que fait naître l'état pré-
sa chute. Et si l'on voulait porter ses regards
sent de l'Angleterre, plus loin, on remarquerait que la confédé-
La lutte qui existe, en Angleterre, entre des ration des Etats-Unis, seule république indé-
principes opposés de constitution doit-elle pendante qui existe aujourd'hui, à peine sortie
finir? Quand et comment finira-t-elle? Une
du berceau, montre déjà des germes de divi-
saiae philosophie peut répondre affirmative- sion, et par conséquent des symptômes de
ment à la première question sur la seconde caducité. Les véritables hommes d'Etat, en
la politique ne peut que proposer des con- Angleterre, ont toujours connu le vice de la
jectures. constitution anglaise, et ont cherché, souvent
L'ordre en tout est éternel, parce qu'il est au dépens de leur tête, à donner au mo-
la fin des êtres et leur véritable nature. Le dé- narque une autorité plus absolue. Mais-au-
sordre est toujours passager et temporaire, jourd'hui les progrès. de la raison publique
parce qu'il est contraire à la nature des êtres, et des vérités politiques, amenés par les temps
SS1 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALÛ. 5,2
et les événements, ont rendu, en Angleterre, général était regardée comme un devoir,
ce sentiment plus général :-et
nlus général ;-et l'on ne craint pas
d'avancer que la constitution anglaise si elles
oass été
*st*s regardée
rocraivUa depuis nn^
,tom,:t comme un vil _«_ négoce
le trafic du parlement et celui des fonds sont
a
était attaquée, neserait plusdéfendueavec bon- devenus universels. » Une guerre civile peut
ne foi et persuasionpar les hommes éclairés,» donner de l'éclat aux partis mais une lutte
les seuls qui doivent à la longue former l'es- d'intrigue, quand elle se prolonge, leur ôte
prit d'une nation et diriger sa politique. Danss toute dignité.
le siècle de l'esprit et d'une littérature super- La religion dominante, avec ses croyances
ficielle, des écrivains plus jurisconsultes quej incertaines et indécises, défendrait faiblement
politiques, et même des poëtes qui n'étaientt la cause royale contre l'esprit ardent et ab-
ni l'un ni l'autre, ont pu admirer à West solu des sectes rivales « la hiérarchie ecclé-
minster trois pouvoirs siégeant ensemble, ett siastique, » dit l'écrivain anglais déjà cité, est
même, pour faire la rime, étonnés du nœud quia devenue un fardeau inutile à l'Etat; » et le
«
Des systèmes analogues ont régné dans lee l'homme lui-même, du choc des pas-
Dans
xvnr siècle sur l'ordre général et sur l'or- sions contraires. « La sublime vertu, la sa-
dre particulier des choses gesse éclairée », dit Helvétius, « sont le
fruit
Dans l'univers, l'harmonie a résulté dee des passions. »
l'opposition réciproque des êtres et dess C'est-à-dire que les mêmes philosophes
éléments; n'ont vu partout que de grands combats, et
Dans le monde politique, de l'équilibre po-i- ont voulu constituerl'homme, l'Etat., le monde
litique des Etats politique, l'univers entier, par des équilibres
opposées; au lieu que la nature éta-
Dans chaque gouvernement, de la balance e de farces
des différents pouvoirs; blit partout de grands pouvoirs, et constitue
î«7 Î'ART. H. POLITIQUE. DE L'EQUILIBRE EN EUROPE. gsjg
UeJV
l'homme, l'Etat, le monde politique, l'uni- toire, qui offre des moyens plus moins heu-
t'homme,
ou
vers, par une direction unique de forces com- reux d'employer les hommes et l'argent, fût
munes l'homme, en subordonnant ses pas- des deux côtés également favorable à l'atta-
sions au pouvoir de sa raison; l'Etat, en su- que et à la défense
ce qui n'existe nulle
bordonnant tous les hommes au pouvoir d'un part, et ne peut exister. Et enfin quand tout,
homme le monde politique, en subordonnantabsolument tout, population, finances,
consti-
tous les peuples aupouvoir d'un peuple; l'uni- tutions, circonstances, nature même des lieux,
vers, enfin, en subordonnant tous les êtres au serait exactement égal entre les deux parties
pouvoir d'un être, le premier et le seul qu'on veut mettre en équilibre, il suffirait tou-
nécessaire des êtres analogie parfaite, rap- jours, d'un côté
ou d'autre, d'un homme de
ports semblables dans des systèmes différents,' plus, ou d'un homme de moins, pour
d'où naissent l'ordre dans chaque partie du cet équilibre si parfait, puisqu'il suffit rompre
d'un
système général, et l'harmonie entre toutes 1homme de plus
ou de moins, pour rétablir
les parties balance, équilibre, lutte entre des 1l'égalité même
entre de grandes inégalités de
forces opposées, où le repos est un accident, population, de finance, de constitution, etc.
]
et la guerre un état petites images dont on Sans doute le nombre des combattants dé-
a voulu faire de grandes idées. La balance cidait < seul autrefois entre les Huns et les
des pouvoirs, idée fausse, puisqu'elle
pose plusieurs
sup- Alains,
i comme il décide encore entre les di-
pouvoirs dans un même Etat, verses peuplades des sauvages de l'Amérique
et qui n'est au fond que l'insurrection des rmais est-ce
par le nombre de Jeurs soldats, ou
fonctions contre le pouvoir dont elles éma- j
par
p la supériorité de leur génie qu'Alexandre
Kent, soutenue par Montesquieu, combattue a vaincu les Perses, qu'Annibal s'est
soutenu
par J.-J. Rousseau, a été mise, par l'expé- een Italie, Sertorius en Espagne,
rience de la révolution, au rang des plus fu- ou que César
a triomphé de Pompée ? Ximenèset Richelieu
nestes chimères qui aient égaré les esprits et n'ont-ils
troublé les Etats..
n pas gouverné l'Espagne et la France,
e abaissé, dans l'une et dans l'autre, des
et
On entend, je pense, par équilibrepolitique, grands inquiets factieux,
g et plutôt parl'ascen-
cet état dans lequel un peuple, ou plusieurs ddant de leur caractère.que
alliés, balancés par un autre peuple ou par f<force dont ils pouvaient disposer par les moyens de
? Gustave et
une autre confédération de peuples, avec pa- Frédéric
F souverains de petits Etats, ont-ils
rité Je moyens et de ressources, seraient en hlutté
avec tant de succès contre la maison
repos par cette égalité de forces qui se détrui- d'Autriche
d à force de puissance, ou à force de
raient mutuellement idée transportée de la génie ? N'est-ce
dynamique dans la politique, et tout à fait
«• pas par l'habileté de ses géné-
digne d'un siècle conséquent dans'ses erreurs, la raux et de ses ministres, plus encore que par
ri
le force de ses armées, que Louis XIV bravé
et quia voulu faire la société machine, comme r Europe conjurée a
contre lui? Et pour en don-
il a fait l'homme machine.
n un exemple plus rapproché de nous, et le
ner
En effet,il est aisé de remarquer que, dans plusp éclatant dont l'histoire dés sociétés fasse
ce système, on ne tient compte que des forces mention,
n est-cepar.ses forces physiques, ou
physiques, et que l'on ne prend en aucune par p l'impulsion morale qu'elle a reçue de la
considération la force morale du caractère, révolution
r< et par la direction que donne à tous
du génie, et des connaissances, la plus puis-
ses
s< moyens la force de tête et de caractère de
santé de toutes les forces dans la société civi- l'homme
11 qui la gouverne, que la France, eu
Usée, et le mobile de toutes les autres force momentir présent, domine l'Europe et dicte
toujours plus grande à mesure que la société à> des lois au continent? Or cette force morale
est plus avancée, et qui serait au plus haut nne peut entrer dans aucun système prévu
degré d'intensité dans une société parvenue à d'équilibre, parce qu'elle ne peut être l'objet
au plus haut point de civilisation. Je suppose d' d'aucun calcul. On dirait même que la Pro-
même qu'il fût possible de mettre en parfait vi vidence, qui n'a pas fait du monde moral un
équilibre, entre deux Etats, ou deux confédé- Vf vain amusement pour l'homme, comme du
rations d'Etats, la population et.les finances, m monde matériel, a refusé à notre curiosité
il faudrait encore que la constitution, qui Ti l'intéressantspectacle des grandshommes op-
donne les moyens les plus prompts et les plus p< posés les uns aux autres, avec des forces
efficaces de lever l'argent et de disposer des é§ égales de génie et de caractère, puisqu'elle lès
hommes, fût parfaitement semblable de part fa fait naître presque toujours à longs intervalles
et d'autre; il faudrait que la situation du terri- le
les uns des autres, tantôt chez un peuple,
tantôt chez un autre, et bien. moins pour main- vaincue, quand tous les partis furent détruits,
tenir des équilibres, que pour rétablir ou con-• et qu'il n'y eut plus ni balance de pouvoir au
server le pouvoir; et lorsque p.lusieuxs hom- dedans, ni au dehors équilibre de force, le
mes de même force se rencontrent en même monde respira. Auguste, devenu l'homme we-
temps chez le même peuple l'équilibre qu'ils1i ce$saire,postquam omnem potesta,tem.aduniim
cherchent entre eux trouble l'Etat. «On se conferri pacis interfuit, dit Tacite, Auguste,
plaint quelquefois, dit Ilénaut, de la disette ferma le temple de Janus, et il régna sur Rome,
des grands hommes. Il n'y a pas de plus grand1 comme Rome régna sur l'univers.
majlheur pour des Etats que ce concours de Les. Barbares arrivèrentà leur tour deseon-
personnages puissants qui prétendent tous'< fins du monde, où Rome et sa domination
à l'autorité commencent par la diviser, et n'avaient jamais pénétré ils accouraient
finissent par l'anéantir. » pour partager une puissance que Rome: ne
L'équilibre n'entre donc pas dans le sys- pouvait plus retenir, depuis que le pouvoir
tème naturel du gouvernement des sociétés était en équilibre entre plusieurs Césars,
et l'on peut même avancer que tant que des comme il l'avait été use fois entre trente ty-
peuples voisins, ou même des partis diffé- rans. Dans cet équilibre du peuple ancien et
rents sont en guerre les uns contre les autres, du peuple nouveau, ou des Barbares de l'i-
ils cherchentà se mettre en équilibre et que,• gnorance et des Barbares de la corruption,
tant qu'ils cherchent l'équilibre, ils sont enl- Rome: succomba; le peuple roi fut détrôné
guerre cercle vicieux dont ils ne peuvent et alors commença pour l'univers,un long in-
sortir qu'en recourant à l'unité de pouvoir. terrègne et l'anarchie des armes, plus tumul-
C'est là l'histoire de tous les peuples, et la.1 tueuse sans doute, mais moins honteuse et.
cause de tous leurs débats. moins atroce,que l'anarchie des lois. Bientôt
Que présente l'histoire des premiers em- la puissance fut en équilibre entre tous ces.
pires de l'Asie, Assyriens, Babyloniens, Macé- conquérants qui se poussaient et se rempla-
doniens,, Perses, Mèdes, etc. des peupless çaient les uns les autres; et cette longue oscil-
qui croissent, qui s'élèvent, et, sous. la con- lation, qui marqua le passage des temps du
duite d'un chef audacieux, qui aspirent à l'é- paganisme.à ceux.de la chrétienté,et. qui.rem-
galité avec leurs maîtres ou leurs voisins, plit toujours l'intervalle: d'un système à-un au-
bientôt à la domination qui, parvenus à l'em-" tre, fut l'époque des plus effroyables cala-
,pire, sont.atta.ques et renversés! leur tour, et,,»! mités.
dans cette vaine poursuite d'équilibre, tom- Je ne parlerai pas de l'empire d'Orient. la
bent les uns sur lée autres, dit Bossuet, religion et l'empire avaient été transportés en
-avec un fracas effroyable. Grèce, où le- petit esprit et la fureurdes par-
L'histoire, de la, Grèce n'est que l'histoire
e tis s'étaient conservés comme dans leur pays
e.
de l'éternelle rivalité de Sparte et d'Athènes,s natal. Lareligioa n'y fut guère qu'un sujet de;
"troublées au dedans par la balance des pou- controverse, et le pouvoir qu'un objet de ii-
voirs, cherchant au dehors. l'équilibre entree valité. La balance pencha tantôt pour un.parti,
elles, se détruisant l'une l'autre, et boulever- tantôt pour un autre et. dans ce vain équili-
sant leur pays, de.peur, disait Cimon, de lais- bre, qui jamais ne se.fixa, la religion fut livrée
ser la, Grèce boiteuse, ou de rester l'une ouu au schisme, et l'empire au glaive et à l'op-
i'autre sans contre-poids car on voit que l'idéee pression..
d'équilibre avait commencé chez les Grecs rS-
DE LA LANGUE DE LA POLITIQUE.
(Mercure, août 18071)
1~.
constitués et permanents du pouvoir, on ;:« uoinme dit Bossuet, et à n'agir qu'en vertu
plaignait qu'Ls exerçaient un pouvoir arbi- de ces mêmes lois; et le pouvoir arbitraire
traire parce que, dans ce eas, le prince s'im- consiste à faire tout ce que veulent ou per-
misçait dans la fonction d'interpréter d'ap- mettentdes lois imparfaites et contre la nature
«HWi
~~invne~e
O,ElIV9.ES
Co ~v
4.I:BoW
T)E l~'f) N ~i
-,p-
PL,. lE co».6.M»;-D«
i,
LD. 11 ûelasociété:lois^ines^
de la société lois qui ne sont jamais fonda-
S87 CEUYHES COMPLETES DE M. DE BONALD.'
mentales ou primitives, même lorsqu'elles nait n à mort un malfaiteur, et adjugeait ses
sont le plus anciennes. biens
b au fisc et c'est même là un des grands
Ainsi, qu'on y prenne garde. Le pouvoir maux
c du despotisme invétéré de l'Orient,
qu'en opprimant les corps il étouffe la raison,
n'est pas bon, parce qu'il est absolu; mais il q
est absolu, parce qu'il est, oulorsqu'il est bon:v Il faut cependant observer que le Grand
pouvoir qui est tout à faitindépen- Seigneur,
S lorsqu'il condamne ainsi sans forme
bonté de
d procès, n'est pas coupable, même aux
dante de la bonté morale de l'homme qui de
l'exerce. Ainsi, dans le commerce ordinaire. a^ yeux J de la suprême justice, pourvu toutefois
agisse sans passion et avec une convic-
là vie, un homme n'est pas meilleur que Its qu'il c
qu'il de l'empire sur leur esprit, t
tion fondée du crime, parce qu'il ne fait que
autres, parce a
mais il a de l'empire sur les esprits, parce suivre s la loi de l'Etat, une loi plus ancienne
qu'il est meilleur que les autres ou plus for: quele ( prince, et qui attribue à un seul homme
d'esprit et. de raison. autant
£ de pénétration, de lumières et d'im-
Et de même, le pouvoir n'est pas mauvais, partialité
1
qu'à tout un tribunal; et que même*
qu'il est arbitraire, mais il est arbitraice, chez ces peuples abrutis, il ne pourrait chan-
parce »
loi, tout absurde qu'elle est; ni se
parce qu'il est mauvais, c'est-à-dire, imoar- ger cette
fait, et qa'ilne connaîtras les moyens légiti- refuser i au terrible ministère dont elle l'a re-
mes de son action, parce qu'il ignore la règle
vêtu, sans faire une révolution dans l'Etat et
fixe et sûre de ses volontés. compromettre l'existence du pouvoir lui-
Aussile pouvoir absolu est le pouvoir le plus même. Dans ce cas, c'est la loi qui est coupa-
indépendantou le plus fort, parce qu'il n'y a ble, et non le prince, qui est dans une igno-
forcée;
rien de plus fort que ce qui est selon la nature rance invincible ou dans une position
société qui est imparfaite,
et la raison; et le pouvoir arbitraire est le ou plutôt c'est la public.les lois de
pouvoir le plus dépendant et le plus faible, pour avoir retenu dans l'état
domestique des premières sociétés, où
parce qu'il n'y a rien de plus faible que ce qui l'état seul le pouvoir
est contre la nature. Le Grand Seigneur peut le chef de la famille avait lui
enfants et
faire étrangler ses frères et ses visirs, et il ne suprême de vie et de mort sur ses
pourrait casser une milice factieuse, ni faire ses serviteurs.
punir un uhléma séditieux, pas même sauver Cette constitution ou état légal du pouvoir
sa tête et sa couronne des violences popu-
arbitraire forme le gouvernement despotique,
s'appelle, dans
laires. Le pouvoir en France ne pouvaitmême où l'usage légal de ce pouvoir
signer un arrêt de mort; et les tribunaux, à la langue politique, despotisme.
qui il avait confié son action ou l'exécution Montesquieu est allé trop loin, lorsqu'il n
où
de la loi, étendaient leur juridiction sur tou- défini le despotisme « Un gouvernement
tes les personnes et sur tous les corps. Laa un seul, sans loi et sans règle, enchaîne tout
justice en France pesait plus que la force et par sa volonté et par ses caprices. » On a ob-
le parlement, au besoin, aurait jugé l'année. servé avec raison qu'un pareil gouvernement,
subsisterait
Le pouvoir arbitraire est le pouvoir d'un ou plutôt un pareil désordre, ne
enfant qui veut tout avec violence, et qu'un pas deux jours. Le despotisme ne manque pas
rien arrête; le pouvoir absolu est le pouvoir plus de lois et de règles que tout autre état
d'un homme quineveut qu'avec raison, et qui de société; et même, comme je l'ai déjà re-
est obéi. marqué, les lois et les coutumes y sont l'objet
Mais les
Le pouvoir absolu ou constitué sur ses lois d'un respect servile et superstitieux.
naturelles est bon, et par conséquent un état règles y sont fausses et les lois imparfaites;
légitime de société mais le pouvoir arbitraire sans que le despote sache comment sortir de
peut être un état légal, lorsqu'il est fondé sur ce despotisme qui souvent, comme le dit très-
la loi de l'Etat, ou sur une coutume qui a ac- bien Montesquieu « lui est plus pesant
quis force de loi (1 ). Ainsi, l'on n'est pas qu'aux peuples mêmes » et bien loin qu'il
plus étonné en Turquie d'apprendre que lei entraîne tout pat sa volonté et par ses capri-
Grand Seigneur a fait couper la tête à son vi- ces, il est souvent entraîné lui-même par la
sir et s'est emparé de ses trésors, qu'on nei volonté du peuple et les caprices des soldats.
l'était à Paris d'entendre crier dans les rues La définition que cet écrivain donne du
pourrait convenir
un arrêt des cours souveraines, qui condam- despotisme d'un seul, ne
(1) Un exemple fera sentir la différence queî loi de la nature, ou de son auteur la dissolubilité
j'établis entre Vélat légitime et l'état légal, qui tous> ou le divorce, là où il est permis parla loi, est
tleux viennent du mot lex. L'indissolubilité est l'é- l'état légal, parce qu'il est fondé sur une loi de
tat légitime du mariage, parce qu'il est fondé sur lai l'homme.
S&- PART. 11. POLITIQUE. DE LA LANGtJE POLITIQUE. SOC
qu'au despotisme de tous, qu'on appelle potisme sous Trajan.
démocratie, état de société sans loi et sans Louis XI,
XI. en France,
France. fut un tyran.
tvMti Tite,
TitP
règle, puisque le peuple a toujours le droit 'Antonin, Marc-Aurèle, furent des despotes.
de faire de nouvelles lois, et même de chan- Néron et Henri VIII ont été à la fois des des-
ger les meilleures, suivant le principe de potes et des tyrans, car le pouvoir est impar-
J.-J. Rousseau, et que, n'ayant pas besoin fait en Angleterre, et souvent y est- devenu
d'avuir raison pour valider ses actes, il peut arbitraire.
tout entraîner par sa volonté et par ses ca- Dans nos monarchies chrétiennes, comme
prices. Sous le despotisme d'un seul, il y a la loi prend sous sa sauvegarde l'homme et sa
trop d'immobilité dans les lois sous le despo- propriété, il faudrait, pour encourir le repro-
tisme de tous, il y a trop d'instabilité l'un che de tyrannie, porter atteinte à l'un ou à
est unemonarchie imparfaite, l'autre n'est l'autre, mais sous le despotisme de l'Orient,
que chaos et confusion; et si, sous le premier, où la loi permet beaucoup au prince sur
l'homme est esclave, il peut sous le second. l'homme et sur la propriété, le prince
n°.
tomber au-dessous de l'esclavage, et, comme pourrait sans démence en usurper davantage,,
dit Tacite, dégénérer même de la servitude. et comme ces peuples abrutis tiennent plus à
La constitution du pouvoir absolu forme leurs usages qu'à leur vie même, il suffit
î'état légitime ou naturel de la société c'est d'avoir voulu faire quelque innovation dans
ce qu'on appelle la monarchie parfaite, ou des usages même indifférents, pour être
ac-
simplement la monarchie. cusé de tyrannie. Vraisemblablement l'infor-
La constitution, ou l'état légal du pouvoir tuné Sélim a été regardé comme un tyran,
arbitraire sous un seul chef, forme la monar- pour avoir voulu faire raser la barbe aux ja-
chie imparfaite, ou le despotisme. nissaires et si son successeur leur avait fait
L'usage arbitraire du pouvoir absolu, ou couper la tête, cette exécution atroce n'aurait
l'usage illégal du pouvoir arbitraire s'appelle passé que pour un usage permis et même pru-
tyrannie. dent de l'autorité
Ainsi, la monarchie est l'état légitime de la Nous avons dit que le despotisme est l'im-
société, parce qu'il en est l'état.naturel. perfection du pouvoir; etle pouvoir peut être
Le despotisme peut être un état légal de so- imparfait dans sa constitution,dans sa volonté;
ciété, quoiqu'il n'en soit pas l'état naturel da.ns son action.
Et la tyrannie n'est ni un état légitime, ni un Le pouvoir,pour être parfaitement constitué
état légal, parce qu'elle est l'abus du pouvoir doit être indivisible, héréditaire de mâle
absolu, et même du pouvoir arbitraire. en
mâle, etpar ordre de primogéniture, et même
Cependant on ne pourrait s'empêcher de propriétaire de domaines, et non pension-
regarder la démocratie (dans une nation indé- naire de l'Etat. Il serait aisé de prouver que,
pendante) comme la constitution de l'état faute de l'une ou de l'autre de ces conditions
légal de la tyrannie, si l'on prenait à la ri- ou de ces lois, le pouvoir n'est pas entièrement
gueur le principe de Jurieu « Que le peuple indépendant; et s'il n'est pas indépendant, il
est la seule autorité qui n'ait pas besoin d'avoir peut devenir arbitraire, et il n'en est préservé
raison pour valider ses actes » principe ré- que par la modération ou le génie du prince.
pété à l'assemblée constituante, et confirmé Il y a imperfectiondu pouvoir partout où
sa
par de grands et mémorables exemples d'actes volonté législative est subordonnée à des
vo-
populaires validés sans raison, et même contre lontés populaires, et son action trop dépen-
toute raison, toute justice et toute humanité. dante de la force populaire, ou des passions
Le despotisme est l'imperfection du pou- individuelles.
voir, soit qu'une société trop jeune encore Le pouvoir, en Turquie est indivisible, hé-
n'ait pu parvenir à la parfaite constitution du réditaire, et même de mâle en mâle mais l'or-
pouvoir; soit que, dans ses derniers temps, dre de primogéniture paraît n'être régulière-
déchue de cette constitution parfaite, elle ment observé que dans toute la famille, et
n'ait pu encore y revenir. non danslamêmebranche.La volonté législati-
Ainsi, le despotisme est l'enfance de la ve y serait, s'il y avaitlieu, Subordonnéeaux dé-
so-
ciété et il peut en être la convalescence. cisions des uhtémas; etî'aejion est exercée
La tyrannie est donc le crime de l'homme, le prince )&p& et l'a été trop souvent par
et le despotisme la faute des événements. Je peuple pu gifles achats. par
Ainsi, il n'eût pas été prudent, Angle- On voitàïafois dans cette constitution du
en
terre, de parler de tyrannie sous Henri VIII; pouvoir, bonne sous quelques rapports, impar-
et il eût été permis, à Rome, de parler de des-
faite sous d'autres, Ja raison de Ja longue du-
'591 ŒUVRES COMPLETES DE
rée de cette société et de sa faiblesse habi- ddéré, » dit Montesquieu il n'y a qu'un gou-
_1-1- la vernement
famille qui est en possession du trône, et gouvernement
v
g
~~v.+
(et
r" puisse
fort qui T~)~~cû être
6trp modéré),
mnrlhrrSl a« un
C'est un bien triste legs qu'a fait à la so- M. Necker en gouvernant. M. Necker était
ciété Mme de Staël que l'ouvrage pos- un homme d'affaires et un littérateur, et il
thume récemment publié sous son nom, des s'est cru un homme d'Etat (1).
Considérations sur les principaux événe- Mme de Staël, habile à saisir, à expri-
nements de la révolutionfrançaise. mer jusqu'aux nuances les plus fugitives
Nous connaissions de Mme de Staël un des qualités bonnes ou mauvaises de l'es-
Traité sur l'influence des passions, des ro- prit et du cœur de l'homme, s'est tout à fait
mans, des Observationssur l'Allemagne et la trompée lorsqu'elle a voulu traiter de la
littérature du Nord. Les sujets de ces ou- constitution de la société. Si elle se fût bor-
vrages étaient dans les habitudes de son es- née à tracer des caractères, elle aurait fait
prit, la nature de son talent, le genre de ses aussi bien que la Bruyère quoique dans
connaissances. Celui-ci est d'un tout autre un autre genre et, venue plus tard, elle eût
intérêt l'objet en est bien plus important. été peut-être plus loin. La nature lui avait
Mais quoiqu'il traite de politique et de la donné un excellent microscope, qui gros^-
révolution, il n'a pas un autre caractère sissait, et même un peu trop les plus petits
que ses aînés. C'est encore un roman sur la objets car elle fatigue quelquefois son lec-
politique et la société écrit sous l'influence teur par l'habitude de tout et toujours géné-
des affections domestiques et des passions raliser. Elle, s'en est servie comme d'un té-
politiques qui ont occupé ou agité l'auteur; lescope, pour observer des objets placés trop
c'est encore Delphine et Corinne, qui font de loin de ses yeux; et elle n'a rien
vu qu'à
la politique comme elles faisaient de l'amour travers
un nuage. Sa doctrine politique est
ou s'exaltaient sur les chefs-d'œuvre des toute en illusions, sa doctrine religieuse en
arts, avec leur imagination, et surtout avec préventions ou en préjugés, et sa doctrine
leurs émotions, peut-être aussi avec des ins- littéraire en paradoxes.
pirations car les femmes, circonscrites par Deux sentiments dominent dans l'ouvrage
la nature dans le cercle étroit des soins do- de Mme de Staël
sa tendresse pour son
mestiques, ou, la plupart, quand elles en père, son admiration pour l'Angleterre.
sortent, livrées à la dissipation, ne parlent M. Neckeret le peuple anglais sont les figures
guère de politique que par ouï-dire. principales, ou plutôt les seules figures de
Je ne crois pas qu'il y eût en Europe un ce tableau, dont la révolution françaisen'est
écrivain moins appelé que Mme de Staël que la toile et !e cadre. Ces deux sentiments,
à considérer une révolution. Il y a toujours dont l'un est fort respectable,
sans doute,
eu trop de mouvement dans son esprit, et sont exprimés, et non moins l'un que l'au-
trop d'agitation dans sa vie, pour qu'elle ait tre, avec une exagération qui en affaiblit
pu observer et décrire ce mouvement vio- l'effet, en leur donnant l'accent d'une pas-
lent et désordonné de la société. 11 faut être sion et les formes d'un culte. Quand M.
assis pour dessiner un objet qui fuit et ici Necker est accusé, sa fille ne cherche pas à
le peintre n'a pas plus posé que le modèle. le justifier, elle le loue; quand il est loué,
Mme de Staël a fait, en écrivant sur la elle n'applaudit pas, elle le divinise. En
politique, la même méprise qu'avait faite Angleterre, tout est parfait. C'est le paradis
(1) Mme de Slaël raconte que, s'étant iroiivée )ajoute-t-elle, etc. Ou jo me trompe, ou
à table à côté de l'abbé Syeyès, il lui dit, ge me plut,
de M.Necker C'est le seul homme qui ait en parlant cet éloge est un persifflage; et ni l'arithmétique ni
jamais la poésie ne font l'homme d'Etat, et l'abbé Syeyès
réuni la plus parfaite précision dans les calculs d'un le savait bien.
grand financier à l'imagination d'un poëte. < Col élo-
de l'Europe, le flambeau du monde, et, à prenant comme elle les mots philosophe et
bien meilleur titre qu'autrefois l'île des philosophie dans un double sens, de lui dire,
saints, le séjour des bienheureux, où l'on qu'elle était très-peu philosophe avec beau-
contemple face à face l'ordre éternel des so- coup de philosophie. La lecture de ses Con-
ciétés. Ces deux admirationsd'un homme et sidérations m'a tout à fait confirmé dans cette
d'un peuple tendent au même but. opinion. Tous les petits préjugés de patrie,
Avec l'éloge de M. Necker, Mme de Staël de famille, de religion, de profession, de
justifie le renversement de l'ancienne cons- gouvernement, de bel esprit, se retrouvent
titution de la France; et, avec l'éloge du dans cet écrit. On s'étonne que l'éducation
peuple anglais, l'impulsion vers les insti- littéraire, la grande fortune, les voyages, la
tutions anglaises que donna son père. Elle vie indépendante, les habitudes du grand
satisfait ainsi à la fois ses affections .domes- monde, le séjour dans les grands Etats et les
tiques et ses préventions politiques; c'est grandes villes, l'étendue d'esprit et de con-
J'alpha et l'oméga de son ouvrage. Du reste, naissances de Mme de Staël, aient si peu
elle prodigue les flatteries aux amis de cette changé aux premières impressions de Mlle
constitution, et n'épargne pas les reproches Necker. Pas plus que J.-J. Rousseau, elle
à ceux qu'elle en suppose gratuitement les n'est point sortie de Genève, et n'a pas pu
ennemis. Il n'est pas de travers d'esprit, ou même se défaire des petites vanités républi-
de calculs faux et intéressés dont elle ne les caines. « Ah 1 dit-etle, « quelle' enivrante
necuse, réservant tous ses respects, toutes jouissance que celle de la popularité » C'était
ses affections, toutes ses admirations, pour un goût de famille; et il égare l'écrivain,
les libéraux, ces colonnes de la société, les comme il a abusé le ministre. Malheureuse.
seuls hommes fermes, constants, incorrup- ment Mme de Staël a pris pour de la pro-
tibles, etc., etc. fondeur le sérieux naturel de son esprit,
L'ouvrage, quoique posthume, est tout rendu plus sérieux encore par la gravité
entier de Mme de Staël. J'en aurais cepen- composée de l'éducation genevoise.
dant douté sans la déclaration formelle de En général, les écrivains réformés n'oirt
ses éditeurs, qui se sont bornés à corriger pas mieux traité de la politique que de la
les épreuves, et à relever quelques inexac- religion. Leibnitz reprochait de graves er-
titudes de style. En vérité, ils auraient pu, reurs à Puffendorff, le plus ancien et le plus
sans manquer a la mémoirede Mme de Staël, célèbre d'entre eux. Ceux qui sont venus
relever dans son ouvrage d'autres inexacti- plus tard ont enchéri sur lui, et Mme de.
tudes que des négligences de style, et cor- Staël sur tous les autres. C'est à celte poli-
riger d'autres fautes que des fautes de typo- tique que l'Europe doit la souveraineté po-
graphie et fi paraît même que, l'ouvrage pulaire et ses inévitablesconséquences. Ju-
imprimé et prêt à voir le jour, ils ont re- rieu, qui passait même parmi les siens pour
douté pour son succès auprès des bons es- un homme emporté, avait dit « Le peuple
prits la sévère et rude épreuve de la cri- est la seule autorité qui n'ait pas besoin
tique. d'avoir raison pour valider ses actes. Mme
Quoi qu'il en soit, je ne viens ni contes- de Staël va plus loin encore, en appuyant sa
ter les éloges, ni repousser les reproches, politique sur le principe même de la Réfor-
et j'écarte de cette discussion tout ce qui est me « Il n'est aucune
question, » dit-elle,
personnel. J'accorde à Mme de Staël tout ce « ni morale ni
politique, dans laquelle il
qu'elle voudra, hors les intérêts de la rai- faille admettre ce qu'on appel.Te Fautorité.
son, de la vérité, de la justice, de la société, La conscience des hommes est en eux une
sur lesquels il importe d'éclairer le public, révélation perpétuelle, et leur raison un
surtout à la veille des délibérationsqui vont. fait inaltérable. » Et il suit de là inévitable-
s'ouvrir sur les destinées futures de la Fran- ment que tous ceux qui ne pensent pas
ce et de l'Europe. comme Mme de Staël, n'ont ni conscience ni
Dans le peu d'occasions qu'eut l'auteur de raison; et c'est aussi la conclusion qu'elle
cet écrit de voir Mme de Staël, elle lui dit, en tire.
en témoignant à sa personne plus d'estime Je crains, en vérité, que les bons esprits
qu'elle n'en accordait à ses écrits» « qu'il ne me pardonnent pas plus de réfuter sé-
était le plus philosophe des écrivains, avec le rieusement un écrit sur la politique, qui
moins de philosophie. » II fut tenté de retour- commence par l'étrange assertion qu'il ne
1W le compliment ou le reproche; et, en faut point d'autorité, qu'ils ne me pardon-
seraient de disputer avec un géomètre qui grandes questions; si quelque connaissance
«ommencerait par nier l'étendue. Mais cette des hommes et des choses de mon temps;
proposition peut nous donner là clef de si aucune préoccupation politique, autre
l' ouvrage de Mme de Staël. qu'une affection pour mon roi et pour ma
Dans les Etats de l'antiquité, il n'y avait patrie; si le désintéressement absolu de
qu'une cause de révolutions, l'ambition du tout espoir d'élévation et de fortune, que
pouvoir politique. Dans les Etats modernes, j'ai refusée quand elle m'a été offerte, et qui
«t depuis le règne public de la vérité par ne se trouve plus, je le sais, sur la route
l'établissement du christianisme, il y en a que je parcours, peuvent m'être un garant
une autre, l'ambition du pouvoir religieux; que je parle de ce que je sais, et qu'aucun
je veux dire l'orgueil des doctrines et la do- motif d'intérêt personnel n'a jamais guidé
mination sur les esprits cause nouvelle et ma plume, je peux présenter cet écrit avec
bien plus active de révolutions, qui ne de- confiance à mes amis et à mes adversaires.
mande ni armées ni argent, et pour laquelle Je ne retiendrai pas la vérité captive, pas
un homme n'a besoin que de lui-même; plus aujourd'hui que je ne l'ai fait dans
cause bien plus générale et bien plus éten- d'autres temps; je serais moins malheureux
due, parce qu'il y a toujours plus d'esprits ou moins coupable de l'ignorer. Mais si,
capables de séduire, que de caractères assez contre mon attente et mon intention, cet
forts pour dominer et Luther ou Voltaire écrit renfermait quelque chose de répréhen-
ont asservi plus d'esprits par leurs opi- sible, plein de respect et de confiance pour
nions, que Bonaparte n'a subjugué de corps l'équité des magistrats, je déclare ici que je
par ses armes. A peine née dans les écoles, renonce formellement à défendre l'ouvrage
cette ambition a ébranlé ou renversé les ou l'auteur.
gouvernements et les révolutions qui agi- Je rangerai sous quelques paragraphes les
tent l'Europe depuis quatre siècles n'ont pas observations que m'ont fournies les petits
un autre principe (1); parce que la société principes de l'écrit de Mme de Staël.
politique une fois imprégnée de christia-
nisme, si j'ose ainsi. parler, et devenue un § J. De la constitution française dans les.
premiers âges de la monarchie.
être moral, n'a pu être sérieusement trou-
blée que par des causes morales. Mais, par Mme de Staël commence par chercher dans
cette même raison, les habiles se sont aper- l'histoire des premiers temps de notre mo-
çus de la disposition constante qui entraîne narchie des leçons et des exemples pour les
les unes vers les autres, et porte à s'assimi-derniers. L'histoire des origines des peuples
ler ensemble certaines formes de gouverne- est pour les faiseurs de systèmes, ce qu'est
ment et certaines formes de culte, comme la palette pour un peintre. Celui-ci dispose
la monarchie et le catholicisme, la démocra- sur sa palette les couleurs pour son tableau;
tie et le calvinisme; et, pour dernier résul-celui-là arrange dans l'histoire les faits pour
tat, l'athéisme et l'anarchie; et ont prêché,ses opinions, et il y trouve tout ce qu'il
sous de beaux noms, l'indifférence absolue veut. Robertson en a tiré son Introduction,
des religions, pour conduire les esprits, laset Mme de Staël la sienne. Elles ne sont pas
d'errer dans le vide, à la soumission la plusplus exactes l'une que l'autre; et je ne doute
aveugle pour leurs opinions et, toujours pas que, daiis quelques siècles, on ne re-
aussi avides de pouvoir politique que de do- trouve à volonté, dans les constitutions de
mination intellectuelle, tantôt ils se sont Bonaparte, le type du gouvernement absolu
ou constitutionnel, quoiqu'il ne fût ni l'un
servis de la religion pour égarer la politique
ni l'autre. Mme de Staël, et en général, tous
et tantôt de la politique pour troubler la re-
ligion. Nous reviendrons ailleurs sur ce les écrivains de la même école, qui vont
sujet. cherchant dans tous les siècles des opposi-
Je n'ai pas besoin de justifier mes inten- tions ou résistances actives à l'autorité, et
tions. J'écris sans haine contre les person- qui croient la trouver dans les grands, ne
nes, et, autant qu'il est permis de se rendre font pas attention que, dans ces temps re-
à soi-même cette justice, sans prévention culés, les grands partageaient la domination
pour les choses. Si une vie déjà avancée, en partageant le territoire, et ne parta-
les plus
vvmaaGiee sans distraction
consacrée i eiuue de
uisirauiiun àa l'étude ces geaient
ue uks ic pouvoir;
yas le
gcaicui pas [juuivji puisque
y»ionu\» <>.» f'.>«-
( 1 ) Galy'wi disciputi, ubicunque uivqluereyïmpena turbavennl, Uil Grotius, qui n'est pas sus»
Jiuci.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD,
$00
puissants, et qui l'étaient quelquefois plus
is parce qu'elle est ancienne; mais elle est
que les rois eux-mêmes,
eux-mêmes. reconnaissaient,
rernnnaissaiAnt
it, ancienne, ou>o,,iai
•mmanr.n ^« plutôt elle “« ^»u« (car
«“•perpétuelle
«n« est
tout en leur faisant la guerre, la suprématie
ie qu'est-ce que les hommes qui vivent
ou la- suzeraineté de la couronne. Des rois un
is jour appellent ancien?), lorsqu'elle est bonne
étrangers, grands vassaux de la couronne, e, ou parce qu'elle est bonne; et la royauté
lui faisaient hommage, et souvent assez forts
ts indépendante, que Mme de Staël ne craint
pour le disputer; et tous cherchaient bien >n pas d'appeler la plus informe des combincai-
plus à se soustraire à co qu'on a appelé lé sons politiques, est aussi ancienne que le
depuis le pouvoir exécutif, qu'à contester le monde, et durera autant
que lui.
pouvoir législatif, qui. est proprement le
pouvoir. D'ailleurs, l'obéissance en France e § II. De la révolution.
a toujours été si noble et si éclairée, de la
part des grands ou des corps, qu'elle res- Mme de Slaël, à la première page de ses
semble quelquefois à de la résistance. Joi- [_
Considérations, regarde la révolution fran-
gnez cela l'acception moderne donnée,?j(S çaise comme un événement qui était inévi-
dans le sens des opinions nouvelles, à des table. Pour moi; je crois qu'une révolution
expressions politiques empruntées d'un la- n'était pas plus inévitable en France qu'elle
l'est actuellement en Autriche. Mais
tin barbare ou d'un français plus barbare .e ne
encore, et lorsque la langue politique n'étaitit j'aime mieux laisser Mme de Staël se réfuter
pas même formée; et vous aurez la raison elle-même. « Une philosophie commune, »
n
de toutes ces recherches que l'on croit sa- dit-elle un peu plus loin, « se plaît à croire
(_
vantes, et qui ne sont qu'oiseuses et vides,5 que tout ce qui est arrivé était inévitable;
sur les rapports de nos anciens rois avec mais à quoi serviraient donc la raison et la
,c
leurs peuples. Mais le nouveau, quoi qu'onn liberté de l'homme, si sa volonté n'avait pu
dise, est tellement suspect, qu'on veut tou- prévenir ce que sa volonté a si visiblement
jours lui chercher ;t exécuté? »
une origine ancienne; et
les politiques novateurs sont à cet égardd II est vrai qu'une fois les trois ordres de
comme les hérésiarques, qui vont fouillant ,t l'Etat confondus dans une même assemblée
dans les siècles les plus reculés pour trou- L-
et un seul vote, la révolution était inévita-
ver quelque ancêtre à leur doctrine. Il estit ble, par l'excellente raison qu'elle était faite,
certainement étrange, qu'au mépris dua et que l'ancienne constitution était renver-
dogme du progrès de l'esprit Aunzain et de laa sée. Mme de Staël, comme tous les écrivains
perfectibilité indéfinie, on aille chercher dess de cette école, fait grand bruit des diffé-
n rences et des variations que l'on remarque
définitions exactes de l'ancienne constitution
française, sous Dagobert ou Charles le Chau- dans le nombre respectif des députés aux
ve, plutôt que sous Louis XII, Henri IV, ouu états généraux tenus dans les divers âges de
Louis XIV. Tout ce qu'il y a de certain,;t notre monarchie. C'est que ce nombre était
c'est que les rois n'ont jamais fait des loiss et devait être tout à fait indifférent. Dès que
sans conseil; que, suivant le temps, le ca- la constitution, considérant les ordres de
ractère des rois ou l'importance des lois, lee l'Etat sous des rappoçts moraux, et non dans
conseil avant la loi, ou, les. doléances oua leur quotité physique, faisait de chaque
remontrances après la le», ont été plus oui ordre une personne délibérant à part; le
moins solennels. Attila lui-même ne deman- troisième ordre, n'eût-il été composé que
dait pas sans, dont© conseil pour donnerr de dix membres,, eût été une personne pu-
J'ordre de brûler un,@ ville ou de ravagerr blique aussi bien que le clergé et la no-
une province; mais s'il xuuiaLt, donner à soni blesse, eussent-ils compté chacun mille dé-
aimée des règlements de discipline inté- putés, et aurait eu autant de poids dans la
rieure;, vraisemblablement il consultait sess délibération, et son veto la même force; et
principaux officiers. Ainsi, dans quelque8 cela, ce me semble, est très-moral et même
sens que l'on tourmente notre histoire, oni assez libéral; et peut-être la division en
trouvera toujours, qu& les rois ont comman- ordres avait-elle moins d'inconvénients que
dé, et que. les peuples ont obéi; et s'il ent la division en partis. La variation dans le
eût été autrement, il y a longtempsqu'il n'yr nombre respectif des députés de chaque
aurait plus en France, ni dans aucun autre» ordre, et de tous les ordres, n'était donc
grand Etat de l'Europe, ni rois ni peuples. d'aucune importance, et pour cette raison
Une institution n'est pas bonne, préciséiqerif5 n'avait jamais été remarquée; à quoi il est
juste d'ajouter que les états généraux, ayant Staël s'en empare, et pour que M. Neeker
éie plus fréquemment assemblés lorsque les n'ait point de reproches à se faire, et qu'on
Anglais occupaient nos plus belles provin- ne puisse pas lui en adresser, elle affirme
ces, leur convocation n'avait pu se faire in- hardiment oue les Français étaient le peuple
tégra Jemenl. le plus opprimé et Je plus malheureux de
Mme de Staël, qui n'oublie aucune de ses tous les peuples.
émotions, parte avec complaisance de celles Ce n'est pas pour dénigrer l'époque ac-
que lui causa l'ouverture des états géné- tuelle que je réfute cette assertion, mais uni-
raux. Elle remarqua les figures et les cos- quement pour rendre à nos rois, à la nation,
tumes, l'attitude gauche des anoblis, l'atti- la justice qui leur est due, et pour montrer
tude assurée et imposante du tiers état. que si nos rois ont été bons et humains, la
Ailleurs elle rappelle ce que tout le monde, nation a été heureuse et reconnaissante,
même alors, avait oublié, l'ancien usage de jusqu'à ce qu'on soit parvenu à la précipiter
présenter an roi les pétitions à genoux, pra- dans un abîme d'infortunes et de forfaits,
en
tiqué par le troisième ordre. Elle aurait dû la repaissant d'impostures sur ses malheurs
dire, pour conserver l'exacte justice, qu'on passés, et de chimères sur son bonheur à
aborde encore aujourd'hui le roi d'Angle- venir.
terre avec des génuflexions. Les grands se Sait-on bien ce qu'on veut dire quand on
couvrent devant le roi d'Espagne, et peuU parle du malheur
et de l'oppression de tout
être les libéraux trouveront-ils plus de fierté peuple ? Les physiques qui peu-
dans l'usage anglais que dans la coutume un l'accabler maux
vent sont la peste, la guerre ou la
castillane. Mais ce qui est plus digne de famine:
dans
j
1 et nous n'avons connu les deux
remarque, ce premier jour, où Mme de derniers fléaux que depuis la révolution;
Staël ne voyait que présages de bonheur, et ( les
qui pleurait de tendresse à l'aspect de tant car ( guerres, non des peuples, mais des
rois entre eux, ces guerres de la monarchie
de félicité promise à la France, Mme de qui
Muntmorin, dont l'esprit, suivant Mme de (trême se faisaient sur quelques points de l'ex-
frontière, à force d'art de science,
Staël, n'était en rien distingué, lui dit, avec plutôt qu'à force d'hommes, et
t
1 et qui laissaient
un ton décidé « Vous avez tort de vous <à peu près les choses au môme état, les pro-
réjouir; il arrivera de ceci de grands désas- vinces à leur métropole, et aux rois les affec-
tres à la France et à nous. Mme de Staël y tions t des peuples; ces guerres étaient, pour
voit un pressentiment; ceux qui ne croient nation, un exercice de ses forces, et non
pas si volontiers au merveilleux, y verrontune i
porté. Ainsi, le peuple français était malheu- criminelle était secrète autre oppression.
reux, non précisément parce qu'il n'avait Mais la
publicité de la procédure, ou plutôt
pas de constitution, car il en avait certaine- de la plaidoirie
criminelle, qui permet à un
ment une, tout autant que les Etats d'Autri- avocat de déployer toute son éloquence pour
che et d'Allemagne, qui ne passaient pas atténuer un crime, et.au public d'écouter et
scandale d'une
pour des peuples malheureux, mais parce de s'abreuver à longs traits du
qu'il n'avait pas la constitution anglaise; justification qui, trop souvent, trouve dans
et c'est ce qui prouve que cette constitu- les cœurs de secrètes intelligences; cette
tion est la meilleure de toutes. II me sein-> publicité, utile pour sauver un accusé d'une
ble que c'est finir par où il aurait fallu com- mauvaise affaire, est-elle également avanta*
mencer. geuse à la morale publique, et ne dégrade-
Mais enfin, en quoi le peuple français était- t-elle pas trop souvent la noble profession
il si malheureux et si opprimé? Il payait des d'avocat ? D'ailleurs, nulle part les honnêtes
impôts, il est vrai, mais il en paye encore, gens ne se sont crus opprimas parla forme des
et même quelques provinces en payent dont jugements criminels usités dans
leur pays
elles étaient exemptes; mais tous les peu- jamais cette crainte n'a troublé le sommeil
ples en payent; mais selon Montesquieu, de l'homme de bien et si lesFrançais étaient
dans les républiques, ils sont plus forts que malheureux pour cette cause,
c'était assuré-
Portait-on nulle part
sous les monarchies; mais les Anglais en ment sans s'en douter. la
payent plus que tous les autres peuples; et plus loin qu'en France le respect pour pro-
les propriétés? Chacun
sans doute aujourd'hui que, par l'aliénation priété et pour toutes
des biens publics, tout le service de l'Etat, à ne pouvait-il pas aller et venir, même sans
commencer par la royauté et la religion., est passe-port; se
livrer à tous les genres d'in-
d la charge du trésor public, nous payerons dustrie, et dormir en paix à l'ombre de sa
toujours des impôts. Il était soumis à la mi- vigne et de son figuier? Mais tous les cir
lice; mais en Angleterre on presse, et vio-*ytoyens n'étaient pas admissibles à tous les
Jemment, les gens de mer; et puis, com- emplois. Etre admissible, c'est quelqup
qui est tout et
ment parler de la milice, lorsqu'on s'est cru chose; mais c'est être admis
obligé de rétablir le recrutement forcé ? pas plus aujourd'hui qu'alors, tous les ci-
Manquait-il de tribunaux civils pour juger toyens ne sont admis à tops les emplois.
ses différends, et les frais de justice ne sont-
D'ailleurs, nous discuterons plus tard cette
ils pas autant ou plus considérables qu'au- question et nous ferons voir qu'il y avait,
trefois ? Il n'avait pas, il est vrai, le jury en .même sous ce rapport, plus de
véritable li-
matière criminelle, oppression intolérable, berté et égalité politique en France qu'il n'y
suivant les libéraux mais le jugement des en a dans aucun Etat de l'Europe, sans en
délits sur preuves légales et positives, est excepter l'Angleterre. –Mais la dîme et les
tout au moins aussi philanthropique que le droits féodaux. Ils existent en
Angleterre,
jugement par la seule conviction des jurés et Mme de Staël n'a garde de le remarquer.
et si les jurés ont quelquefois absous ceux Je
n'en donnerai pas les raisons politiques,
qu'on comprend à merveille dans ce pays-là,
que les juges auraient condamnés, je peux comprend plus dans le nôtre;
assurer que, dans beaucoup de circonstan- et qu'on ne donner
ces, les juges auraient absous ceux que les
mais pour ne que des raisons tirées
jurés ont condamnés; et certainement les des lois civiles, que nos libéraux
entendent
la dîme
éléments dont se compose la conviction per- un peu mieux, je leur dirai que si
l'a-
sonnelle sont plus vagues, plus arbitraires, et les droits féodaux étaient un mal pour
plus incertains que la détermination positive griculture, ils n'étaient pas une injustice et
des preuves légales (1), D'ailleurs la so- une oppression pour les
propriétaires, qui
ciété n'est opprimée, sous le rapport de la tous, en France, depuis Charlemagne, avaient >t
déduction
justice criminelle, que lorsque la vindicte acquis leurs propriétés foncières,
féo-
publique est faible, lente, ou insuffisante à faite du capital de la dîme et des dr.oits
d'une
punir le crime; et si l'on faisait quelque re- daux. C'est ainsi que le possesseur
(I) est étrange assurément qu<y la philosophie
II condamner à mort le malfaiteur, et qu'elle ait fini
ai; commencé par contester à la société le droit de par le donner à tous lep individus,
maison soumise à une servitude ne saurait heureuse et libérale patrie, même à celui de
se plaindre si cette servitude lui a été dé- l'Angleterre? Pourquoi ces regrets si vifs
clarée par le vendeur, et tenue à compte sur lorsqu'elle a été exilée, et encore, exilée
le prix ( 1 ). Je parlerai ailleurs des privi- dans son propre pays, sur ses terres, avec
léges pécuniaires. toute sa fortune, et au milieu de sa famille
Lorsqu'une plus longue expérience aura et quel agrément pouvait trouver son âmo
permis d'en faire la comparaison,on aura un sensible et bienfaisante, au milieu d'un peu-
moyen infaillible de juger, entre les diver- ple si opprimé, et au spectacle de malheurs
ses formes de gouvernements, celle qui pro- qu'elle ne pouvait soulager ? Avec un peu plus
cure le plus de bonheur. Y aura-t-il moins de connaissance des hommes etdes choses, et
d'enfants abandonnés moins de crimes, surtout un peu moins de préventions, elle
moins de procès? Les maisons de détention aurait su que s'il y avait, sous les lois et les
ou les lieux de déportation seront-ils moins mœurs du paganisme, des peuples malheu-
peuplés? Y aura-t-il plus de respect pour la reux et opprimés par les excès de la guerre
religion, plus de fidélité au pouvoir, plus de ou les abus des conquêtes, par la corruption
déférence envers les pères et mères, plus et le désordre des administrations, par l'ins-
de bonne foi dans le commerce, d'indépen- tabilité des gouvernements, et les cruelles
dance et d'intégrité dans l'administration de extravagancesde la religion sous l'empire
la justice, etc., etc.? C'est à ces traits qu'on du christianisme, qui a mis tant d'onction et
reconnaîtra les progrès d'un peuple vers le de charité dans les relations des hommes,
bonheuret la véritableliberté; car un peuple donné aux gouvernements tant de solidité,
vertueux est toujours heureux et libre, et il et adouci jusqu'à la guerre, il ne peut y avoir
n'est même heureux et libre que par ses que des familles ma!heureuses, et trop sou-
-vertus. Nous pourrions même aujourd'hui vent par leur faute; que l'usure, l'ivrogne-
comparer sous ce rapport !a France d'autre- rie, la débauche, les querelles, les procès,
fois et l'Angleterre, et si l'on voulait con- la,paresse, fout plus de malheureux que les
sentir au parallèle, la question serait bien- gouvernements n'en pourraient faire et n'en
tôt décidée en attendant, il est remarqua- peuvent soulager, et que la seule époque de
ble combien ce qui a toujours été regardé son histoire où le peuple français ait été mal-
chez un peuple comme un signe de conten- heureux et opprimé, c'est lorsque la révolur
tement et de bonheur, était trompeur et, équi- tion, dont on veut aujourd'hui soutenir la
vaque dans l'une et l'autre nation. La bien- nécessité, excuser les désordres et perpé-
heureuse constitution de l'Angleterre avait tuer les principes, a fait renaître au milieu
fait des Anglais un peuple morose, grondeur, de nous tous les excès, toutes les tyrannies,
mécontent, égoïste, même selon Mme de toutes les extravagances, toutes les corrup-
Staël. Les lois oppressives de la France tions des pays idolâtres. Avec plus de con-
avaient fait des Français un peuple aimable, naissance des hommes et des choses, et sur-
aimant, gai, communicatif, et même beau- tout de l'ancienne administration, dont elle
coup pius dans le midi de la France, plus n'a aucune idée, et avec moins de préven-
soumis aux lois féodales que le nord. Le tions, Mme de Staël aurait su qu'un pays où
malheureux Français soupirait toujours après est si doux de vivre, même pour les étran-
sa patrie, etn'appelaitpasvivre, vivre éloigné gers, où le commerce avec ses semblables
d'elle; l'heureux Anglais, et généralement est si agréable, et la disposition générale si
les peuples du Nord, sont dans un continuel bienveillante, n'est pas malheureux; que
état d'émigration. C'était dans la France op- t'oppression, qui n'est que l'action des clas-
primée et malheureuse que les Anglais, mê- ses supérieures sur les inférieures, donnerait
me les plus riches, venaient chercher le aux premières un caractère de dureté, et aux
plaisir comme la santé, et jouir de la salu- autres une impression de mécontentement
brité de son climat, de la surveillance de sa et d'aigreur, incompatibles avec les qualités
police, de la protection de ses lois. Mme de ,qui rendent les hommes sociables et d'un
Staël elle-même n'a-t-elle pas toute sa vie commerce doux et facile Et si je voulais
préféré le séjour de la France à celui de son .emprunter le style de l'auteur que je com-
(1) Je ne sais si le peuple français est devenu politique peut le voir, avec quelque peine, faire sa
plus avare en devenant plus riche; mais il consom- nourriture usuelle d'aliments qui, quoi qu'on dise,
ipe moins de blé, qui payait la dîme, et plus de ôieront à la longue, à sa vigueur corporelle, à son
gommes de terre,' qui ne la gayaieni pas.; et u> activité, a sa longévité.
607 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. 608
bats, je dirais que tout ce qu'on trouvait en heureux, et sous ce gouvernement si cons-
France d'agréments, de douceur, de bien- titutionnel, la populace massacra, quand elle
veillance, de sociabilité, en un mot, était y fit sa révolution à l'imitation de la nôtre,
comme un parfum qui s'exhalait du bonheur un assez grand nombre de ses principaux et
général. des plus respectablescitoyens.
On veut que le malheur et l'oppression Mme de Staël, élevée dans l'opulence
qui pesaient sur le peuple français aient et la pourpre du ministère, livrée à tout ce
amené la révolution; et l'on né sait pas tout que le grand monde a de plus séduisant
«e qu'il en a coûté de violences, d'impos- pour une femme d'esprit, est beaucoup trop
tures, d'intrigues et d'argent pour pousser disposée à ne voir que te côté brillant des
le peuple à des innovations ou à des dé- .hommes et des choses, à ne placer le bon-
sordres qui répugnaient à ses habitudes, à heur que dans l'éclat, la vie que dans l'agita-
ses affections, ses vertus. Mme de Staël tion, la raison que dans les succès du bel
peut l'ignorer, elle qui n'a vécu qu'avec esprit. Toute sa philosophie l'abandonne
ceux qui poussaient' aux changements, et lorsqu'elle se laisse aller à cette impulsion.
qni n'a vu, et encore de ses fenêtres, que la « Jamais, » dit-elle,la société n'a été aussi
populace de la capitale, c'est-à-dire ce qu'il brillante et aussi sérieuse tout ensemble
y a dans une nation de plus ignorant, de que pendant les trois ou quatre premières
plus corrompu et de plus turbulent; mais années de la révolution, depuis 1788 jusqu'à
ceux qui connaissent l'esprit et les mœurs la fin de 1791. » Hélas 1 tout cet éclat qu'ai-
des provinces, ceux surtout qui, comme vaient précédé et que devaient suivre des
l'auteur de cet écrit, étaient à cette époque jours si tristes et si nébuleux, ressemblait
à la tête de leur administration, peuvent at- à ces vifs rayons du soleil qui brillent entre
tester que le peuple, surtout celui des cam- deux orages et si l'on se rappelle tout ce
pagnes, a longtemps opposé à la révolution qui s'était passé dans ce même intervalle da
la seille force que le gouvernement permit temps, on conçoit que la société dût être sé-
d'employer, la force d'inertie, et qu'il en rieuse, mais on a peine a s'expliquer com-
aurait coûté au gouvernement infiniment ment Mme de Staël pouvait la trouver si
moins d'efforts pour empêcher la révolution, brillante. Elle nous l'explique elle-môme
qu'il n'en a fallu aux révolutionnaires pour « C'est que dans aucun pays ni dans aucun a
la faire. Et la Vendée, qui lui a opposé une temps, Y art de parler sous toutes les formes
résistance si héroïque et si active, était-elle n'a été aussi remarquable que dans »es pre-
plus heureuse que les autres parties du mières années de la révolution. »
royaume? payait-elle moins que les autres C'est donc l'art de parler sous toutes les
la dîme et les droits féodaux? et n'étaitrelle formes que Mme de Staël admire; et, beau-
pas même la plus féodale de nos provinces? coup trop sensible aux succès prestigieux
Et l'Espagne, qui, selon nos libéraux, gé- d'un art dans lequel elle a excellé, elle ne
missait sous l'oppression de l'inquisition et voit de constitution et de gouvernement que
du gouvernement le plus absolu de l'Eu- dans la tribune aux harangues; et elle oublie
rope, 14£spagne assez malheureuse pour que si l'on maîtrisait des peuples enfants,
n'avoir ni le jury ni la liberté de la presse, des peuples qui n'avaient que des passions,
pourquoi s'est-elle refusée au bienfait de avec des paroles et un vain bruit de sons
la révolution et, étrangers pour étrangers, artistement arrangés, on ne gouverne des so-
pourquoi a-t-elle préféré les étrangers qui ciétés avancées, des sociétés chrétiennes et
venaient combattre la révolution, aux étran- raisonnables. des peuples faits, en un mot
gers qui venaient lui en faire présent? qu'avec des pensées qui ne viennent pas à
Mme de Staël attribue à l'oppression l'esprit aussi vite que des paroles à la mé-
sous laquelle gémissait le peuple français, moire, et qu'à la tribune, ou même dans un
tous les excès et tous les crimes dont il s'est cercle on n'improvise jamais que des
jsouillé: Les erreurs ou lès crimes de l'as- mots.
semblée constituante ont précédé et com- L'orateur le plus brillant et le plus funes-
mandé -les erreurs et les crimes du peuple te de l'assemblée constituante, Mirabeau,
et quand Mme de Staël remarque qu'aucun trouve, ou peu s'en faut, grâce aux yeux de
autre peuple ne s'est livré aux mêmes ex- Mme de Staël; elle lui sacrifie tous les autres
îès, elle oublie ou elle dissimule qu'à Ge- orateurs, et trace son portrait de complai-
nève même, chez ce peuple si libéral et si sance. Ce n'est que par un retour sur elle-
609 PART. Il. POLITIQUE. OBSERV. SUR LOUV. DE Mme DE STAEL. 610
même,
même et après le premier mouvement de de
le La royauté en Franceétait constituée, et si
son esprit, qu'elle se reproche d'avoir ex- bien constituée que le roi même ne mourait
primé des regrets pour un caractère si peu u pas. Elle était masculine, héréditaire par
digne d'estime, qui n'eut de talent que pour
ir ordre de primogéniture indépendante et
égarer, et de force que pour travailler • c'est à cette constitution si forte de la royau-
comme il le disait lui-même, à une vaste des- s- té que la France avait dû sa force de résis-
truction mauvais fils, mauvais époux, amant nt tance et sa force d'expansion.
déloyal citoyen factieux, dominé par l'a- i- La nation était constituée, et si bien cons-
mour de l'argent plus encore que du pou- i- tituée qu'elle n'a jamais.demandé à aucune
voir, et qui ne fut pas même fidèle au parti ti nation voisine la garantie de sa constitution.
qu'il avait formé. Mme de Staël déplore -e Elle était constituée en trois ordres, for-
comme un malheur de ne pouvoir plus, dans is mant chacun une personne indépendante,
le cours de sa vie, rien voir de pareil à cet et qnel que fût le nombre de ses membres et
homme si éloquent et si animé, parce qu'elle le représentant tout ce qu'il y a à représen-
prend pour de l'éloquence, l'art de parler er ter dans une nation, et ce qui seul forme
sous toutes les formes, et la fièvre brûlante te une nation, la religion, l'Etat et la famille.
des passions pour l'énergie de l'âme et l'ac- 3- La religion était constituée, et si bien cons-
tivité du génie. Qu'elle ne le regrette pas tituée qu'elle a résisté, qu'elle résiste,
ces météores ne se montrent que dans les es qu'elle résistera à toutes les attaques que
tempêtes et il nous en a coûté un peu trop )p le clergé de France a tenu le premier rang
cher de donner ce spectacle aux étran- i- dans l'Europe chrétienne, par ses docteurs
gers. et ses orateurs, et que le roi lui même avait
mérité le titre de roi très-chrétien.
§ III. La France avait- elle "Une cons- La justice était constituée, et si bien
1
titution ? constituée que la constitution de la magis-
trature de France était, de l'aveu de tous les
C'est après quatorze siècles d'existence, \> politiques, ce qu'il y a jamais eu dans ce
après trente ans de révolution, après avoir lir genre de plus parfait en ce monde. Dans tout
essayé de dix constitutionsdifférentes c'est ^st
pays il y a des juges ou des jugeurs il n'y
après que, dans cent écrits solides et bien en avait de magistrats qu'en France parce que
raisonnés,on a démontré que la France avait
lit c'était seulement en France qu'ils avaient le
une constitution, que Mme de Staël vient nt devoir politique de conseil.
demander encore si la France avait une 11e La limite au pouvoir indépendant du roi
constitution, et se décide pour la néga- a" était constituée, et si bien constituée qu'on
tive.
ne citerait pas une loi nécessaire (je ne parle
C'est toujours la même manière de raison- n" pas des lois fiscales, qui ne méritent pas le
ner. « Le peuple
qu'il
français était malheureux,1 » nom de lois), pas une ^oi nécessaire qui ait
parce n'avait pas de constitution; et été rejetée, ni une loi fausse.qui
il n'avait pas de constitution, parce qu'il n'a- se soit af-
a- fermie. Le droit de remontrance dans les tri-
vait pas la constitution anglaise. » bunaux suprêmes était une institution ad.
Mme de Staël n'a pas prévu à quoi elle Lle mirable, et peut-être la source de tout ce
s'exposait; car en mettant en doute, dans le qu'il y avait d'élevé dans le caractère fran-
chap. 8, part. vi de son ouvrage, Si les An- n- çais et de noble dans l'obéissance c'était la
glais ne perdront pas un jour leurliberté, elle
le justice du roi qui remontrait à sa force;
court le risque, si jamais ils tombaient en en et quel autre conseil, quel autre mo-
révolution, qu'on dise d'eux, comme elle dit lit dérateur peut avoir sa force que la jus-
de nous, qu'ils n'avaient pas de constitu- u- tice?
tion. La religion, la royauté, la justice, étaient
Au fond, cette question est absurde. La La indépendantes, chacune dans la sphère de
constitution d'un peuple est le mode de son r>n
leur activité, et indépendantes comme pro-
existence; et demander si un peuple qui a priétaires de leurs biens ou de leurs offices.
vécu quatorze siècles, un peuple qui existe, ;e, Aussi la nation était-elle indépendante et la
a une constitution, c'est demander, quand il plus indépendante des nations.
existe, s'il a ce qu'il faut pour exister; c'est
ist La France avait donc une constitution
,de mander si un homme qui vit, âgé de qua- a- ce n'est pas le commerce, ce ne sont pas les
tre-vingts ans, est constitué pour vivre. académies, ce ne sont pas lés arts, ce n'est
6it OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 61f
pas l'administration, ce n'est pas même l'ar- des sujets. Si les limites sont marquées, cha-
mée,quiconstituentunEtat, mais la 'royauté, cun, en temps de guerre, se porte à sou ex-
la religion et la justice. trême frontière. Les partis sont en présence,
Aussi, parce que laFrance avait une cons- le combat s'engage, et, au lieu de disputer
titution, et une forte constitution, elle s'é- pour déterminer les limites, chacun s'efforce
tait agrandie de règne en règne, même sousr de les reculer. S'il reste un nuage sur ces
les plus faibles; toujours enviée^ jamais en- questions délicates, on passe à côté les uns
tamée souvent troublée, jamais abattue des autres sans se rencontrer; on va quel-
sortant victorieuse des revers les plus quefois, de part et d'autre, un peu trop loin
inouïs et par les moyens les plus inespérés, mais, après quelques excursions, chacun
et ne pouvant périr que par un défaut de foi rentre sur son terrain. Dieu lui même a
à sa fortune. voulu nous laisser ignorer comment il intlue
Certes, celui qui n'a cessé de louer l'an- sur notre liberté et triomphe de notre résis*
cienne constitution française sous les cons- tance; et l'on a bien plus disputé sur le pou*
titutions de l'empire, aura bien le droit d'en voir de Dieu et sur le libre arbitre de l'hom-
parler sous le roi de France; et s'il avait be- me, que sur le pouvoir des rois et la liberté
soin de justification, la voilà. politique; ce qui n'empêche pas que Dieu ne
Après ce qu'on vient de dire, je ne peux soit tout-puissant, et que nous ne soyons
que renvoyer le lecteur au chapitre 11 du tout à fait libres (1).»»
tome I" de l'ouvrage de Mme de Staël. J'au- § IV. De la noblesse en France et en
rais, je crois, trop d'avantage si je voular Angleterre.
en discuter en détail toutes les assertions
On y verrait que Mme de Staël prend tou- C'est sur la noblesse que Mme de Staël a
jours l'accident pour la substance, je veux montré à la fois le moins de connaissances
dire des disputes d'administration pour des de l'institution, et le plus de préventions et
vides dans la constitution et l'on s'étonne- d'injustice envers les personnes.
rait môme qu'elle connaisse si peu et si mal Quoiqu'elle se plaigne, dans un endroit
notre ancienne administration. Une consti- de son ouvrage, qu'on veuille faire de la
tution complète n'est pas celle qui termine métaphysique sur la constitution, il faut
à l'avance toutes les difficultés que les pas- cependant qu'elle permette qu'on fasse de la
sions des hommes et les chances des événe- politique avec delà raison, commeelle en faitt
ments peuvent faire naître, mais celle qui avec des affections et des émotions.
renferme le moyen de les terminer quand Dans la monarchie indépendante, où le
elles se présentent; comme les bons tempé- pouvoir législatif est tout entier et sans par-
raments ne sont pas ceux qui empêchent ou tage entre les mains du roi, la fonction et la
préviennent toutes les maladies, mais ceux raison de la noblesse ne peut être que
qui donnent au corps la force d'y résister et d'exercer, sous les ordres du roi, les fonc-
d'en réparer promptement les ravages. Sans tiuns publiques.
doute on s'est souvent disputé en France; Ainsi.la noblesse, en France, était un corps
mais on s'est beaucoup plus souvent baltu de familles dévouées héréditairement au ser-
en Angleterre; et sans la dispute qui aiguise vice de l'Etat, dans les deux seules profes-
tes esprits et développe la vérité, que de- sions qui soient publiaues ou politiques, la
viendrait l'art de parler sous toutes les for- justice et la force.
,mes, si cher à Mme de Staël ? Cette destination était actuelle pour la fa-
Je répondrai à ceux qui veulent dans les mille, éventuelle pour les individus; elle
choses morales la précisionde mouvement, de était moins une obligation imposée à tous
mesure, d'étendue, de force ou de résistance les membres, qu'une disponibilité, générale
qui ne se trouve que dans les corps ou les de la famille.
choses matérielles, c'est-à-dire qui veulent Ce qui prouve, avec 1* dernière 6vidence,
l'impossible, « que c'est une grande erreur que la noblesse en France, et dans tout
de vouloir tracer des lignes précises de dé- Etat naturellement constitué, est proprement
marcation -entre le pouvoir et l'obéissance, l'action du pouvoir, est qu'elle a suivi dans
et poser à l'avance, dans la constitution, des tous les âges les phases successives du pou-
sociétés, des limites fixes au pouvoirdu chef, voir dans les premiers temps, viagère ou
a la coopération de ses agents, aux devoirs temporaire; dans les derniers, héréditaire;
(l) Pensées du même auteur.
et de là sont venues les disputes sur l'état ouî lion ordinaire, lorsqu'ils sortaient, pnrvente,
même l'existence de la noblesse en France, échange ou inféodation, des mains de la no-
que quelques écrivains ne trouvent pas dans> blesse, ce qui aurait peu à peu fait entière-
le premier âge de la monarchie, parce qu'ils5 ment disparaître la franchise. La noblesse
ne la trouvent pas constituée comme dans le avait d'ailleurs, aux états généraux, offert
dernier. l'abandon de ses priviléges pécuniaires; et
Comme la noblesse était consacrée, corps5 c'est bien injustementqueMmedeStaëlélève
et biens, au service public, elle ne pouvaitt des doutes sur la sincérité de son offre et
vaquer à aucun négoce ou service parti- de celle du clergé, de payer une partie du
culier. Des lois modernes lui avaient, il estt fameux déficit. Elle sait, mieux que personne,
Vrai, permis le commerce en gros; mais les5 qu'on ne les aurait pas acceptées, quand ils
mœurs anciennes, plus sages, le lui avaientt auraient offert de le combler tout entier. On
interdit avec juste raison, parce que le com- voulait dépouiller et détruire, et non payer
merce, même le plus étendu, est un servicea les dettes.
de particuliers comme le commerce de détail La noblesse, par la nature même de son
et le négociant qui fait venir des flottes en- institution, diminuait plus rapidement que
tières chargées de sucre et de café, sert less les autres familles elle s'était réduite à peu
particuliers comme le marchand qui est à ma:i près de moitié depuis Louis XIII; et, au
porte.. commencement de la révolution, il ne res-
Le même motif de disponibilité perpé- tait guère plus de quinze mille famil-
tuelle pour le service public ne permettaitt les (1), nombre évidemment inférieur, et
pas au noble de contracter des engagements s sans proportion avec le reste de la nation
sous la contrainte par corps; et l'impossibi- cause évidente de révolution, c'est-à-dire
lité où était la noblesse de réparer ou d'a- de conversion de la monarchie en démo-
grandir sa fortune par aucune profession lu- cratie (une révolution n'est pas autre chose),
crative avait fait fort sagement établir laa parce que le pouvoir monarchique manquait
substitution des biens, si imprudemment it de son action nécessaire et constitution-
abolie, et à laquelle on est revenu sous unri nelle.
autre nom. La noblesse était donc une milice polit-
Comme la noblesse, alors peu appointée'e que, dont le roi, en qualité de chef suprême
dans le service militaire, et point du toutit de la justice et do la force, était le chef; et
dans le service judiciaire, servait l'Etat, enn comine le général d'une armée a sur ses su-
temps de paix, avec le revenu de son bien,i, balternes une autorité de juridiction qu'il
et, en temps de guerre, avec le capital, n'a pas sur les autres citoyens, le roi avait
comme le dit Montesquieu, et qu'elle nee sur les nobles une juridiction qu'il n'avait
pouvait réparer ses pertes que par des acci- pas sur les autres sujets. Ceux-ci, il devait,
dents, comme des mariages ou de hautess dans tous les cas, les déférer aux tribunaux
dignités, elle avait conservé quelques fran- tandis qu'il pouvait punir par les arrêts ou
chises d'impositionfoncière,dontjouissaient,t, l'exil de la cour le noble,. pour des fautes
avant l'établissementde la taille, tous les pro-
i- qui ne tombaient pas sous l'action des lois
priétaires. Monstesquieu avait dit, sans enn eriminelfces. Ainsi, je crois que tous les ci-
donner la bonne raison, en parlant de la no- toyens, en France, avaient droit de se plain-
blesse « Les terres doivent avoir des pri- dre des lettres de cachet, excepté les no-
viléges comme les personnes. » Cette fran- bles. Terrasson dit avec raison « La su-
chise avait été extrêmement réduite dans less bordination est plus marquée dans les pre-v
derniers temps, surtout dans les provincess miers rangs que dans les derniers. »
du midi, où elle était attachée, non à laa Deux moyens se présentaient pour recru-
personne, nais à certains fonds. Ces fondss ter la noblesse l'un ordinaire, par la vo-
francs avaient été soumis à deux vingtièmes s lonté des familles privées l'autre extraor-
nobles, et je peux assurer par expérience e que dinaire, par le. choix du souverain.
l'imposition actuelle n'est pas beaucoup p Mme de Staël, qui préfère en tout J'extra-
plus forte. Dans ces mêmes provinces, cettee ordinaire, ne veut que le choix du roi, et
franchise diminuait continuellement, parcee rejette avec un mépris peu philosophique ce
que ces fonds étaient soumis à la contribu- qu'on appelle en France l'anoblissement.
(1) Le dénombrement de la noblesse, en Espagne, de 1788, porte le nomore des nobles à 478 "18.
Itinéraire de La Borde • •• w
Le choix du souverain d'un certain nom- rez acquis assez pour n'avoir plus besoin
bre sur toute une nation, et surtout sur une des autres, et pour pouvoir servir l'Etat à vos
nation riche et lettrée, comme moyen uni- frais et avec votre revenu, et, s'il le faut, de
que et régulier de recruter l'institution de votre capital, le plus grand honneur auquel
la noblesse, est fâcheux pour le chef de l'E- vous puissiez prétendre sera de passer dans
tat, qu'il entoure d'intrigues, expose à des l'ordre qui est spécialement dévoué au ser-
erreurs, à des injustices, et au mécontente- vice de l'Etat; et dès lors vous deviendrez
ment de tous ceux qui se croient des droits capables de toutes les fonctions publi-
à cette faveur. Sans doute le souverain doit ques. »
élever ceux qui se recommandent par de Ainsi, une famille qui avait fait une for-
grands services, et que la voix publique lui tune suffisanto achetait une charge, ordi-
désigne mais ces grands hommes ne pa- nairement de judicature, quelquefois d'ad-
raissent guère que dans les grandes guerres ministration et elle préludait ainsi, parler
et les grands troubles, et l'on peut assurer professions les plus graves et les plus sé-
que la société les paye toujours fort cher. rieuses, à la carrière publique. Une fois ad-
Ce moyen de recrutement est donc insuffi- mise dans un ordre dont le désintéresse-
sant pour les temps ordinaires; et la cons- ment faisait l'essence, puisque toute pro-
titution, française, sans exclure ce choix fession lucrative et dépendante lui était in-
spontané du souverain, qui n'est trop sou- terdite, elle en prenait les mœurs à la pre-
vent que le choix fait par ceux qui l'entou- mière génération, les manières à la seconde;
rent, avait fort sagement établi un mode ces manières, auxquelles Mme de Staël at-
usuel (qu'on me permette l'expression), et tache trop de prix, et qu'elle ne trouve pas
régulier d'avancement et c'est ici, j'ose le en France assez populaires, mais qui, indif-
dire, la partie la plus morale, la plus poli- férentes aux yeux du philosophe, sont le
tique de nos lois, et je dirais la mieux rai- résultat nécessaire, et comme l'expressic.1
sonnée, parce qu'elle avait été établie par la extérieure de la profession.
raison de la société, et non par le raisonne- Cette famille était noble, et autant que
ment de l'homme. les familles les plus anciennes. L'anobli !o
La tendance naturelle de tous les hommes plus récent siégeait dans les convocations
et de toutes les familles, principe de toute générales de la noblesse, à côté du duc et
émulation et de toute industrie, est de s'é- pair, et s'y montrait plus noble s'il s'y mon-
lever, c'est-à-dire de sortir de son état pour trait plus fidèle ( 1 ). Il était dès lors ad-
passer à un état qui parait meilleur, et de missible à tous les emplois; et il n'était pas
changer un métier qui occupe le corps, con- rare de voir, dans la même famille anoblie,
tre une profession qui exerce l'intelligence. l'aîné des enfants conseiller en cour souve-
Dans le langage des passions, s'élever si- raine, le second évêque, et le dernier dans
gnifie acquérir des richesses et des moyens les emplois militaires supérieurs.
de dominer les autres. S'élever, dans la Peut-on, je le demande parler sans cesse
langue morale de la politique, signifiait ser- d'égalité, et s'élever contre l'anoblissement,
vir, servir le public dans les professions qui tendait à élever également et successi-
publiques de la justice et de la force, et vement toutes les familles, et à leur donner
cette sublime acception du mot servir, de- à toutes, à volonté, une destination aussi
venue usuelle dans toutes les langues de honorable pour elles, qu'utile à l'Etat ?
l'Europe chrétienne, vient de ce passage de La constitution n'admettait donc qu'un
l'Evangile Que celui qui veut dire au-dessus ordre de noblesse. L'opinion accordait aux
des autres ne soit que leur serviteur. (Matth. familles plus anciennement dévouées, et
xxin, 11.) Ainsi la constitution disait à tou- qu'on pouvait regarder comme les vieil-
tes les familles privées « Quand vous aurez lards de la société publique, la considéra-
rempli votre destination dans la société do- tion qu'elle accorde, dans la société domes-
mestique, qui est d'acquérir l'indépendance tique, aux vieillards d'âge. Jusque-là rien
de la propriété par un travail légitime et de plus raisonnable, et même de plus natu-
par l'ordre et l'économie quand vous en au- rel. La cour avait été plus loin; elle avait
(1) Je crois que les états généraux de 1789 auxquelles Mme de Siaël rattache l'institution
sont les premiers où des anoblis aient siégé dans de la noblesse, avaient fait place aux idées de ser-
.l'ordre de la noblesse. Ce progrès est extrêmement vice. Tels étaient les changements apportés par la
remarquable, et annonçait que les idées de conquête, temps à notre constitution.
dislingaé un peu trop différents degrés a imss vées ïtt ïotee te cbàsom mate ur à pà yer 1 e 1 uxe
le même ordre, gens de qu&lité^^ens présm- >te m&dàmé'Vl les plaisirs de monsieur. C'est Va
tés, distinction récente qui teadaït à -créerr tifoe des 'causées du renchérissement des ilen-
une. aristocratie ineonstitutioanerie Sanss réeseïi Ahgleterre, en ftotlànde, même en
fonctions spéciales. II est vrai cependantt IF.rance,set partout où le commerce n'a d'autre
qu'il était convenableque fa famille royale, -tait que lé commefce,et où les millions àp-
comme .la plus ancienne de la société, fitt Relient ël produisent les millions. Les gran-
particulièremententourée dfts plus aroien- des 'richesses territoriales font incliner
nes familles. Mais il fallait laisser cfefte'drs- un
Elat à l'aristocratie, mais les grandes riches-
iinctionaax usages et aux «@eur&, et ne pass 'ses mobiiiaires le cwctuiseht à la
l'établir par des lois positives ou des règle- tie et l'es dëmocra-
gerrs à Argent, devenus les mai-
ments. Tout ce qu'on accordait h la vanité5 très de l'Etat, âchèleht le pouvoir fort
des individus., oh l'ôiait -à J'anèté, «t parr ffiare'hé-aè-c-eu* à^ui ils vendent fort boa
conséquent la force de l'institution. Less le sucrô-ëVIe café. la 'Hollande
grands seigneurs voulaient faire un tmërei fiches négociants da
cher
avait les ,plu«
monde il n'y avait
dans un ordre les familles cadettes, ;h«mi- ââiïs les 'petits cantons
suisses
liées par leurs aînées, s'en dédommageaient très et descapocins. (Juel est que des .pâ-
dés deux peu-
sur les plus jeunes., qui Je rendaient à d'au- pies celui qui a le mieux défendu son îndé-
tres tout cela pouvait être corrigé sans ré- pendafice, et le pius hôïioïë
volution, et $& erois tnêrûe que quelques moBïén'ts? Vmlà ïla queistïon ses derniers
telle qu'el'o
cahiers de la noblesse em avaient fait l'@b- dbit-être soumî'seàa jngement
de la poli-
servatio-n. tique.
Là famille «cjobliè, et souvent un peu Mme âa Staël, qui lit d^jà son dans
tropète, et «vant qu'elle eu fait une for- l'histoire, et dont là famille a, pissénom
de;pleiB
tune assez indépendante, renorrçaït, tomme toi ducomp'toir au ministère de l'Etat, traite
les anciÊnnes, à toute profession lucrative. arec un grand mépris l'anoblisseaient, et
Je ne sais si cela est très-libéral, mais c'é- ne
veut que des 'familles historiques. Mais Ca-
tait *i<ès'phifesopM!fae,très-moral, et sur- tilina est historique comme Cicéron, et Mi-
tout très-politique. <Rïen de plus moral as- rabeau comme M. Necker. On connaît de
suréraefit qu'une institution qui, sans con- grands n'ôrûs qui ne voudraient pas être tout
iraàfte, et p«r les tootifs les plus honora- à fait si historiques, Mme de Staël le dit
bles, offre rt iesemple, oîi petft dire légal elle-même ét ce sont des hommes
etpablic, de désiWéTessem^nt, à des ver-
bom- tueux, et non des hommes célèbres,, qui font
.mes dévores de la soif de l'argent, et au mi- la force et le salut des empires.
lieu de sociétés où cette passion est une Mme de Staël, qui ne voit les choses qu'es
cause féconde d'injustices et de forfaits. grand, n'entend par histoires, que les his-
Mien de plus politique que d'arrêter, par toires générales. Mais chaque province a
un sou
moyen aussi puissant que volontaire, par le histoire; et si ces histoires locales ne rappor-
motif de VMûiî&iït, l'accroissement immo- tent pas, comme celles de Mézerai ou de
déré ées richesses dans les mêmes toains. DWiiël,- des actions éclatantes, et quelque-
C'est précisiéme'H* sous ce poiwt d;e tue que fois
J d'éclatants forfaits, elles peuvent
rap-
Mme de Staël, imbue de la politique de Ge- peler
1 des vertus e-t des bienfaits et
en dé-
nève, Mâme l'anoblissement. C'est une m- ifendant la cause de ja noblesse de province,
conséquence dont il nous était réservé de qài
( a le malheur ou le bonheur de n'être
donner l'exefflple, que de voir les mêmes pas
1 historique comme l'entend Mme de Staël,
hommes qni appellent à grands cris ie mor- et
c qu'elle traite aussi mal que les anoblis,
cellewient imdéâni de là propriété "territa- j me crois plus véritablement philosophe
je
riale, favoriser de tout leur pouvoir l'accu- que
c ce célèbre écrivain
mulatimi ïMéSnie de la propriété mobi- La noblesse de province, moins éléga*rto
liaire où 4è.s, capitaux; L'accumulation des dans
d les manières, moins habile dans l'art
terres a Un terme:; celle des richesses moK- d parler sous toutes les formes,
de
liaires n'en a pas, et le même négociant peut que la no-
bblesse de cour, a-t-elle été,
faire le commerce des quatre parties du aux états géné-
raux
r qui ont précédé la révolution (car c'est
monde. Mais le luxe arrive à la suite des li~( seulement qu'elle faisait corps),
là
richesses; et le îïégocïawt enrichi, peu moins
fidèle
fi et moins dévouée ? Les anoblis out-
pressé de vendre met à haut prix ses den- ils,
il dans cette lutte à jamais célèbre, moiiii
(VKlTV !î fl't> ItiCtl .*« "Sri "M.
-6199 -ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 68©
que les anciens nobles, gardé le dépôt des
qno diffère même pas essentiellement de la dé-
principes monarchiques? Je laisse à l'his- mocratie, et l'aristocratie n'est elle-même
toire contemporaine cette question à déci- qu'une démocratie plus resserrée, et la dé-
der. Mais si les uns ont été aussi fidèles que mocratie une aristocratie plus étendue.
les autres, ils ont été plus malheureux, et la Je n'examine pas cette institution comme
révolution et ses terribles décrets ont beau- institution politique, et relativement à ta
coup plus pesé sur ceux qui avaient moins force et à la stabilité de l'Etat mais sous
à perdre, et moins de moyens de ré- le rapport de la liberté et de l'égalité sous
parer. lequel Mme de Staël la considère, et la pré-
Dans tout ce que j'ai dit sur la noblesse, fère aux anciennes institutions de la monar-
considérée comme institution et corps poli- chie française.
tique, on ne m'opposera pas, sans doute, Il faut avant tout observer une différence
'Jes vices ou les crimes de quelques indivi- essentielle et caractéristique entre toutes
dus. C'est ainsi qu'il serait souverainement les républiques et la monarchiefrançaise. Les
irijusta d'opposer, aux avantages incontes- républiques, et particulièrement celle d'An-
tables de l'utile profession du commerce, gleterre, ne comptent que des indivi-
l'exemple des négociants qui font banque- dus ( 1 ) la monarchie française ne voyait
-route. quedes familles; et il en résultait, là, plus
Mme de Staël réduit à peuprès à deux de mouvement ou d'agitation, ici, plus de
tîents les familles historiques, qui ne seront repos et de stabilité. La république romaine,
recrutées, sans doute, que par de grands ta- seule entre toutes les républiques, considérait
lents, de grands services, de grands génies, aussi la famille dans ses institutions politi-
de grands hommes en un mot; et comme il ques, et c'est ce qui lui a donné une si lon-
n'en paraît guère, et même qu'il n'en faut gue durée et une si grande supériorité sur
que dans de grands dangers et de grands tous les autres peuples.
besoins, il nous faudra toujours do grands Comme la liberté physique consiste, pour
événements pour avoir des grands hommes
un individu, à pouvoir aller et venir où bon
et nous ne devons plus compter sur des lui semble, la liberté domestique consiste,
jours tranquilles.
pour une famille, à pouvoir exercer tous les
Comme on ne peut pas, avec deux cents
genres d'industrie légitime qui conviennent
familles, même historiques, faire une insti- à ses goûts, à ses habitudes, à sa fortune,
tution militaire ou judiciaire, c'est-à-dire à sa liberté politique; à pouvoird'elle-même,
une institution servante, pour un Etat de et par ses propres forces, suivre la tendance
vingt-cinq millions d'hommes, Mme de Staël naturelle de toutes les familles, et à passer
en fait une institution législative. Ne
pou- des occupations domestiques au service de
vant en faire des nobles, elle en fait des la société, où à s'élever.»
rois, même héréditaires, c'est-à-dire qu'elle Or, en France, il sufiisait qu'une famille eût
en fait un patriciat magistrature qui doit fait une fortune suffisante par des voies légi-
être héréditaire, selon l'auteur que je com- times, pour qu'elle pût d'elle-même, et sans
bats, mais qui ne doit pas être de race; ce intrigue ni faveur, acheter une charge qui la
qui me paraît difficile à concilier car si elle faisait passer dans l'ordre politique, c'est :à-
n'est pas de race pour ceux qui la commen- dire que la finance qu'elle donnait était pour
cent, elle ne peut pas ne pas être de race J'Etat une caution de sa fortune et de son in-
pour ceux qui la continuent par hérédité de dépendance.
succession. En Angleterre, l'individu, même en s'éle-
Ceci nous ramène à la constitution de vant, ne sort jamais de l'état privé et le pair,
l'Angleterre, où il n'y a pas de corps de no- qui fait des lois pendant trois mois, peut
blesse destinée à servir le pouvoir, mais un vendre du drap le reste de l'année. Ses en-
patriciat destiné à l'exercer. Au reste, cette fants
i puînés ou ses frères peuvent exercer
institution se retrouve dans toutes les répu- des
< professions mécaniques ou lucratives, et
bliques. J.-J. Rousseau remarque très-bien même
i au désavantage des familles ordinai-
que le patriciat bourgeois de Genève ne dif- res,
i pour qui une si haute concurrencen'est
fère pas du patriciat noble de Venise; il ne pas
] sans inconvénients.
(1) La constitution anglaise reconnaît si peu qui
t jette une grande confusion dans l'histoire d'An-
la famille, que l'homme y fait toujours, à son élé- gleterre,
{
vation, le sacrifice de son .noiii patronymique; ce 1
«21 PAKT. II. POLITIQUE. OBSERV. SUR L'OUY. DE Mme DE STAËL. «32
Ainsi, en France, une famille
famille qui s'ano- politiquement
] que des
que grands et
des grands des pelits,
et des
blissait, anoblissait tous ses membres, et le qui
( ne grandissent pas d'eux-mêmes et ne
père travaillait pour tous ses enfans. 11 en peuvent
1 sortir de leur état que par une fa-
résultait plus d'esprit de famille, et un con- iveur spéciale, et il
n'y a réellement de dis-
cert plus unanime d'efforts et de travaux. tinction
i qu'entre les fortunes, inégales
En Angleterre, l'aîné seul passe dans l'ordre comme
( le» rangs politiques car s'il y a des
politique les autres restent dans l'état pri- millionnaires,
) le dixième de l'Angleterre est
vé aussi Mme de Staël remarque « que à'< l'aumône du bureau de charité. Aussi la
les liens domestiques, si intimes dans le ma- pauvreté,
] même la médiocrité, y sont plus
riage, le sont très-peu en Angleterre, sous 1honteuses qu'en France et peut-être ne
d'autres rapports; parce que les intérêts des ifaudrait-il pas remonter jusqu'aux maximes
frères cadets sont trop séparés de ceux de d'Epictète,
< pour trouver que la distinction
leurs aînés. » Le chapitre 6 du livre vi est de
< l'argent n'est pas la plus morale de toutes
curieux à lire. On y trouve le correctifde tout celles
< qui peuvent exister entre les hommes,
ce que Mme de Staël a dit à la louange des et
< qu'il y avait une bien haute philosophie
Anglais et de l'Angleterre. dans cette dispositionqui faisait qu'en Fran-
Là", toute élévation, même à la plus haute ce,une
< famille pauvre, et fière de sa pau-
dignité, à la pairie, n'est jamais qu'une fa- vreté, ne l'aurait pas troquée contre l'opu-
veur du souverain roi ou du souverain peu- 1lence d'une place dans les fermes ou les re-
contre
PART. H. POLITIQUE.
En général, dans les plaintes qui s'élèventt
tousC loc
Pfiril/rA fini! lesoinn\ror*i-nitVi/»ri*e''
gouvernements accusés
rie pas chercher et récompenser le mérite,
on ne ditpas Le gouvernementest injuste,
parce que tel ou tel ne sont pas placés; mais
chacun dit, à! part soi parce que je ne suis
pas placé. Et cependant les hommes qui
,ï
n'ViVuV^ An de
est
r.
OBSERV. SUR: L'OUV. DE Mme DE STAËL.
nous a fallu chèrement payer les secours qui Il est vrai qu'après avoir chassé Bona-
nous ont été prêtés, les sincères partisans parte, p les puissances alliées se sont occu-
de la véritable indépendance de la France pées p du sort de la France. Il était aussi dif-
ne doivent pas trop s'en plaindre et c'est ficile fi de leur en contester le droit que la force
aussi un moyen de recouvrer toute son in- C'est C un nouveau droit des gens qui s'établit
dépendance, que de s'acquitter envers ses en e Europe c'est vraiment la république
voisins, du service qu'ils vous ont rendu et* chrétienne cl qui se constitue; c'est à la lettre
les factieux, qui en font aujourd'hui tant de la Il chrétienté tout entière qui se réunit pour
bruit, ont vu peut-être sans trop de peine ses s< intérêts communs et ceux qui voient
lE progrès de la raison humaine dans quel-
un excès de charges publiques, qui, joint à les
la disette ou à la cherté des subsistances, que q misérable brochure, ne les voient peut-
pouvait, en indisposant les peuples, favori- être êi pas dans ce noble concert des puissan-
ser l'exécution de leurs sinistres projets. ces, c< le plus honorable événement des temps.
Heureuse sans doute l'Europe, plus heu- modernes. Ir
reuse la France, si l'on n'eût pas laissé ré-
gner à ses portes l'nomme qu'on était venu § VII. De Bonaparte
détrôner 1 Heureùses .es puissances, si, an Tous les écrivains libéraux en veulent
lieu de se laisser tromper sur l'état de la beaucoup
b à Bonaparte; mais il ne faut pas
France, sur l'esprit public, sur le vœu des s-> s'y tromper ce n'est pas tant parce qu'il,
peuples, et sur la 'aiblesse réelle de la révo- opprimait 0 la France, que parce qu'il oppri-
lution, et su- la facilité de rétablir l'erdre, n
mait la révolution c'est moins parce que
qui cesse avec e.ori, et renait de lui-même
son
S( administration était horriblement tyran-
quand on nele contrarie pas, une voix puis- nique, n que parce que sa constitution n'était
sante leur eût crié, comme Thésée dans les pas pi du tout libérale; et c'est aussi ce qui
enfers fait
fa qu'ils s'acharnent contre la mémoire de
Discite justitiam monili. et non temneredivos. L
Louis XIV. Bonaparte n'aimait ni les reli-
Virgil., jEneid., lib. vi, vers. 620. j gions libérales, ni les écrivains libéraux, ni
6
et qu'il y eût eu autant de fermeté et de le leurs principes politiques. Les libéraux en
prévoyance dans leurs conseils, qu'ilyavait tr triomphent, et rejettent son horreur de la
de force dans leurs armées 1 liberté sur son éloignement pour les idées
li
Et moi aussi, je redoute, pour l'indépen- libérales Ii c'est peut-être parce qu'il avait
danoe de la France, l'influence des étrangers; des d idées justes sur la théorie de la liberté,
mais c'est bien plus l'influence des étran- quoiqu'il q lui portât, dans la pratique, de ru-
gers qui écrivent et qui intriguent, que la des d< atteintes. Ce qui le prouverait, c'est
présence des étrangers qui combattent et qu'il q voyait sans trop de peine les écrivains
je dirais volontiers, en parodiant ce vers de vanter Vi la nécessité des institutions monar-
Mithridate: chiques et vraiment libres de l'ancien gou-
ci
vernement, bien qu'ils fissent par là la-olus
Vi
Nos plus grands ennemis ne sont pas à nos portes. cruelle satire de son administration.
CI
Ce sont les doctrines étrangères qui nous Bonaparte se servait de ce que la révolution»
ont asservis et nous ont livrés aux armes avait w fait, autant qu'il était nécessaire pou*
étrangères; et le seul moyen d'affaiblir la ses se vues. Mais il la craignait, et même beau-
France, et même un jour de la partager, se- coup ce trop; la comprimait, et, en la flattant,
rait d'y ruiner les principes religieux et po- l'< l'aurait étouffée; et de tout ce qu'elle avait.
litiques qui ont fait sa force, et qui, mieux produit, pi il n'aurait à la fin conservé que lui.
que ses armées, l'avaient maintenue ou ré- Dejà D ses lois sur la religion, tout imparfaites
tablie des crises les plus désespérées. et violentes qu'elles étaient, la faveur qu'il
Au reste, toutes les émotions de Mme de accordait a( aux noms distingués qui, de gré
Staël sur le malheur d'être secourus par les ou oi de force, s'attachaient à sa fortune, le dé-
étrangers, et sur la présence en France des sirsouvent si mamfesté de rétablir les ancien-
troupes étrangères, etc., ne doivent pas faire nes ni formes du gouvernement, les mots qui
G37 PART. II. POLITIQUE. OBSERV. SUR L'OUY. DE Mme DE STAËL. 638
échappaient à sa dissimulation habituelle, La sagesse du rc' a déconcerté ce projet;
np promettaient
ne nmmpttnipnt pas viritahlpe révolu-
anc véritables
nas aux r<5tnln. il est rentré dp plein
rpntriS de Hrnit. après
nlpin droit, anrds dix-neuf
riiv-npllf
tionnaires, aux révolutionnaires penseurs, à ans d'absence, dans l'héritage dont il est
ces hommes assez heureux ou assez adroits l'usufruitier; et il a donné lui même la loi
pour n'avoir pris part aux plus grands dé- à la France.
sordres de la révolution autrement que par 11 n'y a personne qui ne partage l'opinion
leurs principes, ne leur promettaient pas, de Mme de Staël sur le danger qu'il y avait
dis-je, la conservation de leur ouvrage. L'a- à laisser Bonaparte si près de la France. Si
bolition du tribunal, le silence prescrit aux ce n'est qu'une faute, il ne s'en fit jamais de
députés, de vains honneurs sans pouvoir semblable, et qui prouve une plus grande
réel attribués au sénat, annonçaient assez déperdition d'esnrH et de bon sens en Eu-
qu'il ne les regardait que comme l'échafau- rope. «Les sages le prédirent, » dit Bos-
dage de l'édifice qu'il voulait élever. C'est suet, en parlant aussi des événements d'une
ce qui l'a perdu. 11 suffisait, pour cela, de le révolution mais les sages sont-ilscrus en
«
pousser dans la direction de son caractère, ces temps d'emportements, et ne se rit-on
et sur la pente de ses passions, et de lui pas de leurs prophéties ? »u
aplanir toutes les voies d'une guerre qui of-
frait à ses ennemis secrets la chance proba- § VIII. De la religion.
ble d'un revers irrémédiable car dans la Il y a toujours un peu de controverse
position où il s'était placé, il lui fallait vain- dans les écrits de Mme de Staël et jusque
cre toujours, ou périr. dans ses romans, on remarque l'affectation
Bonaparte une fois abattu, il ne restait d'opposer le calvinisme au catholicisme.
qu'un moyen de sauver la révolution de la C'est une disposition particulière aux calvi-
haine des peuples, de l'horreur qu'elle avait nistes et depuis longtemps on serai't tenté,,
inspirée de ses propres désordres. C'était, en voyant leurs attaques continuelles con-
s'il était possible, de l'affermir sur la base tre le culte catholique, de leur dire avee
de la légitimité. Des ambitieux y travaillè- Acomat
rent avec ardeur, et s'associèrent, pour les
démarchessecrètes que nécessitait ce projet, II n'est pas condamné,puisqu'on veut le confondre
véritable chef-d'œuvre révolutionnaire, des Dans les Considérations de Mme de Staël, it
noms honorables des plus zélés serviteurs y a de cette intention plus que dans tout au-
de la famille royale même des hommes tre de ses écrits; son su|et l'y conduisait
d'esprit, mais de cet esprit qui ne voit jamais car quoique les libéraux et elle-même s'é-
les choses que du côté qu'on les montre. La lèvent contre la doctrine qui considère à la
fin était la môme les intentions étaient dif- fois la politique et la religion pour les affer-
férentes. Les uns voulaient le retour du roi mir l'une par l'autre, dans leurs écrits, et
et de la monarchie, objet de tant de reyrels plus encore dans leurs pensées, ils les sépa-
et de tant d'affections, seul remède auxmaux rent beaucoup moins qu'ils ne disent, mais
de la France et de l'Europe. Les autres pour les détruire l'une par l'autre ils n'ex-
voulaient aussi le retour du roi, mais dans pliquent pas à cet égard toutes leurs inten-
des vues moins pures et moins désintéres- tions. Nous suppléerons à leur silence.
sées et c'est pourquoi on voit aujourd'hui La révolution qui agite l'Europe est beau-
divisés d'opinions politiques des hommes coup plus religieuse que politique; ou plu-
qui ont longtemps suivi les mêmes ensei- tôt, dans la politique, on ne poursuit que la
gnes, et qui ne se retrouvent plus mainte- religion, et une rage d'anti-christianiame
nant sur la même route. impossible à exprimer, et dont de célèbres
Tel a été le but de toutes ies intrigues di- correspondancesdu dernier siècle ont donné
plomatiques qu'on a décorées du nom de la mesure, anime un parti nombreux à la
négociations, et qui ont précédé, accompa- subversion des anciennes croyances. Ils ont
gné ou suivi le retour de nos princes, à la très-bien jugé la tendance qui entraîne de
première et à la,seconde restauration tan- préférence les unes vers les autres certaines
dis que les puissances, éblouies elles-mêmes constitutions d'Etat, et certaines constitu-
de leurs succès, et trompées sur l'état et les tions de religion; et s'ils avaient eu besoin
vœux de la France, ont cru voir dans Bona- à cet égard d'une nouvelle expérience, les
parte toute la ré-volution, et l'avoir terminée diverses phases de la révolution française
en le détrônant. leur en auraient fourni une preuve sans ré-
639 OEUVRES^ COMPLETES DE M. DE BONALB. 6Î9
plique, eii
piïque, en leur
leur montrant, dès 1789V- les- in-i-
montrant, dès libres
libres de Bonaparte,
Bonaiparte, nene sont que des mots.
novations- religieuses1 concourant' avec les
^s On connaît très-bien larcoîïstitution anglaise,
nouveautés politiques FatbéïsHiev sous laa et l'on sait' à merv«ilTe- si elle convient ou ne
Convention, sf'assoeiant à l'anarchie1; unee convient pas la France, ta' liberté et J'é-
sorte de religion naturelle, sous- le' nom- dee galité ne sont q\x& l'aœour de Jtf dumination
t%éophUatvfkrùpie, inventée sous le gouver- - et 1* haine de toute autorité' qu'on n'exerce
nement un peu- cffoins- désordonné du Direc- pas. Les idées libérales font rire les augures
toire;' l'auteH enfin, entraîné" sous les débriss quand; ils' se'rencontrent et l'on ne demande
du trône>.et: le Gatliol'ieisnïe renaissant- avecc lés-lois politiques de l'Angleterre, que pour
1# monarchie. MaHssatosrecourir* à' cette ex- en venir à la religion anglicane, ou àqu-el-
périence, ris voient dans toute l'Europe lee que chose1 qui Lui ressemble; car tout est
calVini&me s'assimilant; à Vu, démocratie* ( et t bon hors le: eatholicisme; et ce' n'est que par
Mme'de Staë):erpf£wt£gfoiW)vnï&Be dans-quel- haine contre cette religion qu'on' déclame
ques*- lieiMf au* despotisme', q&i est la déœo-' avec tant- de violence contre l'ancienne^ mo-
efatïe >miHtaire ;-enïiisngletfeWej.uin.cfflviinJSme'
&' napsliiej et surtout contre Louis XIV et son
mitigé sous le nom de Pêliigion- anglicane,, gouvernement; G'estf à ce secret motif, qu'on'
s'unissant à une monarchie mixte, et au mo- n'en; douteras-, qu'ilfa;ut!attfi45ueTce délior-
ment présent, où ïal'utte des deux5 principess dément inouï d'écrits fanatiques1 sur les éVé-
extrêmes de là- démocratie- et de lar royauté5 Bements du midi, écrits qui ont trompéllma
semble: agitée l'Angleterre^, la »eligioiiî se> 3> deStaël elle-même, etfcnt gé'mir lespfotè?-
partager; de; lai même manière^ e-iitne le- mé- tants éclairés, qui n'y trouvent que- réticen-
thodisme; cfuLest;uacalvfLhism«rigide,.et une) cesj déguisements, exagérations ou- impos-
secrète tendance: au catholicisme: Ils- en: ont turesf, et un- horrible- système dé calomnie
te
qu'on eolporfe d'ans' toute l'Europe, air liff-
c<anol.u asv-ee. raisoa quej.no- pouvant attaquerx
dftfi'onfc une religion, défendue par toute*i< sard» de réveiller des haines mai éteintes*,
Jes» affections des peuples,, et par sa propres et de rappeler les1 torts trop réels de ceux qui'i<
majesté, il fallait, pour l'ébranler, changear. se plaignent. C'est à cette même cause qu'il'
la forme du gouvernement, et qu'un gou- faut rapporter les difficultés quele gouver-
vernement populaire conduirait nécessaire- nement a jusqu'ici éprouvées de terminer
ment ai une* religion* populaire, e'est-àklire réiablissementdu-clergé catholique". (*'esdif-
au.pnesfeytéranismei.Mirabeaui-leur.' patron, fieultés ne viennent1 pas; des hommesquisont'
qui en. vouJaâf-plusjà la? politique: qu'à la re- chargés de- conduire' cette importante' négo-
ligions, disait) qu?i- fallait' èèmttiulî&er la- ciation; mais elles viennent1 des intrigues
Franice-^pourla?d^redn'areftîser.Ceux-ci, qui; impénétrablesd'un parti qui s'entrelace dans.1
en>v?eulenhsjurtaut àila~. religion*, disant ou toutes; les* affaires, pouples' enrayer quatid
pensent; qu'il faut démanarchisep la;Franee; il ne peut' lesconduire; et quifâit-s-ervir' à
pouFla? déeatholiser. D'ailleurs,, lan religion- l'asservissement de la< religion1 en France,
presbytérienne esl"plttséconaEniqu«:danssori-'> j usqu- aus; libertés d» PEgHsv gallkanv.
«
culte que:la re:ligionoafcholique;et!- n'ayant,- Mais> ceux? qui voudraient ihs-ensiblemerit-
t-
du; mains- encoFB; (lj^r aucune dotation; é- nous conduire autiut'qu'ils paraissent ne pas*
réclamer dans lesi ventes des- bien» de la: regarder1, à une5 religion1 réformée à1 leù^
religion iantrienne^ elle; pf ésenler^it-une ga- manière, n'ignorerit; pa6: qu'il n'y en-ff plus'
rantie deiplos&ceux qu'on veu-t toujoursras;-• en: Europe- de celle-là que des disputés ré-
surer, ^arce-qnals^ve aient toujour>sfêtFealftF- centes'ont prouvé' que, depuis- long-temps; ]&>
mésj Àinsiy qu'an, ne;s!jf- trompe pasv toutes- croyance même-' des- docteurs, reiêtoe à Ge-
cesigrâiïdfiSf adEair3tibns>pour. la-constitution- nève, ou plutôt l'incrédulité*- tDartiait ffu;
anglaise, ce grand" étalages: de- principes- de- déisme,- dont Voltaire et d'aulries^es-avaient
liberté et- d'égalitéipelitiques-j.et) d'opinions^ depuis' longtemps: accusés^; que des noms
prétendues libérales,. ce.zèlesi; ardi&nt-pou-r' célèbres en, Allemagne; et' tOut^rëe«niment'
les* consiitokionsi libres, qui ai toui: à; coup le^ bsro'rt de-Starefcj-mihistre protestant', et-
saisi, tant' de- personnes' qui' s'arrangeaient^ promîen prédicateur de la- cour de Hésse-
assez: bien- des* constitutions' un uea,mo.insi D&HBstadt;- ont; avoué insértument qû& les
(1) Oir'pént-voir dans l'hisioire d'Ecosse; et efcomment; ils se' croyaient fondés à se porter
même. da»sia.nôtKe,, la-peine qu'avakut' les chefs; pour héi'iliers métnc des biens dé i'ancitii-ire reii*
politiques à contenter les ministres presbytériens, gion.
une fôrsvjue Ièurrel%forrfutdominante on autorisée,
protestants iie savaient plus ce qu'ils de- i«»ter.dito qu'au gouvernemeirt. On voit bien
vaient eroine,, ,et qu'il n'y avait •qn'wmêTéa- ce que les particuliers y ^perdent, mais on ne
nion à J'Eglise «lère qui pût saaver te «faf is- vfrit pas ce q-u'y gagne la 'liberté; car, remar-
:tianis0ie -en Europe., <et avec lui la «ivilisa- quez qu'on n'entend jamais parler d'un dé-
tion, d'un gaufrage inévitable (i\j. ils sa- -doniiiiage-mefft enfevear des viffiines.
vent tout cela, et «rieux 'que nous et c'est A- force de chercher dans les écri'ts des Ii-
.précis'ément ce qui les affermit dans leurs 'fcéraux «e qu'H-s entendent par liberté et éga-
projets..L'athéisme tes tente comme «ne lité politiques, dont ils parlent beaucoup, et
;grande expérience car, selon Bossuet, le qu'ils évitent prudemment de définir, je crois
•déisme, com-me religion d'Etat, sans culte, avoir compris qu'ils entendaient l'octroi li
,sans sacrifice, jn'est qu'iqn athéismedéguisé. bre de i'ifHpôt, te concours des citoyens au
La réforme, n'a jamais eu d'existence. que ;pm" :pouvoir législatif, te li-bertë (ft 'la presse, le
son opposition à une religion .rivale. Elle jugement par jury, 'l'admissibilité de toush
s'appuyait sur elle «n la combattant; et si itoutes 1-es places.
elle n'avait pLus d'ennemis., elle perdr-art Or, je soutiens que rien de tout cela ne
î u.sq=a'À son nom, M livreraitte ffionde moral -constitue la liberté et l'égalité politiques,
à l'anarchie des doctrwevet bientôt à peile sauf l'admission de tous toutes les places,
des gouvernements qui seule, mon avis, constitua la liberté et
IX. la liberté et France mieux
;J'jéga!ité,îe't 'les 'eomstîluait -en
§ De dç l'égalité poli-
tiques. qt*e dans tout autre pays, sans -en excepter
îrAngleterr-e.
de Staël termine son o»vi!age par
îMt^ae Mme Je Staël, dans tout son ouvrage,
un chapitre sur l'amour de \&Uberté, ou plu- affiraoe et oe daigne p&$ Taisoraner. Je n'ob-
tôt par un hymne la liberté, où elle met tiendrai peut-être pas davantage de ses par-
en sentiment sa doctrine, et ^eyient pour la tisans; mais enfin je leur propose une thèse
millième fois sur cette assertion, qu'il n'y a philosophique; et peut-être, après avoir si
ni liberté, m égalité, ni bonheur, ni vertu, hardiment proposé, ou plutôt imposé leurs
tors de la constitution anglaise. El-te avait doctrines, leur prendra-t41-envie de les jus-
dit plus haut que, depuis cent ans, B n'exis- lilier,
tait peut-être pas d'exemple, en Angleterre, 11 me pat>a!Ît» en vérité, ridicule de parler
u'u.n homme .condamné, dont l'innocence ait de la forme des proeéd'jres criminelles -à
été reconnue tropitard. C'est que, peut-être, propos de libertés publiques. C'est une bien
cette administration habite a été moins facile triste liberté, pour cetaii qui est appelé aux
qu'on ne l'a été en France à revenir sur des fonctions de juré, q«.e la liberté de pronon-
condamnations prononcées et il «'en faut cer contre son Siemblable le bannissement,
bien que les gens qui ont connu toutes les la détention ort la mort. Ba©s ce cas, le peu-
circonstances de quelques affaires malheu- ple juif, qui HOQ-seateaient jugeait, «jais la-
reusement célèbres partagent l'opinion d'un pidait lui-même ;les co.upab;les, -aurait en un
certain parti sur l'injustice ou la précipita- (i-egré de liberté de plus. Pour cehii qui est
tion des juge ments (2). ftiicuvé, l'intérêt A% sa liberté, de sa vie, de
Mme de Staël dit aussi que depuis son honfteiir, est d'être jugé par des hem-
cent trente ans, il n'y a pas en Angleterre mes honnêtes et éclairés^ jurés éhï juges et,
d'exemple d'un acte arbitraire. Mais qu'est- s'il est coupable, l'intérêt uublic detnande
ce donc que les brisements de métiers, les qu'il soit puni.
incendies d'ateliers, les pillages de maisons, Tout homme, sans doute, peut être accusé;
si fréquents au milieu de l'état le plus tran- mais je le demande dans te compte de
quille du gouvernemena? C'est-à-dire que son uonheur que se rend à lui-même un
les actes arbitraires,, et quels actes? ne sont citoyen vertueux et qui ne cs-nspiTe pas
(1), Lisez dans le Journal des Débats, du 10 rien de pareil à l'homme, sauf dans le cas d'une lé-
août .1818, l'arliele Genève., et les reproches qu'une gitime défense; et celui qui, après de longues étu-
église nouvelle, sous le nom d'Adorateurs de Jésus- des, a reçu du pouvoir le caractère de juge, «'est
Christ "lesquels ressemblent aux méthodistes pas simplement un homme. Aujourd'hui que nous
adresse à l'église protestante. attachons tant de prix à la culture de l'esprit, nous
(2) Mme de Staël dit, parlant du jury anglais croyons que le libji sens, sans «ukiire spéciale, a
« La religion et la liberté président à Tacie inipo- plus de rectitude etxnoinsde prévention que le bon
sant qui permet à l'homme de donner la mort à son sens aidé de l'étude, et c'est sur cette idée qu'est
so>nbl.a.bl.e, « La religion et la liberté ne permettent fondée l'institution du iurv.
843 OEUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD.
contre ses voisins ou son pays,
pays. a-t-il jamaisis L'octroi de l'impôt intéresse, il est vai,
vi
fait entrer en ligne de compte J'avantagé. ;t tous les citoyens mais ici, tout est fiction,
d'être jugé au criminel de telle ou telle ma- t- rien n'est réalité. Le peuple, être abstrait,
nière ? C'est, en vérité, à quoi on ne songe ;e ne paye pas, parce qu'il ne possède pas et
guère. JI se peut que cette loi ait de grandss ne travaille pas. C'est la famille, être réel,
avantages; je ne les accorde ni ne les con- qui paye, parce qu'elle possède et cultive la
teste mais je dis seulement qu'une formee terre et les arts. Je concevrais la liberté pu-
do procédure criminelle n'est pas plus blique dans l'or.troi volontaire de l'impôt,
unee
liberté publique qu'un remède n'est s'il y avait dans chaque commune un tronc
unn
aliment. Toutes les formes de lois 'civiless où chacun, suivantsesfacultésetsesbesoins,
ou criminelles assez indifférentes en el- allât déposer. au profit de l'Etat le fruit de
les-mêmes sont bonnes lorsqu'elles sontt ses épargnes. Mais que vingt- huit millions
anciennes, qu'un peuple y a plié ses mœurss d'hommes soient libre?, parce que deux cent
et ses habitudes, et que le temps en a faitt cinquante personnes, qui peuvent ne payer
connaître les avantages, ou fait disparaître3 ensemble que 250,000 francs d'impôt, nom-
les inconvénients. Certes, si le jury fait mes par la moitié plus un de quarante ou
par-
tie de nos libertés, nous en sommes bieni cinquante mille petits ou grands propriétai-
peu dignes, puisqu'il a fallu nous contrain- res, contre le gré de l'autre moitié, auront
dre à cet acte de liberté par les peines les3 accordé généreusement, pour tous leurs con-
plus graves, et que les jurés, même libéraux, citoyens, un impôt dont ils payent une si
se rendent au jury avec presque autant de faible partie; c'est, en vérité, une fictiondont
répugnance que les prévenus. les arguments les plus subtils ne feront ja-
J'en dirai autant de la liberté de la presse, mais une réalité. Car, remarquez que, de
qui n'est une liberté que pour le petit nom- tous les droits dont le propriétaire peut na-
bre de ceux qui écrivent. Pourquoi alors ne tureilement jouir, il n'en est pas de pius sa-
regarde-t-on pas comme une liberté d'at- cré, et qui soit plus un devoir, que celui de
trouper les gens dans les rues pour leur dé- vivre, de faire vivre sa famille, de jouir du
biter des opinions? On ne peut pas appeler fruit de ses labeurs, et, par conséquent, de
liberté publique une faculté restreinte né- ne pas laisser à des personnes qu'il ne connaît
cessairement à un si petit nombre de parti- même pas, ou que quelquefois il ne connaît
culiers. Dira-t-on que ceux-là éclairent les que trop, le soin de lui couper les morceaux,
autres? Plus souvent ils les aveuglent et si je puis ainsi parler; de l'imposer pour
qu'est une liberté publique qu'il faut entou- l'Opéra ou le Conservatoire, lorsqu'il peut à
rer de tant de précautions, et dont l'exercice peine nourrir sa famille, ou pour un arc de
doit être l'objet de la surveillance conti- triomphe, quand sa maison tombe en rui-
nuelle? tant l'abus est voisin de l'usage! nes
Encore une fois, la liberté de la presse peut A la
vérité, s'il n'est pas taxé arbitraire-
avoir de grands avantages mais ce n'est pas ment par une assemblée, il le sera arbitrai-
à ces traits que je reconnais une liberté pu- rement par un ministre ou un comité des
blique, qui doit être pour un peuple, comme finances.; et sans doute que l'expérience
l'air, l'eau et la lumière pour l'homme, parce aura prouvé que ceux qui sont taxés par
qu'elle est aussi nécessaire^ qu'elle doit êtredéputés le sont beaucoup moins que ceux
aussi générale, aussi salutaire, et ne présen- qui sont taxés d'autorité. Point du tout, l'ex-
ter aucun danger. Elle doit être l'objet des périence a prouvé précisément le contraire.
vœux de tous, et non de leurs répugnances, Montesquieu en fait la remarque. Il n'y a
comme le jury; ou de leurs craintes, comme qu'à comparer, sous ce rapport, le peuple
la liberté de la presse; et un gouvernement anglais au peuple allemand; et l'on sent à
ne peut pas avoir besoin d'amendes et de merveille que les gouvernements n'oseraient
peines coercitives pour les contraindre à en pas exiger ce qu'ils obtiennent du consente-
user ment d'une assemblée. J'ai entendu des
>n nous parle de la liberté des Grecs et hommes en place mettre au premier rang
des Romains, et ils n'avaient ni jugements des avantages qu'avait, sous ce rapport, cette
parjurés, ni liberté de la presse; et les An- forme de gouvernement sur la monarchie,
glais, malgré toutes ces libertés, ont été, que Louis XIV lui-même n'aurait jamais
sous leur Henri VIII, le peuple le plus es- imposé les sommes qu'une assemblée con-
c!ave de 1a terre. sent librement. J'étais tenté de tirer de cette
~4-¡} PART< Il. PODTrQUE. 0~3~ERY. SUR L'OUV. DE üiuE DE STAEL. 641
facilité une
~acilité u~ae conclusion tout opposée et je pe.u.t-eile
peut-elle sese maintenir qu'au moyen de la-
l,
crois, en
l'I'{\i" on -généra!, (111-<> le
O\Ár.Ár,r que lA gouvernement le
O'{\I1VArnr>mp,nIIA servitude?
carvil~arln9 Peut-être.
Pf~nt-~tr~ »n
plus libre, quelle que soit la forme d'établir Je sais qu'on échappe à toutes ces consé-
l'impôt, est celui qui, en respectant tous les quences avec quelque chose qui ressemble
autres droits, laisse le plus d'aisance à la fa- à de la métaphysique mais en vérité ce
w iJJ e sont des sophismes et la dernière raison
Ja ne dis pas que l'octroi de l'impôt par est que tout un peuple ne peut pas voter
ni concourir à faire la loi ce qui esi tout à
consentementréel ou apparent n'ait de grands fait vrai, mais ne résout pas la difficulté.
avantages, ce n'est pas là la question; mais Au fond, je vois qu'un peuple fait moins
je dis seulement que le peuple n'est ni plus
ni moins libre, qu'il soit taxé par une as- usage de sa liberté quand la loi se fait que
lorsqu'elle est faite, et qu'il t'accepte en y
semblée de députés ou par un comité de ployant ses mœurs et ses habitudes, ou la
conseillers d'Etat; je dis que la forme est,
rejette en l'éludant et la laissant tomber en
pour la liberté publique, tout à fait indiffé- désuétude et combien de lois, je ne dis
rente je dis que ce n'est pas de quelque ar-
-gent de pfus ou de moins que le Père des
pas depuis la révolution, mais même sous
l'ancien gouvernement, dont le peuple,, plus
humains a fait dépendre la liberté d'un peu-
ple, lui qui n'a pas attaché à la possession sage que ses législateurs, n'a pas voulu ?'1
Cette liberté réelle, effective, mais sans orage
des richesses la liberté de l'homme libre
et sans violence, existe dans tous les Etats.
dans les fers comme sur le trône, libre en- Et encore faut-il savoir ce qu'on entend par
core et plus libre peut-être au sein de l'in-
digence que sur des monceaux d'or. une loi. Je ne connais de lois que les lois
générales et constitutives de l'Etat ou de la
Le concours de tous les citoyens, médiat famille lois politiques, civiles ou crimi-
ou immédiat, au pouvoir législatif, peut nelles et c'est profaner ce beau nom, que
avoir de grands avantages ou de graves dan- de le donner à des règlements temporaires,
gers ,sans que pour cela ce concours cons- variables sur les douanes les sels et les
titue la liberté publique. Il faudrait, pour tabacs, les passe-ports, etc., etc. Quand l'E-
qu'il en fût ainsi, que ce concours fût di- tat et la famille existent, il y a toujours pré-
rect, effectif, général, et que chaque citoyen somption de consentement pour les lois qui
pût dire « Je me suis imposé moi-même la constituent le mode de leur existence et
loi à laquelle j'obéis. » Car, s'il y a une vé- qui sont des conséquences naturelles des
rité démontrée même par le publiciste de lois fondamentales et primitives de la société
la démocratie, c'est que la volonté générale humaine car il n'y a jamais de consente-
de faire des lois ne peut être représentée, ment pour les lois fausses.
et qu'on ne peut investir qui que ce soit de Quant aux règlements qui varient d'une,
la fonction de vouloir pour soi lorsqu'on province à l'autre, ou doivent varier suivant
ne peut savoir soi même ce que l'on vou- Je climat, les productions et les besoins il
drait, ni connaître même les circonstances y a aussi toute liberté, puisque le peuple
dans lesquelles il faudrait vouloir. Loin d'y les reçoit, et souvent les repousse, et force
voir une liberté, je verrais plutôt une servi- le gouvernement de les retirer.
tude dans la nécessité où se placent qua- Ainsi, si un peuple est libre lorsqu'il con-
tre cent quatre-vingt-dix-neuf personnes, sent lui-même ses lois, le peuple français
'souvent avec plus de lumières et plus d'in- était certainement libre, puisqu'il obéissait
térêts, de soumettre leur volonté à celle de depuis si longtemps aux mêmes lois et
cinq cents autres, et dans la nécessité où qu'il les. avait si souvent ratifiées dans ses
chacun se place encore, que quelqu'un dont états généraux, même par les doléances qu'il
il n'aura pas voulu veuille pour lui et en faisait sur leur inexécution.
son nom. Et je ne parle même pas des nom- Je le répète les jugements par jury la
breuses exclusions du droit de voter que liberté de la presse, l'octroi d9 l'impôt, et
l'on est forcé d'établir desquelles il résulte la participation au pouvoir législatifpar dé-
que si les uns jouissent, par le droit do vo- putés élus ou héréditaires, peuvent être des
ter, de la plénitude de la liberté civique institutions très-utiles, même- nécessaires
ceux à qui ce droit est interdit sont dans dans quelques hypothèses mais elles n'ont
l'état directement opposé à la liberté. « Quoi pas Je caractère de généralité qui doit cons-
donc, » dit J.-J. Rousseau, « la liberté ne tituer la liberté publique. A côté de grands
647 iO!ÎU\TR€$ GOWLETCS DE M. DE BONALD. 6«
avantages, .elles présente»!
présente-»! Je
de graves dan- chercher, ou on si l'on !v©ut,
!v©ut-, de la
demander 'fa
demfr'néer
gers, et !a liberté publique -ne
ger^, ne doit en avoir
avofcr vérité, sans s'en baisser
laisser impeser par les &n-
fft-
aucun :leur botilé m'est ipas tu.nivers:eileor€nt torit-és, ni imiûiiderpar -les dëclâïnatiOBs.4fe.
sentie, -et la .liberté piabliçne ,n'm qfu'à m reviendrai sur f ue-lques iflées >que j'ad pnë-
montrer pour être l'objet des -vœux «t de seatées 'dans <un tTuïre 'paragraphe. %Ms
l'assanti-ment de tous et ces institutions ne puisqu'on ne se lasse pas de déclamer «oh-
constituent pas la liberté publique, .puis-
qu'elles peuvent ne pas faire le toonàew de
tre la noblesse et même sans savoir ce
qu'elle était,. ne nousiassoas pas d'en jus-
«hac.an. Je ne vais doac la liberté et toute tifier l'institution.
la liberté .politique que dans .l'admission Comparons donc les anciennes lois, ,les
ou plutôt l'-adaiissibilitéde loois. Jes eiloyeirs anciens usages de la France sur l'admissibi-
aux iancti-oas publiques :par.ce que «ette 'lité, à ceux de l'Angleterre.
liberté ne tient ipas à l'argent, pas à une D'abord, partout, en France, en Angle-
forme de procédure crinii:H>élle pas à la lii- terre, en Allemagne un mérite extraordi-
berté d'écrire, choses qui m'intéressent pas naire se fait jour, et malgré les hommes et
directement la généralité des hommes qai tous en -conviendraient,, si chacun ne se
tous ne payent pas des impôts, »e coacttti- croyait pas un mérite extraordinaire, ou si.,
rent pas à faire la loi ne «ont pas accusés confondant tous les genres., ne croyait pas
n'écrivent pas; mais parce ;qaje celle liberté qu'il suffit d'être un grand poëte .pour être
donne à tous les iKMma-es -et à telles tes fa- un habile ministre., ou un savant juriscon-
milles l'existence :politique, c'e^a-dipe le sulte
i pour faire un grand homme d'Etat ;.ou
mode le plus élevé et le plus noble d'exis- enfin,
<
d'être un bon colonel pour mériter
lence sociale, en faisant passer ia famille d'être
< généralissime de toutes les armées.
de la condition privée à fêtait publie et En Angleterre, les élévations subites sont
l'homme lui-même, du service de l'homme plus
1 fréquentes parce que cette nation ne
au service de )'Etat.. peut
1 se sauver de sa constitution que par
Ici les citoyens n'ont aucun besoin 4e re- les
1 talents de son administration. Elle a <plas
présentants, et moins eoc©re de sophisfiies, besoin
1 de taktïts extraordinaires que d'au-
pour justifier des fictions. Chaque famille se ttres nations que l'Autriche par «xeiapte
représente., ou iplutàtse prés-e®te ellë-aaême j parce
1 que les fautes de son administration
et sohs intermédiaire^ et elle ne fait qa'o- seraient
s sans remède. II y a là plus de fort!*
béi,r à sa tendance naturelle, ia celte ten- latït
1 que de foo-irhear réel et celte nëeessitë
dance si forte et si générale, qui porte lotis n'est
i un bien ni pour elle ni pour ses vdi<-
les êtres -vivants à désirer d'être mieux et srns.
s Elle adelrès-habiles ministres, o&mme
d'être plus et qui n'est que le désir inné iun pays conslatftHient affligé de maladies
du .bonheur, qui donne à l'homme à to-itfces i
épidéiniques aurait d'habiles taédecins. Dae*
ses pensées, à toutes ses actions, à tout son tous
t les Etats bien constitués, fhowvBae né-
être, le mouvement et la vie. On n'a pas le cessaire
c se montre au besoin/ et dans les
désir inné du jury,.de la liberté de la presse, grandes crises; «n Angleterre, !« besoin •est
ni £
de voter l'impôt au de faire des lois; continuel
c et la crise toajoars metfaçaiite.
mais on a, on ne peut pas ne pas avoir le Mais, en Arrgleterre l'iromme élevé,
désir inné d'être mieux ou plus soi-uoêtàe., ccomme en Frauce -et partout, parla volomé
et d'avaJicer sa famille. du souverain roi ou da souverain peuple
Or, dans quelle société dâ l'Europe cette ((car le peuple, en Angleterre, a aussi ses
tendance de toute feœille à s'élever était- faveurs
f et elles coûtent beaucoup plus que
elie plus libre, plus indépendante, plus celles du roi), Thomme élevé n'élève pas
c sa
spontanée plus sous la jmaia de toutes tes ffamille, qui reste toujours dans l'état privé;
·,
familles, plus dégagée d'influences étrange- et e dans la même famille, Faîne est pair du
res ? Là est toute la question, et il n'y a .pas royaume,
r et le cadet peut être marchand
de doute qtte là où il y avait plus de facilité ddans la cité. J'ai fait voir ailleurs, parte
et de liberté de s'éJever, là aussi se trou- propre
r témoignage de Mme de Staël les
vait ulus de liberté politique. effets
e de ces institutions sut les liens de lu
Ici je parle sans regret pour ie passée, sans famille,
f. très-faibles en Angleterre. 11 mo
aversion du présent, sans amère-pe-a-sée suffit, s pour ce moment, de prouver que l'é-
sur l'avenir. je raisona» en pyolMste en lilévation tient uniquement en Angleterre,
hoaime qui use du droit i-ia contestable de au a bon plaisir du souverain et qu'il faut se
fil!) PAÏIT. II. BOUTIQUE. OBSERV. SUR L'OUV. DE Mme DE STAËL. 650
faire assommer dans les rues pour courir fa tiens publiques, contente d'être admissible,
carrière des élections populaires ou se te- n'en demandait souvent pas davantage et
nir dans les antichambres pour courir celle n'est-ce donc rien que de contenter à si peu
des places à nomination royale. En France, de frais des ambitions si légitimes ?
une famille des derniers rangs de l'agricul- 11 y avait donc liberté et égalité politiques,
ture ou de l'industrie, devenue plus aisée puisque toutes les familles avaient le même
par le travail et l'économie, sortait toute droit à s'élever et les mêmes facilités, et
seule de cet état dépendant et passait à la qu'aucune volonté extérieure ne bornait le
profession des affaires ou d'un art libéral. droit et ne gênait la facilité (1).
Elle était encore dépendante puisqu'elle Mme de Staël, qui a beaucoup vécu dans
servait encore les particuliers, pour rétribu- tes cours du Nord où se déploie tout l'or-
tion ou honoraires, dans leurs affaires, leur gueil de la noblesse chapitrale, traite la no-
santé Ou leurs plaisirs mais sa dépendance, blesse récente ou celle des provinces qui
si j'ose ainsi parler, était plus honorable, n'avait pas d'aussi belles manières que celles
parce qu'elle était plus large, et que d'ail- de la cour, avec un mépris peu philosophi-
leurs une profession plus studieuse donnait que, et prétend que ce mépris était général
à l'intelligence plus d'exercice et aux suc- en France. Il était très-peu sensible dans
cès plus d'éclat. Si sa fortune venait à s'ac- les provinces point du tout dans le mili-
croître jusqu'à lui permettre un mode d'exis- taire, où Il eût été payé fort cher; moins
tence tout à fait indépendant, elle achetait encore dans la robe où la modestie de
une charge publique n'importe laquelle la profession tempérait l'éclat des anciens
car cette acquisition n'était politiquement noms; et elle a pu voir par elle-même qu'à
qu'une caution donnée au gouvernement de Paris l'éducation, les talents et la fortune
son indépendance. Dans ce passage de l'état confondaient les rangs et faisaient disparaî-
privé à l'état public, pas plus que dans les tre les inégalités politiques. Quelquefois les
autres, elle n'avait besoin ni d'intrigue ni nouveaux nobles prêtaient au ridicule par
de faveur, et les moyens de s'élever étaient la faiblesse de vouloir faire oublier trop tôt
tous en elle-même. leur nouveauté et quant à la hauteur elle
On a beaucoup blâmé l'anoblissement à est toute dans le caractère. Il y avait des
prix d'argent, comme on a blâmé la vénalité duchesses très-polies et très-simples, et des
des charges; la raison est la même. Mais bourgeoises fort impertinentes.
quand je viens offrir à l'Etat mes services Il y avait en France des gradations de
et avant qu'il ait pu apprécier mon mérite rangs et de respect. Rien, à cet égard n'é-
pourquoi commencerais-jepar le grever de tait écrit tout était observé sans exigence,
mes besoins? pourquoi ne donnerais-je pas et surtout sans cette précision pédantesque
à l'Etat la preuve sensible qu'en acquérant qui fait qu'en Angleterre l'étiquette, même
mon indépendance par l'accroissement de au bal, étant noté.e comme un morceau de»
ma fortune, j'ai montré de l'ordre, de l'acti- musique, les grands ne peuvent dissimuler
vité d'esprit de la sagesse de la conduite leur supériorité, ni les petits échapper à
dans mes affaires domestiques, du bonheur, l'humiliation.
si l'on veut, qualités également propres aux Il v avait des gradations mais dans quelle
affaires publiques, et qu'étant indépendant famille, dans quel état, dans quel corps,
par ma fortune, je ne cherche pas h, faire dans quelle association, dans quel cercle
fortune à son serviceNe sait-on pas que si n'y en a-t-il pas ? et, comme je l'ai déjà dit,
la famille est mieux servie à mesure qu'elle les anciennes familles dévouées depuis
paye davantage ceux qui la servent, l'Etat plus de temps au service public, ne devaient-
est mieux servi à mesure qu'il les paye elles pas jouir dans l'Etat, dont elles étaient
moins, et qu'il fait de l'honneur de le ser- les vieillards, des respects que les vieillards
vir le premier mobile et la plus haute ré- d'âge obtiennent dans la famille?
compense ? 11 y avait des gradations mais quel est
Cette famille une foi admise dans la no- le législateur ancien qui n'ait pas classé les
blesse, comme dans le séminaire des fonc- différentes professions suivant leur utilité?
(1) On a fait grand bruit de l'ordonnance mili- alors on en dispensait les familles nobles, et l'on
>aire de M. le maréchal de Ségur. Mais il y avait pensait que, pour la dignité du commandement, et
des corps de la maison du roi où l'on avait, en en- même la science militaire, l'exemple et les leçons
")
trait, le grade d'officier, quoiqu'on ne fût
»^ £»«m*« w.iivivtmitunjM un **v,
Aujourd'hui
ujourd'iuii tous commencent par être iui pas noble.
^jua iiv/utc.
être soldats;
qu'un
qu un trouvait
et de
iiuu van-ciici
de corps de garde.
soi valaient
chez soi valaient deux
ueux ans de gamelle
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OEUVRES
1 SM!ÎTV1*TTO
fCOMPL.
Aïïtit DE T>
M. J1E BONALD.
nn TU Il.
*»
651 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 652
et
ral, dans
Mal Il1.C règlements
rlnne les 1\8.
Fénelon, dont on ferait volontiers un libé- devait la passer à
etteneion,
."An.1l1.y\n. que Mentor con- _.l.J_l
seille à Idoinénée, ne fait-il pas entrer la
réduit-elle
un autre. Mais à quoi
quoi se
-Il- en effet se réduire,
_11- et peut-elle rn
(1) Carnot l'a d:t dans son fameux Mémoire offensive. Il signifie vente aux enchères, et je me
« Louis XVI (
détrôné ne pouvait plus vivre. Nous crois
c obligé d'en avertir, parce qu'il est facile de
l'avons condamné, comme un médecin condamne s'apercevoir qu'il y a moins de connaissance de la
s
un malade qu'il désespère de sauver.» langue
) latine, depuisle progrèsdeslumières et de l'es-
(2) Des journaux ont traduit hasla par arme prit du siècle.
v
raît une vérité démontrée, et ils gémissentnt ne peut pas croire qu'on puisse être d'un
ensuite des conséquencesqu'on en a tirées,;s, avis différent du sien, et de celui de son
et du mal qu'il a produit. Ce sont des en-ri- père ou de ses amis, sans être guidé par les
fants qui pressent la détente d'une motifs les plus vils et les plus coupables, ni
arme à
f»u> et sont tout effrayés de voir partir le écrire sur la politique sans vouloir être mi-
coup. L'enfant ne savait pas que l'arme était
ni nistre; et elle réduit ainsi à se défendre
chargée, et les hommes dont je parle ne se eux-mêmes ceux qui ne voudraient défen-
doutèrent pas non plus que la société étaitlit dre que la raison, la justice, la vérité, leur
chargée de passions qui n'attendent qu'une
ie pays et ses lois. Elle s'arme contre eux de
étincelle pour faire explosion et j'ose dire leurs propres malheurs, et ne voit, dans
re
qu'il n'y a pas un principe politique posé en
m les opinions les plus franches et les plus
t789,dont une dialectique rigoureuse ne fît'ît sincères, que l'expression de la vengeance
sortir toute la révolution. pour le mal qu'on leur a feit, ou du regret
Quand elle est faite, cette révolution, le pour ce qu'ils ont perdu. Mais, avec plus de
devoir de tous est d'en supporter les effetsts connaissance du cœur humain Mme de
avec courage et patience, et le devoir des 3S Staël saurait que le regret de ce qu'on a
gouvernements d'en adoucir* d'en corriger
îr perdu excite des passions bien moins vives
les résultats autant qu'ils peuvent l'être.
3«
Mais la justifier, mais rejeter sur ceux qui que la crainte de perdre ce qu'on possède
ai et qu'on tient bien plus fortement à ce qu'on
ont souffert les torts de ceux qui ont fait
it a qu'à ce qu'on n'a plus. Grâce à lafrivo-
souffrir, mais réveiller les plus douloureux x lité de notre nation, rien ne s'use plus vite
souvenirs, et allumer des haines malétein- i- que la douleur, rien n'aigrit et n'exaspère
tes, c'est en vérité un triste retour pour l'ac-
3- comme la crainte; et tout ce qui a été dit des
cueil que Mme de Staël a reçu de la part des is regrets de ceux qui sont déchus, on pourrait
Français, pour les honneurs dont sa famillee le dire avec bien plus de fondement des
a été comblée, pour la générosité dont les inquiétudes et des alarmes de ceux qui se
gouvernement a usé envers elle, dans unn sont élevés.
temps où il ne lui est pas même permis d'ê-
Avec plus ae connaissance du coeur hu-
tre juste.
main, Mme de Staël saurait que l'ambition
Le public peut prononcer entre Mme dee est bien plus opiniâtre, plus haletante dans
Staël et moi. Je n'ai pas prétendu disputerr les rangs inférieurs que dans les premiers
d'esprit avec cette femme célèbre mais sess
écrits ne sont en général que ses conversa-
rangs, qui, ayant vu lès honneurs de plus
près, connaissent les dégoûts qui les accom-
tions, et comme*îls en ont tout le brillant, pagnent et les mécomptes qu'on y trouve, et
ils en ont aussi toute la précipitation. Cee qui déjà, dès le temps qui précéda la révo-
n'est pas dans les cercles où l'esprit seul faitt lution, n'aspiraient que trop à descendre,
tous les frais,, d'où la réflexion est bannie pour goûter les jouissances et les douceurs
et où, la raison risque de passer pour de laa de la vie privée.
pédanterie, qu'on peut discuter et approfon- D'ailleurs, dans le nombre de ceux qui ont
dir les graves questions que Mme de Staël aa défendu ou défendent encore une cause trop
réunies dans. son ouvrage,, plutôt qu'elle ne3 abandonnée, il y a des hommes qui n'ont à
les a traitées. Il est vrai qu'elle n'a pas pré- regretter ni noms historiques, ni honneurs,
tendu, sans doute, proposer comme œuvre3 ni grande fortune,, et qui, satisfaits de leur
de législation ce qui n'est qu'un factum poui*i* obscurité, n'auraient, sans la révolution,
un particulier. Mais ce client était son pèrev jamais quitté leur province-, inconnus à leurs
v
et Mme de Staël a pu croire qu'un intérêt: t: maîtres qu'ils ont toujours servis, et à qui
aussi cher permettait tout à son défenseur, ils n'auraient rien demandé;, et cependant,
surtout quand ce défenseur est une femme,. quand ils mériteraient l'éloge ou le reproche
à qui il est naturel de placer les devoirs den'êtrepas assez.flexibles sur les principes,
out
les liens domestiques avant les intérêts ils sont tolérants pour les personnes, plus
pu-
blics et les intérêts d'un pays qui n'est pas•s même que Mme de Staël, moins indulgente
le sien. Elle a donc imaginé une société5 pour ceux qui ont supporté la révolution,
pour justifier une révolution, et elle ne) qu'Us ne le sont eux-mêmes pour ceux qui
cesse d'accuser ses adversaires, ou plutôt less l'ont faite. Ils seraient moins rigoureux que
adversaires de ses systèmes, d'égoïsme de Mmede Staël, pourun grand nombre d'hom-
cupidité, d'ambition, de mauvaise foi. Elle mes qui ont failli, même aux cent- jour?, et qui,
jusque-là citoyens vertueux et utiles, ont été cette France, autrefois si malheureuse et alors
surpris par le prodige du retour et le pres- si troublée, a toujours été l'objet de ses plus
tige de la gloire, comme un homme naturelle- vifs regrets. Elle atoutconservé ou tout recou-
ment sobre l'est quelquefois par le vin. Il vré;ellenra perdu,dansces horribles bouche-
leur sied aussi d'être indulgents, parce qu'ils ries,aucun desobjetsdeses plus chères affeo-
ont été fidèles, parce qu'ils ne se sont jamais tions;etily auraiteuàeïïeplusde générosité
plaints de leur exil; parce qu'ils. ont, plus à respecter de nobles infortunes qui ne l'ont
que bien d'antres, et au milieu de toutes les point atteinte, et plus de justice à reconnaître
privations et de tous les besoins, repoussé des vertus dont elle aurait certainement
les séductions on bravé les menaces de donné l'exemple, mais dont, heureusement
l'homme qui a séduit tous les peuples et fait pour elle, elle n'a pas eu besoin.
trembler les rois, et qui ne dédaignait pas Je n'ai pas justifié l'émigration. Elle est
d'associer à sa cause les plus petits talents assez justifiée par le mal qu'on en dit
et les influences les plus inaperçues il leur J'ai cherché à justifier l'ancien gouverne-
sied de recommander l'oubli ou plutôt le ment sans m'écarter du respect qui est dû aux
pardon des injures lorsqu'ils n'ont jamais nouvelles institutions. Ce respect, qui con-
éprouvé des sentimentsde- vengeance, et que, siste à leur obéir, se concilie avec le droit
tout à fait désintéressés sur ce qu'ils ont imprescriptible si formellementconsacré par
perdu, ils ne regrettent que ce que tout ler les institutions elles-mêmes, de chercher la-
monde a perdu, la paix, la religion, la sécu- vérité sans aigreur, contre les opinions op-
rité, l'ordre enfin et l'anion des esprits ett posées, quand elles sont présentées sans
des cœurs» passion, et avec cette modération qui est la
Mme de Staël n'a vu que d'un balcon leï compagne inséparable de la bonne foi. La,
sanglant spectacle de la révolution. Respec- source de tous nos maux, même politiques,
tée comme femme, comme étrangère, commeî est l'ignorance, et plus encore les demi-
épouse d'un ambassadeur,même comme fille lumières, qui se reconnaissent àleur violence-
de M. Necker, que la révolution a toujourss et à leur présomption. La méprise où l'on
secrètement ménagé, assez, heureuse mêmee est constamment tombé depuis l'origine de
pour, poavoir.se compromettrepoursauverses
s nos discussionsa été d'attribuer aux hommes
amis, elle »'a souffert de malheur personnel1 la résistance qui venait des choses, et de
qu'un exil dans sa patrie, sur ses terres, auj. croire qu'il suffisait de détruire les opposants
milieu, de sa famille,dans la jouissance d'une
e peur faire cesser l'opposition erreur fa-
grande fortune et ce malheur, que tant d'au- tale, et dont on ne revient jamais tant qu'iS-
tres auraient regardé comme le comble de laai reste un homme à haïr et*un adversaire à
fSlkitéK elle y été- extrêmement sensible; etit combattre.
BE L'ÉMIGRATIGN*
181&.
Depuis un-e époque jamais fameuse dans is nirs, nous: espérons ne pas rallumer deîiarnes..
Tous Jes grands événements, comme tous
nos fastes constitutionnels, c'est-à-direde-
3_
les personnages célèbres, ont été, parmi les
purs quatre ans, et particulièrement pendant
nt
cette longue et mémorable session où l'on a. hommes, un signe de contradiction, et sou-
rappelé tant de souvenirs de 93, l'émigration
)n vent un sujet de scandale.
L'émigration, l'événement le plus singu-
et les émigrés ont été de nouveau signalés és
haines lier de l'époque la plus mémorable des
aux préventions politiques et aux es
populaires. Mais, puisque les passions ne se temps modernes (la révolution française) a
îassent pas de les attaquer, la raison ne doit
)it joui plus qu'aucun autre de ce triste privi-
lège.
pas se lasser de les défendre.
Nousparlerons donc de l'émigrationcomme oe
Jugée par les uns, sur les motifs qui l'ont
inspirée, elle a été regardée comme un acte
nous croyons que l'histoire en parlera dansns
sublime de dévouement, et le dernier soupir
quelques siècles, sans prévention pour les es
de l'esprit chevaleresque en Europe.
nns, sans ressentiment contre les autres5 Jugée par les autres, sur les résultats ap-
et, si nous Féveillons de douloureux souve-e."
parents qui l'ont suivie, elle a été blâmée des conspirateurs, qui, disposant d'un peu-
comme inutile, accusée comme dangereuse^ p<e égaré et d'un roi captif, tremblants pour
ou condamnée comme criminelle. eux-mêmes, mais déjà trop avancés pour
Nous ne sommes pas de ceux qui rejettent Douvoir revenir sur leurs pas, poussaient
comme un excès tout ce qui est fort et ab- aux aerniers excès, provoquaient à la fois la
solu dans les sentimentsou dans la conduite, guerre c: vile et la guerre étrangère, et cher-
et qui ne savent se former une opinion qu'en chaient tous les moyens de salut dans tou-
se tenant au milieu de deux opinions op- tes les chances de désordre.
posées et nous n'hésitons pas à soutenir La royauté était absente, 'puisque la vo-
que les détracteurs de l'émigration ont tou- lonté du roi était dominée, sa personnecap-
jours ignoré, ou ne se rappellent plus quels tive, et que toutes les défenses de la loyauté
étaient, à cette époque, au dedans et au et tous ses moyens d'action, les conseils, le
dehors, les projets, les moyens, la fureur' trésor et l'armée, étaient aux mains de ses
des ennemis du trône et de l'au.tel. ennemis.
Le jour où les malheureux Berthier, Fou- La nature de la société a pourvu, dans
lon, Delaunay, premières victimes de la l'Etat comme dans la famille, au cas de l'ab-
révolution, furent immolés; le jour où la sence, de la minorité, de la captivité, de
demeure du roi fut violée, ses gardes mas- l'empêchement enfin du pouvoir, en nom-
sacrés, sa personne outragée lui-même mant le plus proche parent du roi tuteur de
traîné à Paris, précédé des horribles tro- la famille, ou régent de l'Etat.
phées de la conjuration, et entouré d'une ji Saint Louis, Jean, François I", avaient été
populace enivrée de fureur et de sang, sans captifs chez les étrangers; mais là ils étaient
que l'autorité eût pu prévenir de si grands des généraux d'armée plutôt que des rois,
attentats, ou que la justice pût ou osât les puisque la royauté existait tout entière en
venger, il n'y eut plus en France ni sûreté, France dans la régence et ses conseils, et
ni sécurité, ni gouvernement, ni justice, ni que la nation était libre et représentée par
société, ni patrie et l'individu, retombé un gouvernement légitime, et non envahie
dans l'état sauvage et insocial, libre de tout et dominée parades factieux,
devoir envers une société qui l'abandonnait Ici c'était tout le contraire le roi était
à ses seules forces, rentra sous l'empire de captif dans ses propres Etats, et le pouvoir,
la loi naturelle et primitive de sa propre cet être morale qui n'est borné ni à.un temps,
conservation. ni à un lieu, qui survit même à la mort na-
Dès lors, l'émigration fut une nécessité turelle de l'homme roi, et
par conséquent à
pour les uns, un devoir pour les autres, un sa mort civile, le pouvoir existait sur une
droit pour tous. Louis XVI fut perdu, car terre étrangère il y régnait sur les affections
on ne pouvait respecter le roi, après avoir de ceux qui l'avaient suivi, et de ceux, en
violé la royauté et les factieux n'osèrent bien plus grand nombre, qui regrettaient de
laisser vivre l'homme, après avoir outragé n'avoir pu le suivre; et, à la vue de l'épou-
le monarque. vantable anarchie qui désolait la France, et
La royauté une fois anéantie, la noblesse de ce gouvernement monstrueux de la Con-
ne pouvait subsister l'action du pouvoir vention, qui ne gouvernait que par les mas-
royal cessait avec le pouvoir lui-même, le sacres, les confiscations et la guerre, la France
sacerdoce tombait avec la divinité, et les transplantée aurait pu dire, avec plus de
nobles, dans une monarchie, sont l'action raison que Sertorius
vivante du pouvoir, et comme les prêtre-s de
la royauté. Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis.
Il n'était que trop aisé de détruire la fa- Cependant les violences exercées dans
mille qui seule exerçait le pouvoir, et dans beaucoup de lieux contre la noblesse et les
laquelle il ne faut même compter que les atroces calomnies dont elle était partout
mâles mais la noblesse était composée de l'objet, avaient forcé plusieurs de
beaucoup de familles' et d'individus de tout bres à ses mem-
se retirer dans les pays étrangers.
âge, de tout sexe, et les sacrificateurs recu- Les factieux, habiles à tirer parti des cir-
laient encore devant le grand nombre de vic- constances, et surtout de celles qu'ils avaient
times. fait naître, redoublèrent de désordres et de
Les princes du sang royal avaient dérobé violences, pour presser l'émigration des
leurs têtes aux secrets et profonds desseins propriétaires dont ils dévoraient déj.à les.
biens ils la favorisèrent en paraissant l'em- raient tous enire-déctnrés pour le partage ae
r.
pêcher, et jugèrent très-bien que le moyen c sanglantes dépouilles.
ces
de la hâter était de la défendre, et que Le roi, une fois sous la main de la Con-
même le danger que l'on courait en passant vention,
v n'aurait pu être sauvé que par une
la frontière, était pour des Français une i
insurrection générale de la capitale; mais, à
tentation de plus. cette
c époque, il n'y avait que des bataillons
Les faits subséquents ont prouvé jusqu'à appartenant
a à des sections différentes, ani-
l'évidence cette habile et odieuse machina- més
n d'un différent esprit, et plus près de se
tion. Les prêtres qui n'avaient pas voulu battre entre eux que de s'accorder.D'ailleurs,
émigrer furent entassés sur des vaisseaux, iune troupe enrégimentée ne connaît de pas-
et enfin déportés, parce qu on n'avait rien à sions
s que celles de ses chefs connus ou se-
gagner à leur mort les nobles, et en géné- crets,
c et elle n'est plus susceptib'e des mou-
rai les riches propriétaires qui étaient res- vements
v tumultueux, violents, et quelque-
tés, furent jetés dans des prisons, inscrits, fois généreux de la multitude.
f<
quoique présents, sur la liste des émigrés, L'émigration, forcée pour quelques-uns,
ou même vivants sur des listes de morts; en- f donc légitime pour tous. Le sol n'est pas
fut
fin traînés à l'échafaud où ils auraient infail- la patrie de l'homme civilisé; il n'est pas
1
On a" oéti|furé de mille manières l'idée que-î- Mais le pouvoir confié à un ou plusieurs
l'on doit se former de la noblesse et, par? hommes, bornés dans leur intelligence, bor-
une suite nécessaire, on a conçu pour les;5] nés dans leur action, a besoin que sa vo
nobles des sentiments peu équitables. lonté soit éclairée par le conseil, et son ac-
Redressonsles idées sur l'institution, pour tion aidée par le service.
changer, s'il est possible, les sentiments en- Ify a donc dans toute société des hommes
vers les personnes; l'un est plus facile que qui conseillent le pouvoir dans sa fonction
l'autre on dissipe les erreurs, mais au delà de faire la loi, et qui l'aident ou le servent
se trouvent les passions. dans sa fonction de l'exécuter.
Ces préventions injustes d'un ordre de ci- Et comme le conseil est un acte de l'intel-
toyens contre l'autre sont la grande maladie ligence, et que l'exécution de la loi rencon-
de la société, un scandale chez des nations tre dans les passions humaines des obstacles
chrétiennes; elles ont fait la révolution, et qu'il faut surmonter, en langage précis et
la prolongent. philosophique, le conseil est un jugement,
On a exagéré les vices ou les défauts dont l'exécution est un combat; et il y a, dans
'
les nobles ne sont pas plus exempts que les toute société, des hommes qui jugent et aui
autres hommes jamais, que je sache, on'.[ combattent par les ordres et sous la direc-
n'a. donné la véritable raison de la noblesse.; tion du pouvoir, chef suprême du jugement
Les uns ont fait de la noblesse un meuble' et du combat dans la société.
de la couronne, comme le sceptre et le man-!¡ Ces hommes, sous le nom d'officiers, de
teau royal; les autres en ont fait une illu-' magistrats, ou tout autre titre, sont les
sion de la vanité, ou une usurpation des agents, les serviteurs, les ministres du pou-
temps féodaux. La noblesse n'est ni un or- voit
nement, ni une décoration, ni un préjugé, Ce sont des hommes publics, puisqu'ils
ni une usurpation elle est une institution servent le pouvoir dans
ses fonctions publi-
naturelle et nécessaire de la société publique, ques, comme les serviteurs du pouvoir do-
aussi nécessaire, aussi ancienne que le pou- mestique sont des hommes domestiques, et
j voir lui-même; et c'est par cette raison pour cette raison appelés des domestiques.
qu'elle existe, comme le pouvoir, soas une Ce sont des hommes de la nation, gentis
forme ou sous une autre, dans tout état de ihomines, d'où est venu le nom gentilsham-
sociéié, et sous toutes les formes de gouver- mes,s parce qu'ils sont spécialement dévoués
nement. Remontons aux principes. à son service des notables, enfin, notabi-
Le pouvoir dans toute société, et quel que les, l d'où est venu, par contraction, le nom
soit le mode de son existence, est le vouloir ide nobles; des notables, c'est-à-dire, des
et le faire; il veut la loi, il l'exécute. hommes remarquables entre les autres ou
1
distingués des autres, parce que ceux qui race
r des hommes puissants élevés au-des-
sus des autres, comme il y en a partout,
exercent une fonction sont nécessairement s
distingués de ceux au profit de qui cette mais
c qu'on ne voit point de noblesse hérédi-
taire.
t A mesure que l'hérédité du trône a été
fonction s'exerce.
Ainsi, les nobles ou notables sont les ser- plus
1 constamment et plus régulièrement ob-
vîteurs de l'Etat, et ne sont pas autre chose servée,
s on a pu apercevoirla tendance des
ffonctions publiques à devenir héréditaires
ils n'exercent pas un droit, ils remplissent etlorsqu'enfin l'hérédité du trône a été la loi
un "devoir; ils ne jouissent pas d'une préro- constante et fondamentale, et' que la cou-
gative, ils s'acquittent d'un service. Le mot t
service, employé à désigner les fonctions pu- ronne
r a été fixée dans une famille de mâle
bliques, a passé de l'Evangile dans toutes en
f mâle, et par ordre de primogéniture le
ministère public de la société est devenu
les langues des peuples chrétiens, où Vol r
dit le service, faire son service, servir, pour héréditaire
1 et patrimonial, et il y a eu des
ffamilles nobles, comme il y a eu une famille
exprimer que l'on est occupé dans la magis-
royale. Alors a commencé la noblesse héré-
trature ou dans l'armée. Quand Jésus-Christ i
ditaire, dernier état de cette institution dans
dit à ses disciples Que le plus grand d'en- '<
celui qui sert ou de celui qui est servi? Il1 Cette marche nécessaire des institutions
politiques est tout à fait dans l'esprit et le
ne fait que révéler le principe de toute so- ]
système de la monarchie qui ne peut fixer le
ciété, ou plutôt de toute sociabilité, et nous i
nobles du monarque. Dans les Etats populai- i- ainsi de tous les changements qiti sont arrivés
dans les Etats, par rapport aux mœurs, aux
res, les mêmes hommes sont alternative-
ment pouvoir et ministres, et même tous les ,s
;s usages à la discipline. Des circonstances
deux à la fois. ont précédé, des faits particuliers se sont
En France, que je prends pour exemplee multipliés, et ils ont donné, par succession
du plus entier développement des institu- [- de temps, naissance à la loi générale sous
tions monarchiques tant que la succession n laquelle on a vécu. »
au trône n'a pas été constammenthéréditai- i- Voilà donc en France une noblesse héré-
re, les fonctions publiques ou la noblesse ie ditaire et patrimoniale, attachée aussi à la
ont été viagères comme le pouvoir; et c'est st glèbe et à la propriété, véritable ministère
ce qui fait qu'on trouve sous la orcinière 'e de la société, et qui est au pouvoir ce qua
671 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.. 672.
les prêtres sont à la Divinité. Mais, et cette
te et du pouvoir lui-même, un un engagement de,
de-
distinction est importante, on ne servait pasas famille, c'est la famille qui tend à s'élever,,
en France dans la magistrature et dans l'ar-
r-
9.
c'est-à-dire à passer de l'état privé à l'état
mée, parce qu'on était d'une famille noble public, progression naturelle, aussi honora-
mais on était d'une famille noble, parce îe ble pour le caractère national qu'utile à la.
qu'elle était spécialementdévouée au ser- r- société, et qui donnait en France à l'acquisi-
vice public, exclusivement à toute profes- 3- tion des richesses un autre but que la ri-
sion privée. chesse elle-même. C'est ce passage de l'état
On peut trouver en Europe un exemple le privé à l'état public qu'on appelait anoblis-
bien frappant du désordre que produit dans is sement; et tantôt la famille anoblissait les
les Etats la nature différente du pouvoir et =t individus par l'acquisition d'une charge de
du ministère, et le développement inégal de le magistrature; et tantôt l'individu anoblissait
ces deux institutions. la famille par de grands et de longs services.
En Pologne le pouvoir était viager ou u dans la carrière des armes.
électif, et la noblesse héréditaire. En Tur- r- On peut demander la raison de la loi qui,
quie, le pou voir était héréditaire,et les fonc-
> sauf les priviléges accordés à quelques villes
tions publiques électives ou amovibles el 'i dans les temps de trouble, ou pour des mo-
ces deux Etats, quoique par des causes op- >- tifs d'encouragement du commerce, n'attri-
posées, sont tombés dans le même état dee buait la faculté d'anoblir qu'aux charges de.
faiblesse de désordre et de dépérisse- magistrature en cour souveraine. Le motif
ment. en est évident et pris dans les principes mê-
Dans la démocratie pure (si elle est possi- i- mes de la société. Le jugement des procès
ble), le pouvoir, être abstrait, est partout et!t
en matière civile n'est pas précisément et.
n'est nulle part pouvoir, ministres, sujets,i, nécessairement une fonction publique, puis-
tout y est indiyiduel', temporaire et dans unn que les différends en matière civile peuvent
état continuel de mobilité. 11 y a des nobles, être terminés sans magistrats et par des par-
et même des rois, ou des pouvoirs, mais pour>»r ticuliers arbitres ou médiateurs, et que le
un moment, et ils rentrent aussitôt dans laa particulier lésé peut transiger seul à seul
vie privée pour faire place à d'autres ambi-
avec sa partie, ou même ne pas poursuivre
tions. le redressement de ses griefs; au lieu que
Dans l'aristocratie héréditaire, le pouvoirP les fonctions de la justice criminelle et de Ja-
et le ministère sont confondus dans les mêmess vindicte publique ne peuvent être usurpées
familles, et ceux qui les exercent sont dis-
par des particuiiers, et qu'il ne dépend pas
tingués des sujets exclus ordinaii ement parr d'eux de transiger sur un crime, ni même
des lois positives, de toute participation aui de le laisser impuni. C'est une fonction émU
pouvoir et à. ses fonctions. Les nobles ser- nente,et même la première fonction du pou-
•
vent l'Etat et le gouvernent tout à la fois voir public, et elle suppose le droit de vie-
ilsfont la loi, et ils l'exécutent; cette nobles- et de mort, qui est soit attribut essentiel la
se, qui n'est pas seulement ministère du pou-• justice civile est la juridiction sur la pro-
voir, mais pouvoir elle-même, s'appelle pa- priété; la justice criminelle estlajuridiction
triciat. sur l'homme et l'une est par conséquent
Dans la démocratie limitée, où les lois d'un ordre plus relevé que l'autre.
fixent pour un temps plus ou moins long,
En Angleterre, monarchie mixte d'institu-
sur les mêmes têtes, le pouvoir et le minis- tions populaires, il
tère, l'habitude des grands emplois, et sur- n'y y a un patriciat, mais il
tout la considération attachée aux grandes a pas de noblesse. Le patriciat lui-même
fortunes forment une sorte de patriciat repose plutôt sur la tête de l'individu que
bourgeois qui, selon la remarque de Jean- sur la famille elle-même, puisque l'aîné seul
Jacques Rousseau, ne diffère en rien du pa- est anobli, et que les puînés, lords par cour-.
triciat noble des aristocraties. toisie, rentrent dans la vie privée, et peu-
vent exercer des fonctions privées et lucra-
Ainsi, dans les gouvernementspopulaires tives. Il est même assez remarquable
que
où tout est individuel c'est l'individu qui l'aîné n'est pas créé pair sous
son nom de
tend à s'élever, et de furieuses ambitions y famille, qu'il prend le nom de son titre, et
troublent l'Etat en attendant qu'elles le ren- change de nom à mesure qu'il change de ti-
versent. Dans la monarchie, au contraire, dont tre ce qui pour le dire
en passant, jette
l'esprit est de faire de toutes les professions, une étrange confusion dans l'histoire d'An-
(P5~i PART. îï. POLITIQUE. CONSIDERATIONS SUR LA NOBLESSE. fiTi
gieterre. En Fiance, la
gleterre. En famille, une
la famiile, une fois ano- profession lucrative ni sortir de cet état
blie, anoblissait tousles individus qui laa d'indigence, que par un cardinal ou un ma-
composaient et tous leurs descendants ett réchal de France.
elle ne pouvait déchoir de ce rang honora- Ainsi, tous les individus en France n'é-
il e. que par forfaiture jugée ou par déro- taient pas admis directement et sans novi-
geance volontaire. Une fois agrégée au corpss ciat aux emDlois publics (sauf les talents
de la noblesse, elle n'était pas autrement no- éminents qui font exception à toutes les rè-
jle que les familles les plus anciennement.tt gles); mais toutes les familles étaient à leur
nobles. Dans les convocations générales des volonté admissibles dans l'ordre spéciale-
l'ordre, aux états généraux, par exemple, ment chargé des fonctions publiques; et,
toute distinction de cour ou d'armée dispa- dans tout Etat naturellement constitué, qui
raissait les pairs eux-mêmes n'y étaientad» considère plutôt les familles que les indivi-
mis que comme nobles là le noble le pluss dus, il faut que la famille puisse sortir de
recent siégeait à côté du plus ancien, et s'yy l'état privé avec facilité, et les individus avec
montrait plus noble s'il s'y montrait pluss effort. Une famille qui avait payé ou gagné
fidèle. son admission dans l'ordre de la noblesse,
s
Cependant les familles nobles de tempss et renoncé en méme temps à toute profes^-
immémorial étaient présumées aussi an- sion lucrative, avait donc un droit acquis et
^ciennes que la société elle-même: elless légitime de préférence sur toutes celles qui
étaient, à proprement parler, les ancienss n'étaient pas liées par les mêmes engage-
de la société publique, et, à ce titre, elless ments, et n'avaient pas renoncé aux mêmes
avaient droit aux respects que les vieillards5 avantages*Ainsi le jeune homme né dans une
obtiennent dans la famille, et dont ils abu- famille noble et pauvre, pouvait avec justice
sent quelquefois mais on pardonne à laj réclamer sur le fils d'un riche négociant, le
vieillesse ce qu'on ne pardonnerait pas à unnj droit de se faire tuer en qualité de sous*
âge moins avancé; et, à cet égard, la société lieutenant. I! en est de même de toutes les
est d'une extrême indulgence. professions qui demandent un noviciat et
Des écrivains ont cru faire preuve de phi- des grades. Ainsi l'on ne peut, même avec
losophie en blâmant l'anoblissement à prixz des talents et des connaissances, exercer les
d'argent; il n'y a rien cependant de plus professions libres d'avocat et de médecin*
naturel et de plus raisonnable. La famille, au préjudice de ceux qui ont suivi les étu-
dans l'état privé, doit s'enrichir par le tra- des et pris les grades préparatoires de mé-
vail, première condition de l'homme. Unes decine et de jurisprudence.
fois parvenue au service de l'Etat, c'est-à- Il est difficile de trouver dans cette mar*
dire devenue noble, elle ne doit plus que} che régulière de toutes les familles, vers un
servir. Toute profession étrangère aux de- but aussi honorable que le service public,
voirs du ministère public, qui lui ferait per- je ne dis pas une raison, mais un prétexte à
dre l'esprit de sa profession ou le temps det la jalousie dont la noblesse à toutes les épo-
ques a été la victime.. Qui est-ce qui doute
vaquer à ses fonctions doit lui être inter-
dite. La famille noble peut ne pas'servir ac- que toutes les familles, même les familles
tuellement, mais elle dort être constamment
t royales, n'aient dans uh temps ou dans un
la disposition de la société, et c'est ce quic autre, commencé par l'état privé ? La seule
différence, comme le dit Coulanges, est
faisait qu'il était défendu aux nobles d'enga-
qu'entre tous les enfants d'Adam,
ger leur personne, en souscrivant des obli-
gations de commerce qui entraînent la con- L'un a dételé le matin,
trainte par corps. Il est donc raisonnable L'autre l'après-dînée.
qu'une famille qui veut s'anoblir fasse Et c'est s'irriter contre la nature eUe temps
preuve d'une fortune suffisante pour pouvoir que de porter envie aux plus diligents. Le
servir; et même, comme dit Montesquieu, mal n'est pas d'avoir détélé les uns avant les
servir avec le capital de son bien; car c'est autres, car tous ne peuvent pas dételer à la
ainsi qu'on servait autrefois en France, dans fois, mais de vouloir mettre la charrue avant
la magistrature comme dans l'armée. On était les bœufs, et de renverser l'ordre de la so-
même en France trop pressé de s'anoblir, ce eiété, qui fait passer une famille, de la char-
qui peuplait l'ordre do la noblesse de famil- rue au comptoir, du comptoir au cabinet
les pauvres qui ne pouvaient pas rentrer d'affaires, du cabinet sur la chaise curule,
dans la vie privée pour s'enrichir par une et l'accoutume ainsi insensiblement à se dé-
pouiller du vieil homme pour revêtir hom- public est moins un avancement qu'un dé-
me nouveau. Et je prie qu'on remarque ici placement, et plutôt une révolution qu'une
la différence des institutions. Autrefois en promotion. Au moral conjine au physique, la
France, pour forcer les barrières que les téle tourne à une élévation à laquelle on n'a
mœurs, les usages, même le système monar- accoutumé ni son cœu. ni ses yeux. On
chique, opposaient à l'élévation trop brus- porte dans les fonctions publiques les opi-
que d'un individu, né dans une classe obs- nions, les affections les goûts, les habitu-
cure, aux premiers emplois de l'Etat, il ne des, les passions qui ne conviennent qu'à
fallait qu'un grand talent, car je crois qu'on l'état privé. La langue même fournit un
peut soutenir qu'il manque quelque chose exemple frappant de cette vérité dans cette
au talent qui ne s'élève pas, et que la faute locution consacrée par l'usage, l'ivresse du
en est à l'homme plutôt qu'aux circonstan- pouvoir qui exprime l'état de fureur ou de
ces. 11 ne fallait donc en France qu'un talent démence d'une âme faible qui a reçu plus
supérieur, aidé, si l'on veut, par des cir- de pouvoir qu'elle n'en peut porter; et la
constances favorables. « La constitution du révolution en a offert de terribles exemples.
royaume de France, dit un ancien auteur, L'élévation graduelle des familles n'offre
cité par le président Hénault, est si excel- aucun de ces dangers. Dans la marche ordi-
lente qu'elle n"a jamais exclu et n'exclura naire, la famille passe comme nous t'avons
jamais les citoyens nés dans les plus bas éta- déjà dit, de la profession de laboureur ou
ges, des dignités les plus relevées. » Les d'artisan à celle d'homme d'affaires, de mé-
exemples, il est vrai, en étaient rares, mais decin, de magistrat, etc. L'enfant, à mesure
les talents sont encore plus rares que les que la famille avance, reçoit en naissant!' es-
exemples, et dans une société bien consti- prit, les sentiments, les habitudes de la
tuée, le besoin d'un grand talent pour le profession à laquelle il est destiné; senti-
gouvernement est heureusement plus rare ments héréditaires qui, bien plus que les
encore que le talent lui-même. Enfin, il n'y connaissances acquises font des hommes
avait en France aucune loi d'exclusion d'un bons et utiles et l'on peut appliquer à cette
citoyen quelconque d'aucun emploi, et il ne hérédité d'esprit de profession, ce que Bos-
fallait, je le répète, que de grands talents ou suet dit de l'hérédité du trône, « qu'on n'a
de grands services pour parvenir à tout. Au- point à remonter le ressort à chaque gené-
jourd'hui qu'il y a une loi positive, si l'on ration, et que les choses vont avec la na-
ne paye pas cent écus ou mille francs à peu ture, »
près de contribution foncière, nul ne peut Dans les républiques, sociétés d'indivi-
être électeur ou éligible, quel que soit son dus, l'élévation des individus est brusque
mérite personnel et par conséquent les trois et rapide, les grands talents s'y développent
quarts au moins des familles nationales sont avec avantage et comme ils peuvent con-
formellement et légalement exclues de ce duire à tout, et même au pouvoir, l'Etai
premier degré des fonctions publiques qui périt tôt ou tard par de grands talents. Dan?
désormais conduira à tous les autres, et sont la monarchie, société de familles, l'élévation
en quelque sorte constituées en esclavage des familles est, en général, lente et gra-
politique, tandis qu'une autre loi déclare duelle et l'Etat se soutient bien plus par la
tous les individus admissibles à tous les em- continuité des principes et des maximes du
plois. Je ne blâme pas la disposition de la gouvernement que parla supériorité des ta-
loi qui attache des droits politiques à la pro- lents. « Au reste, » dit très-bien J.-J. Rous-
priété, mais je fais seulement remarquer seau, « quand il paraît un grand homme
qu'autrefois en France, l'homme, pour s'é- dans une monarchie presque abîmée, on est
lever, n'avait besoin que de lui-même, et tout surpris des ressources qu'il trouve, et
qu'aujourd'hui, pour exercer, dans un Etat cela fait époque. » Dans une monarchie, tant
libre, les droits de citoyen, les vertus de qu'on n'en a pas altéré les principes, le
Caton et les talents de Démosthènes ne ser- grand homme paraît au besoin, et la société
vent de rien sans l'impôt foncier. est sauvée. Dans les républiques, les grands
Mais en laissant à part ces talents trans- esprits, les grands caractères, paraissent à
cendants qui forcent tous les obstacles là temps et à contre-temps, et ils troublent
où une loi positive ne les condamne pas à l'Etat ou le renversent.
l'obscujité, il est aisé de voir que le passage En Angleterre, un habile avocat devient
subit des individus de l'état privé à l'état lord chancelier en France, il aurait anobli sa
677
Î1VPP. le
avec
PART. II. POLITIQUE.
famille, qui, dès lors, aurait eté
tomnc à?i touslesemplois.il
lia temps,
calme, plus de régularité, moins de secous-
ses dans cette marche de la société, moins
d'ambition dans les âmes, moins d'agitationî
CONSIDERATIONS SUR LA NOBLESSE.
été admissible,
ti-nie»ln^ ,»- ^1^,4^, Tl __i
y a plus de
j i
duelle des familles est dansle système
lier de i
,i lal monarchie
• (201)
systèmerégu-
tc\t\A l'élévation
régu-
i» 1 1 > • brus-
que des individus, dans le système irrégu-
lier et orageux des républiques.
i 678
(6 octobre 4852.)
(1) Je me sers du mot sujet. quoiqu'une sédi- expressions corrélatives comme celles de père et
tieuse susceplibil té s'en offense, parce qu'on ne d'enfants, de maître et de serviteurs, de créanciers
peut, du moins en français, parler de pouvoir sans et de débiteurs, etc. la politique, la nature, la rai-
nommer ou sous-entendre des sujets; ce sont des son et la langue le veulent ainsi.
681 PART. II. POLITIQUE. SUR L'ARISTOCRATIEET LA NOBLESSE. 082
voirs
voirs- qu'il a créés le caractère essentiel ett
1.(-1'1__I_l-
la prérogative spéciale de la royauté, je veuxi
dire l'hérédité. Voilà l'aristocratie.
C'est un des mécomptes de la révolution,
et ce ne sera pas sans doute le dernier.
Maisilpeut exister,dans l'absence d'un roi,
L'aristocatie n'est donc ni la naissance, ni[ unearistocratie même héréditaire, soit qu'eue
la fortune, ni les titres, ni les cordons oui se soit créée d'elle-même comme à Venise,
décorations elle est la participation héré- à Berne, et ailleurs, soit qu'elle ait, comme
ditaire au pouvoir royal ou législatif. à Rome, survécu à l'expulsion des rois.
Et ce qui prouve que l'aristocratie n'estt Alors cette aristocratie, en attendant un chef,
ni la naissance, ni la fortune, ni les titres, roi ou despote, qui arrive tôt ou tard, con-
est que le roi pouvait proprio motu, par unt centre sa royauté collective et acéphale dans
acte de sa volonté, et sans aucune condi- un sénat, véritable assemblée de rois, et
tion, faire un pair de l'homme le plus obs- cette assemblée de rois, que Cynéas avait vue
cur, qui n'avait ni naissance, ni fortune, nii dans le sénat romain, se retrouve dans tous
services, et qu'il n'aurait pu, sans un abus les sénats aristocratiques, qui, quelle que
d'autorité et sans violer des lois reconnues, soit la qualité de leurs membres, ne sont pas
faire un chevalier de ses ordres d'un hom- une noblesse, mais un patriciat.
me qui n'aurait pu prouver quelques de- Le roi, comme souverain, appelle
ses su-
grés de noblesse, ni un magistrat d'un jets à partager avec lui le pouvoir législatif,
homme qni n'eût pas pris ses grades. et fait ainsi une aristocratie; mais le peuple,
Si l'aristocratie, dans un état monarchi- là où il est souverain, appelle aussi les siens
que, est le partage avec le roi du pouvoirr à partager ou à exercer son pouvoir; et je
législatif, il s'ensuit qu'il n'y a jamais eu ent dis son pouvoir, car, dans la rigueur des
France, avant la révolution, d'aristocratie prétentions démocratiques, telles qu'un parti
politique, puisque le roi ne partageait avec les.soutientaujourd'hui, tous, pairs, dépu-
personne le pouvoir législatif. Les grands tés, et le roi lui-même, sont les délégués
vassaux, souverains dans leurs Délits Etats, de la souveraineté populaire. Ce peuple fait
y rendaient des ordonnances, ou plutôt y donc aussi son aristocratie en nommant
ses
donnaient des ordres, mais ils y reconnais- députés, puisqu'il y a aristocratie toutes les
saient les lois du royaume, et même, en fois qu'il y a partage du pouvoir législatif
faisant la guerre aux rois, rendaient hom- entre le souverain et les sujets.
mage à leur suzeraineté. Le roi communique à ses pairs l'hérédité
Il n'y avait quelque aristocratie politique de son pouvoir, et le rend ainsi fixe et per-
que dans les parlements, puisque les lois pétuel dans leurs familles, comme il est
du royaume n'étaient promulguées et ren- perpétuel dans la famille royale. Le peuple
dues exécutoires qu'en vertu de l'enregis- communique à ses élus, c'est-à-dire à ses
trement qu'en faisaient ces grands corps de députés, la mobilité du sien. Plus jaloux de
magistrature, qui même en suspendaient son pouvoir que le roi de ses prérogatives,
l'exécution par le droit légal de ilne l'aliène pas ainsi à perpétuité, et ne
remon-
trance, et quelquefois par le refus illégal de fait que le prêter pour un temps limité, et
rendre la justice. qui n'excède pas la durée du mandat du dé-
L'ancienne pairie n'était pas non plus de puté. C'est cette mobilité qui caractérise la
l'aristocratie. Quelles que fussent la nais- démocratie et qui la rend si dangereuse
sance, la fortune, l'illustration de ses mem- pour la stabilité et la tranquillité de l'Etat.
bres, ils n'avaient quelque existence politi- Le renouvellement annuel de ces pouvoirs
que qu'en cour des pairs, c'est-à-dire dans le entretient dans la société une fermentation
parlement dont ils étaient membres, et où continuelle. Tous les ans, de nouvelles am-
ils étaient présidés comme les autres bitions toutes fraîches, sijepuis m'exprimer
les chefs de ces compagnies.
par
ainsi, haletantes d'avidité de places ou de
C'est cependant après le plus furieux dé- renommée de tribune, viennent relever les
chaînement contre l'aristocratie, après la ambitions mécontentesou satisfaites,repren-
spoliation, le bannissement et le massacre de dre l'opposition là où les sortants l'ont lais-
ceux qu'on appelait des aristocrates, et au sée, et presque toujours la pousserplus loin.
sortir de la révolution la plus populaire C'est donc la fixité ou la mobilité du pou-
et
la plus ennemie de toutes les distinctions,
voir dans les mêmes mains qui fait la diffé-
qu'une véritable aristocratie politique été
constituée dans la chambre des pairs.
a rence politique de l'aristocratie royale à
l'aristocratie populaire ou h la démocratie
685 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONAIJ). 684
et J.-J. Rousseau en fait la remarque en tourmenter
t que le
vieillesse: que
sa vieillesse le système
comparant l'aristocratie noble de Venise à politique
[ de l'école anglaise ne lui convenait
l'aristocratie bourgeoise de Genève, et ne pas 1 plus que celui de l'école américaine, et
voit entre elles aucune différence. On peut qu'il arriverait qu'après des essais répétés et
jc
II.
II. DE la NOBLESSE.
De LA Le jugement comprend aussi la conseil qui
On confond perpétuellement, et le peuple est dû au pouvoir quand il le réclame.
surtout, l'aristocratie et la noblesse ce sont On peut même dire que ces deux fonctions
cependant choses fort différentes, et en po- se réduisent à une seule, puisque la justice
litique comme en toute autre matière, deux criminelle, en qui est le jusvitœ et necis, et
mots exprimant deux idées. qui frappe le méchant par le glaive de la loi,
La noblesse n'est pas plus que l'aristocratie, est aussi un combat.
naissance, fortune, titres ou décorations. Jadis la noblesse réunissait ces deux fonc-
La naissance, qu'on confond avec elle, est
tions. Chaque baron avait, comme le roi, sa
l'ancienneté de la noblesse et n'est pas la cour de jugement, où il jugeait assisté de ses
noblesse. pairs et de ses prud'hommes et la loi inter-
disait au noble coupable de quelque crime,
La fortune n'est pas la noblesse, mais elle les services judiciaires comme le service mi-
lui était nécessaire pour remplir ses devoirs, litaire neque militiam neque in palatio agen-
sans être à charge à l'Etat. darum causarum licentiam habeant.
Les titres les cordons ne sont pas la no-
Les anciens pairs de France, à la fois mi-
blesse, et l'ont plutôt affaiblie et quand des litaires et membres de la cour du parlement,
distinctions, jadis inconnues, ont mis la va-
étaient, de nos jours, un monument vivant
nité à la place de la conscience, la jalousie a de cette ancienne existence de la noblesse.
pris la place du respect.
Les longues guerres contre les Anglais et
L'aristocratie est la participation hérédi- plus tard les guerres de religion qui mirent
taire au pouvoir législatif.
La noblesse est le service héréditaire du pou-
les armes lamain de tous et la guerre par-
tout, jetèrent exclusivement la noblesse dans
voir exécutif. le métier des armes. Elles firent tomber l'é-
Faire des lois avec le pouvoir législateur, tude des lois et dégoûtèrent les nobles des
le pouvoir qui gouverne, c'est gouverner fonctions judiciaires Alors la noblesse aban-
comme lui et avec lui. donna le jugement aux clercs, et un ancien
Faire exécuter les lois sous les ordres et poëte le lui reproche dans une ballade dont
chaque couplet se termine par ce refrain v,
par la direction du pouvoir qui exécute, c'est
le servir.
Ces chevaliers ont honte d'être clercs.
Ainsi l'aristocratie partage le pouvoir, la
noblesse le sert. Car, dit M. de la Curne de Sainte-Palaye, de
l'Académie des Inscriptions., dans ses excel-
La noblesse n'est donc ni une prérogative,
lents Mémoires sur l'ancienne chevalerie, « la
ni un privilège elle est un service et un de-
chevalerie avait recommandé à ses disciples
voir envers le pouvoir.
de s'appliquer également aux lettons et aux
Le premier besoin de la société, et même
armes. »
Je seul, est sa conservation, c'est-à-dire sa
Dans ces derniers temps, les deux services
défense contre l'ennemi intérieur ou le mé-
chant, contre l'ennemi extérieur ou l'é- judiciaire et militaire tendaient à se réunir,
et s'ils n'étaient pas encore confondus dans
tranger. les mêmes personnes ils l'étaient souvent
La défense de la société doit donc être la dans les mêmes familles.
première loi du pouvoir qui fait les lois, et la
Qu'on prenne garde qu'il ne s'agit ici que
fonction essenl'elle, spéciale du pouvoir qui
de la justice criminelle, du jugement des in-
les exécute.
térêts publics et non de celui des intérêts
La défense de la société contre l'ennemi privés. La justice civile n'est pas précisé-
intérieur est confiée à la justice rendue par ment une institution politique, parce qu'elle
les tribunaux et contre l'ennemi extérieur, n'est pas absolument nécessaire. On peut, en
elle est dans le combat livré par la force des effet, terminer les affaires civiles sans l'in-
armes. tervention des tribunaux, par arbitrage ou
Ainsi juger et combattre sous les ordres et composition amiable on peut même renon-
sous la direction du pouvoir exécutif, est la cer à plaider. Mais la justice criminelle n'ad-
fonction spéciale ou plutôt la raison de l'ins- met ni arbitrage, ni composition' amiable, ni
titution de la noblesse, et il n'y en a pas transaction volontaire elle ne permet pas
d'aulre. même le silence, et le ministère public pour-
687 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 688
DE LA CHAMBRE DE 181 S,
(1819)
Le public a été constamment trompé sur volutionnaires, que la enamore ae isio est
les véritables causes de la haine que les li. poursuivie par la calomnie, mais pour avoir
béraux de toutes les époques et de tous les arrêté la révolution, et l'avoir même forcée
noms ont jurée à la chambre de 1815, de rétrograder.
Il a cru sur parole que cette haine n'avait Le lien conjugal est le fondement de tout
d'autre motif que la sévérité de cette cham- l'édifice social, et c'est pour cela que la re-
bre envers quelques personnes; et c'est ligion, garantie et amie naturelle de la so-
pour le lui persuader qu'a été inventé ciété, en a consacré l'indissolubilité, et que
l'heureux parallèle des égarements de 1793 la révolution, ennemie naturelle de la so-
et de la terreur de 1815. ciété, a voulu à tout prix établir en principe
Ce ridicule contraste par lequel les hora la faculté de le rompre.
mes de 93, qui l'ont imaginé, ont voulu sau- Aussi remarquez qu'il n'y a pas eu dans
ver leur honneur aux dépens de leur raison, le monde de grande erreur de doctrine qui
aurait dû tout seul avertir les bons esprits n'ait attaqué sous une forme ou sous une au-
que le mal n'était pas là, et qu'on ne faisait tre la sainteté du mariage, tantôt par excès
tant de bruit des prétendues violepces de la de sévérité, tantôt par excès de relâchement,
chambre de 1815, que pour distraire l'atten- tantôt en défendant les secondes noces, tan-
tion publique, et l'empêcher de se porter tôt en permettant les noces indéfinies; dans
ailleurs. l'Orient, en autorisant, comme Mahomet, la
En général les révolutionnaires au-dessus polygamie actuelle; en Occident, en per-
des faiblesses de l'humanité comptent la ré- mettant, avec Luther et Calvin, la polygamie.
volution, pour tout, et pour rien la vie des éventuelle ou le divorce.
hommes, même des leurs; et comme en Cette faculté du divorce, qui flatte à 1$
1793 ils tuaient les honnêtes gens par pur fois toutes les faiblesses de l'homme, les dé-
amour des principes; aujourd'hui c'est en- pravations de son cœur, les inconstances de
core par amour des principes qu'ils veu- son esprit, l'entraînement de ses sens, devait
lent sauver les coupables. avoir de nombreux partisans; les uns en dé-
Encore une fois il faut chercher ailleurs la fendaient la théorie, les autres se conten-
cause de cette haine active et opiniâtre taient de la mettre en pratique; mais la reli-t
ce n'est pas peur [avoir banni quelques. ré- gion, gardienne inflexible de toutes les vè»
rités, en condamne le principe, parce que la n'osant défendre 1 irrégularité de la conaam-
pratique en est mortelle pour la société do- nation. A leurs yeux, les votants du 21 jan-
mestique, et incompatible avec le bon ordre vier n'étaient pas coupables pour avoir jugé,
de la société publique. mais pour avoir mal jugé; car, et ceci est di-
Chargé du rapport sur l'abolition de la fa- gne de remarque, quand les libéraux accu-
culté du divorce, l'auteur de-cet article ne sent la Chambre de 1815 d'avoir banni les
fut pas longtemps à s'apercevoir de l'intérêt hommes du 21 janvier et du 20 mars sans les
qu'on portait à cette question. Il fut accablé avoir jugés, et de n'avoir tenu aucun compte
de lettres anonymes écrites par des plumes de l'amnistie qu'ils avaient reçue, sait-on ce
exercées; les unes discutaient, les autres qu'il faut voir dans ce raisonnement cap-
menaçaient, d'autres injuriaient; mais ce tieux ? précisément le contraire de ce qu'il
qui le frappa le plus alors dans ces lettres, semble dire. D'un côté, ils réclament l'am-
et qui aujourd'hui se retrace le plus vive- nistie qui, s'appliquant à toutes les espèces de
ment à son esprit, ce furent les prédictions votants, jette un voile sur le principe de la
ou les avertissements qu'elles contenaient, souveraineté populaire, en laissant incertain
et qui lui parurent alors bien hasardés. si les amnistiés étaient coupables pour avoir
Ainsi, on prévenait le rapporteur que, même jugé, ou pour avoir mal jugé; de l'autre, ils
le divorce aboli, le gouvernement n'irait pas reprochent à la chambre de ne pas les avoir
plus loin, et ne porterait aucune loi pour en jugés, parce qu'en les jugeant elle-même,
régulariser les effets, ou ceux de la sépara- ou les faisant juger, elle aurait également
tion qui rétablissait l'abolition du divorce; consacré le principe, puisqu'elle aurait puni
que malgré les désirs de la majorité de la ceux qui avaient condamné à mort l'inno-
chambre, la tenue des registres civils ne se- cent, et non assurément ceux qui avaient
rait pas confiée aux ministres de la religion jugé le roi autrement, il aurait fallu punir
et qu'enfin tôt ou tard le divorce serait ré- tous ceux qui avaient prononcé contre le roi
tabli prédictions dont les unes se sont vé- une peine quelle qu'elle fût (ce qui n'eût
rifiées, et les autres le seront certainement, pas été injuste, mais excessif, vu les circons-
dès que la loi des élections aura porté tous tances), et il n'y aurait eu à l'abri de pour-
ses fruits, et livré aux partisans des révolu- suites que le petit nombre de ceux qui
tions la législation de la France et son ad- avaient déclaré que le roi n'était pas justi-
ministration. La loi portée contre le divorce ciable de l'assemblée, et qu'ils n'étaient pas
sera la première attaquée. ses juges.
Le divorce fut donc mis en délibération; Ainsi les liDeraux se plaignent amère-
mais ce qui désola ses partisans, est qu'ils ment que nous n'ayons pas jugé, parce
n'osèrent pas le défendre, tant l'opinion pu- qu'en condamnant les bourreaux, nous au-
blique d'un peuple raisonnable en deman- rions absous les juges. Quelques hommes
dait impérieusement l'abolition Ils se ren- peut-être auraient péri mais le principe
dirent donc sans combat, comptant, pour eût été sauvé, et il eût été décidé qu'on pou-
reprendre ce poste important, sur des intri- vait juger le roi, pourvu qu'on ne condamnât
gues dont certainement le succès à cette pas à mort l'innocent
époque pouvait, aux plus prévoyants, paraî- L'indissolubilité du lien conjugal et l'in-
tre une chimère. dépendance de la royauté sont donc deux
La révolution perdit donc dans cette occa- postes importants d'où la révolution a été
sion ce qu'elle regardera toujours comme sa débusquée, et l'on peut même dire que ce
plus précieuse conquête à la vérité elle en sont les deux seuls qu'elle ait perdus.
recula le moment tant qu'elle put, et l'abo- Il n'en fallait pas tant pour exciter contre
lition du divorce ne fut décrétée qu'aux cette chambre la haine de tous les fauteurs
dernières séances de cette mémorable ses- de la révolution. Qu'elle s'en console; la
sion. postérité, plus équitable, dira qu'elle a re-
Le bannissement des'hommes du 21 jan- levé en Europe l'étendard de la religion et
vier avait précédé. Les libéraux les auraient, de la royauté qu'elle a voulu donner à la
pour tout autre motif, abandonnés à la jus- France le seul gouvernement qui puisse lui
tice de la chambre; mais ces hommes avaient convenir, et à l'Europe les seules garanties
fait la plus rigoureuse et la plus solennelle qui puissent la tranquilliser; qu'elle a vou-
applicationdu principe de la souveraineté lu arrêter la honteuse dilapidation des biens
du peuple; et leurs amis soutenaient la lé- publics, prévenir l'extension immodérée du
gitimité, du principe, tout en blâmant ou eu système de crédit, rétablir l'ordre, dans les
finances, en arracher les derniers débris ài ties, des craintes que la réflexion aurait fait
l'avidité des agioteurs; qu'elle a toujours5 évanouir comme si des hommes d'Etat ne
demandé la justice dans les lois, larinodéra- devaient pas être au-.dessus des préventions,
tion dans les impôts, l'économie dans les des irritations et des craintes comme s'il
dépenses, la fermeté dans le gouvernement; devait rester du moi dans les hommes appe-
lés à diriger les autres! 1 Nous en, indique-
ses intentions ont été méconnues, ses vues5
centrariées mais l'estime des gens de bienj rons les principaux effets, qui devaient être
a récompensé ses efforts et, quels que puis- et qui ont été en contradiction avec les de-
sent être les effets de la haine qui la pour- voirs des ministres et les intérêts de la
suit, l'auteur de cet article regardera tou- royauté.
jours comme l'époque la plus honorable de> Mais, avant de nous livrer cette discus-
sa vie, celle où, sans l'avoir demandé nii sion, il faut s'arrêter sur le reproche fait au
même désiré, il a été associé à ses travauxi coté.droit de la ehambreide 1815, et des ses-
(D- sions suivantes d'aspirer au ministère, et
Les factieux, au fond au cœur, lui rendentt de ne tourmenter les ministres que pour les
plus de justice ils savent très-bien que horss remplacer. Les indépendants les en accusent;
le bannissement des régicides relaps que less les ministres ou les ministériels les en ac-
députés de 1815 devaient à la France, à l'Eu- cusent plus vivement encore les premiers
rope, au monae entier, puisqu'ils le devaientt par jalousie, parce qu'ils n'osent et ne peu-
à. l'honnêteté publique et à la justice éter- vent y prétendre; les autres, par intérêt
nelle, toutes les autres rigueurs ont été pro- personnel et pour conserver le pouvoir.
voquées par le ministère qui est allé pluss Mais, d'abord, tout homme qui est nomme
loin dans l'exécution, que la chambre elle- député, s'il se sent ou se croit quelque ca-
même dans ses résolutions; mais comme ilss pacité 'et quelque considération, doit pré-
veulent la révolution, toute la révolution, ett tendre aux premières places de l'adminis-
rien que la révolution, ils ne pardonnentt tration, comme tout jeune homme nommé
pas à la chambre de 1815, d'avoir arrêté l'es- une sous-lieutenance doit aspirer aux pre-
à
sor qu'elle voulait prendre au sortir du des- miers rangs de l'armée, et tout jeune avo-
potisme de l'empire. catà siéger sur les fleurs de lis. Cette honora-
ble émulation est tout à la fois dans la nature
Aussi, dès les premiers pas qu'elle fit danss
des hommes et dans l'essence et l'intérêt du
la carrière, sa perte fut jurée. J'acquis et jeB
donnai la certitude de sa dissolution pro- gouvernement représentatif. Et ne nous a-
chaine dès le mois de mai, et lorsque ceuxj t-on pas dit mille fois, et sous toutes les
de qui cette mesure paraissait dépendre ne3 formes, que ce qui distinguait ce gouverne-
la voulaient pas, et peut-être n'y songeaienttment entre tous les autres était la facilité
pas. donnée au peuple de tirer de l'obscurité les
Quoi qu'il en soit, la chambre fut dis- hommes de mérite, au roi de les connaître, à
soute et comme la monarchie en France
PEtatde les employer? et n'est-ce pasprécisé-
avait eu sa restauration, la révolution putt ment à cette facilité de remplacer les minis-
[
dater la sienne du 5 septembre 1816. tres par des membres de la chambre des
Communes ou de la chambre haute que
Aussi les éloges les plus emphatiques de5 l'Angleterre dû les succès de
a son admi-
cette mesure sont-ils 'devenus un refrain1 nistration, continuellement attentive à
obligé dans tous les écrits, même séditieux, riger les vices de constitution? cor-
publiés depuis cette époque; et cela seul»1 sa
Cette accusation de la part des ministres
aurait dû avertir les hommes qui nous gou-
est ridicule, parce qu'elle est intéressée de
vernent de ce que les révolutionnaires en1 plus, elle est injuste,
avaient espéré, et dece queeux; ministresdu1 car cette émulation
est aussi naturelle à l'homme qu'elle est
roi, devaient en attendre. utile à l'Etat et des ministres forts de leur
J'ai exposé les causes de la dissolution1 solidarité, et cuirassés devant et derrière,
de la chambre de 1815. Les moyens ont été contre le peuple et contre le roi
par leur
des préventions inspirées aux hommes en1 responsabilité, ont dans ces sortes de
gou-
place, des irritations trop vivement ressen- vernement, une tellepuissance, la crainte
que
(1) Cette chambre, qu'on représente comme si tants des cent-jour^. et le lendemain même de cette
intolérante et si violente, ne fit aucune difficulté cruelle époque.
pour admettre dans son sein plusieurs repré&eu-
701 PART. Il. POLITIQUE. DE LA CHAMBRE DE 1815. 702
(!) Depuis que cet article a été écrit, on a lé à l'humanité. à l'hospitalité et à l'honneur du
vu 1'iiieoricevable indulgence du jury pour l'abomi- peuple français.
nable jeu de mots par lequel des écrivains ont insul-
SUR LE CHANGEMENT DE MINISTÈRE.
A l'instant que la guerre s'éloignait de ministère tantôt wigh et tantôt tory, et sou-
nos frontières, la division éclatait dans le vent aussi difficile à former d'éléments com-
sein du ministère. Les étrangers félicitaient patibles que facile à se dissoudre par in-
notre administration de la marche qu'elle compatibilité d'éléments.
avait suivie, et notre administration elle- Cette forme de constitution, devenue l'u-
même jugeait que cette marche n'était pas la nique pensée de l'Europe, a cependant moins
plus sûre, puisqu'elle proposait une place de dangers pour le ministère anglais que
éminentè dans une administration à un pour te nôtre, parce que leur ministère est
député connu par la constance et la fermeté plus à l'aise dans leur système, et marche
de son opposition à l'ancienne. d'un pas plus assuré dans une voie plus
Dans une monarchie indépendante un large. Les Anglais n'ont pas fait leur consti-
changement de ministère est une intrigue; tution a priori elle a pris racine dans le
sous un gouvernement représentatif, il est sein d'une royauté souvent même trop arbi-
un système. traire, et s'est développée à l'aide du temps
Comme le ministère est obligé, dans ces et des événements. Chez eux, la monarchie
gouvernements, de marcher sur une ligne est l'aînée, et la république la cadette; et
mathématique, une ligne sans largeur, entre l'une, avec raison, a pris jusqu'ici le pas sur
la constitution royale et la constitution l'autre. En France, nous avons écrit notre
populaire, et que tandis qu'il tient les rênes, constitution, et nous nous sommes imposé
d'autres poussent aux roues avec des forces la nécessité d'interpréternous-mêmes notre
nécessairement inégales et variables, il est écriture. La monarchie nouvelle et la répu-
entraîné en deçà ou au delà de la ligne blique sont nées ensemble de la révolution
constitutionnelle sans qu'il puisse s'en et ces d'eux jumelles, comme Jacob et Esaü,
défendre. Quand il a trop versé d'un côté, il se battent dans le sein de leur mère. Le
faut qu'il se rejette de l'autre; et alors un temps, en Angleterre, explique la constitu-
changement de ministère devient néces- tion et la modifie, pour l'appliquer aux be-
saire, parce qu'un changement de conduite soins des hommes; en France, les hommes
est devenu inévitable. On veut suivre une J'expliquent et la modifient, pour l'appliquer
autre route, et on prend d'autres guides. aux nécessités des temps. Or, si l'on peut
Dans ces sortes d'Etats, on regarde comme parler ainsi, le temps fait toujours tout à
un dogme l'unitédu ministère, et avec raison, temps, et les hommes, trop souvent, font
parce que le ministère doit être un, partout tout à contre-temps.
où les principes de la constitution sont deux, Prenons pour exemple, chez ces deux peu-
sous peine aux ministres de ne pouvoir mar- ples, le mode des élections. Tout bizarre
cher ensemble; et cependant il n'y a pas de qu'il est ou paraît être en Angleterre, j'ose
gouvernementoùil soit plus difficilede former dire que le temps, et le temps tout seul, l'a.
ou de maintenir cette unité. En effet, les singulièrement adapté aux circonstances où
constitutions représentatives n'ayant rien se trouve tout peuple puissant et riche,
d'absolu, et n'étant qu'une combinaison arti- chez qui de prodigieuses inégalités de for-
ficielle et plus ou moins ingénieuse de notre tune peuvent allumer d'ardentes cupidités
esprit et de nos intérêts personnels, chaque et produire de grands bouleversements de
ministre, suivant la trempe de son esprit ou propriétés. Les propriétaires et le gouver-
de son caractère, entre plus ou moins dans nement y sont devenus, de fait, les maîtres
ce système factice, et prend ou laisse plus ou des élections et s'il en résulte dans quel-
moins des deux systèmes opposés dont il est ques lieux de ces scènes de désordre, que
formé. le peuple partout prend pour de la liberté,
C'est là l'histoire et la raison de tous les il en sort, eomme. effet définitif et en réalité,
Changements de ministère en Angleterre; une sécurité générale pour les propriétaires,
premiers intéressés au maintien de la so- ment à peu près total et telle est l'ingrati-
ciété civile, et pour la propriété qui en est tude des gouvernements ou la vanité de nos
le premier intérêt. Là, on n'a pas cru avoir admirations, qu'il ne reste plus aujourd'hui
besoin de patentés à cent écus pour repré- à la tête des affaires qu'un seul des minis-
senter et garantir la propriété mobilière ;on tres signataires de l'ordonnance du 5 sep-
a vu des producteurs dans les seuls pro- tembre de cette ordonnance à jamais fa-
priétaires de terres des consommateurs meuse qui avait, dit-on, sauvé la patrie et
dans tout le reste, et on a cru qu'il suffisait remis à flot le vaisseau de l'Etat service
de garantir la reproduction pour garantir la immense, et qui aurait dû assurer à ses au-
consommation. teurs une existence au ministère, immor-
En France, nous avons fait une représen- telle comme leur gloire. Tous cependant,
tation adéquate uniformément distribuée hors un seul, ont disparu de la scène, plus
sur toute la surface du territoire exac- regrettés peut-être de ceux oui avaient
tement répartie entre les possesseurs de souffert de cette mesure que de ceux qui en
capitaux et les propriétaires de terre. Rien avaient profité.
de plus régulier et de plus tranquille que Cependant, dans le dernier changement,
nos colléges électoraux, dont nous avons les apparences semblent contredire mon opi-
réglé, par une loi, les fonctions les plus mi- nion sur la raison du changementlui-même,
nutieuses, où tout est fixé avec la dernière puisqu'il paraît que les ministres qu'on
précision, jusqu'à l'heure des séances et le pouvait croire plus vivement frappés du
nombre de jours qu'elles doivent durer; et danger du système suivi jusqu'à présent,
avec cette régularité matérielle nous sentons ont été remplacés par d'autres. A voir même
tous, après deux ou trois ans d'exécution, le ton de certains journaux et la jubilation de
le vice moral de la loi, et qu'elle doit nous quelques hommes, on dirait qu'ils se flat-
conduire à un bouleversement total, pour tent que cette révolution ministérielle, loin
peu que l'autorité sommeille, et même quand d'être un changement de système, n'aura été
bile aurait les yeux ouverts, et nous y trou- qu'un moyen de marcher plus vite et plus
vons tous des motifs égaux à de douloureu- avant dans leur système favori, et déjà il?
ses craintes ou à de coupables espérances. se hâtent de compromettre le ministère par
Ainsi, en Angleterre, la loi ou plutôt la leurs espérances et leurs éloges. Quand cela
coutume est sage dans son principe, parce serait, il y aurait eu dans cette révolution
qu'elle est monarchique, et l'exécution quel- plus de système que d'intrigue, et ma re-
quefois tumultueuse; en France la loi est marque sur la raison des changements de
fausse, parce qu'elle est démocratique, et ministère qui arrivent dans les gouverne-
son exécution paisible et régulière. Je sais ments mixtes, subsisterait dans toute sa
bien qu'on croit en sauver le danger par force.
l'influence que peut prendre le gouverne- Mais enfin, où veulent nous mener les par-
ment sur les élections. En Angleterre aussi, tisans de ce système ? « Nous voulons la Char-
le gouvernement se sert de son influence te, » disent ils, « toute la Charte, et rien que
pour diriger les choix. Mais là, l'action de la Charte. » Je le crois mais c'est une chose
l'administration est secondée par la loi: ici bien digne de remarque que les différentes
elle sera toujours contrariée par elle, Pt ce constitutions que la France a reçues de sa
qui contrarie toujours finit par l'emporter. révolution ont toujours été renversées par
L'Etat en France avait donc beaucoup tr*pp ceux qui s'en proclamaient les seuls amis e'
versé du côté populaire: le danger est de- les plus ardents défenseurs, et qui les on*
venu évident pour la France et môme pour perdues à force d'exiger des sûretés et des
l'Europe; et il a paru nécessaire de sortir garanties; à peu près comme une mère fai-
de l'ornière pour regagner le milieu du ble ruine, avec des ménagements excessifs,
pavé, sauf à retomber bientôt du même côté; la santé de l'enfant qu'elle idolâtre.
car c'est toujours à gauche que penche la Je ne doute pas que si d'honnêtes gens
voiture, dont tant de choses depuis trois ans
avaient été senls appelés à exécuter, dans
ont dérangé l'équilibre. tout ce qui était exécutable ces différente?
L'ancien ministère s'est donc dissous, et
constitutions qu'ils n'approuvaient certaine
avec éclat. Cette unité de ministère, à la- ment pas, ils n'eussent prolongé leur exis-
quelle on avait fait depuis trois ans tant de
tence bien au delà du terme où elles ont
sacrifices, n'a pu le sauverd'un renouvelle- fini, et ne tes eussent rendues supportables.
711i OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 712
C'est que les honnêtes gens corrigent par la i avenir, ils veulent, pour garantie des sen-
l'avenir,
.1 -11la probité
sagesse, 1la prudence, de leur con-
1 1 1 timents constitutionnels des générations fu-
duite, et leur considération personnelle tures, l'anéantissement de tout système
(premier moyen d'administration), le vice religieux d'éducation et la corruption de
des plus mauvaises constitutions, sembla- toute morale. C'est donc réellement le sa-
bles à d'habiles marins, qui soutiennent sur crifice de tout ce que la charte a voulu nous
l'eau, à force d'art et de science, le bâtiment donner qu'ils exigent comme garantie de ce
mal gréé et mal équipé dont on leur a confié qu'elle donne.
le commandement. Le roi a voulu faire de la charte un baume
On a regardél'ordonnancedu 5 septembre pour adoucir des plaies, et ils en font un
comme le salut de la charte, et je crois avec caustique pour les irriter; et, avec tout cela,
une entière sincérité qu'elle lui a porté un s'ils savent où ils veulent aller, ils ne savent
coup funeste, et, à supposer qu'elle eût des pas du tout où ils vont. La révolution n'a été
ennemis, ce que je n'accorde pas, car des dans tout son cours qu'une suite de mysti-
censeurs ne sont pas des ennemis, mieux eût fications, je veux dire d'événements amenés
valu, comme dit le proverbe, de sages enne- contre les vues et les intérêts de ceux qui
mis que d'indiscrets amis. croyaient les diriger, d'effets en contradic-
Elle est menacée de tomber aux mains tion avec les causes apparentes et les moyens
d'amis très-exclusifs qui s'enrouent à crier: connus, devant lesquels les meneurs, même
La charte, toute la charte, et qui s'offensent les plus habiles, sont restés muets d'étonne-
comme d'une injure personnelledu moindre ment et confondus de leur imprévoyance.
défaut remarqué dans cette dame de leurs Les nôtres, cependant, n'ont rien négligé
pensées. A leurs yeux, et l'homme qui con- pour assurer leurs succès. Comme il était
damne avec connaissance de cause et absurde dans les termes et impossible à
l'homme moins éclairé qui suspend son ju- persuader que les royalistes ne voulussent
gement, sont autant d'ennemis dominés par pas de la monarchie, même constitutionnelle,
les plus viles passions, et ils oublient que qui leur rendait le roi et sa famille, premiers
si Je niladmirari d'Horace, qui signifieaussi objets de leurs affections, ou que les révo-
bien ne s'engouer de rien, que ne rien dé- lutionnaires en voulussent sincèrement, ils'
sirer, fait l'homme heureux, il fait aussi ont, d'un, coup de baguette, fait disparaître
presque toujours l'hommehabile etl'homme les uns et les .autres, et les ont métamor-
d'esprit. Aussi, dans leur ombrageuse sus- phosés en ultras et en indépendants, ayant
ceptibilité très-bien calculée d'ailleurs pour soin de prendre pour eux-mêmes le nom le
leurs vues personnelles, en même temps plus honorable, et de donner aux autres un
qu'ils accusent de haïr la charte les hommes nom dont ils voulaient faire une injure. Les
qui l'aiment certainement plus qu'eux-mê- ultras ont donc été les amis trop zélés de la
mes, et dont ils redoutent la concurrence monarchie, les indépendants les amis sages
aux honneurs et aux places qu'elle confère, et modérés des institutions républicaines.
ils ne cessent de demander au gouverne- Chose étrange, assurément 1 La république
ment des garanties pour lesavantages qu'elle une et indivisible ne voulait être servie que
assure, et qu'il ne peut leur donner sans par des enragés Bonaparte ne comptait que
renverser la charte. sur des hommes dévoués; et on sait tout ce
Ainsi la garantie de la liberté de tous est que ce mot signifiait dans sa bouche. Il n'y
à leurs yeux la licence pour eux et l'oppres- a eu que la royauté* cette clef de voûte,
sion pour tous les autres; la garantie de l'é- ce lien universel de la société, qui dût être
galité est l'éloignement de tous les emplois, l'objet d'un sentiment bien calme et bien
de tout ce qui n'est pas eux; la garantie de mesuré de la part des uns, et d'indifférence
la monarchie est la proscription de la no- ou de support de la part des autres; et
blesse et l'établissement du gouvernement comme l'administration a agi en consé-
républicain; la garantie de la légitimité un quence envers ses agents, le peuple, natu-
changement de dynastie; la garantie de la rellement exagéré, qui ne comprend rien au
liberté des cultes la haine du clergé, l'op- reproche d'exagération, a dû croire, sur des
pression de la religion de l'Etat, et le triom- exemples bien plus puissants que des le-
^phe des religions dissidentes; la' garantie çons, que l'attachement au roi était un tort,
des amnisties l'impunité de tous les coupa- et la fidélité une duperie.
bles et, étendant leurs craintes jusque sur Le ministère n'a voulu pour lui-même ni
d'un nom injurieux, ni d'un nom suspect; pour du talent la facilité d
faire, et des se.
et, pour ne pas être ultra ou indépendant, phismes improvisés
il s'est fait eonstïtutionel, état, je l'avoue, ou ditées. pour des vérités mé-
situation poKttqtie' que je n'ai jamais com- L'art de gouverner devient insensiblement
prise, quoiqu'on *ft pris bien des fois> la l'art
d'intriguer en grand; et comme rien ne
peine de- me l'expliquer.
tue le génie des affaires comme l'esprit d'in-
Le ministère s'est donc désormais con- trigue,
les ministres absorbas déjà par le
damné1 au balancement, comme Ixion à
sa courant des affaires particulières,
roue; état d'équilibre et d'inquiétude, qui journaliers de l'administration,, les détails
les bien-
est ce qu'on peut imaginer de moins compa- séances de
la représentation, ne. peuvent
tible avee l'idée qu'on se forme de la fixité,
porter dans la direction générale des affaires,
de la stabilité, de la fermeté d'un gouverne-
méditations profondes, cette attention
ment; état périfleux pour une nation, in- ces
quiétant pour le ministère, qui, dans les vi- soutenue, cette liberté d'esprit que deman-
dent d'aussi grands intérêts. Ils multiplient
cissitudes de' sa fortune, assez porté- à croire
autour d'eux les conseils et les comités pour
fue la société m peut lui survivre- long- penser à leur place; heureux s'il leur reste
temps- ser hâte de passer à son successeur le temps de signer
la société qui vit encore, de eraiirte quelle et l'administration de-
ne vient à la fois plus dispendieuse et moins
finisse dans ses mains.
expéditive.
Dans cet état violent de tension et d'équi-
libre où se trouve le corps sowal, le moindre Si j'avais des conseils à donner au minis-
événement communique un ébranlement tère, et il pourrait en recevoir de moins
aux esprits disposés à une extrême sensi- amis, de moins désintéressés et peut-être
bilité. Il suffira donc de la destitution ou de de moins éclairés, je lui dirais Toute
la nomination de quelques agents subordon- constitution représentative pousse à la dé-
nés, pour éveiller des craintes ou faire naître mocratie, et par conséquent aux révolutions,
des espérances et le nom seul des homme! puisqu'elle admet la démocratie comme élé-
placés ou déplacés sera comme l'aiguille de ment nécessaire du pouvoir. C'est un ver
ces cadrans qui marquent, dans certaines placé au cœur de l'arbre; il est inutile de le
mécaniques, Fîhtensité et la direction- du dissimuler, et Jl faut connaître le danger
pour le combattre. Mais, quand le danger
mouvement.
Cet état habituel d'oseîllation est in- vient de la constitution, le remède ne peut
supportable aux forts esprits et aux earac- être 4 que dans l'administration, et elle doit
tères décidés, les plus propres cependant au être plus monarchique à mesure que la
gouvernement des empires; et c'est ce qui constitution ( renfermera plus de démoeratie.
tait qu'en Angleterre, les plus grands hom- C'est par là que l'Angleterre s'est sauvée
mes d'Etat ont été accusés, et je crois avec jusqu'ici d'un péril moins grand chez elle
raison, de vouloir étendre la prérogative qu'il £ ne t'est aujourd'hui en France: car, en
royale; ce qui signifie en d'autres termes, Angleterre,l la constitution est moins, dé-
fixer les balancementsdu pouvoir. Cet équi- mocratique r qu'elle ne,l'est chez nous, pré-
libre entre des forces et des principes oppo- cisément C parce qu'elle est, moins positive,
ses demande, dé la part des premiers agents et Ê son administration est beaucoup plus
mo-
de l'autorité, de L'adresse, de la ruse, plus rnarchique que la nôtre, parce qu'elle ne
de connaissance de ce qu'il y a de vicieux Ss'est ressentie en rien des changements
et de faillie dans le cœur de l'homme, que de survenusS à la constitution,; et qu'elle est
au-
ce qu'il y a de fort et de bon, beaucoup d'art jourd'hui
J. ce qu'elle était sous les Tudor..
enfin, et de ce qu'on appelle de l'esprit et Mais partout où les institutions, faibles ou
de la souplesse, qui deviennent plus com- taabsentes, ne sont pas ou ne sont rien, les
muns parmi nous que la force du caraclère, hommes sont tout; et malgré les apparences,
la fixité des principes, la franchise- des e quoique le roi confère tous les emplois,
aet
timents.
sen accorde
b toutes les grâces, signe, tous les
brevets, et intitule de son nom tous les ju-
b
Dans ces gouvernements jamais au
repos gements, toute cette monarchie d'adminis-
et tout en discussions, on a plus besoin gtration
d'hommes actifs que d'hommes forts, plus u ne serait que du papier, sLces formes
royales n'étaient employées qu'à décourager
r(
de gens qui parlent que de gens qui
pen- l'esprit
1'. monarchique et à envahir l'esprit
sent, et ies ministres sont exposés à prendre populaire.
pi Or, voyez; et jugez, Cependant, il
,?15
nas s'y tromper
ne faut pas
ŒUVRES COMPLETES DE
quand la France
tombait dans la démocratie, tout ce qui a
voulu s'opposeraà cette tendance a été écrasé
sous les roues. Quand elle remonte à la mo-
narchie, tout ce qui voudrait s'opposer par
système à cet effort plus irrésistible, parce
que le but est plus naturel, serait tôt ou
tard infailliblement écarté, et peut-être ne
faudrait-il pas remonter bien loin pour en
trouver déjà des exemples. En vain les hom-
mes veulent gouverner la France pour eux
et leurs petits intérêts; elle ne peut pas
nM. DE BONALD.
même être gouvernée seulement pour elle, un seul instant les royalistes, leur ambition
et elle appartient à toute l'Europe. L'Europe et leurs projets; et, pendant ce temps, les
qui a besoin des blésdelaPologne.dessoies méchants creusent une mine sous la monar-
de l'Espagne et des chanvres de la Russie, chie, la chargent, et, la mèche à la main,
ils diront un jour au gouvernement « Li-
a besoin des exemples et des leçons de lai
France dont les doctrines sont les doctrines vrez-nous la France, ou nous allons la faire
.<de 4'Europe, puisque sa langue en es, tai sauter. »
CONSIDERATIONS POLITIQUE.
PREMIER ARTICLE.
(1819)
).
position aux nouvelles institutions, il est pacifié en France pour le présent, et mieux
permis de croire qne cette dépense, tout
imperceptible qu'elle est dans l'immensité assuré l'avenir avec des proportions diffé-
rentes entre la guerre et la justice n'est-à-
(1
de nos charges publiques, est encore assez
dire entre la force morale et la force physi-
inutile. On n'édifiera jamais rien en France que
Les seuls frais de négociations du trésor que. base. L'homme oppose la force à la
royal, c'est-à-dire des intérêts de quelques sur cette
de l'épargne des frais de trans- force; il n'a rien à opposer à la justice
avances, ou
port de l'argent monnayé dans les proviri- La dépense relative à la guerre irait plus
se sont élevés plus haut que le budget
ces,
{l) Si, en 1814, on eût compris qu'il fallait force militaire, nous n'aurions pas, il est vrai, de
recrutement forcé, et même nous serions privés
laisser reposer en France l'humeur guerrière si long- lieu;
des droits réunis; mais le 20 mars n'eût pas eugarde
temps et si cruellement exaspérée, qu'onfort eût fait confiées à la
nos frontières n'auraient
éta- pas été
un puissant établissement judiciaire, un
réduit la de l'étranger nous n'aurions pas payé un milliard
blissement religieux, et pour le moment
1n l'ART. Il. POLITIQUE. 'CONSIDERATIONSPOUTSQt-ES T1S
lî
loin, si il'on faisait entrer tout ce
on y taisait ce que té, et laisse entre elles et les autres familles
coûte
fif\l I I individuellement
Urt I I /*l fV\ An
I finir familles re-vin **»
leT si
-frt fVfc i I I An v* l^»«.tln.T.
un intervalle incommensurable
Û 1 Uni
TMn
aux 11"' en politique,
T
crutement forcé, tandis, au contraire, que la et que déguise mal, même en Angleterre, la
justice rend beaucoup à l'Etat, par les droits familiarité ou la popularité ries manières.
qu'il prélève sur les actes judiciaires. D'un côté, cette prodigieuse inégalité; de
Cependant, si la justice était aussi large- l'autre, cette égalité rigoureuse
que les lois
ment traitée que la guerre, et qu'elle fût en militaires établissent entre les jeunes gens
proportionraisonnable et nécessaire avec la qui commencent la carrière des
armes, ne
population de la France, son étendue, ses disposeront pas du tout à entrer les enfants
y
besoins, en un mot, et ses intérêts, j'ose af- des familles honorées de la pairie,
et ces
firmer que la nation ne pourrait en suppor- familles historiques,
la
comme les appelle
ter dépense, obligée qu'elle est de pour- Mme de Staël, se contenteront à l'avenir de
voir tant d'autres services publics; et c'est la gloire modeste consignée dans les procès-
ici qu'il faut admirer la sagesse et la perfec- verbaux des séances-dé la chambre,
et ou-
tion de nos anciennes institutions. blieront leur histoire ou chercheront à la
Autrefois la justice était rendue par les faire oublier.
ciloyensles pi us riches,qui même achetaient Maiss partout, et particulièrement
de l'Etat l'honneur de le servir dans les France, le peuple, laissé à lui-même, en
fonctions de la magistrature, et le capital gouvernait se
par l'exemple des classes supé-
qu'ils lui avaient primitivement donné avait rieures et lorsque le-villaeois voyait les
en entier tourné à son profit. Aujourd'hui, enfants du plus grand propriétaire de sa
elle est aux mains, sinon des plus pauvres, commune, même le fils aîné aller
moins de ceux qui se faire
au ont, en général, be- tuer ou estropier à la guerre, quoiqu'il pût
soin, pour vivre, des appointements qu'ils chez lui vivre commodément, même
et sans
en retirent, et l'Etat paye au juge sa journée travailler, il en concevait une plus haute
es-
comme à tout autre fournisseur. time pour le métier des armes, et s'enrôlait
II en était à peu près de même pour le volontairement. Le
peuple, et même ceux
service militaire.' Si le juge achetait son of- qui nesont
pas peuple, n'embrasseront donc
fice de son capital, l'officier de guerre ser- plus la profession des
vait, dit Montesquieu, avec le capital de son cessité d'obéir armes que par la né-
bien, et en temps de paix, beaucoup plus cette nouvelle disposition ou celle de vivre, et c'est
des esprits qui
aux dépens de son revenu qu'avec ses mo- nous a conduits au recru tementforcé, donné
diques appointements.
au peuple comme les prémices de la liberté,
La guerre, et même le service en temps et à l'Etat
de. paix, étaient alors ruineux pour le parti- fense. Nous
comme son unique moyen de dé-
culier, ce qui tendait à rendre les aurons donc des armées inquiè-
guerres tes et toujours disposées au mécontentement
et moins longues et moins opiniâtres, tandis qui résulte de la contrainte,des
armées dont
que le service moins prolongé ouvrait aux le service, tout entier aux frais de l'Etat,
jeunes gens plus de chances d'avancement. sera "accablant
Aujourd'hui que la guerre a. été si long- armées dangereuses pour les propriétaires des
temps et si grandement profitable, sinon qu'elles feront la pour les voisins, parce
guerre dans l'espoir d'en
pour la France, au moins pour beaucoup de profiter; et comme une spéculation de for-
militaires, il s'est formé une population af- tune. Les républiques qui
famée de guerre, qui ne voit de préémi- merçantes, ne sont que com-
comme était la Hollande, payaient
nence que celle des armes, et de gloire que largement leurs troupes; mais si elles leur
la conquête. donnaient de l'argent, elles leur refusaient
En même temps que nos nouvelles insti- de la considération,
et les tenaient dans un
tutions ont donné une nouvelle direction à
rang inférieur, pour leur, ôter la tentation
notre esprit militaire, elles ont ouvert aux de monter au premier. Aussi les
familles opulentes ou les plus considérées la Hollande armées de
ont-elles toujours étéà peu près
par leur ancienneté, une carrière plus éle- aussi inutiles à l'attaque qu'à la défense, et
vée et moins périlleuse que celle des lui servaient que dans ses colonies con-
armes,
la pairie, qui, les associant au pouvoir, ne des peuples barbares.
tre L'Angleterre elle-
même héréditaire, les rapproche de la royau- même, à demi-monarchique,
estimait bien
de contribution, et nous serions- aujourd'hui
nches, plus forts, plus unis, plus tranquilles,pltis par conséquent mieux défendus contre l'étran-
et ger.
moins l'armée de la monarchie ou les trou- ont été partout inutiles à la défense exté-
pes de terre que la marine, qui est propre- rieure des Etats, et trop souvent
funestes à
ment l'arme des républiques; et jusqu'aux leur tranquillité intérieure, et qu'elles h
guerres de la révolution, qui, en nous jetantt menacent hien plus qu'elles ne raffermis-
dans la démocratie,a renforcé en Angleterre sent.. Quelque autre force que la force
le systèmemonarchique, les troupes anglai- des armes, si souvent malheureuses, ava'tt
ses avaient bien mieux servi contre les In- toujours défend» la France, maintenu
l'in-
diens que contre les puissances européen- tégrité de son-territoire, souvent même l'a-
nes. vait agrandi. Dans la supériorité de la
Au reste, quel!e que fût la dépense ou France, cette supériorité qui avait fait sa
même le luxe de l'établissement militaire principale force an dedans et sa dignité au
dans ces deux Etats, les fraisertétàientbïen dehors, il entrait biea plus dé moral que de
moins onéreux qu'ils ne le seraient en matériel. Cette force était" la force d'e la na-
France, parce qu'en Angleterre et en Hol- ture même qui avait, à l'aide du temps, son
lande il y avait beaucoup d'impôts indirects premier ministre, établi et ordonné ses ins-
eïle ré-
et très-peu d'impôt foncier. L'accroissement titutions dans un parfait équilibre
de l'impôt indirect est richesse,' puisque, sultait surtout de la place qu'y
occupait fa
l'atfsriiïis-
volontairement payé parles consommateurs magistrature, premier corps de
ou par le commerce, l'accroissement des tration
où l'armée n'était que le second-; la
droits d'accise et de douanes prouve qu'il magistrature qui avait toujours été la sagesse
les plus sages, et la foïee des
y a plus de consommation:, et qu'il se fait des rois même
plus d'affaires commerciales, au lieu que rois même Us plus forts. Ce développement
l'accroissement ou l'énormité de l'impôt fon- est toat à fait naturel à l'âge avancé d'e fa
cier, tel quJil est en France, ne prouvent société qui s'étend à sa naissance par les
s'affermit pïus tard par la justice.
que les besoins du gouvernement, et ne pro- armes, et
duisent que la misère des contribuables. Ainsi l'enfant, après avoir développé aes
La nature veut que la France soit monar- forces physiques, devenu homme, se gou-
chie, et les passions veulent en faire une verne, et gouverne l.es autres par son intet-
république. La monarchie voudra des armées ligence et sa raison. La force morale de la
seulement pour sa défense la républiques France, au- dedans, avait fait sa eonsidéra-
dehors, et avait été comme le ciment
en voudra aussi, mais pour les jeter au de- tion au indi'ssolaMementuni
hors, parce qu'elle les craindra au dedans, qui avait au- corps de
les plus récemmeût
et qu'il n'y a pas d'armée plus à craindres l'Etat les parties même
pour le gouvernement que celle qu'il craintt ajoutées, et donné à tous les points de sa
lui-même. Le chef-d'œuvre de nos monar- vaste circonférence la force du corps en-
chies avait été de faire des armées qui sa- tier.
vaient supporter la paix, et n'en étaient pas3 Mais le premiermoyen de sa force- morarer,
était le
moins braves à la guerre. Les armées de lat je dirais presque le premier organe,
assurait
république, bonnes pour la guerre, saurontt pouvoir royal dont l'indépendance il
difficilement s'accommoder de la paix. la véritable liberté des peuples; car n'y a
celle dont le pouvoir est
Ceux qui ont ôté au roi l'absolue et en- de société libre- que
tière composition de l'armée, auraient dûï indépendant, et fa France était sous ce rap-
rétléchir que les républiques n'ont jamais3 port la société la plus l'ibre et même la plus
seule
conséquent la
péri que par des armées républicaines. tibre de l'Europe, et par
Quand les chefs ne sont pas des primes, ilss forte, non de force d'agression,
mais de
bon d'apprendre
sont tentés de le devenir. Il faut donc, pourr force de stabilité. Il est
l'intérêt de l'Etat et de sa constitution, pla^- aux partisans des constitutions populaires,
cer tes princes du sang à la tête de l'armée. qu'il n'y a pas d'Etats
plus mal défendus
tes partages, que ceux
Les Anglais nous donnent, sur la composi- contre les invasions et
Comme la sou-
tion et la direction de l'armée deterre qu'ilss où le peuple est souverain. qu'elle n'est nufle
ont exclusivement confiée au roi, des leçonss veraineté est partout, et
de sagesse que nous aurions dû imiter. part, elle n'est propriété entre les mains de
réellement per-
S'il y avait un peu plus de connaissancess personne, et on ne dépouille
partie de l'Etat.
politiquesen Europe, et surtout dans les mi- sonne en envahissanttout ou
souveraineté par
litaires, on serait convaincu, par des expé-i- Un pays possédé à titre de
patri-
riences .récentes, que les grandes arméess le peuple est dans le cas d'un riche
721 PART. II. POLITIQUE. CONSIDERATIONS POL1TIQEES. 725
moine tonil/é
toniKé entre les mains
mains dede pupilles
pupilles>s souvepi-n peu guerrier auraient pu.compro-,
souverain pu compro--
qui n'auraient pas de tuteur, et sur lesquels Is mettrje sa sûreté mais depuis que ses voi-
les voisins usurpent de tous côtés la mai- i- sins s'étaient éloignés, affaiblis ou civilisés..
son .privée est habithe mais la maison pu- il -n'y avait plus qu'une famille régnante
blique ou l'Etat est déserte, et l'on y entree qui pût la défendre. En un mot, elle avait;
comme dans un lieu abandonné. Comme il
il eu besoin d'un général perpétuel contre les
n'y (fans ces Etats que des famillesiprivéess Tartanes et les Borusses il lui eût fallu
et non une famille publique, à qui l'Etat ap- i- un roi qui ne mourût $ast c'est-à-dire une*
partienne dans ce seas qu'eue ne s'ap- famille royale contre les. Russes et les Prus-
partient plus à elle même et appartient it siens. ,La force physique ne manquait pas
tout entière à l'Etat ..et que l'invasion et& au peuple polonais il \m a manqué la force-
même 1© partage des provinces, laissentt morale de la royauté héréditaire; cette
chez les nations .chrétienoes, h toutes les fa- force, fui a conservé et toujours agrandi Ifr
milles prisées, Jaurs droits et leurs proprié- Piémont entre deux grandes puissances, et
tés, ces fa?m:iJle« sont sa^ns -intérêt direct eti-t qui conserve encore h la Htavarre l'indé,pe«-
domestique à la défense de l'Etat. Il n'en3 dance de son-titre et la dignité d'un royaume,
était pas ainsi chez les peuples anciens, .oùk même à côté du royaume de France.
le droit,de guerre, que ,1a religion chrétienne Certes, la France ,a fait uue grande et der-
a
a aboli, permettait ;au vainqueur d'ôter
auxï nière expérience déjà force que lui donnait
vaincus « biens, femmes, enfants, templess sa famille royale, même ;exil:ée, et pendantl
et sépulture même, » dit Montesquieu
ett si longtemps abandonnée. C'est à elle qne
de là ces défenses -désespérées des peuples nous devons l'intégrité de notre 'territoire
s
de l'antiquité, dont nos philosophes ontt envahi
par les plus nombreuses et sles plus
voulu faire honneur .àii'amour de la patrie, fortes armées qu'ait vues le monde depuis
et qui avait pour principe unique 1'amo.ur l'origine des sociétés. Elles n'auraient res-
de la famille elle désir naturel à l'homme pccté ni la souveraineté du peapleni la do-
>
de sa conservation. Ce qui Je prouve, estt mination de Bonaparte; et leurs justes Tes-
que ce même sentiment ne s'est montréche-z sentiments se sont apaisés à la grande pen*-
Tes modernes au même degré d'exaltation, sée de cette succession légitima de
que lorsquele conquérant a voulu ;ravir aux rois, leurs égaux, leurs leurs
peuples la première de leurs propriétés et de cette famille royale, lîaîaée ou la co;n-
tant d»
amis,
môme domestiques, la religion, ou que du temporaine de toutes les au 1res. C'est là le-
t
moins îles peuples ont pu le craindre. boulevard de la France, etisoii palladium;
Disons-le donc, H n'y a aujourd'hui et Ceiux qui portent atteinte au respect et. as
• -1!
_ï dispositions
rent des i
jamais cependant les souverains n'annoncè-
n'annoncé-
C± Ce
**• plus1 pacifiques. i"t neï
CONSIDERATIONS POLITIQUES.
DEUXIÈME ARTICLE.
Il est pour les événements que le temps sentiellement fécond, arrivé à sa maturité,,
amène, comme pour les fruits de la terre, produit dans la société, si l'on n'y met obs-
salutaires. Le mal-
une époque de maturité qu'ils doivent at- tacle, les fruits les plus
teindre, et qu'ils ne peuvent dépasser; au contraire, infécond de sa nature, arrivé
ceux-ci, sans s'altérer et se corrompre; à son plus haut période, est forcé de retom-
ceux-là, sans prendre une nouvelle direc- ber sur lui-même; et la loi première de la
tion. nature, la loi de la conservation des êtres,,
Cela est vrai du bien comme du mal; lui fait trouver dans ses propres excès des.
mais avec cette différence que le bien, es- bornes à sa puissance de détruire, si dé-*
truire est une puissance,, et n'est pas plutôt Noa« ©ûtis SDanïaes rtT©ûipé's Cet es,pri t -éé
l'impuissance «de produire et de conserver. désordre (dont :parte d'E-vîtRgd'te, «basse
àiist
Ainsi, pour appliquer ce principe à notre lieu qu'il habitait, et las de .promener so»
révolution et à toutes ses phases, quand inquiétude dans le vide, a dit « *e rentre-
Rassemblée constituante fut parvenue au rai dans la société dont je suis sorti. » 1-1 y
terme de l'ambition la plus folle dont des est rentré, il a trouvé «tout disposé pour 1&
bornâtes puissent être saisis» ceH&de jcohs- ^ecev.oiE,*ietil8'y est établi
tituer o priori «ne société qui .comptait qua- tres -esprits plus méchants aveclw> «épi au-
que «t le
torze siècles de durée et de prospérité, elle derater état-de cette société est devenu pire
finit sans honneur, honteuse de son propre que le premier ( 1 J..
« Pour parier mt&
e*ivr»ge,, et recommandant à tout le monde figure, encore tout meuriris d'une révolu-
îe mainties d'urne constitution q,a'elle-mé- tion populaire, il fallu
désespérait a noas .rembarquer
me de soutenir. dans une révolution qu'on p&ut appelermi-
Ainsi, qjusnd Robespierre eut atteint Je nktérieilç, et. certes à bon droit car lesïrai-
comble de l'orgueil .humain, en décrétant nistres ont sué sang
l'existence de l'Etre .suprême, on a remar- plonger, pour faire et eau po»r nous y re-
remonter bi& France le
qué qu'il ne: fit que déchoir, et sembla pres- courant qui l'entraînait
sentir sa chute inévitable. vers -un meilleur
avenir, la dévoyer de la route religieuse et't
Ainsi,, quand Bonaparte fut arrivé au faite monarchique où elle était
entrée avec tant
de la gloire militaire, en allant à six cents d'empressement, et qu'elle
suivait d'un pas
>ieues de ses frontières incendier la capi- si assuré,
«t la rejeter dans les sentiers
tale ul'un des empires .tes plus puissanis inextricables de l'irréligion
de la démo-
ga'ait va le meade civilisé, son étoile pâlit» cratie o& eMe avait erré si etlongtemps.
La
et il -déclina sensiblement imprudent dans révolution était desséchée
taus ses conseils, .malheureux dans toutes tion, comme l'ivraie par la restaura-
ses entreprises. par tes ardeurs de l'été.
C7est avec des prodiges de soins et de cul-
Nous avions .parcouru le cercle entier des ture qu'on l'a ranima déjà
et elle étale se*
absurdités, des extravagances et des crimes,1feuilles verdoyantes,
et .nous menace ide ses
nous avions tout usé et abusé .de .tout, et fruits.j Certes, les artisans de ce bel
nous pouvions nous eroke parvenus à ce peuvent dire-, comme .ces hommes ouvrage
j dant,parle
terme au delà duquel il n'y a plus que la la Sagesse (Sap. v,, "2) Anibulammus per
fin et le néant, à ce point oè une société, vias difficiles,
lassati sumus invia perditio-
longtemps égarée dans des voies de perdi- tnis. « Nous
avons marché par des routes im-
lion, -doit nécessairement revenir sur ses pruticables^naus -nous
j
pas, .et s©us peine de perdre jusqu'à son voie de perdition. » II leur
sommes lassés dans la
a fallu, en effet,
nom, rentrer dans les voies inateelles de la des c efforts incroyables ipour faire violence
saison et As la justice. ài Ja ;nat«re. On aurait rétabli dix sociétés
Telle "était la marche naturelle des évé- moins de peine et d'affliction d'esprit
avec
a
nements,tel était surtout le vœu de la Fran- qu'on q .n'«n a déployé pour en décompose*
de
ce, cette France victime de la révolution, une; v et lorsqu'on a vu à quelles petites in-
même lorsqu'elle en a été la complice et trigues, t à quels petits succès, à quelles pe-
les cris de joie qu'elle fit entendre au retour titites majorités, à
quels petits hommes enfin
de ses rois légitimes, et ce délire d'allé-
0 a dû ces déplorables triomphes, on reste
on
gresse, si je puis m'exprimer ainsi, dont elle cosfondu d'étonnement
fut saisie à cet heureux moment, et les c rappelant dans et de douleur; et
en
e
«•hoix qu'elle fit spontanément pour tara- l'histoire sa mémoire tout ce que
v raconte des malheurs des
présenter en 1815, et offrir au monarque peuples et nous des erreurs de ceux qui les con-
p
ses vœux et ses besoins, prouvent mieux duisent, d on désespère de trouver dans ces
que tout ce que nous pourrions dire, quelle annales des misères ét des folies humaines,
ai
était sa vivA impatience du retour de l'or- ri rien qui ressemble 'à tout ce que nous voyons
•ire dont la légitimité Tenaissante était pour de di nos yeux; et jamais on ne donna un dé-
«lie l'annonce et le garant. menti plus formel à la justice, à la vertu, à
K
Çfy'Citmimmunttus spkilus exiérk 4e homme,
embulùl ptr looa orida, quœrem requiem, ei non spirkus
sp secumnequiom se, etintmntes habitant itri,
et jiunl novissima hominis illius pejoraprioribut. SU
tnvenit. Tum dicit Revertar in domum
meam unde erit
er et geeterationi huic pessimœ. {HuUli. xu, 4&-
éxivi, étveniens invenitenm vacaniem, mopis munda- m
4â.:).
•«m et .omtnam; tune vadit et assumit septem alioz
ia raison, au non sens, à 1 esprit, ;à toutes régicide, ne voudrait recevoir chez lui, ou
les qualités qui distinguent l'espèce humai- :av©ir les relations même les plus "indiffé-
ne entre toutes les autres;. rentes avec l'assassin reconnu de son père
Cette révolution ministérielle, qui a re- ou de son frère; et ces mêmes hommes ont
ievé la démocratie abattue, et découragé fer eu la lâche barbarie d'envoyer à ilewr roi,.
monarchie renaissante, me paraît avoir at- au-x princes de son sang, ^'auguste fille de-
-teintcet apogée dont je parlais tout à l'heu- LouisXVI, un des assassins de leur frère, de
re, par la nomination 4'*un régicide à la leur onde, de leur père, -.poai- partager avec
chambre des députés. le roi le pouvoir législatif, au hasard que la
Aussi les chefs du parti, par oin secret chance des députatidns et des nominations
pressentiment, redoutaient, dit-on, d'arri- l'introduise dans san parais, sous ses yeux,
ver si tôt à ce succès extrême, et n'auraient et lui donne peut-être la 'charge de lui
,pas voulu peut-être tenter l'assaut avant que adresser la parole Assurément ce que les
la brèche fût suffisamment ouverte, et que Dauphinois civilises ont osé, les Ailobroges
le fossé fût comblé,; mais leurs amis, les leurs ancêtres, ne se le seraient pas permis
électeurs de l'Isère, ;qui n'en savent pas au temps de leur plus -grande barbarie.
tant, n'ont pas voulu laisser à d'autres la Mais enfin, puisque nous sommes arrivés
gloire qui doit revenir de cette nomination,' 'à ce dernier excès de profanation de la ma-
à une province privilégiée, et qui avait jesté royale, à cet excès au delà duquel il
l'honneur de donner son nom à l'héritier peut y avoir plus de violences, mais où il
présomptif de la couronne de France. Ils se ne saurait y avoir plus d'outrages, de bas-
sont donc hâtés de prendre les devants, et sesse et de dépravation, quelles conjectures
de faire à la .chambre des députés le présent peut-on former sur la suite des événements,
d'un homme qui, outre l'assentiment .qu'il et quel système nouveau vont suivre ceux
a .donné très gratuitement à la mort de qui nous gouvernent? Car il faut bien le
Louis XVI, a encore, aux yeux de la. Fran- dire, ce ne sont pas précisément les hom-
ce, le mérite insigne d'avoir contribué plus mes qui ont nommé /Grégoire, c'est bien
que qui que ce soit à lui enlever sa belle plutôt le système qu'on suit depuis quatre
colonie de Saint-Domingue, et à livrer aux ans; et l'ordonnance du '5 septembre, en
tigres de la côte de Guinée des milliers écartant les amis de la royauté, se .trouva
de ses compatriotes de tout âge et de tout dès lors, et par ce .seul fait, grosse d'un ré-
sexe. gicide.
C'dst là, je le répèle, le maximum, le nes Avant de raisonner sur ce louche avenir,
plus ultra de la nouvelle révolution, et il si toutefois, au milieu de tant de déraison,
ne serait pas mieux atteint, quand on ver- il y a place pourle raisonnemeEt,.il importe
rait arriver à la chambre vingt ou trente ré- de relever un sophisme dont nos gouver-
gicides leur nombre désormais est tout à
fait indifférent, au moins pour l'honneur de
nants ont :fait .un .principe de conduite, qui
plus que tout autre nous a 'amenés au point
la France et de la chambre.;
un seul les re- où nous nous trouvons. On a dit, .et :sous
présente tous, et représente la révolution toutes les formes et sur tous les tons, que
tout entière, comme deux cent cinquante les royalistes ayant été si longtemps sépa-
députés représentent toute la France. Leur rés des affaires., n'étaient plus propres à les
nombre je le répète, est tout à fait indiffé- conduire; et que dépourvus d'expérience
rent, et tout aussi indifférent que la pré- comme de talents, ils ;ne pouvaient "être em-
sence de M. l'abbe Grégoire à la chambre ployés dans le gouvernement. Mais de quel-
des députés, ou son absence; tout aussi in- les affaires entend-on parler? du matériel
différent même que son opinion personnelle de. l'administration, de l'administration des
dans les délibérations, fût-elle aussi exagé- choses? Mais outre que depuis les premiers
rée en royalisme qu'elle l'a été en démocra- emplois Jusqu'aux derniers, les commis et
tie. Etrange rapprochement t telles étaient les bureaux .font tout ce travail un peu mé-
la décence et la douceur de nos canique, il ne faut pas trois mais à un es-
mœurs, que
le juge qui aurait le plus légitimementpro- prit ordinaire, aidé d'un peu de mémoire,
noncé la peine de mort contre un coupable, pour en savoir là-dessus autant que le plus
se serait abstenu de, paraître sans nécessité habile,; et s'il était. tenté de perdre courage,
aux yeux de la famille du condamné; que il pourrait se rassurer et prendre confiance
pas un de ceux qui ont donné leur voix au en voyant' des hommes sans éducation pcé-
751 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALU. 752
paratoire, et avec une portée commune d'es- connaître sur ce point l'opinion de l'Eu»
nril. prêts
prit, nrêts à nrpnrlro
prendre indifféremment
inrliffprpmmnnt. même
môrnne est tel
rope, il est
mno hnmmp pn
(ni homme en France, \\(: de
Frnnr.fi. lié <tn
des ministères, et les plus divers, justice, sentiments et de correspondancesavec tout
police, finances, intérieur, extérieur; ett ce que l'Kurope compte de meilleurs et de
j?tnais on n'avait vu en France des hommess plus forts- esprits, qui pourrait vous dire
si universels, et de si subites métamorpho- quelle est, sur les talents de ceux que vous
ses. Est-ce de l'administration morale, dee persécutez et de ceux que vous favorisez,
celle des hommes? Ahl qu'on n'envie pass l'opinion universelle.
aux royalistes le triste privilége de la pluss Mais enQn quelle direction nouvell'e
grande expérience qui ait été faite sur unee
prendront les événements,, aujourd'hui
société; et certes ils l'ont payée assez cher,
qu'ils ont atteint l'extrémité de la ligne qu'ils
pour qu'elle ne leur soit pas disputée. L'ex-r parcouraient?
périence d'une révolution n'est pas pour
Si en France, où rien n'arrive, ni cocoma
ceux qui la font; elle ne sert tout.entière3l
qu'à ceux qui l'ont supportée. Tout ce que on le craint, ni comme on le désire; en
vos jeunes administrateurs, venus au mondeg France où l'on veut conduire à pas comp-
après les jours de désolation, savent de laa tés, par de grandes intrigues et de petits
révolution, ou tout ce qu'ils en ont retenu, systèmes d'équilibre et de bascule, ce qui
est l'abaissement de ceux-ci et l'élévation ne marche jamais que par coups, et où rien
de ceux-là; et cette connaissance suffit à de grand ne se fait que par élan, mais où se
leur jalousie et à leur cupidité. La révolu- fait tôt ou tard tout ce qui est naturel et
tion faite ou à faire n'est pour eux que cela, raisonnable; en France où rien de contraire
abaissement des uns et élévation des au-l à la raison et à la nature ne peut s'affermir,
il est permis de combiner à l'avance quel-
tres, et sans doute ils ne trouvent rien que0s
de tout à fait naturel et d'avantageux dans que chose, et le ministère peut croire avoir
à prendre différents partis. II peut se jeter
ce déplacement, Seulement ils regrettentt
à corps perdu dans la démocratie, au hasard
peut-être de n'être pas venus plus tôt Non
vidit obsessam curiam. pourrait-on dire, de nous donner une autre représentationdu
comme Tacite, parlant du règne affreux des régicide, après nous en avoir donné le re-
Domitien, disait d'Agricola Ils n'ont pas présentant. Mais alors pourquoi compro-
mettre le succès de cette noble entreprise,
vu la demeure des rois ensanglantée, la ma-
gistrature égorgée, la religion outragée, le¡J en courant la chance si lente du renouvel-
sacerdoce immolé ou banni, la vertu ne sor- lement successifdes deux séries? Dissolvons
la chambre, rouvrons dans toute la France
tant des prisons que pour monter sur l'é-
chafaud la vieillesse, l'enfance, la jeu- le volcan électoral, recomposons une nou-
nesse, tous les âges, tous les sexes, massa- velle députation générale à l'aide de nos
crés sans pitié. Ils n'ont pas vu tout ce quee préfets, de nos sous-préfets, de nos maires,
la sottise a de plus extravagant, la cruauté de nos agents de police, de nos employés
de plus réfléchi, la cupidité de plus vil, l'or- aux douanes et aux droits réunis, même de
gueil de plus monstrueux, la haine de pluss nos pairs; doublons le nombre des députés
féroce, l'ingratitude de plus révoltant, lee si ce n'est pas assez, triplons-le pour ett
malheur de plus accablant, l'héroïsme de laa faire une nouvelle Convention
résignation de plus sublime; ils n'ont pasS De Troie en ce pays réveillons les misèros,
Et qu'on parle de nous ainsi que de nos pères.
vu les 2 et 3 septembre, les 5 et 6 octobre,
le 10 août, le 21 janvier; ils n'ont pas vun Mais prenons garde toutefois qu'une grande
93, ou si quelques-uns l'ont vu, il en estt république continentale est incompatible
peut-être qui l'ont oublié, et qui trouve- avec le repos de l'Europe, parce que la
raient en eux-mêmes, ou dans leurs pro- guerre, et une guerre générale, sera toujours
ches, de puissants motifs de ne pas se lee son premier besoin, et même sa première
rappeler. En un mot, ils n'ont pas vu laa sûreté; l'Europe l'a appris à ses dépens, elle
révolution et qui n'a pas vu la révolutioni se rappelle tout le mal que nous lui avons
n'a rien vu, et ne sait rien de ce qu'il fautt fait, et tout celui qu'elle a pu nous faire
savoir pour conduire les hommes après unee elle est armée, et l'occupation sans retour
révolution. Pour les talents, il serait tout à de nos frontières ne serait-elle pas, pe'ut-
fait déplacé, quand on écrit soi-même, dee être, le résultat inévitable de notre témé-
faire la part des uns et des autres, maiss rite?. Cette chance, au reste, était prévue,
vous-même lïscz -et jugez; et si vous voulezz et môme désirée par les lîrissot et autres
fripons de ce temps, qui firent déclarer lai invétérées, devenues une seconde nature,
guerre à l'Europe, pour maintenir, disaient- par ses besoins et ses rapports avec les Etats
ils, l'indépendance nationale dont ils avaientt voisins, doit ;être gouvernée par un roi, il
déjà traité et lorsque j'entends des décla- faut bien qu'il y ait des royalistes; il faut
mations du même genre, je me rappelle tou- même qu'il n'y ait que desroyalistes; et s'il
jours les mots de Virgile, qui pourraientt n'y en avait pas, il faudrait en faire, ce qui
être placés au bas de tant de portraits eût été, incomparablement plus facile que
de faire des démocrates, par la même raison
Vendidit hic auro patriam
(VJnoiL.B«etd., vi, 621.) qui fait qu'il est plus facile de tracer une
Le ministère, je crois, n'a pas l'intentionj perpendiculaire qu'une courbe. Il ne fallait
de pousser jusqu'au bout le système-répu- pour cela que laisser aller les esprits et les
j
blicain, et peut-être n'a-t-il voulu que faire cœurs, là où ils se portaient d'eux-mêmes,
la société en corps veut la religion, la
peur à la monarchie pour en obtenir une3 car
meilleure composition mais persistera-t-ill justice, la morale, la paix, l'ordre entin
dans ce déplorable système de bascule ett fruit naturel de la monarchie légitime, même
de contre-poids qui a perdu tous ceuxt lorsque les passions des individus ne.le veu-
qui en en ont essayé, et qui ne lui a réussij lent pas.
qu'à faire passer des lois désastreuses à une3 On ne- devait pas s'attendre que, pour
majorité insignifiante? On n'aurait certai- contrarier cette tendance si naturelle, on
nement pas plus mal fait avec des francss mettrait les intérêts moraux de la révolution
indépendants. Faut-il répéter pour la cen- en opposition avec les intérêts de la société.
tième fois qu'il n'y a que deux partis enÏ Les intérêts moraux d'une révolution! cer-
France, si les royalistes peuvent être appe- tes, je ne crois pas que, depuis qu'il existe
lés un parti, qu'il ne peut pas y en avoirr des langues, expression fidèle des pensées
d'autre; que plus une nation est éclairée, des hommes et des idées de choses, on ait
plus sans doute il y a de la modérationdanss vu une alliance de mots aussi étrange et
les caractères mais moins il y a de cette0 aussi absurde. Les intérêts moraux d'une
autre modération, qui n'est que de la mi- révolution, c'est-à-dire de l'état de société
toyenneté dans les esprits sur les vérités oux le plus immoral et le plus corrompu, où des
les principes, parce qu'une nation éclairée3 hommes étrangers à toute morale et à toute
connaît le bien et le mai d'une manière pluss humanité, disposaient arbitrairement de la
certaine, et fait entre eux un choix plus ab- vie, de la liberté, de l'honneur, de la pro-
solu que ce système de modération, ouu priété de leurs semblables, et faisaient une
plutôt d'indifférence, nous l'avons renouvelé é société tout exprès pour leurs passions.
des Grecs et de leur académie, comme tantt Parlez des intérêts matériels do la révolu-
d'autres pauvretés, sans faire attention quee tion,et l'on vous entendra; mais, au nom
cette indifférence dont leurs philosophes s de la raison et du bon sens, n'y mettez pas
font un si grand bruit, était obligée chezz la morale, qui certainement n'a rien à faire
et de crimes.
des peuples qui, ne connaissant, au fond, enn dans cette orgie de folies
morale, ni l'erreur ni la vérité, devaient res- Cependant le temps presse, et les événe-
ter en suspens entre elles; mais que chezz ments vont plus vite même que le temps. Le
du gouver-
nous elle ne prouve, dans les individus quiii ministère, absorbé par les soins
en sont affligés, qu'ignorance et médiocrité é nement, ébloui par les illusions de la gran-
d'esprit? D'ailleurs, on ne peut faire un parti;i deur, ne fait pas assez d'attention à la terri-
chargé envers
sans partisans; et je doute qu'aujourd'hui, ble responsabilité dont est
il
après les échecs qu'ont reçus aux dernièress la France, l'Europe et la postérité, pour tout
élections les ministériels les plus dévoués, le mal qu'il a pu empêcher et tout le bien
on puisse faire de nombreuses recrues pourr qu'il a pu faire. Dominé par d'ambitieux in-
un régiment si souvent battu, et où il y a sisi trigants, avides de toutes les places, jaloux
peu d'avancement à espérer. de toutes les égalités, qui, n'osant pas s'as-
Resteraient donc les royalistes, le parti,i, seoir parmi les libéraux, et craignant de
si l'on peut l'appeler ainsi, de la nature etJt n'être pas assez distingués parmi les roya-
n listes, se sont dits constitutionnels à ou-
de la raison, le parti de ta justice et du bon
et trance, pour être les premiers quelque part,
sens, le parti de la France et des Français, et
même du très-grandnombre; car si la France, î, et. pouvoir disposer de la constitution à leur
par sa situation naturelle, et des habitudes's fantaisie, le ministère marche les yeux ter-
'5f> OEUVRAS COMPLETES DE M. DE DONALD. 75g
més vers un un but qu'on aa t'adresse de lui ca-
l'adresse de ses d'amétiorutian
d'amétioratian du sort du da clergé,
clergé, si sou-
sou-
cher. Au lieu de proposer aax autres peu- vent démenties .d»s; 1-e -système déiste d'ins-
ples la Fnanee, -leur aînée, comme un mo- truction pop«laipe?La tî-ouverez-vous dans
dèle d'ordre, de sagesse et de véritable ré- cette haine furieuse contre la ehambre, qua-
génération,, ;et de kii rendre ainsi cette lifiée >par le roi ilui-tnênae 4e chambre in-
honorablemagJ5tralune.qu"elle.asi longtemps trowdbfo, et 1a vogue donnée à cette atroce
exercée parmi les puissances, il la laisse et lâche plaisanteri'e de terreur de 1815,
chanceler .comme un homme ivre, sans vérité, calomnie qu'il vous-élait si aisé de,confondre,
et même sans fixité dans les doctrines, sans en observaint que les lois d'exception dont
force ,dans ses tribunaux, sans établissement on se plaignait avaient été rendues sur votre
pour sa religion, -sans autre organisation proposition, et que ces destitutions dont on
définitive que cette de ses dettes et de ses faisait tant de irait, -qai n'ayaient été alors
francs-maçons, ïnsuttairt les rois, scandali- qu'un accidieat^ étaient, depuis 1I8J6, deve-
santes peuples, vraie pestiférée contre la- nues un système?
quelle les nations voisines sont forcées de « Ou =a parte d'unjoB et d'oubli., et l'on a
prendre des -mesures de précaution et de tout fait pour di viser les hommes^t rappeler
sûreté. Avec la chambre de 1815, il aurait Je sou venir des oaaaux. Le gouverHemenlétait
pu prendre cette noble initiative en Europe; placé entre lies oppresseurs et -les ^opprimés»
avec des libéraux, et même ies ministériels, Un peu plus d« connaissance du coeur h«-
iil *st rééuitîà <m Crisser l'Jionaeur et l'avan- iïiaiH et de l'-histoire îui aurait flspjiris gu'it1
tage à -une nation voisine peu aeo©ulumée à est plus facile d'oublier Le ma) qni'oo :a souf-
nous servir d'exemple -et;la diète germani- fert quo celui que l'on a faits que Ja prospé-
que vient ;de donner *au monde civilisé une rité, qui !est :un calmant pour Jes gens de
grand efleçoci qu'il aurait dû recevoirdeïious. bien, est un irritant :pour;Les .méchants et
Xes royalistes,. immobiles >m point d'où le que si les uns peuvent ©utrlier «e qu'ils ont
ministère -et «us sont partis en 181§, peu- perdu, iles autres n'oublient jamais ce qu'ils
vent aujourd'hui Lui servir de point 4e com- ont manqué, et se serviront de leurs succès
paraison pour mesurer i'-écàrtement prodi- pour le ressaisir. Méprise ;à jamais .déplo-
gieiix de la ligne qu'il a suivie.; dis peuvent rablel On a eu peur de .lîenthoiusiasme du
liuirdire:: « Qa'avez-'vosuB faille ila monar- bien, et l'on n'a pas recaiot la fureur et le
chie qui tous avait été confiée, plus forte fanatisme du mat et, «ntre deux partisiéga-
lorsque vous l'avez reçue .qu'elle ne 4'avait iement animés à faire triompher des doctri-
jamais été, puisque ce qui n'était qu'habitu- nes opposées, on a cru maintenir l'équilibre,
des était devenu enthousiasme ?Qu'en avez- en mettant, tantôt d'un côlé, tantôt de. lou-
vous .lait, et «ù tla <oiaerener maintenant? tre, des opinions lièées :et insignifiantes et
Vous ne la trouverez nullcpart, puisque, au parce qu'on n'a pu réussir par cette conduite
grand jsca-nda'le .des peuples, ses ipJus fermes qu'à exciter davantage les îsentimeots oppo-
défenseurs, ses amis tes plus dévouas, ont sés., on a appelé ila violence -des mesuites au
été bannis deson<serv*ee,)etqu:ils défendent secours de la,,Modération des 'opinions; un
4a idernière bnèetoeisiur le idenmer rempart. homîne,eD place suspect, ou seulementss{mp-
La irouiverez-votis ^da^s «es persécutions çonnérf'rétm :&tîspvct de peu d'attachement à
odieuses, dirigéescontïedefcraves et fidèles un système si paie et si oral 'défini «jutan ne
généraux, pour les panïrd'avoir ëtoaiffé des pouvait pas .même l'apercevoir, a été un
conspirations trop réelles, ou dans ces ma- homme destitué* et jamais on n'avait vu plus.
nœavi>es infâmes dévoilées même par les de violence et d'aiibitraice <{ue sous un gou-
tribunaux pour impliquer de ileyaux servi- v«rnefnent de modérés.
t.e,uns durai dansdes conspirations imagi- « Le mintstène ^se plaiindrait-iJ de ^la li-
«aiices î ies 'lois ;dé-w uenté'de lapresise.? Mais,à soir d'usage qu'on,
JLa trouverez-vousdans
mocratiques d'élection, de conscription, de faisait ^dé la
presse contoe les :royalistes,.
f ecraifeemeiit, dans le système démocratique quand elle était sous la main de :1a police,
de crédit ipoblic élevé à force de dettes ap- leurs ennemi-s. eux-mêmes ont reconnu qu'il
pelées-.de toutes époques, et .même de celle fallait-que 'cette
,arme fût commune à tous
des cent -jours?. La trouverez-vous ;dans les les combattants, et qu'il consvenaii que «eus,
lenteurs de l'établissement xetigieux,ei des; qu'on attaquait pussent se défendre. Pour-
•otficaaes sans cesse renaissantes contre Tau-; quoi, d'ailleurs, laisser impunies les insul-
•terité du Chef de l'Eglise dans les promes-j tes tout ce qu'il y a de plu sacivé; et qui
737 PART. 11. POLITIQUE. CONSIDERATIONS APOLITIQUES. 758
d'entre nous, en demandant la liberté de la avoir fermé l'oreille aux accents sévères de
piesse, an entendu
nip««c pntpntîn ea
p.rt sfetB'îSïd'ef licfiniifi? la vérité.
dÎRTnîWiH'ei' la licence?
H seinbl'e, ait contraire,, qu'on lui ait laissé Voudrait-on, enfin, se précaulionner à
ie champ* libre pour pouvoir accuser d-e ses t'avance contre la légitimité, et rivaliser
excès ceux qui l'ont défendue; ïrisSe- vew- d'hérédité avec elïe ? Le calcul serait coupa^
geance, qiïï livre à' la dérision et à Feutrage- ble, et n'en serait pas plus sûr. C'est de la
tout ce qu'iï y a de plus respectable, pour ew petite politique, mille fois essayée, mille
tirer quelque) ftvanlage!contre' des opposants- fois déjouée de la politique d'antichambre
à «es volontés! Quelques ministres, dit-on, ou de boudoir, qui petit venir à l'esprit de
se sont plaints d'avoir été humiliés-l qu'est- valets ou de maîtresses qui conspirent pour
ce que cela veut dire? Est-e& qu'on peut hu- leur propre compte mais ce n'est pas de la
milier un noffioïe d!e- Meiï, et son hoMear haute politique, de ta politique d'un vérita-
est-il à la disposition de qui que ce soi*? Des; ble homme d'Etat, qui occupe sa place avec
classes entières de citoyens et des plus res- gloire, qui la résigne avec grandeur; et le
pectables, ne soirf-eM'es pas journellement ministre qui emporte, en se retirant, les
l'objet des déelaaiaiions f es plus furieuses et bénédictions des peuples, l'estime des gens de
des calomnies les plus dégoûtantes, et s'étt bien, et la sienne propre, n'a pas tout perdu.
croient-elles humi-Mées? Que sont, après Quoi qu'if en soit, le système que l'on
tout, des sarcasmes, des injures même', si- suit est faux, qu'il soit antimonarchique
l'on veut* des calomnies,auprès des intérêts ou seulement anEilégitimaire; car il faut
de son pays, des devoirs de ces hautes fone-» prendre garde aux fausses attaques, et les
tions, et un homme, quel qu'il soii, est-il miéréts morauxde la révolution seraient de
quelque chose à côté de si grands objets? bonne composition sur les garanties, de-
Croit-on que d'Amboise, Sully,. Richelieu, quelque côté qu'elfes vinssent. La républi-
Mazarin, Colbert, Fleury, n'eussent pas des que, pure et simple, est un bon appâta à
ennemis ou des jaloux? Et la royauté, en prendre les ignorants et les imbéciles mais
confiant son pouvoir et ses intérêts à un les chefs y voient clair sur la possibilité ou
ministre, fait-elîe avec son amour-propre le l'impossibilité de l'établir les principes,
pacte que, dans les affaires délicates dont ri même les leurs, sont ceux qui les occupent le
sera chargé, dans les relations nombreuses moins, et ils savent bien comment on fait
et variées qu'il aura avec les hommes, jamais des républiques, même avec des rois. Heu-
sa vanité ne sera froissée, ou même sa pro- reusement des exemples ne. sont pas plus
bité méconnue? Et n'y a-t-iï pas, après des moyens que des raisons de succès et en
tout, dans ces grandes places, de grands dé- France, quelque chose- qu'on n'a pas prévu,
dommagemènts à ces petites contrariétés; et dérange souvent les calculs. Le système, jo
la fortune, les dignités, ta faveur du maître, le répète, est faux, et il n'est plus permis,
ne sont-elles pas quelque chose? Qui que même aux plus incrédules et aux plus pré-
vous soyèz, qui ne pouvez pardonnerd'avoir venus, d'en douter après le résultat qu'il
été humilié, laissez à la société son utile vient de donner, et qui est une insulte à la
préjugé contre les élévations subites qui majesté royale et à tous les rois de l'Euro-
troublent la marche ordinaire et naturelle pe ( 1 ). Nous suivons donc un système op-
des hommes et des choses et s'il n'a pas posé à la nature des choses; nous le sui-
dépendu de vous de mériter votre élévation vons depuis trente ans, et nous avons la
par des actions brillantes, vous pouvez la simplicité de nous étonner de ne pouvoir
justifier par d'utiles services, et les plus surmonter cette opposition insurmontable
grands que jamais homme d'Etal aitrendus de la nature, et nous accusons les hommes
à son roi et à son pays. Laissez faire au d'une résistance qui est toute dans les cho-
temps qui fait oublier tant de choses an- ses. Nous nous dépitons comme des enfants
ciennes, et en consacre tant de H&uvelfes; qui battent leur nourrice, parce qu'elle ne
mais il vous offrira aussi des exemples d'é- peut pas leur donner ce qu'elle ne.peut pas
clatantes fortunes précipitées pour s'être en- atteindre.
dormies aux doux sons de la flatterie, et Là, et là seulement est la cause de tous
(1) 11 ne faut pas s'y tromper. La nomination rer de cette double combinaison, contre leur pays
d'un régicide est un calcul. En même temps que et contre l'Europe. C'est pour détourner les esprits
l'on insutte tous les rois ou plutôt la royauté -même, et les porter ailleurs qu'on accuse les royalistes de
on leur suscite à tous des embarras chez eux, et cette nomination.
l'on sent tout le parti que des factieux pourront ti-
759 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 7-iO
les malheurs, de toutes les violences et. de quelle fatalité, des combinaisons d'événe-
tous les crimes que nous avons vus, et se- ments si naturelles et si prévues, et justi-
rait la cause de tout ce que nous verrions fiées par des exemples si publics et si ré-
encore. Nous destituons donc les hommes cents, n'ont-elles pas plus d'influence sur la
qui ne veulent pas marcher dans notre sens conduite des hommes? Comment se fait il
nous en trouvons de plus complaisants, et que la noble ambition de la plus belle gloire
les choses ne sont pas plus complaisantes. que les hommes puissent obtenir, celle do
Nous destituons encore, et les résistances se sauver son pays, ne s'empare pas de toutes
multiplient. Nous nous enfonçons toujours les facultés des hommes que des circonslan^
plus avant dans l'abîme, sur la foi de guides
ces singulières ont revêtus d'un grand pou.
infidèlesquisondentetquisegardentbien d'en voir? Tel homme qui a disposé un moment
rapporter la profondeur. Aux royalistes suc- de toutes les forces de la capitale, a pu mé-
cèdent les ministériels, aux ministériels les riter, à plus juste titre même que du Gues-
libéraux, aux libéraux les régicides; nous clin, l'épée de connétable, et il l'a sacrifiée à
destituons, d'autres tueront, tout aussi épris des théories creuses dont il ne prévoyait pas
de leurs systèmes, tout aussi passionnés les conséquences; tel autre se laissera dé-
pour leurs intérêts, tout aussi disposés à tourner de cette noble destination par de
né voir de résistance que dans des hom- petits ressentiments et de petites passions,
mes qu'ils peuvent sacrifier, et à ne pas ]Mirabeau, après avoir conduit la monarchie
Ja voir dans des choses qui sont hors de leur
au bord de l'abîme, eut assez d'élévation
puissance. Alors épouvantés eux-mêmes dans le caractère, et de force dans l'esprii
d'un progrès de désordre qu'ils n'avaient pour
i l'en vouloir retirer, mais il n'avait,
pas prévu, les premiers moteurs de ce mou-
vement rapide veulent l'arrêter et- se retenir Pour défendre sa cause et venger ses injures,
Ni le cœur assez droit, ni les mains assez pures.
sur la pente où ils se sont placés. Devenus
odieux aux hommes du moment, et plus 1Les philosophes nous répètent sans cesse, ei
odieux, parce qu'ils leurs paraissent des certes avec raison, que la royauté- n'était pas
<
réfractaires et des traitres, ils sont les pie- instituée
i pour les rois, mais pour les peu-
mières victimes du monstre qu'ils ont dé- 1ples. Si les rois
l'abandonnaient, ce serait
chaîné; et ils n'échappent à l'écliafaud que donc aux sujets à la défendre et lorsque
pour aller finir de honte et de désespoir, dans
< une monarchie en révolution, on voit
laissant à leurs enfants l'àilreux héritage i sujet placé dans une de ces situations
un
d'un nom flétri, et qu'ils n'ont pas même la extraordinaires
t qui peuvent servir au salut
triste ressource de dérober à l'histoire, dé- de
c l'Etat, comme à sa ruine, on est toujours
noûment tout à fait naturel de tout ce qui se tenté
t de lui demander, comme les disciples
veut soutenir malgré la nature. Telle est de
( saint Jean [Matth. xi, 3) Est-ce vous qui
l'histoire de toutes les révolutions, telle a devez
< venir, ou devons-nous en attendre un
été surtout l'histoire de la nôtre; et par autre?
t
La Charte attribue au roi le droit de nom- de pairs plutôt qu'à tel autre d'autre raison
mer des pairs à volonté. Cet acte de la royauté naturelle qu'une distribution à peu près
et quelques autres s'appellent en Angle- égale entre tous les départements,seul moyen
terre la prérogative royale; expression à de centraliser sans effort la force morale,
peu près synonyme de privilége,qui n'est puisqu'il est question de tout centraliser. Je
ni vraie ni assez morale en bonne politique dis une distribution égale car une distribu-
où l'on ne doit connaître que pouvoir, fonc- tion numériquement inégale, comme celle
tions et devoirs. des députés, calculée sur la population et les
Je n'examine pas ici s'il en est de la pairie contributions, ne représente que des forces
comme d'un régiment dont la force augmente physiques, tandis que 1a chambre des pairs,
arec le nombre, ni s'il y aurait à tel nombre semblable à la royauté à laquelle elle parti-
cipe,ne peut représenter et même ne peut est peu d'hommes qui se sentent assez
II
exercer qu'une force morale, qui doit être la forts
J par eux-mêmes et de leur considéra-
même et également représentée dans chaque tion 1 personnelle pour ne pas ambitionner
fraction du royaume. Je n'ignore pas que trop vivement cette considérationextérieure,
certains départements renferment en plus qui semble vous répondre de l'estime des
grand nombre de riches propriétaires; mais autres hommes, ou vous répond au moins
si la richesse donne de la consistance à un de leur silence.
particulier ou à une famille, c'est une erreur Ainsi, si l'on mettait à l'enchère la dignité
de croire que la richesse individuelle, né- de pair, certainement il se présenterait beau-
cessairement très-inégale entre les particu- coup de concurrents; et elle serait, quoique
liers membres du même corps, ajoute quel- gratuite, portée à un prix excessif; tandis
tri-
que chose à la force du corps lui-même. qu'une place même de président à un
C'est uniquement lorsque les biens sont la bunal est souvent refusée par un avocat oc-
dotation de l'institution elle-même, comme cupé, et que, si elle était dans le commerce,
étaient en France les biens c^u clergé, que elle ne serait ca'culée que sur le pied d'une
l'opulence donne de la force à l'institution. rente viagère dont on estime la valeur sui-
Les membres du parlement de Paris qui, vant le plus ou le moins de probabilité d'en
dans les derniers temps, se rendaient au jouir longtemps.
Palais dans de brillants équipages, y allaient Il y avait autrefois en France beaucoup
autrefois montés sur une mule, et le parle- d'existences politiques; il y en avait partout,
ment était à cette époque plus puissant et et pour toutes les fortunes et toutes les am-
plus considéré qu'il ne l'a jamais été La bitions, dont chacune était satisfaite.dans sa
richesse même du particulier n'est objet de sphère particulière et locale et j'appelle
respect que dans les temps ou les pays existence politique toute existence hérédi-
pauvres dans les temps et les pays riches, taire qu'on peut transmettre à ses enfans,
elle est objet d'envie et bientôt de haine; et ou plutôt à sa famille; et, de celles-là, il y
une institution politique, sans dotation pu- en avait même pour le peuple dans les mat-
blique et commune et dont tous les membres trises des arts et métiers. La pairie, qui
seraient individuellement des millionnaires, existait aussi comme magistrature ayant des
serait certainement beaucoup moins forte fonctions politiques ( 2 ) et non comme aris-
que l'institution riche dont les membres tocratie revêtue d'un pouvoir politique, ne
seraient pauvres. Privatus illis census erat tentait l'ambition que du très-petit nombre
brevis, commune, magnum, dit Horace ( 1 ) de familles, qui, parvenues à ce dernier
des anciennes institutions du peuple ro- échelon de l'échelle sociale, aspiraient à le
main. franchir. Elle était en quelque sorte le der-
Mais, en laissant à part ces questions d'un nier gite de la route, et celui où il ne restait
haut intérêt, je me borne à considérer l'effet plus qu'à finir; et il est digne de remarque
moral de cette nombreuse augmentation de qu'une famille en France commençait son
la chambre des pairs, et l'influence que doit élévation et la terminait par la magistrature.
avoir cette mesure sur l'esprit de la na- Ainsi, si une famille qui, au sortir du négoce
tion. ou des affaires, avait débuté dans le monde
11 faut remarquer avant tout qu'il n'y a plus politique par acheter une charge de conseil-
aujourd'hui en France d'autre dignité ou ler au parlement, eût fourni une longue
supérioritépolitique, c'est-à-dire héréditaire carrière avec un grand bonheur ou une,
que la pairie. On demande ou l'on accepte grande distinction, et rendu à l'Etat d'écla-
toutes les autres places pour vivre on aspire tants services, le plus haut et le dernier degr-4
à la pairie pour honorer sa famille car, de l'élévation politique aurait été pour eilei
quoi qu'on fasse, même après l'argent, de siéger au même parlement, comme mem-
l'homme sent quelque chose de plus noble bre de la cour des pairs (3).Et quelle
et de plus digne de lui qui manque a son noble idée que celle d'avoir fait des fonc-
existence sociale, et il veut pour lui et pour tions de magistrature le commencement et
les siens de l'honneur et de la considération. la fin de la carrière publique, et le pre-
(1) Horat., Carm., Lu, od. xv, 13,14. taient pas différentes de celles aes autres magis-
(2) Les présidents à mortier avaient même, trats.
je me le rappelle,disputé aux pairs la préséance (5) La maison Pothier de Gèvres, parvenue là
et les fonctions des pairs dans le parlement n'éâ pairie, avait commencé par le barreau.
713
J.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. ÏM
r=
mierdegré.
mier dernièreet.
degré,etetlala dernière et lalaplus
ptus haute ré-
haute ré-revêtu d'une portion du pouvoir législatif»
compense! l. exerce comme général la fonction la plus
Mais un président à mortier, qui payait à étendue et la plus importante, du pouvoir
Paris cinq ou six cent mille francs* et cent exécutif? Aussi toutes les aristocraties, dans
ou deux cents dans les provinces, le devoir les Etats militaires, ont toujours fini par L'u-
pénible et gratuit de prononcer sur les inté- surpation..
rêts privés, et de punir les délits publics. On a eu soin, dans un article officiel dit
mais un conseiller au parlement ou à la Journal des Débats du 7 mars dernier; de
chambre des comptes, dont la charge était relever l'éclat et l'importance de la pairie,
héréditaire- comme la personne était inamo- « aristocratie de fait, qui ne peut devenir ce
vible (car peut-être l'inamovibilitésans bé~ qu'elle doit être qu'en recueillant dans son
rédflé est-elle un danger); mais, dans les sein toutes les grandes notabilités nationa-
magistratures inférieures une place «piii les et royales. existences importantes
honorait et mettait au repos une familier, connues du peuple entier, qui doivent cette
dans une petite ville où les a-mbifioffs- étaient, importance à de grandes propriétés, à de
modestes comme les fortunes; mais même grands services rendus, à de hautes fonc-
des existences héréditaires sans fortune1, tions utilement remplies. Or dans les pro-
d'autant plus honorables que tout moyen digieux événements dont la France a été le
d'en acquérir leur était interdit, étaient théâtre depuis trente années, il s'est formé-
aussi dans leur sphère des supériorités po- une véritable1 aristocratie de ce genre, effec-
litiques, ç'est-à-dire, pour parler le nouveau tive, connue, nationale, et possédant de
langage, des me-ÉabiUtés de famille qui cob- plus l'immense avantage que ses opinions,
tentaient des ambitions tout à fait naturel- ses intérêts, ses besoins sont d'àeeord avec
les, et donnaient de. la consiééraition et. ies opinions, les intérêts, les besoins du siè-
telle famille de magistrature inférieure était cfe et du pays. La chambre des pairs comp-
aussi considérée da«s son petit ressort qu'il te déjà d'ans son sein beaucoup d'hommes
Paris' une famiiie de- due et pair, dont tels ont été les titres. L'ordonnance du
Ainsi, dans cette loterie où chacun est 6 de ce mois vient d'y en appeler beaucoup
forcé de mettre, il y avait beaucoup de lots d'autres. Ifs y porteront le poids de leur
gagnants; aujourd'huiil n'y en a pl'us qu'ut) fortune, de teurs services, de leurs victoires,
et ce lot est un quine.. Tous perdent donc, et ainsi se resserrera cette alliance du passé
par cela seul qu'un. seul gagne démesuré- et du présent, » etc.
ment et il faut qu'une famille se résolve à y aurait bien des choses à dire su* tout
H
obtenir la. pairie ou à. n'être rien dans. l'Etat, cela mais pour ne pas sortir de mon sujet,
à moins que, devenue l'objet d'une persé- et revenir à l'influence morale de cette
cution spéciale, elle ne finisse par en être. grandie et subite mesureoù t'on s'est occupé
honorée, si elle ne finit pas par être pros- de resserrer l'alliance du passé et de l'ave-
crite. nie un peu plus, je crois, que celle du pré-
Non-seulement il n'y a plus qu'un lot en sent et du passé, je conçois que, si, pour
France, mais il ne peut plus y en avoir d'au- être pair, il fallait de nécessité rigoureuse
tres car que peut-on. je ne dis pas compa- posséder tant de millions de capitaux, ou
rer au pouvoir héréditaire, mais seulement tant d'arpents de terre, l'ambition de cette
rapprocher de ce pouvoir, qui est de, fa mê- haute dignité ne. donnerait d'impulsion, mais
me nature que le pouvoir royal, et qui une impulsion furieuse, qu'à' l'auri sacra
donne aux particuliers qui en sont revêtus ~'umes., d, da saçrilége faim de l.'or, devenue.
an avantage immense, même sur les princes sous le nom d'industrie, le grand et unique
du sang, puisque les princes, pairs aussi:, mobile de nos sociétés. L'homme alors qui,
ne peu vent exercer cette fonction que par dans de grandes opérations de commerce ou
permission écrite du. roi, renouvelée à cha- de banque, aurait inutilement tourmenté
que session des: chambres, et que le parti- son existence et. compromis ou ruiné celle
enlier ne peut pas être empêché de remplir des autres, ne pourrait imputer son malheur
les siennes, même par le roi ? Et que man- qu'à lui-même; et il est de telles ardeurs
que-t-il, par exemple, pour la parfaite iden- d'ambition et de cupidité que, n'ayant pu se
tité, à un pair en même temps général com- calmer dans la possession de leur objet,
mandant une armée, qui déjà, comme pair, elles iraient s'éteindre dans la rivière, der-
nière ressource aujourd'hui pour de bien des lieux de repos où l'ambition de famille
moindres mécomptes. La perspective de la la plus ardente de toutes, s'arrêtait et repo-
pairie, offerte uniquementà l'opulence, ten- sait ses longues espérances, et ces pensers
drait donc à corrompre rapidement une na- d'avenir si doux, hélas 1 ou si amers pour
tion de la pire de toutes les corruptions, la cor- le père de famille; aujourd'hui il n'y en a
rupliondel'argent;toutefois le gouvernement plus qu'un, il n'y a plus qu'une existence
n'en ressentirait qu'indirectement les effets. sociale, puisqu'il n'y a plus qu'une exis-
Mais la pairie s'obtient encore par de tence héréditaire, et que malgré elles, et
grands services rendus, par de hautes fonc- même sans y penser, toutes les familles, par
tions utilement remplies. On y appelle ceux une impulsion naturelle et irrésistible, une
qui peuvent y porter, non-seulement lepoids fois qu'elles auront quitté la charrue ou l'a-
de leur fortune, mais encore celui de leurs telier, se tourmenteront et tourmenteront la
services et de leurs victoires. Or, si la for- soèiété pour y parvenir.
tune se pèse, parce qu elle est en sacs, les Les ministres sont donc condamnésdésor-
services ne se pèsent pas de la même manière, mais à la plus opiniâtre obsession de l'intri-
et ici l'évaluation est un peu plus arbitraire. gue, aux sollicitations les plus importunes.
Et qui est-ce qui ne croit pas, s'il a servi, On aura réponse à tout, et des exemples de
avoir rendu de grands services, ou s'il a tous les genres à leur opposer; et que n'ôb-
exercé de hautes fonctions, les avoir utile- tient-on pas en citant des exemples? La
ment remplies? Quel est le ministre qui porte une fois ouverte est si large, que l'af-
ne croie pas avoir utilement rempli ses fonc- fluence des prétendants empêchera de la fer-
tions ? Quel est le général, dans une guerre mer, et l'on se tromperait étrangement si
un peu longue,.qui, un jour ou l'autre, n'ait l'on croyait que cette perspective ne fera
pas été heureux, et ne croie pas avoir rendu naître qu'une louable émulation. L'émula-
de grands services à l'Etat ? Quel est même tion suppose des degrés, et ici il n'y en a
l'écrivain qui ne croie pas avoir rendu de pas; et l'objet auquel on tend est trop hors
grands services, et éclairé son siècle et son de toute proportion avec la destinée com-
pays? Il est vrai que le souverain ou ses mune, pour permettre des sentiments mo-
ministres sont juges naturels de tous ces dérés et déjà les préférences à la dernière
mérites; mais comme on se juge soi-même promotion
1 ont fait naître d'amères douleurs
avant de se laisser juger par autrui, et qu'en et
< excité de bien vifs ressentiments. Ce n'est
se comparant toujours on se préfère, chacun donc
( pas l'émulation des services, mais la
est disposé à ne voir qu'injustice dans ce concurrence
< de l'intrigue que produira cette
qu'on lui refuse, et que faveur dans ce qu'on perspective
1 offerte à l'ambition, et la place
accorde aux autres. Vous alléguerez des ses"- sera
s souvent emportée comme de vive force.
vices civils ou militaires, on vous en niera Les ministres donneront la pairie, souvent
l'éclat ou l'importance tels ou tels, direz- même
i ils la vendront, en ne croyant et ne
vous, entrés à la chambre des pairs, en voulant que la donner; car, si, comme dit
ont-ils rendu de plusutiles? Mais il y a as- I Fontaine
La
sez de pairs. Qu'est-ce qu'un de plus
La fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne,
quand on en a fait entrer soixante ou qua-
tre-vingts à la fois? Qu'avaient fait de plus iil est vrai de dire que la faveur aussi vend
que moi messieurs tels et tels? Ont-ils été çquelquefois ce qu'on croit qu'elle donne et
plus utiles ou plus complaisants, plus habi- c qu'elle croit elle-même donner: et désor-
ce
les ou plus adroits? Il y a dans le ciel des mais
e les ministres, s'ils avaient besoin d'a-
demeures pour toutes les vertus; il n'y a cheter
c quelqu'un ou quelque chose, ne pour-
sur notre terre qu'une récompense pour raient
r l'avoir qu'à ce prix; et la pairie sera,
tous les mérites il n'y a plus qu'un but, quoi
q qu'on fasse, la soulte de tous les grands
parce qu'il est d'une nature différente de marchés,
n parce qu'elle est à la fois et. trop
tous les autres, et que les yeux de l'ambition élevée
é dans sa dignité et trop rapprochée
comme ceux de nos corps lorsqu'ils fixent de
d nos espérances, et que, toujours présente
un objet apparent et éloigné, n'aperçoivent à tous les yeux par les signes extérieurs qui
plus les objets intermédiaires. L'héréditaire 1< distinguent, même dans la vie privée, elle,
la
et le viager, le pouvoir et de simples fonc- poursuit
p et provoque à tout moment l'ambi-
tions, une dignité et des emplois, sont entre tion et l'envie. Les femmes ne seront pas
ti
eux. comme tout et rien.
eux ii y avait autrefois
rien, Il autreiois ias
les dernières à vouloir en décorerleurs ma-
'l<
OECYRES rtnUDT.
<M7rrvnt?Q DE M.
COMPL. nI;' DE BONALD.
A7 1\11 II.
Rn1\! ""T'Po Tt 24
CtK
r"
ris. Une révolution éclata dans Rome, parcei
que la femme d'un plébéien ne put enten-
tion, ou le nombre plus grand «te lortunes
commerciales, obtiendront aisément la1 pai-
dre sans une furieuse jalousie les faisceauxc rie, soit par adhésionaux vues du ministère,
du licteur frappant à sa porte, lui annoncerr soit par opposition, car tout est bon à l'am-
la visite de sa sœur, épouse d'un consul. 111 bition. Mais il y a des passions de corps
ne faut, en France, que l'ambition de la brode- i- bien autrement ardentes que les passions
rie d'or chez une femme pour faire, sinon une le des particuliers, et une chambre formée d'é-
révolution dans l'Etat, au moins une révolu- léments à cent écus, une chambre pauvre,
tion dans le ministère. Comme la grandee par conséquent, et par ceia seul disposée à la
opulence et les grands services civils ouu jalousie, une chambre plus nombreuse et
militaires sont les seuls moyens de parvenirr par conséquentplus agitée, et où lafermen-
à la pairie, il se fera beaucoup de faillites, ilil talion de tant de passions,et si rapprochées,
se livrera même inutilement beaucoup dee n'éprouvera d'autre résistance que l'impuis-
batailles, il se fera et défera beaucoup dee sante modération de quelques hommes, une
ministres, de préfets, de directeurs géné- pareille chambre sera pour la chambre des
raux, etc., puisqu'il est décidé que la pairiee pairs une bien dangereuse rivale. Quelle
est compatible avec tous les' emplois de l'ad-I- force opposerait la chambre des pairs? Son
ministration, môme avec les droits réunis.î. nombre ? il ne s'agit pas de combattre. La
Elle sera donc une cause puissante de mou- richesse individuelle de ses membres ? c'est
vement ou de mobilité au dedans, et parr une cause de faiblesse de plus; et, sans
conséquent une cause perpétuelle d'agita- i- doute, pour parer à des dangers imminents
tion au dehors, et beaucoup plus en Francee on ne fera pas une quête entre les présents.
qu'elle ne l'est en Angleterre, où un im- i- La constitution? c'est au nom dupeuplesou-
mense commerce et des colonies lointaines
îs verain qu'elle serait attaquée. Le roi ? il se-
offrent plus de distractions à des ambitions s rait assez occupé de lui-même. Et puis, si
moins nombreuses, et même, à cause dee la chambre des pairs était avertie du danger
notre vanité nationale, moins actives. commun, pourrait-elle en avertir le roiîi
Cette inégalité de rangs non relative, î, Serait-ce en !a suppliant d'examiner l'état
mais absolue, a produit en Angleterre deux x des choses lorsqu'il vient d'être décidé, à
effets opposés et bien remarquables. D'un n propos de la loi d'élection que la cham-
côté elle a introduit, dans les réunions is bre des députés peut, en rejetant la propo-
même de plaisir, une étiquette rigoureusee sition de la chambre des pairs, supplier le
et positive, des distinctions on peut diree roi de me pas examiner? Les' troupes ?.. Les
notées comme une musique, que bien avantit troupes sont peuple dans un Etat populaire.
la révolution la haute bourgeoisie en France,3, La lutte de la chambre des députés contre la
n'aurait pas permises même à la grandeur;
de l'autre, elle a introduit, comme par com-
; chambre des pairs serait la lutte de la force
i- physique contre la force morale; et, pour
pensation, entre les particuliers de rangg que la force morale subsiste à côté de la force
très-inégal, une familiarité de manières, ouu physique, il faut quelles ne se mesurent
si l'on veut, une popularité qui contrefait it jamais. Une force morale attaquée, que dis-
l'égalité, et les rangs, soigneusement dis- je, seulement discutée, est une force dé-
tingués au bal, se confondent à la taverne. >. truite. Chez un autre peuple, le résultat de
En France, les amours-propres préférerontit la lutte pourrait n'arriver qu'au bout d'un
de vivre isolés l'Etat n'y gagnera rien, et;t temps assez long; en France, le temps n'est
la vie privée y perdra de son charme et dee rien quand il s'agit de détruire il en faut
sa douceur. peut-être moins encore pour rétablir. La
Mais c'est surtout sur la chambre des dé- chambre des pairs et celle des députés ne
putés, séparée de la pairie et par des diffé- i- sont pour l'observateur attentif que l'assem-
rences dans le costume et par l'hérédité,i, b!ée constituante, et même la chambre de
que l'ambition ou la jalousie devront tôt ouu 1815, coupées en deux et voyez, dans ces
tard produire leurs plus grands effets. Au- deux assemblées, l'une entourée de tant de
jourd'hui que l'esprit dominant partout,i, puissance, l'autre de tant de faveur; voyez
et particulièrement dans la loi d'élection,i, combien le côté aristocratique a été promp-
tend à exélure des élections l'ancienne no- tement écrasé par le côté opposé i Et je sup-
blesse, le petit nombre de grandes fortuness pose encore la chambre des pairs tout aris-
territoriales qui parviendront à la députa- tocratique de sentiments sa ruine serait
bien plus prompte, bien plus certaine, si vent le moins, c'est ce qu'ils font. il y a tou-
elle ne l'était pas. 11 n'y avait qu'une combi- jours eu en France, depuis le commence-
naison possible pour qu'une chambre de dé- ment de nos troubles, de grands mécomptes
putés pût subsister en France, au moins et je réponds qu'il y en aura bien d'autres.
pendant quelque temps, à côté d'une, cham- Nos médailles ont toutes leurs revers; et
lire des pairs, sans être jalouse et hostile. c'est sans doute parce que les derniers ré-
Cette combinaison unique a été repoussée sultats des événements dont nous nous
il n'y faut plus penser, et le retour en est croyons les moteurs nous sont inconnus, et
impossible. La postérité jugera les résultats. trompent si souvent nos espérances, quenos
Telle combinaison affermit ce qu'elle est passions, en un mot, ne voient jamais le
accusée de détruire, telle autre détruit ce revers de la médaille que, dans notre lan-
qu'elle semble faite pour affermir. En géné- gue, les mécomptes de tous les genres sont
ral, ce que les hommes en politique font le appelés des revers.
moins, c'est ce qu'ils veulent; ce qu'ils sa-
« Quand, par quelque heureux hasard, uni II est vrai que J.-J. Rousseau parle d'une
de ces hommnes nés pour gouverner less monarchie et non de toute autre forme de
empires, prend le timon des affaires danss gouvernement il parle d'un homme, et non
une monarchie presque abîmée, on est toutt d'un conseil ou assemblée d'hommes, parce
surpris des ressources qu'il trouve, et celai qu'il savait très-bien que le génie ne se met
fait époque. » pas en délibération et que les conseils ont
Voilà ce que dit J.-J. Rousseau; et.telle» souvent perdu les Etats, et les ont rarement
est la préoccupation d'esprit du philosophe, sauvés.
qu'il n'aperçoit pas dans ce peu de mots lat Les Romains le savaient aussi, lorsque
condamnation de son système politique, ett dans leur profonde sagesse ils avaient fait
la réfutation la plus complète du Contrat so- de cette loi de la nature une loi positive,
cial. par l'institution de la dictature, qui donnait
En effet, la force de constitution d'un à leur république abîmée l'homme dont parle
Etat comme celle du tempérament de J.-J. Rousseau véritable royauté, qui réu-
l'homme, n'empêche pas les troubles et les nissait tous les pouvoirs, et même sans res-
maladies auxquels les Etats et les hommes ponsabilité, commandait à toutes les volon
forts sont même plus exposés que les fai- tés, imposait silence au sénat comme aux
bles mais la force de constitution et de tem- tribuns, et mettait ainsi au repos la démo
pérament paraît surtout dans la promptitude cratie plébéienne ou patricienne, forte pour
et la vigueur du rétablissement. Ainsi, sel®n agiter l'Etat et le précipiter dans les der-
Jean-Jacques, une monarchie presque abî- niers dangers, impuissante à l'en tirer.
mée ne peut se rétablir que lorsqu'il parait Nos mœurs nos arts nos passions sur-
au timon des affaires un homme né pour tout, qui poussent les sociétés à la républi-
gouverner, et qui pour relever le pouvoir que, c'est-à-dire à leur destruction, ne per
abattu, vient, comme Suger et Richelieu, mettent pas de dictature, au moins légale et
établir la royauté du génie à côté de la constituée et c'est pour la remplacer que
royauté de la loi. Mais les républiques elles- nos législateurs modernes ont introduit des
mêmes, les républiques presque abîmées rois dans leurs gouvernements représenta-
n'ont pu se sauver d'une entière destruc- tifs. Ce serait le sujet d'une belle disserta-
tion qu'en revenant aussi au pouvoir d'un tion politique, que la comparaison des ins-
seul, et toutes ont fini par la monarchie titutions romaines avec les nôtres et l'on
preuve sans réplique que l'unité de pouvoir trouverait, je crois, plus de monarchie dans
est pour la société la nature même, hors de la république romaine constituée par des
laquelle il n'y a de salut ni pour les Etats hommes qui ne savaient peut-être pas lire
ni pour les hommes. que dans des gouvernements qui se croient
oa se disent monarchiques, organisés par en un mot, le mal moral élevé sa vlus hant~
des idéologues, de beaux esprits et des doc-• puissance.
trinaires Que la loi, en France, soit athée, c'est, je
Mais, pour revenir à la maxime de J.-J. crois, ce que de bons esprits et des cœurs
Rousseau par laquelle nous avons com- droits avaient aperçu; et s'il fût resté quel-
niencé, et dont cette digression nous a écar- que doute à cet égard, le pouvoir législatif
tés, notre monarchie est-elle assez abîmée5 aurait pris soin de le lever, par l'inexplica-
ble le monstrueux refus fait à la session
pour avoir besoin qu'un homme né pour
gouverner prenne le timon des affaires?? dernière, et certes après mûre délibération,
Nous faut-il attendre qu'elle soit un peui d'insérer le mot religion dans une loi desti-
plus abîmée, ou enfin, après toutes les chan- née à punir les attentats contre l'ordre pu-
ces de salut que nous avons négligées oui blic mais que la loi doive être athée c'est
épuisées, peut-on espérer encore que quel- ce qui n'avait jamais été entendu, ce qui ne
que heureux hasard amènera au timon'dess pouvait être entendu impunément qu'en
affaires un de ces hommes qui trouvent aui France et il a fallu cent ans de fausses doc-
besoin des ressources inespérées, les créentt trines et trente ans de révolution pour en-
s'ils ne les trouvent pas, et dont la carrière, fauter ce mot horrible qui sépare le peuple
utile à leur pays, glorieuse pour eux-mê- français ou plutôt le gouvernement français
mes, fait époque dans l'histoire des sociétés?? de la communion de tous les peuples, même
Si cet homme existe, son heure, sans doute, sauvages, et qui, au milieu de toute la poli-
n'est pas encore venue puisque après tantt tesse des arts, de tous les progrès de l'in-
d'hommes qui se sont succédé au timon dess dustrie, de toutes les jouissances du luxe,
affaires, et avec toutes les ressources dontt annonce que nous avons franchi la dernière
ils ont pu disposer nous attendons encoree limite qui sépare la civilisation de la bar-
l'époque de notre tranquillité et de notre sé- barie, et que nous n'avons et ne pouvons
curité. plus avoir de législation raisonnable.
Il est certain, au contraire, que notre étatt L'homme d'Etat qui pourra sonder la pro-
politique a toujours été en empirant depuiss fondeur de désordre et le prodigieux éga-
quatre ans, et pour ceux qui, considérant lt rement d'esprit qu'il y a dans cette exécra-
la société comme une chose toute moralee ble proposition frémira d'horreur; et J.-J.
qui doit être conduite par raison et parr Rousseau lui-même, qui n'était pas un
vertu, sont bien plus frappés d'un désordree homme d'Etat, mais un sophiste bien su-
moral d'un scandale d'opinions que d'una
perficiel, Jean-Jacques, qui voulait que la
désordre matériel, fût-ce une révolte à maina société punit de mort la profession publique
armée, deux faits récents paraissent l'abîmee d'athéisme, qu'aurait-il pensé de cette solen-
du désordre et le point auquel une sociétéé nelle déclaration de guerre faite à la Divi-
nité dans la personne de la justice qui la
parvenue doit se rejeter en arrière pour n'ê-i.
représente sur la terre, faite à la société
tre pas entraînée au fond du précipice.
Je veux parler de la nomination d'un ré- dans la personne de ses premiers magistrats,
gicide à la chambre des députés, et du mot >t et qui poursuit ainsi la société et Dieu
même, jusque dans leur sanctuaire?q
nouveau, inouï, dernier scandale après tant lt
d'autres scandales, impunément et solennel- [_ Mais si la loi est athée, ceux qui t'ont
lement proféré en présence du premier tri- faite sont-ils chrétiens? et si la loi doit être
bunal de l'Etat et du premier magistrat duu athée, que doit être le législateur ?
royaume, la loi est athée, et doit Vêtre; deuxx Et quand nous avons dit qu'une société
faits qui sont l'abrégé, la quintessence de laa une fois parvenue à ce point de désordre et
révolution, ou plutôt la révolution tout en- d'extravagance devait sous peine de s'a&i-
tière, réduite à son premier principe et à sa ;a mer entièrement et de disparaître, se rejeter
plus simple expression, puisque la révolu- t- violemment en arrière, remarquez qu'à cet
tion n'a été dans sa cause, dans ses moyens, s, instant même il se fait une révolution dans
dans ses effets, que la négation de tout pou- i- le gouvernement, et qu'il s'en prépare une
voir social, l'athéisme politique et religieux,
c, peut-être dans le système suivi jusqu'à ce
la destruction, autant qu'elle est permise à jour, changement de système sans lequel un
l'homme,de toute idée de pouvoir, de de- i- changement dans le ministère ne serait qu'un
voir, de juste, d'injuste, de divinité, d'hu-
1- changement de décoration théâtrale. Chez
manité, de société et, pour tout renfermer îr tout autre peuple moins confiant et moina
1555 PART. III. POLITIQUE. SUR LES PARTIS. 1- 754
loyal que le Français, cet inconcevable sys- 3- humains, et sur une conviction de Ta vérité
der la vérité
tÀwto aurait
tème onnoif été
Al expliqué
A nvrilr/iuA par nnû conjura-
non une rtAhini>o_
i- îll no! An t\a
qu'aucune illusion
Mii'nii/innn ne peut aflfi ûpanian
riant entièrement
tion. En France, si nous avons dû y voir une ie contrefaire; passion d'autant plus vive
conjuration réelle de la part d'une faction m qu'elle est toujours plus concentrée, qu'elle
acharnée à la ruine de son pays, et toujours rs se répand moins à l'extérieur; et les âmes
prête aux derniers excès, nous n'avons vu u les plus brûlantes de ce feu sacré ne sont
dans le gouvernement qu'erreur sur les cho- o- souvent que plus calmes et moins empressées
ses et aveuglement sur les personnes mais is à se produire.
tes erreurs et l'ignorance ont perdu plus is Je le répète, rien d'important dans le
d'Etats que les conspirations, et les meilleu-
i- monde ne se fait sans passions, comme rien
res intentions ne sont jamais comptées à de grand ne s'opère en mécanique sans de
ceux qui prennent, sans y être forcés, le ti-i- grandes forces. Appliquons cela à la politi-
mon des affaires, lorsque les résultats en n que.
ont été funestes à leur pays. Dans les temps ordinaires, et lorsqu'un
Mais puisque le gouvernement paratt à gouvernement affermi par le temps, et mieux
quelques personnes disposé à revenir sur tr encore sur des lois naturelles, suit tranquil-
il
ses pas, est utile de signaler les écueils Is lement sa marche à travers le temps et les
sur lesquels nous avons failli nous perdre, f événements, la passion du bien, du bien pu-
et ici le lecteur nous pardonnera une di- i- b!ic s'entend, est sans exercice les gens de
gression qui ne saurait paraître déplacée ie bien ont leur fortune faite, et ne peuvent
dans un écrit regardé en Europe bien moins is désirer que de la conserver. Dans les âmes
comme un journal d'opposition que comme te ardentes, cette passion généreuse se replie
un ouvrage de doctrine, alors sur elle-même et, faute d'aliments au
Rien de grand, en bien ou en mal, ne s'estst dehors, elle se satisfait par des vertus pri-
fait dans le monde sans passions c'est-à- i- vées, et. quelquefois, pour des motifs surna-
dire sans de vives affections de l'âme fon- i- turels, par le sacrifice volontaire de toutes
dées sur une conviction de la vérité qui ii les douceurs de la vie. Mais la passion du
éclaire le jugement, ou sur des illusions is mal est toujours aussi active, et si, contenue
qui le préoccupent, ressort puissant qui n par les lois et la fermeté de l'administration,
communique aux volontés et aux actions is elle ne peut pas troubler l'ordre public, elle
toute son énergie. attaque les familles et 1.'ordre domestique
Ainsi les révolutions qui troublent les 's et l'on a pu remarquer que, si dans la révo-
Etats, et les crimes privés qui désolent les 's lution qui a ouvert une large carrière aux
familles, les institutions publiques qui con-i- désordres publics et politiques,, il y a eu
solent et servent l'humanité» et les sociétés& moins de crimes privés, depuis I&restaura-
secrètes qui lui portent dans l'ombre les plus
is tion il y en a davantage. Les passions qui
terribles coups, sont l'effet des passionshu-
il- détruisent subsistent donc toujours dans le
maines. Ainsi le martyre, les croisades, les;s sein de la société, parce qu'elles sont tou-
fondations d'ordres religieux, les missions is jours-vivantes dans le cœur de l'homme la
religieuses, ont été des choses inspirées par
iv société n'existe que pour en prévenir, en em-
la passion du bien, passion que, dans le le pécher ou en punir les écarts et leur con-
langage de la morale, nous appelons du zèle;2; tinuelle présence est même la seule raison
comme les zélateurs de Jérusalem, les fana- t- de l'existence perpétuelle de la société.
tiques d'Allemagne, les niveleurs d'Angle- La société est donc un véritable état de
terre, les jacobins de France, ont été des îs guerre des bons contre les méchants, dan?
hommes inspirés par des affections désor- r- laquelle un gouvernement fort et vigilant,
données auxquelles la morale a donné exclu- i- armé de ses lois et de ses institutions, et di-
sivement le nom de passions et la passionn rigeant les opérations militaires, n'a pas
riu mal a montré autant de force pour dé- '- besoin des passions des gens de bien qui
truire que celle du bien pourrétabliret con-i- le troubleraient même par leur activité h
server. En effet, le bien est l'objet d'une le contre-temps, et ne leur demande que l'o-
passion, et même de la plus énergique dee béissance. Ainsi toutes les institutions so-
toutes. Celle-là n'est ni rebutée par les obs-
>- ciales en politique comme en religion,
tacles, ni découragée par les mauvais succès,
s, même les plus pacifiques, sont des institu-
ni refroidie par les dégoûts, parce qu'ellee tions sinon militaires, au moins militantes,
{(rend son point d'appui hors désintérêts '.s et la justice elle-même, la première de tou-
753 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 756
tes, tient la balaucé
les, d'unë main pour peserr rance des temps et des hommes, qui pût s'é-
balancé d'une
]e
le crime, et le glaive, de l'antre,
elaive. de. l'antre, pour l'exoression quelque-
r.nnr le3 tonner et s'alarmer de l'expression cruelaue-
punir. fois vive et impétueuse du zèle pour la
Mais lorsqu'il y a révolution dans un Etatt royauté les passions parlent leur: langage;
monarchique, et que les passions destructivess et depuis que celles-là se taisent, d'autres
ont, pendant le sommeil du pilote, surpris laî parlent assez haut. Le gouvernement craignit
boussole et le gouvernail, qu'elles ont faitt que ce qu'il appelait de l'exagération dans
prévaloir leurs doctrinesparticulières surles5 les uns, et qui ne se manifestait que dans
doctrines sociales, leur code particulier surr des discours, ne réveillât dans les autres une
les lois publiques, leur force particulière surr exagération opposée, comme si les passions
laforce publique, qu'ellesrègnenten un mott redoutables qui avaient fait la révolutioa,
dans la société, alors le zèle ou la passioni pour être réduites au silence, étaient étein-
du bien public, comme un contre-poids né- tes, comme si leur ardeur n'était pas conte-
cessaire, se réveille et se déploie dans touteî nue précisément par l'ardeur des sentiments
son énergie; elle offre au gouvernement quii opposés, et qu'il ne fût pas évident qu'en
veut reprendre les rênes un puissant auxi- comprimant ceux-ci, on allait rouvrir le vol-
liaire, et malheur à celui qui refuserait sonri can, et lâcher la bride aux autres.
secours, et croirait se sauver ou se rétablirs" Le gouvernement commit donc la faute
en gardant entre des passions opposées uneî énorme de craindre les passions des roya-
exacte neutralité 1 Les derniers malheurs ett listes, et de ne pas redouter celles des répu-
la plus honteuse faiblesse seraient la suite3 blicains, ou autres ennemis de la royauté
inévitable de cette erreur; les passions quii légitime, de croire à la modération de ses
détruisent n'étant contrebalancées par au- ennemis, en l'imposent à ses amis, et de
cune force équipollente, et seulement parr désarmer ceux-ci pour donner des armes à
Jes lois qu'elles se seraient données à elles- leurs adversaires.
mêmes pour régulariser le désordre et faci- L'équilibre entre les deux partis était im-
liter la destruction,-consommeraient !a ruine possible, et le ministère essaya en vain de
de la société, et forceraient le gouvernementt le garder. La dissolution de la chambre de
à en être le témoin et le complice. 1815, et la loi des élections décrétée l'année
Le mal serait bien plus prompt, si le gou- suivante, diminuèrent à chaque renouvelle-
Ternement abusé passait du côté de l'enne- ment le nombre des royalistes qu'on appe-
mi, et repoussant des alliés dont l'activité lait exaltés, et accrurent progressivement le
iroublerait son sommeil et fatiguerait sa1 nombre de leurs adversaires, que sans doute
mollesse, s'armait de ces mêmes passions3 on ne croyait pas exaltés. Entre ces deux
contre lesquelles il doit être armé, et con- côtés de la chambre, devenus plus inégaux
fiait à ces dangereux auxiliaires la garde des5 en nombre, le ministère tenta d'interposer
postes qu'ils auraient surpris. un tiers parti dont les intentions étaient bon-
Je le demande n'est-ce pas là l'histoire5 nés, mais à qui des opinions indécises, qui
de notre temps; et si nous en sommes venus5 tantôt se rapprochaient de l'un des deux ex-
au point où nous nous trouvons, et dont le trémes, tantôt de l'autre, et attendaient tou-
discours du roi lui-même a signalé le dan- jours leur direction de plus haut, ne pou.
ger, ne faut-il pas en rejeter la cause sur la1 vaient rien donner de ce qu'il fallait pour
peur qu'a eue le gouvernement du secourss résister aux passions des deux partis oppo-
quelui prêtait le zèle des royalistes, secours5 sés. Cette idée d'équilibre tirée des forces
qui lui était indispensablement nécessaire, et1 inertes de la matière, qui, placées d'un côte
le seul qu'il pût opposer avec succès à dess ou de l'antre d'une balance, en déterminent
passions fougueuses enhardies par leurs an- ou en fixent l'oscillation, ne pouvait s'appli-
ciens triomphes, aigries par une répression1 quer à,des forces morales ou vivantes, à des
récente? opinions décidées, à des sentiments énergi.
En 1815, l'affection pour la monarchie lé- ques et si l'on en obtenait quelques résul-
gitimp, si longtemps comprimée, avait faitt tats, ils étaient si longtemps disputés, si
explosion, et amené à la chambre des dépu- chèrement achetés, souvent si équivoques,
tés des royalistes dont le zèle et la probité qu'ils ne pouvaientprendre aucun ascendant
avaient fait concevoir à la nation française) sur les esprits, et ne faisaient que jeter sur
des espérances sitôt et si cruellement dé- le gouvernement le ridicule qui toujours en
menties. 11 n'y avait qu'une profonde igno- France a poursuivi les tiers partis..
?57 PART. Il. POLITIQUE. SUR LES PARTIS. 758
La modération envers les personnes,,
personnes, la ce qui l'attire hors du cercle de ses affaires
modération dans la bonne pu la mauvaise et de ses habitudes qu'il ne concerte pas
fortune, sont des vertus; mais la modéra- des plans, et ne forme pas de liaisons, parce
tion entre des opinions opposées n'est que
que, pour exécuter les uns et nouer les au-
de l'indifférence c'est
un état contre nature tres, il faut de l'activité, du mouvement et
pour des êtres intelligents qui veulent savoir des passions, tandis que la raison et la sa-
et croire et la vérité n'est pas un juste mi- gesse ne se passionnent jamais; qu'il est
lieu comme la vertu. enfin, sous ce point de vue, un faible auxi-
Vouloir rétablir, avec des indifférents et liaire en des temps d'agitation, mais qu'à
des tièdes, une société qui n'avait pu être la longue ses dispositions prévalent sur les
renversée que par des frénétiques, était ten- mouvements environnants, et ramènent dans
ter l'impossible, et jeter quelques gouttes leur lente sphère d'attraction tous les autres
d'eau sur un vaste incendie. Ce système ce- éléments. >.
pendant séduisait des gens d'esprit, parce On n'a jamais rien écrit de plus faux en
qu'il faut pour le suivre, même peu de morale et de plus pitoyable en politique.
temps, de l'esprit et de l'art, qu'il demande Jamais on n'a plus complètementavoué la
de la fïnesse plutôt que de la force, et qu'il faiblesse de son parti. La raison et la sa-
s'accommode à la mollesse des mœurs, à la gesse se passionnent comme l'erreur et le
faiblesse des caractères, au scepticisme des vice, et plus vivement encore; et le zèle du
opinions, à la subtilité des esprits. bien dévore les âmes fortes comme celui
Le ministère lui-même ne comptait que du mal enflamme les pervers. C'est. précisé-
faiblement sur ce faible parti, et nous en ment parce que la raison se passionne
avons une preuve tout à fait curieuse dans la comme l'erreur, qu'il y a des passions dans
circulaire adressée, le 23 septembre dernier, les deux partis extrêmes, et qu'il n'y a au
à nos agents près les cours étrangères, pour milieu, selon le ministère lui -môme,, que
éclairer celles-ci sur le résultat des derniè- timidité inertie, amour exclusif de ses in-
res élections, lesquelles, à un petit nombre térêts et de ses habitudes, impuissance de
près, le ministère assure avoir été faites concerter, des- plans, de former des liaisons,
dans le sens de ses espérances. parce qu'il n'y a,.dans ces opinions indéci-
Le ministre fait .le tableau des trois partis ses, ni raison ni, erreur, ou plutôt qu'il n'y
qui divisent les chambres et la nation. Il- ne a rien,. parce qu'il y a à lafoi.s erreur et rai-
craint pas de déroger à la gravité et à la son qui se détruisent mutuellement. Telle
dignité du style diplomatique, en employant, est cependant la garantie de sa force et de
pour désigner les deux premiers, ces deux ses succès qu'un ministre, qui nous repro-
mots de l'argot révolutionnaire, ultra-roya- chait de chercher des appuis au dehors,
listes, ultra-libéraux, et avoue que les pre- présente aux étrangers c'est en leur appre-
miers sont numériquement plus nombreux nant que son parti n'est qu'un faible auoei-
que les autres. (Le Courrier naguère a dit liaire qu'il s'excuse de ne pas en chercher
tout le contraire.) il ressasse le. reproche ailleurs de plus puissants et, pour leur an-
éternel fait aux royalistes de regretter leurs noncer la fin prochaine et l'heureuse issue
priviléges, et sans doute aussi la dîme et les de l'agitation qui trouble la France et me-
droits féodaux, et il ne dit rien des regrets nace l'Europe, après s'être présenté lui-
du parti opposé de cet immense privilège même comme placé entre deux partis ar-
que la révolution lui avait donné sur la vie dents, passionnés, actifs, il assure qu'à la
et les propriétés de tous les gens de bien, longm les dispositions si calmes et si mo-
du droit ultra-féodal.de piller et de confis- destes de son parti prévaudront et ramène-
quer qu'il a si longtemps exercé, et de cette ront dans leur lente sphère d'attraction tous
dîme d'or et de sang prélevée par ses décrets les autres éléments. C'est le propriétaire»
exterminateurs sur res personnes et les biens. qui, voyant sa maison en flammes, resterait
Il en vient au troisième parti, et pense les bras croisés, et dirait, à ses voisins « No
« Que le parti des hommes amis de l'ordre craignez rien, le feu s'éteindra quand il
et du repos, quoique le plus fort nùméri- aura tout consumé. »
quement, n'aurait pas cependant partout l'a- Et quand le ministère fait si gratuitement
vantage, parce qu'il n'agit jamais qu'avec les honneurs de ses adhérents, il faut bien
timidité et modération; que ses allures sontt se garder de croire qu'il n'y ait pas parmi
tranquilles et modestes; qu'il répugne à toutt eux les vertus, les talents, le bon esprit, les
?S9 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD 760
bonnes intentions qui doivent distinguer dee de la vertu lorsqu'on Qu'à demi
lorsau'on ne veut être qu'à
bons et loyaux députés. Ils ne le cèdent surr vertueux, on tombe, en politique, dans les
ce point à aucun parti, et la faiblesse, l'in-i- derniers désordres, pour avoir voulu s'arrê-
activité, la timidité que le ministère leurr ter à moitié chemin, et les gouvernements
reproche, viennent uniquement de l'indé- ne peuvent pas plus rester stationnaires
cision où il les tient sur un système qu'il nee dans le bien que dans le mal. On a nommé
connaît pas lui-même, et qui les met au- un régicide pour député. Eût-on nommé en
jourd'hui aux prises, tantôt avec les royalis- même temps dans un autre département le
tes dont ils partagent au fond les sentiments, plus sage et le plus vertueux des hommes
tantôt avec les libéraux auxquels peut-être3 croit-on que sa nomination eût fait équilibre
ils devront se réunir le jour d'après sys- à un si grand scandale? On a dit en plein
tème, si c'en est un, ambigu et équivoque,· tribunal La loi est athée et doit l'être^
qui ôte toute assiette à l'esprit, toute déci- Quelle est la sentence de morale ou même-
sion au caractère, toute fermeté aux opi- le livre entier qui puisse compenser cet
nions et je n'en veux d'autre horrible blasphème? On a destitué en foule
preuve que lat
séance où l'on s'est occupé du rejet du ré- des administrateurs, des magistrats, des
gicide député de l'Isère. Assurément le> militaires connus pour leur dévouement et
motif du rejet était urgent et décisoire y leur fidélité; on en a placé un grand nombre
eût-il eu dix fois plus d'irrégutarité dans qui n'offrent pas, à beaucoup près, les mê-
Télection, il fallait laisser l'élu,. et ne voir
mes garanties où est l'équivalent? Et pour-
que le régicide et certainement les mem- rait-on nous dire de combien, pour rétablir
bres du centre ne voulaient pas plus que l'équilibre après une pareille baisse, les
jceux du côté droit siéger près de lui. Pour fonds politiques ont haussé, ou, pour parler
contenter tout le monde, os est allé cher- sans figure, quelles mesures prises dans
cher un vice de forme désavoué par un au- l'intérêt de la royauté ont pu rassurer ses
tre député de l'Isère, et qu'assurément on amis contre le danger de mesures contraires?-
n'aurait allégué contre aucune autre nomi- Et quand on pourrait en alléguer quel-
nation et, malgré les réclamations les plus qu'une, il est évident que ce mélange de
fortes, malgré l'évidencedu danger d'ouvrir bien et de mal, de coups frappés sur les
i]a porte à de nouvelles et honteuses discus- amis de la royauté et sur ses ennemis, quel-
sions du même genre, s'il se présentait d'au- quefois du bien individuel fait en compère
tres régicides plus régulièrement nommés, sation d'un mal général, et des actes de
le centre a adopté un mode d'exclusion
sagesse et dé bienfaisance publiques offerts
équivoque, du moins quant aux termes, et
en expiation de scandales publics, ne com-
qui ne satisfait ni la loi, ni la conscience, pensent rien, n'expient rien, et ne prouvent
ni l'honneur national, ni la majesté du qu'une indifférence coupable sur le bien et
trône.
sur le mal.
Mais tandis que les ministres jouent ainsi Eh! grand Dieu 1 qu'est-ce qui peut faire
ce jeu de bascule entre les deux partis, et équilibre à ce torrent de doctrines abomina-
qu'ils s'agitent sans faire un pas en avant, bles, de blasphèmes, d'appels au massacre,.
l'ordre public en fait beaucoup en arrière
au pillage, à la révolte, à tous ces écrits dic-
les scandales politiques et religieux se mul- tés par la sottise, et capables de faire rétro-
tiplient, l'opinion s'arrête étonnée et attend grader la raison humaine jusque la barba-
des guides; les bons se découragent, les rie, ou inspirés par une rage désespérée
méchants s'enhardissent; tout ce qui eûj. été
pour enflammer tous les cœurs de fureur et
aisé devient difficile, ce qui n'eût été que de haine, à tous ces libelles que Paris vomit
difficile devient impossible; et la France et
l'Europe se demandent quand finira sur la France et sur l'Europe comme une
ce jeu lave brûlante, et dont l'administration publi-
de hausse et de baisse, cette vaine recherche
que expédie tous les jours cent mille exem-
d'équilibre, impossible entre le bien et le plaires ? Est-ce la liberté légitime de la
ma!, la raison et la folie, qui est tout ce presse, ou 1» licence la plus effrénée, que les
qu on peut imaginer de plus opposé à la lois ont voulu protéger? N'y a-t-il plus en
dignité comme à la stabilité d'un gouverne- France de magistrats pour accuser les cou-
ment. pables, et l'administration ne peut-elle plus
Mais on ne le garde même pas, cet équili- trouver de jurés pour les punir? Est-ce pour
!bre; et comme en morale on déchoit bientôt employer quelques rentes du grand-livre «
ou pour avoir e-n ses mains une caution de et le plus de monarchie et le moins de dé-
sagesse, que le gouvernement a soumis mocratie qu'il est possible.
leurs auteurs à de si forts cautionnements? La France qui, après la terreur et le
Quel est le ministre chrétien, ou seulement Directoire, n'était plus rien, pas même une
honnête homme, qui ne sente sa conscience république, la France était abîmée. Il s'éleva
accablée du poids d'une pareille responsabi- un de ces hommes nés pour gouverner un x
lité ? J'en parle sans amertume et surtout Etat sans mœurs, sans lois, sans gouverne-
sans envie mais s'il me fallait être le ment, pour gouverner l'anarchie, et il la
témoin passif ou, l'instrument obligé d'une détrôna, suivant l'heureuse expression do
si affreuse dépravation, s'il me fallait proté- mon illustre ami M. de Fontanes. On fut
ger de toute la puissance de l'administrateur étonné des ressources qu'il trouva, et il fit
la publication de pareilles horreurs, jeter époque. Mais, né pour renverser et non pour
ainsi de mes mains tant de matières inflam- établir, il abusa de ces ressources, et voulut
mables sur l'incendie, propager tant de faire une époque de puissance et de gloire,
sophismes et d'erreurs pour égarer les et non de sagesse et de bonheur. Son terri-
esprits, tant de licence, de haines et d'im- ble et brillant despotisme s'abîma à son tour,
postures pour corrompre les cœurs, à ce et ne laissa que la démocratie militaire qu'il
prix. je refuserais un royaume. avait élevée, et des éléments ou plutôt des
débris de démocratie civile qu'il avait dis-
Et qu'on ne dise pas que les journaux perses.
opposés jouissent de la même liberté. Ce La légitimité renaissante fut assezheureuse,
n'est pas de la jouissance de la liberté, mais
au premier moment, pour prévenir la réunion
de l'abus qu'on en fait, que la société a droitt de ces deux démocraties, réunion que Eona-
de demander compte. Si les journaux dont parte avait empêchée avec un soin qui avait
en parle ont attaqué les personnes dans lés été celui de toute sa vie sur le trône. Après
actes publics de leur administration, qu'elles le licenciement de l'armée,le roi n'eut à com-
se défendent,. ou plutôt que leur conduite battre que la démocratie civile, qui s'était
publique les défende. Et puis quel est ranimée à la restauration, comme le serpent
x'homme en place qui oserait mettre sa tran-
quillité personnelle, ou même sa considéra-
tion publique, en parallèle avec la royauté,
prévenir le danger en la constituant et,,
engourdi aux rayons du soleil. On crut eu
1--
égalités, de
1-
de.toutes
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
toutes les propriétés, de toutes
les sociétés, la ruine de tout. "1_-=.
élevés eux-mêmes. Quihabet aures audiendi,
_a: _i si Guillaume n'avaiteu pour '1
audiat et
Quand on propose dans la chambre de que les intérêts qui l'avaient porté, et que
toucher à cette loi, la discussion paraît à ces mêmes intérêts n'eussent pas eu l'art et
768
lui
ceux qu'elle y a portés, dégénérer en per- le bonheur de se fondre, tant bien que mal,
sonnalités, et ils se plaignent qu'on les dé- dans la salutaire doctrine de la légitimité,
signe. La réponse est facile, c'est celle qu'un bien moins affermie en Angleterre qu'elle
membre des communes d'Angleterre faisait, ne l'est en France, cette usurpation aurait
il y a quelques jours, dans une circonstance passé comme toutes les autres. Beaucoup de"
semblable, aux membres de l'opposition, ett gens, négligés dans leurs personnes, ou
peut-être celle que nos adversaires nous maltraitésdansleurs intérêts par Bonaparte,
feraient à nous-mêmes, sans que nous eus- le haïssaient cependant moins que bien d'au-
sions droit de nous plaindre. « Messieurs, » tres, qu'il avait comblés de biens et d'hon-
disait cet Anglais, « je reconnais avec sin- neurs, parce que ceux-ci ne voyaient en lui
cérité que vous êtes des hommes pleins> que leur intérêt particulier, et que ceux-là
d'honneur, de vertu et de talent; vous avez voyaient dans son gouvernement un prin-
toutes les qualités sociales, vous êtes bons cipe de doctrine monarchique. C'est préci-
fils, bons époux bons pères, bons amis sément ce qui a trompé ceux qui ont cru
mais vous n'entendez rien au gouverne- qu'il suffisait, pour être partisan des Bour-
ment. » Et je- suis tout à fait de son avis. bons, d'avoir haï Bonaparte, ou d'avoir aimé
Les orateurs de notre opposition croientt Bonaparte pour être leur ennemi. C'est
triompher, en se plaçant sur le terrain des qu'une doctrine vraie contente, et met au
intérêts. « Voyez, » disent-ils aux minis- repos tous les esprits, tandis que des con-
tres, « de quel côté sont les hommes intéres- cessions faites aux intérêts des uns, sont
sés à la ruine de nos institutions actuelles?»w
des sacrifices arrachés à l'intérêt des autres
Si l'on cherchait bien, on trouverait dans unt c'est que les doctrines publiques n'ont plus
des côtés de la chambre, comme dans l'au- rien à demander quand elles sont recon-
tre, de ces intérêts dont on veut parler, etL nues, et que les intérêts privés sont insatia-
peut-être de plus grands intérêts, et l'on bles.
compte dans les rangs des libéraux, de Après tout, il y a dans notre chambre des
grands noms, et de grandes fortunes, que la hommes qui haïssent la révolution,, ou plu-
révolution n'a pas respectées, comme on tôt qui la méprisent. Il y en a d'autres qui
compte dans les rangs opposés, des hommes la bénissent, et la regardent comme une ère
que la révolution n'a pu atteindre ni dans de bonheur public, un peu défigurée, il est
leurs personnes, ni dans leurs fortunes. Et vrai, par quelques étourderies et quelques
puis, si la révolution a maltraité quelques erreurs, comme, par exemple, celles de 93,
intérêts, la Restauration en a nécessaire- mais qu'on ferait bien plus sage, et tout ai-
ment dérangé quelques autres; et quand ces mable, si on la recommençait il en est
intérêts dérangés reposent sur des chances d'autres qui ne l'aiment ni ne la haïssent, et
que l'imagination étend à son gré, les re- qui n'y pensent plus, parce qu'ils la croientt
grets sont sans bornes comme étaient les es- finie dans les esprits, dès qu'elle ne se mon-
pérances. Qu'on ne s'y trompe pas dans tre plus sur les places publiques c'est au
l'état actuel de la société, les doctrines sont gouvernement à choisir entre eux, et le
tout, les intérêts, rien; parce que les doc- choix est pour lui comme pour nous, d'un
trines sont générales, et les intérêts sont grand intérêt, car de ce choix dépend notre
privés. Sans doute, ces intérêts privés sont salut à tous, ou notre ruine, et peut-être le
ïorts, quand ils luttent les uns contre les salut ou la ruine de l'Europe et de la civili-
autres mais ils sont bien faibles contre l'in- sation.
térêt public, qui est tout dans les doctrines. Quoi qu'il en soit, le gouvernement peut
Malheur au gouvernement qui a pour lui se reprocher lui-même toutes les inquié-
les intérêts privés, et contre lui les doctri- tudes publiques dont le principe n'est pas
nes publiques 1 Bonaparte en a fait l'expé- dans des choses indépendantes des volontés
rience, et tous les usurpateurs, jusqu'au humaines ou inaccessibles aux efforts hu-
plus heureux de tous, celui qui, en 1688, mains. Cependant, il n'existe, ce gouverne-
détrôna son beau-père, ont vu s'élever con- ment, que pour assurer aux hommes qui
tre eux ces mêmes intérêts qui tes avaient sont soumis aux loi?, la jouissance paisible
de ce qu'ils ont reçu ou légitimementacquis. En même temps que le chef de l'Etat té-
Gouvernement et sécurité sont synonymes, moigne des inquiétudes, il montre aussi de
comme soleil et lumière et comme il n'y a la sécurité, en multipliant les actes de sa
pas pour nous de sécurité sans gouverne- clémence royale, clémence infinie, plus,
ment, on peut dire que là où nous ne trou- j'ose le dire, que celle de Dieu même, puis-
vons pas la sécurité que nous doit l'autorité, qu'elle n'attend pas le repentir, et que peut-
nous ne saurions voir de gouvernement. être elle l'attendrait en vain. Nous accep-
C'est pour donner aux gouvernements les tons, de la part du roi, les motifs de sécu-
moyens de la maintenir, et de dissiper tou- rité comme nous avons partagé ses inquié-
tes les inquiétudes des gens de bien, quetudes.
nous mettons à sa disposition et une portion Cependant, si nous attendons pour être
de nos biens, et une partie de nos enfants; tranquilles qu'il n'y ait plus de factions
et, lorsqu'après de si douloureux sacrifices, dans l'Etat, vraisemblablement nous atten-
faits sans murmurer, nous éprouvons des drons longtemps. Dans tout gouvernement
inquiétudes sur notre existence sociale, et où deux pouvoirs existent dans une môme
que nous ne trouvons pas dans le présent constitution, il y aura toujours, et nécessai-
des gages de durée; que nous y trouvons, rement, deux nations ou deux sociétés, sur
au contraire, des indices de désordre et des le même territoire. IL y aura donc toujours
pressentiments de malheur, nous pouvons, des factions mais il ne doit pas y avoir des
comme particuliers, nous devons, comme factieux, ni par conséquent d'inquiétudes
hommes publics demander au gouverne- réelles, dans tout Etat où il y a administra-
ment un compte moral, si j'ose le dire, des tion religieuse, judiciaire, civile et mili-
l'emploi qu'il a fait des moyens que nousi taire, dont on sait se servir, et où les luis
lui avons donnés, bien différent du comptei trouvent une facile exécution. Il n'en faut
matériel, qui se résout en chiffres; et s'im- pas tant pour dissiper toutes les inquiétu-
prime 'dans de gros volumes. Hélas 1 les des, et pour forcer à la tranquillité tous les
gouvernements peuvent si peu pour notre esprits inquiets, et toutes les opinions in-
bonheur domestique 1 il est, pour chacuni quiétantes, et il n'en fallait pas davantage,
de nous, tant d'autres inquiétudes qui nais- il y a trente ans, pour maintenir la tranquil-
sent de nos affaires, de notre santé, du sortt lité dans les deux mondes.
de nos familles, inquiétudes que le gouver- Le gouvernement a fait appel à la loyauté
nement ne saurait dissiper, auxquelles il1 de la nation, pour lui fournir les moyens
ajoute plutôt par les privations qu'il nouss nécessaires de tous les services publics des-
impose, qu'il doit se regarder lui-mêmei tinés maintenir l'ordre et la tranquillité;
comme coupable d'injustice et de cruauté, la nation y a répondu, et, à son tour, elle
lorsqu'il nous livre à des inquiétudes pu- fait un appel à la probité du gouvernement,
bliques, et à celles qu'on avoue et à celless et même à son intérêt bien entendu, pour
qu'on n'avoue pas, et dont ceux que leurr employer ces moyens de la manière la plus
position et leurs relations mettent à portée?. propre à-dissiper toutes les inquiétudes, et
de les connaître, mesurent l'étendue et laa à nous donner à tous la sécurité.
gravité.
tions
f
prosternez-vous et adorez.
~flnnnv
abusées s'élèvent
PART. IL POLITIQUE.
intérêts, crient à leurs égaux: « Voilà la loi,
les généra-
Et Ine
» Ti+ 1'f'.Ó""¿'1"
dans l'esclavage de
foisfausses et corruptrices qui dégradent un
peuple, obscurcissent la raison,hébètent son
esprit et ne laissent plus rien d'aimable
Jans ses moeurs, ni de généreux dans ses
DES PETITIONS.
.o. f.S.Sn~
comme eux, et il est même, chez les plus
mauvais, tempéré par milleobstables.
législation soit naturelle et raisonnable, que
les gouvernements soient agissants et fer-
mes, et les hommes réglés par les lois, con-
tenus par l'administration, ne se plain-
dront plus de l'arbitraire des gouverne-
782
llnn la
tY\i 1 I£), ~hC'f!}hl£ll.:o Que Iti
nabitudes. ments.
L'arbitraire des hommes est passager
DES PÉTITIONS.
Qu'est-ce pour ta politique que les rentes Les rentes sur l'Etat sont un calcul de
sur l'Etat, et quelle est ta source secrète des probabilité sur la solvabilité des gouverne-
variations de leur cours? ments (et même sur leur vie politique, au-
789 PART. Il. POLITIQUE. SUR LES RENTES 790
.i
raisonnements se sont réduits à ceux-ci:
« II y a une
^«fij« A~nc,
intention perfide
ceux-ci
,dans la
tales, tous les raisonnements se sont réduits
nn/inn.• àî. la
u propo-
sition, et par conséquent dans la résolution
in nécessité c\p soulager
ni5fPs«it(S de
nécessité qui ne sera peut être pas sentie
reuims
nlace de Paris,
smilasfer la place Paris.
la proposition a excité les plus vives alar- dans les provinces. Dans toute assemblée
mes, et troublé la tranquillité publique »> délibérante, il y a deux majorités qui ne
ce qui est à la fois une insulte au premierr vont pas toujours ensemble la majorité de
corps de l'Etat, fit une mauvaise plaisanterie, nombre et celle des raisons. Le président
pour ne pas dire une imposture. Dans lai compte l'une, et le public l'autre.
discussion sur les inscriptions départemen-
M. Camille Jordan, député de l'Ain, vient chambre comme député, n'est pas plus
la
1
hardiesse singulière avec laquelle il s'était ex- Mais M. Camille Jordan n'aurait-il pas pu
primé à cette session, et avait osé, sur quelques parler
] de lui, et même avec éloge, sans par-
points, différer du gouvernement auquel l'at- ler autant des, autres, et s'acharner sur une
tachentd'honorablesfonctions enfin la situa- partie de ses collègues avec tant d'intolé-
tion difficile et neuve où il s'était trouvéjjui irance et d'acrimonie? Ne pouvait-il rendre
faisaient un devoir naturel, peut-être néces- un compte particulier de sa mission, dont il
saire, d'expliquer(cette situation) ait momentn'a presque rien dit, sans rendre si longue-
où allait expirer sa mission législative. ment et avec tant de détail Je compte de ses
II y a, ce me semble, dans cette justifica- collègues? Je suis loin de penser que les
tion plus de naïveté que de modestie. M. Ca- fonctions de conseiller d'Etat ôtent au dé-
mille Jordan ne s'est pas exprimé à la tri- puté le droit de censurer à la tribune législa-
bune avec plus de hardiesse que bien d'au- tive les propositions du gouvernement;
tres; il n'y a pas de hardiesse à dire la vérité mais je crois en même temps que cette place
ou ce qu'on prend pour elle, surtout quand et celle de député commandent à celui qui
on est en général du côté des plus forts. les réunit plus d'égards et de mesure, une
M. Camille Jordan n'est pas le seul député discussion moins acre et moins amère je
qui, attaché ait gouvernement par d'honora- pense qu'à ce double titre l'auteur devait,
bles fonctions, ait osé n'être pas toujours de plus que tout autre, l'exemple de l'union,
t'avis du gouvernement. Sa situation, dans de l'oubli, du support, s il aime mieux, pour
les opinions qui ne sont pas les siennes, il sur la force, prendront le parti de ces insti-
sur
est vrai, mais qui peuvent être soutenues tutions, mais pour les exploiter à leur profit,
avee autant de bonne foi, de lumière, de dé- les corrompre dans leur source, les détour-
sintéressement je pense enfin que s'il est ner de leur but, etc. Ce n'est pas tout. A côte
permis au député de contredire le gouver- de ces adversaires ouverts ou cachés de ces
nement, il peut être interdit au conseiller institutions, se trouvent des hommes sincères
d'Etat d'exciter les haines populaires. qui, tout en les acceptant de bonne foi, n'en
Je cherche la cause de la colère de M. Ca- connaissent qu'imparfaitement le véritable
mille Jordan, et ne peux la trouver. 11 a été, esprit, et se laissent entraîner d dénaturer
ce me semble, dans tout le cours «le sa car- ces mêmes institutions qu'ils prétendent sou-
rière législative,plus agresseur qu'attaqué. Il tenir.
a souvent attaqué ses collègues et personna- Tel est, dit-il dogmatiquement, le déve-
lisé leurs opinions, quelquefois même par loppement naturel, peut-être nécessaire, des
des éloges adressés à leur personne. II a at- institutions libres chez les peuples divers.
taqué, dans l'affaire de Lyon, des adminis- Mais si ce développement est naturel, peut-
trateurs, des militaires, un tribunal tout en- être nécessaire, pourquoi s'en plaindre, et
tier il a attaqué même le ministère, et fut comment l'empêcher? L'auteur fait ici un
lui-même étonné de sa hardiesse singulière. principe général d'un accident local et par-
Sans doute on lui a répondu mais la ré- ticulier, et il serait, je crois, assez embar-
ponse la plus sévère publiée contre lui n'est rassé s'il fallait en chercher un exemple tout
pas partie des rangs qui lui sont opposés. à fait semblable ailleurs qu'en France.
On dirait que l'auteur se croit seul à dé- Aussi il en fait tout de suite l'application à
fendre et par conséquent à saisir le vérita- la France, où l'on a vu, dit-il, des oppositions
ble sens de nos institutions. Il s'identifie déclarées et contraires, l'une invoquant l'il-
avec elles, c'est à elles qu'on en veut lors- légitimité avec tout le cortége des doctrines
qu'on le combat. Les attaques dont elles révolutionnaires l'autre demandant haute-
sont l'objet lui paraissent bien moins diri- ment que le prince régnat sans Charte et il
gées contre lui que contre les principes qui ne peut citer à l'appui de cette dernière as-
nous régissent; et c'est à ce titrA qu'il monte sertion, et encore citer en note et avec quel-
en chaire pour donner à toute la France des que timidité, que de prétendues adresses
leçons de politique constitutionnelle. qui circulaient dans les départements, et
L'auteur commence par remarquer chez dont aucune, que je sache, n'est parvenue
tous les peuples libres qui veulent se donner aux chambres; comme si nous n'avions pas
des institutions nouvelles, par remarquer, vu mille fois en France, depuis la révolu-
dis-je, comme un phénomène digne de fixer tion, des adresses clandestinesfabriquées et
l'attention des polittques éclairés, la lutte répandues par un parti pour rendre l'autre
des divers partis contre ces mêmes institu- odieux, et qu'on pût bâtir un système d'al-
tions. Faible philosophe! qui admire comme légations et de preuves sur un pareil fonde-
un phénomène l'effet le plus simple, le plus ment 1
naturel, le plus inévitable. Des hommes Mais bientôt ces deux oppositions se sont
veulent imposer leur raison à des hommes démembrées. A la voix de quelques chefs
aussi raisonnables qu'eux, et donner à des plus habiles et plus calmes (l'auteur dira plus
hommes tous naturellement indépendants loin page 161, qu'il n'existait point de chefs
les uns des autres, des lois non pour régler reconnus, ni sur aucun banc, des agrégations
des intérêts privés et des conventions arbi- qui voulussent reconnaître des directions in-
traires, mais des lois fondamentales de dividuelles) à la voix de quelques chefs, la
l'existencepolitique des hommes en société, plupart se sont subitement rapprochés des
des lois non de position, mais d'état, ces institutions nouvelles mais il est difficile de
lois que la nature semblait, du moins en s'abuser longtemps sur des concessions sem-
France, s'être réservées, et M. Camille Jor- blables et la preuve qu'en donne l'auteur '
dan s'étonne des résistances 1 est surtout une censure chagrine de l'ad-
L'auteur entre dans le détail. Ce sont d'a- ministration qu'il a lui-même, fonctionnaire
bord des exagérations opposées qui combat- dans cette administration,censurée avec une
tent ces nouvelles institutions avec une égale hardiesse singulière, qui a rendu sa situa-
violence et franchise. Mais bientôt plusieurs, tion dans la chambre difficile et neuve.
apprenant à compter sur la ruse phct8t que On n'est pas au bout. L'auteur dissèque
707 PAUT. II. POLITIQUE. SUR UN ECRIT DE M. CAMILLE JORDAN. 79S
jusqu aux moindres fibres de l'opposition ilincertitudt, pardonner les ré-
encourager l'incertitudt,
aristocratique, et je doute que les consul- pugnances, écouter les avis ou apprécier les
teurs du Saint-Office soient aussi habiles à services, certains, quoi qu'ils fassent, de ne
démêler l'hétérodoxie religieuse, que M. Ca- passer à vos yeux que pour des traîtres et
mille Jordan l'est à découvrir, sous ses di- des menteurs, vous prieront de les hono-
vers déguisements l'hétérodoxie politi- rer de votre haine, et de leur faire grâce de
que. vos soupçons.
Du sein de cette exagération royaliste M. Camille Jordan revient sans cesse sur
continue notre auteur (car l'exagération op- cet odieux reproche de duplicité et de faus-
posée lui paraît beaucoup moins coupable), seté c'est tantôt le faux honneur, tantôt le
sont sortis d'autres hommes qui, fatiguésd'un faux sentiment religieux. 11 ne voit de droi.
rMe toujours pénible d'opposition, se sont ture, de bonne foi, de sincérité, que dans
ralliés par des signes divers non-seulement lui-même ou dans ceux qui partagent ses
aux institutions, mais à l'administration ac- opinions. Il ne sait pas qu'à considérer en
tuelle, se sont annoncés comme les utiles auxi- général l'état et le genre des opinions poli-
liaires du pouvoir mais qui nourrissant tiques qui nous divisent, s'il est possible
toujours, et souvent à leur insu, une invinci- d'embrasser avec franchise un système mi-
ble àntipathie contre les principes de la toyen, et qui se compose de deux systèmes
Charte dont ils ont fait un abri passager, opposés, il est beaucoup plus facile d'adop-
s'efforcent d'échapper à ce qu'ils ont essayé ter et de défendre franchement un système
d'accepter, n'embrassent les institutions que franc, absolu, extrême si l'on veut, qui en-
pour les mutiler, ne servent le gouvernement tre plus naturellement dans l'esprit, s'assor-
Que pour le compromettre, etc. tit mieux à certains caractères, et dont il
Ceci est trop fort et dépasse toutes les est, à la fois, plus difficile et de méconnaî-
bornes. Quoi! même à son insu, on peut, tre la vérité ou de découvrir l'illusion et la
franchise, dans les opinions, vient beau-
sans le savoir et le vouloir par conséquent,
nourrir une invincible antipathie contre ses coup plus de la nature du système que l'on
principes; on peut, à son insu, n'embrasser embrasse, que des dispositions de ceux qui
les institutions que pour les mutiler, ne ser- les adoptent. Pour moi,je fais profession de
vir le gouvernement que pour le compromet- croire à la franchise, sinon de toutes les
tre, etc. ? Et ce que je saurais de mes propres opinions, du moins à celle de tous les opi-
sentiments d'amour ou de haine, de sympa- nants.
thie ou d'antipathie, M. Camille Jordan le On ne peut s'empêcher de retrouver, dans
saura et lira, mieux que moi-même, dans cette intolérante doctrine, la trace de l'exal-
mon cœur 1 Mais qui sera donc assuré de son tation religieuse dont on assure que l'au-
salut politique ? Il faudra donc faire celui- teur a été atteint dans sa jeunesse, qui lui
là, comme l'autre, avec crainte et tremble- faisait regarder l'ombre du mal comme le
ment; et, à moins qu'on étrangle un ultra mal lui-même, et'porter la religion jusqu'à
de ses propres mains, comment se répondre la mysticité c'est, avec la même droiture
à soi-même qu'on ne sera pas, aux yeux du de cœur, la même vivacité d'imagination, la
grand inquisiteur, digne de figurerdans son même exagération dans les idées, le même
auto-da-fé? Eh bienl je le dis sérieusement, défaut de mesure dans l'esprit, et de soli-
de tout ce qui aura été ou sera dit, ou écrit dité dans les principes.
contre nos institutions nouvelles, rien n'a Oui, sans doute, la Charte, comme toutes
été ou ne sera plus dangereux que ces li- les institutions humaines, a ses partisans et
gnes intolérantes de M. Camille Jordan ses détracteurs. Elle aurait également des
rien qui puisse leur faire autant d'ennemis. détracteurs quand il n'y aurait, en France,
Comme il n'y a rien de plus odieux, de plus que des laboureurs et des commerçants
vil, de pius lâche que l'hypocrisie, rien de elle en aurait quand il n'y aurait eu aucu-
phis opposé, engénéral, au caractère français, nes institutions précédentes, et qu'on aurait
il n'y a pas d'homme, d'un esprit fier et d'un pris la nature au sortir des forêts. C'est le
caractère élevé, qui ne préfèreêtre rangé dans sort de tous les établissements de main
la classe des opposants, quels qu'ils soient, d'homme, par la raison que j'ai donnée, que
que dans celle des fourbes et des hypocri- tout homme, quel qu'il soit, qui ne parle
tes et les hommes, dont vous auriez dû qu'au nom de l'homme ou des hommes lors-
accueillir le silence, excuser la timidité, qu'il veut imposer aux hommes des lois
cônslitutives et fondamentales, est assuré dans le sens démocratique, si l'on s'est
de réveiller en eux le sentiment de leur in- trompé, on reviendra sur ses pas, et on l'in-
dépendancenaturelle, et pl us encore chez une terprétera dans un sens plus monarchique;
nation lettrée; au lieu que les institutions et les événements, qui sont toujours l'é-
venuesde ia nature et du temps, insensible- preuve des opinions, nous apprendront
ment et sans efforts, s'établissent sans rési- quelle est, de ces deux manières de consi-
stance, parce que la nature est la législation dérer notre loi fondamentale, celle qui con-
de l'auteur de toute société, et le temps son vient le mieux à la société. Je ne peux voir,
moyen universel et que, dans tout ce qu'on dans cette lutte, que l'état naturel, presque
appelle esprit dû siècle, lumièredusiècle, pro- nécessaire, où la révolution nous a placés.
grès de la raison, et(, je ne peux voir que M. Camille Jordan l'a vu de même et je
l'esprit et la raison d'hommes comme moi, trouverais plus de philosophie à souffrir la
sujets à l'erreur comme moi, dont jemecrois contradiction des opinions que la Charte
l'égal en raison et en connaissances, et aux- elle-même a déclarées libres, et qui ne peut
quels même je me crois supérieur, pour peu tourner qu'au profit de la raison et de la
que je me laisse aller aux suggestionsd'une vérité.
vanité trop naturelle. Il tire ses preuves de toutes les nuances
Mais tous ceux qui sont ou qu'on suppose d'opposition royaliste au principe de la
être les détracteurs des nouvelles institu- Charte, des discours ou écrits des personnet
tions, veulent-ils les détruire ? Le veulent- qui, par les emplois qu'elles remplissen. ou
ils, les pairs qu'elle a placés dans un rang les serments qu'elles ont prêtés, témoignent
si éminent, et qui seuls partagent, avec la avoir accepté nos institutions, et se présentent
royauté, le pouvoir même héréditaire? Et comme les plus fermes soutiens du pouvoir,
quels sont les priviléges féodaux, ces pri- quoique sans être avoués par le pouvoir lui-
viléges qu'on suppose l'objet de tant de re- même. Cette dernière phrase est mal son.·
grets, qui aient jamais approché de cette nante en constitution. Car ces députés chez
prérogative? Le veulent-ils, les députés des lesquels il a, dit-il, soigneusement puisé une
provinces, bornés autrefois, même pour les profession de foi, et dont il cite les expres-
nobles, à un avancement militaire qui, pour sions soulignées, textuellement tirées d'opi-
la plupart, n'allait pas au delà du grade de nions imprimées, pour que les lecteurs recon-
capitaine, ou à une charge de conseiller au naissent facilement ce qu'ils ont entendu de
parlement, sans aucune autre perspective, la bouche des principaux oracles de toute
et qui peuvent aujourd'hui, avec des talents cette doctrine les députés, dis-je, ne sont
et de la capacité, quelquefois même seule- pas les soutiens du pouvoir, ce qui convient
ment avec de l'intrigue, s'ouvrir, dans l'ad- aux agents civils et militaires de l'adminis-
ministration, la carrière la plus honorable? tration mais ils sont membres du pouvoir
Non, mais comme la Charte, qui n'a dû po- et pouvoir eux-mêmes et il est étrange que
ser que des principes, ouvre nécessairement M. Camille Jordan, si habile à saisir le vrai
la porte à des applications diverses et à des sens de nos institutions, avance qu'ils ne sont
corollaires plus ou moins directs de ces pas avoués du pouvoir, lorsque, revêtus par
axiomes, les uns ont voulu l'interpréter dans leur élection même d'une portion de ce pou-
un sens, les autres dans un autre et, quels voir, ils l'exercent à ce seul titre, et ne peu-
que soient l'esprit et la droiture du cœur vent demander aucun autre aveu.
de M. Camille Jordan, il n'a pas reçu d'en Quoi qu'il en soit, je m'attendais que l'au-
haut le droit exclusif d'interpréter la Charte, teur allait développer son accusation, et ci-
.et d'en fixer, tout seul, le véritable sens. ter en détail les opinions dans la session de
Les plus habiles attendent ils savent que, 1817, qui lui ont paru répréhensibles, en
si la Charte remplit toutes les conditions les qualifiant comme on qualifie à Rome les
d'une loi naturelle et fondamentale, les ef- hérésies par le plus ou le moins d'hétéro-
iorts de tous ses détracteurs ne sauraient la doxie des propositions censurées. Cepen-
détruire, et elle sortirait du creuset de la dant cette annonce s'est réduite à quatre ou
contradiction plus pure et plus brillante;¡ cinq lambeaux de phrases séparées de tout
que, si elle contrariait l'ordre naturel, et ce qui précède ou de ce qui suit; dans les
par conséquent le sens durable de la société, opinions d'où elles sont extraites telles que
les efforts de tous ses partisans ne sauraient hérésie politique, un grand péché originel,
i'afiermir. Quand on l'aura assez interprétée la souveraineté populaire, composer avec les
gothique et suranné, ne se proposent' pas
erreurs et les opinions, creuser un lit pour le go
torrent au pasiage, etc. La manière de citer mi moins que de la réduire aux proportions les
est si peu exacte et si peu propre à éclairer pi:plus exiguës, jusqu'à ce que le progrès des
le lecteur sur le vrai sens des auteurs de ces lu;
lumières et l'esprit du siècle permettent de
passages, que si on voulait les proposer fai faire mieux.
comme des bouts rimés à remplir, il serait Ainsi les uns sont placés nécessairement
facile de les faire cadrer avec les opinions da dans un système de défense, les autres dans
constitutionnelles les plus orthodoxes. La ur un système d'agression qui, du moins à la
dernière citation, creuser un lit pour le tor- guguerre, prend à la longue sur le système pu-
rent au passage, m'appartient, si je ne me re rement défensif un grand avantage.
trompe; et si M. Camille Jordan veut pren- Aussi, dans leurs journaux et leurs écrits,
dre la peine de relire mon Opinion sur le laa passion des indépendants pour 5a Charte
recrutement d'où elle est tirée, page 13 et s't s'exprime avec bien plus de véhémence et
14, il verra qu'il s'est tout à fait mépris sur d'<
l'énergie que l'affection vraie, mais plus
le sens qu'il lui attribue, et qu'elle ne pré- ca3alme, des constitutionnels; ils veulent la
sente aucune allusion, même éloignée, à la Cl- Charte, toute la Charte, rien que la Charte,
Charte et à nos institutions. 3t s'offensent comme d'une injure per-
et
Mais enfin la Charte a-t-elle autant d'enne- so
sonnelle de la moindre atteinte portée à ses
mis que lui en suppose ou lui en fait M. Ca- di: dispositions, ou même des plus utiles len-
mille Jordan? Les trois partis qui divisent tei eurs que la prudence prescrit de mettre à
l'assemblée, fidèles à leurs serments, lui se ses développements.
obéissent tous et où prendrait M. Camille Cependant, dans ses préventions peu po-
Jordan le droit d'interroger les affections lit litiques, M. Camille Jordan, en s'élevant
intimes des individus, ou d'expliquer leurs av ivec toute la force dont il est capable contre
actions par leurs pensées, au lieu d'expli- l'n l'opposition aristocratique qu'il décompose
quer leurs pensées par leurs actions? Sans ju: jusque dans ses plus imperceptibles nuances,
doute il ne sera pas plus exigeant pour la et ît qu'il voit là même où elle existe à l'insu
Charte que ne l'est pour elle-même la Divi- de de ceux chez qui il la suppose, traite avec
nité, qui ne demande qu'à quelques âmes be beaucoup plus de' ménagement l'opposition
privilégiées l'amour ardent de sainte Thé- .co contraire; il va jusqu'à reprocher à l'admi-
rèse, et n'exige de tous que l'obéissance à ni. nistration de juger les membres de cette op-
ses lois, nous défendant surtout de nous ju- po oosilion avec une extrême sévérité, lorsqu'ils
ger les uns les autres autrement que sur les n\l'entretiennent d'ailleurs contre le gouverne-
actions extérieures,, et se réservant à lui mi nent de leur pays aucune intention véritable-
seul le secret des cœurs et des intentions. nent hostile, et n'entendent que l'obliger à
»n<
Je vais plus loin, et j'ose dire que les un une observation plus rigoureuse de cette par-
royalistes constitutionnels, que M. Camille tie 'ie de nos institutions où ils ont plus spé-
Jordan lui-même, sont des amants bien froids Cî(!-Àalement placé leurs affections et leurs gci-
de la Charte auprès des indépendants, et que 'ra -anties.
si les uns aiment la Charte, les autres l'ido- Toutefois il y a cette différence entre ces
lâtrent et ils savent bien pourquoi. Car de jeux oppositions extrêmes, que l'une, l'op-
tandis que les constitutionnels, pleins de po position aristocratique, dont M. Camille Jor*
confiance dans leurs théories, admirent dans da dan relève avec tant d'exagération et l'in-
la Charte un gouvernement représentatif, flu ïuence et les séductions, dont il dit que
c'est-à-dire un gouvernement royal mêlé me nalgré tant d'injustes dépouillements qu'ont
d'un peu de démocratie, les indépendants, su tubis les hommes de ce parti, et malgré l'état
plus forts sur le positif, y voient ou croient dele dénûment où ils se supposent tombés, ce
y voir un gouvernement démocratique mêlé soi wnt eux encore qui possèdent en beaucoup
d'un peu de royauté; et tandis encore que de le lieux les propriétés principales (comme
les uns, regardant la démocratie comme un s'i s'il était permis de parler de propriétés de-
ingrédient nécessaire, sont tout occupés à va vant la démocratie); que cette opposition,
en régler la dose et luttent péniblement con- di;lis-je,
i,4 tend sans cesse à s'affaiblir, et dans
tre cet élément envahisseur de sa nature, et laa chambre par les renouvellements succes-
dont M. Camille Jordan apprécie lui-môme sif f et dans la nation par l'extinction rapide
sifs,
la redoutable énergie, les autres, plus décidés de
ies familles peu nombreuses où on la sup-
et ne voyant dans la royauté qu'un élément do pose, et dans ces familles elles-mêmes où les
enfants n'ont plus les mêmes souvenirs, ni fortune. On peut être constitutionnel pa«
f(
ne peuvent par conséquent avoir les mêmes ambition,
ai comme on peut être aristocrate
opinions que leurs pères au lieu que l'op- p intérêt.
par
position démocratique tend sans cesse à s'ac- Il y a une opposition de principes, et pour
croître par le seul effet de l'accroissement ace qui me concerne, puisque je veux reven-
progressif de la population plébéienne, à diquer
d ma part des censures sévères de M.
s'accroître dans la nation et par conséquent Camille
C Jordan, je n'en ai jamais soutenu
dans les chambres et Dieu préserve la dd'autres. Je ne suis pas opposant par carac-
France, que, tandis qu'il y aura d'un côté tère,
ti moins encore par ambition, je ne la
une opposition toujours croissante en nom- conçois
c même pas aujourd'hui. J'admire,
bre, et par conséquent en violence et en ssans l'envier, le courage de ceux
qui se dé-
danger, il n'y ait pas du côté opposé même vouent
v à faire aller une machine dont l'or-
un peu d'exagération pour maintenir cet ganisation
g est telle que !es rouages doivent
équilibre dans lequel la politique moderne s contrarier dans leur mouvement. Je dis
se
a placé la stabilité des Etats. doivent
d se contrarier, et avec raison, puis-
L'explosion récente de l'esprit démocrati- qu'il
q est reconnu qu'une opposition est de
que en Angleterre, et le redoublement d'au- l'l'essence du gouvernement représentatif.
dace et d'obstination dont nous avons vu les Mais
1 une opposition habituelle au gouver-
effets, ont pour secrète cause l'accroissement nnement est toujours un malheur; et comme
de la population plébéienne un peuple on
o n'a pu l'empêcher, et qu'on n'ose pas
nombreux ne peut souffrir que deux formes aavouer la raison de sa nécessité, on a trouvé
de gouvernement et la démocratie en est plus
p expédient d'en faire un système et un
une, au moins jusqu'à ce qu'une dure ex- principe.
p C'est ainsi que dans quelques con-
périence J'ait désabusé de sa prétendue sou- trées
ti d'Europe on a fini par faire un trait de
veraineté. bbeauté d'une difformité endémique, et que
Enfin si le danger venait de l'opposition tous les individusapportent en naissant, et par
ti
démocratique, l'opposition contraire se join- regarder
r comme disgraciés de la nature ceux
drait certainement aux royalistes constitu- qui
q en, sont privés.
tionnels avec lesquels elle aura toujours Au reste je soumets volontiers mes opi-
dans la royauté un centre d'unité et d'union, nions
e et mon opposition au jugement de mes
et tout au plus il en coûterait quelque chose contemporains
c et de la postérité, au juge-
à la démocratie; au lieu que si l'on croyait ement des bons esprits plutôt que des beaux
avoir à redouter l'opposition aristocratique, esprits,
e et, en avouant que j'ai souvent été
l'opposition démocratique ne se joindrait tbattu, je demanderai si, j'ai toujours été ré-
aux constitutionnels qu'aux dépens de la f
futé.
royauté et surtout de la légitimité. Cependant, pour finir sur ce triste chapi-
M. Camille Jordan n'a vu l'opposition que ttre, M. Camille Jordan, malgré la sévérité
dans les partis il fallait la considérer dans d ses jugements sur l'opposition royaliste,
de
les personnes. reconnait
r que, lorsque des mesures présen-
Il y a une opposition qu'on peut dire de tées
t à la Chambre de 1817 ne se rapportèrent
caractère, et des esprits toujours disposés à quà
q des besoins ordinaires et pressants, elles
contredire. Il peut s'en trouver dans tous les yy furent adoptées avec autant d'empresse-
partis. ment
« et de célérité que le gouvernement put
11 peut y avoir une opposition d'intérêt l souhaiter qu'elle a su même supprimer
le
personnel, et tous les partis ont un droit j
jusqu'à l'ombre de la discussion dans de
grandes et légitimes occurrences. Eh dit-il,
égal à s'en accuser réciproquement. Car si g
les uns, comme on le veut, regrettant si vi- quelle
q assemblée nationale offrit jamais un
vement le privilége féodal d'avoir un banc spectacle plus imposant que celui dont les
seigneurial à l'église de leur village, ou de chambres
c ont frappé la France et l'Europe,
marcher les premiers à la procession, mau- llorsqu'on a vu le gouvernement lui demander
dissent la révolution qui le leur a enlevé vun crédit de quarante millions de
rentes, le
d'autres, venus de loin aux places de préfet, plus
x étendu qui ait jamais été sollicité et de-
de conseiller d'Etat, de ministre, se trouvent mandé
« après tous les autres sacrifices, au
dans le meilleur des mondes possibles, bénis- nom
n de la délivrance commune; et ces mêmes
sent nn ordre de choses qui a mis en lumière chambres,
c jusqu'alors si sévères dans l'exa-
leurs talents, et leur a donné honneur et men
n des moindres dépenses, au lieu d'ouvrir
805 PART. Il. POLITIQUE. SUR UN ECRIT DE M. CAMILLE JORDAN. 806
«ne des.sou-
une discussion qui, par l'amertume des. sou- pas d'affirmer
d'afïïrmer que, dans les écrits publiés
venirs, pouvait engendrer tant d'orages, se par les hommes de ce parti, on n'en trou-
lever dans un silence si noble, si majestueux, verait aucun où l'autre partie de la nation
tin silence qui plus éloquent que tous les fût traitée avec si peu de ménagements et
discours, a dû révéler aux nations étrangères il n'est que trop aisé de voir que l'auteur
le prix que le Français attache à l'affranchis- répond par un écrit publie à des propos de
sement de son territoire, et leur enlève tous salon, qu'il eût été plus sage d'ignorer. Au
les prétextes pour le contester encore, en reste, M. Camille Jordan n'es"t pas de ceux
leur portant le plus magnifique témoignage qui s'offensent et s'indignent de toutes ais-
de l'intime union de ce peuple et de son roi? tinctions héréditaires. Il accorde aux noms
Ce n'était pas en vérité trop la peine de historiques même hors d'une chambre des
tant crier contre les oppositions de ces bas- pairs, ce juste respect que la raison et la na-
ses, de les distinguer avec un soin si minu- ture inspirent, à condition toutefois que ce
tieux, de les flétrir par d'odieuses imputa- respect ne finisse pas par remplir à la fois
tions, de les aigrir peut-être par l'amertume les uns d'un vain orgueil, les autres d'une
des censures, pour finir par reconnaître que inquiétude jalouse. Le beau réve que celui
toutes ces oppositionsdisparaissent, lorsque qui fait voir le moment où il y aura entre
de grands et pressants intérêts leur com- des hommes réunis en société des distinc-
mandent le silence, et que le salut de l'Etat tions sans orgueil dans quelques-uns, et
et le service du roi exigent le sacrifice' de sans jalousie dans quelques autres I
leurs opinions. Ainsi M. Camille Jordan a Un seul trait m'a frappé. C'est lorsque
donné la preuve la plus complète qu'il n'y .l'auteur parle du parti gui a l'habitude d'al-
avait dans cette opposition ni calomnies, ni ler mendier au dehors la force qui lui man-
hu-meur, ni haine, ni vues hostiles, contre que au dedans, penchant à de parricides al-
le gouvernement, et que, dans son dissen- liances avec l'étranger, devenu le trait qui,
timent, elle défendait ou croyait défendre plus encore que ses doctrines absurdes et ses
des principes que ces mêmes intérêts de l'E- prétentions égoïstes, l'a flétri aux yeux du
tat et ceux de la royauté ne permettent pas peuple français du sceau d'une réprobation
d'abandonner. éternelle. Le trait est violent, mais ici l'au-
Et quand il plairait à quelqu'un de soute- teur n'a pas connu la portée de son arme, et,
nir le système purement monarchique, pour- faute de la juger, il a tiré plus haut qu'il ne
rait-on, lorsqu'on ne veut flatter ni les rois ni voulait. Cependant il nous révèle le venin
les peuples, ni s'enivrer de ses propres opi- de sa politique et il paraît tout à fait de
nions, même en blâmant son imprudence, l'avis de J.-J. Rousseau « Un peuple a tou-
qualifier, comme le fait M. Camille Jordan, jours le droit de changer ses lois, même les
de doctrine absurde un système qui a pour meilleures; car s'il veut se faire mal à lui-
lui, en France, tant de siècles et tant de même, qui est-ce qui a le droit de l'en em-
gloire, avec lequel la France s'était élevée j pêcher î » Toutefois la politique de Jean-
au premier rang des nations, je ne dis
commerçantes, mais des nations fortes, sa-
pas Jacques est ici en défaut, parce qu'à cause
de la constitution générale des peuples eu-
vantes et polies, un système que Bossuet ropéens,
i un pays, un peuple puissant comme
aurait défendu comme d'Aguesseau Sully 1le peuple français, et dont les doctrines, les
comme Colbert, Turenne comme Richelieu, exemples,
( la force militaire, peuvent pren-
et qui n'a été attaqué que par la politique dre
( sur ses voisins une grande influence,
de J.-J. Rousseau ou de Thomas Payne?
ine peut se faire mal à lui-même sans en faire
Je ne répondrai pas aux traits que M. Ca- taux autres. Ainsi M. Camille Jordan pense
mille Jordau lance contre les hommes du que
c si un homme, fermant sur lui la porte
parti qui est l'objet de ses censures et de de
( son domicile, veut maltraiter sa femme
ses reproches. Je crois que toute la noblesse f ses enfants, et mettre le feu à sa maison,
et
française porte ici la peine des torts que la les
1 voisins doivent le laisser faire plutôt que
noblesse de Bellecourt a eus envers M. Ca- d'enfoncer
c sa porte. Et cependant une fa-
mille Jordan. Mais là où je vois les mêmes mille est plus indépendante de toute autre
r
haines et les mêmes victimes, si je ne vois i
famille qu'un peuple de tout autre peuple
pas les mêmes persécuteurs, je vois le même c les peuples ont entre eux des relations
car
esprit de persécution, et je me demande si nnécessaires, et les familles n'en ont entre
la révolution est finie, Cependant je ne crains elles
e que de volontaires. Une famille, sans
OEUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. SOS
n^t
n*t soumise
doute, est
rlm,iP. aiii lois de l'Etat;
sonmisfl aux res.et
l'Etat mais res
r euitiver les lettres ecclésiastiques;
et cultiver
peuples ne sont-ils pas soumis aux lois comme
( si dans cet espace de temps, soumis
ies
générales de la morale, de la politique, de àî tous les genres d'épreuves, il n'avait pas
la religion, et M. Camille Jordan va-t-il jus- montré î bien mieux que des lumières, la
qu'au bout dans la politique de Rousseau ou résignation i dans les souffrances, et le cou-
de Jurieu, et croit-il aussi « que le peuple rage i contre la persécution. L'auteur l'ac-
soit la seule autorité qui n'ait pas besoin cuse < encore de suivre des directions ultra-
d'avoir raison pour valider ses actes ? » Doc- montaines i comme si la politique, à com-
trine abjecte qui, ne considérant que le ma- mencer
i de l'assemblée constituante, n'avait
tériel de la soeiéié, ne voit d'indépendance pas été plus ultramontaine que la religion
si elle n'avait provoqué sans le
que celle du territoire, et de dépendance que comme <
grande exten-
celle d'une force étrangère, et qui ne sait pas clergé et malgré lui, la plus
qu'un peuple en révolution, tel qu'a été trop sion et la plus inusitée du pouvoir du Saint-
les évé-
ongtemps le peuple français, livré à tontes Siège. Dans la déposition de tous biens
les erreurs et à tous les désordres, eût-il ques ou la confirmation des ventes des
lui re-
conquis l'univers, serait le plus dépendant ecclésiastiques, M. Camille Jordan
dans l'ordre poli-
et le moins libre des peuples, et plus es- proche encore de suivre contre-révolu-
clave cent fois que tous ceux qu'il aurait tique des directions presque
asservis. tionnaires. Je n'entends pas ce dernier mot:
M. Camille Jordan a fait une excursion est-ce que ce serait
aujourd'hui un tort, et
la religion, et refuse surtout au clergé faudrait-il suivre des directions révolution-
sur (i) "?
une influence politique il lui serait, je naires
crois, assez difficile de donner à ces derniers Toute cette discussion politique ou impo-
n'occupe cependant que le tiers de
mots un sens raisonnable. Car enfin le olergé, litique
clergé, influait-il sur la paix comme l'écrit de M. Camille Jordan, et évidemment
comme
servi que de prétexte et d'introduc-
sur la guerre, sur le commandement des elle n'ala justification personnelle de l'auteur
armées, la discipline des tribunaux, la dé- tion à
termination des subsides, les négociations pour la hardiesse singulière de dénonciation son opposi-
tion au ministère, et pour sa
avec les puissances étrangères? Et y a-t-il rendus à Lyon. Je serai, s'il
dans un Etat d'autres choses politiques que des jugements
premier point, et je
celles-là? L'auteur veut-il dire que le clergé veut, de son avis sur le
l'esprit de la charte et
avait des propriétés ? Les hôpitaux en avaient crois qu'il est dans représentatif
aussi, et on n'a jamais parlé de leur in- d'un gouvernement que tous
distinction aient la même
fluence politique. Entend-il que la religion les députés sans
doit influer sur les hommes publics liberté de parler; et si la loi les garantit
ne pas
l'exercice de leurs fonctions des
et politiques, qu'elle doit ignorer quel culte pendant
justice, elle n'entend cer-
ils professent, si même ils en professent au- poursuites de la
bien qu'elle doit donner horstainement pas les livrer à l'animadversion
cun ou ne serait une petitesse
de ses temples aucun signe d'existence. Sa- de l'administration. Ce
d'un grand Etat
lariée par le gouvernement comme les em- indigne du gouvernementdestitution, qu'on
ployés aux droits réunis, doit-elle être ài d'exiger, sous
peine de
reconnût par des complaisances d'opinion
tout instant, pour la subsistance de ses mi-
nistres et les frais de son culte, sous la maini desfranchise faveurs qu'on reconnaît bien mieux par
et dans l'attribution spé- la et la vérité et ce serait faire
du gouvernement
fonctionnaires publics autant de para-
ciale d'un de ses bureaux, comme tous les des
toujours de l'avis de ceux qui
objets qui sont en direction générale ? Quoii sites qui sont
à dîner ou déclarez l'incom-
qu'il en soit, M. Camille Jordan en.est en- leur donnent fonctions publiques avec celle
n'a fait hors du cercle patibilité des
core là, et pas un pas le député oublier dans
étroit des préjugés philosophiques ou jan- de député, ou laissez
qu'il est fonctionnaire public, et
sénistes. Il accuse cependant le clergé de3 la chambre
jamais entre sa conscience et
laisser dépérir dans ses mains le bel héritagee ne le placez
des antiques lumières de l'Eglise gallicane, ses besoins.
Mais sur la doctrine longuement exposée
comme si depuis trente ans il avait eu de3
puissants
t'u.U"& secours i.pour acquérir des lumiè- de M. Camille Jordan, relativement à la cen-
~_7_
(i) Je dois dire, pour êsre juste, que je soupçonne dans ce mot
conire-révolutionnahe une faute
d'impression.
sure publique des jugements rendus en ces affaires malheureusement céièbres, je
dernier ressort, je crois que l'auteur sou- n'y vois jamais que la raison de quelques
tient un paradoxe insoutenable, et peut- particuliers en opposition avec la raison
être la seule erreur qui ne soit pas tombée d'un tribunal, et que je ne crois pas la
dans la tête des politiques de ces derniers probité et à l'infaillibilité même des beaux
temps, qui, en renversant les unes sur les esprits, plus qu'à la probité des juges et
autres toutes les institutions de la société, à la justice de leurs arrêts.
avaient au moins laissé debout l'autorité Mais que, sans intérêt personnel %ou même
inébranlable des choses jugées. avec cet intérêt, un membre du pouvoir lé-
Sans doute la loi, s'accommodant à la fai- gislatif, de ce pouvoir qui institue les tri-
blesse humaine, n'interdit pas à l'homme bunaux, et qui, pour faire exécuter ses pro-
condamné, même justement, la consolation pres lois, a besoin de la force que lui prêtent
de se dire ou de se croire mal jugé, et de se leurs arrêts, vienne, à la -face de la nation,
plaindre en famille, pour ainsi dire, et de- flétrir ce même pouvoir judiciaire dont il a
vant ses amis, d'une condamnationqui lui si expressément déclaré l'indépendance;
enlève ses biens ou flétrit son honneur-; et, qu'il se rende lui, particulier, indépendant
si elle n'oblige pas l'accusé d'avouer son de la justice :en s'élevant au-dessus de ses
crime, elle ne peut l'obligera reconnaître la décisions, et dénonçant des erreurs dont il
justice de sa condamnation. La loi même ne lie peut pas demander la réparation, et qu'il
peut ordonner ou défendre que ce qu'elle lui est même interdit de prouver juridique-
peut exécuter; et quelle serait la police ment qu'il diffame les jugements que la loi
assez agissante et assez sévère pour faire ne permet pas aux intéressés eux-mêmes
observer la loi qui empêcherait aux parties d'attaquer, pas même à l'autorité royale
de se plaindre de leurs juges? Cependantt d'annuler, à moins que la découverte tar-
la loi ne permettrait pas même aux inté- dive de nouveaux documents ne présente
ressés la diffamation publique des 'tribu- .aux juges une question nouvelle à résoudre,
naux. Elle n'a pas cru qu'aucun.juge, aucun et ne puisse opérer une réhabilitation; qu'il
tribunal fût infaillible; mais elle a voulu q.ue 'apprenne à la nation, dont la tranquillité
les jugements en dernier ressort fussent irré- repose sur l'inébranlable stabilité des chose»
formâbles; et, n'en déplaise aux ennemis de ,jugées, que des jugements même définitifs
tout pouvoir absolu, c'est-à-dirè indépen- ne sont en définitive que des erreurs consa-
dant, s'il n'y avait pas enfin quelque chose crées parla justice, et que, pour êire accu-
d'absolu, d'indépendant, de définitif dans sés d'erreur, de préoccupation, departialité,
l'autorité, tout ordre public serait impossi- de cruauté, des juges n'en sont pas moins
ble et d'ailleurs, si un premier, un second, indépendants et même inamovibles c.est,
un troisième tribunal a pu se tromper, qui en vérité, ce qui manquait, même après
me répondra que vous, particulier, censeur notre révolution, au renversement de toutes
de leurs jugements, vous ne vous trompez les doctrines professées par les plus grands
pas en accusant des tribunaux d'erreurs ou esprits et chez les peuples les plus éclairés.
de précipitation?Quellegarantie me donnez- Et remarquez le rôle humiliant que fait
vous de votre infaillibilité, lorsque vous n'a- jouer au corps législatif une accusation
vez pas une autre raison, une autre probité, portée devant lui contre les tribunaux! On
une intelligenced'une autre espèce que celle lui dénonce une erreur ou un crime, et il
des juges, et que vous avez de moins qu'eux, lui est interdit d'en connaître, et il est ré-
et la confiance dont le prince les a honorés, duit, lui premier pouvoir et source de tous
etle caractère auguste dont la loi les a re- les autres, à gémir en silence sur des maux
vêtus, et toutes les lumières dont la prf';é- qu'il devait ignorer, puisqu'il ne peut les
dure les a entourés pour leur faire discerner réparer, et à donner dès laFmes stériles aux
la vérité? Quelques exemples, qu'on ne man- victimes de l'erreur ou de l'injustice1
que jamais de citer à l'appui de l'opinion Ainsi, la plainte portée au premier corps
contraire, n'ébranlent pas ma foi et la force de l'Etat est sans résultat présent et possible,
inattaquable des jugements définitifs, parce 'et ne sert qu'à mettre à découvert bien
qu'en- écartant tout ce que, dans l'esprit des moins l'iniquité des juges que des asser-
gens éclairés et impartiaux, les exagérations tions ne prouvent pas, que l'impuissance
de l'esprit de parti ont, sur les lieux; mêmes, du corps législatif, qui n'est que tropprou-
laissé d'obscur et d'incertain sur le fond de vée par son inaction.
8ij1 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. de8i2à824
C'est sans doute un mal, et un très-grand mal,I, vous les verrez tous attaques par les uns ou par
qu'un jugement inique ou erroné. C'est C'est le plus grand d les autres, et chaque affaire privée deviendra une
tort que puisse souffrir un particulier; mais c'est st affaire publique. Sans doute vous n'interdirez pas
un tort dont, juge lui-même, il aurait pu se rendre e aux tribunaux uue justification nécessaire, et la
coupable envers autrui, parce que la société n'a pu iu justice descendue de son siège dans le !>anc des ac-
les
mettre en commun vertus et les talents des hom- 1- cusés, obligée de se commettre sans cesse avec de3
mes pour leur protection mutuelle, sans faire en-
î- particuliers, perdra dans cette lutte indécente et
trer en même temps dans cette mise commune, e, contre nature toute dignité et toute considération,
leur faiblesse, leurs .imperfections, leurs défauts: et les divisions et les haines s'éterniserontentre par-
e'Pst un tort, en un mot, qui tient à la nature même ie ticuliers, lorsque des jugements qui auraient du y
de l'homme et à la composition de la société, et mettre un terme, des jugements solennels et rendus
qu'aucune précaution ne peut entièrement prévenir. r. en dernier ressort, ne seront plus, pour parler le
Mais l'avilissement de la justice est un mal général, il, langage du palais, qu'une assignation en reprise
et le plus grand préjudice qu'on puisse causer à la d'instance.
société qui a besoin de croire sinon à l'infaillibilité té Faudrait-ilaller bien loin et remonter bien haut
des juges, du moins à la stabilité de leurs arrêts. s. pour trouver l'exemple de grandes injustices (c'est
C'est une injustice envers les juges qui, condamnés, s, M. Camille Jordan qui les qualifie ainsi page 45) que
pour l'intérêt de tous, à la pénible fonction de r-
ter- la loi nouvelle a sanctionnées sans retour, sur lés-
miner les différends et de punir les délits, exposés és quelles, toutes pnbliques qu'elles sont, elle a in-
par là à tous les ressentiments,à tous les jugements Vs terdit aux victimes jusqu'à la plainte? Et si, pour
téméraires, à toutes les plaintes, exposés même au m l'intérêt de la société, elle a cru nécessaire de dé-
malheur, le plus grand de tous, de commettre invo- o- ployer le pouvoir le plus absolu qu'on puisse ima-
lontairement de graves erreurs, ont droit à deman-n- giner, celui de dénier même le jugement, peut-on
der, comme uue compensation légitime, que vousus douter que pour le même intérêt public, elle ne
le
ne troubliez p:is inutilement repos de leur cons-s- doive pas commander aux particuliers un silence
cience, et que des jugements que la société s'est
est respectueux sur les jugements rendus par ses légi-
interdit de censurer ne soient point livrés aux pas-is- times organes?`'
sions, aux erreurs, aux caprices des particuliers; •s M. Camille Jordan accumule ses petites raisons
grandes
c'est une injustice enfin envers la partie gagnante, te, pour justifier son système, et il perd les
privée ou publique, pour qui un jugement favorable ^le'e dans la foule c'est ce qui s'appelle faire une poé-
est une propriété garantie comme toutes les autres,
îs, tique pour les vers. Mais si ce système pouvait pré-
par toute la force de la loi. valoir, la faute en serait aux institutions plutôt
Si le juge, après avoir fait tout ce qui est en son on qu'aux hommes et il deviendrait extrêmement pro-
pouvoir pour discerner la vérité, est, même en se bable que quelque vice caché dans des institutions
certaines l'é
trompant, sans reproche aux yeux de l'éternelle slle judiciaires trop vantées, rend moins
Justice, pourquoi serait-coupable aux yeux d'hom- m- quité et l'impartialité des jugements, et que celte
mes faibles et imparfaits comme lui, qui ne voient
ent garantie de l'équité des jugements, qu'on ne trouve
faut
presque jamais l'affaire que d'un côté, répè-
et ne >è- plus dans la sagesse des formes judiciaires, il
tent que les plaintes d'une des parties? désormais la chercher dans la surveillance de rad-
Ouvrez la porte à la censure des jugements, co
um. w.a ~urJa.aaao.ma~ et uuuw.
ministration.
L'épisode des troupes suisses, qui revient tous Conservatoire de l'Opéra ou l'Opéra lui-même, dont
les ans dans la longue histoire de nos budgets, n'est l'esprit ne saisit pas immédiatement l'avantage pour
qu'une petite discussion ds finance, jetée au travers les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des contribua-
d'une haute question de politique. Je ne dirai pas bles, qui jamais n'en entendront ni n'en verront les
que cinq ou six cent mille francs, plus ou moins, merveilles.
que les troupes suisses coûtent de plus qu'un nom- Mais, en vérité, nous savons bien nous-mêmes
bre égal de troupes nationales, sont peu de chose qu'il ne s'agit pas ici d'argent, et qu'il y a autre
dans un budget d'un milliard, pour une fortune chose qu'une petite économie au fond de cette
telle que celle de la France. La plus petite somme question.
est profusion et prodigalité, lorsqu'elle est exigée ou Ecartons donc ce voile imposteur, et présentons
employée pour des dépenses inutiles, c'est-à-dire la question des Suisses dans toute son importance
des dépenses qui ne servent que des intérêts parti- et dans toute sa sincérité.
culiers la plus forte dépense est économie, lors- Je ne crois pas calomnier ceux qui demandent le
qu'elle est faite dans l'intérêt du puhlic; et tout Etat, renvoi des Suisses, en disant que leur motif,
quel qu'il soit, est toujours assez riche pour celles- dans cette proposition, est le même que celui
ci et ne l'est jamais trop pour les autres et autant du fameux Mirabeau, pour demander l'éloigne-
j'ai insisté sur la force militaire, autant j'insiste ment de Paris des troupes nationales la crainte
opprimer
pour conserver à la France toute sa force politique. que le pouvoir royal ne s'en serve pour
ce que l'on appelle les
libertés publiques, ou
Je concevrais qu'on eût fait valoir des motifs
d'économie dans la proposition de supprimer le le pouvoir populaire et je ne m'arrête qu'à
8255 PART. Il. POLITIQUE:. SUR LES SUISSES. 828
ce motif que je 'Suppose sincère et qui
je-sùppose qu oh
oh d'hui
c tout est changé à cet égard les Suis-
peut avouer. C'est donc de la peur et tôu- sses, surtout, sont déchus de l'ancienne affec-
tours dé la peur; car les opinions fausses tion
t de nos philosophes. Dans un temps ils
irâignéht tout et craignent toujours, et c'est en
( voulaient pour ministres j et nous e::
:ë qui les rend si tyranhiqués sous lé mas- avons
e eu dont il nous souviendra long-
que de la liberté, ét si injustes au nom de temps;
t aujourd'hui ils n'en veulent plus,
Vénalité. « II faut » dit Montesquieu, môme
i pôiir soldats.Ils ne voyaient de liberté
Il qu'une
république ait toujours quelque que
< dans l'heureuse Helvétie, et ses enfants
chose à redouter. » Et telle est leur faiblesse, ne
] leur paraissent plus dignes de défendre
qu'elles se craignent elles-mêmes quand notre i
liberté.
elles n'ont pas autre chose à craindre. La Il faut bien le dire puisque l'intérêt de
vérité est cependant que dix à douze mille ma ] cause rend cet aveu nécessaire la
Suisses, incorporés à une armée de deux France, ] par l'effetde la révolution n'est
cent cinquante mille hommes et à une nation pas devenue plus forte elle est devenue
guerrière de trente millions d'âmes, n'ont plus menaçante, comparée à ce qu'elle était
jamais pu et rie pourront jamais rien atta autrefois car la force des Etats ne s'évalue
quer ni rien défendre. que par comparaison.
Ce n'est donc point comme force militaire îa lie parle pas de ses frontières mariti-
que là France, en aucun temps, a pris des mes, dégarnies de leurs forteresses flottan-
Suisses à son service c'est uniquement tes, qu'elle ne peut plus même recouvrer
comme force politique. Ce ne sont pas dés ou rétablir, tant qu'elle n'aura pas de gran-
auxiliaires qu'elle a voulu se donner, c'est des colonies pour exercer ses matelots et
une nation- qu'elle a voulu s'incorporer à occuper ses bâtiments.
ellè-mêulè; et elle l'a fait de toutes les mâ- Je ne parle pas même de quelques places
riiërés dont deux nations peuvent se fondrefortes de sa frontière du Nord ou de quel-
l'une dans l'autre, et en s'incorporant les ques villages de celle de l'Est, cédés à l'Al-
individus par les droits des régnicôles, lemagne on à la Suisse. Si l'on compte les
qu'elle leur a accordés, et en incorporant pertes, il faut compter aussi les acquisi-
l'État lui-même, ou sa force armée, par des tions, et la domination française s'est agran-
traités et des capitulations. die
< d'une province de l'intérieur dont la
Eh bien fil faut l'apprendre à i ignorance conquête
<
faite sans combat et sans gloire
ou le soutenir contre la mauvaise foi, cette par ] l'Assemblée constituante sur un souve-
alliance avec les Suisses, formée il y a qua- raini désarmé, est la seule qui nous soit
tre siècles par le sens droit et la judicieuse restée.
prévoyance de nos pères; cette alliance, si Il faut considérer la France avant ,a_ ré-
honorable alors et si utile, est devenue au. volution, et la Franco tells que la révolu-
joùrd'hui nécessaire et indispensable; car si jtion J'à faite.
l'on peut faire des économies momentanées
Du côté du nord la France était limitro-
sur la force militaire qu'on crée quand on phe de
veut, au besoin, avec des hommes et de l'ar- pays soumis à la domination autri-
chienne il semblerait premier coup
gent, il ne faut eh faire aucune sur la force d'oeil, qu'elle aurait gagnéauau changement
politique, qu'on ne recouvre plus une fois
qu'on Fa perdue. qui s'y est opéré, et en vertu duquel les
Àvant .dé justifier cette assertion, il faut fertiles provinces des Pays-Bas ont passé
moins capable
remarquer, à notre honte et comme un trait aux mains d'une puissance
caractéristique de l'histoire de l'esprit hu- que l'Autriche de les défendre.
main et de son éternelië inconséquence, Mais il s'en faut bien qu'il en résulte pour
qu'avant la révolution nos beaux esprits nous, pour les temps à venir, une plus
rougissaient presque d'être Français et grande sécurité. Loin de chercher à s'agran-
montraient pour les Suisses en particulier, dir sur nous de ce côté, l'Autriche aspirait
et pour tous les étrangers en général, une depuis longtemps à se débarrasser de cette
prédilection qui n'a pas été sans influence colonie de terre qu'elle ne pouvait à cause
sur nos mœurs, et a puissamment favorisé des priviléges de ses habitants et de son
l'irruption de cette horde de révolutionnai- éloignement gouverner qu'avec peine et
res qui sont accourus de tous les pays, et défendre qu'avec perte. La maison qui pos-
surtout de quelques contrées de la Suisse, sède aujourd'hui les Pays-Bas aspirera au
pour déchirer et dévorer la France. Aujour- contraire à s'étendre l'un tendait à s'en re-
tirer, l'autre tendra naturellement à les de
( rois, n'offre plus à notre politique, si
agrandir. La différence est immense, sans j
j'ose le dire, autant de joints; car c'est une
compter que telle autre puissance qui se cchose
remarquable, que nos imprudentes
serait opposée à l'agrandissement de l'Au- agressions ont fortifié plus qu'affaibli tous
triche, et même à sa retraite des Pays-Bas, les peuples chez qui nous avons porté nos
pourrait un jour favoriser les vues ambi- armes les petits Etats d'Allemagne, les uns
tieuses d'une maison moins redoutable. Ce évanouis, les autres devenus plus puissants,
ne sont pas des dangers présents, il s'en n'ont plus le même besoin de notre appui,
faut bien, mais des dangers éloignés, et qui ou en cherchent d'autres que favorisent des
nous,donneront le temps de réparer nos alliances domestiques, et il faut convenir
pertes et de nous préparer àja défense. aussi que notre alliance se présente aux au-
tres peuples avec des souvenirs qui n'ont
A l'extrémité opposée l'Espagne la bel- rien de fraternel, ou dès doctrines qui ne
liqueuse Espagne, agrandie peut-être un sont pas rassurantes.
jour du Portugal deviendra pour nous unL
redoutable voisin, parce que, quel que soitt Mais la Suisse, entraînée aujourd'hui par
le tourbillon général des mœurs, des inté-
le succès de la lutte qu'elle soutient en Amé-
rique, plus tard si elle réussit, plus tôt sii rets, des opinions nouvelles et régénérée
à notre manière par une constitution qui a
elle succombe, ce peuple que nous sommes
allés si imprudemment tirer de son som- besoin de l'appui des hommes, en attendant
meil, se repliera sur lui-même et dévelop- la sanction du temps, la Suisse ne doit plus,
pera les germes d'activité que notre séjour comme autrefois exclusivement compter
et notre exemple ont déposés dans cette sur la renommée de ses antiques et pacifi-
contrée si favorisée de la nature. Alors ett ques vertus pour faire respecter sa neutra-
lité elle a besoin, plus que jamais, de s'ap-
par une suite nécessaire, sa population,ja-
dis presque fabuleuse, accrue avec le tra- puyer sur une des grandes puissances dont
vail et les subsistances, s'échapperait par le elle est limitrophe; et, au sortir de l'al-
seul point qui lui soit ouvert, et l'on pour-j liance avec la France, elle tombe tout nata-
rellement dans celle de l'Allemagne, avec
rait, dans un siècle, peut-être dire commeJ
Louis XIV, mais dans un autre sens « II qui elle a une langue et une origine corn
n'y a plus de Pyrénées. » munes.
Du côté de l'est et de l'extrémité de l'Ai- La France, il y a quatre siècles, gouver-
sace, à celle de la Provence la France tou- née par le cabinet et non par la tribune»
che à la Suis e et aux Etats de la maison de3 saisit habilement l'occasion que lui offrait
Sardaigne, ux ui ances, dont l'une estt la rupture des petits cantons avec la maison
notre amie constante et nécessaire, et l'au- d'Autriche. Déjà, à cette époque il y avait
tre, habituellement notre alliée, a quelque- de cet esprit qui exagère les torts des sou-
fois cédé à des considérations d'intérêt mo- verains et les griefs des peuples. Les can-
mentané, en devenant contre nous l'auxi- tons confédérés furent dans ces temps re-
démocratie,
liaire de la aison d'Autriche, mai qui au- culés un premier foyer de
Provinces-
jourd'hui, agrandie et mieux limitée, pla- comme l'ont été plus tard les
cée sur notre flanc, peut devenir pour nouss Unies des Pays-Bas, et plus récemment en-
core les Etats-Unis d'Amérique. La
France,
un ennemi lu rc outabl |,tur nos enne-
mis un allié plus utile. qui n'a été étrangère à aucune de ces créa-
Cependant, au cela des Pays-Bas, au delàà tions, devait plus tard en recueillir les
de la Suisse, au ela de la Savoie et du Pié- fruits ils ont été amers mais la France en
•-
mont, se trouvent et se trouveront t< ujours a du moins retiré l'avantage
•s
d'une étrotte
la puissante confédération germanique et et honorable alliance avec les cantons bel- f
;t
vétiques alliance dont les liens, jusqu'à la
l'Autriche qui ('e t'roit eu *!e fait en sera lee
chef et le moteur, et comme la Belgique révolution, n'ont. été que bien rarement in-
e
elle-même en fait aujour.J'hui partie, laa terrompus, et seulement lorsque nos mal-
France, sur cette longue frontière de l'ouest heureuses guerres d'Italie des xV et xvi*
>t
à l'est et du norl au midi n'est séparée dee siècles avaient mis les intérêts de la France
Suisse
l'Allemagne que par la Suisse et les Etats dee en conflit avec ceux des Suisses. La
la maison de Savoie. n'avait donc ou ne croyait avoir rien à crain-
t- dre de la France,
Mais cette confédération germanique, au- tandis que d'anciennes
trefois république de princes, d'évêques traditions devenues populaires, avaient con-
d'abbés, de villes, aujourd'hui républiquee serve la mémoire de la tyrannie des archi-
-lJ.rJ
SUR LES SUISSES. 850
829 PART. I!. POLITIQUE.
ducs. Aujourd'hui tout est changé nous Aujourd'hui que le aes places
système des places
fortes, quelque temps _1- abandonné, reprend
avons envahi, ravagé et régénéré la Suisse
elle a conservé un souvenir un peu plus faveur, au moins pour les grandes places, il
présent, de l'invasion du Directoire et des faudrait en construire ou en établir dans
extorsions de ses agents, contre l'archîduc des provinces presque entièrement com-
Albert, et les noms illustres des Steiguer mandées par les montagnes qui nous sépa-
et des d'Erlach lui ont fait oublier l'histoire rent de la Suisse. Cette dernière circons-
moitié fabuleuse de Guillaume Tell. On ne tance ne nous permettrait pas même de les
sait pas combien les amis que la France y construire sur le bord extrême de notre ter-
ritoire, comme dans les plaines du nord il
a conservés ont eu de peine à vaincre la ré-
pugnance des peuples à s'enrôler sous nos faudrait se reculer dans l'intérieur et aban
drapeaux. donner aux premières incursions de l'en-
nemi une grande partie de ces belles pro-
La Suisse serait donc l'alliée de l'Alle- vinces. Ainsi nous aurions changé une force
magne, si elle cessait de l'être de la France, vivante contre une force morte, et des hom-
et déjà eHe a été invitée à se joindre à la mes d'une fidélité inébranlable contre des
confédération germanique. murailles toujours forcées quand elles sont
Mais si la Suisse faisait jamais partie de attaquées. Sans doute alors on n'alléguerait
l'empire germanique, les Etats du continent pas de motifs d'économie, et nous aurions,
de la maison de Sardaigne voudraient en par une imprudente parcimonie, subi la né-
vain rester isolés de cette puissance qui la cessité d'une énorme dépense pour en éloi-
presserait de tous lescôtés; elle serait in- gner momentanément une plus petite. Quoi
failliblement entraînée dans ses eaux, elle qu'on puisse alléguer pour éloigner les
qui a toujours redouté l'Autriche avec qui Suisses, on ne se place pas vulontairement
elle a eu d'anciens démêlés au sujet des dans cette fausse position à laquelle il ne
fiefs impériaux, et peut en avoir de non- faudrait pas consentir, même après vingt
veaux à cause de son acquisition de l'Eta ans de guerre malheureuse.
de Gênes. Ici, je laisserai parler un de nos meilleurs
Alors la France serait ceinte de l'un à écrivainsstratégiques, M. le général Matthieu
l'autre bout, de Dunkerque à Strasbourg, Dumas, dans son Histoire militaire de la
et de Strasbourg à Nice, et dans une im- Révolution. Il parle do l'invasion de la Suis-
mense étendue de frontières, par une seule se parle Directoire.
et même puissance à qui elle aurait cédé k Quels que soient les reproches qu'on ait
par sa faute, et cédé sans combat, deux pos- pu adresser aux habitants de la Suisse, ils ne
tes avancés qui éloignaient l'ennemi du pouvaient être assez graves pour contenir
corps de la place. Cette position est sans l'indignation qu'éprouva toute l'Europe
exemple nous affaiblir sur ce point serait lorsque, sous les prétextes les plus dérisoi-
sans excuse, et à supposer que dans une res, au nom de la liberté dont on allait vio-
guerre entre la France et l'Allemagne, la ler l'asile, sous l'apparence d'une protection
Suisse, devenue puissance militaire, ne pût mensongère, le Directoire brisa les nœuds
pas avec ses propres forces garder cette neu- de l'alliance perpétuelle, renversa des gou-
tralité qu'elle avait jusqu'à présent défen- vernements vantés par leur sagesse, qu'at-
due sans aucune force, il serait avantageux testaient le bonheur et l'aisance de tous les
pour nous et pour elle, que nous puissions citoyens; lorsque l'on vit d'odieux procon-
ensemble défendre ou occuper sa frontière suls s'emparer des caisses publiques, enva-
orientale et le fleuve ou les hauteurs qui hir les propriétés particulières, porter le fer
la séparent de l'Allemagne. et le feu chez un peuple de pasteurs, et en-
Si la France pouvait méconnaître le prix sevelir sous les décombres l'égalité et la
de l'alliance de la Suisse, un système dif- démocratie, avec les seuls hommes qui aient
férent de défense, et moins avantageux, naî- réellement professé la liberté dont ces syco-
trait de la fausse position où elle se serait phantes se disaient les apôtres.
volontairement placée. Nous avions des pla- « Toute l'Europe demanda où s'arrêterait
ces fortes, même centre la Savoie; il nous donc la révolution française? Quel pays
en faudrait contre la Suisse devenue pro- tenterait moins sa cupidité, que ces contrées
vince allemande, et la Suisse s'armerait con- agrestes qui, malgré l'industrieuse activité
tre nous quand elle ne serait pas armée de ses habitants, ne pouvaient pourvoir à
pour nous et avec nous leur subsistance ? » Et il
ajoute
Quelle fidélité plus éprouvée que celle qui à l'égard de la France, que la Suisse en cou-
avait permis de laisser sans défense toute une vre par son alliance le cœur et le centre, ou
frontière, ou plutôt qui la faisait considérer la découvre par son inimitié, et la prend,
comme mieux défendue par l'inaltérable fidé- pour ainsi dire, en flanc et dans sa partie la
lité de ces loyaux alliés, qu'elle ne l'eût pu plus accessible; au lieu qu'elle ne touche à
être par une triple ligne de places fortes ? l'Autriche que par ses extrémités, et des
Et ne dites pas que nous pouvons être pays que leur âpreté toute seule défend de
alliés de la nation hélvétique sans prendre l'invasion, ou dont elle favorise la défense
ses enfants à notre service, que tous nos militaire.
alliés ne nous imposent pas la même condi- Ainsi, et c'est sous ce point de vue, qu'une
dition, etc., etc. Nous avons pour alliés tous politique éclairée doit considérer le service
les peuples avec qui nous ne sommes pas des troupes suisses en France. Elles sont
en guerre; mais nous n'avons d'amis que les proprement une garnison de barrières que
Suisses, parce qu'il n'y a pas un autre peu- la Suisse fournit, et que la France paye pour
ple dont J'alliance avec nous ne soit pas l'avantage des deux Etats et toutes les pe-
subordonnée à des circonstancesparticuliè- tites jalousies, et toutes les grandes passions
res, ou ne puisse changer avec elles, tandis qui animent certains esprits contre ces bra-
que notre alliance avec la Suisse est à l'abri ves étrangers, et tous les motifs qu'on avoue
de tous les événements, et qu'elle est fon- et tous ceux qu'on n'avoue pas, doivent re-
dée sur des services ou plutôt sur des be- culer devant des considérations politiques
soins réciproques, invariables, comme la d'une si haute importanceaujourd'hui,sur-
nature même. tout, que la populeuse Allemagne, plus re-
La Suisse, peu étendue et peu fertile, doutable parce qu'elle a été mieux avertie
sans commerce et sans colonies, mais très- et de saiaiblesse et de saforce, réunie sous un
populeuse dans les petits cantons qui ont système de confédération pi us offensif, parce
conservé des mœurs, et dans les grands qui qu'il est moins féodal, trouverait au besoin,
ont un peu trop peut-être étendu le régime dans sa république de rois, la stabilité de
des manufactures; la Suisse ne peut garder, la monarchie et les passions de la démo-
nourrir ou occuper tous ses enfants. Elle les cratie.
pousse donc au dehors comme une colonie Je sais que le tableau de la situation pé-
nomade, qui se disperse dans les diverses rilleuse où pourrait se trouver la France, si
contrées pour y exercer des professions elle avait l'imprudence d'écouter de perfides
mécaniques et une partie nombreuse de conseils ou de se laisser aller à des opi-
cette population errante se dirige vers la nions peu réfléchies, et de donner la Suisse
France, où elle se perd dans notre immense à ses rivaux, fera sourire de pitié de jeunes
population, comme un faible ruisseau dans courages qui, l'imagination encore pleine
J'Océan. Nous en employons la plus grande du souvenir de nos triomphes, croient la
partie dans notre service militaire; mais dès France invincible, même après qu'elle a été
que nous n'en voudrons plus, d'autres puis- vaincue. Ces nobles et brillantes illusions
sances sont toutes prêtes à profiter de nos que les arts, dans ce moment, exagèrent
fautes et à s'enrichir de nos pertes; et h jusqu'au ridicule, et quelquefois jusqu'à la
première condition de leur nouvelle alliance férocité, doivent être entretenues avec soin
avec les Suisses sera de les orendre à leur par les gouvernements, et figurent très-bien
service. dans l'ordre du jour de l'armée la veille
Il y avait ou il y a. encore, il est vrai, d'une bataille, ou dans le bulletin du lende-
quelques troupes suisses au service d'Espa- main d'une victoire mais la politique, qui
gne, de Naples, de Hollande, de Sardaigne, se sert au besoin de cet enthousiasme guer-
même à celui du Pape mais ces troupes ser- rier, ne néglige pas pour cela les moyens
vaient, du moins pour la plupart, en vertu que la prudence indique pour rendre moins
d'engagements individuels et non en vertu nécessaires les miracles de la valeur. Elle
d'aucune capitulation. La Suisse n'a point sait qu'aujourd'hui, plus que jamais, les
d'alliance naturelle avec des Etats éloignés, peuples se battent, et à nombre égal, parce
ni d'alliance défensive avec des Etats trop que le fort vient au secours du faible, et à
faibles. Elle ne peut réellement en contrac- forces égales, puisque tous les peuples ont les
ter qu'avec la France ou avec l'Allemagne, mêmes ordonnances militaires, et que, dif-
les seules puissances qui puissent l'attaquer férents les uns des autres sur les moyens
ou la défendre; mais il y a cette différence constitutionnels d'assurer chez eux le bon
833 PART. lL. POLITiQCC. SDR LES SUISSES. s5î
ordre
ordre et la paix, ils sont unanimes sur les les
par l'effet
l'effetde
de la révolution, n'est pas devenue
moyens de
T7ll1VP11S se faire
tip. KR fnirp entre &>11. la
fntrp eux J?) guerre. .,I, forte et est
plus
o'i]ft'ro Le
LA ~~t devenue plus menaçante,
génie même est devenu un bien commun parce qu'elle semble plus agitée.Est-ce donc
depuis qu'il a été écrit, et on peut dire en- une raison d'affaiblir encore sa force politi-
régimenté sous son nom dans les traités et que, lorsque l'état de ses finances lui fait un
les corps de génie militaire, où chacun peut devoir de ne pas trop accroître sa force mi-
lire et apprendre les inspirations soudaines litaire ? Et depuis quand les grands Etats
de Turenne et de Condé. ne
sentiraient-ils plus l'honneur et l'avantage
Il n'y a qu'un accès de délire, produit par de ce noble patronage envers les Etats infé-
quelque cause politique cru religieuse, qui rieurs, qui donne à leur existence politique-
puisse donner à un peuple une force exces- une base plus large, à leur intervention plus
sive et disproportionnée à celle de tous les de poids, à leurs rapports plus d'étendue, à
autres. Ce délire, nous l'avons usé, et nous leur puissance enfin plus de dignité? Et les
devons craindre de le retrouver ailleurs ef familles elles-mêmes, les familles privées,
contre nous, plutôt qu'espérer de le faire ne cherchent-elles pas à étendre leur in-
revivre chez nous hors de là il n'y a point fluence par une clientèle plus honorable et
de peuple en Europe, à commencer par. plus nombreuse, ou à se créer une influence
nous, qui ne compte autant de revers que de par des alliances plus honorables et plus
triomphes. Ce n'est pas, je le répète, aux il- étendues; et Bonaparte lui-même, qu'on
lusions d'une confiance présomptueuse, qui n'accusera pas de ne pas connaître les mcyens
semble être le caractère des peuples igno- d'affermir la puissance,- dédaignait il ds
rants et barbares, que la politique confie joindre aux titres d'empereur des Français,
ta destinée des Etats les Grecs chantaient de roi d'Italie, de protecteur de la confédé-
encore leurs victoires sur les Perses, quand ration du Rhin, celui de médiateur de la
ils furent si facilement subjugués car les confédération helvétique? Et même, à côté
Romains. des titres des rois de France et de Navarre
II ne s'agit donc pas ici d'économie pas il serait honorable ce titre d'ami des cantons
même d'égoïsme national. Les Suisses sont suisses, de ces Suisses que notre Henri IV,
Français, Français naturalisés car si un avec cette aimable familiarité qui rehaussait
particulier est naturalisé par des lois, un chez lui la dignité d'un grand roi et d'un
peuple se naturalise par une alliance non grand homme, appelait ses compères.
interrompue des besoins réciproques, des. On se trompe, si l'on croit de l'économie
services constants et fidèles, et une frater- dans le renvoi proposé; on se trompe, si
nité d'armes et de paix qui leur a fait si l'on y croit de l'esprit national il n'y a pas
longtempsmanger le même pain et mêler leur plus de l'un que de l'autre. La vraie éco-
sang dans les mêmes combats. Sans doute nomie est .celle qui prévoit et qui éloigne
leur service coûte quelque argent à l'Etat les difficultés de sa position; le véritable
mais il en épargne bien plus aux familles esprit national est celui qui étend l'influence-
qui ont moins d'hommes à fournir, et par de la nation, loin de la resserrer, et aui lui
eonséauent moins de remplaçants à ache- cherche partout des amis et des défenseurs
ter et je dirai de cette mesure ce qu'à la tribune'
Je le disais en commençant la France, je disais de la loi des élections « Si vo-us-
relativement à ses voisins, et en comparant aviez des ennemis, ils seraient les premiers
son état ancien à son état présent, la France, à vous la conseiller. M
HOMMES DU 21 JANVIER
QUESTIONS DE DROIT PUBLIC.
Séance du 17 mai.
i.
Toutes les fois que vous voyez des gens Le rot préféra de pardonner tout, et de
d'esprit dire ou faire des sottises, tenez pour pardonner
1
à tous, même aux hommes du 21
certain qu'ils ont leurs raisons pour cela, et j
janvier, et il fit ce que Dieu môme ne pour-
le premier des Brutus avait les siennes lors- rait
i pas faire, puisque l'éternelle justice no
qu'il contrefaisait l'insensé> peut
] être désarmée que par le repentir du
Cette réflexion m'est venue à l'occasion coupable,
( et qu'ici aucun acte n'attestait au
de la discussion du 17 mai dernier, sur le public
i
le repentir d'un crime qui avait eu lo
rappel de quelques bannis, et sur les cir- monde entier pour témoin.
11 n'eût pas fallu les punir de mort; il
eût
constances qui l'ont accompagné.
II s'est commis en France de grands cri- suffi de les bannir d'un pays qu'ils avaient
mes pendant les vingt-cinq années de la ré- déshonoré.
volution, et j'oserai dire les plus grands cri- Le roi ne tarda pas à recueillir les fruits
mes qui jamais aient été commis, si l'on de son extrême indulgence.
considère tout ce que les lumières les plus L'heure fatale du 20 mars sonne, et le roi
avancées ont mis dans le désordre, d'art, de est trahi par ceux môme à qui il venait d'ac-
formes, de réflexions et de connaissances, corder la grâce la plus entière et la moins
et tout ce que la société la mieux ordonnée méritée.
y a inutilement opposé de freins pour les Cette fois la France, l'Europe, la société
peuples comme pour les hommes, les cri- humaine tout entière demandaientjustice de
mes ne sont excusables qu'avant l'âge de la cette épouvantable trahison, qui, en renou-
raison. velant le premier forfait annulait le dernier
Mais il s'en est commis un qui sort de la pardon; car tout pardon est conditionnel
mesure ordinaire des crimes un crime qui même devant la loi, la récidive est toujours
les surpasse tous par son objet et par ses punie plus sévèrementque la première faute;
suites, l'assassinat judiciaire du juste cou- et si la loi civile dépouille le donataire in-
ronné, commis pur des hommes qui, contre la grat, la loi criminelle doit- elle être plus in-
teneur expresse de leur mandat et de leurs dulgente envers l'amnistié relaps?
décrets, se sont constitués eux-mêmes, et à la Le châtiment toutefois ne fut pas sévère,
fois, contre lui. accusateurs, témoins et juges; et ceux des hommes du 21 janvier, qui, au
et ce peu de lignes renferme le plus haut mépris de leurs serments, étaient devenus
degré de perversité humaine et de déprava- les hommes du 20 mars, et, après avoir as-
tion sociale, et l'imagination la plusféconae sassiné un roi, en avaient banni un autre,
furent eux-mêmes bannis par mesure politi-
en circonstances aggravantes d'un crime ne
saurait aller plus loin. que du 12 janvier 1816.
Le roi était revenu en 1814, et la justice C'est ce qui pouvait arriver de plus ras-
exilée avec lui, avec lui était revenue surant pour tous les autres coupables que la
La justice pouvait et devait punir; punir révolution et la restauration avaient faits; ç
L'auteur de cet article avait dit il v a importants à des opinions que le côté droit
peu de temps, dans le Conservateur « que a constamment professées, il est loin d'en
si jamais la monarchie était menacée par la tirer avantage contre qui que ce soit. L'hon-
démocratie, les deux parties de la chambre neur en est aux principes et non aux hom-
des députés, désignées par côté droit et mes qui tous peuvent se tromper, surtout
centre, se réuniront infailliblement, parce sur des institutions non encore éprouvées,
qu'elles avaient un point de ralliement dans et le côté droit oublie volontiers qu'il a
leur affection pour la personne du roi et longtemps combattu seul, pour combattre en-
leur attachement à la monarchie. » core, et avec plus de succès, appuyé de ceux
Ce qui n'était alors qu'une supposition qu'il a pu considérer comme des adversaires,
est devenu une réalité; et l'évidence incon- jamais comme des ennemis.
testable du progrès non (qu'on ne s'y L'auteur de cet article n'entrera point dans
trompe pas) des principes démocratiques les détails d'une négociation à laquelle il
mais des hommes qui les professent, a amené n'a pu assister; il se contente d'en montrer
un rapprochement entre des hommes quel- le résultat et d'en faire espérer les plus heu-
quefois divisés d'opinions, toujours unis de reux effets, pour une meilleure application
principes et de sentiments de la loi fondamentale.
Si le côté droit avait formé un parti dans La funeste tendance de la loi des élections
l'Etat, il aurait traité sur le pied.de l'égalité, n'est que trop connue elle est évidente pour
et aurait demandé pour' lui autant de suf- la majeure partie des députés, et sera avouée
frages qu'il en apportait aux autres. Mais par tous les autres lorsqu'une discussion
il n'est, il ne veut être qu'une partie de la solennelle aura permis d'entendre nos hono-
nation, toute réunie sous l'autorité du roi, rables collègues, ceux surtout qui, ayant
et dans une sincère affection pour sa per- présidé des colléges électoraux, ont été plus
sonne, et il lui a suffi de savoir que le mi- à portée de juger les vices de leur composi-
nistère, parlant au nom du roi, exprimait la tion actuelle. Cette loi sera donc changée.
volonté de repousser désormais les doctrines Les meno termine ne serviraient de rien Ce
démocratiques, pour s'empresser de faire n'est pas pour faire ou prolonger, même pro-
une entière abnégation de toute prétention visoirement, de mauvaises lois, qu'il faut
personnelle et de tout amour-propre et de un corps législatif. Une institution qui a
porter aux dignités de la chambre les mem- contre elle 1e raisonnement et l'expérience
bres les plus connus par leur attachement ne saurait convenir à une nation sensée et
au ministère, et leur constante adhésion à spirituelle, et les tempéraments qui en con-
ses vues. serveraient le fonds, même pour un temps,
Si cette attente n'avait pas été compléte- ne feraient que prolonger le désordre, nour-
ment remplie, ce n'est point au côté droit rir l'esprit de parti, en entretenant de cou-
qu'il faudrait s'en prendre il a satisfait avec pables espérancesou de douloureuses crain-
fidélité à ses engagements, et il a évité avec tes, et ils ne rempliraient l'intention d'au-
soin de porter ses voix sur ceux de ses cun côté, et moins encore les vœux de -la
membres qu'il avait accoutumé de nommer. saine partie de la nation.
Ce sacrifice n'a rien coûté à l'ambition, puis- Les opinions du côté droit sont connues,
que ces voix, cette année-ci, comme les et même sur tous les points, puisqu'ils ont
précédentes, auraient été sans résultat, mais presque tous été traités dans les sessions
il a coûté à l'amitié. précédentes. Comme il les a soutenues avec
Si l'on revient aujourd'hui sur des points une entière conviction, et qu'aucune expô-
849 FAUT. Il. POLITIQUE. ~o ROYALISTES
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rienee contraire ne l'a,
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du moins jusqu'à sauver. Le ministère sait aujourd'hui com-
présent, averti qu'il se soit trompé, il per- bien il est urgent d'y rentrer; il apprendra
sistera dans ses sentiments, toujours prêt à bientôt par l'expérience combien il est facile
revenir,de ses erreurs, s'il en avait com- de la suivre. Les obstacles qu'on lui pré-
mises. Ses pensées, ses affections, ses opi- sente ne sont que des fantômes qui s'éva-
nions sont pour la monarchie et la légiti- nouiront devant une volonté forte et soute-
mité, et pour tout ce qui est monarchique nue. Je crois même que, depuis la seconde
dans les institutions politiques et religieu- restauration, les circonstances n'ont jamais
ses convaincu qu'il est, avec le plus grand été plus favorables pour commencer et pour
nombre de ses collègues, que tout ce qui est suivre une marche conforme aux vœux des
trop démocratique dans les institutions, se- gens de bien, et par conséquent aux vrais
rait un principe de révolutions nouvelles, et intérêts de la France. Le gouvernement est
ne pourrait que flétrir, aux yeux de la posté- débarrassé des soins que lui imposait l'oc-
rité, les hommes qui, chargés des destinées cupation étrangère; et les finances, premier
de leur patrie, l'auraient volontairement ex- moyen de tranquillité comme de prospérité,
posée à de nouveaux et irrémédiables mal- sont affranchies des dépenses qu'entraînait
heurs. le séjour des troupes alliées sur nos frontiè-
Ces pensées et ces sentiments sont ceux res, et le seront bientôt des contributions
de la nation tout entière, qui veut l'ordre et qui restent à acquitter. Les premières puis-
la paix, qui ne peut pas ne pas les vouloir; sances de l'Europe, réunies au dernier con-
et si l'on y aperçoit encore quelques diffé- grès, ont manifesté leurs vœux pour la tran-
rences d'opinions, c'est que dans un grand quillité de la France, garant de leur propre
peuple, tous les hommes, faute de lumières tranquillité; et la nation, fatiguée de secous-
ou de vertus, ne sont pas également éclai- ses, rassasiée de fausses doctrines, aspire à
rés sur les moyens d'obtenir le bien qu'ils l'ordre, qui est la véritable liberté publique,
désirent. C'est donc aux pouvoirs chargés et n'en demande pas d'autre. Les fonds
de diriger les opinions politiques, comme de publics ont éprouvé quelque variation; mais
régler les actions civiles; à leur indiquer à dans ce quon appelle les fonds publics, il
tous et à leur prescrire les meilleurs et les n'y a véritablement de public que la rente,
plus sûrs moyens d'ordre et de bonheur, et patrimoine des particuliers, que le gouver-
ce n'est ni pour l'égarer, ni pour l'abandon- nement doit payer avec la plus rigoureuse
ner elle-même que la nation a choisi des exactitude; et il n'y a rien de moins public
guides. que l'agiotage, jeu périlleux de la cupidité
Tout est franc, simple et amical dans cet privée, dont le gouvernement doit se sépa-
exposé. L'auteur a voulu seulement prouver rer avec soin, parce qu'il en supporte les
que lorsque le côté droit a vu une porte pertes beaucoup plus qu'il n'en partage les •
entr'ouverte à un rapprochement, il s'y est profits, et qu'il se place lui-même, et l'Etat
porté avec ardeur et désintéressement. Cette avec lui, dans ces alternatives de hausse et
honorable coalition ne sera pas trompée de baisse qui compromettent sa dignité,
dans ses espérances et ne trompera pas la même son repos, et peuvent nuire à l'opinion
juste attente de la nation mais si les de sa force. Mais qu'il ne se laisse pas impo-
Chambres peuvent aider au grand oeuvre de ser par ce vain bruit d'opinions prétendues
l'amélioration, c'est du gouvernement que la libérales, qui ne sont qu'un passe-port pour
France doit'en attendre et le commencement la licence ou un masque pour l'ambition.
et la fin; il a aujourd'hui dans les mains le Dépositaire et gardien des bonnes doctrines,
puissant levier de tout gouvernement repré- qu'il méprise cette vaine science d'écrivains
sentatif une majorité honorable dans les sans pudeur et même sans talent, et de
deux chambres; cette majorité, qui, dans ces jeunes gens sans études, qui circule comme
sortes d'Etats, coûte souvent tant de soins une fausse monnaie, d'un bout à l'autre de
et de peines à former, et que l'expérience l'Europe, au profit de ceux qui la débitent et
du passé et la crainte de l'avenir ont toutes pour la ruine de ceux qui la reçoivent. La
seules formée tout à coup parmi des hom- France, riche de tant de raison, de connais-
mes tous sincèrement attachés à leur patrie, sances et de vertus, mûrie par tant et de si
éclairés sur ses besoins, et décidés à suivre rudes épreuves, n'a pas besoin de pareils
avec ensemble et fermeté la direction qui précepteurs. C'est de sa religion qu'elle doit
convient à ses intérêts. Ils la demandent au attendre des îeçons; c est ae son gouverne-
gouvernement, cette direction qui peut tout ment qu'elle doit recevoir des exemples.
DE L'ESPRIT DE CORPS ET DE L'ESPRIT DE PARTI.
(t) Voilà pourquoi on demande au ministère (3) Elle pourra beaucoup qua::d elle le vou-
tant dedestitutions. dra
(2) C'est selon qu'elle a de l'esprit de corps, ou (4) La force lie doit pas être dans les membres,
qu'elle n'en a pas. mais dans le corps.
la loi des élections est l'avis unanime de défendus dans le cabinet avec autant de
tout ce qu'il y a en France et dans l'étranger zèle, ou plus de succèsllt1
d'hommes vraiment éclairés, amis de l'ordre Puisque j'ai cité M. Cottu, je me permet-
et de leur pays; et il serait fâcheux, disons trai sur son dernier écrit quelques observa-
mieux, il serait honteux pour la chambre tions que je soumets à son jugement, et que
des pairs de se trouver, sur ces hautes ques- je présenterai avec tous les égards qui lui
tions, en contradiction avec le bon sens de sont dus.
toute l'Europe. Ce magistrat voit très-bien le précipice où
Mais si M. Cottu voit parfaitement les l'on entraine la monarchie il fait à ce sujet
dangers qui menacent la monarchie avec les réflexions les plus justes, et ne nous
l'ordre de choses actuel, il semble ignorer épargne aucune vérité; mais les moyens
qu'il propose pour éloigner le danger me
ceux qui menacent un bien qui nous est
beaucoup plus précieux encore que la mo- paraissent impraticables, et, s'il n'en reste
narchie, et qui périrait infailliblement avec pas d'autres, il n'y a plus qu'à périr.
elle. Comme le parti révolutionnaire en Comment en effet nous fera-t-on entendre,
France (car je ne pense pas que l'on pousse à nous qui avons vu tant d'électeurs et d'é-
la niaiserie jusqu'à nier son existence), lections sans en être plus avancés, l'utilité
et surtout la possibilité de cette machine
comme ce parti n'ignore pas que la religion
catholique est le plus ferme appui de la lé- d'élection si compliquée d'électeurs grands
gitimité, il veut changer à la fois, s'il le et petits, mobiles et en expectative, royaux
peut, la religion et la dynastie et les libé- ou populaires, tous héréditaires, tous titrés?
Les royalistes y verront un système usé; les
raux, ces libéraux qu'un écrivain du Con-
servateur attaquait sans relâche, lorsqu'ils libéraux, un système de féodalité et de pri-
étaient bien moins redoutables qu'aujour- vilége.
d'hui, tournent sans cesse leurs regards La distinction des grands ou nobles et du
vers la révolution d'Angleterre de 1688, peuple était fondée en raison et sur la na-
comme vers le but qu'ils s'efforcent d'attein- ture môme des choses, parce que les uns
dre. Ils ne font môme plus mystère de leurs étaient occupés de service public, les autres
projets, et selon les circonstances, ils com- de travaux domestiques; que les uns avaient
menceraient par le schisme pour arriver à autorité dans l'Etat, les autres, moins avan-
l'usurpation, ou par l'usurpation pour finir cés, seulement dans la famille. Aussi cette
par le schisme. 11 me semble qu'ils trouve- distinction se retrouve-t-elle partout où il y
raient en ce moment plus de facilité et d'es- a des hommes et des sociétés, et elle s'est
poir de succès à commencer par la religion montrée même dans les îles de la mer du
de là ces violentes déclamations contre l'ul- Sud que Cock a découvertes. Mais où est la
tramontanisme, dont ils ont fait un épouvan- raison de la distinction d'électeurs grands et
tail pour les esprits faibles et les ignorants petits, fixes ou mobiles, actuels ou expec-
qui oublient ce que disait plaisamment le tants, entre des hommes tous occupés du
docteur Johnson, que ceux qui crient de no- même service public, du service électoral?
tre temps contre le Pape auraient crié au feu et les petits, les mobiles, les expéctants n'y
pendant le déluge de là ces attaques conti- verront-ils pas un privilége sans motif en
nuelles contre la religion, son chef, ses pra- faveur des autres?2
tiques, ses dogmes, ses ministres, dont ils Les moyens proposés par M. Cottu peu-
relèvent avec tant de complaisance les fautes vent être un arrangement plus ou moins in-
et les faiblesses, lorsqu'ils ne les inventent génieux, mais ne forment pas une institu-
pas; de là ces morts philosophiques, dont tion durable.
ils sont si fiers, et qu'ils imposeraient aux Je m'attendais, je l'avoue, a une autre con-
mourants même par force, s'il en était be- clusion, et entrant, ce me semblait, dans la
soin de là surtout ce redoublement de rage pensée de l'auteur, mieux que l'auteur lui-
contre cette compagnie célèbre, le plus ferme même, après ce qu'il avait dit des disposi-
rempart de la société contre les fausses doc- tions peu monarchiquesde certaines profes-
trines qu'on veut y introduire. Et les pères sions, et de l'aristocratie territoriale comme
de familles le savent bien, et un ministre la seule base sur laquelle les gouvernements
du roi le savait aussi, lorsqu'à la session puissent être affermis, je croyais qu'il allait
dernière, il défendait ces vertueux institu- proposer, pour faire des élections monarchi-
teur!) à la tribune. Heureux s'il les avait ques et populaires à la fois, de les confier à
865 PART. II. POLITIQUE. DE L'ESPRIT DE CORPS ET DE L'ESPRIT DE PARTI. 86fl,)
collège unique par
un collége
un département, composé longue mystification pour le public,
publie, et peut-
uniquement de propriétaires fonciers, et à être pour le vénérable accusateur lui-même.
l'exclusion de tous ceux qui retirent salaire Ce qui a perdu les ministres est la licence
ou profit d'un service quelconque auprès de la presse, arme terrible dont ils ont trop
des particuliers, et 'à l'exclusion encore de tard connu la portée elle en perdra bien
tous ceux qui occupent un emploi public à d'autres, et je pense, comme M. Cottu, qu'a-
la nomination du gouvernement. vec la licence de la presse soudoyée et ins-
M. Cottu veut certainement être juste en- pirée par le parti libéral, tout gouvernement
vers tout le monde, et je crois qu'il ne l'est religieux ou politique est impossible.
pas envers les derniers ministres, et moins Car, il en faut convenir, c'est une terrible
encore envers le clergé. puissance que celle des journaux politiques.
H veut que ce soit le clergé qui ait perdu Un homme loue un local à placer ses bu-
les ministres. Est-ce pour l'avoir trop favo- reaux il traite avec des marchands de pa-
risé ? Est-ce pour l'avoir négligé? Est-ce pier et des imprimeurs; il engage des rédac-
pour avoir appuyé ses prétentions ultramon- teurs, jeunes pour la plupart, et frottés de
taines ? Cette dernière supposition ne pour- bel esprit et de littérature romantique, mais
rait que prêter à rire à ceux qui ont connu sans expérience des hommes et des choses
les ministres un peu mieux que ne les a il leur livre la religion, la politique, la mo-
connus M. Cottu, et à qui l'on voudrait per- rale, la société, le public, les particuliers
suader que M. de Corbière, ancien avocat les ministres, le roi lui-même. « Parlez de
au parlement de Rennes, est un ultramon- tout et osez tout, » dit-il, « et régentez les
tain, ou que M. de Villèle, jeté dès l'âge de peuples et les rois livrez-vous aux conjec-
treize ans, dans la carrière militaire, et de- turas les plus hardies, avancez les faits les
puis dans les affaires publiques, est un moins certains plus vous serez malins, mé-
théologien. Serait-ce pour avoir introduit chants ou frondeurs, plus vous serez lus
des évoques dans la chambre des pairs, seule ne craignez rien à côté de vous est le bouc
place de l'ordre civil qui soit occupée par émissaire, un éditeur fictif ou gérant, respon-
des membres du clergé? Mais, outre qu'il sable de toutes vos iniquités, payé pour être
était décent et convenable que la chambre puni à votre place, même corporellement.
des pairs réunît les chefs ecclésiastiques Allez dans toute l'ardeur et la confiance de
comme les chefs militaires et civils, les votre âge; et, fussiez -vous seuls de votre
évoques n'occupent pas encore dans notre avis, souvenez-vous que vous êtes. l'opi-
chambre des pairs le rang qu'ils occupent nion publique. »
dans celle d'Angleterre, et n'y forment pas Je le demande, n'est-ce pas ce que font
un banc particulier; car, en Angleterre, ce depuis longtemps au milieu de nous quel-
n'est pas à la personne, mais au siège que ques journaux, et ce que tous pourraient
la pairie est attachée, et elle l'est à tous. faire? Où trouverait-on quelque chose de
Ce qui a valu aux ministres la haine im- plus absurde, de plus inconciliable avec la
placable des libéraux et qui les a perdus raison, avec le gouvernement, avec la tran-
c'est d'avoir repoussé par la force publique » quillité publique et le bon ordre de la so-
des violences populaires ou des révoltes à ciété, dans les coutumes des peuples les plus
main armée dont on attendait des résultats barbares, même chez ceux qui serrent entre
décisifs, et surtout d'avoir donné un milliard deux planches le cerveau de leurs enfants
d'indemnité à la noblesse émigrée et dé- naissants? et fausser à ce point le jugement
pouillée car on ne pardonne pas plus l'in- des hommes est-il beaucoup plus raisonna-
demnité qu'on ne pardonne l'émigration. La ble que de déformer le crâne des enfants ?2
déplorable accusation n'a cependant pas osé Et prenez garde que les journaux politi-
parler de ce dernier grief, crainte de démas- ques, nés dans la guerre des partis, ne peu-
quer aux yeux des royalistes dissidents des vent vivre que de la guerre. On ne lit un
intentions qu'il est prudent de tenir secrètes; journal politique que pour y trouver pâture
et cette accusation qui parle de tout, hors à la malignité, comme on ne va au spectade
de ses véritables motifs, cette accusation si que pour y voir le jeu et le combat des
hautement, si solennellement commencée, passions; et le journal qui n'aurait que des
si misérablement, si honteusement termi- leçons de sagesse et de modération à nous
née, cette montagne en travail qui a abouti donner n'aurait pas plus d'abonnés que
è un enfantement si ridicule, n'a été qu'une l'œuvre dramatique qui n'offrirait que des
personnages vertueux', raisonnables, sans tes avec art, et la violence dans les actes; et
vices, sans passions, sans ridicules, n'aurait qu'y a-t-il en effet de plus violent que tout
de spectateurs. ce qui tend à ébranler la religion et à tou-
Il y a dans l'esprit d'hommes éclairés et cher à cette fibre si irritable du corps social ?2
judicieux sur beaucoup de points, et qui On croit cependantêtre modéré, même dans
veulent être indépendants de tout esprit de ses actes, et c'est alors que les plus modé-
parti des préventions contre le clergé que rés deviennent les plus violents, parce que,
l'on ne peut concevoir. dans la préoccupation qui les aveugle, ils
Comment ne voient-ils pas que cet ultra- ne conçoivent pas qu'on se refuse à des me-
montanisme, tant reproché au clergé et en sures qui leur paraissent si justes et si mo-
général aux fidèles de. la religion catholi- dérées, et ils s'en irritent davantage contre
que, n'est que le papisme d'Angleterre, dont les obstacles qu'ils rencontrent. J'ai entendu
on a adouci le mot, et qui y a produit à la parler modération et avec sentiment à des
fois des scènes si ridicules et des persécu- hommes nommés à la Convention, et qui y
tions si cruelles? Cet ultramontanisme, au- sont devenus des plus violents et des plus
quel on ne songeait plus, a été mis à la fougueux.
mode par le même parti et dans les mêmes Je crois sincèrement qu'on ne veut pas
vues. M. Cottu ne veut pas de la religion de faire de martyrs et qu'on serait même bien
Home j'ignore quelle est la sienne mais fâché d'aller jusque-là; mais par une pre-
s'il est catholique, comment peut-il distin- mière démarche hors de la justice et de la
guer la religion de Rome de celle de Paris, vérité, on est entraîné plus loin qu'on ne
de Vienne ou de Madrid? et ne voit-il pas voudrait, et l'on se trouve insensiblement
que, pour que la parole de celui devant qui engagé dans une voie de persécution, dont
tout genou doit fléchir (Philip. u, 10) s'ac- on ne revient ni quand on veut, ni comme
complisse, fiet unum ovile et unus pastor on veut. D'ailleurs tous les martyres ne vont
(Joan. x, 16), il faut de toute nécessite un pas jusqu'à effusion de sang, et sans en ré-
centre et un chef àlaxsociété religieuse qu'il pandre, on ferait verser bien des larmes aux
a fondée, et qui a été dans la chrétienté mères de familles, et l'on ferait bien des
le type et le modèle de la société politi- maux et bien des malheureux. Déjà l'on a
que ? parlé de bannissements, dejà des pères ont
Et comment se fait-il que la France, si banni leurs enfants hors de leur pays pour
fière de sa force, de sa prospérité, de ses lu- leur conserver le bienfait d'une éducation
mières, soit tombée à ce point de pusillani- chrétienne. Mille autres suivront cet exem-
mité et de faiblesse, que de redouter cette ple et n'est-ce pas un vrai bannissement
prétendue puissance de la cour de Rome, hors de la société à laquelle on appartient,
qui n'a pu défendre ses propres Etats et ses que de refuser, comme on l'a proposé, tout
possessions les plus légitimes? cette préten- emploi public à des sujets élevés en pays
due puissance que Joseph 11 a mandée en Al- étranger?
lemagne, que Bonaparte a emprisonnée en Pourquoi, je le demande, avoir rendu ces
France et que ne redoutent pas, qu'ont deux ordonnances qui contristent les Catho-
même rétablie chez eux les souverains de liques à proportion que les dissidents s'en
l'Autriche, de l'Espagne, du Portugal de réjouissent ?N'y avait-il pas en France assez
Naples, de la Sardaigne, à laquelle la pro- de sujets de division ? Ne pouvait-on pas du
testante Angleterre elle-même semble se moins ou consulter officiellemeut les évê-
montrer déjà plus favorable que le royaume ques, ou confidentiellement le chef de l'E-
très-chrétien? glise ? A-t-il paru si ennemi des tempéra-
Comment la France peut-elle redouter un ments et des moyens de conciliation? Et
clergé pensionné par l'Etai, et qui, loin de quelle autorité, après tout, oppose-t-on ici à
pouvoir faire l'aumône aux pauvres, est obli- celle des premiers pasteurs? Je dirai comme
gé lui même de la recevoir des paroisses le célèbre chancelier d'Angleterre, Thomas
qu'il dessert, et où il n'est souvent regar- Morus, qui eut l'honneur et le bonheur de
dé que comme le premier valet de la com- verser son sang pour la cause de la religion:
mune. « Que sont Luther, Calvin (et j'ajouterai
On ne parle que de modération mais on Jansénius et tout Port Royal ensemble),
place la modération dans les formes, dans que sont les conseils des hommes et même
les paroles mielleuses, dans des phrases fai- les conseils des rois auprès du grand con-
869 PART. II. POLITIQUE. DE L'ESPRIT DE CORPS ET DE L'ESPRIT DE PAKT1. 870
seil de l'Eglise chrétienne? II n'y d'évident
a înt cation de la jeunesse, il s'accorde entière-
que son autorité, de vrai que ses maximes,3S, ment, et je l'en félicite, avec le chancelier
1- ferme
de 1 et de bien lié que ce qu'elle lieet
et Bacon, qui les proposait pour modèles, et
affermit. S'il y a dans sa discipline quelques disait d'eux « Dès qu'il s'agit d'éducation,
les
abus, comme il y en a en tout
ce qui de-
le- le mieux est de consulter les Jésuites, il n'y
mande le concours de l'homme, -laissez-lui lui a rien qui les vaille; » consule scholas Je-
ses abus, ils sont moins dangereux que vos vos suitarum, nihil enim his melius. Quel éloge
perfectionnements politiques. » de la part d'un homme d'Etat protestant,
C'est surtout à l'égard des Jésuites philosophe et anglais On se sent un peu
que
;ue
M. Cottu s'est montré injuste et
peu consé-
sé- soulagé, lorsque l'on peut opposer de si
quent. Il commence par faire l'éloge le plus
lus grands noms à des déclamations si usées et
complet de leur système d'enseignement, et et des préventions si déplorables.
finit par leur interdire d'enseigner. Je Une remarque importante n'a pas échappé
ne
peux me refuser au plaisir de transcrire ici à l'auteur, mais il n'en a pas connu lui-
ce qu'il en dit, et que je pourrai au besoin
)in même toute la portée. Il dit que le nom de
appuyer de ma propre expérience. pères, que les enfants, chez les Jésuites
« Lorsque, dans l'espace de quelques an-
n- (comme au reste dans toutes les congréga-
nées, les Jésuites sont parvenus à réunir lir tions religieuses enseignantes), donnent à
dans leurs colléges un si grand nombre de leurs maîtres, semble communiquer à ceux-
jeunes gens, IL FAUT BIEN LEUR RECONNAÎTRE ci des sentiments paternels, comme aux
RE
NON-SEULEMENT DES TALENTS PARTICULIERS :rs élèves ceux d'une obéissance filiale. C'est
POUR l'éducation DE LA JEUNESSE, MAIS EN-
N- qu'effectivement le jeune homme n'obéit
core DES MOEURS PURES ET DES PRINCIPES DE sans contrainte et sans bassesse qu'à celui
MORALE A L'ABRI DE TOUTE CRITIQUE. Quelle
lie qu'il peut appeler mon père. ou mon gé-
que soit la fureur de l'esprit de parti, elle ne néral preuve évidente que la douceur de
peut jamais aller jusqu'à porter des pères de la discipline religieuse convient autant
famille à livrer leurs enfants à la corruption au
:>n premier âge, que la sévérité de la discipline
dans un intérêt politique. militaire au second. La civilisation d'un
« J'ai vu l'un des établissements des Jé- é_ peuple tient plus qu'on ne pense à la dou-
suites, et je dois rendre hommage à la véri- ri- ceur de la première éducation, et les peu-
té. Les Jésuites ont un art merveilleux pies barbares donnent à leurs enfants l'é-
pour
,ir
capter la confiance de leurs élèves. Ils leur ur ducatïon la plus dure, pour les former à
partent et les reprennent avec une extrême ae
l'amour du pillage et à la haine de leurs
.douceur. Le nom de pères qu'ils en reçoi- i_ semblables.
vent semble leur en inspirer les sentiments. St Croirait-on qu'après cet éloge, M. Cottu
Leurs soins pour les enfants qui leur sont nt ne veut pas qu'on laisse entre les mains des
confiés ne se bornent pas à leur instruction; n; Jésuites l'éducation de la jeunesse (1) 9
ils veillent encore sur leurs manières, leur Un singulier reproche qu'il l'ait à leur
iir
langage, et s'étudient à leur donner de de système d'enseignement est que les études
bonne heure le ton et le goût de la bonne classiques ne sont pas aussi fortes dans
ie
compagnie. Leur sollicitude s'étend sur iv leurs colléges que dans ceux de l'Université.
leurs jeux et leurs plaisirs. Dans les beaux Cela peut être; on pouvait faire le même
ix
jours d'été, ils les conduisent à la campa- reproche aux collèges de l'Oratoire, et je
a-
gne, leur font servir à dîner- sous des om- a- crois cependant qu'il est sorti de bons sujets
brages touffus, à la vue de riantes prairies et des hommes de mérite des uns et des
s
et entretiennent leur gaieté naturelle par la autres.
plus aimable familiarité. Rien enfin n'est st 11 résulte de tout ce que dit M. Cottu à la
plus touchant que Je dévouement absolu des louange des Jésuites, et de la préférence
;s
maîtres, et la reconnaissance naïve de tous qu'il donne aux études classiques de J'Oni-
is
ces jeunes enfants pour les soins dont ils 1s versité, qu'il y avait plus d'éducation chez
sont l'objet. » les Jésuites, et plus d'instruction classique
Lorsque M. Cottu rend un hommage si dans les colléges royaux. L'instruction fait
complet à l'habileté des Jésuites pour l'édu- des savants de ceux à qui la nature a départi
i-
(!) Si l'on pouvait rire en un sujet si
grave,
e, est à merieille,
qui est touckex-là
merveille, louche»- (à ..vous n'aurex
n'aurez %as ma
vos tn~
ou pourrait trouver que cette coriclusion ressemble
à celle de ce personnage d'une comédie Voilà le
là
/?.
des talents, et malheureusement beaucoup latin plus fréquemment qu'en France, et les
trop de demi-savants de tous les autres. jeunes gens sortent du collége en sachant
L'éducation fait des hommes, et ce sont des très-peu de grec et moins de latin qu'au-
hommes qui nous manquent; et puis que trefois.
sait-on quand on sort du collége, même le La suppression des maisons des Jésuites
meilleur? A peu près rien, et l'on a assez a été provoquée par des exigences qu'on
profité, si l'on a appris à apprendre. Je ne n'oserait avouer, et auxquels on n'a pas eu
suis pas même éloigné de penser qu'un bon le courage de résister, et elle l'a été impé-
système d'éducation développe le génie na- rieusement par ces hommes perfides dont
turel plutôt qu'un vaste et complet système M. Cottu a dit Détestables sophistes, effron-
d'instruction. Les hommes les plus forts tés imposteurs, ne les a-t-on pas toujours
dans les sciences ont dû beaucoup plus à rencontrés là où il y avait quelque tyrannie
leurs dispositions naturelles qu'à l'instruc- à exercer? lis ont trouvé une nouvelle mine
tion il ne faut pas tant d'art pour seconder de tyrannie à exploiter dans les collèges des
la nature. A force de tout apprendre, l'esprit Jésuites, et la plus dure de toutes, celle
se rend paresseux, et ne peut plus inventer. qui persécute les pères dans leurs enfants,
Les instituteurs des Bacon, des Descartes, peut-être les enfants à cause des pères. et
des Pascal, des Bossuet, des Leibnitz, des les hommes religieux dans leur conscience.
Newton, comparés à leurs illustres élèves, Je ne crains pas de le dire, cet acte mons-
étaient peut-être des hommes ignorants au- trueux d'oppression, s'il s'accomplit, désho-
tant qu'ignorés. norera la France aux yeux de l'Europe, qui
Une des causes que M. Cottu assigne à la fera la comparaison des partisans des Jé-
faiblesse des études classiques chez les Jé- suites et de leurs adversaires, du mal que
suites, toujours par comparaison à celles qui fera leur expulsion et des avantages qu'on
se font dans les colléges royaux, est. la en attend. La première expulsion des Jé-
douceur dont ils usent envers leurs élèves. suites fut une vengeance des jansénistes
C'est, à mes yeux, je l'avoue, la perfection contre la Compagnie de Jésus la seconde
de l'enseignement, et pour les parents un est une conspiration des athées contre Jésus-
puissant motif de préférence. Je suis porté Christ lui-même; car, il ne faut pas se le
à croire que le travail excessif imposé aux dissimuler, l'impiété poursuit en eux jus-
enfants dans les collèges royaux, et surtout qu'à leur nom. La première nous a valu
dans les écoles spéciales, épuise, dessèche la révolution; mais nous avions pour com-
le cerveau, affaiblit le corps des jeunes gens, plices l'Europe, la magistrature, la papauté
et les prédispose à ces fièvres cérébrales sii elle-même forcée de céder à la violence. La
communes à cet âge. La physiologie ett seconde sera notre ouvrage et à nous seuls;
même la morale pourraient trouver d'autres car l'Europe s'en est lavée en les rétablis-
inconvénients à ces études si longuementt sant. Malheur à la France, si ce grand scan-
sédentaires. 11 me semble que l'ancienne$ dale se consomme 1 Un jugement sévère sera
université de Paris avait, dans ces derniers5 porté contre elle, si même, à voir ce qui se
temps, fort négligé l'étude du grec, que nos> passe, il n'a pas déjà commencé.
premiers révolutionnaires, grands Grecs, Ecoutons ici un journal qui "n'est pas
comme les premiers réformateurs alle- suspect, un journal doctrinaire ou libéral,
mands, ont remise à la mode, et pour im- ou plus que cela, si l'on veut, rédigé par des
poser au vulgaire par cette apparence scien- hommes d'esprit et de savoir, qui raisonnent
tifique, et peut-être aussi en haine de lai au moins quand les autres déclament, et se
religion et pour faire tomber l'étude dui montre aussi impartial que ses opinions lui
latin, spécialement consacré à son culte. permettent de l'être.
Rien cependant ne fatigue plus les enfantss « Pour les Jésuites, »
dit le Globe, « s'ils
que l'étude du grec, rien n'est plus inutiles sont tels que vous les croyez, l'obligation sera
à la plupart dès- hommes, et n'est moinss de peu; ils prêteront tel serment que vous
usuel. On ne citerait pas du grec dans unes voudrez, sous restriction mentale (1). Et
compagnie d'hommes instruits comme on1 si, par hasard, ils y tiennent, voilà une
cite du latin. On n'en citerait pas à la tri- étrange règle imposée au pays 1 C'est la loi
bune, même en Angleterre où l'on cite dui du TEST de l" Angleterre, et comment imposé};
(1) On sait cependant qu'en 17<52 ils préférèrent le bannissement au serment qu'on leur dcmaa-
dait.
Ce mot de congrégation, qui ne signifie pas prospérité ae .a France, ae sa dignité et de
corporation, qui ne rappelle aucun des en- son repos.
gagements des anciennes communautés re- Mais est-ce sérieusement que l'on croit
ligieuses, aucun des droits que notre vieux que le parti libéral peut gouverner la
régime leur conférait, ce mot seul de con- France? Il y a sans doute dans les libéraux
grégation couvre un crime, emporte une des hommes d'esprit, et je serai plus libéral
incapacité civile
rien;
1. En vérité, nous n'y moi-même'envers eux que cet écrivain fa-
concevons C'EST FAIRE DE L'ABSURDE meux qui ne leur en accordait qu'un seul;
POUR LE SEUL PLAISIR D'EN FAIRE, c'est Créer je connais parmi eux aussi de fort honnêtes
un antécédent déplorable, c'est renouveler et même de fort bonnes gens; mais, consi-
les billets de confession, les déclarations de dérés comme un parti, avec ses doctrines et
civisme; c'est commander l'hypocrisie, le ses engagements, il est incapable de tout ce
mensonge, et le commander sans nécessité qui demande de la sagesse, de la justice, de
car, d'après la loi, le monopole de l'instruc- la modération surtout. Il prend ses préjugés
tion vous étant délégué, le choix, la nomi- pour de la force d'esprit, et ses passions pour
nation, ou tout au moins, en matière ecclé- de la force de caractère; démocrates sous la
siastique, l'agrément des directeurs et des monarchie,tous sous ladémocratie voudraient
maîtres d'écoles vous appartient, vous êtes être monarques et une fois en possession
libres de faire vos enquêtes comme vous du
' pouvoir, ils n'en ont jamais fait, ils n'en
l'entendez, de repousser ou d'accepter tel feront jamais qu'un instrument de tyrannie
ou tel sans donner de motifs. Dès là que et ,d'oppression. Les meilleurs d'entre eux,
vous restez fidèles à la loi et aux conditions ceux qui sont libéraux de théorie et sans
qu'elle vous a imposées, vos décisions ne '
'ambition personnelle, cherchent en politi-
relèvent que de l'autorité du roi qui vous! que la pierre philosophale, et, comme les al-
nomme ses ministres, et des chambres qui chimistes, ils se ruineront sans la trouver,
vous donnent des subsides ou vous les refu- et ruineront ceux qui auront la simplicité
sent, suivant que la direction que vous sui- le les croire et de les aider. Que peut-on
vez leur plait ou leur déplaît. Pourquoi donc penser des lumières politiques d'un parti
CETTE INUTILE ET ODIEUSE PERSÉCUTION?» dont le coryphée publiait sous le directoire,
le plus faible des gouvernements, une bro-
On n'a jamais rien dit de plus fort contre chure sous ce titre De la_ Force du gou-
les dernières ordonnances, et certes les vernement actuel? Le lendemain Bonaparte
évêques à cet égard sont bien loin du Globe! souilla sur le gouvernement actuel, et il dis-
Faire de l'absurde pour le seul plaisir d'en parut.
faire1. créer des antécédents déplorables I Les ordonnances ne sont pas seulement
renouveler les billets de confession, les décla contraires à la religion (et nous pensons quo
rations de civisme! commander l'hypocrisie, le sentiment unanime des évêques est bien
«e mensonge et recommencer une odieuse dequelqueautoritéàcetégard),ellessontdans
persécution! voilà comment sont qualifiés te moment au plus haut degré impolitiques.
ces actes déplorables par ceux qui se disent La prudence ne permet pas de développer ce
les nouveaux amis du ministère, et qui, au lu'elles ont, sous ce rapport, d'imprévoyant,
moins en cette circonstance, se sont montrés ?t je ne peux que renvoyer le lecteuràl'écrit
moins ses ennemis que ceux qui le poussent répandu à Paris sous le titre de La dernière
à sa ruine, en le flattant avec tant de per heure des Turcs et qui avait fait beaucoup
fidiel C'est donc au parti- libéral qu'on sa de sensation. Si les ennemis naturels de la
crifie la religion catholique Je dis la reli- France avaient voulu la troubler au dedans
gion, car plus que jamais la forte institution et lui nuire au dehors, ils n'auraient pu
des Jésuites lui était nécessaire, et plus mieux faire. Ils n'ont assurément pas inspiré
que jamais on aurait dû s'abstenir de la nos ministres, mais ils ont parmi nous des
présenter aux peuples comme inutile ou amis bien ardents et bien r.,us.4s. Au reste,
odieuse. Cette faiblesse aura, pour la Fran- nous ne cesserons de répéter cet argument,
ce, des suites désastreuses, et sera un jour, qui ne saurait s'user les vieux et les nou-
pour les ministres, une source de regrets veaux révolutionnaires se sont réjouis de
amers; et ce n'est pas une voix ennemie qui ces ordonnances, les gens de bien s'en sont
leur adresse ces paroles, et moins encore
n.
une voix ennemie de la monarchie, de la
a,~
affligés; donc elles sont mauvaises.
M. Cottu, dont je me suis un peu écarté,
n'accuse pas du moins les Jésuites de régi- lameme chose), c est-à-dire le moyen d ordre
cide, et certes il faut aux journaux, qui pro- établi dans la société pour sa conservation
duisent sans cesse cette accusation, une pro- par l'auteur de la nature; et jamais personne
digieuse effronterie pour accuser de régicide n'a imaginé que ce droit divin soit l'effet
un corps que Henri IV, Louis XIII, Louis d'une révélation particulière ou d'une ins-i
XIV, Louis XV ont honoré de leur affection, piration surnaturelle. Il y même une grande
que tous les Catholiques viennent de rétablir inconséquence à avancer, d'une part, que
dans leurs Etats, et que tolèrent même des les Papes aient établi le droit divin de la
souverains protestants. Et l'effronterie de royauté, et de l'autre, qu'ils veaïllent se met-
cette accusation est d'autant plus révoltante tre partout à la place des rois. Le pouvoir,
que ceux qui se la permettent n'ignorent dit saint Paul, est le ministre de Dieu potir
pas que Voltaire lui-même a pris soin de faire le bien; mais on doit le craindre si on
justifier les Jésuites, lorsqu'il dit, dans son fait le mal, car ce n'est pas en vain qu'il est
Règne de Louis XV, que Damiens (ou plutôt armé du glaive :« l~Tinister Dei'in bonum. Si
la faction dont cet autre Louvel n'était que autem malum fuerit, time non ènim sine causa
l'instrument), assassina le roi, parce qu'on gladium portat. » (Rom. xm, 4.)
croyaitqu'il voulait rétablir les Jésuites. Voilà toute la théorie du droit divin; elle
Que l'on se donne la peine de réfléchir un s'applique au pouvoirdomestique,judiciaire,
peu sur toute la portée de ces paroles. Mais militaire, comme au pouvoir royal, au pou-
il faut rendre justice aux libéraux s'ils accu- voir de droit, et même au pouvoir de fait,
sent les Jésuites de vouloir tuer les rois, ils lorsque le temps et le besoin de repos pour
ne sont certainement pas assez niais pour le la société l'ont consacré aux yeux des peu-
croire. Ce que M. Cottu dit de la royauté fait ples, et quand il protège les bons et punit
autant d'honneur à son esprit qu'à son juge- les méchants. Omnis potestas a Deo, dit le
ment, mais pourquoi revient-il sans cesse même Apôtre. (Ibid.t 1.)
sur cette opinion de droit divin de la royauté, Nous dirons, en finisant, que rien ne nous
qu'il accuse le Pape d'avoir vendu aux rois? a plus frappé que les alarmes exprimées par
On ne conçoit pas cette méprise de la part M. Cottu sur les dangers que court la monar-
d'un écrivain philosophe. Le droit divin de chie en ce moment; et les terribles aveux
la royauté sur les sujets n'est pas autrement sur la loi de la presse et des élections, qui
divin que celui d'un père sur s-es enfants, rendent, dit-il, la monarchie impossible,
d'un maître sur ses domestiques, de tout nous ont rappelé ce qu'écrivait dans le Con-
chef d'un gouvernement ou d'une société sur servateur, il y a neuf ans, l'auteur de la
ses subordonnés; mais le pouvoir public, Monarchie selon la Charte « LE GOUVERNE-
le pouvoir sur la grande famille de l'Etat est MENT EST DANS LA FOULE ET N'EST PLUS DANS
plus auguste et plus important que le pou- L'ETAT. » Tout ce que nous avons dit dans
voir d'une famille particulière les atteintes cet écrit est assurément beaucoup moins
qu'on lui porte produisent de bien plus fort et moins concluant que ces paroles,
grands désordres, et c'est,ce qui fait qu'on a qu'il est bien autrement important de rap-
plus particulièrement parlé de droit divin peler aujourd'hui, qu'il ne l'était même alors
en l'appliquant à la royauté. Ce droit divin de les écrire. et nous engageons les gou-
est le droit naturel (car.naturelou divin sontvernements à les méditer.
Montesquieu commence par poser en. fait lier à l'état social de ce peuple et de ce gou-
et comme en principe, que tes Anglais sont verriement, il le généralise, il en fait une
un peuple libre et leur gouvernement un condition, une règle, un principe de la li-
gouvernement libre, sans trop examiner ce berté politique, et même ce qu'il aurait jugé
que c'est que la liberté d'un peuple ou d'un partout ailleurs être un excès ou un incon-
gouvernement; et une fois préoccupé de cet- vénient du despotisme.
te idée, tout ce qu'il remarque de particu- Cette manière de convertir des faits en
SW "PAHT. il..FOLIT-SQUE. SUR UN PASSAGE DE L'ESPRIT DES LOIS. 878
principe et
priucipe et des accidents ou exceptions en à tout
tout le monde
monde et une vaste loterie de
règles positives, est le défaut radical de pouvoirs?
l'Esprit des lois, où il ya tant d'esprit, mais Ce système pourrait même être appuyé
qui n'est, s'il faut le dire, que le plus pro- d'une grande expérience et on retrouverait
fond de tous les ouvrages superficiels. aujourd'hui en France, avec la liberté an-
La première chose qui le frappe est l'excès glaise, la fréquence des suicides et même de
des impôts, et il en fait aussitôt un principe, l'aliénation mentale. On n'a, sur ce dernier
une règle de l'état de liberté politique, et fait, qu'à consulter les renseignements qui
même une règle naturelle. C'est une règle, » se trouvent dans les bureaux des ministères,
dit il, « qu'on peut lever des impôts plus et l'on peut remarquer que l'excuse la plus,
forts en proportion de la liberté des sujets ordinaire des prévenus de délits ou de cri-,
et que l'on est forcé de les modérer à mesu- mes, et celle que les tribunaux accueillent
re que la servitude augmente. C'est une avec le plus de complaisance, est l'état ha-
règle de la nature qui ne varie point on la bituel ou accidentai de démence; et certes,
trouve dans tous les pays, en Angleterre, en tous les fous ne sont pas dans les maisons
Hollande, dans tous les Etats où la liberté de santé ou séquestrés de la société, et ,i1
va se dégradant, jusqu'en Turquie. » n'y a qu'à ouvrir lesyeux et regarder autout
Nous reviendrons ailleurs sur cette singu- de soi pour se convaincre que la raison, je
lière assertion, qui ne signifie rien, si l'au- veux dire cette faculté de notre intelligence
teur a voulu dire que là où le gouvernement qui sert à la direction de la société et à la
est modéré et le peuple heureux et riche, on direction de l'homme, a baissé en France à
peut lever des impôts plus forts que là où le mesure que la nouvelle liberté y a gagné du
peuple pauvre gémit sous un gouvernement terrain.
tyrannique, ce qui serait une vérité triviale On peut même, en laissant à part les acci-
qui ne vaudrait pas la peine d'être écrite, dents particuliers, observer qu'il y a en Eu-
mais qui signifie beaucoup trop, si, abstrac- rope, dans les esprits, une cause générale de
tion faite de Faisance on de la misère des démence; et je le dis avec une entière con-
peuples, on regarde la liberté ou la servi- viction tout peuple qui se croit souverain
tude comme la mesure de l'impôt. me paraît frappé du même vertige et atteint
Un écrivain qui remarquerait que le du même genre de folie, que t'homme des
spleen, le suicide et la démence sont extrê- petites maisons qui se compare au Père
mement fréquents en Angleterre et presque éternel; et ce qui prouve que l'orgueil est
endémiques, pourrait, avec tout autant de une cause de démence même physique
raison, avancer que ces accidents sont une c'est que les fous rêvent presque tous le
règle, une condition des pays libres, de cette pouvoir.
liberté telle qu'on l'entend aujourd'hui, et Je reviens aux impôts, et je remets le
il ne lui serait peut-être pas difficile de passage de l'Esprit des lois sous les yeux.
prouver que tout gouvernement qui, nive- du lecteur.
lant les hommes et les rangs, ouvre à toutes
« C'est une règle qu'on peut lever des
les ambitions et à toutes les cupidités des impôts plus forts en proportion de la liberté
chances subites et inespérées d'honneurs et des sujets, et-que l'on, est forcé de les modé-
de fortune, et exalte au plus haut degré dans rer à mesure que la servitude augmente.
tous les âges et toutes les conditions la fièvre C'est une règle de la nature qui ne varie
des désirs et les illusions de l'espérance,doit point. On la trouve dans tous les pays, en
produire de nombreux mécomptes que le Angleterre, en Hollande, et partout où la
plus grand nombre n'a pas la force de sup- liberté va se dégradant, jusqu'en Tur-
porter, et qui finissent par des maladies, le quie. »
désespoir ou l'aliénation, selon le caractère Si Montesquieu n'avait pas prudem-
et le tempérament des individus. ment évité de nommer d'autres Etats que
Si la fureur du jeu ou les chances des lote- l'Angleterre, la Hollande ou la Turquie, où
ries sont les causes les plus ordinaires de il trouve les extrêmes de la liberté et de
ces profonds chagrins qui dérangent le cer- la servitude, il aurait remarqué dans les
veau ou portent un malheureux à attenter à pays gouvernés par des constitutions sem- j
sa propre vie, un gouvernement libre tel blables, ici des impôts très-légers, là des
qu'on l'entend aujourd'hui est-il autre cho- impôts très-lourds, et il aurait été forcé de
se qu'une immense table de jeu ouverte convenir que cette règle de la nature qui ne
» '
varie point, souffre partout de grandes varia- bon plaisir du prince et que sont ces at-
tions. teintes même légales, à la propriété, sinon
Quelque respect qui soit dû à l'autorité de des impôts, et les plus intolérables de
l'auteur de l'Esprit des lois, d'autres publi- tous ?
cistes n'examineront pas ce que l'on peut L'Angleterre," sans douté,' paye de forts
demander d'impôts dans un pays libre, mais impôts; je la crois libre, et plus que ne le
ce qu'on doit en exiger, et ils regarderont croient Montesquieu lui-même et nos mo-
comme le gouvernement le plus libre,c'est- dernes politiques mais je ne vois pas sa
à-dire le plus indépendant de ses sujets, liberté dans les nombreuses taxes, pas même
celui qui a moins besoin de leur demander dans les formes' inquisitoriales de leur per-
de l'argent, et comme le peuple le plus li- ception et la patience avec laquelle elle les
bre, c'est-à-dire le moins dépendant de a endurées. Quant à la Hollande, il n'est
son gouvernement pour les premiers besoins pas trop aisé de concevoir comment Mon-
et les nécessités de la vie, celui de qui le tesquieu la trouve moins libre avec un
gouvernement en exige le moins, et qui premier magistrat que ne l'est l'Angleterre
laisse à l'homme une jouissance plus éten- avec un roi mais comme on y paye moins
due et moins précaire des dons de la nature d'impôts, à ce qu'il croit, il la juge moins
et des fruits de son travail. Hors de là, ils libre. La Suisse, qui n'en paye presque point,
ne verront de véritable liberté, ni pour les et qui jouissait du moins alors dans l'opi-
gouvernements, ni pour les peuples et je nion de toute l'Europe, et particulièrement
crois que tous les propriétaires et tous les aux yeux des philosophes, d'un haut degré
hommes de sens d'un bout à l'autre de l'Eu- de liberté, contredit à la vérité son système
rope, seront de cet avis. Montesquieu mais il se tire d'embarras en homme d'es-
en est lui-même Il n'y a rien » dit-il, prit, en observant que, si la Suisse paye peu
à son gouvernement, elle paye beaucoup à la
« que la sagesse et la prudence doivent plus
règler que cette portion qu'on ôte et cette nature, ce qui n'est pas du tout exact; car
portion qu'on laisse aux sujets. Ce n'est la partie pauvre et montueuse de la Suisse
point à ce que le peuple peut donner, qu'il1 se livre à la culture pastorale, celle de toutes
faut mesurer les revenus publics. » Plus loin qui exige le moins de frais, et dans un pays
il s'élève contre la funeste et ruineuse ma- tel que la Suisse expose à moins de
nie des grandes armées, qu'il appelle une pertes.
maladie nouvelle qui a ses redoublements. Quoi qu'il en soit, cette opinion commode
« Chaque monarque, » dit-il, « tient sur pied pour les gouvernements a dû faire fortune
toutes les armées qu'il pourrait avoir si ses en Europe, dont les Etats sont presque tous
peuples étaient en danger d'être extermi- obérés, et elle explique peut-être la fureur
nés. » Et dans une note, il prévoit les fu- qui a saisi tous les gouvernements de don-
nestes effets de la nouvelle invention des ner la liberté politique à leurs peuples, ou
milices (la conscription) établie dans toute plutôt de la leur vendre au prix de forts
l'Europe, impôts; et c'est ainsi qu'au xvie siècle les
Mais les exemples qu'il allègue dans les princes du Nord donnaient à leurs peuples
passage cité n'en sont pas moins pris à con- la liberté religieuse de la Réforme en s'em-
tre-sens. « A mesure que la servitude aug- parant pour eux-mêmes des biens ecclésias-
mente, v dit-il, « les impôts sont plus forts. »> tiques.
Je crois tout le contraire et la Turquie, II était tout a fait naturel qu'on s'appuyât
qu'il cite comme payant très-peu d'impôts, de cette opinion dans la discussion du bud-
parce qu'il n'y a point de liberté, paye réel- get; l'occasion était favorable, et en parlant
lement les impôts les plus forts qui soientt du principe, que les impdts sont plus forts
levés en Europe, précisément à cause de cei en proportion de la liberté des sujets, il de-
défaut de liberté. Elle les lève, non sur less venait évident qu'un peuple à qui l'on de-
pauvres, parce que la Turquie n'a pas, heu- mandait un milliard de contributionsjouis-
reusement pour elle, été travaillée en finan- sait d'une bien grande liberté.
ces, et que son administration ignore l'art dei Un des rapporteurs de la loi des finan-
prendre beaucoup là où il y a peu, et même3 ces de la session dernière n'y a pas man-
quelque chose là où il n'y a rien mais surr qué il s'est autorisé de l'opinion de Mon-
les riches, qui payent en avanies, en extor- tesquieu il est même allé plus loin.
sions, môme en confiscations, si tel est lei Montesquieu adoucit, modifie, ou même
881 PART. Il. POLITIQUE: SUR UN PASSAGE DE L'ESPRIT DES LOIS.
882
contredit sa propre opinion dans vingt pas-
sages de l'Esprit des lois; M. Ganilh, pluss
Le rapporteur oui,
qui, par respect
resoect pour
nour la
berté, n'a garde d'imposer au gouvernement
li
lil
conséquent, la donne dans toute sa rigueur; le devoir de modérer les tributs, après avoir
il y trouve une vue encore neuve de la sociétéi fixé le montant de ce que la France doit
civile, un dogme tutélaire de la liberté, du
8 payer cette année, nous apprend « que c'est
pouvoir, et même de l'humanité; il fait mar-
cher de front la liberté d'écrire et la libertéi un tiers en sus de ce qu'elle payait avant la
révolution. » Et plus bas il avance que la
d'imposer. « Arrêter, » dit-il, «.ou faire ré- richesse générale de la France a diminué,
«
trograder la liberté d'un pays, c'est donc depuis la révolution, de 230 millions; tandis
comprimer l'essor des facultés productives,
diminuer la masse des productions, réduire que les contributions ont augmenté de 300
millions; » en sorte qu'en prenant avec Mon-
l'aisance individuelle, altérer la richesse
tesquieu et le rapporteur lui-même la force
générale; c'est, comme le dit Montesquieu de l'impôt pour mesure de la liberté, et
(dont il cite le passage qu'on a lu plus
considérant comme accroissement de sacri-
haut), s'imposer le devoir de modérer les tri-
fices la perte que la révolution a causée à la
buts dans la proportion de la liberté des, su- richesse générale de la France, on peut dire
jets. » Montesquieu ne dit pas tout à fait ce
qu'on lui fait dire; mais si les gouvernements que nous sommes aujourd'hui plus libres
de 530 millions de moins. « En sommes-
ne doivent pas s'imposer le devoir de modérer nous plus riches, » demande naïvement le
les tributs pour ne pas attenter à la liberté1 rapporteur, « en sommes-nous plus iniposés?
des sujets, comprimer l'essor des facultés Ni l'un ni l'autre nous payons plus et
productives, diminuer la masse des produc- nous..
sommes plus à notre aise. Ce phénomène
tions, altérer la richesse générale, et même, paraît inconcevable; il s'explique cependant
ce qui est plus extraordinaire, réduire l'ai- d'une manière qui paraît simple et facile. »
sance individuelle,. pourquoi toutes les as- Et le rapporteur l'explique par l'extrême
semblées législatives veulent-elles imposer division des propriétés, qui est une cala-
ce devoir aux gouvernements ? Que signi- mité, et qui, à ce titre, est si,, vivement
fient, dans cette hypothèse, ces éternelles re-
commandée et même hâtée par les libéraux;
déclamations contre'l'excès des dépenses et et les bandes noires; il l'explique par la
l'énormité des impôts, et ces demandes an- prospérité toujours croissante de l'industrie
nuelles de réductions et d'économie? Ces manufacturière,, qui, à force de prospérité»
demandes et ces plaintes, qu'on forme en
ne peut ni vendre ses produits ni occuper.
Angleterre comme en France, et partout où
ses nombreux ateliers; et plus heureuse-
les peuples votent l'impôt par leurs députés,, ment par une plus égale répartition de l'im-
et qui tendent toutes à imposer aux gouver- pôt. Car une fois qu'il a été reconnu en,
nements te devoir de modérer les tributs, principe que les impôts s'élevaient en pro-
annonçaient dans les peuples fort peu de portion de la liberté, et que les gouverne-
goût pour la liberté dont de forts impôts ments ne pouvaient pas s'imposer le devoir
sont le signe et la mesure; et comment les de modérer les tributs, sans porter atteinte
libéraux peuvent-ils concilier ce désir si à la liberté, altérer la richesse générale et
hautement exprimé par tous les peuples même réduire l'aisance individuelle, tous les
d'alléger le fardeau de l'impôt, avec l'amour
gouvernements qui ont voulu que leurs
ardent qu'ils leur supposent pour la liberté,, peuples fussent libres, leur pays riche et les
à moins de reconnaître que les propriétaires
et les libéraux ne s'entendent pas du tout
individus dans l'aisance, ont commencé par
augmenter les impôts; et si l'Espagne, régé-
sur la liberté; que les premiers, qui ont nérée par les cortès, n'a encore ni liberté
leur fortune faite et veulent la conserver et politique,,
] ni richesse générale, ni aisance
en jouir, voient la liberté dans la modéra- iindividuelle, elle a toujours a compte l'ac-
tion des subsides comme dans la modération croissement
( des dépenses et des subsides.
de toutes les choses même les plus légiti- 1 n'a donc été question nulle part de mode-
II
mes; et que les autres, qui ont leur fortune rer
i les subsides au contraire; mais on n'a, j
à faire et qui la poursuivent aux dépens du
(cherché partout qu'à les répartir plus éga-
public, voient la liberté dans l'excès des
impôts et la richesse du fisc qu'ils regardent
1lement, et il est passé
en principe que per-
ssonne n'était trop imposé pourvu que tous
comme une proie et prescmo comme leur 1 fussent également; et
le on s'est mis partout
patrimoine?- àl poursuivre la chimère de l'égale réparti-
885 GHUYRES COMPLETESDE M. DE: BONALDï SU
tion, impossible pour l'impôt foncier (;1),
(>1), n'a qu'à consulter les rapports publiés par
impossible pour l'impôt mobilier, à peine le ministère de l'intérieur, et se rappeler
possible pour celui des portes et fenêtres les doléances du ministre à la tribune de la
(it ne peut pas être question de répartition chambre des députés. M. Maltbus avance,
égale pour l'impôt indirect); et pour obte- dans son Essai sur le 'principe de la popula-
nir cette égale répartition, véritable pierre tion, et sur des documents authentiques,
philosophale des finances, on a dépensé des qu'avant la révolution le nombre des enfants
sommes énormes qui n'ont fait qu'accroître naturels était à celui des enfants légitimes
les incertitudes, les impôts et les inégalités. dans la proportionde un à quarante-sept, et
M. Ganilh, qui a un trop bon esprit pour qu'au moment qu'il écrit, c'est-à-dire vers
ne pas voir où l'entraîne le principe de Mon- les dernières années du dernier siècle, il est
tesquieu sur la proportion,des impôts avec dans la proportion de un à dix. Aujourd'hui
la liberté, prend le parti, pour sortir d'em- elle est beaucoup pl us forte, et l'on n'a, pour
barras, de soutenir que,, malgré le ooidsdes s'en convaincre,qu'à compulserles registres
charges publiques et la diminution de la ri- d'un hospice, quel qu'il soit, à prendre seu-
chesse générale, il. y a moins de pauvres ou lement les époques décennales depuis 170O,
de pauvreté en France qu'il n'y en avait au- 1710, 1720, 1750, etc., jusqu'en 1820. Je
trefois maïs il est aisé de lui prouver connais des villes chefs-lieux, de départe-
qu'il y en a davantage et je ne parle pas ments où cette proportion va du quart au
des mendiants de profession qui vont de tiers des naissances totales. Effrayante pro-
porte en porte solliciter la charité particu- gression de la dépravation domestique, et.
lière de ceux-là mêmes je vois que le uom- qui place la société dans un état qu'il est
bre est accru dans les villes de fabriques,, et impossible de soutenir!1
j'ai été étonné de la quantité que j'en ai vue La même chose est arrivée en Angleterre-
dans une de nos villes les plus manufactu- après sa révolution, et à l'époque d'où les.
rières et les plus charitables,, à Amiens ces libéraux datent la liberté de ce pays, et le.
pauvres sont à la charge des particuliers,, et mal a toujours été en empirant. Les pau-
non à ceîl&dii public ou des gouvernements vres de toute espèce s'y multiplièrent a»
qui partout ont mis peut-être trop d'impor- point que, peu d'années après la mort de
tance à tes faire disparaître, et qui ont pris Henri VIII, Edouard, son fils, porta une lot
quelquefois, pour y parvenir, des moyens qui les donnait pour un certain temps comme
qu'il est difficile de concilier avec l'huma- esclaves à celui qui voulait les nourrir. Au-
nité, et moins encore avec la liberté des ci- jourd'hui ils ne sont plus esclaves en An-
toyens. Il faut, pour bannir la mendicité, gletérre; ils sont bien plutôt maîtres, puis-
des mesures générales plutôt que des ri- qu'ils forcent le gouvernement d'imposer à
gueurs individuelles, ou faire comme un leur profit, sur les. propriétaires, une taxe
habile médecin qui traite les maladies cuta- qui devient de jour en jour plus accablante-.
nées en purifiant la masse du sang et des Mais cette taxe des pauvres, la charité, à
humeurs, et non en répercutant les acci- défaut de la loi, n'a-t-elle pas été obligée-
dents extérieurs qu'elles produisent. Mais de l'établir chez nous, en France? et le gou-
les pauvres qu'on peut appeler publics, et vernement français et tous les gouverne-
qui ne sont pas assurément des pauvres ments de l'Europe ensemble, auraient-ils pu
honteux, ces pauvres de l'Etat, qu'on ne imposer en faveur des pauvres ces secours
contente pas avec un sou donné à la porte, immenses que la bienfaisance chrétienne»
mais que l'Etat doit loger, nourrir, vêtir, *ous les ans, tous les jours, s'impose sup
garder, et pour le plus grand nombre dès elle-même volontairement?Qufrdirons-nous
leur naissance, à qui il doit donner jusqu'à des détenus dont il faut tous les ans agran-
des nourrices, procurer du travail, faire ap- dir les tristes asiles? Chez un peuple riche, [
prendre un métier, en un mot, les détenus la fréquence des. délits contre la propriété
ou condamnés aux travaux publics, et les ou le propriétaire est l'indice le plus cer-
enfants trouvés, le nombre s'en est prodi- tain de la misère, et de la plus dangereuse
gieusement accru, et, si l'un en doute, on et de la plus incurable de toutes, de la mi-
(1) 1 Dans la Saxe, sur les terres, y dit Mon- gens qui ne soient point intéressés à, les méconnaî-
tesquieu, on fait des rôles où Ton met les diverses
classes de fonds. Mais il est très- difficile de connai-
tre. Il y a donc là deux sortes d'injustices l'injus-
tice de t'homme et Tinjus'ice de la chose, > (Esprii
tre ces différences et encore plus de trouver des des luis, liv. xiu, ch. 7.)
sère moins de besoin que de cupidité* dire la propriété foncière et immobilière, y
qui ne vole pas pour avoir du pain, mais est très-peu imposée, tandis que le capital
pour faire fortune et satisfaire des pas- mobiliaire et qui appartient plus spéciale- j
sions.
Assurément il faut des impôts, et le trésor
* la
4 ment partie démocratique de sa consti» j
tution y est soumis à des impôts indirects
public, en réunissant de petites sommes extrêmement forts, et à des formes vexa-
éparsesdans les mains des particuliers, peut toires et humiliantes de perception et dans
faire face à de grands besoins et à d'utiles ce sens on peut dire avec Montesquieu que
entreprises. C'est ainsi que des réservoirs les impôts y sont dans leur nature et dans
où se rassemblent des eaux perdues servent leur quotité, en proportion avec la liberté et
à faire mouvoir d'industrieuses mécaniques avec la servitude.Ainsi en Angleterre lepro- j
ou à de grandes irrigations. priétaire paye très-peu pour le sol qu'il cul-
Mais de même qu'il ne faudrait pas con- tive, l'homme au contraire paye beaucoup
damner tout un pays à une éternelle séche- pour les besoins qu'il satisfait, et dans ce
resse pour construire un moulin ou faire partage on reconnaît l'esprit différent des
un canal, ainsi il ne faut pas, pour un inté- deux gouvernements qui forment la cons-
rêt prétendu général, rendre la vie privée titution de ce pays, et dont l'un modéré en
trop pénible et condamner les familles à de toist demande peu au citoyen, l'autre extrê-
tropgrands sacrifices. Les impôts doivent être me en tout demande beaucoup à l'homme.
proportionnés et aux besoins réelsdes gou- Au reste, l'impôt est plus en Angleterre `
vernements et aux besoins réels des hom- qu'en France profit pour la nation. Le gou-
mes. « Ce n'est point, dit Montesquieu, vernement n'y donne pas dans le luxe des
«
à ce que le peuple peut donner qu'il faut arts. Il ne salarie ni le culte ni l'instruction
mesurer les revenus publics, mais à ce qu'il publique, ni les pairs, ni la chambre des
doit. donner; et,. si on les mesure à ce qu'il communes, sa grande dépense est la prospé- j
peut donner, il faut que ce soit du moins rité ou l'extension de son commerce. La
à ce qu'il peuUoujours donner. » Quoi qu'il guerre elle-même, si ruineuse pour les au- j
en soit>: c'est une étrange association d'i- tres Etats, a souvent été pour le peuple an-
dées que cette étroite dépendance des be- g'ais une spéculation lucrative, et l'on peut j
soins et des libertés dont parle le rapporteur, dire que sous ce rapport la nation,, en
comme si les gouvernements a;nsi.que les payant l'impôt, fait en quelque sorte la
hommesn'étaient pas plus libres à mesure commandite au gouvernement. En France, je
qu'ils se dérobent davantage au joug des crois l'impôt plus stérile, et c'est une raison j
besoins. de plus pour le modérer.
Oui, l'Angieterre est libre, parce qu'elle est' Mais en-reconnaissant la nécessité de l'im- j
monarchique, et plus libre que nous, parce pôt, et quoi qu'en dise te rapporteur,le devoir
qu'elle est-plus monarchique.Elleestlibre.par du gouvernement est de le modérer, s'il veut
les institutionsféodales qu'elle a conservées, que la liberté du sujet ne soit pas un mot vide
et non assurément parles institutions/»^ érales de sens, une illusion ou une dérision; il-
que le temps etles hommes y ont su ajouter; peut être utilede rechercher la source de l'er- j
elle est libre, non parce que la moitié plus reur où Montesquieu est tombé en faisant de j
Hndeses citoyens, ou la moitié plus un la grandeur des subsides une condition, une-
des membres de ses chambres législatives, règle même naturelle de l'état de liberlépo-
peuvent imposer des députés, des lois ou litique, et par quel enchaînement d'idées il
tifis subsides à l'autre moitié, et même faire a été conduit à ce paradoxe. A-t-il voulu
la loi au roi lui-même; ce serait, à mon dire que les peuples libres comme il l'en-
sens, de la servitude poui les uns, de la tend payent plus volontiers de forts impôts
tyrannie chez les autres, plutôt que de la. que les peuples qui ne sont pas libres n'en
liberté pour tous; mais elle est libre, parce payentde modérés? Ce sont des phrases qu'il
que la propriété territoriale, fortement cons- faut laisser aux déclamateurs de tribune.
tituée, y a- eu, jusqu'à présent du moins, Partout, en Angleterre comme en.France,on
toute la force nécessaire pour servirde der- ne lève les impôts qu'avec des rigueurs et
nier rempart à la royauté et la sauver des des menaces; partout les gouvernements ne- j
derniers empiétements de la démocratie. défendent, contre la ruse ou la force ouver- j
Aussi remarquez que la partie de son capi- te, l'impôt des douanes, l'accise des droits.
tal qu'on peut appeler monarchique, je veux. réunis, qu'avec des armées de soldats o«J
d employés et avec des volumes de procès- cupidités, et avec ses élections fréquentes
verbaux et de jugements; et c'est un des et ses représentations populaires, ouvertes
grands maux du système fiscal qui a envahi aux rangs inférieurs de la propriété même
l'Europe à la suite des idées libérales, que industrielle, ce gouvernement présente à
cette guerre intestine entre les contribua- tous des chances directes ou indirectes
bles et le gouvernement,qui corrompt l'un et d'honneurs, d'avancement, de fortune le
fait haïr l'autre. A-t-il voulu dire que les commerce y devient la première profession
peuples libres étaient plus riches que ceux et par conséquent l'argent le premier et le
qui ne le sont pas, alors ce serait la richesse plus puissant mobile et comme le grand
et non la liberté qui serait la mesure de nombre ne demande pas mieux que de pren-
l'impôt, et encore faudrait-il savoir ce qu'on dre en argent sa part de pouvoir et de l'exer-
entend par la richesse des peuples; et si les cer dans des emplois lucratifs quoique su-
plus riches sont ceux qui comptent le plus balternes, il faut multiplier les places pour
de millionnaires, ou ceux qui ont le moins contenter plus d'ambitions, et augmenter les
de pauvres, qu'a donc entendu Mon- impôts pour payer plus d'employés. De là
tesquieu, lorsqu'ayant commencé par pro- l'accroissement forcé des subsides; là sur-
clamer libres le peuple anglais et son gou- tout où une révolution a renversé et morcelé
vernement, et remarquant en Angleterre de plus de fortunes, et n'a laissé au plus grand
très-forts impôts, et sous toutes les formes, nombre ni indépendance de position, ni suf-
il a pris pour un droit ce qui n'est qu'un fait, fisance de ressources. De là l'impossibilité
et d'un abus ou d'un malheur, il a fait une de modérer les impôts malgré des demandes
condition et une règle même naturelle de vaines et bientôt ridicules de réduction et
l'état de liberté? Je crois qu'il aurait un peu d'économie.
mieux justifié son opinion s'il y eût appliqué S'il avait été donné à Montesquieu
son système sur ce qu'il appelle les grinci* de voir ce que nous avons vu et ce que nous
pes des divers gouvernements, et si après voyonsencore, il aurait, je crois, modifié ses
avoir étiqueté honneur, vertu, crainte, les opinions sur la liberté et sur les principes
formes simples et absolues des gouverne* des divers gouvernements et s'il avait vu
ments monarchique, républicain, despoti- des furieux et des insensés s'autoriser de
que, il eût donné l'intérêt, j'entends l'intérêt ses écrits et de ses systèmes pour faire des
personnel, pour principe au gouvernement monarchies sans honneur, des républiques
mixte et composé dans sa constitution de sans vertus, du despotisme qui inspire l'hor-
monarchie et de démocratie, et même forcé- reur ou le mépris plutôt. que la crainte, il
ment de despotismedans son administration, aurait désavoué ces étranges disciples; et sup
qui lui parait un gouvernement exclusive- leur extravagante législation, à la première
ment libre et qu'il admire chez les Anglais, époque de notre révolution, sur la bassesse
cette dernière proposition n'eût pas même et la servilité de leur ambition, à la seconde*
essuyé plus de reproches que l'autre. En sur la rage de leurs complots et leur déses-
effet le fondement de ce gouvernement com- poir, à l'époque actuelle, il aurait jugé que
posé étant la souveraineté du peuple et le le principedu gouvernementqu'ils voulaient,
.nivellement de tous les rangs, de toutes les faire tout exprès pour leurs passions, ne
conditions, bientôt de tous les âges, cette pouvait être que l'intérét personnel, ce
forme et ces principes appellent au partage mortel ennemi de l'intérêt public.
du pouvoir toutes les ambitions et toutes les
Sal utau noble enfant qui nous est né i plique dans toute son étendue sans doute
béni soit celui qui vient au nom du Seigneur il vient au nom du Seigneur j'enfant qui a été
(Psal. cxvn, 26), pouvons-nous dire sans im- demandé au Seigneur avec tant d'instances,
piété, en respectant l'intervalle immense qui le'fruit de tant de prières, l'objet de tant de
sépare l'enfant d'un mortel, quel que soit son vœux, le terme de tant de désirs, le gage de
rang, de celui à qui cette bénédiction s'ap- tant d'espérances, la joie de tant de familles,
889 PART. H. POLITIQUE. SUR 'MGR. LE DUC DE BORDEAUX, 890 i
mai- grâces et la pénétration de
la consolation et l'espoir de son auguste mai- de l'esprit; de son
il
doute il vient au nom du Seigneur
son sans doute Seianeur illustre aïeui
aïmii et de
da son vertn^nY fils.
snn vertueux fils la la
celui que le Seigneur a si visiblement pro- bonté, la franchise, le courage; d'une hé- j
tégé, et jusque dans le sein maternel, con- roïque princesse, si forte contre le mal-
tre les impressionsde la douleur la plus vive, heur. ah! puisse-t-il n'avoir jamais besoin,
la plus profonde, la plus légitime, de sa pro- de son exemple qu'il tienne de son malheu-
pre mère, et contre les sanguinaires com- reux père, sitôt enlevé à notre amour, toutes
plots de la plus abominable perversité sans les qualités royales qu'il a eu à peine le.j
doute il vient au nom du Seigneur celui qui temps de nous faire admirer, et de son il-
fera bénir son nom, respecter ses lois, lustre mère, toutes celles que sa modestie
triompher sa religion, et il sera grand de- a si longtemps dérobées à nos hommages j' t
vant le Seigneur, parce qu'il nous est venu Préparons une nouvelle génération pour
au nom du Seigneur ce nouvel enfant de nos rois; que ce Fran- j
Salut, amour et respect à l'enfant royal qui çais de plus ne compte pas un jour, dars
nous apparaît comme l'étoile secourable qui son peuple nombreux, un vrai Français de
annonce aux nautoniers effrayés la fin de la moins; nous élèverons nos enfants pour le
tempête, comme le port longtemps attendu servir et servir l'Etat dans sa personne cet
leur promet le repos après une longue tour- enfantestun héritage que nous leur laissons
mente. La France aussi, qui l'a enfanté avec et le seul que nous ayons conservé 1 La Pro-
tant dedouleur, a tressailli dejoie, et, comme vidence elle même, à l'instant où elle pa-
la mère de l'Evangile, elle a consolé ses dou- raissait abandonner le trône de la France,
leurs, parce qu'un enfant lui est né! (Joan. a voulu que jusqu'à son retour nous restas-
xvi, 21.) sions autour de ses débris pour le relever
Amour, respect, admiration à la femme quand les temps de sa miséricorde seraient
forte, dont un ange avait dit « Vous en- venus, et le rendre à son légitime posses-
fanterez un fils, » et qui seule n'a pas douté seur et vieillis dans cette attente entre la
de notre bonheur. Elle eût désiré que toute misère, les combats et les persécutions, nous
la France fût témoin de son heureuse ma- ne pouvons plus voir que l'aurore d'un ave-
ternité; et, s'élevant au-dessus des craintes nir tant désiré, et saluer deloin la terre pro- j
de son état et des considérations de son sexe, mise, sans avoir l'espoir d'y entrer.
elle a voulu que tous sussent, que tous vis- Mais la joie universelle excitée par ce
sent que cet enfant était bien le sien, pour bonheur miraculeux doit faire place à des
que nous puissions tous le dire le notre. réflexions qui sont elles-mêmes un nou-
Vous règnerez donc encore sur nous, au- veau sujet de joie. Que sont devenues, au
guste race de saint Louis de Henri IV, de milieu de ces transports unanimes, ces tris- j
Louis XIV, royale famille que nous avons tes doctrines qui nous glaceraient d'ennui
perdue par tant d'erreurs, que nous avons si elles cessaient de nous pénétrer d'horreur? j
recouvrée au prix de tant de malheurs, vous Ellessesont évanouies comme un brouillard
régnerez sur nos enfants, comme vous avez fétide à l'aspect du soleil, devant cette rai-
régné sur nos pères. Si le berceau qui ren- son populaire tout en sentiment qui a fait
ferme vos destinées et les nôtres est encore une explosion si subite et si entraînante vé-
exposé à la fureur des flots, comme celui du ritable opinion publique, qui s'exprime avec
législateur des Hébreux, il ne sera pas en- l'éloquence des transports et des affections,
glouti une main puissante soutiendra sur et consacre ainsi à sa manière le grand
les eaux ce précieux dépôt, et la fille des rois dogme de la légitimité. Le bon sens a saisi
J-'élèvera pour être le chef d'un grand peuple. d'un coup d'œil toutes les conséquences du
Les fables des temps anciens et du moyen principe qu'on s'efforce en vain d'obscur- j
âge racontent qu'à la naissance des enfants cir, et l'allégresse publique a mieux que les
des dieux ou des héros, des divinités ou des raisonnements réfuté les sophismes des es-
fées bienfaisantes venaient chacune doter le prits faux et des cœurs gangrenés qui blas"
nouveau-né de tous les dons de l'esprit et phèment contre la vérité qu'ils ignorent, et
du cœur; nous n'avons pas besoin de recou- qui haïssent le bien, même lorsqu'ils le
rir aux fictions, et cet enfant royal les trou- connaissent.
• vera tous dans l'exemple de ses illustres Mais ne profanons pas la sainteté de ce
parents. Qu'il tienne de l'auguste chef de sa jour, n'empoisonnons pas unè joie si légi-
maison sa tendresse pour son peuple, les time, en rappelant les derniers cris de rage
j
de la faction expirante. ïout sentiment gé- jours ce qui sera toujours bon et vrai; et
néreux, toute affection vertueuse, toute pen- c'est là leur premier supplice pour l'avoir-"
c
sée grande et juste sont pour toujours ban- une
i fois méconnu.
nis de leurs esprits etde leurs cœurs. Comme
les démons,, ils sont condamnés à haïr tou- Virtutem videant, înlabescantque relicta.
Pins.
sat. m vers 38.
p
DU GOUVERNEMENT REPRESENTATIF.
(25 août 1832.).
M. le garde des sceaux, en interdisant, nom collectif qui représente une idée" ab-
dans sa circulaire aux procureurs généraux, straite, pure création de la pensée, qui, fai-
toute discussion sur le principe du gouver- sant abstraction des individus dont le peuple-
nement représentatif, a porté une atteinte se compose, en compose elle-même un être
grave à la liberté de la presse, regardée, àL sans réalité, un être fictif, et que, à cause-
tort ou à raison, comme le palladium, ou de cela, on appelle un être de raison.
plutôt la vie du gouvernement représentatif, Nulle part donc on ne voit, on ne peut
à cette presse qui, par les bras de ses ou- voir un'jâtre peuple, mais seulement des in-
vriers, a renversé une royauté de quatorze dividus. isolés, indépendants les uns des.
siècles, et en a improvisé une nouvelle en autres, sans lien entre eux ni cohésion na-
quelques heures. turelle, et dont aucun ni tous ensemble
On a dû conclure de cette défense que le n'ont naturellement de pouvoir sur leurs
principe du gouvernement ne pouvait sup- semblables. « U n'y a pas d'impératif de
porter la discussion car si le principe est l'homme à l'homme, «-dit à sa manière un
vrai, la vérité n'a rien à craindre de l'exa- célèbre philosophe allemande Fichte. Ainsi
men, et s'il est faux, la société a tout à ga- c'est aux hommes les plus positifs, aux.
gner à en reconnaître l'erreur. Français, qu'on donne comme une fiction ce
Quoi qu'il en soit, la défense n'empêchera qu'il y a au monde de plus positif et.de plus
pas la discussion, et ne fera que la rendre réel, le pouvoir. Si ce n'est pas là une ab-
plus circonspecte, ou peut-être plus animée. surdité, c'est du moins une illusion, mais.
Et si la religion ne défend pas l'examen qui devient une réalité entre les mains des
respectueux de ses oogmes, pourquoi la ambitieux, qui ne font le peuple souverain
politique ne permettrait-elle pas la. discus- de droit que pour se faire eux-mêmes sou-
sion calme et raisonnée de ses principes? verains de fait.
Le principe du gouvernement représen- Et qu'on ne dise pas que Dieu, en qui
tatif est la souveraineté du peuple. nous plaçons le pouvoir suprême, est aussi
La souveraineté est le pouvoir suprême, une abstraction car le christianisme l'a
le pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs, réalisé dans la personne de l'Etre divin, qui.
et celui qui donne l'être et l'impulsion à tous s'appelle lui-même le Roi des rois de la.
les pouvoirs subordonnés. terre, et a été reconnu en cette qualité par
On avait cru jusqu'à présent, dans toutes les nations les plus puissantes et les plus.
.es sociétés anciennes et modernes que le éclairées.
pouvoir suprême universel ne pouvait être Je cherche donc le peuple, et je ne vois.
que celui de Dieu A Jove principium, di- que des individus dans les ateliers, dans les
saient les païens; Omnis poleslas a Deo, boutiques, dans les salons, sur les places
disent les Chrétiens. publiques, dans les théâtres, dans les ba-
Nous avons changé tout cela; mais si tel gnes, dans les maisons de détention, dans,
est l'attribut du peuple, le peuple donc est les émeutes, enfin dans des situations dont
Dieu et où réside cette divinité? quelle les unes font un étrange contraste avec la
étoile mystérieuse nous conduira jusqu'à nature et les fonctions de la souveraineté,.
elle, pour que nous puissions lui porter nos ?t les autres ne me représentent aucune
adorations et nos hommages? Nous la cher- idée de la dignité du souverain. Je voi? ce
cherions en vain. Le moi de peuple est un peuple dans les temples, dans les armées;.
893
'U''VV' _x.
PART. Il. POLITIQUE.
mais là il' ne commande pas, il obéit. Je le
vois encore dans les assemblées législatives,
DU GOUVERNEMENT REPRESENTATIF.
qui
c ne peuvent lire les livres qui les con-
tiennent;
t et par conséquent ils placent avant
894 j
(l)i'LTiomme sensé qui entend parler sans cesse jjusqu'à ses difformités, s'il en a; cet homme, dis-je,
de la souveraineté du peuple, qui sait tout ceque s'il n'a pas reçu du Ciel ce genre d'esprit et d'hu-j
meur qui ne voit que le côté risible des objets,!
ses délégués ou ses officiers sont obligés d'employer
de lois, de force et de vigilance pour contenir celui tombe dans le découragement, et il est tenté de dé-|
dont ils sont les mandataires, et qui voit qu'un sespérer de la raison humaine.
homme, membre du souverain, ne peut pas sortir (2) On entend dire continuellement qu'une bon-
de sa commune, même pour aller gagner sa propre ne loi sur la responsabilité des ministres est dilïicile
vie, sans s'être fait dépeindre de la tête aux pieds, à faire. Je le crois bien, elle est impossible. Une
et avoir fait enregistrer, ne varielur, la hauteur de pareille loiest injurieuse pour les ministres vertueux
sa, taille, la forme de son nez, ta couleur de son inutile pour ceux qui ne le sont pas, et ceux-ci, elii
teint, de s.es yeux, de ses cheveux, son âge, etL les conseille bien plus qu'elle ne les menace.
895 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 896
qu'elle-même. Jamais la royauté, j'entends aui ont chacune leurs intérêts, chacune
tres, qui
la royauté indépendante, la royauté qui rè- leur pouvoir domestique, sociétés par con-
gne et gouverne, la royauté qui est, non pas, séquent toutes monarchiques, et dont sorti».
comme disait naguère un journal, au-dessus ra tôt ou tard,, comme de son élément, la.
de toutes les lois, mais qui est au-dessus monarchie politique car ta démocratiedans
de tous les hommes jamais cette royauté un Etat indépendant de droit et de fait, dans
n'est sortie de la démocratie, et si elle lui un grand Etat, ne peut être que la transition
succède, c'est en la détruisant. Cette royau- orageuse de la monarchie de la famille à la
té ne tire son origine que des grands d'une monarchie de l'Etat, et du système de l'art
nation, ou des aînés de la grande famille. à celui de la nature.
Pharamond ou Clovis furent éjevés sur le pa- Quand la démocratie veut se. donner un?
vois par les chefs de leur nation. Hugues- chef, si elle est civile, elle ne peut se don-
Capet s'éleva au milieu de ses égaux; même ner qu'un mannequin, un fantôme de chef,
dans l'autre siècle, le prince d'Orange reçut comme le doge de Venise ou de Génes; si
la couronne d'Angleterre de la main des elle est militaire, elle se donne un général,,
pairs. C'est que l'aristocratie est un corps un despote comme l'empire romain ou les
complet et homogène et tout corps ainsi Etats d'Orient; et si la démocratie représen-
constitué, et qui n'a qu'un intérêt, celui de tative se donne un roi, comme en Pologne.
son existence, pour ne pas rester aeéphale, et en France, elle ne lui confère que le titre-
tend à se donner une tête ou un chef. Si ce et les vains honneurs de la royauté, et il
corps le fait semblable à lui-même et héré- n'est au fond ni civil ni militaire.
ditaire comme lui, l'Etat conservera son in- Nous avons vu le principe du gouverne--
dépendance, et c'est ainsi que se maintien- ment représentatif, il nous reste àenexami-.
nent sans troubles les grandes monarchies ner les effets
de l'Europe. Si les grands, par ambition du Ces effets ne se développent pas égale-
pouvoir, ou par jalousie les uns des autres, ment ni en même temps dans toutes les so-
font leur chef viager ou révocable, l'Etat se- ciétés. En Angleterre, bien moins occupée-
ra sans garantie au dedans et au dehors, et de politique que de commerce et d'entrepri-
tôt ou tard perdra son indépendance. C'est ses maritimes, et qui s'attache bien plus à.
ce qui est arrivé à la Pologne et à Venise troubler la politique des autres Etats qu'à
dont les puissancesauraient respecté l'exis- affermir la sienne, les effets du gouverne-
tence en corps de nation, si ces Etats eus- ment à trois pouvoirs et à chambres délibé-
sent pu leur présenter, au lieu de quelques rantes ne se sont fait sentir depuis 168&
individus, une royauté héréditaire, une fa- que dans ce moment, et même avant cette
mille royale, propriété inaliénable de la époque la royauté accrue ou plutôt amoin-
nation, contemporaine de tous ses âges, drie par la suprématie religieuse dont la Ré-
témoin de tous ses événements, associée à forme l'avait grevée, était même en présent
toutes ses prospérités comme à tous ses re- ce des chambres un véritable despotisme.
vers, que chaque génération a reçue de En France, plus occupés de politique ration*,
celles qui l'ont précédée, dont elle répond à nelle que d'intérêts matériels, et où tout va
celles qui lui succéderont famille dans la- plus vite, hommes et choses, nous en som-
quelle il n'y a ni enfants ni vieillards, mais mes, après quarante ans de gouvernement
un seul être-roi dont l'histoire n'a pas cons- représentatif, aux derniers résultats, et déjà
taté la naissance et dont le temps ne verra les journaux, confidents des douleurs et des
pas la fin famille qui est la nation même sollicitudes ministérielles, nous déclarent
réduite à sa plus simple expression, et qui « qu'il ne faut plus se faire d'illusion.
dans sa perpétuelle et impérissable unité que le torrent de l'anarchie gronde tout au-
représente à la fois la nation passée, la na- tour de nous (Journal des Débats), et me-
tion présente, la nation à venir; et n'est-ce nace de tout emporter, en sorte que l'on,
pas cette famille qui seule et sans autre force peut dire que le gouvernement représentas
a de nos jours sauvé la France du démem- tif tinit en Angleterre et qu'il est fini en,
brement et de la conquête? France.
La démocratie ne fait pas et ne peut pas En effet, cinquante ans bientôt de démocra-
faire corps; elle est une agrégation fortuite tie, ou populaire, ou militaire, ou royale, et
d'une multitude de petits corps, sociétés de révolution religieuse et politique, ont
ou familles indépendantes les unes des au- conduit la France à l'état deplorable où nous.
la voyons aujourd'hui, à un état qui fait prospérité
p encore toute matérielle due à 1 é-|
horreur et pitié à ses voisins, et qui est tel léme'nt
li monarchique de la restauration mais
qu'à aucune époque de sa longue existence l'influence de l'élément contraire a-t-elle
1'
elle n'avait donné à ses amis plus de sujets cessé
c d'agir, manifestée, par les éternels
de crainte et de découragement. La France combats
c de majorités et de minorités, dé
avait essuyé de grands revers elle avait vu côté
c droit et de côté gauche, par les changer
rments perpétuels de ministère, par
descons-
ses rois périr sur la plage africaine, captifs
chez l'ennemi, assassinés par leurs sujets, pirations
1 fréquentes, par des attaques à là
un roi d'Angleterre couronné roi de France religion
r et a-t-il été permis aux hommes
à Paris, son roi en démence, ou réduit à prévoyants
f de goûter un instant de pleine
n'être que le roi de Bourges; "elle avait vu f entière sécurité, et cette
et lutte intestine et
pas
l'Anglais maître de la moitié du royaume, et cette
( guerre d'opposition, n'ont-elles
l'autre moitié ravagée par des bandes indis- fini
f par la terrible explosion de juillet?
ciplinées, la division parmi la famille roya- Je n'ignore pas que j'ai toujours été sujr
le, le désordre partout; mais tant que la foi ( point en désaccord avec
des hommes dont
à ia royauté et à la religion se conservait jce
j'honore le caractère, dont j'admire les
ta-
peutj-
dans le cœur des peuples, le mal n'était qu'à 1lents, et qui croient à la possibilité,
Suscepere duo manipulares imperium po- avait reçu que des témoignages d'affection.
puli Romani transferendum et transtule-• Ces mots il est trop tard, la guerre a décidé,
runt. qui retentiront longtemps en France et ei¡
« Deux simples soldats entreprirent des Europe, semblables au Marie, Thecel, Phare
changer la succession à l'empire romain, ett du festin de Balthazar, ont donné, le signal
ils la changèrent. » de la plus grande désolation dont une so-
C'est ainsi que Tacite commence le récitt ciété puisse être frappée; de toutes les
de la révolution qui précipita Galba du trône émeutes, de toutes les révoltes, de toutes
pour y placer Othon, et qui fit passer l'em- les [haines, de toutes les guerres, de tous
pire des familles patriciennes, qui avaientt les attentats contre l'ordre religieux et poli-
régné depuis Auguste, aux familles plé- tique, de tout le sang qui a été versé en Eu-
béiennes, d'où il ne sortit plus, et qui com- rope depuis cette fatale époque, et qui le
mencèrent à Othon.
sera encore, enfin de tous les malheurs pu-
Une révolution semblable s'est opérée blics et privés qui en ont été la suite, et de
en
France deux simples particuliers ont dis- tous ceux qui nous menacent encore et
posé de la couronne en répondant aux pro- tous ces malheurs et tous ces crimes pèsent
positions de paix qui leur furent faites sur la conscience, et tout ce sang a coulé au
« II
est trop tard, la guerre a décidé. » Et, com- compte de ceux qui par ces mots cruels
me les soldats d'Othon, ils ont changé la il est trop tard la guerre a décidé, ont jeté
royauté noble en royauté bourgeoise. la France et J'Europe dans l'inextricable dé-
Il y a cette différence entre ces deux ré- dale dont elles ont tant de peine à sortir, si
volutions, qu'à Rome la succession légitime même elles en sortent.
à la monarchie n'avait pu prendre racine Je suis loin de supposer que les hommes
chez un peuple soumis pendant neuf à dix qui ont prononcé ce fatal arrêt, quels qu'ils
siècles au gouvernement républicain, et qui soient (car il parait qu'on s'en dispute l'hon-
ne pouvait que le regretter, après moins neur), en aient prévu toutes les eonséquen-
d'un siècle du despotismele plus cruel et le ces à Dieu ne plaise que je leur impute
plus insensé de Tibère, de Caligula, de Né- une si effroyable perversité; mais s'ils ont
ron, de Claude, chez un peuple païen, peu- pu croire que cette substitution violente
ple sans morale qui ne tenait de sa religion, d'une royauté à une autre, ce déplacement
ni idées justes sur le pouvoir, ni affection d'une dynastie, si malheureux pour la so-
envers ses maîtres au lieu qu'en France ciété, même lorsque c'est la nature qui le
c'est après dix siècles de succession paisi- fait par l'extinction d'une famille régnante,
ble de rois, interrompue par quelques laisserait les choses dans l'état de paix, de
an-
nées seulement d'une république extrava- sécurité, de prospérité, de bonheur où la
gante ou d'un brillant despotisme, c'est chez restauration les avait placées et maintenues
un peuple chrétien, renommé par la dou- pendant quinze ans, il n'y a pas d'expres-
ceur de ses mœurs, la justesse de son es- sion assez forte pour déplorer cette absence
prit, son attachement à ses rois, devenu totale de jugement, de prévoyance, de con-
sous l'influence de la religion chrétienne naissances historiques et politiques, même
une autre religion, que s'est opérée en trois d'esprit, j'entends l'esprit de gouvernement,
jours la révolution à laquellejuillet a donné qui ne consiste pas à débiter de belles
son nom, et que l'antique race de ses rois phrases à la tribune ou à les écrire dans un
a été, dans trois générations des princes les journal, pas même à faire de la philanthro-
plus vertueux et les plus innocents, con- pie dans ses terres ou des affaires d'argent
damnée à un exil éternel par des hommes dans son comptoir; mais à connaître le
c'ont aucun assurément n'avait à se plain- temps et les hommes, et à juger la portée de
dre d'eux, et au profit d'un parent qui n'en ce que l'on entreprend.
Et ce n'est pas un conquérant, qui, dans vvv
refuser toute coopération; et cest ce que
l'emportement de la victoire, laisse échap- 'faisait Charles X, en retirant ses ordonnan-
per ces mots barbares; ce n'est pas un ora- ces et renvoyant ses ministres; et, cepen-
teur de tribune enivré par les applaudisse- dant, l'article 14 de la Charte, jurée par
•
ments des galeries ceux qui les ont pro- ceux-là mêmes qui lui ont fait un crime d'y
noncés n'étaient échauffés ni par leurs com- avoir eu recours, cet article, exécuté plu-
bats, ni par leurs harangues; c'est avec le sieurs fois sans réclamation, et dont la lé-
calme de la réflexion, c'est de sang-froid, et galité avait été défendue par les meilleurs
lorsqu'ils écoutaient les propositions pacifi- esprits, et, entre autres, par M. le comte
ques qui leur étaient faites; c'est dans cette Siméon à la chambre des pairs, cet article,
situation d'esprit qu'ils ont osé répondre qu'un journal libéral regarde comme indis-
La guerre a décidé. Comme si la guerre, qui pensable dans toute constitution, même
ne décide qu'entre des forces, pouvait ici lorsqu'il n'y est pas exprimé, permettait au.
décider entre des droits. Il est trop tard, roi de rendre les ordonnances nécessaires
trop tard pour sauver son pays des horreurs pour la sûreté de l'Etat; et, certes, la comé-
d'une révolution trop tard pour rassurer die de fidélité, jouée pendant les quinze ans
tous les intérêts menacés, trop tard pour ar- Je restauration, et avouée par les comé-
racher les armes des mains des combattants, diens eux-mêmes, ne rendait que trop ur-
trop tard pour épargner le sang des ci- gentes les mesures de précaution. Depuis,
toyens, trop tard pour honorer la France d'autres ordonnances ont été portées, moins
aux yeux de l'étranger, par un grand exem- urgentes et plus illégales, et qui, loin de se
ple de modération et de sagesse! conformer à un article de la charte qui les
Et quels motifs peuvent alléguer ceux qui permît, ont été rendues en violation for-
oat repoussé avec tant d'insolence et de té- melle d'un article de la charte, qui défend
mérité les propositions de paix qui leur toute mesure d'exception.
étaient faites de la part du roi? Nous parle- Ces souverains de l'Hôtel-de-Villé, qui
ront-ils encore de l'illégalité des fameuses ont si généreusement disposé de la cou-
ordonnances, après tout ce que nous avons ronne, et refusé leur accommodement, se
vu d'illégal, et même sans ordonnance? Ce rejetteront-ils sur la nécessité de sauver les
reproche d'illégalité, désavoué même par libertés publiques ? Ce serait une amère dé-
des journauxlibéraux, est tout à fait suranné; rision, aujourd'hui que nous ne connais-
il ne fait que continuer la comédie de
sons de libertés que celles de l'état de siège,
quinze ans, et ne peut servir qu'à prolonger des visites domiciliaires, des garnisaires, des
iniquité des détentions de Ham. On n'a ja- passe-ports, des amendes et des prisons,
mais exigé des rois qu'ils fussent infailli- que la liberté des Thérésa, des Darlington,
bles, et la charte elle-même n'a pu les met- de la Tour de Nesle, des Dix ans de la ute
tre à l'abri de leurs propres erreurs et des d'une femme, et de toutes ces infamies trans-
fautes qu'ils pouvaient commettre qu'en les portées sur la scène pour l'instruction c,u'
condamnant à une inaction totale mais ce
qu'on peut et doit demander d'eux, c'est de
public lorsqu'enfin nous ne connaissons de
liberté publique ou privée, noliti~ue ou ci-
reconnaître leurs erreurs, et de punir ceux vile que celle de la licence
dont le devoir était de les avertir et de leur
SUR LE CADASTRE.
(Extrait du Journal des Débats, 12 mai 1817.)
Un cadastre est, comme on l'a dit à la connaissance générale des valeurs imposa-
<
chambre des députés la circonspection gé- mes
J j
des différentes provinces, et moins en-
nérale des terres pour en connaître la valeur core
< du royaume, il dut commencerpar cher-
imposable. cher
( la valeur de chaque parcelle, pour en
Dans les premiers temps de l'établissement ifaire, au moyen d'une addition, la valeur du
de l'impôt foncier, et même longtemps après, tout;
t et les premiers cadastres durent être
comme le gouvernement n'avait aucune parcellaires.
1 Cette méthode, qui ne fut ap-
907 (OUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD, 908
pliquée qu'à un petit nombre de pays, et. L'ouvrage de M. du Petit-Thouarsrenferme
qu'on a voulu de nos jours appliquer à toute une. seconde partie, je veux dire l'application
la France, à cet inconvénient que la plus des moyens généraux à la valeur partielle de
petite erreur dans les détails, répétée une chaque héritage. Ici revient le cadastre par-
infinité de fois sur le n ombre infini de par- cellaire, qui, en dernière analyse, est néces-
celles, doit produire une énorme aberration saire pour asseoir la contribution de chaque
sur la valeur totale, à peu près comme on propriété particulière. Ce cadastre fie regarde
risquerait de se tromper grossièrement sur plus le gouvernement, mais la commune;
la superficie d'un appartement, si, au lieu de c'est-à-dire que le gouvernement ne le fait
mesurer à la toise les deux côtés du carré, on pas faire, mais veille à ce qu'il soit fait. L'in-
mesurait à part chacun des pavés qui en térêt du gouvernement n'est même qu'indi-
couvrent la surface. Mais aujourd'hui que rect car si la commune voulait acquitter sàs
le gouvernement, après plusieurs siècles d'ex- contributionfoncièred'une manière plus cofr*
périence et des travaux immenses sur la sta^ forme à ses intérêts, le gouvernement pour-
tistique, rendue plus facile par la division de rait la laisser faire. J'en ai connu qui payaient
la France en parties à peu près égales, con- leur impôt foncier par le loyer de leurs biens
naît d'une manière approximative la valeur commùnaux, ou par des coupes annuelles de
imposable de chaque département, au lieu de bois, ou parla vente publique et aux enchè-
»
remonter des détails à l'ensemble, il faut, je res d'une propriété particulière à leur terri-
crois, descendre de l'ensemble aux détails, et toire et il y a en Languedoc uné commune
procéder par règle de trois et par division, considérable sur laquelle croît exclusivement
au lieu de procéder par addition. un arbuste propre à faire les fourches à trois
La preuve que le gouvernement possède dents, dont on se sert pour remuer les foins,
tous les moyens nécessaires pour agir de cette et qui- acquittait la plus grande partie de ses
manière, c'est qu'il sait aujourd'hui ce qu'on impositions avec cette denrée dont le gou-
ignorait alors, ou ce qu'on ne savait que con- vernement avait soumis l'exploitation et le
fusément, que l'impôt est très-inégalementré- débit à un mode uniforme et à des règlements
parti entre les divers départements, et qu'il particuliers.
lui suffit de déterminer, avec la précision dont
cette matière est susceptible, la proportion Les moyens de parvenir à la connaissance
respective de cette inégalité. M. du Petit- de la valeur de chaque fonds de terre, dans
Thouars,qui, en'qualité de propriétaire, et de chaque commune, ne me paraissentpas aussi
propriétaire employé dans l'administrationde sûrs et aussi prompts dans l'ouvrage de M.
son pays, me paraît avoir beaucoup et heu- du Petit-Thouars, que les moyens généraux.
reusement réfléchi sur cette importante ma- Je crois qu'on peut parvenir à quelque chose
tière, donne les moyens de déterminer cette de mieux; mais ce qui rendra toutes les'opé-
proportion d'inégalité, et ces moyens me pa- rations plus faciles, tant les générales que
raissèrit prompts et sûrs il faut les lire dans les particulières, sera, lorsqu'on le pourra,
l'ouvrage même, et ils sont peu susceptibles la diminution de l'impôt foncier; je dirais
d'analyse. Je crois qu'il n'y a pas de commu- volontiers son abolition, et sa conversion
nes, d'arrondissements, de départements où en impôts indirects; car je crois que, dans
l'on ne puisse les employer, et trouver les do- un État même agricole, c'est vivre sur son
cuments authentiques, les seuls que cherche capital que d'imposer la terre, et vivre de
l'auteur, pour arriver à la connaissance de la son revenu que d'imposer les consomma-
quotité d'impôt foncier qu'ils payent propor- tions.
tionnellementleur revenu.
SUR LA TURQUIE.
(Extrait du Journal des Débats,
19 septembre 1821.)
Et remarquez qu'il ne s'agit plus dans ce3 des d souverains, et le massacre des princes
moment pour les Grecs de liberté et de bon- fi frères puînés du prince régnant, qui y sont
heur il s'agit d'existence. Il ne dépend pluss une u loi d'Etat, ne sont-ils pas la preuve que
des puissances chrétiennes, pas même de la ces î c peuples n'ont pas plus que leurs gouver-
l'idée de ce que nous entendons par
puissance ottomane, de faire désormais habi- nements n
ter dans les mêmes lieux les Grecs et less légitimité, 11 et qu'ils ne reconnaissent d'autre
Turcs. Le Grand Seigneur aurait beau s'enga- droit d que celui du plus fort?
r
ger par les pactes les plus solennels à traiter Deux motifs cependant, l'un
mercantile,
les Grecs avec modération, il n'est maître ni dee l'autrer politique, se cachent derrière ce scru-
ses peuples ni de ses soldats, et le joug souss pule p de légitimité. Sans doute l'expulsion
lequel les Grecs gémissaient, et auquel peut- des c Turcs hors de l'Europe anéantirait les
être une longue habitude de souffrir les rendait it relations
r commerciales que les peuples chré-
moins sensibles, est devenu tout à fait intolé- i- ttiens ont avec eux. Mais la puissance chré-
rable. Leur donner une existence isolée et>t tienne, t quelle qu'elle fût, qui régnerait à
indépendante dans quelques provinces sépa- i- (Constantinople, aurait nos mœurs, nosgoûts,
rées du reste de l'empire turc, c'est à quoi laa nos i besoins, etil s'établirait bientôt entre elle
Porte ne consentiraitjamais, et il faut aban- et < nous
de nouvelles relations de commerce..
donner à son malheureux sort ce peuple, Si nos arts et notre industrie faisaient chez
dégénéré si l'on veut, mais qui montre lee elle assez de progrès pour qu'elle n'eût
désir et les moyens de se relever de son n plus besoin de beaucoup d'objets pour les-
abjection, et voir de sang-froid sa longue ie quels les Turcs sont aujourd'hui nos tribu-
agonie, ou lui porter les secours que les 33 taires, le commerce entrel'Orientet l'Occident
peuples chrétiens se doivent, comme les hom- i- se réduirait peut-être àl'échange des produits
mes, les uns aux autres. Qu'on ne craigne pas as indigènes dans chaque pays. Mais n'est-ce-
l'abus qu'on peut faire de cette doctrine. Nul ul pas le vœu de la nature qui fait naître des
autre peuple dans l'univers ne se trouve et ne le productions diverses dans divers climats, et
peut se trouver dans la position où sont les es n'est-ce pas encore l'objet des efforts cons-
Grecs, seul peuple chrétien asservi à des maî- iî- tants de la politique, lorsqu'elle soumet par-
tres qui ne le sont pas. tout les denrées étrangèresdes prohibitions
Non-seulement les Turcs ne peuvent plus us si sévères ou à des
droits d'entrée si ruineux i?
de manufactures
désormais vivre avec les Grecs, mais peut-être re II y aurait peut-être moins
sont-ils plus en état d'entretenir des rela-
a- en Europe, mais il y aurait aussi moins de
ne industrielle et si peu indus-
tions d'amitié avec les Chrétiens. Les menaces es cette population
de guerre et de vengeance, sans aucun résul- il_ trieuse, sans travail et sans pain à la pre-
tat, leur donneront à notre égard un surcroît >ît mière crise politique ou commerciale, qui
de produits ou arrête
de mépris et d'insolence, qui rendranos rela- a- fait languir le débit ses premières de son
tions avec eux beaucoup plus difficiles. Peut- [i_ l'importation des matières
être ces menaces leur feront-elles sentir lec, industrie, et qui accable les gouvernements
besoin de perfectionnerleur art militaire, et de ses besoins, de son oisiveté et de sa
turbu-
d'employercontre nous d'autres armes que ue lence.
le fanatisme. En hommes et en argent, cette Lte Une considération politique, et qui n'est
puissance ne le cède à aucune autre; son on peut-être qu'un intérêt mercantile déguisé
droit de guerre la rend encore plus dange- je- est la crainte de l'agrandissement de la Russie,
reuse, et sa haine religieuse contre les Chré- 'é- mieux placée pour faire la guerre aux Turcs,
tiens, réveillée par ses derniers excès, ne et en recueillir les fruits. C'est, il faut en con-
permettra plus entre eux et nous d'affinité ité venir, ouvrir un peu tard les yeux sur ce dan-
politique. ger, et si l'on voulait s'opposerà l'agrandisso-
Je le 'répète, je vois en Turquie un état ;tat ment de cet empire colossal, il eût fallu s'y
légal, et n'ya-t-il pas des lois dans toute ute prendre plus tôt. La Russie, forte de son cli-
réunion d'hommes, même dans un attroupe- pe- mat, de sa population, de ses
déserts, des lu-
ment de brigands? Mais je ne sautais y vair air mières de son gouvernement, et même de l'i-
un état légitime de société. L'état légitime de gnorance de ses peuples, ne peut aujour-
la société est la civilisation, parce qu'il en est d'hui, comme tous les grands empires, comme
l'état naturel, et la civilisation n'est que le le grand empire de Bonaparte, être bornée
ajaam,
<M3 PART. u,
H POLITIQUE.
mmakrvi..
que par elle-même, et, comme un immense
fleuve, elle ne peut s'affaiblir qu'en s'éten-
SUR LA TURQUIE.
bonald insérée
LETTRE DE M. DE DONALD
Journal des Débats
INSÉRÉE DANS
n° DU 28 OCTOBRE
9U
le j
LE
dant. Constantinople et Pétersbourgn'appar- 1821.
tiendraient pas longtemps au même maître. Paris, le 27 octobre.
La famille, fût-elle russe, qui régnerait en Au rédacteur.
Grèce, n'aurait bientôt d'affection que pour
les intérêts de son pays, et deux peuples, Monsieur,je n'ai pu me procurer qu'à Rho-
dez, où je suis allé pour les élections, les n°
pour être limitrophes n'en sont pas plus
amis. 21 et 23 de la Gazette de France, qui contien-
Si même la Grèce faisait partie de l'empire nent des observations de M. Achille de Jouf-
froy, sur un article relatif aux événements
russe, déjà si étendu, les Russes, pour être
tranquilles en Europe, seraient obligés de re- qui se passent en Orient, que j'ai inséré dans
pousser les Turcs del'Asie. Un siècle de guerre le numéro de votre journal du 20 septem-
commencerait pour la Russie, qui ne pour- bre dernier.
rait faire ni paix ni trêve avec des ennemis qui, Ces observations m'avaient été indiquées
voyant de leurs rivages ce beau pays de Grèce dans ce même journal, par des réflexions de
qu'ils auraient été forcés d'abandonner, ten- M. Malte-Brun, mais j'avais cherché en vain la
teraiént continuellement de s'en ressaisir Gazette de France dans la ville voisine des
lieux que j'habite. Elle n'y a pas d'abonnés
lis feraient sur les côtes de la Grèce ces conti-
nuelles incursions que leurs frères les Barba- M. Achille de Jouffroy voudra bien excuser
le retard de ma réponse à ses observations.
resques font sur les côtes d'Espagne ou d'Ita-
lie, et ne serait-il pas heureux aux yeux de Dans les procès littéraires comme dans les
ceux qui rêvent encore la chimère surannée autres, les parties devraient se faire signifier
de l'équilibre politique entre les puissances réciproquement leurs dires.
Les observations de M. Achille de Jouffroy
que les forces de la Russie fussent ainsi occu-
pées aux extrémités de l'Europe plutôt que ont deux parties distinctes, comme celles
dans le centre ? Après tout, les nombreuses qu'il combat l'une relative à la légitimité en
provinces qui forment aujourd'hui la Turquie général, l'autre relative à la légitimité de do-
européenne, n'ont jamais été un Etat un, pas mination des Turcs sur les Grecs. Je com-
même sous les Turcs, et la politique coparta- mence par celle-ci.
geante de l'Europe pourrait, en cas de con L'Europe eût été bien étonnée, il y a moins
quête, s'y arranger tout à son aise, et, de pro-d'un siècle et demi, lorsqu'après les guerres
che en proche, contenter beaucoup d'ambi sanglantes et les horribles dévastations des
tions, s'il peut y avoir encore dans la tête desTurcs en Hongrie et en Pologne, ils formaient,
souverains des projets d'agrandir des Etats en 1683, le siége de Vienne, dernier boule-
qu'ils peuvent à peine gouverner. vard de la chrétienté, de voir des Chrétiens
prendre la défense de la légitimité de posses-
II y aurait en Grèce de la terre ferme
sion par les Turcs- d'une des plus belles par-
pour les ambitions continentales, et des îles ties de l'Europe chrétienne. Nous
pour les ambitions maritimes. Les Grecs, au pouvons
sortir de ce long esclavage, nepeuvent se gou- encore nous faire une idée de l'horreur et de
l'épouvante qu'ils avaient inspirées, en re- <
verner eux-mêmes, et continuellement'atta- marquant dans toutes
qués ou menacés par leurs anciens maîtres, nos langues des locu- i
tions ou des comparaisons passées en pro-
ils auraient besoin d'intéresser à leur défense
verbes, qui s'y rapportent. L'alliance de Fran-
plus d'une puissance. Plût à Dieu que l'Angle-
çois I" avec les infidèles fut, dans les idées
terre trouvât en Grèce une compensation au
Canada, qu'elle a si impolitiquementenlevé à
d'alors, un scandale dont Charles-Quint se
laFrance, et que, pour son propre intérêt et le servit avec succès. contre son compétiteur, et
dont l'effet ne fut pas affaibli même par le
nôtre, l'Europedétournât sur ces contrées loin-
taines ce torrent dont elle a eu tant de peine scandale plus grand peut-être de la prise et
à contenir les eaux 1 La retraite des Turcs de
du sac de .Rome par l'armée impériale et des `
l'Europe, qui porterait un coup mortel à la soldats luthériens. Cet habile et dangereux
puissance des Etats barbaresques faciliterait rival d'un de nos plus grands rois, fit même,
l'établissement de colonies chrétiennes sur pour le rendre odieux, frapper, à l'occa-
les côtes d'Afrique, et l'Europe doit désormais sion du siège de Nice par les troupes fran-
former des colonies, sous peine de se dissoudra çaises et par Barberousse, amiral des Turcs,
en républiques. une médaille où on lisait Nicea a Turcis et
Gallis oisessa^anno 1543.'
015 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD, 916
cg
s
fiRllVltES COV.PI.ETES DE M. DE RONALD,
sortir de l'état contre sa nature, où on l'a que, et restent toujours faibles et valétudi-
jetée. naires.
Il y a des états de société qui ne peuvent La vertu resterait muette et captive, si elle
souffrir la médiocrité des vues et des talents, craignait l'abus que l'erreur peut faire de
ses
ou des vertus il en est d'autres qui n'ont pas paroles. C'était assurément un faible philoso-
1e même besoin d'hommes supérieurs, et qui phe que celui qui disait qu'il se garderaitbien
semblent, comme disait un grand Pape, gou- d'ouvrir la main, si elle était pleine de véri-
vernés par la Providence, au moins tant qu'on tés il avait raison, s'il voulait parler de véri-
la laisse faire. tés sur les personnes, qui ne sont le plus sou-
Je ne sais si Messieurs du Constitutionnel et vent que des conjectures et qu'on ne doit
des autres journaux de la même couleurpren- qu'à ceux qui les demandent. Mais les vérités
dront avantage de ce que je dis ici; ils l'ont sur les choses ne sont jamais intempestives i
fait, à ce qu'on m'assure, de mon article sur la société en a toujours besoin et, dans ce mo-
la Grèce M. Achille de Jouffroy n'aurait pas ment, l'Europe rougie, si je peux ainsi par,
dû s'en scandaliser. Il est assez naturel que les 1er, au feu des révolutions, et tout entière re-
combattants mal armés prennent des armes mise sur l'enciume et sous le marteau, l'Eu-
partout où ils en trouvent et les accommodent rope ne périt que faute de les connaître. Je
à leur usage; autant est arrivé à Bossuet, à Fé- n'ai donc pas trop redouté l'abus que les uns
nelon, à Massillon et à tous les moralistes qui fei-aient de mes paroles, ni trop espéré de
ont traité des devoirs des rois, des passions l'usage que les autres pourraient en faire.
des grands, des vices des cours, des besoins L'erreur et la vérité partent quelquefois d'un
et des malheurs des peuples. Et quel parti principe commun et marchent même parallè-
n'ont pas tiré, même de l'Ecriture sainte, les lement dans leurs applications, mais elles di-
réformateurs du xv' siècle, à l'appui de leurs vergent prodigieusement dans leurs consé-
innovations? Les écrivains libéraux ne man- quences ou leurs effets, et c'est alors qu'on
quent ni de correction, ni d'élégance; tous les peut les distinguer l'une de l'autre.
artifices du style leur sont familiers, et surtout Je résume tout ce que j'ai dit, et j'ose même
l'hyperbole, le sophisme et le sarcasme mais avancer comme un axiome, et même le
pre-
ce ne sont là que les formes de l'esprit,, et ils mier de la science de la société, sur lequel je
n'en ont pas le fonds, car ils se sont tous, et serai d'accord même avec M. Achille de Jouf-
même les plus habiles, toujours trompés et se froy, que je me félicite d'avoir eu
pour adver-
trompent encore; et leurs opinions politi- saire, que s'il n'y a pas de vérités absolues, il
ques ne sont que les chimères de l'ambition, ne peut y avoir de législation raisonnable.
les vœux de la haine ou les rêves de l'igno-
L'expédition que la France vient de termi-ii- un phénomène dans l'histoire des sociétés
ner si heureusement en Espagne, est l'épo- o- c'est une guerre morale et religieuse autant
que la plus glorieuse de ses annales. Une
ne que politique, une guerre on peut dire d'hu-
guerre intentée ou plutôt soutenue sans au- u- manité, et le plus bel usage qu'un grand roi
cune vue d'agrandissement,sans aucun motif tif ait jamais pu faire de ses forces.
de jalousie de commerce, de rivalité de na- a- Les souverains de l'Europe qui ont con-
tion, de ressentiment personnel de rois ou de couru de leur résolution et de leurs vœux à
ministres, une guerre entreprise uniquement :nt cette noble entreprise, et qui auraient, s'il
dans l'intérêt d'un pays malheureux, et pour ur l'eût fallu, concouru de leurs forces, ont re-
le délivrer, lui, son pouvoir, sa religion, son
on pris dans l'esprit des peuples le rang que la
honneur, ses propriétés; de la plus féroce et Providence leur a assigné, en s'élevant à la
'a plushonteuse tyrannie qui fut jamais, est îst haute destination que la Providence leur a
!>27 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BOiNALD. 928
donnée de défendre le christianisme et la toutes ses phases; l'orbite dans lequel sa sa
royauté, ces deux
'1 bases de toute civilisation marche est circonscrite est déterminé le livre
et de toute véritable prospérité. est fermé nous n'avons plus rien à appren-
L'exécution de cet acte mémorable a ré- dre et nous avons tout à méditer.
pondu à de si hautes pensées et à un si noble Tout, dans le monde moral et politique, est
but. Un prince du sang des Bourbons, digne coordonné à la connaissance et au triomphe
petit-fils de saint Louis et de Henri IV, est de la vérité, unique besoin de l'être intelli-
allé, comme le premier, combattre les infi- gent et pour faire de cette expression géné-
dèles en terre étrangère, et comme le second rale une application sensible et particulière,
a reconquis un royaume pour son illustre tout est coordonné à l'existence du christia-
maison nouveau Godefroy de Bouillon, il a nisme, dont l'état public et politique s'appelle
montré dans une autre croisade contre les la Chrétienté. Qui ne voit pas cela, ne voit
ennemis du nom chrétien, la foi la plus vive, rien, et celui qui s'imaginerait que les gou-
la piété la plus sincère, unies à la plus bril- vernements n'existent que pour des besoins
lante valeur et à la sagesse la plus consom- physiques ou les plaisirs des hommes, et pour
mée une armée digne d'un tel chef s'est, à leur donner du pain et des spectacles, quelque
son exemple, illustrée sous ses yeux par sa esprit qu'il eût reçu de la nature, quelques
discipline autant que par son courage, et a connaissances qu'il eût acquises, ne serait
prouvé que les Français n'ont besoin que de qu'un enfant dans la science de la société.
trouver un modèle dans celui qui les com- Tant que le christianisme a été renfermé
mande, pour être capables de tout, même de dans l'intérieur des familles, il n'a eu de per-
se contenir, et qu'aucun effort n'est impossi- sécutions à subir que dans la personne de
ble à leur courage, ni aucun sacrifice à leur ses sectateurs de la part des empereurspaïens,
vertu; époque heureuse de notre histoire, de qui mettaient à mort les Chrétiens sansmême
laquelledateront, il faut l'espérer, la force et connaître le christianisme. Le paganisme ne
la prospérité de la France, et qui vérifie ce persécutait pas les doctrines, parce qu'il n'en
qu'a dit ailleurs l'auteur de cet article « que avait pas lui-même, et cette absence de doc-
les nations commencent ou recommencent trines est une des causes extérieures de la
sous les tentes. » facilité avec laquelle les doctrines chrétiennes
Ainsi, la France qui avait donné naguère à se répandirent dans l'univers. Le christia-
l'Europe de si grands scandales, revenue à sa nisme, qui ne défend que sa doctrine, n'op-
haute mission de devancer tous les peuples posa à la fureur de ses tyrans que la patience
dans la carrière du bien, lui a offert aujour- de ses martyrs, son royaume n'étant pas en-
d'hui les plus beaux modèles d'héroïsme,et la core de ce monde et il n'y avait pas de gou-
valeureuse jeunesse qui, dans une guerre in- vernement qui fut chargé de le protéger.
juste, s'était, il y a quarante ans, infectée des Mais après son établissement dans l'Etat,
démocratie chez un peuple rebelle et républi- la religion chrétienne, devenue société pu-
cain, est allée aujourd'hui, dans une guerre blique, eut d'autres ennemis à combattre,
sacrée, s'imprégner de sentiments religieux des ennemis publics, des gouvernements et
et monarchiques, en secourant une nation fi- des peuples entiers qui menaçaient sa doc-
dèle à son Dieu et à son roi. trine plus encore que ses sectateurs; et les
Mais, après avoir payé à notre magnanime gouvernements devenus chrétiens fondés par
prince et à sa brave armée le tribut d'admira- le christianisme et sur le christianisme, fu-
tion et de reconnaissance qui lui sont dues, il rent honorés de la mission de le défendre.
faut s'élever plus haut et considérer ces évé- Sans parler ici des guerres, on peut dire,
nements sous un point de vue plus général, civiles, que la religion chrétienne a soutenues
pour en faire sortir de nouvelles lumières et dans les derniers siècles de l'Eglise contre
de plus hautes leçons. Le vulgaire épèle un des hérésies appuyées trop souvent par l'au-
à un les événements et n'en tire aucune ins- torité politique, les ennemis les plus redou-
truction. tables qu'elle ait eus ou qu'elle a encore à
Quand on veut lire avec fruit dans ce grand combattre sont le mahométisme et le jacobi-
livre de la société, il faut rapprocher les uns nisme (et j'appelle de ce nom, devenu histo-
des autres les faits que l'histoire nous pré- rique, ces opinions féroces, régénération de
sente, et franchir, par la pensée, pour les lier toutes les erreurs religieuses et politiquesqui
entre eux, ces courts intervalles que les hom- avaient précédé, qui ont mis l'Europe chré-
mes qui ne vivent qu'un'jour appellent des tienne à deux doigts de sa perte, et la mena-
années ou des siècles. La société a parcouru cent encore d'une subversion totale) deux
929
.).¿-
PART. H. POLITIQUE!
ennemis aussi étrangers l'un que l'autre à la
SUU L'EXPEDITION D'ESPAGNE.
la
civilisation, dont l'un attaquait le territoire de
la chrétienté pour y répandre ses doctrïnes,
prévu les conséquences qui doivent résulter
pour la religion des événements présents
mais comme on -ne doute pas aujourd'hui des
9.:0
et dont l'autre attaque le's doctrines pour y heureux effets en politique que l'Europe a
ruiner toute autorité religieuse et civile et y retirés de ces anciennes expéditions, il est
établir sa domination, même politique. permis d'espérer que l'avenir aussi verra les
Nous reviendrons plus tard sur la ressem- fruits abondants que la religion retirera de
blance, ou pour mieux dire, sur l'identité de cette nouvelle croisade; et je ne crains pas
ces deux ennemis et déjà l'on peut la soup- d'assurer que les princes chrétiens réclame-
çonner en considérant l'identité des moyens ront avant peu de la puissance ottomane le
extraordinaires qu'une Providence conserva- libre exercice de leur antique droit de patro-
trice de la société a inspirés aux deux époques nage et de protection sur les lieux saints. Au
pour la combattre. reste, au xix* siècle, comme auxr% ce sont
Assurément dans le siècle qui précède la les peuples qui ont excité les rois, plutôt que
prédication de la première croisade, il n'y les rois n'ont excité les peuples, et rien à mes
avait pas chez les peuples plus de disposition, yeux ne prouve davantage l'action immédiate
ni même de pensée à une coalition générale de la Providence qui, pour sauver les peuples,
pour tenter ces lointaines et périlleuses ex- n'a pas toujours besoin des rois, et gouverne
péditions qu'il n'y avait, il y a quelques an- pendant les interrègnes.
nées, d'apparence ou même de possibilité Le mahométisme et le jacobinisme ont
d'une sainte alliance de rois pour combattre donc été et sont encore les ennemis publics
ensemble et les uns chez les autres, la révo- et déclarés du nom chrétien. La puissance des
lution et cependant au xic siècle, ce fut par Turcs est connue et peut être déterminée par
une sainte alliance de peuples que le maho- l'étendue de leur territoire, de leur popula-
métisme, alors dans la crise de son dévelop- tion, de leurs richesses, de leurs alliances.
pement, fut repoussé de l'Europe, et c'est au Un seul élément de leut force reste inappré-
xix' siècle, par une .sainte alliance de rois ciable et c'est le plus dangereux c'est un
que le jacobinisme a été forcé en Espagne fanatisme toujours le même et qu'il faut tou-
jusque dans ses derniers retranchements, en jours prendre en sérieuse considération. Cet
Espagne où les musulmans ont fait contre élément aussi se retrouve au plus haut degré
l'Europe chrétienne leurs premiers efforts et dans le jacobinisme dont la puissance ne
où le jacobinisme a livré ses derniers com- peut être évaluée. Ces- sociétés secrètes, véri-
bats. tables puissances de ténèbres, régnent sur les
Pour tirer les peuples de leur assoupisse- esprits qu'elles ont aveuglés, et qui pourraient
ment et précipiter, comme dit un historien compter le nombre de leurs sujets ou plutôt
de ce temps, l'Europe sur l'Asie; il fallait à de leurs victimes ?
deshommes, dont l'esprit était peucultivé,des Quoi qu'il en soit, ces deux ennemis se
motifs sensibles et en quelque sorte maté- ressemblent et se rapprochent plus qu'on ne
riels; et ce désir parut un devoir d'arracher pense, et il n'est permis de l'ignorer qu'à
des mains des infidèles le tombeau du Sau- ceux qui ne voient entre les peuples de diffé-
veur du monde, et la ville où il avait accompli rences ou de ressemblances que celles du
sa mission; ce fut ce qui enflamma les peuples langage, des vêtements ou des usages, et ne
et les entraîna dans les lieux saints. Dans un vont pas plus loin. Ce qui distingue les peu-
siècle plus spirituel et pour des hommes plus ples entre eux et les fait ce qu'ils sont, ce
avancés, il a fallu le danger dont étaient me- sont les dogmes qu'ils professent; et entre
nacées les doctrines qui ont fondé la chré- les deux peuples mahométan et jacobin les
tienté et qui la conservent, pour tirer les dogmes sont les mêmes. C'est de part et
cabinets européens de leurs habitudes, diplo- d'autre le déisme grossier chez les Orientaux,
matiques et mettre les armes aux maitis des subtil et poli chez les Européens, et avec cette
souverains. différence néanmoins que les Turcs, point du
Au xi' siècle, les peuples mis en mouve- tout athées, parce qu'ils n'ont pas l'esprit
ment par des motifs uniquement religieux, ne assez faussé par la philosophie, pour tirer
pouvaient pas juger des résultats politiques cette dernière conséquence de leur déisme,
des croisades qui ne se sont fait sentir que sont en même temps un peu plus chrétiens
longtemps après; et au xix' siècle les hom- que nos jacobins, puisqu'ils vénèrent comme
mes excités par des considérationsplus poli- un grand prophète Jésus-Christ dont nos
tiques que religieuses n'ont peut-être pas déistes ne font qu'un philosophe, et ceux-ci
séparent avec opiniâtreté ja politique de la chargés de dévoiler les secrets rapports qui
religion pour les accabler plus sûrement tou- existent entre ces deux ennemis du christia-
tes deux; tandis que les Turcs, dans leur gou- nisme. La haine des Turcs contre les Chré-
vernement théocratique à leur manière, ont tiens s'est rallumée au feu de l'incendie que
intimement lié l'un à l'autre, et c'est à cette les jacobins ont allumé en Europe; et les uns
union que leur empire a dû sa longue durée. les égorgeaient en Grèce, comme les autres
Du reste, le divorce chez les uns, la poly- en Espagne. Il est vcai que les Grecs ont levé
gamie chez les autres, sont une seule et même les premiers l'étendard de la révolte, et l'on
chose qui ne diffère que comme l'actuel dif- a cru en Europe que c'était à l'instigation
fère de l'éventuel. Si ceux-là croient à la de nos libéraux, mais quand cela serait,
ce
fatalité, ceux-ci ne parlent que du destin, et, n'etait pas assurément par zèle pour le chris-
pour compléter la ressemblance, les uns et tianisme que nos révolutionnaires prenaient
les autres méconnaissant la Divinité des Chré- le parti des Grecs, mais uniquement
pour
tiens, réellement présente à la société, et sa détourner sur l'Orient l'attention des puis-
doctrine céleste, cherchent dans un homme sances alliées et compromettre la Russie
un objet présent et sensible qui puisse rece- avec les Turcs, qu'ils n'auraient pas man-
voir leurs hommages, et dont les opinions qué de secourir de leurs intrigues, de leur
soient la* règle de leurs croyances; et ils se argent, de leurs émissaires et de leurs poi-
prosternent devant Mahomet, Voltaire ou tout gnards. Les puissances alliées ont senti le
autre, les croient ou peu s'en faut, aussi piège et pour n'être pas troublées dans leurs
inspirés l'un que l'autre, et font de leurs écrits projets de guerre contre nos révolutionnai'-
leur Code et leur Evangile. Cette identité des res, elles ont négocié avec les Turcs, dont
musulmans et des déistes n'a pas échappé à elles ont, ou peu s'en faut, reconnu même la
de bons esprits Leibnitz et d'autres l'ont légitimité de domination sur un peuple chré-
remarqué, et Luther, un des fondateurs des tien. Ce serait aller un peu loin, s'il fallait
nouvelles doctrines, avait pris les Turcs sous prendre la chose au sérieux, puisque ce se-
sa protection, au fort de leurs conquêtes en rait mettre l'islamisme au niveau de la chré-
Hongrie. tienté, et le Coran sur la même ligne politi-
II semble que les événements se soient que que l'Evangile.
Depuis assez longtemps les Juifs sont juré d'anéantir. Ce qui le prouverait est que
l'objet de la bienveillance des philosophes dans le même temps il avait rêvé le projet
et de i'attentiun des gouvernements. de rebâtir le temple de Jérusalem, éternel
Dans ces divers sentiments, il entre de la objet des vœux et des regrets des Juifs. On
philanthropie, de l'indifférence pour toutes sait qu'il voulut intéresser quelques souve-
les religions, et peut-être aussi un peu de rains à cette entreprise insensée, et même
vieille haine contre le christianisme, pour inutile à l'objet qu'il se proposait car les
qui l'état des Juifs est une preuve qu'on oracles divins, qu'il voulait faire mentir,
voudrait faire disparaître. prononcent la destruction totale du temple,
Ces dispositions, pour ou contre les Juifs, et ne disent rien sur sa reconstruction; et
sont plus sensibles en Allemagne,où les Juifs Voltaire judaïsait lui-même, en ne voyant
se sont extrêmement multipliés, à la faveur pas,que c'est le rétablissement du culte mo-
de plusieurs causes politiques et religieu- saïque, figuré par le temple, qui est incom.
patible avec l'existence de la religion chré-
ses et sans doute aussi que ce peuple voya-
tienne, plutôt que la restauration matérielle
geur, dans sa marche insensible de l'Asie
d'un édifice auquel aucun intérêt ne peut
vers l'Europe, a dû s'arrêter d'abord aux
contrées européennes plus voisines de l'O- plus s'attacher.
rient et des lieux qui ont été son berceau. Quoi qu'il en soit, dès 1783, l'académie de
Ce qu'il peut y avoir des vues secrètes de
Metz proposa au concours la question de l'a-
mélioration du sort des Juifs. Je ne sais
quelque parti dans les réclamations en fa- quels furent les termes précis du program-
veur des Juifs, doit aussi trouver les esprits me mais il est permis de conjecturer, d'a-
mieux disposés en Allemagne, où des opi-
près la tendance des idées de ce temps, qu'il
nions déjà décréditées parmi nous auront
cours encore pendant un siècle; car il en est
y était beaucoup plus question d'améliorer
la condition politique des Juifs, que de
dans ce pays des opinions qui ont vieilli en
changer leur état moral, et de les améliorer
France, à peu près comme des écus au soleil
de Louis XIV, qu'on y retrouve dans la cir-
eux-mêmes. Le grand livre en politique et
culation, et qu'on ne voit plus eu France en morale nous dit « Cherchez première-
ment la justice, et les autres choses vous
que dans les cabinets des curieux. seront données comme par surcroît. » La
Quand je dis que les Juifs sont l'objet de philosophie économiste qui dominait alors
la bienveillance des philosophes, il faut en renversait cette maxime, et disait à peu près
excepter le chef de l'école philosophique du aux gouvernements « Cherchez première-
xviii* siècle, Voltaire, qui, toute sa vie a ment à rendre vos peuples riches, et même
montré une-aversiondécidée contre ce peu- souverains; et la morale et la vertu vien-
ple infortuné. Elle lui attira même, de la dront ensuite comme d'elles-mêmes. » C'est
part d'un savant qui prit le nom des Juifs par cette même disposition qu'on s'occupait
portugais, et en soutint le personnage avec beaucoup plus à rendre les prisons saines et
beaucoup de politesse, d'esprit et d'érudi- commodes, qu'à diminuer les causes qui] es
tion, une réponse mortifiante, et que Vol- remplissaient de malfaiteurs, et que l'opi-
taire supporta très-impatiemment.11 est pro- nion donnait à l'ouvrage anglais, De la ri-
bable que cet homme célèbre ne haïssait chesse des nations, une vogue bien au-dessus
dans les Juifs que les dépositaires et les té- de son mérite réel, et que n'aurait certaine-
moins
»^«i.w de la vérité de la révélation qu'il avait
M- «« .vn.v u~ .Mi~u~~t 4u m araw ment pas obtenue un ouvrage bien plus
pfusmo-
mo-
(t) Plusieurs articles sur les Juifs, insérés au Publkiste, ont donne lieu à celui que le leeteui- a
sous lesyeux.
955 OEUVRES COMPLETES
.I.XDE
l'Ut M
JM
DE
UVj BONAL».
D\J\*i\li\ 936
W,iD
t. .t'
ordinaire trop lent et trop dispendieux.vances seigneuriales; et certes, si dans la
Quoi qu'il en soit, les créanciers préférèrent it langue philosophique, féodal est synonyme
de porter leurs plaintes à l'autorité supé- d'oppressif .et d'odieux, je ne connais rien
L-
rieure, et l'on peut croire que les arguments
irrésistibles '"1'
•ésistibks dont les Juifs ont ~vu"v."v, s de plus féodal pour une province, que
ont toujours less millions d'hypothèques envers des usuriers!
onze
"1YL" 'Va"
usuri&rsî
Œuvres compl. DE M. DE Bosalde. IL 3(1
939 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 9.t9
w* r" o,
que la
Voilà ce que la philosophie a fait en
"a ,A.
France en fayeur des Juifs; et c'est même
leur faute, ou plutôt la faute de leur petit
pour indiquer l'état intérieur de la société,
les ~tft.
1~ maux secrets travaillPnt_ la mar-
fDn la travaillent,
~~f.~Gtc qui
che insensible des choses, et leur influenca
tnar-
nombre, s'ils n'en ont pas mieux profité. sur les esprits et sur les affaires et je ne
En Allemagne, où la politique a un peu crains pas d'avancer que l'ordonnance dont
mieux disputé le terrain, les Juifs n'ont en- je viens de citer les dispositions, est un des
core obtenu,jusqu'à présent, que l'abolition faits les plus étranges de l'histoire moderne,
d'une taxe personnelle, sorte de capitulation et celui qui peut offrir les plus profonds, et
plus avilissante qu'onéreuse, à laquelle ils même les plus-douloureux sujets de médita-
étaient spécialement soumis, et qui formait tion l'homme d'Etat véritablement philo-
même un des revenus propres de la digni- sophe.
té impériale. Cependant, en même temps En effet, la religion peut commander le
que le gouvernement autrichien a affranchi célibat à ses ministres, et l'Etat ne pas per-
les Juifs de cette contribution, il a porté des mettre indistinctement le mariage à ses dé-
lois sévères contre les monopoles qu'ils fenseurs, ou plutôt le leur rendre impossible;
exerçaient, et nous verrons plus bas que les et la raison en est évidente et naturelle les
Juifs ont paru moins reconnaissants du bien- prêtres et les guerriers, engagés, âme et
fait, que sensibles à la gêne apportée à corps, au service de la société publique,
leur industrie. Mais en Bavière, où la phi- n'appartiennent plus à la société domestique.
losophie a fait quelques conquêtes, le gou- Ministres, les uns et les autres, de la grande
vernement a porté récemment une loi très- famille, ils ont cessé d'être membres de la
peu philosophique assurément, qui ne per- famille privée et il est conséquent que la
met le mariage, chez les Juifs, qu'à un in- société religieuse et la société politique, en
dividu par famille, et qui exige encore de exigeant d'eux le sacrifice de leurs facultés,
l'époux la preuve d'une fortune acquise de de leur volonté, même de leur vie, puissent
1,000 florins, environ 2,500 livres, ou 3,000 leur interdire tous les liens qui rattachent
livres de France. l'homme à la vie, et qui partagent ses affec-
tions. Le sacrifice est pénible à l'homme,
Quand cette ordonnance a été connue en mais il est nécessaire à la société; et toutes
France par les papiers publics, on a dû la les répugnances doivent céder à ce grand
regarder comme une de ces nouvelles que intérêt. C'est aussi parce que l'Etat et la
.nos journaux hasardent quelquefois sans les religion disposent, pour leur service, des
garantir, sur la foi des gazettes étrangères; hommes dont la famille peut se passer,
et il n'a été permis de croire à sa réalité, qu'ils s'interdisent à eux-mêmes d'employer
que lorsqu'on l'a vue, dans un journal accré- en général les pères de famille au culte pu-
dité, servirde texte à plusieurs articles pour> blic ou à la défense de l'Etat. C'est un aveu
ou contre les Juifs. Dans les circonstances public que fait le pouvoir politique, de la
actuelles de-l'Europe, nous ne sommes frap- nécessité du pouvoir domestique, et même
pés que des événements qui tirent les sou- de son indépendance dans l'ordre auquel il
verains de leurs Etats, ou les peuples de appartient.
leur repos, et qui s'annoncent à coups de On retrouve dans ces considérations l'es-
canon. Mais la guerre est, de tous les évéue- prit de cette loi si touchante des Hébreux,
ments politiques, le moins imprévu, ett qui, au moment du combat, ordonnait au
même le plus naturel. Elle est l'inévitables jeune époux qui n'avait pas encore demeuré
résultat du rapprochement des, peuples ett avec sa femme, à celui qui avait planté une
des passions des hommes; elle est de tousî vigne et n'en avait pas cueilli le fruit, ou
les temps et de tous les lieux, et peut-être3 avait bâti une maison qu'il n'avait pas habi-
n'offre-t-elle à l'observateur autre chose àï tée, de se retirer chez lui. Le législateur,
remarquer, à une époque plutôt qu'à une3 dirigé en cela par les vues d'une profonde
autre, qu'un plus grand développement de8 politique, compatissait encore aux senti-
moyens militaires, et les progrès prodigieuxs: ments les plus chers à l'homme, au moment
que cet art meurtrier a faits, dirai-je pour leb et au besoin des plus sévères exigences de
bonheur ou le malheur de l'humanité ? Maiss la société. Mais interdire le mariage à des
il est des événements moins éclatants, ett hommes, à un peuple presque tout entier,
par là moins aperçus du vulgaire, qui sontIt qui, partout dispersé, ne vit partout qu'en
cependant d'une toute autre importance
e société domestique et qui même, repoussé
941 PART. II. ECONOM. SOC. SUR LES JUIFS. Uî
delà et lie
de la société publique, ne cherche et ne tion s'arrête aux moyens, la raison n'en con-
trouve que dans les jouissances de la vie sidère que la cause et les effets. Et remar-
privée de dédommagement à l'interdiction quez qu'en même temps qu'en Allemagne
publique dont il est partout frappé; exiger, on bornait par des lois aussi violentes la po-
dans chaque famille, du seul heureux à qui pulation des Juifs, une populace mutinée
U faveur du mariage soit accordée, la preu- les massacrait à Alger; et rien ne peut arrê-
ve d'une fortune acquise, tandis que Je ma- ter l'accroissement de cette plante vivace,
riage et les soins ou les travaux d'une com- qui fructifie dans tous les dimats, entre les
pagne, sont presque toujours, pour les hom- bénédictions du ciel et les malédictions de
mes d'une condition obscure, le seul moyen 3a terre. Et cependant, discordance des ju-
d'acquérir de la fortune; interdire le maria- gements humains! jamais on n'a été plus oc-
ge à un peuple pour qui le mariage est un cupé de population; et une politique maté-
•devoir religieux, la fécondité une bénédic- rialiste, comptant les hommes par tête, et non
tion, la stérilité un opprobre; que ses ora- par ordre, les calcule comme des machines
ties et ses prophètes entretiennent depuis ou des animaux; et dans le même pays où
*ix mille ans dans cette grande pensée, qu'il l'on commande le célibat aux Juifs, on dé-
doit égaler en nombre les étoiles du ciel clame contre le cél ibat des prêtres et en Ba-
«t les sables de la mer; qui lui-même, espé- vière, comme en France, on détruit ces ins-
rant en un libérateur de sa race avec une titutions religieuses qui, sans crime et sans
opiniâtre persévérance, le demande à toutes contrainte, et par des motifs plus purs et
les générations, et peut l'attendre de chaque plus relevés que tous ceux que peut offrir
enfant qui vient au monde; hâter l'anéantis- la politique humaine, tendaient à diminuer
sement d'un peuple que ses histoires font l'excès de la population, et offraient au cé-
contemporain des premiers jours du monde, libat volontaire un asile contre la corrup-
«t le premier-né de la grande famille des tion et la médecine recommande la vaccine
peuples; et qui, dans ses espérances, se à la politique; découverte immense dans ses
croit réservé aux derniers jours de l'univers, résultats sur la population, incalculable dans
et à fermer, pour ainsi dire, la longue mar- ses effets sur la société, présent, quel qu'il
che des nations sur cette terre de passage. soit, dont la postérité jugera la valeur, et
Non, je ne crois pas qu'il ait été porté par dont les gouvernements recueilleront les
aucun gouvernement chrétien, et à aucune fruitsl Et partout les colonies, où s'écoulait
époque de la civilisation de l'Europe, une la nombreuse population de l'Europe, se sé-
loi qu'il soit plus difficile de justifier autre- parent de leurs métropoles, ou, peuplées
ment que par la loi de l'impérieuse néces- elles-mêmes, n'offrent plusde nouvelles ter-
sité, qui justifie toutes les lois; et alors il res à de nouveaux habitants, et partout les
ne reste plus qu'à plaindre le prince vérita- gouvernements veulent des hommes, et
blement humain, qui se trouve réduit à une bientôt ils ne sauront qu'en faire, et il fau-
telle extrémité; et certes, s'il faut en juger dra' les nourrir à la soupe à deux sous! Et
par la violence du remède, le mal passe tout l'Allemagne elle-même, cette mère nourri-
ce qu'on peut imaginer. Et comme tout est cière de tant de peuples, n'a plus de pain à
extraordinaire dans l'histoire du peuple juif, donner à ses nombreux enfants et ce peu-
et qu'il ne peut être malheureux comme un ple tranquille dans ses goûts, modéré dans
autre, c'est encore chez lui que l'on trouve ses désirs, placé sur le sol le plus fertile, se
l'exemple d'une loi,semblable. Etrange rap- laisse prendre à toutes les amorces, et aban-
prochement il y a plus de trente siècles que donne les lieux qui l'ont vu naître, et les
le peuple hébreu fatiguait ses maîtres de sa objets les plus chers de ses affections, pour
population toujours croissante, et toujours aller, au delà des mers, et loin des terres
au sein de l'oppression et nous lisons dans habitées, tenter la chance d'établissements
ses annales, que les rois d'Egypte, sous les- incertains et peut-être mensongers; et si
quels il servait alors, lui ordonnèrent d'ex- l'on voulait rapprocher cette dernière con-
poser à la mort ses enfants mâles. Alors une sidération du sujet qui nous occupe, serait-
politique barbare faisait périr les enfants ce donc que l'accroissement prodigieux du
nouveau nés aujourd'hui une politique peuple juif dépiace insensiblement le peu-
plus humaine les empêche de naître. Mais pie allemand ? Car, là où tout le sol est og-
là où les moyens sont différents, les princi- cupé, l'accroissement d'un peuple nécessite,
pes et la fin sont les mêmes, et si l'imagina- à la longue, le déplacement d'un autre; et
944
945
•JtO Util Y nCiO COMPLETES
ŒUVRES ViVJHir uii
DE M. DE BONALD.
r^prfnc quelle
certes, rmollo que
rtnn soit Viïomrni!lanr*o d'un
emt la bienveillance rl'nnn sous lo christianisme.,
CAnc le r*hnc<ifltiiomû sans
cnnc devenir
^ovonir Chré-
Chrd^
parti nombreux pour les Juifs, il nous sera ra tiens.
permis de penser, sans mériter les repro- )- On se rapproche même de cette opinion
ches d'intolérance ou de peu de philantropie,
e, en Allemagne, puisque l'auteur allemand
que, peuple pour peuple, il vaut autant con-1- de V Essa,i sur les Juifs répandus dans la
server, en France et en Allemagne, des îs monarchie autrichienne Joseph Rohrer,
Français et des Allemands, que les rempla- t- veut « que la réforme des Juifs commence
cer par des Juifs. par l'éducation des enfants. Ce n'est pas,
Jusqu'à présent nous n'avons été qu'his- dit-il, après, avoir été imbus do tous les
s-
torien, et nous ne nous sommes point oc- préjugés de leur nation, qu'ils deviendront
L les membres éclairés et bienveillants d'une
cupé de la question de l'amélioration de la
condition des Juifs. Mais quel est le vérita-
j_
autre.»
ble philosophe qui oserait s'élever contre La politique toute s.eule déciderait cette
'0
question. On peut essayer sur un homme
une mesure que l'humanité commande ?<,2 vicieux le pouvoir des bienfaits parce
Quel est surtout le Chrétien qui pourrait neie
qu'on peut toujours reprendre le bienfait
pas l'appeler de tous ses vœux, lorsque les 'S
s'il en abuse, et le remettre dans l'état d'où
oracles les plus respectables de sa religion,
il est sorti. Mais la saine politiquf, qui n'est
et les traditions les plus anciennes, lui ap-
prennent que les Juifs doivent entrer un autre chose que la raison appliquée au gou-
n
jour dans la société chrétienne, et être ap- vernement des Etats, défend de tenter sur
1-
•
pelés à leur tour à la liberté des enfants de un peuple entier une pareille expérience;
Dieu? ( Rom. vm, 21.11 Et qui sait si la la et parce que le bienfait, s'il est sans fruit
philosophie qui semble donner toute e pour corriger, peut donner de nouvelles ar-
seule cette impulsion aux esprits, n'est pas mes au désordre; et parce qu'il est impos-
elle-même, dans cette révolution commee sible, sans un affreux bouleversement, et
dans bien d'autres, l'instrumentaveugle dee peut-être sans une extermination totale, de
plus hauts desseins? Car toutes les foiss replacer un peuple dans l'état de sujétion,
qu'une grande question s'élève dans la so-)- ou, si l'on veut, de servitude, d'où on i'a
oiélé, on peut être assuré qu'un grand motif if tiré. Je ne parle pas même du danger au-
est présent, et qu'une grande décision n'est ît
quel s'exposerait le gouvernement qui, le
pas éloignée premier, prononcerait l'affranchissement gé-
néral des Juifs, et leur accorderait la jouis-
Il n'y a donc, et il ne peut même y avoirr sance des droits permis à tous les citoyens,
qu'un sentiment sur le fond de la question; de voir affluer. chez lui tous ceux de cette
mais il y en a deux sur la manière de l'en-i- nation qui ne trouveraient pas ailleurs les
visager et le moyen de la résoudre. mêmes faveurs. Il y a apparence que depuis
Ceux qui ferment volontairement les yeuxx les lois imprudentes de l'Assemblée consti-
à la lumière, pour ne voir rien de surnatu- tuante sur-les Juifs, leur nombre s'est beau-
rel dans !a destinée des Juifs, attribuent less coup accru' en France ou, si elles n'ont pas
vices qu'on leur reproche uniquement à encore produit, cet effet, qui souvent n'est
l'oppression sous laquelleils gémissent et, sensible qu'après un long espace de temps,
conséquents à eux-mêmes ils veulent quee il faut l'attribuer a l'incertitudeoù l'état ré-
le bienfait de l'affranchissement précède laa volutionnaire delà France a tenu longtemps
réformation des vices. Ceux, au contraire, les hommes et les choses, et qui excitait
qui trouvent le principe -de la dégradation n plutôt les nationaux à quitter la France,
du peuple juif, et de l'état hostile où il estX que les étrangers à s'y établir.
envers tous les antres peuples, dans sa re- Et qu'on prenne garde que ceux qui dé-
ligion aujourd'hui insociable, et qui consi- sirent que l'amélioration, morale des Juifs
dèrent ses malheurs, et même ses vices, précède le changement de leur sort politi-
comme le châtiment d'un grand crime ett que, et qui craignent que, sans cette condor
l'accomplissement d'un terrible anathème tion, l'affranchissement, des Juifs ne tourne
ceux-là pensent que la correction. des vicess à l'oppression des Chrétiens,, présentent en
doit, précéder le changement de l'état poli- faveur de leur opinion une expérience qu'on
tique. C'est-à-dire, pour parler clairement, ne saurait leur contes.ter. Les Juifsren)Fran,ce
que les Juifs ne peuvent pas être, et même'ee ont été déclarés citoyens fra-nçais et, qn Au-
quoi qu'on fasse, ne seront.jqmais citoyenss triche ils ont été affranchis, de la. taxe qui
pesait sur eux à l'exclusion dés autres ha- des articles qu'on vient de lire, fait un ta-
bitants. Eh bien 1 qu'on lise dans le feuille- bleau aussi vrai qu'il est énergique, de la
ton du Publias te du 11 vendémiaire, un bassesse et des vices reprochés aux Juifs,
article sur les Juifs en Allemagne, tiré d'une pour lesquels il sollicite, avec sagesse et
gazette allemande très -estimée publiée par mesure, l'humanité dès gouvernements.
un auteur qui annonce beaucoup de lumière A ces faits positifs, à ces autorités graves,
et d'impartialité et l'on y verra qu'après on a opposé, dans le même journal,des plai-
avoir parlé de la mauvaise foi et des escro- santeries qui ne prouvent rien des récri-
queries des Juifs à la foire de Leipsick minations contre les Chrétiens qui ne prou-
l'auteur ajoute « On sait comment les Juifs vent pas davantage, et qu'on pourrait même
d'Alsace procèdent avec les cultivateurs qui rétorquer contre les Juifs, dont l'exemple a
ne peuvent faire des emprunts que chez répandu en Europe cet esprit de cupidité
eux; et que des terres d'e paysans leur sont qui a fait de si étranges progrès parmi les
hypothéquées, dans cette seule province, Chrétiens on a opposé quelques principes
pour la valeur de onze millions. Ce sont hasardés sur l'usure, ou même quelques re-
eux qui à la vérité, de concert avec des proches vagues de fanatisme et d'intolé-
Chrétiens, ont organisé l'affreuse disette de rance, qui ont perdu tout leur effet après
la Moravie et dé la Bohème, pour se faire
ce que ncMs avons vu de fanatisme et d'in-
rendre les privilèges et les monopoles dont tolérance de la part de ceux qui en accu-
on les avait dépouillés. Dans les Etats de saient sans cesse les autres et enfin on
Bavière, anciens et nouveaux, ils obtiennent a
pris condamnation sur les Juifs d'Alsace, en
tous les jours plus d'influence eh qualité avouant « que la lie de la nation juive s'étaitt
d'hommes à argent; et, tout bien pesé, réfugiée dans cette province, et que, à l'ex-
ce ne sont pas des banquiers chrétiens, ception de quelques familles très-estima-
mais juifs, qui règlent le cours du change, bfés, le cri de l'indignation qui s'élevait,
non-seulement à' la foire de Leipsick, mais centre eux n'était que trop mérité. » On a
à Hambourg, à Amsterdam et à Loifdres. On même eu recours à un autre moyen de jus-
a donné de justes éloges à l'humanité des tijffoatioh, et l'on a opposé, aux vices repro-
princes allemands, qui ont récemment aboli, chés au corps de la nation, les vertus et les
aux dépens de leurs propres revenus, l& lumières de quelques individus. La raison
taxe corporelle des Juifs, qui était avilis- ne saurait admettre cette manière de raison-
santé et l'on ne peut blâmer cette action ner. Saris doute, si l'on contestait aux Juifs
généreuse; mais il faut conserver une mar- far capacité' physique
ou morale d'acquérir
que distinctive à des gens qui, dans l'état fë'S vertus et des talents, il suffirait, pour
actuel des choses, exclus de la pleine joufs- iétruire l'imputation, de montrer des Juifs
sance des droits de citoyens, soit par leur éclairés et vertueux; mais il n'est pas plus
opiniâtreté, soit par leur misère, sont né- ]permis, eh bonne logique, de justifier une
ccssairemeut les ennemis du bien public. 11 ifiatidn accusée d'une disposition générale à
est démontré qu'aucune classe d'hommes n'a' 1 a bassesse et à la mauvaise foi,
en montrant
été aussi funeste que les Juifs aux fertiles <quelques1 individus instruits et honnêtes,
provinces de la maison d'Autriche, et sur- t
{lue d'incriminer une nation vertueuse, par
tout depuis l'année 1796; que, par leurs 1 'exemple de quelques malfaiteurs qu'elle
a
faux billets et leur fausse monnaie, et en 1sroduits. D'ailleurs, partout, où il se trouve
faisant disparaître le numéraire, ils surent cies Juifs qui se distinguent du reste de leur
produire cette horrible cherté générale qui ination par leurs talents et leur probité, l'o-
ne pouvait profiter qu'à eux. ». Plus loin, le 1ainion publique les en distingue aussi par
même auteur dit « 11 n'y a point de bor- 1 'estime qu'elle leur accorde, et, à
ses yeux,
nés à la bassesse des Juifs mendiants ou i ils ne partagent pas l'anathème qui pèse sur
colportefirs, non plus qu'à l'incroyable mul- 1 eurs frères. Après tout, les écrits de Men-
tiplication de leurs familles. Les actes des ilelsohn et les vertus de quelqu.es autres ne
tribunaux de police de Leipsick, pendant la 1>euvent pas être offerts aux Chrétiens
foire, prouvent que sur douze vols ou es- (:omme une compensation des vexations
croqueries, il y en a onze dans lesquels les (ju'ils éprouvent de là part des autres Juifs,
Juifs sont compris. » Enfin M. Lacretelle, c;t ces écrits et ces vertus ne sont pas plus
dans un morceau inséré autrefois au Mer- iin baume contre l'escroquerie et la mau'
cure, et remis dans le Publiciste a la suite it'aise foi, que les traités de Sérièque contra
les pertes faites au jeu. Ce Mendelsohn, qui tout à fait dans celle qui s'est élevée pour
n'était pas un homme de génie, mais qui a décider si l'affranchissement des Juifs doit
dû être remarqué chez les Juifs et même suivre ou précéder leur changement moral.
renommé chez les Allemands, où les adjec- En effet, si l'oppression que les Juifs exer-
tifs de célèbre et d'illustre s'accordent mer- cent par leur industrie était plus onéreuse
veilleusement en genre, en nombre et en que celle qu'ils éprouvent de la part de nos
cas, avec tous ies noms qu'on met à la suite, lois ou plutôt de nos mœurs, il serait plus
ce Mendelsohn aurait mieux fait peut-être de pressant de les ramener à de meilleures
parler de probité aux Juifs, que d'entrete- habitudes, que de- les faire jouir du bienfait
nir les Chrétiens sur l'immortalité de l'âme, de lois plus indulgentes. Ici les faits parlent
et de vouloir ainsi faire 'la leçon à ses maî- plus haut que les déclamations. « Le cé-
tres. Je crois que les. Juifs se sont distingués lèbre Herder, dans son Adrastée, prédit que
dans les arts, et même, puisqu'on le veut, les enfants d'Israël* qui forment partout un
dans les fonctions administratives auxquelles Etat dans l'Etat, viendront à bout» par leur
ils ont été appelés depuis la révolution. Je conduite systématique et raisonnée,, de ré-
sais qu'il est des arts qu'ils ont portés à une duire les Chrétiens à n'être plus que leurs
haute perfection, et ce ne sont peut-être pas esclaves. » Et qu'on ne s'y trompe pas, la
les plus utiles; quant à l'administration,il dominationdes Juifs serait dure comme cell'e
paraît difficile à un Juif, rigoureux observa- de tout peuple longtemps asservi, et qui
teur de sa loi, de se mêler d'administration se trouve au niveau de ses anciens maîtres;
chez les Chrétiens, et d'ailleurs, je pense les Juifs, dont toutes les idées sont perver-
qu'un gouvernement qui a l'honneur de ties, et qui nous méprisent ou nous haïs-
commander à des Chrétiens, et le bonheur sent, trouveraient dans leur histoire de
de l'être lui-même,, ne doit pas livrer ses terribles exemples dont ils pourraient être
sujets à la domination de sectateurs d'une tentés de nous faire une nouvelle applica-
religion ennemie et sujette du christia- tion. Us trouveraient dans leurs prophéties
nisme les Chrétiens peuvent être trompés des annonces de domination qu'ils pren-
par les Juifs, mais ils ne doivent pas être- draient peut-être à la lettre et à contre-sens
gouvernés par eux; et cette dépendance of- et l'on n'a qu'à ouvrir l'histoire moderne
fense leur dignité, plus encore. que la cupi- (Hardion, Hist. univ., t. Vil) pour apprendre
dité des Juifs ne lèse leurs intérêts. à quelles horribles extrémités les Juifs, de-
Les expériences que les gouvernements venus les maîtres, se sont portés envers les
ont faites sur les Juifs ne sont donc pas Chrétiens, en Chypre et en Afrique. Enfin,
propres à les rassurer sur la crainte que les Juifs se multiplient partout où ils sont
de nouveaux bienfaits ne produisent de tolérés et si l'accroissement d'un peuple
plus grands désordres. Car c'est une ques- est, selon la philosophie moderne,, l'indice
tion de savoir si les Chrétiens ne sont pas le moins équivoque de la sagesse d'une
plus opprimés par les Juifs, quoique d'une administration, il ne faut pas que les lois
autre manière, que les Juifs ne le sont par des Etats chrétiens sur les Juifs soient
les Chrétiens. Cette question rentre même aussi oppressives qu'on le suppose.
r
REFLEXIONS SUR LA PETITION MADIER-MOINTJAU.
Celui qui saurait que la maison de son S'il a cru à l'existence du complot qu'il
voisin doit être attaquée par des voleurs, etdénonce, il a dû, comme citoyen et comme
qui, au lieu d'en prévenir le procureur du magistrat, le dévoiler à l'autorité instituée
pour en rechercher les auteurs. Mais qu'il
roi et l'officier de gendarmerie, porterait sa
révélation tardive au conseil général du y ait cru ou non, il a vou!u surtout y faire
département, passerait certainement pour croire le public, et il a pris le long détour
un sot, si même il n'était pas regardé comme des pétitions au Corps législatif, qui ne peut
un ennemi secret. que renvoyer à l'autorité elle-même; chose
C'est précisément ce qu'a fait M. Ma;3'1- inouïe assurément et tout à fait extraordi-
Montjau, et le soupçon auquel il s'est ex- naire, qu'un magistrat, que ses fonctions
posé. neuvent obliger à rechercher les faits qu'il
949 PART. H. POLITIQUE. REFLEXIONS SUR LA PETITION MAD1ER-MONTJAU. t5D
révèle et à poursuivre les hommes qu'il ac- le gouvernement
g&uveraement.ne s'affermisse, .et
et
ac- ne s'affermisse, on ten-
cuse, dénonce solennellement ces faits et» désespoir de causales
te, en désespoir cause, les mesures
mesures- les
tes
ces hommes à une autorité qui ne peut pas plus violentes. Mais si le parti qu'a dénoncé
dénoncé
en connaître.
COnnaître. H/I. Madier.est
Mi Mlirlia» Ott dirigé
rlll'imi par lin gouvernement
nOK un rrniHTonnnrnnr.
I-
Si M. Madier a voulu faire du bruit, il
a. invisible, le parti dont
été servi par ses amis au delà' de ses espé- aussi son gouvernement; et même
il ne parle pas a
un peu
rances; ils ont Irouvé, grâce à la patience moins invisible; gouvernement dont l'exis-
de la chambre,, le moyen de parler longue- tence est constatée
par de brillants succès,
ment à propos d'une pétition que tout le par tous les -emplois qu'il ôtés
monde et eux-mêmes étaient d'accord pour par les triomphes qu'il aobtenus ou donnés,
a dans les
renvoyer au ministère, et sur laquelJe il n'y élections, et dont un député, procureur gé-
avait ni développements ni amendements à néral dans la seconde ville du-royaume,
faire. Mais ils n'ont pas perdu tout à fait publiquement dénoncé- la tribune a
les co-
leur temps, et de ces lettres et de ces hom- mités directeurs.
mes anonymes ils ont tiré un gouvernement Ainsi, voilà le-gouvernement du roi entre
invisible;. merveilleuse ressource pour le
parti, moyen heureux d'accuser leurs ad- deuxlaautres gouvernements invisibles, qui
versaires de machinations, qu'on est dis- sont cause de tout ce qui arrive dans un,
pensé de prouver, et de faits qu'attendu leur sens ou dans un autre, et nous sommes re-
Invisibilité il n'est pas permis de montrer: venus à Pabsurde théurgie des peuples b'aff
bares qui, ne pouvant s'élever à la connais--
car toute cette fantasmagorie s'évanouit
lorsque le jour arrive, et qu'on peut voir sance des lois générales de la nature, peu-
plaient l'univers de-bons et de mauvais
derrière la toile les fantômes dont on fait
génies, partout présents et partout invisi-
peur aux petits enfants. bles, et dont l'influence était la cause de
C'est ce gouvernement invisible qui a fait tout
ce qui arrivait de bien ou de mal dans
sans doute de si grandes choses depuis le monde.
1815, qui a fait l'ordonnance du S septembre Pour dire toute la vérité, on veut du
1816, qui a destitué depuis cette époque trouble dans
quelque partie de la France.
tant de royalistes des emplois civils et: inili- Le département du Gard, où d'anciennes
taires, en a exclu tant d'autres des déla- dissidences religieuses
peuvent favoriser des
tions, et qui a doublé la chambre des pairs dissensions politiques,
a paru le plus tôt
pour y briser la majorité. C'est à peu près prêt et le mieux disposé. On est allé réveil-
ainsi que le cabinet autrichien, autre gou- ler des souvenirs qui
ne 'demandent qu'à-
vernement invisible, dans un temps qu'on s'effacer, et j'en ai la
voudrait faire renaître faisait brûler les écrites, depuis la pétition, preuve dans des lettres,
châteaux, et en chassait les propriétaires; les plus par les hommes
du parti protestant. On sait
c'est encore tui, dit-on, qui a culbuté un très-bien sages qu'en rappelant 1815 on risque de
ministre, quoiqu'on sache très-bien qu'il ne rappeler 1790,
J'a été, qu'il n'a pu l'être que par l'épou- car il y avait bien plus loin
pour les souvenirs de 1820. à 18.15. que da
vantable explosion qui l'a renversé. En vé- 1815 à 1790. A la vérité les hypocrites
rité s'il existe, ce gouvernement invisible, manquent ne
pas de dire qu'entre J790, époque
il n'a été jusqu'à présent n'i heureux ni de la grande bagarre,
et 1815, il y a eu la
adroit, et on ne citera pas un seul succès charte qui imposé silence
qu'il ait obtenu depuis quatre ans. A la vé- s'était passéa antérieurement. sur tout ce qui-
Je le sais et je-
rité on citera les lois d'exception et la réu- sais aussi qu'il est/ comme dit Tacite, tou-
nion récente des royalistes au parti du mi- jours plus facile de taire
nistère. Et voilà la cause de tout le bruit; je sais que les lois
se que d'oublier
ne peuvent commander
voilà pourquoi on a J'air de regretter au- l'oubli, mais seulement le silence,
et qu'elles.
jourd'hui le ministre qu'on attaquait na- le commanderaient en vain
quand les légis-
guère, et qu'après avoir fait si longtemps lateurs sont les premiers à le
rompre. Et
aux royalistes un crime de combattre les quel but enfin se propose-t-on?. Veut-on
projets du gouvernement, on leur fait au- le gouvernement commande que
jourd'hui un crime de les appuyer. Tant et aux protestants,
aux Catholiques de se réunir dans les
qu'on voyait les royalistes séparés du mi- mêmes croyances religieuses? Véut-on, lors-
nistère, on espérait renverser un gouverne- que les papiers publics sont remplis de dis-
ment privé de son appui naturel; aujour- cours incendiaires et de commentaires plus
d'hui qu'on les voit réunis, on craint que incendiaires
encore, qu'il porte une loi pour
défendre qu'on s'en entretienne à Nimest existent E deux éléments opposés dans une
Veut-on que l'imagination de ce peuple mé- constitution
( écrite, un élément monarchique
ridional, une fois échauffée par ces pétitions et e un élément démocratique, les hommes
odieuses et le bruit qu'elles excitent, le qui c s'occupent d'affaires publiques, selon
gouvernement empêche des rixes entre par- la ] différence de leurs esprits, de leurs étu-
!iculiers, occasion trop ordinaire d'émeutes des, c de leurs intérêts, de leurs habitudes,
populaires, où la justice peut si rarement de ( leur caractère, inclineront davantage
les
saisir un premier coupable? Veut-on que le uns i vers la monarchie, les autres vers la
gouvernement revienne sur tout ce qui s'est démocratie,
c et s'efforcecont tous de faire
passé en 1815, et qu'une commission d'en- prévaloir
1 leur opinion dans la législation.
quête soit envoyée à grand bruit pour re- Voilà les partis en France, en Angleterre,
chercher tout ce que les désordres de cette en < Amérique, et partout où l'on a un gou-
époque ont pu, de la part des uns ou des vernement à deux principes.
autres, produire de coupable ou d'irrégu- En Angleterre il n'y a que deux partis,.
lier ? Veut-on qu'il annule d'autorité les ies j wighs et les torys, ou autrement les
jugements par jury? Veut-on qu'il renvoie, royalistes
1 et les démocrates; en France, où
les Suisses et les remplace par une troupe les esprits sont aussi extrêmes, mais où les
qui entende le français et même le patois? caractères
( sent plus modérés, il y en a trois,
Veut-on que le gouvernement empêche parce qu'il y a un tiers ou troisième partis
qu'entre des hommes unis par une longuequi voudrait prendre un peu de l'un ou de
fraternité d'armes, le simple garde national l'autre, et les concilier tous deux. Cette
n'appelle encore son ancien capitaine, mon conciliation est en politique ce qu'est dans.
capitaine, et son ancien sergent, mon ser- les arts la pierre philosophale, le mouve-
gent;, car c'est à cela que se réduit au vrai ment perpétuel, la quadrature du cerclé, etc.
cette organisation de garde nationale dont La modération dans les actes est indispen-
on a tant parlé? Que veut-on donc? car je sable en administration elle y est un devoir,.
défie qu'on puisse rien demander du gou- une vertu; mais ce qu'on appelle modéra-
vernement que le gouvernement n'ait fait. lion, ou opinions moyennes ou mitoyennes
Il a destitué, il a fait poursuivre,juger, dé- en législation, est une absurdité. Les partis
sarmer, et la chambre aurait fait de son côté sont donc extrêmes, ou tendent à le deve-
tout ce qu'elle devait faire si elle avait in- nir et dans ce qu'on nomme leur exagéra-
terdit tout discours sur une pétition sur tion, ils marchent toujours parallèlement et
laquelle il n'y avait rien à dire lorsque le côte à côte. Les wighs sont devenus le&
renvoi aux ministres en était demandé par radicaux, et aussitôt le parti opposé, qui est
tous les côtés de la chambre et consenti par celui du gouvernement, a renforcé la mo-
le ministère lui-même. narchie et si les radicaux allaient plus loin,
M. Madier peut être ûocteur in ulroqua il faudrait que la monarchie devint absolue
jure, mais il n'est qu'un enfant en droit po- pour sauver l'Etat du débordement de la
litique. Il s'étonne qu'il y ait un parti en démocratie. Nos démocrates sont devenus
France; il devrait s'étonner s'il n'y en avait libéraux. Il a fallu que le ministère devint
qu'un un parti n'est jamais seul; quand il royaliste, ou que les royalistes devinssent
voudra), c'est-à-dire
y en a un il y en a deux, et s'il n'y en avait ministériels (comme on
pas deux, il n'y en aurait pas du tout. Les que le parti monarchique s'est renforcé, au
partis sont inséparables de toat gouverne- grand déplaisir des libéraux, assez jeunes
ment mixte, soit public, soit même domes- pour ne pas s'apercevoir que quand ils dé-
tique, et, de même qu'en Angleterre il y a priment un des bassins de la balance en y
toujours ea depuis sa révolution des wighs jetant leurs discours, leurs pétitions, leurs
et des torys si dans une famille le pouvoir projets d'adresses, leurs vociférations et
est partagé entre monsieur et madame, mon- toute leur artillerie, il faut, de toute néces-
sieur et madame auront chacun leur parti sité, que l'autre bassin s'élève. S'ils veulent
dans leurs domestiques et même dans leurs jeter la France dans la monarchie absolue,
enfants. qu'ils redoutent tant, ils n'ont qu'à conti-
11 y a donc des partis en France, ils y sont nuer, et peut-être leur aurons-nous quelque
nécessaires parce qu'ils y sont constitution- jour cette obligation, C'est ce que M. Ma-
nels, aussi constitutionnels que les cham- dier, j'en suis sûr, n'a pas vu, lui qui a vu
bres elles-mêmes, et, comme les chambres, tant de choses, et ce numéro ne lui est pas
ils se trouvent dans la Charte. Partout où encore connu.
Mais, dit-il, le parti royaliste veut gou- sais pas et je t'affirme, et avec tout autant dee
verner, c'est-à-dire qu'il veut faire triompher conviction ou de certitude que M. Madier.
son opinion. Eh t sans doute il ne serait Gouverner est la pensée ou la chimère des `
pas un parti, s'il no~ voulait pas gouverner. partis; l'espérer, leur consolation. Quand la
Est-ce que le parti libéral ne veut pas gou- sincérité des lettres alléguées par ». Ma-
verner, et n'est-il pas de l'essence des partis dier sera prouvée, quand leurs auteurs se-
de vouloir gouverner, comme il est de l'es- ront conaus, nous les discuterons; jusque-
sence des corps d'être pesants et figurés'{ là, nous ne' verrons dans cette dénonciation
Mais ce petit écrit. Eh sans doute en- bruyante, et le moment choisi pour la faire,
eore c'est une preuve que ce parti est ré- elles circonstances dont on t'aura accompa-
pandu au loin. On n'est pas d'un parti sans gnée, qu'une machinationodieuse pour faire
cesser à se concerter et à s'entendre, et on diversion à la douleur publique^ livrer la
s'écrit quand on ne peut pas se parler. Est- France à d'épouvantables bouleversements;
ce que, dans le parti libéral, on ne se con- et elle ne fera, nous l'espérons, ni la fortune
certe pas, on ne s'entend pas, on ne se parle du parti, ai celle du bon wxoriwsM. Madier
pas., on ne s'écrit pas, quand on sait écrire? ehoist, malheureusement pour lui, sur toute
Le parti royaliste en est au n° 35 je crois le la ville de Nîmes, pour être, dans cette grande
parti libéral beaucoup plus avancé, et je le mystification, dupe ou compère.
crois, on peu s'en faut, au n" 93. Je ne le
frappent
le crois qu'on peut juger avec certitudeî et changeaient son état, ici elles la for-
d'e l'état intérieur d'une société par les diffé- sur la propriété et ne changent que
rentes manières dont la famille y emploie leï tune.
verbe être. Mais les regrets d'une fortune perdue, et
Partout où la famille peut dire avec con- pour des motifs dont on s'honore, sont les
fiance: Je suis et je serai, il y a sécurité de? moins cuisants et les plus supportables de
profession pour le présent, garantie de pro- tous, et l'on s'accoutume beaucoup mieux
priété, et même espoir fondé d'avancementt qu'on ne l'aurait cru à des revers de for-
et de progrès pour l'avenir et c'est tout ce? tune. Il y a même très-souventdes compen-
sations à ce malheur. Il y a, dit Bossuet,
que les hommes peuvent demander de lai
société, et tout ce que Dieu même leur a je ne sais quoi de noble que le malheurajoute
donné pour leur bonheur temporel. û la vertu; et,, avec un peu de religion ou
Mais dans une société en révolution, au- seulement de philosophie, on supporte, et
cune famille ne peut dire Je suis, et moinss
surtout en France, son malheur d'assez
présentt bonne grâce.
encore Je serai; il n'y a plus ni D'ailleurs les regrets de ce qu'on a perdu
assuré, ni avenir garanti, ni possession tran-
quille, ni propriété inviolable, ni espérancess sont finis et déterminés comme leur objet.
fondées, et les temps du verbe changentt L'imagination n'y ajoute rien et en ôterait
plutôt. Tel homme qui a perdu cent mille
comme les temps de la société.
Alors beaucoup de familles disent J'ai:i livres de rente s'estimerait heureux d'en
été; mot douloureux, mot cruel, mais quii avoir recouvré vingt-cinq; et en général,
exprime un déplacement de propriété, et:t sauf quelques exceptions, tout le monde est
non un changement d'état de l'homme
lui- assez raisonnable sur ce point, et finit par
même, c'est-à-dire, pour parler en méta- s'arranger dans sa position, où se trouve,
physicien, qu'il porte sur l'avenirde l'homme e du moins pour ceux qui se rappellent la
cause de ce sacrifice, cette pain;
du eeeur qui
et non sur son être, et ce n'est que dans less 7.)'
Etats anciensque se voyaient les révolutionss surpasse tout sentiment. (Philip, iv,
qui faisaient de l'homme libre un esclave, Mais dans une société en révolution, si
bien des peuvent dire J'ai été, en
ou de l'esclave un homme libre; tandis quee gens
dans les nôtres elles font d'un riche unn France, par un concours extraordinaire de
circonstances, comme tout ce qui s'y passe
pauvre ou d'un pauvre un riche. Là les ré- s-
révolutions,
voiutions frappaient sur l'homme lui-mêmee est une succession rapide de
855
beaucoup, au lieu du
.v
passé
.a~v a.muac·rm:mu
.1~0,7 été,
cassé J'ai
-t-
illusions de l'imagination et des passions,
n' -I_Lu_II!L
en sorte qu'on n'a pas plus tranquillisé ceux
qui ont gagné, qu'on n'a satisfait ceux qui
tent
tent
1
ses
i
que
<
héritiers des emplois et des riches-
des nouveaux favoris de la fortune, et
le peuple, qui ne lit pas l'histoire, s'in-
été, comme on peut le croire, les moins vi- cline
< devant l'opulence et la dignité en car-
ves et les moins passionnées. Au lieu de irosse, et coudoie la noblesse à pied.
cette modération qui sied~ si bien à leur Mais Bonaparte lui-même, s'il revenait au
sexe, et aui aurait versé du baume sur des monde politique,, accablé de la foule de ser-
plaies douloureuses, leur vanité blessée, et vices réels ou prétendus,,ferait plus d'in-
presque toujours bien moins parce qu'on grats que n'en a fait Louis XVIII non-seu-
leur. refusait que parce qu'elles exigeaient, lement il aurait. à récompenser la fidélité
a réchauffé des ambitions viriles prêtes à se .hautement
J avouée qui lui aurait été gardée,
calmer, et soufflé la vengeance et la haine mais cette autre fidélité incognito qui pré-
dans des cœurs assez forts, s'ils avaient été senterait des services patents envers le roi,
laissés à eux-mêmes, pour supporter des comme des gages d'affection secrète envers
revers avec le même courage qu'ils avaient lui-même fidélité commode et éventuelle,
bravé les dangers. qui en servant un maître se ménage à tout
La société en France est une troupe qui a événement la ressource d'en être payée par
rompu ses rangs, et qu'on veut reformer en l'autre. Dans la poursuite de ces nouvelles
bataille sur un terrain où elle ne peut ni se faveurs, les plus jeunes et les plus ardents
déployer, ni se former en division, ni s'ali- écarteraient les premiers et les plus anciens
gner. amis, et la révolution et l'empire lui-même
Et comment, en effet, obtenir ou même es- auraient leurs voltigeurs comme Louis XIV
pérer quelque ordre ou quelque tranquillité a eu les siens, et les jeunes concurrents les
dans une société d'où toute modération dans mettraient peut-être aussi en caricatures.
les désirs est bannie, lorsque ceux mêmes Malheur, trois fois malheur à l'usurpateur,
qui ont conservé tout ce qu'ils ont acquis, quel qu'il fût, qui oserait se placer au mi-
ou même acquis tout ce qu'ils n'auraient lieu de contendants, et de ceux qu'il trou-
peut-être jamais obtenu, sont plus inquiets verait et de ceux qu'il ferait lui-mêmel 11 ne
encore et plus agités que ceux qui ont tout sait pas à quelles horribles mesures il serait
perdu; lorsqu'ils envient à ces derniers jus- condamné 1 Pour satisfaire tant de ressenti-
qu'à ces avantages d'opinion, seuls débris ments et jouir lui-même avec quelque sécu-
de leur fortune passée, et qui rendent la pau- rité de son nouveau pouvoir, il serait forcé
vreté plas douloureuse, comme ils rehaus- de porter des lois terribles, que nos mœurs
saient autrefois la fortune? On voit des hom- ne supporteraient pas; et si elles venaient à
les supporter, c'en serait fait du peuple
mes qui voudraient que la France tout en-
tière ne datât que de la révolution; triste français, et il ne mériterait plus ni nom ni
origine époque nonteuse pour un peuple rang parmi les peuples civilisés.
1 civilisé 1 Us s'irritent contre les choses et Le roi seul, et son auguste famille, pouvait
contre les hommes de l'impuissance *où ils venir se placer entre tous les regrets et tou-
sont d'effacer l'histoire, les traditions, les tes les espérances; consoler les uns d'un
souvenirs, d'effacer la nature et le temps. passé irréparable, et affermir l'avenir raison-
Quel moyen pourrait dompter cet indomp- nable des autres, parce que seul il venait
table orgueil, qui, s'offensant de quelques avec les droits que le- passé donne sur l'ave-
distinctions morales, ne voit pas qu'il est nir, et que n'ayant pas gouverné depuis
conduit, malgré lui, à désirer l'anéantisse- trente ans il n'était responsable ni des per-
ment physique de ceux chez qui il les pour- tes essuyées, ni des illusions détruites il
suit ? Et cependant ces mêmes hommes dé- le pouvait, parce qu'il venait avec l'assenti-
sirent faire passer à leurs enfants les avanta- ment général de l'Europe, dont la France
ges qu'ils ont acquis, à leurs enfants qui en aujourd'hui voudrait en vain s'isoler, après
joniront comme ceux des autres sans les que Bonaparte, par ses conquêtes et ses ex-
avoir acquis, et peut-être sans les mériter péditions, l'a jetée pour ainsi dire au milieu.
oar. leurs qualités personnelles. ils ne sen- de l'Europe, et a plus mêlé nos affaires à
959 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 960
y
celles de
celles de nos voisins, dans les
les dix ans qu'il
dix ans qu'il jours combattre et de toujours vaincre, et
_r_
a régné, que nos rois ne l'avaient fait dans qui, en allumant contre la France d'aussi
dix siècles qu'a duré leur siècle il le pou- terribles ressentiments, avait douné à ses
vait, parce que l'Europe ne demandait à la ennemis, par ses exemples et ses. leçons, de
monarchie pacifique des Bourbons que des si légitimes motifs et de si puissants moyens
indemnités en argent une fois payées, et de les satisfaire.
qu'avec ses six cent mille hommes elle au- Heureuse l'Europe si elle avait compris
rait demandé au despotisme guerrier de que les énormes sàcrifices qu'elle exigeait
Bonaparte des garanties perpétuelles en ces- de nous ne faisaient qu'aigrir nos blessures,
sions de territoires, qu'il n'aurait pas refu- et que pour son repos et pour le nôtre, il
sées, lui qui en pleine paix, sans pouvoir, fallait laisser au gouvernement du roi tous
sans droit et sans raison, avait vendu à vil les moyens de soulager les peuples, de cal-
prix, et comm« un ballot de marchandises, mer les esprits, d'adoucir les pertes 1 Il fal-
notre plus belle, colonie, la Louisiane (àla lait voir de plus haut et de plus loin; il
grande satisfaction de ces mêmes ennemis à fallait surtout être juste, et considérer que
qui il avait juré ou paraissait avoir juré une l'Europe, qui n'avait que trop favorisé notre
haine irréconciliable) faute énorme! ou révolution, et applaudi peut-être à ses excès,
plutôt crime qui pour les vrais intérêts de armée pour sa délivrance bien plus que
la France a été bien plus nuisible que toutes pour la notre, nous faisait payer ses propres
les conquêtes qu'il avait faites ne lui au- fautes tout autant.que nos désordres. C'était
raient été utiles, les eût-il conservées, parce d'autres moyens qu'il fallait prendre pour
que la France a assez de force territoriale, ramener la tranquillité en Fràncej et l'ordre
et que sans colonies elle ne peut avoir de en Europe; pour y extirper ce principe
force maritime. Sans doute Bonaparte aurait d'impiété, de rébellion et de rapine qui
•îoîïsenii à des cessions de territoire comme menace toute religion, toute politique, toute
il l'a proposé aux dernières conférences, propriété On a manqué de foi à Dieu, de
parce qu'il aurait espéré les ressaisir, lui charité envers les hommes, et il reste à
qui, par l'exagération de slt force militaire, peine ['espérance.
s'était mis dans fâ terrible nécessité de tou-
L'auteur de cet article disait il y a plu- sont passés, pour être convaincuque la ma-
sieurs années, en terminant le discours pré- ladie qui travaille depuis si longtemps l'Eu--
liminaire de la Législation primitive t La
rope est beaucoup plus religieuse que poli-
révolution a commencé par la déclaration tique, ou plutôt qu'elle n'attaque le corps
des droits de l'homme, et elle ne peut finir politique que pour détruire la société reli-
que par la déclaration des droits de Dieu. » gieuse
Rie» de ce qui est arrivé depuis cette épo- C'est là l'esprit du siècle, et c'est l'esprit
que n'a dû lui faire changer de sentiments, du siècle? parce que ce siècle est le siècle de
et il suffit de réfléchir à la nature des trou- l'esprit, de cet esprit de l'homme qui est au
bles qui agitent la société, à la tendance des plus loin de l'esprit.de la société, de cet es-
opinions qui s'y manifestent, au caractère prit des petites choses et des petits intérêts,
particulier de quelques événements qui s'y essentiellement ignorant, et par conséquent
961 PART. H. (EUV. RELIGIEUSES. SUR LES CIRCONSTANCES PRESENTES. 962
ennemi de tout ce qui est élevé, absolu, gé-
se- parte ne lui avait pas
narte cas ôté. La
T.a révolution est
f.«k
néral, dans les pensées, les devoirs et les rentrée en France, comme le démon de l'E-
intérêts. vangile rentre aux lieux d'oùil était sorti,ac-
La société qui commence, comme com- compagné de septautres esprits plus méchants
mence l'homme lui-même par ses dévelop- que lui (Matth. xu, 45), et je crois que nous
pements physiques, sera troublée par la pourrions les compter et les nommer. Bona-
violence et l'excès ou l'abus de la force; parteavaithéritéde laforcedela révolution et
mais une société adulte et formée, qui, par- fait servir à ses desseins les passions qu'elle
venue au terme de son accroissement phy- avait déchaînées. La révolution, à son tour, a
sique, a cultivé les arts de l'imagination et hérité de Bonaparte et des regrets qu'il a lais-
de la pensée, ne peut être sérieusement sés à tant de vanités, d'ambitions et de cu-
troublée que par des doctrines et par l'abus pidités. Bonaparte voulait asservir le monde
de t'esprit. C'est là que nous en sommes. à la force des armes, la révolution veut l'as-
Je sais que des esprits qui se croient forts, servir à ses doctrines. L'Europe a résisté
parce qu'ils sont opiniâtres et passionnés,et aux armes de Bonaparte, parce qu'elle a op-
exempts de préjugés, parce qu'ils sont vides posé des armées plus fortes à ses armées ·,
de pensées et de connaissances, des esprits elle a succombé aux doctrines de la révolu-
ivres de faux savoir, et qui en ont tout l'or- tion, parce qu'elle ne sait pas leur opposer
gueil, toute la sécheresse et toute la pédan- de meilleures et plus fortes doctrines, et
terie, croiraient s'abaisserau niveau du vul- qu'elle n'est pas encore persuadée que tout,
gaire s'ils croyaient à une religion qu'ils absolument tout est faux et absurde dans les
n'ont pas faite, ou approuvaient un gouver- doctrines religieuses et politiques de la ré-
nement qu'ils n'ont pas eux-mêmes consti- volution.
tué ils ne voient de liberté, en religion Il y a trente ans qu'on aurait pu soupçon-
comme en politique, que dans une indépen- ner quelques gouvernements de susciter
dance de pensées qui n'est, à vrai dire, que des embarras intérieurs à leurs voisins. On
l'état d'unespritqui nesait d'où il part, ni où mettait' alors de 1.'intrigue dans la politique,
il va, ni ce qu'il veut, et qui prend I'inqui4-
au lieu d'y mettre de la morale, et les hom-
t ide de la faiblesse pour des avertissements
mes d'Etat, qui avaient sans cesse à la bou-
du génie. Nos nouveaux docteurs nous ont che le mot d'équilibre politique, ne s'aper-
donné, comme des lois et des doctrines, les cevaient pas qu'ils le rompaient au détri-
rêves de leur orgueil, et parce que nous les ment de tous en excitant chez quelques-
rejetons, et que nous ne pouvons y plier nos
esprits, et nos habitudes, ils disent que nous
uns les passions populaires. Je crois que
les gouvernements ne jouent plus aujour-
ne sommes pas mûrs encore pour des lois si d'hui à ce jeu périlleux qui a coûté trop
parfaites, tandis, au contraire, que nous ne cher même à ceux qui y ont été les plus ha-
les repoussons que parce qu'elles sont fai- biles ou les plus heureux, et lorsque tous
bles et fausses et trop en arrière de notre in- ont l'incendie à leurs portes, ils ne peuvent
telligence. Mais heureusement ces faibles guère attiser le feu chez les autres; mais
esprits, ces esprits d'entre deux, comme les le gouvernement français, qui, plus ré-
appelle Pascal, qui troublent le monde, ne cemment et plus violemment attaqué de la
sauraient le gouverner, et il est du devoir fièvre révolutionnaire, avait plus de motifs
de ceux à qui la direction en a été confiée, de la redouter, a pris de si étranges moyens
de le gouverner sans eux et malgré eux. y
pour s'en défendre il a montré depuis l'or-
L'Europe va donc encore une fois réunir donnauce du 5 septembre une si honteuse
ses chefs pour délibérer sur ses destinées, complaisance pour les doctrines et pour les
et, comme après un grand combat, elle hommes de la révolution, même les plus
pourra compter ses blessures. Elles sont notoirement coupables il a. si imprudem-
nombreuses et profondes. Les puissances, ment repoussé les vives affections des roya-
trompées par les révolutionnaires,, ont cru listes pour n,'opposer au fanatisme exaHé
que Bonaparte était toute la révolution et des républicains et. aux regrets désespérés
l'avoir terminée en le détrônant. Elles n'ont des bonapartistes,,que les tièdes et douteu-
fait au contraire qu'écarter la main de fer ses opinions de ses partisans il a donné
qui la comprimait, que démuseler le mons- enfin da tels scandales, qu'il peut, être légi-
tre qui s'est relevé, fort de ce que la restau- timement accusé, même par les plus indul-
ration, lui à rendu» et de tout ce que Bona- gents, d'avoir réchauffé dans son sein les
963 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. T6i
germes de cette contagion qui menace de se
cette contagion mœurs simples quoique guerrières, fidè-
de mœurs
répandre sur toute l'Europe. les encore aux inspirations de la nature,
Je sais bien ce que notre gouvernement portèrent en Europe la monarchie, et y re-
pourrait répondre, et combien de fausses çurent la religion chrétienne, et méritèrent
mesures prises aux deux restaurations et d'être les pères et les fondateurs de notre
depuis, ont rendu difficiles sa position et la belle Europe, et que les autres, l'esprit faux,
nôtre. Ces mesures, il pourrait les rejeter le cœur gâté, oppresseurs des esprits et des
sur ceux qui, persuadés que la France ne mœurs, bien plus que les Huns et les Van-
pouvait guérir. par ses propres forces, sont dales ne l'étaient des arts, ignorants enne-
venus lui prêter un secours qu'elle a payé mis de toute société divine et humaine,
assez cher pour qu'il eût dû être efficace et viennent détruire en Europe toute monar-
extirper le mal jusqu'à la racine. chie et toute religion, et en ont, pendant
J'entends déjà crier à l'indépendance na- quelques années, réduit la plus belle partie
tionale, et ceux qui font le plus de -bruit à l'état le plus honteux, Se plus sauvage et
sont les hommes qui voudraient asservir et le plus malheureux de l'existence humaine,
opprimer leur nation et l'Europe, comme comme pour avertir les souverains du sort
leurs prédécesseurs l'ont fait en 1793, et ne qu'ils préparaient à leurs peuples.
pardonnent pas aux étrangers d'avoir empê- Jamais la noble et grande idée de. la répu-
ché ou retardé l'exécution de ce projet. blique chrétienne n'a dû frapper plus vive-
Mais il faut apprendre anx ignorants qui les ment les esprits et occuper plus sérieuse-
croient sur parole que le jour où le mott ment les cabinets que depuis que cette
d'équilibre politique entre, toutes les puis- république de l'enfer, l'athéisme, avec srs
horribles conséquences menace d'envahir et
sances a été prononcé pour la première fois,
il n'y a plus eu d'indépendance absolue
'de dissoudre tous les pouvoirs légitimes. Il
pour aucune d'elles; que toutes, formantt n'est plus question, pour les souverains,
ensemble le grand corps de la chrétienté,9 d'ajouter quelques lieues carrées à des Etats
sont devenues solidaires les unes envers les déjà trop étendus; ils ont tous, et même les
autres de leur existence commune, sous les5 moins puissants, plus d'hommes qu'ils ne
mêmes lois ou les mêmes conditions généra- peuvent en gouverner c'est la monarchie,
les d'ordre et de paix, et qu'il n'est pas plus3[ la religion, la morale, la justice, les nations
au pouvoir d'une société puissante et conti- et les familles qu'il faut défendre; c'est la
nentale de se constituer aujourd'hui en dé- civilisation tout entière, avec ses lumières,
mocratie ouverte ou déguisée, et de rompre 03 ses vertus et ses bienfaits, qu'il faut sauver;
par là l'équilibre politique, en jetant de son c'est leur propre indépendance qu'il faut
côté dans la balance le poids immense dess maintenir contre de prétendus indépen-
passions populaires propres à cette forme3 dants, et avec elle l'indépendance des socié-
hostile et turbulente de gouvernement, qu'il1 tés, qui n'est autre chose que l'indépendance
ne serait au pouvoir d'une d'elles de tarirr de leur pouvoir. Cette réunion des souve-
ou de détourner les fleuves qui sortent de3 rains, pour défendre l'Europe de cette inva-
chez elles et coulent chez ses voisins, oui sion de Barbares policés, est même le der-
qu'il ne serait au pouvoir d'une famille pla- nier et sublime effet de la civilisation, le
cée au milieu d'une ville d'introduire danss plus haut point du progrès politique de
sa maison une maladie contagieuse ou dee
l'esprit humain, et le complément de tout ce
recéler un magasin à poudre. qu'une politique éclairée et conseillée par
Et certes il serait temps que les chefs dee la religion a fait depuis tant de siècles pour
la chrétienté, défenseurs et conservateurs s
le bonheur de l'humanité,
de toute la civilisation du monde, éclairés s II faut le dire, la grande plaie de l'Europe
sur leurs devoirs ef sur les véritables inté- est l'indifférence des gouvernements pour la
rêts des peuples confiés à leurs soins, sentis- religion, ou les craintes surannées qu'elle
sent la nécessité de réunir leurs efforts pourr leur inspire sentiments qui deviennent
repousser des frontières du monde civiliséé chez le peuple haine et mépris de l'autorité
cette horde accourue des contrées étrangèress religieuse, et bientôt de toute autre autorité.
à tout ordre, à toute justice, à toute vérité, La religion est la source du pouvoir et la
et condamnées à une nuit éternelle. C'est unee règle des devoirs aussi voyez comme tout
nouvelle et dernière invasion des Barbares, aujourd'hui, pouvoir et devoir, est déplacé.
mais avec cette différence que les premiers, Le pouvoir est partout, les devoirs nulle part,
PART. Il. OEUV. RELIGIEUSES.
965
et les rois ne semblent plus gouverner que
"L-'UI.JJJ
SUR LES CIRCONSTANCES PRESENTES.
aauvumu:v.
.1.
966
,7UU
verser les éléments et les saisons, pour ra-
par interim, et les peuples obéir que par mener à lui les sociétés qui s'en écartent. Il"
complaisance; et lorsqu'on secoue le joug y a de la sottise à le croire et du fanatisme à
de l'autorité religieuse, qu'on ne compte l'attendre il n'a, au contraire, qu'à laisser
pas sur les hommes pour remédier à de si un libre cours aux lois générales du monde
grands maux, les hommes ne sont plus rien moral, tout aussi naturelles que celles qui
ils méprisent leur propre esprit à tel point, assurent la durée du monde physique et
ils attachent si peu d'importance à leurs il n'est pas plus certain que le tleuve dont
propres opinions,'qu'ils ont fait un dogme on rompt les digues débordera dans les cam-
de la liberté indéfinie de penser et d'écrire, pagnes, que la pierre lancée en l'air retom-
liberté qu'on n'eût eu garde de demander ou bera par son propre poids, que le feu qu'on
d'accorder, lorsqu'on avait une juste idée de n'éteint pas gagnera les combles de l'édifice,
l'influence de l'esprit humain, et qu'on nous qu'il n'est certain que la société qui, reje-
permet aujourd'hui, comme à des enfants tant la religion, rejette en même temps la
dont les paroles sont sans conséquence et
source du pouvoir et les règles des devoirs,
ne méritent aucune attention. et ôte ainsi aux passions tout frein, et toute
Les hommes, je le répète, ne sont plus retenue aux désirs, sera tôt ou tard, mais
rien; ils ont abusé de tous les dons de l'es- toujours trop tôt pour son malheur, livrée à
prit, ils ont tout usé jusqu'à la gloire, et tous les désordres qui naissent de la lutte
tous les avantages humains ont perdu leur ° des pouvoirs et de l'oubli des devoirs, à des
crédit sur les esprits et cependant il n'y a désordres tels que nous en avons vu en 93,
jamais eu en Europe de plus forts et de- tels que nous en verrions encore; et la
meilleurs esprits. Tous (et ceci,est digne de révolution la plus sanglante n'est, comme
remarque), tous zélés défenseurs ffes princi- un tremblement de terre ou l'apparition
pes conservateurs des sociétés, tous ennemis d'une comète, que la suite et l'accomplisse-
déclarés de cette anarchique et séditieuse ment d'une loi générale.
philosophie, tous combattent pour les insti- Beaucoup de crimes particuliers aemeu-
tutions naturelles contre les institutions fac- rent aussi impunis, parce que la justice
tices. Je ne parle pas des écrivains français, humaine ne les connaît pas ou néglige de
ils sont assez connus; mais chez les étran- les punir. C'est un désordre sans doute,
gers, en Angleterre, en Italie, en Suisse, «m mais local et passager; et la religion nous
Allemagne, les de Maistre, les Burke, les apprend que tôt ou tard il sera réparé. Maiss
Haller, les Gentz, ont publié des écrits où il n'y a point même ici-bas d'impunité pour
les plus hautes vérités s'unissent aux plus la société; il n'y a pas pour elle d'autre loi
nobles sentiments. Qui ne connaît les belles à attendre, et elle est toujours exécutée dans
Considérations sur la révolution française, le temps et sur le lieu du délit. Toutes les
par le comte de Maistre? L'ouvrage récent malédictions que dénoncent les Livres saints
de M. de Haller, digne héritier d'un nom au peuple de Dieu, lorsqu'il se l-ivre à l'ido-
fameux, sur la science de l'homme d'Etat, lâtrie et va sacrifier sur les hauts lieux, s'ac-
écrit en allemand, gagne jusqu'aux univer- complissent à la lettre sur une société chré-
sités, et est enseigné à Vienne et à Gœttin- tienne qui oublie le grand bienfait du chris-
gue par de célèbres professeurs. Ces lumiè- tianisme. Ce ne sont point là des miracles
res cependant n'éclairent pas encore les c'est l'effet inévitable et prévu de l'infraction
gouvernements qui s'obstinent à suivre des lois naturelles des sociétés; et nous
d'autres guides et quels guides 1 Je croi- avons eu aussi nos faux prophètes, la sépa-
rais, si je les nommais, déroger à la gravité ration de nos tribus en nouvelle nation et
de cet article. Le talent a donc perdu sa nation ancienne, nos transmigrations nos
puissance, même dans le siècle de l'esprit, trente ans de captivité sous des maîtres plus
et il faut revenir à une autorité indépen- durs que les rois d'Assyrie et de Babylone
dante des hommes à la suite, autorité que la et il faudrait un nouveau Jéréinie pour
société ne puisse rejeter, sans que les der- égaler, suivant l'expression de Bossuet, les
nières calamités ne viennent la punir de lamentations aux calamités.
l'avoir méconnue. Comme la cause du désordre est toute
Et qu'on ne pense pas que le souverain morale, le désordre aussi est d'abord moral,
Maître des mondes ait besoin de suspendre et il ne gagne les actions qu'après avoir
.«s lois de la nature physique, ou de boule- troublé et altéré les doctrines. Toutes les
£«S
967 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD.,
qu'elle puisse laisser à l'Eglise quelque in- nement, la garantie la plus certaine du bon
dépendance, puisqu'elle reste, bon gré mal[ ordre public et domestique, et qui ne l'ait à
gré, unie à l'Etat pour en recevoir annuelle- ce titre entourée d'hommages et déconsidé-
ment sor. salaire, exposée ainsi, pour la sub- ration, et si l'on me citait l'exemple con-
1i"DO"~t~.1I\A
nn
970
i.
sistance de ses ministres, à toutes les chan- traire d'un roi des temps modernes, qu'on
ces des événements politiques, des embar- a appelé grand à cause de ses talents mîli-
ras domestiques, des caprices, des nainis-* taires, je répondrais que Frédéric II a été
tres, de la mauvaise volonté des subal- plus ami de la philosophie moderne dans sa.
ternes (1)» vie privée que dans les actes publics de son
Cette séparation prétendue de l'Eglise etta gouvernement. Je demanderais qu'on jetât
de l'Etat, est la grande erreur de l'Europe ett les yeux sur la société qu'il a formée, si
ïa plus lourde méprise des gouvernements même il a formé autre chose qu'un camp,
cette doctrine a prescrit, ou peu s'en faut, et même assez mal retranché.
et elle a. été mise en pratique à la chambre3 On parle de tolérance des cuites, et qui
des députés lorsqu'on a refusé d'insérer le3 est-ce qui la refuse si ce n'est les philoso-
mot de religion dans la loi qui punit les at- phes, et à qui la refuse-t-on, si ce n'est à la
teintes portées à l'ordre public, comme sii religion de l'Etat devenue l'objet de tous
la religion n'appartenait pas autant que laa les outrages et le but de toutes les haines?
royauté à l'ordre public, ou plutôt qu'ellee On ne cache pas même le projet de jeter la
ne fût pas l'ordre public tout entier; maiss France, si on le pouvait, à la faveur de cette
on ne saurait rien proposer de plus ab- tolérance jamais définie, dans une religion
surde, et les gouvernements rougiront dee dissidente qui livrée elle-même dans su
l'avoir professé, lorqu'ils seront revenus dee propre métropole, aux dissensions les plus
la léthargie où ils sont plongés. Voulait-on n scandaleuses, loin de pouvoir prêter quel-
permettre que la religion fût aimée, respec- que appui a la société, ne peut se soutenir
tée, pratiquée par le particulier, et décla- elle-même, et déjà par délibération publi-
rer qu'elle doit n'être rien, ou n'être pass que de l'autorité civile, est déchue du rang
chrétienne, et a ouvertement
pour le public, et rester étrangère au gou- de communion
vernement, et faire, ou peu s'en faut, unti embrassé le déisme. Le déisme qui, selon
crime à des hommes en place de leur atta- Bossuet n'est qu'un athéisme déguisé, le
chement à la religion et des marques exces- déisme se glisse dans la religion comme
sives de piété, ahandonner à la police cor- dans la politique on veut un Dieu sans
rectionnelle la défense de ce qu'il y a dee providence, il faut des rois sans action. La
plus saint et de plus auguste, des rapportss noblesse, véritable sacerdoce de la royauté,
de l'homme avec Dieu, et s'occuper avec unea est proscrite comme le sacerdoce de la
sollicitude voisine du ridicule des théâtres,î, Divinité le déisme s'empreint jusque sur
des manufactures,des arts, et faire ainsi unee nos monnaies, et, à la place de la devise
institution publique de ce qui est purement it chrétienne Christus regnat, vincit, imperat,
domestique, tandis qu'on fait une affaire do-)-
on lit l'exergue métaphysique et orgueil-
mestique de l'institution la plus publique,î, leuse Dieu protège la France (2).
Ehtt
puisqu'il la punit
la plus nécessaire, et même la seule néces- sans doute il la protége,
saire, la religion, et croire avec cela eon-i- car le châtiment est la mesure de la protee-
tion il faut convenir qu'elle n'a jamais été
server dans le cœur de l'homme ce qu'onn
éloigne avec tant de soin des actes et dess plus abondamment protégée.
lois de la société? C'est en vérité ce au'on n Des hommes simples voient peut-être une
peut imaginer de plus insensé, et les termes (s entreprise religieuse dans la propagation
manquent pour qualifier cet excès de sottise e des Livres saints par les sociétés bibliques.
et cet oubli de toute raison. Ne dirait-on pas que. les révoltes se multi,-
Cependant qu'on ouvre l'histoire an- î- plient comme ces éditions suspectes? Et
cienne et moderne il n'y a pas un véritable le quel fruit ent-elles produit dans le pavs
(1) Je connais des villes où les vicaires, si (2) L'observation est de M. le comte de Mais-
miblement.traités, n'ont reçu aucun traitement de-
i- tre.
ti
jiussj un an.
rt
11 u.
x,r
~r'<
même où a commencé cette spéculationaussi atroces calomnies. La justice, cette seconde
profitable en commerce que dangereuse en religion des peuples; la justice qui faisait
religknî Les Livres saints sont autant les tout en France, et sans laquelle on ne fera
livres des rois et les livres des juges ou des rien, a été sans force pour défendre l'Etat,
grands, que les livres des peuples, et le et se défendre elle-même entravée, contra-
pouvoir suprême des sociétés y a donné aux riée, calomniée quand elle a voulu pénétrer
chefs des nations des instructions que l'E- au fond des conspirations trop avérées, ou
glise, son interprète fidèle, doit ouvrir à cette informer contre des écrivains ouvertement
hauteur, comme des ordres cachetés que les séditieux, elle n'a eu de liberté et d'indé-
rois donnent aux gouverneurs de leurs pro- pendance que pour prononcer de scandaleu-
vinces. Laissez-en l'interprétation au sens ses absolutions, et une condamnation pro-
privé et à tous les esprits, et vous ne re- noncée contre un séditieux est une sous-
cueillerez qu'une effroyable anarchie de cription ouverte en sa faveur. L'administra-
croyances, et peut-être des crimes justifiés tion qui veut tout faire, et remplacer à elle
par des exemples pris à contre-sens et des seule toutes les autres institutions, qu'a-
maximes faussement appliquées; c'est ce t-elle fait pour le véritable bonheur du peu-
qu'on verrait dans la vie civile et les rela- ple et le bon ordre de l'Etat? Ses agents sont
tions des hommes entre eux, si, le code se des exacteurs d'hommes et d'argent, et des
trouvant dans toutes les mains, il n'y avait directeurs de routes et de bâtiments. Mais
pas des tribunaux pour en faire l'application quelle considération leur a-t-on donnée
et en déterminer le sens. quels exemples eux-mêmes peuvent-ilsdon-
A présent jugeons-nous nous-mêmes, exa- ner, lorsque les plus estimés et les plus es-
minons l'état de la France et celui de l'Eu- timables, dénoncés comme suspects au parti
révolutionnaire, sont destitués avec une lé-
rope, et demandons-nous avec sincérité si
gèreté qu'on ne se permettrait pas à l'égard
nous avons pris les moyens les plus efficaces
d'un domestique,laissant après eux cette le-
pour rendre à la France la tranquillité, c'est-
à-dire pour affermir le pouvoir, seul gage de çon funeste, et qui n'est pas'perdue, que la
la paix intérieure d'un Etat; et, bien con- fidélité est un tort, et l'affection vive et sin-
vaincusde l'influence puissante de la France cère à la royauté et à la légitimité une du-
perie, et qu'il faut, pour faire sa fortune, ne
sur l'Europe, dont personne ne doute, de- rien aimer avec passion que les honneurs
mandons-nous encore si les leçons ou les
exemples que depuis quatre ans nous don- et l'argent? Il y avait eu là dans tous les
nons à nos voisins, n'y ont pas rallumé ou temps de quoi ruiner de fond en comble' la
entretenu cette fureur de. révolution, cette morale de la nation la plus accoutumée au
joug des lois et quel pouvait être l'effet
rage de révolte et d'insubordination qui s'y
montrent partout sous des symptômes si d'une pareille conduite sur un peuple en-
alarmants. Qu'a fait notre gouvernement core tout chaud d'une révolution de lois et
de mœurs, chez qui tous les principes d'or-
pour la religion, au moins pour la religion dre, de raison et d'humanité avaient, pen-
de l'Etat et de la presque totalité de la na-
tion ? On traité l'établissement épiscopal, le dant trente ans reçu de si cruelles at-
centre et la source de toutes autorités reli- teintes ?
gieuses, avec la crainte d'en faire toujours Il n'y avait qu'un parti à prendre, le parti
trop, lorsqu'on n'en ferait jamais assez, si qu'indiquaient la raison, la connaissance du
l'on savait que plus il y a d'établissements cœur humain, l'esprit même autrefois si
religieux chez un peuple, plus il y a de foi commun en France. 11 fallait choisir entre
et d'attachement à la religion. Quelle. lutte deux partis, le monarchique et le révolu-
indécente que celle dont nous sommes té- tionnaire entre deux, car il n'y en a jamais
moins avec l'autorité et les citoyens, pour davantage en politique comme en religion.
l'enseignement mutuel dont personne ne On a préféré d'en former un troisième, chose
veut, ou les Frères des écoles chrétiennes absurde en soi et condamnée par l'expé-
que tout le monde réclame? Les mission- rience, même en France, où les tiers parti
naires ont été livrés aux bêtes, et le zèle ont toujours été nuls et ont fini par être ridi-
apostolique dont on a un si grand besoin cules. Ce n'était pas.assurémentle moyen d'a-
pour combattre l'indifférentisme, la grande paiser les haines d'abord, parce que les roya-
plaie des temps modernes, a été outragé par listes et les révolutionnaires sont trop dis-
les plus odieuses imputations et les plus tants les uns des autres pour jamais.franchir
l'intervalle qui les sépare ensuite, parce impuissant; il y a des lois éternelles d'or-
qu'en les aigrissant tous les deux, on les ren- dre et de raison qui, de gré ou de force,
dait l'un et l'autre plus ennemis entre eux et ramènent à elles tout ce qui s'en écarte.
plus ennemis du gouvernement. Sous Bona- Si nous jetons les yeux sur l'Europe, qua
parte ils vivaient tranquilles, et même d'as- verrons-nous en Angleterre et dans quel-
sez bonne intelligence, parce que Bonaparte ques Etats d'Allemagne? Partout l'esprit de
avait épousé les principes monarchiques et haine contre l'autorité ce fanatisme aes
se servait à la fois des hommes monarchi- fausses doctrines, des symptômes ou des
ques et des hommes de la révolution, et actes de rébellion, et cependant jamais peut-
que, pour les derniers, les places sont tout être tes souverains n'ont porté à un si haut
et les principes rien. 11 fallait donc s'atta- degré Je désir d'améliorer le sort de leurs
cher franchement aux royalistes, qui au peuples, et n'ont été plus occupés de leur
fond, ne sont pas un parti, mais la nation, bonheur. Qu'on y prenne garde pareilles
et leur donner la force qu'ils avaient prêtée aux humeurs malignes qui errent dans Ic
au gouvernement, et être bien assuré qu'on corps humain, et se jettent tantôt sur une
a en vain obtenu la modération que l'on de- partie, tantôt sur une antre, jusqu'à ce
mandait car on n'est modéré que dans la qu'elles fassent éruption et deviennent des
prospérité et jamais dans la souffrance. Le ulcères rongeurs, ces dispositions haineu-
gouvernement,au contraire, a voulu écraser ses et séditieuses n'aboutissent qu'à des
les deux partis, les seuls qui puissent exis- révolutions qui les poussent au dehors
ter dans la nature, bonne ou mauvaise, de et les consument terrible remède, mais le
l'homme et de la société et, par là, il les a seul peut-être que la nature conservatrice
fait revivre, et a porté à l'excès tous les des sociétés ait ménagé à la faiblesse du
sentiments, et il n'a eu à leur opposer que pouvoir, cause unique de l'inconstance des
l'incertitude de ses partisans, qui, selon peuples.
leurs principes personnels ou leur conduite Et que les souverains ne croient pas les
précédente, se sont réunis aux royalistes ou prévenir par des concessions à l'esprit du
aux républicains. Il a cru peut-être servir siècle. Cet esprit, qui n'est que passions hai-
les Bourbons en appelant des hommes qui neuses, jalouses et cupides, ne sera satisfait
haïssaient Bonaparte et il s'est trompé en- que lorsqu'il aura tout détruit, et ne se dé-
core de n'avoir pas su que beaucoup se sont truira lui-même que lorsqu'il ne trouvera
trompés eux-mêmes, et ont cru aimer les plus d'aliment à ses ravages. Les conces-
Bourbons,parce qu'ils haïssaient Bonaparte, sions perdront tout si elles ne sont que des
tandis qu'au fond ils haïssaient toute au- concessions le pouvoir est comme une
torité. vierge qui ne peut refuser les dernières fa-
Quand on a eu indisposé ainsi tous les veurs lorsqu'elle a permis les premières
partis, on leur a recommandé l'oubli et l'u- privautés. Peut-être hélas! faut-il dire avec
nion. Mais il ne dépend pas plus de l'homme le poëte
d'oublier que de se souvenir et, de toutes Venit summa dies, et ineluctabile tempus..
les facultés de son esprit, sa mémoire est ViRGii., JEneid., lib. n, vers. 521.)
celle dont il dispose le moins. La religion, Dans certains pays les plus menacés, et
toujours juste, toujours vraie, ordonne de même les seuls sérieusement menacés, des
pardonner, et elle est obéie, et plus en doctrines prêchées il y a trois siècles, par-
France que partout ailleurs; elle ordonne venues à leur maturité, portent leurs fruits;
d'aimer jusqu'à ses ennemis et de leur faire elles en sont aux dernières conséquences
du bien; mais elle n'ordonne pas de vivre du dogme de la souveraineté du peuple,
avec eux dans cette union habituelle qu'on qu'elles ont si imprudemment et si auda-
ne doit qu'à l'amitié et à la vertu, et qui est cieusement enseigné; et, ce qui doit faire
lîypocrisie avec des ennemis reconnus et trembler l'Allemagne, est que son plus beau
non repentants, et un scandale avec des génie, Leibnitz, les avait prévues et re'
hommes notoirement coupables. On a beau doutées.
faire, il y a, comme l'a dit souvent dans cet Le gouvernement français serait-il seul à
ouvrage un de nos meilleurs esprits, M. Fié- méconnaître l'influence puissante, irrésis-
vée, une vérité au fond de toutes les choses, tible d'une nation qui, en donnant sa,langue
contre laquelle tout ce que peuvent faire à l'Europe, lui donne ses doctrines, ses le-
même les gouvernements est nul de soi, et çons, les exemples d'une nation dont la ca-
•«73 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. 973
pilale semble être le centre du monde civi- bles
pitale tblés qui remplissent nos procès-verbaux.. Je je
lise et ie rendez vous de tout ce qu'il ne r conçois pas comment des hommes sensés
renferme de plus poli d'une nation devenue, peuventr en faire un sujet de délibérations;
par ses revers comme par ses sucées, la et e pour mon compte je serais plus rassuré
nation universelle, et qui retrouve partout, sur s les intérêts de la société, par la certitude
hors de chez elle, ses lois, ses mœurs, ses que c les ministres font leur prière rtu matin
actes, ses écrits? La méconnaî!rait-il cette et e du soir; car, si je crois à la
probité sans
influence au point de croire que tout ce qui religion
r en affaires privées, je n'y crois pas du
s'est fait en France depuis quatre ans contre tout t en affaires publiques. Nous avons une
la royauté, la religion, la justice, la fidélité loi
1 sur l'organisation de l'instruction publi-
la vérité, le bon sens, en faveur des princi- que, c élaborée par des jansénistes, des doc-
pes et des hommes antagonistes de toi-te trinaires t et des protestants nous avons une
autorité légitime, de tout ce qu'il y a de bon loi1 sur l'administration municipale, loi toute
et dé sain dans la société, ait été sans consé- royale,
r et qui donne aux ministres du roi k<
quence sur les mouvements et les disposi- .Acuité
" de mettre hors de place les royalistes
tions analogues qui se manifestent en Eu- s'il s y en a encore. Ce n'est pas, je le dis
rope, et qui en obligent les souverains les ffranchement, du danger de toute cette con-
plus sages à fermer la porte de leurs Etats duite c dont je suis frappé, mais de la honte
aux journaux connus par le venin de leurs qui c en rejaillit sur la France, devenue la
doctrines et la virulence de leurs déclama- risée r de ses ennemis, et un sujet de douleur
lions? Et s'il a connu cette influence, a-t-il et E de consternation pour ses amis. Cette
voulu venger.à la fois tes victimes de la ré- belle1 France, riche autrefois de tant de rai-
volution dans 1e principe de laquelle on a pu sson, de lumières et de vertus, où le pouvoir
soupçonner, reconnaître des intrigues étran- était t objet de tant d'amour, et l'obéissance
gères, et les victimes de la restauration faite si s noble et si affectueuse; la France, l'aînée
par le secours des étrangers? Cette ven- entre E tous les enfants de l'Europe, plus par
geance ne serait ni noble ni sûre, et la na- sa s dignité que par sa puissance; la France
tion française la désavoue. N'a-t-il voulu que ine compte aujourd'hui en Europe que par
se venger des royalistes? On n'en verrait l'excès 1 de ses impôts, l'énormité de sa dette,
pas le motif, puisque les royalistes ne de- 1l'audace de ses conspirateurs, la licence de
mandaient pas mieux que de combattre avec ses
5 écrivains, la faiblesse de ses jugements,
lui sur le terrain de la royauté? A-t-il le ] nombre et l'énormité des crimes qui s'y
craint des accusations?. En France on est commettent, et l'inconcevable politique de
peu accusateur, et tous les griefs auraient dis- (
ses
< ministres; et sans le Conservateur, et
paru devant un retour sincère à la monarchie quelques
( autres feuilles publiques, l'Europe
et à la légitimité. Quelques hommes ont-ils jpourràit-elle croire qu'il y reste encore de
voulu se précautionner contre l'avenir et se la | raison, du bon sens, de la connaissance
créer des appuis indépendants de l'autorité? et ( de l'amour de la vertu et de la jus-
Ce calcul serait périlleux autant que coupa- tice | ?
ble, et quelques années de plus de ministère, Cet état incroyable de satiété a fixé les
qu'il faut quitter tôt ou tard, n'en compen- regards] de l'Europe et éveillé son attention.
seraient pas la chance hasardeuse. On Les ] peuples de l'Europe ne sont plus des
nous a tellement familiarisés avec les desti- étrangers à l'égard les uns des autres; ce
tutions, que nous avons peine à comprendresont les factieux et les indépendants qui
qu'on puisse tenir opiniâtrement à des hon- sont étrangers à l'égard de tous les peuples,
dispensent..
neurs si peu ménagés par ceux mêms qui les de vrais barbares, et tout peuple européen
bilité des ministres, loi dérisoire s'il en fût inement, et il n'en a un que dans la religion
jamais, et à ajouter à tant de lois inexécuta- et dans une seule religion, celle, qui obligs
à l'aveu des pensées les plus secrètes et des parle avec ptus de connaissance et plus de
crimes les plus ignorés. désintéressement que tous nos indépen-
Mais qu'on ne pense pas que nous récla- dants.
mions l'intervention de l'Europe pour nous Mais enfin, puisqu'on a pris la religion,
sauver d'une autre révolution nous ne fai- chrétienne pour base de la sainte alliance
>
sons pas tant d'honneur aux révolutions que puisqu'on en répand partout et avec profusion
de les craindre; que le gouvernement leur les livres sacrés, sera-ce donc pour les pou-
retire sa protection, et il suffira partout, voirsde la société, que ces livres des r ois etces
contre eux, d'un procureur du roi et de deux livres des juges seront fermés de sept sceaux?
gendarmes. (Apoc. v, 1.) Qu'on y lise les leçons qu'ils
Que les gouvernements soient bien per- donnent aux rois, et ces mots de justice et
suadés qu'il n'y a rien de si fort que l'ordre, de jugement qui retentissent à chaque page,
rien de si faible que la révolution et tout qu'on y lise les anathèmes lancés contre les
ce qu'elle a voulu faire car elle n'a rien hommes de sang, les impies, les oppresseurs
fait, elle n'a su que détruire, et n'a pu rien de la veuve et de l'orphelin, les prophètes
fonder; la vie manque à ses œuvres parce menteurs, les flatteurs des rois, les séduc-
que l'oeuvre manque à ses pensées, et si elle teurs des peuples. Qu'on écoute un des
vit encore, elle se traîne comme les serpentss plus éloquents interprètes de ces divines
nutour des ruines et des tombeaux. Rien de leçons, criant aux rois sur la tombe d'une
ce qu'elle a fait ne durera, et c'est ce qu'on illustre victime d'une révolution trop sem-
aurait appris à la première et à la seconde blable à la nôtre Et t nunç, reges, intelligite;
"estauration, si l'on avait su distinguer où erudimini, qui judicatis terram. (Psal. h,
étaient les sûretés personnelles et où étaient 9.) Que les rois y apprennent leur pouvoir et
les intérêts sociaux; la. France était prête à les peuples y apprendront leur devoir.
tout le bien qu'on aurait exigé d'elle, et j'en
=~4
SUR MADAME, DUCHESSE DE BERRY*
(1853)
Je ne sais si jamais an a lu dans aucune3 par eux comme nécessaire à leurs vues,
histoire ou entendu dire que chez un peuple comme légale, puisqu'ils lui avaient donné
3
civilisé on ait mis à prix la tête, je ne dis pass eux-mêmes la plus grande authenticité en
d'une reine, mais d'une femme, et donnéi la faisant enregistreret déposer aux archives
ainsi la mesure de la faiblesse et de l'inhu- de la chambre des pairs mais les droits
manité d'un gouvernement. C'est un scan- d'Henri V étaient les mêmes que ceux de
dale inouï que la France, après tant d'autres; son grand-père et de son oncle et la cou-
était condamnée à donner à l'Europe et, ronne, sans autre formalité, avait passé de
pour comble d'infamie, c'est un ministre> leur tête sur celle de leur petit-fils et neveu.
d'un cabinet royal qui conclut avec un Juifi" 11 n'avait nidonnéson abdication, ni pula don-
ee honteux marché, et qui le solde avec l'ar-• Beràcausedesaminorité,personnen'avaitpu
gent arraché aux besoins et aux sueurs des la donner pour lui; eût-on pu la demander,
peuples. on ne l'aurait pas fait, car les plus habiles
Madame, duchesse de Berry, rentre en trouvaient qu'on n'en avait que trop fait. Les
France, elle s'y montre, la parcourt dans droits du jeune prince étaient donc entiers,.
tous les sens; elle vient voir si elle trouvera surtoutaux yeux de ceux qui avaient demandé
encore quelque chose de français dans cette et reçu l'abdication de Charles X et de son
France qu'elle a tant aimée, si elle y trouvera fils. Charles X, en abdiquant, avait pourvu à
des souvenirs dans ses amis, des regrets l'interim de la royauté pendant la minorité
dans ses parents. Elle y vient, cette mère du roi, et, conformément aux lois et aux cou-
héroïque, dans l'intérêt de son fils, à quii tuïnesdu royaume, il avait nommé le premier
elle croit, à qui elle doit croire que ses princedusanglieutenant généralduroyaume
droits ont été conservés. En effet Charles X pour le roi mineur. Cette dignité avait été
et son fils avaient abdiqué; cette abdicationL acceptée par le duc d'Orléans, reconnue par
avait été reçue avec satisfaction par ceux qui des pairs et des députés, et, je crois, enre-
l'avaient provoquée ou désirée, et regardée gistrée dans les dépôts publics. Plus tard.
lecorps législatif aurait statué sur la régence. les succès pour les saluer, tous les mamours
Voilà les droits légaux et légitimes. Voici pour les flétrir, trop souvent tous les crimes
la violence et l'illégalité. pour les justifier? Et qui croirait que le
Trois ou quatre particuliers, vétérans de silence de l'indifférence, de l'ignorance eu
toutes les révolutions sans motif qu'on de la peur pût être compté pour un consen-
puisse justifier, sans aucune mission que tement ou une approbation d'aussi grands
leur orgueil, leur ambition, leurs ressenti- événements que des érections de nouveaux
ments, réunis à l'hôtel de ville, repoussent pouvoirs et des changements de dynasties?
les voies de conciliation les plus raisonna- Veut-on un exemple d'une manifestation
bles, les plus modérées, les plus légales, éclatante, libre, spontanée de l'opinion pu-
ouvertes par Charles X, et proposées en son blique ? On la trouvera dans l'impression
nom. Ils auraient voulu établir, à la place profonde et douloureuse qu'a produite par-
de la royauté, une présidence de congrès, tout et chez tous, même chez ses ennemis,
comme en Amérique, et le président était l'arrestation de Madame, qui trouverait plus
tout prêt; mais, forcés d'y renoncer, ils d'hommes pour partager sa prison que d'au-
déclarent roi le lieutenant général, et cette tres n'en trouveraient pour partager leurs
substitution, combattue par les plus sages, honneurs dont la fortune de tant de roya-
subie par les plus timides, est appuyée par listes payerait la rançon comme leur sang
une insurrection d'étudiants, de compagnons rachèterait la vie.
ouvriers et d'imprimeurs, à l'aide des pavés Trop heureux celui qui écrit ces lignes
et des barricades. de consacrer à sa défense ce qui lui reste de
Cependant, à l'âge où nous sommes de la jours après une longue carrière tout en
civilisation, il faut autre chose que des tière employée à défendre les principes de
violences populaires et la force brutale de la religion et de la monarchie et les droits
la multitude pour créer des droits et des de la royauté contre les ennemis de la Fran-
pouvoirs. ce, unique objet de ses pensées et de ses af-
Aussi on prend les choses de plus haut, fections
et l'on allègue la souveraineté du peuple, La duchesse de Berry a voulu, dit-on, al-
qui dispose du pouvoir, et le donne ou l'ôte lumer la guerre civile en France. Et quand
à qui il veut. Soit mais sans entrer dans la Madame, forte de l'affection et de l'admira-
discussion de cette souveraineté populaire tion des peuples des provinces tout autant
si controversée, et même en supposant cette souverains sans doute que la populace de
question décidée contre les partisans de la Paris aurait pris les armes à l'exemple
légitimité, qu'on montre dans tout ce qui d'Henri IV, de Charles I", et de Bonaparte
s'est passé à l'hôtel de ville ou dans les rues lui-même, pour soutenir des droits qu'elle
quelque chose qui ressemble le moins du croit légitimes, vous l'auriez admirée tout
monde à un acte légal de souveraineté popu- en la combattant elle aurait honoré le rang
laire qu'on nous apprenne où, quand et où elle est née et le sang qui coule dans ses
comment a été convoquée, a délibéré, a con- veines: elle aurait appris à l'Europe que la
senti la nation française. Car enfin-le conci- légitimité a encore de l'écho en France; et
liabule de l'hôtel de ville, même renforcé si des Français poursuivis par vos garnisai-
des hommes des pavés et des barricades, res, vos visites domiciliaires, votre chasse
n'est pas plus le peuple de Paris que le aux hommes, étaient venus sous son dra-
peuple de Paris, fût-il tout entier ensemble, peau courir des dangers qu'elle aurait par-
n'est la nation française. C'est ce que M. de tagés s'ils y avaient trouvé une mort hono-
Cormenin a supérieurement démontré; et rable, ni leurs familles ni la patrie n'auraient
on ne peut qu'en conclure, avec ce redouta- pleuré sur leur sort, et pour l'honneur des
ble logicien, que tout ce qui a été fait ou temps où nous vivons, l'histoire aurait eu à
défait dans ces glorieuses journées est radi- raconter d'autres combats que des combats
calement nul et illégal. de pavés, et d'autres morts que des assassi-
On parle de consentement subséquent, nats, des exécutions et des suicides.
manifesté par les adresses approbatives des On a parlé de juger cette mère héroïque
uns ou le silence des autres. Mais qui ne élargissez l'enceinte de vos cours d'assises,
connaît, la valeur de ces adresses prodiguées pour que tonte la France, la France qui la
à tous les pouvoirs et dans toutes les cir- plaint et qui l'admire, vienne s'asseoir sur
constances, ces adresses qui attendent tous Je banc de cette noble accusée l
m 1 PART. II. POLITIQUE. SUR L'ESPAGNE ET LA LOI SALIQUE.
î»8î
Juger la duchesse de Berry!
Berry Et pour quel de
vos jugements que la oi.oi que vous avez
_11- loi la 1jugerez-vons?
crime, et sur quelle 2 faite s'exécute. Alors Madame retournera
Victime innocente de ces complots que l'on
désavoua aux lieux d'où elle est venue, en quittant la
d'abord, et dont on se vante à pré- France, où elle n'a répandu que des bien-
sent, elle n'est, même à vos yeux, coupable faits,et où elle n'aura trouvé qu'un assassi-
que de souvenirs trouvez-vous dans vos nat pour son époux, un exil pour son fils, et
codes quelque loi qui les condamne?
Refusez le feu et /'«ma à celle qui ne laissa pour elle une prison elle y laissera ce
qu'elle a de plus cher au monde, le tombeau
jamais l'indigence sans secours ni le mal-
du père et les droits du fils1
heur sans consolation; mais faites-lui grâce
Au milieu de toutes les erreurs politiques princes étrangers et à donner ainsi son `~
dont nous sommes les témoins et les vic- alliée naturelle et à sa bonne sœur de France
times, la sage, la grave, l'héroïque Espagne de dangereux voisins ?
veut donner l'exemple de la plus funeste Ne voit-elle pas tout ce que la loi salique,
et, dans les circonstances où se trouve la fidèlement observée, a donné à la France de
société européenne, de la plus extraordi- force, de stabilité, de tranquillité; et tout ce
naire de toutes les erreurs. Le gouvernement quela loi contraire a accumulé en Angleterre
met en question l'abolition de la loi la plus de désordres et de révolutions? '1
fondamentale de la société monarchique, la Que l'Angleterre la conserve, puisqu'elle y
loi qui appelle les mâles au pouvoir, à l'ex- règne depuis si longtemps, cela se conçoit
clusion des femmes, de la loi salique, en un et plus que toute autre nation, elle redoute
mot, que la France a donnée à l'Espagne des changementsmême pour le mieux; mais
comme le premier gage de son alliance et que l'Espagne la reprenne après une si lon-
le prix de la couronne qu'elle en a reçue. gue interruption, c'est ce que l'on ne saurait
Qui aurait pu croire que l'Espagne en expliquer et ce qui serait pour ses conseils
butte depuis'si longtemps à toutes les haines une honte éternelle.
révolutionnaires, oserait faire ce changement Ce changement aurait quelque chose de si
de front en présence de ses nombreux en- imprévu dans le temps présent et au milieu
nemis et des ennemis de tous les trônes ?i des circonstances où se trouve l'Europe et,
La loi de la succession féminine a pu con- en particulier l'Espagne, qu'on est tenté d'y
venir dans les premiers temps, et dans quel- soupçonner quelque autre motif qu'une
ques conjonctures extraordinaires lorsque aveugle tendresse pour un enfant, ou des
les peuples pouvaient la regarder comme un divisions domestiques, et d'en rejeter la pen-
obstacle à l'usurpation des pouvoirs encore sée sur quelque combinaison politique qu'on
peu affermis et une garantie de plus de la ne peut approfondir.
régularité de succession dans les royautés Ce mode de succession serait funeste à
naissantes. l'Etat qui l'adopterait, lorsque la branche ré-
Cette révolution (car c'en était une), où gnante, finissant sur la tête d'une fille, lais-
l'on ne pourrait s'empêcher de voir des pré- serait en dehors les branches cadettes à qui
dilections naturelles et des faiblesses conju- la couronne appartiendrait par droit de nais-
gales, ne prouverait que trop la dangereuse sance, et devrait appartenir par droit de suc-
disposition des princes à préférer les affec- cession, et qui ne se, verraient pas sans dépit
tions domestiques et les petitesses bour- et sans jalousie déshéritées toutes vivantes
geoises à la dignité, à la stabilité, aux de- par un; étranger, sorte de conquérant qui
voirs du trône, et cependant l'Espagne a eu ferait perdre à une nation sa nationalité.
moins que toute autre nation à se féliciter Ce mode de succession est encore dange-
de l'empire et de l'influence des reines. reux, pour, le repos général de la société
Est-ce qu' elle est lasse d'être gouvernée qu'il peut remplir de princes détrônés qui
par des rois nés et élevés dans son sein,, et vont partout cherchant des pouvoirs à oc-
aspire-t-elle à passer sous la domination, de cuper.
883 OEUVRES COMPLETES DE M DE BONALD. QU
Les familles doivent monter et ne jamaiss l'ancienne loi de la monarchie espagnole. Et
descendre.
descendre. depuis quand l'ancienneté d'une loi est-elle la
C'est ce qui serait arrivé en Angleterre, seule mesure de sa bonté? Elle était ancienne
si, mariée à un prince allemand, la princesse3 en Espagne, sans doute; mais la loi qui donne
Caroline eût vécu; c'est ce qui arriverait en- le pouvoir au sexe fort est encore plus an-
core à l'accession de la princesse Victoire ài cienne, et elle est à la fois la loi de la nature
l'exclusion de ses oncles et de ses cousins domestique et de la nature publique.
et c'est ce qui arriverait à l'Espagne, si elle} Legem bonam a mala nulla alia naturali
faisait la faute de rejeter la loi salique. norma dividere possumus « Ce n'est que
Encore faut-il observer que les familles5 dans la nature qu'on peut trouver la règle
catholiques peuvent plus facilement que les qui sert à distinguer une loi bonne d'une
protestantes corriger le vice de la successioni mauvaise, » dit le prince des philosopnes et
féminine parce que leur religion, plus in-• des publicistes romains.
dulgente dans l'intérêt des sociétés., permett On n'a pas, en France, le même respect
des mariages de famille dans certains degrés5 pour les lois politiques les plus anciennes et
de parenté que défend absolument la religiont les plus naturelles la loi de la primogénituro
protestante. et de la légitimité.
Mais, dit-on, ce mode de succession étaitt
DE LA POLOGNE.
(Extrait du Rénovateur, 20 juillet 1833.)
voisins se sont chargés à trois reprises diffé- cnef héréditaire et une noblesse, ou, co
un enef
a un et!
rentes. Rousseau le prévoit et en félicite les qui en tenait lieu, des ministres, des grands,
Polonais. « Peut-être, » dit-il, « vos voisins de hauts fonctionnaires électifs. Dans l'une,
chercheront à vous rendre ce service, qui le pouvoir, trop faible, était combattu par un
serait un grand mal pour les parties démem- patriciat indépendant et plus fort que lui;
brées, mais un grand bien pour la nation. » dans l'autre, le pouvoir, fort jusqu'au despo-
Et continuant ces singuliers conseils, il finit tisme, était mal servi par des agents qui se
par recommanderaux Polonais de bien con- révoltaient pour éviter leur destitution ou le
server la précieuse éligibilité de leur roi; fatal cordon. Dans tous 'es deux, anarchie
« car assurez-vous, » leur dit-il,
« qu'au mo- perpétuelle ici; par l'ambition, la puissance»
ment où la loi d'hérédité sera portée, la Polo- les rivalités des grands; là, par l'insubordina
gne pourra dire adieu à sa liberté. » On voit tion et les concussions des pachas. Puis-je le
que ces conseils ont fructifié ailleurs qu'en dire? En tenant compte des mœurs, dans une
Pologne, quoique Rousseau eût avoué « qu'au société chrétienne, toujours plus fortes que
moment où il écrivait il n'avait pas la faculté les lois, la constitution de la France est abso-
de lier deux idées; » et le plan qu'il propose liraient la même que celle de la Turquie un
en est la preuve. chef héréditaire et tout le reste électif.
Ce dernier conseil ne pouvait manque: Quel est donc le ciment qui, dans l'un et
d'être suivi par les grands, qui souffraient un l'autre Etat, a retenu et qui retient encore ces
roi électif pris parmi eux ou donné par matériaux hétérogènes d'un édifice mal assis?
l'étranger, mais qui n'auraient pas souffertt C'est la religion la religion mahométane,
qu'il s'élevât dans leur sein une familles que son fondateur, plus habile encore qu'en-
royale, et ne l'auraient pas reçue d'ailleurs. thousiaste, a si bien liée au gouvernement,
La maison de Saxe avait en vain tenté de s'yt qu'elle ne fait qu'un avec lui, et qu'elle l'a
affermir. Cependant, si la Pologne avait eu enri défendu de toute la forte du fanatisme qu'elle
propriété une famille royale, jamais les trois5 inspire; la religion chrétienne, qui, portant
familles régnantes en Autriche, en Prusse, eni partout l'esprit de modération, de sagesse et
Russie, n'auraient dépouillé leur sœur. Il estt de raison dont elle a le dépôt, maintient quel-
possible que sur certaines prétentions bieni que ordre au milieu des révolutions..
ou mal fondées quelques-unes d'elles eussentt Osons le dire tout en admirant la valeur
rendu à la Pologne le service dont parle J.-J. des Polonais, leur amour pour.leur pays, et
Rousseau, et en eussent réclamé quelqueï en déplorant les malheurs d'une nation digne
partie; mais le royaume de Pologne n'auraitt d'un meilleur sort, la Pologne a péri par elle-
pas été partagé, et ce vieil enfant de la chré- même. Tous les gouvernements de l'Europe,
tienté n'eût pas disparu de la grande famille. l'eussent-ils arrachée aux mains des Russes,
L'état politique de deux nations voisines, n'auraient pu la sauver des désordres de sa
souvent ennemies et réunies aujourd'hui danss constitution, sans lui donner ce qu'elle ne
une commune ruine, peut offrir aux hommess voulait pas recevoir. L'auteur de cet article
d'Etat de grands sujets de méditation. Je veuxe écrivait, il y a trente ans, en parlant des
parler de la Turquie et de la Pologne, que3 sociétés, qu'elles n'ont pas à craindre d'être
des institutions politiques opposées, maiss effacées, par la conquête, du rang des na-
vicieuses les unes comme les autres, ontt tions, à moins qu'elles ne recèlent, comme la
conduites au même résultat. Pologne, dans des vices de constitution, un
La Pologne avait un chef électif et unee principe d'anéantissement.
noblesse héréditaire la Turquie, au contraire,
PEUT-ON CONTREDIRE LE MONARQUE PAR ZÈLE POUR SA CAUSE?
Est-ce sérieusement qu'on a avancé dans le garanties les plus assurées de l'ordre public
Courrier (1) cette maxime servile et impure et domestique, qu'une contradiction perpé-
« On ne peut raisonnablement contredire le
tuelle à nos penchants et à nos passions?
monarque par zèle pour sa cause? » Chose Eh ? sans doute il contrariait le monarque
étrange et qui peint d'un seul trait la diffé- le plus absolu, par zèle pour sa cause, ce
rence des doctrines nobles et vraies des chancelier Voisin, qui rejetant avec une no-
royalistes aux doctrines .lâches et subversives ble indignation, les sceaux dont Louis XIV
de leurs adversaires? Les royalistes qui at- s'était servi pour l'absolution d'un assassin,
tribuent au pouvoir une source divine, ne osait dire à ce prince Sire, ils sont souillésf
dispensent pas l'homme-roi des erreurs et Ils contrariaient aussi les intentions royales,
des faiblesses de l'humanité. Leurs adversai- par zèle pour la cause du roi, ces magistrats,
res qui font dériver le pouvoir d'une source ces évêques, ces commandants, qui, dans une
purement humaine, attribuent à l'homme-roi, circonstance extraordinaire, si souvent et trop
l'infaillibilité divine, et ils disent de lui comme souvent rappelée,lui écrivaient « Nous avons
le peuple dont ils le font le mandataire trouvé dans vos fidèles cités des sujets, des
qu'il n'a pas besoin d'avoir raison pour citoyens, et pas un bourreau. »
valider ses actes. Mais voici les bornes de l'opposition dont
Détestables flatteurs, présent le plus funeste, les libéraux ne connaissent pas plus la limite
Que puisse faire aux rois la vengeance céleste.
qua le devoir.
Eh I sans doute, on contrarie le roi par zèle Le roi peut errer, parce qu'il est homme,
pour sa cause, comme on contrarie ses amis, il peut errer dans ses pensées comme dans
sa femme, ses enfants, par zèle pour leurs ses actions privées et il n'est pas plus infail-
intérêts comme on contrarie le peuple, par lible qu'il n'est impeccable. Dire le contraire,
intérêt pour son bonheur. Il est même si doux est une adulation impie. Mais si le roi n'est
et en même temps si utile pour soi-même pas infaillible dans ses propositions, il est
de céder à l'autorité, qu'il ne faut pas moins irréformable dans ses volontés. Ses proposi-
que le sentiment d'un grand devoir, du pre- tions doivent être éclairées, contredites'par
mier de tous les devoirs, la justice et la vé- conséquent;etc'est ce devoir que remplissaient
rité, pour déterminer des sujets à contredire autrefois les cours souveraines, et que remplis-
le mpnarque. Cette contradiction, contenue sent maintenantsous desformesplus décisives,
dans de justes bornes, est même le plus ferme les corps législatifs, et que peuvent remplit
appui du pouvoir. Au moral, comme au phy- (depuis la liberté de la presse) aux périls et
sique, on ne peut appuyer qu'en résistant; risques de leurs jugements, tous ceux qui
tel un arc-boutant soutient une voûte en aperçoivent ou croient apercevoir des défauts
la pressant dans un sens contraire à sa pous- et des dangers dans une proposition royale.
sée. Et que sont les lois criminelles, ces Et remarquez encore que, dans un gouver.
(1) Les rédacteurs du Courrier ayant réclamé sur le compte d'un écrivain que la voix publique
contre l'imputation que leur faisait M. de Bonald, de désigne comme un des rédacteurs habituels du Cour-
la maxime dont ici question, celui-ci adressa au rier, j'ai par préoccupation, confondu l'homme et le
journal des Débats, la lettre suivante journal, et j'ai attribué au Courrier ce qu'un de ses
Au rédacteur du Journal des Débats. rédacteurs dit dans une autre feuille.
Au reste, ce qui diminue mes regrets, de cette
Je m'empresse de rendre à messieurs les rédac- inadvertance, c'est qu'elle m'a fait connaître que
teurs du Courrier la justice qu'ils réclament. Ce messieurs du Courrier partageaient entièrement mon
n'est effectivementpas dans leur journal que je trouve opinion sur cette phrase hétérodoxe, sous quelque
la maxime contre laquelle je me suis élevé dans le forme et en quelque sociétéqu'elle ait pu se glisser,
vôtre (N° du 15 septembre);c'est dans le Moniteur. Agréez, etc.
Mais comme le Journal des Débats du 21 août, qui De Bonald.
a cité cette phrase en répondant au Moniteur, la met
089 PART. Il. POLITIQUE. PEUT-ON CONTREDIRE LE MONARQUE. 990
nement représentatif, on ne contredit pas le juger les rois, les déposer, les mettre à mort,
roi, mais ses ministres qui ne sont ni infailli- en vertu du grand principe de la souverai-
bles, ni irréformables et que bien certaine- neté populaire; et pour réformer une loi,
ment on peut contredire les ministres, par zèle même fiscale et réglementaire, ils boulever-
pour la cause du roi et si jamais, il n'y a sent de fond en comble la société.
eu plus de contradictions aux volontés des La doctrine de l'obéissance passive* s'intro-
ministres, jamais assurément, il n'y a eu plus duit en France, comme elle s'introduisit en
de motifs de les contredire et jamais le zèle Angleterre, et par les mêmes causes; et en
pour la cause du roi n'a produit une contra- France comme en Angleterre, sa conséquence
diction plus raisonnable et mieux raisonnée. naturelle, inévitable, est la résistance active,
Mais une fois que le pouvoir a parlé du haut et les résultats en ont été les .mêmes pour
du trône, que la volonté royale s'est fait en- Charles I" et pour l'infortuné Louis XVI. Au
tendre, est devenue loi cette loi, si elle n'est contraire, en France, on avait toujours pro-
pas bonne, n'est pas devenue meilleure aux fessé la doctrine de la résistance passive et
yeux de la raison mais elle est devenue exté- de Y obéissance active l'une qu'on ne peut
rieurement obligatoire pour la conscience vaincre, l'autre qu'on ne peut rebuter; et
(à moins qu'elle n'ordonnât des choses ma- qui, l'une et l'autre, conservent le respect
nifestementcontrairesà la loi divine) et alors, et l'amouF qui sont dus au roi, lors même
il ne reste plus qu'à y obéir, c'est-à-dire, à qu'il se trompe, et ne risquent jamais de
y conformer ses actions extérieures, en laissant troubler la société.
au temps et aux événements, organes naturels Telles sont les maximes des royalistes
des volontés de l'arbitre suprême des rois, à telles sont celles de leurs adversaires. Mettez
prononcer entre eux et leurs contradicteurs; à côté de la doctrine de ces derniers « qu'on
c'est ce qui est arrivé toujours en France et ne peut raisonnablement contredire le mo-
je ne crains pas d'assurer que jamais loi, loi narque par zèle pour sa cause, » cette autre
générale repoussée par les cours souveraines doctrine avancée par le même auteur parlant
et une désapprobation universelle, se soit comme orateur du gouvernement à la cham-
affermie. bre des Députés, dans la séance du 17 mai,
Nos adversaires, au contraire, font le roi « qu'il n'y a plus, en France, qu'un gou-
infaillible, puisqu'ils vous disent dogmati- vernement et des individus, «chose, au reste,
quement « On né peut raisonnablement dont il félicite la nation, comme devant y
contredire le roi par zèle pour sa cause; » produire les plus heureux fruits mettez à
et ils sont fidèles à cette maxime, tant que côté -la doctrine d'un pair de France sur la
le prince écoute leurs conseils et sert leurs monarchie et sur la religion dans le com-
intérêts. Mais, tout en le déclarant infaillible, mentaire que, sans respect pour Montesquieu
ils ne le font pas irréformable, et ce n'est et pour lui-même il a fait de l'Esprit det
pas avec des doléances, des remontrances, ou lois et vous aurez un cours complet de
des discussions qu'ils le réforment, mais avec despotisme et de barbarie, et c'est ce qu'on
des insurrections; et ils enseignentqu'on peut appelle des idées libérales.
DEUXIÈME SECTION.
DISCOURS ET ÉCRITS RELATIFS
AUX PROJETS DE LOI DISCUTÉS DANS LES CHAMBRES.'
RAPPORT
FAIT AU NOM DE LA COMMISSION CENTRALE, SUR LAPROPOSITION DE M. HYDE DE NEUVILLE, TENDANT A PÉDEIRE LE
NOMBRE DES TRIBUNAUX. ET A SUSPENDRE L'INSTITUTION ROYALE DES JUGES.
l'ordre des dates, et nous avons passé sous appointements, n'offre pas en proportion les
silence les transformations successives qu'a mêmes avantages, et l'économie de leur ré-
subies la justice criminelle, depuis les tri- duction profite moins à l'Etat qu'aux parti-
bunaux de département jusqu'aux cours culiers qui plaident moins lorsque les
d'assises; ces changements ne sont d'aucun tribunaux, moins rapprochés des justicia-
intérêt dans la question qui vous occupe. bles, leur offrent moins de facilité de plai-
Y a-t-il en France actuellement un trop der. Une remarque faite assez généralement,
grand nombre de cours et tribunaux? Voilà est que les gens riches plaident moins
la question. qu'autrefois; les classes inférieures plaident
davantage, parce que le peuple a partout à
Il y avait autrefois en France treize parle-
sa portée des gens de loi pour conseiller ses
ments, trois conseils supérieurs, cent quatre- premiers
vingt-deux bailliages ou sénéchaussées. mouvements, et des tribunaux
les accueillir; et peut-être aussi parce
Il y a aujourd'hui vingt-six cours royales, pour
les lois, jadis écrites en langue savante
trois cent quarante-cinq tribunaux de pre- que
mière instance. et enterrées dans des in-folio qui n'étaient
consultés que par des hommes voués à l'é-
On est, au premier aperçu, frappé de l'ac- tude austère de la jurisprudence, rédigées
croissement du nombre des cours d'appej aujourd'hui en langue vulgaire et reliées
en
ou tribunaux de première instance, surtout format portatif, sont, entre les mains de
lorsqu'on considère que la matière même l'ignorance, de la cupidité, de la mauvaise
d'un grand nombre de procès, féodale, ca- foi,
une arme meurtrière qui sert à t'attaque
nonique, bénéficiale, a disparu; que des beaucoup plus qu'à la défense.
questions fertiles en difficultés ont été sim- Il ne faut donc pas tant s'arrêter dans la
plifiées par le code et les diverses coutumes discussion de cette question, sur l'économie
ramenées à une loi uniforme, et qu'enfin les de l'argent, balancée
par les pensions de
questions commerciales sont jugées par des retraite et
par une diminution inévitable de
tribunaux de commerce beaucoup plus droits de greffe, qu'il ne faut considérer l'é-
nombreux qu'autrefois, et les causes crimi- conomie, si j'ose le dire, des procès et des
nelles par le jury, qui n'occupe qu'un petit divisions fomentées
par un trop grand nom-
nombre de juges. bre de gens de loi, favorisées par un accès
Ainsi, au premier examen, on est porté à trop prompt auprès des tribunaux.
croire que le nombre des tribunaux aurait En effet* quand le tribunal est à une juste
dû être, dans.ce nouvel ordre de choses, distance du plus grand nombre des justicia-
Lies, ies premiers mouvements des passionss échappait des mains d'un prince faible ou de
ont le temps de la réflexion les conseils des> ministres mai habiles; les parlements ont
amis, l'influence d'un homme considéré, lat quelquefois troublé la tranquillité person-
raison même des parties, peuvent se faireî nelle desrois; mais ils avaient fait la royauté
entendre; et souvent la conciliation terminei en France ce qu'eUé était, et c'était à l'aidE
un différend qui, porté devant les tribunaux, de
< ce puissant instrument que les rois avaient
aurait ruiné également le vainqueur et le} mis la royauté hors de page,
vaincu. Ainsi, plus d'affaires se termineront par
D'ailleurs, et c'est un vice universelle- voie de conciliation ou de jugement devant
ment remarqué, tout se rapetisse dans les> les tribunaux de paix ou de première ins-
petits tribunaux, et même la justice. Cesî tance,
1 lorsque, par une suite nécessaire de
1 réduction, leur compétence aura été éle-
corps si peu nombreux, que l'absence oui la
l'empêchementd'un seul juge paralyse tout
t vée, et il n'arrivera aux cours royales que
un trihunal, offrent, presque à chaque séance, des affaires d'un intérêt majeur, qui exigent
le risible spectacle d'avocats suppléants quit- iune plus grande réunion de connaissances
tant les bancs du barreau pour monter sur• < de lumières dans les avocats et
et dans les
les sièges des juges, et cédant bientôt la
place à un de leurs confrères pour reprendrei
t juges.
j
Enfin, cette réduction si souvent annoncée
le rôle de partie. Les juges, trop rapprochéss isous l'autre gouvernement, désirée par les
du peuple par leur fortune, et quelquefois hommeséclairés,
1 prévue même par la Charte,
par leurs habitudes; le tribunal trop an ni- devient
< urgente, aujourd'hui que l'épuration
veau du public, n'ont ni assez de dignité, nii promise
] des tribunaux, et la nécessité d'aug-
assez d'autorité,; et dans les petits lieux, ett monter le nombre des juges dans les tribu-
dans des temps de partis, les parents, les5 inaux à conserver, laisseront beaucoup de
amis, les hommes puissants, les hommesî places à remplir; car il faut prendre garde
redoutés, le public, tout juge, hors les jugess qu'il y aura réduction du nombre des tribu-
eux-mêmes; la connaissance des affaires, naux plus que réduction du nombre des
les talents du barreau, avortent faute d'exer- j
juges; et, pour qu'il y ait à la fois moins de
plaidoiries et plus de bonne justice, il faut
cice et d'aliment, ou vont chercher un pluss
grand théâtre. Les talents, comme les for- peu de tribunaux et beaucoup de juges.
tunes, s'accumulent dans les grandes cités; Dans quelle proportion se fera la rédun-
les causes importantes, les questions com- tion du nombre des cours et des tribunaux?
pliquées, ne trouvent plus, dans les pre- Votre commission, Messieurs, c'a point d'o-
miers tribunaux, ni avocats, ni juges et uni pinionà à cet égard elle laisse tous les dé-
jugement en première instance n'est plus tails d'exécution à la sagesse et aux lumières
considéré que comme une formalité indis- du roi et de son conseil.
pensable pour porter l'affaire au tribunal1 Nous allons répondre aux objections qui
d'appel. oniété faites contre la réduction des tribu-
Quoique ces inconvénients ne se fassentt naux, dans les bureaux particuliers,ou même
pas sentir au même degré dans les courss dans la commission centrale, et qui pour-
royales, plus nombreuses, mieux rentées, raient être reproduites à cette tribune.
entourées de plus de talents et de lumières, i" On fera des mécontentsen réduisant le
il est aisé de sentir tout ce que l'augmenta- nombre des tribunaux. Messieurs, on fera
tion du nombre des juges, suite nécessaire3 bien pis, on fera peut-être des malheureux;
de la réduction des tribunaux, ajouterait ài maison fait des mécontents et même des
la dignité des juges, à l'autorité du tribunal, malheureux en réduisant l'armée, les admi-
et donnerait d'éclat à leurs fonctions et de3 nistrations, les bureaux la révolution qui a
poids à leurs arrêts. Les gouvernements s fait et défait sans cesse, n'a fait que des mé-
populaires eu militaires redoutent les grandss contents et des malheureux. Les mécontents
corps judiciaires, parce quela force- a, pluss seront ies juges justement destitués, et Ja
qu'on ne pense, peur de la justice; mais laa faute n'en est pas au gouvernement les
royauté, qui ne craint rien et ne doit rien3 malheureux seraient les juges fidèles et in-
craindre, trouve dans ces institutions sonn tègres, et ceux-là trouveront place dans les
plus ferme appui. Les parlements de France, tribunaux conservés. La crainte de faire des
qui, heureusement pour la stabilité du trône, .mécontents et même des malheureux, ne
>
s'emparaient de la portion du pouvoir quii peut pas être une raison de différer des me-
907 PART. Il. POLITIQUE. REDUCTION DU NOMBRE DES TRIBUNAUX*
sures devenues nécessaires; et elle ne doit prendre en considération t 995
la suspension,
considération, à la snsnensî™
pas empêcher de réduire les institutions gi- pendant un an, de l'inamovibilité des fonc-*
gantesques de gouvernements toujours hors tions judiciaires.
de toute mesure, et qui embrassaient le Les bureaux ont été, sur cette question,
monde entier dans le-.rs projets de domina- moins unanimes que sur la première, et elle
tion, à des proportions raisonnables et sage- a été, par les uns ou par les autres, adoptée,
ment calculées sur l'étendue de la France et rejetée ou ajournée.
les besoins de ses habitants. Mais avant de vous présenter, Messieurs,
2° L'économie sera moins considérable l'opinion de votre commission sur .cette
qu'on ne le croit. Oui, pour le moment, et question importante, qu'il nous soit permis
tant que les pensions de retraites ne seront de vous soumettre quelques réflexions
sur
pas éteintes. L'économie d'argent sera pour l'inamovibilité dès fonctionsjudiciaires, son
la famille, qui aura moins le goût et là faci- origine et sa raison.
lité de plaider; l'Etat y gagnera beaucoup> L'inamovibilité des offices de judicature
plus, il y gagnera la diminution du nombre n'a commencé en France, on peut le dire,
des procès et des sujets de haine que les ni aussi tôt, ni aussi tard qu'on le croit com-
procès éternisent. Le premier besoin d'un munément elle n'y a pas toujours existé, et
Etat n'est jamais l'argent, mais la morale et elle y a existé de fait longtemps avant d'a-
la paix. voir été consacrée parles lois, et c'est ici
3° Dans un moment où des lois répres- que s'applique cette judicieuse réflexion du
sives investissent, dans chaque tribunal, les président Hénault
procureurs du roi et les juges instructeurs, « On veut que l'on vous dise que telle an-
du droit de rechercher les délits contre la
tranquillité publique, et d'en mettre les pré-
il
née, à tel jour, y eut un édit pour rendree
vénales les charges qui étaient électives;
venus sous la main de la justice, est-il d'une mais il n'en va pas ainsi de tous les change-
sage politique de diminuer le nombre de ces ments qui sont arrivés dans les Etats par
surveillants nécessaires; et cette réduction rapport aux mœurs, aux usages, à la disci-
ne ralentira-t-elle pas J'action de la justice, pline des circonstances ont précédé, des
qui doit être, dans le moment présent, si faits particuliers se sont multipliés, et ils
vigilante et sirapide? Messieurs, la réduc-
ont donné, par succession de temps, nais-
tion des tribunaux amènera nécessairement
sance à la loi générale sous laquelle on a
une ampliation de compétence ou une exten- vécu.»
sion de juridiction pour les juges de paix, Ainsi, tandis que presque tous les offices
les commissaires de police, peut-être les de judicature inférieure « s'exerçaient dit
maires, ou enfin l'établissementde quelques »,
Pasquierdansses Recherches, «plus par forme
officiers de justice dans tous les lieux où
de commission que de titre, ce qui fut
des moyens de surveillance et de répression cause
seraient nécessaires. D'ailleurs, il faut es- que nos rois avaient accoutuméd'insérer dans
leurs lettres, pour en jouir tant qu'il nous
pérer, d'après les assurances consolantes plaira, clause qui n'était pas alors, »ajoute Pas-
données dernièrement à cette tribune quier,«de mauvais exemple,»etdont LouisXl
par
M. le ministre de l'intérieur,
que l'union usait fréquemment, dans le même temps et
toujours croissante des bons citoyens, et leur
zèle pour le maintien de l'ordre, rendront sous le même règne, on trouve un édit
-du 22 octobre 1467, rendu sur les remon-
plus rares les délits qui sont l'objet de là loi,
trances du parlement de Paris, qui porte
et en assureront la répression. Que le gou*.
« que, nonobstant cette clause, nul état ne
vernement croie en la force infinie de la vaquerait que par mort, résignation ou for-
royauté, et surtout en la force infinie de la faiture. »
justice, et alors la justice comptera autant de
Le même auteur nous fournil une re-
ministres, et la royauté autant de défenseurs
qu'il y a de citoyens. marque singulière et qui trouve son appli-
cation aux circonstances présentes c'est
Je passe, Messieurs, à la seconde partie
de la proposition de M. Hyde de Neuville, à
que nos rois usèrent fréquemment de la fa-
culté de destituer les juges dans les temps
la suspension, pendant un an, de l'institu- qui suivirent l'entre-rêgne des Anglais à
tion royale des juges c'est-à-dire, comme Paris.
l'auteur de la proposition l'a entendu, et la Ainsi, dès le temps de Louis XI, l'exemple
chambre felle-môme lorsqu'elle arrêté de la de circonstances gui avaient précédé et de
a
999 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. iOÔO
faits particuliers, comme dit le président terminant le différend entre les particu-
fairs
Hénault, inspiraient déjà au législateur la
en
<
liers,
1 rétablit w.
__r.v.it. dans la
1-
~6..¿ l'ordre
I.. société et la
l'nnAnn n1 ~a
-.1. -y
la nomination, pour donner dans ce moment b>ien, éprouve jamais,
3~
'>~
4065 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. lOOi
L'usurpateur, qui n'accordait l'institution à chambre.
c Messieurs, si l'honneur,. la for-
vie que cinq ans après la nomination, non- t
tune, l'existence même de vos familles étaient
seulement pour les fonctions de juges, mais compromises
c devant un tribunal, et que tout
pour celles de conseiller d'Etat, n'a-t-il pas recours
r vous fût interdit contre le jugement,
trouvé des hommes d'un vrai mérite et d'une avous trembleriez à la seule pensée de l'er-
grande capacifé pour remplir ces différents reur
r dont elles pourraient être la victime.
emplois? et vous douteriez si, avec la faim La
1 société vous permet à tous ce recours
et la soif des places qui nous tourmentent, non-seulement
r à un second tribunal, mais à
avec les besoins urgents où le malheur des 1un
tribunal suprême qui peut vous renvoyer
temps a plongé tant de familles vertueuses àî une autre cour, et annuler encore ce der-
vous douteriez si des places honorables se- nier
i arrêt. Eh bien Messieurs la France,
raient acceptées par des hommes qui trouve- 1votre patrie, la
société toute entière soutient
raient, dans la conscience de leur intégrité, un
î grand procès, et, on peut le dire, devant
la confiance, disons mieux, la certitude de sses tribunaux.
C'est son honneur, c'est sa sû-
les conserver! reté,
î c'est son existence même qui est me-
Si l'on croit nécessaire une première épu- nacée
i le recours qu'ello vous donne à tous
ration, pourquoi pas une seconde, une troi- contre
<
l'erreur d'un premier jugement, elle
sième, etc. ? Messieurs, ne pressons pas tes vous le demande à tous contre l'erreur d'un
mérités morales et politiques, si nous ne premier choix; et, dans ce genre, la patrie
voulons pas qu'elles nous échappent. 11 faut vous donne plus de sûretés que vous no
tendre à la perfection dans les choses, et pouvez lui en rendre. Si les juges institués
souffrir l'imperfection dans les hommes; par elle trompaient sa confiance, si des at-
bous n'aurons pas sans doute des juges par- te-ntats contre l'ordre public demeuraient
fai-ts mais nous aurons un moyen de plus impunis, ou n'étaient punis qu'avec mol-
d'écarter des juges indignes de l'être; là lesse ou pusillanimité., c'en serait fait de la
s'arrête la raison. France et des jugements tels que des exem-
Mais la charte, article 58, porte « Les ju- ples trop récents nous autorisent à les sup-
ges nommés paF le roi sont inamovibles. » poser, auraient des suites plus.graves qu'une
Votre commission, Messieurs, ne vous pro- sédition.
pose pas, à Dieu ne plaise, de révoquer Prenez-y garde, les tribunaux sont la der-
l'inamovibilité, mais d'en renvoyer à un dé- nière ressource de la France; elle n'a pas
lai fixé la déclaration définitive; et par là
encore, elle n'aura peut-être pas de quelque
elle ne fait qu'expliquer et régulariser le temps de force militaire assez imposante.Ce
mode de cette inamovibilité, que rendre, en
que la France a de plus cher, sa religion,
un mot, plus utile une disposition constitu- sa royauté, son roi, sa famille régnante, sa
tionnelle, décrétée dans l'intérêt du public tranquillité intérieure, sa considération an
plus sans doute que dans l'intérêt du juge.
dehors, peut-être l'intégrité de son territoire,
Prétendrait-on que cette modification est dépendent, plus qu'on ne pense, de l'au-
«ne dérogation à la charte? Mais ce droit de torité de ses tribunaux et de l'équité sé-
modifier est dans les attributions du pouvoir vère et impartiale de leurs jugements.
législatif, et ce principe a été consacré par Qu'on ne s'arrête pas aux mots, quand les
l'autorité royale elle-même, lorsqu'elle a choses pressent de toutes parts la lettre
soumis à la chambre seize articles de la morte de la loi tue, c'est l'esprit qui vivifie;
charte, dont la modification lui a paru utile
et c'est dans l'esprit de la loi de l'inamovi-
ou nécessaire. bilité que votre commission vous propose
Pensez-vous, Messieurs, que ces modifi-
cations proposées par le gouvernement d'a- une modification qui ne la suspend momen-
tanément que pour la rendre plus utile. Dé-
lors, celles, surtout dont l'exécution provi- velopper l'esprit d'une loi n'est pas inno-
soire a pu opérer des résultats définitifs si
ver la modifier n'est pas la détruire.
importants, pussent être justifiées par des
motifs aussi plausibles et des raisons d'uti- Vu l'art. 59 de la charte « Les cours et
lîté publique aussi graves que celles que tribunaux ordinaires, actuellementexistants,
votre commission allègue à l'appui de la sont maintenus, il n'y sera rien changé que
¡
modification qu'elle vous propose? par une loi. »»
Nous finirons par une réflexion que nous Et l'art. 58 « Les juges nommés par le
recommandons à la sérieuse attention de la roi sont inamovibles. »
1005 PART. II. POLITIQUE. REDUCTION DU NOMBRE DES TRIBUNAUX. iuoe
Votre commission,Messieurs, a l'honneur Pour que le nombre des cours et tribu-
1°
1»
ie vous proposer naux soit réduit;
2° Pour déclarer que les juges seront in-
Que Sa Majesté sera suppliée de porter un amovibles après un an, à compter de leur
projet de loi, installation.
ti li;YlD 1V 5 L.
Aux objections contre le projet de la commission, relative à la proposition de M. Uyde
de Neuville.
besoin
b
1
s l'heureux fruit des idées les ploslibé-
mais nous, habitants des
_1
1012
plus libé-
provinces
eet propriétaires, pour qui la justice est un
de tous les instants, nous deman-
ddons des juges qui garantissent nos champs
des choix irrévocables « Qu'on donne un d la dévastation, nos bois du pillage, nos
de
autre moyen que celui qu'elle propose d'at- troupeaux
ti du larcin, et qui protègent nos
teindre le même but, ou qu'on lui permette biens
b et nos personnes. Aussi, tandis que,
de croire qu'au milieu du désordre moral ddans la capitale, la mauvaise composition
où nous ont jetés les désordres politiques, d'un
d tribunal tout entier n'occuperait que
il faudrait une intelligence, une force, une quelques
q instants l'attention publique, bien-
sagesse plus qu'humaines pour ne pas com- ti distraite par la succession rapide des
tôt
mettre de nombreuses erreurs dans le choix plaisirs
p et des événements; en province, la
presque simultané de tous les juges, pour nomination
n d'un seul juge repoussé par
un Etat tel que la France et avec des hommes l'l'opinion, est un sujet inépuisable de mé-
tels aujourd'hui que les Français, » et les ccontentement, et une atteinte grave à la
précautions dont a parlé à cette tribune M. le considération
c dont le gouvernement doit
ministre de la justice, ne rassurent pas coq- jljouir.
tre ce danger. J'écarte la supposition impossible d'un
Et j'ose le dire l'opinion publique a déjà refus
r d'institution indéfiniment prolongé,
prononcé sur le sujet de nos débats; de ou o celle plus gratuite encore, de tribunaux,
vingt mémoires que le rapporteur a reçus, nouveaun tonneau des Danaïdes, remplis à
depuis que les journaux l'ont nommé, de là chaquee changement de ministère de nou-
part de jurisconsultes ou de magistrats, il veauxv juges, qui s'écouleraient sous le
est remarquable qu'il n'y en eut pas un ministèreri suivant; et la moins probable
seul qui fasse même mention de.la seconde de d toutes, celle de places refusées par une
partie de la proposition, tandis que tous probitép ombrageuse qui craindrait l'affront
discutent la première. Dans cette enceinte, d'uned destitution et je passe aux deux ob-
on ne combat que pour ou contre la suspen- jections
j, principales, présentées sous tant de
sion de l'institution royale des juges; au formes,
f, .étendues avec tant de complaisance,
dehors et dans le public, même dans quel- quelquefois
q assaisonnées d'un peu d'aigreur
ques écrits qui ont paru, il n'est question et e d'amertume, l'infraction à la charte et
que de la réduction des tribunaux preuve l'inconvenance
y de la proposition.
que le bon sens du public a déjà jugé une Messieurs, la charte veut l'inamovibilité
opinion que l'on combat encore parmi nous des d juges, et la raison veut, et tout aussi
à force d'esprit. Non, Messieurs, ce n'est pas impérieusement,
i une garantie de la bonté
avec de l'esprit que je la défends permet- de d leur choix. Y a-t-il un moyen d'accorder
tez-moi de vous le dire, puisque vous m'en sur s ce point la raison et la charte ? Car en-
avez beaucoup trop supposé; ce n'est pas fin f la raison existe avant la Charte, qui doit
avec de l'esprit, c'est avec du bon sens être ê elle-même fille de la raison. Quelques
usuel, vulgaire, du sens commun, de ce bon orateurs
c ont cherché cet accord en confron-
sens maître des affaires, dit Bossuet, de tant t, ensemble,'en expliquant l'un par l'autre,
ce bon sens qui, pour le gouvernement de en e conciliant entre eux les articles 57,
58,
la société, doit remplir le long interrègne 60, e 61 de la charte et pour moi, je ne dou-
du génie. t pas qu'ils n'aient pleinement justifié la
te
Peut-être une différence de position entre légalité
1 constitutionnelle de la modification
les membres de la chambre influe-t-elle sur proposée,
r ou plutôt la nécessité d'une loi
la différence des opinions. Les habitants de explicative
e et régulatrice du principe de
,la capitale, dont les biens sont en portefeuil- 1l'inamovibilité posé par la Charte; mais là
le, défendus eux-mêmes contre l'oppression où c des jurisconsultes douteraient encore,
par la présence d'une police active et sur- les 1, législateurs peuvent décider et, accou-
veillante, et par la facilité d'un recours tumé t à chercher des raisons un peu plus
immédiat à l'autorité supérieure, voient la hhaut que dans des discussions grammatica-
justice un peu en théorie, et comme la les, 1 je vous présenterai des considérations
garantie de la liberté civile, de la liberté dd'une autre importance.
de la presse et de toutes les libertés qui La Charte dit à l'article 59 « Les cours et
Î0Ï5 PART. II. POEITIQUE. REDUCTION DU NOMBRE DES TRIBUNAUX. fOli
tribunaux
1
tribunaux ordinaires actuellement existants
sont maintenus. » Si la Charte n'eût rien dit
de plus, toute réduction des tribunaux
tablir.
l
comme
(
un jocr les priviléges des provinces,
compatibles
(
si ces privilèges pouvaient être
avec l'uniformité de droits, de
quelque nécessaire qu'elle eût été, eût été lois,
1 d'impôts, d'administration que la ré-
impossible Mais le législateur n'a pas voulu volution, en cela consacrée par la charte, a
<
se lier les mains sur une mesure dont il établis pour toutes les parties du royaume
prévoyait la convenance ou l'utilité, et il a et votre commission, Messieurs, eût-elle
ajouté « Il n'y sera rien changé qu'en vertu osé aller aussi loin dans ses invasions sur
d'une loi. » Et, par cette clause, il s'est la charte? Et cependant, quel est le but,
donné la faculté de réduire 'les tribunaux quel doit être l'effet de la modification
sans modifier la Charte, sans y déroger, si qu'elle propose ? D'éclairer l'autorité sur le
l'on aime mieux. La charte est du 4 juin 1814, choix des juges, et de donner de ta. considé-
c'est-à-dire^ de cet éclair de bonheur et ration aux tribunaux. Toutefois, comme
d'espérance qui a lui pour nous entre deux l'a si bien observé un membre de la com-
affreuses tempêtes. Ici, Messieurs j'inter- mission, le moyen qu'elle propose est le
l'Oge et votre raison et votre conscience et seul qui puisse conserver au roi la pléni-
je vous demande si le roi eût pu prévoir tude et toute l'indépendance de son autorité.
l'incroyable défection de l'armée et des tri- Lorsqu'il y a dix siècles d'événements
bunaux, et cette nécessité où nous nous trou- entre le 4 juin 1814 et le 22 novembre 1815,
vons de reconstruire en entier l'édifice
la magistrature dans les hommes et dans les
de si vous croyez, Messieurs, que la eharte
faite à cette première date, convienne en
choses; et au milieu de circonstances si tout à la situation où nous nous trouvons-,
contraires, je vous le demande, s'il n'eût pas à la seconde, je n'ai rien à dire mais alors,.
fait pour les juges ce qu'il a fait pour les pourquoi nous proposer quinze ou seize
tribunaux, et s'il ne se serait pas réservé modifications ? Pourquoi de deux facultés
les moyens d'éclairer son choix pour l'insti- qu'avait Se roi de nommer des pairs hé-
tution définitive des juges, comme il s'est réditaires, ne lui en avoir laissé qu'une ?
donné les moyens d'éclairer son choix pour Mais il n'en est pas ainsi, et j'ose dire,
l'emplacement définitif des tribunaux? sans crainte d'être démenti, qu'il y a plus
Ce que le roi n'a pu faire, parce qu'il loin, pour l'état moral et politique de la
n'était pas donné à l'homme d'en prévoir France, des commencements de 1814 à la
la nécessité, nous le faisons aujourd'hui fin de 1815, qu'il n'y avait de 1789 à 1814,
nous pour qui cette nécessité fatale est ar- et plus loin que du règne de Childéric à
rivée, nous sur qui elle pèse de tout son celui de Louis XV.
poids. Si c'est Ib, Messieurs, une dérogation On a parlé de l'inconvenance de la pro-
à la charte, je l'ignore mais tout ce que je
position. La chambre peut faire des propo-
sais, c'est que cette mesure est conseillée sitions qu'on peut qualifier de dangereuses;
par la prudence, approuvée par la raison je ne pense pas qu'elle puisse en faire que:
Commandée par la nécessité
ses membres, au moins à cette tribune
On reproche à votre commission, comme aient le droit de qualifier d'inconvenantes.
une infraction à la Charte, la modification après qu'elles ont été prises en considéra-
qu'elle a proposée mais le-même orateur tion, parce que le mot dangereux peut être
qui lui en a si éloquemment fait un crime, nécessaire, et que le mot inconvenant est
n'a-t-il pas lui-même exprimé le voeu et un terme peu respectueux. Je n'ai pas be-
annoncé la possibilité que la magistrature soin de rappeler que la Charte, article 19,,
remontât aux fonctions politiques dont elle « nous permet toute proposition de loi sur
est descendue? Et cependant, qui ne voit quelque objet que ce soit, et permet en
que la magistrature politique est incompa- même temps d'indiquer ce qu'il nous paraît,
tible avec le gouvernement représentatif, convenable que la loi contienne, » Cet ar-
et que ces grands corps, rivaux quelquefois ticle dit tout et permet tout et c'est une.
de l'autorité royale, investis de la haute véritable infraction à la charte que de cher-
police, seraient bientôt les jaloux émules, cher à borner l'exercice de ce droit précieux,,
ou les dangereux ennemis de toute autre général, absolu de proposition, aussi sacré.
autorité politique ? Mais le ministre lui- pour la chambre que le droit de pétition;
même, à cette tribune, n'a-t-il pas exprimé pour les particuliers, et qui n.'est, à propre-
ce voeu. annoncé la possibilité de voir ré- ment parler, qu'une pétition de la nation
1015 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BOMALD. 1016
entière dont nous sommes les organes. qui les inspire. Mais n'en craignez rien
Mais quand on a voulu vous effrayer par. cette tribune qui retentissait autrefois des
l'exemple de l'assemblée constituante, et clameurs de la licence populaire, muette
du danger, disons mieux, du crime de ses depuis et condamnée par le despotisme à
continuelles et opiniâtres propositions,a-t-on un silence qui n'était interrompu que par
oublié, ou n'aurait-on pas dû remarquer les acclamations de la flatterie; cette tri-
que l'assemblée constituante, en contact bune n'entendra plus que les nobles et
immédiat avec la royauté expirante ne doux accents d'une liberté monarchique,
pouvait éprouver ni retard ni obstacle ? je dirais mieux, d'une liberté royale.
Ses avertissements étaient des menaces Hommes vraiment libres, si la vertu est
ses supplications étaient des ordres ses la véritable liberté citoyens indépendants,
propositions étaient des lois Mais vous, si la propriété constitue la véritable indé-
Messieurs, et je ne parle même pas de la pendance politique, vous apprendrez aux
sanction royale, vous dont les proposi- Français ce qui faisait autrefois leur carac-
tions rencontrent dans une chambre égale tère distinctif, et ce qu'ils ont désappris
en droits, supérieure en dignité, un écueil depuis si longtemps, à obéir. avec amour,
insurmontable, quand elles n'y reçoivent avec respect, mais avec dignité! Vous obéi-
pas une approbation nécessaire vous, lé- rez donc, sans vous prosterner, à des lois
gislateurs pour quelques instants, qui ne faites par des hommes comme vous; vous
pouvez rien sans le concours de législateurs les respecterez ces lois qui vous ont été
héréditaires, qui toujours vous précèdent, données par un roi si longtemps l'objet de
et toujours vous survivent de quel dan- vos regrets, et toujours l'objet de votre
ger pourraient être vos propositions ? Con- amour. Vous les respecterez, mais vous ne
naissez d'ailleurs l'essence du gouverne- renoncerez pas aux droits qu'elles-mêmes
ment représentatif, vous qui nous l'avez vous donnent, au devoir que votre cons-
donné et si vous êtes forcés de souffrir cience vous impose, d'en expliquer le sens,
les inconvénients inséparables de toute d'en appliquer les principes, d'en dévelop-
institution humaine, profitez au moins de per les conséquences c'est ainsi que tous
ses avantages. les peuples ont appliqué à leur état politi-
Le caractère de la monarchie telle qu'elle que, et développé, pour les circonstances
a si longtemps existé en France est la force; particulières où ils ont été placés, la charte
celui du gouvernement représentatif est la universelle du genre humain, le Décalogue,
vigilances et cette vigilance suppose tou- texte divin de la civilisation dont toutes les
jours une inquiétude un peu jalouse, insé- lois humaines ne doivent être que le com-
parable de la liberté, selon tous les publi- mentaire.
cistes de cette école, et dont il faut modé- Je persiste dans les conclusions du rap-
rer les effets tout en respectant le sentiment port.
Messieurs,
J'entre sans préparation et sans préambule donné à celui-ci la préférence sur l'ofricier
dans la question qui vous occupe. civil pour la tenue des registres. Voilà,
Messieurs, ce que j'appelle le bon sens qui
La religion, car il faut en parler encore,
qui dans l'homme ne voit que l'homme, et a présidé à nos anciennes lois, ou plutôt qui
dans le monde que la société, ne considère les a de lui-même introduites: car ces lois,
les bonnes lois ont été prati-
dans la vie de l'homme que trois événements comme toutes
quées avant d'être écrites, et les ordonnan-
qui lui paraissent dignes qu'elle les consa-
ces n'ont fait qu'en régler le mode et en
cre son entrée dans la société domestique,
assurer l'exécution.
son entrée dans la société civile, son entrée
dans la société éternelle; sa naissance, son Et quand je vous ai dit, Messieurs, que
mariage et sa mort; elle constate, en les con- l'esprit et la raison de nos anciennes lois sur
sacrant, les trois actes de ce drame orageuxla manière de constater l'état civil, étaient
qu'on appelle la vie; elle les constate pour de rendre inséparables et simultanés l'acte
l'homme, pour le Chrétien et pour elle- religieux et l'acte civil, vous avez dans la
même. Mais la politique a dû les constater loi actuelle, et dans les abus qu'elle a in-
aussi pour elle et pour tous les citoyens, à troduits, la preuve de ce que j'avance, et la
cause des nombreux rapports qui lient cha- preuve encore de la disposition de l'homme
cun à tous dans la société. Il était indiffé- à les séparer, et de la volonté de la société
rent en soi que les registres ou écrits publics de les réunir; car, d'un côté, un très-grand
qui conservent le dépôt et constatent la no- nombre d'époux, contents de faire constater
toriété de ces actes, fussent tenus par l'offi- devant l'officier civil leur mariage et la nais-
cier civil ou par le ministre de la religion sance de leurs enfants, ne demandent aux
mais ce qui n'était pas indifférent à la so- ministres de la religion ni la bénédiction
ciété, était qu'il y eût en même temps un nuptiale, ni quelquefois le baptême et même
acte religieux et un acte civil, et que l'homme ils déposeraient peut-être le corps de leurs
fût àla fois reconnu pour Chrétien et pour parents en terre, sans déclaration devant
citoyen. Pour cela, il fallait attribuer à un ï'oiiîfier civil, si ces inhumations clandesti-
seul officier religieux ou civil la tenue et la nes n'avaient de graves dangers sur lesquels
garde des registres qui constatent l'état na- les lois de police n'ont pu fermer les yeux;
turel et civil des hommes, afin qu'en réunis- et ils les y déposeraient certainement sans
sant dans la même personne, au même mo- cérémonie religieuse, si un soupçon d'ava-
ment, et dans le même acte le religieux et rice, et même, ce qui est pis aujourd'hui,
le civil, les hommes toujours disposés à se de peu de sensibilité, ne s'attachait à ces in-
soustraire à l'une ou à l'autre de ces auto- humations économiques. Croyez-moi, Mes-
rites; et, quand ils le peuvent, à toutes les sieurs, placez l'homme qui naît et l'homme
deux ne pussent pas procéder à l'acte reli- qui meurt sous la protection des solennités
gieux sans procéder à l'acte civil, ni à l'acte religieuses. Telle infortunée, mère sans être
civil sans procéder à l'acte religieux, et épouse, n'a conservé la vie à son enfant que
qu'ainsi ils ne pussent naître, se marier ou pour lui assurer le baptême; et l'assassin
mourir ni clandestinement pour l'Eglise, ni domestique, qui a bravé les cris de sa vic-
clandestinement pour l'Etat. Mais comme il time, craindrait peut-être de trahir sa fausse
était impossible de charger !'officier civil de douleur à la face des autels et en présence
l'acte religieux, et facile au contraire et sans d'une parenté assemblée pour la sépulture.
inconvénient de charger le prêtre (homme D'un autre côté, la loi n'a pas séparé l'acte
aussi et citoyen, quoique min.stre de la re- civil de l'acte religieux, sans retenir quel-
ligion), de la fonction civile, les lois avaient que chose de leur union naturelle, et sans
attribuer au ministère de l'offi cier civil quel- Comme nous parlons de l'intérêt des tiers,
que chose de religieux car le municipal pa- vous observerez, Messieurs, comme une au-
rodie d'une manière que je n'ose qualifier tre preuve du sens profond de notre ancien-
les cérémonies de la religion, puisqu'il in- ne législation, qu'elle avait jugé prudent et
terroge, comme elle la volonté des futurssage de ne confier la rédaction des actes qui
époux, et qu'il leur fait comme elle, articu- constatent l'état civil des hommes et des fa-
1er leur consentement réciproque; qu'aux milles, qu'à ceux qui, n'étant plus en quel-
termes de la loi, il leur adresse, comme la que sorte de la famille, et ne pouvant en for-
religion, des conseils et des voeux; puisqu'il mer une, n'avaient aucun intérêt direct à
reçoit, comme elle, leurs serments; puisque leur contester cet état ou à le troubler. Elle
enfin il prononce sur eux les paroles sacra- avait jugé, par exemple, qu'il pouvait y avoir
mentelles; qu'il bénit, ou peu s'en faut, leur quelque danger à laisser le soin de consta-
union qu'il leur dit JE vous unis au nom ter la date précise d'un enfant posthume, à
de la loi, de la loi de je ne sais qui, de Ro- l'homme qui, en avançant ou retardant la
bespierre peut-être ou de Marat, et qu'il leur naissance d'un jour seulement, pouvait, se-
donne par la seule vertu de ces paroles dès lon son intérêt, le déclarer bâtard on légi-
droits sur les biens l'un de l'autre. Nous lime; qu'il y avait aussi quelque inconvé-
avons vu nous-mêmes cette farce sacrilège nient à confier le droit de constater la mort
jouée dans les temples de la capitale, en face à l'officier civil, qui pouvait se porter pour
des saints autels, aux pieds des statues des héritier dans le cas très-commun où la mère
plus fameux apôtres de l'impiété, couronnés et l'enfant étant morts le même jour et pres-
de fleurs; et nous avons vu aussi Le peuple qu'au même instant, le prédécès de l'un ou
des provinces reculées où s'étaient conser- le l'autre apportait de très-grands change-
vés le bon sens et les bonnes mœurs qui ments dans les intérêts des successibles.
vont toujours ensemble, s'éloigner avec hor- L'acte de mariage paraît plus indifférent
reur et mépris de ces cérémonies dérisoires, et cependant, on vous a parlé, Messieurs,
et, pendant longtemps, compromettre l'état ie l'inextricable embarras qu'ont jeté dans
de leurs enfants et la tranquillité de leur ]la société
ces unions monstrueuses de la jeu-
avenir plutôt que de s'y prêter.
}nesse et presque de l'enfance, avec la cadu-
Enfin, Messieurs, rien de plus nécessaire <jité, faites en horreur de la conscription, et
pour les hommes et les familles que l'état (lue jamais des prêtres n'auraient bénies, au
de société lie entre eux par de si nombreux iïioins sans y être forcés. Je connais aussi
rapports, que la publicité des naissances, jplus d'une famille où le père, maire de la
des mariages et des morts. Dans tous les (;ommune, a inscrit sur ses registres, et tou-
actes de ce genre qui se font par l'officier j ours pour le même motif, un acte de ma-
civil, il y a, si l'on veut, notoriété légale, iriage, en bonne et due forme, et devant té-
et il n'y a pas de notoriété réelle ou de pu- inoins, de son fils avec une fille de son âge,
blïcité. Les hôtels de ville sont les lieux les <;t à l'insu de l'un et de l'autre; et ceux-ci
moins fréquentés du public, personne n'y irayant pas voulu depuis ratifier cette union
va pour savoir qui naît ou qui meurt, et les iinvolontaire, n'ont pas osé cependant en ré-
affiches de mariages apposées aux portes des clamer la nullité sous le règne de l'usurpateur,
maisons communes équivalent à une clan- pour ne pas envoyer aux galères leurpère ou
destinité absolue. les témoins et aujourd'hui que le père et les
L'église est encore le lieu où le public se témoins sont morts, ils ne pourraient peut-être
trouve le plus nombreux et le plus souvent; plus la réclamer devant la loi
le son des cloches annonce ce qui s'y passe, A ces raisons décisives s'en joignent de
la dévotion ou la curiosité y attirent les ci- ]moins importantes, de facilité et de commo-
toyens, Aussi, malgré l'extrême désir, disons 3ité.
mieux, malgré la fureur des régénérateurs Malgré ce qu'on vous a dit de la rareté des
de Ja France, de soustraire les actes civils à ministres de la religion, on est plus assuré
toute intervention des ministres de la reli- dans les lieux éloignés de la mairie d'avoir
gion, ils ont été forcés de leur laisser la pu- un prêtre pour baptiser, marier ou enterrer,
blication des bancs, par laquelle la loi avertit que de trouvera point nommé l'officier civil,
les tiers qui pourraient être intéressés a for- distrait par ses travaux ou ses affaires, éloi-
mer opposition au mariage; nous en parle- gné ou absent; là surtout où, comme dans
rons plus bas. quelques départements et particulièrement
dans celui que j'habite, plusieurs communes bonne foi peut-être au péril imminent de
sont réunies sous une même mairie, dont le les laisser réunies, comme elles l'avaient
chef-lieu est souvent à de grandes distances, été si longtemps en France. Les chefs de
là où le maire, habitant un lieu isolé, se cette vaste conjuration, mieux instruits de
trouve sans témoins à sa portée, et fort la raison et des effets de cette union, et qui
éloigné de la maison commune. voulaient rompre le faisceau pour en dé-
On est plus assuré encore de trouver un truire plus facilement les différentes par-
ecclésiastiquequi sache rédiger l'acte civil, ties, s'en expliquaient plus ouvertement, et
qu'un maire qui sache écrire correctement, le plus habile d'entre eux disait hautement
là surtout où la langue française n'est pas qu'il fallait décatholiser la France pour la
la langue usuelle; et je pourrais mettre sous démonarchiser.
vos yeux d'étranges exemples de ces rédac- A la vérité cette théocratie contre la-
tions vicieuses ou même tout à fait inintel- quelle on s'est si fort élevé, n'avait pas em-
ligibles. pêché la France de parcourir sa longue car-
On est plus assuré de réunir les témoins rière avec un accroissement, on peut dire
nécessaires au moment où ces fêtes de fa- séculaire, de gloire, de force, de prospérité
mille joyeuses ou funèbres rassemblent dans et de connaissances,malgré quelques éclip-
l'église toute la parenté, qu'on ne peut l'être. ses passagères, aussi inévitables dans la vie
plusieurs jours après lorsque les mêmes des Etats que dans le cours des astres. Mais
motifs religieux ne font pas un devoir de on rêvait un bonheur bien plus grand, peut-
cette réunion; et il faut observer encore que -être une plus longue durée et ces illusions
la rédaction de ces actes ajoute à peine une ne cédèrent pas même à l'engoûment de
demi-heure au temps nécessaire aux céré- tous ces publicistes de collège pour l'anti-
monies religieuses, au lieu que, lorsque la quité dont ils nous ramenaient les institu-
mairie est éloignée, l'homme de Ja campa- tions les plus fausses, dont ils imitaient tout
gne, dont les travaux champêtres passent usqu'aux proscriptions, mais dont ils se
avant tout le reste attend toujours que gardaient bien de rappeler l'esprit religieux
quelque autre affaire l'y appelle, et s'expose qui, à Rome, dit Montesquieu, comme une
ainsi a intervertir les dates des actes les plus ancre, avait retenu le vaisseau dans la tem-
nécessaires. pête, et malgré les absurdités de l'idolâtrie,
Ainsi, dans les villes, les ministres de la donné quelque stabilité à des constitutions
religion ont autant de facilité et d'aptitude politiques très-imparfaites.
que les maires et adjoints à rédiger les actes Et puisqu'on nous a entraînés sur ce ter-
de l'état civil, et dans les campagnes beau- rain, je ne craindrai pas de parler de cette
coup plus. confusion de pouvoirs civil et religieux
dont on fait depuis si longtemps un épou-
Enfin, les registres de l'état civil, les plus vantail.
Le premier qui a dit l'Eglise est
importants de tous, sont plus convenable-
dans l'Etat, et non l'Etat dans l 'Eglise, a dit
ment placés et plus en sûreté dans une sa-
mot vide de sens car s'il a entendu par
cristie, ou même chez le curé, qu'ils ne le un l'Eglise ses temples, ses ministres, ses dis-
sont dans les maisons communes des villa- ciples et
ses biens, il est évident que tout
ges, toujours ouvertes à tout venant, confon- le matériel de la religion, et
dus avec tous les papiers de l'administration, ce qu'on peut
regarder comme le corps se trouve de
et exposés à toutes les indiscrétions et à tous ennécessité physique dans les limites et sur le
les accidents.
territoire de l'Etat, comme l'Etat lui-même
Et ne pensez pas, Messieurs, que ces mo- est dans le monde, et que tous les corps
tifs et bien d'autres que le temps ne permet existent dans un temps et un lieu détermi-
pas de développer, fussent ignorés de ceux nés. Mais si, par l'Eglise, il a entendu la
qui, dans l'assemblée constituante ou celles religion, son enseignement, sa doctrine, ses
qui lui ont succédé, ont disposé si hardi- sacrements, ses grâces, etc., il a proféré une
ment de l'avenir de la France ils connais- grande erreur. En effet, si l'Eglise, au sens
saient ces motifs; mais avant tout, ils étaient que je l'ai dit, est dans l'Etat, la société est
convaincus, tant ils étaient habiles! de la dans la religion, puisqu'en elle, et en elle
nécessité de séparer la religion de la politi- seule, se trouvent la raison suprême du
que. De petits esprits, toujours fortement pouvoir et la raison dernière du devoir ou
frappés des petites raisons, ne connaissaient de l'obéissance, et le texte même des lois
ni la religion ni la politique, et croyaient de fondapentales qui règlent l'exercice du pou-
102D PART. II. POLITIQUE, SUR LA TENUE DES REGISTRES CIVILS. iOLO
voir et le mode de l'obéissance; puisqu'enfin
puisqu'enfin tcment adressé. Je ne connais, avec J.-3.
hors d'elle et sans elle on ne peut plus ex- Rousseau, d'intolérance nécessaire que celle
nue cellb
pliquer pourquoi l'un commande et l'autre de l'irréligion publique; je fais profession
obéit; et l'on ne voit dans le monde que de regarder l'unité de religion, qu'il ne faut
l'abus de la force et le malheur de la fai-
pas chercher hors de la religion de l'unité,
blesse.
comme le premier de tous les intérêts poli-
L'Eglise est donc dans l'Etat, et c'est pour tiques et certes, la politique le regarde
cette taison que l'Etat la protége et même bien ainsi, lorsque, pour troubler les Etats,
qu'il peut la protéger; mail la société est elle cherche à prolonger les dissensions re-
dans la religion et par la religion et c'est ligieuses, terrible moyen de nuire, qui de-
pour cette raison que la religion défend la vait être interdit entre Chrétiens, comme les
société contre les passions, et même qu'elle
armes empoisonnées entre guerriers. Mais
peut la défendre. dût cette opinion passer pour un paradoxe
Si l'homme est, comme on l'a dit, une intel- je ne connais qu'un moyen sûr de ramener
ligence servie par des organes, la société tout le monde à l'unité de croyance, c'est
n'est autre chose que la religion servie par que chacun soit attaché de cœur à la sienne.
la politique pour le bonheur même temporel La foi seule étudie, cherche et choisit, et
de l'homme, unique but de toute politique jamais les doutes ne naissent de l'indiffé-
comme de toute religion. Sans doute, la po- rence. C'est là le grand mal politique qu'ont
litique ne doit pas faire une loi de tout ce fait à la France les écrits irréligieux du
dont la religion fait un précepte, et récipro- dernier siècle, qui, en semant une indiffé-
quement mais l'une ne doit pas défendre rence générale pour la religion, ont arrêté
ce que l'autre ordonne, et moins encore le les progrès d'une réunion déjà plus avancée
rendre impossible. C'est donc en homme qu'on ne croit, et substitué un honneur
religieux qu'il faut considérer la politique, mondain qui se fait une gloire de paraître
comme c'est en homme public, en homme conséquent à lui-même et de rester là où il
d'Etat qu'il faut considérer la religion. On
se trouve, au devoirjje s'éclairer sur la plus
les a beaucoup trop séparées, et il faut dé- importante affaire de la vie et de la société.
sormais les réunir sans les confondre. On vous a parlé d'appels comme d'abus
Je reviens à la question qui nous occupe, de refus de sacrements, des prétentions des
pour examiner les objections que l'on fait Papes, même de la constitution Unigenitus.
contre la proposition de notre honorable Ce sont des matières un peu surannées
collègue. et
dont Paris seul a conservé sur les provinces
On oppose la croyance des non-catholi- le ridicule exclusif de parler encore. Je
ques, et même de ceux qui ne sont pas Chré- vois, je J'avoue, bien d'autres abus dont on
tiens, je veux dire les Juifs; car il ne peut pourrait se porter pour appelant et réappe-
y avoir dans les sociétés éhrétiennes que les tant, et les constitutions qui se sont succé-
Juifs qui aient, en corps de peuple, le triste dé en France depuis 1793, ont fait un peu
privilége de n'être pas Chrétiens. Mais la loi perdre de vue la constitution Unigenitus.
actuelle sur la tenue des registres de l'état Après ce que nous avons vu, et au point où
civil n'a rien changé à la manière dont les nous sommes, parler de ces misères, je di-
non-catholiques et les non-chrétiens fai- rais presque de ces amusements de notre
saient constater leurs naissances, leurs ma- temps de bonheur, c'est ressembler tout à
riages et leurs décès. La loi qui reviendrait fait à un propriétaire ruiné qui se plaindrait
à l'ancien usage les laisserait dans le même
encore des embarras que lui causait l'admi-
état. S'ils voulaient faire constater ces actes nistration de ses biens. 11 peut y avoir des
par les ministres de leurs cultes il serait abus dans J'exécution des meilleures lois
juste de leur en laisser la liberté; il faudrait comme il y a toujours quelque mécompte
même désirer qu'ils le fissent et quant à dans la fortune la mieux ordonnée; mais je
l'objection que les rion-catholiques n'ont ne cesserai de le répéter, il ne faut voir en
pas partout des ministres, il serait aisé de politique ni les abus des bonnes institu-
répondre qu'ils ont partout des anciens qui, tions, ni les avantages des mauvaises. Si
dans leur discipline, en tiennent lieu et les c'est un abus de refuser à quelqu'un la sé-
suppléent, et qui rédigeraient ces actes aussi pulture ecclésiastique c'est un mal et un
bien qu'un adjoint de maire. grand mal d'avoir passé sa vie entière à
Et ici, Messieurs, il faut renousser le re- scandaliser son prochain. Si c'est un abus
proche d'intolérance qu'on vous a si injus- de refuser les derniers secours de l'Eglise à
1051 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1032
celui qui les demande, c'est un mal et un le dire on n'a pas fait une attention assez
grand mal de ne pas déférer à l'autorité lé- sérieus) à la raison naturelle de l'autorité
gitime. C'est un mal sans doute que des que- de la religion sur le lien que contractent les
relles entre l'Eglise et l'Etat, mais c'est un époux
plus grand mat .encore qu'une profonde in- Dans 1 union de l'homme et de la .emme,
différence sur la religion et le sort de son il y a trois choses à considérer le mariage,
pays. Bien des gens vous disent, et peut- union physique des deux sexes, qui se forme
être avec bonne foi lorsqu'on propose cer- Dar le consentement libre et mutuel des
taines mesures que les temps ou les hom- parties; la société, lien moral, lien des vo-
mes ne sont pas mûrs pour ces change- lontés que la religion seule peut serrer par
ments ils voudraient que le rétablissement l'empire qu'elle a sur les volontés la fa-
de l'ordre précédât les moyens de le réta- mille, tout civil ou politique, partie inté-
blir, et que la guérison passât avant le re- grante du grand corps politique et civil de
mède. Y a-t-il possibilité de faire en France l'Etat, que l'Etat admet dans son sein et dont
ce qu'on a fait partout ailleurs, de rendre il doit par conséquent approuver la fonda-
aux ministres des cultes la rédaction des ac- tion et reconnaître l'existence. C'est pour
tes civils? Il faut la leur rendre; car pour avoir pris l'un pour l'autre le mariage la
des difficultés et des inconvénients, il y en société, la famille, on les avoir considérés
a à tout et partout; et certes, il serait étrange séparément; c'est pour n'avoir pas distingué
que, pour faire le bien, on se laissât arrêter l'état primitif et nécessaire du mariage, de
par des difficultés, lorsque, pour faire le mal, son état subséquent et tout aussi nécessaire
on a surmonté en France même des impos- dans la société civilisée que les théolo-
sibilités. Mais rien n'est plus facile à faire giens, et même des publicistes, ont fait dif-
que le bien il n'est difficile que de le vou- férents systèmes sur l'essence et la nature
loir. du lien conjugal.
Nous avons allégué, snous le croyons du Ainsi dans toute union (si ce mot peut
moins, de grands motifs; nous aurions pu être employé) où il n'y aurait pas consente-
citer de grands exemples et dans les pays ment libre des parties, condition fondamen-
voisins de la France et naguère soumis à ses tale de toute union et matière première de
lois, entre autres dans la Lombardie, le gou-
tout lien religieux et civil il n'y aurait ni
vernement s'est hâté de revenir aux anciens mariage, ni société, ni famille; et l'union
usages, et de rendre aux ministres de la re- des sexes sans consentement est le viol qui
ligion la rédaction des actes de l'état civit.
est pum par les lois
On a opposé beaucoup de petites raisons Là où il y aurait consentement des par-
mais dans la balance de la politique, cent ties sans lien religieux ni civil, il y aurait
petites raisons n'en pèsent pas une bonne. mariage; mais il n'y aurait, dans un Etat ci-
Il faut garder pour nos petits intérêts do-
vilisé, ni société ni famille reconnues il n'y
mestiques les petites raisons les petites aurait ni lien moral ni lien politique. C'est
craintes, les petites considérations mais cet état qu'on appelle concubinage, et qui
lorsqu'il s'agit de la société, qui est ce qu'il est réprouvé par la nature comme par la loi.
y a de plus grand au monde, il ne faut voir Là où il y aurait consentement des par-
que de grands intérêts et ne se décider que ties et lien religieux sans lien civil, il y au-
par de grands motifs, rait mariage entre les sexes et société entre
Mais ce qui surtout est urgent, et qui ne les époux mais l'Etat ne pourait y recon-
peut souffrir aucun retard, est de rendre la naître une famille.
paix aux consciences et aux familles, 1° en Là où il y aurait enfin consentement des
regardant comme valides les mariages con- parties et lien civil sans lien religieux, il y
tractés devant l'officier civil quand ils ont aurait mariage et famille; mais la religion
été suivis de cohabitation; comme nuls, au n'y reconnaîtrait pas une véritable société.
contraire, ceux qui, contractés devant l'offi- Le consentement des parties est exprimé
cier civil n'ont point été suivis de cohabi- de fait par l'habitation commune, ou légale-
tation, et que les deux parties ou l'une des ment par le contrat; le lien religieux est
deux refusent de consommer 1" en exi- formé par te bénédiction du prêtre l'auto-
geant, pour la validité de toutes les unions, rité civile intervenait autrefois par la seule
l'intervention de l'autorité religieuse. publication des bans.
Et ici, Messieurs, qu'il me soit permis de En effet, les bans sont l'acte par lequel la
puissance civile se servant, pour plus de lien purement civil la force que les autres
solennité, des ministres de là religion dans avaient ôtée au lien religieux; et les uns
les jours qui lui sont consacrés, dénonce au comme les autres, en formant des mariages,
public, c'est-à-dire aux autres familles qui et même des familles; détruisirentJa société;
composent l'Etat, l'intention où sont un Si l'on n'avait voulu qu'établir la liberté des
homme et une femme de fonder une nou- cultes, on aurait pu laisser aux sectateurs
velle famille, et d'entrer par conséquent en des diverses communions le soin de faire
partage des droits civils avec les anciennes. bénir leur mariage suivant leurs rites parti-
L'autorité demande aux autres citoyens si culiers mais on voulait les détruire tous
l'homme ou la femme sont libres de s'unir, également, on voulait la dissolubilité du
c'est-à-dire, s'ils n'ont pas déjà contracté mariage; et dans ce double projet, il fallait
des engagements dans d'autres familles et bannir de ce grand acte de la vie humaine
avec d'autres personnes qui leur ôtent la toute intervention de la religion, et dès lors
liberté de former de nouveaux liens; elle il devenait indispensable de ne considérer le
les avertit de veiller à leurs intérêts qui mariage que comme l'acquisition que l'hom-
pourraient être lésés par les arrangements me faisait d'une femme par un contrat pareil
domestiques de cette nouvelle famille, car à celui qui règle les conditions de toute au-
on sait l'intérêt qu'ont ou peuvent avoir des tre acquisition. La femme était à l'homme et
tiers à former opposition à un mariage. S'il non de l'homme; «t l'homme ne s'unissait
n'y a pas d'opposition, le silence des autres pas plus à la femme qu'il épousait, qu'à la
citoyens est pris pour un consentement maison qu'il habite et qu'il peut à volonté
s'il intervient quelque opposition ou de la changer contre une plus commode;
part des créanciers, ou de la part de person- Ce fut au nom de la liberté* de l'égalité et
nes avec qui les futurs époux seraient liés des droits de l'homme, que ces insensés,
par des promesses antérieures de mariage, aujourd'hui plus dignes de compassion que
ou même de la part de ceux qui auraient de courroux, commencèrent par introduire
connaissance de quelque empêchement pu- dans la famille les désordres qui devaient
blic ou secret qui dût rendre le mariage nul bientôt pénétrer dans l'Etat, et qu'en plaçant
et impossible, le lien religieux ne peut être la cruelle inégalité du divorce entre l'homme
formé avant que l'autorité civile ait permis et la femme, et ses effets inévitables entre
de passer outre à la célébration du mariage, les pères et les enfants, ils condamnèrent le.
et qu'elle ait assuré, contre la nouvelle fa- femme à l'esclavage; les enfants à l'abandon,
mille, l'honneur et les intérêts des ancien- et l'hommelui-même au tourment d'une in-
/nés et remarquez que, dans cette circons- constance sans terme et de passions sans
tance, l'autorité civile prenait le pas sur frein; ce fut au nom du bonheur futur, dont
l'autorité religieuse, sans offenser sa dignité ils faisaient luire à nos yeux la brillante chi-
ni attenter à sa discipline et, de son côté, mère* qu'ils vinrent porter le trouble dans
la religion reconnaissante frappait de ses les consciences, violenter tous les senti-
censures les plus sévères tous ceux qui. uar ments, et par ces lois offensantes pour la
un coupable silence ou des révélations men- religion, ôter aux hommes timorés la paix
songères, auraient trompé la sagesse de l'au- du cœur, seul refuge qui leur reste contre le
torité civile et troublé méchamment, et sans malheur des discordes publiques.
motif légitime,l'établissement de la nouvelle Pour mieux effacer de l'esprit et du cœur
famille. des peuples toute idée, tout sentiment reli-
Telle avait été* en Europe, jusqu'au xv* gieux, et remplacer à leurs yeux les céré-
siècle, et en France, jusqu'à la tin du xvm% monies augustes du culte de leurs pères
l'état général de la législation sur le ma- dans la célébrationdu mariage, le municipal,
riage. comme nous t'avons déjà dit, fut chargé
Au xv* siècle, des théologiens sans con- d'en parodier les rites solennels, il fit compa-
naissances politiques ôtèrent au mariage ;e raître les époux, il reçut leurs serments, it
caractère de sacrement, en recommandant proféra sur eux les parôles sacramentelles,
toutefois l'intervention du ministredu culte, et unit ainsi, au nom de la loi de l'homme,
mais seulement comme acte de piété ej de ceux qui avaient été unis jusque-là au nom
déférence respectueuse pour la religion. Au de la loi de Dieu.
xvm', des politiques irréligieux, ne voulant Mais le plus grand mal de ces institution!
pas même nommer la religion, de peur d'ê- fausses, et aussi contraires à la politique de
tre obligés de la reconnaître, donnèrent au l'Etatqu
i Etat qu'à la religion de l'Etat,
t jaai, est lala situa-
si ma-
OEUVRES COMPL. DE M, DE itONALD. Il. 33
tion où elles ont piaee un grana nomore (Je femme qui a livré ses biens sans avoir r pu les
familles dans lesquelles de jeunes époux, suivre, ni de plus injuste que le refus de
liés par l'acte civil seulement, quelquefois l'homme qui les a reçus de recevoir avec les
n'ont pas pu, et j'en connais des exemples, biens le don de la personne.
plus souvent n'ont plus voulu recevoir la La loi serait donc injuste et barbare qui
bénédiction nuptiale, et ont vécu jusqu'à commencerait par mettre les biens de la
présent séparés les uns des autres; en sorte femme à la disposition du mari, et qui lui
qu'il n'y à ni mariage, puisque le refus de refuserait l'acte par lequel seul la femme
vivre ensemble est ou un déni, ou une ré- peut croire la personne du mari engagée à
tractation formelle du consentement néces- la sienne, et réciproquement; et c'est ce-
saire ni société, puisqu'il n'y a pas de lien pendant ce qui arrive aujourd'hui dans ces
moral ou religieux; ni même de famille, unions consenties sous la promesse de les
mais tout au plus un engagement à la former. faire consacrer par !a religion, et trop sou-
Quelquefois même une jeune personne, vent restées sans exécution.
élevée dans une ignorance profondedes lois
civiles et de leurs effets, mais instruite de sa C'est un désordre que la loi ne saurait
religion, en se prêtant à l'acte civil n'a voulu tolérer plus longtemps, et qui a déjà cessé
dans des Etats voisins de la France.
et n'a cru faire autre chose que sauver de la
conscription un jeune homme auquel deux Je finirai, Messieurs, par mettre sous vos
familles prenaient intérêt, et elle a dû re- yeux l'extrait d'un rapport fait à Bonaparte
garder la bénédiction nuptiale comme le par son ministre de la justice, au mois d'août
moyen nécessaire, indispensable de tout en- 1806, sur la tenue des registres civils, et
gagement de mariage. vous y pourrez connaître l'opinion du gou-
Plus souvent encore, trahie par sa propre vernement d'alors sur la nécessité de les
faiblesse, elle s'est livrée sur l'espoir assuré rendre aux ministres de la religion.
et la promesse formelle que l'acte religieux « Les curés, chargés autrefois de la rédac-
viendrait compléter l'acte civil, consacrer tion et de la tenue des registres, n'étaient
ses engagements, ou ratifier son union.; et considérés sous ce rapport que comme offi-
aujourd'hui, indignement trompée par un ciers purement civils, subordonnés à la sur-
perfide devenu son mari sans être son époux, veillance des officiers royaux.
femme elle-même, et quelquefois mère sans « Les choses restèrent en cet état jusqu";»
se croire épouse, elle vit dans un état qui la loi du 20 septembre 1792. Par des rnolifi
blesse également son honneur et sa cons- qu'il est inutile d'approfondir, on jugea h
cience. propos, à cette époque, d'Ôtér aux curés eH
Et prenez garde, Messieurs, que la loi doit desservants des paroisses, la tenue des re^-
à tous les citoyens une égale protection, et gistres des naissances, mariages et sépultu-
qu'il y a ici une injustice évidente, une op- res, et de les confier aux maires, adminis-
pression réelle de la part d'un des conjoints, trateurs des communes. Cette innovation,
qui, après avoir reçu par l'acte civil les en- comme tant d'autres, n'a pas eu des résultai*
gagements de l'autre conjoint, refuse, sur sa heureux.
demande, de s'engager lui-même par l'acte « Dans les villes considérables, dont les
religieux. administrateurs sont toujours des hommes
Car il est évident, par exemple, que la qui ont de l'instruction, et où d'ailleurs les
femme qui par l'acte civil a engagé sa dot registres de l'état civil sont susceptibles de
à son futur époux, et reçu en échange l'en- quelque produit, on est parvenu à en régu-
gagement de celui-ci à apporter dans la com- lariser la tenue jusqu'à un certain point;
munauté sa part de biens propres ou des mais dans les campagnes qui forment la
produits de son industrie, n'a pas prétendu plus vaste partie de l'empire, celle qui ren-
séparer sa personne de ses biens, ni que son ferme la population la plus nombreuse, on
époux se séparât aussi lui-même des siens; on n'y a pas tenu de registres, on ils l'ont
et si elle croit que les deux personnes ne été d'une manière bien imparfaite.
peuvent être engagées l'une à l'autre que « Il y aurait de grands inconvénients h
par la bénédiction nuptiale, elle est, en droit exécuter à la rigueur, contre les officiers de
rigoureux, fondée à réclamer de son époux l'état civil, les peines prononcéespar le Code
l'accomplissement d'un engagement dont elle pour tes irrégularités qui se trouveraient
a déjà livré le prix. On ne peut concevoir dans leurs registres; on désorganiserait in-
rien de plus malheureux que l'état d'une failliblement Jes municipalités, et l'on ne-
trouverait plus de maires qui voulussent se qui mettaient beaucoup de négligence dans
charger d'une fonction périlleuse et stérile cette partie de leurs fonctions; mais il faut
pour eux. convenir aussi que le nombre de ces insou-
« Quel parti prendre dans de telles circons- ciants était bien moins considérable parmi
tances ? Un gouvernement sage, étranger à tout eux que parmi ceux qui leur ont succédé.
esprit de parti, et que les vues du bien public On peut opposer, à cet égard, que beaucoup
seules dirigent, ne doit se décider que par -de paroisses manquent aujourd'hui de des-
les moyens qui remplissent d'une manière servants, et que, dans celles mêmes où il
plus parfaite son objet. Peu lui importe que s'en trouve, leur état est si précaire, qu'ils
Ce soient des prêtres ou des laïques qui exé- n'y sont presque jamais qu'en passant, et
cutent ses intentions, pourvu qu'elles soient que dans tous les cas, ou il n'y aurait pas
remplies. Il ne reste donc qu'à examine. de registres, ou ils seraient mal tenus.
qui des curés et des desservants, ou des « Mais les lieux où il n'y a pas de desser-
maires, est plus propre à tenir les registres vants sont sous l'inspection du curé de can-
de l'état civil d'une manière conforme aux ton, qui doit veiller à ce que les actes reli-
vues que la loi a eues en les établissant. gieux qui exigent l'inscription sur un regis-
tre, y soient exercés; et dans ceux où il n'y
« II me semble qu'on ne peut guère ba- a qu'un desservant momentané, rien n'em-
lancer à se décider en faveur des premiers. pêche qu'on ne tienne un registre qui passe
I]s ont pour eux d'abord l'avantage de l'in- de main en main à ceux qui lui succèdent.
vention, et la nécessité de tenir les regis- Au reste, ces inconvénients peuvent dispa-
tres exacts par des considérations reli- raître par les mesures ultérieures que le
gieuses.
gouvernement prendra relativement à cette
« Quand des parents sont persuadés que partie de l'ordre public.
le défaut de baptême pourrait compromettre
« Je dois ajouter à toutes ces considéra-
le salut de leurs enfants, ils s'empressent de tions que, dans un règlement de son émi-
faire remplir cette cérémonie. Un grand
nence le cardinal-archevêque de Lyon, il est
nombre d'autres sont plus portés à faire re- ordonné que, dans toutes les paroisses, il y
vêtir leur union des cérémonies religieuses
aura deux cahiers ou mémoriaux de catho-
que des formes civiles. L'opinion religieuse licité, pour y inscrire les actes de baptême,
seconde en cela la police civile des consi- mariage et sépulture, dont l'un doit rester
dérations plus éloignées n'auraient plus la dans la paroisse, et l'autre être déposé an-
même efficacité. La plupart des hommes ne nuellement dans les archives de l'archevêché.
s'occupent pas assez de l'avenir pour pré- (Journal de l'Empire du 10 vendémiaire an
voir Je dommage qui pourra résulter, pour XIV, 2 octobre 1805.) Cet essai, fait .dans un
leurs enfants, du défaut d'inscription de grand diocèse, indique du moins qu'on pourrait
leur naissance dans les registres publics; admettre les registres tenus par les ecclé-
plusieurs même pourraient se faire illusion siastiques concurremment avec ceux tenus
jusqu'à y trouverun avantage dans certains cas. par les officiers de l'état civil, et qu'en les
« Je n'ignore pas que, lors même que les déclarant également authentiques, les uns
curés étaient chargés de la tenue des regis- pourraient suppléer à ce qui manque aux
tres de l'état civil, il y en avait plusieurs autres. »
RAPPORT
FAIT AU NOM DE LA COMMISSION CENTRALE, SUR I,A PROPOSITION DE M. MICHAUD, TENDANTE A
VOTER DES REMERCÎMENTS A TOUS CEUX QUI ONT DÉFENDU LE ROI ET LA ROYAUTÉ LORS DE
LA RÉVOLUTION DU 20 MARS ET DURANT L'INTERRÈGNE.
OPINION
RELATIVE A UN AMENDEMENT A L'ARTICLE Ier DE LA LOI D'AMNISTIE (1).
Messieurs,
un amendement à l'article premier, et vous
On aurait pu suivre un ordre d'idées plusis soumettre quelques réflexions qui m'ont
naturel dans les deux projets de loi qui ontnt paru nécessaires pour l'appuyer. Je sollicite
été l'objet d'une discussion si intéressante.
e. l'indulgence à laquelle vous m'avez accou-
La justice est le principe, la grâce est l'ex-
c- tuui'é.
ception. Les deux projets de loi, en faisantat Mon intention n'est pas de m'opposer à
de l'amnistie le premier article, et du juge-
3* l'amnistie; mais j'ai cru qu'il était de la di-
ment le second, commencent par poser l'ex- c- gnité de la chambre que le gouvernement
ception, et descendent ensuite au principe, e, connût le prix de ce qu'il nous demande, et
au lieu d'affirmer d'abord le principe pour îr la nation, l'objet de ce que nous lui accor-
en venir à l'exception. Les dispositions pé-5- dons.
nales auraient donc, je le crois du moins, s, Qu'est-ce qu'une amnistie ?
dû précéder la déclaration d'amnistie; et il L'amnistie est un déni de jugement envers
eût été plus conforme aux principes de la la société; je dis un déni de jugement, car
législation,, et même en quelque sorte plus is la justice étant la loi la plus générale du
humain, de dire aux coupables Je vous fais is monde moral, et le fondement même de tout
grâce du jugement, que de leur dire Je vous cs ordre parmi les hommes, une société de-
excepte de la grâce. Cette disposition, Mes-s- mande toujours, et nécessairement, justice
sieurs, aurait eu J'avantage de- séparer lesîs des erreurs ou des crimes qui en ont altéré
fonctions judiciaires qui sont hors de votrere les principes ou troublé la paix
compétence, de l'amnistie,qu'il vous appar- > Ainsi une amnistie serait un crime, si elle
tient de prononcer concurremment avec les 2S n'était pas une nécessité. Ainsi, bien loin de
autres branches du pouvoir législatif. douter, avec quelques sophistes, si la société
Mais puisqu'on a cru devoir suivre un in a le droit de punir du dernier supplice les
ordre différent, et placer l'amnistie avant nt attentats qui mettent sa sûreté en péril, je
les dispositions pénales, je viens proposer iv lui refuserais, comme philosophe, le droit
(1) Cette opinion n'a pas été prononcée, parcece parement, après que la discussion a eu lieu sur
qu'on ne doit parler sur aucun article de la loi sé~
é~ l'ensemble du nrojntv
40.15 ŒUVRES COMPLETES DE H. DE BONALD.' 1044
de les pardonner, si je ne savais, comme intérêts qui les ont rendus criminels; car,
rhnStiati. que
Chrétien, iiisti^fi divine
mu» la justice Hivinfl atteint
atteint, tôt ou
nn ciue du côté du gou-
si l'oubli ne devait être que eou-
tard tout ce que la justice humaine laisse vernement, ce ne serait pas une amnistie
impuni. qu'il proclamerait, mais tout au plus un ar-
Et qu'on prenne garde que l'amnistie mistice.
n'est pas la grâce. La grâce ne s'obtient On parle d'oublier! Certes pouvons-nous
qu'après le jugement. Un jugement a frappé répéter, au sortir de la tyrannie de Bona-
le coupable d'une mort civile et judiciaire parte, ce que Tacite, échappé au règne de
la justice est satisfaite, et ce n'est plus que Domitien, disait dans la Vie d'Agricola
la politique qui réclame la mort naturelle « Nous. avons été un
prodigieux exemple
du condamné. Aussi le droit de grâce appar- de ce qu'on pouvait souffrir. La sévère in-
tient à ce qu'on appelle le pouvoir exécutif, quisition des tyrans nous avait interdit même
qui, dans le cas de grâce, n'infirme pas la faculté de parler et d'entendre, et nous au-
l'effet moral et judiciaire de l'arrêt rendu rions perdu, avec l'usage de la parole, jus-
par la justice, mais en refuse à la politique qu'au souvenir de nos maux, s'il eût été en
l'exécution matérielle. notre pouvoir d'oublier comme de nous
Ainsi l'amnistie, acte d'oubli des erreurs taire, »
et des crimes que notre légèreté n'oublie Sans doute les victimes des fureurs révo-
oublier encore des
que trop tôt l'amnistie, qui ne suspend pas lutionnaires n'ont pu
seulement le jugement, mais qui empêche malheurs toujours présents; mais elles ont
la justice, qui anéantit pour un peuple toutt fait plus, elles les ont pardonnes. Que ceux
entier l'action du pouvoirjudiciaire qui pro- qui ont fait la révolution la pardonnent enfin
nonce le jugement, et par conséquent l'ac- à ceux qui l'ont supportée, et que le gou-
tion du pouvoir exécutif, qui institue les vernement obtienne, s'il peut, ce pardon
juges, et assure l'exécution de leurs arrêts; qui semble tous les jours s'éloigner davan-
l'amnistie ne peut être prononcée que par tage.
le pouvoir législatif, supérieur à la fois aui L'amnistie est nécessaire, je le crois; mais
pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire, qu'est-ce qui la demande? La capitale, sans
ou plutôt seul pouvoir de la société, dontt doute l'amnistie y deviendra une mode
les deux autres ne sont que des fonctions; aussitôt que nous en aurons fait une loi.
et cette dénomination de pouvoirs donnée ài L'apparence des rigueurs fatigue sa mollesse
des fondions quelque éminentes qu'elles et trouble ses plaisirs; mais, sans exiger que
soient, est la grande méprise de la politiquea le gouvernement prenne toujours pour règle
moderne, et le principe de toutes ses er- de sa conduite ce que chacun appelle l'opi-
reurs. nion publique, j'oserais adjurer ici les mi-
L'amnistie, je le répète, est un déni de nistres du roi de nous dire s'ils reçoivent
jugement fait à la société; et la preuve eni des provinc&s l'assurance des mêmes vœux
est dans les deux projets de loi qui, rendantt de pardon et d'oubli. Ce n'est pas dans les
hommage au grand principe de l'indépen- lieux où les oppresseurs et les opprimés,
dance de la famille, se gardent bien d'impo- tous connus les uns aux autres, sont conti-
ser au particulier l'amnistie qu'ils pronon- nuellement en présence, dans les lieux où
cent pour le public, et lui réservent ou plu- les injures sont si récentes, les souvenirs si
tôt lui déclarent son droit inviolable dei profonds, les craintes si légitimes, et où les
recours aux tribunaux, dans l'article 6 ainsii sentiments ne sont ni dissipés par les plai-
conçu sirs, ni étouffés par les affaires; ce n'est pas
« Ne sont pas compris dans la présente e là sans doute que la politique peut comman-
amnistie les crimes et délits contre les par- der un oubli que la religion encore a tant de
ticuliers, ); etc. peine à obtenir.
Mais cet acte d'oubli, même lorsqu'il est;t L'amnistie, je le crois, est désirée par ceux
nécessaire, ne peut être utile qu'autant quee qui ne veulent plus conspirer; ceux-là ne
le gouvernement est assuré que cet oublii sont pas dangereux: qui ne veut plus cons-
sera réciproque, et que, s'il oublie lui-mêmee pirern'a jamais conspiré; il s'est cru un
les crimes que l'on a commis, s'U oublie jus- conspirateur, et n'a été qu'un intrigant.
qu'à l'oubli de sa première clémence, ceuxi Elle serait peut-être plus vivement réclamée
it par ceux, s'il en existe, qui voudraient cons-
h qui il l'accorde, cet acte d'oubli, oublieront
eux-mêmes les hommes, tss intrigues et less pirer encore, et qui, soldant ainsi leurarriéréj
fermeraient le dernier compte pour en ou- catégories,punitlecrimeetamnistiérhomme:
c<
vrir un nouveau ceux-là regarderaient l'une
l' fixe ses regards sur le passé, l'autre sur
l'amnistie comme un puissant narcotique, l'avenir. Les ministres veulent punir, ^com-
Y
dont l'effet inévitable, surtout en France, a
mission veut surtout prévenir; et si, dans le
sera, si l'on n'y prend garde, de relâcher premier
p projet, on touve des exemples de ri-
des ressorts longtemps tendus, d'endormir ggueur, on trouve dans l'autre des principes de
la vigilance de l'administration, la surveil- conduite publique. Cette vérité a été démon-
c<
lance de la police, même de ralentir l'acti- trée
ti jusqu'à l'évidence dans un rapport qu'il
vité des tribunaux ou d'amollir leur sévé- e plus facile de contredire que de réfuter,
est
rite. Ils y verront, n'en doutez pas, un moyen e par un rapporteur que sa conduite, son
et
de rendre, sinon tout à fait illusoire, du ccaractère et ses talents mettent au-dessus
moins plus difficultueuse, l'épuration si vi- d la calomnie ou de l'injustice.
de
vement demandée et si impérieusement né- Non, votre commission n'a point provoqué
cessaire. Qu'on ne s'y trompe pas, ces hom- dd'inutiles sévérités. Nos mœurs, j'entends
mes ne se croiront pardonnés que lorsqu'ils celles
c de la partie saine de la nation, ne
se verront placés; ets'ils désirent d'être ou- permettent
r pas même de justes représailles.
bliés des tribunaux, ils craignent bien plus î le savons cependant; cette amnistie que
Nous
d'être oubliés des ministres. Une amnistie rnous allons prononcer ne nous serait pas
qui serait suivie d'un déplacement ou d'un accordée par ceux dont les haines, qui pa-
a
a
refus, ne leur paraîtrait qu'une amère déri- raissent
r étouffées sous dix ans d'une op-
sion, et déjà plus d'un homme en place en pression
r. commune, se sont rallumées avec
eu la preuve. ttant de fureur; mais nous savons aussi que
Mais cette amnistie, que tous paraissent 1les crimes politiques sont plus que jamais
OPINION
SUR LE MOT RESTITUTION EMPLOYÉ DANS LE PROJET DE LOI RELATIF A LA DOTATION DU CLERGÉ.
On a dit dans le cours de cette discussion, ne forme point un corps politique, et il est
que le clergé ne possédait pas en corps c'estt propriétaire. Quant à la destination spéciale
une erreur il possédaitencorps; ilétaitimposéi de telle ou telle propriété, elle pouvait chan-
en corps; il acquittait les décimes en corps; ger, mais ces propriétésétaient toujours, sui-
c'est en corpsqu'il faisait des empruntset payaitt vant l'intention des fondateurs,destinées à des
des intérêts. On a dit aussi que le rendre> établissements pieux. Le gouvernement avait
propriétaire, serait en faire un corps politi- toujours soin de suivre cette intention, même
que. Mais, Messieurs, c'est la religion qui estt pour les Ordres de chevalerie. Cette intention
propriétaire. Nulle part le clergé ne forme était également remplie lors de la vacance
un corps, si ce n'est autrefois en France, des bénéfices, par la caisse des économats.
et aujourd'hui en Angleterre, où les pairs Je vote donc pour la rédaction de M. Piet
ecclésiastiques forment un corps en siégeantt sans amendement.
au parlement. A Rome, en Espagne, le clergé
4°rt
politiqae n'avaient été appelés dans dess opiniâtrement suivi, et consommé avec le
circonstances plus difficiles et plus con- plus déplorable succès c'est sous l'influence
traires à régler les finances d'un grand Etat,t, des doctrines qui l'ont préparé, et au moins
pu pour mieux dire, à statuer sur sonn en présence des hommes qui ont concouru
à son exécution, qu'il nous faut reconsfci-
1040 PART. H. POLITIQUE. OPINION SUR LE BUDGET DE 1816. I0K0
des émigrés. La terrible maxime vae viclis, on peut assurer qu'elle n'avait pas, qu'elle
première loi du droit public des païens, « qui tne pouvait pas avoir reçu
l'autorisation
]
des communes
d'aliéner leurs propriétés. Et
enlevait aux vaincus, dit Montesquieu,biens,
fsmmes enfants temples et sépultures d'ailleurs, s'il faut le dire, il serait difficile
la force que la de trouver dans la charte, donnée le 25 juin
même » cet odieux abus de
religion chrétienne avait banni du moderne 1814, l'autorisation nécessaire pour vendre,
droit des gens, y devait être replacé par la le 23 septembre suivant, des propriétés,
révolution. même nationales, d'une si tardive origine,
qu'elle déclare inviolables dans l'article 9, et
Je conçois la vente des biens de la reli- inviolables sans doute dans les mains de
gion, dans un temps où de détestables maxi-
ceux qui les. possédaient lorsque la charte a
mes la présentaient à des esprits fascinés été donnée car les communes comme les
comme une œuvre de mensonge et un ins- émigrés, ne sont dépouillés que par la vente
trument d'oppression. effective et consommée, et non par le décret;
Je conçois la vente des biens de la royauté: et à cet égard, la charte confirme ce qui es'
soit qu'on la voulût dépendante ou qu'on1 fait, et non ce qui est à faire.
n'en voulût plus du tout, il était conséquentt En vain on vous dit qu'on inscrira augrand'
Ce la réduire à recevoir de la nation un sa- livre les communes et le culte pour un re-
laire qu'on pût suspendre à volonté ou sup- venu en rente, égal à celui de leurs biens.
primer tout à fait. vendus. Ce serait joindre la dérision à l'in-
Mais les communes, quel crime pouvait- justice. Les communes et la religion possé-
daient leurs propriétés depuis six, huit et
on leur imputer ou quel reproche avait-oni dix siècles; n'y aurait-il pas plus que de fa
à leur faire? Les communes n'avaient pas5
émigré, et, sans doute, on ne pensait pas ài simplicité à croire que, dans huit ou dixsiè»
les détruire. Ces petits Etats domestiques, cles, elles auront encore des rentes sur le
éléments de l'Etat public, celtiques avantt grand livre? Elles avaient, dit-on, des pro-
d'être gaulois, gaulois avant d'être romains, priétés sujettes à dépérir, d'un entretien oné-
romains avant d'être francs, et qui conser- reux, ou d'une gestion ruineuse je le sais
i! fallait alors, après avoir constaté la conve-
vent encore dans leurs noms des vestiges de3
leurantique origine ou de leurs changementss nance ou la nécessité, leur permettre de les
successifs de domination les communes s
vendre pour les remplacer par des propriétés
avaient préexisté à la monarchie elles
s
plus utiles et moins casuelles.
avaient existé dans l'Etat, et l'Etat n'avaitt Rappelez-vous, Messieurs, la consterna-
pu exister sans elles. Depuis l'origine dee tion universelle que répandit dans la capj-
l'Etat, elles avaient acquitté leur contingentt tale et dans le royaume la proposition de loi
en hommes pour la guerre ou le service pu- du 20 mars 1813 (le jour est remarquable),
blic, et leur contingent en argent pour l'im- qui dépouillait les communes de leurs pro-
pôt, et acheté ainsi, au prix du sang et dess priétés. Le scandale parut nouveau, même
sueurs de leurs enfants, le droit d'être pro- après tant de scandales. Nous fûmes nous-
tégées par la puissance publique. Aussi, mêmes témoins de la profonde douleur, ou.
elles avaient reçu de nos rois le bienfait dee plutôt de la honte des députés au corps lé-
l'affranchissement, et c'est l'usurpateur qui,i gislatif, dont la plupart avouaient qu'ils n'o-
les a replongées dans la servitude, en less seraient plus retourner dans leurs provinces.
1055 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1056
s'ils avaient la faiblesse de consentir à cette sions des Huns et des Vandales
Vandales, aucune
YYIl71t5fTnPttsu iniquité. Vous
monstrueuseir~ir~rnifd savez lne
Vnnc enoQO les res- société n'en a éprouvé de semblables. On a
Y>t::H~-
sorts qu'on fit jouer. Les suppôts de la ty- moins redouté l'usage qu'une haine déses-
rannie y employèrent tout leur art les pro- pérée pouvait en faire contre nous, que le
messes et les menaces furent mises en usage. danger, disait-on, le malheur irréparable de
Le tyran lui-même craignit un moment de
rentrer dans le système de confiscation aboli
ne pas réussir, et pour la première fois, il
compta, en frémissant de rage, soixante- par la Charte. Mais nous dirons, à l'honneur
quinze opposants qui faisaient ce jour-là la au moins de notre esprit, que nous ne nous
majorité des députés vraiment français et sommes pas mépris sur le véritabte motif de
dont plusieurs affectèrent de montrerla boule tant d'humanité. Ceux qui avaient, non pas
rédigé, mais secrètement inspiré l'abolition
noire qu'ils jetaient dans l'urne en présence
de Ja confiscation, pratiquée chez les peuples
des conseillers d'Etat. Et c'est après le retour
les plus sages, gorgés eux-mêmes de con-
de l'autorité légitime sous le règne de
fiscations, craignaient qu'on ne tournât un
Louis XVIII, et en présence de cette race
jour contre eux une loi dont ils avaient si
bienfaisante dont les ancêtres ont affranchi
amplement profité et les hommes du 20
les communes, que l'on vous propose de les
dépouiller 1 Messieurs, M. le ministre des mars, à la veille de se rembarquer sur la
finances se regarde avec raison comme un mer orageuse de la révolution, voulaient, en
de malheur, sauver au moins leurs biens
défenseur officieux que la loi constitue aux cas
du naufrage, et l'événement a pleinement
créanciers il fait son métier, qu'il me per-
justifié la sagesse de leurs combinaisons.
mette cette expression familière à sa place
Nous ne vendrons donc pas les biens des
nous en ferions autant, et lui, à la nôtre fe-
rait ce que nous faisons. J'en crois la jus- communes et de la religion qu'on cesse de-
s'en flatter nous ne vendrons pas des biens.
tesse de son esprit et la probité de ses sen-
timents mais qu'il me soit permis de lui que nous n'achèterions pas nous ne donne-
dire, moins ce que je crois que ce que je rons pas des propriétés que nous ne vou-
sais. Dans le drame qui se joue depuis long- drions pas accepter. Nous ne réduirons pas
l'Etat à la condition d'un prolétaire qui,,
temps, les acteurs ne sont pas tous sur l'a-
n'ayant ni feu ni lieu, ne vit que de l'argent
vant-scène. Les ministres du roi veulent qu'il
franchement et sincèrement une opération gagne ou de l'argent qu'il prend. Nous
vendrons pas les propriétés des commu-
qu'ils jugent utile, je le crois; mais des gé- ne
nies malfaisants qui se dérobent à leurs yeux nes, parce que
l'usurpateur les a vendues,
Nous ne vendrons pas les forêts du clergé,
comme aux nôtres, répandus dans l'atmos- puisque l'usurpateur les respectées, qu'il
phère politique de toute l'Europe, profonds a
vantait même de les avoir agrandies, et
dans l'art du mensonge et de l'intrigue, ins- se
qu'il aurait doté la religion s'il avait pu ces-
pirent ce qu'ils ne peuvent pas ou ne peu-
ser de la craindre. Nous ne vendrons pas ce?
vent plus commander; ils veulent aussi la forêts,
première richesse mobilière d'une
vente des propriétés publiques, non assuré- nation agricole,
ment dans l'intérêt des créanciers dont ils parce que le feu et le bois
sont les premiers besoins de l'homme civi-
se soucient très-peu, mais contre la religion lisé
dont ils redoutent le rétablissement, et con- nous conserverons ces bois, devenus
si rares, que l'acajou d'Amérique sera bien-
tre nous-mêmes, pour nous déprécier aux
tôt en France plus commun que le chêne des
yeux de la nation, et nous ôter J'estime des Gaules. Les anciens avaient consacré !es
gens de bien, seul refuge qui nous reste forêts
contre la haine des méchants; ils veulent consacré au culte religieux, comme ils avaient
les pierres qui bornaient leurs hé-
nous faire boire à la coupe empoisonnée, et ritages,
rendre, en un mot, la restauration complice et dont ils avaient fait des dieux
de la révolution. Hélas nous n'avons que pour arrêter les entreprises des hommes.
Les modernes, élevés à une autre école,
trop cédé peut-être à cette maligne influence; avaient
confié les forêts à la garde de la re-
lorsque nous avons rejeté, contre le vœu
ligion, de la
unanime de la nation, les indemnités qu'une milles de l'Etat,royauté et des premières fa-
c'est-à-dire, qu'ils les avaient
justice rigoureuse nous prescrivaitd'exiger mises
sous la protection des corps ou des
sur les biens de ceux qui ont, au mépris de particuliers qui étaient plus en état de les
leurs derniers serments, accumulé sur leur défendre, et qui, attachant leur
à possession
patrie des maux tels, que depuis les inva- moins des idées de profit
que des idées d'a-
grément ou môme de luxe, étaient les moins que leurs créances, la probité du roi et la
tentés de s'en dépouiller. volonté constante de la nation de mettre la
On nous oppose des engagements, nous rente au premier rang de toutes ses dé-
opposons des devoirs; et la politique ne penses nous ne pouvons pas faire davan-
permet pas plus que la morale de confondre tage. Depuis le 20 mars il est survenu d'au-
les engagements et les devoirs. tres créances, et surtout d'autres créanciers
Au reste, la chambre ne doit, ne peut que nous voulons payer avec la paix et la
même voter l'acquittement de la dette que bonne foi et si la sûreté de leur payement
lorsqu'elle est tout à fait connue, et il s'en se trouvait jamais compromise, ces mêmes
faut de quelques cent millions qu'elle le biens, que nous réservons, pourraient être
soit. La proposition de notre honorable le gage d'un emprunt ou de toute autre opé-
collègué, M. Ganilh, d'atermoyer la dette ration de finance, et ils serviraient à rache-
publique, est, pour cette raison, la seule ter l'Etat comme ils ont servi quelquefois à
mesure légale et constitutionnelle, et sur- racheter nos rois; et ceux qui, pour obtenir
tout la seule mesure politique; car pour des garanties dont ils n'ont pas besoin, pous-
ceux qui, comme moi, pensent que si cette sent aujourd'hui à la vente de ces propriétés
énorme masse d'impôts peut être acquittée précieuses, seraient peut-être trop heureux
cette année, elle ne pourra plus l'être les alors que ces biens eussent été conservés,
années suivantes, il est évident que vous comme dernière ressource de nos finances
mettez au hasard ou plutôt en péril la tran- épuisées.
quillité de l'Etat, la sûreté du trône, la na- « La force des choses, » dit aux créant
tion tout entière, pour les intérêts de quel- ciers de l'arriéré l'auteur d'un écrit remar-
ques particuliers dont les créances remon- quable sur le sujet qui nous occupe; « la
tent à 1801 et embrassent, par conséquent, force des choses exige que vous laissiez
le long période de nos malheurs et de nos passer avant vous les puissances armées
fautes. auxquelles sont dévolus, par priorité, tous
Si cependant on préfère, avec la commis- les gages que l'Etat peut fournir. Elle exige,
sion, et même avec les autorités en finance de Plus, que vous nous aidiez vous-mêmes
les plus nombreuses et les plus respecta- à vous désintéresser en acceptant votre
paye.
bles, de consolider l'arriéré, nous consoli- ment sous des formes qui opèrent à la fois
derons la dette, ce qui vaut mieux que de notre soulagement et votre sécurité. Autre-
consolider la révolution. Et que les créan- ment, la lutte que vous engageriez, soit avec
ciers ne se plaignent pas nous les payons, les potentats de l'Europe pour leur disputer
avec les seuls biens que nous avons, et nous les trésors de la France, soit avec nous pour
n'avons pas les biens des communes et de la forcer la mesure des impôts, ne serait qu'une
religion. Nous les payons, eux créanciers spéculation vaine et malheureuse dont vous
récents de Bonaparte et de l'usurpation, pouvez, dès à présent, prévoir l'issue. »
bien mieux que ne l'ont été les créanciers Les créanciers se plaignent de n'être pas
les plus anciens, les plus respectables et les intégralement payés. Mais qui est-ce qui est
plus malheureux, les créanciers de Louis XV, aujourd'hui intégralement payé de ses re-
de Louis XVI et de la monarchie
nous les venus ? Et il y a cette différence entre eux
payons mieux qu'ils ne l'auraient été par et les propriétaires fonciers, que leur rente
Bonaparte lui-même, qui, dans la grammaire ne diminue pas et que la baisse même du
fiscale qu'il s'était faite, mettait toujours le capital peut n'être qu'accidentelle; au lieu
présent au passé, et le passé au futur, même que la baisse du revenu des propriétaires en
conditionnel, et ne payait une dette éva- opère aussitôt une réelle sur la valeur capi-
nouie qu'avec des valeurs décréditées. Nous tale de leurs fonds, qui, dans beaucoup de
les payons aussi intégralement qu'il nous lieux, perdent autant que le capital de la
est possible de le faire, actuellement quant rente, c'est-à-dire 40 pour cent, et ont bien
aux revenus, éventuellement quant au ca- moins de chances de hausse, et surtout des
pital, que l'action soutenue d'un gouverne- chances plus éloignées.
ment légitime, les opérations de la caisse Aussi, Messieurs, on ne défend pas tant
d'amortissement et le retour de la tranquil- la loi du 23 septembre dans l'intérêt des
lité tendent continuellement à élever au créanciers, que dans l'intérêt du crédit pu-
pair. Nous les payons en leur offrant pour blic. C'est sous ce dernier point de vue que
gage une masse d'impôts cinq fois plus forte je vais l'examiner, en observant toutefois ce
iOS9 OEUVRES COMPLETES DE Ai. DE BONALD. 1060
qui ne vous a pas échappé, que les orateurs cette dernière espèce que se trouve l'An-
du gouvernement ont affirmé que l'exécu- gleterre.
tion de la loi du 23 septembre était possible, Ainsi le crédit, en Angleterre et partout,
et qu'elle suffisait à acquitter la totalité de est en raison composée de l'abondance des
la dette, et même au delà, et que nos ora- capitaux et de l'insuffisance relative du ter-
teurs ont prouvé qu'elle était inexécutable ritoire.
et insuffisante. L'Angleterre, condamnée par sa position à
J'ai eu l'honneur de vous le dire, Mes- faire le commerce du monde entier, voit ses
sieurs, et vous n'y avez peut-être pas fait capitaux s'accroître tous les
ans parle com-
assez d'attention ceux qui rejettent le plus merce, l'industrie manufacturière et agri-
loin toute comparaison entre notre constitu- cole, et même
par ses combinaisons politi-
tion politique et celle de l'Angleterre, sont
ques, qui ont pour dernier résultat l'exten-
les premiers à nous proposer son régime sion de son commerce et le débit des pro-
fiscal comme le vrai modèle de celui que duits de son industrie.Mais, lorsque le com-
nous devons adopter, et ils Oublient que merce, l'industrie ou la politique ont absorbé
deux peuples ne peuvent avoir le même sys- la quantité de capitaux dont l'avance leur
tème financier, lorsqu'ils n'ont pas le même est nécessaire pour en produire de nouveaux,
système politique. les capitaux excédants ne peuvent être pla-
Examinons donc ce qu'on nomme en An- cés que sur les fonds publics, parce que cette
gleterre le crédit public. et voyons si le île resserrée pour la population qu'elle con-
même système peut s'appliquer à la France. tient, et son sol cultivable resserré encore
Dans la société, tout tend à la stabilité. La par l'inaliénabilité des domaines de la cou-
famille aspire à devenir propriétaire, c'est-à- ronne et du clergé, et les substitutions per-
dire à s'établir sur le sol commun; car il pétuellesdesimmenses propriétés des grands
n'y ad'établissement que la propriété fon- tenanciers, ne peuvent absorber tout le capi-
cière et, par conséquent, on peut dire que tal disponible, moins encore de petits capi-
l'homme etl'argent cherchent la terre, comme taux tout à fait disproportionnés avec le haut
si l'argent tendait à rentrer aux lieux d'où il prix des terres. Cette disproportion des ca-
est sorti, et l'homme'à la terre où il doit se pitaux aux terres tend à s'accroître démesu-
rendre. rément, au moins tant que l'Angleterre aug-
Ainsi la propriété foncière, est la fin l'ar- mentera ou seulement conservera son com-
gent n'est que le moyen; et le commerce, merce, parce que les capitaux s'accumulent
les arts et l'industrie ne sont, relativement à et que les terres ne s'étendent pas, et qu'ils
J'Etat, que des moyens d'acquérir de l'ar- s'accumulent encore dans une progression,
gent, et non la fin de l'argent lui-même. on peut dire géométrique, puisque leur em-
Lorsque l'argent ne peut suivre sa desti- ploi tend constamment à diminuer. Il dimi-
nation naturelle, qui est l'acquisition des nue pour l'agriculture, qui emploie moins
fonds de terre ou celle de nouveaux ca- de capitaux, et donne plus de produits à
pitaux par le commerce et l'industrie, il est mesure qu'elle est plus perfectionnée; il di-
renfermé, ou est placé en rente en attendant minue pour l'industrie manufacturière, qui
un meilleur emploi. opère avec des machines qui rendent avec
Ainsi, lorsque, dans un pays, la masse usure, en épargne de frais journaliers, ce
des capitaux disponibles se balance avec la qu'elles ont une fois coûté en avance de ca-
masse des propriétés en circulation, il y a pitaux il diminue pour les combinaisons
du mouvement dans les affaires mais il n'y politiques, qui changent et se calment avec
a pas d'excédant de capitaux, qui est la ma- les événements; il diminue même pour le
tière du crédit public. Si la masse des fonds commerce, dont toutes les nations veulent
de terre en circulation excède la masse des prendre leur part, et qui parait avoir atteint
capitaux disponibles, il n'y a ni mouvement en Angleterre son plus haut point de pros-
ni crédit mais si la quantité d'argent excède périté.
les fonds de terre à vendre (et tout est à Ainsi,
i partout où l'on trouve ces deux
vendre, tant qu'il n'y a pas de loi positive conditions réunies, surabondance de capi-
qui le prohibe), il y a mouvement dans les taux, insuffisance relative de territoire on
affaires, crédit dans l'Etat, et d'autant plus de trouve aussi forcément et indépendamment
mouvement et de crédit, que l'excédant des de la volonté des hommes un crédit natio-
capitaux est plus considérable. C'est dans nal, qui appelle plus qu'on ne pense le cré-
dit étranger-, je veux dire l'argent des au- La force et l'injustice ont fait une appa-
tres pays»
pays, public, en grossissant la
rence de crédit public
111.
Ainsi, quand l'Angleterre ne payerait pas dette nationale des nombreuses confiscations
avec exactitude ce qui est impossible avec des charges de judicature et de finance, et
des capitaux surabondants quand ce qui des créances liquidées des émigrés
sur les
est moins possible encore, elle cesserait ses corps et les particuliers; et de là s'est forma
payements, elle aurait le lendemain le même ce grand-livre qui n'est plus depuis long-
crédit, un crédit plus grand peut-être et temps qu'une grande table de jeu. Mais
de
tous les capitaux surabondants qu'il faut crédit public, de confiance, de placement
consommer ou placer à intérêt, s'écoule- volontaire, il n'y en a jamais que de Paris
raient par la seule porte qui leur serait ou- ou de l'étranger;
et tandis qu'à Paris on
verte, lorsque toutes les autres sont obs- voyait des pères de famille vendre leurs
truées. fonds de terre peur en placer le produit
Ici la preuve est récente, est complète, et même en viager au profit de leurs plaisirs
l'on a vu, à la banque d'Angleterre le le chef de maison province qui pour se
change, à bureau ouvert, des billets contre /donner seulement en de l'aisance, aurait aliéné
l'argent qu'on avait toujours regardé comme à deux et demi trois pour cent son mo-
le fondement et la condition nécessaire du deste patrimoine,ouaurait été interdit comme
crédit public, suspendu indéfiniment au mi- un prodigue.
lieu de la guerre, sans que le crédit public A présent, Messieurs, trouvez-vous, trou-,
ait été ébranlé.
verez-vous jamais France ces deux élé-
Et remarquez comme un corollaire évi- ments nécessaires en du crédit public, sura-
dent de ce principe, que Venise et Gênes bondance de
capitaux, insuffisance ou exi-
où se trouvaient, dans une autre proportion guïté de territoire?
L'argent n'y manque-
ces deux conditions: insuffisance relative t-il pas plutôt
de territoire et abondance de capitaux
aux terres que les terres à l'ar-
pro- gent Si même elles nous manquaient sn
duits par le commerce et l'économie parti- France,
culiers à la nation italienne, Venise et Gê- nous pourrions passer nos frontiè-
res, et beaucoup d'étrangers sont proprié-
nes ont eu les établissements de finances taires en France,
les plus florissants (1). Remarquez qu'à comme des Français le
sont sur Je territoire étranger. Notre agri-
Paris, qui se trouve à l'égard du reste de la culture a-t-elle absorbé tous les capitaux qui
France à peu près dans la position où l'An- lui
sont nécessaires, et notre industrie ma-
gleterre est à l'égard des Etats du continent, nufacturière
à Paris, et seulement à Paris il ou commerciale n'en a-t-elle
y a un cré- plus besoin? i
dit public ou quelque chose qui y ressem- Ce qu'il y a de remarquable, est qu'en
ble, parce qu'à Paris se trouvent à la fois même
temps que nous courons après un
surabondance de capitaux et insuffisance, grand crédit public,
ou plutôt nullité du sol cultivable nous faisons, depuis
pour la vingt-cinq ans, tout ce qu'il faut pour la
grande population qu'il contient. contrarier. En effet, à mesure que les évé-
Aussi, Messieurs, c'est depuis que la ca- nements de la
pitale, rendez-vous de tous les oisifs comme anéanti notre guerre ont troublé ruiné
de tous les gens occupés, centre de toutes commerce, et tari la source de
nos capitaux, les désordres de la révolution
les intrigues comme de toutes les affaires
ont agrandi notre sol vénal par l'immense
a pris de .grands accroissements; c'est de- quantité de propriétés de la religion,
puis que toutes les existences de provinceroyauté et de la noblesse de la
qui ont été ren-
sont venues s'y fondre c'est depuis que les dues à la circulation, et,
doctrines licencieuses sur l'argent et les même effet ce qui produit le
le surcroît de valeur que
jouissances qu'il procure y ont multiplié les l'abolition de par la dîme et des droits -féodaux
capitaux par la vente des biens situés dans
a< donné aux terres. Ainsi, nous avons cons-
les départements, qu'il a été question du ttamment parlé de crédit
public sans savoir
crédit public, et que le modeste crédit de qui le produit et ce qui l'entretient, et
ce
<
l'hôtel de ville de Paris est devenu le crédit même faisant le contraire
i en de ce qu'il faut
public de l'Etat. {faire pour l'alimenter, et
nous voulons ac-
(1) La Hollande, et même Genève, également
riches de capitaux et pauvres de territoire, auraient t qu'elles n'eussent pas préféré de placer leurs
et
ffonds dans le crédit étranger.
eu un grand crédit, si elles en avaient eu besoin,
tuellement encore ouvrir à la fois un débou- tune dont un patrimoine ainsi constitué
(i:
ché aux capitaux dans nos emprunts, et les aurait
ai empêché l'essor, mille fortunes mo-
détourner vers les biens des communes et destes
di se seraient conservées. Les hommes
de la religion qui restent à vendre. auraient
ai suivi leur argent; il y aurait eu
Ainsi, la France est un grand propriétaire plus de grands propriétaires dans les cam-
p!
de fonds de terre, l'Angleterre un riche pagnes,
pi moins d'oisifs dans les villes, moins
commerçant et elles doivent l'une et l'autre di luxe, moins de plaisirs, moins de cet es-
de
conduire leurs affaires dans le système op- pi qui n'est qu'un luxe et qui ruine le bon
prit
posé. Le propriétaire doit employer ses re- sens, comme le luxe des dépenses dévore
S(
venus devenus des capitaux, à améliorer ses les fortunes la capitale ne fût pas devenue
lE
terres, et l'excédant, s'il en a, il le place à p grande que l'Etat, et il n'y aurait pas eu
plus
intérêt en attendant l'occasion de l'em- d révolution.
de
ployer en améliorations ou en acquisitions C'est le système agricole que Sully avait
nouvelles. Le commercant emploie ses ca- compris,
c< et qu'après lui personne n'a en-
pitaux à étendre son commerce, et l'excé- tendu.
tE
dant, quand il est sage, il l'emploie à ac- Et quel est après tout ce crédit public qui
quérir des fonds, n s'établit que sur le discrédit le plus hon-
ne
Sans doute, l'Angleterre est propriétaire, teu-x
tE des gouvernements? Car, remarquez
comme la France est commerçante; mais je que q toutes les fois qu'un gouvernement
veux dire seulement que le système agri- veut v former un grand établissement de fi-
cole domine chez nous, comme le système nance, n banque nationale, mont-de-piété,
commercial chez nos voisins; et que, par c; caisse d'amortissement, il est obligé, pour
conséquent, ici les capitaux se dirigent vers attirer
a la confiance du public, d'avertir
l'agriculture et l'excédant vers le commerce, solennellement
si qu'il renonce à s'immiscer
et là, au contraire, les capitaux se dirigent dans
d la direction et l'administration de
vers le commerce et l'excédant vers l'agri- l'établissement,
l' qu'il sera tout à fait indé-
culture et, lorsque les besoins de l'agri- pendant
p et étranger aux finances de l'Etat,
culture et du commerce sont satisfaits, les titel qu'un emprunteur sans crédit et sans
capitaux qui ne trouvent plus d'emploi vi- nom, n qui ne peut trouver d'argent que sur
vifient et nourrissentle crédit public, d'autres
d signatures que la sienne.
Ainsi, Messieurs, notre crédit public, Si le crédit public, réduit à son expres-
comme établissement national, est peut-être sions la plus simple, est le moyen de faire
une chimère, et nous courons après un but des d dépenses au-dessus de ses ressources,
que la nature même de notre société nous quel q est donc l'effet du crédit sur la pros-
défend d'atteindre. périté
P et la stabilité des Etats? Le moyen
Ainsi, nous n'aurons jamais de crédit de d faire des dépenses au-dessus de ses res-
qu'à Paris et de Paris, ou plutôt nous n'au- sources
s n'est que le moyen de faire des dé-
rons peut-être qu'un jeu de hausse et de penses p au-dessus de ses véritables besoins,
baisse, qui entretient dans les fortunes e de se livrer à un luxe ruineux de dépen-
et
dans les esprits, dans les espérances, une sses publiques, que de faux systèmescroient
mobilité funeste, et les gens sages préfé- justifier
J en disant qu'elles nourrissent la
reront, même à Paris, les 4 pour cent que classec indigente, sans faire attention qu'el-
donne le mont-de-piété, aux chances du 1les ont commencé par la faire naître, et que
tiers consolidé si hasardeuses, que nous cette c population factice exigera un jour le
avons vu, il y a peu d'années, un seul in- salaire
s que vous ne pourrez lui donner.
dividu faire monter la rente de 58 francs Mais même, pour le seul objet nécessaire,
à 96. 1la défense de l'Etat et son indépendance,
Que serait-il donc arrivé en France, si les ost-ce
c avec du crédit public que la Hollande,
villes et les corps n'eussent pas appelé les sans
s territoire, s'est défendue contre l'Es-
capitaux dans leurs emprunts, et commencé pagne f la Suisse, sans argent, contre l'Au-
ainsi le laborieux édifice du crédit public? triche
t et la maison de Bourgogne; l'Espa-
Les grands capitaux se seraient dirigés gne, g sans argent, sans crédit, sans roi, sans
vers l'agriculture les plus petits, placés à troupes,
t contre Bonaparte, et qu'encore ac-
constitution de rente, auraient retenu les tuellement,
t épuisée par cette lutte héroïque,
familles dans une simplicité et une écono- elle e recouvre, sur une population nombreuse
mie héréditaires et, pour une grande for- fet civilisée, un nouveau monde tout entier,
avec aussi peu de moyens relatifs qu'elle en
employa jadis à le conquérir sur des barba-
res ? Au contraire, depuis la découverte du
crédit public et la force matérielle qu'il
donne aux Etats, on n'a plus trouvé chez
les peuples à crédit de force morale et la
Hollande, et même la Suisse, sont devenues
faibles à mesure qu'elles sont devenues Dé-
cunieuses et, certes, ce n'est pas avec son
crédit ou sa banque, pas même avec ses
vaisseaux, mais avec sa position, que l'An-
gleterre s'est préservée; et elle s'est défen-
due, parce qu'elle n'a pu être attaquée. On
vous dit que plus il y a de gens intéressés à
la stabilité de l'Etat, plus l'Etat est stable;
que le grand nombre de créanciers qui par-
tagent dans la fortune de l'Etat, le défendent
contre ce qui pourrait la compromettre.
C'est là de la politique de comptoir ou d'A-
ihénée mais la politique des hommes d'E-
tat raisonne autrement elle dit que l'hom-
me s'intéresse, avant tout, à sa stabilité per-
sonnelle et qu'avec nos systèmes d'admi-
nistration, il y aura toujours dans nos Etats
· modernes mille fois plus de gens intéressés
à les troubler qu'à les défendre. Lorsque
l'Etat est menacé, ces grandes machines de
finances sont un embarras, si elles ne sont
pas un danger. Quand la maison est en feu,
l'avare songe à sauver son coffre-fort plutôt
qu'à préserver l'édifice. A la première alarme,
les capitalistes s'empressent de retirer leur
argent, et le mal s'accroît de leurs inquié-
tudes et de leurs précautions tumultueu-
ses la banque sera assiégée par les porteurs
de billets, avant même que l'Etat soit atta-
qué par les ennemis. C'est ce que nous
avons vu en France lors de la commotion
qu'éprouva la banque pendant la campagne
d'Austerlitz c'est ce que nous avons vu en
Angleterre et l'on pourrait soupçonnerque
ce ministère habile, redoutant une invasion
possible, on une insurrection probable,
ferma la banque par prudence plutôt
que par nécessité et qu'il suspendit ou
cessa le change des billets pour ne
pas tenter l'ennemi du dedans ou du
dehors par un si grand dépôt présumé
d'argent.
Le crédit public qui convient à la France,
est, avant tout, la considération publique,
dont elle avait toujours joui en Europe, et
qui ne s'est affaiblie que depuis qu'elle a
couru après le crédit de l'argent; c'est de
l'estime des gens de bien, c'est de l'affec-
tion des peuples dont le gouvernement doit que les gens de bien avaient mis dans sa
nrr
OEUVRES n_
v DE BONALD. sn
COMPL. DE M< il. 34
d trop profondes racines. Mais la France
sagesse et son courage, elle répondrait par de
ce qu'elle a fait, et surtout par ce qu'elle a aime
a dans son gouvernement la grandeur et
proposé de faire. On a quelquefois repro- 1 force le despotisme de Bonaparte, qui
la
ché à ses propositions trop de vivacité et r pu la subjuguer qu'en accablant le
n'a
(l'empressement. On a oublié que ce qui monde,
u l'avait étonnée dé ses mesures gi-
est réflexion chez les autres peuples, est gantesques,
g de ses prodigieux succès, et
sentiment chez les Français; que le bien elle
e est restée muette de surprise et presque
comme le mal ne se fait en France que par d'admiration
d devant l'insensé qui avait re-
élan, et qu'on ne répare pas avec des tièdes culé
c les bornes de l'oppression et atteint le
le mal qui s'est fait par des enragés. La sublime
s de la tyrannie 1
France veut son roi, vous a dit un ministre Nous marcherons donc avec courage vers
à cette tribune, et il aurait pu ajouter Elle 1, but que la France nous indique, et que
Je
veut sa religion,lasubsistance de ses minis- nous
v, nous sommes proposé, la destruction
tres, la sainteté des mariages, la puissance des
c doctrines révolutionnaires, le rétablisse-
paternelle, une éducation morale et reli- ment
i de la religion, la sûreté du trône, le
gieuse elle veut la justice, et bien plus bonheur
1 de la nation, le bon ordre dans les
dans la récompense que dans le châtiment, f
familles. En affermissant la race légitime de
Elle veut tout ce qui est juste et bon, et que rnos rois contre les principes et les hom-
nous avons proposé. Elle le veut, parce que imes qui l'ont renversée, nous affermissons
si chacun veut pour soi la licence, tous veu- een même temps toutes les races
légitimes
lent l'ordre. C'est ainsi qu'il faut voir la desc rois, branches du même tronc, qui pro-
France et la société. La révolution, décré- tégent
t de leur ombre salutaire les diverses
ditée et presque ridicule, qui n'a plus pour ffamilies de la grande monarchie européen-
elle ni les systèmes des beaux esprits, ni i dont la religion chrétienne est l'auguste
ne,
l'enthousiasme des sots, ni Ja puissance des « suprême législateur. Nous
et acquitterons
armes, pas même le charme de la nou- ainsi
c la dette de la reconnaissance envers
veauté la révolution, faible comme tout ce nos
i illustres alliés, nous couronnerons leur
qui est absurde et violent, et dont tout le ouvrage,
c en défendant par des lois cette
monde voudrait sortir, et surtout ceux qui royauté
r chérie, qu'ils ont deux fois rétablie
l'ont faite, la révolution est finie, et n'a de par
{ leurs armes ils applaudiront à nos ef-
force que celle qu'on lui suppose, ni d'ap- forts
f et déjà leur suffrage s'est fait enten-
pui que celui qu'on hésiterait à lui retirer, dre,
( et du haut du trône de Russie, dans
Une impulsionirrésistible entraîne la France cces proclamations qui seront une ère de la
vers un meilleur avenir, et malheur à ceux civilisation,
( et au sein du parlement britan-
qui, à toutes les époques, ont tenté de re- nique,
i dans les discours mémorables de ses
tarder sa marche vers le bien ou vers le nobles
i ministres.
mal Que les institutions ne manquent pas Je vote pour le projet de la commission
aux hommes, et les hommes ne manqueront t me réservant de proposer quelques amen-
en
pas aux institutions; tout ce qui était bon, dements
( dans le cours de la délibération.
raisonnable, généreux, avait jeté en France
OPINION
SUR L'ARTICLE 1" DU TITRE XI DU PROJET DE LOI DE FINANCES.
Chambre des Députés, séance du 4 mars 1817.
quelques articles du budget plutôt en finan- Celle-ci peut lui apprendre, en effet, que
ciers qu'en hommes d'Etat, et cependant lai tout,
1 dans les finances, dépenses et moyens
finance, tout orgueilleuse qu'elle est de sess d'y
( pourvoir, est subordonné dans chaque
théories sur lesquelles, au reste, les hom- Etat
] à la nature de l'Etat lui-même, et que
^39 PAKT. 11. POLITIQUE. SJIR LA LOI CE F.NAINCtiS, 1817. l(>70
selon
selon qu'il est continental ou insulaire, agri- pour
nour la France qu'une
an'une ressource aans
(Lins le
le,
cole ou commerçant, monarchique ou ré- malheur;
que la France, en un mot, comme
publicain, et par conséquent constitué pour un propriétaire obéré, ne pouvait, ne devait
la paix ou pour la guerre, pour la défanse emprunter que pour payer ses dettes et li-
oii pour l'agression le système de ses fi- bérer ses biens; et que l'Angleterre, comme
nances doit être différent, et qu'on tenterait tout négociant accrédité, empruntait pour
vainement d'introduire chez l'un le Système faire de nouvelles entreprises et grossir ses
qui convient à l'autre, puisqu'il faudrait, capitaux.
pour le faire réussit-, changer des "choses qui Et c'est ici, Méààeurs, que se présente
ne changent pas, et réformer même la na- d'elle-même l'application de ce que j'ai eu
ture. l'honneur de vous dire sur la différence de
Ces réflexions s'appliquent à la question situation politique des deux Etats.
du crédit. J'avais, l'année dernière, pré- L'Angleterre, insulaire, commerçante, ca-
senté sur cette importante matière une opi- pitaliste, et depuis longtemps sous l'm-
Uion qui attira l'attention de ceux qui iluence de l'élément démocratique de sa
pouvaient ne pas la partager; je fis remar- constitution, est et doit être, sous tous ces
quer que le crédit public, ou, en d'autres rapports, dans un état habituellement entre-
termes, la facilité des emprunts, se compose prenant, si ce n'est un état hostile; et si
de la surabondance des capitaux et de l'in- l'Europe a eu quelquefois s'en plaindre,
suffisance comparée du sol vénal; qu'ainsi combien la guerre opiniâtre faite à l'ennemi
partout où des capitaux depuis longtemps commun a-t-elle noblementabsous le peuple
accumulés par le commerce, et continuelle- anglais de ce malheur, ou de ce tort de sa
ment accrus, avaient à peu près atteint le position 1 Quelles que soient la modération
terme des besoins de l'agriculture et de l'in- de son gouvernement et les vertus privées
dustrie, s'il y avait peu de terres à vendre, de ses citoyens, sa spéculation constante ast
les capitaux se portaient d'eux-mêmes vers la guerre, et elle la fait à peu près conti-
les fonds publics. J'appliquais ce raisonne- nuellement sur quelque point du globe.
ment à l'Angleterre, riche de capitaux, pau- Rome en Asie et Carthage en Europe, l'An-
vre de sol vénal par plusieurs raisons natu- gléterre conquiert dans l'une et commerce
relles et politiques, et j'y montrais la source dans l'autre elle commerce pour conquérir,
de l'extrême facilité de ses emprunts et de elle conquiert pour commercer; elle combat
la solidité d'un crédit forcé en quelque sorte, là où elle ne commerce pas, elle commerce
et indépendant même de la fidélité du gou- là où elie n'a pas à combattre son commerce
vernement à ses engagements. J'appliquais même est armé; il fait la guerre à ses frais
ce même raisonnement à Paris, qui est au et pour son compte, et il a sur la force xai-r
reste de laFrance ce que l'Angleterre est aux litaire de l'Etat un crédit toujours ouvert;
Etats du continent, riche aussi de capitaux car le commerce, dont les politiques beaux
et, à proprement parler, sans terres cultiva- esprits font le lien universel des sociétés,
bles. Je l'appliquais à la Hollande, à Gênes, rapproche les hommes, mais divise les peu-
à Venise, à Genève, et je faisais voir que ces ples, et un traité de paix entre dix nations
villes ou ces Etats, des plus petits de l'Eu- belligérantes est bien moins difficile à con-
rope, avaient eu un véritable crédit par la clure qu'un traité de commerce entre deux
mémé raison de surabondance de capitaux commerçants.
et d'exiguïté de territoire; et la raison na- L'Angleterre, dans ses guerres toutes ma-
turelle de cet effet général est que l'argent, ritimes, couvre donc à la fois les mers des
toujours et partout, cherche naturellement vaisseaux de l'Etat et de ceux des'particu-
la terre, dont la culture est la première des- liers qui arment en course et les circons-
tination de l'homme, le plus sûr fondement tances particulières où se trouvent les enne-
de la stabilité et de l'indépendance de la fa- mis qu'elle a ordinairement à combattre, et
mille, la première richesse de la société. elle-même, font que l'Etat et le particulier
J'en tirais cette conclusion, que la France, gagnent toujours à la guerre l'un ou l'autre,
grand propriétaire, ne pouvait faire du cré- et souvent l'un et l'autre à la fois. Elle peut,
dit le même usage que l'Angleterre, riche elle doit donc emprunter, sûre de tirer de ses
négociant, ni même avoir un crédit de même entreprises un bénéfice supérieur aux taux
nature; que ce qui était pour l'Angleterre des intérêts qu'elle paye et comme la na-
un moyen de prospérité, ne pouvait être tion tout entière est intéressée dans l'entre-
1071 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1072
12
( 1 ) Notre ancienne législation se sert toujours du mol biens, et jamais de celui de propriétés
1083 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 10SJ
maine royal, qui formait son patrimoine trop bizarre pour n'être pas une combinai-
lui a donc été rendu, et il n'est devenu do- 1 son hostile
'1 et1dont l'inconséquence
Il- 1 même an-
maine de l'Etat que comme gage d'hypothè- nonce un motif secret, ne peut en avoir d'au-
que de la pension en argent ou liste civile tre que la crainte de la religion,qui toujours dé-
qui le remplace. génère en haine; et vous pouvez remarquer,
Messieurs,que la mesure proposée concourt,
Ainsi, j'ose soutenir en publiciste que la et avec le ton de mépris pour ses ministres,
disposition de la Charte qui fixe à la famille dont quelques discours prononcés à cette
royale un traitement en argent, sous le nom tribune ont fourni l'exemple, et avec cette
de liste civile, impose à la nation l'obligation affectation de réimprimer avec profusion lis
à la fois civile, politique et respectueuse de ouvrages trop célèbres de ses plus fougueux
garder en ses mains les forêts comme une ennemis. La révolution qui a gagné par les
valeur en dépôt, sûreté pour la nation, puis- conseils ce qu'elle a perdu par les armes, ne
qu'elle est une sûreté pour la famille qui la veut pas lâcher sa proie, et elle ne peut
gouverne, et dont l'existence indépendante pardonner à la religion le mal qu'elle lui a
est le premier intérêt public; valeur réelle, fait.
gage impérissable dont la conservation im-
porte à la fois au créancier et au débiteur. C'est là, n'en doutez pas, le levier qui sou-
Ainsi nous ne pouvons pas engager à des lève l'Europe, à l'insu de beaucoup de ceux
créanciers particuliers ce qui a été engagé à même qui y ont la main. Certes, je rends
la nation par un créancier public, le pre- grâces à mon siècle de m'avoir donné cette
mier et le plus ancien de tous; et il ne me nouvelle preuve de la vérité du christianisme,
serait pas difficile de prouver que, pour cette car il est certain philosophiquement qu'il
raison, véritablement de droit public, des n'est pas possible à l'homme de haïr autant ce
ventes, s'il en eût été fait du domaine royal qui ne serait qu'une erreur, et le néant no
depuis la Charte et l'établissement de la liste peut être l'objet d'un sentiment aussi fort
civile, auraient été illégales; et n'est-il pas Cependant on sent la nécessité de ne pas
indécent que le plus petit Etat d'Allemagne trop tôt démasquer ses batteries et de trom-
et le plus petit prince aient à l'avenir plus per la conscience des rois et des peuples;
de forêts et de domaines aue la France et ainsi on donne des biens à la religion, ou
son roi t une pension sur des biens qui ne lui ont
jamais appartenu; mais on la dépouille de
Les biens de la religion n'ont pas sans ses propres domaines, on l'exproprie à l'ins-
doute une origine moins respectable ni une tant qu'on l'enrichit. Ces biens nouveaux,
destination moins utile; la Charte ne lui dé- si même ils lui sont donnés, lui seront re-
fend pas de posséder, et vous l'avez reconnu demandés un jour, gage nouveau d'une
vous-mêmes lorsque vous lui avez permis nouvelle opération de finance. Donné comme
d'acquérir. Pourquoi donc ne pas lui rendre une aumône, reçu comme une faveur, le don
ce qu'elle a possédé et qui n'a pas été vendn? pourra être retiré par la main qui le départ;
Où seraient la raison, le motif, la conve- et l'on no pourrait même étendre aujour-
nance, le prétexte même de la dépouiller de d'hui, à ce don fait à la religion, l'irrévoca-
ce que vous ne lui avez pas donné, de ce que bilité décrétée pour la vente des biens qui
l'Etat ne lui a pas donné, mais de ce que lui lui ont appartenu car remarquez que si
ont donné les familles à qui seules appar- vous ne trouvez pas dans la Charte l'inalié-
tient sur la terre la propriété du sol cultivé nabilité des biens invendus, vous ne pouvez
et la faculté d'en disposer? Par quelle rai- pas y placer l'irrévocabilitédu don que vous
son de justice ou de décence la religion voulez faire.
seule est-elle hors la loi qui abolit à jamais
la confiscation? Et comment expliquer que Ainsi on permet aux familles de doter les
les propriétés de la religion nous paraissent établissements publics de religion, de cha-
moins sacrées que celles des hommes que rité, et déjà s'établit au conseil d'Etat une
nulles les in-
nous avons bannis? 11 est vrai qu'en la dé- jurisprudence qui peut rendre
pouillant de ses antiques propriétés, on tentions des bienfaiteurs, en ne permettant
dans l'acte de
propose de lui assigner un revenu égal sur pas aux donateurs d'insérer
des biens don-
une partie des forêts du domaine royal, dont donation la clause de retour
il ne paraît pas, au reste, qu'on veuille, lui nés, au cas que l'objet pour lequel ils don
rendre l'administration. Cette disposition nent ne puisse pas être rempli; et je peux
en mettre sous vos yeux la preuve authen- ne peuvent donner aux peuples accablés de
tique (1 ). fléaux sans nombre, que les conseils de la
Je le demande d'un côté cette obstina- résignation, ils ne craignent pas de tarir
tion à retenir les biens de la religion, de la source des plus puissantes consolations,
l'autre ces difficultés faites à ceux qui vou- en traitant la religion comme une alliée
draient lui donner, sont-elles bien propres qu'ils redoutent, ou un ennemi qu'il faut
à rassurer les donateurs et nous-mêmes sur ménager; et qu'on ne voie pas que cette
les dispositions bienveillantes qu'on nous religion, que repoussent les passions des
annonce? individus, et, qu'appellent tous les besoins
Et qu'on remarque la différence du ter- de la société, sera rendue au peuple, et s'il
le faut, par des calamités, et lui sera rendue
rain sur lequel sont placés les partisans du
projet de la commission et ses adversaires. sans nous, malgré nous, et peut-être contre
Si l'on avait mis les frais entiers du culte
nous que lorsqu'une nation voisine nous
dénonce, par l'organe de ses représentants,
et de la subsistance de ses ministres à la
charge du trésor public, nous n'aurions vu cette conspiration qui menace chez elle la
dans cette mesure qu'une conséquence de religion et la propriété qu'elle a renversées
chez nous; nous répondions à cette grande
ces systèmes impolitiques et irréligieux qui leçon en vendant la propriété de la religion,
mettent les ministres de la religion aux
et la remplaçant par un don précaire fait à
gages des peuples, pour mettre la religion
elle-même aux ordres et à la merci des gou- ses ministres c'est en vérité une conduite
si étrange, un tel renversement de raison et
vernements, et le danger de la rendre oné- de politique, que les hommes, même les
reuse pour la rendre odieuse, et de l'avilir plus disposés à juger favorablementles actes
pour la détruire. de l'autorité, ne peuvent s'empêcher d'y
Mais qu'on la dépouille des biens dont dix soupçonner de secrets motifs et une profonde
.'iècles de possession avaient consacré la combinaison. `
propriété, pour lui en donner d'autres qui Le système dés adversaires du projet de
ne lui ont jamais appartenu; qu'on la rende là commission est, ce me semble, plus sim-
complice de la spoliation de l'Etat, à l'ins- ple et moins tortueux. Ils ne demandent
tant qu'elle est forcée de gémir sur sa pro- pour la religion que les biens qui lui res-
pre spoliation, et qu'ainsi, en la faisant pro- tent, ni plus, ni moins; ils ne les demandent
priétaire, on lui ôte le caractère le plus pas pour enrichir les prêtres, à qui l'on a
sacré et le plus auguste de la propriété, reproché leur opulence, plaintes de si bon
l'antiquité de possession qu'on ne veuille goût de la part de millionnaires; mais pour
pas lui rendre ce que les familles lui ontt doter la religion elle-même, pour la consti-
donné, à l'instant qu'on leur permet de lui tuer indépendante des temps et des hom-
donner encore; que, lorsqu'on devrait re- mes, pour inviter, par cet exemple, les fa-
garder comme une faveur du Ciel, que quel- milles à réparer -envers elle le tort des
ques biens aient échappé à la dévastationl événements: pour effacerde ce front auguste
générale, on ne sente pas la nécessité des le signe honteux pour elle, de salariée, et
raffermir par un grand exemple de justice la marquer du sceau le plus respectable
et de piété, la morale publique, la religion, chez une nation de propriétaires, du sceau
la société même, ébranlées dans leurs der- de la propriété pour l'intéresser, si on peut
nieis fondements; que le terrible exemplei le dire, par son intérêt propre, à recomman-
des malheurs qu'ont attirés sur la propriétéi der aux peuples le respect du bien d'autrui,
privée, les violentes mesures de l'assemblées sans lequel il n'y a point de société, surtout
constituante contre la propriété publique, chez un peuple agricole, dont les produits,
soit perdu pour la génération qui l'a donné; nuit et jour exposés à tous les yeux et à
que dans un temos où les gouvernements> toutes les mains, ne oeuvent être défendus
( 1 ) Par acte du 22 mai 1815, reçu par Rondeau- ponse au maire de Neuvy, du 8 octobre '816, lui
Martinière, notaire à Neuvy, département d'Indre- transmet les observations du ministre de l'intérieur,
et-Loire Mme Eugène de Montnorency-Lavalt en date du 4 du même mois, par lesquelles ce mi-
donne au bureau de bienfaisance deNeiivy la som- nistre invite la donatrice à faire disparaître entière
me de 4,000 livres, sous la condition que si, contree ment cette clause de retour, qui seule empêcherait les
son attente. son intention était déiournée par quelquess pauvres de Neui'y-te-Roi de jouir du bienfait de celtt,
f«s prévus ou imprévus, ta présente donation demeu- dame, si elle persistait, etc.
teruit nulle et de nul eflit. Le préfet, dans sa- ré-
1087 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALN, 1088
que par la religion, qui, pour prévenir l'at- que
que nous avons entendues au commence-
tentât,
tentat, interdit même le désir. ment de nos troubles, et qui ont eu une si
Et cependant cette dotation que l'on ôte à terrible influence sur le sort de la religion
la religion, on la donne à la caisse d'amor- et sur le nôtre. L'assemblée constituante a
tissement; on constitue la religion de la commencé avec autant de vertus que nous,
banque au préjudice de la religion de l'Etat; avec plus de talent peut-être, et voyez où r
et c'est dans l'aveuglement général de l'Eu- l'ont conduite ces maximes irréligieuses,
rope ce qu'on appelle, ce qu'on croit peut- qui toujours se lient aux révolutions poli-
être de la politique 1 tiques et vous en avez aujourd'hui même
Et voyez, Messieurs, où vous conduit ce la preuve dans les rapports des commissions
mépris de la justice qui veut qu'on rende à des chambres d'Angleterre sur la conspira
chacun ce qui lui appartient, et au public tion récente qui y a éclaté, et qui, dans toute
comme au particulier; il vous conduit à l'Europe, et par des moyens divers, selon
exercer sur vos collègues un genre d'op- les temps et les lieux, veut, suivant l'ex-
pression que l'usurpateur lui-même nous pression d'un noble ministre, l'athéisme
avait épargné; que jamais au temps de leur pour religion, et l'anarchie pour gouverne-
triomphe vos collègues n'ont eu à se repro- ment.
cher et s'ils ont pu contredire des opinions
politiques, jamais ils n'ont inquiété des sen- Nous ne voyons plus, il est vrai, sur la
timents religieux. scène les mêmes hommes, mais nous y en-
Oui, Messieurs, puisque le malheur des tendons les mêmes principes. Les principes
temps nous réduit à réclamer pour les sec- sont tout, les hommes rien; et une fois lan-
tateurs de la religion de l'Etat, cette tolé- cés dans la société, les principes bons ou
rance d'opinions que la Charte accorde à mauvais entraînent les hommes bien au delà
toutes les religions; si, comme citoyens, de leurs intentions, de leur caractère, de
nous avons été accoutumés à regarder les leurs vertus et même de leurs vices.
biens de la religion comme aussi légitimes Nous ne consentirons donc jamais à dé-
que nos propres biens; comme Catholiques, pouiller la religion du peu qui lui reste de
nous avons été accoutumés à les regarder biens, sous le prétexte d-e lui en rendre
comme bien plus sacrés, parce qu'ils avaient d'autres, qu'elle aurait perdu, par son ac-
une destination plus générale et plus utile; ceptation même, tout droit de retenir et
et je dis hautement, si, lors de la première tout moyen de défendre; nous n'arracherons
confiscation des biens, j'avais eu à prononcer pas à notre mère commune le dernier vête-
entre le sacrifice des biens publics et celui ment qui couvre sa nudité; et serions-nous
des biens privés, je n'aurais pas balancé. donc réduits à apprendre à des Chrétiens
Nous avons été accoutumés à regarder les quel était le respect des païens pour les
dons faits à un des corps religieux, nom- choses consacrées à leurs dieux, et que les
breux enfants de la religion comme des mahométans eux-mêmes n'appliquent ja-
dons faits à leur mère; et l'assemblée mais à un usage profane une mosquée, mê-
constituante en jugea ainsi, lorsqu'en sup- me abandonnée et en ruines?
primant les corps réguliers, elle assigna, Vous donc qui vous croyez un esprit si
pour les frais du culte et l'entretien du seul fort et une conscience si éclairée, respectez
scorps séculier qu'elle conservait, une somme la faiblesse de vos frères; c'est à la fois un
"égale au produit de tous les biens-fonds précepte de religion et un devoir de la vie
ecclésiastiques. Respectez donc nos répu- civile. N'imitez pas ceux qui, ne croyant pas
.gnanees comme nous aurions respecté les parce qu'il ne savent pas, appellent toute
vôtres. Nous ne pouvons voir dans le don conviction de la vérité, fanatisme, et tout
fait à la religion, en même temps qu'on la zèle pour le bien, exagération. Songez que,
.dépouille de ses antiques propriétés, qu'un si les inspirations de la conscience peuvent
moyen de changer son titre de possession être dangereuses, lorsqu'elles déterminent
«t d'affaiblir ainsi sa juste et légitime indé- l'homme à agir, elles sont toujours respec-
pendance, sans laquelle il n'y a point d'au- tables,
| ne fussent-elles que des illusions,
iorité, comme sans propriété il n'y a point ]lorsqu'elles ne le portent qu'à s'abstenir.
.>
ravis à la famille, et nous l'avons fait sans
murmurer. i™
demande impérieusement la conservation
d'une
ri'iinp propriété
nrnnriiVtii dont
rlnnt la
1s perte niicci irré-
oet aussi
nert» est
Fugitifs nous-mêmes, et dépouillés pour parable que l'utilité en est démontrée, d'une
irr<S_
la cause de nos rois légitimes, nous avons propriété dont la vente est un déshonneur
accordé, sur les biens qui nous restent, des pour une nation qui ne peut- jamais être-
secours en faveur d'Espagnols et même réduite à la honte de faire cession de biens à
d'Arabes fugitifs pour la cause d'un usur- ses créanciers, pour payer des dettes cons-
pateur. tituées, et dont le capital n'est pas exigible;
N'exigez pas davantage de vos collègues. 3° Comme contraire à la morale, en ébran-
Craignez, en dépouillant sans motif et même lant le principe de toute société et même de
sans prétexte la religion du reste de ces toute civilisation, le principe sacré du droit
biens que la piété de vos pères lui avait de propriété.
donnés^ et qui ont été, pour elle et pour ses Je repousse enfin la vente des forêts com-
ministres, la cause de tant de persécutions me une mesure inutile et fausse, même en
et de tant d'outrages craignez que la pos- finance, puisqu'elle n'est pas nécessaire t;
térité, qui bientôt commencera pour vous l'emprunt, qui certes est assez onéreux sans
comme elle a commencé pour l'assemblée cela, et qu'elle n'est point entrée dans ses
constituante, franchissant le court intervalle conditions; enfin, et surtoutparce qu'elle
qui vous sépare de cette première époque n'est pas du tout nécessaire à la caisse d'a-
de nos désordres, ne vous confonde avec les mortissement, qui, sans cette augmentation
premiers spoliateurs de la religion; ne four- de dotation, opérera aussi sûrement, quoi-
nissez pas à l'histoire de nos erreurs une que avec plus de lenteur, jusqu'au ierme
date de plus vous surtout qui allez quitter qui arrivera infaillihlement, où la dette sera
cette assemblée et retourner à la vie privée, éteinte et les bois conservés.
n'y rentrez pas avec un remords; laissez les Oui, Messieurs, vous aurez éteint votre
législateurs qui nous succéderont dissiper, dette et conservé vos forêts trente, qua-
s'ils veulent, la fortune publique; et pour rante ans ne sont rien dans la durée d'une
l'intérêt de vos enfants, si ce n'est poui- lé société et quel est le père de famille, quel
vôtre, prenez soin de votre mémoire. est celui d'entre vous qui, libre de payer,
Si le sacrifice est consommé, comme on quand il voudrait et comme il voudrait, des
nous l'a dit, ne poursuivons pas un reste de dettes à constitution de rente et à une infi-
vie dans les entrailles de la victime nous y nité de parties, pouvant en acquitter les in-
pourrions trouver de sinistres présages. térêts sans réduire la dépense nécessaire de
J'accepte donc l'emprunt comme néces- sa maison, préférerait pour se libérer quei-
saire, réduit cependant aux seuls. besoins ques années plus tôt, vendre, et encore à
de l'année 1811, et je repousse l'idée d'un vil prix, le patrimoine de ses enfants, un
système de crédit public comme moyen patrimoine même substitué? et croiriez-
constant et régulier de prospérité. vous remplir votre serment et agir en bons.
J'accepte le payement de l'arriéré; mais et loyaux députés, en conduisant les affai-
en demandant les formes les plus sévères de res de l'Etat sur des principes d'adminis-
liquidation et la fixation la plus prompte du tration, qui vous feraient interdire comme
montant de cette partie de la dette; et jus- prodigues, si vous les suiviez dans la con-
qu'à ce qu'elle soit fixée et connue, j'ajourne duite de vos affaires domestiques?
la proposition de rendre négociables les re- Connaissez votre position, Messieurs, ou
connaissances de liquidation. daignez écouter ceux qui la connaissent.
J'accepte ta caisse d'amortissement, mais Tout ce qui a été vendu de biens publics
avec sa dotation actuelle, ou tout au plus depuis le retour du roi, a été vendu à vil.
augmentée des revenus des bois du domaine prix tout ce que vous mettrez e-n vente
royal.. sera donné, et les plus belles propriétés de-
Je repousse toute proposition de vente la nation seront échangées contre les plus.
des biens publics, 1. comme interdite par la vils papiers qui puissent traîner sur la place.
Charte qui abolit toute confiscation, et qui, Des hommes dont rien ne saurait assouvir
en déclarant Pirrévocabililé des biens ven-.Ja cupidité ni désarmer les haines, fondent
dus, consacre par cela même l'inaliénabilité déjà sur la vente de nos forêts, l'accroisse-
des biens invendus; ment de leur fortune particulière et la ruine
2° Comme contraire- à la politique, qui de la fortune publique. Aujourd'hui qu'il
n'y a plus pn France de particulier assez voyés pour favoriser île honteuses et coupa-
opulent pour solder le désordre, c'est dans bles spéculations. Lfts députés à la session
l'Etat lui-même qu'on cherche des ressour- de 1815 ont eu J'honneur de sauver les
ces pour troubler l'Etat; le prix de ces fo- biens des communes et ceux de la reli-
rêts sera employé, contre le vœu et l'espoir gion. Une plus grande gloire vous est ré-
de ceux qui en proposent la vente, à trou- servée, et les députés de 1816 sauve-
bler la France; et si ces chênes que vous ront les biens de la retigion et ceux de la
voulez abattre, semblables à ceux de Do- royauté.
done, rendaient des oracles, ils vous prédi- Je vote contre l'aliénation d'aucune partie
raient des malheurs. des domaines publics, et l'affectation d'au-
Mais, Messieurs, la nation a conçu do vous cune partie de leur capital à la dotation de
d'autres espérances elle ne vous a pas en- la caisse d'amortissement ( 1 ).
( 1 ) On s'est refusé à l'évidence de deux raisons créanciers de l'Etat: rien de plus vrai mais est-
contre l'affectation des forêts à la caisse d'amortis- ce des créanciers de 1815, ou des créanciers de
sement et leur aliénation. tous les temps? L'Etat, débiteur perpétuel, parce
l4 Une caisse d'amortissement, n'opérât- elle qu'il a des besoins perpétuels, doit offrir à ses
qu'avec 10 millions sur 10 milliards, éteindrait la créanciers un gage perpétuel aussi les biens de
dette dans un temps donné. La nôtre, opérant avec l'Etat ont été le gage des créanciers de François I"
40 ou 50 millions, sur une dette de 12 ou 1,500 mil- et de ses prédécesseurs; ils sont encore le gage
lions, l'avalerait, si je peux ainsi parler; et au bout de ceux de Louis XVIII. Quel gage restera-t-il pour
d'un temps bien court dans la durée de la société, les créanciers des temps à venir ? et quel droit
la dette serait éteinte, et les forêts de l'Etat auraient ont les créanciers du moment actuel à s'appro-
été conservées. prier à eux seuls le gage des créanciers de tous les
1° On dit que les forêts de l'Etat sont le gage des temps?
OPINION
SUR LÉ PROJET DE LOI DE FINANCES DE 1818.
(Chambre des Députés, séance du 4 avril 1818.)
lesnorte.
prits, et les porte,
PART. II. POLITIQUE.
plus profonde et plus générale agite les
à leur insu. vArsia
insu,
es-
vers le chan-
nhnn-•
-tj~,
SUR LA LOI DR FINANCES, 1817
mations peut et doit s'accroître ou plutôt
matfons
cMi^,wà mesure que la populationraug-
s'étendre,
«Ml
'lV;1'
gement d'un système d'impositions qui n'est mente, et que cent familles qui se parta-
plus en harmonie avec notre système de gent, par exemple, cent mille livres de
propriété imposable et c'est, Messieurs,
revenu, consomment davantage qu'une fa-
cette raison décisive, déterminante, prise mille qui est seule à les posséder.
dans la nature même des choses, qui exige Or en appliquant à tout un Etat
impérieusement et plus impérieusement comme
la France, le raisonnement
d'année en année, la conversion de tout que nous avons
fait sur une partie infiniment petite de son
ou partie de l'impôt foncier en impôts sur territoire, il paraîtra certain que la proprié-
les consommations. té y étant très-divisée et se divisant tous les
Et pour ne pas laisser, Messieurs, jours de plus en plus, et la population
esprits plus longtemps en suspens surla vos sidérablement accrue, il devient indispensa-
con-
pro-
position que je viens développer, j'ose ble de modérer l'impôt foncier; et puisqu'il
avan-
cer, comme un axiome de science fiscale, faut des impôts, il est nécessaire de
que plus dans un pays les propriétés sont compen-
ser la diminution de l'impôt territorial par
divisées ou tendent à se diviser moins
on une extension de l'impôt indirect.
peut établir d'impôt foncier; que plus il y a Et il ne faut pas opposer
de population, ou de consommateurs, plus que les grands
propriétaires fonciers profiteront outre
on peut étendre d'impôt sur les consom- me-
sure du bénéfice de ce nouveau système,
mations.. parce qu'il ne faut chercher la raison
Or tel est l'état actuel de la France d'un système général que dans
1° que le territoire cultivable une généra-
y est extrême- lité absolue de motifs et d'effets, et il suffit
ment divisé, et tend tous les jours à se ici i de considérer le petit nombre de grands
diviser davantage 2° que la population
y 1propriétaires qui jouiraient de la diminution
est considérable et s'accroît tous lesjours de l'impôt foncier, comparé
dans une progression sensible
(
avec le
bre
1 immense des petits propriétairesnom- qui
Ainsi, ce n'est pas sur l'étendue d'un Etat souffrent de Ttxcès de
agricole, considéré en général, ni même sur
£ ce même impôt.
Et cependant, môme dans cette inégalité
la fertilité de son sol, qu'il faut déterminer iinévitable,
rien ne serait perdu pour l'Etat,
la quotité de l'impôt foncier, mais
sur la puisque
j tout ce que l'impôt foncier plus
distribution de son territoire et sa division modéré laisserait aux grands propriétaires,
plus ou moins
i
en de parties. s convertirait ou en jouissances person-
Ainsi, pour en donner un exemple, si l'on se nelles
n ou en travaux d'améliorations, et
suppose une partie de. territoire de 100 augmenterait
a ainsi leurs propres consomma-
mille livres de revenu imposable, il est titions
et celle des ouvriers à qui ils donne-
évident qu'on pourra la soumettre à
une raient
r du travail, et par conséquent plus
quotité plus ou moins forte d'impôt foncier, d'aisance.
d
selon qu'elle sera possédée par un seul Le système d'un impôt foncier considéra-
propriétaire, ou par dix, par vingt,
par ble
b était raisonnable et nécessaire lorsque
la
cinquante, par cent et qu'elle ne
pour- France
F était divisée en grandes propriétés
rait supporter presqù'aucun impôt foncier, qui le
payaient sous le nom de (aille, de
peut-être même aucun genre d'impôt, si elle qvingtième,
v. de décimes, etc.; mais il devient
était possédée par un nombre assez
con- u véritable contre-sens lorsqu'il s'applique
sidérable de familles pour qu'elles n'en un à une distribution toute différente de
retirassent, en la cultivant elles-mêmes, pro-
que priété.
pi
leur subsistance car cette subsistance n'est
11 est extrêmement remarquable
obtenue que par un travail
que l'on ne qu'une division multipliée et toujours que lors-
peut- soumettre à l'impôt, puisqu'il est lui- crois-
même le plus lourd de tous les impôts, a( sante
$, de propriétés territoriales, et un grand
et l'onéreuse redevance sous laquelle le accroissement de population, ont rendu né-
Créateur a inféodé à l'homme la terre où il cessaire
cE la conversion du système de contri-
l'a placé. bution
bi foncière en un système de droits
le consommations, ce soit alors qu'on sur
les ait
Mais en même temps que l'impôt foncier pris l'impôt
pi foncier pour première base du
doit diminuer à mesure que la propriété premier des droits publics, celui d'élire et
divise, on sent que l'impôt sur les consom- se pi
d'être élu, et lue la faculté de le consentir
d'
1ÛSS ŒUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. «0!!ii
annuellement soit meme môme ja la première et plus anciens cadra^lres dans les départfi-
départe-
nrpsnne l'nnintie
presque l'unique raison de l'existence desdes ments du Midi divisent fictivement le terri-
corps politiques; en sorte que le gouverne- toire d'une commune en feux, et poussant la
ment représentatif porte sur l'impôt foncier, métaphore jusqu'au bout, subdivisent le feu
comme sur un fondement que les institutions en Muettes. Les différents souverains de nos
et les mœurs, dont il est la cause ou l'occa- différentes provinces imposèrent donc les
sion, tendent sans cesse à affaiblir, et peu- feux, et selon que ces petits souverains
vent finir par détruire. étaient plus ou moins riches et puissants,
Il en résulte encore cette singulière con- ils imposèrent plus ou moins les feux. Dans
tradiction, que la monarchie pure, qu'on les pays de petite culture, la propriété s'était
croit exclusive de la liberté, en favorisant extrêmement divisée et se divisait chaque
la grande propriété, appelle naturellement jour davantage par l'inféodation, seul moyen
l'impôt foncier, celui qui gêne le moins la qui restât aux grands propriétaires pour ti-
liberté personnelle, et que le gouvernement rer quelque revenu de propriétés infertiles
représentatif, qu'on regarde comme le seul et d'une culture trop dispendieuse. Il y
gouvernement libre, en favorisant la division avait donc relativement plus de familles
de la propriété, conduit inévitablement à agricoles et propriétaires dans les pays pau-
l'impôt indirect; celui qui, par les inquisi- vres que dans les pays fertiles et à grande
tions, les déclarations, les visites, les amen- culture; et par conséquent plus de feux h
des, les armées même, nécessaires à sa per- imposer. Cette cause de surcharge agissait
ception,porte les plus rudes atteintes à cette simultanément avec les besoins des pauvres
même liberté. souverains de ces pays pauvres, et comme
Ce changement dans le système territorial ce qui est tient toujours à ce qui a été, une
de la France, système défiguré et mécorihu, fois que ces provinces furent réunies sous
sous le Hota de féodal, et sa conversion en une seule domination, les rois de France
système fiscal, a été longtemps inaperçu, et suivirent dans la répartition générale des
même impossible à plusieurs égards mais impositions à peu près les errements qu'ils
il a été brusquement opéré par la révolution, trouvaient établis dans chaque province.
et il est devenu extrêmement sensible. Ce- La taille qui succéda à cet ancien mode
pendant, ce changement avait commencé d'imposition par feux, ne changea rien à la
depuis longtemps,etavait puissamment favo- proportion qui en résultait; les cadastres
risé le luxe des arts, et le luxe des armées; qui, dans les xvi* et xvn* siècles, régulari-
deux genres de luxe qui accablent l'Europe, sèrent la taille, prirent la même proportion
et dont elle doit se hâter de sortir, sous peine pour base, et les matrices dé rôlequi ont
de compromettre l'existence môme de la remplacé l'imposition par cadastres ne s'en
société. sont pas éloignées, crainte de tout, boule-
La division des propriétés inégalement verser.
opérée dans les diverses provinces de la Ainsi, je le répète, quand la France n'é-
France y a même été une des causes des tait qu'agricole, les pays de petite culture et
grandes inégalités qu'on y remarque dans la de petites propriétés étaient proportionnel-
répartition de l'impôt foncier. lement plus peuplés que les pays de grandes
L'impôt foncier tel qu'il est aujourd'hui cultures et de grandes propriétés, et ils fu-
vient de la taille, comme la taille elle-même rent, pour cette raison, proportionnellement
remplaçait quelque autre genre d'imposition pius chargés d'impôt foncier, parce qu'on y
plus ancien, qui avait lui-même succédé à trouvait un plus grand nombre de feu-- à im-
une forme plus ancienne encore car on n'a poser. Le système manufacturier, plus tard
jamais pu supposer une société sans quelque introduit, a changé cette proportion et formé
contribution commune pour des besoins unepopulation plus nombreusedanslesdépar-
communs. tements à grandes propriétés et à grande cul-
Mais dans les temps reculés de la monar- ture mais les effets de la répartition pri-
chie où les méthodes d'arpentage et de clas- mitive de l'impôt foncier subsistent encore
sification des diverses qualités de terre n'é- et sont cause que les départements pauvres
taient ni usuelles ni même connues, on sont relativement plus chargés que les plus
n'imposait que les feux, c'est-à-dire la fa- riches. Voilà ce qui fait, par exemple, que
mille, parce qu'elle formait un tout matériel, l'Aveyrori, tout agricole, sans commerce «t
visible et facilement dénombré. Aussi nos sans manufactures, où quelques parties,
moins stériles que le reste, sont comme des d'en assigner le commencement, et cepen-
oasis dans les sables de l'Arabie, est, selon dant je ne peux m'empêcher de rappeler que
M. Poussielgues, le premier ou le second les mémoires du temps n'ont pas dédaigné
des départements surchargés; qu'il paye de remarquer comme chose inouïe, et signal,
21 centimes et demi par franc; tandis que le d'une détresse jusque-là inconnue, l'époque
fertile département du Nord n'en paye quel2 où commença dans la capitale le trafic des
et demi. Ainsi, quand notre honorable col- vieux habits, et qui concourut avec le chan-
lègue, M. de Brigode, avançait que beaucoup gement introduit dans le système territorial.
de communes de son département consenti- La progression de la misère privée et des
raient à payer le double de leur contribution charges publiques s'est fait sentir en Angle-
foncière pour être délivrées du logement des terrre dans la taxe légale des pauvres, deve-
gens de guerre étrangers; il demandait que nue si onéreuse pour les propriétaires, et
son département, un des plus riches de la dont nous n'avons peut-être été préservés
France, payât dans la même proportion que jusqu'ici que par la taxe volontaire que la
le plus pauvre. charité privée s'est imposée pour ajouter aux
Et si l'on pouvait, Messieurs douter de secours abondants, et certainement insuffi-
l'appauvrissement progressif des familles sants, que le gouvernement a donnés. Mais
propriétaires par le morcellement des pro- ces secours, pour être volontaires, ne grè-
priétés et l'excès de l'impôt, et de l'influence vent pas moins la propriété privée; ils me-
qu'il eue sur les finances de l'Etat on n'au- nacent même la fortune publique véritable
rait qu'à remarquer qu'à mesure que le gou- source d'esclavage politique, qui mettrait la
vernement a pris par l'impôt la partiela plus famille pour ses premiers besoins à la merci
disponible du revenu des familles proprié- de l'Etat. Mais il y a cette différence entre la
taires, il a été obligé de le leur rendre en France et l'Angleterre, qu'en Angleterre
fondations ou établissements gratuits d'édu- l'appauvrissement général vient plutôt de
cation et de charité, en pensions, en traite- l'excès du système manufacturier qui prédo-
ments, parce qu'il n'a pu se dispenser de mine, du moins en nombre de famille, sur le
prendre les charges en même temps que les système agricole; et qu'en France, où cette
bénéfices cause commence aussi à agir, l'appauvrisse-
Les premières fondations d'éducation, par sement vient plutôt de l'excès de l'impôt
exemple, ont dû naturellement être faites foncier sur un territoire trop morcelé.
pour les familles qui servaient l'Etat, comme Cette même progression d'appauvrisse-
dit Montesquieu, avec le capital de leurs ment général peut encore s'apercevoir dans
biens, et par conséquent avec le revenu, et à ces inventions économiques, de se nourrir,
qu.i des mœurs plus fortes que les lois in- de se chauffer, de s'éclairer, qui, chez les na-
terdisaient' de réparer leur fortune par des tions les plus opulentes et placées sur le sol
professions lucratives; mais successivement le plus fertile, représentent au naturel les
le besoin s'est étendu à d'autres familles, et réformes que fait dans ses dépenses de pre-
c'est bien plus par égalité d'indigence que mière nécessité une maison obérée le pain
par égalité politique, que le trésor public, deviendra en France un objet de luxe, les
devenu aujourd'hui un fonds commun, fait os pour faire du bouillon un objet de com-
donner gratuitement à un si grand nombre merce, la soupe à deux sous une munifi-
de jeunes gens l'éducation littéraire, qui est
cence publique, et l'on serait tenté de croire
une charge naturelle de la famille, qui est à la prédiction de Condorcet, dans son Es-
même le luxe d'une famille enrichie; car quisse sur les progrès de l'esprit humain,
l'Etat, dans le cours ordinaire des choses, «que les éléments se convertiront un jour
n'a pas plus le devoir de faire donner à ses en substances propres à notre usage.» Ces
frais l'éducation littéraire aux jeunes gens, inventions sont heureuses, sans doute, puis-
qu'ii n'a celui de marier à ses frais toutes qu'elles sont nécessaires; mais leur néces-
les filles. sité même est un malheur, et la société ne
Cette progression d'appauvrissement do- ressemble pas mal, sous.ce rapport, à une
mestique et de charges publiques est, si l'on ville assiégée depuis trois ans, et qui serait
veut, lente et presque insensible; mais elle réduite aux dernières extrémités,
n'en est que plus constante et même plus En même temps, le moraliste et lé poli-
accélérée lorsqu'elle approche du dernier tique peuvent apercevoird'autres symptômes
terme. 11 serait peut-être également difficile de détresse et dans des attentats à la prô-
1 xa
IL
1Ô99 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONÀLD. 1109
priété devenus plus communs, et dans cette les armées
lités de toute espèce, les armées même que
fureur d'émigration qui a saisi tout à coup nécessite l'impôt indirect, et auxquelleson se
des peuples qui vivent dans les contrées les soumet en Angleterre, répugnent encore à
plias fertiles et sous les gouvernements les l'indépendance naturelle du caractère fran-
«plu* paternels. çais. Sur cela, comme sur bien autre chose,
Enfin, ce sont encore des signes d'appau- nos anciennes habitudes lutteront longtemps
vrissement que les progrès de l'usure, la contre nos nouveaux usages; il était naturel
fureur du jeu, !e grand nombre d'enfants que l'impôt indirect fût payé avec plus de
exposés désordres qui ont leur source répugnance là où l'impôt foncier était très-
moins dans la corruption des hommes que. élevé mais la liberté et l'égalité finiront par
dans une secrè-te disposition des choses nous assujettir à leurs formes austères; nous
contre laquelle les lois positives sont trop laisserons, comme nos voisins, fouiller nos
souvent impuissantes, et qui appelle les ré- maisons et nos poches, et nous nous esti-
volutions comme remède à un mal déses- merons heureux sans doute d'avoir gagné
péré. en liberté politique ce que nous aurons
Il est vrai qu'à côté de cet appauvrisse- perdu en liberté personnelle, c'est-à-dire
ment trop réel des propriétaires, s'élèvent d'avoir acquis en faculté de consentir l'im-
des fortunes colossales à la faveur des opé- pôt, ce que nous aurons perdu en moyens
rations de finance, parce qu'on ne fait ja- de le payer.
mais de meilleures affaires qu'avec les gens Au reste, Messieurs, si l'on pouvait dou-
qui se ruinent. C'est un nouveau malheur, ter de l'extrême division des propriétés en
et peut-être plus grand que l'autre. Ces for- France et du malaise qu'elle jette dans la
tunes subites, nées des embarras de l'admi- société, il n'y aurait qu'à considérer le prix
nistration et faites d'un trait de plume, 'dé- qu'on attache aujourd'hui à la confection
couragent la patience du mérite, et tout y d'un cadastre général, même parcellaire, qui
•est pressé, et les moyens d'acquérir, et l'en- avait été primitivement fait beaucoup plus
vie de jouir, et trop souvent la fureur de pour les pays de petite culture où l'inféoda-
-dissiper. Ainsi le gouvernement se trouve tion avait morcelé les propriétés, lue pour
insensiblement placé entre une aristocratie les autres. Cependant nous ne craignons pas
•de capitalistes cosmopolites qui maîtrisent de faire des sacrifices énormes de temps et
ses opérations sans s'associer à son sort, d'argent pour atteindre un but qui semble
et une démocratie de pauvres qui épuisent tous les jours s'éloigner davantage car à
ses .ressources et menacent sa tranquillité. présent que les esprits, prévenus d'abord
Nous avons dit qu'à mesure que le nom- par l'exactitude des procédés géométriques
bre des consommateurs augmentait, le sys- nécessaires pour décrire la figure des ter-
tème des impôts sur les consommations pou- rains et en mesurer la contenance, ont vu,
vait et devait être étendu à un plus grand par expérience, combien était conjecturale,
jnombre d'objets. Mais il faut, pour que incertaine, variable et je crois impossible,
ce système soit productif, qu'il embrasse la classificationdes diverses qualités de terres
eomme en Angleterre, des objets à l'usage sur un sol aussi varié que la France et d'une
journalier du plus grand nombre. aussi grande étendue, il s'est élevé, en foule
Il ne faut pas même regarder, comme un des réclamations, des observations, des cri-
symptôme de prospérité territoriale la hausse tiques. De nouveaux plans ont été proposés,
des.fonds publics, pas même la plus grande sans qu'aucun ait pu résoudre le problème
valeur vénale des fonds ruraux car, de ces insoluble de la classification des terres. En
-deux effets, le premier prouve l'avilissement effet, il y a, dans le plus grand nombre des
de la propriété territoriale en général, et le terres, autant au moins de fertilité relative
second le morcellement des propriétés par- au travail, à l'industrie, aux capitaux de
ticulières les riches, alléchés par les hauts celui qui les cultive, que de fertilité absolue;
intérêts des fonds publics, et dégoûtés de et c'est cette dernière seule que l'expertise
propriétés dont ils ne sont que des fermierss peut évaluer. Nous faisons donc un cadastre
?po»r le compte du gouvernement, les ven- de peur d'oublier quelque parcelle de terre
dent en détail à de petits propriétaires dont. soumise à l'impôt, comme nous avons un
la concurrence en élève le prix. grand-livre pour ne pas omettre une seule
Il est vrai que les inquisitions, les prohi-: des rentes que nous devons payer; ce sont
èitions, les visites, les amendes, les forma- deux grands registres de recette et de dé-
1101 PART. »• POLITIQUE. -SUR LA LOI DE FINANCES, 1818.
ji\ uii Luiuû i<l].>iAJ.M,fcS, im
JI02
non? in7°US,f0nt
pense qui ne nous P8S
font P1US dches'ete*
pas plus riches, tions. En
lions. vérité ces
t En vérité,
ces incertitudes discrédite-
méthodiquement plus indigents. Mais
et
nous rendent seulement régulièrement ett ront rnnt l* w;mM si
la science “>“
r™ n'y prend
e; l'on « garde et
même/temps que le morcellement toujours eni de bons esprits en viendront à croire que
l'ordre et l'économie sont la seule règle qui
croissant rend le cadastre nécessaire, puisse guider dans ce labyrinthe, et qu'on
même morcellement tend à rendre le ce
se tourmente
dastre inutile en y jetant une mobilité, ca- tres principesen vain pour y chercher d'au-
variation et, par conséquent, une confusion une et pour faire une science de
ce qui n'est et ne peut être qu'un art dont la
continuelles, dans lesquelles on finit par
ne théorie est du bon sens, et la pratique, de la
plus reconnaître le premier travail,
en sorte probité
qu'on pourrait prédire que l'extrême divi- Je finirai par quelques réflexions sur le
sion des propriétés forcera le gouvernement crédit et l'économie.
à revenir à l'impôt en nature, seule forme Le crédit qui consiste à trouver de l'ar-
de contribution territoriale qui convienne à gent à
gros intérêts ne manque jamais aux
un territoire infiniment divisé, si même gouvernements puissants et obérés,
aucune forme de contribution de ce genre qu'aux particuliers riches qui ruinent, pas plus
peut lui convenir. se et
les prêteurs n'arrangent jamais mieux leurs
Et peut-être, s'il nous fallait un jour aban- affaires qu'avec les maisons
donner l'impôt foncier, serait-il, dès aujour- sont dérangées. dont les affaires
Ce crédit, loin d'être un
d'hui, d'une sage politique de l'abolir
en en signe de prospérité, est à la fois symptôme
vendant le rachat au propriétaire, comme
l'a fait en Angleterre nous y trouverions on et moyen de ruine; et si l'on en est réduit
au malheur d'en faire une ressource, il faut
d'abondantes ressources en finance, et peut- bien
se garder de l'erreur d'en faire un
être de grandes améliorations politiques. système
J'ai parlé du système de nos impositions, Mais il y a un autre crédit qui naît de la
et non du système de nos finances. Que dire, sécurité générale
effet, sur les événements, et qui
en sur une science dont les principes fait que chacun, en jouissant du présent,
sont si peu fixés, qu'on ne sait pas même croit à l'avenir. Ce crédit
est l'âme et le
encore comment en apprécier les résultats principe de toutes les combinaisons particu-
et dans quelle forme rendre les comptes? lières qui vivifient
Les hommes accoutumés à chercher un Etat et y produisent
au bout le travail, l'aisance et le bonheur. Sous l'in-
des chiffres des démonstrations rigoureuses fluence de
finissent par ne plus rien comprendre à ce crédit, Le commerce et l'indus-
trie font des avances et comptent sur des
disputes interminables, dans lesquelles ces les rentrées; ils entreprennent avec la certitude
contendants, tous armés de dialectique et morale de jouir; ils
d'arithmétique, combattent non pour relever poir d'achever, s'ils commencent avec l'es-
et courent les chances
ou défendre quelques inexactitudes échap- de leurs fautes personnelles et des accidents
pées à la préoccupation, mais pour décou- inséparables de l'humanité
vrir ou contester des erreurs de 10, de 20, nulle force humaine contre lesquels
de 50, de tOO, millions. On se rappelle la sont ne peut les assurer, ils
longue querelle de M. Necker et de M. de publics en repos du côté des événements
dont ils ne peuvent se garantir par
Calonne nous avons sous les yeux les leurs propres forces.
observations d'un de nos honorables collè- Nous avons beaucoup du premier crédit,
gues et les réponses qui lui ont été faites, et et trop, peut-être; mais
avons-nous
nous en recevons tous les jours de nou- du second? Et si les spéculateurs de assez
velles. J'ai vu des gens habiles frappés de l'Europe placent toute
leur argent dans le pays où
celles que nous a envoyées M. Molard
les erreurs du budget; et je n'ose pas de- •
sur il y a le plus haut intérêt à retirer, n'y a-t-il
pas partout aussi des gens sages qui placent
mander qu'on s'en occupe, de crainte
que la leurs fonds dans le pays où il y a plus de
matière ne s'embrouille davantage. Même
en tranquillité à espérer? Ces deux crédits ne
Angleterre, le système de l'amortissement
reposent pas sur les mêmes éléments et ne
été savamment attaqué; enfin, de deux hom-a s'établissent
pas par les mêmes moyens: et
mes connus par leur habileté dans les com- lorsqu'un de
binaisons financières, l'un reproche plan nos honorables collègues, qui
au a parlé avant moi, pense que certaines me-
de finance de l'autre, dans un Mémoire qui sures administratives ou législatives qui ont
vous a été distribué, une erreur de 800 mil- été prises ont puissamment
affermi le pre-
mier crédit,
crédit. je
le serai de son avis,
avis. à condition pouvoir
t vivre en servant l'Etat, et des re-
qu'il conviendra qu'elles n'ont pas à beau- ttraites assez fortes pour vivre encore après
coup près autant affermi l'autre. Celui-là 1l'avoir servi. Ces retraites, ces pensions sont
prospère dans le désordre des affaires; rigoureusement
r nécessaires; il faudrait les
celui-ci, avec l'ordre dans toutes les parties donner
c au plus grand nombre sous le nom
du gouvernement, avec une administration d'aumônes,
c
si on ne le donnait pas sous une
.juste, sage et forte, qui fait respecter ses forme
f plus décente et quand l'Etat a pris le
agents quand ils ont raison et ses tribunaux tbien entier des uns par confiscation, et qu'il
quand ils ont jugé, punit ou récompense prend
f la meilleure partie du bien des autres
lui-même, et ne laisse ces hautes fonctions 1par l'impôt, il
faut bien qu'il en rende quel-
ni aux journaux ni aux pamphlets. Tout que chose. Ainsi, tout tombe à la charge de
<
alarme ce crédit et l'impunité d'un coupa- l'Etat,
I même ce qui devait être fait unique-
ble, et la circulation d'une mauvaise doc- ment
i par la famille, et, dans ces dernières
trine, et la tolérance d'un mauvais exemple, années,
t jusqu'à la nourriture de tant de
et tout ce qui annonce qu'un gouvernement malheureux
1 qui l'avaient toujours gagnée
Jpar leur travail. Quel peut être
le résultat
manque de connaissance, de volonté ou de
force. Ce serait ici le lieu de parler des évé- d'un
« pareil état de choses, qui s'aggrave par
nements de Lyon, qui n'ont certainement cela
< seul qu'il se prolonge? Il est plus aisé
rien ajouté à la sécurité dont a besoin pour de
< le prévoir que prudent de le dire.
son crédit intérieur cette intéressante cité, Nous appelons à grands cris l'économie;
et qui me paraissent un peu moins éclaircis mais
a sans discuter le pour et le contre du
-après les éclaircissementsqui nous ont été système de centralisation en administration
donnés; mais comme député et revêtu d'une civile,
< il est certain que tous les services de
-magistrature politique, j'attendsles réponses l'administration, toutes les affaires et toutes
et les documents qui nous ont été annoncés les fortunes sont concentrées dans la capi-
par le commissaire de police si gravement tale, c'est-à-dire dans le lieu où la vie est la
-compromis, pour juger cet imbroglio politi- plus chère, parce que le luxe y est un besoin
que, où je ne vois jusqu'à présent que des de première nécessité et le plaisir la pre-
condamnés que l'on justifie, des juges que mière affaire, et où, par conséquent, toute
l'on accuse, et le gouvernement qui se tait. gratuité de fonctions publiques est impossi-
Nous avons beaucoup parlé d'économie, ble, et toute modération une austérité qui
et ici encore notre système politique et surpasse les forces humaines. Dans les pro-
même domestique est en contradiction avec vinces, on trouverait encore à remplir gra-
tuitement des fonctions importantes qui
nos intentions économiques. Autrefois, un donneraient une existence publique à la
grand nombre de familles servaient l'Etat
fortune privée, et occuperaient l'oisiveté;
avec le revenu, et, quand il le fallait, avec le mais il faudrait prendre des indigènes, et
capital de leurs biens. Les traitements ou
honoraires de l'administration civile, de la depuis longtemps la capitale a eu, ou peu
justice, même de l'armée, étaient peu de s'en faut, le privilége exclusif de l'adminis-
chose; ceux du clergé n'étaient pas à la tration et puis on risquerait, en cherchant
charge de l'Etat, et les institutions même de un honnête homme de telle nuance, de ren-
charité ou de bienfaisance publique étaient contrer un honnête homme d'une autre cou-
dotées. Depuis la conversion radicalement leur, et l'on croirait tout perdu.
opérée du système territorial en système Nous voulons de l'économie, et nous tom-
,fiscal, tout est changé à cet égard. H ne faut, bons peu à peu dans un état d'irréligion et
pour parvenir aux emplois auxquels nous d'immoralité qui est le plus mortel ennemi
sommes tous également admissibles, sous la de l'économie, parce qu'il ne laisse dans les
-seule condition d'une faveur nécessairement âmes aucun principe de modération, de re-
*rès-inégale, il ne faut que des vertus et des tenue, de modestie, de désintéressement, et
talents, ou quelque chose qui y ressemble. qu'il y fait germer et la soif d'acquérir, et la
C'est fort beau, sans doute, mais c'est fort fureur de dissiper.
cher car on ne saurait assez payer les Nous voulons de l'économie, et toute éco-
talents et les vertus. Encore, si les talents nomie publique est impossible avec le luxe
étaient Ions mieux dirigés, et quelques ver- dans les dépenses privées, et l'amour du
tus moins ambitieuses Il faut donc des trai- plaisir que la capitale répand dans les pro-
tements, et des traitements assez forts pour vinces, chaque jour au courant, par le moyen
H05 PART. Il. POLITÏQDE. BUDGET DU MINISTERE DE LA GUERRE, 1819. 1106-
des journaux, Hue anecdotes
ïfMlPn/îïlY. des anûpHAtûo du i
fin théâtre /\f fr\na
foAtiina et force n'est
n'ûiïf un
nn secours; • -nnc plus
c JPAn ne nos nlne anciens
Qn/iinnf et;:
#»*-•
des variations de la mode et toutes peut-être nos seuls vrais amis, qui n'ont
tributaires de l'industrie de Paris, pour le rien, je crois, à nous demander, pas môme
commerce d'objets de luxe dont Paris est, un arriéré, qui ont une fois ouvert leurs
en Europe, le premier entrepôt. Mais le portes à la délivrance, et les ont toujours
luxe doit faire vivre ceux qu'il a fait naître, fermées et les fermeront toujours à fini-
et lorsqu'il a multiplié les ouvriers qu'il mitié et à l'ambition.
emploie à ses dispendieuses frivolités, on
ne peut diminuer la fortune des uns, ils ne Je ne viens pas refuser le budget, quoique
peuvent eux-mêmes réduire leurs dépenses je me réserve d'accéder à des amendements
sans condamner les autres à mourir de faim, particuliers sur l'emprunt, la caisse d'amor-
et à retomber ainsi à la charge de la charité tissement, ou autres qui pourront être pro-
publique ou privée. posës; mais j'ai voulu surtout attirer l'at-
Nous voulons des économies, mais la tention aes bons esprits sur les changements
France ne veut pas de celle que l'on nous que nécessite, dans le système des impôts,
propose de faire sur la dignité nationale, en notre système politique, au moment que
renvoyant ces fidèles étrangers, dont l'al- l'on va s'occuper d'en régulariser une partie
liance est un honneur, bien plus que leur importante.
OPINION
SUR LA FIXATION DES DÉPENSES DE LA GUERRE.
J'ai ici un .amendement à proposer. Per- ment nationales, car les cnevaux ont com-
mettez-moi quelques développements. mencé dans les forêts, comme les sociétés
L'article du budget de la guerre que nous humaines dont ils sont la plus noble conquête
discutons nous ramène naturellement sur unet le plus utile instrument. C'est là que les
objet déjà traité, mais à la discussion duquelhommes comme les chevaux vivent encore
il eût été à désirer que nous eussions donné en état sauvage, et c'est de là qu'ils sont
quelques instants de plus. Je veux parler des sortis pour arriver ensemble à un état, on
haras, partie importante de l'administration pourrait dire parallèle de civilisation car si
politique, et dont la théorie doit, sous ée les uns et les autres ont perdu de ces qua-
rapport, entrer dans les études des hommes lités d'une nature sauvage plus robuste contre
d'Etat. les privations et les intempéries des saisons,
i Les chevaux sont la premièrerichesse mobi- que forte contre les travaux et les dangers,
j lière d'une nation agricole et militaire, comme
et plus patiente qu'industrieuse, ils y ont
les forêts en sont la première richesse immo- les uns les autres gagné la force qui les
bilière» rend utiles, et la docilité qui les rend sus-
Ce n'est pas tout à fait sans motif que je ceptibles d'éducation et de direction.
rapproche ici ces deux propriétés véritable- Partout ailleurs qu'en France, c'esî.-a-djr.e,
1413 • PART. II. POLITIQUE. SUR LES HAHAS. lli-i
cavalerie, pris autrefois dans
Allemabne, en. Angleterre, cavalerie
Allemagne, les classes les
en Espagne, en
i,»pac appartiennent
lac haras
les oranrîs proprié-
r\p, grands
annartipnnp.nt àh de nronrié- crui faisaient des élèves dans
nlns riches et qui
plus
taires, souverains ou particuliers, et le gou- leurs terres, sont réduits à peu près aujour-
vernement anglais lui-même ne s'en occupe d'hui à leurs chevaux d'escadron. 11 y a
,que pour payer les courses. beaucoup moins d'équipages de- chasse à Pa-
') En France où il n'y a plus de grandes ris et dans les provinces, mais ce sont surtout
propriétés territoriales, où le souverain lui- la facilité et la multiplicité des communica-
même n'en a plus, il a fallu faire des haras tions par terre et par eau, qui ont diminué
une institution publique. la consommation des chevaux de selle, parce
En effet, on ne peut pas exiger, ou attendre qu'on va aujourd'hui en voiture partout où
de propriétaires qui ont assez de peine à vivre l'on ne pouvait aller qu'à cheval, et qu'à la
eux-mêmes de leurs terres et à en payer les faveur d'un grand nombre de voitures pu-
impôts, qu'ils se livrent à une culture de bliques ou particulières on se transporte, d'un
luxe moins profitable à mesure qu'elle est lieu à un autre, plus rapidement, plus com-
plus étendue, et où les gains ne peuvent modément et à moins de frais.
couvrir les frais et compenser les dettes. Cependant même les chevaux de selle ne
D'ailleurs l'extrême multiplication des hom- manquent pas en France; ils y manqueront
mes sur un sol exclusivement divisé chasse encore moins à l'avenir, par la défense que
les animaux; et ce n'est pas un des moindres nous avons faite d'en exporter les juments;
dangers de ce morcellement, hâté par des mais il faut, puisque l'Etat a fait de l'élève
hommesqui, en déclamant à outrance contre des chevaux une institution publique que
l'étranger qui, pour eux comme pour les l'Etat, autant qu'il est en lui, en favorise la
peuples sauvages de la Grèce ou du Latium, consommation.
est synonyme d'ennemi, ne se doutent pas Elle est en effet, pour le service de ses ar-
qu'ils en sont par leurs systèmes et contre leur mées, un grand consommateur.
propre pays, les plus utiles alliés. Autrefois le gouvernement passait 450 fr.
Il a donc fallu faire en France de l'élève par tête de cheval pour la remonte de la
et de la multiplication des chevaux une ins- grosse cavalerie les régiments au moyen
titution publique. On a déjà fait de grands des masses de toutes couleurs, y ajoutaient
pas dans ce système nécessaire; mais il en 100 ou 150 fr. et confiaient à un officier
reste encore à faire, et on en fera quand intelligent le soin de les acheter il allait
on saura préférer pour la direction des haras, s'établir dans les pays à chevaux, se trouvait
les connaissances positives à la discipline des» aux foires, parcourait les campagnes et ache-
bureaux. tait directement du propriétaire. Aujourd'hui
Je l'ai déjà dit, le luxe en France, le goûtt on passe 500 fr. par cheval, et même dans
des grands propriétaires ne peuvent multi- les évaluations du ministre de la guerre, le
plier J'espèce des chevaux, il faut en laisserr prix moyen pour toutes armes n'est porté
le soin à l'agriculture; et c'est aussi en France, qu'à 403 par cheval. Mais on traite avec des
elle seule qui s'en occupe. Mais le premierr entrepreneurs qui ont des quantités aussi
moyen de multiplication pour les chevaux, considérables que celles qu'ils sont chargés
comme 'pour tout le reste, est la consom- de fournir, sous-traitent avec d'autres qui
mation. ont eux-mêmes des sous-traitants et dans ces
Les chevaux de trait ne manquent pas eni différents marchés, où tous gagnent quelque
France, ils y sont même supérieurs, à cee chose, il revient beaucoup moins aux pro-
qu'ils sont partout ailleurs; surtout les che- priétaires, et les chevaux au fond se payent
vaux qu'on appelle de gros trait dont laa moins qu'autrefois.
beauté colossale accompagnée de vigueur, ett On dira peut- être que les chevaux étrangers
qui n'est pas même dépourvued'une légèreté é sont moins chers que les nôtres; cela est
relative, a singulièrementfrappé les étrangers, vrai; mais aussi ils durent moins. La durée
qui viennentacheter en France à grands frais,i, moyenne du cheval français est de dix ans,
les moyens de les reproduire chez eux. la durée moyenne des chevaux du Nord n'est
Mais la consommation des chevaux de selle
e que de six à sept; et, comme on voit, tout
a diminué dans la même proportion et parr n'est pas profit dans le moindre prix.
les mêmes causes qui ont favorisé la consom-i- J'ai dit que l'agriculture seule telle qu'elle
mation des chevaux de trait. Le roi dans sess est en France, pouvait élever et fournir des
écuries, les riches particuliersdans les leurs enn chevaux pour la cavalerie. On en a la preuve
nourrissent beaucoup moins les officiers dee dans la gendarmerie, dont le service actif et
irrégulier consomme beaucoup de chevaux, proportion des mâles aux femelles est de 12
et où cependant le cavalier, qui se fournit à 13; mais les femelles, plus nombreuses, sont
lui-même son cheval, est sûr d'en trouver à chargées aussi dans le midi de la France de
la campagne quand il en a besoin; et
on peut la reproduction des mulets. Or, sur cette
assurer que si la gendarmerie venait tout à quantité, comment supposer que la cavalerie
eoup à être démontée, elle se remonterait qui, en temps de paix, ne demande environ
de cette manière plus facilement, plus tôt et 40,000 chevaux, soit obligée de recourir
aussi bien que toute autre troupe, par#e qu'elle àque
l'étranger pour ses remontes, ce qui a le
habite et parcourt les campagnes, et connaît double inconvénient
et de faire sortir l'argent
tous les chevaux de son arrondissement. du royaume, et de décourager en France la
La France possède environ 2,400,000 che- multiplication des chevaux..
vaux. M. Chaptal, dans son ouvrage sur l'in- Je proposerais donc que l'administration
dustrie française, n'en compte que 2 millions de la
122 mille; mais il a oublié, comme
guerre ajoutât 100 fi. par tête de che-
on peut val, et qu'à cet effet son budget fût augmenté
s'en convaincre, en lisant son tableau, cinq de 400,000 fr., mais
départements, Meuse, Meurthe, Moselle, Nord sous la condition ex-
qu'il ne serait acheté que des chevaux
et Ardennes, qui en donnent 286 mille. La presse,français.
OPINION
SUR L'ARTICLE DU BUDGET DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, RELATIF
AUX HARAS.
OPINION
SUR LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
L'OCCASION DE LA DISCUSSION DU BUDGET DF
A CE MINISTÈRE.
La politique ouvre un champ bien vaste à tene et sur mer, quel sujet pour l'éloquence
la discussion reproches pour le passé, le- dela tribune, et comment improviser sur cette
çons pour le présent, conjectures sur l'ave- matière, du soir au lendemain, des réponses
nir, système de politique monarchique et à des discours médités à loisir 1 Je vais cepen-
territorial, plus solide que brillant; système dant hasarder quelques réflexions sur le pre-
de politique populaire et industriel plus mier que vous avez entendu dans la séance
aventureux que solide; système composé des d'hier, et qui a résumé toutes ces questions.
deux autres, et voulant régner à la fois sur On a souvent parlé à çettejtribune d'é-
quilibre politique. I! serait bien temps de
quilibre
laisser cettef vieillerie
IfllCCWP f'ûf rl-i »- nw\ o-l-C aux
û in ûîll ÛTtîrt diplomatique
jamais eu en Europe; et quelle force donne- Non le rôle des Autrichiens, qui'craignaient
rait un système d'oscillation perpétuelle et pour leurs Etats, était une médiation armée;
qu'un seul homme suffit pour déranger, le rôle de la France, qui ne, craignait pas pour
Charles-Quint ou Richelieu, Louis XIV et elle, était une médiation pacifique, et c'est
Bonaparte! C'est un mot dont les forts se ce qu'elle a fait, ce qu'elle a dû faire et
servent pour opprimer, comme les faibles dans l'histoire des rois parents du sien, et
pour se défendre, et il est singulier que dans l'histoire de leurs peuples, cette guerre
ceux qui parlent sans cesse de l'indépen- s'est finie sans nous, qui en aurions fort
dance de leur pays, les cherche dans un sys- mal à propos partagé le ridicule, et n'y au-
tème dont la dépendance mutuelle de tous les rions gagné que des troubles au dedans, ou
Etats serait, s'il était possible, le seul moyen peut-être une guerre au dehors.
et l'unique résultat. Pour être indépendant, il Mais, dit-on l'Autriche est maîtresse de
faut vivre isolé. l'Italie. Son séjour temporaire y fait la sû-
La force d'un Etat est en lui-même, dans reté de l'Europe, dont elle
contient les vils
son étendue, dans la contiguïté de ses par- ennemis
ties, dans la disposition de ses frontières; et à tient nord, au midi, comme la Russie les con-
cette force que la France possédait au plus voudra, au comme la France, quand elle
les contiendra au centre. D'ailleurs,
haut degré, et qui s'était accrue, de règne en quand
des puissances aussi intéressées que
règne, sous ses rois même les moins heureux, n'y redoutent pas sa domination passa-
elle en joignait une autre, la première de tou- nous,
gère, nous n'avons pas à la craindre, et
tes, et qui lui était particulière. Sa dignité en quand il
ne resterait que deux puissances sur
tout, et qui se montre dans Corneille, comme le continent, la France
dans Bossuet, dans Turenne, dans d'Agues- tres', en serait une. D'au-
c'est-à-dire sans doute, parleront des Grecs et des
seau, dans les institutions reli- affaires d'Orient, je ferai la même réponse.
gieuses, militaires, politiques et littéraires de Notre alliance
la France.
avec lés Turcs, utile, si l'on
veut, à notre commerce, devait tôt ou tard
La révolution se mûrit pendant un siècle devenir à charge à notre politique,parce qu'on
et éclate à la fin. Aux institutions monarchi- se compromet à vouloir sauver un peuple qui
ques se mêlent des institutions populaires; la ne peut plus se défendre, et qu'aujourd'hui,
hauteur et la violence remplacent la dignité, on ne peut défendre
un peuple que lorsqu'on
à la force de conservation et d'expansion suc- peut le policer. Il se prépare
en Orient un
cède la force d'agression. Plus de sécurité cours d'événements amenés de loin, et qu'au-
dans cette nouvelle force; on fait trembler, cune puissance ne peut changer et si l'on
et on tremble soi-même. On décrète d'urgence ne croit pas à quelque chose de mieux, il
la France indivisible, crainte qu'elle ne soit faut croire à la fatalité. Quand l'empire turc
divisée; plus tard, on court la défendre à Mos- deviendrait autre chose, vos frontières n'en
cou, pour qu'elle ne soit pas attaquée sur ses seraient pas entamées tout est là. Conser-
frontières. Vous en avez vu les résultats ils vez votre territoire c'est
assez pour votre
k étaient inévitables la raison les eût indiqués; politique, et laissez le soin du
commerce à
l'histoire en eût donné la preuve. votre esprit et à votre industrie.
I Nous sortons à peine de cet état, tout Et d'ailleurs, le principe de la force exté-
meur-
tris encore de nos pertes, avec d'inconsola- rieure dans un Etat est dans force inté-
sa
bles regrets, de folles espérances, des ambi- rieure, et sa force intérieure est dans le
tions ajournées, des fidélités chancelantes; pect pour les lois et l'obéissance pouvoir. res-
au
et ce qui est plus palpable, avec une dette Vous parlez d'envoyer des armées loin, et
au
Immense et d'immenses pertes à réparer; et il suffit d'une tête perdue et de quelques
c'est dans cet état qu'on reproche à l'an- centaines de misérables
pour lever pleine
cien ministère, de navoir pris aucune part paix l'étendard de la révolte. On en tenir la
veut
aux affaires de Naples et du Piémont. Qu'y balance de l'Europe politique il faut aupa-.
serions-nous allés faire? Mettre de jeunes pavant l'empêcher
en France de pencher du
fidélités en contact avec la révolte conta- Côté de la partie jeune et passionnée de
gieuse des carbonari; accabler leur faiblesse la société on veut
gouverner le monde, il
de notre force, ou associer notre bravoure à faut auparavant gouverner
nos universités
1121
"1<&4.I.f&I.I.u"j
on voudrait que toute l'Europe se tût devant
_v .a"Lm~,·7.
PART. Il. POLITIQUE. -MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES.
vrées qui nous manquent, si l'on n'aime
un
T'IGy
nous, et nous ne pouvons pas imposer si- pas mieux s'en passer.
lence à un orateur factieux! Et si le gou- Je ne parle pas de nos différends avec les
vernement veut se servir de la force, on crie Etats-Unis, ils s'aplaniront sans doute, et je
!dans cette chambre à la violence et à la tyran- m'en rapporte à cet égard au ministère; je ne
'niel 1 On a accusé le ministère d'être tantôt crois pas le ministère anglais si communicatif
russe, tantôt anglais; je ne sais, mais je vois que le dit M. Bignon sur les affaires du cabi-
depuis longtemps hors du ministère, et jus- net, et je vois que très-souvent l'opposition
que dans nos chambres, proposer ou ap- ne sait que ce qu'elle devine.
puyer des mesures tout à fait étrangères, et L'orateur veutqu'on ouvre des négoeiations
que des ennemis, si nous en avions, nous avec le chef des nègres de Saint-Domingue,
payeraient pour adopter. Un de nos malheurs et a cité comme exemple la conduite de l'An-
est que des hommes, longtemps associés aux gleterre à l'égard de ses colonies récemment
triomphes diplomatiques ou militaires de la émancipées. Je doute que les Etats-Unis
dernière époque, ne peuvent pas se déprendre soient flattés du rapprochement; assurément
des illusions qui ont rempli leur jeunesse, et l'orateur n'a point de rancune. Un ma-
rêvent toujours les négociations et la guerre. rin hollandais disait « S'il y avait quelque
Il serait temps cependant d'examiner les chose à gagner en enfer, j'irais y brûler mes
résultats où tant d'agitation nous a conduits, voiles. » Mais l'esprit du commercene doit pas
et de penser qu'on ne voit pas deux fois de être toujours l'esprit du gouvernement, et je
pareils événements. A la vérité, ces illusions crois aussi impolitique qu'immoralela maxime
»'amusent que les simples du parti et dans de l'orateur, que l'utile doit être la première
les temps de partis, combien de simples parmi règle d'un gouvernement; car l'utile d'un jour
des hommes même de beaucoup d'esprit 1 et d'un moment est souvent bien funeste un
Les habiles ont des vues plus profondes, ils peu plus tard, et l'honnête seul est toujours
commenceraient encore volontiers la guerre et partout l'utile. Nous avons soutenu la ré-
contre toute l'Europe, mais pour la finir volte d'Amérique, quel mal en est-il résulté à
bientôt aux dépens de l'intégrité de la la fin pour l'Angleterre et quel bien pour la
France; plus contents d'être les premiers France ? L'Amérique est toujours anglaise et
sous quelque usurpateur dans le royaume de notre Louisiane est devenue américaine. Si
Bourges, que d'être les seconds dans le beau Saint-Domingue fournit encore du sucre (et
royaume de France sous le roi légitime. il n'en fournira pas longtemps), j'aime mieux
L'orateur a beaucoup parlé de commerce, qu'il nous vienne par contrebande que par
et a fait un crime au ministère de ne pas le traité; nous le payerons peut-être quelque
protéger assez. Le commerce intérieur, je chose de plus mais il ne faut pas, comme Esaü,
veux dire le trafic entre les différentes provin- vendre notre droit d'aînesse sur Saint-Domin-
ces, n'a jamais été ni plus florissant, ni plus gue pour un peu de sucre.
encouragé et pour le, favoriser on met tout, Si l'orateur dit, à propos d'Athènes, que le
sinon en ports de mer, du moins en canaux soin exclusifde l'agriculture rend plus assuré
navigables. C'est ce commerce qui fait la et plus facile ce règne de l'aristocratie, je lui
force d'un Etat, même en Angleterre, et celui- dirai à mon tour que le soin exclusif des ri-
là dépend de nous et de sa nature. Le Com- chesses qui viennent du commerce rend plus
merce extérieur ne dépend pas de nous seuls, facile et plus assuré le règne de la démocratie,
des que toutes les puissances s'enfoncent dans et voilà pourquoi les libérauxtravaillentde tou-
de triples lignes des douanes, et adoptent le tes leursforces à morcelerà l'infinila propriété
système des prohibitions, il faut se résoudre territoriale, et à accroître sans mesure la pro-
à ne-commercerau dehors que sous leur bon priété mobilière; jelui dirai encore, qu'au-
plaisir et, s'y l'on y fait attention, on verra cun Etat au monde, aucun Etat indépen-
que toute l'Europe marche insensiblement dant ne s'est conservé quepar l'aristocratie, et
vers le système que je crois le plus naturel, n'a péri que par la démocratie.
celui d'exporter les matières brutes qu'on H adonné des leçonsau ministère; je lui en
a de trop, et de recevoir les matières ou- donnerai aussi,mais en un seulmot soyezfort.
OPINION
SUR LE BUDGET DU MINISTÈRE DE LA GUERRE.
Messieurs, quel
q je réponds. Il a dit, avec raison, que la
Le discours de mon honorable collègue, France avait fait en Suède une révolution mo-
M. Bignon, que vous avez entendu dans la narchique
r pour y détruire l'influence de la
séance d'hier, roule tout entier sur trois Russie et de l'Angleterre.
Est-ce qu'il croirait
griefs, dont il a fait autant de chefs d'accusa- que
( les étrangers trouvent plus de facilités à
tion contre le ministère l°le peu d'influence exercer des influences dangereuses sur un
de la France en Europe; 2° la conduite du 1Etat gouverné par des assemblées que sur un
gouvernement dans les affaires d'Espagne; Etat -1 gouverné par un monarque? Je sovaïs
3° le refus de reconnaître l'indépendance de entièrement de son avis.
l'Amérique espagnole du sud, et d'ouvrir avec La France n'avait proprement conserva
elle des relations de commerce. Pressé parle d'influence
( que sur le corps germanique,
temps et la marche rapide de la délibération, c'est-à-dire
(
je resserrerai autant qu'il me sera possible la siastiques sur les petites puissances ecclé-
« ou laïques qu'elle était à portée di
discussion à laquelleje vais me livrer. jfaire mouvoir, et quelquefois à leurs dépens.
Sur le premier grief, le peu d'influence de Mais
] la révolution française a fait disparaître
la France en Europe, j'opposerai aux asser- ]la matière même de cette influence;
ces pe-
lions de l'orateur l'assertion positive d'un tites puissances sont devenues de grands
écrivain dont il ne récusera pas l'autorité, et ]Etats
sur lesquels la France ne peut avoir une
même son collègue et son chef en diploma- iinfluence habituelle, parce qu'ils ne s'enchaî-
tie, M. de Pradt, qui dit formellement dans nent
} pas à l'avance à un système invariable
son dernier ouvrage « Bonaparte a donné à dé politique, et qu'ils sont amis ou ennemis,
la Russie le sceptre de l'Europe, et par la ma- suivant les circonstances. La véritable in-
nière dont il a forcé l'Europe à s'arranger, il fluence d'un grand Etat est dans l'étendue et
a ôté à la France toute influence. » Ces paro- ]la contiguïté de ses possessions, dans la force
les n'ont pas besoin de commentaire; et, si de population, dans la sagesse de ses lois,
sa
on voulait en donner l'explication, on ferait dans le bon état de ses finances, et je donne-
remarquer que, même au ternes de sa plus rais toutes les autres influences pour un ar-
grande influence, la France n'en avait de par- rondissement de plus et plût à Dieu que la
ticulière que sur le corps germanique, la France n'eût perdu
que cette influence et eût
Suède et la Turquie. La Turquie était ouverteconservé
ses colonies 1
à toutes les influences, et elles consistaient,
pour tous les princes chrétiens, à souffrir Disons-le donc, la France n'a perdu de son
beaucoup d'humiliations politiques pour ob- influence que ce que les folies de la révolu-
tenir quelques avantages commerciaux, et à tion et de Bonaparte lui en ont ôté, par les
pousser la Turquie dans des guerres où elle changements qui se sont faits en Europe, et
perdait toujours quelque chose. Des cours sans doute on ne pense pas qu'elle pût con-
plus voisines de Constantinople, et qui, par server celle qu'elle avait, la flamme et le fer
cette raison, lui inspiraient plus de craintes, à la main, exercée en Russie et en Pologne,
avaient dû prendre plus d'influence; car les dans un temps où nos négociateurs recevaient
influences politiques,comme toutes les autres, pour toute instructionla mission de soulever
se dissipent et s'évaporent par l'éloignement. les peuples et d'intimider les rois c'étaient
La Suède n'était plus depuis longtemps les influences d'un orage qui passent avec
dans notre sphère; elle était entraînée par lui. Verrait-on une perte d'influence dans le
une autre planète, et bien avant la révolution refus que font les puissances voisines de re-
cette alliance onéreuse à la France était tout cevoir les produits de son sol ou de son in-
à fait surannée. dustrie ? Mais elle ne reçoit pas les leurs;
Je remarquerai en passant, à propos de la c'est une suite naturelle et inévitable du pro-
Suède, un aveu remarquable de l'orateur au- grès de l'industrie et de l'agriculture-; dès que
cnaque Etat peut se suffire à lui-même, il ne Reste le point le plus délicat, l'interven-
demande rien aux autres; et, à cet égard, vion du gouvernement dans les affaires d'Es-
tous les peuples qui ont voulu faire faire des pagne. L'orateur l'affirme ou l'insinue sans
pas si rapides à l'industrie, à l'agriculture, au le prouver; je la nie, et ne suis pas plus obligé
commerce, à tous les arts, ont éveillé le même à lui en donner la preuve. Mais a-t-on besoin
désir chez leurs voisins, et ne recueillentque de recourir à des interventions étrangères
ce qu'ils ont semé. pour expliquer la résistance d'un peuple si
Les deux derniers points du discours de constant dans ses habitudes, si ardent dans
l'orateur sont relatifs et à la conduite suppo- ses passions, si opiniâtre dans ses volontés, a
sée de notre gouvernement dans les affaires une constitution toute nouvelle qui change
d'Espagne, et au refus de reconnaîtrel'indé- tant de choses dans les habitudes privées et
pendance des Etats espagnols du sud de l'A- publiques, et dont il n'a vu encore que les
mérique. Ces deux reproches sont contradie- excès et les orages? Certes, il faudrait suppo-
toires car si l'on fait un grief au gouverne- ser les peuples d'une inconcevable stupidité,
ment d'alarmer les cortès par la présence da s'ils ne faisaient aucune attention à des chan-
troupes sur nos frontières, il ne faut pas lui gements, ou plutôt à des révolutions dont les
reprocher de ménager la fierté de ces mêmes maux sont présents et les avantages éventuels
cortès, en refusant de reconnaîtrel'indépen- et éloignés? C'est moins du peuple espagnol
dance de colonies qu'ils regardent encore que de tout autre qu'on pouvaitattendre cette
comme des sujets révoltés; et certainement apathique résignation. Ne faudrait-il pas,
les cortès seraient beaucoup plus offensés de
pour contenter quelques personnes, que les
nous voir, nous, leurs voisins et leurs alliés, nations se laissassent lier et garrotter avant de
reconnaître l'indépendance de leurs colonies, subir une révolution, comme le malade à qui
qu'ils ne sont alarmés de la présence du cor- ce chirurgien attache les quatre membres, de
don sanitaire, à l'époque où commença, l'an-
peur qu'il ne fasse, pendant l'opération, un
née dernière, la maladie qui désola Barce- mouvement qui puisse déranger son scalpel?
lone. Il serait possible que les descamisados, Il y a une réflexion générale à faire sur nos
qui ne rêvent que le désordre, voulussent que discussions nous sommes envoyés ici pour
nous leur donnassions ce juste sujet de guerre discuter des faits et non pour énoncer des opi-
et de haine mais heureusement ils ne gou- nions.
] Quand nous discutons des faits, des
vernènt pas encore la politique de l'Espagne. faits
1 de finances, par exemple, nous cher-
L'orateur se rappelle un peu trop d'ancien- chons à donner des preuves à l'appui de nos
«
nes habitudes, lorsqu'il cherche à lever tout raisonnements
i mais quand nous énonçons
scrupule sur les liaisons que nous pourrions des
c opinions politiquessur la nature des gou-
former avec les Américains-Espagnols il me
ivernements,quelle autre preuve pouvons-nous
permettra de lui dire qu'il y a beaucoup d'in- donner
( de nos assertions que notre propre
térêts en politique qui passent avant les inté- conviction?
(
rêts du commerce, et que ce ne sont pas les L'orateur auquel je réponds croit que le
expéditions de quelques armateurs, mais la $gouvernement est intervenu dans les affaires
justice et la morale du gouvernement qui sont d'Espagne; je crois le contraire. Pense-t-il
(
les vrais moyens de cette influence qu'il re-
(que le gouvernement aurait dû intervenir
grette. Il est de la dignité et de la justice du 1pour appuyer un parti? Je croirai qu'il au-
gouvernement d'attendre que les cortès s'ex- 'irait dû intervenir pour appuyer le parti con-
pliquent sur leurs colonies, et c'est ce que fait 'ttraire. Il croit
que les révolutions s'affermis-
l'Angleterre elle-même. Au reste, l'orateur sent, je crois qu'elles ne font que se prolon-
g
trouvera une réponse péremptoire à ses plain- j
ger il me regardera comme entêté d'une
tes sur les entraves imposées à notre com- forme
f particulière de gouvernement; je le re-
merce avec l'Amérique espagnole dans le garderai
£ comme entêté de la forme opposée.
Journal du Commerce, qui rapporte nos ex- Qui
( est-ce qui prononcera entre nous? car
péditions maritimes; et je ne peux que l'y enfin chacun doit se croire autant de raison,
E
renvoyer. de
( connaissances et de vertu que son adver-
Je ne relève pas l'étrange proposition que saire.
£ Qui est-ce qui prononcera donc entre
la fidélité du gouvernement envers l'Espagne nous?
l Le temps et l'expérience; et à mes
serait un acte d'infidélité envers la France; 3yeux, du moins, le temps et l'expérience oni
mais je l'invite, pour l'honneur de sa morale depuis
c longtempsprouvé une grande vérité
et même de sa politique, à retrancher cette c'est
c que les hommes si habiles à soulever lef
phrase de l'impressionde son discours. peuples
i sont incapables de les gouverner.
'J',¡r:o_ vr T'I.-
Le dernier orateur qui a parlé a traité, je comme nos lazarets sur les Pyrénées accueil-
crois, des affaires d'Orient. Je n'ose dire qu'il lent les réfugiés de tous les partis.
ait reproché au gouvernement français de n'a- Je m'honore, pour la chambre, que ce soit
voir pas secouru les Grecs, parce que je ne un de ses membres qui ait été chargé dans le
l'ai pas entendu, et que cela prouverait peu Levant de cette noble mission, qu'il a remplie
de connaissance des affaires de l'Europe. Moi- avec autant de talent que de courage et d'hu-
même, le premier, j'avais élevé la voix en fa- manité et, si nos usages l'eussent permis,
veur des Grecs. La férocité de cette guerre, j'aurais demandé, pour notre honorable col-
inouïe même de la part des Turcs, a dérangé lègue, M. le contre-amiral Halgan, des remer-
tous les. calculs; elle a fait craindre que le cîments publics qui auraient été accueillis à
premier coup de canon ne fût le signal d'une l'unanimité.
L'orateur auquel je réponds n'a pas de-
extermination générale de cette malneureuse
mandé de retranchement sur le budget des af-
nation; et peut-être aussi que les puissances faires étrangères, où vraiment il n'y a rien à
ont été informées que le même parti qui ré- retrancher. Au reste, il nous sera toujours
clamait si vivement en faveur des Grecs, une
plus facile de demander des économies que
fois les armées engagées, ferait diversion en
d'en obtenir. Dans un pays où un système
faveur des Turcs.
d'empruntspublics et un grand-livre de quel-
Certes, il était permis de s'arrêter devant la ques milliards en capital de rentes produit un
possibilité de pareils résultats. Peut-être quel- si grand nombre de fortunes mobiliai'res, si
ques puissances, dont l'intervention maritime commodes à administrer, si faciles à recueil-
eût été si efficace, ont-ellescraint de compro- lir, si disponibles pour les jouissances de la
mettre les intérêts de leur commerce et les vie, toute modération dans les dépenses est
politiques, qui placent les intérêts du com- impossible à espérer, et le luxe des particu-
merce avant tous les autres, ne peuvent leur liers force le luxe des gouvernements. C'est
en faire de reproches. La France a fait ce une raison de plu5 pour alléger les sacrifices
qu'elle devait faire. Le pavillon blanc, secou- qu'on exige des fortunes territoriales, à qui
rable au malheur, l'a cherché partout, et a la nature en impose déjà de si lourds et qui
offert un asile à toutes les victimes sans dis- donnent des jouissances achetées par tant de
tinction de ces déplorables événements, peines, et menacées de tant de mécomptes.
Ut'1~'HU1'l
(1818.)
même
mernt- T~3~
PART. Il. POLITIQUE.
o-crr'l.n une
Y\r\.I1"po~f avec ~t-
qui le droit de paix et de guerre est dévolu que la Pologne Pologne était,
continent, le
armée intermittente faire au besoin ni la plus indéfendu par la nature et
_1_ faible
1. plus 1 IIt}i
était, de tous les Etats du
~1-1- de constitution, le
guerre ni la paix. Et certes, si parmi les par- plus divisé par les prétentions politiques, et
par l'art, le
tisans du vote annuel de l'armée il se trouve que même aujourd'hui, élevée à la dignité de
quelqu'un qui puisse nous garantir que dans nation monarchique, elle est devenue
royaume-
les grands intérêts qui peuvent agiter les uni et non province sujette.
Etats ou se traiter dans les corps délibérants Dans les républiques indépendantes de fait
il n'y aura jamais ni erreurs, ni intrigues, ni et de droit, et il n'y en a jamais
eu que deux
corruptions; que toutes les attaques seront au monde, Rome et la France, où les vices
loyales, tous les grands talents vertueux, tous qui les travaillent toutes aient pu développer
se
les esprits droits, je suis prêt à voter l'armée dans toute leur intensité, l'établissement mili-
non pour un an, mais pour un mois. taire est toujours offensif ou agresseur. Comme
Je dois observer en passant que l'expres- toutes les passions du cœur humain s'y résol-
sion générale d'armée, sans désignation par- vent en une seule, l'ambition du pouvoir
ticulière du général qui la commande ou du posé à toutes les tentatives, la ex-
guerre exté-
pays où elle se trouve, est de fabrique ré- rieure y est plus grand moyen de la satis-
le
cente et de la langue de la nouvelle nation, faire, et souvent aussi l'unique moyen de la
et qu'elle tend à montrer dans l'Etat, comme tromper en portant au dehors des forces et
une puissance, ce qui ne doit être qu'un ins- des passions toujours dangereuses pour la
trument. En France, autrefois, où les expres- tranquillité intérieure. Pour ces Etats, il n'est
sions étaient justes comme les idées, on appe- point de limites naturelles
ce sont des tor-'
lait d'un nom collectif la justice, même dans rents pour qui la nature n'a
pas creusé de lit,
le langage usuel; mais on ne connaissait que ni marqué de rives, et la seule borne à leurs
des troupes en temps de paix, et telle ou forces d'expansion ou plutôt d'explosion, est
telle armée en temps de guerre. L'expression leur ruine inévitable.
générale d'armée est peu monarchique, au Ici, je rentre dans les considérations qu'a
sens qu'on lui donne et elle pourrait faire développées un de honorables collègues,
croire que l'armée a, comme l'Eglise, le pou- dans la séance de nos mercredi dernier, sur la
voir d'agir et de parler, dispersée ou réunie. différence de l'esprit des
sociétés anciennes à
Je rentre dans mon sujet. celui des sociétés modernes; mais il a oublié
La 'loi sur l'établissement militaire d'un de dire,
et cet oubli l'a entraîné dans des con-
Etat a un rapport nécessaire avec sa consti- séquences bien
inattendues, il a oublié de
tution politique et sa position territoriale. dire que l'esprit des unes était tout à la guerre,
Dans une monarchie ou le pouvoir est un,
qu'elles étaient toutes constituées en
mais limité par des institutions, c'est-à-dire parce républiques,tantôtdansle Forum et tantôtdans
par des existences indépendantes du monar- le camp; et que l'esprit des autres est tout à la
que, forme de gouvernement qui n'a été paix, parce qu'elles sont
sous la constitu-
connue que des nations modernes, et qui doit tion générale de la monarchie religieuse
et
au christianisme sa force et sa douceur, dans politique; mais parce que, depuis trois siècles,
cette monarchie, dis-je, l'établissementmili- des éléments démocratiques
taire doit être purement défensif. Ces Etats duits se sont intro-
dans le corps social, nous avons vu des
ont en eux-mêmes tout ce qu'il faut pour se guerresdevingt ans, des guerres de trente ans,
conserver, et l'on peut remarquer qu'il n'y a
une guerre même de cent ans, si nous mesu-
eu en Europe, depuis Charlemagne, qu'un
déplacementimportant de souveraineté terri- rons sa durée par le sang qu'elle a fait répandre
et les maux qu'elle a causés, guerres qui n'ont
toriale, à l'égard d'une nation assez puissante plus été,
comme autrefois des duels entre des
pour avoir eu elle-même le principe et la souverains généreux, mais des luttes effroya-
raison de son indépendance, et qui aurait dû bles de peuples
contre peuples, -tous cons-
trouver dans ses propres forces les
moyens crits pour leur mutuelle ruine gens contra
de la conserver. Encore faut-il observer, à
gentem, et qui semblent l'avant-coureur des
l'honneur des temps modernes, et
pour ré- derniersjours de la société.
pondre à ceux qui craignent ou feignent de A ces deux systèmes de défense et d'a-
craindre des invasions et des partages, qu'il
fallu, pour celui dont je veux parler, lea 1lies gression correspondent, sauf quelques anoma-
dont nous parlerons plus bas, deux systè-
concert des trois plus grandes puissances de d'établissement militaire, l'un par le re-
l'Europe et le silence de toutes les autres, et mes
crutement volontaire, l'autre par le recrute-
H55 CEUVRESCOaiPLETESBEM.DE BONALD. 1I5S
ment forcé, l'engagement ou ou la conscription.
conscription,
n. dans les monarchies; les républiques n'en
En effet, je ne crois pas que l'histoire nous
us ont que l'apparence et on peut dire qu'on
offre un seul exemple d'un peuple qui se soit)it engage les peuples qui sont libres, et que L'on
défendu contre une invasion générale avec ac conscrit ceux qui croient l'être.
ses troupes réglées, et les guerres de la révo-
o- Je sais que la conscriptionest actuellement
lution en ont fourni des preuves irréfragabless: en usage chez des peuples monarchiques
les armées soldées, et même les premières de ie j'en dirai tout à l'heure la raison, et l'on
l'Europe, fortes pour attaquer, ont paru im- a- verra que l'exceptionne fait que confirmer le
puissantes à défendre; et ce sont des levées,s, principe.
non pas par conscription, mais volontaires, s, Ainsi, tout Etat qui veut régler son établis-
mais spontanées, des pâtres de la Suisse, deses sement militaire doit, avant tout, se deman-
laboureurs de la Vendée, des citadins en Es- is- der s'il est, ou s'il veut être monarchie ou ré-
pagne, des landwerth et des landsturm qui ontnt publique; car il ne saurait subsister, s'il éta-
opiniâtrement défendul'indépendancedeleurs rs blissait avec la monarchie un système de
pays, et le plushonoré ou leurs succès ou leurs
rs guerre tout offensif, ou avec la république un
revers car il faut remarquer que ces levées es système purement défensif, parce que le sys-
d'hommes, que dans les temps ordinaires la tème militaire aurait bientôt changé et en-
loi fait avec tant de peine, l'ennemi, lorsqu'il
'il traîné dans ses eaux le système civil là sur-
se présente chez un peuple généreux, les faitlit tout où se serait montrée la funeste distinc-
ec tion entre le pouvoir de fait et le pouvoir de
en quelque sorte, ou plutôt les fait faire avec
une grande facilité. droit.
Mais en laissant à part les antiquesémigra-
a- La France avait depuis longtemps répondu
tions de peuples qui, poussés par le besoin in à cette question. Elle était toute monarchi-
ut que, son système militaire était tout défensif;
de vivre et de s'établir, se transportaienttout
entiers sur le territoire d'un autre peuple, le et si, plus qu'une autre puissance, elle s'était
recrutement forcé ou la conscription a tou- u- étendue par des réunions de provinces qui
id ne pouvaient naturellement appartenir qu'à
jours été chez les peuples sédentaires le grand
moyen de guerre offensive. C'est avec des es elle plus qu'aucune autre puissance aussi
conscrits que Rome envahissait l'Asie comme îe elle avait éprouvé de honteux revers en voû-
l'Afrique, que la France, toujours république,
e, lant tenter des conquêtes lointaines. Mais en
même sous l'usurpateur, attaquait l'Espagne nie changeant la nature de son gouvernement,
comme la Russie; ces gigantesques entrepri- 'i- elle a changé la nature de son esprit mili-
ses ne peuvent se faire qu'avec des soldats its taire. Autant comme monarchie la France
'forcés et des impôts forcés, parce que l'hom-
n- avait paru faible pour attaquer, forte pour se
me qui s'est laissé ravir sa subsistance ou sa défendre autant devenue république elle a
liberté personnelle, devenu machine docile à paru puissante pour l'agression, malheureuse
toutes les impulsions, n'a plus rien à refuser er dans la défense car il faut en politique juger
à son moteur qui entraînera aux és
extrémités les institutionspar le résultat définitifdes évé-
du monde celui qu'il a arraché aux foyers ;rs nements, et lire l'histoire même d'une réve-
paternels. La, l'homme, sous le nom pom- n- lution comme un système ou une généalogie
peux de citoyen, n'est réellement que l'ins- s- de faits.
trument de l'ambition de quelques particuliers srs Cherchons cependant à établir ici les droits
ou la victime des précautions ombrageuses ,es de la famille et ceux de l'Etat. La famille a
de son gouvernement; et à Rome même, le toujours eu le droit naturel ou plutôt le de-
peuple, que l'honneur de voter dans ses co- o- voir de veiller à sa conservation, et elle l'exer-
mices ne dédommageait pas de la fatigue du ju çait par les armes avant l'établissement régu-
servicemilitaire, refusait souvent de s'inscrire,
e, lier de la société publique.
et il fallait user de violence pour l'y contrain-
n- Une fois réunies en corps d'Etat, les famil-
dre. Mais aussi ces armées de conscrits es- ;s- les, plus tôt dans un pays, plus tard dans un
claves pour la guerre, devenus les maîtres3 à autre, renoncèrent au droit de guerre privée
la paix, demandèrent à leurs concitoyens le ou domestique. Le droit de glaive judiciaire
prix de leur liberté et la solde de leurs servi-
n- et militaire, le jus vitœ et necis, passa au pou-
ces et à la fin, rassasiés de partages, de lar-
r- voir public, et en forma le premier et le plus
gesses, de butin, elles partagèrent l'empire re essentiel attribut, et il ne resta à la famille
et le vendirent, quand il ne resta plus rieni à que le droit de poursuivre devant les tribu-
vendre ou à partager. naux la réparation du tort qui lui était fait
Ainsi la vraie liberté personnelle se trouveve ou de se défendre et même car les armes.
Wù\ PAK'l. Il. POL111QUK. SUR LE RECRUTEMENT DE L'ARMEE. 1158
toutes
toutes les fois que l'Etat ne pouvait
pas venir que l'aîné de la famille enfui exempt, il était
à son secours. On retrouve encore dans quel- extrêmement redouté du peuple, qui sentait
ques contrées peu avancées de l'Europe, des que cette mesure, devenue habitude d'admi-
traces de cet antique droit des familles; et le nistration,troublait la paix de la famille sans
duel, partout en usage, en est, dans les pays utilité réelle pour la défense de l'Etat. Il y a
civilisés, le dernier reste. toujours un puissant motif, aux répugnances
Une fois que l'Etat se fut chargé de la dé- générales, et ce qui le prouve est qu'en même
fense générale des familles les femmes les temps que le peuple de l'intérieur supportait
enfants, les vieillards les professions paisi- avec tant d'impatience le fardeau léger de
bles, ceux mêmes à qui la nature avait refusé cette milice ou conscriDtion militaire, le peu-
les dispositions morales et physiques qui ren- ple des côtes se soumettait sans peine, même
dent l'homme propre à soutenir les fatigues avec joie, à la conscription maritime ou au
de la guerre ou, à en braver les dangers ne classement des gens de mer même mariés,
furent plus forcés d'en courir les hasards et parce qu'il jugeait très-bien l'inutilité d'une
ce nouveau droit des gens, dû au christia- mesure et la nécessité de l'autre et c'est ici,
nisme, est, selon Montesquieu, un bienfait Messieurs, que se présente naturellement le
que la nature humaine ne saurait assez re- second rapport sous lequel il faut considérer
connaître. le système militaire d'un pays, je veux dire
On alla plus loin encore dans l'Europe sa position territoriale.
chrétienne, et particulièrement en France. La France, en effet, dont la force d'ex-
Des familles entières se dévouèrent hérédi- pansion rayonnait du centre où étaient fixés
tairement, corps et biens, au service public, ses souverains vers tous les points de sa vaste
dont elles affranchirent ainsi les autres fa- circonférence, s'était adossée aux Pyrénées,
milles qui purent vaquer, sans distraction appuyée aux Alpes et aux deux mers, cou-
aux travaux domestiques. Elles reçurent en verte sur le seul point vulnérable par ce
échange de ce dévouement perpétuel, quei- peuple dont la noble et franche alliance ho-
ques exemptions d'impôt pour leurs biens, nure la France, compagnon de notre gloire,
que Montesquieu juge nécessaires, et quel- notre ami dans le malheur, à qui tant de sang
ques respects pour leurs personnes qu'on a versé pour nous et par nous, et dans quelle
trouvés depuis si odieux. Autour de ces fa- circonstance 1 avait acquis tous les droits et
milles, et sous leur bannière se rangèrent, tous les titres de Français; par ce peuple
au commencement, comme tenanciers d'une que la philosophie présenta longtemps à
propriété, plus tard de leur plein gré, les l'Europe comme le modèle de toutes les ver-
jeunes gens que leurs goûts entraînaient vers tus, et dont des hommes élevés à son école,
le service militaire. Enfin l'exigence conti- au mépris de cette antique fraternité, vou-
nuelle d'un service, devenu offensif autant draient aujourd'hui bannir de nos rangs la
que défensif lorsque l'ennemi occupait nos valeurense fidélité. c
plus belles provinces, et menaçait les autres, La France s'avançait donc comme un ha-
força de suppléer, avec une solde, à des do- bile général, après avoir assuré ses derrières
tations épuisées par le malheur des temps et ses flancs, et elle avait, par un triple rang
mais, sous cette nouvelle forme, et jusqu'à de forteresses, fermé la seule issue que la
nos jours, les armées françaises se recrutèrent nature eût laissé ouverte à l'ambition de ses
par engagement volontaire; et c'est avec ces voisins ou à la sienne. Dans cette position,
armées, ainsi recrutées,.avec leurs qualités et ou plutôt dans ce camp retranché, la France,
leurs défauts que la France accrue de règne avec son immense population, la fertilité de
en règne, et même sous les plus faibles, avait son sol, les qualités de ses habitants, n'avait
touché aux deux mers, aux Pyrénées et pres- à craindre qu'elle-même, et quelques' tenta-
qu'au Rhin et c'est malgré un système op- tives pour pénétrer sur son territoire par
posé de constitution militaire, et avec le re- son extrémité méridionale faites sous Charles-
crutement forcé et très-forcé, que la France a Quint et renouvelées dans le dernier siècle,
vu son territoire et sa capitale même envahis, n'avait pas même paru un danger.
et que les revers sont venus du Nord avec la Tous les autres Etats en Europe n'étaient
conscriptionet la tactique. pas à beaucoup près dans une position si
Il est vrai qu'en France il y avait depuis avantageuse; ils avaient, à la vérité, reçu aux
Charles VII un enrôlement forcé sous le nom mêmes époques, et par l'impulsion du même
de milice. Mais, quoique cet enrôlement fût génie, les institutions que nous avons remar-
une désignation plutôt qu'un service, et môme quées en France, mais la nature des choses
• \JUXJ lliiU
les y avait modifiées. Ainsi en Hongrie con-
tinuellement menacée par les Turcs en Po-
logne et en Russie ouvertes aux incursions3
des Tartares en Espagne, pendant huit siè-
cles en guerre, on peut dire domestique,
Vt\Z«IJTLjr> 1 EjO
nl.
5-
H..T7
tera jamais, et qui n'a été qu'une longue et Jt sujets utiles à l'Etat de ceux qui auraient fait
continuelle oscillation. Si des rêves de gloire,i, la honte ou le malheur de leurs familles. Mais
le désespoir des factions, ou des regrets tar-
~K~.» «v,^ «*v^^«c, vu ubs ic^ieta nu- suai de
ce sont mauvais sujets,
ue mauvais sujets, dit-on,
uu-uti et w rebut
ei le reum
OEUVRES COMPL. DE w.r
M. DE BoNALD.
». r_- II. 37
H63 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. H64
des grandes villes; mais, outre que le sort ou n'est ni judicieux, ni humain de venir jeter
1a remplacement
le nrerent vous donneront
en argent
rAmnlar.fimp.nt Pn au travers de toutes les différences physiques
TJhvsiaues
presque toujours ces mêmes hommes dont et morales, je ne dis pas de naissance, mais
vous refusez l'enrôlement volontaire la fa- de fortune, d'éducation, de goûts, d'habitu-
mille, en présentant ces enfants à l'Etat, ne des domestiques, de santé même et de force
peut-elle pas lui dire « Les voilà tels que corporelle, différences que produisent dans
vous les avez faits ? » Pourquoi administrer une grande population les avantages ou les
tant les choses, et si peu gouverner les hom- excès de la civilisation, de venir jeter la triste
mes ? Sommes-nouse.ncore sortis des ornières uniformité de cette loi, bonne tout au plus
de cette administration bonapartienne tout pour de petites peuplades et si j'avais à ca-
entière administration de choses, puisque ractériser par un seul mot le plus haut degré
l'homme lui-même n'y était qu'une chose, et d'oppressionpolitique, tel que je le conçois,
peut-être la plus méprisée de toutes? Nous je croirais le définir en disant que c'est vou-
nous plaignons de rencontrer des sujets indo- loir, par des lois, faire tout égal, là où la na-
ciles et de mauvaises mœurs ? Qu'avons-nous ture et la société n'ont rien fait ou rien laissé
fait pour les rendre meilleurs? où sont les de semblable? Et quelle loi plus dure, en ef-
lois que nous avons portées pour raffermir fet, pour la France et pour des Français, que
l'autorité paternelle, rétablir la sainteté des celle qui vient tourmenter les dispositions
mariages, effacer les traces honteuses du di- paisibles d'un caractère doux et inoffensif,les
vorce, rendre à la religion et à la morale toute dispositions littéraires d'un esprit cultivé, les
l'autorité de leur enseignement toute l'é- dispositions sérieuses d'un esprit porté à la
nergie de leur influence? méditation et à la retraite, les goûts vifs et
Un autre inconvénient à la fois politique et profonds d'une imagination dominée par l'at-
domestique de l'enrôlement forcé, et peut- trait irrésistible des arts, la faiblesse native
être le plus grand de tous, est l'extrêmemor- du corps, les affections du cœur, pour les
cellement des propriétés, dont les remplace- lancer pêle-mêle dans les camps et non pas
ments sont la première cause; le simple la- comme dans les petites républiques de la
boureur, pour exempter son fils, engage ou Grèce ou les peuplades du Nouveau-Monde,
aliène ses propriétés les plus précieuses et pour aller à quelques lieues faire une campa-
même la vanité, venant au secours des affec- gne de quelques jours, mais pour dévouer au
tibns paternelles, j'ai vu cette classe d'hom- service militaire, et dévouer tout entières ces
mes, à l'envi les uns des autres, racheter leurs années précieuses qui décident de la direc-
enfants comme signe d'aisance et de crédit, tion de toute la vie, et consommer ainsi dans
et racheter par orgueil celui qu'ils auraient huit ou dix ans tout son avenir. La sature de
laissé quelquefois s'engager sans trop de notre société ne nous avait pas condamnés
peine. tous à de tels sacrifices; ce n'était pas pour ces
L'Europe entière s'est soulevée contre le dures exigences qu'elle avait renfermé dans
trafic des noirs, et nous rétablissons au sein notre belle France comme dans la citadelle
du christianisme et entre les blancs un vaste de la civilisation, tous les trésors et toutes les
marché où le père, qui veut sauver la vie de douceurs de la vie sociale, qu'elle l'avait si
son fils, vient marchander la vie d'un autre bien munie contre l'invasion des armes de
avec le père qui consent à la vendre, trafic l'étranger hélas 1 que ne l'a-t-on aussi bien
essentiellement immoral, où la vie de l'homme défendue contre l'invasion des doctrines
est au plus bas prix quand l'argent est au plus étrangères Mais là où la patrie, moins heu-
haut, et qui trop souvent allume la division reusement située, avait exigé davantage de
dans le sein même de la famille où il révèle ses enfants, les goûts, les dispositions, les fia-
d'injustes préférences pour des enfants, d'o- bitudes, les affectionsmême, le physique et le
dieux calculs entre les frères, opposant ainsi moral de l'homme, tout s'était depuis long-
les intérêts les plus sordides aux affectionsles temps arrangé sur cette nécessité, tout était
plus légitimes. prêt pour cette rigoureuseobligation; rien ne
Le dirai-je? la conscription que vous nous l'est en France pour celle que vous nous im-
posez!1
proposez, et qui n'est pas celle de l'Autriche,
pas celle de la Russie, peut-être pas mêmei Voulez-vous un exemple de ce que doit être
celle de l'ancienne Rome, ne conviant pluss cette loi sévère, même lorsque le besoin de
à la raison, aux lumières, aux mœurs, auxi t'Etat en réel ame la nécessité? il faut sortir
habitudes, aux qualités ou aux défauts d'uni du cercle étroit des lois faites par l'homme, et
peuple vieilli dans, les arts de la paix, et ill se rappeler, dans l'histoire du peuple hébreu,
liOS PART. II. POLITIQUE. SUR LE RECRUTEMENT DE L'ARMEE. Hfifl
de ce peuple toujours
conquérir ou
P,llTlffllpnP
toujours sous les armes pourr
An pour
riAur1 conserver, m tout en-
ai qui
pnncai»uûp et m
n.n
+*-vi-i+
îivpf. nos
avec danse-
nm lois et nos mœurs, paraissait dange- (l'écouter des orateurs, viendrait met-
Oui las d'écouter
Qui,
reux à élever et impossible à soutenir? Hom- tre son épée à la place de la sonnette de votre
mes de peu de mémoire et qui oubliez si ai- président, terminer d'un mot toutes vos ha-
sément les leçons de l'histoire et les notions rangues, et écrire sur la porte de votre cham-
de la raison, rappelez-vous le sénat romain, bre Chambre à louer. C'est là l'histoire de
lorsqu'une révolte éclate parmi les légions, tous les gouvernements où l'on veut, malgré
et que des extrémités de l'empire elles accou- la nature, inspirer à l'armée des idées étran-
rent à Rome comme des tempêtes? Voyez ce gères à son essence, et placer dans les corps
sénat haussant ou baissant la voix selon ce délibérants des soins étrangers à leurs fonc-
que la renommée lui apprend des disposi- tions.
tions et de la marche de l'armée, mesurant Laissons donc l'armée ce qu'elle est et ce
ses expressions sur le nombre de lieues quii qu'elle doit être ne la faisons pas plus natio-
lui restent à parcourir, après avoir commencé nale que le roi, puisque le roi qui la. com-
par la menace, continuer par la flatterie, et fi- mande est aussi constitutionnel et plus natio-
nir par les supplications les plus abjectes; et nal que nous. Pensons que tout ce que de
voyez-y l'histoire de tous les corps délibé- vaines craintes, de honteuses jalousies ôte-
rants, qui voudraient associer l'armée à leur raient au pouvoir légitime du souverain, nous
cause. L'essence d'une armée est l'unité, l'es- le préparerions de loin pour une autorité usur-
sence d'un corps délibérant est la division. pée. Laissons au roi, chef suprême de, l'ar-
Eléments hétorogènes,vous ne vous touche- mée, un pouvoir et un grand pouvoir; lais-
riez que pour vous combattre, et de vos san- sons l'armée au roi, pour qu'elle soit à nous;
glants débats naîtrait encore une fois la ruineJ qu'elle soit l'armée du roi, pour qu'elle soit
de la constitution et des libertés publiques; ett l'armée de la patrie; et parce que, dit Bos-
du sein de ces rangs obscurs, dont vous vou- suet, ce que vous voudriez faire faible àvous
«
lez disputer au roi la libre disposition, s'élè- opprimer, deviendrait impuissant à vous dé-
verait encore quelque caractère entreprenant, fendre. » Rendons le peuple bon pour qu'il
quelque esprit audacieux, quelque rempla- soit heureux, et heureux pour qu'il soit bon
çant, peut-être à prix d'argent, et qui pour- ce sont là les vrais éléments de la force des
rait un jour dire comme Aman nations, et nous n'aurons pas alors besoin,
Je gouverne l'empire où je fus acheté. pour défendre l'Etat, d'opprimer la famille.
Je vote pour le rejet de la loi.
(1818.)
La question du recrutement est toute poli- d'hui pair de France, et qu'elle abolit même
tique, et elle a été traitée comme une ques- la milice.
tion toute militaire. Le directoire qui voulait faire une républi
Aussi les défenseurs du projet ont répondu que, et qui fonda le despotisme, après avoir
à toutes les objections, ou voulu résoudre épuisé les réquisitions forcées, établit le recru-
toutes les difficultés; mais ils n'ont pas osé tement forcé ou la conscription.
s'engager dans la discussion qu'on avait ou- Le général Jourdan qui fut, en 1798, le rap-
verte sur le rapport qui existe entre la démo- porteur de cette loi désastreuse, disait Le
cratie et le recrutementforcé, et entre la mo- gouvernement d'une république dont la cons-
narchie et le recrutement volontaire. titution a pour base les droits de l'homme, ne
Ce rapport entre la circonscription et la doit avoir qu'une armée véritablement natio-
démocratie, les uns ne l'ont pas assez aperçu, nale, et la conscription militaire sera la
tes autres l'ont trop bien jugé. garantie la plus certaine d'une paix durable.
L'assemblée constituante qui voulait faire C'est précisémentce qu'on dit aujourd'hui,
Hne monarchie,et qui fonda la république, sauf qu'on ne nomme pas la république, que
n'avait garde d'établir le recrutement forcé, les événements sous-entendent, même quand
puisqu'elle rejeta la circonscription sur le les hommes n'y penseraient pas.
rapport de M. le duc de Liancourt, au.jour- Et aujourd'hui encore on ne veut, dit-on,
«69- PART. il. POLlTiQUE. -SUR LE RECRUTEMENT
enproposant
enproposant la circonscription, qu'avoir une
une
DE L'ARMEE
LA™'
gênant au contraire jusqu'aux
"'0
i,-«
armée nationale et garantir la paix. volontés des
citoyens, paraîtra uniquement ce qui pourra
Ecoutons le rapport du due de Liancourt, justement
alors être appelé l'aristocratie des
fait à l'assemblée constituante
en décembre richesses; puisque par elles l'égalité des droits
1789. On le trouve à la bibliothèque de
chambre des députés,t. IX des -Procès* Ver- cipe.
t
la et la liberté seront attaquées dans leur prin-
baux, édition in-8°. T. A. m, n°376.
« La tentative de cet établissement a excité
J'en citerai quelques passages. de tels murmures en Autriche, que l'empe-
«Quand., témoins des malheurs répandus reur (Joseph II) été
dans nos campagnes par le tirage de la mi- projet l'origine a contraint d'en retirer le
et des troubles qui agitent
lice qui, aux maux particuliers à chaque vil- aujourd'hui le
Brabant, est due à la crainte
lage, à chaque commune, ajoute la calamité inspirée
aux Pays-Bas de l'établissement de
commune et irréparable pour la France de cette conscription.»
lui coûter chaque année près de douze mille On avait allégué l'exemple de la Prusse; le
fuyards perdus pour l'agriculture,
nous avons rapporteur répond:
tous pris, dans nos cahiers, l'engagement de
« Ainsi, en Prusse, tout homme qui k va-
provoquer et d'opérer la destruction de ce leur de vingt-quatre mille francs de capital,
fléau désastreux consentirions nous à la tout homme qui se livre à un commerce de
conscription militaire, fléau bien plus affli- quelque importance, tout homme reconnu
geant encore, puisqu'il embrasse tous les absolument nécessaire
états et toutes les professions? à l'exploitation de sa
» terre, est exempt de la conscription. Elle est
Il faut observer que le projet présenté à établie avec moins de rigueur, dans
la constituante n'était une pro-
pas différent de celui portion plus douce dans les villes que dans
qui nous est soumis, et que, tel qu'il était, les
campagnes: les villes du premier ordre
le rapporteurl'appelle conscription. sont entièrement soustraites à sa rigueur (f)
« Les citoyens soumis à la conscription « Après avoir considéré la conscriptionmi-
seront obligés de faire personnellement le litaire sousle rapport de la constitution,
si elle
service, ou ils pourront se faire remplacer. vous est présentée
fin seul moyen peut obliger le citoyen à faire ne remplira sous celui de l'armée, elle
pas davantage les conditions qui
personnellementson service,celui de la force, vous étaient promises, etc.,
qui, allant chercher l'homme dans ses foyers, » etc.
On observe avec effroi, en lisant les deux
ou dans la retraite que l'espionnage aura dé- rapports faits à neuf
ans de distance l'un de
couverte, ne lui laissera que l'alternative de l'autre, à l'assemblée constituante
porter les armes, ou d'être corporellement directoire, combien dans et sous le
puni. ce court intervalle
l'insensibilitéaux vœux et aux souffrances du
« Ce moyen, le plus tyrannique et le plus peuple, le mépris de toutes les
violent. quipuisse être imaginé, le plus con- surtout de la liberté
libertés, et
personnelle, l'oubli, de
traire aux droits de l'homme, le plus opposé tous les droits, l'ignorance
à tout principe de liberté (quand l'ennemi intérêts de l'Etat même des vrais,
avaient fait de progrès.
n'est pas à la porte), ne peut jamais avoir Je parcourrai rapidement les objections et
son
exécution dans un pays qui croit avoir
une les réponses.
constitution. Il vaudrait mieux cent fois vivre Le recrutement forcé que nous
à Constantinople et à Maroc, que dans l'Etat n'est proposons
pas la conscription. C'est comme si
où de pareilles lois sont en vigueur. l'on disait, un lieu de détention sain et com-
« On vous a dit que le moyen de remplace- mode n'est pas une prison la contrainte est
ment sera permis, et qu'ainsi l'homme qui ne tout, le reste n'est rien.
voudrait pas. servir, échapperait Mette néces- L'enrôlement volontaire ne suffira pas, di-
sité en substituant un autrehomme àsaplace: sent les uns; il suffira,
disent les autres: les
alors ce système.de conscription ne sera plus premiers
qu'un système d'enrôlement volontaire. La ne peuvent alléguer en leur fa-
veur aucune expérience, puisque depuis
seule différence, est qu'ils vendront leur, ser- trente
vice plus cher;. qu'ils se donneront
|
ans nous vivons sous le régime
au plus des appels forcés; et que depuis près de deux,
offrant. ans le recrutement volontaire a été défendu*
« Ainsi, cette conscriptionmilitaire, qui est ou permis pour
présentée comme le palladium de la liberté, seulement, avec des un petit nombre d'hommes
formalités qui le rendent
incommode, diflicultueux, ét à peu près im- employer des moyens rigoureux. Il a été en-
praticable. Les autres ont pour eux l'expé- traîné, et nous le serons nous verrons encore
rience de toute la durée de la monarchie jus- la réserve des vétéranslégionnaires employée
qu'à la révolution; et, dans ces derniers à poursuivre les nouveaux conscrits; et dans
temps, un recrutement volontairequi alimen- une même commune, les voisins, lesparenîs,
tait une armée plus nombreuse avec une les amis, occupés à se dénoncer, à se pour-
moindre population (1) Il n'y a d'exemples suivre ou à s'arrêter les uns les autres.
contraires que sous Louis XIV et Bonaparte; On trouve immorale une prime accordée
et ce n'est pas dans les règnes ambitieux que par le gouvernement au jeune homme qui
la France désormais doit chercher des modè- veut s'enrôler, et on trouve moral peut-être
les. Qu'on fasse l'expérience sincèrement et le marché qui s'établit entre deux pères,
de bonne foi, et qu'elle ne soit pas confiée à dont l'un achète le fils de l'autre pour aller
ceux qui peuvent avoir intérêt à la faire servir et mourir à la place du sien. En vérité,
échouer. on est tenté de désespérer de \& raison hu-
Mais Bonaparte levait cent deux cent maine.
mille conscrits. C'est précisément à cause On parle d'égalité, et où est -elle, cette
de cela que le roi n'en lèvera pas dix mille. égalité, entre celui qui rachète son fils et
On ne pourrait aujourd'hui les lever sans em- celui qui est forcé de vendre le sien, entre
ployer des moyens rigoureux, et nous ne celui qui prend sans regret le billet noir et
sommes pas assez forts pour être violents:,:x celui qui y lit l'anéantissement de toutes ses
on fera plus de mal au roi par la loi du recru- espérances, de son bonheur, de ses goûts, de
tement forcé, lorsque aucun danger réel ne sa santé, de ses habitudes, etc.? Où est-elle,.
nécessite cette mesure qu'on ne peut faire de entre le sort du jeune laboureur, né, pour
bien à l'Etat; et je puis avancer, sans crainte ainsi dire, dans les habitudes de son état, et
d'être démenti, qu'un des plus chauds défen- celui du jeune artisan qui a fait un long et
seurs du projet de loi, ministre d'Etat aujour- coûteux apprentissage de son métier? Raison
d'hui, et longtempspréfet et administrateur, pour laquelle les villes peuplées d'artisans
a déclaré dans son bureau qu'il la croyaitt étaient en général ménagées plus que les
inexécutable (2)'` campagnes, dans le tirage de milice.
«Nous n'ignorons pas,» disait dans son rap-` On vous a parlé de la nécessité où est la
port à la convention le général Jourdan, « que famille de défendre l'Etat c'est au contraire
fe système de conscription a été rejeté par à l'Etat à défendre et à conserver la famille,
l'assemblée nationale, et cette assemblée eutt parce que l'Etat existe pour la famille et non
peut-être raison de craindre que cette loil la famille pour l'Etat-
éprouverait de grands obstacles dans son exé On vous a parlé de l'inégalité de la milice.
cution. » Elle était beaucoup plus égale politiquement
1e pourrais adjurer ici tous les administra- la conscription, puisqu'elle conservait
que
teurs départementaux ou municipaux 1 également toutes les familles, en laissant éga-
qui
siègent dans cette enceinte, de nous dire s'ils5 lement dans chacune le premier-né, celui qui
n'ont pas tous regardé la conscription commeJ est destiné à perpétuer le nom et l'existence
te plus lourd fardeau qui pût leur être im- de la famille.
posé, et comme la mesure la plus propre à La monarchie ne voit d'égalité qu'entre
leur aliéner le respect et l'affection de leurs3 des familles, toutes conservées dans leur
administrés. existence physique, toutes, plus tôt ou plus
Au reste, les moyens de la conscription 1 tard, à mesure de leurs progrès, appelées à
sont devenus de plus en plus violents, à me-6 remplir tes mêmes devoirs politiques. La ré-
sure que la répugnance des peuples a été publique ne voit d'égalité qu'entre des indi-
plus marquée,et leur résistanceplus opiniâtre.vidus. L'égalité entre les familles est une réa-
La même chose arrivera: car le gouvernement it
lité politique l'égalité entre les individus une
qui établit la conscription n'aurait pas plus
s abstraction d'idéologues.
voulu que nous ne le voulons aujourd'hui, C'est dans les mêmes principes qu'il faut
(ty Le comilé militaire de l'assemblée consti- un mois deux cents belles recrues.
tuante, composée d'officiers distingués, déclara quee m Quelqu'un s'élevait un jour devant Bona-
l'enrôlement volontaire suffisait au recrutement de rigoureux em-
l'armée.Et depuis cette époque on a baissé la taille8 parte contre un des mille moyensC'est contre la loi
exigée, ce qui augmente de beaucoup la facilité é ployés pour lever la conscription
même de la conscription qu'il faut s'élever,
répondit
des enrôlements la municipalité d'une ville dee de
troisième rang, voisine de Paris, a refusé depuiss Bonaparte» contre ce:.te loi loute rigueur,.
SUR LE RECRUTEMENT DE L'ARMRE. 1174
ti73 PART. H. POLITIQUE.
juger la question de l'avancement oralement forcé,
crutement forcé, un principe éternel et invo-
lontaire d'hostilité avec la conscription, un
La démocratie veut l'avancement des in-
dividus la monarchie veut l'avancement des peuple se repose quelquefois sur ses armes,
familles. mais ne les quitte jamais.
Aussi, malgré toutes les déclamations que Mais cet exemple est périlleux pour elle-
nous avons entendues, la moitié au moins des même de puissance militaire qu'elle était,
emplois militaires était remplie par des fa- la France devient puissance guerrière. On eût
milles récemment avancées. respecté sa force tranquille, on suspectera
La différence est toute à l'avantage du sa force menaçante; et elle a trop prouvé
peuple. combien, avec sa population et sa situation,
Une famille avancée ou anoblie, était une la conscription pouvait devenir formidable.
famille enrichie, et cette famille servait, en Nous inspirons toutes les craintes, et nous ne
temps de paix, avec son revenu, et en temps pouvons,pasrepousser tous les dangers. Pre-
de guerre, dit Montesquieu, avec son. ca-'` nons-y garde; et si nous avions des voisins
pital. ambitieux, ils ne pouraient rien faire de plus
Avec la conscription il sera honteux à utile pour eux, de plus funeste pour nous,
l'homme aisé de laisser tirer son fils au sort, que d'inspirer à notre gouvernement la pen-
et la vanité elle-même viendra au secours des sée nd'une mesure qui affaiblit l'intérieur par
affections paternelles. D'un autre côté, la le mécontentementet la division, et qui- me-
porte de l'avancement n'étant ouverte qu'à nace l'extérieur par la nature hostile de son
ceux qui sont élevés dans'les écoles militaires, principe.
ou qui commencent par jètre soldats, ceux J'accepte volontiers tais les éloges qu'on a
qui ne pourront pas envoyer leurs enfants à donnés à nos braves guerriers, et je sens que
ces écoles, ou qui voudront les faire élever la gloire individuelle qu'ils ont acquise, con-
dans la maison paternelle, n'ont pour eux, sole mon amour propre national des mal-
s'ils veulent servir, d'autre ressource que de heurs publics qui l'ont suivie.Nous les retrou-
les faire soldats, au hasard d'y rester. Dès verions au moment du danger mais ne le
lors les fortunes intermédiaires entre l'opu- faisons pas naître par une mesure qui a trop
lence et la misère, s'excluent elles-mêmes du d'avenir pour ne pas attirer l'attention de
service; dès lors,. et par cela seul, la. considé- l'Europe.
ration due; à la noble profession des armes, Je ne crois pas facilement aux conspira-
baisse dans l'opinion; les soldats seront en tions des hommes je crois beaucoup à celles
partie des remplaçants achetés à prix d'ar- des choses, et surtout des choses étrangères
gent. Beaucoup d'individus avancés, ne pou- et lorsque je vois le système étrangères
vant rien espérée de leurs familles, ne vivront écoles à la Lancàster, s'introduire dans notre
qu'aux dépens de leurs appointementset de éducation, le système étranger d'un crédit
leurs pensions de retraite, qu'il faudra aug- public, s'introduire dans nos finances, Je sys-
menter. Les contributions des peuples suffi- tème étranger de la conscription, s'introduire
ront à peine à entretenir des écoles militaires dans notre état militaire, je tremble pour mon
et à solder l'armée elle les ruinera pour les pay s ce sont là de véritables conspirateurs
défendre, et quelquefois pour les opprimer, c'est là l'invasion étrangère que je crains,, et
et le service deviendra un calcul plutôt qu'un je n'en crains pas d'autre.
honneur. Cette armée, inquiète parce qu'elle On ne peut s'empêcher d'être frappé- de
est pauvre, bonne à la guerre, sera dange- la stérilité d'esprit qui succède en France, à
reuse pendant la paix. Aussi, tandis que dans une malheureuse fécondité d'invention. Nous
les monarchies la maxime est de se préparer avons innové en tout sur les principes de no-
à la guerre, pour avoir la paix au dehors, la tre constitution, et nous n'osons faire un pas
maxime des républiques est de faire la guerre hors des routines de l'administration en fi-
pour avoir la paix au dedans, et les troupes nances, ni en mode de recrutement. Il y avait
de terre y sont redoutées et n'y sont pas con- mille moyens de rendre plus facile l'enga-
sidérées comme dans les monarchies. gement volontaire, ou p'us doux et pres-
Il eût été digne de la France de donner à qu'insensible, le recrutement obligé. Quel-
L'Europe d'autres leçons; et elle ne semble qu'un a proposé d'en charger les communes
avoir été mieux défendue que tous les autres et ce que le gouvernementne fera qu'à force
Etats contre l'invasion, que pour leur offrir de contrainte, de rigueur et de frais pour les
à tous le premier exemple d'une nation qui particuliers,,les communes le féraient facile-
désarme. Elle pose au contraire, dans le re- ment et avec économie. Mais nous sortons
H '5 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD
u7fi
d'un système d'administration, où rien nee ordres, et surtout du tiers état, ordonnait
marchait que par force, et par la force, et oùi aux députés d'alors, de provoquer et d'opé-
l'on semblait croire que le mouvement seraitit rer l'abolition du recrutement forcé croi
arrêté, si on mettait de l'huile aux rouages dee rons-nous qu'en 1818, après les maux ef-
la machine. froyables causés par le développement de
Le recrutement obligé dans le système mo- ce terrible principe, l'opinion mieux infor-
narchique de gouvernement pouvait servir à5i mée demande aux députés d'aujourd'hui d'en
la défense de l'Etat; le recrutementforcé avec3 provoquer et d'en opérer le rétablissement? g
un système populaire tournera à sa ruine. Cette iOi destructive du respect des peu-
Tous les ans lé budget du ministère de lai pies pour la parole du roi et de leur affection
guerre fournira l'occasion de parler de l'ar- pour sa personne inutile à la défense de
mée, et par conséquent d'agiter l'esprit des3 l'Etat, et même à sa libération; mortelle
militaires. Le vote annuel sera reproduit, pour le bonheur et là .morale des familles
peut-être à la session prochaine, et un peui cette loi qui nous a donné une représenta-
plus tôt, un peu plus tard, il sera emporté tion du rôle que jouaient les tribunes dans
et lès chambres qui déj& disposent de la sur- les délibérations des premières assemblées
sistance du soldat et des appointements des de notre révolution, explique beaucoup de
l'officier, disposeront dé l'existence même dei choses. On y voit la raison de ce
que cer-
l'armée, et nécessairement alors de celle de3 tains journaux avançaient lors des dernières
l'Etat or, il n'y a pas d'Etat qui puisse ré- élections, de l'inutilité des connaissances
po-
sister à la coalition des orateurs et des sol- litiques pour les délibérations de la chambre,
dats. et le motif de quelques propositions faites
Remarquez ce passage de l'opinion d'un pour prévenir la chaleur des oppositions. Les
de nos honorables collègues, qui est loin deî habiles le remarquent mais le peuple, heu-
partager mes craintes « Je ne parle pas dureusement distrait par d'éclatantes largesses
privilège dont se sont montrées jalousesfaites quelquefois au nom de particuliers, et
quelques assemblées délibérantes, celui d'é-• par la baisse des subsistances, n'y fait aucune
loigner les troupes du lieu de leur réunion attention.
il ri est pas dans nos mœurs de s'inquiéter d'uni J'espère de la sagesse de la chambre que
6el voisinage, » la loi sera rejetée, et qu'elle en demandera
En 1789, l'opinion publique bien réelle- une autre.
ment exprimée dans les cahiers de tous les
UN MOT
SUR LES FRÈRES DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.
La parité qu'on a voulu établir entre less tienne le remboursement des frais d'entre-
élèves de l'Ecole normale et les frères dess tien et de subsistance qu'ils lui ont coûté»
Ecoles chrétiennes n'est point exacte. Less Quant aux frères des Ecoles chrétiennes, la
élèves de l'Ecole normale prennent un enga- même raison n'existe pas; l'Université ne les
gement de dix ans envers l'Université, parce3 institue pas, ne les instruit pas, ne les nour-
que, de son côté, l'Université contracte enverss rit pas; l'Université ne s'engage pas à les
eux l'engagementde les instruire, de les en- placer l'Université ne leur donne aucun
tretenir pendant tout le temps qu'ils sont àï traitement ils ne lui doivent rien; l'instruc-
l'Ecole, et de les placer ensuite quand ils ontt tion qu'ils vont porter aux pauvres, ils l'ont
acquis l'instruction nécessaire pour se livrerr puisée en eux-mêmes, dans le sein de leur
à l'instruction. S'ils quittent le service dei propre institution. Je ne sais pas si l'inten^
l'instruction avant le terme de leur engage- tion de M. Royer-Collard, de leur faire pren-
ment, ils sont susceptibles d'être poursuiviss dre un engagement envers l'Université, pour-
devant les tribunaux, pour que l'Etat ob- ra leur convenir.
UN MOT
SUR LA RESPONSABILITÉ QU'ON VEUT FAIRE PESER SUR CEUX qui se FONT REMPLACER POUR
L'ÉTAT MILITAIRE.
OPINION
SUR LE PROJET DE LOI CONCERNANT LA RÉCOMPENSENATIONALE A ACCORDER A M. LE DUC DE RICHELIEU.
Messieurs, il est difficile que toute question dans cet état -turbulent et contre nature de la
particulière, agitée dans cette chambre, ne société, l'hômme ne peut avoir tout au plus
donne pas aussitôt naissance à une question que des idées de conservation individuelle et
générale. C'est ainsi que de la discussion sur aucune de perpétuité sociale. Ces gouverne-
la récompense à accorder à M. le duc de Ri- ments à révolution n'ont point d'avenir.
chelieu est sortie l'importante question des Le majorat ou les substitutions sont donc
majorats, qu'on n'a pas, je crois, saisie sous dans l'intérêt de la famille, puisqu'ils assu-
son véritable point de vue, et dontil ne nous pa- rent sa perpétuité ils sont, par la même rai-
raîtra pas inutile de poser ici le principe. son, dans l'intérêt de l'Etat, qui né doit pas
Quelques-uns de nos honorables collègues compter ses forces par individus, mais par fa-
n'ont vu dans le majorat qu'une institutionpo- milles.
litique, et le majorat est une institution do- Il est vrai que cette immutabilité de fonds
mestique, une faculté de la famille, mais de territoriaux diminue, au préjudiee du fisc, les
la famille placée dans l'état civilisé de la so- droits sur les, mutations de propriété. On peut,
ciété publique. si elle n'est pas contenue et réglée par de sa-
Le majorat n'est en effet que le dernier dé- ges lois, arrêter l'essor de l'industrie, mais
veloppement et la plus grande extension de l'homme n'a pas été placé en société précisé-
l'institution de la primogéniture, comme dans ment pour payer des droits d'enregistrement,
nos sociétés modernes. Ce Caraïbe qui ne voit et de cette industrie si active et si mobile, qui
devant lui que la génération qui lui succède, mettant d'instabilité dans les fortunes et tant
laisse en mourant au plus fort de ses en- de cupidité dans les coeurs, il y en a toujours
fants son arc et ses filets; l'homme civilisé qui assez et quelquefois trop pour la tranquillité
reçoit de -la société civilisée et monarchique de l'Etat,- où l'industrie, telle qu'on l'entend
à laquelle il appartient, des pensées d'avenir aujourd'hui, fait naître plus d'hommes qu'elle
et des idées de postérité et de perpétuité, n'en peut nourrir.
lègue à toutes les générationsqui lui succéde- Quant à la question particulière qui nous
ront une partie de son patrimoine qui dès occupe, je ne suis pas éloigné de partager, sur
lors devient le leur. C'est dans ces divers quelques points, l'opinion de mon honorable
états de société le même principe,le principe collègue en philosophie comme en députa-
naturel de conservation de la société, au- tion,'M. Kératry. Dans un traité entre deux
quel le pouvoir domestique dans ces divers peuples inégalement civilisés, les talents
états, obéit dans ses dernières dispositions. d'un négociateur peuvent prendre de grands
Si la démocratie repousse le majorat et avantages, et obtenir de grands succès. Mais
même le droit de primogéniture c'est que quand les lumières et les connaissances sont
fiW Vi;iJ lt~c.~7 4Vi11YLC1C
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égales des deux côtés, et que la langue est sst drais une pleine et sincère justice aux qua-
la même, il y a moins de chances pour l'a- 'a- lités personnelles de M. le duc de Richelieu,
dresse les réunions de ministres ne sont int à la noblesse de son caractère, à l'élévation
presque plus que des rendez-vous pour la si- de ses sentiments, à la droiture de ses in-
gnature ,et la politique a tout réglé dans les
es tentions; mais je craindrais, je l'avoue, en le
cabinets avant d'appeler la diplomatie dansns dotant sur les domaines de l'Etat, d'ouvrir
les congrès. une porte qui, en France, uné fois ouverte,
Je préféreraisjuger dans l'ensemble de sa ne se fermerait plus il me paraît décent
conduite ministérielle, un ministre retiré, •é, que ceux dont l'Etat a pris les biens se mon-
comme autrefois, en Egypte, on jugeait les es trent plus avares des biens de l'Etat, et en
rois décédés. Je voudrais même que, dans le désirant pour M. le duc de Richelieu, toutes
bail ministériel,comme dans les baux à loyer,:r, les récompenses que la munificence royale
on dressât, s'il était possible, un état des 'es peut lui accorder, je pense que, pour l'éclat
lieux; on aurait une règle sûre pour juger ce du trône, l'avantage des peuples, 1 affermis-
que l'Etat aurait gagné ou perdu. Je pren- n- sement même du principe de propriété si
drais ici, comme mon collègue, en grande le violemment ébranlé, les domaines de l'Etat,
considération les actes importants, auxquels ils quels qu'ils soient, peuvent être et rester à
le dernier ministre a concouru. Je ren- î- jamais inaliénables 1
Au milieu des discussions qui absorbentnt appuyé sa proposition ont traité la question;
l'attention, nous croyons devoir faire remar- en publicistes, en moralistes et en financiers
r-
quer la proposition faite par Mgr le duc de le car; la politique, la morale et la finance, par
Lévis et adoptée par la chambre des pairs un accord bien rare, se réunissent pour solli-
rs
pour l'abolition du droit d'aubaine on citer l'abolition du droit d'aubaine. La politi-
ap-
3-
pelle ainsi la confiscation des biens des étran-
i- que nous dit que l'étranger qui quitte sa<
gers qui meurent en France. La discussion de. le- terre natale pour venir habiter parmi nous,
cette proposition a commencé hier dans le n'est pas un ennemi, et que, s'il est bien ac-
comité secret de la chambre des députés. cueilli, il deviendra bientôt un citoyen utile
Dans son discours, plein d'érudition et fort
rt et dévoué. Est-il pauvre et malheureux, il
de raisonnement M. de Lévis remonte à l'o- doit trouver asile et protection sur une terre
o-
rigine du droit d'aubaine, à ces temps de bar- hospitalière; est-il riche, industrieux, ses
r-
barie et de féodalité, où ce droit s'exerçait de
le trésors et ses talents viennent augmenter les-
seigneurie à seigneurie, c'est-à-dire, de vil- il- richesses nationales en payant sa part des
lage à village. Plusieurs fois aboli, il tou- impôts, il en allége le fonds ou en augmente
a 1-
jours été ramené dans notre législation le produit. Au lieu de l'empêcherd'acquérir
par
if
` de faux calculs et une politique étroite et;t des propriétés, il faut, suivant les heureuses
avide. Dans le xiir siècle, les seigneurs pré- dispositions de M. de Lévis, s'efforcer d'atta-
tendaient qu'il leur appartenait, comme déri- i- cher à la glèbe sa fortune et sa famille. l,es
vant du droit de chasse aux bêtes fauves, aux- capitaux qu'il nous apporte sont la bêche d'or
quelles il était juste que les étrangers fussentlt qui manque à nos cultivateurs. Quelle in-
assimilés, quand les malheureux serfs étaient lt fluence le droit d'aubaine aurait-il eue sur la
traités comme des animaux domestiques. L'as- population des Etats-Unis d'Amérique ? Assu-
semblée constituante avait effacé de notre lé- rément s'ils eussent confisqué les succes-
gislation cette trace honteuse de barbarie:
mais lors de la rédaction de notre Code civil,l»
' sions des étrangers qui venaient s'établir
parmi eux, leur prospérité différerait peu de
le chef du gouvernement, prenant dans
a
sa celle des colonies espagnoles où ce droit est
haine aveugle tout étranger pour ennemi,
voulut le rétablissementde ce droit, comme en vigueur.
e Mais, dira-t-on, les étrangers peuvent se
une mesure hostile et un moyen de puis- faire naturaliser, et leurs enfants hériteront.
sance. Mais, avant de changer de patrie sans retour,
M. le duc de Lévis et lcs pairs qui ont
rt il faut essayer du climat et des mœurs de ses
nouveaux compatriotes. On craint de séjour-
ner peu de temps, et de transporter sa for-
tune dans un pays dont les lois confisquent
de
1
ae Clermont-Tonnerre
uermom-Tonnerre de ue Pastoret
montré que le droit d'aubaine est réprouvé
de
rasioret et oe
Boissy-d'Anglas ajoutent la leur. Ils ont dé-
vos biens et dépouillent vos enfants. On ne par l'équité et par l'intérêt bien entendu de la
peut taxer cette. abolition d'être inconstitu- France ils ont répondu à toutes les objec-
tionnelle car la Charte a aboli toute confisca- tions, et en lisant leurs discours, on ne peut
tion, comme injuste et odieuse, comme un méconnaîtrecombien elles sont futiles et faus-
abus du droit du fort contre le faible. Ce ses. M. de Lévis évalue à plus de cent millions
droit de propriété n'est pas moins sacré sur les capitaux qui n'attendent que la suppres-
la tête de l'étranger que sur celle de l'indi- sion de cette confiscation comminatoirepour
gène. arriver au secours des propriétaires, et con-
Mais en fait d'aubaine, le système le plus courir au perfectionnement de notre agricuj
faux est sans contredit celui de la réciprocité ture. Peu de propositions s'appuient sur de
établie par le Code civil, puisquec'est en quel- plus graves autorités, et se recommandent
que sorte mettre pour condition à l'admission par de plus puissantsmotifs. Des vues élevées,
des étrangers, la sortie des Français et de l'amour du bien public, l'ont inspirée, l'utilité
leurs biens. Accueillir les étrangers et leurs générale doit en être le résultat elle réunira,
richesses, et se féliciter de ce que la législation sans douxe, dans la chambre des députés
d'autres Etats repousse les émigrations fran- comme dans la chambre des pairs,les suffra-
çaises, serait certainement beaucoup mieux ges des hommes éclairés et amis de leur pays,
calculer et raisonner. quelles que soient leurs opinions politiques:
Montesquieu appelle le droit d'aubaine un dans l'une et l'autre chambre, les lumières et
droit insensé M. Neekera a calculé qu'il était les bonnes intentions forment la majorité.
odieux au fisc à ces autorités MM. de Lévis,
UF1MUW
.J.J.l.{
donc considéré comme un
guedes premiers Latins
ennemi; r.
et la 1.1.
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
L'étranger, dans ces premiers temps, était
ut l'homme
lan-
en offre une preuve
sans réplique: « Les anciens. dit. Oieé?on,
« appelaient ennemi celuique nous nommons
aujourd'huiétranger. Hostis apud majores is
ve
n
ns
':II.
1 homme pût quitter le pays qui
n- naître, lle doux pays de ses aïeux,-
nu
l'avait vu
quand la
patrie ne le rejetait pas de son sein; et une
prévention défavorable, et dont il reste peut-
être encore des traces, s'attachait aux pas de
l'homme errant qui allait chercher de nou-
dicebatur quem nunc peregrinum dicimus.»» veaux cieux et une nouvelle terre.
Les mœurs, et avec elles les coutumes, s» Je n'ai pas parlé des lois des Romains, plus
seules lois des premiers peuples, s'adouci- 'i- favorables aux étrangers; il ne pouvait y
rent à mesure que les peuples se fixèrent et avoir d'étrangers pour un empire qui em-
que les habitudes paisibles de l'état agricolele brassait tout l'univers connu il n'y avait que
remplacèrent la turbulente inquiétude de la des barbares.
vie errante et agitée du premier âge. Les na- a- Ce que les lois ou les coutumes premières
tions se distinguèrent les unes des autres, et avaient eu de sévère ou de cruel s'était donc
se limitèrent comme le territoire qu'elles oc- adouci. L'étranger fut respecté, fut protégé
cupaier.+, et quoique souvent en guerre pour nr comme passager mais en général la loi ne
l'agrandir ou le défendre, elles connurent nt lui permit que par exception de devenir
l'état de paix publique, constaté dans des trai-
û- citoyen
tés, garanti par la religion. C'est à peu près là que nous en sommes, et
L'industrie et le commerce naquirent à leurur et les autres nations comme la nôtre c'est là
tour des besoins et des facultés d'une popula-l" le fond et la raison de toutes les lois sur le
tion plus nombreuse, plus rapprochée, plus Ils droit d'aubaine et de détraction, ou de prélè-
sédentaire,etsedéveloppèrentsousl'influence ;e vement en faveur du fisc sur les successions.
d'un ordre quelconque, nécessaire à toute te mobiliaires que laissent les étrangers.
granderéunion d'hommes.L'homme qui, à la C'est de cet état qu'on nous propose de
faveur de la paix et sur la foi des traités, pas- 'sortir, et même sans réciprocité, en permet-
sait chez un autre peuple, put y porter autre re tant aux étrangers d'acquérir des biens en
chose que ses besoins et ses armes l'étranger îr France, et d'en disposer à leur mort comme les
ne fut plus qu'un voyageur qui recevait la plus ls régnicoles car les étrangers qui ont la faculté
touchante hospitalité, là même oui! ne pou- l" d'acquérir,n'en usent pas tant qu'ils n'ont pas
vait former d'établissement, et peregrinus, f> la. faculté de disposer des biens acquis."
dans la langue des Latins, signifie à la fois 1S D'abord, il faut écarter de la question le
étranger et voyageur. reproche d'inhumanité et de barbarie qu'on
Mais en même temps, la terre devenueplus is a fait au droit d'aubaine. Un peuple n'est
fertile à l'aide d'une culture moi;.s troublée !e obligé que d'être hospitalier, et s'il y a de
par les armes, et la propriété mieux défendue ie l'inhumanité à repousser l'étranger malheu~
par des lois, inspirèrent plus de jalousie à reux, il n'y en a certainement pas à refuser
leurs possesseurs naturels, et si l'étrangerput à l'hommeopulenttousles droits de citoyen;,
transporter plus librement sa mobile indus- cor il faut bien le dire, ce ne sont pas des
trie, la possession de la terre et les droits dee hommes que nous appelons, mais de l'argent,
cité lui furent interdits. Les peuples avaient It et c'est au fond le seul motif qu'on ait djjnné
pris un esprit de nation qui n'avait fait que ie à l'abolition du droit d'aubaine.
fortifier l'esprit de famille. Les citoyens IS Ainsi, tandis que nous invitons par l'appât
indigènes, et qui souvent se croyaient dutoch- l~ d'un intérêt plus élevé, et d'un capital plus
thones, se regardaient comme possesseurs s disponible, tous les Français, même des pro-
exclusifs d'une terre dont ils avaient acquis laa vinces, à vendre leurs terres, pour en placer
propriété en la fécondant de leurs sueurs, enn la valeur, en rentes, sur le grand-livre, nous
la défendant au prix de leur sang, contre cess invitons, par l'abolition ilu droit d'aubaine,
mêmes étrangers qui auraient voulu en par-
tager la possession; et il faut convenir, quel11
' les étrangers à les acheter, en même temps
que nous laissons des bandes noires détruire
que soit aujourd'hui notre cosmopolitisme, nos maisons de campagnes; nous appelons
qu'il y avait dans ce sentiment quelque chosee des étrangers pour les relever. Ce sont là de
de naturel et de raisonnable.
ces mystères de la politique moderne, dont
D'ailleurs les peuples, plus attachés au sol1 il est plus aisé de deviner le motif, que de
natal à mesure qu'ils étaient plus vertueux, comprendre la raison.
et qui même faisaient de l'amour de la patriei Je vous ai dit, Messieurs, que c'était de
leur première vertu, ne concevaient pas l'argent qu'on voulait en abolissant le droit
queî
U85 PART. Il, POLITIQUE. SUR LE DROIT D'AUBAINE. 1186
d'aubaine, et c'est aussi contre le pays qui dont ils ont été, les uns ou les autres, les
en a« in contre l'Angleterresurtout,
plus,.orintrA
le i-vinc l'Anfflptp.rre surtout, que
nue instruments et et. les moyens.
movens.
nous l'abolissons; du reste, prêts à admettre Aussi les gouvernements, sans porter une
une colonie d'Hottentots si elle nous portait atteinte directe et positive à une liberté qui
de ce métal précieux prêts, à ce prix, à a son fondement dans la nature même de
l'admettre avec ses lois, ses usages et son culte, l'homme, en refusant aux étrangers, par l'éta-
que nous mettrions sous la garantie de la blissement ou.le maintien du droit d'aubaine,
liberté de conscience et de l'égalité de droits. de s'établir chez eux, se sont, par un accord
Ici s'élève une question délicate et politi- tacite, réciproquement et suffisamment ga-
que et qui n'est pas sans intérêt. rantis le droit de chacun d'eux, de retenir la
J'ai dit que nous abolissions, contre l'Angle- fortune de ses sujets et ont ainsi averti leurs
terre, le droit d'aubaine, parce que je regarde sujets de l'obligation où ils étaient de ne pas
cette abolition, lorsqu'elle n'est pas provo- porter ailleurs des services et une fortune
quée, ni par conséquent réciproque, comme qu'ils devaient à leur pays. Considéré sous
une mesure hostile, un véritable embauchage ce rapport, l'effet du droit d'aubaine est de
politique, qui ne me parait pas moins con- retenir les régnicoles autant, ou plus que
traire au droit des gens que l'embauchage d'éloigner les étrangers. Il est même, si l'on
militaire. y prend garde, le seul moyen possible et lé-
En effet, tout gouvernement, gardien et gitime de les retenir. On est bien forcé de
protecteur naturel des droits, des intérêts, des rester chez soi, lorsqu'on ne peut trouver à
besoins de tous, représentant de la commu- s'établir partout ailleurs. -ï '
nauté tout entière, a des droits incontesta- Ainsi, on peut demander si un peuple a le
bles sur ses propres sujets, dont la famille droit d'abolir, chez lui, le droit d'aubaine,
s'est formée, élevée, enrichie sous sa protec- puisqu'il ne peut l'abolir qu'au préjudice de
tion, et à l'ombre de ses lois. Il en a de plus ses voisins; et si tous ensemble ils feraient
forts sur l'homme qui s'est enrichi dans des prudemment de l'abolir, puisqu'ils ne pour-
emplois publics, ou par une industrie que raient l'abolir qu'à leur commun préjudice.
les règlements et les lois, souvent la munifi- C'est dans ce moment, contre l'Angleterre,
cence de l'autorité, ont fait écïore ou favorisée; qu'on vous le propose, et c'est précisément
ils sont plus forts, ces droits, à mesure que avec, ou contre l'Angleterre qu'il faudrait le
le citoyen a pris une plus grande part dans maintenir. Le droit d'aubaine est indifférent
la somme des propriétés nationales, et par à l'égard de l'Espagnol, qui ne quitte pas son
conséquent, en a laissé à d'autres une plus pays; du Suédois, placé trop loin de nous;
petite car une famille ne s'établit pas dans des Turcs, séparés de nous par leurs mœurs
un Etat, que quelque autre ne soit déplacée; plus encore que par les distances mais à
elle ne devient pas propriétaire de terres, l'égard de l'Angleterre, dont les habitudes
qu'une autre ne soit expropriée. sont encore un peu nomades, surtout chez
Or, que l'Etat, obligé de garder et même les riches de l'Angleterre, plus voisine du
de nourrir ses pauvres, n'ait pas un droit centre de notre gouvernement que beaucoup
naturel à retenir ses riches; c'est, je crois, de nos provinces; de l'Angleterre, plus sou
ce qu'on ne pourrait pas soutenir, et effecti- vent notre ennemie que notre alliée, et dont
vement ce droit est positif et explicite dans les enfants se naturalisent chez les autres
plusieurs pays de l'Europe, tels que l'Autri- peuples, plus difficilement que tous les autres
che et la Prusse, qui prohibent, autant qu'elles Européens; de l'Angleterre enfin, qui met
peuvent, la sortie d'une fortune acquise chez tant d'habileté dans sa politique, et peut mettre
eux. tant d'or dans son habileté; je crois qu'il est
Sans doute, les gouvernements, chez des juste à son égard,, et prudent pour nous, de
peuples civilisés, ne pouvaient pas interdire à maintenir le droit d'aubaine, dont elle-même
l'homme la faculté naturelle d'aller et venir où ne veut pas se départir.
bon lui semble; mais ils avaient, je le crois du Nous voulons, par l'abolition du droit d'au-
moins, le droit, peut-être le devoir d'interdire baine, faire tomber toutes les barrières qui
au citoyen la faculté d'emporter chez un peu- séparent un peuple d'un autre, et en même
pie voisin, et qui peut devenir un peuple temps nous fermons, par des lois prohibiti-
ennemi, une fortune acquise dans sa propre ves, toutes les portes aux productions de leur
patrie; acquise par elle, et par conséquentt industrie, et nous nous en garantissons comme
pour elle; acquise pour ses concitoyens, ett de la peste, par des cordons de troupes. A la
bonne heure mais en appelant les étrangerss laine, et les procédés de métallurgie des peu.'
chez nous, n'oublions pas que naguère, nos> ples du Nord.
voisins ont cru devoir, pour leur sûreté, less D'ailleurs, comme les étrangers ne peuvent
bannir de chez eux. Car, remarquez que le porter chez nous qu'une industrie presque
droit d'aubaine est comme une pierre d'at- toujours déjà connue, le nouveau degré de
tente constamment laissée à la nécessité éven- perfection qu'ils lui donnent au moyen de
tuelle de l'Alien bill, de cette loi de sûrelé, leurs capitaux ou de leurs procédés, tournera
qui a rendu de si grands services à l'Angle- au détriment des fabriques nationales déjà
terre, et qu'au temps où nous sommes, toutt établies, moins perfectionnées, si l'on veut,
peuple peut invoquer à son tour;. et prenez mais qui après tout fournissent suffisamment
garde que vous n'avez plus même la triste, à notre consommation, et font vivre nos ou-
mais souvent juste ressource de la confisca- vriers et pour avoir des tissus un peu plus
tion, et que vous êtes encore le seul peuple fins, ou des aciers un-peu mieux polis, vous
qui l'ait abolie. aurez pendant longtemps des fabriques lan-
Au fond, quel droit avons-nous d'attirer• guissantes, et des ouvriers sans pain; et peut-
chez nous les sujets riches de chez nos voisins être, est-il vrai de dire que partout où il y
lorsque nous leur laissons leurs pauvres; ces a de grandes fabriques alimentées par d'é-
pauvres, dont le nombre et les besoins ac- normes capitaux, il y en a beaucoup moins
cablent le propriétaire, et fatiguent l'Etat?> de petites pour les mêmes objets le com-
Et c'est pour les nations, aussi bien que pour• merce alors se concentre dans un petit nom-
les particuliers, qu'il a été dit de ne pas faire> bre de mains, et un petit nombre de fabricants
aux autres ce que nous ne voulons pas qu'ils opulentsmettent à leurs produits le prix qu'ils
nous fassent. veulent. Ne semble-t-il pas, par exemple, que
J'ai considéré la question dans ses rapports le prix des draps ait haussé avec l'introduc-
généraux, et comme une question du droit tion des machines à filer, qui auraient dû le
des gens examinons-la maintenant sous le faire baisser?9
point de vue particulier, et relativement aux Et d'ailleurs, Messieurs, ne comprendrons-
intérêts de notre pays. nous jamais que l'abus du système manufac-
Les étrangers, dont nous voulons attirer les turier est une des grandes plaies de l'Europe,
capitaux pour grossir les nôtres, peuvent les où il fait naître plus d'hommes qu'il ne peut
porter chez nous pour les placer dans nos en nourrir, où il élève une population posée
fonds publics, pour exercer une industrie, ou sur le sol et non plantée comme la popula-
acquérir des fonds de terre. tion agricole; population, par conséquent,
Sous le premier point de vue, je ne pense que le moindre changement dans les modes,
pas que personne trouve que les étrangers ou dans les rapports des Etats entre eux,
n'ont pas assez placé dans nos fonds; et si on déconcerte et réduit à la misère, et qui, en
croyait qu'il manque quelque chose à leur Angleterre, en France et partout, accable
influence sur le cours de nos effets publics, l'Etat de son nombre, de sa turbulence et
en vérité, la faute n'en est pas à nos finan- le ses besoins ? et ne serait-il pas à craindre
ciers, et nous n'avons, à cet égard, nul repro- (que dans un des moments
de crise auxquels
che à leur faire. les
1 peuples manufacturierssont exposés, des
L'industrie, en France, n'a pas plus besoin transports
1 d'ouvriers anglais, attirés par leurs
des étrangers; il ne nous manque ni l'intelli- compatriotes,
< ne vinssent en France deman-
gence qui invente, ni les bras qui exécutent, der
< ce qu'ils ne trouveraient plus chez eux
et il ne faut, pour en être convaincu, que du
< travail et du pain?i
remarquer, ou plutôt admirer les progrès Cependant on demande l'abolition du droit
récents, de notre industrie nationale. Si les d'aubaine pour attirer en France des acqué-
étrangers découvrent quelque nouvel objet jreurs d'immeubles,plutôt que des possesseurs
d'industrie, imaginent quelque nouveau pro- de capitaux d'argent ou d'industrie, contre
cédé, exécutent quelque nouvelle machine; 1lesquels le droit d'aubaine n'est pas établi.
toutes ces inventions nouvelles sont connues Mais ne peut-il pas arriver que des capita-
et introduites en France aussitôt que le gou- 1listes anglais, pour mettre leur fortune en
Ufl~JLUL~
SUR LA" PROPOSITION DE M. S1RIEYS DE MARISUAC, TENDANT A INTERDIRE DANS LA CHAMBRE DES PAROLES IMPIES
CONTRE DIEU ET INJURIEUSES AI) ROI ET A LA FAMILLE ROYALE. `
(Séance du 9 avriH82l.)
nent en
PART. II. POLITIQUE.
«i,ic salutaires
i^o plus
viciées, les remèdes les
SUR LES PENSIONS ECCLESIASTIQUES.
oai,itoii.ûc tout-
poison. Si l'on met de l'ambition
nn f.ftté
tnnr- iun
ou même
i
chambre contre l'autre,
côté dedelalachambre
mettrait plus de, calme dans nos déli-
«W
l!autre, et cela
sident seul que par celui qui serait porté par à l'assemblée.
RAPPORT
CENTRALE SUR LE PROJET DU LOI
SAIT A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS, AU NOM DE LA COMMISSION
RELATIF AUX PENSIONS ECCLÉSIASTIQUES.
(Séance du 7 mai 1816.)
jure, ;a.
"A des enfants indociles, 1
(ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
et dans sa propre maison, une épouse
par-
:1- _°1 des domestiquess
infidèles, des amis ingrats; il
ne faut pas.s
s'étonner que les Français affamés de reli-
gion aient demandé à l'Etat de la rendre à la
famille, qu'ils aient applaudi
liberté
liberté plus apparente; et cependant ils fu-
rent moins heureux que les premiers, et res-
tèrent sans exécution. Quarante-sept sièges
de l'ancienne France, supprimés, ne paru-
rent pas un sacrifice suffisant à l'esprit, du
I20S
tianismev
t survivre avec les arts seuls à cette
coup trop de cinquante évêques; mais le destraction
chef du gouvernement en aurait proposé c morale. La civilisation, qui est
1 perfection des lois (bien différente de la
la
cent, qu'il en aurait été remercié; et dès
qu'il se montrait Chrétien, tout le monde politesse
1 qui est la perfection des arts), la
voulait le paraître. civilisation
{ est le christianisme appliqué à.
j" législation des sociétés; c'est la vie des
la
Le roi, de retour dans ses Etats, fit, en nations,
r et comme la vie, la civilisation
1817, d'autres arrangements avee le Saint-
ccommence et ne recommence pas. Elle péri-
Siège; ils furent faits, d'une part, avec une rait
r donc sans retour avec la religion; et la
autorité plus légitime de l'autre, avec une société, malgré les arts, retomberait dans la
s
barbarie, semblable à un pays inhabité qui '( Cette augmentation de crédit sera sue-
se peuple d'animaux malfaisants, et ne pro- cessivement employée, 1° à l'établissement
duit sue des ronces et des épines. et à la dotation de douze sièges épiscopauxx:
A peine cinquante sièges épiscopaux dans les villes où le roi le jugera nécessaire.
avaient été établis par le concordat de 180t, La circonscription de leurs diocèses sera
que le besoin d'un plus grand nombre s'é- concertée avec le Saint-Siège, de manière
tait fait sentir; et lorsque les vœux des peu- à ce qu'il n'y ait pas plus d'un siège par dé-
ples purent se faire entendre, les départe- partement. »
ments, en grand nombre, demandèrent, par Dans la discussion Je ce premier para-
l'organe de leurs conseils généraux, et plu- graphe, votre commission s'est proposé trois
sieurs à toutes leurs sessions, qu'il leur fût objets. Le premier, d'expliquer plus claire-
accordé un siège épiscopal; la plupart of- ment l'intention présumée du gouvernement
fraient d'y contribuer par des dons volontai- de ne pas borner à douze sièges épiscopaux
res, quelques-uns d'en faire entièrement les ceux en plus grand nombre dont la France
frais. Le gouvernement du roi avait, depuis a besoin, et que demandent les départements»
longtemps, reconnu la nécessité de cette II ne dépend pas d'un gouvernement qui
augmentation. Il vous la déclare aujourd'hui, veut être paternel, il appartient encore
et propose d'affecter à la dotation de douze moins aux députés de tous les départements
siéges épiscopaux les sommes provenant des de déshériter ceux qui les ont envoyés de
extinctions successives de la partie des pen-• l'espoir qu'ils ont conçu, et de contrarier le
sions ecclésiastiques qui, lors du décès des ycou qu'ils ont formé. La demande des dé-
pensionnaires, fait retour au trésor royal. partements est légitime en soi, elle est faite
L'autre partie de ces pensions accordées à avec connaissance de cause, avec persévé-
des pensionnaires desservants, sur le trai- rance, elle sera donc toujours appuyée par
tement desquels elle opère une retenue> les députés, et tôt ou tard accueillie par le
équivalente, est définitivement acquise aul gouvernement, et j'ose dire qu'il est impos-
clergé, et au décès des titulaires retourne sible qu'elle ne le soit pas. Un gouverne-
en traitement intégral à leurs successeurs> ment éclairé ne peut pas ne pas céder enfui
non pensionnés. à des demandes raisonnables, ni un gouver-
Il y aurait eu plus de dignité, de géné- nement populaire repousser opiniâtrétner.;
rosité, d'humanité même pour une nation le vœu des peuples et les administrations
telle que la France, à ne pas faire dépendre départementales et municipales, devenues»
l'existence de nouveaux évêques de la mortt il faut l'espérer, plus indépendantes, met-
des prêtres, qui ont si longtemps et si fidè- tront aussi plus de poids dans leurs de-
lement,exercé le ministère ecclésiastique, mandes.
L'art si habile de la finance n'aurait-il pas pui Le second objet que s'est proposé votre-
trouver le moyen de dissimuler, au moins eommission est de donner au gouvernement
dans les termes, cette triste économie ? Ce du roi, puisqu'il croit en avoir besoin, l'au-
sera du moins une consolation pour eux de torisation nécessaire pour établir à l'avenir-
penser qu'après avoir consacré leur vie aul le nombre de sièges épiscopaux que de-
service de la religion, leur mort encore luii mandent les nécessités de l'Eglise et de l'E-
sera utile. Le sang des premiers martyrs fut tat, sans recourir de nouveau aux chambres,.
la semence de nouveaux Chrétiens la mortt et remettre ainsi sans cesse la religion en
des derniers confesseurs de la foi sera la se- discussion. C'est là, nous osons l'affirmer, le-
mence de nouveaux ministres des autels.. vœu de tous les gens de bien et de tous les
L'art. 1" du projet de loi n'a donné lieu ài hommes éclairés; c'est l'intérêt de la reli-
aucune observation. C'est une simpe décla- gion et de la politique. Mander la religion:,
mation de faits. à la barre de rassemblée pour la doter de,
L'art. 2 est divisé en trois paragraphes aux- la dépouille de ses ministres, et peut-être-
quels il a été fait quelques changementssurr pour lui reprocher ce triste bienfait, c'est
le premier, et quelques observations sur less déjà lui faire acheter ce qu'on lui donne, et
autres. Les motifs en seront exposés avec si elle doit encore comparaître à notre tribu- î
autant de franchise qu'il y a eu de droiture nal pour tendre la main et demander une
dans les intentions. provisionnelle, que ce soit au moins pouF
Le paragraphe premier de l'art. 2 du pro- la dernière fois.
jet de loi est ainsi conçu il y a des gens possédés de la rage de faire
des lois, comme d'une maladie mais c'estt laïque de sujets et de fidèles, voulons assi-
précisément parce que nous pouvons tou-
gner des. limites au pouvoir du roi et à celui
jours faire des lois qu'il faut user avec so- du Saint-Siége, et borner l'un ou l'autre par
briété de cette faculté, et n'en faire que de des dispositions directes et positives, lors-
générales qui puissent s'appliquer à tous les
que nous pouvons en limiter l'exerciced'une
cas particuliers. D'ailleurs, dès que le pro- manière indirecte et. tout aussi efficace. par
jet de loi assigne des fonds indéterminés à le droit que nous avons de refuser ou d'ac-
prendre sur une plus forte somme, il est corder les fonds nécessaires à l'exécution
dans l'esprit de la loi et dans la nature des des actes concertés entre eux.
choses que l'objet de cette dépense soit aussi Votre commission a donc voulu éviter de
indéterminé, et puisse s'étendre à des be- confondre ensemble les diocèses et les d6-
soins futurs. partements, et autant par un motif politique
Quant à Ta part que prennent les divers que par un motif religieux. Le projet de ré-
pouvoirs de l'Etat ou de l'Eglise à l'établis- duire le nombre des départements a souvent
sement d'un siège épiscopal, rien j'ose le occupé le gouvernement, et. il ne convient
dire, de plus simple pour ceux qui se con- nid'alarmer la religion sur la réduction pos-
tentent de notions claires et positives. Le sible des diocèses soumis à la circonscrip-
roi, pouvoir exécutifsuprême de l'Etat, pro- tion des départements, ni de gêner la faculté
pose et détermine le territoire et présente que doit conserver le gouvernement. de ré-
l'évêque; Je Saint-Père, chef de l'Eglise, duire les départements en mêlant sans né-
agrée !e territoire, l'érige en diocèse, ins- cessité leur circonscription à la circons-
titue l'évêque; les chambres, pouvoir pé- cription des diocèses. La crainte que la fa»
cuniaire (1), dotent l'évêque et l'évêché,
veur ou l'importunité n'obtiennent de l'au-
et ainsi le roi, le Souverain Pontife, les torité l'établissement de plus de sièges épis-
chambres concourent tous à établir le siège
copaux que n'en demandent les besoins de la
épiscopal, mais chacun avec son pouvoir France, est tout à fait chimérique pour fa-
spécial, et dans ses différentes attributions; voriser un particulier on lui donne un évê-
aller au delà, et vouloir faire concourir les ché, mais on n'établit pas un siège épisco-
chair.»! es comme pouvoir législatif, c'est se pal pas plus qu'on ne crée une armée pour
jeter dans des arguties, sur lesquelles l'on faire un officier général. Il faut pour cela
peut éternellement disputer, et même sans trop de choses accessoires, et un concert
s'entendre, et un bon esprit ne verra jamais entre deux puissances indépendantes l'une.
une loi, jamais la nécessité de mettre en de l'autre et qui sont entre elles en conti-
mouvement toute la machine législative, nuelle observation. Depuis que l'Etat toui
dans une disposition purement locale d'ad- entier a été réuni sous ladomination directe-
ministration civile et religieuse, qui place de nos rois ils ont été fort avares de ces
un village dans tel diocèse plutôt que dans créations multipliées auparavant jusqu'à,
tel autre. l'excès par les grands feudataires dans leurs
Enfin le troisième objet que s'est proposé possessions, et n'en ont pas fait même dans
la commission dans la discussion de l'art. leurs résidences royales ou à leur voisinage.
2, et l'objet le plus sacré de ses devoirs Louis XIV, dans tout son règne, n'a, je crois,
comme des nôtres, a été d'éviter que l'éta- établi que l'évêché de RI ois. La ville de
blissement d'autres évêchés fût, Moulins, où un siège épiscopal était reconnu,
pour les
consciences timorées, une nouvelle occasion nécessaire, l'a sollicité pendant longtemps,.
de troubles et d'inquiétudes. C'est peut-être et son érection n'était pas consommée lors-
ce qui arriverait si la loi que nous allons que la révolution a commencé. On doitméme
rendre rappelait dans les termes des époques observer que la cour était si peu disposée à,
et des lois sur le clergé, qu'il faut oublier, et faire de nouvelles créations d'évêchés,,
autorisait à supposer que nous, assemblée qu'elle laissait plusieurs parties du territoire
(1) L'expression de pouvoir pécuniaire, en par- proclamant la religion catholique la religion de
lant de la chambre, a paru choquer quelques per- l'Etat, n'agit plus que comme pouvoir exécutif ou
sonnes. Il est évident, cependant que l'auleur du administratif dans l'établissement d'un évêché par-
rapport n'a pas plus voulu contester à la chambre ticulier, et que, pour sa dotation, la chambre agit
son pouvoir législatif, qu'il n'a entendu contester comme ayant pouvoir sur les impôts, pour accor-
le sien au roi, en l'appelant un peu plus haut der ou refuser l'application des fonds à un objet dé-
pouvoir exécutif; il a voulu seulement faire sentir terminé.
•que le roi, qui a agi comme pouvoir légisjaiif, en
mt
1""1"
PART. H. POLITIQUE. SUR LES PENSIONS ECCLESIASTIQUES. 1211
provinces nouvellement réunies à'
dans des provinces à et d'unifor-
«sprits à des idées d'égalité et
les fisprits d'unifor-
lfrancp soumises
la France; la juridiction
«nnmispc àa ta inriHiftidn d'évê-
rl'évA- mité
i qui fin soi sont bonnes, des inégalités
nui en
chés situés en pays étranger et quelquefois ttrop choquantes sont tôt ou tard redressées,,
ennemi. < la raison de l'utilité
et locale l'emporte surr
La clause qu'il n'y aura pas plus d'un 1les hommes et sur leurs lois. Il n'y aura
A
AIT. 1
Pr~t~tt~oMMrHMtM~.
Projet dé loi du gouvernement.
ART. i".
partir du 1" janvier 182!, ies pensions ecclé-
Amendement
Au:ersdernenl de la commission
ClJlllnli8811Jn
ART.
ART. 2. art. 2.
Cette augmentation de crédit sera successivement Cette augmentation de crédit sera successivement
employée employée
1" A l'établissement et à la dotation de douze 1° A la dotation actuelle de douze sièges épisco-
sièges épicopaux dans les villes où le roi le jugera
nécessaire. La circonscription de leurs diocèses paux ou métropolitains, et à celle d'autres sièges
dans les villes où le roi lejugera nécessaire. L'éta-
concertée avec le Saint-Siège, de manière qu'il sera
n'y blissement et la circonscription de tous ces
ait pas plus d'un siège dans le même départe- diocèses sera concertée entre le roi et le Saint-
ment. Siège.
2* A l'augmentation du traitement des vicaires 2" Comme le projet de loi.
qui ne reçoivent du trésor que 230 francs, à celui
des nouveaux curés et, vicaires à établir, et généra-
lement à l'amélioration du sort des fonction-
naires ecclésiastiques et des anciens religieux et
religieuses.
5° A l'accroissement des fonds destinés
aux ré-
parations des cathédrales, des bâtiments desévêchés,
3* Comme le projet de loi.
séminaires et autres édifices du clergé diocé-
sain.
n rRESUME
la condamnation.
-.1 dont
et 1'J. -t
_1_ l'Eglise a approuvé Et Ta n'y .7.1.,
1 pas dans la Charte
1-- a-t-il .1.
'Ioo_iL. un autre
exemple de faculté indéterminée, laissée au
On a beaucoup parlé des libertés de i'E- roi, et pour la première dignité politique,
glise gallicane. M. Royer-Collard vous a dit, participation directe à la royauté même hé-
avec raison, qu'il n'y avait plus d'Eglise gal- réditaire, la pairie? Et le roi ne peuMl pas
licane, mais des individus qui enseigneront créer des pairs à volonté? Et la pairie n'est-
comme par -le passé, et écouteront les qua- elle pas d'une autre importance politique
tre articles de 1682. La partie importante de que l'épiscopat?
cette Eglise, et qui avait défendu toutes Il faut tout régler dans un Etat» et peu
les autres, n'était pas les évoques, mais les compter; ni la'somme des biens ni celle des
assemblées du clergé, et il n'y en a plus; et maux; ni les maisons de la religion, ni les
s'il reste encore d'autres libertés que les maisons de la charité; ni les maisons de la
quatre articles, après que l'Eglise de France justice, ni les maisons de l'éducation ni les
a perdu, avec ses propriétés, la-vie politique hommes eux-mêmes, dont l'espèce importe
et- la vie civile, comme on vous l'a dit, et bien plus que le nombre; et l'on a beau pré-
après la mesure d'immense autorité contre voir et compter, la nature, le temps, les évé-
les libertés de. notre épiscopat, à laquelle nements, nos propres passions trompent nos
ceux qui réclament aujourd'hui le plus vi- conjectures et dérangent nos calculs.
vement ces mêmes libertés, où leurs devan- On a craint rétablissement d'un trop grand
ciers ont réduit le Saint-Siège, s'il reste nombre de sièges, et nos adversaires n'ont
d'autres libertés, ce sera à l'Etat à les défen- pas répondu à ce que le rapport avait dit sur
dre. Mais, malheureusement, quand on con- ces limites morales que la raison et les con-
fie à un autre que soi, le soin de défendre sai venances posent à tout excès dans tous les
liberté, on perd son indépendance. Etats qui ne sont pas immédiatement gou-
L'Etat et l'Eglise, pour s'appuyer récipro- vernés par des fous ou des scélérats; et
quement, devraient être également indépen- comptez beaucoup plus, Messieurs, pour
dants c'est ainsi que deux corps buttantt empêcher les erreurs d'un pouvoirlégitime,
l'un contre l'autre, ne se soutiennentjamais sur lesbornes morales que sur les résistances
mieux que lorsque, se touchant par leurpositives.
sommet, ils sont plus écartés par leurr Ils n'ont pas répondu non, ptas à la com-
base. paraison que le rapport avait établie entre les
C'est par tous ces motifs, et dans toutes consistoires réformés et l'épisGOpat, et r;e-
les consistoires, on a
ses intentions, qu'elle a crues politiques au- marquez, que pour
tant que religieuses, que votre commission compté; mais comment? En fixant six milluu
âmes le nombre des réformés qui peuvent
a amendé le projet de Joi, et je finis ce longr
résumé par quelques considérations géné- former le ressort d'uu consistoire. En sorte
rales sur ces amendements. que le nombre des consistoires peut s'accrol-
La commission a voulu se montrer d'ac- tre indéfiniment comme la population. réfor-
cord avec les principes, qu'il est-plus néces- mée.
saire de conserver môme que d'établir dev Le concordat de 1817 donnait à; peu près
siège épiscopalpourunpeu plus de trois.'
nouveaux sièges, et nonsa mettre en opposi- un
tion avec le gouvernement du roi. L'augmen- cent mille âmes, et on a trouvé ce nombre
tation possible du nombre des sièges épis- exorbitant.
Us n'ont pas répondu à l'inconvenance*, à-
copaux, nécessaire en elle-même, et si dési-
rée par les peuples, si vivement appuyée l'inutilité, au danger même pour la relir
beaucoup de députations, lui être gion, à l'embarras pour l'Etal*, dft donner
par a paru }
dans l'esprit du projet de loi, comme dans aux établissementsreligieux une cireonscrip-
les intentions du gouvernement, et M. le} tion civile, c'est-à-dire de reglec.ee qui doit
ministre des affaires étrangères nous en at être à jamais stable, sur ce qui est et peut
donné l'assurance. être variable de sa nature. D'ailleurs cette
Le projet de loi détermine le nombre des disposition, qui rappelle des lois sur le
sièges que le gouvernement veut présente- clergé qu'il faut oublier, rendrait toute né-
ment établir; la corumision ne fixe pas le gociation impossible avec le Saint-Siège.
nombre de ceux qui devront plus tard être Votre commission n'adonc cru rien ôter au x
établis, et cette indétermination,de nombrei chambres de ce qui est dans leurs altribu,-
_J!
1235 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1236
tiens,
lions,nim rien
rien donner auroi
uoimer au roi que ce qui
qui lui
lui ap- ni aucun système d'opposition ne l'éloigné
partient 1.t.J.I.
.m._m légitimement, avec 1_ le concours d'un des
~I idées
l' du gouvernement. La politique et
souverain que les Catholiques du monde en- la philosophie peuvent sourire de voir Jes
tier ne regardent nulle part comme un sou- hommes s'occuper gravement à déterminer
verain étranger, mais qu'ils révèrent partout quelque chose pour un avenir encore éloi-
comme le pouvoir universellement national gné dans leurs gouvernements, ou dans leur
de la société religieuse répandue par toute la vie; mais, enfin, si l'indétermination du
terre. nombre des sièges épiscopaux à établir par
Votre commission n'a pas vu dans le clergé, la suite, est plus naturelle, îa détermination
tel qu'il est en France, matière à une toi po- actuelle n'a rien de contraire au bien de la
litique, et peut-être a-t-elle été un peu trop religion, ni l'intérêt de l'Etat, et votre
alarmée du retour de ces séances affligeantes commission y consent.
où la religion, formant l'objet spécial et di- Il y a deux manières de déterminer le
rect de la discussion, livrée, pendant plu- nombre des sièges épiscopaux à établir au-
sieurs jours,au long martyre de haineuses et dessus de eelui des douze proposés; par le
ignorantes déclamations, ne triomphe qu'à nombre exprimé en chiffres, ou par une quo-
Ja faveur incertaine de quelques boules. tité fixe prise dans la somme totale affectée
Votre commission n'a pas voulu prendre dans le projet de loi, à toutes les destina-
sur l'ordre extérieur de la religion une me- tions religieuses. Ce dernier mode serait
sure de crainte etde défiance, mais une mesure peut-être plas constitutionnel et plus régu-
généreuse de vénération et d'amour. Elle ne lier. Mais la fixation du nombre a paru con
croit pas être plus religieuse que le gouverne- venir davantage, et, en conséquence, la com-
ment, mais elle croit avoir été plus politique, mission amendant elle-même son amen-
parce que la mesure qu'elle propose est plus dement, a l'honneur de vous proposer la
européenne, je veux dire, plus conforme aux rédaction suivante de l'article 2, le seul sur
progrès, en Europe, des vérités politiques, et lequel elle fait des amendements
à cette tendance invariable qui entraîne les
hommes et les événements vers un meilleur Art. 2. Cette augmentation de crédit
ordre de choses, contre lequel lutte avec
tant de fureur et d'obstination, la malice dé-
sespérée des esprits malfaisants que l'enfer a
vomis pour désoler la terre.
Mais en proposant.ee qu'elle croit le
ou
sera employée .·
1° A la dotation actuelle de douze sièges
métropolitains, et successi-
vement à la dotation de dix-huit autres
sièges dans tes villes où le roi le jugera néces-
mieux, votre commission n'a garde de re- saire. L'établissement et la circonscriptiort
fuser ce qui est bien aucun sentiment d'a- de tous ces diocèses seront concertés entre
mour-propre ne l'attache à ses propres idées, le roi et le Saint-Siège
(2avriM822.)
Le roi a voulu par la loi fondamentalequ'il penétrés désormais de leurs véritables inté-
nous a donnée, associer le peuple à sa haute rêts, des besoins de la France, des bienfaits dé
prérogative et se dépouilleren sa faveur d'une ia puissance royale pour l'affermissement de
portion de son pouvoir législatif. Mais cette nos institutions, de nos libertés, ils repousse-
concession n'eût été qu'un présent funeste, ront les efforts que pourraient suggérer dé-
si le peuple, méconnaissant les vues pater- coupables projets ou de dangereusesdoctrines.
nelles de son souverain, n'appelait à l'exer- ,Oe coupables projets ou de dangereuses doc-
cice de cette fonction vraiment royale d es hom- trines! Ce sont là en effet les dangers de la
mes éprouvés par leur fidélité auroi ,connus France et les écueils contre lesquels sont ve-
par la fermeté de leurs principes religieux et nues échouer les intentions paternelles du
politiques, par l'honorable sagesse de leur con- roi, et les efforts des plus zélés partisans de-
duite dans les temps difficiles; des hommes la royauté. Vous les avez entendues dans la-
indépendants par leur position et leur carac- déplorable histoire de nos débats législatifs,
tère, capables d'éclairer les décisions de l'au- ces dangereusesdoctrines qui promènentdans
torité, dp défendre les droits de la royauté, et toute l'Europe les fléaux des révolutions. Vous
les légitimes intérêts des peuples. les avez connus les coupablesprojets de ces
Telles ne sont pas, Messieurs, les intentions hommes qu'aucune expérience ne peut corri-
de S. M. Telle n'est pas son attente. ger, qu'aucun bienfait ne peut gagner, qu'au-
La connaissance que le gouvernement ac- cune considération de morale ou d'humanité
quiert de plus en plus de la direction qui, par- ne peut arrêter, qui depuis si longtemps sè-
tout se montre dans l'opinion publique, ne ment la calomnie et la haine, enflamment les
lui permet pas de craindre que l'esprit de ré- passions de lajeunesse,abusent de la crédulité
volution et de désordre puisse encore égarer, des peuples, tentent la fidélité des soldats, et
les suffrages des électeurs tout annonce que toujours protestant de leur respect cour les.
i GW 111: :11. LL LV1111-lnVi am3'
lois, de leur attachement à nos institutions ns en reconnaissance, aplanir les voies difficiles
et aux libertés publiques, corrompent les es de la royauté, en lui formant par notre exem-
lois, dénaturent les institutions et compro- ">- pie un peuple qu'il soit heureux de gouverner,
mettent toutes les libertés. et en donnant à la France, par notre coopéra-
C'est donc à vous à compléter, Messieurs, •s, tion, des lois auxquelles lui-même un jour
si j'ose le dire, par le choix que vous allez fai-
ù- s'honore d'obéir ? g
re, l'oeuvre du suprême législateur; à vous à Et si à ces motifs d'un intérêt si général et
la rendre un véritable bienfait pour les peu- 1- si puissant, je pouvais en ajouter qui vous
ples à vous enfin, à donner à la France des es sont personnels, je vous rappelleraisla dimi-
députés dignes d'elle, à vos concitoyens des es nutiond'impôtsdont vous êtes cette année, re-
organes dignes d'eux, au roi des coopérateurs rs devablesàlasollicitudepaternelledeS.M.Plus
dignes de lui. Vous remplirez, Messieurs, cette te soulagé qu'aucun autre, le département de
noble mission vous ne resterez pas au-des- l'Aveyron doit, plus qu'un autre, être re-
sous de l'espoir que le roi a mis en votre a- l" connaissant envers le roi, qui au bienfait d'un
mour pour lui, ni de l'opinion que la France ie dégrèvement considérable a daigné joindre
s'est formée de votre sagesse. l'assurance que l'Eglise épiscopale de Rodez,
Et quels motifs plus puissants, Messieurs, 5> le plus bel ornement de cette province, pré-
pourrais-jeoffrir à votre raison, que l'intéFêt cieux et dernier monument de nos antiquités,
de votre patrie et celuide l'Europe elle-mê- ne serait pas plus longtemps veuve de son chef,
me à vos cœurs, que votre affection pour le le et qui nous a fait, en quelque sorte, jouir à-
roi, pour son auguste famille, pour ce jeune |e l'avance de cette faveur sidésirée, par le choix
héritier du trône miraculeusementdonné, mi- l~ du digne et vertueux prélat qu'il nous a donné-.
raculeusementconservé, et à qui nous devons, s,
RAPPORT
OPINION
DK FEMMES
SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AUX COMMUNAUTESRELIGIEUSES
( i ) Cet ordre de Claivisles mendiantes.: Aabli eœttr des fidèles la charité, seule propriété de ces
au Puy, et peut-être le seul qui ait subsisté, malgré saiMlfls filles. Elles font quêter par des. sœurs qui
la révolution. Il a été plus facile d'enlever aux lie sont pas sous la etôiuïe austère du couvent. Il y
autres ordres leurs propriétés, que d'arraçheP dit en avait aussi à Toutawse.
1257 PART. Il. POLITIQUE. SUR LES COMMUNAUTES REL. DE FEMMES. 1SS8
euter les règles d'un institut religieux? Cela,
ela, viennent en foule, et voilà une communauté
pourrait être contesté; mais ce qui oui ne peut eut fondée. La détruirez-vous? Vous ne le ferez
fnrpz
pas l'être est l'inconvenance, j'ose dire la pas; vous ne pourriez pas le faire la révo-
cruauté de livrer, dans une discussion pu- ju- lution elle-même ne l'a pas pu. Ces-faibles
fclique, à l'ignorance et à la risée des gens »ns femmes ont résisté à tout. Persécutées par
du monde les pratiques minutieuses des Jes la révolution, elles ont servi, elles ont soi-
communautés religieuses de femmes, prati- itî- gné les révolutionnaires; les Sœurs de la
ques dont ils ne comprennent ni l'esprit ni charité ont accueilli, à Cayenne, les mem-
l'objet, et qu'une connaissance profonde du bres du comité de salut public, qui avaient
cœur humain a imposées à l'obéissance pour >ur tourmenté leurs compagnes; et elles n'a-
retenir dans les voies de la modestie et de la vaient pas sans doute été dispersées, même
simplicité des âmes ardentes que la retraite ite par la terreur, ces Carmélites de Compiègne,
et les idées religieuses ne disposent que ;ue qui, toutes ensemble, la supérieure à leur
trop à en sortir. tête, le pardon dans le cœur, la prière à la
Dira-t-on enfin qu'il y a plus de garanties ies bouche, ont expiré sur t'échafaud.
de sagesse et de prudence, dans la législa- la- On a parlé d'austérités immodérées, de
tion que dans l'administration? L'adminis- is- macérations indiscrètes, auxquelles une
tration peut être redressée, et les ministres •es piété exaltée pouvait se livrer. Dans ce genre
responsables qui. contresignent les ordon- m- la loi humaine ne peut rien empêcher, pas
nances royales peuvent être accusés. Il n'y l'y même rien connaître, et ce n'est pas à elle
a aucun recours contre les législateurs; et, que la piété fait ses confidences. La religion
pour le bonheur de tous, il faut absolument int seule peut modérer l'excès d'un zèle qu'elle
que nos législateurs soient infaillibles. a fait naître; elle défend les austérités qui
Je parcourrai rapidement les autres oo-
jections. Un orateur s'est plaint du trop petit
>o- détruisent; car il yen qui conservent,
tit puisque c'est dans les ordres les plus aus-
nombre de sujets dans des maisons qui de- le- tères qu'on trouvait les plus nombreux
mandent l'autorisation. Messieurs,c'est ainsi isi exemplesde longévité. Mais après tout, dans
que commence tout ce qui est destiné à une ne cet océan de douleurs qu'on appelle la sa
longue durée; et c'est d'une graine imper- îr- ciété, qu'importe à la politique les douleurs
ceptible que la natura fait naître l'arbre qui [ui volontaires, de la vertu? qu'elle soulage, si
couvrira la terre de son ombre. elle le peut, les douleurs de la misère, les
Dans le temps où il y avait plus de foi et douleurs des passions, les douleurs de tant
de ferveur religieuse, les ordres les plus cé- •é- d'hommes que notre luxe et nos plaisirs
lèbres ont été fondés non par délibération, m, condamnent à des métiers malsains ou pé-
mais par inspiration, par un seul homme, e, rilleux; et lorsque la fréquence des suicides
par une seule femme, qui ont appelé à eux ux lui donne la triste certitude de tant de dou-
quelques personnes pieuses, et le plus cé- :é- leurs désespérées qu'elle ne peut adoucir,
lèbre de tous et le plus répandu, a com- n- qu'elle laisse la piété, heureuse de ses souf-
mencé par un soldat, qui a appelé à lui deux nx frances, vouloir et croire expier des crimes
ou trois pauvres étudiants de l'université de qu'elle n'a pas commis.
Paris, et ils ont juré ensemble au pied des es On craint l'accroissement des richesses
autels, de convertir le monde et vingt igt dans les mains de ces familles perpétuelles
ans après, ils catéchisaient les enfants en qui peuvent acquérir et ne peuvent pas alié-
Europe et baptisaient les rois dans les es ner. Messieurs, nous serions trop heureux
Indes. si les communautés religieuses arrachaient
de ce
On s'opposerait en vain à ces établisse- ,e- aux bandes noires quelques débris
e'y beau territoire que
ments. Vopinion publique les demande la cupidité ou une détes-
cette opinion, qu'on a tant fait parler quand nd table politique réduisent en poussière. Mais
il fallait détruire, et qu'il est temps d'écouter er si cet accroissement de richesses était pos-
si l'on veut rétablir. Une femme pieuse, ri- sible, où en serait Je danger? Lés terres en-
che, ou quelquefois sans autres trésors qu'une ne tre les, mains des communautés resteraient-
charité inépuisable, réunit, dans le pays de elles en friche, lorsque ces corps, qui ne
sa naissance, quelques personnes zélées; s; meurent pas, forcément économes, ont dé-
elles se consacrent, dans la retraite, à l'édu- u- friche une partie du sol de 1-a France, et peut-
cation des enfants du peuple, au soulage- e- vent seuls entreprendreet exécuter les grao»
ment
4"des malades; les enfants et les malades es des
~vaa~ uvv aaruauuv.a~ at.u a.uauuea vu ra:u u.n-I."uç~
119 __11). 11
améliorations d'agriculture? Ces pro-
us~o urmcmvruwvaau u ury.aavmawvwrcu,~ar-
1259
•
OEUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. 1260
sont-elles
11 4 1
priétés, généreusement administrées
administpées, se
pas les seuls greniers d'abondance
1«'l i
possibles dans un grand Etat? A la place de
Ne craignez pas, dans ce sièsle de cupi-
-.«p. » multiplier
dité, de licence et d'égoïsme, de 1**1*
les exemples de ces institutions désintéres-
petits propriétaires qui peuvent à peine sées, où le renoncement à tout et à soi-
vivre, vous auriez; comme en Angleterre, même est le premier devoir, et qui ne so
des fermiers riches et des propriétés plus placent hors du monde que pour lui donner
productives; et quand il s'y joint la légiti- de plus haut des exemples de vertus aus-
mité de possession, la politique, dans la dis- tères et de l'amour des autres. Dans ce genre,
tribution des biens, peut-elle désirer autre ne redoutez pas même un luxe qui ne coûte
chose?2 rien à l'Etat, et qui, en donnant aux der-
Laissez donc ces communautés recevoir nières classes du peuple de l'instruction et
pour qu'elles puissent acquérir; leurs ri- des vertus, peut épargner au gouvernement
chesses, quelque considérables que vous les beaucoup de frais de surveillance et de ré-
supposiez, ne soudoieront jamais les cons- pression.
pirations, ne payeront pas les assassinats,
n'alimenteront pas la caisse des sociétés se- Craignez qu'en entourant des difficultés,
crètes elles seront véritablement les ri- des longueurs, des incertitudes, des délibé-
chesses publiques, les richesses de ceux qui rations législatives, l'établissement des com-
n'en ont pas; et portez plutôt votre attention munautés religieuses, le peuple ne se plai-
gne que, dispensés par vos fortunes de
ré-
sur cette accumulation de millions, dont courir, au service de ces institutions chari-
l'emploi n'a pas toujours été si innocent
tables, vous ne pensez pas assez au besoin
sur ces millions, maîtres de votre crédit, de quelles fortunes médiocres et l'indigence
vos marchés, de votre tranquillité, peut-être ontfdëTleurssecours.
de votre politique, et qui nous font payer si
chéries secours qu'ils nous accordent et les Souffrez qu'il y ait, dans la société, autre
profits qu'ils font sur nous. chose que dés producteurs et des consom-
Messieurs, la révolution n'a laissé qu'une inateurs. La doctrine des consommations, si
porte pour sortir volontairement du monde, chère à la politique moderne, peut faire des
le suicide; et voyez comme on s'y précipite peuples riches la doctrine et surtout l'exem-
en foule.; plus éclairés et plus humains, ou- ple des sacrifices font, seuls, les grands peu-
vrez toutes les portes à ceux qui veulent ples, les peuples immortels.
chercher hors du monde la liberté de le Je vote pour le projet de la commission.
servir.
OPINION
SUR LEPROJET DE LOI TENDAIT A INDEMNISER LES ANCIENS PROPRIÉTAIRES DES BTENS-FONOS
CONFISQUÉS ET VENDUS AU PROFIT DE L'ÉTAT, EN VERTU DES LOIS RÉVOLUTIONNAIRES.
sa sagesse, la chambre des pairs pour opérer destructible, celle qui voit passer l'homme,
celle qui
sans secousse et sans violence ce retour, et et que l'homme ne voit pas passer; celle que
effacer ainsi, non dans l'intérêt des particu- le soleil féconde, que l'homme cultive, et
liers qui peuvent être pleinement indemni- qui nourrit tout ce qui a vie. Tout le reste
sés de leurs pertes, mais dans l'intérêt de n'est que possession précaire, et loin que
l'Etat, dans l'intérêt surtout de la légitimité, l'Etat puisse le garantir, le possesseur lui-
ce dernier et honteux monument de nos dis- même ne peut pas toujours le conserver.
cordes passées ? Je rejette tous les amendements de la
Et, par exemple, on a cité l'édit du roi de commission qui ne rendent pas la loi plus
Sardaigne sur une indemnité pareille à la_ forte. Je regrette que la chambre des dépu-
nôtre; mais on aurait pu ajouter que l'arti- tés n'ait pas accepté l'article du projet de loi
cle 20 de cet édit suppose que les déten- originaire sur les successions, et qu'elle ait
teurs des biens « confisqués, pour effacer jugé par la loi civile ce qui ne devait l'être
tout souvenir des divisions passées, vou- que par la loi politique. On avait dépouillé
dront abandonner, en tout ou en partie, les- des familles, il fallait indemniser les fa-
dits biens aux anciens propriétaires, et pour- milles.
ront être subrogés, de leur consentement, à Puisqu'on ne peut parler sur sans propo-
leurs droits et à leurs indemnités. » ser un amendement, je propose comme
L'influence de la religion, l'uniformisé de amendement que, « lorsqu'un bien ancien-
la morale, la dignité de la politique, la paix nement confisqué sera tombé par abandon,
entre les familles, la tranquillité de l'Etat, déshérence, et défaut total de successibles
l'avantage même de l'agriculture tiennent à dans les domaines de l'Etat, il soit rendu à
ces compositions amiables qui remettent lesi. la famille dépouillée, ou & ses ayants cause,
choses à leur place, à la satisfaction des en prélevant, au profit de l'Etat, l'indemnité
deux parties et si quelque chose peut éton- que ce bien aura reçue. »
ner encore, c'est de voir qu'on s'obstine à.les C'est ce que l'Etat a fait pourles biens des
craindre et à les repousser. protestants réfugiés. Il y en avait beaucoup
Je n'ai pas répondu à ceux qui deman-• dans mon département, ils ne furent pas ven-
dent que les biens-meubles, confisqués oui dus, et j'en ai vu, encore peu d'annés avant
détruits, reçoivent, comme les immeubles, la révolution, séquestrés et jouis par l'ad-
leur part' d'indemnité. Un noble vicomte at ministration des domaines, et qui, à ma
traité ce sujet avec son talent ordinaire, ett connaissance, ont été gratuitement rendus à
un talent qui ne peut être égalé. Je me con- des familles qui ont prouvé leur parenté dos
tenterai de résumer en un mot sa belle dis- familles réfugiées.
cussion sur ce point, en disant que la seuleî Je vote Dour la loi sans autre amende-
propriété est celle qui est immuable et in- ment.
OPINION
SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AU REMBOURSEMENT OU A LA REDUC-
TION DE L'INTERET DES RENTES CINQ POUR CENT.
{Chambre des Pairs, séance du 29 mai 1824.)
Les affaires d'un grand royaume sont une Et de là, cette consé-
là Messieurs, résulte cette-consé-
grande entreprise, et lorsque le gouverne- quence, que la caisse d'amortissement est
ment ne peut pas la conduire à bien avec fondée dans l'intérêt de l'Etat, et non dans
les seules ressources de l'Etat, il émet des l'intérêt du rentier; qu'elle est plutôt le cor-
rentes, c'est-à-dire qu'il crée des actions et rectif du crédit public qu'elle n'en est l'auxi-
fait, de ceux qui s'intéressent à l'entreprise liaire et l'instrument; et qu'elle ne saurait
en achetant des actions, une véritable com- être trop puissante pour opérer plus tôt,
pagnie d'actionnaires, dont les fonds parti- bien moins la libération financière de l'Etat
culiers devenus dès lors effets publics (et que sa libération politique, et le tirer des
c'est le nom qu'ils prennent), suivent toutes mains des actionnaires, à qui il est en quel-
les variations de la fortune présumée de l'E- que sorte engagé.
tat, dans laquelle ils partagent comme dans
un dividende commun. Mais ce qui achève, ce me semble de
La sagacité du public rentier ou des ac- donner aux rentes le caractère d'actions sur
tionnaire's a découvrir, a démêler les plus l'Etat, et aux rentiers celui d'une société d'ac-
légers symptômes d'affaiblissement ou de tionnaires, est que cette société et cette en-
progrès dans la fortune de l'Etat, est mer- treprise ont, comme toutes les entreprises
veilleuse et les instruments météorologi- et sociétés pareilles, un conseil d'adminis-
ques ne marquent ni plus exactement ni plus tration pour la conduite de l'entreprise et les
promptement les moindres variations de intérêts de la société, un conseil où les in-
l'atmosphère, que la bourse les variations térêts des actionnaires sont débattus, régies
de la fortune publique. et défendus ce conseil, Messieurs, ce sont
En leur qualité d'actions sur l'Etat, les les chambres, spécialement celle des dépu-
rentes sont négociées tous les jours, à tout tés ces chambres où se trouvent réunis
instant, avec profit ou avec perte, entre tou- parélection populaire ou nomination royale,,
tes personnes,dans la bourse ou marché pu- les plus forts propriétaires et les plus forts
blic, et par le ministère des agents de change capitalistes qui débattent leurs intérêts res-
nommés à cet effet par le gouvernement, et pectifs entre eux et avec ou contre le gou-
elles sont cotées tous les jours-dans les pa- vernement, sous les yeux du public et du
dans ce con-
piers publics, avec toutes les autres acttons gouvernement lui-même. C'est
les ponts, les canaux, sur les caisses seil d'administration que la société des ac-
sur sur
publiques, etc. tionnaires a la garantie la plus assurée ga-
Si la rente n'était qu'une simple créance rantie si l'on veut pltis morale que maté-
il serait indispensable de ta soumettre à une rielle mais la seule que l'Etat, personne
pourquoi,
offrir; et voilà
retenue au profit de l'Etat, et elle ne pour- morale-, puisse lui appelle ab-
rait en être exempte que par une stipulationr Messieurs, les monarchies qu'on dans leur
qu'elles présentent
expresse à laquelle, je crois le gouverne- solues bien tranquillité intérieure» leurs
ment ne pourrait pas consentir. Mais en leurr stabilité, leur solvabilité que les gou
qualité d'actions et d'actions sur l'Etat, elless ressources, autant de
ne lui doivent ni impôt ni retenue, î
parce vernements mixtes, n'ont cependant pas (heu-
liberté de leurs
qu'elles courent, comme toutes les actionss reusement peut-être pour la
des chances de perte, comme des chances î
de mouvements) de crédit public ni étendu ni
bénéfice affermi, à moins que ce ne soit celui que
1,'Etat, lorsqu'il rachète tous les jours dess dans des vues
profondes la puissance de la
parlais tout à l'heure, a l'in-
rentes par le jeu continu de la caisse d'a- banque, dont jefaire
mortissement, ne rembourse donc pas less térêt de leur ou de leur supposer;
de crédit publie,
capitaux prêtés, il n'éteint donc pas des det- elles n'ont pas proprement
> parce qu'elles ne
lui offrent pas, dans leurs
tes il retire des actions des mains des par-
ticuliers pour devenir lui-même actionnaire, >,
institutions politiques cette garantie dans
le gouvernement doit rester à laa un conseil d'administration où les intérêts
parce que soient représentés, dé-
tête de l'entreprise, et déjà sans doute, par ,r des prêteurs d'argent
les prêteurs eux-mê-
les actions qu'il a retirées, il y est devenu u battus et défendus par les gouver-
le plus fort actionnaire, et c'est pour cette te mes tandis, au contraire que
veuillez Messieurs le remar-r- nements où ce conseil se trouve établi comme
raison, bien
politique, même les plus nou-
quil n'a pas annulé, quoique la institution
quer, i- veaux et les moins affermis, jusqu'aux cor-
loi l'y autorisât les rentes qu'il a reti-
tès d'Espagne et à la réplique de la Co-
rées.
W'\i OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1272
i1 l'
capitaux, ont
Le- grand-livre est r_
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD.
Deux lois politiques ont été présentées tres qui n'embrassaientpas la carrière ecclé-
dans cette session; l'une péchait par défaut, siastique, ou à qui la faiblesse de leur santé
l'autre par excès. ou des vices de complexion n'interdisaient
La loi sur les pensions ecclésiastiques ne pas la profession des armes, entraient dans
remplissait pas les besoins religieux d'un des régiments ou dans la maison du roi, si
pays où la constitution a déclaré une reli- toutefois
1 ils y trouvaient place car, depuis
gion, religion de l'Etat; la loi sur les dona-assez longtemps avant la révolution les
taires rétablissait en masse, et sur le trésor grandes
{ fortunes du commerce ou de la fi-
public, des situations et des priviléges que nance
1 le disputaient avec avantage à la no-
la constitution a interdits, et qui ne pou- blesse 1 pauvre des provinces.
raient convenir aux, circonstancespolitiques Cette contrainte, car c'en était une, était
où nous nous trouvons. adoucie
t par l'honneur attaché à l'état mili-
C'est donc avec sagesse que la chambre a ttaire la politique généreuse de la monar-
étendu la première de ces lois, et restreint chie < qui ne craignait pas ses armées, mais
la seconde. qui
< mettait toutes les fonctions à la place
Celle ci, la loi sur les donataires, la seule qu'elles
< doivent occuper, en attribuant le
dont je m'occupe, n'a été traitée que sous pouvoir] réel à la justice, avait donné les
des rapports personnels, et de là vient que honneurs
1 à la profession des armes, comme
la discussion en a été si violente et si aigre, uni juste dédommagement des sacrifices
Elle eût été plus calme, si la loi eût été con- <qu'elle commande, et du plus grand de tous,
sidérée comme elle aurait dû l'être, dans ses 1le sacrifice de la vie. Tous les amours-pro-
rapports politiques. pres
j s'étaient arrangés dans cette distribu-
Mal à propos on y a mêlé la question des tion.t La magistrature avait plus de poids
émigrés, et j'ose -le dire, avec plus de gêné- dans
c l'Etat, les militaires reçus à la cour
rosité et de bienveillance que d'utilité pour avaient
a plus d'agrément et de considération
eux et même de dignité. Je ne sais si des cdans le monde, et le plus pauvre sous-lieu-
donataires ont parlé pour leurs dotations t
tenant n'aurait pas troqué son hausse-col
mais aucun émigré, que je sache,- n'a parlé contre c une intendance de province.
dans sa cause; et pour ce qui me concerne, Mais ces sacrifices eux-mêmes, comme
tant que j'aurai l'honneur de siéger à la tous t les sacrifices, paraissaient pénibles à la
chambre, je m'abstiendrai, comme homme mollesse r des mœurs, accrue par le progrès
public, de parler et même de voter dans une ddes arts, à l'opulence, aux goûts particuliers,
question où je suis personnellement inté- aà celui le plus précieux de tous, de disposer
ressé, et dont la solution n'est au fond o>ie librement
1 de soi, et Louis XIV qui avait
la consécration législative d'un grand scan- créé c en France les plaisirs publics, ces en-
dale et d'une monstrueuse iniquité. nemis
u publics des vertus publiques, comme
La première question qui se présente dans <j des vertus domestiques, sentit que pour re-
cette matière, est celle des récompenses pour tenirt désormais les officiers eux-mêmes sous
services militaires. les
], drapeaux, dans l'état forcé de guerre
Jadis, en France, le soldat était libre et continuelle
c où des événements religieux et
J'officier forcé, forcé par les mœurs toujours politiques
j avaient jeté l'Europe il fallait
en France plus puissantes que les lois. autre s chose que sa volonté, et il établit l'or-
L'honneur alors faisait un devoir du service dre c de Saint-Louis, qui ne permit plus aux
militaire, et à tous les enfants des familles officiers
c de quitter le service avant les vingt-
militaires et même aux puînés des familles cinq c ans requis pour en obtenir le signe;
de magistrature. Ceux des unes ou des au- institution
i puissante en administration
1-281 PART, II. POLITIQUE. DE LA LOI SUR LES DONATAIRES. 1289
moins heureuse en politique, qui mettait la enfants, et l'élégance des uniformes qui
vanité
vànWA à h la nlap.f»ri
place du devoir, fit qui,
n A avilir, et nui. en expo-
en ex DO- plait au jeune
nlatl an ààa l'Etat
ipnnn âge, l'Utot aujourd'hui »rnn.
nnirmpH'Vmi trou-
sant plus longtemps une classe nécessaire do verait difficilement à remplir ses cadres d'of-
la société aux hasards et aux fatigues du ser- ficiers, et beaucoup de jeunes gens qui, dans
vice militaire, a plus qu'on ne pense contri- u.n état de choses régulier, ne peuvent plus
bué à la diminution de la noblesse. espérer un avancement aussi rapide que
Mais alors, les fortunes étaient plus consi- celui qui a lieu à toutes les époques de dé-
dérables on servait, comme dit Montes- sjordre, à peine entrés au service, cherchent
quieu, avec le capital de son bien, et il était à s'en retirer. Ainsi, l'on peut dire que nous
bien juste que celui à qui les mœurs de ce sommes devenus moins guerriers, en deve-
temps imposaient la ruineuse.,obligation de nant tous soldats. Cela devait être l'atonie
servir et de servir vingt-cinq ans, reçût, au succède aux mouvements désordonnés de la
bout de cette carrière, un dédommagement fièvre dans le corps social, comme dans le
qui, pour la très-grande partie des nobles corps humain, et c'est ce que ne peuvent se
de province qui n'allaient guère au delà du persuader ceux qui, surpris par la Restaura-
grade de capitaine, se bornait à 6 ou 700 li- tion, au milieu de leur carrière et de leurs
vres de pension. espérances ou de leurs illusions de gloire et
Aujourd'hui tout est changé..Jadis, com- de fortune, ne voient pas que la révolution
me je l'ai dit, le soldat était libre, et l'officier et Bonaparte, à force d'excès, ont usé la
forcé. Aujourd'hui le soldat est forcé, et guerre et même la gloire.
l'officier est libre, même sous Bonaparte, La nation française lutte encore avec ses
n'eût-il pas même, quoique engagé d'abord souvenirs et ses habitudes contre cette dis-
comme conscrit, fini son temps. position funeste pour un Etat continentat.
L'état militaire n'est plus au premier rang, Mais elle lutte en vain contre l'esprit d'une
dans l'Etat, ni même dans le monde. La di- constitution mêlée de démocratie les répu-
gnité politique de la pairie, qui dispensera bliques violentes au dehors, timides au de-
les chefs des premières familles de servir, dans, ont toujours redouté leurs propres ar-
domine ou écrase toutes les autres les pro- mées, lorsqu'elles ne pouvaient pas les jeter
fessions civiles prennent peu à peu le pas sur leurs voisins, et leur ont prodigué l'ar-
sur la profession des armes, et lorsque au- gent pour acheter leur obéissance.
trefois un sous-lieutenant n'aurait pas voulu Ainsi, parce que les fortunes sont dimi-
d'une intendance de province, il y a peut- nuées, et que le service de l'officier est plus
être aujourd'hui beaucoup de capitaines qui volontaire, il a fallu augmenter les appoin-
ne refuseraient pas une place de sous-préfet; tements mais aussi parce que l'officier a été
et j'ai connu des généraux devenus préfets libre de servir, et qu'en général il ne sert
ou même receveurs des finances. L'adminis- que faute de trouver ailleurs un établisse-
tration, la justice, les lettres, même le com- ment ou un emploi plus avantageux; qu'un
merce, gagnent du terrain aux dépens du jeune homme n'est pas comme autrefois
militaire les décorations, autrefois apanage moins considéré dans le monde, parce qu'il
à peu près exclusif de la profession des ar- quittera le service de bonne heure, ou qu'il
mes, sont multipliées et données à toutes ne servira pas du tout, l'Etat est moins obli-
les professions. On lève les soldats par re- gé envers lui à un dédommagement. L'offi-
crutement forcé, on lève aussi les officiers à cier aujourd'hui court de plein gré les chan-
peu près par vocation forcée, et dès l'âge de ces de sa profession, heureuses pour les uns,
huit à dix ans, on les place dans des écoles malheureuses pour les autres, et il ne peut
( 1 ) militaire^ chose assez remarquable se plaindre à la société des mécomptes qu'il
dans un Jemps ou l'on trouvait la vocation peut trouver dans cette carrière. Tolentinon
religieuse beaucoup trop précoce bien après fit injuria, dit la jurisprudence; mais la po-
cet âge; en sorte que l'on peut dire, que litique et l'humanité disent aussi Summum
sans cette direction prématurée donnée aux nu, summa injuria et cette rigueur de prin-
(1) Autre institution fausse en 'politique, qui des institutions anciennes était d'avoir fait des ar-
sépare dès le plus jeune âge des enfants nés aux mées propres à la guerre, propres à la paix, et par
mêmes lieux pour y finir ensemble leurs jours, l'effet de l'esprit révolutionnaire, les armées sont
qu'autrefois le thème collège, la même éducation, devenues moins citoyennes, en devenant plus bour-
réunissaient, et tend à faire deux peuples dans la geoises, et l'on a vu en Espagne des troupes faire
même nation. L'éducation morale y perd beaucoup; une révolution pour ne pas faire la guerre.
la Drofession militaire vcaaneDeu. Le chef-d'œuvre
'
r
12^3
cipes n'est
cipes n'est'admissible
OEUVRES COMPLETES DE M. DE RONALD.
admissible qu'en théorie.
Examinons à présent la question des do-
nataires.
°-
Bonaparte, dont l'imagination était sans ns
,a.
force, il ne s'est jamais affermi que par
paternité. Deux fois cela s'est vu en
1284
j)ar la
en France;
cela aurait pu s'y voir encore mais cette
fois la paternité a manqué à la forée car la
]a
mesure comme les projets, avait voulu imiter ^r paternité souveraine comprend autre chose
Charlemagne, en créant, dans les pays qu'il 3'
que le soin des finances, de la guerre, du
avait conquis, de grands feudataires de son 3n commerce et des arts. Les rois, pères de
empire, rois, princes, ducs, et même des es leurs peuples, sont donc en cette qualité
arrière-vassaux sous des titres plus modes- s" tuteurs de leurs affaires et des biens de l'E-
tes. C'étaient de vrais fiefs masculins comme ;)e tat; et comme tuteurs, ils peuvent acquérir
l'étaient jadis en France tous les grands fiefs,
:s> pour leurs pupilles, et ne peuvent pas alié-
transmissibles,sans partage,!de mâle en mâle, e» ner volontairement. C'est une maxime de
a condition de service militaire, et, en cas as droit politique autant que dé droit civil.
d'extinction, réversibles à la couronne. Il Ainsi, la France, sortant de la dure et bril-
avait voulu aussi imiter les Romains qui ui' lante tutelle de Bonaparte, avait certaine-
plaçaient aux frontières de leur empire des es ment lé droit de lui demander compte de sa
colonies militaires, sentinelles avancées, ou m gestion et elle était, aux yeux des publi-
point d'appui, pour se porter plus avant (1 ))>" cistes, comme à ceux des jurisconsultes, le
et il avait formé le camp de Juliers du côté té créancier le premier en hypothèque sur les
de l'Allemagne, et celui d'Alexandrie du lu biens qu'il avait laissés. Je ne parle pas ici
côté de l'Italie. 11 leur avait donné des terres
aussi en fiefs, et sous des conditions féo-
dales, de transmission perpétuelle, d'indi-
'
3S
i-
des pertes que nous avons faites [par suite
de la guerre, et dans l'honneur dé notre ca-
pitale, et dans nos finances, et môme dans
visibilité, de service militaire et de réver- r" notre territoire entamé sur quelques points
sion, etc., etc.
par le dernier traité. Nous voulions laguer-
Les événements en ont décidé autrement l» re, puisque le chef de l'Etat trouvait parmi
les puissances étrangères ont repris leurs rs nous des législateurs pour lui donner notre
possessions, les grands feudataires se sont
fit
repliés sur le seigneur suzerain, les colo-
nies sont rentrées dans la métropole, lesJS
' argent, des sénateurs pour lui donner nos
enfants, dés agents civils et militaires pour
trainer aux armées, liés et garrottés, de mal-
camps ont été levés, et comme ils ne pou- i- heureux conscrits; et ces guerres étaient
vaient camper en France sur un sol partout Lit autant notre ouvrage que le sien. Mais je
occupé par la propriété particulière, ils ont, t, parle de la perte d'une colonie, ou plutôt
en attendant, campé sur le domaine public; d'une autre France; perte la plus sensible et
et on a imaginé un domaine public extraor- la plus funeste que nous pussions faire, non
dinaire, et vraiment fort extraordinaire, comme colonie à échanges commerciaux
puisqu'on l'a supposé appartenir à des par- mais comme établissement politique perte
ticuliers, et qui n'est au fond qu'une créa-i- qui ne sera jamais appréciée, et dont le
tion de rentes. temps ne fera qu'aggraver le malheur; perte
Il faut examiner ici quels ont été les droitss qui a été l'ouvrage de notre tuteur tout seul,
de Bonaparte à disposer après lui de cettee de la perte de la Louisiane, vendue à prix
partie du domaine ^public, et quels ont étéé d'argent, vendue à vil prix, vendue sans né-
ou sont les droits du roi. cessité, même sans guerre imminente ou dé-
On a voulu, dans cette discussion, rejeterr clarée, vendue sans fruit et sans remplace-
toute parité entre le droit civil et le droitt ment; transaction coupable que la légiti-
politique c'est une erreur; les principess mité elle-même n'aurait pas eu le droit de
sont les mêmes, les applications sont diffé- consentir; transaction honteuse par tout ce
rentes, et diffèrent entre elles comme le gé- qui s'y est mêlé, et sans doute à l'insu du
néral diffère du particulier L'Etat vient ded chefvde corruption subalterne. Or tous tés
la famille, et n'est lui-même qu'une grande3 biens propres qu'a laissés Bonaparte, et qui
famille. Ce n'est pas par métaphore, mais enj étaient provenus de l'exercice légal de son
réalité que les rois sont appelés les pères da3 pouvoir, ou de la conquête, en domaine or-
leurs peuples, et les peuples leurs enfants. dinaire ou extraordinaire, étaient par ce
Si un pouvoir nouveau a commencé seul fait acquis à la France, et appartenaient
par la(
(i) Plusieurs de ces camps romains, où les lé- et de Bonn, conservent la trace de leur origine. Co-
gions étaient établies, sont devenus des villes consi- lonia Afjrippina, Bona Castra'.
dérables, dont les noms, tels que ceux de Cologne E
1285 PART. II. POLITIQUE. –DELA LOI SUR LES i^xViTAIRES. 128(5
C)
Vtfïî la
tion et la considération qu'elle mérite. On
pourrait
*"k/\Tl plus de
Atrrtn initia
nivnîf avec rlrt noîl>/tn
On
raison demander
1234
fï
i^rtiVI Q»>/Ioh si.
<
libre disposition des bienfaits et-le choix de tous les militaireslque le roi paye, quoiqu'ils
ceux à qui il voudra les accorder. ne le servent pas activement, ont autant
S'il y a eu quelques tiraillements d'opi- d'affection pour l'Etat; et l'on répondrait,
nions entre le'gouvernement et la chambre, il sans doute, en montrant les tristes procé-
n'y a eu, dans celle-ci, aucune disposition dures dont retentissent nos tribunaux. Mais
hostile contre le gouvernement. Mais la les uns, sans mauvaises intentions, et par
commission avait espéré que cette discussion un orgueil national mal entendu, auraient
pourrait être renvoyée après le budget, délai voulu conserver toutes les armées de Bona-
qui présentait des chances favorables au parte, et couvrir la France de troupes comme
gouvernement, pour ajouter, à la session si elles ne coûtaientrienjaux peuples, et que
prochaine, une loi qui ne venait pas à la la France en eût besoin; elle qui n'a à
chambre en temps suffisamment opportun. craindre que des ennemis intérieurs, et que
Enfin la pension sera sous le bon plaisir du Bonaparte lui-même, avec son babilelémili-
roi, la même qu'eût été la dotation. Sous ce taire et son excellente armée, n'a pas pu
rapport, le sort des donataires et celui de défendre contre l'étranger. D'autres auraient
leurs veuves et de leurs enfants est assuré voulu faire un appel aux armées, et leur
pour leur vie: tout père de famille peut se demander le despotisme militaire pour y
contenter de cet avenir; et en demander da- placer, s'ils l'avaient pu, leur despotisme
vantage lorsqu'on a des droits si litigieux, civil; coupables provocateurs de tous les
ou plutôt lorsqu'on n'a aucun droit, c'est désordres, et qui jouissent, au milieu des
étendre bien loin lasollicitudedelatendresse plaisirs de Paris, du sang et des larmes, qu'ils
paternelle. Un avenir de trente ou quarante fontcouler en Espagne, en Italie, enTurquie,
ans au moins, terme moyen de la durée comme Néron chantait en voyant l'incendia
d'une génération,estaujourd'huiune éternité; qu'il avait allumé; véritables pestes publi*
et au temps où nous sommes et avec les ques, dont nous recélons le foyer, pour le,
projets qu'annoncent les révolutionnaires de malheur de l'Europe, et pour notre honte,
tous les pays, quel est le propriétaire,homme et qui peut attirer sur nous une grande res-
de sens, qui, pour lui-même et ses biens pa- ponsabilité et de grands malheurs.
trimoniaux, ne se contentât pas de cette as- On a beaucoup parlé, et à tout propos, de
surance ?
sang versé et de gloire nationale. Je remar*
La mêlée a été chaude, mais le succès du que avec satisfaction que ceux qui parlent
combat n'a pas été douteux. Le roi, dispen- de sang versé se portent bien. Le sang de
sateur suprême d'nn fonds qui appartenait à ceux qui ont péri ne demande rien et il n'y
l'Etat, et n'appartenait qu'à lui, rentre dans a pas d'officier général, ayant survécu à ces
son droit royal; il récompense lui-même terribles guerres, qui ne nous ait coûté peut-
des services dont l'Etat n'a pas profité pour être dix mille de nos enfants. La gloire na-
son agrandissement les services seront ré- tionale, les militaires la confondentavec leur
compensés, et les malheurs soulagés. Toute gloire personnelle, et ne la voient que dans
question sur l'emploi du domaine extraordi- la valeur des guerriers et de beaux faits
naire est finie; ce domaine fera retour à l'E- d'armes de celle-là, la France, on peut dire,
tat. En vérité, le projet de loi ne pouvait pas en a été rassasiée, et elle en a plus cueilli
avoir une meilleure issue. dans les trente années qui viennent de s'é-
Je ne craindrai pas'de traiter deux ques- couler que dans les trois siècles antérieurs,
tions délicates, et qui ont été si souvent et parce que la guerre a été continuelle pendant
si injustement reproduites dans la discus-
ce long période de temps, qu'elle s'est faite
sion. On a cherché à intéresser l'armée dans
avec des armées plus nombreuses, et que le
cette querelle, en accusant le côté droit de la monde entier en a été le théâtre. Mais cette
chambre de lui être peu favorable. Il sera, je gloire du courage personnel, les peuples ci-
crois, difficile de persuader à l'Europe que vilisés la partagent avec les peuples sauvages •
des chambres législatives, qui votent tous les et ceux-ci montrent encore plus de force
ans pour 4'entretien de l'armée française d'âme contre les privations et les douleurs.
active ou inactive, 235 milliops, c'est-à-dire, Cette gloire se partage encore entre le vain-
plus qu'il n'en coûte à toute l'Allemagne pour queur et le vaincu, s'il y a eu autant de cou
son état militaire, quoi qu'il soit bien plus rage dans la défense, même malheureuse,
nombreux, n'ont pas pour l'armée l'affec- que dans le succès. On peut même remar-
quer que l'histoire s'arrête avec plus de pie,
] et l'esprit du siècle, et les progrès des
complaisance sur le courage qui attend et lumières, est allée plus loin qu'aucune autre
supporte le danger que sur la valeur qui l'af- assemblée
i législative, puisqu'elle a imaginé,
fronte; et l'honneur lui paraît plus grand discuté
< et' décrété un nouveau genre de
dans la constance d'une résistance, même supplice,
i et qu'un de ses membres les plus
inutile, que dans l'impétuosité de l'attaque distingués,,parmi
< les nouveaux constituants,
la plus téméraire. Ainsi, elle a plus d'éloges ]proposa de donner au bourreau les droits
On a beaucoup parlé de la marche du siècle Grèce, dans les troubles de l'Irlande, dans cette
et du mouvement des esprits, et personne n'a inquiétude vague qui pousse les esprits vers de
temarqué un phénomène digne de fixer l'at- hautes contemplations? D'un bout à l'autre
tention de l'homme d'Etat et du législateur. l'Europe est travaillée par un ferment religieux
Bans le siècle dernier, les esprits égarés par introduit dans la masse du corps social,
de funestes doctrines se dirigèrent avec une
violence extrême contre la religion. Un Ordre
Mens agilat molerti.
(Vibgil., Mneïé., lib. vi, vers. 724.);
j:
célèbre qui la défendait au dedans, qui l'é- Que dis-je ? Ces sociétés secrètes, si acharnées
tendait au dehors, fut le premier objet de leurs contre le christianisme, ces livres impies dont
attaques. Sa puissance, son crédit, ses services le débordement nous inonde né prouvent-ils
ne purent le sauver d'une ruine totale. Bientôt pas, d'une manière invincible la tendance
après l'édifice entier de la religion s'écroulai religieuse contre laquelle tant d'efforts se
sous les marteaux révolutionnaires avec une Eéunissent? C'est parce qu'elle se voit assiégée
facilité qui fit croire aux destructeurs que dans la place qu'elle avait conquise, que
ce qui leur coûtait si peu à renverser n'avait l'impiété s'y fortifie; elle ne se défend que
pas une fondation bien solide. Mais parvenu parcequ'elleestmenacée. Ajoutezà cespreuves
dès lors à l'apogée de sa puissance, le mou- la renaissance de l'épiscopat, les concordats
vement irréligieuxs'arrêta, ou plutôt un mou- faits avec le Saint-Siège, l'établissement spon-
vement contraire et tout religieux emporta les tané de 1800 communautés de femmes; les,
esprits dans une direction opposée.Bonaparte villes, les bourgs appelant de tous côtés ces
sut le reconnaître, et en profiter. Depuis ce humbles frères de la Doctrine chrétienne,
temps, l'esprit religieux a toujours été en plus nombreux aujourd'hui, plus difficiles à
eroissânt, ainsi que le démontre à tout œil supprimer que ne le furent il y a 60 ans les
attentifla situation de l'Europe.Quipeut en mé- Jésuites comment ne pas apercevoir, dans
connaîtrel'influence dans les mouvementdelà les prodiges de l'esprit religieux le caractère
1~9
fin-n,
ŒUVRES COMPLETES DE M. DE MMAUT. T3Uct
particulier du nouveau siècle? En vain quel- croit pas à la sainteté des objets qu'il pro-
""A" no..t;n"
ques partisans obstinés d'un systèmedifférent,
"h"tin¿" t1'nn cvc~~»1?(~7fÎ~rP»1: fane
~aYlP9 ~P garde-des-seeaux, dans enn-riic:
NI le
? M. son dis-
vrais aristocrates de la révolution, défendent cours d'hier, a victorieusement réfuté cette
sncore ses principes; la lutte n'est pas égale, doctrine.Le noble pair ajoutera que le furieux
et s'ils parviennent à retarder le mieux, ils qui se rend coupable de sacrilége simple,
ne pourront empêcher le bien. Ce qui les comme on l'a nommé, ne s'acharnerait pas
trompe, c'.est que la destruction a été vio- plus sur l'hostie sainte que sur les marbres
lente et soudaine, tandis que la reconstruc- de l'autel, s'il n'y supposait quelque chose
tion est lente et progressive. Il n'a fallu qu'un de plus qui sent l'outrage et s'en offense.
instant pour abattre, il faut des années pour La fureur même atteste sa persuasion. Ainsi;,
rétablir; et l'homme qui ne vit qu'un jour le guerrier barbare qui insulte encore à Vent-
îst plus frappé des effets subits de la violence nemi qu'il vient d'immoler, rend par là même
que du développement insensible de la force. témoignage à l'immortalité de l'âme. Veut-on
Peut-être ces réflexions ne paraîtront-elles cependant retrancher comme excessive la
pas étrangères au sujet important dont la peine de la mutilation? Le noble pair y con-
chambre s'occupe, et à la discussion d'une sent, par la seule raison qu'il ne faut pas
loi que réclament les besoins actuels de la offrir au peuple des spectacles sanglants, de
société. Le silence de notre législation sur peur de le rendre féroce. Il substituerait à
le sacrilége, était une honte pour elle et un la mutilation une amende honorable. Mais
scandale pour les peuples. On peut regarder la peine de mort doit être maintenue ou>
comme une vérité prouvée par le consente- si on la rejette pour le sacrilège, il faut l'a-
ment universel du genre humain, ce senti- bolir pour tous les autres crimes. Comment
ment qui porte l'homme à venger les outrages concevoir, en effet, que la profanation des-
faits à la religion. Depuis la nation la plus choses saintes fût moins punie que l'émission,
éclairée jusqu'à la borde la plus barbare, d'une pièce de fausse monnaie? L'abolition.
il n'est point de peuple qui n'ait sévèrement de cette peine fut, à certaine époque, le-
puni le mépris de ses dieux et la violation vœu de quelques hommes, dont la prétendue-
de leurs temples. Ainsi la loi de Moïse, ainsi philanthropien'aboutit qu'à faire de la France
celles des Douze Tables ont mis le sacrilége entière un vaste échafaud. Elle est le rêve-
au rang des plus grands crimes. Cette der- des âmes sensibles; elle a même tenté des
nière même l'égale au parricide, parricida hommes religieux, qui, n'envisageantle chris-
esto,, non sans doute que les hommes aient tianisme que d'un côté, oublient qu'il a autant
imaginé que la Divinité pût être offensée par de menaces pour le crime que de promesses.
l'impie,, comme le mortel l'est par son sem- pour la vertu. L'orateur entreprend de jus-
blable, mais parce que la religion étant le tifier à cet égard la sévérité de nos lois et de
Ken le plus puissant des sociétés humaines, nos mœurs il observe que la vindicte publi-
et lia plus sûre garantie de l'obéissance due que est, dans l'ordre social, le remplacement
aux institutions qui les régissent, il a paru nécessaire de la vengeance personnel.e. Le
nécessaire de réprimer tout ce qui pouvait citoyen ne renonce à celle-ci que sous Ia-
y porter atteinte, et de faire avant tout, condition d'être efficacement protégé par
respecter une loi de qui les autres emprun- celle-là. Ainsi, partout oùola vindicte publique
tent leur sanction et leur autorité. Le déisme est impuissante, voit-on la vengeance per-
ne fait Dieu si grand et l'homme si petit que sonnelle ressaisir ses droits, et se faire à
pour les éloigner à jamais l'un de l'autre. elle-même une justice que le pouvoir lui
Le christianisme les rapproche seul il a dénie. Il est même des cas où, Iconvaincue
connu, la bonté de. Dieu et la dignité de de son impuissance, la loi permet en quelque
l'homme seul il nous a donné une juste sorte d'y suppléer, même jusqu'à la peine
idée de la Providence. Mais plus, dans cette de mort, témoin le flagrant délit d'adultère.
religion dont les bienfaits prouvent si élo- Si ces principes sont vrais à l'égard des fa-
quemmentla vérité, Dieu est près de l'homme, milles privées, comment ne le seraient-ils pas
plus if serait scandaleux de laisser impunis à l'égard de la grande famille de l'Etat?
tes crimes qui l'outragent. Ce n'est pâs la Comment n'aurait-elle pas droit à une juste
pitié pour les .coupables, mais l'indifférence vengeance pour les outrages faits à sa religion,
ou le mépris pour la religion, qui fait réprou- à son honneur, à ses propriétés? Sa religion,.
ver à la philosophie la sévérité des peines elle la venge par des lois sévères; son lion-
en matières de délits religieux. Dira-t-on que neur, elle le soutient par les âmes, par ces
le profanateur est innocent, parce qu'il ne terribles exercices du droit de vie et dé-
mort qu'on appelle la guerre ses propriétés trouve l'empreinte dans les lois criminelles
enfin, ou plutôt celle qui les représente de tous les peuples, n'a-t-il pas été donné
toutes, la monnaie du prince, est à son tour pour règle aux sociétés comme aux individus ?y
garantie d'altération par une peine capitale. L'homicide, l'adultère, le vol, qui soilt autant
Ainsi se trouvent justifiées les lois pénales de péchés, cessent-ils pour cela d'être des
de tous les peuples, relativement au sacri- crimes? Un orateur a observé que la religion
fégev On se récrie sur la peine de mort, mais ordonnait à l'homme de pardonner; oui, mais
osons proclamer ici des vérités fortes si les en prescrivant au pouvoir de punir, car, dit
bons doivent leur vie "à la société comme l'Apôtre, ce n'est pas. sans cause qu'il porte le
service, les méchants la lui doivent comme-jglaive. (Rom. xm, 4.) Le Sauveur a demandé
exemple; et par un effet bien. remarquable grâce pour ses bourreaux, mais son Père ne l'a
de nos mœurs et de nos doctrines, jamais pas exaucé. Il a même étendu le châtiment sur
la société ne prodigua plus que de nos jours tout un peuple qui, sans chef, sans territoire
la vie des bons, et ne fut plus avare de celle et sans autel, traîne partout l'anathème dont
des méchants.. On avait promis que la mo- il est frappé. L'opinant vote d'après ces mo-
dération des peines diminuerait le nombre tifs l'adoption de la loi proposée, en retran-
des crimes. fl est facile en comparant les chant toutefois des dispositions applicables
anciens et les nouveaux registres des cours au sacrilége simple la peine de la.mutilation,
criminelles, de juger si cette promesse est et la remplaçant par une amende honorable
remplie Le sacrilège, dit-on enfin, n'est pas devant là principale porte de l'église où la.
un crime, c'est un péché que la religion seule crime aura été. commis..
doit punir. Mais le Décajogue, dont on re-
OPINION
Nobles Pairs,
Ees orateurs qui m'ont précédé ont, à propos difficiles, en recevoir les ordres, et doit en
du projet de Code sur la juridiction militaire, exécuter les arrêts; mais parce que cet ins-
beaucoup parlé de droit commun et de la trument est plus dangereux comme étant
nécessité de retenir les citoyens complices toujours armé, que les caractères y sont plus
ou coupables de délits militaires sous la juri- Violents, puisqu'ils doivent toujoursêtre prêts
diction des tribunaux ordinaires. Messieurs, à: combattre, il doit être soumis à une disci-
une grande pensée doit, ce me semble, do- pline plus sévère, à une répression plus
miner toute cette discussion c'est le danger prompte; de là la nécessité d'un Code parti-
de faire de l'armée une institution trop civile. culier de juridiction.
Depuis qu'il y a dés armées permanentes, et Je n'ai remarqué dans cfrCode volumineux,
que la profession des armes est devenue uni amendé par la commission, que deux articles
état distingué de tout autre, incompatible avec plus politiques que militaires,, l'article 75 et
tout autre, autant en quelque sorte hérédi- l'article 77, et qui, pour cette raison, rentrent
taire que tout autre, plus nécessaire que tout dans la manière générale dont j'envisage
autre, puisque sans des armées l'Etat ne pour- cette discussion.
rait se défendre et se conservar plus noble Je laisse de côté les nombreux articles qui
que tout autre, puisqu'il exige de celui qui concernent les formes de la procédure, for-
l'embrasse des sacrifices auxquels nuls autres mes en elles-mêmes assez indifférentesune
ne peuvent être comparés, la force publique fois qu'on y est accoutumé, et qu'on peut
aussi est de droit "commun, autant de droiti feans trop d'avantages modifier à loisir.
commun que la magistrature, puisqu'elle en L'article 75 est ainsi conçu «Les militaires
est le bras droit l'auxiliaire nécessaire el les individus non militaires entre lesquels
qu'elle peut, dans les circonstances les plus il y aura complicité seront, indistinctement
OEUVRES COMPLETES DE M. DE BOxNALD.
1303
justiciables des conseils de guerre. Il me
semble, si j'ai bien entendu,qu'on s'est élevé
à la souveraineté, l'armée doit être toute
1304.
plus royalistes que le roi; dans la nôtre., (Pvid., Metam., lib. n, vers. 157, 140.)
nous sommes accusés de démocratie et d'af- Et c'est la, Messieurs, le mystère et le-
fecter l'indépendance. Ainsi, représentants danger du gouvernement représentatif où.
qui ne représentent rien (1), mandataires le pouvoir, toujours placé entre deux abî-
sans mandats, plus que conseillers du roi, mes, est forcé de marcher à pas mesurés sur.
moins que législateurs,, nous sommes dest la ligne mathématique qui les sépare; et ce-
êtres politiques assez, équivoques, et noss qu'il y a de malheureux, est que s'il vient
fonctions se borneraient à faire des dis- à s'en écarter il tombe dans le précipice
cours qu'on n'éooute pas, et à donner des d'où il ne peut sortir que par un mouve-
apostilles qu'on ne lit pas. ment violent,, qui le rejette infailliblement
La discussion dans laquelle nous sommes dans le. précipice opposé et jamais peut-
engagés n'est pas de nature à faire disparai- être il ne peut retrouver l'équilibre une
tre les contradictions et, si je me le rap- fois qu'il l'a. perdu. C'est là Thistoir-e de
pelle distinctement on nous a parlé avant- l'Angleterre pendant dix siècles, c'est la nô-
hier à propos de cette discussion, de la tour tre depuis vingt-cinq ans car, qu'on ne s'y
de Babel, et de la. confusion des langues. trompe pas la question n'est pas de savoir
De quoi s'agit-il Messieurs dans cette si la constitution, de la France et celle de
discussion, et quel est le problème qui vous l'Angleterre doivent être les mêmes, mais si
est proposé? Le plus insoluble de tous les elles le sont.. Or, malgré des différences
problèmes politiques, parce qu'il repose sur dans les formes du gouvernement ou dans
deux données, dont chacune est une impos- les procédés de l'administration tous les
sibilité, et toutes les deux ensemble une Etats où le pouvoir est partagé ont- une
contradiction. constitution semblable, et leur tempérament.
Nous voulons déterminer le mode d'élec- est le môme quoique leur régime soit dif-
tion de quelques citoyens par un nombre férent. Ainsi, tous les hommes sont d'une
indéterminé d'autres citoyens; et pour y même nature, quoiqu'ils diffèrent entre eux-,
parvenir, nous cherchons à la fois à réunir de taille, de couleur, de traits de visage le
le plus grand nombre possible d'électeurs,
genre est le même,.les espèces seulement
sans confusion et sans désordre et le plus sont différentes.
petit nombre possible, sans injustice et sans Et prenez garde, Messieurs que, sur les
inégalité. questions accessoires de celle qui nous oo-
Si, cette forme de gouvernement suppo-
sée, nous voulons conformément au vœu eupe,, sur le renouvellement intégral oui
partiel, l'âge des députés leur nombre
de la loi et même de la raison, appeler à ces même la raison peut balancer des avantar
assemblées tous les citoyens seulement pro-
priétaires, nous risquons de tomber dans la ges ou des inconvénients et il y a des mo-
tifs de décision pris dans la nature de la
démocratie et de donner au peuple trop d'in-
société, dans la nature même de l'homme,
fluence dans le gouvernement si retenus
ou dans les convenances positives des as-
par la crainte, et. même par la nécessité, semblées mais pour déterminer comment:
nous voulons réduire au plus petit nombre et de combien de membres sera composé un
les citoyens ayant droit d'élire, on nous me- collége électoral, il n'y a plus de boussole,
nace du despotisme et des influences minis- parce qu'il y a trop de directions. Chaque
térielles. Nouveaux Phaélons, à qui un père, département offre des différences qu'il fau-
trop indulgent peut-êlre, a confié les rênes drait tenir en compte. Le résultat d'une as
du pouvoir, nous pouvons aussi embraser
semblée entière peut tenir aux passions
le monde; et le roi,
en nous suivant des d'un seul homme il faut ici se laisser aller
yeux dans la carrière périlleuse où nous au hasard, et nous n'avons peut-être d'au-
sommes engagés nous crie aussi comme tres règles à consulter que des règles d'a-
Phœbus à son fils rithmétique.
(i) Représenter s applique aux choses et aux deux sens, ils exposent tes besoins du peuple;
personnes; appliqué aux choses, il signifie exposer. ils le remplacent pour consentir l'impôt à la place
On représente les droits, les titres, les besoins de des contribuables, c'est-à-dire qu'ils représentent
quelqu'un; appliqué aux personnes, il signifie le peuple, non pas dans le sens que le peu-
remplacer. On représente son aïeul dans une succes- ple soit au pouvoir, mais dans le sens qu'il est.
sion on représente celui dont on a procura- sujet aux charges de l'filal, et qu'il doit être
tion ou mandat spécial, c'est-à-direune qu'on le aussi le sujet de la sollicitude royale.
remplace. Lss députés sont représentants dans les
Î30& PART. II. POLITIQUE. SUR LES ELECTIONS. «W
Des deux projets de loi qui vous ont été Je reviens au projet de
lie loi. vu peut
toi. On peut en
ci*
conmic l'un est,
soumis, est. dit-on, t.rnn favorable au
riii-nn. trop faire cent sur le même sujet, et tout aussi
fi
pouvoir royal, et il est essentiellement mo- bbons ou tout aussi mauvais les uns que les
narchique, puisqu'il fait entrer dans le col- autres.
a J'essayerai aussi de proposer unau-
lége électoral, comme électeurs de droit, t mode que je crois le meilleur, précisé-
ire
un nombre considérable de fonctionnaires ment
c et uniquement parce qu'il est le plus
même inamovibles, nommés par le roi; simple.
s
l'autre paraît trop favorable au pouvoir po- L'intrigue et la corruption dont elle est la
pulaire, et laisse au peuple trop d'influence source
j viennent moins du nombre des élec-
sur le gouvernement. iteurs que du nombre des assemblées. Il n'y
•aura pas beaucoup plus
d'intrigue dans une
S'il était permis, dans cette chambre, de
assemblée trois fois plus nombreuse qu'une
s'appuyer de l'exemple de l'Angleterre, nous {
pourrions faire observer que ces électeurs autre, parce que les prétentions opposées
se résolvent dans l'une et dans l'autre sur
de droit représenteraient en France les s
trois
membres de la chambre des communes, donti Jun petit nombre de sujets. Mais s'-il y a
la nominationappartient à la couronne, ou
fois
f plus d'assemblées, il y aura dix fois
même à de grands tenanciers. plus d'agitation et de cabales.
C'est quelque chose de beau sans doute
Ce n'est pas moi sans doute qui redoute
cque le droit politique
qu'exerce tout citoyen
l'influence de l'autorité royale, qui, à mon
1payant cent éens de
contributions, d'aller
sens, n'en a jamais trop pour le bonheur des 1loin de chez lui voter en faveur d'un homme
peuples. Dans toute loi d'administration, je
de bien qui ne sera pas nommé, et contre
me crois obligé, comme député, comme je3 (
me serais cru autrefois obligé, comme ma- 1un intrigant qui l'emportera
aussi
mais c'est
quelque chose que le bonheur domes-
gistrat ou comme citoyen, de m'opposer res- ¡
ttique, la tendresse de ses proches, la bien-
pectueusement aux volontés du pouvoirr
contraires aux lois fondamentales du royaume veillance de ses voisins, une réputation qui
e
n'est point atteinte par la calomnie; et il
et aux lois éternelles de la justice; mais r sur J
faut renoncer à tous ces avantages dans le
une loi de constitution, je me déciderais s
toujours pour celle qui me paraîtrait la plus 's
système des élections, qui rompt tous les
liens de parenté, d'amitié, de bon voisinage,
monarchique et la plus propre à ramener laa
France à des formes de gouvernement qui, enfante des haines éternelles, met en péril
toutes les réputations, et en problème la
comme on vous le disait hier, sont toutes ,g
vivantes encore dans nos souvenirs et dans conduite la plus honorée et la plus irrépro-
|s
prendre chable.
nos affections seulement il faut ,e
Je voudrais donc réduire le plus possible
garde, en mêlant ensemble ces formes diver-
le nombre des assemblées électorales, en
ses, de ne pas les joindre l'une à l'autre par lr
leurs qualités incompatibles, et, en nous 1S
conservant le droit d'élection, même directe,
donnant ainsi deux constitutions, de nous à tous les citoyens à qui la charte l'accorde.
is
laisser un gouvernement. Dans cette vue, je supprime les asseio-
On vous a parlé de l'opinion publique blées de canton et d'arrondissement; et j'ap-
il y k si longtemps qu'on en parle, et sans ,s
plique au collége électoral de département
la connaître et la définir Dans tout pays di- j. le seul que je conserve, les formes de notre
visé par des partis, il y a deux peuples, il y constitution, et j'en fais une partie perpé-
tuelle et l'autre amovible.
a deux opinions, et chacun fait d'une opi- i-
nion tout au plus populaire l'opinion publi- i- Ainsi, je prends le tableau genéral de tous
que. L'opinion publique la seule qu'un in les contribuables payant trois cents francs et
gouvernement fort et sage doive prendre re plus de contribution foncière, et j'en fais,
pour règle, est l'opinion que forment, ?z chez en suivant l'ordre du tableau, des assem-
un peuple chrétien, les lois éternelles de la blées de trois cents électeurs jusqu'à cinq
justice, de la morale et de la vraie politique;e; cents, suivant la force respective des dépar-
opinion qui est toujours celle du plus grand 1d tements. Les cent, cent cinquante ou deux
nombre, et qui doit tôt ou tard prévaloir iir cents premiers et plus forts imposés compo-
sur les intérêts personnels dont se compose se seront la partie perpétuelle viagère inamo-
l'opinion populaire; et un gouvernement nt vible, et en quelque sorte la chambre des
qui consulte cette opinion ne prend ni ne pairs du collège électoral. Le reste sera amo-
eède le pouvoir au gré des opinions ou des es vible, afin que tous les citoyens du dépar-
caprices du peuple tement, portés sur le tableau, puissent à
1311 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALIfc
fiO VC JH. DE, BUlMAMh 1314
13I&
leur tour participer au droit d'élection di-
di-, l*> iahiu
heur. Ainsi le veut la nature ,w choses.
nai,,™ des ,,h^o. Les,
»
recte. ministres de la religion mêlés à ces assem-
Ainsi, un mois, plus ou moins, avant lee blées politiques, et sollicites en sens con-
renouvellement intégral ou partiel de laa traire par tous les prétendants qui»sedispu-.
chambre, cette partie mobile du collége élec- feraient leur influence, y perdraient bientôt
toral serait à la diligence du préfet, en con- tout.e considération et je ne peux m'accou-
seil de préfecture, assisté, si l'on veut, parr tumer à l'idée qu'un évêque présent pour,
des maires et procureurs du roi, renouvelée3 raitêtre balloHé avec un adjoint de commune
par tiers, par moitié, ou même en totalité,f rurale, et ne pas obtenir la préférence. C'est
par un nombre^gal de citoyens ayant droitt dans l'exercice- de leur ministère que les,
d'élire pris selon l'ordre du tableau, lesquels5 prêtres peuvent influer sur le bon choix, en.
seraient renouvelés à leur tour par d'autres« prémunissant les peuples contre leurs pro-
jusqu'à la fin, et le tableau épuisé recom. pres passions et. celles des autres. Qu'on ne-
mencerait dans le môme ordre. Ainsi, tous5 dise pas qu'il n'y aura personne dans nos
éliraient à' leur tour et même directement, assemblées politiques pour défendre les in.r-
et cette certitude compenserait l'avantagei térêts de la religion nous y serons tous,,
d'une chance d'élection plus fréquente ett car c'est à nous à la défendre,puisque c'est
plus incertaine; de cette manière iln'y auraitt pour nous qu'elle est faite. C'est ici qu'il
qu'une seule assemblée, un seul degré d'é- faut appliquer la maxime Monroyaume n'est,
lection, et la partie inamovible et la plus pas de ce monde. (Joan. xvm, 36.) Mais la re-
propriétaire contiendrait, guiderait celle quii ligion n'est en dehors du monde que pour
serait amovible et moins propriétaire. Au[ mieux en gouverner l'esprit, et elle ne doit
fond, un peuple religieux et moral fera de pas descendre du trône pour se mêler à la
bons choix, même avec la forme la plus vi- foule de ceuxqui en administrentles affaires.
cieuse d'élection; un peuple 'corrompu fera( Je vote conformément au projet de la
de mauvais choix, même avec les formes les commission, pour le renouvellement intér.
mieux combinées. Ici les lois ne sont rien, et gral de la chambre, pour le:nombre des dé-^
les mœurs sont tout. putés, et contre son projet pour qu'ils puis-^
Je n'admets point le clergé, au moîns tant sent être élus à trente ans et pour le sur-
qu'il ne sera pas propriétaire les ministres plus, je demande que tous les projets soient,
de la religion, comme la religion elle-même renvoyés à la commission,qui se concertera
ne doivent être que là où ils sont les pre- avec le ministère pour présenter dans le.
miers ou les derniers, et il n'y a de dignité plus bref délai un nouveau mode d'élection..
pour eux que dans le pouvoir. ou le mal-
Messieurs,
bonne loi sur les élections ? Est-ce que cette.
C'est une erreur généralement répandue5 matière n'a pas été assez longuement et assez
que l'on ne peut pas, dans ce moment, faire souvent traitée? Sont-ce les exemples qui,
une bonne loi sur les élections. nous manquent? Est-ce l'expérience,lorsque
Cette opinion, que la légèreté et l'irré- depuis vingt-cinq ans, tous électeurs ou éli-
flexion plutôt que la malveillance ont dictée gibles, élisanls ou élus, nous n'avons fait
à la paresse, ne peut pas soutenir l'examen, autre chose qu'assister à des assemblées
et il serait étrange assurément que le mo- électorales ? Voulons-nous attendre qu'il
ment où tous les Etats de l'Europe s'agitent n'y ait plus chez les hommes ni passions, ni
pour se placer dans un système de gouver- préventions, ni préjugés ? Et ferions-nous
nement fondé sur des élections, fût préci- comme ceux qui, renvoyant toutes les me-
sément celui où il serait impossible de faire sures utiles au temps ou les esprits seront
une bonne loi sur les élections. plus calmes, et les choses mieux disposées,
E| pourquoi ne pourrait-on pas faire une supposent ainsi l'ordre avant les moyens de
1313
l'établir,
mède ?1'0.
PART. Il. POLITIQUE.
veulent lalaguénson
l'établir, et veulent
l'excès
Y
alors,
a
mières
n
1.
ne pas changer les lois,
1
1514
qui le pare et l'embellit. On dit qu'il
et attendre que
du mal en amène la correctif rimais
à quoi nous sert le progrès des lu-
dont nous sommes si fiers; et que
faire si vous voulez en finir d'ordonnances sont
s donc et ce progrès des lumières et cette
et d'exceptions, gouverner par des lois, et perfectibilité
F trop vantée, mais réelle cepen-
commencer une fois l'édifice par les fonde- dant,
d de la raison humaine, sinon la faculté
ments vous pouvez faire une loi, sur les d devancer le temps et de prévenir l'expé-
d3
élections, parce que vous en avez tous les rience?
r Le sauvage, qui a placé au nord
éléments, et que vous n'en aurez jamais l'entrée
l' de sa hutte, s aperçoit qu'il est in-
d'autres; et qu'il ne faut, pour faire une loi commodé
c du froid, et la tourne au midi;
sur les élections, que des hommes et des mais
n l'homme civilisé consulte le climat et
propriétaires. les lieux environnants, avant de construire
1<
n'influent en rien sur la bonléet la régula- fi faire; et cependant je crains qu'il n'y ait rien
rité d'un système d'élection. Il y a partout dda plus inutile aujourd'hui qu'une loi sur
des propriétaires forts et faibles. Partout la les
1< élections. Tacite, faisant l'histoire de la
richesse est relative mais l'aisance et ['in- première
P révolution de l'empire romain, dit
dépendance sont absolues. Partout, et de la que q «l'empire fut perdu dès qu'on eut di-
même manière, la vie est arrangée sur l'ai- vulgué
v ce secret d'Etat, qu'on pouvait faire
sance, la considération mesurée sur l'indé- un u empereur ailleurs qu'à Rome (1) » et
pendance et tout, à cet égard, est semblable l'l'on peut dire que le gouvernement repré-
entre les divers départements, quoique rien sentatif
s< est en péril lorsqu'on a divulgué le
ne soit égal. secret
si de ce gouvernement, qu'on peut faire
D'ailleurs, il n'appartient pas de se plain- oou exclure des députés ailleurs que dans le
dre de ces inégalités ou des difficultés que collége
c< électoral. Le secret des influences
la charte peut présenter pour un système ministérielles
n soupçonné des gens habiles,
régulier d'élection, à ceux qui ont retiré des mais
n qui doit rester impénétrable pour le
mains des chambres l'ordonnance qui leur vulgaire,
v une fois connu et publié, si la
était acquise sur la révision de quelques ar- doctrine
d qui les justifie venait à s'affermir
ticles de la charte relatifs aux élections. On eet prendre un rang dans nos doctrines po-
conçoit que le. gouvernement d'Angleterre litiques,
li la députation ne serait plus qu'une
ait la sagesse de maintenir, contre des ré- fifiction, l'élection une comédie, et le gouver-
clamations indiscrètes ou factieuses, les vi- nement
n représentatif une, représentation du
ces de son système électoral consacré par le gouvernement.
g
temps, et la longue expérience des effets Cependant puisqu'il faut le discuter, je
qu'il a produits; mais nous, nous aurions pu commencerai
c par comparer la loi qui nous
certainement améliorer la partie relative aux régit
r actuellement, avec celle qu'on nous
élections d'une loi politique toute récente, Ppropose. Je finirai par soumettre mes pro-
improvisée au milieu du trouble, et qui n'a Ppres idées à l'attention de la chambre, en
pas eu deux ans d'exécution paisible si évitant, é autant qu'il sera possible, de reve-
nous n'avions pas pris l'idolâtrie qui n'ose nir n sur ce qui a été déjà dit et proposé, sur-
toucher à l'objet de son culte, pour le res- toutti dans les deux- opinions, non prononcées
1315 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1316
à cette tribune, de nos honorables collègues moins géométrique, qu'il y avait partout
-1- de
MM. 1"I_.l.t_- et de Salis.
_t- Cotton .S"1:E.C.I.,F: .11., part
..v nulle
égalité relative, et G~rnl:l6 absolue.
rs.F égalité nlacril"n
Sans doute on ne m'accusera pas d'une Il en est de même entre les hommes et dans
prévention aveugle pour le gouvernement tous les ouvrages de la nature. La loi encore
représentatif. Je dois même avouer, pour en vigueur est faite sur ce principe elle
éloigner de moi jusqu'au soupçon de dégui- désigne pour électeurs les six cents plus
sement ou de variation dans mes opinions imposés de chaque département, et tout
politiques, que je regarde comme bien diffi- département, fort ou faible, à six cents plus
cile qu'âne nation puisse faire, par art et par imposés. Dans un département, la plus forte
combinaison, un système politique qui a été cote de contribution sera, par exemple,
chez une nation voisine le produit lent et 3,000 fr., et la dernière des six cents sera
fortuit des événements variés qui ont rempli 150 fr. dans un autre, la plus forte sera
et souvent agité sa vie sociale; difficile à tel 6,000 fr., la dernière 400. Il y a proportion
point, que si l'Angleterre venait à éprouver d'aisance, et par conséquent d'indépendance
une révolution j'oserais prédire qu'elle- entre ces divers contribuables; et dans tel
même ne pourraitplus retrou ver ni reprendre département du royaume on est aussi aisé
sa forme actuelle de gouvernement. Mais en et aussi indépendant avec 15,000 fr. de
même temps, puisque le roi nous l'a donné, rente, que dans tel autre avec 30,000. Il y a
et que peut-être la force- des choses nous donc égalité de nombre entre les électeurs
l'impose, je dirai avec la même franchise de tous les départements, malgré l'inégalité
que je le demande avec tous ses principes, de la population respective, et proportion
que je l'accepte avec toutes ses conséquen- ou similitude d'indépendance, malgré l'iné-
ces, que je ne veux pas me trouver sans galité des richesses. Toute la loi est là, et le
constitution, entre deux constitutions, et problème est résolu. Avec un si grand nom-
qu'il m'est impossible de concevoir un gou- bre. d'électeurs, on peut faire partout plu-
vernement représentatif sans représentation, sieurs degrés d'élection on peut nommer
ni une représentation sans une forme régu- des candidats, -on peut choisir entre les
lière également appliquée aux diverses'par- électeurs; et si quelques-uns, empêchés par
ties de la nation représentée, et sans une leur santé, leurs affaires ou leur peu d'ai-
proportion déterminée et partout semblable sance, manquent au collége électoral, il en
entre les représentants et les représentés. Il reste toujours assez pour qu'il y ait assem-
est vrai que si nous ne sommes que des blée et élection. D'un autre côté, l'énoncia-
conseillers nécessaires du pouvoir, comme le tion de six cents plus imposés annonce à la
disait il y a quelques jours à cette tribune nation que la députation, chez une nation
M. le commissaire du roi, il suffirait, ce propriétaire, est un droit de la propriété; et
semble, que nous fussions appelés par le elle établit toute seule cette prééminence de
roi et il ne serait pas nécessaire que nous la propriété foncière, qui est la véritable
fussions envoyés par le peuple; mais lai noblesse domestique. Ce système d'élection
charte fait de nous un pouvoir nécessaire, avait été suivi jusqu'à nous; l'exécution en
et non des conseillers nécessaires; et lors- avait été arbitraire, mais le principe en était
qu'on invoque le texte précis et le sens ri- tout à fait monarchique aussi il nous avait
goureux de la charte pour une loi de consé- donné la chambre des députés qui, sous la
honorable
quence comme la loi sur les élections, il[ présidence et par l'organe de notre
nous est permis, il nous est même ordonnéi collègue M. Lainé, porta le premier coup à
d'en-invoquer le texte plus précis encore, ett la tyrannie, et qui se montra fidèle dans les
le sens encore plus évident pour le main-• cent jours, au milieu d'une défection trop
tien de la loi-principe qui nous constituei générale; il nous avait donné la dernière
pouvoir. Certes, je n'ai pas demandé ce que chambre, qui depuis, mais alors elle lie
j'en exerce ici je m'honorais d'être né5 méritait que des éloges { il nous a donné
sujet et dans les chances possibles deî enfin cette dernière chambre, où nous sié-
malheur auxquelles une révolution pouvaitt geons en ce moment. Puisse-t-elle être plus
m'exposer, je n'avais pas compté, je l'avoue, heureuse I Melioribus utere fatis.
sur une part de royauté. La loi qu'on vous propose, de tous ces
J'ai avancé tout à l'heure que tout étaitt éléments, et non pas même confondus, mais
semblable entre les divers départements, déjà disposés dans un ordre régulier, n'a
sous le rapport de la propriété, et que rieni pu créer que le chaos. En fixant une
n'était égal, ou, pour parler un tangagej quotité invariable et égale. dan&tous les
1517 PART. Il. POLITIQUE. SUR LES ELECTIONS. 1318
VVa· LuV ~.&IIL.I,A"I.
départements, de 300 fr. de contribution, l'électeur ayant lui-même été
que l'électeur
que élu, avait
pour exercer les fonctions d'électeur, elle a pu refuser l'honneur qu'on lui faisait
détruit toutes les proportions, et mis par- mais on oublie que l'on pouvait porter des
tout la plus injuste, la plus choquante, la lois contre le refus ou la désertion des fonc-
p!us ridicule inégalité; tout est égal, et c'est tions publiques dans les petites républiques
ce qui fait que rien n'est semblable. Ainsi de la Grèce, où les citoyenslibres d'impôts.
un département a seize mille électeurs, un affranchis d'un travail qu'ils rejetaient sur
autre en a cent cinquante-deux dans l'un, des esclaves, n'avaient qu'à se promener sur
il peut y avoir à la fois dans le même lieut la place publique pour s'enquérir desnou-
vingt assemblées électorales; dans l'autre, velles, ou s'entretenir des atîaires de la cité
il ne pourra pas même y en avoir une qui mais qu'aujourd'hui nos cultivateurs, suc-
mérite ce nom. Là un député est nommé par• combant sous le fardeau des .contributions,
quatre mille électeurs ici il peut être obligés de travailler de leurs propres mains,
nommé par trente seulement. On ne peutt ne peuvent pas être punis du refus d'aller
plus choisir entré des électeurs, on ne peutt au collège électoral dépenser la subsistan-
plus nommer des candidats, on ne peut plus ce de leurs familles et les vêtements de
avoir deux degrés d'élection et au lieu que leurs enfants, pour trouver peut-être à leur
la loi actuelle, en appelant les six cents plus retour le garnisaire établi chez eux, et leurs
imposés, établissait par cela seul l'aristocra- meubles vendus à l'encan. Je ne parle pas
tie de la richesse, ou plutôt de la propriété; de l'inconvénient de ces caravanes d'élec-
celle-ci, en ne parlant que d'électeurs à 300I tewrs, on vous en a assez entretenus; elles
fr., établit, si j'ose ainsi parler, l'aristocratie peuvent, dans des conjonctures difficiles,
de la médiocrité. Cependant il faut que tous n'être pas sans danger; et peut-être ne se-
ces électeurs se rendent à l'assemblée; il rait-il pas facile de maintenir contre dix à
le faut, parce qu'il faut une loi unifor- douze mille volontés réunies la défense
me, et qu'on serait fort embarrassé s'il en si peu libérale, si même elle est consti-
manquait quelques-uns dans les départe- tutionnelle, faite dernièrement aux collé-
ments où il y en a si peu; mais com- ges électoraux, de voter des adresses au
me on sent que le vrai moyen de n'a- roi.
voir personne est d'appeler tout le monde, Tout cela, je ne crains pas de le dire,
et que l'on craint avec raison que beau- est un tissu d'injustices, d'inégalités, d'im-
coup d'électeurs ne regardent comme une possibilité, qu'on essaye vainement, ou
charge un droit qu'ils n'ont ni demandé, qu'on n'essaye même pas de justifier; et
ni même accepté, on songe déjà à faire le on n'y répond définitivement que par ces
code pénal de l'élection, avant même que mots La Charte le veut; comme on disait
le code civil soit décrété, et à établir les dans l'autre siècle Le maître l'a dit (1).
peines avant d'avoir réglé les devoirs. Dans J'examinerai tout à l'heure si la Charte dit
la loi actuelle on n'en avait pas besoin réellement tout ce qu'on lui fait dire, et si
d'abord, parce qu'il y avait assez d'électeurs les docteurs de la nouvelle loi en sont
pour que l'absence même d'un grand nombre de bien fidèles interprètes. Mais avant de
ne tirât pas à conséquence ensuite, parce discuter ce point, je dois poser les princi-
(i) J'apprends que ce rapprochement a paru gretter que la Charte n'ait pas été révisée dans les
à quelques personnes peu respectueux pour la articles relatifs aux élections. S'il est vrai, comme
charte. Comme ma raison me défend d'avoir un on ne saurait en douter, que la charte, que le gou-
respect superstitieux pour aucune autorité, quelle vernement représentatif lui-même ne puissent se
qu'elle soit, j'ai pu sans irrévérence appliquer litté- maintenir sans une bonne loi d'élection, et que la
rairement et non littéralement à une loi jugée in- charte, comme on le soutient, n'en permette pas
complète par le législateur lui-même, treize mois d'autre que celle qui est proposée, il est permis à
seulement après sa promulgation, et soumise par ceux qui trouvent mauvaise cette loi d'élection, de
une ordonnance royale, dans seize de ses disposi- ne pas concevoir qu'une loi fondamentale s'oppose
tions, à une révision qui avait été acceptée par les elle-même à sa propre stabilité, et qu'elle défende
deux chambres; j'ai pu, dis-je, lui appliquer ce contre la raison et la politique de toute la puis-
que 1 Eurone savante tout entière disait, après deux sance de son texte les germes de dépérisse-
mille ans ae règne paisible dans les écoles, des opi- ment qu'elle porte dans son sein. Sans doute
nions d'un des plus grands esprits qui aient paru à côté de l'avantage d'améliorer se trouve le danger
parmi les hommes. De deux choses l'une ou la d'innover, je le crois mais aussi, à côté de l'obsti-
Charte permet, comme je le pense, de faire une nation à maintenir, peut se trouver le danger de
autre loi d'élection que celle que l'on propose, et périr et remarquez d'ailleurs que, si la charte ne
alors pourquoi opposer la c harte comme un obsta- permet qu'un mode de loi d'élection, il n'y a pas
cle insurmontable ou elle ne le permet
alors il est conséquent à ceux qui trouventpas
et réellement matière à délibération la loi est faite,
lârige- et on peut abandonner tout le reste à des ordon-
reuse et antimonarchique la loi proposée; de Ve^ nances d'exécution.
ŒUVRES COMÊLEÎES DE M. Ï)Ë BÔNALb. *$20
1319
pes les plus naturels, à ce que je crois, mêmes ni corps participent, dans le même
d'une iJ ,r-sinMï«n .»
hn™ loi d'élection, et chercher
«h»™hor si nnnc ordre,
<; nous oi à la députation. Ainsi, la commune
au département, le département
oé.
ne pourrions pas en concilierl'exécution avec députe d(
pute
Pt au royaume système d'élection ana-
le texte de la Charte.
Ceux qui ont fait la loi qui vous est logue lo et complet, motif profond et naturel
soumise, fidèles à ce système d'indivi- dE des deux degrés d'élection que la raison ap-
dualité qui. a commencé la révolution, et prouve, Pl que la politique conseille, et que la
dont encore on n'a pu sortir, se sont per- charte cl permet.
dus dans un système idéologique de dé- Et certes, Messieurs, vous ne m'accuserez
populaires
légation, et n'ont pas aperçu le seul élé- P* pas de favoriser des systèmes
ment, l'élément véritablement politique, aussi at éloignés de. mes goûts que de mes
d'une représentation nationale dans un principes; pl vous verrez tout à l'heure à quoi
députation de la commune.
gouvernement qui veut être monarchique. je réduis la
L'élément d'une république qui ne voit M Mais, en la réduisant à peu, je ne veux pas,
des individus, la famille; l'élément avec le projet de loi, réduire la commune à
que est
d'une monarchie qui ne voit les individus rien. ri Habitant moi-même des campagnes, je
dans des est la commune. Ainsi, respecte,
rE et ce mot n'est pas trop fort, je
que corps,
la monarchie de la famille resserre les respecte, rE sans m'en dissimuler les vices, cet
liens trop relâchés du gouvernement repu- as asile des mœurs naïves, des travaux inno-
blicain, et la liberté de ces petites républi- cents, CE de la vie frugale, de la modération
qu'on apDelle communes, adoucit ce dans
di les désirs ce berceau de nos cités et
ques, familles, et qui rappelle quelquefois
le
que gouvernement monarchique a de ri- de
d' nos
d'exclusif (1). le bonheur des premiers âges à des cœurs
goureux et
La commune, je le répète, est l'élément oppressés « par les désordres des derniers
politique d'une nation monarchique, la vé- temps. tE Et moi aussi j'aime les corpora-
ritable famille politique et c'est aussi tions, ti dont la commune est la première et la
la constitution de la plus
P naturelle, et la seule qui ait survécu à
avec commune ou les autres. Et celle-
son affranchissement, qu'a commencé en kla destruction de toutes
mieux déter- là aussi se retrouvait dans les forêts de la
France la forme régulière et
Germanie; il y avait commune et corpora-
minée de la constitution de l'Etat. G
puisqu'il y avait délibération De mi-
La commune, qu'on me permette cette tion, ti
principes consultant, de majo-
politique, notibus
n rebus
comparaison,est, dans le système Tacite. Ce beau système de
système monétai- ribus
r omnes, dit
ce que le franc est dans le gouvernement, dont la commune est le fou-
re, l'unité première et génératrice, l'unité 9
dit Mon-
indivisible, parce qu'on ne peut la diviser dément, d a été trouvé dans les bois,
fractions tesquieu
t je partage à cet égard pleinement
sans tomber dans des sans va-
poids et et l'opinion et les regrets de notre hono-
leur, et des monnaies sans sans e
rable
r collègue M. de Serre; je voudrais
titre.
Et remarquez, Messieurs, que la com- "<
voir dans les provinces quelques autres
existences politiques, que des électeurs à
mune est un corps plus réel, plus solide, {
département le
['
cent écus; et si les Etats où le pouvoir mu-
plus visible, que le ou {
'
vierge encore de la révolution et de ses in- pardes idées dominantes d'individualité
per-
justices, où se sont conservées sous le sonnelle, entra pour quelque chose dans ré-
chaume et la bure les affections les plus vi- tablissement des assemblées primaires de
ves pour la religion et la royauté, est autant canton et d'arrondissement. On l'avait con-
une commune de l'Etat que ces opulentes servé avec tous ses défauts dans le dernier
capitales, dépositaires, dans leurs grands systèmed'élection qui vous fut présenté à la
établissements de toute la fortune d'une session dernière; il eût suffi de le régulari-
nation, et qui ont si mal gardé les trésors ser, de revenir au principe pour avoir un
qu'elle leur avait confiés. premier degré d'élection véritablement poli-
Au reste, il y a entre les communes tique on a préféré, dans la loi qui vous est
moins d'inégalité qu'on ne croit, sous le soumise, de le rejeter tout à fait. On s'est
rapport de la propriété foncière, base pre- enfoncé, plus qu'à aucune autre époque de'
mière de la représentation. Les grandes vil- nos erreurs, dans le faux et dangereux prin-
les sont peuplées en grande partie d'hom- çipe de l'individualité; et les communes,
mes sans propriétés d'aucune espèce, et les affranchies par la royauté absolue, ont été
communes manufacturières, avec une plus déshéritées par la royauté constitution-
grande population, comptent moins de pro- nelle.
priétaires fonciers que les communes agri- On s'est appuyé sur la Charte, comme si
coles la politique même ne met aucune la Charte avait aboli le droit des communes,
différence entre la représentation diploma- comme si elle avait pu l'abolir.
tique .des plus grands Etats et des plus pe- D'abord, où trouve-t-on dans la Charte
tits, qui, les uns comme les autres, sont que les colléges électoraux d'arrondisse-
représentés près des nations élïàngères par ment ont été supprimés, lorsqu'on
y lit,
un seul envoyé. article 35 ( La chambre des députés sera
Avec une théorie si simple, si vraie, si composée des députés élus par les collégts
ln.
»32(
fiH
liflJ
électoraux?»
électoraux? »La
ww..v.
ŒUVRES
VaIU
COMPLETES DE
ne dit pas de départe-
Charte ne
La Chal'te départe-
M. DE BONALD.
obligés de l'expliquer et de le le défendre.
ment ou d'arrondissement, elle dit les col- Le Le mot concourir, dans sa signification
léges électoraux, et les colléges électoraux exacte, exprime l'action de deux agents dif-
d'arrondissementavaient jusque-là concouru à férents vers un même but et de là l'accep-
J'élection, comme les colléges électoraux de tion reçue des mots concurrent, concurrence,
département; et tout collége qui élit est un concours, qui viennent du mot concourir.
collége électoral; et depuis la promulgation Ainsi on ne dira pas les juges concourent au
de la Charte, les collèges électoraux d'arron- jugement, mais les juges jugent, ou portent
dissement ont été convoqués aux deux élec- un jugement, ou même coopèrent au juge-
tions qui ont eu lieu; et si la charte enfin ment mais si les avocats étaient appelés à
avait voulu exclure les colléges électoraux siéger avec les juges, on dirait, on devrait
d'arrondissement du droit d'élire dont ils dire, les avocats concourent avec les juges à
étaient jusque-là en possession, elle aurait former le jugement. On ne dira pas un dé-
levé toute équivoque, et indiqué nommé- puté concourt à faire la loi, mais il coopère à
ment, comme seuls conservés, les colléges la confection de la loi; un seul agent coopère
électoraux de département; et la preuve deux agents différents concourent et l'on
encore qu'elle n'a pas entendu les supprimer, dira la majorité et la minorité concourent,
c'est qu'elle a immédiatementaprès, et dans parleur vote affirmatif ou négatif, à faire la
les articles 36 et 37, retenu des anciennes loi. Il n'y a pas de synonymes dans une lan-
gue bien faite, et les ouvrages sur les syno-
ou dernières formes tout ce qu'il était pos-
sible d'en retenir, tout, jusqu'au nombre des nymes de la langue française prouvent pré-
députés, le même, dit la loi, que les dépar- cisément, et par des exemples, qu'il n'y a
concourir
tements ont eu jusqu'à présent; tout, jus- pas de synonymes. Ainsi le mut
d'une action
qu'au temps fixé à la durée de leurs fonc- ne se dit pas avec exactitude
tions, etc. faite par un même ordre d'agents qui peu-
La Charte a-t-elle pu supprimer les col- vent être aDpelés d'un même nom collectif,
lèges électoraux d'arrondissement, lorsque et qu'on peut abstractivement considérer
exemples cités
aious avons vu tant d'autres existences bien 'comme un seul agent et les
Dictionnaire de
.moins utiles, bien moins respectables, bien au mot concourir, dans le
plus onéreuses à l'Etat, consacrées et garan- l'Académie, lui donnent cette signification.
ties par la Charte et par la Restauration?A-t-• Ainsi l'on ne peut pas dire de tous les élec-
elle pudonnerexclusivementaux particuliers teurs à trois cents francs que la loi qui vous
ensemble et
à trois cents francs de contribution le droitt est soumise appelle à voter tous
d'élection qu'elle ôte aux communes, qui, simultanément, ils concourent à nommer,
l'une dans l'autre, payent trente fois davan- mais ils nomment et lorsqu'on rapproche
motifs que
tage ? L'élection est de droit commun, etnoni ce sens vrai et exact des autres
de droit individuel elle appartient donc ài j'ai donnés pour prouver que la loi n'avait
colléges électo-
la commune, et non à l'individu. La Chartei pas entendu supprimer les voulu au
c'a pas voulu, n'a pas pu ôter le droit de re- raux d'arrondissement, et avait
présentation à la commune pour le trans- contraire conserver autant qu'il était possi-
porter à l'individu. Ce n'est que la commu- ble, les dernières formes, on demeure con-
nauté seule, soit commune, soit département, vaincu que le mot concourent, loin d'exclure
qui le droit de faire ce transport, et qui le3 formellement,désigne au contraire implici-
fait par l'élection, au député qu'elle .choi- tement un ordre d'électeurs et un degré
sit pour défendre ses intérêts. d'élection, qui concourt avec un autre ordre
Mais on incidente sur les termes de l'ar- d'électeurs et un autre degré d'élection,- à
nommer les députés et je crois que mot
le
ticle M). Les électeurs qui concourront,etc.,
et on prétend que le mot concourront ex- concourent fut mis dans la Charte précisé-
clut formellement de l'élection tout citoyen a ment dans cette pensée. On était alors au.
qui ne paye pas trois cents francs. Je suivraiti plus loin d'imaginer un seul degré d'élec-
mes adversaires sur le terrain aride de laa tion, et la loi proposée à la session dernière
grammaire.On pardonnera cette digression à en est la preuve.
11 est possible que la
liberté
v
de la con-
un membre du corps illustre chargé de faire lee
Dictionnairede la langue française; et sanss versation donne quelquefois au mot concou-
doute le sens du mut concourront ne leur a rir un sens moins restreint et moins précis,
pas paru si évident, puisqu'ils se sont cruss
Les mots, comme l'argent, se donnent sans
1323
( 1 ) Toutes ces professions, même les plus constitution ancienne de la France était d'avoir
utiles, ne sont pas nécessaires, puisqu'on peut. dé- réuni dans les mêmes mains la justice civile et la
fendre ses intérêts sans avocats, et terminer ses justice criminelle, c'est-à-dire la profes&ion la plus
différends civils sans juges. Le chef-d'œuvre de (g utile et l'état le plus nécessaire.
SUR LES ELECTIONS. 133*
.i
i335 PART. H. POLITIQUE.
qu'avec peine. J'accorde, si l'on veut, que
ju'avec le désirent dans la faiblesse actuelle des
juandi.r _»jt
la société «x_;(
périt la fa.Q en
i« faute net àh ceux
on est r.miY gouvernements, comme un moyen de conte-
e-nnvfirnements.comme
lui doivent la défendre; aussi sont-ils tou- nir, en la tempérant, de diriger, en lui cé-
lours les premiers attaqués et les premiers
dant, cette furieuse tendance aux institu-
i
punis. Il n'est pas question de savoir qui a tions populaires. En Angleterre,
le pouvoir
contemporain du pouvoir royal.
le plus gagné à la révolution on voit avec populaire
plus d'évidence ceux qui en ont le pluss et tantôt son rival, et
tantôt son esclave, à
malheurs, a fini
souffert. Ce mot nous rappelle la nécessité force de dissensions et de
heureusement avec
des sacrifices, qui sont aussi des devoirs, par se combiner assez
ces devoirs qu'un noble i
romain, et" même les principes et les mœurs monarchiques
croyait remplir, qui en sont le correctif. En France, au con-
un noble nouveau, Cicéron, trône;
lorsqu'il émisait de Rome pour aller see traire, il a commencé par renverser le
joindre à Pompée, qui défendait la libertéé c'est sur ses débris qu'il
s'est élevé, et il
romaine ou ce qu'on prenait pour elle. « Cee tend toujours à retenir le
plus qu'il peut de
loin de nous
n'est pas, » écrit l'orateur romain, « pourr son origine. Nous rejetons
mettre à profit la victoire que j'ai
abandonné é' l'idée d'imiter en ce point l'Angleterre; nous
maiss voulons faire mieux, ou faire autrement
ma patrie, mes enfants et mes biens
parce que j'ai cru remplir un devoir
légi- et, en dédaignant l'exemple, nous nous cou-
time et sacré que m'imposait envers l'Etat it damnons nous-mêmes à servir de modèle
et moi-même le rang que j'y occupais (1). » aux autres gouvernements qui semblent ne
Je placerai ici la réponse à une accusa- t- retarder si longtemps l'établissement de ces
tion renouvelée par le commissaire du gou- i- nouvelles institutions si hautement annon-
re cées ou promises, que pour savoir ce
qu'elles
vernement, qui a parlé le dernier contre.
ceux qui attaquent quelque acte du 5- deviendront en France, la forme que nous
minis-
tèrei de vouloir être ministres. Si j'étais is leur donnerons, et dans quel esprit et sur
ministre, je me méfierais de tout Je monde, e, quels principes stfra combinée notre repré-
des amis et des ennemis. Au reste, les par- r- sentation. Toute la question, n'en doutez
tisans rigides du gouvernement représen- a- pas, le gouvernement représentatif tout en-
tatif prétendent que l'ambition du ministère re tier est dans la loi sur les élections après
est l'$me et la vie de ce gouvernement; et la charte qui les établit, la loi
la plus fon-
pour que la matière ministérielle ne manque ne damentale sera la loi qui en déterminera le
pas plus que la matière électorale (2), il y mode et l'on peut dire que si la Charte est
a dans ces gouvernements en deçà comme ne la loi fondamentale du royaume, la loi sur
au delà de la Manche, un petit ministère ire les élections est la Charte du gouvernement.
toujours prêt à remplacer le grand. Prenez-y garde; en France, la royauté est
Il est temps de sortir de ces considéra-'a- pauvre puisqu'elle est pensionnée; car on
rer est riche de ce que l'on possède-, et pauvre
tions locales et particulières, pour s'élever
à des considérations générales et politiquesLes de ce que l'on reçoit. La chambre aristocra-
d'un plus haut intérêt. tique est pauvre, et par la même raison; et
rec si vous adoptez la loi proposée, vous avez,
Je dirai aux chambres, qui partagent avec
u- comme on vous l'a démontré,, une chambre
le roi le pouvoir législatif « Tous les peu-
classes infé-
ples qui nous entourent, tourmentés de la démocratique prise dans les
même maladie, et dégoûtés plutôt que mé- îé- rieures de la propriété car ce n'est pas à
contents de l'unité de pouvoir, cherchent ent Paris, sans doute, où les plus petits emplois
dans sa division constitutionnelle le remède
bde sont si largement appointés,. qu'on peut re-
à des maux dont ils méconnaissent la sour- ar- garder comme riche celui qui paye 1,000 fr.
et appellent le gouvernement représen-
;n- de contributions. Mais'plus une chambre est
ce,
tatif comme le terme de toutes les inquié- ié- pauvre, plus elle est, dans les temps d'o-
tar- rage, violente et dangereuse; plus une
tudes et de toutes les dissensions. Des char-
ro- chambre aristocratique est pauvre, plus
elle,
latans qui poussent à la démocratie Je pro-
premier choc tout
clament comme un baume universel les est faible en sorte qu'au
gens sages et habiles le souffrent ou mêmeme équilibre de force serait rompu entre elles,
ses immenses richesses, des lois qui en subs-is- d'elles. Déplorables doctrines que celles
tituent la propriété à J'aîné de la famille; b; qui varient ainsi au gré des passions et des
forte de sa nombreuse clientèle, et de intérêts 1
sa »
représentation dans ses terres, égale en ma- a- Je dirai aux dépositaires de 1 autorité
gnificence à celle des souverains, n'a pas pu,
u, « Vous avez dissous la dernière chambre
dans les temps de troubles, se défendre
re sur un motif numérique dont personne, ni
contre la chambre des communes, que de- le gouvernement lui-même, n'avait
viendrait la nôtre, quel appui prêterait-elle soup-
le çonné la gravité. La France l'avait donnée
au roi et à l'Etat si jamais elle était attaquée
îe au roi. Vous n'étiez pas encore ses minis-
par une chambre rivale, forte de ses.besoins, s, tres vous en avez demandé une autre à la
de sa jalousie et de ses désirs? Voilà nation vous l'avez obtenue.
unn
danger, et en voici un autre plus imminent it « Ce sont des faits,' et non des reproches.
peut-être; car nous ne marchons jamaiss Au lieu et en la qualité que je parle, la loi
qu'entre deux écueils. m'interdit le reproche, puisqu'elle permet
« Les doctrines de 1789 et celles de 1815 5 l'accusation.
présentent un contraste bien digne d'atten- « La nation vous a renvoyé en partie ceux
tion. En 1789, le dogme politique le pluss qu'elle avait nommés. Elle en envoyé d'au-
a
constant était la nécessité de doubler le nom- tres. Anciens ou nouveaux, tous méritent
bre des députés de la partie de fa nation s confiance, et justifieront sa
que son choix. Cepen-
nous représentons. L'Etat tomba dans la dé- dant, si vous réfléchissez à l'effet qu'a pro-
mocratie, et bientôt après sous le despotisme duit sur les esprits, sur les opinions, sur les
ou populaire ou militaire, héritier présomp- craintes et les espérances, les souvenirs
tif de toutes les démocraties. Le roi, par son du passé et les prévisions sur de l'avenir, cette
ordonnance du 13 juillet, voulut rétablirrmesure que la constitution réservait
l'équilibre entre les deux parties de la les
pour
na- dangers extrêmes de l'Etat; si vous dai-
tion. En augmentant le nombre des pairs, gnez faire attention à tout
ce que les pre-
il augmenta celui des députés, et même la miers magistrats de
( nos provinces, forcés de
pairie acquit par l'hérédité toute la force sortir de l'impartialité où ils étaient renfer-
dont elle est susceptible. Aujourd'hui, et niés comme dans un sanctuaire,
pour se mê-
par l'ordonnance du 5 septembre, la partie ler à nos intrigues, et partager nos passions,
démocratique a été réduite à peu près de ont dû perdre en dignité, respect,
en en con-
moitié, sans que la partie aristocratique ait sidération, en confiance, chez
rien perdu de son nombre et de sa force. trop disposé à censurer ses supérieurs, un peuple
et à
Encore faut-il observer que la chambre des blâmer l'autorité; si vous considérez
pairs tend continuellement à s'accroître; que vous avez été conduits dans que
ce système à
celle-ci, au contraire, est fixée à affliger des hommes que vous ne pouvez
un nombre pas
précis, et ne peut s'étendre que l'une est vous empêcher d'estimer,
héréditaire, et J'autre dans une mobilité pour en flatter
per- d'autres que vous redoutez, peut-être trou-
pétuelle. Tout équilibre, toute proportion verez-vous que la victoire
ne vaut pas ce ·
entre, elles sont donc rompus; et si quelque qu'elle a coûté.
orage ne nous rejette pas dans la démocratie, « Et il ne faut pas croire qu'une majorité
nous tomberons sous l'aristocratie, le pire numérique soit quelque chose
de tous les gouvernements,selon J.-J. Rous- S'il eût été donné en France.
à la puissance du nombre
seau, parce qu'il a tous les inconvénients de de disposer de
la monarchie et de la république, son sort, il ne resterait pas
sans avoir aujourd'hui pierre sur pierre de l'édifice et
aucun de leurs avantages. En 1789, ce fu- ceux qui
en sapent les fondements, et ceux
rent les ministres du roi qui proposèrent de qui en défendent les approches, et ceux qui
doubler le nombre des députés; en 1815,
ce en occupent le faite, seraient tous depuis
sont les ministres du roi qui ont proposé de longtemps
Je réduire à moitié. L'intérêt de la
ensevelis sous ses débris. C'est
monar- la raison, c'est la vérité, c'est l'ordre et ses
chie n'a pas été plus compris à
une époque principes et ses lois qui seront éternelle-
qu'à l'autre; car la démocratie ne veut
pas ment en France la majorité, la majorité qui
de \a royauté, et J'aristocratie n'en
veut faiti des lois durables, et qui jusqu'à présent
a renversé tout ce qu'elle n'avait pas éta- La question des électeurs que vous dis-
bli. cutez occupe ou agite en ce moment
toute l'Europe, attentive au parti que vous
« A la session dernière, une grande res- allez prendre cette Europe propriétaire,
ponsabilité pesait sur les députés en en cette Europe politique et religieuse qui
demandant, disons la vérité, en en dési- n'est pas tout à fait l'Europe des sociétés
gnant d'autres, vous vous êtes chargés du secrètes des comptoirs des universités
bonheur de la France et de son avenir ou des académies. Si, par des lois nées des
vous nous trouverez prêts à seconder de habitudes révolutionnaires, et dont l'exé-
tous nos efforts la sagesse de vos me- cution, soyez-en sûrs, sera malgré vous
sures et l'opposition que quelques lois plus révolutionnaire encore en même
pourront rencontrer ici sera tout au plus temps que vous appelez de droit à l'élec-
une contradiction, et ne sera jamais un tion la nombreuse classe des petits ou des
obstacle. moyens propriétaires vous excluez de
fait les chefs de la propriété, et les plus
Ces coups d'Etat, qu'on prend pour
« intéressés à l'ordre et à la stabilité de la
des dénoûments, et qui ne sont que des
société si, dans cette armée de proprié-
changements de scène, ont ce danger qu'ils taires, destinée à la défendre de l'irruption
ne permettent pas à ceux qui les tentent des prolétaires, et dont les grands pro-
de s'arrêter où ils voudraient. La loi pro- priétaires sont les chefs naturels, vous pla-
posée sur les élections en est la preuve.
cez l'autorité dans les mains des simples,
Le système suivi dans les dernières élec- soldats, vous continuez, en en laissant sub-
tions a fait naître plus d'espérances qu'on1 sister le principe, les doctrines et les gou-
ne veut en satisfaire, je le crois cepen- vernements révolutionnaires, vous comblez,
dant, pour ne pas sortir de la ligne où1
l'on s'était placé, il a fallu courir le ris- en les prolongeant, les désordres et les mal-
heurs de l'Europe. Si, au contraire, faisant
que de faire descendre l'élection, et par concourir à l'élection la corporationtoujours
conséquent la députation dans les classes bonne à la place de l'individu souvent mau-
inférieures de la propriété. Et toutefois vais, la faisant partir de la commune pour
il ne faudrait pas trop compter sur le[
arriver au département et au royaume,
système des influences publiques et avouées
vous en constituez le droit et l'exercice
qui a réussi une fois comme par surprisei dans l'ordre naturel dans lequel la société
chez une nation confiante, mais qui trou- elle-même est constituée, vous aurez peut-
verait à l'avenir tous les partis sur leursS être, il faut courir la chance de ce terri-
gardes et les influences publiques une3
ble danger, vous aurez peut-être quelques
fois connues, décréditeraient, et peut-êtrePl
comtes et quelques barons, mais vous au-
pour toujours, les influences secrètes, siil
jamais elles étaient nécessaires. Le sys- rez aussi de grands propriétaires qui au-
ront les connaissances, les habitudes, les
tème de balance entre les opinions n'est
intérêts, les vertus politiques que donne,
pas plus sûr, Ce système naturel aux es- même aux moins vertueux, la grande pro..
prits peu philosophiques, qui croient quee
priété, et vous rasseoirez la société euro-
la vérité est, comme la vertu, un milieuu
péenne sur ces antiques fondements sur
entre deux extrêmes, a perdu tous ceuxii
qui en ont essayé, et celui-là même qui ces fondements indestructibles comme la
nature qui survivent même aux révolu-
comprimait les opinions en les réunissant IIt
Il
tions, prêts à recevoir des constructions ré-
toutes dans une haine commune contre saa gulières, ou comme ceux d'un temple cé-
personne. » lèbye à engloutir les imprudents cons-w
Messieurs je finirai par une réflexion
n tructeurs qui tenteraient d'y élever un
que je recommande à votre attention la plus
is édifice que la nature repousse comme la
sérieuse. société. Pensez-y, et pour la France, et pour
1330 OEUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. de 1540 à iUl
l'Europe, et pour vous-mêmes. L'Europe va dernière considération n'est pas étrangère
pour
vous juger, et vous passerez à ses yeux à notre situation politique; et si, au lieu
des sages qui ont su profiter des grandes d'alliés, la France avait des ennemis, ils
leçons que notre révolution a données au vous conseilleraient la loi qui vous est pro-
monde, ou pour. des imprudents que la plus posée.
terrible expérience n'a pu corriger. Cette Jevote pour qu'elle soit rejetée.
OPINION SUR L'ORGANISATION DES COLLÉGES ÉLECTORAUX.
Messieurs, vous avez décrété dans la séance peuple moral et éclairé, suflit-il donc d'avoir
de samedi dernier, l'article 1" de la loi pro- vécu trente ans, et peut-être dans le désor-
posée cet article eiï ainsi conçu « Tout dre d'avoir une propriété payant 300 francs
Français, jouissant de ses droits civils et po- d'impôt,et peut-être usurpée sur la veuve et
litiques, âgé de trente ans accomplis et payant l'orphelin, par un procès injuste une usure
300 fr. de contributions directes, est ap- criante, une banqueroute frauduleuse et non
pelé à concourir à l'élection des députés jugée ? Vous exigez de tous ceux qui se pré-
du département où il a son domicile poli- sentent pour remplir les plus humbles em-
tique. » plois de l'administration, de garde-champê-
J'avais, dans l'opinion que vous eûtes la tre, de garnisaire, d'huissier près des tribu-
bonté d'écouter, présenté, ce me semble, le naux, de concierge des -prisons, des certifi-
point précis de la difficulté, et le problème cats de moralité, de bonnes vie et mœurs, et
que nous avons a résoudre, en vous faisant pour la première, et même dans un gouver-
observer que dans les divers départements, nement tel que le nôtre, la plus importante
considérés sous le rapport de la propriété, des fonctions, celle d'élire les représentants
tout était semblable et que rien n'était égal d'une nation, appelés à exercer concurrem-
et que dans la loi proposée, au contraire ment avec le roi lui-même le pouvoir légis-
tout était égal et que rien n'était semblable. latif, vous. recevriez indistinctementtous ceux
Je l'avais présentée sous cette formule pres- que vous donnerait le hasard de l'âge et de
que géométrique, pour qu'elle fût plus faci- la fortune! certes, j'aimerais autant les rece-
lement saisie et plus complétement réfutée. voir du sort, et s'il est aveugle, il serait au
On a préféré de se jeter sur une comparaison moins impartial. En vain direz-vous que la
littéraire et non, littérale, que le bon goût multitude des bons empêchera,neutralisera,
même défendait de presser dans les derniers comme on parle aujourd'hui, l'influence des
détails. méchants. Je pourrais vous répondre avec
L'article 7 que nous sommes appelés à dis- plus de vérité que le mélange des méchants
cuter est ainsi conçu détruira l'influence des bons et que les
« Il n'y aura dans chaque département méchants sont toujours plus agissants, peut-
qu'un seul collége électoral il est com- être parce qu'ils sont plus agités. Mais quoi
posé de tous les électeurs du département qu'il en soit de ces influences favorables,
dont il nomme directement les députés à la ou contraires, c'est l'honneur de la morale et
chambre. » de la vertu que je considère, et l'influence que
L'article 1" donnait la capacité d'être élec- cette promiscuité aurait sur l'opinion publi-
teur, à tous les contribuables de 300 francs, que, plutôt que celle qu'elle aurait sur Je
âgés de trente ans, qu'il appelle à concourir. choix des députés, et je répugne, je l'avoue,
L'article 7 réduit cette capacité en acte, et de à voir la vertu "ainsi confondue avec le vice
tous ces électeurs de droit fait autant d'élec- la considération publique avec le mépris
teurs de fait. public, une vie honorable et sans tache avec
Jusqu'à présent, Messieurs, vous avez pu la longue habitude du désordre et des mau-
remarquerqu'iln'a été question pour le droit et vaises mœurs. Il faut donc un choix entre les
l'exercice de la fonction d'électeur, que de ca- Français, qui par l'article I" sont appelés
pacités ou de conditions matérielles. La triste tous à concourir, ou comme on peut le tra-
faculté de vivre est commune à la brute et à duire, entre lesquels doit s'ouvrir. le con-
l'homme, et la contribution est due par la cours.
terre et non par l'homme ce sont là je le « Il n'y aura, article 7 que nous discutons,
répète, des conditions toutes matérielles et qu'un seul collége électoral par départe-
s'il n'y en a pas d'autres pour remplir les ment. Il est composé de tous les électeurs du
fonctions d'électeurs; c'est avec raison qu'un département.» Qu'est-ce qu'un collége? On
de nos collègues a appelé la généralité des nous a dit hier, c'est un nom colleotif mais as-
électeurs, la matière électorale; mais chez un semblée, rassemblement, attroupementmême
sont aussi des noms collectifs. Collége est Le dépouillement, direz-vous, se fait dans un
le nom d'une collection d'hommes, à la vé- seul bureau central mais prenez garde qu'il
rité, mais d'une collection disposée, ordon- se fera incessamment une convention tacite
née suivant certaines formes, dans un certain entre toutes les sections, et que chacune vou-
ordre et pour un certain but et un 'collége dra nommer et nommera réellement son dé-
électoral est une collection d'hommes réunis puté, parce que c'est dans les départements
à certaines conditions, dans un même lieu, où il y a un plus grand nombre de députés
pendant un certain temps sous la direction à nommer qu'il y aura un plus grand nombre
d'un président et d'un bureau, pour procéder de sections. Et je ne parle pas de l'impossi-
simultanément, commodément, facilement, bilité de loger, de nourrir dans plusieurs pe-
régulièrementà l'élection de députés. Or, Mes- tits chefs-lieux de département ce grand nom-
sieurs, je le demande, retrouvez-vous des ca- bre d'électeurs; je suis plus frappé encore de
ractères, ou plutôt ces conditions indispen- l'impossibilité morale d'empêcherou de préve-
sables pour former un collége électoral, nir dans ces diverses sections rapprochées
d'unité, de simultanéité, de commodité, de fa- dans la même ville, les méprises du lieu, les
cilité, de régularité" dans les colléges électo- doubles emplois de noms identiques en grand
raux, je ne dis pas de 15 ou 16,000 électeurs, nombre dans les mêmes départements, et tout
je m'éloigne des extrêmes, mais seulement de ce que l'intrigue pourra trouver de moyens
1,500, de 2, de 3 et de 4,000, et la loi elle- et de facilités à tromper, à séduire, à égarer;
même ne nous indique-t-elle pas que passé et si nous avons vu des colléges de moins de
le nombre de 600, qui est déjà bien considé- 300 électeurs présidés même par des conseil-
rable, et qu'elle réduit à 300 dans certains lers d'Etat, ne pas savoir faire un procès-ver-
cas, il ne peut plus y avoir ni unité, ni simulta- bal sans y laisser des omissions capitales et de
néité, ni facilité, ni commodité, ni régularité, véritables nullités, quel désordre,quellecon-
ni par conséquent de collége électoral ? Pen- fusion, quelle irrégularité doivent résulter de
sez-vous que si l'on eût dit aux rédacteurs de ces simultanéités de sections élisantes en même
îa charte qu'ils avaient entendu par l'article temps, et dans le même lieu où, les électeurs
35 ou 40, nous faire des corps électoraux,de toujours présents, quand on n'a pas besoin
3, 4, 6, ou 10,000 électeurs, ils n'eussent pas d'eux, sont toujours absents, quand on les ap-
repoussé cette imputation comme une injure pelle ? C'estlà, j'ose le dire, distribuer unefoule,
faite à leur raison ? Sur 5 ou 6,000 électeurs, et ce n'est pas, aux termes de la loi, organiser
3,000,2,000 même ne sont pas plus un collége un collége. Aussi on a si bien senti que plus il y
électoral que 20,000 hommes ne font un ré- aurait d'électeurs,plus difficultueuseserait l'é-
giment, 1,000 étudiaritsnesont une classe, que lection que pour la première fois, sans égard
2 ou 3 millions d'hommes ne sont une seule à la maxime sur le dangerd'innover, on s'est
armée. Il y a à tout des bornes morales, par- écarté d'une loi ou plutôt d'un principe devenu
ce qu'il y en a aux facultés physiques d'un fondamental dans toutes les assemblées éli-
homme de diriger, de régler, de contenir. santes ou délibérantes, qui veut que la moitié
Est-ce là ce qu'on peut appeler organiser par plus un soit nécessairepour la validité de l'o-
des lois les colléges électoraux ? Il est vrai pération, etqu'on s'est réduit à exiger le quart
qu'on les divise là où ils sont trop nombreux, des membres présents ce qui, pour peu que
et l'on en fait des sections de 600 mais qui ne l'élection traîne en longueur, ce qui arrivera
voit que chacune de ces sections est un autre infailliblement dans des réunions nombreuses,
collége électoral, et qu'il y a, contre le texte de mettra l'élection dans les mains les plus opi-
la loi proposée, autant de colléges électoraux niâtres et fera que plus il y aura d'électeurs,
moins véritablementil y aura d'élisants.
que de sections? Véritablescolléges électoraux,
puisqu'elles sont aussi nombreuses, réunies Il faut donc un concours, un choix pour ré-
aussi dans un même lieu, présidées aussi par duire les électeursde droit au nombre d'élec-
un chef, nomméparleroi,et dirigées aussi par teurs de fait, moralementconvenable pour for-
un bureau, et procédant aussi à l'élection des mer un collége électoral et faire une élection
députés; d'abord, il y a incomtitutionnalité\ régulière.
puisque la chartene donne à la couronne, dans Il est contre toutes les règles, contre tous
chaque département, que l'influence du pré- les usages que les concurrents eux-mêmes
sident, et que par votre loi vous lui donnez, soient juges du concours. Ce choix entre eux
dans la majorité des départements, depuis 4 ne peut être fait que par une classe inférieure
jusqu'à 18 ou 20 influences du même genre. de propriétaires, tout aussi propres quelesélec-
1349 PART. Il. POUTIQrI< SUR LES ELECTIONS. U!)\)
teurs à discerner le mérite, quoiqu'ils payent à accorder,
des faveurs et des préférences à
quelques francs de moins de contribution; qu'elle les réserve pour ces contrées que la
intéressés ~n
aussi -~t~x~ natmrnacisi maltraitées pour
r"errn'ile nature
6lonrn""c puisqu'ils
l.,0électeurs,
que les nnnr f.ps
ces départe-
~~nartf–
sont aussi propriétaires; aussi recommanda- ments éloignés de la résidence de l'autorité,
bles aux yeux de la loi que les électeurs, puis- qu'elle ne peut vérifier de sa présence, et où,
qu'ils sont citoyens, et à qui la loi, si j'ose sous prétexte d'une répartition au marc la li-
le dire, doit ce dédommagement pour l'ex- vre, l'administration a toujours laissé tant de
clusion qu'elleleur a donnée, exclusion quel- choses dans un état de souffrance, qui est une
quefois si dure, et même en morale si injuste, honte pour elle et un fléau pour eux.
quoique nécessaire sans doute dans la poli- Je me résume, la raison et la politique de-
tique des gouvernements représentatifs,et qui mandent que le concours entre les électeurs
humiliél'honnéte homme qui ne paye que 299 soit ouvert dans les colléges d'arrondissment
fr, de contribution; delà préférence qu'elle la charte ne s'y oppose pas. L'article de la
donne pour 20 sous seulementl'homme quel- loi qui les rejette n'est pas encore décrété.
quefois le plus méprisé et le plus méprisable Dussent les choix n'être pas toujours bons,
de la contrée. Et croyez-moi, Messieurs, donnez au moins cet appui à la morale publi-
adoucissez autant que vous le pouvez et que la que que le concours puisse écarter l'homme
charte vous le permet, ces préférencessi brus- qui n'est fait ni pour élire, ni pour être élu.
ques et si tranchées, enconservantle choix des Législateurs, comptez aussi pour quelque
él ecteurs aux colléges d'arrondissementqu'au- chose les conditions morales, et soyez aussi
cune loi n'a supprimés; faites, si j'ose le dire, dans la société à laquelle vous êtes appelés
que l'exclusion s'évanouisse en quelque sorte à dunner des lois et des mœurs, autre chose
et disparaisse dans une faculté politique que des bipèdes de 30 ans, et qui trouvent
plus étendue. leur nourriture sur un terrain de quelques
Mais comment choisir entre des électeurs, arpents d'étendue. Vous excluerez des fonc-
là ou le nombre des contribuables à 300 fr. tions publiques des hommes flétris par des ju-
suffit à peineà former un collège? La réponse gements de tribunaux ne fermez ni à la vertu
est facile, une ordonnance du 5 septembre, ni au vice le seul tribunal qui puisse pronon-
à ce que.je crois, a autorisé, en Corse, des cer entre eux, le tribunal de l'opinion celui-ci
contribuables au-dessous de 300 fr. à se for- est le tribunaldes mœurs, l'autre est le tribunal
des lois, et malheur au peuple qui nvoit dejus-
mer en collège électoral. Si la Corse n'est pas
tice et de vertu que celle de la loi; et chez qui
un département français, pourquoi une dé-
putation? S'il est département français, pour- serait permis tout ce qu'elle ne défendraitpas,
quoi un privilége ? Et n'est-il pas absolu- et récompensé tout ce qu'elle n'aurait pas puni.
ment égal qu'il n'y ait pas assez d'électews Je vous répéterai ce quej'ai eu l'honneur
de vous dire, pensez à la loi que vous allez
pour l'élection, ou qu'il n'y en ait pas assez
rendre, et pour la France et pour l'Europe, et
pour le concours ? Le nombre est insuffisant
éans un sens comme dans l'autre, et il ne pour vous-mêmes. Pensez à vos devoirs envers
faut pas deux poids et deux mesures. Je re- la France, à l'influence de ses exemples sur
à l'honneur même de la chambre,
marque, Messieurs, que si vous n'étendiez pas l'Europe,
à ces départements, dont je parle, tous de et faites qu'elle ne reçoive du dehors ni le-
petite culture, la faveur accordée à celui de çons, ni reproches.
la Corse, ce serait les plus pauvres et les plus Je propose comme amendement, 1° que le
petits de vos enfants que vous maltraiteriez concours soit ouvert entre les électeurs dans
davantage dans votre loi, puisqu'ils sont déjà les colléges d'arrondissement; 2° que là où le
réduits à un seul député; tandis que des villes nombre des électeurs n'est pas suffisant pour
qui, avec une plus grande population, comp- le concours, il soit comme il a été fait en
tent bien moins de propriétaires et d'agri- Corse, ouvert à un nombre suffisant de con-
culteurs, en ont jusqu'à dix. Si la politique a tribuables au-dessous de 300 fr.
~=_r
OPINION SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AUX ÉLECTIONS.
Les orateurs qui ont parlé jusqu'ici contre faite par l'homme respectable qui est le type
le projet de loi, avec une éloquence si véhé- même de la modération, et soutenue par la
mente et si passionnée, ne m'ont laissé pour majorité la plus forte dont cette chambre
le défendre d'autre mérite que celui d'une eût offert l'exemple, avait été portée aux
discussion calme et raisonnée, moins bril- pieds du trône.
lante, il est vrai, et surtout moins facile; Elle eût passé alors dans la chambre des
mais qui me paraît convenir mieux aux fonc- députés à une grande majorité; mais elle
tions que nous exerçons, au lieu où nous avait été repoussée par le ministère, et si la
parlons, au sujet que nous traitons, et qui raison et l'amour de son pays le déplorent
n'appelle pas les passions à délibérer avec la comme un malheur, l'ambition elle-même,
raison. l'ambition trompée se le reproche comme
Il serait aisé peut-être de répondre à des une faute.
exagérations par d'autres exagérations; mais On croyait donc la loi actuelle affermie
je laisse la facile ressource des considéra- plus que jamais contre toutes les attaques;
tions et des attaques personnelles à.quivou- mais, dit avec raison M. Benjamin Constant
dra s'en servir pour suppléer au vide des dans la collection de ses ouvrages politiques,
raisons, et je pense que si l'injure et la haine imprimée en 1818 « Rien n'est durable
ne doivent jamais pénétrer dans le sanctuaire pour une nation dès qu'elle commence à rai-
des lois, elles doivent encore moins en sonner, que ce qui s'explique par le rai-
sortir pour exciter au loin les passions po- sonnement et se démontre par l'expé-
pulaires. rience. »
Vous le savez,Messieurs,un scandale qui a L'expérience a démontré les vices de la
outragé à la fois la société dans la personne loi, et la raison, qui prend les motifs de
de son chef, tes mœurs publiques et la na- plus haut, n'avait même pas besoin de l'ex-
ture elle-même, a été l'occasion de la propo- périence et elle dit à qui veut l'entendre,
sition royale qui a soumis à votre révision que cette loi, ne nous eût-elle jamais donné
la loi des élections. l'homme du département de l'Isère, n'eût-
C'est ce qu'ont pensé ses partisans les plus elle appelé parmi nous que des l'Hôpital et
décidés « Une de ces élections, » dit M. de des d'Aguesseau eût-elle été votée dans les
Pradt dans son Catéchisme politique, «fut unedeux chambres à l'unanimité, n'en serait
calamitépublique.Cel ui qui en étaitl'objet, au
pas moins menaçante pour la tranquillité
lieu d'une persévérance funeste, aurait dû, publique et la sûreté de l'Etat, n'en serait
comme Jonas, demander d'être jeté à la mer pas moins trop impolitiquemeitt conçue
pour apaiser la tempête, et beaucoup d'hon- pour un peuple aussi avancé que nous le
neur était attaché à ce sacrifice. » sommes.
Le danger de ces élections scandaleuses C'est ce que j'essayerai de prouver avec
avait été prévu dans la discussion élevée, ilautant de précision qu'il me sera possible et
y a trois ans, à la première apparition de laaussi peu d'ornements étrangers au sujet et
loi actuelle, et ceux qu'en accuse de tant depour commencer par circonscrire dans les
choses lie peuvent pas du moins être accusés limites précises cette partie de la discus-
d'imprévoyance. sion, je ne crains pas d'alvancer, comme un
Cette loi, vous le savez encore, fut votée axiome politique, qu'il ne peut pas exister
à une bien faible majorité dans la chambre de bonne loi d'élection sans candidature ou
des députés aussi faible et plus difficul- présentation, et cela tient à la fois à la na-
tueuse dans là chambre des pairà. ture de notre esprit, qui ne fait pas de choix
La chambre des pairs, sentinelle vigilante sans examen, et à la nature des choses qui
posée par la constitution, avait signalé le ne fait rien sans préparation.
danger, et la proposition la plus modérée Pour les plus hautes fonctions de la so-
ÎSS3 PART. H. POLITIQUE,
ciété, comme pour ies professions les plus
communes de la vie, on ne parvient pas au
crus
SUR LES
-4'
ELECTIONS..
tant d'intérêts
d'inWrôts àh ménager, a*™;»;à>
miimMP tant d'opinions
concilier, tant de passions à contenir, tant
13S,
'1a8~
premier rang sans avoir parcouru les der- de lumières à éclairer, tant d'hommes, en
niers. On n'est pas général d'armée sans
un mot, et de choses à régler, il faut autre
avoir été soldat, juge sans avoir été avocat, chose, il faut plus que le simple bon sens
négociant sans avoir été commis, maître il faudrait une autre épreuve que la conduite
en
un mot sans avoir été compagnon. de ses affaires privées, ou l'exercice d'une
Mais pour la plus importante et la plus profession étrangère à la haute législation
haute de toutes les fonctions, pour la fonc- et cependant, sans cette garantie, il serait
q
tion qui règle et dirige toutes les autres, la aussi raisonnable, et peut-être plus sûr de
fonction législative, véritable participation
mettre dans l'urne tous les noms des éligi-
au pouvoir suprême dans ce qu'il a de bles, et de laisser le sortarbitre du choix, et
plus éminent et de plus difficile, il n'y ni du moins, en cas d'erreur, on n'aurait de
a
degré inférieur ni noviciat; i! n'y a même reproches à faire ni aux hommes ni aus
pas d'éducation spéciale autre que celle lois.
qu'on peut se donner à soi-même, et tous Cette épreuve si désirable, si nécessaire,
peuvent passer de plein vol de la tente, de se trouve dans la présentation ou le premier
la charrue, du comptoir, du barreau
au trône degré d'élection, et elle est impossible de
de législateur.
toute autre manière.
Sans doute nous naissons tous souverains La candidature, en effet, prévient ou ré-
quand nous'naissonsavec une propriété de
1000 francs de contribution; mais l'incerti- les pare les premiers mouvements de l'amitié,
surprises de l'intrigue, la préoccupation
tude de la succession, et l'âge auquel nous de l'irréflexion
les influences de la faveur
pouvons la recueillir, ne nous dispensent ou de la crainte elle donne le temps de dis-
pas d'employer la moitié la plus active de cuter plus à loisir les avantages
notre vie à des études ou à des occupations convénients des choix elle fixe,ou
les in-
tout à fait étrangères à notre future gran- première par une
] désignation, la pensée des élec-
deur. teurs
t elle leur fait connaître l'opinion des
Dans ce singulier état de choses, où, au différentes
i parties d'un département,, cette
nom de la liberté et de l'égalité, le roi se opinion
< locale dont ils doivent former une
d<enne tant d'égaux, et le peuple tant de mai- opinion elle est une première
c commune
tres, la pairie, autre participation à la royan- (épreuve, pas aussi rigoureuse, sans doute,
té même héréditaire, n'admet pas non plus, qu'il c le faudrait pour faire un législateur;
ii est vrai, de candidature légale. Mais qu'on mais enfin, elle est
r une garantie à défaut
prenne garde que le roi nomme seul, et n'en d'une
c meilleure, ou même de toute autre;
délibère qu'avec lui-même; qu'il n'est pas et, e puisque nous faisons ici des lois, et noa
dominé par le temps, soit pour commencer pas I des choix,j'oserai dire que si, sans pré-
son opération, soit pour la terminer; qu'on sentation,
s il est possibie de faire de bons
prenne garde qu'il appelle plutôt qu'il ne choix,c sans présentation, il est impossible
choisit, et qu'il aopelle ou doit appeler, en dde faire
une bonne loi.
quelque sorte, un un, et de loin en loin, Et combien cette précaution est-elle plus
les candidats qui lui sont présentés par d'é- nnécessaire dans des assemblées,
minents services, par de hauts emplois qui ddans des attroupements, ou plutôt
que le grand nom-
k>nt de la pairie une récompense nationale bbre de
ceux qui les composent, l'habileté
plutôt qu'un bienfait personnel, tandis au ddes uns, la simplicité des autres, la chaleur
contraire, que pour les députés, il n'est pas dies partis, l'opposition des intérêts, la viva-
décidé si les emplois publics qui ajoutent à cicité des prétentions agitent dans tous les
ia a capacité de l'homme, mais qui affaiblis- s<sens, ouvrent à toutes les séductions, à tou-
sent l'indépendance du citoyen, ne sont pas tf;es lesintrigues,àtoutesies surprises, tandis
un motif d'exclusion plutôt qu'un motif de qlue le peu de temps qui leur est donné
préférence :>our terminer leur opération, les expose à
p,
En vain ceux qui se croient de l'esprit ne tcous les dangers d'une précipitation sans re-
veulent, comme on l'a dit quelquefois, dans maède, et d'erreurs sans réparation!1
leur collège, que du bon sens pour les do- On dira peut-être qu'en Angleterre il n'y
miner plus à l'aise. Dans un état de société apas de présentation. Mais l'Angleterre r'a
aussi compliqué que le nôtre, lorsqu'il y a jaajmais fait une loi d'élection; elle
ne Taj.?~
OEUVRES COMPLETES DÉ M. DE BONALD.
"56
i55Ç
.v~.
mais
j/u.^ «w^ elle
délibérée a priori On« l'n Tocno du
l'a reçue qu'elle
Qu'elle
qu refuse à d'autres, et le droit
droit de
ue par-
ticiper à la souveraineté.
temps et des événements, telle qu'ils la lui
tic
donnée, et qui, après l'avoirfaite, si on Ici, Messieurs, pour mettre quelque ordre
ont
peut le dire ainsi, de pièces et de morceaux, dans da cette discussion, je dois examiner ce
l'ont plutôt détériorée qu'améliorée. L'An- qu'est qi en elle-même une loi d'élection, ce
a de fondamental et ce qu'elle a
d'ac-
gleterre était devenue, même avant sa der- qu'elle ql
nière révolution, gouvernement représenta- cidentel, ci de fixe et de variable, de constitu-
tif, on peut dire, saus s'en douter; et si elle tionnel ti< et de réglementaire. Je dois, pour
les consciences timorées, vous ap-
conserve l'ouvrage du temps, malgré ses rassurer ra
pensé
évidentes imperfections,c'est qu'elle redoute prendre pi ou vous rappeler ce qu'ont
bien plus, aujourd'hui surtout,;l'ouvrage des les le plus habiles de nos adversaires du droit
hommes. qu'a
Q1 le pouvoir législatif de faire à la loi les •
si l'Angleterre changements
cl reconnus nécessaires; enfin,
Et qui est-ce qui doute que
pouvait dans ce moment remettre la ques- répondre t( aux objections faites contre l'éga-
tion en délibération, et comme nous, refaire lité li et l'utilité de ceux qui nous sont propo-
à neuf sa loi, ou plutôt sa coutume d'élec- s<
sés.
précautions L'élection est un système comme le
tion, elle ne prît toutes les que
politique habile et pré- Jl
jury ou le recrutement de l'armée. La
peut suggérer une Charte
C détermine les bases, et laisse au
voyante, et que, pour garantir la bonté des en
degrés d'élection, roi
ri à en faire l'application par des ordon-
choix, elle n'établît divers
et dans ce moment même ne nous
de présentation, et peut-être d'épuration? `.' n
nances
des changements à l'orga-
propose-t-on
p pas
Mais nous, c'est d'aujourd'hui que nous nisation du jury, bien plus anciennement.
n
datons nos lois sont uniquement notre bien b plus généralement pratiquée que la loi
ouvrage, le temps n'en revendique pas la d'élection d ?9
moindre partie, et n'a garde d'en prendre L'élection, comme le jury, comme le re-
sur lui la responsabilité. Nousn'avons, en un crutement c de l'armée, comme l'Etat lui-
mot, à corriger que nous-mêmes et en vé- même, a donc sa constitution qui doit être
rité, il y a tant d'erreur, de faiblesse, de ilfixe, f et administration qui doit être
son
préoccupation dans l'esprit de l'homme, que flexible, f et prêter aux circonstances des
se
corriger ce qu'il a fait est presque toujours temps t et aux dispositions des hommes.
co qu'il a de mieux à faire. Ainsi,
1t élection dans chaque département,
La loi proposée a donc, sur la loi actuelle, trente t ans d'âge et 300 fr. de contribution
di-
l'é-
l'avantage incontestable d'établir deux de- recte T pour ceux qui doivent concourir à
grés d'élection on peut, si l'on veut, sou- lection 1 quarante ans et 1000 pour ceux qui
tenir que la loi le défend mais on ne niera peuvent l être élus; nomination par le roi des
pas que la raison ne l'approuve. présidents
j des colléges défense aux collé-
La discussion devrait finir ici dès que ges f électoraux àe s'occuper de tout autre
telle est
deux degrés sont une meilleure garantie dei objet < que des élections elles-mêmes,
la bonté des choix qu'un seul degré, il n'yr la 1 constitution du système, telles sont ses
aurait plus rien à dire; car, au point de ma- j• bases 1 et on ne pourrait en changer une
de la
turité où nous sommes parvenus, nous pou- jseule sans renverser toute l'économie
vons supporter les meilleures lois, et nouss loi.
pouvons pas même en supporter d'autres; La manière de combiner entre eux ces di-
ne arri-
et c'est là notre malheur. vers éléments, et de les faire agir pour
résultat, en est la partie administra-
Mais tout est décidé à cet égard, nous dit- ver au réglementaire,
viole l'esprit et la let- tive et et celle-là peut et
loi proposée
on, et la
tre de la Charte, qui veut que tous les Fran- même
doit quelquefois subir des changements, et
de contribution et t pour mieux assurer la fixité de
çais, payant 300 francs
âgés de trente ans, soient électeurs, et le}
l'autre.
soient tous individuellement et de la même) Ecoutez sur ce droit de faire des change-
manière. ments les plus graves autorités en politique
La Charte dit bien plus, Messieurs, carr constitutionnelle.
elle dit que tous les Français sont égaux enî Je ne vous citerai même pas J.-J. Rous-
toujours le
droits et devant la loi et cependant la loi,' seau, qui dit « Un peuple a
fr., confère quelques-uns des droits s droit de changer ses lois, même tes meit-
pour 1
*S"7
car s'il
leures car s'il veut
PART- »•
.x"
POLITIQUE.
lui-
veut se faire du mal à lui-
même, qui est-ce qui a le droit de l'en em-
SUR LES ÉLECTIONS.
de ce qui est fait,
• -|3S8
fait. et à l'achèvement de
de ce
™
qui reste à faire. »
pêcher?» » Nous ne disons pas autre chose, et nous
Je peux citer des autorités plus voisines ne dirions pas mieux. L'écrivain
que j'ai
de nous, et plus afférentes à la matière que cilé invoque l'expérience; elle a parlé, et
nous traitons « De quoi est composée la assez haut; car chez un peuple avancé, tout
charte ? » demande M. de Pradt
« d'articles est avancé, et même l'expérience. Dans trois
fondamentaux, et d'autres qui ne sont que ans, la loi du 5 février 1817
nous a donné
réglementaires. un régicide dans moins de temps elle'
x Les articles fondamentaux sont ceux nous donnerait peut-être une convention, et
sans lesquels l'ordre social ne saurait sub- cette expérience serait vraisemblablement \n
sister, comme la liberté, la sûreté ( il veut dernière. La loi proposée, vous dira-t-on,
dire la sécurité), la propriété, l'égalité lêgalè, ne vous met pas à l'abri d'un pare choix;
là division des pouvoirs en trois branches soit, mais s'il n'est pas impossible, ii est im-
tout le reste n'est que réglementaire, et par probable, et c'est tout ce qu'il faut à la rai-
conséquent, sujet aux modifications du législateur et il ne dépendrait que
com- sonlui
mandées par l'intérêt public, jugées telles de de le rendre impossible.
Nous avons vu ce qu'il
parle concours des trois branches de la lé- y a d'essentiel,
gislature, et accomplies par elle seules. » d'invariabte, de fondamental dans le système
électoral. De gravés autorités nous ont prou-
« Depuis quand,» continue le même écri-
vain, «cette distinction (d'articles fondamen- vé qu'on pouvait y changer ce qu'il y avait
réglementaire, d'accidentel, de tempo-
taux et d'articles réglementaires) date-t-elle de
parmi nous? Depuis le mois dejanvier ii819. raire, et qu'on le devait même» quand l'ex-
M. Manuel a le premier fait cette décou- périence en démontrait ia nécessité et à dé-
verte. Jusque-là la charte était considérée, faut d'autorités la raison générale, la pre-
d'après une locution vulgaire, comme étant mière de toutes, nous dirait que c'est sur les
d'une seule pièce. En y regardant de plus lois plutôt que sur les arts que doivent
près, on y a reconnu la diversité de ses élé- s'exercer les progrès des lumières chez une
ments. » nation civilisée* et la perfectibilité des es-
prits.
« Une constitution,» dit fort bien M. Ben- La nécessité de modification à la loi des
jamin Constant, « qui contient une multi- élections n'est contestée par personne;
tude de dispositions réglementaires, est né- il est des choses qui répondent à tout, et
cessairement violée. La sobriété dans les j'ose affirmer que nos adversaires eux-mê-
articles constitutionnels a cet avantage,
qu'alors on peut changer tout ce qui n'est mes consentiraient à quelques changements
à la loi actuelle, et porteraient la main à
.pas compris dans les articles sans effrayer l'arche plutôt que de la laisser tomber.
l'opinion. » Et ailleurs « Les constitutions
doivent être courtes et négatives. Pour la sta- Reste à examiner quels sont, dans la loi
bilité même, la possibilité d'une améliora- d'élection, les articles réglementaires sur
tion graduelle est préférable à la stabilité lesquels on propose des changements.
Il en est un sur lequel le projet de loi na
des constitutions. »
proposeaucun changement,et personne n'en
Ce refus de changer les lois » continue
proposera, mais qui n'est pas moins pure-
ce publiciste, « fondée sur je ne sais quelle ment réglementaire, et sur lequel il est utile
impossibilité mystérieuse, devient inintelli- d'établir le droit de la législature je veux
gible. Les constitutions se font rarement par parler du nombre des électeurs.
la volonté des hommes le temps les fait La Charte dit, article 40 :« Tous les élec-
elles s'introduisent graduellement et d'une teurs qui concourent à la nomination des
manière insensible. Cependant, il y a des cir- députés ne peuvent avoir droit de- suffrage,
constances,etcelle où nous nous trouvons est s'ils né payent une contribution directe de
de ce nombre, qui rendent indispensable de 300 fr., et s'ils ont moins de 30 ans » on
faire une constitution mais alors ne faites
en a conclu que !a charte appelait à être
que ce qui est indispensable laissez de électeurs tous les hommes âgés de 30 ans,
l'espace au temps et à l'expérience, pourque et payant 300 fr. de contribution. Mais, dans
ces deux puissances réformatrices dirigent ce cas, elle aurait dû s'énoncer clairement
vos pouvoirs constitués dans l'amélioration et dire « Tous les Francais âgés de 30 ans,
*360
13S9 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALrr.
navant 300 fr. de contribution, concourent fréquente et plus obstinée, vous ne pour-
et payant
pour-
concourront à la nomination des dé- riez à l'avenir y remédier qu'en imposant
ou sévères comme
putés. » (Car ici le présent aurait la force aux délinquants des peines réfractai res et,
aux conscrits
du futur.) Et on n'a qu'à consulter la logi- aux jurés et
de Port-Royal sur le sens des proposi- -en supposant que vous puissiez justifier
que ce dont il est per-
tions restrictives ou absolues, pour se con- cette mesure, de rigueur, pourriez imposer
vaincre que l'opinion de ceux qui veulent mis de douter, vous ne
l'article &0 soit absolu, et appelle tous des peines qu'en limitant le nombre des
que lui-même avait laisse
les Français qui remplissent les conditions électeurs et Bonaparte jouir de toute leur
prescrites, aux fonctions électorales, n'est sur ce point les citoyens
liberté.
pas soutenable. la loi proposée a pris le seul'
fait. Au reste,
Mais le contraire a été décidé par le qu'il f_Ût possible d'employer, celui
plus de faculté moyen
Le particulier ne peut avoir de rendre plus facile aux électeurs, même*
que la loi. Si le particulier peut se dispen- fonction qu'ils sont in-
les moins aisés, la
ser d'exercer sa charge d'électeur, la loi vités à remplir,. en les rapprochant tous du
peut ne pas l'appeler. Si la loi commande, lieu de l'élection.
le particulier doit obéir, et la faculté et l'o- Un autre article réglementaire, et, si o»
bligation sont réciproques. Vous avez vous-
peut le dire, le plus réglementaire de tous,
mêmes décidé la question, lorsque, pour
nombre est la manière de concourir à l'élection.
clore l'élection, vous avez réduit le Le concours peut être direct ou indirect,,
des électeurs à la moitié du nombre de ceux
médiat ou immédiat et je prie l'assemblée
qui sont présents, et au quart de ceux qui de faire attention à cette différence..
devraient l'être; et le jour où vous avez Le direct est celui dans lequel
rejeté l'amendement de M. Camille Jordan concours
infliger électeurs ré- l'électeur nomme ceux qui seront ou pour-
sur les peines à aux ront être députés.
fraelaires, vous avez jugé quela loi n'appelait indirect est celui dans lequel
hom- Le concours
pas, ou pouvait ne pas appeler tous les l'électeur nomme des électeurs qui devront
mes qui remplissent les conditions exigées.
le jury, le eux-mêmes nommer des députés.
Et remarquez que pour ou pour C'est ainsi que l'entendjM. Benjamin Cons-
recrutement de l'armée, il n'en est pas de
dispenser tant, dans ses OEuvres politiques, que j'ai
Le particulier ne peut se
môme
loi dispenser de l'ap- déjà citées. « Une partie de la nation, » dit-
ni
d'obéir à la loi, la se
peines contre il, « est déshéritée quand la loi ne lui laisse
peler et, en établissant des
elle déclaré volonté que l'option de nommer des électeurs ou de
les refus d'obéir, a sa »Et plus bas, après
honorables ne nommer personne.
de commander. Celui de nos avoir distingué la participation directe, ac-
collègues que j'ai cité écrivait, il y a long-
tive et réelle à- la nomination des manda-
temps Je l'affirme, le temps n'est pas loin
devoir, taires, d'une participation indirecte inac-
où l'électeur qui négligerait son
-tive, chimérique, il ajoute « Quand ces ci-
rougirait aux yeux de ses alentours. » Mais
appelés à nommer leurs dépu-
fait l'expé- toyens sont
nous avons malheureusement tés, ils savent quelles fonctions ces députés
'rience du contraire; les coupables, enhardis
leur grand nombre, ont perdu toute auront à remplir. Mais quand ces citoyens
par sont appelés à nommer des électeurs,,c'estr-
honte et le mal a toujours été en empirant qui en nomment d'antres le
'depuis trois ans. Ce sera toujours vice ra- a-dire ceux
un intérêt n'existe plus. »
dical de toute loi d'élection, qu'elle ne même
tyrannie, contraindre les élec- Ainsi, il ne s'agit pas dans la loi proposée
puisse, sans d'élection directe ou indirecte, mais d'élec-
teurs à remplir une fonction constitutive du
immédiate et entre ces ex-
gouvernement représentatif, et qu'à chaque tion médiate ou
soit problème pressions la différence est aussi grande
élection son existence Kn que
la présence des électeurs, ou leur absence qu'entre les pensées qu'elles énoncent
peut, à leur volonté, résoudre pour ou. con- L'élection est directe dans le collège d'ar-
tre le gouvernement. rondissement, comme dans celui de dé-par-
Ainsi, Messieurs, le nombre des électeursi tement, et aussi directe dans l'un que dans
n'ayant en soi rien de fondamental, peutt l'autre,, puisqu'ils nomment tous les deux
Ctre déterminé par le législateur; et celai ceux qui seront ou devront être
députés;
celui-ci,
est si vrai, que si la désertion devenait plus> mais l'élection est médiate dans
1361 PART. 11. POLITIQUE. SUR LES ELECTIONS. ïsfâj
immédiate dans
dans celui-là
celui-là ainsi la loi crimi- 1lection d'un député
que je ne nomme pas,
pas.
nelievoit
nelle une participation directe à Tas-
voit une qque je
je ne
ne veux pas nommer, dont je cou-
con-
sassinat, et dans celui qui a fait le coup et trarie
t de toutes mes forces la nomination,
dans celui qui l'a conseillé, ordonné ou e à la place de qui j'ai nommé un autre éli-
et
payé, et punit l'action médiate de l'un com- gible
g qui ne sera pas député ?q
me l'action immédiate de l'autre. Croiriez-vous vous-même avoir concouru
Or, la Charte permet indifféremment l'ac- à la nomination de l'assassin de votre père
tion médiate ou immédiate et c'est ce o du ravisseur de votre fille, si leur nom
ou
qu'exprime à découvert le mot concourir éétait sorti de l'urne dans le collége où vous
qu'elle emploie dans l'article 4.0. auriez
a voté ? Oseriez-vous même le penser,
Ainsi, en parlant des formes suivies dans e souffririez- vous qu'on vous le dît-? Non,
et
la nomination de notre président, vous di- n'auriez pas concouru à cette nomina-
vous
v
riez très-bien :« La chambre présente, le ttion, vous y auriez assisté.
roi nomme, et le roi et la chambre concou- Vous auriez assisté à la nomination, et
rent à la nomination du président, » et vous
v n'y auriez pas concouru; ni 'd'action,
Nous ne pourriez même le dire aufrre- puisque
y vous n'auriez pas nommé le dé-
ment. puté
P ni d'intention, puisque vous n'auriez
Je sais que ceux qui ne sont pas iàmilia- pas
p voulu le nommer. Que fait donc l'élec-
risés avec les études littéraires et philos»- teur,
ti et quel est le mystère de l'opération
phiques, n'attachent pas une grande valeur éélectorale, qui, avec une voix de plus seule-
à la propriété des termes, et sont ennemis ment
n au-dessus de la moitié, fait, de tant de
des discussions grammaticales il faut ce- volontés
v discordantes, une seule volonté
pendant les souffrir dans l'interprétation des uniforme
u et commune, et un député unique
lois, et aucun autre moyen ne nous est d vingt présentés? Cette difficulté réelle se
de
donné pour les entendre. résout
r par une réflexion simple et vraie
Le mot concourir exprime donc à la fois c'est
c que dans une assemblée élisante, les
l'action médiate et l'action immédiate et uuns présentent et les autres nomment, et la
même s'il fallait l'appliquer à l'une des deux loi
li que nous discutons ne fait autre chose
seulement, ce serait plutôt dans la rigueur qque rendre publique et commune cette
de son étymologie et les habitudes de notre présentation
p secrète et individuelle; et,
langage, l'action médiate qu'il exprimerait; pour
p régulariser l'opération et éclairer les
et plutôt, par exemple, la présentation des choix,
c elle distingue ce que la loi actuelle
candidats par la chambre, que la nomination confond,
c la présentation et l'élection.
du président par le roi. Et voilà encore ce qui répond à l'objec-
La loi proposée ne viole donc pas l'es- tion tirée de la possibilité, qu'en cas de re-
ti
prit de la charte, qui n'est pas d'appeler le jet
j< d'un candidat porté dans plusieurs
ar-
plus d'électeurs possible, mais d'obtenir les rondissements,
r celui qui est appelé à sa
meilleurs députés; et qui n'a pas fait une place
p n'ait pas obtenu la majorité absolue
loi d'élection pour la satisfaction des ci- dans
d son arrondissement. Qu'est-ce que cela
toyens, mais pour la nomination des dépu- pprouve? Ce candidat suppléant est nommé à
tés elle n'en viole pas la lettre, car jamais 1; majorité relative, au' lieu d'être nommé à
la
on n'y trouvera la nomination des députés 1; majorité absolue, puisqu'il
la a eu plus do
comme exclusive de la présentation des voix
v que tous les autres concurrents le
candidats. premier
p excepté, qui a obtenu ailleurs,
Et si vous en doutiex, vous n'auriez qu'à mais
n dans le même département, une autre
interroger sur le sens de la charte les ré- nmajorité, et la loi elle-même résout toujours
dacteurs eux-mêmes,qui, plus prudents que l'l'élection par la majorité relative. On cal-
Lycurgue, ne se sont pas exilés de leur pa- ccule péniblement un problème d'arithméti-
trie après lui avoir donné des lois, mais sont qque pour imaginer le possible; mais quand
restés au milieu de nous pour jouir de leur Il possible arrive, la nécessité y pourvoit,
le
ouvrage. la
1, raison ne statue aue sur le vraisem-
Et si, pour concourir à l'élection directe blable.
b
du député, il faut immédiatement le nom- Je suis peu frappé, je l'avoue, des inéga-
mer, vous vous jetez dans une inextri- lités entre arrondissements et départements
li
cable difficulté car comment me ferez-vous ddont on fait tant de bruit. Puisqu'on ne peut
concevoir que je concours directement à l'é-, 1les faire disparaître toutes, qu'importe qu'il
1363 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE UONALD. 1364
y en ait un peu plus ou un peu moins? et aau roi les trois candidats entre lesquels lesquels ilil
je suis toujours disposé à voir sans regret nnous nomme un président ?2
les départements pauvres plus favorisés que Vous augmentez dit-on, le cens, s'il faut
les riches, et nommer en moindre nom-« ppour nommer être des plus imposés. D'a-
bre. bbord, la loi proposée ne fixe pas un autre
cens
c que celui que détermine la charte
Vous craignez le triomphe possible de la ddans quelques départements, le cinquième
minorité d'un collége d'arrondissement, et peut descendre jusqu'à 300 fr. et, si dans
p
vous ne craigne? pas le triomphe plus réel uun département il n'y avait pas de plus
et plus ordinaire d'une minorité des élec- fort fi imposés, ils composeraient à eux seuls
leurs de tout un département dont un grand1 le j( cinquième exigé. D'ailleurs, si le projet
nombre peut s'absenter, ou même s'absen- de d loi borne au cinquième des électeurs le
ter du collége, au point que vous avez été nombre n de ceux qui doivent nommer, elle
vous-mêmes obligés, en dernière analyse,> bborne aussi à la liste des candidats le choix
de vous contenter du quart de tous les mem- qu'ils peuvent faire aujourd'hui dans toute
bres du collège, que la distance du chef- la j. France; et, si elle étend leur compétence»
lieu, la langueur et les frais de séjour, ett elle e restreint leur juridiction.
surtout l'impossibilité de lutter contre le On parle de droits acquis:aoquis, et depuis
gouvernement invisible des comités direc- quand et de qui? Acquis pour tous, lorsque
teurs, retiennent chez eux, tandis que la loi les j( trois cinquièmes seulement en ont joui l
proposée, en les rapprochant du lieu de Si c quelques électeurs avaient des droits ac-
l'assemblée, leur donne à tous, et surtout aux quis,
q c'étaient certainement les six cents plus
moins aisés, de plus grandes facilités pourr imposés
i de la loi de Bonaparte, à qui on les
user de leurs droits, et même d'un droit plus5 a ôtés. Et dans quelle doctrine politique a-
réel et moins illusoire, puisqu'il n'y a pas5 t-on t vu que les particuliers pouvaient ac-
d'électeur dans le collége d'arrondissement1 quérir du pouvoir public quelque chose
c
qui ne soit plus assuré de faire passer le3 ccontre le pouvoir, ou en prescrire la pos-
candidat qu'il préfère, qu'il ne l'est aujour^ ssession contre le gouvernement? Ce que le
d'hui de faire nommér dans le collége uni- public ne peut pas vendre, le particulier ne-
1
que de département le député qu'il pré- peut l'acquérir.
sente, Un de nos honorables collègues, M. h* gé-
Mais, dit-on encore, vous créez un privi- néral r Sébastiani, a remarqué avec sa saga-
lège. Est-ce bien sérieusement qu'on emploie3 cité c ordinaire, comme un effet incontesta-
loi proposée, qu'elle écarterait de
cette expression ? Ce privilége est-il lucra- ble de la
tif ou honorifique ? Un privilége 1 lorsqu'ill partI et d'autre les sommités., je me sers de
n'y a peut-être aucun des défenseurs de laa son s expression. Il n'y a pas de mal à cela
loi proposéequi ne préférât attribuer la pré- Le 1 côté droit a eu sa loi en 1815; le côté gau-
sentation au collége de département, et laa che ( a eu sa loi en 1817; le centre à son tour
nomination à ceux d'arrondissement s'ill £aura la sienne en 1820, et nous prêche-
était tacite de faire nommer en commun 1
rons
I par notre exemple cette égalité dont
trois ou quatre députés dans quatre ou cinq rnous donnons de si doctes leçons. Les cory-
assemblées séparées 1 Je vois dans les col- phées 1 des deux côtés de la chambre ne se-
léges d'arrondissement le privilége de cir- ront s peut-être pas réélus mais, comme dans
conscrire le collége de département et danss lune bataille, on enlèvera les morts, et on
celui-ci, le privilége d'être circonscrit parr Jserrera les rangs. D'éloquents athlètes se
les autres; et, en vérité, entre ces deux priT seront
£ immortalisés sans doute, mais ne se
viléges le choix est embarrassant car on serpnt £ pas éternisés.
Quand j'entends déclamer sans ces.^e con-
peut même dire que, dans ce système, ce-
du
lui qui présente sur tous les éligibies 1 ttre la noblesse, je suis toujours tenté de
dire avec Acpmat
royaume, nomme plus réellement que celuij1 (
qui choisit sur quinze ou vingt seulement? II n'est pas condamné puisqu'on veut le confondre.
puisque celui-ci ne fait au fond que réduirei Mais J est-ce à l'ancienne noblesse qu'on en
un plus grand nombre à un nombre plus pe- veut a ou à la nouvelle? La Charte ne les dis-
lit, et qu'il exclut plutôt qu'il ne nomme; tingue t pas; et comment la Charte, qui est une
et nous-mêmes ne réclamerions-nous pass arme a si offensive entre les mains des uns,
pampje un privilège la faculté de présenterr n'est-elle
i pas même une arme défensive pour
les autres? Ce qui m'étonne le plus est de tés
t que la nation soit avilie, opprimée, dé-
voir des hommes décorés des honneurs s'éle- cimée,
c parce que tous les électeurs ne nom-
ver aussi contre ce qu'ils appellent l'aristocra- meront
r pas immédiatement tous les députés,
tie. Ils n'ontdonc point d'enfants, ou ilsneveu- ( cela lorsque l'homme qui ne paye que 299
et
lent pas leur transmettre leurs biens, leur état, fr.
f ne peut pas se présenter seulement comme
la considération dont ils jouissent à juste ti-
tre. Ils ne veulent donc pas qu'aucune partie
curieux
c dans ce même collège électoral, où
voisin, qui paye 300 fr., siège comme
son
î
de la gloire qu'ils ont acquise rejaillisse sur membre
i du souverain; lorsque celui qui,
leur postérité. C'est en vérité déshériter ses avec
i des lumières et des vertus, ne paye que
propres enfants et si jamais ces enfants, 999 fr. de contribution, se voit pour 20 sous
nobles, on peut dire malgré leurs pères, lisent préférer
1 un sot, si même il n'est pas pire;
les discours de ceux-ci, que penseront-ils de ]lorsque 80,000 sur 28. millions disposent de
leur tendresse .pour eux et de leur juge- itoute la législation du royaume ce sont, eu
ment ? Est-ce qu'il n'y a pas en France assez vérité, des exagérations théâtrales qui ne
de place pour tous? Est-ce qu'on ne voit devraient pas retentir à.la tribune législative.
pas que l'Europe périt parce que la, force On parle de l'opinion publique placez où
physique de la multitude est trop dispro- vous voudrez l'opinion qui veut l'ordre, la
portionnée en nombre avec la force morale paix, la religion, la royauté, et soyez assu-
qui est dans les classes élevées, et que la rés que celle-là est en France, et sera tou-
force morale est celle qui gouverne un peu- jours l'opinion publique et la plus publi-
pie civilisé, comme les vieillards, véritable que, et la plus nombreuse, et, la, plus, domi*
noblesse de la nature, gouvernent les peu- nante des opinions.
pies sauvages Vous redoutez ce que vous appelez l'aris-
Vous qui portez envie à ceux que la ré- tocratie dans la chambre des députés,et vous
volution a épargnés ou à ce qu'elle leur a parlez de la constitution d'Angleterre; et
laissé est-ce que leurs enfants ne servent vous ignorez que la-constitution d'Angle-
pas môme aujourd'huisous les vôtres ? Voû- terre se soutient peut-être plus par l'aristo-
iez-vous devancer te temps, le temps qui va cratie de la chambre des communes que par
si vite pour vous comme pour nous, et qui l'aristocratie de la chambre haute. Vous
tend à nous mêler tous et a nous confondre? ignorez que la chambre des communes est
Dans l'Evangile, ce sont ceux qui ont sup- composée en partie par les fils, les neveux,
porté le poids du jour et de la chaleur qui les parents des pairs; que c'est. précisément
murmurent contre le père de famille qui a cette aristocratie qu'attaquentles radicaux
donné le même denier aux derniers venus. et que défendent la gouvernement et, la
Ici c'est tout le contraire imprudents, vous chambre elle-même, et que l'Angleterre.se*
allume? toutes les passions populaires et rait bientôt renversée si les. radicaux pour
vous vous croyez seuls assez forts pour les vaient triompher. l'Angleterre a senti, ou
contenir; et vous croyez qu'une possession plutôt la nature a senti par elle que plus
de trente ans serait plus respectée qu'une on ôte de droits politiques aux classes infé-
possession de plusieurs siècles 1 rieures, plus il faut en donner aux classes
On a blâmé à la fois et l'influence minis- supérieures qui, en les protégeant, peuvent
térielle sur les élections, et l'influence des seules les contenir, et que c'est un énorme
comités directeurs mais que font-ils autre contre-sens politique et un imminentdanger
chose que ce qu'on fait ici publiquement, de mettre toute l'aristocratied'un côté dansja.
en voulant exclure des élections des hom- chambre des pairs, toute la démocratie de
mes que la charte a déclarés éligibles au mê- l'autre dans la chambre des députés car ces
me titre que les autres ? Que font ils autre deux principes tranchants et absolus ne se
chose que de faire en secret ce qu'on fait ici toucheront que par des angles, et ne peuvent
en public, en désignant ceux qu'on veut que se heurter s'ils n'ont pas des points
pour députés, et en excluant ceux qu'on ne communs de contact et des liens récipro-
veut pas? ques. Le roi ne peut être ce lien, parce qu'il
1 Que tout soit perdu, que la France et n'est pas placé entre les deux, et que par
l'Europe soient en feu, qu'on voie la révo- sa nature le pouvoir suprême est volonté et
lution approcher, parce que quelques élec- non conciliation; la charte elle-même lui
teurs présentent des candidats à quelques refuse cette qualité de médiateur, puis-
autres qui prendront parmi eux des dépu- qu'elle se lui permet de prononcer que d'une
hmniere absolue sa volonté définitive sur les qu'ils sont réellement en eux-mêmes et aux
luis. Vous ne voulez que la démocratie dans yeux de la raison, de la morale, de la politi-
la chambre des députés; et, plus consé- que, des charges, des offices, officium, des
quents que vous ne pensez, vous voulez la devoirs, expressions sublimes et que notre
composer de députés envoyés par des hom- langue a consacrées, on conçoit la raison
mes à cent écus, parce que effectivement pour laquelle on a, dans toutes les sociétés,
c'est là que dans toute société et par la uni l'autorité à la fortune. On a regardé le
nature même des choses, se trouve toute la service public comme une charge de proprié-
démocratie, qu'elle y est à l'insu même de té, tout autant que la charité dont elle sup-
ceux de cette classe, et indépendamment de porte aussi le poids.
leurs opinions personnelles, parce que sor- Partout la société a demandé le sacrifice
tis, comme tout le monde, de la classe infé- de leur temps à ceux qui, débarrassés du
rieure, et pas-encore parvenus au premier soin d'acquérir de la fortune et de faire sub-
rang,ils sont dans un état de progrès et d'a- sister leurs familles, peuvent en disposer
vancement dans les temps de tranquillité, pour la chose publique et en même temps
qui devient assez naturellement un état d'in- qu'elle y a trouvé une grande économie pour
quiétude, d'agitation et d'envahissement dans le trésor public, et par conséquent un sou-
les temps de trouble, et c'est là ce qui cons- lagement pour les contribuables, elle a vu
titue la démocratie. encore dans cette disposition un avantage
Messieurs, nous faisons ici de la politi- pour les familles moins avancées, qui trou-
que à la face de l'Europe faisons donc de vent moins de concurrents, et des concur-
Ja politique de cabinet, et non de la politi- rents moins dangereux dans les carrières lu-
que d'athénée; des raisonnements d'hom- cratives, véritable raison pour laquelle les
mes d'Etat, et non des sophismes.et des ré- mœurs les interdisaient autrefois en France,
veries de beaux esprits. aux hommes élevés aux emplois publics, et
On a parlé, je crois, de grands vassaux à même quelquefois les interdisaient malgré
propos de l'aristocratie moderne; ce rappro- les lois.
chement m'a paru plaisant, à moi député La société ne doit donc pas redouter ce
d'un département où il- n'y a pas un ancien qu'on appelle l'aristocratie des propriétés, et
propriétaire foncier qui ait 20,000 fr. de doit bien plus craindre de ne plus en trou-
rente, et où le plus grand propriétaire fon- ver pour la servir. Certes, c'est un étrange
cier est un marchand, et le plus grand capi- aveuglement de se plaindre aujourd'hui en
taliste un marchand de toile. France de l'aristocratie des propriétés, lors-
Quand il fut question d'élections dans la que, par l'effet toujours agissant de nos lois
Convention, un membre fameux à cette épo- sur les successions,et de la révolution, et de
que rejeta, comme entaché d'aristocratie, le ses suites inévitables, le sol de la Frances'en
cens d'électeur ou d'éligible de la valeur de va en poussière, et la terre, pour ainsi dire,
trois journées de travail. Il avait raison si fuit sous nos pas. Le morcellementtoujours
toute inégalité de fortune est de l'aristo- croissant de la propriétéfoncière résout le pro-
cratie. blème de physiquede la divisibilitéde la matiè-
Mais alors il faut être conséquent, et dès re à l'infini. Bientôtil n'y aura plus de proprié-
que l'un regarde les emplois publics comme té indivisible en France qu'une mécanique
dfâs bénéfices, c'est au nom de l'égalité que à filer le coton, et la Charte, dans quelques
les plus pauvres doivent réclamer la préfé- générations, sera obligée de baisser le cens
ronce. Alors la société devra niveler avec pour trouver encore des électeurs éligibles.
dés appointements les inégalités, donner Déjà, dans plusieurs lieux, il n'y a plus
plus à qui a moins, et se charger de réparer d'espace aux parcours des grands troupeaux,
tous les malheurs de fortune, et même tou- plus d'occupation pour les animaux de la-
tes les fautes de conduite. bour, et par une disposition d'hommes et de
Et qu'on n'allègue pas le plus d'indépen- choses tout à fait alarmante, en même temps
dance et d'éducation que donne la fortune. que les machines de l'industrie remplacent le
Il y a peut-être plus d'indépendance dans la travail de l'homme et font abandonner la
pauvreté que dans l'opulence, et la nation et quenouille et le rouet, les machines de l'a-
les emplois font plutôt les hommes que l'é- griculture deviennent inutiles, le travail de
ducation. l'homme remplace celui des animaux, et la
Mais si l'on estime les-.emplois publics ce cbarrue est abandonnée pour la bêche, et la
i569 PART. H. POLITIQUE. SUR LES ELECTIONS. 1570
charrette pour la hotte. Ainsi,
Ainsi mesure
mesure que tnme contre l'oligarchie des propriétaires
tume
la grande propriété industrielle tend à se cette oligarchie que le même orateur a appe-
concentrer dans un moindre nombre de lée à la fois imperceptible et toute-puis-
mains, par l'établissement dispendieux des sante, persuadez vous que le mal est ail-
mécaniques,la grande propriété foncière tend leurs ne soyez pas plus pressés que la ré-
à se diviser. L'industrie à grands capitaux, volution et le temps. Encore quelques gé-
poussée au delà même de nos besoins, mul- nérations, et nos enfants, élevés dans l'hor-
tiplie le nombre d'hommes qui vivent de reur de toute aristocratie, ne voudront pas
petits salaires. Une agriculture sans capitaux plus souffrir les supériorités domestiques
multiplie les hommes qui vivent d'une infi- que nous n'avons souffert les supériorités
niment petite culture. Il y a plus de produits politiques; et, devenus tous égaux par la mi-
industriels qu'on ne peut en vendre il y a sère plus encore que par la loi, s'ils ne sont
moins d'excédant de productions territoria- pas pairs de France, ils ne seront pas même
les dont on puisse disposer. Tous les rap- électeurs là où nous sommes éligibles.
ports entre ces deux grandes divisions de Je finirai par une réflexion que j'emprunte
la société tendent à s'intervertir, et aux pre- à celui de nos honorables collègues que j'ai
miers dérangements des saisons (et nous en eu occasion de citer dans le cours de cette
voyons la preuve), la population industrielle, discussion, et qui me paraît s'appliquer à
le peuple des villes, s'alarme et se voit me- tout et à tous.
nacé de manquer de pain au milieu de ses «Vainementcompterait-on,»dit M. Benja
draps et de ses percales et une nation qui min Constant, « sur la force d'une majorité
a trop de grande industrie, et pas assez de raisonnable, si cette majorité n'avait pas de
grande agriculture, devient doublement tri- garantie dans un pouvoir constitutionnel
butaire de l'étranger, et pour les objets de hors de l'assemblée.Une minorité bien unie,
luxe qu'elle lui envoie, s'il ne veut pas les qui a l'avantage de l'attaque qui effraye ou
laisser entrer, et pour les objets de première séduit, argumente et menace tour à tour, do-
nécessité qu'elle lui demande, s'il ne veut mine tôt ou tard la majorité. La violence
pas les laisser sortir; danger immense en réunit ces hommes, parce qu'elle les aveu-
temps de guerre, qui peut affamer une na- gle sur tout ce qui n'est pas leur but général;
tion par la disette, ou la ruiner par des la modération les divise, parce qu'elle laisse
achats. leur esprit ouvert à toutes les considérations
Ces grandes considérations, Messieurs, particulières.»u
récemment présentées à la chambre des Sans doute la loi proposée n'offre pas à
pairs, ont été développées par leur auteur beaucoup près toutes les garanties que la
avec autant d'élégancedans l'expression que société pourrait désirer; mais la loi actuelle
de véhémence et de solidité dans la pensée. est déshonorée, souillée par un outrage à la
Elles méritent de votre part la plus sérieuse royauté et à la nature elle est devenue fu-
attention et c'est avec des connaissances neste comme le lieu où notre infortuné prince
positives, et surtout prévoyantes, qu'on fait a été frappé, et la loi et le lieu ne peuvent
des lois durables, et non avec des préven- plus être à l'usage d'une nation éclairée et
tions et des haines généreuse.
Pour vous qai déclamez avec tant d'amer- Je vote pour le projet de loi.
Les élections par le peuple sont la partie tion une charge de la propriété. Il avait gé-
populaire de nôtre constitution. néralisé la loi, ce qui est aussi monarchique
Mais les formes et les conditions de l'é- que peut l'être une loi d'élection.
lection peuvent être monarchiques ou ré- La charte, en plaçant l'élection dans les
publicaines. contribuables de 300 fr., en a fait un droit
Bonaparte, en plaçant l'élection dans les des individus elle a individualisé la loi, ce
six cents plus imposés, avait l'ait de l'élec- qui est tout à fait populaire.
& %J I » V-i
Bonaparte faisait présenter
%STA AJ a *J u -»a
VVATA m. ITI. un DV1~lU..IJ.
les candidats de l'élection n'a pas réussi il fallait donc
<i)~3
par les six cents plus imposés, et nommer essayer d'une loi qui rapprochât l'élection
les députés par le sénat, et par là il faisait des électeurs, car sans électeurs on ne peut
présenter par ceux qui avaient le plus d'in- pas faire une loi d'élection.
térêt aux bons choix, et nommer par ceux Tel a été l'objet des colléges d'arrondisse-
qui n'avaient pour eux-mêmes aucune pré- ment, base de la loi proposée et de l'amen-
tention. Tout cela encore était monarchi- dement adopté.
que. Mais le temps, disent quelques personnes,
La charte fait élire directement sur une aurait modifié la loi du 5 février, dont elles
population d'éligibles par une population ne dissimulent pas le danger et les vices. Le
d'électeurs. Entre ces deux masses, point temps ne modifie que les lois qu'il a faites.
d'autre titre à l'élection que des opinions de Les lois des hommes, les lois écrites, il né
parti, point d'autre motif d'exclusion que les modifié pas, il ne peut pas les modifier,
des haines de parti, ce qui est tout à fait il les fait tomber en désuétude, et.c'est ce
populaire. qui est arrivé à la loi du 5 février déjà tom-
Mais une loi d'élection, quelle qu'elle soit, bée en désuétude pour les électeurs qui ne.
n'est au fond qu'une manière plus ou moins viennent plus aux élections et qui y seraient
directe d'interroger l'esprit et l'opinion bien moins venus après les débats qui ont
d'une nation. Ainsi faites une nation ce eu lieu à la chambre.
qu'elle doit être, et elle vous répondra ce II a donc fallu faire des changements à
qu'elle est. cette loi..
Lé dernier gouvernementexagérait la mo- Mais ces changements, dit-on, violent la
narchie plutôt qu'il ne l'altérait. Il avait fait charte. Chacun peut affirmera cet égard pour
des lois monarchiques dans leur principe, ou contre ce qu'il croit; mais personne ne
quoique despotiques dans leur exécution. peut le prouver, pas même le savoir. JI faut
La nation française était donc monarchique, enfin connaitre le gouvernement sous lequel
car une nation prend l'esprit et le caractère on vit. La Charte, en tant qu'elle institue le
de ses lois et de son gouvernement. Le roi gouvernementreprésentatif, et comme cons-
à son retour l'interrogea, et la chambre de titution de l'Etat politique, n'est ni l'article
1815 fut sa réponse. premier ni l'article dernier elleest la divi-
Autre temps, autres lois; autre esprit, sion des trois pouvoirs pour délibérer la loi
autre réponse et la dernière a été un hom- et leur accord pour la faire. Tout ce que les
me qui a condamné Louis XVI. et d'autres trois pouvoirs arrêtent dans leurs formes
qui l'auraient jugé. constitutionnelles, c'est-à-dire à la majorité
Il faut doncfaire une nation monarchique, légale des voix, dans les deux chambres,
pour qu'elle puisse faire, dans les élections^ sous la libre sanction du roi, ils le trouvent
une réponse monarchique. nécessairement dans la Charte, et tout ce
Il faut faire une nation monarchique, si qu'ils y trouvent y est. Il faut le croire ain-.
on ne veut pas que les événements tout si, ou il n'y a plus d'autorité, plus de pou-»
seuls la fassent monarchiqueà force de mal- voir, plus de société; il faut le croire ainsi,
heurs. Et c'est ce qui s'est déjà fait en ou se mettre soi-même hors du gouverne»
France une fois. ment représentatif, hors de la sociéléi
11 faut le croire ainsi, ou le gouvernement
Bonne ou mauvaise, la loi du 5 février n'a
pas convenuaux électeurs.
n'est en France que Vintérim de l'anar-
Elle ne leur a pas convenu, puisque d'an- chie.
née en année un nombre toujours moindre Si la loi nepermet pas de supposer que le
s'est rendu aux élections, quoique poussés roi puisse errer, elle ne permet pas davaD*
par les partis. Elle ne leur a pas convenu, tage de croire que les trois pouvoirs puis-
puisque dans les 80,000 signatures extor- sent faillir.
quées pour le maintien de la loi du 5 février Si on tirait de ce principe incontestable
on trouve bien peu d'électeurs, et qu'à Paris des conséquences odieuses, je répondrais
même, où sont réunis les électeurs en plus qu'il est criminel au premier chef d'attri-
grand nombre, 700,000 âmes n'ont donné buer des intentions ou des démarches crimi-
que 600 réclamants, qui ne sont pas tous nelles aux pouvoirs constitués
électeurs à beaucoup près; C'est dans cette maxime, ou plutôt dans ce
La loi qui faisait approcher les électeurs dogme, rjueja chambre des communes d'An-
SUR LES ELECTIONS. 137i
{TlZ PART. IL POLITIQUE.
gleterre a puisé cette omnipotence dont elle ddiscussion car, que représentent les les dépu-
aepu-
tta ? des hommes sans doute,
tés et les volontés
se glorifie, et qu'elle a fait servir à la pros-
_1
savoir quelque gré à ces familles d'avoir repousse. »» (Moniteur, iL2 n. iw.
22 et 23 mai, n. 143,
conservé pendant des siècles ce qui devait 144.. )
un jour faire à si peu de frais tant de plaisir assez démocratique, et les oppo-
Est-ce
à leurs concitoyens, et leur donner en si sants ont-ils tant de tort de supposer que le
peu de temps et avec si peu de peine tant parti qui se dit exclusivement libéral et
de profit. Restent donc les personnes. Beau- constitutionnel, ferait à ses amis de gran-
coup aussi ont été fondues dans la révolu- des libéralités sur la constitution, et leur
tion,. et ce qui a survécu se fond tous les sacrifierait sans répugnance tout ce que la
jours. En attendant, ces aristocrates payent charte a de monarchique? Et si l'on en veut
ies impôts comme les autres, vivent comme une preuve plus décisive, qu'on se rappelle
les autres dans la médiocrité ou même dans qu'un membre de ta chambre ayant fait de
la pauvreté, servent l'Etat comme les autres la légitimité un dogme, un autre reprit l'ex-
jusque dans les droits-réunis. En quoi donc pression et en fit une condition et c'est ce
se distinguent-ils du reste de la nation ? Je qu'exprime à mots couverts ce cri de vive la
ne leur connais qu'une distinction inconsti- Charte, qu'un ouvrier arrêté il y a peu de
tutionnelle et. incontestable c'est la haine jours, et cherchant à s'excuser, interprétait.
dont on les poursuit et dont ils s'honorent. naïvement par ces mots, vive la république
Ils ne votent pas comme vous sur toutes Or une légitimité, loi première et fonda-
les questions ? c'est vous qui ne votez pas mentale de tout ordre politique, devenue la
comme eux 1 Ils n'ont pas, dites-vous, ou- condition de l'observation de 76 articles
blié le mal qu'on leur a fait? ils n'auraient d'une loi dont plusieurs sont fort obscuré-
aucun mérité à le pardonner s'ils l'avaient ment rédigés, est une légitimité blessée à
oublié, et plût à Dieu que ceux qui l'ont mort. C'est la légitimité du malheureux
fait voulussent enfin l'oublier 1 Ils sont les Louis XVI sans cesse accusé, toujours jus-
ennemis de la Charte? je ne crains pour elle tifié et pas moins déclaré coupable d'avoir
que ses amis. violé la constitution qu'il avait jurée, et
dont il était, lui seul peut-être, scrupuleux
Ces ardents amis de la Charte s'étonnent, observateur.
s'offensent que nous suspections l'excès de Et ne dirait-on pas que la révolution tout
leur amour. Certes, sans parler de tout ce entière ait dû reparaître à la tribune, et les
qui a été dit de séditieux dans le cours des. doctrines de 89, et les hommes de 93 que
débats, et des doctrines anarchiques qui ont tout ait dû y trouver des apologies, des ex-
été ouvertement et effrontément soutenues, cuses, des regrets, des souvenirs, comme
il n'y a qu'à lire ce qu'on y a dit. sur la pour montrer dans un seul point de vue et
chambre des pairs, qui, sans doute, se trouve en abrégé, à la France ses malheurs à l'Eu-
aussi dans la Charte, et fait partie essen- rope ses dangers à nous-mêmes nos de-
tielle du gouvernement représentatif, pour voirs.
se convaincre que ces amis de la Charte n'en Les dernières séances de cette discussion
prennent que ce qui leur convient et rejet- ont été marquées par des incidents plus sé-
tent tout le reste ainsi, par exemple, il a rieux.
été dit à notre tribune, en parlant de la Un député malade, de l'extrême gauche,
chambre des pairs, qui n'ont d'antique que, s'est fait porter à l'assemblée dans une
la forme- de leurs manteaux et la brillante chaise à porteur. La nouveauté de la voiture
pose de leurs plumes«Sans supprimer un pas trop libérale et qu'on ne voit guère
second degré de délibération reconnu es- que dans les cours du château des Tuile-
sentiellement utile par tous les bons esprits, ries, et la célébrité de l'homme, ont attiré
on pourrait chercher à fonder sur des bases les curieux, et il a été conduit, à son hôtel
plus analogues à notre situation sociale,. aux cris de vive la Charte et vive le député,
une institution exotique transplantée parmi en le nommant. Il eût été à désirer que,-
nous avec tous les signes de la vétusté, et pendant cette marche triomphale,quelqu'un
sous des conditions désormais impossibles à placé derrière lui l'eût fait souvenir, non
obtenir en France. »
pas qu'il était homme, comme pour les
« Conseillons donc à MM. les pairs d'é- triomphateurs romains, mais qu'il était dé-
carter l'examen de cette fausse imitation, puté.
peu capable, dans cette France nouvelle, de Le lendemain, nouvelle ovation, nouveau
jeter de profondes racines sur un sol qui la concours mais cette fois il était plus nom-
4-3I PART. Il. POLITIQUE. SUR LES ELECTIONS. (582
breux, et aux cris de vive la Charte il a été qu'ils
q ne sont pas les seuls qui aient reçu
répondu par des cris le vive le roil des lettres anonymes les plus injurieuses
di
Rien de plus innocent que les cris de vive pas les seuls qui aient été regardés de tra-
pi
le roi, vive la Charte, mais le cri le plus in- vers
v< pas les seuls qui aient été l'objet de
nocerit, fût-ce celui de vive Dieu, peut de- gestes
gi menaçants mais il y a des députés
venir, pardes circonstancesaccessoires,tout qui
qi croiraient peu digne de leur caractère
à fait criminel. Ces cris obstinés et provo- et de la mission qu'ils ont à remplir d'atti-
cateurs de part et d'autre devaient exciter n sur leurs personnes l'attention d'une
rer
des rixes entre les jeunes gens qui les pro- assemblée occupée des plus grands intérêts
as
féraient; elles s'élevèrent au moment de la publics,
pi et de lui faire perdre son temps à
sortie des chambres; quelques députés fu- écouter le récit de leurs aventures.
é(
rent regardés de travers, peut-être provo- L'assemblée constituante a délibéré pen-
qués par quelques propos inconvenants dant deux ans au milieu de toutes les fa-*
ils prirent l'alarme, et telle fut la préoccu- re
reurs et de toutes les violences et à Ver-
pation de leurs esprits, que l'un d'eux, ou- sailles,
sa aux 5 et 6 octobre, elle délibérait
blianl, ce me semble, son caractère de dé- encore que ses bancs étaient envahis par la
ei
puté, voulut lui-même arrêter un homme, foule venue de Paris. La Convention, si j'o-
fo
II n'y avait eu ni mort, ni blessé, ni sa le rappeler, vit la tête d'un de ses mem-
sais
battu cependant on en porta à 1& séance j,, bres promenée dans son enceinte, sans que
suivante des plaintes fort graves. Il était le président, M. Boissy d'Anglas, quittât lo
convenable et fraternel de laisser un libre fauteuil
fa les communes d'Angleterre ont
cours à la première impression de crainte ^t
été souvent entourées par une populace
qu'avaient éprouvée quelques-uns des ho« nombreuse
n, qui insultait les membres, leur
norables députés mais, après cette condes- je
jetait de la boue, déchirait leurs vêtements.
cendance pour la faiblesse humaine, il était £, sénat romain délibérait encore que les
Le
naturel aux députés de se rappeler ce qu'ils Gaulois
G, étaient dans la ville; c'est principa-
étaient, quels étaient leurs devoirs et leurs lement dans les temps de trouble et de dan-
je
fonctions, et de rentrer dans l'ordre de leurs ger que le chef de l'Etat convoque les as-
g,
délibérations. semblées
S£ et s'entoure de leurs conseils et
On s'obstina cependant à soutenir que la d, leur appui, et sans doute aucun des dé-
de
représentation nationale avait été violée et putés
p, n'a exigé de ses commettants la ga-
l'on proposa de suspendre les délibérations rantie
ri qu'il n'aurait ici que plaisirs à goû-
l'allégationetlaconclusion étaient également fe
ter et discours à faire. Cependant toutes les
déraisonnables. Des députés ou des repré- séances
S(; ont été remplies et toutes les déli-
sentants ne sont pas la représentation. Ils bérations suspendues par les récits vrais ou
b4
n'ont, hors du lieu de leurs séances, aucun faux
fa de tout ce qu'on avait, soi ou d'autres,
caractère public, eussent-ils leur costume v, et entendu, récits faits avec une pro-
vu
ou même dans leur poche une médaille que lixité si fatigante et si démesurée, qu'il était
jj
tout autre particulier peut se procurer; et évident qu'on ne voulait que faire perdre
£,
assurément il serait fâcheux pour la repré- le temps et éloigner la délibération. Mais il
sentation nationale qu'elle eût à répondre était
g| plus évident encore que ces mêmes dé-
de tous les lieux'où peuvent se trouver des pputés, en se faisant les défenseurs de tous
députés, de tout ce qu'ils peuvent y faire et ceux
C( contre qui la force armée avait été
de tout ce qui peut leur arriver. obligée
0] de sévir, faisaient en quelque sorte
La représentation nationale, ou pour par- u apologie de la révolte, et en enhardis-
une
ler plus simplement, la chambre des dépu- saient.les.auteurs
Si et leurs complices. Aussi,
lés, qui n'est pas à elle seule la représen- après
a avoir fait ainsi un appel à toutes les
tation nationale, ne peut être violée dans le hhaines, à toutes les passions, à toutes les
lieu de ses séances que par la force ouverte, fureurs, quelques-ans ont fini par déclarer
ft
et hors de ses séances par des écrits; et je que, ne se croyant pas libres de délibérer
q
ne crains pas de dire que le respect qui luii quand
q ils abusaient jusqu'au dernier excès
est dû a été bien plus méconnu dans des d la liberté de parler, ils ne délibéreraient
de
discours tenus à sa tribune par ses propres plus,
p et ontjJemandé que leur déclaration
membres, qu'il n'a pu l'être par les proposi fût insérée au procès-verbal, ce qui a été
fi
ou les gestes de quelques jeunes étourdis. fait.
fi
Ou-, peut assurer ces honorables déoulés 11 y a apparence qu'ils ont oublié le droit
1383 (3E~ V$~S COMPLETES DE M. DE BONALD.
j
public de toute assemblée législative.
ffret.<~<:Hecomh1<!nc'avaient
effet, -«,
législative. En
En
1-pouvoir lé-
ces assemblées,exerçant le
il permettent
Izs- haute
L
pas à la
.»
chambre de
Il
qualifier
qu
trahison la rébellion de cette minori-
gislatif conjointement avec le roi, ne peu- té, attendu qu'elle n'empêche pas la délibé-
ou
\f
de
vent exercer ce pouvoir que par une déli- ration, ce refus du moins doit être regardé
bération à la majorité des voix. Une cham-
comme une démission effective et volontaire
bre qui, en majorité, refuserait de délibé- des fonctions de député, démiss.ion qui
cons^
rer, serait coupable de haute trahison, ett titue la chambre en droit et en devoir de
pourrait être poursuivie, aux termes dee s'adresser au gouvernement
l'art. 33 de la Charte, parce qu'elle arrête- pourvoir au remplacement des pour qu'il ait à
députés dé-
rait l'action du gouvernement et attenteraitt missionnaires.
par là à la sûreté de l'Etat. La session qui finit a moins été une session
Mais une minorité qui refuse de délibérerr législative qu'une campagne de
guerre. Ja-
et déclare qu'elle ne prendra aucune part à mais, depuis la restauration, on n'avait vu
la délibération, qui le signifie légalement à plus de violences ni entendu plus d'injures;
l'assemblée par l'insertion au procès-verbal, elles ont été prodiguées à l'aristocratie, à la
se met en état de rébellion; elle prive l'as-chambre de 1818, aux ministres du roi.
sembléed'une partie essentielle d'elle-même, Avec de pareilles formes, s'il y a encore
puisque toute délibération se compose dui dans un état des moyens de contrainte, ii
vœu de la minorité comme de celui de laî n'y a plus d'autorité, parce qu'il n'y a plus
majorité; et si des motifs d'indulgence ne3 de respect,
OPINION
(1820.)
nions, ces égards que paraissent oublier ceux et les plus monarchiques. r
qui font de leurs déclamations contre la cham- Ainsi
i notre honorable collègue, M. Duver-
bre de 1815, dont un grand nombre siège en- gier gie de Hauranne, a prouvé, et par de très-
milieu de un lieu commun de bo
bonnes raisons, que la loi d'élection devait
core au nous,
leur éloquence et j'appliquerais volontiers être êtr modifiée, et a conclu inopinément au
à cette chambre, et aux attaques déplacées rejet rej de la résolution de la chambre des pairs
dont elle est l'objet, ce vers d'un de nos qui qu en demande la modification. Moi, sans
poëtes décider
dé rien pour ou contre la loi, je conclus
avec
av< les nobles pairs à ce qu'elle soit exami-
Il P"est pas condamné,puisqu'onveut le confondre. née et sans me prétendre plus instruit que
Ainsi, si le meilleur moyen de parvenir ànotre ne honorable questeur, je me crois plus
constitutionnelet surtout plus conséquent.
des modifications de la loi d'élection, recon- co
On reproche à l'auteur de la proposition le
nues nécessaires, eût été discuté à l'avance,
n'eût pu en trouver aucun autre qui réu- vagueva où il l'a laissée. Soyons de bonne foi,
on particularisée et
nît à un plus haut degré toutes les conve-• et convenons que s'il l'eût
nances. qi eût indiqué telle ou telle modification,
qu'il
on lui aurait adressé bien d'autres
reproches;
Et cependant l'apparition de Catilina dans 01
souverain,
le sénat romain n'excita pas plus d orages, et celui d'attenter au respect dû au
n'enflamma pas plus de passions, ne répanditt d< de douter de sa sagesse, de vouloir donner
pas plus de terreur, que n'a fait la proposi- di des conseils à sa prudence, ne lui aurait pas
tion la plus modérée de l'homme qui est leî é1 été épargné.
type de la modération et de la sagesse, et ài On a dit que la proposition était intempes-
qui ses propres adversaires ont été forcés de3 ti tive. Je voudrais bien savoir quelle année ou
demander, pour ainsi dire, excuse pour la li- quel q mois il eût fallu choisir pour proposer
berté qu'ils prenaient de le combattre; et enil l'examen l' d'une loi qui s'exécute toutes les
vérité pour qui connaît, pour qui seulement t années
ai et peut s'exécutertous les mois? Et re-
a vu M. Barthélemy, la supposition de
des- garde-t-on
g comme intempestifs les soins du
seins cachés, d'arrière-pensées, d'intentions s laboureur
h qui prépare au printemps les terres
perfides, est si extraordinaire, qu'elle cessee qu'il q ne sèmera qu'en automne?
d'être injuste à force d'être ridicule. Ceux qui rejettent la résolution de la cham-
Ainsi, à vous qui défendez la loi sur cee bre t des pairs, ne disent pas précisément que
qu'elle a de bon, à vous qui l'attaquez parr 1,la loi est bonne et sans défaut, car ils seraient
ce qu'elle a de mauvais, je dirai également sur
s ce point en contradiction avec tous les
savoir, et j'ignore moi- i- publicistes de l'Europe de quelque réputa-
« II ne s'agit pas ue 1
même où est le bon et le mauvais de la loi; »i tion
t mais ils soutienent que cette loi n'est ni
mais le ministère, mais nous-mêmes, mais ns bonne
1 nimauvaise,et que ses bons ou mauvais
bien d'autres que nous ont aperçu, soupçon- n- résultats
i dépendent uniquement du plus ou
né, senti qu'elle a besoin d'être modifiée en du < moins d'habileté de ceux qui sont chargés
quelque chose, et nous le demandons res- 3S- d'en
< diriger l'exécution.
pectueusement à l'arbitre suprême des avan-' m-' D'abord une loi, surtout une loi fondamen-
tages et des inconvénients des lois, nous le tale, 1 doit être bonne, et même d'une bonté
laissons juge dans sa propre cause, puis- is- jabsolue,
¡ c'est-à-dire la meilleure possible, et
qu'une loi sanctionnée par lui est devenue sa ]les Français sont trop avances en raison et
cause; nous ne lui demandons pas même de en passions; je veux dire qu'ils sont eux-
.la modifier, mais d'examiner si elle ne serait ait mêmes trop bons et trop mauvais pour se
,pas susceptible de quelques modifications; is; contenter de lois qui. ne seraient ni bonnes
nous ne lui demandons pas des modifications >ns ni mauvaises. D'ailleurs les lois sont faites
.utiles, mais des modifications reconnues par >ar pour diriger les hommes, et non les hommes
lui-même indispensables; et au lieu de pro- °- pour diriger les lois, mais pour les appli-
céder comme une loi à faire, par voie de quer et si l'on veut se contenter ici d'une loi
réquisition à l'autorité royale, nous procédons >ns d'élection qui ne soit ni bonne ni mauvaise,
sur une loi déjà faite et exécutée, par voie de pourquoi cette recherche active, si inquiète
doléance, puisque nous lui demandons au de perfection et d'amélioration sur toute au-
fond de lever les obstacles qui s'opposent It à tre chose? Pouvons-nous, même quand nous
la libre et parfaite exécution de sa loi; et par par le voudrions, rester sur des imperfections re-
ÏJ89 PART. II. POLlTfQUE. SUR LES ELECTIONS. 1590
connues? Lé progrès en tout, n'est-il pas proposition,
] aurions-nous pu la faire avorter
une nécessité de notre nature? N'est-il pas dans notre chambre, et même après àDrès avoir
un besoin de la société qui tend à perfection- examiné
< la loi, après avoir conclu, si vous
ner ses lois comme un fleuve à redresser son voulez,
i qu'elle n'était susceptible d'aucune
cours? Il est, après tout, plus facile aux troismodification,
] aurions-nous pu nous dispenser
pouvoirs de la société de faire une bonne loi de < l'envoyer à la chambre des pairs qui peut-
d'élection, qu'aux ministres de trouver 83 être i auraient découvert ce que nous n'au-
préfets également habiles, même en desti- rions i pas aperçu? Quand une chambresupplie
tuant sans cessé, et puis cette espèce d'habi- le 1 roi d'examiner, l'autre a-t-elle le droit de
îeté dont les agents de l'autorité ont besoin le 1 supplier de ne pas examiner, et même de
pour diriger la loi d'élection, et la faire tour- ]mettre par son refus, le roi hors d'état d'exa-
ner à bien, prend chez les habitants simples miner ? je ne le pense pas. Et par quel motif
ji
des provinces, un nom moins honorable, et justifierait-on le rejet d'une proposition si
s^exeree quelquefois par des moyens qui le raisonnable,
i et ne suffit-il pas qu'un des pou-
sont très-peu et il y a telle manœuvre qui voirs i ait aperçu, ou ait cru apercevoir des
partie de haut, fait plus de mal aux moeurs vices,1 des dangers, des inconvénients dans le
publiques que les mascarades et les coups de mode ] d'exécution d'une loi, pour que l'autre
poing des hastings de Westminster. Le pre- s'empresse de partager sa sollicitude et de
mier magistrat d'un département en devient déférer à son voeu?
suspect aux uns, odieux aux autres, décon- Nous sommes placés ici entre l'opposition
sidéré auprès de tous il redoutel'époque des du ministère et le
vœu de la chambre des
élections comme le navigateur redoute la pairs. Je dis du ministère, et
non du roi, car
saison des équinoxes; et souvent après l'élec- la volonté royale n'est
pour nous que la sanc-
tion, quel qu'en ait été le résultat, l'autorité tion donnée refusée, et toute autre volonté
ou
n'a rien de mieux à faire pour lui et pour elle- doit être étrangère à
même, que de l'envoyer ailleurs. nos délibérations. « Ce
n'est pas ce que le roi veut, dirai-je avec le
Une loi d'élection doit être telle, que, lais-
procureur général La Guesle, s'opposant, au
sée à elle-même, et sans autre action de l'au- parlement de Paris, à l'enregistrement d'un
torité que celle qui est nécessaire pour qu'il édit de Henri IV, ce n'est pas ce que le roi
n'y ait d'élisants que des électeurs, d'élus que veut, qui doit être la règle de notre conduite,
des éligibles, et que tout se passe avec ordre mais ce que nous croyons que le roi voudrait
et régularité, les bons résultats soient plus fà- toujours avoir voulu. » Nous devons aux mi-
ciles et plus probables que les mauvais. nistres d'écouter leurs opinions, soit qu'ils
Je vais plus loin, et j'élève ici une question les donnent comme membres de la chambre,
constitutionnelle, qui ne s'est pas encore pré- ou comme orateurs du gouvernement. Là se
sentée. Je demande si les ministres, si nous- bornent nos devoirs politiques envers eux, et
mêmes., nous pouvons rejeter la proposition jla parfaite intelligence des chambres avec le
de M. le marquis Barthélemy, et la résolution ministère, qu'elles peuvent accuser et juger,
de la chambre des pairs, qui l'a suivie? Quen'est pas indispensable à la marche d'un gou-
demande la proposition et la résolution ? Elles vernement représentatif ni toujours désirable
supplient le roi, non de changer la loi, ou de pour les intérêts de la nation. Mais avec la
la maintenir telle qu'elle est, mais d'examiner chambre des pairs nos liens sont plus étroits,
si elle ne lui paraîtrait pas susceptible de nos rapports plus intimes, notre harmonie
quelque modification indispensable, et encore plus précieuse et plus nécessaire. Rien ne
supposons-nous toujours qu'il s'agit de la loi peut aller dans le gouvernement sans le con-
elle-même,tandis qu'il ne s'agit dans la pro- cert des chambres; et, le moyen de ne pas
position et la résolution, que de l'organisation voir le dessein formé de rompre cette union
des collèges électoraux ce qui est bien dif- dans le refus d'adhérer à la résolution de la
férent. La chambre des pairs demande donc chambre des pairs, lorsque la plupart d'entre
au roi d'examiner, bien sûr qu'il concluera nous, partageant les opinions connues de
dans sa sagesse à faire ce que cet examen lui M. Duvergier de Bauranne et de M. Ribard,
aura indiqué de bon et d'utile mais où pour- pensent que la loi est susceptiblede modifica-
rait être pour nous la raison de nous refuser tion? C'est une insultô gratuite de dire à la
à un examen provoqué par la chambre des chambre des p^iirs « ¥pus avez raison au
pairs ? La loi sera-t-elle moins bonne, parce fond, de proposer au roi d'examinerl'organi-
qu'elle aura été examinée-? Si le roi nous eût sation des Collèges électoraux; mais nous ne
fait porter et dans les mêmes termes, la môme voulons pas adhérer à votre proposition, parce
139t OEUVRE COMPLETES DE M. DE BONAM». *39?
faite.»Ce
que vous l'avez faite. Ce procédé peu abonnés de la Minerve qui se
amical1 par les abonnés
peu amical cotisent
se cotisent
pourrait nous être rendu, et c'est se priverr pour la payer et même pour la comprendre
d'un moyen puissant et peut-être nécessaire s'il faut, dis-je, que des pétitions nous dictent
de gouvernement; c'est introduire une doc- nos opinions sur des choses que nous devons
trine dangereuse et peut-être inconstitution- savoir mieux que les pétitionnaires, que fai-
nelle que d'établir, et par un exemple, qu'une sons-nous ici, et pourquoi sommes-nous ve-
des deux chambres peut refuser de s'occuperr bus? Messieurs, sur les objets extérieurs de
d'un objet d'ordre public, lorsqu'elle en estt nos délibérations, nous pouvons nous diviser
requise par l'autre chambre; qu'elle peutt et nous devons nous combattre, mais sur tout
empêcher que le roi n'examine,lorsqu'une ce qui tient aux droits, à l'honneur, à l'indé-
chambre, et la chambre haute, essentielle- pendance de la chambre, nous devons être
ment conservatrice des lois de l'Etat, provo- unanimes à les conserver et à les défendre,
s'af-
que cet examen; lorsque la formule elle- et c'est ainsi que les corps se forment et
même, par laquelle le roi refuse sa sanction, fermissent. Nous présentons, dans ce mo-
j'aviserai, signifie et suppose toujours l'exa- ment, à l'Europe un singulier spectacle.
men. Et pouvons-nous penser que l'attentionj Notre ministère combat en faveur d'une loi
de la puissance royale, sur l'objet désigné ài d'élection que la chambre des pairs, que le
sa sollicitude paternelle, puisse jamais être3
dernier ministère, et certainement une grande
dangereuse, ou seulement inutile, ou quej partie de la chambre et de la nation trouve
l'examen même, provoqué par les chambres, trop populaire. Le ministère, en Angleterre,
l
puisse gêner en rien le pouvoir qu'a le roi à la tête de la chambre des communes, de la
d'aviser ou d'accepter? chambre haute et de la plus saine partie de
la nation auglaise, combat en faveur d'une loi
Je ne parlerai ni des alarmes, ni de la baisse
le parti des Hunt et des Burdett trouve
des fonds, ni de la ruine des fortunes parti- que
culières ces moyens sont éventés pour avoirr
trop monarchique, et certainement les par-
tisans opiniâtres de la réforme radicale se-
été prodigués mais je m'arrêterai un mo-o
raient satisfaits, au moins pour le moment,
ment sur l'abus des pétitions. Que tous less s'ils pouvaient obtenir
planteurs de tabac et tous les fabricants de3 une loi d'élection toute
pareille à la nôtre. D'où vient cette étrange
cotons exposent leurs raisons et leurs vuesS opposition
fiscales qui leur entre les deux gouvernements l'
sur des mesures concernent F Pourquoi loi, regardée dans un Etat plus
rien de plus juste; obligés de pro- républicain une
commerce,
des intérêts personnels, de- que monarchique, comme dan-
noncer sur nous
vons accueillir toutes les plaintes, entendree gereuse à la liberté publique, est-elle regar-
tous les plaidoyers, parce qu'en matière d'in-
h dée comme salutaire chez un peuple plus
térêts particuliers nous sommes juges et neg monarchique que républicain? La France.
échappée à peine à sa révolution, a-t-elle a-
sommes que cela; mais sur des intérêts gé- craindre
néraux bien différents des intérêts communs, moins que l'Angleterre le retour de
qui avons si
je veux dire sur les matières de législation, la fièvre révolutionnaire, et nous
souvent obéi aux conseils de nos ennemis, ne
nous sommes plus que juges, nous sommess
pouvoir, qui ne pouvons recevoir aucune im-saurons-nous jamais profiter de leurs exem-
pulsion étrangère et ne devons consulter quee pies? Les désordres qui accompagnent
les
font pas oublier
nous-mêmes. En matières de législation, ilj élections en Angleterre ne
au ministère anglais le principe monarchique
n'y a d'autre public que le roi et les chambres,Jt et
tutélaire de leur loi; craignons que la ré-
et d'autre opinion publique que ta leur et
élections ne nous
tout gouvernement est impossible, si sur cess gularité extérieure de nos
matières le peuple, en tout ou en partie, faitit fasse illusion sur leur tendance démocratique,
irruption dans le sanctuaire des lois. S'il fautlt et sans juger nous-mêmes la loi, joignons-
pairs pour supplier le roi de l'exa-
que des pétitions que l'intrigue présente à nous aux
l'ignorance et à la faiblesse, des pétitions fa- miner (1).
briquées à Paris, qui aujourd'hui demandentLt Je vote pour la résolution de la chambre
le maintien d'une loi et demain en provoque- des pairs.
ront le.renversement des pétitions souscritess
SUR LES ELECTIONS.
On a cru voir en 1815, dans la chambre trouveront que les lois ne sont pas assez
des députés, un excès de royalisme; on y a monarchiques, et les autres qu'elles le sont
vu clairement en 1820 un excès de démo- trop; et comme cet état continuel de dissen-
cratie déguisée sous le nom de libéralisme. sion est aussi pénible pour les contendants
Entre ces deux termes se sont balancées les que dangereux pour la société, et contraire
deux sessions intermédiaires, plus roya- au vœu de la nature, les hommes, malgré
listes et plus libérales, selon qu'elles ont eux-mêmes, font effort pour en sortir et le
été plus rapprochées ou plus éloignées de terminer, et par cette seule disposition in-
l'un ou de l'autre des deux extrêmes 1815 volontaire des esprits, le combat s'élève au
et 1820. plus haut point de violence, et là est la rai-
Ce balancement, mortel pour la société, son naturelle de tous les orages et de tous
est moins la faute des hommes, qui, à cause les excès dont les assemblées délibérantes
de la diversité de leurs esprits, ne peuvent offrent l'exemple (l).
s'accorder dans un sentiment, que l'effet iné- Entre ces deux puissances belligérantes,
vitable de ces institutions qui admettent un troisième parti essaye detenir la balance
deux principes opposés, et veulent les mener et de les mettre en équilibre. C'est dans tous
de front lorsqu'elles ont tant de peine à les les temps un sentiment honorable, mais ce
faire aller ensemble. n'est pas toujours une idée juste, ni par
Cette opposition a toujours, et parlamême conséquent d'une exécution possible. On
raison, existé en Angleterre, et dans ce mo- peut, si j'ose le dire ainsi, mettre la paix
ment elle y est à un haut degré de violence, entre les conséquences on ne la met pas
quoique l'Angleterre n'ait pas éprouvé de entre les principes et le trône est bien
bouleversement récent, et que le temps ait étroit pour tant de pouvoirs. Mais aux pre-
donné aux esprits plus d'habitudes et aux miers jours de l'assemblée constituante, et
institutions plus de fixité. dans la nouveauté de nos doctrines constitu-
Mais en Angleterre l'opposition est plus tionnelles, les opinions intermédiairesélaient
au dehors, et pour ainsi dire dans (es rues assez naturelles, et les esprits qui n'avaient
en France elle s'est montrée plus vive et pas assez de connaissances politiques pour
plus opiniâtre, dans le sein même du corps devancer l'expérience et prévoir le résultat
législatif 1° parce que les esprits sont plus des innovations devaient suspendre leur ju-
aigris par des injures récentes faites ou re- gement, ou s'ils étaient forcés de prononcer
çues, et par des événements qui les ont jetés entre des opinions qui leur paraissaient éga-
hors de toutes les mesures 2* parce qu'une lement problématiques s'en faire une
constitution écrite offre aux opinions diver- moyenne entre les deux extrêmes. 'Mais
ses un texte positif, qui ne permet pas d'in. aujourd'hui que toutes les expériences ont
voquer la tradition et ôte toute force aux été faites, et que le résultat définitif de tous
usages; 3° enfin, parce qu'à chaque session les systèmes est connu, l'incertitude entre
nous remettons en question des points fon- les opinions n'est plus permise, et même
damentaux, depuis longtemps convenus en elle n'est plus possible.
Angleterre, et qu'ainsi nous assistons per- Une nouvelle session va s'ouvrir en 1821
pétuellement à la fondation même du corps avec une chambre double en nombre, et là
social. où il y a plus d'hommes il y a aussi plus de
Cette opposition existera donc toujours, passions. Le combat, je crois, sera décisif.
indépendammentdu caractère personnel des En 1815, il y avait une opinion très-domi-
opposants,'et n'est-il pas convenu en Angle- nante, et comme elle était au fond, en lais-
terre qu'il en faudrait une fictive s'il n'y en sant à part quelque chaleur d'expression,
avait pas de réelle? Eternellement les uns la plus raisonnable et la plus naturelle à
(1 ) Les excès ont passé toutes les bornes dans lès esprits au dehors, pour bâter les événements
la session de 18:20, parce qu'on voulait, à force de dont nous avons été témoins, et qui heureusemeni
violences, forcer le ministère à dissoudre la cham- ont été arrêtés.
bie, même avant le vote du budget, et enflammer
1395 OEUTRES COMPLETES DE M. DE BONALD. *59G
J'état de la la chambre, quoique
fa France, la fait que les républiques, même établies (si
énergique et chaleureuse, ne fut pas agitée, tant est que ce qui ne peut pas durer soit
et la nation fut tranquille. A mesure que
ljamais établi), sont plus agitées que les mo-
l'opinion contraire a prévalu, les sessions narchies. Les hommes et les esprits faux e»
ont été moins caîmes et la nation plus agi- ont conclu que la liberté était orageuse et la
tée. La session prochaine doit, ce me sem- servitude tranquille; et il eût fallu, au con-
ble, et plus qu'aucune autre, présenter les traire, en conclure que là où il y avait agi-
deux extrêmes d'un côté toute la rage que tation il n'y avait point de liberté, mais ser-
peuvent inspirer des projets avortés au mo- vitude réelle, car dans le plan d'une nature
ment de leur accomplissement,des discours conservatrice, la paix et la véritable liberté
furieux, des injures adressées à l'autorité, sont inséparables. La justice et la paix se
qui ont été repoussées par le mépris, et des sont embrassées, disent les Livres saints {Psal.
tentatives désespérées qui ont été repous- lxxxiv, 11) et la liberté est-elle autre chose
sées par les armes de l'autre, la douleur que la justice en tout et envers tous ?2
profonde d'an horrible attentat, l'horreur J'expose des vérités trop méconnues, et je
des doctrines qui l'ont inspiré, et le vif sen- n'ai garde de donner des conseils qu'on ne
timent des dangers dont elles nous mena- me demande pas. C'est aux ministres à voir
cent. Il est difficile de placer d'autres fonde- quels principes de gouvernement ils doivent
ments entre des sentiments si exaltés. Le faire prévaloir, et leurs devoirs à cet égard
milieu est impossible à tenir, et les opi- sont d'autant plus impérieux, qu'il y va au-
nions qui voudraient s'y fixer deviendraientjourd'hui plus que jamais du salut de la pa-
même ridicules. Quel langage, en effet, trie, et qu'après tout ce qui s'est passé,. et
pourraient tenir les modérés? ou plutôt les dans l'état présent de la France et de l'Eu-
mitoyens, aux deux partis qui divisent la rope, une chambre de députés de 430 mem-
ehambre ? Diraient-ils aux libéraux « Vous bres fera certainement époque, et qu'elle
en faites trop, » lorsqu'ils croient n'en avoir peut être la première et la dernière de cette
pas fait assez et qu'ils voudraient en faire ère nouvelle.
davantage? Diraient -ils aux royalistes t Ce n'est cependant pas assez de l'intention
« Vous vous alarmez mal à propos, »
lors- bien connue du gouvernement, il faut en-
qu'en pleine paix, au sein de la capitale, et core
< qu'il soit secondé par ses agents, qui
sous les yeux de toutes les autorités, ils ont •tous peuvent ne pas être bien disposés et se
eu à gémir sur des assassinats politiques et déterminer
< par leurs opinions personnelles;
des conjurations populaires ? Il faut donc et f quelquefois ceux même qui montrent le
prendre un parti, se jeter à droite ou à gau- dévouement
f le plus passif aux volontés du
che, et c'est ce qui déjà s'est fait, et qui se 1gouvernement, se contentent de ne pas les
fera bien plus encore, car des opinions contrarier. Aujourd'hui ce n'est pas assez;
j
<
moyennes entre des principes opposés et jamais dans l'accomplissement de nos de-
rien ne peut remplacer l'attrait qui
absolus, ces opinions qu'un particulier peut, voirs
i
par disposition d'esprit et de caractère, pro- inous y porte.
Lorsqu'un homme en place n'a
fesser avec ses amis, sont dans une assem- <que des ordres positifs à intimer, la connais-
blée délibérante comme un morceau de sance
t de ses dispositions personnelles n'est
glace entre deux foyers de chaleur qui la (d'aucune considération quelles qu'elles,
fondent chacun de leur côté, et jusqu'à lie soient,
s il commande et on obéit mais lors-
faire entièrement disparaître. qu'il
< doit agir par insinuation, par persua-
Au fond, le seul parti modéré est le parti sion,
s comme dans les élections, il n'a de
gui a pour lui la raison et l'expérience, et force et d'influence que par les sentiments
on a pu voir, dans la session de 1820, de personnels
1
qu'on lui connaît. Si on peut les
quel côté a été la modération. Les libéraux. croire
( opposés à ses devoirs, ses paroles
d'hypocrisie sont sans empire et
ne peuvent pas être modérés, quand ils le suspectes
voudraient, parce qu'ils sont obligés à trop ses s démarches sans efficacité'
d'efforts pour faire triompher des opinions On a reproché au gouvernement les cnan-
fausses et contre la nature de la société. Les gements
g qu'il a faits. A une certaiue époque,
royalistes, au contraire, peuvent être mo- on < les a appelés des destitutions; mais dans
dérés, car les principes naturels n'ont be- un gouvernement représentatif, où tous les
soin d'aucun effort pour triompher, puisque, citoyens
( sont admissibles à tous les. emplois,
si les hommes pouvaient attendre, ces prin- iune destitution doit toujours être suivie d'un
j
cipes triompheraient tout seuls. C'est ce qui jugement, parce qu'il y a eu prévarication.
<398
ml PART. II. POLITIQUE. SUR LES ELECTIONS.
alarmant leur ignorance et leur cupidité,
Hors de là Rangement de personnes
la un changement al
n'est point une destitution, mais une subs- sur su les biens nationaux. Les royalistes n'ont
titution, et personne n!a le droit de se plain- pas pi la même ressource car ceux qui ont été
dre lorsqu'après avoir acquis fortune et d(
dépouillés, bien moins nombreux que les
considération dans un emploi, il est obligé possesseurs p< actuels, sontd'uneclasse trop ins-
de le céder à un autre. La loi ne serait truite tr pour qu'on puisse leur offrir comme
qu'une illusion si chacun gardait le même un ui motif de se rendre aux assemblées, l'es-
emploi trente ou quarante ans, pendant les- poir p< de rentrer dans leurs biens et quant
quels naîtraient, vivraient et mourraient dix à ceux de la classe moyenne déterminés qui n'ont rien
générations d'admissibles qui ne seraient perdu P' ils ne peuvent y être que
des considérations d'intérêt général,
Jamais admis, et les députés eux-mêmes ne par p,
sont nommés que pour cinq ans. Le parti bien b moins puissantes sur le plus grand nom-
libéral a son gouvernement, et il est extrê- bre b que des motifs d'intérêt personnel et
il
moment sévère sur la conduite et les ©pi- ja passion est malheureusement
plus en-
nions de ses agents et quiconque n'est pas traînante tl que le devoir.
11 faut surtout et pour toujours mettre. à
avec lui est contre lui. Les royalistes ont
aussi leur gouvernement, et c'est celui du l'écart l' le reproche usé d'exagération. L'exa-
roi; et si l'un s'arroge le droit d'exiger de gération g n'est pas un système comme la dé-
mocratie ou la monarchie c'est un défaut
ses agents une entière obéissance à ses vo- n
lontés, l'autre a certainement le devoir d'exi- personnelp et le moyen d'empêcher que
ger qu'on soit royaliste d'opinion ou
plutôt l'élection
l' ne porte aux chambres quelque,
de sentiment pour servir le gouvernement député d de ce caractère ? Il y aurait eu exagé-
royal. ration
r dans la chambre de 1815, si elle avait
Une grande question s'est élevée.sur1 uti- délibéré d la reprise des biens nationaux, l'abo-
lité de dissoudre la chambre actuelle. Le lition li du gouvernement représentatif, etc.
gouvernement seul peut la résoudre, parce mais n lorsqu'elle demandait, sans s'écarter
qu'il possède seul la connaissance des don- du d texte même de la loi, qu'on rendit à la
nées qui peuvent servir à la solution. Le religion r son autorité, au roi plus de pouvoir;
succès d'une mesure de ce genre dépend qu'on q ne vendit pas les forêts de l'Etat; qu'on
moins des moyens d'exécution que des abolît a le divorce et la conscription qu'on
moyens de préparation, et pour qu'elle réus- bannît h les régicides relaps que la loi
sisse pleinement, il faut qu'elle trouve les d'élection d fût plus monarchique il n'y avait
esprits disposés à la recevoir. La dissolution pas r, là d'exagération, mais raison et justice,
montrerait dans le gouvernement de la force et e les vrais moyens
de prévenir des révolu-
et le sentiment de sa dignité; mais il ne fau' tions t nouvelles.
Cette exagération, qu'on a tant calomniée,
pas mettre l'enseigne avant d'avoir la mar-
chandise en magasin. n'est
r que la volonté forte de faire le bien
La session de 1820 a été comme la réca- et ( peut-on faire
quelque bien sans volonté ?
pitutation de la révolution; on y a vu figu- La 1 cour de Charles VIl accusait aussi Jeanne
doctrines de 93 d'Arc d'exagération lorsqu'elle promettait de-
rer les doctrines de 89, les (
des regrets de Bonaparte, des déclamations, délivrer < la France et quand Michel-Ange
des provocations des insurrections des {annonça le hardi projet de mettre en
l'air le
triomphes dans les rues; l'assemblée cons- panthéon j l de Rome, et d'en faire le dôme
tituante, la convention, le gouvernement de l'église de Saint-Pierre, il fut
certaine-
impérial y ont été rappelés cette session ment i taxé d'exagération et de,folie par tous
session à troit ]les architectes de son temps. Les hommes
a été véritablemement une
couleurs; mais la récapitulation annonce la j1faibles ont toujours accusé les hommes
forts
fin, et avec des principes fixes et une vo- d'exagération,'faute de
pouvoir comprendre
lonté furte, car il n'y a pas de volonté forte leur but et leurs moyens. Nous craignons
sans principes fixes nous en
pourrions i l'exagération sur les grandes choses, et nous
sortir. la voulons sur les plus petits intérêts. Qui est-
cependant compter sur ce qui s'est jamais plaint de l'excès de sa for-
Il ne faut pas trop
de la grandeur de ses succès ? qui est-
d'élection quelle qu'elle soit, et il yr tnfie ou
une loi plus ce qui se plaint d'être trop aimé, trop estimé,
l'eau un écueil sur lequel les sa-
a sous
ges pilotes peuvent échouer. Les factieux trop honoré? Ne sera-ce que pour les grands
religion, la
assurés de faire venir aux élections un intérêts de la société, pour la
sont V royauté, la justice, l'ordre enfin que
le-
grand nombre d'électeurs à 300 francs* en
~9 CEUVRES COMPLETES
CES DE M. DE BONALD.
zèle ne sera pas permis, et qu'on ne pourraa gaire croit mo
non
que le soleil tourne autour de
aimer et servir qu'avec tiédeur et mesure cee la terre, les habiles font tourner la
qui est de sa nature si grand et si néces- tour du soleil. Cette comparaison terre au-
saire ? Rien ne se fait de fort et de grand1 pliquer non-seulement à fa peut s'ap-
marche générale
qu'avec des sentiments et par des moyenss des affaires, mais
qui paraissent au vulgaire exagérés, et avec ticulière des esprits, encore à la direction par-
ti et ceux qui font le plus
des hommes qui savent ce qu'il faut vouloir de bruit deîeurs sentiments
r républicains, oit
et qui veulent ce qu'il faut faire. seulement libéraux, tournent leurs regards
Cependant cette sottise d' ultra-royalismeC d'un côté tout opposé,
et sont peut-être plus
a fait un moment la fortune de nos ennemis, ultra-royalites que ceux à qui ils donnent
qui n'ont eu qu'à supprimer l'adverbe pour• ce nom. La dispute n'est
pas là tous les ha-
s'emparer d'un nom qu'ils avaient déftgurél biles sont d'accord
Ils se sont dits alors exclusivement royalis- rent sur le fond, et ne diffè-
que sur la forme je veux dire que les
tes, tout en professant les principes les pluss uns veulent la monarchie légitime,
et les
i
opposés à la monarchie légitime. Il est vrai autres la veulent illégitime,
et c'est pour
que pour sauver les apparences ils ont ajoutéS parvenir à celle-là qu'ils prennent le détour
le mot constitutionnel mais ils ont dévoilé5 des idées libérales
qui détruiraient la pre-
toute leur pensée en 1820, et l'on a vu ce3 mière pour établir la seconde. Là est tout le
qu'il fallait entendre par leur constitution- secret, et on peut m'en croire ils font
nalité. Ce sont les Troyensqui prennent l'ar- comme Bonaparte qui feignait de bâtir
un
mure des Grecs pour les combattre avec pluss palais pour le roi de Rome, et voulait au
d'avantage mutemus clypeos. S'il y a desfond construire
hommes qui suspectent d'erreur cette ai- chitectes assemblent de
une Bastille. Les rusés ar-
tous côtés des ma-
liance de mots et de choses, et qui laissent» tériaux; les
uns y portent leurs affections,
percer leur opinion, il faut permettre cette les autres leurs regrets, ceux-ci leurs sys-
contradiction qui nepeut tourner qu'à l'avan-• tèmes, ceux-là leurs espérances, leurs ja-
tage de la société, soit en affermissant lai lousies, leurs ressentiments tout est admis
vérité, soit en redressant les erreurs. Si ces jusqu'à l'inconsolable douleur d'avoir perdu
hommes avaient raison, ils auraient pour à la restauration
une place de commis aux
eux l'expérience, et aller contre l'expérience droits-réunis,et de tous ces matériaux s'élè-
et la raison, c'est ramer contre le vent. On verait, au grand étonnement des spectateurs
a beaucoup parlé du progrès des lumières et des ouvriers eux-mêmes, un édifice très-
et de l'esprit du siècle, je crois pleinement monarchique,
à l'un et l'autre mais quand on veut en po- les habiles
pour ne rien dire de plus, où
litique, et généralement en science de la so- foule à la porte, se logeraient et laisseraient la
ou même, si elle était trop
ciété, les chercher dans ce qu'on appelle importune, tireraient elle des fenêtres.
l'opinion publique ou populaire on se Je crois même qu'il sur
y aurait plutôt des lo-
trompe étrangement, car le peuple ou le gements pour des ministres, des conseil fers
grand nombre ne juge pas plus sainement d'Etat, des généraux, etc.,
des objets politiques qu'il ne fait des tragé- d'assemblée que des salles
pour des chambres. La révolu-
dies, des poënaes épiques, des tableaux ou des tion de 1688 en Angleterre fut faite
par tes
monuments d'architectnre. Il n'y a pas en Eu- hommes les plus puissants de la nation, qui
rope un homme éclairé qui n'ait un sentiment n'avaient rien à demander au nouveau mal-
sur les questions quisetraitent en France, et tre, ni à envier à leurs concitoyens, et qui,
c'est cette opinion qui est véritablement pu- prenant contre lui des précautions
blique et la seule que les gouvernements surer leur existepee indépendante,pour as-
travail-
doivent consulter. Les lumières sophistiques laieat
en même temps pour le peuple et ce
ne comptent pas dans le progrès des lumiè- qu'ils appelaient ses libertés. Chez nous il
res, et l'esprit de quelques années n'est pas en serait tout autrement la révolution
l'esprit du siècle. L'expérience a fait faire serait pas faite par des hommes puissants, ne
aux bons esprits de véritables progrès, et si puisqu'il n'y en a plus; mais par des hom-
l'orgueil n'en retenait pas quelques-uns mes qui voudraient, le devenir, préten-
et
dans les routes où ils se sont engagés, ces draient
avec raison retrouver en argent et en
progrès seraient encore plus sensibles. Au places leur mise d'esprit et d'audace. Ils
reste, la politique de l'Europe a, comme les accableraient l'usurpateur de leurs préten-
corps célestes, son mouvement réel et son tions, épuiseraient le trésor public de leurs
ftio.uve.ment apparent, et tandis que la vul- assignations, et ruineraient leurs ennemis
1401 PART. Il. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE, 1403
parles confiscations, s'embarrassant fort peu
du
J- reste de !a1- nation ~t_a__t.
_0': qui deviendrait ce
qu'elle pourrait, et où ils ne verraient que
vanités blessées
-1.
blessées, de réaliser tous les rêves
uc_·i..i de la cupidité,
de l'impiété, r 1du philoso-
phisme politique. Avec les ressentiments et
de bonnes gens, fruges cônsumere nali, s'il1 les haines que dix révolutions en trente ans
leur en restait. Il faudrait d'énormes impôts ont allumés en France, et qui paraissent au-
« pour payer tant de services; de grandes jourd'hui plus vifs que jamais je n'hésite
guerres pour occuper au dehors tant de cou- pas à dire que chez aucun peuple ancien ou
rages, des exils et des échafauds pour com- moderne, et à aucune époque de l'histoire
primer au dedans les oppositions. des révolutions, même de la nôtre, on n'au-
En Angleterre, ce malheureux événement rait vu un plus épouvantable état de so-
reçut de la dignité personnelle de ceux qui ciété le pouvoir, pour n'être pas ridicule,
y coopéraient, et du motif religieux qui en serait forcé de devenir violent, et de recom-
était ou paraissait en être la première cause, mencer la terreur pour persuader aux peu-
un caractère grave et presque solennel, ga- ples qu'ils ont un maître.
rant de modération même dans les désordres. C'est cependant pour nous conduire à cet
Jamais, dans ce pays où la succession légi- état que l'on travaille tantôt sous terre, tan-
time avait été si souvent troublée, et où la tôt à découvert depuis quatre ans. Tout ce
succession naturelle ou masculine n'avait qui a été fait depuis cette époque se rattache
jamais été établie, jamais on n'avait rendu à- ce projet, et surtout les vifs regrets de la
un si juste hommage au principe sacré de la loi d'élection du 5 février, qui aurait, un an
légitimité, qu'au moment où l'on en faisait plus tard, rendu le corps législatif, qualifié
une si fausse application. Le prince qui dans cette vue de représentation nationale
usurpait lui-même éventuellement, habile à maître du gouvernement. La religion en An-
succéder du chef de sa femme, avait conquis gleterre a été le motif de la révolution la
ta couronne et ne l'avait pas mendiée; son charte en France en serait le prétexte; les
rang de souverain, ses troupes, ses trésors» civils donneraient le mouvement, mais ils
sa haute réputation de capacité imposait craignent que d'autres n'en recueillent le
à ses partisans et en faisaient le chefde la fruit, ou même ne les préviennent les deux
conspiration, et non l'instrument d'un parti partis jouent au plus fin, mais les plus pres-
Ce rival de Louis XIV traitait d'égal à égal sés et les plus ardents dans l'un et dans
avec ceux qui osaient disposer de la cou- l'autre commenceraient volontiers à dé-
renne, et ne permettait pas aux passions pri- truire, et laisseraient le reste au hasard des
vées de déshonorer par leurs excès son au- événements.
dacieuse entreprise. Qu'on ne s'y trompe pas, et surtout que
En France tout serait petit et bas; on fe- ceux qui sont chargés des intérêts de la
rait avant tout de cette conspiration une af- France n'espèrent pas gagner quelque chose
faire de bourse la couronne, placée sur le en gagnant du temps. Le temps ne sert qu'à
bonnet rouge de la révolution, serait un effet ceux qui l'emploient et si le bien marche
prêté sur gages, et ces gages ne pourraient le mal court. Toute la question est donc en-
être que la promesse de satisfaire toutes les tre la royauté de droit et la royauté de fait;
ambitionsmécontentes, de venger toutes les hors de là il n'y a que des chimères.
=
OPINION
SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AUX JOURNAUX.
Messieurs,
Est-ce que las Français et même tous les
La Charte dit, article 8:r peuples lettrés n'avaient pas toujours joui
« Les Français ont le droit de publier et de cette liberté? Est-ce que des milliers de
de faire imprimer leurs opinions, en se con- livres copiés avant l'invention de l'impri-
formant aux lois qui doivent réprimer les merie, et des millions de livres imprimés
abus de cette liberté. » depuis cette découverte; est-ce que d'im-
«03 ŒUVKES COMPLETES DE M. DE BONALD. UOi1
nienses édifices, vastes cimetières de l'es- Cependant la famille anticatholique et
prit humain, depuis la Bibliothèque d'A- antimonarchique, dont les trois générations
lexandrie, jusqu'à la Bibliothèque royale, successives sous trois noms différents, aux
bâtis tout exprès pour renfermer des livres, xvi% xvii* et xviii' siècles, s étaient réfugiées
à époques,
et qui déjà ne sufBsent plus à les contenir, en Hollande, inondait, toutes ces
n'attestent pas assez que les hommes ont la France et l'Europe, tantôt de sa triste et
toujours et partout joui de la pleine faculté ainère controverse, tantôt de ses libelles
île raisonner et de déraisonner? impies et licencieux. Ils étaient saisis à la
La Charte ne nous a donc rien accordé frontière, et ne circulaient qu'avec peine et
que nous n'eussions déjà elle a voulu seu- danger. A la tin, un cri de liberté de la presse
lement qu'il fût porté une loi spéciale et se fit entendre, et il retentit d'un bout de
définitive pour réprimer les abus d'une li- l'Europe à l'autre, répété par de nombreux
berté qui existait avant elle; et c'est préci- échos. On appelait alors la liberté d'écrire
sément ce que nous avons oublié de faire. du nom captieux et sophistique de liberté
Il faut rappeler ici les lois anciennes sur de penser; et ceux même à qui la nature
la publication des écrits. avait le plus complètement refusé cette li-
Quand on eut inventé l'art de les multi- berté, n'étaient pas les moins ardents à ac-
plier sans mesure et à peu de frais, les gou- cuser le gouvernement d'en gêner l'exercice.
vernèments sentirent qu'ils ne pouvaient Plus tard, avec plus de raison et de bonne
pas plus laisser tout particulier indistincte- foi, on développa toute sa pensée, et on ré-
ment maître de publier des doctrines que de clama hautement la liberté d'écrire et de
fondre des canons ou de débiter des poisons; publier ses pensées par la voie de l'impres-
mais qu'ils devaient permettre l'exercice lé- sion et la liberté illimitée de penser et
gitime de la faculté d'écrire, comme ils per- d'écrire devint un axiome du droit public de
mettent l'usage des armes défensives et la l'Europe, un article fondamental de toutes
vente des substances salutaires. les constitutions, un principe enfin de l'or-
Un seul moyen se présentait II était dre social.
indiqué par le bon sens, et l'on n'avait pas Lorsqu'il sélève dans la société une ques-
encore acquis, à force d'esprit, le triste pri- tion importante, et qu'un principe nouveau
vilège de mépriser les inspirations du sens s'y introduit, on peut être assuré qu'il a une
la
commun. cause profonde et naturelle, moins dans
Tout auteur prudent et sage consulte un disposition des esprits que dans la situation
ami avant de publier un ouvrage. Le gou- générale des choses, et qu'il est un besoin
vernement, ami de tous les honnêtes gens de la société plutôt qu'un système de
et de toutes les bonres choses, dit' aux l'homme.
écrivains « Vous mo consulterez comme On n'eût pas songé à agiter la question
qui
un ami, avant de publier un ouvrage qui qui nous occupe au siècle du bon sens,
peut contrarier lés doctrines publiques dost fut aussi celui du génie, à cette brillante
je suis le dépositaire et le gardien. Je nom- époque du développement de l'esprit en
merai des hommes éclairés et vertueux, à France, lorsque la presse n'enfantait que des
qui vous confierez votre manuscrit. Ils chefs-dœuvre. On était alors plus jaloux de
seront à la fois vos conseils et vos juges l'honneur de la presse que de sa liberté, et la
naturels, puisqu'ils sont vos pairs ils vous liberté de tout dire n'eût paru aux Bossuet,
indiqueront ce qu'il faut retrancher de vo- aux Fénelon, aux Pascal, aux La Bruyère,
tre ouvrage, ce qu'il faut y ajouter, et pour- ni moins sauvage ni moins absurde que la
ront en permettre ou en défendre l'impres- liberté de tout faire. On ne se fût pas reposé
sion, dans l'intérêt de la société, et sur- du danger d'une publication illimitée sur
tout dans le vôtre. » la suppression tardive d'un écrit devenu
L'orgueil, et le plus violent de tous, plus célèbre et plus recherché par la défense
comme le plus insensé, l'orgueil des doctri- de le lire; et le châtiment même de son
nes, aurait pu seul se révolter contre une auteur n'eût été, aux yeux de ces hommes
mesure si sage à la fois et si paternelle; graves, qu'une réparation bien insuffisante
mais alors les lettres étaient plus modestes .· du mal que ses ouvrages avaient fait à la
la censure fut donc établie, et le beau siècle société.
littéraire qui s'ouvrit sous ses auspices Cette opinion sévère était conséqnente à
justifia hautement la sagesse de ce règle- l'état des choses et à la situation des esprits.
ment On savait alors, parce que l'on croyait. On
1405 PART. Il. POLITIQUE.
en politique
savait en religion, en morale, en politique
en science des lois et des moeurs, en science
de la société. On marchait avec sécurité au
LA LIBERTE
SUR>Jn muuy DE LA PRESSE.
1
rissent
1
Les
J
a a.
résultats. L'enthousiasme ne dira
UW,
plus: « Pé-
les colonies plutôt qu'un principe 1 »
intérêts diront longtemps « Périsse
1l'Etat tout entier plutôt qu'une consé-
grand jour de l'autorité et de l'expérience,
et l'on n'avait garde de demander à l'homme quence
< 1»
des lumières qui se trouvaient toutes dans Ceux même qui, faute d'attention ou de
la société. lumières,
] n'ont pas encore ouvert les yeux
à¡ la vérité, reconnaissent du moins l'erreur.
Autres temps, autres idées. On n'a plus Un cri général de réprobation
s'est élevé,
rien su, puisqu'on a douté de tout. On a d'un
bout de l'Europe à l'autre, contre ces
douté en religion, en morale, en politique, doctrinesirréligieusesetimpolitiques.qu'elle
même en principes de littérature et de goût.
de tous ses malheurs; et il a alarmé
On a douté de tout ce que les meilleurs accuse
esprits avaient cru savoir, et de l'existence les présomptueux architectes qui, sur la foi
la caution de ces doctrines, ont pris
de l'esprit lui-même; alors on a demandé et sous
des lumières à l'homme, parce qu'on n'en la société à démolir pour avoir l'honneur et
reconnaissait plus dans la société. Après le profit de la reconstruire téméraire en-
avoir rejeté l'expérience, il a fallu tenter treprise, et dont ils ne pouvaient garantir
des épreuves; et, dans cet aveuglement que la moitié1
général, on a de toutes parts appelé la vé- On ne redoute plus aujourd'hui la publi-
rité qui éclaire les esprits comme on de- cation nouvelle de grands ouvrages sur ces
mande des lumières pour remplacer le jour hautes matières. Peu d'hommes ont le cou-
quand la nuit est venue. rage d'en faire, et moins encore, la patience
de les lire. D'ailleurs l'erreur, si habile à
C'est là, n'en doutez pas, la raison pro- varier formes, n'a qu'un fond bientôt
fonde de cette fureur de liberté de penser et épuisé;ses et elle tourne toujours dans le même
d'écrire, qui a saisi tous les esprits, il y a cercle. La vérité, au contraire, plus uni-
près d'un siècle. Cette liberté est donc au- forme dans
conséauente à l'état actuel ses moyens,. est infinie,dans ses.
jourd'hui aussi développements, qu'elle proportionne aux
des hommes et des choses, qu elle eût paru, besoins de la société et aux progrès des es-
il y a deux siècles, superflue et déraisonna- prits. Nous vivrons donc désormais sur les
ble. Aussi les gens les plus sages ne dispu- OEuvres complètes des philosophesdu der-
tent que sur le plus ou le moins de liberté nier siècle. Ils ont tout dit, et l'on ne dira
qu'il convientd'accorder à la publication des pas mieux. On se bornera à réimprimer jus-
écrits ainsi les hommes obéissent, sans le qu'aux rognures de leurs écrits impies ou
savoir, à l'impulsion que leur donne la so- licencieux. Je me'sers des expressions d'un
ciété, même lorsqu'ils croient ne suivre que des Prospectusrécents de trois éditions nou-
l'impulsion de leur propre raison. velles des OEuvres complètes de cet écrivain
Cependant cet appel fait aux esprits éclai- célèbre qui a fait honneur à notre esprit,
rés a été entendu, et n'a pas été sans suc- sans doute, mais qui a fait tant de mal à no-
cès ne nous faisons pas les détracteurs de tre raison de cet écrivain dont l'apothéose
notre siècle; assez de reproches lui seront a ouvert la sanglante carrière que nous
faits par la postérité. Les vérités morales ont avons parcourue, « qui a fait tout ce que
été l'objet d'un débat solennel si quelques- nous voyons, s'il n'a pas vu tout ce qu'il a
uns ont tout gagné à les combattre, d'autres, fait, » disait son historien au fort des dé-
plus heureux, ont tout perdu en les défen- sordres dont il fut lui-même la victime. Une
dant mais enfin la vérité, sur beaucoup de de ces éditions est faite dans le format le
points, est sortie victorieuse de cette terri- plus portatif, et qu'on peut donner à plus
ble lutte; car chez un peuple lettré, une ré- bas prix, « dans le dessein, » dit l'éditeur,
volution n'est autre chose que la société en1 « de mettre ces OEuvres complètes à la por-
travail pour enfanter la vérité. Combien de3 tée des moindres fortunes, d'en rendre l'u-
faux principes dont on n'ose plus parler, sage plus commode, et l'acquisition plus fa-
qui étaient reçus encore au commencement t cile. » Hélas! il y a aujourd'hui autre chose
de nos troubles, comme des dogmes poli- à mettre à la portée des moindres fortunes,
tiques et sur lesquels ceux qui provoquaientt et même des plus grandes; il y a surtout
si hardiment la discussion demandent au- d'autres leçons à donner aux générations
jourd'hui le silence î. On ne tient plus qu'auxx qui s'élèvent, que des poëmes licencieux et
*M7 OEUVRES COMPLETES DE M. 1)E BONÀLD. 1«>«
antifrançais et d'impies et ignobles facé-
face- armée de journalistes, un ministère public,
ties (*)•
(1). un magistrat, substitut spécial, en cette par-
D'ailleurs, s'il ne se fait plus aujourd'hui tie, du procureur général ou du procureur
de gros livres, il s'en fera de petits qui con- du roi, dont la fonction particulière serait
tiendront autant d'erreurs; des esprits plus de poursuivre les délits dont les journa-
exercés et une circulation d'idées plus ra- listes pourraient se rendre coupables contre
pide permettent de généraliser les doctri- l'ordre public seulement, et de provoquer
nes, et de les réduire à leur plus simple leur condamnation à des peines pécuniaires
expression. C'est ainsi qu'une plus grande ou même afflictives, suivant la gravité du
quantité de numéraire et une circulation délit? Pourquoi n'assujettirait-on pas les
d'espèces plus active amènent la nécessité
des billets de banque. 11 ne manque pas,
j journalistes à un fort cautionnement qui
garantirait,
j non-seulement le payement des
dans toute l'Europe, de ces écrivains nés de amendes
i auxquelles ils pourraient être con-
la fermentation de la société, oiseaux par- da'mnés,
( mais encore leur éducation Jilté-
leurs que la révolution a siffles, et qui se raire,
i leur connaissance et leur indépen-
disent moralistes et politiques, au même titre dance
( ?
que les généraux romains ajoutaient à leur Ainsi, comme il serait raisonnable d'éta-
nom le nom des pays qu'ils avaient ravagés. blir
j une, censure préalable pour les écrits,
Cette même facilité, ou, si l'on veut, cette
1parce qu'une fois qu'ils sont imprimés, à
nécessité, chez un peuple avancé, non d'a- grands frais, il est impossible d'en empê-
r
bréger, mais de réduire, et les besoins de cher la circulation, et qu'on s'expose à rui-
la politique moderne ont donné naissance (
ner
J un auteur qui aura péché par erreur
aux journaux, bornés aulrefois aux nou- plutôt
J que par malice, il est raisonnable
velles de la cour, à l'annonce des promo-
aussi
a de réprimer les délits des journaux
tions de l'administration, ou au récit des
faits publics, devenus, aujourd'hui, une r les voies judiciaires, parce que leur pu-
par
blication
j, journalière à heure fixe, et leur
arène ouverte aux discussions politiques.
L'administration se réserve de resserrer ou
multiplicité,
n ne permettent guère un exa-
men
B approfondi de leurs articles, et que
d'étendre, à volonté, la publicité des écrits l'obstination d'un journaliste à présenter
]•
non périodiques, en défendant aux journaux tous les jours à la censure des articles dan-
tl
de les annoncer, ou en le leur permettant;
mais elle place les journaux eux-mêmes gereux, triompherait tôt ou tard de la rigi-
ddité du censeur et lasserait sa patience. Je
sous la surveillance spéciale de l'autorité. préfère
c donc, pour les journaux, la répres*
Cette distinction est conséquente aux sion légale à la surveillance administrative.
idées dominantes sur les effets de la liberté s
jJe crois même que ce système de surveil-
de la presse. On ne croit pas assez à la puis- lance
j. est faux et dangereux quand on veut
sance des écrits non périodiques, et on exa- j( substituer à l'action de la loi. L'autorité
le
gère outre mesure la puissance actuelle des ssurveille pour n'être pas obligée de punir,-
journaux.
e je crois, au contraire, qu'elle devrait pu-
et
Pour moi, je crois au contraire à ia puis- nir,
n et même avec sévérité, pour n'être pas
sance constante et durable des écrits non obligée
o de tant surveiller. La surveillance
périodiques, que j'appellerai simplement est
e aussi incommode à celui qui l'exerce
écrits, et beaucoup moins à la puissance ac- qu'à
q celui qui y est soumis. Elle dégénère
tuelle des écrits périodiques, que je corn- toujours
ti en une guerre de ruse et d'adresse
prends tous sous le nom de journaux. J'en entre
e le surveillant et le surveillé, qui
dirai tout à l'heure la raison; mais puis- tourne rarement au profit de la société. L'ad-
t<
qu'on exalte à ce point la puissance des ministration,
n en général, doit laisser les ri-
journaux, puisqu'on en fait une sorte de ggueurs à la justice, et ne se réserverque les
ministère public de l'erreur ou de ia vérité; bienfaits.
b
puisqu'en un mot, on y attache unsi grand Je crois qu'on exagère là puissance ac-
intérêt politique et moral, pourquoi ne tuelle des journaux. On a sans cesse pré-
t,
créerait-on pas, près des tribunaux ordi-
sente leur influence, dans les premiers temps
s,
naires, et à Paris, quartier général de cette d la révolution, lorsque, pour la première
de
( 1 ) Est-ce par respect pour la Charte, est-ce religion
re de l'Etat, et prodigue à ses nombreux sec-
en honneur de la tolérance religieuse qu'on réim-
prime des Œuvres complètes dont l'auteur verse
toutes les pages le mépris et l'insulte sur la
àd, ta
tateurs les reproches de fanatisme, d'hypocrisie,
d'imbécillité, etc.?
U09 PART. H. POLITIQUE* SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE, UiU
selnêlèrent
se
fois, ils mêlèrent tout à coup aux discus-
.1:n"" .r.ll.·
:<r> politiques auxquelles .7.
sions des Comptes
rendus de quelques ministres nous avaient
cun journal, en présence de la justice et de
la __1~ ne défendra
1- police, ..J.l.L'I_- celles de 93, pas plus
__11_- _1-
qu'il ne rappellera l'usurpateur. L'essai que
1
initiés. Mais, même à cette époque, les jour- l'on fit, avant le 20 mars, d'une loi de sur-
naux séditieux n'auraient exercé aucune in- veillance sur les journaux, ne fut pas heu-
fluence, s'ils n'eussent trouvé les esprits reux le Censeur fut, un volume au lieu
préparés à la recevoir par un demi-siècle d'être une brochure; le Nain jaune ne fut
de lectures plus sérieuses, et d'engouement pas moins audacieux, et dans ses prophéti-
pour des ouvrages dont les journaux n'é- ques révélations il osa annoncer, à jour fixe,
taient alors qu'une traduction à l'usage du jusqu'au débarquement à Cannes.
peuple. Les décrets impolitiques de l'assem- C'est précisément l'inutilité de la loi qui
blée constituante avaient bien plus d'in- fut portée alors, si même elle ne fut qu'inu-
fluence que les journaux, qui n'en étaient tile, qui me fait penser aujourd'hui qu'une
que les échos, et comme les étincelles d'un punition sévère infligée par les tribunaux à
grand incendie. Aujourd'hui le phlogistique ces factieux auteurs, eût été bien plus en*i-
est évaporé, et même les d'tmes et les droits aace que cette mesure dérisoire, qui ne coû-
féodaux perdent de jour en jour leur crédit. tait à l'auteur que de réunir sous une même
Les intérêts pour lesquels des malheureux enveloppe cinq à six pamphlets bien sédi-
voudraient encore remuer le peuple ne sont tieux, et d'en faire vingt feuilles qui échap-
pas généraux, ne sont pas même les siens paient à la censure des écrits périodi-
et peut-être risqueraient-ilsde compromet- ques.
tre à la fin, dans des agitations populaires, Les journaux laissés aux spéculations
ce qu'on veut sauver. On s'est, d'ailleurs, particulières etcomme,tous les autresécrits
et plus qu'on ne pense, familiarisé avec les des citoyens, soumis, en cas de contra-
journaux, et ils ont même ce genre d'utilité vention, aux poursuites judiciaires, n'ont
que le dernier gouvernement avait très-bien aucun danger réel, parce qu'ils n'ont aucune
senti, qu'ils contentent à peu de frais les influence légale, mais ils peuvent exercer
partis,qui ne se croient pas perdus tant qu'ils cette influence légale; si, placés par une loi
peuvent parler. C'est une illusion qu'il faut expresse sous la surveillance immédiate de
laisser aux craintes et aux espérances c'est' l'autorité, ils peuvent être regardés comme
une issue à des matières en fermentation, écrits sous fa dictée de l'administration, et
qu'il ne faut pas fermer et s'il y a de l'a- dans ses intentions et alors il convient
vantage à diriger secrètement et presque im- d'examiner s'il entre dans la nature du gou-
perceptiblement les journaux vers un cer- vernement représentatif d'ajouter ce pou-
tain but, il y a peu et très-peu d'adresse à voir à tous ceux dont les ministres dispo*
emboucher la trompette législative pour an- sent.
noncer que désormaisil ne s'imprimera rien L'exemple de l'Angleterre et les varia-
que sous le bon plaisir de l'autorité; et de- tions que nous voyons subir à la majorité et
puis vingt-cinq ans, nous avons été accou- à la minorité de ses chambres, nous ont ac-
tumés à une liberté plus entière ou à une coutumés à regarder comme un système un
prohibition mieux déguisée. parti d'opposition qui est réellement une
Sans doute les journaux peuvent égarer nécessité.
les esprits, tant que les esprits cherchent C'est d'abord une nécessité naturelle,; car
une route mais quand ils en ont pris une, dans toute assemblée délibérante, la seule
et que les opinions politiques ont distingué diversité naturelle des esprits produit une
les partis, il n'y a plus de transfuges cha- diversité d'opinions, qui existe partout où il
cun a ses journaux et n'en lit pas d'autres. y a deux hommes qui délibèrent ensemble,
Alors, bons ou mauvais, les journaux ne même deux hommes de bien et il n'y a pas
trouvent plus personne à égarer ou S rame- de doute que si, dans une chambre législa-
ner. C'est là que nous en sommes, et depuis tive, la minorité venait à se retirer, il ne se
longtemps. Les opinions politiques de 89 j
formât bientôt un parti d'opposition dans le
sont ab-olumenl les mêmes, et des deux sein de la majorité même.
côtés et nous aussi, nous aurons des Wighs C'est encore une nécessité politique; car
et des Torys. Laissez-nous tels puisque cette opposition doit être plus marquée et
vous nous avez faits ce que nous sommes plus opiniâtre, à mesure que les intérêts
ce sont des opinions modérées, et qu'on sontpltis grands et plus publics; et elle doit
peut soutenir sans.danger. Assurément au- exister dans les conseils législatifs des gou-
Hil ai'YUES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1412
vernements représentatifs,
représenlatifs, bien plus que Sans doute il y a eu dans tous les temps,
dans tous les autres conseils et les autres et sous tous les gouvernements, des mesu- mesù-
gouvernements, parce que ces conseils y res arbitraires sur les personnes et sur les
sont plus nombreux, que tous les intérêts écrits mais lorsque, pour prévenir ces
publics y sont plus solennellement débit- abus, vous portez des lois qui consacrent et
tus, et enfin et surtout parce que le gouver- légalisent l'arbitraire ne faites-vous pas
nement représentatif est celui qui donne le comme ceux qui permettent le divorce pour
pouvoir d'exécution le plus étendu à un empêcher l'adultère? Vous faussez la règle,
moindre nombre de personnes, et qui le pour redresser l'homme; vous placez l'ar-
leur confère à des conditions qui leur lais- bitraire dans la loi, pour qu'il ne se trouve
sent la plus grande facilité d'en abuser. plus dans la volonté de l'homme et pour
Ces conditions sont la responsabilité. La tanquiltiser la conscience du ministre, vous
responsabilité légale est en effet le caution- corrompez la législation de l'Etat je n'en
nement de l'emploi. Le comptable peut vois pas 'l'avantage. L'homme injustement
jouer ses fonds tant qu'il ne compromet que arrêté ou injustement poursuivi pour un
son cautionnement et effectivement la me- écrit, pouvait se plaindre du ministre; mais
sure légale du pouvoir du ministère ne peut quel recours lui laissez-vous contre la loiî
être que la valeur qu'il attache à ce cau- Vous pouvez poursuivre le journaliste lir
tionnement personnel, valeur qui diminue à bre comment poursuivrez-vous le journa-
mesure que les mœurs publiques sont plus liste autorisé, si quelque chose échappe à l'at-
dépravées, et que les principes politiques et tention des agents de la police ? C'est trop à la
religieux ont été plus ébranlés. De là vient fois que l'arbitraire de la loi ajouté à l'arbi-
que les Anglais n'ont jamais défini ni pré- traire inévitable des volontés de l'homme
cisé la responsabilité ministérielle ils l'ont cet excès de pouvoir ne me semble pas ne-
laissée dans le vague, comme le cautionne- cessaire et je croirais trouver au moment
ment d'un comptable suspect qu'on se réser- du danger, dans une nation moins enchaî-
verait de tixer au moment où le déficit née, l'esprit public et l'énergie nécessaire
serait connu. pour le repousser; et dans le texte des lois
L'occasion se présentera peut-être de ordinaires, l'esprit de toutes les mesures,
donner à cette définition de la responsabi- même extraordinaires, que nécessiteraient
lité ministérielle tout le développementdont les circonstances. Il est peut-être moins dif-
elle est susceptible; mais nous en avons dit ficile qu'on ne pense de gouverner les hom-
assez pour les hommes qui réfléchissent, et mes il suffit, et nous en avons fait une fa-
le sujet que nous traitons n'en demande pas tale expérience, il suffît d'avoir une volonté
davantage. positive appliquée à un but certain et légi-
Or, que, dans cet état de choses, les repré- time mais malheureusement on aperçoit
sentants d'une nation, chargés de stipuler dans toute l'Europe une politique négative
les droits et les garanties de la liberté civile qui sait très-bien ce qu'elle ne veut pas, et
et politique, confèrent, par une loi, à des ne sait pas ce qu'elle veut.
hommes déjà armés du terrible droit d'em- Et voyez, Messieurs, la différence de la
prisonner à volonté tout citoyen qui leur liberté laissée aux journalistes, ou plutôt
sera suspect, le droit plus étendu et plus de l'indifférence légale des journaux, à l'é-
dangereux d'étouffer toute pensée qui leur tat de ces mêmes journaux plaeés par une
sera odieuse; et qu'ainsi les ministres, au loi sous la surveillance et à la garde de l'au-
droit qu'ils ont d'agir seuls, ajoutent le torité. Les ministres assurément ne peuvent
droit de parler tout seuls; c'est en vérité pas lire eux-mêmes les vingt journaux qui
ce que je tremblerais d'accorder comme lé- paraissent tous les matins. Obligés de s'en
gislateur, même quand je croirais, comme rapporter sur ce point, comme sur tant d'au-
citoyen la mesure utile; et je craindrais de tres, à leurs agents, oseraient-ils assurer
compromettre par ce dangereux exemple la qu'ils méritent plus de confiance, et offrent,
sûreté générale et future de l'Etat, en vou- même dans leur intérêt personnel plus de
lant lui ménager une tranquillité locale ett garantie que les journalistes propriétaires
temporaire et ce roi que la fable nous re- de leurs journaux, tous hommes de lettres
présente tenant tous les vents à ses ordres, plus ou moins connus, et parmi lesquels se
pouvait exciter moins de tempêtes qu'un trouvent, dans toutes les opinions, des noms
ministère investi de tout pouvoir sur les honorables? Les agents secondaires de l'ad-
corps et sur les psprits. ministration n'ont-ils pas aussi leurs opi-
PART. Il. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. U\i
ilt3
nions, leurs prélérences inimitiés: ments
Dréférences et leurs inimitiés; i am ont mis tant d'hommes aux prises
qui
et lorsqu'on craint tout des passions des les1 uns avec les autres, ouvre tant de portes
uns, n'a-t-on rien à craindre des passions aà la délation et à la haine. Je demanderais
des autres ? si
s l'intérêt de la nation n'est pas que les
Et avez-vous Messieurs fait une atten- ministres
i soient éclairés, et s'ils doivent fer-
tion suffisante au caractère officiel et solen- ) mer
] eux-mêmes la seule voie par laquelle
«el que votre loi va donner aux journaux? l'opinion
1 véritablement générale peut arri-
Tout ce qu'ils diront émanera de l'autorité, ver jusqu'à eux, comme l'a bien fait sentir
et la voilà responsable de toutes les fausses un i de nos honorables collègues dans un dis-
nouvelles, de toutes les fausses doctrines, <cours aussi solide qu'il est ingénieux. Je de-
de tous les faux jugements, de toutes les manderais
]
s'il y a réellement beaucoup à
attaques personnelles, de toutes les erreurs, craindre des journaux aujourd'hui qu'ils
en un mot, et de toutes les sottises sans les- sont devenus presque la seuie lecture des
quelles on pourrait bien faire un journal, honnêtes gens, et que les écrivains les plus
mais sans lesquelles on ne fera jamais trente estimables ne dédaignent pas d'y travailler.
journaux. L'attaque aux talents, à l'amour-Sans doute ils écrivent les uns et les autres
propre, quelquefois aux mœurs et à la con- dans des principes différents; c'est un mal-
duite des particuliers, y prend dès lors un heur inévitable, et qui a sa source dans l'op-
caractère grave et peu paternel qui ne sied position des deux principes monarchique et
pas à l'autorité; et la vanité, si habile à ti- républicain du gouvernement reoréseniatif,
rer parti, même de ce qui l'afflige, se croira que chacun, suivant son opinion, cherche à
l'objet de la haine personnelle, peut-être de entraîner de son côté. Heureuse la nation
la jalousie d'un ministre. Un homme d'es- dans de telles circonstances, où ce combat
prit, et qui combat hors de nos rangs, re- n'a pour champ de batai!le que les journaux 1-
marquait avec raison, il y a deux ans, en L'opposition armée n'a cessé en Angleterre
traitant les mêmes questions, le danger pour que depuis qu'elle est devenue littéraire.
la politique extérieure de cette main-mise L'opposition des journaux amuse les partis
légale de l'autorité sur les journaux, qui de- et trompe les haines. Une nation vive et spi-
viennent dès lors des échos officiels de ;tou- rituelle a besoin de cet aliment qu'entretient
tes les dispositions, de tous les projets du l'autorité elle-même lorsqu'elle donne ou
gouvernement; et pense-t-on, par exemple, permet l'éducation littéraire à un si grand
que si le gouvernement avait, par une loi nombre déjeunes gens; et
qu'on est heu-
spéciale, mis les estampes sous sa surveil- reux, à ce prix, de pouvoir satisfaire un
lance, il eût dû souffrir ces caricatures qui peuple qui, sur tant de choses, se contente
tapissaient, il y a deux ans, nos boulevards, avec un bon mot et des chansons1
et auxquelles les étrangers, qui en étaient Je crois donc la répression judiciaire des
l'objet, n'ont avec raison fait aucune atten- journaux préférable à la surveillance admi-
tion, pas plus que nous n'en faisons nous-• nistrative. Je voudrais que la justice fît la
mêmes aux farces qui se jouent à Londres ài police, et non que la police fit la justice. Je
nos dépens?. m'en fierais plutôt à un magistrat qu'à des
Je n'ai considéré les journaux que dans commis et une
forte amende une fois payée
sage, plus ef-
l'intérêt de l'autorité si je les considéraiss avertirait le journaliste d'être subalterne
dans l'intérêt de la nation, je demanderais3 ficacement que les refus d'un
ri-
indulgent un autre, et qui
si, lorsque le gouvernement peut tout con- goureux un jour,
blesserait sans corriger. La police met à.l'in-
tre le citoyen il ne doit pas laisser au ci-
dividu les fers aux pieds et aux mains la
toyen quelque abri contre un pouvoir si illi- de lui un cercle qu'elle
mité. On a, ce me semble assez donné aux£ justice trace autour
n'est pas
craintes bien ou mal fondées, en suspendantt lui défend de franchir. L'homme
de la police, il est libre
la liberté individuelle il y aurait je crois,à libre sous l'action
loi et la liberté est assu-
excès de précaution à demander encore la sous l'action de la satisfaite.
suspension de la liberté de se plaindre auj rée tant que la justice est occupe, Mes-
public des abus que, sous les ministres mêmee Dans la discussion qui nous
n'avons parlé que du mal qu'ont
les,plus vertueux, peut entraîner le droitt sieurs, nous oublié le.
arbitraire d'arrêter et de détenir, aujour- fait les journaux, et nous avons
redevables
d'hui surtout que la multiplication prodi- bien dont nous leur sommes qu'un ne pense,
gieuse des subalternes dans toutes les ad-I- nous leur devons et plus
ministrations, awès -viBxt-cHiq ans d'évène- ce qui s'est conservé en France, de saines
>-
1413 OEUVRE COMPLETES DE H. DE BONALD.
'M "& M. UÈ UVSSAhU.
doctrines politiques, religieuses morales im
H\a
tenir
| môme avec le secours du gouverne-
philosophiques, littéraires. En général je
philosophiques ie jment; en sorte que l'on
ment J'on peut dire que le
crois peu à la puissance du mal mal, qui n'est public ™s in,,™»,
st | a fait ces journaux plus -«“«! que
ni,,c encore
fort que de notre faiblesse et beaucoup, auu les
1 journaux n'ont formé le public,
contraire, à la puissance du bien, qui nouss parce
que
<; les journaux expriment l'opinion et
communique, quand nous ne la repoussons ne
s la font pas: réflexion juste et profonde,
que
pas, la force irrésistible de l'ordre et de laa j rends à M. de Brïgode à qui elle appar-
je
vérité. Et la révolution elle-même, qui estst tient,
t et qui suffirait à décider la question
le mal absolu élevé à sa plus haute puis-
cqui nous occupe.
sance, est aussi faible quand on l'attaque, C'est moins en France que partout ail-
»
qu'elle est forte quand on la craint.
jleurs qu'il faut s'étonner de
Je remarquerai d'abord que tous les jour-• ce concours des
éécrits et des opinions, puisqu'à
une époque
naux employés à grands frais par tous less où
0 les connaissances littéraires étaient bien
gouvernements qui se sont succédé n'ontI moins
In répandues, la satire Ménippée valut
pu, malgré leur influence en soutenir au- ppour Henri IV plus que le gain d'une ba-
cun, et que les journaux opposés que la ty- taille.
tl
rannie a contrariés tantôt à foree ouverte D'ailleurs, si les hommes appelés aux con-
tantôt plus secrètement, ont vu, ont fait à la seils du souverain sont tous des gens habi-
s-
fin triompher la cause qu'ils ont constam- les, les gens habiles ne sont pas tous dans
[(
•
ment défendue. Sans doute les feuilles de les conseils et ceux-ci, places à une juste
li
Carra, de Marat, de Gorsas qui étaient, des ddistance des objets ni trop haut, ni trop
journalistes comme les tribunaux révolu- bas,
b peuvent savoir bien des choses qui
tionnaires étaient des cours de justice, ontt échappent
é à l'attention ou à la préoccupa-
égaré les classes inférieures de la société tion des hommes en autorité, et leur dire
ti
en leur expliquant plutôt des intentions> par
p la voie des journaux d'utiles vérités
qu'elles ne pouvaient soupçonner, que des• qu'ils
q ne voudraient pas enfouir dans les
décrets qu'elles n'entendaient que trop bien; cartons d'un bureau, ni soumettre à la cen-
c
mais la partie la plus éclairée de la nation d'un commis, et ils craindraient sur-
sure
s
qui aurait pu être séduite par des motifs tout
t, que cette surveillance, exercée légale-
plus spécieux, fut retenue dans les bonnes ment
n sur les journaux, n'ôtât à leurs avis
doctrines par d'autres journaux qui parurent u caractère d'entière indépendance.
un
îi cette époque, et parmi lesquels le Mercure, Je conçois qu'au premier instant d'une
alors dirigé par M. Mallet du Pan, tint le explosion,
e les déclamations des journaux
premier rang. Alors aussi les hommes les aient
a quelque danger, mais je craindrais
plus distingués dans les lettres ne dédaigné- qu'à la longue et lorsqu'on a à lutter con-
q
rent pas d'écrire dans les journaux, et y dé- u des causes secrètes de désordre, leur si-
tre
fendirent avec courage les principes conser- lence ne fût plus dangereux encore. L'Etat,
](
valeurs des sociétés. Peu préparés alors à s l'on veut, peut être troublé par ce que
si
cette violente attaque, nous devons tous, peuvent
p dire les journaux mais il peut pé-
tant que nous sommes ici, nous devons peut- rir
ri par ce qu'ils ne disent pas. Je connais un
être à ces écrits d'avoir été préservés de la remède très-efficacecontre leurs exagérations
r4
contagion générale et d'autres qui ne lisent
0ou leurs impostures, je* n'en connais aucun
pas, le doivent aussi aux exemples que nous contre
c< leur silence.
leur avons donnés. Dès lors une succession L'Angleterre a vu le danger, et a voulu
lion interrompue de journaux amis de l'or- s'en préserver, en posant en -loi la libre circu-
s1
dre a entretenu le feu sacré; ils l'ont entre- lation
la des journaux comme la sauvegarde de
tenu par ce qu'ils disaient et même par ce l'
l'Etat et elle n'a pas cru que ce fût trop du
qu'ils ne disaient pas lorsque, forcés de se ppublic tout entier, dont les journaux sont
taire ou même de parler, ils laissaient apér- les
le sentinelles, pour servir de contre-poids
cevoir leurs opinions particulières sous la au pouvoir immense d'un ministère respon-
ai
transparencedes opinions commandées. C'est sable.
sj Elle a sacrifié à ce grand intérêt pu-
cette opposition constante qui a conservé blic
bl l'honneur et-les intérêts des particu-
toutes les bonnes doctrines qui ont à la fin li
liers la calomnie, devenue en quelque sorte
prévalu car il faut remarquer, à l'honneur constitutionnelle,
c< a perdu de son caractère
de l'esprit national, que ces journaux sont offensant
ol et personnel, et ils ont pu en éva-
les seuls qui aient joui d'une vogue cons- luer en argent la réparation. Je suis loin de
Il
tante, tandis que les autres n'ont pu se sou- désirer qu'une pareille indifférence s'éta-
d<
M" IL POLITIQUE. SUR LA LIBERTE M LA PRESSE.
PART.
lm
Wisse France; mais enfin it
blisse en France it faut pren- clamais, toutefois avec les précautions
précaution que
dre un gouvernementtout entier et, en pro. le respect aue
fitant de ses avantages, se résigne* à ses in- res pour les vérités les plus nécessai-
aux hommes rend indispensables.
convénients. Au reste, Messieurs, ne vous étonnez pas,
Je me résume fàuraîs désiré la censure félicitez-vous plutôt que la liberté des per-
préalable pour les écrits qui seuls out uns sonnes et celle des écrits, même s'il parais-
puissance constante et durable; et la libre sait nécessaire d'en restreindrel'usage,aient
circulation des journaux, dont l'influence trouvé parmi tous des défenseurs. Si par
passagère peut être réprimée, en cas de dé- respect pour l'humanité la loi donne d'of-
}it par Nn fort cautionnement imposé
aux fice des défen&eucs aux. plus vils et aux plus
journalistes, et par les jugements des tribu- coupables. des hommes, la liberté n'en trou-
naux provoqués par une magistrature spé- verait-elle pas» cette juste et légitime liberté
ciale. On a caché dans une loi en apparence dont tous les citoyens doivent jouir, et qui
réglementaire la question de ta liberté de la est, non pas une condition d'un prétendu
presse, relativement aux écrits non pério- contrat, mais ta nature même de, J'homme. et
diques, qui aurai! dû être traitée eorjomle^ larwsoa de-la société? Cette considération
ment avec* celle gai nous occupe en ce mo- d'un ordre élevé n'a pas échappé au rappor-
ment. Notts aurions pu faire sur cet eîjjet teur de Votre commission sur la liberté in-
important une lot complète et définitive et dividuelle, aujourd'hui président de votre
lorsqu'il nous faudrait construire un édifiée chambre; il devait en sentir le prix, et
où tout te monde pût être à Pabri, je re- devions, nous
nous, j'ose le dire, à la dignité de
grette que- nous ne fassions jamais que «tres- l'homme et
celle des fonctions
ser des tentes où quelques-uns seulement ciété nous a imposées, de donner que
la so-
ce témoi-
peuvent trouver ptace. gnage, le dernier peut-être, de regrets et de
C'est dans ces- principes que j'avais, il y douleur pour le sàcrifice
que le gouverne-
a deux ans, écrit sur ta liberté de la presse ment nous demande.
et ceux, qui seraient tentés de m'aecuser de Forcé de diviser une question qui aurait
contradiction! peuvent. y voir que je ne dû être indivisible, j'aurais demandé la
cen-
traite que d©& écrits et que je ne nomme sure préalable pour les écrits non périodi-
pas même une seule fois les journaux. Ces ques et je demande la libre circulation des
mêmes principes, je les avais exposés H y journaux avec ces amendements 1° que les
a vingt am dans la Théorie du, Fournir et journalistes seront soumis à un cautionne-
d'une manière daut l'àorncae le; pimMMr&l ment 2' qu'ils seront poursuivis devant: les
s® ferait honneur? opiniQiH alors d'autant tribunaux par un magistrat spécial, pour les
plus libre, que j,'éertvais dans; le pays de l« délits dont ils pourraient
se rendre coupa
liberté; d'autant plus désintéressée que, bles. Je vote en conséquence, pour le rejet
proscrit alors et dépouilléeje pouvais en aç- de la loi, comme insuffisante.
casei? cette tatoe liberté d'écrire que je ré-
OPINION
CONTRE LE PROJET DE &QI SUR LA LIBERTÉ DE I.A PRESSE.
(Séance du 19 décembre 1817.)
venions réclamer une liberté d'écrire qui se- e- êtres; mais d'accord sur ce but philosophi-
rait plus dangereuse quel'interdiction de tousus que, les hommes diffèrent sur les moyens, et
les écrits. Si nous nous plaignons, c'est de la les gouvernements et les lois et la société elle-
faiblesse des lois qui encouragent la licence ce même, ne sont que des moyens. Cette opi-
in nion sur les moyens varie selon les états di-
sans assurer la liberté, et menacent l'écrivain
sans garantir la société contre ses écarts. Si vers de la société et les positions de la vie, et
nous demandons le jugement par jurés, c'est ;st comme vous l'a dit l'éloquent orateur qui a
que nous ne connaissons pas de tribunal plus us parlé dans la séance d'avant-hier, autre est
solennel et plus propre à honorer les lettres,îs, l'opinion de ceux qui possèdent,autre est l'o-
même en punissant les écrivains coupables. ;s. pinion de ceux qui désirent.
Et ce ne sont pas surtout des garanties que ne L'opinion publique, celle qui doit servir de
nous cherchons contre le -pouvoir, c'est le règle aux gouvernements, est donc la raison,
pouvoir qui est notre garantie universelle; et la raison éternelle, mieux connue et plus af-
si nous lui en demandons de plus expresses, ',s, fermie en France que partout ailleurs; elle y
c'est uniquement contre nous-mêmeset con- a- est, j'ose l'assurer, l'opinion du plus grand
tre nos passions. nombre elle serait toute aussi forte quand
Qu'on ne s'exagère pas la difficulté de dé-é- elle ne serait que l'opinion du plus petit, et
mêler des délits cachés sous l'art de la com- n- les vérités politiques, comme les axiomes des
ne sciences exactes, n'en seraient pas moins des
position et les artifices du style. Que la loi ne
manque pas à ceux qui doivent l'appliquer, x, vérités, même s'il était possible qu'elles ne
et ils ne manqueront pas à la loi. Plus une ae fussent connues de personne.
société est avancée, plus l'intelligence y a Nous touchons au terme de cette longue
été exercée, moins il faut dans les lois crimi-ii- discussion, et elle nous a révélé une affli-
nelles de ce matériel qu'on appelle aujour- r- géante vérité.
d'hui du positif, qui ne convenait qu'au temps ps Dans un gouvernement représentatif, les
où le meurtre de l'homme était tarifé comme ne ministres ne peuvent gouverner qu'avec la
une marchandise, selon l'âge, le sexe et la majorité, avec une majorité fixe, certaine,
condition et où, comme dit Montesquieu, la prépondérante, puisque les lois ne peuvent se
justice mesuraitles outrages faits àune femme, e, faire qu'à la majorité des voix, et que pour
comme on mesure une figure de géométrie. le. imposer des lois à un grand peuple il faut
Laissez l'appréciation des délits intellectuelsils une grande majorité, une majorité d'autant
à l'intelligencedu censeur et du juge, ils au- u- plus forte que le nombre total des votants est
ront autant d'esprit pour découvrir le délit, it, plus petit.
que l'écrivain en a eu pour l'envelopper; et Elle existait à la session de 1815 cette ma-
puisque la société, comme vous le dites, est sst jorité, forte, unie, constante- Formée au sor-
à la discrétion des écrivains, que les écrivains^
is* tir des circonstancesles plus orageuses, et
à leur tour, soient à ladiscrétion de ceux quene sous leur irrésistible influence, elle ne pou-
la société a institués pour la défendre. vait guère être autre que ce qu'elle était, et
On a parlé de la propriété des écrivains sous l'empire d'un meilleur temps elle serait
sr. devenue bientôt ce qu'il
la propriété des écrivains n'est que leur papier. fallait qu'elle fût. Je
té n'accuse ni ne justifie, je raconte.
Les vérités, s'ils en publient, sont la propriété
de tout le monde et les erreurs, s'il leur en în Malheureusement cette majorité ne s'ac-
échappe, ne sont la propriété de personne, e, corda pas avec les ministres, ouïes ministres
et ne sont pas même une propriété. ne s'accordèrent pas avec elle. Deux partis se
Que les gouvernementsne se laissent pas as présentaient pour sortir d'embarras. En An-
non plus effrayer par ce fantôme d'opinion m gleterre on aurait pris l'un, en France on
publique dont on veui leur faire peur. Elle ile prit l'autre, et la Chambre fut dissoute.
ressemble à ces bizarres assemblages de nua- a- Non-seulement il fallait de l'accord entre ie-
ges diversementcolorés, etdans lesquelscha- a- ministre et les Chambres, il fallait de l'accord
cun, suivant la portée de ses yeux, et la net- ;t- entre les ministres, et entre eux et tous les
teté de sa vue, aperçoit des objets diffé- é- agents secondairesde l'administration.
rents. La Chambre fut renouvelée; dès ministres,
Si L'on entend par opinion publique le dé- é- des préfets, des généraux, des conseillers
d'Etat, alors et depuis, ont été changés. sions
s arrachera-t-on de la nécessité? et ce-
C'est le droit de l'autorité; et pour ce qui me pendant
p faudra-t-il encore qu'un petit nombre
concerne,je n'en parle qu'avec le regret d'a- dde voix de plus ou de moins disposent du
voir été réélu pour me trouver encore forcé sort
s d'un si grand État? car, par une fatalité
à une opposition qui est si loin de mon tbien remarquable, les lois les plus impor-
cœur. t
tantes pour le bonheur et la force de la
Quel fruit nous revient-il de tant de sacri- France
1 semblent avoir été réservées à cette
fices? session.
s
A la session dernière une majorité de Et ce n'est pas seulement dans la Chambre
quinze à vingt voix dans la Chambre des dé des
( députés, ou entre la Chambre et les mi-
pûtes, plus faible encore et plus difficilement nistres,
i que ces dissentiments d'opinion se
obtenue dans la Chambre des pairs, a décidé sont s manifestés. Après tant de sacrifices faits
de quelques lois qui auraient demandé l'as- jau désir de l'unité, il s'est montré encore de
sentiment le. plus unanime dans les deux I,la divisionjusque dans le corps régulateur des
Chambres, et à eette session qui ne fait que propositions
r des ministres, et par conséquent,
commencer, je pourrais dire avec Tacite des
<j délibérations de la Chambre, et nous
Aperuit retecta vulnera bellum ipsumLe long aavons vu à cette tribune le pouvoir divisé en
combat sur la question qui nous occupe a lui-même, 1 et des conseillers d'État combattre
découverttoute la profondeur de la plaie. Où des c lois émanées du conseil d'État, et propo-
est la majorité, la majorité ministérielle? car, sées
s par les ministres.
pour pouvoir gouverner, il ne peut pas y en Loin des amis de leur pays la pensée de
avoir d'autre; le public la cherche, et peut- triompher
t d'une pareille situation (1), que des
être les ministres eux-mêmes ne l'ont-ils pas 1lois fortes feraient cesser parce qu'elles sont
encore trouvée où est-elle dans cette Cham- conformes
c à la raison, que des lois faibles
bre, où peut-elle être, quand deux partis ne prolongent
I parce qu'elles ne conviennent
la feraient pas, quand trois la formeraient à qu'à c des intérêts.
peine? Dans quelles mains se trouve le poids Je vote pour le rejet de la loi, me réservant
qui doit faire pencher la balance ? à quel prix d'adopter
( l'amendement de M. de Villèle sur
offrira-t-on son secours et quelles conces- 1la prorogation provisofre de la loi actuelle.
(1) On a mis dans un journal, « les amis de leur lontaire, L'auteur abandonne aux journalistes ses
< pays, ont triomphe d'une pareille division, > etc. phrases et même ses pensées; mais il ne leur per-
Sur la demande de l'auteur, un erratum a corrigé, met pas de dénaturer ses sentiments.
quelques 'ours après, cette faute, sans \doute invo-
OPINION
SUR LA LIBERTÉ DE I,A PRESSE.
dre, les outrages commis par la voie des L'article de la loi punissait tant bien que
mal les ou.trages à la morale publique et aux
écrits, des gravures, etc. La proposition de
bonnes mœurs. M. Chabron de Solilliac, dé-
réparer cette omission devait être faite; et
le dirai-je? J'avais cru qu'on avait à dessein puté de la Haute-Loire, avait demandé qu'on
n
laissé ce vide dans la loi pour rendre plus y ajoutât la religion, proposition qu'il a de-
solennel et faire mieux ressortir l'empres- puis très-bien développée. M. Benjamin
Constant proposait qu'on supprimât de la
sement, et de la chambre à le remplir, et
loi même la morale publique, crainte qu'on
des ministres à y consentir, et relever ainsi
l'orthodoxie de la chambre et du ministère n'y comprît la religion, et, en vérité, dès
qu'il ne l'y comprenait pas lui-même, if
aux. yeux de la France alarmée peut-être n'exigeait pas des rédacteurs un grand sa-
de voir tous les jours s'éloigner davantage
l'espoir d'un arrangement définitif avec le crifice, puisque les mœnrs toutes seu!es di-
Chef de l'Eglise. saient autant que la morale.
Je ne croyais pas, je l'avoue, qu'il s'éle- La délibération ainsi placée entre ces
vât de discussion sur ce point, et moins en- deux extrêmes, les hommes qui veulent à
core de ces discussions improvisées, philo- tout prix les rapprocher sans savoir s'ils ne
sophiques, religieuses et presque théologi- se repoussent pas mutuellement et qui
ques, si déplacées dans une assemblée de prennent des confusions de choses ou des
laïques qui doivent défendre la religion par rapprochements de personnes pour des
leurs exemples plutôt que par leurs dis- unions et des réunions, ont cru réunir les
cours, et dans lesquelles les uns par dissi- opinions opposées, en soutenant que la reli-
gion était comprise et sous-entendue dans qui seule se trouve la sanction de toutes
les mots morale publique et c'est sur ce les lois morales.
point que la délibération s'est établie. C'est donc la religion qui comprend la
Mais avant de disputer pour savoir si la morale, et non la morale qui comprend la
religion était ou non comprise dans ces religion. Et c'est avec raison qn'un orateur,
mots morale publique, il eût fallu, je crois, M. Royer-Collard, a dit dans cette discus-
s'assurer que cette expression rendait une sion que l'une était la cause, l'autre l'effet
idée vraie et complète, et qu'on pouvait l'un le principe, l'autre la conséquence.
dire la morale publique, comme on dit la La religion est la constitution de l'Etat
fortune publique, et c'est avec fondement moral, la morale en est l'administration
que M. Lainé, qui a partagé avec M. Ribard l'administration est l'application de la cons-
l'honneur d'avoir appuyé de son éloquence titution aux devoirs civils, comme la mo-
ordinaire la raison et la vérité, a avancé que rale est l'application de la religion aux de-
les mots morale publique étaient de fabrique voirs moraux. Dira-t-on que l'administration
moderne, et effectivement ils en portent la comprend la constitution et n'est-ce pas
marque, et ils sont vagues, faux et sophisti- plutôt la constitution qui comprend l'admi-
ques. nistration, puisque l'administration reçoit
La religion est chose publique et géné- de la constitution ses principes, ses formes,
rale, la morale, chose privée et individuelle. son esprit et surtout sa sanction dans les
La. religion est chose publique ou exté- peines que la constitution détermine contre
rieure, puisqu'elle a des édifices publics, les i nfracte u rs 2?
des ministres publics des biens publics, Ceux qui veulent que la morale nous soit
et qu'on peut dire d'un homme, qu'il fait venue par inspiration native, ou naturelle,
des actes publics de religion. comme le besoin de manger et de boire,
qu'elle soit a priori écrite d;ms notre cœur,
La morale n'a rien de tout cela, et jamais où nous la lisons sans interprète, n'enten-
a-t-on dit d'un homme qu'il fait des actes dront rien à votre morale publique, puisqu'il
publics de morale, puisque la morale dé- n'y a rien de moins public et de plus indi-
fend même de rendre publics ses actes de
viduel que l'inspiration; et ceux au con-
vertu? Les actes publics et extérieurs de la traire, philosophes plus conséquents, qui
morale sont'les moeurs, et de là vient qu'on
pensent que la connaissance des devoirs,
ne dit pas morale publique, et qu'on peut môme moraux, même religieux, n'est
dire les mœurs publiques, soit qu'on l'en- trée dans en-
notre esprit, toutes les au-
tende des actions extérieures et publiques tres connaissances, comme
que par éducation,trans-
qui offensent les bonnes mœurs, soit qu'on mission, tradition héréditaire, et
l'entende des habitudes de profession des la lisons dans le Décalogue, dont que nous
quelques
hommes constitués en état public, comme articles épars
les magistrats et les militaires. se retrouvent chez. tous lés
peuples, même les plus barbares, ceux-là
La religion est publique, la morale est croiront au contraire la morale comprise
privée, et l'on peut regarder comme un dans la religion comme le contenu dans le
axiome de la science de la société que les contenant, dans la religion, de qui
nous re-
dogmes (car c'est le dogme qu'il faut enten- cevons cette première écriture constitutive
dre quand on parle de la religion par oppo-de toute morale et je m'étonne que les
sition à la morale), les dogmes font les peu- hommes qui ne veulent reconnaître en po-
ples, la morale fait les individus. litique que des constitutions écrites, refu-
La morale est un code de devoirs, mais sent d'admettre comme principe, cause et
tout devoir suppose un pouvoir de le faire raison de la morale cette première écriture,
observer, pouvoir qui en récompense l'ob- véritable charte constitutionnelle du gejire
servation, qui en punit l'infraction. Ce pou- humain, et dont la connaissance plus ou
voir législateur, rémunérateur et vengeur moins parfaite a seule distingué les divers
des devoirs (1) est le premier et le plus degrés de civilisation des peuples.
sacré comme le plus universel des dogmes On peut bien, dans un sens très-général
de la religion, en qui par conséquent et en <et tout à fait philosophique, comprendre la
quez que
donc,jejelelerépète,
voulait,
le
I à la
1
répète,dire
morale.
».
ditedans l'ar- gurer
daasl'ar-
ticle 8, outrages à ta religion, aux moeurs,
ear remar-
mot outrage, emportant l'idée
de quelque violence même physique, s'en-
gurer comme
i
comme adjectif d'intérêts
d'intérêts, ses plus
atortels ennemis se transformer en intérêts
mortels
A1* _•*
moraus*, et même d'une révolution» asso-
ciation de mats et d'idées la plus étrange
qu'on puisse imaginer! En vain ceux qui
tend très-bien de la religion qui donne prisa ont attaqué le dogme ont voulu quelquefois
à t'outrage par tout ce qu'il y a d'extérieur renforcer et même outrer la morale après
et de matériel dans 1'ensemble de son culte; quelques instants de rigorisme, au mains da
qu'il peut encore s'entendre des mœurs ou manières, les mœurs qui n'étaient plus con-
des habitudes qui sont des actes extérieurs tenues par la ferveur de l'enthousiasme,r
et oaatériels, mais qu'il ne peut convenir sont retombées de tout leur poids et cette
que par métaphore à la morale qui n*a rien morale, isolée de toute religion, s;'est trou-
de public, qui est toute intérieure, et ne se vée sans direction et sans appui.
manifeste que par les mœurs, à peu près Ainsi dans les troubles religieux, on
comme la fortune publique (autre méta- place la morale avant la religion, et bientôt
phore), se manifeste par le bon état de tou- on veut une morale sans religion, eoname
tes les parties de L'administration. dans les troubles civils on place la loi avant
Et d'aiMerars a-t-on jamais, je ne dis pas le roi, bientôt après on veut la loi sans le
outragé, mais seulement insulté ou nié la roi, et le moment arrive où il n'y a plus
morale j et l'écrit le ptus licencieux et dans la société Intellectuelle ni religion, ni
l'homme te plus dissolu ont-ils jamais dit morale, et dans la société politique ni loi ni
ou même fait entendre qu'on pouvait tuer rai, mais Fathéisme dans l'une et l'anarchie
ou voler, porter faux témoignage, nier une dans t'autre.
dette ou un dépôt, manquer à la fui pro- Si l'on n'avait consulté que le bon sens,
mise, maltraiter sa femmo ou ses enfants, on n'aurait donc vu à punir, dans cette ma-
trahir ses amis, refuser te safifira à ses do- tière, que des outrages à la religion et aux
mestiques, etc., ele. ? Et tes écrits ou mœurs,; mais nous avons voulu faire de
les hommes qui outrageaient les mœurs l'esprit, et ptacer dans la loi nos systèmes
n'ont-ils pas toujours respecté la morale? philosophiques, et nous nous sommes jetés
Loin d'outrager la morale ©a publique ou dans un labyrinthe sans aucun fil qui pût
privée, n'a-t-on pas affecté dans tous les nous aider à en sortir.
écrits philosophiques du dernier siècle, si Je n'analyserai pas les discours des divers
outrageants pour la religion, de présenter orateurs ce serait une peine infinie sans
la morale comme la seute croyance néces- utilité réelle. Je tâcherai seulement d'y sai-
saire à l'homme, la seule règle de ses ac- sir et d'y remarquer quelques erreurs prin-
tions sociales et de ses rapports avec ses cipales, d'où dérivent toute* les autres.
semblables N'est-ce pas toujours aux dé- La plupart ont fait de la religion un pur
pens de la religion qu'on a exalté la beauté sentiment, un sentiment religieux, une rê-
et l'utilité de la morale, et n'a-t-on pas dit verie mélancolique, que les Allemands ap-
et écrit, sous toutes les formes, qu'il suffi- pellent religiosité, sans actes publies et ex-
sait de pratiquer les devoirs de la morale, térieurs, tel à peu près que serait un senti-
et d'être honnête homme enfin, et qu'on ment intérieur d'humanité dans celui qui
pouvait se passer de religion ? C'est en atta- ne ferait jamais l'aumône disposition dan-
quant le dogme qu'on a, sans le savoir et gereuse, contraire à notre nature à la fois
même sans le vouloir, attaqué la morale, intelligente et matérielle; qui en abolissant
comme dans les troubles civils on renverse tout culte extérieur, ne laisse à l'homme
les lois, non en déchirant tes codes qui les rien de sensible auquel il puisse se pren-
contiennent, mais en ébranlant le pouvoir, dre livve les âmes faibles à la mysticité,
de qui elles émanent: c'est un ruisseau produit dans les âmes ardentes les égare-
dont on arrête le cours en troublant la ments du fanatisme, qui ne sachant où s'ar-
source; et rien ne prouve mieux que c'est rêter, sans règle et sans frein, se porte avec
à la religion que nous devons et l'ensei- violence à tous les objets extérieurs qui
gnement et ta sanction de ta morale, que de peuvent occuper son activité, et pour satis-
voir le dépérissement des mœurs suivre faire BBbesoia impérieux de notre nature,
bientôt et partout l'affaibli ssement de la re- se fait à lui-même son culte et trop souvent
ligion, et la morale elle-même réduite à fi- son. sacrifiée.
lu% PART. H. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. USO
Dès que la religion n'a plus été qu'un les Chrétiens
Chrétiens àà une
une mort plusutile
mortplus à ses
utile à. des-
ses des-
sentiment intérieur, on a dû la juger direc- seins qu'une vie qu'ils auraient tôt ou tard
tement inaccessible à l'outrage, et l'on a perdue, ait voulu livrer la religion elle-
paru disposé à refuser en son nom. des, lois même aux fausses doctrines qui lui enlè-
pénales. Un des plus zélés partisans du sen- vent une influence et une autorité qu'elle ne
timent intérieur, qui n'est que l'inspiration doit jamais perdre. La religion chrétienne
intérieure de certaines communions, nous ne pouvait s'introduire dans le moade que
a même offert, à ce sujet, des conseils et malgré des gouvernements qui ne la con-
des consolations. II nous a avertis « que naissaient pas, et en professaient une tout
notre zèle n'était ni dans le véritable esprit, opposée mais une fois introduite et con-
ni dans les intérêts du christianisme qu'il nue, elle rentre sous l'empire des lois* gé-
ne faut jamais le séparer de son esprit que nérales de la société, elle doit se soutenir
tout ce qui es.t contraire. à son esprit lui est par les gouvernements, comme tout autre
nuisible, et que ce ne sera pas elle qui tien- moyen d'ordre public et il est monstrueux
dra demander des prisons et des châtiments que les. gouvernements chrétiens, qui s'abs-
pour ceux qui l'offensent elle n'en
mande que pour elle-même, elle qui, aux
de- tiennent et avec raison de persécuter les
Chrétiens même dissidents, livrentle ehris-
beaux jours de ses persécutions et de. sa tianisme lui-même à la persécution conti-
gloire, n'a vaincu tant de puissances qu'en nuelle et périodique du sarcasme et des
présentant son sein au glaive et aux chaînes doctrines impies ( 1 ), et qu'ils lui disent,
ses mains désarmées »- comme les Juifs à son divin Auteur Si tu
On ne s'attendait guère à trouver ce rai- es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même.
sonnement et cette citation à propos d'une M. le garde des sceaux, plus orthodoxe
loi pénale, destinée à réprimer les outrages sur ce point, a remarqué avec raison « la
qu'on peut faire à la religion. Ainsi, comme tendance de notre époque à généraliser
le triomphe de la religion doit être le. but et 1beaucoup trop le sens du mot religion et à
le résultat final de toutes les lois et de tou- y voir une spéculation abstraite ( un senti-
tes les mesures d'administration, un gou- ment intérieur) plutôt qu'une croyance, une
vernement chrétien et conséquent devrait la pratique, une observance rigoureuse » il
persécuter, ne fût ce que par l'indifférence, s'est même élevé avec force contre la propo-
ou du moins l'abandonner à la haine de ses sition d'effacer de la loi la morale publique*
ennemis, pour mieux assurer son triomphe, et
i s'il n'en a pas moins conclu comme les
et peut-être est-ce en France le, mot de l'é- autres
é à ne pas nommer la religion, c'est par
nigme, et sommes-nous plus religieux qu'on iun tout autre motif. Ce n'est pas parce
ne croit? qu'elle
( est comprisedans la morale publique,
Mais, pour parler sérieusement dans une mais
i dans la crainte d'éveiller les querelles
matière aussi sérieuse, l'orateur que j'ai cité religieuses,
i et cette crainte a été partagée1
n'a pas distingué les premiers temps du 1par le rapporteur et même par le commis-
christianisme des derniers,, et ses différents! saire du roi qui, réunissant les deux motifs.
états, lorsqu'il n'était que dans la famille, et d'exclusion
< du mot religion^ trouvé qu'elle
depuis qu'il est incorporé à l'état publie; de était
< suffisamment comprise dans la morale
société. Les empereurs païens, persécutaient j publique,
1 et que le mot religion. pouvait ral-
les Chrétiens, mais ils ne persécutaient pas lumer
1 le fanatisme religieux..
la religion. Julien l'Apostat et 1q$ princes Ainsi les< uns ont voulu nous persuade!?
chrétiens ont persécuté ou peuvent fleesér. que la, religion était comprise dans la mo-
<
cuter la religion, sans- persécuter les. Cbré- rale
i publique; et comme la religion est, se-*
tiens, parce qu'il faut connaître la- religion Ion
1 eux, un sentiment intérieur, itaen sous-
pour la persécuter. Les Chrétiens ne souf- entendent
t l'expression, ce qui fait -un senti-
fraient que de la persécution' du glaive. La iment intérieur exprimé par une exp-res-sion
religion souffre de la. persécution des doc- omise,
( et ne ressemble pas malà l'ombre du
trines qui la blessent au- cœur, et l'attaquent cocher
i qui frotte l'ombre du carrosse, si l'on
dans renseignement de la vérité; et il y me
r permet cette comparaison ridicule pour
a du fsnatismfrà croire que Dieu, qui livrait exprimer
i une chose qui l'est assez les. au-
( î ) On a entendu dire àM. envoyé en Fran-
ce d'un peuple qui admet toutes les religions,
1paru récemment dans un journal, aurait, dans son
pays,
[ fait retirerions les abonnés.
qu'une chanson contre les missionnaires, qui a
WS1 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONAL0. U&l
très ont banni le mot religion de
de la loi pour attentatoires à la religion, en vertu de l'in-
i'in-
ne paspas exciter des troubles, et à ce sujet, ils terprétation donnée aux mots morale publi-
se sont étendus surles persécutions, les vio- que, sans réveiller l'idée de religion, dont
lences, les massacres auxquels ont donné vous craignez l'effet sur les esprits et pen-
lieu les querelles de religion dans des temps sez-vous que les sentiments que vous vou-
dont il faudrait perdre le souvenir. Mais ces lez dissimuler, ne perceront pas facilement
tragiques récits figurent si bien dans un dis- ce voile transparent ? On n'y aurait alors
cours, ils donnent tant d'embonpoint ou rien gagné que d'avoir scandalisé l'Europe
d'enflure aux périodes, ils allongent si faci- et humilié la France, en mettant pour ainsi
lement une opinion et en remplissent si na- dire sa législation hors la loi commune des
turellement les vides, qu'on conçoit qu'un nations. Si au contraire les juges qui ne
orateur ne se détermine qu'avec peine à en connaîtront pas vos commentaires, et ne
faire le sacrifice, quoique cependant il y eût doivent pas même y avoir égard, refusent
de bonnes raisons d'y renoncer. de voir un outrage à la morale publique dans
Nous avons déjà discuté ce premier motif un outrage direct à des actes de religion, ou
en montrant que la religion n'est pas seule- à des pratiques religieuses; s'ils s'autori-
ment un sentiment intérieur, ou une inspi- sent du silence de la loi ou des interpréta-
ration, mais une action publique et exté- tions contraires de quetques orateurs, sur-
rieure, et que loin que la religion soit com- tout de l'explication donnée par M. Benja-
prise dans la morale, c'est elle au contraire min Constant, qui, après avoir proposé de
qui la comprend; et que puisqu'il est ques- supprimer la morale publique, parce qu'on
tion de lois pénales, le mot religion est bien pouvait y voir la religion, a retiré cet amen-
plus usuel, plus populaire, plus universel- dement, satisfait des explications lumineuses
lement entendu, plus clairement défini que de M. le garde des sceaux, qui ne l'y com-
le mot morale, et morale publique ( 1 ) et prenait pas, et excluait le mot religion de la
même religieuse. loi par un autre motif; si l'accusé puise une
Dans le second motif, la crainte des que- exception dans l'omission du mot religion,
relles religieuses, il entre pour quelques vous la livrez sans défense à toutes les in-
esprits de la peur des discussions. Qu'on y sultes. 11 y a, j'ose le dire, peu de prudence,
prenne garde, tout système religieux, poli- peu de prévoyance de l'avenir, peu de con-
tique, philosophique, qui demande grâce et naissance des événements passés, à vouloir
éraint la controverse, est un système fini. ainsi tenter la force de la religion pour don-
Mais sous Louis XIV, lorsqu'il y ava,it plus ner des garanties à des opinions qu'on n'ose
de foi dans les cœurs, et par conséquent pas avouer, et à mettre à la dernière épreuve
plus de susceptibilité dans les esprits, la cette puissance, qui a triomphé de tant de
controverse si animée de Bossuet, de Port- puissances, et attiré de si grands maux sur
Royal, avec Leibnitz et d'autres savants, ses persécuteurs.
n'était pas regardée de part ou d'autre comme Osons le dire, cette délibération a mis lo
un outrage. Un gouvernement ne doit pas' christianisme hors la loi, et légalisé l'irréli-
redouter les controverses pacifiques, entre gion du déisme. Si elle pouvait être adoptée
des opinions différentes, parce qu'elles sont par la chambre des pairs et sanctionnée par
le seul moyen de ramener sans violences les l'autorité suprême, le philosophe,plus frap-
esprits à l'unité des sentiments, et par con- pé du désordre des lois que des violences
séquent à l'union des cœurs; et lorsqu'il des hommes, plus épouvanté d'une mau-
n'y a plus, chez un peuple spirituel,de con- vaise loi que d'une mauvaise action, met-
troverses entre les divers partis, il y a in- trait cette séance au rang des plus funestes
différence et mort de toute croyance. En- qui aient affligé notre patrie, et la regarde-
tendrait-on par outrages, de grossières in- rait même comme le sceau et la consomma-
sultes qu'on s'adresserait mutuellement sans tion de la révolution.
discussions, comme les chansons, les décla- Cette séance a fini par une dispute gram-
mations et les caricatures contre nos mis- maticale sur des synonymes. On a beaucoup
sions, dont nous voyons des exemples? Mais tenu naturaliser dans la loi le mot consi-
ces outrages sont punissables, et comment dération, afin, sans doute, que le mot fût
ies punir (si toutefois on les punit)? comme quelque part, quand la chose bientôt n'exis-
( i ) Le peuple, tant gieux, la doctrine par excellence, et il n'entendrait
ses idées sont justes, dans
ta langue méridionale, appelle t'enseignement reJi- même pas le mot morale.
îïaS PART. H. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. 14S4
tera plus nulle part; et j'ai craint un mo- au droit public, excepté les dogmes politi-
ment qu'en faveur du mot considération, le ques fixés » expression qu'il a prise dans
mot honneur ne s'en allât avec le mot reli- un autre orateur, M. de Kératry, trop philo-
gion. On pourrait voir, quelque jour, d'é- sophe, je pense, pour croire sérieusement
tranges débats, s'il était permis à un homme aux choses humaines fixées. II serait en ef-
accusé d'avoir porté atteinte à certaines con- fet peu philosophique de penser qu'il y eût
sidérations, de discuter les considérations autre chose de fixé que ce qui est naturel, et
qu'il aurait offensées. Au reste, avec cette que la discussion, c'est-à-dire le raisonne-
loi et l'explication que M. le garde des ment sérieux qui s'exerce môme sur l'exis-
sceaux nous a donnée sur les considérations tence de Dieu, dût s'arrêter devant Jes pen-
professionnelles,on peut être poursuivi en sées de quelques hommes. Je trouve seule-
diffamation, pour avoir imprimé qu'un au- ment extraordinaire que ce soit à l'occasion
teur a fait un ouvrage moralement ou litté- de la liberté de la presse qu'on vienne nous
rairement mauvais, ou. qu'un tailleur a mai parier de dogmes politiques fixés, pour les
coupé votre habit. excepter de la discussion politique et, pour
Nous revenons sous une autre forme aux moi, je déclare que je ne reconnais de fixé
lois des premiers temps de notre monarchie que les commandementsde Dieu, que je crois
qui tarifaient les délits, et, comme dit Mon- encore permis de discuter. Si c'est ainsi
tesquieu, « mesuraient les outrages faits à qu'on fait des lois, ce n'est pas ainsi qu'on
une femme, comme on mesure une figure de fait un peuple. Ce ne sont pas en législation
géométrie, tant pour telle privauté, tant dogmatique ( religieuse ou politique ), les
pour telle autre, » etc. Ces nuances si déli- lois que font les hommes, qui sont fixées,
cates qui, chez un peuple moral et spirituel, mais celle qu'ils ne font pas. Les trois let-
mettent, suivant les choses et Jes hommes, tres du mot loi, écrites en gros caractères en
tant de différence entre des insultes, ou des tête de quelques articles numérotés, ne
délits en apparence les mémos, évaluées en constituent pas plus une loi que les mots
argent de cinquante à cent écus, plus ou article premier ne constituent un principe.
moins, ne laissent plus au juge qu'une ap- Il y faut d'autres conditions et, pour ne ci-
préciation arithmétique de quelques francs ter qu'un païen, écoutez ce que dit sur cette
au-dessus et au-dessous, et chacun de nous matière le premier des philosophes comme
peut savoir, à peu près et à l'avance, ce qu'il des orateurs de l'ancienne Rome, CictJ-
gagnera à être diffamé, ou ce qu'il lui en ron
coûtera pour diffamer; ce que vaut son hon-
Legem bonam a mala, nulla alia nisi natu-
neur et celui d'autrui; et les grandes fortu- rali norma, dividere
nes, si folles et si capricieuses dans leurs possumus. Jmn vero
stultissimum est legem existimare omne quod
goûts, peuvent, à bon marché, se ménager
in institutis populorum situm est,
dans le genre de la calomnie et de la diffa-
mation, de grandesjouissances. « n'est que dans la nature qu'on trouve
Ce
J'ai cru remarquer quelque chose de plus la règle qui sert à distinguer une bonne loi
grave dans Je discours de ( 1 ) M. le garde l'une mauvaise. Certes, c'est grande er-
des sceaux, l'intention de borner les discus- reur de regarder comme une loi tout ce qui
sions même politiques. « Il est libre, » dit-il, se trouve écrit dans les institutions de quel-
« de discuter toutes les propositions relatives que peuple. »
( ) J'aurais pu relever la phrase de M. le garde car, dans les assemblées, fut toujours à la plura-
1
des sceaux sur la Convention; comment a-t-il pu lité des voix que les lois ce les plus absurdes turent
dire que la majorité y fut dominée par la minorité, décrétées, et par conséquent la majorité domina
puisque, même dans le jugement de l'infortuné la minoriié. Il y aurait eu d'autres réflexions y
à faire
Louis XVI, la moitié moins cinq ne vota pas la sur les atteintes portées dans cette loi la
mort, ou la vota conditionnellement, et que sur les se, à la prérogative des chambres soit sur pres-
autres crimes que la Convention commit ou laissa franchise des opinions imprimées de ses membres, pour la
commettre, elle fut à peu près unanime ? La fai- soit pour les insultes dont elles peuvent être l'objet,
blesse n'est pas une excuse, puisqu'on serait tou- et dont l'impunité probable possible dans certai-
jours coupable d'avoir accepte un poste sans avoir nes hypothèses, aurait de et si grands résultats sur
la force d'y tenir contre le danger; mais ici on n'é- l'indépendance, et même
tait sur l'existence des cham.
pas obligé de voler la mort sous peine de mort, bres-, Mon illustre ami, M. de la Bourdonnaye, avait
puisqu'il n'y eut aucune violence effective commise élevé une grande question, et qui méritait une dis-
contre ceux qui ne la votèrent pas du tout, ou -cussion sérieuse. Toutes
dont le vote ne fuÇ pas compté. Les assemblées, à • prpnd garde, nous viennentces
atteintes, si l'on y
des vices de notre l«i
commencer par la constituante, ont toujours élé- -d'élection, qui ont rendu aux yeux du gouverne-
ptiss libres que la nation. C'esi là, et là seulement ment lui-même, la chambre plus redoutable que res.
que la minorité a asservi et opprimé la majorité; pectable.
OPINION
SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE.
(Séance du 9 juillet 1821.)
laires à côté des doctrines monarchiques. Nous avouons tous la nécessité d'e ces lois.
Est-ce un bien?. est-ce un mal ?. C'est Les
1 uns les veulent répressives les autres,
les veulent ré-
une nécessité. Partout où il y a deux pou- f.sous le nom de préventives,
voirs, il y a deux sociétés, et deux sociétés primantes,
1 car aucun de nous ne demande
ne peuvent pas vivre tranquilles dans le la 1 paix et ne peut la demander, et c'est en
même Etat. cela
( seul que nous nous accordons.
Sous Louis XIV, il n'y avait en France Ainsi, Messieurs, ce ne sont ni des lois
qu'une doctrine politique il n'y avait pas répressives
<
qu'il nous faut opposer à la
de liberté de 1* presse sur les matières licence 1 de la presse, ni des lois préventwes*
politiques, on n'y songeait même pas; mais mais >
des lois efficaces et c'est assurément
il y avait, depuis, 1& réforme, deux doctrines ce < que la Charte a dit, ou elle n'a voulu
religieuses tilyavait'donctibertéd'écriresur rien 1
dire (1).
les matières religje-us.es.,Lesécrivains protes- Mais ceux qui ont le plus usé et abusé1
la, liberté d'écrire, qui sont les plus, dis-
tants et ceux de Port-Royal:, Bossuet. et de <
(1) C'est sans doute pour le plaisir? de dis- itoute contestation sur ce point .en consultant
puter que nous ne pouvons nous entendre sur. ceux qui l'ont faite.. Ils nous diraient que répri-
le véritable sens du mot --réprimé exprimé dans mer. un abus signifie, en bon français, prévenir,
la Charte, lorsque nous pourrions terminer un délit.
Î457 PART. 15. POL1TIUUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. Ii38
longuement sur le mot réprimerréprimer c'est une piaudissait, s'honorait peut-être de voir son
nrfiiivfi
preuve qu'ils ne. jugent
rrn'jis ne oas très-réprimantes nom et son ouvrage aux pieds du grand
iuarent pas
ceslois répressives, et qu'ils craignent beau- escalier de la justice, exécutés par le bour-
coup trop ce sens de prévenir,que la grammaire réau ? L'auteur en personne aurait été exé-
et la logique trouvent tout naturellement cuté, qu'il ne se serait pas cru, qu'on ne
dans l'expression de réprimer. Cette raison t'aurait pas cru déshonoré. Jamais, en Fran-
devrait suffire, s'il était possible à un grand ce, l'abus du talent n'a déshonoré personne.
nombre d'esprits de se contenter d'une Et comment pouvez-vous faire des lois ré-
raison. pressives là où l'application d'une loi pénale
Attendre à punir le délit, quand on peut et la répression judiciaire n'impriment pas
le prévenir, est une barbarie inutile, un une flétrissure ? Il ne vous resterait à tenter
crime de lèse-humanité qui déshonore un que le fouet et la marque, zi vous useriez
code et un gouvernement. • tout, l'honneur et les lois.
Préférer la répression par la justice à l'a- Aussi, au temps de la plus grande sé-
vertissement par la censure est un 'choix vérité des lois criminelles et des chambres
vil el abject qui déshonorerait un écrivain, de Tournelle, on n'avait su opposer que
et ne peut tenter qu'un libelliste. la censure à la licence des écrits, et les
Nos mœurs ont toujours -été plus indul- tribunaux punissaient un écrivain plutôt pour
gentes que nos lois. C'est un beau trait de avoir décliné ou trompé la censure, que
caractère national. Aussi avait-il fallu, pour pour avoir publié des écrits dangereux.
maintenir de l'ordre en France des lois Mais, nous dit-on, la censure est arbi-
fortes et des tribunaux plus forts encore traire.-Est-ce qu'il n'y a pas de l'arbitraire
que les lois. dans tous les jugements Vous donnez au
Ce caractère ne s'est pas perdu, même censeur ou au juge un pouvoir discrétion-
après que les lois et les tribunaux se sont naire. Est-ce que l'écrivain n'a pas lui-
affaiblis mais il en résulte un grand mal, même ce.pouvoir discrétionnaire d'écrire le
la difficulté et bientôt l'impossibilité de pu- vrai et le faux, la louange et l'injure, lo
nir puissant et nouveau motif de préve- bien et le mal? Si le méchant se sert à
nir. volonté, pour nuire à la société, de toutes
Si vos lois répressives sont faibles, il y les forces et de toutes les ruses de son
aura peu do péril, et souvent beaucoup de intelligence, voulez-vous interdire au cen-
profit à les braver; si elles sont fortes, elles seur et au juge, pour prévenir le délit ou
ne seront pas appliquées par des tribunaux le punir, le droit de faire usage de la
faibles, et le seront d'autant moins, qu'elles sienne ? et croyez-vous réduire les innom-
seront plus fortes. brables combinaisons de l'art de présenter
Essayez, comme en Angleterre, de con- ou de sous-entendre les pensées les plus
damner un écrivain impie ou séditieux à dangereuses sous les expressions les plus
une amende qu'il ne puisse pas payer, même innocentes, à un fait précis et matériel
en restant en prison toute sa vie, et vous comme un vol, uu faux ou un assassinat?
verrez, avant qu'il y ait passé trois ans, la La société périt, non par l'absence de la
philanthropiephilosophique et la charité chré- vérité, car elle a toujours possédé celles
tienne conspirer de concert pour obtenir sa qui lui étaient nécessaires, mais par la pré-
grâce de l'autorité. Telles sont nos mœurs sence de l'erreur; et un écrit tout entier,
et, s'il ne faut pas leur céder, il ne faut bon et utile, injustement supprimé, n'aurait
pas trop s'en plaindre. pas fait autant de bien que feront de mal
Je ne dirai plus qu'un mot, et il sera quelques lignes coupables laissées dans un
entendu. Comment oserez-vous seulement écrit ipar faiblesse ou par complicité. La
proposer la répression judiciaire de la li- société n'a rien à apprendre; elle a beau-
cence d'écrire dans un pays>où, au temps coup à oublier.
de a plus grande dignité des mœurs, lors- Osons le dire, une loi répressive de la
que les principes d'honneur avaient tant de licence d'écrire, j'entends une loi répri-
force dans la société et d'empire sur les mante, est impossible à faire, impossible
esprits, un écrivain, un philosophe, un à exécuter; nos ennemis le savent, et c'est
homme d'un talent reconnu, admiré et ca- pour cela qu'ils la demandent.
ressé dans le grand monde, qui se serait On ne fait pas même attention que ces
offensé d'être assigné par un huissier, s'ap- lois répressives ne sont réellement que pré-
*-i59 OEUVRES COMPLETESM M. DE Bg',NALIY. uue
l'égard des écrits non périodiques,
ventives aà l'égard éclairé
<
mis sur 1» même
l'Europe étaient mis
connus de l'autorité aussitôt qu'ils ont paru, ligne que la Minerve et ses poisons. de Je sais
et dont elle est toujours à temps d'arrêter l'abus 1 qu'on peut en faire encore, mais je
la circulation, nécessairement plus lente; sais aussi que l'absence de frein à la licence
an lieu que, pour les journaux les lois d'écrire ( serait le, plus dangereux de tous
répressives sont tardives et surannées, parce 1les abus. J'ai toujours demandé la censure
que la poste disperse ces feuilles légères aux pour1 les écrits. J'avais pensé que la répres-
extrémités de l'Europe avant que l'autorité sion f judiciaire suffisait pour les journaux
en ait eu connaissance. mais
i outre que les journaux sont aujour-
11 faut donc une censure, une censure tfhui
< les seuls écrits qu'on lise, j'ai vu la
sévère, une censure universelle sur tous repressioni judiciaire, et je n'y crois plus,
les écrits périodiques ou autres; il faut en et E elle n'a été que l'occasion d'une défense
faire une magistrature, et placer à sa tête, publique
{ des prévenus, plus scandaleuse
comme autrefois, le chef dé toute la magis- (cent fois que les délits dont ils étaint ac-
trature; il faut que le censeur soit honoré, cusés.<
pour que la censure soit honorable il le D'ailleurs il faut être juste envers tous-,
faut ainsi, car le mal est à son comble. et ( même envers ceux qui seraient injustes
Je craindrais d'en affaiblir le tableau en à notre égard vous portez des lois sévères
vous le représentant, et la tribune publique (de répression, mais leur exécution ne dé-
ne peut pas le porter. L'oppression des pend que des juges, elle en dépend plus
mauvais écrits est intolérable, et l'insurrec- encore que la censure ne dépend des cen-
tion des pères de famille, de tous les hon-• jseurs car les censeurs sont amovibles, et
nêtes gens contre ces tyrans des esprits, l'inamovibilité du juge le défend contre
ces corrupteurs, de toute morale, ces en- toute intluence ministérielle, bonne ou mau-
nemis de toute autorité légitime, ces fléaux vaise. Le censeur est sous l'influence du
de toute société l'insurrection serait, je ne gouvernement, mais le juge peut être sous
crains pas de le dire, le plus saint des devoirs l'influence bien plus puissante d'un- parti,
et cette fois, du moins, cette maxime aura i et tandis que le censeur ne donne à ses
trouvé sa légitime application. décisions que le poids de son autorité pré-
Je l'avoue, auprès de ces considérations caire et personnelle, le juge- donne à ses
générales, les considérationsparticulières ett arrêts la sanction sacrée de la loi, et avec
personnelles me touchent faiblement, et ici un jugement peut faire une jurisprudence,
la conscience parle seule et plus haut que et cela même est un grand danger. Il est
l'amitié. Je suis envoyé pour faire des lois, ett yrai cependant qu'une marche ferme et dé-
non pour faire des ministres. Si les hommes sidément monarchique, dans le gouverne-
sont mauvais, ilfautbien plus impérieusementt ment et l'ensemble de ses choix et de ses
que les lois soient bonnes; il en resterat mesures, peut donner une meilleure direc-
toujours quelque chose, il en résultera quel- tron à la censure et même aux tribunaux.
que bien et où irions-nous, s'il fallait at- Cette marche ferme et décidée nous manque
tendre, dans le temps où nous vivons et depuis longtemps, elle a même été en sens
dans un gouvernement tel que le nôtre, tout à fait contraire, et nous en avons vu
pour porter de bonnes lois, que les hommes les effets dont nous nous ressentons encore.
qui doivent les exécuter fussent irrépro- Mais si la faute en est aux hommes, la
chables aux yeux de tous? Il serait bien première cause en est dans les institutions
plus facile à de mauvais ministres d'abuser> qui se composent de deux principes oppo-
de mauvaises lois; il suffirait d'en user. sés, et par conséquent indécis: car qui dit
Faites toujours de bonnes lois et attendez oppositionentre eux, dit indécision, puisque
de meilleurs temps, et, s'il le faut, de meil- le point où ils se touchent est celui où ils
leurs hommes, qui trouveront tout préparé se divisent. C'est ce que M. le ministre de
l'instrument dont ils doivent se servir. C'est l'intérieur a voulu nous dire, lorsqu'il nou-
à la société qui demeure que vous donnez a parlé de deux couleurs de journaux. Mai>
des lois, et non aux ministres qui passent si la constitution a deux couleurs, le gou
et à qui vous ne devez rien. Je sais J'abus vernement, qui n'est pas la constitution, et
qu'on a fait de la censure, et je n'ai pas qui est chargé de la faire marcher ou de
oublié ce temps de désastreuse mémoire où nous faire marcher nous-mêmes avec elle
je Conservateur et ses doctrines qui ont et sous sa direction le gouvernement, sous
mi PART. II. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. UB
peine de roir trois couleurs en France, ne II y a une loi en Danemark qui oblige
pn prendre
doit en nu'une. la couleur
nrp.ndre qu'une, couleur- monar- tout
t homme en place, sous peine de destitu-
chique. Toute la démocratie que peut admet- tion,
t à poursuivre devant les tribunaux
tre la constitution est dans cette chambre, l'auteur
1 de l'écrit où il est inculpé. Là, un
et il y en a assez; la monarchie doit se écrivain n'en est pas quitte pour dire qu'il
é
( 1 ) Ceux qui s'en tiennent si rigoureusement à l'a composé? Les tuoyens paient-ils les taxes des
la lettre de la Charte, et qui croient toute interpré- postes pour qu'elles leur apportent tous les jours
tation de son esprit sévèrement interdite, trouvent- les écrits qui égarent et corrompent leurs enfants
il3 dans la lettre de la Charte que le gouvernement Un gouvernement sage ferait l'économie de trans-
doive leur prêter les postes royales pour répandre porter gratis tous les journaux mais sous la
leurs poisons ? trouvent-ils ce sens dans le mot condition de n'en point transporter de dange-
publier? est-ce le gouvernement qui doit ainsi reux.
publier ou rendre public un écrit, ou l'auteur qui
OPINION
On nous a reproché de ne pas discuter. rait à la vérité être soumise comme quelques
Comme à tout propos et sur tous les articles, industries à des autorisations ou conditions
et particulièrementdans le discours que vous préalables, mais comme toutes les industries,
venez d'entendre, on remet en question la lui elle ne devrait trouver de bornes que dans la
tout entière, on me permettra de discuter concurrence des fabricants et le besoin des
pour la défendre tout entière et par des mo- consommateurs.
tifs méconnus ou dissimulés par les uns, et II n'en est pas ainsi des nobles produits -de
trop faiblement indiqués par les autres. ^'intelligence les lettres, et ce mot comprend
J'aurais pu comme plusieurs de nos col- tout ce qui s'écrit et se publie dans le genre
lègues, proposer un amendement pour avoir moral et politique, les lettres ne fussent-elles
une occasion de parler sur toute la loi j'ai pour les marchands de papier et de livres
préféré une manière plus franche, et si vous pour les écrivains eux-mêmes, si l'on veut,
trouvez un peu de divagation dans ce que j'ai qu'une spéculation d'intérêt privé, pour nous,
à vous dire, vous voudrez bien songer que législateurs, elles sont un pouvoir public et
nous y sommes autorisés par de grands et de politique comme celui des armes ou celui des
fréquents exemples, et que personne ici n'en lois, plus hostile même que le pouvoir des
a, que je sache, le privilége exclusif. armes, plus redoutable même que le pouvoir
Si la liberté d'écrire n'était, comme on l'a des lois; un pouvoir qui s'étend, s'élève et
un peu trop dit, qu'une spéculation d'intérêt s'affermit à mesure que la société avance et
privé, un établissement d'industrie, elle pour- qu'il y a plus d'esprit chez les hommes et
Ufis PART. II. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. U6H
plus de lumières ou des lumières plus ré- public, la liberté d'écrire ne
Jie peut la pro-
être la
peut Être pro-
pandues dans la société et tandis qu'au pre-
pré- .priété d'aucun particulier;
particulier si elles sont un
mier âge des nations, l'âge de la force phy- pouvoir public les écrivains et les journa-
sique, le pouvoir des armes est le seul res- listes plus que les autres sont des fonction-
pecté qu'au second âge, l'âge des moeurs nairés car la qualité est dans la fonction,
simples et du bon sens, le pouvoir des lois a et non là où le vulgaire la voit, dans le par-
plus d'empire; au dernier âge, à celui oùi chemin du brevet ou la broderie du costume;
nous sommes parvenus, à l'âge de l'esprit, ett si elles sont un pouvoir public, elles sont né-
du bel esprit, le pouvoir des lettres, armé de cessairement subordonnées, comme toutes les
l'imprimerie, domine presque seul sur l'affai- autres, au pouvoir suprême de la société qui
blissement des deux autres et s'il n'est pasi doit en favoriser, en protéger le légitime
'eur plus puissant auxiliaire, il devient leur exercice, et en prévenir ou en empêcher les
ival. écrits.
Je crois, en les considérant ainsi, faire auxl L'autorité royale en France a-t-elle rempli
lettres l'honneur qu'elles méritent. Dans des le premierde ces deux devoirs? A-t-elle assez
temps et chez des peuples qui n'avaient pas favorisé l'étude et le progrès des lettres1
de doctrines politiques, et dont les riants men- Ouvrez votre budget, Messieurs, et sans par.
•
songes de la mythologie étaient tout l'ensei-• 1er de la protection que nos rois ont dans tous
gnement moral, l'orateur romain a pu ne les temps accordée aux lettres et aux arts, et
voir dans les lettres que le plaisir qu'elles dont il nous reste tant de beaux monumeats,
procurent à l'homme, consolation dans ses voyez quelles sommes sont annuellement em-
malheurs ornement de sa prospérité, doux ployées à l'instruction gratuite, élémentaire,
aliment de ses jeunes ans, charmes de sa littéraire, scientifique Combien à payer des
vieillesse mais pour nous, élevés sous l'em- professeurs et des élèves, des colléges et des
pire d'une législation sévère, fondée sur un écoles, des académies et des artistes, des
livre et perfectionnée par un autre livre, lat cours publics de tous les genres, même des
société ne peut, dans son état moral, être voyages lointains pour l'intérêt des sciencest
troublée que pas des écrits; les lettres ont Et je le demande aux esprits de bonne foi,
pris un plus grand caractère; elles sont de- un gouvernement qui fait de si grands sacri-
venues l'appui ou le fléau de la société, et fices au progrès des sciences et des arts, au
désormais les gouvernements qui croyaient véritable progrès des lettres, n'a-t-il pas par
pouvoir se passer de leurs secours doivent cela seul le droit de lui imposer en retour,
au moins les estimer assez pour les craindre. si ce n'est de le servir, au moins de ne pas le
Ce sont, en effet, les lettres chrétiennes combattre cte lui demander de respecter les
qui,dans les neuf siècles qui se sont écoulés grandes propriétés de la société confiées à
de Charlemagne à Bossuet, ont fait la France sa garde, la religion, la royauté, les lois éta-
ce qu'elle était, et ce sont les lettres soi- blies et les écrivains qui ont tous trouvé par
disant philosophiques qui, dans bien moins ses soins les secours nécessaires pour s'ins-
de temps, tant la destruction est rapide ont truire, et beaucoup d'entre eux jusqu'aux
fait l'Europe telle que nous la voyons; et frais de leur éducation, ne doivent-ils pas
lorsque nous attribuons tant de pouvoir aux employer à son profit et sous sa direction,
lettres, que faisons-nous autre chose que ré- les armes qu'il a mises entre leurs mains ?i
péter ce qu'ont dit pendant un siècle et avec I es écrivains exercent, je. le répète une
tant d'emphase des écrivains qui ont pris sur véritable fonction dans un véritable pouvoir
nos destinées une si malheureuse influence •Js sont fonctionnaires publics dans toute l'é-
et ici même les uns s'occuperaient-ils à poser tendue de ce mot; fonctionnairespublicsbien
avec tant de peine des bornes à la liberté d'é- plus que le juge qui règle de petits intérêts
crire, les autres désireraient-ils pour Jes entre des particuliers, plus que le militaire
lettres une liberté à peu près sans bornes, si qui commande des évolutions à quelques
tous nous ne les regardions comme un pou- hummes; car quelle fonction plus publique,
voir et un grand pouvoir? plus générale, plus importante que celle de
Dans ce principe, Messieurs, car c'en est former, de diriger les pensées, les volontés
un, et dans ce principe seul est la raison de les actions des hommes? et si les écrivains
toutes les lois préventives ou répressives que utiles ou dangereux, qui ont pris un grand
les gouvernements peuvent porter sur la li- ascendant sur leur siècle, pouvaient réunir
berté d'écrire. Si les lettres sont un pouvoir autour d'eux et vous présenter tous ceux
liï7 ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. UGS
dont ils ont dirigé, redressé ou et- publier,
ou égaré les kpi- écrire et' publier il ne faut ni études, ni
nions,
nions vous seriez étonnés de l'étendue du examens,
examens. ni épreuves;
éoreuves: il suffit, nour lancer
suffit. pour
pouvoir qu'ils se sont créé, et de l'immense une brochure qui troublera la tranquillité
population de ce royaume de l'intelligence. publique, pour publier un ouvrage qui ébran-
Mais c'est ici qu'on est tombé, je crois, lera les fondements de la morale, d'une de
dans une grande erreur. La Charte dit « Les ces imaginations ardentes qui naissent de la
Français ont le droit de publier et faire im- fermentation de la société, et ressemblent
primer leurs opinions, en se conformant aux souvent à l'esprit et quelquefois au génie; et
lois qui doivent réprimer les abus de cette la fonction d'écrire sur les hautes matières
liberté. » On a dit que le législateur nous de la morale et de la politique, bornée jadis
avait donné le droit de publier nos opinions, par les moeurs à un petit nombre d'hommes
et qu'il ne pouvait, par la condition d'une graves et exercés, est devenue la profession
autorisation préalable, retirer d'une main ce 'de tous ceux qui croient qu'il suffit de savoir
qu'il avait donné de l'autre, ou qu'il avait tracer des caractères pour être écrivain. Il
reconnu le droit que nous donnait la nature, eût donc été, ce me semble, assez naturel
et qu'il ne pouvait pas davantage le borner. que le gouvernement eût cherché dans la
Ce raisonnement est conséquent, mais il part censure une garantie préalable de l'utilité
d'un faux principe. ou de l'innocencede l'écrit, lorsqu'il ne pou-
La Charte ne nous a rien donné, n'a rien vait avoir aucune garantie préalable de la
reconnu, parce qu'il n'y avait rien à donner, capacité et de la probité de l'écrivain. Mais
et que nous n'avons pas besoin qu'elle re- on en a jugé autrement, les lois préventives-
connaisse. Tous les Français, tous les hommes ont été écartées, les lois répressives ont pré-
tiennent la pensée et la parole verbale ou valu c'est une grande concession, et j'ose
écrite de leurs facultés organiques ou intel- dire, sur des aveux naïfs, qu'on en sent tout
lectuelles et de leurs premières communica- le prix, et qu'on surfait la colère pour obte-
tions avec leurs semblables. Ils ont tous le nir un meilleur .marché après tout, si les
droit d'écrire et de publierleurs écrits, même lois répressives étaient trop réprimantes, les
écrivains seraient les premiers à demander
par la voie de l'impression qui n'est qu'une
écriture plus expéditive, comme ils ont tous la censure; si elles ne l'étaient pas assez,
le droit de parler à voix haute et pour être nous la demanderions.
entendus de beaucoup de monde; rien jus- Ainsi, ou le législateur nous a donné le
que-là n'est du domaine de la loi. Qu'a donc droit d'écrire et de publier, et alors il a pu
fait le législateur? Il a posé un fait pour mettre à ce don telle condition qu'il lui a plu,
trouver la matière d'une loi. Il a dit « Les ou préventive ou répressive, et il a pu les ex-
Français ont le droit de publier et faire im- primer. dans la Charte, cette fille du roi,.dont-
primer leurs opinions. » Voilà le fait; mais un parti voudrait faire sa mère, suivant le-
il ajoute « en se conformant aux lois qui mot heureux d'un homme de beaucoup d'es-
doivent réprimer les abus de cette liberté. » prit ou nous tenons de la nature le droit
Voilà le droit, voilà la loi et la loi tout en- d'écrire et de publier, et la loi, faite unique-
tière. Les lois pénales ne permettent pas, ment pour perfectionner la nature, en faisant
nous nous permettonstoujours assez à nous- des citoyens et des hommes raisonnables ùe>
mêmes elles ne font que défendre. Cette ceux dont la nature n'a fait que des animaux
énonciation est du même genre que celle-ci capables de le devenir, la loi a dû placer les.
« Tous les hommes ont le droit de jouir des bornes de la raison et des devoirs là où la
fruits de la terre, en se conformant aux lois nature n'a mis d'autres bornes que nos facul-
qui doivent réprimer les abus de cette li- tés elles-mêmes, et la loi nous a prescrit la
berté, c'est-à-dire, aux lois qui défend eht tempérance dans la faculté d'écrire, comme
d'usurper le bien d'autrui. » l'hygiène nous prescrit la tempérance dans la
Et cependant il y a cette différence entre faculté de manger. Ainsi, comme la nature,
le pouvoir des lettres et les autres pouvoirs en nous donnant des facultés inégales, a sou-
secondaires de la société, que l'on n'est reçu mis les faibles aux forts, la raison, redressant
à exercer quelque fonction dans ceux-ci-qu'a- ses torts, veut que nous soyons, comme indi-
près des études, des examens et des épreuves vidus, indépendants les uns des autres; elle
de capacité et d'idonéité dans des grades in- nous dit que nos facultés corporelles ou in-
ferieurs; et que, pour exercer une fonction tellectuelles nous ont été données pour nous
dans le pouvoir des lettres, c'est-à-dire pour conduire nous-mêmes, et non pour opprimer
mrm a a4.W
ama. aaj~W .o.
nos semblables; elle nous défend autant d'op-
.JVa·
le. gouvernement n'en autorisera aucun, jo
primer leur esprit que leur corps, et autant répondrai à ces suppositions ridicules, comme
de chercher à diriger leurs pensées au profit toutes les suppositions extrêmes, et que la
de notre orgueil que d'envahirleurs proprié- raison, qui connaît les possibilités des affaires
tés au profit de notre fortune. Car il y a, dans humaines, ne fait jamais, je répondrai par la
l'empire des intelligences, des usurpateurs et supposition mieux fondée, que les tribunaux
des tyrans, comme dans les royaumes politi- supprimeront peu et que le gouvernement
ques, et qui, sous de beaux noms de libertés autorisera beaucoup.
publiques, d'égalité politique, de progrès des Les journaux politiques, genre nouveau de
lumières, d'affranchissement des préjugés, littérature qui s'est introduit parmi nous,
établissent leur domination sur les esprits; appartiennent aux lettres et sont nés de l'al-
semblables aux conquérants, qui promettent liance que, dans leur caducité, les lettres ont
aux peuples qu'ils veulent soumettre de les contractée avec la politique. Enfants ingrats,
délivrer du joug de leurs maîtres et de les ils tueront les lettres, comme les spectacles
affranchir de tout impôt. tueront l'art du théâtre. Et ce serait une
raison pour borner le nombre des journaux,
Ainsi, je le répète, que le législateur nous
plutôt encore dans le véritable intérêt des
ait donné le droit d'écrire et de publier, ou
lettres que dans celui de la politique.
que nous le tenions de la nature, la loi a pu, L'utilité des journaux, pour alimenter la
a dû en régler l'exercice par des mesures ou
préventives ou répressives, à sa volonté et curiosité publique, est incontestable. Le gou.
fait à ce besoin, si c'en est un, de
non à la nôtre. Aussi se trouvent-elles toutes vernement
dans la Charte; on l'a dit hier dans un dis- grands sacrifices, même sur les frais de trans-
il lui en coûte cher pour nous en-
cours remarquable. Si vous voulez que les port, et
lois répressives se trouvent dans le mot voyer de fausses nouvelles et trop souvent
réprimer, plus certainement encore les lois des poisons; mais je ne vois pas, je l'avoue,
préventives se trouvent dans le mot se con- avec la même évidence, leur nécessité pour
former; car on subit la loi qui punit, on se la force du gouvernement et la tranquillité
conforme à la loi qui prévient la langue des peuples. Si les uns appuient, les autres
française, la première de nos autorités natio- cherchent à renverser. Ce sont des avocats
nales, le veut ainsi. Et quel est l'écrivain qui, qui plaident pour et contre, mais devant des
juges différents; car chacun ne lit que les
sur la foi de la Charte, oserait hasarder cette
phrase ridicule « Le maréchal de Biron, journaux de son opinion,. et au lieu de for-
convaincu de félonie, se conforma à la loi mer une opinion publique, ils en forment
i-
qui réprime la trahison, et il eut la tête tran- deux essentiellement opposées l'une à l'au-
chée ? « tre, par conséquent deux peuples divisés
dans un même Etat: car si deux particuliers,
En un mot, quand une maladie n'attaque quoique divisés d'opinion, peuvent vivre en-
que quelques individus isolés, il suffit pour la semble en bonne intelligence, deux publics
combattre des secours ordinaires de la méde- ne :e peuvent pas. Mais cette guerre intestine
cine curative; quand elle devient endémique, que les journaux entretiennent est absolu-
on établit des cordons, on emploie des mesu- ment nécessaire à la vie des Etats, suivant les
res sanitaires, et la censure est la loi sanitaire modernes publicistes. C'est une idée nouvelle
de la fièvre d'écrire qui a saisi tous les qui a fait fortune dans notre vieille Europe,
esprits. qui sur toutes choses a peur d'être tranquille,
Ainsi le législateur a pu, je ne dis pas dans et qui cherche le bonheur dans l'agitation,
son omnipotence, mais dans sa puissance la après l'avoir si longtemps trouvé dans le
plus ordinaire et la plus légitime,, soumettre repos. 1.1 faut donc laisser le champ libre aux
le droit d'écrire et de publier à toutes les lois combattants, et se borner à exiger que le
qui peuvent nous en assurer les avantages et combat soit loyal et que les puissances belli-
en défendre le légitime exercice contre la gérantes n'emploient que des armes innocen-
licence; il a pu soumettre aux tribunaux, à tes. Tel est l'objet de toutes les lois répressi-
juger de l'utilité des écrits ou de leur danger, ves, et particulièrement de. celles que nous
et se réserver pour lui-même l'autorisation discutons.
d'établir de nouveaux journaux. C'était son Cependant les journaux sont d'une mer-
droit et son devoir; et si l'on dit que les 1ri- veilleuse ressource dans certaines formes de
bunaux supprimeront tous les iournaux, que gouvernement, et les Anglais l'ont bien senti
ifl'l OEUVUES COMPLETES DE M. DE BONALD. U72
Leur licence amuse et trompe l'éternelle in- francs tant de détours pour sauver leurs biens
docilité du cœur humain, et fait croire aux ou leur vie, tant de réserve et quelquefois de
peuples qu'ils sont libres. L'homme qui le dissimulation pour cacher leurs sentiments;
matin lit dans le journal des injures au gou- l'art du style ne sait-il pas inviter à la révolte
vernement et à ses agents, et des annonces avec des démonstrations de fidélité et d'obéis-
perpétuelles de réformes et de changements sance, prêcher l'impiété ou l'indifférence sous
dans l'administration, s'applaudit de son in- un respect apparent pour la religion, présen-
dépendance, presque de son courage; croit ter les images les plus licencieuses sous l'ex-
que le roi n'est pas son maître, que tout ce pression la plus décente, parler enfin de tout,
qu'il appelle des abus va cesser, et s'en re- à propos de tout, et parler hautement même
tourne plus satisfait, comme le villageois qui par le silence? Les partis n'ont-ils pas un
a lu dans son almanach la prédiction pour langage télégraphique convenu entre les
l'année suivante d'une abondante récolte de adeptes, et qui ne présente aux autres rien
blé et de vin. Cette illusion a été jusqu'ici de ce qu'on veut dire? Et nous-mêmes, Mes-
assez innocente dans un pays tranquille de- sieurs, permettez-moi de vous le demander,
puis longtemps, chez un peuple à peu près bien plus susceptibles pour nous que nous
nomade, dont la moitié passe la mer tous les ne le sommes pour la société, notre mère
ans, et qui ne s'occupe de politique, et peut- commune, avons-nous besoin, pour nous
être un peu trop de politique étrangère, que croire insultés, qu'on nous adresse de gros-
sous le rapport de ses intérêts privés; mais sières injures et des propos de halle? Ne
cette illusion a de grands dangers dans un savons-nous pas démêler l'esprit et la ten-
pays récemment agité, où les factions sont dance offensante d'un trait ironique lancé
toutes vivantes, et chez un peuple sédentaire, avec finesse, d'un persift1age assaisonné de
m'oins occupé d'intérêts privés que de systè- politesse, quelquefois d'une louange exagé-
mes ou de chimères politiques, et dont l'es- rée ? Les journaux de Marat et de Gorsas
prit vif et le caractère ardent veulent sur-le- étaient dangereux par leur grossièreté, parce
champ changer les espérances en réalités. qu'ils s'adressaient à la plus grossière popu-
lace mais des journaux tels qu'en font au-
On a trouvé dans les mots esprit et ten-
dance une expression peu déterminée, que jourd'hui des hommes habiles ne font de
l'effet, ne prennent de l'influence sur les opi-
ceux qui cherchent les difficultés ne man- nions que par l'esprit général dans lequel ils
quent pas de saisir. Mais d'abord ces mots
sont-ils français? Ces deux mots mêmes pré- sont composés et la tendance qu'on a voulu
leur donner; et c'est cet esprit bon ou mau-
sentent un sens différent, dont l'un a rapport
vais, cette tendance, que les cours royales
à l'écrit, l'autre à l'écrivain. L'esprit général
d'un écrit peut être mauvais sans que l'auteur sont appelées à juger, et que certainement
ait voulu lui donner une tendance dange- elles sont plus compétentes pour juger que le
jury, et même sont et seront éternellement
reuse la tendance ou l'intention de l'écrivain
seules compétentes.
peut être dangereuse sans qu'il y ait dans son
ouvrage d'esprit d'aucune espèce, ni général L'erreur d'un de ces derniers orateurs qui
ni personnel, et nous en connaissons des ont parlé dans la séance de jeudi, et qui, à
exemples. Quoi qu'il en soit, un homme propos de cette loi, a nommé les tribunaux
d'esprit a-t-il besoin, pour juger la tendance révolutionnaires, est d'avoir comparé les dé-
ou l'esprit général d'un écrit impie, séditieux, lits de la pensée aux délits matériels. Dans
obscène, que l'auteur y ait porté l'impiété ceux-ci, le juge voit et touche les faits par les
jusqu'au blasphème, l'esprit de révolte jus- yeux et les mains des témoins car s'il avait
qu'à la provocation ouverte, le mépris des vu ou touché lui-même, il ne pourrait pas
mœurs jusqu'au cynisme le plus effronté? La juger sur son propre témoignage. Dans les dé-
mère ne juge-t-elle pas l'impression dange- lits de la pensée, le magistrat juge avec sa
reuse que peut faire sur l'imagination de sa pensée et non avec la pensée d'autrui car s'il
fille la lecture du roman même le plus réservé trouve l'écrit innocent, il ne peut pas con-
dans l'expression; et où le sentiment le plus damner. Mais s'il le trouve dangereux pour lui,
pur est présenté avec le plus de délicatesse? il l'est pour quelqu'un, et il doit condamner.
L'art du style et ses artifices, si bien connus Dans les délits matériels il faut, pour juger, le
depuis que le caractère français a perdu de témoignage d'autrui; dans les délits de la pen-
sa franchise dans une révolution qui, suivant sée, son propre témoignage c'est l'esprit qui
tes. époques, a imposé aux hommes les plus juge l'esprit; et le juge, du moins le tribunal,
U75 PART. Il. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. un
,• ,!> _u.i,
1
doit en avoir autant que l'écrivain raison citoyen, il n'y a de propriété, c'est-à-dire de
puissante, décisive entre mille autres,
ne pas livrer ce jugement aux
autres. pour
hasards
nnnr
du
possession et d'usage absolument indépen-;.j/
dants, que des choses innocentes de leur na-
jury, mais pour le confier à des hommes exer-
ture. Un conspirateur se sert de l'influence et
cés par état à démêler dans les causes civiles du crédit que lui donnent ses terres et ses ca-
les artifices de la mauvaise foi, et à assister à pitaux pour troubler l'Etat; il est puni, mais
ces combats du barreau, où se déploient tou-
ses revenus mobiliers ou territoriaux, inno-
tes les ressources de l'art oratoire. cents, utiles, nécessaires de leur nature, sont
Et, puisque nous avons nommé le jury, on rendus à sa famille, le fisc n'en profite plus,
nous permettra une réflexion. et c'est de là seulement que vient le mot con-
On a paru beaucoup redouter l'ascendant fiscation, c'est-à-dire réunion au fisc. Vou<
que le pouvoir judiciaire allait, au moyen de avez des armes., la loi peut vous en demander
cette nouvelle attribution, prendre sur le pou- compte, en borner le nombre, en prescrire
voir politique. La loi actuelle n'ajoute rien à l'espèce, et ne vous en permettre l'usage qu'à
ce danger; les tribunaux qui jugent ce délit certaines conditions;vous vendez des poisons,
ne peuvent pas prendre une grande influence la loi vous soumet à des règlements particu-
sur le pouvoir politique, parce que les délits liers, et il faut qu'à tout instant vous puissiez
eux-mêmes n'ont pas une grande importance, lui rendre raison de l'emploi que vous en avez
et qu'il suffira au premier moment de quel- fait; vous ouvrez une fosse: sur votre propriété
ques condamnations sévères pour en diminuer pour y prendre des animaux nuisibles, tout
le nombre et la gravité.
est à vous, le. sol et le travail, et l'objet est
Les tribunaux dangereux pour le pouvoir utile en soi et innocent. Mais cette fosse peut
politique sont ceux qui jugent les crimes, les devenir un piège pour le voyageur, et la loi
crimes qui renversent les Etats, que les délits vous ordonne de la combler. Un écrit n'est
ne font tout au plus que troubler. Ainsi, qu'un pas une propriété innocente de sa nature
jury acquitte une provocation ouverte à la ré- comme Vargent ou les productions du soi,
volte, suivie d'un commencement d'exécu- qui, laissées à elles-mêmes, ne font aucun mal
tion que la chambre des pairs, formée en et ne sont dangereuses que comme moyen
cour judiciaire, absolve des conspirateurs un écrit dangereuxfait du mal tout seul, même
(qu'on me permette cette, supposition), l'Etat
sans que l'auteur ignorant ou imprudent l'ait
est ébranlé dans ses fondements, et le gouver- voulu, même quand l'auteur repentant ne le
nement abandonné, trahi par les corps qui voudrait pas, même quand l'auteur, mort de-
devraient être son premier rempart, est livré puis cent ans, ne peut plus rien vouloir. Un
sans défense à toute la fureur des partis, à écrit est un homme qui parle, qui parle tou-
toute l'audace des perturbateurs du repos pu- jours à ceux qui le lisent, contemporain de
blic. ceux qui le lisent pour la première fois, et
La faculté donnée aux cours royales de sus- qui parait nouvellement pour ceux qui ne
pendre ou même de supprimer un journal, l'ont pas encore lu. On peut donc, on doit
m'amène naturellementà discuterla question donc toujours empêcher le mal qui se fait
de la propriété des journaux. Si l'on s'est bien toujours, et suspendre ou supprimer un écrit
pénétré de cette vérité, j'ose dire fondamen- dangereux, comme on enferme ou punit de
tale, que les lettres sont un pouvoirdans l'Etat peines afilictives un homme opiniâtrement
et les journaux le pouvoirlittéraire le plus ac- séditieux. En un mot il n'y a pasy à propre-
tif que nul particulier ne peut ou accepter ment parler, de propriété indépendante pour
la faculté d'enseigner publiquement ses opi- l'homme en état de société; pas celle de sa
nions par autorisationdu roi, ou s'y ingérer de raison, particulière, que la religion. humilie
lui-même et sans autorisation, qu'en se sou- sous la hauteur de ses mystères, pas celle de
mettant à la direction que le pouvoirsuprême son corps, dont la, politique- dispose pour le
doit donner à tous les pouvoirs subordonnés; service de l'Etat.
il est évident que l'autorité peut suspendre Je finirai par quelques réflexions générales.
ou supprimer un journal séditieux, impie, Dans le cours de cette longue discussion, l'op-
obscène, comme elle licencie un régiment en position a été hostile et violente sans motif.
révolte ouverte, ou supprime, ou transfère ail- Quand nous voulions préserver le régime ac-
leurs un tribunal qui refuse d'obéir aux lois. tuel, elle n'a cessé de nous accuser de vouloir
Mais en discutant de plus près la question rétablir l'ancien régime, dont elle sait mieux
de propriété, il est aisé de voir que, pour le que nous le retour impossible, car elle est
lî73 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1176
mieux que nous, je crois, dans le secret de sa compromettresa
compromettre sa conscience ni son jugement,
démolition. Messieurs, expliquons-nous avec je remarquerai seulement qu'il en est résulté
1.1.1.=L1- -Il y ait dans cette
franchise il est possible qu'il _1_
chambre quelque député qui, avec les con-
effet assez '1"
un ".œI. bizarre. C'est Il
-1 d'avoir vu des dé-
putés nous enseigner, et même longuement,
naissances politiques que donnent l'étude ett comment nous devions voter, sans vouloir
l'expérience, par raison beaucoup plus q«ie voter eux-mêmes, et nous laissant la voix dé-
par caractère, eût préféré le gouvernementL libérative, se réduire d'eux-mêmes à la voix
d'un seul à celui de plusieurs. Ses théories, simplement consultative. Cependant, comme
qui né s'adressent pas au vulgaire, ne trou- une assemblée législative ne peut pas rester
bleront pas plus i& tranquillitépublique qu'el- partagée entre des membres dont les uns par-
les n'affaibliront son obéissance; mais nous lent dans la discussion de la loi et votent, et
en connaissons quarante qui travaillent de les autres parlent et ne votent pas, si l'on ne
toutes leurs forces, quoique sans le vouloir, prend pas d'autres mesures, il sera nécessaire
à dégoûterl'Europe du gouvernement repré- à l'avenir, pour savoir à quoi s'en tenir et sur
sentatif, et ils y réussiront; et comme on peutt qui compter, que l'on se fasse inscrire pour
rendre soupçon pour soupçon, je crois que voter comme on se fait inscrire pour par-
s'ils étaient les seuls commentateurs de la ler.
Charte, ils y feraient de merveilleuses décou- Nous aurons porté dès lois répressives de
vertes sur les libertés publiques et peut-être la licence delà presse; nous en aurons confié
sur les libertés personnelles. Ils accusent les l'exécution aux dépositaires des lois et aux
ministresd'être faibles et trouventles lois trop premiers agents de l'autorité. Nous n'aurions
fortes. Il est naturel, au sortir d'une révolu- pas pu faire davantage sur ce point, et nous
tion où les lois politiques ont été faibles et les serons quittes envers la France et l'Europe.
hommes violents, qu'on trouve trop de modé- Nous ne demandons pas au gouvernement ni
ration dans la sagesse des hommes et trop de aux tribunaux la sûreté que Dieu même ne
force dans lajuste sévérité des lois. nous donne pas mais au nom des gens de
II faut cependant y prendre garde. L'esprit bien, nous leur demandons la sécurité, qu'ils
et le goût français ont un éloignement naturel répriment enfin, ou en punissant ou en préve-
pour tout ce qui est exagération dans les dis- nant, ces déclamationsfactieuses, ces perfides
cours et les actions, et elle est plutôt usée en calomnies dont les tentatives criminelles, qui
France que partout ailleurs; tout ce que notre sse renouvellent sous nos yeux, ne sont que
raison trouve d'abord odieux, notre esprit fi- l'écho; lâche? et cruelles intrigues où des
nit par le trouver ridicule. Dans un pays où chefs sans courage, qui n'oseraient paraître,
tout finit par des chansons, on jouera sur le et se nommer que lorsqu'ils croiraient n'avoir
théâtre comique des hommes et des choses rien à craindre, lancent de malheureux su-
qui, dix ans plus tôt, auraient figuré sur un balternes dans l'arène périlleuse de conspi-
théâtre plus sérieux; et si l'on a mis sur la rations dont ils espèrent recueillir tout le
scène l'intérieur des comités révolutionnaires fruit. Peut-être du sein de l'opulence et des
qui n'avaient rien de plaisant, jetremble qu'on plaisirs, ils assistent derrière le rideau à ces
n'y mette d'autres intérieurs. jeux sanglants, comme les Romains à leurs
On a beaucoup crié, beaucoup parlé dans combats de gladiateurs; et sans pitié, sans re-
cette discussion. Si les cris ont paru forts, les mords, sans aucun de ces sentiments humains
raisons ont paru faibles. On a même donné qu'on retrouverait même chez des sauvages,
une pièce à grand spectacle et l'on a refusé des ils applaudissent au désespoir de ces morts
voter. Mais sans examiner ici si un député volontaires qui assurent leur secret et leur
présent et nominativement appelé peut se re- vie, comme les Romains applaudissaient à la
fuser légitimement à cette fonction, la seule fermeté des malheureuses victimes qui tom-
que la Charte lui impose et qu'il peut toujours5 baient et mouraient avec grâce. Je vote pour
remplir plus utilement que par un refus, sans l'adoption de la loi.
SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE.
(1826)
1
sion, la liberté de ja pr.esse,,du nioinsau- pondants étrangers, souvent mal instruits,
jourd'hui, l'étend et la seconde, en fther- ou:iiù(5regsjés /à'ijéguiser la ,^ri,té (t).
«ent lorsque la foule peut tout (lire, tout écrire chose?
jinger.?
~r.
~t~m,J't~:i..<
st. tout
OEUVRES CO~PL.
et gouverner, est-il
T~ It autre
G51~11 iAl1'LIG
M. DE BONALD. IL.
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(I) « On dirait r.m le
~~y ~a vn .trrrt~ct que m, vaste
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où croîl
cr.u;l~
i!85 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BOiNÀLD, UM
«C'est donc pour les dangers dont la cons- attendraient-elles une impulsion étrangère
«eut être menacée par les pour remplir les devoirs qui leur
Htntifm de l'Etat peut
titution Jeur sont con-
auraient-elles besoin des
erreurs ou les fautes du gouvernement lui- fiés ? Comment écrivains Dour voir, de
même, pour les abus du pouvoir et les actes yeux de quelques
d'oppression dont les ministres peuvent se leurs oreilles pour entendre, ou de îem tan.
rendre coupables, que la liberté de la presse gue pour parler? Il faudrait les supposer
est, selon ses partisans, d'une urgente et ab- aveugles, sourdes et muettes, et supposer
solue nécessité; elle est, à les ea croire, la encore que des écrivains, résidant à Paris,
sauvegarde des intérêts publics, et la senti- au milieu de toutes les distractions, de
les faux
nelle vigilante qui avertit de l'approche de toutes les rumeurs et dé tous
l'ennemi. Ici je suis, je l'avoue, d'une opi- bruits de la capitale, connaissent mieux
l'état et les
nion diamétralementopposée, et j'ose avan- que les Chambres elles-mêmes
qu'il n'y a pas de gouvernement qui besoins des provinces. Cette prétendue
cer la presse dans
ait moins besoin d'être averti par des par- nécessité de la liberté de
représentatif serait la
ticuliers sans mission et sans autorité, que un gouvernement
forme de gouverne-
le gouvernement représentatif, et que nulle condamnation de cette
il serait au contraire bien plus vrai
part les libertés publiques ne peuvent mieux ment, et
passer de sauvegarde étrangère que dans de dire que la liberté de la presse ruine le
sa représentatif, non assurément
les Etats où elles reposent sur des institu- gouvernement
pendant
tions particulières à cette forme du gouver- par la liberté de discuter ses actes
nement. qu'ils sont encore soumis à la discussion,
raisonnable et même nécessaire, mais
Comment, en effet, l'autorité pourrait-elle liberté
de les critiquer et de les com-
ignorer quelque chose de ce qui intéresse par la licence
où battre après qu'ils sont devenus lois; de
la tranquillité ou la dignité de l'Etat, là
siègent annuellement sept cents personnes s'élever, par conséquent, contre l'autorité
de lui ôter le respect et la con-
librement élues par le peuple ou par le roi, législative de rendre ainsi les
parmi les plus notables citoyens, divisés ent fiance des peuples, et
elles-mêmes sans force et sans effet au
deux Chambres indépendantesl'une de l'au- lois impartial
tre, et indépendantes du peuple et du roii point de laisser l'homme sage et loi revê-
lui-même, par la gratuité de leurs fonctions dans l'incertitude de savoir si une
de toutes les formes constitutionnelles a
ou l'inamovibilité de leur existence publi-• tue
ses propres vices, ou par la vio-
que, deux Chambres qui partagent avec le avorté parl'opiniâtreté
roi le pouvoir législatif, sans le concours ett ence et de l'opposition (1).
l'autorité desquelles rien de bien ou de mall Les fautes des ministres ne sont pas plus
liberté de la presse que les
ne peut se faire dans l'Etat; auxquelles toutt Ménagées par la
particulier qui se croit lésé peut porter seserreurs des législateurs. Rien de plus juste
réclamations qui doivent tout connaître, que de relever les fautes des ministres,
jusqu'à ce qu'on en ait trouvé qui
parce qu'elles peuvent tout interroger; au moins
tout surveiller, parce qu'elles peuventt n'en fassent point, mais encore faut-il dis-
tout accuser, tout dénoncer, tout juger, tinguer entre les fautes et une opération
et quelquefois tout punir; organes, s'il yr problématique de finance n'est pas tout
à
de la gravité d'une opéra-
en a, de l'opinion publique, puisqu'elless fait du genre et
sont envoyées de tous les points dui tion décisive de la politique, telle, par
la chambre de
royaume, et qu'elles apportent au pied dui exemple, que la dissolution de
trône les vœux, les plaintes, les réclama- 1815. Peut-être faut-il avoir quelque indul-
tions des peuples? Comment les Chambress gence pour des homiïiesaccablés defardeaux,
homme,
b~mina. et
At ne
'PART.
nA pas
11. POLITIt~irE.
chacun au-dessus des forces d'un seul
frnn s'étonner
nac trop
~G~
1
'I,~ LI~i~TE
~t.~u BELA
seui sion attaque la famille
ques parties d'une aussi vaste machine que l'homme et la propriété. Les
l'administration d'un grand Etat restent en sions dont
PRESSE.
',L,A .rnC¡"~1!n
famille dans
fait
dans ce quelle
e'~t~n~ si quel- plus cher, et ce qui -constitue~usonqu'elle
H86
1186
~ucitO aa de
de
UN
existence,
autres oppres-
souffrance ? Il y a d'ailleurs dans cette on a tant de bruit sont, le
op- plus souvent, des oppressions de cour qui
position au ministère, quelque légitime ou n'atteignent
quclescourtisansetïesambilieux.
nécessaire qu'elle soit, une considération
qu'il ne faut jamais perdre de vue. Sans n'avoirreproche
On souvent aux ministres de
pas donné à la France des institutions
doute le roi ne peut faillir, on le sait, mais qui
doivent compléter la charte et faire
il faut pardonner à l'esprit obtus du peuple surgir
de ne pas entrer facilement dans cette fiction au port, à pleines voiles, le vaisseau
de l'Etat. Je comprends ce reproche de la
tant soit peu ultramontaine de la loi il faut part des libéraux, qui voudraient
lui pardonner si, en voyant les ministres riser popula-
institutions, en attribuant au peu-
«t tous tes ministères accusés, par les ple, ennostout
ou en partie, les nominations
uns ou par les autres, d'incapacité, d'en- que la constitution réserve au roi, et -in-
têtement, de despotisme ou d'intérêt per- troduire ainsi,
jusque dans les plus petites
sonnel, il est tenté d'accuser le roi lui- le système turbulent des élec-
même de peu de connaissance des hom- communes, tions populaires, vrai dissolvant de tous les
mes pour les avoir nommés, ou d'im- liens de parenté, d'amitié, de bon voisinage
prudence s'il les. conserve. Autrefois le Mais
peuple se consolait de ses maux, en pensant royalistes, ce ne sont point là les intentions dès
et dès lors je n'entends plus ce
que le roi les ignorait; mais aujourd'hui
que qu'on demande par des institutions hou»
le peuple lui-même, grâce à la tribune et velles, supplément et complément des an-
aux journaux-, assiste, ou peu s'en faut, ciennes. Les chambres sont une institu-
au conseil du roi, il n'a pas cette resource, tion, les tribunaux sont
et il croit le souverain instruit de ses souf- les administrations départementales une institution,
et mu-
frances comme lui-même. C'est donc dans nicipales j
l'intérêt de la royauté elle-même, le pre- blique, l'éducation sont une institution; la force pu-
publique, le jury sont
mier et le plus grand intérêt de l'Etat, qu'il des institutions.
N'y en a-t-il pas assez? Le
convient de mettre de la mesure dans les législatif fait des lois, Les tribunaux
corps
<
reproches qu'on croit devoir adresser à ces les 1 appliquent, la force publique en appuie
premiers agents de l'autorité royale, honorés l'exécution;
1
de la confiance du roi. A vrai dire, je crois, hommes que faut-il de plus?Sont-ce les
1 qu'il faut changer? sont-ce les
dans notre forme de gouvernement, les choses? Les hommes
sont à la nomination
ministres les plus malheureux des hommes; < à la révocation du roi; mais qu'on
et
< essaye
et à ceux qui croient que les honneurs et de changer les choses, et l'on
les profits du ministère les dédommagent <débats s'élèveront dans les chambres» verra quels
(
des contradictions auxquelles ils sont en Est-ce la responsabilité des ministres
butte, ils pourraient répondre comme cet qu'on < voudrait définir? elle ne le sera ja-
acteur « Comptez-vous pour rien le droit mais i plus en France qu'elle ne l'est en An-
que vous avez de me le dire? » Bossuet a gleterre,
c et une responsabilité définie serait
dit aux rois de gouverner hardiment; mais responsabilité illusoire. Est-ce la cen-
une
t
des ministres continuellement harcelés, et, tralisation
{] qu'on attaque ? Je respecte l'opi-
sur toutes les opérations, exaspérés, s'ils nion de ceux qui la combattent, et dans les
r
sont forts, gouverneront témérairement; rrangs desquels je compte beaucoup d'amis
intimidés, s'ils sont faibles, gouverneront maisj'ose leur dire qu'ils diminueraient
E ne en
mollement et feront leur devoir comme rien les soins du gouvernement, et ajouteraient
r
les écoliers médiocres, sans faute, mais sans bien
fc peu aux garanties des citoyens. Quand
génie et sans courage. j] y a de la démocratie dans la constitution,
il
On parle d'oppression politique; mais il j] faut qu'il y ait de la monarchie et toute
en dépouillant cette expression de toutes les la ]( monarchie dans l'administration; et la cen-
abstractions de la nouvelle école, et la rédui- ttralisation n'est pas autre chose. A mesure
sant au réel, au positif, on ne trouve d'op- Tc que l'esprit religieux s'affaiblit, et que la
pression publique, politique, générale que cupidité et l'amour des jouissances gagnent
c
l'excès des impôts, -etM'excès dans la levée les i coeurs, la probité est exposée à plus de
des gens de guerre, parce que cette oppres.- tentations,
t C'est là la cause qui, dans toutes
les comptabilités, a multiplié les écritures ment ioree iaii naine pi us u
nourrir, que
uw"
l'autorité
i"
n'en peut
-et les contrôles. C'est la même
raison en- ne peut en
qui rendrait plus périlleuse la dissémi- contenir, que la religion ne peut en ins-
core Il n'y a nulle part plus de mendiants
nation des affaires dans toutes les petites truire. manufacturières. En An-
administrations; et le gouvernement ou les que dans les villes
partie de la population
administrations supérieures emploieraient gleterre, une grande
surveiller, à reprendre, a corriger, le temps industrielle est à la charge des bureaux de
à
-et lés hommes qu'ils emploient aujourd'hui
charité de ta paroisse et de la taxe des pau-
soient
à faire 'eux-mêmes. vres, et quoique leurs mendiants
des institu- peut-être mieux vêtus et mieux nourris que
Sans deate il naos manque les nôtres, ce sont toujours des mendiants,
tions, des institutions domestiques et reli-
celles On fait aujourd'hui consister la prospérité
gieuses, les plus :politiques de toutes d'une nation à travailler et à produire pour
qui constituent la famille et ;é tendent les
celles-là toutes les autres ce système trop généra-
bienfaits «te la -religion-. Si ce sont lisé est faux, je le crois, en politique mais
dont on txA&nà. parler, quel est 4e «ai Fran-
nécessité et aussi, pendant que les cupidités du com-
çais qui'n'ën reconnaît pas Ja ne
poussent de toutes leurs forces à por-
proposées et merce
forme pas le vœu de les voir ter aa dehors les produits de l'industrie la
établies? Je suis donc plus disposé à voirr
gouvernements de la politique des Etats, marchant en sens con-
aujourd'hui dans les traire, tend à restreindre l'industrie étran-
faiblesse qae;de l'oppression^ raais cette op- gère, et multiplie sur toutes les frontières les
pression, si on pouvait la supposer, serait droits et les prohibitions.
te fait des pouvoirs constitués, et te presse
Mais du moinsr tandis que le gouverne-
la -plus libre ne pourrait l'empêcher. laisse .sa démocratie s'enri-
ta presse,'si libre en Angleterre^ empêche- ment .anglais vastes entreprises eon>
t-elle roppîession des CatholiqueSd'Irlande, chir, par les plus
Impression :de l'Inde, r-oppression ffiiêrae,
merdales et industrie-ltes, il fortifie son
aristocpatie, ei la monarchie, par uonsé-
on peut ile (lire, êe tous les -gouvernements
maijît'eaant dans les mêmes fa-
monarchiques, par iPappni ouvertementprêtés <iaent, eti
milles les grand'es propriétés territoriales.
à toutes tes révoltes pop u laines T Empêche
t-selleicetlie «utre oppression que les fail-
qu'un de ses plus grands ministres a même
lites, si nombreuses dans cemaotaent, font accrues,t dans ces derniers tffEfkps par uu
là ce
pesersur de malheureux Créanciers, -et-.n'a- pa-rtage' de communaux:. Ge n'est pas
Angleterre il
t-eîlle pas plutôt poussé à leur .ruine, en i cjoea plus
-nous imitons -car s.i, en
de démocratie dans les sentiments
•esattant outre mesure l'avantage de f lacerr y
en -Fratace il y en
des -capiïïaiïx sur tous ces Etats -en insur^- q.ae da as les institutions,
a plus dans les
institutions que dans les
îpection.
sentiments..Nous avons degrandes fabriques
La presse ^ffipêche-t-el le «e que tes An- et l'in-
glais éi»-r&êmes,i<if|îiont visité teursigrands s «t de petites cultures. Le commerce
dustrie associent, agglomèrent leurs capi-
ateiiers, racontent âe la dégradation mo- des partages -entre les enfants,
rale et physique de cette jeunesse des demx taux; la loi
s ou le goût 'du luxe et des jouissances, di-
sexes mêlés et confondus dès leur plus bai propriétés territo-
visent et morcellent <nos
âge dans ces fabriques sans instruction( riales. Btenlôton .ne labourera qu'à force de
Sans morale, machines -à filer et à ttsser, quai
bras et avec la bêche .et déjà l'on file avec
«vivent dans les cabarets et iffieiïtfent dans le:IS
pressés des machines à vapeur de ta force de .cin-
bâpitaux et à qui des 'maîtres,, s d'iamenses
fetJiifttïe for :quante chevaux. Il se fait .ainsi
on Test aujourd'hui, de faire r-
fortunes mobilières au profit de la détno-
ttfh'e, commandent te -pfas:d:e 'travail et^dont-
neht'fe moins de sàlaife qu'ils peuvent ? hie cratie et la propriété du sol s'en va en
poussière, au détriment de la monarchie.
lahdflMBtfn d'un -clés petits cantons 'de lla
Suisse d^plot'aît le changefiaetit que les faa. C;est, :dit-on, la marche du siècle et le
briqués 'rëceiomeritinfrodaïtesavaient faii:t ïHï>,uvemerit des esprits..J'admire, au temps
4e Christophe Colomb, la marche du siècle
dans la -beïle ^opultftton Tagricole du cairtonh,
vers ladécouverte
de nouveaux cieux, de
Vem'pTacëe parla race •chéwe et rabougrii«
hommes, et
des' bûtrîërs sédentaires.' J'admite, :cbmmie nouvelles terres, de nouveaux
^n'atitre, les pfodiges 'êe rindastrie, maiis le mouvement des:. esprits vers ces entre-
demandaient tant
'ûns'aper'cèvrà'tr&p tard que son développee- prises hasardeuses qui
î-8à> PART. II. PQLIT1QDE. SUR LA LIBERTE BELA PRESSE: r*ao-
«i'audace et un courage
«l'audace àh l'épreuve d®s,
d®s pluss pies et séditieux
pies qui séparent
sequieux q.ui sé.pa,r,ent les entants
enfants
grandes fatigues et des plus extrêmes dan- des pères;, les sujets de isur souverain., tes
gers, et notre temps en offre des exemples. hommes, de Dieu même qui donnen.t à des
Mais la marche du siècle \,&v& des fabriques s parents religieux et fidèles des enfants en
de toi te ou de percale le mouvement dess qui If'incrédiilité et l'esprit de sédition, ml
esprits vers des dirais et de& cotons. t en vé- devancé la raison; qui réduisent des uièrss
rité ce sont de, bien grands. m-ots pour de» bienî ( etj'eu connais t ) à pleurer leur fécondité,
petites choses et on peuple pourrait être Jee et les pères à maudire le jour qui vit naître.
premier de tous dans l'art de fabriquer, leurs ^nfaflts» Des écrivains crient à l'oppres.-
d'apprêter,- de- prodiMFe, et le dernier danss sion politique- au milieu de toutes lérç joies
tout ce qui tend à élever Fâ,me à étendre3 du siècle et de, toutes, les douceurs, de la vie,
t'mteîligence et honorer l'humanité. et s'en font, un prétexte pour arracher du.
La presse a beau être libre je
le répète, cc&ur des peuples, tauji sentiment de religion,
t
elfe n'empèebe rien, et ne saurait prévenirr enjetantde l'odieux et 4a ridicule sur ses
les maux sans nombre qui travaillent au- ministres (1). ;.ils n'élèvent même p,a.sau-
jourd'hui les Etats? elle déconsidère tropj tel contre autel, mais ils préconisent avec
souvent au contraire les gouvernements affection une religion sans autel et sans sa-
sans avantage pour les peuples, et aigrit less édifice, cuite de pçu-oks q^ue n'éc,o;utent [ilus..
peuples' qu'elle rend impossiblesgouver- même ses sectateurs, réduit, à n'êjre qu'un--
aer. parti politique depuis qu'il a perdu le droit
Enfin si la destination première, la fonc- de se dire une secte religieuse (2).
tion spéciale de la. presse libre est d'éveillerr L'ancienne réforme naquit, il y a Irors
les gouvernements et tes peuples, et de les5 siècles, d'une exagération de ferveur reti-
avertir des dangers qui peuvent les mena- gieuse, et conserva la croyance <le plusieurs
cer, et si tout le monde a le droit d'user de des principales vérités du christianisme. $i
fe liberté d'écrire, on peut comparer la- presse» dans quelques lieux elle établit la démo^ra-
à la cloche du tocsin dont la corde pendraitt tie ou s'unit à des gouvernements répuhlK
dans la rue des enfants la tireraient par?n cains déjà établis, eïlçt eh.an.gea les homme.
espièglerie, des étourdis par légèreté, des plutôt que les choses; et là où elle trouva-
hommes craintifs par peur, des malveillants des souverains qui la reçurent,, loin do vAer-
pour mettre toute une ville en émoi, des cher à les détraire, elle leur livra les bjeps-
voleurs pour profiter du désordre. Un ma- de l'Eglise et accrut leur autorité au point
gistrat prudent place une sentinelle au haut d'en faire les chefs et les arbitres de la nou-
du clocher,, et met sous clef la corde de la velle neligion..
éfoehe pour la sonner quand le feu se dé- Le pFOtestànfeisme improvisé aujourd'hui
clare. II est vrai que la sentinelle peut.s'en- flé au sein de l'anarchie politique et de l'in-
dormir mais pour une fois que cet accident différentisme religieux, vide de tout germe
arrive, combien de fausses alarmes et de créateur, ne saurait rien édifier et ne pour-
terreurs sans objet données à toute une rait que détruire. En vain les chefs, dans.
ville!. 1. leurs théories philanthropiques rêvent des
On parle de l'oppression pelifciqu-e dont la révolutions pacifiques, et prennent pour-
presse doit nous garantir, et l'on se tait sur point de mire celle de 1688 en Angleterre;:
l'oppression qu'elle exerce eiîe-même-, op- pressés de jouir, irrités par de plus grandes
pression de l'erreur et de l'impiété, oppres- résistances, entraînant leur suite une jeu-
sion morale et par conséquent politique, la nesse plus ardente et entraînés eux-mêmes,
plus bonteuse, la plus humiliante, la plus3 ils ne laisseraient rien debout ni dans l'Etat,
funeste de toutes; oppression des écrits im- ni dans l'Eglise-, et leur système philoso-
(!) Avant que l'école de Voltaire eût laitcles les IniBislres, » dit Rousseau, dans ses lettres de la:
eojilroyerses avec des sarcasmes, des bouffonneries Montagne,. « ne. connaissent ou n'aiment plus leup
«1 des injures, les plus célèbres écrivains des deux religion. Avec leur rage de chicane et û'intofé*
religions usaient avec une entière liberté du droit
d'attaquer ou de défendre leurs doctrines; mais oii ra»ce, ils ne savent plus ni ce qu'ils veulent, ni ce>
qu'ils disent. On leur demande si Jésus-Clirist
peut voir dans leurs écrits avec quelle gravite Us est Dieu, ils tfoseni répondre; on leur demand,e-
traitaient de la religion, et dans ceux surtout de quels mystères ils admettent, ils n'osent répondre.»
Bossuet et de Poit-Royal, avec quelle modération, Et quelques lignes plîis loin Rousseau s'écrie-
quelle politesse, quel respect pour leurs adver- oncore « Ce sont en vérité de-singulières gens ^ufr
saires. messieurs vos ministres on ne gai.i ce qu'ils croient,
( 2 } Les réformés de nos joncs,, du moins îii ce qu'ils ne croient pas; on ne sait pas même ce
mi ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. *«*
t'avertit qu'on cherche
son voisin et son ami l'avertit enerene
,<“ .^ninfinn.
pîiique de révolution, ««rtectionnô
perfectionné Dar
par une feu
expérience dont ils ont profité mieux que à corrompre ses enfants, ou à mettre le
à sa maison t
nous, ferait autant de mat que nous en avons
mieux. Je l'ai dit ailleurs un ouvrage impie ou
vu et souffert, et le ferait beaucoup
On se plaint des opinions ultramontaines séditieux écrit en français, dans cette belle
qui se glissent parmi nous ne serait-ce pas langue qu'on- entend et qu'on traduit par-
un contrepoids inévitable aux
doctrines cal- tout, est une déclaration de guerre à toute
vinistes, déistes, athées qui font irruption Œurope. Les gouvernements si jaloux de
dans la société? Quand le vaisseau sombre l'honneur de leurs parvillons, ne prendront-
d'un côté, l'équipage involontairement se ils jamais à cœur l'honneur de leurs doctri-
jette' de l'autre pour rétablir l'équilibre, et nes ? Ils protègent, aux extrémitésdu globe,
quand le danger est leur commerce contre les forbans ne proté-
se replace- au mi Heu geront-ils jamais la raison de leurs peuples
passé. On fait un épouvantai! de je ne sais
quelles congrégations religieuses qu'on contre les forbans de- la littérature, vérita-
aperçoit dans les nuages, et l'on dort à côté bles tyrans des peuples, esclaves eux-mé-
cupidité, qui
de- congrégations irréligieuses,
qui ne pren- mes de teur orgueil et de leur
nent pas même le soin de- se cacher, et se
spéculent sur l'erreur et la licence comme.
vendent à
îévèlent par îeurs écrits, et quand elles peu- sur une branche de commerce,,et
vent, par feurs actions. leurs malheureux tributaires des doctrines
On redoute tout ce qui vient d'au delà des dont ils connaissent eux-mêmes la fausseté
-vient et le danger (1)??
monts je crains bien plus ce qui nous
d'au, delà des mers et la théologie ulira- Quels remèdes cependant propose 1 -on*
montaine, comme je l'ai dit ailleurs, ne
nous pour de si grands maux t Le contre-poison,
ferajamais le mal que nous a fait la politi- dit-on, est à côté- du poison; et si l'on répand
de mauvais Uvres, on en imprime de bons. Les
que ultramarine. tribunaux sont chargés de la répression des
C'est dans les vues profondes d'une poli-
tique qui n'est pas ta nôtre, d'une politique délits de presse comme de celle de tous les-
d'inspiration étrangère, qu'on déclame avec autres délits^ Mais faut-il de mauvais livres
parce qu'il y en a de bons?, Fa.ut-i.1 laisser
fureur contre te catholicisme, moyen de
justifier l'intolérance d'une nation rivale et distribuer des poisons dans l'espoir incer-
d'aliéner de nous nos alliés et nos amis des tain qu'ils seront neutralisés par des contre-
poisons ? Ne sait-on pas que ceux qui font
d'eux frontières du nord et du midi.
C'est dans cette vue qu'on y envoie, sous leurs délices de la lecture des mauvais li-
des déguisements sacriléges, des milliers de vres ne lisent pas les bons, pas plus que-
livres impies, séditieux, obscènes, qui dés- ceux qui lisent les bons ne lisent. les autres?t
honorent notre nation aux yeux des hommes Les chances de succès sont- elles égales-
éclairés et vertueux^ et tel est. le désordre pour les écrits qui s'adressent aux passio.ns,
de nos idées, que l'on s'étonne qu'un mi- et pour ceux qui ne parlent qu'à la raison?
nistre français, jaloux de l'honneur de son et que gagne-t-on à cette promiscuité du
bien et du mal que de former deux peuples
pays comme de la tranquillité de celui où il
est envoyé, remplisse le devoir sacré d'a- dans le même Etat, deux peuples qui n'ont
vertir un gouvernement ami de se prému- bientôt plus rien de commun que l'air qu'ils
nir contre ce débordement de corruption. respirent et la terre qu'ils foulent aux pieds*
Ne mettra-t-on jamais un peu de morale et deux peuples qui ont chacun leurs senii-
de religion dans la politique à la place de ments, leurs doctrines, leur esprit, leurs
tant de commerce et d'industrie? Et quel vues, leurs projets, leurs espérances2 Qu'y
est le père, de famille qui s'offenserait que gagne -t-on* qu'une guerre intestine qui
faction
qu'ils font semblant de croire, leur seule manière ajoutait, en s'adressant aux écrivains de la parler
démocratique Quand entend
d'établir leur foi est (TaUaquer celle des autres. >> c on vous
tronc sanglant de Louis XVI,
(Lettres de la Montagne, tome Ht, page 95 et 94, vertu et principe, sur le
chez Belin, 1817). Depuis que Jean-Jacques écrivait
chemin encore à
ti ou sur le cadavre du duc de Berry, on recule d'hor-
reur, et Conslantinople ne semble pas avoir assez
ces mots,, la réforme a fait bien ducomme-Rousseau, de despotisme pour se mettre à t'abri de votre liberté.
Genève et si l'on y demandait,
à mess;eurs les ministres, si Jésus-Christ est Dieu, Oui, ce sont vos exécrables doctrines qui ont assas-
peut-être cette fois ils oseraient répondre. sine cet enfant de l'exil, ce Français héroïque,
ce jeune et infortuné Berry (Conservateur
( 1 ) « 11 y a peste européenne, et celte peste sortt
de nos doctrines antisociales! » s'écriait M, de Cha- 3 mars 1820.) Et c'est des dangers de cette peste
teaubriand, dans le Conservateur, peu de jourss européenne et de nos doctrines antisociales que la
après l'assassinat de M. le due de Berry. Et ilL Sainte-Alliance a voulu défendre l'Europe,, et la
Hâ3 PART. Il. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. U9t
divise
uiYise les les familles, époux, les voisins,
lamines, les époux;, l'écrit qu'on lui propose, et il ne s'exposera
qui divise le
(1111 fl,t'ftt.£P ïfi royaume
VflttnitwiD en Itiî mi A ma?9 et
ov* lui-même
royaume divisé en lui-même, nous dit le
At tout
lAnf r\ac à ,»«
pas ruine
unea m., -.«..i' dans
,'«*. certaine i. 4
nl'espoir in-
certain d'être indemnisé par un auteur qui
grand Maître en morale, sera désolé. a lui-même spéculé sur le succès de son ou
Qu'attendre des tribunaux à qui le temps vrage, ce qui d'ailleurs, même en relevant
manquerait pour juger tout ce que la presse l'imprimeur des condamnations pécuniai-
enfante avec une si déplorable fécondité? res, ne pourrait lui rendre l'état qu'il aurait
Qu'attendre môme des condamnations qui perdu.
ne font qu'enorgueillir l'écrivain et piquer la Si un fourbisseur forgeait un poignard
curiosité des lecteurs? Qu'attendre même sur lequel fussent gravés ces mots poignard
des saisies qui ne détruisent jamais l'ou- pour assassiner une telle personne, et que
vrage entier? On peut assurer que tout écrit cette personne fût assassinée, le fourbis-
une fois imprimé est un écrit publié; et p!us seur serait certainement poursuivi comme
il est dangereux, ou par les talents de l'é- complice du crime. Eh bien sur tous les
crivain ou par la doctrine qu'il contient, mauvais livres il est écrit poison pour le
mieux et plus proniptement il circule. public, et l'imprimeur qui le prépare et le
Mais ne veut-on plus absolument de cen- répand ne peut être innocent.
sure préalable? Trouve-t-on plus politique Mais il faut que les peines soient fortes,
et surtout plus moral de punirle délit que de si on veut qu'elles soient efficaces ( 1 j et
le prévenir parce qu'on sait qu'on peut encore a-t-on à craindre les souscriptions
toujours prévenir ce qu'on ne peut presque ou les conscriptions pour venir au secours
jamais punir, au moins d'une manière effi- de l'imprimeur condamné à l'amende. Eu
cace ? A la bonne heure si tel ést l'esprit du Angleterre, l'auteur et l'imprimeur sont
siècle, si tels sont les progrès qu'il a faits condamnés à des amendés que souvent ils ne
dans la science de la législation et de la mo- peuvent payer, et ils restent en prison tant
rale Mais alors il faut changer un mode de qu'elles ne sont pas acquittées. Plus une
répression devenu illusoire, et le faire por- société avance en âge, plus il faut de sévé-
ter sur l'imprimeur seul, en lui laissant son rité dans les lois criminelles; et n'en est-il
recours contre l'auteur. Les imprimeurs ne pas de même pour l'homme, et les fautes de
sont pas des instruments aveugles, des ma- son enfance ou de.sa jeunesse sont-elles ju-
chines qui assemblent des caractères sans gées par le public, ou punies par les lois
savoir ce qu'ils signifient; ce sont tous des avec la même rigueur que celles de l'âge
hommes instruits ou qui peuvent s'instruire, mûr ou de la vieillesse.
qui connaissent à merveille quels sont les En effet à mesure qu'une société puis-
ouvrages dont ils peuvent espérer le débit, sante avance dans la carrière de la civilisa-
et qui refusent impitoyablement les autres tion, elle croît en richesses, en monuments
ce sont la plupart des hommes de lettres des arts, en jouissances, en connaissances,
eux-mêmes, souvent et trop souvent édi- et même en esprit. II y a infiniment plus
teurs d'écrits qu'ils feraient mieux de ne pas d'inégalités entre les jouissances et les
reproduire. moyens de fortune qui les procurent; il y a
Un écrivain souvent n'a rien à perdre, donc plus de désirs qui ne peuvent se satis-
pas même de réputation un imprimeur a faire, plus de cupidité, plus dépassions,
toujours un état à conserver. L'écrivain peut plus de crimes, tt la preuve en est sous nos
mettre de la vanité à braver la peine pour yeux.
se faire un nom, l'imprimeur ne voit que S'il y a plus de raison dans quelques es-
son intérêt, et il se gardera bien de le com- prits privilégiés, il y a plus de sagacité dans
promettre si la peine pécuniaire qu'il peut tous; on mdt plus d'art et de combinaison
encourir est plus forte que le profit qu'il dans les forfaits, et les sciences elles-mêpês,
pourrait espérer. L'imprimeur alors censu- comme la chimie, fournissent de 'nouveaux
rera lui-même ou fera examiner par d'autres instruments à la scélératesse., 11 faut donc
Conservateur ne l'en blâmait pas, a ce lomnie par l'infamie, les écrits MORT. Depuis que
crois. que ie
prison, l'exil et quelquefois LA mort.5; Depuis que
( i ) L'illustre auteur de la Monarchie selon la M. de Chateaubriand s'exprimait ainsi, une épreu-
charte a posé lui-même, comme un principe, dans
cet écrit, que la liberté de la presse lie peut exister ve de dix années en France et en Europe a-t-elle
paru plus favorable à la liberté illimitée de la
sans avoir derrière elle une Ici forte, immanis lex, presse? S'il y a encore de la bonne foi au momies,
$rf prévienne la prévarication par la ruine., la ca- c'est à elle que s'adresse cette question.
f m OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD- im
~a. "4
opposer des digues plus fortes à des torrents néanmoins que
l.iîu's impétueux; ét c'est prendre
y..y.,v.1nra.. à "v; (n' ~{"{
a rebours de fa
quela société ne
lasoeieté
-L--ne peut exister hors
vérité dans ses doctrines il m ,~#o,r"I..r.r\.
l'homme et la société que d'affaiblir les lois qu'ils espèrent qu'à la faveur de la liberté
sembl»
à mesure que les moeurs se corrompent (1). indéfinie d'écrire, il s'élèvera quelque génie
On est épouvante dé cette effroyable con- extraordinaire, il paraîtra quelque nouvel
juration contre l'espèce humaine, et de ces évangile dont l'éclat frappera tous les yeux,
prosélytisme sâtânique qui distribue des li- apaisera toutes les opinions et révélera à ta.
et
ires impies jusque dans les chaumières t vv société les véritables lois de son existence
des écrits obscènes même aux enfants, pourr et de sa conservation. Ne dirait-on pas, en
dessécher dans sa fleur leur innocence, leurr effet, qu'on attende quelque révélation noa-
t
intelligence et leur santé ( }, S'il n'était velle comme les Juifs attendent le Messie ?
i
pas permis aux législateurs d'arrêter, parles Mars les Juifs attendent le Messie après qu'it
peines les plus sévères, cette infernale ma- est venu; et ceux dont je parle, après dix-
chination si, àïà répression ée si grands5 huit siècles de christianisme qui nous'a tout
t
désordres,. et d'une méchanceté qu'on peut appris, attendent encore que les hommes
appeler surhumaine, on opposait des loiss nous apprennent quelque' chose! Mai?
sur la liberté de la presse, t alors comme taa comment la société aurait-elle pu naître,t
Hire qui répondait à Chartes Vil, réduit aux£ grandir et se civiliser, s'il lui eût manqué kr
dernières extrémités, et lui montrant les ap- connaissance d'une seule vérité nécessaire à
prêts d'une fête Qu'on ne pouvait perdîte son développement l'Non nous n'avons plus
un royaume plus joyeùsemérii, ob pourraitt rien à apprendre sur les principes de la so»-
dire aussi qu'on ne saurait perdre une so- ciëté. Et tous ces grands esprits qui bnt
ciété plus légalement. » Il sémblg que less paru ou peuvent paraître encore révélateurs
événements désastreux dont nous sommes, de quelque nouvelle doctrine, ne peuvent
depuis trente ans, les témoins et les victi- être que de grands esprits faux, comme les
mes, les faux systèmes les théories subver- appelle Bossuet, des apôtres d'erreurs et dé
sives de tout ordre, avancées dans tant d'ê^- H-
tûënsonges, et qiii ne peuvent, par copsé-
crits ou mises en pratique, ont laissé, inèimee quent, que porter le troùbie et te désordre
dans les bons esprits un fonds de doute ou u dâïïs là Société, l'erreur dans l'es lois, la li-
d'incrédulité qui ii leur persuade qii'ïî n'y a
a céhcô dans les mœurs, et verser enfin sur
pas de vérités absolues en religion, ëh mo- i- riôiïs tous les maux dont nous gémissons et
rale, en politique, ou qu'elles ne sont pas is dont nous cherchons vainement lés remèdes
eftcore découvertes;, et comme ils sentent 1t dansées opinions humaines.
(IV Si l'on veut mesurer les progrès de lala nous. Saint Louis était donc un, barbare puis-
n'empoisonnait pas lui-même ses soldats
ue qu'il
morale publique en-France depuis douze ans, que
qui suit Ëii Ï8U les pour les sauver Sii fer ennemi. »
cantine la.
l'on fasse attention à ce
a3miïâ(éufs de Bonaparte niaient, pour sa gloire, he, liberté illimitée de la presse est favorable aux pro-
le- massacre de prisonniers sans défense, et l'em- tn- grès de la morale publique!
poisonnement de ses propres soldats à JafiV fa ( 2'} Jamais cette effroyable conjuration contre
Aujourd'hui les partisans de cet h'onnne extraordi- i\2 la morale publique, la religion et tes mteurs n'a été
traire, dans un écrit publié récemment, cpnvieû- :n- dévoilée avec plus de talent et de force que dans
un discours éloquent prononcé à Saint-Sulpice
l'empoi- par
nent de ces deux actions, et en partant de ai-
année.
Isonnerrent des soldats français, qui (lâluil pour eux
M M. Déplace, le dimanche 26 février dé cette
té bienfait de la mort, ils disent « qne dé in
dessein, Nous pourrions ajouter, d'après le témoignage
qui n'eût peul-êtrepas répugné à l'antiquité, RÉvot»-
,1,1 d'un grave magistrat, que les;. livres les plus infâ-
TiiT les idées MODERNES (apparemment les idées -es mes sont actuellement colportés et distribues gra-
chrétiennes), et que le général essuya un refus de tis dans les campagnes, et qu'un de <& livrés,
la part du médecin en chef Desgeneites-. Iftais ai& ayant été trouvé dernièrement dans laquiBrie entre les,
gardait son.
d'autres employés se montrèrent moins indociles s- mains dTune jeune fille de 10 ans,
préparation d'opium fut mise usage, et troupeau, interrogée de qui elle le tenait, elle
une en une
ine
partie des pestiférés jteissérènt au riéawt avec lé le répondit que c*ëVait un Mcmèhnr qui le lui avait
sentiment du sommeil. t Si ces ombres héroïques, es, remis, et qui portait un paquet sous son bras.»
s'écrient tes historiens aux idées modernes, pou- )u- Où s'arrêtera donc cet horrible complot contre la
vaient sortir delà tombe, et élever la voix, elles lès religion et la société et faudra-t-ïl, si cèfa cônti-
^incrimineraient pas sàifs doute celai qui ii'ëvil ;itt nue, que l'és sauvages de la Louisiane et crû Gâliadà
d'autre intention que de Fes sauver des mains de demandent un jour ce qu'est tte venu lectaàstjànisïtre
fijazzir- pacha. > Grand Dieu, où, en sommes- 3S- en Europe!
ENCORE UN MOT
(-)8~
Où 'diWît qïiK? \ës êëtÙ& qui ont parti pour re's{mt sur1 Fêtai âe M société. S'it est vrai
du éoriWë la loi étir* là liberté de la presse, qiïè l'ôpinittfl séït lé ¥èiWe du mohâè,, c'est
et là-loi èile^râêmé, supposent qtï'én der- pat les livrée (|u*éllé se forme, s'égare att
nier résultat les ouvrages, grands ou petits, se rëdfessè. Le désordre dès finances ne-
m peuvent être d'aadUti danger ceux-ci à détruit pas tfft Etât,.parc-g ^«'ap'rès tout Un;
câiisô de leur ténuité ceux-là à cause de Efat né paj^è que ce qtfil pfeut payer,, et que
leur volume; eij eoeîBie un moyen de ce fés créanciers fl'onl pas contre leur débiteur
gëttrêj quand il ne peut faire aaeuilf mal, ne la ressource de 'l'expropriation forcée. Le dé-
peut certainement faire aucun bien, il est èor'dtédes moaufs nëdétrtjitpas Utt ïïtât, parce
évident que lés grands pouvoirs politiques qu'il y a ttfujour-s, tâitûe dans le pays le plus-
îë public et les écrivains s'échattffënt sûr Cdrr"on1pu, pins d'hommes rigté'S que d'hom-
'«ne chose qui né peut ni bien ni mal, et qui mes disSofUS. La tyfdnnïe taënïe tiè dÉ^uit
paï1 conséquent ne vaut pas trop la peine pas Un Etat, parce que là tyràh'niè pas-se aven-
qu'oit s'en occupe, et encore moins qu'on le tyran, et CJUô îà société lui survit. Une
se divise. peuplade sauvage, ou dans l'état puretnent
C'est, de part etd'aùlre, né pas fàifè, te tae physiquëi périt pardesâècïdentsphysiques:
semblé; assez d'hoiirièuf auxlettfë's. Ottii'éérit M guëfrèi là fdnïine, du les maladies. Un
«ullê part si innoeéiiifÈéi'fl que chez M peuple peuple civilisé ou dans l'état môrâl ne
qui hë sait pas lire. Il s'est fait éi il peut 4-e peut périr tjuë par des causes morales, par
faifé ëhcôfë beaucoup êè mal avec" des bfô- là t-orruption dé l'esprit et là propagation
èhures de quelques sëus, et ave* dès èu- ééfeussës dô^triiiêS qui mèitént en problênre
tragës de cinq cents pages et comme fe toutes les vërités et toutes les vertus, attd-
souverain, les tttiiiiétrës-, les tribunaux* tes quent, l'ùn après i'à-utfè-, tous les pfificipes
corps politiques né sont établis que pour de là société, en relâchent tous tes liens,
l'intefèt du publie et dès particuliers, et àil-• et font, en Uh mot douter lès gouvetnë-
tant pour défendre lés esprits dé là àédtfC- tnènts dé leur pouvoir, et les peuples de
tion, que les corps CdniEte là viôleric'e» le bon leurs devoirs. Un livre a civilisé le rnohde
&èns de tous les hotemës et de tous lés tôtàpi, les livrés, s'il était possible, le rëplonge-
ïe boii sens, bien préférable à J'esprit d'Uhi fàrent dans la barbarie, M nous en avons
siècle, d'Un pays 6U d'un parti, èt qui, seloni fait 1-èssai « Les litres ont tout fait.
dit
BossUet, est le môMte êék affairéts, le bfln seiïsi quelque part Vbiairê, et ils lé savaient bien
veut qùë la presse fie fsôit'jpas plus libre qteî ceux qui élèvâieïït à gfatids frais le mons-
toit autre moyé* de nuïfe, qU'ëHë le soitt trU'eûx édifice de l'efibyclôpëdié pôuf en-
riiëme Beaucoup ïùôinâ, pâitë que *és effetsî tftsctrinéï lés habiles où plutôt les lettrés
sont plus ëtèh'éûs-, et qu'avec là ÏÏMrïé illimi- èti même tëmpâ Qu'ils récô-mmaïrdaieht à
tée <f êerîr'è ofi peut éëtis éduf âgé et nàêaifej l&tirs àdèpïés, tfàfiS îeUfs lettres ôonfiden-
sans talent trô-utVterlà sbcië'fô et "égarer les ttèlfes, lès brôchufè^ à dix Sbus pCtai1 les
t<sprKs. citîèi'hi'ëfè's.
NiJUshë sôfmM'és pës réduits s;àriS doutei Sans dtmtè un voiuoite Ût ciwq cèfits pages
:àprôùVbr rihuUêtc'é ût's pfddù'cli'ôhs aie pourra ne pas avoir rfeftë't OTothot et ii»-
1499' OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALO.
^00
médiat d'un pamphlet lancé à propos dans dangereux seront réfutés,
et que la vérité
le public; mais cet effet,
effet. pour
Dûur être moins naîtra
subit et moins aperçu, ne sera pas moins
nafri-n du ,w
dm» des opinions;
Hn choc «,>,•«;«“< les hommes
puissants en œuvres et en
rité
paroles, soit
funeste, et sera surtout plus irrémédiable. pour
attaquer les vérités reçues, soit pour les
Si le pamphlet enflamme les têtes et trouble défendre, ne naissent pas précisément aux
un moment la marche de l'administration, mêmes époques, et la société a rarement
l'ouvrage sérieux corrompt les esprits, égare le spectacle de ces combats, corps à corps,
l'autorité elle-même, et mine à petit bruit entre des écrivains de même force. D'ailleurs
les fondements de l'Etat; et il ne faudrait les gouvernements, tuteurs de l'éternelle
pas de longs raisonnements pour prouver minorité des peuples, ne peuvent- pas livrer
qu'on peut (toutefois dans les temps tran- la morale publique au hasard d'un combat
quilles) permettre la libre circulation des inégal entre les esprits, et laisser ainsi à
brochures, et qu'on doit réserver toute la la merci des opinions particulières l'édu-
sévérité de la censure pour les ouvrages cation de leur pupille. Le châtiment suivrait
importants. Si nulle part il n'est permis à de près la faute les erreurs qu'ils n'au-
un orateur de tribune de rassembler autour raient pas réprimées seraient réfutées tôt
de ses tréteaux cinq ou six cents personnes ou tard par des révolutions, comme les
pour déclamer devant elles sur les lois et maladies négligées qui se terminent à la
sur les moeurs, sur la paix- et sur la guerre, mort.
sur le souverain et sur ses ministres,surla « Le mal s'usera par son excès. La mul-
religion et sur le gouvernement, sur le pu-
tiplicité des écrits rendra le lecteur insensi-
blic enfin et sur les particuliers, pourquoi
ble à l'effet qu'ils peuvent produire, et l'on
laisserait-on un écrivain sans mission et
se dégoûtera d'écrire quand on ne trouvera
sans autorité réunir dans une môme opinion plus de lecteurs «Mais ce serait un grand
cent mille esprits peut-être parmi lesquels mal, et un symptôme assuré de dégénération.
les plus ignorants et les plus faux sont tou-
Il ne faut Dien user chez un peuple, pas plus
jours les premiers et les plus ardents à
écouter, à recevoir, à défendre les plus sa sensibilité que sa patience. Laissez-lui
absurdes paradoxes, et souvent les plus dan- cette susceptibilité, source des plus grandes
vertus publiques et des plus héroïques ac-
gereux ? tions, et seulement dirigez-la pour qu'elle
« Tout est dit^» répondent les partisans de ne se méprenne pas sur son objet. Un peu-
la liberté illimitée,» tout est dit depuis long- ple vertueux n'est pas un peuple éteint, et la
temps sur la religion et sur la politique, on vertu n'est ni insensibilitéy ni impuissance.
n'écrira pas sur ces matières délicates avec le ne veux pas qu'un peuple, à force d'être
plus de subtilité que Bayle, plus d'esprit agité, ne puisse plus être remué laissez-le
et d'agrément que Voltaire, plus de chaleur au repos, et au moment du danger, il re-
et de force que J.-J. Rousseau. )x Mais trouvera le mouvement* L'Europe en a m
tout ce qu'ils ont dit avait été dit avant eux; récemmentungrand exemple.. Si tout pro-
le fond des erreurs est toujours le même,
pos el sans raison on criait au. feu dans les
la manière de les présenter est seule diffé-
rues, il ne se trouverait. personne pour étein-
rente et tout écrivain est assuré de produire dre les incendies. C'est ce que font les pam-
un grand effet, lorsque, pour rajeunir d'an- phlets, ils créent des périls imaginaires, et
ciennes erreurs, il saisit dans son style le nous endorment sur les maux réels. C'est
goût et l'esprit de son siècte. Ainsi les ma- en nous faisant peur de Pitt et Cobourg et
tières premières des arts de luxe ont tou- du cabinet autrichien que les écrits du temps
jours et partout été les mêmes mais la nous ont poussés à une guerre interminable.
forme que leur donne l'industrie varie selon Quand ils. n'ont -su comment justifier la
les lieux et les temps. Vous croyez qu'on conscription,. ils se sont jetés sur la féoda-
a
tout dit, parce que vous-même vous n'avez, lité, abolie depuis des siècles; et en alar-
rien à dire. Au temps de Salomon on disait mant le peuple sur le prétendu despotisme
la même chose et peut-être il se prépare de l'ancien gouvernement, ils l'ont conduit:
(
dans Je silence du cabinet tel ouvrage qui àa la plus horrible tyrannie..
égarerait plus de têtes et enflammerait plus On croit la liberté de la presse un préser-
de passions que ne l'ont fait les écrits phi- vatif contre la tyrannie, elle en est toujourss
i
losophiques du dernier siècle, ou les le plus servile instrument. On n'avertit pas
pam- 1
jihletsde 1789. En vain on dirait que les écrits des écrits un peuple de se préserver d,e
par
1
ta-tyrannie qui, une fois qu'elle a commencé, ierait-on pas, pour nnteret aes mœurs et
va jusqu'au bout, parce qu'elle est dans le de l'orde public, ce qu'on fait pour l'intérêt
caractère d'un homme, et non dans ses in- du commerce et des douanes? On n'empê-
tentions mais on avertit le tyran qu'il y che pas tout le mal, mais on en diminue la
a des écrivains il achète les faibles, il somme. Le prix des livres importés de l'é-
proscrit les forts et une nation s'aperçoit tranger croit en raison du risque qu'il y a à
qu'elle a un tyran aux flatteries des uns et les introduire; et dans l'opinion de ceux qui
au silence des autres. permettent la libre circulation des écrits de
La liberté de la presse conduirait plus tôt cinq cents pages^ilest égal que l'ouvrage ait
un peuple à la servitude. Un gouvernement trente feuilles d'impression, ou qu'un écrit
tourmenté par d'éternelles accusations, dé- de trois feuilles coûte trente francs. Dans ce
noncé pour le mal qu'il ne peut empêcher, genre, comme en bien d'autres, l'administra-
et quelquefois pour le bien qu'il veut faire, tion peut tout ce qu'elle veut. En vainon allè-
responsable du malheur comme de la faute, gue l'exemple de l'ancien gouvernement,et le
se réfugie dans la tyrannie, et opprime pour débordement d'écrits de toute espèce dans
n'être pas opprimé. Le ministre honnête et la dernière moitié du dernier siècle. On sait
faible abandonne le poste qu'il ne peut plus qu'après la mort du chancelier d'Aguesseau
tenir. L'homme fort le dédaigne, ou s'y re- les maximes sévères du gouvernement sur
tranche contre l'injustice et la haine. Le la censure changèrent tout à fait, et qu'après
devoir de gouverner n'est plus pour un roi avoir commencé par fermer les yeux sur les
et pour ses ministres que le soin de se dé- ouvrages suspects, il finit par tolérer les
fendre les ministres n'ont plus cette sécurité livres dangereux. Quand la police proscri-
qui sied à de nobles caractères ni les rois, vait Bélisaire, et décrétait de prise de corps
cette confiance qui est l'âme des grandes l'abbé Raynal, elle n'avait pas au fond plus
choses; l'élévation des sentiments et des d'envie de supprimer l'ouvrage que d'em-
"vues est sans cesse froissée dans cette mi- prisonner l'écrivain. Il semble à quelques
sérable guerre de soupçons et de défiances personnes qu'il ne doive plus y avoir de
et un peuple de dénonciateurs et de mo- peines sévères sous un gouvernement mo-
tionnaires ne peut plus espérer à l'avenir déré. La tyrannie n'est pas dans la sévérité
de Sully ni de Henri IV. des peines, mais dans leur disproportion avec
On voit toujours les gouvernements en les délits or, chez un peuple qui lit, c'est
conspiration permanente contre les peuples, un délit très-grave qu'un livre dangereux,
les ministres toujours indignes de la con- et même, après la révolte à main armée, le
tiance des gouvernements il faut plutôt voir plus grave qu'on puisse commettre contre
dans cette disposition chagrine et haineuse l'ordre public.
l'ambition des places, et la jalousie contre On croit répondre à toutes les objections
ceux qui les occupent; et combien avons- en citant l'exemple de l'Angleterre. On.
nous vu de ces chauds partisans de la li- pourrait opposer à ces indiscrets imitateurs
berté s'indigner d'être sujets, et aspirer à d'institutions étrangères, qui ne voient dans
être subalternes I un Etat que les formes matérielles du gou-
« Mais comment empêcher les abus de la vernement, et ne considèrent pas l'esprit
presse, aujourd'hui que le commerce et les d'une nation, cet esprit que forment des né-
lettres ont établi entre tes différents peuples cessités de position et d'habitudes, et qui
des communications si faciles et si multi- est devenu pour un peuple la nature même;
pliées. Les écrits proscrits dans un pays on pourrait leur opposer l'autorité de Mon-
arriveront en foule des pays voisins, et vous tesquieu, s'il n'était pas de la destinée de
aurez, en sus du mal que peuvent faire les Montesquieu,comme de celle de J.-J. Rous-
écrits prohibés, les frais d'une surveillance seau, de ne faire autorité en France que par
inutile, 11 faudra ou permettre les livres, ou ses erreurs. C'est dans le même chapitre où
fusiller les auteurs. » Malheureusement par- il parle de la liberté de la presse en Angle-
tout, et même en Angleterre, on fusille pour• terre. « Toutes les passions y étant libres, (a
bien moins, puisqu'on se fusille entre ci- haine, l'envie, la jalousie, l'ardeur de s'eu-
toyens pour empêcher ou favoriser l'intro- richir et de se distinguer, paraîtraient dans
duction des toiles de Un ou de coton, des toute leur étendue. Comme chaque parti-
laines ou de la poterie, etc. etc. Il ne fautt culier, toujours indépendant, suivrait beau-
pas fusiller les écrivains; mais pourquoi ne coup ses caprices et ses fantaisies, on chan-
1505 QL.B VUES COîlPtETES DE M. DE BONALD. 15'fjt
gesall
geFait souvent de parti;, et
parti; -et sourenû
souren-ti dans u;bs
u®s des
d«a autres,, et les passk^s.
passions, qu'it ext/ite;
ext/itfi;
cette-- nationoti
cette nation ou-bKw les
^owrra-it ottbïiter
on fiQiifrmti le gouvernement
.les lois de mais lo doit
goaveirnement nous doit à-à-tous-
tous- la
l'a-naitié efc celtes «te- la hairae; £e-Ue nation sécurité^ c'est-à-dtre, la «««titude q«'il veiW«
SoMJGHérséehauffé* pourrait pMs aisément dire ptoF prévenir les dangers qai menaceraient
conduite par les passions que par la raison, notre: sûreté, on punir les torts qu'il n'a
et il serait facile à ceux qui le gouverne- prévemif. Ir nous doit petite
pu
et justice; yo-
raient de lui faire faire des entreprises con- lice qat pFéyietit justice qui punit et qui
tre ses propres intérêts- *> répare. Ainsi le gouvernementne peut pas as-
8-iee sont là, pour les Anglais, les effets surer ma vie contre un assassiB, ou
ma foi>-
âe la liberté de la presse, comme en n'en tune contre uatoleor, pm plus qu& je ne
saurait douter, si }& même moyen doit Jioos peux les assurer moi-même? mais je sais
conduire aux mêmes résultats, et que les que sa police exerce uti* surveillance sé-
passions particaHères doivent nous tenir vère suif les hommes dangereux; je sais
lieu de raison publique, si Je particolier qu'il a institué des tribunaux pour recher-
éoït êttfe toujours mdépendcént, et la nation cher et punir les délits, et je voyage, sinon.
toujours éehemffée. Malheureuse généra-
tion F renonçons pour jamais k "l'ordre p®-
avec sûreté entière, du moins, et ce qui suf-
fit dans une pleine sécurité.
felic et au borrbeqr doraestique recoinmen.- L'homme ae doit pa* meltre son honr
çims notre rêvoliKion. neur moins de prit. qu'à sa vie ou à ses
JEl qu'on parte de nous ainsi que de
nos pères.
biens. Sans doute le gôuvertieoient ne peut
Je le dirai même aux partisans de la cous- pas le garantir contre un libelle clandestin;
titutfon que nous Venons dé recevoir. La mais i4 me doit êetle sécurité^ que je ne se.-
çoflstïfution anglaise existait non-seulement rai pas diffamé dans un écrit sorti publique-
avant ta liberté de la pressé, mais avant ment l de presses autorisées, H de chez des
rinVènfion de l'imprimerie et elle a pu ré- imprimeurs connas et assertflëntés et qu'il
sister à une maladie qui ne l'a attaquée que ne 1 dépend pas du premier barèouilîeur do
dans fa force de l'âge chez nous, au doii- papier 1 de me traduire à, mon insu devant lé-
traire, la liberté de la presse commencé ou ttribunal du publie, aussi prompt dans ses
leiiOttimence avec nos institutions nouvel- préventions1 qu'irréfléchi dans Ses jugements,,
krs. C'est un serpent dans le berceau de la où l'accusé a pour juge une multitude dont
constitution, et son enfance n'est pas celle il ne connaît pas une moitié, dont il récuse-
d'tîerculé. rait
r l'autre qui prononce sans informer et'
Qui est-ce qui ne connaît pas toutes les condamne sans entendre. /e lé répète la
phrases que l'on a faîtes et que l'on fera sur Jjustice qui punit le délit, séparée de la po-
la liberté de penser, sur la perfectibilité in- lice qui le prévient, est un piège tendu à I»
définie, le progrès des lumières, là résis- faiblesse f humaine, ou plutôt une véritable
tance à l'oppression, été., etc.? tout cela est ttyrannie qui opprime jusqu'au coupable lui-
usé pour nous, qui avons vu éclore avec la même; E et l'écrivain condamné pour un ou-
liberté de la presse iô licence d'écrire la vrage v répréheftsible peut se plaindre que le-
plus effrénée, une ignorante profonde, l'obs- gouvernement
§ ne Fait pas sauvé de lui-
crifcissement des plus saines doctrines, les même, h et qu'il soit puni par la justice poue
idées les plus sauvages, la tyrannie là pins uun délit sur lequel une police paternelle au-
monstrueuse et la servitude la plus abjecte. rait r' d4 L'éclairer, et qu'elle aurait pu pré-
Qu'on n'oppose pas l'expérience; elle est venir. v
perdue pour les passions, d'autant plus dan- Cette même sécurité qae le g^a^ernemenfe
gereuses dans ce mOffleïït, qu'aux premiers ddoit au f srtieulier eontre les libelles qui,
jtïufS dé notre révolution il n'y avait que paraissant P soas la protection des lois, pour-
ées mécontents, et qu'aujourd'hui la nécés- ri raient aliaquer son honfleur ou sa fortune*
silé des tetups a fait dès malheureux. *J la doit enc&re, il la doit surt^at
H au public
Je n'ai considéré la liberté 4e la presse e< contre les écrits qui attenteraient du bon
que datis son influence sur l'état ée la so- 0' ordre, aux meeufs, à la morale.
ciété, «ï je n'ai rien dit de ses dangers pour Sans doute on peut écrire, et certes Fau-
rhmiftear ou la fortune des particuliers. Ici teur té de cet écrit a autant que tout autre
il y a ûtrê Observation à faire. L'état social é( écrivain de son temps le droit de rëclamer
ôoiii'priomft la sûreté individuelle par le la «oble indépendance des gens de lettres~e
grand nombre d'hommes qu'il rapproche les on oi pfcut écrire sur mais non contre;
PART. Il. POlil-nQUE. SUR LA L1BBRT« DE LA PRESSE. 1508
1-
1SOS CO
ra religion et le
tout; sur ja gouvernement, fait perdre à son auteur et son temps et Les
le gouvernement,
Il
pourvu qu'on écrive avec la ~~I. dépenses
'1.- gra-vité, le calme .1"<nrn"lC-A~' qu'il f'lwc. et
,y"l a.fl faites; nf l'on
l~nn petit
~r~u,t se
en m*
»n~
et la bonne foi qui conviennent à ces grands poser sur l'esprit du si ècle et te mollesse des
objets; et sur'le particulier, pourvu qu'on caractères, de l'indulgence du censeur et
ait un intérêt personnel le
faire, et qu'on peut-être de la faiblesse des jugés.
On ne parle que defe liberté r4e te presse
s'abstienne de l'injure comme de l'injustice.
Aucune loi ne défend d'écrire, pas plus on devrait plutôt s'occuper de l'honneur de
qu'elle ne défend de porter les armes mais la presse; «t si au lieu de tant .d'ouvrages
la raison, source de toutes les lois, veut que impies, impoli tiques, 'licencieux, ou seule-
vous donniez à la société une garantie que ment frivoles et inutiles, de tant ée sottises
les écrits que vous publiez ne seront pas et d'erreurs que nos presses ont vomies de-
nuisibles, et que les armes que vous portez puis un siècle, à la hoote de notre littéra-
ne seront dangereuses pour personne. Cette ture, et pour le malheur de {".Europe, il n'a-
garantie ne peut 'être qu'une censure préala- vait paru que des ouvrages classiques, de
ble. Ecrire sur sut les per- ces ouvrages que le père de famille peut
les choses ou
sonnes, c'est instruire ou accuser publique laisser impunément exposés à tous les yeux,
ment. INstruire ou accuser publiquement, 'Comme le vain et l'eau qui sont toujours
c'est exercer un pouvoir administratif ou sur la table hospitalière du laboureur, per-
judiciaire; et pourrait-on sans imprudence sonne ne réetemeretit aujourd'hui la liberté
abandonner ce pouvoir à tous ceux qui vou- ,de la presse, et tout le monde bénirait ses
draient l'usurper'? La raison anglaise peut 'bienfaits.
le penser ainsi; la raison française décide Nos députés se -trompeErt, s'ils Croient,
autrement. En vain on dirait que les cen- obéir au vœu de leurs commettants en récla-
sears peuvent «se tromper ou tromper la mant une liberté illimitée d'écrire. L'im-
confiance du gouvernement. On peut en dire mense -majorité des pères de famille, des
autant des juges des administrateors des 'propriétaires, amis des mœurs, attachés à la
députés, des pairs, d'e tous tes officiers civils religion, aux. lois, au gouvernement, et qui,
et militaires, de tous les hommes, et cepen- sans faire des livres, peut-être sans savoir
dant il faut des gouvernements, il faut des lire, sont guidés par le bon sens naturel,
hommes pour conduire les hommes. On peut bien préférable pour la conduite de la vie et
le dire surtout de l'écrivain lui-même, ;.et des affaires aux fausses lueurs du bel esprit,
j'ose avancer que la prévention d'erreur est repoussent de toute la force de leur raison
plutôt contre l'auteur aveuglé, comme ils le une liberté sans précaution, qui contrarie
sont tous, sur le mérite et l'innocence de toute éducation publique, toute surveillance
leurs productions, que contre des censeurs domestique,, et fait pénétrer dans les familles,
qui .jugent de sang -froid ce qui a été com- et au fond des provinces, des leçons de li-
posé souvent dans un .aee.es de passion,, et b.er,tinage,.des germes de révolte et d'impiété
toujours avec les illusions delà vanité et qui rendent la jeunesse oiseuse et ind,o.cile;,
les complaisances de l'ampur-propre. Ceux et l'âge mûr, frivole ou -dépravé (1). Ils
qui ne veulent pas.de censura .préalable sur demandent qu'on laisse les regrets s'évapo-
les écrits .demandent un jugement .subsé- rer, les haines s'éteindre, toutes les passions
quent qui punisse les délits de la .presse. s'assoupir qu'on permette,aux esprits de se
Mais s'ils craignent .que les censeurs ne rep-os.er de ces longues et cruelles agitations,
soient trop sévères, qui leur assurera ,que et qu'on donne lé temps ,de goûter legou-
les juges ne seront pas trop indulgents? Et vernement des Bourbons, à cette génération
remarquez la différence de la .censure au qui n'a oonau du gouverneinement.queles
jugement. La .censure est :un avertissement réquisitions, la .conscription et la^guerre.
secret; le jugement une flétrissure .publique. Les hommes raisonnables veulent de ta
Le censeur .qui refuse son approbation à liberté loutce .qui .peut .êlr-e .utile au public
l'auteur ne lui .fait .perdre .que le tetmps, qu'il et humain envers le particulier, et iIs .re-
a employé à composer, son ouvrage. Le ju- poussent, des écrits comme des .paroles., tout
gement qui confisque un ouvrage imprimé ce qui peut,; sans motif, blesser les hommes
{1 ) La liberté illimitée d'écrire aurait dans les moins ou des personnes que l'on connaît davanta-
provinces des ëffuls plus 'dangereux qu'elle ii'eti a ge, télie y égareraitplus d'«spi>its, ou y produirai
à Paris. Une brochure squi me ivil îQ.u'un jour à de plus; longs ressenfimenis <elle «n bannkait la la
Paris, vivra un an dans la .province. Ecrite avec paix et l'union, seul plaisir qu'on y goûte, .et qui
Jiioiiisde mesures sur des choses que l'on connaît dédommage de tous les autres.
dans leur honneur ou dans leur personne, serait révolté qu'un gouvernement sage pût
soit qu'ils gouvernent, soit qu'ils soient laisser à toutes les passions, à toutes les
gouvernes. Cette liberté sage est celle que erreurs, à tous les mécontentements, à tous
le roi nous a donnée, et même la seule qu'il, les regrets, à toutes les haines, ce moyen
ait pu nous donner. terrible d'exhaler leur venin dans des écrits
Sans doute la censure préalable peut avoir qui se répandent toujours dès qu'ils son»,
ses abus, et la liberté sans censure, ses imprimés, parce qu'on ne les imprime que
avantages; mais il n'y a que les petits es- pour les répandre.
prits qui soient frappés des abus des bonnes Aujourd'hui que tout commis fait sa bro.
institutions, ou des avantages des mau- chure, et tout professeur son livre, s'il y
vaises. avait à s'occuper de la presse dans une as-
Il faut avoir le courage de le dire. Les semblée publique, ce ne pouvait être que
débats sur la liberté de la presse me parais- pour mettre, s'il est possible, des bornes à
sent une erreur chez une nation éclairée, et cette fureur de se faire imprimer, à cette
un scandale chez un peuple chrétien. Je ne intempérance d'écrits qui, comme celle des
demande pas ce que le sénat romain dans sa paroles, annonce'dela faiblesse d'esprit, de la
haute sagesse aurait pensé de cette ques- caducité. Qu'on guérisse, s'il est possible,
tion, lui qui bannissait les philosophes de les jeunes gens de cette scribomanie qui
Rome et de l'Italie, ni ce qu'en auraient dit transforme en ridicules auteurs d'estimables
les graves magistrats, les grands écrivains et utiles citoyens; qu'ils emploient à s'ins-
eux-mêmes du siècle de Louis XIV, de ce truire eux-mêmes le temps et la peine qu'ils
siècle de raison, de gloire et de génie, où la perdent à instruire le public qui n'a pas
presse n'enfantait que des chefs-d'œuvre. besoin de leurs leçons; que sous le vain
Mais je soutiens que, si l'on pouvait faire prétexte de servir la politique on ne ruine
entendre à un conseil de sauvages ce que pas la morale, et que les gouvernementsse
c'est que J'imprimerie et la puissance de la persuadent qu'il faut peu de livres à des
j>ensée, le sens droit de ces hommes simples peuples qui lisent beaucoup.
Après tant de discours pour et contre lat On a toujours raisonné sur ta Jibertô de
liberté de la presse, nous ne sommes guères la presse, dans l'hypothèse qu'écrire et pu.
plus avancés qu'auparavant, et la question1 blier ses opinions était un droit naturel.
est encore à traiter. Ecrire et même parler ne sont pas des
Les uns veulent étendre cette liberté, les>facultés natives comme la faculté physique
autres la restreindre ceux-ci demandent-t- du mouvement, puisqu'on peut vivre sans
des lois préventives, ceux-là des lois répres-écrire et même sans parler, et qu'on ne peut
sives on allègue des raisons, on dissimulei vivre sans mouvement.
les motifs, et l'on ne pose pas un principes Ecrire et même parler sont des facultés
qui puisse combattre les motifs ou appuyer acquises, des facultés apprises de la société
les raisons de nos semblables des facultés sociale,
t
II y a cependant des principes dans cette dont nous devons par conséquent compte à
matière comme dans toute autre, et traiter la société de qui nous les tenons, et que
une grande question sans remonter à ses nous devons employer à l'utilité et pour
principes, c'est élever un édifice sans creu- le bonheur de nos semblables en un mot,
ser des fondations. les facultés natives ne sont que pour nous
Sans doute on ne traite jamais une ques- les facultés sociales sont pour les autres
tion sans commencer par un raisonnement les facultés natives sont des besoins les fa-
quel qu'il soit; mais un premier raisonne- cultes sociales sont des arts, et l'on dit l'art
ment peut n'être pas plus un principe, de parler, l'art d'écrire, et même, quoique
qu'une première pierre, si elle est posée sur improprement, Fart de penser.
le sable, n'est un fondement. Ainsi, je le répète, écrire et même parler
ne sont pas des facultés naturelles en pre- ainsi cette portion de leur pouvoir et de
nant ce mot au physique, mais des facultés leurs devoirs, les gouvernements restent
de notre nature morale ou sociale, c'est-à- maîtres de la direction qu'il leur convient
dire que nous n'avons de notre nature phy- de donner aux esprits à qui ils les confient
sique que la disposition organique à rece- et des conditions qu'il leur plait d'imposer
voir, des leçons ou de l'exemple de nos aux écrivains qui restent aussi maîtres de
semblables, l'expression orale ou écrite de les accepter ou de les refuser; car écrire
nos pensées. n'est ni un besoin ni un métier, mais une
On peut écrire sur les choses physiques fonction, et une fonction publique.
qui sont la matière de nos besoins, ou sur Ainsi, la liberté de publier des écrits sur
les choses morales qui sont l'objet de nos des matières d'ordre public ne peut être
devoirs. qu'une concession du gouvernement.
Sur les choses matérielles et ce monde Ainsi, comme un instituteur particulier
sensible, livrée nos disputes, liberté entière ne peut tenir que du pouvoir domestique
d'écrire le vrai, le faux, l'hypothétique, et du père de famille l'autorité d'enseigner ses
chacun peut à son gré construire un monde enfants, les écrivains, les instituteurs pu-
différent de celui de Copernic ou de New- blics, précepteurs des nations, comme ils le
ton, sans que l'ordre de celui que nous ha- disent eux-mêmes, ne peuvent tenir que du
bitons en soit le moins du monde dérangé. pouvoir public l'autorité d'enseigner lespeu-
Il faut en excepter peut-être les sciences ples..
médicales, dans lesquelles l'ignorance ou Le gouvernement a reconnu cette vérité
l'abus des systèmes pourraient donner au lorsqu'il a donné dans la Charte, à tous les
peuplè des conseils pernicieux pour sa con- Français, le droit d'imprimer et de publier
servation physique leurs opinions. Nous l'avons reconnu nous-
Mais les choses morales et le monde social mêmes, puisque nous l'avons accepté, et
n'ont pas été livrés à nos vaines disputes. que ceux qui s'opposent aux restrictions
Comme ils sont l'objet de nos devoirs, ils que le gouvernement veut apporter à la li-
peuvent servir d'aliment à nos passions; et berté de la presse, s'appuient sur cette con-
si, dans son orgueil et la faiblesse de sa rai- cession elle-même pour les combattre.
son, l'homme méconnaît les lois de cet or- La preuve que le gouvernement peut, a
dre moral où il est le premier agent, il peut volonté, accorder ou refuser la liberté d'é-
en arrêter ou en altérer le mouvement, se crire sur des matières d'ordre public, est
rendre malheureux lui-même, et livrer la qu'il exerce le môme droit sur la liberté do
société aux troubles et aux révolutions. parler en public qui est absolument de
C'est parce qu'un homme ou un livre même nature ainsi il nomme et paye des
peuvent bouleverser la société, qu'il existe professeursde droit public, de droit naturel,
partout des gouvernements dépositaires des de droit civil, qui font des cours publics sur
doctrines publiques, morales ou sociales, ces matières, et il ne permettrait pas à tout
comme de la force publique. autre orateur de les traiter devant un nom-
Les gouvernements ont le pouvoir et le breux auditoire assemblé sur la place publi-
devoir d'enseigner aux peuples ces doctri- que. Les Anglais, plus; conséquents que
nes, et de faire agir la force publique pour nous, ont laissé à l'une et à l'autre liberté
les lui faire observer. tout son essor. Chez eux, tout écrivain peut
Enseigner, c'est gouverner, et si chacun écrire surtout; tout orateur en pleinvent peut
peut enseigner, chacun gouverne et il ne parlersur tout, et attrouper,! cinquante mille
faut plus de gouvernement public. hommes autour de ses tréteaux, indiquer
Mais les gouvernements peuvent se des- à l'avance le jour et l'heure du spectacle, et
saisir d'une portion de leur pouvoir, et se l'autorité le laissera faire, sauf à surveiller-
id^argerd'ane partie de leur fonction d'en- l'auditoire par ses constables, ou à le dissi-
seigner. Jis peuvent en investir les particn- per par ses soldats.
Hçrsïàqui la nature et l'étude ont donné le Ainsi, les délits de la presse ne sont pas
talent de penser elles connaissances qui en comme les autres délits, une infraction de
dirigent et en règlent l'exercice, et faire devoirs, ils sont un abus de pouvoir; et du
servir cette puissance particulière du talent pouvoir de publier ses opinions, que l'écri-
au soutien et à l'affermissement de la puis- vain tient du gouvernement, et de la puis-
sance publique. Toutefois, en conférant sance ou du talent qu'il a reçu de la nature:
<-ar c'est une puissance qu'un talent, et il de punir la loi ordinaire, et de prévenir \t\
faut le faire fructifier au profit, de la société, loi d'exception; c'est le rebours du bon
suivant la belle parabole de l'Evangile, qui sens. Bans tous les temps et chez tous les
a fait passer dans notre langue le mot talent, peuples on a pensé, dit et écrit que les gou-
sousi'aceeption que nous lui donnons. vernements devaient provenir le plus et le
Et non-seulement l'écrivain tient du gou- plus tôt qu'ils pouvaient, et punir le plus
vernement l'autorité d'enseigner, mais -il en rarement et le plus tard. Mais nous avons
« reçu encore tous les moyens que l'étude changé tout cela.
«joute au talent, puisque e'est aux soins duL Quel est l'Etat, quelle est la ville ou môme
gouvernement, à ses secours de tout genre la famille où cette maxime ne soit pas la
à ses établissementsd'instruction publique première règle de l'autorité?
que le public doit cette accumulation de ri- Quel est l'homme sage qui, dans la con-
chesses littéraires, véritable trésor National, duïte de ses affaires, le soin de sa santé,
à lui-
où chaque génération puise à son tour desï l'éducation de ses enfants, ne se dise
connaissancesutiles, et les moyens d'en ac- même
quérir de nouvelles. On ne peut se défendre
d'un sentiment douloureux, en pensaot aat •"
Pfincipiis obsta, sero medicina paraturî
!'(O,vid., Remediumamor., vêts. >9i.>)
grand nombre de jeunes écrivains que la so- On peut «omparer entre -elles les lois pré-
ciété a fait élever, même gratuitement, clans v«fltives«u ia -censure, et les lois répressives
«es écoles, et qui aujourd'hui tournent een.- ou .pénales.
4-re elle ses propres bienfaits. Elle « perdut .La .eensore esta la fois plus-raisonnable
beaucoup d'argent pouf faire beaucoup, d'in- plus wtHe à l'écrivain, plus utile à-la socié-
grats.
-délits de la presse sont donc des dé-
'lits spéciaux et d'exception, -et peuventt
humaine et éclairée, pi us -aux
té, plus conforme -aux mœurs d'me nation
pro-
gr^ès des lettres et à la culture des esprits.
dès lors être soumis à des -lois spéciales La société fait pour les écrivains $1 dans
•q-ue mal à propos on appelle
lois d'excep- ieur intérêt ce que tojit écrkain sage 4oit
tion. faire pour .lui-même et dans son proppe
térêt. Elle leur offre le coasgtl secret d'une
in-
Mais le gonvernemeat ne $ eut donner dee
faculté, et surtout d'autorité, qu'aux honnêtess critique judici&use «t sans passion <qui tem-
gens et aux bons es-prits.Ilne doit aux aié- père les illusions de l'orgueil, redresse les
chaàts que des châtiments, et aux feus quee écarts de la naison ou les .erreurs du faux
savoir. La censure peutépargner à l'écri-
les remèdes. vain les &ais -d'une impression cuineuse, la
Si le gouvernement sno us a concédée touss
îa faveur de-publier nos pensées, il peut, ilil honte et le danger d'une publication scan
Itfit la -reprendre sur les méchants, s'ils enn 4ale.use et.coaibiend'écrivaijis parvenus à
l'âge Ba&rauraien* été heureux qu'une ^ri-
«busent, et porter -des loi-s pour -empêcherr
l'abus même de la part des bons car. -s'ila tique bien'vei liante et iEapanfciale eût sauvé
abandonnait le droit de reprendre ses dons, à leur jeunesse la publication indiscrète .d'an
^crit quia peuUêtue répandu de ^'amertume
ou de réprimer f-abus qu'on peut -en^aire,y
il renoncerait à gouverner. sur le reste de leur vie? Lac^nsune est plus
Ces 4ois peuvent être pr-éveetives &u pé-
utile à to soei,été que les lois pénales, par-
presswes. ce qu'elle arrête plus effîcacenûent la .publi-
Quoi qu'on ait pu dire, et souvent avecc
cation des-écrits dangereux. XGuAoAw.r.age
imprimé ©kcule,, et plus viie
autant d'ignorance de la langue que de mau-L_ damné; et, u.n .seul. exemplaire saustraitià la
est
con-
vaise foi, sur le mot réprimer, auquel nos lS
iaisie^eçf (au,asitât:W«ltip!Mj^rîlfsprises
vocabulaires et l'usage, arbitre suprême des rs
.naCioijal^s .pu élr^p gères
mots, plutôt qu'une assemblée politique
donnent un sens moins exclusif que celuiji Si l'on;suppose.quedes.£ens&UES,igpQiaa1îS
-ou pass,ionnés;empâcbentlapublicaticuisd!yii
dans lequel on l'a resserré, il est certain que
i,e
l'administration réprime en prévenant, et et iéciîit..utile je .ripondcai qu'il est, beaucoup
ip.lusiàcraijadrfiq.u'ikaepeEuiettent ri.njpEe«r
t|ue ta justice r-eprime en punissant, -etcha-i-
rsion d'un:écrjt dangereux îgeiEépondrai^ue
«un atteint ainsi le but de son ànstitetion
la^soBiété ;a beaucoup. plus, à ^ouJŒcirde: ta.
Ln
r.
la censure. EUes ruinent et flétrissent l'é- pliquer aux écrivains. 1
crivain, dégradent la noble fonction d'écrire
qu'elles 'assimilent à la pratique des métiers
'l' r\.m. »# X*_ ÏW
.1.17 1. Mais pourquoi cette censure si raisonné
ù,l. "V:t. -¡:
ble, si utile, et pour les écrivains et pour la
1"1.& ..v.
,J3f5i'J ŒUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 13t«
société, et pour la littérature elle-même, rétablir son gouvernement gouvernement; et beaucoup
est-elle
jva! rt 1 1 j-ksi A w» m H I nÀnn *\v\ combattue,
ni opiniâtrement t- a A nnl% niiii r\même j J ceux
w\ A *v* rtde y* i«r qui
An
mr\^ #\4- l Art aujourd'hui
j"#*i rejettent l on 1 ^Vh^O/i 11 11 une
11 fl cen-
là /)£1>ÏIa
par de bons esprits Pourquoi ces lois ré- sure modérée auraient été les premiers à
pressives si dures, si insuffisantes, disons le lui conseiller. Du reste', même sous son
mieux, qu'il est impossible d'appliquer aux règne, la censure, qui n'était pas impartiale,
écrivains, sont-elles si obstinément deman- et qui ne peut pas l'être entre les bonnes et
dées par des hommes qui, sur tous les au- les mauvaises doctrines, était plus judicieuse
tres délits, et même les plus graves, trou- et moins hostile qu'on ne le croit communé-
vent trop rigoureuses les lois criminelles ment. Seulement les censeurs avaient quel-
les plus indulgentes? Il faut chercher la quefois des frayeurs ridicules, et voyaient
cause de cette singularité ou de cette incon- des injures là où Buonaparte lui-môme n'au-
séquence, non dans les hommes, mais dans rait pas aperçu une allusion.
les choses, et bien moins dans la situation En sortant de cet état politique, plus na-
:!es esprits que dans la constitution des turel à la société qu'on ne croit, on entre
Etats. dans un monde idéai et dans les espaces
La censure convient aux gouvernements sans bornes des constitutions et des reli-
absolus, et qu'on.appelleainsi, non parce que gions humaines. Alors s'élèvent des nuages
les volontés législatives y sont arbitraires, qui couvrent et confondent les objets, et
distinguait jusque-là
car elles le sont bien moins dans ces gou- ceux mêmes qu'on
vernements que dans les Etats populaires avec le plus de clarté tout est mis en pro-
i'appelle
non encore parce que les volontés législa- blème la lumière manque, et on
tives y sont absolues, parce que la loi est et de tous les côtés. La liberté indéfinie de la
doit être absolue dans tous les gouverne- presse résulte nécessairement de cette nou-
ments, mais parce que les doctrines y sont velle situation des choses, et elle offre qui un
fixes. La censure convient, par la même nouvel aliment à l'activité des esprits
raison, sous l'empire d'une religion d'au- cherchent à sortir d'un état de doute et d'i-n-
torité. Là on ne dispute pas sur la consti- certitude où la raison humaine ne saurait
tution publique ou religieuse des Etats on s'arrêter car, pour vivre, et de la vie so-
croit, on aime, on obéit on possède ou l'on ciale comme de la vie individuelle, il faut
croit posséder minière et vérité. Que cher- savoir et non douter. Aussi, là où le douta
cherait-on au delà ? Les recherches sont cu- n'est pas permis, la liberté d'écrire est in-
riosité et non besoin; les écarts ne peuvent terdite et le gouvernement le plus indul-
être que des erreurs la censure suffit à les gent ne tolérerait pas l'apologie du vol ou
prévenir, et un mauvais écrit peut déshono- de l'assassinat.
rer un homme comme une mauvaise action. En un mot, là où les doctrines ne sont pas
Tel était l'état de la presse sous Louis XIV; fixes et positives, or. en cherche, parce qu'il
tel, à quelques égards, il était sous Buona- en faut on cherche donc, on cherche tou-
parte, dont le gouvernement aussi était ab jours et on cherchera longtemps. C'est là le
solu, non précisément par la fixité des motifsecret mais incontestabledu dogme nou-
doctrines publiques, mais par la fermeté de veau de la liberté indéfinie de.la presse, li-
sa volonté. Le orincipe était différent mais berté qui s'étend ou se resserre à mesure que
l'effet était le même, du moins pour un temps. les doctrines, et par conséquent les gouver-
Aussi avait-il établi la censure. Elle était nements, deviennent plus incertaines ou plus
dans l'esprit de son gouvernement, car il- fixes. Ce motif est plus évident encore là où
exagérait le pouvoir, et ne l'altérait pas. S'il la société est constitutionnellementpartagée
avait laissé une liberté illimitée d'écrire sur entre deux doctrines oppdsées, dont l'une
son gouvernement, son administration, sa tend toujours à empiéter sur l'autre, parce
manie des conquêtes, sa personne, sa famille que dans cet état il faut trouver le point ma-
et ses courtisans il n'aurait pas régné trois thématique où elles doivent l'une et l'autre
mois; et ceux qui nous disent aujourd'hui s'arrêter, se toucher sansse heurter, et s'unir
que le mécontentementdes esprits qu'il en- sans se confondre, et qu'à la difficulté de se
chainait par sa rigoureuse censure, précipita faire une doctrine, se joint la difficulté plus
sa chote, savent bien le contraire. Il régne- grande encore d'en faire marcher deux du
rait encore s'il n'avait pas soulevé d'autres même pas, et d'accorder deux instruments
mécontentementset provoquéd'autres enne- montés sur des tons si différents.
mis il aurait rétabli sa censure s'il avait pu Alors, et quand les esprits se précipitent
dans un océan de recherches, sans fond et II est d'autres personnes dont il doit être
Il
sans rives, comme Ces hommes impatients défendu aux écrivains de s'occuper autre-
et précipités qui ont égaré quelque chose, ment que pour leur rendre les respects
ils renversent tout et ne remettent rien à sa qu'exige, pour l'intérêt de la société elle-
place; alors la censure ne suffit plus à les même, le pouvoirsuprêmedont elles sont re-
contenir on le sent, et on appelle des lois vêtues. A ce motifde la réserve imposée aux
,répressives, qui seront peut-être tout aussi écrivains, pris dans la dignité des personnes
impuissantes; et il arrive, pour Ja libertéd'é- royales,s'enjoint un autre plus puissant peut-
crire ainsi que pour toute autre, qu'en cou- être, tiré de la nature même de l'homme.
rant après la liberté, les hommes rencontrent C'est qu'il est infâme d'attaquer d'action ou
infailliblement l'autorité, et comme, dans de.paroles celui qui ne peut pas vous ré-
Jeur doute universel, ils ont nié l'autorité pondre et repousser l'agression. Ainsi
tille-même, ils rencontrent au delà le despo- il n'y a qu'un brigand de profession qui
tisme, qui ne se laisse pas nier, et qui vient puisse attaquer avec des armes un homme
établir des volontés positives à la place de désarmé, attaquer avec la force de l'âge un
doctrines incertaines. Là finit le rêve. enfant, un vieillard, une femme, un homme
Les lois répressives conviennent donc en état de maladie, de démence, de déten-
mieux que la censure à notre état présent, tion. Les rois sont dans cet état à l'égard des
et c'est pour donner au gouvernement le particuliers. La puissance publique dont ils
temps d'en mûrir et d'en méditer la propo- sont revêtus les réduit à l'impuissance per-
sition, sans être trop distrait par la violence sonnelle, et on ne peut les attaquer person-
pfl'rénée de certains écrits, que la censure nellement sans crime et sans infamie.
lui a été accordée pour un temps limité, Jusqu'à ces derniers temps, a presse n'a-
• Mais tout -est difficulté dans certaines vait été que littéraire. Elle est devenue po-
voies. Soit que l'on se contente de lois pré- litique, et dès lors elle a pris rang parmi
ventives, soit que l'on porte des lois répres- les institutions publiques. et elle est tombée
sives, soit enfin qu'on mêle les unes et les sous l'action et la surveillance du gouver-
3utres, ce qui pourrait peut-étre mieux con- nement, pour en recevoir des règles qui la
venir à la nature mixte de notre société, il fassent servir, comme toutes les autres ins-
iaut que les censeurs et les magistrats sa- titutions, à l'avantage de la société. Ce n'est
chent ce qu'ils peuvent permettre et ce qu'à ce prix que la fonction d'écrire peut
qu'ils doivent défendre, ce qu'il faut ab- être honorable et honorée, et nous nous
soudre et ce qu'il faut condamner. Et le sommes beaucoup trop occupés en France
moyen de le savoir au milieu de l'incerti- de la liberté de la presse, et pas assez de
tude de toutes les doctrines et de l'obscur- l'honneur de la presse.
cissement de toutes les vérités? On peut On a demandé si la censure serait impar-
dire en général que la discussion franche, tiale. Elle le sera, elle doit l'être, comme la
grave, décente, raisonnable et raisonnée de justice, qui ne lait pas acception de per-
toutes les vérités, de toutes les opinions et sonnes, mais qui absout l'innocent et punit
de toutes les lois est permise; mais que la le coupable.
déclamation,l'injure, le sarcasme, l'impos- L'assemblée politique la plus habile en
ture, l'insinuation perfide, doivent être sé- administration qu'il y ait eu au monde, le
vèrement interdites, parce que l'écrivain vé- sénat romain, bannissait dé Rome d'obscurs
ritablement utile, le vir bonus dicendi peri- sophistes qui allaient de maison en maison
tus cherche à éclairer et à convaincre, et corrompre avec leurs doctrines l'esprit et les
l'écrivain dangereux et coupable, à enflam- mœurs des citoyens et le sénat n'avait pas
mer les esprits ou à les séduire pour les en- besoin pour cela de lois d'exception. La
traîner à son but. presse aujourd'hui a bien une autre in-
Quant à la liberté d'écrire sur les per- fluence, et les écrivains qui parmi nous
sonnes en place, une loi du Danemark per- abusent depuis si longtemps de ce puissant
met à tout écrivain de les attaquer pour les moyen de corrompre sont bien plus dange-
actes de leur administration; mais elle en- reux. Nous parlons à tout propos de notre
joint en même temps, sous peine de desti- indépendance. Nous ne voulons pas, avec
tution, à l'homme en place inculpé, de pour- raison, que l'Europe nous fasse la guerre
suivre aussitôt son riénonciateur devant les des armes, et nous fui faisons journellement
tribunaux çômpétéii.iS. la guerre des doctrines. L'abbé Galiani écr;^
ISlf ŒtJYRES COMPLETES DE M. DE BO1NALD. i:>2*>
vait
Vait en 1771 «Les Français ont conquis notre langue est devenue la langue nniver-
plus de pays
rvhlS ri*» n/ivc avec lannc livres
av^r» leurs lî-irmc qu'avec
mi'svflf leurs
lanpc selle, nnnc
ça1Ip rlavanuc nous-mêmes
cnmrnoc devenus
nous sommes nmis-TYlfrnnf»«
armes. » Quand un peuple veut conserver un peuple en quelque sorte universel,. et
toute son indépendance, il n'emprunte aux l'Europe peut nous demander raison de nos
autres peuples ni leurs mœurs ni leurs lois, doctrines anarchiqnes, comme elle nous.de-
et ne Jeu* donne pas sa langue. Pour vivre manderait raison d'un armement extraor-
indépendant, il faut vivre isolé; dès que dinaire.
ET DE LA LIBERTÉ DE LA PKESSE.
(1827.)
Pourquoi une opposition est-elle regardée Du cote1 ue la royauté soi» uonc les supe-
riorités
r politiques, et par conséquent la
comme une des nécessités du gouvernement[
représentatif, et quel eh est le caractère? tendance
t au repos; état naturel à tout ce qui
La raison dit qu'il ne doit y avoir d'oppo- est
e parvenu à son terme et né peut aller
sition qu'au mal et y aurait-il donc un malI plus
t loin.
nécessaire dans cette forme de gouverne- Du côté de la démocratie est l'infériorité
ment ? Oui, et même il y en a- deux. Aux relative,
r et par conséquent la tendance à
l'inquiétude, à l'ambition, au goût du chan-
yeux de la démocratie, ce mal est la royauté;
gement, aux révolutions; état naturel aussi
aux yeux de la royauté, ce mal est la démo- à tout ce qui n'est pas parvenu à son terme
eratie i l'une et l'autre mises en présence et
t
eomnie en champ clos dans le gouvernementt e aspire à aller plus
et loin.
seprésentatif, La démocratie est donc dans un état of-
Voilà le sujet du combat,, voilà les com- fensif,,
f parce qu'il est dans sa nature qu'elle
battants; et les journaux sont l'arme des cherche
c à conquérir le pouvoir; la noyauté
partis, et le théâtre de leurs querelles. est
c dans un état défenstë, parce qu'il est
Ainsi les journaux,,j'entends les journauxc dans
c sa nature qu'elle veuille le défendre*
politiques, naissent dans les révolutions, ett ] démocratie tend donc au pouvoir le plus
La
ne peuvent vivre qoè dans la guerre. iarbitraire, parce qu'il est le plus offensif; la
Du côté de la royauté est le roi et saj royauté
1 tend au pouvoir absolu, parce qu'il
chambre des pairs du côté de la détnocr-a- est
< le plus défensif, double tendance qui
tie, le peuple et sa chambre des députést explique
< tous les accidents de cette société.
division de pouvoirs toute naturelle à cettei Le premier corollaire qui découle de ces
forme de gouvernement; car l'aristocratieî principes
j est que l'opposition dans la cham-'
elle-même est moins un pouvoir particulierr 1bre des pairs ne doit pas avoir le même but
qu'un appendice du pouvoir royal; et c'estt ]ni le même caractère que
celle de la chambre
ainsi qu'en Angleterre l'aristocratie se con- des
< débutes celle-ci est une opposition aux
sidère elle-même,- et ce qui fait sa force} empiétements
e de la royauté; l'autre doit être
contre la démocratie estla force, de la royau- t opposition aux entreprises de la démo-
une
té car si, par impossible,. une chambre dess cratie,
c et la pairie devrait craindre bien-
pairs ambitionnait la popularitéset sacrifiait,. moins
i de se tromper avec la royauté que
pour l'obtenir, quelque chose- de ses devoirss d'avoir
c raison aveo la démocratie.
et des justes droits du roi, elle donnerait à Ce qui sauve l'Angleterre est la grande
la démocratie la force de la ro-yauté et l'Etatt influence
i que la couronne et la pairie exer-
serait perdu. cent
€ sur les élections, et qui leur assure les-
Entre ces deux grandes divisions se pla- voix d'un grand nomore de membres des
cent la magistrature et l'armée, qui tiennentt communes.
c Sans cet auxiliaire, la chambre-
ati peuple par leur composition, et à laî des
c pairs et la royauté auraient, depuis long-
royauté par la direction qu'elles en reçoi- temps,
t succombé, et il y aurait de quoi s'é-
vent heureux l'Etat, si elles n'en.reçoivent t ttonner de la méprise de ceux d'entre les pairs
jaitais d'autres L c France ou d'Angleterre
de qui travailleraient
ÎS2I PART. II. POLITIQUE. St]R LA LIBERTE DE LA PRESSE. JS2Î
à faire des élections populaires, et qui re-
re- de
< l'infaillibilité qu'elle lui attribue,
l'infaillibilitéqu'elle sur les
attribue, sur
procheraiënt au gouvernement de chercher premiers
] agents de son autorité, les hérauts
à se donner des députés royalistes. de
c 6es volontés législatives, les instruments
Les journaux sont donc l'arme offensive de
( son action administrative, les [ministres,
de la démocratie et l'arme défensive de la en
i un mot, chargés de toutes les iniquités,
royauté, et avec ses journaux la démocratie comme
c ils le sont de toutes les affaires et de
serait plus forte que la royauté, si celle-ci ttoute la responsabilité du succès. Ceux-là
n'avait, pour réprimer leurs excès, la res- .sont
.s en quelque sorte hors la loi commune,
source de la censure- car les lois répressives assaillis
s sur tous les points, et obligés de
n'y peuvent rien. ffaire face à toutes les attaques. La démocra-
Ainsi les partisans de la démocratie atta- ttie, pour les combattre avec plus d'avantage,
querout avec violence, tandis que les défen- les
i isole du roi, dont il leur est même in-
seurs de la monarchie soutiendront le com- terdit
t de faire servir le nom à l'appui des
bat avec le désavantage que, dans cette propositions
p faites en son nom; elle les isole
guerre comme dans toute autre, une défen- de d tous ceux dont ils peuvent employer les
sive purement passive a contre une agres- services
s ou rechercher l'amitié, en les flé-
sion opiniâtre et continuellement répétée. trissant
t du nom de serviles ou de ministé-
Les talents n'y font rien, les partis n'en re- riels, injure qui passera de main en main
connaissent ou n'en supposent que dans aaux défenseurs de tous les ministres, quels
ceux qui les servent; et le Conservateur qu'ils q soient. Ailleurs les gouvernements
îui-même dont on a tant vanté les succès et ssont tranquilles et les peuples heureux à
exagéré peut-être le mérite littéraire, le moins 11 de frais et sans trop s'occuper de ceux
Conservateur aurait pâli devant le Conslitu- qui q les gouvernent et l'on dirait que, dans
îionnel; tant aux yeux du vulgaire une dé- ce c seul gouvernement, les ministres, objet
fensivé calme et raisonnée paraît faible et d'une censure si âpre et si continuelle, sont
décolorée auprès d'une attaque audacieuse plus p sujets à faillir, parce qu'ils sont plus
et qui ne respecte rien Au reste, le Conser- surveillés;
s ou plus corrompus, parce qu'ils
vate.ur n'aurait rien fait de ce qu'il voulait sont
§ plus responsables.
faire, sans l'horreur excitée par la nomina- Commeut peut-on harceler contînuelle-
tion d'un régicide à la chambre des députés, Hfent
H les serviteurs, sans nuire à la consi-
surtout parl'affreux événement dui& février. dération du maître qui les*a choisis? Com-
d
Jusque dans la brièveté de leurs articles, ment
n peut-on prétendre que tout va mal
les journaux sont bien plus propres à l'atta- dans
d l'Etat, sans porter atteinte au respect
que qu'à la défense. On attaque avec un mot, et e à l'affection dus à celui qui en est le chef?
un trait il faut des volumes pour répondre C'est
C là le mystère du gouvernement repré-
et pour défendre. C'est ainsi qu'un grain de sentatif,
s, tel que l'entendent nos adversai-
poison donne la mort à l'homme, et qu'il rf res, c'est même à leurs yeux son chef-d'œu-
faut des quantités d'aliments pour le nourrir. Yi
vre, et pour ceux qui ont la foi, il sert mer-
I) est vrai que la démocratie n'attaque pas veilleusement
n à tranquilliser les conscien-
toujours directement la royauté; la loi, par cesc< de l'opposition qui défend la royauté
une fiction tant soit peu ultramontaine, a commec< d'autres l'attaquent, je veux dire,
déclaré que le roi ne pouvait mal faire, et avec
a: les passions de la démocratie, et quel-
môme que seul il ne devait rien faire. Elle qquefois avec son secours.
l'a placé dans la constitution de la société à Et qu'on ne pense pas que la pairie trouve
peu près comme le déisme place la Divinité plusp de grâce aux yeux de cette -éternelle
dans l'univers, je veux dire, dans une sphère eennemie du pouvoir. royal. La pairie est trop
inaccessible aux agitations de ce bas monde, « intimement unie à la royauté pour ne pas
et où les passions ni le soin des affaires partager
P toutes les chances du combat. La
humaines ne sauraient troubler son repos, chambre
ci des pairs, en effet, n'est pas hors
Les rois, dans un gouvernement repré- de d la royauté pour la contredire; elle est
sentatif, sont placés sur la hauteur loin du ddans la royauté pour la défendre, ou plutôt
combat, et s'ils ont été quelquefois forcés ellee est royauté elle-même, puisqu'elle en
d'en descendre et de s'engager eux mêmes partagep le premier ét le plus essentiel ca-
que le journal soit encore !a propriété corn- Disons-le donc un journal n'est et ne
mune des actionnaires pour le droit qu'ils peut être qu'une concession de l'autorité,
ont à s'en partager les produits, rien de comme un brevet d'imprimerie, et pour la
plus vrai; mais qu'un journal devienne une même raison, et par conséquent en cas d'a-
propriété contre le gouvernement qui en a bus, révocables l'un comme l'autre à la vo-
accordé l'autorisation, c'est ce qu'on ne peut lonté de l'autorité; et il n'y a pas de gou-
avancer sérieusement. Et quelle serait en vernement possible, si toutes les concessions
effet cette propriété, et à quelle autre pour- quel'autorité peut faire deviennent par cela
rait-on la comparer? Ce serait la propriélé seui des propriétés.
d'exploiter, à son profit, et comme une mine Tant que la presse n'a été que domesti-
de houille ou le desséchement d'un marais, que, si je peux ainsi parler, je veux dire
la fonction la plus importante et la plus ina- occupée de choses ou de sciences qui font
liénable de l'autorité publique, celle d'ins- l'entretien ou l'amusement du particulier,
truire les peuples et de les diriger dans les elle a pu être livrée aux spéculations par-
voies de la morale, de la politique, delà ticulières, comme toute autre profession
religion; et on ne pourrait la comparer qu'à privée; mais lorsqu'elle est devenue politi-
la propriété d'élever ses enfants qu'un père que, le gouvernement, tuteur naturel de
de famille aliénerait au profit d'un institu- tous les intérêts puhlics, a dû la considérer
teur. Mais cette propriété, si on peut appe- comme une profession publique dont la di-
ler ainsi le premier des devoirs de l'autorité, rection et la surveillance devaient lui ap-
est certainement inaliénable, comme toutes partenir, et non comme le patrimoine d'une
les propriétés publiques. Le gouvernement famille ou la propriété d'un particulier et
peut l'engager pour un temps limité, ou si le journaliste est obligé de souffrir la cri-
plutôt la confier comme il confie une chaire tique particulière, pourquoi ne serait- il pas
de droit public ou de tout autre enseigne- soumis à la censure publique?
ment. 11 en fait une commission révocable et L'historien d'Angleterre, Hume a fait
non une propriété, et encore il demande un aveu qui devrait toujours être présent à
comme garantie, de celui à qui il la confie, l'esprit des législateurs dans toutes les ma-
des conditions d'âge, de capacité, de bons tières où les intérêts publics et les intérêts,
sentiments et de bonne conduite, et pour privés se trouvent en contact et en conflit»
quelle profession publique n'en demande- Depuis notre dernière révolution, dit-il, les
t-il pas ? Et pour cette chaire qu'on appelle intérêts privés sont mieux défendus, mais les
un journal cette chaire d'enseignement intérêts publics sont moins assurés. C'est
moral, religieux, politique, historique, qui ainsi que, dans la discussion sur la police
parle de si haut et de si loin, qui parle à de la presse, on a opposé l'intérêt privé des
tant d'auditeurs à la fois, tous les jours et à journalistes, des imprimeurs, de leurs ou-
toute heure pour cette censure journalière vriers, à l'intérêt de la société, et compro-
de tout ce qui se dit et se fait pour cette mis la fortune de l'Etat pour ménager la for-
censure si vive et si amère sur les choses et tune des particuliers.
les personnes,; sur les gouvernements et les, Des ocrsonnes estimables ont craint que
les rigueurs exercées contre les mauvais ou noms) à côté des paniers d'herbes et de
vrages ne pussent en atteindre de bons et poissons. Certes, c'est acheter un peu cher
les emoécher de paraître. Jes satisfactions que je ne comprends pas.
Mais d'abord on ne peut pas prendre, Cette guerre de brochures a donc déjà
contre la licence de la presse, des -mesures commencé; il en a paru plusieurs; on en
préventives ou répressives dont- les hom- annonce d'autres. On va jusqu'à nommer les
mes, par erreur ou par passion, ne puissent actionnaires et les assurances de cette noble
se servir contre la liberté la plus légitime, entreprise: car aujourd'hui en France tout
pas plus qu'on ne peut instituer un tribunal se fait par actions, jusqu'au désordre et aux
et le composer des plus honnêtes gens, qui révolutions. Ces brochures, tirées déjà à cinq
ne puisse pas se tromper et condamner un cent dix mille exemplaires, sont expédiées
innocent ou absoudre un coupable c'est le par envois réguliers, et distribuées gratuite-
sort de toutes les institutions humaines, et ment, sans que les actionnaires veuillent re-
aucune législation n'y a encore trouvé de tirer de cette immense avance d'esprit et
remède. d'argent d'autre bénéfice que la gloire. C'est
Mais il ne faut
pas croire que la société une industrie perfectionnée pour laquelle
puisse retirer autant de fruit des meilleurs on aurait pu demander un brevet d'inven-
ouvrages qui peuvent paraître sur les scien- tion et c'est au milieu d'une si étonnante
ces morales, les seules qui soient l'objet des profusion de libelles, qu'on se plaint do la
lois sur la presse, qu'elle a de mal à souffrir gêne apportée à la liberté de la presse 1
des plus mauvais. Les premiers, qui ne par M. Hyde de Neuville est venu à son tour
lent qu'à la raison, graves et quelquefois fournir son contingent à la coalition, et,
jusqu'à la sévérité, ne sont lus que par le comme les autres compositeursde brochures
petit nombre; les autres, qui s'adressent aux il a dédaigné d'appuyer, par des raisonne-
passions, à l'orgueil, à la volupté, à l'esprit de ménts, son opinion sur la censure, et il a
révolte, embellis de tous les prestiges de trouvé plus facile et sans doute plus con-
l'esprit et des arts, trouvent de bien plus cluant d'attaquer les personnes; c'est prin-
nombreux lecteurs dans les jeunes gens, cipalement contre l'auteur de cet écrit qu'il
a dirigé ses accusations, et il a suivi en
dans les femmes, et les dégoûtent à jamais cela
de toute lecture sérieuse. Le dirai-je ? les l'exemple que lui avait donné M. de Cha-
sociétés chrétiennes n'ont plus rien à ap- teaubriand. Naturellement, et pour plus d'un
prendre. En science morale, tout a été dit, motif, ils n'aurai&nt dû, ni l'un ni l'autre,
et si une seule vérité nécessaire à leur exis- lui donner la préférence; mais ils l'ont jugé
tence leur eût manqué, elles n'eussent pu sans doute plus utile au succès de leur
vivre et se développer. Elles ont sans doute cause, et quelles convenances ne cèdent pas
beaucoup à apprendre en sciences physi- aux convenances des partis 1 Je commence
ques mais sur celles-là la liberté la plus par la brochure de M. Hyde de Neuville,
entière est laissée môme aux erreurs les comme celle qui m'est le plus spécialement
mieux démontrées, et aux systèmes les plus dédiée. Le grand reproche qu'il m'adresse
extravagants. Ainsi, quand une mesure pré- est d'avoir varié dans mes opinions sur la
ventive ou répressive aurait empêché ou re- censure préalable. C'est ce qu'il verra tout
tardé la publication d'un bon ouvrage, il y à l'heure mais avant de lui faire connaître
aurait eu certainement plus de préjudice son erreur, je dois relever sa partialité. Il
pour l'auteur que pour le public; et pour- finit sa brochure par ces mots « Mais j'ou-
quoi supposer gratuitement que la justice blie que je traite des inconséquences mi-
ou la police, qui ont tant de mauvais ouvra- nistérielles. » Mais il oublie autre chose j
ges à condamner, portent de préférence il oublie de traiter des inconséquences de
leurs rigneurs sur un ouvrage utile ? ses amis, et pour remettre sa mémoire sur
Lasagesse du roi, en rétablissant la cen- la voie, je lui conseille de lire dans le Con-
sure, s'est adressée à la raison de ses peu- servateur, et dans d'autres écrits de M. de
pîes. Des passionshabiles et exercées, des- Châteaubriand, les passages c'tés dans les
cendues pour la combattre des hauteurs du numéros récents de la Gazette universelle de
rang et du génie, ont fait appel aux passion? Lyon, et dont l'écrit qu'il a sous les yeux
plébéiennes, ignorantes et aveugles. Déjà 'lui rappellera une partie.
l'on trouve des écrits contre la censure, ou Au fond, je suis loin de m'en prévaloir
plutôt contre les censeurs, à la halle et sur pour ma défense, il y a trop de simplicité à
les échoppes, eti'sn vJit de? noms (et quels reprocher des variations d'opinions sur
quelques questions administratives, à des qi je parlai à la tribune sur la liberté de la
que
hommes obligés de prendre part aux affai- presse,
pi je ne proposais pas contre lés jour-
la répression judiciaire dans les for-
res publiques,dans des gouvernements aussi naux
n.
mobiles et aussi orageux que le gouverne- m ordinaires mais je demandais que les
mes
ment représentatif reproche-t-on au navi- délits
d( dont ils pourraient se rendre coupa-
gateur lancé sur une mer agitée de ne pas bles
bl lussent poursuivis par un magistrat
toujours marcher droit et debout? En Angle- spécial,
s{ et plus tard, le 19 décembre 181T»
terre, on n'a garde de tomber dans cette je demandai qu'ils fussent jugés par un jury
niaiserie, et les détracteurs les plus achar- spécial.
si Je donnerai à la fin de cet,écrit les
nés de M. Canning ne lui ont pas fait un pièces
pi justificatives de ces assertions.
crime d'avoir été partisan enthousiaste du 11 est vrai que, soit prévention d'auteur
célèbre Burcke, quoiqu'il y eût, entre les pour les ouvrages sérieux, soit souvenir du
p<
opinions de ce profond publiciste et les der- m que les grands ouvrages avaient fait à
mal
niers actes du ministère de M. Canning, la société dans le siècle précédent, je croyais
autant de différence qu'entre le jour et la trop exclusivement à leur puissance, et pas
tr
nuit. assez
a! à celle des journaux, et je n'imaginais
Je ne désavoue donc aucun des passages pas
pi que ces feuilles légères composées
de mes écrits surj[la liberté de la presse cités sans
si réflexion, lues sans attention etaussitat
avec tant d'affectation par MM. de Château oubliées,
01 pussent prendre une si funeste
briand et Hyde de Neuville, les seuls dont ir
influence sur les esprits dans une nation
j'aie parcouru les brochures qui en ont pro- aussi
ai éclairée que la nôtre. C'était une er-
duit tant d'autres, et les seules auxquelles reur,
r( et j'en conviens; je ne voyais que le
je répondrai pour la première et la dernière bien qu'ils avaient fait, et je ne voyais pas
b;
fois je ne rétracte même aucun des éloges le mal qu'ils pouvaient faire. Nos adversai-
donnés aux journaux rédigés dans un esprit nres ne se sont jamais trompés, je le crois,
de fidélité à la religion, à la monarchie et à c'est assurément un rare bonheur; mais ces
c'
la personne du roi, et cependant MM. de messieurs
w abusent évidemment de leur pri-
Chateaubriand et Hydede Neuville ne seront, vilége
v; d'infaillibilité lorsqu'ils accusent
l'un ou l'autre, pas plus avancés des con- d'avoir été ennemi de la censure qu'il de-
d'
cessions que je leur fais. mande
m aujourd'hui, un écrivain qui l'a tou-
Je ne peux, je l'avoue, revenir de mon jours demandée pour les écrits telle qu'elle
je
étonnement, que ces messieurs aient trans- existait
e sous l'ancien gouvernement, et telle
formé en ennemi de la censure le plus dé- qu'elle
q D eût pas manqué d'exister pour les
terminé partisan et le plus publiquement dé- journaux
j< politiques, s'il y en eût eu alors.
fensenr de cette mesure. J'ai six fois écrit Avec
A un peu de bonne foi, si l'on pouvait
ou parlé sur la liberté de la presse à com- e demander dans les temps de faction, on
en
mencer à 1814, j'ai demandé la censure pour aurait
a jugé que celui qui demandait conti-
les écrits non périodiques, et je n'ai pas nuellement
n la censure pour les écrits non
même parlé des journaux. Le 28 janvier périodiques,
p devait la demander pour les
1817, j'ai parlé à la tribune sur la liberté de autres,
a lorsque l'expérience de l'inutilité
la presse, et j'ai demandé la censure pour des
d lois répressives et des condamnations,
les écrits non périodiques, et pour les jour- e la licence toujours croissante des jour-
et
naux la répression judiciaire dans une forme tnaux, lui eu auraient démontré la nécessité,
particulière le 19 décembre 1817, encore e que, revenir sur une erreur que l'expé-
et
la censure sur les écrits, et le 17 août 1819, rience
r a fait reconnaître, n'est pas incons-
toujours la censure sur les écrits non pério- ttance, mais sagesse et devoir.
diques,'et je ne dis pas un mot des journaux. Je vais plus loin et quand j'aurais été
En 1821, dans un écrit distribué aux cham- j j
jusqu'en l'année d'exécrable mémoire 1820,
bres, éclairé sur l'insuffisance des lois ré- opposé
< à toute espèce de censure, il eût
pressives, je les déclare impossibles à faire, suffi,
î pour me ramener à d'autres sentiments,
impossibles à exécuter, et je demande la cen- de
< ces paroles terribles de M. de Château-
sure sur tous les écrits périodiques ou au- 1briand « Oui ce sont vos exécrables
tres. Enfin, l'année dernière 1826, je de- <doctrines qui ont
assassiné cet enfant de
mandai également pour les journaux la cen- 1l'exil, ce Français héroïque, ce jeune et
iinfortuné Berri; » et je me serais cru pro-
sure que j'avais toujours demandée pour les
écrits, et encore faut-il observer que, dès le vocateur et complice d'un nouveau forfait,
28 janvier 1817, c'est-à-dire la première fois si je n'avais pas appuyé de toutes mes for-
1555 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. JE38
ces la censure préalable, comme le seul Tout ce qu'il yy a de constitutionnel et de
Tout ce
moyen de préserver la société du retour de nécessaire dans la question de la liberté de
ces exécrables doctrines. la presse, est que cette liberté soit assurée
D'ailleurs, «près l'expérience de la fatale contre la licence, sa mortelle ennemie, par
influence des journaux et de l'inutilité ae une répression préalable ou subséquente,
la répression judiciaire (puisque la licence répression indifférente en elle-même, ponr-
des journaux s'est accrue à mesure que les vu qu'elle soit efficace tout ce qu'il y a de
lois prétendues répressives et les condam- constitutionnel et de nécessaire est que l'on
nations se sont multipliées) après cette puisse publier des pensées utiles. Or. on
expérience, dis-je, l'opinion du roi sur la peut parler autant et même mieux dans un
censure aurait achevé ma conviction. Je ne écrit non périodique que dans un journal; le
suis pas de ceux qui, tout en faisant de l'op- format n'y fait rien, et la question des jour-
position, entonnent des hymnes de louange naux, ainsi considérée, n'est plus pour les
en l'honneur du roi. Je ne le loue pas,
jobéis, quoi qu'il m'en coûte j'accorde au
devoir ce que j'aurais refusé à tout intérêt
tres qu'une affaire d'argent..
uns qu'une affaire de parti, et pour les au-
complété la démonstration. Aussi a-t-on vu, chaque juge peut avoir une opinion diffé-
depuis 1815, la licence croître à mesure que rente, selon le degré de son intelligence et
les lois répressives et même les condamna- la portée de son esprit; les uns y voient
tions se sont multipliées. mieux ou autrement que les autres il de-
L'erreur de nos lois sur cette matière est vient impossible de concilier les dissenti-
de n'avoir vu le délit de la publication que ments, surtout lorsqu'aucun tribunal supé-
dans la vente de l'écrit à bureau ouvert, au rieur ne peut revoir les jugements, et J'ac-
lieu de le voir dans l'impression ( 1 ). Tout quittement seul peut mettre tout le monde
écrit imprimé est un écrit publié, et je défie d'accord.
qu'on cite un seul ouvrage remarquable par Enfin, et cette dernière considération est
le nom de l'auteur, l'intérêt du sujet ou le d'une haute importance, aujourd'hui que les
mérite de la composition et du style, qui, une écrits jouent un si grand rôle dans la socié-
fois imprimé, n'ait pas été tôt ou tard connu té, la répression judiciaire de la licence de
du public. la presse met les agents amovibles du gou-
Ainsi, quand l'écrit est imprimé, le mal vernement à la merci d'une magistrature in-
est fait, et la condamnation postérieure de amovible, et donne à celle-ci une existence
l'auteur par les tribunaux, en piquant la cu- politique que la Charte lui refuse, et je ne
riosité du public, ne fait que mieux connaî- crains pas de dire que la magistrature en
tre ce qui aurait dû rester ignoré. France est trop forte pour le gouvernement.
Les poursuites judiciaires donnent lieu à Un tribunal qui marche d'accord aveclegoù-
une plaidoirie toujours plus scandaleuse vernement se confond avec lui comme la
que l'écrit poursuivi, dans laquelle un dé- fonction se confond avec le pouvoir dont
fenseur ne fait qu'étendre etjustifier, devant elle émane mais s'il résiste au gouverne-
un nombreux auditoire, ce que l'accusé a ment, ou seulement s'il l'abandonne pour
écrit de plus séditieux ou de plus impie et marcher seul dans ses propres voies, il n'est
cette plaidoirie, reproduite dans les feuilles plus fonction il s'érige en pouvoir indépen-
publiques, devient elle-même un mauvais dant, et tous les efforts du gouvernement
écrit de plus. Les exemples récents ne man- pour le ramener à lui et obtenir son appui9
quent pas. échouent et se brisent contre son inamovi-
Les tribunaux peuvent suffire à juger des bilité. Les résistances des parlements sur le
écrits sérieux chez une nation où le métier fait d'impôts devenus nécessaires (car les
d'écrivain n'est pas celui de tout le monde, parlements ne refusaient jamais justice à
et n'est le partage que du petit nombre l'autorité royale contre les délits de la pres-
d'hommes voués à l'étude des lettres mais se [ 2 ] ), ont hâté la chute de l'ancien gou-
il serait aujourd'hui en France physique- vernement et le déni de justice de la part
ment impossible aux tribunaux de la capi- des tribunaux actuels aurait le même effet
tale de suilire à l'examen de tout ce qui si l'on pouvait supposer que des juges éga-
paraît de livres ou de brochures, et moins rés par un vain désir de popularité, par des
encore à la lecture, au jugement, à. la con- motifs personnels d'ambition ou de ressen-
damnation des journaux quotidiens; et avec timent, ou faute de vues politiques étrangè-
les formes nécessairement lentes d'une ré- res à leurs travaux habituels et à leurs con-
pression judiciaire, l'année ne suffirait pas naissances judiciaires, refusassent au gou-
à juger les écrits d'un mois. vernement l'appui qu'il leur demande
Nos lois précises ne punissent de délit Mais sans recourir à des suppositions peu
que celui de l'expression et quelles facili- vraisemblables,on peut assurer que les juges
tés n'offre pas la langue française, si souple n'appliqueront jamais qu'avec répugnance
et si rusée, à l'esprit français, si moqueur les lois répressives; que plus elles seront
et si fin, pour envelopper des pensées cou- sévères, moins ils seront disposés à en faire
(1) La loi voit-elle le crime de fausse monnaie la circulation des idées.
uniquement dans la circulation des pièces fausses, (2) C'était plutôt le gouvernement qui refusai*
ou dans leur fabrication clandestine ? et un mauvais aux parlements la répression des délits de la
livre 'n'est-il pas comme de la fausse monnaie dans presse.
iMô OEUVRES COMPLETES DE M. DE DONALD. \$u
usage, parce que leur raison s'indigne que ou même impossible toute répression efii
le gouvernement leur impose là triste fonc- cace,estla précision de nos lois criminelles,
tion de poursuivre, de condamner, de punir qui fixent une limite au châtiment, tandis
des délits, lorsqu'il suffirait, pour leur en que la nature n'en a fixé aucune à la malice
épargner la connaissance,de supprimer quel- et à la gravité du délit. Le législateur a
ques pages d'un livre ou quelques lignes mieux présumé de la modération du mé-
d'une page. chant que de l'équité du juge; et en inter-
Le gouvernement, poussé à bout par la disant à celui-ci le libre usage de son juge-
licence de la presse, avait fait la faute de ment pour proportionner la peine au délit,
donner aux tribunaux un pouvoir politique tandis que le malfaiteur conserve toute la
immense, dans la loi de tendancequi les a urai t liberté de ses passions, de son esprit pour
rendus maîtres des journaux et des journa- commettre le mal, elle a à peu près placé
listes. Si les tribunaux avaient accepté le le juge dans la position d'un homme qui,
présent, la constitution en aurait été chan- assailli de tous les côtés, ne pourrait pa-
gée. Si c'est sagesse et modération de leur rer que les coups qui lui seraient portés en
part de l'avoir refusé, il faut les en louer; face.
mais ils ont manqué une belle occasion de le n'ai pas parlé du jugement par jury,
jouer le rôle dont on leur suppose la pré- que quelques-uns des plus habiles auraient
tention.. voulu appliquer à la répression des délits
Encore si nos lois laissaient à quelques de la presse. Cette institution est plus en
grands juges en petit nombre comme en harmonie avec le gouvernement représenta-
Angleterre, un pouvoir discrétionnaire pour tif, parce que, n'étant que temporairement
juger les délits de la presse, qu'on peut en exercice, et jamais composée des mêmes
aussi appeler des délits discrétionnaires, et hommes, elle ne peut pas devenir, comme
que nos. mœurs judiciaires, aussi sévères des tribunaux permanents et inamovibles,
que belles de nos voisins, permissent aux une puissance rivale dugouvernement( 1 );
jugés d'infliger ces amendes énormes qui ne mais, outre qu'il faudrait former un jury
laissent aux coupables d'autre alternative spécial pour juger les productionsde l'esprit
que celle d'une prison perpétuelle ou d'un (ce que j'ai proposé en 1817), le jugement
bannissement volontaire, la répression judi- par jury aurait le même inconvénient que
ciaire des délits de la presse serait peut-être le jugement par les tribunaux ordinaires
possible; mais, je le demande que sontt celui de ne venir qu'après l'impression de
quelques mois de retraite pour les éditeurs l'écrit, et de donner également lieu au scan-
responsables, qui ne demandent pas mieux dale de la défense. II ne manquerait plus
que d'aller en prison, et qui tirent plus de que de donner aux jurés les livres à lire et à
profit de leur détention que de leur liberté, juger, pour achever de dégoûter des fonc-
ou même pour des propriétaires responsa- tions de juré les citoyens qui déjà ne se por-
bles, qui, n'étant pas du tout coupables du tent qu'avec répugnance à juger des crimes
délit, ne peuvent regarder la prison que matériels. Je conseillerais, dans ce cas, de
comme un arrangement de convention pour doubler l'amende contre les refusants et les
conserver leur fortune, et non comme un châ- retardataires; et ce serait, il faut en conve-
timent ? Oie sont des amendes de quelques nir, un singulier moyen de faire disparaî-
cents francs, ou même de quelques mille tre l'édition d'un mauvais livre, que d'en
francs, quelquefois de seize francs seule- donner à lire un exemplaire à chaque juré.
ment, pour des partis riches à millions, qui, Jl ne faut pas s'y tromper, le parti libéral
eu commandant un écrit bien séditieux ou n'a demandé avec tant d'instance et d'opinid-
bien impie, placent leur argent à la grosse treté la répression judiciaire des délits de In
aventuré sur des espérances et des chances presse, que pane qu'il sait très-bien qu'elle
de révolution t est inutile, dangereuse, impossible même par
Mais ce qui rend tout à fait insuffisante les tribunaux, pins inutile, plus dangereuse,
( i ) II n y a qu'une constitution l'usurpation
politique très- a soi-même dans une affaire criminelle, et ie con-
forte qui puisse se défendre contre de sentement oirmeme la volonté Contraire de la partie
la part des tribunaux criminel3 inamovibles, parce lésée m peut pas empêcher l'action de la justice,
indépendante, sur ce point,du gouvernement et des
que ces tribunaux sont une institution politique et particuliers. C'est là le vrai motif de l'établisse-
la seule institution judiciaire nécessaire. On peut
en effet arranger, ses adaires civiles sans juges, par ment du jury dans le ^ôiivernemcnt représentatif,
arbitres, ou par composition amiable des parties et non assurément l'intérêt de la vindicte publique'
entre elles; mais on ne peut pas se rendre justice et moins encore l'intérêt des jurés.
I«I6 PART. H. POLITIQUE. SUR LA LIBERTE
DE LA PRESSE. 1846
par le
plus impossible encore par le jury. Si ta ré-
réT l'autorité, qui se trouve
au fond de notre
pression judiciaire eût été possible, ce même)nature. Mais les écrivains qui se sont
j
parti aurait demandé la censure, et le mot fois engagés dans cette voie, obligés d'ali- une
réprimer, sur lequel ilatant chicané, ne l'au- menter
j la curiosité de leurs lecteurs, et de
rait pas embarrassé. la tenir continuellement en haleine, sont
II ne reste donc que la censure, moyen entraînés
t plus loin qu'ils ne voudraient et
le seul efficace, le seul moral, le seul hu- qu'ils
< n'avaient cru, et se placent ainsi dans
main qui puisse rassurer la société sans ri- une situation violente dont il leur tarde à
gueur contre les personnes. Aussi a-t-elle jeux-mêmes de sortir.
été la première pensée de tous les peuples Et croit-on que es nommes raisonnables
civilisés qui ont voulu se défendre contre la qui < écrivent dans les journaux, ne sentent
licence des écrits; aussi a-t-elle été prati- pas 3 aujourd'hui le danger de confier à tous
quée en France aux plus beaux jours de les 1 esprits, même les plus faux, les plus pas-
notre littérature, et envers nos plus célè- sionnés,
s les moins instruits, la terrible li-
bres écrivains aussi J'est-elle encore dans 1berté d'endoctriner tous les jours, en reli-
toute l'Europe, l'Angleterre exceptée, qui gion i et en politique, un public composé
traite la liberté de la presse avec indiffé- partout,
f en plus grande partie* d'esprits faux,
rence, ne lui permet de prendre aucune in- iignorants et passionnés; de mettre cette-
fluence sur les résolutions du cabinet, l'a- arme6 meurtrière de la presse à la disposi-
bandonne aux oisifs de café, et ruine au- tion t continuelle de l'orgueil, de la cupidité,
teurs et imprimeurs, lorsqu'ils vont trop de c l'ignorance, de l'ambition, du ressenti-
loin. i
ment ? Et je n'ai pas parlé du plus grand de
Elle a été plusieurs fois rétablie depuis ttous les dangers, celui de mettre la tranquii-
la restauration (je fais grâce à quelques per- 1lité publique à la merci de l'étranger, en of-
sonnes de leur opinion sur la censure au frant f à sa jalousie l'occasion de solder les
temps de Bonaparte), et quoi qu'on ait pu ttalents d'un factieux, les ressentiments d'un
dire, elle est dans la Charte, qui, en per- mécontent,
r les projets d'un ambitieux; et
mettant la liberté des opinions, n'a pu en- cettec influence de l'or étranger n'a-t-elle
tendre que la liberté de publier des opi- pas i été légitimement soupçonnée dans plus
nions réfléchies, fruit de l'étude et de l'ex* d'un
c événement de notre révolution? 2
périence, et non des opinions improvisées Je n'ignore pas que le parti libéral se ré-
tous les matins, et qui ne sont trop souvent volte*v contre toute espèce de police, et an-
que les rêves d'une mauvaise nuit. La cen- ttant contre la police civile sur les actions
sure est encore dans la déclaration de Saint- extérieures,
e que contre la censure ou la po-
Ouen, du 2 mai 1814. « La liberté de la lice 1 littéraire sur les pensées publiées par
presse sera respectée, sauf les précautions la I, presse et que les préfets, les directeurs
nécessaires à la tranquillité publique. Et? de d police et leurs agents, et jusqu'aux gen-
faut-il attendre que le sang d'un autre prince darmes,
d lui sont aussi odieux que les cen-
ait coulé pour prendre la seule précaution seurs s cela s'explique assez naturellement;
eflicace contre des écrits qui arment les ci- et e qu'est en effet la liberté de publier impu-
toyens contre le gouvernement, et des doc- némentn toutes ses pensées si l'on n'a pas
trines qui attentent tous les jours à la reli- l'entière
r liberté des actions qu'elles peuvent
gion et à la royauté? Certes, il était temps inspirer?
il
de sortir de cette opposition sans fin et sans Les adversaires de la censure vont jusqu'à
relâche, dont l'amertume et la violence ont prétendre
p que cette liberté illimitée d'écrira
trahi trop souvent les motifs personnels et est e une des libertés publiques, et la plus
ôté toute gravité à ses discussions, et toute précieuse de toutes. C'est un étrange abus
p
autorité à ses jugements. Malheureusement de d mots que d'appeler liberté publique,
telle est la malignité humaine, que les écrits c'
c'est-à-dire apparemment liberté de l'Etat
de l'opposition sont toujours lus avidement, t(tout entier, la spéculation particulière de
même chez les peuples les plus heureux, et quelques
q jeunes anonymes qui exploitent à
par les hommes les mieux intentionnés; et leur lE profit, et comme une industrie ou une'
cette vogue, dont les auteurs s'applaudis- propriété
p patrimoniale, la religion, le gou-
sent comme d'un succès et de la preuve de vvernement, les lois, l'administration s'éri-
l'adhésion de l'opinion publique à leurs opi- ggent en juges de toutes les opérations,
nions personnelles, n'est que l'effet de cette en
censeurs de toutes les autorités, etc. et fiers
ci
secrète disposition à secouer le joug de dd'un talent d'écrirej si commun aujourd'hui,
OEO-VRES COMPL. DE M. DE BoNÀLD. lî. 49
1547 OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1548
décorent du nom de liberté la tyrannie de leurs que chez elle, elle recommande le
leurs opinions qu'ils imposent à la crédu- maintien aux gouvernements comme un
lité du public, devenu l'esclave de leurs er- devoir, et aux peuples comme un droit.
donc dans ses der-
reurs, de leurs préjugés et de leurs pas-. L'Angleterre se reposes'y-
sions et combien de jeunes gens aujour- nières révolutions elle repose comme
d'hui, qui se targuent de leur indépendance, le voyageur fatigué s'assied au milieu de
et ne sont eux-mêmes que les malheureux sa course, 'et peut-être prend-elle un en-
serfs de quelque haut et puissant seigneur tr'acte pour la fin du drame, et la dernière
de l'empire littéraire 1 catastrophe pour le dénoûment.
Mais quand on a conservé sa raison indé- En France, au contraire, si quelques par-
pendante de toute autorité humaine, même ticuliers attaquent les ministres pour arri-
de l'autorité d'un grand talent, on appelle ver eux-mêmes au ministère, le parti le
liberté publique, c'est-à-dire liberté d'une plus habile et le plus dangereux n'en veut
nation; d'un Etat, d'une société, son indé- au ministère que pour renverser le gouver-
pendance absolue de toute domination étran- nement et la religion qu'il ne trouve pas
gère, et l'on ne connaît, pour les individus, assez démocratiques, et la liberté de la
que des libertés personnelles, je veux dire presse qui, chez les Anglais, ne fait de mal
la faculté qu'a tout citoyen de faire valoir qu'aux individus, peut, chez nous, en faire
pour son utilité particulière, conformément beaucoup à la société
aux lois et sous leur protection, les talents Ainsi, je crois avec une entière convic-
qu'il a reçus de la nature, ou acquis par l'é- tion qu'il n'y a de véritable liberté de la
tude, presse, ou de liberté littéraire, que sous la
Osons le dire, il n'y a pas en Europe un garantie d'une censure qui en écarte la li-
homme éclairé, sans passions et sans pré- cence des pensées, comme il n'y a de liberté
jugés, qui ne regarde la liberté illimitée de civile que sous la garantie des lois qui em-
la presse comme incompatible avec tout pêchent le désordre des actions; et comme
gouvernement régulier, qui n'y voie la les pensées séditieuses inspirent les actions
cause de tous les maux qui aflligent l'Europe, criminelles et les précèdent, il y a raison et
et de tous ceux qui la menacent, et qui ne analogie à prévenir la licence des pensées et
trouve ridicule que les plus graves ques- à punir la licence des actions.
tions de politique, d'administration, de re- Les membres du conseil de surveillance
ligion même, soient discutées et jugées tous de la censure ont donc accepté les pénibles
les matins sur la table du déjeûner, pêle- fonctions que la volonté royale (car ils n'en
mêle avec la pièce nouvelle, l'opéra-comique reconnaissent pas d'autre) leur a imposées.
et le vaudeville,' par de jeunes littérateurs Ce sacrifice, dont ils ont mesuré toute l'é-
pour qui le plaisir est une occupation, et tendue, ils ont cru le devoir à leur pays et
les questions les plus graves un délasse- à leur roi et cette surveillance queles jour-
ment. nalistes de l'opposition et leurs amis trou-
On oppose l'exemple de l'Angleterre et vent odieuse, parce qu'elle les blesse dans
de la liberté qu'elle laisse à la presse. Je leurs intérêts personnels, ils la regardent
n'ai qu'une réponse à faire, et elle sera en- comme aussi digne de la pairie que la sur-
tendue. En Angleterre, les écrits qui atta- veillance des haras, des liquidations et des
quent le ministère ne vont pas plus loin, et manufactures. Le poste où l'on peut avec le
même
ne veulent pas changer la constitution poli- moins d'avantages pour soi-même, ou
tique de l'Etat, ni sa constitution religieuse. le plus de désagréments et de dangers, dé-
L'une et l'autre ont changé, et assez récem- fendre le mieux la religion, la royauté, les
ment pour que la partie opulente de la na- mœurs, la société tout entière contre son
tion qui a tant gagné à ces changements, en ennemi le plus dangereux, la licence des
redoute de nouveaux qui pourraient com- écrits, est le poste le plus honorable, celui
promettre les avantages dont elle jouit. qui appartient à la pairie, appendice delà
Aussi, dans la crainte de porter la moindre royauté, royauté elle-même, et à ce titre
atteinte à sa constitution, elle conserve avec spécialement investie par la constitution du
société en-
un respect religieux des lois absurdes et devoir et du droit de défendre la
des coutumes barbares, et sacrifie jusqu'à la vers et contre tous.
liberté civile et religieuse d'une partie La censure est un établissement sanitaire
nombreuse de ses sujets, et par conséquent fait pour préserver la société de la conta-
l'égalité et la tolérance, dont, partout ail- gion des fausses doctrines, tout semblable
1549 PART. IL POLITIQUE. SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE. 1530
à celui qui éloigne la peste de nos contrées, sent
s le parti d'une opposition systématique,
et dont les citoyens les plus recommanda- et
E commencent contre le ministère une
bles s'honorent defaire partie. gguerre qui n'admet ni trêve ni suspension
Et puisqu'on me force à parler de moi, d'armes,
c quel est, je le demande, le gouver-
comment, après avoir consacré tant d'années rnement qui, tous les jours harcelé, jugé,
de ma vie à la défense de la royauté, après dénoncé,
c calomnié, par la prévention, l'am-
avoir tout sacrifié à cette noble cause, et bition, la légèreté, la haine, peut conserver
tout perdu pour elle, aurais-je pu lui refu- l confiance d'une nation, et la. liberté d'es-
la
ser mes services contre l'attaque la plus ï prit dont il a lui-même besoin?î
dangereuse que la haine de ses ennemis et Et quel mal, après tout, fera la censure?
l'aveuglement de ses amis lui aient livrée Mlle ne permettra point d'indécentes allu-
depuis la restauration? Et qui pourrait ne sions
s à des hommes ou à des choses dignes
pas s'honorer des fonctions publiques les d tous nos respects, de malicieux rappro-
de
plus pénibles et les plus ingrates, lorsque chements
c de l'histoire des temps passés
l'héritier présomptif du trône, modèle d'hu- avee
a le temps présent des sarcasmes con-
manité comme de valeur, ne croit pas déro- tinuels
t contre la religion de l'Etat, ses sec-
ger à son rang, en se plaçant à la tête d'une tateurs,
tj ses ministres de perfides et men-
institution dont l'objet est d'améliorer le songères
s annonces propres à jeter l'alarme
sort des malheureux que la société repousse ddans les esprits et à indisposer les peuples
de son sein, et que la justice dévoue à ses contre
c le gouvernement, contre le roi lui-
rigueurs?y même
n elle ne laissera pas dire, par exem-
Le conseil de surveillance poursuivra ple,
p à un journal, que l'établissement de la
donc avec couragesa pénible carrière, assuré ccensure, appelée un coup d;Etat (et c'est
d'obtenir la seule récompense qu'il ait pu bbien de l'honneur qu'on lui fait), que la
attendre, l'estime des bons, et la haine des ccensure, dis-je, rompt tous les liens de la
méchants. société, et qu'alors le magistrat ne lui doit
Sl
Si l'on ne défendait la liberté de la presse plus
p ses arrêts, lé soldat sa baïonnette et son
que comme un intérêt public, on la défen- ccourage, et le citoyen ses impôts.
drait avec plus de modération, et l'on re- • On
connaîtrait qu'elle n'a point souffert de l'é- religion
parlera un peu moins ou un peu mieux
et politique, on respectera un peu
ri
tablissement de la censure, puisque jamais plus p les agents du gouvernement royal, qui
la presse non périodique n'a remplacé plus ne n peuvent être objets habituels de censure
surabondamment la presse périodique, et violentev et passionnée, sans qu'il n'en ré-
que les brochures, distribuées avec tant de ilfléchisse du, mépris sur l'autorité qui les
profusion, se sont exprimées sur les hom- emploie.
e Mais la censure n'interdira au-
mes et sur les choses avec une liberté, ou cune c discussion, même politique, faite avec
plutôt avec une audace inconnue aux jour- bonne b foi, connaissance et modération
naux; mais on défend la liberté de la presse mais
n elle laissera une entière liberté d'é-
comme une chose personnelle, comme une crire ci sur les sciences, les arts, les voyages,
industrie, et dès lors on la défend avec toute les
U machines à vapeur, les chemins de fer,
l'injustice et toute la violence de l'intérêt les
lE laines longues et courtes, les tissus de
personnel. coton,
ci l'industrie et les manufactures. Et
Et sans doute la société peut retirer de n'est-ce
n pas là aujourd'hui, aux yeux d'un
grands avantages de la presse non périodi- Cl certain parti, toute la société? et faut-il au-
que, parce que les écrivains ont le temps de t[tre chose pour la prospérité des nations, que
la réflexion, et que plus de lenteur dans la dde l'industrie et des manufactures et
composition, et une entière liberté sur le leurs
]i perfectionnements ne sont-ils pas le
moment de la publication, en refroidissant tl thermomètre infaillible de la perfectibilité
les passions, peuvent éclaircir les faits et humaine
h et du progrès des lumières ?
mûrir les idées; au lieu que les écrivains Une seule objection contre la censure
périodiques, obligés de publier tous les mérite n d'être examinée. On demande ce
jours à heure fixe, et d'alimenter sans cesse que
q deviendrait la société avec la censure,
la curiosité de leurs abonnés, donnent les si un ministre conspirait contre la tranquil-
bruits populaires pour des faits avérés^ et lité
H de l'Etat ou la sûreté de la maison ré-
leurs premiers aperçus pour des vérités dé- gnante,
g etc. Qu'un ministre conspire, cela
montrées et lorsque ces journaux embras- peut p être mais tout un ministère 1 il fau-
iiJ'Sl OEUVRES COMPLETES DE M. DE BONALD. 1S52
2
drait pour cela supposer les chambres, le wulUme dit M. Chateaubriand,
.uaime Châteaubriand, que je fais
gouvernement, et presque le roi lui-même, cette réflexion. Toutefois il y a une étrange
complices de la conspiration. Allons au inconséquence à reprocher des? variations
plus pressé, il y a assez de maux réels pour de conduite politique à des hommes qu'on
ne pas en poursuivre d'imaginaires, et pen- représente comme «des hommes d'autrefois,
dant longtemps la presse conspiratrice sera qui, les yeux fixés sur le passé, et le dos
plus à craindre qu'un ministre conspira- tourné à l'avenir, marchent à reculons vers
teur. cet avenir; hommes incorrigibles qui ap-
Telle est l'histoire de mes variations, et partiennent à un autre siècle, et ne pour-
pour emprunter le langage d'une autre His- raient être compris que des morts. » Heu-
toire des variations je dirai que, si j'ai va- reusement ils ont, suivant le calcul d'un
rié, et pour bonnes raisons, sur un point de savant, peu de temps à vivre; toute opposi-
discipline politique, la répression des délits tion finira avec eux, et la France, débarras-
de la presse préalable ou subséquente, sée de ces témoins importuns d'un autre
mes adversaires ont varié sur le dogme, âge, sera comme la Jérusalem céleste de
et leur royalisme touche de très-près à la l'Apocalypse, ubi luctus neque clamor erit
démocratie. Ils ont varié sur les choses et ultra. (Apoc. xxi, 4.)
sur les personnes, et leurs amitiés ou leurs
répugnancesd'autrefois ne sont plus assu- Post scriplum, S'il nous avait été per-
rément leurs amitiés et leurs répugnances mis de disposer, sans l'aveu de l'auteur, de
d'aujourd'hui. l'opinion écrite d'un magistrat très-connu
«Je comprends, » disait encore M. le vi- de la cour royale de Paris, dont nos adver-
comte de Chateaubriand dans le Conserva- saires ne peuvent contester les connaissan-
teur, t. VI, p. 626, «je comprends que, selon ces et encore moins désavouer les principes
les circonstances, on modifie l'opinion qu'on politiques et les écrits, nous aurions fait
pouvait avoir eue sur telle ou telle loi, et voir qu'il s'accorde entièrement avec nous,
qu'on admette.dans un temps, sans secontre- 1° sur les dangers de la liberté de la presse,
dire, une mesure qu'on avait repoussée dans et l'impossibilité de gouverner avec cette
un autre. Je crois qu'il est de la nature mêmee liberté telle qu'un certain parti l'entend au-
de la liberté, que les droits de cette liberté jourd'hui 2° sur l'insuffisance et l'impossi-
soient quelquefoissuspendus. Nier cette vé- bilité d'une répression judiciaire; 3° sur la
rité, c'est fermer les yeux à la lumière. » nécessité d'une censure préalable, dont il
Non, ce n'est point varier que de profiter fait l'objet de deux lois en six et cinq arti-
des leçons de l'expérience pour revenir à ce cles, et même d'une censure bien payée;
qui est mieux mais adopter le langage d'un 4° sur l'extensiondonnée, contre toute raison,
parti que l'on a si longtemps traité avec un à l'article vin de la Charte, relativement aux
tel dédain, que l'on ne voulait y reconnaî- écrits périodiques 5° sur la responsabilité
tre qu'un seul homme d'esprit M.. Benjamin des imprimeurs, fondée sur l'article 1382 du
Constant, certes je ne sais pas trop comment Code civil «Tout fait quelconque de l'hoBJ-
cela s'appelle. An reste, il y a une bonne me qui cause à autrui un dommage, oblige
preuve que je n'ai jamais varié dans mes celui par la faute duquel il est arrivé à le ré-
principes, et cette preuve la plus concluante parer » et nos adversaires auraient pu se
de toutes, c'est que les écrivains libéraux convaincre que leurs opinions sur la liberté
n'ont jamais varié 5 mon égard, et je n'ai de la presse qu'ils supposent partagées par
jamais été honoré de leurs éloges. C'est un la France entière, ne le sont pas même par
avantage auquel, je l'avoue, j'ai la faiblesse leurs amis les plus ardents et les plus ins-
d'être sensible, et c'est pour en finir aussi, truits.
OBSEîi'Vr&TIONS
SUR LE DISCOURS QUE M. DE CHATEAUBRIAND
DEVAIT PRONONCER A LA CHAMBRE DES PAIRS
CONTRE LA LOI SUR LA POLICE DE LA PRESSE, ET
ItETIRÉE. QU'IL A PUBUÉ DEPDIS QUE LX L01 A ÉTÉ
On dirait que la France n'a tout sacrifié à La licence de la presse a des ennemis ou
l'amour de la liberté et de l'égalité,
que pour des adversaires, la liberté de la presse ne
tomber sous le joug de trois despotismes
qui ont successivement et sans interruption peut en avoir; car quel est l'homme assez
absurde pour ne pas vouloir qu'on imprime
pesé sur elle du despotisme civil de la même de bons ouvrages? Ceux mômes qui
Convention, mais la haine et l'horreur qu'il
prendraient pour de la licence une liberté
inspirait vengeaient la nation de
du despotisme militaire de Bonaparte, ses excès sage et raisonnable, se tromperaient sans
doute, mais ne seraientpaspourcela ennemis
mais la gloire dont il était entoure consolait
la France de ses rigueurs enfin du despo- ou adversaires de la liberté de la presse,
puisqu'ils ne condamneraient la liberté que.
tisme littéraire des journaux, qui pèse
parce qu'ils l'auraient confondue avec la li-
comme un impôt sans compensation et sans
gloire, exercé par des hommes qu'on n'a cençe.
Ces qualifications outrageantes, distri-
pas même la triste consolation de connaître, buées si gratuitement, s'appliquent à beau-
et qui, cachés sous le nom collectif d'un
journal, quelquefois rédacteurs à coup d'honnêtes gens, même des gens d'es-
il un âge où prit qui ne sont dans aucune des catégories
leur serait interdit d'être responsables, désignées par l'auteur, et qui sont tous, d'un
font les uns ou les autres
une guerre ano- bout du royaume à l'autre, ennemis ou ad-
nyme à la politiqué, à la religion, à la mo- versaires de cette liberté illimitée qu'on ne
rale, à la vérité, au public, aux particuliers,
à tout et si le despotisme est
peut pas réprimer, et qu'on ne veut pas pré-
un pouvoir venir.
sans frein et sans limite, quoi de plus des- C'est sans doute pour tempérer un peu
potique qu'une puissance qui censure tout la sévérité de ses jugements, et laisser un
et ne veut pas être censurée?q refuge aux malheureux adversaires de la li-
Jamais le despotisme n'avait intimé berté telle que l'entendent ses ardents amis,
ses
volontés avec plus de hauteur et moins de
ménagements que dans l'écrit que M. le vi- que le noble pair ajoute « qu'après tous ceux
qu'il vient de désigner il reste quelques
comte de Châteaubrianda publié il y a quel- hommes extrêmement honorables, que des
que temps, et qui devait être prononcé à la préventions, des théories, peut-être le sou-
tribune de la chambre des pairs, si la loi sur venir de quelques outrages non mérités,
la police de la presse n'avait
pas été re- rendent antipathiques à la liberté de la
tirée.
presse. »
« Les ennemis, » dit-il, « je ne dis pas L'amour-propre peut-être aurait trouvé
les adversaires de la liberté de la presse,
son compte à se tirer de la fouie des fripons,
sont d'abord des hommes qui ont quelque. des niais et des valets, pour se placer parmi
chose à cacher dans leur vie, ensuite ceux
ces quelques hommes extrêmement honorables,
qui désirent dérober au publicleurs œuvres coupables seulement de théories de pré-
et
ou leurs manœuvres, les hypocrites, les ad- ventions, et assez faibles pour prendre con-
ministrateurs incapables, les auteurs siffles, seil de leurs ressentiments particuliers dans
les provinciaux dont on rit, les niais dont des questions d'intérêt public; mais malheu-
on se moque, les intrigants et les valets de reusement on trouve plus loin que ces hom-
toutes les espèces. » mes honorables qui crient « que tout est
La distinction d'ennemis et d'adversaires perdu, parce
que la société à laquelle ils
de la liberté de Ja presse ne présente aucun appartiennent
a fini autour d'eux sans
sens. qu'ils s'en soient aperçus, voient tout dans
J5S5 OEUVRES COMPLETAS DE M. DE BO1NALD.
r_ 1- -&
1556
une illusion complète. » Ce qui signifie, en populaire que par la sévérité de ses juge-
Il-- français, que ces hommes extrêmement
bon ments et c'est ce qui prouve, mieux que
honorables même ces hommes à talents tout ce qu'on pourrait dire, l'insuffisance
sont des sots; car la sottise n'est pas ab. des lois répressives, y en eût-il dix fois plus
sence d'esprit, mais erreur de jugement et de portées, et dix fois plus de jugements
de conduite. Au reste, cette dernière quali- rendus. Ces jugements,en matière de presse,
fication est la plus innocente de toutes cel- vont contre leur but; parce que le mal
les que les partis s'adressent si libéralement d'un écrit dangereux est dans la publi-
Jes uns aux autres, et comme on peut la re- cité, et la condamnation en audience publi-
cevoir sans colère, on peut la rendre sans que lui en donne davantage. La société ne
injustice. demande pas que l'auteur soit connu, mais
C'est ainsi qu'on défend avec la liberté de que l'écrit soit ignoré, et la condamnation i&it
l'injure la liberté des opinions, et certains connaître l'écrit et l'auteur. Les lois préven-
journaux, enchérissant sur ces imputations, tives sont donc les seules applicables en ce
prennent, à l'égard de leurs adversaires, un genre de délit, et les lois répressives ne
ton si hautain» si dédaigneux et si mépri- sont bonnes que pour faire semblant de
sant, que cette liberté de penser et d'é- réprimer.
crire, dont ils se disent les plus ardents amis, En effet, les lois criminelles sont faites
et dont ils sont les plus fougueux apôtres, pour punir ce que les lois de police et de
est entre leurs mains une véritable oppres- surveillance n'ont pu prévenir, et les gou-
sion plus odieuse que celle de la police vernements sont coupables de lèse-huma-
à l'égard des écrivains qui craignent de nité» si, maîtres de prévenir le mal, ils ne
commettre leurs médiocrités (car c'est le veulent que punir le coupable, et font de la
mot à la mode) contre des supériorités si liberté qu'ils nous laissent un appât qu'ils
superbes et si intolérantes, enivrées de l'en- présentent aux imprudents pour les faire
cens qu'elles font fumer à la ronde en leur tomber dans le piége.
honneur; car il ne faut pas oublier que, si On se plaint que les tribunaux ne reprx*
toutes les bassesses de l'esprit, du cœur et de ment pas, et l'on ne voit pas que les juge»
la conduite, tous les sots, tous les fripons, ne peuvent punir qu'avec répugnance des
tous les niais et tous les valets se trouvent, crimes ou des délits qu'on aurait pu étouf-
comme nous l'avons vu, dans les rangs des fer avant qu'ils fussent venus à leur con^-
adversaires de la liberté de la presse, toutes naissance ils gémissent du devoir qui leur
les perfections en vertus, en talents, en con- est imposé de toujours punir des fautes dont
duite, se trouvent nécessairement dans les l'autorité aurait dû leur épargner la pour..
rangs opposés. Ainsi on ne se contente pas suite et le jugement. L'immanis lex que pro-
de dire « Nul n'aura de l'esprit que nous et pose le noble pair, et même la mort dans
nos amis » mais on dit « Nul n'aura des certains cas pour réprimer la liberté de la
vertus, » etc. C'est le sublime de l'orgueil. presse, sont une pure illusion. Plus la loi
Le noble pair a donc porté devant le pu- sera sévère*plus sera forte et légitime la répu-
blic une causequi devait d'abord s'instruire gnance des juges à l'appliquer. Pourquoi,» »
devant la chambre des pairs, et il a fait du pourront-ils dire au législateur, «'porter des
discours qu'il avait préparé un plaidoyer lois atroces? pourquoi exiger de nous des
divisé en quatre points. Je suivrai le même condamnations à mort contre les auteurs, et
ordre dans les observations que je me per- à ruine contre les imprimeurs, quand il au»
mettrai sur cet écrit. rait sufii d'un jugement de censure, qui, et:
1° La loi n'est pas nécessaire, parce que ménageant la personne, la fortune et l'hon*
nous ayons surabondamment des lois répres- neur de l'écrivain et. de l'imprimeur, aurait
sives des abus de la presse. Les magistrats veillé aux intérêts de la société, en suppri-
ont fait leur devoir. mant de l'écrit ce qu'il pouvait renfermer
Le nctble pair fait l'énumération complète de répréhensible ? »,
des lois portées à différentesépoques,depuis Dans les lois de quel code, dans les mœurs
1789,pourla répression des délits de la presse, de quel peuple, dans les maximes de quel
et des jugements rendus contre les délin- moraliste a-t-on trouvé qu'il était plus utile,
quants, Les magistrats, dit-il, ont fait leur plus moral, plus humain, de punir le cou-
devoir; s'ils l'ont fait, ils ont consulté leurs pable que de prévenir le délit qu'un homme
Vrais intérêts, car la magistrature ne se Tén<j flétri était pour la société, d'un meilleur
ÎSS7
exemple
j.
ciemyie qu'un
PART.
qu un crime
-II. POLITIQUE.
crime empêché,, et qu'enfin
on devait respecter les phrases d'un écri-
vain, au risque de compromettre son hon-
neur, sa fortune, sa liberté, sa vie même,
et de troubler, par une publication dange-
reuse, le repos de la société? Que sont des
amendes pour un siècle à millions, où les
crimes mêmes de la presse sont des spécu-
lations de pouvoir et par conséquent de
fortune pour des partis qui disposent des
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De De • -t •
SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE,
nonrrait
nnmquoi servir. îe
pourrait servir, je ledemande
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rnoble pair, cette hideuse nomenclature de
crimes
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demande au
15->S
pouvait
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lorsque notre révolution, si récente,
fournir à l'écrivain une si ample
caisses et des souscriptions des sociétés oc- moisson
r de crimes, commis, non comme les
cultes ou patentes? Qu'est la prison pour [premiers, dans des temps d'ignorance et de
l'homme dont le repos est mieux payé que barbarie, par des hommes qui ne savaient
le travail, et qui tire de sa détention un ni lire ni écrire, et lorsqu'il n'y avait pas
bien meilleur parti que de sa liberté? même de livres mais commis à l'époque de
1 civilisation la plus perfectionnée, sous la
la
Mais la Charte, dit-on, veut réprimer et
non prévenir; la Charte veut empêcher le cdirection, le conseil, l'influence d'hommes
1lettrés, polis,,savants même, versés dans la
délit; elle veut la fin, donc elle veut les
moyens; et si elle ne voulait pas du seul pratique des affaires et la connaissance des
1lois, et à l'aide d'écrits composés avec un
moyen qui peut empêcher, elle serait une
loi de désordre indigne d'être présentée à la £art intini, et d'une vaste instruction ? Eh I
France. 172
VII. De la Pologne. 419
§ VIII. De la Turquie d'Europe et des Tartares. 413 députes. 1015
§ IX. Vues générales sur la politique de la Opinion sur la proposition de M. le comte de Blangy,
et sur le rapport de M. Roux de Laborie, relatifs à l'amé-
Du traité de Westphalie et de celui de Campo-For- lioration du sort du clergé. 1017
mio. 480 Opinion. sur la proposition de M. de la Chèze-Murel,
Réflexions sur l'intérêt général de l'Europe. 516 député du département du Lot, de rendre au clergé
Considérationssur la France et sur l'Angleterre. 538 la tenue des registres civils. 1 024
De l'équilibre politique en Europe. 556 Rapport sur la proposition de M. Michaud, tendant
De la langue de la politique. 577 à voter des remercîments à tous ceux qui ont défendu
1575 TABLE DES MATIERES. 15*6
le roi et la royauté lors de la révolution du 20 mars Rapport sur le projet de loi pour le rétablissement
et durant l'inter-ègne. 1038 du siège épiscopal de Rhodez.
c siege 1241
Opinion relative à un amendement à l'article 1" de la collége électoral de l'Avey-
Discours à l'ouverture du collège
loi d'amnistie. 1012 rron, 1824. 1246
Opinion sur le mot restitutionemployé dans le projet Opinion sur le projet de loi relatif aux communautés
de toi relatif à la dotation du clergé. 1 6 i-7 religieuses
t de femmes. 1248
Opinion sur le budget de 1816. 1048 Opinion sur le projet de loi tendant à indemniser les
Opinion sur l'article I" du titre Xl du projet de loi sanciens propriétairesdes biens fonds confisqués et vendus
de finances de 1817. 1068 s profit d" l'Etat; en vertu des lois révolutionnaires.
au
Opinion sur le projet de loi de finances de 1818. 1092 1260
Opinion sur la fixation des dépenses de laguerre. 1106 Opinioi sur le projet de loi relatif au remboursement
Discours sur les haras. llt2 (ou à la réduction de l'intérêt des rentes cinq pour cent.
Opinion sur l'article du budget du ministère de l'in- 1266
térieur, relatifauxharas.. 1115
Opinion sur le ministère des affaires étrangères. 11 18 aux
s
Considérations politiques sur le projet de loi relatif
donataires. 1280
Opinion sur le budget du ministère de la-guerre. 1123 Discours sur le-projet de loi relatif au sacrilège. 1298
Opinion sur le budget du ministère dés affaires étran- Opinion sur le projet de loi relatif à la juridictionmili-
gères. 1127 taire.
t 1302
Quelques réflexions sur le budget de 1823. 1151 Opinion sur le projet de loi relatif aux élections. 1305
Opinion sur le cadastre. ilil Opinion sur les élections. 1311
Opinion sur le projet de loi relatif au recrutement Seconde opinion sur les élections. 1338
de l'armée. 1147 Opinion sur l'organisation des coHéges électoraux. 1346
Un dernier mot sur la loi du recrutement. 1168 Opinion sur le projet
1
de loi relatif aux élections* 1820,.
Un mot sur les Frères de la doctrine chrétienne. 117b 1352
Un mot sur la responsabilité qu'on veut faire peser Sur les élections. 1370
sur ceux qui se font remplacer pour l'étal militaire. 1178 Opinion sur la résolution de la chambre des Pairs, re-
Opinion sur le projet de loi concernant la récompense lative
1 à la loi des élections. 1384
nationale à accordera M. le duc de Richelieu. 1178 Sur les élections. 1593
Opinion sur le projet de loi relatif aux journaux. 1402
Sur l'abolition du droit d'aubaine.
presse..
1179
Opinion sur la question du droit d'aubaine. 1182 Opinion contre le projet de loi sur la liberté de la
Opinion sur la propositionde M. Siriers de Marinhar, ( 1418
tendant à interdire dans la chambre des paroles impies Opinion sur la liberté dé la presse, 1819. 1438
contre Dieu et injurieuses au roi et à là famille royàle. Opinion sur là liberté de la presse, 1821. 1436
1192 Opinion sur un amendement à l'article 4 du projet
Rapport à la chambre des députés, sur le projet de loi de
( loi concernant les écrits périodiques. 146i¡,
relatif aux pensionsecclésiastiques. 1206 Sur la liberté de la presse, 1826. 1478
Résumé sur le projet de loi relatif aux pensions ecclé- Encore un mot sur la liberté de la presse. 1438
siastiques. 1220 Sur la liberté de la presse, 1826; 1508
Réflexions préjudicielles sur la pétition du sieur Lo- De l'opposition dans le gouvernement, et de la liberté
veday. 1236 de
c la presse. 1520
Discours à l'ouverture du collège électoral de l'A vey- Observationssur le discours de M. de Chateaubriand
Toi, 1821. 1242 contre la loi sur la police de la presse. 188*