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Faut-il augmenter les droits

d’inscription à l’université ?
Le 26 Janvier 2022

En arrière, toutes ! L’exécutif s’est beaucoup donné de mal ces


derniers jours pour éteindre l’incendie créé par les propos
d’Emmanuel Macron, tenus le 13 janvier, sur l’évolution du système
d’enseignement supérieur. Clôturant le congrès de France
Universités (ex-Conférence des présidents d’université), le chef de
l’Etat avait notamment déclaré « [qu’on] ne pourra pas rester
durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a
aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants ».

Aurait-il l’intention d’augmenter les frais d’inscription ? « A aucun


moment », a répondu samedi la ministre de l’Enseignement
supérieur, Frédérique Vidal. Puis, Emmanuel Macron lui-même a mis
en garde, lors d’un déplacement dans la Creuse lundi, contre les
« mauvaises » interprétations de ses propos : « Ce que j’évoquais,
c’est plutôt des formations professionnelles tout au long de la vie,
que les universités vont devoir mettre en place et qui, elles, ont
vocation à être payantes. »
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Emmanuel Macron: "quand on veut se battre


contre la précarité étudiante, on n'augmente
pas les frais d'inscription à l'Université (...) je
n'ai jamais dit ça"

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2:18 PM · 24 janv. 2022

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Quelles qu’aient été ses intentions réelles, le thème est en tout cas
sur la table. L’augmentation du coût des études supérieures est-elle
une piste à suivre ? Rappelons d’abord qu’une hausse conséquente
des droits d’inscription a été actée en 2019 pour les étudiants
étrangers hors Union européenne. Ils doivent désormais débourser
2 770 euros par an en licence et 3 770 euros en master. La même
année, le Conseil constitutionnel avait toutefois consacré
l’intangibilité du principe de gratuité de l’éducation, y compris dans
le supérieur.

Les expériences étrangères


Pour le reste, on peut commencer par observer les expériences
étrangères. Une augmentation des frais de scolarité est intervenue
dans des pays comme l’Australie en 1989 et le Royaume-Uni à partir
de 1995 sans que le taux d’accès aux universités ne semble baisser.
Elle s’est accompagnée de la mise en place de prêts à
remboursement conditionné au revenu (Parc), accordés par l’Etat ou
des banques bénéficiant de garanties publiques. Des prêts, que les
étudiants, une fois dans la vie active, ne remboursent qu’en fonction
de leurs capacités.

L’économiste Eric Maurin s’appuyait justement sur le cas de


l’Australie pour soutenir l’option d’une augmentation des frais de
scolarité en France avec l’instauration d’un système de Parc. De fait,
aujourd’hui, les étudiants australiens paient les frais de scolarité
parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, après le Royaume-Uni, le
Japon, la Corée, les Etats-Unis et le Chili.

Comment expliquer, alors, qu’en Australie la part de la population


allant jusqu’aux études universitaires est l’une des plus fortes des
pays de l’OCDE avec 50 %, contre une moyenne à 43 % et un taux
de 44 % en France ? Peut-être est-ce dû au fait qu’en parallèle,
13,4 % des dépenses publiques totales australiennes vont vers
l’éducation, soit plus que la moyenne de l’OCDE (11,3 %) et la France
(8,4 %).

Cependant pour Frédéric Neyrat, professeur de sociologie à


l’université de Rouen1 l’augmentation des frais d’inscription à
l’université répond à l’idée que si cette dernière est pratiquement
gratuite, les étudiants ne s’y investiront pas, autrement dit que la
gratuité mènerait à une forme de « déresponsabilisation » de la
jeunesse.

Le chercheur renvoie notamment à une proposition de Robert Gary-


Bobo et Alain Trannoy faite dans la Revue française d’économie en
2005, qui aurait consisté à augmenter les frais d’inscription à
4 000 euros par an. Pour ces économistes, une telle augmentation
:
serait un moyen de sélection naturelle grâce auquel les étudiants qui
se sentent fragiles ne prendraient pas le risque de s’inscrire. Robert
Gary-Bobo avait d’ailleurs renouvelé cette proposition en 2016 dans
une note qu’il avait rédigée à l’intention du candidat Emmanuel
Macron et qui avait été révélée dans le cadre des Macron Leaks.

Or, cela part de l’idée fausse que les bacheliers « estiment


correctement leur niveau », explique Frédéric Neyrat, ce qui est loin
d’être toujours le cas, en particulier chez les filles et les jeunes des
milieux populaires, davantage enclins à la sous-estimation. C’est
oublier également, rappelle-t-il, que dans les grandes écoles de
commerce, payantes, les élèves se consacrent beaucoup à la vie
étudiante, une fois admis, plutôt qu’au travail scolaire stricto sensu.

Une université sous-dotée


Comme le précise Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du
Sgen-CFDT, en charge de l’enseignement supérieur, le problème est
que l’université française est extrêmement sous-financée. En cause,
notamment : le dualisme de l’enseignement supérieur et le fait que
« l’Etat investit trois à six fois plus par étudiant dans les grandes
écoles ».

« L’université doit rester un service public gratuit, ouvert à tous »,


affirme de son côté Isabelle This Saint-Jean, économiste et
chroniqueuse à Alternatives Economiques. Alors que les besoins en
qualification du pays augmentent, l’afflux d’étudiants a été géré à
moyens constants, rappelle-t-elle, entraînant un effondrement du
financement moyen par étudiant et de l’encadrement à l’université.
Comme elle le précise dans une de ses chroniques, la dépense
moyenne par étudiant, qui s’élève à 11 530 euros en 2019, est en
baisse pour la sixième année consécutive et a perdu près de 8 % en
dix ans puisqu’elle était de 12 520 euros en 2009.
:
Les données comparatives montrent d’ailleurs que, contrairement à
une idée reçue colportée par le discours d’Emmanuel Macron,
l’enseignement supérieur français est loin d’être « beaucoup plus
financé par l’argent public que partout dans le monde », la France se
situant, de ce point de vue, loin des pays nordiques.

Par ailleurs, même si l’Australie a maintenu un haut niveau de


dépenses publiques dans l’enseignement supérieur, au Royaume-Uni
et aux Etats-Unis, l’augmentation des frais d’inscription s’est plutôt
accompagnée d’un désengagement de l’Etat dans ce domaine.

Par ailleurs, de nombreuses études, présentées par David Flacher,


Hugo Harari, Léonard Moulin en 2012, révèlent que l’augmentation
des frais d’inscription et la mise en place de systèmes de prêts
étudiants représentent des freins à l’entrée des classes populaires à
l’université. Pour les familles modestes, « la capacité à se projeter et
à se dire qu’un emploi pourra rembourser le prêt ne va pas de soi »,
souligne Frédéric Neyrat.

Dans une tribune parue mardi, David Flacher et Hugo Harari-


Kermadec ajoutent que « les systèmes universitaires reposant sur
les frais d’inscription ont démontré les dégâts qu’ils pouvaient
produire de par le monde. Ils sont largement contestés et
commencent à être remis en cause », comme cela a été le cas au
Chili récemment. A leurs yeux, la relance de cette hypothèse dans le
débat français a donc tout d’un anachronisme.

Le mantra de la « professionnalisation »
L’université a besoin d’une « transformation systémique », avait
toutefois ajouté Emmanuel Macron, en appelant à rendre la formation
« plus efficacement professionnalisante ». Qu’est-ce que cela
signifie ? Pour Anne Roger, secrétaire générale du Snesup, cette
:
professionnalisation de l’université est en marche puisque les taux
d’insertion des diplômés sont en progrès. Franck Loureiro ajoute de
son côté que les bachelors universitaires de technologie (BUT), les
licences professionnelles et l’alternance n’ont eu de cesse de se
développer à l’université.

Par ailleurs, rechercher l’articulation parfaite entre formation et


emploi est souvent un leurre. Au Royaume-Uni, par exemple, les
formations universitaires sont très généralistes, l’idée étant de
donner les clés aux jeunes pour se débrouiller ensuite sur le marché
du travail, en développant leurs « soft skills » ou savoir-être : sens
de la communication, empathie, esprit d’équipe, etc. Permettre aux
étudiants de première année à l’université d’accéder à plus d’heures
d’enseignements à caractère pluridisciplinaire serait donc peut-être
une meilleure manière d’améliorer leur employabilité.

Pour lutter contre l’image dégradée de l’université, Franck Loureiro


propose donc plutôt d’atténuer la dualité du système français entre
formations sélectives et non sélectives. C’est pourquoi il approuve
l’idée d’Emmanuel Macron de rapprocher grandes écoles et
universités. Et rappelle qu’avant d’être détricotée, la loi Fioraso
(2013) obligeait les différents établissements d’un territoire donné à
travailler sur un projet commun.

Frédéric Neyrat rappelle enfin que la vie étudiante a également un


coût, mal pris en charge par les bourses dont les montants sont très
faibles en France. Il pointe en particulier la carence et le manque de
confort des logements étudiants en comparaison avec un pays
comme l’Allemagne où ceux-ci sont à la fois plus développés, plus
confortables et plus conviviaux.

Il serait temps, comme le suggère Isabelle This Saint-Jean, que


l’enseignement supérieur devienne une vraie priorité pour les
:
pouvoirs publics.

1. Auteur de « L’université payante, dernier pan de la modernisation


universitaire libérale », dans L’université et la recherche en colère,
sous la direction de Claire Akiko Brisset, éditions du Croquant, 2009.
:

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