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EDUCATION
Malgré une forte demande des jeunes, les cursus universitaires font encore trop
peu de place aux enjeux de la transition écologique. C’est particulièrement vrai
en économie, pour des raisons à la fois historiques, théoriques et
institutionnelles.
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oaw Depuis 2018, les grèves scolaires, les marches climat et les actions associatives des
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m jeunes montrent que le climat et les crises écologiques sont des sujets de
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ebts mobilisation pour les élèves et les étudiants. L’éco-anxiété a pris sa place dans les
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noeA débats et les jeunes sont particulièrement exposés à cette thématique, très présente
torp sur les réseaux sociaux. L’information qui y circule favorise une prise de conscience
akpl collective et de nombreux sondages montrent que les jeunes placent ces questions
ie parmi leurs priorités.
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el En dépit de cette préoccupation croissante, les connaissances des jeunes semblent
(i faibles. Selon un sondage Ipsos pour la Fondation du Collège de France
se [Deleplanque et Lama, 2021], 46 % déclarent ne pas bien connaître la signification
)n
de l’expression « gaz à effet de serre » et 55 % déclarent ne pas être sûrs du sens
d’« empreinte écologique » 1. Ce constat se vérifie pour tous les types de formation
qui ont été étudiés spécifiquement : formations en finance, écoles d’ingénieurs, de
commerce…
Les étudiants le reconnaissent eux-mêmes : ils entendent très peu, voire pas du tout,
parler des enjeux environnementaux dans leur formation. Ils en expriment pourtant
le besoin. Ainsi, selon un sondage commandé par le collectif Pour un réveil
écologique [Lévy J.-D. et al., 2022], 63 % des lycéens et étudiants seraient prêts à
changer de formation ou à prolonger leurs études pour se former aux enjeux
environnementaux et/ou à un métier écologiquement utile.
Les enjeux environnementaux A LIRE L'ECONOMIE POLITIQUE N°95 - 08/2022
semblent aussi prendre une
importance croissante pour les
jeunes dans leurs choix
professionnels. Le même
sondage indique que deux
tiers des jeunes, qu’ils soient
lycéens, étudiants, chômeurs,
travailleurs aisés ou non, se
disent prêts à renoncer à
postuler dans une entreprise
qui ne prendrait pas
suffisamment en compte les
enjeux environnementaux.
Les étudiants disent chercher
avant tout un métier en phase
avec leurs valeurs.
Ainsi, une part importante de
la jeunesse est sensible à ces
sujets et prête à modifier ses
choix de formation et de
carrière. Ce constat doit pour
autant être tempéré. Les
travaux du collectif de
chercheurs en sciences
sociales Quantité critique
[2019] montrent que ce
phénomène est, avant tout,
une évolution des discours et
de l’activité des personnes
préalablement sensibilisées et
engagées, plutôt qu’une
soudaine position généralisée
et consensuelle de la jeunesse.
Ce sont d’ailleurs les
personnes les plus engagées à
titre individuel qui pensent
que les actions individuelles
ne sont pas suffisantes et que
le système économique est à
repenser à l’aune des crises
écologiques.
Quelle éducation pour quelle transition ?
DÉCOUVRIR
Aussi, les établissements d’enseignement supérieur subissent une pression pour
s’engager dans une dynamique d’intégration de ces questions à leurs cursus et
organisations.
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– Considérer une approche systémique : étudiants et enseignants doivent être en capacité de
construire une vision holistique du monde de demain, pour mieux appréhender la complexité des
transitions. L’analyse partielle de certaines dimensions ne doit pas omettre une appréhension plus
intégrative des transitions, favorisant l’articulation entre le local et le global.
– Développer une analyse prospective : l’analyse des systèmes techniques et des
écosystèmes implique des histoires et des échelles temporelles variées qu’il
convient d’articuler pour inscrire des actions de court terme, dans un contexte
d’incertitudes, en cohérence avec des enjeux de long terme.
– Co-construire des diagnostics et des solutions : pour que la transition écologique
soit effective, il convient d’en établir les objectifs et les modalités dans un échange
avec les parties prenantes, permettant à la fois d’en articuler harmonieusement les
différentes dimensions (techniques, organisationnelles, territoriales, culturelles,
juridiques, économiques…) et d’en permettre l’appropriation par tous.
– Mettre en œuvre des transitions : il s’agit d’écrire les récits rendant les transitions
réalistes et d’en définir les étapes, les indicateurs, les modes de gouvernance
démocratique.
– Agir en responsabilité : la capacité à agir en citoyen et professionnel responsable
est la clé de voûte de ce référentiel. Cette dernière compétence implique d’analyser,
d’expliciter et de confronter son propre système de valeur avec ce que le droit
définit, avec celui que l’entité au nom de laquelle on agit propose, et avec le
système de valeurs des autres.
Source : Jouzel J. et Abaddie L., 2021.
Pour faire évoluer les enseignements, les enseignants-chercheurs et les enseignants
du supérieur ont besoin de temps, et donc de moyens. Le temps consacré à
l’intégration de la transition écologique dans les formations doit être pris en compte,
valorisé tout au long des carrières des enseignants et compensé par des moyens
supplémentaires attribués aux établissements. Le soutien aux équipes pédagogiques
engagées dans la démarche doit être renforcé et les procédures administratives
auxquelles elles sont soumises doivent être simplifiées. Pour accélérer les
transformations nécessaires, le groupe Jouzel recommande d’augmenter le nombre
de congés pour projets pédagogiques.
Sur le plan pédagogique, la recherche converge sur les compétences clés liées à la
durabilité (voir encadré). Si cette liste est maintenant claire et stabilisée, la
déclinaison pertinente de ces compétences au sein des cursus scolaires est encore
balbutiante. Le groupe de travail Jouzel précise ainsi que l’approche
« compétences » doit se déployer à l’échelle de chaque filière de formation et par
grande culture disciplinaire (ingénierie, management, droit, santé…).
Quelques pistes sur l’évolution des cursus en économie
Les recommandations du rapport Jouzel n’ont pas encore été déployées
spécifiquement dans chacun des cursus, mais quelques outils et concepts pourraient
rapidement se déployer dans les formations en économie.
Les compétences systémiques, de prospective et de diagnostic peuvent être
travaillées en s’appuyant sur des outils et concepts économiques existants. Dans le
cadre de l’économie orthodoxe, la notion d’externalité environnementale devrait
être abordée. Mais d’autres notions doivent être introduites. La tragédie des
horizons permet d’expliciter le fait que des risques catastrophiques soient ignorés
lorsqu’ils sont susceptibles de se manifester au-delà de l’horizon (temporel ou
spatial) des décideurs. La notion d’incertitude radicale (autrement dit,
l’impossibilité à probabiliser) aide à saisir les limites d’une approche par le calcul
des risques et la recherche d’un optimum, et souligne la pertinence du principe de
précaution 6. Une présence de l’épistémologie dans le cursus peut permettre de
prendre du recul sur la valorisation monétaire de l’environnement. L’économie
écologique introduit la matérialité de processus économiques. C’est aussi l’apport
de l’histoire économique, qui est en outre indispensable pour comprendre la
pluralité des voies du développement et pour mettre en perspective certains
concepts théoriques ou certaines notions comme celle de « transition » 7.
La mise en œuvre des transitions elle-même implique une attention particulière aux
questions d’économie politique, de distribution des impacts et de compensation des
politiques publiques. La gestion des biens environnementaux (air, eau…), qui sont
couramment des biens en accès libre et rivaux 8, est éclairée par les débats autour
de la « tragédie des biens communs » 9, l’économie institutionnelle ainsi que les
travaux d’Elinor Ostrom. En finance, les notions de risque environnemental sont
encore couramment mal traitées. La notion de « double matérialité » gagnerait à se
diffuser au sein des cursus : en effet, les risques environnementaux qui pèsent sur
les organisations ne peuvent être la seule boussole des entreprises et des
investisseurs ; il faut aussi considérer en miroir les risques que les organisations
elles-mêmes font peser sur le système biophysique.
Enfin, il n’y a pas une solution clé en main : il est important avant tout de valoriser
le recours aux expérimentations dans l’enseignement de l’économie.
Au-delà de ces quelques pistes sur l’ouverture théorique et les contenus
académiques, les pédagogies par l’action ont toute leur place pour l’acquisition des
compétences de mise en œuvre des transitions et la responsabilisation des jeunes
citoyens et des futurs professionnels. Ceux-ci auront à faire face à des problèmes
économiques et de durabilité complexes, qu’une approche univoque de la rationalité
et du calcul économique ne suffit pas à appréhender.
Bibliographie
Andre P. et Falk M., 2021, « What’s Worth Knowing ? Economists’ Opinions
about Economics », ECONtribute, disponible sur www.iza.org
Chavance B. et Labrousse A., 2018, « Institutions and “Science”: The Contest
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Chavagneux C., 2021, « L’économie mainstream abuse de sa position dominante »,
entretien avec Florence Jany-Catrice et André Orléan, Alternatives Economiques,
disponible sur www.alternatives-economiques.fr
Couix Q. et Giraud G., 2021, « La difficile conversion à l’écologie de la recherche
en économie », Annales des Mines. Responsabilité et environnement n° 101.
Deleplanque J. et Lama A., 2021, « Les jeunes et la science. Crédibilité des
scientifiques et conditions d’optimisation de la confiance dans la parole des
chercheurs », sondage Ipsos pour la Fondation du Collège de France.
Fournier C., Guillet S., Hallak J. et Papp A., 2019, « Teaching Sustainability:
Notes from France », International Journal of Pluralism and Economics
Education n° 10, disponible sur www.inderscienceonline.com
Hallak J., 2021, « L’environnement, angle mort des sciences
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economiques.fr
Initiative internationale des étudiants pour le pluralisme en économie, 2014,
« Pour une économie pluraliste : l’appel mondial des étudiants », Le Monde,
consultable sur www.lemonde.fr
Jouzel J. et Abaddie L., 2021, « Former aux enjeux de la transition écologique
dans le supérieur », rapport pour le ministère de l’Enseignement supérieur,
disponible sur www.enseignementsup-recherche.gouv.fr
Lévy J.-D. et al., 2022, « Les jeunes et la prise en compte des enjeux
environnementaux dans le monde du travail », sondage Harris Interactive pour le
collectif Pour un réveil écologique, mars.
Machado Cerdeira M.-L., 2014, « Enjeux présents et futurs du financement de
l’enseignement supérieur », Revue internationale d’éducation de Sèvres n° 65.
Pour un réveil écologique, 2021, « L’écologie aux rattrapages. L’enseignement
supérieur français à l’heure de la transition écologique : état des lieux et revue des
pratiques », disponible sur https://pour-un-reveil-ecologique.org
Quantité critique, 2019, « Qui manifeste pour le climat ? Des sociologues
répondent », Reporterre, disponible sur https://reporterre.net
Vorreux C., Berthault M. et Renaudin A., 2019, « Mobiliser l’enseignement
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réalisée pour The Shift Project, disponible sur https://theshiftproject.org
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