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LES COMPÉTENCES CLÉS LIÉES À LA DURABILITÉ

EDUCATION 

L’environnement, angle mort des formations


en économie 
LE 16 AOÛT 202220 min

Malgré une forte demande des jeunes, les cursus universitaires font encore trop
peu de place aux enjeux de la transition écologique. C’est particulièrement vrai
en économie, pour des raisons à la fois historiques, théoriques et
institutionnelles.
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oaw Depuis 2018, les grèves scolaires, les marches climat et les actions associatives des
ciap
m jeunes montrent que le climat et les crises écologiques sont des sujets de
etli
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ebts mobilisation pour les élèves et les étudiants. L’éco-anxiété a pris sa place dans les
r
noeA débats et les jeunes sont particulièrement exposés à cette thématique, très présente
torp sur les réseaux sociaux. L’information qui y circule favorise une prise de conscience
akpl collective et de nombreux sondages montrent que les jeunes placent ces questions
ie parmi leurs priorités.
r
el En dépit de cette préoccupation croissante, les connaissances des jeunes semblent
(i faibles. Selon un sondage Ipsos pour la Fondation du Collège de France
se [Deleplanque et Lama, 2021], 46 % déclarent ne pas bien connaître la signification
)n
de l’expression « gaz à effet de serre » et 55 % déclarent ne pas être sûrs du sens
d’« empreinte écologique » 1. Ce constat se vérifie pour tous les types de formation
qui ont été étudiés spécifiquement : formations en finance, écoles d’ingénieurs, de
commerce…
Les étudiants le reconnaissent eux-mêmes : ils entendent très peu, voire pas du tout,
parler des enjeux environnementaux dans leur formation. Ils en expriment pourtant
le besoin. Ainsi, selon un sondage commandé par le collectif Pour un réveil
écologique [Lévy J.-D. et al., 2022], 63 % des lycéens et étudiants seraient prêts à
changer de formation ou à prolonger leurs études pour se former aux enjeux
environnementaux et/ou à un métier écologiquement utile.
Les enjeux environnementaux A LIRE L'ECONOMIE POLITIQUE N°95 - 08/2022
semblent aussi prendre une
importance croissante pour les
jeunes dans leurs choix
professionnels. Le même
sondage indique que deux
tiers des jeunes, qu’ils soient
lycéens, étudiants, chômeurs,
travailleurs aisés ou non, se
disent prêts à renoncer à
postuler dans une entreprise
qui ne prendrait pas
suffisamment en compte les
enjeux environnementaux.
Les étudiants disent chercher
avant tout un métier en phase
avec leurs valeurs.
Ainsi, une part importante de
la jeunesse est sensible à ces
sujets et prête à modifier ses
choix de formation et de
carrière. Ce constat doit pour
autant être tempéré. Les
travaux du collectif de
chercheurs en sciences
sociales Quantité critique
[2019] montrent que ce
phénomène est, avant tout,
une évolution des discours et
de l’activité des personnes
préalablement sensibilisées et
engagées, plutôt qu’une
soudaine position généralisée
et consensuelle de la jeunesse.
Ce sont d’ailleurs les
personnes les plus engagées à
titre individuel qui pensent
que les actions individuelles
ne sont pas suffisantes et que
le système économique est à
repenser à l’aune des crises
écologiques.
Quelle éducation pour quelle transition ?
DÉCOUVRIR
Aussi, les établissements d’enseignement supérieur subissent une pression pour
s’engager dans une dynamique d’intégration de ces questions à leurs cursus et
organisations.

Des établissements qui s’engagent encore timidement


En mars 2019, le think-tank The Shift Project révèle que seulement 11 % des
formations prennent en compte les enjeux « énergie-climat » [Vorreux et al., 2019].
Deux ans plus tard, une étude du collectif Pour un réveil écologique [2021] appuie
ces conclusions, indiquant que 15 % des établissements déclarent vouloir former la
totalité de leurs étudiants aux enjeux de transition écologique. Si des formations
spécialisées et en ligne existent depuis plusieurs années, les établissements semblent
s’engager encore timidement dans la prise en compte systématique de la transition
écologique.
Début 2020, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a sollicité
un rapport sur la sensibilisation et la formation à la transition écologique, piloté par
le climatologue Jean Jouzel. Le panorama dressé lors des travaux montre que la
majorité des établissements mettent en avant ces enjeux dans leur stratégie et que
les formations dédiées sont également nombreuses, mais souvent facultatives. En
revanche, très peu d’établissements s’engagent dans une transformation stratégique
réellement ambitieuse, accompagnée d’une formation systématique à la transition
écologique. Face à la pression des étudiants, les établissements ont parfois tendance
à « cocher des cases » rapidement, sans approche transformatrice. Certaines actions
de communication s’apparentent à du greenwashing. Au niveau national, aucun
organe statistique ou d’évaluation n’a endossé, à ce jour, un rôle d’observation et de
suivi de l’intégration des enjeux écologiques dans les formations. Toute mesure ne
repose ainsi que sur les déclarations des établissements et le volontarisme des
acteurs engagés.
L’enseignement supérieur face à sa marchandisation
Avec la mondialisation, l’approche néolibérale du financement de l’enseignement
supérieur, dominante dans le monde, progresse en France. Selon cette conception,
inspirée par la théorie du capital humain, l’enseignement supérieur ne constituerait
pas un bien collectif, mais un investissement privé rentabilisé par les avantages que
les étudiants en retirent. Ce ne serait donc pas à la société de financer la formation
des futurs diplômés : le gouvernement devrait, dans cette logique, encourager la
marchandisation de l’enseignement supérieur.
Si la France reste un des pays garantissant encore une éducation initiale abordable,
le financement public de l’enseignement supérieur n’a pas compensé
l’augmentation du nombre d’étudiants ces dix dernières années, d’où une
diminution des dépenses d’éducation par étudiant, particulièrement sensible dans les
premiers cycles universitaires 2. Ce contexte économique, doublé de politiques de
fusions et de mise en concurrence des établissements, crée une pression au sein de
nombreux établissements, ce qui les incite à chercher des financements privés. Il en
résulte également une présence croissante des entreprises auprès des établissements,
qui peut parfois soulever des questionnements éthiques, comme l’illustre
l’implantation controversée puis avortée de Total Energies sur le campus de l’Ecole
polytechnique.
Un ensemble de freins
Dans ce contexte, le rapport Jouzel détaille les freins qui entravent la conversion des
établissements et des formations. Premier constat : peu d’incitations publiques sont
mises en place pour encourager une politique transformatrice des établissements en
faveur de la transition écologique. Du côté des établissements eux-mêmes, le
changement se heurte parfois à un manque de concertation, ou à un manque de
conviction ou d’engagement stratégique des directions d’établissement. Quant aux
enseignants et aux enseignants-chercheurs, ils disposent de peu de temps pour
intégrer la transition écologique dans leurs enseignements et sont eux-mêmes peu
formés sur ces questions. Le rapport Jouzel souligne également le manque de
ressources pédagogiques et scientifiques qualifiées ou certifiées et facilement
accessibles pour les équipes pédagogiques. Or, les approches pédagogiques de la
transition sont complexes et supposent de se départir des réflexes traditionnels.

Le cas des formations en économie


L’enseignement de l’économie dans le supérieur a plusieurs fois été remis en cause
depuis les années 2000. En 2014, les étudiants de l’Initiative internationale des
étudiants pour le pluralisme en économie (Isipe) ont dénoncé dans une lettre ouverte
le fait que les programmes ne traitaient pas des problèmes réels, qu’ils reflétaient
une faible diversité intellectuelle et pensée critique.
En 2019, une étude des cursus de licence en économie [Fournier et al., 2019]
pointait encore la faible part du développement durable : seul un tiers des cursus de
licence abordent explicitement la durabilité. Au niveau national, seuls 7 des
64 cursus de licence abordent les trois piliers du développement durable (écologie,
économie, social) dans leur complétude. Le pilier environnemental n’est abordé que
dans 45 % des programmes, et seulement deux cursus abordaient à la fois
l’économie de l’environnement, les problématiques de régulation de la pollution et
de gestion des terres et des ressources.
L’environnement reste un prétexte pour appliquer les modèles vus en cours et les
enjeux écologiques ne sont pas abordés en tant que tels. La formation est lacunaire,
sinon inexistante, en histoire des faits et de la pensée, en épistémologie et dans les
autres sciences connexes. Peu de temps est consacré aux problèmes contemporains
et les jeunes économistes peinent souvent à comprendre en quoi leur discipline leur
permet de comprendre le monde. Cette situation s’explique par des facteurs à la fois
historiques, théoriques et institutionnels.
Un désintérêt historique de l’économie pour l’environnement
Bien que l’économie et l’écologie partagent la même racine étymologique (oïkos, le
foyer), l’économie, comme science des activités humaines de production, d’échange
et de consommation, reste longtemps disjointe de l’écologie, science des relations
des organismes avec le monde environnant, ou plus largement, des conditions de
leur existence. Lorsque les bases de l’économie moderne sont posées au
XVIIIe siècle, la théorie classique ne retient des ressources naturelles que leur
potentiel productif et occulte leur possible épuisement. La posture générale est bien
résumée par la célèbre phrase de Jean-Baptiste Say : « Les richesses naturelles sont
inépuisables, car, sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant
être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques. »
Des travaux économiques sur les ressources naturelles et l’environnement
apparaissent au cours du XIXe siècle, notamment autour du charbon. Mais la
préoccupation occupe une position marginale et se réduit le plus souvent à des
problèmes d’allocation des ressources parmi d’autres. Les enjeux écologiques
montent en puissance dans les années 1970 et se cristallisent autour de la parution,
en 1972, du rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance. Celui-ci alerte
sur l’épuisement des ressources naturelles. S’appuyant sur un modèle
mathématique, il est proche dans sa démarche méthodologique des modèles utilisés
par les économistes néoclassiques, tout en étant radicalement différent.
Depuis, et malgré l’intérêt croissant des jeunes et de la société civile pour les crises
écologiques, le désintérêt des économistes pour l’environnement persiste. Le rôle de
l’énergie dans la croissance par exemple reste majoritairement ignoré. Dans une
étude publiée en 2019, Andrew Oswald et Nicholas Stern montrent que le climat est
presque absent des revues de recherche en économie les plus influentes : il ne
représente que 0,07 % des articles dans ces journaux, et aucun article sur le sujet
n’avait jamais été publié dans le plus prestigieux, le Quarterly Journal of
Economics ! La « tyrannie » du classement des revues verrouille la recherche
académique et focalise l’attention des chercheurs sur les thèmes les plus
susceptibles de les mener à des publications citées dans les publications prisées.
C’est un cercle vicieux : peu d’économistes travaillant sur le climat signifie peu de
citations par leurs pairs, ce qui n’incite pas à travailler sur le sujet.
L’environnement dans l’économie, ou l’économie dans l’environnement ?
Au sein même des économistes qui s’intéressent aux enjeux écologiques, la façon
de se représenter les interactions entre économie et environnement diffère. Deux
approches principales existent : l’économie de l’environnement et l’économie
écologique 3.L’économie de l’environnement traite les questions environnementales
par extension directe de la théorie néoclassique. Elle reconnaît les externalités
environnementales et apporte pour leur gestion des solutions souvent centrées sur le
marché. Cette approche considère que le problème central est de reconnaître
l’environnement à sa juste valeur économique. Dès lors que le système de prix
reflète ces valeurs, les calculs économiques des agents aboutissent à une allocation
optimale des ressources. Ce passage au monde de la valeur permet de s’affranchir
des limites biophysiques, qui sont pourtant bien établies dans d’autres disciplines.
La traduction des réalités physiques en quantités monétaires n’est en effet pas
neutre. Dès lors que la nature elle-même devient un « capital naturel », des
substitutions entre différentes formes de capital sont possibles. Il n’y a pas de rareté
absolue, mais uniquement des raretés relatives. Sous certaines hypothèses (loin de
toute considération empirique), les modèles néoclassiques montrent qu’il est
possible de croître de manière indéfinie malgré l’épuisement d’une ressource finie.
Cette démonstration tient lieu d’objection à l’idée qu’il existerait des limites à la
croissance 4. Elle est doublée d’une prétention à l’objectivité, comme si le calcul
économique était garant de neutralité et permettait de s’affranchir des conflits
normatifs qui sous-tendent tout choix politique. Dès lors, les travaux des
économistes standards n’appréhendent pas assez les questions dites d’économie
politique – dans quelles conditions une réforme est adoptée et acceptée – et les
enjeux d’inégalités et de redistribution associés. Un exemple emblématique est la
taxe carbone, mesure cardinale pour les économistes de l’environnement, dont
l’augmentation est à l’origine du mouvement des gilets jaunes.
L’économie écologique considère au contraire que l’environnement n’est pas un
« sous-système » que l’on peut intégrer au système économique. Celui-ci est
encastré dans un monde biophysique limité, avec lequel il interagit sans cesse. A
chaque cycle de production, des ressources sont prélevées et des déchets polluants
rejetés.
Cette approche est développée par des chercheurs comme Herman Daly et Nicolas
Georgescu-Roegen. L’économie écologique reconnaît ainsi et étudie
l’interdépendance et l’évolution conjointe des sociétés humaines et des
écosystèmes. Interdisciplinaire, elle intègre les apports de l’écologie ou de la
thermodynamique. Emergente depuis les années 1970, cette branche de l’économie
permet d’imaginer un monde sans croissance infinie. Et ce n’est pas nécessairement
un monde lugubre : l’un des fondateurs de la discipline, Robert Costanza, le
souligne à travers le titre de son dernier livre, Vivement 2050 !
Un verrouillage des sciences économiques contesté
Si l’économie écologique se développe, elle reste minoritaire et n’est souvent
évoquée que dans les cursus spécialisés associés aux laboratoires utilisant cette
approche. Cette position minoritaire est perpétuée par les conditions de recrutement
des enseignants-chercheurs. En effet, les choix des jurys ont un biais de plus en plus
important en faveur de l’économie orthodoxe. Ainsi, dans une étude de 2013,
l’Association française pour l’économie politique a montré que le recrutement
d’économistes hétérodoxes était passé de 18 % sur la période 2000-2004 à moins de
6 % sur la période 2005-2011 [Chavance et Labrousse, 2018]. L’association
réclamait alors la création d’une nouvelle section au Conseil national des
universités, pour permettre l’existence d’une nouvelle voie de sélection des
professeurs d’université favorisant davantage de pluralisme. Malgré la signature
d’un décret en ce sens, l’opposition de quelques économistes orthodoxes et un
courrier de Jean Tirole fin 2014 assimilant le pluralisme à un « relativisme des
connaissances » ont suffi pour provoquer un blocage de la décision par l’Elysée
[Chavagneux, 2021]. Presque dix ans plus tard, cette situation d’abus de position
dominante est toujours en vigueur.
La domination de l’économie orthodoxe à l’université freine la diffusion d’idées
nouvelles et transdisciplinaires, nécessaires pour prendre en compte les enjeux
d’économie politique associés à la transition écologique. Mais cette situation est de
moins en moins tenable. De même que l’incapacité de la discipline à prévoir le
krach financier de 2008, sa cécité face aux catastrophes écologiques en cours
pourrait provoquer une remise en cause de la manière dont l’économie néoclassique
appréhende les contraintes physiques.
Dans une étude portant sur l’opinion d’un panel international d’économistes sur leur
discipline [Andre et Falk, 2021], un grand nombre d’entre eux expriment clairement
un mécontentement vis-à-vis de l’état de la recherche. Malgré la diversité des points
de vue exprimés, la majorité des économistes souligne le besoin d’aller vers
davantage de multidisciplinarité et d’embrasser des sujets plus divers et plus en
prise avec les enjeux de politique publique. Cette convergence de vues donne un
argument fort pour trouver une solution au phénomène de « tyrannie des revues ».
L’étude précise que la progression de la multidisciplinarité au cours de la dernière
décennie est déjà observable 5.
Des organisations comme l’Association française pour l’économie politique ou le
réseau Economists for Future promeuvent une meilleure inclusion de
l’interdisciplinarité et du pluralisme en économie au cœur des enseignements. Les
étudiants en économie se mobilisent également : le réseau Rethinking Economics
rassemble des groupes d’étudiants sur les cinq continents, et la plate-forme
Exploring Economics promeut un apprentissage pluraliste de l’économie à
l’université, comme une science traversée par différents courants de pensée,
connectée à des disciplines voisines et ancrée dans des grands enjeux
contemporains. Gérée par des étudiants, elle propose des centaines de contenus
pédagogiques en économie en quatre langues et réunit une communauté dynamique
autour d’ateliers, séminaires et universités d’été.

Mieux intégrer la transition dans l’enseignement


supérieur
Le groupe de travail piloté par le climatologue Jean Jouzel sur la formation aux
enjeux de la transition écologique dans l’enseignement supérieur a rendu ses
conclusions en février 2022. Celles-ci indiquent des directions assez claires mais
très génériques, ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble de l’enseignement
supérieur. Elles portent à la fois sur les enjeux d’organisation et des problématiques
pédagogiques.
Ces enjeux concernent l’ensemble des étudiants, apprentis et stagiaires de
l’enseignement supérieur, et l’ensemble des établissements, quelle que soit leur
nature ou tutelle, sans oublier les actifs, en entreprise et dans la fonction publique.
La cohérence de l’action de l’Etat dans ces différents champs de formation serait
renforcée par une coordination interministérielle. Celle-ci favoriserait la
collaboration entre établissements, dans le but de mutualiser les expériences, les
compétences et les ressources pédagogiques. Une telle coordination pourrait
s’appuyer sur un pôle national de ressources pédagogiques et scientifiques et un
point d’information national pour répertorier des opportunités de financement.
L’impulsion donnée par les établissements eux-mêmes est décisive. Ils doivent pour
cela se doter d’une gouvernance adaptée au plus haut niveau.

Les compétences clés liées à la durabilité


– Considérer une approche systémique : étudiants et enseignants doivent être en
capacité de construire une vision holistique du monde de demain, pour mieux
appréhender la complexité des transitions. L’analyse partielle de certaines
dimensions ne doit pas omettre une appréhension plus intégrative des
transitions, favorisant l’articulation entre le local et le global.
– Développer une analyse prospective : l’analyse des systèmes techniques et des
écosystèmes implique des histoires et des échelles temporelles variées qu’il
convient d’articuler pour inscrire des actions de court terme, dans un contexte
d’incertitudes, en cohérence avec des enjeux de long terme.
– Co-construire des diagnostics et des solutions : pour que la transition
écologique soit effective, il convient d’en établir les objectifs et les modalités
dans un échange avec les parties prenantes, permettant à la fois d’en articuler
harmonieusement les différentes dimensions (techniques, organisationnelles,
territoriales, culturelles, juridiques, économiques…) et d’en permettre
l’appropriation par tous.
– Mettre en œuvre des transitions : il s’agit d’écrire les récits rendant les
transitions réalistes et d’en définir les étapes, les indicateurs, les modes de
gouvernance démocratique.
– Agir en responsabilité : la capacité à agir en citoyen et professionnel
responsable est la clé de voûte de ce référentiel. Cette dernière compétence
implique d’analyser, d’expliciter et de confronter son propre système de valeur
avec ce que le droit définit, avec celui que l’entité au nom de laquelle on agit
propose, et avec le système de valeurs des autres.
Source : Jouzel J. et Abaddie L., 2021.

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– Considérer une approche systémique : étudiants et enseignants doivent être en capacité de
construire une vision holistique du monde de demain, pour mieux appréhender la complexité des
transitions. L’analyse partielle de certaines dimensions ne doit pas omettre une appréhension plus
intégrative des transitions, favorisant l’articulation entre le local et le global.
– Développer une analyse prospective : l’analyse des systèmes techniques et des
écosystèmes implique des histoires et des échelles temporelles variées qu’il
convient d’articuler pour inscrire des actions de court terme, dans un contexte
d’incertitudes, en cohérence avec des enjeux de long terme.
– Co-construire des diagnostics et des solutions : pour que la transition écologique
soit effective, il convient d’en établir les objectifs et les modalités dans un échange
avec les parties prenantes, permettant à la fois d’en articuler harmonieusement les
différentes dimensions (techniques, organisationnelles, territoriales, culturelles,
juridiques, économiques…) et d’en permettre l’appropriation par tous.
– Mettre en œuvre des transitions : il s’agit d’écrire les récits rendant les transitions
réalistes et d’en définir les étapes, les indicateurs, les modes de gouvernance
démocratique.
– Agir en responsabilité : la capacité à agir en citoyen et professionnel responsable
est la clé de voûte de ce référentiel. Cette dernière compétence implique d’analyser,
d’expliciter et de confronter son propre système de valeur avec ce que le droit
définit, avec celui que l’entité au nom de laquelle on agit propose, et avec le
système de valeurs des autres.
Source : Jouzel J. et Abaddie L., 2021.
Pour faire évoluer les enseignements, les enseignants-chercheurs et les enseignants
du supérieur ont besoin de temps, et donc de moyens. Le temps consacré à
l’intégration de la transition écologique dans les formations doit être pris en compte,
valorisé tout au long des carrières des enseignants et compensé par des moyens
supplémentaires attribués aux établissements. Le soutien aux équipes pédagogiques
engagées dans la démarche doit être renforcé et les procédures administratives
auxquelles elles sont soumises doivent être simplifiées. Pour accélérer les
transformations nécessaires, le groupe Jouzel recommande d’augmenter le nombre
de congés pour projets pédagogiques.
Sur le plan pédagogique, la recherche converge sur les compétences clés liées à la
durabilité (voir encadré). Si cette liste est maintenant claire et stabilisée, la
déclinaison pertinente de ces compétences au sein des cursus scolaires est encore
balbutiante. Le groupe de travail Jouzel précise ainsi que l’approche
« compétences » doit se déployer à l’échelle de chaque filière de formation et par
grande culture disciplinaire (ingénierie, management, droit, santé…).
Quelques pistes sur l’évolution des cursus en économie
Les recommandations du rapport Jouzel n’ont pas encore été déployées
spécifiquement dans chacun des cursus, mais quelques outils et concepts pourraient
rapidement se déployer dans les formations en économie.
Les compétences systémiques, de prospective et de diagnostic peuvent être
travaillées en s’appuyant sur des outils et concepts économiques existants. Dans le
cadre de l’économie orthodoxe, la notion d’externalité environnementale devrait
être abordée. Mais d’autres notions doivent être introduites. La tragédie des
horizons permet d’expliciter le fait que des risques catastrophiques soient ignorés
lorsqu’ils sont susceptibles de se manifester au-delà de l’horizon (temporel ou
spatial) des décideurs. La notion d’incertitude radicale (autrement dit,
l’impossibilité à probabiliser) aide à saisir les limites d’une approche par le calcul
des risques et la recherche d’un optimum, et souligne la pertinence du principe de
précaution 6. Une présence de l’épistémologie dans le cursus peut permettre de
prendre du recul sur la valorisation monétaire de l’environnement. L’économie
écologique introduit la matérialité de processus économiques. C’est aussi l’apport
de l’histoire économique, qui est en outre indispensable pour comprendre la
pluralité des voies du développement et pour mettre en perspective certains
concepts théoriques ou certaines notions comme celle de « transition » 7.
La mise en œuvre des transitions elle-même implique une attention particulière aux
questions d’économie politique, de distribution des impacts et de compensation des
politiques publiques. La gestion des biens environnementaux (air, eau…), qui sont
couramment des biens en accès libre et rivaux 8, est éclairée par les débats autour
de la « tragédie des biens communs » 9, l’économie institutionnelle ainsi que les
travaux d’Elinor Ostrom. En finance, les notions de risque environnemental sont
encore couramment mal traitées. La notion de « double matérialité » gagnerait à se
diffuser au sein des cursus : en effet, les risques environnementaux qui pèsent sur
les organisations ne peuvent être la seule boussole des entreprises et des
investisseurs ; il faut aussi considérer en miroir les risques que les organisations
elles-mêmes font peser sur le système biophysique.
Enfin, il n’y a pas une solution clé en main : il est important avant tout de valoriser
le recours aux expérimentations dans l’enseignement de l’économie.
Au-delà de ces quelques pistes sur l’ouverture théorique et les contenus
académiques, les pédagogies par l’action ont toute leur place pour l’acquisition des
compétences de mise en œuvre des transitions et la responsabilisation des jeunes
citoyens et des futurs professionnels. Ceux-ci auront à faire face à des problèmes
économiques et de durabilité complexes, qu’une approche univoque de la rationalité
et du calcul économique ne suffit pas à appréhender.

Bibliographie
Andre P. et Falk M., 2021, « What’s Worth Knowing ? Economists’ Opinions
about Economics », ECONtribute, disponible sur www.iza.org
Chavance B. et Labrousse A., 2018, « Institutions and “Science”: The Contest
about Pluralism in Economics in France », disponible sur https://researchgate.net
Chavagneux C., 2021, « L’économie mainstream abuse de sa position dominante »,
entretien avec Florence Jany-Catrice et André Orléan, Alternatives Economiques,
disponible sur www.alternatives-economiques.fr
Couix Q. et Giraud G., 2021, « La difficile conversion à l’écologie de la recherche
en économie », Annales des Mines. Responsabilité et environnement n° 101.
Deleplanque J. et Lama A., 2021, « Les jeunes et la science. Crédibilité des
scientifiques et conditions d’optimisation de la confiance dans la parole des
chercheurs », sondage Ipsos pour la Fondation du Collège de France.
Fournier C., Guillet S., Hallak J. et Papp A., 2019, « Teaching Sustainability:
Notes from France », International Journal of Pluralism and Economics
Education n° 10, disponible sur www.inderscienceonline.com
Hallak J., 2021, « L’environnement, angle mort des sciences
économiques », Alternatives Economiques n° 416, disponible sur www.alternatives-
economiques.fr
Initiative internationale des étudiants pour le pluralisme en économie, 2014,
« Pour une économie pluraliste : l’appel mondial des étudiants », Le Monde,
consultable sur www.lemonde.fr
Jouzel J. et Abaddie L., 2021, « Former aux enjeux de la transition écologique
dans le supérieur », rapport pour le ministère de l’Enseignement supérieur,
disponible sur www.enseignementsup-recherche.gouv.fr
Lévy J.-D. et al., 2022, « Les jeunes et la prise en compte des enjeux
environnementaux dans le monde du travail », sondage Harris Interactive pour le
collectif Pour un réveil écologique, mars.
Machado Cerdeira M.-L., 2014, « Enjeux présents et futurs du financement de
l’enseignement supérieur », Revue internationale d’éducation de Sèvres n° 65.
Pour un réveil écologique, 2021, « L’écologie aux rattrapages. L’enseignement
supérieur français à l’heure de la transition écologique : état des lieux et revue des
pratiques », disponible sur https://pour-un-reveil-ecologique.org
Quantité critique, 2019, « Qui manifeste pour le climat ? Des sociologues
répondent », Reporterre, disponible sur https://reporterre.net
Vorreux C., Berthault M. et Renaudin A., 2019, « Mobiliser l’enseignement
supérieur pour le climat. Former les étudiants pour décarboner la société », étude
réalisée pour The Shift Project, disponible sur https://theshiftproject.org
Object 1

L'Economie Politique n°95 - 08/2022


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F • 1
h
oaw • 1.  L’empreinte écologique mesure la quantité de surface terrestre
ciap
m
bioproductive nécessaire pour produire les biens et services que nous
etli
m
ebts consommons et absorber les déchets que nous produisons.
r
noeA • 2.  Voir l’entretien croisé entre Marie Duru-Bellat et Gabrielle Fack, en p. 8-
torp
akpl
19 de ce numéro.
ie • 3.  Voir à ce sujet « Une économie écologique est-elle
r possible ? », L’Economie politique n° 69, 2016.
el
(i • 4.  On peut se reporter aux travaux d’Antonin Pottier qui montre comment les
se sciences économiques ont retardé la mise en place de politiques climatiques.
)n A rebours des conclusions des scientifiques du climat, elles ont longtemps
conforté l’idée que le réchauffement climatique perturberait à peine la
trajectoire croissante de l’économie mondiale.
• 5.  Plusieurs études montrent des signaux en ce sens. Les citations des autres
disciplines dans la recherche économique ont augmenté. Les financeurs
soutiennent davantage de projets interdisciplinaires. Dans les revues les plus
prestigieuses, la place de la recherche appliquée progresse. Les méthodes
évoluent vers plus d’identification causale, etc.
• 6.  En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de
certitude scientifique ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard
l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de
l’environnement.
• 7.  Voir par exemple les travaux d’histoire environnementale de Jean-Baptiste
Fressoz.
• 8.  Un bien rival est un bien dont l’utilisation ou la consommation par un
individu diminue la quantité, la qualité ou l’utilité pour les autres individus.
• 9.  Ce concept popularisé par le biologiste Garrett Hardin décrit un
phénomène collectif de compétition pour l’accès à une ressource en accès
libre mais en quantité limitée, conduisant à une surexploitation de la
ressource. Il pointe ainsi un conflit entre poursuite de l’intérêt individuel et du
bien commun.

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