Vous êtes sur la page 1sur 2

Corrigé de la dissertation : « Quelle relation Argan et Toinette entretiennent-ils ?

« La peste soit de l’avarice et des avaricieux ! » Dans cette exclamation, le valet La Flèche exprime son
mécontentement au sujet de son maître Harpagon. En effet, Harpagon, paranoïaque à l’idée que quelqu’un le vole,
exerce sur ses domestiques une pression détestable, les empêchant de faire leur travail et les accusant
constamment à tort. Cette relation est pourtant tout à fait typique au théâtre : les maîtres sont présentés comme
des personnes autoritaires, et les valets subissent leurs méchancetés.
Toutefois, les valets dans la lignée de Scapin cherchent à se moquer de leurs maîtres, et à les placer dans des
situations embarrassantes ou humiliantes pour se venger des maltraitances reçues. C’est la cas de Toinette dans le
Malade imaginaire de Molière. Toinette est la servante d’Argan, un hypocondriaque qui décide de marier sa fille à
un médecin pour bénéficier de soins gratuits tout au long de sa vie. Déjà exaspérée par le délire de son maître,
Toinette ne supporte pas qu’Angélique, la fille d’Argan, pâtisse de l’égoïsme de son père. Elle décide donc de jouer
un tour à Argan, outrepassant son rôle de domestique.
Quelle relation Argan et Toinette entretiennent-ils ?
Dans un premier temps, la relation des deux personnages se construit selon un rapport d’autorité : Argan est
le maître de Toinette. Toutefois, Toinette joue avec les sentiments d’Argan et se moque de lui. Son effronterie
trouve son paroxysme dans le coup qu’elle lui prépare : elle se fait passer pour un médecin…

En effet, la relation entre Argan et Toinette est avant une relation de domination. Argan est le maître chez
lui, et Toinette est employée pour accomplir des tâches domestiques. Dans la scène 2 de l’acte I, Argan demande à
Toinette si son lavement a bien opéré : c’est son rôle de veiller sur le bon déroulé des activités.
Si elle rechigne souvent à faire les corvées désagréables « Je ne me mêle point de ces choses-là », elle va se
montrer une alliée fidèle et efficace pour sa maîtresse Angélique. « Moi ? vous abandonner, j’aimerais mieux mourir.
[…] J’ai toujours été de votre parti. Laissez-moi faire, j’emploierai toute chose pour vous servir. » L’emploi du futur et
de l’impératif montre sa détermination à se montrer plus rusée que son maître. En effet, elle sait que sa position est
délicate, car elle dépend de son maître pour se nourrir ou avoir un toit. Elle n’aurait aucun intérêt à se faire licencier.
C’est pourquoi elle va utiliser les attendus d’Argan pour se faire bien voir. Dans la scène 5 de l’acte I,
lorsqu’Argan s’échauffe et ne veut rien entendre, elle va se montrer très attentionnée pour détourner son
attention : « Doucement, monsieur, vous ne songez pas que vous êtes malade. » De même, dans la scène 1 de l’acte
III, elle se montre prévenante : « Tenez, Monsieur, vous ne songez pas que vous ne sauriez marcher sans bâton. » Il
est nécessaire pour Toinette que son maître l’apprécie, car hors de cette maison, elle ne pourra plus du tout agir en
faveur d’Angélique et serait elle-même en difficulté.
Ainsi, Argan et Toinette entretiennent une relation de maître et valet traditionnelle. Le valet reste soumis à
son maître, malgré les sentiments qu’il lui porte. Cette relation d’autorité définit la soumission du valet pour son
maître ; toutefois il est rare qu’au théâtre les valets restent cois et obéissants.

De fait, si Toinette sait bien ce qu’on attend d’elle, elle n’hésite pas pour autant à jouer avec la limite tacite
fondée sur l’obéissance et le respect qu’elle doit à son maître. Toinette est une servante effrontée, qui n’hésite pas à
tenir tête à Argan et qui s’enfuit dès que la situation lui échappe parce qu’elle est allée trop loin.
En effet, Toinette a décidé qu’elle aiderait Angélique à ne pas épouser Thomas Diafoirus. Elle se moque
ouvertement du jeune homme : « Ce sera quelque chose d’admirable, s’il fait d’aussi belles cures, qu’il fait de beaux
discours. » L’ironie de Toinette est perceptible dans toutes ses paroles, qu’il faut systématiquement prendre à
l’envers. Dans cette citation, l’adjectif « admirable » est à comprendre dans son sens étymologique : « digne d’être
admiré ». Elle confère de la dignité à regarder le spectacle du médecin agissant n’importe comment. Elle a un regard
distancié et même caricatural sur les actions du médecin. En ceci, elle se fait la porte-parole de Molière et de tous
ceux qui prenaient les médecins pour des charlatans. Il est vrai que Toinette, comme le sont souvent les valets,
incarne le peuple et ses croyances. C’est une des raisons pour lesquelles elle est si sympathique au spectateur : il se
reconnaît en elle.
De même, elle ose effectuer des actions qu’aucun valet ne pourrait effectuer dans la réalité, et cela divertit
le public : dans la scène 6 de l’acte I, elle va reproduire un geste de Béline, le fait de redresser les oreillers d’Argan,
mais en insistant juste ce qu’il faut pour que ce soit désagréable pour lui, et donc comique pour le public. Mais elle
est obligée de partir en « fuyant », car elle sait bien qu’elle est allée trop loin. Heureusement pour elle, Argan est
trop égocentrique pour gérer l’action insolente. Son attention est vite détournée dès lors qu’on lui parle de sa santé ;
or Toinette et Béline l’ont bien compris et savent utiliser avec profit cet atout.
Ainsi, la soumission de Toinette pour son maître n’est qu’apparente, car au fond d’elle elle ne rêve que d’une
chose : secouer ce maître qui s’écoute trop et ne voit pas la réalité.

Pour défendre sa protégée, Toinette va oser aller au bout de ce souhait secret. Aidée de Béralde, qui joue un
rôle important dans le bon déroulé du piège, elle va inventer une ruse pour mettre Argan face à ses contradictions et
lui apprendre à regarder les choses autrement.
En effet, le théâtre est le lieu par excellence où peuvent se jouer tous les conflits, et Molière va sublimer ce
genre à travers la ruse de Toinette, aux scène 7 à 10 de l’acte III. Toinette va décider de jouer un rôle, d’incarner un
médecin, caricaturalement mauvais – évidemment, pour faire réagir Argan. Elle va lui faire croire que tous les
médecins qu’il a rencontrés auparavant étaient des ânes, et une fois la confiance d’Argan acquise, elle va lui
suggérer de se couper le bras et de se crever un œil pour que les autres organes se portent mieux. Argan est enfin
effrayé, et remet en cause pour la première fois le diagnostique d’un médecin.
Pour plus de réalisme, Toinette a eu besoin du secours de Béralde. C’est un adjuvant essentiel, car il incarne
la bourgeoisie. C’est un atout de taille dans cette lutte des classes sociales. Seule, il est à craindre que Toinette aurait
eu plus de difficultés.
Le plan de Toinette consiste à se déguiser en médecin, mais pour qu’Argan ne doute pas de l’identité du
médecin, Toinette enchaîne les déguisements pour brouiller l’attention d’Argan. Ce plan fonctionne : « Si je ne les
voyais tous les deux, je croirais que ce n’est qu’un ». Cette réplique amuse particulièrement le spectateur qui est au
courant de la ruse, et la proposition hypothétique « si je ne les voyais tous les deux » montre un Argan naïf, crédule.
Il est la dupe de Toinette.
Toinette obtient finalement tout ce qu’elle souhaitait : le mariage avec Thomas Diafoirus ne se fera pas,
Angélique pourra même épouser celui qu’elle a choisi, Béline s’est déconsidérée elle-même aux yeux d’Argan, et en
encourageant Argan à devenir médecin les personnages s’assurent qu’il ne gêne plus personne et s’occupe de lui
tout de seul.

Pour conclure, la relation entre Argan et Toinette est avant tout une relation de domination du maître sur le
valet. Néanmoins, Toinette ne se laisse pas faire et fait preuve d’insolence. Elle essaie de mener la danse mais sait
bien que son avenir dépend d’Argan. Par conséquent, elle doit se montrer plus maligne que lui. Elle y arrive très bien
dans cette scène puisqu’Argan ignore jusqu’au bout le rôle qu’elle a joué.
Les dramaturges apprécient mettre en scène des conflits entre les maîtres et les valets, au plus grand plaisir
du spectateur qui peut ainsi s’évader de son quotidien. N’est-ce pas avec jubilation que nous voyons Figaro et le
comte Almaviva dans le Mariage de Figaro chacun être plus malin que l’autre ? Pendant un instant, nous pouvons
oublier que seuls les maîtres ont le pouvoir.

Vous aimerez peut-être aussi