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politique
Moore Clément Henry. La Tunisie après Bourguiba ? Libéralisation ou décadence politique ? . In: Revue française de science
politique, 17ᵉ année, n°4, 1967. pp. 645-667;
doi : https://doi.org/10.3406/rfsp.1967.393029
https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1967_num_17_4_393029
4. En 1934 ses fondateurs, estimant être les seuls chefs légitimes d'un parti
nationaliste plus vieux, le Parti Destour (c'est-à-dire le Parti constitutionnel)
utilisèrent l'ancien nom avant d'adopter après une scission celui de Néo-
Destour. Ce terme fut employé jusqu'en 1965, année où l'épithète «socialiste»
lui fut ajoutée: on parle désormais du Parti socialiste destourien (P.S.D.). On
trouvera la meilleure histoire du Parti socialiste dans Letourneau (Roger) ,
Evolution politique de l'Afrique du Nord musulmane 1920-1961, Paris, Armand
Colin, 1962; voir aussi Julien (Charles André), L'Afrique du Nord en marche,
1952.
5. Les habous publics, propriétés de type religieux dont l'exploitation
obéissait à des règles surannées, furent nationalisés le 31 mai 1956. Quant aux
biens habous privés, jusque-là inaliénables, ils furent divisés entre les héritiers
et les locataires de la terre par une loi promulguée le 18 juillet 1957.
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11. Des éditoriaux parus dans le quotidien officiel du parti ont insisté à
plusieurs reprises sur le rôle que le mouvement national devait jouer pour la
création d'une « nouvelle » personnalité destourienne (voir par exemple L'Action,
7 avril 1965), mais cet effort ne s'accompagne pas de l'utilisation de
techniques de persuasion de type totalitaire.
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LES LIBERAUX
Le second groupe, d'une importance moindre, fut celui de
Masmoudi. Du même âge que Mehiri, il a été ministre de
l'Economie nationale en 1955. Il occupe actuellement le poste
d'ambassadeur de Tunisie à Paris depuis mai 1965. Le clan Masmoudi ne
fut jamais très puissant à l'intérieur du parti, mais parvint à réunir
un certain nombre de jeunes hommes d'affaires entreprenants. On
y trouvait en particulier Bechir Ben Yahmed, ministre de
l'Information et, en 1956, rédacteur en chef de L'Action, hebdomadaire
jouissant du support tacite du parti. Masmoudi, qui était l'un des
conseillers les plus compétents et les plus écoutés du Président,
représentait l'aile occidentale et libérale du parti, aile favorable
aux discussions ouvertes et à l'information de l'opinion publique.
Quoique L'Action ait été considéré comme le porte-parole le plus
autorisé du parti, il n'hésitait pas à publier des articles critiquant
les dirigeants du parti ou du gouvernement 17. Mais, au cours de
l'automne 1958, alors que le parti subissait une réorganisation
difficile et se trouvait, de ce fait, particulièrement sensible à la
critique, il retira son appui au journal et, avec la bénédiction de
Bourguiba, Masmoudi fut éliminé du Bureau politique. Quelques
mois plus tard, Masmoudi fut pardonné et réintégré mais, en
1961, Bourguiba l'écarta à nouveau de la vie politique, pour trois
ans cette fois Is. Masmoudi le francophile avait eu l'imprudence
de critiquer en privé la politique téméraire de Bourguiba lors de
la « libération » de la base française de Bizerte. De surcroît, le
journal qui avait remplacé L'Action fît passer avec son accord un
editorial sur les maux du pouvoir personnel I9. D'autre part,
Masmoudi s'était élevé contre la planification économique
autoritaire que Bourguiba avait finalement décidé d'adopter.
16. Abdelmajid Chaker jouissait d'une certaine notoriété parce qu'il était
le neveu d'un célèbre martyr du parti et aussi parce qu'il était originaire
de Sfax, deuxième ville de Tunisie, où le parti était particulièrement faible.
17. Voir L'Action, 7 juin 1957, 4 févr. 1957, 26 mai 1958, 9 juil. 1958,
7 juil. 1958 et surtout 8 sept. 1958.
18. Cette fois-ci, l'exil a été total et Masmoudi n'a même pas eu
l'autorisation de se représenter comme maire de Mahdia en 1963.
19. Voir Alrique.~Action, 7 oct. 1961. Une réfutation intéressante, allant
au fond du problème pour les initiés, a paru dans Le Petit Matin, l'ei'-5 nov.
1961 ; on y trouve la traduction des articles d'un propagandiste du parti.
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26. Au cours des récentes années, ont éclaté un certain nombre de grèves
dont on ne trouve nulle trace dans la presse tunisienne locale, et qui n'ont
pas été organisées par les chefs de l'U.G.T.T. Cf. par exemple Alger
républicain, 18 janv. 1963 et Ashford, op. cit., p. 223. Quelques années plus tôt,
les mineurs s'étaient également mis en grève sans que le fait ait été reconnu
publiquement. Ils étaient appuyés par Habib Achour, mais ce dernier fut
bientôt rappelé par Tlili (secrétaire général à l'époque) sur ordres de Mehiri.
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Libéralisme et mobilité
au sein des équipes dirigeantes du Néo-Destour
par tous les partis. Pour cette raison il semblerait vital pour la
Tunisie de définir dès maintenant des règles susceptibles d'éviter
ultérieurement une décadence politique. La Constitution ne semble
guère susceptible d'apporter une solution au problème, car c'est
surtout un instrument destiné à justifier sur le plan légal le pouvoir
personnel de Bourguiba. Si le constitutionnalisme doit se
développer, ce sera à l'intérieur du parti. Comme dans une Constitution
occidentale, le parti pourrait légitimer le pouvoir et exercer un
contrôle institutionnel sur lui. Mais des règles pratiques ne sont
pas créées ex nihilo ; ou bien elles découlent d'une tradition
politique, comme c'est le cas dans les nations occidentales, ou bien elles
sont condamnées dès leur naissance. Un leader isolé ne saurait les
fabriquer de toutes pièces à lui seul.
Le système de parti unique n'encourage guère les tendances
constitutionnelles et la tradition politique islamique — dont la foi
néo-destourienne, avec son sens d'une mission historique à remplir,
est un reflet — s'est toujours opposée à des contraintes légales
fondées sur la séparation des pouvoirs. Pour apercevoir certaines
de ces tendances du constitutionnalisme, il faut pénétrer derrière
la façade monolithique du Néo-Destour afin de découvrir les
nouvelles forces qui naissent de son unité même. En remplacement du
vieil ijma (consensus) orchestré pour des raisons politiques,
l'attention de la nation a été orientée vers des buts plus matériels. Ce
changement de buts implique un changement de style politique,
car la nouvelle situation rend nécessaire l'apparition de nouveaux
acteurs politiques, plus pragmatiques, plus proches des problèmes
techniques que ne l'étaient les héros de l'indépendance. La
transformation du sentiment d'unité nationale en un consensus à l'égard
de la planification économique ne signifie pas pour autant que tous
les problèmes politiques soient résolus. Au contraire (car il y a
politisation de nouveaux problèmes), il semblerait que la tradition
politique soit amenée à changer sous l'influence de cette nouvelle
conception du pouvoir. Déjà, en Tunisie, l'engagement personnel
des cadres politiques dans un « socialisme » destourien.
engagement qui n'avait jamais été très profond, a fait place à un intérêt
pour le concret, inconnu dans les autres pays arabes.
L'économie planifiée a déjà influencé durablement la forme
des délibérations à l'intérieur du parti. Auparavant, le Néo-Destour
encourageait ses cadres politiques à une participation intense. Les
conférences périodiques et les discussions à tous les niveaux sont
dans la tradition du parti, encore qu'après l'indépendance on ait
pris soin d'empêcher les membres à la base de considérer les leaders
comme directement responsables. C'était plutôt aux cadres poli-
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29. Les modalités des consultations ont été codifiées par le décret du
4 novembre 1963 et l'arrêté du 5 juin 1964, faisant de la délibération un
préalable à l'adoption du Plan de quatre ans.
30. Les procédures d'investiture du parti ont cependant été libéralisées de
façon sensible au cours des élections municipales de 1966. Alors qu'auparavant
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