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Éditorial

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Implantologie et bisphosphonates en 2012 :
30 janvier 2013

recommandations de bonnes pratiques



Implants and biphosphonates: 2012 guidelines for


practitioners



B. Ruhina,*,b



a
Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie (Pr Goudot), université Pierre-et-Marie-

Disponible en ligne sur Curie Paris 6, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13,
France

b
Laboratoire inserm UMRS 872 - institut biomédical des cordeliers : biologie orofaciale et

pathologie (Pr Ariane Berdal), université Paris-6, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris,
www.sciencedirect.com France

I
l y a près de dix ans, les premiers cas d’ostéochimioné- européenne du médicament en 2009, rapport du National
croses aux bisphosphonates étaient rapportés dans la Cancer Institute of Milan en 2009. . .
littérature. Depuis cette date, les constats se sont multi- Les populations ciblées par les BP sont des populations seniors
pliés, impliquant les régulateurs de la résorption osseuse espérant trouver en ce traitement un gain de confort, de
ostéoclastique de type bisphosphonates (BP) intraveineux qualité de vie et de longévité ; elles seront de plus en plus
(IV) mais aussi per os (BPO), toutes générations confondues, demandeuses de réhabilitations prothétiques dentaires sur
mais aussi les plus récentes molécules impliquant la voie implants endo-osseux, y trouvant un confort esthétique et
RANK-ligand de la résorption osseuse (dénosumab). fonctionnel intéressant au quotidien. Dès lors que le risque
S’il faut reconnaı̂tre que ces ostéochimionécroses (OCN) restent d’OCN des mâchoires, même faible, n’est pas nul et que le
rares, au vu du nombre de patients traités à l’échelle mondiale mystère persiste sur les mécanismes physiopathologiques
par BP, la morbidité induite et l’extrême difficulté à les traiter initiés par les BP et impliqués dans les OCN, il était préoccu-
ont motivé les communautés médicales concernées à se mobi- pant de constater l’embarras, le doute, les interrogations et la
liser autour de cette thématique et à rédiger des rapports et des réticence des praticiens de la cavité buccale – chirurgiens
recommandations de bonnes pratiques pour promouvoir une maxillofaciaux, stomatologues, dentistes et prothésistes – de
parfaite utilisation des BP et une prise en charge buccodentaire plus en plus assaillis de demandes de réhabilitation prothé-
rigoureuse en amont et en aval de cette prescription tiques et implantaires.
médicamenteuse : recommandations sur la prise en charge C’est pour tenter de répondre à ces interrogations et éclairer
de l’ostéoporose post ménopausique en 2012 par le Groupe de les praticiens dans leur démarche diagnostique et thérapeu-
recherche et d’information sur les ostéoporoses (GRIO), recom- tique quotidienne, que nous avons entrepris la rédaction des
mandations sur la prise en charge buccodentaire des patients premières recommandations de bonnes pratiques sur la thé-
traités par BP par l’Afssaps (devenue l’ANSM) en 2007 et par matique « Implants et Bisphosphonates ». Cette entreprise a
l’American Dental Association en 2011, recommandations de pu aboutir grâce au soutien scientifique et financier de notre
l’American Society for Bone and Mineral Research en 2007, Société française de stomatologie et chirurgie maxillofaciale
recommandations sur le diagnostic, la prévention et le traite- (SFSCMF/Président Dr Lotfi Benslama), la Fédération (Prési-
ment des ostéochimionécroses par la Canadian Association dent Pr Joël Ferri) et l’Association française pour le dévelop-
of Oral and Maxillofacial Surgeons en 2008 et par l’American pement de la stomatologie (AFDS/Président Pr Patrick
Association of Oral and Maxillofacial Surgeons en 2009, Goudot).
rapport sur les bisphosphonates et ostéonécroses par l’Agence Les recommandations ont été rédigées dans le respect de
règles méthodologiques définies par la Haute Autorité de
Santé (HAS, Dr Françoise Saint-Pierre).
* Auteur correspondant.
Elles ont pour objectifs d’apporter une aide à la décision au
e-mail : blandine.ruhin@psl.aphp.fr. praticien implantologue, confronté aux difficultés suscitées

2213-6533/$ - see front matter ß 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.revsto.2012.12.005 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2013;114:e1-e3
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B. Ruhin Rev Stomatol Chir Maxillofac 2013;114:e1-e3

par l’état de santé et le traitement par BP de son patient, de logues, urologues, rhumatologues. . . Le champ des recom-
préciser les facteurs de risque, les indications ou les contre- mandations concerne les éléments ci-dessous.
indications des implants dentaires et de définir des proposi-
tions de prise en charge appropriées afin d’améliorer la qualité
et la sécurité des soins des patients (soit traités par BP et
Évaluation des facteurs de risque
candidats à la pose d’implants dentaires, soit porteurs
Ils peuvent être déterminants (type de molécule, dose
d’implants dentaires et candidats à un traitement par BP).
et durée du traitement par BP), potentiellement
L’élaboration de ces recommandations s’est déroulée en plu-
aggravants (sexe féminin, âge supérieur à 65 ans, comorbidités
sieurs étapes :
de type diabète ou obésité, tabac, traitement médicamenteux
 cadrage du thème avec le groupe de pilotage ;
concomitant de type corticothérapie, chimiothérapie,
 revue systématique de la littérature et synthèse critique
immunosuppresseurs, localisation mandibulaire, secteurs
des données identifiées. La recherche documentaire (2000 à
postérieurs, particularités osseuses telles des exostoses, ou
avril 2012) a porté sur tous types d’études et a été limitée aux
des tori, l’existence d’une prothèse mal adaptée) ou
publications en langue anglaise et française. La stratégie de
aggravants (maladie parodontale, mauvaise hygiène
recherche dans les bases de données bibliographiques buccodentaire). Aucune méthode ne permet de prédire le risque
(Pubmed, Cochrane) a été construite en utilisant, soit des de survenue d’une ONM : dosage sérique du télopeptide C
termes issus de thésaurus (dental implants, biphosphonate, terminal CTX n’est ni validé ni recommandé.
osteonecrosis, jaw, risk factors), soit des termes libres (http:// Le risque reste faible mais possible dans les cas de pathologies
www.em-consulte.com/article/286780/lettre-a-lediteur-
bénignes traitées par BP depuis moins de deux ans. Les ONM
lettre- aux-auteurs-faut-il-allum). Les sites internet publiant
peuvent être spontanées et leur délai d’apparition variable, ce
des recommandations, des rapports d’évaluation et les sites
qui impose un suivi régulier. La collaboration entre prescrip-
Internet des sociétés savantes compétentes dans le domaine
teurs de BP et professionnels de la cavité orale est primordiale.
étudié, ont été consultés. Étant donné le manque d’études de
haut niveau de preuve, toutes les études concernant
l’association BP et implants ont été retenues : cas-témoins, Indications et restrictions d’indication
séries de cas, rétrospectives et prospectives ;
 rédaction d’une première version des recomman- Chez les patients traités par BP IV dans le cadre de pathologies
dations, concise et gradée selon les niveaux de preuve malignes, la pose d’implants n’est pas recommandée. Chez les
identifiés. En l’absence de littérature, les recommandations patients ostéoporotiques traités par BP oraux, la pose
ne sont pas gradées mais fondées sur un accord professionnel d’implants est possible sous réserve d’une évaluation rigou-
(AE = Accord d’Experts) ; reuse du risque. Elle note une absence de données sur le
 réunion d’un groupe de travail pluridisciplinaire (gériatrie, risque des techniques chirurgicales préimplantaires d’aug-
gynécologie, hématologie, odontologie, rhumatologie, sto- mentation osseuse (greffes osseuses d’apposition, sinus
matologie et chirurgie maxillofaciale) constitué de lift. . .) et d’augmentation des tissus mous. Cela doit inciter
18 professionnels : chaque membre évaluant alors le caractère le praticien à évaluer le rapport bénéfices–risques, et consi-
approprié ou non de chacune des propositions de recom- dérer les alternatives à la pose d’implant. Cependant, nous
mandations. Le document finalisé a été envoyé à tous les travaillons à la rédaction de recommandations sur « Chirurgie
experts pour approbation avant validation ; oromaxillofaciale et BP » qui seront rendues publiques en
 consultation publique par mise en ligne de l’argumentaire 2013.
et des recommandations sur le site Internet de la Société
française de stomatologie et chirurgie maxillofaciale (SFMCF) Conduite à tenir et les modalités de suivi
durant le mois de juin 2012 : ce qui offre à tous la possibilité
d’une relecture ; Dès lors que l’implant dentaire est en place et que le patient
 présentation finale des recommandations lors du Congrès va bénéficier d’un traitement par BP
annuel de la SFSCMF le 27 septembre 2012 et leur diffusion.
Le médecin prescripteur doit informé son patient des risques,
des bénéfices et de la nécessité de consulter un professionnel
de la cavité orale : bilan buccodentaire et soins appropriés
Ces recommandations s’adressent aux odontologistes, aux avant l’initiation du traitement par BP. Il informe le profes-
stomatologistes et chirurgiens maxillofaciaux ainsi qu’aux sionnel de la cavité orale du type de traitement prescrit, de sa
praticiens directement ou indirectement concernés par la durée potentielle, des facteurs de risque associés et de l’évo-
prescription de BP : gériatres, gynécologues, hématologues, lution prévisible de la pathologie du patient.
médecins généralistes, médecins internistes, oncologues, Le professionnel de la cavité orale informe son patient de la
pédiatres, chirurgiens orthopédistes, pharmaciens, pneumo- nécessité d’un suivi buccodentaire régulier (au minimum deux

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Implantologie et bisphosphonates en 2012 : recommandations de bonnes pratiques

fois par an) et de mesures rigoureuses d’hygiène afin de bouche à la chlorhexidine, la veille de l’intervention puis jusqu’à
détecter précocement et de traiter toute pathologie péri- cicatrisation complète.
implantaire. La dépose du ou des implants ostéointégrés
n’est pas justifiée. En cas de survenue d’une nécrose péri-implantaire sous
Le patient doit signaler toute inflammation, douleur, œdème bisphosphonates
de la muqueuse péri-implantaire.
Il faudra traiter la douleur, l’infection tissulaire, et minimiser
Le patient bénéficie d’un traitement pour pathologie la progression de la nécrose en optant pour des antalgiques,
osseuse bénigne et demande la mise en place d’un implant des antibiotiques et des bains de bouche antiseptiques, un
débridement superficiel, un suivi rapproché du patient et une
Il faut informer le patient des risques associés à la pose
concertation avec le médecin prescripteur pour discuter la
d’implants et des solutions alternatives, et le tracer claire-
poursuite ou l’arrêt des BP.
ment dans le dossier médical ou dentaire. Il n’est pas utile
En cas d’absence d’amélioration, le retrait de l’implant s’impo-
d’arrêter temporairement les bisphosphonates. La technique
sera, doublé d’une séquestrectomie, et d’un curetage sans
chirurgicale doit être orale la moins traumatisante possible et
exposer d’avantage l’os sain. En cas d’aggravation, des mesu-
être doublée d’une prescription d’antibiotiques (amoxicilline
res plus radicales s’imposent en milieu spécialisé chirurgical
2 g/j ou clindamycine 600 mg/j) et de bains de bouche à la
maxillofacial.
chlorhexidine la veille de l’intervention et jusqu’à la cicatrisa-
tion muqueuse complète (surveillance prolongée de la cica-
trisation osseuse). Conclusion
En cas de pose de plusieurs implants, le praticien débutera par
un secteur localisé (juger des réponses tissulaires avant une Nous invitons donc, dors et déjà, chaque lecteur, à prendre
pose plus large) et suivra régulièrement son patient avec connaissance de l’intégralité de ces recommandations en
« maintenance » (deux fois par an). allant sur le site de la SFSCMF http://www.sfscmf.fr/, et en
Le praticien devra adapter son attitude à toute modification cliquant sur le lien « Recommandations » puis « Implantologie
du traitement par BP et du risque associé. et bisphosphonates ».
Éclairé et conforté par l’existence de ces recommandations,
En cas de survenue d’une péri-implantite sous chaque praticien doit dorénavant adopter une attitude rai-
bisphosphonates sonnée et raisonnable avant et après la mise en place
Elle augmente le risque d’ostéonécrose et impose une prise en d’implants dentaires chez des patients ayant bénéficié, béné-
charge rapide, en privilégiant d’abord les mesures ficiant ou allant bénéficier d’un traitement par BP IV ou per
conservatrices : approche mécanique par désinfection de sur- os ; sans pour autant freiner à outrance les indications
face, curetage, antibiotiques et suivi régulier mensuel. Dans un implantaires par la seule crainte du risque d’ostéochimioné-
second temps, une chirurgie de révision est recommandée crose.
autour de l’implant, sans exposer l’os et en aménageant une Bonne lecture.
fermeture primaire sans tension des plaies. En dernier recours,
la dépose de l’implant peut être réalisée : exposition osseuse Déclaration d’intérêts
minimale, curetage doux, régularisation de la crête alvéolaire et
fermeture primaire sans tension, prescription d’antibiotiques L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation
(amoxicilline 2 g/j ou clindamycine 600 mg/j) et de bains de avec cet article.

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