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L’ostéoradionécrose des maxillaires est une complication bien connue des radiations ionisantes utilisées
dans le traitement des cancers de la région cervicofaciale. L’ostéoradionécrose en tant que complication
de la radiothérapie a été décrite la première fois par Regaud en 1922. En stomatologie,
l’ostéoradionécrose est principalement retrouvée au niveau mandibulaire, elle est exceptionnelle au
niveau maxillaire. La prise en charge de cette pathologie est une priorité dans la mesure où il s’agit de
patients guéris de leur pathologie carcinomateuse initiale. Il s’agit néanmoins d’une prise en charge très
difficile en raison des antécédents lourds de ces patients et de l’altération des capacités de cicatrisation
des tissus irradiés. De plus, l’atteinte qualitative et quantitative de la vascularisation cervicofaciale réduit
les possibilités de reconstruction microchirurgicale. La physiopathologie de l’ostéoradionécrose n’est pas
encore totalement élucidée. Les traitements conservateurs sont envisageables aux stades très précoces de
la pathologie, mais plus l’ostéoradionécrose est étendue et d’évolution ancienne et plus le traitement doit
être radical. Toute la difficulté est de savoir poser l’indication d’un traitement radical sans perdre de
nombreux mois ou années en traitements conservateurs. La reconstruction mandibulaire par lambeau
libre ostéocutané est actuellement le traitement de choix à proposer à ces patients. En matière
d’ostéoradionécrose, étant donné qu’il s’agit d’une complication gravissime d’un traitement
fondamental pour de nombreux cancers, le traitement le plus efficace est constitué par la prévention au
niveau odontostomatologique et de la radiothérapie. Dans le cadre des ostéoradionécroses dans le traité
de stomatologie, seule l’ostéoradionécrose des maxillaires chez l’adulte sera traitée dans ce chapitre.
L’ostéite mandibulaire fait l’objet d’un article séparé.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Stomatologie 1
22-062-D-20 ¶ Ostéoradionécroses des maxillaires (maxillaire et mandibulaire)
■ Définition de l’ostéoradionécrose
Depuis 1922, différents auteurs ont proposé plusieurs défini-
“ Point important
tions de l’ostéoradionécrose des maxillaires faisant entrer en
ligne de compte différents paramètres. Les auteurs s’accordent En pratique, il faut considérer que l’ostéoradionécrose des
sur l’irradiation préalable des tissus, mais des nuances sont maxillaires peut se déclarer durant toute la vie du patient
apportées concernant la taille de l’exposition osseuse, son qui a bénéficié d’une radiothérapie cervicofaciale.
évolution, l’atteinte muqueuse et la présence de signes radiolo-
giques de nécrose osseuse et surtout de leurs étendues. [1-6]
En fait, la plupart des définitions proposées amènent à une
classification adaptée. Donner une définition précise de l’ostéo- Lorsque de la radiothérapie exclusive est effectuée, le délai
radionécrose est assez difficile. Cette dernière évolue dans le d’apparition de l’ostéoradionécrose est significativement plus long
temps et au fur et à mesure des connaissances sur sa physiopa- que dans les cas d’association chirurgie et radiothérapie. [2, 24]
thologie. Store [7] apporte une définition radiologique de La dose totale délivrée influe sur l’extension de l’ostéoradioné-
l’ostéoradionécrose : « présence de signes radiologiques de nécrose crose, mais pas sur le délai d’apparition de cette dernière. [2, 8]
osseuse au sein d’un champ d’irradiation, une récidive tumorale D’après Marx, [24] il existe deux types principaux d’ostéora-
ayant été écartée ». dionécrose : le type précoce (1 à 2 ans) faisant suite au trauma-
tisme chirurgical, ou spontané en rapport avec une forte dose
En définitive, l’ostéoradionécrose est une nécrose osseuse
d’irradiation, et le type tardif (après 3 ans) consécutif à un
secondaire aux radiations ionisantes utilisées à des fins théra-
traumatisme endobuccal (avulsion, prothèse, biopsie, vestibulo-
peutiques. Il s’ensuit une altération des capacités de défense et
plastie) sur des tissus fragilisés par les radiations ionisantes et
de cicatrisation du tissu osseux mandibulaire ou maxillaire.
présentant une hypovascularisation importante. Au total, 65 %
L’expression clinique est variable en fonction des patients, mais
des cas d’ostéoradionécrose font suite à un traumatisme, et
la douleur est généralement présente, puis les expositions
seulement 35 % sont spontanés. [25] Pour chacune de ces deux
osseuses, fistules, orostomes et fractures pathologiques peuvent
catégories, il existe des formes précoces et tardives.
se voir au cours de l’évolution.
Les signes radiologiques n’apparaissent pas immédiatement.
En effet, il est nécessaire d’atteindre un taux de déminéralisa-
Localisation de l’ostéoradionécrose
tion significatif (à hauteur de 30 à 50 %) [7] afin de pouvoir En chirurgie maxillofaciale et stomatologie, l’ostéoradioné-
observer ces signes radiologiques. crose peut se rencontrer au niveau des maxillaires, avec une très
forte prédominance mandibulaire (20 à 30 fois plus fré-
quente). [2] Cette constatation est supportée par une architecture
■ Épidémiologie osseuse et une vascularisation totalement différentes (cf. infra
« Physiopathologie »).
Au niveau maxillaire, les conséquences fonctionnelles et
esthétiques sont souvent moins graves. L’ostéoradionécrose
Âge et sexe maxillaire est en général moins extensive et peut se traduire par
L’âge de survenue de l’ostéoradionécrose se situe aux alen- une communication bucconasale ou buccosinusienne.
tours de 55 ans et correspond exactement à l’âge de survenue Au niveau de la mandibule, l’ostéoradionécrose se développe
des cancers des voies aériennes digestives supérieures (VADS). La préférentiellement au niveau de la région angulaire et de la
prédominance masculine est nette, avec cependant une ten- branche horizontale. Cette zone est fragile en raison de sa
dance à l’augmentation de la part féminine (moins de 10 % en vascularisation centromédullaire prépondérante. [26]
1970, 13 % en 1985). Cette évolution suit l’intoxication
alcoolotabagique. Facteurs déclenchants de l’ostéoradionécrose
Ostéoradionécroses d’origine mécanique
Incidence de l’ostéoradionécrose ou secondaire
L’apparition de l’ostéoradionécrose fait en général suite à
L’incidence réelle de l’ostéoradionécrose maxillomandibulaire l’odontoradionécrose ou à un traumatisme avec effraction
est difficile à déterminer étant donné que les nombreuses études muqueuse et exposition osseuse, y compris d’origine chirurgi-
réalisées mentionnent des chiffres variant de 0 à 43 % des cale. [23, 27-31] Sur terrain irradié, ces traumatismes ou micro-
patients ayant bénéficié d’une radiothérapie. [8-11] Par ailleurs, la traumatismes mécaniques ou infectieux sont reconnus par tous
définition de l’ostéoradionécrose n’est pas univoque, si bien que les auteurs :
certaines équipes considèrent une exposition osseuse comme • microtraumatismes par prothèse dentaire, brossage, alimen-
une ostéoradionécrose avérée. Une exposition osseuse post- tation ;
radique n’étant pas forcément pour d’autres une ostéo- • odontoradionécrose et mauvais état buccodentaire ;
radionécrose. [2] • avulsions et soins dentaires ;
Quoi qu’il en soit, l’incidence de l’ostéoradionécrose décroît • traumatisme chirurgical (biopsie, vestibuloplastie, implanto-
significativement depuis les années 1960 et 1970. [9, 12, 13] Alors logie, régularisation de crête, etc.).
que l’incidence pouvait atteindre jusqu’à 30 % dans les séries
historiques, [14-18] l’incidence rapportée dans les séries de Ostéoradionécroses d’origine spontanée
patients traités plus récemment avec des photons de haute
Selon Marx, 35 à 39 % des ostéoradionécroses ne seraient pas
énergie est de l’ordre de 1 à 5 %. [19-22] Coffin [19] et Horiot [21]
secondaires à un traumatisme, mais seraient spontanées, en
rapportent une incidence de 1 % chez respectivement plus de
rapport avec un défaut des capacités métaboliques de l’os
2 800 et 900 patients. L’incidence est de l’ordre de 3 % pour
irradié. [24, 28, 32] Ce concept est depuis accepté et repris par
Pernot [22] et Epstein. [20] L’incidence actuelle est inférieure
d’autres auteurs qui trouvent en général des proportions
à 5 %.
sensiblement inférieures. [29]
2 Stomatologie
Ostéoradionécroses des maxillaires (maxillaire et mandibulaire) ¶ 22-062-D-20
langue, plancher buccal, mur alvéolaire, amygdale, voile du L’hypofractionnement (utilisation de dose par séance supé-
palais, palais dur, larynx, lèvres et glandes salivaires. Ce rieure à 2 Gy) augmente significativement le risque d’ostéora-
classement s’explique par la proximité immédiate du tissu dionécrose. [45, 46] Chez les patients traités selon un schéma
osseux mandibulaire dans le champ d’irradiation des lésions hyperfractionné (plus d’une séance quotidienne) un intervalle
primitives. [35] Le stade tumoral est également un facteur de d’au moins 6 heures doit être respecté entre les séances afin de
risque chez les patients traités par curiethérapie. [36-38] permettre les réparations cellulaires des tissus sains ; un
intervalle inférieur à 6 heures est un facteur de risque
Geste chirurgical sur la mandibule d’ostéoradionécrose. [47-49]
La curiethérapie consiste en l’implantation de sources radio-
Lorsque la tumeur est adjacente ou envahit la mandibule, actives au sein de la tumeur. Ses principales indications concer-
d’une part, le volume irradié comprend le volume osseux nent les petites tumeurs (T1 et T2) de la cavité buccale et de
mandibulaire, et d’autre part, le traumatisme chirurgical visant l’oropharynx. La localisation et le stade tumoral ont une
à traiter la tumeur primitive induit un dépériostage et une influence sur le risque d’ostéoradionécrose, [22, 37, 38, 50] ainsi que
altération de la vascularisation de la mandibule et des tissus le débit de dose. [22, 36-38] Le port d’une gouttière plombée
mous adjacents. [2] interposée entre les sources radioactives et la mandibule diminue
significativement le risque d’ostéoradionécrose. [22, 36, 38, 51]
Doses élevées de radiations ionisantes
Le volume irradié et la dose reçue par la mandibule sont des
facteurs de risque.34,39,40. En deçà de 60 à 65 Gy, le risque est ■ Physiopathologie
très faible. Au-delà de 70 Gy, le risque augmente proportionnel- de l’ostéoradionécrose
lement à la dose délivrée. [23, 25, 27, 28, 30, 31, 41] Pour Beumer, [39]
le risque augmente significativement avec le volume recevant
une dose supérieure à 65 Gy. Emami a estimé le risque d’ostéo- Évolution des concepts
radionécrose à 5 % à 5 ans pour un volume d’un tiers de la Depuis leur description par Regaud en 1922, [1] les mécanis-
mandibule recevant 65 Gy, ou un volume supérieur recevant mes de la physiopathologie de l’ostéoradionécrose ont été
60 Gy. [40] Dans le cas d’une association radiothérapie externe/ étudiés, en s’aidant de l’évolution clinique.
curiethérapie, une dose totale supérieure à 80-90 Gy est un Les théories des 3 H et des 2 I s’opposent sur l’infection, mais
facteur de risque d’ostéoradionécrose. [22, 36] s’accordent sur l’ischémie ou l’hypovascularisation.
Stomatologie 3
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4 Stomatologie
Ostéoradionécroses des maxillaires (maxillaire et mandibulaire) ¶ 22-062-D-20
“ Point important
Le déclenchement d’une ostéoradionécrose peut donc se
comparer à une épée de Damoclès pour les patients ayant Figure 3. À gauche orostome, à droite, fracture pathologique, exposi-
bénéficié d’une radiothérapie cervicofaciale. Sachant que tion osseuse cutanée et section labiale inférieure.
le volume tissulaire au sein du champ d’irradiation est
hétérogène, l’irradiation et ses conséquences tissulaires
peuvent logiquement se considérer comme hétérogènes. La douleur se trouve souvent être la cause de la dénutrition
des patients qui finissent par refuser de s’alimenter. De plus,
Si on rajoute la sensibilité individuelle et les effets encore
étant donné qu’il s’agit de patients ayant bénéficié d’une
insuffisamment connus de la radiothérapie sur la radiothérapie cervicofaciale, ils peuvent présenter également les
régulation cellulaire, on peut comprendre, sans pour effets secondaires aigus de la radiothérapie (radiomucite,
autant l’expliquer, la singularité du déclenchement et de radiodermite), ainsi que les autres complications de la radiothé-
l’évolution d’une ostéoradionécrose chez les différents rapie : limitation de l’ouverture buccale, asialie, troubles de la
patients. [2] gustation, halitose. La douleur s’exacerbe avec les complications
de type orostome, fracture pathologique et exposition cutanée
qui viennent parfaire la description clinique et peuvent
conduire jusqu’au décès par dénutrition.
■ Description clinique
Modes de découverte
Les modes de découverte de l’ostéoradionécrose sont multi-
Description classique ples et pas forcément cliniques.
La douleur est un des premiers signes cliniques retrouvés et La douleur est souvent présente en premier, avec ensuite
celui qui demeure le plus invalidant durant toute la maladie. [64] l’exposition osseuse qui augmente la douleur.
Faisant suite à la douleur, on note l’apparition d’une exposition L’ostéoradionécrose peut également se découvrir fortuitement
osseuse endobuccale (Fig. 2) avec signes radiologiques. Si la sur un panoramique de contrôle ou de suivi qui montre des
maladie continue d’évoluer, l’ensemble de ces signes s’intensifie signes en faveur d’une ostéoradionécrose.
et s’étend. Ensuite, il est possible de voir des fistules, orostomes, L’exposition osseuse dans un champ de radiothérapie sans
expositions cutanées, section labiale et fracture pathologique douleur peut également être présente en premier et permettre le
avec exposition muqueuse ou cutanée (Fig. 3). diagnostic.
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6 Stomatologie
Ostéoradionécroses des maxillaires (maxillaire et mandibulaire) ¶ 22-062-D-20
■ Examens complémentaires
Radiologiques
Le panoramique dentaire est l’examen radiologique conven-
tionnel de référence permettant de visualiser l’ensemble de la
mandibule et les organes dentaires. Le panoramique est en
général prescrit pour vérifier l’état dentaire, rechercher des
causes de douleurs des maxillaires. De nombreuses ostéoradio-
nécroses sont souvent dépistées à un stade précoce parfois
paucisymptomatique, sans exposition osseuse mais avec une
douleur insidieuse et une image de déminéralisation localisée.
De plus, la résolution du panoramique dentaire est optimale
dans la région de la branche horizontale qui est le siège le plus
fréquent des ostéoradionécroses. La région symphysaire est mal
visualisée en raison des superpositions rachidiennes. Figure 6. Scanner mandibulaire horizontal, foyer d’ostéoradionécrose
Les signes radiologiques sont au départ une densification de avec séquestre cortical interne au niveau de la branche horizontale gau-
la trame osseuse puis une ostéolyse mal limitée. Il est possible che.
de voir des séquestres osseux ou des fractures pathologiques
(Fig. 4,5).
radionécrose. L’IRM n’apporte pas de renseignements supplé-
Scanner mentaires par rapport au scanner. [7, 35] De plus, les délais
d’obtention et les coûts étant supérieurs à ceux du scanner,
Il s’agit de l’examen de référence dans la prise en charge pré-
l’IRM n’est pas prescrite dans le bilan de l’ostéoradionécrose en
et postopératoire d’un patient atteint d’ostéoradionécrose. [65]
pratique courante.
De nombreux signes sont repérables avec notamment les limites
d’atteinte corticale et spongieuse, les fractures, les fistules et
orostomes, les atteintes des tissus mous. Le scanner mandibu-
laire apporte une précision beaucoup plus fine que le panora- Scintigraphie
mique dentaire (Fig. 6). Pour les stades précoces d’ostéo-
La scintigraphie osseuse au gallium 67 et téchnétium 99 per-
radionécrose, et notamment dans les cas de séquestres linguaux,
met une hyperfixation très sensible puisqu’elle identifie 100 %
la prescription d’un dentascanner peut constituer une alterna-
des ostéoradionécroses. Malheureusement, sa spécificité est très
tive intéressante afin de juger des limites d’exérèse interruptrice
faible et ne permet pas de faire la distinction entre une ostéite,
ou non.
une ostéoradionécrose ou une récidive tumorale. [37] Cet
examen n’est pas utilisé en pratique courante pour le diagnostic
Imagerie par résonance magnétique de l’ostéoradionécrose.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) ne permet pas de
visualiser l’os cortical aussi finement que le scanner. En
revanche, la médullaire est relativement bien visualisée et Histologie de l’ostéoradionécrose
surtout les tissus mous. L’IRM ne s’impose pas comme un
examen de référence dans le diagnostic et le suivi de l’ostéo- On observe une activité ostéoclastique avec élargissement des
canaux haversiens dans la corticale. L’os compact s’amincit. La
graisse des espaces médullaires est le siège d’une fine fibrose. Les
vaisseaux présentent des parois hyalinisées. Des dépôts irrégu-
liers d’os tissé dense forment des appositions contre l’os
compact. Il est également possible de retrouver un cal osseux en
cas de fracture pathologique, ainsi qu’un aspect d’ostéomyélite
en cas de surinfection bactérienne. L’ensemble de ces lésions
permet de confirmer que le diagnostic est compatible avec une
ostéoradionécrose.
La pièce d’exérèse est donc examinée après décalcification.
C’est pourquoi, en cas de marquage à la tétracycline préopéra-
toire, il est primordial de réaliser la révélation avant décalcifi-
cation. Cette possibilité du marquage à la tétracycline avait été
proposée par Marx. [25] Une récente publication illustre un cas
de marquage mandibulaire à la tétracycline afin de repérer en
Figure 4. Fracture pathologique bifocale de la branche horizontale peropératoire ainsi que lors de l’analyse histopathologique que
droite avec séquestration. l’os ayant fixé la tétracycline est donc viable. La révélation se
fait grâce à la lumière de Wood avec une longueur d’onde de
365 nm dans le spectre des ultraviolets. [66]
“ Point important
Le plus important est de rechercher l’absence de récidive
carcinomateuse. L’analyse histopathologique est
indispensable à la recherche d’une néoplasie. En effet, il
peut s’agir d’une ostéoradionécrose compliquée d’un ou
plusieurs foyers de carcinome épidermoïde.
Figure 5. Foyer d’ostéoradionécrose sur la branche horizontale gauche.
Stomatologie 7
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■ Diagnostic différentiel Les avulsions dentaires doivent être réalisées 21 jours avant le
début de la radiothérapie pour s’assurer de la parfaite cicatrisa-
de l’ostéoradionécrose tion. [25, 27, 28, 30, 42, 53, 70] Au fur et à mesure que ce laps de
temps diminue, le risque augmente graduellement. [24, 29]
Récidive carcinomateuse Durant la radiothérapie et les 6 mois après sa fin, les avul-
sions dentaires sont vivement déconseillées. [2]
Étant donné le terrain alcoolotabagique et radique, la recher- En somme, avant irradiation, il est préférable de retirer toutes
che négative d’une récidive carcinomateuse est incontournable. les dents qui ne seront pas conservables durant le restant de la
L’ostéoradionécrose expose les tissus avoisinants à une inflam- vie du patient. En effet, les avulsions dentaires après irradiation
mation chronique évoluant par poussées avec surinfections et sont pourvoyeuses d’un plus grand taux d’ostéoradioné-
apparition de séquestres osseux. Les foyers d’ostéoradionécrose croses. [25, 27, 28, 30, 34, 43, 53, 70]
sont des irritants chroniques sur un terrain prédisposé.
Suivi dentaire après irradiation
■ Complications
de l’ostéoradionécrose
Surinfection bactérienne “ Point important
dont Actinomyces [67, 68] Le port des gouttières fluorées durant le restant de la vie du
L’os nécrosé exposé dans la cavité buccale présente toujours patient est une condition inflexible de prévention et de
une infection. La surinfection par Actinomyces est possible. conservation des organes dentaires. [25, 27, 28, 30, 34, 43, 69, 70]
Aggravation
L’évolution spontanée se fait le plus souvent vers la fracture,
l’orostome, l’exposition cutanée. Cette évolution péjorative doit Le port des gouttières fluorées est reconnu par tous les
être évitée en prenant la décision d’un traitement radical. auteurs. Le port commence dès la fin de la radiothérapie et des
phénomènes de mucite radique, pour une durée de 5 minutes
par jour. Du gel fluoré est disposé dans les gouttières thermo-
■ Prise en charge formées et appliqué directement sur l’ensemble de la denture.
Les avulsions dentaires ou intervention sur la mandibule
de l’ostéoradionécrose irradiée doivent être réalisées sous antibioprophylaxie. La suture
doit se faire sans tension et être parfaitement étanche. Les
Le traitement préventif de l’ostéoradionécrose est impératif. fraisages ou sciages doivent s’effectuer avec irrigation abondante
Chaque patient devant bénéficier ou ayant bénéficié d’une pour éviter l’échauffement du tissu osseux, à moins d’utiliser
radiothérapie cervicofaciale doit faire l’objet de bilan et suivi des instruments non rotatifs ou à faible vitesse (gouge, râpe, scie
rigoureux dans le cadre de l’ostéoradionécrose. à main). [11, 42] L’utilisation d’un pansement alvéolaire est
actuellement un moyen d’optimiser l’étanchéité de la
Traitement préventif odontologique fermeture. [69]
L’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare est conseillée à
Bilan dentaire avant irradiation titre préventif, mais elle n’est pas systématiquement utilisée
pour des raisons logistiques et financières. [3, 8, 71]
Le bilan dentaire est clinique et radiologique (panoramique L’oxygénothérapie hyperbare réalisée dans la période pério-
dentaire et rétroalvéolaire). pératoire aux avulsions dentaires permet de réduire significati-
La prévention dentaire est primordiale en matière d’ostéora- vement l’incidence d’ostéoradionécroses secondaires. [28, 30-32]
dionécrose, [11, 19, 42, 69] la majorité des ostéoradionécroses étant
déclenchées par traumatisme ou infection dentaire.
La motivation du patient vis-à-vis de l’hygiène buccodentaire Prévention au niveau de la radiothérapie
est déterminante. Il est possible de conserver toutes les dents
saines et ne présentant pas de foyer infectieux, ainsi que les Ce chapitre a été traité précédemment dans le paragraphe sur
dents cariées en superficie ou présentant des soins la radiothérapie (cf. supra « Facteurs déclenchants »).
endocanalaires.
Chez des patients ne désirant pas se plier à une hygiène Traitement médical
buccodentaire stricte (port de gouttières fluorées pour le restant
de leur vie, suivi par le biais de consultations régulières), il peut Antibiothérapie
être envisagé des avulsions préventives de dents cariées. [2, 25, 27,
28, 30, 53, 70] L’antibiothérapie systématique n’est pas indiquée, d’une part
La prophylaxie dentaire doit comprendre : en raison de l’absence d’infection en profondeur au niveau des
• le traitement des foyers infectieux latents ou patents (kystes, foyers d’ostéoradionécrose, et d’autre part en raison de la faible
granulomes, poches parodontales, dents mobiles, caries diffusion des antibiotiques dans les tissus ischémiés. En revanche,
pénétrantes) ; [11, 42] lors d’un geste chirurgical de quelque nature que ce soit sur une
• un détartrage complet avec soins des caries superficielles ; mandibule irradiée, l’antibiothérapie doit être instaurée. [35, 72]
• la prise d’empreintes dentaires pour réalisation de gouttière
de fluoration. Anti-inflammatoires
Durant la radiothérapie, les prothèses amovibles ne sont pas Les anti-inflammatoires peuvent être utilisés sous couvert
portées en raison de la mucite radique. Ces prothèses pourront d’antibiothérapie, lors des poussées inflammatoires. Il est
être réévaluées et adaptées après la fin des manifestations possible d’utiliser des anti-inflammatoires de type non stéroï-
muqueuses. dien ou stéroïdien.
Les dents strictement incluses ou présentant des traitements
endocanalaires bien conduits peuvent être conservées. Le
Bains de bouche antiseptiques
problème se pose pour les dents sous-muqueuses ou incluses au
contact du collet de la dent adjacente. [2, 27, 53] Il est conseillé En cas d’exposition osseuse endobuccale, les bains de bouche
de les retirer pour éviter une surinfection. antiseptiques sont utilisés.
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Stomatologie 11
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Curetage/HBO
Exérèse
suture directe
interruptrice
ou recouvrement
Lambeau serratocostal libre. Le lambeau serratocostal libre traitements conservateurs [4] et aboutir à une prise ne charge
constitue une éventualité intéressante. [35, 72, 90] Néanmoins, la chirurgicale trop tardive. Cette attitude doit renforcer la
qualité de l’apport osseux est inférieure aux greffons de type communication et l’interaction entre médecins, radiothérapeu-
fibula ou de crête iliaque en termes d’implantologie. tes et chirurgiens afin d’éviter de considérer le traitement
Lambeau brachial externe. Ce lambeau très fiable permet chirurgical comme un constat d’échec des traitements
d’apporter un fragment osseux de faible épaisseur, de hauteur conservateurs.
moyenne (un tiers de la circonférence humérale) mais est peu
propice à la mise en place d’implant. Une palette cutanée est
également disponible. Les complications à type de fracture
humérale sont également connues. Ce lambeau est à conseiller ■ Indications thérapeutiques
en seconde intention ou en apposition après curetage et
séquestrectomie et, dans tous les cas, pour une reconstruction Le schéma habituellement adopté est calqué sur la classifica-
de faible longueur. Si besoin, la palette cutanée est très fiable et tion de Marx et Myers [25] (cf. supra « Classification »).
autofermante. Les trois nuances apportées par ce travail seront tout d’abord
Lambeau de scapula et parascapulaire. Ces lambeaux sont l’intérêt d’une plus grande précocité des indications de résection
également possibles avec un apport osseux de faible épaisseur. chirurgicale avec reconstruction immédiate dans les cas d’ostéo-
Leur gros avantage est la possibilité de dissocier la palette. radionécrose évolutive ne répondant pas bien aux traitements
L’apport osseux est en général insuffisant pour proposer la mise conservateurs médicaux (Fig. 13).
en place ultérieure d’implants. [35, 72] L’autre différence est certainement l’inclusion des traitements
antifibrosant et antiostéoclastique (biphosphonates).
Place de l’oxygénothérapie hyperbare Enfin, l’oxygénothérapie hyperbare n’est pas probablement
employée aussi fréquemment qu’elle le devrait, cela pour des
en périopératoire
raisons financières et matérielles. [3, 8, 71] En pratique, l’oxygé-
D’après les travaux de Marx, [28, 30] l’oxygénothérapie hyper- nothérapie devrait être utilisée chez les patients présentant des
bare fait partie intégrante de la prise en charge périopératoire lésions bilatérales, rapidement et massivement évolutives ou
avec 20 à 30 séances préopératoires et dix séances postopératoi- unilatérales évoluées avec une atteinte importante des tissus
res. Cette thérapeutique est incluse dans le protocole de prise en mous, en association à la chirurgie.
charge selon les différents stades de la classification de Marx et L’accès à un centre d’oxygénothérapie hyperbare est indiscu-
Myers. [25] D’après ses auteurs, ce protocole permet une tablement un avantage en périopératoire pour le patient afin
meilleure cicatrisation et un plus grand taux de réussites des d’améliorer la cicatrisation des tissus irradiés. Le suivi du patient
reconstructions osseuses. Récemment, une étude, non exempte par des services de chirurgie maxillofaciale et stomatologique est
de critiques, remet en cause l’efficacité curative de l’oxygéno- incontournable afin de poser et de réaliser les indications
thérapie hyperbare. [100] chirurgicales radicales au cours de l’évolution.
Toute la difficulté est de savoir poser l’indication d’un Très souvent, la prise en charge du patient évolue vers les
traitement radical sans perdre de nombreux mois ou années en services chirurgicaux au fur et à mesure de l’échec des traite-
12 Stomatologie
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Implantologie
“ Point important Les prothèses implantostabilisées ou implantoportées sont
sans conteste les meilleures solutions prothétiques à proposer
La prise en charge de l’ostéoradionécrose doit être aux patients ayant présenté une ostéoradionécrose.
Dans le volume osseux guéri d’une ostéoradionécrose, la mise
multidisciplinaire. Les chirurgiens maxillofaciaux et
en place d’implant est à proscrire.
stomatologues se situent en première ligne pour la Dans un os non irradié, la mise en place d’implant est tout à
remise en état de la cavité buccale en vue d’une fait possible, qu’il soit natif ou transplanté.
radiothérapie. Les radiothérapeutes doivent utiliser Dans un os irradié sans ostéoradionécrose et avec une dose
toutes les techniques à leur disposition pour minimiser reçue connue et compatible avec la mise en place d’implants,
l’irradiation de la mandibule saine sans compromettre le l’implantologie est envisageable. Le problème est de déterminer
traitement carcinologique. Les données dosimétriques la dose acceptable, et la limite de 50 à 60 Gy est de plus en plus
permettent d’avoir une indication fiable entrant en ligne souvent atteinte. Un examen minutieux des courbes isodoses
de compte pour la résection chirurgicale et la pose permet de déterminer précisément les doses reçues par les
implantaire. segments mandibulaires candidats à la mise en place d’implants.
Les prothèses implantoportées ou implantostabilisées sont
Un suivi médical est également nécessaire afin de corriger
toujours bénéfiques pour le patient en termes de stabilité et de
les facteurs associés d’atteinte cardiovasculaire confort. Chez le patient irradié chez qui se rajoutent l’hypo- et
(athérosclérose, hypertension, diabète, dyslipidémies, l’asialie, l’implantologie apporte encore plus de confort. Par
maladie de Vaquez, vascularites, ...) et d’assurer la ailleurs, cela évite le traumatisme muqueux qui est un facteur
réalisation ou le maintien du sevrage alcoolotabagique. déclenchant d’ostéoradionécrose (Fig. 12).
En termes de succès implantaire à long terme, les différents
auteurs mettent en évidence une légère augmentation du taux
d’échecs en terrain irradié alors que d’autres ne voient pas de
modification. [10]
ments conservateurs, et les patients sont présentés au stade de L’oxygénothérapie hyperbare est toujours en cours d’évalua-
complications de l’ostéoradionécrose (orostome, exposition tion par rapport à l’implantologie. Néanmoins, étant donné que
cutanée ou fracture pathologique). Dans certains cas, il serait l’oxygénothérapie hyperbare a un effet reconnu en périopéra-
bénéfique pour le patient de pouvoir bénéficier d’une indication toire dans les cas d’avulsions dentaires, séquestrectomies,
chirurgicale radicale plus précocement sans attendre l’apparition résections et reconstructions, il est licite de penser qu’en matière
d’orostome et de fracture pathologique. Tous les schémas d’implantologie en terrain irradié, l’oxygénothérapie devrait
thérapeutiques incluent un traitement conservateur aux stades jouer le même rôle, mais il n’y a pas actuellement assez de recul
précoces de la maladie. Toute la difficulté réside dans l’indica- ni d’études pour le prouver. [41]
tion de l’arrêt des traitements conservateurs et le passage au
traitement radical. Des stades avancés sont indiscutablement
chirurgicaux : existence d’une fracture pathologique, d’un ■ Conclusion
orostome ou d’un pharyngostome. À notre sens, dès que toute
la hauteur mandibulaire est atteinte, une résection interruptrice L’ostéoradionécrose est une complication majeure de la
est indiquée. À des stades plus précoces encore, lorsque la radiothérapie. Cette dernière est cependant incontournable dans
hauteur mandibulaire basilaire saine restante est trop faible et le traitement des carcinomes des VADS. Quoi qu’il en soit, il ne
qu’il n’y a pas d’amélioration avec les traitements conservateurs, faut pas oublier que la pire des complications dans le traitement
il n’est pas nécessaire d’attendre la fracture pathologique pour des carcinomes des VADS reste la récidive ou la poursuite
poser l’indication d’une résection interruptrice. En effet, étant évolutive du néoplasme.
donné la possible limitation d’ouverture buccale par la fibrose La prise en charge de l’ostéoradionécrose est chirurgicale
et la rétraction musculocutanée postradique, les forces appli- avant tout. Le traitement chirurgical conservateur peut s’envi-
quées à la mandibule sont plus importantes, y compris sur une sager tant que la hauteur osseuse résiduelle est suffisamment
mandibule édentée. importante. En revanche, en cas d’atteinte de toute la hauteur
mandibulaire, quelle que soit la longueur intéressée, le traite-
Idéalement, la reconstruction est réalisée dans le même temps
ment doit faire appel à une résection interruptrice. [2] Le plus
par un lambeau osseux libre microvascularisé. Notre préférence
difficile est de poser l’indication de résection interruptrice avec
va pour le lambeau libre de fibula. Le choix est porté en
reconstruction sans attendre une complication du type fracture
fonction des possibilités chirurgicales et des habitudes des
pathologique, exposition cutanée ou orostome.
équipes.
L’oxygénothérapie hyperbare joue un rôle prépondérant dans
En résumé, la chirurgie reste actuellement le traitement
la stratégie thérapeutique en matière de prévention périopéra-
majeur curatif et l’oxygénothérapie un traitement adjuvant. [3]
toire et devrait toujours être envisagée étant donné que ses
indications sont reconnues.
Le premier traitement de l’ostéoradionécrose est constitué par
■ Réhabilitation prothétique la prévention à l’aide de la remise en état de la cavité buccale
et des modalités de radiothérapie. Les traitements médicaux et
La réhabilitation prothétique est à proposer aux patients qui l’oxygénothérapie ne sont que des traitements adjuvants ou
possédaient une réhabilitation prothétique auparavant ou qui réservés aux stades très précoces de la pathologie.
ont subi des extractions avant la radiothérapie. Seul le traitement chirurgical permet l’éradication de la
pathologie, sur terrain radique la reconstruction microanasto-
mosée demeure alors la thérapeutique de choix.
Prothèse adjointe
Durant la radiothérapie, les prothèses adjointes sont interdites >
Remerciements
en raison de la radiomucite. Ces dernières sont réévaluées et Professeur D. Mathieu, chef du service de médecine hyperbare, hôpital
éventuellement réajustées après la radiothérapie. Leur tolérance Calmette, CHRU de Lille.
et leur stabilité sont en général mauvaises en raison de la Docteur A. Wacrenier, service d’anatomie et cytologie pathologiques, CHRU
xérostomie et des éventuels gestes chirurgicaux mandibulaires. Lille.
Les prothèses adjointes ont un appui muqueux et peuvent être Professeur E. Lartigau, chef du département universitaire de radiothérapie,
la cause d’ulcérations muqueuses et du déclenchement d’une centre Oscar Lambret, université Lille II, 2, rue Frédéric-de-Combemale, 59020
ostéoradionécrose. Lille.
Stomatologie 13
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