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Jean-François Barbier-Bouvet
Décembre 2014 GERPSE
Sommaire
Introduction 4
Présentation de l’enquête
I. 2 Profil religieux 21
A . Positionnement religieux des chercheurs spirituels (approche
synchronique) 21
. l’appartenance ou la référence religieuse 21
. l’observance religieuse 28
B. « Généalogie religieuse » (approche diachronique) 30
2
- l’accompagnement par un maître spirituel 57
- la participation à un groupe suivi 58
. les approches « intellectuelles » 59
- la lecture des textes fondateurs 59
- la lecture de livres et articles 62
Conclusion 132
Annexes 139
- Méthodologie 140
- Liste des Centres 149
- Questionnaire 154
- Le GERPSE 167
3
En quelques décennies, le paysage religieux a considérablement changé en France.
Les processus de sécularisation et de pluralisation travaillent la société française et
toutes les traditions religieuses qui existent en son sein, celles qui sont là de longue
date, comme les nouvelles venues. Désormais, religions, religieux, spirituel, se
présentent de manière nouvelle, brouillant les repères traditionnels.
Des recherches sociologiques essaient périodiquement de rendre compte des
évolutions que l’on constate dans les manières de croire et le rapport de croyants à
leur tradition. Citons en particulier les travaux de Françoise Champion, Danielle
Hervieu-Léger, Yves Lambert, Jean-Marie Donegani1, et de manière plus générale
les recherches fédérées par le GSRL2. Prioritairement attentifs aux effets de la
modernité dans la sphère du religieux, ils insistent plus particulièrement sur les
contenus des croyances et des représentations, et sur leurs rapports avec les
croyances antérieures. Les concepts qu’ils proposent, comme l’individualisation du
croire, la désinstitutionalisation du sentiment religieux, le pragmatisme expérimental,
sont particulièrement éclairants, même si certains autres nous le verrons, comme le
relativisme ou le syncrétisme, méritent d’être reconsidérés, et si la terminologie de
« nébuleuse mystique-ésotérique » paraît aujourd’hui partiellement datée.
Mais il existe peu d’enquêtes empiriques, sur la base d’échantillons importants, qui
redonnent directement la parole aux intéressés eux-mêmes, dans les termes mêmes
dans lesquels ils se formulent ou se reformulent leurs pratiques.
L’ambition de notre enquête est de faire une plongée au cœur de la population des
« chercheurs spirituels ». Ce qui suppose au préalable de les définir, à la fois de
manière précise pour les constituer en objet d’enquête repérable, et imprécise pour
ne pas enfermer dans des catégories trop limitatives une démarche qui se
caractérise à la fois par son flou et par sa mobilité permanente.
Pour résoudre ce paradoxe, il nous a fallu procéder successivement par élimination
et par construction, et introduire du discontinu dans une réalité sociale continue.
1
Entre autres : F.Champion, « Religieux flottant, éclectisme et syncrétismes » dans Jean Delumeau,
Le Fait religieux, Paris, Fayard, 1993 ; D. Hervieu-Léger : La religion en mouvement : le pèlerin et le
converti, Paris, Flammarion, 1999 ; Y. Lambert : « Religion : développement du hors piste et de la
randonnée » in P.Bréchon : Les valeurs des français, évolutions de 1980 à 2000, Paris, Armand Colin,
2000 ; J.M Donegani : « Le religieux à la carte : une individualisation des pratiques et des croyances »
in Les religions dans la société, Les Cahiers Français 2007.
2
Groupe Sociétés, Religions et Laïcité du CNRS
4
L’expression même de « chercheurs spirituels » est à la fois très parlante et très
ambiguë : tout le monde, peu ou prou, cherche à donner un sens à sa vie, que ce
soit dans une perspective immanente ou dans une perspective transcendante. Cette
aspiration est même sans doute une des définitions possibles de la condition
humaine. Et le mot « sens » lui-même est particulièrement polysémique1, il peut
abriter des finalités de toute nature, spirituelle, matérielle, psychologique, etc. Pour
paraphraser Pascal, on pourrait dire que « son centre est partout et sa circonférence
nulle part ».
Mais tout le monde ne qualifie pas pour autant sa recherche de sens comme
spirituelle. Les sondages nationaux sont des outils qui relèvent trop de l’esprit de
géométrie pour évaluer réellement une dimension qui ressortit plus de l’esprit de
finesse, ou demeure en tout cas difficile à formuler directement. Reste que certaines
enquêtes s’y risquent, et que leurs résultats convergent, alors que leurs formulations
sont différentes : selon ce premier cadrage, environ un tiers de la population dit
s’intéresser ou accorder de la place au « spirituel »2.
Pour autant , au sein de cette population chacun n’entreprend pas des démarches
pour progresser sur son chemin d’intériorité. Et ces démarches, quand elles existent,
ne s’inscrivent pas toutes dans un cadre structuré ou ne relèvent pas toutes d’une
approche systématique.
Louis Hourmant3 distingue trois sphères de la quête existentielle : le premier sous-
ensemble correspond à des évolutions qui se font jour au sein des groupes religieux
institués, généralement au sein de la matrice chrétienne, comme par exemple les
évangéliques ou le mouvement charismatique ; le second est nettement moins
structuré sur le plan institutionnel et emprunte à la fois à la tradition chrétienne, à
d’autres traditions religieuses et aux démarches psychologiques de transformation
de soi ; le troisième correspond à des démarches qui sont plus de l’ordre de la
1
On compte 77 synonymes du mot « sens ». Et seulement 7 antonymes… (recension établie par le
CRISCO de l’Université de Caen - Centre de Recherche Interlangues sur la Signification en Contexte,
qui compile tous les dictionnaires existants).
2
Enquête Valeurs européennes ARVAL 2008 : « Que vous vous considériez ou non comme
quelqu'un de religieux, diriez-vous que vous êtes ou non sensible à la spiritualité, autrement dit quel
est votre degré d'intérêt pour le sacré et le surnaturel ? » : très + assez intéressé : 38%.
Enquête OpinionWay / Clés 2014 : « Pensez-vous que la dimension spirituelle ou religieuse est
importante pour réussir sa vie personnelle ? » : très + plutôt importante : 36 %.
3
L. Hourmant : « Nouvelles religiosités et nouvelles recherches de sens » in Les religions dans la
société, Les Cahiers Français 2007.
5
recherche du mieux-être, de la « sagesse », de la philosophie pratique ou de la « vie
bonne » que de la recherche spirituelle.
Les frontières ne sont évidemment pas toujours aussi claires, ni les démarches
exclusives. Mais nous avons clairement centré notre recherche sur le deuxième
groupe.
Pour construire une approche sociologique du phénomène de la quête spirituelle, il
nous a fallu d’abord en constituer l’objet de manière opératoire, c’est-à-dire en définir
à la fois les conditions épistémologiques et les modalités pratiques :
Par principe nous nous sommes placé délibérément du coté des personnes, c’est à
dire de l’analyse des comportements et des représentations, et non du coté des
contenus, c’est à dire de l’analyse des corpus de doctrine de référence.
Quelles personnes ? La première question qui se pose est celle de leur repérage.
Nous avons fait le choix de consacrer cette enquête à celles qui accordent une place
suffisamment importante à cette recherche de sens et d’épanouissement personnel
pour y consacrer du temps, dans un espace affecté. Il s’agit de gens, de plus en plus
nombreux, qui ont suivi à un moment donné des stages, des sessions, des
formations de développement spirituel et personnel1. Même si leur recherche bien
sûr ne se limite pas à cela. Un espace, car ces activités se font dans des lieux
dédiés ; un temps car elles supposent d’arrêter pendant un moment (un week-end,
une semaine, parfois plus) la course ordinaire des jours. Ce double retrait provisoire
du monde, pour s’occuper de soi et aussi pour rencontrer d’autres qui partagent la
même démarche, est donc la première condition de la construction de notre
échantillon.
Seconde condition : l’enquête porte sur les « chercheurs spirituels » qui n’inscrivent
pas nécessairement leur démarche dans le cadre des religions instituées, soit qu’ils
ne s’y limitent pas, soit qu’ils en fassent délibérément l’économie. Nous n’avons donc
pas retenu les personnes qui ne suivaient que des stages ou sessions de type
chrétien ou confessionnel, à l’exclusion de tout autre. Par contre nous avons bien
entendu retenu celles qui ont suivi à la fois des sessions de type chrétien et des
sessions d’une autre nature, qu’il s’agisse de traditions spirituelles étrangères à leur
1
Pratiques corporelles et énergétiques, méditation, pratiques artistiques, développement personnel,
psychothérapie, médecines alternatives, ésotérisme et arts divinatoires, chamanisme, spiritualité
chrétienne, bouddhiste, hindoue, musulmane ou soufie, juive, taoïste, etc.
6
culture d’origine, de développement personnel, d’exercices corporels, etc. (ce qui
correspond au deuxième type de L. Hourmant).
Troisième condition : les gens peuvent investir ce type d’activités sans l’inscrire pour
autant dans une démarche spirituelle, ou sans qu’elle débouche sur des retombées
spirituelles. S’il n’y a pas d’ambiguïté pour les sessions explicitement consacrées à
différentes formes de spiritualité (bouddhiste, soufie, juive, chrétienne, etc.) il est
possible en revanche de suivre des sessions de développement personnel, de
méditation, de pratiques énergétiques, etc. dans une simple perspective de bien-être
personnel, ou par curiosité. Mais comment établir la frontière ? A partir de quelle
définition « objective », si tant est qu’il soit possible d’en proposer une qui aurait une
portée générale ? Nous avons fait le choix de nous fonder sur l’auto-définition des
personnes : a été retenue dans le champ de l’enquête toute personne qui qualifiait
elle-même sa démarche de spirituelle. Cette approche tautologique assumée,
comme principe de recrutement, est évidemment un point de départ ouvert et non un
point d’arrivée de la recherche : nous verrons tout au long de l’enquête s’élaborer
des contenus et se dégager des lignes de force, qui ne passent d’ailleurs pas
toujours là où on les attendait.
1
Cette méthodologie est présentée de manière détaillée en annexe.
2
Compte tenu de l’objet de cette enquête, consacrée à l‘émergence de nouvelles formes de
spiritualité, nous n’avons pas retenu par exemple les centres d’origine ou d’obédience chrétiennes -
monastères, centres de ressourcement spirituel, etc. - qui ne proposaient que des offres de contenu
chrétien. Mais nous avons conservé les lieux chrétiens qui ont fait le choix de l’ouverture et proposent
aussi des sessions de type spirituel plus large. On rencontre bien sûr dans l’enquête de nombreux
chrétiens qui suivent des sessions orientées sur des contenus ou des pratiques issues d’autres
traditions spirituelles.
7
personnes qui y avaient suivi un stage, une session ou une formation depuis moins
de 5 ans. Au total plus de 20 centres ont accepté de participer à l’enquête, 50.000
personnes ont été sollicitées, près de 8.000 ont répondu, dont 6.000 ont qualifié leur
démarche de « spirituelle ». Ce qui représente un échantillon considérable.
La fréquentation de centres divers pour des stages, des sessions ou des formations
de type spirituel, ou procurant un bénéfice qualifié par les intéressés eux-mêmes de
spirituel (même si ce n’en était pas l’objet explicite), est la condition de réalisation de
notre recherche. Mais elle n’en constitue pas la problématique centrale. D’ailleurs la
1
Pour reprendre une expression citée de nombreuses fois dans la Bible (dans les Psaumes et dans le
livre de Jérémie).
2
La formule est d’Yves Lambert, La religion en France des années 60 à nos jours, in Données
Sociales 2002
3
Jean Paulhan. Entretien sur des faits divers. Gallimard, 1945
8
majorité des questions de l’enquête porte sur les attitudes et les comportements qui
s’expriment en dehors de ces lieux. En d’autres termes, les stages ou sessions ne
sont pas l’objet de l’étude. Ils sont le moyen de l’étude, grâce auquel nous avons pu
définir et recruter un échantillon raisonné de chercheurs spirituels. C’est, pour le dire
de manière imagée, un fil que nous avons tiré, dans des conditions scientifiquement
contrôlées, qui nous fait accéder à toute la pelote des attitudes et des
représentations spirituelles. Il ne s’agit donc pas de prendre la partie pour le tout. En
particulier, nous n’avons pas interrogé les gens, plus nombreux encore, qui
progressent sur leur chemin intérieur de manière exclusivement individuelle, en se
nourrissant de rencontres, de lectures, d’exercices hors de toute fréquentation de
groupes ou de structures. Mais nous pensons que la partie éclaire le tout, et que
beaucoup des informations que nous avons recueillies, et des hypothèses que nous
avons pu formuler à cette occasion, informent plus largement sur les démarches des
personnes pour qui la recherche spirituelle représente un investissement, s’inscrit
dans une progression, et n’emprunte pas nécessairement les chemins balisés par les
grandes religions et leurs institutions.
9
.I.
10
Qui sont ces personnes qui entreprennent des démarches pour progresser sur leur
chemin d’intériorité ?
Elles peuvent être décrites selon les critères socio-démographiques classiques, mais
aussi selon des critères qui permettent de retracer leur origine et leur parcours
religieux ou spirituel.
. I . PROFIL SOCIO-DÉMOGRAPHIQUE
La présence des hommes peut certes varier selon les activités, entre 20 % (pratiques
artistiques, pratiques corporelles et énergétiques) et 30 % (spiritualité taoïste,
spiritualité soufie) 1 mais elle reste toujours minoritaire.
La sur-représentation des femmes n’est pas propre à ces lieux. On la retrouve à
l’œuvre dans deux univers à l’intersection desquels nous nous situons : le travail sur
soi et le monde religieux. De manière générale les pratiquants des disciplines
1
Nous reviendrons plus loin sur les différentes activités et les caractéristiques propres de leurs
publics.
11
corporelles (yoga, gymnastique douce, assise, etc.) et ceux qui suivent des parcours
d’auto-investigation psychologique sont plus souvent des femmes. Et toutes les
enquêtes de sociologie religieuse font apparaître un décalage de même nature dans
la sphère religieuse – en France essentiellement chrétienne – tant au niveau de la
pratique rituelle (autour de 60 % de femmes et 40 % d’hommes) que des
engagements pastoraux ou militants (autour de 70 % / 30%)1. Il est probable que les
tendances de ces deux espaces sociaux, la sphère du travail sur soi et la sphère du
religieux, se cumulent et se renforcent ici.
L’âge moyen des chercheurs spirituels, du moins de ceux qui ont accompagné leur
démarche spirituelle par une participation à des stages ou des sessions de
développement personnel et spirituel, est relativement élevé : 55 ans.
C’est à la fois, pour employer un vocabulaire statistique, une moyenne et un mode.
En d’autres termes, c’est aussi le point de concentration maximum des participants.
1
Source : IFOP, le catholicisme en France. Analyse cumulée de 150 sondages 2005 / 2010
12
La courbe affecte une forme en cloche caractéristique des activités de type
affinitaire, dans lesquelles on se reconnaît plus particulièrement à un certain âge.
Très loin de la forme de la pyramide des âges nationale.
Au total, les jeunes générations, comme les plus âgées, sont assez peu présentes :
une personne sur 10 seulement (11 %) a moins de 40 ans, et une personne sur 10
(9%) a plus de 70 ans. Le pic de la distribution de notre population se situe entre 50
et 65 ans (près de la moitié de l’ensemble).
Pour expliquer cette courbe, il faut recourir à deux types d’interprétations qui ne se
confondent pas : l’effet d’âge et l’effet de génération.
- S’agit-il essentiellement d’un effet d’âge ? La démarche spirituelle ou de
recherche d’intériorité interviendrait préférentiellement à un certain moment
du cycle de la vie personnelle. Pour des raisons à la fois intimes et
matérielles: on parle souvent de crise de milieu de vie, d’âge des bilans, voire
d’un questionnement sur les finalités quand on réalise qu’on est plus près de
sa fin que de ses débuts. Joue aussi, plus prosaïquement, un effet de
disponibilité : après avoir passé ses premières décennies adulte à investir sur
le professionnel et sur le familial (enfants, etc.1) et à gérer les contraintes -
1
D’ailleurs seules 28,5 % des personnes interrogées ont encore des enfants à la maison
13
particulièrement en temps - qu’ils impliquent, on peut réinvestir sur la sphère
personnelle.
- Ou s’agit-il d’un effet de génération1 ? Ce qui unit les membres d’une
génération, c’est d’avoir vécu la même Histoire au même moment de son
existence. Chaque génération est affectée par ses expériences initiatrices
vécues au temps de sa jeunesse (les « marqueurs générationnels »). C’est
pourquoi on peut qualifier une génération par les faits significativement
importants de la période de ses 20 ans. Pour prendre celles qui sont les
mieux représentées dans la population des chercheurs spirituels, les 50-60
ans (qui ont eu 20 ans entre 1975 et 1985) peuvent être désignés comme la
« génération de la crise », et les 60-70 ans (qui ont eu 20 ans entre 1965 et
1975) comme « génération 68 ou sixties »2. Ils ont été contemporains, à l’âge
de leur formation, de l’accélération du déclin des religions sous leur forme
institutionnalisée au profit des nouvelles formes de spiritualité ainsi que du
développement de la valorisation de soi dans tous les domaines, effet de la
« psychologisation » de la société.
Nous faisons l’hypothèse que la concentration de la courbe d’âge des chercheurs
spirituels est particulièrement forte justement parce qu’il y a une convergence de ces
deux types de phénomènes, effet d’âge et effet de génération, qui se rencontrent et
se renforcent mutuellement dans la même direction.
1
Cette approche a été développée par Bernard Préel : Le choc des générations (Paris, La
Découverte, 2000) et Les générations mutantes (Paris, La Découverte, 2005).
2
Pour mémoire, dans la même analyse, les 30-40 ans sont qualifiés de « génération internet », les
40-50 ans de « génération Sida », et à l’autre extrémité de l’échelle des âges les 70-80 ans de
« génération Algérie ».
14
Population nationale
Population de l’enquête
15
Comme celle des diplômes, elle est très nettement décalée vers le haut : si on
considère globalement le milieu social (en regroupant les professions par grandes
catégories de statut, et en réintégrant les retraités à leur catégorie sociale d’origine,
dont ils ont conservé l’habitus à défaut d’en avoir conservé les revenus), les écarts
avec la population française sont très significatifs :
Population Population
de l’enquête française1
Agriculteurs, artisans, commerçants, petits 5,3 % 9,5 %
chefs d’entreprise
Les membres des classes supérieures sont proportionnellement deux fois plus
nombreux que la moyenne (29,4 % contre 14,0 %) et ceux des classes moyennes le
sont près de deux fois et demi plus (47,3 % contre 20,3 %), tandis que les membres
des classes populaires - employés et ouvriers - sont près de six fois moins nombreux
(8,2% contre 47,3 %).
Au delà de ces grandes classifications, il est intéressant de regarder de manière plus
précise les types de métiers exercés. Le décalage vers le haut en terme de niveau
social, que nous venons de voir, se double d’un second décalage en terme de centre
de gravité : des professions de la production (et des services) vers les professions de
la reproduction, de la médiation ou de la création : enseignants, professions de
l’information, des arts et des spectacles représentent à eux seuls le quart (24,7 %)
des personnes qui suivent des stages ou des sessions de développement personnel
et spirituel.
1
Source : INSEE, Enquêtes Emploi 2011, population âgée de 15 ans et plus. Chiffres recalculés hors
étudiants et élèves, et en cumulant actifs et retraités issus des mêmes milieux.
16
Dernière particularité de ce public : la surreprésentation d’un secteur particulier : les
professions de santé, corporelle, mentale et psychologique (médecins, infirmières,
psy, thérapeutes divers1) : 19,4 %, soit une personne sur cinq.
Au total, pour caractériser cette double distribution de notre public, selon le diplôme
et selon la catégorie socio-professionnelle, on pourrait dire que le travail sur soi et la
poursuite de son chemin d’intériorité, quand ils empruntent les voies de la recherche
personnelle et spirituelle et trouvent à s’exercer dans un cadre collectif encadré,
recrutent plus particulièrement dans les classes moyennes. Mais des classes
moyennes sur-diplômées. Ou, pour reprendre les catégorisations de Pierre Bourdieu,
dans les fractions de la population fortement dotées en capital culturel, mais pas
nécessairement en capital économique.
Pour autant, la recherche spirituelle n’est pas un luxe pour personnes favorisées ou
cultivées. L’aisance économique et le niveau culturel ne garantissent évidemment
pas l’ouverture à une vie spirituelle. Corrélation n’est pas causalité. Cela dit, quand
1
Y compris parfois des disciplines très pointues qui ne sont pas sans lien avec le monde du
développement personnel et spirituel : relaxothérapeutes, psychosomatothérapeutes, reflexologues,
sophrologues, psychoénergéticiens, naturopathes, etc.
17
cette recherche spirituelle emprunte la voie de sessions, de stages ou de formations,
du fait même de ses conditions de réalisation, elle suppose un niveau et rencontre
une barrière. Le niveau est celui qui permet une familiarité ou une facilité à acquérir
les théories, les cosmogonies ou les analyses qui fondent souvent ces
enseignements, et dont la nature est parfois complexe et le vocabulaire difficile. Et la
barrière peut se révéler d’une double nature : matérielle, à cause du coût des
sessions (inscription, déplacement, hébergement, ….). Et sociale, car tout le monde
n’a pas la même capacité de s’exprimer en public, de mettre en mots et de partager
son expérience intérieure, et de gérer sa relation avec des personnes d’origines
différentes.
On pense souvent que le public qui suit une démarche de développement personnel
et spirituel est très urbain, voire parisien. Comme si le désir de faire rupture, de
couper avec son environnement quotidien, était d’autant plus important (surtout si
cette démarche emprunte la voie de stages ou de sessions « retirés du monde »)
que cet environnement serait saturé d’agitation et d’encombrement.
L’enquête fait découvrir au contraire une population dont la répartition est très
équilibrée, sinon sur le territoire, du moins en termes d’urbanisme : un quart des
18
chercheurs spirituels habite en région parisienne, un quart dans une grande ville
(100.000 habitants et plus), environ 30 % dans une ville moyenne (de 30.000 à
100.000 habitants) ou dans une petite ville, et environ 20 % en zone rurale1.
Dernier critère pour cerner le profil des chercheurs spirituels, leur situation familiale.
Un peu plus d’une personne sur deux - 54 % - vit en couple, quel qu’en soit le statut
(marié, pacsé, union libre) et un peu moins d’une sur deux - 43,5 % - vit seule. Plus
une petite minorité qui vit dans un cadre collectif (communauté, cohabitation, maison
de retraite, etc.).
Population de Population
l’enquête française2
en couple 54 % 66,3 %
19
contraintes conjugales et familiales ne permettent pas toujours de dégager
facilement. Et le fait qu’ils soient collectifs, favorisant la sociabilité et les échanges
interpersonnels, peut expliquer qu’ils sont plus souvent ou plus fortement investis par
les personnes seules, même si la rencontre n’en est pas l’objectif principal. Mais il
peut en être le bénéfice secondaire.
1
Elle fait partie de ces catégories qui vont sans dire, mais qui ne vont plus en les disant, pour
reprendre une expression de Bourdieu.
20
. II . PROFIL RELIGIEUX
1
La question précise était : « Quelle est votre religion, si vous en avez une… ? » (c’est la formulation
classique des enquêtes de sociologie religieuse du CNRS et des instituts de sondage). Suivait une
liste ouverte de proposition de réponses. Cf. Questionnaire en annexe.
2
Anne Gotman, Ce que la religion fait aux gens, 2013, Editions de la Maison des Sciences de
l’Homme
21
Le terme d’appartenance n’est pas ici le plus pertinent, il faudrait plutôt parler de
« référence » religieuse.
22
- Second niveau d’information : 26,5 %, soit plus d’une personne sur quatre, ne se
reconnaissent aucune appartenance ou référence religieuse d’aucun ordre. Ce
chiffre est élevé, pour un public qui affirme poursuivre une quête spirituelle, et y
consacre du temps et de l’énergie, même si nous l’avons saisi souvent hors des
circuits religieux habituels.
- Troisième niveau d’information : parmi ceux qui affirment une attache religieuse,
c’est la référence chrétienne qui domine : 62,5 %, soit près des deux tiers de
l’échantillon. Parmi ces chrétiens, les catholiques l’emportent très nettement sur les
protestants et les orthodoxes, reflet du caractère largement majoritaire de cette
confession en France dans la sphère chrétienne, reflet aussi, en partie, des lieux où
on les a recrutés : certains centres enquêtés étaient de rattachement catholique,
même si les activités qu’ils proposaient n’étaient pas de nature seulement
confessionnelle : au total les catholiques représentent 47,5 % de notre public, près
d’une personne sur deux.
Ce qui est particulièrement intéressant, et qui n’apparaît généralement pas dans les
enquêtes classiques, c’est le poids de ceux qui se revendiquent explicitement
comme chrétiens mais ne se reconnaissent pas dans une Eglise ou une tradition
religieuse particulière : ils ont choisi de répondre explicitement « chrétien sans
appartenance particulière », 10,5 % soit un chrétien sur six.
Se dire catholique, ou d’origine catholique, ne signifie pas nécessairement un
rattachement, mais souvent une filiation: ils assument la culture qui les a façonnés,
même s’ils n’appartiennent pas ou ne se reconnaissent pas dans la « communauté
des fidèles ». Ils ont d’ailleurs utilisé les questions ouvertes pour préciser leur
pensée : c’est généralement l’Eglise qui leur fait problème : Je me suis surtout
éloignée de l'Église plus que de la religion chrétienne.
Les uns l’expriment de manière radicale, voire agressive :
. « J'ai gardé du christianisme les valeurs fondamentales, et l'enseignement de
Jésus, universel. Tout ce qui rejoint les autres grands enseignements, au delà
de l'aspect "religieux". Le reste m'horripile, et n'a plus rien à voir avec le vrai
enseignement de Jésus et de la Bible »
. « J'ai une sensibilité chrétienne, mais pas dans la religion catholique ce sont
deux choses bien différentes, l'une est libre et évolutive, l'autre est encadrée et
sclérosée »
. Une personne cite même Jacques Ellul, qui écrivait : « Le Christ a annoncé
l'Evangile, le diable en a fait une religion..."
23
D’autres, malgré leur distance, gardent le contact avec l’Église en tant que
communauté, et non en tant qu’institution :
. « Je suis attachée à l'image du Christ et de Marie, qui sont pour moi des êtres
exceptionnels, et je ne suis rattachée à la religion qu'en ce sens que j'essaie
d'entendre le message fondamental et initial "d'Amour" sans toutes les
limitations et "conditions" imposées par l'église et qui dénaturent tant ledit
message initial. Lorsque je vais à l'église, ce n'est donc pas pour écouter un
prêche, mais pour le plaisir de me sentir connectée à ce "tout", avec d'autres,
même si ces autres et moi ne partageons pas la même conception de "Dieu" et
du Christ »
. « De formation catholique, je garde une immense foi et un très grand amour
pour le christ, mais ce que je rejette, c'est toute l'institution de l'Eglise, du Pape
et de tout ce qui tourne autour. L'Eglise a amené plus de souffrance que de
réconfort. Mais il y a eu et il y a encore en son sein quelques grands êtres
sincères et magnifiques. Beaucoup d'inconnus pleins de compassion et
d'amour. Heureusement ! »
- Quatrième niveau d’information, parmi les « autres religions », les juifs (1 %) et les
musulmans (0,5 %) sont extrêmement minoritaires. Si cela correspond à peu près au
poids des premiers en France, c’est très en retrait de la proportion des seconds dans
le pays. Mais le résultat le plus remarquable est incontestablement le score du
bouddhisme : 8 % de la population des chercheurs spirituels disent s’y rattacher,
alors que cette religion1 est, en termes statistiques, quasiment inexistante en France
en dehors de la population d’origine asiatique. Soit une sur-représentation
considérable.
1
Dont certains de ceux qui ont répondu nous ont rappelé que, de leur point de vue, ce n’était pas à
proprement parler une religion…
2
Ce chiffre varie selon les enquêtes, mais l’ordre de grandeur reste toujours le même : CSA 2006 :
30,5 %, SOFRES/PQN 2007 : 29 %, IFOP/ La Croix 2010 : 28 %, OpinionWay/Clés 2014 : 34 %
24
parce qu’ils assument leur éducation religieuse et conservent certains rites même
s’ils ne pratiquent plus, répondent « catholiques » dans les enquêtes faute d’une
autre catégorie dans laquelle se reconnaître. Soit au total, selon les sondages, entre
59 % et 64 %1, à rapprocher des 62,5 % de chrétiens parmi nos chercheurs
spirituels.
Cette relative similitude des grands équilibres religieux entre notre population et la
population globale va à l’encontre de deux hypothèses contradictoires, que l’on
entend souvent : les chrétiens seraient plus nombreux à suivre des sessions de
développement personnel et spirituel dans ces centres2 parce que leur forte
implication religieuse les pousserait vers une démarche d’enrichissement de leur foi,
par l’apport d’autres disciplines de recherche intérieure. Ou au contraire ils seraient
moins nombreux car ces sessions s’organisent souvent autour d’exercices et
d’enseignements décalés par rapport à la tradition chrétienne, ou relevant d’autres
traditions ou religions. A moins que ces deux hypothèses ne se vérifient
simultanément et que leur effet ne s’annule statistiquement.
En tout état de cause, comme nous le verrons plus loin, même si le niveau global
d’appartenance religieuse est proche de la moyenne, le contenu que les chercheurs
spirituels lui donnent et les pratiques qui les accompagnent peuvent être très
différents.
Reste ceux qui ne se reconnaissent dans aucune religion constituée, tout en tenant à
se définir quand même explicitement comme religieux. Ils représentent, nous l’avons
vu, un peu moins d’un chercheur spirituel sur dix (7,5 %). Les termes dans lesquels
ils s’auto-définissent sont particulièrement intéressants :
On retrouve d’abord une idée déjà rencontrée dans l’analyse de l’opposition
catholicisme / christianisme : la volonté ou le désir d’être relié à la source, aux
origines de la religion, en faisant l’économie de toutes les institutions (Églises,
dogmes, commentaires savants) qui, selon eux, se sont créées et interposées au fil
des siècles et qui font écran. Cette méfiance vis à vis des médiations institutionnelles
n’est d’ailleurs pas propre à la sphère religieuse. Elle est une des caractéristiques de
1
CSA 2006 : 61 %, SOFRES 2007/ PQN : 59 %, IFOP/ La Croix 2010 : 64 %, BVA 2014 : 63 %,
OpinionWay / Clés 2014 : 59 %
2
Rappelons que plus du tiers de l’échantillon a été recruté dans des lieux d’obédience ou d’origine
chrétiennes, par ailleurs caractérisés par leur ouverture à des types d’enseignements ou d’activités
beaucoup plus larges.
25
la modernité : on la retrouve aussi bien dans le champ du politique, de l’éducation
que de la culture.
- Le refus d’un intermédiaire entre soi et Dieu ou le divin (que ce soit une Église, un
guide, une communauté, une formation, etc.). La désinstitutionalisation du sentiment
religieux est une tendance de fond de la modernité. C’est l’approche directe par
l’expérience qui est valorisée : expérimentation intérieure, guide intérieur, accès
direct au sacré par la méditation ou par la rencontre des autres, etc.
. « L’approche directe vers Dieu, sans aucun intermédiaire, par la méditation et
dans ma vie de tous les jours, m’apporte paix et sérénité »
. « L’expérimentation intérieure sans passer par un enseignement
dogmatique ».
. « Je cherche essentiellement à me débarrasser de ce que j’ai appris pour une
plus grande liberté »
. « Je pense que l’on peut avoir un accès direct au sacré »
26
- Une élaboration personnelle à partir d’éclairages et d’emprunts à différentes
sources. Ce syncrétisme, qui inquiète tant les Églises et religions constituées, est en
fait assez peu cité :
. « Je prends ce que je trouve bon pour mon évolution »
. « Ma religion, bricolage personnel »
. « "Vierge spirituellement" au départ, je suis en train de me "faire ma religion",
je suis ouvert à de nombreuses influences, j'expérimente pour me faire ma
propre opinion »
. « SDF (Sans Dieu Fixe) »
. « Ce que je ne comprends pas dans l'une, j'en trouve un éclairage dans
l'autre... Ainsi pour moi les traditions spirituelles forment un corpus à l'échelle
de l'humanité entièrement à sa disposition! Il suffit d'être curieux »
- En réalité, cette ouverture à toutes les religions n’est pas un patchwork où chacun
puiserait les attributs qui lui conviennent le mieux, mais bien la recherche d’un
essentiel de soi qui renvoie à un essentiel commun à toutes, vers lequel il faut
tendre :
. « Le cœur de toutes »
. « Religion universelle »
. « Il n'y a qu'un seul Dieu et tant de façon de l'approcher »
. « Là où se trouve leur point comme-Un »
. « Dans une conscience unitive »
. « Les religions, je ne suis d'aucune, je suis de toutes! Pas d'intermédiaire
(terrestre) entre mon âme et Dieu! Les Messages de Dieu existent. Aux
authentiques chercheurs de les trouver et surtout de les mettre en pratique! La
Création est le Langage du Seigneur »
. « Au cœur du cœur les religions s'épousent, je les suis et les épouse »
27
I. II L’observance religieuse
Toute religion s’incarne dans des rites propres, s’inscrit dans des lieux dédiés,
propose des temporalités particulières.
Quand on lui demande à quelle fréquence il assiste à des offices religieux, le public
des chercheurs spirituels est partagé, à égalité : la moitié fréquente un lieu de culte
(église, synagogue, mosquée, temple, …) au moins de temps en temps au cours de
l’année. Tandis que l’autre moitié n’y met pratiquement jamais les pieds, sauf
éventuellement à l’occasion des grands évènements de la vie, personnelle ou sociale
(baptême, mariage, Bar Mitzvah, funérailles, etc.). Cette proportion de non-
pratiquants est relativement importante pour des personnes qui sont par ailleurs
particulièrement sensibles à la démarche spirituelle (et dont certains d’entre eux ont
été contactés par l’intermédiaire de lieux chrétiens, même s’ils les fréquentaient pour
des activités autres). Ils font l’économie des lieux de culte et des rites institués dans
leur recherche personnelle. Ou ils y introduisent leur rythme propre, qui ne recoupe
pas forcément celui du calendrier rituel ou cérémonial de l’ « offre religieuse ».
Plus précisément, 7 % assistent à un office quotidiennement, 14 % une fois par
semaine et 10 % au moins une ou deux fois par mois.
28
A nouveau la comparaison avec la moyenne nationale est riche d’enseignements : si
les chercheurs spirituels en sont, nous l’avons vu, assez proches en termes
d’appartenance, ils en sont très éloignés en termes d’observance1:
(cf. tableau page suivante)
1
Sources : moyenne des enquêtes CSA/ La Vie 2004, SOFRES/ PQN 2007, Valeurs européennes
(ARVAL) 2008, IFOP/ La Croix 2010, La religion dévoilée, géographie du catholicisme (H. Lebras et J.
Fourquet, Fondation Jean Jaurès 2014)
29
On retrouve le même écart, même s’il est moins marqué : la moitié sont pratiquants
(au moins une fois par mois), ce qui est considérable, mais cependant deux sur dix
n’y vont que pour les grandes fêtes, et trois sur dix n’y mettent jamais les pieds. La
distance revendiquée vis à vis de l’étiquette « catho » par certains, alors qu’ils ne la
renient pas, n’est pas une distance ontologique à la source chrétienne (ils se
recommandent de l’Evangile), mais une distance cérémonielle (ils ne sont pas
présents dans les églises), qui traduit souvent soit une divergence doctrinale, soit
une distanciation avec l’institution telle qu’elle est, soit encore une remise en cause
même d’une institution qui a « accaparé » le christianisme et le message des
origines et n’apparaît pas cohérente avec le message qu’elle annonce.
Une première analyse globale, rapprochant pour chaque personne la religion de ses
parents (celle donc dans laquelle elle a été élevée) et celle qu’elle revendique - ou
non - actuellement, permet de construire une matrice des grandes circulations entre
hier et aujourd’hui :
30
Près de neuf chercheurs spirituels sur dix (88 %) ont été élevés dans une religion,
mais parmi eux un sur cinq (20,5 %) n’en ont plus aujourd’hui. Ils s’inscrivent donc,
d’un point de vue sociologique, dans une dynamique de la perte. Tandis que 12 %
ont été élevés par des parents athées ou agnostiques mais parmi eux 6 %
revendiquent une religion aujourd’hui, s’inscrivant dans une dynamique d’acquisition.
Reste qu’au total le « solde » religieux d’une génération sur l’autre est négatif.
Mais s’agit-il bien de la même religion ? Il faut ici entrer dans le détail.
Dans la majorité des cas, ils avaient des parents eux-mêmes chrétiens, ce qui bien
sûr est la situation de transmission religieuse la plus courante, ici comme dans la
population française. Mais on rencontre aussi des parcours plus inhabituels où la
filiation n’a pas sa part : des parcours fondés sur la découverte, de la part de
personnes qui se disent aujourd’hui chrétiennes mais dont les parents n’avaient
aucune religion (3,5 %) et quelques rares parcours fondés sur la conversion, chez
des personnes issues d’une autre origine religieuse (0,5 %).
Si nous prenons enfin en compte la totalité des chercheurs spirituels et pas
seulement ceux qui se disent chrétiens, et la totalité des déplacements, c’est à dire
les pertes et pas seulement les acquisitions, on peut tracer une sorte de cartographie
matricielle de la circulation inter et intra-religieuse. On y retrouve bien sûr nos
31
chrétiens du tableau précédent. Mais aussi d’autres mouvements particulièrement
intéressants :
1
Danielle Hervieu-Léger : « Quelques paradoxes de la modernité religieuse », in Futuribles, Jv. 2001
32
religieux contemporain est que les identités religieuses ne s’héritent plus, ou de
moins en moins ». Et encore sommes nous ici dans une population particulière de
personnes qui investissent sur la sphère spirituelle. Le phénomène de perte est
sensiblement plus important dans l’ensemble de la population.
Mais pour saisir les déplacements du religieux au cours d’une vie d’homme ou de
femme, il faut aller au delà des étiquettes d’appartenance. On peut revendiquer la
même religion que celle dans laquelle on a été élevé, mais lui donner des contenus
très différents de ceux de ses parents. D’où, dans l’enquête, la présence d’une
question plus qualitative, en termes de proximité ou d’éloignement.
La situation la plus fréquente est le déplacement du centre de gravité de la
perception religieuse au cours de l’existence. L’évolution du contexte sociétal, mais
aussi le parcours personnel (rencontres, expériences), plus sans doute que les
évolutions ou les absences d’évolution des religions elles-mêmes, sont à la source
du sentiment d’avoir soi-même évolué dans ce domaine. Les plus nombreux (44 %)
se sentent assez loin ou très loin de leur religion d’origine, contre 38 % seulement
assez proches ou très proches (parmi lesquels seulement 16 % à l’identique si on
peut dire).
- assez loin 28 % 28 %
- très loin 16 % 44 % 9% 37 %
n.r, n.s.p 6% 5%
total 100 % 100 %
33
(57 %) sont plus nombreux que ceux qui s’estiment loin (37 %). Un certain nombre
de ceux qui se sont éloignés prennent la peine de préciser pourquoi. Quelques
exemples :
. « Par rapport à la religion dans laquelle j'ai été élevée... j'ai pris des distances,
pour être plus en vérité et plus proche de l'Evangile et de ses exigences... Je
n'ai pas de certitudes, seulement des espérances... Par rapport à l'Eglise, je
souffre de l'étroitesse de ses dogmes et de ses préceptes...et j'ai du mal avec
elle... mais je m'accroche à l'Evangile, aux Béatitudes et à ceux qui inventent
des Voies nouvelles pour s'en rapprocher... et il y a plein de germes qui
poussent »
. « Il y a un écart important entre la religion (assurance tout risque et fait social)
dans laquelle mes parents m'ont éduqué et ce que je découvre d'une dimension
spirituelle ancrée dans ce qui est ma réalité où Dieu se fait présent à chacun,
même discrètement »
n.r 1,5 % 3%
total 100 % 100 %
Seule une minorité (environ une personne sur dix) affirme que ces activités les ont
éloignées de leur religion d’origine, tandis que plus de la moitié pensent qu’elles l’ont
enrichi. Les chiffres sont encore plus nets si on considère les seuls chrétiens de
notre population : 8 % seulement disent qu’ils ont pris de la distance à la suite de ces
stages et sessions, un sur cinq (20,5 %) que cela n’a pas eu d’incidence, mais
34
surtout deux sur trois (68,5 %) affirment que ces stages, sessions ou formations de
développement personnel et spirituel auxquels ils ont participé ont enrichi leur
rapport à leur religion d’origine.
35
libération profond. C'est à ce moment-là que j'ai entamé une réflexion profonde
en me connectant à mon corps (à mes émotions) pour comprendre mes
blocages et je faisais appel à une psychothérapeute (hypnose) pour me
permettre de me libérer émotionnellement. C'est à ce moment-là que le
chamanisme a traversé ma vie. J'ai appris à me connecter à des énergies très
fortes (sans dogmes religieux) qui m'ont littéralement propulsée vers la lumière
et m'ont fait sortir de mon enfermement. Par la suite, quelques années plus
tard, j'ai croisé le chemin d'une personne qui m'a transmis les enseignements
des Maîtres Ascensionnés. A ce moment précis, j'ai retrouvée des capacités
que j'avais dans certaines vies antérieures. J'ai compris ce pourquoi je me suis
réincarnée. Je me libère tous les jours, C'est une quête inachevée et surtout
inachevable. L'aventure continue vers le retour à notre origine divine sur terre »
- D’autres, nettement plus nombreux, font le récit d’un retour aux sources. Nous ne
sommes pas ici dans la rupture, mais plus souvent dans la réappropriation sur
d’autres bases. Loin des craintes exprimées par l’institution catholique à l’égard de
ces activités dont le contenu lui est mal connu et dont l’organisation lui échappe.
Nous constatons d’ailleurs que l’orthodoxie religieuse n’est plus la préoccupation
première des personnes qui s’expriment ici :
. « De parents athées mais de tradition chrétienne, j'ai fait un chemin où j'ai
redécouvert la religion de mes ancêtres, après m'être intéressée à l'astrologie
et au yoga ! Je suis très heureuse d'être devenue chrétienne depuis 13 ans. J'ai
trouvé le sens qui manquait tant à mon existence »
. « Il est difficile de faire rentrer une expérience dans des cases. Même si l’un
de mes parents était de confession catholique (par tradition), je ne saurais dire
qu’il avait une religion. Paradoxalement (un peu par hasard?) j’en suis venu à
pratiquer la méditation Zen et je suis en relation avec un maître au Japon. C’est
réellement cette pratique qui m’a rapproché de ma propre religion, qui m’a
réconcilié avec elle et qui me permet maintenant de la suivre et de l'approfondir
avec plus de sens, de curiosité et de sérénité »
. « Après avoir été catholique dans l'enfance puis athée de l'adolescence à la
trentaine, c'est la conviction personnelle de la réincarnation de l'entité spirituelle
humaine et de son évolution au cours d'incarnations successives qui a été un
moteur essentielle dans mon cheminement et dans le retour de mon intérêt
pour la spiritualité chrétienne »
. « J'ai beaucoup "tourné" avant d'être rattrapé par le Dieu Amour pourtant
paraît-il c'est celui qu'on m'avait présenté dès mon enfance. J'avais donc rien
compris sans doute parce que il n'y avait aucun vrai témoin autour de moi ! De
ma période de recherche je ne retiens de bénéfique que le Yoga pour la
centration qu'il amène et la conscience du corps qu'il développe »
. « J’ai commencé mon chemin spirituel en découvrant la spiritualité hindoue
avec les nombreux maitres qui naissent dans ce pays et j'ai redécouvert le
message du Christ ensuite comme une réconciliation avec mes racines et je
n'oppose pas l'un à l'autre je me suis nourrie de leurs richesses respectives. Je
n'appartiens ni à l'un ni à l'autre, j'essaie de rester un être libre avec sa vérité
du moment en essayant de rester ouverte à ce qui vient ensuite »
36
. « Juive de fait, catholique de foi, mais sans éducation religieuse en dehors du
baptême initialement: long chemin intérieur car les racines juives se sont
réveillées au fur et à mesure de l'approfondissement de ma foi catholique. Mais
beau chemin. Une expérience et errance du côté de l'ésotérisme et divers
groupes et sectes dans ma jeunesse (heureusement pas trop long, mais très
variés: mahikari, raja yoga (Bramah), châkra, cristaux, réincarnation, essences
diverses, thème astral, cartes et divinations, thème angélique etc.). Pour finir
avec un livre de Paolo Cœlo qui parle bcp de Marie (sur le bord de la rivière
Piedra..) puis des rencontres/église, un prêtre, un accompagnement. Puis le
réel désir de trouver Dieu et la conversion lors d'une retraite à Châteauneuf
(foyer de charité) »
. « La rencontre avec les Lamas Tibétains m'a beaucoup apporté entre 20 et 25
ans; la rencontre avec la psychologie transpersonnelle/la psychanalyse m'a
enrichi entre 28 et 40 ans ; je me suis réconcilié avec le christianisme à partir
de 45/50 ans. Ce jour, je me considère comme chrétien libertaire, chrétien
décomplexé, catholique dans le sens universel, citoyen du monde. Mes mots-
clés : liberté, humour, détachement, responsabilité, engagement »
. « Le développement personnel m'a ouvert ou réouvert les aspirations
profondes spirituelles de mon enfance dont l'éducation catholique que j'avais
reçue m’avait éloigné. Je redécouvre la beauté et la quintessence profonde de
la religion chrétienne avant qu'elle n'ait été dévoyée par l'homme avec son ego,
sa hiérarchie... »
. « Ma démarche m'a rapprochée, car je suis devenue profondément croyante
(en Dieu). Ce qui n'était qu'un concept est devenu une réalité (qui se vit au
quotidien). J'avais peu à peu pris des distances avec la messe et les rites car je
ne croyais pas vraiment. Avec ma démarche, je me suis "rapprochée" de Dieu.
Mais en même temps, je me suis éloignée de toutes les "fioritures" autour des
rites. Ces rites étant de plus en plus de la "logistique" entre moi et Dieu. Donc
en résumé, un rapprochement sur le "fond" (Dieu), un éloignement sur la
"forme" (rite, églises, messe), trop de "bruit" entre Dieu et moi »
. « Plus je me suis enrichie des autres traditions plus je les ai aimées et
respectées (et ce n'est pas fini), mais plus aussi j'ai découvert ma foi en Jésus
et en l'Evangile comme un véritable trésor et une chance incomparable, et
pourtant j'ai de moins en moins de certitude, plutôt une conviction intérieure,
mais tellement forte qu'elle me semble capable de se laisser travailler par
toutes les autres convictions différentes de la mienne : quelle belle aventure ! »
Ce détour pour retrouver ses racines, enrichies de tous les apports que cette
itinérance (ou cette errance, selon les cas) ont engendrés, est particulièrement
caractéristique d’une partie de notre public.
37
. II .
38
Nous avons recruté dans notre enquête les chercheurs spirituels parmi les
personnes qui suivent des stages, des sessions, des formations dont elles
reconnaissent explicitement qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une démarche
spirituelle, ou qu’ils débouchent sur une dimension spirituelle même si ce n’en était
pas l’objectif premier. Il faut, maintenant que nous les connaissons mieux, rentrer
plus précisément dans la nature de leurs pratiques. Nous les avons donc d’abord
interrogées sur le contenu des activités suivies au cours des cinq dernières années
dans un cadre collectif. Puis nous leur avons demandé ce qu’elles faisaient à coté,
pour alimenter de manière plus permanente leur recherche intérieure.
La recherche intérieure emprunte des voies dont la nature ne se laisse pas toujours
facilement définir en termes conceptuels, ni enfermer dans des catégories étanches :
s’agit-il de démarches de développement personnel ou bien de développement
spirituel ? Au fond on peut se demander si cette distinction est bien pertinente.
Certes elle est utile pour procéder à des typologies qui facilitent les classements. Ou
pour rassurer les institutions religieuses qui apprécient modérément le mélange des
genres et le brouillage des frontières, et redoutent les terrae incognitae. Mais elle est
subvertie par la démarche même de ceux qui s’y livrent : pourquoi ramener à des
catégories exclusives ce qui relève de démarches inclusives, voire holistes. Par leur
pratique même, les gens introduisent de la porosité entre ces univers. Là où
l’analyse externe des contenus de l’ « offre » voit des polarités et des
discontinuités, l’analyse comportementale des usages met en évidence des
continuums et des interférences dont le vécu assure le lien.
La liste de toutes les activités ou de toutes les disciplines qu’il est possible de suivre
dans ces domaines est impressionnante. Il suffit pour s’en rendre compte de
feuilleter les dépliants ou les programmes proposés par les centres, et en particulier
les plus importants d’entre eux (Terre du Ciel, Forum104, Existence, Espace Jardiner
39
ses possibles, Trimurti, etc.). Nous les avons ramenés à quinze familles principales,
pour tracer une première cartographie des activités des chercheurs spirituels.
Toutes n’ont pas la même audience, loin de là. L’enquête a permis d’établir un
classement précis, à partir des sessions que les gens disent avoir suivies au cours
des cinq dernières années. :
1 . Les deux types d’activités de recherche intérieure qui arrivent en tête dans les
pratiques de notre public sont caractéristiques : les pratiques corporelles et
énergétiques d’abord (63 %), la méditation ensuite (59 %).
- Les pratiques corporelles sont aujourd’hui une porte d’entrée essentielle vers
l’intériorité et la recherche spirituelle. Des personnes qui ne se seraient pas inscrites
à une session de type explicitement spirituel peuvent s’y sentir à l’aise. Elles
ressentent le besoin d’introduire dans leur vie un équilibre corps-esprit qui les libère
pour accéder à une dimension supérieure.
Les disciplines pratiquées sont multiples : magnétisme, aikido, arts martiaux, reiki,
yoga, relaxation, énergiologie, respiration, Qi Gong, Taï Chi, massages…
40
Il faut replacer cette démarche dans son contexte historique. Elle fait doublement
rupture, avec une certaine tradition chrétienne d’une part, avec l’héritage des
Lumières d’autre part.
C’est un renversement par rapport à la tradition chrétienne occidentale pour laquelle
la vie humaine est envisagée comme retour à Dieu : le corps y a été le plus souvent
vu comme une contrainte dont il faut se libérer pour permettre à l’âme de s’élever.
Ou au mieux qu’il faut mettre entre parenthèses. Seul le mouvement de l’âme est
positif et qualifiant ; la réalité de l’être humain repose sur la valeur essentielle de
l’âme, le corps revêt un caractère inessentiel1. De la même manière l’idée que les
pratiques corporelles sont une voie d’accès à la connaissance personnelle, voire à la
connaissance tout court, n’est en rien le prolongement de la philosophie des
Lumières (et encore moins, avant elle, de la philosophie cartésienne).
Un autre type de sessions également très lié au corps doit être cité ici: les médecines
alternatives (32 %). On peut citer parmi elles les médecines traditionnelles et
énergétiques (chinoise, ayurvédique, acupuncture, etc.), l’homéopathie, la
phytothérapie, la naturothérapie, l’olfactothérapie. Mais aussi le décodage biologique
des maladies, l’ostéopathie, le drainage lymphatique… Elles se placent dans une
perspective explicitement thérapeutique, à la différence des premières. Elles sont
suivies par un tiers de notre public.
- La méditation ensuite occupe elle aussi une place très importante. Elle est classée
en second dans la liste des activités suivies dans un cadre collectif (59 %), et on
verra plus loin qu’elle est également très pratiquée dans un cadre privé.
La méditation met elle aussi en jeu le corps, mais ouvre sur un ailleurs de l’esprit,
nommé comme tel. On trouve aussi bien des pratiques de méditation orientale, de
méditation chrétienne, que de pleine conscience, etc.
- En troisième position on trouve les pratiques artistiques (47 %). Elles sont de
nature très diverse. Toutes les grandes catégories d’activité y sont représentées : la
musique, la danse, les arts plastiques. Il faut rentrer dans le détail des réponses
ouvertes pour mieux saisir leur portée spirituelle et les transformations personnelles
qu’elles impliquent. Citons en quelques une : arthérapie, biodanza, chant méditatif,
1
Cf. Michel Lacroix : Se réaliser, petite philosophie de l’épanouissement personnel. Robert Laffont
2009
41
chant de mantras, son et vibration du son, danse sacrée, peinture d’icones,
calligraphie, groupes d’écriture, musicothérapie, théâtre impro et de clown, écriture
de poèmes, les contes, etc.
- Autre ensemble d’activités bien placées dans le classement : celles qui consistent à
s’occuper de soi, en particulier de son harmonie corps-esprit et de son équilibre
psychologique. A l’intersection du psychologique et du spirituel, on pourrait les
qualifier du mot-valise de « psyrituel ».
Le développement personnel, et toutes les techniques qui y sont liées (sophrologie,
communication non violente, communication non verbale, constellations familiales,
Feldenkreis, P.N.L, énnéagramme, Vittoz, le clown, Gestalt, la bio-énergie, les
cercles d’hommes, l’équithérapie, les constellations familiales, PRH, l’imago, le
magnétisme, l’art-thérapie, la psychogénéalogie, etc.), atteint le score de 40 %.
1
Sans compter le suivi de thérapies individuelles, qui sont sans doute nombreuses également dans
ce public.
42
personne sur six parmi celles qui ont suivi ces sessions de spiritualité chrétienne
ne sont pas elles mêmes chrétiennes.
1
Bertrand Hell : De la modernité du « sacré sauvage », in Sciences Humaines hors-série n°41, juin-
juillet-août 2003, p.66.
43
. Enfin tout à fait en fin de classement on trouve le suivi d’activités liées à trois
spiritualités peu représentées ici (autour de 5 % chacune): la spiritualité taoïste,
qui touche peu de monde dans notre public à la différence des deux autres
spiritualités venues d’Asie, bouddhisme et hindouisme. La spiritualité juive, qui
correspond à une religion certes minoritaire en France, mais dont l’intérêt aurait
pu porter bien au-delà si on considère qu’elle est la matrice de la spiritualité
chrétienne (cf. les sessions sur la Bible, sa lecture et son interprétation). Et la
spiritualité musulmane, qui se trouve un peu dans la situation inverse de celle du
bouddhisme : beaucoup plus répandue en France, mais générant une offre
réduite de la part des centres qui proposent des sessions de développement
personnel et spirituel. Sans doute faut-il voir là l’effet de la nature même de cette
tradition religieuse qui accorde peu de place aux exercices corporels (hors la
spiritualité soufie) et est réticente à la réinterprétation des textes sacrés.
Quelques personnes ont aussi cité le tantrisme, le baha’isme, la non dualité, la
« pratique de la présence divine », qui ne figuraient pas dans l’énumération
proposée.
1
F. Champion : La nébuleuse mystique-ésotérique. in F. Champion et D. Hervieu-Léger (Eds.) : De
l’émotion en religion. Renouveaux et traditions. Le Centurion, 1990
44
dimension particulière des croyances ésotériques : l’astrologie. Ce point a été abordé
explicitement dans une autre question de l’enquête :
- beaucoup 13 %
- un peu 40,5 %
total 100%
1
Cf. enquête CSA/ La Vie 2004 : croient tout à fait à l’astrologie: 8 %, un peu : 29 %, n’y croient pas :
63 %
45
Dans tous les types de stages ou sessions, on le sait, les femmes sont les plus
nombreuses. Mais à y regarder de plus près on s’aperçoit que cette prééminence est
variable selon les cas :
Comme on pouvait s’y attendre, les femmes dominent très largement (autour de
80%) dans toutes les activités qui ont trait au corps (pratiques corporelles et
énergétiques, médecines alternatives), au travail psychologique et aux pratiques
artistiques. Le développement personnel et la méditation sont moins clivants. Mais
surtout, contrairement aux idées reçues, c’est dans les démarches de type
explicitement spirituel que les hommes sont les plus nombreux (en valeur relative
toujours, autrement dit : les moins minoritaires). C’est particulièrement vrai pour les
spiritualités non-chrétiennes (bouddhiste, hindouiste, musulmane ou soufie, taoïste)
où ils passent le seuil de 30 %.
46
L’âge introduit également des variations significatives dans le public des différentes
activités de développement personnel et spirituel. Sans que la pyramide générale
s’en trouve renversée, on constate des phénomènes intéressants :
Du coté des plus âgés (65 ans et plus), le tropisme est très net avec toutes les
démarches explicitement spirituelles, quelle qu’en soit la tradition de référence, mais
plus particulièrement encore pour les traditions juive et chrétienne. A l’opposé, ils
sont plus réticents pour ce qui relève du chamanisme ou de l’ésotérisme, des arts
divinatoires ou de l’astrologie, dont le caractère passablement énigmatique peut les
inquiéter. De même pour les médecines alternatives vis à vis desquelles ils sont plus
réservés. Alors que les pratiques énergétiques et corporelles entrainent moins de
réserves de leur part. Enfin ils sont réticents vis à vis de ce qui relève explicitement
de la psychologie (psychanalyse, psychothérapie). Et l’univers du développement
personnel ne leur est pas trop familier.
A l’autre extrême, du coté des plus jeunes (moins de 35 ans) peu de variations à
observer : ils sont minoritaires partout, dans des proportions à peu près identiques.
En revanche cela bouge chez les « adultes d’âge moyen » (les 35-49 ans), qui
présentent une structure en chiasme par rapport aux plus âgés : les réticences et les
adhésions y sont à l’inverse : c’est le chamanisme, les activités liées à l’ésotérisme,
47
aux arts divinatoires ou à l’astrologie, et les approches psychologiques qui les attirent
le plus en valeur relative. Et à un moindre titre les médecines alternatives et le
développement personnel. Tandis que les différentes formes de spiritualité, qu’elles
soient proches de notre culture (chrétienne, juive) ou éloignées (bouddhiste,
hindouiste, taoïste) les attirent moins.
Enfin il existe une activité dans laquelle toutes les générations sont, non pas à
égalité en valeur absolue puisqu’au départ elles sont inégalement présentes, mais
représentées en valeur relative à peu près au prorata de leur poids dans la pyramide
des âges de l’ensemble du public des chercheurs spirituels: la méditation.
Les chercheurs spirituels que nous avons rencontrés dans cette enquête se
caractérisent par deux choses essentielles : leur ouverture d’une part, leur
persévérance d’autre part. Ou pour dire les choses de manière plus familière, mais
aussi plus précise : ils sont à la fois « multicartes » et « multirécidivistes ».
1. Multicartes : la mobilité
Leur quête passe par une variété d’expériences de nature différente. S’ils
poursuivent toujours le même objectif - la progression sur leur chemin intérieur -, ils
empruntent pour cela plusieurs voies, simultanément ou consécutivement, plutôt
qu’ils ne creusent toujours le même sillon.
On a bien vu à la lecture des scores des différentes démarches poursuivies que leur
somme est très supérieure à 100 %. Pour aller plus loin, nous avons comptabilisé
plus précisément le nombre de types d’approches différentes essayées ou
poursuivies par chacun parmi la quinzaine de familles d’activités et de traditions
spirituelles proposées dans l’enquête.
total 100 %
48
Les personnes qui n’ont pratiqué qu’une seule discipline ou persévéré dans une
seule voie au cours de ces cinq dernières années sont minoritaires : un peu moins
de 10 %. Plus globalement on peut distinguer en fait trois grands groupes : ceux qui
n’ont suivi qu’1 ou 2 types de démarches (24 %), ceux qui en ont suivi trois ou quatre
(36 %) et ceux, les plus nombreux, qui en ont accumulé cinq ou plus (40 %).
49
- Si on regarde maintenant à l’autre extrémité du spectre de l’appartenance
religieuse, on découvre que la curiosité spirituelle des personnes qui affirment n’avoir
aucune religion est considérable. Il ne s’agit pas ici d’une simple curiosité
intellectuelle mais bien d’une démarche investie puisqu’elle suppose le suivi de
sessions thématiques de plusieurs jours. Au premier rang on trouve le bouddhisme,
comme on pouvait s’y attendre, avec un score très important (34 %). Mais le
chamanisme est aussi placé très haut. Et l’attrait pour le christianisme n’est pas
négligeable dans cette population qui affirme s’en être détachée ou n’y avoir jamais
appartenu : 15 % d’entre eux ont suivi des sessions de spiritualité chrétienne. La
quête spirituelle est une histoire qui ne se finit jamais, même si on pense en avoir
fermé certaines portes.
2. Multirécidiviste : la répétition
total 100 %
Les petits utilisateurs, ceux qui au cours des dix dernières années n’ont suivi qu’une
ou deux sessions (5 %) ou trois ou quatre (12,5 %) représentent au total moins de
50
20% de notre population. Les moyens utilisateurs, qui en ont suivi de cinq à dix,
approchent les 30 %. Quant aux gros utilisateurs, qui en ont suivi onze et plus, soit
au moins une par an (auxquels il faut sans doute ajouter une partie de ceux qui ne se
souviennent plus du nombre, du fait de leur quantité) ils représentent la moitié de
notre public.
Il est dans la nature des autres besoins de l’homme de s’apaiser, voire de s’épuiser,
quand ils sont satisfaits. Au contraire le besoin spirituel, comme le besoin culturel,
croît au fur et à mesure de sa satisfaction.
Une chose est la fréquence, une autre la régularité. Pour certaines personnes, la
décision de suivre une session de recherche personnelle ou spirituelle se fait au gré
des circonstances, au point de rencontre fortuit ou non d’un désir et d’une offre. Pour
d’autres il s’agit bien d’un véritable rendez-vous dans l’existence, d’une habitude
régulière, quel que soit le tempo de cette régularité. Les deux démarches arrivent
presque à égalité.
C. L’information
51
Le premier est tout simplement l’expérience antérieure : on choisit ce qu’on connaît
pour l’avoir déjà suivi, et/ou parce qu’on connaît celui qui l’anime et qu’on lui fait
confiance. Cette dimension de confiance est très importante dans un domaine où on
peut trouver à la fois le bon grain et l’ivraie.
L’autre manière la plus fréquente de découvrir une offre et de sécuriser ses choix est
liée à la relation interpersonnelle : c’est parce que quelqu’un de proche et à qui on
fait confiance vous en a parlé que vous sautez le pas.
L’essentiel de la mise en contact avec une proposition de session, de stage ou de
formation repose donc soit sur la connaissance antérieure, soit sur le contact direct
et personnel. Contact d’autant plus indispensable que les enjeux sont profonds et les
investissements affectifs importants. Le poids statistique de l’interconnaissance est
encore renforcé si on prend en considération qu’une grande partie des réponses
« autre » citent spontanément comme canal d’information des associations, des
communautés ou des groupes auxquels les gens appartiennent ou participent. C’est
à dire là aussi une logique de réseaux, qui joue dans cet univers un rôle de
légitimation important.
Les moyens d’information produits directement par les centres arrivent loin derrière :
ce sont essentiellement les supports classiques des dépliants et programmes
diffusés par les centres organisateurs, et le support nouveau que constitue internet
(autour de 12 à 15 % chacun).
Quant aux canaux médiatiques classiques, ils sont très marginaux : presse, affiches,
radio et télévision, aucun ne dépasse les 3%.
52
II.2. Les pratiques d’intériorité et de recherche spirituelle
Nous venons d’analyser les différentes formes de pratiques liées à des sessions,
stages ou formations. Mais il est clair que les démarches des chercheurs spirituels
ne se limitent pas à ces temps forts. Nous les avons donc aussi interrogés sur ce
qu’ils faisaient à coté, pour alimenter leur recherche de manière plus permanente. En
distinguant les approches individuelles (prière, méditation), les approches inter-
personnelles (accompagnement par un maître spirituel, participation à des groupes)
et les approches intellectuelles (lecture de textes fondateurs et lecture de livres ou
articles d’ordre spirituel).
- La méditation est une pratique très largement répandue dans notre public :
- jamais 2%
total 100 %
Pour beaucoup c’est même plus qu’une pratique : une discipline de vie, un rendez-
vous avec soi-même qui s’inscrit dans la régularité et la répétition. La méditation est
sans doute la pratique la plus partagée des chercheurs spirituels tels que nous les
avons définis. La méditation arrivait déjà en seconde position des activités pratiquées
dans les stages ou les sessions. Mais elle est loin de se limiter à la pratique
collective et touche bien au-delà, d’autres personnes, et d’autres moments : environ
une personne sur trois (34 %) s’y livre tous les jours, c’est devenu pour elles un
quasi rituel, et une autre personne sur trois (37 %) une ou plusieurs fois par semaine,
soit au total 71 %. Un certain nombre sont moins assidus, mais pratiquent la
méditation de temps en temps. Seuls 13 % ne méditent que très rarement ou jamais.
53
Il peut s’agir de la méditation dite « de la pleine conscience », technique qui se
développe d’ailleurs aujourd’hui de plus en plus hors de la sphère spirituelle, réduite
à de simples exercices. Mais ici on rencontre plus souvent une - ou plutôt des -
méditations dans la continuité de celles qu’ont connues toutes les grandes traditions
spirituelles et pas seulement orientales, même si les pratiques qui viennent d’Orient
sont majoritaires. Elles visent à une transformation de l’homme, doivent lui permettre
d’accéder à plus haut, à plus grand : Dieu, dans les monothéismes, la libération chez
les bouddhistes, une meilleure vie ou un meilleur soi-même chez les épicuriens ou
chez les stoïciens.
- jamais 12 %
total 100 %
Le nombre des priants quotidiens est légèrement supérieur à celui des méditants
(37% contre 34 %), mais les priants hebdomadaires sont sensiblement moins
nombreux (23 % contre 37 % chez les méditants). Ce qui fait quand même au total
60 % des chercheurs spirituels qui prient fréquemment. Significative aussi est la
proportion non négligeable (18 %) de ceux qui prient seulement dans des
circonstances particulières (liées à un événement ou à une occasion précise).
On dispose pour la prière de points de comparaison avec la moyenne nationale1 : la
prière au moins hebdomadaire ne concerne que 22 % des français (soit près de trois
1
Source : enquête Valeurs européennes ARVAL/CNRS 2008
54
fois moins que dans notre public). A l’autre extrême, plus d’un français sur deux
(54%) affirme ne jamais prier, alors qu’on n’en trouve que 12% chez les chercheurs
spirituels.
Prière et méditation entretiennent évidemment des rapports étroits. Certes leur objet
est différent : la prière est une relation à quelqu’un, elle suppose un interlocuteur
(intercesseur, Dieu, …) vers lequel on se tourne et à qui on s’adresse. La méditation
n’implique pas un interlocuteur, elle consiste à se mettre en état de disponibilité à ce
qui se passe ou à ce qui passe, ou à soi-même. En pratique elles sont souvent
associées par ceux-là mêmes qui s’y livrent. Un croisement des réponses de
l’enquête le montre clairement :
PRIERE
Fréquente (au Episodique (au
Rarement
moins une fois moins une fois ou jamais
par semaine) par mois)
Fréquente (au
moins une fois 48 % 4 % total 23 % 19 %
par semaine)
MÉDITATION
Episodique (au
moins une fois 7% 4% 5%
par mois)
total 12 % total 17 %
Rarement 5% 2% 6%
ou jamais
Les plus nombreux (48 %, près d’un sur deux) associent régulièrement l’une et
l’autre. Simultanément ou consécutivement : la méditation peut être une préparation
à la prière, ou elle peut même être considérée par certains comme une forme de
prière. Mais il existe aussi des personnes qui privilégient explicitement l’une sur
l’autre : 12 % pour la prière (dont 5 % de manière exclusive) et 23 % pour la
méditation (dont 19 % de manière exclusive). Enfin on trouve dans notre public de
chercheurs spirituels des gens qui ne pratiquent qu’épisodiquement ou jamais ni la
prière ni la méditation : 17 %, dont 6 % y sont totalement étrangers. Soit au total
83%, plus de huit chercheurs spirituels sur dix, qui font l’un et/ou l’autre. Là aussi,
nous sommes loin de la moyenne nationale : même en prenant une définition très
large (« vous arrive-il de prendre un moment pour prier, pour méditer, pour la
55
contemplation ou quelque chose comme cela ? »)1, on ne compte que 42 % des
français seulement qui se donnent parfois un temps de disponibilité personnelle, qu’il
débouche ou non sur une dimension spirituelle.
Pour simplifier, on pourrait dire que les chrétiens méditent autant - et non pas moins -
que les autres. Ils ont ajouté ou associé une pratique de la méditation à leur pratique
de la prière, ou ils ont fait évoluer le sens de cette dernière. Mais ils prient
sensiblement plus (ou si l’on préfère, les non-chrétiens prient sensiblement moins).
Cette différence provient essentiellement de la prière régulière, qui se situe 20 points
au dessus de celle des non-chrétiens.
La progression sur son chemin intérieur s’alimente aussi à des rencontres. Celles-ci
peuvent être essentiellement de deux natures : d’ordre relationnel ou d’ordre collectif.
1
Source : enquête ARVAL, op. cit.
56
Etes-vous accompagné dans votre vie
intérieure par un Maître ou un Guide ?
Oui 37 %
Non 63 %
Oui 47 %
Non 53 %
1
On verra plus loin, dans le chapitre consacré aux difficultés et aux dangers éventuels de la
démarche spirituelle, comment certains expriment leur réticence ou leur méfiance vis à vis de dérives
possibles.
57
L’hindouisme, pourtant concerné théoriquement au premier chef compte tenu de la
place qu’y occupe le maître ou gourou, arrive plus en retrait.
58
de soi sur le plan humain et spirituel (Simone Pacot, la voie christique, Agapé,
discernement spirituel...).
Derrière viennent les groupes liés au bouddhisme (groupes de méditation, de
partage, d'enseignements).
Un certain nombre de personnes sont également engagées dans des groupes
œuvrant pour la rencontre entre les religions et les cultures, comme les "Voies de
l'Orient", "Prière pour la paix", des "groupes interreligieux ou oecuméniques", "les
amitiés chrétiens-musulmans", "artisans de paix"...
D'autres groupes se retrouvent autour de la spiritualité hindoue pour des pratiques
(méditation, yoga), ou autour d'un maître (ashram de Gretz, Sri Tathata, swami
Muktananda, Krishnamurti...).
Quelques personnes, peu nombreuses, évoquent des groupes liés à des spiritualités
peu connues, ou ésotériques (groupe de recherche intérieure, prophétie des Andes,
alchimie, Mouvement spirituel de Castalie, canalisations, théosophie, etc.).
Enfin un certain nombre de groupes se réunissent pour partager sur un plan humain
(groupe de philosophie, cercle de paroles d'hommes, groupe de supervision, groupes
de pratique, couples...), mais ceux qui y participent ont tenu à les citer ici car ils leur
attribuent une portée spirituelle qui prend place dans leur cheminement personnel,
même si ce n’est pas leur objet explicite.
La recherche de sens passe aussi par une autre forme de rencontre. Non pas de
manière directe avec des personnes, mais de manière médiatisée avec des écrits (et
souvent derrière eux des auteurs ou des « maîtres de papier »).
Ces lectures peuvent être de deux types : des grands textes fondateurs, ou des
livres et articles d’ordre spirituel.
59
revanche dans le public des chercheurs spirituels cette connexion aux sources n’est
pas seulement une aspiration vague mais bien une réalité :
- de temps en temps 25 %
- rarement 26 %
- jamais 13 %
total 100 %
Le tiers d’entre eux disent les lire ou y retourner souvent (36 %) et le quart de temps
en temps (25 %). Au total plus de la moitié de notre public entretient un lien direct et
régulièrement réactualisé avec ce qui constitue la matrice de toute démarche
religieuse ou spirituelle.
Les textes cités1 sont le plus souvent liés à la tradition judéo-chrétienne, mais leur
formulation varie selon les personnes : « la Bible », « l’Ancien et le Nouveau
Testament » sont les réponses les plus courantes, mais on trouve aussi des
réponses plus spécifiques : le seul Ancien Testament pour certains2, voire plus
précisément telle ou telle de ses parties (les Psaumes, le livre de la sagesse, la
Genèse) ou le seul Nouveau Testament pour d’autres, nettement plus nombreux.
Avec là aussi parfois la désignation plus explicite d’une de ses parties : les Evangiles
essentiellement, ou plus précis encore « certains textes d’Evangile », Saint Jean, les
Epitres de Paul, etc. ; sans oublier les Evangiles Apocryphes, qui ne sont pas
officiellement retenus dans le corpus du Nouveau Testament par l’Eglise mais sont
souvent invoqués ici.
A quoi s’ajoutent des textes qui ne sont pas à proprement parler fondateurs (c’est à
dire des textes-source) mais sont considérés comme essentiels par un certain
nombre des personnes interrogées, comme par exemple les Pères du désert.
1
Une question ouverte leur demandait de préciser de quels textes il s’agissait.
2
Quelques uns nous ont même dit le lire en hébreu.
60
Le statut de ces lectures s’inscrit pour beaucoup des chercheurs spirituels que nous
avons interrogés dans une démarche profondément différente de celle qu’il revêt
ordinairement au sein des religions constituées : dans l’institution, la lecture des
textes fondateurs accompagne le cheminement du fidèle. Ici elle permet au contraire
de faire l’économie de l’institution et d’accéder directement à la source. Comme si
seul comptait le message originel, tout le reste n’étant qu’écran interposé. Cette
conception d’un religieux sans médiations ni médiateurs, d’un accès direct à
l’essentiel ou à un savoir premier, n’est pas propre à la sphère religieuse. Elle est au
cœur de la conception actuelle de l’individu et de la modernité. On la retrouve aussi
bien dans la sphère politique et sociale (refus des corps intermédiaires, valorisation
des « vrais gens » au détriment des experts, etc.) que dans la sphère de l’éducation
et de la culture (l’idéologie Internet d’un accès direct de tous au grand tout des
connaissances humaines, sans apprentissage ni recours à des enseignants, en
représente l’expression la plus récente). On la retrouvera plus loin au cours de
l’enquête dans la valorisation de l’expérience personnelle au détriment de la
connaissance, ou plus exactement de la valorisation de l’expérience personnelle
comme moyen privilégié de la connaissance.
Quant au Coran, il occupe une place très secondaire dans les références de lecture
des grands textes fondateurs.
61
leurs réponses des textes issus de deux (voire trois) traditions différentes, le plus
souvent le christianisme et une autre spiritualité non occidentale. Pour n’en citer que
quelques uns : la Bible et les Soutras, les Évangiles et les Védas, les Pères du
désert et les Koans zen, la Bible et des textes Soufis, et aussi la Bible et la Kabale,
les Évangiles et le Talmud, la Bible et le Coran, etc.
Dernière remarque sur la lecture des grands textes fondateurs: un nombre important
de personnes ont classé là des textes d’auteurs récents, certes spirituels ou
religieux, mais qui ne correspondaient pas à la définition qu’en donnait la question.
Manière de dire que ces auteurs ont été fondateurs pour eux à un moment de leur
cheminement intérieur. Nous les traiterons avec les autres livres ci-dessous.
L’offre de lecture est ici considérable, comme en témoignent les rayons des grandes
chaines de distribution du livre ou les librairies spécialisées, et les articles des
magazines. Si les textes fondateurs sont rares par nature, leurs commentaires sont
infinis, tout comme les gloses ou les analyses, les manuels d’exercices personnels,
les expériences de vie spirituelle, les témoignages, etc. Et de plus ce corpus est
constamment enrichi et relancé par une production éditoriale nouvelle, alors que le
corpus des textes fondamentaux est fini par définition (même si sa lecture en est
inépuisable). « Les possibilités de s’approvisionner directement, sans code d’accès
particulier, à des stocks symboliques multiples se sont prodigieusement démultipliés.
La prolifération éditoriale, internet, livres, presse grand public, contribue à mettre à la
disposition de chacun des informations qui ouvrent le ‘paysage religieux connu’ des
individus »1. Et l’élévation générale du niveau culturel liée à la scolarisation contribue
à leur accessibilité.
1
D. Hervieu-Leger : Quelques paradoxes de la modernité religieuse, op. cit
62
Notre public les apprécie particulièrement :
Vous arrive-t-il de lire des livres ou articles d’ordre
spirituel qui nourrissent votre vie intérieure ?
- souvent 63 %
- de temps en temps 29 %
- rarement 7%
- jamais 1%
total 100 %
Près des deux tiers (63 %) en lisent souvent, et 29 % de temps en temps. Soit au
total 92 % de lecteurs. Autant dire presque tout le monde. C’est là une
caractéristique très importante des chercheurs spirituels : alors qu’ils sont très
orientés vers les exercices personnels, le partage oral d’expériences ou les pratiques
corporelles, comme le prouvent les activités qu’ils suivent et les lieux où nous les
avons rencontrés, ils sont fondamentalement - en même temps - des gens de l’écrit.
On est loin de l’image caricaturale qui en est donnée parfois, comme de personnes
qui entrent dans le spirituel par l’émotion ou l’effusion en minorant voire en faisant
l’économie de l’approche intellectuelle… Ils se tournent naturellement vers un
support textuel pour accompagner leur démarche. Leur approche est en cela très
occidentale : même quand ils empruntent les chemins d’autres spiritualités, la culture
du livre et la révérence à l’égard de l’écrit restent essentiels. Rappelons que
l’enquête a montré par ailleurs qu’ils étaient très outillés intellectuellement, comme
l’atteste leur niveau d’études très élevé : les deux tiers ont fait des études
supérieures au delà de bac +3. L’écrit, même difficile (ce qui est souvent le cas ici)
ne leur fait pas peur.
- Commençons par les périodiques. La première chose qui frappe est leur variété :
plus de 164 titres différents ont été cités. Les vingt les plus souvent mentionnés
sont dans l’ordre :
63
- La Croix
- Vie Chrétienne (CVX)
- 3ème Millénaire
- Le Monde des Religions
- Psychologies Magazine
- Alliance (Terre du Ciel)
- Christus
- Prions en Eglise
- Etudes
- Prier
- Famille chrétienne
- Le Pèlerin
- Nexus (sciences/conscience/spiritualité)
- Magnificat
- Sacrée Planète
Il est intéressant de noter que parmi les quatre les plus lus se trouvent trois revues
qui explorent des territoires nouveaux : Sources (édité par Terre du Ciel, d’où
viennent un nombre important de personnes interrogées dans l’enquête), Inexploré
(de création récente, mais qui a déjà acquis un public) et Clés (anciennement
Nouvelles Clés). Auxquels s’ajoutent plus loin dans le classement 3° Millénaire,
Alliance, Nexus et Sacrée Planète.
A défaut d’arriver en tête, les titres chrétiens sont nombreux : La Vie, Panorama et
La Croix sont bien placés, avec chacun plus de 100 citations. Derrière les scores
sont sensiblement plus faibles : Vie Chrétienne, Christus, Prions en Église, Etudes,
Prier.
Suivent enfin une myriade de petites revues, chacune rarement citée, mais dont la
somme est impressionnante. Evoquons en quelques unes au hasard : Bio contact,
Feu et lumière, La maison de Tobie, Matruvani (Amma), Soleil levant, Tricycle (revue
bouddhiste), Je serai, Vivre, Appel du ciel, Darshan, Hozho (Chamanisme),
Pentagramme, Viniyoga, Aletheia, Approches, Cahiers du bouddhisme (IEB),
Chemins d'oraison, Génération Tao, La Bonne Nouvelle, La revue des Réseaux du
Parvis, L'âge de faire, Les Cahiers bouddhiques, Les Cahiers Simone Weil,
L'Initiation, Nouvel Essor, Résurgence, Sainte Présence (église orthodoxe celtique),
64
Vives flammes, Vivre et aimer, etc. Un inventaire qui n’est pas à la Prévert, car tous
ces titres font sens…
- Les livres qui font référence se caractérisent à la fois par leur nombre,
considérable, et par leur diversité.
Les 12 auteurs les plus cités (par plus d’une centaine de personnes chacun)
sont, par ordre décroissant:
A quoi s’ajoutent deux livres phare, cités par leur titre mais presque toujours sans
nom d’auteur tellement la mémoire s’est accrochée à ce qui est devenu une
expression familière pour leurs lecteurs : « Dialogues avec l’ange » (Gitta Mallasz,
qui dit avoir recueilli une parole dont elle n’est pas l’auteur) et « La petite voix » (365
méditations quotidiennes d’Eileen Caddy).
65
Tous ces auteurs sont difficilement classables sur une grille classique, selon leur
appartenance religieuse: trois sont explicitement chrétiens (dont aucun catholique :
Lytta Basset est protestante, Annick de Souzenelle orthodoxe , Jean-Yves Leloup
prêtre orthodoxe et théologien), trois sont bouddhistes (Thich Nhat Hanh, Matthieu
Ricard, le Dalai Lama). D’autres se situent dans une spiritualité sans s’inscrire dans
une tradition particulière, même si certains ont été initiés par des maîtres (Arnaud
Desjardins, Graf Durckheim, Christiane Singer). Voire ne s’inscrivent dans aucune
tradition (Eckhart Tolle, Gitta Mallasz, Eileen Caddy).
Les ouvrages les plus mentionnés par les chercheurs spirituels sont souvent des
guides qui transmettent un enseignement qui se veut accessible et pratique,
témoignent d’expériences spirituelles, communiquent des messages en provenance
du divin, de Dieu, des anges, de maîtres, etc. Ils apportent des éléments de réponse
aux grandes questions de la vie, aident à la connaissance de soi et à l’éveil à une
conscience nouvelle. Beaucoup de ces livres sont considérés par leurs lecteurs
comme des compagnons de route précieux.
Derrière ce groupe de tête on trouve une vingtaine d’auteurs qui, sans atteindre les
scores de ceux que nous venons de citer, sont des références dans ce milieu, avec
parfois un livre-phare. Toujours par ordre décroissant : Osho, Etty Hillesum (« Une
vie bouleversée »), Maurice Zundel, Christian Bobin, Simone Pacot, Christophe
André, Anselm Grun, Deepak Chopra, François Varillon (« Joie de croire, joie de
vivre »), Jon Kabat-Zinn, Neal Donald Walsh (« Conversations avec Dieu »), Marie
Balmary, Kalil Gilbran (« Le prophète »), Alexandre Jollien, Maurice Bellet, Rudolf
Steiner, Don Miguel Ruiz (« Les quatre accords toltèques »), Yvan Amar.
L’ensemble de ces lectures dessine une véritable carte des centres d’intérêt et des
démarches des chercheurs de l’enquête, une géographie spirituelle en quelque
sorte. Elle se caractérise par la diversité des portes d’entrée, la présence des
grandes traditions spirituelles, en particulier chrétienne, la place des spiritualités
orientales, le nombre important d’ouvrages ayant trait à la méditation et à l’intériorité
et d’ouvrages que l’éditeur Marc de Smedt appelle des « gymnosophies », c’est à
dire des philosophies qui ne sont pas seulement des systèmes de pensée mais des
exercices de sagesse, où le corps est impliqué dans la quête autant que la
conscience.
66
En revanche les ouvrages de type ésotérico-mystique (occultisme, chemins
initiatiques, astrologie, etc.) sont finalement assez peu présents1 contrairement à
l’idée qu’on se fait souvent des nouvelles recherches spirituelles.
Autre univers relativement secondaire dans la liste des lectures : ce que certains
appellent la « spiritualité laïque », c’est à dire une spiritualité vécue et pratiquée sans
Dieu et sans religion, qui vise souvent à revenir à l’esprit qui a présidé à la naissance
de la philosophie grecque, autrement dit à retrouver la quête de sagesse, à
rechercher de la « vie bonne », quête délaissée par la philosophie académique2.
Sont cités par exemple André Comte Sponville (« L’esprit de l’athéisme, introduction
à une spiritualité sans Dieu ») ou Luc Ferry (« La révolution de l’amour, pour une
spiritualité laïque»).
La sociologie religieuse insiste beaucoup, à juste titre, sur la place des temps forts
dans les démarches spirituelles ou religieuses aujourd’hui (grands rassemblements,
stages ou sessions, évènements marquants de la vie personnelle), temps forts qui se
substitueraient à la permanence de l’appartenance à des communautés et à la
régularité d’une temporalité organisée par les rituels. Dans notre public, ce
surinvestissement des temps forts n’exclut pas des continuités, qui se fondent sur
d’autres bases, librement choisies. En dehors des lieux et des moments où nous les
avons rencontrés, les chercheurs spirituels continuent à pratiquer en permanence
des formes d’enrichissement de leur démarche personnelle et spirituelle. On dit
souvent que les choses retombent après la mobilisation intense du corps et de
l’esprit que constituent ces sessions. En réalité, elles se poursuivent sous d’autres
formes et s’ancrent dans le quotidien, chacun à sa manière (méditation, prière,
lectures, accompagnement spirituel, groupes) et à son rythme.
1
Si l’on excepte Rudolf Steiner, qui figure dans les 40 premiers.
2
Cf. Louis Hourmant : Nouvelles religiosités et nouvelles recherches de sens, op. cit.
67
. III .
68
On connaît maintenant mieux qui sont les chercheurs spirituels et ce qu’ils font pour
alimenter leur recherche. Reste à se demander - donc à leur demander - non plus ce
qu’ils vivent mais comment ils le vivent, et dans quelle représentation d’eux-mêmes
et du monde ils s’inscrivent.
69
Y a-t-il eu au cours de votre vie un événement, une circonstance particulière qui vous
a fait prendre un tournant dans votre cheminement personnel intérieur, ou ce
cheminement est-il le fruit d’une évolution progressive ?
Si l’évolution progressive est la situation majoritaire (61 %), la vie n’a pas été un long
fleuve tranquille pour une personne sur deux (50 %), qui attribue à sa recherche
personnelle ou spirituelle actuelle une origine événementielle précise.
70
Le plus souvent (39 %, soit les trois quart de ceux qui citent une circonstance
particulière) il s’agit d’un événement précis, généralement dramatique, que les
personnes peuvent précisément nommer. Une question ouverte permettait à ceux
qui le voulaient de le préciser :
C’est le décès qui constitue l’événement fondateur le plus fort, et plus précisément le
décès d’un enfant, suivi du décès d’un conjoint. La mort des parents, pourtant
traumatisante, mais plus « dans l’ordre des choses », ou du moins dans l’ordre des
générations si elle ne survient pas prématurément, est beaucoup moins souvent
évoquée. La maladie est citée ensuite, souvent nommément le cancer, avec ce qu’il
suppose d’accompagnement dans la durée.
A quoi s’ajoute, toujours sur le versant dramatique, la mention explicite d’une remise
en cause liée à la crise de la société (5 %): chômage, crise économique, burn out,
etc.
71
témoignage ou fait modèle. A quoi s’ajoute, mais de manière moins fréquente (7 %),
le témoignage fort d’un proche, ami ou famille, dont la parole a marqué.
Pour mémoire, mentionnons aussi des voyages marquants : un séjour en Inde, une
pérégrination sur le chemin de Compostelle, une randonnée dans le désert.
Nous n’avions pas pensé à citer dans la liste des réponses « fermées » du
questionnaire les événements heureux. Nombre de personnes interrogées nous ont
rappelé spontanément qu’il n’y a pas, dans ces circonstances exceptionnelles à la
source de leur démarche, que des choses négatives. A ces événements dramatiques
qui renvoient tous implicitement à la fin de quelque chose (fin de la vie, fin d’un état
de santé, fin d’une relation, etc.), ils opposent des événements positifs qui renvoient
au début de quelque chose, à une origine. Ce peut être par exemple un appel
ressenti précisément à un moment donné, une rencontre amoureuse, etc. Mais
l’événement heureux le plus fréquemment cité est un « heureux événement » : la
naissance d’un enfant qui a été le déclencheur de leur quête, voire une véritable
révélation : « la naissance de mon premier enfant m'a révélé le divin alors que j'étais
athée ».
Cette enquête portant, par construction, sur les personnes qui sont engagées dans
une démarche spirituelle, nous avons vérifié à l’occasion de cette question si elles se
reconnaissaient bien dans ce terme : il est en effet possible de s’intéresser aux
pratiques corporelles et énergétiques, à la méditation, au développement personnel,
aux médecines alternatives, etc. en récusant toute dimension spirituelle ou tout
72
débouché spirituel à sa quête. Cette question a donc servi de filtre1: compte tenu de
l’objet de cette enquête sociologique, nous n’avons retenu dans notre échantillon
final que les chercheurs qui inscrivent leur cheminement dans une perspective
spirituelle, quelle que soit l’intensité – forte ou faible – de cette attente2. Parmi ceux-
ci, 70 % nous ont dit être « tout à fait » engagés dans une démarche spirituelle, et
30% « assez ».
1
Rappelons sa formulation exacte : « Aujourd’hui, êtes vous plus ou moins engagé dans une
démarche spirituelle, une démarche de développement personnel, une démarche thérapeutique ou
une démarche religieuse ? » : tout à fait, assez, pas vraiment, pas du tout
2
Réponses Tout à fait + Assez. Ce qui était le cas de 85 % de notre échantillon de recrutement initial.
Les autres (15 %) ont récusé explicitement toute dimension spirituelle à leur démarche. Nous ne les
avons donc pas gardés dans l’échantillon final sur lequel est basé toute l’enquête et son analyse. Cf.
méthodologie en annexe.
73
En dernier, loin derrière, on trouve la démarche explicitement qualifiée de religieuse :
30 % seulement des personnes interrogées assument cette dimension, pour moitié
« tout à fait » et pour moitié « assez ».
Avant d’aller plus loin sur le contenu de ces termes, voyons déjà si les réponses
varient selon le profil des personnes. On relève effectivement des différences, pas
considérables selon le sexe, sensiblement plus importantes selon l’âge :
tout à fait 17 % 26 % 27 % 31 % 21 % 12 %
Thérapeutique assez 25 % 25 % 33 % 28 % 26 % 18 %
total 42 % 51 % 60 % 59 % 47 % 30 %
Les femmes sont proportionnellement un peu plus nombreuses que les hommes à
définir leur démarche comme de l’ordre du développement personnel ou d’ordre
thérapeutique. Mais paradoxalement les hommes sont plus nombreux que les
femmes à mettre leur cheminement intérieur sous le signe du religieux. Alors que
toutes les enquêtes de sociologie religieuse montrent que les hommes sont de
manière générale plus réticents à revendiquer une appartenance religieuse, et
encore plus à en pratiquer le culte et les rites. Cette réserve vis à vis du religieux
joue effectivement comme une barrière à l’entrée dans les sessions ou stages
consacrés au cheminement intérieur. D’où la sous-représentation des hommes dans
l’échantillon de l’enquête. Mais ceux qui ont sauté le pas - et à qui il a fallu sans
74
doute une motivation plus forte pour se distinguer de l’ensemble de leurs semblables
- se retrouvent être les plus impliqués au sein de notre population.
L’âge introduit aussi un certain nombre de variations significatives (cf. tableau page
précédente) :
L’inscription de son cheminement intérieur dans une perspective de développement
personnel est maximum chez les plus jeunes (87 % au total) et décroît ensuite avec
l’âge, pour n’atteindre plus que 60 % chez les plus de 65 ans. La corrélation est de
même sens, de manière encore plus marquée, pour l’évocation d’une perspective
thérapeutique (qui baisse de 60 % chez les plus jeunes à 30 % chez les plus âgés).
En revanche on ne la trouve pas – ou peu – là où on l’attendait le plus : certes c’est
chez les plus de 65 ans que la perspective religieuse de la démarche est la plus
souvent citée (34 %) mais elle reste minoritaire. Et surtout elle n’est pas très
différente selon les générations. Là aussi, ce résultat fait apparaître un phénomène
nouveau par rapport aux enquêtes classiques de sociologie religieuse faites sur
l’ensemble de la population, où l’appartenance comme la pratique sont d’autant plus
faibles qu’on va vers les générations les plus jeunes. Le public des chercheurs
spirituels est d’une certaine manière contre-tendanciel puisqu’au sein de ce groupe
les différences générationnelles s’estompent, même si elles avaient pu jouer en
amont comme barrière à l’entrée.
75
1. Typologie
- Le premier type est constitué des personnes qui à la fois se disent fortement
impliquées sur le plan spirituel et qualifient explicitement leur démarche de
religieuse. Ils représentent le quart (24 %) des chercheurs spirituels. Auxquels on
peut ajouter, à un niveau moins investi, ceux qui ne font état que d’une implication
spirituelle modérée (6 %).
- Le second type, le plus nombreux, regroupe le tiers de l’ensemble (34 %). Ils
qualifient leur démarche de fortement spirituelle mais récusent explicitement le terme
de religieux, dans lequel ils ne se reconnaissent absolument pas. Pour eux la
1
En cumulant les réponses « tout à fait » et « assez » à la question de la démarche religieuse du coté
positif, et « pas vraiment » et « pas du tout » du coté négatif.
76
spiritualité est soit au-delà des religions, soit se substitue aux religions. Nous y
reviendrons ci-dessous dans l’analyse des commentaires spontanés.
- Le troisième type comprend les personnes qui excluent toute dimension religieuse
à leur démarche et se disent modérément investies sur le plan spirituel. Leur nombre
est loin d’être négligeable : une personne sur cinq (20 %). On est là dans une
recherche de sens qui peine à se définir, tout en n’écartant pas son appartenance à
une dimension qui ne se réduit pas à une immanence.
- Enfin la position des personnes qui se classent dans le quatrième type est, de leur
aveu même, plus incertaine : adhérant au terme de « spirituel » mais hésitant à
qualifier leur démarche de « religieuse » tout en ne se résignant pas pour autant à la
désigner comme explicitement non-religieuse. D’où leur non-réponse sur ce second
terme, qui est tout sauf un oubli de répondre, mais plutôt le signe d’une expectative
sur la chose ou d’une réticence sur le mot, trop connoté à leurs yeux. C’est la
situation d’une personne sur six (16 %).
Cette typologie renvoie, dans ses différentes modalités et ses différentes intensités,
à ce que D. Hervieu-Léger présente comme une évolution de fond de la sphère du
religieux : ces démarches « s’inscrivent de moins en moins dans les formules du
croire offertes par les religions institutionnelles. Dans ces sociétés qui ont placé
l’autonomie du sujet à leur principe, les individus composent désormais de façon plus
ou moins indépendante les petits systèmes de croyance qui correspondent à leurs
aspirations et à leurs expériences »1 .
1
D. Hervieu-Léger : La religion en mouvement, op. cit
77
- La religion comme division, la spiritualité comme unité :
. « La spiritualité est le côté ésotérique qui forme l'unicité des religions par
opposition aux religions constituées des rites et rituels, qui divise et sépare les
hommes. Il faut plus mettre en valeur ce qui nous unit que ce qui nous
sépare»
. « Le mot religion me gène car elle divise alors que la spiritualité est une
démarche intérieure qui pour moi à beaucoup plus de sens, elle est dans
l'unité avec le tout »
. « Les religions nous enferment dans une tradition dans le temps et l'espace;
la spiritualité rassemble tous les hommes; les religions les divisent »
. « Le cadre proposé ou imposé par les religions n'est plus nécessaire quand on
a compris et accepté le fonctionnement humain. "Pas de religion" ne veut pas
dire "pas de rituel", ni "pas de croyance", bien au contraire, surtout rien
d'imposé, la partie la plus sensible et la plus riche de l'être ne se laisse jamais
emprisonner »
. « Le "hasard" de notre naissance et vie nous fait aborder une religion, pourtant
les rencontres et échanges avec d'autres nous montrent la même recherche
quel que soit le nom de Dieu. Je pense que la religion enferme alors que la
recherche spirituelle "élargie" nous donne une unité de fraternité »
. « Pour moi, la religion est un enfermement alors que la spiritualité est une
ouverture formidable vers la vie! »
78
grandissent ... "Dieu" a sa demeure en tous les Hommes de bonne volonté ...
loin des dogmes et des schismes ! »
. « Pour moi, la vie spirituelle sert à vivre heureux. Cette valeur a été perdue
par les églises chrétiennes, qui ne m'ont aidée en rien à vivre mieux »
. « Je ne comprends toujours pas les liens qui sont faits entre spiritualité et
religion ??? Pour moi les deux n'ont vraiment rien à voir : spiritualité = reliance
religion = croyance »
79
B . La spiritualité comme dépassement de la religion
Parmi ceux qui insistent sur la distinction entre la religion et la spiritualité (ou entre la
démarche religieuse et la démarche spirituelle), d’autres n’y voient pas une
opposition mais une inclusion. Les deux ne s’excluent pas, mais les limites de l’une
peuvent être surmontées par l’autre.
. « Je considère que la religion est une matrice dans laquelle grandit l’enfant.
S'il y reste enfermé, alors la religion devient une cage, une prison. L’église de
Jésus n'exclut personne. Jésus Lui-Même est sorti de la cage du Judaïsme,
non pour créer une nouvelle religion, mais en faisant Son chemin de Fils du
Père, d'Unité avec le Père Il nous montrait Le Chemin. Il nous invite à quitter la
cage de nos églises, en liberté des enfants de Dieu. La religion peut alors rester
un nid, dans lequel on peut venir se nourrir retrouver des frères, prier ensemble,
partager le Pain »
- La religion comme moyen, comme prix à payer pour accéder au spirituel considéré
comme fin :
. « La recherche spirituelle n'est pas liée à une religion. La religion peut être un
support, un moyen qui répond à une aspiration intérieure »
80
. « L’Eglise est comme le tuyau rouillé dans la montagne qui permet à l’eau
d’arriver jusqu’à nous »
C . La spiritualité en soi
Les différentes conceptions que nous venons de passer en revue reposent sur une
définition par différence : la spiritualité est ce que n’est pas, ou n’est plus, ou n’est
pas assez, la religion, bref son contre-type inversé. Mais on trouve aussi des
définitions par construction, sans référence ni positive ni négative à la religion,
construites à partir de ses attributs propres :
- La spiritualité est un chemin. Elle ne se définit pas par un but mais par sa
progression même. Le « chercheur » spirituel n’a pas nécessairement vocation à
devenir un « trouveur » spirituel :
. « La vie spirituelle est une sorte de parcours. Certaines étapes sont riches de
sens et d'autres ternes. De toute manière, il se passe quelque chose et l'univers
symbolique s'élargit chaque fois plus que l'univers du réel »
. « Le spirituel pour moi : une quête perpétuelle (à longueur de vie) qui s'enrichit
d'expériences vécues et de lectures/dialogues permanents pour tenter de saisir
à la fois les dimensions historico-sociales et profondément spirituelles au sens
étymologique du terme »
81
. « Le terme le plus approprié c'est le chemin, même s'il y a des embûches on
avance et on fait de belles rencontres, on se sent relié aux autres et à plus
grand que soi, le côté mystique de toute religion est ce qui nous nourrit le
mieux »
- La spiritualité est une construction personnelle propre à chacun. Elle ne passe pas
forcément par les grandes choses, et peut « être à la recherche des moindres signes
de la transcendance dans l’épaisseur du quotidien »1 :
. « La spiritualité selon moi est d'ordre personnel, elle se partage ou pas et se
vit avec plus ou moins de profondeur »
1
Richard Bergeron : Pour une spiritualité du troisième millénaire. Université de Québec à Montréal,
2006
82
de libre arbitre, mais aussi de retrouver quelque chose de plus grand, plus
calme, plus serein qui nous constitue tous mais qui nous dépasse »
. « C'est une façon d'être au monde et avec les autres dans la conscience que
nous sommes tous reliés, tous un et tous des êtres porteurs du Divin en soi,
quel que soit le nom qu'on lui donne. Ce que je fais à l'autre je me le fais à
moi-même. C'est aussi avoir la conscience de la force de l'Amour guérisseur.
Certains l'ont très tôt, d'autres doivent d'abord faire un chemin parfois dur,
pour y arriver »
1
J. M Donegani : Le religieux à la carte, op. cit.
2
D. Hervieu-Léger : Quelques paradoxes de la modernité religieuse, op. cit.
83
. « Pour moi Dieu est Nature, est aussi la Terre, l'Humanité, notre Essence, et
tout le reste, alors le monde spirituel ne devrait pas être séparé de ces
choses. Nous devrions commencer à penser de manière innée que nous
sommes des êtres fondamentalement spirituels qui vivent dans la matière ET
PAS L'INVERSE... »
Tous, nous l’avons vu, ne se donnent pas les mêmes moyens pour progresser sur
leur chemin intérieur : stages, sessions, formations, mais aussi lectures, rencontres,
méditation, etc. Mais même à comportement identique (et lorsqu’ils se donnent les
mêmes moyens) rien ne dit que les motivations ou les attentes de chacun soient les
mêmes.
Nous avons donc proposé une liste d’attentes possibles. Liste multidimensionnelle
qui prend en compte plusieurs formes de catégorisations : le registre personnel et le
registre spirituel ; ou le corps, l’âme et l’esprit ; ou encore les espaces différents du
moi, des autres, de Dieu et de l’univers. Nous empruntons ici délibérément des
1
Marcel Gauchet : Le désenchantement du monde, Gallimard 1985 . Cf. aussi Alain Ehrenberg : La
fatigue d’être soi, Odile Jacob, 1998
84
distinctions que l’on rencontre classiquement dans les textes et les enseignements
qui nourrissent ce milieu. Mais nous leur avons redonné dans les questions une
forme personnelle et non pas conceptuelle : ces dimensions sont donc présentes de
manière implicite ou explicite dans des assertions sur lesquelles les personnes
interrogées sont amenées à se prononcer en fonction de leur vécu. Il ne s’agit
évidemment pas pour nous de déduire, à partir des réponses, si ces propositions
sont « justes » ou non dans l’absolu, mais de savoir si et comment les chercheurs
spirituels se reconnaissent plus ou moins en elles1.
Qu’attendez-vous personnellement des différents moyens (stages ou sessions, mais aussi méditation,
lectures, rencontres, etc.) que vous prenez pour avancer sur votre chemin intérieur ? »
1
Pour chaque formulation était proposée une échelle de Lickert à plusieurs niveaux, qui permettait
aux personnes interrogées d’exprimer leur degré d’accord. De la réponse « c’est essentiel pour moi »
à la réponse « cela n’entre pas en ligne de compte », en passant par les valeurs intermédiaires « c’est
important » et « c’est secondaire », avec toujours la possibilité explicitement proposée, de ne pas se
prononcer si l’assertion ne leur paraissait pas pertinente.
85
de cette liste est peu ou prou reliée à toutes les autres. Toute enquête par
questionnaire a besoin, pour produire de l’information et de l’interprétation, de
catégoriser et de distinguer – les motivations, les circonstances, les attentes, etc. –
afin de rendre compte d’un réel où en fait toutes ces dimensions sont imbriquées
dans la pratique même de chacun. Le paradoxe épistémologique est que cette
enquête porte sur des personnes qui privilégient l’unité sur la séparation, quand elles
ne font pas de cette aspiration à l’unité l’objet de leur quête spirituelle.
- seconde remarque : évidemment toutes ces propositions sont d’une certaine
manière positives puisque cette liste passe en revue des attentes de progression
personnelle. Difficile d’être contre, même si on peut éventuellement y être indifférent.
On aspire volontiers à tout, et à tout en même temps. La somme des réponses
favorables (« c’est essentiel » + « c’est important ») est donc toujours très élevée. Ce
qui compte à l’analyse ce ne sont pas les valeurs absolues mais les valeurs relatives,
c’est à dire la hiérarchie des attentes (on n’ose dire le hit-parade). Pour simplifier
encore le tableau et mieux faire ressortir les aspirations les plus fortes, nous avons
construit une échelle qui ne reprend en graduation que les réponses les plus
investies (« c’est essentiel ») :
86
- Les deux aspirations qui arrivent très nettement en tête sont « comprendre mon
être profond, m’y relier » (71 % de réponses « c’est essentiel ») et « trouver un
équilibre, trouver la paix, m’unifier » (70 %).
La première renvoie à l’intime conviction que chacun est plus que ce qu’il réalise au
moment présent. Profondeur est ici le mot clé : il existe un niveau de vérité de soi-
même, souvent caché, toujours meilleur, dont la recherche personnelle et spirituelle
permettrait de s’approcher. Quelques exemples de commentaires spontanés
recueillis dans la question ouverte qui accompagnait cette grille de propositions
l’illustrent bien :
. « Devenir "Qui je suis", être qui j'ai toujours été mais qui est resté voilé du fait
de l'oubli et de la "distraction" »
. « Etre en communion avec cette partie de soi si subtile et si difficile à
rencontrer pour mieux vivre ensemble, voici ce à quoi j'aspire »
. « Retrouver notre vraie essence et nous relier à ce qui est fondamental,
essentiel et notre vraie nature »
. « La vie est pour moi un chemin d'accès vers le plus essentiel de soi, quête
vers sa lumière intérieur, reliance au divin en soi »
. « Devenir peu à peu moi, tout moi, rien que moi... »
87
. « Être dans le présent, dans l'être et non dans l'avoir »
. « Ici et maintenant dans l’intensité souriante »
1
Par exemple dans le domaine politique, le militantisme classique (appartenance à un parti ou un
syndicat) baisse au profit d’un « militantisme moral », c’est à dire un engagement dans des
organisations à enjeu unique (par exemple « Touche pas à mon pote », « Occupy Wall Street », etc.).
Cf. Pascal Perrineau, Pierre Bréchon et Annie Laurent, Les cultures politiques des Français, Paris,
Presses de Sciences Po, 2000
88
Quelques citations sur l’aspiration à une communauté :
. « Plus j'avance sur mon chemin de croissance, plus je me sens reliée en tant
que Citoyenne du Monde et je me relie ponctuellement à des groupes ou à des
initiatives qui vont dans ce sens »
. « Il me paraît très important d'avoir des lieux de rencontre entre gens de
convictions différentes pour renforcer cette indispensable vérité de la fraternité
humaine au delà de tout le reste, pour avoir raison d'y croire encore »
. « Rencontrer des personnes en chemin vers plus de solidarité, moins de
consommation, plus d'écologie, de retrouver des communautés qui cherchent
du sens »
. « Me sentir en lien avec d'autres personnes ayant la même sensibilité que
moi, Sentir que je ne suis pas si marginal que cela, isolé »
- Le désir d’accéder à l’intelligence des choses trouve deux expressions, qui là aussi
recueillent des résultats très différents selon leur formulation :
. La notion de discernement est très importante pour les chercheurs spirituels :
« accroître ma capacité à y voir clair, mon discernement » est classé très haut (55 %
« c’est essentiel »). L’analyse des commentaires spontanés qui accompagnaient les
réponses permet de penser qu’il s’agit beaucoup plus de la faculté d’apprécier les
situations et les personnes à leur juste valeur, que de la conception chrétienne
ignacienne qui renvoie à la capacité de discerner ce qui ressortit à l’esprit de Dieu ou
à l’esprit du monde :
. « Accéder à une plus grande compréhension du monde extérieur (société,
planète, économie, finance, finalement les façons de s'organiser collectivement)
et du monde intérieur (rapport à soi-même, à son potentiel, au sens profond, à
savoir trier les croyances, à savoir trier les sciences en fonction et en raison de
ce sens profond) »
. « Mieux discerner le sens de mon chemin de vie constitue pour moi un enjeu
essentiel »
. « Comprendre ma "mission" pour cette vie, m'attacher à la mettre en œuvre »
89
. « Essentiel : comprendre ce qui se passe et accompagner le changement de
cycle que nous traversons actuellement »
. « Mieux comprendre ma place parmi les hommes et dans l'univers »
- Donner un sens à son existence est la grande affaire de tous, et beaucoup des
réponses qui précèdent étaient une autre manière d’exprimer cette aspiration, en lui
donnant un contenu plus explicite. Du coup la formulation la plus générale « donner
un sens à ma vie », sans autre précision, paraît un peu vague en comparaison,
même si elle recueille évidemment une approbation générale (la somme des
réponses « c’est essentiel » et « c’est important » atteint 83 %, mais la seule réponse
« c’est essentiel » plafonne à 54 %). Certains adhèrent à cette aspiration mais ne se
reconnaissent pas vraiment dans l’expression volontariste du questionnaire. Le sens
de la vie relève d’une perception qui n’est pas seulement intellectuelle mais intuitive.
Il s’agit plus de vivre sa vie que de la penser. Quelques répondants ont même
proposé spontanément de reformuler la question:
90
équilibrée et ne bascule pas du coté du « c’est essentiel ». En particulier pour le
corps, dont nous savons pourtant qu’il est aujourd’hui pour beaucoup une porte
d’entrée dans le spirituel, ce qu’atteste la place très importante occupée dans les
sessions suivies par les différentes disciplines corporelles. Et le rôle occupé par la
méditation. En d’autres termes le corps est un moyen plutôt qu’une fin.
. « Non pas "être à l'écoute de mon corps" mais être, devenir mon corps »
. « Habiter pleinement mon corps »
. « Importance pour moi de vivre une activité corporelle de conscience de soi »
. « Le but est l'éveil de la conscience à travers des techniques corporelles et
expérimentales et non pas dogmatiques »
1
Environ les deux tiers de ceux qui ont souscrit à l’expression « l’esprit, le divin » ont aussi souscrit à
l’expression « la terre, la nature ». Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils font une équivalence
entre les deux termes, mais qu’il existe une corrélation entre les deux réponses.
2
Nous reviendrons plus longuement sur ces conceptions dans le chapitre consacré aux croyances.
91
. « La vie est pour moi un chemin d’accès vers le plus essentiel de soi, la quête
vers sa lumière intérieure, reliance au Divin en soi »
. « Voir en tout être humain la présence de Dieu Trinité et Amour »
. « Chercher la rencontre avec le Christ dans la prière et la méditation de sa
Parole. »
. « Essayer de discerner la volonté de Dieu, motivation principale, première et
essentielle (ce travail n'est jamais terminé) »
. « Accomplir mon vrai plan divin sur la terre »
. « Faire UN avec le Divin »
Sur le lien avec la terre et la nature les commentaires spontanés sont généralement
très universalisants :
. « Essentiel de me sentir en harmonie avec le vivant et le cosmos »
. « Être en antenne et en résonance avec notre planète »
. « Je me considère comme croyant, mais pas en dieu. J'ai une vive foi en la
Vie. Je suis actif pour développer la spiritualité de la nature, de la Vie et de
l'écologie »
. « Unité, Divin, Conscience, Energie, Esprit, Reliance Terre-Ciel-Nature sont
synonymes => Sentir, écouter, comprendre les forces et intelligences en
présence et en action dans notre monde pour œuvrer dans la compréhension
de ce qui demande à se réaliser »
- Une surprise : l’approche qu’on pourrait qualifier d’utilitariste, qui inscrit la recherche
de développement personnel et spirituel – et aussi les stages ou sessions qui vont
souvent avec – dans un désir d’efficacité et de retombées positives objectives, arrive
en fin de classement. « Me libérer d’un problème, guérir » rencontre 26 % de
réponses « c’est essentiel » et « recueillir des bénéfices dans ma vie quotidienne
(couple, famille, travail) 30 %. On pouvait l’attendre plus haut, compte tenu de la
place qu’a prise aujourd’hui dans le discours social le principe de gratification : est
bien ce qui me fait du bien. Les sociologues des religions insistent beaucoup sur
l’extension de ce principe de gratification à la sphère du spirituel, la valeur d’une
proposition croyante tenant de plus en plus à la satisfaction qu’elle procure à son
utilisateur, à sa valeur d’usage en quelque sorte.
Leur positionnement dans la liste des attentes des chercheurs spirituels que nous
avons interrogés, sans invalider ces hypothèses, les relativise. Cela ne signifie pas
qu’ils n’aspirent pas à une efficacité de ce type (là aussi le positif l’emporte sur
l’indifférence) mais ils n’en font pas un objectif central de leur quête. Ils visent
d’abord plus large, plus spirituel ou plus personnel mais en tout cas moins
92
conjoncturel. Leur demande va bien au-delà de ce que peuvent produire les
approches de travail sur le mental, sur le psychologique ou sur le corps, réduit à des
techniques visant à un soulagement. Le but n’est pas la guérison mais bien la
transformation progressive de soi. Les effets directs sur la vie personnelle sont plutôt
considérés comme des bénéfices secondaires de la démarche que comme des
aspirations principales.
Ce qui n’empêche pas certaines reformulations fortes :
. « Recueillir des bénéfices dans la vie quotidienne n’est pas le but de ma
quête, guérir de mes manques d’Amour oui »
. « Mon objectif est de trouver un équilibre personnel, conjugal, familial et
professionnel (toujours à réadapter), d'unifier ma vie et ma foi, de vivre au
quotidien avec Dieu et ainsi devenir moi-même, répondre à ce à quoi je suis
appelée »
. « Arrêter de souffrir, arrêter d'avoir peur »
. « Développer une conscience qui me détache de tout ce que j'ai construit à
travers mes blessures »
. « Mettre de la lumière sur mes blessures d'enfance. Équanimité pour être
sereine et détachée du j'aime, j'aime pas »
. « Être libre de la souffrance et permettre à tous les êtres de s'en libérer »
La liste des attentes proposée par le questionnaire n’épuise évidemment pas toutes
les aspirations possibles du cheminement intérieur. Les personnes qui ont répondu à
l’enquête ont d’ailleurs saisi en grand nombre la possibilité qui leur était offerte de
développer l’expression de leurs attentes dans une question ouverte. Soit en
reformulant ou en précisant nos catégories avec leurs mots à eux, comme nous
venons de le voir ; soit en resituant leurs attentes dans un cadre plus large.
On trouve à l’œuvre partout, de manière implicite ou de manière explicite, mais
toujours centrale, une anthropologie de la relation : relation au divin, relation au
cosmos, relation aux autres, relation à soi-même dont beaucoup nous précisent
qu’elle n’est pas un repli mais la condition absolue pour s’ouvrir aux autres.
Cette démarche se double d’une préoccupation de mise en connexion de divers
domaines entre eux : science et spiritualité, psychologie et spiritualité, corps et esprit,
essentiel et quotidien. Des expressions comme « aimer », « participer », « être à
l’écoute » reviennent fréquemment. On se sent dans un milieu holistique qui tend à
donner autant d’importance à la relation qu’à chacun des éléments qu’elle relie.
93
III. 3. Leur perception de la démarche spirituelle : conditions, obstacles,
dangers.
Suivre une démarche spirituelle ne va pas de soi. Elle ne tombe pas du ciel, si l’on
peut dire. Il y faut des conditions, elle rencontre des obstacles et elle n’est pas sans
dangers. Beaucoup d’institutions religieuses et civiles, de théologiens, de maîtres
spirituels, de psychologues, se sont déjà abondamment prononcé sur le sujet, avec
d’ailleurs une focalisation sur les dangers en ce qui concerne les institutions. Il est
intéressant de voir ce qu’en pensent ceux-là même qui disent être dans un
cheminement spirituel, et non pas ceux qui parlent à leur place ou jugent de
l’extérieur. Ils s’expriment par expérience, même si tous ne qualifient pas ici
seulement leur propre parcours et se prononcent aussi de manière générale ou
générique.
L’enquête citait huit dispositions qui peuvent favoriser la quête spirituelle. Pour
chacune, on demandait si elle était indispensable, utile ou pas vraiment nécessaire.
94
On peut distinguer clairement sur le graphique deux groupes de réponses : quatre
conditions sont considérées comme « indispensables », les quatre autres ne sont
que « utiles ». Très peu ne les trouvent pas nécessaires du tout.
Parmi les termes associés dans le commentaire spontané de cette réponse, le mot
d’engagement est le plus souvent évoqué :
. « Engagement sincère »
95
. « Engagement spirituel »
. « Engagement avec soi-même, sans attente de résultats »
. « Engagement profond, adhésion de tout son être »
Ils sont cependant conscients de la difficulté de la chose : les deux mots les plus
cités ensuite dans les commentaires sont courage et effort…
- Le silence enfin occupe une place importante dans les conditions citées
positivement (54 % indispensable). Faire silence dans un monde qui se caractérise
par un encombrement permanent de l’espace sonore, comme de l’espace tout court,
suppose une volonté de retrait. Même si elle ne débouche pas nécessairement sur
une retraite (on cite plus volontiers la prière ou la méditation). C’est plutôt faire
délibérément un pas de coté.
96
- Le mot détachement (28 % indispensable) fait réagir. Il est certes propre à
certaines voies spirituelles mais pas à toutes, et il ne s’y réduit pas. En fait le mot est
ambigu, ce qui a pu freiner l’adhésion de certains, faute de savoir sur quoi ils
s’exprimaient vraiment :
. « Le mot détachement me gène, il peut être mal compris »
. « Il s’agit plutôt de libération, d’équanimité, de renoncement, de lâcher prise,
de non attente »
Le détachement peut d’ailleurs davantage être une conséquence qu’une condition :
. « Vient au fur et à mesure, c’est un des fruits de la pratique »
. « C’est le résultat d’un travail intérieur, une "fruitition" »
D’autres expressions lui sont parfois préférées, en particulier acceptation ou
abandon :
. « Abandonner toute volonté de "faire" qui serait animée par l'ego, ne pas
vouloir que la réalité, l'instant présent, fut autre que ce qu'il est, mais d'abord
s'ouvrir à ce qui est »
. « Acceptation de ses ombres » ; « acceptation de soi »
. « Abandon de ce que nous savons »
. « Accepter que l’on a encore tout à apprendre, accepter que tout est matière à
évoluer, même ses égarements »
. « L'acceptation qu'on ne peut tout contrôler dans la vie, accepter que l'on a
pas que du "bon" en soi »
- La présence d’un maître ou d’un guide pour accompagner sa quête spirituelle est
affirmée comme indispensable par seulement 22 % des personnes
interrogées,même si 50 % le trouvent utile. La réponse est évidemment corrélée par
97
le fait d’en avoir un soi-même ou pas, même si la coïncidence entre les deux n’est
pas totale1.
Cet accompagnement peut donner un élan initial, puis disparaître : « Au départ un
guide est utile jusqu'à ce que je reconnaisse que c'est "moi je" la réponse et la
recherche ».
Ou il peut changer selon les moments de la vie: « L'accompagnement par un guide
ou un maitre me semble nécessaire, mais je pense que ce guide ou Maitre peut
varier au cours de mon évolution »
Ou bien on peut ne pas se contenter d’un seul maître exclusif : « Il faut plusieurs
maîtres ».
En fait c’est le mot même de Maître ou de Guide qui fait problème à certains, quand
il est investi trop fortement. En tout état de cause, la meilleure définition du guide ou
du maître est qu’il préserve la liberté de celui qui le suit :
. « Un guide peut-être utile mais je crois que le cheminement est personnel »
. « Recevoir les enseignements d'un maître qui vive ses enseignements, qui
nous laisse libre et nous enseigne à devenir libre »
D’ailleurs certains lui préfèrent le mot « accompagnateur ». Quitte à lui donner un
sens extensif et à y inclure « les amis », voire plus largement tous les contacts
humains un peu approfondis (« Chaque (presque) personne rencontrée est aussi un
guide »), voire plus largement encore la vie elle-même (« Le guide ou maître n'est
pas pour moi la personne physique mais la vie » ; « La Vie est notre premier
maître »).
1
En croisant cette réponse avec celle à la question, analysée plus haut, de l’accompagnement par un
Maître ou un guide, on voit que sur 100 personnes qui considèrent la présence d’un guide comme
indispensable, le quart n’en a pas un pour autant.
98
sans investir nécessairement sur l’appartenance à une communauté spirituelle
particulière, fut-elle constituée sur les mêmes bases affinitaires que sa propre
démarche. Ou alors une communauté de circonstance, provisoire (par exemple à
l’occasion d’une session) mais pas permanente. L’individualisation contemporaine
est à l’œuvre ici comme dans d’autres domaines, nous l’avons déjà évoquée. Elle
n’est pas absence des autres, mais les rend optionnels si on peut dire : chacun sa
voie, chacun son histoire.
99
. Rencontres : « Rencontres personnelles », « rencontres, confrontation avec
d'autres courants, d'autres modes de pensée, échanges », « Faire de bonnes
rencontres »
. Dialogue : « Dialogue entre égaux », « Le dialogue avec des personnes qui
sont dans la même démarche mais aussi avec des personnes qui ne sont pas
dans la même démarche »
. Amitié : « Des amis avec qui échanger », « Des amis qui entendent et
soutiennent », « Chemin partagé avec un ami »
. Partage : « Partages relationnels », « Partage fraternel », « Partage
d’expériences », « Le partage car seuls nous ne sommes le "catalyseur" que
d'une facette de Ce qui Est »
- Enfin un certain nombre de personnes ont tenu à compléter la liste de conditions de
la démarche spirituelle qui leur était proposée dans la question, car il leur semblait
qu’il y manquait des choses pour elles essentielles. Au premier rang desquelles les
mots amour (« s’aimer », « se sentir aimé », « l’énergie de l’amour »), désir (désir
de connaître, de grandir, d’évoluer, de s’améliorer, de progresser, de se relier, de
savoir, de comprendre, d’apprendre, de s’élever, de se perfectionner, de croissance
spirituelle,…), discernement (« Dans le choix des personnes, des lieux, des groupes
qui sont utiles à son propre cheminement », « Il est important d'apprendre
rapidement à reconnaître et suivre ses (bonnes) intuitions »), conscience
(«Conscience de l'inter-relation entre toutes choses », « La conscience de sa
responsabilité envers soi-même », « d'un au-delà de soi », « de la Présence », « de
ses manques »). Et aussi joie, humilité, liberté, sincérité et authenticité.
Les obstacles à la démarche spirituelle ne sont pas que le symétrique inversé des
conditions qui y sont favorables. Certains apparaissent manifestement comme le
négatif, ou l’absence, des qualités évoquées plus haut (par exemple l’impatience
s’oppose à la persévérance). Mais il existe aussi des difficultés propres.
Nous avons fait réagir les chercheurs spirituels sur une liste de neuf obstacles, en
leur demandant s’ils leur paraissaient très importants, assez importants ou
secondaires pour la réussite d’une démarche spirituelle.
(Cf. Tableau page suivante)
100
Avant d’aborder les réponses, il convient de faire une remarque préalable : cette
question a fait question, si on peut dire, pour un certain nombre des personnes
interrogées, qui ont mis en doute sa pertinence. Leurs réactions sont de deux types :
101
. « Chaque difficulté rencontrée est un moyen pour mieux progresser et
améliorer sa compréhension »
D’ailleurs les obstacles peuvent évoluer dans le temps :
. « À un moment donné quelque chose peut-être un obstacle et à un autre
moment une ouverture »
. « Les obstacles ne sont pas figés. Ils prennent une valeur, une force, un sens
différent au fur et à mesure que la maturité se développe »
Reste que la plupart des chercheurs spirituels ont répondu à la question des
obstacles, et leurs réponses dessinent une cartographie assez claire des difficultés
rencontrées.
Trois obstacles se détachent nettement de tous les autres : la résistance intérieure,
l’égo et la dispersion.
- La résistance intérieure (54 % très important) peut être de diverse nature, culturelle,
psychologique, intellectuelle, mentale, pour reprendre des adjectifs employés dans
les réponses. Le lâcher prise n’est pas une donnée mais une conquête.
Certains l’interprètent aussi comme le signe que la démarche est en bonne voie :
. « La résistance fait partie du processus, elle est plutôt signe de réussite de la
démarche entreprise, elle est une aide pour le chemin spirituel quand elle est
reconnue »
. « Notre résistance intérieure nous fait avancer moins vite mais on avance
quand même ! Au fur et à mesure, la résistance intérieure se dissout, et
l'ouverture de conscience s'accélère (ce n'est pas linéaire) »
- L’ego est paradoxalement désigné comme obstacle très important (49 %) par ceux-
là même qui font un travail sur eux conséquent. En réalité, plus on avance vers la
recherche de soi, plus la conscience de l’obstacle que ce « soi » peut constituer en
lui-même augmente. Mais cette conscience donne une certaine lucidité :
. « L'ego, mais pas dans le sens de le supprimer, plutôt de le remettre à sa
juste place »
. « Ce n’est pas l'ego le problème mais notre identification à lui »
. « L’obstacle est surtout l'orgueil de l'ego plus que l'ego lui-même, qui lui est
nécessaire »
Certains autres mots y sont aussi associés spontanément : l’orgueil, la suffisance, la
prétention ou l’arrogance, la vanité.
- Quant à la dispersion (48 % très important), elle peut trouver sa source à l’intérieur
de soi, dans la personnalité, ou dans la faiblesse de l’investissement personnel. Mais
102
elle est aussi alimentée par l’extérieur, par l’environnement culturel dans lequel
baigne l’homme contemporain : l’évolution de la société pousse à la dispersion sur
plusieurs dimensions simultanément, qui se nourrissent mutuellement :
. la profusion des rôles individuels assurés par chacun dans des sphères multiples,
. l’encombrement croissant du temps (multiplication des choses que l’on fait dans la
même unité de temps, voire simultanément),
. et l’ubiquité (les nouvelles technologies et internet permettent d’abolir l’espace,
d’être partout où on veut, ou à deux endroits en même temps).
La conscience de la dispersion porte en elle une aspiration au recentrage, à l’unité, à
la recherche d’un axe à sa vie. Mais elle prend acte de la difficulté de sa réalisation.
Les autres obstacles sont seconds, même s’ils ne sont pas secondaires :
- L’envahissement par l’émotion est relativement peu cité comme un obstacle majeur
(16 % très important). Il faut dire que l’émotion est souvent valorisée dans cet
univers, comme voie d’accès à une certaine vérité de soi, et aussi comme moyen de
contourner les barrières de la rationalisation et de l’intellectualisme. Son absence est
rédhibitoire. Seul son excès est dommageable.
- Le rapport aux autres n’est pas absent, mais il occupe une place relativement
modeste dans l’échelle des obstacles. Sous ses deux formes : en termes généraux
(le conformisme social : 19 %) :
. « Le rejet par les instances sociales (travail, famille, institutions,
administrations) »
. « Les spirituels passent pour des fous », « Le spirituel est jugé maléfique »
ou en termes de proximité (le décalage avec ses proches : 7 %)
. « Le manque de messages positifs et encourageants de la part de
l'entourage »
. « Difficulté de vivre en collectivité quand celle-ci n'a pas de démarche
spirituelle »
- Quant au manque de temps, on peut s’étonner de le trouver classé aussi bas en
tant qu’obstacle majeur (17 % très important) alors que c’est la raison qui est
généralement donnée par tout un chacun pour justifier son inaction, et cela quels que
103
soient les domaines concernés : social, politique, culturel, etc.. Les personnes
interrogées sont assez lucides pour percevoir que c’est autant une cause subjective
qu’objective, quant il s’agit d’un enjeu aussi important que la progression sur son
chemin spirituel. Contrainte réelle pour les uns, mais aussi excuse pour les autres.
. « Pas de manque de temps quand on est mordu par la chose »
. « S’il y a la motivation, - si on le désire vraiment, - quand on veut on peut »
Et obstacle qu’il faudrait reformuler autrement :
. « Ne pas prendre le temps, ce qui est différent du manque de temps! »
. « Plus que le manque de temps, c'est le fait de ne pas mettre en priorité ce qui
me nourrit »
A la liste des obstacles qui leur était proposée, de nombreux chercheurs spirituels
ont tenu à en ajouter d’autres qui ne figuraient pas dans le questionnaire. Ces
obstacles relèvent de causes intérieures et de causes extérieures.
104
les faiblesses du corps et de l’esprit :
. « La fatigue », « Le stress », « Le surmenage »
. « Le mauvais état de santé », « La maladie », « La souffrance physique »
. « La gestion de la sensibilité personnelle », « L'état psychologique », « Ses
blessures », « Ses névroses », « La souffrance intérieure », « La souffrance
mentale », « Les mémoires conflictuelles »
. « Le mal-être voire la déprime », « Le mal de vivre »
la présence excessive du mental :
. « Illusions du mental »
. « Esprit intellectuel (mental) très développé », « Trop d'intellectualisation de la
spiritualité »
. « L'adhésion au raisonnement cartésien ; une connaissance non renversée »,
« La difficulté à passer de la compréhension purement intellectuelle à
l'expérimentation », « L'approche trop intellectuelle sans mise en pratique,
accumulation de savoirs »
le vouloir :
. « Le volontarisme », « L'attente d'un résultat prédéfini », « L’objectif de
résultat »
. « L’obsession de l'efficacité », « Le perfectionnisme »
. « Le fait de croire que je peux tout maitriser dans ma vie », « Le besoin de
contrôler ce qui nous arrive »
et l’ignorance :
. « La non-connaissance de soi, des potentialités en nous-mêmes »
. « Ne pas savoir que l'on peut "être relevé" »
. « Le manque de compréhension de pourquoi on fait tout ça, que l'on est
responsable de sa vie »
Beaucoup évoquent des causes liées à la société. Certaines sont d’ailleurs des
déclinaisons du conformisme social évoqué explicitement dans la question, mais ils
ont tenu à le reformuler avec leurs mots à eux :
. « La plus grande difficulté est de prendre du recul par rapport aux valeurs de
notre société », « La pression sociale et du système », « Les conditionnements
sociaux »
. « Difficile de s'assumer dans la société du paraître », « L'abrutissement fourni
par la société, ses fausses valeurs, le mirage social de ce bas-monde,
l'ambiance négative à toute réalisation spirituelle »
. « L'intérêt démesuré pour la réussite matérielle », « La prévalence du matériel
comme modèle de réussite »
105
. « L'attachement exclusif à son propre bien être, aux biens, à certains plaisirs
immédiats »
. « Le décalage avec le fait d'être un "agent économique" d'une économie de
marché libérale », « Une société consumériste »
. « La noyade dans la société de "divertissement" »
La famille et l’éducation portent également une responsabilité :
. « Endoctrinement dès le jeune âge », « Conditionnements éducatifs », « Notre
formatage »
. « Une éducation essentiellement intellectuelle, pas de place pour l'éducation
émotionnelle »
. « L'imprégnation de la tradition familiale et environnementale qui transmet une
attitude réductrice envers ce qui se démarque par une démarche de recherche
personnelle »
. « Certains dogmes, le poids historique, par exemple d'une histoire chrétienne
effectivement tachée de pouvoir, de torture, de sang », « Les
fausses/mauvaises idées ou images de Dieu, de l’Eglise »
. « Les affirmations inconditionnelles de certaines religions », « Le dégoût
provoqué par les religions »
. « Le respect excessif de la tradition est un obstacle majeur »
Les freins créés par les conditions de vie et les problèmes matériels sont aussi cités :
. « Vivre dans un endroit, sans enseignement, sans maître, sans
communauté »
. « Manque d'un lieu adéquat pour une pratique quotidienne »
et pour les stages ou les sessions, le coût de l’inscription et de la participation.
Enfin, si certains souffrent d’une absence d’offre, paradoxalement l’excès d’offre peut
lui aussi poser un problème. Où l’on retrouve la difficulté du discernement :
. « La multiplicité et l’abondance des approches et des "offres" de
développement spirituel, et donc la difficulté de choisir "la bonne" ! »
. « Ne pas trouver le bon lieu, le courant spirituel qui nous rejoigne dans notre
parcours spirituel », « Ne pas trouver les bonnes personnes pour nous
accompagner dans cette démarche, ne pas savoir comment s'y prendre »
. « La trop grande quantité d'informations dans le domaine spirituel où il est
parfois difficile de faire le choix entre les vrais enseignements et enseignants et
les manipulateurs »
. « Le flou, le secret »
La démarche spirituelle fait peur dans notre société, surtout si elle s’écarte des
modèles classiques de la démarche religieuse encadrée et emprunte des chemins
106
singuliers. L’autonomie permet la liberté, mais laisse l’individu plus responsable,
donc plus vulnérable.
Manifestement les intéressés eux-mêmes sont moins inquiets que ceux qui leur
veulent du bien en voyant le danger partout... Aucune réponse de la liste n’atteint les
30% pour la gradation la plus élevée (danger important). Rappelons que, dans le
cadre d’une enquête qui saisit des comportements et des représentations individuels,
nous mesurons ici la perception subjective de ces dangers et non pas leur réalité
objective, à supposer qu’elle soit mesurable. Et que la négation d’un risque n’est pas
la garantie de son inexistence, la définition même de l’aliénation étant de n’avoir pas
conscience de ce qui vous domine. Reste que l’examen attentif des commentaires
qualitatifs laissés par les chercheurs spirituels en marge de leurs réponses montre
bien que dans la plupart des cas ils ne parlent pas d’eux-mêmes et d’expériences
qu’ils auraient vécues ou subies, mais se font les analystes de dangers qui
pourraient potentiellement guetter les autres.
107
d’aucune réponse ne se détache nettement de celui des autres. D’une certaine
manière les dangers sont à équivalence, entre 20 % et 30 % pour le niveau le plus
critique (danger important).
108
. « Le respect des autres formes de croyance (je ne possède pas la vérité) évite
le risque de la dérive sectaire »
Et plusieurs soulignent que ces risques ne sont pas propres à la démarche
spirituelle, bien au contraire :
. « Dépendance et emprise constituent un danger aussi pour les addictions
majoritaires proposées par la société : alcool, drogue, cigarettes, sexe,
multimédia : plus facile d'être addict avec ça ! »
- Le risque de fuite du réel et de la vraie vie est souligné comme important par une
personne sur quatre (24 %). Mais cette déconnexion possible de la réalité amène
certains à se poser la question de ce que signifie ce qu’on appelle trop rapidement
ou trop facilement « la vraie vie »1. Pour en contester la notion même :
. « Qu’est-ce pour vous la vie "quotidienne" ? Qu’est-ce que "la vraie vie" ? celle
du consumérisme ? »
. « Si la vraie vie est la vie que l'on nous propose dans les rues, magasins, à la
télévision et même parfois en famille, alors quel bénéfice de se couper de tout
cela ! »
. « La "vraie vie" n'est-elle pas notre vie la plus profonde ? »
. « C'est bien à travers et malgré la gigantesque comédie de la "vie réelle" que
je cherche ce qu'est la "vraie vie". Une autre dimension, cachée, de l'être
humain est à découvrir en soi »
1
Le terme est également employé depuis peu dans un autre contexte, celui des nouvelles
technologies, où on oppose le rapport au monde et aux autres que l’on entretient sur internet ou dans
les jeux vidéo, et celui qui prévaut « in the real life ». Mais la crainte de déconnexion est la même.
109
. « Ce n'est pas la démarche spirituelle qui amène à une fragilité psychologique,
mais quand on est en fragilité, la démarche spirituelle peut vite amener à la
dépendance à des "maîtres" pas forcément éclairés »
Beaucoup conviennent qu’il faut rester vigilant. Mais aborder la démarche spirituelle
par ses dangers leur paraît tout à fait excessif et passer à coté de l’essentiel. Cet
essentiel, ils le reformulent de plusieurs manières :
- Ces dangers ne sont pas propres à la spiritualité mais à tout cheminement humain :
. « La fragilité psychologique, l'emprise, la fuite du réel... sont des dangers de la
vie de chacun, pas plus réveillés (au contraire) par une démarche spirituelle
que par l'addiction à la consommation ou la conformité à un modèle social de
travailleur docile... au contraire. La démarche spirituelle est une école de
lucidité, de responsabilité »
. « La voie spirituelle n'échappe pas aux écueils de la voie mondaine »
. « Chercher est toujours un risque »
- En réalité ces difficultés peuvent être retournées non comme un risque mais
comme une chance : elles nourrissent la quête :
. « J'ai le sentiment que tous ces risques entrent sur le chemin que l'on
entreprend, et que c'est ce dernier qui permet de trouver sa voie juste entre soi
et les autres, entre esprit et matière, obscurité et lumière »
. « Tout peut être "danger" comme tout peut-être "éveilleur" »
. « Se tromper de route est-ce un "danger" ? C'est une expérience ! Je crois
simplement que la démarche spirituelle demande une grande vigilance à
dénouer les pièges de l'égo, mais c'est un grand chemin qui rend plus libre
d'être intérieurement »
110
. « C'est aux fruits dans les quotidiennetés que se mesure si la "spiritualité" est
vécue "les pieds sur terre" (plus de vie) ou dérive dans les nuages en doctrine
psychorigide (bloque la vie) »
. « Une "vraie" spiritualité est ancrée dans la vie réelle sinon c'est de l'illusion,
du mysticisme... et ce n’est pas une relation avec les autres et avec cet Autre
que j'appelle Dieu »
. « La spiritualité se vit dans le quotidien, donc je ne pense pas qu'elle nous
coupe du réel ni nous éloigne des autres »
. « Une juste (pour moi) démarche spirituelle permet de s'ancrer davantage
dans le présent, de mettre au service des autres les capacités éventuelles que
l'on développe, de s'ouvrir aux autres, de prendre du recul face aux difficultés
de la vie »
Pour laisser le dernier mot à une des personnes interrogées : « Le danger vraiment
important, c’est de ne pas avoir de démarche spirituelle… ».
111
III. 4. Les croyances
L’objet principal de cette enquête n’était pas d’interroger directement les chercheurs
spirituels sur l’ensemble de leurs croyances, mais sur leur itinéraire de cheminement
intérieur et de développement personnel.
Reste que les croyances peuvent éclairer la quête. Nous nous en sommes tenus à
l’essentiel : l’existence de Dieu, pour certains au fondement de leur démarche, pour
d’autres l’objet vers lequel elle tend, pour d’autres encore une « hypothèse dont on
peut se passer », pour reprendre la formulation de Laplace. Et le destin de l’homme
après la mort, car chercher à donner un sens à sa vie est aussi une manière de
donner un sens à sa mort, ou à en accepter l’absence de sens.
La question de l’existence de Dieu est délicate à poser dans une enquête par
sondage. C’est le genre d’interrogation à laquelle on ne peut répondre par oui ou par
non. Nous avons donc repris ici la formulation nuancée la plus couramment
employée dans les grandes enquêtes de sociologie religieuse, ce qui nous donne
aussi un point de comparaison pour les réponses.
59 % Certaine
75 % 16 % Probable
63 %
….
4% Peu probable
37 %
4% Exclue
- La croyance en Dieu est très majoritaire dans notre public : 75 %, trois chercheurs
spirituels sur quatre. Nettement supérieure à celle que l’on relève dans l’ensemble de
112
la population française, qui tourne aujourd’hui autour de 50 % selon les sondages. A
l’opposé, moins de 10 % se prononcent explicitement de manière négative.
Mais de quel Dieu s’agit-il, ou plutôt de quelle représentation de Dieu s’agit-il ? Nous
avons proposé une liste de réponses qui renvoient à des théogonies et à des
théologies différentes :
- l’origine de l’univers 23 %
- autre 16 %
1
cf. Y. Lambert : Religion, développement du hors piste et de la randonnée, op cit., qui compare les
sondages sur une durée de 20 ans. La dernière enquête accessible (sondage CSA / La Vie) indique
que la réponse probabiliste, qu’elle soit positive, négative ou expectative, s’élève aujourd’hui en
France à 54 %.
2
Pour reprendre une expression de Jean Vernette : « Des chercheurs de Dieu hors-frontières »,
Desclée de Brouwer, 1979.
113
Première information : bien qu’on leur ait demandé quelle était leur représentation
principale, un certain nombre d’entre eux en ont donné plusieurs (le total des
réponses fait 175 %...). La notion, ou l’expérience, de Dieu ne se laisse pas enfermer
dans des catégories univoques. Il existe une circulation des perceptions entre des
définitions qui aux yeux de beaucoup ne s’excluent pas même si elles empruntent à
des univers différents. D’autre part un grand nombre de répondants ont tenu à
rajouter leur propre définition, comme la possibilité leur en était donnée, pour
compléter leur réponse ou en substituer une autre à celles qu’on leur proposait. Nous
y reviendrons plus loin.
Seconde information : presque tous ont répondu à la question sur la nature de Dieu
(on compte seulement 2 % de « ne sait pas »), alors qu’à la question de son
existence près d’un sur cinq (17 %) n’avait pas répondu. Résultat qui n’est paradoxal
qu’en apparence : on peut avoir des incertitudes sur ce dont on a la notion. C’est par
rapport à la représentation qu’ils en ont – et tout le monde en a une – qu’un certain
nombre de personnes n’ont pu se prononcer sur leur propre niveau de croyance.
1
Richard Bergeron : « Pour un spiritualité du troisième millénaire », in Croyances et sociétés, Fides,
1998
114
recherches spirituelles. Et elle est en phase avec les conceptions qu’on trouve dans
les spiritualités orientales.
Loin derrière - moitié moins – on trouve deux représentations plus explicites : l’une
de l’approche qu’on pourrait qualifier de raisonnée ou de rationnelle, celle de Dieu
comme origine de l’univers : 23 % ; elle n’implique en elle-même ni une construction
collective (une religion), ni un dialogue (un échange), même si elle cohabite chez
certains avec d’autres représentations sans s’exclure. L’autre est la définition qui
renvoie le mieux à celle qui sous-tend le christianisme : un être, une personne ; c’est
à dire quelqu’un à qui on peut s’adresser ou qui s’adresse à vous. Elle ne recueille
que 17 % des réponses, alors que les deux tiers des chercheurs spirituels interrogés
se déclarent pourtant chrétiens ou d’origine chrétienne. Il existe donc dans cette
population un mouvement de reformulation des grandes catégories théologiques.
On peut le voir plus précisément en regardant ce qu’ont répondu les catholiques de
l’échantillon (ceux qui ne se sont pas réfugiés derrière l’appellation plus vague de
« chrétiens »). Et par comparaison ce qu’ont répondu ceux qui en sont le plus
éloignés culturellement, les bouddhistes, pour qui la notion même de Dieu, sous une
appellation personnalisée, fait même problème :
Certes les catholiques sont plus nombreux que tous les autres à se représenter Dieu
comme un être ou une personne (29 % contre 17 % en moyenne, soit près du
double), mais cette conception reste minoritaire, du moins comme conception
« principale » puisque telle était la formulation de la question. En revanche la
majorité d’entre eux parlent de Dieu en termes de présence intérieure. C’est
aujourd’hui le registre dominant de la théologie intuitive des chercheurs spirituels,
même s’il ne recoupe pas toujours celui de la « théologie des théologiens ».
115
Quant à ceux qui se déclarent bouddhistes, ils privilégient la définition en termes de
force et d’énergie, même s’ils se retrouvent aussi, dans une moindre mesure, dans
celle en termes d’intériorité.
Pour aller plus loin que cette mesure trop sèche fondée sur des catégories trop
simples - revers obligé de la méthodologie de l’enquête par questionnaire - il faut
s’arrêter sur tous ceux, très nombreux1 qui ne se sont pas satisfaits des catégories
proposées, ou bien qui, tout en y adhérant, ont éprouvé le besoin de les préciser
avec leurs mots à eux. Leurs définitions personnelles complémentaires, données
dans la question ouverte qui accompagnait cette interrogation sur Dieu, sont
particulièrement riches et permettent de mieux saisir la démarche et les croyances
des chercheurs spirituels.
1
Plus de 1000 sur les 5700 personnes de l’échantillon
116
Mentionnons aussi que quelques-uns rejettent le mot pour des raisons qu’on pourrait
qualifier d’ « historiques » ou de « sociologiques » plutôt que théologiques : il est
associé dans leur esprit à la religion, et c’est la religion qui leur fait problème, pas
Dieu :
. « Je n’utilise pas ce mot imprégné de religion, j’utilise la Source »
. « Le mot Dieu est très connoté pour moi car il est lié à la chrétienté, à tout ce
que l’homme a fait pour contrôler ses semblables au lieu de les rendre plus
libres »
. « Un mot usé, vidé de son sens par l’obscurantisme acharné du dernier
millénaire »
- Autre terme souvent invoqué (et parfois associé au mot amour) : Vie, fréquemment
écrit avec une majuscule. Avec des acceptions différentes, mais toujours une
dimension englobante :
. « La source de la vie »
1
Et il nous a été reproché par certaines personnes interrogées de ne pas l’avoir fait figurer
explicitement dans la question.
117
. « L’essence de la vie »
. « L’intelligence de la vie »
. « La Vie au-delà de soi »
. « La Vie même, cette vibration qui est partout »
. « L’élan vital »
. « La Vie, Energie suprême »
. « Le mystère de la Vie »
. «Le principe de toute Vie »
. « Un souffle de vie, qui agit si je lui laisse la place à l’intérieur de moi »
. « Une plénitude de vie »
et, expression qui les subsume toutes : « La Vie de la Vie »
- Le mot Conscience apparaît enfin relativement souvent, mais avec des acceptions
qui peuvent être assez différentes (et généralement ici aussi avec une majuscule) :
. « La Conscience Ultime »
. « La Conscience-Connaissance »
. « La Conscience non localisée dans une forme »
. « Conscience illimitée (ni matière, ni énergie, ni espace, ni temps) »
. « Je préfère parler de Conscience Universelle Divine »
. « La pleine conscience, celui qui est »
118
. « Une conscience créatrice, omniprésente, aimante, joyeuse »
Et pour finir par une définition qui ne rentre expressément dans aucune des
catégories ci-dessus, mais dans laquelle sans doute beaucoup se retrouveraient :
« L’inconnu qui me connaît ».
- la survivance de l’esprit 41 %
- la résurrection 25 %
- rien 2%
- autre 13 %
Fait remarquable : au sein du public des chercheurs spirituels, seule une toute petite
minorité (2 %) répond clairement qu’il n’y a rien. Il faut savoir que dans l’ensemble de
la population française se chiffre s’élève de 40 à 55 % selon les enquêtes1. C’est là
un des points de dissonance majeurs entre le public des chercheurs spirituels et le
« grand public ». Et aussi un des points de ressemblance majeurs des chercheurs
spirituels entre eux, quelle que soit la nature de leur quête.
Les autres réponses peuvent être ordonnées, des plus précises aux plus vagues.
1
Sources : enquêtes CSA/ La Vie 2004, SOFRES/ Pèlerin 2009, ARVAL (Valeurs Européennes)
2008, OpinionWay/Clés 2014
119
Les deux croyances les plus explicites et les plus liées à un corps de doctrine - la
résurrection et la réincarnation - arrivent pratiquement à égalité : respectivement
25% et 26 %. Cette équivalence des scores, et en particulier l’importance de la
réincarnation, n’allait évidemment pas de soi dans un pays de tradition chrétienne,
où l’Eglise proclame sa foi en la résurrection, et où la réincarnation est relativement
étrangère à la culture dominante.
Si on regarde de plus près qui a répondu quoi, le brouillage des représentations se
confirme : sur 100 chercheurs spirituels qui se déclarent catholiques, la croyance
dans la résurrection monte à 40 % et celle dans la réincarnation descend à 15 %.
Reste que la majorité des catholiques de l’échantillon ne souscrit pas, ou pas avec
certitude, à cette représentation de la vie après la mort qu’est la résurrection,
pourtant centrale dans la doctrine chrétienne.
En revanche on ne constate pas un autre brouillage, auquel on pouvait s’attendre,
celui entre les contenus. Il semble que les chercheurs spirituels répondent en
connaissance de cause (ou plutôt en espérance de cause, car en ce domaine il n’y a
que des hypothèses) puisque les deux représentations, résurrection et
réincarnation, sont presque toujours exclusives l’une de l’autre : seuls 4% ont
associé l’une et l’autre dans leurs réponses. Alors que dans les sondages nationaux
sur le même sujet, auprès de l’ensemble de la population française, la confusion est
très forte : ce sont souvent les mêmes qui répondent à la fois résurrection et
réincarnation.
La réponse dominante n’est cependant pas celle qui renvoie à des corps de doctrine
comme les deux que nous venons d’examiner, mais une formulation plus générique :
« la survivance de l’esprit » (41 %). Dans la moitié des cas c’est une réponse unique,
mais elle peut aussi être associée de manière complémentaire avec les deux
précédentes (plus souvent d’ailleurs avec la réincarnation qu’avec la résurrection).
Ce n’est évidemment pas d’aujourd’hui que l’homme peine à définir ce dont il s’agit.
Mais on peut faire l’hypothèse que la perte d’emprise et d’encadrement des appareils
religieux (Églises, paroisses, etc.) libère la créativité dans ce domaine. Les
120
commentaires spontanés qui accompagnent certaines réponses, ou ceux qui se
substituent aux réponses préformulées que proposait le questionnaire, en
témoignent.
- La nature de la résurrection va à peu près de soi pour ceux qui y croient, comme en
témoigne le faible nombre de commentaires additionnels sur ce point. Même si
quelques uns font état d’une difficulté à se la représenter :
. « Résurrection, mais sous une forme encore mal perceptible »
. « Résurrection de la chair dans certaines conditions »
Revenons maintenant sur les commentaires qui proposent une définition personnelle
du devenir de l’homme après la mort, hors des croyances constituées: ce sont de
loin les plus nombreux.
L’idée centrale est celle de la continuité. Elle s’oppose à la conception dominante,
dans nos sociétés, de la mort comme rupture, ou de la mort comme fin. Cette
continuité de la vie s’effectue sous une autre forme, dans une autre dimension :
121
. « La poursuite de la vie dans un autre espace-temps », « sur un autre plan »,
« sous une autre forme »
. « Point final de soi-même, continuum de la Vie dans l’univers et tout ce qui
vit »
. « Evolution dans d’autres dimensions et autres mondes avec retours
éventuels sur terre jusqu’à être dans la conscience totale fusionnant en Dieu-
origine-tenant-aboutissant, l’UN et tous et tout »
. « L’esprit survit dans d’autres plans spirituels »
. « Le corps physique, et le corps psychique disparaissent ; notre Essence
demeure. De même que la vague disparait en tant que forme lorsqu'elle se
brise sur le rivage, l'eau qui la constitue demeure en tant que substance au
sein de l'Océan. »
. « Continuité de la vie dans un corps plus subtil que notre corps actuel »
. « La mort est une transmutation vers un autre état d’Être, une naissance au
ciel en quelque sorte et puis à nouveau la chute dans la matière pour peaufiner
notre Chair à Conscience »
et plus prosaïquement : « L’aventure continue… »
Les trois mots clés employés le plus souvent sont énergie, conscience et âme (avec
des recoupements entre les trois mots dans de nombreuses réponses) :
Énergie :
. « La continuation de l’énergie de la vie »
. « Une énergie qui s’installe ou ne s’installe pas dans une autre forme mais qui
est là, qui subsiste »
. « Notre élan vital, énergie de la vie, rejoint l’éther, le potentiel immanent de
l’univers »
. « Tout est énergie créatrice, donc celle-ci continue d’être avant la mort et
après. La personne est un agrégat d’énergie, alors que la petite personnalité
est une illusion »
. « La vie est éternelle et sans fin, on est énergie avec un corps de lumière de
l’autre coté »
Conscience :
. « La continuité du chemin de la conscience »
. « Un retour à une conscience universelle, collective, unifiée au Tout »
. « Une autre expérience d’élévation de la conscience »
. « Une conscience intégrée dans l’infiniment grand »
Âme :
. « La vie continue à travers l’âme »
. « L’âme continue à évoluer dans différents plans et peut revenir sur terre »
122
. « L’âme qui essaye de se fondre dans la conscience universelle »
. « La survivance de l’âme, du divin en nous »
Dieu est rarement nommé. Alors que les personnes interrogées parlent volontiers de
retour et d’amour :
Retour à « la Source », à « l’Unité », à « la Lumière », à « l’Origine », …
Invocation d’ « un amour infini », « un océan d’amour », « Rien que de
l’Amour » .
Et pour terminer cette réponse qui plonge dans un abîme de réflexion (au double
sens de la réflexion intellectuelle et de la réflexion du miroir.): « Qu’y a-t-il après la
mort ? Je ne m’en souviens pas ».
Au total, ce qui domine est la croyance - ou l’espérance - dans une forme de vie
après la mort, que l’on sache la caractériser ou pas. C’est une position plus
philosophique que doctrinale. Si on exclut ceux qui sont convaincus qu’il n’y a rien et
ceux qui n’ont pas su donner de réponse, même vague, 90 % des chercheurs
spirituels pensent que la mort n’est pas un terme définitif de l’existence humaine.
Au fond la croyance en une forme d’immortalité, si elle ne faiblit pas, change
aujourd’hui de nature. Elle renvoie de moins en moins à un corps de doctrine précis
ou conceptualisé. La fonction de jugement par exemple est devenue secondaire. La
conviction qu’il existe quelque chose après la mort exprime peut-être aujourd’hui un
désir de survie plus qu’un désir de salut : éviter que la mort soit mortelle… Cette
attitude, que l’on retrouve aussi dans une partie de la population, semble d’autant
plus vraie pour ces chercheurs spirituels qu’ils s’appuient non seulement sur des
croyances, mais sur leurs expériences, parmi lesquelles celle de l’amour,
abondamment citée.
123
III. 5. L’ouverture aux autres spiritualités et religions.
- un intérêt pour les personnes qui les pratiquent, pour l’altérité humaine :
. « Je m’intéresse aux personnes vivant d’autres religions dans ce que nous
partageons de commun et vivons de différent »
1
J-M Donegani : Le religieux à la carte, op. cit.
124
. « Je suis très sensible aux autres religions et voir d’autres priants, quels
qu’ils soient, m’enrichit beaucoup et m’unit à la grande famille des hommes,
tous aimés de Dieu »
. « Je ne m’intéresse pas à ces autres religions et spiritualités en tant que
telles mais je m’intéresse aux autres et donc à ce qu’ils croient. Il est important
pour moi de me documenter un peu là-dessus pour mieux comprendre ce que
d’autres y trouvent et il y a parfois des points communs ou des points de
rencontre avec ce que je crois »
. « Je m’intéresse à toutes les religions mais plutôt d’un point de vue
sociologique (j’ai été mariée à un homme d’éducation musulmane). Les
croyances diverses me passionnent »
Mais de quelles religions et traditions s’agit-il ? L’analyse des réponses apporte des
éléments particulièrement intéressants.
49 % 47 % 44 %
40 %
30 %
22 %
125
Le christianisme, qui est la culture d’origine de notre société et dont se
recommandent peu ou prou encore les deux tiers des personnes interrogées est
évidemment particulièrement bien placé : 42 % des chercheurs spirituels s’y
intéressent beaucoup et 30 % assez, soit au total 72 %.
Beaucoup plus paradoxal est le score du bouddhisme, qui n’est d’ailleurs pas à
proprement parler une religion. On pouvait s’attendre à le trouver à un niveau élevé,
mais pas en tête. Si on cumule les réponses « beaucoup » et « assez » il dépasse le
christianisme, avec 80 % des gens qui manifestent un intérêt spirituel pour lui. Certes
le bouddhisme est aujourd’hui « tendance » dans la société française, au point de
voir son vocabulaire et son iconographie recyclés hors contexte jusque dans la
publicité. Mais pas à ce point : un sondage du CSA1 qui posait la même question
dans les mêmes termes faisait apparaître que 3 % des français avaient beaucoup
d’intérêt spirituel pour le bouddhisme et 18 % assez. Soit au total 21 %. On est très
en deçà du chiffre obtenu dans notre public. L’appétence pour le bouddhisme des
chercheurs spirituels ne saurait être réduite au reflet de la culture ambiante, mais
procède bien d’une dynamique propre. Et elle dépasse largement la fraction d’entre
eux qui suivent effectivement des sessions, stages ou formations dans ce domaine2.
Les autres traditions religieuses ou spirituelles que l’on pourrait elles aussi qualifier
de « lointaines » (en assumant l’acception ethnocentrique du terme), c’est à dire
étrangères culturellement et historiquement au monothéisme et aux religions du livre,
arrivent loin derrière. Parmi elles, on découvre que celle qui suscite le plus
d’attention est le chamanisme (49 %). Il est probable qu’il s’agit là d’un phénomène
relativement récent : les références au chamanisme se sont multipliées ces dernières
années tant dans les publications (presse spécialisée, livres) que dans les offres de
stages ou de sessions. Reste que ce chiffre particulièrement élevé est surprenant et
mérite qu’on s’y arrête. Il serait trop rapide de n’y voir qu’une attitude régressive, un
retour à une mentalité pré-scientifique pour se défendre face à la domination de la
technologie et de la modernité. On peut faire l’hypothèse que cet intérêt pour le
chamanisme tient à la conjonction de deux aspirations : d’une part l’aspiration
1
Source : sondage CSA / La Vie 2003
2
Rappelons que dans notre échantillon 15 % seulement ont déjà suivi des activités liées au
bouddhisme.
126
écologique, qui veut donner sa place à la nature, la laisser parler, l’écouter ; d’autre
part la recherche de la signification symbolique des choses, des faits des
événements, signification qui a été occultée par leur réduction contemporaine au
seul plan de la rationalité.
Juste derrière on trouve l’hindouisme (47 %) et le taoïsme (44 %), qui partagent avec
le bouddhisme une origine orientale ou asiatique, mais ne font que la moitié de ses
scores.
Quant à l’animisme, il est à part : il se distingue radicalement des autres spiritualités
« exotiques » en arrivant bon dernier (22 %) dans le classement de la curiosité
spirituelle.
Les deux autres grandes religions monothéistes dites du Livre, l’islam et le judaïsme,
ne soulèvent pas un intérêt considérable relativement aux autres, même s’il n’est pas
négligeable. Le judaïsme, religion certes minoritaire mais matrice du christianisme
majoritaire dans notre pays, suscite l’intérêt de quatre chercheurs spirituels sur dix
(40 %), dont seulement 10 % de manière investie. Quant à l’islam, son actualité est
relancée régulièrement par l’actualité et les débats sur le voile, l’exercice du culte, les
interdits alimentaires, l’immigration, etc. pour ne rien dire des évènements extérieurs
(révolutions arabes, Jihad, etc.). Or il arrive pratiquement en fin de classement (30
%). Cela tient à ce que la question portait explicitement sur l’intérêt « d’ordre
spirituel » qu’il suscite. Son intérêt d’ordre sociologique et politique est indéniable et
sans doute généralisé, mais il ne débouche pas sur un désir de connaissance de la
spiritualité qui le fonde. Cette dissociation est particulièrement significative.
127
- A quelle(s) religion(s) s’intéressent les sans religion ? La question peut sembler
paradoxale. Ceux qui tiennent à affirmer qu’ils n’appartiennent à aucune religion
particulière, de près ou de loin (soit 26 % de l’échantillon) ne sont pas pour autant
indifférents aux religions ou à la spiritualité, loin de là. Ils s’intéressent à ce qu’elles
peuvent apporter comme enrichissement de la vie en général, et de la vie intérieure
en particulier. Mais leur intérêt est sélectif :
C’est parmi eux qu’on trouve la plus forte curiosité pour le bouddhisme : 88 % soit
près de neuf sur dix. Ils sont également sensiblement plus nombreux que la
moyenne à s’intéresser à des religions ou des spiritualités qui sont loin de nous :
chamanisme (67 % contre 49 % en moyenne), taoïsme (53 % contre 44 %),
animisme (32 % contre 22 %), mais on relève peu de différences pour l’hindouisme
(50 % contre 47 %).
128
Le point sur lequel les sans religion se distinguent le plus des autres chercheurs
spirituels est leur faible intérêt relatif pour la religion de proximité (c’est à dire la
tradition religieuse dominante de leur propre pays), le christianisme : 43 % contre
72% en moyenne, soit presque moitié moins. On peut voir deux raisons à cela. L’une
neutre : ils s’estiment déjà suffisamment informés, par éducation ou par immersion
puisqu’il s’agit de la religion culturellement dominante (au sens quantitatif). L’autre
négative : ils rejettent cette religion dominante (au sens qualitatif du mot domination)
dont ils estiment qu’elle leur a été imposée ou qu’ils en ont fait le tour.
De manière plus générale, cette réserve s’inscrit dans une attitude réticente vis à vis
des grandes religions monothéistes, dites du Livre : on relève également des scores
d’intérêt plus faibles vis à vis du judaïsme (23 % contre 40 % en moyenne) et de
l’islam (20 % contre 32 %).
Au fond les sans religion sont plus particulièrement ouverts à ce qu’ils considèrent
comme des disciplines spirituelles, et fermés à ce qu’ils perçoivent comme des
institutions religieuses.
- Second zoom sur une population particulière : ceux qui ont déclaré se sentir
appartenir au bouddhisme. Ils sont plus intéressés que les autres par deux
spiritualités d’origine orientale : l’hindouisme (59 % contre 47 % en moyenne) et le
taoïsme (58 % contre 44 %). L’écart positif est également marqué pour le
chamanisme (58 % contre 49 %).
Le christianisme ne leur est pas indifférent, loin de là, sans doute parce qu’une partie
de ceux qui se disent bouddhistes en sont issus : près de deux sur trois (62 %) s’y
intéressent, mais ce chiffre reste en retrait par rapport à la moyenne des chercheurs
spirituels (72 %). Quant au judaïsme et à l’islam, ils sont nettement en retrait, tant en
valeur absolue (autour de 20 %) qu’en valeur relative par rapport à la moyenne.
- Et les chrétiens ? Rappelons que près de deux chercheurs spirituels sur trois (63%)
ont affirmé leur appartenance au christianisme, qu’ils se disent explicitement
catholiques ou non, qu’ils s’y reconnaissent par simple héritage assumé mais pas
nécessairement réactivé, ou par une démarche de réappropriation liée à leur
parcours personnel.
Ils sont eux aussi très ouverts sur les religions. Sur la leur bien sûr, en priorité : 86 %
disent s’intéresser beaucoup ou assez au christianisme. Mais sur les autres religions
129
aussi : 73 %, trois sur quatre, expriment un intérêt d’ordre religieux pour le
bouddhisme, ce qui est considérable. Et environ quatre sur dix sont concernés par
l’hindouisme, le chamanisme ou le taoïsme (respectivement 43 %, 40 % et 37 %),
même si ce taux de curiosité est chez eux un peu inférieur à la moyenne. Par contre
l’animisme ne fait pas recette chez eux (17 %).
A remarquer : 48 % (près d’un chrétien sur deux) s’intéresse au judaïsme. Cette
attention est cohérente avec le mouvement de reconsidération des racines juives du
christianisme et de retour à l’Ancien Testament (souvent renommé dans cet esprit le
Premier Testament) sensible aujourd’hui dans une fraction de l’Eglise catholique.
Mais elle prend aussi son sens dans un mouvement de portée plus générale qui
nourrit beaucoup de chercheurs spirituels, chrétiens ou non : la recherche de ce qui
fait source, origine.
Enfin un tiers des chrétiens (33 %), soit le même niveau que la moyenne,
s’intéressent à l’islam.
Cette ouverture et cet éclectisme dont font preuve les chrétiens parmi ceux que nous
avons appelés « chercheurs spirituels » ne sont pas un syncrétisme, c’est à dire une
religion construite par emprunts hétérogènes un peu partout, mis à équivalence. Ils
gardent clairement leur centre de gravité, puisqu’un grand nombre d’entre eux
continuent à affirmer leur appartenance chrétienne, et pour beaucoup catholique. Les
commentaires des réponses sont ici éloquents :
. « Je ne renie absolument pas ma foi catholique mais je suis très
profondément redevable des richesses que j’ai reçues chez les protestants et
orthodoxes, et aussi chez les juifs. J’essaie de mieux comprendre l’Islam »
La curiosité spirituelle pour les autres traditions est vécue comme un enrichissement
de sa tradition propre. C’est justement parce qu’ils sont de quelque part qu’ils
peuvent aller ailleurs, sans se perdre. Et cela est vrai pour tous les chercheurs
spirituels, quelle que soit leur origine. Il ne s’agit pas pour autant de « double
130
appartenance » à moins de la voir, avec Jacques Scheuer, non pas « comme une
double possession tranquille, mais comme le mouvement ou la dynamique par
lesquels, sans quitter sa tradition propre, on s’expose à une autre tradition… Il s’agit
d’un va-et-vient, de transformations et de « conversions » successives. Moins une
intégration qu’un passage. Une vocation de passeur. »1
1
Le mouvement du passeur, dans Dennis Gira et Jacques Scheuer (dir.), Vivre de Plusieurs Religions. Promesse
ou illusion ? Paris, Les Editions de l’Atelier/Editions Ouvrières, 2000
131
Conclusion
Le mot religieux fait souvent problème aux personnes que nous avons interrogées.
Elles y opposent le mot spirituel, même quand elles se reconnaissent elles-mêmes
d’une appartenance religieuse - généralement chrétienne - et l’assument. Cette
distinction entre religieux et spirituel, et cette circonspection (au minimum) vis à vis
du religieux, qui structurent une grande partie de leur discours, n’est pas que le
simple écho de la tonalité antireligieuse qu’on retrouve aujourd’hui un peu partout à
l’œuvre, dans les médias ou ailleurs. Elle est plus fondamentalement l’effet de
l’application à la sphère du religieux de critères qui lui sont extérieurs, et sont aussi
partout à l’œuvre dans la société.
Le premier est le refus ou la méfiance vis à vis de toute médiation, surtout si elle est
institutionnelle : une Église, pas plus qu’une organisation politique ou sociétale, n’a à
interférer dans ce qui est de l’ordre du personnel et du fondamental; beaucoup
considèrent qu’ils peuvent faire l’économie de l’institution et de ses dogmes au profit
1
Y. Lambert, « Religion, modernité, ultramodernité : une analyse en termes de ‘tournant axial’ » in
Archives de sciences sociales des religions, 2000, 109, cité par L. Hourmant, op. cit.
132
sinon d’une « ligne directe » avec Dieu, du moins au profit de ce qu’on pourrait
appeler une autospiritualité.
Le second est l’importance centrale qu’a prise aujourd’hui l’expérience personnelle
comme vecteur de connaissance et comme validation d’une certitude. Dès lors que
l’on attend d’abord du spirituel non pas une vérité mais un épanouissement, ce qui
définit qu’une chose est bonne ne tient plus, ou plus seulement, à ce qu’elle est
attestée par l’histoire ou par un magistère, mais à ce que je l’ai éprouvée et qu’elle
me fait du bien.
Beaucoup d’idées toutes faites circulent dans la société, et plus encore dans les
milieux religieux, à propos des nouvelles recherches spirituelles. On entend ainsi
souvent parler d’égocentrisme voire de nombrilisme pour qualifier ces démarches qui
prennent le sujet lui-même comme point de départ, voire comme point d’arrivée. Or
l’enquête fait apparaître que ces approches spirituelles fondamentalement centrées
sur l’individu ne débouchent pas pour autant sur l’individualisme. Mais elles relèvent
de l’individuation, c’est à dire d’un chemin de construction de sa propre émancipation
et de son autonomie, chemin qui demeure ancré dans la conscience de l’autre.
Cette attention à l’altérité s’exprime à la fois concrètement et conceptuellement.
Concrètement, les personnes que nous avons interrogées pratiquent ou recherchent
l’empathie, pas seulement la possibilité de dialoguer avec l’autre mais l’aspiration à
se projeter à sa place pour mieux communiquer. Et elles croient à l’exemplarité,
celle de leur propre chemin aux yeux des autres comme celle du chemin des autres
à leurs propres yeux.
Conceptuellement elles se disent solidaires de l’ensemble de la communauté des
hommes et de la planète, se sentent profondément reliées au monde et au cosmos1.
Solidarité non prosélyte : il ne s’agit pas nécessairement de militer pour changer le
monde, il faut travailler d’abord à se changer soi-même2.
Autre idée toute faite mise à mal par l’enquête : celle selon laquelle la recherche
spirituelle serait un refuge qui, fonctionnant sur d’autres valeurs que celles de la
société matérialiste dominante, pourrait déboucher sur un retrait du monde, ou
pourrait consoler du monde.
1
On retrouve ici la notion d’individuo-globalisme développée par Raphaël Liogier dans « Souci de soi,
conscience du monde. Vers une religion globale ? », Armand Colin, 2012
2
Une des phrases de Ghandi les plus citées aujourd’hui est : « Sois le changement que tu veux voir
dans le monde ».
133
Il est vrai que d’une certaine manière beaucoup de représentations mises en œuvre
peuvent apparaître comme un contre-modèle. Quelques éléments : Privilégier l’être
sur l’avoir, par opposition à une société qui survalorise la consommation, et qui
définit plus volontiers les gens à partir de ce qu’ils ont et de ce qu’ils paraissent, que
de ce qu’ils sont. Privilégier l’unité sur l’éclatement : l’homme contemporain est
multifonction, multifacettes, voire en miettes dans son existence sociale ; d’où
l’aspiration à se donner un centre, une colonne vertébrale pour affronter ses
différents rôles sans s’y perdre. Privilégier l’être humain sur son instrumentalisation :
cette démarche repose sur la conviction que la vie avec les autres doit être d’abord
vécue comme une relation, et non comme un rapport de force. Privilégier le temps
dans toutes ses dimensions, enfin : dans un monde qui réduit le temps au présent,
cela se traduit à la fois par une revalorisation de la notion de durée et de projection
vers l’avenir (par opposition à une culture de l’immédiateté), par une réintroduction
de la lenteur (par opposition à une culture de l’impatience), et par une valorisation
des racines, des sources, de l’histoire qui nous a précédés (par opposition à une
culture de la table rase).
En réalité l’enquête montre que ce besoin personnel de rééquilibrage par rapport à
l’air du temps n’est pas un retrait ou un repli. Il ne débouche généralement ni sur une
démarche réactionnaire (revenir à), ni sur une démarche résistante (maintenir
contre), mais sur une acceptation assumée de la modernité (vivre avec, mais
autrement). On sait que dans la société toute généralisation d’une norme, ou d’une
manière d’être, engendre en retour le désir d’une compensation y compris chez
ceux-là même qui l’acceptent. Ce que Régis Debray appelle avec humour « l’effet
jogging »1 : plus les gens disposent de voiture et l’utilisent pour leurs déplacements,
y compris les plus minimes, plus ils éprouvent simultanément le besoin d’aller à pied,
de marcher ou de courir. La démarche spirituelle ne consiste pas à fuir le monde,
mais à donner de l’épaisseur au monde, à s’en extraire pour y replonger ensuite,
plus riche.
1
Régis Debray : Cours de médiologie générale, Gallimard, 1991 et Introduction à la médiologie, PUF,
2000
134
Léger, et ne se privent pas de revisiter d’autres traditions que les leurs, et de
s’adonner à d’autres pratiques que celles qui leur ont été transmises. Mais
l’expression même de bricolage, telle qu’elle est fréquemment employée, induit à la
fois une approche superficielle et une dimension syncrétique, qui ne correspondent
ni l’une ni l’autre à ce que nous avons observé généralement dans l’enquête1.
La superficialité renverrait au « zapping » (autre terme qui connaît une grande
fortune dans la vulgate sur les nouvelles spiritualités), défini comme une démarche
volatile, qui se pose et qui repart sans creuser ni se fixer. L’analyse fait au contraire
apparaître des comportements fortement investis, même si leur objet peut évoluer au
fil d’une vie (et certains itinéraires spirituels sont parfois peu linéaires), ou peut porter
simultanément sur plusieurs univers spirituels à la fois, en apparence éloignés. Le
fait d’avoir un champ de recherche élargi ne signifie pas s’adonner au
consumérisme. Pourquoi alors la fortune de ce cliché qui représente le spirituel
comme un marché - ce qu’il est - mais en infère qu’il relève de la simple
consommation, ce qui est pour le moins simpliste ? Il y a là une faute de
raisonnement qui confond l’offre et l’usage : l’offre, c’est la multiplication des recettes
« spirituelles » dans les pages des magazines, essentiellement féminins, élevées (ou
abaissées…) au rang de techniques efficaces en soi, indépendamment de la tradition
qui les a générés - une spiritualité hors sol en quelque sorte -. L’offre, ce sont aussi
les rayons spécialisés dans les librairies, qui proposent une infinie variété de livres
de toutes origines et de tous niveaux de profondeur. Mais le fait que tout soit
juxtaposé et que l’œil puisse passer en un instant et dans un seul espace d’une
tradition à une autre ne veut pas dire que le même individu passe lui aussi d’une
pratique à une autre. Certes on trouve de tout, et souvent à égalité de proposition et
à équivalence de présentation. Cela ne signifie pas que chacun fait un peu tout, mais
augmente les chances que chacun trouve ou enrichisse sa voie.
Le reproche de syncrétisme, lui, est généralement associé à la notion de relativisme
spirituel, qui produirait des constructions baroques par emprunts multiples, où tout se
vaut. Certes il est clair que ces chercheurs ont quitté les rives de l’orthodoxie
religieuse, de la même manière que nos contemporains se sont éloignés des grands
modèles explicatifs uniques que sont les idéologies politiques constituées. Ils
peuvent associer plusieurs traditions, ou au sein d’une seule tradition n’en retenir
1
C’est particulièrement frappant dans les très nombreux commentaires qualitatifs dont les personnes
interrogées accompagnent leurs réponses.
135
qu’une partie. Non pas « ce qui les arrange », comme on le dit trop souvent, mais ce
qui leur paraît essentiel, ce qui est tout à fait autre chose et implique un
discernement (le mot ou la notion sont d’ailleurs souvent évoqués). Tous les discours
qualitatifs que nous avons recueillis procèdent par hiérarchisation. Les chercheurs
spirituels distinguent clairement ce qui pour eux est au centre et ce qui est à la
périphérie, ce qui relève du fondamental et ce qui relève de l’accessoire. La figure
qui rend le mieux compte de cette construction est l’arborescence et non
l’équivalence : beaucoup se réfèrent implicitement ou explicitement à un tronc
central, une tradition spirituelle majeure, qu’ils enrichissent de rameaux extérieurs
multiples qui visent à l’ouvrir au delà d’elle même.
1
On le rencontre aussi par exemple dans la sphère culturelle, où les mêmes personnes assument
aujourd’hui leur goût pour la culture populaire et pour la culture cultivée, ce que Bernard Lahire
appelle la « dissonance culturelle ». Cf. B. Lahire : La culture des individus, La Découverte 2004
2
Edgar Morin : La méthode (tome 4 : Les idées), Seuil, 1995
136
L’enquête fait apparaître que la grande majorité des chercheurs spirituels ne
viennent pas de « nulle part », si on peut dire. Ils ont été élevés pour l’essentiel dans
le christianisme. Et les deux tiers d’entre eux se reconnaissent encore explicitement
comme chrétiens. Même ceux qui ont pris leurs distances avec les dogmes et qui ne
se sentent plus tenus de suivre les rites. Leur quête, en les faisant passer par la
connaissance d‘autres filiations spirituelles et par l’expérience d’autres formes de
recherche personnelle, leur font souvent réinvestir leur tradition d’origine, mais d’une
manière qui leur est propre, enrichie et reformulée.
Encore faut-il que tradition d’origine il y ait. Nous avons vu que la pyramide des âges
des chercheurs spirituels les plus investis présentait une forme particulière : elle est
relativement âgée. Cette génération a la possibilité de faire un retour aux sources,
puisque sources il y a. Mais il n’en ira pas de même de la génération suivante, qui
n’ayant majoritairement pas été élevée dans un contexte religieux, n’a pas de racines
auxquelles se référer, même pour les récuser. Aujourd’hui la quête personnelle, pour
ne pas s’égarer dans des impasses ou pour ne pas être vulnérable à des
manipulations, peut s’appuyer simultanément sur trois dynamiques: une découverte,
un dévoilement et une réassurance.
La découverte d’autres traditions ou voies spirituelles reste un cheminement majeur.
Mais le dévoilement, qui permet de (re)trouver le sens profond de choses que l’on
croyait connaître et qui nous était dissimulé, suppose cette connaissance première
de sa propre tradition, qui est généralement absente dans les jeunes générations. Et
la réassurance, qui nécessite de se sentir assuré de ses bases pour partir à la
découverte de nouveaux territoires, ne pourra désormais se fonder que sur des
appuis extérieurs à la sphère spirituelle.
137
ou alors de manière déformée) et l’ignorance (je ne l’ai jamais su). Dans le premier
cas, il est encore possible de réactiver la mémoire ou de reformuler le mal digéré.
Dans le second, le champ est en friche. Plus profondément, on peut faire l’hypothèse
que la méconnaissance religieuse est en train de changer progressivement de
nature, et pas seulement d’élargir son territoire : au fil des générations nous sommes
en train de passer d’une situation dominante d’oubli, à une situation dominante
d’ignorance. Les générations montantes sont le produit d’un chainon de transmission
manquant. Si elles sont tout autant que les précédentes sensibles à la recherche
spirituelle, les voies qu’elles emprunteront risquent d’être profondément différentes
puisque tout leur sera initiation, dans toutes les traditions religieuses, y compris celle
qui a nourri leur propre société.
138
ANNEXES
- Méthodologie
- Liste des centres
- Questionnaire
- Le GERPSE
139
Méthodologie
. 1 . Définition du champ
140
. 2 . Construction de l’échantillon
1
Le Forum104 accueille aussi des associations indépendantes pour qu’elles y pratiquent leur activité. En
comptant séparément celles qui ont répondu, on arrive à un total de 37 entités différentes (au lieu de 23) sur
lesquelles a porté l’enquête.
141
demandé de cliquer sur un lien qui les renvoyait directement sur le site du
questionnaire de l’enquête.
Une relance par mail était expédiée 10 jours plus tard pour ceux qui n’avaient pas
encore répondu.
142
. 3 . Structure de l’échantillon
Le graphique ci-dessous présente les différentes étapes de la constitution de
l’échantillon.
143
supérieure à 25 minutes), soit enfin qu’ils trouvaient les questions trop personnelles.
Ce type d’abandon est classique.
. Au total le nombre de questionnaires remplis intégralement s’est élevé à 7.931. Soit
un taux de sondage de 16 %. Un tel taux est exceptionnel dans les enquêtes (les
instituts de sondage tournent généralement autour de 1 à 3 % dans le meilleur des
cas). Ce résultat s’explique par le fait qu’on interroge des personnes impliquées, sur
l’objet même de leur implication, en passant par le truchement du médiateur de leur
implication (le centre où elles ont suivi une activité).
. Restait à appliquer plusieurs filtres successifs (dont le principe a été énoncé plus
haut) qui garantissent la validité de l’échantillon par rapport à la population
recherchée :
- nous n’avons pas retenu ceux dont le dernier stage remontait à plus de cinq ans,
afin de ne pas recueillir des perceptions trop lointaines.
- nous avons également sorti des tableaux ceux qui n’avaient suivi que des stages
ou des sessions de type confessionnel classique (retraites, lection divina, etc.) à
l’exclusion de tout autre type de session, car l’enquête porte par construction sur
les nouvelles spiritualités émergentes. Mais nous avons bien sûr conservé tous
ceux, les plus nombreux, qui ont associé dans une période récente sessions
confessionnelles et sessions d’une autre nature.
- enfin nous avons gardé seulement ceux qui ont répondu positivement à la
question : « Êtes-vous plus ou moins engagé dans une démarche spirituelle ? »
(réponses : Tout à fait ou Assez).
144
. 4 . Modalités d’interrogation
Le choix d’un outil quantitatif peut paraître paradoxal, compte tenu de la nature des
sujets abordés. On pourrait objecter, et certains des répondants l’ont fait, que ce qui
relève de la spiritualité est rétif par essence à une approche empirique, produisant de
la mesure, et donc suspectée de positivisme. La même réticence avait d’ailleurs été
opposée quand la culture a commencé à faire l’objet d’enquêtes par sondages1.
Ces objections, classiques en sociologie religieuse comme en sociologie de l’art,
peuvent être regroupées autour de quatre arguments :
- la quantification de phénomènes qualitatifs est d’une certaine manière contre
nature.
- le questionnaire oblige à la formalisation, donc à la mise en mots, de l’indicible.
- toute enquête sur ces sujets revient à extérioriser ce qui relève de l’intériorité.
- enfin poser des questions identiques à tous alors que chaque expérience est
unique, personnelle, singulière, revient à banaliser ou niveler les différences.
Une enquête sociologique ne prétend pas rendre compte de toutes les dimensions
d’un phénomène humain, mais en éclairer une facette particulière, qui n’épuise pas
les autres dimensions du phénomène décrit. Elle le fait en énonçant les conditions
dans lesquelles elle produit son discours et en mettant à distance la subjectivité. Et
elle se garde bien de toute interprétation déterministe qui verrait des causalités là où
il n’y a que des corrélations.
Reste que l’interprétation est indispensable. Les questions séparent, l’analyse
rapproche : chaque question prise isolément peut paraître simple ou réductrice.
L’objet de l’analyse est d’associer toutes les questions et de les traiter dans leurs
relations les unes avec les autres. La complexité dont il s’agit de rendre compte n’est
1
Qu’on se rappelle des réticences soulevées par le travail pionnier de Pierre Bourdieu sur les
visiteurs de musée : L’amour de l’art, ed. de Minuit, 1966
145
pas dans chaque question mais dans la mise en perspective de toutes, pour chacune
des personnes interrogées. Et le tout dépasse la somme des parties…
D’autre part les réponses à une question donnée ne doivent pas être considérées
comme le reflet direct d’une hypothétique réalité, mais comme un indice de cette
réalité, qu’il reste à faire parler. Comme disait un vieux sage chinois : à poser des
questions on n’obtient que des réponses… Il ne s’agit pas ici de compter mais de
comprendre.
Sans rentrer plus avant dans un débat épistémologique déjà largement traité ailleurs
dans la littérature sociologique, nous avons été particulièrement attentifs à mettre en
œuvre des dispositifs d’interrogation spécifiques à la fois pour préserver la qualité de
l’information recueillie, et pour éviter la frustration éventuelle des répondants :
Par rapport aux sondages « ordinaires » qui ont envahi l’espace social, plusieurs
principes méthodologiques ont nourri ce questionnaire :
- Sortir de l’obligation d’avoir une opinion : la non-réponse est une modalité de
la réponse, surtout sur les sujets délicats. Généralement la non-réponse est
impossible, en particulier dans les questionnaires en ligne où elle bloque le
déroulé de l’enquête. Au mieux elle n’existe que par défaut. Ici la modalité
« non réponse » ou « ne sait pas» est explicitement proposée dans la plupart
des questions.
- Sortir de l’obligation de l’univocité : les réponses qui s’excluent
« logiquement » ne s’excluent pas nécessairement dans le vécu. Dans un
sondage classique par exemple on ne peut répondre à la fois qu’on est de
droite et de gauche, alors que souvent les deux coexistent chez la même
personne selon les moments ou selon les sujets. Nous avons donc laissé
systématiquement la possibilité de réponses multiples, y compris sur les
questions qui en apparence ne le requéraient pas. Dans le domaine spirituel,
comme dans beaucoup d’autres domaines, l’approche dialectique (qui
privilégie le OU) s’efface au profit d’une approche dialogique (qui laisse
s’exprimer le ET), même quand il y a contradiction apparente : on peut croire
à la fois en la résurrection et en la réincarnation, se recommander
simultanément de deux religions différentes, etc.
146
- Réintroduire la nuance et gérer la polysémie. Les possibilités de réponse ont
presque toujours été graduées sur une échelle d’intensité, plutôt qu’enfermées
dans un Oui/Non péremptoire. Mais la question elle même peut questionner
celui qui répond, dans sa formulation même. Qu’il souhaite la compléter, la
préciser, l’illustrer par une expérience vécue ou la développer par une opinion
argumentée, voire même la contester, la possibilité lui en est presque toujours
donnée par une question complémentaire ouverte qui autorise les
commentaires libres. Généralement dans les enquêtes les personnes
interrogées utilisent assez peu la possibilité, quand elle leur est (rarement)
donnée, de s’exprimer dans les questions ouvertes, ou alors de manière
lapidaire. Ici elles ont saisi l’occasion à la fois en grand nombre, et de manière
développée1. Au point que la richesse de ces verbatim est devenu un élément
(qualitatif) à part entière de l’analyse et non simplement une information
d’appoint.
- Sortir de la frustration de l’échange inégal. Quand une personne répond à un
sondage, elle ne sait généralement pas qui l’interroge, et surtout ce que vont
devenir ses réponses. L’interviewé donne, l’enquêteur prend et part avec son
butin… Nous avons donc offert aux gens la possibilité, dans une dernière
question ouverte, de s’exprimer sur la nature même du questionnaire qui leur
avait été soumis (et auquel on les avait soumis). Ils ne s’en sont pas privés.
Leurs critiques reprennent généralement un des quatre points que nous avons
évoqués plus haut : comment quantifier le qualitatif, comment mettre des mots
sur des choses indicibles, comment respecter l’originalité de chacun avec des
questions identiques pour tous, comment extérioriser ce qui est intérieur. A
quoi s’ajoute chez quelques uns la crainte d’une démarche inquisitoriale sur
une sphère qui doit rester privée (l’ombre de la Miviludes plane…).
Mais aussi beaucoup disent nous être reconnaissants d’avoir lancé une
recherche sur un sujet essentiel pour eux et négligé par ceux qui produisent
du savoir sur la société. Et - principe de réciprocité - demandent comment se
procurer les résultats2.
1
Au total, mis bout à bout le volume de ces verbatims représente plus de 350 pages de texte, simple
interligne !…
2
Leur diffusion est prévue auprès de toutes les personnes interrogées, par le canal du Centre qui a
permis de les contacter.
147
Enfin certains nous remercient même de les avoir fait progresser par nos
questions. Pour une fois qu’une enquête n’est pas seulement le prélèvement
d’un existant mais produit une dynamique... Ce qu’expriment bien ces
quelques commentaires : « Ce questionnaire fait réfléchir », « Merci de
m'avoir donné l'occasion de répondre à ce questionnaire car cela nous éclaire
toujours davantage sur nous-mêmes », « C'est un questionnaire qui m'a
révélée à moi même ».
148
Centres associés à l’enquête
CENTRES D’ORIGINE CONFESSIONNELLE
nom lieu Activités proposées effectifs %
Centre culturel et spirituel Mariste
Forum104 PARIS accueillant 300 associations différentes, la
733 10,8
forum104.org 75 plupart engagées dans des approches
humaines et spirituelles
La Passerelle LE BOULAY
École proposant une approche sur le corps
www.lapasserelle- 72
et la prière dans la Tradition carmélitaine. 52 0,8
leboulay.fr Enseignements, pratiques et échanges
149
Lieu d’accueil, de séminaires et de
ressourcement ouvert à des stages de
Domaine de CESSAC LA Communication Non Violente (CNV),
Chadenac ROCHE d’Ennéagramme, de communication et de 195 2,9
43 développement personnel par le théâtre,
chadenac43.free.fr
d’art-thérapie, de la santé du corps et de
l’âme avec Ste-Hildegarde.
150
des sessions de méditation, des rituels, des
ateliers Equilibre Corps-Coeur-Esprit.
151
CENTRES D’ORIGINE NON-CONFESSIONNELLE
152
Association fondée sur l’affirmation que
toute personne est porteuse d’un potentiel
Ateliers encore inexploité, et qu’en le développant
se fortifient des valeurs essentielles pour
de Croissance STRASBOURG
soi-même et pour la vie en société. 77 1,1
Personnelle 67
Formations et activités qui touchent au
a-c-p.info développement intérieur de la personne et
favorisent les liens entre les membres, dans
un esprit de convivialité et de simplicité.
153
QUESTIONNAIRE
Q 1 - Etes-vous …
- Un homme
- Une femme
ancienne
activité
activité
- Agriculteur
- Artisan, Commerçant, Chef d’entreprise
- Cadre supérieur, profession libérale
- Cadre moyen, professions intermédiaires
- Professions de santé (et assimilées)
- Enseignant, professions intellectuelles et artistiques
- Technicien, agent de maîtrise
- Employé
- Ouvrier
- Elève, étudiant
- Demandeur d’emploi
- Sans activité professionnelle
- Retraité ou préretraité
- Autre (précisez …………………………………………………..)
154
Q 5 - Où résidez-vous actuellement ?
- Paris ou région parisienne
- grande ville (ville ou agglomération de 100 000 habitants ou plus)
- ville moyenne (ville ou agglomération de 30 000 à 100 000 habitants)
- petite ville
- zone rurale
Q 6 - êtes-vous …
- en couple
- seul (e)
- autre (communauté, etc.)
- spiritualité chrétienne
- spiritualité bouddhiste
- spiritualité hindoue
- spiritualité taoïste
- spiritualité juive
- chamanisme
- psychanalyse, psychothérapie
- autre (précisez……………………………………………………
………………………………………………………………………)
Q 8bis - (Filtre : si plusieurs réponses à Q 8) Parmi ceux que vous avez cités, quel
est celui que vous avez suivi en dernier ?
- spiritualité bouddhiste
- spiritualité hindoue
- spiritualité taoïste
- spiritualité juive
- chamanisme
- psychanalyse, psychothérapie
- autre (précisez……………………………………………………
………………………………………………………………………)
156
Q 9 – (à tous) Comment avez-vous eu connaissance du dernier stage, session et/ou
formation auquel vous avez participé ? (plusieurs réponses possibles):
157
++ + - -- NSP
Vous pouvez si vous le souhaitez développer ici des points particuliers ou que nous
n’aurions pas abordés dans la question précédente:
.…….……………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………..
…………………………………………………………………………………………………..
158
Q 14bis De quel type d’événement ou de circonstance particulière s’agit-il ?
(plusieurs réponses possibles)
- une rencontre avec une personne marquante
- le témoignage d’un(e) ami(e) ou de quelqu’un de votre entourage
- une intuition profonde, une expérience intérieure
- une lecture
- une session, un stage
- une expérience esthétique (œuvre d’art, paysage, musique, etc.)
- une épreuve, une crise personnelle (accident de santé, isolement, rupture
d’un lien familial, etc.)
- une remise en cause liée à la crise de la société (chômage, crise
économique, etc.)
- une crise existentielle
- autre (précisez …………………………………………………………………..
………………………………………………………………………………………)
Q 15 – Aujourd’hui, êtes-vous plus ou moins engagé dans… (une réponse par ligne)
Q 16 - (Filtre : posée uniquement aux personnes qui ont répondu « tout à fait » ou
« assez » à l’item « démarche spirituelle » de la Q 15)
A votre avis, quelles sont les conditions qui vous paraissent être indispensables,
utiles ou pas vraiment nécessaires à une démarche spirituelle ?
la confiance
la persévérance
159
une communauté
la discipline
le détachement
l’accompagnement individuel par
un maître ou un guide
l’écoute
Q 17 - (Filtre : idem)
D’après vous, quels sont les obstacles à la réussite d’une démarche spirituelle?
obstacle
très obstacle assez obstacle
Non réponse
important important secondaire
la dispersion
le manque de temps
la résistance intérieure
l’égo
le conformisme social
l’impatience
la paresse
160
Q 18 - (Filtre : idem)
D’après vous quels peuvent être les dangers d’une démarche spirituelle ?
la dérive sectaire
la fragilité psychologique
la dépendance, l’emprise
l’égocentrisme, le narcissisme,
la suffisance, le sentiment de
supériorité
l’illusion
(à tous)
Q 19 - Vous arrive-t-il de pratiquer une forme de méditation ?
- tous les jours
- une ou plusieurs fois par semaine
- une ou plusieurs fois par mois
- rarement, seulement dans des circonstances particulières
- jamais
161
Q 21 - Vous arrive-t-il de lire des textes religieux ou spirituels fondateurs (la Bible,
l’Evangile, le Coran, les Soutras, les Vedas, etc.) ?
- souvent
- de temps en temps
- rarement
- jamais
(si « souvent » ou « de temps en temps ») : le(s)quel(s)………………………………...
…………………………………………………………………………………………………..
Q 22 - Et vous arrive-t-il de lire des livres ou des articles d’ordre spirituel qui
nourrissent votre vie intérieure ?
- souvent
- de temps en temps
- rarement
- jamais
(si « souvent » ou « de temps en temps ») : Pouvez-vous citer un ou plusieurs(s)
livre(s) ou revue(s) qui fait (font) référence pour vous :
……………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………….
Q 23 - Etes vous accompagné dans votre vie intérieure par un Maître ou un guide ?
- oui
- non
(si oui) De quelle tradition spirituelle ou philosophique ? ……………………………
Q 24 - Participez-vous pendant l’année à un groupe suivi de lecture ou d’échanges
spirituels ou de prière ?
- oui
- non
(si oui) Le ou lesquels? ……………………………………………………………………..
162
Q 26 - L’existence de Dieu vous parait-elle ?
- certaine
- probable
- peu probable
- exclue
- je ne sais pas
Q 30- (Filtre : si réponse « sans religion » à Q29 ) et en avez-vous déjà eu une auparavant ?
- catholique
- protestante
163
- orthodoxe
- juive
- musulmane
- bouddhiste
- autre religion (précisez……………………………………………………)
- aucune religion
Q 31- (Filtre : si réponse « chrétienne » à Q29 ) Vous avez dit que vous étiez de
religion chrétienne. Plus précisément êtes-vous ?
- catholique
- protestant
- orthodoxe
- chrétien sans appartenance particulière
Q 33- (si oui à Q 32) Laquelle (ou lesquelles s’ils n’avaient pas les mêmes positions)?
- catholique
- protestante
- orthodoxe
- chrétienne sans appartenance particulière
- juive
- musulmane
- bouddhiste
- autre religion (précisez………………………………………………………….)
Q 34- (Filtre : si oui à 32 ) Aujourd’hui, vous sentez vous proche de la religion dans laquelle
vous avez été éduqué(e)?
- très proche
- assez proche
- assez loin
- très loin
- je ne sais pas
164
Q 35- Diriez-vous que les stages, sessions ou formations de développement
personnel ou spirituel auxquels vous avez participé
- vous ont éloigné de votre religion d’origine
- n’ont rien changé à votre rapport à votre religion d’origine
- ont enrichi votre rapport à votre religion d’origine
- vous n’aviez pas de religion
Pas
beaucoup assez Pas du tout Non réponse
vraiment
l’animisme
le bouddhisme
le chamanisme
le christianisme
l’hindouisme
l’islam
le judaïsme
le taoïsme
autre (précisez………………………………………………………………………………………………..)
165
Ce questionnaire est maintenant terminé.
Un questionnaire étant par nature toujours un peu figé, si vous avez d’autres
remarques ou d’autres expériences à exprimer, n’hésitez pas à le faire
librement ci-dessous
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………
166
Le GERPSE : Groupe d’étude
« Recherches et Pratiques Spirituelles Émergentes »
Ce groupe d’étude s’est donné pour objectif de mieux connaître et comprendre « les
Recherches et Pratiques Spirituelles Emergentes ». Il se réunit régulièrement depuis
2010.
Il est né de l’intérêt pour les nouvelles quêtes spirituelles dans la société française, et
de relations engagées avec celles et ceux qui les vivent.
Pour mener à bien cette enquête, le groupe s’est associé un sociologue, Jean-
François BARBIER-BOUVET, docteur en sociologie (École des Hautes Études en
Sciences Sociales), spécialiste des enquêtes sur les pratiques culturelles et
spirituelles.
L’enquête est conduite en collaboration avec l’unité mixte de recherche DRES (Droit,
Religion, Entreprise et Société, UMR 7354, CNRS - Université de Strasbourg).
6 membres permanents :
• Jean-François BARBIER-BOUVET, sociologue.
• Philippe LE VALLOIS, chercheur associé à l’unité mixte de recherche « Droit,
Religion, Entreprise et Société » (UMR 7354, CNRS - Université de
Strasbourg). Responsable de l’Observatoire des Nouvelles Croyances auprès
du Conseil épiscopal pour les Relations Interreligieuses et les nouveaux
courants religieux.
167
• Jean-Côme RENAUDIN, directeur du Centre culturel et spirituel Forum104 à
Paris.
• Valérie VERCHEZER, diplômée en psychologie et travail social, master
Sciences-Po Paris. Membre de l’équipe d’animation et du conseil
d’administration du Forum104.
• Yvon LE MINCE, spécialiste de l’hindouisme.
• Jean-Luc SOUVETON, animateur de sessions d‘Ennéagrammme, de jeûne,
d’hypnose Ericksonienne. Délégué au Développement Personnel et aux
Spiritualités hors frontières du diocèse de Saint-Etienne.
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