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s’intéresser au sport ?
Les Echos ‐ ‐Le 16/01/2015 ‐ Par Bertrand Pulman
Dans notre pays, s’intéresser au sport reste peu valorisé, que ce soit dans les milieux économiques
ou les sphères académiques. Le contraste avec le monde anglo‐saxon est frappant. Le nageur Yannick
Agnel, double médaillé d’or aux JO de Londres, en a témoigné à plusieurs reprises : « Il y a une
discrimination du sportif en France, et c’est une bêtise monumentale. J’en ai moi‐même souffert »,
rapporte‐t‐il. Pourtant, le monde du sport mériterait de retenir davantage l’attention des
entrepreneurs et des éducateurs. Un pronostic magnifique fait à l’occasion de la finale de la Coupe
Davis, en apporte une illustration éclatante.
Les adorateurs de la balle jaune se souviennent que, lors de cette rencontre franco‐helvétique, Gaël
Monfils a remporté un match époustouflant contre Roger Federer (6‐1, 6‐4, 6‐3). Certes, le maître
suisse n’était pas ce jour, au mieux de sa forme. Il n’empêche, tout le monde a salué légitimement
cette splendide performance. Mais, peu de gens ont relevé avec quelle justesse la victoire de Monfils
avait été pronostiquée, le matin même dans les colonnes d’un quotidien sportif, par l’ancien
champion Mats Wilander : « Je pense qu’il n’y a aucune chance pour qu’il perde un match ce weekend
[…] Aujourd’hui, c’est le grand jour de Gaël Monfils ».
Une telle préscience mérite que l’on s’arrête un instant sur l’argument principal du Suédois aux sept
Grands Chelems : « Depuis deux semaines, écrivait‐il, le staff de l’équipe de France lui a mis un collier.
Il est entouré, cadré et préparé comme jamais ». Autrement dit, ce ne sont pas les qualités
intrinsèques de Gaël, dont chacun sait qu’elles sont exceptionnelles, qui furent mises en avant par
Mats. C’est l’influence positive de l’entourage, la complémentarité des efforts, la pertinence d’un
cadrage collectif. Quelle leçon d’humilité et de sens communautaire, pour tous ceux qui cherchent à
suivre la route du team‐building.
Les grands champions mettent toujours en avant l’importance du collectif. Dans les sports d’équipe,
ceci n’est guère surprenant. Mais, cette insistance sur le travail du groupe existe aussi dans les sports
individuels. Ainsi, Rafael Nadal a‐t‐il déclaré : « Quel que soit votre dévouement personnel, vous ne
gagnez jamais seul ». De fait, en arrière plan de toute victoire, se trouve un réseau d’intelligence et
d’efficacité qui la rend possible et qui la valorise. Nadal, Federer ou Djokovic se déplacent en
permanence avec une dizaine de personnes (entraîneur, préparateur physique, nutritionniste,
cordeur, agent, attaché de presse, etc.). Les sportifs de haut niveau savent parfaitement combien cet
entourage est indispensable à leur réussite. Un skieur ne pourrait l’emporter sans la dextérité de son
ski‐man, qui farte et affûte ses spatules.
Les champions ont beaucoup à nous apprendre sur de multiples sujets. Comment atteindre des
niveaux élevés d’engagement dans le travail ? Comment repousser ses limites ? Comment dépasser
l’opposition entre réussite individuelle et performance collective ?
Les professionnels du sport sont confrontés à ces questions depuis leur plus jeune âge, et ils ont
trouvé des solutions. Leur vision est souvent remplie de sagesse. Comme lorsque Wilander explique :
« Dans la vie, il y a les winners et les losers. Un loser est reconnaissable au fait qu’il espère qu’une
victoire changera toute son existence. Et il finit non seulement par avoir peur de perdre mais, pire
encore, de gagner ». Le sport de haut niveau est orienté vers la réalisation de ce que j’appelle des
« hyperformances » c’est‐à‐dire des prouesses hors du commun, frappant les esprits de façon
durable : de la perfection de la gymnaste Nadia Comãneci aux JO de Montréal, au nouveau record du
monde établi par le perchiste Renaud Lavillenie. Or, il est crucial pour les managers comme pour les
éducateurs de trouver des leviers permettant d’optimiser les performances. D’où l’intérêt d’observer
ce qui se passe dans le sport de haut niveau, et d’analyser ce que ses professionnels nous enseignent.
Nous possédons tous des réserves latentes d’énergie, d’enthousiasme et d’efficacité, qui ne
demandent qu’à s’exprimer et qu’il faut apprendre à libérer. A cet égard, ce qui se déroule sur les
terrains de sport est non seulement distrayant, mais instructif : un vrai laboratoire à ciel ouvert…