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Yahi
UE de la Licence SV * 2019-2020
Parcours Physiologie Génomique Fonctionnelle
La Biologie en Marche
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La Biologie en Marche * Pr. J. Fantini/Pr. N. Yahi
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Malgré les réticences initiales, les exceptions au dogme ont fait l’objet de plusieurs
Prix Nobel : Renato Dulbecco, David Baltimore et Howard Temin en 1975
(découverte du mécanisme enzymatique de la rétrotranscription des rétrovirus), et
Stanley Prusiner en 1997 (découverte des prions). La Fiche n°2 est consacrée au
Prix Nobel de Stanley Prusiner, la Fiche n°3 aux rétrovirus (plusieurs lauréats du Prix
Nobel dont 2 français). Les Prix Nobel 2018 récompensant les avancées (mais aussi
les limites) de l’immunothérapie en cancérologie feront l’objet de la Fiche n°4.
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Fort de ces données structurales, nous pouvons maintenant poser trois questions
essentielles. Quelle est la fonction physiologique de PrP ? Pourquoi est-elle associée
à des maladies neurologiques ? Pourquoi cette protéine se retrouve-t-elle dans un
agent infectieux de type prion ?
En fait on ne sait pas grand-chose de la fonction physiologique de PrP. Cette
protéine est exprimée dans de nombreux tissus, dont le cerveau où elle est
particulièrement abondante. Dans la littérature scientifique on trouve des éléments
suggérant que PrP participe à diverses fonctions : transduction du signal, gestion du
cuivre, protection contre le stress oxydatif et l’apoptose, formation et contrôle de la
synapse, adhésion à la matrice extracellulaire. Toutes ces fonctions sont
essentielles, mais la protéine PrP n’est pas indispensable puisque des souris KO
pour le gène PRNP (qui code pour la protéine PrP) se développent normalement
sans pathologie majeure. Son absence est probablement compensée par d’autres
protéines du cerveau. Nous pouvons en déduire un élément intéressant pour notre
enquête : le lien entre PrP et la maladie de Creutzfeldt-Jakob n’est pas la
conséquence d’une perte de fonction de la protéine (cas général des maladies
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Néanmoins, il fallait démontrer que PrPsc et PrPc sont vraiment différentes au niveau
de leur structure 3D et que ces différences de structure génèrent des propriétés
différentes. C’est cela qu’a démontré Prusiner de manière très élégante. Si l’on traite
un échantillon contenant la protéine PrPsc (des prions infectieux) par une protéase
(la protéinase K), on constate que la protéolyse de PrPsc est très limitée. En
comparaison, la protéine PrPc traitée de la même manière est totalement hydrolysée
en acides aminés. Ce résultat est très important pour deux raisons : i) il prouve
définitivement que PrPsc et PrPc ont bien des propriétés distinctes ; ii) ce protocole
expérimental permet de différencier à coup sûr PrPsc de PrPc à l’aide d’un test de
routine excessivement simple à mettre en œuvre. Ce test est le suivant : i) on prélève
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un échantillon de tissu cérébral, ii) on l’incube (ou non) avec la protéinase K ; iii) on
sépare les protéines de l’échantillon par électrophorèse (gel de polyacrylamide-SDS
classique) ; iv) on transfère les protéines séparées sur un filtre de nitrocellulose
(Western blot) ; v) on détecte la présence de la protéine PrP avec des anticorps anti-
PrP. Ces anticorps sont incapables de différencier PrPsc de PrPc, c’est le traitement
à la protéinase K qui met en évidence l’une ou l’autre forme de PrP (Figure 3).
Figure 3. Détection de PrPsc et PrPc par Western blot sur des échantillons pré-
traités (ou non) par la protéinase K. Grâce à ce test on peut déterminer si un
organisme est infecté par des prions. Si tel est le cas, on détecte la présence de
PrPsc après traitement de l’échantillon par la protéinase K (bande rouge). Il y a une
légère baisse de PM apparent, mais la plus grande partie de la protéine résiste à la
protéolyse, on peut donc la détecter sur le blot. En revanche, si l’échantillon ne
contient que de la PrPc (individu sain), la protéine n’est détectée qu’en absence de
traitement à la protéinase K (bande bleue). PrPc est donc sensible à la protéinase K,
on la définit comme la forme PrPsen alors que PrPsc est résistante (PrPres). Seule
la forme PrPres (PrPsc) est présente dans les prions infectieux. La forme PrPsen
(PrPc) est la forme normale que possèdent tous les individus sains.
(D’après Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in Synaptic Function and Neurological
Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for Brain Disorders. Elsevier 2015).
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les deux formes de PrP (PrPc/PrPsen et PrPsc/PrPres) ont bien des structures 3D
distinctes, puisque leurs structures secondaires sont différentes. Dans un article
désormais célèbre publié en 1993, Prusiner et son équipe montrent que la protéine
PrPc possède 42% d’hélices alpha et très peu de structures beta (3%), alors que la
protéine PrPsc contient majoritairement des feuillets beta (43%). Cet article est
historique pour la Biologie car c’est la première fois que l’on démontre que la même
protéine peut exister dans deux conformations fondamentalement différentes : une
version alpha (PrPc) et une version beta (PrPsc). Que la même protéine, avec donc
la même séquence en acides aminés, puisse adopter deux modes de repliement
définis par des structures secondaires distinctes ébranlait le dogme établi par
Christian Anfinsen (Prix Nobel 1972 pour ses travaux établissant le lien entre la
séquence et la conformation biologiquement active des protéines). En dénaturant
puis renaturant la ribonucléase, Anfinsen était arrivé à la conclusion que l’information
biologique dictant la structure 3D des protéines est entièrement codée par la
séquence en acides aminés. Ce corollaire au dogme central de la Biologie
Moléculaire était donc remis en question par Prusiner. C’est peut-être le cas général,
mais les prions sont clairement en dehors de ce cadre. La Biologie y a gagné un
nouveau concept, la plasticité conformationnelle des protéines. Pour Stanley
Prusiner, la marche vers le Prix Nobel avait démarré.
Figure 4. Conversion PrPc (hélices alpha) vers PrPsc (structures beta). Les
hélices alpha sont en vert, les brins beta en rouge. Noter que les brins beta de la
protéine PrPsc (à droite) s’organisent en une structure hautement résistante appelée
hélice beta. Les hélices beta stabilisent les protéines confrontées à des
environnements extrêmes (les prions résistent au pH acide de l’estomac).
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un modèle simple (mais prophétique !) décrivant une maladie causée par une
« protéine infectieuse ». L’une de ses hypothèses de travail était que le cerveau
exprime la forme « normale » de la protéine, alors que la particule infectieuse
protéique était censée contenir une forme « anormale » de cette même protéine. La
forme anormale repérait la forme normale, interagissait avec elle et la convertissait
en forme pathogène. Le modèle décrivait ainsi une réaction en chaine initiée par un
premier contact entre la forme anormale et la forme normale. Ce contact induisait la
conversion de la forme normale vers la forme anormale qui à son tour allait se fixer
sur une forme normale, la convertir et ainsi de suite jusqu’à ce que la maladie
apparaisse à cause de l’abondance des formes anormales (Figure 5).
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Figure 7. Le concept des lipides chaperons dans la réplication des prions. Dans
le raft, la protéine PrPc interagit avec des lipides chaperons (GalCer, SM) qui
stabilisent sa conformation en hélice alpha. Le contact avec la protéine infectieuse
PrPsc décroche la protéine de ces lipides protecteurs (étape 1). La protéine PrPc se
réoriente vers la phase aqueuse (forme intermédiaire de PrPc notée a’). L’étape
suivante (étape 2) est le changement conformationnel (transition aàb) induit par
PrPsc. Plusieurs types de cofacteurs pourraient faciliter le processus. Lorsque PrPc
a terminé son changement conformationnel, elle est devenue à son tour infectieuse
(PrPsc) et elle s’agrège (étape 3). Les dépôts amyloïdes qui résultent de l’agrégation
de PrPsc sont neurotoxiques.
Il nous reste à comprendre i) les détails moléculaires de la protection par les lipides
chaperons et ii) pourquoi la protéine change de conformation lorsqu’elle n’est plus en
contact avec ces lipides protecteurs. La réponse est dans la physicochimie des
acides aminés aromatiques. Dans l’eau, ces résidus aromatiques favorisent la
formation de feuillets beta grâce aux interactions de « stacking » de type p-p qui
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7. Conclusions.
Plusieurs éléments de réflexion émergent de ce cours sur les prions.
1. La position des scientifiques par rapport aux dogmes.
2. Le Prix Nobel de Stanley Prusiner qui n’a nécessité aucune avancée
technologique mais l’intuition et la ténacité sans faille d’un chercheur qui s’en
est tenu aux faits expérimentaux, sans avoir peur de renverser des dogmes.
3. La notion de plasticité conformationnelle des protéines que nous
reprendrons dans cet enseignement (IDP, maladies neurodégénératives).
C’est l’une des avancées majeures de la Biologie actuelle.
4. La notion de lipides chaperons. Les lipides deviennent des acteurs
majeurs de la régulation fonctionnelle des protéines membranaires.
5. Le rôle des acides aminés aromatiques dans les protéines. Les
interactions de stacking jouent un rôle primordial en Biologie.
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- Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in Synaptic Function and Neurological
Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for Brain Disorders. Elsevier
2015.
- Jacques Fantini & Nouara Yahi. Molecular insights into amyloid regulation by
membrane cholesterol and sphingolipids: common mechanisms in
neurodegenerative diseases. Expert Rev Mol Med. 2010 Sep 1;12:e27.
- Stanley B. Prusiner. Prions. Proc Natl Acad Sci U S A. 1998 Nov 10;95(23):13363-
83.
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