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La Biologie en Marche * Pr. J. Fantini/Pr. N.

Yahi

UE de la Licence SV * 2019-2020
Parcours Physiologie Génomique Fonctionnelle

La Biologie en Marche

Pr. Jacques Fantini jacques.fantini@univ-amu.fr


Pr. Nouara Yahi nouara.yahi@univ-amu.fr

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La Biologie en Marche * Pr. J. Fantini/Pr. N. Yahi

Fiche 1 : Objectifs de l’enseignement

1. Comment le futur de la Biologie se construit dès aujourd’hui.


Comment la Biologie réussit-elle à faire face aux masses d’informations produites par
les nouvelles technologies. Actuellement on ne fait plus seulement de la Biologie in
vivo et in vitro, mais aussi in silico et ce, dans tous les domaines aussi bien en
Biologie Moléculaire qu’en Zoologie, Ecologie ou Evolution.
L'objectif principal de cette UE est d'étudier les grandes thématiques de la Biologie
moderne en en analysant les sources et les impacts. Il s'agira dans un premier temps
d'analyser une découverte scientifique majeure ayant fait l'objet d'un Prix Nobel et de
déterminer l'impact de cette découverte en la confrontant aux découvertes
scientifiques les plus récentes. L’un des Prix Nobel (Physiologie & Médecine, Chimie)
décernés en début d'année universitaire (Octobre) fera systématiquement l'objet
d'une analyse spécifique. Les problématiques liées à la physiologie, la
physiopathologie et la génomique seront privilégiées, en particulier les dernières
recherches impliquant CrispR/Cas9 (manipulations génétiques), la médecine
personnalisée (utilisation des Big Data), les approches thérapeutiques innovantes
(les cellules Car-T), l'épigénétique (code des histones), la plasticité en Biologie
(moléculaire, cérébrale…), les OGM (mode d'obtention, méthodes de détection), les
procédés d'identification des individus (médecine légale et police scientifique). Les
étudiants seront amenés à analyser et rendre compte des dernières avancées de la
recherche scientifique dans un domaine particulier (par exemple la biologie
quantique et son impact en génomique fonctionnelle (mutations) ou en physiologie
sensorielle (cas particulier de l'odorat). Ces thèmes ne sont pas limitatifs et peuvent
varier en fonction de l’actualité scientifique… que nous apprendrons à évaluer de
manière rationnelle. Les « fake news » scientifiques (ou pseudo-scientifiques) qui
fleurissent sur le web et les moyens de les vérifier seront également abordées.

2. Des dogmes et des dégâts.


En science, les faits l’emportent sur la théorie, le dogme est à la merci d’une seule
exception. Cependant, ébranler un dogme n’est jamais facile, nombreux étant les
scientifiques préférant ignorer le fait expérimental qui écorne une théorie, surtout si
elle est belle, séduisante ou réconfortante. Nous en produirons plusieurs exemples
dans ce cours. Ainsi, le dogme central de la biologie moléculaire (Figure 1),
popularisé dans les années 1960 par Francis Crick, a-t-il été passablement amendé
et remis en question après plusieurs découvertes fondamentales: rétrovirus, prions,
protéines chaperones, protéines intrinsèquement désordonnées (IDP), protéines
« moonlighting ». Le rôle omnipotent des gènes, dès lors que le génome humain a
été séquencé dans son intégralité, commence également à susciter de légitimes
interrogations.

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Figure 1. Le dogme central de la Biologie Moléculaire dans sa formulation


initiale (cadre bleu) et ses exceptions (texte rouge).
Dans l’esprit de Francis Crick il s’agissait avant tout d’éclaircir les idées sur le
transfert d’information en Biologie. L’information biologique est stockée dans l’ADN,
elle est décodée de manière transitoire dans l’ARN puis elle est traduite en protéine.
Un code physico-chimique a rapidement été adjoint à ce « dogme central », selon
lequel une séquence en acides aminés est associée à une seule structure
tridimensionnelle (3D) de protéine remplissant par conséquent une fonction unique :
en raccourci 1 gène à 1 protéine à 1 fonction. En dépit des nombreux coups de
canifs (rétrovirus, prions, protéines IDP et moonlighting) beaucoup de biologistes
perpétuent l’image mentale associée à ce dogme.

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Malgré les réticences initiales, les exceptions au dogme ont fait l’objet de plusieurs
Prix Nobel : Renato Dulbecco, David Baltimore et Howard Temin en 1975
(découverte du mécanisme enzymatique de la rétrotranscription des rétrovirus), et
Stanley Prusiner en 1997 (découverte des prions). La Fiche n°2 est consacrée au
Prix Nobel de Stanley Prusiner, la Fiche n°3 aux rétrovirus (plusieurs lauréats du Prix
Nobel dont 2 français). Les Prix Nobel 2018 récompensant les avancées (mais aussi
les limites) de l’immunothérapie en cancérologie feront l’objet de la Fiche n°4.

Fin de la Fiche n°1


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Fiche 2 : Stanley Prusiner et les prions

1. Tout commence avec le mouton.


Au XVIIIème siècle (1732) une nouvelle maladie apparait chez les ovins, la
tremblante (appelée aussi « scrapie », du verbe anglais « to scrape » qui signifie
gratter). Cette maladie est fatale et transmissible. Il faudra attendre deux siècles
(1936) pour établir la cause infectieuse de cette maladie (découverte française de
Paul-Louis Chelle et Jean Cuillé). Dans les années 1960, plusieurs tentatives
d’identifier l’agent infectieux de la scrapie resteront vaines. Néanmoins, un certain
nombre de résultats iconoclastes ont été obtenus dès cette époque.
A l’origine, la caractérisation de l’agent infectieux responsable de la scrapie est une
recherche microbiologique tout à fait classique. Le principe est simple : on prélève un
échantillon biologique chez un animal infecté et on l’inocule à un animal sain. Une
fois ce protocole d’infection mis au point, on travaille alors sur l’échantillon biologique
contentant l’agent infectieux que l’on veut caractériser. Classiquement, la première
étape du processus consiste à déterminer s’il s’agit d’un virus ou d’une bactérie. Si le
« microbe » ne passe pas à travers les pores d’un filtre en porcelaine (diamètre des
pores < 300 nm), c’est une bactérie. S’il passe, on dit qu’il est « ultrafiltrable » et c’est
alors un virus. Notons que cette définition est aujourd’hui obsolète, des virus géants
ayant été découverts par l’équipe de Didier Raoult à Marseille. Mais en dehors de
cette exception notable, les trois critères qui définissent les virus depuis plus d’un
siècle restent valables, même si l’on peut remarquer qu’il s’agit de critères
« négatifs » : i) non retenus par le filtre, ii) invisibles au microscope optique, iii) non-
cultivables sur milieu nutritif. Ce n’est qu’après l’invention du microscope électronique
(1930) que l’on a pu visualiser des virus pour la première fois.
L’agent infectieux de la scrapie n’étant pas retenu par les filtres de porcelaine, il fut
logiquement classé dans la catégorie des virus. La suite fut plus étonnante. Tout
d’abord, cet agent infectieux s’est avéré beaucoup plus résistant aux radiations
ionisantes et aux rayons UV que n’importe quel virus connu jusqu’alors. D’autre part,
sa masse moléculaire (2.105 daltons) paraissait beaucoup trop faible pour un virus.
Enfin, l’agent infectieux résistait aux traitements chimiques et enzymatiques connus
pour détruire l’ARN et l’ADN. La possibilité que puisse exister un agent infectieux
dépourvu d’acide nucléique apparaissait comme une hérésie au regard du dogme
central de la Biologie Moléculaire. Peut-on concevoir un agent pathogène ne
possédant ni ARN ni ADN ? A la fin des années 1960 la réponse était clairement
Non. Néanmoins, certains auteurs ont proposé des mécanismes alternatifs de
réplication faisant intervenir des protéines, des polysaccharides ou des structures
plus intégrées telles que des membranes.

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1. La découverte des prions.


Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard (fin des années 1970) que Stanley
Prusiner entre en scène. Reprenant des travaux laissés à l’abandon faute de
conclusions décisives, Prusiner reprend le flambeau en améliorant le procédé de
purification de l’agent infectieux de la scrapie (ultracentrifugation). Il put ainsi achever
l’identification de cet agent infectieux en démontrant qu’il ne contenait ni ADN, ni
ARN mais exclusivement des protéines. Il s’agissait donc d’un agent infectieux de
nature protéique, et en ce sens « non conventionnel ». En 1982, Prusiner publia un
article révolutionnaire dans la revue Science dans lequel il écrivait : ‘because the
novel properties of the scrapie agent distinguish it from viruses, plasmids, and
viroids, a new term "prion" is proposed to denote a small proteinaceous infectious
particle which is resistant to inactivation by most procedures that modify nucleic
acids’ (« étant donné que les propriétés nouvelles de l’agent de la scrapie le
distinguent définitivement des virus, plasmides et autres viroïdes, je propose le
nouveau terme « prion » pour dénommer une petite particule infectieuse protéique
résistant aux procédures d’inactivation spécifiques des acides nucléiques »). 15 ans
plus tard, Prusiner devenait lauréat du Prix Nobel. Le « prion » était alors totalement
caractérisé au niveau moléculaire : il contient un seul type de protéine, de 27-30 kDa,
appelée aujourd’hui PrP (Prion Protein). Cette protéine existe chez tous les
mammifères, y compris l’homme. Elle est responsable de maladies
neurodégénératives fatales, notamment la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Elle est
également responsable d’autres pathologies du système nerveux central : l’insomnie
fatale familiale (IFF) et le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker (GSS).
La maladie de Creutzfeldt-Jakob est la seule des trois à pouvoir être de cause
génétique (due à une mutation dans le gène codant pour la protéine PrP, par
exemple la mutation E200K), de cause infectieuse (contamination alimentaire ou
iatrogène) ou de forme sporadique (survenue aléatoire, sans mutation ni exposition à
un prion exogène retrouvée). La forme sporadique est la plus fréquente (85% des
cas).
L’insomnie fatale familiale est une encéphalopathie d’origine exclusivement
génétique. Elle est liée à une mutation (D178N). L’IFF débute généralement vers 50
ans et se caractérise par des troubles du sommeil paradoxal qui évoluent vers une
insomnie rebelle associée à des troubles neurovégétatifs. Progressivement, des
troubles des mouvements et la démence apparaissent. L’issue de la maladie est
fatale après 6 à 30 mois d’évolution.
Le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker est également provoqué par une
mutation spécifique du gène codant pour la protéine PrP. La maladie débute souvent
vers 40 ans, avec des troubles de l’équilibre et de la coordination des mouvements.
Elle évolue ensuite sur plusieurs années vers la démence, avec une aggravation des
troubles neurologiques.

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Comment la même protéine peut-elle être à la fois responsable d’une maladie


infectieuse (Creutzfeldt-Jakob transmissible) et de maladies génétiques ? C’est
précisément ce mystère que Stanley Prusiner a élucidé.

2. Le protéine PrP: structure, fonction et rôle dans les maladies neurologiques


Chez l’homme, le gène codant pour la protéine PrP est localisé sur le chromosome
20. Ce gène comprend un petit exon non transcrit (nucleotides 1-362), et un exon de
plus grand taille (363-2740) contenant la totalité du cadre ouvert de lecture (373-
1134) codant pour les 253 acides aminés de la protéine (GenBank #NM_000311.3).
La structure de la protéine PrP est décrite dans la Figure 1.

Figure 1. Structure schématique de la protéine PrP. Le clivage au niveau C-


terminal (a.a. 231) est nécessaire pour greffer un groupement GPI assurant l’ancrage
membranaire de la protéine et son adressage dans les radeaux lipidiques (lipid rafts).
Le domaine en rouge (51-91) correspond à des motifs répétés riches en Gly. Les
deux sites de glycosylation de la protéine sont repérés (CHO). La séquence signal
(1-22) est indiquée en jaune.
(D’après Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in Synaptic Function and Neurological
Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for Brain Disorders. Elsevier 2015).

La structure 3D de la protéine a pu être déterminée pour son domaine extracellulaire


(protéine recombinante, a.a. 23-230) par résonance magnétique nucléaire (RMN).
On note la présence majoritaire des hélices alpha (il y en a trois : 144-154, 173-194,
et 200-228) et d’un petit feuillet beta constitué de deux brins beta anti-parrallèles
(128-131 et 161-164). A partir de ces données structurales, on peut reconstituer la
topologie de la protéine PrP dans son environnement membranaire (Figure 2).

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Figure 2. La protéine PrP dans son environnement membranaire. La partie


extracellulaire est en bleu, la partie membranaire étant l’ancre GPI. Les lipides du raft
sont le cholestérol (en rouge) et les gangliosides de type GM1. La protéine est
glycosylée (CHO, sucres en orange).
(D’après Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in Synaptic Function and Neurological
Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for Brain Disorders. Elsevier 2015).

Fort de ces données structurales, nous pouvons maintenant poser trois questions
essentielles. Quelle est la fonction physiologique de PrP ? Pourquoi est-elle associée
à des maladies neurologiques ? Pourquoi cette protéine se retrouve-t-elle dans un
agent infectieux de type prion ?
En fait on ne sait pas grand-chose de la fonction physiologique de PrP. Cette
protéine est exprimée dans de nombreux tissus, dont le cerveau où elle est
particulièrement abondante. Dans la littérature scientifique on trouve des éléments
suggérant que PrP participe à diverses fonctions : transduction du signal, gestion du
cuivre, protection contre le stress oxydatif et l’apoptose, formation et contrôle de la
synapse, adhésion à la matrice extracellulaire. Toutes ces fonctions sont
essentielles, mais la protéine PrP n’est pas indispensable puisque des souris KO
pour le gène PRNP (qui code pour la protéine PrP) se développent normalement
sans pathologie majeure. Son absence est probablement compensée par d’autres
protéines du cerveau. Nous pouvons en déduire un élément intéressant pour notre
enquête : le lien entre PrP et la maladie de Creutzfeldt-Jakob n’est pas la
conséquence d’une perte de fonction de la protéine (cas général des maladies

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génétiques telles que la mucoviscidose), mais à l’acquisition de propriétés nouvelles


de la protéine causant la maladie.
Le lien entre PrP et maladie de Creutzfeldt-Jakob a été établi par l’identification de
mutations ponctuelles du gène PRNP, la plupart situées dans la région C-terminale
de la protéine (donc proches de l’ancre GPI et donc de la membrane plasmique) :
Asp-178/Asn19-21, Val-180/Ile22, Glu-196/Lys23, Glu-200/Lys24, Asp-202/Asn25,
Val-203/Ile23, Arg-208/His26,27, Val-210/Ile28, Glu-211/Gln23, Met-232/Arg22. Au
niveau histo-pathologique, la maladie de Creutzfeldt-Jakob se caractérise par la
présence d’agrégats de protéines PrP et de dégénérescences donnant un aspect
« d’éponge » au tissu cérébral, d’où le terme d’encéphalopathie spongiforme.
Pourquoi la protéine PrP mutée s’agrège-t-elle alors que la forme sauvage de cette
protéine reste membranaire ?

3. Le Prix Nobel de Stanley Prusiner


Le premier réflexe face à ce problème est de considérer que la protéine PrP mutée
est structurellement différente de la protéine PrP sauvage. Nous pouvons les
désigner par deux acronymes faisant référence au caractère pathologique ou non : la
forme associée à la maladie est notée PrPsc (sc pour scrapie), la forme normale
PrPc (c pour cellulaire).
Nous allons maintenant pouvoir retracer le cheminement scientifique ayant conduit
Stanley Prusiner à sa découverte fondamentale. L’hypothèse de départ la plus
vraisemblable était que les prions contenaient une forme mutée de PrP. Mais cette
hypothèse s’est avérée incorrecte puisque dans le prion, la protéine PrP (donc
PrPsc) a la même séquence en acides aminés que la protéine PrP normale (donc
PrPc). Le stade suivant était d’identifier d’éventuelles différences au niveau des
modifications post-traductionnelles : glycosylation, phosphorylation, acétylation etc…
Cependant, aucune différence de ce type n’a pu être mise en évidence par Prusiner.
En fait, il est apparu que chimiquement, PrPsc est en tout point identique à PrPc. A
cette situation paradoxale il n’y avait plus qu’une seule solution envisageable : PrPsc
et PrPc n’ont pas la même structure 3D. Or, selon le dogme central de la Biologie
Moléculaire, deux protéines ayant la même séquence en acides aminés ont
obligatoirement la même structure 3D.

Néanmoins, il fallait démontrer que PrPsc et PrPc sont vraiment différentes au niveau
de leur structure 3D et que ces différences de structure génèrent des propriétés
différentes. C’est cela qu’a démontré Prusiner de manière très élégante. Si l’on traite
un échantillon contenant la protéine PrPsc (des prions infectieux) par une protéase
(la protéinase K), on constate que la protéolyse de PrPsc est très limitée. En
comparaison, la protéine PrPc traitée de la même manière est totalement hydrolysée
en acides aminés. Ce résultat est très important pour deux raisons : i) il prouve
définitivement que PrPsc et PrPc ont bien des propriétés distinctes ; ii) ce protocole
expérimental permet de différencier à coup sûr PrPsc de PrPc à l’aide d’un test de
routine excessivement simple à mettre en œuvre. Ce test est le suivant : i) on prélève

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un échantillon de tissu cérébral, ii) on l’incube (ou non) avec la protéinase K ; iii) on
sépare les protéines de l’échantillon par électrophorèse (gel de polyacrylamide-SDS
classique) ; iv) on transfère les protéines séparées sur un filtre de nitrocellulose
(Western blot) ; v) on détecte la présence de la protéine PrP avec des anticorps anti-
PrP. Ces anticorps sont incapables de différencier PrPsc de PrPc, c’est le traitement
à la protéinase K qui met en évidence l’une ou l’autre forme de PrP (Figure 3).

Figure 3. Détection de PrPsc et PrPc par Western blot sur des échantillons pré-
traités (ou non) par la protéinase K. Grâce à ce test on peut déterminer si un
organisme est infecté par des prions. Si tel est le cas, on détecte la présence de
PrPsc après traitement de l’échantillon par la protéinase K (bande rouge). Il y a une
légère baisse de PM apparent, mais la plus grande partie de la protéine résiste à la
protéolyse, on peut donc la détecter sur le blot. En revanche, si l’échantillon ne
contient que de la PrPc (individu sain), la protéine n’est détectée qu’en absence de
traitement à la protéinase K (bande bleue). PrPc est donc sensible à la protéinase K,
on la définit comme la forme PrPsen alors que PrPsc est résistante (PrPres). Seule
la forme PrPres (PrPsc) est présente dans les prions infectieux. La forme PrPsen
(PrPc) est la forme normale que possèdent tous les individus sains.
(D’après Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in Synaptic Function and Neurological
Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for Brain Disorders. Elsevier 2015).

Peut-on établir une base structurale pour cette différence de sensibilité à la


protéinase K ? Malheureusement il n’a pas été possible de cristalliser PrPc ou PrPsc
ce qui interdit la cristallographie aux rayons X pour déterminer la structure 3D de ces
protéines. Prusiner a donc utilisé des méthodes alternatives, moins précises mais qui
se sont avérées gagnantes : la spectroscopie infrarouge FITR et le dichroïsme
circulaire. Ces techniques permettent en fait d’évaluer la nature et le % respectifs de
structures secondaires dans une protéine. En appliquant ce type d’analyse à des
échantillons purifiés de PrPc et PrPsc, Prusiner a pu établir de manière certaine que

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les deux formes de PrP (PrPc/PrPsen et PrPsc/PrPres) ont bien des structures 3D
distinctes, puisque leurs structures secondaires sont différentes. Dans un article
désormais célèbre publié en 1993, Prusiner et son équipe montrent que la protéine
PrPc possède 42% d’hélices alpha et très peu de structures beta (3%), alors que la
protéine PrPsc contient majoritairement des feuillets beta (43%). Cet article est
historique pour la Biologie car c’est la première fois que l’on démontre que la même
protéine peut exister dans deux conformations fondamentalement différentes : une
version alpha (PrPc) et une version beta (PrPsc). Que la même protéine, avec donc
la même séquence en acides aminés, puisse adopter deux modes de repliement
définis par des structures secondaires distinctes ébranlait le dogme établi par
Christian Anfinsen (Prix Nobel 1972 pour ses travaux établissant le lien entre la
séquence et la conformation biologiquement active des protéines). En dénaturant
puis renaturant la ribonucléase, Anfinsen était arrivé à la conclusion que l’information
biologique dictant la structure 3D des protéines est entièrement codée par la
séquence en acides aminés. Ce corollaire au dogme central de la Biologie
Moléculaire était donc remis en question par Prusiner. C’est peut-être le cas général,
mais les prions sont clairement en dehors de ce cadre. La Biologie y a gagné un
nouveau concept, la plasticité conformationnelle des protéines. Pour Stanley
Prusiner, la marche vers le Prix Nobel avait démarré.

4. Le mécanisme de réplication des prions


A partir du moment où : i) la forme physiologique non pathologique de la protéine
PrP (PrPc) est la forme repliée en hélices alpha, ii) la forme associée aux prions
(PrPsc) est la forme repliée en feuillets beta, alors iii) on peut considérer le
changement de conformation alpha à beta (Figure 4) comme le processus à
l’origine de la maladie.

Figure 4. Conversion PrPc (hélices alpha) vers PrPsc (structures beta). Les
hélices alpha sont en vert, les brins beta en rouge. Noter que les brins beta de la
protéine PrPsc (à droite) s’organisent en une structure hautement résistante appelée
hélice beta. Les hélices beta stabilisent les protéines confrontées à des
environnements extrêmes (les prions résistent au pH acide de l’estomac).

Curieusement, une hypothèse similaire (bien que moins aboutie au niveau


moléculaire) avait été déjà proposée en 1967, soit 25 ans avant que Prusiner
n’invente le terme « prion ». Un mathématicien nommé J.S. Griffith a en effet exposé

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un modèle simple (mais prophétique !) décrivant une maladie causée par une
« protéine infectieuse ». L’une de ses hypothèses de travail était que le cerveau
exprime la forme « normale » de la protéine, alors que la particule infectieuse
protéique était censée contenir une forme « anormale » de cette même protéine. La
forme anormale repérait la forme normale, interagissait avec elle et la convertissait
en forme pathogène. Le modèle décrivait ainsi une réaction en chaine initiée par un
premier contact entre la forme anormale et la forme normale. Ce contact induisait la
conversion de la forme normale vers la forme anormale qui à son tour allait se fixer
sur une forme normale, la convertir et ainsi de suite jusqu’à ce que la maladie
apparaisse à cause de l’abondance des formes anormales (Figure 5).

Figure 5. Modèle de réplication d’une protéine infectieuse dans le cerveau. (J.S.


Griffith, 1967). Ce modèle prophétique s’applique remarquablement au mécanisme
de réplication des prions découvert par Stanley Prusiner.
(D’après Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in Synaptic Function and Neurological
Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for Brain Disorders. Elsevier 2015).

Dans le modèle de Griffith (Figure 5), on remplace « protéine infectieuse » par


PrPsc, et « protéines normales » par PrPc, alors on obtient le mécanisme de
réplication des prions. Le mérite en revient grandement à Prusiner qui a publié des
avancées décisives dans la compréhension de ce mécanisme : i) l’obtention de
préparations hautement purifiées de prions infectieux ; ii) la démonstration de la

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différence de conformation entre PrPc et PrPsc (expliquant leur différence de


sensibilité à la protéinase K). Mais son expérience décisive est sans nul doute la
démonstration que des animaux KO pour le gène PRNP (souris PRNP-0/0), qui
n’expriment pas la protéine PrPc, sont totalement insensibles à l’infection par les
prions. Sans le réservoir de protéine PrPc, les protéines PrPsc sont inoffensives. Si
maintenant on relie cette information aux structures respectives de Prpc et PrPsc, on
obtient un mécanisme moléculaire décrivant la réplication des prions (Figure 6).

Figure 6. Mécanisme moléculaire de réplication des prions. Le contact entre la


protéine PrPc et la protéine PrPsc a été métaphoriquement décrit comme le « baiser
de la mort » (kiss of death). Les protéines PrPsc converties restent associées et
forment des fibres puis des agrégats qui se déposent dans le tissu cérébral et en
perturbent le fonctionnement. (D’après Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in
Synaptic Function and Neurological Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for
Brain Disorders. Elsevier 2015)

5. Radeaux lipidiques et plasticité conformationnelle de la protéine PrP


La protéine PrPc est ancrée via son GPI dans le feuillet externe des radeaux
lipidiques (lipid rafts). La conversion PrPc à PrPsc a lieu au niveau de ces
microdomaines membranaires. Les lipides qui constituent ces domaines jouent un
rôle primordial dans la régulation conformationnelle de la protéine PrP. Il a été
démontré que la conversion nécessite l’insertion de PrPsc au sein même du raft qui
contient PrPc. En fait, lorsqu’on purifie des prions infectieux à partir de tissu cérébral,
deux lipides des rafts restent associés aux protéines PrPsc : la sphingomyéline et le
galactosylcéramide (GalCer). En fait, ces deux lipides sont initialement associés à
PrPc au niveau du raft. Cette association de PrPc avec ces lipides se fait très
précocément au cours de la biosynthèse (dans le réticulum endoplasmique) et donc
avant l’adressage de la protéine PrPc au niveau des rafts de la membrane
plasmique. En se fixant sur la protéine PrPc, la sphingomyéline et le GalCer

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stabilisent sa conformation en hélice alpha, constituant une véritable « cale


thermodynamique ».
Ainsi, la déplétion de ces lipides protecteurs par des inhibiteurs de biosynthèse
augmente-t-elle le taux de conversion PrPc à PrPsc. Ces lipides jouent donc un rôle
de « chaperons » permettant à la protéine PrPc d’acquérir et de maintenir dans les
rafts une conformation en alpha hélices non pathogène. Ce n’est qu’en présence de
PrPsc que le mécanisme s’enraye, le contact PrPsc-PrPc ayant pour conséquence
de retirer la cale constituée par les lipides chaperons. En fait, l’affinité de PrPc pour
PrPsc est supérieure à celle de PrPc pour les lipides chaperons. Ayant perdu la
protection des lipides, et soudainement confrontée aux molécules d’eau, la partie
extracellulaire de PrPc se déploie et adopte sa structure la plus stable dans l’eau,
c’est-à-dire la conformation en feuillets beta : la conversion a eu lieu, elle est
irrémédiable. A son tour, cette protéine PrPsc nouvellement formée pourra recruter
de nouvelles cibles PrPc et les convertir. La maladie s’installe progressivement au
fur et à mesure du développement des agrégats de protéines PrPsc. Ce mécanisme
est résumé dans la Figure 7.

Figure 7. Le concept des lipides chaperons dans la réplication des prions. Dans
le raft, la protéine PrPc interagit avec des lipides chaperons (GalCer, SM) qui
stabilisent sa conformation en hélice alpha. Le contact avec la protéine infectieuse
PrPsc décroche la protéine de ces lipides protecteurs (étape 1). La protéine PrPc se
réoriente vers la phase aqueuse (forme intermédiaire de PrPc notée a’). L’étape
suivante (étape 2) est le changement conformationnel (transition aàb) induit par
PrPsc. Plusieurs types de cofacteurs pourraient faciliter le processus. Lorsque PrPc
a terminé son changement conformationnel, elle est devenue à son tour infectieuse
(PrPsc) et elle s’agrège (étape 3). Les dépôts amyloïdes qui résultent de l’agrégation
de PrPsc sont neurotoxiques.

Il nous reste à comprendre i) les détails moléculaires de la protection par les lipides
chaperons et ii) pourquoi la protéine change de conformation lorsqu’elle n’est plus en
contact avec ces lipides protecteurs. La réponse est dans la physicochimie des
acides aminés aromatiques. Dans l’eau, ces résidus aromatiques favorisent la
formation de feuillets beta grâce aux interactions de « stacking » de type p-p qui

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s’établissent entre deux cycles aromatiques voisins (Figure 8). La conformation


allongée typique des brins beta facilite la formation de ces interactions de stacking.
La tendance naturelle de la protéine PrP, dans l’eau, est donc de former des
structures beta. Mais lorsque la protéine PrP est au contact des lipides
membranaires, les cycles aromatiques sont « neutralisés » par la partie sucrée d’un
glycosophingolipide (par exemple le galactose du GalCer). Ainsi, le cycle (non
aromatique) du sucre se superpose au cycle aromatique de l’acide aminé et le
stabilise via une interaction de stacking de type CH-p. Cette interaction stabilisatrice
est détruite lors de la formation du complexe PrPc-PrPsc, ce qui libère le cycle
aromatique du cycle du sucre. Dans l’eau, les cycles aromatiques se rapprochent et
forment l’interaction de stacking qui est permise et par la suite stabilise la
conformation beta.

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Figure 8. Stacking CH-p et p-p : régulation de la réplication des prions. GSL,


glycosphingolipide (GalCer) ; b-strand, brin beta.
(D’après Jacques Fantini & Nouara Yahi. Molecular insights into amyloid regulation by
membrane cholesterol and sphingolipids: common mechanisms in neurodegenerative
diseases. Expert Rev Mol Med. 2010 Sep 1;12:e27).

7. Les prions en pathologie humaine.


Les prions sont responsables des formes infectieuses de la maladie de Creutzfeldt-
Jakob chez l’homme. La consommation de farines animales d’origine ovine par des
bovins a été la cause de l’apparition d’un nouveau variant de la maladie de

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La Biologie en Marche * Pr. J. Fantini/Pr. N. Yahi

Creutzfeld-Jakob dont les victimes ont été des consommateurs de viande


contaminée, souvent jeunes. Cette épidémie a été contrôlée dès lors que les farines
ont été interdites pour l’alimentation des vaches. Cela rappelle la disparition du kuru
en Nouvelle-Guinée, maladie à prions causée par un rite funéraire anthropophage
qui n’est plus pratiqué aujourd’hui (Prix Nobel de Daniel Gajdusek en 1976 pour avoir
contribué à éradiquer cette maladie). Certaines pratiques médicales (iatrogènes) ont
également provoqué des contaminations : neurochirurgie (stérilisation inappropriée),
hormone de croissance contaminée car purifiée à partir d’hypophyses de cadavres.

L’affaire du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob a montré que la


barrière d’espèce n’est pas absolue pour les prions. Ainsi, des farines préparées
à partir de carcasses de moutons porteurs de l’agent de la scrapie ont pu transmettre
des prions infectieux à des vaches (maladie de la vache folle). La maladie s’est
ensuite transmise à l’homme par consommation de viande contaminée. Il y a donc eu
deux sauts d’espèces successifs : i) du mouton à la vache ; ii) de la vache à
l’homme. L’analyse de la structure 3D de la protéine PrPc a montré une analogie très
importante entre la forme bovine et la forme humaine, ce qui explique le saut
d’espèce. En effet, la protéine PrPsc du prion bovin reconnait la protéine PrPc bovine
mais aussi PrPc humaine. Par conséquent, les prions bovins peuvent se propager
dans un cerveau humain comme dans un cerveau bovin.

7. Conclusions.
Plusieurs éléments de réflexion émergent de ce cours sur les prions.
1. La position des scientifiques par rapport aux dogmes.
2. Le Prix Nobel de Stanley Prusiner qui n’a nécessité aucune avancée
technologique mais l’intuition et la ténacité sans faille d’un chercheur qui s’en
est tenu aux faits expérimentaux, sans avoir peur de renverser des dogmes.
3. La notion de plasticité conformationnelle des protéines que nous
reprendrons dans cet enseignement (IDP, maladies neurodégénératives).
C’est l’une des avancées majeures de la Biologie actuelle.
4. La notion de lipides chaperons. Les lipides deviennent des acteurs
majeurs de la régulation fonctionnelle des protéines membranaires.
5. Le rôle des acides aminés aromatiques dans les protéines. Les
interactions de stacking jouent un rôle primordial en Biologie.

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La Biologie en Marche * Pr. J. Fantini/Pr. N. Yahi

8. Pour aller plus loin.

- Jacques Fantini & Nouara Yahi. Brain Lipids in Synaptic Function and Neurological
Disease. Clues to Innovative Therapeutic Strategies for Brain Disorders. Elsevier
2015.

- Jacques Fantini & Nouara Yahi. Molecular insights into amyloid regulation by
membrane cholesterol and sphingolipids: common mechanisms in
neurodegenerative diseases. Expert Rev Mol Med. 2010 Sep 1;12:e27.

- Stanley B. Prusiner. Prions. Proc Natl Acad Sci U S A. 1998 Nov 10;95(23):13363-
83.

Fin de la Fiche n°2


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